T. MIC
0401
rpîil
Pi
UNIVERSITYOFS
3 1761
y^H
^■1
^p
g*"J'J^
T^>:
JOHN M. KELLY LIBDADY
.^
D/ W
M
7.
j
Donated by
The Redemptorists of
the Toronto Province
from the Library Collection of
Holy Redeemer Collège, Windsor
University of
St. Michael's Collège, Toronto
Y, W^5-"-^^'
■'^' I
A
\CHA5^
TEREIBLES
CHATIMENTS
DES EEYÛLUIIONiXAIRES
b
A LA MÊME LIBRAIRIE
L'ART DE LA CONVERSATION
AU POINT DE VUE LITTÉRAIRE ET CHRÉTIEN
PAR LE R. 1*. HLGIET. ^. M.
QUATRIÈME ÉDITION NOTABLEMENT AUGMENTEE
Un joli vol. in-12,' papier glacé. Prix, broché. 1 fr. 50,
Table des
1. De la Conversation.
II. De la Prononciation.
III. Des Gestes et du Maintien.
IV. Des Qualités de la Conversation.
V. De l'Esprit de mots.
VI. De la Réflexion nécessaire pour
bien parler.
VII. De la Discrétion.
VIII. Combien il est important et
avantageux de parler peu.
IX. Du Talent d'écouter ceux qui
parlent.
X. Des Discussions.
XI. Des Propos saintement joyeux.
chapitres.
XII. De la Politesse dans la Con-
versation.
XIII. Des Louanges et des Compli-
ments.
XIV, Du Tact ei des BienséanceF.
XV. Des Formules de politesse.
XVI. Du Tutoiement.
XVII. Du Mensonge.
XVlll. De la Fidélité à garder les
secrets.
XIX. Caractères et Portraits de
mœurs,
XX. Maximes de Joubert sur
Conversation.
la
La conversation est un art utile et difficile : art utile, la conversation a louché
plus de cœurs, détendu plus de situations, dénoué plus de nœuds gordiens qne
tous les sermons, toutes les lettres et tous les coups d"épée du monde : art difli-
cile, quiconque a été un peu versé dans lasociéié où l'on prétend causer s'en est
vite aperçu. Le nombre de sots est infini, dit l'Écriture; on eu peut dire autant
de celui des bavards, l'un n'allantguère sans l'autre. On y compte un certain nom-
bre de beaux diseurs ; quelques parleurs admirables... mais d'aimables cau-
seurs, enjoués, savants et modestes, plus curieux d'écouter les autres que de
parler eux-mêmes, ne le faisant qu'à propos, avec mesure, et donnant sur tout
la note juste du bon ton et du bon esprit, on en trouve peu, si peu que les étran-
gers admis dans nos salons se demandent, avec une anxiété d'archéologue, ce
que les Français ont bien pu faire de leur esprit d'autrefois.
C'est aux femmes, destinées à vivre entre elles et « inclinées par nature à ces
beaux jeux de langue, » dit saint François de Sales, que VArt de la conversation
devient un art utile. On y doit former de bonne heure les jeunes filles.
Nous ne connais.sons pas de livre qui puisse, mieux que celui que nous recom-
mandons ici, seconder le soin des maîtresses et la Iwnne volonté des élèves,
dans cette branche si intéressante de l'éducation.
De beaucoup le plus littéraire et le i)lus travaillé des nombreux ouvrages de
notre pieux auteur, c'est un code sur autant qu'aimable de la bonne caM««r*e.
L'exemple y suit constamment le précepte : il est tel chapitre qu'on dirait par/é,
tant il est plein de bonhomie, de sel et de franche gaieté. D'autres, évidemment,
ont été écrits au sortir de quelqu'une de ces assemblées où notre auteur, as-
sommé du bavardage incohérent des sots ou du lourd fatras des parleurs .so-
lennels, n'aura pu réussir à placer un mot honnête. Des uns et des autres la
lecture nous charme, nous forme et nous instruit. C'est le comble de l'art, au
dire du poète.
Omne tulit punctum, qui miscuit utile duîci.
Cclui-lî» a remporté le prix qui a su mêler l'utile à l'agréable.
(Le Ctk de Travanet, du Conseiller des familles.)
TERRIBLES CHATIMENTS
DES
RÉVOLUTIONNAIRES
ENNEMIS DE L'ÉGLISE
DEPUIS 1789 JUSQU'EN 1879
PAR LE R. P. HUGUET
SIXIEME EDITION
Considérablement augmentée
Avec nne I^ettre de lEonseignear Hercnrelli
Secrétaire de S. S. Pie [X pour les Lettres latines
Tiewc condamnation résolue il y w longtemps
s'avance à grands pas et la main qni doit Ici
perdre n'est pas endormie.
(H* Epltre de saint Pierre, di. II, T. 3.)
LIBRAIRIE DE PERISSE FRÈRES
Nouvelle Maison à PARIS, 38, nœ Saint-Sulpice
BOURGUET-CALAS SUCCESSEUR
1883 O
Tous droits réservés. çOr
HOLY REDEEMER LIBRARY, WI^SOR
LETTRE DE W' MERCURELLI
SECRÉTAJRE DE N. S. P. LE PAPE POUE LES LETTRES LATINES.
Rome, le 8 août 1SC6.
3 Mon Révérend et très-honoré Père,
» C'est avec une bienveillance toute paternelle que N. S. P.
le Pape a reçu vos trois volumes : Terribles châtiments des révo-
lutionnaires; — les Martyrs de la liberté de l'Eglise; — Victoires
de Pic IX sur les garibaldiens.
» Sa Sainteté s'est réjouie non-seulement du zèle avec lequel,
athlète aussi prompt qu'infatigable, vous défendez la cause du
Siég-e apostolique, mais encore de l'enchaînement habile que
vous savez mettre dans vos publications, pour que, se prêtant
un mutuel secours, elles excitent les défenseurs de l'Eglise et
brisent l'audace de ses ennemis.
)> Empêché par la multitude de ses occupations, le Saint-
Père n'a pu encore, il est vrai, parcourir tous ces volumes;
mais les matières dont ils traitent lui ont suffi pour en porter
un jugement favorable. Les victoires, en effet, et les défaites,
la gloire et l'ignominie que vous avez entrepris de décrire, se
rattachent les unes et les autres au vieux cri : Non serviarn, « Je
ne servirai pas, » qui, dès l'origine, a ébranlé le ciel et rendu
l'homme rebelle envers son Créateur, et plus tard a poussé l'or-
gueil humain à s'élever contre TEglise en lui faisant une guerre
diverse quant aux moyens d'attaque et aux champs de bataille,
mais jamais interrompue.
« Mais aussi, de même que ce cri précipita les anges de leur
trône et dépouilla l'homme de sa noblesse originelle, ainsi,
plus tard, a-t-il toujours été pour les ennemis de l'Eglise la
cause de leur nnne.
» Cette suite des événements fait assurément éclater d'une
manière admirable la force et la sagesse de la Providence
divine. Les anges rebelles punis, l'homme racheté, l'Eglise
constamment soutenue par le bras du Tout-Puissant, et même
VI LETTRE DE M^' MERCURELLl.
les attentats commis contre elle servant à assurer ses progrès et
rehaussant sa gloire, tandis que ses ennemis se trouvaient pris
dans les pièges qu'ils lui avaient tendus : voilà tout autant de
laits par lesquels Dieu a démontré et démontre encore jusqu'à
l'évidence qu'il existe un Souverain Seigneur et Maître du
monde, auquel sont dus le culte et l'honneur, dont la volonté
dirige tous les événements humains, et qui ne manque jamais
de dissiper les superbes par le souffle de sa colère, et d'exalter
les humbles.
» Toutes ces choses certainement, si on les considère avec
soin, et si, d'ailleurs, on observe qu'elles sont démontrées par
une suite constante d'événements, ne peuvent manquer de
réprimer l'arrogance des méchants et d'affranchir de toute
crainte les cœurs dévoués à la cause de Dieu.
» C'est pourquoi Notre Très-Saint Père, en vous félicitant de
ce cpie vos autres ouvrages ont été traduits en tant de langues
divei'ses et sont recherchés si avidement, souhaite à ces nou-
velles publications un succès semblable pour le triomphe de la
justice et le salut des âmes, et, comme présage des faveurs cé-
lestes et gage de son affection paternelle, Pie IX vous accorde
de tout cœur la Bénédiction apostolique.
» Chargé par Sa Sainteté d'être son interprète auprès de
Votre Révérence, je vous félicite de toute mon âme, et, en
vous offrant mes hommages particuliers d'estime et de respect,
je demande à Dieu qu'il vous comble de faveurs et de prospé-
lités.
» Agréez.
» François MERCURELLl,
s SccnfUiire de N. S. P, le Pape pour les kUres latines.
AVANT-PROPOS
DE LA QUATRIÈME ÉDITION»!
La première édition de cet ouvrage, tirée à près de
4,000 exemplaires, a été rapidement épuisée. La bonne
et la mauvaise presse s'en sont également occupées.
Les journaux organes des libres-penseurs et de la
démocratie rouge ne nous ont point ménagé les épi-
thètes de leur répertoire. Une feuille des plus avancées
nous a appelé le tombeau des révolutionnaires (puisse-
t-elle avoir dit vrai!)... Tout cela prouve que nous les
avons touchés au vif en révélant leurs cruautés, leurs
infamies et leurs terribles châtiments.
Nous nous contenterons de citer ici le témoignage
peu suspect d'un journal de l'école du Siècle pour le
style et les sentiments :
« Lorsque vous lisez ce livre, pour peu que vous
soj^ez infecté de libéralisme, dit le Progrès de Lyoyi
(numéro du 6 mai 18G7), un léger frisson vous agite...
Dès les premiers mots on est empoigné et, bon gré mal
gré, on dévore les 500 pages.
VIH AVANT-PROPOS.
» C'est ce que je viens de faire; et comme les
plaisirs partagés me sont plus doux, je m'empresse
d'avertir mes concitoyens qu'un ouvrage merveilleux
vient de paraître, auprès duquel les Odeurs de Paris
sont plus fades que le lait d'une blanche brebis auprès
de la liqueur aimée des braves. La massue de Louis
Veuillot n'est plus qu'un cure-dents. Les révolution-
naires, les démocrates n'ont plus qu'à se convertir sur
l'heure, » etc.
Mais assez de cette littérature qui justifie une fois
de plus le mot d'un grand écrivain : Le style c'est
thomme.
Voici le jugement porté par le journal le Monde sur
les Terribles Châtiments des Révolutionnaires :
(f. Le P. Huguet vient de compléter son beau travail
sur l'auguste Pie IX, approuvé par les prélats les plus
éminents, en publiant un nouveau volume qui ne le
cède pas en intérêt aux précédents. Cet ouvrage, fruit
de longues recherches puisées aux sources les plus
authentiques, est une éloquente justification de la Pro-
vidence à notre époque où l'injustice et la force brutale
paraissent toujours impunies et triomphantes aux yeux,
du vulgaire, qui ne considère que des faits isolés et
qui, dans tous les cas, oublie que Dieu est patient
parce qu'il est éternel. On verra dans ces pages com-
ment finissent les souverains et les Etats qui ne res-
pectent pas la liberté de l'Eglise, quels sont les terribles
elfets de l'excommunication et la vengeance éclatante
que le Seigneur exerce, dès cette vie, sur les pro-
fanateurs du temple, les bourreaux des prêtres, les
AVAN'T-PROPOS. Et
ahatteurs de croix, et sur les ennemis du Saint-Siège
et de Pie IX en particulier. Les Italiens, qui marchent
sur les traces sanglantes de 1793, subissent les mêmes
châtiments : l'auteur en donne de nombreux exemples
dans le cinquième livre de cet ouvrage.
» Ce volume, écrit avec uoe grande réserve, a
trouvé sa place dans les bibliothèques des paroisses et
des familles chrétiennes. Les cathéchistes, les insti-
tuteurs de la jeunesse, les prédicateurs, puiseront dans
cet intéressant recueil des traits saisissants, capables
de faire une vive et salutaire impression sur leurs
auditeurs, w
L'Œuvre de Saint-François de Sales a recommandé
ce livre à ses associés dans son Catalogue des biblio-
thèques.
Il a paru de cet ouvrage une traduction en anglais
et en flamand. Encouragé par ce succès, nous n'avons
rien négligé pour rendre cette 4^ édition plus complète.
En terminant la précédente nous disions : Tout
semble annoncer que la Providence nous fournira la
7natière de nouveaux volumes sur le même sujet. Nos
pressentiments ne nous trompaient pas; la France,
oubhant sa mission, a subi des fléaux qui l'ont mise
à deux doigts de sa perte *. Il est impossible de ne pas
voir la maia de Dieu dans les châtiments que nous
avons subis, comme on pourra s'en convaincre eu
lisant les derniers chapitres de ce livre. Et ce qu'il y
a de plus déplorable, ces événements extraordinaires
* Nous les avons déjà racontés dans deux autres volumes :
Faris, ses crimes et ses châtiments, — Bourreaux et victimes de
la Commune en 1871.
a*
X AVANT-PROPOS.
n'ont éclairé aucun gouvernement. Tous, sans excep-
tion, ont sanctionné le brigandage au moyen duquel
Yictor-Emmanuel a forcé les portes de la Yille sainte
et rendu le Pape prisonnier au Vatican. Aussi endurcis
que Pharaon, les chefs des nations subiront les pu-
nitions de leur apostasie.
Le socialisme a profité seul de la guerre faite à
l'Eglise et à ses doctrines ; tous les trônes sont menacés.
Les régicides se multiplient d'une manière effrayante;
ou l'Europe reviendra au catholicisme, ou elle périra
dans la boue et dans le sang. La justice élève les
natio7is, dit le Saint-Esprit, l'iniquité les rends misé-
rables.
L'éloquent Lactance, mort en 325, nous a laissé
un livre sur la Mort des persécuteurs, dans lequel il
prouve que les tyrans qui versèrent le sang des chré-
tiens, eurent tous, à commencer par Néron, une fin
misérable. Cela s'est vu dans tous les temps et se verra
encore.
Dieu peut attendre les individus jusqu'à la mort et
leur laisser toutes les prospérités humaines, malgré
leurs prévarications. La raison en est que les âmes
ne périssent pas : Dieu les retrouve toujours à l'entrée
de l'autre vie. Il n'en est pas ainsi des nations : en
tant que nations, elles ne sont pas éternelles. Lors-
qu'elles ont péché. Dieu choisi le temps pour les
punir.
Lyon, le 18 janvier 1879, en la fôte de la Chaire
(le saint Pierre.
INTRODUCTION.
La justice de Dieu paraît lente. Qu'il taritu
parfois! dit-on. Que de puissance il laisse à
ses ennemis ! que de prospérités il leur
accorde ! — Oui, mais ils vivent, ils avan-
cent vers la mort, ils tombent, et Dieu seul
est grand. Louis Vekillot.
I.
n n'y a rien peut-être, dans les scènes de ce monde, qui
émeuve plus profondément que le spectacle du crime debout et
superbe près de la vertu tombée sous ses coups et gisant de-
vant lui ; c'est ce que Fénelon a si bien exprimé dans son dia-
logue entre le fidèle Bayard, mourant humblement de ses
blessures au pied d'un arbre, et le connétable de Bourbon, tout
empanaché de ses trahisons et de ses succès.
Ce délai de la justice divine est un sujet de tentation pour
quelques chrétiens faibles et peu éclairés, qui ne voient pas que
si le châtiment suivait infailliblement et immédiatement le
c.iime, il n'y aurait plus ni vice ni vertu, puisque l'on ne s'abs-
tiendrait du crime que comme l'on s'abstient de se jeter au
feu. La loi des esprits est bien différente; la peine est retardée
parce que Dieu est bon, mais elle est certaine parce que Dieu
est juste et éternel.
Ne croyez pas, àiiï^lditon, pouvoir jamais échappera la ven-
geance des dieiLX. Vous ne saurez être assez petit pour vous cacher
sous la terre, ni assez grand pour vous élancer dans le ciel; mais
vous subirez la peine qui vous est due ou dans ce monde ou dans
Xll INTRODUCTION.
l'autre, dans l'enfer ou dans im lieu encore plus terrible où vous
serez transporté après votre mort.
Euripide, en parlant de la Divinité, a écrit ce vers remar-
quable dans sa tragédie d'Oreste :
Elle agit lentement, car telle est sa nature.
En quoi il me paraît justiûer parfaitement la réputation qu'il
ambitionnait, d'homme profondément versé dans les sciences
divines, car il n'y a l'ien de si vrai ni de si important que celte
maxime. En effet, l'homme tel qu'il est ne peut être gouverné
par la Providence, à moins que l'action divine, à son égard, ne
devienne pour ainsi dire humaine; autrement elle anéantirait
l'homme au lieu de le diriger *.
Certains hommes, dans les jugements qu'ils portent sur le
bonheur des méchants, ne ressemblent pas mal à des enfants
admis pour la première fois à contempler sur la scène des misé-
rables jouant les rôles les plus nobles; vêtus de pourpre et de
brocart, le front ceint de couronnes, ces rois de théâtre eu im-
posent à l'œil de l'enfance, qui les prend pour de grands person-
nages et s'extasie sur leur bonheur, jusqu'à ce que tout-à-coup
on les voit frappés de verges, percés de coups ou même brûlés
vifs dans leur royale parure. C'est ainsi, en effet, que lorsqu'on
voit des coupables illustres environnés de serviteurs, distin-
gués par une haute naissance et revêtus de grands emplois,
on ne peut se déterminer à croix'e qu'ils soient punis, jusqu'à
* Voici de belles réflexions de J. de Maistre.
Pour juslifier la Providence, môme dans l'ordre temporel, il n'est
pas nécessaire que le crime soit toujours puni et sans délai. Encore
une fois, il est singulier que l'homme ne puisse obtenir de lui d'èlrc
austi juste envers Dieu qu'envers ses semblables : qui jamais s'o^t
amusé de soutenir qu'il n'y a ni ordre ni justice dnus un Etat, parce
que deux ou trois criminels auront échappé aux tribunaux? La seule
dilîérence qu'il y a entre les deux justices, c'est que la nôtre laisôc
échapper les coupables par impuissance et par corruption taudis q.ie
8i l'autre paraît quelquefois ne pas apercevoir les crimes, elle ne
susiiend ses coups que par des motifs adorables qui ne sont pas, à
beaucoup près, hors de la portée de notre intelligence.
IXTRODUCTION. XIII
ce qu'on les voie poignardés ou précipités ; ce qui est cepen-
dant moins une punition que la lin et le complément de la
punition. Que sont donc ces prétendus retards dont on fait tant
de bruit? En premier lieu, nous appelons de ce nom, dans
noire ignorance, le temps que la justice divine emploie à soulever
l'homme qu'elle veut précipiter ; mais si nons voulons d'ailleurs
nous exprimer rigoureusement, il n'y a point de retard, car
c'est une loi divine que le supplice commence toujours avec le
crime. L'ingénieuse antiquité a dit que la peine est boiteuse;
sans doute elle n'atteint pas tout de suite le coupable, mais
jamais elle ne cesse de le poursuivre, et le bruit de sa marche,
que nous appelons remords, tourmente sans relâche le cou-
pable, de manière que lorsqu'elle le saisit, ce n'est plus que la
lin du supplice.
La plus longue vie humaine, pour Dieu, est un instant.
Qu'un méchant soit puni divinement au moment même où il
a commis son crime ou qu'il le soit trente ans après, c'est
comme si la justice humaine, au lieu de le faire pendre ou
torturer le matin, ne l'envoyait au supplice que l'après-midi.
En attendant, la vie est pour le coupable une véritable prison
qui ne lui laisse aucun espoir de fuite ; que si, dans cette posi-
ton, il donne de grands festins, s^il répand des grâces et des
largesses, s'il entreprend des affaires importantes, il ressemble
au prisonnier qui s'amuse à jouer aux dés et aux échecs pen-
dant que la corde qui doit l'étrangler pend déjà sur sa tète.
Si cette comparaison ne paraît pas juste, qu'est-ce qui pourra
nous empêcher de soutenir de plus en plus, en parlant d'un
criminel détenu et condamné à mort, qu'i7 a échappé à la jus-
tice, parce qu'on ne lui a pas encore coupé la tète ? Et pourquoi
n'en dirions-nous pas autant de celui qui a bu la ciguë et qui
se promène dans sa prison en attendant la pesanteur des
jambes, l'extinction du sentiment et les glaces de la mort? Si
nous voulons compter pour rien les souffrances, les angoisses
et les remords qui déchirent la conscience du méchant, il vau-
drait autant dire que le poisson qui a mordu à l'hameçon n'est
point encore pris jusqu'à ce qu'il soit grillé ou dépecé dans nos
cuisines. Le crime est pour nous un véritable hameçon dont la
XIV INTRODUCTION.
volupté est l'amorce; à l'instant même où le méchant la saisit,
t7 est pris. Il devient prisonnier de la justice divine; sa con-
science le traîne et l'agite douloureusement comme le poisson
qui, ne vivant plus que pour souffrir, se débat vainemect sous
la main qui rentraîne à la mort.
« Hésiode nous dit : Le crime est avant tout mdsiblt à son
cuteur; et ailleurs encore : Qui cherche à perdre autrui cherche
à périr lui-même. On dit que la mouche cantharide porte on elle
le contre-poison du venin qu'elle communique. Par un effet
tout contraire, le crime, avec le faux plaisir qui nous séduit,
verse dans l'âme la douleur et le remords, et non point dans
un avenir reculé, mais à Tinstant même où l'homme se rend
coupable. Comme le criminel marchant au supplice est con-
damné à porter lui-même la croix sur laquelle il doit expirer,
de même le méchant livré à sa conscience porte avec lui le
supplice qu'il a mérité; le crime, après qu'il a déshonoré une
vie entière, étant encore le bourreau le plus cruellement in-
ventif pour la remplir de troubles, d'inquiétudes, de cuisants
remords et d'interminables frayeurs, » dit Joseph de Maistre.
Est-il bien vrai de dire que tout le bonheur dans cette vie
est pour le pécheur et que le juste n'y a nulle part? La félicité
des méchants est-elle sans mélange et les épreuves des bons
sont-elles sans compensation? A ce sujet je pourrais vous dire
avec saint Augustin : « Que l'homme comprenne bien ceci :
jamais Dieu ne permet que les méchants soient heureux. Ils
passent néanmoins pour l'être, ajoutait le saint Docteur; mais
on ne les croit heureux que parce qu'on ignore en quoi con-
siste la vraie félicité, et il n'en faut point juger par de certains
dehors; » ou, avec saint Ambroise : « Tel me paraît avoir la
joie dans le cœur tandis que mille chagrins le déchirent; il est
heureux selon mon estime, mais dans la sienne, en effet, il est
accablé de misères; » ou eniin, avec le saint auteur de l'Imita-
tion : « Jamais les méchants n'ont une véritable joie, et ils ne
sentent pas la paix de l'àme, parce que la paix n'est point pour
les impies, dit le Seigneur, et s'ils disent : Nous sommes en
paix, les maux ne vicndrojit point sur nous, et qui osera nous
nuire? ue les croyez puint, parce que tout-à-coup s'élèvera la
INTRODUCTION. XV
colère de Dieu, et dans le néant seront plongées leurs œuvres,
et leurs pensées périront. »
II.
« La punition des fautes ordinaires est renvoyée le plus
souvent dans l'autre vie, de peur que le châtiment immédiat,
trop fréquemment appliqué, ne trouble l'ordre de la liberté
humaine, sagement établi de Dieu. Mais il est des crimes d'un
ordre supérieur, s'il est permis de les nommer ainsi, qui
attentent aux] grands principes de la vérité et de la morale, et
qui par cela même tendent à la perversion de l'humanité ; ces
crimes doivent recevoir, dès cette vie, une répression tem-
porelle, afin que la conduite de la Pi'ovidence ne devienne pas
un scandale pour les faibles et que la vertu ne soit pas dé-
couragée, » dit M8' Guibert, archevêque de Paris.
« Je sais bien, dit l'illustre comte de Stolberg, que nous
» avons aussi peu de droit de conclure de l'infortune en ce
j) monde à la culpabilité de celui qui en est atteint, que de
» prédire avec assurance un châtiment temporel à un grand
» coupable; car les balances de la justice divine sont cachées
» à nos terrestres regards, et la vertu et le vice y sont pesés
» au poids de l'éternité.
» Cependant il est une vérité confirmée par l'histoire de
)) tous les temps et la croyance de tous les peuples, prouvée
K par une multitude d'exemples dans les divines Ecritures,
» et garantie même par l'expérience de la vie commune aux
.) yeux de tout homme qui considère d'un regard attentif les
: événements humains : c'est qu'indépendamment du cours
« ordinaire des choses tel que la Providence l'a réglé, et d'après
" lequel la folie et le crime trouvent souvent leur punition
.) en ce monde, de même que la sagesse et la vertu y trouvent
0 aussi leur récompense, la justice de Dieu se dévoile souvent
ici-bas à nos regards, punit des crimes publics par des
» châtiments publics, et répand au contraire des bénédictions
XVI INTRODUCTION.
» visibles sur la tête de l'homme de bien et sur sa postérité,
» afin que les hommes deviennent attentifs à cette main
» invisible aui veut les conduire à l'amour divin par les liens
» de la CRAiisTE et de I'espérance, et en se manifestant et s'abais-
» sant jusqu'à eux, les forcer de se jeter avec un cœur tilial
« dans les bras de la divine Providence. »
Voici quelques belles réflexions de Bossuet sur la conduite
de la Providence :
« Le Seigneur Dieu frappera Israël comme on remue un
» roseau dans l'eau, et l'arrachera de la bonne terre qu'il
>i avait donnée à leurs pères, et comme par un coup de vent
» il le transportera à Babylone. » Tant est grande la facilité
avec laquelle il renverse les l'oyaumes les plus florissants.
« Enilé d'une longue suite de prospérités, un prince insensé
dit en son cœur : « Je suis heureux, tout me réussit; la fortune,
» qui m'a toujours été favorable, gouverne tout parmi les
» hommes, et il ne m'arrivera aucun mal. » — « Je suis reine,
» disait Babylone, qui se glorifiait dans son vaste et redoutable
» empire ; je suis assise sur mon trône , heureuse et tran-
» quifle. Je serai toujours dominante; jamais je ne serai veuve,
» jamais privée d'aucun bien; jamais je ne connaîtrai ce que
» c'est que stérilité et faiblesse. » Tu ne songes pas, insensée,
que c'est Dieu qui t'envoie ta félicité, peut-être pour t'aveuglcr
et te rendre ton infortune plus insupportable. « J'ai tout mis
» entre les mains de Nabuchodonosor, roi de Babylone, et jus-
» qu'aux bêtes, je veux que tout fléchisse sous lui. Les rois et
)) les nations qui ne voudront pas subir le joug périront non-
» seulement par l'épée de ce conquérant, mais, de mon côté,
)) je leur enverrai la famine et la peste, jusqu'à ce que je les
> détruise entièrement, afin que rien ne manque ni à son bon-
» heur ni au malheur de ses ennemis. »
a Mais tout cela n'est que pour un temps, et cet excès do
bonheur a un prompt retour; car, pendant qu'il se proinc-
jiait dans sa Babylone, dans ses salles et dans ses cours, et
qu'il disait en son cœur : « N'est-ce pas cette grande Babylone
» que j'ai bâtie dans ma force et dans l'éclat de ma gloire?»
INTRODUCTION. XVII
sans seulement jeter le moindre regai'd sur la puissance su-
prême d'où lui venait tout ce bonheur, une voix partit du ciel
et lui dit : « Nabuchodonosor, c'est à toi qu'on parle. Ton
■;) royaume te sera ôté à cet instant; on te chassera du milieu
^> des hommes; tu vivras parmi les bêtes, jusqu'à ce que tu
;•) apprennes que le Très-Haut tient en sa main les empires et
i> les donne à qui il lui plaît. »
« 0 prince, prenez donc garde de ne pas considérer votre
bonheur comme une chose attachée à votre personne, si vous
ne pensez en même temps qu'il vient de Dieu, qui le peut
également donner et ôter. « Ces deux choses, la stérilité et la
i) viduité, viendront sur vous en un même jour, dit Isaïe. Tous
» les maux vous accableront ; et pendant que vous n'aurez à
» la bouche que la pais et la sécurité, la ruine siurvient tout-à-
,. coup. »
« Ainsi le roi Balthazar, au milieu d'un festin royal qu'il
faisait avec ses seigneurs et ses courtisans en grande joie, ne
songeait qu'à louer ses dieux d'or et d'argent, d'airain et de
marbre, qui le comblaient de tant de plaisirs et de tant de
gloire, quand ces trois doigts si célèbres parurent en l'air,
qui écrivaient sa sentence sur la muraille : « Mane, Thécel,
)) Phares. Dieu a compté tes jours, et ton règne est à sa fin.
)) Td as été mis dans la balance, et tu as été trouvé léger.
:.' Ton empire est divisé, et il va être livré aux Mèdes et aux
» Perses. »
« C'est en vain que les aveugles enfants d'Israël dressaient
une table à la Fortune et lui sacrifiaient. Ils l'appelaient la
reine du ciel, la dominatrice de l'univers, et disaient à Jérémie :
« 0 prophète, nous ne voulons plus écouter vos discours ; nous
» en ferons à notre volonté. Nous sacrifierons à la reine
:•> du ciel, et nous lui ferons des eflusions, comme ont fait nos
i> pères, nos princes et nos rois. Et tout nous réussissait, et
» nous regorgions de biens. »
« C'est ainsi que, séduits par un long cours d'heureux suc-
cès, les hommes du monde donnent tout à la fortune, et ne
connaissent point d'autre divinité, ou ils appellent la reine du
ciel l'étoile dominante et favorable qui, selon leur opinion.
XVIII INTRODUCTION.
fait prospérer leurs desseins. « C'est mon étoile, disent-ils,
» c'est mon ascendant, c'est l'astre puissant et bénin qui a.
» éclairé ma nativité, qui met tous mes ennemis à mes
» pieds. »
« Mais il n'y a dans le monde ni fortune ni astre dominant.
Rien ne domine que Dieu. Les étoiles, comme son armée,
marchent à son oj'dre; chacune luit dans le poste qu'il lui a
donné; il les appelle par leur nom, et elles répondent : Nous
voilà. Et elles se réjouissent et luisent avec plaisir pour celui
qui les a faites. »
III.
Dans ce monde, les justes sont souvent enveloppés dans les
fléaux que Dieu envoie pour châtier les méchants, et voilà
encore ce qui ébranle la foi des laibles *.
* Il n'y a point de juste dans la rigueur du terme, d'où il suit
que tout homme a quelque chose à expier. Or, si le juste tel qu'il
peut exister, accepte les souffrances dues à sa qualité d'homme, et si
la justice divine, à sou tour, accepte celte acceptation, je ne vois
rien de si heureux pour lui, ni de si évidemment juste.
Ces vérités noub sont exposées par saint Augustin avec une clarté
et une profondeur de pensées qui distinguent tous les écrits de ce
grand docteur. Voici quelques fragments tirés de son ouvrage de la
Cité de Dieu.
« Si dans les fléaux qui affligent la terre, dit-il, les bons en souffrent
comme les méchants, l'usage que les uns et les autres en font est
bien différent: tout tourne à bien aux vrais chrétiens; ils ne regardent
pas comme des mallieurs véritables la perte des avantages temporels,
les tourments et la privation de la sépulture ; ils soufl"rent tous ces
maux avec patience. Les méchants, au contraire, avancent inces-
samment dans le mal; ils n'ont point de solide consolation en ce
monde, ils courent après les satisfactions des sens, qui leur manquent
souvent ; témoins ces païens fugitifs qui, après le sac de RomH, ne
quittèrent pas les théâtres de Garlhage, cherchèrent diversion à leurs
peines dans les plaisirs corrupteurs, et ne se montrèrent point sen-
sibles aux malheurs de leur patrie
» Si tous les péchés étaient punis en ce monde, on ne crain-
drait point le dernier jugement, puisqu'il semble que tout sérail
déjà réglé ici-bas; et si aucun péché n'était puni dès à présent, on ne
croirait pas & la Providence; si Dieu n'accordait aucun des biens
INTRODUCTIOX. XIX
Voici comment Joseph de Maistre explique cette conduite de
la Providence :
« Je sens bien que, dans toutes ces considérations, nows
sommes continuellement assaillis par le tableau si fatigant des
innocents qui périssent avec les coupables. Mais, sans nous
enfoncer dans cette question, qui tient atout ce qu'il y a de
plus profond, on la peut considérer seulement dans son rap-
port avec le dogme universel, et aussi ancien que le monde,
de la réversibilité des douleurs de l'innocence au profit des cou-
pables.
» Ce fut de ce dogme, ce me semble, que les anciens déri-
vèrent l'usage des sacrifices, qu'ils pratiquèrent dans tout l'u-
nivers, et qu'ils jugeaient utiles non-seulement aux vivants,
mais encore aux morts : usage typique que l'habitude nous
fait envisager sans étonnement, mais dont il n'est pas moins
difficile d'atteindre la racine.
» Les dévouements, si fameux dans l'antiquité, tenaient
encore au même dogme. Décius avait la foi que le sacrifice
de sa vie serait accepté par la Divinité, et qu'il pouvait faire
équilibre à tous les maux qui menaçaient sa patrie.
» Le Christianisme est venu consacrer ce dogme, qui est
infiniment naturel à l'homme, quoiqu'il paraisse difficile d'y
arriver par le raisonnement.
» Ainsi, il peut y avoir eu dans le cœur de Louis XVI, dans
celui de la céleste Elisabeth, tel mouvement, telle acceptation,
capable de sauver la France.
» On demande quelquefois à quoi servent ces austérités
pratiquées par certains ordres religieux, et qui sont aussi des
dévouements ; autant vaudrait précisément demander à quoi
sertie Christianisme, puisqu'il repose tout entier sur ce dogme
agrandi de l'innocence payant pour le crime. »
sensibles à ceux qui les demandent, on dirait qu'il n'en serait pas le
maître ; et s'il les donnait à tous ceux qui les réclament de sa puis-
sance, on ne le servirait que pour ces sortes de biens. Il tempère
donc les choses avec une sagesse profonde; il exerce la foi des
siens , et de temps en temps il fait éclater sensiblement la puissance
de son bras. »
XX INTRODUCTION.
Sous l'enveloppe des faits extérieurs qui frappent les yeux,
il y a un mj-stèrc de justice et de grâce que la foi seule nous
découvre. Elle sait que dans tous les temps le sang qui a coulé
pour une sainte cause a été une expiation féconde. Dieu seul
connaît la mesure qu'elle doit avoir pour chaque pays, chaque
époque, et le moment où ses effets doivent devenir visibles.
Quelquefois le martyre de deux ou trois missionnaires a
suffi, pour obtenir, en faveur de tout un pays de sauvages,
que la foi prît racine à l'ombre de leurs cabanes, tandis que
les flots de sang catholique versés en Angleterre semblaient
être restés stériles jusqu'à nos jours, où les germes de gi'âce
qu'ils contenaient ont commencé à s'épanouir.
La théorie de l'expiation par le sang et par la mort, chef-
d'œuvre d'une synthèse éminemment philosophique et chré-
tienne, est ce qui a ameuté contre M. de Maistre le plus de
clameurs. Saint-Priest, qui, dans son discours de réception à
l'Académie française, « a solennellement évoqué et solennelle-
ment maudit » sa mémoire, qualifia, au nom de tous, cette
théorie de cruelle. Vraiment, il faut reconnaître que la libre
pensée a été condamnée par un arrêt d'en haut aux bévues à
perpétuité. Théorie cruelle ! Eh ! grâce à Dieu, pour qui veut
réfléchir, cette loi de l'expiation est, de toutes les lois qui ré-
gissent le monde moral, la plus consolante. Quand nous souf-
frons et que nous voyons souffrir, quand mille fléaux ravagent
la terre; quand la guerre, le plus inexplicable de tous, mois-
sonne la fleur des nations ; quand chacun de nous arrive à cette
heure mytérieuse, crainte de tous, désirée de beaucoup, où
notre être va se dissoudre, cette doctrine est-elle cruelle, qui
veut que ce sang n'ait pas été versé en vain, que ces douleurs
ne soient point inutiles, qu'elles servent à expier nos fautes et
celles de nos pères, à détourner de la tête de nos enfants le
bras de lajuslice divine ? Aussi a-L-il été écrit : Yirga tua et ba-
culus tuus ipsa me consolata sunt.
IV.
La Providence, qui gouverne le monde, ne paraît jamais
d'une manière plus visible qu'à l'époque de nos révolulions et
INTRODUCTION. XXi
de nos troubles ; les plus aveugles peuvent voir alors ce que
devient la société quand Dieu semble l'abandonner à la direc-
tion des prétendus sages de ce monde. Habilesjtour détruire
ils sont incapables de rien organiser^, et après que Dieu s'en
est servi comme de vils instruments pour châtier les nations
coupables, à l'exemple de Satm'ne, ils dévorent eux-mêmes
leurs propres enfants 2. Un profond penseur de nos jours, en
étudiant l'époque de la Terreur, a écrit ces paroles remar-
quables, qu'on peut bien en ce moment appliquer à l'Italie ré-
volutionnaire :
« Est-ce donc de cette fange sanglante que doit sortir un gou-
vernement durable? Qu'on ne nous objecte point les mœurs
féroces et licencieuses des peuples barbares, qui sont cependant
devenus ce que nous voyons : l'ignorance barbare a présidé
sans doute à nombre d'établissements politiques ; mais la bar-
barie savante, l'atrocité systématique, la corruption calculée, et
surtout l'irréligion n'ont jamais rien produit. La verdeur mène
à la matui'ité, la pourriture ne mène à rien. »
Mais, comme nous l'avons déjà dit, la Providence, qui sait
tirer le bien du mal, fera tourner tous ces excès à l'avantage de
l'ordre et de la société.
« C'est une des lois les plus générales et les plus évidentes de
cette force à la fois cachée et frappante qui opère et se fait sen-
tir de tous côtés, que le remède de l'abus nait de l'abus, et que
le mal, arrivé à un certain point, s'égorge lui-même. Et cela
* Comment Dieu a-t-il puni cet exécrable délire? Il l'a puni
comme il créa la lumière, par une seule parole. Il a dit : Faites, et
le monde politique a croulé. Joseph de AIaistre.
8 Lorsque le» nations sont devenues criminelles à ce point qui
amène nécessairement les châtiments généraux ; lorsque Dieu a ré-
solu de les ramener à l'ordre par la punition, de les humilier, de les
exterminer, de renverser les trônes ou de transporter les sceptres,
pour exercer ces terribles vengeances, presque toujours il emploie
de grands coupables, des tyrans, des usurpateurs, des conquérants
féroces qui se jouent de toutes les lois. Rien ne leur résiste, parce
qu'ils sont les exécuteurs d'un jugement divin; mais pendant que
l'ignorance humaine s'extasie sur leurs succès, on les voit disparaître
subitement, comme l'exécuteur quand il a fiui. (Idem.)
XXII INTRODUCTION.
doit être; car le mal, qui n'est qu'une négation, a pour me-
sures de dimension et de durée celles de l'être auquel il s'est
attaché et qu'il dévore : il existe comme le chancre qui ne peut
achever qu'en s'achevant. Mais alors une nouvelle réalité se
précipite nécessairement à la place de celle qui vient de dispa-
raître ; car la nature a horreur du vide^, »
D'après une observation constante depuis un demi-siècle,
chaque triomphe du parti philosophique anticatholique et révo-
lutionnaire a toujours été l'avant-coureur d'une catastrophe
pour quelques-uns de ses chefs; et la seconde, c'est qu'une Pro-
vidence conservatrice se manifeste également dans le monde, en
ne permettant ni aux méchants d'imaginer tout le mal qu'ils
pourraient faire, ni aux bons de pouvoir faire tout le bien
qu'ils imaginent, et selon les voies qu'ils imaginent. Mes
pensées ne sont pas vos pensées, a dit l'Auteur de toute sagesse ;
et c'est une parole que les bons et les méchants oublient trop
souvent, dit M. H. de Donald.
Pour démontrer cette thèse par des faits nombreux et irré-
cusables, nous avons choisi une époque célèbre entre toutes
par les triomphes des méchants et par l'oppression des bons.
De 1789 à 1879, que de combats, que de révolutions, que de
ruines ! Combien de fois les hommes pusillanimes ont cru tout
perdu, quand tout était au moment d'être sauvé ! » Combien on
est heureux, dit un grand évèque, de voir les représailles de
l'histoire s'exercer contre les odieux agresseurs du Saint-Siège!
Quitus judicium non cessât, et perditio eorum noti dormitat.
(Il« Epitre de saint Pierre.)
La reUgion, la raison et l'expérience de tous les siècles se
sont accordées pour prédire aux complices l'inévitable châti-
ment de leur crime même en ce monde. «( La voie des impies
conduit à la mort. » (Prov. xxi.)
Quelques esprits irréiléchis seront peut-être surpris de nous
voir classer parmi les révolutionnaires des princes, des mo-
narques absolus qui tenaient la démagogie en biidc.
Satan est à nos yeux le premier révolutionnaire, parce que
• Joseph de Maistre.
INTRODUCTION. XXlfl
le premier il a voulu, dans sa folle ambition, troubler l'ordre
établi de Dieu ; et tous ceux qui se conduisent d'après les
exemples et les inspirations de l'ange rebelle ne sonf que des
révolutionnaires qui refusent d'obéir au Roi immortel, et qui le
détrôneraient si leur puissance égalait leur perversité.
Voici un passage significatif emprunté au bel ouvrage de
]\i6' Gaume sur le Saint-Espnt.
« Ecrasons l'infâme fut le mot d'ordre de l'esprit infernal dans
le siècle passé. 11 en était à sa période de destruction.
» Adorons Satan est le mot d'ordre du même esprit dans le
temps actuel. 11 en est à sa période de reconstruction.
» La même ligue qui combattit pour détruire, combat pour
édifier sur les ruines du Christianisme, (jui pour elle a fait son
temps ; elle veut établir le règne, à ses yeux trop longtemps
calomnié, de l'ange déchu. Dans ce but, ils entreprennent de
reviser le procès de Satan, de le relever de sa déchéance et de le
réhabiliter à la face du monde. »
Echo très-aflfaibli des rationalistes d'Allemagne, Renan, admis
à l'Académie avec le concours du duc d'Aumale, ose écrire :
« De tous les êtres autrefois maudits, que la tolérance de
notre siècle a relevés de leur anathème, Satan est sans contre-
dit celui qui a le plus gagné au progrès des lumières et de
l'universelle civilisation. Il s'est adouci peu à peu dans son long
voyage depuis la Perse jusqu'à nous ; il a dépouillé toute sa mé-
chanceté d'Arhimane. Le moyen âge, qui n'entendait rien à la
tolérance, le fit à plaisir laid, méchant, torturé et, pour comble
de disgrâce, ridicule.
» Milton comprit enfin ce pauvre calomnié ; il commença la
métamorphose, que la haute impartiahté de notre temps
devait achever. Un siècle aussi fécond que le nôtre en réhabili-
tations de toutes sortes ne pouvait manquer de raisons pour
excuser un révolutionnaire malheureux, que le besoin d'action
jeta dans des entreprises hasardées. On pourrait faire valoir,
pour atténuer sa faute, une foule d'autres motifs contre les-
quels nous n'aurions pas le droit d'être sévères. »
XXIV INTKODUCTION.
c( Un des maîtres de Renan, Schclling, va plus loin : de Satan,
il a fait un dieu, parce que le Christ-Dieu deiait avoir un antU'
go7iiste digne de lui. » (Moëller.)
Enfin, un des plus ridicules et des plus monstreux repré-
sentants, de nos jours, de la révolution satanique, le podagre
Garibaldi, l'ami de Victor-Emmanuel, a écrit : « Si je con-
naissais une société du démon, je m'y enrôlerais aussitôt. » Il
n'a pas eu à chercher longtemps, l'Internationale est allée au
devant de ses désirs impies.
On trouvera peut-être que nous nous sommes montré trop
sévère à l'endroit de certains grands personnages ; mais il faut
se rappeler que l'on ne doit que la vérité aux morts. Kous
l'avons dite sans passion et sans crainte, après avoir pris des
renseignements souvent auprès des témoins oculaires ou même
dans les Mémoires des personnages en question.
Quand nous avons parlé des prêtres et des évèques prévarica-
teurs, nous l'avons fait sans ménagements ; pourquoi aurions-
nous eu plus d'indulgence pour les autres ?
« Crier au loup, c'est charité, » dit saint François de Sales,
CHATIMENTS
DES RÉVOLUTIONNAIRES.
<^.v■.'.-J■^,v*.^;■/v■-•.'V-./^v•.v■.v.^%^.^.*A'.Vy•»^-.■.■.v.^/^^.■•-••'A■.'.v■.'■^,■J•yl,■.'^.Vl,•.-,%•,-A^,-,vvVV
LIVRE PRE^nER.
La grande Révolution de 1789 à 1800.
U &Bt des châtiments dont l'univers frémiste»
L. Racdcs.
CHAPITRE PRExMIER.
LES CORYPHÉES DE LA RÉVOLUTION.
On vit, à la fin du dix-huitième siècle, une époque
lamentable commencer pour l'Eglise. Les désordres de
Louis XIV et de Louis XV avaient singulièrement affaibli
le sens moral.
Le gallicanisme avait presque séparé le clergé français
de Rome, la mère et la maîtresse de toutes les Eglises; le jan-
sénisme, avec sa fausse morale et sa sévérité exagérée,
avait desséché les cœurs. Les courtisanes en faveur intro-
duisirent les philosophes à la cour, et les livres les plus
hostiles au catholicisme se multiplièrent d'une manière
effrayante.
1
2 LA GRANDE BÉVOLUTION.
C'est alors que se développa une société secrète dont l'ac-
tion sur la Révolution ne saurait être contestée. Qu'elle
descende ou non des Templiers, et qu'elle ait eu d'abord
pour objet ou non de venger la destruction de ces religieux
sur les papes et sur les rois, il est certain que la secte con-
nue sous le nom de franc -maçonnerie, parce que ses
membres prennent le titre de maçons, et qu'ils tirent leurs
symboles et leur langage des lermes de l'architecture. Dieu
étant le grand architecte de l'univers, le monde étant le
temple, etc., il est certain, disons-nous, aue cette secte est
ennemie de toute subordination entre les hommes et de
toute religion positive. La franc -maçonnerie veut établir
une république universelle, avec la devise : Liberté, égalité,
fraternité; et, se contentant d'un pur déisme qui n'engage
à rien, elle ne connaît qu'une orétendue religion de la na-
ture, dont il serait difficile de préciser les dogmes. Ainsi
elle veut renverser à la fois le trône et l'autel, l'autorité re-
ligieuse et l'autorité civile; elle procède de l'incrédulité et
aboutit à la négation de toute société. On l'a vue à l'œuvre :
au nom de la liberté, elle établit le régime de la terreur; au
nom de l'égalité, elle fit tomber des milliers de têtes; au
non de la fraternité, elle déclara la guerre à tous les
peuples et fit des milliers de victimes. Tous les grands ré-
volutionnaires de 1789 étaient francs-maçons; les princi-
pales formules des révolutionnaires étaient empruntées au
jargon maçonnique, et quand la Révolution triompha, on
entendit tous les francs-maçons se glorifier d'avoir travaillé
au grand oeuvre qai venait de s'accomplir.
L'Eglise vit le danger de cette société secrète dès ia
commencement, et elle la poursuivit de ses anathémes.
Les princes furent moins clairvoyants. Plusieurs, séduits
par les louanges données à leur intelligence et à leur phi-
lanliiropie, ou par raj)pi\t d'un pouvoir qu'on faisait miroi-
ter îi leurs yeux, s'affilièrent à la franc-maçonnerie et en
DE 1789 A 1800. 3
reçurent des grades assez élevés. Mais les chefs secrets et
réels de la secte ne se servaient d'eux que pour mieu* mas-
quer leur but et pour démolir plus sûrement le pouvoir, en
excitant les convoitises de leur ambition. En France, oïl vit
un prince du sang, le duc d'Orléans, devenir Grand-Oriçni,
g'est-à-dire chef de la franc-maçonnerie française*.
La Révolution serait bientôt vaincue si elle n'avait pas do
secrets partisans dans ceux-là précisément qu'elle veut dé-
truire, si elle ne séduisait pas ceux-là mêmes qui s'en croient
les plus résolus adversaires. La Révolution est l'ennemie
née de l'Eglise catholique, et il y a des enfants de l'Eglise
catholique qui admettent sa devise et qui en regardent l'a-
doption comme un progrès désirable. La Révolution est
l'ennemie née des trônes et de tout ce qui représente l'auto-
rité, et c'est sur les trônes qu'elle trouve des complices in-
téressés ou séduits ^.., séduits pour la plupart, nous en
sommes persuadé, car la séduction seule peut expliquer un
tel aveuglement. La Révolution est aussi l'ennemie de la
famille, et il y a des pères de famille qui s'çn font ie^ auxi-
* L'Histoire contemporaine, par Chantrel,
* En 1784, Gustave III, roi de Suède, était à la cour de
France. On ne négligea rien pour lui faire un bon accueil. Le
roi assista trois fois, à la Comédie française, au Mariage de Fi-
garo, l'œuvre audacieuse de Beaumarchais. En parlant de cette
pièce, Gustave III la trouvait « fort réjouissante, mais un peu
sale, et plus insolente qu'indécente. »
Et toute la noblesse parisienne allait l'entendre, elle allait
applaudir des scènes d'un cynisme révoltant, dont la portée po-
litique était eiclusivement dirigée contre elle et contre les ins-
titutions politiques qu'elle paraissait défendre. On était attaqué
de tout côté, par tous les moyens, et l'on allait rire au spectacle
en attendant, ce qui était la conséquence légitime, l'émigra-
tion, la prison ou l'échafaud.
Jamais nation ne s'est montrée plus Inconséquente et plus
frivole à la veille des catastrophes. Pouvons-nous dire que nous
sommes corrigés?
4 LA GRANDE RÉVOLUTION
Jiaires, en n'éloignant pas de leurs enfants la contagion de
ces mortelles doctrines, dont leur faiblesse ou leur aveu-
glement multiplie chaque jour les victimes.
S'il n'en était pas ainsi, les révolutions seraient impos-
sibles; Dieu permet ces inexplicables séductions pour
punir les peuples et les rois qui veulent compter avec
l'Eglise, choisir dans les doctrines qu'elle enseigne, et qui
se croient plus sages qu'elle en suivant leur raison, au lieu
de se soumettre à la raison divine qui se révèle par son
organe.
UNE PIÈCE IMPORTANTE.
Dans une brochure publiée en 1877, par M. L. Pages,
nous trouvons, parmi les pièces justificatives, la lettre sui-
vante, adressée par S. E. le cardinal Mathieu, archevêque
de Besançon, à un personnage éminent :
Besançon, 7 avril 1875.
« Je suis à m'inteiTOger péniblement, et à savoir
comment il se fait que les puissants de ce siècle, ne regar-
dant pas môme autour d'eux et si près d'eux ce qui les
mme et qui les ronge, en attendant leur renversement
complet. Je suis très-persuadé que la plupart des grands
et sinistres événements de nos jours ont été préparés et
consommés uar la franc-maçonnerie. Il y a, dans nos pays,
un détail que je puis vous donner comme certain. Il y eut
à Francfort, en 1786, une assemblée de francs-maçons, où
furent convoqués deux hommes considérables de Besan-
çon qui faisaient partie de cette société : M. de Raymond,
inspecteur des postes, et M. Maire de Bouligney, président
du Parlement.
» Dans cette réunion, le meurtre du roi de Suède et celui
de Louis XVI fut résolu. MM. de Raymond et de Bouligney
revinrent consternés, en se promettant de ne jamais re-
mettre les pieds dans une loge et de se garderie secret.-
DE 1789 A 1800. 5
Le dernier survivant l'a dit à M. Bourgon, président de
chambre honoraire à la Cour: il est mort à près de qufftre-
vingt-dix ans, possédant toutes ses facultés. Vous avez pu
en entendre parler, car il a laissé une grande réputation
de probité, de droiture et de fermeté parmi nous. Je l'ai
beaucoup connu, et pendant bien longtemps, car je suis à
Besançon depuis quarante-deux ans, et il est mort assez
récemment^ Il a raconté souvent le fait, et à moi et à
d'autres. Vous voyez que la secte sait, à l'avance, monter
ses coups. C'est là, en deux mots, son histoire.
» Veuillez agréer, etc. " f Césaire,
e Gard. arch. de Besançon. •
Un livre intéressant qui vient de paraître et qui ren-
ferme la correspondance de Marie-Antoinette depuis son
mariage avec le Dauphin (qui devait être Louis XVI) jus-
qu'en 1792, contient à ce sujet d'effrayantes révélations.
Qui a plus fortement voulu que Louis XVI le bien de son
peuple, et qui a, plus que Marie-Antoinette, cherché à se-
conder le roi dans ses généreux efforts? Mais quand on
voit les fausses maximes qui avaient cours dans cette mai-
son royale, si malheureuse et si digne de compassion,
comme tout s'explique ! Marie-Antoinette, la fille de Marie-
Thérèse, n'estimait-elle pas son frère Joseph II comme l'un
des plus profonds politiques de son époque? Ne regardait-
elle pas le ministre Kaunitz comme l'un des meilleurs ser-
viteurs de l'empire d'Autriche? N'était-elle pas aveuglée
au point d'écrire, le 26 février 1781, à sa sœur Marie-
Christine :
« Je crois que vous vous frappez beaucoup trop de la
franc-maçonnerie pour ce qui concerne la France. On au-
rait raison de s'en alarmer si c'était une société secrète de
politique. L'art du gouvernement est, au contraire, de la
6 LA GRANDE RÉVOLUTION
laisser s'étendre, et ce n'est plus que ce que c'est en réa-
lité, une société de bienfaisance et de plaisir. Ce n'est nul-
lement une société d'athées déclarés, puisque, m'a-t-on dit,
Dieu y est dans toutes les bouches. On y fait beaucoup de
charités, on élève les enfants des membres pauvres ou dé-
cédés, on marie leurs filles ; il n'y a pas de mal à tout cela.
Ces jours derniers, la princesse de Lamballo a été nommée
grande-maîtresse dans une loge. Je crois que l'on pourrait
faire du bien sans tant de cérémonies, mais il faut laisser h
chacun sa manière. Pourvu qu'on fasse le bien, qu'importe! >
Quand on sait le rôle que jouèrent les francs-maçons
dans notre grande Révolution, on ne peut lire cette lettre
sans un serrement de cœur. Qu'est devenue cette prin-
cesse de Lamballe, amie intime de Marie-Antoinette, nom*
mée grande-maîtresse d'une loge maçonnique? Comment
ces gens, qui prétendaient faire le bien et qui faisaient
tant de charités, ont-ils traité Marie-Antoinette. C'a toujours
été l'adresse de la franc-maçonnerie de se donner les de-
hors d'une association de plaisirs et de bienfaisance; en
1784, comme en 1863, ses adeptes se masquaient ainsi : la
leçon de 1789 sera-t-elle perdue? Pourvu qu'on fasse le lient
qu'importe! Il paraît cependant que le bien fait en vue de
bouleversements politiques ne vaut pas le bien fait en vue
de Dieu. Et quel bien que celui qui ne s'occupe du corps
que pour pervertir l'âme? En 1781, on riait des avertisse-
ments de l'Eglise, qui avait anathématisé les francs-maçons;
une reine digne de tous les respects ne voyait aucun dan-
ger dans une pareille société, une princessse se faisait affi-
lier aux loges! Comment la Révolution n'aurait-elle pas été
victorieuse? La correspondance de Marie-Antoinette ren-
ferme des leçons de plus d'un genre; elle fait aimer et
estimer cette reine infortunée; elle explique aussi ses
malheurs, résultats de fautes dont la responsabilité, sans
DE 1789 A 1800. 7
doute, ne retombe pas sur elle, mais qu'on aurait évitées
en écoutant plus docilement les avertissements de l'Eglîse '.
L'âme la plus forte peut à peine contempler les sombres
tableaux que la Révolution offre à nos méditations. Le
sang, les tombeaux et les ruines, comme d'affreux spec-
tres, poursuivent sans relâche l'imagination épouvantée;
la pensée se précipite avec effroi de malheur, de crime en
crime; il semble que, comme le Dante, on descende, de
cercle en cercle, toujours plus bas dans les enfers.
Ces funèbres images semblent être quelquefois les rêves
d'une imagination malade; mais l'homme fait d'impuis-
sants efforts pour repousser leur trop accablante certitude.
* Sans doute, la cour de Louis XVI et sa noblesse furent
coupables. Mais osons remonter au-delà de l'avènement de ce
malheureux prince. Il y avait deux siècles environ que la cour
et la noblesse de France se plaisaient à forger elles-mêmes les
foudres qui allaient les frapper. Le dernier grand effort de la
noblesse française avait été la Ligue. Sous Henri IV et Louis XIII,
ce n'avait été que révoltes maladroites, entêtées, parfoi»
ridicules. Et à. ces révoltes avait succédé, sous Louis XIV, une
servilité que rien ne justifie ; sous Louis XV, une immoralité
que rien ne peut rendre. Servilité, immoralité, voilà les deux
machines de guerre qui ébranlent et renversent les noblesses
les plus fortes, les plus antiques, les plus chrétiennes même.
Ainsi tomba la noblesse française. Elle arriva aux frontières
de la Révolution, à celles de la Terreur, coupable de deux
crimes : d'avoir favorisé, encensé ce déplorable césarisme do
Louis XrV et de ses successeurs, et d'avoir généralement perdu
la fleur antique de ses bonnes mœurs et de sa mâle austérité.
Dieu ne pouvait laisser sans châtiment cette élite d'un grand
peuple qui désertait ainsi ses premiers devoirs. La noblesse
chrétienne est destinée à être la force vive d'une nation, et la
pureté seule donne cette force; elle est destinée à être, avec une
noble et indépendante soumission, l'avertisseuse de la royauté
chrétienne, quand cette royauté manque à ces devoirs. La
noblesse de France n'étant plus et ne pouvant plus être rien
de tout cela, Dieu dut la frapper. On sait comineni elle se re-
leva glorieuse, sous la juste main qui la foudroya d'en haut.
8 LA GRANDE RÉVOLUTION
Une profonde conviction de la nécessité de retracer ces
souvenirs peut seule inspirer à l'écrivain une résolution
assez forte pour ne point abandonner ces tristes et doulou-
reuses méditations.
La Providence a permis que cette assemblée fameuse à
jamais sous le nom de Convention élevât elle-même le mo-
nument qui devait transmettre à la plus lointaine posté-
rité la mémoire de ses forfaits.
Ce ne sont point de vagues et incertaines traditions qui
attesteront tant de fureurs et tant de crimes, l'inexorable
Moniteur est là ; aucune puissance ne pourrait arracher un
seul feuillet de ces sanglantes archives, et dans ce registre
funèbre oîi ces hommes inscrivirent jour par jour l'histoire
de ces temps, les générations futures retrouveront les
irréfragables témoignages des plus odieux attentats pré-
sentés par les hommes qui vinrent les commettre.
En méditant sur cette époque marquée par tant de honte,
l'esprit humain peut mesurer l'infinie distance qui sépare
la dépravation romaine, aux temps les plus dégradés de
l'histoire, de celle qu'offre à nos regards l'ère sanglante de
la Convention.
Jamais une puissance plus terrible ne pesa sur la terre.
L'imagination la plus sombre ne saurait rien inventer
qui puisse être comparé aux actes de cette assemblée pros-
tituée h. la dépravation la plus inouïe.
C'est au nom de la raison et de la liberté que les
peuples sont entraînés à tous les forfaits, et que le plus
odieux esclavage est consacré par des lois. De nouveaux
Tartares sont venus, les Droits de l'homme à la main, exiler
la religion, la justice, et livrer la France éplorée à tous les
fléaux et à tous les crimes.
Sophistes à la fois et chefs de meurtriers, les hommes de
ces temps ont inscrit sur leurs étendards ces mots terri-
bles : Souveraineté du peuple. Affreuse et incompréhensible
DE 17S9 A 1800. 9
image qui, semblable au apiiiiix. de la fable, dévore tout
ce. qui tente de l'expliquer; épouvantable théorie, qui
marque son invasion par toutes les destructions, légitime
les plus odieux attentats, et fait peser sur la tête des peu-
ples la plus horrible complicité. Une confédération du
crime lie toutes les parties d'un vaste royaume ; des mil-
liers de libères et de Nérons croissent tout-à-coup et
couvrent la France entière; la terre tremble jusqu'en ses
fondements; des barbares, nés sur le sol français, de la cor-
ruption des siècles, viennent instituer une république en
conduisant le char funèbre de l'athéisme et de l'anarchie.
En vertu de sa souveraineté, l'homme se soulève contre
Dieu, se déclare libre et égal à lui ; en vertu du même droit,
le sujet se soulève contre le pouvoir et se déclare libre et
égal à lui. Au nom de la liberté, on renverse la constitution,
les lois, toutes les institutions politiques et religieuses; au
nom de l'égalité, on abolit toute hiérarchie, toute distinc-
tion religieuse et politique : clergé, noblesse, magistra-
ture, législation, religion, tout tombe ensemble, et il fut
un moment où tout l'ordre social se trouva concentré dans
un seul homme. Pendant que cet homme-pouvoir, média-
teur entre Dieu et l'homme dans la société politique
comme l'Horame-Dieu est médiateur entre Dieu et l'homme
dans la société religieuse, pendant, dis-je, que cet homme
exista, rien n'était désespéré, et l'ordre, pour ainsi dire
retiré en lui, pouvait plus tard en sortir et reparaître au
dehors par un acte de sa puissante volonté. On le savait,
et sa mort, résolue de ce moment, fut comme la dernière
ruine qui devait consommer et éterniser toutes les autres.
Depuis le déicide des Juifs, jamais crime plus énorme
n'avait été commis, car le meurtre même de l'innocence
ne peut lui être comparé. Quand Louis monta sur l'écha-
faud, ce ne fut pas seulement un mortel vertueux qui suc-
comba sous la rage de quelques scélérats, ce fut le pou-
1*
iO LA GRANDE RÉVOLUTIOrT
voir lui-même, vivante image de la Divinité dont il émane,
ce fut le principe de l'ordre et de l'existence politique, ce
fut la société entière qui périt'.
Et certes on n'en put pas douter lorsqu'on vit placer le
droit de révolte au nombre des lois fondamentales de l'Etat,
et consacrer l'insurrection comme le plus saint des devoirs.
Jamais, dans le cours des âges précédents, aucun peuple
n'était parvenu jusqu'à ce prodigieux exci's de délire, de
protester, en tête de sa constitution, contre toute espèce de
gouvernement: cette absurdité incompréhensible devait
être réservée au siècle de la raison.
Alors, sur les débris de l'autel et du trône, sur les osse-
ments du prêtre et du souverain, commença le règne de la
force, le règne de la haine et de la terreur; effroyable ac-
complissement de cette prophétie : t Un peuple entier se
ruera, homme contre homme, voisin contre voisin, et,
avec un grand tumulte, l'enfant se lèvera contre le vieil-
lard, la populace contre les grands, parce qu'ils ont op-
* Si la royauté française a été condamnée, dans la per-
sonne d'un prince aussi innocent, à une aussi rigoureuse ex-
piation, c'est que la royauté française n'était plus, depuis long-
temps, une royauté sincèrement chrétienne ; c'est que, depuis
longtemps, le roi de France imitait Philippe le Bel, et non plus
Charlemagne; c'est que la césarisme avait remplacé, dans les
conseils du fils aîné de l'Eglise, la théorie chrétienne de ia
royauté. Les doctrines des légistes triomphaient en France;
on y admettait comme article de foi que l'Eglise n'a aucun
pouvoir d'intervenir entre les peuples et les rois, même quand
la religion est en péril ; que le prince est le juge souverain cl
sans appel, lo suprême propriétaire, l'unique arbitre de
tous ses différends avec son peuple ou avec les autres princes;
César était le type. La royauté française avait péché par le
césarisme, comme le clergé français par le gallicanisme, comme
la noblesse française par la servilité et l'immoralité. La
royauté reçut aussi son chûliment, d'où elle se releva im
eimparablement plus belle, plus pure et plus honorée.
DE 1789 A 1800. H
posé leur langue et leurs inventions contre Dieu. i> (Isaïe.)
Pour peindre cette scène épouvantable de désordres et
de forfaits, de dissolution et de carnage, cette orgie de doc-
trines, ce choc confus de tons les intérêts et de toutes les
passions, ce mélange de proscriptions et de fêtes impures,
ces cris de blasphème, ces chants sinistres, ce bruit sourd
et continu du marteau qui démolit, de la hache qui frappe
les victimes; ces détonations terribles et ces rugissements
de joie, lugubre annonce d'un vaste massacre; ces cités
veuves, ces rivières encombrées de cadavres, ces temples
et ces villes en cendres, et le meurtre et la volupté, et
les pleurs de sang, il faudrait emprunter à l'enfer sa
langue, comme quelques monstres lui empruntèrent ses fu-
reurs '.
« Si le monde, avait dit Voltaire, était gouverné par des
athées, il vaudrait autant être sous l'empire immédiat de
ces êtres infernaux qu'on nous peint acharnés contre leurs
victimes. » Des athées gouvernèrent la France, et dans
l'espace de quelques mois ils y accumulèrent plus de ruines
qu'une armée de Tartares n'en aurait pu laisser en Europe
après dix années d'invasion. Jamais, depuis l'origine du
monde, une telle puissance de destruction n'avait été don-
née à l'homme. Dans les révolutions ordinaires, le pouvoir
se déplace, mais descend peu. Il n'en fut pas ainsi quand
l'athéisme triompha. Comme s'il eût fallu que, sous l'em-
i
Quoiqu'il y ait toujours eu des impies, jamais il n'y avait
eu, avant le dix-huitième siècle, et au sein du christianisme,
une insurrectiûn contre Dieu; jamais suiiout on avait vu une
ccnjuration sacrilège de tous les talents contre leur Auteur : or,
c'est ce que nous avons vu de nos jours. Le vaudeville a blas-
phémé comme la tragédie, et le roman comme l'histoire et la
physique. Les hommes de ce siècle ont prostitué le génie à
l'irréligion, et, suivant l'expression admirable de samt Louis
mourant, ils ont guerroyé Lieu de ses dons.
JOSEI'U DE MaISTRE.
12 LA GRANDE RÉVOLUTION
pire exclusif do riiomme, tout portât un caractère parti-
culier d'abjection, la force, fuyant les nobles et les
hautes parties du corps social, se précipita entre les
mains ae ses plus vils membres, et leur orgueil, que tout
offensait, n'épargna rien. Ils ne pardonnèrent ni h la
naissance, parce qu'ils étaient sortis de la boue; ni aux
richesses, parce qu'ils les avaient longtemps enviées: ni
aux talents, parce que la nature les leur avait tous refusés;
ni à la science, parce qu'ils se sentaient profondément
ignorants; ni à la vertu, parce qu'ils étaient couverts de
crimes; ni enfin 'au crime même, lorsqu'il annonça
quelque espèce de supériorité. Entreprendre de tout ra-
mener a leur niveau, c'était s engager à tout anéantir.
Aussi, dès lors, gouverner, ce lut proscrire, confisquer et
proscrire encore. On organisa la mort dans chaque bour-
gade, et, achevant avec des décrets ce qu'on avait com-
mencé avec des poignards, on voua des classes entières de
citoyens à l'extermination, on ébranla par le divorce le
fondement de la famille ; on attaqua le principe même de
la population, en accordant des encouragements pubhcs
au libertinage.
Cependant, la haine de l'ordre, trop à l'étroit sur ce
vaste théâtre de destruction, franchit les frontières et alla
menacer sur leurs trônes tous les souverains de l'Europe.
L'athéisme eut ses apôtres, et l'anarchie ses séides. La
guerre redevenant ce qu'elle est chez les sauvages, on
arrêta de ne faire aucun prisonnier. L'honneur du soldat
frémit et repoussa cet ordre barbare. Mais, hors des
camps, l'enfance même ne put désarmer la rage ni atten-
drir les bourreaux. Je me lasse de rappeler tant d'inex-
plicables horreurs. La France, couverte de débris, offrait
l'image d'un immense cimetière, quand, chose étonnante I
voilà qu'au milieu de ces ruines, les princes même du
désordre, saisis d'une terreur soudaine, reculent épou-
DE 1789 A 1800. 43
vantés, comme si le spectre du néant leur eût apparu. Sen-
tant qu'une force irrésistible les entrame eux-mêmes au
tombeau, leur orgueil fléchit tout-à-coup. Vaincus d'effroi,
ils proclament en hâte l'existence de l'Etre suprême et l'im-
mortalité de l'âme; et, debout sur le caaavre palpitant de
la société, ils appellent à grands cris le Dieu qui seul peut
la ranimer '.
Voici, à ce sujet, de belles considérations d'un des plus
profonds penseurs de notre époque, Joseph de Maistre :
« Pour faire la Révolution franraise, il a fallu renverser
la religion, outrager la morale, violer toutes les propriétés
et commettre tous les crimes; pour cette œuvre diabolique,
il a fallu employer un tel nombre d'hommes vicieux, que
jamais peut-être autant de vices n'ont agi ensemble pour
opérer un mal quelconque.
> On a remarqué, avec grande raison, que la Révolution
française mène les hommes plus que les hommes ne la
mènent. Cette observation est de la plus grande justesse,
et quoiqu'on puisse l'appliquer plus ou moins à toutes les
grandes révolutions, cependant elle n'a jamais été plus
frappante qu'à cette époque.
> Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la Révo-
lution n'y entrent que comme de simples instruments, et
dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent
ignoblement. Ceux qui ont établi la république l'ont fait
sans le vouloir et sans savoir ce qu'ils faisaient; ils y ont
été conduits par les événements : un projet antérieur n'au-
rait pas réussi.
> Jamais Robespierre, Collot ou Barrère ne pensèrent à
établir le gouvernement révolutionnaire et le régime de la
terreur; ils y furent conduits insensiblement par les cir
' Essai sur l'indifférence.
14 LA GRANDE RÉVOLUTION
constances, et jamais on ne verra rien de pareil. Ces
hommes excessivement médiocres exercèrent sur une na-
tion coupable le plus affreux despotisme dont l'histoire
fasse mention, et sûremeat ils étaient les hommes du
royaume les plus étonnés de leur puissance.
» Mais au moment même où ces tyrans détestables
eurent comblé la mesure de crimes nécessaires à cette
phase de la Révolution, un souffle les renversa* Ce pouvoir
gigantesque, qui faisait trembler la France et l'Europe, ne
tint pas contre la première attaque, et comme il ne devait y
avoir rien de grand, rien d'auguste dans une révolution
toute criminelle, la Providence voulut que le premier coup
fût porté par des septembriseurs, afin que la justice même
fût infâme.
» On nommerait par milliers les instruments actifs de la
Révolution qui ont péri d'une mort violente.
» C'est encore ici que nous pouvons admirer l'ordre
dans le désordre, car il demeure évident, pour peu qu'on
y réfléchisse, que les grands coupables de la Révolution ne
pouvaient tomber que sous les coups de leurs complices '.
Si la force seule avait opéré ce qu'on appelle la contre-
révolution, et replacé le roi sur le trône, il n'y aurait eu
aucun moyen de faire justice. Le plus grand malheur qui pût
arriver à un homme délicat, ce serait d'avoir à juger l'as»
sassin de son père, de son parent, de son ami, ou seule-
ment l'usurpateur de ses biens. Or, c'est précisément ce
qui serait arrivé dans le cas d'une contre-révolution, telle
qu'on Tcntendait; car les juges supérieurs, par la nature
des cnoses, auraient presque tous appartenu h la classe
offensée; et la justice, lors môme qu'elle n'aurait fait que
punir, aurait eu l'air de se venger. D'ailleurs, l'autorité
* On vit se vérifier cette parole du crand de Maistrc :
« L'univers est rempli de supplices très-justes dont les exécu-
teurs sont très-coupables. »
DE 1789 A 1800. Ig
légitime garde toujours une certaine modération dans la
punition des crimes qui ont une multitude de complices.
Quand elle envoie cinq ou six coupables à la mort pour le
même crime, c'est un massacre. Si elle passe certaines
bornes, elle devient odieuse. Enfin, les grands crimes
exigent malheureusement de grands supplices ; et dans ce
genre, il est aisé de passer les bornes, lorsqu'il s'agit de
crimes de lèse-majesté, et que la flatterie se fait bourreau.
L'humanité n'a point encore pardonné à l'ancienne légis-
lation française l'épouvantable supplice de Damiens. »
LES PIONNIERS DE L'IMPIÉTÉ.
Les écrivains en vogue, Voltaire, Rousseau et com-
pagnie, pionniers intrépides de l'incrédulité, firent d'in-
croyables efforts pour saper les fondements du christia-
nisme. Les choses saintes, les dogmes, les mystères de la
foi, le sacerdoce, furent le but d'attaques furieuses. Le cri
de liberté, d'affranchissement de toute autorité divine et
humaine, poussé par les faux sages, fut répété par de
nombreux échos. Un des hommes néfastes, Diderot, émet-
tait le vœu barbare d'étrangler le dernier des rois avec les
boyaux du dernier des prêtres, Voltaire, l'oracle de la
secte, avait dit, de son côté, que c'était là le plus ardent
des désirs de son cœur. Rousseau, républicain de Genève,
dans son Contrat social et ses autres ouvrages, signalait sa
haine contre la royauté et contre les rois. On s'abreuvait
du poison de ces doctrines subversives ; il circulait dans
les veines de la société, et cette société, arrivée à l'état
d'ivresse, chanta les louanges de ces apôtres du mensonge
et du désordre*. La raison en délire se proclama souve-
* Un philosophe, dont les écrits séducteurs ont empoisonné
bien des intelligences, a laissé échapper cet aveu cynique : « La
13 LA GRANDE RÉVOLUTION
raine, apr^s avoir secoué tout joug, et le Seigneur voulut
hii laisser faire un essai. Elle commença par décerner un
triomplie à Voltaire; rien de plus naturel. Elle accorda la
môme distinction à Rousseau; et, pour le premier, on eut
l'attention de passer sous les fenêtres du palais où Louis XVI
était prisonnier, et de mettre en tête de ce fatal cortège
ceux qui avaient ramené le monarque de Varennes. La
Révolution éclata. On proclama, comme auteurs de cette
prétendue régénération, ces deux apôtres du mal. Ils n'ont
pas vu ce qu'ils ont fait, s'écriait-on de la tribune de la
Convention, mais ils ont fait ce que nous voyons\ Le sang
philosophie et les mœurs qu'elle engendre ne tarderont pas
à faire de l'Europe un désert. Elle sera peuplée de botes fé-
roces » {Emile, livre !*='.) — Plus que tout autre, Jean-
Jacques Rousseau pouvait justement apprécier ce que devaient
produire les doctrines de son époque.
* A l'égard de ceux qui ne veulent pas encore aujourd'hui
qu'on regarde les ouvrages de Voltaire comme ayant préparé
la Révolution en France, que diront-ils de ce passage d'une de
ses lettres à M. Chauvelin : « Tout ce que je vois jette les
semences d'une révolution qui arrivera immanquablement, et
dont je n'aurai pas le plaisir d'être témoin. On éclatera à la
première occasion, et alors ce sera un beau tapage. Les jeunes
gens sont bien heureux, ils verront de belles choses. » Com-
ment entreprendra- 1- on de justifier cette autre phrase :
« Un grand courtisan m'a envoyé une singulière réfutation du
Système de la nature, dans laquelle il dit que la nouvelle philo-
sophie amènera une révolution horrible, si on ne la prévient
pas. Tout ces cris s'évanouiront, et la philosophie restera. »
Pouvait-on prêcher plus fortement la Révolution qu'en écrivant,
comme il l'a fait AdinsY Histoire du Parlement ; «La nation an-
glaise est la seule qui soit parvenue à régler le pouvoir des rois
en leur résistant. Il en a coûté sans doute pour établir celte
liberté en Angleterre, c'est dans des mers de sang qu'on a
noyé l'idole du pouvoir despotique; mais les Ane:lais ne croient
pas acheter trop cher leurs lois. » Condorcet était loin de dissi-
muler la part que son maître et ami avait eue à la Révolution,
lorsqu'il a dit en écrivant sa Vie : Il n'a point vu tout ce qu'il a
DK 1789 A 1800. 17
le plus pur de la France fut versé k grands flots; les écha-
fauds étaient dressés sur tous les points de notre malheu-
reuse patrie: le roi, la reine, sa vertueuse sœur y mon-
tèrent, pardonnant à leurs bourreaux. Nos temples furent
ou renversés ou profanés par le culte de la Raison, répré-
sentée sur nos autels par d'infâmes prostituées; les
prêtres bannis, traqués, massacrés comme des bêtes
fauves. La hideuse guillotine ne fonctionnait pas assez
vite au gré de ces tyrans farouches ; ils eurent recours aux
fusillades, aux noyades. Quels horribles désastres! Vol-
taire et Rousseau ont répondu devant Dieu de ces suites
atroces de leurs doctrines licencieuses, anarchiques et
impies.
«Feaiî - Jacques Rousseau.
Peu d'écrivains ont mené une vie aussi dissolue et sou-
tenu une doctrine aussi paradoxale que l'auteur d'Emile,
auquel les protestants de Genève ont élevé une statue.
Jeune encore, il pillait la fruiterie d'un maître graveur,
chez qui il était en apprentissage ; il dépouillait aussi un
jardin de ses plus belles asperges pour le compte d'un
autre, puis les vendait sur le marché, et du produit en fai-
sait des déjeuners. Rien de ce qu'il convoitait n'était en
sûreté, selon lui. Ailleurs, il prit un ruban d'argent, et
accusa de ce larcin une excellente domestique qui toujours
avait été fidèle et soumise à ses maîtres. On la renvoya, et
comme lui-même était soupçonné, on le fit aussitôt sortir
de la maison. A Lyon, chez M. de Mably, il vidait la cave
d'un bon vin blanc d'Arbois que savourait délicieusement
son palais. Nombre de bouteilles, où il n'y avait plus rien,
fait, mais il a fait tout ce que nous voyons. Les observateurs
éclairés prouveront à ceux qui savent réfléchir que le premier
auteur de cette grande Révolution, c'est sai^s contredit Voltaire.
18 LA GRANDE RÉVOLUTION
déposaient contre lui. Il devint alors, et il l'avoue, dissolu
et crapuleux. Une autre fois, il prit de l'argent.
Nous prenons ces détails dans ses Confessions; car il a
voulu probablement imiter saint Augustin, avec cette diffé-
rence, toutefois, que l'un s'humilie profondément, et que
l'autre est un orgueilIeuK qui se donne sans façon l'abso-
lution à hii-môme cl l'indulgence plénière, croyant que
personne ne pourra dire à Dieu : Je fus ineilleur que cet
homme-là. Il n'y a pourtant pas de quoi se vanter, car
quelle vie t quels désordres f
On peut dire que la vie de ce prétendu esprit fort a été
en proie à des remords continuels, qui faisaient de son exis-
tence un vrai cauchemar ne lui laissant de trêve ni le jour
ni la nuit.
Tous les hommes étaient autant d'ennemis conjurés
contre lui ; dans les actions les plus innocentes, son ima-
gination frappée ne voyait que des marques certaines de
conspiration; il n'est pas jusqu'aux vents qu'il n'accusât
d'être les complices de ses persécuteurs. Aussi il viva»*-
comme un misanthrope *.
* Il était donc fou, et bien décidément fou, celui que ses
meilleurs amis n'ont pu s'empêcher de reconnaître pour tel,
celui qu'ils appelaient un autre don Quichotte ; il était fou, cet
écrivain si disert, ce moraliste si vanté, ce donneur de préceptes
si hautains ; il était fou ce législateur profond, cet arbitre des
droits des princes et des peuples, ce réformateur de nos cons-
titutions modernes, ce faiseur de codes pohtiques ; il était fou,
ce détracteur du christianisme, cet ennemi de ses mystères,
cet écrivain arrogant, toujours armé de sophismes et d'ob-
jections contre nos dogmes; il était fou, cet homme qui exal-
tait si fort les prérogatives de sa raison, et la Providence per-
mit que celui qui s'enorgueillissait de ses lumières et qui asser-
vissait la foi aux bornes de son intelligence, perdit dans un
accès de noire vapeur cette même faculté dont il avait aliusô
pour avancer tant de sophismes et pour établir tant de para-
doxes. Elle humilia ainsi cet esprit superbe qui s'était joué
DE 1789 A 1800. 19
M. Louis Veuillot a tracé un portrait de Roussea;i que
nous voulons mettre sous les yeux de nos lecteurs :
« Dans un galetas, au fond d'une rue bourbeuse de
Paris, vivait ignoblement un déclamateur malade d'or-
gueil, doublement étranger à la France par son origine et
par sa religion. La rudesse affectée de ses mœurs ne
l'avait pas empêché de chercher à gagner quelque louis en
travaillant aux plaisirs du roi, et de piquer l'assiette chez
certains grands de bas étage. Mécènes secondaires des
libres-penseurs du temps. Sa vanité, toujours hérissée et
souffrante, l'ayant bientôt chassé de ces tables où la lour-
deur de son esprit l'exposait sans défense aux piqûres de
la conversation, il affectait de ne vouloir vivre que du travail
de ses mains, mais il acceptait des aumônes qui le mettaient
en état de goûter le plaisir auquel peut-être il s'est montré
le plus sensible, celui d'être ingrat. 11 avait pour compa-
gnie ordinaire une concubine idiote, et la digne mère de
cette créature, femme à toutes mains, qui portait sous le
manteau tout ce qui naissait du personnage, les manu-
scrits aux imprimeries clandestines, les enfants à la Cha-
rité. Il était le seul homme à qui la folie de ce siècle per-
mettait de parler vertu. Son taudis, à la porte duquel se
morfondaient l'imbécile curiosité des grands et l'enthou-
siasme de quelques misérables femmes, moitié duchesses
et moitié courtisanes, était fréquenté d'un petit nombre d^
pamphlétaires encore obscurs, fabricants aussi de livres
prohibés, et qui prétendaient, comme le maître du lieu,
tant de fois de la vérité, et ses admirateurs durent être corri-
gés de leur enthousiasme eu le voyant passer les dernières
années de sa vie, tantôt dans des accès de délire, tantôt dans
des terreurs insensées, en le voyant s'imaginer follement que
toute l'Europe était armée contre lui, s'inquiéter de ce complot
chimérique, sécher dans des transes conunuelles, et terminer
enfin sa carrière par une catastrophe.
20 LA GRANDE RÉVOLUTION
ramener l'honneur et la probité sur la terre. Ils le trou-
vaiont fou et se moquaient de lui, lui les jugeait traîtres,
menteurs, débauchés et lâches, et les haïssait.
» Tout ce qui savait lire le lut et l'admira. C'était l'Evan-
gile de la destruction qui allait remplacer en Europe l'E-
vangile de Dieu, déchiré par Voltaire et renié par la
France.
» L'écrivain se nommait Rousseau; le livre était intitulé:
le Contrat social. Il parut en 1752, et valut à l'auteur la
protection ou pour mieux dire la complicité de Males-
herbes. Quarante ans après, ce même livre était le manuel
de Robespierre; et les assemblées révolutionnaires, ce
livre à la main, sapaient, renversaient, détruisaient si bien
tout dans la vieille France, que depuis lors la société n'y a
plus d'abri, plus de boussole, et qu'elle ignore même s'il
lui reste un avenir.
» Mais, malgré la grande influence de Rousseau, le dix-
huitième siècle s'appelle avec raison le siècle de Voltaire.
Rousseau n'est que bourreau. Voltaire est le crime. Sans
Voltaire, Rousseau n'aurait rien pu faire, et probablement
n'eût rien écrit. Pour que le socialiste genevois portât aux
institutions des coups si victorieux, il fallait d'abord que
le bel esprit parisien ruinât les croyances, et que la ruine
des croyances précipitât la dissolution des mœurs. »
Jean-Jacques Rousseau n'appartint à aucune école, n'en-
tra dans aucune ligue, se détacha de tous les partis. Une
haine profonde et invétérée, née d'une rivalité de chaque
jour, le séparait de Voltaire. Esprit paradoxal, indépen-
dant, passionné pour des chimères; cœur corrompu, qui
se faisait un idéal du vice et parait la corruption des cou-
leurs de l'innocence ; caractère sans fixité, sans noblesse,
sans dignité, tellement mobile, toutefois, qu'il se jetait en
un instant dans les extrêmes les plus opposés; incapable
de se faire de la vertu une habitude, il pouvait en res-
DE 1789 A 1800. 21
sentir passagèrement l'attrait. Il cachait, sous les appa-
rences de la bienfaisance et de l'humanité, des doctrmes
perverses en morale, impies en religion, subversives en
politiques, destructives de l'ordre social, de toute hiérar-
chie, de tout principe, de tout culte, de toute autorité.
Rousseau offre ce singulier contraste qu'on pourrait tou-
jours le réfuter par lui-même ; il attaque les miracles de
l'Evangile , et nul n'a écrit une page plus sublime sur le
caractère de ce livre divin; il vante la majesté, la gran-
deur, la pompe du culte catholique de la même plume
qu'il a écrit la fameuse Profession de foi du vicaire savoyard,
et cette utopie pédagogique de Emile, que l'auteur avait
placée, dans ses rêves, au-dessus du Télémaque, et où il
enseignait que son élève ne devait entendre parler de Dieu
qu'à vingt ans. L'ouvrage où Rousseau se montra le plus
hostile à la religion fut le Contrat social, qui accuse le
christianisme d'avoir brisé l'unité dans l'Etat, détruit
l'amour de la patrie, favorisé les tyrans et anéanti les
vertus guerrières.
On le voit, peu d'écrivains ont rempli leurs ouvrages de
contradictions comme l'a fait Rousseau, qui dit volontiers
dans le même livre le pour et le contre'.
« Il reconnaît un Dieu unique, une suprême intelligence, de
qui nous tenons tout l'être et la pensée. Ailleurs il ne conçoit
plus la création, et juge peu important de savoir s il y a un
ou deux principes des choses. Il regarde comme inexcusable
l'homme, même seul et séparé de ses semblables, qui ne lirait
point dans le livre de la nature, et n'y apprendrait point à con-
* Tout, jusqu'à la vérité, trompe dans ses écrits.
(La Harpe.)
« Jamais, dit Proudhon, un homme n'a réuni à un tel degré
l'orgueil de l'esprit, la sécheresse de 1 "âme, la dépravation des
habitudes ; sa philosophie est toute en phrases et ne couvre
que des mots. »
22 LA GRANDE RÉVOLUTION
naître et à aimer Dieu; et ailleurs il trouve impossible que le
même liomme puisse s'élever jusqu'à la connaissance du vrai
Dieu. Là il admet un Etre suprême, rémunérateur des bom et
des méchants, et il voit dans celui qui combat cette créance
le perturbateur de l'ordre et l'ennemi de la société, qui mérite
d'être puni; ici, le sort des mécliants lui importo peu, et il croit
inutile d'imaginer un enfer dans une autre vie. Il ne prt point
Dieu parce qu'il n'a rien à lui demander, et il veut qu'on
fasse les prières avec recueillement et attention, en songeant
qu'on s'adresse à l'Etre suprême. Il défend de troubler les
âmes paisibles et d'alarmer la foi des simples par des diffi-
cultés qui les inquiètent sans les éclairer, et tout son livre est
rempli de traits contre la révélation. Il condamne ceux qui
troublent l'ordre public et qui portent les autres à désobéir aux
lois du culte, et son livre n'est qu'une infraction perpétuelle
de ces lois. Il admire et les caractères de l'Evangile et de
la sainteté de la vie et de la morale du Fils de Dieu; et un
instant après, l'Evangile lui parait plein de choses qu'un
homme raisonnable ne saurait admettre. »
Jee.n.'-SeLeci'VLGa ïlouseeeLU met fin A ea via
infâ-ime pstr le suicicle.
C'est le sentiment le plus généralement reçu que Rous-
seau, qui avait écrit de si belles pages conlro le suicide,
s'est lui-même donné la mort; c'est aussi l'opinion d'une
femme célèbre qui fait profession d'une sorte de culte pour
Rousseau, et qui se montre admiratrice passionnée de ses
ouvrages. M™' de Staël publia, en 1789, des Lettres sur les
ouvrages et le caractère de Jean-Jacques. Voici comment elle
y parle do la mort de cet homme extraordinaire :
« On sera peut-être étonné de ce que je regarde comme
certain que Rousseau s'est donné la mort ; mais un Gene-
vois qui a vécu familièrement avec Rousseau pendant les
DE 1789 A 1800. 23
vingt dernières années de sa vie, reçut de lui, quelque
temps avant sa mort, une lettre qui semblait annoncer ce
dessein. Depuis, s'étant informé avec un soin extrême de
ses derniers moments, il a su que, le matin du jour où il
mourut, Rousseau se leva en parfaite santé, mais dit
cependant qu'il allait voir le soleil pour la dernière fois, et
prit, avant de sortir, du café, qu'il fit lui-même. Il rentra
quelques heures après, et, commençant à souffrir horri-
blement, il défendit constamment qu'on appelât du secours
et qu'on avertît personne. Peu de temps avant ce triste
jour, il s'était aperçu des viles intentions de sa femmo
pour un homme de l'état le plus bas. Il parut accablé de
cette découverte et resta huit heures de suite sur le bord
de l'eau dans une méditation profonde. Il me semble que
si l'on réunit ces détails à sa tristesse habituelle, à Tac-
croissement extraordinaire de ses terreurs et de ses dé-
fiances, il n'est plus permis de douter que ce malheureux
homme n'ait terminé volontairement sa vie. »
Comme on semblait élever des doutes sur ce suicide,
M™' de Staël persista dans son sentiment; et, dans sa ré-
ponse à M""^ de Vassy, elle ajoutait ;
€ Un Genevois, secrétaire de mon père, et qui a passé la
plus grande partie de sa vie avec Rousseau ; un autre
nommé Movthon, homme de beaucoup d'esprit et confident
de ces dernières pensées, m'ont assuré ce que j'ai écrit, et
des lettres que j'ai vues de lui peu de temps avant sa mort
annonçaient le dessein de terminer sa vie. »
Voltaire.
Avec Luther, dont il est le digne successeur, Voltaire
est l'homme le plus méprisable qui ait jamais existé et un
de ceux qui ont fait le plus de mal '.
* n y a une malédiction sur cet homme, elle apparaît au»-
24 LA GRANDE IlÉVOLUTION
Ce personnage trop fameux, de qui l'histoire, longtemps
embellie jusqu'au fabuleux par les panégyristes, ressort
évidente aujourd'hui des faits étudiés à leur source, et se
dessine clairement dans sa hideuse nudité; cet auteur,
dont la vie entière fut un enchaînement de turpitudes ; cet
être, que Frédéric, détrompé, reconnut si bien, à la fin,
pour effronté, pour avili, pour chef de cabale, non pas seu-
lement tracassier, mais méchant, et que son humeur, en
effet, selon l'aveu de Ghabanon, « rendait injuste, forcené,
féroce; » Voltaire , en un mot, car c'est tout dire, et il n'y
a pas un seul vice que ce triste nom ne rappelle : — le
mauvais fils, le mauvais frère, qui n'eut jamais l'ombre
d'affection pour sa famille, dont il avait, par dédain, abjuré
jusqu'au nom; — le mauvais citoyen, qui répudiait for-
mellement sa patrie, qui lui souhaitait des défaites et ne
sitôt. Son berceau flotte sur la fange, son cercueil est tiré d'une
tombe escroquée pour être traîné au Panthéon par une foule
stupide et endiablée, à travers un fleuve de boue. Si une se-
conde apothéose lui est faite, nous verrons une farce dont le
monde se souviendra 1 Elevé par un prêtre digne de l'intimité
de Ninon, Voltaire blasphéma avant d'avoir pensé j ce prêtre qui,
était son pari'ain, l'abbé de Chàteauneuf, lui enseigna des blas-
phèmes pour exercer sa mémoire. Les premiers vers qu'il ré-
cita outragèrent la Divinité, les premiers vers qu'il fit se ter-
minaient par un outrage à sa mère, outrage d'ailleurs mérité.
Ainsi il fut lui-même dès le premier jour, il s'annonça dès
le premier mot. il continua quatre-vingts ans, vivant et mou-
rant comme il était né, sans laisser trace d'im écart de sa voie,
d'une seule tentation d'en sortir, d'une seule aspiration même
lointaine vers la beauté, vers la vérité, vers l'amour. Ces sen-
timents lui sont étrangers, il ne les a pas; et en dehors du
public, devant qui l'hypocrisie est nécessaire, face à face avec
ses intimes ou avec lui-même, il ne les feint pas. C'est un phé-
nomène. 11 n'a pas une fois l'idée de devenir honnête homme,
il ne se frapi)e pas une fois la poitrine, on ne lui voit pas nu
éclair de bon roponlir, en qualre-vingls ans! Peut-être qu'il n'y
a rien de semblable dans l'histoire des hommes, dit L. Veuihot,
DE 1789 A 1800. 23
perdait pas une seule occasion de la rabaisser; — le vani-
teux bourgeois-gentilhomme qui brigua la clef de cham-
bellan, s'affubla du titre de comte, et aurait attaché à l'ob-
tention de celui de marquis « la gloire et le bonheur de sa
triste vie; » — l'ambitieux qui consentait à descendre au
rôle d'espion pour un vain espoir d'ambassade, trahissant
ainsi l'amitié d'un prince, dont, aussi bien, il profana plus
lard l'intime confiance, par un trait plus inexcusable
encore de félonie*; — le courtisan privé de tact malgré
son esprit, et qui, en Prusse, s'attira, de son royal com-
plice même, les plus humiliantes avanies, et qui, en Lor-
raine, se fit chasser (c'est le mot) de la cour du Philosophe
bienfaisant, du plus indulgent de tous les princes ; — l'avare,
qu'au jugement de sa propre nièce « l'amour de l'argent
POIGNARDAIT, » ct dout Ics prétcudus bienfaits innombrables
paraissent se borner à quatre ou cinq dons médiocres,
pitoyablement marqués encore ou des violences de l'esprit
de parti ou des chatouilleux intérêts de la gloriole; —
qui empruntait par lésine les habits d'autrui, et qui, ayant
trouvé moyen, par mille ruses, de ne jamais payer d'im-
pôts, malgré son opulence, se félicitait de ne contribuer
pour aucune part aux charges d'un ordre social dont il
recueillait si amplement les avantages; — le joueur qui, par-
venu à l'âge de quarante ans, risquait encore sur le hasard
des cartes .douze mille francs dans un mois; — le loca-
* Par l'enlèvement, à son départ de Prusse, du volume de
poésies particulières que Frédéric lui avait confié (lettre n» 1968
de Beuchot, 29 décembre 17o2). — Du moins, dans l'espionnage
politique dont Voltaire se fut chargé pour le cabinet de Ver-
sailles, il n'aurait trompé chez Fiédèric que le roi, mais en ceci
il trahissait l'homme. Et quand on pense aux supplications
humbles et tendres qu'il venait si récemment de faire à son
ancien ami pour en obtenir son pardon (lettre n° 1946 de Beu-
chot, 2 janvier 1753), on ne sait plus quel nom donner à tant
d'hypocrisie, de bassesse et d'ingiatilude.
%
26 LA GRANDE RÉVOLUTION
taire déloyal qui, rejetant sur d'honnêtes gens ses propres
torts, ot se présentant au public comme victime d'une
combinaison que, précisément, il avait proposée lui-7nême,
qu'il avait, en outre, épluchée pendant deux mois, et que,
d'ailleurs, il violait d'une mani^rc flagrante; — abusait,
malgré des avis réitérés, de la propriété reciiae en garde
à son honneur', et, loin d'y réaliser aucune des amélio-
rations promises, y commettait do tels dégâts que ta
famille, apr(>s lui, ne put se refuser à payer 30,000 francs
d'indemnité pour en ett'acer le scandale ; -^ l'escroc qui,
bâtonné k Londres, pour traudo envers des libraires, n'en
friponna pas moins en Hollande la maison Lcdet et Des-
bordes, par un tour digne des galères; n'en réduisit pas
moins, en France, la famille Jore à la misère, par le
manque de parole le plus insigne; et, plus tard, largement
payé chez un roi, — devenu riche, d'ailleurs, grâce au
gain très-louche d'une loterie et à la protection dos four»
nisseurs d'armée, — ne dédaignait pas, à Berlin, d'ae»
croître ses économies par de petites bassesses sordides, par
de menus vols de laquais *, — pareils h celui que, dans sa
vieillesse, au château de M. de Brosses, il eut l'ignoble
fantaisie de commettre encore, sur une misérable provi»
sion de ménage, et qui faillit à mal tourner pour son or^
gueii et son repos; — l'intolérant, l'infatigable, le lâche
et fougueux persécuteur de Jean-Baptiste, exilé; de Jean»
* Jusqu'au point, à peine croyable, d'y faire arracher de»
futaies. (Lettres à M. de Brosses, du 9 novembre 1759; à M. Gi«-
rod, du 12 novembre de la même année; lettre du président à
M. Girod, etc.; transaction du i6 janvier 1781, conclue à la
suite d'une expertise contradictoire.)
' Voyez entre autres, sur ces honteux détails, sur le vol des
bougies, etc., les Mémoirea de l'honnête et grave Thiébault, té-
moin oculaire, dont la probe et droite impartialité n'a jamai»
été su&pccléc de personne.
DE 1789 A 1800. 27
Jacques, malheureux; de La Baumelle, prisonnier; de
Maupertuis, malade; de Travenol, octogénaire; le libertin,
qui ne respecta rien au monde dans ses débordements
orduriers, et qui se plut à salir, sur le front de l'Héroïne
de la France, le triple voile, sans tache, de la virginité, du
patriotisme et du martyre; — l'hypocrite, comme on n'en
vit jamais, dont le mensonge, sans fin ni trêve, était la
théorie formelle comme la pratique journalière; qui cas-
sait sa vie à désavouer ses ouvrages, protestant, à l'aide du
parjure, que les lui imputer, c'était une affreuse calomnie ;
— qui se jouait avec le sacrilège et trouvait piquant (sans
déposer, ce jour-là même, sa plume licencieuse) d'aller
insulter Dieu dans le mystère de l'amour et de la mort, en
se faisant donner, par bravade, le plus auguste, le plus
intime, le plus tormidable sacrement des chrétiens; ou
qui, pour ne parler ici que de ses tartuferies humaines,
écrivait à l'un des plus ordinaires contidents et des plus
zélés ministres de ses fureurs : « Mon cher Thiriot, je vous
aime et ne vous trompe point, j> lorsque, la veille encore,
s'exprimant sur son compte à cœur ouvert avec d'Argental,
il disait à ce dernier : « Thiriot est me âme de houe, aussi
lâche que misérable; » — qu'ajouter enfin? l'homme sa:is
entrailles, l'égoïste sec et poltron, qui, toujours calomnia-
teur des faibles, toujours flagorneur des puissants, ne sut
pas trouver dans son drae un seul mot de douleur et d'in-
dignation pour la Pologne déchirée vive; ~ Inij d^ là I...
qui se fit, au contraire, l'apologiste formel du crime de
ses bourreaux, et dont l'adulation d'antichambre, exercée
jadis aux pieds de la Pompadour, traînée plus tard aux
pieds de la Du Barry, conserva son hommage intarissable
pour les deux assassins couronnés de cotte héroïque
nation, le Salomon qui n'aima rien, et la Mcssaline ctran-
gleuse; eh bien, cet être saianique, dont i.a conduite,
odieuse à trop d'égards, n'eût pas été tolérée dans aucun
28 LA GRANDE RÉVOLUTION
pays PAR AUCUN PHiLosoriiE'; qui fût sorti condainnô du
tribunal de Marc-Aurèle, d'Aristide ou d'Epictèto, comme
d'un tribunal de chrétiens, et à qui M""* Denys ne faisait
que rendre justice lorsqu'elle lui écrivait, dans un
effrayant accès de franchise : Vous êtes le dernier des
HOMMES PAR LE COEUR ; cc vil pcrsounage, en un mot, que,
malgré ses talents, si déplorablement employés, tout hon-
nête homme, de quelque bord, système ou religion qu'il
soit, doit flétrir du plus profond mépris, et clouer, conmie
un misérable, au hideux pilori de la honte ; tel fut Vol-
* Ce sont les propres paroles du roi de Prusse. (Lettre de
Frédéric, du 12 mai 1760.)
Frédéric de Prusse, pandour musqué, l'attache à un rude
service de réclames dont il ne le paie pas, lui fait « laver son
linge sale » et lui lave la tète, le fatigue à corriger ses vers et
le corrige à son tour par les bastonnades orales et épistolaires
les plus bafouantes que bel esprit de cour ait jamais reçues.
C'est Marsyas qui écorche Apollon, et il fait bien, et la justice
est avec lui. Son ami d'Alembert le mène, son ami Richelieu le
lâche, son ami Thiriot l'escroque ; ses autres amis conviennent
entre eux de ses vices, de sa folie, se plaignent de ses importu-
nités, le rappellent à l'ordre et ne le servent que par gloriole
ou pour obéir au fanatisme d'impiété dont il est le héros.
Personnellement, Voltaire n'a pas un ami présentable. Il est
entouré de drôles, de faquins, d'histrions, de petits auteurs.
Jusque dans le tripot littéraire on l'abandonne à l'encens gros-
sier des carabins, et lui leur crache des louanges énormes,
n'osant autrement les siffler. Tous ceux qui se sentent un peu
de poids gardent leurs distances; ils les recherche, il est le très-
humble admirateur d'un Montcrif, d'un d'Alembert, d'un Saint-
Lambert et de moins que cela. Parmi les admirateurs impor-
tants, quiconque eut encore de l'honneur et le put voir d'un
peu près s'éloigna plein de mépris : ainsi le président de
Brosses, Tronchin de Genève et vingt autres. Pas un ami désin-
téressé, pas un ami dans le monde des vrais honnêtes gens, pas
un ! En quatre-vingts années, il n'a pu se faire un garant de-
vant la postérité. Il lit parler le monde entier, et pas une voix:
d'honnête homme intact et intelligent ne rend lèmoignago
l>our lui.
DE 1789 A 1800. 29
taire; voilà pourquoi ce démon si ardent, si insolent, si
persévérant, a fait véritablement, suivant la parole de Con-
dorcet, tout ce que nous voyons. Il enivra de son rire la
noblesse, la littérature, la société tout entière. Quoique
manifestement menacé, le suprême pouvoir lui-même,
désarmé presque partout de bon sens parce qu'il l'était de
vertu, se laissa séduire. Que pouvait Louis XV contre le
poète assez insolent contre Dieu et contre la France pour
écrire la Pucelle, mais en même temps assez adroitement
cynique pour dédier Tancrède à M""^ de Pompadour ' ?
L'indigne prince voyait où l'on allait et laissait aller. Il y a
dans le sceptre quelque chose de saint, qui est sa princi-
pale force et qui s'évanouit à l'attouchement d'une main
impure. Devant la conscience publique, Louis XV avait
perdu le droit de venger la religion. Il souffrit qu'on abat-
tît le rempart du trône, se disant qu'après tout, trùno
et rempart dureraient bien autant que lui.
Voltaire conduisit ouvertement la guerre contre l'Eglise,
se servant de tout le monde, forçant tout le monde à le
* Il y a dans notre histoire une figure céleste, type de can-
deur et de pureté, et qui brille sur l'horizon de la France
comme l'astre du patriotisme et ie signe de la protection de
Dieu sur notre pairie. Il était impossible que cette virginale
figure ne fût pas souillée de l'encre immonde de Voltaire. On
s'étonne quelquefois qu'il ait porté le c}'nisme jusqu'à écrire
la Pucelle: je serais étonné qu'il ne leùt pas écrite; et voici
pourquoi. Il y a dans les choses une logique intime et secrète
que les hommes suivent sans la connaître. Voltaire n'aunait
pas la France, nous l'avons montré, et Jeanne d'Ai'c l'a sauvée;
Voltaire suait la haine de la religion, et Jeanne d'Arc en est un
éclatant modèle. Ces deux motifs nous ont valu la Pucelle
d'Orléans. Ce livre infâme a un bon côté : il est à la honte de
Voltaire. 11 le brûle comme un fer rouge. Ce papier n'est pas
seulement pour lui et pour sa secte un manteau d'ignominie,
il est la tuniqne empoisonnée de Déjanire, et pei-sonne ne la
lui ôlera. Sous ce rapport, il est bon qu'il ait été écrit.
80 LA CHAUDE ÎIÈVOLUTION
servir. Il en a écrit tous les plans, que ses disciples ont
précieusement recueillis; et l'on ne sait ce qui consterne le
plus, lorsque l'on relit ces archives du mensonge, ou de
son commandement effronté, ou de la stupide obéissance
qu'il rencontre partout. La société est folle : au milieu
d'une vapeur d'impiété et de luxure, chaque jour elle
applaudit îi la chute de quelque noble ouvrage de la sagesse
passée. Tout est attaqué, rien de saint ne reste debout ou
n'est préservé de souillure.
• Voltaire avait fait le dix-huitième siècle à son image;
il l'animait de son rire foudroyant de moquerie; il lui
avait soufflé ses aversions et inspiré ses mœurs. Voltaire
s'était donné un ennemi personnel qu'à tout prix il ambi-
tionnait de terrasser. L'œuvre que Julien l'Apostat ne put
qu'ébaucher dans sa toute-puissance impériale, souriait h
cette imagination en travail d'un monde. Le Christ avait
trop longtemps, vaincu par l'Eglise; Voltaire se mit en
campagne pour effacer l'Evangile de la mémoire des
hommes. Il avait le règne de son orgueil à proposer au
genre humain et l'empire de la décadence universelle à
substituer au règne de la croix. Avec lui et de par lui la
corruption s'afficha comme une originalité, et le cynisme
s'accorda les allures d'un trait d'esprit. Tout son génie
consista à vivre le plus longtemps possible de la stupidité
humaine. Il possédait la malice de la couleuvre et le venin
de la vipère. Sa plume inculqua dans les masses une de
ces haines qui, semblables au poignard du sauvage, con-
servent éternellement leur poison. 11 ne voulut laisser de
Dieu à personne, alin d'être l'idole de tout le monde.
De tous les rangs de la société il évoqua des auxi-
liaires; il en recruta sur le trône comme dans les bas-fonds
de la litlcrature*. Les rois et leurs ministres portèrent au
* C'est iëpoque des mauvais livres. Le nombre en est à
peine plus grand de nos jours, il n'y en eut jamais de si ubo-
DE 1789 A 1800. 81
front, comme un précieux joyau de popularité, le stigmate
de ses louanges intéressées. Quand il se fut entouré de ces
auxiliaires du désordre signalés par l'apôtre saint Paul»
« de ces hommes amoureux d'eux-mêmes, avares, glo*
B rieux, superbes, médisants, désobéissants à leurs
ï pères et h leurs mères, ingrats, impieâ, dénaturés, enne*
* mis de la pâli, calomniateurs, intempérants, inhumains,
* plus amateurs de la volupté que de Dieu, et traînant
» après eux comme captives des femmes chargées de péchés
» et possédées de mille passions, » il se crut certain du
eucGès', »
Aveux do Voltaire.
La justice, qui va venir si terrible, se manifeste déjà.
Voltaire n'en verra par l'explosion, mais il a son châtiment
particulier. Il cherche le repos et ne le trouve point; il
mène une vie de banni, misérable et affreuse. Certes I Dieu,
qui est le grand personnage de toute histoire humaine gé-
nérale ou privée, est visible aussi dans cette existence qui
ne voulut être qu'un duel insolent contre lui. Dieu ne
laissa pas plus de repos à Voltaire que Voltaire n'en pré-
tendit laisser îi Dieu.
Dieu le poursuit et le fustige sans relâche. Dieu aussi
dit : Ecrasons l'infâme I et il l'écrase de coups railleurs et
injurieux. Et ego ridebo et subsannabof II lui donne la santé,
l'argent, la gloire et la honte; il le traîne dans les dépits,
dans les rages, dans les nasardes, dans les viles terreurs.
Il n'y a point de vie plus sottement malheureuse, plus dé-
vorée d'ignobles soucis, plus remplie de déconvenues en
minables Qu'on ramasse tous les feuilletons publiés dans
le cours des dernières années : ce charnier n'olFrira pas une
page comparable en impudence à TelTroyable quantité de li-
belles orduriers qui naissaient autour de Voltaire vivant
comme autant de fruits de son souffle. (Louis Veuullot.)
* Crèlineau-Joly.
OZ LA r.RANDE REVOLUTION
tous genres; nul homme n'a plus mordu aux fruits do
Gomorrhe et n'y a trouvé plus de cendre et d'infection.
Voltaire traverse le siècle en triomphateur, le laurier sur la
tête, et en criminel châtié, les verges sur le dos. La plu-
part du temps son rire n'est qu'une grimace de la colère
et de la douleur, dit M. L. Veuillot.
Malgré toutes ses fanfaronnades et toutes ses bouffon-
neries. Voltaire était dévoré de remords, et sentait la vé-
rité de ce mot du Saint-Esprit : Non est pax impiis. « Il n'y
a pas de paix pour les impies. »
Voici, entre mille, des aveux significatifs recueillis dans
ses écrits :
A il/"" Bessières. — 15 octobre 1726.
« Que puis-je vous dire sur la mort de ma sœur, sinon
qu'il eût mieux valu pour ma famille et pour moi que
j'eusse été enlevé ii sa place?
» J'ai bien fait des fautes dans le cours de ma vie; les
amertumes et les souffrances qui en ont marqué presque
tous les jours ont été souvent mon ouvrage. »
A Cideville. — 3 septembre 1732.
« J'ai passé toute ma vie à faire des folies; quand j'ai
été malheureux, je n'ai eu que ce que je méritais.
Au même. — 15 septembre 1733.
t Le malheur est réel; la réputation n'est qu'un songe. »
Au comte d'Argental. — 22 juillet 1752.
c Quelquefois je songe a tout ce que j'ai essuyé, et je
conclus que si j'avais un fils qui dût éprouver les mêmes
traverses, je lui tordrais le cou par tendresse paternelle. •
3 octobre 1753.
« Le songe de ma vie est un cauchemar perpétuel. »
DE 1789 A 1800. £3
24 novembre 1733.
€ Les malheurs qu'on représente au théâtre sont au-
dessous de tout ce que j'éprouve. »
21 décembre 1753.
» Votre tête vaut mieux que la mienne; la vôtre vous a
rendu heureux, la mienne m'a fait très-malheureux. »
24 février 1734.
t Deux personnes de ce pays se sont tuées ces jours
passés; elles avaient pourtant moins de détresse que
moi. »
15 octobre 1754.
t Vous me parlez des deux premiers tomes de V Essai sur
les sottises du globe; j'en ferais un gros des miennes. »
11 mars 1736.
t Ma destinée était d'être je ne sais quel homme public,
coiffé de trois ou quatre petits bonnets de laurier et d'une
trentaine de couronnes d'épine. »
Mort de Voltaire.
Au commencement de l'année 1778, Voltaire se détermina
à quitter sa retraite de Ferney pour l'encens et le fracas de
la capitale. Il en demanda la permission et l'obtint du
faible Louis XVI, ce que bien des personnes ont regardé
comme une des causes du malheur de ce prince. Il reçut
à Paris l'accueil le plus brillant; les académies lui décer-
nèrent des honneurs inconnus jusqu'à lui; il fut couronné
en plein théâtre; tout ce qui tenait à la secte philoso-
phique marqua le plus violent enthousiasme. C'était le
triomphe de l'irréligion personnifiée'. Le vieillard en fut
* Par sa dévorante activité, Voltaire prenait plaisir à mettre
le feu à toutes les poudres 11 amnistiait, il conseillait toutes
34 LA GRANDE RÉVOLUTION
bientôt la victime. La fatigue des visites et des répétitions
théâtrales échauffa son sang déjà très-altéré; il mourut
des suites d'une hémorrhagie et d'une rétention d'urine,
le 30 mai 1778.
D'après les récits les plus authentiques, Voltaire mourut
dans la fflge et le désespoir, répétant : « Je suis aban-
donné de Dieu et des nommes! » Ils criait èUit faux amis
qui assiégeaient son antichambre : « Retirez-vous! c'est
vous qui êtes la cause de l'état où je suis. Relirez- vous 1 Je
pouvais me passer de tous vous autres; c'est vous qui ne
pouviez vous passer de moi; et quelle malheureuse gloire
m avez-vous donc value I « Et au milieu de ses terreurs et de
ses agitations, on l'entendait simultanément ou tour-à-tour
invoquer et blasphémer le Dieu qu'il avait poursuivi de
ses complots et de sa haine. Tantôt d'une voix lamentable,
tantôt avec l'accent du remords, plus souvent dans un
accès de fureur, il s'écriait : « Jésus-Christ! Jésus-Christ ! »
(Voir Voltaire et ses ouvrages, par U. Maynard, t. II.)
« L'horrible drame continua. Le moribond se tordait
sur sa couche, se déchirait avec les ongles. — On avait
cru pendant quelque temps au'il né mourrait pas sans ré-
tracter ses erreurs et condamner ses écarts, comme il
avait fait plusieurs fois dans des moments où la crainte de
l'avenir le ramenait h la religion : mais obsédé par ceux
qui, dans son retour à Dieu auraient vu leur condamnation,
il mourut dans des transports que le célèbre Tronchin
les dépravatioùs} il couvrait tous le» attehtaU âe l'égide de soii
nom. Pour ne pas rester en arrière d'aucun excès, il patronnait
ouvcrlemcntle mensonge comme au dix-scplième sièeie d'autres
écrivains d'un plus forme talent et d'une coriscience plus élevée
proclamèrent la vérité. « Le mcnsonf*e étriVail-il h thiriot, est
un vice quand il fait du mal ; c'est une très-grande Yertu quand
il fait du bien. Soyez donc plus vertueux que jamais; il faut
mentir comme un diable, non pas timidement, non pas pour
un temps, mais hardiment et toujours. »
DE 1789 A 1800. 3S
regarda comme la leçon la plus salutaire qu'eussent pu rec&
voir ceux qu'il avait corrompus par ses écrits. — Pour voir
toutes les furies d'Oreste, dit le même à l'évêque de Viviers,
il n'y avait qu'à se trouver à la mort de Voltaire. — En vérité
cela est trop fort, dit le maréchal de Richelieu après avoir
été témoin de ce spectacle, on ne saurait y tenir. »
A l'approche du moment fatal, une nouvelle crise de
désespoir s'empara de son âme. « Je sens, criait-il, une
main qui me traîne au tribunal de Dieu. » Et tournant
vers la ruelle de son lit des regards effarés : « Le diable
est là; il veut me saisir... Je le vois... Je vois l'enfer..,,
cachez-les moi. » Enfin il se condamna lui-même réelle-
ment à ce festin auquel son ignorance et sa passion anti-
biblique avaient fait asseoir si souvent le prophète Ezé-
chiel; et, sans moquerie, cette fois, dans un accès de soif
ardente, il porta à sa bouche son vase de nuit et en vida
le contenu. Puis il poussa un dernier cri, et expira au
milieu de ses ordures et du sang qui lui sortait par les
nàriries *.
» Ainsi finit, vers onze heures du soir, ce long festin de
Balthazar, pendant lequel l'impie avait souillé tous les
vases du temple. Mais le sacrilège était mort de terreur en
voyant une main vengeresse écrire sur la muraille de la
chambre funèbre et lui jeter en défi la formule de ses blas-
phèmes : « Ecraâe donc l'infâme. »
îl mourut, comme il avait vécu, dans l'ordure de tous
les vices, sans en excepter l'hypocrisie *,
* fiarel, "Recueil des particularités curieuses de la vie et de la
mort de Voltaire, p. l26; Barruel, Mémoires sur le Jacobinisme,
t. l^^ p. 266; lettre de Duluc, du 23 octobre 1797; d'AIlonville,
Mémoires, t. l", p. 71. — D'AIlonville tenait son récit du comte
de Fusée, qui lui avait dit : « Demandez à Villevieille et à Vil-
lette : ils ne le nieront pas devant moi. »
2 Plus coupable et plus hypocrite que Judas, il fit quatre
communions pour détourner les suites Kclieuses que pouvait
36 LA GRANDE RÉVOLUTION
La mort de Voltaire a été le couronnement de sa vie. Il
avait donné h Dieu vingt ans, au bout desquels Dieu
devait avoir beau jeu, et précisément k cette époque assi-
gnée par lui. Voltaire luttait contre le trépas, dans les
angoisses et les fureurs d'un affreux désespoir. Il a dû,
sans réconciliation, traîner devant le tribunal du souverain
Juge une longue chaîne de crimes inexpiés. Dieu alors eut
beau jeu, il lui rendit selon ses œuvres. Ce malheureux
avait écrit à un prêtre de venir l'entendre en confession ;
Diderot, d'Alembert et Condorcet le gardèrent à vue pour
l'empêcher de faire le plongeon.
Voltaire avait écrit à d'Alembert : Je mourrai, si je puis,
en riant, » et à M™® du Deffand : « On dit quelquefois d'un
homme : Il est mort comme un chien; mais vraiment un
chien est très-heureux de mourir sans tout cet attirail dont
on persécute le dernier moment de notre vie. » Loin de
pouvoir mourir en riant, il n'a pas même obtenu la mort
qui était pour lui l'idéal d'une heureuse fin, la mort stu-
pidement tranquille d'un animal*. Son corps fut enlevé de
attirer sur lui son impiété, et il s'en moquait ensuite en des
termes insultants et blasphématoires que je n'oserais jamais
reproduire I C'est lui qui disait à un jeune homme redoutant
encore le sacrilège : Mon ami, va communier deux ou trois fois
sans aller à confesse, et tu n'auras plus peur. Il finit par vouloir
se persuader que Dieu n'existait pas, que lui-même n'avait pas
d'ime, que sa machine mangeante et digérante pouvait bien
aussi être pensante, ce sont ses expressions; mais il ne put
aller au-delà du doute , le nec plus ultra, la dernière limite
qu'il soit possible d'atteindre. Ses aspirations étaient pour le
néant. Les damnés demanderont aussi aux collines et aux mon-
tagnes de les écraser : vœux inutiles l
* Quatre-vingts années de la corruption la plus précoce, la
plus suivie, la plus abondante qui fut jamais; quatre-vingts
années de dérisions, de blasphèmes, de jalousies, de haines, de
rages, d'insolences sans exemple, de bassesses désespérées, de
pasauinades ignobles I
DE 17«9 A t800. 37
Paris secrètement et inhumé à l'abbaye de Scellières, dont
son neveu, l'abbé Mignot, était commendataire. Le pro-
grès dont il avait été le grand apôtre ne tarda pas à faire
reculer la France de dix-huit siècles, et l'église de Sainte-
Geneviève, métamorphosée en Pantltéon par une réappa-
rition du paganisme, reçut ses restes, rapportés à Paris
en 1791.
Le coryphée du siècle qui s'est dit phihsophiqae par
excellence ne professa jamais d'autre philosophie qu'une
ironique négation de toute religion et de toute morale.
Toute la philosophie consistait pour lui, suivant sa propre
expression, à écraser l'infâme^ c'est-à-dire la religion catho-
lique.
Aucun écrivain n'a aussi bien stigmatisé cet homme
abominable que Joseph de Maistre. Voici quelques traits
de ce portrait d'après nature :
c iS'avez-vous jamais remarqué que l'anathème di'sin fût
écrit sur son visage? Allez contempier sa figure au palais
de l'Ermitage. Voyez son front abject, que la pudeur ne
colora jamais, ces deux cratères éteints où semble bouil-
lonner encore la luxure et la haine, ce rictus épouvantable
courant d'une oreille à l'autre, et ces lèvres pincées par la
cruelle malice, comme un ressort prêt à se détendre pour
lancer le blasphème ou le sarcasme.
» Semblable à cet insecte, le fléau des jardins, qui n'a-
dresse ses morsures qu'à la racine des plantes les plus
précieuses, Voltaire, avec son aiguillon, ne cesse de piquer
les deux racines de la société, les femmes et les jeunes
gens; il les imbibe de son poison, qu'il transmet ainsi de
génération en génération.
» D'autres cyniques étonnèrent la vertu; Voltaire étonne
le vice. Il se plonge dans la fange, il s'y roule, il s'en
abreuve.
> Quand je vois ce qu'il pouvait faire et ce qu'il a fait,
38 LA craKdè révolution
sps inimitablps talents ne m'inspirent plus qu'une espèce
de rag2 sainte. Paris le couronne, Sodome l'eût banni. »
Condorcct.
Marie-Jcan-Antoine-Nicolas, marquis de Cotidôréet, na-
quit en 1733, à Ribemont, près de Saint-Quentin, en Pi-
cardie, d'une famille originaire du Dauphiné. Dès le com-
mencement de la Révolution, il se montra l'un de ses plus
ardents partisans; il poursuivit sans relâche les parle-
ments, le sacerdoce, la noblesse et la royauté. Dans le
trop fameux jugement d'horrible tnéttiolre, il vota pour
la peine la plus grave dans le Code pénal, et qui iie fût
pas la mort*.
Le châtiment suivit de pt*ês le crime. Décrété d'accusa-
tion le 3 octobre 1793, sur un rapport du comité de sûreté
générale, il fut bientôt après mis hors la loi. Pendant plu-
sieurs mois, il resta caché chez titie dame de sa connais-
sance jusqu'à ce qu'un décret ayant ordonné que « toute
personne qui donnerait asile à un proscrit serait punie de
mort, » il dut chercher une autre retraite. îl sortit de Paris
le 19 mars 1794, k huit heures du soir, sans passe-port,
»-ôtu d'une simple veste, et la tête couverte d'un bonnet. Il
Daraît que son projet avait été de se rendre d'abord chez
dn ancien ami dont la hiaisoh de campagne était aux
portes de Paris. Ne l'ayant pas trouvé, et craignant d'être
•econnu, il avait quitté la grande route de Pans à Sceaux
et cherché une retraite dans les carrières de la plaine do
* Lié avec Voltaire et avec d'Alembert, (Jui l'appelait un
vokùn couvert de 7ieige, il fut un des collaborateurs de l'En-
cyclopédie, et un des propapateurB, dans la Feuille viUnfjcoise,
des idées qui ont engendré les excès révolutionnaires. Député
de Paris à l'Assemblée législative, il siégea ensuite ù la Conven-
iion, où il s'unit aux ffirondins.
DE 1789 A -1800. 39
Cfontroiige, d'où il ne sortait que la nuit. Il était arrivé
ainsi jusqu'au bois de Meudon; mais les arbres étant dé-
pouillés de leur verdure dans cette saison, de plus grands
dangers se présentèrent à lui. Le besoin de prendre
quelque subsistance, et celui plus insurmontable peut-être
de trouver du tabac, le déterminèrent sans doute à des^
cendre k Clâmart-sous-Meudon, village situé sur la lisière
du bdis. Là, il entra dans un cabaret, où il CrUt pouvoir
se procurer l'un et l'autre. Après avoir acheté du tabac, il
demanda une omelette, qu'il mangea avec Une grande avi-
dité. Cette circonstance fut remarquée par des gens du
cabaret, qui, devenus curieux en voyant son air inquiet,
sa longue barbe et son misérable équipage, lui adressèrent
quelques questiôfis sur sa profession et le lieu d'où il
venait. Il se donna pour un domestique dont le maître
était mort récemment. Un maçon, membre du comité révo-
lutionnaire de Clamart, qui se trouvait pendant ce temps-
là dans le cabaret, lui dit : * Je crois plutôt que vous êtes
un de ceux qui en ont, des domestiques. Où sont vos pa-
piers? » Condorcet déclara ne point en avoir. Un gendarme
fut appelé, et Condorcet, placé entre lui et le maçon,
fut conduit au comité révolutionnaire, suivi de l'hôtesse
du cabaret, qui réclamait son paiement. Dès lors il ne
resta plus de doute aux misérables qui s'étaient saisis de
lui, sur l'importance de la capture qu'ils venaient de faire,
et le comité révolutionnaire de Clamart le fit conduire
aussitôt dans la prison de Bourg-la-Reine. Blessé au pied,
exténué de fatigue et de besoin, il ne pouvait se soutenir,
et tombait en défaillance sur la route. On chercha une
charrette, qu'on ne trouva point. Entin un vigneron offrit
son cheval. Ce fut ainsi qu'il arriva à Bourg-la-Reine, le
27 mars 1794, à quatre heures de l'après-midi. Les membres
du comité révolutionnaire ne se trouvant point en nombre
suffisant pour procéder à son interrogatoire, on remit ce
40 LA GRAXDE RÉVOLUTION
soin au lendemain, et jusque-là on le déposa dans un
cachot humide et sans jour. Lorsqu'on vint l'y chercher le
lendemain malin, on ne trouva que son cadavre, qui con-
servait encore un reste de chaleur. Il avait fait usage du
poison qu'il portait depuis longtemps sur lui pour se dé-
rober au supplice.
Ainsi périt à cinquante ans, trahi par ses complices,
l'ennemi le plus acharné du trône et de l'autel. Fougueux
partisan de toutes les funestes innovations dont une philo-
sophie mensongère promettait de si brillants résultats, il
fut ou il feignit d'être l'apôtre de la liberté, et il mourut
dans les fers, dévoré par le poison.
Supplice de Brissot.
Jean-Pierre Brissot, chef de la secte révolutionnaire dite
des brissotins, naquit à Warville, près de Chartres, le
14 janvier 1754.
Etant revenu en France au commencement de la Révo-
lution, après avoir voyagé en Amérique, il y débuta en
1789 par quelques pamphlets, et par un journal qui avait
pour titre le Patriote français.
Robespierre, accusateur public, et avec qui Brissot avait
été lié, devint tout-à-coup son plus terrible adversaire. Il
le dénonça au club jacobin comme traître à la patrie et
comme ennemi du peuple, qu'il avait conduit à sa perte
en l'entraînant à une guerre aui devait épuiser ses res-
sources et attirer l'Europe entière sur le sol de la France.
Tous les ennemis de Brissot se réunirent à Robespierre ;
Camille Desmoulins, dans ses pamphlets injurieux, renou-
vela toutes les accusations de Morande contre lui, et
ameuta la populace.
Lorsque Robespierre fut enfin devenu tout-puissant, il
livra Brissot à la haine de tous ses partisans.
m 1789 A 1800. 41
A la suite de la révolution du 3 mai 1793, frappé de
proscription ainsi que les girondins ses amis, il essaya de
s'enfuir en Suisse ; mais, arrêté à Moulins, il fut reconduit
à Paris, et décapité le 21 octobre 1793, à l'âge de trente-
aeuf ans.
Fin misérable de Jean Carra»
ENNEilI DE DIKU ET DES ROIS.
Jean-Louis Carra naquit à Pont-de-Veyle en 1743. Ses
parents, quoique pauvres, lui firent faire quelques études ;
mais elles ne réformèrent pas son caractère. vicieux, et
dès sa jeunesse Carra annonçait ce qu'il devait être un
jour.
Il fut un des principaux moteurs de l'attaque des Tui-
leries, le 10 août, et eut l'impudence de s'en vanter dans
son journal; il accusa ensuite le général Montésquiou, qui
commandait en Savoie. Carra fut envoyé k Chàlons, d'où
il annonça la retraite des Prussiens, si funeste à la cause
de Louis XYL
Nommé député à la Convention par deux départements,
il accepta la nomination de Saône-et-Loire. Rejetant l'ap-
pel au peuple, il vota la mort de Louis XVI sans sursis.
Carra, brouillé avec Robespierre, se réfugia dans le parti
desbrissotins, et fut nommé, sous le ministère de Rolland,
garde de la Bibliothèque nationale ; mais suspect à tous
les partis, il fut bientôt accablé de dénonciations, et la
faveur populaire, qu'il avait perdue, ne le sauva pas cette
fois des suites fâcheuses qu'elles eurent pour lui. Le
12 juin 1793, Robespierre, Marat et Couthon le firent rap-
peler de Blois, où il était en mission. Bientôt les bris-
sotins et le parti de la Gironde ayant été renversés, Carra
fut proscrit et condamné à mort avec vingt et un de ses
collègues, le 30 octobre.
M LA GRANDE RÉYOLOtiOU
li'apostat Chabot meurt comme 11 a vécu.
François Chabot, connu pour la part qu'il a prise à
la RcYolution française, naquit à Saint-Geniez, dans le
Rouergue.
Cliabotj député h l'Assemblée nationale, justifia l'idée
que ses commettants avaient eue de lui : il parlait avec
facilité et surtout avec une audace imperturbable. Il dé-
nonça tout ce qui n'était pas de son parti, et parvint à
faire décréter d'accusation le duc de Brissac. Entièrement
dévoué i\ la cause qu'il défendait, il se fit blesser par six
hommes qu'il avait apostés lui-même, et qu'il désigna en-
suite comme des sicaires de la cour; on prétend même
qu'il porta son dévouement encore plus loin, et qu'il en-
gagea deux de ses collègues à le tuer et à porter son corps
sanglant au faubourg Saint-Antoine pour animer contre la
'^our la fureur populaire. Ceux-ci n ayant pas voulu, il se
rendit lui-même dans ce faubourg, et y prêcha avec vio-
lence l'insurrection dans les églises ou se tenaient les
assemblées populaires.
Après le culte impie et ridicule inventé par Chaumotte,
il fit rendre le décret qui métamorphosait la cathédrale de
Paris en Temple de la Raison^ et fut itn des principaux
acteurs de cette parade. Mais devenu bientôt après suspect
à Robespierre, qui redoutait son crédit, il fut arrêté e*
mis au secret dans la prison du Luxembourg. Après avoir
inutilement tenté de fléchir Robespierre, il avala du poison,
que lui avait procuré sa femme; mais, tourmenté par des
douleurs aiguës, il poussa des cris affreux qui firent ac-
courir tous les prisonniers : il était dans des convulsions
liorribles, et il demanda des secours îi ceux4ii mêmes qui
gémissaient dans les fers par ses dénonciations. L'un
d'eux, le docteur Saiffert, lui donna du contre-poison, et
DE 1789 A 1800. 4â
Chabot conserva assez de vie pour aller périr sur l'écha*
faud, le5avriH794.
fiSapatk
Jean-Paul Marat, né en 4744, de Dafènts calvinistes, à
Boudry, pays de Neufchàtel, étudia la médecine dès sa
jeunesse, acquit diverses connaissances en physique et en
chimie, et, à l'aide de quelques protecteurs, ootlnt la place
de médecin des écuries du comte d'Artois. Né avec une
imagination follement enthousiaste, un caractère haineux,
un cœur envieux et féroce, et surtout une ambition sans
proportion avee ses talents, il ne manqua pas d'embrasser
avec ardeur le parti de la Révolution.
Devenu membre de la Commune usurpatrice, dite 'du
10 août, il fut nommé président de ce terrible comité de
surveillance de la Commune, qui s'empara de tous les pou-
voirs et organisa les massacres ac septembre. C'est Marat
qui conçut cet exécrable projet, et qui proposa le premier
à Danton de déblayer les prisons d'une manière prompte,
eu les incendiant.
Le 10 décembre» peu satisfait du rapport présenté par
Lindet contre Louis XVI, il monta à la tribune, vomit
contre ce prince les injures les plus dégoûtantes, s'opposa
le lendemain h ce qu'il lui fût accordé des conseils, et
vota ensuite, lors de son jugement, là mort dans les vingt-
quatre heu)-es.
Le 6 avril, Marat demanda que cent mille parents d'émi-
grés fussent gardés en otage pour la sûreté des commis-
saires de la Convention livres par Duraouriez, et que
Sillery el le duc d'Orléans se constituassent prisonniers
pour se justifier du soupçon d'intelligence avec ce général.
Le 10 mai, il demanda à l'Assemblée qu'elle décrétât la
liberté absolue des opinions, « afin, ajouta-t-il, que je
44 LA GRANDE REVOLUTION
puisse envoyer h l'échafaud la faction des hommes d'Elat
qui m'a décrété d'accusation. »
Enfin, après tant de forfaits, et à l'instant où il en médi-
tait de nouveaux, Charlotte Corday délivra la république
de ce monstre.
Cette femme, née avec un cœur sensible et une imagina-
tion ardente, voyant le peu d'empressement que mettaient
ses compatriotes à tirer vengeance des oppresseurs de leur
pays, se détermina à frapper elle-même un grand coup qui
portât le trouble et l'effroi dans les rangs de la faction
triomphante. L'esprit rempli de son projet audacieux, elle
se rend à Paris et parvient h se faire introduire chez Marat,
qui, dévoré par une maladie honteuse, était alors occupé
à prendre un bain. Ce monstre, lui ayant demandé les
noms des députés qui se trouvaient dans le Calvados, les
écrivit sur ses tablettes, et lui dit qu'il les ferait tous
guillotiner sous peu de jours. Charlotte, ne pouvant, à ces
paroles, contenir son indignation, tire un couteau qu'elle
tenait caché sous sa robe et le plonge tout entier dans le
sein de Marat, qui meurt aussitôt après avoir appelé à son
secours.
Ce monstre avait mérité depuis longtemps d'expier ses
crimes par le dernier des supplices; mais l'action de Char-
lotte Corday n'en est pas plus excusable, et passera tou-
joui's, aux yeux des hommes sensés, pour un trait de ces
fanatiques qui se croient tout permis pour arriver à leurs
fins.
Les restes de Marat, d'abord déposés au Panthéon,
furent ensuite jetés dans l'égoût de Montmartre.
Pétlon termine par l« suicide sa misérable carrière.
Jérôme Pétion, dit de Villeneuve, avocat et fameux révo-
lutionnaire, naquit à Chartres, vers 17133, d'un procureur
DE 1789 A rjOO. 4S
au présidial de cette ville. Nommé aux Etats généraux
en 1789, il commença sa carrière politique en se pronon-
çant hautement pour les mesures les plus violentes et les
innovations dangereuses. Pétion fut un des membres les
plus ardents à persécuter les prêtres, et dans toutes les
circonstances, il se déclara hautement ennemi des objets
religieux.
Nommé maire de Paris, il fut le protecteur et l'agent de
tous les complots qui achevèrent le renversement de la
monarchie. C'est de l'époque qu'il obtint cette place que
datent les plus grands crimes de la Révolution. Dès lors
toutes les violences, tous les complots contre le pouvoir
royal et contre la personne du monarque furent tolérés et
encouragés; une foule de malfaiteurs refluèrent dans la
capitale et furent introduits dans les rangs de la garde na-
tionale, où on les arma avec des piques au lieu de fusils.
Le département d'Eure-et-Loir le nomma à la Conven-
tion et il fut le premier président d'une assemblée qu'il
avait plus que tout autre contribué à convoquer. Il s'y fit
remarquer par son acharnement contre Louis XVI, et
pressa par ses vociférations le jugement de cet infortuné
monarque: il vota sa mort, l'appel au peuple et le sursis.
Quand l'horrible sacrifice eut été consommé, Pétion, qui y
avait eu part plus que ses collègues, essaya d'en arrêter les
inévitables conséquences;, il vota avec les girondins, et
combattit les projets atroces du parti montagnard. Une
lutte terrible s'engagea entre Robespierre et lui. L'amitié
ou le crime qui les avaient tenus unis en fit deux ennemis
irréconciliables, et ils se jurèrent guerre à mort devant
la Convention.
La Commune ayant triomphé, les girondins furent pro-
scrits, et Pétion, proscrit avec eux, se réfugia dans le Cal-
vados; il passa bientôt dans la Gironde, où il ne put
trouver un asile contre ses ennemis. On dit que, dans son
46 LA GRANDE RÉVOLUTION
désespoir, il se donna la mort, et qu'il termina par le
suicide sa misérable carrière. C'est ce que l'on conjec-
ture de l'état dans lequel il fut trouvé h Sainl-Emilion, près
de Libourne, dans un champ de blé, à moitié dévoré par
les loups.
Le sançninalrc Carrier condamné à ittoi^
par ses propres complices.
Jean-BaDtisle Carrier, un des monstres les plus sangui-
naires qu'ait enfantés la Révolution, naquit en 17o6, à
Yolet, petit village près d'Aurillac, dans la haute Auvergne.
Quoiqu'il ne fût qu'un obscur procureur, à force d'in-
trigues, il parvint à se faire nommer député à la Conven-
tion en 1792. Il fut un de ceux qui demandèrent, le
10 mars 1793, l'érection du tribunal révolutionnaire; il
saisit avec ardeur toutes les occasions qui lui furent
offertes de persécuter et de proscrire.
Ayant entendu dire que la France était trop peuplée
pour y établir une république, il fut d'avis de la dépeupler,
et on entendit un jour ce monstre dire hautement, dans un
café de Paris, que la république ne pouvait être heureuse
si l'on ne supprimait au moins le tiers de ses habitants.
Carrier fut envoyé à Nantes, où. il arriva le 8 octobre
1793, et, par ses cruautés inouïes, il se montra le fidèle
exécuteur des instructions qu'il avait reçues do la Con-
vention, de prendre les mesures de destruction et de ven-
geance les plus rapides et les plus générales. A son arrivée,
Nantes était déjà livrée à la merci d'une foule d'homme»
féroces ; Carrier se les associa, et ils rivalisèrent entre eux
de cruauté.
Carrier trouva trop longs les délais qu'exigeaient les
jugements informes et précipités qui envoyaient tous les
jours à la mort une foule de malheureux captifs. « Nous
DE 1789 A Ib'OO. 47
ferons, dit-il aux bourreaux qui le secondaient, un cime-
tière de la France, plutôt que de ne pas la régénérer. »
Il proposa donc de faire périr les détenus en masst et sans
être jugés; cette horrible proposition fut adoptée après
quelques débats, et Carrier se hâta de l'exécuter. Il ima-
gina alors le moyen aussi prompt que terrible des trop
fameuses noyades. Il fit d'abord embarquer, le 15 no-
vembre 1793, quatre-vingt-quatorze prêtres dans una
barque, sous prétexte de les transporter ailleurs, et le
bateau, qui était à soupape, fut coulé h fond pendant la
nuit; il fit périr, quelques jours après, de la même ma-
nière, cinquante-huit autres prêtres. Ces horribles exécu-
tions, faites par d'infâmes satellites qu'il avait organisés
60US le nom de compagnie de Marat, turent suivies de plu-
sieurs autres. Ce monstre, bassement féroce, ajoutait en-
core la plaisanterie à cette horrible cruauté, et appelait
ces atroces expéditions baignades et déportations verticales.
Lorsqu'il rendit compte à la Convention de sa mission à
Nantes, il parla de la mort de ces prêtres comme d'un
naufrage heureux et fortuit, et son récit était terminé par
ces mots : t Quel torrent révolutionnaire que cette Loire t »
et la Convention fit une mention honorable de cette lettre
atroce. Dès lors Carrier, voyant sa conduite approuvée, ne
mit plus de frein à son ardeur sanguinaire. Il fit exter-
miner saps aucun jugement les prisonniers par deux
hommes qu'il avait revêtus d'un grade militaire, Fouquet
et Lamberty. Les victimes dévouées à la mort étaient en-
tassées dans un vaste édifice nommé l'Entrepôt; c'est là
qu'on venait tous les soirs les prendre pour les mettre
dans des bateaux à soupape. On ajoute même que, par
une dérision horrible, on attachait ensemble un jeune
homme et une jeune fille pour les noyer, donnant à cette
aflVeuse exécution le nom de mariage républicain.
Pendant plus d'un mois, ces massacres se renouvelèrent
48 LA GRANDE RÉVOLUTION
toutes les nuits; on prenait indistinctement tout ce qui se
trouvait II l'Entrepôt, tellement qu'un jour on noya des pri-
sonniers de guerre étrangers.
On estime qu'il périt dans l'Entrepôt quinze mille per-
sonnes, soit par ce supplice, soit par la faim, le froid ou
l'épidémie. Les malheureux prisonniers étaient entassés;
on ne donnait aucun soin aux malades, et l'on négligeait
même d'enlever les cadavres; entin la corruption y était
telle que, personne ne voulant se charger de nettoyer ce
lieu infect, on fut obligé de promettre la vie à plusieurs
prisonniers pour qu'ils se chargeassent de cet emploi.
Carrier n'épargna pas ceux qui survécurent.
Les rives de la Loire étaient couvertes de cadavres;
l'eau en était tellement corrompue qu'on fit défense d'en
boire. La contagion et la famine désolaient cette malheu-
reuse ville. Chaque jour une commission militaire con-
damnait à mort de nombreux prisonniers; chaque jour on
fusillait dans les carrières de Gigan jusqu'à cinq cents vic-
times. Tel était l'horrible aspect que présentait la ville de
Nantes sous la domination du farouche Carrier; tel était le
gouvernement doux et paternel que ces féroces novateurs
voulaient substituer au despotisme des tyrans.
Cependant Robespierre, quelques mois avant son sup-
plice, ayant résolu de mettre un terme au régime de la
Terreur et d'en faire tomber l'odieux sur ceux qui avaient
partagé avec lui le gouvernement, fit rappeler Carrier et
désapprouva hautement sa conduite.
Le 9 thermidor arriva : Robespierre et son parti furent
renversés; alors un cri général s'éleva contre tous ces
hommes qui avaient versé des flots de sang, et chacun,
parmi les révolutionnaires, s'empressa d'en rejeter le
crime sur d'autres. Carrier, qui les avait tous surpassés, ne
pouvait manquer d'attirer tous les regards; les troubles de
la Vendée, qui duraient encore, rappelaient sans cesse les
DE 1789 A 1800. 49
affreuses craaalés de ce monstre, et quatre-vingt-quatorze
Nantais, qu'il avait envoyés à Paris au mois de novembre
1793, comparurent au tribunal, non comme victimes, mais
comme ses accusateurs. Alors il devint l'objet de l'exécra-
tion générale, et la voix publique demanda son supplice.
Condamné par ceux-là mimes qui lui avaient ordonné
les crimes qu'il avait commis, il fut envoyé à l'échafaud
par ceux qui auraient dû le partager avec lui, et exécuté
le 16 septembre 1794.
Chauniette, le bourreau des prêtres.
Pierre-Gaspard Chaumette, que son impiété a fait placer
parmi les révolutionnaires les plus odieux, naquit à Nevers
le 24 mai 1763.
Dans la funeste journée du 10 août, il prit une part si
active aux massacres qui eurent lieu, qu'on le nomma pro-
cureur de la Commune à la place de Manuel.
Après avoir massacré les ministres de Dieu, l'impie
Chaumette déclara la guerre à Dieu lui-même, et voulut
faire de l'athéisme une institution politique. Pour arriver à
son but insensé, il imagina ces fêtes, aussi sacrilèges que
bizarres, connues sous le nom de fêtes de la Raison; il fit dé-
truire les autels, les tableaux et tout ce qui pouvait offrir
quelque vestige d'une religion.
Les principaux chefs des révolutionnaires s'apeï-çurent
enfin qu'il était temps de mettre un terme aux excès de
Chaumette. Robespierre résolut de le perdre. Hébert, le
Prussien Clootz et plusieurs autres représentants des
alhées à la Convention furent arrêtés. Chaumette, privé de
ses auxiliaires, le fut huit jours après : on l'enferma dans
les prisons du Luxembourg, où se trouvaient un grand
nombre de victimes qu'il y avait fait mettre.
Ce scélérat audacieux, qui n'avait rien respecté, parut
• 3
î)0 LA GRANDE RÉVOLUTION
lâche et plein d'effroi dès qu'il se vit enfermé dans la pri-
son. Après de courts débats, il fut condamné h mort et
exécuté le 13 avril 1794. Monté sur l'échafaud, il reprit
assez de courage pour prédire à ceux qui l'avaient con-
damné qu'ils ne tarderaient pas à subir le même sort.
Georges Schneider.
Jean-Georges Schneider, né au diocèse de Wurlzbourg,
entra dans la société des illuminés de Weishaupt. Arrivé
Il Strasbourg, il devint accusateur public près le tribunal
criminel. C'est dans ce dernier emploi qu'il se rendit la
terreur du pays, qu'il ne cessa de parcourir accompagné
du bourreau et de la guillotine. Il entre un jour dans une
commune, et fait ordonner k la municipalité de lui livrer
cinq tètes à son choix. On eut beau lui représenter qu'on
ne connaissait pas de coupables, il fallut lui abandonner
cinq victimes, qui, dans l'instant môme, furent livrées à la
mort. Une autre fois, étant arrivé au village d'Etting, il se
rendit chez le juge de paix du canton, appelé Kuhn, et le
trouva à table. Le maître de la maison l'invite à dîner, et
les convives s'empressent de lui céder la place d'honneur,
tandis que toute la maison était occupée à le servir. Au
milieu de la bonne chère et des bouteilles, il parait s'égayer
et se livre bientôt à une joie bruyante. Tout-à-coup, se tour-
nant vers le juge de paix, il lui demande avec sang-froid
s'il avait beaucoup de vin pareil dans sa cave. Kuhn iui
répond qu'il lui en reste quelques bouteilles et que toutes
sont à son service. « Eh bien, ajouta-t-il, hâte-toi d'en
faire servir une, car dans trois quarts d'heure, tu n'en
boiras plus. » Et un instant après il fit entrer la guillo-
tine dans la cour de son hôte, et lui fit couper la lêle
comme à un protecteur des prêtres rcfractaires ; cai' c'était
principalement aux prêtres fidèles qu'en voulait cet apos*
CE 1783 A 1800. 51
tat. Pour combler la mesure, il avait pris une femme. Le
13 décembre 1793, il rentra dans Strasbourg avec sa guil-
lotine, sa nouvelle épouse, ses juges et son bourreau, tous
assis dans une voiture à six chevaux*. Les exécutions indi-
viduelles lui paraissant trop longues, il voulut, comme ses
modèles de Paris et d'ailleurs, faire des opérations en masse,
et déjà il avait accumulé dans les prisons de Strasbourg
un grand nombre de victimes. Mais sa dernière entrée
dans la ville avait fait quelque sensation; deux commis
saires de la Convention nationale, qui se trouvaient à
Strasbourg, feignirent d'être effrayés de cette marche
triomphale. Ils en firent une conspiration qui tendait à
livrer l'Alsace aux Autrichiens. Schneider fut arrêté le
lo décembre, attaché à un poteau pendant quatre heures
sur un échafaud que lui-même avait fait élever. Transféré
à Paris, il fut condamné à mort le 1" avril 1794, comme
prêtre autrichien de Wurtzbourgj et comme émissaire de
l'ennemi et chef d'un complot contre la Piépublique.
(PtOET.BACHEa.)
Collot d'Herfcois.
Collot d'Herbois, membre de la Convention et du Comité
de salut public, était, avant la Révolution, comédien am-
bulant, et avait exercé son art dans plusieurs villes, no-
tamment à Lyon, où plus tard il se vengea cruellement do
l'offense d'y avoir été sifflé. Il seconda Robespierre dans
tous ses projets, fut un des plus ardents persécuteurs des
1 Schneider, chargé d'accomplir les ordres des proconsuls,
élève de toutes parts des échafauds, et dicte ses arrêts sanglants
avec la plus exécrable ironie.
Un vieux militaire est amené devant ce monstre ; il marche
avec une jambe de bois, Cet homme, s'écrio-l-il, ne iKut plus
sacir la république; cjaduisez-k à la mort.
52 LA GRANDE RÉVOLUTION
girondins, et, devenu mr-mbro du Comité de salut public,
contribua peut-être plus que personne aux excès qui signa-
lèrent le règne de la Terreur.
La manière dont il remplit les fonctions qui lui avaient
été confiées dans les départements du Loiret et de l'Oise le
fit juger digne d'être choisi, avec Fouché, pour être l'exécu-
teur des vengeances que la Convention nationale se propo-
sait de faire peser sur la malheureuse ville de Lyon. Il y
fit périr plus de seize cents personnes par les mains du
bourreau, la fusillade et le canon. Un décret du 21 vendé-
miaire ordonna que Lyon serait démoli, et qu'on donnerait
à ces ruines le nom de Ville ou Commune a/franchie, et
Collot écrivait à la Convention que le voyageur verrait avec
satisfaction, sur les débris de cette ville superbe et rebelle, des
chaumières éparses que les amis de l'égalité s'empresseraient de
venir habiter, etc. Il insulta par une proclamation à la dé-
solation générale, qu'il appelait une faiblesse antirépubli-
caine, et y déclara qu'on traiterait comme suspects tous
ceux qui auraient laissé apercevoir sur leur physionomie
ou dans leurs propos quelque signe de tristesse ou de
compassion.
Après avoir contribué à la chute de Robespierre, Collot
d'IIerbois fut lui-même dénoncé par Lecointre de Ver-
sailles, puis par Merlin de Douai ses collègues : les jour-
naux, les pamphlets le couvrirent d'opprobres, et l'As-
semblée, cédant k l'indignation publique, le condamna à
la déportation. Les complices mêmes de ses crimes le
regardèrent comme un homme si dangereux, qu'ils crurent
devoir l'exclure de la société, en le reléguant dans les dé-
serts de la Guyane. Il se regardait comme le plus malheu-
reux de tous les mortels. Je suis puni, s'écriait-il, cet abandon
est un enfer. Il attendait son épouse ou son retour. Son im-
patience lui occasionna une fièvre inflammatoire. Le chirur-
gien qu'on appela à son secours ordonna des calmants, et
DE 4789 A 1S00. 63
cVhenre en heure une potion mêlée de trois quarts d'eau.
Lé nègre qui le gardait pendant la nuit s'éloigna ou s'en-
dormit. Collot dans le délire, dévoré de soif et de mal, se
leva brusquement, et but d'un seul trait une bouteille de
vin liquoreux. Son corps devint un brasier. Le chirurgien
donna ordre de le poiier à Cayenne, éloigné de six lieues.
Les nègres chargés de cette commission le jetèrent aa
milieu de la route, la face tournée vers un soleil brûlant.
Le poste qui était sur l'habitation fut obligé d'y mettre
ordre. Les nègres disaient en leur langage : Nous ne vou-
lons pas porter ce bourreau de la religion et des hommes. —
Qu'avez-vous ? lui dit en arrivant le chirurgien Guysouf. —
J'ai une fièvre et une sueur brûlantes. — Je le crois bien,
vous suez le crime. Collot se retourna et fondit en larmes;
il appelait Dieu et la Vierge à son secours. Un soldat à
qui il avait prêché en arrivant le système des athées, s'ap-
proche et lui demande pourquoi il invoque ce Dieu et cette
Vierge dont il se moquait quelques mois auparavant. Mon
ami, lui répondit-il, ma bouche en imposait alors à mon cœur;
puis il s'écria : Mon Dieu ! mon Dieu, puis-je encore espérer
mon pardon? Envoyez-moi un consolateur; envoyez-moi quel-
qu'un qui détourne mes yeux du brasier qui me consume; mon
Dieu! donnez-moi la paix. L'approche de ce dernier mo-
ment était si affreux qu'on fut obligé de le mettre à l'écart.
Pendant qu'on cherchait un prêtre, il expira, le 7 juin
1796, les yeux entr'ouverts, les membres retournés, en
vomissant des flots de sang et d'écume. Son enterrement
se fit un jour de fête. Les nègres fossoyeurs, pressés d'aller
danser, l'inhumèrent à moitié. Son corps devint la pâture
des cochons et des corbeaux.
Ce terrible tableau , tracé par un témoin oculaire
(Pitou), est bien propre à convaincre ceux qui croient
parvenir à la gloire et au bonheur par le crime, qu'il ne
peut conduire qu'à la honte, au remords et au désespoir.
îîi LA GRANDE RÉVOLUTION
I5(5îiert (Jacques-Jlené).
Né h Alençon en 1755, il fut laquais h Paris après avoir
été contrôleur de billets b. la porte d'un théâtre. Chassé
pour infidélité de la maison où il servait, il devint, en
1789, rédacteur d'un journal démagogique du cynisme le
plus grossier, le Père Duchêne. Lors du procès de l'infortunée
Marie-Antoinette, il inventa contre cette auguste princesse
les plus abominables calomnies. Plus révolutionnaire que
les montagnards et les jacobins, il voulait substituer la
dictature de la Commune h celle de la Convention, lorsque
Robespierre le fit arrêter par le comité de salut public,
qui l'envoya à l'échafaud en 1794.
Hébert se montra aussi faible devant ses juges qu'il
avait été audacieux comme écrivain et comme magistrat,
et perdit même connaissance, dit-on, plusieurs fois durant
son procès ; il arriva mourant au lieu du supplice, et le
peuple, qui, la veille, lisait son journal avec avidité, l'ac-
cabla de huées et d'insultes sur son passage. « Va, coquin,
lui criait-on, va jouer h la main chaude, va mettre ta !ôte
à la fenêtre, va éternuer dans le sac; il est en colère,
aujourd'hui, le Père Duchêne ! » Cet homme féroce périt à
l'âge de quarante-cinq ans. Une religieuse qu'il avait
épousée subit le même supplice quelques jours après.
Saint-Just.
Saint-Just, membre de la Convention, né en 1769, à
Blérancourt, près Noyon, d'une famille noble, venait
à peine de terminer ses études lorsque la Révolution fran-
çaise éclata. Il en adopta les principes avec enthousiasme.
Il fut nommé, ayant à peine vingt-quatre ans, député îi la
Convention nationale. Robespierre, qui connut de quelle
utilité pouvait lui être un tel homme, se l'associa, le fit son
principal confident, et leur intimité dura jusqu'à l'écha-
DE 1789 A 4800. S5
faud. Aussitôt qu'on eut entamé le procès de l'infortuné
Louis XVI, Saint- Just prononça, le 13 novembre 1792, un
discours violent contre ce malheureux prince, demanda la
prompte et sanglante punition de ce qu'il appelait ses
crimes. Il prétendit que le roi devait être jugé non comme
citoyen, mais comme ennemi, comme rebelle, et que tout
Français avait sur lui le même droit qne Bratus avait sur
César. Pendant toutes les discussions de ce funeste procès,
il montra le même acharnement à l'égard de l'auguste pri-
sonnier, dont il vota la mort sans appel et sans sursis. Il
dit, dans un autre discours devant la Convention : « Ce qui
constitue une république, c'est la destruction de tout ce
qui lui est opposé. » Il contribua à la chute des girondins
et à l'établissement du régime de la Terreur, et fit des
rapports à la suite desquels Danton, Hérault de Séchelles
et Camille Desmoulins furent conduits à l'échafaud. Il de-
meura le défenseur de Robespierre le 9 thermidor. Décrété
d'accusation, il put néanmoins s'échapper et se rendre à
l'Hôtal-de-Ville, où, s' étant constitué le chef du comité
d'exécution, il se préparait h envoyer à la mort les auteurs
de la révolution qui avaient abattu son protecteur; mais
il fut arrêté en même temps que Robespierre. Il n'opposa
aucune résistance, ne perdit jamais son sang-froid, et pria
seulement ceux qui se saisirent de sa personne de ne lui
pas faire de mal, n'ayant pas l'intention de s'évader. Le
10 thermidor (28 juillet 1794), il fut mis sur la fatale char-
rette, où il devint l'objet des malédictions d'une populace
immense. Il avait alors vingt-six ans.
Danton (Georges-Jacques).
G.- Jacques Danton, né à Arcis-sur-Aube en 1759, était
avocat aux conseils du roi à l'époque de la Révolution.
Orateur de la multitude, au front haut et à la voix forte,
a dit Mignet, « c'était un révolutionnaire gigantesque. » Il
56 LA GRANDE RÉVOLUTION
s'unit à Marat et h Camille Desmoulins pour fonderie club
des Cordeliers, et se fit nommer substitut du procureur de
la Commune de Paris. Il demanda le premier la déchéance
du roi, conduisit les Marseillais à l'attaque des Tuileries.
Elu député à la Convention, il fut remplacé par Garât au
ministère de la justice. Il vota la mort du roi. Il avait
répondu à un de ses amis, qui lui faisait observer que la
Convention n'avait pas le droit déjuger Louis XVI : « Aussi
nous ne le jugerons pas, nous le tuerons. » Ce fut lui qui
fit décréter l'établissement du tribunal révolutionnaire. Il
fit partie du Comité de salut public dès sa formation. Après
la chute des girondins, on lui reprocha de s'être montre
sensible à leur sort, et il fut accusé de modér autisme.
Devenu peu après suspect à Robepierre, qui craignait la
popularité qu'il s'était acquise, celui-ci prit si bien ses me.
sures, qu'il le fit arrêter dans son lit, la nuit du 31 mars
1794, sans qu'il fît la moindre résistance. Lacroix, son
ami, subit le même sort, et ils furent jetés l'un et l'autre
dans les prisons du Luxembourg. Danton et Lacroix
furent mis au secret, mais dans deux chambres assez voi-
sines pour qu'ils se pussent parler. Lacroix reprocha îi
Danton son insouciance; il n'avait, en effet, montré que do
la faiblesse et de la lâcheté contre Robespierre. Quatre
jours après, ils furent traduits devant le tribunal révolu-
tionnaire, oii ils daignèrent à peine répondre aux inter-
rogations du président, s'arausant pendant les débals à
rouler entre leurs doigts de petites boules de pain qu'ils
lançaient au nez des juges, Danton leur dit : « Mon indi-
vidu sera bientôt dans le néant, mais mon nom est déjà
dans la postérité. »
Le tribunal, effrayé d'rne telle audace, consulta les
comités du gouvernement, qui ordonnèrent de les condam-
ner sans débats. Cette décision mit Danton dans la plus
grande fureur; il se répandit en imprécations contre ses
DE 1789 A 1800. rri
prescripteurs. Emmené avec son ami dans la chambre
aes condamnés, il s'écria en y entrant : « C'est moi qui
ai fait instituer ce tribunal infâme, j'en demande pardon
à Dieu et aux hommes. Je laisse tout dans un gâchis
épouvantable; il n'y en a pas un qui s'entende au gou-
vernement. Au surplus, ce sont tous des frères de Gain;
Brissot m'aurait fait guillotiner comme Robespierre. »
La vue de l'échafaud n'ébranla pas son audace: il y
monta avec assurance; son regard était fier, et il semblait
commander encore à cette populace qu'il avait maîtrisée
si longtemps. Cependant, avant de mourir, il parut s'atten-
drir un moment au souvenir de sa femme. « 0 ma bien-
aimée, ô ma femme, s'écria-t-il, je ne te verrai donc
plus! B S'interrompant ensuite brusquement : « Allons,
Danton, point de faiblesse! » Avançant ensuite avec
promptitude sous le couteau fatal, il dit au bourreau :
« Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut bien la
peine. » Il fut exécuté le 5 avril 1794.
Fabre d'Eglantîaie.
Philippe-François-Nazaire Fabre d'Eglantine était, à
l'époque de la Révolution, connu par quelques succès lit-
téraires.
Il vota la mort de Louis XVI sans sursis, fut un des
membres du Comité de salut public, et regardé comme
un des hommes les plus féroces de cet affreux tribunal.
Fabre, qui avait embrassé le parti de la Révolution
par un motif de cupidité, voyait son espoir réalisé et se
trouvait possesseur d'une grande fortune souillée du sang
des victimes qu'il avait fait immoler. Ses collègues
jetèrent sur ses richesses un œil envieux. Ayant encouru
en ce moment la haine d'Hébert pour avoir dénoncé aux
jacobins et fait arrêter deux protégés de ce rcvolulion-
ÎS8 LA GRANDE RÉVOLUTION
naire, le secrétaire de la guerre "Vincent et le gf^néral
Mazuel, sa perte fut résolue par ce parti, alors tout-puis-
sant. Obligé de se justifier devant ses accusateurs, il fut
interrompu par les terribles cris : A la guillotine! La
Convention, de son côté, le décréta d'accusation, comme
falsificateur d'un traité relatif à la Compagnie des Indes
et complice de la conspiration de l'étranger. Il fut con-
damné à mort et exécuté le 5 avril 1794. Il avait alors
trente-neuf ans.
Fouquier - Tinville.
Fouquier-Tinville, né au village d'Hérouel, près Saint-
Quentin, se signala par ses abominables calomnies contre
l'auguste reine de France, qui n'y opposa qu'un noble et
religieux silence, et par ses atrocités de tout genre envers
les soixante-dix victimes qu'il fit égorger, presque tous les
jours, de 1793 au 27 juillet 1794, jour oîi Robespierre, son
maître et son ami, étant déjà renversé et emprisonné, il en-
voya encore, malgré toutes les représentations, quarante-
deux personnes à l'échafaud. Dans les effroyables orgies où
il dressait, avec d'autres assassins de la Convention, des
listes de mort, il disait : « J'ai fait gagner cette semaine tant
de millions à la république; la semaine prochaine, je lui en
ferai gagner davantage. » Ces forcenés voulaient sacrifier
un tiers de la France, prêtres, nobles et riches de tous les
états, pour assurer la liberté et l'égalité aux survivants.
La voix de l'humanité, la vie des hommes ne sont plus
rien. Des jeunes gens, amenés au tribunal de Fouquier-
Tinville pour des vieillards, des femmes pour des hommes,
une veuve iMaillct pour la duchesse de Maillé, réclament en
vain : « C'est égal, dit ce monstre, autant aujourd'hui que
demain. »
I.'^'-sque Robespierre, la mâchoire fracassée d'un coup
DE 1789 A 1800. 59
de pistolet, est présenté à son tribunal pour y être simple-
ment reconnu, en vertu de la mise hors la loi, il l'envoie
sans sourciller à l'échafaud, ainsi que ses cent-dix com-
plices; il vient même féliciter la Convention de sa vic-
toire. Ce trait, que nous ne savons comment caractériser,
ne le sauve point. Un cri général se fait entendre. Un con-
ventionnel demande c que Fouquier aille cuver dans les
enfers tout le sang dont il s'est eni\Té. c II est conduit au
supplice à travers les outrages dé cette multitude effrénée
dont il était l'idole. Ses odieux complices, ces jurés dont
le feu de file, selon sa féroce expression, était presque
aussi rapide que le fer du bourreau, montent avec lui sur
l'échafaud. Lorsqu'il vit tomber leurs têtes, l'effroi et le
remords parurent, dit-on, s'emparer de son âme. Il expira
enfin sous les coups de cette hache révolutionnaire avec
laquelle il avait fait immoler tant d'innocents.
(Mémorial sur la Révolution, de M. Jollt.)
Hérault de Séchelles.
Marie-Jean Hérault de Séchelles avait fait connaître les
principes qui l'animaient en prenant les armes avec les
autres factieux le jour de la prise de la Bastille (14 juillet
4789. Le roi, les prêtres, les émigrés furent continuelle-
ment l'objet de ses attaques et de ses invectives.
Quoique absent, il voulut prendre part au plus grand
des crimes : il adressa à la Convention une lettre oiî il
déclarait que Louis Capet devait être condamné comme par-
jure.
Il quitta le Comité de salut public au mois de septembre
1793, et fut envoyé dans le Haut-Rhin. Il porta dans cette
mission toute sa fureur révolutionnaire. A peine arrivé, il
y établit un tribunal spécial pour mettre le pays à la raison»
• J'ai semé, écrivait-il, quelques guillotines sur ma route,
60 LA GRANDE RÉVOLUTION
et je trouve que cela produit déjà un excellont effet. »
Mais ce furent là ses derniers succès et le terme de sa
gloire révolutionnaire.
Robespierre le fit arrêter sous les plus vains prétextes et
conduire dans les prisons du Luxembourg, le 19 mars
1794. Il parvint à l'impliquer dans le procès de Danton et
de Camille Desmoulins. Hérault fat traîné avec eux devant
le tribunal révolutionnaire, et, pour ne leur céder en rien,
il répondit comme eux aux questions qu'on lui adressa par
des plaisanteries aussi irrégulières qu'indécentes. Il en-
tendit son jugement sans émotion, et conserva toute sa
fermeté jusqu'à ses derniers moments.
Près de monter sur l'échafaud, il approcha de Danton,
et voulut l'embrasser; mais cet homme, toujours féroce, le
repoussa : . Montez donc; nos têtes auront le temps de se
baiser dans le panier. » Il fut exécuté le 5 avril 1794,
«Fourdan.
Matthieu Jourdan, un des plus lâches scélérats qu'ait
enfantes la Révolution, naquit à Saint-Just, près le Puy,
en 1749.
Dès le commencement de la Révolution, Jourdan fut
celui qui, parmi les plus vifs démagogues, cria le plus
fort contre le roi, la reine, les nobles, les prêtres et les
propriétaires, c'est-à-dire contre le bon ordre et la religion.
C'était un des hommes qu'il fallait aux monstres de la Révo-
lution; aussi on l'employa tant qu'on put dans toutes les
émeutes et dans tous les massacres. 11 signala d'abord sa
cruauté en arrachant le cœur au malheureux Foulon et à
son gendre, l'intendant Berthicr, victimes d'une populace
effrénée qui applaudissait à ces affreux spectacles. Le
6 octobre 1789, il se trouvait parmi les factieux, et coupa
la tête aux deux gardes du corps Deshullcs et Varicourt,
DE 17S9 A 4S00. Gl
que plusieurs forcenés lui livrèrent, et dont le seul crime
était d'avoir rempli leur devoir. Les prêtres étaient surtout
l'objet de sa haine et de ses persécutions.
L'Assemblée écouta enfin les justes plaintes qui s'éle-
vaient contre Joardan. Décrété d'accusation, il trouva le
moyen de se sauver; mais il était trop utile au parti des
jacobins pour qu'ils ne fissent pas leurs efforts afin d'obte-
nir sa grâce. Compris en 1792 dans l'amnistie générale
qu'on accorda à tous les assassins de la France, il reparut
encore à Avignon, oîi on l'envoya pour morigéner les habi-
tants : c'était le mot dérisoire du temps, et qui signifiait en
substance piller, détruire et massacrer. Jourdan, investi de
pouvoirs illimités, s'abandonna à tous les excès dont il
était capable : Avignon fut inondé de sang. Il n'oublia pas
de comprendre dans les persécutions qu'il exerçait ceux
qu'il soupçonnait de n'avoir pas applaudi, quelques mois
auparavant, à sa barbarie. De retour à Paris, il rendit
compte de sa mission : la Montagne et les tribunes applau-
dirent, et l'on décréta que ce monstre, la honte de la
société, avait bien mérité de la patrie.
Depuis ce moment, il fut encore employé à tous les mas-
sacres qui eurent lieu dans les églises et les prisons de la
capitale. Il était le plus infatigable des bourreaux, ce qui
le fit nommer Jourdan Coupe-Tête, surnom dont il se glori-
fiait. Les bras nus et couverts de sang et de sueur, il se
présentait à la barre de la Convention pour recueillir de
nouveaux applaudissements. Il se tenait parfois à la porte
du Comité dit de Salut public pour conduire aux diffé-
rentes prisons les victimes qui périssaient ensuite dans les
massacres, ou que l'on envoyait à l'échafaud.En les remet-
tant au concierge, il lui disait tout bas : « Je t'amène du
gibier à raccourcir. »
Il avait chaudement servi Robespierre dans les terribles
luttes où celui-ci sortit vainqueur des girondins, d'Hébert,
62 LA GRANDE RÉVOLUTION
de Danton et de tous les adversaires, et il devait en
recueillir la juste récompense. De nombreuses accusations
vinrent de nouveau peser sur sa tête. Dénoncé comme
fédéraliste, comme ayant usurpé à prix de sang des biens
nationaux, il fut condamné k mort par ce même Comité
de salut public dont il avait si bien exécuté les ordres. Ce
n'était pas la première fois que le Comité vouait h la mort
ses complices et ses bourreaux. Jourdan fut exécuté le
17 mai 1794.
Lacroix et Lebon.
J.-P. de Lacroix était lié de la plus grande intimité avec
Danton, son collègue ; ils ne s'occupaient plus ensemble
que de jeu et de plaisirs, tandis que la haine et l'ambition
de Robespierre veillaient toujours pour écraser ses
ennemis. Ils furent arrêtés ensemble, conduits à la prison
du Luxembourg et condamnés h mort avec Desmoulins,
Hérault de Séchelles, etc., etc.
Lacroix fut exécuté le 8 avril 1794.
Joseph Lebon fut l'un de ces monstres dont la nature est
heureusement avare. Envoyé à Arras pour y mettre à exé-
cution le système révolutionnaire adopté par les décem-
virs, cet apostat ne fut plus qu'une bête féroce altérée de
sang. Il lit tout à la fois parade d'apostasie, de libertinage,
de cruauté, et se vanta d'avoir acquis une réputation
incomparable de scélératesse parmi les commissaires de la
Convention. Chaque jour, après son dîner, il se plaçait sur
un balcon, et assistait au supplice de ses victimes. Un jour
il fit suspendre l'exécution de l'une d'entre elles, déjà liée
sur l'échafaud, pour lui faire donner lecture de nouvelles
qu'il venait de recevoir de l'armée, t afin, dit-il, qu'elle
allAt annoncer chez les morts les triomphes de la répu-
blique. » Il fit placer des musiciens près de l'échafaud, et
DE 1789 A 1800. 63
ordonna au tribunal qu'il avait formé de juger tous ceux
qui étaient distingués par leurs richesses, leurs vertns ou
leurs talents. Dans les spectacles, il publiait la loi agraire,
le sabre à la main, et excitait le peuple au meurtre et au
pillage. Décrété d'accusation le 17 juillet 179o, il fut tra-
duit au tribunal criminel du département de la Somme et
y fut condamné à mort le 6 octobre de la même année.
Ivre d'eau-de-vie à l'instant où on le conduisit au supplice,
ce misérable avait conservé assez de présence d'esprit pour
s'écrier, lorsqu'on le revêtit de la chemise rouge : « Ce
n'est pas moi qui devrais l'endosser; il faudrait l'envoyer
à la Convention, dont je n'ai fait qu'exécuter les ordres. »
Il n'était encore âgé que de trente ans.
Robespierre.
Robespierre (Maximilien) ! Ce nom rappelle le souvenir
et l'idée de tous les crimes ; notre tâche serait trop pénible
si nous devions les détailler tous ici. Pour ne pas aÔaiblir,
par une peinture imparfaite, l'horreur qu'il inspire, nous
nous bornerons à retracer le châtiment dont Dieu punit
les cruautés de cet abominable tyran.
La France entière inondée de sang, toutes ses familles en
deuil, tous ses citoyens tremblants dans la funeste attente
du sort qui leur était réservé : telle est, en peu de mots,
l'histoire du règne de Robespierre. Heureusement, Dieu,
qui voulait nous châtier et non pas nous anéantir, ne per-
mit pas qu'il fût d'une longue durée ^
La puissance de quelques-uns de ses collègues paraissait
encore un obstacle à son ambition; il osa les désigner à la
* Un homme infâme avait écrit à Robespierre : Ma santé se
rétablit, car on fusille ici deux cents Lyonnais à la fois. Ce can-
nibale fut appelé par l'envoyé de la Convention à des fonctions
pubiitiue?.
Ci LA GRAME RÉVOLUTION
mort; ceux-ci se réunirent contre un péril commun, cl
lorsque, le 9 thermidor (27 juillet 1794), il monta ù la tri-
bune pour demander six victimes, sa voix fut étouffée par
mille cris : A bas le tyran f Décrété d'accusation, on le fit
descendre de la barre avec Saint-Just, Couthon, Robes-
pierre le jeune et Lebas. Robespierre fut d'abord conduit
à la Conciergerie ; mais la terreur qu'inspirait son nom
était telle que le concierge refusa de l'y recevoir. Il put so
sauver alors à rH(jtel-de-Ville. Pendant ce temps, et aus-
sitôt que les membre de la Commune eurent appris que leur
protecteur était arrêté, ils ordonnèrent de sonner le toc-
sin et ramassèrent dans les rues tous ceux qu'ils trou-
vèrent parmi les amis du tyran; un de ses satellites courut
à bride abattue faire fermer les portes de la ville. Henriot,
commandant de la garde nationale, et qui était dans un
état complet d'ivresse, réunit quelques canonniers pour les
opposer aux sections ; mais ils refusèrent de faire feu. On
dit que Robespierre, assis sur un fauteuil dans l'Hôtel-de-
Ville et entouré de ses adhérents, refusa de marcher contre
la Convention, pour ne pas être, disait-il, considéré comme
un tyran par l'obligation où il se serait trouvé de dis-
soudre ce corps avec la force armée. Cependant il n'avait
pas écouté ces considérations au 31 mai 1793 et en d'autres
circonstances. La Convention ayant mis hors la loi ses
partisans, ceux-ci se découragèrent. Un détachement des
troupes de la Convention pénétra dans l'Hùtel-de-Ville.
Robespierre se cacha dans un coin obscur; ses amis firent
en vain leurs derniers efforts pour le sauver.
Tout est ignominie dans les derniers instants du dicta-
teur et de ses complices. Voici quelques traits de cette
horrible scène décrite par M. de Conny :
t Robespierre est au fond d'un obscur réduit de la Com-
mune. Transi d'effroi, il voudrait vivre encore; il se cache
derrière une muraille. Un gendarme pénètre auprès du
DE 1789 A 1800. 65
monstre e* lui tire un coup de pistolet: il tombe baigné
dans son sang; sa mâchoire est fracassée, mais il n'est pas
privé de la vie...
> Robespierre présenta le plus hideux spectacle : le sang
et la fange couvraient ses vêtements : un de ses yeux, sorti
de son orbite, pendait sur sa joue; mille malédictions
qu'il pouvait entendre retentissaient autour de lui. Un
homme s'approche, le contemple quelques instants en
silence, et, sans lui adresser aucune injure, s'écrie : Oui,
il y a un Dieu. Enfin le dictateur et vingt et un de ses com-
plices sont amenés devant le tribunal oîi la veille encore
ils ont envoyé leurs victimes. A quatre heures, il sont
traînés au supplice aux cris d'un peuple ivre de joie. Une
foule immense remplissait les rues; des milliers de
familles pleurant des victimes, à cette grande nouvelle,
sortaient de leur retraite, on pourrait dire de leurs tom-
beaux.
» L'agonie de Robespierre fut épouvantable. Au milieu
des imprécations exhalées de toutes les bouches, on
remarqua le trait suivant : une jeune femme traverse la
foule et, saisissant un des barreaux de la charrette, lui dit
avec l'expression d'une colère qui contrastait avec la dou-
ceur de ses traits : Monstre, ton supplice m'enivre de joie.
Que ne peux-tu mourir mille fois pour une! Descends dans la
tombe avec toutes les malédictions des épouses et des mères!
Puis elle se retire en poussant des cris déchirants.
* Robespierre, son frère, Couthon, Saint-Just, Henriot
étaient placés sur la même charrette.
» Henriot, couvert de sang, le corps presque nu, et
ayant un œil qui ne tenait à son orbite que par quelques
filaments, forçait tous les regards à se détourner. Le
peuple l'apostrophait et faisait entendre mille impréca-
tions : Le voilà, disait-il, ce monstre tel qu'il sortit de Saint-
Firmin, après avoir égorgé Us prêtres. Le corps de Lebas,
CG LA GRANDE RÉVOLUTION
qui s'était tué d'un coup de pistolet, était étendu sur la
charrette. Robespierre, confus et abattu, penchait sur sa
poitrine sa tète hideuse; il portait l'habit dont il était
revêtu le jour où sa bouche sacrilège osa proclamer l'exis-
tence de l'Etre suprême. Ce rapprochement rappela à
des pensées religieuses cette foule qui surgissait de toutes
parts : la puissance de Dieu se manifestait dans cet in-
stant avec un éclat qui confondait l'incrédulité huni;!ine.
« Les derniers moments de Robespierre furent terribles.
Après avoir jeté son habit, qui était croisé sur ses épaules,
le bourreau î'étendit sur la planche fatale et arracha brus-
quement l'appareil mis sur sa bouche mutilée; le sang
jaillit alors, la mâchoire inférieure se détacha de la
mâchoire supérieure, et la tête présenta le plus hideux de
tous les aspects *. Le général Lavallelte, le président des
jacobins Vitrier, le maire de Paris Fleuriot, l'affreux
Simon et plusieurs autres furent suppliciés le même jour.
La frayeur et la bassesse siégeaient sur leurs fronts pâles
et livides, un mouvement convulsif agitait leurs membres;
tous entendirent les malédictions de la génération entière,
et moururent de mille morts, en horreur à eux-mêmes et
chargés d(3 l'exécration des siècles. »
Ainsi périt, le 28 juillet 1794, du supplice du talion,
' Robespierre fut tué avec cent dix de ses plus ardents secta-
teurs, conventionnch, jacobins et municipaux, décapités le 28, le
29 et le 30 juillet 1794, sans aulnj formalilé que de mettre leur
nom sur leur tigui'e et leur tète sous la hache. Leur propre tri»
bunal révolutionnaire lit la première opération, et le bourreau
qui exécutait leurs ordres tit la dernière, après avoir peudant
dix-huit mois immolé chaque jour soixante et soixante-dix
victimes de leur férocité, il les immola eux-mêmes, en atten-
dant que les membres du tribunal révolutionnaire vinssent
aussi payer par ses miius leur tribut à la vengeance ctleste.
Tout, dans cette moustrueuse révolutiou, devait ollVir des mé-
comptes et des phénomènes imprévus.
DE 1789 A 1800. 67
et d'une mort qui portait le caractère frappant de la
divine vengeance, ce Robespierre, le plus redoutable de
tous les factieux qui, depuis la naissance de la Révolution,
s'étaient nourris du sang de la France. Son règne, qui,
par la marche rapide de ses crimes, parut avoir duré des
siècles, fut à peine de dix-huit mois. Après s'être montré
tout ce temps l'assassin des gens de bien, le tyran de
sa patrie, le bourreau de ses rivaux, le fléau de ses com-
plices, coupable encore de régicide, coupable d';; "iostasie,
monstre d'impiété, pour combler tant de forfaits, il ne lui
restait plus qu'un suicide à commettre: le scélérat le tenta,
et, dans sa volonté, sa mort, digne de sa vie, fut le der-
nier de ses crimes.
On lui fit l'épitaphe suivante :
Passant, ne pleure pas son sort;
Car, s'il vivait, tu serais mort*.
Robespierre le jeune.
Robespierre le jeune (Augustin-Eenoît-Joseph) était né à
Arras, en 1760, dans son dur laconisme, son frère rappe-
lait une bête.
' Le dénombrement des victimes de la Terreur a été fait par
Prudhomme, célèbre journaliste de la Révolution, 6 vol.
Les morts sont ainsi répartis : ci-devant nobles, i,278. —
Femmes id., 750. — Femmes de laboureurs et d'artisans, 1,467.
— Religieuses, 350. — Prêtres, 1,135. — Hommes non nobles
de divers états, 13,633. — Femmes mortes de frayeur ou par
suites de couches prématurées, 3,400. — Femmes enceintes et
en couches, 3i8. — Femmes tuées dans la Vendée, 15,000. —
Enfants tués dans la Vendée, 22,000. — Morts dans la Vendée,
900,000. — Victimes sous le proconsulat de Carrier à Nantes,
32.000. — Parmi lesquelles : enfants fusillés, 500. — Id. noyés,
1,500. — Femmes fusillées, 204. — id. noyées, 500. — Piètres
fusillés, 300. — Id. noyés, 460. — Nobles noyés, 1,400. —
Artisans noyés, 4,300. — Victimes de Lvon. 31.000. — Les
68 LA GRANDE RÉVOLUTION
L'admiration de Robespierre le jeune pour son aîné
allait jusqu'au délire. C'est assez dire qu'il prit part à tous
ses crimes. Comme lui, il jugea qu'il fallait éloigner sa
sœur de Paris, parce que celle-ci avait réclamé auprès de
Maximilien en faveur des malheureux habitants d'Arras et
de la contrée, que le cruel Lebon faisait incarcérer, guil-
lotiner sous les plus futiles prétextes. Voici la lettre qu'à
ce sujet il écrivit à son frère :
I Ma sœur n'a pas une seule goutte de sang qui ressemble au
nôtre. J'ai appris et j'ai vu tant de choses d'elle, que je la
regarde comme notre plus grande ennemie. Elle abuse
de notre réputation sans tache pour nous faire la loi et
pour nous menacer de faire une démarche scandaleuse,
afin de nous compromettre. Il faut prendre un parti décidé
contre elle. Il faut la faire partir pour Arras et éloigner
de nous une femme qui fait notre désespoir commun.
Elle voudrait nous donner la réputation de mauvais frères ;
ses calomnies répandues contre nous viennent à ce but.
Je voudrais que tu visses la citoyenne Lasaudrie: elle le
donnerait des renseignements certains sur tous les masques
qu'il est intéressant de connaître en ces circonstances. Un
certain Saint-Félix parait être de la clique... »
A son retour dans la capitale, après son expédition du
Midi, il se brouilla avec son frère par les intrigues de
Fouché, mais il se réconcilia avec lui peu de jours avant
leur chute commune. Lorsque, le 27 juillet 1794, Maximi-
lien fut décrété d'accusation, Augustin demanda à par-
tager son sort comme il avait partagé ses vertus.
Roux.
Jacques Roux, ayant apostasie, commença à prôner les
principes du jour, et se lia avec les démagogues les plus
victimes de Toulon, de Marseille, de Versailles, et les victimes des
2 et 3 septembre ne sont pas comprises dans ce dôuombrement.
DE 1789 A 1800. €9
exaltés, dont il devint l'émule: il se qualifiait de prédica-
teur des sans-culottes. Xommé officier de la Commune, il se
distingua parmi ses confrères eux-mêmes par sa haine et
sa fureur contre la cour et les prêtres insermentés.
Il fut un des commissaires chargés de la police du
Temple, et, en cette qualité, il fit souffrir à Louis XVI et à
sa famille toutes sortes de cruautés. Un jour, ce prince,
éprouvant un violent mal de dents, le pria de lui faire
venir un dentiste. « Ce n'est pas la peine^ lui répondit
R.011X, en faisant un geste qui lui indiquait la guillotine ;
dans peu vos dents seront réparées. > Louis ayant ajouté :
« Monsieur, si vous éprouviez les douleurs que je sens,
vous me plaindriez. — Bah ! bah! reprit le farouche muni-
cipal, il faut s'accoutumer à tout. »
Ayant été choisi quelque temps après pour accom-
pagner le roi à l'échafaud, ce prince le pria de remettre
une bague à la reine : mais Roux, avec sa férocité ordi-
naire : » Je ne suis chargé, répondit-il, que de vous con-
duire à la mort. »
Marat, pour gagner de plus en plus la faveur du peuple,
l'avait excité à piller les épiciers de Paris le 26 février
1793; Roux applaudit aux excès de cette journée, se
vanta d'être le Marat de la municipalité, et, comme digne
prédicateur des sans-culottes, il prêchait le libertinage et le
vol, qui étaient déjà devenus les vertus du jour. La section
des Piques lui retira sa confiance, et engagea celle des Gra-
villiers à censurer sa conduite. Cependant Roux parut à
la barre de la Convention pour y déclamer encore, au nom
de la section des Gravilliers, un discours rempli des prin-
cipes les plus odieux et des préceptes de l'anarchie la plus
complète. Il fut néanmoins désapprouvé par les autres
membres de la députation; Robespierre lui-même sembla
êtie indigné du discours de Roux, et il fut chassé de la
barre.
70 LA GRANDE RÉVOLUTION
Ce forcené révolutionnaire, tout en prêchant le désordre,
n'oubliait pas sa fortune, ot il ne l'acquérait que par d(;s
vexations et des friponneries. Ses collègues le dénon-
cèrent; n'ayant pu prouver son innocence, il fut expulsé
de la Commune le 9 septembre 1793. Tout le monde alors
se déchaîna contre lui, et il devint odieux à toutes les fac-
tions. Accusé de nouveau sur d'autres crimes, il fut tra-
duit, le 15 janvier 1794, devant le tribunal de police cor-
rectionnelle; mais les juges déclarèrent que les délits de
l'accusé passaient leur compétence, et le renvoyèrent au
tribunal révolutionnaire. A peine Roux eut-il entendu
cette décision que, ne pouvant ignorer le sort qui l'atten-
dait, il se frappa de cinq coups de couteau. On le ramena
aux prisons de Bicètre, où il mourut quelques jours après.
m""" Roland.
Manon-Jeanne Philippon, fdle d'un graveur, était née à
Paris en 17o4. C'était une femme d'un caractère exalté et
ambitieux, qui devint républicaine dès sa plus tendre jeu-
nesse, à la lecture de Plutarque. Un froid déisme remplaça
chez elle la foi chrétienne. Elle épousa Roland en 17!.-0, se
servit de la supériorité de son esprit pour exercer sur lui un
ascendant funeste et devint la conseillère des girondins*.
* Roland de la Platii'Te (Jean-Marie), n6en 1732 à Villefranchc,
en Beaujolais, fut iuspecteur général du commerce à Amiens et
à Lyon; il publia en 1772 des Lettres adressées à celle qui fil
plus tard sa femme, et il donna en 1785 à l'Encyclopédie métho-
dique le Dictionnaire des 7nanu factures. Il embrassa avec ardeur
les idées de la Révolution, et établit à Lyon un club aflilié à
celui des Jacobins. Nommé ministre de l'intérieur eu 1792, il
soudoya le journal la Sentinelle, qui provoquait le renversement
de la royauté. Renvoyé du ministère en juin 1792, il y rentra
après le 10 août, et donna sa démission en janvier 1793. Pros-
crit avec les girondins, il se réfugia à Rouen et se tua près de
cette ville à lu nouvelle de laniort de sa femme.
DE 1789 A 1800. 71
Ce. fut la prise de la Bastille qui décida de la canière
politique de M™*" Roland, et qui la jeta du premier bond h
la tête des plus fougueux révolutionnaires. Elle écrivait, le
26 juillet, à son ami Bosc :
• ... Vous vous occupez d'une municipalité, et vous lais-
sez échapper des têtes qui vont conjurer de nouvelles hor-
reurs.
» Vous n'êtes que des enfants, votre enthousiasme n'est
qu'un feu de paille, et si l'Assemblée nationale ne fait pas
en règle le procès de deux têtes illustres ou que de généreux
Deciusne les abattent, vous êtes f... I
> Si cette lettre ne vous parvient pas, que les lâches qui
la liront rougissent en apprenaiJ que c'est d'une femme,
et tremblent en songeant qu'elle peut faire cent enthou-
siastes, qui en feront des millions d'autres. »
Ainsi, du premier coup. M"** Roland conseillait l'assas-
sinat du roi et de la reine, et atteignait le style tlu Père
Duchêne !
Le 4 septembre, elle apprend que le roi s'est noblement
confié à l'Assemblée, et que la reine lui a présenté son fils.
Un nouvel accès de fureur la saisit, et elle écrit à Bosc :
« ... Les Français sont aisés h gagner par les belles appa-
rences de leurs maîtres, et je suis persuadée que la moitié
de l'Assemblée a été assez bête pour s'attendrir à la vue d'An-
toinette lui recommandant son fils l Morbleu t c'est bien d'wi
enfant qu'il s'agit ! »
Le 2 septembre 1792, vingt-trois jours après la dé-
chéance de Louis XVI, la Commune de Paris, maîtresse de
la France, décernait un mandat contre Roland pour le
faire assassiner dans les prisons, tout ministre qu'il était,
et M"^" Roland, malgré les fonctions et le pouvoir de son
mari, en était réduite à n'oser pas coucher au ministère.
Ses yeux s'ouvrirent alors sur toutes ses fautes passées, et
12 LA GRANDE RÉVOLUTION
:icn ne saurait égaler le désespoir qui vii.t la navrer;
»roici ses paroles :
« Quelle Babylone présenta jamais le spectacle de ce
Paris souillé de sang et de débauches, gouverné par des
magistrats qui font profession de débiter le mensonge, de
vendre la calomnie, de préconiser l'assassinat? Quel
peuple a jamais corrompu sa morale et son instinct au
point de contracter le besoin de voir les supplices, de fré-
mir de rage quand ils sont retardés, et d'être toujours
prêt à exercer sa férocité sur quiconque entreprend de
l'adoucir ou de la calmer?
» Ce qu'on appelle, dans la Convention, la Montagne ne
présente que des brigands vêtus et jurant comme les gens
du port, prêchant le meurtre et donnant l'exemple du pil-
lage. Un peuple nombreux environne le palais de la jus-
tice, et sa fureur éclate contre les juges qui ne prononcent
pas assez vile la condamnation de l'innocence. Les pri-
sons regorgent d'hommes en place, de généraux, de fonc-
tionnaires publics et d'individus à caractère, qui hono-
raient l'humanité. La délation est reçue comme preuve de
civisme, et le soin de rechercher ou de détenir les gens de
bien ou les personnes riches, fait l'unique fonction d'ad-
ministrateurs ignares et vils. »
Après avoir ainsi trois fois quitté l'hôtel du ministère
pour demander, la nuit, asile h des amis, M""" Roland réu-
nit tout son courage et toute sa dignité, et se résigna à
être assassinée chez elle.
M'"'' Roland fut arrêtée le 3i mars et écrouée à l'Abbaye
le 1" juin 1793. Sortie de l'Abbaye le 23 juin, elle fut, le
mêmP! jour ar^'êtAp He nouveau et écrouée à Sainte-Pélap;ie.
Elle y trouva a-^-" iAHion, et y aemeui ' insq^''i Ui fin à oc-
tobre. Vers le 18 de ce môme mois, le désespoir s'empara
de M""" Roland, et elle se résolut au suicide.
Le 18 brumaire an n (8 novembre 1793), elle fut coa-
DE 1789 A 1800. 73
diiite au tribunal révolutionnaire avec Simon-François
Lamarche, directeur de la fabrication des assignats, ac-
cusé de s'être rendu aux Tuileries, auprès du roi, le
9 août.
Lorsqu'elle fut arrivée au lieu du supplice, M°= Roland
s'inclina devant la statue de la Liberté, et prononça ceâ
paroles mémorables : 0 Liberté, que de crimes on commet en
ton nom! C'était le 7 novembre, vers trois heures.
Cette statue de la Liberté était au centre de la place, sur
le piédestal mutilé de la statue de Louis XV, brisée le
10 août 1792, à l'endroit où s'élève aujourd'hui l'obélisque.
Le Bulletin du tribunal révolutionnaire raconte ainsi la
condamnation et la mort de M™® Roland :
« Après le prononcé, l'accusée a remercié le tribunal du
jugement qu'il venait de rendre contre elle.
» L'exécution a eu lieu le lendemain, vers trois heures
de relevée. Le long de la route, elle s'entretenait et sem-
blait plaisanter avec Lamarche, son camarade de voyage,
qui paraissait beaucoup plus défait qu'elle. «
Le jour où elle trouva M°* Pétion à Sainte-Pélagie,
M™" Roland lui avait adressé ces mots : « Je ne croyais
guère, lorsque j'allais à la mairie, le 10 août 1792, par-
tager vos inquiétudes, que nous ferions l'anniversaire à
Sainte-Pélagie, et que la chute du trône préparait notre
disgrâce. »
Ces paroles sont le résumé le plus précis et le plus
fidèle de la politique et de la vie des girondins '.
* M. Alfred Nettement et M. Granier de Cassagnac ont établi
la vérité sur les héros de la Gironde, que le gentilhomme M. de
Lamartine avait cherché à rendre intéressants en faisant un ro-
man révolutionnaire, au lieu décrire une histoire sérieuse et
basée sur des documents authentiques.
On a dit de M. de Lamartine qu'effrayé de l'incendie allumô
par ses Girondins, c'était un incendiaire devenu pompier.
74 LA GRANDE RÉVOLUTIIW
CHAPITRE U.
LOUIS XVI ET SES BOURHEÂUX.
ILa ConTentlon.
Dcjîi la terreur planait dans Paris tombé au pouvoir des
démagogues; fuyant cette ville, qui allait être souillée du
plus grand des forfaits, une foule de familles Cherchaient
des retraites éloignées et solitaires.
La Convention se réunit pour délibérer suï* le sort du
successeur de saint Louis.
Il était huit heures du soif lofsque commeriçâ l'appel
funèbre. Le plus grand nombre des membres présentèrent
les motifs de leurs opinions, inscrivant eux-mêmes le
préambule de l'acte d'accusation, que la postérité attachera
à leurs noms flétris. L'appel nominal se faisait par dépar*
temcnt; tous les députés s'avançaient à la fois vers la tri-
bune. Les regards restaient attachés siir ces hommes : ori
interrogeait leurs traits, on scrutait les mouvements de leur
physionomie pour connaître quels allaient être leurs votes
dans cette terrible et mémorable circonstance. Nulle ex-
pression ne peut peindre l'épouvantable tableau que pré-
senta, pendant cette séance de vingt-quatre heures, ce
sénat de régicides.
Les députés de la Montagne attendaient impatiemment
Vinstant oii ils seraient appelés; les cris de mort rctcnlis-
saient avant qu'ils fussent h la tribune; leurs physionomies
iarouches, leurs regards sinistres offraient une décompd-
DE 1789 A 1800. 7o
sition de tous les traits de l'humanité; on avait entendu
l'arrêt avant qu'ils le prononçassent; leurs figures, leurs
yeux, leurs gestes disaient : La mort! Et quand leurs
bouches articulaient ce mot fatal, c'était avec un accent
si cruel, que ceux des spectateurs qui n'étaient pas sans
entrailles en éprouvaient des frémissements d'horreur.
Quelques-uns de ces hommes donnaient à leurs votes une
expression de cruauté qu'ils semblaient avoir étudiée;
d'autres l'accompagnaient, en regardant la Montagne,
des éclats d'un rire stupide et barbare. Barrère s'écria :
€ L'arbre de la liberté ne peut croître qu'arrosé du sang
des despotes. » » Je suis d'avis, s'écria un de ces canni-
bales, que Louis Capet soit pendu cette nuit. » Croira-t-on
qu'une bouche humaine ait pu prononcer ces mots : Que
le cadavre de Louis soit déchiré et distribué dans tous les
départeinentst...
Quelques membres marchaient lentement vers la tri*
bune; leurs visages, rendus plus sombres par la pâle
clarté, semblaient être le sinistre avertissement du mot
terrible qu'ils allaient faire entendre. D'une voix lente et
sépulcrale ils ne prononçaient que ce mot : La mort I Ces
voix qui lentement se succédaient en répétant ce cri
funèbre retentissaient sous ces voûtes, et imprimaient à
cet assassinat un caractère d'horreur qu'il est impossible
de décrire; on remarqua parmi ces hommes Treilhard,
Merlin de Douai, Garnot; Siéyès, lâche et cruel sophiste,
ajouta avec une froide ironie : La mort, et sans phrases.
D'autres membres s'avançaient vers la tribune, fixant
autour d'eux des regards inquiets et tremblants; leur
démarche était mal assurée, leurs voix pouvaient à peino
arracher de leurs poitrines le mot terrible de mort; ils
s'éloignaient, l'œil fixé vers la terre, et retournaient s'as-
seoir sur leurs sièges. Tristes et abattus, déjà ils sem-
blaient être pour eux-mêmes un objet d'horreur; le fana-
76 LA GRANDE RÉVOLUTION
tisme, l'ambition, la peur, ce misérable et honteux sen-
timent, entraînaient ces hommes vers le plus grand des
forfaits *.
Plus de vingt-quatre heures s'étaient écoulées depuis
qu'avait commencé ce lugubre appel nominal; le prési-
dent annonce qu'il va proclamer le résultat du scrutin :
€ Citoyens, dit Vergniaud d'une voix émue et trem-
blante, j'espère que l'humanité vous engagera à garder
le plus profond silence... L'assemblée est composée de
sept cent quarante-neuf membres; quinze membres se sont
trouvés absents par commission, sept par maladie, un
sans cause, cinq non votants : en tout vingt-huit. Le nombre
restant est de sept cent vingt-un. La majorité absolue est
de trois cent soixante-un.
» Deux ont voté pour les fers ; deux cent quatre-vingt-six
pour la détention et le bannissement à la paix, ou pour le
bannissement immédiat, ou pour la réclusion, et quelques-
uns y ont ajouté la peine de mort conditionnellement, si le
territoire était envahi; quarante-six la mort avec sursis,
soit après l'expulsion des Bourbons, soit à la paix, soit à
la ratification de la constitution.
> Trois cent soixante-un ont voté pour la mort; vingt-six
pour la mort, en demandant une discussion sur le point de
savoir s'il conviendrait à l'intérêt public qu'elle fût ou non
* Quand on interrogea Louis XVI, les tourments du crime se
peignaient sur le visage des accusateurs du roi; le calme de la
vertu était empreint sur tous les traits de l'auguste victime.
Vainement ces hommes unirent leurs efTorts pour provoquer le
ressentiment du monarque par des questions dès longtemps
préparées avec la plus odieuse perversité. Dans une situation si
extraordinaire, toutes les réponses de Louis XVI portent l'em-
preinte d'une tranquillité d'àme qui laisse à son esprit toute sa
puissance; le royal captif conserva jusqu'au dernier instant
celte candeur du juste, cette sérénité de la vertu, que les fureur»
des hommes ne purent jamais troubler.
DE 1789 A 1900. 77
différée, et en déclarant leur vote indépendant de cette de»
mande.
» Ainsi, pour la mort sans condition, trois cent quatre-
vingt-sept; pour la détention, etc., ou la mort condition-
nelle, trois cent trente-quatre.
» Je déclare, au nom de la Convention nationale, que la
peine qu'elle prononce contre Louis Capet est celle de la
mort. »
A l'instant où cet exécrable arrêt fut prononcé, une im-
mobilité qui avait quelque chose de stupide régna dans
l'assemblée ; toutes les voix étaient glacées : on put remar-
quer le silence de la honte et de l'horreur, ce silence con-
vulsif que l'on retrouve dans les plus infâmes scélérats, à
l'instant où ils viennent de consommer un grand crime.
Dans l'accablement de la plus vive douleur, Malesherbes
se rend à la porte du Temple: il se jette aux pieds de l'au-
guste victime; ses sanglots lui annoncent son arrêt. Le roi
le reçoit avec la sérénité du juste : c'est Louis qui console
Malesherbes; il le presse contre son cœur et fortifie son
âme abattue. Cette héroïque résignation n'abandonna pas
un seul instant l'infortuné monarque; elle lui avait dicté,
alors même que son sort était incertain, ce testament
sublime, monument immortel des vertus du roi-martyr.
Le monarque, en se séparant de Malesherbes, lui recom-
manda de revenir. Pendant deux jours il l'attendit, mais il
ne devait plus le revoir : l'exécrable Commune avait pres-
crit que l'entrée du Temple serait interdite aux défenseurs
du roi.
La Convention avait approuvé tout ce que la Commune
proposait de barbare. Le roi n'eut plus la consolation
d'embrasser le fidèle vieillard qu'il appelait son ami; plu-
sieurs fois il répéta à Cléry : La douleur de ce bon M. de
Malesherbes via vivement ému... Tout- à-coup un bruit
sinistre se fait entendre : un nombreux cortège est intro-
78 LA GRANDE BÉVOLUTION
duit dans la tour du Temple. Garât marche à sa tête.
L'homme qui osa légitimor, par le droit de l'insurrection, les
massacres de septembre, vient lire à son roi son arrêt de
mort; il s'avance, le chapeau sur la tête. Lebrun, ministre
des affaires étrangères, Monge, Clavière et Grouvel, secré-
taire du conseil, sont auprès de Garât. Quelques assassins
de septembre forment leur escorte. Le roi écoute la lecture
de sa condamnation avec le calme de la vertu ; son visage
est serein, sa pensée est vers les cieux. Garât fixe ses yeux
sur lui, il est troublé ; les regards du monarque ont fait
pâlir l'envoyé des régicides. Louis XVI tient h la main un
papier qu'il adresse à Garât, en lui disant : Je vous prie.
Monsieur, de remettre sur-le-champ ce papier à la Convention.
Il est des instants oiî l'âme découvre tout ce qu'elle a de
plus abject. Garât hésite à recevoir cet écrit ; il n'en a point
reçu la permission des bourreaux dont il est le ministre.
« Je vais vous faire lecture de ce papier, » lui dit alors
le roi. Il était conçu en ces termes :
« Je demande un délai de trois jours pour pouvoir me
préparer à paraître devant Dieu; je demande pour cela de
pouvoir voir la personne que j'indiquerai aux commissaires
de la Commune, et que cette personne soit k l'abri de toute
crainte et de toute inquiétude pour cet acte de chavilé
qu'elle remplira auprès de moi. Je demande h être délivré
de la surveillance perpétuelle que le conseil général a éta-
blie depuis quelques jours. Je demande à pouvoir voir ma
famille dans cet intervalle, quand je le demanderai, et sans
témoin. Je désirerais bien que la Convention nationale
s'occupât tout de suite du sort de ma famille, et qu'elle lui
permît de se retirer librement où elle le jugerait à propos.
Je recommande à la bienfaisance de la nation toutes les
personnes qui m'étaient attachées. Il y en a beaucoup qui
avaient mis toute leur forluue dans leurs charges, et qui,
n'ayant plus d'appointements, doivent être dans le besoin,
DE 1789 A 1800. 70
9t même de celles qui ne vivaient qae de leurs appointe»
ments. Dans les pensionnaires, il y a beaucoup de vieiliards,
de femmes et d'enfants, qui n'avaient que cela pour viwe. »
Le roi prononra ces paroles avec un calme plein de
noblesse. Garât alla annoncer à l'assemblée régicide qu'il
avait rempli sa mission. Par la cruauté la plus dérisoire,
elle décréta que Garât répondrait à Louis que la nation
française, toujours grande, toujours juste, s'occuperait du
sort de sa famille. Et déjà ces hommes demandaient
à grands cris le sang de la reine: déjà ils méditaient
d'arracher la vie, par le supplice le plus lent et le plus
cruel, au jeune prince héritier du trône'.
Si l'on veut avoir un témoignage frappant de la rési-
gnation avec laquelle Louis reçut l'annonce de sa condam-
nation à la mort, voici ce qu'a raconté à ce sujet un
homme qui ne peut pas paraître suspect : c'est cet exé-
crable Hébert, surnommé le Père Dtichéney qui était alors
substitut du procureur de la Commune :
« Je voulus être du nombre de ceux qui devaient être
présents à la lecture de l'arrêt de mort de Louis. Il écouta
avec un sang- froid rare la lecture de ce jugement. Lors-
qu'elle fut achevée, il demanda sa famille, un confesseur,
enfin tout ce qui pouvait lui être de quelque soulagement à
son heure dernière. Il mit tant d'onction, de dignité, de
noblesse, de grandeur dans son maintien et dans ses paroles,
que je ne pus y tenir. Des pleurs de rage vinrent mouiller
mes paupières. Il avait dans ses regards et dans ses manières
qutlque chose de visiblement surnaturel à l'homme. Je me reli-
* Nous engageons nos lecteurs à lire VHistoire de Loxiis XVII,
par M. de Beauchênes. Avant d'avoir parcouru ces pages san-
glantes, on ne peut se figurer à quel degré de cynisme et de
cruauté peut arriver la nature humaine livrée à l'esprit révolu-
tionnaire.
80 LA GRANDE RÉVOLUTION
rai en voulant retenir mes larmes, qui coulaient malgré
moi, et bien résolu de tlnir \h. mon ministère. Je m'en
ouvris à un de mes collègues qui n'avait pas plus de fer-
meté que moi pour le continuer, et je lui dis avec ma fran-
chise ordinaire : « Mon ami, les prêtres membres de la
» Convention, en votant pour la mort, quoique la sainteté
• de leur caractère le leur défendit, ont formé la majorité
• qui nous délivre du tyran. Eh bien! que ce soient aussi
» des prêtres constitutionnels qui le conduisent à l'écha-
» faud. Des prêtres constitutionnels ont seuls assez de
» férocité pour remplir un tel emploi. » Nous fîmes en effet
décider, mon collègue et moi, que ce seraient les deux
prêtres municipaux, Jacques Roux et Pierre Bernard, qui
conduiraient Louis à la mort, et l'on sait qu'ils s'acquit-
tèrent de cette fonction avec l'insensibilité des bêtes
féroces'. »
Ce n'est qu'en frémissant que nous avons transcrit ces
lignes, qui confirment cet adage latin si connu : Corruptio
optimi pessima. La chute est toujours en rapport avec le
degré où l'on est élevé. On lit dans les Révélations de sainte
Brigitte, au sujet des mauvais prêtres et des supplices qui
les attendent s'ils meurent dans l'impénitence, ces pa-
roles : Vx talibus, quod unqiiani nati fuerint^ ipsi euim
profundius cadunt in infernum, quant aliquis alius. (Lib. IV,
eap. 133.)
Le 91 janvier.
La nuit qui précéda la journée du 21 janvier avait été
pluvieuse et sombre ; le bruit des tambours, qui sans re-
lâche avaient battu la générale dans tous les quartiers,
arracha de leurs domiciles le plus grand nombre des habi-
tants; la terreur ne fut jamais plus profonde. Les meur-
• Histûire de h Conjuration de Philippe d'Orléans,
DE 1789 A 1800. 81
triers du roi avaient répandu dans tous les faubourgs des
satellites qui faisaient entendre d'horribles vociférations.
Ils armaient la population pour la placer sous les ordres
des licteurs et enchaîner son désespoir: l'arme tremblante
semblait échapper des mains de ces malheureux. Des
pleurs roulaient dans leurs yeux; mais ce n'était point des
larmes, c'était le sang des meurtriers de Louis XVI qu'il
fallait verser. Le plus saint des devoirs ordonnait de dis-
perser cette horde féroce, qui, sous le nom de Convention,
prescrivait le plus affreux des attentats.
Le 21 janvier, le ciel fut encore plus sombre ; on eût dit
que la lumière du jour refusait d'éclairer le plus abomi-
nable des forfaits. Paris présentait un aspect horrible ; la
douleur muette, selon l'énergique mot de Tacite, se prome-
nait dans cette ville, et la terreur, qui enchaîne l'ex-
pression de tous les sentiments, était gravée sur le front
des habitants. Toutes les maisons, tous les magasins étaient
fermés. Ce n'était plus l'agitation d'une grande ville; des
patrouilles silencieuses circulaient dans les rues, presque
entièrement désertes. Les femmes, les enfants s'étaient
retirés dans les appartements les plus solitaires de leurs
maisons, accablés dans leurs pensives douleurs, et atten-
dant l'instant fatal avec un saisissement mortel ; la dernière
heure de tous semblait être venue.
Santerre fut l'ordonnateur de cet affreux cortège; les
assassins de septembre traînaient en avant et sur les der-
rières des canons avec un fracas épouvantable. A neuf
heures, le roi sortit du Temple, M. l'abbé de Firmont se
plaça auprès de lui dans la voiture. Deux hommes vêtus
en gendarmes se mirent sur le devant; leurs regards
sinistres, leurs gestes féroces annonçaient assez qu'ils
avaient ordre de tuer le roi si quelques mouvements s'exé-
cutaient pour l'arracher de leurs mains. Pendant cette
lente et funèbre marche, le roi eut constamment les yeux
4*
82 LA GRANDE RÉVOLUTION
fixés sur un livre de prières que lui avait donné M. l'abbé
de Firmont.
Arrivé sur l'échafaud, le roi, se tournant vers le Château
des Tuileries, fixe ses yeux sur le peuple : son regard est
plein de noblesse; d'une voix ferme et touchante, il pro-
nonce ces mots : Français, je meurs innocent; je pardonné
aux auteurs de mn mort: je prie Dieu que le sang que vous allez
répandre ne retombe jamais sur la France; je désire que ma
viort... Il allait continuer, lorsque Santerre se précipite
avec fureur vers les tambours; d'horribles roulements
étouffent sa voix. Les bourreaux saisissent la noble victime;
c'est dans cet instant que son confesseur lui adresse ces
paroles sublimes : Fils de saint Louis, montez au ciel t Le
plus épouvantable de tous les attentats est consommé l!l
Le bourreau montre au peuple la tête ensanglantée de
Louis XVI, et crie : Vive la nation^ t Le plus morne silence
régna d'abord; ce ne fut que quelques instants après quç
d'effroyables clameurs se tirent entendre*.
* Sanson, qui présidait au supplice de Louis XVI, ne prit au-
cune part active à l'exécution. Né en 1740, d'une famille vouée
depuis deux siècles au métier de bourreau, son caractère con-
trastait étrangement, par sa douceur et sa piété, avec d'aussi
Horribles fonctions; il fallut qu'il se fit violence pour les rem-
plir près de Louis XVI. Cet atroce spectacle fit sur lui une si vive
.mpression, qu'il en mourut six mois après dans les regrets les
plus amers d'avoir concouru, quoique indirectement, à un si
déplorable événement. Parmi ses dispositions testamentaires, il
voulut qu'une messe d'expiation fût dite, à ses frais, tous les ans,
le 21 janvier, pour le repos de l'ûme de Louis XVI. Sa pieuse iu •
tention fut fidèlement remplie, dans l'église de Saint-Laurent,
|usqu'en 1840, époque de la mort du lils de Sanson. Pendant
vingt ans, il n'y eut pas en France d'autres cérémonies expia*
toires ; la première protestation fut celle du bourreau.
(L'abbé DAnnAs.)
' Nous transcrivons ici un passage de la lettre de l'abbé de
Pirmont :
DE 1789 A 1800. 83
L'assemblée régicide, réunie plusieurs heures avant
l'exécution qu'elle avait ordonnée, attendait impatiemment
l'instant où elle apprendrait que Louis XVI n'était plus.
Les cris des assassins de septembre, qui entouraient l'écha-
« Aussitôt que j'eus entendu le coup fatal, je me prosternai
à genoux et je restai dans cette position jusqu'au moment où
l'infâme scélérat qui avait joué le premier rôle de celte tragédie
vint avec des cris de joie pour montrer à la populace ... et m'ar-
rosa de son sang. Je pensai qu'il était temps de m'èloigner de
l'échafaud; mais, jetant les yeux autour de moi, je me vis
cerné par vingt ou ti'ente mille hommes armés; et vouloir
percer cette foule me semblait une extravagance. Cependant,
comme il fallait prendre ce parti, ou, en restant, paraître par-
tager le délire de la multitude, je recommandai mon âme à
Dieu, et me diiùgeai vers le côté où les rangs me semblaient
être moins épais. Tous les regards étaient fixés sur moi; mais,
à ma grande surprise, quand j'eus gagné le premier rang, je
ne trouvai plus aucune résistance; le second s'ouvrit de même,
et lorsque j'aiTivai au quatrième ou au cinquième, on ne fit plus
à moi la moindre attention. On m'avait défendu de prendi'e
aucun des vêtements de mon état; je n'avais qu'une mauvaise
redingote : je me trouvai bientôt confondu dans cette foule
immense comme si j'eusse été un simple spectateur de cette
affreuse scène, qui sera à jamais le deuil et l'opprobre de la
France.
» Etonné de vivre encore et d'être libre, mon premier soin
fut d'aller chez M. de Malesherbes , pour qui le roi m'avait
chargé du phis important message. Je trouvai ce respectable et
malheureux vieillard baigné dans ses larmes; le récit que je
lui fis ne servit pas à les sécher, comme vous pouvez le croire.
Mais oubliant ses propres malheurs, et voulant bien s'occuper
des dangers dont il croyait que j'étais à l'instant même menacé:
n Fuyez, me dit-il, mon cher monsieur, cette terre d'horreur
)) et les tigres qui y sont déchaînés; jamais, non, jamais ils ne
» vous pardonneront l'attachement que vous avez montré pour
» le plus infortuné des rois, et le devoir que vous avez rempli
» aujourd'hui est un crime qu'ils voudront venger tôt ou tard.
» Moi-même, quoique je me sois moins exposé que vous à leur
» furie, j'ai le projet de me retirer, sans plus tarder, à ma
84
LA GRANDE RÉVOLUTION
faud, retentissent jusque dans l'antre conventionnel. Les
députés de la Montagne s'agitent sur leurs bancs, et
unissent leurs clameurs à celles de leurs complices. Jamais
leurs regards ne furent plus farouches; ils les fixent avec
l'expression d'une joie sombre et féroce sur les députés de
la Gironde. Ce fut dans ce moment que la Convention en-
tière se leva et fit entendre les vociférations dont le signal
fut donné par le bourreau lorsqu'il montra au peuple la
tête ensanglantée du roi.
Une sombre pâleur était empreinte sur les traits décom-
posés de plusieurs membres de la Convention. Vergniaud
paraissait abattu, il avait presque perdu l'usage de la voix;
une fièvre ardente l'avait agité pendant toute la nuit. Il ra-
conta à un de ses amis que l'image sanglante du roi,
comme un affreux spectre, avait troublé son âme et égaré
sa raison; un poids accablant semblait l'oppresser.
Lorsque l'attentat eut été consommé, cette multitude qui
couvrait la place s'éloigna tout-à-coup, agitée par une
sombre terreur; on ne se parlait pas, chacun marchait la
tête baissée, et dans l'accablement de la douleur, retour-
nait vers son habitation pour pleurer avec sa famille.
Durant cette épouvantable journée, la stupeur seule
sembla habiter Paris; le silence le plus lugubre régnait
dans les places, et n'était interrompu que par le passage
de quelques hordes de cannibales, leurs chants funèbres,
leurs danses barbares portaient l'effroi jusqu'au fond de
» terre; mais vous, mon cher monsieur, ce n'est pas seulement
» Paris, c'est la France entière qu'il faut quitter, car il n'y a
» pas un coin où vous puissiez être en sûreté. »
Ce fut dans ce moment que M. de Malesherbes transporté
d une douleur et d'une indignation qu'il est impossible d'expri-
m(M', parla sur la Révolution avec une éloquence sublime.
« Vous auriez cru, dit l'abbé Edgeworth, entendre Purke lui-
même. »
DE 1789 A 1800. 83
l'âme; elles poursuivaient de leurs rugissements les pai-
sibles habitants, qui fuyaient à leur approche.
La mort de Louis XVI frappa la France de stupeur, et le
tableau que nous avons tracé de Paris fut celui que présen-
tèrent toutes les villes du royaume lorsque cet exécrable
attentat fat connu. Une consternation universelle se répan-
dit de Paris dans les provinces les plus reculées, et, dans
ce jour affreux, il n'y eut de calme et de serein que le front
de la royale victime. Les soldats firent éclater dans les
camps la plus s^Mnbre douleur : ils refusaient de croire que
le roi de France eût péri sur l'échafaud '.
L'effet produit par la nouvelle de l'exécution de Louis XVI
dans toute l'Europe fut inexprimable. Pie VI fit célébrer
à Rome un service solennel pour le repos de l'âme de
l'infortuné monarque ; il rassembla les cardinaux en con-
sistoire : « Pourquoi, leur dit-il, les larmes et les sanglots
n'interrompent-ils pas mes paroles? Ne sont-ce pas les gé-
* 11 est mort dernièrement, dans les environs de Bouchain, un
vieillard de plus de quatre-vingt-dix ans, le nommé Hotelard,
qui devait à une particularité singulière le surnom de Trembleur.
Cet homme, qui était perruquier de son état, s'était jadis engagé
comme volontaire dans les armées de la première République,
où il avait longtemps exercé les fonctions de tambour.
Le 21 janvier i'i93, il était de service, place de la Révolution,
et assista à l'exécution de Louis XVI. Il fit ainsi partie du peloton
de tambours dont le roulement, sur l'ordre de Santerre, couvrit
la voix du roi lorsque celui-ci, du haut de l'échafaud, voulut
haranguer le peuple. Hotelard avait conservé de ces scènes
émouvantes un souvenir tellement puissant, une impression si
violente, qu'il ne pouvait en parler sans être saisi d'une sorte
de tressaillement nerveux, bientôt suivi d'un violent tremble-
ment. En ces moments, sa tête même oscillait sur ses épaules ;
aussi le surnom de Trembleur ne tarda pas à lui être univer-
sellement donné.
Une fille d'Hotelard prit le voile en 1820 et mourut dans un
couvent de Paris j un de ses fils fut tué, en 1832, dans une
éiueuLc.
86 LA GRANDE RÉVOLUTION
missements, plutôt qu'aucune voix, qui doivent exprimer
l'immense douleur que nous sommes forcé de manifester,
en vous annonçant l'horrible crime du 21 janvier? De tant
de juges iniques et pervers, de tant de suffrages forcés, que
ne devait-on pas attendre d'infâme, d'affreux, d'exécrable
pour tous les siècles? La captivité et la mort de Louis XVI
ont été accompagnées de circonstances tellement lamen-
tables, que tout homme, s'il lui reste encore un sentiment
d'humanité, n'a pu en entendre le récit qu'avec épouvante,
surtout quand on connaît le caractère de Louis, doux,
affable, bienfaisant, ennemi de la sévérité et de la rigueur,
rempli d'amour pour son peuple, facile et indulgent pour
tous. Si nos exhortations avaient obtenu quelque succès,
nous ne nous plaindrions pas aujourd'hui de la ruine qui
frappe la France, et qui menace les rois et les royaumes.
0 France, appelée par nos prédécesseurs le miroir de la
chrétienté, l'appui immobile de la foi; toi dont la ferveur
chrétienne et la dévotion au Siège apostolique n'avaient pas
d'égales parmi les autres nations, comment es-tu tombée
dans cet excès de désordre, de licence et d'impiété? Ta
n'as recueilli que le déshonneur, l'infamie, l'indignation
des peuples et des rois, des petits et des grands, du pré-
sent et de l'avenir*, »
La messe solennelle pour le repos de l'âme du monarque
1 Lorsque les féroces geôliers de Louis XVI, prisonnier du
Temple, lui refusèrent un rasoir, le fidèle serviteur qui nous a
transmis l'histoire de cette longue et affreuse captivité lui dit :
« Sire, présentez-vous à la Convention nationale avec cette longud
barbe, afin que te peuple voie comment vov^ êtes traité. »
Le roi répondit :
« Je ne dois pas chercher a intéresser sur mon sort. »
Qu'est-ce donc qui se passait dans ce cœur si pur, si soumis,
si préparé? L'auguste martyr semble craindre d'échapper au
sacrifice, ou de rendre la victime moins parfaite : quelle accep-
tation, et que 7i'aura-t-elle pas mcrité ï
DE 1789 A 1800. 87
fut célébrée dans la chapelle pontificale, en présence des
princesses Victoire et Adélaïde, tantes du feu roi. On pro-
nonça l'oraison funèbre de Louis XVI, et l'on vit plusieurs
fois Pie VI verser des larmes abondantes en entendant
louer les vertus d'un prince si malheureux et si peu digne
de l'être *,
JL» Terreur,
Les meurtriers de Louis XVI sont entraînés à tous les
forfaits; le cri de leur conscience semble les avertir qu'ils
n'ont plus de salut que dans le crime : c'est dans le sang
qu'ils laveront leurs bras ensanglantés ; la France expirante
dans les convulsions de l'anarchie frémit sur ses épouvan-
tables destinées.
La terreur fut dès lors le système gouvernemental de la
France. Une multitude de victimes de tous âges, de tous
rangs, de toutes conditions périrent pour assouvir l'ambi-
tion de Robespierre, Cromwel avorté delà Révolution fran-
çaise, et qui n'eut du républicain anglais que la cruauté
sans le talent. Des ordres furent donnés pour le pillage de
toutes les églises et la suppression du culte catholique en
France. Les églises possédaient huit cents millions tant en
vases sacrés qu'en ornements précieux ; il n'en revint pas
deux cents au trésor public, le reste fut la proie des spo-
liateurs.
Un jour, au milieu d'une séance conventionnelle, on vit
entrer des groupes de soldats revêtus d'habits pontificaux;
ils étaient suivis d'hommes du peuple rangés sur deux
lignes et couverts de chapes, de cnasubles, de dalma-
tiques. Paraissaient ensuite, sur des brancards, grand
nombre de calices, de ciboires, d'ostensoirs d'or ou de ver-
meil. La pompe défila au son des airs patriotiques, et les
* nistoire de l'Eglise, par l'abbé Darras.
88 LA GRANDE RÉVOLUTION
acteurs de cette scène sacrilège finirent par abjurer publi-
quement tout culte autre que celui de la liberté. De pareilles
scènes se renouvelèrent dans toutes les provinces. On ne
rencontrait partout que des bûchers où brûlaient des livres
d'église, les chaires, les confessionnaux, les ornements
sacrés, les tableaux, les reliques des saints, et l'on voyait,
autour de ce feu, la populace, ivre de vin et d'impiété,
danser en blasphémant le Dieu de ses pères. On mutila les
statues des saints, on brisa les croix, on enleva le fer des
grilles, on fondit les cloches; on abattit même quelques
clochers, sous prétexte que par leur élévation ils contra-
riaient l'égalité républicaine. Les tombeaux ne furent pas
respectés, les cendres royales de Saint-Denis furent jetées
au vent ; la patronne de Paris ne put trouver grâce aux
yeux de ces forcenés, et la châsse de sainte Geneviève fut
brûlée sur la place de Grève. La divinité nouvelle de ce
peuple en délire fut la Raison, qui reçut, dans le temple du
seul vrai Dieu, sous les traits des statues vivantes, l'encens
d'adorateurs abrutis. Les prêtres furent déportés à la
Guyane et sur les pontons. La plupart moururent martyrs
de leur fidélité, de leur dévouement, de leur foi. Bon
nombre de prêtres et d'évêques de l'église constitutionnelle
résignent alors leurs fonctions , apostasient et se marient.
Cependant les prêtres fidèles expatriés recevaient partout,
notamment en Angleterre, le plus touchant accueil, et don-
naient en échange une édification qui porta plus lard ses
fruits '.
Supplice des boarrcaax.
La divine justice a frappé les monstres dont les crimes
avaient épouvanté le monde. Sans doute ils ne furent pas
* nùtùire de l'Eglise, par l'abbé Darras.
DE 1789 A 1800. 89
tous punis d'une manière visible : Dieu s'est réservé l'é-
ternité pour rendre à chacun selon ses œuvres.
Un des plus grand-s crimes que l'on puisse commettre,
c'est sans doute l'attentat contre la souveraineté, nul n'ayant
des suites plus terribles. Si la souveraineté réside sur une
tête, et que cette tête tombe victime de l'attentat, le crime
augmente d'atrocité. Mais si ce souverain n'a mérité son
sort par aucun crime, si ses vertus mêmes ont armé contre
lui la main des coupables, le crime n'a plus de nom. A ces
traits on reconnaît la mort de Louis XVI.
Mais ce qu'il est important de remarquer, c'est que ja-
mais un plus grand crime n'eut plus de complices. La mort
de Charles I" en eut bien moins, et cependant il était pos-
sible de lui faire des reproches que Louis XYI ne méritait
point.
t II faut encore faire une observation importante : c'est
que tout attentat commis contre la souveraineté, au nom de
la natîjn, est toujours plus ou moins un crime national;
car c'est toujours plus ou moins la faute de la nation si un
nombre quelconque de factieux s'est mis en état de com-
mettre le crime en son nom. Ainsi, tous les Français sans
doute n'ont pas voulu la mort de Louis XVI '; mais l'im-
mense majorité du peuple français a voulu, pendant plus
de deux ans, toutes les folies, toutes les injustices, tous les
attentats qui amenèrent la catastrophe du 21 janvier, » dit
J. de Maistre.
Or, tous les crimes nationaux contre la souveraineté sont
* Un correctif est ici nécessaire. J. de Maistre n'est pas en-
tièrement juste dans son jugement. Louis XVI en avait appelé à
la nation. La Convention se défia de la nation et passa outre; la
Convention assuma donc sur elle la responsabilité de ce régicide.
La France fut donc innocente de ce grand attentat. Le silence
qu'elle garda après le régicide fut sou crime.
90 LA GRANDE RÉVOLUTION
punis sans délai et d'une manière terrible; c'est une loi
qui n'a jamais souffert d'exception.
Peu de jours après l'exécution de Louis XVI, quelqu'un
écrivait dans le Mercure universel :
« Peut-être n'eût-il pas fallu en venir là ; mais puisque
nos législateurs ont pris l'événement sur leur responsabi-
lité, rallions-nous autour d'eux, éteignons toutes les haines,
et qu'il n'en soit plus question. »
0 démence! Shakspeare en savait un peu plus lorsqu'il
disait : « La vie de tout individu est précieuse pour lui;
mais la vie de qui dépendent tant de vies, celle des souve-
rains, est précieuse pour tous. Un crime fait-il disparaître
la majesté royale? A la place qu'il occupait, il se forme
un gouffre effroyable, et tout ce qui l'environne s'y préci-
pite. »
Chaque goutte du sang de Louis XVI en coûtera des tor-
rents à la France; quatre millions de Français paieront
de leur tête le grand crime national d'une insurrection
antireligieuse et antisociale couronnée par un régicide.
Nous avons raconté le supplice des meneurs.
Où sont les premières gardes nationales, les premiers
soldats, les premiers généraux qui prêtèrent serment fi la
nation? Oîi sont les chefs, les idoles de cette première
assemblée si coupable, pour qui l'épithètc de constituante
sera une épigramme éternelle? Où est Mirabeau? Où est
Bailly avec son beau jour? Où est Thouret, qui inventa le
mot exproprier? Où est Osselin, le rapporteur de la pre-
mière loi qui proscrivit les émigrés?... On nommerait par
milliers les instruments actifs de la Révolution qui ont péri
d'une mort violente.
Tous ceux qui ont travaillé à affranchir le peuple de sa
croyance religieuse; tous ceux qui ont opposé des so-
phismos métaphysiques aux lois de la propriété; tous ceux
qui on dit : Frappez, pourvu que nous y gagnions; tous ceux
DB 1789 A 1800. 91
qui ont touché aux lois fondamentales de TEtat; tous ceux
qui ont conseillé, approuvé, favorisé les mesures violentes
employées contre le roi, etc., tous ceux-là ont voulu la Ré-
volution, et tous ceux qui l'ont voulue en ont été très-
justement les victimes, comme nous l'avons déjà vu.
Nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs le ta-
bleau des juges de Louis XVI qui subirent dès cette vie
le supplice dû à leur forfait. Nous avons signalé en gros,
dans des chapitres particuliers, quelques-uns de ceux qui,
s'étant distingués par leurs crimes, ont mérité une mention
spéciale :
Saint-Ju$t (Aisne). — Guillotiné le 28 juillet 1794.
Condorcet (Aisne). — S'est empoisonné dans la prison du
Bou g-"a-R.eine, près Paris.
Rabaud Saint-Etienne (Aube) : vota pour la détention. —
Guillotiné le lo décembre 1793.
Jean Duprat (Bouches-du-Rhûne). — Guillotiné le 31 oc-
tobre 1793.
Rebecquy (Bouches-du-Rhône). — S'est noyé à Marseille en
179o.
Barbaroux (Bouches-du-Rhône). — Guillotiné à Bordeaux
le 7 messidor an II.
Gaspann (Bouches-du-Rhône). — Ce martyr de la liberté est
mort d'indigestion à Toulon.
Roière (Bouches-du-Rhône). — Mort à Cayenne en 1798.
Deperret (Bouches-du-Rhône) : la réclusion. — Guillotiné
le 31 octobre 1793.
Fauchet (Calvados) : la détention. — Guillotiné le 31 oc-
tobre 1793.
Cussy (Calvados) : la détention. — Guillotiné le 15 no-
vembre 1793.
Bazire (Cùte-dOr). — Guillotiné le S a\Til 1794.
Hugues (Creuse). — Guillotiné le 6 octobre 1796.
92 LA GRANDE RÉVOLUTION
Buzot (Eure). — Trouvé dans un champ dévoré par des
oiseaux de proie.
Duroy (Eure). — Condamné à mort par une commission
militaire le 16 juin 1795, il s'est poignardé après la
lecture de son jugement; n'étant pas mort de sa bles-
sure, il a été exécuté le même jour.
Lacroy (Eure-et-Loir). — Guillotiné le 5 avril 1794.
Brisnot (Eure-et-Loir). — Guillotiné le 31 octobre 1793.
Pétion (Eure-et-Loir). — Trouvé dans un champ, dévoré
par des oiseaux de proie.
Rahaut-Pommier (Gard). — Guillotiné le 16 décembre 1793.
Desazy (Haute-Garonne). — Guillotiné le 5 avril 1794.
Verr/niaud (Gironde). — Guillotiné le 31 octobre 1793.
Guadet (Gironde). — Guillotiné le 23 juin 1794.
Gensonné (Gironde). Guillotiné le 31 octobre 1793.
Grangeneuve (Gironde) : la réclusion. — Guillotiné le 20 dé-
cembre 1793.
Ducos (Gironde). — Guillotiné le 30 octobre 1793.
Boyer-Fonfrède (Gironde). — Guillotiné le 31 octobre 1793.
Lacaze (Gironde) : la réclusion. — Guillotiné le 30 octobre
1793.
duval (Hérault). — S'est tué.
Fabre (Hérault). — Tué le 12 janvier 1794.
Bonnier (Hérault). — Tué près de Rastadt.
Amar (Isère). — Guillotiné.
Chabot (Loir-et-Cher). — Guillotiné le 5 avril 1794.
Coustard (Loire-Inférieure) : la réclusion. — Guillotiné le
7 novembre 1793.
Delaunay (Maine-et-Loire). — Exécuté l'an II.
Charles Charlier (Maine-et-Loire). — S'est suicidé en 1797.
Salles (Meurlhe) : la détention. — auiUotiné ii Bordeaux
le 19 juin 1794.
Lehardy (Morbihan) : la détention. — Guillotiné le 31 oc-
tobre 1793.
DE 1789 A 1800. 93
Giîîet (Morbihan) : la détention. — Tué par Le Cat.
Ana^harsis Clootz (Oise). — Guillotiné le 24 mars 1794.
Dufriche-Valasé (Orne). — Guillotiné le 31 octobre 1793.
Robespierre (Paris). — Guillotiné le 28 juillet 1794.
Danton (Paris). — Guillotiné le 5 avril 1794.
Collot d'Herbois (Paris). — Déporté à la Guyane.
Manuel (Paris) : la détention. — Guillotiné le 14 novembre
1793.
Camille Desmoulins (Paris). — Guillotiné le 5 a\Til 1794.
Billaud-Varennes (Paris). — Déporté à la Guyane.
Marat (Paris). — Tué par Charlotte Corday le 14 juillet
1793.
Fabre d'Eglantine (Paris). — Guillotiné le 5 awil 1794.
Osselin (Paris). — Guillotiné le 27 juin 1794.
Robespierre jeune (Paris). — Guillotiné le 28 juillet 1794.
L.-P. duc d'Orléans- Egalité (PdiYis). — Guillotiné le 7 no-
vembre 1793.
Duquesnoy (Pas-de-Calais). — S'est poignardé.
Lebas (Pas-de-Calais). — S'est tué.
Couthon (Puy-de-Dôme). — Guillotiné le 28 juillet 1794.
Romme (Puy-de-Dôme). — S'est poignardé.
Soubrany (Puy-de-Dôme). — Guillotiné en 1795.
Féraud (Hautes-Pyrénées). — Assassiné dans la Convention
le 20 mars 1793.
Biroteau (Pyrénées-Orientales). — Guillotiné à Bordeaux
le 14 octobre 1793.
Cusset (Rhône-et-Loire). — Fusillé le 10 octobre 1796.
Javogue fils (Rhône-et-Loire). — Fusillé le 9 octobre 1796.
Phélipeaux (Sarthe). — Guillotiné le 5 avril 1794.
Gorsas (Seine-et-Oise). — Guillotiné le 5 avril 1794.
Hérault de SécJielles (Seine-et-Oise). — Guillotiné le 5 avril
1794.
Teillier (Seine-et-Marne). — S'est tué le 17 septembre
1793.
94 LA GRANDE RÈVOLÛfiON
Duchastel (Deux-Sèvres) : le bannissement. — Guillotiné le
30 octobre 1793.
Sillery (Somme) : la détention. — Guillotiné le 31 octobre
1793.
Lasource (Tarn). — Guillotiné le 31 octobre 1793.
Antiboul (Var) : la détention. — Guillotiné le 31 octobre
1793.
Lesterpt-Bauvais (Haute- Vienne). — Guillotiné le 31 octobre
1793.
Maure aîné (Yonne). — S'est tué.
Lepelletier Saint-Fargeau (Yonne). — Tué le 20 janvier
1793 au Palais-Royal.
Boileau (Yonne). — Guillotiné le 31 octobre 1793.
BourboUe (Yonne). — Guillotiné le 15 juin 1795.
A cette ïiste incomplète des régicides nous ajouterons
les noms d'autres révolutionnaires :
Champfort, né en 1741, dans un village de l'Auvergne^
d'un père inconnu, membre de l'Académie française, ami
de Mirabeau, l'un des chefs de la Révolution, emprisonné
par les jacobins, délivré^ mais, saisi de la frayeur d'une
seconde arrestation, se tire un coup de pistolet qui lui enfonce
un œil; se donne plusieurs coups de rasoir, et meurt, on
1794, d'une opération faite trop tard. En 1789, il ne rêvait
qu'innovation et bonheur.
— Bailly, maire de Paris, décapité le 12 novembre 1793.
— Lavoisier, académicien, savant chimiste, devenu, de-
puis la Révolution, commissaire de la trésorerie nationale.
Décapité en 1794.
— Le comte de Clermont-Tonnerre, membre du côté
révolutionnaire de l'Assemblée constituante, mais attaché
au parti modéré, qui croyait pouvoir arrêter la Révolution
et conserver, dans le système appelé monarchien, un roi
constitutionnel. Massacré en 1792.
DE 1789 A 1800. 9H
— Claude Pauchet, décapité le 31 novembre 1793.
— RoucHER, littérateur, auteur du poème des Mois : lié
avec les beaux esprits, favorable d'abord à la Révolution,
puis désabusé par ses excès. Décapité en"! 794.
— Joseph Lebon, curé constitutionnel en 1790, membre
de la Convention, devenu un infâme assassin. Accusé et
décapité en 1795.
— Le comte de Mirabeau, l'un des chefs les plus puis-
sants de la Révolution en 1789; décrédité en 1791, et mort
dans des souffrances horribles causées, dit-on, par le
poison des jacobins, devenus ses ennemis.
— Necker, protestant genevois; commis d'abord, puis
appelé trois fois au ministère des finances; renvoyé troiè
fois, en 1785, 1789 et 1790; est détesté des uns comme
ayant trompé Louis XVI pour accélérer la Révolution, et
méprisé des autres comme un charlatan sans moyens, genre dé
supplice qui n'est pas le moindre pour un orgueilleux.
Notre plan ne nous permet pas de citer d'autres noms.
On trouvera une liste plus détaillée dans le Mémorial de la
Révolution française. Les exemples que nous avons citéâ
suffisent pour démontrer que les châtiments de k justice
divine atteignent souvent, dès ce monde mêmey les grands
coupables.
liOuls • Philippe d'Orléans • Egailiié '.
Né le 13 avril 1747, ce prince avait, par d'heureuses dis-
positions, fait concevoir certaines espérances; le jeune
* Nous avons pris nos renseignements pour cet article dans la
Conjuration de Philippe d'Orléans, 2 vol. in-8°, écrits par un
témoin oculaire, et dans les deux volumes de Crétineau-Joly :
Histoire de Louis-Philippe d'Orléans et de l'Orléanisme. Cet ou-
vrage contient des pièces officielles et des révélations terribles
96 LA GRANDE RÉVOLUTION
homme ne tint aucune des promesses de l'enfant. On eftt
dit que chez lui la précocité du vice aimait à se révolter
contre toutes les lois de la pudeur, et qu'il s'étourdissait
afin de se fuir lui-même.
Le mariage et la paternité ne modifièrent en rien sa con-
duite. L'époux se perdit dans des orgies, le père s'oublia
dans une dépravation dont la Régence elle-même n'avait
pas fourni l'exemple. Ce fut un assaut sans trêve ni fin de
ces excès interdits et de ces choses impossibles, dont le
plaisir est pour un seul, dont l'opprobre est pour tous.
Dans son Palais-Royal, où chaque convive, ivre en y péné'
trant, devait boire comme les sables du désert et blasphé-
mer ainsi qu'un damné, Louis-Philippe s'aguerrissait à la
honte : il s'habituait à la dégradation.
A une révolution qui se proposait d'engloutir l'Eglise
aussi bien que la monarchie, et qui s'avançait cauteleuse
ou menaçante, prête à spolier, ou simplement réforma-
trice, selon le besoin, il fallait un chef ou plutôt un dra-
peau. Louis-Philippe fut désigné, parce que la Révolution
savait que l'ennemi le plus cruel est un lâche à qui l'on
arrange certains succès.
Louis-Philippe venait, du fond de son palais, d'assister
aux massacres de septembre, organisés par son ami Dan-
ton, dont la voix était aussi formidable que le son du toc-
sin. Muet devant cette interminable orgie de sang, il allait
se mettre h table à son heure habituelle, quand un convive
inattendu lui est annoncé. Le peuple dont il dirigea l'édu-
cation a tué pour son plaisir. La princesse de Lamballe, la
belle-sœur de Louis-Philippe, est au nombre de ses plus
illustres victimes. Le peuple, qui fait bien les choses,
apporte au Palais-Royal la tète livide et couverte de sang
quionlport6àrorléanismc nn coup mortel dont il ne se relèvera
pas, malgré les menées du duc d'Auiuale.
DE 1789 A 1800. 97
et de boue ; il demanda un témoignage de reconnaissante
approbation. Ce témoignage lui est accordé. Philippe paraît
à son balcon; il sourit aux assassins et les salue, car c'est
un douaire annuel de trois cent mille francs qu'il n'aura
plus à payer. Et comme si, dans ce palais, un cri de pitié
devait toujours être accompagné d'un sentiment d'égoïsme,
M"°' Buffon, la maîtresse en titre, folle de frayeur et de
désespoir, tombe évanouie en disant : « Ahl mon Dieu,
ma tète sera ainsi portée un jour ! » Egalité se mit à table,
et il dîna.
Philippe a eu l'ambition du diadème; il n'a plus que
celle de la honte.
Peu après les massacres des 2 et 3 septembre, d'Orléans
s'était traîné de lui-même au dernier terme de la dégrada-
tion. Il était monté dans la tribune des jacobins, portant
pour diadème le bonnet rouge. Là il avait déclaré solen-
nellement qu'il n'était point le fils du dernier duc d'Or-
léans...
Il avait écrit ces honteuses et criminelles folies à la
Commune de Paris, lui demandant un nom qui prouvât
que ce n'était pas le sang de Henri IV qui coulait dans ses
veines. La Commune avait, en conséquence, pris l'arrêté
suivant :
« Le conseil général de la Commune de Paris arrête, sur
la demande de Louis-Philippe-Joseph, prince français, ce
qui suit :
» 1" Louis-Philippe-Joseph et sa postérité porteront
désormais pour nom de famille Égalité;
» 2" Le jardin connu jusqu'à présent sous le nom de
Palais-Royal s'appellera désormais Jardin de la Révolution;
» 3'' Louis-Philipe-Joseph Égalité est autorisé à faire
faire, soit sur les registres publics, soit sur les actes nota-
riés, mention du présent arrêté. »
€8 LA GRANDE RÉVOLUTION
Ce baptême était burlesque; il le reçut d'une façon sé-
rieuse qui dépassa le burlesque. Il écrivit :
« Citoyens, j'accepte avec une reconnaissance extrêma
le nom que la Commune de Paris vient de me donner; elle
ne pouvait en choisir un plus conforme à mes sentiments
et h mes opinions. Je vous jure, citoyens, que je me rap-
pellerai sans cesse les devoirs que ce nom m'impose et que
je ne m'en écarterai jamais.
» Je suis votre concitoyen,
» L. -P. -Joseph Egauté. »
Afii do prouver que, pour la première fois de sa vie, il
disait vrai, Egalité se présente au?; électeurs de Paris, ^\
il brigue l'honneur d'être un de leurs députés à la Conven-
tion.
Admis dans cette assemblée révolutionnaire, Egalité ne
prend qu'une fois la parole : c'est pour dénoncer h la tri-
bune la duchesse d'Orléans, son épouse, « femme très-
estimable sans doute, dit-il, mais dont les opinions sur les
affaires présentes n'ont pas toujours été conformes aux
miennes, n Ce devoir d'un patrioti me si peu conjugal rem-
pli à la surprise de tous. Egalité attend l'épreuve du procès
i]o Louis XVI. Lorsque le monarque prisonnier parut de-
vant la Convention, il vit en face de lui Philippe, qui, cher-
chant la calme dignité du juge, ne trouvait que la stupide
impassibilité du bourreau.
Lorsque fut arrivé le tour de d'Orléans pour opiner sur
la première question : Louis e$t-il coupaJ^le f jl iponta à la
tribune comme ceux qui l'avaient précédé, et do là cria
d'une voix foi'lc : Oui. Ce sanguinaire oui excita un mou-
vement tumultueux d'indignation parmi ses adversaires,
quoiqu'ils l'eussent également prononcé. Ce n'était pas là
une inconséquencci c'était un témoignage que ce mot
DE 1789 A iSOO. 93
n'aurait pas dû sortir de la bouche du parent de Louis, qui
ne pouvait avoir aucun motif de se prononcer ainsi.
Quand on lui posa la question sur la peine que méritait
le roi, l'infâme d'Orléans, du haut de la tribune, lut ces
effroyables paroles : « Uniquement occupé de mon devoir,
» convaincu que tous ceux qui ont attenté ou qui attente-
» raient par la suite à la souveraineté du peuple méritent
» la mort, je vote pour la liort. »
La MORT I Ce mot dans la bouche de ce monstre fit pous-
ser un cri d'effroi même à ces hommes qu'on ne croyait
plus susceptibles d'humanité ; ils se levèrent brusquement,
et détournant la tête, faisant avec les mains un mouvement
comme pour repousser ce misérable, ils s'écrièrent : Oh!
l'horreur! ohl le monstre!
Prince inhabile , assassin stupide , Philippe Egalité
croyait par ces excès de férocité se frayer un chemin au
trône. Sa brutale ambition l'aveugla. Ce cri de sang, que
bi':'ntôt après répéta l'univers entier et qui retentira dans
la postérité la plus reculée, fut à peine sorti de sa bouche,
qu'il éleva entre le trône et lui une barrière insurmon-
table; il ébranla le ciel même, qui s'apprêta à faire des-
cendre sur sa tête un jugement épouvantable. Son rôle fut
fini dans la Révolution. La haine universelle dont il s'en-
veloppa en votant la mort de son roi, de son parent, de
Bon bienfaiteur, le rendit un objet d'exécration et de mé-
pris pour ces mêmes maratistes dont il avait acheté la hon-
teuse amitié. Chacun commença à hâter par ses vœux son
supplice. Dumouriez lui-même, étonné et comme effrayé
du discrédit subit dans lequel tombait le prince au sein de
la capitale, alla se cacher aux environs de Paris, attendant
avec inquiétude la dernière scène de ce drame tragique
qu'avait commencé la Révolution. Le sanglant dénouement
i:e se fit pas longtemps attendre. •
100 LA GRANDE RÉVOLUTION
Piiilippc Eg'alité assiste à la uiort de Louis ^"^'D.
On sait que rcxécution se fit entre le piédestal de la
statue de Louis XV et les Champs-Elysées. Pendant qu'on
immolait l'auguste victime, d'Orléans se tenait dans un
cabriolet sur le pont Louis XV. Il contempla froidement
tous les appareils de l'exécution. Des témoins oculaires,
qui l'observaient attentivement, disent que, lorsque la tête
fut séparée du tronc, le sourire se plaça sur ses lèvres;
on vit, dit-on, briller dans ses yeux sanglants une joie
féroce. Il resta sur le pont jusqu'à ce que le corps eût été
emporté. Alors il gagna son Palais-Royal, où il monta dans
une voiture élégante, attelée de six chevaux bais, et alla
dîner au Raincy, l'une de ses maisons de plaisance. Il y
avait convié quelques-uns des principaux conjurés, et il se
félicita sans doute avec eux de ce qu'après quatre années
de forfaits, il était enfin parvenu à obtenir la mort du
monarque qu'il croyait remplacer.
Le ciel ne permit pas que d'Orléans montât sur ce trône
d'où il avait précipité Louis XVI *. D'Orléans, pour acca-
* Le Moniteur du 6 février 1793, après avoir annoncé, sous la
rubrique de Londres, que le prince de Galles venait d'aban-
donner ouvertement le parti de l'opposition, continue ainsi ;
« On ajoute qu'au moment où ce prince apprit que Philippe-
Joseph Egalité, son ancien ami, avait cru devoir voler contre
Louis, il détacha le portrait qu'il avait en son palais de Carllon,
le déchira de ses propres mains, et fit jeter les lambeaux dans
la cour, )>
Les maîtresses de Philippe d'Orléans éprouvèrent le même
senliinent que le prince de Galles, et l'une délies, M™" Eliolt,
une Anglaise, raconte aux pages 124 et 125 de ses Mémoires,
récemment publiés :
« Je n'ai jamais ressenti pour personne une horreur pareille à
celle que j'éprouvai pour la conduite de ce prince. Nous étions
tous dans une profonde aflliction et dans les larmes. Le pauvre
DE 1789 A 1800. 101
parer des voix en faveur de l'arrêt de mort, s'était servi de
Saint-Fargeaa, et celui-ci précéda Louis au tombeau. Dans
les révolutions des empires, les mêmes causes produisent
les mêmes effets. Saint-Fargeau périt comme Bradshaw.
La veille de la mort de Louis, il dînait chez un restaura-
teur du Palais-Royal. Un homme l'aborde et lui dit :
« Saint-Fargeau, vous aviez donné votre parole d'honneur
que vous et vingt-cinq de vos amis ne voteriez pas la mort
du roi. Vous avez vendu votre suffrage et celui de vos
amis. Reçois, misérable, le prix de ton parjure. » En disant
cela, cet homme plonge son sabre dans le cœur de Saint-
Fargeau et s'évade. On a supposé qu'il avait dit de fort
belles paroles en rendant le dernier soupir. La vérité est
qu'il ne proféra que ces deux seuls mots : J'ai froid.
Quant à d'Orléans, il avait vu enfin, le 21 janvier, tom-
ber cette tête contre laquelle il conspirait depuis si long-
Biron, qui était républicain, avait presque un accès de désespoir.
Un jeune aide-de-camp du prince arracha son uniforme et le
jeta dans le feu, en disant qu'il rougii'ait de le porter désormais.
11 se nommait Rutan : il était de Nancy. C'était un noble et
vaillant jeune homme, qui n'avait point émigré par affection
pour le pauvre Biron, quoique de cœur il fût avec les princes.
Quand ma voiture fut avancée, je retournai chez moi; mais tout
me semblait affreux et sanglant. Mes gens paraissaient frappés
d'horreur. Je n'osais pas coucher seule dans ma chambre j je
fis veiller ma femme de chambre avec moi toute la nuit, avec
beaucoup de lumières et en priant. 11 m'était impossible de dor-
mir; l'image de ce malheureux monarque était sans cesse de-
vant mes yeux. Je ne crois pas qu'il soit possible de ressentir
un malheur de famille plus vivement que je ne ressentis la mort
du roi. Jusqu'à ce moment je m'étais toujours flattée que le duc
d'Orléans s'était laissé séduire, et que je voyais les choses sous
un faux jour; maintenant, toute illusion était dissipée. Je jetai
dehors tout ce qu'il m'avait donné, tout ce que j'avais dans mes
poches et dans ma chambre : il y avait pour moi une souillure
sanglante en tout ce qui avait appartenu à ce malheureux. »
102 LA c?vAT:r!i!! r.in-o'.-TioM
temps, et db& le 22 son supplice, un supplice effroyable,
commença pour lui. Le repos l'abandonna pour toujours.
Il se crut environné d'assassins. Il se revêtit d'une cuirasse.
Il se retirait pendant la nuit dans les appartements les
plus secrets de son palais, et, à l'exemple de Cromwel, il
ne coucha plus deux fois dans le môme lit. Il remplit son
jardin, ses cours, l'intérieur de sa demeure de brigands
qu'il payait chèrement et dont les poches étaient pleines de
pistolets et de poignards. Une horde de scélérats le suivait
partout. Dans son palais il devint invisible. A moins d'être
un des conjurés bien connus de lui, on ne parvenait plus
jusqu'à sa Dorsonne. On était arrêté h l'entrée d'une pièce
par des hommes d'un regard affreux, d'une physionomie
hideuse ; ils étaient armés de sabres nus, et avaient autour
des reins une ceinture garnie de pistolets. Ils vous arrê-
taient, et vous contraignaient d'écrire votre nom, votre de-
meure et l'objet de votre demande ; l'un d'eux portait votre
écrit à Philippe, et vous rapportait sa réponse de vive voix.
Le voilà cet enfer anticipé dans lequel on lui avait prédit
qu'il tomberait si la hache frappv.it la tête de Louis.
A peine le sang du monarque eut coulé, que d'Orléans
ne fut plus que le mannequin, je ne dis pas assez, que le
jouet des maratistes, c'est-à-dire des hommes les plus vils
et les plus atroces qu'eût jamais engendrés notre France. Il
mendia humblement leur protection, et les misérables la lui
faisaient acheter par tous les sacrifices qu'il était encore en
son pouvoir de faire. Ses meubles, ses bijoux, ses livres,
sa vaisselle, cette magnifique galerie de tableaux qu'avait
recueillie le Régent, cette riche collection de pierres gra-
vées qu'il tenait de la munificence de ses aïeux, tout devint
la proie des maratistes. Ne pouvant assouvir leur avidité,
il ouvre de toutes parts des emprunts, il les multiplie sous
toutes les formes, il donne des hypothèques illusoires, et
ii ■.!'.' par publier son bilan.
DE 1789 A 1800. 103
Ce n'était plus pour obtenir une couronne que d'Orléans
faisait tous ces sacrifices, c'était uniquement pour conser-
ver sa vie. Après avoir si longtemps menacé celle de Louis,
il se trouvait réduit à défendre la sienne. Il ne se dissimu-
lait pas que la haine qu'aVait allumée contl-e lui la mort
du monarque était prête k le dévorer, et il ne voyait que
les maratistes qui pussent le défendre contre la nation en-
tière. Ceux de ses anciens partisans qui ne tenaient point
à la faction de ces misérables gardaient le silence, se ca-
chaient et n'osaient plus avouer leur liaison avec le prince.
Il faisait horreur h l'Europe entière, et personne n'osait
braver le cri universel. Les maratistes eux-mêmes juraient
dans le sein de la Convention qu'ils le méprisaient. Pétion
et Condorcet semblèrent l'abandonner de bonne foi et se
ranger du. côté de ses ennemis les plus ardents.
Mort d'Egalité.
On vient de voir l'histoire des crimes de ce prince, on
va voir celle de son supplice.
Il lui fut donné de soulever la France, de remuer l'Eu-
rope entière, de tromper les peuples, comme le dit Bossuet
de Cromwel, de prévaloir contre les lois. « Quand Dieu, dit
le même orateur, a choisi quelqu'un pour être l'instrument
de ses desseins, rien n'en arrête le cours : ou il enchaîne,
ou il aveugle, ou il dompte tout ce qui est capable de ré-
sistance. » Ainsi la Providence se Voile quelquefois sous
les succès des ministres de ses vengeances; mais tôt ou tard
elle se découvre et se justifie aux yeux des hommes. Jamais
peut-être sa justice et sa puissance ne se manifestèrent avec
plus d'éclat que dans les châtiments qu'elle exerça sur
d'Orléans.
La Convention fut l'instrument dont elle se servit : Du-
mouriez et le général Egalité ont trahi la patrie ; la patrie
404 LA GBANDE RÉVOLUTION
est en danger, selon une locution révolutionnaire autorisant
toutes les suspicions et justifiant tous les forfaits. Afin do
la sauver, ou plutôt de se sauver lui-même, Philippe, que
Robespierre accuse de ressusciter les Tarquins, répond à
cette évocation romaine par une autre évocation. Tarquin
se retranche derrière le premier Brutus, et il murmure :
€ Si je suis coupable, je dois être puni ; si mon fils l'est,
je vois ici l'image de Brutus. — Eh ! misérable l lui crie
un représentant du peuple, ce ne sera pas le premier sacri-
fice de famille que tu auras fait à la liberté ! »
Sous le coup de cette allusion vengeresse, Philippe Ega-
lité était dénoncé, accusé, proscrit, poussé dans l'abîme
par ses propres complices. Tel a été le résultat de chacun
de ces mouvements révolutionnaires, que, lorsqu'un parti
l'a emporté sur un autre parti, les vainqueurs à leur tour
n'ont jamais manqué de s'entr'égorger. On dirait que le
ciel avait réservé pour eux l'accomplissement de celto
menace d'un prophète : « Je leur ai dit : Je ne serai plus
votre pasteur; que ce qui doit mourir aille à la mort, que
ce qui doit être retranché soit retranché, et que ceux qui
demeureront se dévorent les uns les autres. »
Le temps de la vengeance céleste était~arrivé, le bras de
la justice divine allait enfin frapper le coupable.
Des gens envoyés par la municipalité vinrent se saisir de
la personne de d'Orléans. On ne sait trop ce qu'il proje-
tait, ce qu'il machinait encore dans ce moment, mais on le
trouva occupé à vendre son linge de corps : c'était lii sa
dernière ressource.
A la vue des fusiliers qui venaient l'arrêter, d'Orléans
pâlit et s'évanouit. Revenu à lui, il fut traîné comme un
lâche et vil malfaiteur à la mairie ; là, il se lamenta, il
pleura, il supplia à genoux, les mains jointes, qu'on lui
permît d'écrire h la Convention. Et voilà l'homme de boue
qui se croyait destiné à régner 1
DE 1789 A 1800. 103
D'Orléans entra dans la prison de l'Abbaye à huit
heures du soir, et y trouva l'immoral Laclos, qui plus
qu'un autre avait contribué à l'entraîner dans tous les
désordres. Le prince, en se voyant sous la puissance des
geôliers, versa un torrent de larmes, et donna tous les
signes de découragement et de frayeur. Son écrou n'énonça
aucune cause de détention. Il fut constitué prisonnier le
7 avril, c'est-à-dire moins de trois mois après la mort de
Louis XVI. Il faudrait être bien aveugle pour ne pas voir
qu'un aussi étonnant changement dans un aussi court
espace de temps était l'ouvrage de la Providence, dont le
pouvoir ne s'est jamais mieux manifesté que dans le cours
de cette Révolution.
Ce fut le 6 novembre, vers les quatre heures après midi,
que le funèbre cortège qui conduisait d'Orléans à la mort
sortit de la cour du Palais-de-Justice. Il y avait un très-
petit nombre de personnes au moment du départ; mais
dès que le bruit se répandit que ce malheureux prince
allait être exécuté, des flots de peuple se précipitèrent de
toutes parts sur son passage, ce qui rendit le trajet jusqu'à
la place de l'exécution fort long.
Les Parisiens montrèrent dans cette occasion toute l'hor-
reur que leur inspirait ce conspirateur, dont les dernières
années avaient été si fatales à la France. N'étant plus alors
contenus par aucune considération, ils épanchèrent sans
ménagement toute la haine qu'ils lui portaient. Tous ses
forfaits lui furent reprochés ; on lui rappela amèrement sa
poltronnerie, ses débauches, ses vols, ses menées sur les
grains, les massacres des gardes-du-corps, la journée du
20 juin, celles des 2 et 3 septembre ; on lui retraça son
animosité contre la famille royale, sa soif démesurée de
veugeance, son ambition, son amour de l'argent. « C'est
toi, lui disait-on, qui fis périr le prince de Lamballe; c'est
toi qui dernièrement fis assassiner sa veuve. Tu avais volé
105 LA cn.\>;Dr, nâvoLUTiON
la moit de ton parent; eli bien! ta vas recevoir aussi la
iriOPt. Misérable! tu voulais être roi; le ciel est juste, ton
tiûne va être un échafaud f »
D'Orléans entendait toutes ces vérités, toutes ces impré-
cations sans paraître leur donner aucune attention; il
cherchait vainement îi montrer dans son regard et dans
son attitude une fermeté qui n'était pas dans son ùme.
Lorsqu'il fut arrivé sur la place du Palais-Royal, avec
Coustard, son complice, et trois autres condamnés, la
voilure qui les portait h la mort s'anciu. D'Orléans re-
garda d'un œil sombre son palais.
Cependant, quoiqu'il s'efforçât de dissimuler son trouble,
il est assez vraisemblable qu'il souffrait cruellement. Toutes
les excroissances sanguines qui défiguraient sa physiono-
mie avaient entièrement disparu, et son visage, sans être
pâle, avait la blancheur des autres parties de son corps;
ce qui ne pouvait être arrivé sans qu'il se fût fait dans
son organisation intérieure une révolution extraordinaire
et douloureuse.
Philippe Egalité caressa, adula pendant de longues
années la popularité et la multitude. Cette mémo foule,
dont il fut l'idole et dont il escompta si dispendieusement
les hommages, l'attendait sur la place du Palais-Royal
à un dernier rendez-vous. La foule fit arrêter le tom-
bereau devant ce bazar princier, où l'athéisme s'était
proclamé dieu et avait pris la guillotine pour souverain-
pontife. Lh, avec des hurlements do joie et des raffine-
meiits do barbarie sans exemple, elle accabla le condamné
do ses mépris et de ses malédictions. Le condamné parut
impassible. On a dit qu'an prêtre, nommé Lothringer,
l'avait, à ce moment suprême, réconcilié avec le ciel '. Si
le fait est vrai et si Philippe Egalité s'est repenti, Dieu
* Aimai es catholkjv.es.
DE 1789 A ISOO. 107
n'aura jamais plus clairement manifesté sa miséricorde et
le prix qu'il attache à une âme.
D'Orléans fut exécuté entre le pont tournant des Tuile-
ries et le piédestal qui portait autrefois la statue de
Louis XV. Il monta les degrés de l'échafaud et reçut le
coup fatal. Je ne peindrai pas les bruyants applaudisse-
ments dont l'air retentit lorsque l'exécuteur montra sa tête
au peuple. Il faut détourner ses regards de ces tableaux
affligeants où l'on voit des hommes transformés en tigres
altérés de sarig. Le malheureux qui a payé ses crimes de
sa vie cesse d'être un objet odieux ; il devient digne de
notre pitié, et la sévérité du jiige qui a prononcé la mort
ne devrait jamais s'éteiidfe au-delà du tombeau.
Ainsi périt Louis-Philippe-Joseph, duc d'Orléans, à la
qaarante-sixième année de son âge, le 6 novembre 1793,
moins de dix mois après la mort de Louis XVI, à la-
quelle il avait eu tant de part. Son corps fut jeté sans
honneur parmi les nombreuses victimes qu'on entassait
journellement dans le cimetière de la Madeleine.
Dans les caveaux funèbres de Dreux, cet homme a un
sépulcre; mais ce sépulcre est sans noîn et sans épitaphe.
A le voir dans son isolement, on cfoirâit que la justice
s'exerce chez les d'Orléans après leur mort comme pen-
dant leur vie. Il ne reste rien de lui, pas même un souve-
nir de piété filiale. Ceux qui l'ont connu et qui, par lâ
portée de lem* mauvais génie, furent dignes de l'appré-
cier, le jugent sans passion et en toute vérité. Mirabeau a
dit de lui « qu'au moral il ne fallait rien lui imputer,
parce qu'il avait perdu le goût et qu'il ne sentait pas la
différence du bieii et du mal '. »
* Après ce qui précède, on lira avec autant de peine que de
surprise les lignes suivantes, extraites de l'Univers du 24 mars
1878, poiiant la signataire Alb. de Badts de Cugnac : « Le 1 "fé-
vrier 1871, M. le duc d'Aumale disait à ses élect^îurs : « La/is
i08 LA GRANDE RÉVOLUTION
Le tour des apostats.
Depuis son berceau, l'Eglise de Jésus-Christ a eu îigt^mir
sur les scandales qui ont éclaté dans son sein. Elle a usé
ses genoux sur les dalles du temple à prier pour les per-
sécuteurs et les apostats; les colonnes du sanctuaire ont
été ébranlé9S et ont roulé en tronçons sur la place pu-
blique, et les impies ont battu des mains; et les anges de
paix, se voilant la face de leurs ailes, ont pleuré sur les
maux de l'Eglise. Mais la providence de Dieu a été jus-
tifiée ; car si, sur douze apôtres il y a eu un renégat et un
traître, tous les autres ont scellé de leur sang la foi en
Jésus-Christ.
Et si de nos jours encore on voit, comme de sinistres
météores, pour punir les peuples, quelques ministres in-
dignes de leur sublime vocation, malgré le malheur des
temps et les séductions de tout genre, il y en a des milliers
qui se consument pour le salut de leurs frères, et qui
vont jusqu'aux extrémités du monde, au prix des plus
grands sacrifices, porter la bonne nouvelle de l'Evangile
aux peuplades assises à l'ombre de la mort.
Il n'est pas d'argument plus éloquent ni plus irréfu-
table que les chiffres. Voilà pourquoi nous citerons ici
quelques extraits d'une statistique officielle qui seront la
meilleure réponse aux voltairiens attardés qui s'en vont
répétant les vers de leur maître :
mes sentiments, dans mon passé, dans les traditions de ma famille,
je ne trouve rien qui me sépare de la république... » Ce souveuir
de l'usurpation évoqué si à propos, les constitutionnels l'ont
iccueilli, l'ont adopté pour mot d'ordre et pour devise; ils y ont
puisé les inspirations de cette politique cauteleuse qui, de
chutes en chutes, les a poussés parmi les suivants de M. Gam'
belta. »
DE 1789 A 1800. 109
Les prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense ;
Notre crédulité fait toute leur science.
s D'après un relevé officiel de la statistique des cours
d'assises, sur un chiffre de 120,000 prêtres, religieux et
religieuses, en vingt et un ans, il s'est trouvé 72 accusés ;
en moyenne, 4 par an, 1 sur 30,000.
Interrogée relativement à une des classes les plus juste-
ment honorées de la société laïque, celle des notaires, la
même statistique donne 1 sur 873.
Comme le soldat français reste fier d'appartenir à notre
brave armée, quoiqu'il y puisse par aventure coudoyer un
lâche, ainsi le prêtre catholique reste fier de porter sa
soutane, quoique ce vêtement ait pu couvrir la poitrine
de quelques sacrilèges.
L'homme loyal, laissant à l'insecte bourdonnant le
fumier qui l'attire, prie Dieu pour la conversion du mau-
vais prêtre, et n'impute point aux successeurs de Pierre et
de Paul les misères de l'imitateur de Judas*.
* Ce que nous disons du petit nombre de prêtres infidèles à
leur vocation, on peut le dire à plus forte raison des religieux.
«Ce qui le prouve surabondamment, dit le comte de Montalem-
bert, c'est le démenti éclatant que reçurent, en 1791, les décla-
mations de Diderot, de La Harpe et de tant d'autres sur les
victimes cloîtrées. En un seul jour toutes les clôtures furent mises
à néant, tous les vœux monastiques furent déclarés nuls. Com-
bien de moines, combien de religieuses se sont mariés? Pas un
sur mille. La plupart des femmes surtout sont rentrées libre-
ment dans le cloître dès qu'elles l'ont pu. »
Une voix qui domine toutes celles de la terre, la vois auguste
du Père commun des fidèles, s'éleva pour rendre témoignage à
de si grandes vertus. Pie VI, qui fut persécuté lui-même, et qui
vint mourir prisonnier à Valence, à l'âge de quatre-vingt-deux
ans, disait dans un bref aux archevêques et évèques de l'As-
semblée nationale :
« Notre cœur a été vivement touché des persécutions qu'é-
prouvent les religieuses en France; la plupart nous ont écrit
110 LA GRANDE RKVOLUT/ON
C'est surtout pendant la tourmente rc'n'olulionnaire de 93
que l'on put apprécier la vertu et le caractère du clergé
français; on sait que, malgré là funeste influetice du galli-
canisme et du jansénisme, la plupart des prêtres se mon-
trèrent à la hauteur de leur position, et préférèrent mille
fois l'exil et la mort plutôt que de manquer à ImtB devoirs.
« Le clergé de France, dit de Maislre, a donné au monde,
pendant la tempête révolutionnaire, tin spectacle admi*
rable. Dispersé par une tourmente affreUsé sur tous le§
points du globe, partout il a conquis l'estime et souvent
l'admiration des peuples. Aucune gloire ne lui à tnanqUé^
pas même la palme des martyrs. L'histoire de l'Eglise h*à
rien d'aussi magnifique que le massacre des Gàrmes U et
des différentes provinces de ce royaume pour nous témoigner à
quel point elles étaient affligées de voir qu'ttn les empêchait
d'observer leur règle et d'être fidèles k leiirs vœux • elles nous
ont protesté qu'elles étaient détermitlées à tout soilffrir plutôt
que de manquer à leurs engagements ^ Nous devons, rios cher»
lils et vénérables frères, rendre aupi"ès de vous témoignage à
leur constance et à leur courage : nous vous prions de les sou-
tenir encore par Vos conseils et de leur donner tous les secours
qui sont en votre pouvoir. »
Voilà la vérité, voilà l'histoire. Toutes les colères impies se-
ront impuissantes à l'effacer. Elle restera pour l'honneur do la
France calhohque, pour la consolation du passé et l'exemple de
l'avenir.
* Le 2 septembre 1792, la Commune (it tirer le canon d'a-
larme, sonner le tocsin et battre la générale pour inspirer la
terreur. Pendant que les honnêtes gens étaient glacés d'effroi,
les bourreaux coururent aux prisons et s'y enivrèi*ent de sang
et de carnage. Les vrais scélérats furent épargnés et délivrés ;
les ennemis du désordre, les nobles, les prêtres surtout, furent
impitoyablement égorgés. Le massacre commença par des ec-
clésiastiques qui obéissaient à la loi de la déportation. Ils étaient
dans trois voitures ; on les arrêta, on les conduisit à l'abbaye
Saint-Germain, et on les assassina avec quarante autres membres
du clergé et beaucoup de laïques. De Saint-Germain, les bri-
gands se portèrent au couveul des Carmes. Quelques laïques et
DE 1789 A 1800. 111
combien d'autres victimes se sont placées à côté de celles
de ces jours horriblement fameux! Le clergé fut supérieur
aux insultes, à la pauvreté, à l'exil, aux tourments et aux
échafauds *. »
Les fils de Voltaire continuent leur ignoble métier, leur
misérable patron leur a recommandé si souvent de mentir,
de mentir toujours, parce qu'il en reste quelque chose.
A l'heure où nous écrivons ces pages, 30 mars 1878, ils
recommencent une campagne contre les Frères de la Doc-
trine chrétienne. Si, sur douze mille de ces religieux, il s'en
trouve un d'infidèle à sa vocation, ils en concluent selon
leur logique qu'ils sont tous les mêmes. L'Univers du
29 mars 1878, répondant h ces sacrilèges diffamations, cite
les lignes suivantes extraites de l'ouvrage sur les Farcats
considérés sous le rapport physiologique, moral et in-
tellectuel, observés au bagne.de Toulon par H. Sau-
vergne, professeur de médecine de la marine et médecin
en chef de l'hôpital des forçats à Toulon, pages 258, 259 :
cent quatre-vingts prêtres, ayant à leur tète M. Dulau, arche-
vêque d'Arles, et M. de La Rochefoucauld et les évèques de
Beauvais et de Saintes, y étaient enfermés. Les égorgeurs fon-
dirent sur eux comme des bêtes féroces; la maison, le jardin et
leglise furent teints de sang. Quarante prêtres seulement
échappèrent aux assassins. Le lendemain, quatre-vingt-six ec-
clésiastiques détenus à Saiut-Firmiu y furent aussi massacrés.
Un grand uoiabre d'autres %ictimes perdirent la vie à la Force,
au (IHiâtelet, à l'Abbaye, à la Salpétrière, etc. A l'Abbaye, il y
eut des circonstances si hoz'ribles qu'il est impossible de les
retracer. L'abbé Lenfaut et l'abbé de Rastignac furent les deux
plus illustres victimes de cette boucherie. Les massacres du-
rèrent près de huit jours, et se firent partout de la manière la
plus atroce, à coups de sabre, de hache, de pal, de baïonnette.
De temps en temps, les bourreaux se imposaient en chantant une
stroph^i de la Marseillaise. Personne ne troubla ces monstres ;
la muiiioipalité de Paris les avait excités au heu de les retenir.
» Voyez jDé l'Eglise g<dHcnm, p^r Joseph de Maistre.
112 i.> GRANDE RÉVOLUTION
« Los pays qui jouissent de rinstitution des Frères sont,
à cet égard, les mieux partagés. Ces hommes de dévoue-
ment poursuivent avec succès l'œuvre commencée par
une mère; la crainte et l'obéissance qu'ils impriment dans
l'esprit de la jeunesse, jointes aux saines idées religieuses
et aux véritables croyances, assurent les vertus de l'atelier.
Nous ne concevons pas que ces hommes simples, qui font
vœu de pauvreté, aient pu trouver dans des gens éclairés
des détracteurs inexorables : il faut ne pas les avoir suivis
dans leurs exercices quotidiens, n'avoir pas jeté un coup
d'œil sur leur couche délabrée, ni goûté à leur pain
grossier pour croire qu'ils peuvent féconder des germes
liberticides par des leçons désintéressées et des exemples
admirables. Nous n'avons point encore rencontré un seul de
leurs élèves au bagne. »
Voici des documents historiques très-certains empruntés
à l'Histoire ecclésiastique de M. l'abbé Rivaux, t. III,
p. 296 :
€ Un décret du 27 novembre 1790 prononça que tous
les évêques et curés qui n'auraient pas fait sous huit jours
le serment de fidélité à la constitution civile du clergé,
seraient censés avoir renoncé h leurs fonctions. Enfin
le 4 janvier 1791 fut assigné comme dernier délai pour
la prestation du serment, aux ecclésiastiques députés à
l'Assemblée. Soixante se soumirent à la constitution, ayant
à leur tète Henri Grégoire, qui fit à la tribune un discours
pour prouver la légitimité de cette démarche. Trente-six
autres les imitèrent bientôt; mais de ces derniers vingt-
cinq rétractèrent ensuite leur serment, soit à la tribune,
soit par des lettres adressées au président. Ainsi des trois
cents ecclésiastiques de l'Assemblée, soixante-dix environ
embrassèrent la constitution civile.
Le dimanche 9 janvier fut marqué poui" le serment du
DE 1789 A 1800. 113
clergé des paroisses de Paris. Vingt-neuf curés le refu-
sèrent, et sur huit cents ecclésiastiques employés dans
cette grande cité, plus de six cents ne se montrèrent
qu'attachés à leurs devoirs.
Parmi les curés et les vicaires de province, la grande
majorité, au moins cinquante mille sur soixante, refu-
sèrent tout serment. Les ennemis mêmes ne purent s'em-
pêcher de leur rendre hommage. « Nous avons leur argent
disait Mirabeau, mais ils ont conservé leur honneur *. »
L'épiscopat français surtout se distingua de la manière
* 11 arriva sept mille prêtres français émigrés en Angleterre.
Il se forma un comité chargé de leur distribuer des secours ; le
produit des souscriptions monta jusqu'à un million. On en logea
jusqu'à huit cents dans un château royal; le gouvernement lui-
même travailla à étendre et à régulariser ces dons. Un bill fut
rendu pour donner des secours annuels aux émigrés de toutes
les classes; chacun d'eux recevait un traitement proportionné
à son rang. Partout le clergé français se montra digne d'un si
noble accueil, et sa conduite répondit à la pureté de la cause
pour laquelle il souffrait; elle dissipa bien des préjugés et ren-
dit respectable aux Anglais l'ancienne foi de leurs pères. Nos
prêtres établirent à Londres et ailleurs des chapelles catho-
liques; ils firent rentrer plusieure protestants dans le sein de
l'Eglise romaine. Leur zèle, leur constance, leur charité frap-
paient les esprits les plus prévenus. « En 1791 et dans les deux
années suivantes, dit le cardinal Pacca, je fus témoin de la
grande émigration du clergé de France; la plupart, appartenant
à la classe vénérable des curés, tinrent une conduite vraiment
éditiante, et justifièrent pleinement la bonne réputation qui les
avait précédés en Belgique et en Allemagne ; les exceptions
contraires furent très-rares. » Le cardinal ne fait pas le même
éloge des émigrés appartenant à la noblesse : « A Cologne et à
Lisbonne, j'eus occasion de connaître la plupart des émigrés
français, et je dois vous dire avec douleur que, à part quelques
gentilshommes de province, tous professaient hautement les
maximes philosophiques qui avaient amené la catastrophe dont
ils avaient été les premières victimes. » (RouiUîACliER, t. XXVII,
p. 5)07-o82).
H 4 LA GRANDE RéVOLUTION
la plus admirable. Sur cent trente-cinq prélats, quatre
SLUilemont furent infidèles : le cardinal de Brienne, arche-
vêque de Sens, M. de SaVines, évoque de Viviers, M. de
Talleyrand-Périgord, évoque d'Autun, et M. de Jarente,
évoque d'Orléans. De Brienne renvoya son chapeau de
cardinal, qu'il avait brigué auparavant, fut déclaré déchu
de sa dignité par le Pape, et suivit le torrent de la Révo-
lution *. Les évoques d'Orléans et d'Autun, entrés dans
l'Eglise sans vocation, prirent des fonctions civiles et se
marièrent. Quant à l'évêque de Viviers, il donna d'abord
sa démission, puis fut élu de nouveau évèque constitu-
tionnel de l'Ardèche, et se signala par les démarches les
plus extravagantes. Il eut pourtant le bonheur de se ré-
tracter, ï J'ai été dans une espèce de démence, disait-il,
depuis que j'ai prêté le serment. » En effet, il passa plu-
sieurs années à Charenton*.
Aussitôt que le refus des titulaires légitimes eut été
constaté, on s'occupa de leur remplacement, selon les
règles de la constitution. Des prêtres dont l'opinion avait
fait justice, des moines empressés à violer leurs vœux,
des hommes qui n'avaient d'autre mérite que d'avoir
embrassé la cause de la Révolution avec chaleur, des pré-
dicateurs zélés du patriotisme, etc., tels furent les sujets
qui obtinrent les suffrages. Sans demander le consente-
ment de l'Ordinaire, sans commission du Pape, sans le
serment accoutumé, sans profession de foi, malgré le vice
* Lomenîe de Brienne, membre do l'Académie française, an-
cien archevêque de Toulouse. l'un des commissaires nommés,
en 1766, pour la réforme philosophique des corps religieux,
principal ministre en 1787, évoque constitutionnel de l'Yonne en
1700, attaqué le 15 février 1794 par des bandits révolutionnaires
qui le forcèrent à les servir dans tme orgie, fut trouvé mon)
dans son lit le lendemain. (Supplcmcnt au Dictionncirc de F...
2 Picot, t. III, p. 190. — Muzas, t, IV, p. 28G. — ilokrbacher,
t.XXVllI.p, 492.
«E 1789 A 4800. 115
des élections, contre les réclamations des prélaîs légi-
times, l'évêque apostat d'Autun sacra, le 25 janvier 1791,
les curés Expilly et MaroUes comme évêques du Finistère
et de l'Aisne. Gobel, évêque in partibus de Lydda, ayant
eu h opter entre trois départements, prit celui de la Seine.
Le fameux Grégoire, curé d'Imbefmesnil, devint évêque
de Loir-et-Cher, etc.
Mais si Talleyrand, qui fut comme lé premier anneau
de l'épiscopat constitutionnel, put communiquer aux élus
le caractère de l'Ordre, il n'était pas en son pouvoir de
leur donner la confirmation et l'institution canoniques, ni
de leur conférer dans leurs départements une juridiction
qu'il n'avait pas lui-même. L'ancienne discipline, tant
invoquée par les défenseurs de la constitution, attribuait
le droit de confirmation aux métropolitains et aux conciles
provinciaux. Or, ni les uns ni les autres ne confirmèrent
Jes évêques départementaux. Vainement s'avisèrent-ils de
dire « que leur ordination seule les investissait de tous les
pouvoirs. » On réfuta cette prétention, inventée par le
besoin.
Foulant aux pieds toutes les règles et tous les droits,
les évêques constitutionnels allèrent en avant, et formèrent
lour nouveau clergé de tout ce qu'il y avait de plus gan-
grené dans l'ancien. Plusieurs mauvais prêtres allemands,
dit le cardinal Pacca, vinrent s'y enrôler. Ainsi fut fondée
en France V Eglise dite constitutionnelle *.
* J'ai assisté — fin mai 1838 — aux brillantes obsèques de
Charles-Mauvice de Talleyrand-Périgord, devenu boiteux dans
sa jeunesse par suite d'une fredaine, ci-devant évêque d'Autun,
nominativement excommunié par le pape, marié, mais resté
sans enfants, promu par Napoléon à la dignité de prince, di-
plomate consomifié, non moins impassible qu'une statue dans
les s-èances les plus délicates ou les plus orageuses, paijure à
+f^''Ucs les causes, et trahissant toujours au moment opportun.
^'16 LA GRANDE RÉVOLUTIOX
Le clergé constitutionnel ne put échapper entièrement \
la persécution, qui devint enfin générale, et plusieurs de
SCS membres périrent même pour s'être jetés dans le parti
révolutionnaire et pour en avoir partagé les excès*. Outre
ceux que nous avons déjà nommés, les évêques Lamou-
rette, Expilly, Gouttes, Roux, etc., périrent à différentes
époques pendant la Terreur, mais ils ne furent point im-
moles pour la cause de la religion. Ils furent sacrifiés à
des vengeances particulières ou enveloppés dans quelques-
unes de ces conspirations prétendues qui servaient de pré-
texte à Robespierre pour augmenter le nombre de ses vic-
times.
Fauchet, évêque du Calvados, qui s'était rendu fameux
par l'exagération de ses discours, donna l'exemple du re-
pentir*. Au commencement de la Révolution on l'avait en-
tendu plus d'une fois dans les clubs travestir l'Evangile
Une particularité m'y a frappé très-spécialement, c'est la de-
vise de son blason, exposé en plusieurs endroits de l'église de
l'Assomption, où se faisait la funèbre cérémonie. Bien d'autres
ont dû partager mon élonnement.
Cette devise portait : Re que Diou. Rien que Dieu.
Après l'avoir lue, l'admirable devise, je me mis à marmotter
quelque chose comme les phrases suivantes : « Vous qui men-
tiez si bien, Monseigneur, jamais encore vous n'aviez menti
aussi proprement : Pour vous rien que Dieu! »
Louis-PJiilippc faisait une visite à Talleyrand, pendant sa der-
nière maladie : « Comment vous trouvez-vous, mon prince? —
Je souflrc comme un damné, répondit celui-ci.— Déjà !... récrit
Louis-Philippe. »
Que s'cst-il passé dans ces entrefaites entre le moribond et
M. l'abbé Dupanloup? Nous le saurons au jugement dernier.
Talleyrand méritait les honneurs de l'immortalité, seulement
pour avoir dit avec le sublime de l'impudence : La parole a été
donnée à l'homme pour cacher sa pensée. L'abbé CouNUr.
* Précis historique sur l'Eglise constitutionnelle, p. 83.
* Précis historique sur VE<jlise constitutionnelle, p. 85, 86.
DE 1789 A 1800. 117
pour le ployer aux idées démagogiques. Le 6 avril 1792,
il déposa aussi sa calotte et sa croix, à l'exemple de ses
confrères. Cependant il parait qu'après la chute du trône,
ne pouvant plus se tromper sur le but des factieux, il prit
une marche rétrograde. Le 28 novembre 1792, il se dé-
clara, dans une lettre pastorale, contre le divorce et contre
le mariage des prêtres, et fut dénoncé à ce sujet par Le-
cointre. Son discours, lors du procès de Louis XVI,
montre encore quelque courage pour le temps, et Fauchet
y dit des vérités assez hardies, qu'il entremêle pourtant
de phrases alors reçues sur le tyran et la tyrannie. Il
s'attacha au parti fédéraliste, dont il partagea les dis-
grâces. Envoyé à la Conciergerie, il y trouva l'abbé Lo-
thringer, qui raconte ainsi ses derniers moments * : « Pour
Fauchet, je peux vous dire positivement qu'il a abjuré
non-seulement ses erreurs sur la constitution civile, mais
aussi ce qu'il a prêché dans le temps à l'église de Notre-
Dame, ce qu'il a débité dans son club, dit la Bouche-de-
Fer, sur la loi agraire, le sermon de Franklin ; qu'il a fait
abjuration de toutes ses erreurs; qu'il révoquait son ser-
ment impie et son intrusion, après avoir fait une profes-
sion de foi catholique, apostolique et romaine, ce qui oc-
casionnait des murmures entre les gendarmes qui étaient
présents. L'abbé Fauchet, après s'être confessé, a entendu
lui-même à confesse Sillery. » Traduit au tribunal révolu-
tionnaire avec vingt autres députés du parti fédéraliste, il
fut condamné à mort et exécuté le 31 octobre 1793.
Lamourette, évêque de Rhône-et-Loire , avait rédigé
quelques écrits en faveur de la constitution civile du
clergé, et Mirabeau se servait de lui quand il avait à parler
sur les matières ecclésiastiques*. On le récompensa de ses
* Annaks catholiques, t. IV, p. 169, 170.
* Précis hiit. sur l'Egl. comtif., p, 86.
118 LA GRANDE RÉVOLUTION
services en le faisant évoque, et il fut nommé député à
l'Assemblée législative, oîi il se montra généralement du
parti modéré. La session finie, il retourna à Lyon, fut en-
voyé h Paris après le siège de cette ville, et trouva dans
les prisons de la Conciergerie le vertueux abbé Emery,
dont les conseils le ramenèrent à l'unité. Le 7 janvier 1794,
il lui remit une rétractation signée et très-précise de ses
erreurs, demandant pardon d'avoir occupé un siège non
vacant, d'avoir reçu la consécration épiscopale, violé les
lois de la discipline et méconnu l'autorité du Pontife ro-
main. Celte rétractation fut depuis envoyée à Lyon par
l'abbé Emery, publiée dans le diocèse et insérée dans
quelques journaux. Le 11 janvier suivant, Lamourette fut
traduit au tribunal révolutionnaire. Après son jugement,
il fit le signe de la croix et dit publiquement qu'il était
l'auteui' des discours prononcés par Mirabeau sur les ma-
tières ecclésiastiques, qu'il regardait son supplice comme
un juste châtiment de la Providence, et qu'il y marchait
avec la plus grande résignation et le plus vif repentir'.
Gobel fut mis en jugement avec Chaumette, le comédien
Gramont et les femmes de Camille Desmoulins et d'Hé-
bert, exécutés quelques jours auparavant; de toiles gens
ne ressemblaient pas beaucoup k des martyrs. Dans le
procès, on reprocha à Gobel sa mission à Porentruy, oij il
avait pillé, dit-on. On assurait que c'étaient Anacharsis
Clootz et Pereira de Bayonne qui l'avaient engagé à faira
son abjuration. Ce malheureux prélat est un exemple des
excès où peuvent entraîner la faiblesse et la peur. Il avait
fait, en 1791, le serment avec quelques restrictions qu'il
rétracta bientôt. En 1792, il se présenta chez le marquis
de Spinola, ambassadeur de Gènes, désirant que le mar«
quis lui obtînt du Pape cent mille écus, et promettant de
' Nocl, E^hèméndcs.
DE 1789 A 1800. 119
rétracter son serment à ce prix ; mais l'ambassadeur dé-
clina cette étrange commission'. L'abbé Barruel eut, de
nuit, plusieurs entretiens avec Gobel, qui avait souhaité
cette entrevue, qui marchanda son abjuration et qui
finit par rester engagé dans le schisme. Les jacobins le
dominaient et l'entraînèrent avec eux dans l'abîme. Pen-
dant son procès, il affectait encore le langage des pa*
triotes. Quand il eut été condamné à mort, le 13 avril 1794,
la foi se réveilla en lui, et, ne pouvant avoir uii prêtre, il
envoya sa confession à l'un de ses vicaires épiscopaux,
l'abbé Lothringer, qui s'était dévoué à assister les mou-
rants. « Dans peu de jours, disait-il ^, je vais expier, par
la miséricorde de Dieu, tous mes crimes et mes scandales
contre la sainte religion. J'ai toujours applaudi dans mon
cœur à vos principes. Pardon, cher abbé, si je vous ai
induit en erreur. Je vous prie de ne point me refuser les
derniers secours de votre ministère en vous transportant
à la Conciergerie, et à ma sortie de me donner l'absolu-
tion de mes péchés, sans oublier le préambule : Ah omni
vinculo excommunicationis. (Je vous absous de tout lien
d'excommunication.) Adieu, mon cher abbé. Priez Dieu
pour mon âme, à ce qu'elle trouve naiséricorde devant lui.
•^ J.-B.-J., évêque de Lydda. ?
Trois choses importantes sont à remarquer dans cette
lettre de Gobel : 1° qu'il reconnaît avoir toujours applaudi
dans son cœur aux principes de l'abbé Lothringer, ce qui
ne peut être applicable qu'aux principes opposés à la con-
stitution civile du clergé, que Gobel lui connaissait depuis
quelque temps; que la recommandation faite par lui de ne
pas oublier dans la formule d'absolution le lien d'excom-
munication, suppose évidemment la persuasion où il était
* Noël, EpMmc'riics.
^ Annales cathol., t. ill, p. 469, 470.
420 LA GRANDE RÉVOLUTION
d'avoir encouru rexcoramunication lancée par le chef de
l'Eglise contre les envahisseurs; 3° que la signature évoque
de Lydda, qui était son véritable titre, et non évêque de
Paris, est une preuve sans réplique qu'il regardait son
évêché constitutionnel comme une criminelle usurpation,
dont il rougissait lui-même et dont il allait rendre compte
à Dieu.
Trois des principaux évêques constitutionnels se rétrac-
tèrent donc au moment de la mort '. On cite, comme ayant
fait la même réparation, Roux, évêque des Eouches-du-
Rhône, exécuté à Marseille le 27 avril 1795; repentant de
son intrusion schismatique, il en demanda publiquement
pardon. Gouttes, évêque de Saône-et-Loirc, qui iit aussi
partie de l'Assemblée constituante, et devint membre des
comités de liquidation et des recherches, déplut, dit-on,
aux jacobins à cause de son attachement à la religion ; il
fut dénoncé par un de ses vicaires épiscopaux, qui se
maria. Envoyé à Paris et traduit au tribunal révolution-
naire, il fut mis à mort le 26 mars 1794 pour une préten-
due conspiration avec des gens qu'il ne connaissait pas.
Expilly, évêque du Finistère, devint président de son dé-
parlement, prit part au mouvement fédéraliste qui éclata
dans cotte contrée en 1793, fut exécuté à Brest avec tous
les autres administrateurs, après la défaite de ce parti,
le 21 juin 1794; mais on ne sait s'il reconnut ses erreurs
à la mort. Tant de coups semblaient avoir renversé à
jamais l'Eglise constitutionnelle.
Grégroire (Henri).
Né en 1750 près do Lunéville, il était curé d'Imber-
mcsnil en 1789. Nommé député du clergé aux Etals géné-
raux, il fut un des plus ardents provocateurs de toutes les
' Précis hist. sur l'EjjL consiit.. p. 86, 87.
DE 1789 A 1800. 121
mesures révolutionnaires. Il donna, en 1790, l'exemple de
la défection à l'Eglise en prêtant serment, le premier de
son ordre, à la constitution civile du clergé, et fut élu
évèque intrus de Loir-et-Cher. Il fit partie de la Conven-
tion, et y prononça, en septembre 1792, un discours
d'énergumène; une sombre fureur était dans ses regards.
€ Toutes les dynasties, s'écria-t-il, n'ont jamais été que
des races dévorantes, qui ne vivent que de chair humaine.
Nous ne proposerons jamais de conserver en France la
race funeste des rois; les rois sont dans l'ordre moral ce
que les monstres sont dans l'ordre physique. Décrétons
donc l'abolition de la royauté. »
Ces imprécations, exprimées avec l'accent du délire,
furent couvertes d'acclamations. Aucune voix ne se fit en-
tendre pour s'opposer à tant de fureurs; la destruction de
la monarchie fut décrétée.
Le 18 novembre, lors de la discussion sur le procès à
intenter à Louis XYI, le député Grégoire, succédant à
Saint-Just à la tribune, répète avec la plus froide cruauté
tous les blasphèmes de ce dernier.
€ La postérité s'étonnera, dit-il, qu'on ait pu mettre en
question si une nation peut juger son premier commis.
> Il y a seize mois aujourd'hui qu'à cette tribune j'ai
prouvé que Louis XVI pouvait être mis en jugement. J'avais
l'honneur de figurer dans la classe peu nombreuse de
patriotes qui luttaient avec désavantage contre la masse de
brigands de l'Assemblée constituante. Les rois forment une
classe d'êtres purulents qui fut toujours la lèpre des gou-
vernements et l'écume de l'espèce humaine. Qu'arrivera-
t-il si, au moment où. les peuples vont briser leurs fers,
vous assurez l'impunité à Louis XVI? Les despotes saisi-
raient habilement ce moven d'attacher encore quelque
6
122 T.A on.vNDE nÉ\*:Li:TioN
importance h l'absuicle maxime qu'ils tiennent leur cou-
ronne de Dieu et de leur épt^e, d'égarer l'opinion et de
river les fers des peuples, au moment où les peuples,
prêts à broyer les monstres qui se disputent les lambeaux
des hommes, allaient prouver qu'ils tiennent leur liberté
de Dieu et de leurs sabres. »
La joie qu'il ressentit d'avoir contribué à faire décréter
l'abolition de la royauté lui ôta, de son propre aVcu, l'ap-
pétit avec le sommeil. Il était en mission à Chambéry
avec plusieurs de ses collègues lors du jugement de
Louis XYI, et il vota par lettre, avec eux, pour la mort
du roi ' sans appel au peuple. Il siégea au conseil des
Cinq-Cents, puis au Corps législatif après le 18 brumaire,
devint sénateur en 1801, et demanda un des premiers,
en 1814, la déchéance de Napoléon I". Il fut exclu de
l'Institut après le second retour des Bourbons, et en 1816
de la Chambre des députés, où l'avait envoyé le départe-
ment de l'Isère. Il mourut en 1831. Sur son refus de ré-
tracter ses erreurs malgré les instances de l'archevêque de
Paris, les sacrements durent lui être refusés par le curé
de la paroisse.
* Nous allons faire connaître sa pensée en citant la lettre qu'il
écrivit, pendant le procès de Louis XVI, de Chambéry, où il
était en mission :
« Chambéry, U janvier 1793.
» Nous apprenons par les papiers publics que la Convention
doit prononcer demain sur Louis Capet. Privé de prendre part
à vos délibérations, ttiais instruit par une lecture réfléchie des
pièces imprimées et par la connaissance que chacun de nous
avait acquise depuis longtemps des trahisons non interrompues
de ce roi parjure, nous croyons que c'est uU devoir pour tous les
députés d'annoncer leur opinion publiquement, et que ce serait
une lâcheté de prohlcr de noire éloignement pour nous sous-
lr..ire à cette obligation. Nous déclarons donc que notre vo u
estjjour la conrlamnation de Louis Cai^ct par la Convention, sans
cppd au "ppnplc. Nous proférons co vomi dans la plus intime
DE 1789 A 18(r0. 123
Seèacs de la Révolution dans le Yelay.
Les traits suivants sont détachés de l'intéressant ouvrage
publié, en 1866, en deux volumes : Causeries histoi'iqms sv.r
le Velay, par l'abbé Gornut.
« Dieti semblait dormir pendant la tempête. « S'il existe,
" qu'il demne signe de vie I " s'écriaient ses ennemis dans
leur délire frénétique. Le signe demandé est enfin venu
pour tous.
» Après m' être informé minutieusement de quelle ma-
nière avaient fini les démagogues les plus connus de mon
canton et des contrées environnantes, je n'ai rencontré que
morts subites, morts tragiques, que morts lamentables '.
conviction, à cette distance des agitations où la vérité se montre
sans mélange, et dans le voisinage du tyran piémontais. »
Grégoire applaudit depais à la mort de Louis XVI par cette
phrase consignée à la page 58 de sou Essai historique et patrio-
tique sit;' les arbres de la liberté : « Aristogiton, que Thucydide
et Lucien nous peignent comme le plus pauvre et le plus ver-
tueux de ses concitoyetis, comme un vrai sans culotte, de concert
avec son ami Harmodius, tua le Cupet d'Athènes, le tyran Pi-
sistrate, qui avait à peu près l'âge et la scélératesse de celui que
nous venons d'exterminer. »
* Même au fort de la Révolution, il est arrivé plusieurs évé-
nements dans le genre de celui que je vais rappeler.
Une belle croix en pierre, qui occupait le milieu de la grande
place de Monistrol, allait être abattue par les patiiotes. Après
qu'on l'a suffisamment ébranlée à sa base, un révolutionnaire
très-exalté se met à la pousser, avec une solide perche, pour la
faire tomber dans la direction opposée à celle où il se trouve.
La croix vacille; mais au lieu de suivre l'impulsion qu'on veut
lui donner, elle revient en avant, se précipite sur l'homme et
l'écrase. On releva un cadavre à demi broyé.
La multitude consternée s'écria : « Miracle! miracle! » Lb
esprits forts, après être revenus de leur étourdissement, par-
lèrent de hasard ou de maladresse.
424 LA GRANDE RÉVOUITION
Si ma pitié pour la descendance qu'ils ont laissée ne
m'arrêtait pas, je pourrais citer d'effravants détails au
sujet de leurs derniers moments. Le maître qu'ils avaient
si bien servi pendant les jours de sou exécrable puis-
sance, les trouva dociles et obéissants jusqu'au bout ; l'on
aurait cru volontiers qu'en cette circonstance il était à
leurs côtés, jouissant d'un dernier triomphe, et venant
chercher l'un des siens. C'est, du reste, ce qui est peut-
être universellement arrivé, dans la France entière, aux
terroristes les plus ardents, aux démolisseurs d'églises,
La justice de Dieu s'est exercée de plus d'une manière en-
vers ses ennemis de 1793, comme on le verra par le ti'ait sui-
vant :
Un gendarme, au Puy, ayant enfoncé un tabernacle, y dé-
couvrit un ciboire plein d'hosties consacrées, s'en empara et
alla le vider dans la mangeoire de son cheval, qui dévora les
hosties immédiatement. Cette abominable profanation amusa
beaucoup le gendarme : « Mon cheval a joliment communié,
disait-il à tout le monde, et il ne s'en porte pt "i-ilus mal ! » Ce-
pendant la prouesse du misérable eut des suiies terriblement
funestes. J'ai appris qu'après une courte vie passée dans les
plus hideuses habitudes de crapule et de fange, il était littéra-
lement mort comme un chien, sans avoir plus de pensée et de
sentiment que cet animal.
Est-ce qu'un pareil châtiment ne vaut pas autant que si l'hor-
rible brute avait été foudroyée sur le coup ?
On l'a su, hélas I tel grand révolutionnaire de notre départe-
ment est mort de la façon dont nous avons coutume de nous
endormir, avec la tranquillité d'un caillou, et tel autre est mort
en blasphémant et en maudissant Dieu, avec la haine immuable
d'un démon. Ces deux espèces de désespérés avaient également
pris leur parti : ils savaient trop bien où ils devaient aller
Seulement, le premier avait plus de caractère que le second ou,
pour mieux dire, il était plus profondément mauvais encore.
N'cst-il pas bon d'apprendre ces épouvantables vérités aux
esprits simples, lettrés pourtant, et même instruits quelquefdis,
qui s'émerveillent de voir mourir dans le calme un monstre
chargé de mille crimes?
DE 1780 A 1800. 125
aux briseurs de croix, aux brûleurs de saints. Ils avaient
porté à Dieu un défi solennel: ce défi retomba sur leur
tète, et y resta attaché comme le glaive de la justice cé-
leste. Ah I je dois dire cependant qu'ils n'ont jamais voulu
se tourner vers la miséricorde infinie, tant leui* cœur était
pervers'.
* Le fait si touchant que je vais vous rapporter nous attes-
tera ce çpi'aurait pu être pour tous rimmfensité de cette misé-
ricorde.
Un citoyen de la commune de C avait démoli les églises,
abattu les croix, dépecé et jeté au feu chaires, confessionnaux,
autels, crucifix, images et statues des saints; il avait poursuivi
avec acharnement les prêtres, les religieux et les religieuses
pour les faire guillotinerjbref, il s'était livré comme un furieux
à tous les excès révolutionnaires. Sous l'Empire, il rentra en
lui-même, et, à l'occasion d'une retraite, il se convertit sin-
cèrement. Pourtant l'on se souvenait de sa conduite passée;
bien plus, on en parlait avec cette recrudescence d'indignation
et d'emportement que les réactions amènent toujours. La con-
ver^iun fut prise pour une farce calculée : « Un être de cette
nature ne change pas, disait-on; il a peur maintenant, et voilà
pourquoi il fait le dévot. » Les petits enfants entendaient leurs
pères et leurs mères raconter souvent les horreurs accomplies
par l'affreux sans-culotte ; et, il faut bien l'avouer, ces récits
n'étaient pas suspects d'exagération : il y avait des monstruo-
sités à faire dresser les cheveux. Toute la marmaille de l'endroit
fut bientôt renseignée sur son compte; elle ne vit en lui qu'une
Lète noire, qu'un loup-garou, qu'un ami du diable. Or cet âge
exprime hardiment ce qu'il pense. Chaque fois que les mou-
tards de huit à douze ans rencontraient le ci-devant terroriste,
ils le poursuivaient de leurs huées, de leurs injures, de l'énu-
mération de ses nombreux méfaits. Lui, il ne se fâchait pas; au
contraire, il se retouinait, le cœur gros, les mains jointes et les
lai-mes aux yeux, en leur disant de sa voix la plus humble :
« Continuez, mes enfants ; je suis trop digne de vos reproches.
Le ciel punit par votre bouche un abominable scélérat. Non,
non, vous ne me direz jamais autant de mal que j'en mérite.
Maudissez-moi bien, pourvu que Dieu me pardonne!... Néan-
moins, mes chers enfants, j'oserai vous donner une leçon :
126 LA GRANDE RÉVOLUTION
» Les mauvais prrtros, qui se signalèrent le plus par
leurs excès, pendant la Révolution, ont tous fait une fin
pareille. N'avaient-ils pas dit qu'ils se déprêtrisaie'U? et,
pour compléter tout-îi-fait leur apostasie, n'avaient-ils pas
ajouté qu'ils se déchristianisaient? Leur sort fut trop mérité.
Quand, désertant la compagnie des anges, l'on s'est enrôlé
sous la bannière des démons, l'impiété ne lâche pas de si
belles recrues : elle les tient enlacées jusqu'à l'instant où
elle les écrase comme la foudre '...
» Un de nos jeunes lévites qui, au péril de leur liberté
et de leur vie, étaient allés recevoir, en Suisse, les saints
ordres des mains de M^' de Galard, raconte ainsi la mort
de deux de ces misérables : « Le premier eut une attaque
» d'apoplexie qui lui ôta la parole et toute connaissance.
» Je fus appelé; je passai la nuit auprès de lui, mais en
» vain. L'autre, l3eaucoup plus scélérat, fut administré
> quelque temps avant sa mort par un prêtre catholique
n'imitez pas mon exemple, et restez toujours fidèlement attachés
à voire sainte religion et h ses bons ministres. »
Il assistait régulièrement h la messe tous les jours, dans le
coin le plus obscur de l'église. Quand il communiait, ou le
voyait trembler et pleurer.
Peu de temps avant sa mort, l'opinion publique était moins
sévère au triste vieillard. L'on n'aurait pas eu le courage de le
qualilicr d'hypocrite. Son curé l'abordait volontiers pour lui
serrer la main, et avait h son sujet le mot favorable on ton le
occasion. Les enfants ne l'insultaient plus, ils paraissaient même
le plaindre. Le jour de son enterrement, tous ses voisins voii-
lurent l'accompagner jusqu'au cimetière. En revenant de la
funèbre cérémonie, chacun répétait : « II a tant fait pénitence,
le pauvre mallicureuxl »
Lorsque les petits garçons et les petites fdles demandaient à
leur mère : « Est-il allé en enfer, notre Robespierre ? » la mère
répondait : «Non pas, mon enfant; il est allé seulement cl pur-
gatoire, parce qu'il a longuement pleuré ses péchés. »
* Impietas impii erit super eum. EzECii., xvni, 20.
DE 1789 A 1800. 127
» qui le confo?3a et se disposa à lui portei' le sairit Via-
V 'tique. Curieux de voir comment les choses se passe-
» raient, je précédai ce prêtre de quelques instants, et
» j'entendis le malade jurer et s'impatienter. Ce fut \h
» toute sa préparation. Il reçoit la sainte hostie, il la
1 tourne et la retourne dans sa bouche et finit par la cra-
» cher sur ses draps. Je la ramassai comme je pus et
1 l'emportai avec moi. »
j Voici un drame d'une espèce inouïe, dont je suis loin
d'approuver les auteurs, mais où je ne puis méconnaître
la trop juste vengeance de Dieu. Le P. Breysse, ex-
capucin, curé intrus de Saint-Maurice de Roche, s'était
attiré la haine et l'exécration générales, en dénonçant
ceux de ses paroissiens qui refusaient d'assister à sa messe
ou de l'employer pour le baptême de leurs enfants, sur-
tout en cherchant à faire prendre ses confrères restés
fidèles à l'Eglise. Une nuit, quelques individus viennent
creuser une fosse dans son jardin, et s'introduisent dans
sa maison. Le féroce persécuteur était dans son lit, dor-
mant d'un sommeil paisible. Gn le saisit, on le traîne de-
vant la fosse, on lui donne quelques minutes pour de-
mander pardon à Dieu; puis on le tue à coups de fusil, et
on l'enterre encore palpitant.
» Le curé intrus d'une paroisse que je ne nommerai pas,
et qui valait son confrère de Saint-Maurice de Roche, —
car il entretenait aussi des émissaires et des espions afin
de livrer,le curé légitime..., — avait entendu plus d'une
fois les balles siffler à ses oreilles. Il se hâta de déguerpir
pour échapper à la catastrophe dont il était menacé jour-
nellement. D'après ce que l'on m'a raconté, ce mal-
heureux, couvert de turpitudes, serait mort en grinçant
les dents et en se débattant, comme s'il eût été assailli
par quelque puissance invisible.
» Un certain abbé En a laiss^au Puy un souvenir
128 LA GRANDE RÉVOLUTION
qui me permet de lui donner ici une place distinguée. Je
le prenais d'abord pour le renégat du môme nom, devenu
juge de paix révolutionnaire à Coucouron, et par les soins
duquel notre brave général Lamothe fut arrêté à la Narse.
C'est un autre En Il avait aussi prêté le serment con-
stitutionnel, et dûment apostasie. Le dieu de l'hyménée
devait recevoir les serments du parjure. Ses prouesses
bachiques étaient au niveau de ses sentiments antichré-
tiens ; et, dans ses fréquents transports de fureur, il usait
largement du droit démocratique de battre sa femme. L'on
citait les brutales scènes du ménage, comme une marque
de la malédiction divine Cependant cet homme, doué
de quelque intelligence, exerçait les fonctions de maître
d'école particulier; il avait le renom de bien inculquer les
principes du latin : temps déplorable que celui où, sous
le prétexte de communiquer un peu d'instruction, l'on
pouvait journellement offrir de tels exemples k la jeu-
nesse!... L'orgueil et l'entêtement complétèrent une assez
longue carrière d'excès. Telle vie, telle mort. L'ivrogne
impie, si profondément enfoncé dans le mal, refusa jus-
qu'il son dernier soupir, avec rage, l'assistance d'un prêtre.
» On n'ignore pas que le curé intrus du Chambon assis-
tait à la fête de la déesse Raison, armé d'une pique et
coiffé d'un bonnet rouge. Il se nommait Deigas; origi-
naire de l'Ardèche, il avait été ordonné par l'évoque
jureur de Viviers. Cet ignoble apostat réunissait le vice
de l'ivrognerie à quelques autres... Peu d'années après la
Révolution, il fut trouvé ivre-mort, et bien mort, sur la
grand'routc, près d'Annonay.
— « Est-il terrible, le récit de la mort d'OUier I
t II venait d'être condamné à la peine capitale pour
avoir dérobé lui-même 1(!S vases sacrés de son église. Le
représentant Faure, son ami, lui dit avec une perlidie
cruelle, sous prétexte de le consoler : « Sois tranquille I le
DE 1789 A 1800. 129
» peuple te sauvera. Quand tu seras sur l'esplanade de
ï l'échafaud, tu n'auras qu'à crier, le bonnet rouge sur la
» tête : Vive la République! Aussitôt les sans-culottes et
> les tricoteuses, qui connaissent tes sentiments, deman-
• deront ta délivrance. » Etant parvenu là-haut, Olliep
pousse avec force l'exclamation patriotique. Le bourreau
lui répond : * C'est assez crié, citoyen ..., approche vite de
» la chatière; il m'en reste encore cinquante après toi. »
Sa tête roula dans la corbeille, et son âme dans l'abîme
de l'éternité !
> Je vais citer un échantillon de l'enseignement républi-
cain. Le fait, accompagné de particularités prodigieuse-
ment étranges, est d'une certitude incontestable : ce sera
une variété presque piquante dans mes Scènes de la Révo-
lution :
lie sermon qui fait tomber la g-réle.
» Un jour de décadi, le citoyen Jamon-Ribeyre (c'est le
nom du plus jeune) était allé à Raucoules, village situé à
quelques pas de sa propriété. En arrivant sur la place, il
rencontre de nombreux moissonneurs, accourus des loca-
lités voisines pour chercher du travail, qui le saluent par
les cris de : Vive la République! vive le républicain Ribeyre t
Une idée lui vient aussitôt : s'il débitait un sermon de sa
façon? La circonstance est propice, ces rustres fourni-
raient, à eux seuls, un bon noyau d'auditeurs. Son dessein
leur est annoncé; la tourbe, presque entièrement com-
posée de jeunes égrillards, l'accueille comme une occasion
de se divertir. Cependant l'abbé révolutionnaire fait sonner
la cloche, et envoie des émissaires complaisants dans les
environs pour amener autant de monde que possible.
L'église en peu de temps est remplie aux deux tiers. L'ora-
teur monte en chaire. Après avoir remercié ses chers con-
citoyens de leur concours empressé, auquel son cœur est
130 LA GRANDE RÉVOLUTION
extrêmoment sensible, il cite un texte de Vollairo, et com-
mence un discours véhément, où les prêtres sont honnis,
caricaturés à outrance, où la sainte Vierge, où les saints
reçoivent de bizarres camouflets, où Dieu lui-même a son
petit mot.
» Cet être mystérieux qu'on vous a prêché, dit-il, qui
l'a vu? Sa Providence, à l'œil sans cesse ouvert et qui se
mêle de toutes choses, n'est-elle pas une rêverie de quelque
visionnaire, que l'ignorance et la bêtise ont acceptée sans
examen. Tout sur la terre doit être subordonné aux lois
d'une sage raison : car la Raison, c'est notre véritable
Dieu, c'est notre véritable Providence. Le ciel, que nous
supposons habité par un maître tout-puissant et par des
légions d'anges et de bienheureux, qu'est-il en réalité?
Un espace immense, peuplé d'étoiles qui ne s'occupent
pas de nous. Croyez-moi, citoyens, les fléaux que le cour-
roux d'un Dieu vengeur enverrait aux hommes sont des
chimères dont il nous est permis de rire. Autrefois j'ai été
abusé comme vous; mes yeux se sont ouverts, que les
vôtres s'ouvrent aussi ! Ne croyons qu'à la vérité et re-
poussons les fables. Soyons de bons républicains, de
francs sans-culottes, et moquons-nous du reste'. » Tel fut
h peu près le fond du discours de l'abbé Jaraon-Ilibeyre.
L'auditoire, sans être convaincu, paraissait un peu étonné.
La naissance et la fortune de l'orateur, plus encore son
ancien état, et surtout sa parole facile, animée, entrat-
/lante, avaient dominé les esprits. Il y eut des applaudis-
sements plus ou moins sincères. Mais voilfi que, cetto
horrible harangue h peine terminée, un orage épouvan-
table s'abat sur la petite commune de Raucoulcs. L'atmo-
sphère est tout en feu, le tonnerre gronda avec fracas, la
* Voir l'affreux récit de la mort de celui qui parlait si bien
dans la noie de la page i32.
DE 1789 A 1800. 131
foudre éclate h chaque instant ; la grêle, en quelques se-
condes, a couvert, abîmé, broyé toute la récolte. Moins
d'un quart tf heure après la tempête s'éloignait et, chose
étrange ! le soleil était redevenu brillant, radieux. Quand
la muttitude met les pieds dehors, elle peut juger de son
malheur. Hélas! un épais manteau blanc, signe navrant
du fléau dévastateur, disait dans son muet langage : La
colère divine vient de passer I On se regarde ..., chacun a
compris... L'abbé, qui était resté blotti et tremblant au
fond de la sacristie, sortait en ce moment de l'église.
€ Dieu t'a donné sa réponse, misérable blasphémateur f
s'écrie-t-on de toutes parts ; il a exterminé nos blés, nos
avoines, nos pommes de terre, pour nous punir de t'avoir
écouté. Sus au loup t sus au loup f » Les moissonneurs
brandissent leurs faucilles, dont le tranchant a été dégagé
de son enveloppe; de leur côté, les habitants de la com-
mune montrent leurs poings ; faute de pouvoir s'armer
de pierres ensevelies sous la grêle. C'en était fait du ma-
lencontreux orateur, lorsqu'il rentre précipitamment dans
l'église, regagne la sacristie et s'échappe par une petite
porte, qui fort heureusement n'était pas fermée à clef. L'on
a deviné son évasion, l'on court après lui. Pourtant,
comme il a une belle avance, et que sa maison n'est qu'au
bout de la petite montée du chemin de Montfaucon, h
deux ou trois cents mètres du village de Raucoules, l'on
ne parvient pas à l'atteindre. Est-il besoin d'ajouter qu'un
concert de huéeg et de naalédictions presque aussi bruyant
que la tempête l'accompagne tout le long de ce court
trajet I
Le citoyen Jamon-Ribeyre, en parlant de l'aventure,
répétait plaisamment : Les imbéciles! ils ont pris un jeu du
hasard pour une vengeance du ciel! Mais son impudente ré-
flexion n'eut de succès qu'auprès do ses pareils: la popu-
lation a toujours cru et croit toujours que Dieu tit alors
132 LA GRANDE RÉVOLUTION
un grand miracle. L'on dit aussi que, dès ce moment, Ta
commune de Raucoules fut pénétrée d'horreur pour les
principes et pour les hommes révolutionnaires*.
Les sans. culottes reçoivent nnc grêle de balles ayant
le verre en main.
« Trois forcenés révolutionnaires partaient de Saint-
Jeure vers l'entrée de la nuit, se dirigeant vers la com-
mune de Lapte. Ils allaient, disaient-ils, dénicher un nid de
corbeaux]: c'est ainsi qu'ils qualifiaient leurs patriotiques
expéditions pour rechercher et arrêter les prêtres réfrac-
taires. Sur leur route se trouvait un cabaret connu sous le
nom de cabaret de la Jeanne; or, les argousins de la répu-
blique avaient soif, immanquablement, à la première occa-
sion de boire. Ils entrent donc et demandent qu'on leur
serve du meilleur. La citoyenne Jeanne, franche amie des
patriotes, se félicita de leur bienvenue, et ne mit pas, cette
fois, de l'eau dans son vin. Déjà ils vidaient la seconde
bouteille, en trinquant, pour rire, à la santé des corbeaux
qu'ils espéraient encager le lendemain, quand tout-à-coup
plusieurs détonations retentissent de la fenêtre. L'un des
buveurs tombe raide mort; son plus proche voisin a le
genou droit tout fracassé. Mais les balles ont épargné le
troisième, parce qu'il a été protégé par le corps de ses ca-
marades : heureux de l'avoir échappée si belle, le lâche
1 Jamon a fini d'une manière affreuse. Non-seulement il ferma
son cœur à l'espérance, qui nous sourit tant que nous sommes
en ce monde, il s'abandonna encore aux fureurs du plus in-
sensé désespoir. L'opiniâtre apostat, sur son lit de mort, n'ayant
plus d'autre ennemi à combattre, voulut, cette fois, braver pcr-
sonnelloment Dieu lui-même Tirons le rideau sur l'affreux
spectacle qui précéda son agonie, et bornons-nous à répéter ce
qui a été dit d'un grand criminel : La mort du pécheur est un
tijlct d<i l'nifcr.
DE 1789 A 1800. 133
enfile bien vite une porte de derrière, sans songer à ramas-
ser son fusil. Cependant le blessé éprouve les douleurs les
plus atroces, il répète, en poussant des hurlements et des
blasphèmes, qu'il souffre comme un damné (textuel), qu'il
envie le sort de celui qui est étendu sur le carreau.
» On ne l'acheva pas; au contraire, on aida la citoyenne
à le porter dans un lit, et on la pria de faire appeler un
médecin.
» La blessure fut très-lente à guérir. Hélas I la pauvre
jambe endommagée resta contrefaite, et même beaucoup
plus courte que l'autre. Enfin, le malencontreux dénicheur
reçut, à cette occasion, un sobriquet qui le rendit presque
célèbre et qu'il a porté jusqu'à la fin de ses jours : dans
la commune de Saint-Jeure, l'on se souvient encore de
Dubois-la-Bigue.
» Quelques jeunes gens, ayant été informés du dessein
et de la marche des trois bandits, étaient venus à leur
rencontre, et se proposaient de les attaquer même en rase
campagne. La circonstance du cabaret leur offrit une
victoire plus facile : n'était-ce pas de bonne guerre envers
des bêtes féroces?
» La républicaine Jeanne, dont les patriotes et tous les
chenapans hantèrent le fameux taudis, est morte dans la
misère, parvenue à la dernière décrépitude. Elle deman-
dait un petit sou, pour l'amour de Dieu. »
Le coap de fusil qui produit l'effet de la foudre au
milieu des saccag-eurs et brûleurs révolutionnaires.
« Les patriotes de Montregard, exécutant une razzia
dans l'église de leur commune, entassaient sur la place
publique les objets enlevés pour en faire un bon feu de
joie. L'un d'entre eux, le citoyen N", dirigeait l'opération,
comme s'il avait été le chef de la bande impie, — et je crois
134 LA GRANDE RÉVOLUTION
qu'il l'était effpotivomcnt. — Ivre h moiti(^, il d<^ployait une
animation extrême; il allait, il courait, il bondissait, en
vrai furieux, de la place h l'église et de l'église à la place;
il stimulait l'ardeur de ses amis par les propos les plus
monstrueux, par les plus affreux blasphèmes : vous eus-
siez dit Satan, dans le paroxysme de la rage, donnant des
ordres à une troupe do démons. Le bûcher, composé de
fragments de confessionnaux et d'autels, de tableaux, do
statues et de crucifix, s'élevait rapidement en forme de
pyramide. Les travailleurs admiraient déj^ ses belles
proportions, et ils criaient, pour célébrer leur triomphe,
l'un : Dominus vobiscum, l'autre : Ora pro nobis, un troi-
sième : Ite missa est ; tous : A bas les prêtres t à bas la reli-
gion I à bas le fanatisme I Mais le patriote par excellence, le
grand terroriste, vociférait de sa voix éclatante, avec une
violence épouvantable, contre la sainte Vierge et contre
Jésus-Christ. Je ne répéterai pas les abominations qu'il
proférait. Tant d'excès révoltèrent un zélé catholique,
trop zélé peut-être ..., qui, sans être vu lui-même, obser-
vait l'infernale expédition. Soudain un coup de fusil part
d'une fenêtre de la maison située en face, du coté du midi,
et une forte charge de plomb atteinl l'énergumène en
pleine poitrine; il a roulé sans vie au pied du bûcher,
étendu h la renverse, la bouche écumante et les poings tou-
jours menaçants.
» Dans un clin d'œil la place fut vidée. Les compagnons
du misérable, craignant un sort pareil, s'étaient évanoui»
comme des ombres. Cependant les fidèles attendirent la
nuit pour venir ramasser les objets religieux échappés aux
flammes, qu'ils baisaient, qu'ils arrosaient de leurs
larmes en les emportant, et qu'ils cachèrent de leur
mieux.
» Malgré toutes les recherches des sans-culottps, tant
de Montrcgard que de Montfaucon, l'on ne put jamais dé-
DE 4789 A 1800. 133
couvrir l'auteur du coup de fusil. Son nom a été connu
plus tard. »
— En finissant ce chapitre, nous dirons seulement
quelques mots des prêtresses de la Ptévolution. On a
remarqué qu'elles ont presque toutes fini de la manière
la plus déplorable. Voici le portrait qu'en a fait l'apostat
H. Grégoire :
« Les déesses de la Raison étaient toujours partie inté-
grante de la fête; leur exaltation, sur un trône qui rem-
plaçait le tabernacle, présentait l'image de Vénus et de
la débauche, substituée à celle du vrai Dieu. On sait
d'ailleurs que les mœurs de la plupart établissent la jus-
tesse de ce parallèle : et quelle autre qu'une impie et une
impure aurait eu l'effronterie de s'asseoir sur l'autel du
Dieu vivant? » (Hist. des sect. relig,, t. I, p. 51, 52.)
Citons en terminant une petite aventure tragi-comique,
relative au sujet : « A Montreuil, près Paris, en portant
dans les rues la déesse de la Raison, on la laissa tomber;
elle eut une jambe cassée et le cou rompu. Un plaisant lui
fit par anticipation cette épitaphe : i Ci-git la Raison de
» Montreuil. » {Hist. des sect. relig., par Henri Grégoire,
1. 1, p. 52.)
LA GRANDE DEVOLUTIÛN
CHAPITRE m.
lES PROFANATEURS d'ÉGLISES ET LES ASSASSINS DES PRÊTRES.
La fureur révolutionnaire poursuivit la religion jusque
sur les pierres où elle avait imprimé quelques traces ; on
forma le projet d'anéantir toutes les églises, et ce projet
reçut une partie de son exécution. Des bandes de démolis-
seurs se transportaient d'un lieu à l'autre et détruisaient
les monuments chrétiens.
Au souvenir de ces ravages de l'impiété la plus brutale
qui fut jamais, Joseph de Maistre écrivait ce passage re-
marquable :
« Lorsque j'assiste par la pensée à l'époque du rassem-
blement de la Convention nationale, je me sens transporté,
comme le sublime barde de l'Angleterre, dans un monde
intellectuel; je vois l'ennemi du genre humain séant dans
un manège et convoquant tous les esprits mauvais dans ce
nouveau pandémonium ; j'entends distinctement t7 raino
suon délie tartaree trombe; je vois tous les vices de la
France accourir à l'appel, et je ne sais si j'écris une allé-
gorie.
» C'était un certain délire inexprimable, une impétuo-
sité aveugle, un mépris scandaleux de tout ce qu'il y a de
respectable parmi les hommes, une atrocité d'un nouveau
genre qui plaisantait de ses forfaits, surtout une prostitu-
DB 1789 A 1800. 137
tion impudente du laiïonnemeiit et de tous les mots faits
pour exprimer les idées de justice et de vertu. »
En quelques mois, une des plus florissantes portions de
l'Eglise universelle, le plus beau royaume de l'Europe,
bouleversés, couverts de sang et de ruines, ne présentent
plus que l'image du chaos.
A la lueur des flammes, sous les coups de la hache, du
marteau, de tous les instraments de destruction, dispa-
raissent du sol dont elles étaient l'ornement cinquante
mille églises ou chapelles. Dans ce nombre figurent une
foule de monuments du premier ordre, soit par leur desti-
nation, soit par leurs souvenirs, soit par les chefs-d'œuvre
de tout genre dont ils sont le rendez-vous. Telles sont les
cathédrales d'Arras, de Cambrai, de Màcon, les magni-
fiques églises de Marmoutiers, de Gîteaux, de Cluny et
beaucoup d'autres.
Dans le même désastre sont enveloppés douze mille
abbayes, couvents, prieurés, monastères fondations sécu-
laires des rois, des princes et des fidèles. Ce qui échappe
au marteau révolutionnaire est converti en casernes, en
magasins, en écuries, en salles de spectacle, d'agiotage, et,
sous le nom de clubs, en cavernes de démolisseurs et
d'assassins.
Dans ces abbayes, dans ces couvents et ailleurs, plus de
quatre-vingt mille bibliothèques sont saccagées, disper-
sées, lacérées, vendues à vil prix. Des bandes de vandales
travestis en officiers municipaux, non moins ignorants
qu'empressés à détruire, enlèvent les livres et les emmaga-
sinent dans des greniers; d'autres en font le catalogue
avec la toise et le pied-de-roi, ce qui leur paraît si naturel
qu'ils en dressent procès-verbal. Le plus grand nombre en
tirent parti en les vendant aux épiciers. « Nous avons vu,
dit un témoin oculaire, des pâtisseries enveloppées avec
des feuilles du Saint Atkanase de Montfaucon, maguillque
138 LA GRANDE RÉVOLUTION
oiivrago vnbnt aujourd'hui trois ou qnati'f rentr. frnnrs'.
Los manuscrits les plus raros, les statues, les bas-rfîlii'fs,
les peintures, les vitraux, éprouvent le ra^me sort. C'o.-:t
au milieu des cris tumultueux et d'une joie semblable ù
celle des sauvages des forêts, dansant autour de leurs vic-
times, que les sauvages de la civilisation accomplissent
leurs actes de vandalisme stupide. Personne ne pourra
jamais raconter tous les faits inqualifiables qui forment
comme les épisodes de ce grand drame de destruction.
Des tableaux d'église deviennent des auvents de boutiques
de limonadier. La toile, imrifée de ses couleurs, est em-
ployée h vêtir les petits sans-culottes. On a vu un soldat
faisant bouillir avec des morceaux de cadres dorés sa mar-
mite au pied du pilier intérieur d'une église de Paris, et
ayant pour tablier de cuisine un tableau du Guide valant
trente mille francs '.
Coup d'œll réirospeetir.
Dans tous les siècles, les profanateurs ont été punis.
« L'antiquité, dit Joseph de Maistre, est d'accord sur les
malheurs arrivés aux violateurs du temple de Delphes.
(Voyez la note de Wittembach , qui cite les autorités,
Anim., p. 47.) On peut voir les réflexions du bon Rollin
sur les phénomènes physiques qui empochèrent depuis
une spoliation du mémo genre lorsque les Gaulois s'avan-
cèrent sur lo temple de Delphes. Il est certain, en thèse
générale, que les sacrilèges ont toujours été punis ;oX rien
n'est plus juste, car le pillage ou la profanation d'un
temple, même païen, suppose le mépris du dieu, quel qu'il
soit, qu'on y adore; et ce mépris est un crime, à moins
* Màn. de la Révol., p. 424.
' Mcm. de la Révol., p. 418.
Ds 1789 A 1800. 139
qu'il n'ait pour motif l'établissement du culte k'^gitime,
qui mènie exclut sévtM'ement toute espèce de crimes et de
violences. La punition des sacrilèges dans tous les temps et
dans tous les lieux a fourni h l'Anglais Spelman le sujet
d'un livre intéressant, abrégé en français par l'abbé Feller.
Bruxelles, 1787; Liège, 1789, in-8°. .
Turpin de Crissé, dans ses notes savantes sur les Com-
mentaires de Gésar, éprouve de la difficulté à s'expliquer
les fautes de Pompée h. Pharsale, et les causes véritables
d'une défaite qui, après tant de victoires éclatantes, avait
de quoi surprendre. « On ne reconnaît pas, dit-il, dans la
conduite de Pompée, pendant et après cette bataille, le
vainqueur de l'Afrique, de l'Espagne et de la Sicile. Ce
grand général, qui avait châtié les Parthes, vaincu Mithri-
date et Tigrane, soumis presque toute l'Asie, au premier
échec qu'il reçoit, ressemble, selon la remarque de Piu-
tarque, h un homme étonné qui a perdu le sens. On est
surpris de le voir quitter la partie, se retirer dans son
camp, s'enfermer dans sa tente et s'y livrer à la plus
grande douleur, au lieu de songer à rallier sa cavalerie, à
ranimer le courage de cette belle jeunesse, k lui montrer
l'exemple de la valeur et de la fermeté. »
Pour éclaircir l'espèce d'obscurité qu'offre à l'auteur
l'interruption subite et irréparable de la longue fortune
de Pompée et d'une magnifique suite de victoires, nous
transcrivons un passage qu'on lit dans VHistoii^e romaine
de RoUin. Après avoir parlé du dépouillement du Temple
par Crassus, et de la sacrilège avarice de ce Romain, il
ajoute :
« C'est une chose très-remarquable que le triste sort des
deux généraux romains qui, les premiers et les seuls jus-
qu'au temps dont nous parlons, avaient violé le respect
dû au Temple de Jérusalem. Pompée, depuis qu'il eut osé
]^)Orter ses regards téméraires dans un lieu redoutable où
140 LA GRANDE RÉVOLUTION
jamais aucun profane n'était entré, ne réussit en rien et
termina enfin malheureusement une vie rempli'^ jusque-là
de gloire et de triomphes '. Crassus, encore plus crimi-
nel S fut puni plus promptement et périt dans l'année
même. »
Cette observation est conforme au récit de Josèphe. La
sainteté du Temple, dit cet historien, y fut violée d'une
étrange sorte ; car, au lieu que jusqu'alors les profanes
non-seulement n'avaient jamais mis le pied dans le sanc-
tuaire, mais ne l'avaient même jamais vu. Pompée y entra
avec plusieurs de sa suite, et vit ce que les seuls sacrifi-
cateurs pouvaient voir. Aussi les historiens romains, tout
opposés qu'ils étaient au peuple juif, ne parlent-ils de sa
démarche qu'avec étonnement*.
Punitions éclatantes des acquéreurs et des prefanatenrs
des édifices sacrés en Ang-leterr*.
Dieu punit presque toujours dès cette vie les grands
crimes publics. Une faute dont le monde a été témoin
appelle un châtiment éclatant, et le scandale ne s'efface
que par une réparation visible à tous les yeux. Voilà pour-
quoi l'histoire est pleine de leçons à l'adresse de ceux qui
ont outragé l'humanité ou violé les lois fondamentales de
la morale dans l'ordre social et religieux. Les princes ou
les ministres ambitieux qui ont bouleversé leur propre
pays, ou qui ont fait à l'étranger des guerres notoirement
■• Il fut poignardé en Egypte.
2 Crassus était sans doute beaucoup plus coupable; il donna
un libre essor à son avarice. Après avoir juré au gi'and-prètre
de se coalenler d'une pièce de haut prix qu'on lui offrait poui
sauver le reste, il n'enl-iva pas moins huit mille talents (24 mil-
lions de francs), parmi lesquels étaient, au rapport de Jo.îèphe,
deux mille talents auxquels Pompée avait refusé de toucher.
* Voi/ez. llorus, liv. m.
DE 1789 A 1800. 141
injustes, ont eu rarement une fin h>3ureuse. Et l'on re-
marque que ceux qui se sont attaqués h l'Eglise ont tous
porté la peine de leur attentat.
On a feint souvent de respecter les droits spirituels de
l'Eglise et de n'en vouloir qu'à ce qu'on appelle son tem*
porel. Distinction subtile et erronée, car l'Eglise ne peut
exister sur la terre que sous une forme visible et avec
l'appui de quelque chose de matériel. Les temples, les au-
mônes, les œuvres pies, les missions, tout cela, sous un
certain point de vue, est matériel. Ceux qui dépouillent
l'Eglise de ses biens doivent donc être comptés au nombre
de ses plus redoutables ennemis, puisqu'ils l'attaquent
dans un élément nécessaire à son existence. Aussi la pros-
périté n'a jamais accompagné leurs pas. L'édifice de fo^
time qu'ils avaient construit avec les pierres du sanctuaire
s'est écroulé subitement et les a entraînés dans une ruine
commune.
Une lettre adressée au journal VUnità cattoUca contient
de tristes renseignements sur le sort des grandes familles
anglaises qui se sont enrichies des dépouilles du clergé.
Presque toutes ont fini misérablement : l'exil, la confisca-
tion, la peine capitale pour crime de félonie, des malheurs
domestiques, le déshonneur et la ruine, voilà quelles ont
été les récompenses de leur sacrilège cupidité. Nous don-
nons cette liste d'après le journal italien. Les personnes
qui seraient tentées d'acquérir des biens ecclésiastiques en
Italie feront bien de la méditer.
Voici les noms des membres du Parlement d'Angleterre
qui prirent part à la confiscation des biens de l'Eglise sous
Henri MIL En tète figurent les plus grands seigneurs.
1° Lord Audley de Walden, grand-chancelier, mourut
peu après, sans enfants mâles: 30 avril 1344.
Sa fille Marguerite, mari^.e à lord Henri Dudley, qui fut
142 T-A GRANDE RÉVOLUTION
tué h Saint-Quentin en ioo7, sans laisser de poslérité,
épousa en secondes noces Thomas, duc de Norfolk, qui fut
décapité en juillet 1592, laissant après lui un fils, Thomas.
Cnlui-ci fut déposé de sa charge de lord-trésorier et con-
damné à l'amende. Sa illle Françoise, ayant divorcé avec
son premier mari, en épousa un second et fut condamnée
à mort en même temps que celui-ci, comte de Somerset.
2° L'infortuné duc de Norfolk, Thomas Howard, est em-
prisonné à la tour de Londres; son tUs Henri, comte de
Surrey, fut décapité, par ordre du roi, qui expédia la sen-
tence fatale de son lit de mort. Le duc de Norfolk resta en
prison jusqu'à l'avènement de la reine Marie.
Le tils du comte Henri de Surrey est décapité en 1592.
3° Le marquis de Dorset a un tlls et trois filles; celui-là
meurt avant lui et sans postérité. Quant aux filles, Jane
périt sur l'échafaud: Catherine, mariée à lord Herbert, est
répudiée; Marie épouse Martin Keges, garçon d'écurie;
leur père est décapité;
4" Le comte d'Oxon, Jean de Vere, non-seulemnnt dis-
sipe le grand patrimoine de sa maison, mais détruit en-
core ses châteaux et ses palais. Son fils Henri meurt dé-
pouillé de tout;
5° Le comte d'Essex, Henri Bourchviw, tombe de cheval
et se tue. H ne laisse pas d'héritage;
C" Lord Crorawell est décapité dans la trente-deuxième
année du règne ;
1° Le comte de Worcester, Henri Somerset. Son fils
Thomas meurt dans la tour de Londres ; François, autre
fils, est tué h Muselboroughfiold, et son gendre, le comlo
de Northumberland, est décapité k York en 1592.
8" Le comte d'ilertford, Edouard Seymour, décapité
comme félon.
Les huit ou neuf autres lords qui prirent part à la con-
ûscatiou des biens de l'Eglise n'eurent pas une lin plus
DE 1789 A 1800. 143
heureuse. Presque tous ne laissèrent pas de succession, et
s'ils eurent des enfants, ils furent très-malheureux. (Voyez
Spclman, pages 223, 224.)
Venons maintenant aux vingt-cinq barons.
Thomas Dacres Fines est pendu à Tyburn, le jour de
Saint-Pierre, la trente-troisième année du règne de
Henri VIII.
Walter Ferrer, lord Devereux. Son fils Richard meurt
du vivant de son père et laisse un fils que l'on dit empoi-
sonné. Le fils de celui-ci, Robert, est décapité en 1601.
Son fils Robert meurt sans héritiers, et la famille est
éteinte. Walter était mort au siège de Rouen.
William Sturton et son fils Charles, coupables d'bomi"
cide, sont pendus à Salisbury, le 6 mars 1865.
Burrough. Son petit-fils est tué près de Kingston en
1578, et en 1601 la baronie prend fin avec la famille.
Hungeford , décapité la vingt-huitième année de
Henri VIH.
Quant aux autres, on peut dire qu'ils sont morts sans
laisser de postérité, ou, s'il en ont eu, ils lui ont transmis
le fardeau de l'iniquité commise, ce qui les a précipités
dans un abîme de misère. (Voy. Spelman, p. 226 à 229.)
Qu'est-il advenu de la couronne? Après avoir été portée
pendant quarante ans par une bâtarde sanguinaire, elle
tomba dans les mains d'un roi étranger, Jacques d'Ecosse,
et de là sur l'échafaud, avec la tête du fils de celui-ci, que
le bourreau trancha. Tous ceux qui l'ont ceinte depuis ont
été marqués du signe de Gain.
Qu'est-il advenu du royaume entier? Ecoutons le pro-
testant Spelman : « Une infinité d'œuvres de charité qui
soulageaient le pauvre disparurent d'un seul coup. Des
milliers de serviteurs se trouvèrent dans le monde sans
maîtres, et des milliers de pauvres, qui avaient été nourris
et entretenus dans les monastères, attendent depuis cette
lU LA GnANDE RÉVOLUTION
époque un moi'coau de pain pour apaiser leur faim. Tout
monastère avait un hôpital ou une infirmerie pour les
pauvres, et ces biens, dont les malheureux prenaient leur
part, sont venus engraisser les lords, déjà si opulents. »
William Cobbett, qui n'est ni catholique, ni rétrograde,
mais protestant, dit de même, dans son Histoire de la Ré-
forme protestante :
« Quand l'Eglise fut saccagée et détruite, quand les ré-
formateurs se furent jetés comme d'avides harpies sur les
couvents et sur les églises, quand ces vastes domaines, qui
appartenaient de droit aux classes malheureuses, leur eurent
été ravis, et que ce qui resta des paroisses diminuées eut
Hé donné aux curés pourvus de femmes, les pauvres (qui
existent partout et qui existeront toujours) demeurèrent
privés de tout moyen de subsistance. Alors les gueux et les
voleurs se multiplièrent tellement qu'Elisabeth , la fille
bâtarde de Henri VIII, que les protestants appellent la
5o«?ie Elisabeth, mais que d'autres nomment avec plus de
raison la méchante, fit tuer en une seule année plus de cinq
mille de ces malheureux, que l'on avait contraints à se
faire voleurs en leur enlevant les moyens de vivre. Et
comme si ce chiffre de cinq mille était trop peu élevé, la
reine frappait la terre du pied d'un air mécontent, et gour-
mandait les chefs des comtés, leur reprochant d'accomplir
ses ordres avec tant de négligence. »
Le môme historien résume en quelques Vignes, au para-
raphe 331, l'état de l'Angleterre après la réformation.
Voici ce qu'il dit :
t Quand la bonne reine Elisabeth eut mis la dernière
main ;i l'œuvre de la spoliation de l'Eglise et dos pauvres,
l'Angleterre, autrefois iieurcuse, libre et hospitalière, de-
vint une caverne de voleurs affamés et d'esclaves. »
DE 1789 A 1800. * 145
Les acquéreurs des biens d'Eglise n'eurent pas un
meilleur sort que les auteurs de la spoliation. Voici un
relevé des principales abbayes, avec l'indication des fa-
milles qui les usurpèrent :
Battle, abbaye de Bénédictins. — Sir Antoine Browne.
L'année même de la prise de possession, sa magnifique
habitation fut incendiée jusqu'aux fondations.
Croyland, abbaye de Bénédictins. — Lord Ed. Cliton.
Famille éteinte en peu d'années. L'abbaye passa à Hugues
Fortescue, mort sans postérité, puis à Marguerite, sa sœur,
morte sans s'être mariée, puis h Adr. Scrope, régicide, qui
fut décapité sous la Restauration.
Ramsey, abbaye de Bénédictins. — Sir Richard Crom-
well, dont la famille, malgré 90,000 livres sterling de re-
venu annuel, fut en peu d'années réduite à la misère.
Clochester, Saint-Jean. — Lord Tom. Darcy. Famille
éteinte à la quatrième génération.
Ecrencester, abbaye d'Augustiniens. — Lord Seymour
de Sudley, décapité comme félon, 1549.
Edouard, duc de Somerset, décapité comme félon, 1552.
Malmesbury, abbaye de Bénédictins. — William Stump,
famille réduite à tendre la main à Malmesbury même.
11 couvents : Blythe, etc. -- Richard Andrews ; famille
éteinte dans la misère.
Glastenbury et Reading, 2 abbayes.
Sir Wingfield. -- Sir Ant. Aucher, tué à Saint-Quentin,
1557.
10 couvents. — Audley, lord Walden; il meurt peu
après. Sa fille épouse lord Henry Dudley, tué à Saint-
Quentin; puis Thomas, duc de Norfolk, décapité en 1592;
elle-même meurt à l'âge de vingt-trois ans.
Markyate, couvent de Bénédictines. •— Henri Bourchier;
meurt pendant qu'il démolit le couvent pour construire au
palais.
7
14G LA ORAKDE UÉVOLUTION
Lcsnes, chanoines de Saint-Augustin. — Brereton Wil-
liam, décapite comme félon.
3 couvents : Spolding, etc.. ^ Sir Jean Gheke meurt
de chagrin.
4 couvents : Minster, etc. — Sir Thom. Cheney. Son fils
vend jusqu'à la chapelle où était enseveli son porc. Famille
éteinte, 1378.
Maidslone collège. — Lord William Cobbam, tué on
1597. Son fils Henri meurt en prison, rongé par la ver-
mine, n'ayant pas une chemise à changer.
Lanerscast, chanoines de Saint-Augustin, — Lord Wil-
liam Dacre. Son fils meurt subitement. Georges, son second
fils, meurt d'une chute. Son oncle, accusé de félonie.
Famille éteinte à la seconde génération.
Pembroke, Bénédictins. — Richard Deveroux meurt du
vivant de son père. Son neveu, le duc d'Essex, décapité
comme félon, et sa propriété séquestrée pour le paiement
de ses dettes.
Dudley, couvent de l'ordre de Cluny, et Wymondham,
hôpital. — Lord George Dudley, réduit à la misère au
point d'aller quêter des dîners à ses amis; on l'appelait le
lord qiiondam.
7 couvents : Alcester 2'. — Thom. Cromwell, décapité,
lo41.
Tarrow, couvent de Bénédictins. — Lord William Eure
voit son fils aîné tué, et le titre éteint avec la famille.
Kent, couvent de Cluny. — Walter Mantel, décapité
comme rebelle, 1553.
12 monastères : Bungay... — Thom., duc de Norfolk.
Son fils Henri décapité, et le fils de Henri, également dé-
capité. Thomas, second fils, meurt sans héritier; famille
cieinte.
17 couvents : Balsall, etc. — Jean, duc de Norlhumbcr-
land, décapité comme félon; son fils Henri meurt au siégo
DE 1789 A 1800. 147
de Boulogne; un second fils, Ambroise, trois fois mariée
meurt sans postérité: un troisième fils, Guildford, décapité
avec son père ; un quatrième fils, Henri, tué à Saint-
Quentin, et Charles, mort au berceau.
4 monastères. — Sir Thom. Palmer meurt décapité.
Wingham collège. — Sir Henri Palmer, tué au siège de
Guisnes.
5 monastères. — Seymour, lord de Sudley, décapité
comme félon, 1549.
12 monastères. — Edouard, duc de Somerset, protec-
teur, décapité comme félon, 1552.
4 monastères. — Sir Michel Stanhope, décapité, 1552.
2 monastères. — Keldon et Raphaël comte de West-
moreland, meurt de misère dans l'exil.
3 monastères : Holywell, etc. — Henri, duc de Suffolk,
décapité comme félon. — Famille ruinée.
30 monastères. — Charles, duc de Suffolk; sa fille
Françoise décapitée, 1554. Nous avons rapporté plus haut
la longue suite des tragédies qui décimèrent cette famille.
On pourrait citer encore un grand nombre d'autres
exemples : ceux-ci suffisent pour convaincre non-seule-
ment les catholiques, mais encore les juifs et les incré-
dules.
Les incrédules ne s'inclineront pas devant la justice
vengeresse de Dieu, puisqu'ils ne croient qu'à un aveugle
destin; mais cet aveugle destin leur enseigne à ne pas se
mêler à de semblables marchés. Quant aux juifs, ils ont
déjà compris qu'il est bon de se tenir à l'écart. A défaut
du Nouveau Testament, l'Ancien les avertit de ne pas
dérober les trésors du Temple. Pour les catholiques, les
vrais catholiques, ils n'ont pas besoin de cette démonstra-
tion.
^48 1^ GRANDE RÉVOLUTION
CLàUments des profanatears en France.
Si, dans l'histoire de Fraace, nous trouvons beaucoup
de nobles âmes qui ont révéré les choses saintes *, nous
rencontrerons aussi (indépendamment des flots de crimes
qui, au xvi" siècle, de la part des huguenots, et à la fin
du xvm% de la part des sophistes, attristent nos annales)
un certain nombre d'attentats contre les biens de l'Eglise.
Nous en rapporterons un ici.
Quoique François I" eût fait serment, comme les rois
ses prédécesseurs, lorsqu'il se fit recevoir abbé et cha-
noine de Saint-Martin de Tours, d'en être le protecteur,
quelques officiers de ses finances, abusant de sa facilité,
lui firent croire que, dans les besoins pressants de l'Etat,
il pouvait légitimement se servir du treillis d'argent qui
fermait le tombeau de saint Martin. Ils vinrent donc à
Tours, au mois de juillet de l'année 1522, signifier aux
chanoines l'ordre qu'ils avaient d'enlever ce treillage. On
trouve dans les registres de cette église la réponse que le
chapitre leur fit. Elle est conçue en ces termes :
t Les chanoines disent qu'ils sont les très-humbles et
très-obéissants chapelains et orateurs dudit seigneur roi,
et qu'à eux n'est de quereller, arguer et contester avec Sa
Majesté; mais que, craignant d'offenser Dieu, le créateur, et
saint Martin, et pour les causes par eux déjà alléguées et
* Un sei^eur de l'armée de Louis XI, étant venu lui apporter
l'heureuse nouvelle de l'expédition de Cambrai, portait au cou
une chaîne riche. Le prince, sachant que ce joyau n'était qu'une
dépouille d'une église, et voyant un courtisan en approcher la
main pour l'admirer : — « Prenez garde, lui cria-t-il, de faire
aussi un sacrilège, car c'est là une chose sacrée que nul ne doit
toucher. » (Corrozet, cité par Beyerling, Apophthcgmes des chré-
tiens.)
DE 1789 A 1800. 149
autres légitimes, ils n'osent et ne doivent consentir ledit
treillis être pris ou enlevé. >
Les officiers passèrent outre. Le treillage fut mis en
pièces, le 8 août, et chargé à la porte de l'église dans des
charriots escortés de plusieurs compagnies de soldats, qui
les conduisirent à la Monnaie. On en fit des testons, oij
d'un côté la figure du treillis de saint Martin était em-
preinte. Il s'en trouve encore quelques-uns dans les cabi-
nets des curieux.
Cette action, si peu attendue d'un prince catholique, jeta
les g-^n? de bien dans la consternation. Ceux même qui
s'étaient chargés de l'entreprise la trouvèrent si honteuse
qu'ils ne voulurent jamais permettre qu'on en dressât le
procès-verbal. Le fabricier de l'église et quelques cha-
noines des plus zélés, s'étant opiniâtres à le vouloir faire,
en furent chassés avec les notaires. La chose alla si loin,
qu'ayant paru à l'une des fenêtres de l'église, pour voir ce
qui s'y passait, on tira sur eux plusieurs coups d'arque-
buse, dont heureusement personne ne fut blessé.
Quelques historiens ont cru que les malheurs qui arri-
vèrent depuis à François I*' furent de justes châtiments de
la profanation du tombeau de saint Martin. En effet, on
remarque que ce prince, ayant peu de temps après porté
ses armes dans le Milanais et mis le siège devant Pavie, y
fut abandonné des siens, eut son cheval tué sous lui pen-
dant la retraite; il fut lui-même dangereusement blessé, et
arrêté sur les terres mêmes que Charlemagne avait don-
nées à l'église de Saint-Martin. Il reconnut alors que
Clovis autrefois n'avait pas dit sans raison qu'il n'y avait
pas lieu de se promettre la victoire de ses ennemis, après
qu'on avait offensé ce grand saint '.
Louise de Savoie, sa mère, à qui il avait laissé la ré-
gence pendant son absence, vint avec les enfants de
' A[iud Greg. Turon. Hist. lib. II, cap. xxvii.
loO LA GRANDE RÉVOLUTION
Franco au tomfe«au du saint, implorer son secours, et
tâcha de réparer, par les présents qu'elle y laissa, l' injure
qui lui avait été faite. Le roi lui-même n'eut pas plutôt
recouvré sa liberté qu'il y vint, avant de rentrer à Paris,
pour lui faire une espèce de satisfaction.
La colère de Dieu éclata d'une manière plus sensible sur
la personne de Jacques Fournier, seigneur de Semblancey,
qui avait été l'auteur de l'action ; car cinq ans après, le
même jour que le treillis avait été enlevé, il fut condamné
à être pendu, et le fut en effet à Montfaucon, dans le fief
du prieuré de Saint-Martin-des-Ghamps *.
Pnaltlon terrllile saMe par ■■ rév^latlontoaire^
«i Couvent du Carmel de la Tronche (Isèriî,,
28 octobre 1866.
« Mon Révérend Père,
» Pendant la terrible Révolution de 1790, un habilant
de Génissieux (Drôme), poussé par l'esprit du mal, dé-
vasta l'église d'un village voisin, appelé Perrin, situé h.
deux lieues de Romans. Nous ne savons jusqu'à quel point
il poussa ses sacrilèges profanations; ce qui est certain,
c'est qu'il ne tarda pas à recevoir la punition de son crime.
Il perdit ce qu'il avait de fortune, et fut poussé par une
force irrésistible à marcher constamment en décrivant un
cercle de la largeur d'un puits, dans son habitation, sans
pouvoir s'arrêter ni même changer la direction de cette
marche forcée et si extraordinaire, tellement qu'il en vint
à creuser le sol de sa chaumière, qui n'avait pas de plan-
cher, d'un demi-pied. Il usait une paire de souliers par
mois, et lorsque ses forces se furent affaiblies, sa femme
* Vie de saint Martin, par i'ahbô Gervaise, Tours, 4699.
DE 1789 A 1800. iM
et sa fille durent, à tour de rôle, lui prêter le secours de
leurs bras pour l'aider et le soutenir dans son mouvement
perpétuel. Lorsque M. le curé venait le confesser, il était
obligé de lui rendre le même office en accomplissant son
ministère. Cette terrible punition lui ouvrit les yeux sur
l'énormité de son crime, et la grâce toucha son cœur de
repentir. Il ne cessait de répéter aux nombreux visiteurs
qu'une chose si extraordinaire amenait à son habitation,
et de la charité desquels il recevait sa subsistance, qu'il
n'était ainsi puni que pour avoir profané le saint lieu;
qu'il les suppliait, dans son malheur, d'implorer pour lui
la miséricorde divine.
» Cet homme mourut dans de grands sentiments de re-
pentir, et tout porte à espérer que Dieu, qui n'afflige le
pécheur que pour l'amener à la pénitence, lui aura par-
donné.
» Ce fait extraordinaire a eu un nombre prodigieux de
témoins pendant près de trois ans qu'il a duré, et dont
quelques-uns existent peut-être encore et pourraient en
donner des preuves. Je le tiens de ma propre mère, qui a
souvent été conduite chez ce malheureux par des parentes
qui lui faisaient l'aumône; elle était alors âgée de dix-huit
à vingt ans. Elle n'existe plus; sans cela, je l'aurais en-
gagée à vous en faire le récit elle-même.
» Elle ajoutait que deux autres malheureux, qui avaient
•secondé oet homme , avaient reçu aussi une punition
exemplaire.
» Sœur Thérèse de Saint- Jean de la Croix,
» Reîig. carm. ind. »
!.'■ réT*latioDBaire eh*«Ié dans bod enfaBt.
Nous tenons le fait suivant d'un pieux religieux, auquel
Un témoin oculaire l'avait raconté :
1S2 LA GRANDE RBNOLUTION
t Près de la petite ville de Montlucl, département de l'Ain,
un révolutionnaire nommé Grillot, profitant de l'anarchie
qui, en 93, autorisait toute espèce d'impiété, s'introduisit
dans l'église paroissiale, et, montant sur l'autel de la
sainte Vierge, lui enleva la belle robe offerte par la piété
des fidèles. Fier de son exploit sacrilège, cet impie rentre
chez lui et fait faire un vêtement à sa fille de la dépouille
de la statue de Marie.
» Un autre jour, Grillot, entrant dans le temple, décolla
tous les saints et cloua ensuite leurs têtes contre son
armoire.
» Ces actes de brutale impiété consternèrent tous les
chrétiens du lieu ; mais le ciel ne tarda pas à punir cet
iconoclaste. Quelque temps après, il lui naquit une fille,
non pas revêtue des blanches livrées de Marie, mais d'une
peau de bête toute hérissée de poils... Il eut beau tenir
secrète cette punition divine, la connaissance s'en répandit
bientôt au dehors, au point que les parents de cette mal-
heureuse enfant, honteux et confus de cet événement,
n'osaient plus se montrer en public. Sous prétexte de
mettre leur fille en nourrice, ils l'envoyèrent dans les mon-
tagnes du Bugey; on ne sait ce qu'elle devint, on n'en
entendit plus parler.
» Cette punition de Dieu, loin de faire rentrer cet impie
en lui-même, ne servit qu'à l'endurcir dans le mal. Méprisé
de tous les gens de l'endroit, il vécut isolé, couvert d'op-
probre et en proie aux remords.
» Arrivé îi sa dernière heure, il refusa de profiter de la
miséricorde de Dieu en repoussant le prêtre qui venait lui
offrir le secours de son ministère. Chaque fois q'.ie le curé
se présentait, il feignait de dormir ou d'être dans le délire,
comme on l'a su par la garde qui le veillait. C'est ainsi
qu'après une vie impie, ce malheureux est mort dans l'ira-
pénitence. Il a dû comprendre alors combien il est Iwirible,
DE 1789 A 1800. 153
suivant les paroles du Saint-Esprit, de tomber entre les
mains du Dieu vivant. »
Relation de rincendie de la ville de Saint-Claude
en jain 1^99 <.
La ville de Saint-Claude, en Franche-Comté, devait son
existence et tout ce qu'elle eut de richesse et de gloire à
la solitude de Condat, dans les montagnes du Jura. Dès
les premiers siècles du Christianisme, ce désert fat sanc-
tifié par l'austère piété de saint Lupicin et de saint Ro-
main, qui s'y établirent; leurs nouveaux disciples, et plus
encore leur ferveur, en firent bientôt un vaste monastère,
que la religion compta parmi ses plus beaux établis-
sements; la gloire du monastère de Condat s'étendit dans
toutes les Gaules avec l'édification qu'il répandait; mais
elle devint plus grande encore, et remplit tout l'Occident
quand, sur la fin du vu* sicèle, saint Claude, archevêque
de Besançon, y choisit sa retraite; c'est là que cet émule
des Paul et des Pacôme donna au monde le sublime
spectacle d'une perfection angélique; c'est là qu'il mourut,
et sa mort rendit encore plus éclatante la sainteté de sa
vie, par les miracles sans nombre qui illustrèrent son
tombeau; de toutes parts on venait l'y invoquer, la piété
s'y établit, et le tombeau de saint Claude fut le berceau
de la ville de ce nom.
Elle en était digne alors et s'en glorifiait, lorsqu'au
xm* siècle elle en reçut encore un plus pressant motif ;
* Cet incendie a été considéré comme un terrible exemple
des vengeances divines, auquel on n'a pas fait assez attention ;
nous en reproduisons la relation telle qu'elle a été écrite et
impi'imée en 1800 par des témoins oculaires. La Providence,
<jui souvent se justifie dès cette vie, a accompagné ce triste
événement de circonstances trop frappantes pour qu'on puisse
s'y méprendre sur la cause de ce maliieur.
_ T
184 LA GRANDE nÉVOLUTICN
le tombeau de cet illubtrc serviteur de Dieu fut ouvert
(l'an 1243), et son corps fut trouvé non-seulement sans
corruption, mais flexible et palpable encore. La mort en
avait respecté les chairs, et les horreurs du sépulcre
n'avaient pas été son partage. C'est alors que la piété
publique fut satisfaite, en voyant l'objet de sa vénération,
])lacé sur les autels, lui présenter sans cesse, dans un
miracle toujours subsistant, le double gage de la sainteté
de son glorieux patron et de la puissante protection
qu'elle devait en attendre.
Jalouse de sa religieuse origine et de son nom, la ville
de Saint-Claude fut toujours heureuse, autant que la
localité le comportait; longtemps même elle fleurit, moine
par son commerce au dehors que par l'affliirncï des
étrangers qui venaient vénérer sa précieuse relique, et
par les abondantes bénédictions qu'elle attirait sur ses
habitants; leur pieuse confiance la regardait cotùme une
sauve-garde assurée, et leur reconnaissance lui attribuait
l'éloignement de ces fléaux désolants qu'on éprouve si
souvent ailleurs, et que ne connaissait point encore leur
vertueux pays; la piété y régnait, les mœurs y étaient
simples et pures; on y trouvait encore les vertus des
premiers temps, et jusqu'à nos malheureux jours, Saint-
Claude pouvait être regardée comme une ville sage et
fidèle.
Pourquoi une barbare philosophie lui a-t-elle arraché
tant de biens?... En corrompant sa foi, en détruisant son
culte, c'était y appeler, avec le schisme et l'erreur, le
désordre et tous les excès, l'impiété et tous les maux.
Hélas t plus fort que les orages, plus terrible que les
éléments, l'esprit de mensonge et de ténèbres y pénètre
avec Vintfus évêque constitutionnel du Jura; ce faux pas-
teur, en usurpant le ministère des pasteurs légitimes,
venait égorger le troupeau : la secte impie qu'il servait
DE 4789 A 1800. 15d
en aveugle aida ses projets, et tous les malheurs furent
le fruit de leurs perfides complots: Saint-Claude vit l'abo-
mination dans son sein; un club s'y forma... Déjà l'in-
solence et l'avidité s'étaient enrichies des biens de l'Eglise,
déjà les ornements de l'autel, les offrandes des peuples
étaient la proie des Héliodores modernes; mais l'irréligion
n'était pas satisfaite, la fureur ne connaît point de bornes.
Onze siècles étaient révolus, et la mémoire de saint
Claude vivait encore, le souvenir de ses vertus com-
mandait la vénération et le respect, sa relique était chère...
Qu'elle disparaisse ..., c'est le vœu de l'enfer, et le club le
répète Quatre scélérats sont choisis pour l'enlever;
mais, au moment de l'exécuter, trois de ces malheureux
sont saisis d'effroi; ils reculent d'horreur et se refusent
à consommer le forfait commandé : plus endurci, le qua-
trième croit y suffire; il s'y dispose, et à l'instant ses
forces l'abandonnent, une paralysie supplée aux remords
et l'arrête...; le crime est réservé à un profanateur plus
insigne : ce n'est plus un lâche soudoyé d'un club su-
balterne, c'est un brigand éprouvé, un soi-disant com-
missaire du club principal; il vient ... trop coupable pour
ne mériter que le châtiment d'Osa, la justice divine
l'abandonne h sa rage, le silence et les ténèbres le fa-
vorisent.
L'ange qui veillait depuis douze siècles sur le sacré
dépôt détourne un moment les yeux; la terreur qui avait
frappé tant de -fois les ennemis de saint Claude leur laisse
un peu de répit ; ils saisissent ce corps, ils le brisent, ils
l'emportent, à moitié éperdus, jusqu'au couvent profané
des Capmes, où on le brûle pour éclairer une nuit d'orgie,
il est donc détruit et détruit sans retour f Non, l'iniquité
s'est trompée, l'avant-bras de saint Claude est tombé de
ces mains qui précipitaient leur ouvrage; un fidèle h
^^6 LA GRANDE RÉVOLUTION
ramasse et le cache dans sa demeure, pour que l'Ecriture
soit vérifiée encore une fois avec une i icroyable exactitude :
Ossa pullulent de loco suo f
A la nouvelle de cet horrible sacrilège on frémit, l'indi-
gnation est générale et le deuil public. Ce sentiment
pénible qui poursuit une conscience criminelle, ce reproche
qu'éprouve l'impie, ce trouble que rien n'apaise, agitait
tous les cœurs; on se croyait coupable parce qu'on n'était
pas innocent, on se reprochait le crime parce qu'on aurait
dû le prévenir. On avait trop abandonné la cause de Dieu
pour ne pas craindre ses vengeances, et l'inquiétude uni-
verselle les disait très-prochaines; on semblait les prévoir:
la ville périra par le feu, disait-on, et ce pressentiment,
qu'on ne pouvait expliquer, ajoutait, à la persuasion d'un
désastre futur, l'idée d'un châtiment préparé par le cour-
roux du ciel.
Que n'ont-ils compris plus tôt le présage sorti de ce
bûcher dont la chaleur était insupportable et de cette
fumée si épaisse qu'il était impossible d'en 14^ iocher.
C'était l'avertissement suprême du ciel en courroux. Cinq
ans s'écoulent, et le poids du crime accompli par un
étranger pèse comme un remords à la cité qui l'a permis.
De sinistres pressentiments s'emparent des meilleurs
esprits, les fronts s'assombrissent, la vengeance approche :
on a vu un spectre en feu brandir un glaive menaçant,
on entend sortir de la bouche prophétique des femmes
et des petits enfants les paroles dictées par la conscience
publique : On a brûlé saint Claude, la ville sera brûlée.
Ce fut en plein été et en plein midi. 0 prodige I ô stupeur!
une immense colonne de fumée s'élève du milieu de la
ville. La Hamme s'en échappe et s'élance comme un trait,
poussée par une main invisible, vers le couvent profané
qui avait été le théâtre du sacrilège. En un clin d'œil tout
est embrasé. Ah I n'en douiez pas, ce sont les cendres de
DE 1789 A 1800. 157
samt Claude qui retombent comme une pluie de feu sur
la Jérusalem qui a tué ses prophètes. Regardez, quatre-
vingts victimes, quatre mille âmes sans asile et sans pain,
trois cents maisons écroulées, l'hospice détruit, la ca-
thédrale frappée de la foudre, parce qu'elle n'était plus
l'asile du Dieu vivant, mais le temple de la Raison égarée;
et au milieu de ces ruines accumulées, seule encore
intacte, seule encore debout, l'humble maison où le bras
de saint Claude avait été recueilli. Voilà dans un seul
spectacle la punition éclatante de l'impiété, la récompense
plus éclatante encore de la foi. Les os des saints ont donc
gardé leur crédit, saint Claude est donc tout-puissant
encore sur les éléments, il excite ou il apaise les flammes
à son gré; saint Claude est encçu'e vivant : Ossa pullulent
de loco suo *.
Telle était dans Saint-Claude la disposition des esprits,
lorsque, le 19 juin 1799, à midi trois quarts, le ciel étant
serein et l'air très-calme, le feu prit aux bâtiments dits les
remises de l'évéché, situés presque à l'extrémité de la
* Voici un extrait d'une circulaire récente de l'évêque du dio-
cèse de Saint-Claude, qui confirme ce fait :
« Nous venons de faire une acquisition bien précieuse, celle
de la maison qui, aux mauvais jours de la Terreur, garda la
relique insigne du Patron du diocèse. On sait par quel sacrilège
attentat, par quel horrible forfait, le corps vénéré de saint
Claude, miraculeusement conservé depuis douze siècles, objet
de la dévotion des rois et des peuples, fut livré au feu destruc-
teur; on sait comment la divine Providence sauva un membre
du saint corps de la fureur impie des révolutionnaires. Dans
l'affreux incendie qui dévora la ville en quelques heures, les
ardentes flammes enveloppèrent, sans l'atteindre, la maison
gardienne du trésor delà cité. Aussi, depuis de longues années,
toutes les âmes pieuses désirent l'érection d'un oratoire. Nous
voulons réaliser ce vœu. Une chapelle monumentale transfor-
mera l'humble maisonnette.
Louis-Anne, évèque de Saint-Claude.
188 LA GRANDE RèvOLUTION
ville, sans qu'on ait pu accuser ni même soupçonner
personne de négligence ou de malice : au son de la cloche,
tout le monde accourt, et l'empressement général en pré-
sentant les secours les plus prompts et les plus multipliés,
joints h la circonstance d'une heure favorable qui aidait
à l'emploi des moyens, tout rassurait contre la première
alarme; et cent fois, avec moins de ressources et pluâ
d'obstacles, on avait éloigné de plus grands dangers.
Mais une force invincible semble énerver les courages et
enchaîner tous les bras, l'eau abonde et l'on ne s'en sert
pas, le feu n'est qu'à un bâtiment et on le croit partout...
On s'écrie : C'en est fait, la ville est perdue /... Et cédant
à une impulsion aussi frappante qu'inconnue, chacun se
retire pour s'occuper de son démeublement. Stupéfaits et
tremblants, les impies mêmes s'écrient comme les autres i
Mon Dieu /... mon Dieut... la ville est perdue ... fuyons...
D'où vient donc un tel effroi? rien ne le justifie, et rien
ne peut le vaincre ! S'il est naturel, comment le concevoir
et si grand et si fort ? Une vaine terreur peut-elle gagner
ainsi tant d'esprits différents, et leur faire oublier un
intérêt commun ? N'est-ce pas plutôt le souverain Arbitre
de toutes choses qui éloignait les secours utiles, en même
temps qu'il dirigeait le fléau de sa colère ? Avait-il besoin
des orages pour le répandre sur la ville entière ?
On vit en effet avec surprise qu'avant de s'être commu-
niqué aux maisons voisines, il fut embraser le couvent
des Carmes, très-distant, et tout le faubourg qui est h
l'autre extrémité de la ville; on eût dit qu'il s'empressait
d'atteindre l'infernale caverne où le crime s'était commis,
les repaires des monstres qui l'avaient exécuté, et les
habitations des brigands qui avaient le plus signalé leur
fureur révolutionnaire et leur obstination dans le schisme
et l'impiété. Gc n'était point, comme dans les incendies
DE iW A 1800. 139
ordinaires, un vent qui portait la communication du fen
avec les étincelles dispersées, c'était plutôt an air enflammé
et brûlant qui embrasait tout sans contact. Les flammes
dévoraient les étages inférieurs avant que les greniers et
les combles en fussent atteints; les meubles ou effets jetés
dans les jardins ou portés dans les champs étaient détruits
avant les maisons d'où ils étaient sortis; les quartiers lés
plus reculés furent en cendres avant que les plus voisins
fussent endommagés; l'hôpital même, assez éloigné de la
ville, paraissait hors d'atteinte, là direction était presque
opposée à celle que le feu avait suivie jusqu'alors, et il
fut complètement incendié avant l'évêché et le chapitré,
beaucoup plus rapprochés du foyer.
Tout fut consumé. Ainsi le feu, qui avait servi à l'exé-
cution d'un exécrable attentat, servit pour en punir une
ville coupable... Déjà la révolution l'avait réduite a l'état
d'un misérable et pauvre village, mais aujourd'hui, disait
nii témoin oculaire en 1799, elle n'est plus qu'un théâtre
inaccessible des vengeances du ciel. On n'y voit plu«
qu'un amas de décombres, et l'on est forcé d'avouer que
c'est moins une ville incendiée qu'une ville anéantie- iî
n'en reste plus de vestiges, et ses habitants consternés
sout sans foyer et sans asile*
Triste sort des profanateurs.
Les traits suivants nous ont été adressés pai» utie re-
ligieuse augustine anglaise ;
« Pour répondre à votre demande, je m'empresse de
vous communiquer plusieurs traits de punitions terribles
exercées par la vengeance divine sur des profanateurs
sacrilèges des lieux saints. J'ai été moi-même témoin
oculaire des deux premiers; les autres m'ont été racontés
160 LA GRANDE RÉVOLUTION
par des personnes clignes de foi et sous les yeux desquelles
les faits s'étaient passés.
» Dans une ville de la Belgique, presque vis-à-vis de la
maison où j'habitais alors avec mes vertueux parents, un
homme sans principes avait acheté un superbe couvent
à très-bas prix. L'ayant démoli, il y bâtit deux belles
maisons. La chapelle qui se trouvait au jardin, où re-
posait jadis le corps d'une sainte de l'ordre, que les re-
ligieuses avaient emporté en émigrant, fut travestie en
gloriette. La première fois que la jeune femme de cet
acquéreur de biens nationaux y mit le pied, elle tomba
morte, ayant à peine atteint sa vingt et unième année.
Chacun reconnut dans cette mort la punition de la pro-
fanation d'une sainte chapelle, et une miséricordieuse
préservation des principes de cette jeune femme, encore
pure : elle et ses parents, étant d'une autre ville, igno-
raient que cette habitation avait été un couvent, et, d'autre
part, ils ne savaient point que l'acheteur était sans re-
ligion. Quelque temps après, cet homme contracta un
nouveau mariage avec une femme moins pieuse que la
première. Diverses catastrophes prouvèrent que les béné-
dictions s'éloignent de ceux qui ne respectent pas les
choses saintes ; entre autres calamités, le tonnerre tomba
sur cet ancien couvent et y fit de grands dégâts, que j'ai
vus de mes propres yeux.
» — Dans une autre ville de Belgique, un malheureux
voltairien acheta les plus belles pierres sépulcrales d'une
église démolie sous la république française, pour en paver
le vestibule de sa maison. La première fois qu'il passa
sur ces marbres sacrilégement enlevés de dessus les sé-
pulcres des plus nobles de ses concitoyens, il tomba mort,
sans aucun secours, sur la plus magnifique pierre, qu'il
avait enlevée de ses propres mains. Ce trait me vient d'un
DE 1789 A 1800. !G1
témoin d'une véracité à toute épreuve, lequel m'a raconté
aussi que ce malheur avait converti la famille de cet
impie.
» — En 1814, quand Louis XVIII était monté sur le
trône de ses ancêtres, et que les soldats belges étaient
renvoyés dans leur pays, quelques-uns de ces derniers,
natifs d'un village nommé Meigheim, entre Bruges et
Gand, se rendaient dans leurs familles, lorsqu'ils s'ar-
rêtèrent devant une de ces chapelles champêtres oîi pen-
dant leur jeunesse ils avaient souvent accompagné leurs
pieux parents pour prier le divin Crucifié. Ils s'age-
nouillèrent avec attendrissement et, les bras en croix,
remercièrent le Dieu Sauveur qui les ramenait sains et
saufs dans leur patrie, tandis que des milliers de leurs
compatriotes avaient été tués à Moscou. Un seul, qui était
ivre, se moqua d'eux et tira la langue par dérision : alors
sa langue enfla comme celle d'un bœuf; puis il eut des
convulsions terribles, qui ne cessèrent qu'après qu'il eut
confessé son crime et reçu la sainte absolution et l'Extrême-
Onction. Durant plusieurs heures qu'il survécut, douze
hommes essayèrent en vain de le transporter chez lui.
C'est un fermier de ce village, nommé Pourquoi, qui m'a
relaté ce fait comme témoin oculaire. »
Châtiutents éclatants.
Un digne prêtre nous a adressé de Saint-Méen, le 20 oc-
tobre 1866, le trait suivant :
t L'iniquité qui triomphe s'imagine volontiers que la
justice de Dieu n'existe pas, et elle répond, à ceux qui la
condamnent, par les prospérités dont la vertu s'afflige.
Elle se prévaut du silence de Dieu pour s'enhardir dans
ses forfaits. Non, on ne fait pas le mal impunément, même
162 LA GRANDE RBVOLtJTlON
en ce monde. Les deux traits que j'ai fi raconter prouvent
que Dieu parle quelquefois bien haut, et qu'il n'entond
pas qu'on touche à ses saints, ni même t\ leurs images :
Nolite tangere christos meos.
» Ces deux coups de la justice divine ont été frappés le
même jour, k la même heure, dans la même paroisse. Je
les tiens de divers témoins oculaires.
» C'était un jour de fête républicaine; il fallait un feu
de joie, et on ne vit rien de plus économique et de plus
piquant que de le faire avec les statues des saints qui
ornaient l'église. Il y eut bien quelques timides récla-
mations contre cette motion; mais, après tout, h quoi bon
des images de saints, quand le gouvernement avait dé-
crété qu'il n'y avait plus de Dieu.
» Pour une pareille expédition, dans ces jours d'afficeux
délire, le zèle patriotique ne pouvait pas faire défaut:
tant de gens avaient de bonnes raisons pour se défaire de
ces images, qui rappelaient la pensée de Dieu, dont la
déchéance était légalement prononcée I Et puis , cette
aveugle impiété n'était-elle pas excitée par la promesse
mensongère du partage égal? Il y avait dans la commune
de belles et vastes propriétés seigneuriales, qui n'ont point
été partagées également, je vous assure.
» Descendre les saints de leurs places d'honneur où la
piété de nos pères les avait mis, les transporter sur la
place publique, et les jeter avec dédain dans un tas d'or-
dures, sans craindre de leur faire mal en leur cassant tôle,
bras ou jambes, ce fut l'affaire d'un instant. Hélas I il faut
bien l'avouer h la honte de mon pays, s'il n'y avait pas
foule, il y avait trop de monde h jouir de cette belle
expédition; et il va sans dire qu'en si joyeuse circonstance,
chaque saint dont on apportait la statue était accueilli
par des hourras sauvages, de bouffonnes plaisanteries et
des propos blasphématoires.
DE 1789 A 1800. 1G3
» Le public trouvait la comédie plaisante, mais le co-
mique tourna bientôt au tragique.
T> Un jeune homme d'environ dix-huit anSj domestique,
ardent h toute autre chose qu'au bien, aidait au transport
de la statue de la sainte Vierge. Il se permit, en arrivant
au bûcher, une impiété si abominable, que ma plume se
refuse à l'exprimer. Redoublement frénétique de grosse
joie des assistants, mais non du malheureux que là justice
de Dieu attendait là. Frappé comme d'un coup de foudre,
il tombe à l'instant en arrière, perclus, oui^ perclus pour
la vie! Il avait les pieds légers pour courir au mal, le
voilà devenu semblable h un enfant qui n'a pas encore
l'usage de ses jambes et qui se traîne comme il peut;
> Quarante ans après, je l'ai vu moi-même^ le pauvre
cul-de-jatte, je l'ai vu sous le poids du châtiment du
péché et du remords qui déchire tout cœur impénitent,
» — Dieu voit tout : au même instant oi!i la justice
divine se montrait sur la place publique, une autre leçon
se donnait dans l'église dépouillée. Tableaux, statues,
bannières, etc., tout avait disparu, quand l'un des acteurs
de ce brigandage avisa un crUcifix sur le couronnemeht
du maître-autel, lequel s'élevait jusqu'à là voûte. Vite une
échelle est appliquée, et le plus leste de la troupe de s'é-
lancer pour faire disparaître le dernier vestige de la su-
perstition. C'est ainsi qu'on qualifiait alors l'image ado-
rable du divin Rédempteur. Mais, ô terreur I à peine
parvenu au quart de l'échelle, nôtre iconoclaste jette en
haut un regard vers la divine image (ce n'était poiiit uû
regal-d d'amour); un barreau se rompt soUs son pied et
il reste étendu sur les dalles du sanctuaire, la tête fracassée
et je ne sais plus quel membre brisé.
> Après un moment de stupeur et de silence, on ne se
Dressait pas de s'attaquer de nouveaij à l'imagé du Sauveui*
464 LA GRANDE RÉVOLUTION
du monde. • Eh bien ! s'écrie un esprit fort, personne ne
» monte ! Est-ce qu'il y a de quoi avoir peur ? — Pas peur,
» moi, dit l'un. — Ni moi, » dit un autre. Mais tout en se
vantant de leur bravoure contre Dieu, ils examinent les
conditions de l'échelle, et observant qu'elle est parfai-
tement conditionnée, ils trouvent que les barreaux peuvent
porter au moins quatre fois le poids d'un homme. Faute
de réfléchir on se damne. La réflexion de nos braves les
convainquit qu'il y avait dans le malheur arrivé quelque
chose qu'ils ne savaient pas appeler surnaturel, mais ce
quelque chose fit courir dans leurs membres un frisson de
frayeur. Dans la figure du divin Crucifié, qui nous re-
présente le Dieu d'amour, avaient-ils entrevu le Dieu de
la justice? Je le crois; car tous ceux qui composaient ce
groupe de Vandales s'esquivèrent l'un après l'autre si-
lencieusement, et le crucifix est resté à sa place jusqu'en
1848.
• GuYOT, prêtre de l'Immaculée-Conception. »
Telle vie, telle mort.
Une personne honorable de la ville du Puy nous écrivait,
en date du 18 octobre 1866, les traits suivants :
« Voici quelques exemples bien frappants de la justice
de Dieu sur les impies. Par égard pour les familles qui
vivent encore, je dois m'abstenir de citer les noms propres.
» B*" se distinguait par son irréligion et son fanatisme
révolutionnaire; jamais il ne mettait les pieds à l'église,
et profitait de toutes les occasions qui lui paraissaient
favorables pour déblatérer contre les prêtres et les pra-
tiques religieuses. Or un jour, dévoré de remords et l'âme
pleine de fiel, il se promenait dans un jardin où se trouvait
une ruche à miel. Il fut tout-à-coup assailli par les
mouches, qui couvrirent son corps, et, en proie à des
DE 1789 A 1800. 165
souffrances inouïes, il mourut au bout de quelques heures,
dans un affreux désespoir. »
< — Trois frères étaient unis par une infernale animosité
contre les prêtres, dont la vue seule les mettait en fareur.
Enhardis par les événements qui éclatèrent en 93, ils se
distinguèrent par leur cruauté; et Dieu seul, qui devait
les venger, connaît le nombre des saintes victimes qui
tombèrent sous leurs coups. Tant de sang innocent ré-
pandu par ces monstres montait vers le ciel et demandait
vengeance. La justice de Dieu ne tarda pas à éclater.
» Le premier, pendant qu'il ruminait encore dans son
cœur de nouveaux forfaits, fut tout-à-coup frappé de mort,
sans avoir eu le temps de pousser un cri de repentir pour
implorer la miséricorde divine.
» Le second, atteint d'une ma-ladie mortelle, refusa
obstinément de recevoir les sacrements, et mourut comme
il avait vécu, dans l'endurcissement du cœur.
ï Le troisième, effrayé du malheur arrivé à ses frères,
voulut, lorsqu'il se vit à la dernière extrémité, faire venir
un prêtre; mais quand le ministre de Jésus-Christ arriva
chez lui, il ne trouva plus qu'un cadavre glacé, qui portait
sur son front l'empreinte du désespoir.
» C'est ainsi que ces trois impies, après avoir été unis
dans leurs crimes pendant leur vie, le furent encore à la
mort dans leurs châtiments. »
Le Bon Diea de Pitié profané par an jacobin.
Nous devons à la bienveillance d'un pieux ecclésiastique
belge l'exemple suivant. Le récit est précédé de quelques
lignes que nous citons textuellement :
« Chapelain dans un petit village du canton d'Etalle,
diocèse de Namur, j'entends raconter fréquemment le
166 LA GRANDE RÉVOLUTION
trait ci-joint, qui s'est passé tout près d'ici. Il s'agit de la
mort d'un révolutionnaire fameux, bien connu dans co
canton, frappé de Dieu à Tinligny, village à une lieue d'ici.
Tout le monde y a vu le doigt de Diea. Je m'en suis faii
raconter un do ces Jours les détails par un vieux prêtre
qui les tient d'un curé contemporain. Je pourrais citer le
nom de l'individu, mais je craindrais de blesser la justice
et la charité, car il a des neveux on grand nombre dans
nos environs, et des neveux qui ne lui ressemblent guère.
Voici le fait :
» A Tintigny, diooèfie de Namur, pendant la Révolution
française, aux jours de la Terreur, le pouvoir exécutif
avait pour agent le citoyen G... Il était digne de ses
maîtres; il dénonçait les prêtres, dénichait les rebelles,
abattait les croix. C'était la terreur du pays. A cette
époque, en 1793, la Belgique, on s'en souvient, était
devenue département français, et elle était soumise aux
lois sanguinaires des scélérats qui siégeaien* k Paris. Un
jour, la veille de l'Ascension, le citoyen G..., en allant de
Tintigny à Orval, passe à l'entrée d'un bois, devant un
christ connu sous le nom toachant de Bon Dieu de Pitié.
Le renégat, en le voyant, lui montre le point et lui lance
ce blasphème : « Si tu es encore là, petit Pierrot, quand
» je repasserai, tu descendras la garde. » Quand il ro»
passe, le Bon Dieu de Pitié est encore là. L'agent du
pouvoir exécutif s'apprête à renverser le crucifix. Il faisait
une obscurité profonde. Tout-à-coup il aperçoit, appuyôc
sur le hêtre qui porte l'image vénérable, une forme
humaine toute nue, les bras étendus en croix, une cou-
ronne sur la tète. En un clin d'œil, la vision se précipilo
sur le voyageur. Celui-ci croit que c'est le Christ descendu
pour se venger. Effaré, éperdu, il pique son cheval et
revient ventre à terre h Tintigny, sans regarder derrière
lui. Il arrive tout tremblant, épuisé; il se met au lit en
DE 1789 A 1800. 1G7
proie à une fièvre dévorante; le lendemain matin il ex-
pirait, et tous se dirent : Le doigt de Dieu est là f — Dieu
se laisse blasphémer et persécuter parce qu'il a l'éternité
pour répondre; mais cette fois il avait répondu avant le
grand jour. L'apparition qui avait effrayé le fier républicain
s'expliqua bientôt : Dieu s'était servi de la folie d'un
malheureux qui habitait ces bois pour « lui faire descendre
la garde. » La femme du blasphémateur amsi que ses
deux filles moururent plusieurs années après dans la
misère et dans l'abjection. Et le Bon Dieu de Pitié est
encore là, et on se signe encore en passant devant lui, et
les vieillards, en songeant au jacobin de Tintigny, se
signent deux fois I »
La vengreance divine.
Voici deux exemples de la vengeance de Dieu> rapportés
par M. l'abbé Daux, vicaire général de Buffalo :
< Dans mon pays natal, à l'époque de la grande Révo-
lution de la fin du siècle dernier, un homme qui jouissait
d'une certaine considération se laissa entraîner aux idées
du temps et devint impie. Après la dévastation de l'église
paroissiale, où se commirent mille excès criminels, ce
malheureux, visitant un jour les ruines qui y étaient
amoncelées, et apercevant encore le grand christ de pierre
derrière l'autel principal, s'écria : « Quand donc ne
» verrai-je plus ce monstre ! » Son vœu sacrilège fut exaucé;
il ne le vit plus, en effet, car il perdit la vue complètement
sans la moindre douleur. Il a vécu encore une quinzaine
d'années dans ce triste état. J'ai, depuis, appris avec
plaisir qu'il s'était réconcilié avec Dieu.
» — Un autre de mes compatriotes assistait au renver-
sement des statues dans la même çglise; il en emporta
1G8 LA GRANDE nÉVOLUTION
une chez lui, non pour la soustraire à la profanation, mais
pour assouvir sur elle une sorte de rage et montrer en
cela toute la force de son esprit. Il ne trouva rien de plus
plaisant, après certaines brutalités indignes, que de fendre
cette statue, comme un morceau de bois ordinaire, et de
la destiner à faire bouillir son pot-au-feu. Ce ne fut pas
pour lui un brevet de longue vie, car, deux jours après,
on procédait à son enterrement. Dieu l'avait cité à com-
paraître devant son tribunal. »
Une orgfle sacrilcg'e.
En 1793, à cette époque si féconde en crimes de toute
espèce, un régiment français qui était en Italie passa dans
un village au moment d'un orage qui fut suivi d'une
grande pluie. Les soldats trouvèrent l'église ouverte et y
entrèrent pour se mettre à l'abri. Comme on était alors en
un temps où l'on travaillait à détruire la religion, et où
ceux dont la foi et la piété n'étaient pas bien enracinées
se faisaient une gloire de se montrer impies, les soldats
se comportèrent dans le temple du Seigneur comme dans
le lieu le plus profane. Quelques-uns proposèrent d'y
faire venir du vin; leur proposition fut bien accueillie. On
en apporta bientôt dans de grandes jattes; mais comme
on n'avait pas assez de gobelets et de tasses pour y puiser,
il y eut un soldat qui fut assez impie pour se procurer un
vase sacré par un sacrilège horrible. Il monte à l'autel,
enfonce la porte du tabernacle, ose prendre en main le
ciboire, jette par terre les hosties saintes qu'il renfermait,
et vient ensuite tout triomphant. Mais le moment était
arrivé où le Seigneur allait faire éclater sa vengeance sur
ce malheureux. Gomme il plongeait le ciboire dans une
des jattes où il y avait du vin, il tomba mort; et afin
qu'on ne doutât point que cette mort ne fût un effet de la
DE 1789 A 1800. 169
vengeance d'un Dieu irrité, le ciboire profané ne put lui
être ôté des mains par aucun de ceux qui essayèrent de le
lui enlever. Il fallut avoir recours au curé de la paroisse,
qui l'en retira aussitôt sans peine. Plusieurs habitants de
cette paroisse, qui étaient dans l'église, furent témoins du
sacrilège que commit le soldat et des suites qu'il eut. L'uï
d'entre eux, qui était mauvais chrétien, se convertit et se
confessa ce jour-là même. Un prêtre français, à qui l'on
peut ajouter foi, et qui était alors sur les lieux, a raconté
ce fait comme certain.
€ La justice de Dieu, dit saint Cyprien, s'appesantit de
temps à autre sur quelques-uns pour servir d'exemple à
îOus. » Exempla sunt omnium, tormenta paucorum.
Il est vrai que Dieu ne frappe pas toujours d'une ma-
nière aussi subite ceux qui l'outragent dans son sacrement;
mais on peut dire aussi en toute vérité, avec saint Au-
gustin, que l'impunité apparente de ce crime en est le
plus grand supplice : Impunitas ipsa pœnalis est. En épar-
gnant le corps, le Seigneur abandonne l'âme à cette lé-
thargie intérieure qui ne lui laisse aucun sentiment, et la
rend incapable d'expier ses fautes par un sincère repentir.
Extraits des llétuoires du temps.
Nous détachons les traits suivants d'un intéressant vo-
lume publié à la librairie Josserand, à Lyon, sous ce titre :
Mémoires pour servir à l'Histoire ecclésiastique des diocèses
de Lyon et de Belley.
Les autorités révolutionnaires de Montbrison avaient
décidé qu'on enlèverait le grand christ dans l'église de Saint-
André. Un homme se présente pour remplir cette fonction.
Il monte; mais, au moment de saisir le crucifix, il tombe
et reste mort sur le pavé. (Not2 de M. Ruivet.)
8
170 LA (ÎRÂ!»DB ftéVOLUTION
— A Roanne, dans le Foroz, nn nommé Garret, per-
ruquier, voyant qa'on brûlait les statues des saints, voulut
avoir sa part des profanations el s'en alla au calvaire* Il
entre dans le sépulcre où était représenté Notfe-Seigneur
mort, et il profana d'une manière abominable le visage du
Sauveur. Ce misérable a vécu longtemps après ce crime;
mais aussitôt il fut saisi d'une douleur cruelle, h tel point
qu'il lui était impossible de rester assis au instant. Ce
long châtiment le fit heureusement rentrer en Ini-mème.
Il racontait franchement son crime, et, sur la fin de sa
vie, ses douleurs devinrent si poignantes, qu'elles le con-
duisirent au tombeau. Il disait qu'il n'avait point d'autre
mal que celui-là. (BotiELLE, Correspondance.)
— M. Bouveyron, qui fut curé de Lagnieu, a écrit le
trait suivant de 1792 :
« Les révolutionnaires de Lagnieu préludaient à la des-
truction d'une croix placée tout près des halles, en chan-
tant la Marseillaise et autres hymnes de cette espèce.
Claude Nat, fameux entre tous, devait faire sauter la croix
par un coup de mine. Il portait pour cela une charge de
poudre qu'il avait mise dans son sein. Arrivé près de la
croix, il veut quitter son fardeau ; au même instant une
étincelle tombe sur la poudre, Nat est enlevé h une telle
hauteur, qu'en tombant il n'a plus la forme humaine; c'est
un objet d'horreur. On l'emporte dans une maison voisine,
si défiguré qu'il reste inconnu à ceux qui l'ont vu quelques
instants auparavant. Ni ses concitoyens ni même ses
parents ne pouvaient le reconnaître. Abandonné de tout
le monde, il allait périr comme il avait vécu; mais une
femme vertueuse, à la piété de laquelle il avait souvent
insulté, s'attacha nuit et jour à son lit de souffrance et lui
prodigua tous les soins corporels et spirituels que ré-
clamait son état. Une si grande charité reçut la récom-
DE 1789 A iSOO. 171
pense qu'elle pouvait seule désirer. Ce cœur farouche et
dur comme le rocher s'amollit tout-h-coup; il pleure ses
longs égarements, implore la miséricorde divine, demande
pardon de ses crimes; il endure des douleurs atroces
sans le moindre murmure, se recommande humblement
aux prières de ceux que son changement avait ramenés
près de sa personne, et expire enfin au milieu des plus
grands sentiments de pénitence. Il laissa tous les gens de
bien aussi édifiés de son retour qu'ils avaient été scan-
dalisés de ses excès. On admira la grandeur de la misé-
ricorde divine, comme on avait été frappé de sa justice,
qui, en châtiant le corps, voulut sauver l'âme. »
— Baron, qui se faisait nommer Chalier, était natif de
Saint-Rambert en Bugey. Pendant la Terreur, il avait fait
partie du tribunal sanguinaire qui siégeait à Bourg. R.o-
bespierre étant tombé, les gens pacifiques, qui avaient
beaucoup souffert, reprirent un peu de puissance, et ceux
qui formaient le tribunal de sang furent arrêtés; mais
comme on craignait qu'ils ne fussent massacrés, on les fît
partir pour Lons-le-Saunier. Arrivés à Saint-Etienne-du-
Bois, ils sont assaillis et mis à mort; Baron seul est
épargné par un garde national qui le jette dans un fossé
en lui disant : « Fais le mort. » Ce malheureux, plein de
reconnaissance envers son libérateur, a vécu jusqu'en
1835, en témoignant son repentir des crimes qu'il avait
commis. A cette époque, il reçoit l'Extrême-Onction;
néanmoins, deux jours après, il se brûle la cervelle. Le
lecteur est libre de porter son jugement.
— M. DâHay, mort chatiaine de Belley, raconte ainsi
le désespoir d'un nommé Mcrmet, mort à Santhonax,
pendant la Terreur :
Gétail un homme qui avait édifié stWi pays, et par son
172 LA OnANDE RÉVOLUTION
assiduité aux offices divins, et par son exactitude h
fréquenter les sacrements, et par son amitié pour son
curé. Mais, la Révolution venue, Mermet en devient
bientôt un chaud partisan et se livre à tous les excès
qu'elle enfante. Il va jusqu'à arracher la pierre sacrée de
l'autel et la place dans son foyer, en se livrant à mille
railleries plus impies et plus indécentes les unes que les
autres. Quand un missionnaire apparaissait dans son pays,
il trouvait en Mermet un terrible antagoniste, qui faisait
tous ses efforts pour paralyser son ministère. Dieu, lassé,
envoya h cet homme une maladie terrible. M. Darlay est
appelé, mais il ne trouve dans ce malade que des so-
phismes captieux, des arguments et des objections impies,
puisés dans la société des révolutionnaires. A force de
raisonnements suggérés par le zèle, les efforts du mis-
sionnaire semblent couronnés de succès. Le malade consent
à se confesser le lendemain; le prêtre insiste et montre le
danger du moindre délai; le malade demande deux heures
de retard pour prendre un peu de repos. A peine M. Darlay
est-il sorti qu'un nommé Buridon, complice du malade,
s'approche de son lit. On ne sait ce qu'il lui dit, mais
une heure ne s'était pas écoulée qu'on accourut auprès
de M. Darlay. Il arrive à la hâte; ie malade est en proie
au plus affreux désespoir. Ses cris affreux, ses gestes
épouvantables éloignent tous ceux qui voudraient le sou-
lager; personne même de sa famille et de ses voisins n'ose
s approcher. M. Darlay l'aborde seul. La présence du
prêtre redouble sa rage. Celui-ci lui parle des miséricordes
de Dieu; mais le malade, au milieu d'horribles jurements,
repond qu'il n'y a plus de miséricorde pour lui, qu'il est
damné; il maudit le prêtre et lui donne l'ordre de se
retirer, en lui disant que sa présence lui cause les tour-
ments de l'enfer. Le missionnaire lui adresse encore les
paroles les plus tendres; le malheureux, assis sur son lit
DE 1789 A 1800. 173
avec la pâleur de la mort, le visage décomposé, les yeux
enflammés de colère, les cheveux clair-semés et hérissés
comme des fils de fer, pousse des rugissements tels que
ceux d'un lion. Tout le monde au dehors est glacé d'effroi.
Le missionnaire, après avoir redoublé ses exhortations,
part pour un pays voisin. Il avait fait une demi-heure de
chemin, quand le fils du moribond vient lui annoncer que
son père est calme et qu'il demande le missionnaire.
M. Darlay accourt de nouveau, mais il trouve le mal-
heureux sans connaissance et sans parole, à son dernier
soupir. Ainsi s'accomplit cet oracle du Psalmiste : « Le
pécheur verra ce qu'il redoutait; il le verra et entrera en
fureur : le désir des pécheurs périra. »
— Voici un nouveau trait de la iustice de Dieu arrivé à
Lagnieu peu après le rétablissement du culte :
Une cérémonie devait avoir lieu dans l'église. Un jeune
homme bien connu Dar les agréments de sa figure, les
avantages de la fortune, et dius encore par son libertinage
et son impiété, profita de l'occasion pour insulter aux
mystères les plus sacrés. Il dit qu'il irait avec ses amis
être témoin de ces simagrées, et ses propos h ce sujet
furent si indignes que tous en turent révoltés. Il se rend
à l'église pour voir agir l'arlequin : c'est ainsi qu'il parle
du célébrant. Il se place dans l'endroit le plus patent, et,
au moment oiî se donne la bénédiction, il se sent comme
frappé de mort: ses genoux chancellent et il tombe à la
renverse, se débattant des pieds et des mains, et rendant
par la bouche une écume affreuse. Tout le monde est dans
la stupéfaction, mais on répète qu'il l'a bien mérité par
ses railleries sacrilèges : loin d'accuser la justice divine
de ses rigueurs, on accusa sa lenteur à punir. Le mal-
heureux, comme un monument de la colère céleste, vécut
encore plusieurs années, relégué au fond de ses appar-
174 LA CRANPE P.évOLUTION
tciîicnts, abandonné de tout le monde, même de ses amis,
et continuant de blasphémer contre le Dieu qui l'a puni. Il
a enfin rendu son âme le blasphème dans la bouche.
— Déjà nous avons vu un maçon tomber roide mort au
moment où il levait Le bras pour frapper de son marteau
M. Cheuzeville, qui passait enchaîné, allant ea prison.
— Quand le moment de la justice divine est arrivé, ejle
se sert de tous ies moyens pour exercer ses vengeances.
A Coligny, département de l'Ain, se trouvait un nommé
Gromier, prêtre marié, qui avait acheté le château même
de Coligny, croyant sans doute que la colère céleste ne
pourrait l'atteindre dans cette demeure presque princière,
qu'il tenait de la nation moyennant quelques assignats.
Tout-îi-coup on vient lui dire, en 1814, que les Autrichiens
vont entrer chez lui: il est saisi de frayeur et tombe mort.
— A Saint-Lupicin se trouvait un intrus qui tout d'un
coup tombe dans une maladie mortelle. Un prêtre ca-
tholique n'osant pas l'aller voir, il est visité par un de ses
pareils; mais celui-ci le trouve en proie à un affreux dés-
espoir. Alors l'ami lui parle des miséricordes de Dieu.
« Gomment, répond le malade, osez-vous me parler des
miséricordes de Dieu, vous qui, comme moi, avez bu
indignement plusieurs mesures du sang de son divin Fils?
Non, non, il n'y a pas de miséricorde pour des scélérats
comme nous; d'affreux et horribles supplices, voilà notre
partage pour l'éternité... » Son confrère ose cependant
lui présenter un crucifix, dans l'espoir de lui inspirer par
là de meilleurs sentiments, le malade arrache des mains
de son confrère effrayé l'imago du Sauveur, la casse, la
brise, la met en pièces et la jetl« avec fureur; puis il
meurt à l'instant même dans la rage et le désespoir.
(M. Darlay.)
DE 1789 A i800. 175
Non, la justice divine n'attend pas toujours les grands
coupables; elle veut que leurs châtiments nous servent de
leçons.
On voit que parmi les traits que nous signalons il y en
a oîi la miséricorde de Dieu se manifeste d'une manière
visible; c'est lorsque le châtiment amène une conversion
sincère, et que le pécheur a le temps de se reconnaître.
On a remarqué en général que ceux qui ont brisé ou
arraché les crucifix dans les églises ou ailleurs ont presque
toujours été frappés de mort subite, comme celui qui
enlevait le grand christ à Notre-Dame de Saint-Etienne
en Forez, qui tomba mort à l'instant même. Celui qui
voulut, au refus de plusieurs autres, enlever le christ
qu'on admire encore à Notre-Dame de Montluel, au même
moment devint noir comme un nègre et mourut peu de
temps après. Celui qui entreprit de descendre le crucifix
de l'église de Rjonno, paroisse du diocèse de Lyon, fut
pris presque au même moment d'une fièvre qui lui faisait
pousser des cris, parce que, disait-il, il brûlait. Il suppliait
qu'on jetât sur lui de l'eau froide en abondance, et quand
on le faisait, ses cris redoublaient, parce qu'il lui semblait
qu'on l'inondait d'eau bouillante. Il mourut furieux.
— M^' Depéry, mort depuis peu d'années évèque de
Gap, auteur de l'Histoire hagiologique du diocèse de Belley,
raconte, dans son premier volume, un fait connu de tout
le département de l'Ain et plus encore du canton de
Belley. Le 6 décembre 1793, des mains sacrilèges, après
avoir profané et l'église et la chapelle dans laquelle on
vénérait les restes sacrés de saint Anthelme, enlevèrent de
dessus l'autel la châsse qui renfermait le corps du saint,
et se disposaient k la porter sur la place publique pour
la livrer aux flammes. Cette nouvelle met la ville de Belley
dan$ un état d'alarme et de stupeu». On voit accourir des
476 LA GRANDE RÉVOLUTION
hommes poussés par la rage et l'impiété, d'autres que
leur piété attire pour savoir ce que va devenir ce corps
sacré. La châsse est ouverte; de courageux chrétiens se
hâtent d'enlever quelques linges qui recouvrent le corps et
quelques ossements qu'ils conservent avec soin. Cependant
le nommé Michel s'avance avec fureur, et, prenant la tète
du saint, il la montre avec dérision, puis, la jetant vio-
lemment sur le pavé, il la brise en disant : « Si tu es
saint, fais-le voir. » Ces paroles font frémir les assistants.
Quelques jours après, d'horribles tumeurs survinrent
autour du cou de Michel et pendaient sur ses épaules plus
de vingt centimètres de long. Cette affreuse infirmité lui
dura jusqu'à la fin de sa vie, c'est-à-dire vingt-trois ans.
La ville n'a jamais vu dans cet événement qu'un châtiment
du ciel, où la miséricorde s'unit à la justice. En effet,
longtemps après, Michel, en pleine église et en présence
de la population réunie, demanda pardon à Dieu et fit
amende honorable sur la place publique. Touché d'un
sincère repentir, il revint à des sentiments chrétiens,
manifesta une grande dévotion à saint Anthelrae, et
mourut plus tard dans des dispositions qui font espérer
qu'il aura trouvé grâce devant le Dieu vengeur de ses
saints.
— pans une paroisse du Bugey que nous pourrions
nommer, un paysan, la tête exaltée par l'impieié révo-
lutionnaire, veut aussi se distinguer par une action d'éclat.
Il s'approche d'une statue de Marie et lui dit : « Tu me
regardes? eh bien? dans un instant tu ne pourras plus me
regarder. » En disant cela, il frappe d'un marteau les
deux yeux de la Vierge. Ce paysan était garçon; quelques
années après, il se marie, et les trois premiers enfants
qu'il a sont aveugles : on voit la place des yeux, mais il
n'y a rien. Cet homme, à celte vue, ne se fait point illusion;
DE 1789 A 1800. 177
il connut qu'il y avait là un châtiment de Dieu. Sa femme,
désolée, pria et fit prier, et lui alla recevoir le sacrement
de Pénitence, se convertit en demandant pardon à Dieu.
Il eut depuis plusieurs autres enfants, qui, dès leur nais-
sance, eurent de beaux yeux et une vue excellente.
— Dans une autre petite ville du même département, on
avait dressé un bûcher pour y brûler toutes les statues des
saints. Là se trouvait un particulier qui voulait faire
parade de son impiété. Voyant une statue qui roulait hors
du bûcher, il la pousse trois fois dans le feu avec le pied
en prononçant des plaisanteries grossières. Peu après, cet
homme se blesse au pied qui avait ainsi poussé la statue ;
il fallut le lui couper au-dessus de la cheville. Plus tard,
on se vit même obligé de lui couper la jambe; enfin il
fallut amputer la cuisse. Le malheureux, après avoir cruelle-
ment souffert, mourut.
— Voici un autre révolutionnaire qui veut faire le brave.
Il porte un calice volé dans une église et s'en sert pour
boire publiquement dans ce vase sacré. Il ne voit pas,
comme Balthazar, une main qui écrit contre la muraille
sa condamnation; mais bientôt il sent une douleur à la
langue, puis une plaie horrible et une prodigieuse quantité
de vers qui lui rongent la langue. Il exhale une puanteur
effrayante; tout le monde le fuit. On craignit même que
la puanteur qui sortait de sa bouche ne répandît la peste
dans le pays. (M. Ruivet.) '
— Dans une partie du Forez, tout le monde a connu un
homme qui, pendant la Révolution, monta à la hauteur
d'un grand crucifix dans une église, armé d'un marteau.
Arrivé là, il frappe et brise les bras de cette image sacrée.
Peu de temps après, cet homme a un enfant qui lui naît
8*
178 LA GRANDE RÉVOLUTION.
sans bras. Cet enfant a grandi; mais, ne pouvant pas
gagner sa vie, il a mendié pendant plus de cinquante ans.
— Pont-de-Vaux, jolie petite ville du département de
TAin, appartenant autrefois au diocèse de Lyon, a le
malheur de renfermer encore un certain nombre de franc-
maçons et de disciples de Voltaire. Dieu, qui ne veut pas
que le pécheur périsse, mais qu'il se convertisse et qu'il
vive, a déjà fappé quelques impies de ce beau pays d'une
mort effrayante. (Tout le monde sait comment périt celui
qui faisait faire grand festin dans un hytel le jour du
vendredi saint, et cet autre qui plaçait sur i^n^ table, en
dehors d'un caf4> au mojBent où devait passer la pro-
cession du Saint-Sacrement, six cruches de bière et six
chandelles, lui-même étant assis là, son chapeau sur la
tête.) Nous ne les nommerons pas, et nous ne dirons pas
les circonstances de leur mort, d'autant quQ ceci ne s'est
pas passé pendant la Révolution, mais après, et que nous
craindrions d'affliger quelques familles qui gavent bien
qu'il y a un Dieu qui punit les crimes quelquefois dès ce
monde,.
— M. Paroii, viiçaire général de Lyofli racontait que,
dans le moi^icnt où le culte commençait à redcvionir public,
on portait Je saint Viatique à un malade dans Ift cojnmunc
de Noirélab^e, et que plusieurs personnes suivaient en
priant, pleines do respect et de foi, Un homme connu
par son irréligion, témoin de ce zèle, en est irrité et se
met h proférer d'horribles blasphèmes. Il va, dans sa
frénésie, jusqu'à prononcer cette affreuse imprécation
contre lui-même : « Si c'est Dieu qui est là, qu'il le
montre, qu'il m'extermine ou qu'il me brûle comme on
dit qu'il fait brûler ses ennemis dans l'enfer. » La nuit
même qui suivit cet effrayant scandale, dont tout le pays
DE 1789 A 1800. 179
était consterné, on trouva ce malheureux tout consumé
dans son lit, sans qu'il -fût possible d'apercevoir la moindre
trace de feu et sans qu'on ait jamais pu en assigner une
cause naturelle. La maison ne présentait aucune trace
d'incendie, et cependaiit le corps était entièrement grillé.
Le bruit s'en répandit bien vite, et toute la population
courut voir cet horrible spectacle; M. Barou disait qu'il
y alla comme les autres.
— Aux traits précédents nous ajoutons les deux suivants,
qui nous ont été communiqués, en octobre 1869, par une
noble dame de la Nièvre :
t Dans la commune de Saint-Léger, en Morvan, le
marguillier de la paroisse et sa femme avaient suivi le flot
révolutionnaire, et tous deux aidèrent à dévaster l'église
qu'ils avaient soignée autrefois,
> A cette époque la femme accoucha de deux jumelles,
d'une beauté ravissante. La mère osa envelopper les deux
enfants dans des linges sacrés destinés au Saint-Sacrifice.
Mais, à peine les deux pauvres petites en furent-elles re-.
vêtues que leurs membres se replièrent, se tordirent; leurs
bouches, leurs yeux et jusqu'aux traits de leurs visages
subirent les mêmes torsions : les deux anges étaient de-
venus des monstres hideux. Consternés par une punition
si instantanée, les parents déplorèrent amèrement leur
sacrilège; ils se vouèrent avec amertume h ces deux mal-
heureuses créatures...
» Malgré tous leurs soins, la première succomba à l'âge
de sept ans, sans avoir pu marcher; la seconde ■vit encore,
et, selon la recommandation de ses parents, fait autant de
bien que sa modeste position le lui permet, afin d'obtenir
grâce pour ceux qui ont causé son malheur.
» Qui ne connaît dans la commune la bonne Anna ? quel
malade n'a-t-elle pas soigné? On l'aime, car elle est bonne
180 LA GRANDE RÉVOLUTION
et pieuse; mais celui qui la rencontre sans la connaître
ferme les yeux pour ne pas la voir : la main de Dieu est
làl...
— » Dans la commune de Villers-sur- Yonne, deux mal-
heureux, dont je tairai les noms, s'étaient mis à la tête
d'une foule excitée par les révolutionnaires, et se livrèrent
dans l'église à des profanations affreuses; la multitude
consternée les voyait et ne les arrêtait pas. La paix revint
et Dieu semblait avoir oublié ces deux coupables.
» Mais trente ans plus tard, ces deux misérables furent
pris d'une maladie affreuse; leurs hurlements de douleur
effrayaient le village; le bon curé seul ne les délaissa pas,
il voulut aller les consoler; mais à son entrée dans la
chambre, ils lui crièrent de sortir, en lui disant : Retirez-
vous, nous sommes perdus, point de miséricorde pour nous;
quand vous êtes là, nos maux redoublent : allez-vous-en,
retirez-vous t Impossible d'approcher des deux malheureux,
qui moururent dévorés vifs par les vers, en poussant
jusqu'à la fin des cris de damnés. »
On ne se nioqne pas de Dlen en vain.
— Une religieuse nous écrit de Limoges, le 8 mai 1870,
les traits suivants :
t Dans la nouvelle édition de votre intéressant ouvrage :
les Terribles châtivients des révolutionnaires ennemis de
l'Eglise, vous pourrez ajouter les traits suivants de la
justice de Dieu, dont je puis garantir la parfaite authen-
ticité, en ayant été témoin moi-même.
» Le barbier de mon père nommé M... L..., était à la
tête d'une procession sacrilège de démagogues qui pa-
rodiaient les cérémonies de notre sainte religion. Une
vénérable statue de l'auguste Mère de Dieu était placée
DE 1789 A 1800. 181
dérisoirement (je frémis de le dire) sur un âne et encensée
par une populace avinée avec des foies de cochon. En
rentrant dans l'église, on voulut contraindre l'âne de
gravir les marches de l'autel, mais ce fut en vain, l'animal
résista. Alors le citoyen L..., transporté de colère, pousse
du genou la bête qui s'obstine. A l'instant même, cet
énergumène est puni de Dieu : sa jambe reste ployée, le
mollet étant attaché à la cuisse. Après avoir pendant
plusieurs années traîné une existence misérable, il fut
trouvé un matin mort dans son lit. »
— Voici un autre trait. — Une femme (je devrais dire
un démon), imbue des idées révolutionnaires, ne craignit
pas de monter sur l'autel pour enfoncer le tabernacle et
profaner la sainte Eucharistie. Le châtiment ne se fit pas
attendre. Le tabernacle repoussa cette impie en arrière,
tomba sur elle et l'écrasa.
Terrible panition des profanateurs.
On écrit de Montpellier, le 11 août 18o9 :
« Monsieur le Directeur du Rosier,
» Je viens vous raconter un fait authentique et dont vous
pouvez facilement vous procurer de nombreux témoi-
gnages, car des hommes de cinquante ans qui vivent en
grand nombre dans la localité que je vais vous désigner
en feront foi; ils ont vu les profanateurs et ont été témoins
de leur misère.
» Après la révolution de 89, alors que régnait la terreur,
nos églises furent profanées presque partout.
» A Gigean, village à 18 kilomètres de Montpellier, une
foule nombreuse et égarée envahit le saint lieu et le sac-
cagea.
182 LA GRANDS RÉVOLUTION
» Parmi tous ces forcenés, trois se distina^uèrent parti-
culièrement : l'un d'eux, d'un coup de sabre, abattit la
tête du christ qui était dans l'église; le second, se plaçant
devant l'image de la Vierge immaculée, l'apostropha d'une
manière indigne,
» Le troisième avait amené son âne, et, le faisant monter
à l'autel, fit tant par ses cris et les coups de bâton qu'il
donna à la pauvre bête, qu'il finit par la faire braire, et
ce malheureux, en la frappant toujours, lui criait en patois
du pays : Canta la mes$a, canta la messa (chante la messe,
chante la messe).
» Quand la tourmente fut passée et quelques années
plus tard, ces trois profanateurs, habitants du village,
avaient repris leurs travaux des champs.
» Or, il arriva que celui qui avait abattu d'un coup de
salire la tête du christ, en revenant de sa vigne, se laissa
choir de dessus son âne et se cassa le cou sans cependant
en mourir; mais jamais il ne put relever la tête et regarder
le ciel; tout le reste de sa vie, il vécut la tête pendante sur
sa poitrine.
» Le second, qui avait insulté la sainte Vierge de la ma-
nière que je vous ai dit plus haut, souffrit longtemps
d'une maladie longue et affreuse, et mourut pourri.
» Enfin le troisième, qui avait fait profaner par son âne
la table sainte, fut atteint d'une maladie terrible et mys-
térieuse, h laquelle les hommes de l'art ne purent jamais
rien comprendre; il possédait toutes ses facultés intcl-
lecluellcs, n'était privé d'aucun de ses membres, mais il
resta pendant de longues années couché sur un lit de
souffrances, et, jour et nuit, faisant entendre des cris dé-
chirants qui n'avaient rien d'humain, et plus effrayants
que des rugissements du lion, h tel point que, quand venait
la nuit, dans le calme du village, les enfants en étaient
épouvantés et les parents obligés de leur dire : « Ne vous
DE 4789 A 1800. 183
effrayez pas, c'est maître X...; il a fait braire l'âne à
l'autel, maintenant il brait à son tour. »
» Celui-là a été le dernier survivant des trms, et ces
mêmes enfants qui alors étaient effrayés et qui sont des
hommes aujourd'hui en font foi. » Hieltor. »
Jastiee ei miséricorde.
Un homme appelé Robert avait reçu une éducation so-
lidement chrétienne; mais il se lia dans sa jeunesse avec
une troupe de libertins et d'esprits forts, qui en eurent
bientôt fait un philosophe, comme on disait alors, c'est-à-dire
un incrédule. Survint la première révolution. Robert, cela
allait tout seul, l'accueillit avec transport; la révolution
sera toujours l'affaire des libertins et des débauchés. Il se
mit, en conséquence, à déclamer publiquement contre les
aristocrates et les prêtres, dont il devint un ardent persé-
cuteur. On le voyait souvent, surtout le dimanche, ha-
ranguer la multitude, un bonnet rouge sur la tête, pro-
clamant le triomphe de la raison sur les honteux préjugés
de nos pères, et jurant guerre à mort à l'autel du Seigneur
Dieu et au trône du seigneur roi. — Un jour, s'étant mis
à la tête d'une troupe de forcenés, il les conduisit à l'église,
où ils brisèrent les statues, enfoncèrent le tabernacle,
volèrent les vases sacrés, foulèrent aux pieds les saintes
espèces, en proférant d'effroyables blasphèmes. — « Cou-
rage, citoyens f leur disait ce misérable, se tenant fière-
ment debout sur les marches de l'autel : voici le grand
jour arrivé : plus de rois, plus de prêtres, plus de Dieu !
non plus de Dieu I son règne est fini I Du reste, où est-il,
ce Dieu si puissant î ajouta-t-il en jetant un regard de défi
sur un christ appendu en haut d'un pilier, vis-à-vis la
chaire, où est-il? A moi seul je me charge de vous prouver
qu'il n'existe pas. Qu'on m'apporte une échelle I « L'échelle
-184 LA GRANDE RÉVOLUTION
est apportée. Robert y monte lestement. — « Vous allez
voir s'il y a un Dieu, » cria-t-il à ses compagnons d'un air
de bravade. — 0 prodige ! à peine sa main sacrilège a-
t-elle touché le christ pour l'abattre qu'un craquement sec
se fait entendre : un échelon se brise sous le pied du pro-
fanateur, qui roule le long de l'échelle et va rebondir sur
le pavé. — « Ah I mon Dieu ! ah I mon Dieu, mon Dieu ! »
s'écria-t-il d'une voix lamentable, tandis que ses amis
consternés cherchaient à le relever. — « Allons, bon ! voilà
qu'il y a un Dieu maintenant, et il l'invoque à son aise, »
dit une bonne femme qui était parvenue, au milieu du
tumulte, à sauver une relique de la vraie croix.
Le malheureux s'était cassé la jambe en trois endroits;
il rugissait de douleur. — t Qu'on m'emporte, s'écriail-il
en se tordant les bras de désespoir; qu'on m'emporte d'ici
avant que le Bon Dieu achève de m'écraser ! » Plusieurs
médecins le soignèrent; il en vint même de Paris, et des
plus habiles ; ce fut en vain. Mais le coupable était changé.
— « Que voulez-vous? disait de temps en temps le malade
avec un profond soupir; c'est justice : je dois être, tant
que je vivrai, un éclatant témoignage que Dieu n'est pas
sourd aux insultes de ses ennemis. » Robert ne put guérir
de sa jambe; mais il fut pour toujours guéri de sa pré*
tendue philosophie et de son mcrédulité, et guéri si ra-
dicalement, qu'il devint un modèle de ferveur, de pénitence
et de charité. (Revue de la presse, 18G2, p. 713.)
Scandale sur scandale.
La Gazette du Midi a raconté la mort subite de cet
homme qui a succoml)é, dans le village de Saint-Marcel, à
ses excès, au milieu d'une orgie: mais on ignorait jusqu'à
quel point de délire, de frénésie, tant de la part de ce
malheureux que de celle de ses compagnons de débauche.
DE 4789 A 4800. 485
ces excès ont été portés. Pendant quarante-huit heures
consécutives qu'ils ont passées dans le cabaret dont ils
rivaient fait le théâtre de leurs tristes exploits, non-
seulement ils n'ont cessé de boire du vin, de l'eau-de-vie,
toutes sortes de liqueurs fortes, mais ils se sont ingéniés
4 aui mieux mieux à mêler à ces libations tous les objets
les plus étrangers et les plus dégoûtants, les plus meur-
triers; celui qui avait péri avait ainsi avalé tour-à-tour du
tabac, du sel, les chandelles qui les éclairaient, on dit
même le verre dans lequel il buvait, et qu'il a pilé pour le
rendre plus potable, substituant ensuite à ce verre l'une
de ses bottes, pour s'abreuver à plus forte dose encore.
C'est au milieu ce ces hideuses folies qu'il a été frappé de
mort dans le cabaret même.
186 LA GRANDE HÉVOLUTION
CHAPITRE IV
CHATIMENTS P^ OUTRAGES FAITS A MARIB*
Pi^u aime plus Marie que tous les anges et les bienheu-
j'eux ensemble. Cette "Vierge incomparable a rendu plus
(Je gloire au Très-Haut que tous les saints. Sa puissance
et sa miséricorde ne connaissent pas de bornes ; un Père
de l'Eglise la nomme la Toute-Puissance à genoux : Omni-
jmtentia supplex.
Après cela, ne soyons pas étonnés si Dieu punit avec
tant de sévérité les outrages faits à sa divine Mère. Ceux
qui insultent Marie ne sauraient trouver de refuge pour se
mettre à l'abri des coups de la vengeance divine.
On lit dans la Vie de saint Albert, carme, qu'un joueur
ayant perdu tout son argent h Trapani, aperçut deux
images, l'une de Notre-Dame, l'autre de saint Albert. Dans
un moment de fureur et de désespoir, il saisit son épée en
disant : Je t'ai souvent invoqué, et tu ne m'as pas aidé, je ne
t'aimerai jamais, saint. Et toi, Marie, surnommée Mère des
grâces, tu as aussi fait la sourde oreille à mes prières. Puis
il frappa sur ces images, qui rendirent du sang ...; mais la
foudre tomba du ciel et mit cet impie en poudre.
On sait que Julien l'Apostat, ennemi de Jésus-Christ, se
montrait aussi, à toute occasion, l'ennemi de la sainte
Vierge. En cela, il était conséquent. Or, Baronius rapporte
que saint Basile le Grand, priant un jour en Cappadoce
devant une image révérée de Marie, la suppliait de mettre
fin aux ravages de ce prince impie. En finissant sa prière,
il fut honoré d'uDC vision qui le rassura; il voyait dans les
DE 1789 A 1800. 187
tirs un saint martyr, sorti de son tombeau, et se dirigeant,
un javelot à la main, vers les contrées où Julien livrait
alors une grande bataille; et l'histoire vous dira que, ce
même jour où saint Basile priait, Julien fut frappé d'uQ
javelot, venu on ne savait d'où. Mais l'apostat Le devina;
car prenant dans sa main un flot de sang qui sortait de sa
blessure, il le lança vers le ciel §n disant avant d'expirer:
t Tu as vaincu, Galiléen. »
Rome, qui a tant de miraculeuses madones, révère, daris
l'église de Notre-Dame-du-Porche, la pieuse image de
Marie que les anges donnèrent à sainte Galla, veuve de
Symmaque. On l'a portée plusieurs fois en processions
solennelles dans les temps d'épidémies ou de calamités
publiques. En l'une de ces processions, qui eut lieu k la
fin du huitième siècle, sous le règne du pape Adrien I",
un juif, qui suivait la foule, détourna la tête pour ne pas
voir la sainte image, à laquelle il faisait des grimaces,
pendant qu'une femme juive fermait les yeux pour ne pas
lavoir non plus: mais quand la procession dut se dis-
perser, il se trouva que le Juif conserva sa tête de travers
et ne put jamais la ramener en avant; la juive, de son
côté, en rouvrant les yeux, reconnut qu'elle était aveugle,
et elle le fut dès lors toute sa vie.
Ceci nous rappelle le pèlerinage de Notre-Dame-des-
Ardilliers, sainte image de pitié qui tient son divin Fils
mort sur ses genoux, et qui a guéri beaucoup de maladies,
entre autres les ophthalmies et la teigne. Ses miracles
étaient si nombreux, et en même temps si évidents et si
incontestables, que Duplessis-Mornay, quoiqu'il fût pro-
testant, ne permit jamais (il était gouverneur du Sau-
murois) qu'on touchât ni qu'on profanât ce sanctuaire, et
qu'il assura de sa protection les bonnes gens qui y venaient
en pèlerinage. Mais sa femme, qui avait comme lui renié
l'Eglise catholique, était plus féroce. Ne pouvant déranger
188 LA GRANDE RÉVOLUTION
les pèlerins, que son époux et redouté seigneur prenait
sous son appai, elle se contentait de faire des brocards
sur la sainte image, qu'elle appelait la teigneuse. Comme
toute peine mérite salaire, il lui arriva un beau jour qu'elle
vit sa tête, dont elle était fière, envahie d'une teigne lar-
gement épanouie. Elle ne put jamais ni s'en guérir ni s'eo
soulager, et sa teigne l'accompagna dans la tombe'.
— 11 y avait, dans un bois voisin d'Arras, une image
révérée de la sainte Vierge. Elle avait pour sanctuaire une
petite chapelle, et on la nommait Notre-Darae-du-Bois. Or,
un certain Jean de la Palu, homme de peu de valeur, comme
il y en a toujours eu et comme on en trouverait sans doute
encore, passant devant le saint lieu, apostropha les bonnes
gens qui venaient là en pèlerinage, et leur dit que leur
chapelle n'était bonne qu'à faire une écurie pour son
cheval; il parlait du cheval qu'il montait. Après ces paroles,
riant grossièrement de la peur qu'il faisait aux bonnes
gens, il poussa son cheval d'un grand coup d'éperon et
le fît entrer dans la chapelle. Mais à ce brusque mou-
vement, son cheval l'ayant jeté à terre, il se t)risa la tête
contre le pavé de l'humble sanctuaire, et il fut enterré le
lendemain, non en terre Dénie.
L'histoire de Notre-Dame-de-Scheer ou Scheïr, en
Souabe, nous offre une aventure d'un autre genre. Tous
les seigneurs de l'illustre maison des comtes de Scheïr
étant tombés d'accord de céder la part qu'ils avaient au
château de cette ville à la sainte Vierge, Mère de Dieu,
pour que ce manoir fût converti en une église, appuyéû
d'un monastère, un seul des membres de cette grande
famille (il se nommait Arnold) se refusa à cette fondation,
en s écriant que, s'il lui fallait abandonner sa part, au lieu
de la céder à la Vierge, il la donnait au diable. C'était en
• Voyez cette histoire dans les Légendes des saintes Images, de
Coiiin de Plancy, p. 325.
DE 1789 A 1800. 189
plein moyen âge, et on voit que ce temps-ïà possédait aussi
des enragés. En disant les paroles que nous venons de
transcrire, Arnold jeta son gant en l'air, comme gage du
don qu'il faisait. Mais aussitôt il bondit hors de sens,
évidemment possédé de celui qui avait ses préférences. A
SCS commotions frénétiques, on reconnut que les démons
l'emportaient. Personne n'osait l'approcher, quoique la
foule le suivît avec épouvante. Après quelques minutes
de convulsions effrayantes, il se précipita dans un étang
voisin. Et personne ne s'occupa de l'en retirer.
— L'an 1649, lorsque les troupes allemandes étaient en
Lorraine, quelques soldats qui étaient à Novian, après
avoir bu avec excès, se mirent à jouer : l'un d'eux, ayant
perdu beaucoup, se lève tout-à-coup en furie, et, apercevant
une image de la sainte Vierge attachée à la muraille, il
s'en prend à elle, comme si elle eût été cause de sa perte,
et lui donne plusieurs coups en proférant des blasphèmes.
Il ne l'eut pas plutôt fait qu'il tomba par terre avec un
tremblement dans tout le corps et des douleurs si violentes
et si continuelles qu'il fut impossible de lui faire prendre
quelque nourriture pendant quatre ou cinq jours. Les
troupes ayant reçu ordre de déloger, on mit ce malheureux
sur un cheval pour qu'il suivît les autres. On a su depuis
que, s'étant jeté à bas à force de se tourmenter, il était
mort sur le chemin en mordant la terre et ecumant de
rage. A Novian, on ne cessa de parler avec étonnement et
crainte de la punition exemplaire de cet impie, jusqu'à
ce que, deux ans après, à la persuasion d'un missionnaire,
on résolut de réparer solennellement le sacrilège.
Les ennemis de la sainte \icrge.
Lorsque le protestantisme s'imposa à la ville de Bâle,
les déserteurs de l'Eglise romaine qui envahissaient la
190 LA GRANDE RÉVOLUTION
vieille cité se disaient encore les adorateurs de Jésus-
Christ, et pourtant ils l'insultaient et l'outrageaient dans
sa Mère. Comme ils ne pouvaient l'atteindre sur son trône
auguste, que des millions d'anges entourent avec tendresse,
ils s'en prenaient à ses images.
Or, il y avait, sur la porte principale de la ville de Bâle,
une haute et belle statue de la Vierge immaculée. Mère
de Dieuy placée là comme le palladium de la cité hel-
vétique. Les démolisseurs opinèrent que, pour inaugurer
dignement le massacre des saintes images, il fallait l'en-
tamer par la statue la plus vénérée de tous. On apporta
donc des pics et des marteaux; on planta une grande
échelle et le plus intrépide des destructeurs monta vi-
vement^ un pic à la main< La foule s'écartait pour faire
place à la chute de l'image.
Mais aussitôt que ce premier entrepreneur, arrivé en
face de la Vierge, leva son pic pour la détacher, l'ins-
trument lui échappa, et lui-même, comme s'il eût été
poussé par une main invisible, se renversa dans le vide et
se tua sur le pavé.
Un autre vaillant réformé, voyant l'accident sans frémir,
prétendit que son devancier avait trop bu, monta h son
tour et fut pareillement abattu sur le sol, où il resta
inanimé.
Un troisième le suivit et fut tué comme les deux autres.
Ces trois morts, subites et imprévues, ces trois morts,
infligées dans l'espace de quelques minutes, consternèrent
la foule impie et relevèrent les cœurs catholiques. On
décida, séance tenante, qu'il ne serait plus permis à
personne de toucher à l'image de Marie. Elle resta donc
au-dessus de la porte principale, et elle y est encore.
Et quand les laitières de la campagne apportent le lait
chaque matin aux bourgeois de la ville, beaucoup d'ctilre
elles, même parmi les protestantes, donnent à 1 honnête
DE 1789 A 1800. M
laitière un sous de plus, en la priant de dire Un Ave, Maria
pour elles à l'image vénérée.
— Voici tm fait plus récent, qui a été cité paf lèà jour-
naux du pays :
A Berchtefsgaden, dans le Tyrol, un jetine honariiê tout
fier de sa fortune et de sa naissance, attablé dans un café,
en partie de plaisir avec quelques amis, venait de faire du
dogme de rimmaculée-Gonceprtion de Marie l'objet de ses
sarcasmes impies et des plus inconvenantes plaisanteries,
sans se mettre en peine du grand scandale qu'il donnait h
plusieurs personnes qui se trouvaient présentes; mais la
justice de Dieu ne devait pas tarder à venger l'honneur de
la Vierge immaculée.
Les pots de bière et les bouteilles de vin et dé liqueur
étant vidés, notre jeune frondeur, plein de gaieté et riant
encore de ses fanfaronnades, quitte ses camarades et monte
à cheval pour s'en retourner chez lui. 11 galopait en fre-
donnant toujours ses horribles blasphèmes, lorsqu'il aper-
çut une statue de la Vierge au bord du chemin, comme
©n en voit beaucoup dans ce pays plein de foi et de piété.
En même temps son cheval fait un écart et le jette avé'c
tant de force et de violence contre le piédestal de la
statue, qu'il fut trouvé à la même place sans connaissance,
la poitrine enfoncée et baigné dans son sang. ïl mourut
le surlendemain sans avoir pu retrouver l'usage de ses
facultés. (Voyez l'Univers du 21 mars 18oo.)
i*<nii<ion d'une injure faite à JSIarfe.
Nous trouvons dans le Rosier de Marie la lettre suivante,
écrite par un témoin oculaire du fait qu'il raconte :
« En lisant votre journal, je vois souvent des faits qui,
en montrant la bonté de Marie, montrent aussi bien souvent
192 LA GRANDE RÉVOLUTION
la manicre torrible dont Dieu punit les outrages faits k
cette bonne Mère. A ce sujet, je vais vous raconter un fait
dont j'ai été moi-même témoin.
» Il y a vingt-quatre ans que la chose est arrivée; mais
clic est aussi présente à mon esprit que si elle n'était que
d'hier, à cause de la vive impression que j'en ai reçue.
J'avais dix-neuf ans, et j'aimais beaucoup la sainte Vierge;
je me plaisais à travailler sous les yeux de cette bonne
Mère, c'est-à-dire tout près d'une petite statue de Marie,
que j'ornais de mon mieux. Or, un jour que j'étais à
l'embellir (c'était au commencement du mois de mai),
survint mon beau-frère, homme sans religion et qui se
moquait souvent de ma dévotion à Marie. Il tenait en main
une petite pince d'acier; il fit mine de vouloir casser la
main de ma statue avec sa pince. « Oh I lui dis-je, vous
» n'oseriez pas; la sainte Vierge vous punirait. » En
entendant cela, il éclata de rire. « Je n'oserais pas? Eh
bien I tenez. » Et il cassa en deux coups deux doigts de la
main de ma statue chérie. Je le regarde stupéfait, et je
m'écrie : « Qu'avez-vous fait I Si le bon Dieu vous en faisait
» autant f » Hélas I le mois de Marie n'était pas fini, que le
malheureux avait reçu sa punition. Il fit un voyage par le
chemin de fer de Lyon à Saint-Etienne, car nous étions à
Lyon. Arrivé à Givors, il descend du wagon; il se trouve
en retard au moment où le train repartait; il veut s'élancer
pour monter, mais il tombe : les roues lui passent sur le
corps et lui coupent la jambe en deux endroits. Deux
heures après il n'existait plus... Je ne pus méconnaître
dans cette mort la punition de son mépris pour la sainte
Vierge. Cependant nous avons tant prié pour sa conversion,
ma sœur et moi, qu'il semble que Marie, si miséricordieuse,
ait voulu nous donner l'espérance qu'il était sauvé; car
deux jours auparavant ma sœur avait réussi à le faire con-
fesser, ce qu'il n'avait pas fait depuis plus de vingt ans. «
DB 1789 A 1800. 193
Le démon, minisfre des veogeances de Dlea.
Un négociant de l'Ardèche nous a communiqué le trait
suivant, qu'il tenait de personnes dignes de foi :
Un révolutionnaire protestant, qui demeurait dans une
petite maison de campagne, étant venu au village pour
traiter quelques affaires, entra dans l'église paroissiale,
qui n'était pas encore interdite.
Ce misérable sectaire, apercevant une petite statue de
la sainte Vierge devant laquelle les fidèles aimaient à
venir prier, s'écria en branlant la tête avec un air dia-
bolique : < Cette femme est restée là assez longtemps. » Et
en disant ces horribles paroles, il s'avança et brisa la tèle
de la madone.
Après cet exploit sacrilège, qui contrista tous les bons
chrétiens du pays, cet impie étant remonté à cheval pour
continuer sa route, il rencontre un homme qui le prie de
le laisser monter derrière lui; sa demande est acceptée.
Quand le révolutionnaire fut arrivé dans sa maison, son
compagnon de voyage lui dit en le quittant ces paroles
mystérieuses : Je t'attends dans huit jours. Au bout de huit
jours, il mourut privé des secours de la religion. Ceux qui
le portèrent au cimetière assurèrent que, lorsqu'on mi
la bière dans la fosse, elle était vide.
Révolutionnaires panis.
La petite ville de Neuville-l' Archevêque possède une
église élégante, construite en 1660 par M^"" Camille de
Neuville, archevêque et gouverneur de Lyon. Ce temple,
dédié à Marie, fut embelli par les héritiers de ce puissant
prélat. On remarque, entre autres ornements, une boiserie
magnifique de plus de vingt pieds d'élévation, et qui étaid
0
494 LA GRANDE nÉVOLirRON
c.irichie de tableaux sculptés et de différents trophées,
symboles et emblèmes de la religion et de ses mystères.
— Au fond du sanctuaire, au-dessus de la boiserie, s'élève,
portée par deux anges, dont l'un sonne de la trompeUo,
une statue colossale de Marie, rappelant son entrée triom-
phale dans le ciel.
Aux jours mauvais de 93, l'impiété ne pouvait laisse!
subsister celte image de la sainte Vierge et les tableaux
religieux qui embellissaient cette église. Une horde de
vandales, ivres de fureur, se précipite dans la maison de
Dieu, et Ui, h l'cnvi, on détruit tout ce qui peut rappeler
le Christ et sa religion sainte. Cependant il fallait atteindre
à la statue de la Reine du ciel; on a conjuré sa ruine, car
pourrait-on se résoudre à siéger, dans le comité révo*
lulionnaire, sous l'égide de Celle dont chaque jour on
attaque la maternité divine? Des échelles sont dressées
avec peine, et un intrépide et hardi démolisseur, armé
d'une hache, se lance pour détrôner la Vierge, qui, jusque-
là, a protégé la ville et attiré sur ses habitants d'abon-
dantes bénédictions. Une minute lui a suffi pour franchir
l'espace; il brandit sa hache, et, pour donner h son bras
plus de force, à son coup plus de justesse, il saisit de la
main la trompette de l'ange et s'apprête îi frapper l'imago
de Mario* Ses complices, qui ont suivi toutes ses dé-
marches, déjà applaudissent à son sacrilège triomphe.
Mais, ô décrets impénétrables de la justice de Dieu! la
trompcltc se brise, et l'impie, entraîné par l'impulsion
qu'il a voulu se donner, tombe sur l'autel et se rompt la
colonne dorsale. Sa chute, sa blessure* ses cris épou-
vantent les révolutionnaires; ils cessent leurs ravages^
ils fuient, et c'est à cette circonstance que l'église do
Neuville doit d'avoir conservé sa boiserie, et surtout le
groupe de l'Assomption de Marie, qui fait son plus bel
orncmcut.
DE 1789 A 1800. 193
Le malheureux blessé fut transporté dans sa demeure,
où il expira trois jours après, poussant d'affreux hur-
lements de douleur et de désespoir. Le souvenir de ce
terrible châtiment est encore présent à bien des mémoires,
et a servi à plusieurs mères chrétiennes pour inspirer à
leurs enfants des sentiments de respect et de dévotion
envers la sainte Mère de Dieu.
Nous détachons le trait suivant de la Notice sur le pèle-'
rinage de Notre-Dame de Qiiézac; ce sanctuaii'e date du
seizième siècle :
Quoique isolée au milieu des bois, l'église de Qaéz«c ne
fut pas oubliée par les démolisseurs de 93. Elle fut sanâ
doute moins maltraitée que bien d'autres, mais enfin elle
eut sa part de vandalisme et de profanations. Dès le mois
d'août 1791, son pasteur, Guillaume de Chaudesaigues,
ayant refusé de prêter un serment contraire aux intérêts
de la religion et à sa conscience, fut obligé, pour sauver
sa vie, d'aller chercher un refage dans les bois. Il fat rem-
placé par un intrus qui ne jouit pas longtemps du fruit de
son parjure, car les révolutionnaires ne voulurent pas plus
de ceux qui avaient trahi leur Dieu que de ceux qui lui
étaient restés fidèles. Il fut expulsé à son tour. Et lorsque là
Convention eut décrété l'abolition du culte catholique, dé*
claré qu'on ne devait reconnaître d'autre divinité que la
Raison, et ordonné la clôture de toutes les églises, il sur-
vint un jour une bande de terroristes pour mettre le décret
à exécution; ils entrèrent dans l'église, et leur chef (won
nom est bien connu dans le pays), plus impie encore que
ses compagnons, s'avance jusqu'à l'autel, ouvre le saint
Tabernacle, et armé d'un bàlon, il frappe à coups redou*
blés, en disant : « S'il y a un Dieu, qu'il se fasse voir. » Cet
acte d'athéisme ne suffit pas à sa fureur ; le malheureux t
il va plus loin encore ; il monte sur l'autel et pousse l'im*
196 LA GRANDE RÉVOLUTION
piété ... je frémis, ma main se refuse à l'écrire ... cepen-
àant H faut le dire, ce misérable pousse l'impiété jusqu'à
répandre des ordures dans le saint Tabernacle 1 1 1
Mais ici la patience divine a un terme. Ce Dieu qu'il som-
mait naguère de se faire voir, va lui faire sentir sa puis-
sance. Ce malheureux est frappé à l'instant même d'une
infirmité honteuse qu'il portera au tombeau. En attendant,
ses compagnons renversaient les autels et mutilaient les
belles sculptures des retables.
Cependant la population, indignée de toutes ces abomi-
nations, s'arme de pierres, chasse ces impies de l'église et
les poursuit jusqu'au-delà des limites de la paroisse. Grâce
à la protection puissante de Marie, qui voulait conserver
cette église pour y continuer ses bienfaits dans des jours
meilleurs, ces destructeurs ne reparurent plus, et l'ont
n'eut pas d'autres profanations à déplorer.
Pnnitton des profanateurs.
L'église de Husson, canton de Teilleul, arrondissement
de Mortain, conserve une précieuse relique, et vénère une
ancienne statue de la sainte Vierge, à laquelle se rat-
tache un souvenir qui ne s'effacera jamais de la mémoire
des habitants de cette paroisse.
En 93, les patriotes de Husson ne crurent pas qu'il fût
inconvenant de dresser une table dans le cimetière, sur les
sépultures de leurs proches, et d'y tenir un banquet pour
célébrer les triomphes de la république.
Les frères et amis s'abandonnaient aux transports d'une
bruyante gaîté, lorsqu'un vaurien, nommé R , non con-
tent d'avoir débité les facéties les plus grossières et les
plus impies, annonça ù haute voix qu'il voulait procurer à
la compagnie un spectacle amusant, qu'il allait faire rire
tout le monde.
DE 1789 A 1800. 197
Cela dit, il se lève, court à l'église, revient, tenant dans
ses bras une statue de la sainte Vierge, qu'il dépose sur la
table, en assaisonnant cette action de bouffonneries.
Le citoyen R , glorieux et fier du succès qu'il obte-
nait auprès de ses dignes acolytes, s'enhardit de plus en
plus, et osa, pour couronner ses fines et spirituelles plai-
santeries, mettre sa tabatière sous le nez de la statue, en
lui disant : « Voilà du bon tabac, accepte une prise, ci-
toyenne, et ne fais pas la difficile ! » Ensuite, lui présen-
tant un verre : « Allons, dit-il, tu vas boire à la santé de la
compagnie. » A ce spectacle, les assistants se livrent à une
joie folle et poussent de grands éclats de rire; mais un
cri perçant qui retentit aussitôt, met bien vite un terme à
cette scène absurde.
Le malheureux R est saisi au bras droit d'une dou-
leur poignante; et bientôt ce bras se glace, se roidit et
reste paralysé pour toujours.
A la vue de ce châtiment, si bien mérité, les convives
effrayés, comme si la foudre fût tombée au milieu d'eux,
se lèvent précipitamment et fuient de tous côtés.
Ainsi finit la fête, mais hélas I ce ne fut que le commen-
cement des malheurs deR
Ne pouvant plus travailler pour gagner sa vie, il fut
réduit à porter son bras en écharpe, à mendier son pain,
de porte en porte, dans la paroisse, et, pour comble de
misère, il fut attaqué de cette hideuse maladie connue
sous le nom d'affection pelliculeuse dont moururent, dit-on,
Héi'ode et Sylla.
Son corps, couvert d'ulcères et dévoré par une vermine
nombreuse, qui se renouvelait sans cesse, était en proie à
des douleurs intolérables, exhalait une odeur repoussante
et présentait le spectacle le plus triste, le plus digne de
compassion.
198 LA GRANDE RÉVOLUTION
Telle fut la punition de son impiété ; heureux s'il l'ac-
cepta avec résignation et en esprit de pénitence t
(Revue de Coutances.)
Le Pataud.
Le trait suivant a été cité dans la Guirlande de Marie
(paars 186G) :
Au mois d'avril 1854, je me trouvais dans les montagnes
de l'Ardèche, arrêté, je ne sais plus par quel accident
de voiture, ci l'unique auberge d'un petit bourg dont j'ai
également oublié le nom. Cette auberge avait une appa-
rence singulière. Elle présentait une façade longue et
élevée, percée régulièrement d'une quantité de petites
fenêtres, la plupart sans châssis. L'unique entrée était une
porte cochère donnant passage dans une cour. Cette cour,
assez spacieuse, était entourée de constructions dont les
unes servaient de remises, tandis que les autres étaient
abandonnées et tombaient en ruine. Le tout, tant le bâti-
ment principal que les dépendances, offrait l'aspect de la
misère et du délabrement le plus complet.
Une grosse pierre, placée derrière la porte, paraissait
servir de banc. Je m'y établis, tout en pestant contre le
retard qui me clouait dans un endroit si peu agréable.
Tandis que j'étais là, méditant tout à mon aise sur les
jouissances variées que procurent les voyages, un vieux
mendiant vint à passer et me demanda l'aumône d'un ton
nasillard.
C'était pour moi une distraction, et toute vulgaire qu'elle
fût, je voulus en profiter.
Dites donc, l'ami, fis-je, en lui mettant une pièce de
monnaie dans la main qu'il me tendait, il fait bien pauvre
dans ce pays.
— Dame 1 monsieur, il y fait d'un et d'autre. Il y a pas
DE 1789 A 1800. 199
mal de malheureux, c'est vrai, mais on trouve bien des
gens cossus par-ci par-lh.
— S'il faut en juger par cet échantillon ..., dis-Je en
désignant l'auberge du regard.
— Oh 1 cette auberge, interrompit le mendiant en re-
gardant autour de lui comme pour voir si personne ne
l'écoutait, cette auberge, monsieur, c'est une maison mau-
dite.
— Une maison maudite ! Contez-moi donc cela, lui dis-je,
pressentant une légende curieuse.
— Ohl volontiers, monsieur; aussi bien le Patai(d ne
peut nous entendre, il est à sa vigne.
— Le Pataud?
— C'est le maître de céans; on ne le nomme pas autre-
ment dans le pays ... quand il a le dos tourné, car on a
peur de lui, quoique toutes ses mauvaises richesses se
soient fondues au soleil. C'est une punition, voyez-vous,
monsieur; cela va ainsi de père en fils depuis 1794, et avant
vingt ans, si vous revenez par ici, vous verrez des ronces
et des orties à la place de ces bâtiments : c'est le vieux
Pol qui vous le dit. Quant h l'histoire, la voici; elle n'est
pas longue. Cette auberge, comme vous pouvez le voir par
toutes ces petites fenêtres, était autrefois un couvent où
vivaient de bonnes religieuses. Il n'y avait pas de pauvres
alors; c'était le bon temps. Tout le monde travaillait, et les
infirmes et les vieux venaient chercher la soupe au monas-
tère. Derrière cette cour qui est lîi s'élevait une belle cha-
pelle oiî j'ai souvent servi la messe. Quand vint la Révolu-
tion, les religieuses durent s'enfuir, et leur maison fut
mise en vente par la république. L'acheteur fut le grand-
père du Pataud. C'était un mauvais drôle, charron de son
état, et i\ qui le couvent faisait la charité. Il eut cela pour
une poignée d€ sous. Ne sachant que faire de la chapelle,
il ordonna de la démolir pour en vendre les débris. C'est
200 LA GRANDE RÉVOLUTION
ici que commence l'histoire, monsieur. La démolition alla
son train jusqu'au chœur. Mais d'abord il faut savoir que
dans une niche au-dessus de l'autel, tout près de la voûte,
se trouvait une grande Vierge en pierre, à laquelle les
gens du pays, et même ceux de loin, avaient grande dé-
votion. On la nommait Notre-Dame de Bon-Encontre. Lors
donc que les ouvriers furent arrivés au chœur, l'acqué-
reur dit :
— Holà, mes garçons, avant d'aller plus loin, il nous
faut renverser ça de là-haut.
Et il montra du poing Notre-Dame, le païen qu'il était!
Les ouvriers s'arrêtèrent, mais personne ne parut vou-
loir s'avancer pour faire ce qu'il disait.
— Comment leur cria-t-il, vous avez peur, poltrons que
vous êtes ! Qu'on me donne une échelle.
Et comme on ne la lui donnait pas assez vite, il en prit
une lui-même, et alla la placer contre le mur, au-dessous
de la statue.
Mais il s'aperçut bientôt que tout seul il ne viendrait pas
à bout de l'entreprise.
— Allons donc, cria-t-il de nouveau avec colère, qu'on
vienne m'aider, ou je vous dénonce tous.
A ce temps-là, monsieur, c'était une fameuse menace.
Un des ouvriers, plus méchant et plus lâche que ses
compagnons, prit une seconde échelle et la plaça à côté
de l'autre.
Entre temps, les curieux s'étaient amassés, et il y avait
une foule de gens dans les ruines de la chapelle.
Ce qu'on pensait, on n'osait pas le dire; mais je crois
que tout bas plus d'un priait Notre-Dame de Bon-Encontre.
Les deux hommes montèrent, chacun de son côté. Je les
vois encore. Le mai Ire était en face de la statue, l'ouvrier
à la gauche du mailre.
Lorsqu'ils furent tout près, ila y portèrent ensemble la
DE 1789 A 1800. 201
main, essayant d'abord de la remuer avant d'y attacher la
corde dont il s'étaient munis.
Mais sans doute que la démolition d'une partie de la
chapelle avait ébranlé le reste, car soudain toute cette
partie du mur s'écroula avec un bruit terrible.
Les spectateurs poussèrent un cri d'épouvante.
Ce fut d'abord un nuage de poussière au milieu duquel
il était impossible de rien distinguer.
Puis, quand on se fut approché, on vit le charron sous
la statue de pierre, écrasé, aplati, sanglant. Il était mort.
Son complice, à quelques pas de là, avait les deux
jambes brisées.
Tout le monde s'enfuit, et ce ne fut qu'un certain temps
après qu'on osa venir ramasser le cadavre et le blessé.
Le fils du mort hérita du couvent.
Il hérita aussi de la malédiction. Il ne fit que de mau-
vaises affaires, et il y a quelques années on le trouva pendu
dans sa grange.
Comprenez-vous maintenant, monsieur, pourquoi il n'y
aura bientôt plus ici que des orties et des ronces?
Parfois, quand le Pataud est un peu insolent, on lui
parle de son grand-père.
Bah ! répond-il en pâlissant, pur hasard.
M'est aussi avis, monsieur, que c'est pur hasard; qu'en
pensez-vous î
Et le mendiant, après avoir exprimé cette idée en cli.
gnaat de l'œil d'une façon significative, se retira lente-
ment.
Il voyait de loin le Pataud revenir de sa vigne
Q'
202 LA 6RANDE RÉVOLUTION
Les profanalenrs du sancloaire de IVotre-Danie
de Rochefort pnnls *.
Le pèlerinage de Notre-Dame de Rochefort, dans le dio-
cèse de Nîmes, est un des plus anciens et des plus véné-
rables du royaume de Marie. Nous avons emprunté h l'his-
toire de ce sanctuaire le chapitre suivant, où l'on retrace
les profanations des révolutionnaires :
Malgré les défenses portées, malgré la désolation gé-
nérale et le règne universel de la Terreur, on voyait tou-
jours bien des pèlerins venir, même de loin, prier aux
pieds de Notre-Dame de Rochefort. L'église était fermée,
mais ils se tenaient prosternés h la porte, et même h la
fin ils trouvèrent moyen de pénétrer dans l'intérieur et
d'arriver jusqu'au pied de l'autel et de l'image de la bonne
Mère*. Les démagogues le surent bientôt. Irrités d'avoir
laissé au peuple cette dernière consolation, ils ne tardèrent
pas à essayer de la lui ravir.
Voici, au rapport d'un témoin oculaire, comment les
choses se passèrent :
a Nous étions au plus fort du règne désastreux de la
Terreur, dit-il; il n'y avait ni prêtre ni église; il n'y avait
* Voyez l'ouvrage intéressant sur Notre-Dame de Uochcfort,
par un Père mariste.
* Un prêtre vénérable par l'âge et les vertus a raconté, les
larmes aux yeux, qu'i'i cette époque sa pieuse mère, chargée du
soin de neuf jeunes enfants, venait fidèlement chaque année à
Notre-Dame, faisant plus de six lieues à pied, demeurant à ge-
noux longtemps et priant les mains jointes ou les bras en croix
>levant les portes de l'église lorsqu'elle les trouvait fermées ;
ensuite elle retournait contente au sein de sa famille. Ce pèleri-
nage, disait cette pieuse femme, était l'unique consolation de sa
foi, privée qu'elle était de tout secours religieux pendant les
tristes jours de la Uévolution. Quel souvenir et quel exemple!
DE 1789 A 1800. 203
qtie cette chapelle où l'on pouvait faire sa prière. Tous les
dimanches il y avait du monde, même des étrangers.
Un dimanche, deux révolutionnaires de Villeneuve, étant
venus cultiver une vigne située dans l'étang, s'aperçurent
qu'il y avait du monde sur la montagne. Ils quittent leur
travail et viennent s'assurer du fait, ramassant sur leur
chemin tous les sans-culottes qu'ils rencontrent. Ils arri-
vèrent sur la montagne au nombre de cinq, écumant de
rage, vociférant des horreurs, insultant et provoquant tous
ceux qu'ils rencontraient. Peu s'en fallut qu'ils n'en
vinssent à donner des coups. Enfin ils partirent, mais la
menace à la bouche, et jurant que, si cela ne finissait
point, on recourrait à la force pour y mettre ordre.
» De retour à Villeneuve, les susdits révolutionnaires
n'eurent rien de plus pressé que de dénoncer la prétendue
contravention au club de cette ville. De là, grand émoi
dans leur camp ; on s'échauffe, on s'exalte, on délibère, et
on écrit au chef du parti à Rochefort pour lui faire des
reproches de ce qu'un républicain émérite tel que lui souf-
frait ou ignorait que dans son pays il y eût une réunion de
fanatiques qui professaient un culte défendu par les lois.
Il fut décidé en même temps que l'on enverrait quelques
membres du club sur la montagne, qu'ils feraient dispa-
raître la Vierge, et qu'ainsi tout serait terminé*.
Un matin donc, au lever du jour, trois des plus forcenés
révolutionnaires arrivent en toute hâte sur la montagne.
L'un d'eux était de Villeneuve, et les deux autres de Ro-
chefort. Deux d'entre eux s'introduisent dans la chapelle
comme à la dérobée, et s'avancent jusqu'au sanctuaire,
tandis que le troisième demeure sur la porte d'entrée. Pro-
fitant du moment où ils n'avaient aucun témoin de leur
crime, ces nouveaux iconoclastes s'élancent vers la statue
' Archives de Notre-Dame de Rochefort, livre des docu-
ments.
204 LA GRANDE RÉVOLUTION
de Marie. Furieux et comme en délire, ils s'efforcent, en
vomissant l'outrage et le blasphème, de 'la séparer du
trône auquel elle est solidement attachée. La tête seule,
cédant à leurs efforts redoublés, est détachée violemment
du tronc, et demeure entre leurs mains. Obligés, contre
leurs désirs, de laisser la sainte image debout à sa place,
ils s'éloignent à la hâte, après avoir, dit-on, renversé les
statues de saint Benoît et de sainte Scholastique, et causé
encore sans doute quelques autres dévastations. Ils empor-
tèrent la tête vénérée comme un trophée de leur honteuse
et sacrilège victoire. On ajoute qu'ils poussèrent la déri-
sion et l'impiété jusqu'à s'en faire un jouet, en la faisant
rouler sur la pente des rochers, le long des chemins et
dans les lieux publics. »
A cette vue, ou à la nouvelle de ce qui venait de se pas-
ser, une telle horreur s'empara des âmes qu'elle s'est per-
pétuée vive et profonde jusqu'à nos jours, et qu'à présent
encore, dans toute la contrée, on ne rappelle et l'on n'en-
tend raconter qu'avec indignation l'attentat commis à
Notre-Dame pendant la grande Révolution.
Quant aux impies qui l'exécutèrent, aussi peu inquiets
d'être à jamais flétris dans l'opinion publique que d'avoir
attiré sur eux-mêmes la vengeance du ciel, ils ne pensèrent
qu'à compléter leur œuvre. Pour cela, ils travaillèrent à
faire vendre les bâtiments de l'église, du couvent, et tous
les biens ayant appartenu aux ci-devant bénédictins de Ro-
chefort.
Après tant de dévastations, le deuil était grand sur la
montagne de Rochefort; une désolation profonde y avait
succédé à une prospérité presque deux fois séculaire. Le
sanctuaire, dépouillé de ses plus riches ornements, comme
à la fm du seizième siècle, se voyait privé de ses véritables
gardiens. La statue miraculeuse était mutilée, et les édi-
lices du couvent et de la chanelle, arrachés violemment à
DE 1789 A 1800. 20d
la religion et à la piété, étaient rangés parmi les pro-
priétés purement séculières et destinés à devenir bientôt
les objets d'une vile spéculation.
Au reste, tous ces révolutionnaires, si hardis et si fiers
en apparence, étaient terrifiés dans la suite et couverts de
honte à la seule accusation d'avoir outragé la sainte Vierge.
Personne n'ignore dans le pays, plusieurs pour l'avoir
entendu de leur bouche, que toute leur vie ils se ren-
voyaient les uns aux autres la perpétration de ce forfait. Il
paraît même que, si des pièces importantes et relatives à
la Révolution ont disparu des archives publiques de cer-
taines communes, quelques-uns de ces hommes y auraient
contribué, tout autant du moins qu'ils les jugeaient com-
promettantes pour leur propre mémoire.
Mais l'action providentielle parut avec éclat surtout dans
les châtiments dont furent atteints ces grands coupables.
On a vu presque en tous lieux la plupart des révolution-
naires de 1793 porter dès cette vie la peine de leurs
crimes. Plusieurs ont été frappés jusque dans leurs biens
ou dans leurs descendants, et il n'est pas rare de rencon-
trer encore aujourd'hui les traces que la foudre vengeresse
a laissées de son passage pour instruire les générations
nouvelles et pour imprimer dans les âmes une salutaire
terreur. « Que de faits de cette nature arrivés particulière-
ment en France, surtout dans le cours de la dernière per-
sécution suscitée à l'Eglise f On composerait des livres sans
fin, si, à l'exemple de Lactance, on voulait raconter les
punitions exemplaires dont furent frappés ceux qui, dans
ces temps malheureux, osèrent porter une main impie sur
les personnes ou sur les objets consacrés au culte de
Dieu*. »
Le village de Rochefort en particulier eut ses traits de la
* Le Pieux Pèlerin, chaii. ii.
206 LA GRANDE RÉVOLUTION
vengeance de Dieu, et ils ne furent pas des moins exem-
plaires, t Le ciel ne pouvait laisser impuni aucun des
outrages auxquels notre sainte chapelle fut en butte. Il lui
devait cette marque de sa protection, et il la lui donna de
la manière la plus éclatante. Les coups de sa colère furent
dirigés contre les principaux profanateurs, et même, pour
avoir été quelquefois différés, ils n'en furent que plus ter-
ribles. Le souvenir de ces punitions est demeuré profon-
dément gravé dans l'esprit du peuple de la localité et des
environs. S'il faut en croire ce que tous ont pu entendre
raconter, elles auraient été souvent accompagnées de cir-
constances si frappantes qu'il ne serait guère possible de
douter qu'elles ne soient vraiment providentielles*. » Pour
les uns, ce furent de nombreuses et accablantes infirmités;
pour les autres, des plaies horribles, des maladies incura-
bles; pour plusieurs, une mort tragique, le malheur parmi
leurs enfants ou la destruction de toute leur famille.
Entre les faits de cette nature, nous citerons spéciale-
ment le suivant. Toutes les bouches le racontent dans le
pays, et l'on montre encore l'endroit où il s'est accompli.
Le voici tel qu'il est rapporté dans une relation particu-
lière :
« Le premier dimanche de mars 1795, les nommés
A. S... et J. R..., tous deux de Rochefort, et habitant non
loin de l'ancienne église, se disposaient ù aller ensemble
planter de figuiers. Us étaient l'un et l'autre des patriotes
des mieux trempés, observant ponctuellement la décade
républicaine et le culte de la Raison. A..., plus matinal,
se met en raute, et, passant devant la porte do J...,
l'éveille et lui dit qu'il va l'attendre à l'abri de la muraille
voisine. Hâte-toi do venir, ajonte-t-il, j'ai vu quelque clujse.
De la maison de 11..., il avait aperçu la foule qui montait
* Le Pieux Pèlerin, chip. ii.
DE 1789 A 1800. 207
à Notre-Dame de Grâce, parce que, chose rare en ce
temps, un prêtre allait célébrer la messe h la chapelle. On
ne l'avait annoncé que secrètement et à l'oreille. Néan-
moins tous les fidèles le surent, moins les patriotes pur
sang, qui auraient peut-être cherché à troubler la fête.
J. R... arriva bientôt. Voyant la foule, à son tour, il
s'exalte comme son camarade. Tous les deux jurent et
pestent ensemble contre les fanatiques, qui ne tiennent nul
compte des lois par lesquelles la république ordonne de
fêter la décade. Us protestent qu'on avisera au moyen d'y
mettre ordre une autre fois.
» Comme ils étaient rouges de colère, passa devant eux
une femme endimanchée, qui allait aussi à la messe. Cette
femme étant sœur d'un patriote distingué du lieu, ils
eurent avec elle beaucoup plus de liberté. Ils l'accablèrent
d'injures et de menaces. Et toi aussi, lui dirent-ils, tu vas
à la messe comme les fanatiques. Puisse le tronc de figuier
faire écraser la voûte! Ce serait un bon coup de filet\ Par là
ils croyaient pouvoir la détourner de son dessein : mais
celle-ci ne répondit pas et continua son chemin. A peine
était-elle descendue à l'ancien cimetière, qu'elle entendit
un grand fracas. Elle poursuivit son chemin, et apprit
bientôt que ce bruit venait de l'écroulement de la muraille
derrière laquelle étaient abrités J... et A... Ils furent
écrasés tous deux sous cette cnute, qui avait pour cause
une rafale violente du nord, survenue presque tout-à-coup.
Le vent soufflait à peine le matin; mais en ce moment,
entre neuf et dix heures, il devint si impétueux qu'il ren-
versa ce mur. C'était cependant un ancien rempart du
1 Baste que le tos de figuièire faguesse escrasa la voûte. Se-
riei une bonne leiQue. Les révolutionnaires appelaient dérisoire-
ment la statue de Notre-Dame le tronc de figuier depuis qu'ils
l'avaient décapitée. Nous verrons maintenant, disaient-ils, si le
tronc de figuiers fera des miracles.
208 LA GRANDE RÉVOLUTION
hàteau, qui avait résisté aux siècles, et que tout le n:OLtle
croyait encore très-solide.
» J... fut retiré de dessous les ruines, respirant encore.
Il était âgé de trente-huit ans, et mourut deux jours après,
privé de toute connaissance. Ce malheureux, si acharm'' à
décrier et à poursuivre le culte de la sainte Vierge, avait
prostitué sa propre fille au culte de la Raison, et en avait
fait la déesse du lieu. A... était âgé de quarante-trois ans.
Il vécut encore quelques jours; on affirme qu'il réclama le
secours d'un prêtre, et qu'il reçut les derniers sacrements
avant de mourir. Il avait accompagné jusqu'à l'entrée de
la chapelle ceux qui avaient abattu la tête de la statue mi-
raculeuse *. »
Ces deux blasphémateurs furent évidemment punis,
c'est la croyance universelle, par le même genre de mort
qu'ils avaient souhaité aux pieux serviteurs de Marie.
« Un exemple si soudain, dit un autre mémoire manu-
scrit, fit du bruit. Les révolutionnaires en furent conster-
nés. Ils ne riaient plus; ils cessèrent de parler du tronc de
ligui'y, et étaient loin de l'invoquer pour des miracles, in-
vocation qui avait si mal réussi*.
Panltions exemplaires.
A Carpentras se trouve un lieu de pèlerinage fort cé-
lèbre dédit'; à Notre-Dame de Santé. A l'époque du choléra,
on demandait h un homme du pays si le fléau n'y exerçait
pas ses ravages : N'avons-nous pas Notre-Dame de Santé?
répondit-il avec une foi pleine d'espérance. Et en effet, la
ville fut épargnée, quoique le choléra fit des victimes non
loin de là.
1 Archives de Notre-Dame, livre des documents. — * Ibid.
DE 1789 A 1800. 209
Au moment de la révolution de 93, l'individu chargé de
fermer l'églts" de Notre-Dame de Santé, après avoir fait
sortir en blasphémant ceux qui s'y trouvaient, voulut clore
la porte sacrée ; mais son bras se retira à l'instant où il
tournait la clef dans la serrure, et on le vit dans cet état
d'infirmité bien longtemps après.
^ A la même époque, un individu fut chargé de fermer
le couvent des Capucins de Marseille, dédié à la sainte
Vierge. Il s'acquitta brutalement de sa mission, insulta
par des propos ; lossiers les vierges consacrées à Dieu, en
les chassant, et se permit même à l'égard de l'une d'elles
des procédés bien plus qu'inconvenants. « Monsieur, Dieu
vous a vu, » se contenta de lui dire la religieuse. Le soir
même, l'impie mourut subitement, et l'on était contraint
d' enterrer rapidement le cadavre, après l'avoir entouré de
chaux vive, à cause de la puanteur qu'il exhalait.
Un maire révolntionnafre.
Dans une notice sur le pèlerinage de Notre-Dame de
Verdelais (Gironde), publiée par le Rosier de Marie dans
son numéro du 19 mai 1866, nous avons lu le trait suivant :
«... Vinrent les iours tristement mémorables de la grande
B évolution, jours de ruines et de larmes. Le sanctuaire de
Verdelais possédait à cette époque des vases sacrés d'un
grand prix et des ornements d'une grande richesse. Tout
fut pillé ou brûlé. On poussa même le sacrilège jusqu'à
vouloir anéantir la statue qui depuis tant de siècles était
l'objet de la vénération et de la piété des fidèles.
» — Renverse cette statue, disait le chef de l'adminis-
tration locale au sacristain, qui depuis bien des années
était au service de la chapelle.
> — Je craindrais que Dieu ne m'écrasât dans le moment
210 LA GRANDE RÉVOLUTION
même, r(^pondit le sacristain; du reste, j'aime mieux obéir
h Dieu qu'aux hommes.
» Alors le magistrat furieux se tournant vers un maçon :
> — Je t'ordonne, au nom de la loi, de renverser cette
statue.
» — Fais-le toi-même, si tu l'oses, citoyen maire, ré-
pondit le maçon avec un courage héroïque; pour moi, je
ne le ferai jamais.
> Rempli de colore, le maire impie monte lui-même pour
consommer son projet sacrilège. Il va saisir la statue;
mais, ô prodige ! une pâleur de mort se répand sur son
visage, ses genoux fléchissent, ses yeux se ferment.
ï — Soutenez-moi; je n'y vois plus, s'écrie-t-il plein
d'effroi, et il tombe sans connaissance dans les bras des
personnes qui assistaient à cette horrible scène. >
La puDltlou d'un blaspbématear.
Dans une paroisse qu'il est inutile de nommer, l'on
voyait, il y a une vingtaine d'années, les débris d'une
chapelle construite sur une éminence, dans une position
très-pittoresque, aux abords d'une forêt. Le sanctuaire
encore debout offrait, si j'ai bonne mémoire, trois ogives
assez élégantes sous lesquelles s'abritaient quelques débris
de statue; ces dernières étaient grossières, il esi vrai, mais
respectables aux yeux de la foi populaire, et l'on venait
encore prier à leurs pieds. Des souvenirs que rappelait
ce petit monument, je ne dirai rien; il n'en reste plus
d'ailleurs pierre sur pierre depuis qu'une route vicinale a
été construite sur son emplacement, et le récit que je veux
faire aujourd'hui ne remonte pas à cinquante ans, quoiqu'il
ait toute l'apparence d'une ancienne légende.
Ruinée pendant la Révolution, la chapelle dont je parle
avait été vendue nationalement, ainsi que le terrain qui
DS 1789 A 1800. 211
l'avoisinait, et elle appartenait, à l'époque où se passe cette
histoire, à un laboureur, digne fils de ceux qui ravagèrent
il y a quatre-vingts ans nos édifices religieux.
Cet homme, ayant entrepris de labourer le tour de la
chapelle, — je ne sais quoi l'avait empêché de renverser
le saint édifice, — vint un jour travailler avec son valet le
nouveau champ. Gomme tant d'autres, hélas! le malheu-
reux avait probablement bu plus que de coutume; ce qui
semble le prouver fut sa singulière idée de s'écrier en
arrivant au travail et en regardant les vieux saints de pierre
debout dans leurs niches : 4 Fainéants de saints, venez
donc travailler avec moi I Depuis le temps que vous êtes
là, les mains jointes et les yeux levés au ciel, vous auriez
fait de l'ouvrage, si vous aviez voulu ! »
En entendant ces paroles, aussi ridicules qu'impies,
accompagnées d'horribles blasphèmes, le jeune valet, —
qui, loin de ressembler à son maître, était, au contraire,
pieux et bon chrétien, ne peut se contraindre et témoigne
hautement son indignation. Mais la rage de l'impie continue
et, dans sa folle colère, il saisit une statue, la jette dans
le champ et s'écrie : a Allons, travaille maintenant, vieux
saint. > Je ne puis citer ici textuellement ses paroles.
Comme on se le figure facilement, l'emportement sa-
crilège du paysan ne tarda pas à recevoir une première
punition : la statue, précipitée dans la pièce de terre,
entrava la marche des bœufs traînant la charrue, et le
méchant homme dut songer bientôt à la remettre dans sa
niche. Mais, chose singulière, il ne put parvenir à relever
le saint couché sur le sol : soit qu'il fût trop ivre, soit,
comme le dirent hautement plus tard ses voisins, qu'il fût
indigne d'y toucher, il lui fut lout-à-fait impossible de re-
muer la statue. Cela ne fit qu'exciter encore sa rage, et sa
bouche furieuse vomit tous les blasphèmes les plus épou-
vantables. Il alla si loin ([ue son pauvre domestique se
212 LA GRANDE RÉVOLUTION
jeta h genoux, effrayé de tant d'horreurs, et se mit à prier
Jésus du plus profond de son cœur, implorant avec larmes
la miséricorde divine. Puis le jeune homme se releva, s'ap-
procha de la statue gisant dans la poussière, la saisit avec
respect et la replaça pieusement dans sa niche, sans
écouter les nouvelles imprécations de son maître.
Le soir arriva bientôt, et le méchant laboureur e^^oy'.
devant lui son valet recondi'.re son attelage; lui seul df-
meura dans le champ, jadis béni, maintenant souillé par
ses blasphèmes. Que se passa-t-il alors sous les arceaux de
l'antique oratoire? Dieu seul le sait. Toujours est-il que, la
nuit étant arrivée, on s'inquiéta h la ferme de ne pas voir
revenir le maître du logis; pendant quelques heures on
attendit en vain. N'apercevant rien, le domostique et
quelques autres personnes allèrent enfin vers le champ
de la chapelle à la recherche du laboureur. Mais, arrivés
près de l'édifice, un horrible spectacle s'offrit à leurs
yeux : le pan de muraille, dans lequel était assise la vieille
statue profanée, s'était écroulé avec le saint lui-même, et
sous leurs débris gisait informe et couvert de sang le
corps du malheureux blasphémateur.
On devina qu'après le départ de son valet, le laboureur
impie, ayant voulu continuer ses sacrilège attentats, était
devenu victime de sa propre rage : les vieilles murailles
s'étaient renversées sous ses coups, mais elles l'avaient
enseveli dans leur ruine : la justice de Dieu qui punit le
blasphème avait passé par là.
L'abbé Guillotin de Courson.
Une secne de la Passion et la Justice de DIen.
Dans le canton d'Orboc se trouve la commune de Coiir-
tonnc-la-Ville, et, l;i aussi, les jacobins exercèrent, en 93, le
pouvoir tyrannique dont le gouvernement de l'époque les
DE 1789 A 1800. 213
avait investis, en persécutant le clergé, en pillant, en
profanant les lieux saints.
A Courtonne, ainsi que partout ailleurs, un Christ, placé
à l'entrte du chœur, tenait ses bras étendus, en signe de
miséricorde, et abaissait un regard plein de clémence sur
l'assemblée des fidèles. iMais, aux yeux des philosophes du
temps, le monde n'avait pas besoin de médiaieur ; la terre
n'avait plus rien à demander au Ciel.
Une bande de forcenés entre donc dans l'église du
village; leur chef était un habitant de la commune; il
se nommait Rabot. Plusieurs personnes, de sentiments
tout opposés, y entrent en même temps qu'eux pour em-
pêcher, s'ils le pouvaient, la dévastation du sanctuaire, et
le maire s'empresse aussi de se présenter dans le même
but.
C'est le Christ que les bandits veulent d'abord abattre.
Les spectateurs frémissent d'indignation, et le maire intime
aux envahisseurs la défense de toucher à cette image, vers
laquelle il les voit lancer des regards menaçants. L'auto-
rité du maire est méconnue. Rabot le repousse avec vio-
lence; et un affreux rugissement sort de la poitrine de
tous ses complices. « Nous sommes seuls maîtres ici; tu
» n'es plus rien parmi nous, dit Rabot au maire de Cour-
» tonne; retire-toi, et va porter tes ordres à d'autres; je
» te le conseille. Si non... »
Que faire seul contre une troupe de malfaiteurs capables
de se porter aux dernières extrémités ? Protester éîait un
devoir; le maire s'en acquitta. Sa voix ne fut pas écoutée,
et il se vit contraint de céder à la force.
Aussitôt les bandits exécutent leur projet, et le Christ
est abattu.
Devii.it lui, peut-être, plusieurs étaient venus naguère
se prosterner en demandant à Dieu pardon; d'autres, sans
doute, au jour ^'une première comijiunion, avaient promis.
214 LA GRANDE RÉVOLUTION
en sa présence, que toujours leur cœur serait uni au cœur
de Jésus, devenu leur partage; et quelques-uns aussi, au
moment de s'établir, avaient demandé que l'union qu'ils
contractaient fût bénie sous les yeux du divin Crucitié.
Dans ce jour ils l'abattent, ils l'insultent !
Mais, pour Rabot, ce n'est pas assez d'avoir arraché la
touchante image du lieu où elle était et de l'avoir jetée sur
le pavé. Avec de longues cordes, il attache le Christ à un
cheval, et le traîne, ainsi lié et garrotté, dans les chemins
de Gourtonne.
Sans doute il voulait donner une représentation de la
haine des Juifs traînant le Sauveur, chargé de chaînes,
dans les rues de Jérusalem, et le conduisant de Pilate à
Hérode, au milieu d'une populace effrénée, qui l'accablait
d'injures. Acharné contre sa victime, il semble vouloir
renouveler les scènes les plus odieuses de la Passion; il
ne quitte le Christ que quand il le voit mutilé, brisé par
les secousses violentes et par le choc des pierres sur les-
quelles il a heurté.
Peut-être quelques âmes pieuses, animées des mêmes
sentiments que les saintes femmes au pied du Calvaire,
avaient dit en gémissant, lorsqu'elles virent tomber le
Christ de Gourtonne : « Nous allons le recueillir, et nous
lui rendrons la place qu'il occupait dans notre église
aujourd'hui profanée. » Mais Rabot n'entendait pas qu'il
en pût être ainsi, et ce Christ n'était plus qu'une masse
informe et méconnaissable, quand il le déposa prc;s do
l'église sous les yeux des spectateurs, indignés pour la
plupart.
Un tel crime restera-t-il impuni ? Le Ciel n*a-l-il plus de
foudres à lancer contre l'auteur d'un semblable attentat?...
Nous ne demandons pas que la justice divine éclate contre
les coupables; mais celui dont nous parlons ne larda pas
à en ressentir les coups.
DE 1789 A 1800. 215
Son ùeuvre sacrilège accomplie, il monte sur son cheval
pour retourner à son logis. Avant d'y arriver, il lui fallait
traverser un bois nouvellement coupé. Tout-à-coup, le
cheval effrayé, on ne sait par quelle cause, s'emporte et
démonte son cavalier, dont les jambes, au moment de la
chute, s'engagent dans les cordages avec lesquels il avait
lié le Christ pour le traîner dans les rues. Rabot ne peut
ni retenir son cheval, ni dégager ses jambes de l'étreinte
oi^i elles sont prises; au contraire, ces nœuds formés se
resserrent de plus en plus par la course rapide de l'animal,
qu'aucun frein n'arrête, et l'infortuné est longtemps traîné
sur les pointes des souches qui restaient après la coupe
récemment faite. Quand enfin le cheval un peu calmé
s'arrêta, on ne vit plus que des vêtements déchirés, des
lambeaux de chair qui pendaient à des membres meurtris
et fracassés; Rabot n'était plus qu'un cadavre. Tel fut
l'état dans lequel son cheval vint l'offrir aux habitants
de Gourtonne, effrayés d'un supplice aussi prompt et si
terrible.
Je tiens, dit le curé du lieu, ces faits du fils du maire de
Gourtonne, médecin à Beuvron.
Triste sort d'an rérolutloiiBalre d« Cag-ny*
A Gagny, canton de Troarn, il y eut aussi des persécu-
teurs de la religion, des profanateurs de nos saints temples,
des hommes qui se plaisaient à porter une main sacriiégo
sur les objets consacrés au culte de Dieu par la piété des
fidèles. Un de ces hommes m'a été signalé, sans que j'aie
pu obtenir sur ses actes les détails nécessaires. Je sais
seulement qu'il avait assez outragé le Giel pour que la
main de Dieu s'appesantît sur lui.
Ce terroriste avait poursuivi ceux qui ne partageaient
point 6on impiété avec une frénésie qj^ faisait dire de lui î
216 LA GRANDE RÉVOLUTION
C'est un enragé; et il tomba dans un tel état de démence
et de fureur, que l'on fut contraint de le traiter comme
une bête fauve, de le tenir étroitement enfermé. Dans ses
accès, imitant un chien réellement atteint de la rage, il
rongeait, il broyait avec ses dents tous les objets qu'il
pouvait saisir, même la porte de la loge qui lui servait de
prison.
Enfin la colère céleste sembla s'apaiser à son égard.
Plusieurs personnes pieuses s'étaient fait un devoir d'im-
plorer en sa faveur la divine miséricorde; et, avant la fin
de son existence, il recouvra assez de calme, assez de
présence d'esprit pour être capable de faire un retour sur
lui-même. Sut-il profiter de cette grâce qui lui était ac-
cordée? Je l'ignore. (Trait cité par le curé de Beuvron.)
Dlea vengée la g^loire de saint Joseph.
Dans son mandement de 1866 sur la dévotion à saint
Joseph, le cardinal de Bordeaux parle de la statue de ce
glorieux Patriarche qui décore la façade de la chapelle de
l'orphelinat dirigé par les sœurs de saint Vincent de Paul,
rue Saintc-Eulalie, à Bordeaux, et dit que la conservation
de cette statue, pendant la tourmente de 93, est un fait
digne d'attention.
« Le fait qui détermina la conservation de cette statue
est peu connu aujourd'hui; ce fait me semble providentiel,
et il serait bon que YAquitaim voulût bien en conserver le
souvenir.
» Il m'a été raconté plusieurs fois par une sœur connue
dans Sainle-Eulalie, sous le nom de sœur Félicité. J'avais
une dizaine d'années quand cette sœur mourut. Elle fut
inhumée dans un des caveaux de l'église Sainte-Eulalie,
en face de lu porlc de la sacristie. Elle était religieuse
avant la Révolution, quand les philanthropes de l'époque
DE 1789 A 1800. 217
s'aperçurent que les citoyennes chargées du soin des
pauvres s'occupaient beaucoup plus de leur famille que
des nécessiteux, la sœur Félicité fut une de celles qui,
sous l'habit laïque, furent chargées de distribuer les
aumônes du district dans Sainte-Eulalie. Elle était donc à
portée de connaître exactement ce qui se passait et se
disait parmi le peuple. Or, voici ce qu'elle racontait sur
la statue de saint Joseph :
» On était au fort de la Terreur ; tout objet rappelant le
culte catholique avait été brisé et renversé depuis plu-
sieurs mois, lorsqu'un des plus fougueux terroristes tra-
versa la rue Sainte-Eulalie; arrivé en face de la statue de
saint Joseph, il s'arrête, il parle seul avec colère, traite de
canaille les gens du voisinage, qui ont supporté si long-
temps et sans rien dire un objet si odieux; puis, furieux
et présentant le poing à la statue, il s'écrie : « Ahl b ,
de sans-culotte, tu es encore là 1 Je saurai bien te faire
f..... parterre. A demain, à une heure de relevée; adieu. »
» Les voisins, gens paisibles et religieux, et entendant
les menaces de ce forcené, ne doutèrent pas que leur pauvre
saint Joseph ne fût bientôt renversé; mais leur tristesse se
changea en joie, quand ils apprirent ce qui s'était passé.
» Le soir même du jour où le blasphémateur avait pro-
féré ses menaces, il se rendit au club et déclama avec
colère et force imprécations contre la statue de saint
Joseph. Il demanda des ordres et des hommes pour ren-
verser ce signe de superstition.
» A peine sa demande eut-elle été accordée que le blas-
phémateur se met à pousser d'horribles cris. Il se plie et
se replie dans d'affreuses convulsions : de fortes douleurs
d'entrailles l'ont saisi soudain. On l'emporte chez lui; il
passe la nuit dans d'horribles tourments, et meurt le len-
demain à l'heure qu'il avait indiquée pour le renversement
de la statue de saint Joseph. Tous virent dans ce fait un
10
218 LA GRANDE RÉVOLUTION
châtiment du Ciel, mêmes les clubisles les plus enlêtés, en
sorte que pas un n'osa se charger de renverser la statue de
saint Joseph, qui a pu ainsi traverser saine et sauve la
tourmente révolutionnaire et parvenir jusqu'à nous.
» La sœur Félicité avait une vertu trop élevée pour se
permettre de raconter un t -1 fait, s'i' u'eûi été vrai. Aussi
ne fût-ce qu'à simple titre de renseignement ou de chro-
nique; ce souvenir mérite, ce me semble, de trouver place
dans l'Aquitaine. Je ne doute pas que ce récit ne soit
admis plus tard dans les recueils d'anecdotes qu'on réu-
nira pour exciter la confiance et la dévotion à saint Joseph,
c Blavières, curé de saint Médard-en-Jalles *
liotre-Danie de Benoîte- Vaux, diocèse de Vcrdnn».
C'était au mois de novembre 1793. Tout ce qu'il y avait
de bon et d'honnête à Benoîte-Vaux tremblait et se cachait,
en appelant de tous ses vœux des jours de justice et de
paix. Des étrangers, émissaires du comité de salut public,
avaient été placés à la tête de la commune que formait
alors le petit hameau, et dans le monastère il n'y avait plus
que le curé constitutionnel, lo P. Barry, homme faible
et sans énergie, que servait le frère Norbert, quand un
matin arrivèrent encore de Saint-Mihiel, que l'on nommait
alors Roche-sur-Meuse, deux commissaires bien autrement
terribles que les premiers. L'histoire, qui doit flétrir toutes
les indignités, ne saurait taire leurs noms : ils s'appelaient
Viller et Baudot. C'étaient des hommes capables de tout
oser, et qui, avant d'arriver dans ia vallée, avaient déjà
ravagé toutes les églises qui se trouvaient sur leur pas-
sage : celles des Paroches, de Dompcevrin, do Woimbey,
de Bouquemont et de Tillombois. Aussi se présentèrcnt-ils
» Nou3 avons pris ces détails dans l'intéressant ouvrage Notre-
Dame de Benolte-Vaux, par le II. P. Chevrcui.
i
DE 1789 A 1800. 219
à Benoîte-Vaux avec le dessein arrêté de ne rien épargner
et de détruire jusqu'aux derniers vestiges de ce qu'ils
appelaient « les instruments du fanatisme. »
Vite alors on court à la chapelle, on descend la statue,
et en répandant des larmes et des prières, on l'emporte
dans la boulangerie du couvent, où on la cache soigneu-
sement en la couvrant de fagots.
Il était temps, car à peine la porte était-elle fermée par
le prieur que tout-à-coup le bruit du tambour retentit dans
la forêt, et que les commissaires se présentent, escortés de
six gardes nationaux de Tillombois.
Avant tout il leur fallait la statue de Notre-Dame; ils
regardent donc au fond du sanctuaire et ne la trouvent
plus. « Où est cette ... 1 s'écrie Baudot en prononçant un
blasphème horrible, il faut qu'elle se retrouve. ^ Et en at-
tendant, pour assouvir sa fureur, il frappe deux chérubins
en pierre placés de chaque côté du tabernacle, les brise
sur le pavé, fait le tour de l'église en mutilant les statues,
enlève la grille en fer du balustre, et ne fait pas même
grâce à la pierre tombale de M. de l'Escale, dont il efface
les armoiries et les fleurs de lis, pendant que de son côté,
le chef de la commune, Saintin-Tournay, commande à deux
enfants, armés d'une hache et d'un couteau, d'abattre les
ornements des stalles.
Mais pendant ce premier accès de fureur farouche
Baudot n'a pas oublié l'objet principal de sa mission, c'est-
à-dire la statue vénérée que tant de siècles ont saluée,
bénie et implorée, et qu'il veut détruire à tout prix. « Où
est-elle? s'écrie-t-il de nouveau en répétant son premier
blasphème. Encore une fois, il faut qu'elle se retrouve.
« Un misérable, Jean-Charles, natif de Woimbcy et con-
seiller municipal de Benoîte-Vaux, initié sans doute au
secret do sa retraite par ses compatriotes, lui indique alors
du doigt \q monastère, et à l'instant, avec une joie sata-
220 LA GRANDE RÉVOLUTION
nique, Baudot s'y pi écipite avec toute sa troupe, cherchant
partout le prieur, qui apparaît bientôt en tremblant.
f Citoyen ci-devant prêtre, la Vierge que tu as cachée,
montre-la-moi tout de suite, ou tu es mort, » lui dit-il en
lui-mcttant l'épée sur la gorge. Cent autres se seraient tus,
ou lui eussent répondu comme les martyrs des premiers
siècles répondaient quand on leur demandait de trahir leur
foi, leurs évèques, ou de livrer des objets sacrés; quant à
lui, plus effrayé et plus lâche, après quelques résistances
sans énergie, sur la promesse hypocrite qu'il ne serait fait
aucun mal à l'image dont il est le dépositaire et le gardien,
il ouvre lui-même la porte de la boulangerie et montre de
la maiu l'endroit où on l'a cachée.
On sait qu'autrefois les protestants, les aventuriers et les
Suédois, après l'avoir souillée, insultée, l'avaient cepen-
dant encore laissée debout, par un sentiment inexplicable
de respect ou de crainte. L'impie commissaire ne s'éleva
pas même à leur niveau; non-seulement il ne la respecta
pas, mais sitôt qu'il l'aperçut, il la regarda en face avec
un sourire infernal et s'écria : • On dit que tu fais des mi-
racles; eh bieni si tu as du pouvoir, fais-le voir; en atten-
dant, il faut que je te casse les reins. » Et en parlant ainsi,
plus semblable h un démon qu'à un homme, il la pousse
violemment, la renverse par terre, et avec une hache la
frappe à coups redoublés, pendant que la troupe ap-
plaudit, et que le prieur, comprenant alors l'étendue de sa
faute, se cache la tête dans ses mains et se retire eu pous-
sant des sanglots. Mais c'était peu ; car après la statue, les
autels, les tombeaux cl les images des saints, restaient les
vases sacrés, et dans la précipitation on les avait oubliés.
Baudot veut les avoir, et poussant aussitôt devant lui l'in-
forluné prieur, il rentre dans l'église, se fait ouvrir par
l'indigne curé lui-même la porte du tabernacle, s'empare
du saint ciboire, du calice, de l'ostensoir, et ordonne sous
DE 1789 A 1800- 221
peine de mort à un habitant du hameau de les conduire,
avec d'autros objets désignés, au district de Saint-Mihiel;
puis, afin de compléter son œmTe de destruction, toute la
troupe brise à coups de hache les quatre confessionnaux,
emporte toutes les béquilles déposées autrefois près de la
statue par une multitude de malheureux, en témoignage de
leur guérison miraculeuse, ramasse tous les ornements,
les bannières, les livres d'église, jette le tout pêle-mêle
dans la cour, y met le feu et danse autour en chantant l'in-
fâme Carmagnole.
Une troisième perquisition fut faite peu de temps après
par trois commissaires de Verdun, qui vinrent visiter le
sanctuaire afin d'enlever toute trace de superstition. Ne
trouvant partout que le vide et des ruines, ces nouveaux
visiteurs, aussi hostiles cependant que les précédents, se
bornèrent à frapper les statues du portail, et ne pouvant
les abattre malgré tous leurs efforts, ils se retirèrent
bientôt en disant : * Elles y étaient avant nous, elles y
seront encore après nous. » Tous trois ne tardèrent pas à
être punis d'une manière exemplaire : le premier fut brûlé
vif dans une chaudière d'eau bouillante, le deuxième se
pendit, le troisième devint fou.
Les autres commissaires et leurs indignes valets ne
furent pas plus épargnés par ia justice divine. Baudot, le
plus coupable de tous, qui avait juré de casser les reins à
la statue, et qui l'avait sommée de lui montrer son pouvoir,
eut bientôt à son tour les reins littéralement broyés sous
les roues d'un char, en conduisant les fourrages de l'ar*
mée, et mourut ainsi misérablement sans laisser de pos-
térité. Saintin-Tournay s'en alla terminer ses jours dans
un cachot, à Clairvaux. Jean-Charles mourut sans enfants
l'année suivante, en poussant des hurlements épouvan-
tables. Le garde national de Tillombois qui avait aidé le
plus efficacement à la destruction de l'image miraculeuse
222 LA GRANDE BÉVOLUTION
fut, peu de temps après, dévoré par les loups en allant à
Saint-Hubert; on n'en put retrouver que les plus gros
ossements, épars çh et là dans la plaine.
Quant à Yiller, le moins coupable, puisqu'il s'était abs-
tenu de porter la main sur tant d'objets sacrés, il revint
plur tard à de meilleurs sentiments, et pour réparer le
mal auquel il avait contribué, il éleva, sur le chemin de
Tillombois à Benoîte-Vaux, une croix dont on voit encore
les débris à l'entrée de la forêt.
Punition et miséricorde.
Les révolutionnaires d'un village où l'on vénérait une
ancienne et belle statue de la sainte Vierge trouvèrent bon
d'ôter cette image de son piédestal, ce qu'ils firent avec
mille insultes. L'un d'eux ensuite, voulant montrer son
zèle, proposa de la précipiter dans un puits, La proposition
fut accueillie au milieu de la stupeur des honnêtes gens,
et l'inventeur mit la main à l'œuvre avec plus d'ardeur que
tous les autres. On précipita donc la statue, mais les cris
de joie et de blasphèmes ne furent pas de longue durée.
Le principal auteur du saculége perdit à l'instant la vue.
Il fallut le ramener dans sa demeure. Ce prompt châti-
ment ne e convertit point; il resta impie et aveugle.
Après plusieurs années, la paix et le culte furent rétablis.
Cependant la statue était restée dans le puits, et tous les
honnêtes gens y pensaient avec douleur. Un jour le ciwi
leur dit : « es amis, il faudra bien que nous fassions réf
paration à la sainte Vierge, et que nous retirions sa bénit>>
imago du puits où nous l'avons laissé jeter... »
Chacun trouva que le curé avait raison, on fit les dispo-
sitions nécessaires, et on indiqua le jour, ce fut une fête.
— Tous les habitants étaient rassemblés autour du puits,
sauf le curé qui devait présider au travail. Il arriva, mais
DE 1789 A 1800. 223
non pas seul. Il conduisait par la main un aveugle bien
connu qu'on ne s'attendait guère ci voir là. Au milieu de la
rumeur, le curé fit signe qu'il voulait parler, il n'eût pas
de peine à obtenir le silence, — « Chrétiens, dit-il, ce
pauvre aveugle est venu chez moi ce matin, poussé par ses
remords, pour obtenir de moi et de vous tous une grâce
que je lui ai promise en votre nom. Il désire humblement
que vous lui permettiez de tirer avec vous tous les cordes
qui feront tout-à-l'heure remonter la statue de la sainte
Vierge, de ce puits où il a contribué à la précipiter, il y a
dix ans. Il déteste son sacrilège, dont il a été justement
puni, il en demande pardon à Dieu, à Marie et à vous tous,
chrétiens. Je puis vous dire que Dieu et la sainte Vierge
lui ont pardonné; c'est à votre tour, mes frères. — « Oui,
dit l'aveugle étendant la main et pleurant, je demande
pardon, je n'ai plus de repos ni jour ni nuit. Ma conscience
me tourmente, je demande pardon f... Oui, c'est oublié,
qu'il vienne, s'écria ce bon peuple avec des transports de
sainte joie. » L'aveugle s'avança jusqu'au bord du puits, et
on lui mit dans la main la corde qu'il devait tirer. — Déjà,
des hommes étaient descendus jusqu'à la statue qui, par
miracle, n'était pas brisée. On l'avait attachée solidement,
le travail commença au chant des litanies. Tout réussit
très-bien. La statue remonta sans accidents. Lorsqu'on la
vit paraître, ce fut une explosion de joie; mais- un cri
domina tous ces cris d'enthousiasme et les fit taire : c'était
celui de l'aveugle à genoux les bras ouverts, il répétait :
« Je voisi je vois I je vois I » On courut à lui, ilv oyait ea
effet et ce n'était pas une illusion, il voyait et il continua
de voir. Il suivit sans guide la procession qui ramena en
triomphe la statue du puits où elle avait été traînée la
corde au cou, h son ancienne place. Il travailla pour l'y
rétablir, et il vécut plusieurs années encore : irrécusable
témoin des miséricordes de Marie. (Louis Veuillot.)
224 LA GRANDE ftéVOLUTION
Le Christ ée VégWne «t celui da calvaire de Benvron*.
Pendant la tourmente révolutionnaire, l'église de Ceu-
vron fut comme tant d'autres dépouillée et profanée; un
Christ fixé au sommet de l'arcade qui sépare le chœur de
la nef, fut abattu, comme j'ai eu déjà l'occasion de le dire
en parlant de la sépulture des ducs d'Harcourt.
Qui donc osa commettre cet attentat? Un habitant de
Beuvron, un menuisier, fut sommé d'y prêter la main,
sans doute parce que ses convictions religieuses étaient
bien connues ; et les patriotes du pays ne manquèrent pas
de le choisir pour en faire l'objet de leurs vexations. Mais
c'était un homme de caractère, incapable de trahir h ce
point sa conscience. Il se dresse avec fermeté en face de
ceux qui lui signifiaient l'ordre de renverser le Christ,
et jetant sur eux un regard de dédain : « Quand il faudra
» le relever, leur dit-il, venez me trouver, je serai votre
> homme; mais l'abattre I ... moi 1 ... non 1... jamais I »
Déconcertés, les jacobins n'insistèrent pas; ils recon-
nurent aussitôt qu'ils avaient affaire à trop forte partie.
La faiblesse que tant de gens laissaient paraître en leur
présence, les rendait audacieux; une courageuse résis-
tance les intimida plus d'une fois. N'en serait-il point de
môme encore aujourd'hui ?
Ils n'avaient cependant pas renoncé à leur détestable
lossein. Un exécuteur se présente, et le Christ abattu gît
«ur le pavé du temple. Recueilli précieusement et conservé
avec som par des personnes que la piété guidait, il reprit,
quand les temps furent changés, la place d'honneur qui
* Les traits suivants ont été communiqués en juillet 1875 à
la Semaine religieuse de Bayeux, par M. Mainfray, curé de Beu-
won. Il serait bon que dans chaque paroisse on recueillit des
f_iL5 de ce gonro.
DE 1789 A 1800. 225
lui appartenait; et, du haut de l'arcade, il abaissa de
nouveau un regard de bonté sur la foule des fidèles assem-
blés dans le lieu saint. — Un jour, notre brave menuisier
me le montrait en me racontant les détails qui précèdent,
et il me disait simplement, avec une juste fierté : « C'est
moi qui l'ai remis là. » Du reste, le bon serviteur ne
perdit pas sa récompense. Je l'ai assisté à ses derniers
moments; je l'ai vu sur son lit de mort, porter avec con-
fiance ses yeux attendris sur son crucifix, qu'il tenait entre
SOS mains défaillantes, le poser avec amour sur son cœur
et sur ses lèvres livides ; je l'ai vu mourir calme et plein
d'espoir, muni de tous les secours de la religion.
Il y avait en outre à Beuvron un calvaire érigé par la
pieté des fidèles. La Révolution passe en faisant son œuvre
et ce calvaire tombe sous ses coups. Alors un homme, un
serrurier de Beuvron, nommé Renaut, détacha le Christ de
l'arbre de la Croix, non pas afin de le dérober aux insultes
de la populace, mais pour l'outrager et le mutiler; il lui
brisa les jambes.
L'auteur de ce crime reçut aussi sa récompense. Atteint
d'un mal de jambes dont il ne put guérir, il eut à endurer,
jusqu'à la fin de ses jours, de cruelles souff'rances, des-
tinées, ce semble, à lui rappeler sans cesse l'action sacri-
lège qu'il avait commise.
Plus tard Renaut quitta Beuvron pour aller demeurer h.
Dives, et, sur ses vieux ans, ne pouvant plus se livrer au
travail de son métier, sa seule ressource, il se trouva sans
moyens d'existence; et alors l'indigence et le mépris tom-
bèrent sur lui, comme un double fardeau, pour l'accabler
dans sa vieillesse. Dès qu'il paraissait en public : « Voili
le vieux révolutionnaire ( » s'écriait-on de toutes p?.rtsJ
Les enfants le poursuivaient de leurs huées en lui jetant
des pierres; et, poussés par je ne sais quel instinct, ilsj
lu*
226 LA GRANDE RévOLUTlON
prenaient d'usage pour point de mire ses jambes ulc(^rées.
Souvent m'a-t-on dit, il se vit obligé de recourir à l'inter-
vention du garde champêtre pour échapper à leurs pour-
suites.
Cependant, la charité chrétienne, qui ne connaît point
d'ennemis, lui vint en aide dans sa détreâSô; 6t Celui qui,
du haut de la croix, demanda le pardon dô ses bourreaux,
lui fit part aussi de ses miséricordes. La grâce enfin toucha
son cœur, et, cédant aux conseils des personnes bien-
faisante.s qui le visitaient en lui apportant des secours,
il reprit le chemin de l'église, qu'il ne connaissait plus, et
mourut en chrétien,
Malhcnr des profanatcnrs ée la C'roix.
Je me souviens d'avoir entendu, dans mon enfance, un
bon vieillard de Cléville, très-digne de foi, raconter le fait
suivant, dont il avait été lui-même témoin, je le pense. Un
calvaire venait d'être abattu par une troupe de révolution-
naires armés, qui parcouraient les campagnes en répan-
dant partout la terreur. Détaché de l'arbre et gisant sur le
sol, le Christ était en butte aux outrages de ces impies,
tout disposés h porter leur mains criminelles sur l'image
sacrée, pour la mutiler et la briser. Après qu'ils eurent
joui, quelques instants, de ce spectacle en faisant éclater
leur infâme joie, l'un d'eux reprend la hache qui avait
servi à renverser l'arbre do la croix; il frappe le Christ,
et bientôt les coups qu'il lui porte ont séparé la tête du
tronc. A la vue de cette horrible exécution, les clameurs
infernales do ces forcenés redoublent; on en applaudit
l'auteur; on proclame sa victoire, mais elle fut de courte
durée.
Quelques jours après, il lui fallut, en voyageant, franchir
«fi écluiiiery espèce de cloison que l'on rencontre souvent
DE 1789 A 1800. 227
dans la vallée d'Auge, Il tombe la tête en avant, et sa
chute entraîne la fracture ou le déplacement d'une ver-
tèbre. Sa tête ne fut point tranchée, ainsi que l'avait été
celle du Christ par sa hache; mais elle resta courbée sur
sa poitrine, sans qu'il fût possible de lui faire reprendre sa
position naturelle; son regard ne devait plus se porter
V5rs le Ciel, qu'il avait tant outragé. Il vécut nombre d'an-
nées encore, comme pour servir d'exemple aux habitants
du pays où il demeurait. Plus d'un père, plus d'une mère,
en le montrant à leurs enfants, leur firent le récit de son
histoire. Les étrangers qui le voyaient pour la première
fois, demandaient quelle était la cause de cette affreuse
infirmité, et tous frémissaient en entendant raconter le
crime dont les suites avaient été et étaient encore si ter-
ribles.
Nos révolutionnaires ne se contentaient par de déclarer
la guerre aux croix et aux calvaires érigés sur les routes,
comme pour indiquer au voyageur le vrai terme de son
pèlerinage; ces impies pénétraient dans nos temples pour
les profaner, et rien n'était respecté par eux.
L'un de ces misérables, je l'ai connu, n'avait rien laissé
d'intact dans l'église de son village; il osait s'en glorifier,
et semblait vouloir que la postérité apprît jusqu'oii l'avait
poussé son aveugle rage contre Dieu, contre son Christ, le
jour où il porta la désolation dans le lieu saint. Les vases
et les ornements sacrés, le sanctuaire et l'autel, les croix
et les pieuses images, tout fut par lui pillé, brisé, livré
aux flammes. Il avait enlevé la porte du tabernacle et il la
conservait. Quel usage en fit-il?.... A l'impiété ce profa-
nateur ajouta la plus hideuse indécence.
La tourmente révolutionnaire ne devait pas durer tou-
jours, et quand enfin le calme eut succédé h la tempête, le
vieux jacobin eut à subir les plus dures humiliations.
828 LA GRANDE RéVOLUTIOK
Pendant le reste de son'existence, le mépris public pesa
sur lui comme un fardeau accablant. Tombé dans une dé-
mence absolue, il ne se livrait plus qu'à des actes de folie;
et, dans les accès d'un délire fiévreux, il allait jusqu'à
manger ses propres excréments, sans qu on pût l'en em-
pêcher. Tous se rappelaient alors ce qu'il avait fait de la
porte du tabernacle de l'église paroissiale, et l'on disait
hautement que la main de Dieu le frappait comme il l'avait
mérité.
£«• croix de Herrey^Cholsenl (Haute-Marne).
Au jnois de juillet 1874, une personne que j'eus l'occa-
sion de rencontrer me parla de sa mère, qui conservait,
bien que centenaire et au-delà, toute son intelligence.
€ Elle doit, alors, lui dis-je, se rappeler au moins quel-
» ques-uns des événements de 93, et je serais heureux si
» elle voulait bien me faire connaître les faits intéressants
» qui ont dû se passer sous ses yeux.
» Dans le pays de ma mère, me répondit cette personne,
» il n'y avait point de révolutionnaires; mais à plusieurs
» reprises, il en vint du dehors, et ces étrangers seuls
» furent cause des malheurs qu'on y éprouva. L'unique
> événement notable que ma mère m'ait raconté, est la
» destruction d'une croix, accompagnée de circonstances
» assez frappantes pour que je ne les aie pas oubliées. »
Et aussitôt elle me fit part de ses souvenirs.
Depuis cette époque, je lui ai écrit en la priant de vou-
loir bien me donner à ce sujet tous les renseignements
qu'il lui serait possible de ce procurer, et voici la réponse
qu'elle m'a transmise, après s'être elle-même renseignée
auprès de sa mère, présentement âgée de cent un ans et
huit mois.
t En 1793, les tyrans de la France envoyèrent des com-
» missaires dans tous les districts du département de
DE 1789 A 1800. 229
» la Haute-Marne, pour fermer les églises, exiger le ser-
■ ment des prêtres, et abattre les croix et les images.
> Dans le Bassigny, les villages sont très-rapprochés, au
» point que Merrey, pays de ma mère, et Ghoiseul, pays
» de mon père, ne sont distants l'un de l'autre que d'un
> quart de lieue.
» En cette contrée, des croix étaient érigées, sur les
» chemins, à tous les carrefours ; entre Ghoiseul et Merry,
> il y en avait une remarquable par sa beauté et par la
» sculpture de son Christ. »
Ce pieux monument fut un appât pour les agents révo-
lutionnaires, dès qu'ils connurent son existence. Aussi, un
commissaire arriva bientôt à Choiseul, et il somma les
habitants de l'abattre; mais il ne trouva pas un seul
homme du pays capable d'une telle impiété. Alors il
essaie de les séduire par des offres d'argent; puis il
cherche à les intimider en déclarant qu'il va tout incendier,
s'il n'est pas obéi. Mais promesses et menaces tout est
inutile, et le forcené s'éloigne sans avoir exécuté son in-
fâme dessein.
Quinze jours plus tard il revient, escorté d'une troupe de
soldats et d'un ancien habitant de Choiseul, appelé Cham-
pion. Celui-ci avait quitté le pays depuis longtemps, et
perdu, dans de mauvaises fréquentations, les principes
qu'on lui avait inculqués dans son jeune âge. Il conduisit
les soldats dans tous les endroits du pays où des croix
étaient érigées, se faisant, comme Judas, le guide des
ennemis du Christ pour le livrer en leurs mains. Rien ne
put échapper à leurs recherches; tout fut renversé,
détruit.
Ils arrivent enfin à la belle croix de Merrey-Choiseul;
elle doit tomber aussi sous leurs coups, t Je m'en charge,
» s'écria Champion; je vais faire l'aflaire moi-même; » et
aussitôt il se met à l'œuvre.
230 LA GRANDE RÉVOLUTION
Effray^f^ par la prôsoncc des soldats en armes, la popu-
lation n'avait osé d'abord opposer aucune résistance. Mais
quand on vit Champion se placer, une hache à la main,
sur les bras de la croix où il était monté, et frapper le
Christ pour en couper la tête, une clameur effrayante
éclata parmi la foule, décidée à mourir pour sauver l'image
de son Dieu. Tous, hommes, femmes, enfants se préci-
pitent sur les soldats, et une lutte acharnée s'engage. Mais,
hélas I que pouvaient ces pauvres gens sans armes contre
une troupe d'hommes armés? Il y eut plusieurs blessés;
mais personne ne fut atteint mortellement.
Au milieu de ce tumulte, une voix menaçante se fait en-
tendre; c'était celle d'une femme très-âgée. Elle s'écrie,
en s'adressant h Champion : « Misérable f Dieu te punira.
» Tu auras la tête coupée dans quinze jours, aussi vrai que
> le bon Dieu va m'appeler à lui. »
A l'instant même, la bonne vieille, baignée de larmes,
chancelé et tombe, comme si la foudre l'eût frappée. On
se presse autour d'elle ; on la relève ; elle avait cessé de
vivre. D'où lui était venu ce pressentiment d'une fm si
prochaine? s'était-elle sentie tout-à-coup défaillir et près
de succomber, ou plutôt n'était-ce pas une inspiration que
le Ciel lui avait envoyée? C'est ce qui me paraît le plus
croyable. Peut-être avait-elle conjuré le Très-Haut de la
retirer de ce monde, et de ne point l'y laisser pour être
témoin des abominations qui se passaient alors; et sa
prière avait été exaucée.
A la vue de cette femme expirante, tous sont frappés
d'étonnement et d'effroi. Du haut de la croix, où il était
monté, Champion voit ce spectacle, et la pour le saisit.
Une partie de la prédiction qu'il avait entendue venait de
s'accomplir sous ses yeux ; ce qui le concernait ne dovait-
il point aussi s'accomplir? Cette idée, n'en doutons pas,
jette l'épouvante en son âme. Il descend de la croix et re-
DE 1789 A 1800. 231
nonce h l'œuvre de destruction qu'il avait commencée. En
vain le commissaire le raille de sa faiblesse et veut le con-
traindre h reprendre son travail sacrilège; soit crainte,
soit repentir, Champion persiste dans son refus.
Alors ce commissaire s'adressant aux soldats : « Finis-
sons-en, leur dit-il, avec cette croix. Il leur commande
de l'abattre, et pour les rassurer en donnant l'exemple,
lui-même il brise un bras et une jambe du Christ et les
met en morceaux.
Les hommes de l'escorte exécutent, avec une répugnance
visible, l'ordre qui leur est donné. Des cordés son atta-
chées à la colonne pour l'abattre, et le commissaire,
debout du côté opposé à celui oi!i devait tomber la croix,
harangue ses agents et les encourage, en vomissant les
plus horribles blasphèmes.
Ceux-ci donnent une forte secousse, puia ils s'arrêtent,
afin de reprendre haleine et d'achever, par un dernier
effort, la ruine de monument. Pendant ce temps, la co-
lonne, ébranlée, tombe d'elle-même, mais non du côté des
hommes qui la tiraient à eux; elle va, en efîet, s'abattre
sur le commissaire, en lui écrasant le bras droit et la
jambe droite, précisément les mêmes membres qu'il venait
de broyer au Christ.
Tout était consommé, pouvons-nous dire avec le Sau-
veur expirant. Les soldats abandonnent le commissaire
et s'enfuient. Plus d'un, peut-être, se frappa la poitrine
en disant : Celui que nous persécutons est vraiment le Fils
de Dieu.
La personne dont je tiens ces détails ajoute : « Le com-
» missaire blessé fut recueilli par ma bonne grand'mère.
» Le curé de la paroisse se tenait caché chez elle, et il eut
» le bonheur de convertir ce malheureux, qui vécut encore
» quinze jours au milieu d'atroces souffrances. »
Et Champion que devint-il? quelle fut sa fm? Peu de
232 LA GRANDE REVOLUTION
temps après les événements que je viens de raconter, il se
trouvait dans un moulin du voisinage, on ne sait pour quel
motif. Tout-à-coup le moulin s'arrête. Le meunier se lève
pour connaître la cause de l'accident, et il aperçoit le
corps d'un homme prit entre la grande roue et le mur
d'appui. On le dégage, on le retire : c'était Champion; les
assistants frissonnèrent en voyant qu'il ne restait plus de
lui qu'un tronc informe. Suivant l'arrêt qu'avait entendu
le coupable, sa tête fut tranchée ou broyée par la roue du
moulin.
« Après ces exemples si frappants des punitions que le
» Ciel inflige à l'impiété, la crainte de Dieu, m'a-t-on dit,
» fut plus grande que jamais. Tous les prêtres restèrent
» cachés dans le pays, sans que personne osât les dé-
> noncer. Un seul homme périt sur l'échafaud; deux prê-
» 1res eurent la faiblesse de prêter serment; jamais ils
» n'ont trouvé grâce aux yeux des habitants de la con-
» trée. »
Ces faits m'ont été transmis par une personne digne de
toute confiance, et avant de m'en envoyer la relation, elle
a voulu, comme je l'ai dit, que sa vénérable mère, témoin
des événements, lui en affirmât de nouveau l'exactitude.
La s<atae de saint Thibaut, à Clerniont, profhnce.
Ce n'était pas seulement les croix et l'image du Sauveur
expirant que nos révolutionnaires voulaient faire dispa-
raître. Tout ce qui rappelait une idée religieuse leur por-
tait ombrage, et les images des saints, et les statues ex-
posées en divers lieux k la vénération des fidèles, hors de
l'enceinte de nos temples, étaient l'objet de leurs insultes,
et leurs mains sacrilèges s'étendaient sur ces pieux sym-
boles pour les renverser et les briser.
C'est ce qui arriva notamment à Clerraont, ancienne
DE 1789 A 1800. 233
paroisse supprimée et réunie à Beuvron. Non loin de l'é-
glise, que les habitants conservent avec un zèle digne
d'éloge, se trouve une source dont les eaux intarissables
coulent dans toutes les saisons de l'année. Dans le pays
cette source porte le nom de Saint-Thibaut, le patron de la
paroisse; et de nombreux pèlerins viennent y puiser une
eau limpide, à laquelle ils attribuent la vertu de guérir de
la fièvre. Quelle est l'origine de cette croyance? Je l'i-
gnore : mais elle est fortement enracinée dans les esprits.
Avant 93, une statue de saint Thibaut fut placée d'abord
dans une petite chapelle, puis attachée à un arbre, dont
les rameaux ombragent encore aujourd'hui la fontaine.
Un jacobin furieux vint un jour à passer près de ce lieu,
ou s'y rendit à dessein, pour exécuter un projet impie.
La statue était jusqu'alors restée intacte à l'endroit où
tant de fidèles aimaient à venir la vénérer, cherchant un
remède au mal dont il souffraient. Notre révolutionnaire
devait la faire disparaître. — Les hommes de 93 ne se
prosternaient pas, eux, devant les statues des saints, c'est-
à-dire des pieux personnages, qui, depuis les premiers
siècles, avaient illustré la France, ou les autres contrées,
par l'éclat de leurs vertus. Revenus aux pratiques mons-
trueuses d'un paganisme insensé, ils adoraient, placée sur
leurs autels immondes, leur infâme déesse ou l'arbre que
leurs mains avaient planté en signe, disaient-ils, de la
liberté conquise. Le jacobin saisit donc la statue de saint
Thibaut, l'enlève de la place qu'elle occupait, et la brise
en vomissant des blasphèmes, en insultant à la confiance
des personnes qui venaient puiser l'eau de la fontaine. Il
avait fait justice de leurs puériles superstitions, disait-il ;
mais la justice divine ne tarda pas à l'atteindre et à le
frapper.
Bientôt il ressentit les premiers symptômes d'une fièvre
violente, et le mal s'aggrava à un tel point que les re-
234 LA GRANDE RÉVOLUTION
m^cles auxquels il eut recours ne lui procuraient aucun
soulagement ; les médecins épuisèrent sans succès, on sa
faveur, toutes les ressources de leur art, tant la main de
Dieu s'était appesantie sur lui.
Ce récit m'est venu de plusieurs personnes qui le tien-
nent elles-mêmes de leurs ancêtres, témoins des faits que
je rapporte.
La maladie de cet homme le conduisit-elle au tombeau?
Quelques-uns me l'ont affirmé, s'appuyant sur leurs sou-
venirs. D'autres m'ont dit qu'il recouvra la santé, après
avoir fait vœu de donner h Clermont une nouvelle statue
de saint Thibaut. Il y a donc, sur ce point, deux versions
différentes; mais les témoignages sont unanimes et sur
l'acte d'impiété commis à Clermont, et sur le châtiment
qui le suivit.
L'an dernier, quand cette profanation me fut racontée,
j'appris en même temps que, pour en conserver le sou-
venir, les morceaux de la statue avaient été laissés au pied
d'un arbre voisin de la fontaine. Personne, d'ailleurs,
n'eût osé les enlever; aux yeux de tous, c'eût été se rendre
complice du crime commis par le profanateur. Voulant
vérifier par moi-même l'exactitude des récits, je me rendis
sur les lieux, et au milieu d'un monceau de décombres
entassés au pied de l'arbre, je découvris deux morceaux
de pierre, dont la forme et les sculptures indiquaient
d'une manière certaine les débris d'une statue.
Quelques jours plus tard, le P. Rabot, missionnaire, à
la Délivrance, étant venu prêcher, h Beuvron, une retraite
de première communion, nous gravîmes ensemble les
coteaux de Clermont, et nous portâmes à l'église, pour y
être conservés décemment, les deux fragments de statue
auxquels se rattachent les souvenirs conservés par la tra-
dition du pays. Une inscription fera connaître leur origine,
et rappellera les faits que je viens de raconter.
DE 1789 A 1800. Î35
Un briseur de Croix.
Un saint missionnaire, le P. Yarin, visitait un hôpital.
On lui parla d'un soldat, dont la vie paraissait un prodige
dans l'état de mutilation où il se trouvait. Il eut la curio-
sité de le voir. Il s'approcrie; iî aperçoit un homme dont
la figure portait l'empreinte d'un grand calme. « Mon
ami, lui dit-il, on m'a dit que vos blessures étaient très-
graves. » Le malade sourit. « — Monsieur, répondit-il,
levez un peu la couverture. » Il la lève, et recule, en
voyant que cet infortuné n'a plus de bras. i Quoi I lui dit
alors le blessé, vous reculez pour si peu de chose ? Levez
la couverture aux pieds. » Il la lève, et il voit qu'il n'a
plus de jambes. « — Ah f mon enfant, s'écrie le chari-
table prêtre, combien je vous plains ! — Non, répond le
malade, ne me plaignez pas, mon Père: je n'ai que ce
que je mérite : c'est ainsi que j'ai traité un crucifix. Je me
rendais à l'armée avec mes camarades. Nous rencontrâmes
sur la route une croix qui avait échappé à la fureur des
patriotes : aussitôt on se mit en devoir de l'abattre. Je fus
un des plus empressés; je montai, et, avec mon sabre, je
brisai les bras et les jambes du crucifix, et il tomba. A
mon arrivée au camp, on livra bataille, et, à la première
décharge, je fus réduit à l'état oîi vous me voyez. Mais
Dieu soit béni t il punit mon sacrilège dans ce monde pour
m'épargner en l'autre, comme je l'espère de sa grande
miséricorde. »
236 LA CnANDE nÉVOLUTION
CHAPITRE V.
C'tATlMENTS DES OUTRAGES FAITS AUX PRÊTRES.
Le tonnerre, ministre de la Jastice de Dlca.
Le Seigneur ne cesse, dans la sainte Écriture, de nous
recommander le respect que nous devons aux prêtres,
revêtus d'un caractère sacré.
Nous voyons dans l'Ancien Testament les punitions
qu'il fit subir à ceux qui outrageaient les prophètes.
L'histoire ecclésiastique est pleine des exemples de ce
genre.
Dans une paroisse du diocèse de Besançon, à quelques
lieues de cette ville, il arriva un événement surprenant,
qui fut regardé comme un coup du ciel pour inspirer le
respect dû aux pasteurs. Deux libertins scandalisaient la
paroisse par leurs désordres : le curé, en étant informé,
en avertit leurs pères, qui reçurent mal l'avis de leur
pasteur. L'un d'eux eut l'insolence de lui répondre :
— Monsieur le curé, mêlez-vous de dire votre Bréviaire,
et ne vous occupez point de ce qui se fait chez moi : il
faut bien que jeunesse se passe.
— Si je vous avertis des désordres de votre famille, lui dit
le curé, c'est que mon devoir m'y oblige. Je suis chargé
de l'âme de votre fils aussi bien que de la vôtre, et par con-
séquent je dois veiller sur sa conduite et vous avertir. Je
DE 1789 A 1800. 237
vous parle en pasteur, et vous ne me parlez pas en chré-
tien; prenez garde que Dieu ne vous punisse, ainsi que
vos enfants, dont vous autorisez les désordres
Cet homme, loin de profiter de l'avis de son pasteur,
publia dans la paroisse qu'il avait si bien dit son fait au
curé qu'il ne s'aviserait plus de lui faire des réprimandes.
C'était un samedi, et comme la chose devenait publique,
le curé crut qu'il était de la prudence de donner le len-
demain au prône un avis à ce sujet. Il le fit avec beaucoup
de modération, et dit dans son instruction qu'il estimait
tous ses paroissiens; que lorsqu'il était obligé de leur
donner quelques avis en public ou en particulier, il les
priait de croire que ce n'était point pour leur faire de la
peine, mais par charité et pour leur salut: qu'au reste,
quand on méprisait les avis d'un pasteur, Dieu en était
très-offensé et punissait de tels mépris.
Après la grand'messe, celui qui la veille avait si mal
reçu les avis de son pasteur recommença ses invectives,
disant que les prêtres n'avaient que des reproches à faire,
mais qu'il s'en moquait. Les deux libertins passèrent le
reste du jour au cabaret, du consentement de leurs pères;
et, pour^braver le curé, ils firent plus de scandales que les
autres fois; mais Dieu mit fin à leur vie criminelle par un
châtiment bien exemplaire :
Le lendemain, le ciel menaçait d'un orage. Ces deux
libertins, avec deux autres garçons qui étaient très-sages,
coururent à la tour de l'église pour sonner les cloches; il
y eut dans- le moment un si grand coup de tonnerre que
ces quatre jeames gens, saisis de frayeur, descendirent
promptcment-pom* se sauver. Dans le temps qu'ils descen-
daient le tonnerre tua les deux libertins, mais d'une ma-
nière qui fit conaprendre que c'était un châtiment de Dieu,
et voici comment :
Le^ORûei-re-en^tûmbant,- après avoir fait plusieurs cir-
238 LA GRANDE RBVOLUTtON
cuits dans la tour, suivit les quatre jeunes hommes le
long de l'escalier; il épargna le premier, qui était sage,
et écrasa le second, qui était un des libertins; il ne lit
aucun mal au troisième, et vint enfin frapper le quatrième,
qui était l'autre libertin, et le tua. Ensuite le tonnerre
entra dans l'église, où était la mère d'un de ces libertms;
il enleva cette femme, la jeta contre les murs, et ne fit
aucun mal aux autres personnes qui se trouvaient dans le
lieu saint. A la vue d'un accident si extraordinaire, on
reconnut la justice de Dieu, et les parents de ces libertins
vinrent, fondant en larmes, demander pardon à leur
pasteur. (Instrudion des jeunes gens,)
lia rcvolu(tonnalr« mort en lilaspliéniant»
Voici un trait raconté par h vicomte Walsh dans ses
Lettres vendéennes :
« A l'époque de la Révolution, à Rennes, comme
partout, les victimes vouées à la mort étaient en grand
nombre. La guillotine n'allait pas assez vite; on recruta
des bourreaux. Des enfants de douze à quinze ans furent
choisis. On leur remit des fusils, on leur amena des pri-
sonniers royalistes, et on leur dit : Essayez-vous. Ces petits
malheureux étaient obligés d'obéir; ils tiraient en pleu-
rant et en détournant la tête. Les condamnés en souf-
fraient davantage, et les hommes de sang s'applaudis-
saient à la fois d'ajouter aux souffrances des victimes et
d'enseigner ainsi la cruauté à l'enfance qu'ils enrégimen-
taient pour donner la mort. A ce bataillon d'élèves bour-
reaux la Commune remit un drapeau avec cette devise;
Espoir de la patrie I
» Parmi ceux qui avaient imaginé de former ce ba-
taillon, il faut compter le trop fameux N..., mort dans
ice finale il y a quelques années. Avant la Révo-
DE 1789 A 1800. 239
lution, N... avait été destiné îi l'état ecclésiastique; il avait
étudié au séminaire en même temps que l'abbé de *", et
avant que les différences d'opinions fussent venues tout
diviser, une amitié d'écoliers existait entre eux. En en-
trant dans le monde, ils ne suivirent point la même route :
N... parvint au pouvoir, et son ancien ami, resté fidèle à
sa vocation, exerçant dans les campagnes son saint minis-
tère, fut bientôt proscrit. Pour se cacher, il fut obligé de
venir à Rennes. De nobles et pieuses personnes, M"" de
Renac, offrirent un asile au prêtre persécuté. Elles avaient
dans leur hôtel une cache précieuse, ignorée de tout le
monde : l'abbé de "* y fut introduit. Le zèle, les soins tou-
chants de M"^^ de Renac, et surtout l'espoir de se sauver,
lui faisaient chérir son obscure prison. Au milieu de la
nuit, il sortait quelquefois, et bénissait Dieu en se trou-
vant encore au milieu d'une famille fidèle.
» Les parents de M"" de Renac avaient déjà rendu quel-
ques services à N... Malgré ses déplorables écarts et sa
condaiie révolutionnaire, il semblait en avoir conservé le
souvenir et en être reconnaissant. Devenu influent parmi
ceux qui gouvernaient alors, il avait laissé à ces jeunes
personnes, dont la pensée lui était connue, une entière
liberté. Il allait même quelquefois chez elles, et dans
ses entretiens affectait une espèce de bonhomie et de
franchise. Souvent, en causant avec elles, il avait prononcé
le nom de l'abbé de ***, en témoignant le désir de le
trouver pour lui être utile ; il assurait que son plus grand
bonheur serait de prouver à son ancien ami que ses opi-
nions avaient pu changer, mais que son cœur était tou-
jours resté le môme. Plus d'une fois. M"" de Renac furent
au moment de découvrir à N... la retraite du prêtre; une
sage prudence les retint. Un soir, N... arrive chez elles
plus tard que de coutume; on faisait quelques difficultés
pour le recevoir, il insista.
240 LA GRANDE RÉVOLUTION
» — Je ne m'excuse point, dit-il, en entrant, si je force
votre porte; il y va de votre sûreté. Je sors d'une assem-
blée de la commune ; vous y êtes dénoncées par le comité
de salut public comme recelant un prêtre dans votre hôtel.
On désigne même l'abbé de *". J'ai soutenu le contraire.
» L'aînée des demoiselles de Renac l'interrompit; elle
craignait que la frayeur ne fit parler ses sœurs.
» — Vous nous rendez justice, lui répondit-elle avec
assez de sang-froid ; nous sommes innocentes.
» — Je le crois, repartit le républicain ; mais je n'ai pu
réussir à faire passer cette conviction dans le comité. Il a
été résolu que cette nuit même il serait fait chez vous une
visite domiciliaire.
» — 0 ciel I s'écria avec terreur une des jeunes per-
sonnes, qu'allons-nous devenir ?
» — Que crains-tu ? lui dit sa sœur ; la visite prouvera
que nous sommes innocentes.
» En parlant ainsi, elle vit les regards de N...; ils
étaient fixés sur elle, et semblaient vouloir pénétrer dans
son âme. Un grand trouble s'y éleva; elle sentit la rou-
geur s'étendre sur son front, et un tremblement la saisit.
L'homme de la Révolution avait deviné ce qui se passait
au dedans d'elle ; il se leva en s'écriant :
» — Celui que l'on cherche est ici. Vous ne savez pas
feindre ; le cri de votre sœur, votre propre embarras vous
ont trahie. Je serai assez heureux pour pouvoir sauver
mon premier ami; vous vous joindrez à moi pour l'arra-
cher h la mort.
» — Ah ! pour l'empêcher de mourir, que pouvons-nous
faire ? demandèrent en même temps M"" de Renac.
» — Me montrer l'endroit où il est caché, répliqua-t-il
avec des yeux brillants de joie. Hâtez-vous de le faire sor-
tir, allons le délivrer, et, sans perdre un instant, je lui
fournirai les moyens de s'évader de Rennes. Il se rendra à
DE 1789 A 1800. 241
ma. maison de campagne; là, il ne sera point recherché.
Vous le savez, je ne suis point suspect. Cette nuit, on vien-
dra visiter votre hôtel; mais alors celui qu'on cherchera
sera en sûreté, et, hors de tout danger, il nous bénira
tous.
, — Oui, oui, il nous bénira; nous vous bénirons aussi,
s'écria M"' de Renac. Venez^ vous avez vaincu mes craintes
et mes incertitudes. C'est ici qu'est caché votre ami. De sa
retraite il a pu nous entendre.
» En prononçant ses paroles, la pieuse et confiante
demoiselle ouvrait la porte secrète. Le prêtre s'en élança,
il avait tout entendu à travers la cloison. Il se jeta dans
les bras de son ancien compagnon de séminaire. Il ne
pouvait parler, il pleurait de joie. Le révolutionnaire le
retenait, le serrait sur son sein. Ce n'était pas un ami qui
embrassait son ami, c'était le tigre qui tenait sa proie.
» -- A moi ! à moi ! cria-t-il d'une voix terrible; il est
en noire pouvoir ; il n'échappera pas plus que les femmes
qui voulaient le dérober à la vengeance nationale.
» — Sauvez-vous t dit le vieux prêtre à M"" de Renac;
peut-être pouvez-vous fuir encore.
» — Non I non I
» C'était en vain : des gendarmes et des soldats se pré-
cipitent dans la chambre; ils entraînent le vieillard et les
malheureuses, que trop de confiance a perdues. Elles pas-
sèrent la nuit dans les cachots, et le lendemain elles re-
virent le ministre de Dieu ; il les précédait de quelques
pas en marchant à la mort. Arrivé au pied de l'échafaud,
il se retourna vers celles qui allaient mourir pour avoir
voulu le sauver.
» — Je vous bénis, leur dit-il ; ma dernière prière est
pour vous. 0 Dieu 1 donnez-leur la force des martyrs I
» — Sa prière fut entendue. Elles moururent sans fai-
41
242 LA GR.VNDE RÉVOLUTION
blesso, et suivirent de près dans le ciel le saint qu'elles
avaient voulu sauver sur la terre,
• La conduite de N... excita l'horreur parmi les révolu»
tionnaires; tant de perfidie jointe à tant de cruauté en
avait fait un monstre, même parmi les monstres. 11 élail
reconnu maintenant qu'il n'avait entretenu des relations
avec la famille de son ancien bienfaiteur que pour décou-
vrir son secret et la conduire à l'échafaud.
» Le temps vint ôter le pouvoir aux terroristes et effaça
peu à peu les traces de sang, mais ne put diminuer l'hoi^
reur qu'inspirait le vieux jacobin. Dans les rues on le
montrait au doigt, les femmes se détournaient de son pas-
sage, et bientôt une honte sans repentir le retint chez lui
pendant le jour; quand venait la nuit il se hasardait îi
prendre l'air. On le voyait quelquefois se promener dans
les lieux les moins fréquentés. Quelque chose d'inquiet se
faisait remarquer dans sa démarche : au moindre bruit, il
tressaillait et s'arrêtait tout-k-coup. Un soir, roulant dans
la noirceur de son âme le souvenir de ses crimes, il mar-
chait au hasard; il était arrivé sur la promenade de la
Motte : c'est sur cette place circulaire que se trouve l'hôtel
de Renac. Le silence régnait autour de lui; il jouissait
d'être seul. « Personne ne me voit, se disait-il, personne
» ne me maudit. »
» Subitement une voix perçante prononça son nom.
» — Qui m'appelle ? dit-il en tremblant.
> — M""» de Renac I répondit la voix.
» Il regarde et ne voit personne près de lui, personne
sur la place. Il était en face de la demeure de ses victimes.
Frappé de terreur, il croit que c'est leur voix qu'il a en-
tendue... Il fuit. Une sueur froide coule de son front, un
tremblement convulsif l'agite. Il hdte ses pas et n'oso
détourner la lèto. Il arrive chez lui, il pousse toutes les
portes, il s'entoure de lumières, il ajipelle son domestique.
DE 1789 A 1800. 243
> — Reste là, lui recommande-t-il, ne me quitte pas ; je
ne veux pas être seul. Oh ! si la voix pouvait se taire 1 si
je pouvais dormir f
» Il se couche, la fièvre le saisit, le délire augmente,
son agitation est horrible.
» Le malheureux qui est réduit à le servir s'effraie; il
court chez un médecin, chez un prêtre.
» Le prêtre arrive le premier. Le moribond le voit.
» — Qui êtes-vous ? dit-il.
» Le ministre du Dieu qui pardonne lui répond :
> — Je suis un prêtre.
» — Un prêtre? Fuyez ! Vous ne savez donc pas que je
tue les prêtres ? J'en ai fait mourir un grand nombre.
» — Il en reste un pour vous bénir, répliqua le disciple
de Jésus-Christ. Je viens vous réconcilier avec Dieu.
» — Avec Dieu 1 dit d'une voix épouvantable le révolu-
tionnaire endurci; avec Dieu I je n'y crois pas.
> 11 continuait de blasphémer; la mort l'arrêta. »
Un bourreau de trente prêtres.
Une religieuse de Saint-Joseph nous a communiqué le
trait suivant le 20 novembre 1866 ;
Il y a quelques années que dans le diocèse de Lyon se
mourait un bon et vénérable prêtre, vieillard âgé d'environ
quatre-vingt-dix ans, qui avait échappé aux massacres
de 93; et voici ce qu'il a raconté à d'autres prêtres de ses
amis ;
« Trente ans après la grande Révolution, à laquelle j'ai
eu le bonheur d'être soustrait par des moyens que des
amis charitables m'ont procurés, je me vis venir chercher
un jour par une vieille bonne femme qui me conduisit
tout aussitôt dans une espèce de caverne. Là gisait sur un
pauvue grabat uu homme, un moribond, qui s'était creusé
244 LA GRANDE RÉVOLUTION
un trou, pour s'y réfugior, sous los débris d'une antique
chapelle ou église complètement détruite par suite de la
Révolution française. A peine 6tais-je arrivé à la porte
que le malade, m'aperçevant, élève la main droite et
s'écrie avec force : Arrête! arrêtel... Stupéfait, je m'appuyai
sur mon bâton et restai immobile. Craignant que ce ne fût
un stratagème, je lui demandai pourquoi cette défense: il
me répondit : Vois cette main, elle en a tué trente comme
toi... Il sentait sa grande misère et se trouvait lui-même
indigne d'être visité par le ministre du Seigneur. Mais,
oubliant tout pour ne suivre que l'exemple de Celui qui
laisse les quatre-vingt-dix-neuf brebis pour courir aprè»
celle qui est égarée, je courus l'embrasser, lui montrant
mes cheveux blancs, mon cœur pour le recevoir et le re-
conduire à Dieu, mes bras pour apaiser sa justice en sa
faveur. Je lui révélai le triste état de son âme, le tribunal
devant lequel il allait être jugé. Il en fut frappé et touché
en même temps, si bien qu'il commença sa confession,
qu'il fit avec beaucoup de larmes, et mourut le lendemain.
> Depuis de longues années cet homme s'était relégué
dans cette caverne, n'osant en sortir que la nuit pour se
procurer les choses nécessaires à sa subsistance, et se re-
gardant comme un monstre odieux Ji tous les humains.
Espérons que Dieu lui aura fait miséricorde. »
Un démag-ofipac dévoré vivant par les vers.
Un détachement royaliste de vingt-cinq hommes vient
loger au bourg de Saint -Christophe- le -Jambet, près
Fresnay. Un républicain dont nous ne craindrons pas de
décliner le nom, Votreau dont le sort est si triste aujour-
d'hui, part précipitamment pour Alençon, d'oîi il ramène
des troupes ennemies. Il était entre onze heures et minuit
lorsque les soldats de la ?épublique arrivèrent avec leur
DE -1789 A 1800. 245
coupable guide. Ils tombent à l'improviste sur le poste
royaliste et l'ëgorgent. Après cet exploit, ils entrent dans
le bourg et frappent à toutes les portes :
— Qui est là ? leur dit-on.
— Royalistes, répondirent-ils avec ce ton d'hypocrisie
qui s'allie si bien h la scélératesse. Y a-t-il ici de nos
camarades?
— Oui, messieurs, nous allons vous ouvrir.
On ouvre en effet; mais les malheureux royalistes se
trouvent inopinément saisis dans leurs lits et sont à la
hâte traînés au cimetière, où on les fusille sans miséri-
corde.
Il y avait parmi eux un ecclésiastique nommé Chaumont,
et surnommé Chapedelaine, qui les suivait pour sa sûreté
personnelle et pour leur procurer les secours de la religion.
Deux soldats, qui assurément ne le connaissaient pas pour
prêtre, s'étaient emparés de lui et l'avaient conduit au
cimetière pour y être fusillé avec ses compagnons d'in-
fortune. Cet ecclésiastique avait sa montre sur lui, je ne
?ais par quel hasard, car je n'imagine pas qu'on lui eût
donné le temps de se vêtir.
— Je vais mourir, dit-il h ses bourreaux, prenez cette
montre. »
En prononçant ces paroles, il remet sa montre à un des
républicains. Un autre réclame; ils commencent à s'em-
porter, ils se maltraitent, ils se poussent pour l'avoir,
ainsi que les soldats juifs se disputaient les dépouilles du
Sauveur. Le prêtre, témoin de ces débats, et persuadé que
Dieu lui ménageait cette circonstance pour se soustraire à
la mort, prend la fuite et se sauve à toutes jambes. Deux
coups de fusils sont tirés sur lui presque à bout portant;
mais il n'a qu'un doigt de coupé à la main droite, et il
parvient k s'échapper. Ce prêtre vit «ncore, à moins qu'il
246 LA CnANDE RÉVOLUTION
ne soit mort depuis un an; on m'a dit qu'il était curé dans
le diocè&e do Tours, sur les confins do la Sarthe.
Pour l'homme qui fit versor le sang des royalistes, il vit
aussi, si c'est vivre que de voir tout son corps dévoré par
les vers; car tel est l'état de ce misérable. On peut le voir
h Saint-Christophe, qu'il habite toujours. Je ne sais s'il
songe îi se convertir; mais pourrait-il s'empêcher de re-
connaître la vengeance du Seigneur dans les plaies qui
l'affligent? (Nouvelles anecdotes chrétiennes.)
IBort affrcasc d'an impie*
A cette époque de triste mémoire où fut renversé le trône
de France, et alors qu'une foule de familles nobles étaient
tombées dans la plus grande misère, une troupe d'émigrés
ugitifs arrivèrent dans un village allemand. Parmi eux se
trouvait, entre autres, un duc, qui fut reçu avec bienveillance
par le fermier Rertram. Non moins amical fut l'accueil que
les habitants de l'endroit firent aux autres émigrés, qui
auraient volontiers cédé à l'invitation qui leur était faite
et séjourné quelque temps auprès de ces bons villageois
si hospitaliers, si l'arrivée de leurs ennemis ne les eût
forcés de partir sans délai. Le duc fut aussi obligé de
prendre la fuite. Bertram l'accompagna, armé d'une lourde
faux, car le chemin conduisait à travers un affreux pré-
cipice où se trouvait la caverne d'une bande de voleurs
cxtrômrment nombreuse. Depuis cette époque, Bertraiik
faisait grand étalage; il achetait le bien des paysans, qu'il
n'avait fait que louer jusqu'alors, construisait un superbô-
^bâtiment entouré de jardins enchanteurs, faisait de bons
'et riches festins, donnait de magnifiques fêtes sur ses
girairies, en un mot s'adonnait tout entier aux plaisirs des
feons. Quand les voisins, étonnés de voir que Bertram,
pîalgrétes brèches considérables qu'il avait dû faire à sa
DE 1789 A 1800. 247
fortune en s'adonnant à sa passion pour le vin, était de-
venu si riche, lui demandaient comment il avait fait pour
amasser tant de bien, il répondait que le duc, en prenant
congé d€ lui, non-seulement lui avait laissé en souvenir
une grande somme d'argent, mais lui avait encore offert
sa voiture avec un coffre rempli d'or et de pierres pré-
cieuses, en récompense de ses bons offices. Quelques-uns
ajoutaient foi à ce récit; d'autres le prenaient pour une
pure invention, et étaient d'autant plus disposés h nourrir
des soupçons contre lui qu'il avait eu souvent des accès de
fureur, et que, parmi les discours qu'il tenait alors, on
avait souvent entendu ces mots : Duc I duc I Sang f sang I >
A l'époque dont nous parlons, ses fils se trouvaient dans
un couvent où ils faisaient leur éducation ; leur père les
avait envoyés là afin de pouvoir se livrer d'autant plus
Kbrement à sa passion pour les plaisirs.
Lorsque ses deux enfants, qui étaient parfaitement
élevés, furent avertis que leur père était dangereusement
malade, ils retournèrent à la maison. Un jour, le serviteur
de Bertram entra dans leur chambre et leur enjoignit de
se rendre auprès de leur père, parce que, leur disait-il,
il voulait faire son testament. Les deux enfants suivirent
le serviteur, qui les conduisit en tremblant dans une écurie.
— Est-ce là qu'est couché notre père? demandèrent les
deux fils étonnés.
— Oui, répondit le serviteur, c'est ici que repose votre
père, mon maître; et il ferma la porte.
Quel spectacle que celui qui s'offrit alors aux regards de
ces deux enfants I
Une lanterne suspendue au plafond répandait une lu-
mière incertaine sur la misérable couche de leur père,
étendu sur le sol. Tout à côté de lui était fixée à la muraille
une faux couverte çà et là de taches noires assez sem-
blables à des gouttes de sang. Le vieillard était couché
248 LA GRANDE RÉVOLUTION
sur de la paille pourrie, et sa tête reposait sur un sac qui
semblait rempli de pierres. On ne savait quel moyen em-
ployer pour procurer du soulagement k ce malheureux ; il
respirait difticileraent, et depuis longtemps déjà il refusait
toute espèce de secours et de nourriture.
— Bien mal acquis ne profite jamais, murmura-t-il avec
un ricanement affreux en s'adressant à ses deux fils.
Ceux-ci s'approchant de lui avec une frayeur mêlée do
sympathie :
— Père, qu'avez-vous ? lui demandèrent-ils d'un ton
plaintif et alarmé.
Bertram lançant sur eux des regards furieux :
— Il faut que je rende la justice I s'écria-t-il d'un son de
voix enroué, semblable à celui d'une cloche fendue, et sec
comme l'éclat d'un rameau arraché par l'orage.
Ses fils voulurent l'embrasser tendrement, mais il s'ar-
racha brusquement à leurs bras ; puis, saisissant la faux
suspendue à la muraille, il la jette à ses pieds et s'écrie :
— Voilîi son sang f
— Hélas I grand Dieu! de qui ce sang est-il? deman-
dèrent les deux malheureux fils.
— C'est le sang du duc I reprit d'une voix terrible Ber-
tram. Je l'ai tué dans la trappe des morts avec cette faux.
— Comment I s'écrièrent les fils.
— Oui, oui, je suis son meurtrier. Je lui ai tout enlevé,
sa vie et sa fortune. Voilà la faux avec laquelle j'ai brisé la
cervelle de mon bienfaiteur. J'ai trompé le monde; le
monde m'a cru, coquin que je suis t Patience, vous allei
voir que je dis la vérité, bégaya Bertram.
Puis, saisissant avec force le sac qui se trouvait sous sa
tète, il le déchira en plusieurs morceaux, et au môme
instant il en sortit des ossements et une tête de mort qui
alla rouler aux pieds des ses fils, immobiles et pétrifiés.
— Voilà les ossements du duc. Ce crâne est la tète du
DE 1789 A 1800. 249
duc. Je l'ai tué avec ma faux I Voilà les taches de son
sang ; il s'est collé sur la faux ; et la mort s'est attachée à
mon âme.
Les fils se voilèrent les yeux, tombèrent à genoux et se
mirent à pleurer sur le sort de leur infortuné père :
— Jésus, iMarie, Joseph, ayez pitié de nous f
— Il faut que je satisfasse, s'écria de nouveau le père.
J'ai pendant la nuit déterré de mes propres mains ces
ossements dans la trappe des morts. Nulle part je n'y'
trouvé de repos. Ce sac et les ossements du pauvre duc,
voilà sur quoi je me suis étendu. Le bien mal acquis ne
profite jamais. Enfants, rendez tout, afin que mon âme
trouve du repos. Enfants, rendez tout, absolument tout.
Voilà mon testament.
Et les deux frères se précipitèrent sur la poitrine de
leur malheureux père, mais Bertram les repoussa au
milieu de combats désespérés. Il porta en grinçant les
dents le crânes du duc à sa poitrine, comme s'il eût
voulu l'enfoncer dans son cœur; puis, poussant un cri de
désespoir, il s'affaissa de nouveau sur la paille. Il n'était
plus.
En ce moment s'ouvrit la porte de l'écurie : c'était le
curé, appelé par le domestique, qui entrait. Il arrivait
trop tard. Il vit Bertram qui venait de mourir, étendu au
milieu d'ossements de mort et tenant entre ses doigts
crispés le crâne de son bienfaiteur. (Nack Hungan's glei-
chnamiger Erszœlung.)
La Fille de la Panition.
La nuit avait tout à fait remplacé le jour. La lune, qu'
s'élevait à l'horizon, dissipait à peine les ombres; à si
lueur incertaine, je cheminais seul. Tout ce que j'avais vu
et entendu Je triste revenait dans ma mémoire et pesait
ir
2S0 hk GRANDE RÉVOLnTION
sur mon âme. J'étais arrivé h une lande. Un nuage noir et
é^jais voilait la lune; incertain de mon chemin, j'hésitais.
Tout-à-coup une voix grêle et perçante retentit au milieu
du silence; elle chantait un refrain de la Révolution.
Étonné, j'écoute, et je distingue ces affreuses paroles :
Du sang t du sang t il faut du sang pour régénérer la répii/'
blique t Saisi d'horreur, j'écoutai encore ; la voix cessa.
Alors un rayon de la lune perçant une déchirure de nuage,
je vis non loin de moi une femme assise sur les ruines
d'un calvaire où la croix n'avait point été rétablie. J'ap-
prochai; elle ne se leva point, elle resta immobile, los
yeux fixes; ses lèvres proféraient des sons confus. Subi-
tement elle fit entendre une plainte, un gémissement, un
cri impossible h redire : c'était comme le dernier cri d'un
mourant. Je frissonnai et je frissonne encore en cherchant
à vous peindre ce que j'ai entendu. Jamais son si plaintif
et si lugubre n'avait frappé mon oreille. Je crus que
j'avais effrayé la malheureuse que je voyais devant moi, et
je lui dis :
— Je viens vous demander lé chehiin, n'ayez pas peur.
— Peur ! répcta-t-elle. Oh ! je n'ai jamais peur, moi.
C'est moi qui fait peur aux autres. Quand les petits enfants
m'aperçoivent dans les champs, ils se mettent à s'enfuir
Cl h crier : Voilà la Fille de la Punition t Aussi je ne sors
que la nuit, et je viens m'asseoir ici, et pour me distraire
Jû chante.
Et avec un éclat de voix que les échos redirent au loin,
clic répéta : Du sang f du sang ! il faut du sang ! Un cri
semblable h celui que j'avais déjà entejijiju, et qui m'avait
fait frémir, s'échappa de sa poitrine et interrompit l'hor*
rible refrain.
Alors je contemplai l'être que j'avais devant les yeux :
son corps était athlétique; une tête énorme pesait sur ses
épaules : un large chapeau de paille, rejeté en arrière,
DE 1789 A 1800. 251
n'était retenu que par un ruban rouge, qui traçait autour
de son cou comme une raie de sang, et qui laissait voir des
cheveux roides qui tombaient en désordre; ses bras, à
moitié nus, étaient maigres, et ses mains d'une grandeur
démesurée. Tout ce que la laideur a de hideux, tout ce
que l'imbécillité a de triste se trouvait sar son visage ; sa
vue inspirait plus d'épouvante que de pitié.
En me voyant la regarder, elle ne semblait point embar.
rassée de mes regards; les siens restaient toujours fixes.
Une de ses mains tenait un couteau. Je vis du sang sur son
vêtement gris. A ses pieds, un agneau saignait encore.
Elle me le montra et me dit :
— Mon père m'a ordonné de le tuer. C'est moi qui les
tue quand il nous en faut. C'est mon plaisir lorsque j'en-
fonce mon couteau dans le cou d'un petit agneau. J'ap-
pelle sa mère, elle vient pleurer auprès de moi, et moi, ça
me fait rire.
Et, proférant ces mots, elle riait d'un rire satanique.
Je remarquai, abattus sur l'herbe, les restes moussus
delà croix; la figure du Christ, grossièrement sculptée,
s'y voyait encore. La fille aliénée posait indifféremment
ses pieds sur l'image sacrée. Cela ajouta à mon horreur.
Tout-à-coup celle qui s'appelait la Fille de la Punition se
leva, jeta encore son cri épouvantable, et s'éloigna chargée
de son agneau sanglant. Bientôt j'entendis d'autres voix
se mêler à la sienne; des jurements, des blasphèmes vin-
rent jusqu'à moi.
Je me dis : C'est sans doute la famille dont me parlait
naguère mon compagnon de route; je suis près de cette
maison maudite où le pauvre ne s'arrête jamais. L'aliénée
que je viens de voir est peut-être la fille de la maison.
La lune, dégagée de nuages, s'élevait dans le ciel et me
montrait le chemin que je devais suivre. Je me hâtai de le
prendre, et déjà, à travers les peupliers de la colline, j'a-
252 LA GRANDE RÉVOLUTION
percevais une lumière briller : c'était celle du salon où
j'étais attendu. L'astre hospitalier redoubla ma vitesse,
J'arrivai bientôt. On me reprocha de venir si tard. Pour
m'excuser, je redis tout ce que j'avais vu et entendu, et
l'horrible vision du calvaire en ruine.
— Quoi f me dit un de ces vieux royalistes qui ont tou-
jours suivi les armées vendéennes et qui connaissent les
points les plus cachés du pays, vous avez vu ce monstre?
— Oui, répondis-je, et je frissonne encore en pensant à
son aspect horrible. Quelle est cette femme ? Elle m'a dit
que dans le pays on l'appelait la Fille de la Punition.
— En effet, répliqua le royaliste, c'est ainsi qu'on la
nomme. Elle est la terreur'de la contrée. Plusieurs fois je
l'ai trouvée quand j'étais tard dans les chemins, et, comme
à vous, son souvenir me fait mal. J'ai appris qui elle était.
— Ah I racontez-nous son histoire, fut un cri général.
On se rapprocha de la table, les femmes abandonnèrent
leur ouvrage, le plus grand silence régna dans le petit
salon, et le Vendéen nous dit ce que je vais vous répéter
mot pour mot :
— Une famille de patauds habite dans ces contrées; je
me garderai bien de vous dire si c'est à dix ou à deux
lieues, si c'est au levant ou au couchant, si c'est sur une
colline ou dans un vallon : il faut montrer au doigt
l'homme de bien pour qu'on l'imite, mais il ne faut pas
désigner le méchant, de peur d'éveiller la vengeance.
Laissons Dieu et la justice se charger du soin de décou-
vrir et de punir. A nous n'appartient que la haine du
crime.
Cette famille était composée du mari, de la femme et
d'un fils. Ils ne s'étaient pas crus en sûreté dans la nou-
velle habitation qu'ils venaient d'acquérir; le voisinage de
nos soldats les inquiétait, et ils étaient allés augmenter îi
Nantes le nombre des familles réfugiées. De temps en
DE 1789 A 1800. 553
temps la femme quittait la ville et venait en secret visiter
son nouveau domaine. Dans ces excursions, elle épiait les
royalistes qui se trouvaient éloignés de l'armée; avec une
cruelle adresse elle savait découvrir les infortunés qui se
cachaient, et se hâtait de les dénoncer au comité de salut
public. On dit que plus d'une fois elle-même contribua ac-
tivement à arrêter les femmes vendéennes.
Quand elle était à Nantes, son plus grand plaisir, son
plaisir de chaque jour, était d'aller passer ses matinées sur
la place du Bouffay. Dès le commencement du jour, elle
envoyait garder sa place pour de l'argent, et ne quittait le
lieu des exécutions que lorsque la lassitude du bourreau
laissait en repos l'instrument fatal.
Cette femme (je rougis de lui donner ce nom) continua
de repaître sa cruauté de ces sanglants spectacles, et ce-
pendant elle était enceinte f...
Nos bourreaux lui laissèrent peu de jours sans plaisir;
et tout le temps de sa grossesse elle ne manqua pas de
venir avec son ouvrage à sa place accoutumée. Elle trou-
vait un grand attrait dans les apprêts du supplice. Elle
aimait à insulter aux victimes jusque sur l'échafaud. Mais
ce qui la faisait hurler d'une infernale joie, c'était le
dernier cri que poussaient les suppliciés. Dans cet instant
elle se levait, ses yeux brillaient comme les yeux du tigre
qui va boire du sang; elle trépignait de délire et criait :
Mort I mort aux aristocrates l
Dieu a été juste envers elle. Un enfant lui est né : c'est
l'Enfant de la Punition, c'est le monstre que vous avez vu.
Cette fille est hideuse comme l'âme de sa mère, horrible
comme le souvenir du crime. Imbécile dès son enfance,
elle n'a rien pu apprendre; elle ne sait que le cri des mou-
rants, elle l'a appris dès le sein maternel, et un effroyable
tic le lui fait répéter à chaque instant du jour. Quand ses
parents veulent oublier le passé, quand ils rassemblent des
25 i LA GRANDE RÉVOLUTION
gens de leur espèce et qu'ils cherchent à s'étourdir, l'En-
i'ant de la Punition est là comme un remords incarné, et
l'affreux cri vient retentir et arrêter la joie qu'ils vou-
draient avoir. A table, le jour, la nuit, ils sont condamnés
à l'entendre. Il s'échappe involontairement du sein de
cette malheureuse. C'est en vain que, pour lui faire
étouffer ce cri, ils la battent et la maltraitent. Pour éviter
leurs coups, elle n'ose fuir au dehors : elle sait la peur
qu'elle inspire. Alors elle passe la journée cachée dans
quelque coin obscur, et ce n'est qu'à la nuit qu'elle sort
de l'enclos de la maison maudite.
La Fille de la Punition avait un frère. Il était né avant
la Révolution. Quand il fut d'âge à marcher comme
conscrit, il demanda à son père de le racheter; il était
dans le cas de le faire, car il avait plus que l'aisance. Sa
fortune lui avait peu coûté. Il ne voulut pas faire le plus
léger sacrifice. L'argent lui était plus précieux que son
fils. Le jeune homme fut obligé de partir. Après quelques
campagnes faites sans gloire, il revint, exténué de fati-
gues, de misère et de débauches, mourir chez ses parents.
Il revint, comme guidé par la colère divine, ajouter au
châtiment de la famille coupable. Un soir, son père, étant
debout devant sa porte, vit un homme qui s'avançait vers
lui en se traînant avec peine ; il lui cria :
— Etranger, passez votre chemin; on ne donne pas ioi.
L'étranger répondit :
— Je sais bien qu'on ne donne pas ici ..., et il s'avan-
çait toujours.
La femme venait de descendre,
— Que nous veut ce mendiant? dit-elle avec emporte^
ment.
L'inconnu continua d'approcher en disant :
— Ne me reconnaisse/.-vous pas? Je suis votre fils...
Le père repartit froidement :
DE 1789 A 1800. 2oo
— Nous te croyions mort.
La mère ajouta :
— Tu as donc un congé ? Pour combien de temps ?
— Pour toujours, répondit le soldat.
— C'est impossible t s'écria le père; nous sommes deve-
nus pauvres, nous ne pouvons te garder.
— Eh f vous ne me garderez pas, vous m'enverrez au
cimetière... Je ne viens pas vivre, je viens mourir chez
vous, dit le jeune homme. Ma mère, j'ai soif.
La mère appela sa fille. La fille vint et ne reconnut pas
son frère !
Au bout de quelques jours le soldat fut plus mal ; il
sentit sa fin s'approcher. Jamais ses parents ne lui avaient
parlé de Dieu. Il les appela près de lui, et dans ses souf-
frances affreuses, il leur dit :
— J'ai voulu que vous fussiez témoins de ma mort.
C'est vous qui m'avez tué. Pour un peu d'or, vous m'avez
laissé partir. Et quels conseils m'avez-vous donnés pour
me défendre du vice? Vous m'avez poussé hors de la
maison paternelle en vous réjouissant d'avoir un enfant de
moins à nourrir. Eh bien I cet enfant revient, non pour
mourir plus doucement sous votre toit, mais pour que sa
mort vous soit une peine. Ma mère, vous vous êtes sou-
vent réjouie de voir couler le sang, et ma sœur est là pour
vous rappeler sans cesse le cri des suppliciés. Mon père,
j'ai voulu que vous eussiez aussi votre souvenir. Ma fosse
sera ici près de vous pour redire que vous avez sacrifié
votre fils à quelques pièces d'argent I
Pendant qu'il parlait ainsi, les deux coupables restaient
debout près du lit et gardaient un morne silence.
Le malade s'agitait et étendait les bras.
-!- Y a-t-il un Dieu ? s'écriait-il de temps en temps.
Et les parents continuaient à se taire.
SriG LA GRANDE RÉVOLUTIOÎf
— Un prêtre I proféra-t-il d'une voix mourante; amiiKîr-
moi un prêtre !
Alors le père dit à sa compagne :
— Femme, viens-t'en. Tu le vois bien, il a le délire.
Ils sortirent tous les deux; et, quand ils rentrèrent, ils
trouvèrent leur fille assise sur le lit de son frère. Elle
chantait t... 11 était mort !... (Lettres vendéennes.)
Assassins des prêtres punis de Dicn.
Les traits suivants, rapportés par un témoin oculaire,
sont extraits des Mémoires de M. Collombet, dont la Ga-
zette de Lyon (19 août 1853) a publié des fragments :
€ L'individu qui leva la hache sur le P. Angélique fit
une fin des plus affreuses. Après avoir mené depuis cette
époque une vie d'athée, il mourut, livré par anticipation
aux peines des damnés. Pendant cinq ans il endura d'hor-
ribles souffrances d'entrailles. Il ressentait à l'intérieur un
feu dévorant, et rien ne pouvait calmer ses douleurs; les
remèdes furent toujours inutiles. Il mourut il y a dix i\
douze ans. Les trois derniers mois de sa vie furent une
agonie continuelle. On l'entendait, de l'autre côté de la
Loire, qui hurlait comme un furieux ; il expira en rejetant
toutes les consolations de la religion. Mors peccatorum
fessima.
» Je ne te parle que de ce que j'ai vu.
» Ton frère et ton ami,
> BONNELLB. t
€ M. Imbert, curé de Vernet, fut menacé d'un coup de
hache par un scélérat ; le bras qui tenait la hache levée
DE 1789 A 1800. 2o7
fut paralysé. Cet individu ne fut redevable de sa guérison
qu'aux prières du prêtre'. »
* Voici de belles pensées de Me» Pie sur la haine des révolu-
tionnaires pour les prêtres :
« Le divin Fondateur de l'Eglise nous l'a prédit : « Le disciple
n'est pas au-dessus de son Maître. Comme ils m'ont traité, ils
lous traiteront. Vous serez en butte à la baine de tous à cause
de mon nom... S'ils ont eu pour le père de famille des appel-
lations outrageuses, comment ne se donneraient-ils pas libre
carrière envers les bommes de sa maison ! » Dans vingt autres
circonstances, Jésus-Cbrist a pris soin de nous préparer à cette
bostiUté enracinée qui nous poursuit, et dont nous avons le
droit de nous glorifier.
» Cette bostilité nous honore et nous rassure d'autant plus
qu'en elle-même elle est devenue vraiment inexplicable. Dans
d'autres temps, le sacerdoce a été riche, il a été influent. Au-
jourd'hui il n'a plus ni la propriété ni l'autorité.
» On avait beaucoup dit : Replacez le prêtre dans les condi-
tions de l'Eglise primitive; qu'il abandonne le terrain où s'a-
gitent les passions humaines, qu'il se retranche dans le sanc-
tuaire, qu'il se renferme dans les fonctions spirituelles : il ga-
gnera en autorité morale sur les peuples tout ce qu'il aura
Xjerdu de puissance temporelle.
» Nous savons à quoi nous en tenir désormais, et l'expé-
rience est venue démontrer ce qu'U y avait de sincérité dans ces
protestations. Du moins avons-nous gagné ceci, c'est de pou-
voir dire avec notre divin Maître « que leur haine est une haine
gratuite. »
LIVRE DEUXIÈME.
Lutte dos Papes avec la Révolution,
de 1797 à. 1815.
CHAPITRE PREMIER.
MALHEURS ET CBUTS CES SOUYBRAhNS PBRSÉCUTBUBS DB l'ÉGLISF,
L'iiistoire de l'Eglise n'est qu'un long combat pour sa
liberté. Société universelle de vérité et de justice, elle a-
eu constamment à lutter en tous lieux contre la force qui
cherche sans cesse à prévaloir sur l'ordre intellectuel et
moral. Cette lutte, qui n'est que l'antique et éteinelle
guerre de la matière et de l'esprit, a pris successivement,
selon l'état de la société, des formes diverses.
Mais on peut dire aussi que tous ceux qui sont venus se
heurter contre cette pierre ont fini par s'y briser. Chaque
tiècle a ajouté un long chapitre au tr.^Jté de Lactancc Sur
la mort des persécuteurs. Voici îl ce sujet une belle page d'un
profond penseur de notre époque ;
t Dès qu'un prince s'allie îi l'œuvre divine et s'avance
suivant ses forces, il pourra sans doute payer son tribut
d'imperfections et de malheurs à la triste humanité; mais
il n'imporle, son front sera marqué d'un certain signe que
tous les siècles révèrent, dit Joseph de Maistre :
DE 1797 A I8I0. 2o9
Illum aget penna metuente solvi
Fama superstes.
ï Par la raison contraire, tout prince qui, né dans la
lumière, la méprisera ou s'efforcera de l'éteindre, et qui
surtout osera porter la main sur le Souverain-Pontife ou
laffliger sans mesure, peut compter sur un châtiment tem-
porel et visible. Règne court, désastres humiliants, mort
violente ou honteuse, mauvais renom pendant sa vie, et
mémoire flétrie après sa mort, c'est le sort qui l'attend en
plus ou en moins.
» De Julien à Philippe le Bel, les exemples anciens sont
écrits partout »
Voici quelques pièces justificatives de l'assertion de
Joseph de Maistre :
« L'an 518, le pape Symmaque écrivait à l'empereur
Anastase P' : « Songez, prince, au sort de tous les empe»
» reurs qui ont persécuté la foi catholique. Ils ont presque
» tous péri misérablement. » Symmaque excommunia
Anastase l".
> Peu après Anastase périssait frappé de la foudre (0I8),
» En 526, le roi des Ostrogoths, Théodoric le Grand
(arien), fait jeter en prison, dans Ravenne, sa capitale, le
pape saint Jean P% qui meurt bientôt de faim et de soif
(27 mai 526).
» Trois mois après, Théodoric mourait de remords
d'avoir fait périr, outre le saint Pontife, ses conseillers
Symmaques et Boèce.
» En 653, saint Martin P' est arrêté, emprisonné, traîné
à Constantinople, puis exilé à Cherson, où il meurt de mi-
sère le 16 septembre 665, par ordre de l'empereur.
Constant II.
» Trois ans après. Constant II était tué dans le bain par
un de ses ofticiers, le 15 juillet 668, après avoir dû quitior
sa capitale devant la haine de son peuple.
260 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTIOX.
» En 692, Justinien II fait tenir à Constantinople un
conciliabule et cherche à faire saisir le pape saint Ser-
gius I".
» Deux ans après, en 694, il est déposé, a le nez coupé,
et se voit relégué en Grimée par Léonce, son successeur.
» Astolphe et Didier, rois des Lombards, font la guerre
auK papes Etienne II (75o), Etienne III et Adrien P^ Ils en
sont châtiés par les rois francs Pépin et Charlemagne.
Celui-ci met fin au royaume des Lombards en 774.
» Vers la fin du x^ siècle (998) Crescentius, que Gibbon
décore du nom de Brutus, voulut absorber Rome. A deux
reprises, il s'empara do l'autorité souveraine, il opprima
les Souverains-Pontifes et les exila; enfin il conçut le des-
sein de restaurer dans la ville sainte l'autorité des empe-
reurs grecs. Mais finalement il fut pendu, par ordre, non
du Pape, mais de l'empereur d'Allemagne, et sa tête fut
exposée sur les créneaux du château Saint-Ange.
» Arnaud de Brescia voulut absorber Rome, manger du
Pape; mais le morceau s'embarrassa dans son gosier.
Après avoir dominé à Rome pendant dix ans, il fut mis
en prison, et de là condamné h la peine du feu; ses cen-
dres furent jetées dans le Tibre.
» Frédéric I" Barberousse, jaloux de posséder Rome,
chercha à l'absorber. Le pape Alexandre III lui résista si
bien, qu'il fut obligé de faire amende honorable. Ge prince
se noya en traversant le Gydnus, en Gilicie, et sa famille
éprouva toute sorte d'infortunes.
» L'empereur Henri IV assiégea Rome trois fois, y établit
un antipape, et trôna lui-même quelque temps au Capi-
tule ; mais il dut s'enfuir de la ville sainte à l'approche du
Normand Robert Guiscard, qui rétablit le véritable Pape,
saint Grégoire VII; et il alla plus tard mourir de misère à
Liège.
» Henri V continue à persécuter les Papes et l'Église,
DE 1797 A 1815. £61
est excommunié, mais enfin fait sa paix en 1122 avec
Calixte IL II meurt sans postérité en 1129.
s L'empereur Othon I", surnommé le Grand, voulut ab-
sorber Rome; il chassa de son trône le pape Jean XII,
dont cependant il venait de recevoir la couronne impériale
Bientôt après il fut emporté par une attaque d'apoplexie.
» En 1209, Othon de Saxe, au mépris des lois de la jus-
tice et de ses promesses solennelles, envahit le patrimoine
du Saint-Siège, dans le dessein d'absorber Rome. Le Pape
lança sur lui une excommunication : quelque temps après
Othon fut vaincu à Bouvines par les Français, et les Alle-
mands le dépouillèrent de sa couronne.
» L'empereur Henri VI, s'empare de la Sicile, fief du
Saint-Siège, est excommunié par Célestin III, et meurt peu
après, le 28 septembre 1197, à l'âge de trente-deux ans,
détesté de tous.
« Philippe de Souabe, frèrede Frédéric Barberousse, et
Othon de Brunswick se disputent l'empire. Philippe, non
reconnu par le pape Innocent III et excommunié par lui,
meurt assassiné (1208).
» Frédéric II devait son élévation et sa puissance à In-
nocent III; aussi, tant que ce Pape vécut, il resta fidèle à
ses serments ; mais, après la mort d'Innocent, il viola in-
dignement ses promesses. Enivré par ses succès, il en-
treprit d'enlever au Saint-Siège sa puissance temporelle;
il ravit à sa suzeraineté la Sardaigne, et dépouilla l'Eglise
de toute sa liberté dans le royaume de Naples. Frédéric
fut excommunié au concile de Lyon et déclaré déchu de la
dignité impériale. Accablé de revers, il mourut en 1250,
dans un coin de l'Italie. Son fils Conrad ne lui survécut
que quatre ans, et son petit-fils Conradin porta sa tète sur
l'èchafaad. Ainsi s'éteignit tristement la dynastie des
Ilohenstauffen, qui avait fait tant de maux à lEglise.
» Mainfroy, fils naturel de Frédéric II et usurpateur du
262 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION.
royaume de Sicile, est excommunié par Clément IV, et
périt le 2G février 126G, dans la bataille de Bénévcnt,
gagnée par Charles d'Anjou, qui avait reçu l'investiture
de la Sicile comme fief du Saint-Siège.
» Philippe le Bel persécuta le pape Boniface VIII et se
proposait d'absorber Rome; il mourut d'une chute de
cheval à l'âge de quarante-six ans.
» L'empereur Louis de Bavière est excommunié par Jean
XXII, crée un antipape (Nicolas V), et se fait couronner
par lui à Rome en 13!28. Bientôt il se voit chassé de toute
l'Italie. Il persiste dans sa révolte contre le Saint-Siège
sous Clément VI, qui fait élire et confirmer un nouvel em-
pereur, Charles de Luxembourg (1346). Louis s'en moque,
et il meurt bientôt après d'une apoplexie foudroyante
(11 octobre 1347). »
Nous ne pousserons pas plus loin ce court exposé des
jugements de Dieu. Notre cadre ne nous permet pas de
plus longs développements. Nous arrivons sans transition
à l'histoire contemporaine, sujet de ce volume.
Rohrbacher, dans son Histoire de l'Eglise, a fait ressortir
en quelques lignes que nous allons citer, ce que les divers
gouvernements ont gagné dans ces derniers temps en vou-
lant entraver la liberté de l'Église.
« Daniel a dit de la statue prophétique des quatre em-
pires successifs : « Alors furent réduits en poudre, fer, ar-
• gile, airain, argent, or; ils devinrent comme la menue
» paille que le vent emporte de l'aire pendant l'été, et ils
» disparurent sans plus trouver aucun lieu. » Cette pré-
diction, nous la voyons se réaliser de plus en plus dans la
période 1802 à 1848, sur les dix royaumes issus de l'em»
pire romain, notamment sur ceux qui réceiament avaient
fait plus ou moins la guerre à l'Eglise de Dieu. Joseph II,
empereui' d'Allemagne, et même, quant au nam, empereur
DE 1797 A 1815. 263
romain, avait fait cette guerre avec plus de persistance;
ii n'y aura plus d'empereur romain ni même d'empereur
d'Allemagne, mais un empereur d'Autriche, avec une dou-
zaine de rois ou de princes allemands, indépendants les
uns des autres, pour aider le protestantisme à indivi-
dualiser les peuples allemands comme de la menue paille.
Le roi d'Espagne, sur la monarchie duquel le soleil ne se
couchait pas, s'était fait un devoir de contrister l'Eglise
en la privant de sa plus vaillante milice; récemment encore
il s'apprêtait à partager avec la république française les
domaines du Saint-Siège. Le roi d'Espagne, sur l'ordre
d'un général français, cessera d'être roi, et sera remplacé
par un citoyen français; l'Espagne perdra ses immenses
possessions du Nouveau Monde, qui se transformeront en
une demi-douzaine de républiques; l'Espagne d'Europe se
divisera contre elle-même jusqu'à ne plus savoir quelle
tête se donner. Le Portugal, complice de l'Espagne dans la
guerre contre l'Eglise, perdra également ses possessions
d'Amérique, et verra sa dynastie divisée contre elle-même.
Le gouvernement de Naples, satellite obséquieux de
l'Espagne, quelquefois pire encore, sera expulsé de chez
lui, remplacé par un gouvernement français, ne trouvera
de refuge que dans la Sicile, qu'il traitera ensuite en pays
conquis, ce qui provoquera de nouvelles révolutions. La
France gouvernementale, qui se posa toujours volontiers
en gouvernante de l'Eglise romaine, qui plus d'une fois
se permit de mettre la main sur elle, la France gouverne-
mentale, après avoir déjà subi tant de métamorphoses de
1789 à 1804, s'est culbutée elle-même, avec ses chartes et
ses chambres, jusqu'à sept fois, de 1813 à 1848, espace de
trente-cinq ans ; en avril 1814, d'empire en royauté res-
taurée; en avril 1815, de restauration en empire; en
juillet 1815, d'empire en restauration; en juillet 1830, de
royauté restaurée en royauté constitutionnelle; en février
264 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTIOH.
1848, de royauté constitutionnelle et héréditaire en répu-
blique provisoire ; en décembre 1851, elle a donné à la ré-
publique une présidence décennale et dictatoriale qui re-
nouvelle l'empire. Tout cela paraît un commentaire assez
intelligible de ces paroles de Daniel : * Alors furent réduits
» en poudre, fer, digile, airain, argent, or; ils devinrerrt
» comme la menue paille que le vent emporte de l'aire
» pendant l'été, et ils disparurent sans plus trouver aucun
• lieu. Mais la pierre qui avait frappé la statue devint une
» grande montagne qui remplit toute la terre. »
Pie \1 et Joseph II.
Jamais les vertus chrétiennes n'ont plus d'éclat et ne
sont d'un plus bel exemple que lorsqu'elles brillent soua
la couronne ou sous la tiare.
A peine Pie VI était assis sur le ti'ône pontifical, que
l'empereur Joseph II, qui s'était laissé pénétrer des prin-
cipes de la moderne philosophie, entreprit, dans ses
provinces des Pays-Bas , des réformes religieuses sans le
concours de l'autorité pontificale. Plusieurs monastères
supprimés, d'anciens usages religieux abolis ou changés,
de nouvelles doctrines enseignées dans les rescrits impé-
riaux, tout annonçait chez ce prince l'intention de s'af-
franchir jusqu'à un certain point, dans le gouvernement de
ses vastes Etats, de la puissance spirituelle des Pontifes
romains ; les philosophes et même les sectaires se félici-
taient de le compter au nombre de leurs adeptes*.
• Joseph II, élève des philosophes français et leur alli6,
avait renversé presque eulièreinent rédifice ecclésiasliquecluis
SCS Etats. Les églises avaient été privées de leurs ornements et
des images qui déplaisaient à leinpei'cur philosophe ; les pro-
cessions, les pèlerinages, les (•(iiifréries étaient supprimés. Oii
avait enlevé du bréviaire foi'licc de saint Grégoire VII; labullo
DE 1797 A 1815. 265
Pie VI, profondément affligé de ces innovations, lui fait
d'abord entendre la voix du Père commun des fidèles ; il
l'avertit avec tous les ménagements que réclame la dignité
impériale, mais avec le zèle qui doit animer le premier
pasteur de l'Eglise catholique, de s'arrêter dans la voie
dangereuse où il s'est engagé. Pénétré de douleur en ap-
prenant l'inutilité de ses charitables avis, il part de Rome
pour Vienne, malgré son âge avancé et la longueur de la
route qu'il doit parcourir avant de trouver la brebis qui
commence à s'égarer. Reçu dans la capitale de l'Autriche
avec tous les honneurs dus à sa haute dignité, ce ne fut
pas sans la plus vive douleur qu'il vit le monarque autri-
chien, se bornant à ces témoignages de son respect pour le
Chef de l'Eglise, poursuivre l'accomplissement de ses
desseins.
Joseph El nialhenrenx dans toafes ses entreprises.
Le souverain qui tyrannise l'Eglise ne peut être le père
de son peuple. Joseph II, dans son Code criminel, rangeait
parmi les crimes d'État des délits ordinaires qu'il punis-
sait de mort. Il y prodiguait la peine du bâton et de la
marque sur la figure: il laissait subsister des prisons hor-
ribles, où le malheureux prisonnier était accablé sous des
masses de fers et ne se voyait donner qu'un peu d'eau et de
In cœna Domini n'était plus admise. Les couvents étaient sous-
traits à la juridiction des généraux d'ordres, aucun religieux
n'avait la permission d'aller à Rome ; on avait supprimé 2,024
monastères et dispensé les moines qui restaient dans les autres
de l'assistance au chœur. Enfin on avait incarcéré les biens de
l'Eglise, enlevé aux évêques de la Lombardie la direction de
leurs grands séminaires, taxé les frais des funérailles et fixé
les heures où il serait permis de sonner les cloches et de tenir
les églises ouvertes. Joseph II était entré dans de tels détails,
que Frédéric II l'appelait son frère le sacristain. VA quelle était
la raison de toutes ces innovations? La volonté de rcnipcrcur.
12
2G6 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
pain; il confisquait les biens des criminels de lèse-majesté,
sans tenir nul compte des héritiers ; il créait de nouveaux
délits politiques qu'il faisait rigoureusement punir; il dé-
fendait de voyager avant IMge de vingt-sept ans, et éta-
blissait une taxe des absents sur les propriétaires qui allaient
à l'étranger.
Ce despotisme exercé sur l'Eglise et sur le peuple
réussit mal à Joseph II*. Vers la fin de son règne, il fut
battu par les Turcs ; l'Angleterre, la Prusse et la Hollande
se liguèrent contre ses prétentions; la Hongrie et les
Pays-Bas se révoltèrent. Des plaintes s'élevaient de toutes
parts contre lui, et il n'avait fait, avec toutes ses réformes
qu'ébranler son trône au moment où il avait le plus besoin
d'être consolidé. L'empereur Joseph II ne transmit à ses
successeurs que la haine causée par ses innovations. Re-
pentant à l'heure de la mort, il dicta lui-même cette épi-
taphe : Ci-gît Joseph II, malheureux dans toutes ses entre-
2)rises, et il écrivit dans son testament : « Je prie ceux ii
qui, contre ma volonté, je n'aurais pas rendu justice, de
me pardonner, soit par charité chrétienne, soit par huma-
nité; je les prie de considérer qu'un monarque sur le trône
n'en est pas moins un homme comme le pauvre dans sa
chaumière, et que tous deux sont sujets à l'erreur. »
* 11 répondit à un evCquc qui lui demandait di s inslruclions
pour pouvoir se conformer à ses décrets : L'insittiction est que
)eveux être obéi. (Voyez Cantù, Hist. univ., t. X, 3« édit., Turin,
1846, p. 564.)
En usurpant la puissance de l'Eglise, un prince, bien loin
à'augnicntor sa propre puissance, l'airaiblit au contraire ; car
nul iicpcut soutûnir ce qui le soutient ; et le pouvoir temporel se
consumerait en vains eliorts à porter la colonne destinée elle-
même ù le porter.
DE 1797 A 181S. ^67
Pio VI et le Birecioire.
Le vénérable Pie VI refusa de révoquer, sur la demande
du Directoire, ce qu'il avait fait contre le schisme en
France,
Quelques jours après que les Français eurent pris pos-
session de Rome, un calviniste suisse, nommé Haller, fut
choisi, préférablement à tout autre, pour aller annoncer
au Pape, environné du Sacré-CoUége, que le peuple romain
avait repris sa souveraineté et ne le reconnaissait plus
pour son chef temporel. Le Pontife leva les yeux vers le
ciel, joignit les mains et adora les décrets de la Providence
qui l'éprouvait par un si cruel revers. Aussitôt on licencia
ses gardes, on mit des Français à leur place, et Pie VI se
vit entre les mains de ses ennemis. Ce fut alors que le gé-
néral Berthier lui fit présenter par le général Cervoni la
cocarde nationale , et l'invita à se parer de ce nouvel or-
nement. » Je ne connais point d'autre uniforme pour moi, »
répondit le Pape, que celui dont l'Église m'a honoré.
Vous avez tout pouvoir sur mon corps, mais mon âme est
au-dessus de vos atteintes. Je n'ai pas besoin de pension;
un bâton au lieu de crosse et un habit de bure suffisent à
celui qui doit expirer sous la haire et sur la cendre. J'a-
dore la main du Tout-Puissant, qui punit le berger et le
troupeau. Vous pouvez brûler et détruire les habitations
des vivants et les tombeaux des morts, mais la religion
est éternelle ; elle existera après vous comme eiie existait
avant vous, et son règne se perpétuera jusqu'il la fin
des siècles. » C'est ainsi qu'expira pour un temps la puis-
sance temporelle des Papes; mais, en perdant la sienne,
Pie VI conserva toute sa gloire, et sa chute ne servit qu'à
mieux faire éclater sa vertu et sa grandeur d'âme.
Gomjne les commissaires français» craignaient que la
2C8 LUTTE DES tAPES AVEC LA RÉVOLUTION
présence de l'ancien souverain de Rome ne fût nuisible èi
l'établissement de la nouvelle république romaine, le
même Haller alla lui annoncer de leur part qu'il se tînt
prêt à partir le lendemain, dès les six heures du matin.
« Je suis âgé de quatre-vingts ans, lui répondit le Pape
avec douceur; depuis deux mois, je suis accablé d'une
maladie si cruelle qu'à chaque instant je croyais toucher
à ma dernière heure. A peine convalescent, comment
supporterai-je les fatigues d'un voyage? Mon devoir m'at-
tache ici; je ne puis sans crime abandonner les fonctions
de mon ministère : c'est ici que je dois mourir. » — « Vous
mourrez partout ailleurs aussi bien qu'ici, reprit Haller;
point de raisonnement ni de prétexte. Si vous ne partez
pas de gré, on saura vous faire partir de force. » Le Pape
parut céder un instant à la rigueur du coup qui venait de
l'accabler; mais, passant dans son cabinet et se jetant aux
pieds du crucifix, il puisa dans la prière la force dont il
avait besoin pour résister à de si cruelles persécutions.
Il parut un quart d'heure après avec son calme et sa sé-
rénité ordinaires. « Dieu lèvent, dit-il tranquillement, sou»
mettons-nous avec résignation à ses décrets. «
Il y a dans la vie de ce Pontife trois phases parfaitement
distinctes; elles aboutissent toutes à sa gloritication. En
montant sur le trône, en régnant comme un père, il est
l'admiration de son peuple. Pèlerin apostolique, il traverse
l'Italie et l'Allemagne au milieu de tous les respects des
tatholiques et des protestants; puis, quand une radieuse
vieillesse couronne sa tète de cheveux blancs, le Pontife
est appelé à rendre à Dieu un suprême témoignage '. On
dirait que, comme saint Pierre venant d'otfrir h Jésus-
Christ la double consécration de son amour et de son dé-
vouement. Pie VI a entendu, a recueilli les paroles qui furent
* Voir Grctineau-Joly, CEijUse en face de la Révolution,
tome 1".
DE 1797 A 1815. 269
adressées au Prince des Apôtres par le Christ lui-même :
€ En vérité, en vérité je te le dis, lorsque tu étais
plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voa-
lais; mais lorsque tu seras vieux, tu étendras les mains,
et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas. »
Et l'Evangéliste ajoute : « Or, il dit cela pour marquer
par quelle mort il devait glorifier Dieu. Et après avoir
ainsi parlé, il lui dit : Suivez-moi. »
Le successeur des Apôtres faisait comme saint Pierre, il
suivait.
Dans ce corps affaibli par l'âge et par les souffrances, il
éclate une magnanimité de courage à faire envie à des
héros: sa couronne d'or pur a été éprouvée dans la four-
naise sept fois ardente des tribulations. Néanmoins chaque
parole qui tombe de ses lèvres est sublime; chaque
sourire de résignation que le martyr adresse aux princes
et aux peuples se pressant sur son passage sera une bé-
nédiction ou un signe de félicité. On l'a enlevé nuitamment,
afin que, comme dans le récit de la Passion, il n'y ait pas
de tumulte parmi le peuple. On le cache à tous les regards;
c'est h peine s'il a autour de lui quelques dévoués ser-
viteurs. Au moment où il va laisser Rome pour toujours,
un de ces jésuites que la tempête a dispersés se présente à
Pie VI. « Parlez-moi franchement, dit le Pape au P. Ma-
rotti, secrétaire des lettres latines ; vous sentez-vous le
courage de monter avec moi au Calvaire? » Et Marotti
répond : Me voici prêt à suivre les pas et la destinée du
Vicaire de Jésus-Christ et de mon souverain.
Ces peuples, dont les yeux étaient depuis longtemps
habitués aux crimes et aux désastres, ne s'étonnaient plus
de grand'chose. Cependant, à la vue de ce vieillard n'ayant
de force que pour bénir, n'ayant de voix que pour par-
donner, les peuples s'émurent d'une de ces généreuses
pitiés qui préparent les restaurations et font comprendre
270 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
la foi. On saluait le Pontife sur son passage, on s'age-
nouillait devant lui; de tons les yeux coulaient des larmes
d'attendrissement ou de vénération. Plus d'une fois môme
le Père commun se vit forcé d'intervenir pour arracher à
la mort les satellites qui l'escortaient et que la multitude
indignée voulait massacrer.
D'étape en étape, c'est-à-dire de douleur en douleur, la
victime que l'on traîne au sacrifice passe à travers toutes
les épreuves. Les épreuves produisent l'espérance. L'Italie,
où tout est catholiauc, s'est inclinée devant ce front décou-
ronné, mais sur lequel resplendit la triple majesté de la
vieillesse, de l'infortune et de la vertu. L'Italie a protesté
contre les outrages de l'exil.
Ces protestations sont une insulte au Directoire. Un de
ses membres, un avocat, bossu et contrefait comme un sac
de noix, mais théophilanthrope, La Réveillère-Lépeaux,
obtient de ses complices dans le gouvernement la transla»
tion du Pape en France, Là du moins, espôrenl-ils, le
vieux levain du fanatisme sacerdotal ne fermentera pas
pour imposer un démenti à toutes leurs prédictions.
Le cortège du Pontife prisonnier s'engage dans les
Alpes et dans les montagnes du Dauphiné. Au fond dô
cette province, qui donna le signal des innovations, il y a
de rudes paysans, de simples bergers, des femmes labo»
rieuses que la conquête de l'égalité civile et de la liccnco
religieuse a dû charmer. Le ciel est chargé d'apostasies»
l'atmosphère s'imprègne d'une moqueuse incrédulité. La
Révolution s'applaudit d'enlever un Pape, mort ou vif, cl
de le montrer au peuple comme lo dernier vestige de la
superstition expirante.
Le peuple a saisi la leçon, mais en sens contraire. On lui
a dit qu'il était libre, il use de cette liberté pour s'agenouiller
au bord des chemins. On lui a légiféré et décrété qu'il n'y
avait plus d'autre Dieu aue celui dont la nation faisait
DE 4797 A 1848. 271
choix à volonté et à terme, plus de Pape, plus de ciel, plus
d'enfer. A l'aspect de ce pau%Te vieillard qui peut à peine
lever les mains pour bénir, ce peuple redemande son Dieu;
il couvre des plus touchants hommages le Vicaire de ce
Dieu.
Malgré tous ses vols constitutionnels et ses pillages à
domicile, la république française est à la mendicité. La
pénurie du trésor a quelque chose de si inexplicable que
la Révolution se voit contrainte de laisser à la charge de
ses prisonniers les frais de leur translation forcée. La Ré-
volution est sans ménagements comme sans pudeur. Elle
a fait appel aux mauvaises passions de son peuple, afin de
désoler la patience de Pie \1; le Pontife n'entend sur sa
route que des voix filiales, il ne rencontre que de respec-
tueuses tendresses. L'autorité veut obéir aux ordres supé-
rieurs qu'elle a reçus et s'opposer à tant de démonstrations
incroyables; l'autorité reste confondue dans son impuis-
sance.
Sur le chemin qui conduisait au Calvaire, l'Homme-Dieu
ne trouva pas un bras de bonne volonté pour l'aider à
porter sa croix. Simon de CjTène, qui revenait des champs,
se vit imposer ce fardeau. Plus heureux que son Maître,
le Pontife-Roi provoque partout des dévouements. Le jour
de la Passion précède la fête des Rameaux, et Pie YI mou-
rant, mais coifsolé, mais édifié, put s'écrier : « Tout cela
prouve que la foi n'est pas éteinte en France. >
Son exil et ses pérégrinations la réveillaient dans les
cœurs.
Le Père commun, épuisé par les douleurs et vaincu par
l'émotion, arrive enfin à la citadelle de Valence *. La pa-
' Pie VI venait d'arriver à Valence. Une foule, composée de
curieux et de vrais enfants de l'Eglise, s'était portée sur soa
pas icre, pour voir le Pape captif ou pour recevoir sa béné-
dicàua ; et le saint Pontife bénissait tout le monde. En ce
272 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
ralysie gagne tous ses membres. Le Directoire veut encore
qu'il marche. Pie VI ne résiste pas, ce sont les médecins
qui s'opposent à cette impitoyable translation; ils dé-
clarent que le moribond n'a plus que très-peu de jours
à vivre. Le Pontife expira en effet le 29 août 1799, à l'âge
de quatre-vingt-un ans et demi.
Le Seigneur avait donné à ce grand Pape la science des
saints. Ses pieds marchèrent constamment dans la voie
droite; il n'eut de zèle que pour le bien. C'est pourquoi,
ainsi qu'il est dit au Livre de la Sagesse : Dieu rendit
ses longs travaux vénérables aux yeux de tous, et le
glorifia d'une dernière couronne d'honneur.
Il n'y avait plus de Pape, il ne devait plus y en avoir,
plus d'Eglise par conséquent. La Révolution se félicitait
avec le Directoire de régner au Capitole et de commander
au Vatican; elle s'applaudissait d'avon* dispersé le sacré
Collège, et de rendre ainsi tout conclave impossible. Les
jours marqués par le philosophisme uni aux jansénistes et
aux constitutionnels civils arrivaient à pas précipités.
L'Eglise romaine allait tomber par morceaux comme un
vieux mur qui n'a plus d'étais, quand tout-à-coup la face
des événements change avec une rapidité providentielle.
Le général Bonaparte, qui ne soupçonnait pas alors à
moment, une toute petite enfant, que conduisait par la main
sa pieuse tante, s'écria vivement du milieu de la foule qui
l'empêchait de voir le Saint-Père : Tante, tante, lève-moi; je
veux le voir!... La bonne tante la prit entre ses bras et l'ap-
procha si près de Pie VI, qu'il put mettre ses deux mains vé-
nérables sur la tète de l'enfant et lui donner une bénédiction
spéciale. La foule sourit, et l'on entendit plus d'une mère qui
disait : « Est-elle heureuse ! >> Ce mot s'est trouvé une pro-
phétie; la bénédiction du saint Pontife lui a porté bonheur. La
petite enfant d'alors a aujourd'hui 75 ans, et il y en a 50 qu'elle
est religieuse : elle aime à raconter ce trait gravé dans son
cœur.
DE 1797 A 181.^, 273
quelle fortune il allait être élevé, dans une lettre à son
frère Joseph avait dit en parlant du Pape : La vieille idole
sera bientôt anéantie, ainn le veulent la liberté et la politique.
L'impiété croyait voir dans cette circonstance la prophétie
du grand homme'.
Pie VI était mort le 29 août 1799. A moins de trois mois
d'intervalle, le Directoire succombe à son tour sous les
risées de la France et devant l'épée du général Bonaparte.
Le Directoire a tout voulu gangrener : il meurt de sa
corruption: il a tout vendu, tout acheté, tout avili : il se
laisse mettre à l'encan et marchander comme un objet de
hasard. Il tombe en pourriture sans même donner de
fumier.
• Cours d'Histoire ecclésiastique, par l'abbé Rivaux, t. III,
p. 339.
Kous détachons les lignes suivantes du Mémorial de la Révo-
lution française : « Le 2 juillet 1796, Bonaparte enlève une
partie des domaines et treize millions appartenant au .Saint-
Siège. Le 22 septembre 1798, Bonaparte, parti pour l'Egypte
le 19 mai précédent, célèbre au Caire l'anniversaii'e de la fon-
dation de la République, une, indivisible et impérissable. Le
bonnet de la Liberté, le croissant de Mahomet, les Droits de
l'homme et l'Alcoran, placés, dit-on, sur la même table, sont
ua dos ox'nements de cette fête. )>
12*
274 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
CHAPITRE II.
PIE VU BT NAPOLÉON BONAPAUTB.
t ... Ma vengcanco est entre ses mains. Je l'enverrai
contre une nation perfide, contre le peuple de ma colère.
Qu'il s'enrichisse de ses dépouilles, qu'il le mette au
pillage, qu'il le foule aux pieds comme la boue !
• ... Son cœur ne respirera que le ravage et la ruine
des nations. Il dira : « Les grands de ma maison ne sont-ils
» pas autant de rois?... J'ai tout fait par la force de mon
» bras et les conseils de ma sagesse... J'ai réuni sous
» ma puissance tous les peuples de la terre, comme on
» rassemble des œufs abandonnés. »
t ... Mais la cognée se glorifie-t-elle contre celui qui
s'en sert?... Et ce bois impuissant s'élève contre Dieu t..,
Voih\ que le Seigneur, le Dieu des armées, brisera ce
vase d'argile, coupera les rameaux de cet arbre... »
(ISAÏE.)
Il est des hommes que Dieu a chargés d'une mission
spéciale; ils apparaissent de loin en loin sur la terre pour
la gloire ou le fléau des nations. Le Seigneur, quand il
lui plaît, les prend par la main et les élève : puis, dès qu'ils
ont fait leur œuvre, il les brise comme d'inutiles roseaux.
Rien n'annonce la prochaine venue de ces hommes; ils ne
laissent après eux ni héritiers ni continuateurs. Sésostris,
qui soumit le monde, n'est plus de nos jours qu'un pré-
texte offert à de vaincs recherches hiéroglyphiques; un
DE 1797 A 1815. 275
soufflo fit évanouir l'empire d'Alexandre de Macédoine;
Attila n'eut pas même un tombeau que ses ennemis
pussent profaner; Timour, Gengiskan, ces deux insensés
qui se sont baignés dans des mers de sang et ont amassé
des montagnes de têtes coupées, ne nous ont transmis,
pour prix de leurs travaux, qu'un long souvenir d'horreur
et d'épouvante; Napoléon, si fastueusement nommé le
Grand, et qui avait égalé en renommée les conquérants
des anciens âges, est mort à dix-huit cents lieues de sa
patrie, vaincu, abreuvé de fiel et enchaîné comme le Pro-
méthée de la fable.
Chacun de ces hommes fameux a eu son rôle. Les uns,
et c'a été le petit nombre, ont été choisis pour consoler
l'humanité et déblayer quelques ruines sociales; les autres
ont été envoyés pour châtier par le glaive *.
Quelle fut la mission assignée à Napoléon Bonaparte ?
C'est un secret de l'avenir. Nous l'entrevoyons à peine, et
' « Lorsque Dieu envoie sur la terre les exécuteurs des châ-»
timents célestes, tout est aplani devant eux; ils ont des succès
extraordinaires avec des talents médiocres. Nés au milieu des
discordes civiles, ces exterminateurs tirent leurs principales
forces des maux qui les ont enfantés et de la tei-reur qu'inspii'e
le souvenir de ces maux ; ils obtiennent ainsi la soumission du
peuple au nom des calamités dont ils sont sortis. Il leur est
donné de corrompre et d'avilir, d'anéantir l'honneur, de dé-
grader les âmes, de souiller tout ce qu'ils touchent, de tout
vouloir et de tout oser, de régner par le mensonge, l'impiété
et l'épouvante, de parler tous les langages, de fasciner tous les
yeux, de tromper jusqu'à la raison, de se faire passer pour de
vastes génies, lorsqu'ils ne sont que des scélérats vulgaires, car
l'excellence en tout ne peut être séparée de la vertu : traînant
après eux les nations séduites, triomphant par la multilude,
déshonorés par cent victoires, la torche à la main, les pieds
dans le sang, ils vont au bout de la terre comme des hommes
ivres, poussés par Dieu qu'ils méconnaissent. »
(Chateaubiuand.)
276 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
nous sommes condamnés à l'étudier longtemps encore. Et
comment, sous l'impression récente du bien et du mal que
nous lit cet homme, pourrions-nous tenir d'une main im-
partiale la balance du jugement? S'il a relevé les autels,
il les a contristés; s'il a porté dans toutes les capitales la
gloire de ses aigles, il a, par le délire de ses entreprises,
livré Paris aux insultes de toutes les races étrangères; s'il
a rétabli l'ordre, il n'a su remplacer l'anarchie des piques
que par la tyrannie de la force matérielle; s'il a rendu à la
France une grandeur inespérée, il s'est payé avec usure
de ce bienfait en sacrifiant à l'idole de son orgueil plusieurs
millions de victimes humaines.
Dieu, qui protège la France, cette nation élue entre
toutes pour porter et glorifier la croix, avait permis qu'un
formidable orage révolutionnaire ravageât notre pays. Le
jour vint où sa miséricorde se reposa de nouveau sur
nous, et alors elle suscita de l'Egypte l'homme qui devait
terrasser l'anarchie et relever les autels en ruine. Ce fut
vraiment alors Cyrus, prédit par les prophètes et réservé
pour mettre fin à la servitude du peuple de Dieu. Cette
mission était celle de Napoléon; il l'accomplit en réta-
blissant le culte et en réorganisant la société. Il pouvait la
compléter par de sages travaux, par de puissantes insti-
tutions; mais bien que sous ce rapport encore il ne soit
point demeuré oisif, il est juste de reconnaître qu'au lieu
de parfaire son œuvre, il la dépassa, qu'il la souilla par
le meurtre de l'innocent, par une suite de guerres crimi-
nelles, et que, destiné à être la consolation de sa patrie,
il aima mieux en être le fléau : c'est là que la justice
divine le reprit pour le châtier.
Voilà sa mission : rendre la religion proscrite à la
France, restaurer l'ordre et les mœurs monarchiques; au-
delà, il ne fut plus qu'un instrument de colère pour la
DE 1797 A ISlo. 277
France et pour les autres peuples. La France fat punie en
lui et par lui de son fol amour pour la gloire des armes,
comme elle avait été punie dix ans plus tôt, par le règne
des bourreaux et des clubs, du délire de ses principes et du
dévergondage de ses désirs *.
Jagrement de Chateaabriand sur IVapoIéon.
Napoléon est un faux grand homme : la magnanimité,
qui fait les héros et les véritables rois, lui manque. De là
vient qu'on ne cite pas de lui un seul de ces mots qui
annoncent Alexandre et César, Henri IV et Louis XIV. La
nature le forma sans entrailles. Sa tête assez vaste est
l'empire des ténèbres et de la confusion. Toutes les idées,
même celles du bien, peuvent y entrer, mais elles en
sortent aussitôt. Le trait distinctif de son caractère est une
obstination invincible, une volonté de fer, mais seulement
pour l'injustice, l'oppression, les systèmes extravagants;
car il abandonne facilement les projets qui pourraient
être favorables à la morale, à l'ordre et à la vertu. L'ima-
gination le domine, et la raison ne le règle point. Ses
desseins ne sont point le fruit de quelque chose de profond
et de réfléchi, mais l'effet d'un mouvement subit et d'une
résolution soudaine. Il a quelque chose de l'histrion et du
comédien; il joue tout, jusqu'aux passions qu'il n'a pas.
Toujours sur un théâtre, au Caire, c'est un renégat qui se
vante d'avoir détruit la papauté; à Paris, c'est le restau-
rateur de la religion chrétienne : tantôt inspiré, tantôt
philosophe, ses scènes sont préparées d'avance; un sou-
verain qui a pu prendre des leçons afin de paraître dans
une attitude royale est jugé par la postérité. Jaloux de
paraître original, il n'est presque jamais qu'imitateur;
* Ainédée Gabourd, chef de bureau au ministère de l'iatériour,
division de la sûreté générale, sous Napoléon III.
278 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
mais ses imitations sont si grossières qu'elles rappellent îi
l'instant l'objet ou l'action qu'il copie; il essaie toujours
de dire ce qu'il croit un grand mot, ou de faire ce qu'il
présume une grande chose. Affectant l'universalité du
génie, il parle de finances et de spectacles, de guerre et
de modes; rtgle le sort des rois et celui d'un commis à
la barrière; date du Kremlin un règlement sur les théâtres,
et le jour d'une bataille fait arrêter quelques femmes à
Paris. Enfant de notre Révolution, il a des ressemblances
frappantes avec sa mère : intempérance de langage, goût
de la basse littérature, passion d'écrire dans les journaux.
Sous le masque de César et d'Alexandre, on aperçoit
l'homme de peu et l'enfant de petite famille. Il méprise
souverainement les hommes, parce qu'il les juge d'après
lui. Sa maxime est qu'il ne font rien que par intérêt, que
la probité même n'est qu'un calcul. De là le système de
fusion qui faisait la base de son gouvernement, employant
également le méchant et l'honnête homme, mêlant à
dessein le vice et la vertu, et prenant toujours soin de
vous placer en opposition îi vos principes. Son grand
plaisir était de déshonorer la vertu, de souiller les ré-
putations; il ne vous touchait que pour vous flétrir. Quand
il vous avait fait tomber, vous deveniez son homme, selon
son expression; vous lui apparteniez par droit de honte;
il vous en aimait un peu moins et vous en méprisait un
peu plus. Dans son administration, il voulait qu'on ne
connût que les résultats et qu'on ne s'embarrassât jamais
des moyens, les masses devant être tout, les individualilés
rien. « On corrompra cette jeunesse, mais elle m'obéira
mieux; on tera périr cette branche d'industrie, mais
j'obtiendrai pour le moment plusieurs millions; il périra
soixante mille hommes dans cette affaire, mais je gagnerai
la bataille. « Voilà tout son raisonnement, et voilii comme
les royaumes sont anéantis !
DE 1797 A 18 JD. 270
Les Tcrllifes de l'ambition.
Le roi d'Assyrie, dont la puissance s'était élevée si haut,
dt que le souffle de Dieu abaissa au-dessous de l'homme,
est le symbole certain de la chute réservée à l'orgueil 'des
victorieux et des princes du monde. Le Seigneur, qui
avait pris Napoléon par la main et l'avait ramené de la
terre des Pharaons pour le faire servir d'instrument au
salut de la France, abandonna à lui-même ce soldat de
fortune lorque par ses usurpations et ses attentats il eut
lassé la divine miséricorde. De quelque gloire qu'il plaise
à Dieu d'environner un homme, ce privilégié n'est que
cendre et poussière, et tout honneur qu'il se rend à lui-
même est un cri de révolte contre le ciel.
Quand Napoléon se vit monté au faîte imprévu de sa
puissance, il fut saisi d'un vertige moral; on remarqua
dans ses facultés un changement étrange, et qui montre
ce qu'il y a d'aberration dans la vanité humaine : le rêve
de la monarchie universelle entra dans son cœur, et il ne
put concevoir sans s'indigner qu'on osât lui imposer le
moindre obstacle. Toute volonté contraire h la sienne fut
réputée coupable; toute existence qui parut borner son
horizon dut être détruite. Le moindre vestige de vérité
ou de droit lui sembla un point d'appui k la révolte; la
liberté la plus inoffensive fut déclarée crime de lèse-
majesté. La France cessa d'être en dehors de lui, elle lui
parut incorporée en sa personne ; il ne vit dans le formi-
dable empire soumis à ses lois qu'un nouvel instrument
pour accroître sa domination, dans sa grande armée
qu'une force dévouée nécessairement i sa gloire, dans la
population qu'une réserve destinée à lui fournir des coupes
réglées de conscrits.
Lui-même, se sentant ainsi obéi et admiré, et ayant
reçu en sacrifice de si nombreuses victimes humaines,
280 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
sembla se croire d'une nature supérieure h la nôtre; il
regretta de n'être plus au siècle où les monarques de la
terre se plaçaient au rang des dieux', t Je ne suis pas
né ;\ temps, disait-il k un de ses conseillers, k M. de
Tontanes. Voyez Alexandre : il a pu se dire fils de Jupiter
sans être contredit : moi je trouve dans mon siècle un
prêtre (le Pape) plus puissant que moi, car il règne sur
les esprits, et je ne règne que sur la matière. » Il faisait
allusion par ces paroles à ses démêlés avec le Chef de
l'Eglise.
Napoléon ne voulait point s'engager violemment dans
la route qu'avait suivie, huit siècles plus tôt, l'empereur
Henri IV, et au terme de laquelle il avait rencontré un
abîme. Comme il convoitait la domination exclusive de
l'Italie et la souveraineté de Rome, il voulait amener le
Pape à reconnaître en lui un seigneur suzerain à qui
Charlemagne aurait transmis sur les Etats de saint Pierre
les droits des anciens exarques de Ravenne. Dans son rêve
de monarchie universelle, il songeait à faire de Paris une
capitale du monde, siège des deux grandes souverainetés,
temporelle et spirituelle, et qui fût devenue la résidence
du chef politique des hommes et du Vicaire de Jésus-Christ,
réduit dès lors, au point de vue de la puissance séculière,
à n'être qu'un grand évêque, pasteur des âmes. Il osa
même faire pressentir le Pape sur ce qu'il penserait d'un
projet qui assignerait aux Souverains-Pontifes la ville
d'Avignon pour résidence, et leur attribuerait en outre à
Paris un palais papal et un quartier privilégié. Il espérait
obtenir ces étranges concessions de la faiblesse du vieillard;
mais Pie VII lui fit répondre : t On a répandu qu'on pour-
rait nous retenir en France; eh bien! qu'on nous enlève
la liberté, tout est prévu. Avant de partir de Rome, nous
• Amédée Gabourd.
DE 1797 A 1815. 281
avons signé une abdication régulière, valable, si nous
sommes jeté en prison; l'acte est hors de la portée du
pouvoir des Français, le cardinal Pigiiatelli en est dépo-
sitaire à Palerme, et quand on aura signifié les projets
qu'on médite, il ne vous restera plus entre les mains
qa'un moine misérable, qui s'appellera Barnabe Ghiara-
monti*. »
La bnlle dVxi^oninianication.
Les relations diplomatiques entre le Saint-Siège et Napo-
léon avaient, de la part de ce dernier, un caractère d'ai-
greur et de récrimination qui cachait des projets fortement
arrêtés dans sa pensée : il se plaignait vaguement que le
Saint-Père se laissât diriger par les ennemis de la France;
il affectait d'accuser l'autorité spirituelle du Pape d'en-
traver sans cesse, par de nouvelles exigences, la marche
de son gouvernement. Il n'en était rien cependant, et le
Saint-Père, en maintenant les privilèges de l'Eglise de
France d'après les principes posés dans le Concordat, se
montrait, sous le rapport temporel, fidèle exécuteur des
traités et, sous le rapport spirituel, étranger à toutes vues
personnelles et digne pasteur des âmes.
Tout-à-coup, après la bataille d'Eckmûhl et la prise de
Vienne, l'empereur fit représenter au Pape, par son am-
bassadeur à Rome, la nécessité absolue où il se trouvait
d'exiger qu'il fermât ses portes au commerce anglais et
celle de se joindre à lui contre l'Autriche et l'Angleterre.
La réponse du Pape respire une noble et pieuse fermeté :
« Je suis, dit-il, le Père de toutes les nations chrétiennes,
et je ne puis, sans manquer à ce titre, me faire l'ennemi
d'aucune d'elles. » Néanmoins, et pour éviter tout prétexte
d'agression à l'empereur, il consentit h entrer dans le
* Amédée Gabourd.
282 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
système continental. Mais Napoléon ne fat point satisfait
de cette déférence du Saint-Père h ses projets politiquos;
il osa taxer d'obstination le refus du Pape ie prendre part
Il aucune hostilité, et fit occuper par ses troupes Ancône
et Givita-Vecchia. Sa colère ne devait point se borner h
ces premiers actes d'une injuste violence : le 2 février
1809, le général Miollis entra dans Rome à la tête d'un
corps de troupes françaises; il l'occupa militairement,
désarma et licencia la garde du Saint-Père, et transmit
l'ordre h tous les cardinaux français ou nés dans les parties
du territoire de l'empire de se retirer dans leurs patries
respectives. Napoléon espérait que Sa Sainteté, livrée
ainsi h elle-même et séparée des conseils du Saeré-Collége,
se montrerait plus docile à ses volontés; mais l'illustre
Souverain-Pontife avait en lui une puissance qu'aucune
force humaine ne pouvait abattre, et il puisa dans le saint
caractère dont il était revêtu les nobles inspirations contre
lesquelles Napoléon ne trouva plus que d'odieuses vio-
lences.
Le 17 mai de cette année, Napoléon, faisant remonter sa
légitimité h Charlemagne, publia un décret qui réunit les
Etats du Saint-Siégo à son empire. Dans cet acte audacieux.
Napoléon, qui portait la main sur le domaine temporel do
saint Pierre, voulut aussi porter atteinte i\ la vénération
que devait lui inspirer le caractère spirituel de son succes-
seur, en évaluant en argent la puissance qu'il venait de lui
ravir.
Le Saint-Père fut affligé, mais non abattu, par ce coup
hardi; et le soir même où Rome retentit de la procla-
mation qui apprenait aux Romains ce changement im-
prévu dans leur situation politique, il demanda justice
h Dieu et se saisit des armes spirituelles qu'il tenait de lui.
Un bref d'excommunication, écrit on entier de la main du
Saint-Père et scellé par lui de lanncau du Pêcheur, re-
DE 1797 A I8I0. 283
trancha l'empereur de la communion des fidèles': on y
lisait ces paroles, qui rappellent les temps où l'Eglise a
été obligée de manifester son autorité suprême : « Que les
souverains apprennent encore une fois qu'ils sont soumis
par la loi de Jésus-Christ à notre trône et à notre com-
mandement ; car nous exerçons aussi une souveraineté,
mais une souveraineté bien plus noble, à moins qu'il ne
faille dire que l'esprit doit céder à la chair et les choses
du ciel à celles de la terre. > Ainsi parlait le Souverain»
Pontife dans sa sainte colère ; néanmoins il eut soin d'ex-
pliquer qu'il n'entendait infliger à l'empereur qu'un châ-»
liment spirituel.
Napoléon se montra violemment irrité de ce qu'il appe-
lait l'audace du Pape, et il ne garda plus de mesures
avec lui '.
* Le lendemain, on trouva affiché aux portes de toutes les
églises de Rome la fameuse bulle Quum memoranda iUa die.
« Par l'autorité de Dieu tout-puissant, disait le Pape, par
celle des saints apôtres Pierre et Paul, et par la nôtre, nous
déclarons que tous ceux qui ont commis, dans Rome et dans
les possessions de l'Eglise, des entreprises sacrilèges contre les
droits du Saint-Siège, tous leurs commettants, fauteurs, con-
seillers ou adhérents, tous ceux enfin qui ont facilité l'exécu-
tion des violences ou les ont exécutées par eux-mêmes, ont
encouru l'excommunication majeure, et, au besoin, nous les
excommunions et anathématisons de nouveau. »
Napoléon n'était pas nommé directement dans la bulle, mais
il était impossible de se méprendre au sens des paroles de
Pie VU.
2 Le tome vingt-unième de la Correspondance de Napoléon I",
auquel nous avons déjà fait un emprunt, contient la pièce sui-
vante, qu'il suffit de citer avec la date pour l'apprécier suffi-
samment :
« A Hug&iie Napoléon, vice-roi d'Italie, à Milan,
» Paris, 3 janvier 18 H.
» Mon fils, on vient de découvrir ici une clique du Pape. Un
abbé Foutana et un abbé Grégorio, que j'avais fait venir de
284 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
Pie YII s'était retiré au fond du Quirinal, ot avait fait
fermer les portes de ce palais. Un attroupement composé
de repris de justice et de la lie des faubourgs donna
l'assaut aux murailles de l'édifice. Les portes furent en-
foncées à coup de hache, et les soldats de Mioîlis, ayant
à leur tête le général Radet, pénétrèrent dans les appar-
tements. La garde suisse, sommée de mettre bas les armes,
obéit sans résistance, et Radet, suivi de sa troupe, se
trouva en face du Saint-Père. Le vénérable Pontife était
entouré de ses cardinaux et d'un petit nombre de servi-
teurs fidèles. Pendant quelques minutes un profond silence
régna; ;\ la fin, le général français, la figure pâle, la voix
tremblante, et pouvant à peine trouver quelques paroles,
dit au Pape qu'il avait h remplir une mission pénible, mais
qu'ayant juré fidélité à l'empereur, il ne pouvait se dis-
penser d'exécuter son ordre; qu'en conséquence il le
sommait de renoncer à la souveraineté temporelle de
Rome. Le Pape répondit avec dignité et assurance : « Si
vous avez cru devoir exécuter de tels ordres de l'empereur,
parce que vous lui avez fait serment de fidélité et d'obéis-
sance, pensez de quelle manière nous devons, Nous, sou-
tenir les droits du Saint-Siège, auquel nous sommes liés
par tant de serments. Nous ne devons pas, nous ne pouvons
Rome, étaient les intermédiaires de la correspondance du Pape
avec les vicaires généraux de Paris pour semer le désordre, lis
ont été arrêtés tous avec leurs papiers ; il en résulte que le Pape
à la plus horrible conduite joint la plus grande hypocrisie. Je
vous donne ces renseignements pour votre gouverne, afin que
le ministre des cultes veille à ce qu'il ne trouve rien de pareil
dans le royaume. »
Note pour le bibliothécaire de l'Empereur.
« L'empereur désire que M. Barbier lui envoie, le plus tôt
possible, le résultat de ses recherches sur la question de savoir
s'il y a dus exemples d'empereurs qui aient sus^îendu ou déposé
des Papes. » Quelle crasse ignorance 1
DE 1797 A 1813. 285
pas, nous ne voulons pas. — En ce cas, répliqua le général
Radet avec arrogance, il faut vous préparer à quitter
Rome; telle est la volonté de l'empereur, que je suis dis-
posé à faire exécuter par tous les moyens possibles. « Le
vénérable Pontife leva les yeux au ciel et s'écria : « Je
suis prêt à souffrir, mais ce n'est pas à votre empereur que
j'obérai; il reconnaît mal aujourd'hui mon extrême con-
descendance envers l'Eglise gallicane et envers lui. Peut-
être, sous ce rapport, ma conduite est-elle blâmable aux
yeux de Dieu, et maintenant il veut m'en punir; je mô
soumets humblement à sa divine volonté. »
Enlèvement du Pape.
Quelques heures après, le pape Pie VII, le chef visible
de l'Eglise, vénérable Pontife chargé d'ans et d'infirmités,
fut jeté par les soldats de Radet dans une voiture oîi un
seul cardinal obtint la faveur de monter avec lui. A la
porte du Peuple la voiture s'arrêta, et le général réitéra
ses ordres au Saint-Père, qui dédaigna alors de répondre;
la voiture continua sa route.
On fit partir de Rome les deux prisonniers apostoliques
en prenant la dirpction de la Toscane *.
t Aux premiers relais, dans la Campagne de Rome, dit
le cardinal Pacca dans ses intéressants Mémoires, nous
* Le Pape demanda; au cardinal s'il avait emporté avec
lui quelque argent. Les deux proscrits th'èrent leurs bourses ;
il se trouva dans celle de Pie VII vingt-deux sous de France,
et seize environ dans celle de son ministre, « Us entrepre-
naient ainsi, dit le cardinal dans ses Mémoires, leur voyage
à l'apostolique. »
Le Pape montra ces débris de sa fortune au général Radet,
et lui dit en souriant : « De toute notre principauté, voilà doue
ce que uous possédons. »
286 LUTTE DES PAPES AVEC LA REVOLUTION
pûmes remarquer sur la figure du peu de personnes que
nous rencontrions la tristesse, la stupeur que leur causait
ce spectacle. A Monterosi, plusieurs femmes, sur les portes
dos maisons, reconnurent le Saint-Père, que les gendarmes
escortaient le sabre nu, comme un criminel, et nous les
vîmes, imitant la tendre compassion des femmes de Jéru-
salem, se frapper la poitrine, pleurer, crier, en tendant
les bras vers la voiture : « Ils nous enlèvent le Saint-Père!
« lis nous enlèvent le Saint-Père I » Nous fûmes 'profon-
dément émus de ce spectacle, qui du reste nous coûta
cher; car Radet, craignant que la vue du Pape, e7ilevé de
cette façon, n'excitât quelque tumulte, quelque soulèvement
dans les lieux populeux, pria Sa Sainteté de faire baisser
les stores de la voiture. Le Saint-Père y consentit avec
beaucoup de résignation, et nous continuâmes ainsi le
voyage, presque sans air, dans les heures les plus brû-
lantes de la journée, sous le soleil d'Italie, au mois de
juillet. Vers midi, le Pape témoigna le désir de prendre
quelque nourriture, et Radet fit faire halte h la maison de
la poste, dans un lieu presque désert, sur la montagne do
Yiterbe. Là, dans une chambre sale, espèce de bouge où
se trouvait une chaise disjointe, la seule peut-être qui fût
dans la maison, l*^. Pipe s'assit à une table recouverto
d'une nappe dégoûtante, y mangea un œuf et une tranche
de jambon. Sur-le-champ on se remit en route ; la chaleur
était excessive, suffocante. Vers le soir, h; Pape eut soif;
et comme on ne voyait aucune maison près de la route,
un maréchal-des-logis de gendarmes recueillit dans uno
bouteille l'eau de source qui coulait sur le chemin, et la
présenta au Saint-Père qui la but avec plaisir. Il but ainsi
de l'eau du torrent sur le chemin, comme il est dit dans le
psaume.
» Après dix-neuf heures d'une marche forcée, si faligantc
pour le Saint-Père, h cause d'une cruelle infirmité à
DE 1797 A 1818 287
laquelle était contraire toute espèce de fatigue, et surtout
celle du voyage, nous arrivâmes, à une heure avant minuit,
à Radicofani, premier endroit de la Toscane, et nous
descendîmes dans une mesquine auberge, où rien n'était
préparé. N'ayant pas d'iiabits à changer, il nous fallut
garder ceux que nous avions, tout baignés de transpi-
ration, et à l'air froid qui domine là, même au cœur de
l'été, ils se séchèrent sur nous. On nous assigna, au Saint-
Père et à moi, deux petites chambres contiguës, et des
gendarmes furent placés aux portes de devant. Dans mon
habit de cardinal, j'aidai la servante à faire le lit du Pape
et à préparer la table pour le souper. Le repas fut extrê-
mement frugal. Pendant tout ce temps, je tâchai de sou-
tenir l'esprit du Saint-Père.
» Sur la route de Florence, continue le cardinal Pacca,
nous nous trouvâmes au milieu d'un peuple immense, qui
demandait, avec des signes extraordinaires de ferveur, la
bénédiction apostolique; mais à quelque distance d'une
auberge où nous venions de nous reposer quelques heures,
les postillons, qui nous menaient très-vite, n'aperçurent
pas une petite élévation sur laquelle se porta une des
roues : la voiture versa avec violence, l'essieu cassa, la
caisse roula au milieu du chemin, le Pape engagé dessous,
et moi sur lui. Le peuple, qui pleurait et criait : Santo
Padre t (Saint-Père !), releva en un instant la caisse. Un
gendarme ouvrit la portière, qui était toujours fermée à
clef, tandis que ses camarades, pâles et défigurés, s'effor-
çaient d'éloigner le peuple, qui, devenu furieux, leur
criait : Cani I cani t (Chiens ! chiens f) Cependant le Saint-
Père descendit, porté sur les bras du peuple, qui se pressait
aussitôt autour de lui; les uns se prosternaient la face
contre terre, les autres lui baisaient les pieds, d'autres
touchaient respectueusement ses habits, comme s'ils
eussent été des reliques, et tous lui demandaient avec
288 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
empressement s'il n'avait point souffert de sa chute. Le
Saint-Père, le sourire sur les lèvres, les remerciait de leur
intérêt, et ne leur répondait qu'en plaisantant sur celte
chute. Pour moi, qui craignais que cette multitude eu
fureur n'en vînt aux mains avec les gendarmes, et ne se
portât à quelque excès dont elle aurait été victime, je m'é-
lançai au milieu d'elle, en criant que le Ciel nous avait
préservés de tout mal, et que je la conjurais de se calmer
et de se tranquilliser. »
Après cette scène, qui avait fait trembler le général
Radcl. et ses gendarmes, le Saint-Père monta avec le car-
dinal dans la voiture de M^' Doria, et ils repartirent.
« C'était un spectacle attendrissant de voir sur tout
notre passage ces bons Toscans demander la bénédiction
du Saint-Père, et, malgré les menaces des gendarmes,
s'approcher de la voiture pour lui baiser la main et lui té-
moigner toute leur douleur de le voir dans cette cruelle
position. »
A Mondovi, l'empressement du peuple prit un caractère
plus prononcé : des ordres religieux vinrent procession-
nellement au-devant du Pontife et l'escortèrent. Les
Piémontais comptaient les gendarmes d'un coup d'œil,
puis semblaient proposer, sous toutes les formes de signes
et de langage, d'opérer la délivrance de Sa Sainteté.
« Plus nous approchions de la France, dit dans ses rela-
tions un des serviteurs du Pape, plus l'enthousiasme aug-
mentait. Au premier village français, les autorités voi-
sines, sous prétexte de veiller au bon ordre, cherchaient à
s'approcher plus près du Saint-Père, et c'était pour cou-
vrir sa main de baisers, le consoler et le plaindre. Pie VII
disait : « Dieu pourrait-il Nous ordonner de paraître insen-
sible à ces marques d'affection? » et il les agréait avec
dignité et modestie. A rapproche de Grenoble, plusieurs
milliers de militaires, mais sans armes, tombent à genoux
DE 1797 A 1815. 289
comme un seul homme. C'était l'héroïque garnison de Sa-
ragosse, prisonnière de guerre à Grenoble, qui avait
demandé à se porter tout entière au devant du Pontife,
qu'elle avait envoyé féliciter secrètement sur sa résistance.
Pie VII pencha presque tout son corps en avant, et d'un
air de joie, de bonheur et de vive tendresse, il étendit sur
ces héros basanés par les fatigues une immense bénédic-
tion. »
Le cardinal Pacca, après avoir été séparé quelque temps
du Pape, le rejoignit le 21 juillet à Saint-Jean-de-Maurienne,
et en partit dans la même voiture pour Grenoble.
t La route était couverte de monde accouru des pays
voisins, dit-il, et la foule allait croissant à mesure que
nous approchions de Grenoble. C'était un spectacle tou-
chant que de voir ce bon peuple se mettre à genoux d'aussi
loin qu'il apercevait la voiture, et attendre ainsi le passage
du Pape pour recevoir sa bénédiction. Plusieurs nous ac-
compagnaient en courant, et de jeunes personnes jetaient
des fleurs pour que le Pape daignât les bénir. Elles lui té-
moignaient hautement leurs sentiments de respect et de
vénération, et je me souviens que l'une d'elles criait en pleu-
rant : t Que vous avez l'air maigri, Saint-Père I Ah I ce
» sont les grandes afflictions que l'on vous donne. » Et
lorsque le Pape étendait la main pour les bénir, elles s'é-
lançaisnt pour la baiser, quoique la voiture allât très-vite,
au risque d'être écrasées par les roues ou foulées par les
chevaux des gendarmes. En entrant dans la ville, nous
vîmes les fenêtres garnies de spectateurs et la rue encom-
brée de peuple qui s'agenouillait en demandant la béné-
diction. On peut dire de Pie VII ce que, quelques années
auparavant, on avait dit de son prédécesseur, que son en-
trée à Grenoble n'était pas celle d'un prisonnier conduit
par la force au lieu de sa destination, mais celle du meil-
Idur des pères qui, après une longue absence, revient au
13
200 LUTTE DES PAPES AVEC IK BÉVOLUTION
sein de sa famille chérie, qui lui prodigue les marques les
plus touchantes de son amour et de son respect.
» Ce concours extraordinaire des peuples, ajoute le car-
dinal, ces témoignages unanimes de vénération que le Pape
recevait sur son passage, ont toujours été pour moi un
spectacle, je ne dirai pas seulement prodigieux, mais même
surnaturel. »
Soit que Pie VII et ses prédécesseurs aient voyagé en
souverains dans les pays étrangers, soit qu'ils y aient paru
escortés par les gendarmes comme des criminels, partout
les villes et les provinces se sont précipitées sur leur pas-
sage pour les saluer de leurs acclamations et les envi-
ronner d'innombrables témoignages de leur amour et de
leur vénération. Il est donc permis de voir dans ces évé-
nements extraordinaires quelque chose de surhumain.
C'est amsi que d'étape en étape Pie VU fut coudait à
Savone, où il fut prisonnier d'Etat.
Pie WBfl trftBsrcré à PontalncMean.
Dans la soirée du 9 juin 1812, fatal anniversaire du jour
où Pie VII avait été prévenu, il y avait trois ans, qu'on
allait le dépouiller de ses Etats, on intima au Pontife
l'ordre de se préparer pour rentrer en France; il reçut l'in-
jonction de changer ses habits, qui auraient pu le faire
reconnaître eu chemin. On avait perfectiouné la manière
de tourmenter le Pape sans courir les risques que sa po-
pularité pouvait attirer, et on le fit partir dans la mallnce
du 10'. Après un pénible voyage sans aucun repos, il ar-
riva à l'hospice du Mont-Cenis au milieu de la nuit. A Stu-
pinigi, près Turin, le gouvernement avait envoyé d'avance
Berlazzoli, qui entra dans la même voilure, et qui ensuite
ne fut plus séparé de Pie VU. Dans l'hospice, le Papo
; M. Artaud, Uistoirc du pape Pie VU, t. Il, p. 296-298.
DE 1797 A 18115. 2DI
tomba si dangereusement malade que les officiers qui Tes-
cortaient crurent devoir transmettre cette nouvelle au gou-
vernement de Turin et demander s'ils devaient s'arrêter ou
poursuivre leur route. Il leur fut enjoint d'exécuter ce qui
leur avait été ordonné. En conséquence, quoique le Pape
vînt de recevoir l"Extrême-Onction dans la matinée du
14, la nuit suivante on lui fit continuer le voyage '. Mais
ce Pontife infirme devait conserver, au milieu de tant d'ou-
trages, comme une santé de fer qui résisterait à toutes les
barbaries. On marchait jour et nuit. Le 20 juin au matin,
il arriva à Fontainebleau. Pendant tout ce trajet, il ne sor-
tit pas de voiture, et quand il devait prendre quelque nour-
riture, on la lui portait dans le carrosse, qu'on enfermait
à clef dans les remises de la poste des villes les moins peu-
plées. Lorsque Pie VII arriva au palais de Fontainebleau,
le concierge ne put l'admettre, parce qu'il n'en avait pas.
encore reçu l'ordre du ministère de Paris, et l'on conduisit
le Pape dans une maison voisine. Quelques heures après
arriva l'ordre de recevoir le Saint-Père dans le palais, où
quelques ministres de l'empereur vinrent de la capitale
pour le complimenter*. L'empereur et son ministère* don-
nèrent pour motif de cette translation soudaine du Pape,
qu'ils avaient conçu la crainte que des vaisseaux qui par-
couraient la M^iterranée ne tentassent un débarquement
imprévu sur les côtes de Savone pour s'emparer de Pie MI
et le remettre en liberté; mais le véritable motif fut de le
rapprocher de Paris, afin de l'entourer de personnes qui,
à force d'instances et de sollicitations, l'engageassent à
consentir à toutes les propositions de l'empereur.
Ce qu'on ne peut comprendre, c'est cette manière préci-
* ilêmoîres du cardinal Pacca, t. I", p. 294.
2 M'imoircs, t. II, p. 79.
3 Uistoire de l'ambassade dans le grand-duché de Varsovie en
1812. •
292 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
pitée de faire voyager le Pape. Il a fallu une assistance
particulière du Ciel pour qu'il ne perdît pas la vie. Cette
mort, d'ailleurs, n'aurait pas favorisé les vues du gouver-
nement, et les aurait au contraire déconcertées ; car il avait
beaucoup obtenu des infirmités de Pie VII, et il était près
d'obtenir davantage. Mais les subalternes sTraaginent sou-
vent plaire en exécutant avec plus de rigueur les ordres
qu'on leur a donnés. Le cardinal Pacca * croit ne devoir
attribuer ces résolutions si violentes qu'au désir d'abattre,
par l'affaiblissement des forces physiques, les facultés in-
tellectuelles du Pape, et de mettre à bout sa patience hé-
roïque. En effet, il arriva à Fontainebleau dans un état de
santé qui fit encore plus craindre pour ses jours, et il dut
rester au lit, trôs-malade, pendant plusieurs semaines. Au
moins avait-il un lit ; quoique emprisonné dans ses appar-
tements, il pouvait respirer mieux que dans l'horrible voi-
ture où il demeurait enfermé même quand il n'était pas en
voyage, et il avait pu reprendre les vêtements de sa
dignité'.
* Mémoires du cardinal Pacca, t. II, p. 80.
2 En voyant la manière impie dont Napoléon traite le plus
doux des Pontifes, on se demande si vraiment il avait la foi,
et l'on a de la peine à le croire en lisant le recueil de ses lettres
publié par les ordres de Napoléon III. — Depuis celte publica-
tion, le gouvernement impérial, s'étant aperçu qu'il était im-
prudent de tout imprimer, a fait un choix. C'est dans ce recueil
que nous prenons les citations suivantes des lettres de Napo-
léon I":
<( N'est-ce pas Bossuet qui disait : « Mangez un bœuf et soyez
chrétien? » L'observance du maigre le vendredi et celle du
repos le jour du dimanche ne sont que des règles «très-secon-
daires et très-insignifiantes. Ce qui touche essentiellement aux
commandements de l'Eglise, c'est de ne pas nuire à l'ordre
social, c'est de ne pas faire de mal à son prochain, c'est de ne
pas abuser de la liberté. Il ne faut pas raisonner, mais se mo-
quer des prêtres qui demandent de tels règlements.
» Puisqu'on invoque l'autorité sur cette matière, il faut donc
DE 1797 A 1813. 293
Les elTets de rexcomiuanicafion.
Cette translation violente et brutale du Pape, de Savone
îi Fontainebleau, fut pour Bonaparte la dernière faute qui,
comme l'enseigne l'Ecriture sainte, lasse h la fin la longa-
nimité du Seigneur, et lui fait saisir le glaive suspendu
qu'elle soit compétente. Je suis l'autorité et je donne à mes
peuples, et pour toujours, la permission de ne point inter-
rompre leur travail.
» Si je devais me mêler de ces objets, je serais plutôt dis-
posé à ordonner que le dimanche, passé l'heure des offices,
les boutiques fussent ouvertes, et tous les ouvriers rendus à
leur travail. » (Tome XIV, page 374.)
En parlant de Pie VII et de ses conseillers, Napoléon écri-
vait :
« Ils veulent me dénoncer à la chrétienté ! Cette ridicule
pensée ne peut appartenir qu'à une profonde ignorance du
siècle où nous sommes ; il y a une erreur de mille ans de date.
Le Pape qui se porterait à une telle démarche cesserait d'être
Pape à mes yelix. Je ne le considérerais que comme l'ante-
christ envoyé pour bouleverser le monde. Pie VII veut-il
mettre le poignard aux mains de mes peuples pour m'é-
gorger? Cette infâme doctrine, des Papes furibonds et nés
pour le malheur des hommes l'ont prcchée. 11 ne resterait
plus au Saint-Père qu'âme faire couper les cheveux et enfermer
dans un monastère. Croit-il notre siècle revenu à lïgnorance
et à l'abrutissement du ix^ siècle ? Me prend-il pour Lo\us le
Débonnaire ?
» Certes, je commence à rougir et à me sentir humilié de
toutes les folies que me fait endurer la cour de Rome, et peut-
être le temps n'est-il pas éloigné, si l'on veut continuer à trou-
bler les affaires de mes Etats, où je ne reconnaîtrai le Pape que
comme évêquedeRome, comme égal et au même rang que les
^vèques de mes Etats. Je ne craindrai pas de réunir les Edise;
gallicane, italienne, allemande, polonaise dans un concile pour
faire mes affaires sans Pape. En un mot, c'est pour la dernière
fois que j'entre en discussion avec cette prêtraille romaine ; on
peut la mépriser et la méconnaître et être constamment dans la
voie du salut et dans l'esprit do la rehgion... »
294 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
jusqu'alors. Le 20 juin, le Pape était arrivé prisonnier et
presque mourant h Fontainebleau; et l'on sait que, le
22 du même mois, Napoléon, enivré d'une prospérité
merveilleuse de quinze années, fit passer le Niémen h ses
troupes et envahit le territoire russe, préludant ainsi à
cette guerre qui lui devint si fatale, qui le précipita du
trône, et qui lui fit perdre en peu de mois le fruit de tant
de victoires. Ce ne fut pas le bras des hommes, mais le
bras tout-puissant de Dieu, qui détruisit une des armées
les plus nombreuses et les plus aguerries dont l'histoire
fasse mention. Les âmes pieuses, qui voient toujours
l'œuvre d'une main supérieure et invisible dans le cours
des choses d'ici-bas, reconnaîtront l'action de la Provi-
dence à une circonstance bien remarquable de la célèbre
et douloureuse expédition de Russie. Nous avons vu
Bonaparte écrivant m vico-roi d'Italie une lettre où il
Quelle aberration pleine d'un orgueil insensé I
« Pendant que Napoléon jetait contre lui-même ces semences
de ruines, il montait au faite de la prospérité. Il était le plus
grand roi et le plus grand homme de la terre, sagace, éloquent,
plein de vastes desseins, digne de sa gloire. Otez celte ques-
tion religieuse, il a toute la majesté de la taille impériale, et
c'est avec raison qu'il dit de lui-même : Je suis un empereur
romain, je suis de la meilleure race des Césars, celle qui fonde.
» Il avait seulement oublié que depuis Jésus-Christ, rien de
grand ne se fonde parmi les hommes sans la main libre do
Jésus-Christ. Nisi Dominus aidificavçrit domum, in vanum labo»
ravcrunt qui œdificant cam.
» Il l'oublia de plus en plus, et il atteignit l'heure fatale où
Dieu avait résolu d'empêcher que le monde entier ne vînt à
partager le même oubli.
» Alors, suivant la belle expresion de Fontanes, « les em-
barras furent changi^s en dcsastres. » Et quels désastres ! qiirlle
intervention du Ciel pour écraser cet homme contre qui c'est
trop jieu de toute la terre I II est vaincu, parce qu'il ne peut
pas vaincre contre Dieu, v
DE 1797 A 1815. 295
sp plaignait amèrement du Pape : « Que veut faire Pie VII
en me dénonçant à la chrétienté ? disait-il à Eugène de
Beauharnais. Mettre mon trône en interdit, m'excom-
munier? Pense-t-il alors que les armes tomberont des mains de
mes soldats? Il ne lui resterait plus qu'à essayer de me
faire couper les cheveux et de m'enfermer dans un mo-
nastère... » Nos penseurs modernes diront que ce furent
la neige et les glaces qui firent tomber les armes des mains
des soldats^. Mais d'oîi venaient ces fléaux? L'Ecriture
sainte nous l'apprend : Nix, glacies, spiritus 'procellarum
faciunt verbum ejus (Ps. cxLvni).
Voici ce que le célèbre historien Gantù raconte à ce
sujet :
« Alors survinrent les grands froids qui devaient,
non pas produire le désastre, mais le porter à son comblé.
La neige commença à tomber en effaçant toute trace de
routes. Il fallait donc marcher au hasard, la bourrasque
dans la yeux, exposé à chaque instant à s'enfoncer dans
des marais. Les malheureux soldats, suffoqués par te
vent, engourdis par le froid, venaient-ils à heurter quelque
pierre, quelque tronc d'arbre, ils tombaient, hors d'état
de se relever, et la neige les avait bientôt recouverts. Les
fusils échappaient de leurs mains raidies, les extrémités
g-îlaient et se gangrenaient; celui qui s'endormait ne se
* Tout, jusqu'à leurs armes, encore offensives à Malo-Jaros-
lavitz, mais depuis seulement défensives, se tourna alors contre
eux-mêmes. Elles parurent à leurs bras engourdis un poids in-
supportable. Dans les chutes fréquentes qu'ils faisaient, elles s'é-
chappaient de leurs mains, elles se brisaient ou se perdaient dans
la neige. S'ils se relevaient, c'était sans elles ; car ils ne les
jetèrent point ; la faim et le froid les leur arrachèrent. Les doigts
de beaucoup d'autres gelèrent sur le fusil qu'ils tenaient encore,
et qui leur ôlait le mouvenaent nécessaire pour y entretenir un
reste de chaleur et de vie. (Ségur, liv. IX, chap. xi.)
290 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
réveillait plus*. Si quelques-uns découvraient un sentier
frayé et s'y dirigeaient avec espoir, les paysans et les
Cosaques en embuscade tombaient sur eux avec furie,
et les faisaient expirer lentement sur la neige. Les che-
vaux, en petit nombre, n'étant pas ferrés à glace, glissaient
sur le sol durci; il leur fallait briser la glace pour trouver
quelque peu d'eau, et ronger l'écorce gelée des arbres.
Lorsque enfin ils tombaient épuisés de fatigue, on se
hâtait de les égorger pour se repaître de leur chair et
pour se réchauffer les pieds et les mains dans leurs en-
trailles palpitantes.
t Chaque bivouac devenait un cimetière par le manque
de feu; les soldats s'y couchaient le sac sur le dos, les
cavaliers la bride passée au bras. Souvent ils se tenaient
embrassés pour se procurer un peu de chaleur l'un à
l'autre ; mais souvent aussi, le lendemain matin, ils ne
trouvaient près d'eux qu'un cadavre, et le quittaient sans
plaindre son sort, car il avait cessé de souffrir. Si l'on
voyait quelque peu de bois, la marmite, précieusement
conservée, était mise sur le feu, et la poudre remplaçait
le sel pour assaisonner une poignée de farine de seigle
ou un morceau de cheval. Un égoïsme farouche remplaça
alors cette générosité qui crt l'apanage du soldat, et
chacun ne songea plus qu'à :.ûi; on allait jusqu'à se
* Après que la bulle d'excommimicalion eut élô fulminée,
Bonaparte répéta plusieurs fois au cardinal Caprara que, puis-
qu'elle ne faisait )tas tomber les armes des mains de ses sol-
dats, il s'en moquait ; mais Dieu permit que ce fait arrivât
réellement. Nous multiplions les preuves de ce fait.
Salgues dit que « le suldat ne put tenir ses armes ; elles s'é-
chappaient des mains des plus braves. » {Mémoires pour servir
à l histoire de France sous le (jouvemement de ?>apolèon, t. XX,
chap. V.) Il répète ailleurs que « les armes tombaient des bras
glacés qui les portaient. » (Ibid., chap. vu, page 104.) Nous
avons tenu à ciier divers témoignages à l'appui de ce fait.
DE 1707 A ISlo. 297
disputer, le sabre à la main, une misérable croûte de
pain, une botte de paille ou un fagot. On ne tendait pas
la main au camarade qui tombait; à tel autre on arrachait
de ses épaules, avant qu'il fût gelé et roidi, la pelisse qui
le couvrait, pour l'endosser tiède encore. C'était en vain
que ceux qui gisaient sur le sol glacé, tombés d'épuise-
ment ou blessés, pressaient les genoux de leurs frères
d'armes, les suppliant, au nom de leurs parents et de leur
patrie de ne pas les abandonner ; puis, quand le tambour
battait la marche, ils se traînaient sur la terre avec des
hurlements, en leur montrant les Cosaques qui arrivaient,
implorant, comme un dernier service, an coup de fusil,
pour ne pas tomber au pouvoir de ces barbares. »
Nous compléterons cet effrayant tableau par les détails
suivants, empruntés à un antre historien :
« Le 28 novembre, dès la pointe du jour, celui dfs
deux ponts de la Bérésina qui était réservé pour les
voitures s'étant rompu, les bagages et l'artillerie de
l'armée de réserve tournèrent vers l'autre pont, et en-
treprirent de forcer le passage, ce qui engagea entre les
cavaliers et les fantassins une querelle, puis un combat où
périt un grand nombre d'hommes, égorgés ou assommés
les uns par les autres; un plus grand nombre encore fut
étouffé ou écrasé à la tête du pont, et, pour y arriver, il
fallut marcher sur les morts et les vivants confondus
ensemble. Ces infortunés, luttant contre la mort, essayaient
de se lever; ils s'accrochaient aux habits, aux jambes de
ceux qui les foulaient. Ceux-ci les repoussaient à coups d*
pieds pour s'en débarrasser; mais souvent ils étaient ren-
versés eux-mêmes. Tandis qu'il se débattaient entre eux,
la multitude qui suivait, semblable i\ une mer en fureur,
se pressait, s'avançait et amoncelait sans cesse de nou-
velles victimes. Dans ce moment, les Russes arrivent des
deux côtés de la rivière à la foil;, et attaquent avec im-
13*
298 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
pétuosité. La nécessité donna des forces aux Français, ils
se défendirent en désespérés; mais, accablés par des
forces toujours croissantes, ils furent enfoncés et rejfttés
sur les rives de la Bérésina. Alors les boulets et les obus
ennemis commencèrent îi tomber au milieu de ces milliers
de malades, de blessés, de femmes, d'hommes sans armes,
qui obstruaient les avenues du pont. Mille et mille victimes
se jettent pêle-mêle dans la rivière; elles y expirent au
milieu des convulsions de la douleur ou du désespoir.
Enfin l'artillerie russe ayant coupé îe pont, le passage
cesse aussi bien que le combat, et au fracas le plus affreux
succède un silence non moins affreux. Tous les bagages
de l'armée de réserve, deux cents pièces de canon et plus
de vingt mille hommes restèrent au pouvoir du vainqueur.
Pour les morts, il est impossible d'en calculer le nombre *.
d Ce qui échappa à cette horrible journée n'était qu'un
misérable amas d'hommes qui, toujours pressés par les
Cosaques et tourmentés par la faim, parsemaient la route
de cadavres, et se faisaient par cela seul suivre à la piste.
Le froid avait repris, et en peu de jours il était devenu
insupportable. On voyait non-seulement les soldats, mais
les officiers, la plupart sans armes et couverts de haillons,
* Pour comble de malheur, au passage de la D^résina, les
Russes, munis d'une forte artillerie, tombent ù l'improviste sur
les nombreux traînards qui n'ont pas encore franchi la rivitirc.
Alors ces infortunés se précipitent en niasse sur le pont, qui
s'écroule ; ils tombent les uns sur les autres dans les flots ;
en un mot, ce terrible passage leur fait plus de 30,000 vic-
times.
Finalement, quand on fut arrivé au bout de celte cruelle cam-
pagne, la Grande- Armer, qui comptait au début 450,000 hommes,
n'en eut plus que J>0,000.
(Les détails qu'on vient de lire nous ont été transmis par un
témoin oculaire, le général comte de Ségur, qui faisait partie
de l'expéditioa et en a écrit l'histoire.) L. de Sainte-Maiithe.
M 4797 A 1815. 299
se traîner appuyés sur des bâtons de pin, les cheveux et
la barbe hérissés de glaçons. Quiconque n'avait pas la
force d'avancer était un homme abandonné, et tout homme
abandonné, une heure après, était un homme mort. Dans
les marches, on voyait tomber à chaque instant quelqu'un
de ces malheureux, comme s'ils eussent été sous le feu
de l'ennemi. Les haltes présentaient quelque chose de
plus horrible encore. Plusieurs, déjà la mort dans le sein,
venaient s'asseoir près du feu sur les corps de leurs ca-
marades qui venaient d'expirer ; ils regardaient fixement
quelques charbons allumés qu'ils n'avaient pas la force
d'entretenir; bientôt les charbons venant à s'éteindre, ces
spectres livides tombaient à côté de ceux sur lesquels ils
étaient assis. Quelques-uns, l'esprit aliéné par la douleur,,
venaient, avec leurs pieds nus et gelés, se jeter au milieu
des flammes, où ils périssaient en poussant des cris aigus,
tandis que d'autres, frappés d'une égale démence, les
suivaient et trouvaient la même mort. *
Ces traits, choisis entre mille autres également horribles
et transmis par des témoins oculaires, font juger de l'état
oîi était l'armée française quand elle regagna le Niémen
(13 décembre 1812).
L'historien et les témoins oculaires ae cette terrible cam-
pagne rapportent que, » pendant le moment de repos qu'on
eut à Smolensk, on se demandait comment il se pouvais
qu'à Moscou tout eût été oublié, pourquoi tant de bagages
inutiles, pourquoi tant de soldats déjà morts de faim et
de froid sous le poids de leurs sacs, chargés d'or au lieu
de vivres et de vêtements, et surtout si trente-trois journées
de repos a'^vaient pas suffi pour préparer aux chevaux de
la cavalerie, de l'artillerie, et à ceux des voitures, des
fers à crampons qui eussent rendu. leur marche plus sûre
et plus rapide. Alors nous n'eussions pas perdu l'élite
300 LUTTE DES PAPKS AVEC LA RÉVOLUTIOV
des hommes à Viazma, au Vop, au Dnieper et sur toute
la route; enfin Kuttusof, Vittgenstein, et peut-Cire Tchil-
chakof, n'auraient pas eu le temps de nous préparer de
plus funestes journées.
» Mais pourquoi, à défaut d'ordre de Napoléon, cette
précaution n'avait-elle pas été prise par des chefs, tous
rois, princes et maréchaux ? L'hiver n'avait-il donc pas été
prévu en Russie? Napoléon habitué à l'industrieuse in-
telligence de ses soldats, avait-il trop compté sur leur
prévoyance? Le souvenir de la campagne de Pologne,
pendant un hiver aussi peu rigoureux que celui de nos cli-
mats, l'avait-il abusé, ainsi qu'un soleil brillant dont la per-
sévérance, pendant tout le mois d'octobre, avait frappé
d'étonnement jusqu'aux Russes eux-mêmes ? De quel
esprit de vertige l'armée, comme son chef, a-t-elle donc
été frappée? Sur quoi chacun a-t-il compté? Car, en
supposant qu'à Moscou l'espoir de la paix eût ébloui tout
le monde, il eût toujours fallu en revenir, et rien n'avait
été préparé, même pour un retour pacifique.
» La plupart ne pouvaient s'expliquer cet aveuglement
de tous que par leur propre incurie, et parce que dans les
armées, comme dans les Etats despotiques, c'est à un
seul à penser pour tous; aussi celui-là seul était respon-
sable, et le malheur, qui autorise la défiance, poussait
chacun à le juger. On remarquait déjà que, dans cette
faute si grave, dans cet oubli invraisemblable pour un
génie si actif, pendant un séjour si long et si désœuvré, il
y avait quelque chose, dit Scgur,
... de cet esprit d'erreur.
De la chute des rois funeste avant-coureur. »
Ces réfiexions du général et de ses compagnons sont
infiniment remarquables, dit Rohrbacher. On y voit que,
même aux yeux de ces rudes guerriers, la conduite de
Napoléon et de ses entours pendant cette campagne n'était
DE 4797 A I8I0. 301
plus la même qu'autrefois, n'était plus naturelle ni hu-
mainement explicable, mais une punition mystérieuse de
la Providence *.
Ce grand homme, ce grand guerrier a failli dans la
conduite de la guerre de Russie et il a succombe non pas
seulement sous le poids imprévu de ce linceul de glace jeté
des cieux sur cinq cent mille hommes, mais aussi par une
défaillance encore plus imprévue de son génie, je n'en
sais rien. Dans tous les cas, ni l'un ni l'autre de ces faits
extraordinaires n'avait sa cause dans la constitution in-
térieure de la France; l'un et l'autre viennent de Dieu,
et si l'on en cherche l'explication, celle de Fontanes est
la bonne : « Depuis ce funeste coup de main de Miollis
» à Rome, que de maux sur nous t que d'embarras sup-
» chargés de désastres !... >
Le cardinal Mattei écrivait en 1796 à Bonaparte les
paroles suivantes, que celui-ci aurait dû se rappeler alors :
€ Votre armée est formidable, mais vous savez vous-
même qu'elle n'est pas invincible; nous lui opposerons
nos moyens, notre constance, la confiance que donne la
bonne cause, et, par-dessus tout, l'aide de Dieu, que nous
espérons obtenir. Nous savons bien que les incrédules et
les philosophes modernes tournent en ridicule les armes
* Lorsque Napoléon osa lever la main sur le Souverain-Pon-
tife, retenu par lui captif à Fontainebleau, le Vicaire de Jésus-
Ciirist se contenta de lui dire cette parole propliétique : Votre
bonheur estpassé. Depuis ce jour, le vainqueur de l'Europe mar-
cha de défaite en défaite ; battu en Espagne, battu en Russie,
battu en Allemagne, battu en France, il arriva, toujours battu et
toujours fuyant, jusqu'à Fontainebleau, où il signa son abdication
DANS LA MÊME CHAMBRE ET A LA PLACE MÊME OÙ il avait Outragé IC
successeur de Pierre. On le sait, et ce que sont devenues toutes
ces Majestés napoléoniennes dont il avait couvert l'Europe... Et
cependant cet homme était fort, et il avait gagné la bataille
d'iéna et bien d'autres. > (H. de Bonald.)
n02 LUTTR DES PAPES AX'EC LA RÉVOLUTION
spirituelles: mais s'il plaisait au Soigneur que l'on fû;
dans le cas de les déployer, vos phalanges feraient sans
doute une funeste expérience de leur efficacité. Je convions
avec vous que la guerre que vous feriez au Pape serait
peu glorieuse ; quant au péril que vous ne croiriez pas y
rencontrer, notre confiance en Dieu ne nous permet pag
de croire qu'il n'y en eût d'autre que pour VOUS et pour
les vôtres. »
Jagroniont d« Oiatoanlirtant snp ee dcsasfpo.
« La pluma d'un Français se refuserait à peindre
l'horrour de ces champs de bataille : un honîme blessé
devient pour Bonaparte un fardeau; tant mieux s'il meurt,
on en est débarrassé. Des monceaux de soldats mutilég,
jetés pêle-mêle dans un coin, restent quelquefois des jours
et (Jes semaines sans être pansés : il n'y a plus d'hôpitaux
as»ez vastes pour contenir les malades d'une année de
sept ou huit cent mille hommes, plus assez de chirurgiens
pour les soigner. Nulle précaution prise pour eui par le
bourreau des Français : souvent point de pharmacie,
point d'ambulance, quelquefois même pas d'instruments
pour couper les membres fracassés. Dans la campagne de
Moscou, faute de charpie, on pansait les blessés avec du
foin; le foin manqua, ils moururent.
On vit errer cinq cent mille guerriers, vainqueurs de
l'Europe, la gloire de la France; on les vit errer parmi les
neiges et les déserts, s'appuyant sur des branches de pin,
car ils n'avaient plus la force do porter leurs armes, et
couverts, pour tout vêtement, de la peau sanglante des
chevaux qui avaient servi à leur dernier repas. De vieux
capitaines, les cheveux et la barbe hérissés de glaçons,
s'abaissaient jusqu'à caresser le soldat h qui il était resté
quelque pourriture, pour en obtûuir une chétive partie,
DE 1797 A'f8i5. 303
tant ils éprouvaient les tourments de la faim ! Des esca-
drons entiers, hommes et chevaux, étaient gelés pendant
la nuit, et le matin on voyait encore ces fantômes debout
au milieu des frimas. Les seuls témoins des souffrances de
nos soldats, dans ces solitudes, étaient des bandes de
corbeaux et des meutes de lévriers blancs denai-sauvages,
qui suivaient notre armée pour en dévorer les débris.
L'empereur de Russie a fait faire au printemps la re-
cherche des morts : on a compté deux cent quarante?
trois mille six cent dix cada\Tes d'hommes, et cent vingt-
trois mille cent trente-trois de chevaux. La peste mir
litaire, qui avait disparu depuis que la guerre ne se
faisait plus qu'avec un petit nombre d'hommes, cette
peste a reparu avec la conscription, les armées d'un
million de soldats et les flots de sang humain. Et que '
faisait le destructeur de nos pères, de nos frères, de nos
fils, quand il moissonnait ainsi la fleur de la France? II
fuyait! il venait aux Tuileries dire, en se frottant les
mains au coin du feu : // fait meilleur ici que sur les bords
de la Bérésina. Pas un mot de consolation aux épouses,
aux mères en larmes dont il était entouré; pas un regret,
pas un mouvement d'attendrissement, pas un remords,
pas un seul aveu de sa folie.
» Les Tigellins disaient ; « Ce qu'il y a d'heureux dans
cette retraite, c'est que l'empereur n'a manqué de rien; il
a toujours été bien nourri, bien enveloppé dans une bonne
voiture; enfin il n'a pas du tout souffert, c'est une grande
consolation; » et lui, au milieu de sa cour, paraissait gai,
triomphant, glorieux; paré du manteau royal, la tête
couverte du chapeau à la Henri IV, il s'étalait, brillant,
sur un trône, répétant les attitudes royales qu'on lui avait
enseignées; mais cette pompe ne servait qu'à le rendre
plus hideux, et tous les diamants de la couronne ne pou-
vaient cacher le sang, dont il était couvert. »
304 LUTTE DES PArES AVEC LA RÉVOLT'TIO:*
Paroles remarquables de M. de Fonfancs.
En 1813, apr^s la campagne de Russie, Fontanes, con-
sulté par M. Villemain sur les difficultés de la situation
religieuse, lui disait ces paroles significatives :
« Voyez-vous, de tout temps et même dans notre sièc](
de fer, les questions religieuses sont les plus graves, les
plus dangereuses, les plus mortelles à qui se trompe.
Savez-vous bien une chose? Le meilleur papier de ï empereur,
son meilleur titre impérial et royal, c'était son Concordat,
C'était par \h qu'il s'était mis hors de pair, qu'il était de-
venu mieux qu'un conquérant, qu'il était un restaurateur
de la société moderne et un fondateur d'empire pour lui*
même '.
* On a exagéré les services rendus à. l'Eglise, en France, par
le Concordat. Bonaparte avait beaucoup plus en vue en signant
cette pièce, ses intérêts politiques que le bien de la religion.
Voici à ce sujet quelques l'éflexions du comte d'Iîaussonvillû
dans son ouvrage : l'Eglise romaine et le -premier Em-pire :
« Ce traité a été certainement utile au rétablissement de la
religion catholique ; nous avons pour cette religion la fierté de
croire qu'elle ne lui était pas indispensable. Non, mille fois
non, quoi qu'en aient dit alors les plates haran'gues des adula-
teurs de tous les camps et de tous les étages, l'ancienne foi
n'avait pas si entièrement disparu pendant la tourmente révolu-
tionnaire, et ce n'est pas le vainqueur de Marengo qui, du jour
au lendemain, d'un mot de sa bouche victorieuse, a fait surgir
de terre les autels renversés. De pieuses mains les avaient
dt'y;! relevés avant lui. Hépétons-le bien haut à ce clergé de
France, qui oublie ti'op complaisamment son meilleur titre c'e
gloire pour en laisser l'honneur à un autre : c'est lui qui fut le
premier à la besogne. La généreuse ardeur de quelques simples
prêtres avait devancé les calculs du plus profond d(^s poli-
tiques. Par leur zèle, les églises de Paris et des départements
s'étaient ouvertes à de nombreux fidèles longtemps avant que
le chef de l'Etat eût songé à iiioltre le pied à Notre-Dame. Il
n'avait pas encore offert sa protection, que, sans l'atlendre, lo
DE 1797 A 1815. 30o
t Qu'a-t-il fait d'aller prendre Rome? J'aurais mieux
aimé pour lui une bataille perdue que cette conqacto-l;\.
Je vous le dis à vous, parce que vous avez l'esprit sage,
quoique un peu voltairien, comme moi du reste. Je l'ai
dit à l'oncle de l'empereur, à ce bon cardinal Fesch, qui
n'est pas tout-à-fait assez éclairé pour les bonnes intentions
qu'il a. Mais, voyez, mon cher, ce qu'il y a de salutaire dans
l'esprit chrétien et dans l'Eglise catholique, c'est la seule
CHOSE QUI DONNE AUJOURD'HUI LA FORCE DE DIRE QUELQUE-
FOIS NON A l'empereur.
» ... Depuis le coup de main de Miollis à Rome, que de
maux sur nous I Que d'embarras surchargés de désastres f
Savez-vous bien que, dans le moyen âge, on aurait cru que
c'était un effet d'excommunication pontificale! Eh! ma
foi, on naîtrait pas eu absolument tort; car certain degré
d'injustice et de déraison dans le génie m'a bien l'air
d'une possession diabolique. Gardez cela pour vous, j'ai
tort d'en dire tant, même à vous, jeune homme. »
Ces paroles renferment la vraie philosophie de l'histoire
napoléonienne. Oui, le Concordat était « le meilleur
papier » de Napoléon, son vrai titre impérial. Quand ses
vieux culte renaissait de lui-même, par ses propres forces, et
dans des conditions selon nous beaucoup plus conformes à l'es-
prit véritable comme aux intérêts bien entendus du Chris-
tianisme.
» De ce traité signé par le chef de la catholicité, le gouver-
nement français a immédiatement tiré, malgré les réclamations
répétées mais dédaignées du Saint-Siège, le droit de régler par
les articles dits organiques ses relations avec le clergé. Presque
tous les articles organiques contiennent des entraves mises à
l'exercice de l'autorité spirituelle du Saint-Père, des évèques et
des prêtres. Leurs rapports avec l'Etat sont minutieusement
réglés avec dos précautions infinies, toutes favorables aux re-
présentants du pouvoir civil, et qui impliquent de la part des
membres du clergé une subordination déguisée mais réelle. »
306 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
conseillers, voulant le détourner du Concordat, lui di-
saient : A quoi bon I il aurait pu répondre ; « A me faire
roi I »
Angoisses de IVapoléon à Fonialiîcbleaat
Comme on le sait, l'empereur avait fait venir Pie VII îi
Fontainebleau, afin de l'avoir sous la main, espérant, à
force d'insistances et de vexations, obtenir enfin quelque
concession de cet infortuné vieillard affaibli par l'âge et
les cruelles épreuves qu'il venait de subir. On éloignait
avec soin du Pape les cardinaux fidèles et les serviteurs
dévoués. L'auguste Pontife se consolait dans cette so^
litude forcée en célébrant tous les jours l'adorable sa-
crifice du Calvaire et en méditant ces paroles du divin
Crucifié : » Bienheureux ceux qui souffrent persécution
pour la justice. » Au milieu de ses épreuves, le Vicaire de
Jésus-Christ était consolé par l'onction de la grâce et par
la satisfaction que l'on trouve dans l'accomplissement
d'un devoir sacré.
La Providence ne tarda pas à faire expier dans ce
même lieu tous ces outrages au persécuteur de Pie VII.
Pendant les sept jours qu'il dut passer à Fontainebleau
pour attendre la ratification de l'Angleterre au traité du
11 avril, Napoléon, qui avait éprouvé pendant tan|
d'années toutes les extrémités de la flatterie, éprouva
celles du délaissement et de l'abandon. Les agonies dC.
fortune sont plus tristes que lo§ agonies d'existence, parce
qu'elles demeurent sensibles h ce qui se passe autour
d'elles et qu'elles durent plus longtemps. L'expiation, qui
devait continuer dans l'exil, commençait. Non-soulrmct
Napoléon avait beaucoup méprisé les hommes, mais en
leur demandant une obéissance aveugle, sans conditions
et jsans scrupules, en ravalant des êtres moraux nu rang
DE 1797 A 18io. 307
d'agents mécaniques, il les avait avilis. Quoi d'étonnant
qu'au moment où la force, c'est-à-dire le seul moteur des
agents matériels, s'échappait de ses mains, il retrouvât
les hommes de son entourage à la place qu'il leur avaii
marquée lui-même, c'est-à-dire au niveau de ses mépris I
Triste et découragé, il vivait retiré dans le coin du
palais de Fontainebleau où il s'était caché. S'il quittait
quelques instants sa chambre, c'était pour se promener
dans le petit jardin renfermé entre l'ancienne galerie des
Cerfs et la chapelle. Sa curiosité éteinte ne se ranimait
que lorsque le bruit inaccoutumé des roues, réveillant les
échos endormis de la grande cour, annonçait un départ
ou un retour, moins souvent le second que le premier.
Alors, comme un homme qui, déjà entré dans les ombres
et le silence du passé, se retourne pour entendre les-
bruits du monde, de la vie et du mouvement arrivant
jusqu'à lui, il voulait savoir qui venait visiter le royaume
de îa solitude et de l'abandon. Rarement les réponses
étaient de nature à le satisfaire. Ses plus chers confidents,
ceux qui l'avaient servi de plus près, ne vinrent pas.
Quelques hommes qui, tenus à distance, avaient gardé Le
sentiment de la dignité humaine, furent les seuls à visiter
Fontainebleau désert '.
On peut voir dans les divers historiens de l'Empire,
comment Napoléon, après sa chute, fut traité par le Sénat
et par le Conseil municipal, dans les proclamations qui
annoncèrent sa déchéance.
M. Léopold de Gaillard a donné, dans le Correspondant
de septembre 1869, une leçon d'histoire au prince démo-
crate qui a osé parler de la trahison dont Napoléon I" avait
été victime. L'auteur cite très-heureusement MM. Louis
Blanc, Proudhon, Carnot, Aug. Thierry, Déranger, La-
* HistQire de la R^staui'ation, par M. Alfred Nettement.
308 LUTTE DKS PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
bédoyèi'O, le prince Eugène, le roi Murât et les maréchaux
qui ont tous reconnu que la France, harassée, soupirait
après un règne de paix et de liberté.
A M. de Forcade La Roquette, qui a récriminé contre
les historiens modernes de Napoléon I", M. de Gaillard
cite l'inscription latine placée au-dessus de la porte
d'entrée de la colonne Vendôme, inscription qui dit :
t A Napoléon, empereur très-bon et très-grand I Que lo
ciel daigne lui accorder pour l'éternité la paix que la
méchanceté des hommes lui a toujours refusée sur la
terre. »
Quand on écrit ainsi l'histoire sur les monuments pu-
blics, faut-il s'étonner si un jour il a été répondu ^ pareillo
flagornerie par le quatrain suivant appliqué à la place
môme de l'inscription latine J
Si le sang que tu fis répandra
En ce lieu pouvait s'amasser,
Tu prendrais un bain sans descendre
Et tu boirais sans te baisser \
* « On en était venu à ce point de mépris pour la vio d03
hommes et pour la France, d'appeler les conscrits la matièfO
première et la chair à canon.
)) On agitait quelquefois cette grande qiiestion parmi le-J
pourvoyeurs de chair humaine : savoir combien de temps du*
rait un conscrit ; les uns prétendaient qu'il durait trente-trois
mois, les autres trente-six. Bonaparte disait lui-mêmo : J'ai trois
cent mille hommes de revenu. 11 a fait périr, dans les onze années
de son régne, plus de cinq millions de Français, ce qui surpasse
le nombre de ceux que nos guerres civiles ont enlevés pondant
treize siècles, sous les régnes de Jean, de Charles V, de Charles VI,
de Charles VU, de Henri II, de François II, de Charles IX, do
Henri 111 et de Henri IV.
» Hunaparte a levé (sans compter la garde nationale) troizû
cent mille hommes, ce qui est plus de cent mille hommes par
mois : et on a osé dire qu'il n'avait dépensé (juc 1(î Iuxo do la
population. » (Ch.vteauuriant.)
DE 1797 A 1815. 309
1%'apolcon tente de se suicider.
Au tribunal de la vraie philosophie, attenter à sa vie»
c'est commettre un crime contre Dieu, contre soi-même et
contre la société. C'est un crime contre Dieu, car c'est
violer son droit. En effet, ne sont-ce pas ses mains qui ont
pétri ce corps, construit cette merveilleuse machine, formé
les innombrables ressorts de ce vivant organisme, chef-
d'œuvre de la création visible? Et cette âme, sa vivante
image, n'est-ce pas lui qui l'a produite, et qui, par les
inexplicables liens de l'union hypostatique, l'incarne dans
ce corps pour ne constituer avec lui qu'une personne?
Tout cela, étant nécessairement l'œuvre du Créateur, lui
appartient essentiellement à titre de propriété, par un droit •
naturel, rigoureux, absolu. Donc, briser violemment et
sans ordre cet organisme, rompre cette réunion, détruire
cette vie, c'est attenter au droit de Dieu même. Le suicide
— La psropriété d'Ermenonville vient d'être vendue.
A ce sujet, nous trouvons dans les Mémoires d'un des pro-
priétaires d'Ermenonville, M. Stanislas de Girardin, l'anecdote
suivante, qui a bien sa signification :
« — Eu fructidor, an IX de la première République, le pre-
mier consul alla visiter Ermenonville.
» Arrivé dans l'île des Peupliers, dit l'auteur Ae, ces Mémoires,
il s'est arrêté devant le tombeau de Jean-Jacques Rousseau et
il a dit :
» — 11 aurait mieux valu, pour le repos de la France, que cet
homme n'eût pas existé.
» — Et pourquoi, citoyen consul ? lui dis-je.
» — C'est lui qui a préparé la Révolulion française.
» — Je croyais, citoyen consul, que ce n'était pas à vous à
vous plaindre de la Révolution.
» — Eh bien ! répliqua-t-il, l'avenir apprendra s'il n'eût pas
mieux valu, pour le repos de la terre, que ni Rousseau, ni moi,
n'eussions jamais existé.
» Et il reprit sa promenade. »
310 LUTTE DES PAPÉS AVeC LA RÉVOLUTION
est donc la lutte impie de la volonté de l'homme s'insur-
goant contre la volonté de Dieu. La preuve évidente que
Dieu I établit pas 1 homme l'arbitre de sa vie, qu'il se ré-
serve le pouvoir suprême d'en décider, c'est que de fait il
exerce ce droit.
Le suicide est un attentat contre Dieu et un crime
contre la société, au bien de laquelle chacun doit con-
courir selon la mesure de ses forces. Enfin, se donner la
mort, c est se faire à soi-même un mal irréparable; c'est
sor ir de la vie en vouant sa mémoire à la fiétriss^re de
1 infamie ; c est manquer à sa destinée, se jeter sans res-
source sous les coups vengeurs de la justice divine et con-
sommer soi-même son malheur éternel.
L'histoire et la statistique s'accordent pour démontrer
que le suicide ne fut jamais que la conséquence des plus
graves erreurs de l'esprit sur Dieu et sa providence
lloMZT'r ^''^^"''^' '' '' ^"^*^ ^'' P^"« triste^
aesordres dans les mœurs.
Napoléon, auquel on accorde une force de caractère
peu commune, a eu cependant la faiblesse de vouloir
attenter à sa vie, quand le malheur s'est appesanti sur lui.
Dévore de chagrin et de remords au souvenir de tout
le sang qu il avait fait verser pour satisfaire son ambition,
et ne trouvant pas, comme Louis XVI, un secours dans
rable''"'"''^'' ''^^°^'^^' ^^ ^^^ ^^^ ^^^it devenue inlolé-
dit le Saint ÊsnHl ^Iln^f "î ^°"', ''"' ^"^ ''''''^ ^°i« ^' D^"^"' «
sa n.^nr;v -^ "^'"' '^^ "°' j^"^'^' ^^^^ ^^"S doute de
sapiopie cxpencncca conuneiitc ce verset de TE criliire sainte
du^o manière bien éloquente. Voici les paroles de M. vS
q-.e la inei de rcvcmr au rivage. Pour le matelot, cela sappeJIe.
DE 1797 A 1813. 311
Dans des faits de cette importance, nous le laisserons
parler lui-même.
Napoléon a été trois fois sur le point de mettre un terme
à ses jours. Les sources où nous puisons nos documents
ne sont point suspectes, puisqu'elles nous sont fournies
d'abord par le héros lui-même, puis par le général Mon*
tholon. Voici ce qu'écrivait Bonaparte à l'époque de la
Terreur :
• Toujours seul au milieu des hommes, je rentre pour
rêver avec moi et me livrer à toute la vivacité de ma mé-
lancolie. De quel côté est-elle tournée aujourd'hui? Du
côté de la mort. Dans l'aurore de mes jours, je puis encore
espérer de vivre longtemps. Je suis absent depuis six ou
sept ans de ma patrie. Quel plaisir ne §oûterai-je pas à
revoir, dans quatre mois, et mes compatriotes et mes
parents ? Des tendres sensations que me fait éprouver le
plaisir des souvenirs de mon enfance, ne puis-je pas con-
clure que mon bonheur sera complet? Et quelle fureur me
porte donc à vouloir ma destruction? Sans doute, que
faire dans ce monde? Puisque je dois mourir, ne vaut-il
pas autant se tuer ? Si j'avais passé soixante ans, je res-
pecterais les préjugés de mes contemporains, et j'attendrais
patiemment que la nature eût achevé son œuvre; mais
puisque je commence à éprouver des malheurs, que rien
'ft'est plaisir pour moi, pourquoi supporterais-je des jours
)ù rien ne prospère ?...
» Quand la patrie n'est plus, un bon citoyen doit mourir.
la mai'ée ; pour le coupable, cela s'appelle remords. Dieu sou-
lève lame comme l'Océan.
» Le coupable a beau faire, il reprend ce sombre dialogue
dans lequel c'est lui qui parle et c'est lui qui écoute, disant ce
qu'il voulait taire, écoutant ce qu'il ne voulait pas enlendrej
cédant à cette puissance mystérieuse qui lui dit : Pense, comme
elle disait à un autre condamné : Marcîie. »
312 LOTIE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
Si je n'avais qu'un homme à détruire pour délivrer mes
compatriotes, je partirais à l'instant même, j'enfoncerais
dans le sein du tyran le glaive vengeur de la patrie et des
lois violées... La vie m'est à charge, parce que je ne goûte
aucun plaisir, et que tout est peine pour moi; elle m'est h
charge, parce que les hommes avec qui je vis et vivrai
probablement toujours, ont des mœurs aussi éloignées des
miennes que la clarté de la lune diffère de celle du soleil.
Je ne puis donc pas suivre la seule manière de vivre qui
pourrait me faire supporter la vie; d'où s'ensuit un dégoût
pour tout *. »
Plus lard, dans l'Histoire de la cctptivité de Sai/iite-Hélène,
par le général Montholon, nous retrouvons à plusieurs
années de distance, la même idée, mais à un degré plus
avancé et même en voie d'exécution. Pour mettre le lecteur
plus h même d'apprécier ces circorstances, nous allons
citer encore textuellement les paroles de Napoléon rap-
portées par le général.
« Une nuit, la conversation ayant ramené rex-emi>ercur
aux souvenirs du règne de la Convention et de son séjour
à Paris après le siège de Toulon, il donna ces détails :
» Je me trouvais dans une de ces situations nauséabondes
qui suspendent les facultés cérébrales et rendent la vie un
fardeau trop lourd. Ma mère venait de m'avouer touto
l'horreur de sa position. Obligée de fuir la guerre que
faisaient les montagnards corses, elle était à Marseille
sans aucun moyen d'existence, et n'ayant que ses vertus
héroïques pour défendre l'honneur de ses filles contre la
misère et la corruption qui étaient dans les mœurs de
de cette époque de chaos social. La méchante conduite du
' Souvenirs de la jeunesse de Napoléon, par M. G. Libri. {Revue
des Deux Mondes, janvier, février, mars 1842.) Ces ligjics soiil
écrites de la main même de l'empereur.
DE 1797 A 1815. 313
représentant Aubry m'ayant privé de mes appointements,
toutes mes ressources étaient épuisées; il ne me restait
qu'un assignat de cent sous. J'étais sorti comme entraîné
par un instinct pour le suicide, mais sans pouvoir le
vaincre. Quelques instants de plus, je me jetais à l'eau,
quand le hasard me fit heurter un individu couvert des
habits d'un simple manœuvre, et qui me reconnaissant, me
sauta au cou en me aisant : « Est-ce bien toi. Napoléon ?
» Quelle joie de te revoir i » C'était Démasis, mon ancien
camaraae d'artillerie; il avait émigré, ei était rentré en
France, déguisé, pour voir sa vieille mère; il allait repartir.
€ Quas-tu? me demanda-t-il, tu ne m'écoutes pas, tu ne te
» réjouis pas de me voir. Quel malheur te menace? Tu
» me représentes un fou qui va se tuer. » Cet appel direct
à l'impression qui me dominait produisit en moi une ré-
volution, et sans réflexion je lui dis tout. « Ce n'est que
» cela ? me dit-il en ouvrant sa mauvaise veste et en dé-
» tachant une ceinture qu'il me mit dans les mains; voilà
» 30,000 francs en or, prends-les et sauve ta mère. »
Voici la troisième circonstance où Napoléon tenta de se
suicider. Nous le laissons parler lui-même :
« Depuis la retraite de Russie, je portais du poison
suspendu au cou dans un sachet de soie ; c'est Yvan qui
l'avait préparé par mon ordre, dans la crainte que j'avais
d'être enlevé par les Cosaques. Ma vie n'appartenait plus
à la patrie, les événements de ces derniers jours m'en
avaient rendu le maître. Pourquoi tant souffrir, me dis-jc,
et qui sait si ma mort ne placerait pas la couronne sur la
tête de mon fils? La France alors serait sauvée. Je n'hésitai
pas, je sautai à bas de mon lit, et délayant le poison dans
un peu d'eau, je le bus avec une sorte de bonheur; mais
le temps lui avait ôté sa valeur. D'atroces douleurs m'ar-
rachèrent quelques gémissements; ils furent entendus; des
14
314 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
secours m'arrivèrent. Dieu ne voulut pas que je mourusse
encore... Sainte-Hélène était dans ma destinée*. »
Nous ferons, à l'occasion de ce fait, quelques réflexions
sur Louis XVI. On a reproché avec quelque raison i\ ce
monarque infortuné d'avoir une bonté qui dégénérait
quelquefois en faiblesse de caractère; mais quand on
touchait à sa conscience, il retrouvait aussitôt toute son
» Voyez feuilleton de la Presse, 5 et 14 février 1846, Histoin
de la captivité de Sainte-Uéléne, par le général Montholon.
Comme ce fait nous paraît très-grave, nous ajouterons ici un
extrait du récit du baron Fain, cité par M. Alfred Nettement
dans son Histoire de la Restauration.
« A l'époque de la retraite de Moscou, Napoléon s'était pro-
curé, en cas d'accident, le moj'en de ne pas tomber vivant
dans les mains de l'ennemi. Il s'était fait remettre par son
chirurgien Yvan un sachet d'opium qu'il avait porté à son cou
pendant tout le temps qu'avait duré le danger. (Ce n'était pas
seulement de l'opium, c'était une préparation indiquée par
Cabanis, la même dont Condorcet s'était servi pour se donner
la mort.) Depuis il avait conservé avec grand soin ce sachet
dans un coin de son nécessaire Cette nuit, le moment lui
avait paru arrivé de recourir à cette dernière ressource. Le
valet de chambre qui couchait derrière sa porte entr'ouverte
l'avait entendu délayer quelque chose dans un verre d'eau,
boire et se coucher. Bientôt les douleurs avaient arraché à
Napoléon l'aveu de sa fin prochaine. C'est alors qu'il avait fait
appeler ses serviteurs les plus intimes. Yvau avait été mandé
aussi ; mais apprenant ce qui venait de se passer, et entendant
Napoléon se plaindre de ce que l'action du poison n'était pas
assez prompte, il avait perdu la tôte et s'était sauvé à Fon-
tainebleau. On ajoute qu'un long assoupissement était survenu,
qu'après une sueur abondante les douleurs avaient cessé, et
que les symptôm.es effrayants avaient Uni par s'cfl'accr, soit que
la dose se fût trouvée insuffisante, soit que le temps eût amorti
le venin. On dit enfin que Napoléon, étonné de vivre, avait
réiléchi quelques instants. « Dieu ue le veut pas I » s'était-il
écrié, et, s'ubandounant à la Providence qui venait de conscr*
'#er sa vio, il s'était résigné à de nouvelles destinées. » {Ma*
nuscrit de 1814, par le baron Fain, page 394.)
DE 1797 A 181S. 313
énergie de chrétien. Ainsi, en présence même des sbires
chargés de le surveiller dans sa prison du Temple, il s'est
contenté plusieurs fois de prendre du pain et de l'eau
plutôt que d'enfreindre les lois de l'abstinence.
Sa mort, personne ne le niera, a été celle d'un vrai
chrétien.
Jamais la pensée d'échapper par le suicide au supplice
ignominieux qui l'attendait ne vint à l'esprit de ce ver-
tueux prince. Nous citerons à ce sujet le deux traits sui-
vants :
Lorsque le fidèle Malesherbes venait visiter Louis XVI
dans sa prison, les municipaux le fouillaient quelquefois,
de peur, disaient-ils qu'il n'apportât du poison au ci-devant
roi pour priver la nation du spectack de sa mort. < Si le roi,
répondit Malesherbes, était de la religion des anciens phi-
losophes, vos craintes pourraient avoir quelque fondement;
mais, pieux comme il est, jamais il ne sera tenté de com-
mettre c6 crime. »
La veille de sa mort, après avoir entendu la lecture de
£on jugement, Louis XVI se mit à table, à l'heure de son
dîner, aussi tranquillement que de coutume ; sa surprise
fut grande lorsqu'il s'aperçut qu'on lui avait enlevé son
couteau. On lui communiqua un arrêté de la municipalité
ainsi conçu : « Louis ne se servira point de couteau ni de
fourchette à ses repas. Il sera confié un couteau à son valet
de chambre pour lui couper son pain et sa viande; ensuite
le couteau sera retiré. » — « Les malheureux l s'écria
Louis XVI, quelle idée ont-ils de moi? Quand je serais
assez lâche pour me donner la mort, ne savent-ils pas que
la religion me le défend ? On m'impute des crimes, mais
j'en suis innocent, et je mourrai sans crainte. Je voudrais
que ma mort fît le bonheur des Français et pût écarter les
malheurs que je prévois. >
316 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
Humiliations de IVapoléon. — Triomphe da Pape ^.
Le 18 avril 1814, les quatre commissaires désignés par
les puissances coalisées pour accompagner Napoléon jus-
qu'au port d'embarquement arrivèrent à Fontainebleau;
c'étaient le général Schouwaloff pour la Russie, le général
Kohler pour l'Autriche, le colonel Campbell pour l'An-
gleterre, le général Waldbourg-Truchsess pour la Prusse.
Le départ fut fixé au 20 avril ; Napoléon, sur l'invitation
des commissaires, en indiqua l'heure lui-même. A midi,
les voitures de voyage vinrent se ranger dans la cour du
Cheval-Blanc, au bas de l'escalier du Fer-à-Cheval. Le
maréchal Bertrand entra dans les appartements de l'em-
pereur pour lui annoncer que tout était prêt. Sa garde,
faible reste de tant de guerres, était sous les armes. Les
quatre commissaires étrangers étaient présents, et le petit
nombre de serviteurs demeurés à Fontainebleau pour
être témoins de la dernière scène de l'Empire se tenaient
rangés sur deux files dans le salon sur lequel s'ouvrait le
cabinet impérial.
L'épopée de l'Empire est arrivée à son terme; ce qui
reste de l'empereur et ce qui reste de tant d'armées im-
périales qui ont vaincu sur tous les champs de bataille
se rencontrent dans la cour de Fontainebleau pour un
dernier adieu. Pour que tous les acteurs de ces journées
héroïques soient représentés, l'Europe a envoyé ses lé-
moins.
Les voitures s'ébranlèrent et roulèrent vers la première
étape de l'exi) ; les troupes commandées à cet effet les
' Pour mieux apprécier les humiliations de Napoléon dans
celte circonstance, qu'on se rappelle les témoignages de véné-
ration et de dévouement qui furent prodigués à Pie Vil quand
ou le traînait, captif et gardé ù vue, d'une prison à l'autre.
DE 1797 A 1813. 317
escortaient. Le premier Empire était fini; son convoi sui-
vait la route de Lyon.
A Moulins, on vit les premières cocardes blanches. Le
24 avril, à midi, on rencontra, près de Valence, le ma-
réchal Augereau. Napoléon et le maréchal descendirent
de voiture et allèrent au-devant l'un de l'autre; ils s'em-
brassèrent; mais tandis que le premier ôtait son chapeau,
le second resta la tête couverte. Ce qu'il respectait dans son
ancien souverain, c'était la nuissance et non un droit; cette
puissance tombée, il se retrouvait de niveau avec lui, et,
reprenant la familiarité républicaine, il tutoya l'empereur,
OUI l'avait tutové, en lui reprochant sa proclamation m-
jurieuse contre lui, et lui rendit reproche pour reproche
en lui rappelant l'ambition insatiable à laquelle il avait
sacrifié la France. Bientôt» importuné de cette conver-
sation, Napoléon, qui avait marché à peu près un quart
d'heure h côté d'Augereau en se dirigeant vers Valence,
se retourna brusquement de son côté, l'embrassa encore,
le salua et se ieta dans la voiture. Augereau, les mains
derrière le dos, le laissa partir sans même porter la main à
sa casquette de voyage, et lorsque l'empereur fut monté en
voiture il lui fit pour tout adieu un geste équivoque *.
Depuis Orange, partout où le cortège passa, il fut ac-
cueilli par les cris de Vice le roi ! auxquels se mêlaient des
injures et des menaces contre l'empereur déchu. A Orgon,
on éleva une potence avec un mannequin tout couvert de
sang devant l'auberge où les voitures devaient relayer.
Les fenomes surtout se montraient impitoyables. La colère
de tant de mères, de tant d'orphelines, de tant de veuves
privées de leurs maris, de leurs enfants, bouillonnait-elle
dans les âmes ardentes ds ces furies méridionales, qui
demandaient d'une voix tantôt menaçante, tantôt sup-
* Histoire de la Restauration»
SI 8 LUTTE DF.S PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
plianto, le sang do Napok^on comme une satisfaction qui
leur était due pour ce qu'elles avaient souffert? Le njle
des commissaires européens devenait difficile. Ils n'avaient
point prévu qu'ils auraient besoin d'une escorte, non pour
défendre leur vie, elle ne courait aucun risque, mais pour
défendre celle de l'homme qui avait été empereur des
Français contre le peuple qui avait été son peuple. Ils ne
virent d'autre moyen de sauver sa vie que de sacrifier sa
dignité, A Orgon, le comte Schouwaloff harangua la mul-
titude en furie ; il lui représenta » le profond abaissement
de celui qu'elle voulait punir, » en ajoutant que « h
mépris était la seule arme qu'on dût employer contre un homme
qui avait cessé d'être dangereux, et qu'il serait au-dessous
de la nation française d'en prendre une autre vengeance. »
La relation de Waldbourg ajoute : « L'empereur se cachait
derrière le général Bertrand le plus qu'il pouvait; il était
pdle, défait, et ne disait mot. Quand il vit que le peuple
applaudissait à ce discours, il fit des signes d'approbation à
Schomoalo/f ol le remercia plus tard du service qu'il lui
avait rendu. »
Triste service, où personne n'est à sa place, personne
ne remplit son devoir, ni cette vile multitude, qui, après
avoir subi le despotisme puissant, vient insulter la toule-
puissance tombée et sans défense; ni ces commissaires
étrangers qui, chargés de protéger l'empereur, commis îi
leur loyauté et à leur respect jusqu'à ce qu'il soit arrivé îi
l'île d'Elbe, dont il est souverain, livrent sa dignité comme
i rançon de sa vie; ni l'empereur lui-même, qui consent h
I cet indigne marché. Il avait la grandeur du génie, mais
il lui manquait cette grandeur plus haute que donne le
sentiment du droit et la vertu. Ni le royal martyr de la
place de White-Hall, ni le royal supplicié de la place do
la Révolution n'auraient accepté une pareille défense.
Louis XVI prescrivit ù de Sèze de ne pas attendrir ses
DE 1797 A 1815. 319
juges. Quoique roi, il voulait bien demander la justice i\
ses sujets, mais il n'acceptait pas la pitié, moins encore le
mépris.
A un quart de lieue d'Orgon, Napoléon crut nécessaire b.
sa sûreté de prendre un déguisement. Il se revêtit, dit la
relation, d'une mauvaise redingote bleue, se couvrit la
tète d'un chapeau rond avec une cocarde blanche, et monta
sur un cheval de poste pour galoper devant la voiture,
en se faisant passer pour un courrier. A Saint-Canat, à la
Calade, petite auberge sur la grande route, il rencontra
le même accueil, il éprouva les mêmes appréhensions.
Toute sa suite, depuis le général jusqu'au marmiton,
poursuit la relation, était couverte de cocardes blanches.
Puis il eut l'idée de revêtir l'uniforme autrichien du général
Kohier, et, pour dérouter les soupçons, il sollicita de ses com-
pafjnons des marques de familiarité; il demanda au cocher du
général Kohler de fumer, et au général de chanter ou de siffler
dans la voiture. Quand il s'agissait de prendre un repas
dans une auberge, il n'osait toucher à aucun plat, dans la
crainte d'être empoisonné. Il priait les commissaires de
rechercher si les maisons dans lesquelles on s'arrêtait
avaient des portes dérobées par lesquelles on pût s'é-
chapper en cas d'alerte. C'est ainsi qu'il arriva à Saint-
Maximin, jouant toujours le rôle de général autrichien, tandis
que l'aide-de-camp du général Schomcaloff, le major Olewieff„
prenait sa place dans la voiture, et jouait, à sa prière, celui de
l'empereur^, » '
Ayant appris que le sous-préfet d'Aix était dans cet
endroit, continue la relation Waldbourg, il le fit appeler
et l'apostropha en ces termes : « Vous devez rougir de rao
voir en uniforme autrichien. J'ai dû le prendre pour mettre
* On se demande, en lisant ces lignes, ce qu'était devenu le
courage de cet homme, qui avait dicté des lois à l'Europe et
bravé si souvent la mort sur les champt de bataille.
320 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
ma vie h l'abri des insultes des Provençaux. J'arrivais en
pleine confiance au milieu de vous, tandis que j'aurais pu
venir avec six mille hommes de ma garde. Je ne trouve ici
que des tas d'enragés qui menacent ma vie. C'est une mé-
chante race que les Provençaux : ils ont commis toutes
sortes de crimes et d'horreurs dans la Révolution, et sont
tout prêts à recommencer; mais quand il s'agit de se battre
avec courage, ce sont des lâches. Jamais la Provence ne
m'a fourni un régiment dont j'aurais pu être content;
mais ils seront peut-être demain aussi acharnés contre
Louis XVIII qu'ils le paraissent aujourd'hui contre moi. »
Après avoir parle quelque temps dans ce sens, il se re-
tourna vers les commissaires et leur dit « que Louis XVIII
ne ferait jamais rien de la nation française s'il la traitait
avec trop de ménagements. »
A Saint-Maximin , les commissaires apprirent qu'il y
avait au Luc deux escadrons autrichiens, et, sur la de-
mande de Napoléon, ils envoyèrent au commandant l'ordre
d'attendre leur arrivée pour escorter l'empereur jusqu'à
Fréjus.
Ici s'arrête l'itinéraire de Waldbourg, en ne laissant
dans le cœur d'autre émotion que celle de la tristesse et
d'une humiliation profonde. L'âme humaine reste sans
consolation devant l'abaissement de cette immense fortune,
parce qu'elle ne sait où se prendre pour aimer et admirer.
Dans Marins assis sur les ruines de Carthage ou se re-
dressant en présence du Cimbre, elle trouve du moins la
force morale survivant h la force matérielle et la grandsur
païenne de l'homme déliant de ses intrépides regards les
coups de la fortune, qui a pu renverser sa puissance, mais
non abattre son cœur. Dans l'abdication volontaire de
Charles-Quint, on est ému par la liberté môme de l'action,
et par l'élévation d'une âme plus haute que le pouvoir
qu'elle quille. Chez Louis XVI, îi ses derniers moments.
DE 1797 A 181S. 321
le roi déchu se transfigure dans le saint et le martyr; le
souverain est tombé, mais l'homme ne descend pas, il
monte : « Fils de saint Louis, montez au ciel I » Rien de
pareil sur la route de Fontainebleau à Fréjus. Cette multi-
tude est sans pitié, la victoire de l'Europe, représentée
par ses quatre commissaires, sans générosité, sans no-
blesse, le malheur de Napoléon sans prestige. Il ne sait
emprunter à son passé aucun rayon pour illuminer les
ombres de son adversité. C'est une vie déplorablement
attaquée qui se défend par des moyens vulgaires : la
ruse, les déguisements, la fuite, les subterfuges, le dernier
acte de la tragédie de l'Empire descend jusqu'à la comédie.
La grandeur païenne comme la grandeur chrétienne y
manque. Pour trouver l'enseignement contenu dans cette
scène, il faut s'élever jusqu'au jugement de Dieu par
lequel deux souverains sortaient à si peu de distance de
Fontainebleau : le premier, le pape Pie VII, traversant en
triomphe la France agenouillée sous sa bénédiction, pour
aller retrouver sa ville de Rome, heureuse et fière de le
revoir; le second. Napoléon, traversant les multitudes
ameutées contre lui et ardentes à préluder par l'outrage à
la violence, pour aller chercher au-delà de la mer un
exil. Dieu reste grand dans ces enseignements alors même
que l'homme devient petit.
Pour décider entre l'usurpation française et Le gouver-
nement du Pape à Rome, il suffit de consulter l'histoire,
qui nous apprendra comment les révolutionnaires se main-
tinrent dans les Etats pontificaux, et comment y fut ac-
cueilli Pie VII à son retour. Les premiers employèrent la
violence, les cours de justice et les cours spéciales; les
faits mêmes allégués par la Révolution française pour
justifier l'envahissement de l'Etat pontifical prouvent com-
bien elle était odieuse aux populations, tandis que les
fêtes, les acclamations avec lesqu(^les fut reçu le Pape à
14*
322 LUTTE DKS PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
son retour, démontrent combien son gouvernement était
cher à ses sujets *.
Le 12 mai 1814, Pie VII arrivait h Ancône. où il était
reçu avec les plus grands transports de joie. Dos hommes
de mer, vêtus uniformément, ayant dételé les chevaux de
son carrosse, s'y attachèrent eux-mêmes avec dos cordes
de soie rouge et jaune, et le traînèrent pendant que tonnait
I artillerie des bastions, et que de toutes les églises les
cloches envoyaient leurs joyeuses volées dans les airs A
Osimo, le 14, une garde d'honneur se forma et le conduisit
à Lorette. C'était un triomphe dans tous les pays traversés-
et pendant ce temps-là Napoléon se retirait à l'île d'Elbe*
entendant crier autour de lui : A bas le tyran f se voyant
même menacé d'un coup de fourche dans un endroit où il
s était arrêté. Le Pape recevait les plus sincères démons-
trations d'amour du peuple; il se disposait dès lors à
accueillir avec tous les égards convenables M"»» Lœtitia
la mère de l'empereur, qui se rendait à Rome pour y
trouver un refuge. Le vénérable Chiaramonti rentra donc
dans la ville éternelle au milieu des palmes de la Ligurie
et des hozanna de son peuple, si longtemps orphelin.
Sainte-Hélène *.
L'île de Sainte-Hélène est située au milieu de l'Atlantique,
îi neuf cents lieues de la côte d'Afrique, à treize conts dé
celle du Brésil, vers le i6<^ degré de latitude au^elfi de
'p^^f/^^ïf °''''°''^^ Humphrey Davy, qui assista au retour
e Pic VII u Rome, a écrit ; « Jo n'oublierai jamais l'enlhou.
siasme de cette réception. U est impossible de dire tes acclama-
tions les transports d'allégresse du peuple, qui de toutes parts
criait : Le Saint-Pére! Le Saint-Père! Sa restauration est l'œuvre
de Dieu! » (Voy. Consolations of travel, p. 16i.)
^ Avant de raconter les angoisses de Napoléon à Sainte-Hélène
sous la verge d'un géuéral anglais, nous allons rappelé? d'une
DE 1797 A 181d. 323
l'équateur. Elle a vingt-huit milles anglais de circuit, h
peu près la superficie de Paris avant 1860.
Le sol de l'île est celui d'un volcan refroidi depuis des
siècles; la seale pierre qu'on y trouve est spongieuse,
rougeàtre, et si tendre qu'on la travaille à la main. Les
sommités sont couronnées de bois, mais les vallées et les
plateaux intermédiaires sont dépourvus de toute culture,
La terre végétale ne se trouve que là où on a pu l'apporter.
L'eau n'y existe qu'en des quantités insuffisantes pour les
besoins d'une nombreuse garnison; il en était ainsi du
moins à l'époque où Napoléon fut relégué dans l'île. La
population de Sainte-Hélène s'élève à environ quinze cents
manière sommaire les traitements que l'empereur fît subir au
vénérable Pie VII, pendant de longs mois, dans la prison da
Savone, où il était tenu par son ordre dans un état de séques-
tration absolue. Nous empruntons ces détails à l'ouvrage du
comte d'Haussonville, qu'on ne soupçonnera pas de clérica'
lisrae :
« Pie VU était à Savone depuis quatre mois, le 9 mai 1811.
Non-seulement tous ses livres, tous ses papiers lui avaient été
enlevés; non-seulement il était privé de plumes et d'encre pour
son usage particulier, mais ses plus intimes et ses plus indis-
pensables serviteurs avaient été arrachés d'auprès de sa pei-sonna,
et la plupart enfermés dans la prison d'Etat de Fénestrelle. Cette
mesure d'une rigueur inouïe avait atteint, outre le prélat Doria,
le propre confesseur du Pape et jusqu'à un vieux valet de
chambre qui lui servait de barbier. Aucune nouvelle politique
quelconque n'était venue du dehors jusqu'à Pie VII, sinon
celles que, d'après les instructions reçues de Paris, le préfet de
Montenotte avait été parfois invité à porter à sa connaissance,
quand elles avaient paru de nature à jeter le découragement
dans son âme et à le détourner de ses idées de résistance. Tout
ce qui regardait les affaires de la catholicité en général, et sur-
tout celles de l'Eglise de Finance, avait été dérobé à sa connais-
sance avec un soin particulier. Afin que son isolement moral
fiât plus complet, on lui avait laissé ignorer jusqu'au sort des
membres du Sacré-CoUége auxquels il portait le plus d'affec-
tion. »
324 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
âmes, en y comprenant la garnison. Les colons y sont,
pour la plupart; d'anciens employés subalternes de la
Compagnie des Indes. La vie y est très-courte; il est rare
qu'elle atteigne au terme de soixante ans. Le climat est
dévorant^ pour les Européens. Les variations de l'atmos-
phère y sont considérables, fréquentes et subites. La saison
des pluies surtout y est morbifique ; les maladies qu'elle
engendre sont la dyssenterie et l'inflammation du foie,
L'Angleterre avait bien choisi pour ses vengeances; si elle
avait calculé sur le climat et spéculé snr les misères d'un
semblable exil, ses prévisions ne devaient être que trop
bien accomplies.
Après avoir passé deux mois à Briars, habitation d'un
négociant anglais. Napoléon fut installé dans son nouveau
logement de Longwood : c'était une maison de bois que,
pendant neuf mois de l'année, moisissait l'humidité des
pluies ou des orages, et que, durant trois autres mois,
calcinait le soleil de plomb des tropiques. Napoléon habi-
tait une pièce tendue de nankin brun, et dont les deux
fenêtres s'ouvraient sur le camp du 54^ régiment, préposé
à sa garde. Elle avait pour ameublement un canapé,
quelques chaises, une commode, un guéridon, le lit de
fer d'Austerlitz, le réveil-matin du grand Frédéric, et les
portraits des deux impératrices et du roi de Rome.
Longwood, dans l'origine, n'était qu'une sorte de grange
à l'usage de la Compagnie des Indes. Cette maison, res-
taurée à la hâte et tant bien que mal appropriée â la
résidence de l'empereur et de ses compagnons d'infortune,
était située dans la portion la plus malsaine de l'île, assise
sur un platneu élevé de deux mille pieds au-dessus du
niveau de la mer, sans cesse battu par des vents impétueux
ou couvert do. nuages humides, dépouillé d'arbres et de
végétation. « Ce pays est mortel, disait Napoléon ; partout
où les fleurs sont étiolées, l'homme ne peut pas vivre. Ce
DE 1797 A 1815. 325
calcul n'a point échappé aux élèves de Pitt. » Il ajoutait :
« Transformer l'air en instrument de meurtre, cette idée
n'était pas venue au plus farouche de nos proconsuls ; elle
ne pouvait germer que sur les bords de la Tamise. »
Et pourtant ce fut là qu'il languit près de six ans, sous
la garde du général anglais sir Hudson Lowe. Cet homme
fut fidèle à la mission de haine qui lui avait été confiée.
Il se montra geôlier plutôt que gouverneur, sbire et non
soldat. Chaque jour, dans son humeur inquiète et cha-
grine, il ajoutait de nouvelles privations à celles que Na-
poléon devait endurer; tantôt il taxait les rations de vin
des prisonniers, tantôt il leur refusait les vivres nécessaires,
et forçait l'empereur, pour nourrir ses compagnons, de
vendre sa vaisselle ou son argenterie. Vainement Napoléon
demandait-il des journaux et des livres, on ne lui en
accordait que de loin en loin; on lui interdit toute com-
munication avec les habitants de l'île, toute correspon-
dance libre avec les siens, toute relation avec les mi-
litaires de la garnison. Il ne pouvait écrire à personne
sans que ses lettres fussent livrées à l'examen du gou-
verneur et des subalternes. Un voyageur qui arrivait
d'Europe, après avoir vu de près Marie-Louise et son fils,
ne put recevoir la permission de donner à ce père in-
fortuné des nouvelles de ces objets demeurés si chers à
son cœur. C'était par ces tortures impies qu'on espérait
abattre ses forces morales et abréger la durée de son exis-
tence *.
* « Napoléon avait pour promenoir une arène de 12 milles
des sentinelles entouraient cet espace, et des vigies étaient
placées sur les plus hauts pitons. Le lion pouvait étendre ses
courses au-delà, mais il fallait alors qu'il consentît à se laisser
garder par un bestiaire anglais. Deux camps défendaient l'en
ceinte excommuniée: le soir, le cercle des factionnaires se
resserrait sur Longwood. A neuf heures, Napoléon, consigné,
no pouvait plus sortir ; les patrouilles faisaient la ronde j des
326 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
Ayant un jour entrepris la lecture d' Andromague, et en
étant venu à ces vers connus :
Je passais jusqu'aux lieux où l'on garde mon fils
Puisqu'une fois le jour vous souËfrez que je voie
Le seul bien qui me reste et d'Hector et de Me
J allais, seigneur, pleurer un moment avec lui •
Je ne lai pomt encore embrassé d'aujourd'hui."..
d'abondantes larmes remplirent ses yeux; et il ferma le
livre. Il songeait à cet autre Astyanax qu'il avait tant aim^
quil ne devait plus revoir, et qui devait à peine lui sur-
vivre de quelques années. Puis ses souvenirs se reportaient
vers la Corse, théâtre de ses premiers jeux, berceau aimé
de son enfance; vers l'Ecole de Brienne, où s'écoula sa
jeunesse: vers cette France qu'il avait remplie de gloire
et de deuil*. ^ & *^
cavaliers en vedette des fantassins plantés cà et là, veillaient
dans les criques et les ravins qui descendaient à ir grève
D^^ux bncks armes croisaient, l'un sous la vent, l'autre ÂZnX
» Que de précautions pour garder un seul homme au milien
des mers ! Après le coucher du soleil, aucunTchalounê ^«
pouvait mettre à la mer; les bûteaux pêcheurs étaient comntés
t onanTd t '''''T'^ P«^'^ -US la responsabilil d'un fi t
cnant de manne. Le souverain généralissime qui avait ci He
monde a son etner était appelé à comparaître deux Lis leLu
devant un hausse-col; Bonaparte ne se soumettait po nt V c
appel; quand, par fortune, il ne pouvait éviter les regards do
1 olhcier de service, cet officier n'aurait osé dire où et commenï
al avait vu celui dont il était plus difficile de consta er raSnco
Voici un beau passage de Chateaubriant :
« Bonaparte approchait de sa Un; rongé d'une plaie inté.
urseVrirr^"'^!-'^'"^"-^"' m ava' portée, cet'ep le,
au sein de la prospérité : c'était le seul héritage qu'i eu
jeçu de son père ; le reste lui venait des mumrice^nces de
« Déjà il comptait six années d'exil ; il lui avait fallu moins
de temps pour conquérir l'£urupc. Il restait presque toujours
PE 1797 A 1815. 327
« Rien n'est plus difficile, même aux hommes supé-
rieurs, dit le P. Lacordaire, que de supporter le repos.
Quand l'àme et le corps se sont habitués au travail so-
lennel des grands événements, ils ne peuvent plus souffrir
la simple et pacifique succession des jours. Cette paix
froide leur est un tombeau. Ils regrettent le bruit, l'agi-
tation, les alternatives des revers avec les succès, et toute
cette tragédie des choses humaines où ils avaient naguère
leur part et leur action. L'histoire ne compte qu'un très-
petit nombre d'hommes qui aient passé de la vie publique
à la vie privée en conservant, avec la tranquille possession
d'eux-mêmes, la plénitude de leur grandeur. La plupart
se consument dans un ennui vulgaire; d'autres demandent
aux passions des sens l'oubli d'eux-mêmes et de leur
dignité; les plus élevés succombent au poison mystérieux
du chagrin, »
Blort de Itîapoléon.
Napoléon approchait de sa dernière heure. Les années
1819 et 1820 s'écoulèrent dans des alternatives de maladie
renfermé, et lisait Ossian, de la traduction italienne de Cesa-
rotti. Tout l'attristait sous un ciel où la vie semblait plus courte,
le soleil restant trois jours de moins dans cet hémisphère que
dans le nôtre. Quand Bonaparte sortait, il parcourait des sen-
tiers scabreux que bordaient des aloès et des genêts odorifé-
rants. 11 se promenait parmi les gommiers à fleurs rares que
les vents généreux faisaient pencher du même côté, ou il se
cachait dans les gros jiuages qui roulaient à terre. On le voyait
assis sur les bases du pic de Diane, du Flay-Slaff, du Leader-
Hill, contemplant la mer par les brèches des montagnes. De-
vant lui se déroulait cet Océan qui d'une part baigne les côtes
de l'Afrique, de l'autre les rives américaines, et qui va, comme
un tleuve sans bords, se perdre dans les mers australes. Point
de terre civihsée plus voisine que le Cap des Tempêtes. Qui
dira les pensée de ce Prométhée déchiré vivant par la mort,
lorsque, la main appuyée sur sa poitrine douloureuse, il pro-
menait ses regards sur les flots ! »
328 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUrON
et de rétablissomcnl , qui firent présager une suprême
crise. Au commencement de 1821, le captif commença îi
décliner; une comète ayant paru dans le ciel, il songea à
celle de Jules César, et regarda sa fin comme prochaine.
Le 17 mars 1821, des symptômes fort graves- se mani-
festèrent; les jours suivants, la maladie fit d'effrayants
progrès, et tout espoir ne tarda pas à s'éteindre.
Un moment on crut reconnaître une amélioration dans
son état : c Vous vous réjouissez, dit-il, et vous ne vous
trompez pas; je suis mieux, mais je n'en sens pas moins
ma mort prochaine. Lorsque je ne serai plus, chacun de
vous aura le bonheur ae revoir l'Europe et sa famille.
Moi, je reverrai mes braves dans les Champs-Elysées '. Oui,
ajouta-t-il solennellement, Kléber, Desaix, Bessières, Duroc,
Key, Murât, Masséna, Berthier, tous viendront à ma ren-
contre. En me voyant, ils viendront tous, fous d'enthou-
siasme et de gloire. Nous causerons de guerre avec les
Scipion, les Annibal, les César, les Frédéric, à moins,
ajoutait-il en riant, que là-bas on n'ait peur de voir tant de
guerriers ensemble. » Triste I triste I
Alors entra chez lui le docteur Arnold, chirurgien d'un
régiment anglais. « C'en est fait, lui dit Napoléon, le coup
est porté. Je touche à ma fin; je vais rendre mon corps h
la terre. Bertrand, traduisez à monsieur ce que vous allez
entendre :
« J'étais venu m'asseoir au foyer du peuple britannique.
Je demandais une loyale hospitalité. Contre tout ce qu'il
y a de droit au monde, on me répondit par des fers.
J'eusse reçu un autre accueil d'Alexandre, de l'empereur
François, du roi de Prusse. Mais il appartenait îi l'An-
gleterre de surprendre, d'entraîner les rois, et de donner
au monde le spectacle inouï de quatre puissances s'a-
* Les Champs-Elysdes no sont piu|,d'un calholic[ue.
DE 1797 A 1815. 323
charnant sur un seul homme. C'est votre ministère qui a
choisi cet affreux rocher où se consume en moins de troij
ans la vie des Européens, pour y achever la mienne par
un assassinat. Et comment m'avez-vous traité depuis quo
je suis sur cet écueil ? Il n'y a pas une indignité dont
vous ne vous ^ipyez fait une joie de m'abreuver. Les plu-,
simples communications de famille, celles même qu'on n'a
jamais interdites à personne, vous me les avez refusées;
ma femme, mon fils n'ont pas vécu pour moi; vous
m'avez tenu six ans dans la torture du secret, dans cette
île inhospitalière, j etc.
Voici comment un grand écrivain, Chateaubriant, qa
avait été témoin et victime de la tyrannie de Napoléon,
raconte ses derniers moments :
« Le silence de la chambre n'était interrompu que
par le hoquet de la mort, mêlé au bruit régulier du ba-
lancier d'une pendule : l'ombre avant de s'arrêter sur le
cadran fit encore quelques tours, l'astre qui la dessinait
avait de la peine à s'éteindre. Le 4 mai, la tempête de l'a-
gonie de Cromwell s'éleva; presque tous les arbres de
Longwood furent déracinés. Enfin le 5, à six heures moins
onze minutes du soir, au milieu des vents, de la pluie et
du fracas des flots, Bonaparte rendit à Dieu le plus puis-
sant souffle de vie qui jamais anima l'argile humaine. Les
derniers mots saisis sur les lèvres du conquérant furent :
« Tête ... armée, ou tête d'armée. » Sa pensée errait encore
au milieu des combats. Quand il ferma pour jamais les
yeuv, son épée, expirée avec lui, était couchée h sa
gauche. »
Le 5 juillet 1821, cette nouvelle, depuis quelque temps
prévue, mais qui devait cependant produire une profonde
sensation en Europe, une vive émotion en France, arriva
à Paris : Napoléon était mort le 5 mai, sur le rocher de
330 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
Saintc-II616ne. Le lointain de sa captivitc'; et de sa mort
devait profiter à sa mémoire, comme du temps du Di-
rectoire, le lointain de son expédition d'Egypte avait pro-
fité h son ambition et à sa vie. Les ombres de ses dernières
années, cette sorte d'impatience fiévreuse avec laquelle il
s'était débattu contre l'adversité, au lieu de l'accepter
avec la grandeur de la résignation chrétienne; cet iso-
lement qui se faisait peu à peu autour de lui par les
altercations intestines de son entourage; cette guerre de
chicane qu'il avait soutenue contre la sollicitude ombra-
geuse et chagrine de Hadson Lowe, qui avait les défiances
et les craintes de sa responsabilité; tout disparut dans la
lumière d'une apothéose à laquelle les rayons vinrent de
tous côtés.
La gloire militaire de Napoléon se confondait avec celle
de la France, intéressée à la défendre et à la maintenir
comme une des splendeurs de son histoire. La grandeur
du personnage historique qui avait gouverné pendant
quinze ans la nation devenait comme une sorte de pro-
priété nationale. En outre, Napoléon avait la bonne fortune
de léguer, en mourant, un nouveau motif h la passion sé-
culaire et naturelle de la France contre l'Angleterre, car
il accusait celle-ci de sa mort devant la postérité.
Les âmes généreuses, en présence de ces six années
longues et mornes que le captif de Sainte-Hélène venait
de passer sur un rocher au milieu des solitudes de l'Océan
et sous un climat de feu, oubliaient les maux que son
ambition avait déchaînés sur la France. Le temps avait
cicatrisé les blessures ouvertes au sein de la patrie par
tant de guerres; ses contemporains pardonnaient h ce
malheur d'hier leurs malheurs passés, et d'ailleurs une
nouvelle génération parvenait h l'Age d'homme, d'autant
plus indulgente pour les fautes de l'Empire qu'elle n'en
avait pas porté le poids.
DE 1797 A 181o. 331
L'histoire n'a de complaisances pour personne. Elle ne
peut subordonner ses jugements ni aux illusions des uns,
ni aux calculs des autres. Elle cherche et elle trouve lo
véritable Napoléon dans ses lettres, où il s'est peint lui-
même, avec le despotisme d'une volonté qui regardait les
moyens les plus violents et les plus indignes comme lé»
gitimes, du moment qu'ils lui étaient utiles, les obstacles
fcomme des révoltes, les résistances, qu'elles fussent dictées
par le sentiment religieux ou par le sentiment national,
comme des crimes *. Elle n'accepte pas ce Napoléon hu-
manitaire et ce César sentimental qu'on a voulu lui im-
poser. Au point de vue du génie, Napoléon reste la grande
figure contemporaine comme homme de guerre et comme
organisateur. Il eut, au sortir de la Révolution française,
qui avait fait le chaos, l'intuition des deux premiers
besoins de la société, la religion et l'administration; avec
l'intelligenee qui voit, il eut la volonté qui exécute, quand
elle est servie par les circonstances. Il eut de plus le génie
militaire, qui l'aida à voiler le gouvernement absolu sous
des trophées. Il dut quatorze ans de règne à ces trois
grands côtés de sa nature : l'intelligence des choses poli-
tiques et civiles, la volonté et le génie militaire. Il périt
par l'abus du principe de son gouvernement, qui était
l'omnipotence d'une volonté solitaire s'imposant à tout et
h tous, et qui, après avoir été irrésistible tant que les
circonstances la favorisèrent, devait se briser et se brisa
dans un duel impossible contre les circonstances devenues
défavorables, en partie par suite de ses fautes, en partie
par le cours naturel des événements ',
* M. Raudot, ancien représentant de l'Yonne, a puhlié, en
I860, un livre curieux sous ce titre : Napûléoa peint par bii-
méme. 11 est composé exclusivement de fragments empruntés
aux lettres authentiques de l'empereur.
- M. Alfred Nettement. -
332 LUTTE DE? PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
On s'arrête étonné devant la grandeur intellectuollo de
ce ! i-sonnage, et l'étonnement augmente quand on lit ses
dictées de Sainte-Hélène, oii il touche h tant de sujets;
mais la grandeur morale lui manque. Il inspira de nom-
breux dévouements, il n'en ressentit aucun, ni pour une
croyance, ni pour une idée, ni pour une cause. On voit
par ce qu'il dit lui-même des motifs qui le décidèrent h.
rétablir le catholicisme en France, que ces motifs furent
purement humains. Il était loin d'être irréligieux ce-
pendant, mais il hésitait entre toutes les religions, qu'il
regardait, c'est lui qui l'a dit, comme l'œuvre des enfants
des hommes *. Cette proposition est formellement hérétique
* La théodicée de Napoléon était vague et confuse, comme
on peut le voir par les extraits suivants du Mémorial de Sainte-
Hélène : (c Tout proclame l'existence d'un Dieu, c'est indubi-
table ; mais toutes nos religions sont évidemment l'œuvre des
enfants des hommes. Pourquoi y en avait-il tant ? Pourquoi
la nôtre n'avait-elle pas toujours existé ? Pourquoi était-elle
exclusive ? Que détenaient les hommes vertueux qui nous
avaient devancés ? Toutefois, dès que j'ai eu le pouvoir, je mo
suis empressé de rétablir la religion. Je m'en servais comme de
bases et de racines. Elle était à mes yeux l'appui de la bonne
morale, des vrais principes, des bonnes mœurs. Et puis l'in-
quiétude de l'homme est telle, qu'il lui faut ce vague et ce
merveilleux qu'elle lui présente. 11 vaut mieux qu'il le prenne
là que d'aller le chercher chez Cagliostro et chez M"" Lcnor-
mand. »
Après avoir cédé à des objections banales, auxquelles les
grands apologistes de tous les temps ont répondu, quelquefois
Napoléon semblait prévoir que le sentiment de la dévotion
pourrait reprendre l'empire dans son âme. Quelqu'un, lit-on
dans le Mémorial de Sainte-Hélène, ayant osé lui dire qu'il pour-
rait se faire qu'il finit par être dévot, l'empereur a répondu
avec l'air de conviction >< qu'il craignait que non, et qu'il lo
disait avec grand regret, car c'était sans doute une grande
consolation ; mais que son incrédulité ne venait ni de travers
ni de libertinage d'esprit, mais seulement de la force de sa
raison. Cependant, ajoutait-il, l'homme ne doit juicr de rieu
DE 1797 A I8I0. 333
et par conséquent incompatible avec la profession de
chrétien. Les paroles que l'on prête à Napoléon sur la
divinité de Jésus-Christ, et dont les orateurs et les poètes
se sont emparés en les embellissant, sont apocryphes.
D'ailleurs, il ne suffit pas pour être catholique de croire
à la divinité de Jésus-Christ, mais il faut croire encore à
la divinité de l'Eglise.
Dieu envoya-t-il aux dernières journées de Napoléon
une lumière plus complète ? On doit l'espérer sans pouvoir
l'affirmer.
Le 15 avril 1821, il avait écrit en tète de son testament:
€ Je meurs dans la religion apostolique et romaine, dans
le sein de laquelle je suis né il y a plus de cinquante ans. ^
Mais dans ce même testament, il a écrit ces lignes : « J'ai
fait arrêter et juger le duc d'Enghien, parce que cela était
nécessaire à la sûreté, à l'honneur et à l'intérêt du peuple
français, lorsqu'il entretenait, de son aveu, soixante as-
sassins à Paris. Dans une semblable circonstance, j'agirais
ENCORE DE MÊME '. »
Dans un codicille du même testament, à la date du
24 avril 1821, on lit encore ces lignes : t Nous léguons
10,000 francs au sous-officier Cantillon, qui a essuyé un
procès, comme prévenu d'avoir voulu assassiner lord
Wellington, ce dont il a été déclaré innocent. Cantillon
en ce qui concerne ses derniers instants. En ce moment, sans
doute, je crois que je mourrai sans confesseur, et néanmoins
voilà un tel (montrant l'un de nous) qui me confessera peut-
être... Sous l'empire, et surtout après le mariage de Marie-
Louise, on fit tout au monde pom' me porter, à la manière de
vos rois, à aller communier en grande pompe ; je m'y refusai
tout-à-fait. Je n'y croyais pas assez, disaij-je, pour que ce pût
m'ctre bénéficiel, et j'y croyais trop encore pour m'exposer évidem-
ment à un sacrilcQc. »
* Voir à la fin du volume, note A, les pièces sur l'assassinat
du prince de Condc. '
334 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
avait autant de droit d'assassiner cet oligarque que celui-
ci de m'envoycr périr sur le rocher de Sainte-Hélène '. »
* Nous citerons ici quelques passages du sublime testament
de Louis XVI, et nous laissons au lecteur le soin de comparer
CCS deux pièces ;
« Je meurs dans l'union de notre sainte mère l'Eglise catho-
lique. apostoUque et romaine, qui tient ses pouvoirs, par une
succession non interrompue, de saint Pierre, auquel Jésus-
Christ les avait confiés...
« Je prie tous ceux que je pourrais avoir offensés (car je nô
me rappelle pas avoir fait sciemment aucune offense à per-
sonne), ou à qui j'aurais pu donner de mauvais exemples ou
des scandales, de me pardonner le mal qu'ils croient que je
peux leur avoir fait. Je prie tous ceux qui ont de la charité d'u-
nir leurs prières aux miennes pour obtenir de Dieu la pardon
de tous mes péchés.
» Je pardonne de tout mon cœur à ceux qui se sont faits mes
ennemis sans que je leur en aie donné aucun sujet, et je
prie Dieu de leur pardonner, de môme qu'à ceux qui, par
un faux zèle ou par un zèle mal entendu, m'ont fait beaucoup
de mal...
» Je recommande à mon fils, s'il avait le malheur de deve-
nir roi, de songer qu'il se doit tout entier au bonheur de ses
concitoyens ; qu'il doit oublier toute haine et tout ressenti-
ment, et nommément ce qui a rapport aux malheurs et aux
chagrins que j'éprouve ; qu'il ne peut faire le bonheur des
peuples qu'en l'égnant suivant les lois ; mais en même temps
qu'un roi ne peut les faire respecter et faire le bien qui est
dans son cœur qu'autant qu'il a l'autorité nécessaire, et qu'au-
trement, étant lié dans ses opérations et n'iusph'ant point de
respect, il est plus nuisible qu'utile..
» Je sais qu'il y a plusieurs personnes de celles qui m^étaient
altacnécs qui ne se sont pas conduites envers moi comme
elles le devaient, et qui ont même montré de l'ingratitudo ;
mais je leur pardonne (souvent, dans les moments de trouble
et d'effervescence, ou n'est pas maître de soi), et je prie mou
lils, s'il en trouve l'occasion, de ne songer qu'à leur mal-
heur...
» Je pardonne encore très-volontiers à ceux qui me gar-
daient les mauvais trailcmculs et les gênes dont ils ont cru
DE 1797 A 1813. 335
Certes, l'intitulé du testament est chrétien, mais le sen-
timent qui a dicté les deux dispositions que nous venons
de citer ne l'est pas. Quelques jours plus tard, une lumière
surnaturelle se fit-elle dans cette intelligence? La paix
descendit-elle dans cette âme subitement éclairée ? Cette
conscience se jugea-t-elle et s'accusa-t-elle avant de se
présenter au jugement de Dieu? C'est le secret du tom-
beau.
Ce qu'on peut dire, c'est que vers la fin de l'année 1819,
lorsque deux ecclésiastiques envoyés par le cardinal Fesch,
l'abbé Buonavita, ancien missionnaire au Mexique, et
l'abbé Vignale, arrivèrent à Sainte-Hélène, Napoléon s'ex-
prima k leur sujet de manière à faire croire qu'il aurait
souhaité de se trouver en face d'un prêtre capable de ré-
soudre les problèmes qui agitaient son esprit. « Je re-
connais bien mon oncle Fesch à ces choix, dit-il après
s'être entretenu avec eux de sujets religieux. Il me fallait
un prêtre savant avec lequel je pusse discourir des dogmes
du christianisme. Certes, il ne m'aurait pas rendu plus
croyant en Dieu que je ne le suis; mais il m'aurait édifié
peut-être sur quelques points importants de la croyance
chrétienne. Il est si doux de s'approcher de la tombe avec
des croyances catholiques 1 Mais je n'ai rien de pareil à
attendre de mes deux prêtres. Pourtant ils me diront la
messe, et ils seront au moins bons à cela ' I >
A partir de ce jour, en effet, Napoléon fit dire tous les
dimanches la messe dans la grande salle à manger de sa
triste résidence, qu'il avait fait transformer en chapelle.
devoir user envers moi. J'ai trouvé quelques âmes sensibles
et compatissantes ; que celles-là jouissent dans leur cœur delà
tranquillité que doit leur donner leur façon de penser... »
* Histoire du Consulat et de l'Emidrc, par M. Tiiiers ; Sainte-
Ilcîcne, t. X.X, p. C93.
336 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
Le jeune médecin italien qu'on lui avait envoyé, Anto-
marchi, s'étant permis à ce sujet quelques propos qui lui
déplurent, Napoléon le réprimanda sévèrement, en lui
disant t qu'il admettait, quant à lui, qu'on fût croyant
ou qu'on ne le fût pas, et qu'il n'en concluait rien ni pour
ni contre personne; mais ce qu'il ne souffrait pas, c'était
le défaut de respect à l'égard de la religion la plus véné-
rable du genre humain, et qui, pour des Français et des
Italiens, était leur religion nationale. » C'est ainsi encore
que tout près de la mort, dans les derniers jours d'avril
1821, il recommanda à l'abbé Vignale de faire observer à
ses funérailles les rites du culte catholique ; et comme le
même docteur Antomarchi laissait échapper un sourire :
« Jeune homme, lui dit Napoléon d'un ton sévère, vous
avez peut-être trop desprit pour croire en Dieu; je n'en
suis pas là : n'est pas athée qui veut '. »
Telle fut, selon les récits les plus vraisemblables, la
dernière expression des idées religieuses de Napoléon.
Quelques écrivains, avec des idées louables, sont allés plus
loin; je ne les suivrai pas sur ce terrain. Les choses sont
ce qu'elles sont : tout le monde a besoin de la vérité
religieuse, qui n'a besoin de personne. En face de cet
infini en puissance, en sagesse et en bonté qu'on appelle
Dieu, la grandeur cesse d'exister, et le premier et le
dernier des hommes sont également petits*.
* Alfred Nettement.
2 Voici, d'après un discours prononcé par le prince Napoléon-
Jérôme, ce qu'il pense des sentiments religieux de son oncle.
Nous lui laissons la responsabilité de ses paroles, que nous
ne citons que comme un document qui appartient à riiisloirc :
(( Napoléon était religieux d'une façon générale et élevée,
mais il est difficile de rattacher ses convictions à une religion
formulée. Né catholique, nous ne trouvons pas trace de pré-
occupation religieuse dans les premières années de sa vie.
Joseph, dans une de ses loLlrcs, dit quil était élève de Platon et
DE 1797 A 1815. 337
Le 4 mai 1821, une affreuse tempête, sorte de présage
sinistre, déracina tous les arbres qui prêtaient leur ombrage
des philosophes. Avant qu'il fût maître de la Révolution, il par-
tageait évidemment les idées ohUosoDhiaues de tous les parti-
sans du nouveau régime ; chef de l'Etat, il ne suivit les pres-
criptions d'aucun culte, et refusa même au pape Pie VII, pour
lequel il avait une affectueuse vénération, de communier lors
du sacre et du couronnement. A Sainte-Hélène seulement, il
appela les secours d'un orètre, voulant peut-être donner amsi
unerand exemple d'humiUté, et témoigner de la force du sen-
timent religieux quouid il est dégagé de toutes considérations
terrestres.
» Dans les campagnes d'Italie, le général Bonaparte se mon-
trait tolérant et même respectueux pour le culte de ses pères;
jamais nous n'ytrouverons trace d'une persécution. En Egypte,
alors qu'il entrevoyait les Indes comme le but de cette guerre,
il voulut se servir de la foi musulmane ; ses longues confé-
rences avec les chefs de la loi de Mahomet et ses proclama-
tions eu sont la preuve. Devenu consul, un grand désir d'a-
paisement, de réunion de tous les Français, lui inspire l'idée
d'un arrangement avec l'Eglise : il fait le Concordat.
» Ces conduites si différentes s'expliquent cependant : il
avait la conviction de la nécessité des idées religieuses, qui
moralisent une nation, qui servent de frein aux passions, qui
élèvent l'âme des peuples comme celle des individus ; mais il
n'attachait pas une grande importance aux formes qu'elles re-
vêtent et qui dépendent de motifs si divers.
» Le Concordat ne fut pas l'affirmation de telle ou telle re-
ligion; ce fut un acte d'apaisement. Le restaurateur de la so-
ciété, croyant qu'une religion était indispensable à un peuple
civilisé, prit celle qui existait encore incontestablement dans
la grande majorité du peuple, et la rétablit, non sans beau-
coup d'obstacles, mais du moins en sauvegardant les droits de
la société moderne et du pouvoir laïque, et la forçant à ne pas
méconnaître la liberté des consciences, l'égalité des religiojis,
le mariage civil, la suppression de tous les privilèges ecclé-
siastiques. »
(Extrait du discours du prince Napoléon à Ajaccio, 15 mai
186o. Voir le Monde du 21 mai 1863.)
Dans la Vie de M. Thmjer, sénateur et gendre du général
• 13
338 LUTTE DES PAPBS AVEC l\ RÉVOLUTION
à Napoléon; et le môme soir, h cinq heures Qt demie, il
n'interrompit le silence léthargique dans lequel il était
plongé, que pour laisser échapper ces deux mots, qui sont
presque le résumé de sa vie : « Tète ... armée. » Vingt mi»
nutes après Napoléon n'existait plus. D'un dernier regard
il avait encore caressé le buste de son fils, placé depuis
un mois en face du lit mortuaire,
Parmi les papiers de Napoléon recueillis sur son bureau,
les réflexions suivantes, écrites de sa main, donnent la
juste mesure des pensées qui, dévorant son âme, creusaient
journellement la tombe dans laquelle il venait de des-
cendre : « Nouveau Prométhée, je suis cloué eur un roc où
un vautour me ronge. Oui, j'avais dérobé le feu du ciel
pour en doter la France; le feu est remonté à sa source,
Bertrand, on a démontré que tous les sentiments religieux
que le chevalier de Beauterne prêtait à Napoléon étaient une
pure invention de son imagination et ne reposaient sur au-
cune preuve.
— Dans son expédition en Egypte, Bonaparte se faisait an-
noncer, le 2 juillet 1798, par une proclamation dont voici un
extrait : «Nous aussi nous sommes de vrais musulmans. N'est-ce
pas nous qui avons détruit le Pape, qui disait qu'il fallait faire
la guerre aux musulmans ? »
Et plus tard, le 21 décembre t798, dans une autre procla-
mation aux chérifs et aux ulémas, il disait : « Faites connaître
aux peuples que depuis que le monde est monde il était écrit
qu'après avoir délruit les ennemis de l'islamisme et fait abattre
les croix, je viendrais, du fond de l'Occident, remplir la tâche
qui m'a été imposée. » (Lanfiuy, 1. 1'^, p, 373 et 391.)
Pendant la captivité de Pie VII, Napoléon I" avait réuni une
sorte de concile, auquel il prétendait dicter ses volontés comme
à un conseil d'Etat. On raconte que, dans la salle, le Saint-
Esprit était représenté sous la forme d'une colombe descen-
dant du ciel. Napoléon allant visiter la salle, pendant les pré-
paratifs, son premier et inslinctif mouvement fut de chasser
la colombe ou le Saint-Esprit d'un cuup de chapeau.
£videiumeut, en eiiet, le Suint-Esprit était de trop.
DE 1797 A 1815. 33:)
et me voilà f L'amour de la gloire ressemble à ce pont que
Satan jeta sur le chaos pour passer de l'enfer en paradis;
la gloire joint le passé à l'avenir, dont il est séparé par un
abîme immense. Rien à mon fils, que mon nom f »
L'exilé de Sainte-Hélène disait à l'un de ses derniers
confidents : 1 Nous étions comme le dôme des Invalides,
resplendissant d'or au soleil de l'été; mais la pluie du
malheur est tombée sur nous, elle détache chaque jour
quelque parcelle de l'or. Nous ne sommes plus que du
plomb, et bientôt un peu de terre. Voilà la gloire, et
pourtant qu'a-t-elle laissé ? un tombeau. »
On lit dans la Vie de la Vénérable Anna-Maria Ta'igi^
d'après les documents authentiques du procès de sa Béatification^
par le P. G. Bouffier, de la Société de Jésus :
« La Vénérable Servante de Dieu vit dans le mystérieux
soleil la déroute de l'armée française du nord devant
Moscou au moment oîi elle s'accomplissait; elle me décrivit
toute la défaite de Napoléon, et m'en donna les détails
bien avant qu'on pût en avoir la nouvelle. Elle vit aussi
sa mort à Sainte-Hélène, son lit, ses dispositions, son
tombeau, les cérémonies de ses funérailles, le sort de ce
prince dans le temps et dans l'éternité. » (Liv. V, p. 241.)
Le lecteur sera surpris de ce que la Vénérable Anna-
Maria n'ait pas révélé d'une manière plus précise la des-
tinée de Napoléon dans l'autre monde, tandis qu'elle a dit
formellement que a l'âme d'Alexandre, empereur do
Russie, était en purgatoire, et qu'il était mort catholique,
parce qu'il avait usé de miséricorde envers le prochain,
respecté le Souverain-Pontife, vicaire de Jésus-Christ, et
protégé l'Eglise catholique. »
Mais on ne doit pas oublier qu'à cause des circonstances
graves où l'on se trouve, Pie IX a défendu de faire con-
iiaitrc la^^partie secrète du procès de la Vénérable Servante
de Dieu,
340 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
Nous terminerons ce chapitre par ces belles paroles de
Joseph de Maistre et de Bossuet :
« Qu'on ne se laisse point éblouir par les plus belles
apparences humaines. Qui jamais en rassembla davantage
que le personnage extraordinaire dont la chute retentit
encore dans toute l'Europe ? Vit-on jamais de souveraineté
en apparence si aHermie, une plus grande réunion de
moyens, un homme plus puissant, plus actif, plus redou-
table? Longtemps nous le vîmes fouler aux pieds vingt
nations muettes et glacées d'effroi, et son pouvoir entin
avait jeté certaines racines qui pouvaient désespérer l'espé-
rance. Cependant il est tombé, et si bas, que la pitié qui le
contemple recule, de peur d'en être touchée. »
Citons enfin ce beau passage de Bossuet :
Dieu semble avoir de la complaisance à voir les grands
rois et les rois superbes humiliés devant lui. Ce n'est pas
que les plus grands rois soient plus que les autres hommes
à ses yeux, devant lesquels tout est également un néant;
mais c'est que leur humiliation est d'un plus grand exemple
au genre humain.
« Comment ètes-vous tombé, bel astre, qui luisiez au
ciel comme l'étoile du matin? Vous qui frappiez les
nations, et disiez en votre cœur : Je monterai jusqu'au
ciel: je m'élèverai au-dessus des astres, je prendrai séance
sur la montagne du Temple où Dieu a fixé sa demeure à
côté du Nord, je volerai au-dessus des nues, et je serai
semblable au Très-Haut. Mais je vous vois plongé dans les
enfers, dans l'abîme profond du tombeau. Ceux qui vous
verront se baisseront pour vous considérer dans ce creux
et diront en vous regardant : N'est-ce pas là celui qui
troublait la terre, qui ébranlait les royaumes, qui a fait
du monde un désert, qui en a désolé les villes et renfermé
SC6 captifs dans des cachots ? Les rois des Gentils sont
DE 1797 A 1815. 341
morts dans la gloire, et enterrés dans leurs sépultures;
mais vous, on vous a arraché, et vous êtes resté sur la
terre, comme une branche inutile et impure, sans laisser
de postérité. »
Et un peu devant : « Quand vous êtes tombé à terre,
tout l'univers est demeuré dans l'étonnement et dans le
silence; les pins mêmes se sont réjouis, et on dit que
depuis votre mort personne ne les coupe plus (pour en
construire des vaisseaux et en faire des machines de
guerre). L'enfer a été troublé par votre arrivée et a envoyé
au-devant de vous les géants. Les rois de la terre se sont
élevés, et tous les princes des nations, et tous vous disent :
Quoi donc I vous avez été blessé comme nous ? vous êtes
devenu semblable à nous? Votre orgueil est précipité dans
les enfers, votre cada\Te est gisant dans le tombeau ; vous
êtes couché sur la pourriture, et votre couverture sont les
vers l »
Coup d*œil rétrospectif sar la dernière partie
du XVIIIe siècle.
Nous ne saurions mieux montrer l'action de la Provi-
dence et de la justice divine dans les événements mémo-
rables que nous venons d'esquisser, qu'en citant les pages
suivantes de M. Louis Veuillot, un des écrivains les plus
vigoureux de notre époque.
Dans le milieu de la dernière moitié du dix-huitième
siècle, l'Europe tout entière n'offrait qu'un spectacle de
scandale. Jamais, depuis que la société chrétienne avait
une existence politique, la souveraineté ne s'était signalée
par un pareil et plus unanime oubli de ses devoirs. Les
noms des rois de cette époque sont autant de souvenirs de
débauche, de frivolité, d'irréligion, de despotisme. Sous
un vernis général de philosophie et de littérature, c'était
342 LUTTE DKS PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
partout le mépris de Dieu et le mépris de l'âme humaine
poussé aussi loin qu'il peut aller. En France, Louis XV;
en Allomagno, l'athc'îe Frédéric, le sectaire Joseph, la foule
corrompue des petits princes, dont les uns habitaient un
sérail, dont les autres vendaient leurs sujets. Catherine la
Grande régnait en Russie, du fard sur la jolie et du sang
aux mains. Le monstrueux Joseph souillait le trône de
Portugal; un historien philosophe nous le montre repu de
voluptés sacrilèges, engourdi du sommeil de la brute,
tandis que son ministre Pombal faisait monter la noblesse
sur l'échafaud et le sacerdoce sur le bûcher. Les rois
d'Angleterre brillaient à la fois par la galanterie des
Français et par l'ivrognerie des Allemands, et l'homme
d'Etat du parlement britannique était Walpole. Charles III
d'Espagne, peut-être incrédule sous des dehors chrétiens,
livré, en tous cas, aux conseils des philosophes, étonnait
le monde par l'une des plus violentes iniquités qui pèsent
sur les mémoires royales. En Italie, on se souvient h peine
des princes de la maison de Bourbon, qui, par leur nullité,
autorisaient les déclamations révolutionnaires des gens de
lettres; mais on sait les noms de leurs ministres^ complices
des encyclopédistes, véritables pionniers de la destruction.
Le Patriarcat vénitien, aux trois quarts hérétique, entière-
ment corrompu, allait disparaître sans même laisser de
débris. Gènes, digne d'un meilleur sort, attaquée cependant
par le ver du philosophisme, n'avait plus que l'ombre de
son ancienne puissance et de son ancienne vertu.
Souverains et aristocrates se détachaient de l'Eglise, la
haïssaient, l'opprimaient, travaillaient à sa ruine. Les uns
voulaient s'enrichir de ses dépouilles; les autres su-
bissaient cette affreuse maladie de l'ame qui s'appelle la
haine de Dieu. Durant ce malheureux siècle, la haine de
Dieu s'était répandue comme une épidémie dans l'Europe,
parvenue au comble de la prospérité et de l'ingratitude.
DE 1797 A 1815. 343
La conjuration était générale; Voltaire donnait le mot
d'ordre au monde civilisé. Depuis le triomphe de l'aria-
nisme, — mais alors il restait les barbares, — l'Eglise
n'avait jamais été attaquée avec autant de ruse et d'en-
semble; et jamais, il faut le dire, ses défenseurs n'avaient
para si faibles et si déconcertés. Sous la bannière catho-
lique, pas un peuple, pas un prince, pas un grand homme (
Des commentateurs, des beaux esprits tièdes ou effrayés,
qui prenaient leurs précautions et faisaient leurs réserves,
rien de plus. On est saisi de honte lorsqu'on lit la plupart
des auteurs chrétiens de cette époque. Comme ils se ména-
geaient la bienveillance des souverains! comme ils avaient
peur de Voltaire I comme ils ignoraient ou comme ils
redoutaient la vérité! L'hérésie nationale et l'hérésie royale
avaient obstrué, sinon coupé les canaux de la science et
de l'obéissance, par ou la sève divine se communique au
corps catholique. Dès branches immenses semblaient déjà
mortes, quoique non encore détachées du trOnc. Là même
où la résistance était le strict devoir, on laissait faire le
mal, lorsqu'une indigne et aveugle jalousie n*y applau-
dissait pas. Nulle part, pas même parmi ceux qui étaient
désignés pour périr, ne s'élevait une protestation cou-
rageuse en faveur des droits de saint Pierre et de son
inaliénable primauté. Le Pontife romain, contemplant l'u-
nivers, n'y voyait debout que ses ennemis.
La Révolution avait compté avec Bonaparte; les monar-
chies comptent avec lui à leur tour. Un ouragan de fer et
de feu se promène quinze ans à travers l'Europe. Dans cet
écroulement des trônes, dans ces longs abaissements de
toute l'aristocratie européenne, décimée tant de fois dans
ses antiques fortunes ou radicalement anéanties ou terri-
blement humiliées, dans celte domesticité de vieux rois
remplissant les antichambres du roi de la Révolution,
Vainqueur de la Révolution, aveugle qui ne peut pas voir
344 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTIO.N
la vengeance de Dieu. Oui, ce sont des choses doulou-
reuses et sanglantes I Jamais Dieu n'avait ainsi traité la
Souveraineté, depuis que la croix surmontait les cou-
ronnes. Mais pourquoi la croix n'y était-elle plus qu'un
vain ornement ? pourquoi avaient-ils permis et trouvé bon
qu'un ramassis de scribes entreprissent de rendre mé-
prisable l'emblème sacré qui est le double gage des
peuples et des rois, garant à ceux-ci de leur puissance, à
ceux-là de leur dignité ? Ces rois qui formaient la cour de
Napoléon, qui venaient chercher ses ordres, qui, loin de
lui, tremblaient devant ses ambassadeurs, ils avaient sou-
do uyé les blasphèmes des disciples de Voltaire; leurs
pères ou eux-mêmes avaient refusé au Vicaire de Jésus-
Christ non-seulement leur obéissance en matière spiri-
tuelle, mais jusqu'aux égards extérieurs qu'on se doit
entre souverains. Le Pape n'avait été pour eux qu'un
prêtre, un homme de rien, un intrus, qui déparait la fa-
mille des Majestés humaines. Les voilà inclinés devant ce
soldat de fortune qui ôte et donne les couronnes à qui lui
plaît. Intelligite, reges ! Vous avez si bien fait que le Pape
n'est plus grand'chose sur la terre; mais Dieu est au ciel
ce qu'il a toujours été, et vous n'avez dans sa main que
votre poids. Intelligite, comprenez, souvenez-vous, ne di-
minuez pas le nombre de ceux qui prient pour vous !
Mais si Dieu promène la vengeance, il promène aussi la
miséricorde et la résurrection. OiJ allaient les monarchies,
sans la terrible leçon que Bonaparte leur donna, avec la
main de la Révolution, de la part de Dieu ? Ces aristo-
craties décimées, dans quel bourbier ne s'affaissaient-elles
pas ? Et si elles peuvent renaître, c'est de ce bain de sang.
Quant à l'Eglise, quelles que fussent les intentions des
hommes, dans le cours de ces événements déchaînés contre
elle, tout semble s'être fait pour elle. L'apostasie l'épure,
le martyre la rajeunit, l'exil et la pauvreté la fécondent.
DE 1797 A I8I0. 345
elle est afFvanchie par la guerre. Que d'entraves se re"
lâchent ou tombent avec les gouvernements qui les avaient
lentement et savamment établies ! La renaissance catho-
lique de l'Angleterre, de l'Allemagne, de la Hollande, de
Genève, est inaugurée ou préparée par ces ébranlements.
Le canon de l'Empire a ouvert dans l'édifice politique du
protestantisme une brèche qui ne sera jamais réparée, qui
s'élargira sans cesse.
Tout, jusqu'à l'hostilité prête à dégénérer en persécution
générale, où Napoléon eut le malheur de se laisser en-
traîner; tout, par la grâce de Dieu, a servi la cause do
l'Eglise *. D'un côté, les pensées de Napoléon furent un
grand malheur; de l'autre, il a été bon que cette con-
séquence extrême des thèses régaliennes se révélât, qu'on
en vit tout le péril, que les consciences alarmées cher-
chassent et reconnussent le seul terrain où la résistance
est invincible.
Il a été bon aussi que le Pontife romain, timide et pri-
sonnier, parût cependant, à la face du monde, le seul
prince que Bonaparte n'ait pas su contraindre à l'abandon
d'un devoir. A l'heure où l'Angleterre ourdissait tant de
mensonges et soldait tant de défections, au moment où
l'Autriche donnait la main d'une archiduchesse à l'époux
divorcé de Joséphine, il a été bon pour l'enseignement du
monde que ce Pape captif, ce souverain détrôné, ce
pauvre prêtre, regardant son crucifix, après avoir écouté
* On parle de la faiblesse du pouvoir pontifical. Tout
sceptre qui a frappé cette faiblesse s'est trouvé fragile, et qui-
conque a cessé de s'appuyer à cette faiblesse a tari en soi-
même les nobles et abondantes ressources de la vie! Plusieurs
se targuent d'avoir rompu avec le Pape et de vivre encore. En
présence de son immortalité sans cesse rajeunie, ils allèguent
avec orgueil deux ou trois misérables siècles de cette vie sé-
parée. Mais déjà ils ont peur de ne pouvoir longtemps soutenir
ce fol isolement.
346 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
les messages impérieux (11! la toute-puissance humaine,
répondit : Non, je ne donnerai pas ma conscience pour
relrouvei' ma couronne f
Dieu ne veut pas que Napoléon s'assouvisse de succès et
de pouvoir, comme ceux de qui une prospérité vengeresse
éloigne toute pensée de retour sur eux-mêmes et qui s'en-
durcissent à jamais. Il le punit, il le fait redescendre,
peut-être devrais-je dire, il le fait remonter à la condition
humaine, éloignant de lui le bruit des affaires, l'ivresse de
la fortune, Toubli de la dernière heure; lui donnant enfin
le temps propice et le terrain favorable pour cette bataille
suprême où tout homme rencontre en face son plus ter-
rible ennemi et le seul dont il importe de n'être pas dé-
finitivement vaincu.
Mais quelle punition, quelle défaite et quel théâtre de
mort! cet effort de tous les rois contre lui seul; cotte
conjuration des éléments; cette Russie, vierge de grandes
batailles, pour qu'aucun conquérant n'eût encore parcouru
le chemin où celui-ci tomberait; cette reprise si prompte
après un tel désastre, ces dernières foudres lancées d'une
main si sûre, et dont chaque coup abat un armée; enfin,
ce rocher où il va s'éteindre, comme le soleil dans les
flots, prisonnier que peut seul garder l'immensité des
abîmes, cercueil auquel il faut l'immensité de la mer I
Il assista, de son rocher, à la ruine de tous les trônes
de ses frères, en même temps qu'à la restauration glo-
rieuse du Pape, et put comprendre la terrible vérité de
cette parole divine : Qui seminant iniquitatem, metenf
mala '.
1 La môre de Lamartine a écrit dans ses Mémoires, publié»
en 1874, les lignes suivantes, qui expriment bien l'impression
de la plupart des Français ù. la nouvelle de la décadence du
persécuteur du Pape :
(' La chute de Napoléon est un grai d exemple de la justice
DE 1797 A 1818. 347
Sous le r&gne de la Commune, la célèbre colonne de la
place Vendôme, élewe à grands frais par Napoléon, afin
de porter à la postérité la plus reculée le souvenir de ses
victoires, a été ignominieusement renversée par les hommes
qui avaient joui des faveurs de son neveu.
Voici, à ce sujet, les réflexions d'un éloquent publU
ciste :
« Dans les temps impies, la justice divine emploie le
crime à punir le crime, afin que le monde voie mieux à
quelles mains infâmes son crime Ta livré. Nul juge lé-
gitimé n'eût abattu ce monument, et néanmoins il y a ici
de Dieu et dé sa longue patience. Il est patient parce qu*il est
étemel; j'ai souvent pensé à ce ffiot sublime, que je crois de
saint Augustin ou de Bossuet. N'était-ce pas une tentation pour
beaucoup de gens de voir ce colosse de gloire élevé sur un si
énorme piédestal d'iniquité, si l'on peut s'exprimer ainsi?
Toute l'Europe semblait soumise à sa puissance ; il n'avait qu'à
désirer, qu'à entreprendre et tout réussissait bien au-delà
même de sa pensée. Tant qu'il a été l'instrument de Dieu,
rien n'a arrêté le cours de ses conquêtes, de ses dévastations,
du bouleversement général qui s'est opéré par lui presque sur
toute la face de la terre. Xe pouvait-on pas dire : A quoi seii
la vertu, puisque l'iniquité portée au dernier excès qu'on
puisse concevoir a un succès si éclatant ? Ne fallait-il pas un
effort surnaturel pour ne pas proférer ce blasphème ? Mais
attendez, hommes de peu de foi, attendez un moment, et ce
prodige sera dissipé, foudroyé, détruit encore plus prompte-
mcnt qu'il ne s'était élevé ! On en cherchera la trace ; il sera
enseveli dans ce qu'on appelait sa gloire, sous des ruines de
nations et sous des monceaux de cadavres immolés à l'ambi-
tion insatiable d'un seul homme!
» Le royaume de saint Loms va renaître avec le royaume de
Dieu!
» Chantez un nouveau cantique, chantez la puissance et la
bonté de Dieu sur toute la ten e 1
)> Que toutes les mères qui conserveront maintenant le fruit
de leui's entrailles chauteat le cantique du salut avec moa
cœm' ! »
348 LUTTE DES PAPES AVEC LA RÉVOLUTION
une justice faite. Couvrant d'une exécration entière le
vandale insolent et stupide, la conscience humaine regarde
l'œuvre abolie et ne lui accorde qu'un regret léger. C'était
une emphase de l'orgueil, un champignon gonflé du venin
de la fausse gloire; sous les coups d'un autre orgueil,
le champignon tombe, corrodé du même venin qui l'a
produit.
» Ceux-là doivent gémir et s'irriter amèrement qui ont
élevé ces sauvages et qui sont encore à s'en repenti?.
Pour se grandir eux-mêmes, pour achever leurs desseins
et leur gloire, ils ont donné au peuple de fausses notions
de tout : le peuple culbute leurs desseins, abat leur mo-
numents, avilit leur gloire, tournant contre eux les men-
songes dont ils l'ont nourri et les passions dont ils l'ont
enflammé...
» Et nous regardons d'un œil tranquille crouler subi*
tement ce qui avait monté si haut, monter subitement ce
qui croulera si bas. Après tout, puisque ces sages et ces
fous se font un même jeu d'arracher la pierre fondamen-
tale, il est juste que les maisons branlent et que les co-
lonnes croulent. Nous aimons mieux la justice de Dieu
que nos biens et que nous-mêmes, et quel bien pourrons-
nous allendre de ceux qui ne veulent pas de Dieu ! »
LIVRE TROISIÈM.
La Révolution de Juillet 1830.
CHAPITRE PREMIER
PERSÉCUTION RELIGIEUSE ET IMPIÉTÉ DU NOUVEAU
GOUVERNEMENT
Si nous voulions faire ici un chapitre d'histoire, nous
n'aurions pas de peine à montrer que, dépuis son auteur,
Philippe, frère de Louis XIV, la branche d'Orléans a eu
pour préoccupation constante la recherche d'une popu-
larité lîourgeoise à côté et aux dépens de la Royauté.
— Saint-Simon, dans ses Mémoires, et Madame mère du
Régent, dans ses Lettres, signalent cette affectation chez
Monsieur, frère du Roi, à venir tenir cour à Paris, au
Palais-Royal, à y recevoir un monde un peu mêlé et à
se faire populaire avec les dames de la Halle et de petit
état.
Il pensait ainsi rappeler le souvenir du Bon Henri,
et, autant que l'époque et la crainte qu'il avait du Roi le
permettaient, faire acte d'opposition.
Cette conduite fit tradition : le Régent abandonna Ver-
sailles, vécut à Paris, et cherchait à s'y rendre populaire.
Son fils et son petit-fils l'imitèrent et continuèrent cette
politique; on vit enfin le duc d'Orléans, Egalité, faire de
sou habitation même, aux approches de la Révolution,
3S0 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
un immense bazar, en construisant les galeries du Palais-
Royal.
La révolution est née là; elle y eut tout d'abord son
quartier général.
Bientôt, renonçant à son titre, le duc d'Orléans se livra
tout entier, et, par une épouvantable faiblesse, il glissa
jusqu'au crime en poursuivant cette popularité qu'il
n'obtint jamais.
Louis-Philippe I", roi des Français, son digne fils, ne
tut pas plus heureux, comme nous allons le voir *.
* Nous détachons les lignes suivantes d'une lettre écrite de
Paris, le 4 juin 1872, et adressée aux journaux de pi'ovince par
M. de Saint-Chéi'on :
« Je viens de lire une réponse adressée par M. leMuc d'Au-
malc fi M. le marquis de Franclicu, qui avait écrit au prince au
sujet de sa déclaration eh faveur du drapeau tricolore. M. le
duc d'Aumale maintient ses paroles et ajoute J
« Je crois être resté fidèle aux traditions de mes aïeux ea
)> parlant comme je l'ai fait du drapeau de la France. »
» Les vraies traditions de vos aïeux.,. » mais lesquelles? Il y
a Louis I«*, prince de Condé, se mettant à la tète des calvi-
nistes, vaincu, fait prisonnier par l'armée roj'ale et catho-
lique ; mis en liberté, il n'en use que pour recommencer là
guerre contre son roi.
)) 11 y a le grand Condé, qui se met contre le roi, à la tCte de
la guerre civile, passe aUx Espagnols, est vaincu par Tur^nue
et donne, dans ses derniers jours, l'exemple du respect des tra-
ditions monarchiques et catholiques qui ont fait la grandeur
de la France.
» Il y a Philippe-Egalité, lâche complice des conspirateuri
contre la monarchie, votant la mort de Louis XVI et mourant
sans courage sur l'échafaud.
» Eh bien, Monsieur le duc, à quelles traditions de vos
aïeux ùtes-vous resté fidèle ? Est-côà celles du calviniste, est-ce
à celles du régicide, est-ce à celles du conquérant de Id
Franche-Comté, serviteur loyal de son roi ?
») Malgré les trahisons de Louis I", prince de Condé, malgré
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 381
Dieu a lavé par le sang, en 1793, les fautes du philoso-
phisrae et de l'irréligion; en 1830, il flagellait notre orgueil
par la honte^ Rien ne console, rien ne distrait, dans cette
Tévolution de boutique. On vit l'usurpateur, monté sur uïl
balcon, entonner comme un histrion la Marseillaise au soft
tl'un clavecin tenu par sa sœur, en face d'une multitude
avinée, hurlante» ;^ui criait : Bisf et l'homme recommen-
çait*.
Il n'entre pas dans notre plan d'exposer ici par quelles
fautes d'un côté, par quelles intrigues de l'autre, la
branche d'Orléans arriva au trône. Traitant la question
uniquement au point dé vue religieux, nous ferons re-
marquer, avec les historiens catholiques, qu*il y eut alors
une recrudescence de voltairianisme.
les égarements passagers du héros de Rocroi, la France s'est
relevée et a vu le siècle de Louis XIV.
» Malgré la défection des princes d'Orléans de nos jours,
malgré leurs affinités incurables avec la révolution, dont les
dernières phases produisirent la Commune, la France se relè-
vera, comme après l'anarchie, les hontes, les trahisons de la
Fronde; la France se relèvera et se sauvera en prouvant
qu'elle est restée monarchique et catholique, seule condition
pour reprendre son rang eh Europe et continuer ses glorieuses
destinées. »
* Ce n'était pas chose aisée, dit M. Trognon, que de faire
respecter, au début de son établissement, une royauté assise
sur les pavés des barricades. Plusieurs jours se passèrent du-
rant lesquels le Palais-Royal resta à peu près ouvert à tout
venant. Point de livrée dans les antichambres, de peur d'offen-
ser les susceptibilités de la démocratie aux bras nus ; point de
gardes aux portes, sinon des hommes contre lesquels, ea
d'autres temps, il eût paru prudent de se garder. 11 ne man-
quait point de gens qui, pour avoir reçu dans la rue des poignées
de main du prince, le jour de sa visite à l'Hôtel-de-Ville, se
croyaient des droits au même accueil dans ses salons ; ce n'était
pas pour rien qu'on l'avait salué du titre de roi-citoyen : il lui
fallait payer les frais de sa popularité, et il n'était pas toujours
libre de s'y refuser-,
352 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
La monarchie de Juillet ne voyait dans la religion qu'un
instrument de gouvernement : à ses yeux, la loi devait
être athée, c'est-à-dire absolument indifférente entre les
divers cultes. A cette époque, la joie fut immense parmi
tous les ennemis de l'Eglise, de l'ordre social, de la vérité
sous ses diverses formes. Les honnêtes gens furent cons-
ternés. Il devint à la mode de les honnir. La rue, avec ses
passions brutales, fit la loi et refusa de la recevoir. La
maison du Seigneur, envahie, retentit de rugissements
sanguinaires. La mort est vociférée contre les évêques,
les religieux, les prêtres. Le déchaînement de la fureur
révolutionnaire fait tout craindre. Les archevêques de
Besançon et de Reims sont en fuite ; l'évêque de Nancy
est menacé de mort; l'évêque de Chartres s'abrite sous un
toit étranger; celui de Châlons se cache h l'hôpital; celui
de Séez récfeme l'hospitalité d'un château qui lui est
fermé; les évêques de Perpignan et de Marseille n'évitent
la mort qu'en quittant précipitamment leurs sièges. A
Saint-Sauveur, près de Poitiers, le curé e«t brutalement
arraché de ï' autel pendant qu'il célèbre la mesae; à
Villeneuve, on le jette en prison; à Bourbon-Vendée, le
vicaire est lapidé dans son lit; à Matha, dans la Charente-
Inférieure, on l'assomme à coups de bâton. De semblables
violences se multiplient dans chaque département. L'esprit
qui triomphe se livre à ses œuvres naturelles. Dans uu
seul diocèse, M. Roselly de Lorgnes compte seize curés,
dans un autre quarante, qui sont en péril de mort et
chassés de leurs demeures. Des personnes la haine s'é-
tend aux édifices. Outre l'archevêché de Paris saccagé,
la cathédrale violée, les ornements sacrés traînés sur les
boulevards dans une procession dérisoire, l'église de Blois
est envahie et souillée; les maisons religieuses du Saint-
Esprit, de Saint-Lazare, du Mont-Valérien, le séminaire de
Conflans, près Paris, etc., sont ou saccagés ou vidés par
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 353
la force. A Strasbourg, Cahors, Nancy, Autun, Narbonne,
Saintes, Chartres, Dijon, etc., des forcenés, convaincus
qu'il ne s'agit pas seulement de l'expulsion du roi lé-
gitime, mais aussi de celle du Dieu unique qui proscrit
ces enivrements brutaux, abattent le signe de salut et
ne laissent pas une croix debout. Suivant les localités, les
outrages varient. A Blois, à Niort, l'image de Jésus-
Christ est enlevée et traînée comme celle d'un malfaiteur
à l'hôtel de ville. A la Ferté-sous-Jouarre, on l'arrache de
l'église au milieu des huées; on la scie et on la foule aux
pieds. A Sarcelles, on mutile Notre-Seigneur sur la croix;
à Beaune, après l'avoir outragé, on le brûle, tandis qu'à
Montargis on le noie dans la rivière. Dans quelques villes,
à Poitiers, Toulon, Riom, Nîmes, Toulouse, l.-utorité
procède officiellement au sacrilège; à Paris, elle ferme
l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois, parce qu'on y célèbre
un service de fondation pour un prince assassiné, et elle
en fait une mairie. Ailleurs, elle semble redouter la lu-
mière : à Bourges, par exemple, à Trévoux, à Rodez, à
Grenoble, c'est la nuit qu'elle procède pour abattre les
croix. A Carpentras, à Noyon, les ouvriers indigènes
refusent leur aide; il faut appeler l'incrédulité foraine, ou
bien, comme à Besançon, employer la main militaire,
destinée à d'autres exploits. Par la même cause, les hosti-
lités municipales, la tendance à l'usurpation des pouvoirs
ecclésiastiques, ne sont pas moins manifestes. Ici, un maire
enfonce les portes de l'église; là, il prescrit au curé à
quelle heure il dira la messe; ailleurs II fait chanter par
les siens un office de sa façon, psaumes patriotiques à
versets sanguinaires. A Berru (Marne), le fils du maire
lit dans le sanctuaiie le recueil des actes administratifs et
empêche le catéchisme. A Pouilly (Yonne), la garde na-
tionale prend l'église pour place d'armes et supprime les
vêpres. Dans les grandes villes surtout, le souffle de l'im-
854 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
piété attise le foyer des haines populaires. La calomnie
s'adosse aux murs de la capitale, les souille d'orduriers
écrits; les moins dégoûtants s'intitulaient : Infamies des
prêtres. Dans un commun effort contre le sacerdoce, les
voltairiens mettent à ses trousses des bandes de crieurs
vociférant : » Les poignards et la poudre découverts dans
les caves de l'archevèclié I — Les chanoines et les sémi-
naristes qui ont tiré sur le peuple par les fenêtres I *— Les
armes surprises chez les Frères des Ecoles chrétiennes
(qu'on a soin d'appeler ignoratitiiis) 1 — L'empoisonnement
des blessés de Juillet par les Sœurs de la Charité I — Les
Jésuites déguisés arrêtés dans les rassemblements! etc. »
Le culte catholique, poursuivi par des aboiements obscènes
dans les rues, les passages, les promenades, jusque sous
les fenêtres do Louis-Philippe, condamné sans être en-
tendu, est mis au carcan et exposé sur le pilori des
théâtres. A côté des ennemis effrontés et bruyants
marchent des outrageurs taciturnes. Tantôt c'est un Ar-
ménien du Gros-Caillou qu'on rencontre portant écrit sur
la poitrine : Qu'est-ce qu'un prêtre? et distribuant une
explication infernale de ce mot; tantôt c'est quelque der-
viche de la rue Quincampoix débitant la prétendue Corres-
pondance des éoêques sur les événements de Juillet, Et pendant
que l'apostasie soulève sa tète hideuse, des mimes pa-
rodient sur le seuil des églises les saintes cérémonies de
la messe ^
* Sous le gouvernement de Juillet, l'Université fut peuplée
de professeurs impies qui enseignaient à leurs jeunes élèves la
négation des dogmes du christianisme. Nous nous contenu
terons do citer ici les paroles suivantes de M. Patrice Larotjuc,
recteur de l'Académie du Limoges, ex-prol'essour de philosophie
au collège royal de Grenoble :
« ... Rien n'est plus véritablement impie que le dogme de
l'éternité des peine!»... » Quatre lignes plus bas il ajoute :
«1 r,'c?t, jn le réputé, de toutes les irapiéléâ, la plus clil'oyable
LA PivOLUTION DE JUILLET 1830. 3o5
Le gouvernement nouveau ne fit rien pouf s'opposer à
ces abominations. Il sentait que la vertu lui était hostile,
et il n'était pas fâché d'humilier la vertu. Son grand
travail désormais, pour s'affermir, sera de fausser les
consciences, de les habituer insensiblement à appeler mal
ce qui est bien, et bien ce qui est mal *.
Parvenus au pouvoir, les francs-maçons îie négligèrent
rien pour blesser l'Eglise de France au cœur, en faisant
tous leurs efforts pour tarir les vocations au sacerdoce.
Plusieurs séminaires, grands ou petits, entre autres
ceux de Verdun, de Metz, de Meaux, de Nancy, de Châlons-
s'-ir-Marne, de Pont-à-Mousson, furent violemment fermés.
De plus, une ordonnance royale, en date du l^' octobre,
décréta ce qui suit contre ces établissements : 1° L'article 7
de l'ordonnance du 16 juin 1828, portant création de huit
mille demi-bourses dans les écoles secondaires ecclésias-
tiques, est rapporté ; cette dépense cessera en conséquence
de faire partie du budget de l'Etat, à compter du 1" jan-
vier 1831; 2° Demeureront, au surplus, en pleine vigueur
et seront exécutées les autres dispositions des deux or-
donnances du 16 juin. » Pendant que l'on fermait et que
l'on dépouillait les séminaires, le préfet de la Seine,
Odilon Barpot, formait le projet de supprimer les écoles
des Frères dans tout son département, sous le ridicule
prétexte que « ces religieux retenaient l'enfance dans les
entraves, et retardaient, par politique, le moment où l'es-
prit prend son essor. » Enfin l'année 1830 se termina par
deux circulaires du ministre des cultes, Mérilhou, dignes
de la couronner : la première, datée du mois de no-
vembre, défendait la célébration des fêtes autres que les
quatre consacrées par l'induit du cardinal Caprara^ la se-
que l'homme ait pu imaginer et que sa bouche puisse pro-
férer. » (Cours de ■philosophie, 1838, p. 209-297.)
* Voyez le Monopole universitaire.
356 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
conde, contre-signée au mois de décembre, supprimait la
Société des Missionnaires de France, et leur enlevait le Mont-
Valérien, où était le calvaire. En 1831, M. de Montalivet,
aussi ministre des cultes, défendit la procession de l'As'
somption *, etc.
L'égpllse de Sainte-Geneviève profanée*
Ne pouvant pas entrer dans tous les détails des im-
piétés qui souillèrent la France dès le commencement de
cette révolution provoquée par les mauvais écrits que la
Restauration eut l'imprudence irréparable de laisser mul-
tiplier et répandre partout', nous finirons ce tableau en
rappelant d'abominables profanations qui consternèrent
tous les cœurs chrétiens.
Le 26 août, l'église de Sainte-Geneviève, à Paris, fut
retirée au culte catholique et de nouveau convertie en
Panthéon. Les patriotes avaient pris l'avance à l'issue des
événements de Juillet, en rétablissant sur ce monument
l'inscription de la première révolution.
Voici comment un éloquent publiciste a flétri cette im-
piété voltairienne :
* L'Ami de la religion, t. LXV et LXVL « Le but avoué des
libéraux, enfants adultérins de la République et de l'Empire,
dit Crétineau-Joly, était de provoquer un schisme et d'ébranler
à coups de subterfuges légaux cotte Jérusalem qui se bâtit
comme une cité et qui ne fait tout entière qu'un seul corps. Le
choix des premiers ecclésiastiaues, appelés à l'épiscopat par
l'insurrection de Juillet, dut nécessairement se ressentir de ces
dispositions. Le vent soufUait contre le clergé. On se promet-
tait de le séduire ou de l'etfrayer; on désigna pour évoques
certains abbés qui n'avaient que le moins possible les vertus
de leur état. Devant celte moquerie jeiee comme un ûefi,
l'E^rli^e de France, profondément humiliée, ne cacha point sa
légitime émotion. »
* Voyez la note B, à l'Appendice.
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 3S7
€ La révolution de 1830 jela sur le trône un prince vol-
lairien, qui, durant près de deux années, au nom de la
liberté, proscrivit dans Paris l'habit ecclésiastique. Voltaire
alors reçut ses derniers honneurs. H eut sa statue élevée,
des deniers publics, au fronton d'un temple d'où l'on avait
arraché la croix.
» Ce fut la fin, autant du moins que ces combats peuvent
finir. Voltaire alors reste debout au fronton de Sainte-
Geneviève, mais déjà humilié sous la croix, perpétuel
objet de ses sarcasmes. A cette place insolente, il n'est
désormais qu'un témoin, et non pas un triomphateur.
» Parle, dis ce que tu fais là! Sur nos vieilles cathé-
drales, les barbares et les sectaires de tous les siècles ont
marqué leur passage par d'impuissantes dévastations;
l'incendie, les mutilations, le pillage, ce sont leurs traces;
leurs monuments sont des ruines. Ici les Normands, ici
les protestants, ici les révolutionnaires. Il fallait un monu-
ment plus effronté du règne de Voltaire, une offense plus
signalée aux vertus qu'il aurait voulu abolir; et comme il
n'a rien tant haï que la foi, l'humilité et la chasteté, ses
disciples ont eu cette inspiration digne de lui. Dans la
pierre consacrée au Dieu vivant, ils ont figuré l'insulteur
de la chaste Jeanne, et ils en ont insulté le souvenir de
l'humble Geneviève : Quoniam diffamavit nomen pessimum
super virginem Israël. 0 renégats du Dieu et de l'honneur
de la France! Ayant commis d'un seul coup ce triple
outrage, ils ont appelé le peuple. « Viens voir, connais le
» génie de tes maîtres; apprends d'eux ce qu'ils croient
» et ce qu'ils honorent! » Aujourd'hui ils cherchent à
expliquer leur chute. L'oracle s'est accompli; les pierres
ont crié ; elles crient, elles rendent témoignage contre les
crimes que l'on a voulu les contraindre à glorifier. Voyez
ce qu'ils faisaient, ces hommes d'Etat, ces penseurs, ces
premiers4iés du nouveau genre Tiumaiu ; voilà les monu-
3d8 la révolution de juillet 1830.
lucnts de leur règne, leur foi, leur sagesse et leur recon-
naissance ! Eux cependant, tombés et ne comprenant rien,
témoins aussi pétrifiés que leur idole, se racontent lon«
guoment les beaux jours qui virent leurs grandes actions.
JiCs uns accusent la folie et l'inconstance populaire, les
autres cherchent à deviner par quel prodige t la civilisa-
tion du dix'huitième siècle, » comme ils disent, n'en a
pas fini avec l'Eglise; pourquoi l'Eglise a survécu aux
mépris comme à la violence; aux pamphlétaires comme
aux bourreaux; pourquoi le règne de Voltaire expire et
celui du Christ recommence ; pourquoi la croix passe en-
eoP8 une fois du lieu de? supplices au front des empe-
reurs *, »
Sac de Saint 'Gcriuatp'rAaxerrola.
Le pillage du presbytère et de l'église a été consommé
par des bourgeois en habit noir et par des étudiants fai-
sant là leur stage de juges de paix.
La pire excitation des scélérats était la douleur des
bons. Le vieux monument de la piété de nos pères fut
livré au cynisme en goguettes. On le dépouilla de ses orne-
ments; on brisa le tabernacle où Dieu est toujours pré-
sent, dans son adorable humanité. On mutila ses statues;
1 Le noble et CQura8:Qux archevêque de Pari» flétrit en
quelques mots l)icn cnergiqueg cette impiété. « Quel est, je ne
dis pas le chnHicn, le prêtre, l'évêque, mais seulement le
Français, l'homme honnête qui ne gémisse à la vue du nouvel
outrage fait à la religion du pays? quelle est la femme pu-
dique, la raùro de famille, la fille tant soit peu modeste, qui
ne rougisse devant celte apothéose où rinftlme détracteur de
l'héroïne d'Orléans et le père honteux d'iicloise usurpent les
honneurs dus à la vierge de Nanterre, et ravissent des cou-
ronnes qui n'appartiennent qu'à la vertu? Je suis assez fier de
ma patrie pour croire que j© serai toujours du côté de l'im-
mense mi'jorité. »>
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 3o9
on détruisit l'aulel: on se fit des habita sacerdotaux un
d'^2;u.soment de carnaval. Tandis que cette foule, à deux
pas de la demeure du roi-citoyen, dansait en hurlant et
en blasphémant, un apothicaire, officier municipal, nommé
Cadet-Gassicourt, intimait l'ordre d'abattre la croix qui
s'élève au-dessus du temple. Ce fut la seule autorité dont
Ja présence et l'action furent constatées sur les lieux.
liO lendemain, l'insurrection a changé d'hommes et de
plan : elle allait se ruer contre le Palais-Royal, entouré de
ses baïonnettes intelligentes. Les avenues en étaient soi-
gneusement gardées par la troupe de ligne. L'insurrection
hésitait; d'habiles recruteurs lui persuadent « de donner
une bonne leçon à l'archevêque de Paris. » Ms'' de Quélen
est bien coupable en effet. Ouvrier irréprochable, selon les
saintes Eoritures, sachant traiter droitement la parole de
vérité, et imitant l'exemple de Simon, fils d'Onias, souve-
rain-pontife, il monte à l'autel pour orner et honorer le
saint habit qu'il porte. M°' de Quélen a sagement refusé
de se prêter à un service commémoratif de l'assassinat du
duc de Berry. Un mandat d'amener n'en fut pas moins
décerné contre lui, que l'orléanisme désignait à la vindicte
des siens. Le Palais-Royal n'a plus rien à redouter; ses
favoris, ses c(jnfidents, ses ministres et ses ofticiers assistent
en souriant à ce spectacle de dévastation.
Le Moniteur et le Journal des Débats avaient exe ;sé et
presque encouragé les fureurs que, dans leur stylq Q;ïîciel,
ils appelaient la légitime indignation du peuple. Ce peuple
se sent les coudées franches; on lui passe pour son mardi
gras les ornements sacrés, l&s livres précieux, les tableaux
historiques et les archives de l'archevêché. Il brûle, il jette
à l'eau, il met en pièces tous ces trésors d'une science sé«
culaire. Le pillage consommé, il laisse à l'orléanisme et à
ses gouvernants le soin de s'accuser entre eux. Tous étaient
coupables de complicité ou d'apatlîie; tous s'accablaient
360 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
des reproches les mieux mérités, tous ne rencontrèrent an
Palais-Royal que des éloges et des récompenses.
Pillag-e et destraction da palais arcMépiscopal de Paris.
La populace, encouragée par l'attitude du gouverne-
ment, ne garde plus de mesure. On cherche M«' de Quélen,
le saint archevêque de Paris, pour l'égorger; on force son
palais, on brise, on déchire, on incendie, on pille tout.
Louis-Philippe et les siens ne font pas un mouvement
pour arrêter ces bacchanales immondes. « Laissez passer
la justice du peuple! » dit froidement un ministre '. Elle
repassera, cette justice, en 1848, et cette fois elle sera
bien nommée \
L'abbé Lacordaire, à la vue de ces sauvages dévasta-
tions, écrivait dans VAveiiir ces lignes pleines d'une j^uate
indignation :
« Ce palais avait été bâti par les prédécesseurs de M^' de
Quélen; il fut envahi et saccagé dans les journées de 1830 :
1 Un écrivain dont le témoignage ne sera pas suspect, le
révolutionnaire Louis Blanc, raconte ce curieux épisode du
pillage de l'archevêché de Paris en 1831 :
« A l'archevêché, les démolisseurs poursuivaient leur œuvre
avec une fureur croissante. Témoin de cette lugubre comêdio,
M. François Arago frémissait de son impuissance, et comme
savant et comme citoyen. Convaincu qu'il y avait parti pris, de
la part du pouvoir, de favoriser l'émeute, il allait donner ordre
à son bataillon d'avancer, décidé à tout plutôt qu'à une rési-
gnation grossière, lorsqu'on vint l'avertir que quelques perso/i-
nages marquants mêlés aux gardes nationaux les engageaient
à laisser faire. On lui cita particulièrement M. Thiers, sous-
SECRKTAIRE D'EtAT AU MINISTÈRE DES FINANCES. Il L'aPERÇUT EN
EFFET, SE PROMENANT DEVANT CES RUINES AVEC UN VISAGE SATISFAIT
ET LK SOURIRE AUX LÈVRES. »
Quoi d'étonnant, après cola, que M. Thiers n'ait pas assisté
aux obsèques de M^' Ddi'boyl
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 361
les meufeles furent jetés par les fenêtres, les boiseries et
es parquets enfoncés; on arracha les portes de leurs
gonds, on brisa les croisées, on déchii^ les chartes de
l'Eglise de Paris, et on en foula aux pieds les lambeaux.
» Nous ne rappellerons pas les autres injures publiques
que notre premier pasteur a eu à subir. Nous tairons les
sacrilèges de Saint-Germain, de Sainte-Geneviève, de l'Ab-
baye-aux-Bois, l'enlèvement des statues qui ornaient le
sanctuaire de la métropole ; nous tairons encore ces in-
dignes refus de traitements que la France connaît aujour-
d'hui et qui, étant une exception arbitraire à l'ordre com-
mun, empruntaient de cette circonstance et des malheurs
de l'archevêque le caractère de la plus basse persécution.
Il faut finir ; le pouvoir nous a instruits à marcher vite
q^iand il s'agit de la honte.
» Voilà ce qu'on a fait à notre honorable pontife depuis
un an; c'est-à-dire que quiconque a pu lui donner une
preuve d'animosité la lui a donnée, et tout le monde l'a
pu. Ennemis de k religion, ennemis personnels, peuple
aveuglé, ministres, magistrats, chacun s'est jeté sur la
victime, chacun l'a déchirée à son tour, et on chercherait
en vain un genre d'injures qui lui ait été épargné.
» Quand, après cela, on se demande d'où vient tant de
haine, nul ne le sait. Qu'a fait Ms"" l'archevêque de Paris
qui lui ait mérité un sort si différent du sort de ses col-
lègues dans l'épiscopat? Homme doux et aimé dans son
intérieur, évêque plein de tolérance, il avait encore des
qualités populaires, et nul évêque sous la Restauration,
n'a joui de moins de faveur à la cour. »
Le lendemain la calomnie s'assit dans les caves et dans
les appartements dévastés : là elle vit des poignards, ici
des habits de femme. Les portefeuilles étaient pleins de
mystères affreux dont on promettait la réN'élation à la
France, et l'on eût dit qu'une moitié de l'eufer, pour le
lU
362 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
moins, avait été prise sur le fait à l'archevêché par la
Révolution*.
Cependant l'illustre calomnié cacha sa t6te où il put; il
erra pendant six mois de maison en maison, craignant de
compromettre les amis qui lui donnaient l'hospitalité, €ft
poursuivi dans ses divers asiles par des libelles innon>
trahies. Au bout de six mois d'une vie cruellement trou-
blée, on se ressouvint que les murs de son palais étaient
encore debout. Quelque chose qu'on appela le peuple s'y
précipita de nouveau, et, après avoir achevé la dévastation
des appartements, se mit à enlever les toits, afin que le
soleil vît ce qui avait été fait. La croix, qui le voyait aussi,
tomba ce jour-là de Notre-Dame, et tandis que la Seine
emportait le long de Paris, sous les yeux de l'autorité im-
mobile, les preuves du pouvoir des forçats dans la capitale
de la civilisation, ces bandes animées par l'impunité re-
* Parmi les objets précieux qui étaient à l'archevêché se
trouvait un christ en ivoire, chef-d'œuvre de sculpture anato-
niique, qnc Louis XIV avait donné à M"" de La Vallière lors
de sa profession, qu'on avait trouvé en 1791 chez les Carmélites
de la rue Saint-Jacques lox-s de la suppression des monastères.
Napoléon l'avait fait tirer depuis du g'arde-raeublc pour
décorer l'archevêché, dans le temps qu'il voulait y loger le
Pape. Ce christ, frappé de deux coups d'un instrument tran-
chant, fut porté à riiôtel-Dieu par deux hommes du peuple qui
venaient de contribuer aux dévastations.
La statue de la sainte Vierge en argent, que Charles X avait
donnée à Notre-Dame, fut jetée par la fenêtre sur la pavé; le
piédestal fut cassé ; trento-ti'ois marcs d'argent qui composaient
les ornements furent volés, ainsi que les picda et le soclo delà
statue.
Si îi tous ces détails on joint les sept meurtres commis pen-
dant la dévastation, soit dans l'archevêché môme, soit auprès
du jardin, on comprendra aisément que la désolation fùL au
comble dans une maison qui, à l'époque même do la premicre
Uévolution, n'avait pas été le Ihéàlrc de pareilles horreurs.
(IIiiNiiioN, Histoire de l'Eglise.)
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 363
montaient le fleuve et ravageaient le seul lieu où la pensée
de leur victime pouvait encore chercher la paix. Conflans
fut détruit. Le troisième jour, l'archevêque de Paris
n'ayant plus rien à perdre sur la terre, la tranquillité se
trouva rétablie, et quatre-vingt mille hommes sous les
armes annoncèrent aux forçats que leur règne était fini, à
l'Europe que l'ordre était sauvé.
La jasdce de Diea et la veng^eauce d'an archevêi|ne.
W de Quélen, obligé, pour se dérober à la persécution,
de se cacher chez des amis fidèles, vécut en proscrit au
milieu de son diocèse. La main de Dieu, plus forte que les
haines des hommes, allait bientôt le rappeler au grand
jour.
Voici ce qu'écrivait à ce sujet un célèbre publiciste dans
l'Invariable :
« A des fléaux humains, déjà bien propres à nous désa-
buser et à nous instruire. Dieu a ajouté des fléaux plus
éloquents encore. Depuis que les peuples sont entrés dans
le malheur par la révolte, il leur rend son bras plus pesant
et plus visible J car il veut que sa justice dise enfin son
nom à ceux qui ont refusé de l'apprendre de la miséri-
corde. Ici, aux cris de blasphème contre son Christ, il
répond par la mort instantanée du blasphémateur; là, aux
croix abattues dans nos champs, il répond en détruisant
les moissons qu'elles protégeaient; à l'impiété des villages
il répond par la foudre qui les consume, comme à l'im-
piété des villes par la misère et la famine qui les dé-
ciment ; à l'insolent ministre-roi qui envahit le patrimoine
de l'Eglise il répond en changeant son orgueilleuse sa-
gesse en folie et son trône en cercueil ; enfin, aux crimes
sans nombre et sans nom de la ville de sédition qui jette
364 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830
ses pavés au front des rois, il répond par le mal inconnu.
le mal impénétrable dont les savants ne savent pas la cause,
dont la science ne sait pas le remède, le mal intelligent <jui
frappe avec discernement ei punit avec justice*.
Le choléra, après avoir franchi les limites de l'Asie et
promené ses ravages dans le nord de l'Allemagne, était
parvenu aux portes de la France, précédé de la terreur
q.i'il répandait partout sur son chemin. Tout-à-coup les
angoisses se changent en une affreuse réalité : le choléra
est à Paris. Les hôpitaux se remplissent; ceux qu'on
ouvre à la hâte de tous côtés ne suffisent bientôt plus. Les
affaires cessent; les meilleurs sentiments s'altèrent et
s'affaiblissent. Les familles s'enferment dans l'isolement;
l'enfant meurt sur le sein de sa mère, qui succombe bien-
tôt elle-même; les époux expirent à quelques instants l'un
do l'autre. Le savant est frappé dans son cabinet, l'artisan
dans son atelier, le riche dans ses somptueux apparte-
ments, le pauvre dans son galetas. Un seul jour vit dix-
huit cents décès de tout rang et de tout âge (10 avril 1832).
On eût dit les funérailles de tout un peuple. Belzunce du
dix-neuvième siècle, M^' de Quélen sort de sa retraite h
l'appel du fléau, qui est pour lui la voix de Dieu. Il se
montre plus majestueux qu'au temps de sa prospérité; il
ne craint ni les flots soulevés naguère contre lui, ni la
faux de la mort, qui frappait au hasard la vcitu comme le
crime, sans distinction d'âge ni de position. Il dirige ses
* Ne faut-il pas être aveugle de l'aveuglement du siècle des
lumières, pour ne pas voir la justice divine dans ces HUIT
MILLE héros ou décorés de Juillet, abaltcurs de croix, profa-
nateurs ou pillards d'églises, frappés à Paris parmi quarante à
cinquante mille victimes, tandis que, parmi ce clergé si nom-
breux, si zélé et si exposé, et cette multitude de sœurs de cha-
rité, si intrépidement dévouées, on ne compte que DLUX
religieuses qui aient succombé, et CilS'Q prôtres, dont eacora
deux vieillards et deux iiilinaes I...
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 36o
pas vers les hôpitaux, où les moribonds étaient amenés de
toutes p'arts, dans ces salles encombrées où chaque minute
entendait un dernier soupir. Tous les cœurs s'émurent, des
pleurs coulèrent de tous les yeux. Au chevet des pères et
des mères qui lui recommandaient leurs enfants, aux cris
lamentables de l'agonie, en pressant les mains glacées des
malheureux cholériques, en recueillant leur dernier souffle,
M*' de Quélen promit d'être le père de tant d'orphelins *.
Le 28 décembre 1832, il parut en public pour la première
fois depuis le pillage de l'archevêché. L'église de Saint-
Roch, où l'héroïque prélat devait prêcher, fut assiégée
dès le matin par les flots pressés de la multitude qui inon-
dait les avenues du saint lieu. Bientôt tous les yeux, tour-
1 Plusieurs de ces malheureux avouaient en pleurant à
Me^ de Quélen qu'ils avaient pris part au pillage de l'arche-
vêché et à toutes les scènes d'horreur qui l'accompagnèrent.
« Nous ne vous connaissions pas alors, lui disaient-ils en fon-
dant en larmes, on nous avait égarés. » L'héroïque prélat les
consolait, calmait leurs remords par les assurances mille fois
Féilérées de son pardon, et soulageait leur douleur par ses pa-
ternelles consolations. Il ne se vengeait qu'en redoublant de
charité et de tendresse.
Parmi les objets de prix que renfermait l'archevêché, il y
avait encore une petite croix ornée de diamants et où était
enchâssée une parcelle de la vraie croix ; elle avait appartenu
à la reine Anne d'Autriche, qui la portait habituellement. Elle
disparut dans la dévastation, mais fut rendue plus tard, pen-
dant les ravages du choléra. Un malade qui se confessa ne
voulut pas mourir avec cette croix accusatrice, et demanda
qu'elle fût restituée au véritable propriélaire. La plupart des
diamants avaient disparu, mais la parcelle de la vraie croix
était restée intacte.
A peu près dans le même temps, un calice et deux patènes
venant aussi de l'archevêché furent restitués. Ces objets se
trouvaient dans un tel état, qu'on pouvait à peine recûunaître
leui- première destination. On avait dénaturé la forme, mais
au moins la matière était conservée.
{L'Av.ri de larcU(/iun. t. LWII, p. 214.)
366 LA ftévoLunoN de juillet t830.
Hos v«rs la chaire sainte, annoncent l'arrivée du pontife*.
A la vue de cette noble figure, pàlic pa? la douleur, vieillie
par la souffi-ance, mais toujours douce autant que majes-
tueuse, l'émotion fut unanime et profonde ; lui-même, à
l'aspect de cet immense concours de fidèles assemblés
pour le revoir, pour l'entendre, ne put retenir ses larmes.
Sa voix, d'abord altérée, s'affermit peu à peu sans rien
perdre de son onction; pas un mot d'amertume, pas un
souvenir du passé ne s'échappa de ses lèvres : comme
saint Vincent de Paul, il avait à plaider la cause des orphe-
lins, il ne s'occupa que d'eux. Lorsque le saint archevêque
descendit de la chaire, il vit cette foule émue, empressée,
qui l'étouffait presque, s'agenouiller sous ses bénédictions.
Quatre-vingt mille francs, fruit de la quête, remis, le soir
de ce beau jour, entre les mains du prélat, inaugurèrent
l'œuvre des Orphelins du choléra; elle versa, dans le cours
de son existence, plus d'un million dans le sein des mal-
heureux.
Chât«I, primat de l'Eglise franchise.
Le gouvernement de Juillet, qui laissait traquer le noble
archevêque de Paris par la lie de la populace, encoura-
geait les projets d'une espèce de saltimbanque qui se pro-
posait encore une fois de réformer la sainte Eglise et de la
mettre au niveau du siècle'. Voici quelques détails bio-
graphiques sur ce plaisant personnage :
Châtel, né à Gannat et ordonné prêtre à Glermont, alors
* Voyez l'Histoire de l'Eglise, par l'abbé Darras.
2 Nous ne ferons pas à M. Châtel l'honneur de le comparer
à Luther. Qu'est-ce que ce pygmée du schisme près du gigan-
tesque sectaire qui remua l'Lurope au xvi" siècle ? Quand le
lion, sur le soir, sort do son autre, rugit et déchire sa proie,
il y a des animaux lâches qui le suivent de loin pour lécher à
terre les gouttes de sang çà et là sur ses traces.
{L'Avenir, 19 avriH831.)
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 3G7
que le diocèse de Moulins n'était pas encore rétabli, devint
aumônier d'un régiment de carabiniers de la garde royale.
Dans les différents séjours de garnison qu'il fit à Versailles
et à Meaux, on put pressentir en lui les dispositions du
futur primat de l'Eglise française. En 1826, comme il prê-
chait la station du carême à la cathédrale de Meaux,
M. Féry, supérieur du grand séminaire, auquel l'évêque
demandait ce qu'il pensait de l'orateur, répondit : * Mon-
seigneur, je ne sais trop pourquoi, mais cette bouche, en
prêchant la vérité, me paraît menteuse. » On a dit que
Châtel fit le coup de fusil en 1830. Ce qui est plus certain,
c'est qu'au moment de l'insurrection, il essaya de faire un
journal, et Paris vit ses murs tapissés du prospectus sur
lequel il s'était fait dessiner en soutane et en manteau
long, donnant la main h un patriote h qui il disait : « Je
suis prêtre, mais tolérant, » et qui lui répondait : « Je
vous cherchais. » Alors Châtel imagina de s'o/frir gratuite-
ment à quelques maires qui se trouvaient avoir des discus-
sions avec leur curé et leur évêque ; bien qu'annoncé dans
tous les journaux, cet essai n'eut pas non plus de succès.
L'ancien aumônier de régiment voulait ouvrir à Paris, rue
Sainte-Avoie, une espèce de culte, attirant le peuple par la
promesse de cérémonies et de prières gratis et en français.
C'est après avoir obtenu de M. 0. Barrot, alors préfet de la
Seine, cette réponse : Agissez, Monsieur l'abbé, vous avez la
LOI POUR vous, que le prêtre égaré publia que, le dimanche
23 janvier 1831, il inaugurerait une chapelle qu'il appelait
catholique française ; comme si la dénomination limitative
de française ne faisait pas mentir l'épithète de catholique
ou universelle. Cette chapelle était une chambre au deuxième
étage, rue de la Sourdière, près Saint-Roch. Ceux qui y
suivirent le parodiste sacrilège n'avaient ni enthousiasme,
ni foi, ni rien qui ressemblât même de loin au fanatisme
qui fait les hérésies et les schismes. Auzou, renvoyé de
368 LA RévOLUTION DE JUILLET iS36.
Versailles, où la poHce avait eu à s'occuper de lui, acteur
des théâtres de la banlieue, vivant assez misérablement
aux alentours de l'Ecole-Militaire de Paris, était venu ser-
VH. d acolyte à l'apostat. Blachère, qui ne savait non plus
où douner de la tête après ses non-succès de vocation
ecclésiastique à Viviers, au collège Stanislas et à Meaux,
s associa aussi à cette déplorable entreprise de culte^ A
un et a 1 autre Châtel donna le vivre et le couvert. Tous
trois Ils redigèrent et signèrent une profession de foi qui
fit dire que si les fondateurs de l'Eglise française n'étaient
pas plus forts en théologie que sur notre langue, il n'v
avait pas lieu à leur prédire du succès. Ils obtinrent au
moins le scandale. L'usage de la langue vulgaire dans les
offices n était de la part des novateurs qu'un plagiat ridi-
cule. L Eglise constitutionnelle, dont Châtel copiait la
nturgie lui fournit, dans la personne de Thomas-Just du
Foulard, ancien évêque de Saône-et-Loire, le moyen de se
recruter *. *^
' Ils disaient la messe et administraient les sacrements en
langue vulgaire. Leur vénération pour les saints se boniait^
da ent le cehbat des prêtres comme opposé à l'esprit 6^1 la
ettre de 1 Evangile. « C'est, disaient-ilsflm état con^tre natur
tant que les prêtres ne seront pas mariés, la relig o f p5 h^
'oc-ar rrVrr^ÏH '^''"^:;'^' ""^^-J^^ de^pertu'rbat^
bociale ,. etc Les prédications de Châtel n'étaient le plus
souvent, que des déclamations contre tout ce qui est vénéré
par les catholiques. Il mêlait au dogme la poli gue e
blasphème le ridicule Un jour, il annonça qu'i^p r S de
des bouquets à toutes les dames. 11 admettait à la première
traTtTeZw ';-^ '"'"'^"°" ^^ ^^"^ préparation; il En !
trait de même les sacrements de Confirmation et de Mariage.
Ja ,."//"* '^''°"' ^ "ï'^^ï degré d'abjection peut dos
piacarclce en i8*2 aux coins des rues delà capitale •
«Sûireo maçonnique, dramatique etphilanthropique, donnée
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 369
Nous ne parlerons pas de personnages divers qui con-
coururent successivement aux scandales de l'abbé Châtel;
de la séparation d'Auzou d'avec le primat; de l'établisse-
ment, aussi ridicule que sacrilège, de V Eglise presbytérienne
française sur le boulevard Saint-Denis; de la fin de cette
entreprise, suivie de la pénitence et de la rétractation de
son auteur; de la rétractation de Blachère et de sa rechute
déplorable. En vain, le jour de l'Assomption 1832, M^' de
Quélen, archevêque de Paris, écrivait-il à Châtel : l'apostat
ne sut comprendre la lettre du premier pasteur; il la com-
menta avec ses sarcasmes et ses blasphèmes accoutumés,
dans sa chaire du faubourg Saint-Martin, dernier asile de
l'Eglise catholique française. Mais ce que pendant tant d'an-
nées il refusa d'accorder aux invitations de son archevêque,
le prétendu primat se vit forcé enfin de le céder à la force
publique. Grâce à l'imprudente protection du pouvoir, il
avait pu continuer ses parodies scandaleuses jusqu'à la fin
par la loge des Hospitaliers de la Palestine, en son local, rue de
Grenelle-Saint-Honoré, 45, au bénéfice de F.\ ***, ancien
vén.-. et ex-artiste du théâtre... Lesdeux Francs-Maçons, drame
en trois actes, de PeJletier-Volmeranges. Les principaux rôles
seront joués parles FF.*. Lepeintre aîné, artiste du théâtre des
Variétés ; Granger, ex-artiste du théâtre de la Porte-Saint-
Martin; M'^^ Dupont, du théâtre de l'Ambigu, et M^'^ Potel,,
élève du Conservatoire. Les autres rôles seront joués par les
artistes de la capitale. Précédé du Solitaire ou \'Hom7ne-Mélo-
drame, intermède orné de nouveaux rébus, composé et exécuté
par Odry, artiste du théâtre des Variétés. La séance sera ou-
verte et présidée par le F.*. Guerineau, vén.*. de la loge. Immé-
diatement après l'ouverture, il sera fait un discours sur la
philanthropie parle F.*. Châtel, primat de l'Eglise française.
La soirée se terminera par un bal de nuit, dont l'orchestre
sera dirigé par M***. Une mise décente, mais non recherchée,
est de l'igueur. Les maçons seront en costume. Les personnes
qui ne sont point francs-maçons peuvent y assister. Le prix des
billets sera pour un cavalier, 1 fr. 50 c. ; pour une dame,
i fr. »
16
370 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
de 1842. Le préfet de police fit alors mettre les scellés sur
cette école d'impiété et de dépravation. Dans les diocèses
de Langres, de Limoges et de Nantes, les préfets fermèrent
les succursales de la primatiale de Paris, et ces mesures
s'accomplirent sans autres réclamations de la part du fon-
dateur entêté de l'Eglise catholique française qu'une pétition
adressée aux deux Chambres législatives. Voilà où aboutit
une tentative insensée, preuve nouvelle de l'impuissance
de l'ennemi contre la religion de Jésus-Christ.
L'ex-primat de l'Eglise française obtint alors un emploi
dans les postes; mais en 1848 il reparut comme orateur de
club, et vécut dans la misère jusqu'il sa mort, en 1857.
E<es abatteam de eroix.
Après les jours néfastes de la grande Révolution, qui fit
tant de ruines dans notre belle patrie, tous les signes exté-
rieurs de notre sainte religion furent rétablis. Le blasphème
avait fait, pendant la Révolution, des ravages terribles : on
le flétrit dans toute bouche qui se respectait, ce qui porta
les mauvais k multiplier les leurs. L'abstinence du ven-
dredi, du samedi, des veilles de fête et du Carême rentra
dans l'usage général. Les nombreuses statues de saints
placées jadis au coin des maisons, à l'angle des rues, et
qu'on avait brisées ou cachées, furent installées de nou-
veau où la piété des pères les avait honorées. Les croix
des chemins reparurent en grand nombre, ornées de cru-
cifix dont la vue rappelle à Dieu, et alors invitait les âmes
à la pénitence après tant de sacrilèges et d'erreurs. Chacun
faisait mi signe de croix en passant auprès d'elles, et, si
c'était en accompagnant un mort à sa dernière demeure,
on attachait à la grande croix une autre petite croix de
bois qui semblait répéter nuit et jour au Seigneur : « 0
Jésus, vous êtes mort pour cette âme, sauvez-la I » La
LA RÉVOWmO» M JH1U,ET i830. 371
belle, la tottchante, i'évan§éli(nie pratique, que ces images
du Sauveur disposées de toutes parts pour fa-ire souvenir
le voyageur de son pèlerinage vers le ciel et de la soumis-
sion avec laquelle il doit ^eepter le travail, tes sueurs et
les peines de la vk*.
« Je te salae, ô croix, noire uaïque espoir ! Afferims les
bons, pardonne aux coupables, rends-nous dignes de toi. »
Les histoires au4ti«îtiques ne manquent point pour exciter
* Les héros de Juillet, comme on l«s appelait alors, d'accord
avec 1« gouvernement, brisèrent les croix que nos ancêtres
vénéraient. Voici en quels termes le jeune comte de Monta-
kmbert protestait contre ces abominables sacrilèges : « Il s'est
trouvé dan» le monde um peuple qui s'est proclamé le pontife
de la civilisation, le Hbérateitr des nations, le maître de l'a-
venir ; et ce peuple a brisé la creix...; la garde nationale a to-
léré cette profanation, l'autorité l'a encouragée et la société
l'accueillit avec une glaciale indifférence ou une pitié dérisoire.
Ce sacrifice, ce dernier sacrifice entrait sans doute dans la vue
de Dieu, et Celui qui nous a interdit jusqu'au désir de la ven-
geance, se chargera sans doute du châtiment. Mais, nous l'a-
vouons, nous eussions voulu que ce calice nous fût épargné,
qu'on nous eût laissé le privilège de vénérer extérieurement
l'emblème sacré de notre foi, d'y tourner quelquefois nos yeux
fatigués du moftde. Nous savons que la vie nous a été donnée
à une époque de sacrifices et d'épreuves; si nous n'étions
qu'hommes, nous oserions à peiae nous plaindre de la vue
d'un roi forcé de renoncer à ses armoiries, forcé d'abdiquer
l'honneur de ses ancêtres et huit siècles de gloire nationale,
forcé de dire adieu à ces insignes que le monde ne comprend
plus guère, mais auquel on tient comme à ces amis vieux et
délaissés, que l'on chérit à cause même de leur abandon et de
leur vieillesse ; mais nous sommes de plus chrétiens, et nous
croyons notre infortune et notre ignominie plus grande que la
sienne. Notre cœur se soulève à la pensée de cet affront, et nous
nous écrions avec un généreux compagnon de nos luttes et de
nos croyances : « Remplacez ces croix d'or par des croix de
» bais; qu H y ait quelque chose entre Paris et le ciel pour ea
» détourner la foudre. »
372 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
cette sainte dévotion : on sait qu'en mille circonstances,
dans le pays même, les abatteurs de croix ont presque
tous fini misérablement. Les traits que l'on en raconte for-
meraient un volume.
Proranation d'une croix pnnie en ce monde.
Au sortir de notre Révolution, un respectable ecclésias-
tique travaillait au salut des âmes dans un hôpital, et pro-
diguait les secours et les consolations de la religion aux
malades et aux blessés qui s'y trouvaient en grand nombre.
On lui parla d'un soldat dont la vie paraissait un prodige
dans l'état de mutilation où il était. Il eut la curiosité de
le voir. Il s'approche; il aperçoit un homme dont la figure
portait l'empreinte d'un grand calme. * Mon ami, lui dit-il,
on m'a dit que vos blessures étaient très-graves. » Le ma-
lade sourit : » Monsieur, répondit-il, levez un peu la cou-
verture. » Il la lève et recule d'horreur en voyant que cet
infortuné n'a plus de bras. « Quoi I lui dit alors le blessé,
vous reculez pour si peu de chose? Levez la couverture aux
pieds. » Il la lève et voit qu'il n'a plus de jambes. « Ah I
mon enfant, s'écrie le charitable ministre, combien je vous
plains! — Non, répond le malade, ne me plaignez pas, mon
père ; je n'ai que ce que je mérite : c'est ainsi que j'ai traité
un crucifix. Je me rendais à l'armée avec mes camarades;
nous rencontrâmes sur la route une croix qui avait échappé
à la fureur des patriotes : aussitôt on se mit en devoir de
l'abattre. Je fus un des plus empressés; je montai, et avec
mon sabre je brisai les bras et les jambes du crucifix, et il
tomba. A mon arrivée au camp, on livra bataille, et dès la
première décharge, je fus réduit à l'état où vous me voyez.
Mais Dieu soit béni, qui punit mon sacrilège en ce monde
pour m'épargner en l'autre, comme je l'espère de sa grande
miséricorde. » (Retraite du P. Siniscakin.)
LA RÉVOLUTrON DE JUILLET 1830. 373
Impies frappés de BMtrt*
Une personne très-hoaorable nous a adressé le trait sui-
vant :
« En l'année 4848, alors qiie la Révolution semblait
vouloir tout envahM" et réduire au même niveau, dans un
des bourgs du département de h. Loire, trois jeunes gens,
après avoir planté l'arbre de la liberté, voulurent le faire
bénir et firent toutes les tentatives possibles auprès des
pasteurs de leurs paroisses: démarches qui furent inu-
tiles, car l'autorité ecclésiastique s'y refusa complètement.
Alors l'un d'eux prit la parole au milieu de toute l'assem-
blée qui l'entourait, et après avoir prononcé quelques pa
rôles injurieuses à Dieu et à ses ministres, il déclara qu'il
bénirait lui-même l'arbre de la liberté, et il se mit aussitôt
en devoir de procéder à la cérémonie. Il se fait apporter
de l'eau et une branche verte pour lui servir d'aspersoir,
qu'il trempe dans l'eau, après quoi il lève le bras pour
bénir l'arbre. Mais le Dieu vengeur l'a entendu : il tombe
mort au pied de l'arbre... La foule qui l'entoure est terri-
fiée ; elle reconnaît la main qui vient de frapper le sacri-
lège. Quant à ses deux compagnons, ils reconnaissent leur
faute et retournent au presbytère faire leurs excuses aux
ministres du Seigneur.
— Un malheureux, à Angers, dans un accès de fièvre
irréligieuse, conçut le projet d'aller placer un drapeau
tricolore sur la tête d'un Christ; mais la grille en fer qui
environnait le monument l'ayant empêché de pénétrer dans
l'enceinte, il remit à un autre moment cet acte d'impiété.
Deux jours après, on l'entendit tout-à-coup s'écrier : « Je
brûle I je brûle! » M. le curé, appelé, vint aussitôt, mais il
ne put rien tirer de cet infortuné, tout entier à sa douleur,
et s' écriant sans cesse : « Je brûle t je brûle? » Au bout de
374 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 4830.
deux heures, il mourut, poussant toujours le même cri de
désespoir.
— A Beaune, en Bourgogne, on avait appelé, pour
abattre la croix, un charpentier d'une petite ville des en»
virons. S'en retournant chez lui, après cette profanation,
avec des personnes de sa connaissance, il se vantait,
comme d'une prouesse, d'avoir déjà fait trois expéditions
de ce genre et de ne pas se porter plus mal. Toutefois
l'éternité allait s'ouvrir pour lui effectivement; à peine
avait-il mis le pied sur le seuil de sa porte, qu'il tomba
mort et alla rendre h Dieu compte de son audace.
La peine da talion.
On lit dans le Drapeau tyrolien du mois de janvier i'867 :
« Un chapelain, visitant l'hôpital de Trautenau, trouva
là, parmi nombre de blessés, un soldat prussien qui avait
eu les deux bras emportés dans une des premières batailles
de la campagne de Bohême. Le prêtre, s'apitoyant sur son
malheur, essaya d'encourager et de consoler cet infwtuné
en l'exhortant à la résignation aux volontés d'en haut. En-
tendant ces paroles, le blessé fit un effort et se mit sur son
séant : « Il est bien juste, prononça-t-il d'une voix émue,
que je me soumette à la volonté de Dieu ; car je subis le
juste châtiment d'un grand crime que j'ai commis. Lorsque
j'entrai avec mon régiment sur le territoire autrichien, nous
rencontrâmes une croix sur la route; je tirai mon sabre, et
j'abattis les deux bras du crucifix. Dieu est juste : il m'a
infligé le même traitement. Puisse ma punition servir à ex-
pier mon impiété passée 1 »
Terribles punitions iuflig^ées aux proranaicnrs des croix*
A l'époque de la révolution de 1830, pendant laquelle
on abattit un si grand nombre de croix de mission, à Reims
LA RÉVOLUTION DE JUILLETT 1830. 375
l'impiété se signala par des raffinements atroces dans cette
circonstance.
On cite à ce sujet le trait suivant :
Un infoi-tuné qui, pour se procurer le criminel plaisir de
voir disparaître ce signe de salut, avait soudoyé des misé-
rables, fut pett de temps après mordu par son chien, et
mourut dans \m. ^^oleHt accès de rage.
Un de ces hommes qui, bien payé, concourut à cette
opération révoltante, tomba de la fenêtre d'un étage supé-
rieur et se brisa dans sa chute.
Un second périt subitement dans les douleurs aiguës
d'une colique néphrétique.
\ki troisième, au moment où les journaux publiaient ces
terribles nouvelles, était h l' Hôtel-Dieu, en proie t\ d'af-
freuses sôtiffrances, et implorait à grands cris le pardon
de son crime. {Quotidienm, 1" octobre 1830.)
— A Narbonne, même attentat, suivi de malheurs à peu
près semblables. L'un de ceux qui vomissaient avec le plus
de fureur des imprécations contre la croix, au moment où
elle tombait de son piédestal, perdait son sang par la
bouche, par le nez, et même par les yeux. Deux autres
aussi périrent misérablement; un autre aussi a été frappé
d'une cécité complète.
(Quotidienne, 2 et 3 novembre 1830.)
— Un huissier de la ville de Brou (Eure-et-Loir) dé-
chargea son fusil sur le calvaire de ce lieu. A l'instant
même les douleurs les pkis aiguës le saisirent dans la
partie du corps correspondant h celle où le plomb avait
frappé l'image du Rédempteur. Toutes les ressources de
l'art furent impuissantes; il succomba. U conjura le Sei-
gneur avec instances de lui paixionner; espérons qu'il
aura cAtenu grâce et miséricorde.
(Jmirnal des Villes et des Campagnes, 7 mai 1832.)
^'^ LA RKVOLfTIO.\ DE JUILLET 1830.
ITn Impie mort sar le conp.
Une dame chrétienne nous a adressé la lettre suivante :
^r . . . « Besançon, 20 octobre 1868.
.^otrc ouvrage si intéressant sur les Ternbles Châti-
ments des Révolutionnaires m'a rappelé une lettre de mon
fnVe missionnaire à Siam; elle est datée de mars 1853 II
écrit du séminaire des Missions-Etrangères de Paris, que le
mercredi précédent, comme il revenait de la maison de
campagne de Meudon, où les jeunes aspirants aux missions
vont chaque semaine se délasser en s'exerçant à la marche
I vit entre Meudon et Paris, la croix de pierre qui avaii
été rétablie sur la route, entourée de gens sans aveu et à
moitié ivres, disant mille sottises à qui mieux mieux, non-
seulement aux jeunes abbés qu'ils voyaient venir, mais au
Christ lui-même étendu sur la croix de pierre. L'un d'eux
apostropha ainsi : . Ahl tu ne dis rien? Attends, je vas
te faire sauter... . Et, montant sur le piédestal de la croix
II 1 ébranle si fort, en cherchant à la briser, qu'il perd pied
et tombe à la renverse. Ses compagnons, ne le voyant pas
se relever, s écrient : . Ah I poltron, tu as peur? Allons,
marche donc! . Il ne bouge pas. Alors ils avancent; il^
lui prennent la main, essaient de le relever; ii retombe
inerte : il était mort! La colonne vertébrale s'était brisée
dans sa chute. Cette punition fut si rapide, que les sémi-
naristes, qui avaient vu la profanation de la croix furent
saisis de terreur en présence du cadavre de cet impie aue
la justice de Dieu venait de frapper. - Dan^ la me^me se-
maine, les pieux habitants du pays se réunirent et entou.
rèrent d hommages la croix du chemin, comme pour faire
amende honorable à Dieu de tous ces outrages
. Ce trait a été rapporté par mon frère, le P. Joseph
Ducat, alors aspirant au séminaire des Missions-Etran-
^'''''''* • N. Ducat. .
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 377
Profanation de la croix de Saint-S^aitl (île de la Méa-
uion) en 1S33. — Solennelle réparation en flS®î> ^
C'est pendant que M. l'abbé Dalmond était à Saint-Paul
qu'arriva dans cette ville un scandale dont les plus anciens
paroissiens ne se souviennent qu'avec horreur; car enfin la
colonie n'est pas parfaite sans doute, mais nous soutenons
qu'il y a peu d'endroits au monde où la crainte de Dieu
soit plus enracinée dans les cœurs.
A la suite d'un jubilé prêché à Saint-Paul en 1828, une
croix avait été plantée sur la place de l'Eglise. C'était un
digne couronnement et un touchant mémorial de ce temps
de grâce et de bénédiction. Les habitants de Saint-Paul
entouraient de vénération ce signe adorable de notre salut.
Mais voilà que tout-à-coup, en 1831, six libertins, dont le
cerveau sans doute avait été troublé autant par les fumées
des liqueurs enivrantes que par le récit apporté par les
feuilles publiques du sac de l'archevêché de Paris et de
Saint-Germain-l'Auxerrois, veulent, eux aussi, se signaler
par un sacrilège complot, celui d'abattre, pendant la nuit,
la croix du jubilé de leur paroisse. Ils l'exécutent. En
apprenant cet attentat, M^' Dalmond tombe dans une morne
stupeur : « Ah! les malheureux ! s'écrie-t-il; Dieu ne laisse
pas le sacrilège impuni ; ils ne savent donc pas ce qui les
attend? Quelquefois, il est vrai, la justice de Dieu, qui a
l'éternité à son service, ne se presse pas pour punir ; elle
semble, comme dit le poète latm, poursuivre le coupable
d'un pied boiteux. Mais quelquefois aussi elle frappe
comme la foudre. » M^' Dalmond prophétisait. Peu après,
en effet, l'un faisait naufrage sur les côtes de Manille et
tombait sous le fer d'un assassin. Un autre est foudroyé
» Voyez l'excellent Almanach religieux de l'île de la Réunion
pour l'année 1867.
378 LA RéVOLUTION DE JUILLET 1830.
au milieu d'un affreux orage. Le troisième, se reiKÎnTit h
Saint-Denis, veut traverser à gué la rivière des Galets;
mais le torrent l'emporte, il se noie. Le cadavre aurait dû
être transporté par les eaux jusque dans la mer; mais, au
contraire, il est poussé sur la rive droite de la rivière, et
le lendemain on le trouve dévoré par les chiens. La tète
seule du malheureux avait été laissée intacte; c'est par
elle qu'on put le reconnaître. Un autre, repris de justice,
mourait en prison, et nul n'osa accompagner sa triste
bière à sa dernière demeure. Le cinquième tomba dans la
plus déplorable imbécillité. Il perdit la parole, qu'il rem-
plaça par le grognement du porc, et marchait à quatre
pattes. Il mourut comme un autre célèbre impie, en man-
geant ses excréments. Trop visible punition de ceux qui
avaient souillé l'auguste symbole de notre rédemption. Le
sixième, le seul qui n'eût pas porté la main sur la croix,
mais qui faisait le guet pendant que ses camarades l'abat-
taient, est encore vivant. Son unique occupation est de
tracer des croix sur le sable et de répéter en les traçant :
« Ne touchez pas à la croix, cela porte malheur. » Que le
rationalisme explique ces faits comme il voudra; pour
nous, nous ne pouvons que baisser humblement la tète et
adorer en silence la justice divine.
{Vie de 3/»' Dalmond, par M^' l'évèque de Saint-Denis.)
— Depuis longtemps la chrétienne population de Saint-
Paul désirait qu'une réparation publique vînt effacer cet
outrage public. Il lui semblait que ce crime, auquel ce-
pendant elle était bien étrangère, restait comme une tache
sur son front. Cette réparation, ardemment et légitime-
ment désirée, a eu lieu le 30 novembre 1865, jour de la
clôture du jubilé.
La réparation a été solennelle, M. le maire de Saint-
Paul et ses adjoints se sont fait un bonheur d'entourer la
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 379
solennité du 30 novembre de toute la pompe possible.
M. le gouverneur, sur la demande qui lui en avait été faite,
s'est empressé de permettre à la milice et à l'artillerie
d'augmenter par leur présence l'éclat de la fête. M. le
commandant Tricault avait fait pavoiser les bâtiments de
la station, et tous les navires présents sur la rade de
Saint-Paul avaient suivi son exemple avec empressement.
La ville était remplie de monde et avait pris un air de fête
et d'animation qui ne lui est pas habituel.
f J'ai eu le bonheur, dit un témoin oculaire, de me trou-
ver à cette cérémonie, où la croix s'est élevée sur la place et
devant cette foule immense, qui est tombée à genoux comme
poussée par une commotion électrique ; tous, hommes et
femmes, avaient les yeux remplis de larmes. Le bruit des
cloches et du canon, les harmonies de la musique, le son
des clairons, les roulements des tambours, les chants sa-
crés, cette foule prosternée, ces yeux baignés de larmes,
oh ! encore une fois, quel admirable et sublime spectacle I
Je crois que le bon Dieu a dû être content, car il se faisait
ce jour-là un acte de foi bien solennel. »
Sacrilège panf.
Pouyastruc est un petit bourg des environs de Tarbes.
Là, un jeune homme, appelé Dominique Cùme, menait
une vie si déréglée, qu'il était devenu la désolation et la
terreur de sa famille. La gendarmerie avait été plusieurs
fois obligée d'intervenir pour empêcher les actes de vio-
lence dont il menaçait ses parents lorsqu'il était ivre. Peu
s'en fallut même, une fois, qu'il ne tuât son oncle.
Dans la soirée du 31 décembre 1868, la tête échauffée
par la boisson, il se présenta chez un de ses cousins, pré-
tendant passer la nuit dans sa maison. Celui-ci, qui crai-
gnait justement un hôte si dangereux, essaya de s'en
380 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
débarrasser. Côme se relira furieux, et s' armant d'une
massue, il s'en alla dans un cimetière situé près de là.
On l'entendit bientôt poussant des cris, proférant des
blasphèmes et frappant, à coups de massue, sur la croix
qu'il voulait abattre. Voyant qu'elle résistait, il grimpa au
sommet. Soudain, la croix tomba, et Côme, tombant avec
elle, fut écrasé et resta sur le sol.
(L'Ere impériale de Tarbes.)
Treize Impies morts à rhôpital.
« J'étais, dit M. l'abbé Daux, en 1827, dans une ville
épiscopale, où je prêchais le jubilé. Elle avait été le
théâtre de toutes les horreurs pendant le règne du délire
révolutionnaire. Des personnes parfaitement instruites de
ce qui s'était passé dans ces jours de funeste mémoire me
donnèrent les détails de ces scènes abominables. Seize
bourgeois s'y étaient signalés par un zèle diabolique pour
la mutilation et le renversement de la croix et des non>-
breuses statues qui ornaient le portail et l'intérieur de la
cathédrale. L'un d'eux souscrivit à cette entreprise crimi-
nelle pour la somme de neuf cents francs; c'était attacher
à cette œuvre de destruction une singulière importance.
A partir de ce moment, la malédiction divine sembla s'at-
tacher à eux. En effet, en cette année 1827, treize d'entre
eux étaient déjà morts à l'hôpital, et le nom de celui qui
avait fait le sacrifice de ses neuf cents francs se trouvait,
depuis assez longtemps, inscrit sur les registres pour y
entrer à son tour. Les deux derniers paraissaient devoir
bientôt aller frapper à la môme porte. »
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 381
CHAPITRE II.
CHATIMENTS DES d'0RLÉAN3.
Déjà nous avons vu le choléra, ce te.-rible fléau, ministre
des vengeances divines, faire expier à Paris ses profana-
tions sacrilèges; nous allons maintenant voir la main de la
justice de Lieu s'appesantir sur la famille royale elle-
même, qui avait encouragé toutes ces impiétés.
Au milieu des événements de Juillet, la Révolution avait
établi en dogme qu'afin d'orléaniser la patrie commune, il
fallait la protestantiser. Dans l'espoir d'accomplir cette
œuvre impossible, Louis-Philippe, qui a placé sa majesté
sous la sauvegarde d'une loi, permet de mêler l'outrage à
l'encens dû à son Dieu. Il essaie, par des subsides publics
ou par des trames occultes, de raviver dans le royaume le
calvinisme divisé et expirant, dit M. Grétineau-Joly. A
l'ombre de la liberté des cultes, qui n'existe jamais lorsque
la Révolution se charge d'en proclamer et d'en applique?
le principe, on multiplia les temples et les prêches dans
des contrées où il n'y avait que de très-rares brebis sépa-
rées du Pasteur. On les combla de tendresses administra-
tives et de faveurs budgétaires. L'abbé Chàtel lui-même,
sacré primat des Gaules par un pédicure, grand-maître
anonyme des templiers de la droguerie parisienne, jouit,
dans les beaux jours de sa religion française, de la faculté
de créer des renégats et de se composer un clergé d'apos-
882 LA RévOLUTIOK DE lOILLET 1839
tasie. Lassé de tant d'efforts dont la dispendieuse stérilité
lui devenait à charge, Louis-Philippe a cru que le pays se
conformerait k l'exemple du roi. Déjà ses deux filles aînées,
Louise et Marie d'Orléans, se sont vues dans la nécessité
d'épouser Léopold de Cobourg et Alexandre de Wurtem-
berg, deux protestants. Une mort prématurée ne tarda
point à frapper ces princesses ainsi sacrifiées à la raison
d'Etat orléaniste, aux mariages mixtes et à une neutralité
religieuse dont le sceptiscime a quelque chose d'effrayant
pour la foi des peuples et le bonheur des familles'.
Mort dn duc d'Orléans.
Madame Amélie éleva ses filles chrétiennement, nous
pouvons lui rendre cette justice; si eWa consentit à des
unions protestaBtes, c'est que la politique le demandait. On
a dit que la mue des Belges, dont tout le monde admirait
la vraie piété, ne pouvait se consoler d'être unie à un
prince hérétique. Voici ce qu'écrivait l'un de ses frères à
l'occasion de la mort de l'auguste défunte :
« Dieu a appesanti sa main sur nous, et nous a enlevé
celle qui était l'honneur de notre famille, la consolation de
la reine, l'objet de la vénération de tous. Elle est morte
avec son graiid cœur, ne songeant jusqu'au derniei' mo-
ment qu'aux autres. Elle a accompli sa tâche en ce monde;
aucune épreuve ne lui a été épargnée, et c'est ce qui l'a
* Deux mariages mixtes attristèrentles catholiques de France,
La Providence s'est prononcée d'une manière qai peut servir
de leçon. Le 2 janvier 1839, la princesse Marie meurt à Piso,
moins encore de maladie que de douleur d<î se voir trompé©
dans ses espéz'ances, et de devcnif inèi'c non pas d'un fils de
suint Louis, mais d'un protestant wurtembergeois.
(ROHRBACHËK.)
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 383
tuée. Mais au moins sa mort a été entom*ée de consola-
tions. Elle est morte heureuse, heureuse de la déchirante
douleur de ce mari si froid d'ordinaire et qu'elle aimait si
tendrement, heureuse de nous voir tous auprès d'elle,
heureuse, après une vie de souffrance, d'être délivi'ée de
sa tâche... »
Le duc d'Orléans, héritier présomptif du trône, avait
épousé une princesse protestante de Mecklenbourg. La
France catholique, qui empêcha Henri FV, tant qu'il fut hu-
guenot, de monter sur le trône de saint Louis, quoiqu'il
fût de sa race, la France catholique voyait avec dégoût
s'approcher du même trône une huguenote étrangère venue
d'Allemagne; et voilà ce qui détourna les cœurs de s'atta-
ciier à cette famille. En revanche, la coterie protestante
s'insinuait partout avec des airs de triomphe. Dans plu-
sieurs localités où les protestants ne sont pas en nombre
légal pour avoir un seul ministre, ils en obtinrent facile-
ment plusieurs. Vers la mi-juillet 1842, ceux de Strasbourg
paraissaient rayonnants de joie. La protestante duchesse
d'Orléans devait y venir sous peu des eaux de Plombières,
accompagnée de son époux, pour présider à l'installation
des diaconesses protestantes. On parlait quelquefois de lui
donner le palais bâti par les anciens évèques de Stras-
bourg ; le bruit courait même qu'on ôterait la cathédrale
aux catholiques pour la livrer aux protestants. Ces der-
niers triomphaient. Un homme catholique du peuple leur
dit : « Ne vous y fiez pas trop ; tôt ou tard vous verrez que
le bon Dieu est catholique. « Effectivement, dès le 13 juillet
au soir, une nouvelle du télégraphe, comme un coup de
foudre, changea le triomphe des prolestants en deuil et
consterna les catholiques eux-mêmes : le duc d'Orléans,
en allant de Paris à Neuilly faire ses adieux à ses parents,
s'est tué sur le chemin de la Révolte, en sautant de sa voi-
ture, dont les chevaux s'emportaient, et le jour fixé pour
384 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
son entrée triomphale à Strasbourg fut le jour de son ser-
vice funèbre dans la cathédrale *.
M. Crétineau-Joly, à l'occasion de cette catastrophe, a
écrit les réflexions suivantes :
t Cette lamentable mort, retentissant comme un coup de
tonnerre dans un ciel serein, fut pour la famille d'Orléans
une douleur aussi légitime que profonde. Il y eut bien des
larmes versées autour de ce corps si prématurément re-
froidi, et la France s'associa par des paroles de compassion
à un deuil royal qui était le précurseur de celui de la
* On lit dans la Vie de M°»« Amélie, écrite par M. Trognon,
sur la demande des princes d'Orléans :
« La mort du duc d'Orléans eut dans la vie de sa mère un
long retentissement. Ce coup, d'une soudaineté si lamentable,
ne laissait pas à la reine la consolation qui avait adouci pour
elle la mort de la princesse Marie : l'inquiétude pour l'âme de
sou fils était une plaie qui lui restait au fond du cœur, et qui
devait saigner bien longtemps encore. »
— Le comte de Chambord apprit en voyage la fin tragique
du lils de Louis-Pbiiippe, objet de grandes espérances, et que
la mort venait de livrer bien jeune au jugement libre de
l'histoire.
« En recevant cette nouvelle, le comte de Chambord me
parut frappé de son importance; cependant une impression
pénible attristait son visage : « Quelle que soit, me dit-il, la
» portée politique de cet événement, c'est un grand malheur
» privé, que je déplore profondément, car le duc de Chartres
» est mort sans avoir eu le temps de se reconnaître ! Voici les
» noms de ce prince, veuillez les remettre au curé de Tœplitz;
)» dites-lui que je demande pour Ferdinand d'Orléans, mon
» cousin, les prières de l'Eglise, et que demain je me rendrai,
» avec tous les Français qui sont ici à la messe qui sera dila
» à son intention. » Le lendemain, en effet, nous suivîmes lo
prince à la chapelle publique du chûteau; le général Talon, sa
famille et plusieurs autres Français, se joignirent à lui et s'as-
socièrent à son deuil religieux.
{Souvenirs des voyuyes du comte de Chambord, par le
comte de Locniaria.)
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 385
dynastie. Mais la pitié que les grandes catastrophes pro-
voquent tout naturellement cherchait dans celle-ci plus
qu'une émotion passagère. Les partis y découvrirent de
mystérieux enseignements. En rapprochant les circon-
stances de cette chute, ils leur attribuèrent une terrible
signification. C'était la veille de la prise de la Bastille,
dans ce mois de juillet, le mois des révolutions, que le
fatal événement avait eu lieu sur le chemin de la Révolte.
La tète de l'héritier de la monarchie des barricades s'était
brisée sur un tas de pavés. Il avait été recueilli, il avait
rendu le dernier soupir dans une boutique d'épicier, l'em-
blème et la force du gouvernement de 1830; et Louis-
Philippe qui, afin de s'emparer de la couronne, donna
pour mot d'ordre : « Surtout point de régence et pas d'en-
fant, » se trouva, par une sublime ironie du ciel, obligé
d'avoir recours à un enfant et à une régence. Mais, dans
cette famille toujours pleine d'ingratitude et de folie, le
berceau, dérogeant à la loi commune, ne peut pas faire
oublier la tombe.
> Affaissé sous un châtiment sans consolation, ce châ-
timent réservé à ceux qui vivent longtemps, le malheureux
vieillard a soutenu de son bras chancelant la malheureuse
mère suivant à pied jusqu'au château de Neuilly le cadavre
de son premier-né, de ce fils qu'en 1810, à Palerme, elle
salue dans ses entrailles du titre déjà convoité de roi de
France. Durant ce lugubre trajet, les larmes se mêlèrent
aux prières, les tristes images se confondirent avec les
tristes souvenirs. »
M. Trognon, dans la Vie de Madame Amélie, cite ces
lignes de la reine sur la mort de son fils :
« Mon fils bien-aimé, celui dont la naissance avait fait
mon bonheur, dont l'enfance et l'adolescence avaient fait
toute mon occupation, dont la jeunesse était ma gloire et
ma consolation, et qui, j'espérais, serait l'appui de mes
17
3S6 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
vieux jours, n'existe plus! Il nous a été enlevé au milieu
du plus complet bonheur, et de la plus heureuse perspec-
tive pour l'avenir t. .. Que la sainte volonté de Dieu soii
faite, je méritais cette punition, j'aimais trop mon pauvre
enfant t.. .
t> Quand le prince eut rendu le dernier soupir, le roi
m'a emmenée dans la chambre voisine ; je me suis jetée à
son cou ; nous étions malheureux ensemble ; notre irrépa-
rable perte nous était commune, et je souffrais autant pour
lui que pour moi.
» Au bout de quelques minutes on a dit que tout était
prôt; le corps avait été placé sur un brancard, couvert d'uii
drap blanc. Il était porté par quatre hommes de la maison,
et soutenu par quatre gendarmes. On est sorti par la porto
cochère de l'écurie; il y avait au dehors une foule immense.
Deux bataillons du 2° et du 47» léger, qui naguère avaient
passé avec lui les Portes-de-Fer et le col de la Mouzaïâ,
bordaient la haie et ont continué avec nous. Nous avons
tous suivi à pied le corps de ce fils bien-aimé, qui peu
d'heures auparavant arrivait sur cette route, plein de santé,
de force, de bonheur, d'espérance, pour embrasser ses
parents, plongés à présent dans une immense douleur. »
liC testament du duc d'Oiicaus.
Au moment de partir pour l'expédition des Portes-de-Fcr,
le duc d'Orléans avait, dans une heure de mélancolique
abandon, rédigé quelques pages sous forme de testament.
Ces pages, qu'il aurait peut-être mieux valu anéantir, par
respect pour la mémoire du mort, étaient l'expression
d'une dme vouée au doute et incertaine de l'avenir. L'inex-
périence du jeune homme, ainsi que les troubles de sa foi
religieuse et monarchique, s'y font jour à chaque phrase.
Dans un temps où la Révolution attribue tous les droits au
LA RÉVOLUTION DB JUILLET 1830. 387
peuple, c'est-à-dire à elle-même, et où les princes se
plaisent à ne s'en reconnaître que le moins possible, une
pareille profession d'anarchie fut acceptée comme un dé-
plorable phénomène. On lit dans ce document :
«... C'est une grande et difficile tâche que de préparer
le comte de Paris à la destinée qui l'attend ; car personne
ne peut savoir dès à présent ce que sera cet enfant lors-
qu'il s'agira de reconstrnire sur de nouvelles bases une so-
ciété qui ne repose aujourd'hui que sur les débris mutilés
et mal assortis de ses organisations précédentes. Mais que
le comte de Paris soit un de ces instruments brisés avant
qu'ils aient servi, ou qu'il devienne l'un des ouvriers de
cette régénération sociale qu'on n'entrevoit qu'à travers
de grands obstacles et peut-être des flots de sang; qu'il
soit roi ou qu'il demeure défenseur inconnu et obscur
d'une cause à laquelle nous appartenons tous, il faudra
qu'il soit avant tout un homme de son temps et de la na-
tion, qu'il soit catholique et serviteur passionné, exclusif,
de la France et de la Révolution. »
Quand Louis XIV, dans tout l'éclat de sa jeunesse et
radieux de majesté, s'adressait, comme le duc d'Orléans,
h son fils au berceau, il ne faisait point appel aux idées
sociales nouveUes. Il ne conseillait point à cet enfant d'être
un serviteur passionné, exclusif, de la Révolution. Il n'au-
rait jamais osé déclarer : Ma foi politique m'est encore plus
clùie que mon drapeau religieux. Blasphème royal, préfé-
rence aussi absurde que sacrilège, dont un père et une
épouse n'auraient pas du se faire les éditeurs.
Ce qui prouve encore que le socialisme révolutionnaire
était caché dans les profondeurs de l'orléanisme.
Ce socialisme vague, indéterminé, était en réalité la re-
ligion du fils de Louis-Philippe; il l'appelle sa foi poli-
tique, tandis que le catholicisme n'est que son drapeau,
retournant ainsi le sens raisonnable de ces deux mots.
388 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
Et encore le catholicisme n'est-il accepté par lui que
parce qu'il croit y voir, par une interprétation pareille à
celle des Mazzini, des Lamennais et de quelques autres
sectaires, un accord de principes avec ces idées sociales nou-
velles au triomphe desquelles il s'est voué.
Il veut que son fils soit élevé dans ce culte, dans cette
religion révolutionnaire, et qu'il soit, ainsi que lui, un
serviteur exclusif et passionné de la révolution. C'est, en
réalité, sa passion qu'il lègue à son fils par testament.
C'est sans doute pour éviter à la France et au monde
l'aggravation de maux qui serait résultée du fanatisme
révolutionnaire de ce jeune prince qu'il avait été frappé.
C'est l'avenir de l'usurpation et de la révolution que la
Providence avait détruit en lui, en même temps qu'elle
sommait Louis-Philippe de revenir à ses devoirs de chré-
tien et de prince français, en lui montrant la ruine de ses
combinaisons et la chute de sa race dans le chemin be la
Révolte.
EiA croix reparaît pabllquenient dans Paris anx
funérailles du due d'Orléans.
Au jour marqué pour le convoi funèbre, on vit le clergé,
précédé des insignes de la religion, passer processionnel-
loment dans les rues de Paris pour aller jeter à Notre-
Dame l'eau bénite sur la dépouille du prince. 0 contraste
des révolutions! la croix, qui depuis 1830 avait été exilée
des rues de la capitale, reparut triomphante par la mort,
et elle rentra dans le même temple qui en fut dépouillé à
cette époque.
Et parmi les hommes qui conduisaient ou escortaient le
funèbre cortège, nos yeux découvraient les fonctionnaires
de ce temps où l'on procédait à la dégradation du monu-
ment et au bris sacrilège de la croix; et un archevêque de
LJ RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 389
Paris donnait l'absoute, et il recevait les jeunes dépouilles
royalps au jour anniversaire du triomphe de la révolution
de 1830. Dès ce moment la famille de Louis-Philippe pou-
vait bien, pour quelques années encore, maintenir son rang
parmi les familles couronnées; mais tout le monde sentait
que Dieu, dans la sévérité de ses desseins, avait parlé
contre elle. Un instinct qui se communiquait d'une âme à
l'autre, dans notre pays, avertissait la France que la main
de la Providence se retirait de la dynastie de Juillet; aussi
l'avenir apparaissait-il sombre et sans issue '.
* Plusieurs journaux ont raconté que l'on a trouvé, dans les
poches de ce malheureux prince, mort d'une manière si tra-
gique, les chansons de Béranger, qui ont tant contrihué, comme
on le sait, à la révolution de 1848, qui a chassé les d'Orléans et
préparé le second empire.
390 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
CHAPITRE III.
DERNIÈRES ANNÉES ET CHATIMENTS DE LOUIS-PHIUPPE.
« Louis-Philippe, dit M. Crétincau-Joly, ne fut qu'un
homme médiocre. »
Il est impossible de mieux dire. Si d'ailleurs ce résumé
fidèle et complet avait besoin d'être confirmé, il suffirait
d'un fait bien simple : Louis-Philippe, roi des Français, est
demeuré l'idéal des hommes médiocres.
Jamais homme ne fut moins roi. C'est un homme du
dix-huitième siècle. Il était jeune quand le siècle de Vol-
taire finissait par la guillotine. Il profita de sa jeunesse
pour se faire admettre au club des Jacobins et recevoir la
dignité d'huissier au club. Devenu général de la Répu-
blique française, il signait : Louis-Philippe Egalité, prince
français pour son malheur, et jacobin jusqu'au bout des ongles.
Cette jeunesse orageuse n'em pécha pas Dumouriez de
proposer à la Vendée, pour général en chef, le fils d'Ega-
lité. Gharettc, indigné, répondit par un refus qui ne per-
mettait pas d'insister. L'orléanisme pouvait, sans se dé-
mentir, jouer ce double rôle et observer cette double
altitude. L'orléanisme est un legs de l'ancien régime ; son
libéralisme cache une indifférence, un égoïsme qui a pro-
longé le dix-huitième siècle.
Une lettre curieuse de Louis-Philippe, dirigée contre la
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830, 391
Pologne, une lettre datée de 1806, en donne un saisissant
exemple.
C'est au dix-huitième siècle que la Pologne assassinée
commença cette vie étrange, victorieuse de la mort, supé-
rieure à la mort, qui frappe aujourd'hui ses bourreaux
d'une inquiétude surnaturelle. Louis-Pnilippe d'Orléans,
alors émigré, écrivait :
« Il faut que l'empereur de Russie ne souffre point la
paix de la Prusse; il faut, si elle est faite, qu'il ne la recon-
naisse pas. Il doit mettre en mouvement toutes les forces de son
vaste empire pour empêcher la résurrection de la Pologne;
et il le doit également, soit que la Prusse ait la lâcheté de
s'y soumettre, soit qu'elle ait le courage de s'y opposer.
Le sort de l'empire de Russie, com,me celui de la Prusse, de'r
pend de celui de la Pologne^. »
Cette lettre est adressée au comte d'Entraigues et datée
du 2 novembre 1806. A la fin de la lettre, Louis-Philippe
prie son correspondant de venir causer avec lui de tout cela
à fond, et ajoute :
d Si vous trouvez que mes idées en soient dignes, votre
plume de feu les transmettra. »
Yûilà donc une plume de feu chargée d'empêcher la ré-
surrection d'uft peuple !
En parlant ainsi, en adorant la Russie, en assassinant la
Pologne autant qu'il était en lui, Louis-Philippe demeu-
rait fidèle aux traditions de Voltaire, qui admirait le par-
tage de la Pologne, Le siècle mil, qui prit Voltaire pour un
philosophe et Boucher pour un artiste, méritait de con-
sommer dans l'ordre social un crime inconnu : le meurtre
d'une nation chrétienne *.
* Laurent (de l'Ardèche), p. 245.
' Le Monde, 14 janvier 1862.
392 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
Dernier entretien de Lonls-Philippo avec Mv AITre,
archevêque de Paris.
L'esprit du gouvernement de Louis-Philippe, c'était l'es-
prit du monde, tel que nous l'avons vu définir par le païen
Tacite : Corrumpi et corrumpere sœculum vocatur. On en vit
des preuves éclatantes. Plusieurs ministres, pairs de
France, furent convaincus publiquement d'avoir volé,
comme des fripons vulgaires. Un pair de France, d'un
ancien nom, fut convaincu d'avoir égorgé, avec une pré-
méditation atroce, la mère de ses enfants, sa propre
femme, fille du général Sébastian!.
La partie ecclésiastique de la cour n'était pas non plus
sans reproche. L'abbé Guillon, professeur à la Sorbonne,
était aumônier de la reine. Or, pour avoir compilé une
bibliothèque des Pères de l'Eglise, il n'en avait pas mieux
pris leur esprit; car il montra une servilité peu commune.
Malgré les règles de l'Eglise, qu'il devait connaître, mal-
gré la défense de l'archevêque de Paris, qu'il connaissait,
il se permit de donner les derniers sacrements à [un héré-
tique obstiné, l'abbé Grégoire, évéque schismatique de
Loir-et-Cher, qui mourut impénitent le 28 avril 1831.
L'abbé Guillon reconnut plus tard sa faute, que l'opinion
catholique lui reprocha sévèrement. Lorsqu'il eut été
nommé à l'évêché de Beauvais, il s'éleva contre lui une ré-
clamation si générale, qu'il dut renoncer à sa nomination.
Or, quand l'aumônier, le conseiller ecclésiastique de la
cour, a des idées si confuses sur l'autorité de l'Eglise, il
n'est pas étonnant que la cour même n'en ait pas de plus
Baines.
De pareils événements pouvaient être regardés comme
un avertissement du Ciel. On n'y fit pas toute l'attention
qu'on aurait dû faire. Lors de la réception des autorités
LA RÉVOLUTION DE lUILLET 1830. 393
de la capitale pour la fête du roi en 1846, l'archevêque de
Paris, ayant osé dire dans son discours que l'Eglise récla-
mait la liberté et non la protection, Louis-Philippe, choqué de
cette liberté épiscopale, empêcha que ce discours ne fût
imprimé au Moniteur avec tous les autres. Quand il fut
question d'une nouvelle présentation au jour de l'an 1847,
l'archevêque prévint la reine qu'il viendrait bien offrir ses
vœux au roi, mais qu'il était dans l'intention de ne pas
faire de discours, et cela pour ne pas s'exposer de nou-
veau à un affront comme à la Saint-Philippe. La reine,
dans l'espoir de tout concilier, ménagea une entrevue, que
l'archevêque rapporta en ces termes à l'un de ses amis :
c Le roi me reçut dans son salon, et, comme c'était son
habitude, il me tira à part dans l'embrasure d'une fenêtre,
où il me fit asseoir et s'assit lui-même. Là, nous fûmes
quelque temps à nous regarder en silence. A la fin, je pris la
parole et je lui dis : Ayant su que le roi désirait me parler,
je me suis rendu avec empressement à son invitation. —
Moi, dit le roi, je n'ai rien à vous dire ; c'est vous, m'a-t-on
dit, qui vouliez me parler, et je suis prêt à vous écouter.
— Eh bien ! le roi doit savoir le sujet de ma visite; comme
je ne veux pas m'exposer encore à l'affront qui m'a été
fait lors de la dernière présentation, je me propose de
venir offrir mes vœux pour la santé du roi à la tête de
mon clergé, mais je ne ferai pas de discours. — Ah I je
vois, c'est une nouvelle attaque que vous dirigez contre
moi; je croyais que toutes nos discussions étaient finies, et
il paraît que vous voulez encore recommencer. Si j'ai em-
pêché que votre discours ne fût publié, c'est que vous vous
étiez permis des conseils inconvenants. — J'en demande
bien pardon au roi, mais ni mes intentions ni mes paroles
ne pouvaient avoir ce sens : demander la liberté et non la
protection est peut-être la demande la plus modérée que
puisse faire l'Eglise. — Et moi, je ne l'entends pas ainsi;
17*
394 " LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
avec vos demandes et vos journaux, vous jetez le trouble
partout. » Et passant tout de suite îi une autre question :
t Ainsi, par exemple, je sais qu'il y a peu de temps, vous
avez assemblé un concile îi Saint-Germain. — Ce n'est
point un concile que nous avons assemblé; mais quelques
évêques, mes suffragants et mes amis, sont venus me voir,
et nous avons traité de différents points de discipline
ecclésiastique. — Ah l je le disais bien, que vous aviez
formé un concile, sachez que vous n'en avez pas le droit. »
Jusqu'à ce moment, racontait l'archevêque, j'avais répondu
au roi avec beaucoup de déférence, en évitant presque de
le regarder; mais à ce mot j'élevai les yeux et les fixai sur
les siens. Je lui dis avec fermeté : * Pardon, Sire, nous en
avons le droit, car toujours l'Eglise a eu le droit d'assem-
bler ses évêques pour régler ce qui pouvait être utile à
leurs diocèses. — Ce sont là vos prétentions, mais je m'y
opposerai. D'ailleurs l'on m'a dit aussi que vous aviez en-
voyé un ambassadeur au Pape; J6 sais même que c'était
pour lui demander la permissîou do faire gras le samedi.
— C'est vrai, Sire, nous avons envoyé un ecclésiastique
faire quelques demandes au Pape ; mais cela même est
dans les droits de tous les fidèles et, à plus forte raison,
des évêques. — Et qu'est-ce que vous lui avez demandé
encore ? Je veux le savoir. -«■ Si c'était mon secret, je le
dirais tout de suite au roi; mais ce n'est pas seulement le
mien, mais encore celui de mes collègues, et je ne puis le
dire au roi. » A ces mots, le roi, rouge de colère, se leva
brusquement, me prit par le bras et me dit : — t Arche-
vêque, souvenez-vous que l'on a brisé plus d'une mitre, i»
Je me levai îi mon tour, disant : « Gela est vrai. Sire, mais
que Dieu conserve la couronne au roi, car on a vu briser
aussi bien des couronnes. » Telle a été ma dernière au-
dience avec Louis-Philippe. Le surlendemain, je me pré-
sentai avec mon clergé h l'audience; je souhaitai verbale-
LA RÉVOLUTION PB JUILLET 1830. 39S
ment au roi mes vœux pour sa santé ; puis l'on fit un
discours assez long avec mes paroles, et on l'inséra au
Moniteur comme si je l'avais prononcé. »
D'après ce récit de l'archevêque de Paris, publié dans
les Annales de philosophie chrétienne (n° 403, juillet 1848),
on voit, une fois de plus, que la politique des d'Orléans,
comme celle des Bourbons et des Bonapartes, et générale-
ment de tous les gouvernements modernes, vis-à-vis de
l'Eglise de Dieu, c'était de la tenir dans la servitude pour
l'avantage de la dynastie. Nous avons vu tomber Bona-
parte, nous avons vu tomber les Bourbons, nous allons
voir tomber les d'Orléans *.
En février 1848, cette famille est au comble de la pros-
périté : Louis-Philippe admis au rang des premiers souve-
rains de l'Europe, tous ses enfants convenablement établis,
la guerre d'Afrique terminée par la soumission du chef
des Arabes, des armées nombreuses et fidèles, la majorité
des deux Chambres sincèrement dévouée, une année abon-
* On sait ce qui est arrivé depuis. Louis-Philippe est tombé;
sa chute a été tout-à-fait ignominieuse ; ses lâches concessions
faites peu auparavant n'ont pu le soustraire à la haine de ces
hommes qui détestent toute autorité. Les fortifications de
Paris, les forts détachés, élevés avec de si énormes dépenses,
en vue de comprimer les élans de l'esprit révolutionnaire,
n'ont été d'aucune utilité. On avait envisagé ce moyen comme
le fait d'une haute prudence, d'une sagesse profonde ; mais il
a été prouvé une fois de plus qu'il n'y a ni prudence ni sagesse
contre le Seigneur, qui sait réprouver la sagesse des sages et
la prudence des prudents. L'archevêque a succombé aussi dans
cette crise révolutionnaire, mais noblement. Il a été martyr de
sa charité ; il était résolu, en allant sur ce théâtre de carnage,
de donner sa vie pour ses brebis, comme le bon Pasteur par
excellence. Que de bouches ont célébré ses louanges ! J'ai par-
couru l'Allemagne peu après, j'ai trouvé son portrait dans bien
des salons, chez les protestants eux-mêmes. Tout ce que la
religion marque de son sceau devient vénérable.
396 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
dante succédant à une année de cherté; on ne craignait
qu'une chose, la mort du roi, suivie d'une régence. Le
roi ne meurt point, mais, à propos d'un banquet, il y a,
sans que personne l'ait préméditée, une révolution com-
plète, et la dynastie d'Orléans est congédiée tellement h
ï'iraproviste qu'elle n'a pas même le temps de prendre des
habits et des provisions de voyage.
Le seul écho de cette révolution ébranle tous les rois et
tous les peuples de l'Europe; il s'aperçoivent avec effroi
que les bases de tous les empires, de tous les royaumes,
de toutes les républiques, de toutes les familles, de toutes
les propriétés, sont minées, vermoulues, calcinées, ré-
duites en poudre, et remplacées par un volcan qui menace
d'un moment à l'autre d'engouffrer toutes les sociétés hu-
maines dans un commun incendie. Peuples et rois se
troublent, s'assemblent, se heurtent et s'efforcent de sou-
tenir le monde croulant avec des constitutions et des lois
en papier.
La seule Eglise de Dieu, bâtie sur le roc, apparaît tran-
quille et confiante, avec sa sainte hiérarchie de peuples
unis et soumis à leurs prêtres, de prêtres unis et soumis
à leurs évèques, d'évêques unis et soumis au Vicaire de
Jésus-Christ, de Jésus-Christ qui est avec elle tous les
jours jusqu'à la consommation des siècles, et qui a donné
sa parole : Les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle.
Au moment où ce roi voltairien croyait avoir établi dé-
finitivement sa dynastie, après avoir enfin organisé le
chapitre de Saint-Denis, qui devait être, dans sa pensée,
une pépinière d'évêques faciles et complaisants, il espé-
rait être désormais maître de la situation. Hélas I il n'avait
pas compté avec la Providence, qui veillait sur l'Eglise en
France. Voici comment un éloquent écrivain raconte la
chute ignominieuse du fils de Philippe-Egalité :
« Une immense révolution s'est accomplie avant qu'on
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 397
ait eu pour ainsi dire le temps de s'en apercevoir. En deux
jours, tout Paris a fait l'œuvre ; au bout de huit jours,
Paris avait reçu la réponse et l'assentiment de toute la
France.
» Un prince habile, un trône bien armé, une classe puis-
sante rangée autour du pouvoir, et qui avait mis dix-huit
ans à le fortifier, sont tombés, suivant la menace de l'Ecri-
ture, comme un vase d'argile sous une massue de fer. Le
monde a reconnu tout de suite quelle main frappait. Cha-
cun a senti que ce qu'elle abattait ne se relèverait pas.
Aucune idée de résistance n'est venue à personne. Tous se
sont courbés, tant la Providence se manifestait terrible,
juste, logique.
» La veille du 22 février, la France s'était endormie dans
une paix profonde, dans une grande prospérité maté-
rielle. Cette paix ne pouvait durer plus longtemps que la
vie du roi, cette prospérité était menacée de plus d'une
manière, c'est vrai; on prévoyait des jours laborieux, on
s'attendait à de nombreuses et graves catastrophes finan-
cières et industrielles ; cependant toute inquiétude était
ajournée, parce que la société avait confiance en elle-
même. On aurait pu, sans la troubler un moment, lui pré-
dire ce qui est arrivé, elle ne l'aurait pas cru. Un coup de
foudre éclate et cette sécurité n'est plus. Tout est non pas
modifié, mais bouleversé de fond en comble. C'est plus
qu'une révolution politique, c'est une révolution sociale
qui arrive par le télégraphe. Les influences sont dé-
truites, les positions sont perdues, les fortunes son\
ébranlées*.
' Dans la Vie de M™* Adélaïde, l'auteur dit que « la reine en
était venue à acquérir la pleine conviction de la mission provi-
dentielle assignée à son mari, du devoir et du droit qu'il y
avait pour lui de faire ce qu'il avait fait. » A la lueur du coup
de foudre du 24 février 1848, Madame^ Amélie, victime elle-
398 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
» Cette insurrection était du genre de celles que décrit
Tacite : « peu la conçurent, la plupart la voulaient, tous
» la souffrirent. » Elle prend Louis-Philippe d'Orléans
pour point de mire, et alors eile était une justice du ciel,
car la puissance sans droit est la plus détestable chose qu'on
puisse imaginer. L'insurrection éclatait par des moqueries
elle débordait par des jeux de mot, elle sonnait ses fan-
fares à coups de sifflet. Sans frein, mais sans passion, elle
assistait à la chute du trône qu'elle avait élevé dans un
jour de colère. Le roi de Juillet fuyait sans être suivi, et
ses hommes perdirent leurs emplois, mais leurs emplois
n'y perdirent rien. Dans les rues, sur les places publiques,
au foyer même de la famille, il n'y eut qu'un cri. Tout le
monde vit la main de Dieu dans une punition aussi écla-
tante. Chacun disait : Leurs pères ont péché, ne faut-il pas
qu'ils expient les iniquités ?
» Lorsque, le 21 janvier 1793, Louis XVI parut sur la
place oii la Révolution avait dressé son échafaud, il se
trouva près du royal martyr un prêtre qui, avec la France
entière, lui dit : « Fils de saint Louis, montez au ciel. »
Lorsqu'au 24 février 1848, Louis-Philippe d'Orléans, qui
se proscrivait lui-même, arriva sur cette même place sans
nom, il ne vit auprès de lui qu'un avocat juif escortant
quelques msurgés, et ce juif lui disait : « Fils du citoyen
Egalité, montez en fiacre'. »
même de la révolution dont sa famille avait profité en 1830 aux
dépens de ses parents, qui n'avaient eu pour elle que des
bontés, elle répétait ces paroles, dit M. Trognon : « Jamais je
n'ai plus vivement senti que maintenant la peine que m'ont faite les
journées de Juillet 1830... Je suis plus malheureuse à présent
que je ne l'étais alors, quand je songe à l'avenir brisé de mes
pauvres enfants, à l'exil qui les attend, et qu'ils ne con-
naissent pas, comme je l'ai déjà connu 1 »
* Nous trouvons les détails suivants dans le volume ^e Palais
des Tuileries en 1848, par l'abbé Denys :
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 399
Haniiliations des d'Orléans.
Voici des réflexions d'un écrivain contemporain sur la
chute de ce gouvernement voUairien :
« L'édifice de 1830 s'effondre de la base au sommet. Il
a croulé, et Louis-Piiilippe disparaît avec sa famille, sans
recueillir un peu de cette banale commisération qui s'at-
tache à toutes les grandes infortunes. La sienne a été si
éclatante, que les athées eux-mêmes voient, dans ce 24 fé-
vrier 1848, un jour providentiel, un arrêt caché dans le
trésor des vengeances divines. Moins d'une heure après
que la tempête eut balayé cette race qui s'était multipliée
comme les grains de sable du désert, personne ne s'occupa
d'elle. Nul, dans ce naufrage mérité, ne s'inquiéta du sort
réservé à tant de princes. Ils avaient été sans pitié; les jus-
tices du ciel et de la terre ne permettent point qu'ils
restent sans châtiments. Aussi jamais on ne constata dans
l'histoire une telle déroute royale ; jamais on ne remarqua
une pareille insensibilité de la part du peuple. ,
. Charles H d'Angleterre, vaincu par Cromwell à la ba-
taille de Worcester, a gravé dans les annales de la royauté
un souvenir qui ne périra pas, Le chêne de Penderell, qui
reçut et abrita le Stuart proscrit, est encore célèbre sous le
nom de Cligne royal, même lorsqu'il n'y a plus de Stuarts.
L'astronome Halley et les Anglais en tirent une constella-
tion. Les aventures de Charles-Edouard et le dévouement
de Flora Macdonald ont retenti dans le monde entier j ils
« Louis-Philippe s'était travesti ; il avait coupé ses favoris,
portait des lunettes vertes, et avait enveloppé le bas de sa
figure d'un cache-nez. Il \ojnzcixii sous le nom de M. Du-
rand. »
^00 LA BÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
provoquent toujours des émotions nouvelles. Le roi de Po-
logne, Stanislas Leckzinski, fuyant de Dantzig, tantôt dans
une frêle barque, tantôt à travers les campagnes inondées
d'ennemis, a captivé l'attention publique. L'empereur Na-
poléon, s'exilant à l'île d'Elbe ou prisonnier à Sainte-
Hélène, a pour escorte les commissaires des puissances
ou les flottes anglaises. Quoique découronné, Charles X
reçoit sur sa route, de Rambouillet à Cherbourg, tous les
honneurs dus à la majesté souveraine; les siens l'entourent
de leur tendresse et de leurs respects. Le monarque et sa
famille sont accompagnés de la douleur des bons et de
l'hommage involontaire des méchants. C'est le premier
écho de la postérité.
» Louis-Philippe et sa dynastie ne laissent, eux, aucun
souvenir dans les esprits, pas un regret dans les âmes. De
la place sans nom, de la place où la tête de Louis XVI
tomba sur l'échafaud, le peuple les a vus s'acheminer vers
l'exil, et le peuple applaudit à cette lente mais admirable
justice. Les d'Orléans, pareils à des cendres qui restent
après un embrasement, seront les seuls à la méconnaître.
On ne sait s'ils vivent m s'ils meurent; ils se sont évanouis
comme un songe après le réveil. L'indifférence générale
les protège bien mieux que les déguisements et que les
précautions. C'est tout au plus si on daigne sourire de ce
jeune duc de Montpensier qui, sans avoir combattu, s'é-
chappe, nouvel Enée, en abandonnant Creuse, son épouse,
et n'emportant même pas sur ses épaules, comme son de-
vancier, le père Anchise et les dieux de la patrie.
» Un oubli, sublime de spontanéité, pèse déjà sur les
d'Orléans. Dans son numéro du 6 mars 1848, le Journal des
Débats réunit son courage à deux mains, et il raconte les
burlesques détails de la fuite : « A Versailles, dit-il, Louis-
» Philippe et Marie-Amélie prirent une voiture pour les
» conduire à Dreux. Le roi prit un vieil habit et un vieux
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 401
» chapeau, après avoir coupé ses favoris et s'être grimé de
» manière à n'être pas reconnu. »
» Cette déplorable odyssée d'une famille jusqu'alors si
unie et se séparant afin de courir l'aventure des proscrip-
tions idéales, a quelque chose de fatalement instructif. Le
fils n'a pas songé à sa femme; le père laisse sur son
bureau trois cent mille francs en billets de banque. La
fuite a été tellement précipitée que l'avarice elle-même se
trouve en défaut. Louis-Philippe a toujours cru que l'ar-
gent était la solution de tous les besoins et de toutes les
difficultés. A la crise suprême, dénué de ressources, il est
obligé d'emprunter douze cents francs pour prendre la
route de l'exil. A Dreux, ces vieillards, que la fortuné
combla de ses faveurs, descendirent dans les caveaux fu-
nèbres où dorment leur sommeil le citoyen Egalité père.
Madame Adélaïde, la princesse Marie et le duc d'Orléans,
premier-né de la dynastie.
» Entre ces tombeaux, si tristement visités dans cette
nuit du 24 février, Louis-Philippe pleura et pria. Le roi
déchu touchait de la main celui qu'il s'était construit en
partage avec sa femme; et comme à Sobna, lé préfet du
temple, on pouvait lui demander : * Que faites-vous ici, ou
> quel droit y avez-vous, vous qui vous êtes préparé ici un
» sépulcre, qui vous êtes dressé un monument avec tant
> d'appareil, et qui vous tailliez dans la pierre un lieu de
• repos? Le Seigneur va vous faire transporter d'ici comme
» un coq, et il vous enlèvera comme un manteau qu'on
» met sur soi; il vous couronnera d'une couronne de
» maux; il vous jettera comme une balle dans un champ
» large et spacieux. Vous mourrez là, et c'est à quoi se
> réduira le char de votre gloire, vous, la honte de la
» maison de votre Maître. »
» Ces paroles de la sainte Ecriture, qui semblent faites
pour l'homme et la situation, furent épargnées au roi de
402 l-A RÉVOLUTION DE lUTLLET 1830.
Juillet. Louis-Philippe s'en adressa d'autres, moins pro-
phétiques, mais tout aussi poignantes. Depuis sa fuite dos
Tuileries jusqu'à la halte nocturne de Dreux, il n'a cessé
de répéter à chaque incident : a Comme Charles Xt comme
Charles X! » A l'entendre murmurer ces mots, qui sont la
sentence du ciel, on eût dit que, dans son âme bourrelée
de remords, il s'établissait une comparaison et un rappro-
chement entre les malheurs de la royauté légitime et la
punition d'un usurpateur. Cette punition était méritée, elle
fut pleine d'angoisses.
» La crainte s'était emparée de Louis-Philippe et de sa
famille. Eux qui, selon la oarole de l'Apôtre, « au lieu de
» faire servir leurs membres à la justice, les avaient fait
» servir h l'iniquité, » ils supposaient à la France et au
gouvernement provisoire des sentiments qui n'existaient
point. Heureuse d'être débarrassée de l'orléanisme, la
France marchait vers l'inconnu ; mais la pensée de se faire
gendarme ou geôlière n'entra pas plus dans ses intentions
que dans sa volonté. Les d'Orléans ne purent se croire à
l'abri des poursuites; ils souffrirent de tous les maux qu'ils
rêvèrent. Ce fut leur premier châtiment. Louis-Philippe
était obsédé de ce supplice comme d'une idée fixe. Il a
peur de tomber sous la mam des légitimistes, peur de se
voir prisonnier de la république. Sa mémoire, pleine
d'images lugubres, lui retrace les sombres épisodes et les
plus sombres conséquences du voyage de Varennes. Ses
souffrances du corps et de l'esprit, dont Marie-Amélie ne
peut calmer l'amertume, s'augmentent des inquiétudes de
la paternité. Il ignore ce que devient sa famille, dispersée
par le souffle des révolutions. Puis Rambouillet, Saint-Leu
et Blaye, ces trois crimes que Dieu n'a point prévenus,
mais qu'il punit enfin, s'évoquent comme les trois Furies
pour agiter son sommeil. Errant sous le froid et sous la
pluie, battu par tous les vents, en proie h ces supplices de
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830, 403
l'âme qui dévorent les membres, il a hâte de mettre le
détroit entre lui et ses persécuteurs chimériques. Il aspire
îi la mer, il tend vers la mer.
» Cet homme, qui n'a vécu, qui n'a régné qu'en flétris-
sant l'émigration et les émigrés, émigré volontairement
une troisième fois. Il fuit à toute force le sol natal qui
peut le dévorer. Les yeux tournés vers les côtes d'Angle-
terre, il use de faux noms, il se grime à neuf, afin de
mieux dissimuler son identité. Les soins hospitaliers de
M. de Perthuis, son ancien officier d'ordonnance, lui de-
viennent à charge sur le territoire français. Il attend, il
désire Vexpress ou, à défaut de vapeur britannique, la pre-
mière barque de pécheur qui lui fera franchir la Manche. ■
Les usurpateurs déchus ont seuls de ces précipitations,
qu'en exil, à tête reposée, ils arrangent en stances patrio-
tiques ou en élégies sur le mal du pays.
> La mer n'est pas tenable; les pilotes les plus intré-
pides refusent d'embarquer, même à prix d'or. La tempête
gronde sur les flots, comme la révolution dans les âmes, et
Louis-Philippe, tremblant de frayeur, se livre aux plus
noirs pressentiments. Enfin, le 2 mars, après sept jours
d'incidents et de tribulations, un visage anglais se montre
en messager de salut. C'est le consul britannique au
Havre, qui apporte la bonne nouvelle et le sauvetage. Par
ordre de son gouvernement, il annonce que l'express est k
la disposition de Louis-Philippe. Depuis Dreux, la roi de
Juillet se nomme M. Lebrun ; en mettant le pied sur le na-
vire anglais, il s'appelle William Smith.
» Dans la matinée du 3 mars, les fugitifs abordèrent au
rivage de Newhaven. Le 4, ils se trouvaient au château de
Claremont, dans les bras de leurs enfants et de leurs
petits-enfants, réunis après tant de catastrophes et de
périls entrevus dans l'imagination.
» Louis-Philippe avî^it de graves reproches à se faire;
404 LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.
la maison de Bourbon en a de plus graves k lui adresser.
Des paroles de miséricorde et de consolation furent ap-
portées du château de Froshdorfau château de Claremont.
L'exil immérité, prodigue de miséricordes, compatissait
aux tortures d'un juste exil. En s'associant à ses douleurs
de famille et à ses tristesses de la patrie absente, il lui
disait avec le Prophète : « Vous voilà blessé comme nous,
» et vous êtes fait semblable à nous. » Louis-Philippe,
assure-t-on, comprit, malgré son affaiblissement sénil, la
sainte noblesse de ce langage. Au triple point de vue de
la famille, de l'ordre social et du droit monarchique, il
avait commis des fautes irréparables. Indécis au bout de
sa carrière ainsi que dans son âge mûr, il essaya de les
racheter par une fin de non-recevoir. En parlant sur son
lit de mort de la fusion des deux branches de la famille
des Bourbons, il murmurait encore : « Henri V doit être
le chef de la maison d'Orléans*. »
* Nous détachons le passage suivant d'un article du chevalier
des Mousseaux, publié dans le Monde:
« Louis-Philippe se recueille devant la mort, il examine reli-
gieusement sa conscience et s'inspire, avant de parler, des con-
seils de son expérience, ramené qu'il est par le malheur et par
le sentiment d'une fin prochaine à une saine vision des choses.
Car il touche à l'heure que décrit le sage des temps anciens,
travaillé par la ciguë qu'il vient de boire, et près de passer de
ce monde dans un autre monde. Ses disciples l'entourent, l'in-
terrogent, et il se hâte de leur inculquer cette utile et philoso-
phique vérité que lui dicta la mort :
« A ce moment, tout change d'apparence; de nouvelles lu-
» mières envahissent les yeux, et les choses se présentent à
» nous sous un aspect bien dilférent de celui qu'elles avaient
» pris pour nous leurrer »
» Mon cher Duchùlel, dit le mourant à son ancien ministre,
qui lui rendait sa dernière visite, j'ai voulu vous voir une der-
nière fois... Continuez à ma famille, à mes enfants, lorsque je
ne serai plus, le dévouement que vous m'avez montré; soyez
leur conseil, leur ami, comme vous avez été le mien.
LA RÉVOLUTlOiN DE JUILLET 1830. 403
» Ce vœu fut peut-être la dernière espérance de ce
prince, dont ta vie est maintenant livrée aux sévérités de
l'histoire; Dieu jugea qu'il était assez puni dans ce monde.
Dieu ne permit pas qu'une main d'homme, la main d'un
Bonaparte, aggravât son châtiment par le supplice, le
plus terrible de tous les supplices pour sa race. Quand les
décrets du 22 janvier 1852 enlevèrent aux citoyens Egalité
l'apanage des ducs d'Orléans et les obligèrent à vendre
tous leurs biens situés en France, Louis-Philippe avait cessé
de vivre depuis longtemps. Il était mort le 26 août 1850. ■
Quelques iDjnstices en Belgique sous le règ-ne da
g^endre de Louis-Philippe.
Afin de suivre l'ordre chronologique, nous terminerons
ce chapitre par les deux traits suivants :
— Le lundi matin 18 juillet 1842, « la dame veuve
Anne-Marie Van Isterdael, âgée de quatre-vingt-deux ans,
et sa sœur Catherine, âgée de soixante-quinze ans, de-
meurant à Alsemberg, près de Bruxelles, furent trouvées
gisantes dans leur chambre à coucher, l'une sur le lit,
l'autre sur le carreau. La première avait le cou coupé et
» Mon vœu le plus cher est que mes enfants se rapprochent
du chef de notre maison, de Me' le comte de Chambord.
» Ils peuvent se voir sans avoir rien à oublier ni à expliquer.
Mon passé ne me permettait pas de tenter un rapprochement.
Que mes fils soient plus heureux que moi !
» Vous les connaissez, mon cher Duchàtel, ils ont tous le cœur
bien placé. Ils sont courageux, appliqués à leurs devoirs, mais
aucun d'eux n'est doué d'initiative. La décision, l'esprit politique
leur fait défaut.
)) Et surtout qu'ils se gardent bien d'aucune entreprise par-
ticulière, de vouloir recommencer l'expérience que nous avons
tentée I Y réussiraient-ils un instant, vous verriez les cent jours
de la maison d'Orléans. »
/i06 LA RÉVOLUTION DB JUILLET 1830.
douze blessarcs mortelles; la seconde avait neuf blessures,
aussi mortelles, faites à l'aide de couteaux.
» L'argent qui se trouvait dans deux coffres avait été
enlevé. Aucune effraction ne put être constatée. Les
voleurs s'étaient introduits dans la maison par escalade. »
Voilà ce qu'annonçaient les journaux du lendemain.
Quelques semaine après on arrêta le meurtrier. Il se
nommait Jean-Jacques Van den Bossche.
Lorsque, le 21 février 1843, on fit son procès à la cour
d'assises de Bruxelles, il fut convaincu d'avoir assassiné
les sœurs Van Isterdael, chez qui il avait pris une somme
de 3,000 fr. dont 2,400 lui restaient encore dans uu petit
coffre.
Le témoin Demeurs, receveur des contributions à Al-
semberg, lieu du meurtre, expliquant l'origine de cette
somme chez des femmes de médiocre aisance, déclare que
le défunt époux d'Anne-Marie Van Isterdael, la première
victime, en son vivant garde forestier, était aussi trésorier
des revenus de l'église d'Alsemberg, et tenait en sa pos-
session, lorsqu'il était mort, une somme de 3,000 fr. ap-
partenant à ladite église. Après son décès, on avait rede-
mandé cet argent à sa veuve, qui n'avait voulu ni convenir
du fait ni rendre la somme. Quelque temps après, l'argent
de l'église qu'elle détenait tenta un voleur, et elle mourut
assassinée *.
— Ce qui suit, dans les profanations, a un autre ca-
ractère. La belle église des Jésuites do Liège, après leur
suppression, fut changée en un théAtre. Cette étrange mé-
tamorphose ne manqua pas de soulever les clameurs pu-
bliques, et même les ministres réformés déclarèrent dans
leurs prêches qu'ils regardaient celte entreprise comme
1 Voyez les journaux de Diuxe)les, février 1843.
LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830. 407
odieuse; car elle était une violation manifeste d'un culte
religieux. Elle ne se consomma que par les menées
sourdes de quelques magistrats philosophes, qui pro-
fitèrent de l'absence de leurs collègues pour l'approuver.
Or, à peine avait-on mis la main à l'ouvrage, que celui qui
le premier avait placé des actions sur ce théâtre fut enlevé
par une mort subite. Le grand meneur de la profanation
eut peu après une fin plus tragique encore. Tombé de son
haut en pleine rue, il eut la tête cassée, et au bout d'un
mois de démence il expira, sans avoir pu se reconnaître,
quelques jours avant l'ouverture de son théâtre.
Beaucoup de profanations analogues n'ont pas eu de
meilleurs résultats '.
Depuis cette époque, le libéralisme, si souvent condamné
par l'auguste Pie IX, a fait de terribles ravages en Belgique.
On pourra désormais, selon la parole du divin Maître, juger de
l'arbre par ses fruits; or les fameux principes de 89 appliqués
dans ce pays si religieux, ont abouti à l'oppression brutale des
catholiques. Les sectaires arrivés au pouvoir, grâce à la tolé-
rance et à l'incurie des libéraux-conservateurs, ne gardent plus
de mesure. Les mariages purement civils sont inta'oduits, les
enfouissements solidaires sont à l'ordre du jour; les cimetières
bénits sont profanés et souillés par les cadavres des athées ; le
nom adorable de Dieu est banni de tous les actes officiels ; la
religion et le clergé sont exclus des écoles de l'Etat ; la presse
vénale insulte impunément de la manière la plus outrageante,
nos mystères les plus saints, le Vicaire de Jésus-Christ et les
prêtres. Les fidèles qui, usant d'un dernier reste de liberté, se
permettent de faire des pèlerinages, sont exposés ù des injures
et h des sévices de la part de la canaille, qui sait qu'elle peut
compter sur l'impunité.
LIVRE QUATRIEME.
La Révolution en Italie de 1848 à 1879.
CHAPITRE PREMIER.
LS PIÉMONT RÉVOLUTIONNAIRE.
Sous prétexte de travailler à l'indépendance de l'Italie,
le Piémont a voulu la conquérir, et substituer ainsi sa
propre domination à celle de tous les princes de la Pé-
ninsule. « Abusant, dit le Souverain-Pontife Pie IX, de la
victoire qu'il a remportée avec l'aide et le secours d'une
grande et belliqueuse nation, durant une guerre funeste,
le gouvernement piémontais a étendu sa domination en
Italie, au mépris de tous les droits divins et humains.
Comme si le premier chef populaire pouvait usurper im-
punément et à son gré le pouvoir suprême dans de petits
Etats. L'histoire de la formation du royaume d'Italie est
l'histoire de toutes les trahisons, de toutes les corruptions,
de toutes les turpitudes que l'on puisse imaginer. Il
n'existe peut-être pas, dans les fastes de l'Europe, un fait
plus immoral et plus honteux. »
LA RÉVOLUTION EN ITALIE DE 1848 A 1879. 409
{Invasion piémontaise
oomme motifs et pièces iustificatives d'un jugement
aussi grave que mérité, l'histoire redira en détail toutes
les horreurs de l'invasion piémontaise, dont voici seule-
meni un rapide sommaire, tracé aussi par un éminent
prélat. Et d'abord « cette violation du traité de Zurich im-
médiatement après sa signature, à la minute même où l'encre
séchait encore sur le papier, dit Proudhon. Et qu'aurait-on
dit si, au lendemain du traité, l'Autriche l'avait jeté au
vent et eût envahi la Lombardie? On aurait crié à la
perfidie et à la violation des traités 1 Des sommations-
faites au Saint-Père pour désarmer ses défenseurs, au
moment même où les envahisseurs appelaient tous les
peuples à la révolte et aux armes ; une lâche agression
sans déclaration de guerre ; des ultimatum présentés après
l'invasion des territoires ; cette transformation du droit le
plus simple, d'un souverain qui se défend, en une insulte
au droit national; ces prétextes de troupes étrangères,
quand on avait soi-même des légions hongroises,- anglaises
et polonaises sous ses drapeaux; ces reproches d'émeutes
qu'on avait soi-même excitées , et de répressions qu'on a
provoquées et nécessitées ; ces proclamations mêlant aux
plus grossiers outrages des ordres d'extermination ; ces
mots de misérables, de sicaires avides d'or et de pillage, de
hordes papales, etc., jetés à des héros français ou belges,
la fleur du catholicisme; cette surprise au moyen d'infâmes
mensonges, ou plutôt, selon l'énergique expression du
juge le plus compétent, cet assassinat, à Casteltidardo,
d'une petite armée par une armée dix fois plus nombreuse,
ces douze heures de bombardement d'Ancôiie au mépris
de toutes les lois de la guerre et de l'honneur, d'une place
18
410 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
qui capitule et qui est protégée par le drapeau parlemen-
taire', etc.
> Cet envahissement, en pleine paix, d'un royaume allié ;
ces embarquements, en plein jour, dans les ports du Piô-
pont; ces enrôlements publics de forbans dans toutes ses
villes; cette comédie diplomatique du gouvernement pié-
montais, qui, tant que le succès est douteux, nie effronlé-
mcnt sa complicité, pour l'avouer plus tard et en recueillir
les bénéfices avec une cynique audace ; ce débarquement
de Garibaldi protégé par des vaisseaux anglais ; cette fu-
sillade des prisonniers de Milazzo jwnr donner un salutaire
exemple; cette proclamation de la loi agraire; ce partage
des biens communaux aux combattants et aux victimes de
l'ancienne tyrannie; les quinze cents forçats de Castella-
mare mis en liberté sur leur parole d'honneur; ce décret
qui proclame sacrée la mémoire de l'assassin Agésilas
Milano*, etc.
* La Liberté cattolica, en réponse aux clameurs de la presse
contre le Pape, se contentait naguère de reproduire la statis-
tique, publiée le 14 août 1861, des massacres accomplis durant
neuf mois seulement, de septembi-e 1800 à mai 18G1, dans le»
seules provinces napolitaines, par les amis de cette presse :
Fusillés sur-le-champ, 1,841; — après quelques heures,
7,127 ; — blessés, 10.004; — prisonniers, 6,112 ; — prêtres fu-
sillés, 54; — moines fusillés, 22; — maisons incendiées, 918 ;
— villages incendiés, Ji; églises pillées, 12; — enfants tués»
60; — femmes tuées, 48; — individus arrêtés, 13,620. Et toutes
CCS victimes n'étaient pas certes des assassins.
2 Les italianissimes n'ont-ils pas célébré unanimement Agésilas
Milano, exécuté pour avoir tenté d'assassiner le roi de Naples,
Ferdinand II? Le Morning-Post, journal de la haute société
d'Angleterre, n'a-t-il pas énuméré, le 22 décembre ISiiC, les ver-
tus du régicide? Le Ghbe n'a-t-il pas dit, le 11 décembre 185G,
que la nouvelle de l'assassinat du roi Ferdinand circulait à
Londres huit jours avant l'attentat? L'Italie de Gènes n'appelait*
elle pas, depuis un mois, ce souverain le fmroi de Naples? î\'a.-
t-ou pas écrit en Piémont le panégyrique de l'assassin? Plu-
DE 1848 A 1879. 411
» Ce jeune roi François II, qui, au moment où il tend une
main loyale au Piémont, voit la perfidie et la trahison pié-
montaises partout autour de lui : dans sa flotte, dans son
armée, dans le ministère qu'on lui a désigné, et jusque
dans sa famille ; le roi piémontais lui-même, sans déclara-
tion de guerre, et tandis que les ministres respectifs étaient
encore accrédités auprès des deux cours, venant en aide à
Garibaldi, et le soutenant de son artillerie sur les bords
du Volturne; le mensonge de la complicité tacite faisant
ainsi place au scandale de la complicité effrontée et cynique;
et de là cette entrevue du révolutionnaire avec le roi, qui
lui tend la main et lui dit ; « Merci I ^ puis cette entrée à
Naples, côte à côte dans la même voiture, du forban en
blouse avec le roi; et puis cependant, plus tard, Garibaldi
fusillé à Aspromonte, sur le sol même qu'il a conquis
pour le Piémont, comme pour frapper, dit Pelletan, le bien-
faiteur sur le bienfait, etc.
^ L'état de siège dans les provinces napolitaines ; tout
mouvement contre le mouvement piémontais puni de
mort; le cri de Vive François II puni de mort; des soldats
de François II, uniquement pour avoir été fidèles à leur
roi, punis de mort ; les colonnes piémontaises lancées en
tous sens dans le pays pour y porter la terreur et la mort;
d'effroyables ordres du jour; Gialdini ordonnant de fusiller
sans merci les paysans parce qu'ils sont fidèles à leur
prince, au Pape, à leur religion, à leur pays; Pinelli plus
sauvage encore : Il faut, dit-il, écraser le vampire sacer^
dotal, le vicaire non du Christ, mais de Satan; nous purifie-
sieurs journaux n'ont-ils pas publié son apologie ? Les poètes
n'ont-ils pas chanté ses louanges? iN'a-t-on pas frappé à Gênes
et distribué à Turin une médaille destiné^ à éterniser sa mé-
mou-e? Comment, après ces faits et après tant d'aveux, oser
dire que ks assassins ne sont d'aucun iiarli ?
412 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
rons par le fer et par le feu les pays infectés de cette bave im-
pure; soyez inexorables comme le destin; contre de tels
ennemis la pitié est un crime; Fantoni menaçant de fusiller
quiconque donnerait le moindre secours aux insurgés
napolitains, ou même serait convaincu d'avoir sur soi plus
de pain qu'un individu n'en peut consommer en un jour ;
le major Fumel promettant une récompense de cent francs
pour chaque brigand que l'on amènerait mort ou vif; pa-
reille somme promise à tout brigand qui tuera un de ses
semblables : quiconque restera indifférent sera considéré et
traité comme brigand, etc.
» En conséquence de ces ordres barbares, on vit d'ef-
froyables fusillades, des prêtres, des magistrsts, des
femmes, des mères, emprisonnés, fusillés ; en une seule
fois, treize bergers brûlés vifs dans leurs fenils; quatorze
villes incendiées et leurs habitants poursuivis et fusillés.
Avec les fusillades, les bombardements ; après le bombar-
dement d'Ancône, le bombardement de Capoue ; après le
bombardement de Capoue, le bombardement de Gaëte, un
des plus effroyables dont l'histoire fasse mention; les
bombes s'attaquent spécialement aux maisons, aux églises,
aux hôpitaux; l'explosion des poudrières par trahison;
les ofticiers de l'ancienne marine napolitaine traduits de-
vant les conseils de guerre piémontais, parce que, chez
eux, un dernier reste d'honneur se refusait à bombarder
leur roi et leur jeune et héroïque reine. Au milieu de tout
cela une votation sous la terreur des baïonnettes, du stylet
et des bombes. Faites le compte des bombes et des suf-
frages, conclut l'éminent prélat, auteur de ce sommaire
d'iniquités, le Piémont a lancé plus de bombes qu'il n'a re-
cueilli de suffrages *. »
» Victor-Emmanuel a bombardé Palerme, il a bombardé
Ancône, il a bombardé Gaële! C'est le souverain italien qui a
fait le plus bombarder. Il a fait pleuvoir le fer et le feu, mémo
DE 1848 A 1879. 413
L'impiété et l'immoralité ont marché de pair avec la vio*
lence. « L'un des plus hideux traits de la révolution d'Italie,
a dit à la tribune anglaise lord Malmesbury, est la vente et
l'exposition puHique des gravures, des photographies et
des livres les plus abominables, expressément inventés, je
puis le dire, pour corrompre la jeunesse des deux sexes.
Il n'y a pas une boutique à Londres qui ne serait fermée,
si elle mettait en vente des infamies pareilles à celles qu'on
voit à Naples tous les jours et dont la vente est permise.
La presse athée travaille de toutes ses forces à l'œuvre de
perversion, et la vie même de Notre-Seigneur Jésus-Christ
est l'objet d'un scandaleux roman, intitulé le Charpentier
de Nazareth. Des brochures de la forme la plus dégoû-.
tante sur la famille royale, sur le Pape, sur les ministres
de la religion, et même sur les pauvres Sœurs de Charité,
pullulent à tous les étalages des libraires, et je n'aurais
jamais pu imaginer jusqu'à quel degré d'indécence elles
peuvent aller, si je ne l'avais vu par moi-même. >
Voici ce qu'Etienne San-Pol, rédacteur en chef du Con-
temporaneo de Florence, écrivait [avant la dernière insur-
rection de Palerme. Ces chiffres ont leur éloquence :
« Dans le seul arrondissement de Palerme, la statistique
après capitulation, comme à Ancône. Et Victor-Emmanuel n'a
pas bombardé pour se défendre, mais pour attaquer en dehors
de tout droit. C'est un roi « Bomba » sans excuse. La mitraille
serait-elle moins meurtrière lorsqu'on saute à pieds joints sur
les traités et le droit des gens ?
Nous remarquons plus d'une fois que nos adversaires ou-
blient les événements ; mais trop oublier finit par être de la
maladresse. Nous n'oublions pas, quant à nous, que les bom-
bardements de Palerme, d'Ancône et de Gaëte, et les fusil-
lades et les incendies du royaume de Naples resplendirent
autour du berceau du nouveau royaume de Victor-Emma-
nuel.
Ai't LA RÉVOLUTION EN ITALIE
criminelle de quatre mois seulement a présenté l'épouvan
table chiffre de 6,745 délits et crimes divers, dont 794
étaient des meurtres et 1,096 des vols ou agressions.
A Païenne, en un seul jour, on a vu le navrant spectacle
de plus de 164 délits, et dans l'espace de vingt jours seu-
lement, les assassinats ont atteint l'épouvantable et déso-
lant chiffre de 98 !
» Pendant l'année 1867, le nombre des homicides s'était
élevé, dans l'Italie régénérée, h 2,626.
» Ce chiffre accuse en Italie une épouvantable démorali-
sation. Ce pays est aujourd'hui, à tous égards, la honte de
l'Europe civilisée. »
Eh bien, sait-on dans quels termes le Journal officiel de
l'Einpire français parlait alors du royaume d'Italie?
• Les documents officiels récemment publiés par la di-
» rection générale de la statistique du royaume jettent une
» vive lumière sur les progrès de divers genres qui s'accom-
» plissent en Italie. *
« Le député sicilien Ferrari affirme que toute sa patrie
est sous l'effroi des sicaires, des larrons, des assassins,
des traîtres, des espions ; que les campagnes elles-mêmes
sont infestées de bandes armées; que l'on brûle les mois-
sons, qu'on disperse les récoltes, que l'on tue le bétail,
que l'on rançonne les propriétaires, que l'on attaque les
courriers, que l'on menace les juges, qu'on punit les té-
moins, qu'on fusille sans procès, qu'on emprisonne sans
motifs, qu'on fait mourir de faim les prisonniers, qu'on
bâtonnc les prévenus, qu'on exile les suspects, et que l'on
oublie même dans les cachots les captifs durant des mois
entiers. En trois ans, on a fusillé jusqu'à 10,000 personnes,
Les prisonniers dépassent actuellement 20,000. Les sus-
pects éloignés de l'île atteignent le nombre de 7,000. On
compte déjà plus de 16,000 réfractaires à la conscription.
Plus de 14,000 personnes ont émigré volontairement.
I
DE 1848 A 1879. 41o
4,000 baïonnettes ne suffisent pas pour garantir l'ordre, la
sûreté et l'honneur des gens paisibles. »
Et toutes ces infamies et ces atrocités, comme on a dit
au parlement anglais, et ce hideux spectacle de perfidie,
d'impiété, de violence, d'iniquité, d'anarchie, de dépréda-
tions, sont appelés par le Piémont et les journaux libé*
raux hmne de l'oppression, délivrance, honheur, liberté de
l'Italie, règne du galant homme, etc. En vérité, ce sont là des
confusions de langage qui, en déplaçant la honte, comme
nous l'avons déjà dit, d'après un illustre prélat, en cou-
vriront notre époque : Et terra infecta est ah habitatoribus
suis, quia transgressa sunt leges, et mutaverunt jus (Isaïe,
XXIV, 5).
Proudhon lui-même n'a pu s'empêcher de flétrir tout ce
que le Piémont, instrument de la Révolution, a fait en-
durer à l'Italie, « La dilapidation, dit-il, le déficit, l'arbi-
traire, l'hypocrisie, la tyrannie subalterne, l'incendie, le
massacre, la ruine, voilà ce que, depuis quatre ans, l'Italie
a recueilli de cette politique unitaire préconisée depuis
1820 par Mazzini, reprise en sous-œuvre par Cavour et ses
successeurs, et soutenue en France par une presse sans
autorité. Un compatriote de Mazzini a dit de lui qu'il
n'avait su faire en toute sa vie que deux choses : soutirer
de l'argent aux riches et du sang au peuple, et qu'il
n'avait jamais rendu l'un et l'autre. Les Italiens ont de la
patience*. >
* Appuyé sur l'autorité de Farini, montrons comment fut
gouvernée la cité sainte pendant l'absence du Pape et sous la
férule de Mazzini.
Farini (voyez l'Etat romain, t. III, p. 335) affirme que les chefs
du gouvernement étaient de complicité dans les infamies que
nous allons raconter, et qu'on voyait le maître lui-même dans
la compagnie de scélérats dont la familiarité enleva au gou-
vernement toute autorité pour réprimer leurs déportements.
^^^ l'A RÉVOLUTION EN ITALIE
Le langage des journaux révolutionnaires est quelque-
fois pour nous un sujet d'admiration, car il est difficile de
ne pas admirer jusqu'à quel point la force de la vérité se
fait sentir et comment ceux qui la combattent sont amenés
Trois malheureux jésuites furent arrêtés et conduits à Rome
au miheu des imprécations d'une foule furieuse, et on les u it
en pièces au pont Saint-Ange. On dévastait les maisons Ce
campagne, et l'on ne respectait ni les biens ni les personne?.
On menaçait sourdement les couvents du pillage, car il fallait
à ces appétits insatiables l'argenterie des églises et des mo-
nastères. On prenait tout, chevaux, meubles et vêtements,
pour le service de l'armée : c'était le prétexte. A Ancône il y
eut des meurtres commis en plein midi, sur les places, dans
les maisons particuhères, dans les lieux publics, en présence
des mihces, qui laissaient faire. Il y eut des officiers de poliœ
qui, remplissant en même temps les rôles d'assassins, de ju-es
et de bourreaux, tuaient les citoyens que leur devoir était ^de
protéger contre toute violence. Heureux celui qui pouvait ra-
cheter sa vie avec de l'or ou la sauver par la fuite, tant était
grande la terreur qui dominait les esprits, tant l'autorité était
avihe et la tyrannie triomphante! L'impunité atteignait un tel
degré à Ancône, que les consuls étrangers s'en plaignirent au
gouvernement et en firent connaître au dehors les horribles
suites. On frappa d'une contribution de trente mille écus le
patrimoine de la Mai. -^.n de Lorette, et c'est par la vertu drs
poignards qu'on voului: fonder une république. On se moquait
des pompes de la cour papale ; on faisait des feux de joie des
voilures des cardinaux et des confessionnaux qu'on tirait des
églises pour les brûler sur la place du Peuple. L'Italia del Po-
polo disait : « De la flamme des voitures cardinalices brûlées
sur la place du Peuple est sortie une lumière qui éclairera la
route sur laquelle les peuples s'embrasseront un jour ou l'autre
Jans un v litablc progrès religieux, dans une même foi
d'oeuvres, de salut et d'amom' ! »
Zambianchi, qui gardait la frontière napolitaine avec ses
finanzieri, avait envoyé prisonniers à Rome des prêtres et des
citoyens signalés comme ennemis de la république, et, parce
que le gouvernement les avait renvoyés libres quelque temps
après, il avait juré, ainsi qu'il le fit savoir plus tard, d'ajouter
à son métier de bandit celui déjuge et de bourreau. Il tint son
DE 1848 A 1879. 417
à l'exprimer. Nous en avons eu un exemple, il y quelque
temps, dans le Diritto de Turin. Veut-on savoir quelle
idée ce journal se faisait de la pensée qui devait réunir
au Parlement de Florence les hommes de son parti, ces
députés de la gauche que l'on appelle en italien e sinistri?
Pour l'exprimer il empruntait les paroles de Dante :
Chiama gli abitatori delP ombre eterne
Il rauco suon délia tartarea tromba.
Le "on rauque de la trompette infernale appelle les habitant»
des ombres éternelles.
On ne saurait mieux dire. Quelque idée que nous nous
fassions des projets et des œuvres du parti révolution-
naire, nous n'aurions pas trouvé de si heureuses et de si
justes expressions. Mais le Diritto connaît encore mieux
que nous les hommes dont il annonce la venue, et il en sait
serment. De retour à Rome, il rencontra sur la voie de Monte-
Mario le curé de Sghirla, dominicain; il le tua et se vanta de
son action. S étant logé à Santa-Maria, dans le Transtévère,
soit qu'il soupçonnât, soit qu'il feignit de croire que les prêtres
et les religieux conspiraient la ruine de la république, il alla à
la chasse des prêtres et des religieux, les enferma dans Saint-
Calixte et commença le massacre. On ne saurait dire quel fut
le nombre des victimes : lui-même écrivit dans la suite qu'elles
étaient nombreuses. Mais disait-il la vérité ou cherchait-il à se
vanter? Je n'ai pas le nom des victimes, excepté celui du curé
de Sainte-Marie de la Minerve, le P. Pellicaio, qui était aussi
dominicain. Quatorze cadavres, dit-on, furent trouvés à demi-
enterrés dans le jardin du couvent.
Les vols, les rapines, les cruautés, inaugurés en même temps
que le gouvernement mazzinien, continuèrent jusqu'au jour
de l'entrée des Français dans Rome. Ce jour-là même, deux
ou trois prêtres furent encore poignardés au milieu du
tumulte. Pantaleoni attaqué se défendit avec une épée, et
l'abbé Perfetti, qui l'accompagnait, fut frappé d'un coup de
couteau. •
18*
A\^ LA RÉVOLUTION EN ITALIE
peut-être plus que nous sur le caractère et le but de la
mission qu'ils ont à remplir en Italie*.
— Nous lisons dans l'Armonia d'octobre 1869 : M. Pré-
vost-Paradol, un des principaux rédacteurs du Journal des
Débats, a écrit au Pays une lettre dans laquelle il dit, entre
autres choses : t Le socialisme ne fera jamais tant de mal
9 à la France que n'en fait la fondation de l'unité ita-
» lienne. » Et cependant le Journal des Débats a toujours
été l'un des plus ardents partisans du royaume d'Italie.
* Pour apprécier la révolution italienne, il n'y a qu'à consi-
dérer quels sont ses correspondants et ses amis en France.
On sait que le fils d"un régicide a eu la pensée d'élever une
statue à l'infâme Voltaire, l'ennemi le plus acharné de Noire-
Seigneur Jésus-Christ. Les journaux ont reproduit à ce sujet
la pièce qui suit :
Le directeur politique du Siècle a reçu la lettre suivante :
« Caprera, \ 9 février.
» Un monument à Voltaire en France signifie le retour de
ce noble pays à son poste d'avant-garde du progrès humain
vers la fraternité des peuples. C'est de bon augure pour lo
monde entier, dont l'homme immense était citoyen, et une
terrible secousse à la coalition du despotisme et du men-
songe.
» Agréez mon obole et toute ma gratitude.
» Votre G. Gaiubaldi. »
DE 4848 A 1879. 419
CHAPITRE II.
t-ES HÉROS PB LA RÉVOLUTION ITALIENNE.
Charles 'jLlbert.
Né en 1798 de la branche de Carignan de la maison de
Savoie, il parvint au trône de Sardaigne en 1831, par
l'extinction de la ligne royale de cette maison. Livré k la
R-évolution par l'éducation à laquelle sa mère l'abandonna,
il fut, à ce qu'il paraît, affilié de bonne heure aux sociétés
secrètes. Après l'abdication de Victor-Emmanuel I", lors
de la révolution de 1821, il fut nommé régent du royaume
en attendant l'arrivée du nouveau roi, Charles-Félix. Il
proclama alors une constitution qui était celle des cortès
d'Espagne ; mais l'intervention armée de l'Autriche le con-
traignit bientôt de se réfugier en Toscane. Il commença
bientôt à mener la vie malheureuse qui a été le résultat de
la faiblesse de son caractère. Pour se réhabiliter au point
de vue monarchique, il fit, comme volontaire dans l'armée
française, la campagne de 1823 en Espagne. Arrivé au
trône, il essaya de concilier ses sentiments religieux avec
ses engagements envers la Révolution ; tel est le secret de
son apparente duplicité. Il donna au royaume de Sar-
daigne, en 1847, la constitution représentative appelée
Statut fondamental. Dupe de l'hypocrisie du faux libéra-
lisme, il se laissa persuader, par l'appel trompeur fait à sa
religion, qu'il était destiné à être le libérateur de l'Italie et
420 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
à en chasser les Autrichiens. Battu à San-Donato par le
maréchal Radetzki, il fut forcé d'évacuer le Milanais et de
demander un armistice. Il se laissa bientôt entraîner par
la démocratie h recommencer la lutte, et Radetzki lui re-
procha cette violation des conditions de l'armistice dans
une proclamation où il disait : « Si j'avais pressenti que la
dignité royale pût déchoir à tel point dans la personne de
Charles-Albert, je ne lui aurais pas épargné la honte
d'une captivité à Milan. »
La polKiqae de Charles-Albert '.
Tous les malheurs de l'Italie, que nous déplorons (et
Dieu sait pour combien de temps nous avons à les déplo-
rer encore), la faute en est à la politique de ce souverain,
tantôt rusée, tantôt bizarre, tantôt captieuse, jamais
franche, toujours indécise. De son vivant, il fut adulé, il
fut loué : malheur de tous les princes de la terre. Ce furent
précisément les adulations, les louanges et les applaudis-
sements qui le perdirent. Charles- Albert chassa un jour de
son palais les anciens et fidèles serviteurs de la couronne,
t A choses nouvelles hommes nouveaux, » s'écriait la
foule traîtresse et intéressée des sectaires; et Charles-
Albert renvoya des conseils les vieillards, les sages et les
gens rompus au gouvernement, pour s'environner de
jeunes gens, de téméraires et d'hommes sans expérience.
Il chancela et tomba dans le premier piège.
Avec des jeunes gens, avec des dandys, avec des Gany
mèdcs de théâtre, on ne gouverne pas les peuples.
Il y faut l'expérience, la sagessse et la maturité que les
enfants ne possèdent pas.
* Ces considérations sont en partie empruntées à un coura-
geux publiciste italien, Etienne San-Pol, rédacteur en chef du
CoiUemporanco, de Florence.
DE 4848 A 4879. 424
Cette vérité, nous en avons la preuve dans les pre-
mières ardeurs de jeunesse qui se montrent en ce prince.
On a dit et Ton a écrit qu'en 4821 Charles-Albert, alors
prince de Carignan, trahit les révolutionnaires de l'Italie
entière. En l'absence de son légitime souveram et parent,
il avait fait alliance étroite avec les rebelles et proclamé
une constitution contre la volonté du prince dont il était le
représentant à Turin. Dans le fait, il les abandonna tout-à
coup; en se retirant ainsi, il laissa ses amis et ses com-
plices exposés à la fureur des troupes demeurées fidèles au
roi et aux rigueurs de la justice.
La justice fut sévère. Je ne veux pas rappeler tout ce
qu'il coula de sang en Italie et dans les rues mêmes de la
capitale sarde. On fusilla, on emprisonna, on exila.
Charles-Albert se mit à l'abri et ne perdit pas un cheveu;
au contraire, dix ans après cette échauffourée, de simple
prince de Carignan, il devenait roi.
Quant aux complices de cette trahison juvénile, plu-
sieurs furent pendus en effigie par la main du bourreau.
Telle fut la faute des libéraux de 1821, par la faute de
Charles-Albert. Je dis par sa faute, parce que, s'il se fût
souvenu des liens du sang et des devoirs qui l'attachaient à
son souverain, s'il n'eût point pactisé avec les rebelles qui
menaçaient sa patrie et le trône de sa maison ; l'Italie, en
ces jours-là, n'aurait pas vu son sol ensanglanté ni ses fils
tués par le plomb ou étranglés à la potence.
Dès l'abord, la politique de Charles-Albert fut double.
Les années ne lui amenèrent pas de meilleurs conseils et
des principes plus sages.
Voyons-le maintenant sur le trône.
Charles-Félix mourant sans héritier, la branche aînée de
la maison de Savoie s'éteignait, et Charles-Albert montait
''^22 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
sur le trône de Sardaigne. Tous s'attendaiet.^ h ce que, de-
venu arbitre souverain de son pays, il inaugurerait une
politique vraiment italienne. Les révolutionnaires, se sou-
venant de ce qu'il avait fait en 1821, se flattaient de l'avoir
pour eux. De vrais Piémontâis espéraient qu'il aurait con-
tinué la politique religieuse, ferme et prudente des princes
de Savoie, ses prédécesseurs et ses modèles.
L'histoire l'atteste, Charles-Albert ne prit aucun parti et
inaugura une politique à double face. Il caressa les catho-
liques, les absolutistes, les anticonstitutionnels, les prêtres,
les moines; il tendit la main aux progressistes, aux réfor-
mateurs, aux révolutionnaires de toute l'Italie.
Libéral et révolutionnaire, il n'eut point, pendant qua-
torze années de règne, le courage de rouvrir les jjortes du
royaume à ses complices de 1821. Religieux et absolutiste.
il regardait avec convoitise la couronne de fer: avec les
libéraux, il ridiculisait les hommes les plus sages qui sié-
geaient dans les conseils de la couronne.
N'allez pas croire que j'exagère. Des témoins parfaite-
ment dignes de foi nous rapportent dans leurs écrits jus-
qu'à quel point Charles-Albert poussa un jour sa politique
ambiguë, la légèreté indécise de son allure.
Il venait de se courber respectueusement, dans une céré-
monie publique, devant le vénérable archevêque de Turin,
et derrière lui, il s'en moquait pour faire rire ses amis.
Un historien indépendant et sans [passion oserait-il ap-
peler loyale et vanter la politique d'un tel prince? Les
révolutionnaires l'osèrent bien et s'en trouvèrent satisfaits.
Nous savons par les témoignages de ce matois de Giobcrti
que le roi était content.
Charles-Albert haïssait l'Autriche; il en convoitait les
possessions italiennes, il se promettait de lui faire la
guerre ; en attendant, pour lui cacher ses pensées, il en
prenait les avis, en exécutait les ordres, persécutait les
DE 1848 A 1879 423
révolutionnaires et formait les alliances de sa famille avec
les Allemands.
Le soir même qui précéda la descente des armées pié-
montaises au secours de la révolution de Milan, par ordre
de Charles-Albert, lui, Charles-Albert, devant l'ambassa-
deur d'Autriche, protestait de son inviolable fidélité, de
son respect pour les traités, de son amitié inaltérable et
des sentiments profonds que lui inspiraient les alliances
de sa famille avec Vienne.
Le ministre autrichien, prenant au sérieux cette parole
de roi, en écrivit à son souverain pour dissiper toute
espèce de soupçons et de craintes.
Et Charles-Albert, que fit-il? Charles-Albert quittait
Turin quatre heures après, se mettait à la tête de son
armée, passait le Tessin et tombait sur les Autrichiens
pour donner la main à la révolution lombarde. Sur le
droit de cette guerre, je ne me prononce pas : l'histoire s'en
est chargée ; mais je me prononce sévèrement contre qui-
conque, sujet ou monarque, oublie, même envers ses en-
nemis, la loyauté ou la parole donnée.
Persécutions et spoliations de l'Eg'Iise sons
Charles'Albert.
Charles-Albert ne mérite pas le titre de roi-chevalier ;
il ne mérite pas non plus celui de roi dévoué à l'Eglise, à
la religion, au Pape. A cet égard, la politique de son gou-
vernement fut constamment ambiguë et répréhensible.
Jn prince qui a un sentiment profond de la religion, qui
connaît la guerre acharnée que lui font ses ennemis ; un
prince sincèrement dévoué à l'Eglise, ne doit pas tolérer
que, sous les vains prétextes de patrie, de liberté, d'indé-
pendance et de pouvoir civil, on enchaîne la liberté et
l'indépendance do l'Eglise, que l'o» riolente la conscience
424 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
des catholiques, que l'on déchire les ministres de Dieu, et
que l'on opprime les prédicateurs de l'Evangile.
La première liberté, la première indépendance des
hommes réside dans leur conscience; la première obéis-
sance est due à Dieu et k ses lois: le premier respect, la
première vénération se doivent à ceux qui le représentent
légitimement sur la terre, qui parlent en son nom.
Qu'est-ce qu'un homme qui s'arroge le droit d'envahir
l'autorité de Dieu et de l'Eglise? Qu'est-ce qu'un prince
qui prétend river aux marches de son trône la volonté de
ceux qu'envoie Celui qui élève les puissants sur la terre,
et d'un seul mot les brise?
Charles-Albert flatta la révolution même dans ses persé-
cutions contre le catholicisme; il oublia que ses ancêtres
s'agrandirent par la religion, embellirent leur couronne
par la piété, s'élevèrent eux-mêmes, se firent aimer, ho-
norer et craindre par leur foi et par leur respect pour les
successeurs de saint Pierre.
Charles-Albert voulut commander même à l'Eglise. Il
écoulait les calomnies des ennemis les plus prononcés et
les plus lâches de la religion au sein de laquelle il était né
et promettait de vivre. Il n'eut pas le courage de s'opposer
au torrent, qui dès lors ouvrait les digues à l'immoralité,
à l'insolence et au protestantisme dans l'Italie. La Révo-
lution le proclama monarque jaloux des prérogatives
royales, tandis que l'Eglise, les ordres religieux, les pré
rogatives catholiques en souffrirent et pleurèrent.
Des gfins de rien, indignes du nom de patriote, d'Ita-
lien, d'homme même, envahirent les saints asiles des re-
ligieux et des prêtres. Ce fut sous son règne que l'on vit
les plus belles rues de Turin encombrées de meubles, de
saintes images et d'ornements sacrés, et la populace
avinée en faire l'objet de son divertissement... Je fais allu-
sion au pillage des maisons des Jésuites, à la violation des
DE 1848 A 1879. 42o
palais épiscopaiix, aux emprisonnements, aux exils, aux
séquestres de prélats recommandables.
Le roi se tut, la Révolution applaudissait, l'iniquité se
démasquait, ce beau pays courait h sa ruine, et il y tomba.
Aujourd'hui l'Italie recueille les fruits des délires de ce
règne. Aujourd'hui encore, la Révolution, en habit de ré-
jouissance, se couronne de fleurs, comptant bien atteindre
son but, qui est d'abattre le catholicisme et d'élever avec
ses débris les dernières barricades contre les trônes de
tous les monarques, dit San-Pol.
Y réussiront-ils, les scélérats? Mon regard ne lit pas
dans le livre de l'avenir. Je lis dans celui du passé et du
présent. Les méchants n'abattront pas la religion du
Christ. D'autres l'ont essayé, et ils ont péri.
Mais les trônes ! — Les trônes, ils branlent. Les trônes
qui ne s'appuient pas sur la justice, sur la religion, sur la
probité, craquent, et c'est l'œuvre de ceux qui se donnent
pour leur soutien, leurs colonnes.
Charles-Albert, le premier, oublia l'histoire de sa mai-
son. Vaincu en mars 1849, à la bataille de Novare, Charles-
Albert renonça le même jour à la couronne, et alla mourir
de chagrin et de honte dans une pauvre chambre d'Oporto, en
Portugal, ajoiUant un nouveau nom à cette longue liste de per-
sécuteurs de l'Eglise punis dès cette vie.
Mort déplorable de CiioEierti, le théolog^ien de Ift
révolution italienne ^
La révolution italienne n'a rien d'original, ni de propre-
/nent italien, si ce n'est d'être une répétition burlesque et
posthume des révolutions d'Allemagne et de France.
L'abbé Gioberti, qui en a été le missionnaire piémontais,
* Né à Turin en 1801, il entra jeune dans les ordres sacrés,
professa la théologie à l'université de sa ville natale, et fut
426 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
n'est qu'un copiste de Luther. Nous avons vu le moine
apostat de Wittemberg commencer la guerre contre l'Eglise
de Dieu par une série de quatre-vingt-dix-neuf thèses contre
les scolasliques, comprenant par-devers soi, sous ce nom,
tous les évoques, tous les Papes, tous les Pères de l'Eglise
qui reconnaissent la bonté de Dieu et le libre arbitre de
l'homme, et cela pour y substituer le Dieu méchant et
l'homme brute de Mahomet. L'abbé Gioberti, pour atteindre
au même but, commence par des pamphlets, par des livres
contre les Jésuites. Chacun sait que le monde entend au-
jourd'hui par Jésuites non-seulement les dignes enfants de
saint Ignace, mais encore tous les fidèles, tous les prêtres,
tous les cvcqucs catholiques qui ont du zèle pour Dieu et
son Eglise, qui aiment Jésus-Christ et son Vicaire.
Il y a tel endroit de son Jésuite moderne où il se lamente
que tout le monde est jésuite en Italie, sans s'excepter lui-
môme, car il met pour titre du paragraphe : Nous sommes
tous jésuites.
Pour connaître toujours mieux l'esprit et le but du ré-
formateur piémontais, il est bon de considérer ses sympa-
thies et ses antipathies. Il fait l'éloge de Mahomet, de Lu-
ther et de Socin, le chef de ces modernes apostats qui
nient formellement la divinité de Jésus-Christ, et que l'on
appelle communément sociniens. Il fait le panégyrique du
luthéranisme, du jansénisme, du philosophisme, du josé-
phisme. Il a des louanges pour l'apostat Strauss, pour
l'apostat Ronge : Strauss, professeur d'exégèse protes-
tante, qui révoque en doute jusqu'à l'existence historique
de Jésus-Christ; Ronge, mauvais prêtre, qui a voulu forger
un catholicisme allemand, et dont l'entreprise finit pai
avorter dans la boue. En France, à Paris, une secte de
chapelain du roi Charles-Albert. Adepte du libérali.sine révo-
lutionnaire, il fut exilé en 1833. De Paris, où il a'était d'abord
rél'ugié, il passa en Belgique.
DE 1848 A 1879. 427
nouveaux gnostiques s'était formée sous le nom de pha-
lanstériens, d'enfantiniens, de saint-simoniens, pour éta-
blir le culte de la débauche; le réformateur appelle cette
èecte impure un don de Dieu.
Voici, sur le trop fameux Vincent Gioberti, prêtre apos*
lat, une petite notice biographique que nous extrayons du
Journal historique et littéraire de Liège (1847) :
« Il y a treize ou quatorze ans, M. l'abbé Gioberti en-
seignait h Turin. Il fut convaincu ou gravement soupçonné
h cette époque d'avoir trempé dans des menées politiques
contraires au gouvernement sarde, et il reçut l'invitation
de quitter sa patrie, afin d'échapper h de sérieux désagré-
ments. Il vint à Bruxelles, où M. Gaggia, prêtre italien,
apostat et concubinaire, l'accueillit à bras ouverts et l'em-
ploya comme professeur dans un petit pensionnat qu'il
dirigeait. M. Gioberti se plia de très-bonne grâce à sa
nouvelle position; il abandonna toutes les fonctions du
saint ministère, tous les signes de son état; il ne célébra
plus la sainte messe ; il déposa l'habit ecclésiastique, porta
constamment l'habit laïque, et ne conserva de ses an-
ciennes habitudes que celle de réciter le bréviaire.
» Il y a environ trois ans que M. Gaggia mourut de la
mort d'Arias, dans un angle perdu des remparts d'Anvers.
Peu de temps avant ou après cet événement, M. Gioberti
quitta Bruxelles et se fixa à Paris. Pendant son séjour dans
cette capitale, il a composé un grand nombre de volumes
jui lui ont fait un nom comme philosophe.
» Pour fixer sur lui l'attention de ses compatriotes, il a
yiublié, en 1843, trois énormes volumes sur la Primauté de
l'Italie parmi les peuples. 11 a placé sa nation à la tête de
toutes les autres ; il a prodigué à ses compatriotes, nous
ne dirons pas des flatteries, mais des flagorneries telles
que jamais le courtisan le plus vil n'en a adressé de pa-
reilles au souverain le plus absolu. Pour plaire aux francs-
428 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
maçons, il ajouta à la seconde édition de son Prmato
d'italia des prolégomènes dans lesquels il entassa en peu de
pages presque toutes les insinuations, toutes les méchan-
cetés que les jansénistes, les joséphistes et les voltairiens
avaient ramassées contre les Jésuites depuis deux siècles.
M. Gioberti indique lui-même, dans le premier volume de
son Gesuita moderno, plus de vingt écrivains étrangers à la
Compagnie de Jésus qui signalèrent ses prolégomènes
comme une honte et un scandale.
Dans le courant du mois de novembre 1852, cet apostat
est mort subitement à Paris, frappé d'une apoplexie fou-
droyante. Dans son ouvrage contre les Jésuites, il avait
écrit contre la confession ; le malheureux ! il a été privé
de ce sacrement à son heure dernière. Les jugements de
Dieu sont impénétrables, mais ils sont terribles !
Il est passé d'une vie scandaleuse au tribunal redoutable
de Celui qu'il avait insulté dans ses écrits et dans ses dis-
cours. Et c'est à un pareil homme que le Piémont révolu-
tionnaire a élevé une statue dans la ville de Turin, dans
cette ville autrefois si catholique, et qui compte plusieurs
de ses princes au nombre des saints nonorés par l'Eglise 1
DE 1848 A 1879. 429
CHAPITRE III.
ANARCHIE ET CHATIMEiNTS DE l'iTALIE RÉVOLUTIONNAIRE*.
Viet«r • Emnianael.
Victor-Emmanuel, après avoir été élevé chrétiennement,
mit de côté les pratiques religieuses, à cause des habitudes
scandaleuses de sa vie privée et de son ambition, qui
n'avait d'autre règle que celle d'un fameux révolution-
naire : La pi justifie les moyens. Sans principes et totale-
ment dépourvu de bonne foi politique, il cacha sous une
apparente aversion pour les affaires une grande ténacité et
une forte dose de finesse italienne. Il sut choisir les
hommes qu'il lui convenait d'employer. En se cachant der-
rière eux, il parut constamment entraîné par la révolution,
tandis qu'il ne cessait de la stimuler et de la pousser en
avant. Toutefois, quand les événements l'obligèrent à se
* Depuis la première édition des Terribles Châtiments, nous
avons publié d'autres ouvrages, auxquels nous devons renvoyer
nos lecteurs pour ne pas faire double emploi. On verra dans
le Trio'mphe de Pie IX dans les épreuves, dans les Victoires de
Pie IX sur les Garibaldiens, dans les Martyrs de la liberté de l'E-
glise, a quel degré d'abaissement est tombé ce gouvernement
qui prétendait régénérer l'Italie, et quels fléaux de tous genres
il a attirés sur ce malheureux pays.
Vie intime et édifiante de Pie IX, ^ vol. in-8<», de 600 pages.
— Tournai et Paris, librairie Caslormaun.
430 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
montrer, il n'hésita pas, soit qu'il eût à renier sa signa-
tare, comme après le traité de Zurich et la convention de
septembre, soit îi détrôner François II, son cousin, qu'il
assiégea dans Gaëte, ou à trahir un bienfaiteur, comme le
grand-duc de Toscane et tant d'autres. C'était l'homme qui
convenait à la révolution, afin de ne pas trop effrayer les
souverains de l'Europe.
Victor-Emmanuel s'est servi de la Révolution pour satis-
faire une ambition démesurée, sans se douter probable-
ment que la Révolution n'endosse pas gratis la livrée roya-
liste. Aveuglé, séduit par des enthousiasmes de commande,
il n'a pas compris que cette révolution, dont le but
suprême est la destruction de tous les trônes sur les ruines
de la Papauté, ne l'acceptait, ne le servait que parce que
son titre de roi dissimulait aux yeux de l'Europe la véri-
table portée du mouvement italien, essentiellement antire-
ligieux et, comme tel, antisocial. Il n'a pas compris que
c'était une bonne fortune pour des misérables comme
Mazzini, Garibaldi et compagnie, de trouver un roi et une
armée pour réaliser, sous prétexte d'unitarisme, le but
poursuivi depuis si longtemps et avec une infernale per-
sistance par la franc-maçonnerie : la chute de la Rome
chrétienne *.
Un homme bien informé écrivait de Florence à l'Univers :
a Victor-Emmanuel, ce galant homme, est une des phy-
sionomies les moins étudiées des temps actuels. Ou le con-
naît fort mal à l'étranger, et il n'y a rien d'étonnant à
* Ce malheureux prince, qui n'avait pas perdu la foi, était en
proie aux remords les plus cruels. Nous savons d'une manière
très-certaine qu'au moment de partir pour la guerre d'Italie
qui devait déposséder Pie IX, Victor-Emmanuel disait à rarchc-
vôque de Gènes, son ancien précepteur : Je souffre comme U7i
damné!
DE 4848 A 1879. 431
cela, car on ne le connaît guère mieux en Italie. Si vous
me dites que la politique qui domine en Italie est bien
celle d'un abruti, je ne vous contredirai pas; mais encore
faut-il en donner le mérite à qui il revient : ce ne sont ni
Cavour, ni La Marmora, ni Ricasoli, ni Ratazzi, ni Lanza
qui ont tout mené; le gouvernement est toujours resté
entre les mains du galant homme.
» La lutte avec l'Eglise» qui n'était qu'un expédient poli-
tique, devint tout un programme pour ce parti.
» Le roi s'engagea d'abord avec répugnance sur ce che-
min. Je l'ai entendu répéter plusieurs fois : « M. de Cavour
» est un bon cheval, un pur sang qui me sert bien ; mais il
» faut toujours le regarder entre les oreilles. » Bien cer-
tainement il ne croyait pas, en ce temps, que l'exil de
Mê"^ Franzoni, archevêque de Tui^in, et ia rupture du con-
cordat, l'amèneraient jusqu'à renfermer Pie IX dans le
Vatican. L'empire survint en France sur ces entrefaites, et
l'Italie trouva tout-à-coup sur sa porte un vieux conspira-
teur qui avait fait le coup de fusil contre les soldats do
Grégoire XVI, Ce vieux conspirateur était à la tête d'une
très-puissante nation et entouré de beaucoup de prestige.
Tout le monde l'étudiait avec anxiété. >
Le «OBi<e Cavonr*.
Nous détachons les pages suivantes d'un volume, le
Dernier des Napoléons^ attribué à un diplomate autrichien,
» Cavour (Camille Benso, comte de) né en 1810, d'une ancienne
famille noble du Piémont, fut page du roi de Sardaigne Charles-
Félix. Il rentra ensuite à l'Ecole militaire, où il avait été élevé,
et en sortit à Tâge de dix-huit ans avec le grade de lieutenant
de génie.
Presque toute la famille de sa mère était protestante.
Il eu résulta que son éducation, mêlée d'jm catholicisme plein
de tiédeur, d'une part, et de prmcipes chaleureusement héré-
432 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
dont les révélations ont fait une grande sensation en Eu-
rope. Cavour, Louis-Napoléon et son cousin Jérôme y sont
peints d'après nature.
« Camille Benso, comte de Cavour, est, sans contredit,
le plus grand ministre et l'âme la plus scélérate que l'Eu-
rope ait produits depuis Talleyrand. Journaliste, exilé,
conspirateur, Cavour avait été à Paris étudier les moyens
de faire absorber par le Piémont tous les Etats de la Pénin-
tiques, de l'autre, devait enfanter pour l'avenir l'incrédulité po-
sitive, ou tout au moins l'indifférence complète en matière re-
ligieuse.
Et ceci nous explique déjà pourquoi le ministre du roi de
Piémont eut à l'égard du Saint-Père et de l'Eglise un véritable
sans-gêne de huguenot et des procédés qui ont fait le scandale
du monde chrétien. {Les Contemporains.)
Le comte de Cavour, qui n'était encore en 1850 qu'un
simple jûurnahste, rompait alors une lance contre lord Palmers-
ton en faveur du gouvernement pontifical. Dans un article du
Risorgimento du mois de juin de cette année-là, il disait : « La
note du gouvernement anglais, qu'on a dit avoir été remise à la
cour de Rome pour demander douze mille livres sterling d'in-
demnité en faveur de ses nationaux, pour les dommages par eux
soufferts sous le triumvirat républicain, doit inspirer de sé-
rieuses réflexions à tous les gouvernements, sur cet étrange droit
international que cette puissance entend faire prévaloir pour
soutenir ses commerçants. Pendant que les peuples font tout ce
qui dépend d'eux pour se soustraire à l'empire de la force,
l'Angleterre l'exerce sans se gêner successivement sur toutes
les nations que leur faiblesse ou leurs dissensions intestines
mettent hors d'état de lui résister. Elle impose à la Chine l'em-
poisonnement de ses propres habitants pour favoriser les pro-
ducteurs et les marchands d'opium de la Compagnie des Indes.
Elle force la Grèce, Naples. et maintenant Rome, à payer une
indemnité à ses nationaux pour des événements fortuits
supportés également par tous les habitants; c'est là un abus in-
compatible avec le progrès de la civilisation actuelle. » (Voyez
la Campuna, petit journal de Turin, n" 31, p. 123, et l'opuscule
intitulé Lezzioni nlla Gazctta dcl Popolo sulla Gran Bretagna.
Turin, 18dl , p. 60 et suiv.)
DE 1848 A 1879 433
suie, rêve éternel, ambition séculaire de la maison de
Savoie.
» L'unification de l'Italie, ce vieux dogme du Dante, de
Machiavel, des Borgia, avait toujours présenté des difficul-
tés si ardues, qu'il avait fini par passer aux yeux de presque
tous les Italiens a l'état de chimère. Cavour comprit
que l'avènement de Louis-Napoléon Bonaparte en France
pourrait bien convertir la cnimère en une Dnllante réalité.
Louis->^apoléon. le carbonaro, l'insurgé de 1831, l'ami
d'Arèse, le justicianle de la Loge des Vengeurs, Louis-Napo-
léon fut décidément l'homme au destin : Uomo del des-
tinât
» La question qui se pose devant nous est grave.
• Le génie et les aspirations de l'Italie révolutionnaire
s'étaient incarnés dans le comte de Cavour. Celui-ci jugea
d'un coup d'œil profond la situation de l'Europe.
» La lassitude morale, l'indifférence ou le scepticisme
envahissaient les nations et les gouvernements. Plus de
cette foi robuste qui soulève les montagnes. Plus de ces
grands principes qui vivifient les sociétés et insufflent aux
hommes d'Etat les hautes inspirations du bien et du juste.
L'égoïsme à la place du dévouement; le fait accompli
usurpant la place du droit; la défaillance ou la déprava-
tion presque partout : ... tels étaient le fond et le courant
de la politique européenne.
» Cavour sentit que les temps étaient venus où la ruse et
la trahison pouvaient donner à la maison de Savoie, dans
un guet-apens nabilement ourdi, ce que les siècles n'a-
vaient pu lui conquérir.
» M. de Cavour avait compris qu'il fallait éviter de tom-
ber dans les aberrations de Charles-Albert, en 1848.
Lorsque la France lui offrit son concours, le roi de Sar-
daigne refusa, parce qu'il avait pris la direction du mou-
vement dans un but d'agrandissement personnel. Il vou-
10
434 LA UÉVÛLUTIÛN EN ITALfE
lait s'emparer, pour sa dynastie, du royaume lombard-
vénitien, tandis que les Italiens n'entendaient combattre
que pour leur nationalité et la fédération des divers Etatâ
de la Péninsule. A l'exhibition de cette vieille ambition
égoïste du Piémont, l'élan patriotique s'attiédit, la France
recula et Charles-Albert fut vaincu. Appeler la France par
l'entremise du Piémont, chasser rois et princes d'Italie
sous le couvert des aspirations d'indépendance et de natio-
nalité, et enfin, confisquer le tout au profit de la maison
de Savoie, tel était le programme perfectionné de la poli-
tique du Piémont.
» Cavour avait surtout merveilleusement ausculté et de-
viné Louis-Napoléon. Il va le manier en maître. Ce fut un
trait de génie d'avoir fait accepter par Napoléon III le
petit contingent de troupes sardes dans son expédition
de Crimée.
» On n'a jamais su à quoi il avait pu servir. Comme
l'honnête femme de Voltaire, il n'a jamais fait parler de
lui. Mais là n'était pas sa n^ission. Le véritable général
était Cavour, et le champ de bataille et de manœuvres, les
Tuileries. Il entra profondément dans l'intimité de Napo-
léon, et c'est de connivence avec l'empereur qu'il profila
du congrès des grandes puissances à Paris pour y exposer
subrepticement le bilan hypocrite des prétendus maux de
ritalie. La flèche était lancée.
» S'inféoder entièrement l'empereur, dans la conspira
tion contre l'Autriche, n'était pas la tAclie difficile, grâce
aux intimes attaches de Louis-Napoléon avec Arèse et les
patriotes italiens. Cavour en vint ù bout plus aisément
qu'il ne l'avait supposé.
» Mais les diflicultés naissaient en foule, quand on abor-
dait les détails de l'exécution, à cause du caractère hési-
tant, irrésolu, dissimulé de l'empereur. Il faudrait donc
uu instrument puissant, aaiorisé, dans l'intérieur même des .
DE 18-48 A 1879. 435
Tuileries, qui uùt à toute heure surveiller les oscillations
de l'empereur, redresser les affaissements de cette âme
troublée, et au besoin, au moment solennel, exercer une
pression vigoureuse pour déterminer la résolution suprême
et pousser à l'action. »
^ I Cavour trouva ce complice dans le prince Napoléon.
Jérôme-Napoléon, ex-conspirateur, comme ses cousins,
continuait le métier au Palais-Royal.
» Nature cynique, âme tordue et pleine d'ambitions
sourdes, dévoré d'une haine et d'un mépris profonds pour
l'empereur, qui « usurpait son héritage", ^ il s'était formé
une cour des hommes d'opposition et des principaux
conspirateurs de l'Europe.
» On comprend de prime abord que c'était là le collabo-
rateur qui remplissait merveilleusement toutes les vues de
Cavour.
» L'Italien n'hésita pas et prit les grands moyens.
> Il y avait à la cour de Turin uue jeune fille de quinze
ans, pieuse et douce, reléguée dans une retraite claustrale,
loin des orgies et des scènes scandaleuses dont son père
Victor-Emmanuel, Il re galantuomo, remplissait la cour
et la ville, et son propre palais.
^ « Cavour proposa son marché au prince Jérûme-Napo-
Icon et offrit pour premier enjeu la main de la princesse
Clotilde.
» Malgré les résistances éplorées de la pauvre et hon-
nête enfant, malgré son jeune âge, malgré les hésitations
de Victor-Emmanuel, Cavour emporta tout de haute lutte.
» Désormais, l'Italie est maîtresse au Palais-Royal; ce
sera le pied-à-terre de ses conspirations,
« Indiquons, en passant, une autre pression qui avait
vivement influencé l'esprit de l'empereur et rendu à Cavour
la tâche plus facile.
3 Louis-Napoléon avait jadis juré auxcarbonari de réa-
436 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
User l'indépendance et l'unité de l'Italie. Du jour où il
est arrivé au pouvoir, le spectre marche derrière lui ,
dans l'ombre, son serment d'une main, le poignard de
l'autre, obsédant ses veilles, épouvantant ses nuits; lui
signifiant l'arrêt de la loge des Vengeurs, où quarante con-
jurés avaient été désignés par le sort pour assassiner
Napoléon III, s'il ne réalisait pas ses promesses envers
l'Italie. Le comte Arèse arrivait aux Tuileries, secouait sa
torpeur, lui signalait le péril qui le menaçait....
» Napoléon promettait, mais ajournait toujours. Les
conspirations de l'Hippodrome et de l'Opéra-Comique,
l'attentat de Pianori ne purent vaincre les irrésolutions du
complice couronné Les bombes d'Orsini avancèrent la
question.
» Cavour était le politique le plus foncièrement et le
plus froidement pervers de son temps. »
La politique et la mort de Cavour.
Après la paix de Villafranca, Cavour quitta momentané-
ment la direction des affaires pour la reprendre aussitôt.
Il laissa Garibaldi organiser l'invasion de la Sicile, et
l'aida sous main à renverser le trône des Deux-Siciles en
1860 '. Par ses ordres, l'armée sarde envahit la môme
* M. de Cavour comiaissait Garibaldi de longue date. Il y
avait entre eus. pleine et cordiale entente.
Si vous en voulez la preuve, la voici :
«Un matin, le valet de chambre entre dans le cabinet où tra-
vaillait Cavour. Il annonce qu'un homme demande à voir M. le
c.omlc.
« — Quel est son nom ?
« — Il n'a pas voulu le dire ; il a un gros bâton et un grand
cîiapeau ; mais il prétend que Monsieur le comte l'attend.
« — Ah! reprit Cavour en se levant, faites entrer.
« Cet homme était Garibaldi, récemment arrivé de Caprera,
et que le ministre avait toujours tenu en estime. »
DE 1848 A 1879. 437
année, les Etats pontificaux, sans déclaration de guerre et
au mépris du droit des gens. Le comte de Cavour a été
l'artisan des manœuvres par lesquelles le roi de Sardaigne
s'est emparé de la majeure partie des Etats nontificaux,
des duchés de Parme et de Modène, du grand-duché de
Toscane et du royaume des Deux-Siciles. C'est ainsi qu'il
s'acheminait, avec une astucieuse habileté, à réaliser l'idée
de l'unité italienne *,
* Dans le recueil de ses discours, voici un passage signifi-
catif :
« L'étoile de l'Italie, s'écria-t-il un jour, c'est Rome ! Voilà
notre étoile polaire. Il faut que la cité éternelle, sur laquelle
vingt-cinq siècles ont accumulé toutes les gloires, soit notre
capitale. Mais, dit-on, nous ne pourrons jamais obtenir l'assen-
timent à ce dessein du Catholicisme, ou des Etats qui s'en re-
gardent comme les représentants ou les défenseurs. Cette diffi-
culté ne saurait être tranchée par le glaive -, ce sont les forces
morales qui doivent la résoudre ; c'est la conviction qui ira
croissant de jour en jour dans la société moderne, même au
sein de la grande société catholique, que la religion n'a rien à
craindre de la liberté. Saint-Père, pourrons-nous dire au Sou-
verain-Pontife, le pouvoir temporel n'est plus une garantie de
votre indépendance. Renoncez-y, et nous vous donnerons cette
liberté que depuis trois siècles vous demandez en vain aux
grandes puissances catholiques, cette liberté dont vous avez pé-
niblement, par des concordats, arraché quelques lambeaux con-
cédés en retour de l'abandon de vos privilèges les plus chers et
de l'afTaiblissement de votre autorité spix'ituelle. Eh bien 1 cette
liberté, que vous n'avez jamais obtenue de ces puissances qui se
vantent de vous protéger, nous, vos fds soumis, nous vous l'of-
frons dans sa plénitude. Nous sommes prêts à proclamer en
Italie le grand piùncipe de I'Eglise libre dans l'Etat libre. »
Et allez-donc !
Dites encore que la parole n'a pas été donnée à l'homme pour
déguiser sa pensée.
Voyee-vous M. de Cuvour juge dans sa propre cause, et tran-
chant d'un seul coup à la tribune les destinées de l'Eglise? En-
tendez-vous ce théologien subtil, dressé par ses amis de Genève
438 LA névoLUTioN en Italie
Gavour ne se faisait aucun scrupule de prôner et do pra«
tiquer les doctrines de Machiavel. On peut en juger par
ces paroles détachées de ses écrits :
« Faut-il condamner le gouvernement qui achète les
hommes corroni})US ? Je n'hésiterais pas à le faire si, par
une fatale erreur, l'opinion publique, dans les siècles pas-
sés et même encore dans le nôtre, n'eût pas en quelque
sorte sanctionné pour les gouvernements l'usage d'une
morale autre que celle que reconnaissent les particuliers,
et si elle n'avait pas, de tout temps, traité avec une exces-
sive indulgence les actes immoraux qui ont amené de
grands résultats politiques. »
On sait que l'amiral Persane a publié récemment son
journal de 18G0 pour prouver que, si Garibaldi a conquis
la Sicile, c'était grâce aux secours de Gavour et de la mo-
narchie sarde. Garibaldi vient de protester contre ces allé^
gâtions dans une lettre datée de Gaprera, 24 août, et
publiée par le Movimento de Gênes, où il déclare que Gavour
et la monarchie ont aidé l'expédition lorsqu'elle était sur
le point de réussir. « Alors, dit Garibaldi, le spoliateur,
stupéfait h la vue de tant d'événements auxquels il ne
s'attendait pas, mettait la main sur la Sicile. »
Notons qu'au moment où l'infànic Liborio-Romano con-
spirait ainsi pour livrer son maître à l'infâme Gavour et à
son complice Emmanuel de Savoie, la cour de Turin avait
un ambassadeur à Naplcs et y entretenait les meilleures
aux arguties protestantes, dire au Père des chétiens : Dépouillez-
vous sans crainte, liez-vous à moi, croyez-en-moi! Je vous ai
donné la prouve de ma loyauté politique : je vous ai presque
tout pris, abandonnez-nous le reste avec contiance, et vous au-
rez en échange la liberté, c'est moi qui vous le jure. Pour le
maintien de celte liberté précieuse, je ne vous offre pas d'autre
garantie que ma parole; mais elle suffit. J'engage avec moi
l'Italie toute entière, le prince qui la gouverne elles dynastiesà
venir jusqu'il la lin du monde.
DE 4848 A 1879. 439
relations. Quelle justice de voir ces hommes marqués au
front ignominieusement, de leurs mains et pour jamais !
Voici comment an célèbre publiciste italien apprécie Ifl
comte de Cavour, dont la fin prématurée devrait servir d4
leçon à tous les persécuteurs de l'Eglise ' :
€ Ce fut l'homme d'Etat le plus flatté, le plus applaudi,
le plus adulé dans sa carrière.
> Devant lui, humbles et respectueux, se sont courbes
des ministres et des souverains étrangers.
3 C'est à lui que la Révolution doit les triomphes et les
lauriers dont elle est encore glorieu.-;e; mais c'est à lui
aussi que l'Italie doit ses plus grands malheurs.
» C'est Cavour qui séduisit le peuple, corrompit la
presse, qui accorda des récompenses à des hommes nuls,
ses aides dans son plan de diviser l'Italie, avec l'intention
de la fondre en un seul tout. C'est Cavour qui proclama
Rome capitale de l'Italie; Cavour qui appuya les révolu-
tionnaires de Parme, de Modène, de la Toscane, de la
Sicile: Cavour qui organisa l'envahissement des Marches
et de l'Ombrie. Sous le ministère de Cavour, l'Eglise n'eut
pas de paix, le sacerdoce fut persécuté, la probité tournée
en dérision, le» serments les plus saints furent violés, le
cœur du Souverain-Pontife fut affligé de la façon la plus
barbare.
» Cavo'"''^ était parvenu au sommet de la gloire. Monu-
ments, ttii^dailles, inscriptions devaient en éterniser le sou-
venir, et lui se préparait déjà h pénétrer dans la ville des
Papes pour arborer sur les sept collines l'étendard trico-
lore italien.
* Nous restons convaincu, dit M. Louis Veuillot, que les
foudres spirituelles portent coup tout comme au moyen âge,
et qu'il y a toujours dans l'air des soldes qui font bientôt
crouler tout ce qu'elles ont frappé.
^^^ ''A RÉVOLUTION EN ITALIB
» Mais Diou avait compté ses pas ; il lui avait permis de
parcourir en triomphe toute l'Italie, et lui laissait voiries
portes de Rome ouvertes.
»Tout-.Vcoup son entendement se voile; sa main aui
avait écrit tant de notes et de protocoles, tremble' Un
moine, je ne sais comment, recueille son dernier soupir,
et les cloches, par leur son funèbre, annoncent que l'àme
du comte de Cavour venait de se présenter, non plus par-
devant le tribunal du journalisme qui l'encensait, mais au
pied du trône de Dieu, qui avait décidé de le juger *. .
« Nous tenons de M?» Franzoni, archevêque de Turin eue
1 ordre de faire recevoir les derniers sacrements à Caour est
venu de Napoléon III. On sait que le malade n'avaU plu sa
connaissance quand un prêtre faible lui a donné le Viatique!
(Note de l'auteur.)
La Civiltà cattolica nous donne le récit de ce aui s'est nasse
à 1 audience accordée par le Saint-Père au confesseurdu
comte de Cavour. Voici ce récit :
« A peine arrivé à Rome, où il avait été appelé par les su-
périeurs de son Ordre, le P. Giacomo da Poirino fut reçu en
audience par le Saint-Père. Sa Sainteté lui adressa aussitôt la
parole en ces termes : « Nous savons qu'à tous ceux qui vous
» demandent ce qui s'est passé à la mort du comte de^câvom-
» vous avez l'habitude de répondre : «Il s'agit du secret sacra'
» mentel de la confession, et ainsi je ne pufs rien dTre , Po,i
» ne pas .tre exposé à recevoir de vous une semblable rï
» ponse, qui, s adressant à Nous, serait une véritable insulte
» nous vous déclarons que le secret de la confession cstcho^é
» tellement inviolable, que vous êtes obligé de le garder en
» face de quelque autorité que ce soit, quand ce serait la
•» plus haute quand ce serait la nôtre. Mais, à la mort du
. comte de Cavour, il y a eu des actes extér eurs et visi^^Ics
" rrn rrJ'."?°"'n '• °" '"' ' ''^^'"•"'^t^é Je Viatique, on u
l tionTpt ^^^'■^"^^-O^^^io"- Cet acte extérieur d'adminisla.
» tion des sacrements exigeait nécessairement un autre acte
». exléneur, îa rétractation, sans laquelle vous, son curé
» vous ne pouviez consentir à Iui\dm)nisti4 le sacre-
H ments de l'Eglise. Comment ces acte, extérieurs ont eu
DE 4848 A 1879. 441
€ Qu'il nous dise ce que sont devenus ses projets, ses
triomphes, ses vengeances; qu'il nous dise quel juge-
ment l'Eternel a porté sur ses menées diplomatiques, sur
les révolutions qu'il propageait sans relâche par les récom-
penses accordées à des conspirations ténébreuses.
» Cavour est mort; ses membres tombèrent en putréfac-
tion la veille même de la première fête nationale qui
devait lui montrer l'Italie telle que lui et les siens venaient
de la faire.
» Terrible leçon ! Elle nous avertit que devant la mort
rien ne vaut, ni génie, ni astuce, ni gloire, ni présomp-
tion. »
Voici comment l'auteur des Contemporains, qu'on ne
saurait soupçonner d'être clérical, raconte la fin imprévue
de Cavour :
t Voilà donc le ministre au comble de sa renommée.
> Plus d'inquiétudes, plus de luttes; il touche au terme,
et la réussite couronne pleinement ses efforts.
» lieu, c'est ce que Nous, gardien de la sainte discipline de
» l'Eglise, voulons apprendre de vous-même. >> A ces naroles
si graves, le Père répondit en racontant ce qui était déi.\
connu de tout le monde, qu'il n'y avait pas eu ae rétractation,
parce qu'il n'avait pas cru devoir l'exiger. Cette réponse, il la
confirma ensuite par écrit, en exposant la suite des faits ar-
rivés en cette douloureuse circonstance; et sans confesser
explicitement, selon le désir de l'autorité ecclésiastique, qu'il
avait manqué à son devoir, peut-être en raison de la difticulté
des circonstances, il déclara seulement d'une manière générale
que, s'il avait manqué en quelque manière, il en demandait
pardon. Le but de son voyage étant ainsi atteint, quoique im-
parfaitement, on le laissa partir, en lui défendant seulement
d'administrer désormais les sacrements, puisque n'ayant pas
su ou n'ayant pas voulu, dans un cas si évident, remplir le
devoir d'un ministre de l'Eglise, il ne pouvait, sans détriment
pour les âmes, exercer des fonctions si importantes. »
19*
442 LA RÉVOUTTIO:^ E>î ITALIE
» Il a fait du Piémont une grande puissance, en violant
les droits, en brisant les obstacles, en trompant les princs
de la terre, en se raillant du Monarque du ciel, en insul-
tant l'Eglise, en affligeant le cœur du saint Pontife qui la
gouverne, et en scandalisant les fidèles, toujours associés
aux douleurs et aux amertumes du chef du catholicisme.
» Rien n'entrave plus sa marche.
» On accepte les résultats de sa politique; l'Europe,
éblouie par son audace, a pour lui de singulières condes-
cendances et presque du respect.
» Toute la Péninsule bat des mains et se prosterne de-
vant sa gloire.
» Bref, on annonce une grande fête patriotique, — la
fête nationale du royaume d'Italie, célébrée pour la pre-
mière fois. Cavour seul en sera le héros; lui seul va
recueillir l'hommage des foules enthousiastes, en leur
présentant le souverain dont il a si puissamment élargi la
couronne et grandi le sceptre..»
s Eh bien, non !
t Le 2 juin 1861, jour fixé pour la fête, le ministre de
Victor-Emmanuel est attaqué d'une fièvre pernicieuse et
succombe dans la matinée du 6.
» Ah ! vous refusez de croire aux châtiments célestes,
messieurs les libres-penseurs?
» Il faut convenir alors que le hasard vous joue do
vilains tours et donne étrangement gain de cause i\ vos
adversaires.
» Ainsi, je l'accorde, ce n'est pas Dieu, — c'est le hasard
qui a dit h cet homme, objet de vos admirations et de vos
louanges :
t Tu arriveras à ton but immoral. Mais, à l'heure mcrn^
du triomphe, j'ouvrirai pour toi la tombe, et ton cadavre
ne sera pas encore en dissolution que déjà le désarroi se
mettra dans ton œuvre, et que l'édifice d'opprobre et de
DE 1848 A 1879. 443
mensonge élevé par tes mains s'écroulera, aux applaudis-
sements des principes que tu as méconnus et des croyances
que tu as outragées. »
Nous avons vu à Milan la statue élevée par la ville au
comte de Cavour : l'Italie est représentée à ses pieds. On
ne pouvait imaginer rien de mieux. Depuis que l'Italie est
tombée au pouvoir du ministre piémontais et de ses dignes
successeurs, on peut dire qu'elle rampe à leurs pieds, écra-
sée d'exactions et de fusillades.
Mort d'ArnielIInl.
ftp Armellini, qui prononça la déchéance du Pape comme
prince temporel, avait, comme avocat consistorial, prêté
six serments de fidélité à la Papauté; il avait même com-
posé, en l'honneur de la Papauté, un sonnet remarquable
que voici : t Je rencontrai le Temps et lui demandai
compte de tant d'empires, de ces royaumes d'Argos, de
Thèbcs et de Sidon, et de tant d'autres qui les avaient pré-
cédés ou suivis. Pour toute réponse, le Temps secoua sur
son passage des lambeaux de pourpre et de manteaux de
roi, des armures en pièces, des débris de couronnes, et
lança à mes pieds mille sceptres en morceaux. Alors, je
lui demandai ce que deviendraient les trônes d'aujour-
d'hui. « Ce que furent les premiers, les autres le devien-
» dront, » me répondit-il en agitant cette faux qui nivelle
tout sous ses coups impitoyables. Je lui demandai si le sort
de toutes ses choses était réservé au trône de Pierre. Il s?;
tut, et au lieu du Temps, ce fut l'Eternité qui se charge^
de la réponse. »
Quelque temps après le départ du Saint-Père, Armellini,
devenu traître à ses serments et ministre do l'intérieur,
donnait à dîner aux principaux chefs de la révolution. Sa
femme, qui lui disait sans cesse : «'Avocat consistorial.
444 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
qu'avcz-vous fait de voire serment? • sa femme s'était
retirée au fond de son appartement pour ne pas souiller
ses regards, avait-elle dit, de la vue des Sterbini. Mamiani,
Galetti et autres. Ceux-ci demandaient la cause de son
absence, lorsque tout-à-coup la porte s'ouvrit et livra pas-
sage à M™* Armellini, qui, pâle, l'œil en feu, le geste me-
naçant et la main armée d'un rouleau de papier, s'écria :
€ Vous êtes tous des maudits ! Craignez les châtiments de
Dieu, ô vous qui, au mépris de vos serments, ne pouvant
8e tuer, avez enassé son ministre. Redoutez la colère
divine : Pie IX, du fond de son exil, en appelle h Dieu
contre vous ; écoutez ses arrêts. » Et déroulant lentement
la feuille qu'elle tenait à la main, elle lut d'une voix ferme,
rendant cnaque exnression, marquant chaque nuance, le
décret du Saint-Père contenant la menace de l'excommu-
nication.
Cette lecture fut un coup de foudre pour les convives.
^jmo Armellini, après un instant de silence, reprit : « Avez-
vous compris, messieurs? Le bras vengeur auquel nul ne
saurait échapper est suspendu sur vos tètes, prêt à frapper;
mais il en est temps encore, la voix de Dieu, par celle de
son Vicaire, n'a pomt encore fulminé contre vous la sen-
tence terrible. Au nom de votre bonheur en ce monde et
de votre salut dans l'autre, jetez-vous au-devant de sa
miséricorde; la coupe des iniquités se remplit dans vos
mains, brisez-la avant qu'elle déborde. » Disant ainsi,
cette femme, exaltée par une sainte indignation, jeta
devant eux sur la table le décret du Saint-Père, puis elle
se retira.
Après l'entrée de l'armée française à Rome, Armellini
fut forcé de s'expatrier. Il est mort à Bruxelles en 1863,
méprisé de tous les hommes honnêtes, pendant que Pic IX
était encore h Rome, faisant par ses vertus et son courage
apostolique l'admiration du monde.
DE 1848 A 1879. 445
Im mort de Fariol, dlg^nc de sa vie alioutiitalile.
Il faudrait fermer les yeux à la lumière pour ne pas
voir la main de Dieu dans la triste fin de ces fiers Italiens
qui ont si souvent répété ces mots : Rome ou la mort t
On écrivait de Rome au Journal de Bruxelles, dans 1g
mois de novembre 1866 :
« Les Italiens vont élever un monument à Luigi-Carlo
Farini ; Farini est une de leurs gloires.
» Farini naquit le 22 octobre 1822, à Russi, dans les
Etats de l'Eglise. Avant d'entrer dans la politique, il étudia
la médecine à Bologne et montra, avec de l'aptitude pour
la science, un tempérament moral très-dépravé. Tout
jeune, il fut affilié par un sien parent aux sectes révolution-
naires, figura avantageusement dans les mouvements poli-
tiques de 1841 à 1843, et obligea la police pontificale à'
l'exiler. Etant en Toscane, il rédigea le fameux manifeste
de Rimini, qui servit de programme à la rébellion des
Romagnes en 1845, et reçut du professeur Montanelli la
mission de corrompre la jeunesse de l'Université de Pise,
ce dont il s'acquitta à la satisfaction des patriotes. Maz-
zini, dans ses œuvres imprimées h Milan, déclare que
Farini, après avoir appartenu à la Jeune-Italie, a lâchement
abandonné cette haute école du patriotisme sans tache
pour se vendre au parti piémontais. Mazzini affirme qu'à
Bologne pourtant Farini avait été vu relevant les manches
de son habit et criant qu'il plongerait ses bras jusqu'au
coude dans le sang des prêtres. En 1847, l'amnistie de
Pie IX lui rouvrit les portes de la patrie. Le sicaire que
Mazzini traite en transfuge n'avait, en se faisant piémon-
tiste, que changé de peau. Il s'était résigné à l'hypocrisie.
A Rome, il sut gagner la confiance du gouvernement
d'alors et devint «^ibstitut du ministre de l'intérieur. Dans
^^^ l'A RÉVOLUTION EN ITALIE
cette position élevée, il usa de son autorité pour transfor-
mer le personnel des délégations et des municipalités, et
substitua le plus qu'il put aux gens honnêtes des fonction-
naires hostiles au Pape. Chargé ensuite d'une mission au-
près de Charles-Albert, à Volta, élu membre du parlement
par la ville de Faenza, et nommé directeur de la santé des
prisons par M. Rossi, il agit partout avec la même perver-
sité. On conserve à Rome un document qui ne tardera pas
à être publié : c'est le compte-rendu qu'il fit au Cercle
populaire, touchant l'assassinat du ministre de Pie IX.
Dans les aveux imprudents de ce document, on voit jus-
qu'où ont pu arriver la félonie et l'hypocrisie de cet
homme, qui restera comme une des figures les plus
hideuses de la révolution italienne.
. La rentrée du Pape, en 1849, lui fit le séjour de Rome
impossible. II s'était déclaré modéré et demanda un refuge
... et de l'argent, des emplois et des dignités en Piémont,
lequel n'avait garde à cette époque, de mépriser les
hommes qui devaient plus tard devenir les instruments de
son ambition criminelle et de ses attentats dans toute h
Péninsule. En Piémont, grâce à la protection de Cavour,
protection achetée à un prix qua révélé la chronique
scandaleuse et qu'il n'est pas décent de faire figurer ici, il fut
tour-à-tour journaliste, ministre, médecin, député; ilécrivit
un livre qui n'a que la valeur d'un pamphlet, // Stato romano
et travailla avec passion à préparer les événements. Aussi',
en 1859, prit-il un rôle important et entra-t-il de plain-pied
dans la voie où il devait se couvrir à la fois de sang et de
ridicule. Elevé à la dignité de dictateur des duchés de
Modène et de Parme, il s'établit dans le palais de Fran-
çois V. On le vit alors déployer un faste insensé, trancher
du souverain, couvrir sa femme et sa fille des habits des
princesses exilées, se faire servir par des laquais à la
livrée du duc, donner enfin dans tous les travers d'or<-ueil
DE 1848 A 1870. 447
auxquels peut se livrer un parvenu un instant paré des
attributs de la royauté. Ce fut pitié de le voir dans ce rôle
si peu fait pour lui et qu'il prenait au sérieux, en dépit des
quolibets populaires et des railleries de toute la presse
italienne. Argenterie, vaisselle plate, linge de table et linge
de corps, le tout au chiffre du duc, surmonté de la cou-
ronne ducale, tomba en la possession du dictateur. L'ini-
tiale de Son Altesse Impériale était la sienne. Il n'eut
qu'à enlever la couronne, non point par modestie, mais
pour mieux s'approprier ces biens que lui envoyait la pro-
vidence révolutionnaire. Enrichi à l'instar de tousses com-
plices, Farini, les surpassant encore en fourberie, répétait
à tout venant « qu'il voulait mourir pau\Te. » Le téméraire
croyait in petto s'assurer une vie opulente, comme si Dieu
ne savait pas, quand il lui plaît, précipiter ses ennemis du
faîte de leur fortune dans les abîmes de la misère. Epicu-
rien à l'instar de tous ses complices, Farini, les surpassant
encore en gloutonnerie, se livrait aux recherches et aux
abondances de la table, et l'on sait quelle allait être bien-
tôt son horrible nourriture. Bourré d'or, plein de viandes
et de vins, enflé par la puissance, Farini se compléta par
le crime '.
* On écrit de Florence à l'Univers :
« J'ai vu M. Farini triomphant, dominateur, vice-roi de
l'Emilie, trôner à Modène et y recevoir de l'ignotile couardise
de la plèbe révolutionnaire le titre pompeux, expressément
inventé pour lui, d'Eccdso.Ce démocrate dédaignait le titre de
Majesté ou d'Altesse; il voulait VEcceho, et c'est à ce seul nom
qu'il daignait abaisser ses cccelse oreilles pour vous entendre.
C'était pourtant ce même docteur Farini qu'on avait vu, dans
sa jeunesse, parcourir les rues de Lugo, le bras nu et criant :
« 11 faut que je plonge ce bras jusqu'au coude dans le sang
des prêtres ! »
Cet ecceho, je l'ai revu, il y a peu d'années, à la villa Spi-
nola, près de Gênes ;ies yeux hagards, la poitrine pantelante,
l'A RÉVOLUTION EN ITALIE
vul ^' f"\P^^/^» o^-dre que le colonel comte Anviti, ser-
viteur de la duchesse de Parme, fût arrêté et livré ?i la
populace, qui se porta contre lui, on s'en souvient avec
horreur, à tous les actes d'une férocité abominable. Le
I?i ^""K^'P"'' '^' ^''^ ^^^^^' On traîna par la ville les
lambeaux de son corps; sa tête, promenée au bout d'une
pique demeura exposée au faîte d'une colonne sur une
des places. Dénoncé par la voix publique et par les révéla-
tions de Massimo d'Azeglio, sommé de poursuivra les assas-
sins Farini se contenta de faire abattre la colonne. Cet
exp oit mit bientôt fin à la mission du dictateur dans les
duchés, qui furent annexés, et aussitôt après la victoire de
Castelfidardo, Farini, revêtu de dignités nouvelles, alla,
en octobre 1860, remplir à Naples un autre rôle souverain,
mut chargé, comme commissaire extraordinaire de Victor-
Emmanuel, de préparer les Deux-Siciles à entrer dans la
nouvelle monarchie italienne. Mais le jour de la justice de
Dieu commençait à poindre. Un homme était cher et utile
à Farini, lui servait de secrétaire et gouvernait sa maison •
c était son gendre, M. Ricciardi. Il mourut subitement!
Peu de temps après vint le tour de sa fille. M-" Ricciardi
et Farini se trouva seul ^ Entendit-il la voix qui s'élevait
ne présentant plus rien d'humain sur sa personne, je l'ai vu
de mes yeux vu, plonger son bras nu jusqï au coude dans lë^
propres ordures, et faisant horreur aux gardiens mêmes que
1 hosp.ce des fous avait cédés à sa familIel>our le préserver^du
' On lit à ce sujet dans le Monde du i3 avril 1866 :
« Il ne nous reste qu'à enregistrer un nouveau coun do H
Zn t: m7'L\''' r.^- '"■^"'' '''' '^ proZ':7Jio\\
mort en 1861, dune maladie mystérieuse, après guelaucs se-
maines de mariage, à Naples. où il occu^ait^ cZTZ se-
crétaire de la l.culenance auprès de son beau-père, ^vient de
mounr elle-même quelques mois seulement ap^^^ès kvrcon-
tracte un second mariage. Quant à M. Farini lui-même, il est
DE 1848 A 1879. 449
de ces deux tombes ? Nul ne le sait. De retour h Turin,
en 1864, il fut tout-à-coup frappé du mal le plus terrible :
il devint fou, fou furieux. Je ne raconterai pas tous les
incidents auxquels donna lieu sa maladie. Il me suffit de
révéler, pour faire ressortir l'action de la justice divine,
ces trois rapprochements :
« Farini, par une hypocrite raillerie, s'était plu à répé-
ter, en même temps qu'il étalait un faste insolent et accu-
mulait des trésors pour l'avenir, « qu'il voulait mourir
pauvre, » et il a vécu les dernières années de sa vie dar.s
une abjection et une nudité auxquelles la pauvreté la plus
misérable ne saurait se résigner. Farini s'était livré à un
luxe de Sardanapale, et on l'a vu, dans sa folie, refuser
toute nourriture qu'on lui offrait, et assouvir sa faim de la
façon la plus immonde. Farini enfin avait, au faîte du pou-
voir, livré un innocent aux mains d'une populace furi- •
bonde, et, précipité dans les abîmes de la folie, il n'a
cessé de se croire poursuivi par l'ombre vengeresse de sa
victime : « Anviti, Anviti, tout sanglant, sa tête à la main,
le voilà ! » Il répétait sans cesse ces paroles, et se roulait
nu, couvert de vermine et d'ordures, sur le pavé de sa
chambre, en proie à des terreurs et à des rages horribles.
» C'est à un tel homme que la révolution italienne va
élever un monument. Il ne faut pas s'en plaindre ; la révo-
lution est logique, et Farini est digne d'elle. >
Cassinis, l'cx^niinlstre des cultes^ met fin à ses jours.
Les révolutionnaires italiens, qui ne sont que des misé-
rables copistes des démocrates de 93, couronnent leur vie
à Quarto, sur la rivière de Gênes. Il est tombé dans un état
d'enfance complet, et il donne tous les signes d'un abrutisse-
ment épouvantable. »
450 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
par une mort violente qui attache à jamais à leur mémoire
une note d'infamie.
En voici encore un exemple annoncé dans les lettres de
Turin du 18 décembre 1866 :
L'avocat Cassinis, ex-président de la Chambre des dé<
pûtes, ex-garde des sceaux et ministre des cultes, s'es^i
coupé la gorge avec un rasoir.
On attribue h trois motifs principaux cette mort, qui a
produit une sensation extraordinaire. En premier lieu,
M. Cassinis souffrait beaucoup depuis quelque temps d'un
tic douloureux (sans parler du tic révolutionnaire et du
ver rongeur). En second lieu il avait perdu sa femme il y
a deux ans, et était resté, depuis cette époque, sous la
pression d'idées mélancoliques. {Non est pax impiis : • Il
n'y a point de paix pour l'impie. » Pauvres gens sans foi,
sans espérance!) En troisième lieu, on affirme que les
affaires de Cassinis étaient dérangées. Quoi qu'il en soit,
personne ne s'attendait h une si déplorable catastrophe*.
M Cassinis était ministre des cultes en 1859 et 1860, et
en cette qualité, il a coopéré à l'invasion des Etats pontifi-
* Cinq jours avant sa mort, l'ancien ministre Cassinis adres-
sait au chevalier Paolo di Trompeo, secrétaire de la questure
à la Chambre des députés, une lettre dont l'Italie publia l'ex-
trait suivant, qui, disait-elle, serait lu avec intérêt :
« Le 15 de ce mois sera le plus beau jour que l'Italie ait
jamais vu luire. Le discours de la couronne annoncera au
monde qu'il n'y a plus un soldat étranger sur le sol de la pa-
tine. Jug-L'Z donc coni])ion j'aurais été heureux de me trouver
ce jour-là à Florence! Mais je ne suis que trop forcé d'y re-
noncer. Cette afTeclion névralgique, loin de diminuer, aug-
mente sans cesse, et j'en suis tellement tourmenté que, lorsque
je me trouve en société, j'éprouve des spasmes si violents, que
je suis obligé de sortir. Vous pouvez vous imaginer, mon cher
di Trompeo, dans quelle tristesse je vis et quelle existence est
la mienne. »
DE 1848 A 1879. 451
eaux. C'est lui qui donna l'ordre d'enlever le cardinal de
Angelis de son siège épiscopal de Fermo et de le conduire
à Turin. C'est encore lui qui, sachant le cardinal arrivé
dans cette ville, le fit amener dans son cabinet, où il lui
tint un langage tout au moins irrévérencieux pour un
prince de l'Eglise. Six ans viennent de s'écouler; le cardi-
nal est rentré paisiblement dans son diocèse, et M. Cassi-
nis vient de passer d'une façon bien tragique devant ce
Dieu dont il maltraitait les ministres, mais qui dispose
tout, cuncta disponit, pour la gloire et l'exaltation de son
Eglise.
Depuis Cavour, frappé de mort subite, jusqu'à Cassinis,
se coupant la gorge, que de pourfendeurs du Pape ont
déjà disparut...
On parle d'élever une statue au suicidé Cassinis, sans
doute à côté de celles de Cavour ou de Gioberti.
Le comte de Syracnse.
Pour les hommes appartenant à la secte des francs-ma-
çons et liés par les serments les plus horribles, les liens
sacrés de la nature et du sang sont brisés. Comme l'infâme
Judas qui vendit son Maître aux Juifs afin de contenter son
avarice, ces fiers révolutionnaires sont toujours prêts à
livrer leur famille et leur conscience, pourvu qu'on leur
promette des places ou les moyens de satisfaire leurs hon-
teuses passions. Et voilà pourquoi les révolutions coûtent
si cher et ruinent les pays où elles éclatent.
Un jour, le comte de Syracuse, oubliant les traditions
religieuses de sa race, séduit par les promesses que pro-
diguent la révolution et les sectes, conspira contre son
parent, son souverain; rompant les liens du sang dans un
moment des plus dangereux pour lep'ône, le comte de Syra-
cuse fit cause commune avec les rebelles et les traîtres.
452 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
La couronne du roi de Naples fut brisée. Le comte de
Syracuse, son parent, s'en réjouit pour l'Italie, et peut-
être même pour son propre intérêt; il fut applaudi par les
révolutionnaires et se lança au milieu d'eux. Mais un beau
jour le comte de Syracuse ferme subitement les yeux et
tombe à terre. Un coup d'apoplexie foudroyante l'avait
étendu mort. Mémorable leçon t
Elle est faite pour nous apprendre que l'on ne sa heurte
pas en vain contre la volonté de la Providence divine, qui,
dans les princes comme dans les peuples, punit la dé-
loyauté, les calculs personnels, l'orgueil et l'ambition '.
Un ennemi da Pape dévoré par son chien.
De l'aveu même de ses adversaires, Pie IX était si bon,
si populaire, qu'il n'est pas possible d'expliquer la rage et
la haine de certains hommes pour le meilleur des pères
sans une intervention de l'enfer, qui ne peut lui pardonner
la gloire qu'il a rendue à Marie par la définition dogma-
tique de L'Imniaculée-Conccption. Mais Dieu n'a pas ab-
diqué, et de temps en temps sa justice éclate d'une ma-
nière terrible.
Sous ce titre : Accidents qui n'en sont pas, les journaux
italiens publient depuis quelque temps un assez grand
* Un écrivain que la Providence semble avoir suscité pour
flageller les apostats et les félons, a fait pour le comte de Syra-
cuse l'épitaphe suivante :
« Traître à son roi, traître à son sang,
>» Traître à l'honneur humain, traître à la foi chrétienne,
» Moins homme qu'animal paissant,
» Moms animal eiicor que funiier croupissant,
» Indigne d'avoir face humaine,
» Gorgé de l'or abject d'un traître plus puissant,
»> Par le diable écrasé dans la fange en passant,
» Ce seigneur a crevé comme une outre trop pleine. »
DE 1848 A 1879. 4S3
nombre de faits du genre de celui que nous allons rappor-
ter ; il se trouve mentionné dans le Bon Pasteur de Naples :
« Un habitant de Francavilla, province de Lecce, animé
d'un sentiment sacrilège de mépris pour la personne
sacrée du Pape, avait donné à son chien le nom de Pie IX.
Dans le mois de juillet, se trouvant seul dans sa chambre,
il appela, pour se divertir comme à l'ordinaire, son chien,
et le fit tenir debout contre le mur, à l'instar d'un soldat.
Pendant qu'il se raillait irrévérencieusement du Souverain-
Pontife, le chien, comme indigné d'une telle insolence, se
mit en fureur, sauta sur son maître, le prit à la gorge, le
renversa à terre et disparut. C'est à peine si le malheureux
put crier au secours. Il était inondé de sang. Sa femme et
ses enfants, accourus à ses cris, reçurent de sa bouche le
récit de ce fait, qu'il eut peine à proférer. Il mourut en-
suite sans avoir reçu les consolations de la religion. »
Punitions exemplaires.
Peu de Papes ont rendu autant de gloire à Dieu et à la
Vierge immaculée que Pie IX ; aussi l'enfer a soulevé
toutes les passions contre lui. Mais de temps en temps, le
bras du Seigneur s'appesantit d'une manière effrayante sur
les malheureux qui ne craignent pas d'insulter son
Vicaire.
Nous lisons, dit la Chronique religieuse de Toulouse, dans
une lettre écrite par un savant et pieux cardinal romain à
une personne qui nous est parfaitement connue, les traits
suivants :
« Un malheureux sectaire ayant entendu son curé lire
l'encyclique, l'a rencontré peu après, et, lui montrant un
poignard, lui a dit : « Voilà ce qui fera votre affaire, si
» vous revenez sur ce sujet; » puis, tirant un pistolet de sa
poche : « Pour w-Jitft arme, a-t-il ajouté, elle servira contre
434 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
Pie IX. » Et, en remettant le pistolet dans sa poche, il a,
sans s'en apercevoir, fait partir la détente, et a été tué sur
le coup.
« — Une comédienne qui avait reçu de grands applau-
dissements dans une pièce où le Pape était insulté, a été
saisie, en rentrant chez elle, par un accès de folie ; elle
s'est jetée par la fenêtre et est morte sur-le-champ. »
€ — Un médecin impie disait à un de ses malades :
» Je ne vous verrai plus avant que Pie IX soit expédié
» pour l'autre monde. » Le lendemain, ayant voulu revoir
son malade, il est tombé roide mort avant d'arriver jus-
qu'à lui. »
Le schisme, aussi bien que l'hérésie, est la porte de l'en^
fer, et à moins d'une bonne foi invincible, qui est le secret
de Dieu seul et qui ne se rencontre guère que chez les
pauvres gens, un schismatique est un réprouvé par avance,
jam judicatus est; c'est un homme qui est sorti de la voie
du salut ; c'est un rebelle au Vicaire de Jésus-Christ, donc
un rebelle h Jésus-Christ lui-même, donc un rebelle îi
Dieu *.
La mort est dure pour ces rebelles, surtout quand ce
* Le clergé italien, en face de la rûyolulion, a été à la hau-
teur des difliciillés. Nous ne voulons pas du'c pour cela qu'il
n'y ait eu aucune défection. Si tous les prêtres étaient dos
saints, les révolutions seraient impossibles. Dieu, dans sa sa-
gesse, ne les permet que pour purifier l'Ejjlisc au feu de la
pcr.oécution.
Mais il est vrai de dire qu'on a beaucoup exagéré lo nombre
des apostats. C'est ainsi que les journaux ont répété que toul lo
chapitre de Nolrc-Daine de Lorette avait bien accueilli Victor-
Emmanuel. On nous a afiirmé sur les lieux qu'un seul iwélre,
mort peu de temps après misérablement, osa se présenter
pour recevoir eu prince excommunié.
DE 1848 A 1879. 455
aont des prêtres, surtout quand ce sont des évêqucs. Dans
les persécutions que suscitèrent au Saint-Siège les mau-
vaises passions des empereurs soi-disant chrétiens du on-
zième siècle (et qu'on devrait appeler non la guerre du
sacerdoce et de l'empire, mais la guerre de l'empire contre
le sacerdoce), plusieurs évêques, aveuglés par l'ambition,
s'insurgèrent contre l'autorité du Saint-Siège, et prirent
parti pour l'impie Henri IV contre le saint pape Gré-
goire VII. Un de ces rebelles, Guillaume, évêque d'Utrecht,
fut frappé subitement par la justice divine, et les détails
de sa mort, qui, chose curieuse I nous sont rapportés par
des écrivains protestants, peuvent servir de leçon à tous
ceux qui seraient tentés de se ranger du côté des ennemis
du Pape. En proie aux plus affreux tourments de l'âme et
du corps, ce coupable et ce misérable, qui avait perdu,
comme le traître Judas, l'espérance du pardon, criait d'une
voix lamentable aux clercs qui entouraient son lit :
« Quand je serai mort, que ni vous ni personne ne fasse
des prières pour moi l Par un juste jugement de Dieu, je
perds la vie présente et la vie éternelle ; je me suis em-
ployé de toutes mes forces aux mauvais desseins de l'em-
pereur ; pour avoir ses bonnes grâces, j'ai abreuvé d'in-
sultes le Ponltfe romain, homme de grande sainteté et de
grande vertu, dont je connaissais très-bien l'innocence. « Et
il expira en disant ces paroles, et son cadavre fut laissé
sans sépulture jusqu'à ce que le Pape, consulté par les
principaux de l'Eglise d'Utrecht, eût ordonné qu'on l'ense-
velit, mais sans honneurs et sans prières *.
Un fait non moins terrible a été donné, par manière
d'avertissement, aux schismatiques modernes qui veulent,
en Italie, diviser le clergé et séparer les prêtres du Siège
* Ces considérations et les traits qui «uivent sont extraits de
ropusculc de lù'i' de Ségursur le Souverain-Fontifc.
456 LA RÉVOLUTION EN ITALIB
apostolique. En novembre 1862, un de ces prêtres égarés,
nommé Foggi, curé de Giocoli, à quatre milles de Flo-
rence, vint à mourir sans avoir pu se reconnaître. II
s'était rendu tellement odieux par le cynisme de son apos-
tasie, que beaucoup de gens de bien ne purent s'empêcher
de dire en apprenant sa mort : « C'est bien fait. » Ses
amis, ou plutôt les sectaires qui l'avaient compté dans
leurs rangs, voulurent lui faire un service funèbre, malgré
les règlements ecclésiastiques. Un chanoine perdu de
mœurs et comme eux schismatique osa chanter la messe
mortuaire : le lendemain il mourut subitement sans au-
cune assistance spirituelle. A celui-ci de nouveau on
voulut rendre les honneurs de la sépulture chrétienne, et
un certain Brunoni, curé de San-Pietro, ne craignit pas
de prononcer l'éloge funèbre du malheureux. Le len-
demain matin il fut trouvé mort dans les lieux d'aisance.
Ainsi, quinze siècles auparavant, avait Uni le prêtre schis-
matique et hérétique Arius. Terrible leçon pour tous les
prêtres, et principalement pour ces esprits aventureux,
indociles, portés à l'opposition et à la libérâlrerie, toujours
prêts cl juger leurs supérieurs ecclésiastiques, lecteurs im-
prudents de journaux frelatés et anticatholiques; en un
mot, plus près du schisme que de l'unité, plus inclinés à
la révolte qu'à l'obéissance !
On doit bénir Dieu en voyant l'épiscopat italien, au mi-
lieu de la tourmente, demeurer fidèle à ses serments et à
la sainte Eglise.
Excepté deux ou trois prélats et un cardinal dont la
tête était singulièrement affaiblie, comme le témoignent
ses écrits *, tous les autres ont bravé la persécution la
plus brutale plutôt que de manquer à leur devoir.
La justice de Dieu s'est appesantie sur le petit nombre
* D'Andréa, niorl d'une mauiùrc déplorable.
DE 1848 A 1879. 457
t^ui s'est montré infidèle à sa vocation, comme on va le
Yoir dans la tin déplorable de cet évêque qui avait toutes
les faveurs du roi galaiit homme.
M'"" Caputo aurait voulu chanter un Te Deum dans la
iasilique de Saint-Pierre pour célébrer la chute de Rome
par les mains de la révolution italienne et la déchéance
finale du pouvoir temporel des Papes.
Dieu lui coupa le mot dans la bouche, et M^' Caputo
descendit dans la tombe pour s'y consoler en compagnie
des comtes de Syracuse et de Cavour.
Jugement de Dieu, que tu es grand ! M^"" Caputo mourut
grand'croix des Saints-Maurice-et-Lazare, mais sans l'abso-
lulion et la bénédiction du Souverain-Pontife. Le clergé et
son troupeau, qui avaient été scandalisés par son incon-
duite, ne versèrent aucune larme de compassion sur son
tombeau. Ensuite les journaux publièrent que quelques
dames italianissimes avaient pleuré sa mort. Le malheu-
reux ! il doit savoir maintenant ce que lui valent devant
Dieu sa vanité sans bornes et les panégyriques pompeux
qu'il débitait à la louange d'hommes révoltés contre l'E-
vangile de son Eglise et contre les lois du Vatican.
Nous pourrions multiplier les traits de la justice divine
frappant, au milieu de leurs complots, nombre de forbans
répétant dans leurs cris : Rome ou la mort!
Presque tous les journaux nous racontent les morts dé-
plorables des ennemis du plus doux des Pontifes.
Nous lisons dans la Correspondance de Rome :
« L'armée piémontaise a perdu encore un général. Fer-
dmand Pinelli est mort à Bologne dans la force de l'âge. Il
avait conduit une brigade à l'assaut d'Ancûnc, si héroïque-
ment défendue par l'illustre chef pontifical Lamoricière.
Comme la plupart des hommes qui se sont souillés dans les
etttx'cpriscs de la révolution, Pinelli est enlevé presque
20
458 LA nÊVOLUTION EN ITALIE
inopin(^'ment. Les consolations de la foi, le pardon de l'E-
glise lui font défaut; car, selon le Corriere deW Emilia,
» dans le cours rapide de sa maladie, il n'a parlé que de
> Venise, d'assauts et de batailles, et, en proférant le saint
» nom ... de la patrie, il a rendu le dernier soupir entre
» les bras, non point d'un prêtre, mais d'un capitaine
» Canassa. » Pinelli était né à Rome le 31 décembre 1811.
c Un des patriarches de la révolution, Cosimo Rodolfi,
est mort à Florence, à la même heure et le même jour que
Pinelli; un accès de fièvre cérébrale l'a emporté tout d'un
coup. »
Le Chef de l'Eglise n'a pas k chercher des soldats et des
gardes : il est des légions invisibles qui savent comment
on descend sur la terre, comment on gagne des victoires et
comment on frappe les ennemis du Christ. Dieu a toujours
à sa droite un sergent de bataille que vous ne corromprez
jamais : c'est la Mort. Dieu a toujours dans sa main des
foudres qui portent plus loin que le canon et qui frappent
plus sûrement : c'est l'air, c'est l'eau, c'est le soleil; c'est
ce rayon vif et meurtrier qui est descendu à l'improviste
sur l'armée de Frédéric Barljcrousse, et qui l'a cnassée de
Rome en quatre jours; c'est la peste qui a dissipé, sous les
murs de la Ville éternelle, l'armée luthérienne, toute gorgée
d'or et de dépouilles; c'est le vent glacé du nord qui a fait
tomber les armes aes mains les plus vaillantes derrière ce
conquérant, heureux jusque-là, qui tenait Rome sous le
joug d'une domination usurpée, et le Pape sous les verrous
de Fontainebleau.
Ah! ccst qu'il reste dans la maison de Dieu de ces
petits graviers qui, selon l'expression de Pascal, n'eussent
été rien ailleurs, mais qui, allant se loger au fond du
corps de Cromwell, troublent, renversent, tuent du même
coup un nomme, un trône, un empire, et étendent sous un
aiap mortuaire la gloire flétrie, l'ambition trompée et les
DE 48 iS A 1879. 459
rêves de la domination universelle. Seule l'Eglise brave
tout, survit à tout, ressuscite et triomphe partout, hier,
aujourd'hui, demain, toujours.
Les coups multiplies de la justice de Idiea.
Les sectaires et les révolutionnaires, encouragés par
l'attitude du gouvernement, qui laissait commettre impu-
nément les impiétés les plus révoltantes, redoublaient de
rage contre tout ce qu'il y a de plus sacré. Le Pape, les
évèques et les religieux, étaient baffoués, de la manière la
plus révoltante, dans d'infâmes caricatures, dans des
pièces de théâtres immondes, et dans les journaux de
Rome rédigés par les descendants de ceux qui crucifièrent
Jésus-Christ en demandant que son sang retombât sur
eux et sur leurs enfants.
Dieu est palient, parce qu'il est éternel. Mais sa justice,
qui est pleine de miséricorde, n'attend pas toujours l'é-
ternité pour avertir les hommes pj.r le châtiment des
impies. Le même jour, à Rome, deux révolutionnaires, les
avocats Bruni et Mercadante, tous deux déjà frappés par
des sentences ecclésiastiques et qui s'en moquent, sont
frappés par la miain de Dieu et tombent morts d'apoplexie.
Un jeune impie, qui se pare de son impiété, va demander
dans un lieu public je ne sais quel mels alla scomunica,
car dans la ville vraiment désolée, la tache de l'excommu-
nication est vraiment une mode. Le malheureux dévore sa
condamnation qu'il a lui-même demandée ; le mets alla
scomunica s'est changé en un poison violent, et l'impie, à
peine rentré chez lui, meurt sans qu'on ait le temps d'ap-
peler un prêtre. Le châtiment d'un autre, pour n'êlre pas
aussi prompt, ne porte pas moins le signe visible de
la colère de Dieu. Louis Mancini, comj)licc de Monti et de
Tognetli dans l'attentat de la caserne Scrristori, avait,
4G0 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
après son crime, quitte Rome où il est rentré le 20 sep-
tembre pour y recevoir le prix d'un tel service. Qui
pourrait maintenant l'empêcher de jouir de la douce
existence que la révolution doit à ses serviteurs? Mais il
éprouve à la langue un mal inconnu que d'abord il mé-
prise : Ce n'est rien, dit-il. Ce rien c'est le châtiment, c'est
la justice de Dieu. Le malheureux doit périr par cette
langue qui n'a pas béni Dieu, mais qui l'a maudit. Un
cancer s'y déclare, et la science ne peut rien pour le guérir
ni pour en arrêter les progrès. Le malade, transporté à
l'hôpital S. Giacomo in Angusta, au Corso, y recevait les
consolations et les exhortations des frères de Saint-Jean-
dc-Dicu, s'il ne se condamnait lui-même à mourir sans
consolation et sans espérance. Il ne peut plus parler, mais
il sait encore exprimer sa volonté funeste de finir comme
une brute, sans entendre le nom de Dieu. Un prêtre, de
passage îi Rome, est amené auprès de ce furieux. Il essaie
de l'adoucir et de lui persuader d'avoir pitié de lui. Il
meurt dans l'impénilcnce finale.
Terribles punitions des Masphcnialeiirs.
« 0 vous tous, les ennemis de votre Père le Pontife de
Rome, tôt ou tard vous subirez le sort que Dieu tenait en
réserve pour le bombardement d'Ancône, si chaleureuse-
ment applaudi par vous f »
On n'entend parler, sous le nom de casi, que des repré-
sailles terribles exercées par la colère divine contre les im-
pics. La mort foudroie ces impies sous les yeux de ceux
qu'ils ont scandalisés, et opère de la sorte de nombreux
retours. Nous ne redirons point tous les traits qui four-
millent dans les journaux, mais nous reproduirons d'abord
le récit d'un événement qui s'est passé à Bénévent; il a été
transmis par un témoin :
DE 1848 A 1879. 4C1
Un soir de carnaval, il y avait réunion et souper dans
une des maisons aisées de cette ville, et un révolutionnaire
s'y faisait fort remarquer par la licence de son langage.
Loin de céder aux observations de ceux qui avaient encore
un reste de pudeur, il se plut d'abord à les braver; puis,
le vin aidant, il se mit à blasphémer contre la sainte Mère
de Dieu, contre le Pape, contre la religion. La maîtresse
de la maison se risqua à lui dire : « Si vous aviez le
moindre respect pour votre mère, pour votre épouse et
pour les femmes, vous ne parleriez pas ainsi de la très-
sainte Vierge. » Mais ce propos l'exalta encore davantage;
il entra peu à peu dans un véritable paroxysme d'impiété,
et répondit enfin à ceux qui lui disaient que Dieu punit
souvent les outrages faits à son Fils et à sa Mère : « Et
bien! je défie Dieu, sa Mère et tous ses prétendus saints. »
Vers le milieu de la nuit, il rentra chez lui, et sa femme,
depuis longtemps habituée à son inconduite, n'y prit pas
garde. Mais le lendemain, quel fut son effroi de le trouver
mort, étendu sur le parquet, le visage noirci, et la langue
horriblement gonflée et tuméfiée, pendante hors de la
bouche I
Toute la ville est accourue, et chacun de dire que la
main de Dieu a frappé cet homme de scandale, et qu'il
est bon de vivre chrétiennement, pour ne pas mourir
ainsi.
— Plusieurs relations des ravages du choléra à Ancône
ont été publiées par des témoins oculaires. Dans l'une
d'elles, nous lisons ce qui suit :
« Un étranger, R... S..., qui passait la belle saison dans
une maison de campagne un peu éloignée de la ville, vivait
dans le désordre et l'oubli de Dieu. Un domestique indi-
gène l'abandonna au commencenie»t d'août, en disant
qu'il ne voulait plus rester « dans une famille où l'on pro-
ib"! LA RÉVOLUTION EN ITALIE
voquait si clîronlément le courroux céleste... » Ce brave
homme ne s'était pas trompé : six jours après, le fléau en-
vahissait la villa, en dépit de toutes les précautions prises
contre lui, et emportait en quelques heures un autre do-
mestique et deux femmes que R... avait amenés de son
pays.
» Un matin, de bonne heure, un prêtre vénérable, qui
arrivait en toute hâte d'une ville voisine pour assister les
cholériques, passa sous les fenêtres de la villa. R..., fou
de désespoir et d'épouvante, l'appela en l'injuriant de la
manière la plus brutale, et môme, dit-on, en le menaçant
d'un revolver qu'il tenait à la main. Le prêtre entra. Les
trois cadavres étaient étendus dans le jardin, où R... les
avait jetés, se flattant par là d'échapper à l'épidémie. Mais
le malheureux venait d'être atteint lui-même : les symp-
tômes étaient effrayants. Il avait l'écume à la bouche, et
se tordait sur le plancher...
» Le prêtre l'exhorta, h cause du danger imminent, à ne
plus songer qu'à son âme. R... hurlait : « Non, je ne veux
pas, je ne veux pas mourir I Je suis trop riche, trop jeune
et trop heureux! Va-t'en, prêtre imposteur, oiseau de mau-
vais augure : je t'ai appelé pour me soigner et non pour
me confesser... >
» Puis ce misérable blasphémait Dieu et offrait son âme
à Satan en échange de la vie II!
» Le pauvre prêtre eut beau se confondre en prières et
en bonnes œuvres ; il alla jusqu'à offrir son existence à
Dieu pour sauver l'âme et, s'il était possible, le corps de
ce forcené. Dieu, dans ses impénétrables desseins, n'ac-
cepta point ce sacrifice; R... mourut en jetant au ciel un
dernier blasphème. »
— A Salerne, le 25 janvier 1864, la police enfonçait la
porte de la clôture du monastère de Sainte-Marie de la
DE 1848 A 1879. 463
Merci, et en chassait brutalement les religieuses professes.
Bientôt après, la caisse ecclésiastique prenait possession
de l'église.
Un employé appela un portefaix, qu'il chargea d'em-
porter les tableaux; on ne sait pourquoi le portefaix eut
la hardiesse d'arracher la pierre sacrée de l'un des autels.
Quelques bons habitants, informés de ce sacrilège, lui
demandèreut comment il avait osé commettre une telle
impiété. Pour toute réponse, le malheureux se mit à rire.
Le 2 juin 1864, le même portefaix ajustait une persienne
sur un balcon: tout-à-coup le pied lui manque, et il est
précipité sur le sol. Au premier instant, on le crut mort;
mais quand on le releva, il donnait encore signe de vie ; il
se lamentait en disant : Ma Madone ! Ma Madone I Les méde-
cins le visitèrent et trouvèrent la tête et la poitrine intactes;
mais il avait le bras et la main droite tellement fracturés
que les os perçaient la peau. On ne balança pas à faire
l'amputation da bras. Le malheureux fut porté à l'hôpital
de Saint-Jean-de-Dieu.
— On écrit de Rimini, le 20 novembre 1864 :
« La population a été frappée de deux exemples de châ-
timents célestes tombés sur un impie et sur un parjure.
» Un paroissien de Saint-Nicolas avait perdu sa fille,
qu'il maltraitait beaucoup. Il s'en prit de cette perte à
Notre-Seigneur Jésus-Christ, à'' la Vierge, aux saints, et ne
cessait de les outrager dans ses paroles ou d'insulter à
leurs images. Peu d'heures après ces blasphèmes, il est
saisi d'atroces douleurs d'entrailles, qui le rendent fu-
rieux, et il expire avec des contorsions et des cris épou-
vantables, sans avoir pu demander pardon.
» Le 7 novembre, le fait suivant est arrivé k Pavie, d'a-
près le Commercio de Florence. Un homme se rendait au
tribunal comme témoin. On lui présente le crucifix pour
464 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
prêter serment. Ce malheureux, qui avait déjà menti ou
voulait mentir, s'écria : « Si je ne dis pas la vérité, que
» Dieu me frappe! » A peine avait-il proféré ce parjure
qu'il tomba mort, frappé d'apoplexie. Une foule de per-
sonnes sont venues regarder avec terreur le cadavre, qui
attestait une fois de plus comment le Seigneur peut, dbs
:ette vie, montrer sa justice. »
— On lit dans une correspondance de Bologne, publiée
par l'Observateur romain, le trait suivant :
« Dans une maison située dans le voisinage de Saint-
François était logé un officier âgé d'environ vingt-quatre
ans. Plongé dans toutes sortes de vices, il tenait nuit et
jour avec ses amis, des réunions où les heures se pas-
saient dans les débauches les plus ordurières. Un jour ce
jeune étourdi se blanchit la figure et, tout habillé de blanc,
il s'étendit sur une table pour singer le mort; puis il se fit
porter par ses compagnons, qui sortirent dans la rue, nu
grand étonnement et au grand scandale de tous ceux qui
virent ce grotesque cortège funèbre, parodiant dans leurs
chants obscènes les prières que l'on récite pour les morts.
Eh bien! le croirait-on? à peine rentré dans la maison,
l'oftkier fut pris d'une forte et terrible fièvre, qui. en hnit
jours le conduisit au tombeau; les nombreux médecins
qui l'ont visité sont encore à se demander quelle est la
nature de cette maladie qui l'a si promplement enlevé à
ses amis. Avis à ceux que cela regarde. »
Madones profanées.
Le 17 juillet 18G2, à Trapani, quatre soldats de l'armée
italienne, en parcourant les longs corridors qui régnent
autour du couvent des Mineurs observantins, qui leur
servait de caserne, outragèrent brutalement et salirent
DE 1848 A 1879. 465
avec leurs cigares le visage d'une image vénérable de
rimmaculée-Gonception de la très-sainte Vierge.
A peine rentrés dans leur chambre, où ils continuaient
à rire et à se vanter de leur action, voilà qu'une partie du
plafond se détache, tombe et écrase de son poids trois
d'entre eux. Le quatrième, horriblement mutilé, quelques
heures plus tard expirait aussi au milieu des plus cruelles
tortures.
— Un jeune étudiant de l'université de Pavie, plein
d'esprit et d'excellentes qualités, mais n'ayant nullement
la foi, était allé, pendant ses vacances, à la campagne,
voir quelques-uns de ses amis et de ses camarades.
Un soir, au milieu d'une conversation impie qu'il eut
l'imprudence de tenir, il se prit à dire des choses épou-
vantables à l'endroit de l'auguste Mère de Dieu, Marie
Immaculée, et vomit contre elle les blasphèmes les plus
horribles.
Tous les assistants frémirent d'horreur et manifestèrent
hautement leur indignation, surtout la maltresse de la
maison, femme chrétienne, qui se mit en devoir de con-
gédier le jeune impie; et muets, silencieux, attristés, ils
rentrèrent chacun chez soi, priant la sainte Vierge de par-
donner à ce gaalheureux. Mais, ô prodige f ô stupeur f
quel ne fut pas l'étonnement de deux de ses amis, lorsque,
ne le voyant pas arriver à l'heure accoutumée et pressen-
tant un malheur, ils entrèrent dans sa chambre et le
trouvèrent moït dans son lit, noir comme le charbon I
Infortuné jeune homme ! il n'avait que vingt ans, et sa
pauvre mère, inconsolable, le pleure et l'appelle nuit et
jour, ignorant [encore la cause de cette mort lamentable.
— L'Italie est témoin des coups terribles de la ven-
geance divine. En voici un rapporté par le Contemporaneo
de rioreuce, et cité dans le Monde du 23 avril 1853 :
2U*
4G5 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
t Un conscrit réfractaire étant mort étouffé dans une
meule de foin où il s'était caché, les soldats mutilèrent
son cadavre d'une manière horrible. Et comme un de ces
furieux vint à découvrir sur la poitrine du mort un scapu-
laire, il s'écria : Voilà, voilà la preuve que c'était un
brigand et un <r assassin! » Puis il se mit, en blasphé-
mant, à poignarder l'image de la très-sainte Vierge. Quelle
fut la stupeur des assistants f Ils virent tout-à-coup ce sol-
dat s'arrêter, frémir et se débattre... Un coup d'apoplexie
l'avait foudroyé. »
Scélérats panis snr place.
Voici quelques extraits de la Correspondance de Rome et
du Contcmporaneo de Florence :
Un garibaldien ayant pris une chambre dans un hôtel
de Cagliari, y aperçut un crucifix en bois. Les plus
odieuses imprécations furent proférées par ce malheu-
reux ; il détacha la sainte image, la rongea avec fureur
et la brisa en mille pièces; il la jeta ensuite au feu. Trois
jours après on le trouva mort dans sa chambre, le corps
enflé outre mesure et noir comme le charbon.
— Dans un village près de Cretone, en Calabre, un in-
dividu, au lieu de faire le signe de la croix, f^lon le pieux
usage des chrétiens, lorsque le tonnerre é^ .ate, profciait
les plus horribles imprécations contre Dieu, et particu-
lièrement contre le Pape. Il n'a pas encore achevé qu'un
second coup de tonnerre l'étend mort en renversant aussi
sa maison. La population, consternée, était le lendemain
tout entière à l'église et ne pouvait retenir ses larmes.
Elle se souviendra longtemps du juste châtiment infligé à
ce blasphémateur.
— Un autre individu, de très-mauvaise vie, s'étant livré
PE 1848 A 1879. 467
à des emportements contre limage de sainte Anne, saisit
dans sa rage un revolver et s'en servit pour la frapper en
blasphémant; mais le choc fit partir la détente, et le mal-
heureux, atteint en pleine poitrine, expira au bout de
cinq minutes.
— La Providence vient de frapper un de ces coups
propres à faire réfléchir ceux qui semblent ne pas se rap-
peler qu'elle existe. Nos correspondances nous ont appris,
il y a quelque temps, la hideuse mascarade qu'on a essayée
dans une ville des Légations, oîi l'on représentait le Pape
se rendant à Jérusalem. D'après le Veridico^ le principal
acteur de cette scène dégoûtante, celui-là mèrne qui avait
osé représenter la personne du Pape, frappé, quelques
jours plus tard, d'une attaque d'apoplexie foudroyante,
n'aurait eu que le temps de s'écrier avant de mourir ;
e Vite un prêtre I s
— Une correspondance de Salerne à la Vera Bnûna No-
vella, journal italien, nous raconte que, pendant qu'une
société de bons amis italianissimes de Salerne faisait une
partie champêtre h Gava, après la station ordinaire au
cabaret, ils s'étaient arrêtés sur la place à faire des bouf-
fonneries,' lorsque le saint Viatique sortit de l'église pa-
roissiale. Un certain 0..., de Salerne, se mit ù tourner ei^
dérision, au grand scandale de cette religieuse cité. Celui
qui du fond de ses tabernacles répand à pleines mains ses
grâces sur les hommes. A la fin de la journée, pendant
que la société se promenait dans un jardin, 0... monta
sur un petit mur pour tirer à lui une branche ; le malheu-
reux perdit l'équilibre et se tua sur le coup.
Un journal de Bologne, le Patriotto cattolico, raconte uq
exemple terrible de la justice divine :
€ C'était le vendredi saint. Deux eûtroprencurs du che-
468 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
min de fer des Calabres, s'étant rendiî^s h Lazzaro, petit
village près Roggio, demandèrent à un aubergiste de leur
préparer un dîner gras. L'aubergiste fit observer qu'en un
pareil jour on faisait maigre et qu'on ne trouvait pas de
viande chez le boucher. Les entrepreneurs se mirent à
blasphémer et exigèrent qu'on leur préparât des volailles;
puis, l'heure du dîner étant venue, ils s'attablèrent, buvant
à la santé du diable et se répandant en imprécations hor-
ribles. Pour comble d'insulte, ils prirent un crucifix, le
placèrent sous la table, et, lui jetant les débris de leur
repas, dirent à diverses reprises : « Tiens I mange, chien I »
Mais Dieu voulut tout-à-coup venger sa majesté et faire
éclater sa puissance. Un de ces misérables, surpris par
d'atroces coliques, tomba de son siège et mourut aussitôt.
L'autre, effrayé, fut atteint d'une attaque d'épilepsie qui
lui enleva la raison pour un temps et l'a laissé dans un
état très-précaire. Cet événement a causé la plus profonde
impression parmi les habitants de Lazzaro, qui y ont vu
sensiblement la justice de Dieu, de ce Dieu si outragé et
si indignement appelé. Quant aux compagnons et aux ou-
vriers des entrepreneurs, ils ont compris que le Dieu des
miséricordes est aussi le Dieu des vengeances. »
"Voici un trait terrible de la justice de Dieu, qui est
arrivé dans le mois de mai 1865 :
On lisait dans le Stendardo cattolico :
€ Un Vénitien, recueilli depuis quelque temps dans
l'hôpital de Pammadone, scanaalisait les autres malades
par ses blasphèmes et ses imorecations. Il ne tenait aucun
compte des avertissements cnaritablcs qu on lui adressait
pour l'engager à se convertir^ il éloignait tout le monae
par ses grossières insultes, ur, un jour, étant nors de son
lit, il voulut dcrecnct manifester son épouvantable haine
contre Dieu et vomit cet hoiriblc blasphème, qui fait
DE 1848 A 1879. 469
trembler la main qui le transcrit : « Dieu, situ existes,
» pourquoi ne m'envoies-tu pas u)i accident? » Le malheu-
reux, il put se convaincre immédiatement de l'existence
de Dieu, car il tomba mort à terre, imprimant une pro-
fonde terreur dans l'âme des autres malades qu'il avait
tant scandalisés. »
Laissez passer la Jnstlce de Dlea.
La Révolution, aidée de la franc-maçonnerie, son auxi-
liaire le plus puissant, s'est abattue sur la malheureuse
Italie, où elle cherche à établir le règne de Satan; mais
la justice de Dieu se montre de temps en temps d'une
manière bien terrible. Nous en avons donné d'effrayants
exemples; en voici un récent et bien authentique. Ils
étaient là vingt hommes réunis autour d'une table chargée
de viandes et de vins. Une acre gaîté animait leur visage;
ils parlaient ou plutôt ils hurlaient tous à la fois; leurs
discours n'étaient que des blasphèmes entrecoupés d'hor-
ribles éclats de rire, et, dans leurs projets d'avenir, ils pro-
mettaient tolérance entière à l'hérétique, au juif, à l'athée,
mais haine, haine à mort aux catholiques, aux prêtres
surtout, -se promettant bien de ne pas laisser vivre un seul
de ces hommes noirs qui aspirent à tenir tous les hommes
dans une étroite servitude. Mort aux prêtres ! revenait
comme un refrain obligé à la fin de tous leurs propos.
Tout-à-coup celui qui paraissait être leur chef, homme à
la figure sinistre, dont l'air sombre ne s'éclaircissait que
par des éclats de rire stridents, plus rudes encore que sa
physionomie dure et sauvage, s'arrête portant la main suT
sou front dans un silence soucieux. Au bout de quelques
secondes, son poing fermé retombe sur la table avec une
violence telle que les bouteilles et les verres sont presque
tous renversés, et il s'é'^rie : « Je l'ai trouvé ! je l'ai trouvé!
470 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
— Qu'est-ce? qu'as-tu trouvé? lui demandèrent à la fois
tous ses compagnons. — Silence 1 leur dit-il, un moment! •
Et, choisissant trois d'entre eux, il s'écarta avec eux pour
leur expliquer son plan. « Admirable! » dirent-ils tous
les trois; et comme les autres voulaient savoir : « Non,
pas h présent, un peu plus tard. Séparons-nous. » Et tous
se levèrent, moins ivres que d'habitude.
Le lendemain l"mar? 1864, à six heures du matin, un
homme était debout à la porte d'un palais; il paraissait
inquiet, et ses regards se portaient de tous côtés dans la
rue. Il aperçoit un prêtre d'une quarantaine d'années. Il
venait de porter des secours h. une pauvre famille, et son
visage semblait encore rayonner du bonheur qu'il avait
donné, des bénédictions qu'il avait reçues. L'homme
l'aborde, un mouchoir sur les yeux, comme pour essuyer
des larmes, et d'une voix entrecoupée il lui dit : « Père,
un homme se meurt; il demande assistance dans ses
derniers moments. Par charité, montez vers lui. » Sans
répondre, le prêtre le suit. Il arrive dans une salle
écartée, où il trouve quelques individus entourant un lit
dont les rideaux étaient soigneusement fermés. Il entre
avec le salut de l'Eglise : « Paix à cette maison et à ceux
qui l'habitent, » et il s'approche du lit, tout en ayant
surpris quelques regards sinistres ou moqueurs lancés
sur lui. Ces hommes cependant s'éloignent et il adresse
quelques mots au moribond. Ne recevant point de réponse,
il soulève les rideaux et fait un mouvement d'horreur en
voyant une figure affreuse; les yeux paraissaient sortir do
leur orbite, la bouche était hideusement ouverte et con-
tournée, la langue pendante. Il le secoue; point de mou-
vement. Il rejette le drap et voit qu'il était tout habillé,
tenant dans la main droite un revolver h six coups, la
doigt placé sur la gAchette de l'arme. « Trop tard, s'écrie-
t-il, trop tard, il est mortf » Tous se précipitent, entourent
DE 1848 A 1879. 474
le lit en le secouant et l'appelant, mais en vain. Le prêtre
était tombé à genoux et priait. Il se relève, et, élevant ses
mains vers le ciel, il s'écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, que
vous êtes terrible dans vos colères I » Se retournant vers
les assistants, dont il n'avait que trop pénétré les coupables
desseins, mais qui semblaient tous éperdus et consternés,
il leur dit : « Que Dieu vous pardonne dans le ciel comme je
vous pardonne sur la terre ! . et il les laissa frappés d'une
inexprimable terreur sur le sort de leur complice, et de
remords de leurs imprécations contre des hommes qui
risquent si facilement leur vie pour le salut des autres.
Le journal de Bologne, la Vérité, affirme la certitude de
ce fait, qui s'est passé dans une ville d'Italie. Nous en
avons extrait ce récit en l'abrégeant.
La main de Diea.
Lorsque le conseil municipal de Catane fut saisi de la
proposition d'intervenir dans la célébration des fêtes en
l'honneur de sainte Agathe, un conseiller, M. Ferdinand
Aradas, fils de parents très-pieux, mais malheureusement
engagé dans la franc-maçonnerie, la repoussa, en blas-
phémant contre la sainte et contre la religion catholique.
Aradas retourfta à sa maison, où il continua à blasphémer
en présence de son domestique, encore plus impie que lui.
Mais, pris tout-à-coup de violents crachements de sang et
d'horribles convulsions, il ne tarda pas à expirer. Trois
heures après, le domestique fut également frappé et enlevé.
Qui peut s'empêcher de reconnaître la main de Dieu dans
la fin de ces deux blasphémateurs?
— On lit dans le journal italien VAncora :
« Un chasseur, s'étant arrêté devant Santa Maria di
Gesù. à Palerme, se mit à viser la croix qui surmonte la
472 LA RÉVOLUTION EN ITALIK
petite colonne placée devant l'église. Un garde voulut
l'empêcher de tirer, mais le chasseur, sans tenir compte
de ses paroles, lâcha la détente. Le coup partit. Au même
instant le chasseur tombait mort.|
— Au mois d'octobre, un sicaire, appelé Montesi, avaif
blessé, dans les rues de Bologne, cinq prêtres. Le tribunal,
considérant peut-être que cet homme était à ménager,
s'était empressé de l'acquitter. Mais l'homme vient de se
suicider. h'Ancora dit avec raison : Les hommes lui refu-
saierv^Ja justice, Dieu l'a faite.
— Une lettre, adressée d'Imola au Ravennate, raconte
un fait aussi triste que scandaleux ; Quelques jeunes
gens, ayant attaché une corde au cou de la statue de san
Felice, se sont mis à tirer de toutes leurs forces en
criant : « En bas, Felice, descends ( » A force de tirer,
Fjlice descendit vraiment, et il descendit de telle façon
qu'il écrasa un des jeunes gens et en blessa grièvement
deux autres. On a déjà amputé la jambe à l'un; l'état de
l'autre est très-grave.
DE 1848 A 1879. 473
CHAPITRE IV.
LE PIÉMONT RÉVOLUTIONNAIRE A ROME.
C'est le 2 juillet 1870 que s'est accomplie la grande
iniquité. Au mépris des siècles, des souvenirs, des titres,
de l'Eglise elle-même et du peuple chrétien tout entier, le
roi lombard est entré dans la Ville éternelle. Il y est
entré avec ses soldats, précédé de l'injustice, de la mauvaise
foi, de l'ignominie. Cependant il a paru en vainqueur,
comme s'il était le vrai maître. Du fond du Vatican, Pie IX
put voiries drapeaux flotter aux fenêtres; il put entendre
un à un les cent coups de canon qui annonçaient l'arrivée
du roi; son cœur de père dut tressaillir de douleur.
Victor-Emmanuel s'est fait conduire, par un détour à
travers la ville, au Quirinal. C'est là, dans le palais des
Papes, qu'il est venu prendre possession de Rome.
Quand Victor-Emmanuel fut arrivé au Quirinal, les cris
de la foule l'appelèrent au balcon. Le roi se fit attendre,
comme si une crainte superstitieuse l'arrêtait à cette
dernière limite de l'impudence et de la forfaiture. La
populace redoubla de cris. Un domestique vint jeter une
tenture sur la balustrade. Enfin, le roi ému, presque
tremblant, s'avan a lentement vers le balcon et salua avec
emDai-rab la foule, de cette même place où le nouveau
Pape élu a coutume de bénir le peuple après sa préconi-
salion. Dans le palais des Papes, surte balcon du Quirinal,
A74 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
à cette place, entre les statues de saint Pierre et de saint
Paul, sous l'image de la sainte Vierge, non jamais je
n'oublierai l'effet que me produisit la face de Victor-
Emmanuel ! Cependant, les crieurs continuèrent à crier: le
roi fut obligé de reparaître une seconde fois.
On remarqua qu'il fixait sur le Vatican un regard sombre
et troublé. Derrière ces murs il devinait sa victime et
sentait l'écueil sur lequel ne tarderait pas à aller faire
naufrage lui, son trône et sa dynastie. Ce spectacle rempli
de remords et de menaces ne lui a pas permis de savourer
beaucoup les hurlements gagés et les applaudissements
mercenaires que la foule lui prodiguait sur la place.
Après l'usurpation de la Ville sainte par les Piémontais,
on écrivait de Rome :
— Depuis que l'Italie est une, la main de Dieu s'est
appesantie sur elle comme pour l'avertir que la voie où
elle s'est engagée est une voie funeste, qui aboutit à un
précipice affreux.
Les fléaux se sont succédé presque sans interruption,
surtout depuis la prise de Rome; maintenant ils se prennent
sur la nation tout entière. Dans l'intervalle d'un peu plus
d'un mois, nous avons vu l'éruption terrible du Vésuve, qui
a brûlé les campagnes napolitaines, les inondations du
Pô, qui ont dévasté et dévastent encore des provinces
entières, les sauterelles, qui ravagent la Sardaigne en si
grand nombre que tous les moyens de destruction em-
ployés par les habitants sont inutiles. La récolte est corn»
plètement perdue. Les maisons elles-mêmes en sont in-
festées h tel point qu'on n'ose plus ouvrir les fenêtres, do
peur de voir les appartements envahis par des myriades
de ces insectes destructeurs. Et comme si les châtiments
du ciel n'étaient pas suffisants, le gouvernement sonflle
sur la Péninsule la fureur de la guerre par ses lois sur les
DE 1848 A 1879. 47o
fortifications, sur l'armement des troupes, et par ses
alliances significatives.
L'horizon se fait bien noir, et nous croyons que la
tempête n'est pas éloignée I
Trêves de phrases sentimentales : voici de tous les argu-
men-3 le plus irréfutable, des chiffres.
Les statistiques judiciaires du royaume d'Italie con-
tiennent des chiffres qui montrent quel sens on doit attacher
à ce mot de régénération :
Pendant l'année 1869-70, les tribunaux italiens ont pro-
noncé 226,526 condamnations; ils ont vu défiler 306,221
prévenus.
N'est-ce pas effrayant? Ce qui l'est surtout, c'est la pro-
gression des crimes et délits. Dans le chiffre des con-
damnations, nous voyons figurer 27,912 méfaits de sang
ou attentats contre les personnes; on en avait seulement
compté 14,818 pendant l'année 1863-64. Les attentats
contre la propriété sont montés, de 21,793 en 1863-64,
à 40,748 en 1869-70!
Les prisons italiennes renfermaient, h. la fin de 1869, une
véritable armée, composée de 64,58o personnes.
Le mfiuvement annuel des détenus, dans l'Italie régé-
nérée, n'est pas inférieur à cent mille individus. Et quatre
cent mille sont placés sous la surveillance de la police.
On le voit, c'est un véritable progrès : Magni passas extra
viam, dit saint Augustin. Encore quelques pas de plus, et
l'Italie, cette nation privilégiée entre toutes, aura descendu
les derniers degrés de l'abîme.
C'est ainsi que l'exemple venu d'en haut a porté ses
fruits. La question romaine peut se résumer en quelques
lignes. Malgré toutes les menées des Bonapartes et les
agissements des sectaires, les Etats pontificaux restaient
fidèles à leur auguste souverain. Voyant que les moyens
moraux (I) étaient impuissants i\ soulever le peuple contre
476 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
son roi légitima, on imagina alors un expédient plus
court : Victor-Emmanuel, désireux de montrer sa loyauté
personnelle et le courage invincible de ses soldats, fit
marcher contre Rome, avec tous les engins d'un siège,
une armée six fois plus nombreuse que les soldats pon-
tificaux, et ayant trouvé les portes de la Ville sainte
fermées, il les fit enfoncer, tanquam fur et latro, et se pro-
clama lui-même, au nom du droit moderne, maître des
Etats de l'Eglise. Comment veut-on, après de pareils
forfaits, que, dans un pays où les brigands foisonnent,
Victor-Emmanuel ne trouve pas des imitateurs de ce qu'il
a fait lui-même sur une plus grande échelle? Il ne peut pas
y avoir deux morales et deux justices, l'une à l'usage
des souverains et l'autre de la vile multitude. Aussi
quel spectacle hideux l'Italie donne au monde en ce mo-
ment f
On écrit de Palerme au Tem'po ces lignes, bien propres
à tirer de l'illusion ceux qui n'ont pas juré d'y pourrir :
<t On vient d'organiser parmi notre jeunesse une société
de libres-penseurs sous le titre de Société des fils de
Satan. «
Voilà bien le dernier mot du radicalisme moderne, et
tout le plan de l'Italie sous le joug de la démagogie.
Le véritable programme de la Révolution ne tend à rien
moins qu'à renverser Dieu et à mettre Satan sur ses autels.
Prouvons le fait.
Tous les révolutionnaires ont toujours eu un culte réel
pour Satan. Ils niaient les vérités les plus solennelles,
mais ils confessaient le pouvoir du démon. Déjà Jésus-
Christ leur disait ; Vous avez le diable pour père. S'ils se
sont montrés mauvais citoyens, ils n'ont jamais été des
enfants indignes.
Le diable a été homicide dès le commencement, et la Révo-
lution qu'il a engendrée vit de sang et se repaît de carnage.
DE 1848 A 1879. 477
Le diable est le père du mensonge, et la Révolution
n'accomplit son œuvre que par la fourberie, la fausseté
et la calomnie. Le diable enlève les âmes à Dieu, et la
Révolution, pour dépouiller l'Eglise de tout ce qui est son
domaine, déploie ce que l'Apocalypse appelle les profon-
deurs de Satan, et toutes ces opérations sataniques dont
parle saint Paul.
On écrivait de Florence le 22 janvier 1872 :
« Plaignez un malheureux sur la tête duquel s'appesantit
la main de Dieu vengeresse des injures contre le vicaire de
Jésus-Christ... »
On a dit à propos de l'ouverture du parlement italien :
« Le gouvernement de Victor-Emmanuel croit qu'il vient
de prendre possession de Rome : il vient de creuser sa
fosse. »
Rien n'est plus vrai : rien n'est plus probable pour qui
sait chercher dans l'histoire les données sur l'avenir.
M. de Maistre écrivait en 1810, en apprenant les usur-
pations du premier Bonaparte :
« Jamais aucun souverain n'a mis la main sur un Pape
quelconque (avec ou sans raison), et n'a pu se vanter en-
suite d'un règne long et heureux. Henri V d'Angleterre a
souffert tout ce que peut souffrir un homme et un prince.
Son fils dénaturé mourut de la peste à quarante-quatre ans,
après un règne fort agité. Frédéric I" mourut à trente-huit
ans, dans le Gydnus. Frédéric II fut empoisonné par son
fils, après s'être vu déposé. Philippe le Bel mourut d'une
chute de cheval, à quarante-sept ans. Ma plume se refuse
aux exemples moins anciens. Gela ne prouve rien, dira-
t-on. A la bonne heure 1 Tout ce que je demande, c'est qu'il
en arrive autant à un autre, quand même cela ne froncerait
rien; et c'est ce que nous verrons. »
C'est ce que nous avons vu deux fois depuis, témoin les
478 LA r.ÉVOLUTIOM EN ITALIE
rochers de Sainlc-Hclènc et les murs de Sedan; c'est ce que
nous verrons encore.
Le triomphateur d'aujourd'hui pourrait bien être le
condamné de domain. L'histoire l'a déjà juge, et l'on peut
prévoir, sans être prophète, que la Providence se montrera
envers lui aussi sévère qu'elle l'a été pour ceux qui,
comme lui et avant lui, ont persécuté l'Eglise.
Châtiments des rêvolntlonnalres à Rome.
Lors môme que Dieu semble donner un libre cours, pen-
dant quelques jours, à la puissance des ténèbres, sa justicd
ne laisse pas de se montrer de temps en temps, afin d'em-
pêcher le scandale des âmes faibles.
On écrivait de Rome, le 29 novembre 1870, à l'Univers :
t Les tremblements de terre qui viennent d'affliger les
Romagnes ont suscité parmi les populations de cette partie
des Etats de l'Eglise des retours à Dieu dans lesquels l'es-
prit chrétien sait voir un nouveau témoignage de la misé-
ricorde céleste, de cette miséricorde toujours prête à
adoucir les rigueurs de la justice. On conçoit qu'au milieu
des agitations militaires et politiques de l'Europe, ces faits
passent inaperçus. Cependant, je crois devoir signaler une
circonstance tout au moins singulière, que les habitants de
Forli, la ville la plus éprouvée, prennent pour un prodige.
Le dimanche avant la catastrophe, une dame inconnue,
vêtue de deuil, s'est présentée dans les principaux maga-
sins, qui, au mépris du précepte ecclésiastique, demeu-
raient ouverts, et, d'une voix douce et triste, a reproché
aux marchands leur impiétr-, ajoutant que Dieu leur ferait
connaître sa colère par des manifestations de sa puissance,
et les reconduirait ainsi au respect de sa loi. Les mar-
chands accueilliient par des lazzi et des rires les menaces
de la dame; mais aux premières secousses du tremblement
DE 4848 A 1879. 470
de terre, ils se souvinrent d'elle, la cherchèrent de tous
côtés, et ne parvinrent pas à la retrouver.
> A Rome, les Romagnols, très-émus et affligés de la
situation de leur pays, ont célébré les 1", 2 et 3 décembre,
dans l'église de Saint-Marcel au Corso, un triduum en
l'honneur de la madone dite det Fuoco (du feu), protectrice
de la ville de Forli. — Partout les populations victimes du
fléaa se jettent aux pieds des autels.
» — Les morts subites de certains ennemis du Pape et
de la religion ont laissé dans Rome une impression pro-
fonde.
» Un impie, qui blasphémait sans cesse, a été frappé au
moment même où il se déchaînait contre Pie IX.
i Enfin, un avocat célèbre à Rome, M. Bruni, est mort
tout-à-coup, sans avoir le temps de proférer une parole. Ce
dernier faisait partie de la commission des six juriscon-
sultes romains qui ont eu la lâche complaisance de rédiger
une consultation pour prouver que le Pape n'avait aucun
droit, comme Pape, sur le Quirinal. On dit que M. Bruni
est le dernier trappe; les cinq autres ont succombé ces
jours derniers.
» Il ne faut pas oublier que depuis l'invasion de 18o9 un
grand nombre de villes et de villages d'Italie ont été té-
moins de faits de ce genre. Dieu les a multipliés pour ser-
vir d'avertissements aux méchants et confirmer les bous
dans la fidélité. >
Les Caribaldîens à Rome.
Dans le quartier de Monti, et dans la rue de Serpenti, se
trouve une auberge devenue célèbre depuis le 20 septembre
1870, grâce à la conduite du propriétaire. Tous les jours,
il se répandait en blasphèmes contre les choses les plus
sacrées de notre religion, et en offensait le chef auguste de
la manière la plus inlùme.
480 LA nÉVOLUTION EN ITALIE
Vint le 3 juillet avec l'inauguration à Rome de ce qu'ils
appellent la capitale. Alors l'aubergiste, pris d'une joie
satanique, redoubla les démonstrations de son allégresse;
il fallut banqueter avec les amis, tandis que plus mons-
trueux sortaient de sa bouche les blasphèmes et les
imprécations mêlées d'expressions de triomphe, pour la
satisfaction éprouvée en voyant que c'en était fait de la
Papauté.
Les jugements de Dieu sont justes I
Après le copieux repas, il était allé se reposer, en or-
donnant à ses gens de le réveiller un peu avant le feu
d'artifice, afin de jouir, lui aussi, de ce divertissement na-
tional. Mais quand on alla pour le tirer de son sommeil, à
la tombée de la nuit, il n'était qu'un froid cadavre.
Et, à l'heure même où le malheureux avait dit vouloir
assister aux fêtes publiques, il devait se présenter au divin
tribunal.
— Le 7, un groupe de huit polissons appartenant à ces
jeunes gens payés cina francs par tète afin de représenter
l'enthousiasme de rigueur pour la levée militaire, par-
courait le Transtevere en faisant alterner les hymnes pa-
triotiques avec les plus terribles imprécations et les plus
horribles blasphèmes. Ces malandrins avaient déjà crié :
Mort aux noirs, mort aux prêtres et mort au Pape, lorsque
l'un d'entre eux, plus enragé que les autres, voulut crier :
Mort au Christ. Mais le nom divin ne put sortir de sa
bouche, car il tomba sur-le-champ foudroyé.
L'horreur et l'épouvante causés à Rome par ce fait sont
immenses.
— Le 21, dans une rue voisine de la place de Monte
d'Oro, on faisait vacarme en certain cabaret. Le principal
crieur était un cocher, bien connu pour ses prouesses irré-
ligieuses. Ce malheureux proférait îi pleine bouche les plus
DE 1848 A 1879. 481
horribles blasphèmes contre Dieu, la Vierge, les saints, en
un mot contre ce que la religion a de plus auguste et de
plus vénérable. Il serait également impossible de dire ce
qu'il vomit d'injures contre le Pape. Mais voilà que tout-à-
coup au vacarme infernal succède un silence effrayant. On
sort de l'auberge en criant : Un 'prêtre î un prêtre I Bientôt
un ecclésiastique arrive, mais il était trop tard. Le cocher
perdait le sang par la bouche, les yeux et les narines, et
mourait avant d'avoir pu reprendre connaissance.
On écrit de Florence, le 4 août 1871, à l'Univers :
c Encore un coup du hasard à Rome. Le 2 de ce mois,
un homme qui était monté sur le toit du palais Bonaparte
perd l'équilibre et tombe dans la rue. On s'empresse autour
du cadavre et l'on reconnaît en lui un agent subalterne de
l'ex-sénat romain, celui-là même qui, au mépris de ses
devoirs, grimpait, le 20 septembre, au haut du Capitole et
y plantait le premier drapeau tricolore qui ait flotté dans
la Ville éternelle. Bien certainement ce n'est là qu'un
simple coup du hasard; mais ces jeux du hasard se mul-
tiplient depuis quelque temps, et il n'y a aucun mal à en
compléter la série, quand ils sont authentiques comme
celui-ci. »
On écrit de Rome :
Encore un hasard I Le 6 septembre 1871, l'ingénieur
Morelli, chargé de la direction des travaux au palais Be-
leani, transformé en Cour des comptes, monte sur les
échafaudages extérieurs pour y surveiller les travaux et
presser les travailleurs, qui n'allaient pas aussi vite qu'il
le désirait. On lui fit observer que le 8, jour de la Nativité
de la sainte Vierge, nombre d'ouvriers manqueront à
l'appel, car ce jour est fête solennelle dans le calendrier
romain, t il n'y a pas de sainte Vierge qui tienne, répond
21
482 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
l'ingénieur; ceux qui se dispenseront du travail sous ce
prétexte seront renvoyés pour touiours. » Cela dit, le pied
lui glisse et il tombe au troisième étage. On s'empresse
autour de lui, il était mort sur le coup. La presse sectaire
le pleure beaucoup et croit lui faire un bel éloge funèbre
en disant que c était un des meilleurs jeunes hommes (il
n'avait pas quarante ans) de la nouvelle Rome. Hélas I le
malheureux f
On écrit de Rome :
Le 28 août 1871, un maître maçon connu pour un des
plus forcenés blasphémateurs de Rome, après avoir vomi
les paroies les puis horribles contre Dieu et la sainte
Vierge, est entré dans un estaminet orès de l'église des
Saints Giuliano et Celso. A peine avait-il pris place à une
table qu'il a été frappé a une attaque d'apoplexie fou-
droyante. Cette mort a tait une grande impression sur le
peuple.
Mort de ISazzinl.
Le fameux agitateur Mazzini, qui s'était promis de célé-
brer les funérailles de la Papauté, est mort h. l'àgc de
soixante-trois ans, pendant que Pie IX portait fièrement
ses quatre-vingt-un ans.
Un journal de Rome a noté de curieuses coïncidences
au sujet de la mort de l'ancien triumvir de Rome :
Mazzini a été frappé le premier jour do la neuvainc do
saint Joseph, dont il portait indignement le nom, le troi-
sième jour du triduum solennel îi Saint-Pierre, dont il
avait combattu les droits sacrés pendant toute sa vie, au
moment où il allait se rendre k Rome pour y accomplir
son œuvre de malédiction et jouir do sa victoire infernale,
et ealin à l'heure même où Pic IX, prisonnier de ses sec-
lairos, a rappelé, comme inspiré, en présence d'une élite
DÏ3 1848 A 1879. 483
do fidèles Romains, ce fatal cri de guerre : Agitez, agitez
encore, avec lequel, après avoir parcouru l'Italie et le
inonde pendant un quart de siècle, Mazzini s'est présenté
au terrible jugement de Dieu.
Les démagogues ont beau l'exalter de la manière la
plus ridicule, on se rappelle ces belles paroles de saint
Augustin : Laudantur ubi non sunt, cruciantur ubi sunt.
— Les journaux nous apportent presque tous les jours
quelques nouveaux traits de la justice de Dieu qui s'exerce
contre les envahisseurs sacrilèges des Etats pontificaux.
Plusieurs de ces misérables finissent comme Judas, ils sont
eux-mêmes leur propre bourreau.
On écrit de Florence à l'Univers :
Il y avait à Rome un certain Lori, surnommé Ra-
neighetta, boucher de profession, et très-connu dans le
monde patriotique. Ce fut un des plus zélés fabricateurs
du plébiscite. Non content de raccoler dans sa classe et
dans le bas peuple tous ceux qu'il pouvait entraîner au
Capitole pour y déclarer la déchéance du Pape, lors de
l'annexion, il s'amusait, la nuit, à aller peindre sur les
maisons des caccialpri un énorme si ou d'autres symboles
analogues, dans toutes les circonstances où la révolution
devait faire parade de ses forces. Ce malheureux vient de
se jeter par la fenêtre, le lendemain de la mort violente du
général Gugia.
Ma lettre semblera à quelques-uns remplie de petits
riens aujourd'hui. Mais tous ces petits riens expliquent
bien des choses. Ils expliquent pourquoi le sénat se dé-
clare en nombre avec trente membres, sur trois cents qui
le composent, et pourquoi la Chambre n'est jamais lianice
que par une cinquantaine de députés; ils expliquent pour-
quoi le roi, qui n'est cependant plus un tout jeune homme,
est piqué par la tarentule de la locomotion. Les révolu-
484 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
tionnaires qui affectent de mépriser notre doigt de Dieu,
ainsi qu'ils l'appellent, ne le méprisent que du bout des
lèvres. Ils sentent que Rome est fatale, et tout en jappant :
Romel Remet ils cherchent à s'en tenir le plus éloigné
que possible. Petite précaution à la vérité! car yiotre doigt
de Dieu est assez long pour les atteindre même au dehors
de l'enceinte de la ville sacrée; mais encore se trouvent-ils
mieux ailleurs que là I
On écrit de Rome :
t II arrive tous les jours de funestes accidents que l*on
considère comme le châtiment de la violation du saint
jour du dimanche et des fêtes. Ainsi le gouvernement fait
réparer la caserne de Serristori, de triste mémoire, pour
cacher, sans doute, au monde la part qu'il a prise à ce
crime. Il a fait travailler le jour même de l'Immaculée-
Conception, quoique ce soit ti Rome fête d'obligation; le
lendemain, une voûte entière s'est écroulée : elle a écrasé
sous ses débris deux ouvriers, qui sont morts aussitôt, et
elle a blessé assez grièvement plusieurs autres. »
— Un journal de Rome nous apporte la nouvelle d'une
mort qui a produit une grande sensation. On sait de quelle
manière impie et scandaleuse le carnaval s'est passé à
Rome. Le dernier jour de cette orgie, le général Ephisc
Cugia, premier aide-de-camp du prince Humbert, à huit
heures du soir, a été frappé d'une apoplexie foudroyante.
La Capitale, journal révolutionnaire, déclare que le général
sarde « était une belle individualité et qu'il est tombé
roide mort dans l'escalier du Quirinal (palais pontifical)
en revenant des fêtes carnavalesques. »
La Voce délia Verità ajoute : t Le général ... cessait de
vivre pour ainsi dire à côté du prince. Nous n'avons pas
l'habitude de faire des commentaires sur le malheur, mais
DE 1848 A 1879. 48a
nous voudrions que cette première mort au Quirinal servît
de quelque enseignement. »
On écrit de Florence, 30 janvier 1872 :
Je ne pensais pas avoir à revenir aussi vite que je le fais
sur la scandaleuse tragédie : Hardouin, roi d'Italie, qui se
joue à Rome. Mais puisque le doigt de Dieu continue d'é-
crire, mon devoir est d'épeler humblement ce qu'il écrit.
La représentation est suspendue au théâtre Valle ii cause
de la maladie d'un des acteurs. Et quel est cet acteur?
C'est celui-là même qui frappa à coups de pied l'arche-
vêque de Milan. Ce malheureux est au lit depuis deux
jours et a le délire: il s'écrie, en se tordant de douleur :
Je suis maudit I Je sais maudit ! J'apprends tout cela par
une lettre qui m'arrive à l'instant de Rome.
Le doig^t de Dieu.
En attendant que Dieu frappe un de ces grands coups
qui étonnent le monde et font rentrer dans les abîmes les
suppôts de Satan, sa colère ne laisse pas d'éclater d'une
manière terrible sur des impies qui osent le braver. Voici
des traits àojÉ. il est facile de vérifier l'authenticité :
— Un homme de la ville de Terracine, non loin de
Rome, s'est mis à parler de Pie IX d'une manière indigne,
et comme il disait : Ce n'est pas encore mort, mais il
mourra bientôt, il a été saisi d'un tremblement subit dans
tous ses membres et, peu de temps après, il est mort, en
refusant de se réconcilier avec Dieu. Cette triste mort a
tellement terrifié ses compagnons qu'ils ont presque tous
changé de vie et se sont approchés des sacrements.
— Le secrétaire de Garibaidi, écrit-on de Rome à l'Uni-
vers, nommé PlanluUi, est devenu fou furieux. On a dû
486 LA RIJVÔLUTION EN ITALIE
î'cnfermer dans la maison des aliénés. C'est à ce misérable
que le héros doit les épîtres les plus ordurières qu'il a
signées. Plantulli se vantait d'avoir inventé l'insulte sacri-
lège que Garibaldi a jetée h la face de la chrétienté, en
parlant du Vicaire de Jésus-Christ iwi mètre cube de
Plantulli a perdu l'esprit, et Garibaldi, hideux à voir, est
étendu sur son lit, tandis que les foules fidèles admiraient
le doux visage de Pie IX et écoutaient avec enthousiasme
ses sublimes enseignements.
On lit dans la Semaine de Toulouse :
Le citoyen rrapolli, grand-orient des francs-macons ita-
liens, vient d'être atteint d'aliénation mentale, à tel point
que l'on a dû l'enfermer dans l'hospice des fous îi Turin.
Avis aux insensés qui osent faire la guerre à l'Eglise et à
Dieu ! Ils auront à compter d'une manière ou de l'autre,
mais lomours terrible, avec la justice divine. Qu'on les
appelle he'ros des Veux-Mondes, ou de n'importe quel autre
titre, ils seront, au moment des célestes vengeances, bien
petits, et surtout bien fâchés, mais trop tard, de leurs im-
piétés.
C'est ce M. Frapolli qui, en 1869, le 8 décembre, jour
de l'ouYcrtare du concile général du Vatican, a présidé, à
Naples, un contre-concile, composé d'impies de son espèce
et qui n'a duré que vingt-quatre heures. On y était d'ac-
cord comme à la Tour de Babel.
— La loi qui frappe l'un après l'autre tous les ennemis
du Pape, suit toujours son cours : nous venons d'en voir
une nouvelle application.
Le député Petruccclli dcUa Gattina vient d'être frappé
d' apoplexie : il n'est pas mort sur le coup, mais sa carrière
est finie.
L'an dernier, dans une séance restée célèbre, il avait,
pendant plus d'une heure, vomi des injures assaisonnées
DE tM8 A 1879. 487
de blasphèmes, qu'une Chambre italienne seule peut
écouter. Cela passait toutes les bornes : les radicaux à
Paris, les Prussiens de M. de Bismarck à Berlin lui auraient
imposé silence. Il s'était placé du coup au premier rang
des insulteurs de la Papauté.
Il confondait dans une même haine le Pape et la
France,
Je lisais en 1870, pendant la guerre et la Commune, les
lettres qu'il envoyait de Paris à la Gazetta d'ItuUa. Il
triomphait à chaque victoire des Prussiens, il n'avait que
des railleries et des sarcasmes pour chacun de nos mal-
heurs. Son Italie à lui ne pouvait grandir que sur les
ruines de Paris et de la France. Ce souvenir m'était resté
amer parmi bien d'autres; il m'est revenu tout naturelle-
ment à la pensée, et je ne puis m'empêcher de le noter
ici.
— RoTnia è fatale! Rome est fatale I — Giuseppe Ferrari,
l'un des esprits les plus brillants et les plus extravagants
de la révolution italienne, l'a dit souvent. Il ne se doutait
pas qu'il prédisait sa propre fin. On l'a trouvé mort, un
matin, dans sa chambre, comme Gioberti.
Piécemment, à l'Université romaine, traitant de l'empire
d'Orient, il avait vomi de telles insultes contre le Christ
que les incrédules s'en étaient montrés indignés. Le voilà
tombé entre les mains redoutables du souverain Juge des
vivants et des morts.
— Le marquis Guatterio, le dernier ami de Victor-
Emmanuel, vient d'être frappé de folie furieuse et enfermé
dans l'hôpital des fous. Les médecins n'ont pas eu beaucoup
de peine, à ce qu'il parait, à caractériser la maladie du
malheureux : ils l'ont déclarée incurable et du même genre
que cdlle doût est mort M. Farini.
l'A RÉVOLUTION EN ITALIE
Ce marquis Guatterio était d'Orvieto, des Etats ponti-
ficaux. Elevé dans les antres de la seete, où il se rendit
tres-jeune pour conspirer contre le Pape, il en con-
naissait les détours. Peu favorisé du côté de la fortune
et devant au roi la belle position d'intendant général de
la liste civile, il s était sincèrement dévoué à sa personne
et ne cachait pas assez sa résolution de le défendre en
tout contre la secte.
- Le Q février 1877, à Rome. - M- Marignoli,
femme d un banquier, sénateur de Victor- Emmanuel
personne . très-coquette, très-belle, la plus belle des
Komaines, » dit une correspondance, avait, à l'occasion
du carnaval, orné son balcon à la manière chinoise; elle
était elle-même vêtue richement en Chinoise et avait
exige que toutes les dames libérales qui venaient chez
elle fussent habillées en chinoises. C'est cette dame
Marignoli qui, à l'entrée de Victor-Emmanuel, après le
20 septembre 1870, fut choisie, à cause de sa beauté
pour offrir un bouquet au roi galantuomo. C'est de ce même
balcon orné ces jours derniers à la manière chinoise,
qu en 1870 elle avait craché sur les zouaves du Pape I Eh
bieni le 6 février, pendant qu'à ce balcon elle se livrait
avec passion au jeu du carnaval, elle a porté la main à
son front, est devenue d'une pâleur mortelle et est tombée
à la renverse sans prononcer une parole. Elle s'est éteinte
au bout de deux heures sans avoir repris ses sens. Qu'on
se figure le spectacle de ces femmes et de ces hommes
déguises en Chmois et entourant dans la plus grande
désolation le cadavre de cette damel Chose étrange, au
moment où son convoi traversait la place d'Espagne un
homme a jeté, du milieu de la foule, un grand crî et' est
tombe ro.de mort. C'était un ardent sectaire, qu'on a
enterré civilement le lendemain.
DE 1848 A 1879. 489
Autre coïncidence, diront ceux qui ne veulent pas voir
des punitions dans ces coups de foudre :
Il est bon de rappeler que c'est le 6 fé\Tier 187o, en
plein carnaval encore, que le trop fameux Souzogno fut
assassiné par un « frère et ami, » sectaire comme lui, et que
le 6 février 1872, le général Ephèse Cugia tombait fou-
droyé de la même façon que la Marignoli.
Carnaval sinistre, cette révolution italienne! Ses illustra-
tions méritent bien d'être touchées du doigt de Dieu en
plein carnaval!
Peu de temps avant sa mort, Pie IX disait ces paroles
remarquable i :
« Je ne parle pas des punitions effrayantes dont Dieu a
frappé tantôt l'un, tantôt l'autre de ces sectaires impies,
morts dans la terreur et dans la désolation, abandonnés
au pouvoir des ténèbres infernales. Je me borne à un seul
des faits survenus ici, h Rome même. N'est-il pas vrai que
l'un des chefs de la révolution italienne, se trouvant près
de mourir, demandait un prêtre qui recueillît les derniers
soupirs de sa vie? Il le trouva; mais ce fut inutile, parce
que les émissaires de Satan firent, comme l'on dit, barri-
cade autour de son lit. Le ministre de Dieu ne put entrer.
On lui dit : « Quand il sera nécessaire, vous serez appelé. >
Et en attendant'? En attendant, le malade mourait, et plaise
à Dieu qu'il ait pu dire avec un vrai repentir dans son
cœur : Nunc reminiscor malorum quxfeci in Jérusalem! »
Nous composerions de nombreux volumes si nous
voulions citer tous les traits de la justice divine, à l'endroit
des révolutionnaires italiens; nous sommes obligé de nous
borner.
21*
^'^^^ LA RÉVOLUTION EN ITALIE
CHAPITRÉ IV.
LES DERNIERS JOURS DE VICTOR-EMMAKUEL.
Les traits de la vengeance divine, dont l'usurpateur
était témoin, entretenaient dans son âme les remords les
plus cuisants sans toutefois changer sa conduite. Il passait
son temps à la chasse, ou dans les débauches, loin du
Vatican et de Saint-Pierre, dont la vue le troublait pro-
fondement.
On lit dans un journal libéral :
« Victor-Emmanuel est encore à Rome; mais, malgré
les objurgations et les supplications de ses ministres. I
est décidé, paraît-il, à partir aussitôt après avoir reçu les
adresses des sénateurs et des députés à son discours du
trône. Le séjour de la Ville éternelle n'a pas l'avantage de
plaire au roi; il ne peut s'y faire ni s'y voir, et la Capitale
s'écriait à ce propos, il y a deux jours : « Nous ne savons
vraiment comment expliquer une telle hâte de partir I .
» Le secret de ce malaise que le roi semble éprouver
ici n'est pas, du reste, difficile h deviner : sa conscience
n'est pas tranquille, et, avec cette haute délicatesse qui
est comme de race et qu'il garde sous les rudes apparences
de sa grossière nature, il sent mieux que qui que ce soit
combien est fausse, pénible et périlleuse, même pour son
pouvoir monarchique, la situation que les événements lui
ont faite à Rome.
» Il y a peu de jours que, penché à l'une des fenêtres
DE 1848 A 1879. 491
du Quirinal, il s'épanchait tranquillement avec le comte
Castellanzo. « Tenez, lui dit-il tout-à-coup, en lui montrant
le Vatican, il y a là un prisonnier qui est un homme libre,
tandis qu'il n'y a ici qu'un homme libre qui est pri-
sonnier. »
s La sécurité à Rome continue à être très-compromise :
l'autre jour, on a volé tout un bureau de poste, et l'on ne
sait pas encore comment les voleurs ont pu faire pour s'y
introduire. La boite forcée a été jetée par-dessus les murs
d'un monastère, où on l'a retrouvée le matin. Dans les
rues, les prêtres sont quotidiennement insultés : les ma-
dones elles-mêmes ne sont plus respectées; on les casse
à coups de pierres, et la police regarde et laisse faire !
Qu'aurait dit l'Europe, je vous le demande, si ce que
nous voyons aujourd'hui à Rome s'y était passé il y a
dix ans? Quels arguments n'aurait-on pas trouvés dans un
tel état de choses pour établir l'impuissance et l'incapacité
du gouvernement pontifical? Mais ceci se passe sous le
gouvernement révolutionnaire de Victor-Emmanuel, et
l'on trouve que tout est pour le mieux : nous avons une
police impuissante ou complice des brigands, et pas une
voix ne proteste. Voilà cependant ce que sont la justice
des hommes et l'esprit de parti. > (Le Français.)
Victor-Emmanuel, usurpateur de Rome, semble triom-
pher aujourd'hui au Quirinal. Il parle de ses projets, il
fait montre de ses espéiwices, il cherche à se faire un
piédestal en face même du Vatican, tout éclairé de l'auréole
de Pie IX.
Mais le triomphateur d'aujourd'hui pourrait bien être
le condamné de demain. L'histoire l'a déjà jugé, et l'on
peut prévoir, sans être prophète, que la Providence se
montrera envers lui aussi sévère qu'elle l'a été pour ceux
qui, comme lui et avant lui, ont persécuté l'Eglise.
^^^ l'A RÉVOLUTION' EN ITALIE
Victor-Emmanuel a touché au Pape, et il est mort ... au
Quirinal, dans le palais des Papes.
Qu'un roi meure, il n'y a rien en cela que de très-
ordinaire. Si, comme l'a dit, il y a longtemps, un grand
monarque, Salomon, les rois n'ont pas une autre entrée
en ce monde que les gens du peuple, il est tout naturel de
croire qu'ils n'en sortent pas dans d'autres conditions.
Mais la parole du philosophe savoyard, terriblement
vérifiée dans la chute et la mort, sur un rocher de l'Océan,
du plus puissant souverain de ce siècle, dans la chute et
la mort en exil d'un neveu persécuteur de Pie IX, vient,
pour la troisième fois, retentir, comme une écrasante
prophétie, dans la mort de Victor-Emmanuel II, qui s'est
fait appeler Roi d'Italie.
Comme Caïphe, Victor-Emmanuel a été prophète à son
jour : . Nous sommes venus à Rome, et nous y resterons, .
a-t-il dit. Il est venu à Rome, et il y est resté. C'est le jour
de la fête des Rois - des bons Rois, - qu'il a été frappé
tout-à-coup d'une pneumonie, dont il est mort trois jours
après, le 9 janvier 1878.
Voici, d'après les journaux les mieux informés, quelques
détails sur la mort de l'usurpateur des Etats de l'Eglise.
Victor-Emmanuel avait une grande aversion pour le
palais apostolique du Quirinal, parce qu'une femme des
Calabres lui avait annoncé, bien avant l'annexion, et le
mot a été mille fois répété, qu'il mourrait subitement au
Quirinal, avec ses souliers, ce qui eut lieu. Le matin, il
avait voulu, malgré les médecins, se lever. On l'habilla,'on
le chaussa, on l'assit dans un fauteuil. Cette femme avait
prédit qu'il mourrait colle scarpe (avec les souliers); Anne-
Maria Taïgi avait dit colle pantufole (avec les pantoufles).
Souliers ou pantoufles, cela se ressemble.
Victur-Emiuauuel, prince sans mœurs, mais héritier de
Dr 1848 A 1879. 493
la foi de ses ancêtres, avait le pressentiment que le palais
des Papes portait malheur.
Lorsqu'il quitta Florence pour aller s'établir à Rome,
comme dans sa capitale, il laissa entrevoir à quelques in-
times une crainte que le remords lui inspirait. « Cette
première nuit que je vais passer au Quirinal, lui dit-il, me
fait éprouver une certaine appréhension. — - Prince, lui
répondit-on, votre crainte n'est sans doute qu'une puéri-
lité. — Je le sais bien ..., mais ce palais me portera mal-
heur. — Que craignez-vous donc? .... un assassinat?... —
Je n'ai jamais songé à cela; mais je vous assure que, si je
couchais cette nuit au Quirinal, je craindrais de ne plus
me réveiller demain matin, i
Victor-Emmanuel, après avoir assisté à toutes les fêtes,
se retira vers minuit dans les appartements qui lui étaient
destinés; mais quand tout fat rentré dans le calme, il
monta dans une voiture ordinaire et alla coucher au palais
du prince Doria, situé sur le Corso.
Mais un fait récent vient de donner un singulier lustre à
l'action de la Providence. Victor-Emmanuel se promettait
d'enterrer le Pape, et de l'enterrer sous peu. Le 29 ou
le 30 décembre dernier, il avait signé un décret prescri-
vant un deuil général pour la mort de Pie IX et des funé-
railles solennelles. L'amour de l'Eglise et du Pape n'en-
traient pour rien, on le pense bien, dans ce luxe de pompe
funèbre : il fallait jeter de la poudre aux yeux des popula-
tions, et montrer qu'on avait calomnié le gouvernement si
respectueux de Sa Majesté pour le Chef de l'Eglise. Les
livrées de deuil pour la cour étaient déjà prêtes ; les robes
et les chapeaux de la princesse Marguerite étaient aussi
tout prêts.
Livrées, robes et chapeaux ont servi pour enterrer
Victor-Emmanuel.
Le 2 janvier, à l'occasion des réceptions du jour de
^^'5' LA nÉVOLUTION EN ITALIE
l'an, Victor-Emmanuel avait dit aux délcgm^s du parle-
ment que l'on [se trouvait à cette heure dans de graves
conjectures, et qu'il était indispensable de se préparer aux
plus douloureuses éventualités.
Le 4, une dépêche de Florence annonçait à Victor-
Emmanuel que l'un de ses meilleurs généraux venait de
mourir. Le général La Marmora était en effet ?i peu près le
seul Italien, avec le général Menabrea, qui eût une répu-
tation militaire. La nouvelle de cette mort causa au roi
une douleur profonde, suivant les termes mêmes de sa
dépêche au maire de Florence.
Cependant le 6 janvier, fête des Rois, Victor-Emmanuel
donnait un grand dîner dans le palais apostolique du Qui-
rinal. A son morne silence, h ses yeux hagards, on devi-
nait l'inquiétude qui dévorait son âme. Comme autrefois
l'impie Balthazar, aurait-il aperçu sur les murailles de la
salle une main qui traçait sa condamnation ? Ce qu'il y a
de certain, c'est qu'il dater de ce jour, Victor-Emmanuel,
dans toute la force de l'âge et d'une constitution de fer,
se sentit frappé à mort. Il se proposait de repartir le len-
demain. Toutefois il fut retenu ce jour-h\ par une indispo-
sition qui parut d'abord peu grave; mais dans la nuit du
vendredi au samedi, Victor-Emmanuel, tourmenté par l'in-
somnie, trouva bon de se lever et d'ouvrir les fenêtres
pour respirer l'air libre, h moitié déshabillé. Cette grave
imprudence lui coûta la vie. C'est \h, en effet, suivant le
témoignage du correspondant du Temps lui-même, qu'il
prit et sa fièvre et sa fluxion de poitrine.
A la nouvelle de la maladie du roi, le Pape envoya
M«' Marinclli au Quirinal. Trois fois le prélat se présenta,
déclarant qu'il désirait voir le roi au nom du Saint-Père,
trois fois il fut éconduit, sous prétexte que le malade était
trop souffrant pour parler avec qui que ce fût.
Cependant la maladie faisait de terribles progrès. La
DE 4848 A 1879. 495
nuit qui précéda la mort fut très-agitée. Est-ce en ce mo-
ment que la grâce commençait son premier travail? Peut-
être, car on dit que, dans les moments de délire, le roi
avait voulu se lever, en s'écriant à plusieurs reprises :
« Je ne veux pas rester à Rome. »
Dès le matin, les médecins avaient donné l'alarme, en
annonçant que toute espérance était désormais superflue.
A onze heures, le docteur Bruno, médecin de Sa Majesté,
fut chargé de demander au roi s'il consentait h recevoir
les sacrements. « Je suis donc bien mal? » répondit le ma-
lade. Le médecin s'efforça de le rassurer, Victor-Emmanuel
comprit : « Eh bien ! qu'on me porte le saint viatique, je
suis prêt. »
Le chanoine Anzino, chapelain du roi, fut appelé. Vic-
tor-Emmanuel, après s'être confessé, fit, en présence des
quelques officiers de sa maison, appelés expressément pour
senùr de témoins, une déclaration publique par laquelle
il condamnait tous les actes de sa vie contraires à la
religion et à l'Eglise, et demandait pardon au Pape. Le
prêtre voulut écrire et faire signer la rétractation du mori-
bond : les ministres et les médecins avaient eu soin d'en-
lever papier, encre et plume de la chambre. Le chanoine
Anzino l'écrivit chez lui et l'envoya au Vatican. Elle est
entre les mains du Pape.
Il fallait se hâter; la respiration devenait plus gênée; la
mort approchait. Le chapelain se jeta dans une voiture et
alla, muni de l'autorisation ordinaire, prendre le saint
viatique dans l'église des Saints-Vincent-et-Anastase.
On raconte que, pendant les dernières heures de sa ma-
ladie, ce malheureux prince s'est écrié à plusieurs reprises:
Sortons d'ici, sortons d'ici. Il lui en coûtait de rendre le
dernier soupir dans ce palais apostolique dont il avait
profané la chapelle. Peut-être que, dans ce moment, le dé-
mon lui représentait vivement tout le mal qu'il avait fait
496 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
OU permis dans la Ville sainte : les biens de l'Eglise volés,
les monastères, asiles de la prière et de la charité, trans-
formés en casernes et en prisons; les épouses de Jésus-
Christ chassées et réduites à la dernière misère, un bon
nombre d'églises vénérables livrées îi des usages profanes,
les innocents tués dans le siège de Gaëte et d'Ancône ', etc.
D'une communication du Saint-Siège, nous détachons
les lignes suivantes :
« Le gouvernement aurait voulu, non-seulement les
pompes funèbres accordées à tout homme privé qui, sur
le point de mourir, s'est réconcilié avec l'Eglise, mais en-
* Dans notre siècle positiviste, il n'y a pas de langage plus
éloquent que celui des chiffres. C'est par ce langage que nous
voulons faire connaître à nos lecteurs les vols sacrilèges comniU
par l'Italie.
Voici, d'après VUnità cattolica, le compte-rendu OFFICIEL
des calices, ciboires, ostensoirs, ex-voto et ornements sacrés
enlevés par le gouvernement italien et vendus aux fripiers et
aux juifs jusqu'à la lin de 1871.
L'administration dite du Domaine (Domanlo), après avoir fait
les plus minutieuses recherches dans les sanctuaires, les cha-
pelles, les sacristies, s'était emparée des ornements sacrés et
des objets précieux, sans même oublier les chandeliers et les
bancs. D'après le compte-rendu de ladite administration, le
butin s'élevait à près de OiNZE millions (10,913,333 fr. 72). .Mais
les réclamations des catholiques furent si éclatantes que le
gouvernement se vit forcé d'eu restituer la plus grande partie,
savoir : 7,709,738 fr. G7 c.
Il restait donc trois millions. Et le gouvernement italien n'a
pas craint, pour cette somme relativement mesquine, d'exposer
sur les marchés publics les vases sacrés qui avaient contenu le
corps et le sang du divin Rédempteur 1 et de s'attirer ainsi la
malédiction de Dieu et dos peuples !1! Si nous ajoutons à cet
enlèvement de trois millions toutes les usurpations et expro-
priations de biens religieux, quelle autre qualilication pourrons-
nous donner au gouvernement italien que celle d'IMSIGNE
SPOLIATEUR?
DE 1848 A 1870. 497
core celles qui se trouvent dues h un roi catholique mort
dans ses Etats et dans son propre royaume. Tous les efforts
possibles furent tentés pour obtenir cela, mais en vain,
l'autorité ecclésiastique ayant tenu fermement à n'accorder
que ce qui pouvait être demandé par un pécheur quel-
conque mort pénitent, et à refuser tout le reste. Et c'est
pour cette raison que le défunt ne put être accompagné à
sa sépulture que du curé et du clergé de sa paroisse, com-
posé d'une dizaine de simples ecclésiastiques. Pas un pré-
lat, pas un évêque, ni aucun de ceux qui restent des
membres des ordres religieux supprimés par la Révolu-
tion, pas même les confréries, ne furent autorisés à prendre
part au convoi funèbre. Quoi qu'on se fût abaissé à plu-
sieurs reprises aux plus pressantes sollicitations, l'autorité
ecclésiastique ne permit pas davantage qu'une messe fût
célébrée au palais pontifical du Quirinal usurpé, et elle
refusa sans cesse le privilège royal, plus souvent encore
réclamé, de célébrer les funérailles dans une des trois ba-
siliques patriarcales de Rome. »
L'Eglisi.», invoquée dans les extrémités du temps et dans
les angoisses de lagonie, ouvre miséricordieusement les
bras à celui qui va comparaître en la présence du Juge
suprême, et elle lui aplanit, autant qu'il est possible, les
voies du salut éternel; mais, en même temps, elle veille
sévèrement à la pleine observance de ses très-saintes lois.
On peut dire que le roi Victor-Emmanuel II a emporté
avec lui les dernières traditions de la maison de Savoie.
Trois faits surtout achèvent de briser ces traditions. D'a-
bord le choix de la cité pontificale et de l'église du Pan-
théon pour lieu de sépulture du monarque défunt. La
presse sectaire a appuyé ce projet de tout son pouvoir.
Elle veut sans doute prouver par là qu'elle ne craint point
l'accomplissement littéral et complet de cette redoutable
498 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
jiarole : Nous sommes venus à Rome, et nous y resterons.
Au reste, le projet susdit a reçu de chaleureuses adht"'--
sions de la part des conseillers municipaux, ainsi que de
plusieurs députés et sénateurs, à tel point que le nouveau
roi a dîl réunir un conseil de famille pour trancher la ques-
tion et, de fait, il a été résolu que le nouveau roi serait en-
terré au Panthéon et qu'on lui élèverait, dans cette église,
un monument « digne de lui. > Ainsi Victor-Emmanuel ne
reposera pas auprès de ses ancêtres. Il restera dans cette
ville de Rome comme un témoin perpétuel de l'impuis-
sance des hommes contre l'œuvre de Dieu.
Ces coups de foudre ont une éloquence qui se fait com-
prendre de toute la terre; on s'arrête, on s'étonne, on re-
garde en haut. Pendant que le gouvernement italien était
aux aguets pour savoir et calculer ce qui restait de jouis
au Pape chargé d'ans et d'infirmités, il a tout-à-coup en-
tendu des bruits étranges, des bruits effrayants : « Le roi
est malade », et trois jours après : « Le roi est mort! » Ce
n'était pas un prince d'une frêle nature, ni dans un Ace
qui pût faire prévoir une fin prochaine ;Yictor-Emmanue!,
robuste parmi les robustes, marchait dans toute la puis-
sance de la vie. Il disparaît dans la mort. Que veut donc
dire ce funèbre défilé de tous les personnages, qui, depuis
vingt ans, ont joué un rôle dans le drame d'iniquité?
Victor-Emmanuel, qui a perdu l'Italie par son ambition,
n'a pas excité les moindres regrets. On écrivait le 31 jan-
vier 1878 h la Décentralisation :
« Un ami arrivant de l'Italie méridionale me raconte
qu'à Naples, Torre del Greco, Caslellamare et plusieurs
autres localités, à l'arrivée de la dépêche annonçant la
mort du roi, la plupart des habitants, qui étaient couchés,
se sont levés et ont soupe royalement pour fêter la buona
notizia. Tel est le deuil national si pompeusement annoncé
par les journaux italiens. »
DE 1848 A 1879. 499
Un célèbre publiciste a fait les réflexions suivantes sur
la mort foudroyante et imprévue de l'usurpateur de la Ville
sainte :
« Victor-Emmanuel a survécu cinq ans à Napoléon III;
mais toujours poussé par cette fatale logique de la Révo-
lution dont il s'était fait l'esclave, il n'a voulu ouvrir ni
ses yeux à la lumière, ni son cœur h la grâce ; il s'est en-
gagé plus avant dans la voie de l'injustice et de l'impiété.
Toujours plus coupable à mesure qu'il devenait plus puis-
sant, il avait conçu la pensée d'unir sa fortune à celle de
Bismark, et le jour de la fête des Rois, répondant à quelques
personnages qui le félicitaient, il avait dit : Ad ogni evento.
Ad ogni evento! Il faut nous tenir prêts à tout événement.
De quels événements s'agit-il? Ah! nous pensons à la
guerre européenne, aux futures annexions, peut-être à un
prochain conclave. Nous sommes là pleins de vie et de
force, fiers de nos conquêtes faciles, heureux de nos
alliances et pleins de confiance dans l'avenir. Nice, la
Savoie, la Corse, le Trentin, les cantons suisses et quelques
lambeaux de la Turquie, tout cela nous sourit. Il faut se
tenir prêts à tout événement ... Meditati sunt inaniat
C'est trois jours après ces pensées de conquête, d'al-
liance avec le Kidturl:ampf, de révolte contre le Seigneur
et contre son Christ que Dieu vous brise comme l'œuvre
fragile du potier, ne laissant même pas à l'auteur de tant
de convoitises un tombeau paisible dans sa capitale, car
cette terre de Rome dont il s'est emparé par la violence,
cette terre le repousse I Ad ogni evento ..., prêt à tout évène-
ijient ... : il n'avait pas prévu celui-là I
11 était jeune encore. Cinquante-huit ans, qu'esl-ce que
cela? Il nouait de tous côtés ses ficelles, il formait de tous
côtés ses desseins. Il était l'un des plus anciens rois de
l'Europe, et en même temps l'un ^es plus jeunes. Il se
croyait un grand crédit. Il faisait de grandes promesses.
500 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
On ne le gênait pas et il ne se gênait pas. Il serait l'héritier
du Pape, qui ne manquerait pas de mourir, comme tout
le monde l'annonçait. Oubliant Dieu, il lui était aisé aussi
d'oublier que le Pape ne meurt pas. -- Sois donc béni, fm
Cavour, qui as mis le Piémont en si beau chemin ! — Mais
tout-à-coup voici le moucheron qui dérangea le roi d'As-
syrie, voici la malaria, voici la mort. Non amplhis! Le
conquérant se reconnaît. Il demande pardon, il expire.
Victor-Emmanuel est non-avenu.
S'il y a une loi rrappante dans l'histoire et même dans
toute vie humaine, c'est celle du talion. Nous sommos
ordinairement punis par où nous avons péché, dit la
sagesse des nations; et saint Augustin est son interprète
lorsqu'il ajoute : Le coupable trouve dans sa faute son
propre châtiment. Le mot passion, qui indique un désordre
de l'âme, signifie également la souffrance, cet autre dés-
ordre qui l'accompagne toujours.
L'Ecriture sainte nous dit à son tour : Le pécheur
conçoit l'iniquité ei u enfante la douleur; il tombe dans
l'abîme qu'il a creusé lui-même. Oui, le mal moral engendre
le malheur analogue à la faute, et qui est à la fois son châti-
ment et souvent son remède, s'il est accepté comme il faut.
Voltaire, cet ennemi personnel de Jésus, écrivait fi un
ami : Dans vingt ans, le Christ aura beau jeu! Et en effet,
vingt ans après, jour par jour, l'impie expirait dans les
convulsions du désespoir, pouvant s'écrier, comme Julien
l'Apostat : Tu as vaincu, Galiiéen! Que fait le Fils du
charoenlier? disait un'our ironiquement l'empereur Julien
?i un chrétien au'il Dorsécutait. — Il fait un cercueil, ré-
pondit celui-ci, prédisant la chute prochaine du tyran.
Mais, que d exemples récents nous avons h citer! Nous
retirons nos troupes de Rome, où elles avaient la noble
mission de sauvegarder la liberté de l'Eglise, et en même
temps nous élevons une statue h Voltaire 1
DE 1848 A 1879. 501
CHAPITRE VI.
LES MÉCOMPTES DE l'itALIE UNIFIÉE.
Victor-Emmanuel frappé, au moment où il rêvait de
nouvelles spoliations, par Celui qui fait la loi aux rois, et
qui leur donne, quand il lui plaît, de terribles leçons, n'a
été regretté que par les juifs et les démagogues, dont il
favorisait les projets sacrilèges. Son ami, Garibaldi, a
versé un pleur et un blasphème en son honneur. Ce
prince célèbre par ses débauches a ruiné l'Italie, qui a
sacrifié des sommes énormes pour satisfaire ses caprices
et l'aider à entretenir ses courtisanes. D'après les journaux
les mieux informés, il a laissé 60 millions de dettes...
Voici entre mille quelques preuves de ce que nous
affirmons.
Sous ce titre : « La ruine de Rome décrite » par un
député italien, VUnità cattolica donne quelques extraits
bien instructifs du livre que vient d'éditer un ex-député,
l'avocat L. Dubino : Considérations sur les deux premières
années du gouvernement italien à Rome. Sans se l'être pro-
posé pour but, l'auteur de ce livre, un libéral, arrive à
prouver que Rome a été ruinée par le gouvernement
italien. « Des dix-huit fabriques de laine qui existaient
en 1870, dit-il, dix sont fermées et les huit autres ont
réduit leur personnel; sur 1,240 ouvriers qu'elles occu-
paient alors, il en reste à peine 120 aiyourd'hui... Bientôt,
nous aurons la douleur et la honte de voir complètement
îj02 la révolution en Italie
formées et détruites toutes les fabriques de Saint-Pierre
à Montorio, qui, alimentées par une force motrice de cent
cinquante cnevaux, fabriquaient des draps et des tapi<i
excellents. » (Page 2829)
L'Italie, dont le budget était le moins chargé de toutt
l'Europe, est aujourd'hui endettée pour dix milliards,
malgré les biens des églises, des monastères et des pauvres
pillés et gaspillés.
L'Italie une et régénérée peinle par les Italiens :
Quand un voyageur ou un publiciste catholiaue expose
le mauvais état des tinances italiennes ou décrit la misère
de la population, on l'accuse de parti pris; c'est, dit-on, la
mauvaise humeur qui s exhaie dans d'énormes exagéra-
tions, sinon de pures caiomnies.
Puisque les catholiques sont suspects, écoutons un de
leurs ennemis. Nous empruntons au Journal des économistes
un extrait, significatif au plus haut point, d'un discours
prononcé par le marquis Pepoli, sénateur dllalie, à la
reunion de la Société d'économie politique de Paris du
7 octobre 1878. Journal des économistes, Société d'économie
politique, marquis Pepoli 1 ces trois noms ne peuvent prêter
à aucun soupçon de partialité cléricale ou de papisme.
Voici l'extrait en question :
« Le système d'impôts de l'Italie lui crée une situation
exceptionnelle. La concurrence (contre la production
étrangère) est impossible avec les cnarges qui pèsent sur
le travail national. Une filature de coton qui, en France, paie
5,000 fr. d'impôt, en Italie en paie lo,000.
» Je crains qu'on ne se fasse pas une idée exacte de la
pénible situation des contribuables italiens. L'Italie, ;\
l'heure qu'il est, est le pays le plus libre du monde (??). Ses
hommes d'Etat ont tenu à honneur de démolir lédifice du
passé. Mais si l'Italie jouit d'une parfaite liberté politique,
il n'en est pas de même pour les libertés économiques.
DE 1848 A 1879. 803
» Tous les Etats de l'Europe depuis quelque temps
cherchent à abolir, ou pour le moins h. diminuer les impôts
qui grèvent les matières alimentaires de première nécessité.
Seul le gouvernement italien a remonté ce grand courant de
l'opinion publique. Il a demandé deux cent millions au pain,
au sel, à la viande. L'impôt du sel n'existe pas en Angleterre.
Il a été de même aboli en Belgique et en Portugal. Il
s'élève à 8 centimes par kilogr. en Russie, à 15 en Alle-
magne. En France il est de 10 centimes. En Italie l'impôt
du sel est monté graduellement à S5 centimes. Il rapporte à
l'Etat quatre-vingt millions et grève les habitants de 3 fr. 02
par tête. Le professeur Montegazza évalue à 7 kilogr. et
demi la quantité de sel nécessaire, indispensable h chaque
individu. Or, il y a des pays chez nous où la quantité con-
sommée du sel ne dépasse pas en moyenne 3 kilogr.
9 Je ne puis me dispenser de parler du droit de mouture,
de cet exilé maudit de toutes les nations civilisées, qui
vient de se réfugier dans le budget italien f
» Le droit qui grève le blé est de 2 fr, par hectolitre.
Il rapporte à TEtat 81 millions. Mais le gouvernement se
réserve aussi un droit sur les farines. En certaines villes
les droits réunis montent jusqu'à 20 pour cent. Dans les
campagnes surtout, il est intolérable pour les pauvres ou-
vriers. Dans l'Emilie, il a porté un coup fatal à l'agricul-
ture. Le résultat de ce système est que nulle part le pain n'est
aussi cher qu'en Italie. A Paris, le pain coûte 15 centimes par
kilogramme de moins qu'à Rome. Les viandes n'échappent
pas non plus au fisc en Italie.
» Le résultat de ce système est des plus pénibles. Il
détruit l'épargne, sans laquelle il n'y a pas de prospérité
possible. L'ouvrier ne peut pas épargner, parce que l'impôt
lui enlève une portion considérable de son salaire, qui no suffit
souvent pas à sa nourriture.
» Le nombre des malheureux attemts par la pellagre
S04 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
augmente de jour on jour. Les ouvriers de la province de
Ferrare ne meurent pas de faim violente, ce qui ne se
voit pas de nos jours, mais ils meurent de faim chronique.
Le professeur Lombroso évalue à 400,000 les ouvriers
atteints en Italie par la pellagre (maladie cutanée commune
en Italie chez les individus dont la constitution est affaiblie
par la misère).
» L'impôt sur les bâtiments dépasse toute mesure.
Dans la ville de Bologne par exemple, l'impôt atteint 41 pour
cent. Il ne faut pas oublier que l'impôt sur le revenu
dépasse 13 pour cent. Un employé travaille onze mois
pour sa famille, un mois pour le fisc. L'énormité de l'impôt
autorise et multiplie la fraude. Les gens riches échappent
à l'impôt; les pauvres ne le peuvent pas. »
Un autre Italien, le professeur Betocchi, aussi peu
papalin et clérical que le marquis Pepoli, a pris la parole
à son tour pour présenter, « comme Italien et surtout
comme Napolitain, » quelques observations sur les plaintes
amères que son compatriote venait d'expruuer au sujet
de la situation économique de l'Italie unifiée. Faisant
allusion aux lamentables embarras financiers de plusieurs
villes de la péninsule, il a dit que « ce n'est pas l'heure
de s'apitoyer sur le malheureux sort des ouvriers des
villes et des paysans et de réclamer la suppression des
impôts sur le sel et sur la mouture; ce serait plutôt l'heure
de payer les dettes des villes embarrassées en général et
de la ville de Naples en particulier. •
L'extrait suivant d'une correspondance de Rome en
date du 19 janvier 1879, adressée au Courrier de Bruxelles,
jettera un nouveau jour sur le déplorable élat où la Ré-
volution satanique a réduit la malheureuse Italie, autrefois
si prospère :
BE 1848 A 1879. SOo
Rome, 19 janvier 1879.
Voici quelques données statistiques sur le misérable
état oîi l'Italie se trouve réduite. Je les extrais au hasard
de l'Annuario storko, que vient de publier le député Mauro
Macchi :
De 1874 à 1878, 123,000 cultivateurs ont émigré d'Italie.
Rien qu'en 1876, il y a eu un total de 108,771 émigrauts
de toutes conditions. — Un journal médical ; Il BuUettino
del Manicomio, déclare que, sur 63 fous enfermés dans
l'hospice de Ferrare, durant le premier tiers de l'année 1878,
vingt-cinq étaient des cultivateurs devenus fous pour avoir
souffert la faim et l'avoir vu souffrir à leurs proches.
Il y a, chaque année, environ 130,000 nouveaux-nés
abandonnés sur la voie publique ou mis aux enfants
trouvés. Ces malheureux sont si bien soignés qu'en 1874,
dans la province de Lucques, sur 174 exposés, 137 mou-
rurent la première année et 29 la seconde. Plus de 9o pour
1001
En 1876, il y avait 184,loo ammoniti (individus soumis
à la surveillance de la police).
En 1877, les cours de cassation prononcèrent 2,428
sentences: les cours d'appel, 13,487; les tribunaux civils,
69,493; les tribunaux de commerce, 10,148.
En 1875, année modèle, on a gardé dans les prisons
83,339 individus.
De 1872 à 1876, il y a eu 34,060 morts violentes.
... En 1876, l'impôt sur la mouture des céréales a rap-
^rté 83,073,305 francs. Il est question maintenant de
supprimer cet impôt ... et de le remplacer par une taxe sur
les farines.
L'impôt sur la richesse mobilière prend le 13, 20 du
cent: l'impôt foncier est de 30 pour cent sur le revenu du
propriétaire. Aussi les petites propretés disparaissent.
Dans la seul ville de Florence, il y a présentement 711
22
ë08 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
maisons qui sont mises à l'encan par le fisc pour cause
d'impôt non payé. On connaît d'ailleurs les conditions de
la commune de Florence, qui doit îi elle seule la bagatcl!«
de 75 millions. Pour le reste de l'Italie, les dettes des
communes s'élèvent à 650 millions.
— Sous le titre les chiffres parlent, la Voce délia Verilà
public la statistique des hommes, des femmes, des enfants
pauvres pour lesquels il a fallu ouvrir des dortoirs publics
et gratuits oîi ils puissent s'abriter durant la nuit. Il résulte
de cette statistique que dans la seule ville de Rome et
pendant l'hiver de 1878, le nombre des individus reçus
dans ces dortoirs s'élève à 130,984.
Au milieu de cette misère générale, on voit briller les
traits de bienfaisance du Vicaire de Jésus-Christ, qui, bien
que spolié lui-même, partage avec les pauvres les otYrandes
qui lui arrivent du monde catholique. Dans la semaine
qui vient de s'écouler, il a fait parvenir une somme de
2,000 francs i\ l'hôpital du Bamhino Gcsù, où sont re-
cueillis les enfants malades, auxquels on enseigne en
même temps le catéchisme et que l'on prépare à la pre-
mière communion. Le Saint-Père a également envoyé un
subside de 500 francs aux religieuses de Saint-François de
Paul, qui ont leur couvent au quartier des Monli et qui se
trouvent réduites à la dernière misère. La saine éducation
de la jeunesse préoccupe vivement le Souverain-Pontife,
et je sais que, depuis le commencement de la nouvelle
année scolaire, il a dépensé de fortes sommes pour faire
ouvrir de bonnes écoles dans les quartiers de Rome qui
n'en avaient pas encore.
Dans sa réplique, le marquis de Pepoli a achevé de
peindre le gâchis des financtîs publiques et municipales de
'Italie. Nous no pouvons pas tout citer, mais voici encore
un Irait qui a bien son prix •
DE 1848 A 1879. 507
« On gaspille l'argent en fortifications inutiles, comme
celles de Rome, et en achetant des navires cuirassés d'une
utilité douteuse. Peut-être que les navires italiens, après
avoir coûté tant d'argent, ne serviront pas à la défense
du pays, parce que, en attendant, la science aura marché
et qu'il faudra mettre aux enchères, comme cela est déjà
arrivé, la flotte pour des sommes minimes. C'est très-beau
d'avoir la plus belle flotte cuirassée du monde, mais c'est
déplorable d'avoir le pain au prix le plus élevé du monde f >
Ces édifiantes citations se passent de commentaire.
Libre après cela aux Journaux libéraux de toute nuance
et de tout pays qui n'ont eu que des applaudissements
pour le banditisme politique auquel l'Italie doit son unité
factice, de continuer à chanter sur tous les tons les
splendeurs de l'ère nouvelle inaugurée dans la péninsule
par la Révolution ; en les renvoyant au marquis Pepoli et
au professeur Betocchi, nous pouvons nous borner à leur
répondre : Farceurs* !
— On écrivait de Rome à la Semaine de Rennes, le 14 dé-
cembre 1878 :
« La population de Rome, y compris la garnison,
était de 282,214 habitants le 31 décembre 1877, savoir :
» M. Edmond About, qui, dans son pamphlet de la Question
romaine, a tant insulté l'Eglise et la Papauté, signe les lignes
suivantes dans le Soir ; « Oui, le gouvernement du second em-
pire a commis une lourde faute en frayant à Viclor-Emmanuel
le chemin de Rome; oui, les publicistes français qui ont coo-
péré à ce funeste résultat ont eu la vue courte; ils ont été, sans
le voir et sans le vouloir, les ouvriers de l'unité germanique;
s'ils se jugent aussi sévèrement que nous nous jugeons nous-
mûme, ils feront leur mca cidpa. Quand il serait prouvé que
toutes les consciences catholiques sont résignées à la déposses-
sion du Pape en tant que roi, le patriotisme français devrait en-
core déplorer la chute de cette petite monarchie indépendante
et supérieure qui empêchait les Italiens de s'unir entre eux et
avec nos ennemis. »
508 lA RÉVOLUTION EN ITALIE
256,138 pour la ville proprement dite, 26,076 pour les
faubourgs et la banlieue.
» Ce chiffre augmente chaque année, bien que le nombre
des naissances soit inférieur à celui des morts ; mais de
nouvelles familles, arrivant de tous les points de l'Italie,
comblent les vides. Cette supériorité du chiffre des morts
sur celui des naissances s'explique tout naturellement,
si on réfléchit au grand nombre de célibataires, soldats,
employés, ouvriers étrangers, prêtres et religieux que
renferme Rome, et à ce fait que tous les malades de la
campagne viennent mourir dans les hôpitaux de la ville.
» Ce sont les quartiers pauvres qui donnent le plus de
naissances; il y a moins d'enfants dans les quartiers riches
du centre.
» Je transcris textuellement l'observation suivante d'un
journal ministériel; j'aime à recueillir ces aveux de leur
propre bouche :
« Contrairement à la règle admise par les économistes,
y à Piorae, accroissement de population ne signifie mal-
» heureusement pas accroissement du bien-être et de la
» richesse publique. On a pu voir, en effet, par ce que
» nous avons dit, d'après la statistique officielle, qu'à
» l'augmentation du nombre des habitants de la ville
" correspond une diminution déplorable du chiffre de
» la consommation des denrées alimentaires les plus
» nécessaires, vin, viande, etc. »
» Ainsi, la population augmente, et cette population,
plus nombreuse, boit moins de vin, mange moins do
viande, etc. C'est le règne non-seulement de la misère,
mais de la faim!
» La faim I inconnue autrefois en Italie, est au fond de
toutes ces agitations socialistes; c'est elle qui fait la force
des tribuns populaires, c'est sur elle que s'appuient leurs
journaux, et le gouvernement qui l'a créée se trouve
DE 1848 A 1879. 509
impuissant h la combattre, et l'horrible fléau s'étend et
grandit chaque année.
ï Avec la faim, les crimes. On a constaté, dans l'année
1877, 26 suicides, 18 homicides, 78 morts accidentelles.
Remarquons qu'il ne s'agit pas d'une statistique judiciaire
relevant tous les crimes et les délits, mais d'une simple
statistique municipale, qui se borne à enregistrer les
morts, avec leur cause. Le journal auquel j'emprunte ces
chiffres ajoute que le nombre des suicides augmente
ch.aque année dans une proportion malheureusement
sensible. Ce crime du désespoir et de l'incrédulité, le
dernier que l'homme puisse commettre, et le plus irré-
missible, était tout-à-fait inconnu à Rome avant ces révo-
lutions, et très-rare dans le reste de l'Italie. »
Nous trouvons dans la Semaine de Toulouse les lignes
suivantes, qui sont de nature à donner une idée de la rapa-
cité et de l'impudence du fisc de l'Italie régénérée :
« Dans son inépuisable charité, Pie IX acheta, en 1864,
pour plus de 200 mille francs de blé pour les pauvres de
Rome, et il fit faire ces achats par le sénateur de Rome,
M. le marquis Cavalleti. Or, aujourd'hui, le gouvernement
libéral italien, se prétendant le légitime successeur du
gouvernement pontifical, et considérant cette générosité
de Pie IX comme un prêt fait à la municipalité d'alors, en
rédame la restitution et a commencé par se payer de ses
propres mains, en retenant 180 mille francs qu'il devait à
divers titres à la commune de Rome. « En d'autres termes,
dit ï Osservatore romano, le gouvernement régénérateur
veut se faire payer par les pauvres de Rome le blé que
Pic IX leur a donné, par un acte de charité, pendant la
disette de 1867, » Tout commentaire sur celte énormité
est absolument inutile.
olO LA nÉVOLUTION EN ITALIE
CHAPITRE VIL
LES MAUVAIS JOURS d'hUMDERT ET DE MARGUERITE,
Des hommes sérieux ont écvli d'Italie dans les dernières
années de Victor-Emmanuel que ce malheureux prince,
dévoré de remords, car il n'avait pas pu, malgré tous ses
désordres, éteindre la foi dans son cœur, voulait renoncer
au trône; mais il rejetait cette pensée en disant : Cela
n'arrangerait rien. Humbert est plus mauvais que moi, et
plus mal disposé que moi à l'égard du Saint-Siège. Les
faits et gestes de ce prince ont démontré que son père le
connaissait bien ; il a été la première victime de son im-
piété; en effet, personne n'ignore aujourd'hui que l'en-
tourage de Victor-Emmanuel, pour éviter une rétractation
solennelle et par écrit, devant témoins, de son usurpation
sacrilège, ne laissa entrer le prêtre qu ;i la dernière heure '.
Le successeur de Victor-Emmanuel II, obéissant à ses
ministres républicains, adopte la signature de Humbert /"%
ce qui est bel et bien un renoncement à la tradition de
* On écrivait de Rome à la Décentralisation :
Tant que l'homme respirait encore, la révolution faisait la
garde à la porte de sa chambre et ne laissait pénétrer aucune
parole du Vatican. On éconduisait M*' Marineili trois fois de
suite; on suspendait l'envoi des dépêches au prince Araédée,
au prince de Carignan, à la princesse Clolildo, à la i-eine de
Portugal, qui auraient pu déterminer le roi à une rétractation
solennelle.
DE 1848 A 1879. oll
famille et à l'exemple de son ptire, exemple que, d'nn autre
côté, il dit vouloir suivre en tout *.
En voulant suivre son père en tout, il a par le fait en-
couru les mêmes excommunications qui le mettent eu
dehors de la communion des saints.
Au reste, avant d'envahir le trône de saint Pierre, Hum-
bert et sa digne femme, la princesse Marguerite, avaient,
dans maintes circonstances, fait parade de leur impiété,
Gitons-en une preuve entre mille :
Le 15 décembre au soir, un grand dîner était offert dans
le palais apostolique du Quirinal aux délégués du congrès
télégraphique international. Quelques journaux, entre
autres le Fanfulla, qui représente assez bien le Figaro du
temps de l'empire, moins l'esprit, nous a décrit avec com-
plaisance la toilette de la princesse Marguerite à ce festin
d'apparat. Il nous apprend qu'elle était vêtue d'une robe
♦ En prenant le titre d'Humbert I", il renie tous les anté-
cédents de sa maison. Ce même titre d'Humbert I®' fut porté
avec gloire par le fondateur de la dynastie de Savoie. Deux
autres princes ont aussi porté ce nom, de sorte que le fils de
Victor-Emmanuel devait s'appeler Humbert IV. En 1861,
lorsque Victor-Emmanuel lî prit le titre de roi d'Italie, on lui
demanda aveo insistance de s'appeler désormais Victor-Em-
manuel I'^^ Mais il tint bon et, par un sentiment inné de son
droit héréditaire, il voulut garder à tout prix le nom de Victor-
Emmanuel II. L'avènement subit d'Humbert I" nous met en
présence de l'inconnu; c'est en quelque sorte une nouvelle
dynastie que l'on veut inaugurer, et, en tous cas, il ne reste
rien des traditions de la maison de Savoie. Aussi les répu-
blicains lèvent-ils la tète pour afficher à leur tour de nouvelles
prétentions. A Rome, le journal la Capitale demande que l'on
fasse un plébiscite pour ratifier les droits qui ont été attribués
« précipitamment » au fils de Victor-Emmanuel. A Milan, un
autre organe républicain, la Ragione, à la première annonce
de la mort du roi, s'est écrié ; « Maintenant nous sommes
libres de tout engagement; nous p^juvous déployer notre
draneau. »
Si 2 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
de velours ronge et qu'elle portait sur sa tête une cou-
ronne hérissée de pointes ornées de brillants, reliées entre
elles par des coquilles aussi en brillants et soutenues par
un cercle d'or sur lequel on lisait ces paroles : Non gau-
deant tentantes contra Domxim Sabaudix injuste, qxiia Dent
pugnat pro ea.
Voici d'abord la traduction : « Qu'ils ne se réjouissent
pas ceux qui attaquent injustement la maison de Savoie ;
car Dieu combat pour elle. »
Quant à la sentence, je crois fort que l'héritier pré-
somptif n'en connaît pas l'auteur, pas plus que sa con-
jointe. Qu'ils l'apprennent donc aujourd'hui.
Elle est extraite de la Chronique de Juvénal d'Aquin,
précieusement conservée aux archives de Turin et publiée
pour la première fois en 1840, par ordre du roi Charles-
Albert.
Juvénal raconte que Louis le Maure avait tenté une en-
treprise coupable contre la duchesse de Savoie, femme
d'une grande faiblesse. Il voulait lui enlever ses Etats, et
la fortune n'avait pour lui que des sourires. Il espérait, au
moyen d'intelligences entretenues avec le marquis de
Saluées, s'annexer le Piémont et unifier ainsi sous son
sceptre toute la haute Italie. Mais il eut à se repentir de
sa tentative ; car Dieu le châtia en le faisant prendre et
conduire en captivité.
C'est après avoir raconté longuement les malheurs de
l'ambitieux et les larmes amères qu'il répandit sur ses
convoitises, ses usurpations, ses injustices, que l'historien
termine son récit par les paroles gravées sur le diadème
de la princesse Marguerite : Non gaiideant tentantes contra
Domum Sabaudix injuste, quia Deus pugnat pro ea, et quoi
hoc sit verum videbitur infra*.
* Monumenta historiw patriœ, édita jussu régis Caroli Alberti
— scriptorcm, loiae l", p. 709.
DE 1848 A 1879. 513
On a de la peine à comprendre comment une femme
baptisée osait porter sur sa tête orgueilleuse, au moment
où elle profanait, par des danses lascives, le palais aposto-
lique réservé aux conclaves, un diadème attestant que
Dieu protégeait la maison de Savoie; la maison de Savoie 1
qui a converti en écurie la chapelle de Saint-André, oîi re-
posent les restes des aïeux de cette famille qui a donné
plusieurs saints à l'Eglise*; la maison de Savoie! qui
tient captif le Vicaire de Jésus-Christ et qui a converti en
prisons et en casernes tant de monastères, asiles de la prière
et de la pénitence; la maison de Savoie! qui a remplacé
les écoles chrétiennes par des établissements païens d'où
le nom de Dieu est banni... »
La princesse Marguerite n'a pas craint de braver le ciel
et la terre en paraissant sur la loge de la Bénédiction
papale au Quirinal. Au-dessous de cette loge célèbre sont
placées les statues à demi-couchées de saint Pierre tenant
les clés symboliques et de saint Paul armé de l'épée; au
* Dans un couloir, à côté du maître-autel, on voit la tombe
de Charles-Emmanuel IV, roi de Sardaigne, qui abdiqua en
1802, se retira à Rome pour s'y abandonner aux exercices do
piété, embrassa la règle de saint Ignace en 1815 et mourut
dans l'Institut en 1819. Cette tombe nous rappelle la protesta-
tion adressée par le R. P. Becks, général de la Compagnie, à
Victor-Emmanuel, lors des premiers attentats à la propriété
dont le galant homme s'était rendu coupable après la conquête
de la Lombardie, en 1860. Dans sa protestation, le R. P. général
disait : « J'adresse cette protestation à la conscience de Votre
» Majesté. Je la dépose sur la tombe de Charles-Emmanuel IV,
» illustre prédécesseur de Votre Majesté, qui, il y a quarante-
» cinq ans, descendit volontairement du trône qu'occupe au-
)) jourd'hui Votre Majesté, pour venir mourir parmi nous, vêtu
» de l'habit, lié par les vœux de la Compagnie de Jésus, et
» professant dans notre noviciat de Rome, où reposent au-
» jourd'hui ses cendres bénite?, ce genre de vie que le gou-
» vernement de Votre Majesté b'âme et poursuit de ses haines
» calomnieuses et acharnées »
514 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
dessus, la Irùs-sainle Vierge, portant dans ses bras le divin
Enfant. C'est du haut de cette loge que le premier diacre
de la sainte Eglise romaine annonçait au peuple l'élection
du Souverain-Pontife, et jamais aucun jupon féminin ne
s'y était montré.
Quelle femme chrétienne dans Rome aurait osé profa-
ner ce lieu sanctifié par la tradition? Aucune, j'en suis
convaincu. Mais elle, Marguerite, ne craint pas : elle a le
courage de la Révolution qui domine tous les préjunés et
défie toutes les superstitions. Elle s'est montrée souvent à
la populace sectaire qui l'acclamait d'en bas : elle s'est
montrée tantôt à côté de son beau-père Victor-Emmanuel,
de galante mémoire, tantôt h côté de son mari Humbort,
hussard de Guillaume. Elle s'est montrée tenant son fils,
auquel elle a donné un nom qui fait bouillir le sang aux
Napolitains, fidèles îi leur maison de Bourbon. Elle
s'est montrée aussi avec le prince de Prusse, lequel, sou»
levant à son tour l'enfant dans ses bras, l'a présenté à la
même populace d'en bas. Ce jcur-lii, la reine de Portugal
était h Rome, et Marguerite lui dit : « Viens, viens h la
Loge. » Mais Maria-Pia, filleule de Pie IX, recula d'hor-
reur : «Jamais I jamais I C'est un sacrilège. »Et Marguerite,
souriante et sautillante, courut h la Loge de la Bénédic-
tion.
Dernièrement Humbert a donné audience à sept mi-
nistres protestants, au nombre de ceux qui, après l'inva-
sion de 1870, ont obtenu des nouveaux maîtres de Rome
l'autorisation bénévole d'y élever des temples à l'hérésie.
Ces soi-disant pasteurs sont allés offrir leurs hommages ù
leur accommodant souverain et le féliciter d'avoir échappé
à l'attentat de Naples. Naturellement, ils ont profité de
l'occasion pour faire au prince le récit de leurs succès (?)
dans la capitale ; et Humbert a témoigné d'un scandaleux
intérêt pour les progrès de l'Iiérésie à Home même. Non-seule-
DE 1848 A 1879. Bîo
ment, des sentiments de cette espèce sont indignes d'ui?
catholique; mais ils sont encore en contradiction formelle
avec l'esprit et la lettre du statut fondamental de la Consti-
tution italienne, qui, dans son premier article, déclare
la religion catholique religion de l'Etat.
Comme si, dans cette malheureuse Italie, il n'y avait
pas assez de divisions pour y introduire encore le protes-
tantisme, qui forme, comme on le sait, des sectes innom-
brables*. Au reste, ce n'est pas le premier témoignage
donné à l'hérésie de Luther. Quelque temps avant la mort
de Victor-Emmanuel on lisait dans les journaux :
Le prince Humbert et la princesse Marguerite sont par-
tis pour Berlin, où ils doivent tenir sur les fonts baptismaux
la fille du prince impérial de Prusse, née pendant la guerre.
Ici se présente une question fort grave, à savoir si des ca-
tholiques peuvent être parrain et marraine d'un luthérien,
et si cet acte ne constitue pas une coopération coupable à
un culte d'une fausse religion. Le couple royal aura sans
doute pris conseil auprès des vieux -catholiques et il s'est
mis en route d'un cœur léger. Pendant le trajet, l'héritier
présomptif aura bien fait de se souvenir d'un autre baptême,
qui eut lieu à Turin en 1847 et où le nouveau-né, sa sœur,
recevait le nom de Pia. Ce rapprochement ne saurait
manquer dé faire ressortir à ses yeux la délicatesse et la
dignité de sa conduite. Mais la politique !...
1 Une feuille religieuse d'Espagne, rapportant ce trait, le fai_
suivre d'un autre récit de ce genre:
Lors du passage d'Humbert et de sa femme dans la ville de
Bologne, un certain Josiié Cardwci, que ses compatriotes ap-
pellent le poète de Satan (parce qu'il a composé un pocmc en
l'honneur de Lucifer), demanda une audience. Elle lui fut ac-
cordée. Le prince lui dit : « Je fais cas de votre talent; » et la
princesse ajouta: «Monsieur, j'ai lu plusieurs de vos odes.
Cette manière de parler à un tel auteur n'est pas plus royale
que chrétienne. »
S^6 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
Ils sont bien loin de se rendre populaires en agissant
ainsi. Les révolutionnaires eux-mêmes méprisent ceux qui
sont à la merci de la Prusse.
La nuit du !•' janvier, le popolaccio, c'est-à-dire une
plèbe horrible, parcourait les rues de Rome en hurlant
des chansons républicaines et en criant : Vive Mazzini !
Vive Garibaldif Mort aux prêtres t Mort au Papef La
questure est intervenue et on a tiré quelques coups de feu.
Le roi a voulu se rendre, vers dix heures du soir, au
théâtre Apollon, pour une représentation de gala, mais il
fut sifflé durant le trajet et retourna en grande hâte au
Quirinal.
Sur les murs du Quirinal, on a trouvé, le 1" janvier,
une immense pancarte contenant ces vers :
Accidente al plebiscito!
A Margarita e suo marito I
E se viene anche il re,
Accidenti a tutti tre!
Evviva il Papa, nostro re!
Malheur au plébiscite !
A Marguerite et à son époux!
Et si le roi arrive,
Malheur à tous les trois !
"Vive le Pape, noire roi !
TeB<a(lTc d'assassinat du prince lliimbcrt.
On a fait souvent la remarque que l'arrivée de Victor.
Emmanuel h Rome était suivie de tempêtes et d'inon-
dations; il paraît que son fils est dans le même cas.
On écrivait dernièrement de Naples :
Ici, au palais royal, les ncros subalpins ont été pré-
cédés par une tempête dont les journaux vous ont porté
sans doute les détails. C'est h la hâte qu'il a fallu, tant
bien que mal, réparer les dégâts. Tous les carreaux ne
sont pas encore remis; on voit des décombres amassés
DE 1848 A 1879. 517
dans les cours, et les vases de la terrasse ne sont pas rem-
placés.
En venant coucher dans les lits des Bourbons, Humbert
et Marguerite y ont-ils trouvé le repos dont y jouit Ferdi-
nand après l'attentat d'Agésilas Milano ? Je l'ignore. Mais
on dit que le petit prince ,., de Naples a des convulsions.
Il va criant : « On veut tuer papa... Vous savez, on veut
tuer papa f »
Cette fois encore la vérité sortait de la bouche des en-
fants.
Un journal de Bologne, la Stella d'Italia, déclare tenir
de source autorisée qu'un complot existait dans la ville
peur assassiner le roi Humbert et la reine Marguerite à
leur passage dans la rue Galliera, et que c'est là le
motif des nombreuses arrestations opérées par la police
de Bologne.
Ce même journal ajoute que le ministre de l'intérieur a
entre les mains les rapports officiels contenant les détails
du complot et le nom des tavernes où se réunissaient les
conspirateurs.
^ L'Internationale, en relation avec tous les révoltés de
l'Europe, manifeste sa puissance; elle s'appuie sur la
misère effroyable et sur l'immoralité plus effroyable encore
que le régime subalpin a apportées à la Péninsule; elle a
des fonds provenant de divers côtés, et notamment du vol
de 2 millions 100,000 francs commis, il y a quelques jours,
au préjudice de la Banque nationale.
L'Internationale se persuade sans doute qu'il est naturel
que des billets à l'effigie de la maison subalpine servent
à l'accomplissement de ses desseins criminels.
L'attentat à la vie d'Humbert lui était annoncé d'avance,
soit en Italie, soit en Angleterre et en Suisse.
On télégraphiait de Naples :
Il est certain que l'Internationale's'agite à Naples.
818 LA RÉVOLUTION EN ITALIE
Le dimanche 10 novembre, soit huit jours avant l'arrivée
du roi, une réunion d'internationalistes a eu lieu dans le
Circolo Nazionnle, Environ mille personnes appartenant ù
la classe ouvrière y assistaient.
Le môme soir un manifeste incendiaire signé : Les
enfants de Mazanicllo, était lancé dans la circulation et
affiché sur les murs de la ville.
Il se confirme que le roi avait été averti de l'attentat
projeté.
Un des membres du corps diplomatique, à Rome, aurait
aussi reçu avis des attentats qu'on devait diriger tant
contre le roi Alphonse d'Espagne que contre Humbert I".
On écrit de Rome :
On a trouvé la preuve que plusieurs individus demeurant
à l'étranger avaient été prévenus par lettres que le jour
où le roi d'Italie entrerait à Naplcs on tenterait de l'assas-
siner, pour proclamer immédiatement la république ita-
lienne, avec Garibaldi pour chef du gouvernement. Il
demeure acquis que Garibaldi fait partie de l'Internatio-
nale.
L'événement a justifié ce pressentiment. Humbert tra-
versait une rue de Naples dans un carrosse découvert en
compagnie de Marguerite et du ministre Cairoli, l'intime
ami de Garibaldi, qui ne cesse de prêcher l'extermination
de tous les souverains, lorsque tout-à-coup un homme îi
mauvaise mine, tenant d'une main une supplique et de
l'autre un poignard italien, caché par un drapeau rouge,
se précipite sur le roi pour l'assassiner. Le premier coup
de poignard, portant h faux, ne fit qu'une blessure légère;
et comme le séide revenait h la charge la princesse Mar-
guerite se tournant vers Cairoli lui cria : « Défendez donc
le roi. » C'est alors qu'il reçut une blessure qui l'oliligoa
h garder le lit pendant plusieurs jours. Passanante étant
arrêté, ses douze compagnons s'échappèrent au plus vite.
DE 1848 A 1879. 519
Ce malheureux faisait partie des sociétés secrètes et appar-
tenait h la secte des socialistes les plus avancés.
Voici l'interrogatoire qu'il a subi. On verra quel degré
de cynisme se puise dans ces affiliations sataniques, où
disparaissent tous les sentiments de pudeur :
D. Pourquoi as-tu voulu tuer le roi?
R. Tant d'apparat, tant de fêtes m'agaçaient. Je me suis
dit : Comment, il mangera, lui, dix plats et moi un seul I
C'est pour cela que j'ai voulu le tuer.
D. Quelles sont tes opinions?
R. Je suis républicain socialiste. Ma profession de foi
était écrite sur le drap rouge : « Vive la République uni-
verselle t » Je demande qu'on insère au proçès-verbal que
j'avais aussi écrit : « Vive Orsini ! »
D. Avais-tu réellement l'intention de tuer le roi ou
seulement de le blesser ?
R. Je voulais l'achever. Si j'avais eu de l'argent, j'aurais
acheté un revolver, et le coup n'aurait pas manqué.
D. Malheureux! ton crime ne te fait-il pas horreur?
R. r^on; je suis ennemi des empereurs et des rois à cause
de leur luxe. J'ai compris par tout ce que j'ai lu que les
rois dépensent trop d'argent.
D. Toi qui te dis républicain et qui dois par conséquent
vénérer les grandes figures des patriotes, pourquoi as-tu
eu la hardiesse de frapper également Cairoli I
R, Peuh! c'est un laquais, lui aussi.
L'effervescence continue dans la Péninsule, et la réaction
que veut tenter la politique d'Humbert paraît devoir être
impuissante pour arrêter le torrent révolutionnaire. Par^
tout se manifestent des projets subversifs, des complots
criminels.
Le roi n'a plus qu'une autorité fictive sans aucune
puissance morale. Hélas! le malheureux! il expie la
g20 I^ RÉVOLUTIOX EN ITALIE
conséquence des doctrines consacrées par la politique de
son père et par lui-même.
Passanante est une figure de la Révolution, et ce serait
commeltre la plus vile et la plus odieuse trahison que do
méconnaître sa grandeur (??). Les journaux en parlent de
façon à le rendre intéressant. On oublie le marmiton en
voyant le régicide, ferme, convaincu, plein de courage et
de cynisme. La magistrature joue son petit rôle. Contre
toute décence, elle communique les détails propres à
séduire le populaire; elle fait publier les interrogatoires.
M. Zanardelli, que la Chambre et le Sénat ont accueilli
avec un froid glacial, est obligé de se retirer. D'après son
discours-programme d'Isco, il avait juré de ne jamais
prévenir, mais simplement de réprimer les délits, et le voilà
prévenait, prévenant de façon à ne savoir plus où fourrer
les gens qu'il fait arrêter chaque nuit.
La presse révolutionnaire blâme cette conduite; elle
veut la liberté pour tous : la liberté est le premier dos
biens, et les assassins ont le droit d'en jouir tant qu'ils
n'ont pas tué qui les embarrasse.
D'ailleurs, si tuer le roi est un acte répréhcnsible,
parce qu'après tout le roi est un homme (on en convient),
tuer la liberté est un crime abominable. Le roi peut
disparaître, il n'y a pas grand mal; mais la liberté doit
rester. Puis, si le roi ne veut pas être tué, qu'il s'en aille ;
c'est le meilleur parti qu'il ait h prendre.
Telle est la morale politique qui ressort des journaux.
Il n'y a à cela rien d'étonnant, puisqu'on fait en Italio
une pension aux parents de l'assassin du roi de Naples
Agésilao, dont le nom a été trouvé, sans doute comme un
modèle à imiter, dans le portefeuille de Passanante.
Le jour môme de l'attentat commis à Naples, la reine
Marguerite a vu le danger de la situation et elle a dit
DE 1848 A 1879. 521
au ministre Zanardelli : . C'en est fait du prestige de la
maison de Savoie. » Or, pour une monarchie consti-
tutionnelle, le prestige c'est tout, et lorsqu'il est perdu,
la monarchie elle-même en demeure ébranlée. Le roi
Humbert n'est pas moms alarmé que son épouse. Il a pris
un air taciturne et concentré oui révèle assez les tristes
préoccupations de son esprit. Et pour combler la mesure,
je dois dire que la santé au roi, déjà bien débile, est
sérieusement compromise par les émotions des jours
derniers. Une personne qui l'a vu de très-près et qui
fréquente même le Quirinal m'affirme que, « si le roi
Humbert n'est pas précisément poitrinaire, il lui faut
pourtant garder d'extrêmes ménagements pour échapper
à la crise qui le menace. » Enfin le prince Amédée est
comme frappé d'une fixité mentale qui le porte à rire et
à pleurer avec excès, à tout moment, sans aucun motif,
ou plutôt par un ensemble de motifs qui, depuis deux
ans, ont ébranlé toutes les fibres de son cœur d'époux,
de fils et de frère. Telle est la situation au Quirinal.
On écrit de Rome :
Denys le tyran est représenté par la révolution. Celle-ci
a fait asseoir au festin les rois, nouveaux Damoclès, et
elle a suspendu au-dessus de leur tête une épée nue
attachée à la voûte par un crin de cheval.
De tous ces rois, le plus menacé sans contredit est celui
qui a hérité à Rome de la * gloire incomparable » de son
père, dont on a célébré aujourd'hui même l'anniversaire
funèbre au Panthéon.
Humbert reçoit tous les jours des lettres de la secte,
qui le somment de se retirer s'il ne veut point périr, lui
et les siens. Conçues dans le style le plus brutal, ces
lettres portent la terreur au Quirinal. Le roi et la reine se
croient au milieu de conjurés; ils soupçonnent un Passa-
522 LA RÉVOLUTION EN ITALIE IB 1848 A 1878.
liante dans tout homme qui s'avance vers eux. Samedi,
comme le roi passait dans le Corso, un douanier, qui se
tenait sur le trottoir du palais Ruspoli, s'avança vivement
vers la voiture en criant, une supplique h la main.
Le roi se leva debout, plaça son bras de façon à dé-
fendre sa poitrine, comme à Naples, et cria au cocher ;
« Vite t vitet » Et les chevaux l'emportèrent au galop.
Le douanier désespéré, se jeta sur le pavé, cherchant
à se faire écraser par une autre voiture qui suivait. Le
cocher arrêta à temps, et l'on releva l'homme tout meurtri
et on le conduisit à l'hôpital voisin.
Toutes les routes que parcourent les princes sont soi-
gneusement battues par la police et peuplées d'agents et
de soldats sans uniforme. La reine est escortée de pelotons.
Possesseur illégitime des droits et des propriétés des
souverains que son père a dépossédés, Humbcrt, qui a
noblement assumé le devoir de payer les dettes énormes
de la couronne, Humbert est relativement pauvre, et sa
famille n'a pas les ressources que l'on suppose*. On assure
même que la princesse Clotilde, vivant près de Turin et à
peu près ruinée, reçoit une pension du roi Humbcrt et met
ses enfants au collège. (Univers du 22 janvier 1879.)
* Victor-Emmanuel empruntait à tout le monde. Lorsque le
khédive d'Egypte passa par Florence, de retour de son voj'agc
à Paris, où il contracta sa dorniôrc opération, il eut l'impru-
dence de raconter la chose au roi d'Italie, qui, à brûle-pourpoint,
se fit prêter deux millions. Je ne parle pas des pensions aux
prétendues veuves et aux prétendus orphelins : la liste en est
longue... {Paris-Journal.)
LIVRE GINQUIÈ^IE.
Louis-Napoléon & les malheurs de la France
cl© 1870 à. i879.
CHAPITRE PREMIER.
LA QUESTION ROMAINE
Déjà SOUS Grégoire XVI Louis-Napoléon se distinguait
parmi les carbonari qui conspiraient contre l'Eglise.
Dès que la révolution de février l'eut porté au pouvoir, il
laissa entrevoir de nouveau ses aspirations de sectaire.
Les hommes clairvoyants purent, dès les premiers jours
de l'empire, voir ses aspirations antifrançaises.
A dater de la guerre d'Italie, la tendance révolutionnaire
prévalut dans la politique extérieure comme dans le
gouvernement du pays. La guerre italienne affirmait le
fatal principe des nationalités ; elle conduisait par l'unité
des Italiens à l'unité des Allemands ; elle tendait à créer
sur nos frontières deux grandes puissances révolution-
naires et offensives, dont la coalition pouvait détruire la
France *.
* M. le comte de Kercado, de Bordeaux, avait chargé un
ecclésiastique de cette même ville, faisant son pèlerinage à
524 LOUIS-NAPOLÉON
— A partir de 18G0, il est entré dans une voie que depuis,
malgré quelques heureux écarts, il n'a plus abandonnée.
Dans ce chemin l'on rencontre, d'une part, la trahison
italienne absoute sinon protégée, le droit insurrectionnel
des peuples proclamé et soutenu, le principe révolution-
naire de non-intervention tour-à-tour invoqué et méconnu,
selon les convenances de la révolution, et enfin le Pape
captif aux mains d'un geôlier que Napoléon avait mis en
ce grade; de l'autre, la presse révolutionnaire favorisée
et se ruant à l'attaque de l'Eglise dont on bâillonnait les
défenseurs, les Conférences de Saint-Vincent de Paul
dissoutes; la franc-maçonnerie entrant solennellement dans
les Conseils de l'Etat, les députés catholiques persécutés
et honnis, l'immoralité des jeux publics et des théâtres
prenant son essor; enfin la France, énervée par ces
multiples instruments de mort, jetée pantelante en proie
au vainqueur, qui l'arrachait sans peine des mains débiles
qui ne la pouvaient défendre.
On espérait par ces désordres et la corruption générale
des mœurs oblitérer à tel point la conscience chrétienne,
que les plus grands forfaits passeraient inaperçus. C'est
ainsi que l'on imagina le massacre de l'élite de la jeunesse
française à Castelfidardo. Voici, sur cet horrible guet-à-
pens, des renseignements authentiques donnés par un
historien sérieux :
Rome, de demander au Saint-Père une bénédiction spéciale
pour sa famille, et de lui ollVir une pièce d'or de 100 fr. en-
fermée dans un érrin. Le l'ape a cru d'abord que c'était une
médaille à bénir; mais apercevant l'effigie de Napoléon III,
il a dit tristement :
« Dieu le veuille avoir en sa miséricorde.
» Le pauvre homme! il a voulu faire de la politique de bas-
cule : cela ne réussit jamais et l'on finit par tomber du mauvais
côié. »
ET LES MALHEURS DE LA FRANCE. 525
€ Cialdini et Farini arrivèrent à Chambéry le soir. L'em-
pereur présidait à un grand dîner à la préfecture. Il
paraissait très-préoccupé et ne toucha pour ainsi dire à
aucun des mets qui furent servis. Il était naturellement
sobre et souvent, lorsqu'il mangeait chez autrui, il poussait
la précaution jusqu'à dîner à part, une demi-heure aupa-
ravant, avec ce que lui préparait son cuisinier particulier.
Sitôt qu'on lui eut annoncé la présence des envoyés pié-
montais, il se leva de table, où il ne reparut plus, et
passa le reste de la soirée en conférence avec eux. Durant
cette conférence, une carte muette de l'Italie centrale fut
déployée sur une table. L'empereur, tout en discutant, y
traça, effaça et modifia une suite de traits au crayon. La
carte fut ensuite abandonnée sur la table, car elle ne
portait aucun nom, aucune indication écrite; mais le
marquis Costa de Beauregard, alors l'homme politique le
plus important de la Savoie, la recueillit. Quelle ne fut
pas sa surprise lorsqu'on l'examinant quelques jours plus
tard, à Rome, avec le cardinal Barnabo, il reconnut dans
C3UX des traits au crayon qui n'étaient pas effacés, h
marche exacte suivie par Cialdini et Fanti dans leur inva-
sion de l'Etat pontifical I
' Nous tenons ces détails d'un homme très-honorable et
tiès-sûr, écrivain et savant éminent (M. le chevalier Jules
Baux), auquel le marquis Costa de Beauregard les a
racontés plusieurs fois. > (Pie IX et son siècle,)
526 LODIS-NAPOLÉON
CHAPITRE II.
LES B£PII£SÀILLES D£ LÀ lOSTICB DIVINEk
€ On a souvent remarqué, dit l'Univers, la correspon-
dance de nos désastres et des avantages que notre poli-
tique, tant sous l'empire que sous la république, a faits
aux Italiens dans la question romaine.
» Rome souffre par la faute de la France concentrée à
Paris, et Paris et la France paient eu or, en funérailles,
en atïront les souffrances de Rome. Tous les pas que la
conspiration italienne fait contre Rome et dans Rome sont
aussitôt marqués chez nous par une défaite. A mesure que
l'Italie s'installe dans la ville du Christ, la Prusse serre
davantage Paris et accable de revers plus lourds et plus
décisifs les vains efforts qui sont tentés pour le secourir ;
et enfin, lorsque le roi excommunié entre dans Rome,
l'empereur protestant reçoit les ciels de Paris '. »
* On lit dans VUniiers du l^' mars (édilîon de Bordeaux) :
« Les 84,900 hommes de l'armée de Bourbaki, qui viennent
de se réfugier en Suisse, élèvent le chiffre des prisonniers
français et fugitifs internés dans les Etats voisins à plus d'un
million. D'après la Gazette de l'Allemagne du IÇoi'd, 930,000
hommes sont prisonniers de guerre, en y comprenant la gar-
Tlison de Paris. Prés de 20,900 se sont enfuis en Belgique après
ies batailles de Metz et de Sedan, et plus de 80,000 viennent de
passer la frontière suisse. Ce total énorme de 1 ,034,000, observe
la Gazette, est sans précédents dans l'histoire. »
Voilà comment le Seigneur a pimi la captivité de Pie IX, ti-alii
par l'Empire.
ET LES MALHEURS DE LA FHA:>CE 527
La justice de iîica à Sedan.
Nous empruntons le récit de ce drame à l'ouvrage déjà
cité : le Dernier des Napoléon. Nous tenons toutefois à faire
une réserve; l'auteur, qui est, dit-on, un Allemand, se
montre trop sévère dans le jugement définitif des race?
latines, parce qu'il fait abstraction du rôle que la Provi-
dence leur a assigné. D'ailleurs, les autres nations ne sont
pas dans des conditions meilleures; jusqu'à ce jour rien
ne prouve qu'elles sont destinées à remplacer la France
auprès du Saint-Siège. Voici maintenant les belles pages
de ce livre sur Sedan, justement admirées :
L'arrêt de mort était scellé par la Providence : tous les
efforts humains n'en retarderont plus le dénouement.
C'est ainsi qu'empereur et armée s'acheminèrent len-
tement vers les fourches caudines.
C'eit à Courcelles que Napokou III, décidément acculé
de tout côté au précipice, prit sa résolution dernière et se
prépara à l'acte suprême de son règne.
L'empereur croyait à la prédestination et parlait souvent
de son étoile. L'étoile incline au couchant, au bord de
l'horizon liviiie et sanglaut de Waterloo. Allons, il faut se
courber sous la destinée. Il n'y a d'ailleurs plus d'autre
issue que cette porte surbaissée de la honte suprême. Il ne
peut plus se réfugier nulle part; l'impératrice lui a fermé
le retour à Paris ; le soldat qui se traîne derrière lui mur-
mure à son oreille des imprécations; la France lui apparaît
partout hostile, farouche; l'univers lui est inhospitalier,
le ciel inexorable.
Il faut jouer le dernier acte du drame des Napoléon :
Après l'invasion une dernière hécatombe humaine, et enfin
l'exil. C'est la tradition! Et lui, qui s'évertue depuis ses
jeunes auaées à ressusciter la légende impériale, comment
828 LOUIS-NAPOLÉON
échapperait-il à la main d'airain qui l'achemine vers le
dénouement fatidique? N'avait-il pas blâmé dans le pre-
mier Bonaparte cette soif intempérante de guerroyer, et
inauguré, quant à lui, l'empire de la paix? Or, la fatalité
n'avait-elle pas cahoté cet empire de la paix d'une guerre
à une autre, jusqu'à cette campagne insensée? Le premier
monument qu'il a élevé, n'est-ce pas ce groupe du ma-
réchal Moncéy luttant contre l'invasion des Prussiens qui
envahissent Paris ? Allons, c'était écrit.
Il faut finir comme les Napoléon finissent, comme finit
Bonaparte I", le modèle de la race, à la distance bien en-
tendu qui sépare Prométhée, foudroyé sur son roc de
Sainte-Hélène, de Romulus Augustule, promené piteuse-
ment dans les rues de Ravenne au milieu des huées des
barbares.
Il n'y avait donc plus qu'à se laisser mener jusqu'au
lieu du dénouement. C'est ainsi que Napoléon III se traînait
péniblement dans les rangs débandés de cette armée
bizarre, le chaos allant à l'aventure. Il avait écarté son
fils, pour que le pauvre enfant échappât autant que pos-
sible aux périls et aux responsabilités de la chute. Lui, il
allait, comme le condamné qui n'a plus le souci de la
route, attendre qu'elle aboutît inexorablement à l'endroit
fatal. Plus une lueur d'espoir, plus une éclaircie dans ce
ciel d'orage. N'avait-il pas, avec tout le conseil de Reims,
reconnu et déclaré que dégager Bazaine était impossible,
que lutter contre les armées du prince royal et du prince
de Saxe, qui encerclaient rapidement d'heure en heure
celte cohue de soldats battus d'avance, était impossible.
Impossible de reculer, impossible de vaincre !
Il restait peut-être bien le parti des grandes âmes, qui,
aux heures suprêmes, se relèvent d'un bond de géant, ra-
chètent leur défaillance par un de ces coups d'audace qui
étonnent le moud<i et frappent jusqu'à leurs ennemis de
El LES MALHEURS DE LA FRANCE. b29
respect et d'adiiiration. Et si la fortune adverse leur barre
toutes les issues, ils franchissent le cercle de fer par la
résolution des héros. Ils s'ensevelissent dans les Dlis du
drapeau et échappent à la honte dans l'apothéose des
morts immortelles.
Ces vamcus-là rendent sacrées les causes pour lesquelles
ils tombent, et leur ouvrent dans l'avenir la perspective de
ia résurrection.
Mais personne, assurément, n'attend rien de semblable
de Mapoléon III. Non pas que l'empereur fût lâche physi-
quement : il avait montré partout et surtout à Sedan un
courage froid, décidé, de l'indifférence en face du péril;
mais chez lui la torpeur, l'affaiblissement, le fatalisme,
c'est-à-dire la lâcheté morale, était profonde, absolue.
Tout-à-coup deux mille bouches à feu entonnèrent
l'hymne de la mort. On arrivait à Sedan.
C'était là I
C'était le lieu du châtiment. L'exécuteur des hautes
œuvres du grand justicier des peuples et des rois y atten-
dait le condamné.
Quoique l'empereur eût prévu et calculé le résultat,
l'apparition du dénouement l. dû être terrible! Comme elle
a dû secouer brutalement le rêveur obstiné I Sa carrière
finissant plus mal que ses ennemis mortels n'eussent pu
le souhaiter; toutes les fautes de sa vie reparaissant tour-
à-tour et lui jetant l'anathème; autour de lui Sedan en-
combré de blessés, de mourants, le sang et les malédic-
tions ruisselant dans les rues, une population affolée sous
l'éclat incessant des bombes, tandis qu'au dehors, sur cet
immense périmètre du champ de bataille, 40,000 hommes
râlaient l'agonie, tandis que la Meuse, obstruée de ca-
davres et toute rouge de sang, déborde, tandis qu'à l'ho-
rizon en flammes les Bavarois brûlent vifs dans Bazeilles,
malgré les cris et les supplications,, toute une populatioi)
23
530 LOUIS-NAPOLÉON
de blessés, de vieillards, de femmes, d'enfants, ceux qui
veulent s'échapper, rejetés dans les flammes par la mi-
traille et la baïonnette des barbares : l'enfer évoqué sur
terre f En même temps que, du côté de Vandresse et de
Chemery, l'armée prussienne triomphante éclatait en
hourras frénétiques et improvisait une illumination co-
lossale au passage du roi Guillaume t. ..
Puis au loin, aerrière un ciel en feu, son fils en fuite;
Paris soulevé comme un volcan; l'impératrice aux mains
de l'émeute, l'empire croulant au milieu des huées et des
blasphèmes; la France entière debout et jetant une su-
prême malédiction h ce nom néfaste des Napoléon!...
Quelle vision!
Tout est dit!..., et l'empereur, de son autorité et de son
propre mouvement, fait hisser le drapeau blanc sur la
citadelle par l'un de ses cent-gardes.
L'empire avait vécu.
Le 2 septembre 1870, dans une serre attenant au chdteau
de Bellevue, h Frenois, le dernier des Napoléon rendit
son épée inoffensive et vierge à l'homme casqué qui vit,
il y a soixante ans, dans les caveaux de Berlin, le premier
des Bonaparte prendre sur le cercueil i'épée de Frédéric
le Grand, après avoir fait du royaume des Hohenzollern
une chétive dépendance du formidable empire français.
C'est ainsi que Louis-Napoléon Bonaparte couronna l'é-
difice du second empire. Tout est perdu ... et l'honneur!
0 plaines de Sedan, vous n'êtes pas que le tombeau
d'une dynastie éphémère; les ossements blanchis qui
sèment vos ravines ne raconteront pas seulement aux gé-
néralions futures que Ib. se joua le drame d'une des grandes
boucheries humaines... L'histoire tracera sur ce champ
sinistre une autre épitaphe :
« Ici tomba la France, et derrière elle l'influence des
I races latines dans le monde »
ET LES MALHEURS DE LA FRANCE. 631
Le télégramme qui portera à Paris la nouvelle du
désastre de Sedan y portera la condamnation à mort de
l'empire. Cet édifice, qu'on croyait si puissant, s'effondrera
au premier souffle, comme tout ce qui est bâti sur la force
et l'usurpation. Il s'évanouira dans l'émotion publique
comme un mauvais rêve, et glissera dans la fosse sans
qu'il soit besoin d'un effort pour l'y précipiter.
Cette majorité du parlement français si docile aux vo-
lontés de l'empire, si complaisante pour les mensonges et
les folies de ministres imbéciles, ne trouvera pas un élan
d'énergie pour maintenir l'édifice impérial contre quelques
émeutiers débraillés, ou au moins pour faire respecter le
mandat et les droits de la nation.
Quant à cette opposition avariée, sans cœur ni entrailles
pour l'honneur, pour la patrie en danger, elle va se ruer
sur le pouvoir avec cette voracité des eunuques qui, ne
pouvant le conquérir par la valeur et le mérite, le volent
pendant le déménagement. Ils savent, les misérables, qu'ils
sont en face de l'invasion la plus formidable qui ait me-
nacé le sol français; ils savent que l'apparition du spectre
de la république, cet épouvantail des mauvais jours, va
désagréger le faisceau des efforts et des volontés, énerver
la défense, détourner d'elle ou paralyser toutes les sym-
pathies de l'Europe.,. N'importe, périsse la France, mais
que leurs basses ambitions s'assouvissent.
Ce pouvoir, qu'ils vont ravaler au niveau de leur furpi-
tude et de leur abêtissement, va les aplatir sous les dé-
combres de la France. Mais, peu leur importent la gran-
deur ou les hontes de la nation. Vous les verrez se
prélasser bientôt sur ses ruines, accrochés, qui aux mi-
nistères, qui aux ambassades, qui aux préfectures, qui à
des fortunes impies ramassées dans le sang et la faillite
de la patrie. *
Aux Tuileries veillait, anxieuse et frémissanle, une
532 LOUIS-NAPOLÉON
femme que l'empire laissait derrière lui, qui, hier encore,
voyait à ses pieds, courbés de l'échiné et de la conscience,
cette cohue de courtisans qui se disputaient l'honneur d'un
de ses regards et la gloire de mourir pour elle.
€ Et que le sourire du dédain vienne désormais régner
sur ses lèvres; que son noble cœur calme ses abattements
inquiets. Nous sommes nombreux autour de vous, Madame,
nombreux qui, pour vous, risquerions joyeusement notre
fortune et notre vie!.... Et souvenez-vous qu'il fut autrefois
une grande et illustre impératrice. Son trône lui fut dis-
puté!... »
Elle ne désespéra de rien et sauva son empire. Ses
fidèles Hongrois vinrent à son aide et poussèrent le fameux
cri de guerre : « Moriamur pro rege nostro Maria ïhc-
resa... » Toute la jeune France, Madame, fera comme la
jeune Hongrie, et le jour du danger, vous entendrez, vous
aussi, ce cri de guerre et de victoire qui s'échappera de
nos poitrines : <i Moriamur pro rege nostro Eugenia I »
Hélas! ce n'est pas le cri qu'elle entendit. L'impératrice,
si énergique devant le péril, avait fléchi depuis quelques
jours. Une vague désespérance envahissait son àmc. A
peine le glas funèbre de l'effondrement de Sedan eut-il
retenti, que déjà le palais se trouva dépeuplé; et quand,
vers les trois heures du soir du 4 septembre, la mer hou-
leuse de la populace vint battre les grilles aux cris si-
nistres : « La déchéance! vive la République!!! » réveillant
sous les voûtes sonores des Tuileries les échos des hurle-
ments des fauves de 1848, de 1830 et de 93, la pauvre
femme regarda avec épouvante autour d'elle ... elle était
seule.
Elle se sauva avec une dame de son service, voilée et
inconnue, par la porte du Louvre, et gagna la gare du
Isord, dans le coupé d"un donlisle!
La révolution a de sinistres ironies pour ses idoles
ET LES MALHEURS DE LA FRANCE. 533
éphémères. Quand elle ne les conduit pas à l'échafaad,
aux barricades ou à Cayenne, elle les déménage irrévé-
rencieusement dans un fiacre.
L'impératrice Eugénie, depuis trois ans, disait souvent
avec une affectation pleine de coquetterie qu'elle s'atten-
dait au sort de Marie-Antoinette, dont elle collectionnait
pieusement tous les souvenirs. Elle ne se doutait guère
que, l'heare venue, on ne lui octroierait pas même l'au-
mône de la persécution et l'honneur de la lutte, l'occasion
et l'apothéose du martyre. Pauvre femme! que tant d'a-
bandon avait brisée, elle ne savait pas que les courtisans
ne meurent qu'en paroles: — que les peuples déchus se
courbent sous tous les jougs et ne savent pas mourir ! —
que ceux qui donnent volontairement leur vie pour une
cause, sont ceux dont l'épicuréisme n'a pas avili l'àrae et
atrophié le cœur; ceux qui voient par-delà les frontières
étroites de la matière, par-delà l'ombre inquiétante du
tombeau, les horizons infinis de Dieu et les rayonnements
divins de l'immortalité.
On meurt pour ce qui en vaut la peine : pour l'honneur,
pour sa conviction, pour cette grande chose mystérieuse,
chère et sacrée qu'on appelle la patrie; on meurt pour le
souverain légitime, expression vivante de la nation : Mo-
riamur pro rege nostrot... mais on ne meurt pas pour un
régime de hasard; on ne meurt pas pour un aventurier.
Un épisode inédit de Sedan.
On lit dans l'Opinion nationale* :
Au moment où le procès poursuivi par le général de
Wimpfen contre Cassagnac appelle de nouveau l'attention
1 Le témoignage, de ce journal ne saurait être suspect. On
sait qu'il a été t'undé grâce à l'intervention et à une mise de
fonds du cousin de Loois-ISapoléon.
b34 LOUIS-.NAPOLÉON
du public sur le desastre de Sedan, il ne nous a point pnru
saiis intérêt de mettre sous les yeux de nos lecteurs un dO-
tail ignoré de ce terrible drame, détail dont rauthenlicilé
ne saurait être mise en doute.
Nous visitions dernièrement ce déparlement si éprouvé
des Ardennes, interrogeant avec une curiosité émue les
champs de bataille, parcourant les villages témoins de la
lutte, contrôlant les récits de nos compatriotes, vérifiant
les allégations des journaux étrangers, recueillant les
anecdotes et consultant les livres publiés dans les princi-
pales localités que nous traversions.
C'est ainsi que nous fûmes amenés par nos recherches
à lire le travail de M. Gornebois, inspecteur des eaux et
forêts, capitaine commandant la compagnie des guides
forestiers, que l'on avait organisée à la hâte et sur sa
demande au mois d'août 1870.
Parmi les faits particuliers qui y sont relatés, mais qui
offrent un caractère d'intérêt trop spécial pour que nous
les mentionnions ici, nous rencontrâmes un passage sin-
gulièrement curieux sur l'état de l'âme de Napoléon III, à
l'heure de la défaite.
Quand l'empereur vit la déroute commencer et les régi-
ments vaincus s'entasser pêle-mêle dans les rues de Sedan,
il ne songea point un instant h tenter un effort suprême et
îi percer les masses ennemies ; la pensée qui se présenta
d'abord à son esprit fut, non point celle de la capitula-
tion, mais celle do la fuite.
Il voulait se déguiser en paysan, partir sous la conduite
d'un guide sûr, et gagner Mézières îi travers les sentiers
des Ardennes.
Celte entreprise eut môme, en quelque sorte, un com-
mencement d'exécution.
Par son ordre, on envoya chercher M. Petit, inspecteur
des eaux et forêts h Sedan, pour l'accompagner.
ET LES MALHEURS DE LA FRANCE. B3o
Mais celui-ci, troublé par les graves événements qui se
succédaient avec tant de rapidité, errait dans la ville, en
quête de nouvelles.
Quand on parvint à le rencontrer, il était trop tard.
Une heure et demie s'était écoulée, et durant ce laps de
temps, l'empereur avait changé d'avis. Il avait préféré la
captivité.
Nous le répétons, il est impossible de douter de la
vérité de cette affirmation, les détails donnés par M. Cor-
nebois sont très-précis et très-nets; une seule chose nous
étonne, c'est qu'ils n'aient point été mis plus tôt au grand
jour de la publicité, au lieu de demeurer pour ainsi dire
ensevelis dans ce volume paru depuis quatre ans.
I<a mott de E.otiis-!VapoIéon.
Le vaincu de Sedan a supporté sans dignité les humiliîi-
tions de sa captivité. Tandis que nos soldats, victimes de
l'imprévoyance de son gouvernement, enduraient toute es-
pèce de privations pendant un hiver des plus rigoureux, leur
chef, sans soucis des malheurs qui accablaient la France,
s'amusait h patiner pour tromper la longueur du temps,
sans renoncer toutefois à être rétabli sur le trône par la
politique de la Prusse. De leur côté, les bonapartistes, à la
vue de rincanacité de ceux qui gouvernent la France, se
flattaient de voir revenir bientôt VHomine de Sedan.
Mais voilà que tout-à-coup une terrible nouvelle éclate
au milieu d'eux comme un coup de foudre, qui met à
néant leurs espérances. Louis-Napoléon est mort ! et il est
mort d'une manière si imprévue des docteurs qui l'envi-
ronnaient, qu'à l'arrivée du prêtre il n'avait déjà plus sa
connaissance*.
* Napoléon souffrait depuis plusieurs années de la pierre. Sa
maladie était devenue tellement grave depuis quelque temps
836 LOUIS-NAPOLÉON
Cette mort soudaine, qui glace d'effroi les chrétiens, en
voyant comparaître au jugement de Dieu un prince qui
avait assumé sur lui une effrayante responsabilité, a été
accueillie par les sarcasmes et les injures des libres-
penseurs de la presse voltairienne, si favorisée et si épar-
gnée par le dernier empire.
Dans ce Paris, que Napoléon avait refait aux dépens du
reste de la France, la nouvelle de sa mort a été accueillie
à la Bourse, qui servait de thermomètre à sa politique, par
une hausse sur le 3 pour 100 !f
La mort de celui qui fut appelé Napoléon III n'a excité
h Paris et dans les départements aucune espèce d'émo-
tion, et nulle part ne s'est rencontrée la moindre trace de
tristesse publique.
Le royaume d'Italie, plus encore que le Royaume-Uni,
lui doit des regrets, car il a favorisé par nos armes toutes
les conspirations, toutes les iniquités piémontaises au
bruit des applaudissements des publicistes révolution-
naires français qui insultent aujourd'hui son cercueil; au-
cun Français n'oserait dire que notre pays doit à Louis-
Napoléon une « reconnaissance éternelle » pour sa politque
en Italie, mais le royaume d'Italie, sur les débris de cinq
souverainetés légitimes, insolemment et criminellement
installé à Rome, envoie k celui qui vient de mourir le té-
moignage d'une « reconnaissance éternelle. » L'intérêt
national sacrifié se tait en ce moment, mais l'intérêt ita-
qii'il a fallu recourir à une opération. C'est à la suite de cette
opération, et par l'action du chloroforme, qui a produit un
é'fet de poison sur lui, que l'empereur a succombé le 9 janvier,
à 10 heures 45 minutes, dans sa résidence anglaise de Chisle-
liurst, près de Londres. L'autopsie du corps a été faite par le
prot'esstfur Saunderson. La pierre avait la grosseur d'un petit
œuf allongé : elle était formée de plusieurs couches dont cha-
cune correspondait à une altération de l'organisme.
ET LES MALHEURS DE LA FRANCE. 5o7
lien, du haut de son triomphe, s'écrie * « Je suis recon-
naissant! j» Remarquez bien que depuis deux ans un con-
cert d'injures s'élevait contre notre nation de l'autre côté
des Alpes, et qu'au milieu de ces insultantes clameurs une
part de louange et d'honneur était toujours faite au bona-
partisme. Tout le monde sait que le rétablissement de
l'empire était un désir très-peu caché du gouvernement
italien. Un retour de règne souhaité par nos ennemis,
quel avertissement!
Il faut aussi que l'on sache que le gouvernement de Ber-
lin, non pas l'Allemagne, regrettera la mort de l'exilé de
Chislehurst. Il nous le tenait en réserve dans des éventua-
lités prévues. C'est une bonne carte de moins dans le jeu
de M. de Bismark. Guillaume pourrait bien parler de sa
reconnaissance comme Victor-Emmanuel, car Louis-Napo-
léon a fait pour la Prusse, avec sa diplomatie, ce qu'il a
fait pour le roi de Piémont avec notre épée.
Voilà donc comment l'étranger regrette celui que la
France ne regrette pas. Les hommes qui ont fait la gran-
deur de notre nation ont été aimés chez nous, jamais chez
les autres. Avoir régné sur la France et n'être escorté
dans la mort que par des douleurs qui éclatent de l'autre
côté de nos frontières, ce n'est pas une enviable destinée '.
* Le Monde a donné, sur la physionomie morale de Napo-
léon III, une très-profonde étude où nous remarquons ces
lignes :
'i-i
« Il n'entrevit jamais que dans un brouillard les limites du
vrai et du faux, du bien et du mal. Ses manifestes et procla-
mations sont empreints de ce vague humanitaire, social, d'où
peuvent sortir les conclusions les plus opposées. . Kul homme
n'a mieux réalisé dans sa couduue et dans ses idées le sysLème
hégélien de l'identilé des contraires.
» Parmi les catholiques, personne ne s'est trompé. A ce cri
unanime qui réprouvait la gaerre d'Italie, il répondait par des
paroles bienveillantes, par des plans aimables de pacification,
■S38 LOUIS-NAPOLÉON
Un jour Napoléon I", du haut de son rocher de Sainte-
Hélène, contempla le ciel, la terre et les mers ; il considéra
les empires, les institutions, les grands hommes et leurs
créations; puis, s'étant profondément recueilli, il s'est
écrié d'une voix qui a ému l'univers :
Les peuples passent!
Les trônes croulent!
L'Eglise demeure!...
de conciliation, de réorganisation. Il s'entourait de prétendus
catholiques et commandait des brochures prétendues catho-
liques. 11 n'était pas impie du tout, mais il professait une es-
pèce de christianisme buchezien ou mazzinien. Il devait cepen-
dant savoir que, dans cette question, l'Eglise ayant direclenient
parlé par la bouche du Souverain -Pontife, il devenait dés lors
ridicule d'attacher de l'importance à des voix catholiques,
quelles qu'elles fussent. L'empereur fut un vrai sectaire. 11 ap-
pHqua contre lui, et malheureusement contre nous, ses propres
principes. 11 créa l'Italie de Victor-Emmanuel et l'Allemagne du
roi Guillaume en l'honneur des principes de 89, et au nom d'un
principe des nationalités qu'il inventa lui-même et qui n'a
jamais été qu'une hallucination de l'esprit. »
— On ht dans le Monde du 29 janvier :
« On s'est beaucoup occupé des sentiments de Napoléon III
manifestés l'an passé par rapport à la politiqiie qu'il a suivie à
l'égard du Saint-Siège. Napoléon aurait regretté cette poli-
tique. Or, les paroles adressées à son ami de cœur, le comte
Borromeo Arèse, quelques jours avant sa mort, protestent contre
celles qu'on lui a prêtées. Voilà ce que Napoléon III a dit au
comte Arèse : « Des obligations personnelles m'empêchaient de
remettre la ville de Rome aux Italiens et de tourmcnler le
vieux Pape. Je n'ai pas oublié qu'il m'a sauvé la vie en 1832,
quand il était archevêque de Spolète, et je n'aurais pas voulu
être ingrat. Mais Pie IX mort, rien ne se serait plus opposé ;\ ce
que Victor-Emmanuel prit Rome et en fît la capitale de l'Italie.
Néanmoins, je félictte les Italiens d'avoir saisi l'occasion de
s'emparer de la ville des Papes au moment opportun et de
n'avoir pas attendu la mort de Pie IX. » Telles sont les paroles
publiées par le comte Arèse lui-même dans l'Opinione et la
Capitale.
ET LES MALHEURS DE LA FRANCE. 539
On sait que le fils de Louis-Napoléon dans son voyage
en Italie a été constamment entouré par des sectaires.
Plusieurs journaux ont même assuré qu'il s'était fait re-
cevoir dans la franc-maçonnerie.
La Gazette du Midi s'est portée garante des paroles
suivantes, que Pie IX aurait dites au prince impérial, lors
de la visite qu'il reçut de son filleul et de l'ex-impératrice
des Français :
1 Vous voulez imiter votre père, mon enfant? on le dit,
du moins ; mais prenez garde, j'ai beaucoup connu votre
père. S'il n'avait pas eu de liens avec l'Italie, il aurait
pu vi^Te en prince chrétien, servir la France, qui l'avait
pris pour chef, et mourir sur le trône. Mais ces liens
étaient de ceux qu'on ne peut rompre; ils s'imposent
avec la menace, avec les bombes, avec les poignards.
Demandez à l'impératrice, votre mère, et elle vous dira
quelles craintes ont sans cesse assailli l'empereur et elle-
même. »
Quant à l'ex-impératrice, Pie IX lui aurait dit :
« J'ai prévenu le jeune prince votre fils. Votre devoir
» était de ne point venir en Italie; votre devoir est aujour-
« d'hui de l'éloigner au plus tôt. ^
« On doute, que la mère et le fils reviennent de sitôt au
Vatican, s
840 tA COMMUNE
CHAPITRE III.
LA COMMUNE ET SES HORREURS.
Cette guerre commencée avec des troupes démoralisées
et de beaucoup inférieures h celles de l'ennemi devait
mettre la France à deux doigts de sa perte. Que pouvait-
on espérer d'un peuple marchant au combat en hurlant
\di Marseillaise? Le Dieu des armées ne pouvait étendre
sa protection sur ces bataillons insurgés contre lui. La
France fut témoin de désastres inouïs qui devaient la
conduire à des événements plus déplorables encore. Sous
ce rapport, le règne funeste de Louis-Napoléon ne le cède
à aucun autre *. Nous ne ferons qu'énoncer les faits; nous
* La Revue nationale publie un long et consciencieux travail
de M. Leroy-Beaulieu , où nous trouvons des statisiiqiies
ellVayantes, dont les éléments ont été pris aux sources ufli-
cielles et par conséquent parfaitement authentiques et exactes.
Voici l'une d'elles : c'est la statistique funèbre des perles en
honimes et en argent qui ont été intligées à l'humanité dans
les quatorze années qui viennent de s'écouler. Depuis la guerre
de (ùimée jusqu'à la guerre du Mexique, les pertes en hommes
sont de 1,742,591 hommes.
Les pertes financières occasionnées par la guerre s'élèvent à
47 milliards 839 millions.
Ce chiffre, si énorme qu'il soit, est encore incomplet ; car
nous n'avons pas de renseignements précis sur les dépenses
faites par l'Espagne en Cochincliine, au Maroc, au Pérou, au
Chili, à Saint-Domingue, etc. lili bien! tous ces progrès, quoi
que puisse dire le Siècle, ne sont point beaux, et nous souhaitons
qu'ils disparaissent pour le bien et l'honneur de l'humanité.
ET SES HORREURS. 541
les avons racontés dans d'autres ouvrages : Paris, ses
crimes et ses châtiments, — Bourreaux et victimes de la Comr
mime, auxquels nous renvoyons nos lecteurs.
Après la catastrophe de Sedan, les radicaux, qui ne
cessent de recommander le respect de la loi, envahirent
l'Assemblée nationale, proclamèrent la république dont
bien entendu ils se nommèrent les ministres ; un avocat,
qui ne savait pas le premier mot du métier des armes, se
désigna lui-même comme ministre de la guerre, avec de
forts appointements, sans compter les énormes bénéfices
faits sur les fournitures; un vieux, juif, radical, fut choisi
naturellement pour ministre des affaires ecclésiasti-
ques, etc. Les Prussiens ne tardèrent pas à investir Paris,
où la famine fit d'aftreux ravages. La capitale finit par
se rendre. Les populations effrayées, appelées à élire une
Assemblée, nommèrent en grand nombre des députés
monarchistes. Mais comme il y avait parmi eux beaucoup
de libéraux, ils choisirent Thiers pour président de la
république provisoire. Sur ces entrefaites, la garde natio-
nale de Paris, composée en majorité de révolutionnaires,
auxquels, par une imprudence impardonnable, on avait
laissé des armes et des munitions, s'insurgea, et le gou-
vernement s'étant replié sur Versailles, la capitale de la
France fut au pouvoir des insurgés pendant deux mois.
Paris, livré aux francs-maçons et aux sectaires, épou-
vanta le monde par ses forfaits de tout genre.
Les misérables ont voulu dépasser tout ce que con-
tiennent de plus abominable les annales du crime, et ils
y ont réussi. De tous ces romanciers, en quête de po-
pularité malsaine, qui fatiguaient leur imagination dé-
lirante à la recherche des plus noirs et des plus in-
vraisemblables forfaits, aucun n'a osé rêver rien de
semblable à l'affreuse réalité qui se révèle. Après avoir,
pendant soixante-dix jours, tenu Ig ville (ie Pans courbée
542 LA COMMUNE
SOUS la terreur, après avoir pratiqué sur une effroyable
échelle l'assassinat, le vol, le pillage et les violences de
toutes sortes, ils ont couronné la longue série de leurs
crimes par un acte inouï de sauvagerie barbare, par l'in-
cendie des plus splendides monuments, des plus précieuses
collections et d'un nombre incalculable de propriétés pri-
vées de la capitale.
C'est ainsi qu'à cette heure sinistre des malfaiteurs
cosmopolites ont déployé contre Dieu et contre la Babylone
moderne un courage qu'ils avaient moins prodigué en
présence de l'ennemi. Une fois Dieu et le patriotisme
bannis de leurs âmes, une sorte de possession infernale
les a occupées. Alors on a vu une puissance diabolique se
déclarer dans la mesure et dans le nombre des crimes.
A défaut de grands hommes, le satanisme a produit des
héros légendaires de l'assassinat et de la destruction; et
ce que l'Ecriture raconte de la malice des anciens géants,
ce que l'Apocalypse prédit des cruautés de l'Antéchrist
s'est véritié dans les débauches sanglantes de la déma-
gogie \
Il faudrait des volumes pour raconter tous les désastres
causés dans Paris par les communards, armés de torches
incendiaires. Cette grande capitale, si fiôre dé sa civili-
sation, est bien la ville des ruines et des pleurs, la vé-
ritable Città dolente du poète.
On traitait de visionnaires ceux qui prétendaient voir
s'amonceler au-dessus de Paris le nuage sombre de la
vengeance divine. Hélas f l'heure est venue : le chAtiment
a encore dépassé en horreur tout ce que les imaginations
avaient pu rôver; et par une ignominie de plus, ce ne
^ Plus tard, on aura de la peine à le croire; ce sont ces
monstres que l'on veut non-seulement amnistier, mais encore
réhabiliter, afin de leur rendre tous leurs droits civils, dont ils
ne manqueront pas de se servir de nouveau contre la société.
ET SES HORREURS. 843
sont pas des ennemis enivrés par la victoire, ce sont des
Français qui auront accumulé ces désastres sans pré-
cédent dans l'histoire. De telle sorte que ces ruines
fumantes témoigneront au monde plus encore de nos
hontes que de notre malheur.
Les théâtres de la révolatlon détroits par le fea.
On a remarqué avec raison que les monuments qui
avaient été le théâtre des crimes et des orgies, ont été
dévorés par le feu, tandis que, malgré l'intention formelle
des révolutionnaires de détruire les églises, aucune n'a
été renversée.
Que d'événements sinistres se sont 'passés aux Tui-
leries. C'est là que, dans la fameuse journée du 10 août,
furent massacrés les neuf cents Suisses restés fidèles îi
l'infortuné Louis XVI, et avec ces braves soldats périrent
tous les employés du palais, depuis les premiers officiers
jusqu'aux derniers valets des cuisines.
C'est aux Tuileries que fut décidé le Congrès de Paris
1856, dans lequel le gouvernement de Pie IX fut dénoncé
à l'Europe; c'est dans ce Congrès qu'on proposa au
Souverain-Pontife des réformes qui auraient arraché sa
souveraineté dans sa racine.
C'est aux Tuileries que Louis-Napoléon déclara la guerre
à l'Autriche catholique, afin de favoriser l'Italie révolu-
tionnaire et de perdre le roi de Naples.
C'est des Tuileries que partit la défense de publier en
chaire, et même dans les journaux, la lettre encyclique
du 18 juin 1859, dans laquelle Pie IX rappelait l'excom-
munication majeure portée par les décrets du concile de
Trente contre tous ceux qui ont concouru à l'envahissement
du patrimoine de saint Pierre.
C'est aux Tuileries que fut reconnu par Louis-Napoléon
544 LA COMMUNE
le royaume d'Italie, sacrilège usurpation des domaines de
l'Eglise.
Cette démarche avait été préparée par la fameuse
brochure le Pape et le Congrès, écrite par un sénateur
ami de César, et « qui eut pour conséquence, dit lord John
Russell, ministre des affaires étrangères en Angleterre,
de faire perdre au Pape plus de la moitié de ses domaines. »
C'est aux Tuileries, le 31 décembre 1839, que Louis-
Napoléon écrivait au Pape une lettre, chef-d'œuvre d'hy-
pocrisie et qui fut communiquée aux journaux avant que
Pie IX ne l'eût reçue.
C'est aux Tuileries que fut arrêtée la suppression de
l'Univers, coupable d'avoir reproduit l'encyclique.
C'est aux Tuileries qu'on décida que tous ceux qui
feraient partie de l'armée pontificale perdraient leurs titres
de Français, avec tous leurs droits.
C'est aux Tuileries que l'on a nommé et maintenu au
ministère de l'instruction publique M. Duruy, dont les
ouvrages étaient pleins d'erreurs et de calomnies contre
l'Eglise.
Le Palais-Royal, agrandi et embelli par Louis-Philippe-
Egalité, a eu le même sort que les Tuileries. On peut
dire aussi, sans craindre d'être démenti, que ce palais n'a
pas été toujours la demeure de la vertu et le théâtre des
bonnes mœurs.
C'est là qu'habitait encore, au 4 septembre, le prince
Jérôme-NaDoléon, l'ami de George Sand, de Renan et du
sénateur Sainte-Beuve, dont il partageait le dîner scanda-
leux du Vendredi -Saint.
Que de conciliabules se sont tenus dans cette demeure
çrincièrc, fréquentée par les rédacteurs de l'Opinion
mtionale et d'autres feuilles ennemies jurées de l'Eglise.
Que de fois on y a annoncé la chute définitive de la
Papauté.
ET SES HORREURS. 54d
La vérité divine outragée finit par se venger de tant
d'impiétés.
Ne soyons pas étonnés après cela, si la justice de Dieu
passe sur le Palais-Royal comme elle est passée sur les
Tuileries. Dans ce duel de l'homme contre le ciel, de
l'impiété contre l'Eglise, c'est toujours Dieu qui a le
dernier. Les ruines de ce Palais-Royal, habité par des
princes révolutionnaires, démontrent une fois de plus qu'on
ne se moque pas de Dieu en vain.
L'Hôtel-de-Ville eut le même sort. C'est là qu'avaient lieu
des fêtes babyloniennes, où la luxure et la vanité dé-
ployaient toute leur pompe, si propre à attiser cette triple
concupiscence dont parle l'apôtre saint Jean.
Le Journal des Débats, organe de la queue de Voltaire,
écrivait ces lignes qui dépeignent bien ce spectacle horrible
d'un peuple incorrigible :
« Dans cette monstrueuse orgie, dit-il, il n'y a ni un
sentiment, ni une idée : on n'y trouve que l'instinct fauve
et sanguinaire et l'appétit carnassier. C'est la bête qui
s'est insurgée, qui a brisé sa cage et s'est jetée sur tout
sans savoir sur quoi. Elle a pu être châtiée avec le fer
rouge, maià corrigée, non.
ï 11 suflit de marcher dans nos rues en cendres, de
regarder dans le visage pervers et dans les yeux sangui-
naires de Paris pour y lire ceci : C'est à recommencer.
On a pu le voir dimanche, quand toute la population errait
curieusement dans les grandes rues, et, hier, quand elle
regardait passer le convoi des prêtres massacrés. Combien
de ceux qui ont brûlé Paris se promènent à travers leur
œuvre, en tenant par la main leurs enfants, auxquels ils
soufflent tout bas le mot de vengeance, auxquels ils font
respirer l'odeur du soufre et du s^ng, qui les suivra partout
cl qu'ils reconnaîtront un jour! Regardez-les, ils n'ont
546 LA COMMUNE ET SES HORREURS.
qu'un seul sentiment, celui de l'érostratisme ! L'immensité
uème de la destruction fait leur orgueil! »
Quant aux massacres qui eurent lieu, on a dit que près
de soixante mille communards y trouvèrent la mort. Sans
doute il y eut aussi un archevêque, des magistrats, des
prêtres, des religieux massacrés. Mais c'étaient des
victimes qui ofTraient généreusement leur vie à Dieu, afin
de désarmer sa colère, tandis que les autres, en vrais
suppliciés, expiraient dans la rage du désespoir'.
M. Thiers est un des personnages qui ont le plus con-
tribué par ses ruses et sa politique astucieuse à doter une
troisième fois la France d'une république, en empêchant
l'héritier de nos rois de remonter sur le trône, et de
rétablir, dans le royaume de saint Louis, la paix, la sé-
curité et les traditions qui ont fait, dans les siècles pré-
cédents, son honneur et sa gloire.
* Parmi les publicistes qui ont raconté ces horreurs, les ou-
vrages de M. Maxime du Camp : les Convulsions de Paris, les
Prisons de Paris sous la Commune, renferment des détails très-
complets el d'autant plus authentiques que cet écrivain est loin
d'être clérical.
L'Univers du 12 février 1879 cite ce passage du Pays : « La
répression de la Commune a été foi't mal faite, on a laissé
échapper presque tous les chefs des communards ; F. Pyat est
resté plusieurs semaines à Paris (d'après lui im an), au su de
la policf, qui, par ordre supérieur, a dû lermer les yeux. Thiers
a même fait arrêter la personne qui avait découvert Pjat, de
peur que l'opinion publique indignée ne forçût le gouverne-
jnentà mettre la main sur le plus liche des communards. Tan-
dis que les Rochcfort, les Vallès, les Grousset, etc., ne s'occu-
paient que de leur fuite, ceux qu'ils avaient poussés en avant
se faisaient tuei*. »
MORT DÉPLORABLE DE M. THIERS. 547
CHAPITRE rV.
MORT DÉPLORABLE DE THIERS.
Parvenu à l'âge de quatre-vingts ans, M. Thiers au lieu
de s'occuper de ses fins dernières, employait hélas! le
reste de ses forces à rendre le radicalisme moins effrayant,
et à lui rattacher la queue de Voltaire, lorsque il a perdu
tout-à-coup l'usage de ses facultés; et peu d'heures après
il paraissait devant le souverain Juge.
Il ne nous appartient pas de mettre des bornes à la
miséricorde divine et à l'efficacité de la grâce, qui, comme
une habile ouwière, dit Bossuet, fait de grandes choses
en peu de temps. Toutefois on ne peut s'empêcher de
déplorer le sort des malheureux qui, après avoir employé
leurs talents incontestables et leur longue vie à combattre
la sainte E|flise et à vulgariser les idées révolutionnaires,
ont été tout-à-coup jetés au tribunal de Dieu, sans avoir
eu le temps de pousser un soupir pour implorer sa misé-
ricorde.
C'est ainsi que M. Thiers est mort subitement à Saint-
Germain, dans une hôtellerie, après avoir, la veille, passé
une bonne partie de la journée avec un des rédacteurs
d'un très-mauvais journal de Paris.
Le moment d'avant, il était encore dans les troubles et
dans le gâchis de la politique.
Il avait quatre-vingts ans passés.
Durant cette longue vie, il a tourbillonné dans toutes
ni-8 MORT DÉPLORABLE DE M. TIIIERS.
les affaires humaines, sans s'occuper jamais que d'être un
homme considérable au milieu du monde. Il l'a été
cinquante ans; il s'en était fait une habitude de vieillard.
Il tenait encore en France une place, disputée, il est vrai,
mais qui pouvait lui sembler prépondérante. On pouvait
dire que la Providence se plaisait h le flatter. Il a réussi
à tout, et n'a pas été content. Sa vie n'est parvenue que
rarement à l'amuser un peu, et elle n'a fait qu'amuser un
peu aussi le monde, qui n'a pas cessé de réclamer autre
chose. Célèbre, il l'est pour le moment; occupé, il l'a
été plus que personne, mais de rien, rapetissant tout à
sa taille. Voilà ce que tout cela tient. C'est de quoi remplir
médioci'ement un cercueil. Il n'a pas eu le temps de se
reconnaître. Dieu ne lui a pas laissé le temps de mourir.
Maintenant, le voilà peut-être au rang de ceux qui vou-
draient n'avoir jamais vécu.
Ua des séides de Louis-Napoléon, M. Mocquard, auquel
on doit une pièce de théâtre abominable contre le véné-
rable Pie IX, a fait un portrait en raccourci de Thiers,
dans le genre italien :
« Fataliste dans son histoire, fatal dans ses conseils,
fat dans ses résistances, réunissant en lui tout ce
qu'inspirent, et contre la Providence le culte du hasard,
et contre le pouvoir le génie du renversement, et contre
soi-même l'excès de la vanité; s'amusant avec son esprit,
s'abusant avec son ambition, s'usant avec ses roueries. »
De son côté Alphonse Karr, anticlérical, a écrit ces
lignes, qui caractérisent bien l'auteur de l'Histoire de la
Révolution française :
« Certes, ce petit homme possède une rare et robuste
» intelligence; mais il lui manque une Ame élevée, un
» grand cœur, — et, tel qu'il est, il faut le mettre au
» nombre des plus grands fléaux que la colère divine ait
» jamais envoyés sur la France. »
MORT DÉPLORABLE DE M. THIERS. 849
Par ses écrits et sa siluation d'homme d'Etat, M. Thiers
» exercé, en France, pendant cinquante ans, l'influence la
plus pernicieuse.
Son Histoire de la Révolution, du Consulat et de l'Einpire
a contribué dans la plus large et la plus affligeante mesure
k pervertir l'esprit public dans notre pays. Par cette
œuvre, remarquable d'ailleurs à cause des brillantes qua-
lités de l'écrivain, il a popularisé, vulgarisé les principes
ruineux de la Révolution. Dégagée de ces violences de
forme et d'expression qui répugnent aux esprits prudents
et modérés, elle a pu entrer dans toutes les bibliothèques.
Elle est devenue le code de la bourgeoisie et elle sert de
base à l'enseignement de l'histoire dans toutes les écoles
de l'Etat. M. Thiers a une grande part de responsabilité
dans toutes les erreurs, les préjugés, qui égarent trop
d'intelligences même loyales.
La République française a, dans une phrase, défini le
rôle qu'a joué cet homme pendant les cinquante années de
sa vie publique :
« Sa longue carrière avait été consacrée à la défense
des idées et des principes de notre grande Révolution, dont
il n'a jamais abandonné la cause et qui a trouvé en lui
un serviteuf. aussi fidèle que résolu, »
Voilà bien, en effet, tout l'homme et la mission qu'il a
remplie.
Comme homme d'Etat, il a été le même. C'est le même
but qu'il a poursuivi. Il a ruiné dans les esprits le respect
de l'autorité. Il a toujours eu la prétention d'abaisser
toutes les questions au niveau de sa petite taille. Toujours
de l'égoïsme , de l'ambition, de la vanité personnelle.
Jamais de l'élévation, de la générosité, de la grandeur
morale.
Comme chez tous les sectaires, .l'Eglise a été sa grande
ennemie. C'est vrai, il dissimulait autant qu'il le pouvait
550 MORT DÉPLORABLE DE M. THIERS.
sa haine et ses préjugés, mais au fond il avait horreur
(le l'influence des principes catholiques et il cherchait h
l'annihiler avec les mille industries de son génie actif et
inquiet. Il a été, contre les droits et les prérogatives de
l'Eglise, ce que Voltaire a été contre les dogmes et les vé-
rités de la religion
Thiers, enfant de la révolution, a été beaucoup trop
flatté par les catholiques libéraux. On a vraiment de la
peine à comprendre comment un prélat académicien a pu
faire, à la tribune française, l'éloge de ce sceptique, pour
lequel il n'y avait rien de vrai ni de faux et qui n'avait
d'autre symbole qu'une tolérance absolue. Voici un
extrait de la profession de foi de Thiers prononcée à la
Chambre :
€ Le plus haut degré de philosophie n'est pas de penser
de telle ou telle façon (l'esprit humain est libre heureuse-
ment); le plus haut degré de philosophie, c'est de respec-
ter la conscience religieuse d'autrui, sous quelque forme
qu'elle se présente, quelque caractère qu'elle revête.
» Quant h moi, désoler les catholiques, désoler les pro-
testants est une faute égale. Les protestants ne veulent pas
qu'une seule communion chrétienne puisse dominer les
autres; c'est leur croyance et c'est leur droit.
» Les catholiques croient qu'une seule communion dans
le christianisme doit dominer les autres pour maintenir en
grand et noble phénomène religieux, l'unité de croyances ;
ils le croient et ils ont raison : c'est leur droit. »
Dans ces paroles on voit une fausse conséquence, une
impossibilité et une contradiction. Une fausse consé-
quence : car il résulterait des prémisses posées par
M. Thiers, qu'il n'y a pas de vérité religieuse absolue, et
que chacun est libre d'être indifleront ou de suivre n'im-
porte quelle religion : ce qui est philosophiquement faux.
MORT DÉPLORABLE DE M. THiEUS. 5Bi
Une impossibilité : si la conscience d'autrui est infectée
de fausses et funestes maximes, est-ce que je suis obligé
de la respecter? M. Thiers respectait-il la conscience
des communeux qui croyaient utile au genre humain de
démolir son hôtel I
Une contradiction : M. Thiers affirme que les protes-
tants et les catholiques ont le droit pour eux; or, les idées
des catholiques et des protestants sont diamétralement
opposées : il y a donc deux droits contradictoires.
Après avoir montré que ni le Piémont, ni la France
n'avaient le droit de faire l'unité de l'Italie, M. Thiers
ajoute :
« L'Italie est devenue une, soyons justes, impartiaux,
c'était sa destinée à elle, et elle faisait bien de la pour-
suivre; ce n'est pas à nous de lui en faire un reproche,
je le répète, c'est à nous qu il faut lefaire. »
Que veut dire ce galimatias ? Si la cause de l'Italie est
juste, qui pouvait nous empêcher de lui prêter main forte?
Si elle est injuste, à cause des spoliations et des troubles
religieux qu'elle a causés, pourquoi fait-elle bien « de
poursuivre sa destinée et nous mal de la défendre? »
M. Thiers est-il fataliste en histoire et utilitaire en morale?
Un mot pour terminer sur VHistoire de la Révolution
française de M. Thiers. Elle se trouve dans un grand
nombre de familles; elle est lue par beaucoup de. jeunes
gens; elle n'est bonne qu'à fausser leur esprit en leur
faisant porter un jugement faux sur la Révolution et ses
œuvres, et qu'à pervertir leur cœur en leur enlevant toute
foi et tout respect envers notre sainte religion. Parlant
des saturnales célébrées en l'honneur de la déesse Raison,
M. Thiers ose insulter au peuple chrétien dans les termes
que voici : ^
« On voit sans doute avec dégoût ces scènes sans re-
552 MORT DÉPLÛRABLE DE M. THIERS.
» cueillement, sans bonne foi, où un peuple changeait
» son culte sans comprendre ni l'ancien ni le nouveau.
« Mais quand le peuple esl-il de bonne foi? Quand est-il
> capable de comprendre les dogmes qu'on lui donne
» à croire I Ordinairement que lui faut-il? De grandes
» réunions qui satisfassent son besoin d'être assemblé,
» des spectacles symboliques où. on lui rappelle l'idée
» d'une puissance supérieure à la sienne, enfin, des fêtes
» où l'on rende hommage aux hommes qui ont le plus
» approché du bien, du beau, du grand; en un mot, des
» temples, des cérémonies et des saints. Il avait ici des
> temples, il était réuni, il adorait une puissance myslé-
t rieuse, la Raison, il célébrait deux hommes, Marat et
» Lepeltier. Tous ses besoins étaient donc satisfaits, et il
» n'y cédait pas autrement qu'il n'y cède toujours. -^ Nous
pourrions faire d'autres citations; celle-ci suffit pour faire
juger l'œuvre et son pitoyable auteur.
On lit dans V Univers du 7 septembre 1877 :
€ Dans le testament de M. Thiers, il y a bien des singu-
larités à côté de paroles bien vagues, et qui témoignent
de quelque aspiration de cette âme vers la lumière divine.
Il y a des appels vers Dieu, il y a aussi des symptômes
naïfs d'une infatuation inimaginable et qui feraient bien
rire, nous le répétons, si la mort n'avait pas encore pris sa
proie. En voici un passage :
« L'avenir est sombre, et les plus clairvoyants ne dis-
cernent pas très-bien la route; mais j'emporte, du moins,
en mourant, la conscience d'avoir rempli ma mission de
pilote fidèle, et je demande à Dieu, comme dernière prière,
qu'après moi il protège encore la France. »
C'est navrant. Mais cette invocation à Dieu mêlée à
cette préoccupation de soi-même est typique; et, disons le
mol, tout-iVfait burlesque et digne de ce petit esprit.
Ik SITUATION EN JANVIER 1879. 5o3
CHAPITRE V.
LÀ SITUATION EN JANVIER 1879.
M. Thiers, révolutionnaire émérite, employa toutes ses
ruses afin d'empêcher, à la grande satisfaction de Bismarck,
l'Assemblée nationale, en majorité monarchique, de rap-
peler le roi, fils de saint Louis. Son successeur à la prési-
dence, animé, nous voulons le croire, de bonnes intentions,
mais entouré de francs-maçons et de libéraux, a commis
la même faute, et il a fini par se démettre, après s'être
soumis à tout, selon la parole d'un révolutionnaire, sans
que sa réputation y ait rien gagné.
M'' Pie, l'éminent cardinal de Poitiers, avait longtemps
d'avance exprimé, dans un langage élevé, combien il
était nécessaire, dans la situation présente, d'avoir des
hommes de foi et de conviction, énergiquement résolus à
faire triompher leurs principes, sans admettre aucun alliage
qui pourrait les altérer.
Les bonnes intentions ne suffisent plus. Pour s'en
convaincra, on n'a qu'à lire les paroles suivantes, que
Me' Pie pr««nonçait en présence de son clergé dans le mois
de juillet 1871.
On dirait une prophétie. Que ce soit pour tous une
profitable leçon t
« Pourquoi cette Assemblée, où se groupent tant d'in-
dividualités estimables, cette Assemblée qui devait tout
sauver en remettant tout à sa place, pourquoi est-elle irré-
médiablement frappée d'impuissance politique ?
Bo4 lA SITUATION aN JANVIER i870.
» La faiblesse des caractères et l'absence ou la nullité
des actes y résultent du manque de convictions éclairées
et de principes déiinis. De I.î cette énormité : une Chambre
souveraine prenant et conservant son ministère, son pou-
voir exécutif en dehors de la majorité. Et l'excuse qu'elle
fait valoir c'est qu'elle n'a point d'hommes, Quoil pas un
homme au sein de cette imposante réunion conservatrice
et monarchique I Mais vous aviez tant dit et répété que
tous les maux venaient du gouvernement personnel et
finiraient avec lui I
» Or, voici que, faute d'un homme en qui se pcrson*
nalise la majorité, elle abdique, et remet le sort du pays
aux mains d'une minorité qui aura, elle, son iiomme,
son chef, son dictateur, son autocrate, subi par les élu3
de la nation devenue son jouet, en attendant qu'il devienne
lui-même la victime de ceux qui se seront servis de lui. >
Quand on songe que ces graves paroles ont été pro-
noncées devant le clergé de Poitiers le 13 juillet 1871, au
lendemain de la Commune et du triomphe de l'Assemblée
nationale, on est presque stupéfait. Qui d'entre nous alors
aurait osé tenir un pareil langage et juger ainsi M. Tliiers
sans être taxé de témérité? Et pourtant, à la terrible lueur
de l'expérience, nous voyons aujourd'hui que la France
se trompait et que l'évèque de Poitiers avait raison. Or,
pourquoi l'illustre prélat a-t-il été prophète? C'est parce
que sa voix n'était que l'écho du Syllabus. Entendons le
grand évoque nous donner, dans le même discours adressé
à son clergé, la raison de l'impuissance de l'Assiembléc
nationale :
« Des hommes éclairés, qui prétendent même être re-
ligieux, onl accepté et implanté parmi nous cette théorie de
la société publique sans le Christ, de l'Etat sans Dieu. Et
l'impuissance de ces utopistes, que dis-je, et les effets
funestes de leur participation aux affaires tiennent à ce
LA S1TLAT[ÛN EN ÎAJ^VIER 1879. 555
qu'ils se sont posés sans Christ et sans Dieu dans ce
monde. Je vous étonnerais, Messieurs, si je prenais le
temps de vous donner quelques échantillons de la déraison
de ceux qu'on appelle les bons, les conservatears, même
les chrétiens. Je ne sache rien de plus renversant que
certains discours mis sous nos yeux par le Journal officiel
en ces derniers mois.
» Décidément, il ne faut pas demander le sens politique
ni même le sens moral, aux chrétiens présomptueux ou
dévoyés qui se placent au-dessus ou en dehors des ensei-
gnements de l'Eglise. »
En lisant ces graves paroles, on admire le coup d'œil
de cet éminent prélat; depuis Joseph de Maistre on n'avait
pas entendu de pareils accents prophétiques'.
Catholicisiue ou seciallsnic.
Nous vivons à une époque étrange, dans un siècle de
contradictions vivantes. Ce siècle, où tous les extrêmes se
touchent et se heurtent, se demande où il va et ne trouve
* On se rappelle que c'est pendant que il. Crémieuï, juif el
radical, était ministre des cultes, qu'a eu lieu la nomination do
dignes évèques destinés à occuper des sièges vides depuis long
temps par le mauvais vouloir de Louis-Napoléon.
Voici une nouvelle justification de la parole de Fénelon :
L'homme s'agite et Dieu le mène; c'est pendant que la repu
blique menace de verser dans le radicalisme, que l'clévalion du
grand évêque de Poitiers au cardinalat est venue consoler
TEglise au milieu des épreuves. C'est la consécration des plus
pures doctrines théologiques ; c'est comme un dernier sceau
imprimé au concile du Vatican ;-c'est Léon XIII réalisant, contre
tous les calculs humains, le vœu de son immortel prédécesseur.
11 n'y a plus d'Arius ni de Constance; mais Ililaire est debout
encore, victorieux de l'erreur et de César. Après quinze siècles
le mot célèbre de saiut Jérôme retrouv^ sa vérité : lune liila-
Hwra e 'pnelio revertmtan Galliarum Eccksia cçmj^lexa vst.
B56 LA SITUATION EN JANVIER 1879.
aucune solution; mais, au milieu de ces ténèbres, un
arc-en-ciel d'espérance a lui devant nous; — au milieu de ce
chaos, Dieu a placé un phare lumineux, Lumen in cœlo,
chargé d'indiquer à la société les abîmes où elle se pré-
cipite, et quelle est la voie où elle doit marcher, si elle veut
échapper aux plus déplorables catastrophes.
Pendant que tout s'affaisse, et que les peuples et les rois
foulent aux pieds les principes qui élèvent les nations,
Léon XIII défend seul les droits de la vérité et de la
justice; abandonné de tous, trahi par ceux qui avaient
le plus grand intérêt à le défendre et à le protéger, ren*
fermé par la révolution dans un cercle de feu, ce glorieux
Pontife, appuyé sur Dieu seul, rappelle avec une sainte
liberté, aux peuples et aux rois leurs devoirs respectifs.
La conclusion pratique du document pontifical, c'est
que, si l'on veut échapper aux étreintes du socialisme, il
faut recourir à l'Eglise et mettre un terme à la lutte in-
sensée que l'on fait à la liberté de son action et de son
influence dans le monde. Or, à ce point de vue, les ensei-
gnements de l'encyclique confirment à merveille les dé-
clarations que les représentants du parti catholique en
Allemagne ont été amenés îi faire pendant la discussion de
Il loi contre les socialistes.
De telles mesures de rigueur, ont-ils dit, ne sauraient
conjurer le mal si, tout d'abord, l'ordre social ne repose
sur les bons principes, dont l'Eglise est la maîtresse et la
gardienne. Ces déclarations ont trouvé dans la dernière
encyclique l'écho le plus autorisé :
« Les régisseurs des peuples, dit le Souverain-Pontife,
> venant à connaître que l'Eglise du Christ possède,
» pour combattre la peste du socialisme, plus de force
» que n'en sauraient avoir les lois humaines, les coërci-
» lions des magistrats et Ips armes des soldats, nous les
» conjurons de rendre à l'Eglise la condition voulue de
LA SITUATION EN JANVIER 1879. 5^7
• liberté, afin qu'elle puisse déployer d'une manière
» efficace sa bienfaisante influence en faveur de la société
» humaine. »
Le Souverain-Pontife vient de signaler d'avance le seul
et vrai remède efficace. Il a ouvert l'unique voie de salut
qui reste à la société; maintenant il s'agit de savoir y
entrer résolument, et c'est avant tout le devoir des régis-
seurs publics. C'est à eux, en effet, que sont adressées ces
paroles de la Sagesse rappelées dans l'Encyclique : * Prê-
tez l'oreille, ô vous qui gouvernez les multitudes et qui
vous plaisez dans la tourbe des nations, car le pouvoir
vous a été donné par le Seigneur et la puissance par le
Très-Haut, qui vous interrogera sur vos œuvres et scru-
tera vos pensées... Un jugement très-dur est réservé à
ceux qui exercent le commandement... Car il n'est point
d'acception de personnes auprès de Dieu et il ne tiendra
pas compte de la grandeur. C'est lui, en effet, qui a créé
les petits et les grands et qui a également soin de tous.
Les puissants courent le risque d'un plus grand châti-
ment. »
Personne n'ignore la tentative d'assassinat sur le roi
d'Espagne qui a eu lieu dernièrement par un émissaire
des socialistes. Voilà ce que l'on a gagné k donner, malgré
les réclamations de Pie IX, une existence légale au pro-
testantisme dans une nation toute catholique, et qui était
déjà assez divisée.
Pendant qu'on se prépare en Belgique à rendre l'ensei-
gnement officiel athée, les journaux organes des commu-
nards, parmi lesquels le Mirabeau de Verviers est au pre-
mier rang, prêchent le régicide.
Après le tour des souverains qui laissent publier de
telles infamies, viendra le tour des bourgeois lijjérâtres.
558 LA SITUATION EN JANVIER 1879.
Cette conclusion est indiquée dans les couplets de la
Communarde, dont voici un échantillon :
Avec les bourgeois d'aujourd'hui,
Entre nous, tout est bien fini.
Quant aux gendarmes, aux soldats,
Aux policiers, aux renégats,
Leur compte sera bon,
Au jour du rigodon.
Dansons la Communarde , etc.
M. Frère, protecteur du Denier des Ecoles, est spéciale-
ment invité à méditer ces extraits du Mirabeau, Il est cer-
tain que les radicaux de la Sociale récolteront ce que le
Denier des Ecoles sans Dieu aura semé.
L'empereur Guillaume sait par expérience ce qu'il en
coûte d'affaiblir les principes religieux chez un peuple;
il a été dernièrement l'objet de deux assassinats socialistes;
il a failli perdre la vie par suite de ses blessures, dont il
n'est pas encore complètement rétabli. C'est ainsi que
l'iniquité s'est tournée contre elle-même. La guerre contre
l'Eglise catholique n'a fait que ranimer la foi des fidèles
et hâter la dissolution du protestantisme; ses temples sont
déserts, le baptême et le mariage religieux sont regardés
comme des choses surannées, et, malgré les dernières lois,
il n'est pas de pays où la misèrcj l'immoralité et le so-
cialisme aient fait plus de progrès. Des chiffres officiels
en seront la meilleure preuve. On verra, de l'aveu des
intéressés eux-mêmes, que les orincipes religieux peuvent
seuls faire obstacle au socialisme. Qu'on lise cette décla-
ration de la Presse libre, iournal socialiste de Berlin :
La vérité c'est que dans les régions où, le conservatisme et
le cléricalisme, et par conséquent la bêtise (sic), régnent dans
le peuple, LA DÉMOCRATIE SOCIALISTE GAGNE BIEN PLUS DIFFICILE-
MEiNT DU TERRAIN quc dans celles oii le libéralisme a introduit
dans le peuple une instruction bien qu'insuffisante et souvent
superficielle (lisez la persécution contre l'Eglise).
LX SlfUÂÏlÔN feN ÎANVIEft Î879. 5o9
Cette glorieuse (?) époque du cultnrkampf n'a jamais été
aussi féconde en crimes et délits de toutes sortes. Voici,
pour les amateurs de statistique, des chiffres officiels que
j'emprunte à la feuille des tribunaux; il rie s'agit que dî.
royaume de Prusse :
r. Homicides et tentatives d'assassinnt.
1871 1872 1873 1874 1875
95 142 loO iB6 22Ô
IL Infanticides.
«2 toi Î13 Ù'i 15Ô
III. Attentats et blessures graves.
282 379 446 48o S23
IV. Parjures.
S91 716 TGo è'35 900
V. Attentats à la pudmr.
501 €14 7o2 982 ï,()lâ
t^. Faux.
1,344 l,o8S 1,403 1,600 2,556
VIÎ. Éanqueroutes fraMulcuses.
59 Ôl 150 195 223
VIIÏ. Fraudes (art. 264 et 265 du Code pénal).
Î80 377 449 468 "543
i. -
Ainsi, d'après la statistique officielle, dans l'espace de
cinq ans,
Les assassinats ont augmenté en Prusse déi ... I4i 22 0/0
Les infanîicides de . , ^ 82 93 »
Les attentats à la vie de. . , , 85 46 »
Les parjures de ".■'.''.','' 51 51 »
Les attentats à la pudéùr A^. . -. . . -. . . -. : : 102 19 n
Les faux de. . i ; . . ; ;.»»;;$• i-«. 90 19 »
Les banqueroutes frauduleuses de. . t . i . • k 286 44 »
Je laisse aux observateurs le souci de chercher dans ce
tableau de la vie morale du peuple prussien quels instincts
remportent dans cette nalion, qae l'on nous montra si
S60 LA SITUATION EN JANVIER 1879.
longtemps comme la plus vertueuse, la plus probe, la plus
sincère de l'époque.
Ce sont les Allemands qui ont inventé la statistique, et
c'est, il faut en convenir, une bien belle et bien édifiante
science !
On lit dans le Courrier de Bruxelles :
M. de Bismark a vu un peu tard, à la lueur du coup de
fusil de Nobiling, que tout le terrain qu'il croyait avoir
conquis sur l'Eglise avait été livré aux socialistes par ses
amis libéraux.
« Lorsque les civilistes auront reconquis le calme et le
sang-froid du jugement, ils pourront constater que toutes
les concessions faites au libéralisme ont profité aux gueux
radicaux. Le terrain que, dans une intention évidente,
mais erronée, ils ont voulu soustraire à l'action de l'Eglise
est devenu la proie du socialisme. »
L'éloquent et courageux évêque d'Angers a fait les ré»
flexions suivantes sur l'encyclique de Léon XIII.
« C'est donc pour la deuxième fois que la voix du pape
Léon XIII va se faire entendre à vous avec la solennité
propre aux lettres encycliques. Du haut de la chaire de
saint Pierre, le vicaire de Jésus-Christ, jetant un regard à
travers le monde moderne, y a découvert un mal profond,
déjà signalé, à maintes reprises, par ses illustres prédéces-
seurs, mais qui, dans ces derniers temps, a pris des pro-
portions effrayantes, au point de menacer l'existence môme
de la société civile. C'est à la suite de criminels attentats,
commis presque en même temps sur la personne de plu-
sieurs souverains, que le mal s'est révélé dans toute son
étendue. Alors, on a pu voir clairement qu'il existe, en
Amérique comme en Europe, une vaste association, dont
tous les iiiembres sont liés entre eux par un pacte formel,
LA SITUATION EN JANVIER 1S79. ÎjGI
et qui ne se proposent rien moins que de bouleverser la
société de fond en comble. Qu'elle s'appelle, suivant les
différents pays, socialiste, communiste, nihiliste, le but que
poursuit cette ligue internationale est partout le même.
» Détruire la propriété individuelle ou privée, pour y
substituer la propriété collective, faire de l'Etat l'unique
possesseur du sol et des intruments de travail, revendiquer
pour tous la même part à tous les biens et à toutes les
jouissances, ne laisser subsister aucune inégalité sociale ou
politique, aucune hiérarchie de droits ni de pouvoirs, et,
par suite, faire table rase de toutes les institutions exis-
tantes, religieuses, juridiques, militaires, pour reconstruire
la société sur de nouvelles bases qui seraient la négation
de Dieu, de l'âme immortelle, de la vie future, c'est-à-dire
le matérialisme théorique et pratique, telle est l'œuvre à
laquelle travaillent des milliers d'hommes, d'une extré-
mité du monde à l'autre et qui, à des degrés divers et
sous des formes multiples, se résume dans la révolution
sociale.
» Et, comme le dit à si juste titre le chef suprême de
l'Eglise, ce n'est plus en secret ni dans les réunions
occultes que se produisent ces théories subversives de tout
ordre social; non, elles s'étalent au grand jour, sous les
yeux des gouvernements et des peuples. Ces programmes,
où rien n'est respecté, où l'on annonce hautement l'inten-
tion de renverser tout ce qui existe, nous les avons en-
tendu développer dans des congrès tenus publiquement
sur différents points de l'Europe : à Londres en 1864, à
Genève en 1866, à Lausanne en 1867, à Bruxelles en 1868,
à Bàle en 1869, à La Haye en 1872, à Gand en 1877. Le
régime despotique et sanguinaire inauguré à Paris sous le
nom de Commune, à la suite de nos désastres militaires,
n'a été que l'application pratique d'une théorie qui ne
voudrait rien laisser debout dans l'ordre de choses actuel,
24*
562 LA SITUATION EN JANVIER 1879.
dût-on y employer le fei' et le feu. A l'heure présente, et
malgré des succès inespérés, l'Allemagne du Nord se
débat sous les étreintes du socialisme qui l'enveloppe de
toutes parts. Aveugle qui ne voit pas ce péril, le plus
grand des temps modernes. Il n'y a que les politiques à
courtes vues qui s'obstinent à ne pas prévenir de si redou-
tables éventualités. Si le socialisme n'est pas encore pour
chaque pays le danger d'aujourd'hui, il sera pour tous le
danger de demain. Voilà pourquoi le Souverain-Pontife,
plus clairvoyant que certains hommes d'Etat, parce qu'il
voit de plus haut et du plus loin, dévoile le mal que l'on
voudrait dissimuler, en même temps qu'il indique les
seuls remèdes vraiment efficaces et salutaires. »
Ceux que le flot des révolutions a portés au pouvoir en
France, en Belgique, en Italie, se rendront-ils aux ensei-
gnements du chef de l'Eglise, nous n'osons pas l'espérer :
on ne remonte pas certains torrents.
On lit dans un joufnal belge :
« La Révolution suit son cours d'une manière aveugle
et fatale. Certains obstacles pourront retarder sa course
furietlse; aucun ne pourra l'arrêter, jusqu'à ce qu'elle
arrive au fond de l'abîme où elle se brisera, selon la pré-
diction de Pie IX.
» Nous allons donc là voir rouler sans ï'oftibre d'un
obstacle, ce qui lui permettra d'aller très-vite. »
L'organe des libres-penseurs, la Revue des Deiix-Mondes,
après avoir examiné où en est la Révolution, fait ces
aveux :
« Sa banqueroute est désormais un fait accompli, irré-
vocable. Il n'est pas une seule de ses promesses que la
Révolution n'ait été impuissante à tenir; il n'est pas un
seul de ses principes qui n'ait engendré le contraire de lui-
même...
LA SITUATION EN JANVIER 1879. 563
» La liberté 1 elle n'a jamais pu nous la donner qu'avec
intermittence.-.. L'égalité, elle l'a compromise par une in-
terpiclation brutalement matérialiste qui, renversant les
rôles, reconstruit au profit de la pauvreté et de l'igno-
rance les privilèges de la science et du rang.
» Pour toute fraternité, elle ne nous a fait connaître
jusqu'à présent que celle de Gain pour Abel...
» Le règne de la loi ! nous avons vu vingt fois la révolte
l'interrompre.
» La souveraineté nationale t nous avons vu commenl
s'en jouent les minorités factieuses...
» Les droits de la conscience I îiOîiË sàvdîis avec quel
ipéspect ils ont été traités!
» L'unité nationale! nous l'âVoilS Vu filer ètîriehàcér par
cette doctrine soudainement sortie de terre sous le nom de
Commune, qui ne demandait rien doins que la désagré-
gation de toutes les molécules nationales.
« L'idée de patrie l le cosmopolitisme des nouvelles doc-
trines populaires la nie ou l'ignore; on se tait sur son
compte^ on n'a l'air d'y tenir que médiocrement.
» La supréniatilî politique de la France ! la Révolution
l'a perdue... »
Là ïiévoluiion a dOnc trompé depliis quatre-vingts ans
les honriêtes gens, qui, d'abord abusés par ses promesses;
avaient pu espérer eh elle. L'Éiirope revieiidrà à l'Église,
où elle périra.
La Révolution a commencé par la proclamation des
droits de l'homme; elle finira, dit un éminent philosophe,
par la proclamation des droits de Dieu.
PIECES JUSTIFICATIVES.
Un roi de France disait que a si la bonne foi était bannie du
milieu des hommes, elle devrait se retrouver dans le cœur des
rois. » Cette qualité d'une âme royale mancpie surtout à Bona-
parte. Les premières victimes connues de la perfidie du tyran
furent deux chefs des royalistes de la Normandie. MM. de Frotté
et le baron de Commarque eurent la noble imprudence de se
rendre à une conférence où on les attira sur la foi d'une pro-
messe ; ils furent arrêtés et fusillés. Peu de temps après ,
Toussaint Louverture fut enlevé par trahison en Amérique, et
probablement étranglé dans le château où on l'enferma en Eu-
rope.
Bientôt un meurtre plus fameux consterna le monde civilisé.
On crut voir renaître ces temps de barbarie du moyen âge, ces
scènes que l'on ne trouve plus que dans les romans, ces catas-
trophes que les guerres de lllalie et la politique de Machiavel
avaien*. rendues familières au-delà des Alpes. L'étranger, qui
n'était point encore roi, voulut avoir le corps sanglant d'un
Français pour marchepied du trône de France. Et quel Fran-
çais, grand Dieu! Tout fut violé pour commettre ce crime :
droit des gens, justice, religion, humanité! Le duc d'Enghien
est arrêté en pleine paix, sur un sol étranger. Lorsqu'il avait
quitté la France, il était trop jeune pour la bien connaître;
c'est du fond d'une chaise de poste, entre deux gendarmes,
qu'il voit, comme pour la première fois, la terre de sa patrie,
et qu'il traverse, pour mourir, les champs illustrés par ses
aïeux. 11 arrive au milieu de la nuit au donjon de Vincennes. A
la lueur des flambeaux, sous les voûtes d'une prison, le petit-fils
du grand Condé est déclaré coupable d'avoir comparu sur des
champs de bataille; convaincu de ce crime héréditaire, il est
aussitôt condamné. En vain, il demande à parler à Bonaparte
(ô simplicité aussi touchante qu'héroïque I), le brave jeune
homme était un des plus grands admirateurs de son meurtrier;
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 868
il ne pouvait croire qu'un capitaine voulût assassiner un soldat.
Encore tout exténué de faim et de fatigue, on le fait descendre
dans les ravins du château; il y trouve une fosse nouvellement
creusée; on le dépouille de son habit; on lui attache sur la
poitrine une lanterne pour l'apercevoir dans les ténèbres et
pour mieux diriger la balle au cœur. Il demande un confes-
seur; il prie ses bourreaux de transmettrai les dernières mar-
ques de son souvenir à ses amis ; on l'insulte par des paroles
grossières. On commande le feu; le duc d'Enghien tombe
sans témoins, sans consolation, au miUeu de sa patrie, à quel-
ques lieues de Chantilly, à quelques pas de ces vieux arbres
sous lesquels le saint roi Louis rendait la justice à ses sujets,
dans la prison où M. le Prince fut renfermé; le jeune, le beau,
le brave, le dernier rejeton du vainqueur de Rocroi, meurt
comme serait mort le grand Condé, et comme ne mourra pas
son assassin. Son corps est enterré furtivement, et Bossuet ne
renaîtra point pour parler sur ses cendres.
(CH.\TEAUBRLiXT.)
Voici, sur l'assassinat du prince de Condé, le témoignage
d'un homme qu'on ne saurait accuser de partialité à l'endroit
des Bourbons; nous citons les propres paroles de M. Dupin :
« La mort de l'infortuné duc d'Enghien est un des événe-
ments qui ont le plus affli are la nation française; il a désho-
noré le gouvernement consulaire.
>> Un jeune prince, à la fleur de l'âge, surpris par trahison
sur un sol étranger, où il dormait en paix sous la protection
du droit des gens, entraîné violemment vers la France, traduit
devant de prétendus juges, qui, en aucun cas, ne pouvaient
être les siens, accusé de crimes imaginaires, privé du secours
d'un défenseur, interrogé et condamné à huis clos, mis à mort
de nuit dans les fossés du château fort qui servait de prison
d'Etat; tant de vertus méconnues, de si chères espérances dé-
truites, feront à jamais de cette catastrophe un des actes les
plus révoltants auxqiiels ait pu s'abandonner un gouvernement
absolu !
» Si aucune forme n'a été respectée; si les juges étaient
incompétents; s'ils n'ont pas même' pris la peine de relater
566 PIÈGES JUSTIFICATIVES.
dans leur arrêt la date et le texte des lois sur lesquelles ils
prétendaient appuyer celte condamnation; si le malheureux
duc d'Enghien a été fusillé en vertu d'une sentence signée en
blanc ... et qui n'a été régularisée qu'après coup i alors ce n'est
plus seulement l'innocente victime d'une erreur judiciaire j
la chose reste avec son véritable nom : « c'est an odieux assas-
sinat. »
» Pas un seul témoin n'a été entendu ni produit contre l'ac-
cusé. L'accusé est déclaré coupable! coupable de quoi? le juge-
ment ne le dit jias. »
Pendant les jours de son exil, Napoléon, rentrant en lui-
même, avoua au comte de Las Cases le tort qu'il avait eU en
faisant ainsi assassiner le duc d'Enghien. « tin jôUr,^ dit l'âutèur
du Mémorial de Sainte-Hélène, après avoir parlé avec rtioi dii
sort et de la jeunesse de ce prince infortuné, l'efnpereur ter-
mina en disant : Et j'ai appris depuis, mon cher, qu'il m'était
favorable ; on m'a assuré qu'il ne parlait paà de moi sans quelque
admiration, et voilà pourtant la justice distributive d'ici-bas?
Note de la page 385.
C'est toujours une chose très-délicate que d'avoir à parler
publiquement d'une femme, surtout quand elle a occupé une
position importante et lorsque ses fils sont encore vivants.
« Quand on a eu les profits de la vie politique, dit de Pradt,
on a couru les dangers de l'histoire. » On a dit aussi qu'on ne
devait que la vérité aux morts. Quoi qu'il en soit, puisqu'on
a cru qu'il ne fallait pas attendre que les passions politiques
fussent un peu apaisées pour écrire la Vie de Marie-Amélie,
reine des Français, c'est notre droit de contrôler cet ouvrage.
Un publiciste très-distingué, bien au courant de l'histoire
contemporaine, M. U. Maynard, a écrit une critique remarquable
du livre de M. Auguste Trognon. Nous allons la reproduire en
grande partie, d'après la Bibliographie catholique :
Précepteur des princes d'Orléans, hôte et commensal, à ce
titre, du Palais-Royal et des Tuileries; puis, par reconnaissance
et par dévouement, compagnon d'exil, à Claremont, de la
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 567
famille détrônée, M. Trognon est d'abord un témoin racontant
une vie dont près de la moitié, plus de quarante années, s'est
déroulée estérieurement sous ses yeux, et dans l'inliraité de
laquelle une confiance, une amitié honorable l'ont introduit
plus avant qu'aucun. D'ailleurs, les fils de la feue reine, en le
chargeant d'écrire l'histoire de leur mère, lui ont livré tout
ce qu'ils possédaient de documents propres à l'aider dans son
travail, en sorte que jamais historien, par lui-même ou par
d'autres, n'a été mieux renseigné. A l'avantage de telles infor-
mations a-t-il joint les qualités ou conditions d'esprit et de
cœur indispensables en pareil cas, à savoir, l'impartialité et
l'indépendance? L'indépendance la plus complète, il affirme
qu'elle lui a été laissée par les princes pendant la composition
et après l'achèvement d'un travail dont aucun d'eux n'a eu
communication avant le pubUc mêmej mais lui a-t-elle été
laissée également par la reconnaissance? Non que la recon-
naissance soit nécessairement une muse trompeuse ; mais elle
porte quelquefois à exagérer l'admiration et la louange. Or,
suivant nous, il y a exagération dans l'idée et le sentiment
que la bienfaitrice inspire à l'historien, et qui, pour elle, va
jusqu'à une sorte de culte. Grande femme, grande reine,
grande sainte, telle est à ses yeux Marie-Amélie, telle il
voudrait qu'elle parût aux nôtres. Epouse fidèle et dévouée,
exceUente mère de famille, chrétienne croyante et pieuse, à
la bonne heufe, et encore avec quelques restrictions, et avec
les défauts de quelques-unes de ses quâUtés; mais, au-delà, il
y a excès, et c'est presque toujours au-delà que M. Trognon
s'attache ou tend à nous emporter.
Qu'elle qu'ait été Marie-Amélie pour les siens et pour ses
amis, pour elle-même et devant Dieu, on doit dire hardiment
que son rôle et son action ont été funestes à la France. Et
plus ou voudra, avec M. Trognon, lui accorder de part dans la
vie publique de son mari, plus on aggravera sa responsabilité,
plus on provoquera contre elle un jugement sévère. 11 n'y
aurait donc qu'un moyen de lui conserver les sympathies des
uns et de faire amnistier sa mémoire par les autres : ce serait
de ne lui donner qu'un rôle à la suite,*^u'un rôle d'eftacement
S68 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
soumis et de dévouement aveugle; mais alors elle n'aurait pas
d'Iiiî^toire, et il n'y aurait pas lieu d'écrire sur elle près de
cinq cents pages. En tout cas, cette histoire, même telle que
l'a écrite M. Trognon, et malgré ses efforts intempestifs pour
maintenir Marie-Amélie sur un premier plan, qui jamais peut-
être — et nous le voudrions — n'a été le sien, est beaucoup
trop longue; et lui-même, à chaque instant, est obligé de
s'arrêter dans ses hors-d'œuvre, en disant : Mais je n'ai à
raconter ni l'histoire du roi ni l'histoire de France; je ne suis
que l'historien de la reine.
Mais, si diminuée qu'on fasse l'action publique et politique de
Marie-Amélie, il en reste encore assez pour motiver notre refus
de nous associer à l'admiration que lui a vouée et que prêche
son historien. Le 43 juillet 1810, grosse de son premier-né, elle
écrivait à son mari une lettre ignorée de M. Trognon ou passée
prudemment sous silence, et où nous lisons : « Les Français
seraient bien aises de m'avoir dans leurs mains pour éteindre
l'unique branche des Bourbons qui put leur porter ombrage. »
Elle croyait porter dans son sein le roi de France ! Hélas ! combien
cette ambition maternelle amoindrit et attiédit d'avance le pa-
thétique de la catastrophe du 13 juillet 1842 et de la descente
nocturne des deux vieillards au tombeau de l'aîné de leur race !
et qu'on aurait été tenté, en effaçant les trente-deux années qui
séparaient ces deux dates, et en les confondant dans ce jour
essentiellement révolutionnaire du 13 juillet, de leur dire :
Laissez passer la justice de Dieu!
Cinq ans après, Marie-Amélie fuyait devant Bonaparte; et,
au lieu de partager l'exil du roi, elle se réfugiait en Angle-
terre, commençant dès lors ce divorce de la famille d'Orléans
avec la royauté légitime. En 1824, cette grande chrétienne pa-
rait épouser l'idée de son mari, pensant qu'il fallait profiler de
la lacune causée par les inlirmités de Louis XVllI pour laisser
tomber la tradition du sacre comme inutile et comme texte de
raillerie; et, en effet, dans le récit du sacre de Charles X, que
contient son journal, il n'en est parlé que comme d'un spec-
tacle profane (p. 153). Un peu plus tard elle se jette, corps et
âme, dans l'iutrigue de la baronne de Feuchères, pour faire
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 569
passer à son fils d'Aumale le riche héritage des Condé, et la
femme vertueuse, la vertu en personne, introduit à la cour,
pour se la rendre favorable, la femme vicieuse, le vice person-
nifié dans la baronne. — Pas un mot de cela, bien entendu,
dans le si copieux récit de M, Trognon.
Mais c'est dans la participation de Marie-Amélie à la révolu-
tion de 1830 que nous puiserons, au besoin, les considérants
d'un verdict contre elle. 1830 est peut-être la date la plus
funeste de notre histoire, plus funeste que 93 et que 1870;
93 n'était qu'un coup de force et de violence', impuissant
contre le droit, qu'un orage troublant, mais ne détruisant pas
la Constitution française; 1870 n'est qu'une conséquence.
1830, ce n'est plus la révolution accidentelle et de fait, c'est la
révolution légalisée, sinon légitimée, passant comme chose
obligée et ordinaire, dans les lois, les mœurs et les habitudes
de la France. 1830 appelait fatalement 1848, 1832, 1870, et
seule elle empêche, à l'heure présente, la malheureuse France
de reprendre son tempérament, de sortir d'un provisoire mortel
et de retourner aux conditions essentielles de sa vie. — Or, aux
premières démarches des chefs de 1 830 auprès du duc d'Orléans,
Marie-Amélie n'opposait que ce scrupule d'épouse : « Ils l'ap-
pelleront usurpateur, lui le plus honnête des hommes. » Elle
cède cependant à la prétendue nécessité; et, au départ de son
mari pour l'Hôtel-de-Ville, elle lui fait ses adieux « comme à
une victime qui allait se dévouer au salut de son pays »
(p. 18o). — Victime peut-être, avec un répit de dix-huit ans;
mais dévouée, à quoi? au pays ou à l'ambition personnelle? —
— Le !•=' août, la révolution réclame ses instances, pour obte-
nir de son mari qu'après avoir accepté la lieutenance générale
du royaume, « il complète son sacrifice en acceptant la cou-
ronne » (p. 187). Elle ne refuse pas des instances, suivant nous
peu nécessaires, « voyant bien, — dit le panégyriste de cette
grande chrétienne, — dans les événements qui portaient, mal-
gré lui (?), son mari, Tordre souverain de la Providence »
(p. 189). Et huit jours après, elle se résignait à se faire saluer
du nom de reine! S'il lui restait quelques doutes sur son droit,
elle se rassura bientôt devant les députations provinciales
570 PIÈGES JUSTIFICATIVES.
« donnant au vote des Chambres l'incontestable ratification du
suffrage universel » (p. 198). Elle se confirma de plus en plus
dans sa sécurité, et, de plus en plus, elle, l'adversaire du sacre,
elle donna à la royauté usurpée de 1830 une sorte de consécra-
tion religieuse. « En y réfléchissant chaque jour devant Dieu,
elle en était venue à acquérir la pleine conviction de la mission
providentielle assignée à son mari, du devoir et du droit qu'il
y avait pour lui de laire ce qu'il avait fait >» (p. 213). Et jamais
elle ne se repentit, même en entendant Louis-Philippe exilé
reporter à un autre exilé tout le bénéfice du droit royal. Lors
des négociations fusionistes de 18bl et 1852, elle refusa, comme
la mOre ae ses pelils-fils, touve accession au véritable principe
monarchique. Se voyant par là « condamnée à l'implicite aveu
de l'usu ation de son mari, tout aussi résolument aue ses fils,
elle repoussa une transaction politique qui eût eu celte signifi-
cation humiliante. » Et à une dame qui combattait sa résolu^
tion, elle répondit avec vivacité : « Ma chère, vous ne voyez
donc pas qu'on veut nous faire passer sous les fourches cau-
dines! » (p. 409). De même, en 1866, à Nervi, quand elle reçut
la visite du comte de Chambord , elle s'obstina dans l'idée
« que, pour les deux branches, il y avait autant que jamais im-
possibilité de s'entendre » (p. 432). Quelques semaines après,
cette épouse, cette mère de l'orléanisme mourait dans l'impéni-
tence finale.
Un prince de la maison de Finance vient de âésertei' le dra-
peau de ses pères ..., ce drapeau blanc qu'une longue suite de
rois, ses aïeux, avait conduit à la victoire dans plus de cent
batailles, et dans les plis duquel la France heureuse et respec-
tée s'était trouvée si longtemps à l'abri de toute atteinte de
l'ennemi.
Reniant les traditions de ses aînés, oubliant dix siècles de
gloire et de prospérité, M. le duc d'Aumale a osé, dans le pa-
lais même de Louis XIV, arborer, en face de son pays, le dra-
peau tricolore et l'a proclamé l'emblème de la victoire, le
symbole de la concorde.
Ce drapeau tricolore, emblème de la victoire, n'a rien su gar-
PIÈCES JUSTIFICATIVES, 571
der de ses victoires ..., il n'a même pas su protéger l'Alsace et
la Lorraine; Metz et Strasbourg no le voient plus sur leurs
remparts, et il s'est rencontré un homme qui l'a déshonoré à
Sedan 1
M. le duc d'Aumale ose dire à la France que le drapeau tri-
colore est le symbole de la concorde. Le symbole de la con-
corde i*. ce drapeau qui n'a jamais été déployé que par la main
de la Révolution !
Peut-il appeler la concorde 89 et 93, les journées des 5 et
6 octobre, la spoliation du clergé, le 10 août, les massacres des
prisons, le martyre d'une famille royale, le règne de la Ter-
reur, les profanations sacrilèges, l'anéantissement de la religion
et le culte de la déesse Raison ?
Peut-il appeler la concorde le premier empire, c'est-à-dire
le fossé de Vincennes, les guerres criminelles, le bouleverse-
ment des empires, l'épuisement des peuples, la Papauté con-
duite en caplivUé?
Peut- il appeler la concorde? 1830, c'est-à-dire le rapt d'une
couronne fait à un enfant, l'usurpation d'un trône, le sac d'un
archevêché, la profanation des églises, l'humiliation de la
France devant l'Angleterre, le règne du voltairianisme, l'en-
fance de la libre pensée ?
Comment oser appeler le drapeau tricolore le symbole de
la concorde, lorsqu'il n'est que le symbole de la discorde au
sein d'un grand peuple, la cause de la désunion d'une famille
royale, et l'obstacle qui arrête la régénération d'une puissante
nation ?
Ah ! l'on comprend que M. le duc d'Aumale porte haut et
fier ce drapeau.
C'est le drapeau tricolore qui flottait aux Tuileries, quand
les régicides envoyaient le roi son aïeul à l'échafaud; c'est
dans ses pUs qu'a roulé la tête du plus honnête des monar-
ques !
On comprend que M. le duc d'Aumale ait de la vénération
pour ce drapeau.
C'est en « proclamant qu'il portait avec orgueil ses glo-
rieuses couleurs, » qu'un prince, son père, après avoir pris
5/2 PIECES JUSTIFICATIVES.
rengagement solennel de se faire mettre en pièces plutôt que
de se laisser mettre la couronne sur la tète ..., abandonnait
un enfant, un iîls de France, dont on le faisait le tuteur, dont
on lui confiait la couronne, lui prenait cette couronne et son
trône, et le condamnait à passer quarante années de sa vie en
exil sur la terre étrangère !
On comprend que M. le duc d'Aumale ne puisse vivre en
paix qu'à l'ombre du drapeau tricolore :
C'est sous la protection de ce drapeau que résidait en France
Hn vieillard, un Condé, qui fut trouvé mort à Saint-Leu, le
matin même du jour où il voulait aller rejoindre en exil les
princes de sa race, pour se faire pardonner sans doute sa fai-
blesse d'avoir dépouillé de sa royale fortune, au profit d'un
autre, l'héritier de saint Louis et d'Henri IV 1
Mais la France qui, avec le drapeau tricolore, a perdu deu-x
de ses plus belles provinces et a été obligée de payer cinq
milliards, la France, épuisée par les divisions que ce drapeau
a jetées dans son sein, trouvera-t-elle, avec M. le duc d'Aumale
que l'étendard de la Révolution lui apporte dans ses plis, le
repos, la fortune et la gloire, et ne dira-t-elle pas bientôt à ce
"Valois révolutionnaire :
« Prince! réfléchissez quand il en est temps encore, au lieu
d'allumer des feux de Bengale au château des Condés, devenu
votre héritage, à l'heure où vous auriez dû vous vêtir de deuil
et prier avec l'Eglise et tout un peuple pour les martyrs de la
Commune !
» Réfléchissez, et si vous aimez vraiment votre patrie, rangez-
vous sous la bannière de Rocroy, de NordUngen et de Fontenoy,
à la suite du fils de saint Louis.»
riN.
TABLES DES MATIERES.
Lettre de Msr Mercurelli v
Avant-Pkopos vu
Introduction xi
LIVRE PREMIER.
iM grande Révolution, de 1*389 à IgOO.
CHAPITRE PREMIER — Les coryphées de la Révolu-
tion. — Les pionniers de l'impiété — Jean-Jacques Rousseau.
— Jean-Jacques Rousseau met fin à sa vie infâme par le suicide.
— Voltaire. — Aveux de Voltaire. — Mort de Voltaire. — Con-
dorcet. — Supplice de Brissot. — Fin misérable de Jean Carra,
ennemi de Dieu et des rois. — L'apostat Chabot meurt comme
il a vécu. — Marat. — Pétion termine par le suicide sa misérable
carrière. — Le sanguinaire Carrier condamné à mort par ses
propres complices. — Chaumette, le bourreau des prêtres. —
Georges Schneider. — CoUot d'Herbois. — Hébert (Jacques-
Renej. — Saint-Just Anloine-Louis-Léon). — Danton (Georges-
Jacques^. — Fabre d'Eglantme. — Fouquier-TinviUe. — Hérault
de Séchelles, Jourdan. — Lacroix et Lebon. — Robespierre. —
Robespierre le jeune. — Roux. — M"* Roland. — Pag. 1 à 73.
CHAPITRE II. — Louis XVI et ses bourreaux. — La Con-
vention. — Le 21 janvier. — La Terreur. — Supplice des bour-
reaux. — Louis-PhUippe d'Orléans-Egalité. — Philippe-Egalité
assiste à la mort de Louis XVI. — Mort d'Egalité. — Le tour des
apostats. — Grégoire (Henri). — Scènes de la Révolution dans
le Velay. — Le sermon qui fait tomber la grêle. — Les sans-
culottes reçoivent une grêle de balles ayant le verre en main. —
Le coup de fusil qui produit l'effet de la foudre au milieu des
saccageurs et brûleurs révolutionnaires. — Pag. 74 à 135.
CH.^PITRE III. — Les profanateurs d'églises et les as-
sassins des prêtres. — Coup d'oeil rétrospectif. — Punitions
éclatantes des acquéreurs et des profanateuri» des édifices sacrés
574 TABLE DES MATIÈRES.
en Angleterre. — ChCiliments des profanateurs en France. —
Punition terrible subie par un révolutionnaire. — Un révolu-
tionnaire châtié dans son enfant. — Relation de l'incendie de la
ville de Saint-Claude, en juin 1799. — Triste sort des profana-
teurs. — Châtiments éclatants. — Telle vie, telle mort. — Le
Bon Dieu de Pitié profané par un jacobin. — La vengeance di-
vine."— Une orgie sacrilège. — Extraits des mémoires du temps.
— On ne se moque pas de Dieu en vain. — Terrible punition
des profanateurs. — Justice et miséricorde. — Scandale sur
scandale. — Pag. 136 à 18o.
CHAPITRE IV. — Châtiments des outrages faits a Marie.
•^ Les ennemis de la sainte Vierge. — Punition d'une injure
faite à Marie. — Le démon, ministre des vengeances de Dieu. —
Révolutionnaires punis. — Punition des profanateurs. — Le
Pataud. — Les profanateurs du sanctuaire de Notre-Dame de
Rochefort punis. — Punitions exemplaires. — Un maire révolu-
tionnaire. — La punition d'un blasphémateur. — Une scène de
la Passion et la justice de Dieu. — Triste sort d'un révolution-
naire de Cagny. — Dieu venge la gloire de saint Joseph. —
Notre-Dame de Benoîte-Vaux, diocèse de Verdun. — Punition
et miséricorde. — Le Christ de l'église et celui du calvaire do
Beuvron. — Malheur des profanateurs de la Croix. -— La croix
de Merrey-Choiseul (Haute-Marne). -^ La statue de saint Thi-
baut, à Clermont, profanée, — Un briseur d© Croix. —
Pag. 183 à 233.
CHAPITRE V. — Châtiments des outrages faits aux
PRiîïRES. — Le tonnerre, ministre de la justice de Dieu. — Un
révolutionnaire mort en blasphémant. — Un bourreau de trente
prûtres. — Un démagogue dévoré vivant par les vers. — Mort
affreuse d'un impie. — La fille de la Punition. — Assassins des
prôlres punis de Dieu. — Pag. 236 à 237.
LIVRE DEUXIÈME.
Lnttc des Papes aveo la lïévolullop, de fldl à IS85.
CHAPITRE PREMIER. — Malheurs et chutes des souve-
rains PEUSÉOUTEURS DB lEglise. — Pie VI et Joseph II. —
Joseph II malheureux dans toutes ses entreprises. — Pie VI et
le Directoire. -^ Psig. 238 à 273.
CHAPITRE II. — Pie VII et Napoléon Bonaparte. — Ju-
gement de Chateaubriaut sur Napoléon. — Les vertiges de l'am-
bition. — La bulle d'excommuaicalion. — Enlèvement du Pape.
TAiJLE BES MATIÈRES. 57g
- Pie yil transféré à Fontainebleau ^ Les effets de l'excom-
murucation. - Jugement de Chateaubriant sur ce désalfre -
Paroles remarquables de M. de Fontanss. - Angoisses de Napo-
léon à Fontainebleau. - Napoléon tente de se SMicider. - Hu-
Mnï'^Hp N ^Pr'°^- - J"«^P^« du pape. - Sainte-Hélfne.
- Mor. de Napoléon. - Coup d'oeil rétrospectif sur la dernière
pvtie du xviiie siècle. — Pag. 274 à 348. ciuieio
LIVRE TROISIÈME.
La Révehilion de juillet flS30.
JS^^^l^^^ PREMIER. ^ Pehsécution reugibuse et im-
piété DU NOUVEAU GOUVEBNEMEMEXT. - L'église de SainfP
Geneviève profanée. - Sac de Saint-Geria'r AuxerlL t
Pillage et destruction du palais archiépiscopal de Paris -'lT
justice de Dieu et la vengeance d'un archevêque - Châtel
primat de 1 Eglise française. - Les abatteurs de' croix. - Pro-
mort. - La peine du tahon. - Terribles punitions infligées aux
profanateurs des croix. - Un impie mort sur le coup - PrÏÏ^.
na ion de la croix de Saint-Paul (île de la Réunion^ en 1833 1
Solennelle réparation en 1865. - Sacrilège puni. - Treize ïm,
pies morts à l'hôpital. - Pag. 349 à 380. ^
d„?!m^^^^^ "■ r ^«^"^^^^^N^'S i>ES d'Orléans. - Mort du
duc d Or.eans. - Le testament du duc d'Orléans - La rroiv
^'ly^^'^tf' '-^^ - ^-^-^^erdu d'uc d'oli
CHAPITRE III. - DERNIÈRES années et CHATIMENTS D"
iTïlTr^- - ^'?''' ^^'^^^^«^ d« Louifpbi ppe avec
Mgr Aifre, archevêque de Paris. - Humiliations des d'Orléan
— Quelques injustices en Belgique sous 1p rprr„a h,, ^ ^
Louis-Philippe. -Pag. 390 à 407! ® ^"^ ^^""^'^ ^"^
LIVRE QUATRIÈME.
I.a Révoladon en Italie, de I8J8 à fl8'V9.
Inv^^^^^™^ PREMIER. - Le Piémont révolutionnaire ~
Invasion piemontaise. - Pag. 408 à 418. ^^^uhonnaire. ~
rw^^^^J,^^."- ~ -""^^ ^^^«os de la révolution it-vuenn-f
l^on Pt n'rT L^P°li"^"e de Challes-Albert -1 Peislc^
lions et spoliations de l'Eglise sous Charles-Albert. - tS-t
S76 TABLE DES MATIÈRES.
déplorable de Gioberti, le théologien de la révolution italienne.
— Pag. 419 à 428.
CHAPITRE III. — Anarchie et châtiments de l'Italie
RÉVOLUTIONNAIRE. — Victor-Emmanuel. — Le comte Cavour. —
La politique et la mort de Cavour. — Mort d'Armellini. — La mort
de Farini, digne de sa vie abominable. — Cassinis, l'ex -ministre
des cultes, met fin à ses jours. — Le comte de Syracuse. — Ua
ennemi du pape dévoré par son chien. — Punitions exemplaires.
— Les coups multipliés de la justice de Dieu. — Terribles pu-
nitions des blasphémateurs. — Madones profanées. — Scélérats
punis. — Laissez passer la justice de Dieu. — La main de Dieu
— Pag. 429 à 472.
CHAPITRE IV. — Le Piémont révolutionnaire a Rome. —
Châtiments des révolutionnaires à Rome. — Les Garibaldiens à
Rome. —Mort de Mazzini. — Le doigt de Dieu. — Pag. 473 à 489.
CHAPITRE V. — Les derniers jours de Victor-Emmanuel.
— Pag. 490 à 500.
CHAPITRE VI. — Les MÉCOMPTES dk l'Italie unifiée. —
Pag. 501 à 509.
CHAPITRE VIL — Las mauvais jours d'Humbert et db
Marguerite. — Tentative d'assassinat du prince Humbert. —
Pag. 510 à 522.
, LIVRE CINQUIÈME.
Louis-IVapoléon et les lualkeurs de la FrAucc,^
de IHTIO à 1SK9.
CHAPITRE PREMIER. - La question romaine. — P. 523 à 523.
CHAPITRE II. — Les représailles de la justice divine. —
La justice de Dieu à Sedan. — Un épisode inédit de Sedan. — »
— La mort de Louis-Napoléon. — Pag. 326 à 339.
CHAPITRE III. — La Commune et ses horreurs. — Les
'héùtres de la révolution détruits par le feu. — Pag. 340 à 540
CHAPITRE IV. — Mort déplorable db Thiers. — Pag. 347|
à 5o2. ;
CHAPITRE V. — La situation en janvier 1879. — Catho-I
licisme ou socialisme. -— Pag. 533 à 363. !
PiÈGES justificatives. — P. 564 à 572.
BR 846
Huguet, R. P.
(Jean-Joseph), b. 1812.
Terribles châtiments
des révolutionnaires
AWP-3530 (mcsk)
É^.
:fimr:
/> ^
,^^%fp
m^î
mr^^:
M- •^•-•^
^1^.- "^^
^r-^^îîn^