Skip to main content

Full text of "Terribles ch^atiments des révolutionnaires ennemis de l'église depuis 1789 jusqu`en 1879"

See other formats


T.  MIC 

0401 

rpîil 

Pi 

UNIVERSITYOFS 

3  1761 

y^H 

^■1 

^p 

g*"J'J^ 

T^>: 


JOHN  M.  KELLY  LIBDADY 


.^ 


D/  W 


M 


7. 


j 


Donated  by 
The  Redemptorists  of 
the  Toronto  Province 

from  the  Library  Collection  of 
Holy  Redeemer  Collège,  Windsor 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


Y,  W^5-"-^^' 


■'^'  I 


A 


\CHA5^ 


TEREIBLES 


CHATIMENTS 


DES  EEYÛLUIIONiXAIRES 


b 


A   LA   MÊME    LIBRAIRIE 


L'ART  DE  LA  CONVERSATION 

AU  POINT    DE  VUE   LITTÉRAIRE  ET  CHRÉTIEN 
PAR  LE  R.  1*.  HLGIET.  ^.  M. 

QUATRIÈME     ÉDITION    NOTABLEMENT     AUGMENTEE 

Un  joli  vol.  in-12,'  papier   glacé.  Prix,  broché.      1  fr.  50, 


Table  des 

1.  De  la  Conversation. 
II.  De  la  Prononciation. 

III.  Des  Gestes  et  du  Maintien. 

IV.  Des  Qualités  de  la  Conversation. 
V.  De  l'Esprit  de  mots. 

VI.  De  la  Réflexion  nécessaire  pour 

bien  parler. 

VII.  De  la  Discrétion. 

VIII.  Combien     il    est   important   et 
avantageux  de  parler  peu. 
IX.  Du    Talent   d'écouter  ceux  qui 

parlent. 
X.  Des  Discussions. 
XI.  Des  Propos  saintement  joyeux. 


chapitres. 

XII.  De  la  Politesse  dans  la  Con- 
versation. 

XIII.  Des  Louanges  et  des  Compli- 

ments. 

XIV,  Du  Tact  ei  des   BienséanceF. 
XV.  Des  Formules  de  politesse. 

XVI.  Du  Tutoiement. 

XVII.  Du  Mensonge. 

XVlll.  De     la    Fidélité  à  garder   les 
secrets. 
XIX.  Caractères    et     Portraits     de 

mœurs, 
XX.  Maximes    de  Joubert    sur 
Conversation. 


la 


La  conversation  est  un  art  utile  et  difficile  :  art  utile,  la  conversation  a  louché 
plus  de  cœurs,  détendu  plus  de  situations,  dénoué  plus  de  nœuds  gordiens  qne 
tous  les  sermons,  toutes  les  lettres  et  tous  les  coups  d"épée  du  monde  :  art  difli- 
cile,  quiconque  a  été  un  peu  versé  dans  lasociéié  où  l'on  prétend  causer  s'en  est 
vite  aperçu.  Le  nombre  de  sots  est  infini,  dit  l'Écriture;  on  eu  peut  dire  autant 
de  celui  des  bavards,  l'un  n'allantguère  sans  l'autre. On  y  compte  un  certain  nom- 
bre de  beaux  diseurs  ;  quelques  parleurs  admirables...  mais  d'aimables  cau- 
seurs, enjoués,  savants  et  modestes,  plus  curieux  d'écouter  les  autres  que  de 
parler  eux-mêmes,  ne  le  faisant  qu'à  propos,  avec  mesure,  et  donnant  sur  tout 
la  note  juste  du  bon  ton  et  du  bon  esprit,  on  en  trouve  peu,  si  peu  que  les  étran- 
gers admis  dans  nos  salons  se  demandent,  avec  une  anxiété  d'archéologue,  ce 
que  les   Français  ont  bien  pu  faire  de  leur  esprit  d'autrefois. 

C'est  aux  femmes,  destinées  à  vivre  entre  elles  et  «  inclinées  par  nature  à  ces 
beaux  jeux  de  langue,  »  dit  saint  François  de  Sales,  que  VArt  de  la  conversation 
devient  un  art  utile.  On  y  doit  former  de  bonne  heure  les  jeunes  filles. 

Nous  ne  connais.sons  pas  de  livre  qui  puisse,  mieux  que  celui  que  nous  recom- 
mandons ici,  seconder  le  soin  des  maîtresses  et  la  Iwnne  volonté  des  élèves, 
dans  cette  branche  si  intéressante  de  l'éducation. 

De  beaucoup  le  plus  littéraire  et  le  i)lus  travaillé  des  nombreux  ouvrages  de 
notre  pieux  auteur,  c'est  un  code  sur  autant  qu'aimable  de  la  bonne  caM««r*e. 
L'exemple  y  suit  constamment  le  précepte  :  il  est  tel  chapitre  qu'on  dirait  par/é, 
tant  il  est  plein  de  bonhomie,  de  sel  et  de  franche  gaieté.  D'autres,  évidemment, 
ont  été  écrits  au  sortir  de  quelqu'une  de  ces  assemblées  où  notre  auteur,  as- 
sommé  du  bavardage  incohérent  des  sots  ou  du  lourd  fatras  des  parleurs  .so- 
lennels, n'aura  pu  réussir  à  placer  un  mot  honnête.  Des  uns  et  des  autres  la 
lecture  nous  charme,  nous  forme  et  nous  instruit.  C'est  le  comble  de  l'art,  au 
dire  du  poète. 

Omne  tulit  punctum,  qui  miscuit  utile  duîci. 

Cclui-lî»  a  remporté  le  prix  qui  a  su   mêler  l'utile  à  l'agréable. 

(Le  Ctk  de  Travanet,  du  Conseiller  des  familles.) 


TERRIBLES  CHATIMENTS 


DES 


RÉVOLUTIONNAIRES 

ENNEMIS  DE  L'ÉGLISE 

DEPUIS    1789   JUSQU'EN    1879 
PAR  LE  R.  P.  HUGUET 


SIXIEME    EDITION 
Considérablement  augmentée 

Avec    nne    I^ettre    de  lEonseignear    Hercnrelli 

Secrétaire  de  S.  S.  Pie  [X  pour  les  Lettres  latines 

Tiewc  condamnation  résolue  il  y  w  longtemps 
s'avance  à  grands  pas  et  la  main  qni  doit  Ici 
perdre  n'est  pas  endormie. 

(H*  Epltre  de  saint  Pierre,  di.  II,  T.  3.) 


LIBRAIRIE   DE  PERISSE    FRÈRES 
Nouvelle  Maison  à  PARIS,  38,  nœ  Saint-Sulpice 

BOURGUET-CALAS    SUCCESSEUR 

1883  O 

Tous  droits  réservés.  çOr 

HOLY  REDEEMER  LIBRARY,  WI^SOR 


LETTRE  DE  W'  MERCURELLI 

SECRÉTAJRE  DE  N.  S.  P.  LE  PAPE  POUE  LES  LETTRES  LATINES. 


Rome,  le  8  août  1SC6. 


3  Mon  Révérend  et  très-honoré  Père, 

»  C'est  avec  une  bienveillance  toute  paternelle  que  N.  S.  P. 
le  Pape  a  reçu  vos  trois  volumes  :  Terribles  châtiments  des  révo- 
lutionnaires; —  les  Martyrs  de  la  liberté  de  l'Eglise;  —  Victoires 
de  Pic  IX  sur  les  garibaldiens. 

»  Sa  Sainteté  s'est  réjouie  non-seulement  du  zèle  avec  lequel, 
athlète  aussi  prompt  qu'infatigable,  vous  défendez  la  cause  du 
Siég-e  apostolique,  mais  encore  de  l'enchaînement  habile  que 
vous  savez  mettre  dans  vos  publications,  pour  que,  se  prêtant 
un  mutuel  secours,  elles  excitent  les  défenseurs  de  l'Eglise  et 
brisent  l'audace  de  ses  ennemis. 

)>  Empêché  par  la  multitude  de  ses  occupations,  le  Saint- 
Père  n'a  pu  encore,  il  est  vrai,  parcourir  tous  ces  volumes; 
mais  les  matières  dont  ils  traitent  lui  ont  suffi  pour  en  porter 
un  jugement  favorable.  Les  victoires,  en  effet,  et  les  défaites, 
la  gloire  et  l'ignominie  que  vous  avez  entrepris  de  décrire,  se 
rattachent  les  unes  et  les  autres  au  vieux  cri  :  Non  serviarn,  «  Je 
ne  servirai  pas,  »  qui,  dès  l'origine,  a  ébranlé  le  ciel  et  rendu 
l'homme  rebelle  envers  son  Créateur,  et  plus  tard  a  poussé  l'or- 
gueil humain  à  s'élever  contre  TEglise  en  lui  faisant  une  guerre 
diverse  quant  aux  moyens  d'attaque  et  aux  champs  de  bataille, 
mais  jamais  interrompue. 

«  Mais  aussi,  de  même  que  ce  cri  précipita  les  anges  de  leur 
trône  et  dépouilla  l'homme  de  sa  noblesse  originelle,  ainsi, 
plus  tard,  a-t-il  toujours  été  pour  les  ennemis  de  l'Eglise  la 
cause  de  leur  nnne. 

»  Cette  suite  des  événements  fait  assurément  éclater  d'une 
manière  admirable  la  force  et  la  sagesse  de  la  Providence 
divine.  Les  anges  rebelles  punis,  l'homme  racheté,  l'Eglise 
constamment  soutenue  par  le  bras  du  Tout-Puissant,  et  même 


VI  LETTRE   DE   M^'   MERCURELLl. 

les  attentats  commis  contre  elle  servant  à  assurer  ses  progrès  et 
rehaussant  sa  gloire,  tandis  que  ses  ennemis  se  trouvaient  pris 
dans  les  pièges  qu'ils  lui  avaient  tendus  :  voilà  tout  autant  de 
laits  par  lesquels  Dieu  a  démontré  et  démontre  encore  jusqu'à 
l'évidence  qu'il  existe  un  Souverain  Seigneur  et  Maître  du 
monde,  auquel  sont  dus  le  culte  et  l'honneur,  dont  la  volonté 
dirige  tous  les  événements  humains,  et  qui  ne  manque  jamais 
de  dissiper  les  superbes  par  le  souffle  de  sa  colère,  et  d'exalter 
les  humbles. 

»  Toutes  ces  choses  certainement,  si  on  les  considère  avec 
soin,  et  si,  d'ailleurs,  on  observe  qu'elles  sont  démontrées  par 
une  suite  constante  d'événements,  ne  peuvent  manquer  de 
réprimer  l'arrogance  des  méchants  et  d'affranchir  de  toute 
crainte  les  cœurs  dévoués  à  la  cause  de  Dieu. 

»  C'est  pourquoi  Notre  Très-Saint  Père,  en  vous  félicitant  de 
ce  cpie  vos  autres  ouvrages  ont  été  traduits  en  tant  de  langues 
divei'ses  et  sont  recherchés  si  avidement,  souhaite  à  ces  nou- 
velles publications  un  succès  semblable  pour  le  triomphe  de  la 
justice  et  le  salut  des  âmes,  et,  comme  présage  des  faveurs  cé- 
lestes et  gage  de  son  affection  paternelle,  Pie  IX  vous  accorde 
de  tout  cœur  la  Bénédiction  apostolique. 

»  Chargé  par  Sa  Sainteté  d'être  son  interprète  auprès  de 
Votre  Révérence,  je  vous  félicite  de  toute  mon  âme,  et,  en 
vous  offrant  mes  hommages  particuliers  d'estime  et  de  respect, 
je  demande  à  Dieu  qu'il  vous  comble  de  faveurs  et  de  prospé- 
lités. 

»  Agréez. 

»  François  MERCURELLl, 
s  SccnfUiire  de  N.  S.  P,  le  Pape  pour  les  kUres  latines. 


AVANT-PROPOS 

DE    LA    QUATRIÈME    ÉDITION»! 


La  première  édition  de  cet  ouvrage,  tirée  à  près  de 
4,000  exemplaires,  a  été  rapidement  épuisée.  La  bonne 
et  la  mauvaise  presse  s'en  sont  également  occupées. 
Les  journaux  organes  des  libres-penseurs  et  de  la 
démocratie  rouge  ne  nous  ont  point  ménagé  les  épi- 
thètes  de  leur  répertoire.  Une  feuille  des  plus  avancées 
nous  a  appelé  le  tombeau  des  révolutionnaires  (puisse- 
t-elle  avoir  dit  vrai!)...  Tout  cela  prouve  que  nous  les 
avons  touchés  au  vif  en  révélant  leurs  cruautés,  leurs 
infamies  et  leurs  terribles  châtiments. 

Nous  nous  contenterons  de  citer  ici  le  témoignage 
peu  suspect  d'un  journal  de  l'école  du  Siècle  pour  le 
style  et  les  sentiments  : 

«  Lorsque  vous  lisez  ce  livre,  pour  peu  que  vous 
soj^ez  infecté  de  libéralisme,  dit  le  Progrès  de  Lyoyi 
(numéro  du  6  mai  18G7),  un  léger  frisson  vous  agite... 
Dès  les  premiers  mots  on  est  empoigné  et,  bon  gré  mal 
gré,  on  dévore  les  500  pages. 


VIH  AVANT-PROPOS. 

»  C'est  ce  que  je  viens  de  faire;  et  comme  les 
plaisirs  partagés  me  sont  plus  doux,  je  m'empresse 
d'avertir  mes  concitoyens  qu'un  ouvrage  merveilleux 
vient  de  paraître,  auprès  duquel  les  Odeurs  de  Paris 
sont  plus  fades  que  le  lait  d'une  blanche  brebis  auprès 
de  la  liqueur  aimée  des  braves.  La  massue  de  Louis 
Veuillot  n'est  plus  qu'un  cure-dents.  Les  révolution- 
naires, les  démocrates  n'ont  plus  qu'à  se  convertir  sur 
l'heure,  »  etc. 

Mais  assez  de  cette  littérature  qui  justifie  une  fois 
de  plus  le  mot  d'un  grand  écrivain  :  Le  style  c'est 
thomme. 

Voici  le  jugement  porté  par  le  journal  le  Monde  sur 
les  Terribles  Châtiments  des  Révolutionnaires  : 

(f.  Le  P.  Huguet  vient  de  compléter  son  beau  travail 
sur  l'auguste  Pie  IX,  approuvé  par  les  prélats  les  plus 
éminents,  en  publiant  un  nouveau  volume  qui  ne  le 
cède  pas  en  intérêt  aux  précédents.  Cet  ouvrage,  fruit 
de  longues  recherches  puisées  aux  sources  les  plus 
authentiques,  est  une  éloquente  justification  de  la  Pro- 
vidence à  notre  époque  où  l'injustice  et  la  force  brutale 
paraissent  toujours  impunies  et  triomphantes  aux  yeux, 
du  vulgaire,  qui  ne  considère  que  des  faits  isolés  et 
qui,  dans  tous  les  cas,  oublie  que  Dieu  est  patient 
parce  qu'il  est  éternel.  On  verra  dans  ces  pages  com- 
ment finissent  les  souverains  et  les  Etats  qui  ne  res- 
pectent pas  la  liberté  de  l'Eglise,  quels  sont  les  terribles 
elfets  de  l'excommunication  et  la  vengeance  éclatante 
que  le  Seigneur  exerce,  dès  cette  vie,  sur  les  pro- 
fanateurs du  temple,  les  bourreaux  des  prêtres,  les 


AVAN'T-PROPOS.  Et 

ahatteurs  de  croix,  et  sur  les  ennemis  du  Saint-Siège 
et  de  Pie  IX  en  particulier.  Les  Italiens,  qui  marchent 
sur  les  traces  sanglantes  de  1793,  subissent  les  mêmes 
châtiments  :  l'auteur  en  donne  de  nombreux  exemples 
dans  le  cinquième  livre  de  cet  ouvrage. 

»  Ce  volume,  écrit  avec  uoe  grande  réserve,  a 
trouvé  sa  place  dans  les  bibliothèques  des  paroisses  et 
des  familles  chrétiennes.  Les  cathéchistes,  les  insti- 
tuteurs de  la  jeunesse,  les  prédicateurs,  puiseront  dans 
cet  intéressant  recueil  des  traits  saisissants,  capables 
de  faire  une  vive  et  salutaire  impression  sur  leurs 
auditeurs,  w 

L'Œuvre  de  Saint-François  de  Sales  a  recommandé 
ce  livre  à  ses  associés  dans  son  Catalogue  des  biblio- 
thèques. 

Il  a  paru  de  cet  ouvrage  une  traduction  en  anglais 
et  en  flamand.  Encouragé  par  ce  succès,  nous  n'avons 
rien  négligé  pour  rendre  cette  4^  édition  plus  complète. 
En  terminant  la  précédente  nous  disions  :  Tout 
semble  annoncer  que  la  Providence  nous  fournira  la 
7natière  de  nouveaux  volumes  sur  le  même  sujet.  Nos 
pressentiments  ne  nous  trompaient  pas;  la  France, 
oubhant  sa  mission,  a  subi  des  fléaux  qui  l'ont  mise 
à  deux  doigts  de  sa  perte  *.  Il  est  impossible  de  ne  pas 
voir  la  maia  de  Dieu  dans  les  châtiments  que  nous 
avons  subis,  comme  on  pourra  s'en  convaincre  eu 
lisant  les  derniers  chapitres  de  ce  livre.  Et  ce  qu'il  y 
a  de  plus  déplorable,  ces  événements  extraordinaires 

*  Nous  les  avons  déjà  racontés  dans  deux  autres  volumes  : 
Faris,  ses  crimes  et  ses  châtiments,  —  Bourreaux  et  victimes  de 
la  Commune  en  1871. 

a* 


X  AVANT-PROPOS. 

n'ont  éclairé  aucun  gouvernement.  Tous,  sans  excep- 
tion, ont  sanctionné  le  brigandage  au  moyen  duquel 
Yictor-Emmanuel  a  forcé  les  portes  de  la  Yille  sainte 
et  rendu  le  Pape  prisonnier  au  Vatican.  Aussi  endurcis 
que  Pharaon,  les  chefs  des  nations  subiront  les  pu- 
nitions de  leur  apostasie. 

Le  socialisme  a  profité  seul  de  la  guerre  faite  à 
l'Eglise  et  à  ses  doctrines  ;  tous  les  trônes  sont  menacés. 
Les  régicides  se  multiplient  d'une  manière  effrayante; 
ou  l'Europe  reviendra  au  catholicisme,  ou  elle  périra 
dans  la  boue  et  dans  le  sang.  La  justice  élève  les 
natio7is,  dit  le  Saint-Esprit,  l'iniquité  les  rends  misé- 
rables. 

L'éloquent  Lactance,  mort  en  325,  nous  a  laissé 
un  livre  sur  la  Mort  des  persécuteurs,  dans  lequel  il 
prouve  que  les  tyrans  qui  versèrent  le  sang  des  chré- 
tiens, eurent  tous,  à  commencer  par  Néron,  une  fin 
misérable.  Cela  s'est  vu  dans  tous  les  temps  et  se  verra 
encore. 

Dieu  peut  attendre  les  individus  jusqu'à  la  mort  et 
leur  laisser  toutes  les  prospérités  humaines,  malgré 
leurs  prévarications.  La  raison  en  est  que  les  âmes 
ne  périssent  pas  :  Dieu  les  retrouve  toujours  à  l'entrée 
de  l'autre  vie.  Il  n'en  est  pas  ainsi  des  nations  :  en 
tant  que  nations,  elles  ne  sont  pas  éternelles.  Lors- 
qu'elles ont  péché.  Dieu  choisi  le  temps  pour  les 
punir. 

Lyon,  le  18  janvier  1879,  en  la  fôte  de  la  Chaire 
(le  saint  Pierre. 


INTRODUCTION. 


La  justice  de  Dieu  paraît  lente.  Qu'il  taritu 
parfois!  dit-on.  Que  de  puissance  il  laisse  à 
ses  ennemis  !  que  de  prospérités  il  leur 
accorde  !  —  Oui,  mais  ils  vivent,  ils  avan- 
cent vers  la  mort,  ils  tombent,  et  Dieu  seul 
est  grand.  Louis  Vekillot. 


I. 


n  n'y  a  rien  peut-être,  dans  les  scènes  de  ce  monde,  qui 
émeuve  plus  profondément  que  le  spectacle  du  crime  debout  et 
superbe  près  de  la  vertu  tombée  sous  ses  coups  et  gisant  de- 
vant lui  ;  c'est  ce  que  Fénelon  a  si  bien  exprimé  dans  son  dia- 
logue entre  le  fidèle  Bayard,  mourant  humblement  de  ses 
blessures  au  pied  d'un  arbre,  et  le  connétable  de  Bourbon,  tout 
empanaché  de  ses  trahisons  et  de  ses  succès. 

Ce  délai  de  la  justice  divine  est  un  sujet  de  tentation  pour 
quelques  chrétiens  faibles  et  peu  éclairés,  qui  ne  voient  pas  que 
si  le  châtiment  suivait  infailliblement  et  immédiatement  le 
c.iime,  il  n'y  aurait  plus  ni  vice  ni  vertu,  puisque  l'on  ne  s'abs- 
tiendrait du  crime  que  comme  l'on  s'abstient  de  se  jeter  au 
feu.  La  loi  des  esprits  est  bien  différente;  la  peine  est  retardée 
parce  que  Dieu  est  bon,  mais  elle  est  certaine  parce  que  Dieu 
est  juste  et  éternel. 

Ne  croyez  pas,  àiiï^lditon,  pouvoir  jamais  échappera  la  ven- 
geance des  dieiLX.  Vous  ne  saurez  être  assez  petit  pour  vous  cacher 
sous  la  terre,  ni  assez  grand  pour  vous  élancer  dans  le  ciel;  mais 
vous  subirez  la  peine  qui  vous  est  due  ou  dans  ce  monde  ou  dans 


Xll  INTRODUCTION. 

l'autre,  dans  l'enfer  ou  dans  im  lieu  encore  plus  terrible  où  vous 
serez  transporté  après  votre  mort. 

Euripide,  en  parlant  de  la  Divinité,  a  écrit  ce  vers  remar- 
quable dans  sa  tragédie  d'Oreste  : 

Elle  agit  lentement,  car  telle  est  sa  nature. 

En  quoi  il  me  paraît  justiûer  parfaitement  la  réputation  qu'il 
ambitionnait,  d'homme  profondément  versé  dans  les  sciences 
divines,  car  il  n'y  a  l'ien  de  si  vrai  ni  de  si  important  que  celte 
maxime.  En  effet,  l'homme  tel  qu'il  est  ne  peut  être  gouverné 
par  la  Providence,  à  moins  que  l'action  divine,  à  son  égard,  ne 
devienne  pour  ainsi  dire  humaine;  autrement  elle  anéantirait 
l'homme  au  lieu  de  le  diriger  *. 

Certains  hommes,  dans  les  jugements  qu'ils  portent  sur  le 
bonheur  des  méchants,  ne  ressemblent  pas  mal  à  des  enfants 
admis  pour  la  première  fois  à  contempler  sur  la  scène  des  misé- 
rables jouant  les  rôles  les  plus  nobles;  vêtus  de  pourpre  et  de 
brocart,  le  front  ceint  de  couronnes,  ces  rois  de  théâtre  eu  im- 
posent à  l'œil  de  l'enfance,  qui  les  prend  pour  de  grands  person- 
nages et  s'extasie  sur  leur  bonheur,  jusqu'à  ce  que  tout-à-coup 
on  les  voit  frappés  de  verges,  percés  de  coups  ou  même  brûlés 
vifs  dans  leur  royale  parure.  C'est  ainsi,  en  effet,  que  lorsqu'on 
voit  des  coupables  illustres  environnés  de  serviteurs,  distin- 
gués par  une  haute  naissance  et  revêtus  de  grands  emplois, 
on  ne  peut  se  déterminer  à  croix'e  qu'ils  soient  punis,  jusqu'à 


*  Voici  de  belles  réflexions  de  J.  de  Maistre. 

Pour  juslifier  la  Providence,  môme  dans  l'ordre  temporel,  il  n'est 
pas  nécessaire  que  le  crime  soit  toujours  puni  et  sans  délai.  Encore 
une  fois,  il  est  singulier  que  l'homme  ne  puisse  obtenir  de  lui  d'èlrc 
austi  juste  envers  Dieu  qu'envers  ses  semblables  :  qui  jamais  s'o^t 
amusé  de  soutenir  qu'il  n'y  a  ni  ordre  ni  justice  dnus  un  Etat,  parce 
que  deux  ou  trois  criminels  auront  échappé  aux  tribunaux?  La  seule 
dilîérence  qu'il  y  a  entre  les  deux  justices,  c'est  que  la  nôtre  laisôc 
échapper  les  coupables  par  impuissance  et  par  corruption  taudis  q.ie 
8i  l'autre  paraît  quelquefois  ne  pas  apercevoir  les  crimes,  elle  ne 
susiiend  ses  coups  que  par  des  motifs  adorables  qui  ne  sont  pas,  à 
beaucoup  près,  hors  de  la  portée  de  notre  intelligence. 


IXTRODUCTION.  XIII 

ce  qu'on  les  voie  poignardés  ou  précipités  ;  ce  qui  est  cepen- 
dant moins  une  punition  que  la  lin  et  le  complément  de  la 
punition.  Que  sont  donc  ces  prétendus  retards  dont  on  fait  tant 
de  bruit?  En  premier  lieu,  nous  appelons  de  ce  nom,  dans 
noire  ignorance,  le  temps  que  la  justice  divine  emploie  à  soulever 
l'homme  qu'elle  veut  précipiter  ;  mais  si  nons  voulons  d'ailleurs 
nous  exprimer  rigoureusement,  il  n'y  a  point  de  retard,  car 
c'est  une  loi  divine  que  le  supplice  commence  toujours  avec  le 
crime.  L'ingénieuse  antiquité  a  dit  que  la  peine  est  boiteuse; 
sans  doute  elle  n'atteint  pas  tout  de  suite  le  coupable,  mais 
jamais  elle  ne  cesse  de  le  poursuivre,  et  le  bruit  de  sa  marche, 
que  nous  appelons  remords,  tourmente  sans  relâche  le  cou- 
pable, de  manière  que  lorsqu'elle  le  saisit,  ce  n'est  plus  que  la 
lin  du  supplice. 

La  plus  longue  vie  humaine,  pour  Dieu,  est  un  instant. 
Qu'un  méchant  soit  puni  divinement  au  moment  même  où  il 
a  commis  son  crime  ou  qu'il  le  soit  trente  ans  après,  c'est 
comme  si  la  justice  humaine,  au  lieu  de  le  faire  pendre  ou 
torturer  le  matin,  ne  l'envoyait  au  supplice  que  l'après-midi. 
En  attendant,  la  vie  est  pour  le  coupable  une  véritable  prison 
qui  ne  lui  laisse  aucun  espoir  de  fuite  ;  que  si,  dans  cette  posi- 
ton, il  donne  de  grands  festins,  s^il  répand  des  grâces  et  des 
largesses,  s'il  entreprend  des  affaires  importantes,  il  ressemble 
au  prisonnier  qui  s'amuse  à  jouer  aux  dés  et  aux  échecs  pen- 
dant que  la  corde  qui  doit  l'étrangler  pend  déjà  sur  sa  tète. 
Si  cette  comparaison  ne  paraît  pas  juste,  qu'est-ce  qui  pourra 
nous  empêcher  de  soutenir  de  plus  en  plus,  en  parlant  d'un 
criminel  détenu  et  condamné  à  mort,  qu'i7  a  échappé  à  la  jus- 
tice, parce  qu'on  ne  lui  a  pas  encore  coupé  la  tète  ?  Et  pourquoi 
n'en  dirions-nous  pas  autant  de  celui  qui  a  bu  la  ciguë  et  qui 
se  promène  dans  sa  prison  en  attendant  la  pesanteur  des 
jambes,  l'extinction  du  sentiment  et  les  glaces  de  la  mort?  Si 
nous  voulons  compter  pour  rien  les  souffrances,  les  angoisses 
et  les  remords  qui  déchirent  la  conscience  du  méchant,  il  vau- 
drait autant  dire  que  le  poisson  qui  a  mordu  à  l'hameçon  n'est 
point  encore  pris  jusqu'à  ce  qu'il  soit  grillé  ou  dépecé  dans  nos 
cuisines.  Le  crime  est  pour  nous  un  véritable  hameçon  dont  la 


XIV  INTRODUCTION. 

volupté  est  l'amorce;  à  l'instant  même  où  le  méchant  la  saisit, 
t7  est  pris.  Il  devient  prisonnier  de  la  justice  divine;  sa  con- 
science le  traîne  et  l'agite  douloureusement  comme  le  poisson 
qui,  ne  vivant  plus  que  pour  souffrir,  se  débat  vainemect  sous 
la  main  qui  rentraîne  à  la  mort. 

«  Hésiode  nous  dit  :  Le  crime  est  avant  tout  mdsiblt  à  son 
cuteur;  et  ailleurs  encore  :  Qui  cherche  à  perdre  autrui  cherche 
à  périr  lui-même.  On  dit  que  la  mouche  cantharide  porte  on  elle 
le  contre-poison  du  venin  qu'elle  communique.  Par  un  effet 
tout  contraire,  le  crime,  avec  le  faux  plaisir  qui  nous  séduit, 
verse  dans  l'âme  la  douleur  et  le  remords,  et  non  point  dans 
un  avenir  reculé,  mais  à  Tinstant  même  où  l'homme  se  rend 
coupable.  Comme  le  criminel  marchant  au  supplice  est  con- 
damné à  porter  lui-même  la  croix  sur  laquelle  il  doit  expirer, 
de  même  le  méchant  livré  à  sa  conscience  porte  avec  lui  le 
supplice  qu'il  a  mérité;  le  crime,  après  qu'il  a  déshonoré  une 
vie  entière,  étant  encore  le  bourreau  le  plus  cruellement  in- 
ventif pour  la  remplir  de  troubles,  d'inquiétudes,  de  cuisants 
remords  et  d'interminables  frayeurs,  »  dit  Joseph  de  Maistre. 

Est-il  bien  vrai  de  dire  que  tout  le  bonheur  dans  cette  vie 
est  pour  le  pécheur  et  que  le  juste  n'y  a  nulle  part?  La  félicité 
des  méchants  est-elle  sans  mélange  et  les  épreuves  des  bons 
sont-elles  sans  compensation?  A  ce  sujet  je  pourrais  vous  dire 
avec  saint  Augustin  :  «  Que  l'homme  comprenne  bien  ceci  : 
jamais  Dieu  ne  permet  que  les  méchants  soient  heureux.  Ils 
passent  néanmoins  pour  l'être,  ajoutait  le  saint  Docteur;  mais 
on  ne  les  croit  heureux  que  parce  qu'on  ignore  en  quoi  con- 
siste la  vraie  félicité,  et  il  n'en  faut  point  juger  par  de  certains 
dehors;  »  ou,  avec  saint  Ambroise  :  «  Tel  me  paraît  avoir  la 
joie  dans  le  cœur  tandis  que  mille  chagrins  le  déchirent;  il  est 
heureux  selon  mon  estime,  mais  dans  la  sienne,  en  effet,  il  est 
accablé  de  misères;  »  ou  eniin,  avec  le  saint  auteur  de  l'Imita- 
tion :  «  Jamais  les  méchants  n'ont  une  véritable  joie,  et  ils  ne 
sentent  pas  la  paix  de  l'àme,  parce  que  la  paix  n'est  point  pour 
les  impies,  dit  le  Seigneur,  et  s'ils  disent  :  Nous  sommes  en 
paix,  les  maux  ne  vicndrojit  point  sur  nous,  et  qui  osera  nous 
nuire?  ue  les  croyez  puint,  parce  que  tout-à-coup  s'élèvera  la 


INTRODUCTION.  XV 

colère  de  Dieu,  et  dans  le  néant  seront  plongées  leurs  œuvres, 
et  leurs  pensées  périront.  » 


II. 


«  La  punition  des  fautes  ordinaires  est  renvoyée  le  plus 
souvent  dans  l'autre  vie,  de  peur  que  le  châtiment  immédiat, 
trop  fréquemment  appliqué,  ne  trouble  l'ordre  de  la  liberté 
humaine,  sagement  établi  de  Dieu.  Mais  il  est  des  crimes  d'un 
ordre  supérieur,  s'il  est  permis  de  les  nommer  ainsi,  qui 
attentent  aux]  grands  principes  de  la  vérité  et  de  la  morale,  et 
qui  par  cela  même  tendent  à  la  perversion  de  l'humanité  ;  ces 
crimes  doivent  recevoir,  dès  cette  vie,  une  répression  tem- 
porelle, afin  que  la  conduite  de  la  Pi'ovidence  ne  devienne  pas 
un  scandale  pour  les  faibles  et  que  la  vertu  ne  soit  pas  dé- 
couragée, »  dit  M8'  Guibert,  archevêque  de  Paris. 

«  Je  sais  bien,  dit  l'illustre  comte  de  Stolberg,  que  nous 
»  avons  aussi  peu  de  droit  de  conclure  de  l'infortune  en  ce 
j)  monde  à  la  culpabilité  de  celui  qui  en  est  atteint,  que  de 
»  prédire  avec  assurance  un  châtiment  temporel  à  un  grand 
»  coupable;  car  les  balances  de  la  justice  divine  sont  cachées 
»  à  nos  terrestres  regards,  et  la  vertu  et  le  vice  y  sont  pesés 
»  au  poids  de  l'éternité. 

»  Cependant  il  est  une  vérité  confirmée  par  l'histoire  de 
))  tous  les  temps  et  la  croyance  de  tous  les  peuples,  prouvée 
K  par  une  multitude  d'exemples  dans  les  divines  Ecritures, 
»  et  garantie  même  par  l'expérience  de  la  vie  commune  aux 
.)  yeux  de  tout  homme  qui  considère  d'un  regard  attentif  les 
:  événements  humains  :  c'est  qu'indépendamment  du  cours 
«  ordinaire  des  choses  tel  que  la  Providence  l'a  réglé,  et  d'après 
"  lequel  la  folie  et  le  crime  trouvent  souvent  leur  punition 
.)  en  ce  monde,  de  même  que  la  sagesse  et  la  vertu  y  trouvent 
0  aussi  leur  récompense,  la  justice  de  Dieu  se  dévoile  souvent 

ici-bas  à  nos  regards,  punit  des  crimes  publics  par  des 
»  châtiments  publics,  et  répand  au  contraire  des  bénédictions 


XVI  INTRODUCTION. 

»  visibles  sur  la  tête  de  l'homme  de  bien  et  sur  sa  postérité, 
»  afin  que  les  hommes  deviennent  attentifs  à  cette  main 
»  invisible  aui  veut  les  conduire  à  l'amour  divin  par  les  liens 
»  de  la  CRAiisTE  et  de  I'espérance,  et  en  se  manifestant  et  s'abais- 
»  sant  jusqu'à  eux,  les  forcer  de  se  jeter  avec  un  cœur  tilial 
«  dans  les  bras  de  la  divine  Providence.  » 

Voici  quelques  belles  réflexions  de  Bossuet  sur  la  conduite 
de  la  Providence  : 

«  Le  Seigneur  Dieu  frappera  Israël  comme  on  remue  un 
»  roseau  dans  l'eau,  et  l'arrachera  de  la  bonne  terre  qu'il 
>i  avait  donnée  à  leurs  pères,  et  comme  par  un  coup  de  vent 
»  il  le  transportera  à  Babylone.  »  Tant  est  grande  la  facilité 
avec  laquelle  il  renverse  les  l'oyaumes  les  plus  florissants. 

«  Enilé  d'une  longue  suite  de  prospérités,  un  prince  insensé 
dit  en  son  cœur  :  «  Je  suis  heureux,  tout  me  réussit;  la  fortune, 
»  qui  m'a  toujours  été  favorable,  gouverne  tout  parmi  les 
»  hommes,  et  il  ne  m'arrivera  aucun  mal.  »  —  «  Je  suis  reine, 
»  disait  Babylone,  qui  se  glorifiait  dans  son  vaste  et  redoutable 
»  empire  ;  je  suis  assise  sur  mon  trône ,  heureuse  et  tran- 
»  quifle.  Je  serai  toujours  dominante;  jamais  je  ne  serai  veuve, 
»  jamais  privée  d'aucun  bien;  jamais  je  ne  connaîtrai  ce  que 
»  c'est  que  stérilité  et  faiblesse.  »  Tu  ne  songes  pas,  insensée, 
que  c'est  Dieu  qui  t'envoie  ta  félicité,  peut-être  pour  t'aveuglcr 
et  te  rendre  ton  infortune  plus  insupportable.  «  J'ai  tout  mis 
»  entre  les  mains  de  Nabuchodonosor,  roi  de  Babylone,  et  jus- 
»  qu'aux  bêtes,  je  veux  que  tout  fléchisse  sous  lui.  Les  rois  et 
))  les  nations  qui  ne  voudront  pas  subir  le  joug  périront  non- 
»  seulement  par  l'épée  de  ce  conquérant,  mais,  de  mon  côté, 
))  je  leur  enverrai  la  famine  et  la  peste,  jusqu'à  ce  que  je  les 
>  détruise  entièrement,  afin  que  rien  ne  manque  ni  à  son  bon- 
»  heur  ni  au  malheur  de  ses  ennemis.  » 

a  Mais  tout  cela  n'est  que  pour  un  temps,  et  cet  excès  do 
bonheur  a  un  prompt  retour;  car,  pendant  qu'il  se  proinc- 
jiait  dans  sa  Babylone,  dans  ses  salles  et  dans  ses  cours,  et 
qu'il  disait  en  son  cœur  :  «  N'est-ce  pas  cette  grande  Babylone 
»  que  j'ai  bâtie  dans  ma  force  et  dans  l'éclat  de  ma  gloire?» 


INTRODUCTION.  XVII 

sans  seulement  jeter  le  moindre  regai'd  sur  la  puissance  su- 
prême d'où  lui  venait  tout  ce  bonheur,  une  voix  partit  du  ciel 
et  lui  dit  :  «  Nabuchodonosor,  c'est  à  toi  qu'on  parle.  Ton 
■;)  royaume  te  sera  ôté  à  cet  instant;  on  te  chassera  du  milieu 
^>  des  hommes;  tu  vivras  parmi  les  bêtes,  jusqu'à  ce  que  tu 
;•)  apprennes  que  le  Très-Haut  tient  en  sa  main  les  empires  et 
i>  les  donne  à  qui  il  lui  plaît.  » 

«  0  prince,  prenez  donc  garde  de  ne  pas  considérer  votre 
bonheur  comme  une  chose  attachée  à  votre  personne,  si  vous 
ne  pensez  en  même  temps  qu'il  vient  de  Dieu,  qui  le  peut 
également  donner  et  ôter.  «  Ces  deux  choses,  la  stérilité  et  la 
i)  viduité,  viendront  sur  vous  en  un  même  jour,  dit  Isaïe.  Tous 
»  les  maux  vous  accableront  ;  et  pendant  que  vous  n'aurez  à 
»  la  bouche  que  la  pais  et  la  sécurité,  la  ruine  siurvient  tout-à- 
,.  coup.  » 

«  Ainsi  le  roi  Balthazar,  au  milieu  d'un  festin  royal  qu'il 
faisait  avec  ses  seigneurs  et  ses  courtisans  en  grande  joie,  ne 
songeait  qu'à  louer  ses  dieux  d'or  et  d'argent,  d'airain  et  de 
marbre,  qui  le  comblaient  de  tant  de  plaisirs  et  de  tant  de 
gloire,  quand  ces  trois  doigts  si  célèbres  parurent  en  l'air, 
qui  écrivaient  sa  sentence  sur  la  muraille  :  «  Mane,  Thécel, 
))  Phares.  Dieu  a  compté  tes  jours,  et  ton  règne  est  à  sa  fin. 
))  Td  as  été  mis  dans  la  balance,  et  tu  as  été  trouvé  léger. 
:.'  Ton  empire  est  divisé,  et  il  va  être  livré  aux  Mèdes  et  aux 
»  Perses.  » 

«  C'est  en  vain  que  les  aveugles  enfants  d'Israël  dressaient 
une  table  à  la  Fortune  et  lui  sacrifiaient.  Ils  l'appelaient  la 
reine  du  ciel,  la  dominatrice  de  l'univers,  et  disaient  à  Jérémie  : 
«  0  prophète,  nous  ne  voulons  plus  écouter  vos  discours  ;  nous 
»  en  ferons  à  notre  volonté.  Nous  sacrifierons  à  la  reine 
:•>  du  ciel,  et  nous  lui  ferons  des  eflusions,  comme  ont  fait  nos 
i>  pères,  nos  princes  et  nos  rois.  Et  tout  nous  réussissait,  et 
»  nous  regorgions  de  biens.  » 

«  C'est  ainsi  que,  séduits  par  un  long  cours  d'heureux  suc- 
cès, les  hommes  du  monde  donnent  tout  à  la  fortune,  et  ne 
connaissent  point  d'autre  divinité,  ou  ils  appellent  la  reine  du 
ciel  l'étoile  dominante  et  favorable  qui,  selon  leur  opinion. 


XVIII  INTRODUCTION. 

fait  prospérer  leurs  desseins.  «  C'est  mon  étoile,  disent-ils, 
»  c'est  mon  ascendant,  c'est  l'astre  puissant  et  bénin  qui  a. 
»  éclairé  ma  nativité,  qui  met  tous  mes  ennemis  à  mes 
»  pieds.  » 

«  Mais  il  n'y  a  dans  le  monde  ni  fortune  ni  astre  dominant. 
Rien  ne  domine  que  Dieu.  Les  étoiles,  comme  son  armée, 
marchent  à  son  oj'dre;  chacune  luit  dans  le  poste  qu'il  lui  a 
donné;  il  les  appelle  par  leur  nom,  et  elles  répondent  :  Nous 
voilà.  Et  elles  se  réjouissent  et  luisent  avec  plaisir  pour  celui 
qui  les  a  faites.  » 

III. 

Dans  ce  monde,  les  justes  sont  souvent  enveloppés  dans  les 
fléaux  que  Dieu  envoie  pour  châtier  les  méchants,  et  voilà 
encore  ce  qui  ébranle  la  foi  des  laibles  *. 

*  Il  n'y  a  point  de  juste  dans  la  rigueur  du  terme,  d'où  il  suit 
que  tout  homme  a  quelque  chose  à  expier.  Or,  si  le  juste  tel  qu'il 
peut  exister,  accepte  les  souffrances  dues  à  sa  qualité  d'homme,  et  si 
la  justice  divine,  à  sou  tour,  accepte  celte  acceptation,  je  ne  vois 
rien  de  si  heureux  pour  lui,  ni  de  si  évidemment  juste. 

Ces  vérités  noub  sont  exposées  par  saint  Augustin  avec  une  clarté 
et  une  profondeur  de  pensées  qui  distinguent  tous  les  écrits  de  ce 
grand  docteur.  Voici  quelques  fragments  tirés  de  son  ouvrage  de  la 
Cité  de  Dieu. 

«  Si  dans  les  fléaux  qui  affligent  la  terre,  dit-il,  les  bons  en  souffrent 
comme  les  méchants,  l'usage  que  les  uns  et  les  autres  en  font  est 
bien  différent:  tout  tourne  à  bien  aux  vrais  chrétiens;  ils  ne  regardent 
pas  comme  des  mallieurs  véritables  la  perte  des  avantages  temporels, 
les  tourments  et  la  privation  de  la  sépulture  ;  ils  soufl"rent  tous  ces 
maux  avec  patience.  Les  méchants,  au  contraire,  avancent  inces- 
samment dans  le  mal;  ils  n'ont  point  de  solide  consolation  en  ce 
monde,  ils  courent  après  les  satisfactions  des  sens,  qui  leur  manquent 
souvent  ;  témoins  ces  païens  fugitifs  qui,  après  le  sac  de  RomH,  ne 
quittèrent  pas  les  théâtres  de  Garlhage,  cherchèrent  diversion  à  leurs 
peines  dans  les  plaisirs  corrupteurs,  et  ne  se  montrèrent  point  sen- 
sibles aux  malheurs  de  leur  patrie 

» Si  tous  les  péchés  étaient  punis  en  ce  monde,  on  ne  crain- 
drait point  le  dernier  jugement,  puisqu'il  semble  que  tout  sérail 
déjà  réglé  ici-bas;  et  si  aucun  péché  n'était  puni  dès  à  présent,  on  ne 
croirait  pas  &  la  Providence;  si  Dieu  n'accordait  aucun  des  biens 


INTRODUCTIOX.  XIX 

Voici  comment  Joseph  de  Maistre  explique  cette  conduite  de 
la  Providence  : 

«  Je  sens  bien  que,  dans  toutes  ces  considérations,  nows 
sommes  continuellement  assaillis  par  le  tableau  si  fatigant  des 
innocents  qui  périssent  avec  les  coupables.  Mais,  sans  nous 
enfoncer  dans  cette  question,  qui  tient  atout  ce  qu'il  y  a  de 
plus  profond,  on  la  peut  considérer  seulement  dans  son  rap- 
port avec  le  dogme  universel,  et  aussi  ancien  que  le  monde, 
de  la  réversibilité  des  douleurs  de  l'innocence  au  profit  des  cou- 
pables. 

»  Ce  fut  de  ce  dogme,  ce  me  semble,  que  les  anciens  déri- 
vèrent l'usage  des  sacrifices,  qu'ils  pratiquèrent  dans  tout  l'u- 
nivers, et  qu'ils  jugeaient  utiles  non-seulement  aux  vivants, 
mais  encore  aux  morts  :  usage  typique  que  l'habitude  nous 
fait  envisager  sans  étonnement,  mais  dont  il  n'est  pas  moins 
difficile  d'atteindre  la  racine. 

»  Les  dévouements,  si  fameux  dans  l'antiquité,  tenaient 
encore  au  même  dogme.  Décius  avait  la  foi  que  le  sacrifice 
de  sa  vie  serait  accepté  par  la  Divinité,  et  qu'il  pouvait  faire 
équilibre  à  tous  les  maux  qui  menaçaient  sa  patrie. 

»  Le  Christianisme  est  venu  consacrer  ce  dogme,  qui  est 
infiniment  naturel  à  l'homme,  quoiqu'il  paraisse  difficile  d'y 
arriver  par  le  raisonnement. 

»  Ainsi,  il  peut  y  avoir  eu  dans  le  cœur  de  Louis  XVI,  dans 
celui  de  la  céleste  Elisabeth,  tel  mouvement,  telle  acceptation, 
capable  de  sauver  la  France. 

»  On  demande  quelquefois  à  quoi  servent  ces  austérités 
pratiquées  par  certains  ordres  religieux,  et  qui  sont  aussi  des 
dévouements  ;  autant  vaudrait  précisément  demander  à  quoi 
sertie  Christianisme,  puisqu'il  repose  tout  entier  sur  ce  dogme 
agrandi  de  l'innocence  payant  pour  le  crime.  » 

sensibles  à  ceux  qui  les  demandent,  on  dirait  qu'il  n'en  serait  pas  le 
maître  ;  et  s'il  les  donnait  à  tous  ceux  qui  les  réclament  de  sa  puis- 
sance, on  ne  le  servirait  que  pour  ces  sortes  de  biens.  Il  tempère 
donc  les  choses  avec  une  sagesse  profonde;  il  exerce  la  foi  des 
siens ,  et  de  temps  en  temps  il  fait  éclater  sensiblement  la  puissance 
de  son  bras.  » 


XX  INTRODUCTION. 

Sous  l'enveloppe  des  faits  extérieurs  qui  frappent  les  yeux, 
il  y  a  un  mj-stèrc  de  justice  et  de  grâce  que  la  foi  seule  nous 
découvre.  Elle  sait  que  dans  tous  les  temps  le  sang  qui  a  coulé 
pour  une  sainte  cause  a  été  une  expiation  féconde.  Dieu  seul 
connaît  la  mesure  qu'elle  doit  avoir  pour  chaque  pays,  chaque 
époque,  et  le  moment  où  ses  effets  doivent  devenir  visibles. 
Quelquefois  le  martyre  de  deux  ou  trois  missionnaires  a 
suffi,  pour  obtenir,  en  faveur  de  tout  un  pays  de  sauvages, 
que  la  foi  prît  racine  à  l'ombre  de  leurs  cabanes,  tandis  que 
les  flots  de  sang  catholique  versés  en  Angleterre  semblaient 
être  restés  stériles  jusqu'à  nos  jours,  où  les  germes  de  gi'âce 
qu'ils  contenaient  ont  commencé  à  s'épanouir. 

La  théorie  de  l'expiation  par  le  sang  et  par  la  mort,  chef- 
d'œuvre  d'une  synthèse  éminemment  philosophique  et  chré- 
tienne, est  ce  qui  a  ameuté  contre  M.  de  Maistre  le  plus  de 
clameurs.  Saint-Priest,  qui,  dans  son  discours  de  réception  à 
l'Académie  française,  «  a  solennellement  évoqué  et  solennelle- 
ment maudit  »  sa  mémoire,  qualifia,  au  nom  de  tous,  cette 
théorie  de  cruelle.  Vraiment,  il  faut  reconnaître  que  la  libre 
pensée  a  été  condamnée  par  un  arrêt  d'en  haut  aux  bévues  à 
perpétuité.  Théorie  cruelle  !  Eh  !  grâce  à  Dieu,  pour  qui  veut 
réfléchir,  cette  loi  de  l'expiation  est,  de  toutes  les  lois  qui  ré- 
gissent le  monde  moral,  la  plus  consolante.  Quand  nous  souf- 
frons et  que  nous  voyons  souffrir,  quand  mille  fléaux  ravagent 
la  terre;  quand  la  guerre,  le  plus  inexplicable  de  tous,  mois- 
sonne la  fleur  des  nations  ;  quand  chacun  de  nous  arrive  à  cette 
heure  mytérieuse,  crainte  de  tous,  désirée  de  beaucoup,  où 
notre  être  va  se  dissoudre,  cette  doctrine  est-elle  cruelle,  qui 
veut  que  ce  sang  n'ait  pas  été  versé  en  vain,  que  ces  douleurs 
ne  soient  point  inutiles,  qu'elles  servent  à  expier  nos  fautes  et 
celles  de  nos  pères,  à  détourner  de  la  tête  de  nos  enfants  le 
bras  de  lajuslice  divine  ?  Aussi  a-L-il  été  écrit  :  Yirga  tua  et  ba- 
culus  tuus  ipsa  me  consolata  sunt. 

IV. 

La  Providence,  qui  gouverne  le  monde,  ne  paraît  jamais 
d'une  manière  plus  visible  qu'à  l'époque  de  nos  révolulions  et 


INTRODUCTION.  XXi 

de  nos  troubles  ;  les  plus  aveugles  peuvent  voir  alors  ce  que 
devient  la  société  quand  Dieu  semble  l'abandonner  à  la  direc- 
tion des  prétendus  sages  de  ce  monde.  Habilesjtour  détruire 
ils  sont  incapables  de  rien  organiser^,  et  après  que  Dieu  s'en 
est  servi  comme  de  vils  instruments  pour  châtier  les  nations 
coupables,  à  l'exemple  de  Satm'ne,  ils  dévorent  eux-mêmes 
leurs  propres  enfants  2.  Un  profond  penseur  de  nos  jours,  en 
étudiant  l'époque  de  la  Terreur,  a  écrit  ces  paroles  remar- 
quables, qu'on  peut  bien  en  ce  moment  appliquer  à  l'Italie  ré- 
volutionnaire : 

«  Est-ce  donc  de  cette  fange  sanglante  que  doit  sortir  un  gou- 
vernement durable?  Qu'on  ne  nous  objecte  point  les  mœurs 
féroces  et  licencieuses  des  peuples  barbares,  qui  sont  cependant 
devenus  ce  que  nous  voyons  :  l'ignorance  barbare  a  présidé 
sans  doute  à  nombre  d'établissements  politiques  ;  mais  la  bar- 
barie savante,  l'atrocité  systématique,  la  corruption  calculée,  et 
surtout  l'irréligion  n'ont  jamais  rien  produit.  La  verdeur  mène 
à  la  matui'ité,  la  pourriture  ne  mène  à  rien.  » 

Mais,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  la  Providence,  qui  sait 
tirer  le  bien  du  mal,  fera  tourner  tous  ces  excès  à  l'avantage  de 
l'ordre  et  de  la  société. 

«  C'est  une  des  lois  les  plus  générales  et  les  plus  évidentes  de 
cette  force  à  la  fois  cachée  et  frappante  qui  opère  et  se  fait  sen- 
tir de  tous  côtés,  que  le  remède  de  l'abus  nait  de  l'abus,  et  que 
le  mal,  arrivé  à  un  certain  point,  s'égorge  lui-même.  Et  cela 

*  Comment  Dieu  a-t-il  puni  cet  exécrable  délire?  Il  l'a  puni 
comme  il  créa  la  lumière,  par  une  seule  parole.  Il  a  dit  :  Faites,  et 
le  monde  politique  a  croulé.  Joseph  de  AIaistre. 

8  Lorsque  le»  nations  sont  devenues  criminelles  à  ce  point  qui 
amène  nécessairement  les  châtiments  généraux  ;  lorsque  Dieu  a  ré- 
solu  de  les  ramener  à  l'ordre  par  la  punition,  de  les  humilier,  de  les 
exterminer,  de  renverser  les  trônes  ou  de  transporter  les  sceptres, 
pour  exercer  ces  terribles  vengeances,  presque  toujours  il  emploie 
de  grands  coupables,  des  tyrans,  des  usurpateurs,  des  conquérants 
féroces  qui  se  jouent  de  toutes  les  lois.  Rien  ne  leur  résiste,  parce 
qu'ils  sont  les  exécuteurs  d'un  jugement  divin;  mais  pendant  que 
l'ignorance  humaine  s'extasie  sur  leurs  succès,  on  les  voit  disparaître 
subitement,  comme  l'exécuteur  quand  il  a  fiui.  (Idem.) 


XXII  INTRODUCTION. 

doit  être;  car  le  mal,  qui  n'est  qu'une  négation,  a  pour  me- 
sures de  dimension  et  de  durée  celles  de  l'être  auquel  il  s'est 
attaché  et  qu'il  dévore  :  il  existe  comme  le  chancre  qui  ne  peut 
achever  qu'en  s'achevant.  Mais  alors  une  nouvelle  réalité  se 
précipite  nécessairement  à  la  place  de  celle  qui  vient  de  dispa- 
raître ;  car  la  nature  a  horreur  du  vide^,  » 

D'après  une  observation  constante  depuis  un  demi-siècle, 
chaque  triomphe  du  parti  philosophique  anticatholique  et  révo- 
lutionnaire a  toujours  été  l'avant-coureur  d'une  catastrophe 
pour  quelques-uns  de  ses  chefs;  et  la  seconde,  c'est  qu'une  Pro- 
vidence conservatrice  se  manifeste  également  dans  le  monde,  en 
ne  permettant  ni  aux  méchants  d'imaginer  tout  le  mal  qu'ils 
pourraient  faire,  ni  aux  bons  de  pouvoir  faire  tout  le  bien 
qu'ils  imaginent,  et  selon  les  voies  qu'ils  imaginent.  Mes 
pensées  ne  sont  pas  vos  pensées,  a  dit  l'Auteur  de  toute  sagesse  ; 
et  c'est  une  parole  que  les  bons  et  les  méchants  oublient  trop 
souvent,  dit  M.  H.  de  Donald. 

Pour  démontrer  cette  thèse  par  des  faits  nombreux  et  irré- 
cusables, nous  avons  choisi  une  époque  célèbre  entre  toutes 
par  les  triomphes  des  méchants  et  par  l'oppression  des  bons. 

De  1789  à  1879,  que  de  combats,  que  de  révolutions,  que  de 
ruines  !  Combien  de  fois  les  hommes  pusillanimes  ont  cru  tout 
perdu,  quand  tout  était  au  moment  d'être  sauvé  !  »  Combien  on 
est  heureux,  dit  un  grand  évèque,  de  voir  les  représailles  de 
l'histoire  s'exercer  contre  les  odieux  agresseurs  du  Saint-Siège! 
Quitus  judicium  non  cessât,  et  perditio  eorum  noti  dormitat. 
(Il«  Epitre  de  saint  Pierre.) 

La  reUgion,  la  raison  et  l'expérience  de  tous  les  siècles  se 
sont  accordées  pour  prédire  aux  complices  l'inévitable  châti- 
ment de  leur  crime  même  en  ce  monde.  «(  La  voie  des  impies 
conduit  à  la  mort.  »  (Prov.  xxi.) 

Quelques  esprits  irréiléchis  seront  peut-être  surpris  de  nous 
voir  classer  parmi  les  révolutionnaires  des  princes,  des  mo- 
narques absolus  qui  tenaient  la  démagogie  en  biidc. 

Satan  est  à  nos  yeux  le  premier  révolutionnaire,  parce  que 

•  Joseph  de  Maistre. 


INTRODUCTION.  XXlfl 

le  premier  il  a  voulu,  dans  sa  folle  ambition,  troubler  l'ordre 
établi  de  Dieu  ;  et  tous  ceux  qui  se  conduisent  d'après  les 
exemples  et  les  inspirations  de  l'ange  rebelle  ne  sonf  que  des 
révolutionnaires  qui  refusent  d'obéir  au  Roi  immortel,  et  qui  le 
détrôneraient  si  leur  puissance  égalait  leur  perversité. 

Voici  un  passage  significatif  emprunté  au  bel  ouvrage  de 
]\i6'  Gaume  sur  le  Saint-Espnt. 

«  Ecrasons  l'infâme  fut  le  mot  d'ordre  de  l'esprit  infernal  dans 
le  siècle  passé.  11  en  était  à  sa  période  de  destruction. 

»  Adorons  Satan  est  le  mot  d'ordre  du  même  esprit  dans  le 
temps  actuel.  11  en  est  à  sa  période  de  reconstruction. 

»  La  même  ligue  qui  combattit  pour  détruire,  combat  pour 
édifier  sur  les  ruines  du  Christianisme,  (jui  pour  elle  a  fait  son 
temps  ;  elle  veut  établir  le  règne,  à  ses  yeux  trop  longtemps 
calomnié,  de  l'ange  déchu.  Dans  ce  but,  ils  entreprennent  de 
reviser  le  procès  de  Satan,  de  le  relever  de  sa  déchéance  et  de  le 
réhabiliter  à  la  face  du  monde.  » 

Echo  très-aflfaibli  des  rationalistes  d'Allemagne,  Renan,  admis 
à  l'Académie  avec  le  concours  du  duc  d'Aumale,  ose  écrire  : 

«  De  tous  les  êtres  autrefois  maudits,  que  la  tolérance  de 
notre  siècle  a  relevés  de  leur  anathème,  Satan  est  sans  contre- 
dit celui  qui  a  le  plus  gagné  au  progrès  des  lumières  et  de 
l'universelle  civilisation.  Il  s'est  adouci  peu  à  peu  dans  son  long 
voyage  depuis  la  Perse  jusqu'à  nous  ;  il  a  dépouillé  toute  sa  mé- 
chanceté d'Arhimane.  Le  moyen  âge,  qui  n'entendait  rien  à  la 
tolérance,  le  fit  à  plaisir  laid,  méchant,  torturé  et,  pour  comble 
de  disgrâce,  ridicule. 

»  Milton  comprit  enfin  ce  pauvre  calomnié  ;  il  commença  la 
métamorphose,  que  la  haute  impartiahté  de  notre  temps 
devait  achever.  Un  siècle  aussi  fécond  que  le  nôtre  en  réhabili- 
tations de  toutes  sortes  ne  pouvait  manquer  de  raisons  pour 
excuser  un  révolutionnaire  malheureux,  que  le  besoin  d'action 
jeta  dans  des  entreprises  hasardées.  On  pourrait  faire  valoir, 
pour  atténuer  sa  faute,  une  foule  d'autres  motifs  contre  les- 
quels nous  n'aurions  pas  le  droit  d'être  sévères.  » 


XXIV  INTKODUCTION. 

c(  Un  des  maîtres  de  Renan,  Schclling,  va  plus  loin  :  de  Satan, 
il  a  fait  un  dieu,  parce  que  le  Christ-Dieu  deiait  avoir  un  antU' 
go7iiste  digne  de  lui.  »  (Moëller.) 

Enfin,  un  des  plus  ridicules  et  des  plus  monstreux  repré- 
sentants, de  nos  jours,  de  la  révolution  satanique,  le  podagre 
Garibaldi,  l'ami  de  Victor-Emmanuel,  a  écrit  :  «  Si  je  con- 
naissais une  société  du  démon,  je  m'y  enrôlerais  aussitôt.  »  Il 
n'a  pas  eu  à  chercher  longtemps,  l'Internationale  est  allée  au 
devant  de  ses  désirs  impies. 

On  trouvera  peut-être  que  nous  nous  sommes  montré  trop 
sévère  à  l'endroit  de  certains  grands  personnages  ;  mais  il  faut 
se  rappeler  que  l'on  ne  doit  que  la  vérité  aux  morts.  Kous 
l'avons  dite  sans  passion  et  sans  crainte,  après  avoir  pris  des 
renseignements  souvent  auprès  des  témoins  oculaires  ou  même 
dans  les  Mémoires  des  personnages  en  question. 

Quand  nous  avons  parlé  des  prêtres  et  des  évèques  prévarica- 
teurs, nous  l'avons  fait  sans  ménagements  ;  pourquoi  aurions- 
nous  eu  plus  d'indulgence  pour  les  autres  ? 

«  Crier  au  loup,  c'est  charité,  »  dit  saint  François  de  Sales, 


CHATIMENTS 

DES   RÉVOLUTIONNAIRES. 

<^.v■.'.-J■^,v*.^;■/v■-•.'V-./^v•.v■.v.^%^.^.*A'.Vy•»^-.■.■.v.^/^^.■•-••'A■.'.v■.'■^,■J•yl,■.'^.Vl,•.-,%•,-A^,-,vvVV 

LIVRE  PRE^nER. 
La  grande  Révolution  de  1789  à  1800. 


U  &Bt  des  châtiments  dont  l'univers  frémiste» 
L.  Racdcs. 


CHAPITRE  PRExMIER. 

LES  CORYPHÉES  DE  LA  RÉVOLUTION. 

On  vit,  à  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  une  époque 
lamentable  commencer  pour  l'Eglise.  Les  désordres  de 
Louis  XIV  et  de  Louis  XV  avaient  singulièrement  affaibli 
le  sens  moral. 

Le  gallicanisme  avait  presque  séparé  le  clergé  français 
de  Rome,  la  mère  et  la  maîtresse  de  toutes  les  Eglises;  le  jan- 
sénisme, avec  sa  fausse  morale  et  sa  sévérité  exagérée, 
avait  desséché  les  cœurs.  Les  courtisanes  en  faveur  intro- 
duisirent les  philosophes  à  la  cour,  et  les  livres  les  plus 
hostiles  au  catholicisme  se  multiplièrent  d'une  manière 
effrayante. 

1 


2  LA  GRANDE   BÉVOLUTION. 

C'est  alors  que  se  développa  une  société  secrète  dont  l'ac- 
tion sur  la  Révolution  ne  saurait  être  contestée.  Qu'elle 
descende  ou  non  des  Templiers,  et  qu'elle  ait  eu  d'abord 
pour  objet  ou  non  de  venger  la  destruction  de  ces  religieux 
sur  les  papes  et  sur  les  rois,  il  est  certain  que  la  secte  con- 
nue sous  le  nom  de  franc -maçonnerie,  parce  que  ses 
membres  prennent  le  titre  de  maçons,  et  qu'ils  tirent  leurs 
symboles  et  leur  langage  des  lermes  de  l'architecture.  Dieu 
étant  le  grand  architecte  de  l'univers,  le  monde  étant  le 
temple,  etc.,  il  est  certain,  disons-nous,  aue  cette  secte  est 
ennemie  de  toute  subordination  entre  les  hommes  et  de 
toute  religion  positive.  La  franc -maçonnerie  veut  établir 
une  république  universelle,  avec  la  devise  :  Liberté,  égalité, 
fraternité;  et,  se  contentant  d'un  pur  déisme  qui  n'engage 
à  rien,  elle  ne  connaît  qu'une  orétendue  religion  de  la  na- 
ture, dont  il  serait  difficile  de  préciser  les  dogmes.  Ainsi 
elle  veut  renverser  à  la  fois  le  trône  et  l'autel,  l'autorité  re- 
ligieuse et  l'autorité  civile;  elle  procède  de  l'incrédulité  et 
aboutit  à  la  négation  de  toute  société.  On  l'a  vue  à  l'œuvre  : 
au  nom  de  la  liberté,  elle  établit  le  régime  de  la  terreur;  au 
nom  de  l'égalité,  elle  fit  tomber  des  milliers  de  têtes;  au 
non  de  la  fraternité,  elle  déclara  la  guerre  à  tous  les 
peuples  et  fit  des  milliers  de  victimes.  Tous  les  grands  ré- 
volutionnaires de  1789  étaient  francs-maçons;  les  princi- 
pales formules  des  révolutionnaires  étaient  empruntées  au 
jargon  maçonnique,  et  quand  la  Révolution  triompha,  on 
entendit  tous  les  francs-maçons  se  glorifier  d'avoir  travaillé 
au  grand  oeuvre  qai  venait  de  s'accomplir. 

L'Eglise  vit  le  danger  de  cette  société  secrète  dès  ia 
commencement,  et  elle  la  poursuivit  de  ses  anathémes. 

Les  princes  furent  moins  clairvoyants.  Plusieurs,  séduits 
par  les  louanges  données  à  leur  intelligence  et  à  leur  phi- 
lanliiropie,  ou  par  raj)pi\t  d'un  pouvoir  qu'on  faisait  miroi- 
ter îi  leurs  yeux,  s'affilièrent  à  la  franc-maçonnerie  et  en 


DE  1789  A  1800.  3 

reçurent  des  grades  assez  élevés.  Mais  les  chefs  secrets  et 
réels  de  la  secte  ne  se  servaient  d'eux  que  pour  mieu* mas- 
quer leur  but  et  pour  démolir  plus  sûrement  le  pouvoir,  en 
excitant  les  convoitises  de  leur  ambition.  En  France,  oïl  vit 
un  prince  du  sang,  le  duc  d'Orléans,  devenir  Grand-Oriçni, 
g'est-à-dire  chef  de  la  franc-maçonnerie  française*. 

La  Révolution  serait  bientôt  vaincue  si  elle  n'avait  pas  do 
secrets  partisans  dans  ceux-là  précisément  qu'elle  veut  dé- 
truire, si  elle  ne  séduisait  pas  ceux-là  mêmes  qui  s'en  croient 
les  plus  résolus  adversaires.  La  Révolution  est  l'ennemie 
née  de  l'Eglise  catholique,  et  il  y  a  des  enfants  de  l'Eglise 
catholique  qui  admettent  sa  devise  et  qui  en  regardent  l'a- 
doption comme  un  progrès  désirable.  La  Révolution  est 
l'ennemie  née  des  trônes  et  de  tout  ce  qui  représente  l'auto- 
rité, et  c'est  sur  les  trônes  qu'elle  trouve  des  complices  in- 
téressés ou  séduits  ^..,  séduits  pour  la  plupart,  nous  en 
sommes  persuadé,  car  la  séduction  seule  peut  expliquer  un 
tel  aveuglement.  La  Révolution  est  aussi  l'ennemie  de  la 
famille,  et  il  y  a  des  pères  de  famille  qui  s'çn  font  ie^  auxi- 

*  L'Histoire  contemporaine,  par  Chantrel, 

*  En  1784,  Gustave  III,  roi  de  Suède,  était  à  la  cour  de 
France.  On  ne  négligea  rien  pour  lui  faire  un  bon  accueil.  Le 
roi  assista  trois  fois,  à  la  Comédie  française,  au  Mariage  de  Fi- 
garo, l'œuvre  audacieuse  de  Beaumarchais.  En  parlant  de  cette 
pièce,  Gustave  III  la  trouvait  «  fort  réjouissante,  mais  un  peu 
sale,  et  plus  insolente  qu'indécente.  » 

Et  toute  la  noblesse  parisienne  allait  l'entendre,  elle  allait 
applaudir  des  scènes  d'un  cynisme  révoltant,  dont  la  portée  po- 
litique était  eiclusivement  dirigée  contre  elle  et  contre  les  ins- 
titutions politiques  qu'elle  paraissait  défendre.  On  était  attaqué 
de  tout  côté,  par  tous  les  moyens,  et  l'on  allait  rire  au  spectacle 
en  attendant,  ce  qui  était  la  conséquence  légitime,  l'émigra- 
tion, la  prison  ou  l'échafaud. 

Jamais  nation  ne  s'est  montrée  plus  Inconséquente  et  plus 
frivole  à  la  veille  des  catastrophes.  Pouvons-nous  dire  que  nous 
sommes  corrigés? 


4  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

Jiaires,  en  n'éloignant  pas  de  leurs  enfants  la  contagion  de 
ces  mortelles  doctrines,  dont  leur  faiblesse  ou  leur  aveu- 
glement multiplie  chaque  jour  les  victimes. 

S'il  n'en  était  pas  ainsi,  les  révolutions  seraient  impos- 
sibles; Dieu  permet  ces  inexplicables  séductions  pour 
punir  les  peuples  et  les  rois  qui  veulent  compter  avec 
l'Eglise,  choisir  dans  les  doctrines  qu'elle  enseigne,  et  qui 
se  croient  plus  sages  qu'elle  en  suivant  leur  raison,  au  lieu 
de  se  soumettre  à  la  raison  divine  qui  se  révèle  par  son 
organe. 

UNE   PIÈCE   IMPORTANTE. 

Dans  une  brochure  publiée  en  1877,  par  M.  L.  Pages, 
nous  trouvons,  parmi  les  pièces  justificatives,  la  lettre  sui- 
vante, adressée  par  S.  E.  le  cardinal  Mathieu,  archevêque 
de  Besançon,  à  un  personnage  éminent  : 

Besançon,  7  avril  1875. 

« Je  suis  à  m'inteiTOger  péniblement,  et  à  savoir 

comment  il  se  fait  que  les  puissants  de  ce  siècle,  ne  regar- 
dant pas  môme  autour  d'eux  et  si  près  d'eux  ce  qui  les 
mme  et  qui  les  ronge,  en  attendant  leur  renversement 
complet.  Je  suis  très-persuadé  que  la  plupart  des  grands 
et  sinistres  événements  de  nos  jours  ont  été  préparés  et 
consommés  uar  la  franc-maçonnerie.  Il  y  a,  dans  nos  pays, 
un  détail  que  je  puis  vous  donner  comme  certain.  Il  y  eut 
à  Francfort,  en  1786,  une  assemblée  de  francs-maçons,  où 
furent  convoqués  deux  hommes  considérables  de  Besan- 
çon qui  faisaient  partie  de  cette  société  :  M.  de  Raymond, 
inspecteur  des  postes,  et  M.  Maire  de  Bouligney,  président 
du  Parlement. 

»  Dans  cette  réunion,  le  meurtre  du  roi  de  Suède  et  celui 
de  Louis  XVI  fut  résolu.  MM.  de  Raymond  et  de  Bouligney 
revinrent  consternés,  en  se  promettant  de  ne  jamais  re- 
mettre les  pieds  dans  une  loge  et  de  se  garderie  secret.- 


DE  1789  A  1800.  5 

Le  dernier  survivant  l'a  dit  à  M.  Bourgon,  président  de 
chambre  honoraire  à  la  Cour:  il  est  mort  à  près  de  qufftre- 
vingt-dix  ans,  possédant  toutes  ses  facultés.  Vous  avez  pu 
en  entendre  parler,  car  il  a  laissé  une  grande  réputation 
de  probité,  de  droiture  et  de  fermeté  parmi  nous.  Je  l'ai 
beaucoup  connu,  et  pendant  bien  longtemps,  car  je  suis  à 
Besançon  depuis  quarante-deux  ans,  et  il  est  mort  assez 
récemment^  Il  a  raconté  souvent  le  fait,  et  à  moi  et  à 
d'autres.  Vous  voyez  que  la  secte  sait,  à  l'avance,  monter 
ses  coups.  C'est  là,  en  deux  mots,  son  histoire. 

»  Veuillez  agréer,  etc.  "  f  Césaire, 

e  Gard.  arch.  de  Besançon.  • 

Un  livre  intéressant  qui  vient  de  paraître  et  qui  ren- 
ferme la  correspondance  de  Marie-Antoinette  depuis  son 
mariage  avec  le  Dauphin  (qui  devait  être  Louis  XVI)  jus- 
qu'en 1792,  contient  à  ce  sujet  d'effrayantes  révélations. 
Qui  a  plus  fortement  voulu  que  Louis  XVI  le  bien  de  son 
peuple,  et  qui  a,  plus  que  Marie-Antoinette,  cherché  à  se- 
conder le  roi  dans  ses  généreux  efforts?  Mais  quand  on 
voit  les  fausses  maximes  qui  avaient  cours  dans  cette  mai- 
son royale,  si  malheureuse  et  si  digne  de  compassion, 
comme  tout  s'explique  !  Marie-Antoinette,  la  fille  de  Marie- 
Thérèse,  n'estimait-elle  pas  son  frère  Joseph  II  comme  l'un 
des  plus  profonds  politiques  de  son  époque?  Ne  regardait- 
elle  pas  le  ministre  Kaunitz  comme  l'un  des  meilleurs  ser- 
viteurs de  l'empire  d'Autriche?  N'était-elle  pas  aveuglée 
au  point  d'écrire,  le  26  février  1781,  à  sa  sœur  Marie- 
Christine  : 

«  Je  crois  que  vous  vous  frappez  beaucoup  trop  de  la 
franc-maçonnerie  pour  ce  qui  concerne  la  France.  On  au- 
rait raison  de  s'en  alarmer  si  c'était  une  société  secrète  de 
politique.  L'art  du  gouvernement  est,  au  contraire,  de  la 


6  LA   GRANDE  RÉVOLUTION 

laisser  s'étendre,  et  ce  n'est  plus  que  ce  que  c'est  en  réa- 
lité, une  société  de  bienfaisance  et  de  plaisir.  Ce  n'est  nul- 
lement une  société  d'athées  déclarés,  puisque,  m'a-t-on  dit, 
Dieu  y  est  dans  toutes  les  bouches.  On  y  fait  beaucoup  de 
charités,  on  élève  les  enfants  des  membres  pauvres  ou  dé- 
cédés, on  marie  leurs  filles  ;  il  n'y  a  pas  de  mal  à  tout  cela. 
Ces  jours  derniers,  la  princesse  de  Lamballo  a  été  nommée 
grande-maîtresse  dans  une  loge.  Je  crois  que  l'on  pourrait 
faire  du  bien  sans  tant  de  cérémonies,  mais  il  faut  laisser  h 
chacun  sa  manière.  Pourvu  qu'on  fasse  le  bien,  qu'importe!  > 

Quand  on  sait  le  rôle  que  jouèrent  les  francs-maçons 
dans  notre  grande  Révolution,  on  ne  peut  lire  cette  lettre 
sans  un  serrement  de  cœur.  Qu'est  devenue  cette  prin- 
cesse de  Lamballe,  amie  intime  de  Marie-Antoinette,  nom* 
mée  grande-maîtresse  d'une  loge  maçonnique?  Comment 
ces  gens,  qui  prétendaient  faire  le  bien  et  qui  faisaient 
tant  de  charités,  ont-ils  traité  Marie-Antoinette.  C'a  toujours 
été  l'adresse  de  la  franc-maçonnerie  de  se  donner  les  de- 
hors d'une  association  de  plaisirs  et  de  bienfaisance;  en 
1784,  comme  en  1863,  ses  adeptes  se  masquaient  ainsi  :  la 
leçon  de  1789  sera-t-elle  perdue?  Pourvu  qu'on  fasse  le  lient 
qu'importe!  Il  paraît  cependant  que  le  bien  fait  en  vue  de 
bouleversements  politiques  ne  vaut  pas  le  bien  fait  en  vue 
de  Dieu.  Et  quel  bien  que  celui  qui  ne  s'occupe  du  corps 
que  pour  pervertir  l'âme?  En  1781,  on  riait  des  avertisse- 
ments de  l'Eglise,  qui  avait  anathématisé  les  francs-maçons; 
une  reine  digne  de  tous  les  respects  ne  voyait  aucun  dan- 
ger dans  une  pareille  société,  une  princessse  se  faisait  affi- 
lier aux  loges!  Comment  la  Révolution  n'aurait-elle  pas  été 
victorieuse?  La  correspondance  de  Marie-Antoinette  ren- 
ferme des  leçons  de  plus  d'un  genre;  elle  fait  aimer  et 
estimer  cette  reine  infortunée;  elle  explique  aussi  ses 
malheurs,  résultats  de  fautes  dont  la  responsabilité,  sans 


DE  1789  A  1800.  7 

doute,  ne  retombe  pas  sur  elle,  mais  qu'on  aurait  évitées 
en  écoutant  plus  docilement  les  avertissements  de  l'Eglîse  '. 

L'âme  la  plus  forte  peut  à  peine  contempler  les  sombres 
tableaux  que  la  Révolution  offre  à  nos  méditations.  Le 
sang,  les  tombeaux  et  les  ruines,  comme  d'affreux  spec- 
tres, poursuivent  sans  relâche  l'imagination  épouvantée; 
la  pensée  se  précipite  avec  effroi  de  malheur,  de  crime  en 
crime;  il  semble  que,  comme  le  Dante,  on  descende,  de 
cercle  en  cercle,  toujours  plus  bas  dans  les  enfers. 

Ces  funèbres  images  semblent  être  quelquefois  les  rêves 
d'une  imagination  malade;  mais  l'homme  fait  d'impuis- 
sants efforts  pour  repousser  leur  trop  accablante  certitude. 

*  Sans  doute,  la  cour  de  Louis  XVI  et  sa  noblesse  furent 
coupables.  Mais  osons  remonter  au-delà  de  l'avènement  de  ce 
malheureux  prince.  Il  y  avait  deux  siècles  environ  que  la  cour 
et  la  noblesse  de  France  se  plaisaient  à  forger  elles-mêmes  les 
foudres  qui  allaient  les  frapper.  Le  dernier  grand  effort  de  la 
noblesse  française  avait  été  la  Ligue.  Sous  Henri  IV  et  Louis  XIII, 
ce  n'avait  été  que  révoltes  maladroites,  entêtées,  parfoi» 
ridicules.  Et  à.  ces  révoltes  avait  succédé,  sous  Louis  XIV,  une 
servilité  que  rien  ne  justifie  ;  sous  Louis  XV,  une  immoralité 
que  rien  ne  peut  rendre.  Servilité,  immoralité,  voilà  les  deux 
machines  de  guerre  qui  ébranlent  et  renversent  les  noblesses 
les  plus  fortes,  les  plus  antiques,  les  plus  chrétiennes  même. 
Ainsi  tomba  la  noblesse  française.  Elle  arriva  aux  frontières 
de  la  Révolution,  à  celles  de  la  Terreur,  coupable  de  deux 
crimes  :  d'avoir  favorisé,  encensé  ce  déplorable  césarisme  do 
Louis  XrV  et  de  ses  successeurs,  et  d'avoir  généralement  perdu 
la  fleur  antique  de  ses  bonnes  mœurs  et  de  sa  mâle  austérité. 
Dieu  ne  pouvait  laisser  sans  châtiment  cette  élite  d'un  grand 
peuple  qui  désertait  ainsi  ses  premiers  devoirs.  La  noblesse 
chrétienne  est  destinée  à  être  la  force  vive  d'une  nation,  et  la 
pureté  seule  donne  cette  force;  elle  est  destinée  à  être,  avec  une 
noble  et  indépendante  soumission,  l'avertisseuse  de  la  royauté 
chrétienne,  quand  cette  royauté  manque  à  ces  devoirs.  La 
noblesse  de  France  n'étant  plus  et  ne  pouvant  plus  être  rien 
de  tout  cela,  Dieu  dut  la  frapper.  On  sait  comineni  elle  se  re- 
leva glorieuse,  sous  la  juste  main  qui  la  foudroya  d'en  haut. 


8  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

Une  profonde  conviction  de  la  nécessité  de  retracer  ces 
souvenirs  peut  seule  inspirer  à  l'écrivain  une  résolution 
assez  forte  pour  ne  point  abandonner  ces  tristes  et  doulou- 
reuses méditations. 

La  Providence  a  permis  que  cette  assemblée  fameuse  à 
jamais  sous  le  nom  de  Convention  élevât  elle-même  le  mo- 
nument qui  devait  transmettre  à  la  plus  lointaine  posté- 
rité la  mémoire  de  ses  forfaits. 

Ce  ne  sont  point  de  vagues  et  incertaines  traditions  qui 
attesteront  tant  de  fureurs  et  tant  de  crimes,  l'inexorable 
Moniteur  est  là  ;  aucune  puissance  ne  pourrait  arracher  un 
seul  feuillet  de  ces  sanglantes  archives,  et  dans  ce  registre 
funèbre  oîi  ces  hommes  inscrivirent  jour  par  jour  l'histoire 
de  ces  temps,  les  générations  futures  retrouveront  les 
irréfragables  témoignages  des  plus  odieux  attentats  pré- 
sentés par  les  hommes  qui  vinrent  les  commettre. 

En  méditant  sur  cette  époque  marquée  par  tant  de  honte, 
l'esprit  humain  peut  mesurer  l'infinie  distance  qui  sépare 
la  dépravation  romaine,  aux  temps  les  plus  dégradés  de 
l'histoire,  de  celle  qu'offre  à  nos  regards  l'ère  sanglante  de 
la  Convention. 

Jamais  une  puissance  plus  terrible  ne  pesa  sur  la  terre. 

L'imagination  la  plus  sombre  ne  saurait  rien  inventer 
qui  puisse  être  comparé  aux  actes  de  cette  assemblée  pros- 
tituée h.  la  dépravation  la  plus  inouïe. 

C'est  au  nom  de  la  raison  et  de  la  liberté  que  les 
peuples  sont  entraînés  à  tous  les  forfaits,  et  que  le  plus 
odieux  esclavage  est  consacré  par  des  lois.  De  nouveaux 
Tartares  sont  venus,  les  Droits  de  l'homme  à  la  main,  exiler 
la  religion,  la  justice,  et  livrer  la  France  éplorée  à  tous  les 
fléaux  et  à  tous  les  crimes. 

Sophistes  à  la  fois  et  chefs  de  meurtriers,  les  hommes  de 
ces  temps  ont  inscrit  sur  leurs  étendards  ces  mots  terri- 
bles :  Souveraineté  du  peuple.  Affreuse  et  incompréhensible 


DE  17S9  A  1800.  9 

image  qui,  semblable  au  apiiiiix.  de  la  fable,  dévore  tout 
ce.  qui  tente  de  l'expliquer;  épouvantable  théorie,  qui 
marque  son  invasion  par  toutes  les  destructions,  légitime 
les  plus  odieux  attentats,  et  fait  peser  sur  la  tête  des  peu- 
ples la  plus  horrible  complicité.  Une  confédération  du 
crime  lie  toutes  les  parties  d'un  vaste  royaume  ;  des  mil- 
liers de  libères  et  de  Nérons  croissent  tout-à-coup  et 
couvrent  la  France  entière;  la  terre  tremble  jusqu'en  ses 
fondements;  des  barbares,  nés  sur  le  sol  français,  de  la  cor- 
ruption des  siècles,  viennent  instituer  une  république  en 
conduisant  le  char  funèbre  de  l'athéisme  et  de  l'anarchie. 
En  vertu  de  sa  souveraineté,  l'homme  se  soulève  contre 
Dieu,  se  déclare  libre  et  égal  à  lui  ;  en  vertu  du  même  droit, 
le  sujet  se  soulève  contre  le  pouvoir  et  se  déclare  libre  et 
égal  à  lui.  Au  nom  de  la  liberté,  on  renverse  la  constitution, 
les  lois,  toutes  les  institutions  politiques  et  religieuses;  au 
nom  de  l'égalité,  on  abolit  toute  hiérarchie,  toute  distinc- 
tion religieuse  et  politique  :  clergé,  noblesse,  magistra- 
ture, législation,  religion,  tout  tombe  ensemble,  et  il  fut 
un  moment  où  tout  l'ordre  social  se  trouva  concentré  dans 
un  seul  homme.  Pendant  que  cet  homme-pouvoir,  média- 
teur entre  Dieu  et  l'homme  dans  la  société  politique 
comme  l'Horame-Dieu  est  médiateur  entre  Dieu  et  l'homme 
dans  la  société  religieuse,  pendant,  dis-je,  que  cet  homme 
exista,  rien  n'était  désespéré,  et  l'ordre,  pour  ainsi  dire 
retiré  en  lui,  pouvait  plus  tard  en  sortir  et  reparaître  au 
dehors  par  un  acte  de  sa  puissante  volonté.  On  le  savait, 
et  sa  mort,  résolue  de  ce  moment,  fut  comme  la  dernière 
ruine  qui  devait  consommer  et  éterniser  toutes  les  autres. 
Depuis  le  déicide  des  Juifs,  jamais  crime  plus  énorme 
n'avait  été  commis,  car  le  meurtre  même  de  l'innocence 
ne  peut  lui  être  comparé.  Quand  Louis  monta  sur  l'écha- 
faud,  ce  ne  fut  pas  seulement  un  mortel  vertueux  qui  suc- 
comba sous  la  rage  de  quelques  scélérats,  ce  fut  le  pou- 

1* 


iO  LA  GRANDE  RÉVOLUTIOrT 

voir  lui-même,  vivante  image  de  la  Divinité  dont  il  émane, 
ce  fut  le  principe  de  l'ordre  et  de  l'existence  politique,  ce 
fut  la  société  entière  qui  périt'. 

Et  certes  on  n'en  put  pas  douter  lorsqu'on  vit  placer  le 
droit  de  révolte  au  nombre  des  lois  fondamentales  de  l'Etat, 
et  consacrer  l'insurrection  comme  le  plus  saint  des  devoirs. 
Jamais,  dans  le  cours  des  âges  précédents,  aucun  peuple 
n'était  parvenu  jusqu'à  ce  prodigieux  exci's  de  délire,  de 
protester,  en  tête  de  sa  constitution,  contre  toute  espèce  de 
gouvernement:  cette  absurdité  incompréhensible  devait 
être  réservée  au  siècle  de  la  raison. 

Alors,  sur  les  débris  de  l'autel  et  du  trône,  sur  les  osse- 
ments du  prêtre  et  du  souverain,  commença  le  règne  de  la 
force,  le  règne  de  la  haine  et  de  la  terreur;  effroyable  ac- 
complissement de  cette  prophétie  :  t  Un  peuple  entier  se 
ruera,  homme  contre  homme,  voisin  contre  voisin,  et, 
avec  un  grand  tumulte,  l'enfant  se  lèvera  contre  le  vieil- 
lard, la  populace  contre  les  grands,  parce  qu'ils  ont  op- 


*  Si  la  royauté  française  a  été  condamnée,  dans  la  per- 
sonne d'un  prince  aussi  innocent,  à  une  aussi  rigoureuse  ex- 
piation, c'est  que  la  royauté  française  n'était  plus,  depuis  long- 
temps, une  royauté  sincèrement  chrétienne  ;  c'est  que,  depuis 
longtemps,  le  roi  de  France  imitait  Philippe  le  Bel,  et  non  plus 
Charlemagne;  c'est  que  la  césarisme  avait  remplacé,  dans  les 
conseils  du  fils  aîné  de  l'Eglise,  la  théorie  chrétienne  de  ia 
royauté.  Les  doctrines  des  légistes  triomphaient  en  France; 
on  y  admettait  comme  article  de  foi  que  l'Eglise  n'a  aucun 
pouvoir  d'intervenir  entre  les  peuples  et  les  rois,  même  quand 
la  religion  est  en  péril  ;  que  le  prince  est  le  juge  souverain  cl 
sans  appel,  lo  suprême  propriétaire,  l'unique  arbitre  de 
tous  ses  différends  avec  son  peuple  ou  avec  les  autres  princes; 
César  était  le  type.  La  royauté  française  avait  péché  par  le 
césarisme,  comme  le  clergé  français  par  le  gallicanisme,  comme 
la  noblesse  française  par  la  servilité  et  l'immoralité.  La 
royauté  reçut  aussi  son  chûliment,  d'où  elle  se  releva  im 
eimparablement  plus  belle,  plus  pure  et  plus  honorée. 


DE  1789  A  1800.  H 

posé  leur  langue  et  leurs  inventions  contre  Dieu.  i>  (Isaïe.) 
Pour  peindre  cette  scène  épouvantable  de  désordres  et 
de  forfaits,  de  dissolution  et  de  carnage,  cette  orgie  de  doc- 
trines, ce  choc  confus  de  tons  les  intérêts  et  de  toutes  les 
passions,  ce  mélange  de  proscriptions  et  de  fêtes  impures, 
ces  cris  de  blasphème,  ces  chants  sinistres,  ce  bruit  sourd 
et  continu  du  marteau  qui  démolit,  de  la  hache  qui  frappe 
les  victimes;  ces  détonations  terribles  et  ces  rugissements 
de  joie,  lugubre  annonce  d'un  vaste  massacre;  ces  cités 
veuves,  ces  rivières  encombrées  de  cadavres,  ces  temples 
et  ces  villes  en  cendres,  et  le  meurtre  et  la  volupté,  et 
les  pleurs  de  sang,  il  faudrait  emprunter  à  l'enfer  sa 
langue,  comme  quelques  monstres  lui  empruntèrent  ses  fu- 
reurs '. 

«  Si  le  monde,  avait  dit  Voltaire,  était  gouverné  par  des 
athées,  il  vaudrait  autant  être  sous  l'empire  immédiat  de 
ces  êtres  infernaux  qu'on  nous  peint  acharnés  contre  leurs 
victimes.  »  Des  athées  gouvernèrent  la  France,  et  dans 
l'espace  de  quelques  mois  ils  y  accumulèrent  plus  de  ruines 
qu'une  armée  de  Tartares  n'en  aurait  pu  laisser  en  Europe 
après  dix  années  d'invasion.  Jamais,  depuis  l'origine  du 
monde,  une  telle  puissance  de  destruction  n'avait  été  don- 
née à  l'homme.  Dans  les  révolutions  ordinaires,  le  pouvoir 
se  déplace,  mais  descend  peu.  Il  n'en  fut  pas  ainsi  quand 
l'athéisme  triompha.  Comme  s'il  eût  fallu  que,  sous  l'em- 


i 


Quoiqu'il  y  ait  toujours  eu  des  impies,  jamais  il  n'y  avait 
eu,  avant  le  dix-huitième  siècle,  et  au  sein  du  christianisme, 
une  insurrectiûn  contre  Dieu;  jamais  suiiout  on  avait  vu  une 
ccnjuration  sacrilège  de  tous  les  talents  contre  leur  Auteur  :  or, 
c'est  ce  que  nous  avons  vu  de  nos  jours.  Le  vaudeville  a  blas- 
phémé comme  la  tragédie,  et  le  roman  comme  l'histoire  et  la 
physique.  Les  hommes  de  ce  siècle  ont  prostitué  le  génie  à 
l'irréligion,  et,  suivant  l'expression  admirable  de  samt  Louis 
mourant,  ils  ont  guerroyé  Lieu  de  ses  dons. 

JOSEI'U    DE   MaISTRE. 


12  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

pire  exclusif  do  riiomme,  tout  portât  un  caractère  parti- 
culier d'abjection,  la  force,  fuyant  les  nobles  et  les 
hautes  parties  du  corps  social,  se  précipita  entre  les 
mains  ae  ses  plus  vils  membres,  et  leur  orgueil,  que  tout 
offensait,  n'épargna  rien.  Ils  ne  pardonnèrent  ni  h  la 
naissance,  parce  qu'ils  étaient  sortis  de  la  boue;  ni  aux 
richesses,  parce  qu'ils  les  avaient  longtemps  enviées:  ni 
aux  talents,  parce  que  la  nature  les  leur  avait  tous  refusés; 
ni  à  la  science,  parce  qu'ils  se  sentaient  profondément 
ignorants;  ni  à  la  vertu,  parce  qu'ils  étaient  couverts  de 
crimes;  ni  enfin 'au  crime  même,  lorsqu'il  annonça 
quelque  espèce  de  supériorité.  Entreprendre  de  tout  ra- 
mener a  leur  niveau,  c'était  s  engager  à  tout  anéantir. 
Aussi,  dès  lors,  gouverner,  ce  lut  proscrire,  confisquer  et 
proscrire  encore.  On  organisa  la  mort  dans  chaque  bour- 
gade, et,  achevant  avec  des  décrets  ce  qu'on  avait  com- 
mencé avec  des  poignards,  on  voua  des  classes  entières  de 
citoyens  à  l'extermination,  on  ébranla  par  le  divorce  le 
fondement  de  la  famille  ;  on  attaqua  le  principe  même  de 
la  population,  en  accordant  des  encouragements  pubhcs 
au  libertinage. 

Cependant,  la  haine  de  l'ordre,  trop  à  l'étroit  sur  ce 
vaste  théâtre  de  destruction,  franchit  les  frontières  et  alla 
menacer  sur  leurs  trônes  tous  les  souverains  de  l'Europe. 
L'athéisme  eut  ses  apôtres,  et  l'anarchie  ses  séides.  La 
guerre  redevenant  ce  qu'elle  est  chez  les  sauvages,  on 
arrêta  de  ne  faire  aucun  prisonnier.  L'honneur  du  soldat 
frémit  et  repoussa  cet  ordre  barbare.  Mais,  hors  des 
camps,  l'enfance  même  ne  put  désarmer  la  rage  ni  atten- 
drir les  bourreaux.  Je  me  lasse  de  rappeler  tant  d'inex- 
plicables horreurs.  La  France,  couverte  de  débris,  offrait 
l'image  d'un  immense  cimetière,  quand,  chose  étonnante  I 
voilà  qu'au  milieu  de  ces  ruines,  les  princes  même  du 
désordre,  saisis  d'une  terreur  soudaine,  reculent  épou- 


DE  1789  A  1800.  43 

vantés,  comme  si  le  spectre  du  néant  leur  eût  apparu.  Sen- 
tant qu'une  force  irrésistible  les  entrame  eux-mêmes  au 
tombeau,  leur  orgueil  fléchit  tout-à-coup.  Vaincus  d'effroi, 
ils  proclament  en  hâte  l'existence  de  l'Etre  suprême  et  l'im- 
mortalité de  l'âme;  et,  debout  sur  le  caaavre  palpitant  de 
la  société,  ils  appellent  à  grands  cris  le  Dieu  qui  seul  peut 
la  ranimer  '. 

Voici,  à  ce  sujet,  de  belles  considérations  d'un  des  plus 
profonds  penseurs  de  notre  époque,  Joseph  de  Maistre  : 

«  Pour  faire  la  Révolution  franraise,  il  a  fallu  renverser 
la  religion,  outrager  la  morale,  violer  toutes  les  propriétés 
et  commettre  tous  les  crimes;  pour  cette  œuvre  diabolique, 
il  a  fallu  employer  un  tel  nombre  d'hommes  vicieux,  que 
jamais  peut-être  autant  de  vices  n'ont  agi  ensemble  pour 
opérer  un  mal  quelconque. 

>  On  a  remarqué,  avec  grande  raison,  que  la  Révolution 
française  mène  les  hommes  plus  que  les  hommes  ne  la 
mènent.  Cette  observation  est  de  la  plus  grande  justesse, 
et  quoiqu'on  puisse  l'appliquer  plus  ou  moins  à  toutes  les 
grandes  révolutions,  cependant  elle  n'a  jamais  été  plus 
frappante  qu'à  cette  époque. 

>  Les  scélérats  mêmes  qui  paraissent  conduire  la  Révo- 
lution n'y  entrent  que  comme  de  simples  instruments,  et 
dès  qu'ils  ont  la  prétention  de  la  dominer,  ils  tombent 
ignoblement.  Ceux  qui  ont  établi  la  république  l'ont  fait 
sans  le  vouloir  et  sans  savoir  ce  qu'ils  faisaient;  ils  y  ont 
été  conduits  par  les  événements  :  un  projet  antérieur  n'au- 
rait pas  réussi. 

>  Jamais  Robespierre,  Collot  ou  Barrère  ne  pensèrent  à 
établir  le  gouvernement  révolutionnaire  et  le  régime  de  la 
terreur;  ils  y  furent  conduits  insensiblement  par  les  cir 

'  Essai  sur  l'indifférence. 


14  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

constances,  et  jamais  on  ne  verra  rien  de  pareil.  Ces 
hommes  excessivement  médiocres  exercèrent  sur  une  na- 
tion coupable  le  plus  affreux  despotisme  dont  l'histoire 
fasse  mention,  et  sûremeat  ils  étaient  les  hommes  du 
royaume  les  plus  étonnés  de  leur  puissance. 

»  Mais  au  moment  même  où  ces  tyrans  détestables 
eurent  comblé  la  mesure  de  crimes  nécessaires  à  cette 
phase  de  la  Révolution,  un  souffle  les  renversa*  Ce  pouvoir 
gigantesque,  qui  faisait  trembler  la  France  et  l'Europe,  ne 
tint  pas  contre  la  première  attaque,  et  comme  il  ne  devait  y 
avoir  rien  de  grand,  rien  d'auguste  dans  une  révolution 
toute  criminelle,  la  Providence  voulut  que  le  premier  coup 
fût  porté  par  des  septembriseurs,  afin  que  la  justice  même 
fût  infâme. 

»  On  nommerait  par  milliers  les  instruments  actifs  de  la 
Révolution  qui  ont  péri  d'une  mort  violente. 

»  C'est  encore  ici  que  nous  pouvons  admirer  l'ordre 
dans  le  désordre,  car  il  demeure  évident,  pour  peu  qu'on 
y  réfléchisse,  que  les  grands  coupables  de  la  Révolution  ne 
pouvaient  tomber  que  sous  les  coups  de  leurs  complices  '. 
Si  la  force  seule  avait  opéré  ce  qu'on  appelle  la  contre- 
révolution,  et  replacé  le  roi  sur  le  trône,  il  n'y  aurait  eu 
aucun  moyen  de  faire  justice.  Le  plus  grand  malheur  qui  pût 
arriver  à  un  homme  délicat,  ce  serait  d'avoir  à  juger  l'as» 
sassin  de  son  père,  de  son  parent,  de  son  ami,  ou  seule- 
ment l'usurpateur  de  ses  biens.  Or,  c'est  précisément  ce 
qui  serait  arrivé  dans  le  cas  d'une  contre-révolution,  telle 
qu'on  Tcntendait;  car  les  juges  supérieurs,  par  la  nature 
des  cnoses,  auraient  presque  tous  appartenu  h  la  classe 
offensée;  et  la  justice,  lors  môme  qu'elle  n'aurait  fait  que 
punir,  aurait  eu  l'air  de  se  venger.  D'ailleurs,  l'autorité 

*  On  vit  se  vérifier  cette  parole  du  crand  de  Maistrc  : 
«  L'univers  est  rempli  de  supplices  très-justes  dont  les  exécu- 
teurs sont  très-coupables.  » 


DE  1789  A  1800.  Ig 

légitime  garde  toujours  une  certaine  modération  dans  la 
punition  des  crimes  qui  ont  une  multitude  de  complices. 
Quand  elle  envoie  cinq  ou  six  coupables  à  la  mort  pour  le 
même  crime,  c'est  un  massacre.  Si  elle  passe  certaines 
bornes,  elle  devient  odieuse.  Enfin,  les  grands  crimes 
exigent  malheureusement  de  grands  supplices  ;  et  dans  ce 
genre,  il  est  aisé  de  passer  les  bornes,  lorsqu'il  s'agit  de 
crimes  de  lèse-majesté,  et  que  la  flatterie  se  fait  bourreau. 
L'humanité  n'a  point  encore  pardonné  à  l'ancienne  légis- 
lation française  l'épouvantable  supplice  de  Damiens.  » 

LES  PIONNIERS  DE  L'IMPIÉTÉ. 

Les  écrivains  en  vogue,  Voltaire,  Rousseau  et  com- 
pagnie, pionniers  intrépides  de  l'incrédulité,  firent  d'in- 
croyables efforts  pour  saper  les  fondements  du  christia- 
nisme. Les  choses  saintes,  les  dogmes,  les  mystères  de  la 
foi,  le  sacerdoce,  furent  le  but  d'attaques  furieuses.  Le  cri 
de  liberté,  d'affranchissement  de  toute  autorité  divine  et 
humaine,  poussé  par  les  faux  sages,  fut  répété  par  de 
nombreux  échos.  Un  des  hommes  néfastes,  Diderot,  émet- 
tait le  vœu  barbare  d'étrangler  le  dernier  des  rois  avec  les 
boyaux  du  dernier  des  prêtres,  Voltaire,  l'oracle  de  la 
secte,  avait  dit,  de  son  côté,  que  c'était  là  le  plus  ardent 
des  désirs  de  son  cœur.  Rousseau,  républicain  de  Genève, 
dans  son  Contrat  social  et  ses  autres  ouvrages,  signalait  sa 
haine  contre  la  royauté  et  contre  les  rois.  On  s'abreuvait 
du  poison  de  ces  doctrines  subversives  ;  il  circulait  dans 
les  veines  de  la  société,  et  cette  société,  arrivée  à  l'état 
d'ivresse,  chanta  les  louanges  de  ces  apôtres  du  mensonge 
et  du  désordre*.  La  raison  en  délire  se  proclama  souve- 

*  Un  philosophe,  dont  les  écrits  séducteurs  ont  empoisonné 
bien  des  intelligences,  a  laissé  échapper  cet  aveu  cynique  :  «  La 


13  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

raine,  apr^s  avoir  secoué  tout  joug,  et  le  Seigneur  voulut 
hii  laisser  faire  un  essai.  Elle  commença  par  décerner  un 
triomplie  à  Voltaire;  rien  de  plus  naturel.  Elle  accorda  la 
môme  distinction  à  Rousseau;  et,  pour  le  premier,  on  eut 
l'attention  de  passer  sous  les  fenêtres  du  palais  où  Louis  XVI 
était  prisonnier,  et  de  mettre  en  tête  de  ce  fatal  cortège 
ceux  qui  avaient  ramené  le  monarque  de  Varennes.  La 
Révolution  éclata.  On  proclama,  comme  auteurs  de  cette 
prétendue  régénération,  ces  deux  apôtres  du  mal.  Ils  n'ont 
pas  vu  ce  qu'ils  ont  fait,  s'écriait-on  de  la  tribune  de  la 
Convention,  mais  ils  ont  fait  ce  que  nous  voyons\  Le  sang 

philosophie  et  les  mœurs  qu'elle  engendre  ne  tarderont  pas 
à  faire  de  l'Europe  un  désert.  Elle  sera  peuplée  de  botes  fé- 
roces   »  {Emile,  livre  !*='.)  —  Plus  que  tout  autre,  Jean- 
Jacques  Rousseau  pouvait  justement  apprécier  ce  que  devaient 
produire  les  doctrines  de  son  époque. 

*  A  l'égard  de  ceux  qui  ne  veulent  pas  encore  aujourd'hui 
qu'on  regarde  les  ouvrages  de  Voltaire  comme  ayant  préparé 
la  Révolution  en  France,  que  diront-ils  de  ce  passage  d'une  de 
ses  lettres  à  M.  Chauvelin  :  «  Tout  ce  que  je  vois  jette  les 
semences  d'une  révolution  qui  arrivera  immanquablement,  et 
dont  je  n'aurai  pas  le  plaisir  d'être  témoin.  On  éclatera  à  la 
première  occasion,  et  alors  ce  sera  un  beau  tapage.  Les  jeunes 
gens  sont  bien  heureux,  ils  verront  de  belles  choses.  »  Com- 
ment entreprendra- 1- on  de  justifier  cette  autre  phrase  : 
«  Un  grand  courtisan  m'a  envoyé  une  singulière  réfutation  du 
Système  de  la  nature,  dans  laquelle  il  dit  que  la  nouvelle  philo- 
sophie amènera  une  révolution  horrible,  si  on  ne  la  prévient 
pas.  Tout  ces  cris  s'évanouiront,  et  la  philosophie  restera.  » 
Pouvait-on  prêcher  plus  fortement  la  Révolution  qu'en  écrivant, 
comme  il  l'a  fait  AdinsY Histoire  du  Parlement  ;  «La  nation  an- 
glaise est  la  seule  qui  soit  parvenue  à  régler  le  pouvoir  des  rois 
en  leur  résistant.  Il  en  a  coûté  sans  doute  pour  établir  celte 
liberté  en  Angleterre,  c'est  dans  des  mers  de  sang  qu'on  a 
noyé  l'idole  du  pouvoir  despotique;  mais  les  Ane:lais  ne  croient 
pas  acheter  trop  cher  leurs  lois.  »  Condorcet  était  loin  de  dissi- 
muler la  part  que  son  maître  et  ami  avait  eue  à  la  Révolution, 
lorsqu'il  a  dit  en  écrivant  sa  Vie  :  Il  n'a  point  vu  tout  ce  qu'il  a 


DK  1789  A  1800.  17 

le  plus  pur  de  la  France  fut  versé  k  grands  flots;  les  écha- 
fauds  étaient  dressés  sur  tous  les  points  de  notre  malheu- 
reuse patrie:  le  roi,  la  reine,  sa  vertueuse  sœur  y  mon- 
tèrent, pardonnant  à  leurs  bourreaux.  Nos  temples  furent 
ou  renversés  ou  profanés  par  le  culte  de  la  Raison,  répré- 
sentée sur  nos  autels  par  d'infâmes  prostituées;  les 
prêtres  bannis,  traqués,  massacrés  comme  des  bêtes 
fauves.  La  hideuse  guillotine  ne  fonctionnait  pas  assez 
vite  au  gré  de  ces  tyrans  farouches  ;  ils  eurent  recours  aux 
fusillades,  aux  noyades.  Quels  horribles  désastres!  Vol- 
taire et  Rousseau  ont  répondu  devant  Dieu  de  ces  suites 
atroces  de  leurs  doctrines  licencieuses,  anarchiques  et 
impies. 

«Feaiî  -  Jacques    Rousseau. 

Peu  d'écrivains  ont  mené  une  vie  aussi  dissolue  et  sou- 
tenu une  doctrine  aussi  paradoxale  que  l'auteur  d'Emile, 
auquel  les  protestants  de  Genève  ont  élevé  une  statue. 

Jeune  encore,  il  pillait  la  fruiterie  d'un  maître  graveur, 
chez  qui  il  était  en  apprentissage  ;  il  dépouillait  aussi  un 
jardin  de  ses  plus  belles  asperges  pour  le  compte  d'un 
autre,  puis  les  vendait  sur  le  marché,  et  du  produit  en  fai- 
sait des  déjeuners.  Rien  de  ce  qu'il  convoitait  n'était  en 
sûreté,  selon  lui.  Ailleurs,  il  prit  un  ruban  d'argent,  et 
accusa  de  ce  larcin  une  excellente  domestique  qui  toujours 
avait  été  fidèle  et  soumise  à  ses  maîtres.  On  la  renvoya,  et 
comme  lui-même  était  soupçonné,  on  le  fit  aussitôt  sortir 
de  la  maison.  A  Lyon,  chez  M.  de  Mably,  il  vidait  la  cave 
d'un  bon  vin  blanc  d'Arbois  que  savourait  délicieusement 
son  palais.  Nombre  de  bouteilles,  où  il  n'y  avait  plus  rien, 

fait,  mais  il  a  fait  tout  ce  que  nous  voyons.  Les  observateurs 
éclairés  prouveront  à  ceux  qui  savent  réfléchir  que  le  premier 
auteur  de  cette  grande  Révolution,  c'est  sai^s  contredit  Voltaire. 


18  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

déposaient  contre  lui.  Il  devint  alors,  et  il  l'avoue,  dissolu 
et  crapuleux.  Une  autre  fois,  il  prit  de  l'argent. 

Nous  prenons  ces  détails  dans  ses  Confessions;  car  il  a 
voulu  probablement  imiter  saint  Augustin,  avec  cette  diffé- 
rence, toutefois,  que  l'un  s'humilie  profondément,  et  que 
l'autre  est  un  orgueilIeuK  qui  se  donne  sans  façon  l'abso- 
lution à  hii-môme  cl  l'indulgence  plénière,  croyant  que 
personne  ne  pourra  dire  à  Dieu  :  Je  fus  ineilleur  que  cet 
homme-là.  Il  n'y  a  pourtant  pas  de  quoi  se  vanter,  car 
quelle  vie  t  quels  désordres  f 

On  peut  dire  que  la  vie  de  ce  prétendu  esprit  fort  a  été 
en  proie  à  des  remords  continuels,  qui  faisaient  de  son  exis- 
tence un  vrai  cauchemar  ne  lui  laissant  de  trêve  ni  le  jour 
ni  la  nuit. 

Tous  les  hommes  étaient  autant  d'ennemis  conjurés 
contre  lui  ;  dans  les  actions  les  plus  innocentes,  son  ima- 
gination frappée  ne  voyait  que  des  marques  certaines  de 
conspiration;  il  n'est  pas  jusqu'aux  vents  qu'il  n'accusât 
d'être  les  complices  de  ses  persécuteurs.  Aussi  il  viva»*- 
comme  un  misanthrope  *. 

*  Il  était  donc  fou,  et  bien  décidément  fou,  celui  que  ses 
meilleurs  amis  n'ont  pu  s'empêcher  de  reconnaître  pour  tel, 
celui  qu'ils  appelaient  un  autre  don  Quichotte  ;  il  était  fou,  cet 
écrivain  si  disert,  ce  moraliste  si  vanté,  ce  donneur  de  préceptes 
si  hautains  ;  il  était  fou  ce  législateur  profond,  cet  arbitre  des 
droits  des  princes  et  des  peuples,  ce  réformateur  de  nos  cons- 
titutions modernes,  ce  faiseur  de  codes  pohtiques  ;  il  était  fou, 
ce  détracteur  du  christianisme,  cet  ennemi  de  ses  mystères, 
cet  écrivain  arrogant,  toujours  armé  de  sophismes  et  d'ob- 
jections contre  nos  dogmes;  il  était  fou,  cet  homme  qui  exal- 
tait si  fort  les  prérogatives  de  sa  raison,  et  la  Providence  per- 
mit que  celui  qui  s'enorgueillissait  de  ses  lumières  et  qui  asser- 
vissait  la  foi  aux  bornes  de  son  intelligence,  perdit  dans  un 
accès  de  noire  vapeur  cette  même  faculté  dont  il  avait  aliusô 
pour  avancer  tant  de  sophismes  et  pour  établir  tant  de  para- 
doxes. Elle  humilia  ainsi  cet  esprit  superbe  qui  s'était  joué 


DE  1789  A  1800.  19 

M.  Louis  Veuillot  a  tracé  un  portrait  de  Roussea;i  que 
nous  voulons  mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  : 

«  Dans  un  galetas,  au  fond  d'une  rue  bourbeuse  de 
Paris,  vivait  ignoblement  un  déclamateur  malade  d'or- 
gueil, doublement  étranger  à  la  France  par  son  origine  et 
par  sa  religion.  La  rudesse  affectée  de  ses  mœurs  ne 
l'avait  pas  empêché  de  chercher  à  gagner  quelque  louis  en 
travaillant  aux  plaisirs  du  roi,  et  de  piquer  l'assiette  chez 
certains  grands  de  bas  étage.  Mécènes  secondaires  des 
libres-penseurs  du  temps.  Sa  vanité,  toujours  hérissée  et 
souffrante,  l'ayant  bientôt  chassé  de  ces  tables  où  la  lour- 
deur de  son  esprit  l'exposait  sans  défense  aux  piqûres  de 
la  conversation,  il  affectait  de  ne  vouloir  vivre  que  du  travail 
de  ses  mains,  mais  il  acceptait  des  aumônes  qui  le  mettaient 
en  état  de  goûter  le  plaisir  auquel  peut-être  il  s'est  montré 
le  plus  sensible,  celui  d'être  ingrat.  11  avait  pour  compa- 
gnie ordinaire  une  concubine  idiote,  et  la  digne  mère  de 
cette  créature,  femme  à  toutes  mains,  qui  portait  sous  le 
manteau  tout  ce  qui  naissait  du  personnage,  les  manu- 
scrits aux  imprimeries  clandestines,  les  enfants  à  la  Cha- 
rité. Il  était  le  seul  homme  à  qui  la  folie  de  ce  siècle  per- 
mettait de  parler  vertu.  Son  taudis,  à  la  porte  duquel  se 
morfondaient  l'imbécile  curiosité  des  grands  et  l'enthou- 
siasme de  quelques  misérables  femmes,  moitié  duchesses 
et  moitié  courtisanes,  était  fréquenté  d'un  petit  nombre  d^ 
pamphlétaires  encore  obscurs,  fabricants  aussi  de  livres 
prohibés,  et  qui  prétendaient,  comme  le  maître  du  lieu, 

tant  de  fois  de  la  vérité,  et  ses  admirateurs  durent  être  corri- 
gés de  leur  enthousiasme  eu  le  voyant  passer  les  dernières 
années  de  sa  vie,  tantôt  dans  des  accès  de  délire,  tantôt  dans 
des  terreurs  insensées,  en  le  voyant  s'imaginer  follement  que 
toute  l'Europe  était  armée  contre  lui,  s'inquiéter  de  ce  complot 
chimérique,  sécher  dans  des  transes  conunuelles,  et  terminer 
enfin  sa  carrière  par  une  catastrophe. 


20  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

ramener  l'honneur  et  la  probité  sur  la  terre.  Ils  le  trou- 
vaiont  fou  et  se  moquaient  de  lui,  lui  les  jugeait  traîtres, 
menteurs,  débauchés  et  lâches,  et  les  haïssait. 

»  Tout  ce  qui  savait  lire  le  lut  et  l'admira.  C'était  l'Evan- 
gile de  la  destruction  qui  allait  remplacer  en  Europe  l'E- 
vangile de  Dieu,  déchiré  par  Voltaire  et  renié  par  la 
France. 

»  L'écrivain  se  nommait  Rousseau;  le  livre  était  intitulé: 
le  Contrat  social.  Il  parut  en  1752,  et  valut  à  l'auteur  la 
protection  ou  pour  mieux  dire  la  complicité  de  Males- 
herbes.  Quarante  ans  après,  ce  même  livre  était  le  manuel 
de  Robespierre;  et  les  assemblées  révolutionnaires,  ce 
livre  à  la  main,  sapaient,  renversaient,  détruisaient  si  bien 
tout  dans  la  vieille  France,  que  depuis  lors  la  société  n'y  a 
plus  d'abri,  plus  de  boussole,  et  qu'elle  ignore  même  s'il 
lui  reste  un  avenir. 

»  Mais,  malgré  la  grande  influence  de  Rousseau,  le  dix- 
huitième  siècle  s'appelle  avec  raison  le  siècle  de  Voltaire. 
Rousseau  n'est  que  bourreau.  Voltaire  est  le  crime.  Sans 
Voltaire,  Rousseau  n'aurait  rien  pu  faire,  et  probablement 
n'eût  rien  écrit.  Pour  que  le  socialiste  genevois  portât  aux 
institutions  des  coups  si  victorieux,  il  fallait  d'abord  que 
le  bel  esprit  parisien  ruinât  les  croyances,  et  que  la  ruine 
des  croyances  précipitât  la  dissolution  des  mœurs.  » 

Jean-Jacques  Rousseau  n'appartint  à  aucune  école,  n'en- 
tra dans  aucune  ligue,  se  détacha  de  tous  les  partis.  Une 
haine  profonde  et  invétérée,  née  d'une  rivalité  de  chaque 
jour,  le  séparait  de  Voltaire.  Esprit  paradoxal,  indépen- 
dant, passionné  pour  des  chimères;  cœur  corrompu,  qui 
se  faisait  un  idéal  du  vice  et  parait  la  corruption  des  cou- 
leurs de  l'innocence  ;  caractère  sans  fixité,  sans  noblesse, 
sans  dignité,  tellement  mobile,  toutefois,  qu'il  se  jetait  en 
un  instant  dans  les  extrêmes  les  plus  opposés;  incapable 
de  se  faire  de  la  vertu  une  habitude,  il  pouvait  en  res- 


DE  1789  A  1800.  21 

sentir  passagèrement  l'attrait.  Il  cachait,  sous  les  appa- 
rences de  la  bienfaisance  et  de  l'humanité,  des  doctrmes 
perverses  en  morale,  impies  en  religion,  subversives  en 
politiques,  destructives  de  l'ordre  social,  de  toute  hiérar- 
chie, de  tout  principe,  de  tout  culte,  de  toute  autorité. 
Rousseau  offre  ce  singulier  contraste  qu'on  pourrait  tou- 
jours le  réfuter  par  lui-même  ;  il  attaque  les  miracles  de 
l'Evangile  ,  et  nul  n'a  écrit  une  page  plus  sublime  sur  le 
caractère  de  ce  livre  divin;  il  vante  la  majesté,  la  gran- 
deur, la  pompe  du  culte  catholique  de  la  même  plume 
qu'il  a  écrit  la  fameuse  Profession  de  foi  du  vicaire  savoyard, 
et  cette  utopie  pédagogique  de  Emile,  que  l'auteur  avait 
placée,  dans  ses  rêves,  au-dessus  du  Télémaque,  et  où  il 
enseignait  que  son  élève  ne  devait  entendre  parler  de  Dieu 
qu'à  vingt  ans.  L'ouvrage  où  Rousseau  se  montra  le  plus 
hostile  à  la  religion  fut  le  Contrat  social,  qui  accuse  le 
christianisme  d'avoir  brisé  l'unité  dans  l'Etat,  détruit 
l'amour  de  la  patrie,  favorisé  les  tyrans  et  anéanti  les 
vertus  guerrières. 

On  le  voit,  peu  d'écrivains  ont  rempli  leurs  ouvrages  de 
contradictions  comme  l'a  fait  Rousseau,  qui  dit  volontiers 
dans  le  même  livre  le  pour  et  le  contre'. 

«  Il  reconnaît  un  Dieu  unique,  une  suprême  intelligence,  de 
qui  nous  tenons  tout  l'être  et  la  pensée.  Ailleurs  il  ne  conçoit 
plus  la  création,  et  juge  peu  important  de  savoir  s  il  y  a  un 
ou  deux  principes  des  choses.  Il  regarde  comme  inexcusable 
l'homme,  même  seul  et  séparé  de  ses  semblables,  qui  ne  lirait 
point  dans  le  livre  de  la  nature,  et  n'y  apprendrait  point  à  con- 

*  Tout,  jusqu'à  la  vérité,  trompe  dans  ses  écrits. 

(La  Harpe.) 

«  Jamais,  dit  Proudhon,  un  homme  n'a  réuni  à  un  tel  degré 
l'orgueil  de  l'esprit,  la  sécheresse  de  1  "âme,  la  dépravation  des 
habitudes  ;  sa  philosophie  est  toute  en  phrases  et  ne  couvre 
que  des  mots.  » 


22  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

naître  et  à  aimer  Dieu;  et  ailleurs  il  trouve  impossible  que  le 
même  liomme  puisse  s'élever  jusqu'à  la  connaissance  du  vrai 
Dieu.  Là  il  admet  un  Etre  suprême,  rémunérateur  des  bom  et 
des  méchants,  et  il  voit  dans  celui  qui  combat  cette  créance 
le  perturbateur  de  l'ordre  et  l'ennemi  de  la  société,  qui  mérite 
d'être  puni;  ici,  le  sort  des  mécliants  lui  importo  peu,  et  il  croit 
inutile  d'imaginer  un  enfer  dans  une  autre  vie.  Il  ne  prt  point 
Dieu  parce  qu'il  n'a  rien  à  lui  demander,  et  il  veut  qu'on 
fasse  les  prières  avec  recueillement  et  attention,  en  songeant 
qu'on  s'adresse  à  l'Etre  suprême.  Il  défend  de  troubler  les 
âmes  paisibles  et  d'alarmer  la  foi  des  simples  par  des  diffi- 
cultés qui  les  inquiètent  sans  les  éclairer,  et  tout  son  livre  est 
rempli  de  traits  contre  la  révélation.  Il  condamne  ceux  qui 
troublent  l'ordre  public  et  qui  portent  les  autres  à  désobéir  aux 
lois  du  culte,  et  son  livre  n'est  qu'une  infraction  perpétuelle 
de  ces  lois.  Il  admire  et  les  caractères  de  l'Evangile  et  de 
la  sainteté  de  la  vie  et  de  la  morale  du  Fils  de  Dieu;  et  un 
instant  après,  l'Evangile  lui  parait  plein  de  choses  qu'un 
homme  raisonnable  ne  saurait  admettre.  » 

Jee.n.'-SeLeci'VLGa   ïlouseeeLU  met  fin  A  ea  via 

infâ-ime   pstr  le   suicicle. 

C'est  le  sentiment  le  plus  généralement  reçu  que  Rous- 
seau, qui  avait  écrit  de  si  belles  pages  conlro  le  suicide, 
s'est  lui-même  donné  la  mort;  c'est  aussi  l'opinion  d'une 
femme  célèbre  qui  fait  profession  d'une  sorte  de  culte  pour 
Rousseau,  et  qui  se  montre  admiratrice  passionnée  de  ses 
ouvrages.  M™'  de  Staël  publia,  en  1789,  des  Lettres  sur  les 
ouvrages  et  le  caractère  de  Jean-Jacques.  Voici  comment  elle 
y  parle  do  la  mort  de  cet  homme  extraordinaire  : 

«  On  sera  peut-être  étonné  de  ce  que  je  regarde  comme 
certain  que  Rousseau  s'est  donné  la  mort  ;  mais  un  Gene- 
vois qui  a  vécu  familièrement  avec  Rousseau  pendant  les 


DE  1789  A  1800.  23 

vingt  dernières  années  de  sa  vie,  reçut  de  lui,  quelque 
temps  avant  sa  mort,  une  lettre  qui  semblait  annoncer  ce 
dessein.  Depuis,  s'étant  informé  avec  un  soin  extrême  de 
ses  derniers  moments,  il  a  su  que,  le  matin  du  jour  où  il 
mourut,  Rousseau  se  leva  en  parfaite  santé,  mais  dit 
cependant  qu'il  allait  voir  le  soleil  pour  la  dernière  fois,  et 
prit,  avant  de  sortir,  du  café,  qu'il  fit  lui-même.  Il  rentra 
quelques  heures  après,  et,  commençant  à  souffrir  horri- 
blement, il  défendit  constamment  qu'on  appelât  du  secours 
et  qu'on  avertît  personne.  Peu  de  temps  avant  ce  triste 
jour,  il  s'était  aperçu  des  viles  intentions  de  sa  femmo 
pour  un  homme  de  l'état  le  plus  bas.  Il  parut  accablé  de 
cette  découverte  et  resta  huit  heures  de  suite  sur  le  bord 
de  l'eau  dans  une  méditation  profonde.  Il  me  semble  que 
si  l'on  réunit  ces  détails  à  sa  tristesse  habituelle,  à  Tac- 
croissement  extraordinaire  de  ses  terreurs  et  de  ses  dé- 
fiances, il  n'est  plus  permis  de  douter  que  ce  malheureux 
homme  n'ait  terminé  volontairement  sa  vie.  » 

Comme  on  semblait  élever  des  doutes  sur  ce  suicide, 
M™'  de  Staël  persista  dans  son  sentiment;  et,  dans  sa  ré- 
ponse à  M""^  de  Vassy,  elle  ajoutait  ; 

€  Un  Genevois,  secrétaire  de  mon  père,  et  qui  a  passé  la 
plus  grande  partie  de  sa  vie  avec  Rousseau  ;  un  autre 
nommé  Movthon,  homme  de  beaucoup  d'esprit  et  confident 
de  ces  dernières  pensées,  m'ont  assuré  ce  que  j'ai  écrit,  et 
des  lettres  que  j'ai  vues  de  lui  peu  de  temps  avant  sa  mort 
annonçaient  le  dessein  de  terminer  sa  vie.  » 

Voltaire. 

Avec  Luther,  dont  il  est  le  digne  successeur,  Voltaire 
est  l'homme  le  plus  méprisable  qui  ait  jamais  existé  et  un 
de  ceux  qui  ont  fait  le  plus  de  mal  '. 

*  n  y  a  une  malédiction  sur  cet  homme,  elle  apparaît  au»- 


24  LA  GRANDE   IlÉVOLUTION 

Ce  personnage  trop  fameux,  de  qui  l'histoire,  longtemps 
embellie  jusqu'au  fabuleux  par  les  panégyristes,  ressort 
évidente  aujourd'hui  des  faits  étudiés  à  leur  source,  et  se 
dessine  clairement  dans  sa  hideuse  nudité;  cet  auteur, 
dont  la  vie  entière  fut  un  enchaînement  de  turpitudes  ;  cet 
être,  que  Frédéric,  détrompé,  reconnut  si  bien,  à  la  fin, 
pour  effronté,  pour  avili,  pour  chef  de  cabale,  non  pas  seu- 
lement tracassier,  mais  méchant,  et  que  son  humeur,  en 
effet,  selon  l'aveu  de  Ghabanon,  «  rendait  injuste,  forcené, 
féroce;  »  Voltaire  ,  en  un  mot,  car  c'est  tout  dire,  et  il  n'y 
a  pas  un  seul  vice  que  ce  triste  nom  ne  rappelle  :  —  le 
mauvais  fils,  le  mauvais  frère,  qui  n'eut  jamais  l'ombre 
d'affection  pour  sa  famille,  dont  il  avait,  par  dédain,  abjuré 
jusqu'au  nom; —  le  mauvais  citoyen,  qui  répudiait  for- 
mellement sa  patrie,  qui  lui  souhaitait  des  défaites  et  ne 

sitôt.  Son  berceau  flotte  sur  la  fange,  son  cercueil  est  tiré  d'une 
tombe  escroquée  pour  être  traîné  au  Panthéon  par  une  foule 
stupide  et  endiablée,  à  travers  un  fleuve  de  boue.  Si  une  se- 
conde apothéose  lui  est  faite,  nous  verrons  une  farce  dont  le 
monde  se  souviendra  1  Elevé  par  un  prêtre  digne  de  l'intimité 
de  Ninon,  Voltaire  blasphéma  avant  d'avoir  pensé  j  ce  prêtre  qui, 
était  son  pari'ain,  l'abbé  de  Chàteauneuf,  lui  enseigna  des  blas- 
phèmes pour  exercer  sa  mémoire.  Les  premiers  vers  qu'il  ré- 
cita outragèrent  la  Divinité,  les  premiers  vers  qu'il  fit  se  ter- 
minaient par  un  outrage  à  sa  mère,  outrage  d'ailleurs  mérité. 
Ainsi  il  fut  lui-même  dès  le  premier  jour,  il  s'annonça  dès 
le  premier  mot.  il  continua  quatre-vingts  ans,  vivant  et  mou- 
rant comme  il  était  né,  sans  laisser  trace  d'im  écart  de  sa  voie, 
d'une  seule  tentation  d'en  sortir,  d'une  seule  aspiration  même 
lointaine  vers  la  beauté,  vers  la  vérité,  vers  l'amour.  Ces  sen- 
timents lui  sont  étrangers,  il  ne  les  a  pas;  et  en  dehors  du 
public,  devant  qui  l'hypocrisie  est  nécessaire,  face  à  face  avec 
ses  intimes  ou  avec  lui-même,  il  ne  les  feint  pas.  C'est  un  phé- 
nomène. 11  n'a  pas  une  fois  l'idée  de  devenir  honnête  homme, 
il  ne  se  frapi)e  pas  une  fois  la  poitrine,  on  ne  lui  voit  pas  nu 
éclair  de  bon  roponlir,  en  qualre-vingls  ans!  Peut-être  qu'il  n'y 
a  rien  de  semblable  dans  l'histoire  des  hommes,  dit  L.  Veuihot, 


DE  1789  A  1800.  23 

perdait  pas  une  seule  occasion  de  la  rabaisser;  —  le  vani- 
teux bourgeois-gentilhomme  qui  brigua  la  clef  de  cham- 
bellan, s'affubla  du  titre  de  comte,  et  aurait  attaché  à  l'ob- 
tention de  celui  de  marquis  «  la  gloire  et  le  bonheur  de  sa 
triste  vie;  »  —  l'ambitieux  qui  consentait  à  descendre  au 
rôle  d'espion  pour  un  vain  espoir  d'ambassade,  trahissant 
ainsi  l'amitié  d'un  prince,  dont,  aussi  bien,  il  profana  plus 
lard  l'intime  confiance,  par  un  trait  plus  inexcusable 
encore  de  félonie*;  —  le  courtisan  privé  de  tact  malgré 
son  esprit,  et  qui,  en  Prusse,  s'attira,  de  son  royal  com- 
plice même,  les  plus  humiliantes  avanies,  et  qui,  en  Lor- 
raine, se  fit  chasser  (c'est  le  mot)  de  la  cour  du  Philosophe 
bienfaisant,  du  plus  indulgent  de  tous  les  princes  ;  —  l'avare, 
qu'au  jugement  de  sa  propre  nièce  «  l'amour  de  l'argent 
POIGNARDAIT,  »  ct  dout  Ics  prétcudus  bienfaits  innombrables 
paraissent  se  borner  à  quatre  ou  cinq  dons  médiocres, 
pitoyablement  marqués  encore  ou  des  violences  de  l'esprit 
de  parti  ou  des  chatouilleux  intérêts  de  la  gloriole;  — 
qui  empruntait  par  lésine  les  habits  d'autrui,  et  qui,  ayant 
trouvé  moyen,  par  mille  ruses,  de  ne  jamais  payer  d'im- 
pôts, malgré  son  opulence,  se  félicitait  de  ne  contribuer 
pour  aucune  part  aux  charges  d'un  ordre  social  dont  il 
recueillait  si  amplement  les  avantages;  —  le  joueur  qui,  par- 
venu à  l'âge  de  quarante  ans,  risquait  encore  sur  le  hasard 
des  cartes  .douze  mille  francs  dans  un  mois;  —  le  loca- 

*  Par  l'enlèvement,  à  son  départ  de  Prusse,  du  volume  de 
poésies  particulières  que  Frédéric  lui  avait  confié  (lettre  n»  1968 
de  Beuchot,  29  décembre  17o2).  — Du  moins,  dans  l'espionnage 
politique  dont  Voltaire  se  fut  chargé  pour  le  cabinet  de  Ver- 
sailles, il  n'aurait  trompé  chez  Fiédèric  que  le  roi,  mais  en  ceci 
il  trahissait  l'homme.  Et  quand  on  pense  aux  supplications 
humbles  et  tendres  qu'il  venait  si  récemment  de  faire  à  son 
ancien  ami  pour  en  obtenir  son  pardon  (lettre  n°  1946  de  Beu- 
chot, 2  janvier  1753),  on  ne  sait  plus  quel  nom  donner  à  tant 
d'hypocrisie,  de  bassesse  et  d'ingiatilude. 

% 


26  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

taire  déloyal  qui,  rejetant  sur  d'honnêtes  gens  ses  propres 
torts,  ot  se  présentant  au  public  comme  victime  d'une 
combinaison  que,  précisément,  il  avait  proposée  lui-7nême, 
qu'il  avait,  en  outre,  épluchée  pendant  deux  mois,  et  que, 
d'ailleurs,  il  violait  d'une  mani^rc  flagrante;  —  abusait, 
malgré  des  avis  réitérés,  de  la  propriété  reciiae  en  garde 
à  son  honneur',  et,  loin  d'y  réaliser  aucune  des  amélio- 
rations promises,  y  commettait  do  tels  dégâts  que  ta 
famille,  apr(>s  lui,  ne  put  se  refuser  à  payer  30,000  francs 
d'indemnité  pour  en  ett'acer  le  scandale  ;  -^  l'escroc  qui, 
bâtonné  k  Londres,  pour  traudo  envers  des  libraires,  n'en 
friponna  pas  moins  en  Hollande  la  maison  Lcdet  et  Des- 
bordes, par  un  tour  digne  des  galères;  n'en  réduisit  pas 
moins,  en  France,  la  famille  Jore  à  la  misère,  par  le 
manque  de  parole  le  plus  insigne;  et,  plus  tard,  largement 
payé  chez  un  roi,  —  devenu  riche,  d'ailleurs,  grâce  au 
gain  très-louche  d'une  loterie  et  à  la  protection  dos  four» 
nisseurs  d'armée,  —  ne  dédaignait  pas,  à  Berlin,  d'ae» 
croître  ses  économies  par  de  petites  bassesses  sordides,  par 
de  menus  vols  de  laquais  *,  —  pareils  h  celui  que,  dans  sa 
vieillesse,  au  château  de  M.  de  Brosses,  il  eut  l'ignoble 
fantaisie  de  commettre  encore,  sur  une  misérable  provi» 
sion  de  ménage,  et  qui  faillit  à  mal  tourner  pour  son  or^ 
gueii  et  son  repos;  —  l'intolérant,  l'infatigable,  le  lâche 
et  fougueux  persécuteur  de  Jean-Baptiste,  exilé;  de  Jean» 


*  Jusqu'au  point,  à  peine  croyable,  d'y  faire  arracher  de» 
futaies.  (Lettres  à  M.  de  Brosses,  du  9  novembre  1759;  à  M.  Gi«- 
rod,  du  12  novembre  de  la  même  année;  lettre  du  président  à 
M.  Girod,  etc.;  transaction  du  i6  janvier  1781,  conclue  à  la 
suite  d'une  expertise  contradictoire.) 

'  Voyez  entre  autres,  sur  ces  honteux  détails,  sur  le  vol  des 
bougies,  etc.,  les  Mémoirea  de  l'honnête  et  grave  Thiébault,  té- 
moin oculaire,  dont  la  probe  et  droite  impartialité  n'a  jamai» 
été  su&pccléc  de  personne. 


DE  1789  A  1800.  27 

Jacques,  malheureux;  de  La  Baumelle,  prisonnier;  de 
Maupertuis,  malade;  de  Travenol,  octogénaire;  le  libertin, 
qui  ne  respecta  rien  au  monde  dans  ses  débordements 
orduriers,  et  qui  se  plut  à  salir,  sur  le  front  de  l'Héroïne 
de  la  France,  le  triple  voile,  sans  tache,  de  la  virginité,  du 
patriotisme  et  du  martyre;  —  l'hypocrite,  comme  on  n'en 
vit  jamais,  dont  le  mensonge,  sans  fin  ni  trêve,  était  la 
théorie  formelle  comme  la  pratique  journalière;  qui  cas- 
sait sa  vie  à  désavouer  ses  ouvrages,  protestant,  à  l'aide  du 
parjure,  que  les  lui  imputer,  c'était  une  affreuse  calomnie  ; 
—  qui  se  jouait  avec  le  sacrilège  et  trouvait  piquant  (sans 
déposer,  ce  jour-là  même,  sa  plume  licencieuse)  d'aller 
insulter  Dieu  dans  le  mystère  de  l'amour  et  de  la  mort,  en 
se  faisant  donner,  par  bravade,  le  plus  auguste,  le  plus 
intime,  le  plus  tormidable  sacrement  des  chrétiens;  ou 
qui,  pour  ne  parler  ici  que  de  ses  tartuferies  humaines, 
écrivait  à  l'un  des  plus  ordinaires  contidents  et  des  plus 
zélés  ministres  de  ses  fureurs  :  «  Mon  cher  Thiriot,  je  vous 
aime  et  ne  vous  trompe  point,  j>  lorsque,  la  veille  encore, 
s'exprimant  sur  son  compte  à  cœur  ouvert  avec  d'Argental, 
il  disait  à  ce  dernier  :  «  Thiriot  est  me  âme  de  houe,  aussi 
lâche  que  misérable;  »  —  qu'ajouter  enfin?  l'homme  sa:is 
entrailles,  l'égoïste  sec  et  poltron,  qui,  toujours  calomnia- 
teur des  faibles,  toujours  flagorneur  des  puissants,  ne  sut 
pas  trouver  dans  son  drae  un  seul  mot  de  douleur  et  d'in- 
dignation pour  la  Pologne  déchirée  vive;  ~  Inij  d^  là  I... 
qui  se  fit,  au  contraire,  l'apologiste  formel  du  crime  de 
ses  bourreaux,  et  dont  l'adulation  d'antichambre,  exercée 
jadis  aux  pieds  de  la  Pompadour,  traînée  plus  tard  aux 
pieds  de  la  Du  Barry,  conserva  son  hommage  intarissable 
pour  les  deux  assassins  couronnés  de  cotte  héroïque 
nation,  le  Salomon  qui  n'aima  rien,  et  la  Mcssaline  ctran- 
gleuse;  eh  bien,  cet  être  saianique,  dont  i.a  conduite, 
odieuse  à  trop  d'égards,  n'eût  pas  été  tolérée  dans  aucun 


28  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

pays  PAR  AUCUN  PHiLosoriiE';  qui  fût  sorti  condainnô  du 
tribunal  de  Marc-Aurèle,  d'Aristide  ou  d'Epictèto,  comme 
d'un  tribunal  de  chrétiens,  et  à  qui  M""*  Denys  ne  faisait 
que  rendre  justice  lorsqu'elle  lui  écrivait,  dans  un 
effrayant  accès  de  franchise  :  Vous  êtes  le  dernier  des 
HOMMES  PAR  LE  COEUR  ;  cc  vil  pcrsounage,  en  un  mot,  que, 
malgré  ses  talents,  si  déplorablement  employés,  tout  hon- 
nête homme,  de  quelque  bord,  système  ou  religion  qu'il 
soit,  doit  flétrir  du  plus  profond  mépris,  et  clouer,  conmie 
un  misérable,  au  hideux  pilori  de  la  honte  ;  tel  fut  Vol- 

*  Ce  sont  les  propres  paroles  du  roi  de  Prusse.  (Lettre  de 
Frédéric,  du  12  mai  1760.) 

Frédéric  de  Prusse,  pandour  musqué,  l'attache  à  un  rude 
service  de  réclames  dont  il  ne  le  paie  pas,  lui  fait  «  laver  son 
linge  sale  »  et  lui  lave  la  tète,  le  fatigue  à  corriger  ses  vers  et 
le  corrige  à  son  tour  par  les  bastonnades  orales  et  épistolaires 
les  plus  bafouantes  que  bel  esprit  de  cour  ait  jamais  reçues. 
C'est  Marsyas  qui  écorche  Apollon,  et  il  fait  bien,  et  la  justice 
est  avec  lui.  Son  ami  d'Alembert  le  mène,  son  ami  Richelieu  le 
lâche,  son  ami  Thiriot  l'escroque  ;  ses  autres  amis  conviennent 
entre  eux  de  ses  vices,  de  sa  folie,  se  plaignent  de  ses  importu- 
nités,  le  rappellent  à  l'ordre  et  ne  le  servent  que  par  gloriole 
ou  pour  obéir  au  fanatisme  d'impiété  dont  il  est  le  héros. 

Personnellement,  Voltaire  n'a  pas  un  ami  présentable.  Il  est 
entouré  de  drôles,  de  faquins,  d'histrions,  de  petits  auteurs. 
Jusque  dans  le  tripot  littéraire  on  l'abandonne  à  l'encens  gros- 
sier des  carabins,  et  lui  leur  crache  des  louanges  énormes, 
n'osant  autrement  les  siffler.  Tous  ceux  qui  se  sentent  un  peu 
de  poids  gardent  leurs  distances;  ils  les  recherche,  il  est  le  très- 
humble  admirateur  d'un  Montcrif,  d'un  d'Alembert,  d'un  Saint- 
Lambert  et  de  moins  que  cela.  Parmi  les  admirateurs  impor- 
tants, quiconque  eut  encore  de  l'honneur  et  le  put  voir  d'un 
peu  près  s'éloigna  plein  de  mépris  :  ainsi  le  président  de 
Brosses,  Tronchin  de  Genève  et  vingt  autres.  Pas  un  ami  désin- 
téressé, pas  un  ami  dans  le  monde  des  vrais  honnêtes  gens,  pas 
un  !  En  quatre-vingts  années,  il  n'a  pu  se  faire  un  garant  de- 
vant la  postérité.  Il  lit  parler  le  monde  entier,  et  pas  une  voix: 
d'honnête  homme  intact  et  intelligent  ne  rend  lèmoignago 
l>our  lui. 


DE  1789  A  1800.  29 

taire;  voilà  pourquoi  ce  démon  si  ardent,  si  insolent,  si 
persévérant,  a  fait  véritablement,  suivant  la  parole  de  Con- 
dorcet,  tout  ce  que  nous  voyons.  Il  enivra  de  son  rire  la 
noblesse,  la  littérature,  la  société  tout  entière.  Quoique 
manifestement  menacé,  le  suprême  pouvoir  lui-même, 
désarmé  presque  partout  de  bon  sens  parce  qu'il  l'était  de 
vertu,  se  laissa  séduire.  Que  pouvait  Louis  XV  contre  le 
poète  assez  insolent  contre  Dieu  et  contre  la  France  pour 
écrire  la  Pucelle,  mais  en  même  temps  assez  adroitement 
cynique  pour  dédier  Tancrède  à  M""^  de  Pompadour  '  ? 
L'indigne  prince  voyait  où  l'on  allait  et  laissait  aller.  Il  y  a 
dans  le  sceptre  quelque  chose  de  saint,  qui  est  sa  princi- 
pale force  et  qui  s'évanouit  à  l'attouchement  d'une  main 
impure.  Devant  la  conscience  publique,  Louis  XV  avait 
perdu  le  droit  de  venger  la  religion.  Il  souffrit  qu'on  abat- 
tît le  rempart  du  trône,  se  disant  qu'après  tout,  trùno 
et  rempart  dureraient  bien  autant  que  lui. 

Voltaire  conduisit  ouvertement  la  guerre  contre  l'Eglise, 
se  servant  de  tout  le  monde,  forçant  tout  le  monde  à  le 

*  Il  y  a  dans  notre  histoire  une  figure  céleste,  type  de  can- 
deur et  de  pureté,  et  qui  brille  sur  l'horizon  de  la  France 
comme  l'astre  du  patriotisme  et  ie  signe  de  la  protection  de 
Dieu  sur  notre  pairie.  Il  était  impossible  que  cette  virginale 
figure  ne  fût  pas  souillée  de  l'encre  immonde  de  Voltaire.  On 
s'étonne  quelquefois  qu'il  ait  porté  le  c}'nisme  jusqu'à  écrire 
la  Pucelle:  je  serais  étonné  qu'il  ne  leùt  pas  écrite;  et  voici 
pourquoi.  Il  y  a  dans  les  choses  une  logique  intime  et  secrète 
que  les  hommes  suivent  sans  la  connaître.  Voltaire  n'aunait 
pas  la  France,  nous  l'avons  montré,  et  Jeanne  d'Ai'c  l'a  sauvée; 
Voltaire  suait  la  haine  de  la  religion,  et  Jeanne  d'Arc  en  est  un 
éclatant  modèle.  Ces  deux  motifs  nous  ont  valu  la  Pucelle 
d'Orléans.  Ce  livre  infâme  a  un  bon  côté  :  il  est  à  la  honte  de 
Voltaire.  11  le  brûle  comme  un  fer  rouge.  Ce  papier  n'est  pas 
seulement  pour  lui  et  pour  sa  secte  un  manteau  d'ignominie, 
il  est  la  tuniqne  empoisonnée  de  Déjanire,  et  pei-sonne  ne  la 
lui  ôlera.  Sous  ce  rapport,  il  est  bon  qu'il  ait  été  écrit. 


80  LA  CHAUDE   ÎIÈVOLUTION 

servir.  Il  en  a  écrit  tous  les  plans,  que  ses  disciples  ont 
précieusement  recueillis;  et  l'on  ne  sait  ce  qui  consterne  le 
plus,  lorsque  l'on  relit  ces  archives  du  mensonge,  ou  de 
son  commandement  effronté,  ou  de  la  stupide  obéissance 
qu'il  rencontre  partout.  La  société  est  folle  :  au  milieu 
d'une  vapeur  d'impiété  et  de  luxure,  chaque  jour  elle 
applaudit  îi  la  chute  de  quelque  noble  ouvrage  de  la  sagesse 
passée.  Tout  est  attaqué,  rien  de  saint  ne  reste  debout  ou 
n'est  préservé  de  souillure. 

•  Voltaire  avait  fait  le  dix-huitième  siècle  à  son  image; 
il  l'animait  de  son  rire  foudroyant  de  moquerie;  il  lui 
avait  soufflé  ses  aversions  et  inspiré  ses  mœurs.  Voltaire 
s'était  donné  un  ennemi  personnel  qu'à  tout  prix  il  ambi- 
tionnait de  terrasser.  L'œuvre  que  Julien  l'Apostat  ne  put 
qu'ébaucher  dans  sa  toute-puissance  impériale,  souriait  h 
cette  imagination  en  travail  d'un  monde.  Le  Christ  avait 
trop  longtemps,  vaincu  par  l'Eglise;  Voltaire  se  mit  en 
campagne  pour  effacer  l'Evangile  de  la  mémoire  des 
hommes.  Il  avait  le  règne  de  son  orgueil  à  proposer  au 
genre  humain  et  l'empire  de  la  décadence  universelle  à 
substituer  au  règne  de  la  croix.  Avec  lui  et  de  par  lui  la 
corruption  s'afficha  comme  une  originalité,  et  le  cynisme 
s'accorda  les  allures  d'un  trait  d'esprit.  Tout  son  génie 
consista  à  vivre  le  plus  longtemps  possible  de  la  stupidité 
humaine.  Il  possédait  la  malice  de  la  couleuvre  et  le  venin 
de  la  vipère.  Sa  plume  inculqua  dans  les  masses  une  de 
ces  haines  qui,  semblables  au  poignard  du  sauvage,  con- 
servent éternellement  leur  poison.  11  ne  voulut  laisser  de 
Dieu  à  personne,  alin  d'être  l'idole  de  tout  le  monde. 

De  tous  les  rangs  de  la  société  il  évoqua  des  auxi- 
liaires; il  en  recruta  sur  le  trône  comme  dans  les  bas-fonds 
de  la  litlcrature*.  Les  rois  et  leurs  ministres  portèrent  au 

*  C'est  iëpoque  des  mauvais  livres.  Le  nombre  en  est  à 
peine  plus  grand  de  nos  jours,  il  n'y  en  eut  jamais  de  si  ubo- 


DE  1789  A  1800.  81 

front,  comme  un  précieux  joyau  de  popularité,  le  stigmate 
de  ses  louanges  intéressées.  Quand  il  se  fut  entouré  de  ces 
auxiliaires  du  désordre  signalés  par  l'apôtre  saint  Paul» 
«  de  ces  hommes  amoureux  d'eux-mêmes,  avares,  glo* 
B  rieux,  superbes,  médisants,  désobéissants  à  leurs 
ï  pères  et  h  leurs  mères,  ingrats,  impieâ,  dénaturés,  enne* 

*  mis  de  la  pâli,  calomniateurs,  intempérants,  inhumains, 

*  plus  amateurs  de  la  volupté  que  de  Dieu,  et  traînant 
»  après  eux  comme  captives  des  femmes  chargées  de  péchés 
»  et  possédées  de  mille  passions,  »  il  se  crut  certain  du 
eucGès',  » 

Aveux  do  Voltaire. 

La  justice,  qui  va  venir  si  terrible,  se  manifeste  déjà. 
Voltaire  n'en  verra  par  l'explosion,  mais  il  a  son  châtiment 
particulier.  Il  cherche  le  repos  et  ne  le  trouve  point;  il 
mène  une  vie  de  banni,  misérable  et  affreuse.  Certes  I  Dieu, 
qui  est  le  grand  personnage  de  toute  histoire  humaine  gé- 
nérale ou  privée,  est  visible  aussi  dans  cette  existence  qui 
ne  voulut  être  qu'un  duel  insolent  contre  lui.  Dieu  ne 
laissa  pas  plus  de  repos  à  Voltaire  que  Voltaire  n'en  pré- 
tendit laisser  îi  Dieu. 

Dieu  le  poursuit  et  le  fustige  sans  relâche.  Dieu  aussi 
dit  :  Ecrasons  l'infâme  I  et  il  l'écrase  de  coups  railleurs  et 
injurieux.  Et  ego  ridebo  et  subsannabof  II  lui  donne  la  santé, 
l'argent,  la  gloire  et  la  honte;  il  le  traîne  dans  les  dépits, 
dans  les  rages,  dans  les  nasardes,  dans  les  viles  terreurs. 
Il  n'y  a  point  de  vie  plus  sottement  malheureuse,  plus  dé- 
vorée d'ignobles  soucis,  plus  remplie  de  déconvenues  en 

minables Qu'on  ramasse  tous  les  feuilletons  publiés  dans 

le  cours  des  dernières  années  :  ce  charnier  n'olFrira  pas  une 
page  comparable  en  impudence  à  TelTroyable  quantité  de  li- 
belles   orduriers  qui    naissaient  autour  de    Voltaire  vivant 
comme  autant  de  fruits  de  son  souffle.  (Louis  Veuullot.) 
*  Crèlineau-Joly. 


OZ  LA  r.RANDE   REVOLUTION 

tous  genres;  nul  homme  n'a  plus  mordu  aux  fruits  do 
Gomorrhe  et  n'y  a  trouvé  plus  de  cendre  et  d'infection. 
Voltaire  traverse  le  siècle  en  triomphateur,  le  laurier  sur  la 
tête,  et  en  criminel  châtié,  les  verges  sur  le  dos.  La  plu- 
part du  temps  son  rire  n'est  qu'une  grimace  de  la  colère 
et  de  la  douleur,  dit  M.  L.  Veuillot. 

Malgré  toutes  ses  fanfaronnades  et  toutes  ses  bouffon- 
neries. Voltaire  était  dévoré  de  remords,  et  sentait  la  vé- 
rité de  ce  mot  du  Saint-Esprit  :  Non  est  pax  impiis.  «  Il  n'y 
a  pas  de  paix  pour  les  impies.  » 

Voici,  entre  mille,  des  aveux  significatifs  recueillis  dans 
ses  écrits  : 

A  il/""  Bessières.  —  15  octobre  1726. 

«  Que  puis-je  vous  dire  sur  la  mort  de  ma  sœur,  sinon 
qu'il  eût  mieux  valu  pour  ma  famille  et  pour  moi  que 
j'eusse  été  enlevé  ii  sa  place? 

»  J'ai  bien  fait  des  fautes  dans  le  cours  de  ma  vie;  les 
amertumes  et  les  souffrances  qui  en  ont  marqué  presque 
tous  les  jours  ont  été  souvent  mon  ouvrage.  » 

A  Cideville.  —  3  septembre  1732. 
«  J'ai  passé  toute  ma  vie  à  faire  des  folies;  quand  j'ai 
été  malheureux,  je  n'ai  eu  que  ce  que  je  méritais. 

Au  même.  —  15  septembre  1733. 

t  Le  malheur  est  réel;  la  réputation  n'est  qu'un  songe.  » 

Au  comte  d'Argental.  —  22  juillet  1752. 

c  Quelquefois  je  songe  a  tout  ce  que  j'ai  essuyé,  et  je 
conclus  que  si  j'avais  un  fils  qui  dût  éprouver  les  mêmes 
traverses,  je  lui  tordrais  le  cou  par  tendresse  paternelle.  • 

3  octobre  1753. 
«  Le  songe  de  ma  vie  est  un  cauchemar  perpétuel.  » 


DE  1789  A  1800.  £3 

24  novembre  1733. 
€  Les  malheurs  qu'on  représente  au  théâtre  sont  au- 
dessous  de  tout  ce  que  j'éprouve.  » 

21  décembre  1753. 
»  Votre  tête  vaut  mieux  que  la  mienne;  la  vôtre  vous  a 
rendu  heureux,  la  mienne  m'a  fait  très-malheureux.  » 

24  février  1734. 

t  Deux  personnes  de  ce  pays  se  sont  tuées  ces  jours 

passés;  elles  avaient  pourtant   moins  de  détresse  que 

moi.  » 

15  octobre  1754. 

t  Vous  me  parlez  des  deux  premiers  tomes  de  V Essai  sur 
les  sottises  du  globe;  j'en  ferais  un  gros  des  miennes.  » 

11  mars  1736. 
t  Ma  destinée  était  d'être  je  ne  sais  quel  homme  public, 
coiffé  de  trois  ou  quatre  petits  bonnets  de  laurier  et  d'une 
trentaine  de  couronnes  d'épine.  » 

Mort  de  Voltaire. 

Au  commencement  de  l'année  1778,  Voltaire  se  détermina 
à  quitter  sa  retraite  de  Ferney  pour  l'encens  et  le  fracas  de 
la  capitale.  Il  en  demanda  la  permission  et  l'obtint  du 
faible  Louis  XVI,  ce  que  bien  des  personnes  ont  regardé 
comme  une  des  causes  du  malheur  de  ce  prince.  Il  reçut 
à  Paris  l'accueil  le  plus  brillant;  les  académies  lui  décer- 
nèrent des  honneurs  inconnus  jusqu'à  lui;  il  fut  couronné 
en  plein  théâtre;  tout  ce  qui  tenait  à  la  secte  philoso- 
phique marqua  le  plus  violent  enthousiasme.  C'était  le 
triomphe  de  l'irréligion  personnifiée'.  Le  vieillard  en  fut 

*  Par  sa  dévorante  activité,  Voltaire  prenait  plaisir  à  mettre 
le  feu  à  toutes  les  poudres  11  amnistiait,  il  conseillait  toutes 


34  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

bientôt  la  victime.  La  fatigue  des  visites  et  des  répétitions 
théâtrales  échauffa  son  sang  déjà  très-altéré;  il  mourut 
des  suites  d'une  hémorrhagie  et  d'une  rétention  d'urine, 
le  30  mai  1778. 

D'après  les  récits  les  plus  authentiques,  Voltaire  mourut 
dans  la  fflge  et  le  désespoir,  répétant  :  «  Je  suis  aban- 
donné de  Dieu  et  des  nommes!  »  Ils  criait  èUit  faux  amis 
qui  assiégeaient  son  antichambre  :  «  Retirez-vous!  c'est 
vous  qui  êtes  la  cause  de  l'état  où  je  suis.  Relirez- vous  1  Je 
pouvais  me  passer  de  tous  vous  autres;  c'est  vous  qui  ne 
pouviez  vous  passer  de  moi;  et  quelle  malheureuse  gloire 
m  avez-vous  donc  value  I  «  Et  au  milieu  de  ses  terreurs  et  de 
ses  agitations,  on  l'entendait  simultanément  ou  tour-à-tour 
invoquer  et  blasphémer  le  Dieu  qu'il  avait  poursuivi  de 
ses  complots  et  de  sa  haine.  Tantôt  d'une  voix  lamentable, 
tantôt  avec  l'accent  du  remords,  plus  souvent  dans  un 
accès  de  fureur,  il  s'écriait  :  «  Jésus-Christ!  Jésus-Christ  !  » 
(Voir  Voltaire  et  ses  ouvrages,  par  U.  Maynard,  t.  II.) 

«  L'horrible  drame  continua.  Le  moribond  se  tordait 
sur  sa  couche,  se  déchirait  avec  les  ongles.  —  On  avait 
cru  pendant  quelque  temps  au'il  né  mourrait  pas  sans  ré- 
tracter ses  erreurs  et  condamner  ses  écarts,  comme  il 
avait  fait  plusieurs  fois  dans  des  moments  où  la  crainte  de 
l'avenir  le  ramenait  h  la  religion  :  mais  obsédé  par  ceux 
qui,  dans  son  retour  à  Dieu  auraient  vu  leur  condamnation, 
il  mourut  dans  des  transports  que  le  célèbre  Tronchin 

les  dépravatioùs}  il  couvrait  tous  le»  attehtaU  âe  l'égide  de  soii 
nom.  Pour  ne  pas  rester  en  arrière  d'aucun  excès,  il  patronnait 
ouvcrlemcntle  mensonge  comme  au  dix-scplième  sièeie  d'autres 
écrivains  d'un  plus  forme  talent  et  d'une  coriscience  plus  élevée 
proclamèrent  la  vérité.  «  Le  mcnsonf*e  étriVail-il  h  thiriot,  est 
un  vice  quand  il  fait  du  mal  ;  c'est  une  très-grande  Yertu  quand 
il  fait  du  bien.  Soyez  donc  plus  vertueux  que  jamais;  il  faut 
mentir  comme  un  diable,  non  pas  timidement,  non  pas  pour 
un  temps,  mais  hardiment  et  toujours.  » 


DE  1789  A  1800.  3S 

regarda  comme  la  leçon  la  plus  salutaire  qu'eussent  pu  rec& 
voir  ceux  qu'il  avait  corrompus  par  ses  écrits.  —  Pour  voir 
toutes  les  furies  d'Oreste,  dit  le  même  à  l'évêque  de  Viviers, 
il  n'y  avait  qu'à  se  trouver  à  la  mort  de  Voltaire.  —  En  vérité 
cela  est  trop  fort,  dit  le  maréchal  de  Richelieu  après  avoir 
été  témoin  de  ce  spectacle,  on  ne  saurait  y  tenir.  » 

A  l'approche  du  moment  fatal,  une  nouvelle  crise  de 
désespoir  s'empara  de  son  âme.  «  Je  sens,  criait-il,  une 
main  qui  me  traîne  au  tribunal  de  Dieu.  »  Et  tournant 
vers  la  ruelle  de  son  lit  des  regards  effarés  :  «  Le  diable 
est  là;  il  veut  me  saisir...  Je  le  vois...  Je  vois  l'enfer..,, 
cachez-les  moi.  »  Enfin  il  se  condamna  lui-même  réelle- 
ment à  ce  festin  auquel  son  ignorance  et  sa  passion  anti- 
biblique avaient  fait  asseoir  si  souvent  le  prophète  Ezé- 
chiel;  et,  sans  moquerie,  cette  fois,  dans  un  accès  de  soif 
ardente,  il  porta  à  sa  bouche  son  vase  de  nuit  et  en  vida 
le  contenu.  Puis  il  poussa  un  dernier  cri,  et  expira  au 
milieu  de  ses  ordures  et  du  sang  qui  lui  sortait  par  les 
nàriries  *. 

»  Ainsi  finit,  vers  onze  heures  du  soir,  ce  long  festin  de 
Balthazar,  pendant  lequel  l'impie  avait  souillé  tous  les 
vases  du  temple.  Mais  le  sacrilège  était  mort  de  terreur  en 
voyant  une  main  vengeresse  écrire  sur  la  muraille  de  la 
chambre  funèbre  et  lui  jeter  en  défi  la  formule  de  ses  blas- 
phèmes :  «  Ecraâe  donc  l'infâme.  » 

îl  mourut,  comme  il  avait  vécu,  dans  l'ordure  de  tous 
les  vices,  sans  en  excepter  l'hypocrisie  *, 

*  fiarel,  "Recueil  des  particularités  curieuses  de  la  vie  et  de  la 
mort  de  Voltaire,  p.  l26;  Barruel,  Mémoires  sur  le  Jacobinisme, 
t.  l^^  p.  266;  lettre  de  Duluc,  du  23  octobre  1797;  d'AIlonville, 
Mémoires,  t.  l",  p.  71.  —  D'AIlonville  tenait  son  récit  du  comte 
de  Fusée,  qui  lui  avait  dit  :  «  Demandez  à  Villevieille  et  à  Vil- 
lette  :  ils  ne  le  nieront  pas  devant  moi.  » 

2  Plus  coupable  et  plus  hypocrite  que  Judas,  il  fit  quatre 
communions  pour  détourner  les  suites  Kclieuses  que  pouvait 


36  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

La  mort  de  Voltaire  a  été  le  couronnement  de  sa  vie.  Il 
avait  donné  h  Dieu  vingt  ans,  au  bout  desquels  Dieu 
devait  avoir  beau  jeu,  et  précisément  k  cette  époque  assi- 
gnée par  lui.  Voltaire  luttait  contre  le  trépas,  dans  les 
angoisses  et  les  fureurs  d'un  affreux  désespoir.  Il  a  dû, 
sans  réconciliation,  traîner  devant  le  tribunal  du  souverain 
Juge  une  longue  chaîne  de  crimes  inexpiés.  Dieu  alors  eut 
beau  jeu,  il  lui  rendit  selon  ses  œuvres.  Ce  malheureux 
avait  écrit  à  un  prêtre  de  venir  l'entendre  en  confession  ; 
Diderot,  d'Alembert  et  Condorcet  le  gardèrent  à  vue  pour 
l'empêcher  de  faire  le  plongeon. 

Voltaire  avait  écrit  à  d'Alembert  :  Je  mourrai,  si  je  puis, 
en  riant,  »  et  à  M™®  du  Deffand  :  «  On  dit  quelquefois  d'un 
homme  :  Il  est  mort  comme  un  chien;  mais  vraiment  un 
chien  est  très-heureux  de  mourir  sans  tout  cet  attirail  dont 
on  persécute  le  dernier  moment  de  notre  vie.  »  Loin  de 
pouvoir  mourir  en  riant,  il  n'a  pas  même  obtenu  la  mort 
qui  était  pour  lui  l'idéal  d'une  heureuse  fin,  la  mort  stu- 
pidement tranquille  d'un  animal*.  Son  corps  fut  enlevé  de 

attirer  sur  lui  son  impiété,  et  il  s'en  moquait  ensuite  en  des 
termes  insultants  et  blasphématoires  que  je  n'oserais  jamais 
reproduire  I  C'est  lui  qui  disait  à  un  jeune  homme  redoutant 
encore  le  sacrilège  :  Mon  ami,  va  communier  deux  ou  trois  fois 
sans  aller  à  confesse,  et  tu  n'auras  plus  peur.  Il  finit  par  vouloir 
se  persuader  que  Dieu  n'existait  pas,  que  lui-même  n'avait  pas 
d'ime,  que  sa  machine  mangeante  et  digérante  pouvait  bien 
aussi  être  pensante,  ce  sont  ses  expressions;  mais  il  ne  put 
aller  au-delà  du  doute ,  le  nec  plus  ultra,  la  dernière  limite 
qu'il  soit  possible  d'atteindre.  Ses  aspirations  étaient  pour  le 
néant.  Les  damnés  demanderont  aussi  aux  collines  et  aux  mon- 
tagnes de  les  écraser  :  vœux  inutiles  l 

*  Quatre-vingts  années  de  la  corruption  la  plus  précoce,  la 
plus  suivie,  la  plus  abondante  qui  fut  jamais;  quatre-vingts 
années  de  dérisions,  de  blasphèmes,  de  jalousies,  de  haines,  de 
rages,  d'insolences  sans  exemple,  de  bassesses  désespérées,  de 
pasauinades  ignobles  I 


DE  17«9  A  t800.  37 

Paris  secrètement  et  inhumé  à  l'abbaye  de  Scellières,  dont 
son  neveu,  l'abbé  Mignot,  était  commendataire.  Le  pro- 
grès dont  il  avait  été  le  grand  apôtre  ne  tarda  pas  à  faire 
reculer  la  France  de  dix-huit  siècles,  et  l'église  de  Sainte- 
Geneviève,  métamorphosée  en  Pantltéon  par  une  réappa- 
rition du  paganisme,  reçut  ses  restes,  rapportés  à  Paris 
en  1791. 

Le  coryphée  du  siècle  qui  s'est  dit  phihsophiqae  par 
excellence  ne  professa  jamais  d'autre  philosophie  qu'une 
ironique  négation  de  toute  religion  et  de  toute  morale. 
Toute  la  philosophie  consistait  pour  lui,  suivant  sa  propre 
expression,  à  écraser  l'infâme^  c'est-à-dire  la  religion  catho- 
lique. 

Aucun  écrivain  n'a  aussi  bien  stigmatisé  cet  homme 
abominable  que  Joseph  de  Maistre.  Voici  quelques  traits 
de  ce  portrait  d'après  nature  : 

c  iS'avez-vous  jamais  remarqué  que  l'anathème  di'sin  fût 
écrit  sur  son  visage?  Allez  contempier  sa  figure  au  palais 
de  l'Ermitage.  Voyez  son  front  abject,  que  la  pudeur  ne 
colora  jamais,  ces  deux  cratères  éteints  où  semble  bouil- 
lonner encore  la  luxure  et  la  haine,  ce  rictus  épouvantable 
courant  d'une  oreille  à  l'autre,  et  ces  lèvres  pincées  par  la 
cruelle  malice,  comme  un  ressort  prêt  à  se  détendre  pour 
lancer  le  blasphème  ou  le  sarcasme. 

»  Semblable  à  cet  insecte,  le  fléau  des  jardins,  qui  n'a- 
dresse ses  morsures  qu'à  la  racine  des  plantes  les  plus 
précieuses,  Voltaire,  avec  son  aiguillon,  ne  cesse  de  piquer 
les  deux  racines  de  la  société,  les  femmes  et  les  jeunes 
gens;  il  les  imbibe  de  son  poison,  qu'il  transmet  ainsi  de 
génération  en  génération. 

»  D'autres  cyniques  étonnèrent  la  vertu;  Voltaire  étonne 
le  vice.  Il  se  plonge  dans  la  fange,  il  s'y  roule,  il  s'en 
abreuve. 

>  Quand  je  vois  ce  qu'il  pouvait  faire  et  ce  qu'il  a  fait, 


38  LA  craKdè  révolution 

sps  inimitablps  talents  ne  m'inspirent  plus  qu'une  espèce 
de  rag2  sainte.  Paris  le  couronne,  Sodome  l'eût  banni.  » 

Condorcct. 

Marie-Jcan-Antoine-Nicolas,  marquis  de  Cotidôréet,  na- 
quit en  1733,  à  Ribemont,  près  de  Saint-Quentin,  en  Pi- 
cardie, d'une  famille  originaire  du  Dauphiné.  Dès  le  com- 
mencement de  la  Révolution,  il  se  montra  l'un  de  ses  plus 
ardents  partisans;  il  poursuivit  sans  relâche  les  parle- 
ments, le  sacerdoce,  la  noblesse  et  la  royauté.  Dans  le 
trop  fameux  jugement  d'horrible  tnéttiolre,  il  vota  pour 
la  peine  la  plus  grave  dans  le  Code  pénal,  et  qui  iie  fût 
pas  la  mort*. 

Le  châtiment  suivit  de  pt*ês  le  crime.  Décrété  d'accusa- 
tion le  3  octobre  1793,  sur  un  rapport  du  comité  de  sûreté 
générale,  il  fut  bientôt  après  mis  hors  la  loi.  Pendant  plu- 
sieurs mois,  il  resta  caché  chez  titie  dame  de  sa  connais- 
sance jusqu'à  ce  qu'un  décret  ayant  ordonné  que  «  toute 
personne  qui  donnerait  asile  à  un  proscrit  serait  punie  de 
mort,  »  il  dut  chercher  une  autre  retraite.  îl  sortit  de  Paris 
le  19  mars  1794,  k  huit  heures  du  soir,  sans  passe-port, 
»-ôtu  d'une  simple  veste,  et  la  tête  couverte  d'un  bonnet.  Il 
Daraît  que  son  projet  avait  été  de  se  rendre  d'abord  chez 
dn  ancien  ami  dont  la  hiaisoh  de  campagne  était  aux 
portes  de  Paris.  Ne  l'ayant  pas  trouvé,  et  craignant  d'être 
•econnu,  il  avait  quitté  la  grande  route  de  Pans  à  Sceaux 
et  cherché  une  retraite  dans  les  carrières  de  la  plaine  do 

*  Lié  avec  Voltaire  et  avec  d'Alembert,  (Jui  l'appelait  un 
vokùn  couvert  de  7ieige,  il  fut  un  des  collaborateurs  de  l'En- 
cyclopédie, et  un  des  propapateurB,  dans  la  Feuille  viUnfjcoise, 
des  idées  qui  ont  engendré  les  excès  révolutionnaires.  Député 
de  Paris  à  l'Assemblée  législative,  il  siégea  ensuite  ù  la  Conven- 
iion,  où  il  s'unit  aux  ffirondins. 


DE  1789  A  -1800.  39 

Cfontroiige,  d'où  il  ne  sortait  que  la  nuit.  Il  était  arrivé 
ainsi  jusqu'au  bois  de  Meudon;  mais  les  arbres  étant  dé- 
pouillés de  leur  verdure  dans  cette  saison,  de  plus  grands 
dangers  se  présentèrent  à  lui.  Le  besoin  de  prendre 
quelque  subsistance,  et  celui  plus  insurmontable  peut-être 
de  trouver  du  tabac,  le  déterminèrent  sans  doute  à  des^ 
cendre  k  Clâmart-sous-Meudon,  village  situé  sur  la  lisière 
du  bdis.  Là,  il  entra  dans  un  cabaret,  où  il  CrUt  pouvoir 
se  procurer  l'un  et  l'autre.  Après  avoir  acheté  du  tabac,  il 
demanda  une  omelette,  qu'il  mangea  avec  Une  grande  avi- 
dité. Cette  circonstance  fut  remarquée  par  des  gens  du 
cabaret,  qui,  devenus  curieux  en  voyant  son  air  inquiet, 
sa  longue  barbe  et  son  misérable  équipage,  lui  adressèrent 
quelques  questiôfis  sur  sa  profession  et  le  lieu  d'où  il 
venait.  Il  se  donna  pour  un  domestique  dont  le  maître 
était  mort  récemment.  Un  maçon,  membre  du  comité  révo- 
lutionnaire de  Clamart,  qui  se  trouvait  pendant  ce  temps- 
là  dans  le  cabaret,  lui  dit  :  *  Je  crois  plutôt  que  vous  êtes 
un  de  ceux  qui  en  ont,  des  domestiques.  Où  sont  vos  pa- 
piers? »  Condorcet  déclara  ne  point  en  avoir.  Un  gendarme 
fut  appelé,  et  Condorcet,  placé  entre  lui  et  le  maçon, 
fut  conduit  au  comité  révolutionnaire,  suivi  de  l'hôtesse 
du  cabaret,  qui  réclamait  son  paiement.  Dès  lors  il  ne 
resta  plus  de  doute  aux  misérables  qui  s'étaient  saisis  de 
lui,  sur  l'importance  de  la  capture  qu'ils  venaient  de  faire, 
et  le  comité  révolutionnaire  de  Clamart  le  fit  conduire 
aussitôt  dans  la  prison  de  Bourg-la-Reine.  Blessé  au  pied, 
exténué  de  fatigue  et  de  besoin,  il  ne  pouvait  se  soutenir, 
et  tombait  en  défaillance  sur  la  route.  On  chercha  une 
charrette,  qu'on  ne  trouva  point.  Entin  un  vigneron  offrit 
son  cheval.  Ce  fut  ainsi  qu'il  arriva  à  Bourg-la-Reine,  le 
27  mars  1794,  à  quatre  heures  de  l'après-midi.  Les  membres 
du  comité  révolutionnaire  ne  se  trouvant  point  en  nombre 
suffisant  pour  procéder  à  son  interrogatoire,  on  remit  ce 


40  LA  GRAXDE  RÉVOLUTION 

soin  au  lendemain,  et  jusque-là  on  le  déposa  dans  un 
cachot  humide  et  sans  jour.  Lorsqu'on  vint  l'y  chercher  le 
lendemain  malin,  on  ne  trouva  que  son  cadavre,  qui  con- 
servait encore  un  reste  de  chaleur.  Il  avait  fait  usage  du 
poison  qu'il  portait  depuis  longtemps  sur  lui  pour  se  dé- 
rober au  supplice. 

Ainsi  périt  à  cinquante  ans,  trahi  par  ses  complices, 
l'ennemi  le  plus  acharné  du  trône  et  de  l'autel.  Fougueux 
partisan  de  toutes  les  funestes  innovations  dont  une  philo- 
sophie mensongère  promettait  de  si  brillants  résultats,  il 
fut  ou  il  feignit  d'être  l'apôtre  de  la  liberté,  et  il  mourut 
dans  les  fers,  dévoré  par  le  poison. 

Supplice  de  Brissot. 

Jean-Pierre  Brissot,  chef  de  la  secte  révolutionnaire  dite 
des  brissotins,  naquit  à  Warville,  près  de  Chartres,  le 
14  janvier  1754. 

Etant  revenu  en  France  au  commencement  de  la  Révo- 
lution, après  avoir  voyagé  en  Amérique,  il  y  débuta  en 
1789  par  quelques  pamphlets,  et  par  un  journal  qui  avait 
pour  titre  le  Patriote  français. 

Robespierre,  accusateur  public,  et  avec  qui  Brissot  avait 
été  lié,  devint  tout-à-coup  son  plus  terrible  adversaire.  Il 
le  dénonça  au  club  jacobin  comme  traître  à  la  patrie  et 
comme  ennemi  du  peuple,  qu'il  avait  conduit  à  sa  perte 
en  l'entraînant  à  une  guerre  aui  devait  épuiser  ses  res- 
sources et  attirer  l'Europe  entière  sur  le  sol  de  la  France. 
Tous  les  ennemis  de  Brissot  se  réunirent  à  Robespierre  ; 
Camille  Desmoulins,  dans  ses  pamphlets  injurieux,  renou- 
vela toutes  les  accusations  de  Morande  contre  lui,  et 
ameuta  la  populace. 

Lorsque  Robespierre  fut  enfin  devenu  tout-puissant,  il 
livra  Brissot  à  la  haine  de  tous  ses  partisans. 


m  1789  A  1800.  41 

A  la  suite  de  la  révolution  du  3  mai  1793,  frappé  de 
proscription  ainsi  que  les  girondins  ses  amis,  il  essaya  de 
s'enfuir  en  Suisse  ;  mais,  arrêté  à  Moulins,  il  fut  reconduit 
à  Paris,  et  décapité  le  21  octobre  1793,  à  l'âge  de  trente- 
aeuf  ans. 

Fin  misérable  de  Jean  Carra» 

ENNEilI   DE   DIKU    ET   DES    ROIS. 

Jean-Louis  Carra  naquit  à  Pont-de-Veyle  en  1743.  Ses 
parents,  quoique  pauvres,  lui  firent  faire  quelques  études  ; 
mais  elles  ne  réformèrent  pas  son  caractère. vicieux,  et 
dès  sa  jeunesse  Carra  annonçait  ce  qu'il  devait  être  un 

jour. 

Il  fut  un  des  principaux  moteurs  de  l'attaque  des  Tui- 
leries, le  10  août,  et  eut  l'impudence  de  s'en  vanter  dans 
son  journal;  il  accusa  ensuite  le  général  Montésquiou,  qui 
commandait  en  Savoie.  Carra  fut  envoyé  k  Chàlons,  d'où 
il  annonça  la  retraite  des  Prussiens,  si  funeste  à  la  cause 
de  Louis  XYL 

Nommé  député  à  la  Convention  par  deux  départements, 
il  accepta  la  nomination  de  Saône-et-Loire.  Rejetant  l'ap- 
pel au  peuple,  il  vota  la  mort  de  Louis  XVI  sans  sursis. 

Carra,  brouillé  avec  Robespierre,  se  réfugia  dans  le  parti 
desbrissotins,  et  fut  nommé,  sous  le  ministère  de  Rolland, 
garde  de  la  Bibliothèque  nationale  ;  mais  suspect  à  tous 
les  partis,  il  fut  bientôt  accablé  de  dénonciations,  et  la 
faveur  populaire,  qu'il  avait  perdue,  ne  le  sauva  pas  cette 
fois  des  suites  fâcheuses  qu'elles  eurent  pour  lui.  Le 
12  juin  1793,  Robespierre,  Marat  et  Couthon  le  firent  rap- 
peler de  Blois,  où  il  était  en  mission.  Bientôt  les  bris- 
sotins  et  le  parti  de  la  Gironde  ayant  été  renversés,  Carra 
fut  proscrit  et  condamné  à  mort  avec  vingt  et  un  de  ses 
collègues,  le  30  octobre. 


M  LA  GRANDE  RÉYOLOtiOU 

li'apostat  Chabot  meurt  comme  11  a  vécu. 

François  Chabot,  connu  pour  la  part  qu'il  a  prise  à 
la  RcYolution  française,  naquit  à  Saint-Geniez,  dans  le 
Rouergue. 

Cliabotj  député  h  l'Assemblée  nationale,  justifia  l'idée 
que  ses  commettants  avaient  eue  de  lui  :  il  parlait  avec 
facilité  et  surtout  avec  une  audace  imperturbable.  Il  dé- 
nonça tout  ce  qui  n'était  pas  de  son  parti,  et  parvint  à 
faire  décréter  d'accusation  le  duc  de  Brissac.  Entièrement 
dévoué  i\  la  cause  qu'il  défendait,  il  se  fit  blesser  par  six 
hommes  qu'il  avait  apostés  lui-même,  et  qu'il  désigna  en- 
suite comme  des  sicaires  de  la  cour;  on  prétend  même 
qu'il  porta  son  dévouement  encore  plus  loin,  et  qu'il  en- 
gagea deux  de  ses  collègues  à  le  tuer  et  à  porter  son  corps 
sanglant  au  faubourg  Saint-Antoine  pour  animer  contre  la 
'^our  la  fureur  populaire.  Ceux-ci  n  ayant  pas  voulu,  il  se 
rendit  lui-même  dans  ce  faubourg,  et  y  prêcha  avec  vio- 
lence l'insurrection  dans  les  églises  ou  se  tenaient  les 
assemblées  populaires. 

Après  le  culte  impie  et  ridicule  inventé  par  Chaumotte, 
il  fit  rendre  le  décret  qui  métamorphosait  la  cathédrale  de 
Paris  en  Temple  de  la  Raison^  et  fut  itn  des  principaux 
acteurs  de  cette  parade.  Mais  devenu  bientôt  après  suspect 
à  Robespierre,  qui  redoutait  son  crédit,  il  fut  arrêté  e* 
mis  au  secret  dans  la  prison  du  Luxembourg.  Après  avoir 
inutilement  tenté  de  fléchir  Robespierre,  il  avala  du  poison, 
que  lui  avait  procuré  sa  femme;  mais,  tourmenté  par  des 
douleurs  aiguës,  il  poussa  des  cris  affreux  qui  firent  ac- 
courir tous  les  prisonniers  :  il  était  dans  des  convulsions 
liorribles,  et  il  demanda  des  secours  îi  ceux4ii  mêmes  qui 
gémissaient  dans  les  fers  par  ses  dénonciations.  L'un 
d'eux,  le  docteur  Saiffert,  lui  donna  du  contre-poison,  et 


DE  1789  A  1800.  4â 

Chabot  conserva  assez  de  vie  pour  aller  périr  sur  l'écha* 
faud,  le5avriH794. 

fiSapatk 

Jean-Paul  Marat,  né  en  4744,  de  Dafènts  calvinistes,  à 
Boudry,  pays  de  Neufchàtel,  étudia  la  médecine  dès  sa 
jeunesse,  acquit  diverses  connaissances  en  physique  et  en 
chimie,  et,  à  l'aide  de  quelques  protecteurs,  ootlnt  la  place 
de  médecin  des  écuries  du  comte  d'Artois.  Né  avec  une 
imagination  follement  enthousiaste,  un  caractère  haineux, 
un  cœur  envieux  et  féroce,  et  surtout  une  ambition  sans 
proportion  avee  ses  talents,  il  ne  manqua  pas  d'embrasser 
avec  ardeur  le  parti  de  la  Révolution. 

Devenu  membre  de  la  Commune  usurpatrice,  dite  'du 
10  août,  il  fut  nommé  président  de  ce  terrible  comité  de 
surveillance  de  la  Commune,  qui  s'empara  de  tous  les  pou- 
voirs et  organisa  les  massacres  ac  septembre.  C'est  Marat 
qui  conçut  cet  exécrable  projet,  et  qui  proposa  le  premier 
à  Danton  de  déblayer  les  prisons  d'une  manière  prompte, 
eu  les  incendiant. 

Le  10  décembre»  peu  satisfait  du  rapport  présenté  par 
Lindet  contre  Louis  XVI,  il  monta  à  la  tribune,  vomit 
contre  ce  prince  les  injures  les  plus  dégoûtantes,  s'opposa 
le  lendemain  h  ce  qu'il  lui  fût  accordé  des  conseils,  et 
vota  ensuite,  lors  de  son  jugement,  là  mort  dans  les  vingt- 
quatre  heu)-es. 

Le  6  avril,  Marat  demanda  que  cent  mille  parents  d'émi- 
grés fussent  gardés  en  otage  pour  la  sûreté  des  commis- 
saires de  la  Convention  livres  par  Duraouriez,  et  que 
Sillery  el  le  duc  d'Orléans  se  constituassent  prisonniers 
pour  se  justifier  du  soupçon  d'intelligence  avec  ce  général. 
Le  10  mai,  il  demanda  à  l'Assemblée  qu'elle  décrétât  la 
liberté  absolue  des  opinions,   «   afin,  ajouta-t-il,  que  je 


44  LA   GRANDE   REVOLUTION 

puisse  envoyer  h  l'échafaud  la  faction  des  hommes  d'Elat 
qui  m'a  décrété  d'accusation.  » 

Enfin,  après  tant  de  forfaits,  et  à  l'instant  où  il  en  médi- 
tait de  nouveaux,  Charlotte  Corday  délivra  la  république 
de  ce  monstre. 

Cette  femme,  née  avec  un  cœur  sensible  et  une  imagina- 
tion ardente,  voyant  le  peu  d'empressement  que  mettaient 
ses  compatriotes  à  tirer  vengeance  des  oppresseurs  de  leur 
pays,  se  détermina  à  frapper  elle-même  un  grand  coup  qui 
portât  le  trouble  et  l'effroi  dans  les  rangs  de  la  faction 
triomphante.  L'esprit  rempli  de  son  projet  audacieux,  elle 
se  rend  à  Paris  et  parvient  h  se  faire  introduire  chez  Marat, 
qui,  dévoré  par  une  maladie  honteuse,  était  alors  occupé 
à  prendre  un  bain.  Ce  monstre,  lui  ayant  demandé  les 
noms  des  députés  qui  se  trouvaient  dans  le  Calvados,  les 
écrivit  sur  ses  tablettes,  et  lui  dit  qu'il  les  ferait  tous 
guillotiner  sous  peu  de  jours.  Charlotte,  ne  pouvant,  à  ces 
paroles,  contenir  son  indignation,  tire  un  couteau  qu'elle 
tenait  caché  sous  sa  robe  et  le  plonge  tout  entier  dans  le 
sein  de  Marat,  qui  meurt  aussitôt  après  avoir  appelé  à  son 
secours. 

Ce  monstre  avait  mérité  depuis  longtemps  d'expier  ses 
crimes  par  le  dernier  des  supplices;  mais  l'action  de  Char- 
lotte Corday  n'en  est  pas  plus  excusable,  et  passera  tou- 
joui's,  aux  yeux  des  hommes  sensés,  pour  un  trait  de  ces 
fanatiques  qui  se  croient  tout  permis  pour  arriver  à  leurs 
fins. 

Les  restes  de  Marat,  d'abord  déposés  au  Panthéon, 
furent  ensuite  jetés  dans  l'égoût  de  Montmartre. 

Pétlon  termine  par  l«  suicide  sa  misérable  carrière. 

Jérôme  Pétion,  dit  de  Villeneuve,  avocat  et  fameux  révo- 
lutionnaire, naquit  à  Chartres,  vers  17133,  d'un  procureur 


DE  1789  A  rjOO.  4S 

au  présidial  de  cette  ville.  Nommé  aux  Etats  généraux 
en  1789,  il  commença  sa  carrière  politique  en  se  pronon- 
çant hautement  pour  les  mesures  les  plus  violentes  et  les 
innovations  dangereuses.  Pétion  fut  un  des  membres  les 
plus  ardents  à  persécuter  les  prêtres,  et  dans  toutes  les 
circonstances,  il  se  déclara  hautement  ennemi  des  objets 
religieux. 

Nommé  maire  de  Paris,  il  fut  le  protecteur  et  l'agent  de 
tous  les  complots  qui  achevèrent  le  renversement  de  la 
monarchie.  C'est  de  l'époque  qu'il  obtint  cette  place  que 
datent  les  plus  grands  crimes  de  la  Révolution.  Dès  lors 
toutes  les  violences,  tous  les  complots  contre  le  pouvoir 
royal  et  contre  la  personne  du  monarque  furent  tolérés  et 
encouragés;  une  foule  de  malfaiteurs  refluèrent  dans  la 
capitale  et  furent  introduits  dans  les  rangs  de  la  garde  na- 
tionale, où  on  les  arma  avec  des  piques  au  lieu  de  fusils. 
Le  département  d'Eure-et-Loir  le  nomma  à  la  Conven- 
tion et  il  fut  le  premier  président  d'une  assemblée  qu'il 
avait  plus  que  tout  autre  contribué  à  convoquer.  Il  s'y  fit 
remarquer  par  son  acharnement  contre  Louis  XVI,   et 
pressa  par  ses  vociférations  le  jugement  de  cet  infortuné 
monarque:  il  vota  sa  mort,  l'appel  au  peuple  et  le  sursis. 
Quand  l'horrible  sacrifice  eut  été  consommé,  Pétion,  qui  y 
avait  eu  part  plus  que  ses  collègues,  essaya  d'en  arrêter  les 
inévitables  conséquences;,  il  vota  avec  les  girondins,  et 
combattit  les  projets  atroces  du  parti  montagnard.  Une 
lutte  terrible  s'engagea  entre  Robespierre  et  lui.  L'amitié 
ou  le  crime  qui  les  avaient  tenus  unis  en  fit  deux  ennemis 
irréconciliables,  et  ils  se  jurèrent  guerre  à  mort  devant 
la  Convention. 

La  Commune  ayant  triomphé,  les  girondins  furent  pro- 
scrits, et  Pétion,  proscrit  avec  eux,  se  réfugia  dans  le  Cal- 
vados; il  passa  bientôt  dans  la  Gironde,  où  il  ne  put 
trouver  un  asile  contre  ses  ennemis.  On  dit  que,  dans  son 


46  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

désespoir,  il  se  donna  la  mort,  et  qu'il  termina  par  le 
suicide  sa  misérable  carrière.  C'est  ce  que  l'on  conjec- 
ture de  l'état  dans  lequel  il  fut  trouvé  h  Sainl-Emilion,  près 
de  Libourne,  dans  un  champ  de  blé,  à  moitié  dévoré  par 
les  loups. 

Le  sançninalrc  Carrier   condamné  à  ittoi^ 
par  ses  propres  complices. 

Jean-BaDtisle  Carrier,  un  des  monstres  les  plus  sangui- 
naires qu'ait  enfantés  la  Révolution,  naquit  en  17o6,  à 
Yolet,  petit  village  près  d'Aurillac,  dans  la  haute  Auvergne. 
Quoiqu'il  ne  fût  qu'un  obscur  procureur,  à  force  d'in- 
trigues, il  parvint  à  se  faire  nommer  député  à  la  Conven- 
tion en  1792.  Il  fut  un  de  ceux  qui  demandèrent,  le 
10  mars  1793,  l'érection  du  tribunal  révolutionnaire;  il 
saisit  avec  ardeur  toutes  les  occasions  qui  lui  furent 
offertes  de  persécuter  et  de  proscrire. 

Ayant  entendu  dire  que  la  France  était  trop  peuplée 
pour  y  établir  une  république,  il  fut  d'avis  de  la  dépeupler, 
et  on  entendit  un  jour  ce  monstre  dire  hautement,  dans  un 
café  de  Paris,  que  la  république  ne  pouvait  être  heureuse 
si  l'on  ne  supprimait  au  moins  le  tiers  de  ses  habitants. 

Carrier  fut  envoyé  à  Nantes,  où.  il  arriva  le  8  octobre 
1793,  et,  par  ses  cruautés  inouïes,  il  se  montra  le  fidèle 
exécuteur  des  instructions  qu'il  avait  reçues  do  la  Con- 
vention, de  prendre  les  mesures  de  destruction  et  de  ven- 
geance les  plus  rapides  et  les  plus  générales.  A  son  arrivée, 
Nantes  était  déjà  livrée  à  la  merci  d'une  foule  d'homme» 
féroces  ;  Carrier  se  les  associa,  et  ils  rivalisèrent  entre  eux 
de  cruauté. 

Carrier  trouva  trop  longs  les  délais  qu'exigeaient  les 
jugements  informes  et  précipités  qui  envoyaient  tous  les 
jours  à  la  mort  une  foule  de  malheureux  captifs.  «  Nous 


DE  1789  A  Ib'OO.  47 

ferons,  dit-il  aux  bourreaux  qui  le  secondaient,  un  cime- 
tière de  la  France,  plutôt  que  de  ne  pas  la  régénérer.  » 
Il  proposa  donc  de  faire  périr  les  détenus  en  masst  et  sans 
être  jugés;  cette  horrible  proposition  fut  adoptée  après 
quelques  débats,  et  Carrier  se  hâta  de  l'exécuter.  Il  ima- 
gina alors  le  moyen  aussi  prompt  que  terrible  des  trop 
fameuses  noyades.  Il  fit  d'abord  embarquer,  le  15  no- 
vembre 1793,  quatre-vingt-quatorze  prêtres  dans  una 
barque,  sous  prétexte  de  les  transporter  ailleurs,  et  le 
bateau,  qui  était  à  soupape,  fut  coulé  h  fond  pendant  la 
nuit;  il  fit  périr,  quelques  jours  après,  de  la  même  ma- 
nière, cinquante-huit  autres  prêtres.  Ces  horribles  exécu- 
tions, faites  par  d'infâmes  satellites  qu'il  avait  organisés 
60US  le  nom  de  compagnie  de  Marat,  turent  suivies  de  plu- 
sieurs autres.  Ce  monstre,  bassement  féroce,  ajoutait  en- 
core la  plaisanterie  à  cette  horrible  cruauté,  et  appelait 
ces  atroces  expéditions  baignades  et  déportations  verticales. 

Lorsqu'il  rendit  compte  à  la  Convention  de  sa  mission  à 
Nantes,  il  parla  de  la  mort  de  ces  prêtres  comme  d'un 
naufrage  heureux  et  fortuit,  et  son  récit  était  terminé  par 
ces  mots  :  t  Quel  torrent  révolutionnaire  que  cette  Loire  t  » 
et  la  Convention  fit  une  mention  honorable  de  cette  lettre 
atroce.  Dès  lors  Carrier,  voyant  sa  conduite  approuvée,  ne 
mit  plus  de  frein  à  son  ardeur  sanguinaire.  Il  fit  exter- 
miner saps  aucun  jugement  les  prisonniers  par  deux 
hommes  qu'il  avait  revêtus  d'un  grade  militaire,  Fouquet 
et  Lamberty.  Les  victimes  dévouées  à  la  mort  étaient  en- 
tassées dans  un  vaste  édifice  nommé  l'Entrepôt;  c'est  là 
qu'on  venait  tous  les  soirs  les  prendre  pour  les  mettre 
dans  des  bateaux  à  soupape.  On  ajoute  même  que,  par 
une  dérision  horrible,  on  attachait  ensemble  un  jeune 
homme  et  une  jeune  fille  pour  les  noyer,  donnant  à  cette 
aflVeuse  exécution  le  nom  de  mariage  républicain. 

Pendant  plus  d'un  mois,  ces  massacres  se  renouvelèrent 


48  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

toutes  les  nuits;  on  prenait  indistinctement  tout  ce  qui  se 
trouvait  II  l'Entrepôt,  tellement  qu'un  jour  on  noya  des  pri- 
sonniers de  guerre  étrangers. 

On  estime  qu'il  périt  dans  l'Entrepôt  quinze  mille  per- 
sonnes, soit  par  ce  supplice,  soit  par  la  faim,  le  froid  ou 
l'épidémie.  Les  malheureux  prisonniers  étaient  entassés; 
on  ne  donnait  aucun  soin  aux  malades,  et  l'on  négligeait 
même  d'enlever  les  cadavres;  entin  la  corruption  y  était 
telle  que,  personne  ne  voulant  se  charger  de  nettoyer  ce 
lieu  infect,  on  fut  obligé  de  promettre  la  vie  à  plusieurs 
prisonniers  pour  qu'ils  se  chargeassent  de  cet  emploi. 
Carrier  n'épargna  pas  ceux  qui  survécurent. 

Les  rives  de  la  Loire  étaient  couvertes  de  cadavres; 
l'eau  en  était  tellement  corrompue  qu'on  fit  défense  d'en 
boire.  La  contagion  et  la  famine  désolaient  cette  malheu- 
reuse ville.  Chaque  jour  une  commission  militaire  con- 
damnait à  mort  de  nombreux  prisonniers;  chaque  jour  on 
fusillait  dans  les  carrières  de  Gigan  jusqu'à  cinq  cents  vic- 
times. Tel  était  l'horrible  aspect  que  présentait  la  ville  de 
Nantes  sous  la  domination  du  farouche  Carrier;  tel  était  le 
gouvernement  doux  et  paternel  que  ces  féroces  novateurs 
voulaient  substituer  au  despotisme  des  tyrans. 

Cependant  Robespierre,  quelques  mois  avant  son  sup- 
plice, ayant  résolu  de  mettre  un  terme  au  régime  de  la 
Terreur  et  d'en  faire  tomber  l'odieux  sur  ceux  qui  avaient 
partagé  avec  lui  le  gouvernement,  fit  rappeler  Carrier  et 
désapprouva  hautement  sa  conduite. 

Le  9  thermidor  arriva  :  Robespierre  et  son  parti  furent 
renversés;  alors  un  cri  général  s'éleva  contre  tous  ces 
hommes  qui  avaient  versé  des  flots  de  sang,  et  chacun, 
parmi  les  révolutionnaires,  s'empressa  d'en  rejeter  le 
crime  sur  d'autres.  Carrier,  qui  les  avait  tous  surpassés,  ne 
pouvait  manquer  d'attirer  tous  les  regards;  les  troubles  de 
la  Vendée,  qui  duraient  encore,  rappelaient  sans  cesse  les 


DE  1789  A  1800.  49 

affreuses  craaalés  de  ce  monstre,  et  quatre-vingt-quatorze 
Nantais,  qu'il  avait  envoyés  à  Paris  au  mois  de  novembre 
1793,  comparurent  au  tribunal,  non  comme  victimes,  mais 
comme  ses  accusateurs.  Alors  il  devint  l'objet  de  l'exécra- 
tion générale,  et  la  voix  publique  demanda  son  supplice. 
Condamné  par  ceux-là  mimes  qui  lui  avaient  ordonné 
les  crimes  qu'il  avait  commis,  il  fut  envoyé  à  l'échafaud 
par  ceux  qui  auraient  dû  le  partager  avec  lui,  et  exécuté 
le  16  septembre  1794. 

Chauniette,  le  bourreau  des  prêtres. 

Pierre-Gaspard  Chaumette,  que  son  impiété  a  fait  placer 
parmi  les  révolutionnaires  les  plus  odieux,  naquit  à  Nevers 
le  24  mai  1763. 

Dans  la  funeste  journée  du  10  août,  il  prit  une  part  si 
active  aux  massacres  qui  eurent  lieu,  qu'on  le  nomma  pro- 
cureur de  la  Commune  à  la  place  de  Manuel. 

Après  avoir  massacré  les  ministres  de  Dieu,  l'impie 
Chaumette  déclara  la  guerre  à  Dieu  lui-même,  et  voulut 
faire  de  l'athéisme  une  institution  politique.  Pour  arriver  à 
son  but  insensé,  il  imagina  ces  fêtes,  aussi  sacrilèges  que 
bizarres,  connues  sous  le  nom  de  fêtes  de  la  Raison;  il  fit  dé- 
truire les  autels,  les  tableaux  et  tout  ce  qui  pouvait  offrir 
quelque  vestige  d'une  religion. 

Les  principaux  chefs  des  révolutionnaires  s'apeï-çurent 
enfin  qu'il  était  temps  de  mettre  un  terme  aux  excès  de 
Chaumette.  Robespierre  résolut  de  le  perdre.  Hébert,  le 
Prussien  Clootz  et  plusieurs  autres  représentants  des 
alhées  à  la  Convention  furent  arrêtés.  Chaumette,  privé  de 
ses  auxiliaires,  le  fut  huit  jours  après  :  on  l'enferma  dans 
les  prisons  du  Luxembourg,  où  se  trouvaient  un  grand 
nombre  de  victimes  qu'il  y  avait  fait  mettre. 

Ce  scélérat  audacieux,  qui  n'avait  rien  respecté,  parut 

•  3 


î)0  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

lâche  et  plein  d'effroi  dès  qu'il  se  vit  enfermé  dans  la  pri- 
son. Après  de  courts  débats,  il  fut  condamné  h  mort  et 
exécuté  le  13  avril  1794.  Monté  sur  l'échafaud,  il  reprit 
assez  de  courage  pour  prédire  à  ceux  qui  l'avaient  con- 
damné qu'ils  ne  tarderaient  pas  à  subir  le  même  sort. 

Georges  Schneider. 

Jean-Georges  Schneider,  né  au  diocèse  de  Wurlzbourg, 
entra  dans  la  société  des  illuminés  de  Weishaupt.  Arrivé 
Il  Strasbourg,  il  devint  accusateur  public  près  le  tribunal 
criminel.  C'est  dans  ce  dernier  emploi  qu'il  se  rendit  la 
terreur  du  pays,  qu'il  ne  cessa  de  parcourir  accompagné 
du  bourreau  et  de  la  guillotine.  Il  entre  un  jour  dans  une 
commune,  et  fait  ordonner  k  la  municipalité  de  lui  livrer 
cinq  tètes  à  son  choix.  On  eut  beau  lui  représenter  qu'on 
ne  connaissait  pas  de  coupables,  il  fallut  lui  abandonner 
cinq  victimes,  qui,  dans  l'instant  môme,  furent  livrées  à  la 
mort.  Une  autre  fois,  étant  arrivé  au  village  d'Etting,  il  se 
rendit  chez  le  juge  de  paix  du  canton,  appelé  Kuhn,  et  le 
trouva  à  table.  Le  maître  de  la  maison  l'invite  à  dîner,  et 
les  convives  s'empressent  de  lui  céder  la  place  d'honneur, 
tandis  que  toute  la  maison  était  occupée  à  le  servir.  Au 
milieu  de  la  bonne  chère  et  des  bouteilles,  il  parait  s'égayer 
et  se  livre  bientôt  à  une  joie  bruyante.  Tout-à-coup,  se  tour- 
nant vers  le  juge  de  paix,  il  lui  demande  avec  sang-froid 
s'il  avait  beaucoup  de  vin  pareil  dans  sa  cave.  Kuhn  iui 
répond  qu'il  lui  en  reste  quelques  bouteilles  et  que  toutes 
sont  à  son  service.  «  Eh  bien,  ajouta-t-il,  hâte-toi  d'en 
faire  servir  une,  car  dans  trois  quarts  d'heure,  tu  n'en 
boiras  plus.  »  Et  un  instant  après  il  fit  entrer  la  guillo- 
tine dans  la  cour  de  son  hôte,  et  lui  fit  couper  la  lêle 
comme  à  un  protecteur  des  prêtres  rcfractaires ;  cai'  c'était 
principalement  aux  prêtres  fidèles  qu'en  voulait  cet  apos* 


CE  1783  A  1800.  51 

tat.  Pour  combler  la  mesure,  il  avait  pris  une  femme.  Le 
13  décembre  1793,  il  rentra  dans  Strasbourg  avec  sa  guil- 
lotine, sa  nouvelle  épouse,  ses  juges  et  son  bourreau,  tous 
assis  dans  une  voiture  à  six  chevaux*.  Les  exécutions  indi- 
viduelles lui  paraissant  trop  longues,  il  voulut,  comme  ses 
modèles  de  Paris  et  d'ailleurs,  faire  des  opérations  en  masse, 
et  déjà  il  avait  accumulé  dans  les  prisons  de  Strasbourg 
un  grand  nombre  de  victimes.  Mais  sa  dernière  entrée 
dans  la  ville  avait  fait  quelque  sensation;  deux  commis 
saires  de  la  Convention  nationale,  qui  se  trouvaient  à 
Strasbourg,  feignirent  d'être  effrayés  de  cette  marche 
triomphale.  Ils  en  firent  une  conspiration  qui  tendait  à 
livrer  l'Alsace  aux  Autrichiens.  Schneider  fut  arrêté  le 
lo  décembre,  attaché  à  un  poteau  pendant  quatre  heures 
sur  un  échafaud  que  lui-même  avait  fait  élever.  Transféré 
à  Paris,  il  fut  condamné  à  mort  le  1"  avril  1794,  comme 
prêtre  autrichien  de  Wurtzbourgj  et  comme  émissaire  de 
l'ennemi  et  chef  d'un  complot  contre  la  Piépublique. 

(PtOET.BACHEa.) 

Collot   d'Herfcois. 

Collot  d'Herbois,  membre  de  la  Convention  et  du  Comité 
de  salut  public,  était,  avant  la  Révolution,  comédien  am- 
bulant, et  avait  exercé  son  art  dans  plusieurs  villes,  no- 
tamment à  Lyon,  où  plus  tard  il  se  vengea  cruellement  do 
l'offense  d'y  avoir  été  sifflé.  Il  seconda  Robespierre  dans 
tous  ses  projets,  fut  un  des  plus  ardents  persécuteurs  des 

1  Schneider,  chargé  d'accomplir  les  ordres  des  proconsuls, 
élève  de  toutes  parts  des  échafauds,  et  dicte  ses  arrêts  sanglants 
avec  la  plus  exécrable  ironie. 

Un  vieux  militaire  est  amené  devant  ce  monstre  ;  il  marche 
avec  une  jambe  de  bois,  Cet  homme,  s'écrio-l-il,  ne  iKut  plus 
sacir  la  république;  cjaduisez-k  à  la  mort. 


52  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

girondins,  et,  devenu  mr-mbro  du  Comité  de  salut  public, 
contribua  peut-être  plus  que  personne  aux  excès  qui  signa- 
lèrent le  règne  de  la  Terreur. 

La  manière  dont  il  remplit  les  fonctions  qui  lui  avaient 
été  confiées  dans  les  départements  du  Loiret  et  de  l'Oise  le 
fit  juger  digne  d'être  choisi,  avec  Fouché,  pour  être  l'exécu- 
teur des  vengeances  que  la  Convention  nationale  se  propo- 
sait de  faire  peser  sur  la  malheureuse  ville  de  Lyon.  Il  y 
fit  périr  plus  de  seize  cents  personnes  par  les  mains  du 
bourreau,  la  fusillade  et  le  canon.  Un  décret  du  21  vendé- 
miaire ordonna  que  Lyon  serait  démoli,  et  qu'on  donnerait 
à  ces  ruines  le  nom  de  Ville  ou  Commune  a/franchie,  et 
Collot  écrivait  à  la  Convention  que  le  voyageur  verrait  avec 
satisfaction,  sur  les  débris  de  cette  ville  superbe  et  rebelle,  des 
chaumières  éparses  que  les  amis  de  l'égalité  s'empresseraient  de 
venir  habiter,  etc.  Il  insulta  par  une  proclamation  à  la  dé- 
solation générale,  qu'il  appelait  une  faiblesse  antirépubli- 
caine, et  y  déclara  qu'on  traiterait  comme  suspects  tous 
ceux  qui  auraient  laissé  apercevoir  sur  leur  physionomie 
ou  dans  leurs  propos  quelque  signe  de  tristesse  ou  de 
compassion. 

Après  avoir  contribué  à  la  chute  de  Robespierre,  Collot 
d'IIerbois  fut  lui-même  dénoncé  par  Lecointre  de  Ver- 
sailles, puis  par  Merlin  de  Douai  ses  collègues  :  les  jour- 
naux, les  pamphlets  le  couvrirent  d'opprobres,  et  l'As- 
semblée, cédant  k  l'indignation  publique,  le  condamna  à 
la  déportation.  Les  complices  mêmes  de  ses  crimes  le 
regardèrent  comme  un  homme  si  dangereux,  qu'ils  crurent 
devoir  l'exclure  de  la  société,  en  le  reléguant  dans  les  dé- 
serts de  la  Guyane.  Il  se  regardait  comme  le  plus  malheu- 
reux de  tous  les  mortels.  Je  suis  puni,  s'écriait-il,  cet  abandon 
est  un  enfer.  Il  attendait  son  épouse  ou  son  retour.  Son  im- 
patience lui  occasionna  une  fièvre  inflammatoire.  Le  chirur- 
gien qu'on  appela  à  son  secours  ordonna  des  calmants,  et 


DE  4789  A  1S00.  63 

cVhenre  en  heure  une  potion  mêlée  de  trois  quarts  d'eau. 
Lé  nègre  qui  le  gardait  pendant  la  nuit  s'éloigna  ou  s'en- 
dormit. Collot  dans  le  délire,  dévoré  de  soif  et  de  mal,  se 
leva  brusquement,  et  but  d'un  seul  trait  une  bouteille  de 
vin  liquoreux.  Son  corps  devint  un  brasier.  Le  chirurgien 
donna  ordre  de  le  poiier  à  Cayenne,  éloigné  de  six  lieues. 
Les  nègres  chargés  de  cette  commission  le  jetèrent  aa 
milieu  de  la  route,  la  face  tournée  vers  un  soleil  brûlant. 
Le  poste  qui  était  sur  l'habitation  fut  obligé  d'y  mettre 
ordre.  Les  nègres  disaient  en  leur  langage  :  Nous  ne  vou- 
lons pas  porter  ce  bourreau  de  la  religion  et  des  hommes.  — 
Qu'avez-vous  ?  lui  dit  en  arrivant  le  chirurgien  Guysouf.  — 
J'ai  une  fièvre  et  une  sueur  brûlantes.  —  Je  le  crois  bien, 
vous  suez  le  crime.  Collot  se  retourna  et  fondit  en  larmes; 
il  appelait  Dieu  et  la  Vierge  à  son  secours.  Un  soldat  à 
qui  il  avait  prêché  en  arrivant  le  système  des  athées,  s'ap- 
proche et  lui  demande  pourquoi  il  invoque  ce  Dieu  et  cette 
Vierge  dont  il  se  moquait  quelques  mois  auparavant.  Mon 
ami,  lui  répondit-il,  ma  bouche  en  imposait  alors  à  mon  cœur; 
puis  il  s'écria  :  Mon  Dieu  !  mon  Dieu,  puis-je  encore  espérer 
mon  pardon?  Envoyez-moi  un  consolateur;  envoyez-moi  quel- 
qu'un qui  détourne  mes  yeux  du  brasier  qui  me  consume;  mon 
Dieu!  donnez-moi  la  paix.  L'approche  de  ce  dernier  mo- 
ment était  si  affreux  qu'on  fut  obligé  de  le  mettre  à  l'écart. 
Pendant  qu'on  cherchait  un  prêtre,  il  expira,  le  7  juin 
1796,  les  yeux  entr'ouverts,  les  membres  retournés,  en 
vomissant  des  flots  de  sang  et  d'écume.  Son  enterrement 
se  fit  un  jour  de  fête.  Les  nègres  fossoyeurs,  pressés  d'aller 
danser,  l'inhumèrent  à  moitié.  Son  corps  devint  la  pâture 
des  cochons  et  des  corbeaux. 

Ce  terrible  tableau ,  tracé  par  un  témoin  oculaire 
(Pitou),  est  bien  propre  à  convaincre  ceux  qui  croient 
parvenir  à  la  gloire  et  au  bonheur  par  le  crime,  qu'il  ne 
peut  conduire  qu'à  la  honte,  au  remords  et  au  désespoir. 


îîi  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

I5(5îiert  (Jacques-Jlené). 

Né  h  Alençon  en  1755,  il  fut  laquais  h  Paris  après  avoir 
été  contrôleur  de  billets  b.  la  porte  d'un  théâtre.  Chassé 
pour  infidélité  de  la  maison  où  il  servait,  il  devint,  en 
1789,  rédacteur  d'un  journal  démagogique  du  cynisme  le 
plus  grossier,  le  Père  Duchêne.  Lors  du  procès  de  l'infortunée 
Marie-Antoinette,  il  inventa  contre  cette  auguste  princesse 
les  plus  abominables  calomnies.  Plus  révolutionnaire  que 
les  montagnards  et  les  jacobins,  il  voulait  substituer  la 
dictature  de  la  Commune  h  celle  de  la  Convention,  lorsque 
Robespierre  le  fit  arrêter  par  le  comité  de  salut  public, 
qui  l'envoya  à  l'échafaud  en  1794. 

Hébert  se  montra  aussi  faible  devant  ses  juges  qu'il 
avait  été  audacieux  comme  écrivain  et  comme  magistrat, 
et  perdit  même  connaissance,  dit-on,  plusieurs  fois  durant 
son  procès  ;  il  arriva  mourant  au  lieu  du  supplice,  et  le 
peuple,  qui,  la  veille,  lisait  son  journal  avec  avidité,  l'ac- 
cabla de  huées  et  d'insultes  sur  son  passage.  «  Va,  coquin, 
lui  criait-on,  va  jouer  h  la  main  chaude,  va  mettre  ta  !ôte 
à  la  fenêtre,  va  éternuer  dans  le  sac;  il  est  en  colère, 
aujourd'hui,  le  Père  Duchêne  !  »  Cet  homme  féroce  périt  à 
l'âge  de  quarante-cinq  ans.  Une  religieuse  qu'il  avait 
épousée  subit  le  même  supplice  quelques  jours  après. 

Saint-Just. 

Saint-Just,  membre  de  la  Convention,  né  en  1769,  à 
Blérancourt,  près  Noyon,  d'une  famille  noble,  venait 
à  peine  de  terminer  ses  études  lorsque  la  Révolution  fran- 
çaise éclata.  Il  en  adopta  les  principes  avec  enthousiasme. 
Il  fut  nommé,  ayant  à  peine  vingt-quatre  ans,  député  îi  la 
Convention  nationale.  Robespierre,  qui  connut  de  quelle 
utilité  pouvait  lui  être  un  tel  homme,  se  l'associa,  le  fit  son 
principal  confident,  et  leur  intimité  dura  jusqu'à  l'écha- 


DE  1789  A  4800.  S5 

faud.  Aussitôt  qu'on  eut  entamé  le  procès  de  l'infortuné 
Louis  XVI,  Saint- Just  prononça,  le  13  novembre  1792,  un 
discours  violent  contre  ce  malheureux  prince,  demanda  la 
prompte  et  sanglante  punition  de  ce  qu'il  appelait  ses 
crimes.  Il  prétendit  que  le  roi  devait  être  jugé  non  comme 
citoyen,  mais  comme  ennemi,  comme  rebelle,  et  que  tout 
Français  avait  sur  lui  le  même  droit  qne  Bratus  avait  sur 
César.  Pendant  toutes  les  discussions  de  ce  funeste  procès, 
il  montra  le  même  acharnement  à  l'égard  de  l'auguste  pri- 
sonnier, dont  il  vota  la  mort  sans  appel  et  sans  sursis.  Il 
dit,  dans  un  autre  discours  devant  la  Convention  :  «  Ce  qui 
constitue  une  république,  c'est  la  destruction  de  tout  ce 
qui  lui  est  opposé.  »  Il  contribua  à  la  chute  des  girondins 
et  à  l'établissement  du  régime  de  la  Terreur,  et  fit  des 
rapports  à  la  suite  desquels  Danton,  Hérault  de  Séchelles 
et  Camille  Desmoulins  furent  conduits  à  l'échafaud.  Il  de- 
meura le  défenseur  de  Robespierre  le  9  thermidor.  Décrété 
d'accusation,  il  put  néanmoins  s'échapper  et  se  rendre  à 
l'Hôtal-de-Ville,   où,  s' étant  constitué  le  chef  du  comité 
d'exécution,  il  se  préparait  h  envoyer  à  la  mort  les  auteurs 
de  la  révolution  qui  avaient  abattu  son  protecteur;  mais 
il  fut  arrêté  en  même  temps  que  Robespierre.  Il  n'opposa 
aucune  résistance,  ne  perdit  jamais  son  sang-froid,  et  pria 
seulement  ceux  qui  se  saisirent  de  sa  personne  de  ne  lui 
pas  faire  de  mal,  n'ayant  pas  l'intention  de  s'évader.  Le 
10  thermidor  (28  juillet  1794),  il  fut  mis  sur  la  fatale  char- 
rette, où  il  devint  l'objet  des  malédictions  d'une  populace 
immense.  Il  avait  alors  vingt-six  ans. 

Danton  (Georges-Jacques). 

G.- Jacques  Danton,  né  à  Arcis-sur-Aube  en  1759,  était 
avocat  aux  conseils  du  roi  à  l'époque  de  la  Révolution. 
Orateur  de  la  multitude,  au  front  haut  et  à  la  voix  forte, 
a  dit  Mignet,  «  c'était  un  révolutionnaire  gigantesque.  »  Il 


56  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

s'unit  à  Marat  et  h  Camille  Desmoulins  pour  fonderie  club 
des  Cordeliers,  et  se  fit  nommer  substitut  du  procureur  de 
la  Commune  de  Paris.  Il  demanda  le  premier  la  déchéance 
du  roi,  conduisit  les  Marseillais  à  l'attaque  des  Tuileries. 
Elu  député  à  la  Convention,  il  fut  remplacé  par  Garât  au 
ministère  de  la  justice.  Il  vota  la  mort  du  roi.  Il  avait 
répondu  à  un  de  ses  amis,  qui  lui  faisait  observer  que  la 
Convention  n'avait  pas  le  droit  déjuger  Louis  XVI  :  «  Aussi 
nous  ne  le  jugerons  pas,  nous  le  tuerons.  »  Ce  fut  lui  qui 
fit  décréter  l'établissement  du  tribunal  révolutionnaire.  Il 
fit  partie  du  Comité  de  salut  public  dès  sa  formation.  Après 
la  chute  des  girondins,  on  lui  reprocha  de  s'être  montre 
sensible  à  leur  sort,  et  il  fut  accusé  de  modér autisme. 

Devenu  peu  après  suspect  à  Robepierre,  qui  craignait  la 
popularité  qu'il  s'était  acquise,  celui-ci  prit  si  bien  ses  me. 
sures,  qu'il  le  fit  arrêter  dans  son  lit,  la  nuit  du  31  mars 
1794,  sans  qu'il  fît  la  moindre  résistance.  Lacroix,  son 
ami,  subit  le  même  sort,  et  ils  furent  jetés  l'un  et  l'autre 
dans  les  prisons  du  Luxembourg.  Danton  et  Lacroix 
furent  mis  au  secret,  mais  dans  deux  chambres  assez  voi- 
sines pour  qu'ils  se  pussent  parler.  Lacroix  reprocha  îi 
Danton  son  insouciance;  il  n'avait,  en  effet,  montré  que  do 
la  faiblesse  et  de  la  lâcheté  contre  Robespierre.  Quatre 
jours  après,  ils  furent  traduits  devant  le  tribunal  révolu- 
tionnaire, oii  ils  daignèrent  à  peine  répondre  aux  inter- 
rogations du  président,  s'arausant  pendant  les  débals  à 
rouler  entre  leurs  doigts  de  petites  boules  de  pain  qu'ils 
lançaient  au  nez  des  juges,  Danton  leur  dit  :  «  Mon  indi- 
vidu sera  bientôt  dans  le  néant,  mais  mon  nom  est  déjà 
dans  la  postérité.  » 

Le  tribunal,  effrayé  d'rne  telle  audace,  consulta  les 
comités  du  gouvernement,  qui  ordonnèrent  de  les  condam- 
ner sans  débats.  Cette  décision  mit  Danton  dans  la  plus 
grande  fureur;  il  se  répandit  en  imprécations  contre  ses 


DE  1789  A  1800.  rri 

prescripteurs.  Emmené  avec  son  ami  dans  la  chambre 
aes  condamnés,  il  s'écria  en  y  entrant  :  «  C'est  moi  qui 
ai  fait  instituer  ce  tribunal  infâme,  j'en  demande  pardon 
à  Dieu  et  aux  hommes.  Je  laisse  tout  dans  un  gâchis 
épouvantable;  il  n'y  en  a  pas  un  qui  s'entende  au  gou- 
vernement. Au  surplus,  ce  sont  tous  des  frères  de  Gain; 
Brissot  m'aurait  fait  guillotiner  comme  Robespierre.  » 
La  vue  de  l'échafaud  n'ébranla  pas  son  audace:  il  y 
monta  avec  assurance;  son  regard  était  fier,  et  il  semblait 
commander  encore  à  cette  populace  qu'il  avait  maîtrisée 
si  longtemps.  Cependant,  avant  de  mourir,  il  parut  s'atten- 
drir un  moment  au  souvenir  de  sa  femme.  «  0  ma  bien- 
aimée,  ô  ma  femme,  s'écria-t-il,  je  ne  te  verrai  donc 
plus!  B  S'interrompant  ensuite  brusquement  :  «  Allons, 
Danton,  point  de  faiblesse!  »  Avançant  ensuite  avec 
promptitude  sous  le  couteau  fatal,  il  dit  au  bourreau  : 
«  Tu  montreras  ma  tête  au  peuple,  elle  en  vaut  bien  la 
peine.  »  Il  fut  exécuté  le  5  avril  1794. 

Fabre    d'Eglantîaie. 

Philippe-François-Nazaire  Fabre  d'Eglantine  était,  à 
l'époque  de  la  Révolution,  connu  par  quelques  succès  lit- 
téraires. 

Il  vota  la  mort  de  Louis  XVI  sans  sursis,  fut  un  des 
membres  du  Comité  de  salut  public,  et  regardé  comme 
un  des  hommes  les  plus  féroces  de  cet  affreux  tribunal. 

Fabre,  qui  avait  embrassé  le  parti  de  la  Révolution 
par  un  motif  de  cupidité,  voyait  son  espoir  réalisé  et  se 
trouvait  possesseur  d'une  grande  fortune  souillée  du  sang 
des  victimes  qu'il  avait  fait  immoler.  Ses  collègues 
jetèrent  sur  ses  richesses  un  œil  envieux.  Ayant  encouru 
en  ce  moment  la  haine  d'Hébert  pour  avoir  dénoncé  aux 
jacobins  et  fait  arrêter  deux  protégés  de  ce  rcvolulion- 


ÎS8  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

naire,  le  secrétaire  de  la  guerre  "Vincent  et  le  gf^néral 
Mazuel,  sa  perte  fut  résolue  par  ce  parti,  alors  tout-puis- 
sant. Obligé  de  se  justifier  devant  ses  accusateurs,  il  fut 
interrompu  par  les  terribles  cris  :  A  la  guillotine!  La 
Convention,  de  son  côté,  le  décréta  d'accusation,  comme 
falsificateur  d'un  traité  relatif  à  la  Compagnie  des  Indes 
et  complice  de  la  conspiration  de  l'étranger.  Il  fut  con- 
damné à  mort  et  exécuté  le  5  avril  1794.  Il  avait  alors 
trente-neuf  ans. 

Fouquier  -  Tinville. 

Fouquier-Tinville,  né  au  village  d'Hérouel,  près  Saint- 
Quentin,  se  signala  par  ses  abominables  calomnies  contre 
l'auguste  reine  de  France,  qui  n'y  opposa  qu'un  noble  et 
religieux  silence,  et  par  ses  atrocités  de  tout  genre  envers 
les  soixante-dix  victimes  qu'il  fit  égorger,  presque  tous  les 
jours,  de  1793  au  27  juillet  1794,  jour  oîi  Robespierre,  son 
maître  et  son  ami,  étant  déjà  renversé  et  emprisonné,  il  en- 
voya encore,  malgré  toutes  les  représentations,  quarante- 
deux  personnes  à  l'échafaud.  Dans  les  effroyables  orgies  où 
il  dressait,  avec  d'autres  assassins  de  la  Convention,  des 
listes  de  mort,  il  disait  :  «  J'ai  fait  gagner  cette  semaine  tant 
de  millions  à  la  république;  la  semaine  prochaine,  je  lui  en 
ferai  gagner  davantage.  »  Ces  forcenés  voulaient  sacrifier 
un  tiers  de  la  France,  prêtres,  nobles  et  riches  de  tous  les 
états,  pour  assurer  la  liberté  et  l'égalité  aux  survivants. 
La  voix  de  l'humanité,  la  vie  des  hommes  ne  sont  plus 
rien.  Des  jeunes  gens,  amenés  au  tribunal  de  Fouquier- 
Tinville  pour  des  vieillards,  des  femmes  pour  des  hommes, 
une  veuve  iMaillct  pour  la  duchesse  de  Maillé,  réclament  en 
vain  :  «  C'est  égal,  dit  ce  monstre,  autant  aujourd'hui  que 
demain.  » 

I.'^'-sque  Robespierre,  la  mâchoire  fracassée  d'un  coup 


DE  1789  A  1800.  59 

de  pistolet,  est  présenté  à  son  tribunal  pour  y  être  simple- 
ment reconnu,  en  vertu  de  la  mise  hors  la  loi,  il  l'envoie 
sans  sourciller  à  l'échafaud,  ainsi  que  ses  cent-dix  com- 
plices; il  vient  même  féliciter  la  Convention  de  sa  vic- 
toire. Ce  trait,  que  nous  ne  savons  comment  caractériser, 
ne  le  sauve  point.  Un  cri  général  se  fait  entendre.  Un  con- 
ventionnel demande  c  que  Fouquier  aille  cuver  dans  les 
enfers  tout  le  sang  dont  il  s'est  eni\Té.  c  II  est  conduit  au 
supplice  à  travers  les  outrages  dé  cette  multitude  effrénée 
dont  il  était  l'idole.  Ses  odieux  complices,  ces  jurés  dont 
le  feu  de  file,  selon  sa  féroce  expression,  était  presque 
aussi  rapide  que  le  fer  du  bourreau,  montent  avec  lui  sur 
l'échafaud.  Lorsqu'il  vit  tomber  leurs  têtes,  l'effroi  et  le 
remords  parurent,  dit-on,  s'emparer  de  son  âme.  Il  expira 
enfin  sous  les  coups  de  cette  hache  révolutionnaire  avec 
laquelle  il  avait  fait  immoler  tant  d'innocents. 

(Mémorial  sur  la  Révolution,  de  M.  Jollt.) 

Hérault  de  Séchelles. 

Marie-Jean  Hérault  de  Séchelles  avait  fait  connaître  les 
principes  qui  l'animaient  en  prenant  les  armes  avec  les 
autres  factieux  le  jour  de  la  prise  de  la  Bastille  (14  juillet 
4789.  Le  roi,  les  prêtres,  les  émigrés  furent  continuelle- 
ment l'objet  de  ses  attaques  et  de  ses  invectives. 

Quoique  absent,  il  voulut  prendre  part  au  plus  grand 
des  crimes  :  il  adressa  à  la  Convention  une  lettre  oiî  il 
déclarait  que  Louis  Capet  devait  être  condamné  comme  par- 
jure. 

Il  quitta  le  Comité  de  salut  public  au  mois  de  septembre 
1793,  et  fut  envoyé  dans  le  Haut-Rhin.  Il  porta  dans  cette 
mission  toute  sa  fureur  révolutionnaire.  A  peine  arrivé,  il 
y  établit  un  tribunal  spécial  pour  mettre  le  pays  à  la  raison» 
•  J'ai  semé,  écrivait-il,  quelques  guillotines  sur  ma  route, 


60  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

et  je  trouve  que  cela  produit  déjà  un  excellont  effet.  » 
Mais  ce  furent  là  ses  derniers  succès  et  le  terme  de  sa 
gloire  révolutionnaire. 

Robespierre  le  fit  arrêter  sous  les  plus  vains  prétextes  et 
conduire  dans  les  prisons  du  Luxembourg,  le  19  mars 
1794.  Il  parvint  à  l'impliquer  dans  le  procès  de  Danton  et 
de  Camille  Desmoulins.  Hérault  fat  traîné  avec  eux  devant 
le  tribunal  révolutionnaire,  et,  pour  ne  leur  céder  en  rien, 
il  répondit  comme  eux  aux  questions  qu'on  lui  adressa  par 
des  plaisanteries  aussi  irrégulières  qu'indécentes.  Il  en- 
tendit  son  jugement  sans  émotion,  et  conserva  toute  sa 
fermeté  jusqu'à  ses  derniers  moments. 

Près  de  monter  sur  l'échafaud,  il  approcha  de  Danton, 
et  voulut  l'embrasser;  mais  cet  homme,  toujours  féroce,  le 
repoussa  :  .  Montez  donc;  nos  têtes  auront  le  temps  de  se 
baiser  dans  le  panier.  »  Il  fut  exécuté  le  5  avril  1794, 

«Fourdan. 

Matthieu  Jourdan,  un  des  plus  lâches  scélérats  qu'ait 
enfantes  la  Révolution,  naquit  à  Saint-Just,  près  le  Puy, 
en  1749. 

Dès  le  commencement  de  la  Révolution,  Jourdan  fut 
celui  qui,  parmi  les  plus  vifs  démagogues,  cria  le  plus 
fort  contre  le  roi,  la  reine,  les  nobles,  les  prêtres  et  les 
propriétaires,  c'est-à-dire  contre  le  bon  ordre  et  la  religion. 
C'était  un  des  hommes  qu'il  fallait  aux  monstres  de  la  Révo- 
lution; aussi  on  l'employa  tant  qu'on  put  dans  toutes  les 
émeutes  et  dans  tous  les  massacres.  11  signala  d'abord  sa 
cruauté  en  arrachant  le  cœur  au  malheureux  Foulon  et  à 
son  gendre,  l'intendant  Berthicr,  victimes  d'une  populace 
effrénée  qui  applaudissait  à  ces  affreux  spectacles.  Le 
6  octobre  1789,  il  se  trouvait  parmi  les  factieux,  et  coupa 
la  tête  aux  deux  gardes  du  corps  Deshullcs  et  Varicourt, 


DE  17S9  A  4S00.  Gl 

que  plusieurs  forcenés  lui  livrèrent,  et  dont  le  seul  crime 
était  d'avoir  rempli  leur  devoir.  Les  prêtres  étaient  surtout 
l'objet  de  sa  haine  et  de  ses  persécutions. 

L'Assemblée  écouta  enfin  les  justes  plaintes  qui  s'éle- 
vaient contre  Joardan.  Décrété  d'accusation,  il  trouva  le 
moyen  de  se  sauver;  mais  il  était  trop  utile  au  parti  des 
jacobins  pour  qu'ils  ne  fissent  pas  leurs  efforts  afin  d'obte- 
nir sa  grâce.  Compris  en  1792  dans  l'amnistie  générale 
qu'on  accorda  à  tous  les  assassins  de  la  France,  il  reparut 
encore  à  Avignon,  oîi  on  l'envoya  pour  morigéner  les  habi- 
tants :  c'était  le  mot  dérisoire  du  temps,  et  qui  signifiait  en 
substance  piller,  détruire  et  massacrer.  Jourdan,  investi  de 
pouvoirs  illimités,  s'abandonna  à  tous  les  excès  dont  il 
était  capable  :  Avignon  fut  inondé  de  sang.  Il  n'oublia  pas 
de  comprendre  dans  les  persécutions  qu'il  exerçait  ceux 
qu'il  soupçonnait  de  n'avoir  pas  applaudi,  quelques  mois 
auparavant,  à  sa  barbarie.  De  retour  à  Paris,  il  rendit 
compte  de  sa  mission  :  la  Montagne  et  les  tribunes  applau- 
dirent, et  l'on  décréta  que  ce  monstre,  la  honte  de  la 
société,  avait  bien  mérité  de  la  patrie. 

Depuis  ce  moment,  il  fut  encore  employé  à  tous  les  mas- 
sacres qui  eurent  lieu  dans  les  églises  et  les  prisons  de  la 
capitale.  Il  était  le  plus  infatigable  des  bourreaux,  ce  qui 
le  fit  nommer  Jourdan  Coupe-Tête,  surnom  dont  il  se  glori- 
fiait. Les  bras  nus  et  couverts  de  sang  et  de  sueur,  il  se 
présentait  à  la  barre  de  la  Convention  pour  recueillir  de 
nouveaux  applaudissements.  Il  se  tenait  parfois  à  la  porte 
du  Comité  dit  de  Salut  public  pour  conduire  aux  diffé- 
rentes prisons  les  victimes  qui  périssaient  ensuite  dans  les 
massacres,  ou  que  l'on  envoyait  à  l'échafaud.En  les  remet- 
tant au  concierge,  il  lui  disait  tout  bas  :  «  Je  t'amène  du 
gibier  à  raccourcir.  » 

Il  avait  chaudement  servi  Robespierre  dans  les  terribles 
luttes  où  celui-ci  sortit  vainqueur  des  girondins,  d'Hébert, 


62  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

de  Danton  et  de  tous  les  adversaires,  et  il  devait  en 
recueillir  la  juste  récompense.  De  nombreuses  accusations 
vinrent  de  nouveau  peser  sur  sa  tête.  Dénoncé  comme 
fédéraliste,  comme  ayant  usurpé  à  prix  de  sang  des  biens 
nationaux,  il  fut  condamné  k  mort  par  ce  même  Comité 
de  salut  public  dont  il  avait  si  bien  exécuté  les  ordres.  Ce 
n'était  pas  la  première  fois  que  le  Comité  vouait  h  la  mort 
ses  complices  et  ses  bourreaux.  Jourdan  fut  exécuté  le 
17  mai  1794. 

Lacroix  et  Lebon. 

J.-P.  de  Lacroix  était  lié  de  la  plus  grande  intimité  avec 
Danton,  son  collègue  ;  ils  ne  s'occupaient  plus  ensemble 
que  de  jeu  et  de  plaisirs,  tandis  que  la  haine  et  l'ambition 
de  Robespierre  veillaient  toujours  pour  écraser  ses 
ennemis.  Ils  furent  arrêtés  ensemble,  conduits  à  la  prison 
du  Luxembourg  et  condamnés  h  mort  avec  Desmoulins, 
Hérault  de  Séchelles,  etc.,  etc. 

Lacroix  fut  exécuté  le  8  avril  1794. 

Joseph  Lebon  fut  l'un  de  ces  monstres  dont  la  nature  est 
heureusement  avare.  Envoyé  à  Arras  pour  y  mettre  à  exé- 
cution le  système  révolutionnaire  adopté  par  les  décem- 
virs,  cet  apostat  ne  fut  plus  qu'une  bête  féroce  altérée  de 
sang.  Il  lit  tout  à  la  fois  parade  d'apostasie,  de  libertinage, 
de  cruauté,  et  se  vanta  d'avoir  acquis  une  réputation 
incomparable  de  scélératesse  parmi  les  commissaires  de  la 
Convention.  Chaque  jour,  après  son  dîner,  il  se  plaçait  sur 
un  balcon,  et  assistait  au  supplice  de  ses  victimes.  Un  jour 
il  fit  suspendre  l'exécution  de  l'une  d'entre  elles,  déjà  liée 
sur  l'échafaud,  pour  lui  faire  donner  lecture  de  nouvelles 
qu'il  venait  de  recevoir  de  l'armée,  t  afin,  dit-il,  qu'elle 
allAt  annoncer  chez  les  morts  les  triomphes  de  la  répu- 
blique. »  Il  fit  placer  des  musiciens  près  de  l'échafaud,  et 


DE  1789  A  1800.  63 

ordonna  au  tribunal  qu'il  avait  formé  de  juger  tous  ceux 
qui  étaient  distingués  par  leurs  richesses,  leurs  vertns  ou 
leurs  talents.  Dans  les  spectacles,  il  publiait  la  loi  agraire, 
le  sabre  à  la  main,  et  excitait  le  peuple  au  meurtre  et  au 
pillage.  Décrété  d'accusation  le  17  juillet  179o,  il  fut  tra- 
duit au  tribunal  criminel  du  département  de  la  Somme  et 
y  fut  condamné  à  mort  le  6  octobre  de  la  même  année. 
Ivre  d'eau-de-vie  à  l'instant  où  on  le  conduisit  au  supplice, 
ce  misérable  avait  conservé  assez  de  présence  d'esprit  pour 
s'écrier,  lorsqu'on  le  revêtit  de  la  chemise  rouge  :  «  Ce 
n'est  pas  moi  qui  devrais  l'endosser;  il  faudrait  l'envoyer 
à  la  Convention,  dont  je  n'ai  fait  qu'exécuter  les  ordres.  » 
Il  n'était  encore  âgé  que  de  trente  ans. 

Robespierre. 

Robespierre  (Maximilien)  !  Ce  nom  rappelle  le  souvenir 
et  l'idée  de  tous  les  crimes  ;  notre  tâche  serait  trop  pénible 
si  nous  devions  les  détailler  tous  ici.  Pour  ne  pas  aÔaiblir, 
par  une  peinture  imparfaite,  l'horreur  qu'il  inspire,  nous 
nous  bornerons  à  retracer  le  châtiment  dont  Dieu  punit 
les  cruautés  de  cet  abominable  tyran. 

La  France  entière  inondée  de  sang,  toutes  ses  familles  en 
deuil,  tous  ses  citoyens  tremblants  dans  la  funeste  attente 
du  sort  qui  leur  était  réservé  :  telle  est,  en  peu  de  mots, 
l'histoire  du  règne  de  Robespierre.  Heureusement,  Dieu, 
qui  voulait  nous  châtier  et  non  pas  nous  anéantir,  ne  per- 
mit pas  qu'il  fût  d'une  longue  durée  ^ 

La  puissance  de  quelques-uns  de  ses  collègues  paraissait 
encore  un  obstacle  à  son  ambition;  il  osa  les  désigner  à  la 

*  Un  homme  infâme  avait  écrit  à  Robespierre  :  Ma  santé  se 
rétablit,  car  on  fusille  ici  deux  cents  Lyonnais  à  la  fois.  Ce  can- 
nibale fut  appelé  par  l'envoyé  de  la  Convention  à  des  fonctions 
pubiitiue?. 


Ci  LA  GRAME  RÉVOLUTION 

mort;  ceux-ci  se  réunirent  contre  un  péril  commun,  cl 
lorsque,  le  9  thermidor  (27  juillet  1794),  il  monta  ù  la  tri- 
bune pour  demander  six  victimes,  sa  voix  fut  étouffée  par 
mille  cris  :  A  bas  le  tyran  f  Décrété  d'accusation,  on  le  fit 
descendre  de  la  barre  avec  Saint-Just,  Couthon,  Robes- 
pierre le  jeune  et  Lebas.  Robespierre  fut  d'abord  conduit 
à  la  Conciergerie  ;  mais  la  terreur  qu'inspirait  son  nom 
était  telle  que  le  concierge  refusa  de  l'y  recevoir.  Il  put  so 
sauver  alors  à  rH(jtel-de-Ville.  Pendant  ce  temps,  et  aus- 
sitôt que  les  membre  de  la  Commune  eurent  appris  que  leur 
protecteur  était  arrêté,  ils  ordonnèrent  de  sonner  le  toc- 
sin et  ramassèrent  dans  les  rues  tous  ceux  qu'ils  trou- 
vèrent parmi  les  amis  du  tyran;  un  de  ses  satellites  courut 
à  bride  abattue  faire  fermer  les  portes  de  la  ville.  Henriot, 
commandant  de  la  garde  nationale,  et  qui  était  dans  un 
état  complet  d'ivresse,  réunit  quelques  canonniers  pour  les 
opposer  aux  sections  ;  mais  ils  refusèrent  de  faire  feu.  On 
dit  que  Robespierre,  assis  sur  un  fauteuil  dans  l'Hôtel-de- 
Ville  et  entouré  de  ses  adhérents,  refusa  de  marcher  contre 
la  Convention,  pour  ne  pas  être,  disait-il,  considéré  comme 
un  tyran  par  l'obligation  où  il  se  serait  trouvé  de  dis- 
soudre ce  corps  avec  la  force  armée.  Cependant  il  n'avait 
pas  écouté  ces  considérations  au  31  mai  1793  et  en  d'autres 
circonstances.  La  Convention  ayant  mis  hors  la  loi  ses 
partisans,  ceux-ci  se  découragèrent.  Un  détachement  des 
troupes  de  la  Convention  pénétra  dans  l'Hùtel-de-Ville. 
Robespierre  se  cacha  dans  un  coin  obscur;  ses  amis  firent 
en  vain  leurs  derniers  efforts  pour  le  sauver. 

Tout  est  ignominie  dans  les  derniers  instants  du  dicta- 
teur et  de  ses  complices.  Voici  quelques  traits  de  cette 
horrible  scène  décrite  par  M.  de  Conny  : 

t  Robespierre  est  au  fond  d'un  obscur  réduit  de  la  Com- 
mune. Transi  d'effroi,  il  voudrait  vivre  encore;  il  se  cache 
derrière  une  muraille.  Un  gendarme  pénètre  auprès  du 


DE  1789  A  1800.  65 

monstre  e*  lui  tire  un  coup  de  pistolet:  il  tombe  baigné 
dans  son  sang;  sa  mâchoire  est  fracassée,  mais  il  n'est  pas 
privé  de  la  vie... 

>  Robespierre  présenta  le  plus  hideux  spectacle  :  le  sang 
et  la  fange  couvraient  ses  vêtements  :  un  de  ses  yeux,  sorti 
de  son  orbite,  pendait  sur  sa  joue;  mille  malédictions 
qu'il  pouvait  entendre  retentissaient  autour  de  lui.  Un 
homme  s'approche,  le  contemple  quelques  instants  en 
silence,  et,  sans  lui  adresser  aucune  injure,  s'écrie  :  Oui, 
il  y  a  un  Dieu.  Enfin  le  dictateur  et  vingt  et  un  de  ses  com- 
plices sont  amenés  devant  le  tribunal  oîi  la  veille  encore 
ils  ont  envoyé  leurs  victimes.  A  quatre  heures,  il  sont 
traînés  au  supplice  aux  cris  d'un  peuple  ivre  de  joie.  Une 
foule  immense  remplissait  les  rues;  des  milliers  de 
familles  pleurant  des  victimes,  à  cette  grande  nouvelle, 
sortaient  de  leur  retraite,  on  pourrait  dire  de  leurs  tom- 
beaux. 

»  L'agonie  de  Robespierre  fut  épouvantable.  Au  milieu 
des  imprécations  exhalées  de  toutes  les  bouches,  on 
remarqua  le  trait  suivant  :  une  jeune  femme  traverse  la 
foule  et,  saisissant  un  des  barreaux  de  la  charrette,  lui  dit 
avec  l'expression  d'une  colère  qui  contrastait  avec  la  dou- 
ceur de  ses  traits  :  Monstre,  ton  supplice  m'enivre  de  joie. 
Que  ne  peux-tu  mourir  mille  fois  pour  une!  Descends  dans  la 
tombe  avec  toutes  les  malédictions  des  épouses  et  des  mères! 
Puis  elle  se  retire  en  poussant  des  cris  déchirants. 

*  Robespierre,  son  frère,  Couthon,  Saint-Just,  Henriot 
étaient  placés  sur  la  même  charrette. 

»  Henriot,  couvert  de  sang,  le  corps  presque  nu,  et 
ayant  un  œil  qui  ne  tenait  à  son  orbite  que  par  quelques 
filaments,  forçait  tous  les  regards  à  se  détourner.  Le 
peuple  l'apostrophait  et  faisait  entendre  mille  impréca- 
tions :  Le  voilà,  disait-il,  ce  monstre  tel  qu'il  sortit  de  Saint- 
Firmin,  après  avoir  égorgé  Us  prêtres.  Le  corps  de  Lebas, 


CG  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

qui  s'était  tué  d'un  coup  de  pistolet,  était  étendu  sur  la 
charrette.  Robespierre,  confus  et  abattu,  penchait  sur  sa 
poitrine  sa  tète  hideuse;  il  portait  l'habit  dont  il  était 
revêtu  le  jour  où  sa  bouche  sacrilège  osa  proclamer  l'exis- 
tence de  l'Etre  suprême.  Ce  rapprochement  rappela  à 
des  pensées  religieuses  cette  foule  qui  surgissait  de  toutes 
parts  :  la  puissance  de  Dieu  se  manifestait  dans  cet  in- 
stant avec  un  éclat  qui  confondait  l'incrédulité  huni;!ine. 

«  Les  derniers  moments  de  Robespierre  furent  terribles. 
Après  avoir  jeté  son  habit,  qui  était  croisé  sur  ses  épaules, 
le  bourreau  î'étendit  sur  la  planche  fatale  et  arracha  brus- 
quement l'appareil  mis  sur  sa  bouche  mutilée;  le  sang 
jaillit  alors,  la  mâchoire  inférieure  se  détacha  de  la 
mâchoire  supérieure,  et  la  tête  présenta  le  plus  hideux  de 
tous  les  aspects  *.  Le  général  Lavallelte,  le  président  des 
jacobins  Vitrier,  le  maire  de  Paris  Fleuriot,  l'affreux 
Simon  et  plusieurs  autres  furent  suppliciés  le  même  jour. 
La  frayeur  et  la  bassesse  siégeaient  sur  leurs  fronts  pâles 
et  livides,  un  mouvement  convulsif  agitait  leurs  membres; 
tous  entendirent  les  malédictions  de  la  génération  entière, 
et  moururent  de  mille  morts,  en  horreur  à  eux-mêmes  et 
chargés  d(3  l'exécration  des  siècles.  » 

Ainsi  périt,  le  28  juillet  1794,  du  supplice  du  talion, 

'  Robespierre  fut  tué  avec  cent  dix  de  ses  plus  ardents  secta- 
teurs, conventionnch,  jacobins  et  municipaux,  décapités  le  28,  le 
29  et  le  30  juillet  1794,  sans  aulnj  formalilé  que  de  mettre  leur 
nom  sur  leur  tigui'e  et  leur  tète  sous  la  hache.  Leur  propre  tri» 
bunal  révolutionnaire  lit  la  première  opération,  et  le  bourreau 
qui  exécutait  leurs  ordres  tit  la  dernière,  après  avoir  peudant 
dix-huit  mois  immolé  chaque  jour  soixante  et  soixante-dix 
victimes  de  leur  férocité,  il  les  immola  eux-mêmes,  en  atten- 
dant que  les  membres  du  tribunal  révolutionnaire  vinssent 
aussi  payer  par  ses  miius  leur  tribut  à  la  vengeance  ctleste. 
Tout,  dans  cette  moustrueuse  révolutiou,  devait  ollVir  des  mé- 
comptes et  des  phénomènes  imprévus. 


DE  1789  A  1800.  67 

et  d'une  mort  qui  portait  le  caractère  frappant  de  la 
divine  vengeance,  ce  Robespierre,  le  plus  redoutable  de 
tous  les  factieux  qui,  depuis  la  naissance  de  la  Révolution, 
s'étaient  nourris  du  sang  de  la  France.  Son  règne,  qui, 
par  la  marche  rapide  de  ses  crimes,  parut  avoir  duré  des 
siècles,  fut  à  peine  de  dix-huit  mois.  Après  s'être  montré 
tout  ce  temps  l'assassin  des  gens  de  bien,  le  tyran  de 
sa  patrie,  le  bourreau  de  ses  rivaux,  le  fléau  de  ses  com- 
plices, coupable  encore  de  régicide,  coupable  d';;  "iostasie, 
monstre  d'impiété,  pour  combler  tant  de  forfaits,  il  ne  lui 
restait  plus  qu'un  suicide  à  commettre:  le  scélérat  le  tenta, 
et,  dans  sa  volonté,  sa  mort,  digne  de  sa  vie,  fut  le  der- 
nier de  ses  crimes. 
On  lui  fit  l'épitaphe  suivante  : 

Passant,  ne  pleure  pas  son  sort; 
Car,  s'il  vivait,  tu  serais  mort*. 

Robespierre  le  jeune. 

Robespierre  le  jeune  (Augustin-Eenoît-Joseph)  était  né  à 
Arras,  en  1760,  dans  son  dur  laconisme,  son  frère  rappe- 
lait une  bête. 

'  Le  dénombrement  des  victimes  de  la  Terreur  a  été  fait  par 
Prudhomme,  célèbre  journaliste  de  la  Révolution,  6  vol. 

Les  morts  sont  ainsi  répartis  :  ci-devant  nobles,  i,278.  — 
Femmes  id.,  750.  —  Femmes  de  laboureurs  et  d'artisans,  1,467. 
—  Religieuses,  350.  —  Prêtres,  1,135.  —  Hommes  non  nobles 
de  divers  états,  13,633.  —  Femmes  mortes  de  frayeur  ou  par 
suites  de  couches  prématurées,  3,400.  —  Femmes  enceintes  et 
en  couches,  3i8.  —  Femmes  tuées  dans  la  Vendée,  15,000.  — 
Enfants  tués  dans  la  Vendée,  22,000.  —  Morts  dans  la  Vendée, 
900,000.  —  Victimes  sous  le  proconsulat  de  Carrier  à  Nantes, 
32.000.  —  Parmi  lesquelles  :  enfants  fusillés,  500.  —  Id.  noyés, 
1,500.  —  Femmes  fusillées,  204.  —  id.  noyées,  500.  —  Piètres 
fusillés,  300.  —  Id.  noyés,  460.  —  Nobles  noyés,  1,400.  — 
Artisans  noyés,  4,300.  —  Victimes  de  Lvon.  31.000.  —  Les 


68  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

L'admiration  de  Robespierre  le  jeune  pour  son  aîné 
allait  jusqu'au  délire.  C'est  assez  dire  qu'il  prit  part  à  tous 
ses  crimes.  Comme  lui,  il  jugea  qu'il  fallait  éloigner  sa 
sœur  de  Paris,  parce  que  celle-ci  avait  réclamé  auprès  de 
Maximilien  en  faveur  des  malheureux  habitants  d'Arras  et 
de  la  contrée,  que  le  cruel  Lebon  faisait  incarcérer,  guil- 
lotiner sous  les  plus  futiles  prétextes.  Voici  la  lettre  qu'à 
ce  sujet  il  écrivit  à  son  frère  : 

I  Ma  sœur  n'a  pas  une  seule  goutte  de  sang  qui  ressemble  au 
nôtre.  J'ai  appris  et  j'ai  vu  tant  de  choses  d'elle,  que  je  la 
regarde  comme  notre  plus  grande  ennemie.  Elle  abuse 
de  notre  réputation  sans  tache  pour  nous  faire  la  loi  et 
pour  nous  menacer  de  faire  une  démarche  scandaleuse, 
afin  de  nous  compromettre.  Il  faut  prendre  un  parti  décidé 
contre  elle.  Il  faut  la  faire  partir  pour  Arras  et  éloigner 
de  nous  une  femme  qui  fait  notre  désespoir  commun. 
Elle  voudrait  nous  donner  la  réputation  de  mauvais  frères  ; 
ses  calomnies  répandues  contre  nous  viennent  à  ce  but. 
Je  voudrais  que  tu  visses  la  citoyenne  Lasaudrie:  elle  le 
donnerait  des  renseignements  certains  sur  tous  les  masques 
qu'il  est  intéressant  de  connaître  en  ces  circonstances.  Un 
certain  Saint-Félix  parait  être  de  la  clique...  » 

A  son  retour  dans  la  capitale,  après  son  expédition  du 
Midi,  il  se  brouilla  avec  son  frère  par  les  intrigues  de 
Fouché,  mais  il  se  réconcilia  avec  lui  peu  de  jours  avant 
leur  chute  commune.  Lorsque,  le  27  juillet  1794,  Maximi- 
lien  fut  décrété  d'accusation,  Augustin  demanda  à  par- 
tager son  sort  comme  il  avait  partagé  ses  vertus. 

Roux. 

Jacques  Roux,  ayant  apostasie,  commença  à  prôner  les 
principes  du  jour,  et  se  lia  avec  les  démagogues  les  plus 

victimes  de  Toulon,  de  Marseille,  de  Versailles,  et  les  victimes  des 
2  et  3  septembre  ne  sont  pas  comprises  dans  ce  dôuombrement. 


DE  1789  A  1800.  €9 

exaltés,  dont  il  devint  l'émule:  il  se  qualifiait  de  prédica- 
teur des  sans-culottes.  Xommé  officier  de  la  Commune,  il  se 
distingua  parmi  ses  confrères  eux-mêmes  par  sa  haine  et 
sa  fureur  contre  la  cour  et  les  prêtres  insermentés. 

Il  fut  un  des  commissaires  chargés  de  la  police  du 
Temple,  et,  en  cette  qualité,  il  fit  souffrir  à  Louis  XVI  et  à 
sa  famille  toutes  sortes  de  cruautés.  Un  jour,  ce  prince, 
éprouvant  un  violent  mal  de  dents,  le  pria  de  lui  faire 
venir  un  dentiste.  «  Ce  n'est  pas  la  peine^  lui  répondit 
R.011X,  en  faisant  un  geste  qui  lui  indiquait  la  guillotine  ; 
dans  peu  vos  dents  seront  réparées.  >  Louis  ayant  ajouté  : 
«  Monsieur,  si  vous  éprouviez  les  douleurs  que  je  sens, 
vous  me  plaindriez.  —  Bah  !  bah!  reprit  le  farouche  muni- 
cipal, il  faut  s'accoutumer  à  tout.  » 

Ayant  été  choisi  quelque  temps  après  pour  accom- 
pagner le  roi  à  l'échafaud,  ce  prince  le  pria  de  remettre 
une  bague  à  la  reine  :  mais  Roux,  avec  sa  férocité  ordi- 
naire :  »  Je  ne  suis  chargé,  répondit-il,  que  de  vous  con- 
duire à  la  mort.  » 

Marat,  pour  gagner  de  plus  en  plus  la  faveur  du  peuple, 
l'avait  excité  à  piller  les  épiciers  de  Paris  le  26  février 
1793;  Roux  applaudit  aux  excès  de  cette  journée,  se 
vanta  d'être  le  Marat  de  la  municipalité,  et,  comme  digne 
prédicateur  des  sans-culottes,  il  prêchait  le  libertinage  et  le 
vol,  qui  étaient  déjà  devenus  les  vertus  du  jour.  La  section 
des  Piques  lui  retira  sa  confiance,  et  engagea  celle  des  Gra- 
villiers  à  censurer  sa  conduite.  Cependant  Roux  parut  à 
la  barre  de  la  Convention  pour  y  déclamer  encore,  au  nom 
de  la  section  des  Gravilliers,  un  discours  rempli  des  prin- 
cipes les  plus  odieux  et  des  préceptes  de  l'anarchie  la  plus 
complète.  Il  fut  néanmoins  désapprouvé  par  les  autres 
membres  de  la  députation;  Robespierre  lui-même  sembla 
êtie  indigné  du  discours  de  Roux,  et  il  fut  chassé  de  la 
barre. 


70  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

Ce  forcené  révolutionnaire,  tout  en  prêchant  le  désordre, 
n'oubliait  pas  sa  fortune,  ot  il  ne  l'acquérait  que  par  d(;s 
vexations  et  des  friponneries.  Ses  collègues  le  dénon- 
cèrent; n'ayant  pu  prouver  son  innocence,  il  fut  expulsé 
de  la  Commune  le  9  septembre  1793.  Tout  le  monde  alors 
se  déchaîna  contre  lui,  et  il  devint  odieux  à  toutes  les  fac- 
tions. Accusé  de  nouveau  sur  d'autres  crimes,  il  fut  tra- 
duit, le  15  janvier  1794,  devant  le  tribunal  de  police  cor- 
rectionnelle; mais  les  juges  déclarèrent  que  les  délits  de 
l'accusé  passaient  leur  compétence,  et  le  renvoyèrent  au 
tribunal  révolutionnaire.  A  peine  Roux  eut-il  entendu 
cette  décision  que,  ne  pouvant  ignorer  le  sort  qui  l'atten- 
dait, il  se  frappa  de  cinq  coups  de  couteau.  On  le  ramena 
aux  prisons  de  Bicètre,  où  il  mourut  quelques  jours  après. 

m"""  Roland. 

Manon-Jeanne  Philippon,  fdle  d'un  graveur,  était  née  à 
Paris  en  17o4.  C'était  une  femme  d'un  caractère  exalté  et 
ambitieux,  qui  devint  républicaine  dès  sa  plus  tendre  jeu- 
nesse, à  la  lecture  de  Plutarque.  Un  froid  déisme  remplaça 
chez  elle  la  foi  chrétienne.  Elle  épousa  Roland  en  17!.-0,  se 
servit  de  la  supériorité  de  son  esprit  pour  exercer  sur  lui  un 
ascendant  funeste  et  devint  la  conseillère  des  girondins*. 

*  Roland  de  la  Platii'Te  (Jean-Marie),  n6en  1732  à  Villefranchc, 
en  Beaujolais,  fut  iuspecteur  général  du  commerce  à  Amiens  et 
à  Lyon;  il  publia  en  1772  des  Lettres  adressées  à  celle  qui  fil 
plus  tard  sa  femme,  et  il  donna  en  1785  à  l'Encyclopédie  métho- 
dique le  Dictionnaire  des  7nanu factures.  Il  embrassa  avec  ardeur 
les  idées  de  la  Révolution,  et  établit  à  Lyon  un  club  aflilié  à 
celui  des  Jacobins.  Nommé  ministre  de  l'intérieur  eu  1792,  il 
soudoya  le  journal  la  Sentinelle,  qui  provoquait  le  renversement 
de  la  royauté.  Renvoyé  du  ministère  en  juin  1792,  il  y  rentra 
après  le  10  août,  et  donna  sa  démission  en  janvier  1793.  Pros- 
crit avec  les  girondins,  il  se  réfugia  à  Rouen  et  se  tua  près  de 
cette  ville  à  lu  nouvelle  de  laniort  de  sa  femme. 


DE  1789  A  1800.  71 

Ce.  fut  la  prise  de  la  Bastille  qui  décida  de  la  canière 
politique  de  M™*"  Roland,  et  qui  la  jeta  du  premier  bond  h 
la  tête  des  plus  fougueux  révolutionnaires.  Elle  écrivait,  le 
26  juillet,  à  son  ami  Bosc  : 

•  ...  Vous  vous  occupez  d'une  municipalité,  et  vous  lais- 
sez échapper  des  têtes  qui  vont  conjurer  de  nouvelles  hor- 
reurs. 

»  Vous  n'êtes  que  des  enfants,  votre  enthousiasme  n'est 
qu'un  feu  de  paille,  et  si  l'Assemblée  nationale  ne  fait  pas 
en  règle  le  procès  de  deux  têtes  illustres  ou  que  de  généreux 
Deciusne  les  abattent,  vous  êtes  f...  I 

>  Si  cette  lettre  ne  vous  parvient  pas,  que  les  lâches  qui 
la  liront  rougissent  en  apprenaiJ  que  c'est  d'une  femme, 
et  tremblent  en  songeant  qu'elle  peut  faire  cent  enthou- 
siastes, qui  en  feront  des  millions  d'autres.  » 

Ainsi,  du  premier  coup.  M"**  Roland  conseillait  l'assas- 
sinat du  roi  et  de  la  reine,  et  atteignait  le  style  tlu  Père 
Duchêne  ! 

Le  4  septembre,  elle  apprend  que  le  roi  s'est  noblement 
confié  à  l'Assemblée,  et  que  la  reine  lui  a  présenté  son  fils. 
Un  nouvel  accès  de  fureur  la  saisit,  et  elle  écrit  à  Bosc  : 

« ...  Les  Français  sont  aisés  h  gagner  par  les  belles  appa- 
rences de  leurs  maîtres,  et  je  suis  persuadée  que  la  moitié 
de  l'Assemblée  a  été  assez  bête  pour  s'attendrir  à  la  vue  d'An- 
toinette lui  recommandant  son  fils  l  Morbleu  t  c'est  bien  d'wi 
enfant  qu'il  s'agit  !  » 

Le  2  septembre  1792,  vingt-trois  jours  après  la  dé- 
chéance de  Louis  XVI,  la  Commune  de  Paris,  maîtresse  de 
la  France,  décernait  un  mandat  contre  Roland  pour  le 
faire  assassiner  dans  les  prisons,  tout  ministre  qu'il  était, 
et  M"^"  Roland,  malgré  les  fonctions  et  le  pouvoir  de  son 
mari,  en  était  réduite  à  n'oser  pas  coucher  au  ministère. 
Ses  yeux  s'ouvrirent  alors  sur  toutes  ses  fautes  passées,  et 


12  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

:icn  ne  saurait  égaler  le  désespoir  qui  vii.t  la  navrer; 
»roici  ses  paroles  : 

«  Quelle  Babylone  présenta  jamais  le  spectacle  de  ce 
Paris  souillé  de  sang  et  de  débauches,  gouverné  par  des 
magistrats  qui  font  profession  de  débiter  le  mensonge,  de 
vendre  la  calomnie,  de  préconiser  l'assassinat?  Quel 
peuple  a  jamais  corrompu  sa  morale  et  son  instinct  au 
point  de  contracter  le  besoin  de  voir  les  supplices,  de  fré- 
mir de  rage  quand  ils  sont  retardés,  et  d'être  toujours 
prêt  à  exercer  sa  férocité  sur  quiconque  entreprend  de 
l'adoucir  ou  de  la  calmer? 

»  Ce  qu'on  appelle,  dans  la  Convention,  la  Montagne  ne 
présente  que  des  brigands  vêtus  et  jurant  comme  les  gens 
du  port,  prêchant  le  meurtre  et  donnant  l'exemple  du  pil- 
lage. Un  peuple  nombreux  environne  le  palais  de  la  jus- 
tice, et  sa  fureur  éclate  contre  les  juges  qui  ne  prononcent 
pas  assez  vile  la  condamnation  de  l'innocence.  Les  pri- 
sons regorgent  d'hommes  en  place,  de  généraux,  de  fonc- 
tionnaires publics  et  d'individus  à  caractère,  qui  hono- 
raient l'humanité.  La  délation  est  reçue  comme  preuve  de 
civisme,  et  le  soin  de  rechercher  ou  de  détenir  les  gens  de 
bien  ou  les  personnes  riches,  fait  l'unique  fonction  d'ad- 
ministrateurs ignares  et  vils.  » 

Après  avoir  ainsi  trois  fois  quitté  l'hôtel  du  ministère 
pour  demander,  la  nuit,  asile  h  des  amis,  M"""  Roland  réu- 
nit tout  son  courage  et  toute  sa  dignité,  et  se  résigna  à 
être  assassinée  chez  elle. 

M'"''  Roland  fut  arrêtée  le  3i  mars  et  écrouée  à  l'Abbaye 
le  1"  juin  1793.  Sortie  de  l'Abbaye  le  23  juin,  elle  fut,  le 
mêmP!  jour  ar^'êtAp  He  nouveau  et  écrouée  à  Sainte-Pélap;ie. 
Elle  y  trouva  a-^-"  iAHion,  et  y  aemeui  '  insq^''i  Ui  fin  à  oc- 
tobre. Vers  le  18  de  ce  môme  mois,  le  désespoir  s'empara 
de  M"""  Roland,  et  elle  se  résolut  au  suicide. 

Le  18  brumaire  an  n  (8  novembre  1793),  elle  fut  coa- 


DE  1789  A  1800.  73 

diiite  au  tribunal  révolutionnaire  avec  Simon-François 
Lamarche,  directeur  de  la  fabrication  des  assignats,  ac- 
cusé de  s'être  rendu  aux    Tuileries,  auprès  du  roi,   le 

9  août. 

Lorsqu'elle  fut  arrivée  au  lieu  du  supplice,  M°=  Roland 
s'inclina  devant  la  statue  de  la  Liberté,  et  prononça  ceâ 
paroles  mémorables  :  0  Liberté,  que  de  crimes  on  commet  en 
ton  nom!  C'était  le  7  novembre,  vers  trois  heures. 

Cette  statue  de  la  Liberté  était  au  centre  de  la  place,  sur 
le  piédestal  mutilé  de  la  statue  de  Louis  XV,  brisée  le 

10  août  1792,  à  l'endroit  où  s'élève  aujourd'hui  l'obélisque. 
Le  Bulletin  du  tribunal  révolutionnaire  raconte  ainsi  la 

condamnation  et  la  mort  de  M™®  Roland  : 

«  Après  le  prononcé,  l'accusée  a  remercié  le  tribunal  du 
jugement  qu'il  venait  de  rendre  contre  elle. 

»  L'exécution  a  eu  lieu  le  lendemain,  vers  trois  heures 
de  relevée.  Le  long  de  la  route,  elle  s'entretenait  et  sem- 
blait plaisanter  avec  Lamarche,  son  camarade  de  voyage, 
qui  paraissait  beaucoup  plus  défait  qu'elle.  « 

Le  jour  où  elle  trouva  M°*  Pétion  à  Sainte-Pélagie, 
M™"  Roland  lui  avait  adressé  ces  mots  :  «  Je  ne  croyais 
guère,  lorsque  j'allais  à  la  mairie,  le  10  août  1792,  par- 
tager vos  inquiétudes,  que  nous  ferions  l'anniversaire  à 
Sainte-Pélagie,  et  que  la  chute  du  trône  préparait  notre 
disgrâce.  » 

Ces  paroles  sont  le  résumé  le  plus  précis  et  le  plus 
fidèle  de  la  politique  et  de  la  vie  des  girondins  '. 

*  M.  Alfred  Nettement  et  M.  Granier  de  Cassagnac  ont  établi 
la  vérité  sur  les  héros  de  la  Gironde,  que  le  gentilhomme  M.  de 
Lamartine  avait  cherché  à  rendre  intéressants  en  faisant  un  ro- 
man révolutionnaire,  au  lieu  décrire  une  histoire  sérieuse  et 
basée  sur  des  documents  authentiques. 

On  a  dit  de  M.  de  Lamartine  qu'effrayé  de  l'incendie  allumô 
par  ses  Girondins,  c'était  un  incendiaire  devenu  pompier. 


74  LA  GRANDE  RÉVOLUTIIW 

CHAPITRE  U. 

LOUIS   XVI    ET    SES    BOURHEÂUX. 


ILa  ConTentlon. 

Dcjîi  la  terreur  planait  dans  Paris  tombé  au  pouvoir  des 
démagogues;  fuyant  cette  ville,  qui  allait  être  souillée  du 
plus  grand  des  forfaits,  une  foule  de  familles  Cherchaient 
des  retraites  éloignées  et  solitaires. 

La  Convention  se  réunit  pour  délibérer  suï*  le  sort  du 
successeur  de  saint  Louis. 

Il  était  huit  heures  du  soif  lofsque  commeriçâ  l'appel 
funèbre.  Le  plus  grand  nombre  des  membres  présentèrent 
les  motifs  de  leurs  opinions,  inscrivant  eux-mêmes  le 
préambule  de  l'acte  d'accusation,  que  la  postérité  attachera 
à  leurs  noms  flétris.  L'appel  nominal  se  faisait  par  dépar* 
temcnt;  tous  les  députés  s'avançaient  à  la  fois  vers  la  tri- 
bune. Les  regards  restaient  attachés  siir  ces  hommes  :  ori 
interrogeait  leurs  traits,  on  scrutait  les  mouvements  de  leur 
physionomie  pour  connaître  quels  allaient  être  leurs  votes 
dans  cette  terrible  et  mémorable  circonstance.  Nulle  ex- 
pression ne  peut  peindre  l'épouvantable  tableau  que  pré- 
senta, pendant  cette  séance  de  vingt-quatre  heures,  ce 
sénat  de  régicides. 

Les  députés  de  la  Montagne  attendaient  impatiemment 
Vinstant  oii  ils  seraient  appelés;  les  cris  de  mort  rctcnlis- 
saient  avant  qu'ils  fussent  h  la  tribune;  leurs  physionomies 
iarouches,  leurs  regards  sinistres  offraient  une  décompd- 


DE  1789  A  1800.  7o 

sition  de  tous  les  traits  de  l'humanité;  on  avait  entendu 
l'arrêt  avant  qu'ils  le  prononçassent;  leurs  figures,  leurs 
yeux,  leurs  gestes  disaient  :  La  mort!  Et  quand  leurs 
bouches  articulaient  ce  mot  fatal,  c'était  avec  un  accent 
si  cruel,  que  ceux  des  spectateurs  qui  n'étaient  pas  sans 
entrailles  en  éprouvaient  des  frémissements  d'horreur. 
Quelques-uns  de  ces  hommes  donnaient  à  leurs  votes  une 
expression  de  cruauté  qu'ils  semblaient  avoir  étudiée; 
d'autres  l'accompagnaient,  en  regardant  la  Montagne, 
des  éclats  d'un  rire  stupide  et  barbare.  Barrère  s'écria  : 
€  L'arbre  de  la  liberté  ne  peut  croître  qu'arrosé  du  sang 
des  despotes.  »  »  Je  suis  d'avis,  s'écria  un  de  ces  canni- 
bales, que  Louis  Capet  soit  pendu  cette  nuit.  »  Croira-t-on 
qu'une  bouche  humaine  ait  pu  prononcer  ces  mots  :  Que 
le  cadavre  de  Louis  soit  déchiré  et  distribué  dans  tous  les 
départeinentst... 

Quelques  membres  marchaient  lentement  vers  la  tri* 
bune;  leurs  visages,  rendus  plus  sombres  par  la  pâle 
clarté,  semblaient  être  le  sinistre  avertissement  du  mot 
terrible  qu'ils  allaient  faire  entendre.  D'une  voix  lente  et 
sépulcrale  ils  ne  prononçaient  que  ce  mot  :  La  mort  I  Ces 
voix  qui  lentement  se  succédaient  en  répétant  ce  cri 
funèbre  retentissaient  sous  ces  voûtes,  et  imprimaient  à 
cet  assassinat  un  caractère  d'horreur  qu'il  est  impossible 
de  décrire;  on  remarqua  parmi  ces  hommes  Treilhard, 
Merlin  de  Douai,  Garnot;  Siéyès,  lâche  et  cruel  sophiste, 
ajouta  avec  une  froide  ironie  :  La  mort,  et  sans  phrases. 

D'autres  membres  s'avançaient  vers  la  tribune,  fixant 
autour  d'eux  des  regards  inquiets  et  tremblants;  leur 
démarche  était  mal  assurée,  leurs  voix  pouvaient  à  peino 
arracher  de  leurs  poitrines  le  mot  terrible  de  mort;  ils 
s'éloignaient,  l'œil  fixé  vers  la  terre,  et  retournaient  s'as- 
seoir sur  leurs  sièges.  Tristes  et  abattus,  déjà  ils  sem- 
blaient être  pour  eux-mêmes  un  objet  d'horreur;  le  fana- 


76  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

tisme,  l'ambition,  la  peur,  ce  misérable  et  honteux  sen- 
timent, entraînaient  ces  hommes  vers  le  plus  grand  des 
forfaits  *. 

Plus  de  vingt-quatre  heures  s'étaient  écoulées  depuis 
qu'avait  commencé  ce  lugubre  appel  nominal;  le  prési- 
dent annonce  qu'il  va  proclamer  le  résultat  du  scrutin  : 

€  Citoyens,  dit  Vergniaud  d'une  voix  émue  et  trem- 
blante, j'espère  que  l'humanité  vous  engagera  à  garder 
le  plus  profond  silence...  L'assemblée  est  composée  de 
sept  cent  quarante-neuf  membres;  quinze  membres  se  sont 
trouvés  absents  par  commission,  sept  par  maladie,  un 
sans  cause,  cinq  non  votants  :  en  tout  vingt-huit.  Le  nombre 
restant  est  de  sept  cent  vingt-un.  La  majorité  absolue  est 
de  trois  cent  soixante-un. 

»  Deux  ont  voté  pour  les  fers  ;  deux  cent  quatre-vingt-six 
pour  la  détention  et  le  bannissement  à  la  paix,  ou  pour  le 
bannissement  immédiat,  ou  pour  la  réclusion,  et  quelques- 
uns  y  ont  ajouté  la  peine  de  mort  conditionnellement,  si  le 
territoire  était  envahi;  quarante-six  la  mort  avec  sursis, 
soit  après  l'expulsion  des  Bourbons,  soit  à  la  paix,  soit  à 
la  ratification  de  la  constitution. 

>  Trois  cent  soixante-un  ont  voté  pour  la  mort;  vingt-six 
pour  la  mort,  en  demandant  une  discussion  sur  le  point  de 
savoir  s'il  conviendrait  à  l'intérêt  public  qu'elle  fût  ou  non 

*  Quand  on  interrogea  Louis  XVI,  les  tourments  du  crime  se 
peignaient  sur  le  visage  des  accusateurs  du  roi;  le  calme  de  la 
vertu  était  empreint  sur  tous  les  traits  de  l'auguste  victime. 
Vainement  ces  hommes  unirent  leurs  efTorts  pour  provoquer  le 
ressentiment  du  monarque  par  des  questions  dès  longtemps 
préparées  avec  la  plus  odieuse  perversité.  Dans  une  situation  si 
extraordinaire,  toutes  les  réponses  de  Louis  XVI  portent  l'em- 
preinte d'une  tranquillité  d'àme  qui  laisse  à  son  esprit  toute  sa 
puissance;  le  royal  captif  conserva  jusqu'au  dernier  instant 
celte  candeur  du  juste,  cette  sérénité  de  la  vertu,  que  les  fureur» 
des  hommes  ne  purent  jamais  troubler. 


DE  1789  A  1900.  77 

différée,  et  en  déclarant  leur  vote  indépendant  de  cette  de» 
mande. 

»  Ainsi,  pour  la  mort  sans  condition,  trois  cent  quatre- 
vingt-sept;  pour  la  détention,  etc.,  ou  la  mort  condition- 
nelle, trois  cent  trente-quatre. 

»  Je  déclare,  au  nom  de  la  Convention  nationale,  que  la 
peine  qu'elle  prononce  contre  Louis  Capet  est  celle  de  la 
mort.  » 

A  l'instant  où  cet  exécrable  arrêt  fut  prononcé,  une  im- 
mobilité qui  avait  quelque  chose  de  stupide  régna  dans 
l'assemblée  ;  toutes  les  voix  étaient  glacées  :  on  put  remar- 
quer le  silence  de  la  honte  et  de  l'horreur,  ce  silence  con- 
vulsif  que  l'on  retrouve  dans  les  plus  infâmes  scélérats,  à 
l'instant  où  ils  viennent  de  consommer  un  grand  crime. 

Dans  l'accablement  de  la  plus  vive  douleur,  Malesherbes 
se  rend  à  la  porte  du  Temple:  il  se  jette  aux  pieds  de  l'au- 
guste victime;  ses  sanglots  lui  annoncent  son  arrêt.  Le  roi 
le  reçoit  avec  la  sérénité  du  juste  :  c'est  Louis  qui  console 
Malesherbes;  il  le  presse  contre  son  cœur  et  fortifie  son 
âme  abattue.  Cette  héroïque  résignation  n'abandonna  pas 
un  seul  instant  l'infortuné  monarque;  elle  lui  avait  dicté, 
alors  même  que  son  sort  était  incertain,  ce  testament 
sublime,  monument  immortel  des  vertus  du  roi-martyr. 
Le  monarque,  en  se  séparant  de  Malesherbes,  lui  recom- 
manda de  revenir.  Pendant  deux  jours  il  l'attendit,  mais  il 
ne  devait  plus  le  revoir  :  l'exécrable  Commune  avait  pres- 
crit que  l'entrée  du  Temple  serait  interdite  aux  défenseurs 
du  roi. 

La  Convention  avait  approuvé  tout  ce  que  la  Commune 
proposait  de  barbare.  Le  roi  n'eut  plus  la  consolation 
d'embrasser  le  fidèle  vieillard  qu'il  appelait  son  ami;  plu- 
sieurs fois  il  répéta  à  Cléry  :  La  douleur  de  ce  bon  M.  de 
Malesherbes  via  vivement  ému...  Tout- à-coup  un  bruit 
sinistre  se  fait  entendre  :  un  nombreux  cortège  est  intro- 


78  LA  GRANDE  BÉVOLUTION 

duit  dans  la  tour  du  Temple.  Garât  marche  à  sa  tête. 

L'homme  qui  osa  légitimor,  par  le  droit  de  l'insurrection,  les 
massacres  de  septembre,  vient  lire  à  son  roi  son  arrêt  de 
mort;  il  s'avance,  le  chapeau  sur  la  tête.  Lebrun,  ministre 
des  affaires  étrangères,  Monge,  Clavière  et  Grouvel,  secré- 
taire du  conseil,  sont  auprès  de  Garât.  Quelques  assassins 
de  septembre  forment  leur  escorte.  Le  roi  écoute  la  lecture 
de  sa  condamnation  avec  le  calme  de  la  vertu  ;  son  visage 
est  serein,  sa  pensée  est  vers  les  cieux.  Garât  fixe  ses  yeux 
sur  lui,  il  est  troublé  ;  les  regards  du  monarque  ont  fait 
pâlir  l'envoyé  des  régicides.  Louis  XVI  tient  h  la  main  un 
papier  qu'il  adresse  à  Garât,  en  lui  disant  :  Je  vous  prie. 
Monsieur,  de  remettre  sur-le-champ  ce  papier  à  la  Convention. 

Il  est  des  instants  oiî  l'âme  découvre  tout  ce  qu'elle  a  de 
plus  abject.  Garât  hésite  à  recevoir  cet  écrit  ;  il  n'en  a  point 
reçu  la  permission  des  bourreaux  dont  il  est  le  ministre. 

«  Je  vais  vous  faire  lecture  de  ce  papier,  »  lui  dit  alors 
le  roi.  Il  était  conçu  en  ces  termes  : 

«  Je  demande  un  délai  de  trois  jours  pour  pouvoir  me 
préparer  à  paraître  devant  Dieu;  je  demande  pour  cela  de 
pouvoir  voir  la  personne  que  j'indiquerai  aux  commissaires 
de  la  Commune,  et  que  cette  personne  soit  k  l'abri  de  toute 
crainte  et  de  toute  inquiétude  pour  cet  acte  de  chavilé 
qu'elle  remplira  auprès  de  moi.  Je  demande  h  être  délivré 
de  la  surveillance  perpétuelle  que  le  conseil  général  a  éta- 
blie depuis  quelques  jours.  Je  demande  à  pouvoir  voir  ma 
famille  dans  cet  intervalle,  quand  je  le  demanderai,  et  sans 
témoin.  Je  désirerais  bien  que  la  Convention  nationale 
s'occupât  tout  de  suite  du  sort  de  ma  famille,  et  qu'elle  lui 
permît  de  se  retirer  librement  où  elle  le  jugerait  à  propos. 
Je  recommande  à  la  bienfaisance  de  la  nation  toutes  les 
personnes  qui  m'étaient  attachées.  Il  y  en  a  beaucoup  qui 
avaient  mis  toute  leur  forluue  dans  leurs  charges,  et  qui, 
n'ayant  plus  d'appointements,  doivent  être  dans  le  besoin, 


DE  1789  A  1800.  70 

9t  même  de  celles  qui  ne  vivaient  qae  de  leurs  appointe» 
ments.  Dans  les  pensionnaires,  il  y  a  beaucoup  de  vieiliards, 
de  femmes  et  d'enfants,  qui  n'avaient  que  cela  pour  viwe.  » 
Le  roi  prononra  ces  paroles  avec  un  calme  plein  de 
noblesse.  Garât  alla  annoncer  à  l'assemblée  régicide  qu'il 
avait  rempli  sa  mission.  Par  la  cruauté  la  plus  dérisoire, 
elle  décréta  que  Garât  répondrait  à  Louis  que  la  nation 
française,  toujours  grande,  toujours  juste,  s'occuperait  du 
sort  de  sa  famille.  Et  déjà  ces  hommes  demandaient 
à  grands  cris  le  sang  de  la  reine:  déjà  ils  méditaient 
d'arracher  la  vie,  par  le  supplice  le  plus  lent  et  le  plus 
cruel,  au  jeune  prince  héritier  du  trône'. 

Si  l'on  veut  avoir  un  témoignage  frappant  de  la  rési- 
gnation avec  laquelle  Louis  reçut  l'annonce  de  sa  condam- 
nation à  la  mort,  voici  ce  qu'a  raconté  à  ce  sujet  un 
homme  qui  ne  peut  pas  paraître  suspect  :  c'est  cet  exé- 
crable Hébert,  surnommé  le  Père  Dtichéney  qui  était  alors 
substitut  du  procureur  de  la  Commune  : 

«  Je  voulus  être  du  nombre  de  ceux  qui  devaient  être 
présents  à  la  lecture  de  l'arrêt  de  mort  de  Louis.  Il  écouta 
avec  un  sang- froid  rare  la  lecture  de  ce  jugement.  Lors- 
qu'elle  fut  achevée,  il  demanda  sa  famille,  un  confesseur, 
enfin  tout  ce  qui  pouvait  lui  être  de  quelque  soulagement  à 
son  heure  dernière.  Il  mit  tant  d'onction,  de  dignité,  de 
noblesse,  de  grandeur  dans  son  maintien  et  dans  ses  paroles, 
que  je  ne  pus  y  tenir.  Des  pleurs  de  rage  vinrent  mouiller 
mes  paupières.  Il  avait  dans  ses  regards  et  dans  ses  manières 
qutlque  chose  de  visiblement  surnaturel  à  l'homme.  Je  me  reli- 

*  Nous  engageons  nos  lecteurs  à  lire  VHistoire  de  Loxiis  XVII, 
par  M.  de  Beauchênes.  Avant  d'avoir  parcouru  ces  pages  san- 
glantes, on  ne  peut  se  figurer  à  quel  degré  de  cynisme  et  de 
cruauté  peut  arriver  la  nature  humaine  livrée  à  l'esprit  révolu- 
tionnaire. 


80  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

rai  en  voulant  retenir  mes  larmes,  qui  coulaient  malgré 
moi,  et  bien  résolu  de  tlnir  \h.  mon  ministère.  Je  m'en 
ouvris  à  un  de  mes  collègues  qui  n'avait  pas  plus  de  fer- 
meté que  moi  pour  le  continuer,  et  je  lui  dis  avec  ma  fran- 
chise ordinaire  :  «  Mon  ami,  les  prêtres  membres  de  la 
»  Convention,  en  votant  pour  la  mort,  quoique  la  sainteté 

•  de  leur  caractère  le  leur  défendit,  ont  formé  la  majorité 

•  qui  nous  délivre  du  tyran.  Eh  bien!  que  ce  soient  aussi 
»  des  prêtres  constitutionnels  qui  le  conduisent  à  l'écha- 
»  faud.  Des  prêtres  constitutionnels  ont  seuls  assez  de 
»  férocité  pour  remplir  un  tel  emploi.  »  Nous  fîmes  en  effet 
décider,  mon  collègue  et  moi,  que  ce  seraient  les  deux 
prêtres  municipaux,  Jacques  Roux  et  Pierre  Bernard,  qui 
conduiraient  Louis  à  la  mort,  et  l'on  sait  qu'ils  s'acquit- 
tèrent de  cette  fonction  avec  l'insensibilité  des  bêtes 
féroces'.  » 

Ce  n'est  qu'en  frémissant  que  nous  avons  transcrit  ces 
lignes,  qui  confirment  cet  adage  latin  si  connu  :  Corruptio 
optimi  pessima.  La  chute  est  toujours  en  rapport  avec  le 
degré  où  l'on  est  élevé.  On  lit  dans  les  Révélations  de  sainte 
Brigitte,  au  sujet  des  mauvais  prêtres  et  des  supplices  qui 
les  attendent  s'ils  meurent  dans  l'impénitence,  ces  pa- 
roles :  Vx  talibus,  quod  unqiiani  nati  fuerint^  ipsi  euim 
profundius  cadunt  in  infernum,  quant  aliquis  alius.  (Lib.  IV, 
eap.  133.) 

Le   91    janvier. 

La  nuit  qui  précéda  la  journée  du  21  janvier  avait  été 
pluvieuse  et  sombre  ;  le  bruit  des  tambours,  qui  sans  re- 
lâche avaient  battu  la  générale  dans  tous  les  quartiers, 
arracha  de  leurs  domiciles  le  plus  grand  nombre  des  habi- 
tants; la  terreur  ne  fut  jamais  plus  profonde.  Les  meur- 

•  Histûire  de  h  Conjuration  de  Philippe  d'Orléans, 


DE  1789  A  1800.  81 

triers  du  roi  avaient  répandu  dans  tous  les  faubourgs  des 
satellites  qui  faisaient  entendre  d'horribles  vociférations. 
Ils  armaient  la  population  pour  la  placer  sous  les  ordres 
des  licteurs  et  enchaîner  son  désespoir:  l'arme  tremblante 
semblait  échapper  des  mains  de  ces  malheureux.  Des 
pleurs  roulaient  dans  leurs  yeux;  mais  ce  n'était  point  des 
larmes,  c'était  le  sang  des  meurtriers  de  Louis  XVI  qu'il 
fallait  verser.  Le  plus  saint  des  devoirs  ordonnait  de  dis- 
perser cette  horde  féroce,  qui,  sous  le  nom  de  Convention, 
prescrivait  le  plus  affreux  des  attentats. 

Le  21  janvier,  le  ciel  fut  encore  plus  sombre  ;  on  eût  dit 
que  la  lumière  du  jour  refusait  d'éclairer  le  plus  abomi- 
nable des  forfaits.  Paris  présentait  un  aspect  horrible  ;  la 
douleur  muette,  selon  l'énergique  mot  de  Tacite,  se  prome- 
nait dans  cette  ville,  et  la  terreur,  qui  enchaîne  l'ex- 
pression de  tous  les  sentiments,  était  gravée  sur  le  front 
des  habitants.  Toutes  les  maisons,  tous  les  magasins  étaient 
fermés.  Ce  n'était  plus  l'agitation  d'une  grande  ville;  des 
patrouilles  silencieuses  circulaient  dans  les  rues,  presque 
entièrement  désertes.  Les  femmes,  les  enfants  s'étaient 
retirés  dans  les  appartements  les  plus  solitaires  de  leurs 
maisons,  accablés  dans  leurs  pensives  douleurs,  et  atten- 
dant l'instant  fatal  avec  un  saisissement  mortel  ;  la  dernière 
heure  de  tous  semblait  être  venue. 

Santerre  fut  l'ordonnateur  de  cet  affreux  cortège;  les 
assassins  de  septembre  traînaient  en  avant  et  sur  les  der- 
rières des  canons  avec  un  fracas  épouvantable.  A  neuf 
heures,  le  roi  sortit  du  Temple,  M.  l'abbé  de  Firmont  se 
plaça  auprès  de  lui  dans  la  voiture.  Deux  hommes  vêtus 
en  gendarmes  se  mirent  sur  le  devant;  leurs  regards 
sinistres,  leurs  gestes  féroces  annonçaient  assez  qu'ils 
avaient  ordre  de  tuer  le  roi  si  quelques  mouvements  s'exé- 
cutaient pour  l'arracher  de  leurs  mains.  Pendant  cette 
lente  et  funèbre  marche,  le  roi  eut  constamment  les  yeux 

4* 


82  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

fixés  sur  un  livre  de  prières  que  lui  avait  donné  M.  l'abbé 
de  Firmont. 

Arrivé  sur  l'échafaud,  le  roi,  se  tournant  vers  le  Château 
des  Tuileries,  fixe  ses  yeux  sur  le  peuple  :  son  regard  est 
plein  de  noblesse;  d'une  voix  ferme  et  touchante,  il  pro- 
nonce ces  mots  :  Français,  je  meurs  innocent;  je  pardonné 
aux  auteurs  de  mn  mort:  je  prie  Dieu  que  le  sang  que  vous  allez 
répandre  ne  retombe  jamais  sur  la  France;  je  désire  que  ma 
viort...  Il  allait  continuer,  lorsque  Santerre  se  précipite 
avec  fureur  vers  les  tambours;  d'horribles  roulements 
étouffent  sa  voix.  Les  bourreaux  saisissent  la  noble  victime; 
c'est  dans  cet  instant  que  son  confesseur  lui  adresse  ces 
paroles  sublimes  :  Fils  de  saint  Louis,  montez  au  ciel  t  Le 
plus  épouvantable  de  tous  les  attentats  est  consommé l!l 

Le  bourreau  montre  au  peuple  la  tête  ensanglantée  de 
Louis  XVI,  et  crie  :  Vive  la  nation^  t  Le  plus  morne  silence 
régna  d'abord;  ce  ne  fut  que  quelques  instants  après  quç 
d'effroyables  clameurs  se  tirent  entendre*. 

*  Sanson,  qui  présidait  au  supplice  de  Louis  XVI,  ne  prit  au- 
cune part  active  à  l'exécution.  Né  en  1740,  d'une  famille  vouée 
depuis  deux  siècles  au  métier  de  bourreau,  son  caractère  con- 
trastait étrangement,  par  sa  douceur  et  sa  piété,  avec  d'aussi 
Horribles  fonctions;  il  fallut  qu'il  se  fit  violence  pour  les  rem- 
plir près  de  Louis  XVI.  Cet  atroce  spectacle  fit  sur  lui  une  si  vive 
.mpression,  qu'il  en  mourut  six  mois  après  dans  les  regrets  les 
plus  amers  d'avoir  concouru,  quoique  indirectement,  à  un  si 
déplorable  événement.  Parmi  ses  dispositions  testamentaires,  il 
voulut  qu'une  messe  d'expiation  fût  dite,  à  ses  frais,  tous  les  ans, 
le  21  janvier,  pour  le  repos  de  l'ûme  de  Louis  XVI.  Sa  pieuse  iu  • 
tention  fut  fidèlement  remplie,  dans  l'église  de  Saint-Laurent, 
|usqu'en  1840,  époque  de  la  mort  du  lils  de  Sanson.  Pendant 
vingt  ans,  il  n'y  eut  pas  en  France  d'autres  cérémonies  expia* 
toires  ;  la  première  protestation  fut  celle  du  bourreau. 

(L'abbé  DAnnAs.) 

'  Nous  transcrivons  ici  un  passage  de  la  lettre  de  l'abbé  de 
Pirmont  : 


DE  1789  A  1800.  83 

L'assemblée  régicide,  réunie  plusieurs  heures  avant 
l'exécution  qu'elle  avait  ordonnée,  attendait  impatiemment 
l'instant  où  elle  apprendrait  que  Louis  XVI  n'était  plus. 
Les  cris  des  assassins  de  septembre,  qui  entouraient  l'écha- 


«  Aussitôt  que  j'eus  entendu  le  coup  fatal,  je  me  prosternai 
à  genoux  et  je  restai  dans  cette  position  jusqu'au  moment  où 
l'infâme  scélérat  qui  avait  joué  le  premier  rôle  de  celte  tragédie 
vint  avec  des  cris  de  joie  pour  montrer  à  la  populace ...  et  m'ar- 
rosa de  son  sang.  Je  pensai  qu'il  était  temps  de  m'èloigner  de 
l'échafaud;  mais,  jetant  les  yeux  autour  de  moi,  je  me  vis 
cerné  par  vingt  ou  ti'ente  mille  hommes  armés;  et  vouloir 
percer  cette  foule  me  semblait  une  extravagance.  Cependant, 
comme  il  fallait  prendre  ce  parti,  ou,  en  restant,  paraître  par- 
tager le  délire  de  la  multitude,  je  recommandai  mon  âme  à 
Dieu,  et  me  diiùgeai  vers  le  côté  où  les  rangs  me  semblaient 
être  moins  épais.  Tous  les  regards  étaient  fixés  sur  moi;  mais, 
à  ma  grande  surprise,  quand  j'eus  gagné  le  premier  rang,  je 
ne  trouvai  plus  aucune  résistance;  le  second  s'ouvrit  de  même, 
et  lorsque  j'aiTivai  au  quatrième  ou  au  cinquième,  on  ne  fit  plus 
à  moi  la  moindre  attention.  On  m'avait  défendu  de  prendi'e 
aucun  des  vêtements  de  mon  état;  je  n'avais  qu'une  mauvaise 
redingote  :  je  me  trouvai  bientôt  confondu  dans  cette  foule 
immense  comme  si  j'eusse  été  un  simple  spectateur  de  cette 
affreuse  scène,  qui  sera  à  jamais  le  deuil  et  l'opprobre  de  la 
France. 

»  Etonné  de  vivre  encore  et  d'être  libre,  mon  premier  soin 
fut  d'aller  chez  M.  de  Malesherbes ,  pour  qui  le  roi  m'avait 
chargé  du  phis  important  message.  Je  trouvai  ce  respectable  et 
malheureux  vieillard  baigné  dans  ses  larmes;  le  récit  que  je 
lui  fis  ne  servit  pas  à  les  sécher,  comme  vous  pouvez  le  croire. 
Mais  oubliant  ses  propres  malheurs,  et  voulant  bien  s'occuper 
des  dangers  dont  il  croyait  que  j'étais  à  l'instant  même  menacé: 
n  Fuyez,  me  dit-il,  mon  cher  monsieur,  cette  terre  d'horreur 
))  et  les  tigres  qui  y  sont  déchaînés;  jamais,  non,  jamais  ils  ne 
»  vous  pardonneront  l'attachement  que  vous  avez  montré  pour 
»  le  plus  infortuné  des  rois,  et  le  devoir  que  vous  avez  rempli 
»  aujourd'hui  est  un  crime  qu'ils  voudront  venger  tôt  ou  tard. 
»  Moi-même,  quoique  je  me  sois  moins  exposé  que  vous  à  leur 
»  furie,  j'ai  le  projet  de  me  retirer,  sans  plus  tarder,  à  ma 


84 


LA    GRANDE    RÉVOLUTION 


faud,  retentissent  jusque  dans  l'antre  conventionnel.  Les 
députés  de  la  Montagne  s'agitent  sur  leurs  bancs,  et 
unissent  leurs  clameurs  à  celles  de  leurs  complices.  Jamais 
leurs  regards  ne  furent  plus  farouches;  ils  les  fixent  avec 
l'expression  d'une  joie  sombre  et  féroce  sur  les  députés  de 
la  Gironde.  Ce  fut  dans  ce  moment  que  la  Convention  en- 
tière se  leva  et  fit  entendre  les  vociférations  dont  le  signal 
fut  donné  par  le  bourreau  lorsqu'il  montra  au  peuple  la 
tête  ensanglantée  du  roi. 

Une  sombre  pâleur  était  empreinte  sur  les  traits  décom- 
posés de  plusieurs  membres  de  la  Convention.  Vergniaud 
paraissait  abattu,  il  avait  presque  perdu  l'usage  de  la  voix; 
une  fièvre  ardente  l'avait  agité  pendant  toute  la  nuit.  Il  ra- 
conta à  un  de  ses  amis  que  l'image  sanglante  du  roi, 
comme  un  affreux  spectre,  avait  troublé  son  âme  et  égaré 
sa  raison;  un  poids  accablant  semblait  l'oppresser. 

Lorsque  l'attentat  eut  été  consommé,  cette  multitude  qui 
couvrait  la  place  s'éloigna  tout-à-coup,  agitée  par  une 
sombre  terreur;  on  ne  se  parlait  pas,  chacun  marchait  la 
tête  baissée,  et  dans  l'accablement  de  la  douleur,  retour- 
nait vers  son  habitation  pour  pleurer  avec  sa  famille. 

Durant  cette  épouvantable  journée,  la  stupeur  seule 
sembla  habiter  Paris;  le  silence  le  plus  lugubre  régnait 
dans  les  places,  et  n'était  interrompu  que  par  le  passage 
de  quelques  hordes  de  cannibales,  leurs  chants  funèbres, 
leurs  danses  barbares  portaient  l'effroi  jusqu'au  fond  de 

»  terre;  mais  vous,  mon  cher  monsieur,  ce  n'est  pas  seulement 
»  Paris,  c'est  la  France  entière  qu'il  faut  quitter,  car  il  n'y  a 
»  pas  un  coin  où  vous  puissiez  être  en  sûreté.  » 

Ce  fut  dans  ce  moment  que  M.  de  Malesherbes  transporté 
d  une  douleur  et  d'une  indignation  qu'il  est  impossible  d'expri- 
m(M',  parla  sur  la  Révolution  avec  une  éloquence  sublime. 
«  Vous  auriez  cru,  dit  l'abbé  Edgeworth,  entendre  Purke  lui- 
même.  » 


DE  1789  A  1800.  83 

l'âme;  elles  poursuivaient  de  leurs  rugissements  les  pai- 
sibles habitants,  qui  fuyaient  à  leur  approche. 

La  mort  de  Louis  XVI  frappa  la  France  de  stupeur,  et  le 
tableau  que  nous  avons  tracé  de  Paris  fut  celui  que  présen- 
tèrent toutes  les  villes  du  royaume  lorsque  cet  exécrable 
attentat  fat  connu.  Une  consternation  universelle  se  répan- 
dit de  Paris  dans  les  provinces  les  plus  reculées,  et,  dans 
ce  jour  affreux,  il  n'y  eut  de  calme  et  de  serein  que  le  front 
de  la  royale  victime.  Les  soldats  firent  éclater  dans  les 
camps  la  plus  s^Mnbre  douleur  :  ils  refusaient  de  croire  que 
le  roi  de  France  eût  péri  sur  l'échafaud  '. 

L'effet  produit  par  la  nouvelle  de  l'exécution  de  Louis  XVI 
dans  toute  l'Europe  fut  inexprimable.  Pie  VI  fit  célébrer 
à  Rome  un  service  solennel  pour  le  repos  de  l'âme  de 
l'infortuné  monarque  ;  il  rassembla  les  cardinaux  en  con- 
sistoire :  «  Pourquoi,  leur  dit-il,  les  larmes  et  les  sanglots 
n'interrompent-ils  pas  mes  paroles?  Ne  sont-ce  pas  les  gé- 

*  11  est  mort  dernièrement,  dans  les  environs  de  Bouchain,  un 
vieillard  de  plus  de  quatre-vingt-dix  ans,  le  nommé  Hotelard, 
qui  devait  à  une  particularité  singulière  le  surnom  de  Trembleur. 
Cet  homme,  qui  était  perruquier  de  son  état,  s'était  jadis  engagé 
comme  volontaire  dans  les  armées  de  la  première  République, 
où  il  avait  longtemps  exercé  les  fonctions  de  tambour. 

Le  21  janvier  i'i93,  il  était  de  service,  place  de  la  Révolution, 
et  assista  à  l'exécution  de  Louis  XVI.  Il  fit  ainsi  partie  du  peloton 
de  tambours  dont  le  roulement,  sur  l'ordre  de  Santerre,  couvrit 
la  voix  du  roi  lorsque  celui-ci,  du  haut  de  l'échafaud,  voulut 
haranguer  le  peuple.  Hotelard  avait  conservé  de  ces  scènes 
émouvantes  un  souvenir  tellement  puissant,  une  impression  si 
violente,  qu'il  ne  pouvait  en  parler  sans  être  saisi  d'une  sorte 
de  tressaillement  nerveux,  bientôt  suivi  d'un  violent  tremble- 
ment. En  ces  moments,  sa  tête  même  oscillait  sur  ses  épaules  ; 
aussi  le  surnom  de  Trembleur  ne  tarda  pas  à  lui  être  univer- 
sellement donné. 

Une  fille  d'Hotelard  prit  le  voile  en  1820  et  mourut  dans  un 
couvent  de  Paris  j  un  de  ses  fils  fut  tué,  en  1832,  dans  une 
éiueuLc. 


86  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

missements,  plutôt  qu'aucune  voix,  qui  doivent  exprimer 
l'immense  douleur  que  nous  sommes  forcé  de  manifester, 
en  vous  annonçant  l'horrible  crime  du  21  janvier?  De  tant 
de  juges  iniques  et  pervers,  de  tant  de  suffrages  forcés,  que 
ne  devait-on  pas  attendre  d'infâme,  d'affreux,  d'exécrable 
pour  tous  les  siècles?  La  captivité  et  la  mort  de  Louis  XVI 
ont  été  accompagnées  de  circonstances  tellement  lamen- 
tables, que  tout  homme,  s'il  lui  reste  encore  un  sentiment 
d'humanité,  n'a  pu  en  entendre  le  récit  qu'avec  épouvante, 
surtout  quand  on  connaît  le  caractère  de  Louis,  doux, 
affable,  bienfaisant,  ennemi  de  la  sévérité  et  de  la  rigueur, 
rempli  d'amour  pour  son  peuple,  facile  et  indulgent  pour 
tous.  Si  nos  exhortations  avaient  obtenu  quelque  succès, 
nous  ne  nous  plaindrions  pas  aujourd'hui  de  la  ruine  qui 
frappe  la  France,  et  qui  menace  les  rois  et  les  royaumes. 
0  France,  appelée  par  nos  prédécesseurs  le  miroir  de  la 
chrétienté,  l'appui  immobile  de  la  foi;  toi  dont  la  ferveur 
chrétienne  et  la  dévotion  au  Siège  apostolique  n'avaient  pas 
d'égales  parmi  les  autres  nations,  comment  es-tu  tombée 
dans  cet  excès  de  désordre,  de  licence  et  d'impiété?  Ta 
n'as  recueilli  que  le  déshonneur,  l'infamie,  l'indignation 
des  peuples  et  des  rois,  des  petits  et  des  grands,  du  pré- 
sent et  de  l'avenir*,  » 
La  messe  solennelle  pour  le  repos  de  l'âme  du  monarque 

1  Lorsque  les  féroces  geôliers  de  Louis  XVI,  prisonnier  du 
Temple,  lui  refusèrent  un  rasoir,  le  fidèle  serviteur  qui  nous  a 
transmis  l'histoire  de  cette  longue  et  affreuse  captivité  lui  dit  : 

«  Sire,  présentez-vous  à  la  Convention  nationale  avec  cette  longud 
barbe,  afin  que  te  peuple  voie  comment  vov^  êtes  traité.  » 

Le  roi  répondit  : 

«  Je  ne  dois  pas  chercher  a  intéresser  sur  mon  sort.  » 

Qu'est-ce  donc  qui  se  passait  dans  ce  cœur  si  pur,  si  soumis, 
si  préparé?  L'auguste  martyr  semble  craindre  d'échapper  au 
sacrifice,  ou  de  rendre  la  victime  moins  parfaite  :  quelle  accep- 
tation, et  que  7i'aura-t-elle  pas  mcrité  ï 


DE  1789  A  1800.  87 

fut  célébrée  dans  la  chapelle  pontificale,  en  présence  des 
princesses  Victoire  et  Adélaïde,  tantes  du  feu  roi.  On  pro- 
nonça l'oraison  funèbre  de  Louis  XVI,  et  l'on  vit  plusieurs 
fois  Pie  VI  verser  des  larmes  abondantes  en  entendant 
louer  les  vertus  d'un  prince  si  malheureux  et  si  peu  digne 
de  l'être  *, 

JL»  Terreur, 

Les  meurtriers  de  Louis  XVI  sont  entraînés  à  tous  les 
forfaits;  le  cri  de  leur  conscience  semble  les  avertir  qu'ils 
n'ont  plus  de  salut  que  dans  le  crime  :  c'est  dans  le  sang 
qu'ils  laveront  leurs  bras  ensanglantés  ;  la  France  expirante 
dans  les  convulsions  de  l'anarchie  frémit  sur  ses  épouvan- 
tables destinées. 

La  terreur  fut  dès  lors  le  système  gouvernemental  de  la 
France.  Une  multitude  de  victimes  de  tous  âges,  de  tous 
rangs,  de  toutes  conditions  périrent  pour  assouvir  l'ambi- 
tion de  Robespierre,  Cromwel  avorté  delà  Révolution  fran- 
çaise, et  qui  n'eut  du  républicain  anglais  que  la  cruauté 
sans  le  talent.  Des  ordres  furent  donnés  pour  le  pillage  de 
toutes  les  églises  et  la  suppression  du  culte  catholique  en 
France.  Les  églises  possédaient  huit  cents  millions  tant  en 
vases  sacrés  qu'en  ornements  précieux  ;  il  n'en  revint  pas 
deux  cents  au  trésor  public,  le  reste  fut  la  proie  des  spo- 
liateurs. 

Un  jour,  au  milieu  d'une  séance  conventionnelle,  on  vit 
entrer  des  groupes  de  soldats  revêtus  d'habits  pontificaux; 
ils  étaient  suivis  d'hommes  du  peuple  rangés  sur  deux 
lignes  et  couverts  de  chapes,  de  cnasubles,  de  dalma- 
tiques.  Paraissaient  ensuite,  sur  des  brancards,  grand 
nombre  de  calices,  de  ciboires,  d'ostensoirs  d'or  ou  de  ver- 
meil. La  pompe  défila  au  son  des  airs  patriotiques,  et  les 

*  nistoire  de  l'Eglise,  par  l'abbé  Darras. 


88  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

acteurs  de  cette  scène  sacrilège  finirent  par  abjurer  publi- 
quement tout  culte  autre  que  celui  de  la  liberté.  De  pareilles 
scènes  se  renouvelèrent  dans  toutes  les  provinces.  On  ne 
rencontrait  partout  que  des  bûchers  où  brûlaient  des  livres 
d'église,  les  chaires,  les  confessionnaux,  les  ornements 
sacrés,  les  tableaux,  les  reliques  des  saints,  et  l'on  voyait, 
autour  de  ce  feu,  la  populace,  ivre  de  vin  et  d'impiété, 
danser  en  blasphémant  le  Dieu  de  ses  pères.  On  mutila  les 
statues  des  saints,  on  brisa  les  croix,  on  enleva  le  fer  des 
grilles,  on  fondit  les  cloches;  on  abattit  même  quelques 
clochers,  sous  prétexte  que  par  leur  élévation  ils  contra- 
riaient l'égalité  républicaine.  Les  tombeaux  ne  furent  pas 
respectés,  les  cendres  royales  de  Saint-Denis  furent  jetées 
au  vent  ;  la  patronne  de  Paris  ne  put  trouver  grâce  aux 
yeux  de  ces  forcenés,  et  la  châsse  de  sainte  Geneviève  fut 
brûlée  sur  la  place  de  Grève.  La  divinité  nouvelle  de  ce 
peuple  en  délire  fut  la  Raison,  qui  reçut,  dans  le  temple  du 
seul  vrai  Dieu,  sous  les  traits  des  statues  vivantes,  l'encens 
d'adorateurs  abrutis.  Les  prêtres  furent  déportés  à  la 
Guyane  et  sur  les  pontons.  La  plupart  moururent  martyrs 
de  leur  fidélité,  de  leur  dévouement,  de  leur  foi.  Bon 
nombre  de  prêtres  et  d'évêques  de  l'église  constitutionnelle 
résignent  alors  leurs  fonctions ,  apostasient  et  se  marient. 
Cependant  les  prêtres  fidèles  expatriés  recevaient  partout, 
notamment  en  Angleterre,  le  plus  touchant  accueil,  et  don- 
naient en  échange  une  édification  qui  porta  plus  lard  ses 
fruits  '. 

Supplice    des    boarrcaax. 

La  divine  justice  a  frappé  les  monstres  dont  les  crimes 
avaient  épouvanté  le  monde.  Sans  doute  ils  ne  furent  pas 

*  nùtùire  de  l'Eglise,  par  l'abbé  Darras. 


DE  1789  A  1800.  89 

tous  punis  d'une  manière  visible  :  Dieu  s'est  réservé  l'é- 
ternité pour  rendre  à  chacun  selon  ses  œuvres. 

Un  des  plus  grand-s  crimes  que  l'on  puisse  commettre, 
c'est  sans  doute  l'attentat  contre  la  souveraineté,  nul  n'ayant 
des  suites  plus  terribles.  Si  la  souveraineté  réside  sur  une 
tête,  et  que  cette  tête  tombe  victime  de  l'attentat,  le  crime 
augmente  d'atrocité.  Mais  si  ce  souverain  n'a  mérité  son 
sort  par  aucun  crime,  si  ses  vertus  mêmes  ont  armé  contre 
lui  la  main  des  coupables,  le  crime  n'a  plus  de  nom.  A  ces 
traits  on  reconnaît  la  mort  de  Louis  XVI. 

Mais  ce  qu'il  est  important  de  remarquer,  c'est  que  ja- 
mais un  plus  grand  crime  n'eut  plus  de  complices.  La  mort 
de  Charles  I"  en  eut  bien  moins,  et  cependant  il  était  pos- 
sible de  lui  faire  des  reproches  que  Louis  XYI  ne  méritait 
point. 

t  II  faut  encore  faire  une  observation  importante  :  c'est 
que  tout  attentat  commis  contre  la  souveraineté,  au  nom  de 
la  natîjn,  est  toujours  plus  ou  moins  un  crime  national; 
car  c'est  toujours  plus  ou  moins  la  faute  de  la  nation  si  un 
nombre  quelconque  de  factieux  s'est  mis  en  état  de  com- 
mettre le  crime  en  son  nom.  Ainsi,  tous  les  Français  sans 
doute  n'ont  pas  voulu  la  mort  de  Louis  XVI  ';  mais  l'im- 
mense majorité  du  peuple  français  a  voulu,  pendant  plus 
de  deux  ans,  toutes  les  folies,  toutes  les  injustices,  tous  les 
attentats  qui  amenèrent  la  catastrophe  du  21  janvier,  »  dit 
J.  de  Maistre. 

Or,  tous  les  crimes  nationaux  contre  la  souveraineté  sont 


*  Un  correctif  est  ici  nécessaire.  J.  de  Maistre  n'est  pas  en- 
tièrement juste  dans  son  jugement.  Louis  XVI  en  avait  appelé  à 
la  nation.  La  Convention  se  défia  de  la  nation  et  passa  outre;  la 
Convention  assuma  donc  sur  elle  la  responsabilité  de  ce  régicide. 
La  France  fut  donc  innocente  de  ce  grand  attentat.  Le  silence 
qu'elle  garda  après  le  régicide  fut  sou  crime. 


90  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

punis  sans  délai  et  d'une  manière  terrible;  c'est  une  loi 
qui  n'a  jamais  souffert  d'exception. 

Peu  de  jours  après  l'exécution  de  Louis  XVI,  quelqu'un 
écrivait  dans  le  Mercure  universel  : 

«  Peut-être  n'eût-il  pas  fallu  en  venir  là  ;  mais  puisque 
nos  législateurs  ont  pris  l'événement  sur  leur  responsabi- 
lité, rallions-nous  autour  d'eux,  éteignons  toutes  les  haines, 
et  qu'il  n'en  soit  plus  question.  » 

0  démence!  Shakspeare  en  savait  un  peu  plus  lorsqu'il 
disait  :  «  La  vie  de  tout  individu  est  précieuse  pour  lui; 
mais  la  vie  de  qui  dépendent  tant  de  vies,  celle  des  souve- 
rains, est  précieuse  pour  tous.  Un  crime  fait-il  disparaître 
la  majesté  royale?  A  la  place  qu'il  occupait,  il  se  forme 
un  gouffre  effroyable,  et  tout  ce  qui  l'environne  s'y  préci- 
pite.  » 

Chaque  goutte  du  sang  de  Louis  XVI  en  coûtera  des  tor- 
rents  à  la  France;  quatre  millions  de  Français  paieront 
de  leur  tête  le  grand  crime  national  d'une  insurrection 
antireligieuse  et  antisociale  couronnée  par  un  régicide. 
Nous  avons  raconté  le  supplice  des  meneurs. 
Où  sont  les  premières  gardes  nationales,  les  premiers 
soldats,  les  premiers  généraux  qui  prêtèrent  serment  fi  la 
nation?  Oîi  sont  les  chefs,  les  idoles  de  cette  première 
assemblée  si  coupable,  pour  qui  l'épithètc  de  constituante 
sera  une  épigramme  éternelle?  Où  est  Mirabeau?  Où  est 
Bailly  avec  son  beau  jour?  Où  est  Thouret,  qui  inventa  le 
mot  exproprier?  Où  est  Osselin,  le  rapporteur  de  la  pre- 
mière loi  qui  proscrivit  les  émigrés?...  On  nommerait  par 
milliers  les  instruments  actifs  de  la  Révolution  qui  ont  péri 
d'une  mort  violente. 

Tous  ceux  qui  ont  travaillé  à  affranchir  le  peuple  de  sa 
croyance  religieuse;  tous  ceux  qui  ont  opposé  des  so- 
phismos  métaphysiques  aux  lois  de  la  propriété;  tous  ceux 
qui  on  dit  :  Frappez,  pourvu  que  nous  y  gagnions;  tous  ceux 


DB  1789  A  1800.  91 

qui  ont  touché  aux  lois  fondamentales  de  TEtat;  tous  ceux 
qui  ont  conseillé,  approuvé,  favorisé  les  mesures  violentes 
employées  contre  le  roi,  etc.,  tous  ceux-là  ont  voulu  la  Ré- 
volution, et  tous  ceux  qui  l'ont  voulue  en  ont  été  très- 
justement  les  victimes,  comme  nous  l'avons  déjà  vu. 

Nous  allons  mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  le  ta- 
bleau des  juges  de  Louis  XVI  qui  subirent  dès  cette  vie 
le  supplice  dû  à  leur  forfait.  Nous  avons  signalé  en  gros, 
dans  des  chapitres  particuliers,  quelques-uns  de  ceux  qui, 
s'étant  distingués  par  leurs  crimes,  ont  mérité  une  mention 
spéciale  : 

Saint-Ju$t  (Aisne).  —  Guillotiné  le  28  juillet  1794. 

Condorcet  (Aisne).  —  S'est  empoisonné  dans  la  prison  du 
Bou  g-"a-R.eine,  près  Paris. 

Rabaud  Saint-Etienne  (Aube)  :  vota  pour  la  détention.  — 
Guillotiné  le  lo  décembre  1793. 

Jean  Duprat  (Bouches-du-Rhûne).  —  Guillotiné  le  31  oc- 
tobre 1793. 

Rebecquy  (Bouches-du-Rhône).  —  S'est  noyé  à  Marseille  en 
179o. 

Barbaroux  (Bouches-du-Rhône).  —  Guillotiné  à  Bordeaux 
le  7  messidor  an  II. 

Gaspann  (Bouches-du-Rhône).  —  Ce  martyr  de  la  liberté  est 
mort  d'indigestion  à  Toulon. 

Roière  (Bouches-du-Rhône).  —  Mort  à  Cayenne  en  1798. 

Deperret  (Bouches-du-Rhône)  :  la  réclusion.  —  Guillotiné 
le  31  octobre  1793. 

Fauchet  (Calvados)  :  la  détention.  —  Guillotiné  le  31  oc- 
tobre 1793. 

Cussy  (Calvados)  :  la  détention.  —  Guillotiné  le  15  no- 
vembre 1793. 

Bazire  (Cùte-dOr).  —  Guillotiné  le  S  a\Til  1794. 

Hugues  (Creuse).  —  Guillotiné  le  6  octobre  1796. 


92  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

Buzot  (Eure).  —  Trouvé  dans  un  champ  dévoré  par  des 

oiseaux  de  proie. 
Duroy  (Eure).  —  Condamné  à  mort  par  une  commission 
militaire  le  16  juin  1795,  il  s'est  poignardé  après  la 
lecture  de  son  jugement;  n'étant  pas  mort  de  sa  bles- 
sure, il  a  été  exécuté  le  même  jour. 

Lacroy  (Eure-et-Loir).  —  Guillotiné  le  5  avril  1794. 

Brisnot  (Eure-et-Loir).  — Guillotiné  le  31  octobre  1793. 

Pétion  (Eure-et-Loir).  —  Trouvé  dans  un  champ,  dévoré 
par  des  oiseaux  de  proie. 

Rahaut-Pommier  (Gard).  —  Guillotiné  le  16  décembre  1793. 

Desazy  (Haute-Garonne).  —  Guillotiné  le  5  avril  1794. 

Verr/niaud  (Gironde).  —  Guillotiné  le  31  octobre  1793. 

Guadet  (Gironde).  —  Guillotiné  le  23  juin  1794. 

Gensonné  (Gironde).  Guillotiné  le  31  octobre  1793. 

Grangeneuve  (Gironde)  :  la  réclusion.  — Guillotiné  le  20  dé- 
cembre 1793. 

Ducos  (Gironde).  —  Guillotiné  le  30  octobre  1793. 

Boyer-Fonfrède  (Gironde).  —  Guillotiné  le  31  octobre  1793. 

Lacaze  (Gironde)  :  la  réclusion.  —  Guillotiné  le  30  octobre 
1793. 

duval  (Hérault).  —  S'est  tué. 

Fabre  (Hérault).  —  Tué  le  12  janvier  1794. 

Bonnier  (Hérault).  —  Tué  près  de  Rastadt. 

Amar  (Isère).  —  Guillotiné. 

Chabot  (Loir-et-Cher).  —  Guillotiné  le  5  avril  1794. 

Coustard  (Loire-Inférieure)  :  la  réclusion.  —  Guillotiné  le 
7  novembre  1793. 

Delaunay  (Maine-et-Loire).  —  Exécuté  l'an  II. 

Charles  Charlier  (Maine-et-Loire).  —  S'est  suicidé  en  1797. 

Salles  (Meurlhe)  :  la  détention.  —  auiUotiné  ii  Bordeaux 
le  19  juin  1794. 

Lehardy  (Morbihan)  :  la  détention.  —  Guillotiné  le  31  oc- 
tobre 1793. 


DE  1789  A  1800.  93 

Giîîet  (Morbihan)  :  la  détention.  —  Tué  par  Le  Cat. 
Ana^harsis  Clootz  (Oise).  —  Guillotiné  le  24  mars  1794. 
Dufriche-Valasé  (Orne).  —  Guillotiné  le  31  octobre  1793. 
Robespierre  (Paris).  —  Guillotiné  le  28  juillet  1794. 
Danton  (Paris).  —  Guillotiné  le  5  avril  1794. 
Collot  d'Herbois  (Paris).  —  Déporté  à  la  Guyane. 
Manuel  (Paris)  :  la  détention.  —  Guillotiné  le  14  novembre 

1793. 
Camille  Desmoulins  (Paris).  —  Guillotiné  le  5  a\Til  1794. 
Billaud-Varennes  (Paris).  —  Déporté  à  la  Guyane. 
Marat  (Paris).  —  Tué  par  Charlotte  Corday  le  14  juillet 

1793. 
Fabre  d'Eglantine  (Paris).  —  Guillotiné  le  5  awil  1794. 
Osselin  (Paris).  —  Guillotiné  le  27  juin  1794. 
Robespierre  jeune  (Paris).  —  Guillotiné  le  28  juillet  1794. 
L.-P.  duc  d'Orléans- Egalité  (PdiYis). — Guillotiné  le  7  no- 
vembre 1793. 
Duquesnoy  (Pas-de-Calais).  —  S'est  poignardé. 
Lebas  (Pas-de-Calais).  —  S'est  tué. 
Couthon  (Puy-de-Dôme).  —  Guillotiné  le  28  juillet  1794. 
Romme  (Puy-de-Dôme).  —  S'est  poignardé. 
Soubrany  (Puy-de-Dôme).  —  Guillotiné  en  1795. 
Féraud  (Hautes-Pyrénées).  —  Assassiné  dans  la  Convention 

le  20  mars  1793. 
Biroteau  (Pyrénées-Orientales).  —  Guillotiné  à  Bordeaux 

le  14  octobre  1793. 
Cusset  (Rhône-et-Loire).  —  Fusillé  le  10  octobre  1796. 
Javogue  fils  (Rhône-et-Loire).  —  Fusillé  le  9  octobre  1796. 
Phélipeaux  (Sarthe).  —  Guillotiné  le  5  avril  1794. 
Gorsas  (Seine-et-Oise).  —  Guillotiné  le  5  avril  1794. 
Hérault  de  SécJielles  (Seine-et-Oise).  —  Guillotiné  le  5  avril 

1794. 
Teillier  (Seine-et-Marne).   —  S'est   tué  le  17   septembre 
1793. 


94  LA  GRANDE  RÈVOLÛfiON 

Duchastel  (Deux-Sèvres)  :  le  bannissement.  —  Guillotiné  le 

30  octobre  1793. 
Sillery  (Somme)  :  la  détention.  —  Guillotiné  le  31  octobre 

1793. 
Lasource  (Tarn).  —  Guillotiné  le  31  octobre  1793. 
Antiboul  (Var)  :  la  détention.  —  Guillotiné  le  31  octobre 

1793. 
Lesterpt-Bauvais  (Haute- Vienne).  —  Guillotiné  le  31  octobre 

1793. 
Maure  aîné  (Yonne).  —  S'est  tué. 
Lepelletier  Saint-Fargeau  (Yonne).    —  Tué  le  20  janvier 

1793  au  Palais-Royal. 
Boileau  (Yonne).  —  Guillotiné  le  31  octobre  1793. 
BourboUe  (Yonne).  —  Guillotiné  le  15  juin  1795. 

A  cette  ïiste  incomplète  des  régicides  nous  ajouterons 
les  noms  d'autres  révolutionnaires  : 

Champfort,  né  en  1741,  dans  un  village  de  l'Auvergne^ 
d'un  père  inconnu,  membre  de  l'Académie  française,  ami 
de  Mirabeau,  l'un  des  chefs  de  la  Révolution,  emprisonné 
par  les  jacobins,  délivré^  mais,  saisi  de  la  frayeur  d'une 
seconde  arrestation,  se  tire  un  coup  de  pistolet  qui  lui  enfonce 
un  œil;  se  donne  plusieurs  coups  de  rasoir,  et  meurt,  on 
1794,  d'une  opération  faite  trop  tard.  En  1789,  il  ne  rêvait 
qu'innovation  et  bonheur. 

—  Bailly,  maire  de  Paris,  décapité  le  12  novembre  1793. 

—  Lavoisier,  académicien,  savant  chimiste,  devenu,  de- 
puis la  Révolution,  commissaire  de  la  trésorerie  nationale. 
Décapité  en  1794. 

—  Le  comte  de  Clermont-Tonnerre,  membre  du  côté 
révolutionnaire  de  l'Assemblée  constituante,  mais  attaché 
au  parti  modéré,  qui  croyait  pouvoir  arrêter  la  Révolution 
et  conserver,  dans  le  système  appelé  monarchien,  un  roi 
constitutionnel.  Massacré  en  1792. 


DE  1789  A  1800.  9H 

—  Claude  Pauchet,  décapité  le  31  novembre  1793. 

—  RoucHER,  littérateur,  auteur  du  poème  des  Mois  :  lié 
avec  les  beaux  esprits,  favorable  d'abord  à  la  Révolution, 
puis  désabusé  par  ses  excès.  Décapité  en"! 794. 

—  Joseph  Lebon,  curé  constitutionnel  en  1790,  membre 
de  la  Convention,  devenu  un  infâme  assassin.  Accusé  et 
décapité  en  1795. 

—  Le  comte  de  Mirabeau,  l'un  des  chefs  les  plus  puis- 
sants de  la  Révolution  en  1789;  décrédité  en  1791,  et  mort 
dans  des  souffrances  horribles  causées,  dit-on,  par  le 
poison  des  jacobins,  devenus  ses  ennemis. 

—  Necker,  protestant  genevois;  commis  d'abord,  puis 
appelé  trois  fois  au  ministère  des  finances;  renvoyé  troiè 
fois,  en  1785,  1789  et  1790;  est  détesté  des  uns  comme 
ayant  trompé  Louis  XVI  pour  accélérer  la  Révolution,  et 
méprisé  des  autres  comme  un  charlatan  sans  moyens,  genre  dé 
supplice  qui  n'est  pas  le  moindre  pour  un  orgueilleux. 

Notre  plan  ne  nous  permet  pas  de  citer  d'autres  noms. 
On  trouvera  une  liste  plus  détaillée  dans  le  Mémorial  de  la 
Révolution  française.  Les  exemples  que  nous  avons  citéâ 
suffisent  pour  démontrer  que  les  châtiments  de  k  justice 
divine  atteignent  souvent,  dès  ce  monde  mêmey  les  grands 
coupables. 

liOuls •  Philippe  d'Orléans  •  Egailiié  '. 

Né  le  13  avril  1747,  ce  prince  avait,  par  d'heureuses  dis- 
positions, fait  concevoir  certaines  espérances;  le  jeune 

*  Nous  avons  pris  nos  renseignements  pour  cet  article  dans  la 
Conjuration  de  Philippe  d'Orléans,  2  vol.  in-8°,  écrits  par  un 
témoin  oculaire,  et  dans  les  deux  volumes  de  Crétineau-Joly  : 
Histoire  de  Louis-Philippe  d'Orléans  et  de  l'Orléanisme.  Cet  ou- 
vrage contient  des  pièces  officielles  et  des  révélations  terribles 


96  LA   GRANDE  RÉVOLUTION 

homme  ne  tint  aucune  des  promesses  de  l'enfant.  On  eftt 
dit  que  chez  lui  la  précocité  du  vice  aimait  à  se  révolter 
contre  toutes  les  lois  de  la  pudeur,  et  qu'il  s'étourdissait 
afin  de  se  fuir  lui-même. 

Le  mariage  et  la  paternité  ne  modifièrent  en  rien  sa  con- 
duite. L'époux  se  perdit  dans  des  orgies,  le  père  s'oublia 
dans  une  dépravation  dont  la  Régence  elle-même  n'avait 
pas  fourni  l'exemple.  Ce  fut  un  assaut  sans  trêve  ni  fin  de 
ces  excès  interdits  et  de  ces  choses  impossibles,  dont  le 
plaisir  est  pour  un  seul,  dont  l'opprobre  est  pour  tous. 
Dans  son  Palais-Royal,  où  chaque  convive,  ivre  en  y  péné' 
trant,  devait  boire  comme  les  sables  du  désert  et  blasphé- 
mer ainsi  qu'un  damné,  Louis-Philippe  s'aguerrissait  à  la 
honte  :  il  s'habituait  à  la  dégradation. 

A  une  révolution  qui  se  proposait  d'engloutir  l'Eglise 
aussi  bien  que  la  monarchie,  et  qui  s'avançait  cauteleuse 
ou  menaçante,  prête  à  spolier,  ou  simplement  réforma- 
trice, selon  le  besoin,  il  fallait  un  chef  ou  plutôt  un  dra- 
peau. Louis-Philippe  fut  désigné,  parce  que  la  Révolution 
savait  que  l'ennemi  le  plus  cruel  est  un  lâche  à  qui  l'on 
arrange  certains  succès. 

Louis-Philippe  venait,  du  fond  de  son  palais,  d'assister 
aux  massacres  de  septembre,  organisés  par  son  ami  Dan- 
ton, dont  la  voix  était  aussi  formidable  que  le  son  du  toc- 
sin. Muet  devant  cette  interminable  orgie  de  sang,  il  allait 
se  mettre  h  table  à  son  heure  habituelle,  quand  un  convive 
inattendu  lui  est  annoncé.  Le  peuple  dont  il  dirigea  l'édu- 
cation a  tué  pour  son  plaisir.  La  princesse  de  Lamballe,  la 
belle-sœur  de  Louis-Philippe,  est  au  nombre  de  ses  plus 
illustres  victimes.  Le  peuple,  qui  fait  bien  les  choses, 
apporte  au  Palais-Royal  la  tète  livide  et  couverte  de  sang 

quionlport6àrorléanismc  nn  coup  mortel  dont  il  ne  se  relèvera 
pas,  malgré  les  menées  du  duc  d'Auiuale. 


DE  1789  A  1800.  97 

et  de  boue  ;  il  demanda  un  témoignage  de  reconnaissante 
approbation.  Ce  témoignage  lui  est  accordé.  Philippe  paraît 
à  son  balcon;  il  sourit  aux  assassins  et  les  salue,  car  c'est 
un  douaire  annuel  de  trois  cent  mille  francs  qu'il  n'aura 
plus  à  payer.  Et  comme  si,  dans  ce  palais,  un  cri  de  pitié 
devait  toujours  être  accompagné  d'un  sentiment  d'égoïsme, 
M"°'  Buffon,  la  maîtresse  en  titre,  folle  de  frayeur  et  de 
désespoir,  tombe  évanouie  en  disant  :  «  Ahl  mon  Dieu, 
ma  tète  sera  ainsi  portée  un  jour  !  »  Egalité  se  mit  à  table, 
et  il  dîna. 

Philippe  a  eu  l'ambition  du  diadème;  il  n'a  plus  que 
celle  de  la  honte. 

Peu  après  les  massacres  des  2  et  3  septembre,  d'Orléans 
s'était  traîné  de  lui-même  au  dernier  terme  de  la  dégrada- 
tion. Il  était  monté  dans  la  tribune  des  jacobins,  portant 
pour  diadème  le  bonnet  rouge.  Là  il  avait  déclaré  solen- 
nellement qu'il  n'était  point  le  fils  du  dernier  duc  d'Or- 
léans... 

Il  avait  écrit  ces  honteuses  et  criminelles  folies  à  la 
Commune  de  Paris,  lui  demandant  un  nom  qui  prouvât 
que  ce  n'était  pas  le  sang  de  Henri  IV  qui  coulait  dans  ses 
veines.  La  Commune  avait,  en  conséquence,  pris  l'arrêté 
suivant  : 

«  Le  conseil  général  de  la  Commune  de  Paris  arrête,  sur 
la  demande  de  Louis-Philippe-Joseph,  prince  français,  ce 
qui  suit  : 

»  1"  Louis-Philippe-Joseph  et  sa  postérité  porteront 
désormais  pour  nom  de  famille  Égalité; 

»  2"  Le  jardin  connu  jusqu'à  présent  sous  le  nom  de 
Palais-Royal  s'appellera  désormais  Jardin  de  la  Révolution; 

»  3''  Louis-Philipe-Joseph  Égalité  est  autorisé  à  faire 
faire,  soit  sur  les  registres  publics,  soit  sur  les  actes  nota- 
riés, mention  du  présent  arrêté.  » 


€8  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

Ce  baptême  était  burlesque;  il  le  reçut  d'une  façon  sé- 
rieuse qui  dépassa  le  burlesque.  Il  écrivit  : 

«  Citoyens,  j'accepte  avec  une  reconnaissance  extrêma 
le  nom  que  la  Commune  de  Paris  vient  de  me  donner;  elle 
ne  pouvait  en  choisir  un  plus  conforme  à  mes  sentiments 
et  h  mes  opinions.  Je  vous  jure,  citoyens,  que  je  me  rap- 
pellerai sans  cesse  les  devoirs  que  ce  nom  m'impose  et  que 
je  ne  m'en  écarterai  jamais. 

»  Je  suis  votre  concitoyen, 
»  L. -P. -Joseph  Egauté.  » 

Afii  do  prouver  que,  pour  la  première  fois  de  sa  vie,  il 
disait  vrai,  Egalité  se  présente  au?;  électeurs  de  Paris,  ^\ 
il  brigue  l'honneur  d'être  un  de  leurs  députés  à  la  Conven- 
tion. 

Admis  dans  cette  assemblée  révolutionnaire,  Egalité  ne 
prend  qu'une  fois  la  parole  :  c'est  pour  dénoncer  h  la  tri- 
bune la  duchesse  d'Orléans,  son  épouse,  «  femme  très- 
estimable  sans  doute,  dit-il,  mais  dont  les  opinions  sur  les 
affaires  présentes  n'ont  pas  toujours  été  conformes  aux 
miennes,  n  Ce  devoir  d'un  patrioti  me  si  peu  conjugal  rem- 
pli à  la  surprise  de  tous.  Egalité  attend  l'épreuve  du  procès 
i]o  Louis  XVI.  Lorsque  le  monarque  prisonnier  parut  de- 
vant la  Convention,  il  vit  en  face  de  lui  Philippe,  qui,  cher- 
chant la  calme  dignité  du  juge,  ne  trouvait  que  la  stupide 
impassibilité  du  bourreau. 

Lorsque  fut  arrivé  le  tour  de  d'Orléans  pour  opiner  sur 
la  première  question  :  Louis  e$t-il  coupaJ^le  f  jl  iponta  à  la 
tribune  comme  ceux  qui  l'avaient  précédé,  et  do  là  cria 
d'une  voix  foi'lc  :  Oui.  Ce  sanguinaire  oui  excita  un  mou- 
vement tumultueux  d'indignation  parmi  ses  adversaires, 
quoiqu'ils  l'eussent  également  prononcé.  Ce  n'était  pas  là 
une  inconséquencci  c'était  un  témoignage  que  ce   mot 


DE  1789  A  iSOO.  93 

n'aurait  pas  dû  sortir  de  la  bouche  du  parent  de  Louis,  qui 
ne  pouvait  avoir  aucun  motif  de  se  prononcer  ainsi. 

Quand  on  lui  posa  la  question  sur  la  peine  que  méritait 
le  roi,  l'infâme  d'Orléans,  du  haut  de  la  tribune,  lut  ces 
effroyables  paroles  :  «  Uniquement  occupé  de  mon  devoir, 
»  convaincu  que  tous  ceux  qui  ont  attenté  ou  qui  attente- 
»  raient  par  la  suite  à  la  souveraineté  du  peuple  méritent 
»  la  mort,  je  vote  pour  la  liort.  » 

La  MORT  I  Ce  mot  dans  la  bouche  de  ce  monstre  fit  pous- 
ser un  cri  d'effroi  même  à  ces  hommes  qu'on  ne  croyait 
plus  susceptibles  d'humanité  ;  ils  se  levèrent  brusquement, 
et  détournant  la  tête,  faisant  avec  les  mains  un  mouvement 
comme  pour  repousser  ce  misérable,  ils  s'écrièrent  :  Oh! 
l'horreur!  ohl  le  monstre! 

Prince  inhabile ,  assassin  stupide ,  Philippe  Egalité 
croyait  par  ces  excès  de  férocité  se  frayer  un  chemin  au 
trône.  Sa  brutale  ambition  l'aveugla.  Ce  cri  de  sang,  que 
bi':'ntôt  après  répéta  l'univers  entier  et  qui  retentira  dans 
la  postérité  la  plus  reculée,  fut  à  peine  sorti  de  sa  bouche, 
qu'il  éleva  entre  le  trône  et  lui  une  barrière  insurmon- 
table; il  ébranla  le  ciel  même,  qui  s'apprêta  à  faire  des- 
cendre sur  sa  tête  un  jugement  épouvantable.  Son  rôle  fut 
fini  dans  la  Révolution.  La  haine  universelle  dont  il  s'en- 
veloppa en  votant  la  mort  de  son  roi,  de  son  parent,  de 
Bon  bienfaiteur,  le  rendit  un  objet  d'exécration  et  de  mé- 
pris pour  ces  mêmes  maratistes  dont  il  avait  acheté  la  hon- 
teuse amitié.  Chacun  commença  à  hâter  par  ses  vœux  son 
supplice.  Dumouriez  lui-même,  étonné  et  comme  effrayé 
du  discrédit  subit  dans  lequel  tombait  le  prince  au  sein  de 
la  capitale,  alla  se  cacher  aux  environs  de  Paris,  attendant 
avec  inquiétude  la  dernière  scène  de  ce  drame  tragique 
qu'avait  commencé  la  Révolution.  Le  sanglant  dénouement 
i:e  se  fit  pas  longtemps  attendre.    • 


100  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

Piiilippc  Eg'alité  assiste  à  la  uiort  de  Louis  ^"^'D. 

On  sait  que  rcxécution  se  fit  entre  le  piédestal  de  la 
statue  de  Louis  XV  et  les  Champs-Elysées.  Pendant  qu'on 
immolait  l'auguste  victime,  d'Orléans  se  tenait  dans  un 
cabriolet  sur  le  pont  Louis  XV.  Il  contempla  froidement 
tous  les  appareils  de  l'exécution.  Des  témoins  oculaires, 
qui  l'observaient  attentivement,  disent  que,  lorsque  la  tête 
fut  séparée  du  tronc,  le  sourire  se  plaça  sur  ses  lèvres; 
on  vit,  dit-on,  briller  dans  ses  yeux  sanglants  une  joie 
féroce.  Il  resta  sur  le  pont  jusqu'à  ce  que  le  corps  eût  été 
emporté.  Alors  il  gagna  son  Palais-Royal,  où  il  monta  dans 
une  voiture  élégante,  attelée  de  six  chevaux  bais,  et  alla 
dîner  au  Raincy,  l'une  de  ses  maisons  de  plaisance.  Il  y 
avait  convié  quelques-uns  des  principaux  conjurés,  et  il  se 
félicita  sans  doute  avec  eux  de  ce  qu'après  quatre  années 
de  forfaits,  il  était  enfin  parvenu  à  obtenir  la  mort  du 
monarque  qu'il  croyait  remplacer. 

Le  ciel  ne  permit  pas  que  d'Orléans  montât  sur  ce  trône 
d'où  il  avait  précipité  Louis  XVI  *.  D'Orléans,  pour  acca- 

*  Le  Moniteur  du  6  février  1793,  après  avoir  annoncé,  sous  la 
rubrique  de  Londres,  que  le  prince  de  Galles  venait  d'aban- 
donner ouvertement  le  parti  de  l'opposition,  continue  ainsi  ; 
«  On  ajoute  qu'au  moment  où  ce  prince  apprit  que  Philippe- 
Joseph  Egalité,  son  ancien  ami,  avait  cru  devoir  voler  contre 
Louis,  il  détacha  le  portrait  qu'il  avait  en  son  palais  de  Carllon, 
le  déchira  de  ses  propres  mains,  et  fit  jeter  les  lambeaux  dans 
la  cour,  )> 

Les  maîtresses  de  Philippe  d'Orléans  éprouvèrent  le  même 
senliinent  que  le  prince  de  Galles,  et  l'une  délies,  M™"  Eliolt, 
une  Anglaise,  raconte  aux  pages  124  et  125  de  ses  Mémoires, 
récemment  publiés  : 

«  Je  n'ai  jamais  ressenti  pour  personne  une  horreur  pareille  à 
celle  que  j'éprouvai  pour  la  conduite  de  ce  prince.  Nous  étions 
tous  dans  une  profonde  aflliction  et  dans  les  larmes.  Le  pauvre 


DE  1789  A  1800.  101 

parer  des  voix  en  faveur  de  l'arrêt  de  mort,  s'était  servi  de 
Saint-Fargeaa,  et  celui-ci  précéda  Louis  au  tombeau.  Dans 
les  révolutions  des  empires,  les  mêmes  causes  produisent 
les  mêmes  effets.  Saint-Fargeau  périt  comme  Bradshaw. 
La  veille  de  la  mort  de  Louis,  il  dînait  chez  un  restaura- 
teur du  Palais-Royal.  Un  homme  l'aborde  et  lui  dit  : 
«  Saint-Fargeau,  vous  aviez  donné  votre  parole  d'honneur 
que  vous  et  vingt-cinq  de  vos  amis  ne  voteriez  pas  la  mort 
du  roi.  Vous  avez  vendu  votre  suffrage  et  celui  de  vos 
amis.  Reçois,  misérable,  le  prix  de  ton  parjure.  »  En  disant 
cela,  cet  homme  plonge  son  sabre  dans  le  cœur  de  Saint- 
Fargeau  et  s'évade.  On  a  supposé  qu'il  avait  dit  de  fort 
belles  paroles  en  rendant  le  dernier  soupir.  La  vérité  est 
qu'il  ne  proféra  que  ces  deux  seuls  mots  :  J'ai  froid. 

Quant  à  d'Orléans,  il  avait  vu  enfin,  le  21  janvier,  tom- 
ber cette  tête  contre  laquelle  il  conspirait  depuis  si  long- 


Biron,  qui  était  républicain,  avait  presque  un  accès  de  désespoir. 
Un  jeune  aide-de-camp  du  prince  arracha  son  uniforme  et  le 
jeta  dans  le  feu,  en  disant  qu'il  rougii'ait  de  le  porter  désormais. 
11  se  nommait  Rutan  :  il  était  de  Nancy.  C'était  un  noble  et 
vaillant  jeune  homme,  qui  n'avait  point  émigré  par  affection 
pour  le  pauvre  Biron,  quoique  de  cœur  il  fût  avec  les  princes. 
Quand  ma  voiture  fut  avancée,  je  retournai  chez  moi;  mais  tout 
me  semblait  affreux  et  sanglant.  Mes  gens  paraissaient  frappés 
d'horreur.  Je  n'osais  pas  coucher  seule  dans  ma  chambre  j  je 
fis  veiller  ma  femme  de  chambre  avec  moi  toute  la  nuit,  avec 
beaucoup  de  lumières  et  en  priant.  11  m'était  impossible  de  dor- 
mir; l'image  de  ce  malheureux  monarque  était  sans  cesse  de- 
vant mes  yeux.  Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  possible  de  ressentir 
un  malheur  de  famille  plus  vivement  que  je  ne  ressentis  la  mort 
du  roi.  Jusqu'à  ce  moment  je  m'étais  toujours  flattée  que  le  duc 
d'Orléans  s'était  laissé  séduire,  et  que  je  voyais  les  choses  sous 
un  faux  jour;  maintenant,  toute  illusion  était  dissipée.  Je  jetai 
dehors  tout  ce  qu'il  m'avait  donné,  tout  ce  que  j'avais  dans  mes 
poches  et  dans  ma  chambre  :  il  y  avait  pour  moi  une  souillure 
sanglante  en  tout  ce  qui  avait  appartenu  à  ce  malheureux.  » 


102  LA  c?vAT:r!i!!  r.in-o'.-TioM 

temps,  et  db&  le  22  son  supplice,  un  supplice  effroyable, 
commença  pour  lui.  Le  repos  l'abandonna  pour  toujours. 
Il  se  crut  environné  d'assassins.  Il  se  revêtit  d'une  cuirasse. 
Il  se  retirait  pendant  la  nuit  dans  les  appartements  les 
plus  secrets  de  son  palais,  et,  à  l'exemple  de  Cromwel,  il 
ne  coucha  plus  deux  fois  dans  le  môme  lit.  Il  remplit  son 
jardin,  ses  cours,  l'intérieur  de  sa  demeure  de  brigands 
qu'il  payait  chèrement  et  dont  les  poches  étaient  pleines  de 
pistolets  et  de  poignards.  Une  horde  de  scélérats  le  suivait 
partout.  Dans  son  palais  il  devint  invisible.  A  moins  d'être 
un  des  conjurés  bien  connus  de  lui,  on  ne  parvenait  plus 
jusqu'à  sa  Dorsonne.  On  était  arrêté  h  l'entrée  d'une  pièce 
par  des  hommes  d'un  regard  affreux,  d'une  physionomie 
hideuse  ;  ils  étaient  armés  de  sabres  nus,  et  avaient  autour 
des  reins  une  ceinture  garnie  de  pistolets.  Ils  vous  arrê- 
taient, et  vous  contraignaient  d'écrire  votre  nom,  votre  de- 
meure et  l'objet  de  votre  demande  ;  l'un  d'eux  portait  votre 
écrit  à  Philippe,  et  vous  rapportait  sa  réponse  de  vive  voix. 
Le  voilà  cet  enfer  anticipé  dans  lequel  on  lui  avait  prédit 
qu'il  tomberait  si  la  hache  frappv.it  la  tête  de  Louis. 

A  peine  le  sang  du  monarque  eut  coulé,  que  d'Orléans 
ne  fut  plus  que  le  mannequin,  je  ne  dis  pas  assez,  que  le 
jouet  des  maratistes,  c'est-à-dire  des  hommes  les  plus  vils 
et  les  plus  atroces  qu'eût  jamais  engendrés  notre  France.  Il 
mendia  humblement  leur  protection,  et  les  misérables  la  lui 
faisaient  acheter  par  tous  les  sacrifices  qu'il  était  encore  en 
son  pouvoir  de  faire.  Ses  meubles,  ses  bijoux,  ses  livres, 
sa  vaisselle,  cette  magnifique  galerie  de  tableaux  qu'avait 
recueillie  le  Régent,  cette  riche  collection  de  pierres  gra- 
vées qu'il  tenait  de  la  munificence  de  ses  aïeux,  tout  devint 
la  proie  des  maratistes.  Ne  pouvant  assouvir  leur  avidité, 
il  ouvre  de  toutes  parts  des  emprunts,  il  les  multiplie  sous 
toutes  les  formes,  il  donne  des  hypothèques  illusoires,  et 
ii ■.!'.'  par  publier  son  bilan. 


DE  1789  A  1800.  103 

Ce  n'était  plus  pour  obtenir  une  couronne  que  d'Orléans 
faisait  tous  ces  sacrifices,  c'était  uniquement  pour  conser- 
ver sa  vie.  Après  avoir  si  longtemps  menacé  celle  de  Louis, 
il  se  trouvait  réduit  à  défendre  la  sienne.  Il  ne  se  dissimu- 
lait pas  que  la  haine  qu'aVait  allumée  contl-e  lui  la  mort 
du  monarque  était  prête  k  le  dévorer,  et  il  ne  voyait  que 
les  maratistes  qui  pussent  le  défendre  contre  la  nation  en- 
tière. Ceux  de  ses  anciens  partisans  qui  ne  tenaient  point 
à  la  faction  de  ces  misérables  gardaient  le  silence,  se  ca- 
chaient et  n'osaient  plus  avouer  leur  liaison  avec  le  prince. 
Il  faisait  horreur  h  l'Europe  entière,  et  personne  n'osait 
braver  le  cri  universel.  Les  maratistes  eux-mêmes  juraient 
dans  le  sein  de  la  Convention  qu'ils  le  méprisaient.  Pétion 
et  Condorcet  semblèrent  l'abandonner  de  bonne  foi  et  se 
ranger  du.  côté  de  ses  ennemis  les  plus  ardents. 

Mort  d'Egalité. 

On  vient  de  voir  l'histoire  des  crimes  de  ce  prince,  on 
va  voir  celle  de  son  supplice. 

Il  lui  fut  donné  de  soulever  la  France,  de  remuer  l'Eu- 
rope entière,  de  tromper  les  peuples,  comme  le  dit  Bossuet 
de  Cromwel,  de  prévaloir  contre  les  lois.  «  Quand  Dieu,  dit 
le  même  orateur,  a  choisi  quelqu'un  pour  être  l'instrument 
de  ses  desseins,  rien  n'en  arrête  le  cours  :  ou  il  enchaîne, 
ou  il  aveugle,  ou  il  dompte  tout  ce  qui  est  capable  de  ré- 
sistance. »  Ainsi  la  Providence  se  Voile  quelquefois  sous 
les  succès  des  ministres  de  ses  vengeances;  mais  tôt  ou  tard 
elle  se  découvre  et  se  justifie  aux  yeux  des  hommes.  Jamais 
peut-être  sa  justice  et  sa  puissance  ne  se  manifestèrent  avec 
plus  d'éclat  que  dans  les  châtiments  qu'elle  exerça  sur 
d'Orléans. 

La  Convention  fut  l'instrument  dont  elle  se  servit  :  Du- 
mouriez  et  le  général  Egalité  ont  trahi  la  patrie  ;  la  patrie 


404  LA  GBANDE   RÉVOLUTION 

est  en  danger,  selon  une  locution  révolutionnaire  autorisant 
toutes  les  suspicions  et  justifiant  tous  les  forfaits.  Afin  do 
la  sauver,  ou  plutôt  de  se  sauver  lui-même,  Philippe,  que 
Robespierre  accuse  de  ressusciter  les  Tarquins,  répond  à 
cette  évocation  romaine  par  une  autre  évocation.  Tarquin 
se  retranche  derrière  le  premier  Brutus,  et  il  murmure  : 
€  Si  je  suis  coupable,  je  dois  être  puni  ;  si  mon  fils  l'est, 
je  vois  ici  l'image  de  Brutus.  —  Eh  !  misérable  l  lui  crie 
un  représentant  du  peuple,  ce  ne  sera  pas  le  premier  sacri- 
fice de  famille  que  tu  auras  fait  à  la  liberté  !  » 

Sous  le  coup  de  cette  allusion  vengeresse,  Philippe  Ega- 
lité était  dénoncé,  accusé,  proscrit,  poussé  dans  l'abîme 
par  ses  propres  complices.  Tel  a  été  le  résultat  de  chacun 
de  ces  mouvements  révolutionnaires,  que,  lorsqu'un  parti 
l'a  emporté  sur  un  autre  parti,  les  vainqueurs  à  leur  tour 
n'ont  jamais  manqué  de  s'entr'égorger.  On  dirait  que  le 
ciel  avait  réservé  pour  eux  l'accomplissement  de  celto 
menace  d'un  prophète  :  «  Je  leur  ai  dit  :  Je  ne  serai  plus 
votre  pasteur;  que  ce  qui  doit  mourir  aille  à  la  mort,  que 
ce  qui  doit  être  retranché  soit  retranché,  et  que  ceux  qui 
demeureront  se  dévorent  les  uns  les  autres.  » 

Le  temps  de  la  vengeance  céleste  était~arrivé,  le  bras  de 
la  justice  divine  allait  enfin  frapper  le  coupable. 

Des  gens  envoyés  par  la  municipalité  vinrent  se  saisir  de 
la  personne  de  d'Orléans.  On  ne  sait  trop  ce  qu'il  proje- 
tait, ce  qu'il  machinait  encore  dans  ce  moment,  mais  on  le 
trouva  occupé  à  vendre  son  linge  de  corps  :  c'était  lii  sa 
dernière  ressource. 

A  la  vue  des  fusiliers  qui  venaient  l'arrêter,  d'Orléans 
pâlit  et  s'évanouit.  Revenu  à  lui,  il  fut  traîné  comme  un 
lâche  et  vil  malfaiteur  à  la  mairie  ;  là,  il  se  lamenta,  il 
pleura,  il  supplia  à  genoux,  les  mains  jointes,  qu'on  lui 
permît  d'écrire  h  la  Convention.  Et  voilà  l'homme  de  boue 
qui  se  croyait  destiné  à  régner  1 


DE  1789  A  1800.  103 

D'Orléans  entra  dans  la  prison  de  l'Abbaye  à  huit 
heures  du  soir,  et  y  trouva  l'immoral  Laclos,  qui  plus 
qu'un  autre  avait  contribué  à  l'entraîner  dans  tous  les 
désordres.  Le  prince,  en  se  voyant  sous  la  puissance  des 
geôliers,  versa  un  torrent  de  larmes,  et  donna  tous  les 
signes  de  découragement  et  de  frayeur.  Son  écrou  n'énonça 
aucune  cause  de  détention.  Il  fut  constitué  prisonnier  le 
7  avril,  c'est-à-dire  moins  de  trois  mois  après  la  mort  de 
Louis  XVI.  Il  faudrait  être  bien  aveugle  pour  ne  pas  voir 
qu'un  aussi  étonnant  changement  dans  un  aussi  court 
espace  de  temps  était  l'ouvrage  de  la  Providence,  dont  le 
pouvoir  ne  s'est  jamais  mieux  manifesté  que  dans  le  cours 
de  cette  Révolution. 

Ce  fut  le  6  novembre,  vers  les  quatre  heures  après  midi, 
que  le  funèbre  cortège  qui  conduisait  d'Orléans  à  la  mort 
sortit  de  la  cour  du  Palais-de-Justice.  Il  y  avait  un  très- 
petit  nombre  de  personnes  au  moment  du  départ;  mais 
dès  que  le  bruit  se  répandit  que  ce  malheureux  prince 
allait  être  exécuté,  des  flots  de  peuple  se  précipitèrent  de 
toutes  parts  sur  son  passage,  ce  qui  rendit  le  trajet  jusqu'à 
la  place  de  l'exécution  fort  long. 

Les  Parisiens  montrèrent  dans  cette  occasion  toute  l'hor- 
reur que  leur  inspirait  ce  conspirateur,  dont  les  dernières 
années  avaient  été  si  fatales  à  la  France.  N'étant  plus  alors 
contenus  par  aucune  considération,  ils  épanchèrent  sans 
ménagement  toute  la  haine  qu'ils  lui  portaient.  Tous  ses 
forfaits  lui  furent  reprochés  ;  on  lui  rappela  amèrement  sa 
poltronnerie,  ses  débauches,  ses  vols,  ses  menées  sur  les 
grains,  les  massacres  des  gardes-du-corps,  la  journée  du 
20  juin,  celles  des  2  et  3  septembre  ;  on  lui  retraça  son 
animosité  contre  la  famille  royale,  sa  soif  démesurée  de 
veugeance,  son  ambition,  son  amour  de  l'argent.  «  C'est 

toi,  lui  disait-on,  qui  fis  périr  le  prince  de  Lamballe;  c'est 

toi  qui  dernièrement  fis  assassiner  sa  veuve.  Tu  avais  volé 


105  LA  cn.\>;Dr,  nâvoLUTiON 

la  moit  de  ton  parent;  eli  bien!  ta  vas  recevoir  aussi  la 
iriOPt.  Misérable!  tu  voulais  être  roi;  le  ciel  est  juste,  ton 
tiûne  va  être  un  échafaud  f  » 

D'Orléans  entendait  toutes  ces  vérités,  toutes  ces  impré- 
cations sans  paraître  leur  donner  aucune  attention;  il 
cherchait  vainement  îi  montrer  dans  son  regard  et  dans 
son  attitude  une  fermeté  qui  n'était  pas  dans  son  ùme. 

Lorsqu'il  fut  arrivé  sur  la  place  du  Palais-Royal,  avec 
Coustard,  son  complice,  et  trois  autres  condamnés,  la 
voilure  qui  les  portait  h  la  mort  s'anciu.  D'Orléans  re- 
garda d'un  œil  sombre  son  palais. 

Cependant,  quoiqu'il  s'efforçât  de  dissimuler  son  trouble, 
il  est  assez  vraisemblable  qu'il  souffrait  cruellement.  Toutes 
les  excroissances  sanguines  qui  défiguraient  sa  physiono- 
mie avaient  entièrement  disparu,  et  son  visage,  sans  être 
pâle,  avait  la  blancheur  des  autres  parties  de  son  corps; 
ce  qui  ne  pouvait  être  arrivé  sans  qu'il  se  fût  fait  dans 
son  organisation  intérieure  une  révolution  extraordinaire 
et  douloureuse. 

Philippe  Egalité  caressa,  adula  pendant  de  longues 
années  la  popularité  et  la  multitude.  Cette  mémo  foule, 
dont  il  fut  l'idole  et  dont  il  escompta  si  dispendieusement 
les  hommages,  l'attendait  sur  la  place  du  Palais-Royal 
à  un  dernier  rendez-vous.  La  foule  fit  arrêter  le  tom- 
bereau devant  ce  bazar  princier,  où  l'athéisme  s'était 
proclamé  dieu  et  avait  pris  la  guillotine  pour  souverain- 
pontife.  Lh,  avec  des  hurlements  do  joie  et  des  raffine- 
meiits  do  barbarie  sans  exemple,  elle  accabla  le  condamné 
do  ses  mépris  et  de  ses  malédictions.  Le  condamné  parut 
impassible.  On  a  dit  qu'an  prêtre,  nommé  Lothringer, 
l'avait,  à  ce  moment  suprême,  réconcilié  avec  le  ciel  '.  Si 
le  fait  est  vrai  et  si  Philippe  Egalité  s'est  repenti,  Dieu 

*  Aimai  es  catholkjv.es. 


DE  1789  A  ISOO.  107 

n'aura  jamais  plus  clairement  manifesté  sa  miséricorde  et 
le  prix  qu'il  attache  à  une  âme. 

D'Orléans  fut  exécuté  entre  le  pont  tournant  des  Tuile- 
ries et  le  piédestal  qui  portait  autrefois  la  statue  de 
Louis  XV.  Il  monta  les  degrés  de  l'échafaud  et  reçut  le 
coup  fatal.  Je  ne  peindrai  pas  les  bruyants  applaudisse- 
ments dont  l'air  retentit  lorsque  l'exécuteur  montra  sa  tête 
au  peuple.  Il  faut  détourner  ses  regards  de  ces  tableaux 
affligeants  où  l'on  voit  des  hommes  transformés  en  tigres 
altérés  de  sarig.  Le  malheureux  qui  a  payé  ses  crimes  de 
sa  vie  cesse  d'être  un  objet  odieux  ;  il  devient  digne  de 
notre  pitié,  et  la  sévérité  du  jiige  qui  a  prononcé  la  mort 
ne  devrait  jamais  s'éteiidfe  au-delà  du  tombeau. 

Ainsi  périt  Louis-Philippe-Joseph,  duc  d'Orléans,  à  la 
qaarante-sixième  année  de  son  âge,  le  6  novembre  1793, 
moins  de  dix  mois  après  la  mort  de  Louis  XVI,  à  la- 
quelle il  avait  eu  tant  de  part.  Son  corps  fut  jeté  sans 
honneur  parmi  les  nombreuses  victimes  qu'on  entassait 
journellement  dans  le  cimetière  de  la  Madeleine. 

Dans  les  caveaux  funèbres  de  Dreux,  cet  homme  a  un 
sépulcre;  mais  ce  sépulcre  est  sans  noîn  et  sans  épitaphe. 
A  le  voir  dans  son  isolement,  on  cfoirâit  que  la  justice 
s'exerce  chez  les  d'Orléans  après  leur  mort  comme  pen- 
dant leur  vie.  Il  ne  reste  rien  de  lui,  pas  même  un  souve- 
nir de  piété  filiale.  Ceux  qui  l'ont  connu  et  qui,  par  lâ 
portée  de  lem*  mauvais  génie,  furent  dignes  de  l'appré- 
cier, le  jugent  sans  passion  et  en  toute  vérité.  Mirabeau  a 
dit  de  lui  «  qu'au  moral  il  ne  fallait  rien  lui  imputer, 
parce  qu'il  avait  perdu  le  goût  et  qu'il  ne  sentait  pas  la 
différence  du  bieii  et  du  mal  '.  » 

*  Après  ce  qui  précède,  on  lira  avec  autant  de  peine  que  de 
surprise  les  lignes  suivantes,  extraites  de  l'Univers  du  24  mars 
1878,  poiiant  la  signataire  Alb.  de  Badts  de  Cugnac  :  «  Le  1  "fé- 
vrier 1871,  M.  le  duc  d'Aumale  disait  à  ses  élect^îurs  :  «  La/is 


i08  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 


Le  tour  des  apostats. 


Depuis  son  berceau,  l'Eglise  de  Jésus-Christ  a  eu  îigt^mir 
sur  les  scandales  qui  ont  éclaté  dans  son  sein.  Elle  a  usé 
ses  genoux  sur  les  dalles  du  temple  à  prier  pour  les  per- 
sécuteurs et  les  apostats;  les  colonnes  du  sanctuaire  ont 
été  ébranlé9S  et  ont  roulé  en  tronçons  sur  la  place  pu- 
blique, et  les  impies  ont  battu  des  mains;  et  les  anges  de 
paix,  se  voilant  la  face  de  leurs  ailes,  ont  pleuré  sur  les 
maux  de  l'Eglise.  Mais  la  providence  de  Dieu  a  été  jus- 
tifiée ;  car  si,  sur  douze  apôtres  il  y  a  eu  un  renégat  et  un 
traître,  tous  les  autres  ont  scellé  de  leur  sang  la  foi  en 
Jésus-Christ. 

Et  si  de  nos  jours  encore  on  voit,  comme  de  sinistres 
météores,  pour  punir  les  peuples,  quelques  ministres  in- 
dignes de  leur  sublime  vocation,  malgré  le  malheur  des 
temps  et  les  séductions  de  tout  genre,  il  y  en  a  des  milliers 
qui  se  consument  pour  le  salut  de  leurs  frères,  et  qui 
vont  jusqu'aux  extrémités  du  monde,  au  prix  des  plus 
grands  sacrifices,  porter  la  bonne  nouvelle  de  l'Evangile 
aux  peuplades  assises  à  l'ombre  de  la  mort. 

Il  n'est  pas  d'argument  plus  éloquent  ni  plus  irréfu- 
table que  les  chiffres.  Voilà  pourquoi  nous  citerons  ici 
quelques  extraits  d'une  statistique  officielle  qui  seront  la 
meilleure  réponse  aux  voltairiens  attardés  qui  s'en  vont 
répétant  les  vers  de  leur  maître  : 

mes  sentiments,  dans  mon  passé,  dans  les  traditions  de  ma  famille, 
je  ne  trouve  rien  qui  me  sépare  de  la  république...  »  Ce  souveuir 
de  l'usurpation  évoqué  si  à  propos,  les  constitutionnels  l'ont 
iccueilli,  l'ont  adopté  pour  mot  d'ordre  et  pour  devise;  ils  y  ont 
puisé  les  inspirations  de  cette  politique  cauteleuse  qui,  de 
chutes  en  chutes,  les  a  poussés  parmi  les  suivants  de  M.  Gam' 
belta.  » 


DE  1789  A  1800.  109 

Les  prêtres  ne  sont  pas  ce  qu'un  vain  peuple  pense  ; 
Notre  crédulité  fait  toute  leur  science. 

s  D'après  un  relevé  officiel  de  la  statistique  des  cours 
d'assises,  sur  un  chiffre  de  120,000  prêtres,  religieux  et 
religieuses,  en  vingt  et  un  ans,  il  s'est  trouvé  72  accusés  ; 
en  moyenne,  4  par  an,  1  sur  30,000. 

Interrogée  relativement  à  une  des  classes  les  plus  juste- 
ment honorées  de  la  société  laïque,  celle  des  notaires,  la 
même  statistique  donne  1  sur  873. 

Comme  le  soldat  français  reste  fier  d'appartenir  à  notre 
brave  armée,  quoiqu'il  y  puisse  par  aventure  coudoyer  un 
lâche,  ainsi  le  prêtre  catholique  reste  fier  de  porter  sa 
soutane,  quoique  ce  vêtement  ait  pu  couvrir  la  poitrine 
de  quelques  sacrilèges. 

L'homme  loyal,  laissant  à  l'insecte  bourdonnant  le 
fumier  qui  l'attire,  prie  Dieu  pour  la  conversion  du  mau- 
vais prêtre,  et  n'impute  point  aux  successeurs  de  Pierre  et 
de  Paul  les  misères  de  l'imitateur  de  Judas*. 

*  Ce  que  nous  disons  du  petit  nombre  de  prêtres  infidèles  à 
leur  vocation,  on  peut  le  dire  à  plus  forte  raison  des  religieux. 
«Ce  qui  le  prouve  surabondamment,  dit  le  comte  de  Montalem- 
bert,  c'est  le  démenti  éclatant  que  reçurent,  en  1791,  les  décla- 
mations de  Diderot,  de  La  Harpe  et  de  tant  d'autres  sur  les 
victimes  cloîtrées.  En  un  seul  jour  toutes  les  clôtures  furent  mises 
à  néant,  tous  les  vœux  monastiques  furent  déclarés  nuls.  Com- 
bien de  moines,  combien  de  religieuses  se  sont  mariés?  Pas  un 
sur  mille.  La  plupart  des  femmes  surtout  sont  rentrées  libre- 
ment dans  le  cloître  dès  qu'elles  l'ont  pu.  » 

Une  voix  qui  domine  toutes  celles  de  la  terre,  la  vois  auguste 
du  Père  commun  des  fidèles,  s'éleva  pour  rendre  témoignage  à 
de  si  grandes  vertus.  Pie  VI,  qui  fut  persécuté  lui-même,  et  qui 
vint  mourir  prisonnier  à  Valence,  à  l'âge  de  quatre-vingt-deux 
ans,  disait  dans  un  bref  aux  archevêques  et  évèques  de  l'As- 
semblée nationale  : 

«  Notre  cœur  a  été  vivement  touché  des  persécutions  qu'é- 
prouvent les  religieuses  en  France;  la  plupart  nous  ont  écrit 


110  LA   GRANDE   RKVOLUT/ON 

C'est  surtout  pendant  la  tourmente  rc'n'olulionnaire  de  93 
que  l'on  put  apprécier  la  vertu  et  le  caractère  du  clergé 
français;  on  sait  que,  malgré  là  funeste  influetice  du  galli- 
canisme et  du  jansénisme,  la  plupart  des  prêtres  se  mon- 
trèrent à  la  hauteur  de  leur  position,  et  préférèrent  mille 
fois  l'exil  et  la  mort  plutôt  que  de  manquer  à  ImtB  devoirs. 
«  Le  clergé  de  France,  dit  de  Maislre,  a  donné  au  monde, 
pendant  la  tempête  révolutionnaire,  tin  spectacle  admi* 
rable.  Dispersé  par  une  tourmente  affreUsé  sur  tous  le§ 
points  du  globe,  partout  il  a  conquis  l'estime  et  souvent 
l'admiration  des  peuples.  Aucune  gloire  ne  lui  à  tnanqUé^ 
pas  même  la  palme  des  martyrs.  L'histoire  de  l'Eglise  h*à 
rien  d'aussi  magnifique  que  le  massacre  des  Gàrmes  U  et 

des  différentes  provinces  de  ce  royaume  pour  nous  témoigner  à 
quel  point  elles  étaient  affligées  de  voir  qu'ttn  les  empêchait 
d'observer  leur  règle  et  d'être  fidèles  k  leiirs  vœux  •  elles  nous 
ont  protesté  qu'elles  étaient  détermitlées  à  tout  soilffrir  plutôt 
que  de  manquer  à  leurs  engagements ^  Nous  devons,  rios  cher» 
lils  et  vénérables  frères,  rendre  aupi"ès  de  vous  témoignage  à 
leur  constance  et  à  leur  courage  :  nous  vous  prions  de  les  sou- 
tenir encore  par  Vos  conseils  et  de  leur  donner  tous  les  secours 
qui  sont  en  votre  pouvoir.  » 

Voilà  la  vérité,  voilà  l'histoire.  Toutes  les  colères  impies  se- 
ront impuissantes  à  l'effacer.  Elle  restera  pour  l'honneur  do  la 
France  calhohque,  pour  la  consolation  du  passé  et  l'exemple  de 
l'avenir. 

*  Le  2  septembre  1792,  la  Commune  (it  tirer  le  canon  d'a- 
larme, sonner  le  tocsin  et  battre  la  générale  pour  inspirer  la 
terreur.  Pendant  que  les  honnêtes  gens  étaient  glacés  d'effroi, 
les  bourreaux  coururent  aux  prisons  et  s'y  enivrèi*ent  de  sang 
et  de  carnage.  Les  vrais  scélérats  furent  épargnés  et  délivrés  ; 
les  ennemis  du  désordre,  les  nobles,  les  prêtres  surtout,  furent 
impitoyablement  égorgés.  Le  massacre  commença  par  des  ec- 
clésiastiques qui  obéissaient  à  la  loi  de  la  déportation.  Ils  étaient 
dans  trois  voitures  ;  on  les  arrêta,  on  les  conduisit  à  l'abbaye 
Saint-Germain,  et  on  les  assassina  avec  quarante  autres  membres 
du  clergé  et  beaucoup  de  laïques.  De  Saint-Germain,  les  bri- 
gands se  portèrent  au  couveul  des  Carmes.  Quelques  laïques  et 


DE  1789  A  1800.  111 

combien  d'autres  victimes  se  sont  placées  à  côté  de  celles 
de  ces  jours  horriblement  fameux!  Le  clergé  fut  supérieur 
aux  insultes,  à  la  pauvreté,  à  l'exil,  aux  tourments  et  aux 
échafauds  *.  » 

Les  fils  de  Voltaire  continuent  leur  ignoble  métier,  leur 
misérable  patron  leur  a  recommandé  si  souvent  de  mentir, 
de  mentir  toujours,  parce  qu'il  en  reste  quelque  chose. 
A  l'heure  où  nous  écrivons  ces  pages,  30  mars  1878,  ils 
recommencent  une  campagne  contre  les  Frères  de  la  Doc- 
trine chrétienne.  Si,  sur  douze  mille  de  ces  religieux,  il  s'en 
trouve  un  d'infidèle  à  sa  vocation,  ils  en  concluent  selon 
leur  logique  qu'ils  sont  tous  les  mêmes.  L'Univers  du 
29  mars  1878,  répondant  h  ces  sacrilèges  diffamations,  cite 
les  lignes  suivantes  extraites  de  l'ouvrage  sur  les  Farcats 
considérés  sous  le  rapport  physiologique,  moral  et  in- 
tellectuel, observés  au  bagne.de  Toulon  par  H.  Sau- 
vergne,  professeur  de  médecine  de  la  marine  et  médecin 
en  chef  de  l'hôpital  des  forçats  à  Toulon,  pages  258,  259  : 

cent  quatre-vingts  prêtres,  ayant  à  leur  tète  M.  Dulau,  arche- 
vêque d'Arles,  et  M.  de  La  Rochefoucauld  et  les  évèques  de 
Beauvais  et  de  Saintes,  y  étaient  enfermés.  Les  égorgeurs  fon- 
dirent sur  eux  comme  des  bêtes  féroces;  la  maison,  le  jardin  et 
leglise  furent  teints  de  sang.  Quarante  prêtres  seulement 
échappèrent  aux  assassins.  Le  lendemain,  quatre-vingt-six  ec- 
clésiastiques détenus  à  Saiut-Firmiu  y  furent  aussi  massacrés. 
Un  grand  uoiabre  d'autres  %ictimes  perdirent  la  vie  à  la  Force, 
au  (IHiâtelet,  à  l'Abbaye,  à  la  Salpétrière,  etc.  A  l'Abbaye,  il  y 
eut  des  circonstances  si  hoz'ribles  qu'il  est  impossible  de  les 
retracer.  L'abbé  Lenfaut  et  l'abbé  de  Rastignac  furent  les  deux 
plus  illustres  victimes  de  cette  boucherie.  Les  massacres  du- 
rèrent près  de  huit  jours,  et  se  firent  partout  de  la  manière  la 
plus  atroce,  à  coups  de  sabre,  de  hache,  de  pal,  de  baïonnette. 
De  temps  en  temps,  les  bourreaux  se  imposaient  en  chantant  une 
stroph^i  de  la  Marseillaise.  Personne  ne  troubla  ces  monstres  ; 
la  muiiioipalité  de  Paris  les  avait  excités  au  heu  de  les  retenir. 
»  Voyez  jDé  l'Eglise  g<dHcnm,  p^r  Joseph  de  Maistre. 


112  i.>    GRANDE   RÉVOLUTION 

«  Los  pays  qui  jouissent  de  rinstitution  des  Frères  sont, 
à  cet  égard,  les  mieux  partagés.  Ces  hommes  de  dévoue- 
ment poursuivent  avec  succès  l'œuvre  commencée  par 
une  mère;  la  crainte  et  l'obéissance  qu'ils  impriment  dans 
l'esprit  de  la  jeunesse,  jointes  aux  saines  idées  religieuses 
et  aux  véritables  croyances,  assurent  les  vertus  de  l'atelier. 
Nous  ne  concevons  pas  que  ces  hommes  simples,  qui  font 
vœu  de  pauvreté,  aient  pu  trouver  dans  des  gens  éclairés 
des  détracteurs  inexorables  :  il  faut  ne  pas  les  avoir  suivis 
dans  leurs  exercices  quotidiens,  n'avoir  pas  jeté  un  coup 
d'œil  sur  leur  couche  délabrée,  ni  goûté  à  leur  pain 
grossier  pour  croire  qu'ils  peuvent  féconder  des  germes 
liberticides  par  des  leçons  désintéressées  et  des  exemples 
admirables.  Nous  n'avons  point  encore  rencontré  un  seul  de 
leurs  élèves  au  bagne.  » 

Voici  des  documents  historiques  très-certains  empruntés 
à  l'Histoire  ecclésiastique  de  M.  l'abbé  Rivaux,  t.  III, 
p.  296  : 

€  Un  décret  du  27  novembre  1790  prononça  que  tous 
les  évêques  et  curés  qui  n'auraient  pas  fait  sous  huit  jours 
le  serment  de  fidélité  à  la  constitution  civile  du  clergé, 
seraient  censés  avoir  renoncé  h  leurs  fonctions.  Enfin 
le  4  janvier  1791  fut  assigné  comme  dernier  délai  pour 
la  prestation  du  serment,  aux  ecclésiastiques  députés  à 
l'Assemblée.  Soixante  se  soumirent  à  la  constitution,  ayant 
à  leur  tète  Henri  Grégoire,  qui  fit  à  la  tribune  un  discours 
pour  prouver  la  légitimité  de  cette  démarche.  Trente-six 
autres  les  imitèrent  bientôt;  mais  de  ces  derniers  vingt- 
cinq  rétractèrent  ensuite  leur  serment,  soit  à  la  tribune, 
soit  par  des  lettres  adressées  au  président.  Ainsi  des  trois 
cents  ecclésiastiques  de  l'Assemblée,  soixante-dix  environ 
embrassèrent  la  constitution  civile. 

Le  dimanche  9  janvier  fut  marqué  poui"  le  serment  du 


DE  1789  A  1800.  113 

clergé  des  paroisses  de  Paris.  Vingt-neuf  curés  le  refu- 
sèrent, et  sur  huit  cents  ecclésiastiques  employés  dans 
cette  grande  cité,  plus  de  six  cents  ne  se  montrèrent 
qu'attachés  à  leurs  devoirs. 

Parmi  les  curés  et  les  vicaires  de  province,  la  grande 
majorité,  au  moins  cinquante  mille  sur  soixante,  refu- 
sèrent tout  serment.  Les  ennemis  mêmes  ne  purent  s'em- 
pêcher de  leur  rendre  hommage.  «  Nous  avons  leur  argent 
disait  Mirabeau,  mais  ils  ont  conservé  leur  honneur  *.  » 
L'épiscopat  français  surtout  se  distingua  de  la  manière 

*  11  arriva  sept  mille  prêtres  français  émigrés  en  Angleterre. 
Il  se  forma  un  comité  chargé  de  leur  distribuer  des  secours  ;  le 
produit  des  souscriptions  monta  jusqu'à  un  million.  On  en  logea 
jusqu'à  huit  cents  dans  un  château  royal;  le  gouvernement  lui- 
même  travailla  à  étendre  et  à  régulariser  ces  dons.  Un  bill  fut 
rendu  pour  donner  des  secours  annuels  aux  émigrés  de  toutes 
les  classes;  chacun  d'eux  recevait  un  traitement  proportionné 
à  son  rang.  Partout  le  clergé  français  se  montra  digne  d'un  si 
noble  accueil,  et  sa  conduite  répondit  à  la  pureté  de  la  cause 
pour  laquelle  il  souffrait;  elle  dissipa  bien  des  préjugés  et  ren- 
dit respectable  aux  Anglais  l'ancienne  foi  de  leurs  pères.  Nos 
prêtres  établirent  à  Londres  et  ailleurs  des  chapelles  catho- 
liques; ils  firent  rentrer  plusieure  protestants  dans  le  sein  de 
l'Eglise  romaine.  Leur  zèle,  leur  constance,  leur  charité  frap- 
paient les  esprits  les  plus  prévenus.  «  En  1791  et  dans  les  deux 
années  suivantes,  dit  le  cardinal  Pacca,  je  fus  témoin  de  la 
grande  émigration  du  clergé  de  France;  la  plupart,  appartenant 
à  la  classe  vénérable  des  curés,  tinrent  une  conduite  vraiment 
éditiante,  et  justifièrent  pleinement  la  bonne  réputation  qui  les 
avait  précédés  en  Belgique  et  en  Allemagne  ;  les  exceptions 
contraires  furent  très-rares.  »  Le  cardinal  ne  fait  pas  le  même 
éloge  des  émigrés  appartenant  à  la  noblesse  :  «  A  Cologne  et  à 
Lisbonne,  j'eus  occasion  de  connaître  la  plupart  des  émigrés 
français,  et  je  dois  vous  dire  avec  douleur  que,  à  part  quelques 
gentilshommes  de  province,  tous  professaient  hautement  les 
maximes  philosophiques  qui  avaient  amené  la  catastrophe  dont 
ils  avaient  été  les  premières  victimes.  »  (RouiUîACliER,  t.  XXVII, 
p.  5)07-o82). 


H  4  LA   GRANDE   RéVOLUTION 

la  plus  admirable.  Sur  cent  trente-cinq  prélats,  quatre 
SLUilemont  furent  infidèles  :  le  cardinal  de  Brienne,  arche- 
vêque de  Sens,  M.  de  SaVines,  évoque  de  Viviers,  M.  de 
Talleyrand-Périgord,  évoque  d'Autun,  et  M.  de  Jarente, 
évoque  d'Orléans.  De  Brienne  renvoya  son  chapeau  de 
cardinal,  qu'il  avait  brigué  auparavant,  fut  déclaré  déchu 
de  sa  dignité  par  le  Pape,  et  suivit  le  torrent  de  la  Révo- 
lution *.  Les  évoques  d'Orléans  et  d'Autun,  entrés  dans 
l'Eglise  sans  vocation,  prirent  des  fonctions  civiles  et  se 
marièrent.  Quant  à  l'évêque  de  Viviers,  il  donna  d'abord 
sa  démission,  puis  fut  élu  de  nouveau  évèque  constitu- 
tionnel de  l'Ardèche,  et  se  signala  par  les  démarches  les 
plus  extravagantes.  Il  eut  pourtant  le  bonheur  de  se  ré- 
tracter, ï  J'ai  été  dans  une  espèce  de  démence,  disait-il, 
depuis  que  j'ai  prêté  le  serment.  »  En  effet,  il  passa  plu- 
sieurs années  à  Charenton*. 

Aussitôt  que  le  refus  des  titulaires  légitimes  eut  été 
constaté,  on  s'occupa  de  leur  remplacement,  selon  les 
règles  de  la  constitution.  Des  prêtres  dont  l'opinion  avait 
fait  justice,  des  moines  empressés  à  violer  leurs  vœux, 
des  hommes  qui  n'avaient  d'autre  mérite  que  d'avoir 
embrassé  la  cause  de  la  Révolution  avec  chaleur,  des  pré- 
dicateurs zélés  du  patriotisme,  etc.,  tels  furent  les  sujets 
qui  obtinrent  les  suffrages.  Sans  demander  le  consente- 
ment de  l'Ordinaire,  sans  commission  du  Pape,  sans  le 
serment  accoutumé,  sans  profession  de  foi,  malgré  le  vice 

*  Lomenîe  de  Brienne,  membre  do  l'Académie  française,  an- 
cien archevêque  de  Toulouse.  l'un  des  commissaires  nommés, 
en  1766,  pour  la  réforme  philosophique  des  corps  religieux, 
principal  ministre  en  1787,  évoque  constitutionnel  de  l'Yonne  en 
1700,  attaqué  le  15  février  1794  par  des  bandits  révolutionnaires 
qui  le  forcèrent  à  les  servir  dans  tme  orgie,  fut  trouvé  mon) 
dans  son  lit  le  lendemain.  (Supplcmcnt  au  Dictionncirc  de  F... 

2  Picot,  t.  III,  p.  190.  —  Muzas,  t,  IV,  p.  28G.  —  ilokrbacher, 
t.XXVllI.p,  492. 


«E  1789  A  4800.  115 

des  élections,  contre  les  réclamations  des  prélaîs  légi- 
times, l'évêque  apostat  d'Autun  sacra,  le  25  janvier  1791, 
les  curés  Expilly  et  MaroUes  comme  évêques  du  Finistère 
et  de  l'Aisne.  Gobel,  évêque  in  partibus  de  Lydda,  ayant 
eu  h  opter  entre  trois  départements,  prit  celui  de  la  Seine. 
Le  fameux  Grégoire,  curé  d'Imbefmesnil,  devint  évêque 
de  Loir-et-Cher,  etc. 

Mais  si  Talleyrand,  qui  fut  comme  lé  premier  anneau 
de  l'épiscopat  constitutionnel,  put  communiquer  aux  élus 
le  caractère  de  l'Ordre,  il  n'était  pas  en  son  pouvoir  de 
leur  donner  la  confirmation  et  l'institution  canoniques,  ni 
de  leur  conférer  dans  leurs  départements  une  juridiction 
qu'il  n'avait  pas  lui-même.  L'ancienne  discipline,  tant 
invoquée  par  les  défenseurs  de  la  constitution,  attribuait 
le  droit  de  confirmation  aux  métropolitains  et  aux  conciles 
provinciaux.  Or,  ni  les  uns  ni  les  autres  ne  confirmèrent 
Jes  évêques  départementaux.  Vainement  s'avisèrent-ils  de 
dire  «  que  leur  ordination  seule  les  investissait  de  tous  les 
pouvoirs.  »  On  réfuta  cette  prétention,  inventée  par  le 
besoin. 

Foulant  aux  pieds  toutes  les  règles  et  tous  les  droits, 
les  évêques  constitutionnels  allèrent  en  avant,  et  formèrent 
lour  nouveau  clergé  de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus  gan- 
grené dans  l'ancien.  Plusieurs  mauvais  prêtres  allemands, 
dit  le  cardinal  Pacca,  vinrent  s'y  enrôler.  Ainsi  fut  fondée 
en  France  V Eglise  dite  constitutionnelle  *. 

*  J'ai  assisté  —  fin  mai  1838  —  aux  brillantes  obsèques  de 
Charles-Mauvice  de  Talleyrand-Périgord,  devenu  boiteux  dans 
sa  jeunesse  par  suite  d'une  fredaine,  ci-devant  évêque  d'Autun, 
nominativement  excommunié  par  le  pape,  marié,  mais  resté 
sans  enfants,  promu  par  Napoléon  à  la  dignité  de  prince,  di- 
plomate consomifié,  non  moins  impassible  qu'une  statue  dans 
les  s-èances  les  plus  délicates  ou  les  plus  orageuses,  paijure  à 
+f^''Ucs  les  causes,  et  trahissant  toujours  au  moment  opportun. 


^'16  LA   GRANDE   RÉVOLUTIOX 

Le  clergé  constitutionnel  ne  put  échapper  entièrement  \ 
la  persécution,  qui  devint  enfin  générale,  et  plusieurs  de 
SCS  membres  périrent  même  pour  s'être  jetés  dans  le  parti 
révolutionnaire  et  pour  en  avoir  partagé  les  excès*.  Outre 
ceux  que  nous  avons  déjà  nommés,  les  évêques  Lamou- 
rette,  Expilly,  Gouttes,  Roux,  etc.,  périrent  à  différentes 
époques  pendant  la  Terreur,  mais  ils  ne  furent  point  im- 
moles  pour  la  cause  de  la  religion.  Ils  furent  sacrifiés  à 
des  vengeances  particulières  ou  enveloppés  dans  quelques- 
unes  de  ces  conspirations  prétendues  qui  servaient  de  pré- 
texte à  Robespierre  pour  augmenter  le  nombre  de  ses  vic- 
times. 

Fauchet,  évêque  du  Calvados,  qui  s'était  rendu  fameux 
par  l'exagération  de  ses  discours,  donna  l'exemple  du  re- 
pentir*. Au  commencement  de  la  Révolution  on  l'avait  en- 
tendu plus  d'une  fois  dans  les  clubs  travestir  l'Evangile 

Une  particularité  m'y  a  frappé  très-spécialement,  c'est  la  de- 
vise de  son  blason,  exposé  en  plusieurs  endroits  de  l'église  de 
l'Assomption,  où  se  faisait  la  funèbre  cérémonie.  Bien  d'autres 
ont  dû  partager  mon  élonnement. 

Cette  devise  portait  :  Re  que  Diou.  Rien  que  Dieu. 

Après  l'avoir  lue,  l'admirable  devise,  je  me  mis  à  marmotter 
quelque  chose  comme  les  phrases  suivantes  :  «  Vous  qui  men- 
tiez si  bien,  Monseigneur,  jamais  encore  vous  n'aviez  menti 
aussi  proprement  :  Pour  vous  rien  que  Dieu!  » 

Louis-PJiilippc  faisait  une  visite  à  Talleyrand,  pendant  sa  der- 
nière maladie  :  «  Comment  vous  trouvez-vous,  mon  prince?  — 
Je  souflrc  comme  un  damné, répondit  celui-ci.—  Déjà  !...  récrit 
Louis-Philippe.  » 

Que  s'cst-il  passé  dans  ces  entrefaites  entre  le  moribond  et 
M.  l'abbé  Dupanloup?  Nous  le  saurons  au  jugement  dernier. 

Talleyrand  méritait  les  honneurs  de  l'immortalité,  seulement 
pour  avoir  dit  avec  le  sublime  de  l'impudence  :  La  parole  a  été 
donnée  à  l'homme  pour  cacher  sa  pensée.  L'abbé  CouNUr. 

*  Précis  historique  sur  l'Eglise  constitutionnelle,  p.  83. 

*  Précis  historique  sur  VE<jlise  constitutionnelle,  p.  85, 86. 


DE  1789  A  1800.  117 

pour  le  ployer  aux  idées  démagogiques.  Le  6  avril  1792, 
il  déposa  aussi  sa  calotte  et  sa  croix,  à  l'exemple  de  ses 
confrères.  Cependant  il  parait  qu'après  la  chute  du  trône, 
ne  pouvant  plus  se  tromper  sur  le  but  des  factieux,  il  prit 
une  marche  rétrograde.  Le  28  novembre  1792,  il  se  dé- 
clara, dans  une  lettre  pastorale,  contre  le  divorce  et  contre 
le  mariage  des  prêtres,  et  fut  dénoncé  à  ce  sujet  par  Le- 
cointre.  Son  discours,  lors  du  procès  de  Louis  XVI, 
montre  encore  quelque  courage  pour  le  temps,  et  Fauchet 
y  dit  des  vérités  assez  hardies,  qu'il  entremêle  pourtant 
de  phrases  alors  reçues  sur  le  tyran  et  la  tyrannie.  Il 
s'attacha  au  parti  fédéraliste,  dont  il  partagea  les  dis- 
grâces. Envoyé  à  la  Conciergerie,  il  y  trouva  l'abbé  Lo- 
thringer,  qui  raconte  ainsi  ses  derniers  moments  *  :  «  Pour 
Fauchet,  je  peux  vous  dire  positivement  qu'il  a  abjuré 
non-seulement  ses  erreurs  sur  la  constitution  civile,  mais 
aussi  ce  qu'il  a  prêché  dans  le  temps  à  l'église  de  Notre- 
Dame,  ce  qu'il  a  débité  dans  son  club,  dit  la  Bouche-de- 
Fer,  sur  la  loi  agraire,  le  sermon  de  Franklin  ;  qu'il  a  fait 
abjuration  de  toutes  ses  erreurs;  qu'il  révoquait  son  ser- 
ment impie  et  son  intrusion,  après  avoir  fait  une  profes- 
sion de  foi  catholique,  apostolique  et  romaine,  ce  qui  oc- 
casionnait des  murmures  entre  les  gendarmes  qui  étaient 
présents.  L'abbé  Fauchet,  après  s'être  confessé,  a  entendu 
lui-même  à  confesse  Sillery.  »  Traduit  au  tribunal  révolu- 
tionnaire avec  vingt  autres  députés  du  parti  fédéraliste,  il 
fut  condamné  à  mort  et  exécuté  le  31  octobre  1793. 

Lamourette,  évêque  de  Rhône-et-Loire ,  avait  rédigé 
quelques  écrits  en  faveur  de  la  constitution  civile  du 
clergé,  et  Mirabeau  se  servait  de  lui  quand  il  avait  à  parler 
sur  les  matières  ecclésiastiques*.  On  le  récompensa  de  ses 

*  Annaks  catholiques,  t.  IV,  p.  169, 170. 

*  Précis  hiit.  sur  l'Egl.  comtif.,  p,  86. 


118  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

services  en  le  faisant  évoque,  et  il  fut  nommé  député  à 
l'Assemblée  législative,  oîi  il  se  montra  généralement  du 
parti  modéré.  La  session  finie,  il  retourna  à  Lyon,  fut  en- 
voyé h  Paris  après  le  siège  de  cette  ville,  et  trouva  dans 
les  prisons  de  la  Conciergerie  le  vertueux  abbé  Emery, 
dont  les  conseils  le  ramenèrent  à  l'unité.  Le  7  janvier  1794, 
il  lui  remit  une  rétractation  signée  et  très-précise  de  ses 
erreurs,  demandant  pardon  d'avoir  occupé  un  siège  non 
vacant,  d'avoir  reçu  la  consécration  épiscopale,  violé  les 
lois  de  la  discipline  et  méconnu  l'autorité  du  Pontife  ro- 
main. Celte  rétractation  fut  depuis  envoyée  à  Lyon  par 
l'abbé  Emery,  publiée  dans  le  diocèse  et  insérée  dans 
quelques  journaux.  Le  11  janvier  suivant,  Lamourette  fut 
traduit  au  tribunal  révolutionnaire.  Après  son  jugement, 
il  fit  le  signe  de  la  croix  et  dit  publiquement  qu'il  était 
l'auteui'  des  discours  prononcés  par  Mirabeau  sur  les  ma- 
tières ecclésiastiques,  qu'il  regardait  son  supplice  comme 
un  juste  châtiment  de  la  Providence,  et  qu'il  y  marchait 
avec  la  plus  grande  résignation  et  le  plus  vif  repentir'. 

Gobel  fut  mis  en  jugement  avec  Chaumette,  le  comédien 
Gramont  et  les  femmes  de  Camille  Desmoulins  et  d'Hé- 
bert, exécutés  quelques  jours  auparavant;  de  toiles  gens 
ne  ressemblaient  pas  beaucoup  k  des  martyrs.  Dans  le 
procès,  on  reprocha  à  Gobel  sa  mission  à  Porentruy,  oij  il 
avait  pillé,  dit-on.  On  assurait  que  c'étaient  Anacharsis 
Clootz  et  Pereira  de  Bayonne  qui  l'avaient  engagé  à  faira 
son  abjuration.  Ce  malheureux  prélat  est  un  exemple  des 
excès  où  peuvent  entraîner  la  faiblesse  et  la  peur.  Il  avait 
fait,  en  1791,  le  serment  avec  quelques  restrictions  qu'il 
rétracta  bientôt.  En  1792,  il  se  présenta  chez  le  marquis 
de  Spinola,  ambassadeur  de  Gènes,  désirant  que  le  mar« 
quis  lui  obtînt  du  Pape  cent  mille  écus,  et  promettant  de 

'  Nocl,  E^hèméndcs. 


DE  1789  A  1800.  119 

rétracter  son  serment  à  ce  prix  ;  mais  l'ambassadeur  dé- 
clina cette  étrange  commission'.  L'abbé  Barruel  eut,  de 
nuit,  plusieurs  entretiens  avec  Gobel,  qui  avait  souhaité 
cette  entrevue,  qui  marchanda  son  abjuration  et  qui 
finit  par  rester  engagé  dans  le  schisme.  Les  jacobins  le 
dominaient  et  l'entraînèrent  avec  eux  dans  l'abîme.  Pen- 
dant son  procès,  il  affectait  encore  le  langage  des  pa* 
triotes.  Quand  il  eut  été  condamné  à  mort,  le  13  avril  1794, 
la  foi  se  réveilla  en  lui,  et,  ne  pouvant  avoir  uii  prêtre,  il 
envoya  sa  confession  à  l'un  de  ses  vicaires  épiscopaux, 
l'abbé  Lothringer,  qui  s'était  dévoué  à  assister  les  mou- 
rants. «  Dans  peu  de  jours,  disait-il  ^,  je  vais  expier,  par 
la  miséricorde  de  Dieu,  tous  mes  crimes  et  mes  scandales 
contre  la  sainte  religion.  J'ai  toujours  applaudi  dans  mon 
cœur  à  vos  principes.  Pardon,  cher  abbé,  si  je  vous  ai 
induit  en  erreur.  Je  vous  prie  de  ne  point  me  refuser  les 
derniers  secours  de  votre  ministère  en  vous  transportant 
à  la  Conciergerie,  et  à  ma  sortie  de  me  donner  l'absolu- 
tion de  mes  péchés,  sans  oublier  le  préambule  :  Ah  omni 
vinculo  excommunicationis.  (Je  vous  absous  de  tout  lien 
d'excommunication.)  Adieu,  mon  cher  abbé.  Priez  Dieu 
pour  mon  âme,  à  ce  qu'elle  trouve  naiséricorde  devant  lui. 
•^  J.-B.-J.,  évêque  de  Lydda.  ? 

Trois  choses  importantes  sont  à  remarquer  dans  cette 
lettre  de  Gobel  :  1°  qu'il  reconnaît  avoir  toujours  applaudi 
dans  son  cœur  aux  principes  de  l'abbé  Lothringer,  ce  qui 
ne  peut  être  applicable  qu'aux  principes  opposés  à  la  con- 
stitution civile  du  clergé,  que  Gobel  lui  connaissait  depuis 
quelque  temps;  que  la  recommandation  faite  par  lui  de  ne 
pas  oublier  dans  la  formule  d'absolution  le  lien  d'excom- 
munication, suppose  évidemment  la  persuasion  où  il  était 

*  Noël,  EpMmc'riics. 

^  Annales  cathol.,  t.  ill,  p.  469,  470. 


420  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

d'avoir  encouru  rexcoramunication  lancée  par  le  chef  de 
l'Eglise  contre  les  envahisseurs;  3°  que  la  signature  évoque 
de  Lydda,  qui  était  son  véritable  titre,  et  non  évêque  de 
Paris,  est  une  preuve  sans  réplique  qu'il  regardait  son 
évêché  constitutionnel  comme  une  criminelle  usurpation, 
dont  il  rougissait  lui-même  et  dont  il  allait  rendre  compte 
à  Dieu. 

Trois  des  principaux  évêques  constitutionnels  se  rétrac- 
tèrent donc  au  moment  de  la  mort  '.  On  cite,  comme  ayant 
fait  la  même  réparation,  Roux,  évêque  des  Eouches-du- 
Rhône,  exécuté  à  Marseille  le  27  avril  1795;  repentant  de 
son  intrusion  schismatique,  il  en  demanda  publiquement 
pardon.  Gouttes,  évêque  de  Saône-et-Loirc,  qui  iit  aussi 
partie  de  l'Assemblée  constituante,  et  devint  membre  des 
comités  de  liquidation  et  des  recherches,  déplut,  dit-on, 
aux  jacobins  à  cause  de  son  attachement  à  la  religion  ;  il 
fut  dénoncé  par  un  de  ses  vicaires  épiscopaux,  qui  se 
maria.  Envoyé  à  Paris  et  traduit  au  tribunal  révolution- 
naire, il  fut  mis  à  mort  le  26  mars  1794  pour  une  préten- 
due conspiration  avec  des  gens  qu'il  ne  connaissait  pas. 
Expilly,  évêque  du  Finistère,  devint  président  de  son  dé- 
parlement,  prit  part  au  mouvement  fédéraliste  qui  éclata 
dans  cotte  contrée  en  1793,  fut  exécuté  à  Brest  avec  tous 
les  autres  administrateurs,  après  la  défaite  de  ce  parti, 
le  21  juin  1794;  mais  on  ne  sait  s'il  reconnut  ses  erreurs 
à  la  mort.  Tant  de  coups  semblaient  avoir  renversé  à 
jamais  l'Eglise  constitutionnelle. 

Grégroire  (Henri). 

Né  en  1750  près  do  Lunéville,  il  était  curé  d'Imber- 
mcsnil  en  1789.  Nommé  député  du  clergé  aux  Etals  géné- 
raux, il  fut  un  des  plus  ardents  provocateurs  de  toutes  les 

'  Précis  hist.  sur  l'EjjL  consiit..  p.  86,  87. 


DE  1789  A  1800.  121 

mesures  révolutionnaires.  Il  donna,  en  1790,  l'exemple  de 
la  défection  à  l'Eglise  en  prêtant  serment,  le  premier  de 
son  ordre,  à  la  constitution  civile  du  clergé,  et  fut  élu 
évèque  intrus  de  Loir-et-Cher.  Il  fit  partie  de  la  Conven- 
tion, et  y  prononça,  en  septembre  1792,  un  discours 
d'énergumène;  une  sombre  fureur  était  dans  ses  regards. 

€  Toutes  les  dynasties,  s'écria-t-il,  n'ont  jamais  été  que 
des  races  dévorantes,  qui  ne  vivent  que  de  chair  humaine. 
Nous  ne  proposerons  jamais  de  conserver  en  France  la 
race  funeste  des  rois;  les  rois  sont  dans  l'ordre  moral  ce 
que  les  monstres  sont  dans  l'ordre  physique.  Décrétons 
donc  l'abolition  de  la  royauté.  » 

Ces  imprécations,  exprimées  avec  l'accent  du  délire, 
furent  couvertes  d'acclamations.  Aucune  voix  ne  se  fit  en- 
tendre pour  s'opposer  à  tant  de  fureurs;  la  destruction  de 
la  monarchie  fut  décrétée. 

Le  18  novembre,  lors  de  la  discussion  sur  le  procès  à 
intenter  à  Louis  XYI,  le  député  Grégoire,  succédant  à 
Saint-Just  à  la  tribune,  répète  avec  la  plus  froide  cruauté 
tous  les  blasphèmes  de  ce  dernier. 

€  La  postérité  s'étonnera,  dit-il,  qu'on  ait  pu  mettre  en 
question  si  une  nation  peut  juger  son  premier  commis. 

>  Il  y  a  seize  mois  aujourd'hui  qu'à  cette  tribune  j'ai 
prouvé  que  Louis  XVI  pouvait  être  mis  en  jugement.  J'avais 
l'honneur  de  figurer  dans  la  classe  peu  nombreuse  de 
patriotes  qui  luttaient  avec  désavantage  contre  la  masse  de 
brigands  de  l'Assemblée  constituante.  Les  rois  forment  une 
classe  d'êtres  purulents  qui  fut  toujours  la  lèpre  des  gou- 
vernements et  l'écume  de  l'espèce  humaine.  Qu'arrivera- 
t-il  si,  au  moment  où.  les  peuples  vont  briser  leurs  fers, 
vous  assurez  l'impunité  à  Louis  XVI?  Les  despotes  saisi- 
raient habilement  ce  moven  d'attacher  encore  quelque 

6 


122  T.A  on.vNDE  nÉ\*:Li:TioN 

importance  h  l'absuicle  maxime  qu'ils  tiennent  leur  cou- 
ronne de  Dieu  et  de  leur  épt^e,  d'égarer  l'opinion  et  de 
river  les  fers  des  peuples,  au  moment  où  les  peuples, 
prêts  à  broyer  les  monstres  qui  se  disputent  les  lambeaux 
des  hommes,  allaient  prouver  qu'ils  tiennent  leur  liberté 
de  Dieu  et  de  leurs  sabres.  » 

La  joie  qu'il  ressentit  d'avoir  contribué  à  faire  décréter 
l'abolition  de  la  royauté  lui  ôta,  de  son  propre  aVcu,  l'ap- 
pétit avec  le  sommeil.  Il  était  en  mission  à  Chambéry 
avec  plusieurs  de  ses  collègues  lors  du  jugement  de 
Louis  XYI,  et  il  vota  par  lettre,  avec  eux,  pour  la  mort 
du  roi  '  sans  appel  au  peuple.  Il  siégea  au  conseil  des 
Cinq-Cents,  puis  au  Corps  législatif  après  le  18  brumaire, 
devint  sénateur  en  1801,  et  demanda  un  des  premiers, 
en  1814,  la  déchéance  de  Napoléon  I".  Il  fut  exclu  de 
l'Institut  après  le  second  retour  des  Bourbons,  et  en  1816 
de  la  Chambre  des  députés,  où  l'avait  envoyé  le  départe- 
ment de  l'Isère.  Il  mourut  en  1831.  Sur  son  refus  de  ré- 
tracter ses  erreurs  malgré  les  instances  de  l'archevêque  de 
Paris,  les  sacrements  durent  lui  être  refusés  par  le  curé 
de  la  paroisse. 

*  Nous  allons  faire  connaître  sa  pensée  en  citant  la  lettre  qu'il 
écrivit,  pendant  le  procès  de  Louis  XVI,  de  Chambéry,  où  il 
était  en  mission  : 

«  Chambéry,  U  janvier  1793. 

»  Nous  apprenons  par  les  papiers  publics  que  la  Convention 
doit  prononcer  demain  sur  Louis  Capet.  Privé  de  prendre  part 
à  vos  délibérations,  ttiais  instruit  par  une  lecture  réfléchie  des 
pièces  imprimées  et  par  la  connaissance  que  chacun  de  nous 
avait  acquise  depuis  longtemps  des  trahisons  non  interrompues 
de  ce  roi  parjure,  nous  croyons  que  c'est  uU  devoir  pour  tous  les 
députés  d'annoncer  leur  opinion  publiquement,  et  que  ce  serait 
une  lâcheté  de  prohlcr  de  noire  éloignement  pour  nous  sous- 
lr..ire  à  cette  obligation.  Nous  déclarons  donc  que  notre  vo  u 
estjjour  la  conrlamnation  de  Louis  Cai^ct  par  la  Convention,  sans 
cppd  au  "ppnplc.  Nous  proférons  co  vomi  dans  la  plus  intime 


DE  1789  A  18(r0.  123 

Seèacs  de  la  Révolution  dans  le  Yelay. 

Les  traits  suivants  sont  détachés  de  l'intéressant  ouvrage 
publié,  en  1866,  en  deux  volumes  :  Causeries  histoi'iqms  sv.r 
le  Velay,  par  l'abbé  Gornut. 

«  Dieti  semblait  dormir  pendant  la  tempête.  «  S'il  existe, 
"  qu'il  demne  signe  de  vie  I  "  s'écriaient  ses  ennemis  dans 
leur  délire  frénétique.  Le  signe  demandé  est  enfin  venu 
pour  tous. 

»  Après  m' être  informé  minutieusement  de  quelle  ma- 
nière avaient  fini  les  démagogues  les  plus  connus  de  mon 
canton  et  des  contrées  environnantes,  je  n'ai  rencontré  que 
morts  subites,  morts  tragiques,  que  morts  lamentables  '. 

conviction,  à  cette  distance  des  agitations  où  la  vérité  se  montre 
sans  mélange,  et  dans  le  voisinage  du  tyran  piémontais.  » 

Grégoire  applaudit  depais  à  la  mort  de  Louis  XVI  par  cette 
phrase  consignée  à  la  page  58  de  sou  Essai  historique  et  patrio- 
tique sit;'  les  arbres  de  la  liberté  :  «  Aristogiton,  que  Thucydide 
et  Lucien  nous  peignent  comme  le  plus  pauvre  et  le  plus  ver- 
tueux de  ses  concitoyetis,  comme  un  vrai  sans  culotte,  de  concert 
avec  son  ami  Harmodius,  tua  le  Cupet  d'Athènes,  le  tyran  Pi- 
sistrate,  qui  avait  à  peu  près  l'âge  et  la  scélératesse  de  celui  que 
nous  venons  d'exterminer.  » 

*  Même  au  fort  de  la  Révolution,  il  est  arrivé  plusieurs  évé- 
nements dans  le  genre  de  celui  que  je  vais  rappeler. 

Une  belle  croix  en  pierre,  qui  occupait  le  milieu  de  la  grande 
place  de  Monistrol,  allait  être  abattue  par  les  patiiotes.  Après 
qu'on  l'a  suffisamment  ébranlée  à  sa  base,  un  révolutionnaire 
très-exalté  se  met  à  la  pousser,  avec  une  solide  perche,  pour  la 
faire  tomber  dans  la  direction  opposée  à  celle  où  il  se  trouve. 
La  croix  vacille;  mais  au  lieu  de  suivre  l'impulsion  qu'on  veut 
lui  donner,  elle  revient  en  avant,  se  précipite  sur  l'homme  et 
l'écrase.  On  releva  un  cadavre  à  demi  broyé. 

La  multitude  consternée  s'écria  :  «  Miracle!  miracle!  »  Lb 
esprits  forts,  après  être  revenus  de  leur  étourdissement,  par- 
lèrent de  hasard  ou  de  maladresse. 


424  LA  GRANDE   RÉVOUITION 

Si  ma  pitié  pour  la  descendance  qu'ils  ont  laissée  ne 
m'arrêtait  pas,  je  pourrais  citer  d'effravants  détails  au 
sujet  de  leurs  derniers  moments.  Le  maître  qu'ils  avaient 
si  bien  servi  pendant  les  jours  de  sou  exécrable  puis- 
sance, les  trouva  dociles  et  obéissants  jusqu'au  bout  ;  l'on 
aurait  cru  volontiers  qu'en  cette  circonstance  il  était  à 
leurs  côtés,  jouissant  d'un  dernier  triomphe,  et  venant 
chercher  l'un  des  siens.  C'est,  du  reste,  ce  qui  est  peut- 
être  universellement  arrivé,  dans  la  France  entière,  aux 
terroristes  les  plus  ardents,  aux  démolisseurs  d'églises, 

La  justice  de  Dieu  s'est  exercée  de  plus  d'une  manière  en- 
vers ses  ennemis  de  1793,  comme  on  le  verra  par  le  ti'ait  sui- 
vant : 

Un  gendarme,  au  Puy,  ayant  enfoncé  un  tabernacle,  y  dé- 
couvrit un  ciboire  plein  d'hosties  consacrées,  s'en  empara  et 
alla  le  vider  dans  la  mangeoire  de  son  cheval,  qui  dévora  les 
hosties  immédiatement.  Cette  abominable  profanation  amusa 
beaucoup  le  gendarme  :  «  Mon  cheval  a  joliment  communié, 
disait-il  à  tout  le  monde,  et  il  ne  s'en  porte  pt  "i-ilus  mal  !  »  Ce- 
pendant la  prouesse  du  misérable  eut  des  suiies  terriblement 
funestes.  J'ai  appris  qu'après  une  courte  vie  passée  dans  les 
plus  hideuses  habitudes  de  crapule  et  de  fange,  il  était  littéra- 
lement mort  comme  un  chien,  sans  avoir  plus  de  pensée  et  de 
sentiment  que  cet  animal. 

Est-ce  qu'un  pareil  châtiment  ne  vaut  pas  autant  que  si  l'hor- 
rible brute  avait  été  foudroyée  sur  le  coup  ? 

On  l'a  su,  hélas  I  tel  grand  révolutionnaire  de  notre  départe- 
ment est  mort  de  la  façon  dont  nous  avons  coutume  de  nous 
endormir,  avec  la  tranquillité  d'un  caillou,  et  tel  autre  est  mort 
en  blasphémant  et  en  maudissant  Dieu,  avec  la  haine  immuable 
d'un  démon.  Ces  deux  espèces  de  désespérés  avaient  également 

pris  leur  parti  :  ils  savaient  trop  bien  où  ils  devaient  aller 

Seulement,  le  premier  avait  plus  de  caractère  que  le  second  ou, 
pour  mieux  dire,  il  était  plus  profondément  mauvais  encore. 

N'cst-il  pas  bon  d'apprendre  ces  épouvantables  vérités  aux 
esprits  simples,  lettrés  pourtant,  et  même  instruits  quelquefdis, 
qui  s'émerveillent  de  voir  mourir  dans  le  calme  un  monstre 
chargé  de  mille  crimes? 


DE  1780  A  1800.  125 

aux  briseurs  de  croix,  aux  brûleurs  de  saints.  Ils  avaient 
porté  à  Dieu  un  défi  solennel:  ce  défi  retomba  sur  leur 
tète,  et  y  resta  attaché  comme  le  glaive  de  la  justice  cé- 
leste. Ah  I  je  dois  dire  cependant  qu'ils  n'ont  jamais  voulu 
se  tourner  vers  la  miséricorde  infinie,  tant  leui*  cœur  était 
pervers'. 

*  Le  fait  si  touchant  que  je  vais  vous  rapporter  nous  attes- 
tera ce  çpi'aurait  pu  être  pour  tous  rimmfensité  de  cette  misé- 
ricorde. 

Un  citoyen  de  la  commune  de  C avait  démoli  les  églises, 

abattu  les  croix,  dépecé  et  jeté  au  feu  chaires,  confessionnaux, 
autels,  crucifix,  images  et  statues  des  saints;  il  avait  poursuivi 
avec  acharnement  les  prêtres,  les  religieux  et  les  religieuses 
pour  les  faire  guillotinerjbref,  il  s'était  livré  comme  un  furieux 
à  tous  les  excès  révolutionnaires.  Sous  l'Empire,  il  rentra  en 
lui-même,  et,  à  l'occasion  d'une  retraite,  il  se  convertit  sin- 
cèrement. Pourtant  l'on  se  souvenait  de  sa  conduite  passée; 
bien  plus,  on  en  parlait  avec  cette  recrudescence  d'indignation 
et  d'emportement  que  les  réactions  amènent  toujours.  La  con- 
ver^iun  fut  prise  pour  une  farce  calculée  :  «  Un  être  de  cette 
nature  ne  change  pas,  disait-on;  il  a  peur  maintenant,  et  voilà 
pourquoi  il  fait  le  dévot.  »  Les  petits  enfants  entendaient  leurs 
pères  et  leurs  mères  raconter  souvent  les  horreurs  accomplies 
par  l'affreux  sans-culotte  ;  et,  il  faut  bien  l'avouer,  ces  récits 
n'étaient  pas  suspects  d'exagération  :  il  y  avait  des  monstruo- 
sités à  faire  dresser  les  cheveux.  Toute  la  marmaille  de  l'endroit 
fut  bientôt  renseignée  sur  son  compte;  elle  ne  vit  en  lui  qu'une 
Lète  noire,  qu'un  loup-garou,  qu'un  ami  du  diable.  Or  cet  âge 
exprime  hardiment  ce  qu'il  pense.  Chaque  fois  que  les  mou- 
tards de  huit  à  douze  ans  rencontraient  le  ci-devant  terroriste, 
ils  le  poursuivaient  de  leurs  huées,  de  leurs  injures,  de  l'énu- 
mération  de  ses  nombreux  méfaits.  Lui,  il  ne  se  fâchait  pas;  au 
contraire,  il  se  retouinait,  le  cœur  gros,  les  mains  jointes  et  les 
lai-mes  aux  yeux,  en  leur  disant  de  sa  voix  la  plus  humble  : 
«  Continuez,  mes  enfants  ;  je  suis  trop  digne  de  vos  reproches. 
Le  ciel  punit  par  votre  bouche  un  abominable  scélérat.  Non, 
non,  vous  ne  me  direz  jamais  autant  de  mal  que  j'en  mérite. 
Maudissez-moi  bien,  pourvu  que  Dieu  me  pardonne!...  Néan- 
moins, mes  chers  enfants,  j'oserai  vous  donner  une  leçon  : 


126  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

»  Les  mauvais  prrtros,  qui  se  signalèrent  le  plus  par 
leurs  excès,  pendant  la  Révolution,  ont  tous  fait  une  fin 
pareille.  N'avaient-ils  pas  dit  qu'ils  se  déprêtrisaie'U?  et, 
pour  compléter  tout-îi-fait  leur  apostasie,  n'avaient-ils  pas 
ajouté  qu'ils  se  déchristianisaient?  Leur  sort  fut  trop  mérité. 
Quand,  désertant  la  compagnie  des  anges,  l'on  s'est  enrôlé 
sous  la  bannière  des  démons,  l'impiété  ne  lâche  pas  de  si 
belles  recrues  :  elle  les  tient  enlacées  jusqu'à  l'instant  où 
elle  les  écrase  comme  la  foudre  '... 

»  Un  de  nos  jeunes  lévites  qui,  au  péril  de  leur  liberté 
et  de  leur  vie,  étaient  allés  recevoir,  en  Suisse,  les  saints 
ordres  des  mains  de  M^'  de  Galard,  raconte  ainsi  la  mort 
de  deux  de  ces  misérables  :  «  Le  premier  eut  une  attaque 
»  d'apoplexie  qui  lui  ôta  la  parole  et  toute  connaissance. 
»  Je  fus  appelé;  je  passai  la  nuit  auprès  de  lui,  mais  en 
»  vain.  L'autre,  l3eaucoup  plus  scélérat,  fut  administré 
>  quelque  temps  avant  sa  mort  par  un  prêtre  catholique 

n'imitez  pas  mon  exemple,  et  restez  toujours  fidèlement  attachés 
à  voire  sainte  religion  et  h  ses  bons  ministres.  » 

Il  assistait  régulièrement  h  la  messe  tous  les  jours,  dans  le 
coin  le  plus  obscur  de  l'église.  Quand  il  communiait,  ou  le 
voyait  trembler  et  pleurer. 

Peu  de  temps  avant  sa  mort,  l'opinion  publique  était  moins 
sévère  au  triste  vieillard.  L'on  n'aurait  pas  eu  le  courage  de  le 
qualilicr  d'hypocrite.  Son  curé  l'abordait  volontiers  pour  lui 
serrer  la  main,  et  avait  h  son  sujet  le  mot  favorable  on  ton  le 
occasion.  Les  enfants  ne  l'insultaient  plus,  ils  paraissaient  même 
le  plaindre.  Le  jour  de  son  enterrement,  tous  ses  voisins  voii- 
lurent  l'accompagner  jusqu'au  cimetière.  En  revenant  de  la 
funèbre  cérémonie,  chacun  répétait  :  «  II  a  tant  fait  pénitence, 
le  pauvre  mallicureuxl  » 

Lorsque  les  petits  garçons  et  les  petites  fdles  demandaient  à 
leur  mère  :  «  Est-il  allé  en  enfer,  notre  Robespierre  ?  »  la  mère 
répondait  :  «Non  pas,  mon  enfant;  il  est  allé  seulement  cl  pur- 
gatoire, parce  qu'il  a  longuement  pleuré  ses  péchés.  » 

*  Impietas  impii  erit  super  eum.  EzECii.,  xvni,  20. 


DE  1789  A  1800.  127 

»  qui  le  confo?3a  et  se  disposa  à  lui  portei'  le  sairit  Via- 
V 'tique.  Curieux  de  voir  comment  les  choses  se  passe- 
»  raient,  je  précédai  ce  prêtre  de  quelques  instants,  et 
»  j'entendis  le  malade  jurer  et  s'impatienter.  Ce  fut  \h 
»  toute  sa  préparation.  Il  reçoit  la  sainte  hostie,  il  la 
1  tourne  et  la  retourne  dans  sa  bouche  et  finit  par  la  cra- 
»  cher  sur  ses  draps.  Je  la  ramassai  comme  je  pus  et 
1  l'emportai  avec  moi.  » 

j  Voici  un  drame  d'une  espèce  inouïe,  dont  je  suis  loin 
d'approuver  les  auteurs,  mais  où  je  ne  puis  méconnaître 
la  trop  juste  vengeance  de  Dieu.  Le  P.  Breysse,  ex- 
capucin, curé  intrus  de  Saint-Maurice  de  Roche,  s'était 
attiré  la  haine  et  l'exécration  générales,  en  dénonçant 
ceux  de  ses  paroissiens  qui  refusaient  d'assister  à  sa  messe 
ou  de  l'employer  pour  le  baptême  de  leurs  enfants,  sur- 
tout en  cherchant  à  faire  prendre  ses  confrères  restés 
fidèles  à  l'Eglise.  Une  nuit,  quelques  individus  viennent 
creuser  une  fosse  dans  son  jardin,  et  s'introduisent  dans 
sa  maison.  Le  féroce  persécuteur  était  dans  son  lit,  dor- 
mant d'un  sommeil  paisible.  Gn  le  saisit,  on  le  traîne  de- 
vant la  fosse,  on  lui  donne  quelques  minutes  pour  de- 
mander pardon  à  Dieu;  puis  on  le  tue  à  coups  de  fusil,  et 
on  l'enterre  encore  palpitant. 

»  Le  curé  intrus  d'une  paroisse  que  je  ne  nommerai  pas, 
et  qui  valait  son  confrère  de  Saint-Maurice  de  Roche,  — 
car  il  entretenait  aussi  des  émissaires  et  des  espions  afin 
de  livrer,le  curé  légitime..., —  avait  entendu  plus  d'une 
fois  les  balles  siffler  à  ses  oreilles.  Il  se  hâta  de  déguerpir 
pour  échapper  à  la  catastrophe  dont  il  était  menacé  jour- 
nellement. D'après  ce  que  l'on  m'a  raconté,  ce  mal- 
heureux, couvert  de  turpitudes,  serait  mort  en  grinçant 
les  dents  et  en  se  débattant,  comme  s'il  eût  été  assailli 
par  quelque  puissance  invisible. 

»  Un  certain  abbé  En a  laiss^au  Puy  un  souvenir 


128  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

qui  me  permet  de  lui  donner  ici  une  place  distinguée.  Je 
le  prenais  d'abord  pour  le  renégat  du  môme  nom,  devenu 
juge  de  paix  révolutionnaire  à  Coucouron,  et  par  les  soins 
duquel  notre  brave  général  Lamothe  fut  arrêté  à  la  Narse. 
C'est  un  autre  En Il  avait  aussi  prêté  le  serment  con- 
stitutionnel, et  dûment  apostasie.  Le  dieu  de  l'hyménée 
devait  recevoir  les  serments  du  parjure.  Ses  prouesses 
bachiques  étaient  au  niveau  de  ses  sentiments  antichré- 
tiens ;  et,  dans  ses  fréquents  transports  de  fureur,  il  usait 
largement  du  droit  démocratique  de  battre  sa  femme.  L'on 
citait  les  brutales  scènes  du  ménage,  comme  une  marque 

de  la  malédiction  divine Cependant  cet  homme,  doué 

de  quelque  intelligence,  exerçait  les  fonctions  de  maître 
d'école  particulier;  il  avait  le  renom  de  bien  inculquer  les 
principes  du  latin  :  temps  déplorable  que  celui  où,  sous 
le  prétexte  de  communiquer  un  peu  d'instruction,  l'on 
pouvait  journellement  offrir  de  tels  exemples  k  la  jeu- 
nesse!... L'orgueil  et  l'entêtement  complétèrent  une  assez 
longue  carrière  d'excès.  Telle  vie,  telle  mort.  L'ivrogne 
impie,  si  profondément  enfoncé  dans  le  mal,  refusa  jus- 
qu'il son  dernier  soupir,  avec  rage,  l'assistance  d'un  prêtre. 
»  On  n'ignore  pas  que  le  curé  intrus  du  Chambon  assis- 
tait à  la  fête  de  la  déesse  Raison,  armé  d'une  pique  et 
coiffé  d'un  bonnet  rouge.  Il  se  nommait  Deigas;  origi- 
naire de  l'Ardèche,  il  avait  été  ordonné  par  l'évoque 
jureur  de  Viviers.  Cet  ignoble  apostat  réunissait  le  vice 
de  l'ivrognerie  à  quelques  autres...  Peu  d'années  après  la 
Révolution,  il  fut  trouvé  ivre-mort,  et  bien  mort,  sur  la 
grand'routc,  près  d'Annonay. 
—  «  Est-il  terrible,  le  récit  de  la  mort  d'OUier  I 
t  II  venait  d'être  condamné  à  la  peine  capitale  pour 
avoir  dérobé  lui-même  1(!S  vases  sacrés  de  son  église.  Le 
représentant  Faure,  son  ami,  lui  dit  avec  une  perlidie 
cruelle,  sous  prétexte  de  le  consoler  :  «  Sois  tranquille  I  le 


DE  1789  A  1800.  129 

»  peuple  te  sauvera.  Quand  tu  seras  sur  l'esplanade  de 
ï  l'échafaud,  tu  n'auras  qu'à  crier,  le  bonnet  rouge  sur  la 
»  tête  :  Vive  la  République!  Aussitôt  les  sans-culottes  et 
>  les  tricoteuses,  qui  connaissent  tes  sentiments,  deman- 
•  deront  ta  délivrance.  »  Etant  parvenu  là-haut,  Olliep 
pousse  avec  force  l'exclamation  patriotique.  Le  bourreau 
lui  répond  :  *  C'est  assez  crié,  citoyen  ...,  approche  vite  de 
»  la  chatière;  il  m'en  reste  encore  cinquante  après  toi.  » 
Sa  tête  roula  dans  la  corbeille,  et  son  âme  dans  l'abîme 
de  l'éternité  ! 

>  Je  vais  citer  un  échantillon  de  l'enseignement  républi- 
cain. Le  fait,  accompagné  de  particularités  prodigieuse- 
ment étranges,  est  d'une  certitude  incontestable  :  ce  sera 
une  variété  presque  piquante  dans  mes  Scènes  de  la  Révo- 
lution : 

lie  sermon  qui  fait  tomber  la  g-réle. 

»  Un  jour  de  décadi,  le  citoyen  Jamon-Ribeyre  (c'est  le 
nom  du  plus  jeune)  était  allé  à  Raucoules,  village  situé  à 
quelques  pas  de  sa  propriété.  En  arrivant  sur  la  place,  il 
rencontre  de  nombreux  moissonneurs,  accourus  des  loca- 
lités voisines  pour  chercher  du  travail,  qui  le  saluent  par 
les  cris  de  :  Vive  la  République!  vive  le  républicain  Ribeyre  t 
Une  idée  lui  vient  aussitôt  :  s'il  débitait  un  sermon  de  sa 
façon?  La  circonstance  est  propice,  ces  rustres  fourni- 
raient, à  eux  seuls,  un  bon  noyau  d'auditeurs.  Son  dessein 
leur  est  annoncé;  la  tourbe,  presque  entièrement  com- 
posée de  jeunes  égrillards,  l'accueille  comme  une  occasion 
de  se  divertir.  Cependant  l'abbé  révolutionnaire  fait  sonner 
la  cloche,  et  envoie  des  émissaires  complaisants  dans  les 
environs  pour  amener  autant  de  monde  que  possible. 
L'église  en  peu  de  temps  est  remplie  aux  deux  tiers.  L'ora- 
teur monte  en  chaire.  Après  avoir  remercié  ses  chers  con- 
citoyens de  leur  concours  empressé,  auquel  son  cœur  est 


130  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

extrêmoment  sensible,  il  cite  un  texte  de  Vollairo,  et  com- 
mence un  discours  véhément,  où  les  prêtres  sont  honnis, 
caricaturés  à  outrance,  où  la  sainte  Vierge,  où  les  saints 
reçoivent  de  bizarres  camouflets,  où  Dieu  lui-même  a  son 
petit  mot. 

»  Cet  être  mystérieux  qu'on  vous  a  prêché,  dit-il,  qui 
l'a  vu?  Sa  Providence,  à  l'œil  sans  cesse  ouvert  et  qui  se 
mêle  de  toutes  choses,  n'est-elle  pas  une  rêverie  de  quelque 
visionnaire,  que  l'ignorance  et  la  bêtise  ont  acceptée  sans 
examen.  Tout  sur  la  terre  doit  être  subordonné  aux  lois 
d'une  sage  raison  :  car  la  Raison,  c'est  notre  véritable 
Dieu,  c'est  notre  véritable  Providence.  Le  ciel,  que  nous 
supposons  habité  par  un  maître  tout-puissant  et  par  des 
légions  d'anges  et  de  bienheureux,  qu'est-il  en  réalité? 
Un  espace  immense,  peuplé  d'étoiles  qui  ne  s'occupent 
pas  de  nous.  Croyez-moi,  citoyens,  les  fléaux  que  le  cour- 
roux d'un  Dieu  vengeur  enverrait  aux  hommes  sont  des 
chimères  dont  il  nous  est  permis  de  rire.  Autrefois  j'ai  été 
abusé  comme  vous;  mes  yeux  se  sont  ouverts,  que  les 
vôtres  s'ouvrent  aussi  !  Ne  croyons  qu'à  la  vérité  et  re- 
poussons les  fables.  Soyons  de  bons  républicains,  de 
francs  sans-culottes,  et  moquons-nous  du  reste'.  »  Tel  fut 
h  peu  près  le  fond  du  discours  de  l'abbé  Jaraon-Ilibeyre. 
L'auditoire,  sans  être  convaincu,  paraissait  un  peu  étonné. 
La  naissance  et  la  fortune  de  l'orateur,  plus  encore  son 
ancien  état,  et  surtout  sa  parole  facile,  animée,  entrat- 
/lante,  avaient  dominé  les  esprits.  Il  y  eut  des  applaudis- 
sements plus  ou  moins  sincères.  Mais  voilfi  que,  cetto 
horrible  harangue  h  peine  terminée,  un  orage  épouvan- 
table s'abat  sur  la  petite  commune  de  Raucoulcs.  L'atmo- 
sphère est  tout  en  feu,  le  tonnerre  gronda  avec  fracas,  la 

*  Voir  l'affreux  récit  de  la  mort  de  celui  qui  parlait  si  bien 
dans  la  noie  de  la  page  i32. 


DE  1789  A  1800.  131 

foudre  éclate  h  chaque  instant  ;  la  grêle,  en  quelques  se- 
condes, a  couvert,  abîmé,  broyé  toute  la  récolte.  Moins 
d'un  quart  tf  heure  après  la  tempête  s'éloignait  et,  chose 
étrange  !  le  soleil  était  redevenu  brillant,  radieux.  Quand 
la  muttitude  met  les  pieds  dehors,  elle  peut  juger  de  son 
malheur.  Hélas!  un  épais  manteau  blanc,  signe  navrant 
du  fléau  dévastateur,  disait  dans  son  muet  langage  :  La 
colère  divine  vient  de  passer  I  On  se  regarde  ...,  chacun  a 
compris...  L'abbé,  qui  était  resté  blotti  et  tremblant  au 
fond  de  la  sacristie,  sortait  en  ce  moment  de  l'église. 
€  Dieu  t'a  donné  sa  réponse,  misérable  blasphémateur  f 
s'écrie-t-on  de  toutes  parts  ;  il  a  exterminé  nos  blés,  nos 
avoines,  nos  pommes  de  terre,  pour  nous  punir  de  t'avoir 
écouté.  Sus  au  loup  t  sus  au  loup  f  »  Les  moissonneurs 
brandissent  leurs  faucilles,  dont  le  tranchant  a  été  dégagé 
de  son  enveloppe;  de  leur  côté,  les  habitants  de  la  com- 
mune montrent  leurs  poings  ;  faute  de  pouvoir  s'armer 
de  pierres  ensevelies  sous  la  grêle.  C'en  était  fait  du  ma- 
lencontreux orateur,  lorsqu'il  rentre  précipitamment  dans 
l'église,  regagne  la  sacristie  et  s'échappe  par  une  petite 
porte,  qui  fort  heureusement  n'était  pas  fermée  à  clef.  L'on 
a  deviné  son  évasion,  l'on  court  après  lui.  Pourtant, 
comme  il  a  une  belle  avance,  et  que  sa  maison  n'est  qu'au 
bout  de  la  petite  montée  du  chemin  de  Montfaucon,  h 
deux  ou  trois  cents  mètres  du  village  de  Raucoules,  l'on 
ne  parvient  pas  à  l'atteindre.  Est-il  besoin  d'ajouter  qu'un 
concert  de  huéeg  et  de  naalédictions  presque  aussi  bruyant 
que  la  tempête  l'accompagne  tout  le  long  de  ce  court 
trajet  I 

Le  citoyen  Jamon-Ribeyre,  en  parlant  de  l'aventure, 
répétait  plaisamment  :  Les  imbéciles!  ils  ont  pris  un  jeu  du 
hasard  pour  une  vengeance  du  ciel!  Mais  son  impudente  ré- 
flexion n'eut  de  succès  qu'auprès  do  ses  pareils:  la  popu- 
lation a  toujours  cru  et  croit  toujours  que  Dieu  tit  alors 


132  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

un  grand  miracle.  L'on  dit  aussi  que,  dès  ce  moment,  Ta 
commune  de  Raucoules  fut  pénétrée  d'horreur  pour  les 
principes  et  pour  les  hommes  révolutionnaires*. 

Les   sans. culottes   reçoivent    nnc  grêle  de    balles  ayant 
le  verre  en  main. 

«  Trois  forcenés  révolutionnaires  partaient  de  Saint- 
Jeure  vers  l'entrée  de  la  nuit,  se  dirigeant  vers  la  com- 
mune de  Lapte.  Ils  allaient,  disaient-ils,  dénicher  un  nid  de 
corbeaux]:  c'est  ainsi  qu'ils  qualifiaient  leurs  patriotiques 
expéditions  pour  rechercher  et  arrêter  les  prêtres  réfrac- 
taires.  Sur  leur  route  se  trouvait  un  cabaret  connu  sous  le 
nom  de  cabaret  de  la  Jeanne;  or,  les  argousins  de  la  répu- 
blique avaient  soif,  immanquablement,  à  la  première  occa- 
sion de  boire.  Ils  entrent  donc  et  demandent  qu'on  leur 
serve  du  meilleur.  La  citoyenne  Jeanne,  franche  amie  des 
patriotes,  se  félicita  de  leur  bienvenue,  et  ne  mit  pas,  cette 
fois,  de  l'eau  dans  son  vin.  Déjà  ils  vidaient  la  seconde 
bouteille,  en  trinquant,  pour  rire,  à  la  santé  des  corbeaux 
qu'ils  espéraient  encager  le  lendemain,  quand  tout-à-coup 
plusieurs  détonations  retentissent  de  la  fenêtre.  L'un  des 
buveurs  tombe  raide  mort;  son  plus  proche  voisin  a  le 
genou  droit  tout  fracassé.  Mais  les  balles  ont  épargné  le 
troisième,  parce  qu'il  a  été  protégé  par  le  corps  de  ses  ca- 
marades :  heureux  de  l'avoir  échappée  si  belle,  le  lâche 

1  Jamon  a  fini  d'une  manière  affreuse.  Non-seulement  il  ferma 
son  cœur  à  l'espérance,  qui  nous  sourit  tant  que  nous  sommes 
en  ce  monde,  il  s'abandonna  encore  aux  fureurs  du  plus  in- 
sensé désespoir.  L'opiniâtre  apostat,  sur  son  lit  de  mort,  n'ayant 
plus  d'autre  ennemi  à  combattre,  voulut,  cette  fois,  braver  pcr- 

sonnelloment  Dieu  lui-même Tirons  le  rideau  sur  l'affreux 

spectacle  qui  précéda  son  agonie,  et  bornons-nous  à  répéter  ce 
qui  a  été  dit  d'un  grand  criminel  :  La  mort  du  pécheur  est  un 
tijlct  d<i  l'nifcr. 


DE  1789  A  1800.  133 

enfile  bien  vite  une  porte  de  derrière,  sans  songer  à  ramas- 
ser son  fusil.  Cependant  le  blessé  éprouve  les  douleurs  les 
plus  atroces,  il  répète,  en  poussant  des  hurlements  et  des 
blasphèmes,  qu'il  souffre  comme  un  damné  (textuel),  qu'il 
envie  le  sort  de  celui  qui  est  étendu  sur  le  carreau. 

»  On  ne  l'acheva  pas;  au  contraire,  on  aida  la  citoyenne 
à  le  porter  dans  un  lit,  et  on  la  pria  de  faire  appeler  un 
médecin. 

»  La  blessure  fut  très-lente  à  guérir.  Hélas  I  la  pauvre 
jambe  endommagée  resta  contrefaite,  et  même  beaucoup 
plus  courte  que  l'autre.  Enfin,  le  malencontreux  dénicheur 
reçut,  à  cette  occasion,  un  sobriquet  qui  le  rendit  presque 
célèbre  et  qu'il  a  porté  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours  :  dans 
la  commune  de  Saint-Jeure,  l'on  se  souvient  encore  de 
Dubois-la-Bigue. 

»  Quelques  jeunes  gens,  ayant  été  informés  du  dessein 
et  de  la  marche  des  trois  bandits,  étaient  venus  à  leur 
rencontre,  et  se  proposaient  de  les  attaquer  même  en  rase 
campagne.  La  circonstance  du  cabaret  leur  offrit  une 
victoire  plus  facile  :  n'était-ce  pas  de  bonne  guerre  envers 
des  bêtes  féroces? 

»  La  républicaine  Jeanne,  dont  les  patriotes  et  tous  les 
chenapans  hantèrent  le  fameux  taudis,  est  morte  dans  la 
misère,  parvenue  à  la  dernière  décrépitude.  Elle  deman- 
dait un  petit  sou,  pour  l'amour  de  Dieu.  » 

Le   coap   de    fusil    qui    produit   l'effet   de  la  foudre  au 
milieu  des  saccag-eurs  et  brûleurs  révolutionnaires. 

«  Les  patriotes  de  Montregard,  exécutant  une  razzia 
dans  l'église  de  leur  commune,  entassaient  sur  la  place 
publique  les  objets  enlevés  pour  en  faire  un  bon  feu  de 
joie.  L'un  d'entre  eux,  le  citoyen  N",  dirigeait  l'opération, 
comme  s'il  avait  été  le  chef  de  la  bande  impie,  —  et  je  crois 


134  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

qu'il  l'était  effpotivomcnt. — Ivre  h  moiti(^,  il  d<^ployait  une 
animation  extrême;  il  allait,  il  courait,  il  bondissait,  en 
vrai  furieux,  de  la  place  h  l'église  et  de  l'église  à  la  place; 
il  stimulait  l'ardeur  de  ses  amis  par  les  propos  les  plus 
monstrueux,  par  les  plus  affreux  blasphèmes  :  vous  eus- 
siez dit  Satan,  dans  le  paroxysme  de  la  rage,  donnant  des 
ordres  à  une  troupe  do  démons.  Le  bûcher,  composé  de 
fragments  de  confessionnaux  et  d'autels,  de  tableaux,  do 
statues  et  de  crucifix,  s'élevait  rapidement  en  forme  de 
pyramide.  Les  travailleurs  admiraient  déj^  ses  belles 
proportions,  et  ils  criaient,  pour  célébrer  leur  triomphe, 
l'un  :  Dominus  vobiscum,  l'autre  :  Ora  pro  nobis,  un  troi- 
sième :  Ite  missa  est  ;  tous  :  A  bas  les  prêtres  t  à  bas  la  reli- 
gion I  à  bas  le  fanatisme  I  Mais  le  patriote  par  excellence,  le 
grand  terroriste,  vociférait  de  sa  voix  éclatante,  avec  une 
violence  épouvantable,  contre  la  sainte  Vierge  et  contre 
Jésus-Christ.  Je  ne  répéterai  pas  les  abominations  qu'il 
proférait.  Tant  d'excès  révoltèrent  un  zélé  catholique, 
trop  zélé  peut-être  ...,  qui,  sans  être  vu  lui-même,  obser- 
vait l'infernale  expédition.  Soudain  un  coup  de  fusil  part 
d'une  fenêtre  de  la  maison  située  en  face,  du  coté  du  midi, 
et  une  forte  charge  de  plomb  atteinl  l'énergumène  en 
pleine  poitrine;  il  a  roulé  sans  vie  au  pied  du  bûcher, 
étendu  h  la  renverse,  la  bouche  écumante  et  les  poings  tou- 
jours menaçants. 

»  Dans  un  clin  d'œil  la  place  fut  vidée.  Les  compagnons 
du  misérable,  craignant  un  sort  pareil,  s'étaient  évanoui» 
comme  des  ombres.  Cependant  les  fidèles  attendirent  la 
nuit  pour  venir  ramasser  les  objets  religieux  échappés  aux 
flammes,  qu'ils  baisaient,  qu'ils  arrosaient  de  leurs 
larmes  en  les  emportant,  et  qu'ils  cachèrent  de  leur 
mieux. 

»  Malgré  toutes  les  recherches  des  sans-culottps,  tant 
de  Montrcgard  que  de  Montfaucon,  l'on  ne  put  jamais  dé- 


DE  4789  A  1800.  133 

couvrir  l'auteur  du  coup  de  fusil.  Son  nom  a  été  connu 
plus  tard.  » 

—  En  finissant  ce  chapitre,  nous  dirons  seulement 
quelques  mots  des  prêtresses  de  la  Ptévolution.  On  a 
remarqué  qu'elles  ont  presque  toutes  fini  de  la  manière 
la  plus  déplorable.  Voici  le  portrait  qu'en  a  fait  l'apostat 
H.  Grégoire  : 

«  Les  déesses  de  la  Raison  étaient  toujours  partie  inté- 
grante de  la  fête;  leur  exaltation,  sur  un  trône  qui  rem- 
plaçait le  tabernacle,  présentait  l'image  de  Vénus  et  de 
la  débauche,  substituée  à  celle  du  vrai  Dieu.  On  sait 
d'ailleurs  que  les  mœurs  de  la  plupart  établissent  la  jus- 
tesse de  ce  parallèle  :  et  quelle  autre  qu'une  impie  et  une 
impure  aurait  eu  l'effronterie  de  s'asseoir  sur  l'autel  du 
Dieu  vivant?  »  (Hist.  des  sect.  relig,,  t.  I,  p.  51,  52.) 

Citons  en  terminant  une  petite  aventure  tragi-comique, 
relative  au  sujet  :  «  A  Montreuil,  près  Paris,  en  portant 
dans  les  rues  la  déesse  de  la  Raison,  on  la  laissa  tomber; 
elle  eut  une  jambe  cassée  et  le  cou  rompu.  Un  plaisant  lui 
fit  par  anticipation  cette  épitaphe  :  i  Ci-git  la  Raison  de 
»  Montreuil.  »  {Hist.  des  sect.  relig.,  par  Henri  Grégoire, 
1. 1,  p.  52.) 


LA  GRANDE   DEVOLUTIÛN 


CHAPITRE  m. 

lES    PROFANATEURS  d'ÉGLISES    ET  LES    ASSASSINS   DES   PRÊTRES. 


La  fureur  révolutionnaire  poursuivit  la  religion  jusque 
sur  les  pierres  où  elle  avait  imprimé  quelques  traces  ;  on 
forma  le  projet  d'anéantir  toutes  les  églises,  et  ce  projet 
reçut  une  partie  de  son  exécution.  Des  bandes  de  démolis- 
seurs se  transportaient  d'un  lieu  à  l'autre  et  détruisaient 
les  monuments  chrétiens. 

Au  souvenir  de  ces  ravages  de  l'impiété  la  plus  brutale 
qui  fut  jamais,  Joseph  de  Maistre  écrivait  ce  passage  re- 
marquable : 

«  Lorsque  j'assiste  par  la  pensée  à  l'époque  du  rassem- 
blement de  la  Convention  nationale,  je  me  sens  transporté, 
comme  le  sublime  barde  de  l'Angleterre,  dans  un  monde 
intellectuel;  je  vois  l'ennemi  du  genre  humain  séant  dans 
un  manège  et  convoquant  tous  les  esprits  mauvais  dans  ce 
nouveau  pandémonium ;  j'entends  distinctement  t7  raino 
suon  délie  tartaree  trombe;  je  vois  tous  les  vices  de  la 
France  accourir  à  l'appel,  et  je  ne  sais  si  j'écris  une  allé- 
gorie. 

»  C'était  un  certain  délire  inexprimable,  une  impétuo- 
sité aveugle,  un  mépris  scandaleux  de  tout  ce  qu'il  y  a  de 
respectable  parmi  les  hommes,  une  atrocité  d'un  nouveau 
genre  qui  plaisantait  de  ses  forfaits,  surtout  une  prostitu- 


DB  1789  A  1800.  137 

tion  impudente  du  laiïonnemeiit  et  de  tous  les  mots  faits 
pour  exprimer  les  idées  de  justice  et  de  vertu.  » 

En  quelques  mois,  une  des  plus  florissantes  portions  de 
l'Eglise  universelle,  le  plus  beau  royaume  de  l'Europe, 
bouleversés,  couverts  de  sang  et  de  ruines,  ne  présentent 
plus  que  l'image  du  chaos. 

A  la  lueur  des  flammes,  sous  les  coups  de  la  hache,  du 
marteau,  de  tous  les  instraments  de  destruction,  dispa- 
raissent du  sol  dont  elles  étaient  l'ornement  cinquante 
mille  églises  ou  chapelles.  Dans  ce  nombre  figurent  une 
foule  de  monuments  du  premier  ordre,  soit  par  leur  desti- 
nation, soit  par  leurs  souvenirs,  soit  par  les  chefs-d'œuvre 
de  tout  genre  dont  ils  sont  le  rendez-vous.  Telles  sont  les 
cathédrales  d'Arras,  de  Cambrai,  de  Màcon,  les  magni- 
fiques églises  de  Marmoutiers,  de  Gîteaux,  de  Cluny  et 
beaucoup  d'autres. 

Dans  le  même  désastre  sont  enveloppés  douze  mille 
abbayes,  couvents,  prieurés,  monastères  fondations  sécu- 
laires des  rois,  des  princes  et  des  fidèles.  Ce  qui  échappe 
au  marteau  révolutionnaire  est  converti  en  casernes,  en 
magasins,  en  écuries,  en  salles  de  spectacle,  d'agiotage,  et, 
sous  le  nom  de  clubs,  en  cavernes  de  démolisseurs  et 
d'assassins. 

Dans  ces  abbayes,  dans  ces  couvents  et  ailleurs,  plus  de 
quatre-vingt  mille  bibliothèques  sont  saccagées,  disper- 
sées, lacérées,  vendues  à  vil  prix.  Des  bandes  de  vandales 
travestis  en  officiers  municipaux,  non  moins  ignorants 
qu'empressés  à  détruire,  enlèvent  les  livres  et  les  emmaga- 
sinent dans  des  greniers;  d'autres  en  font  le  catalogue 
avec  la  toise  et  le  pied-de-roi,  ce  qui  leur  paraît  si  naturel 
qu'ils  en  dressent  procès-verbal.  Le  plus  grand  nombre  en 
tirent  parti  en  les  vendant  aux  épiciers.  «  Nous  avons  vu, 
dit  un  témoin  oculaire,  des  pâtisseries  enveloppées  avec 
des  feuilles  du  Saint  Atkanase  de  Montfaucon,  maguillque 


138  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

oiivrago  vnbnt  aujourd'hui  trois  ou  qnati'f  rentr.  frnnrs'. 
Los  manuscrits  les  plus  raros,  les  statues,  les  bas-rfîlii'fs, 
les  peintures,  les  vitraux,  éprouvent  le  ra^me  sort.  C'o.-:t 
au  milieu  des  cris  tumultueux  et  d'une  joie  semblable  ù 
celle  des  sauvages  des  forêts,  dansant  autour  de  leurs  vic- 
times, que  les  sauvages  de  la  civilisation  accomplissent 
leurs  actes  de  vandalisme  stupide.  Personne  ne  pourra 
jamais  raconter  tous  les  faits  inqualifiables  qui  forment 
comme  les  épisodes  de  ce  grand  drame  de  destruction. 
Des  tableaux  d'église  deviennent  des  auvents  de  boutiques 
de  limonadier.  La  toile,  imrifée  de  ses  couleurs,  est  em- 
ployée h  vêtir  les  petits  sans-culottes.  On  a  vu  un  soldat 
faisant  bouillir  avec  des  morceaux  de  cadres  dorés  sa  mar- 
mite au  pied  du  pilier  intérieur  d'une  église  de  Paris,  et 
ayant  pour  tablier  de  cuisine  un  tableau  du  Guide  valant 
trente  mille  francs  '. 

Coup  d'œll  réirospeetir. 

Dans  tous  les  siècles,  les  profanateurs  ont  été  punis. 
«  L'antiquité,  dit  Joseph  de  Maistre,  est  d'accord  sur  les 
malheurs  arrivés  aux  violateurs  du  temple  de  Delphes. 
(Voyez  la  note  de  Wittembach ,  qui  cite  les  autorités, 
Anim.,  p.  47.)  On  peut  voir  les  réflexions  du  bon  Rollin 
sur  les  phénomènes  physiques  qui  empochèrent  depuis 
une  spoliation  du  mémo  genre  lorsque  les  Gaulois  s'avan- 
cèrent sur  lo  temple  de  Delphes.  Il  est  certain,  en  thèse 
générale,  que  les  sacrilèges  ont  toujours  été  punis  ;oX  rien 
n'est  plus  juste,  car  le  pillage  ou  la  profanation  d'un 
temple,  même  païen,  suppose  le  mépris  du  dieu,  quel  qu'il 
soit,  qu'on  y  adore;  et  ce  mépris  est  un  crime,  à  moins 

*  Màn.  de  la  Révol.,  p.  424. 
'  Mcm.  de  la  Révol.,  p.  418. 


Ds  1789  A  1800.  139 

qu'il  n'ait  pour  motif  l'établissement  du  culte  k'^gitime, 
qui  mènie  exclut  sévtM'ement  toute  espèce  de  crimes  et  de 
violences.  La  punition  des  sacrilèges  dans  tous  les  temps  et 
dans  tous  les  lieux  a  fourni  h  l'Anglais  Spelman  le  sujet 
d'un  livre  intéressant,  abrégé  en  français  par  l'abbé  Feller. 
Bruxelles,  1787;  Liège,  1789,  in-8°.  . 

Turpin  de  Crissé,  dans  ses  notes  savantes  sur  les  Com- 
mentaires de  Gésar,  éprouve  de  la  difficulté  à  s'expliquer 
les  fautes  de  Pompée  h.  Pharsale,  et  les  causes  véritables 
d'une  défaite  qui,  après  tant  de  victoires  éclatantes,  avait 
de  quoi  surprendre.  «  On  ne  reconnaît  pas,  dit-il,  dans  la 
conduite  de  Pompée,  pendant  et  après  cette  bataille,  le 
vainqueur  de  l'Afrique,  de  l'Espagne  et  de  la  Sicile.  Ce 
grand  général,  qui  avait  châtié  les  Parthes,  vaincu  Mithri- 
date  et  Tigrane,  soumis  presque  toute  l'Asie,  au  premier 
échec  qu'il  reçoit,  ressemble,  selon  la  remarque  de  Piu- 
tarque,  h  un  homme  étonné  qui  a  perdu  le  sens.  On  est 
surpris  de  le  voir  quitter  la  partie,  se  retirer  dans  son 
camp,  s'enfermer  dans  sa  tente  et  s'y  livrer  à  la  plus 
grande  douleur,  au  lieu  de  songer  à  rallier  sa  cavalerie,  à 
ranimer  le  courage  de  cette  belle  jeunesse,  k  lui  montrer 
l'exemple  de  la  valeur  et  de  la  fermeté.  » 

Pour  éclaircir  l'espèce  d'obscurité  qu'offre  à  l'auteur 
l'interruption  subite  et  irréparable  de  la  longue  fortune 
de  Pompée  et  d'une  magnifique  suite  de  victoires,  nous 
transcrivons  un  passage  qu'on  lit  dans  VHistoii^e  romaine 
de  RoUin.  Après  avoir  parlé  du  dépouillement  du  Temple 
par  Crassus,  et  de  la  sacrilège  avarice  de  ce  Romain,  il 
ajoute  : 

«  C'est  une  chose  très-remarquable  que  le  triste  sort  des 
deux  généraux  romains  qui,  les  premiers  et  les  seuls  jus- 
qu'au temps  dont  nous  parlons,  avaient  violé  le  respect 
dû  au  Temple  de  Jérusalem.  Pompée,  depuis  qu'il  eut  osé 
]^)Orter  ses  regards  téméraires  dans  un  lieu  redoutable  où 


140  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

jamais  aucun  profane  n'était  entré,  ne  réussit  en  rien  et 
termina  enfin  malheureusement  une  vie  rempli'^  jusque-là 
de  gloire  et  de  triomphes  '.  Crassus,  encore  plus  crimi- 
nel S  fut  puni  plus  promptement  et  périt  dans  l'année 
même.  » 

Cette  observation  est  conforme  au  récit  de  Josèphe.  La 
sainteté  du  Temple,  dit  cet  historien,  y  fut  violée  d'une 
étrange  sorte  ;  car,  au  lieu  que  jusqu'alors  les  profanes 
non-seulement  n'avaient  jamais  mis  le  pied  dans  le  sanc- 
tuaire, mais  ne  l'avaient  même  jamais  vu.  Pompée  y  entra 
avec  plusieurs  de  sa  suite,  et  vit  ce  que  les  seuls  sacrifi- 
cateurs pouvaient  voir.  Aussi  les  historiens  romains,  tout 
opposés  qu'ils  étaient  au  peuple  juif,  ne  parlent-ils  de  sa 
démarche  qu'avec  étonnement*. 

Punitions  éclatantes  des  acquéreurs  et  des  prefanatenrs 
des  édifices  sacrés  en  Ang-leterr*. 

Dieu  punit  presque  toujours  dès  cette  vie  les  grands 
crimes  publics.  Une  faute  dont  le  monde  a  été  témoin 
appelle  un  châtiment  éclatant,  et  le  scandale  ne  s'efface 
que  par  une  réparation  visible  à  tous  les  yeux.  Voilà  pour- 
quoi l'histoire  est  pleine  de  leçons  à  l'adresse  de  ceux  qui 
ont  outragé  l'humanité  ou  violé  les  lois  fondamentales  de 
la  morale  dans  l'ordre  social  et  religieux.  Les  princes  ou 
les  ministres  ambitieux  qui  ont  bouleversé  leur  propre 
pays,  ou  qui  ont  fait  à  l'étranger  des  guerres  notoirement 

■•  Il  fut  poignardé  en  Egypte. 

2  Crassus  était  sans  doute  beaucoup  plus  coupable;  il  donna 
un  libre  essor  à  son  avarice.  Après  avoir  juré  au  gi'and-prètre 
de  se  coalenler  d'une  pièce  de  haut  prix  qu'on  lui  offrait  poui 
sauver  le  reste,  il  n'enl-iva  pas  moins  huit  mille  talents  (24  mil- 
lions de  francs),  parmi  lesquels  étaient,  au  rapport  de  Jo.îèphe, 
deux  mille  talents  auxquels  Pompée  avait  refusé  de  toucher. 

*  Voi/ez.  llorus,  liv.  m. 


DE  1789  A  1800.  141 

injustes,  ont  eu  rarement  une  fin  h>3ureuse.  Et  l'on  re- 
marque que  ceux  qui  se  sont  attaqués  h  l'Eglise  ont  tous 
porté  la  peine  de  leur  attentat. 

On  a  feint  souvent  de  respecter  les  droits  spirituels  de 
l'Eglise  et  de  n'en  vouloir  qu'à  ce  qu'on  appelle  son  tem* 
porel.  Distinction  subtile  et  erronée,  car  l'Eglise  ne  peut 
exister  sur  la  terre  que  sous  une  forme  visible  et  avec 
l'appui  de  quelque  chose  de  matériel.  Les  temples,  les  au- 
mônes, les  œuvres  pies,  les  missions,  tout  cela,  sous  un 
certain  point  de  vue,  est  matériel.  Ceux  qui  dépouillent 
l'Eglise  de  ses  biens  doivent  donc  être  comptés  au  nombre 
de  ses  plus  redoutables  ennemis,  puisqu'ils  l'attaquent 
dans  un  élément  nécessaire  à  son  existence.  Aussi  la  pros- 
périté n'a  jamais  accompagné  leurs  pas.  L'édifice  de  fo^ 
time  qu'ils  avaient  construit  avec  les  pierres  du  sanctuaire 
s'est  écroulé  subitement  et  les  a  entraînés  dans  une  ruine 
commune. 

Une  lettre  adressée  au  journal  VUnità  cattoUca  contient 
de  tristes  renseignements  sur  le  sort  des  grandes  familles 
anglaises  qui  se  sont  enrichies  des  dépouilles  du  clergé. 
Presque  toutes  ont  fini  misérablement  :  l'exil,  la  confisca- 
tion, la  peine  capitale  pour  crime  de  félonie,  des  malheurs 
domestiques,  le  déshonneur  et  la  ruine,  voilà  quelles  ont 
été  les  récompenses  de  leur  sacrilège  cupidité.  Nous  don- 
nons cette  liste  d'après  le  journal  italien.  Les  personnes 
qui  seraient  tentées  d'acquérir  des  biens  ecclésiastiques  en 
Italie  feront  bien  de  la  méditer. 

Voici  les  noms  des  membres  du  Parlement  d'Angleterre 
qui  prirent  part  à  la  confiscation  des  biens  de  l'Eglise  sous 
Henri  MIL  En  tète  figurent  les  plus  grands  seigneurs. 

1°  Lord  Audley  de  Walden,  grand-chancelier,  mourut 
peu  après,  sans  enfants  mâles:  30  avril  1344. 
Sa  fille  Marguerite,  mari^.e  à  lord  Henri  Dudley,  qui  fut 


142  T-A   GRANDE   RÉVOLUTION 

tué  h  Saint-Quentin  en  ioo7,  sans  laisser  de  poslérité, 
épousa  en  secondes  noces  Thomas,  duc  de  Norfolk,  qui  fut 
décapité  en  juillet  1592,  laissant  après  lui  un  fils,  Thomas. 
Cnlui-ci  fut  déposé  de  sa  charge  de  lord-trésorier  et  con- 
damné à  l'amende.  Sa  illle  Françoise,  ayant  divorcé  avec 
son  premier  mari,  en  épousa  un  second  et  fut  condamnée 
à  mort  en  même  temps  que  celui-ci,  comte  de  Somerset. 

2°  L'infortuné  duc  de  Norfolk,  Thomas  Howard,  est  em- 
prisonné à  la  tour  de  Londres;  son  tUs  Henri,  comte  de 
Surrey,  fut  décapité,  par  ordre  du  roi,  qui  expédia  la  sen- 
tence fatale  de  son  lit  de  mort.  Le  duc  de  Norfolk  resta  en 
prison  jusqu'à  l'avènement  de  la  reine  Marie. 

Le  tils  du  comte  Henri  de  Surrey  est  décapité  en  1592. 

3°  Le  marquis  de  Dorset  a  un  tlls  et  trois  filles;  celui-là 
meurt  avant  lui  et  sans  postérité.  Quant  aux  filles,  Jane 
périt  sur  l'échafaud:  Catherine,  mariée  à  lord  Herbert,  est 
répudiée;  Marie  épouse  Martin  Keges,  garçon  d'écurie; 
leur  père  est  décapité; 

4"  Le  comte  d'Oxon,  Jean  de  Vere,  non-seulemnnt  dis- 
sipe le  grand  patrimoine  de  sa  maison,  mais  détruit  en- 
core ses  châteaux  et  ses  palais.  Son  fils  Henri  meurt  dé- 
pouillé de  tout; 

5°  Le  comte  d'Essex,  Henri  Bourchviw,  tombe  de  cheval 
et  se  tue.  H  ne  laisse  pas  d'héritage; 

C"  Lord  Crorawell  est  décapité  dans  la  trente-deuxième 
année  du  règne  ; 

1°  Le  comte  de  Worcester,  Henri  Somerset.  Son  fils 
Thomas  meurt  dans  la  tour  de  Londres  ;  François,  autre 
fils,  est  tué  h  Muselboroughfiold,  et  son  gendre,  le  comlo 
de  Northumberland,  est  décapité  k  York  en  1592. 

8"  Le  comte  d'ilertford,  Edouard  Seymour,  décapité 
comme  félon. 

Les  huit  ou  neuf  autres  lords  qui  prirent  part  à  la  con- 
ûscatiou  des  biens  de  l'Eglise  n'eurent  pas  une  lin  plus 


DE  1789  A  1800.  143 

heureuse.  Presque  tous  ne  laissèrent  pas  de  succession,  et 
s'ils  eurent  des  enfants,  ils  furent  très-malheureux.  (Voyez 
Spclman,  pages  223,  224.) 

Venons  maintenant  aux  vingt-cinq  barons. 

Thomas  Dacres  Fines  est  pendu  à  Tyburn,  le  jour  de 
Saint-Pierre,  la  trente-troisième  année  du  règne  de 
Henri  VIII. 

Walter  Ferrer,  lord  Devereux.  Son  fils  Richard  meurt 
du  vivant  de  son  père  et  laisse  un  fils  que  l'on  dit  empoi- 
sonné. Le  fils  de  celui-ci,  Robert,  est  décapité  en  1601. 
Son  fils  Robert  meurt  sans  héritiers,  et  la  famille  est 
éteinte.  Walter  était  mort  au  siège  de  Rouen. 

William  Sturton  et  son  fils  Charles,  coupables  d'bomi" 
cide,  sont  pendus  à  Salisbury,  le  6  mars  1865. 

Burrough.  Son  petit-fils  est  tué  près  de  Kingston  en 
1578,  et  en  1601  la  baronie  prend  fin  avec  la  famille. 

Hungeford ,  décapité  la  vingt-huitième  année  de 
Henri  VIH. 

Quant  aux  autres,  on  peut  dire  qu'ils  sont  morts  sans 
laisser  de  postérité,  ou,  s'il  en  ont  eu,  ils  lui  ont  transmis 
le  fardeau  de  l'iniquité  commise,  ce  qui  les  a  précipités 
dans  un  abîme  de  misère.  (Voy.  Spelman,  p.  226  à  229.) 

Qu'est-il  advenu  de  la  couronne?  Après  avoir  été  portée 
pendant  quarante  ans  par  une  bâtarde  sanguinaire,  elle 
tomba  dans  les  mains  d'un  roi  étranger,  Jacques  d'Ecosse, 
et  de  là  sur  l'échafaud,  avec  la  tête  du  fils  de  celui-ci,  que 
le  bourreau  trancha.  Tous  ceux  qui  l'ont  ceinte  depuis  ont 
été  marqués  du  signe  de  Gain. 

Qu'est-il  advenu  du  royaume  entier?  Ecoutons  le  pro- 
testant Spelman  :  «  Une  infinité  d'œuvres  de  charité  qui 
soulageaient  le  pauvre  disparurent  d'un  seul  coup.  Des 
milliers  de  serviteurs  se  trouvèrent  dans  le  monde  sans 
maîtres,  et  des  milliers  de  pauvres,  qui  avaient  été  nourris 
et  entretenus  dans  les  monastères,  attendent  depuis  cette 


lU  LA  GnANDE   RÉVOLUTION 

époque  un  moi'coau  de  pain  pour  apaiser  leur  faim.  Tout 
monastère  avait  un  hôpital  ou  une  infirmerie  pour  les 
pauvres,  et  ces  biens,  dont  les  malheureux  prenaient  leur 
part,  sont  venus  engraisser  les  lords,  déjà  si  opulents.  » 

William  Cobbett,  qui  n'est  ni  catholique,  ni  rétrograde, 
mais  protestant,  dit  de  même,  dans  son  Histoire  de  la  Ré- 
forme protestante  : 

«  Quand  l'Eglise  fut  saccagée  et  détruite,  quand  les  ré- 
formateurs se  furent  jetés  comme  d'avides  harpies  sur  les 
couvents  et  sur  les  églises,  quand  ces  vastes  domaines,  qui 
appartenaient  de  droit  aux  classes  malheureuses,  leur  eurent 
été  ravis,  et  que  ce  qui  resta  des  paroisses  diminuées  eut 
Hé  donné  aux  curés  pourvus  de  femmes,  les  pauvres  (qui 
existent  partout  et  qui  existeront  toujours)  demeurèrent 
privés  de  tout  moyen  de  subsistance.  Alors  les  gueux  et  les 
voleurs  se  multiplièrent  tellement  qu'Elisabeth ,  la  fille 
bâtarde  de  Henri  VIII,  que  les  protestants  appellent  la 
5o«?ie  Elisabeth,  mais  que  d'autres  nomment  avec  plus  de 
raison  la  méchante,  fit  tuer  en  une  seule  année  plus  de  cinq 
mille  de  ces  malheureux,  que  l'on  avait  contraints  à  se 
faire  voleurs  en  leur  enlevant  les  moyens  de  vivre.  Et 
comme  si  ce  chiffre  de  cinq  mille  était  trop  peu  élevé,  la 
reine  frappait  la  terre  du  pied  d'un  air  mécontent,  et  gour- 
mandait  les  chefs  des  comtés,  leur  reprochant  d'accomplir 
ses  ordres  avec  tant  de  négligence.  » 

Le  môme  historien  résume  en  quelques  Vignes,  au  para- 
raphe  331,  l'état  de  l'Angleterre  après  la  réformation. 
Voici  ce  qu'il  dit  : 

t  Quand  la  bonne  reine  Elisabeth  eut  mis  la  dernière 
main  ;i  l'œuvre  de  la  spoliation  de  l'Eglise  et  dos  pauvres, 
l'Angleterre,  autrefois  iieurcuse,  libre  et  hospitalière,  de- 
vint une  caverne  de  voleurs  affamés  et  d'esclaves.  » 


DE  1789  A  1800.  *  145 

Les  acquéreurs  des  biens  d'Eglise  n'eurent  pas  un 
meilleur  sort  que  les  auteurs  de  la  spoliation.  Voici  un 
relevé  des  principales  abbayes,  avec  l'indication  des  fa- 
milles qui  les  usurpèrent  : 

Battle,  abbaye  de  Bénédictins.  —  Sir  Antoine  Browne. 
L'année  même  de  la  prise  de  possession,  sa  magnifique 
habitation  fut  incendiée  jusqu'aux  fondations. 

Croyland,  abbaye  de  Bénédictins.  —  Lord  Ed.  Cliton. 
Famille  éteinte  en  peu  d'années.  L'abbaye  passa  à  Hugues 
Fortescue,  mort  sans  postérité,  puis  à  Marguerite,  sa  sœur, 
morte  sans  s'être  mariée,  puis  h  Adr.  Scrope,  régicide,  qui 
fut  décapité  sous  la  Restauration. 

Ramsey,  abbaye  de  Bénédictins.  —  Sir  Richard  Crom- 
well,  dont  la  famille,  malgré  90,000  livres  sterling  de  re- 
venu annuel,  fut  en  peu  d'années  réduite  à  la  misère. 

Clochester,  Saint-Jean.  —  Lord  Tom.  Darcy.  Famille 
éteinte  à  la  quatrième  génération. 

Ecrencester,  abbaye  d'Augustiniens.  —  Lord  Seymour 
de  Sudley,  décapité  comme  félon,  1549. 

Edouard,  duc  de  Somerset,  décapité  comme  félon,  1552. 

Malmesbury,  abbaye  de  Bénédictins.  —  William  Stump, 
famille  réduite  à  tendre  la  main  à  Malmesbury  même. 

11  couvents  :  Blythe,  etc.  --  Richard  Andrews  ;  famille 
éteinte  dans  la  misère. 

Glastenbury  et  Reading,  2  abbayes. 

Sir  Wingfield.  --  Sir  Ant.  Aucher,  tué  à  Saint-Quentin, 
1557. 

10  couvents.  —  Audley,  lord  Walden;  il  meurt  peu 
après.  Sa  fille  épouse  lord  Henry  Dudley,  tué  à  Saint- 
Quentin;  puis  Thomas,  duc  de  Norfolk,  décapité  en  1592; 
elle-même  meurt  à  l'âge  de  vingt-trois  ans. 

Markyate,  couvent  de  Bénédictines.  •—  Henri  Bourchier; 
meurt  pendant  qu'il  démolit  le  couvent  pour  construire  au 
palais. 

7 


14G  LA   ORAKDE   UÉVOLUTION 

Lcsnes,  chanoines  de  Saint-Augustin.  —  Brereton  Wil- 
liam, décapite  comme  félon. 

3  couvents  :  Spolding,  etc..  ^  Sir  Jean  Gheke  meurt 
de  chagrin. 

4  couvents  :  Minster,  etc.  —  Sir  Thom.  Cheney.  Son  fils 
vend  jusqu'à  la  chapelle  où  était  enseveli  son  porc.  Famille 
éteinte,  1378. 

Maidslone  collège.  —  Lord  William  Cobbam,  tué  on 
1597.  Son  fils  Henri  meurt  en  prison,  rongé  par  la  ver- 
mine, n'ayant  pas  une  chemise  à  changer. 

Lanerscast,  chanoines  de  Saint-Augustin,  —  Lord  Wil- 
liam Dacre.  Son  fils  meurt  subitement.  Georges,  son  second 
fils,  meurt  d'une  chute.  Son  oncle,  accusé  de  félonie. 
Famille  éteinte  à  la  seconde  génération. 

Pembroke,  Bénédictins.  —  Richard  Deveroux  meurt  du 
vivant  de  son  père.  Son  neveu,  le  duc  d'Essex,  décapité 
comme  félon,  et  sa  propriété  séquestrée  pour  le  paiement 
de  ses  dettes. 

Dudley,  couvent  de  l'ordre  de  Cluny,  et  Wymondham, 
hôpital.  —  Lord  George  Dudley,  réduit  à  la  misère  au 
point  d'aller  quêter  des  dîners  à  ses  amis;  on  l'appelait  le 
lord  qiiondam. 

7  couvents  :  Alcester  2'.  —  Thom.  Cromwell,  décapité, 
lo41. 

Tarrow,  couvent  de  Bénédictins.  —  Lord  William  Eure 
voit  son  fils  aîné  tué,  et  le  titre  éteint  avec  la  famille. 

Kent,  couvent  de  Cluny.  —  Walter  Mantel,  décapité 
comme  rebelle,  1553. 

12  monastères  :  Bungay...  —  Thom.,  duc  de  Norfolk. 
Son  fils  Henri  décapité,  et  le  fils  de  Henri,  également  dé- 
capité. Thomas,  second  fils,  meurt  sans  héritier;  famille 
cieinte. 

17  couvents  :  Balsall,  etc.  —  Jean,  duc  de  Norlhumbcr- 
land,  décapité  comme  félon;  son  fils  Henri  meurt  au  siégo 


DE  1789  A  1800.  147 

de  Boulogne;  un  second  fils,  Ambroise,  trois  fois  mariée 
meurt  sans  postérité:  un  troisième  fils,  Guildford,  décapité 
avec  son  père  ;  un  quatrième  fils,  Henri,  tué  à  Saint- 
Quentin,  et  Charles,  mort  au  berceau. 

4  monastères.  —  Sir  Thom.  Palmer  meurt  décapité. 
Wingham  collège.  —  Sir  Henri  Palmer,  tué  au  siège  de 

Guisnes. 

5  monastères.  —  Seymour,  lord  de  Sudley,  décapité 
comme  félon,  1549. 

12  monastères.  —  Edouard,  duc  de  Somerset,  protec- 
teur, décapité  comme  félon,  1552. 
4  monastères.  —  Sir  Michel  Stanhope,  décapité,  1552. 

2  monastères.  —  Keldon  et  Raphaël  comte  de  West- 
moreland,  meurt  de  misère  dans  l'exil. 

3  monastères  :  Holywell,  etc.  —  Henri,  duc  de  Suffolk, 
décapité  comme  félon.  —  Famille  ruinée. 

30  monastères.  —  Charles,  duc  de  Suffolk;  sa  fille 
Françoise  décapitée,  1554.  Nous  avons  rapporté  plus  haut 
la  longue  suite  des  tragédies  qui  décimèrent  cette  famille. 

On  pourrait  citer  encore  un  grand  nombre  d'autres 
exemples  :  ceux-ci  suffisent  pour  convaincre  non-seule- 
ment les  catholiques,  mais  encore  les  juifs  et  les  incré- 
dules. 

Les  incrédules  ne  s'inclineront  pas  devant  la  justice 
vengeresse  de  Dieu,  puisqu'ils  ne  croient  qu'à  un  aveugle 
destin;  mais  cet  aveugle  destin  leur  enseigne  à  ne  pas  se 
mêler  à  de  semblables  marchés.  Quant  aux  juifs,  ils  ont 
déjà  compris  qu'il  est  bon  de  se  tenir  à  l'écart.  A  défaut 
du  Nouveau  Testament,  l'Ancien  les  avertit  de  ne  pas 
dérober  les  trésors  du  Temple.  Pour  les  catholiques,  les 
vrais  catholiques,  ils  n'ont  pas  besoin  de  cette  démonstra- 
tion. 


^48  1^  GRANDE   RÉVOLUTION 

CLàUments  des  profanatears  en  France. 

Si,  dans  l'histoire  de  Fraace,  nous  trouvons  beaucoup 
de  nobles  âmes  qui  ont  révéré  les  choses  saintes  *,  nous 
rencontrerons  aussi  (indépendamment  des  flots  de  crimes 
qui,  au  xvi"  siècle,  de  la  part  des  huguenots,  et  à  la  fin 
du  xvm%  de  la  part  des  sophistes,  attristent  nos  annales) 
un  certain  nombre  d'attentats  contre  les  biens  de  l'Eglise. 
Nous  en  rapporterons  un  ici. 

Quoique  François  I"  eût  fait  serment,  comme  les  rois 
ses  prédécesseurs,  lorsqu'il  se  fit  recevoir  abbé  et  cha- 
noine de  Saint-Martin  de  Tours,  d'en  être  le  protecteur, 
quelques  officiers  de  ses  finances,  abusant  de  sa  facilité, 
lui  firent  croire  que,  dans  les  besoins  pressants  de  l'Etat, 
il  pouvait  légitimement  se  servir  du  treillis  d'argent  qui 
fermait  le  tombeau  de  saint  Martin.  Ils  vinrent  donc  à 
Tours,  au  mois  de  juillet  de  l'année  1522,  signifier  aux 
chanoines  l'ordre  qu'ils  avaient  d'enlever  ce  treillage.  On 
trouve  dans  les  registres  de  cette  église  la  réponse  que  le 
chapitre  leur  fit.  Elle  est  conçue  en  ces  termes  : 

t  Les  chanoines  disent  qu'ils  sont  les  très-humbles  et 
très-obéissants  chapelains  et  orateurs  dudit  seigneur  roi, 
et  qu'à  eux  n'est  de  quereller,  arguer  et  contester  avec  Sa 
Majesté;  mais  que,  craignant  d'offenser  Dieu,  le  créateur,  et 
saint  Martin,  et  pour  les  causes  par  eux  déjà  alléguées  et 

*  Un  sei^eur  de  l'armée  de  Louis  XI,  étant  venu  lui  apporter 
l'heureuse  nouvelle  de  l'expédition  de  Cambrai,  portait  au  cou 
une  chaîne  riche.  Le  prince,  sachant  que  ce  joyau  n'était  qu'une 
dépouille  d'une  église,  et  voyant  un  courtisan  en  approcher  la 
main  pour  l'admirer  :  —  «  Prenez  garde,  lui  cria-t-il,  de  faire 
aussi  un  sacrilège,  car  c'est  là  une  chose  sacrée  que  nul  ne  doit 
toucher.  »  (Corrozet,  cité  par  Beyerling,  Apophthcgmes  des  chré- 
tiens.) 


DE  1789  A  1800.  149 

autres  légitimes,  ils  n'osent  et  ne  doivent  consentir  ledit 
treillis  être  pris  ou  enlevé.  > 

Les  officiers  passèrent  outre.  Le  treillage  fut  mis  en 
pièces,  le  8  août,  et  chargé  à  la  porte  de  l'église  dans  des 
charriots  escortés  de  plusieurs  compagnies  de  soldats,  qui 
les  conduisirent  à  la  Monnaie.  On  en  fit  des  testons,  oij 
d'un  côté  la  figure  du  treillis  de  saint  Martin  était  em- 
preinte. Il  s'en  trouve  encore  quelques-uns  dans  les  cabi- 
nets des  curieux. 

Cette  action,  si  peu  attendue  d'un  prince  catholique,  jeta 
les  g-^n?  de  bien  dans  la  consternation.  Ceux  même  qui 
s'étaient  chargés  de  l'entreprise  la  trouvèrent  si  honteuse 
qu'ils  ne  voulurent  jamais  permettre  qu'on  en  dressât  le 
procès-verbal.  Le  fabricier  de  l'église  et  quelques  cha- 
noines des  plus  zélés,  s'étant  opiniâtres  à  le  vouloir  faire, 
en  furent  chassés  avec  les  notaires.  La  chose  alla  si  loin, 
qu'ayant  paru  à  l'une  des  fenêtres  de  l'église,  pour  voir  ce 
qui  s'y  passait,  on  tira  sur  eux  plusieurs  coups  d'arque- 
buse, dont  heureusement  personne  ne  fut  blessé. 

Quelques  historiens  ont  cru  que  les  malheurs  qui  arri- 
vèrent depuis  à  François  I*'  furent  de  justes  châtiments  de 
la  profanation  du  tombeau  de  saint  Martin.  En  effet,  on 
remarque  que  ce  prince,  ayant  peu  de  temps  après  porté 
ses  armes  dans  le  Milanais  et  mis  le  siège  devant  Pavie,  y 
fut  abandonné  des  siens,  eut  son  cheval  tué  sous  lui  pen- 
dant la  retraite;  il  fut  lui-même  dangereusement  blessé,  et 
arrêté  sur  les  terres  mêmes  que  Charlemagne  avait  don- 
nées à  l'église  de  Saint-Martin.  Il  reconnut  alors  que 
Clovis  autrefois  n'avait  pas  dit  sans  raison  qu'il  n'y  avait 
pas  lieu  de  se  promettre  la  victoire  de  ses  ennemis,  après 
qu'on  avait  offensé  ce  grand  saint  '. 

Louise  de  Savoie,  sa  mère,  à  qui  il  avait  laissé  la  ré- 
gence pendant  son  absence,  vint  avec  les  enfants  de 

'  A[iud  Greg.  Turon.  Hist.  lib.  II,  cap.  xxvii. 


loO  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

Franco  au  tomfe«au  du  saint,  implorer  son  secours,  et 
tâcha  de  réparer,  par  les  présents  qu'elle  y  laissa,  l' injure 
qui  lui  avait  été  faite.  Le  roi  lui-même  n'eut  pas  plutôt 
recouvré  sa  liberté  qu'il  y  vint,  avant  de  rentrer  à  Paris, 
pour  lui  faire  une  espèce  de  satisfaction. 

La  colère  de  Dieu  éclata  d'une  manière  plus  sensible  sur 
la  personne  de  Jacques  Fournier,  seigneur  de  Semblancey, 
qui  avait  été  l'auteur  de  l'action  ;  car  cinq  ans  après,  le 
même  jour  que  le  treillis  avait  été  enlevé,  il  fut  condamné 
à  être  pendu,  et  le  fut  en  effet  à  Montfaucon,  dans  le  fief 
du  prieuré  de  Saint-Martin-des-Ghamps  *. 

Pnaltlon  terrllile  saMe  par  ■■  rév^latlontoaire^ 

«i  Couvent  du  Carmel  de  la  Tronche  (Isèriî,, 
28  octobre  1866. 

«  Mon  Révérend  Père, 

»  Pendant  la  terrible  Révolution  de  1790,  un  habilant 
de  Génissieux  (Drôme),  poussé  par  l'esprit  du  mal,  dé- 
vasta l'église  d'un  village  voisin,  appelé  Perrin,  situé  h. 
deux  lieues  de  Romans.  Nous  ne  savons  jusqu'à  quel  point 
il  poussa  ses  sacrilèges  profanations;  ce  qui  est  certain, 
c'est  qu'il  ne  tarda  pas  à  recevoir  la  punition  de  son  crime. 
Il  perdit  ce  qu'il  avait  de  fortune,  et  fut  poussé  par  une 
force  irrésistible  à  marcher  constamment  en  décrivant  un 
cercle  de  la  largeur  d'un  puits,  dans  son  habitation,  sans 
pouvoir  s'arrêter  ni  même  changer  la  direction  de  cette 
marche  forcée  et  si  extraordinaire,  tellement  qu'il  en  vint 
à  creuser  le  sol  de  sa  chaumière,  qui  n'avait  pas  de  plan- 
cher, d'un  demi-pied.  Il  usait  une  paire  de  souliers  par 
mois,  et  lorsque  ses  forces  se  furent  affaiblies,  sa  femme 

*  Vie  de  saint  Martin,  par  i'ahbô  Gervaise,  Tours,  4699. 


DE  1789  A  1800.  iM 

et  sa  fille  durent,  à  tour  de  rôle,  lui  prêter  le  secours  de 
leurs  bras  pour  l'aider  et  le  soutenir  dans  son  mouvement 
perpétuel.  Lorsque  M.  le  curé  venait  le  confesser,  il  était 
obligé  de  lui  rendre  le  même  office  en  accomplissant  son 
ministère.  Cette  terrible  punition  lui  ouvrit  les  yeux  sur 
l'énormité  de  son  crime,  et  la  grâce  toucha  son  cœur  de 
repentir.  Il  ne  cessait  de  répéter  aux  nombreux  visiteurs 
qu'une  chose  si  extraordinaire  amenait  à  son  habitation, 
et  de  la  charité  desquels  il  recevait  sa  subsistance,  qu'il 
n'était  ainsi  puni  que  pour  avoir  profané  le  saint  lieu; 
qu'il  les  suppliait,  dans  son  malheur,  d'implorer  pour  lui 
la  miséricorde  divine. 

»  Cet  homme  mourut  dans  de  grands  sentiments  de  re- 
pentir, et  tout  porte  à  espérer  que  Dieu,  qui  n'afflige  le 
pécheur  que  pour  l'amener  à  la  pénitence,  lui  aura  par- 
donné. 

»  Ce  fait  extraordinaire  a  eu  un  nombre  prodigieux  de 
témoins  pendant  près  de  trois  ans  qu'il  a  duré,  et  dont 
quelques-uns  existent  peut-être  encore  et  pourraient  en 
donner  des  preuves.  Je  le  tiens  de  ma  propre  mère,  qui  a 
souvent  été  conduite  chez  ce  malheureux  par  des  parentes 
qui  lui  faisaient  l'aumône;  elle  était  alors  âgée  de  dix-huit 
à  vingt  ans.  Elle  n'existe  plus;  sans  cela,  je  l'aurais  en- 
gagée à  vous  en  faire  le  récit  elle-même. 

»  Elle  ajoutait  que  deux  autres  malheureux,  qui  avaient 
•secondé  oet  homme  ,  avaient  reçu  aussi  une  punition 
exemplaire. 

»  Sœur  Thérèse  de  Saint- Jean  de  la  Croix, 
»  Reîig.  carm.  ind.  » 

!.'■  réT*latioDBaire  eh*«Ié  dans  bod  enfaBt. 

Nous  tenons  le  fait  suivant  d'un  pieux  religieux,  auquel 
Un  témoin  oculaire  l'avait  raconté  : 


1S2  LA   GRANDE   RBNOLUTION 

t  Près  de  la  petite  ville  de  Montlucl,  département  de  l'Ain, 
un  révolutionnaire  nommé  Grillot,  profitant  de  l'anarchie 
qui,  en  93,  autorisait  toute  espèce  d'impiété,  s'introduisit 
dans  l'église  paroissiale,  et,  montant  sur  l'autel  de  la 
sainte  Vierge,  lui  enleva  la  belle  robe  offerte  par  la  piété 
des  fidèles.  Fier  de  son  exploit  sacrilège,  cet  impie  rentre 
chez  lui  et  fait  faire  un  vêtement  à  sa  fille  de  la  dépouille 
de  la  statue  de  Marie. 

»  Un  autre  jour,  Grillot,  entrant  dans  le  temple,  décolla 
tous  les  saints  et  cloua  ensuite  leurs  têtes  contre  son 
armoire. 

»  Ces  actes  de  brutale  impiété  consternèrent  tous  les 
chrétiens  du  lieu  ;  mais  le  ciel  ne  tarda  pas  à  punir  cet 
iconoclaste.  Quelque  temps  après,  il  lui  naquit  une  fille, 
non  pas  revêtue  des  blanches  livrées  de  Marie,  mais  d'une 
peau  de  bête  toute  hérissée  de  poils...  Il  eut  beau  tenir 
secrète  cette  punition  divine,  la  connaissance  s'en  répandit 
bientôt  au  dehors,  au  point  que  les  parents  de  cette  mal- 
heureuse enfant,  honteux  et  confus  de  cet  événement, 
n'osaient  plus  se  montrer  en  public.  Sous  prétexte  de 
mettre  leur  fille  en  nourrice,  ils  l'envoyèrent  dans  les  mon- 
tagnes du  Bugey;  on  ne  sait  ce  qu'elle  devint,  on  n'en 
entendit  plus  parler. 

»  Cette  punition  de  Dieu,  loin  de  faire  rentrer  cet  impie 
en  lui-même,  ne  servit  qu'à  l'endurcir  dans  le  mal.  Méprisé 
de  tous  les  gens  de  l'endroit,  il  vécut  isolé,  couvert  d'op- 
probre et  en  proie  aux  remords. 

»  Arrivé  îi  sa  dernière  heure,  il  refusa  de  profiter  de  la 
miséricorde  de  Dieu  en  repoussant  le  prêtre  qui  venait  lui 
offrir  le  secours  de  son  ministère.  Chaque  fois  q'.ie  le  curé 
se  présentait,  il  feignait  de  dormir  ou  d'être  dans  le  délire, 
comme  on  l'a  su  par  la  garde  qui  le  veillait.  C'est  ainsi 
qu'après  une  vie  impie,  ce  malheureux  est  mort  dans  l'ira- 
pénitence.  Il  a  dû  comprendre  alors  combien  il  est  Iwirible, 


DE  1789  A  1800.  153 

suivant  les  paroles  du  Saint-Esprit,  de  tomber  entre  les 
mains  du  Dieu  vivant.  » 

Relation    de   rincendie   de  la  ville    de    Saint-Claude 
en   jain    1^99  <. 

La  ville  de  Saint-Claude,  en  Franche-Comté,  devait  son 
existence  et  tout  ce  qu'elle  eut  de  richesse  et  de  gloire  à 
la  solitude  de  Condat,  dans  les  montagnes  du  Jura.  Dès 
les  premiers  siècles  du  Christianisme,  ce  désert  fat  sanc- 
tifié par  l'austère  piété  de  saint  Lupicin  et  de  saint  Ro- 
main, qui  s'y  établirent;  leurs  nouveaux  disciples,  et  plus 
encore  leur  ferveur,  en  firent  bientôt  un  vaste  monastère, 
que  la  religion  compta  parmi  ses  plus  beaux  établis- 
sements; la  gloire  du  monastère  de  Condat  s'étendit  dans 
toutes  les  Gaules  avec  l'édification  qu'il  répandait;  mais 
elle  devint  plus  grande  encore,  et  remplit  tout  l'Occident 
quand,  sur  la  fin  du  vu*  sicèle,  saint  Claude,  archevêque 
de  Besançon,  y  choisit  sa  retraite;  c'est  là  que  cet  émule 
des  Paul  et  des  Pacôme  donna  au  monde  le  sublime 
spectacle  d'une  perfection  angélique;  c'est  là  qu'il  mourut, 
et  sa  mort  rendit  encore  plus  éclatante  la  sainteté  de  sa 
vie,  par  les  miracles  sans  nombre  qui  illustrèrent  son 
tombeau;  de  toutes  parts  on  venait  l'y  invoquer,  la  piété 
s'y  établit,  et  le  tombeau  de  saint  Claude  fut  le  berceau 
de  la  ville  de  ce  nom. 

Elle  en  était  digne  alors  et  s'en  glorifiait,  lorsqu'au 
xm*  siècle  elle  en  reçut  encore  un  plus  pressant  motif  ; 

*  Cet  incendie  a  été  considéré  comme  un  terrible  exemple 
des  vengeances  divines,  auquel  on  n'a  pas  fait  assez  attention  ; 
nous  en  reproduisons  la  relation  telle  qu'elle  a  été  écrite  et 
impi'imée  en  1800  par  des  témoins  oculaires.  La  Providence, 
<jui  souvent  se  justifie  dès  cette  vie,  a  accompagné  ce  triste 
événement  de  circonstances  trop  frappantes  pour  qu'on  puisse 
s'y  méprendre  sur  la  cause  de  ce  maliieur. 

_  T 


184  LA  GRANDE   nÉVOLUTICN 

le  tombeau  de  cet  illubtrc  serviteur  de  Dieu  fut  ouvert 
(l'an  1243),  et  son  corps  fut  trouvé  non-seulement  sans 
corruption,  mais  flexible  et  palpable  encore.  La  mort  en 
avait  respecté  les  chairs,  et  les  horreurs  du  sépulcre 
n'avaient  pas  été  son  partage.  C'est  alors  que  la  piété 
publique  fut  satisfaite,  en  voyant  l'objet  de  sa  vénération, 
])lacé  sur  les  autels,  lui  présenter  sans  cesse,  dans  un 
miracle  toujours  subsistant,  le  double  gage  de  la  sainteté 
de  son  glorieux  patron  et  de  la  puissante  protection 
qu'elle  devait  en  attendre. 

Jalouse  de  sa  religieuse  origine  et  de  son  nom,  la  ville 
de  Saint-Claude  fut  toujours  heureuse,  autant  que  la 
localité  le  comportait;  longtemps  même  elle  fleurit,  moine 
par  son  commerce  au  dehors  que  par  l'affliirncï  des 
étrangers  qui  venaient  vénérer  sa  précieuse  relique,  et 
par  les  abondantes  bénédictions  qu'elle  attirait  sur  ses 
habitants;  leur  pieuse  confiance  la  regardait  cotùme  une 
sauve-garde  assurée,  et  leur  reconnaissance  lui  attribuait 
l'éloignement  de  ces  fléaux  désolants  qu'on  éprouve  si 
souvent  ailleurs,  et  que  ne  connaissait  point  encore  leur 
vertueux  pays;  la  piété  y  régnait,  les  mœurs  y  étaient 
simples  et  pures;  on  y  trouvait  encore  les  vertus  des 
premiers  temps,  et  jusqu'à  nos  malheureux  jours,  Saint- 
Claude  pouvait  être  regardée  comme  une  ville  sage  et 
fidèle. 

Pourquoi  une  barbare  philosophie  lui  a-t-elle  arraché 
tant  de  biens?...  En  corrompant  sa  foi,  en  détruisant  son 
culte,  c'était  y  appeler,  avec  le  schisme  et  l'erreur,  le 
désordre  et  tous  les  excès,  l'impiété  et  tous  les  maux. 

Hélas  t  plus  fort  que  les  orages,  plus  terrible  que  les 
éléments,  l'esprit  de  mensonge  et  de  ténèbres  y  pénètre 
avec  Vintfus  évêque  constitutionnel  du  Jura;  ce  faux  pas- 
teur, en  usurpant  le  ministère  des  pasteurs  légitimes, 
venait  égorger  le  troupeau  :  la  secte  impie  qu'il  servait 


DE  4789  A  1800.  15d 

en  aveugle  aida  ses  projets,  et  tous  les  malheurs  furent 
le  fruit  de  leurs  perfides  complots:  Saint-Claude  vit  l'abo- 
mination dans  son  sein;  un  club  s'y  forma...  Déjà  l'in- 
solence et  l'avidité  s'étaient  enrichies  des  biens  de  l'Eglise, 
déjà  les  ornements  de  l'autel,  les  offrandes  des  peuples 
étaient  la  proie  des  Héliodores  modernes;  mais  l'irréligion 
n'était  pas  satisfaite,  la  fureur  ne  connaît  point  de  bornes. 

Onze  siècles  étaient  révolus,  et  la  mémoire  de  saint 
Claude  vivait  encore,  le  souvenir  de  ses  vertus  com- 
mandait la  vénération  et  le  respect,  sa  relique  était  chère... 
Qu'elle  disparaisse ...,  c'est  le  vœu  de  l'enfer,  et  le  club  le 

répète Quatre  scélérats  sont  choisis  pour  l'enlever; 

mais,  au  moment  de  l'exécuter,  trois  de  ces  malheureux 
sont  saisis  d'effroi;  ils  reculent  d'horreur  et  se  refusent 
à  consommer  le  forfait  commandé  :  plus  endurci,  le  qua- 
trième croit  y  suffire;  il  s'y  dispose,  et  à  l'instant  ses 
forces  l'abandonnent,  une  paralysie  supplée  aux  remords 
et  l'arrête...;  le  crime  est  réservé  à  un  profanateur  plus 
insigne  :  ce  n'est  plus  un  lâche  soudoyé  d'un  club  su- 
balterne, c'est  un  brigand  éprouvé,  un  soi-disant  com- 
missaire du  club  principal;  il  vient ...  trop  coupable  pour 
ne  mériter  que  le  châtiment  d'Osa,  la  justice  divine 
l'abandonne  h  sa  rage,  le  silence  et  les  ténèbres  le  fa- 
vorisent. 

L'ange  qui  veillait  depuis  douze  siècles  sur  le  sacré 
dépôt  détourne  un  moment  les  yeux;  la  terreur  qui  avait 
frappé  tant  de -fois  les  ennemis  de  saint  Claude  leur  laisse 
un  peu  de  répit  ;  ils  saisissent  ce  corps,  ils  le  brisent,  ils 
l'emportent,  à  moitié  éperdus,  jusqu'au  couvent  profané 
des  Capmes,  où  on  le  brûle  pour  éclairer  une  nuit  d'orgie, 
il  est  donc  détruit  et  détruit  sans  retour  f  Non,  l'iniquité 
s'est  trompée,  l'avant-bras  de  saint  Claude  est  tombé  de 
ces  mains  qui  précipitaient  leur  ouvrage;  un  fidèle  h 


^^6  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

ramasse  et  le  cache  dans  sa  demeure,  pour  que  l'Ecriture 
soit  vérifiée  encore  une  fois  avec  une  i  icroyable  exactitude  : 
Ossa  pullulent  de  loco  suo  f 

A  la  nouvelle  de  cet  horrible  sacrilège  on  frémit,  l'indi- 
gnation est  générale  et  le  deuil  public.  Ce  sentiment 
pénible  qui  poursuit  une  conscience  criminelle,  ce  reproche 
qu'éprouve  l'impie,  ce  trouble  que  rien  n'apaise,  agitait 
tous  les  cœurs;  on  se  croyait  coupable  parce  qu'on  n'était 
pas  innocent,  on  se  reprochait  le  crime  parce  qu'on  aurait 
dû  le  prévenir.  On  avait  trop  abandonné  la  cause  de  Dieu 
pour  ne  pas  craindre  ses  vengeances,  et  l'inquiétude  uni- 
verselle les  disait  très-prochaines;  on  semblait  les  prévoir: 
la  ville  périra  par  le  feu,  disait-on,  et  ce  pressentiment, 
qu'on  ne  pouvait  expliquer,  ajoutait,  à  la  persuasion  d'un 
désastre  futur,  l'idée  d'un  châtiment  préparé  par  le  cour- 
roux du  ciel. 

Que  n'ont-ils  compris  plus  tôt  le  présage  sorti  de  ce 
bûcher  dont  la  chaleur  était  insupportable  et  de  cette 
fumée  si  épaisse  qu'il  était  impossible  d'en  14^  iocher. 
C'était  l'avertissement  suprême  du  ciel  en  courroux.  Cinq 
ans  s'écoulent,  et  le  poids  du  crime  accompli  par  un 
étranger  pèse  comme  un  remords  à  la  cité  qui  l'a  permis. 
De  sinistres  pressentiments  s'emparent  des  meilleurs 
esprits,  les  fronts  s'assombrissent,  la  vengeance  approche  : 
on  a  vu  un  spectre  en  feu  brandir  un  glaive  menaçant, 
on  entend  sortir  de  la  bouche  prophétique  des  femmes 
et  des  petits  enfants  les  paroles  dictées  par  la  conscience 
publique  :  On  a  brûlé  saint  Claude,  la  ville  sera  brûlée. 
Ce  fut  en  plein  été  et  en  plein  midi.  0  prodige  I  ô  stupeur! 
une  immense  colonne  de  fumée  s'élève  du  milieu  de  la 
ville.  La  Hamme  s'en  échappe  et  s'élance  comme  un  trait, 
poussée  par  une  main  invisible,  vers  le  couvent  profané 
qui  avait  été  le  théâtre  du  sacrilège.  En  un  clin  d'œil  tout 
est  embrasé.  Ah  I  n'en  douiez  pas,  ce  sont  les  cendres  de 


DE  1789  A  1800.  157 

samt  Claude  qui  retombent  comme  une  pluie  de  feu  sur 
la  Jérusalem  qui  a  tué  ses  prophètes.  Regardez,  quatre- 
vingts  victimes,  quatre  mille  âmes  sans  asile  et  sans  pain, 
trois  cents  maisons  écroulées,  l'hospice  détruit,  la  ca- 
thédrale frappée  de  la  foudre,  parce  qu'elle  n'était  plus 
l'asile  du  Dieu  vivant,  mais  le  temple  de  la  Raison  égarée; 
et  au  milieu  de  ces  ruines  accumulées,  seule  encore 
intacte,  seule  encore  debout,  l'humble  maison  où  le  bras 
de  saint  Claude  avait  été  recueilli.  Voilà  dans  un  seul 
spectacle  la  punition  éclatante  de  l'impiété,  la  récompense 
plus  éclatante  encore  de  la  foi.  Les  os  des  saints  ont  donc 
gardé  leur  crédit,  saint  Claude  est  donc  tout-puissant 
encore  sur  les  éléments,  il  excite  ou  il  apaise  les  flammes 
à  son  gré;  saint  Claude  est  encçu'e  vivant  :  Ossa  pullulent 
de  loco  suo  *. 

Telle  était  dans  Saint-Claude  la  disposition  des  esprits, 
lorsque,  le  19  juin  1799,  à  midi  trois  quarts,  le  ciel  étant 
serein  et  l'air  très-calme,  le  feu  prit  aux  bâtiments  dits  les 
remises  de  l'évéché,  situés  presque  à  l'extrémité  de  la 

*  Voici  un  extrait  d'une  circulaire  récente  de  l'évêque  du  dio- 
cèse de  Saint-Claude,  qui  confirme  ce  fait  : 

«  Nous  venons  de  faire  une  acquisition  bien  précieuse,  celle 
de  la  maison  qui,  aux  mauvais  jours  de  la  Terreur,  garda  la 
relique  insigne  du  Patron  du  diocèse.  On  sait  par  quel  sacrilège 
attentat,  par  quel  horrible  forfait,  le  corps  vénéré  de  saint 
Claude,  miraculeusement  conservé  depuis  douze  siècles,  objet 
de  la  dévotion  des  rois  et  des  peuples,  fut  livré  au  feu  destruc- 
teur; on  sait  comment  la  divine  Providence  sauva  un  membre 
du  saint  corps  de  la  fureur  impie  des  révolutionnaires.  Dans 
l'affreux  incendie  qui  dévora  la  ville  en  quelques  heures,  les 
ardentes  flammes  enveloppèrent,  sans  l'atteindre,  la  maison 
gardienne  du  trésor  delà  cité.  Aussi,  depuis  de  longues  années, 
toutes  les  âmes  pieuses  désirent  l'érection  d'un  oratoire.  Nous 
voulons  réaliser  ce  vœu.  Une  chapelle  monumentale  transfor- 
mera l'humble  maisonnette. 

Louis-Anne,  évèque  de  Saint-Claude. 


188  LA   GRANDE   RèvOLUTION 

ville,  sans  qu'on  ait  pu  accuser  ni  même  soupçonner 
personne  de  négligence  ou  de  malice  :  au  son  de  la  cloche, 
tout  le  monde  accourt,  et  l'empressement  général  en  pré- 
sentant les  secours  les  plus  prompts  et  les  plus  multipliés, 
joints  h  la  circonstance  d'une  heure  favorable  qui  aidait 
à  l'emploi  des  moyens,  tout  rassurait  contre  la  première 
alarme;  et  cent  fois,  avec  moins  de  ressources  et  pluâ 
d'obstacles,  on  avait  éloigné  de  plus  grands  dangers. 
Mais  une  force  invincible  semble  énerver  les  courages  et 
enchaîner  tous  les  bras,  l'eau  abonde  et  l'on  ne  s'en  sert 
pas,  le  feu  n'est  qu'à  un  bâtiment  et  on  le  croit  partout... 
On  s'écrie  :  C'en  est  fait,  la  ville  est  perdue  /...  Et  cédant 
à  une  impulsion  aussi  frappante  qu'inconnue,  chacun  se 
retire  pour  s'occuper  de  son  démeublement.  Stupéfaits  et 
tremblants,  les  impies  mêmes  s'écrient  comme  les  autres  i 
Mon  Dieu  /...  mon  Dieut...  la  ville  est  perdue  ...  fuyons... 
D'où  vient  donc  un  tel  effroi?  rien  ne  le  justifie,  et  rien 
ne  peut  le  vaincre  !  S'il  est  naturel,  comment  le  concevoir 
et  si  grand  et  si  fort  ?  Une  vaine  terreur  peut-elle  gagner 
ainsi  tant  d'esprits  différents,  et  leur  faire  oublier  un 
intérêt  commun  ?  N'est-ce  pas  plutôt  le  souverain  Arbitre 
de  toutes  choses  qui  éloignait  les  secours  utiles,  en  même 
temps  qu'il  dirigeait  le  fléau  de  sa  colère  ?  Avait-il  besoin 
des  orages  pour  le  répandre  sur  la  ville  entière  ? 

On  vit  en  effet  avec  surprise  qu'avant  de  s'être  commu- 
niqué aux  maisons  voisines,  il  fut  embraser  le  couvent 
des  Carmes,  très-distant,  et  tout  le  faubourg  qui  est  h 
l'autre  extrémité  de  la  ville;  on  eût  dit  qu'il  s'empressait 
d'atteindre  l'infernale  caverne  où  le  crime  s'était  commis, 
les  repaires  des  monstres  qui  l'avaient  exécuté,  et  les 
habitations  des  brigands  qui  avaient  le  plus  signalé  leur 
fureur  révolutionnaire  et  leur  obstination  dans  le  schisme 
et  l'impiété.  Gc  n'était  point,  comme  dans  les  incendies 


DE  iW  A  1800.  139 

ordinaires,  un  vent  qui  portait  la  communication  du  fen 
avec  les  étincelles  dispersées,  c'était  plutôt  an  air  enflammé 
et  brûlant  qui  embrasait  tout  sans  contact.  Les  flammes 
dévoraient  les  étages  inférieurs  avant  que  les  greniers  et 
les  combles  en  fussent  atteints;  les  meubles  ou  effets  jetés 
dans  les  jardins  ou  portés  dans  les  champs  étaient  détruits 
avant  les  maisons  d'où  ils  étaient  sortis;  les  quartiers  lés 
plus  reculés  furent  en  cendres  avant  que  les  plus  voisins 
fussent  endommagés;  l'hôpital  même,  assez  éloigné  de  la 
ville,  paraissait  hors  d'atteinte,  là  direction  était  presque 
opposée  à  celle  que  le  feu  avait  suivie  jusqu'alors,  et  il 
fut  complètement  incendié  avant  l'évêché  et  le  chapitré, 
beaucoup  plus  rapprochés  du  foyer. 

Tout  fut  consumé.  Ainsi  le  feu,  qui  avait  servi  à  l'exé- 
cution d'un  exécrable  attentat,  servit  pour  en  punir  une 
ville  coupable...  Déjà  la  révolution  l'avait  réduite  a  l'état 
d'un  misérable  et  pauvre  village,  mais  aujourd'hui,  disait 
nii  témoin  oculaire  en  1799,  elle  n'est  plus  qu'un  théâtre 
inaccessible  des  vengeances  du  ciel.  On  n'y  voit  plu« 
qu'un  amas  de  décombres,  et  l'on  est  forcé  d'avouer  que 
c'est  moins  une  ville  incendiée  qu'une  ville  anéantie-  iî 
n'en  reste  plus  de  vestiges,  et  ses  habitants  consternés 
sout  sans  foyer  et  sans  asile* 

Triste  sort  des  profanateurs. 

Les  traits  suivants  nous  ont  été  adressés  pai»  utie  re- 
ligieuse augustine  anglaise  ; 

«  Pour  répondre  à  votre  demande,  je  m'empresse  de 
vous  communiquer  plusieurs  traits  de  punitions  terribles 
exercées  par  la  vengeance  divine  sur  des  profanateurs 
sacrilèges  des  lieux  saints.  J'ai  été  moi-même  témoin 
oculaire  des  deux  premiers;  les  autres  m'ont  été  racontés 


160  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

par  des  personnes  clignes  de  foi  et  sous  les  yeux  desquelles 
les  faits  s'étaient  passés. 

»  Dans  une  ville  de  la  Belgique,  presque  vis-à-vis  de  la 
maison  où  j'habitais  alors  avec  mes  vertueux  parents,  un 
homme  sans  principes  avait  acheté  un  superbe  couvent 
à  très-bas  prix.  L'ayant  démoli,  il  y  bâtit  deux  belles 
maisons.  La  chapelle  qui  se  trouvait  au  jardin,  où  re- 
posait jadis  le  corps  d'une  sainte  de  l'ordre,  que  les  re- 
ligieuses avaient  emporté  en  émigrant,  fut  travestie  en 
gloriette.  La  première  fois  que  la  jeune  femme  de  cet 
acquéreur  de  biens  nationaux  y  mit  le  pied,  elle  tomba 
morte,  ayant  à  peine  atteint  sa  vingt  et  unième  année. 
Chacun  reconnut  dans  cette  mort  la  punition  de  la  pro- 
fanation d'une  sainte  chapelle,  et  une  miséricordieuse 
préservation  des  principes  de  cette  jeune  femme,  encore 
pure  :  elle  et  ses  parents,  étant  d'une  autre  ville,  igno- 
raient que  cette  habitation  avait  été  un  couvent,  et,  d'autre 
part,  ils  ne  savaient  point  que  l'acheteur  était  sans  re- 
ligion. Quelque  temps  après,  cet  homme  contracta  un 
nouveau  mariage  avec  une  femme  moins  pieuse  que  la 
première.  Diverses  catastrophes  prouvèrent  que  les  béné- 
dictions s'éloignent  de  ceux  qui  ne  respectent  pas  les 
choses  saintes  ;  entre  autres  calamités,  le  tonnerre  tomba 
sur  cet  ancien  couvent  et  y  fit  de  grands  dégâts,  que  j'ai 
vus  de  mes  propres  yeux. 

»  —  Dans  une  autre  ville  de  Belgique,  un  malheureux 
voltairien  acheta  les  plus  belles  pierres  sépulcrales  d'une 
église  démolie  sous  la  république  française,  pour  en  paver 
le  vestibule  de  sa  maison.  La  première  fois  qu'il  passa 
sur  ces  marbres  sacrilégement  enlevés  de  dessus  les  sé- 
pulcres des  plus  nobles  de  ses  concitoyens,  il  tomba  mort, 
sans  aucun  secours,  sur  la  plus  magnifique  pierre,  qu'il 
avait  enlevée  de  ses  propres  mains.  Ce  trait  me  vient  d'un 


DE  1789  A  1800.  !G1 

témoin  d'une  véracité  à  toute  épreuve,  lequel  m'a  raconté 
aussi  que  ce  malheur  avait  converti  la  famille  de  cet 
impie. 

»  —  En  1814,  quand  Louis  XVIII  était  monté  sur  le 
trône  de  ses  ancêtres,  et  que  les  soldats  belges  étaient 
renvoyés  dans  leur  pays,  quelques-uns  de  ces  derniers, 
natifs  d'un  village  nommé  Meigheim,  entre  Bruges  et 
Gand,  se  rendaient  dans  leurs  familles,  lorsqu'ils  s'ar- 
rêtèrent devant  une  de  ces  chapelles  champêtres  oîi  pen- 
dant leur  jeunesse  ils  avaient  souvent  accompagné  leurs 
pieux  parents  pour  prier  le  divin  Crucifié.  Ils  s'age- 
nouillèrent avec  attendrissement  et,  les  bras  en  croix, 
remercièrent  le  Dieu  Sauveur  qui  les  ramenait  sains  et 
saufs  dans  leur  patrie,  tandis  que  des  milliers  de  leurs 
compatriotes  avaient  été  tués  à  Moscou.  Un  seul,  qui  était 
ivre,  se  moqua  d'eux  et  tira  la  langue  par  dérision  :  alors 
sa  langue  enfla  comme  celle  d'un  bœuf;  puis  il  eut  des 
convulsions  terribles,  qui  ne  cessèrent  qu'après  qu'il  eut 
confessé  son  crime  et  reçu  la  sainte  absolution  et  l'Extrême- 
Onction.  Durant  plusieurs  heures  qu'il  survécut,  douze 
hommes  essayèrent  en  vain  de  le  transporter  chez  lui. 
C'est  un  fermier  de  ce  village,  nommé  Pourquoi,  qui  m'a 
relaté  ce  fait  comme  témoin  oculaire.  » 

Châtiutents  éclatants. 

Un  digne  prêtre  nous  a  adressé  de  Saint-Méen,  le  20  oc- 
tobre 1866,  le  trait  suivant  : 

t  L'iniquité  qui  triomphe  s'imagine  volontiers  que  la 
justice  de  Dieu  n'existe  pas,  et  elle  répond,  à  ceux  qui  la 
condamnent,  par  les  prospérités  dont  la  vertu  s'afflige. 
Elle  se  prévaut  du  silence  de  Dieu  pour  s'enhardir  dans 
ses  forfaits.  Non,  on  ne  fait  pas  le  mal  impunément,  même 


162  LA   GRANDE   RBVOLtJTlON 

en  ce  monde.  Les  deux  traits  que  j'ai  fi  raconter  prouvent 
que  Dieu  parle  quelquefois  bien  haut,  et  qu'il  n'entond 
pas  qu'on  touche  à  ses  saints,  ni  même  t\  leurs  images  : 
Nolite  tangere  christos  meos. 

»  Ces  deux  coups  de  la  justice  divine  ont  été  frappés  le 
même  jour,  k  la  même  heure,  dans  la  même  paroisse.  Je 
les  tiens  de  divers  témoins  oculaires. 

»  C'était  un  jour  de  fête  républicaine;  il  fallait  un  feu 
de  joie,  et  on  ne  vit  rien  de  plus  économique  et  de  plus 
piquant  que  de  le  faire  avec  les  statues  des  saints  qui 
ornaient  l'église.  Il  y  eut  bien  quelques  timides  récla- 
mations contre  cette  motion;  mais,  après  tout,  h  quoi  bon 
des  images  de  saints,  quand  le  gouvernement  avait  dé- 
crété qu'il  n'y  avait  plus  de  Dieu. 

»  Pour  une  pareille  expédition,  dans  ces  jours  d'afficeux 
délire,  le  zèle  patriotique  ne  pouvait  pas  faire  défaut: 
tant  de  gens  avaient  de  bonnes  raisons  pour  se  défaire  de 
ces  images,  qui  rappelaient  la  pensée  de  Dieu,  dont  la 
déchéance  était  légalement  prononcée  I  Et  puis ,  cette 
aveugle  impiété  n'était-elle  pas  excitée  par  la  promesse 
mensongère  du  partage  égal?  Il  y  avait  dans  la  commune 
de  belles  et  vastes  propriétés  seigneuriales,  qui  n'ont  point 
été  partagées  également,  je  vous  assure. 

»  Descendre  les  saints  de  leurs  places  d'honneur  où  la 
piété  de  nos  pères  les  avait  mis,  les  transporter  sur  la 
place  publique,  et  les  jeter  avec  dédain  dans  un  tas  d'or- 
dures, sans  craindre  de  leur  faire  mal  en  leur  cassant  tôle, 
bras  ou  jambes,  ce  fut  l'affaire  d'un  instant.  Hélas  I  il  faut 
bien  l'avouer  h  la  honte  de  mon  pays,  s'il  n'y  avait  pas 
foule,  il  y  avait  trop  de  monde  h  jouir  de  cette  belle 
expédition;  et  il  va  sans  dire  qu'en  si  joyeuse  circonstance, 
chaque  saint  dont  on  apportait  la  statue  était  accueilli 
par  des  hourras  sauvages,  de  bouffonnes  plaisanteries  et 
des  propos  blasphématoires. 


DE  1789  A  1800.  1G3 

»  Le  public  trouvait  la  comédie  plaisante,  mais  le  co- 
mique tourna  bientôt  au  tragique. 

T>  Un  jeune  homme  d'environ  dix-huit  anSj  domestique, 
ardent  h  toute  autre  chose  qu'au  bien,  aidait  au  transport 
de  la  statue  de  la  sainte  Vierge.  Il  se  permit,  en  arrivant 
au  bûcher,  une  impiété  si  abominable,  que  ma  plume  se 
refuse  à  l'exprimer.  Redoublement  frénétique  de  grosse 
joie  des  assistants,  mais  non  du  malheureux  que  là  justice 
de  Dieu  attendait  là.  Frappé  comme  d'un  coup  de  foudre, 
il  tombe  à  l'instant  en  arrière,  perclus,  oui^  perclus  pour 
la  vie!  Il  avait  les  pieds  légers  pour  courir  au  mal,  le 
voilà  devenu  semblable  h  un  enfant  qui  n'a  pas  encore 
l'usage  de  ses  jambes  et  qui  se  traîne  comme  il  peut; 

>  Quarante  ans  après,  je  l'ai  vu  moi-même^  le  pauvre 
cul-de-jatte,  je  l'ai  vu  sous  le  poids  du  châtiment  du 
péché  et  du  remords  qui  déchire  tout  cœur  impénitent, 

»  —  Dieu  voit  tout  :  au  même  instant  oi!i  la  justice 
divine  se  montrait  sur  la  place  publique,  une  autre  leçon 
se  donnait  dans  l'église  dépouillée.  Tableaux,  statues, 
bannières,  etc.,  tout  avait  disparu,  quand  l'un  des  acteurs 
de  ce  brigandage  avisa  un  crUcifix  sur  le  couronnemeht 
du  maître-autel,  lequel  s'élevait  jusqu'à  là  voûte.  Vite  une 
échelle  est  appliquée,  et  le  plus  leste  de  la  troupe  de  s'é- 
lancer pour  faire  disparaître  le  dernier  vestige  de  la  su- 
perstition. C'est  ainsi  qu'on  qualifiait  alors  l'image  ado- 
rable du  divin  Rédempteur.  Mais,  ô  terreur  I  à  peine 
parvenu  au  quart  de  l'échelle,  nôtre  iconoclaste  jette  en 
haut  un  regard  vers  la  divine  image  (ce  n'était  poiiit  uû 
regal-d  d'amour);  un  barreau  se  rompt  soUs  son  pied  et 
il  reste  étendu  sur  les  dalles  du  sanctuaire,  la  tête  fracassée 
et  je  ne  sais  plus  quel  membre  brisé. 

>  Après  un  moment  de  stupeur  et  de  silence,  on  ne  se 
Dressait  pas  de  s'attaquer  de  nouveaij  à  l'imagé  du  Sauveui* 


464  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

du  monde.  •  Eh  bien  !  s'écrie  un  esprit  fort,  personne  ne 
»  monte  !  Est-ce  qu'il  y  a  de  quoi  avoir  peur  ?  —  Pas  peur, 
»  moi,  dit  l'un.  —  Ni  moi,  »  dit  un  autre.  Mais  tout  en  se 
vantant  de  leur  bravoure  contre  Dieu,  ils  examinent  les 
conditions  de  l'échelle,  et  observant  qu'elle  est  parfai- 
tement conditionnée,  ils  trouvent  que  les  barreaux  peuvent 
porter  au  moins  quatre  fois  le  poids  d'un  homme.  Faute 
de  réfléchir  on  se  damne.  La  réflexion  de  nos  braves  les 
convainquit  qu'il  y  avait  dans  le  malheur  arrivé  quelque 
chose  qu'ils  ne  savaient  pas  appeler  surnaturel,  mais  ce 
quelque  chose  fit  courir  dans  leurs  membres  un  frisson  de 
frayeur.  Dans  la  figure  du  divin  Crucifié,  qui  nous  re- 
présente le  Dieu  d'amour,  avaient-ils  entrevu  le  Dieu  de 
la  justice?  Je  le  crois;  car  tous  ceux  qui  composaient  ce 
groupe  de  Vandales  s'esquivèrent  l'un  après  l'autre  si- 
lencieusement, et  le  crucifix  est  resté  à  sa  place  jusqu'en 
1848. 

•  GuYOT,  prêtre  de  l'Immaculée-Conception.  » 

Telle  vie,  telle  mort. 

Une  personne  honorable  de  la  ville  du  Puy  nous  écrivait, 
en  date  du  18  octobre  1866,  les  traits  suivants  : 

«  Voici  quelques  exemples  bien  frappants  de  la  justice 
de  Dieu  sur  les  impies.  Par  égard  pour  les  familles  qui 
vivent  encore,  je  dois  m'abstenir  de  citer  les  noms  propres. 

»  B*"  se  distinguait  par  son  irréligion  et  son  fanatisme 
révolutionnaire;  jamais  il  ne  mettait  les  pieds  à  l'église, 
et  profitait  de  toutes  les  occasions  qui  lui  paraissaient 
favorables  pour  déblatérer  contre  les  prêtres  et  les  pra- 
tiques religieuses.  Or  un  jour,  dévoré  de  remords  et  l'âme 
pleine  de  fiel,  il  se  promenait  dans  un  jardin  où  se  trouvait 
une  ruche  à  miel.  Il  fut  tout-à-coup  assailli  par  les 
mouches,  qui  couvrirent  son  corps,  et,  en  proie  à  des 


DE  1789  A  1800.  165 

souffrances  inouïes,  il  mourut  au  bout  de  quelques  heures, 
dans  un  affreux  désespoir.  » 

<  —  Trois  frères  étaient  unis  par  une  infernale  animosité 
contre  les  prêtres,  dont  la  vue  seule  les  mettait  en  fareur. 
Enhardis  par  les  événements  qui  éclatèrent  en  93,  ils  se 
distinguèrent  par  leur  cruauté;  et  Dieu  seul,  qui  devait 
les  venger,  connaît  le  nombre  des  saintes  victimes  qui 
tombèrent  sous  leurs  coups.  Tant  de  sang  innocent  ré- 
pandu par  ces  monstres  montait  vers  le  ciel  et  demandait 
vengeance.  La  justice  de  Dieu  ne  tarda  pas  à  éclater. 

»  Le  premier,  pendant  qu'il  ruminait  encore  dans  son 
cœur  de  nouveaux  forfaits,  fut  tout-à-coup  frappé  de  mort, 
sans  avoir  eu  le  temps  de  pousser  un  cri  de  repentir  pour 
implorer  la  miséricorde  divine. 

»  Le  second,  atteint  d'une  ma-ladie  mortelle,  refusa 
obstinément  de  recevoir  les  sacrements,  et  mourut  comme 
il  avait  vécu,  dans  l'endurcissement  du  cœur. 

ï  Le  troisième,  effrayé  du  malheur  arrivé  à  ses  frères, 
voulut,  lorsqu'il  se  vit  à  la  dernière  extrémité,  faire  venir 
un  prêtre;  mais  quand  le  ministre  de  Jésus-Christ  arriva 
chez  lui,  il  ne  trouva  plus  qu'un  cadavre  glacé,  qui  portait 
sur  son  front  l'empreinte  du  désespoir. 

»  C'est  ainsi  que  ces  trois  impies,  après  avoir  été  unis 
dans  leurs  crimes  pendant  leur  vie,  le  furent  encore  à  la 
mort  dans  leurs  châtiments.  » 

Le  Bon  Diea  de  Pitié  profané  par  an  jacobin. 

Nous  devons  à  la  bienveillance  d'un  pieux  ecclésiastique 
belge  l'exemple  suivant.  Le  récit  est  précédé  de  quelques 
lignes  que  nous  citons  textuellement  : 

«  Chapelain  dans  un  petit  village  du  canton  d'Etalle, 
diocèse  de  Namur,  j'entends  raconter  fréquemment  le 


166  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

trait  ci-joint,  qui  s'est  passé  tout  près  d'ici.  Il  s'agit  de  la 
mort  d'un  révolutionnaire  fameux,  bien  connu  dans  co 
canton,  frappé  de  Dieu  à  Tinligny,  village  à  une  lieue  d'ici. 
Tout  le  monde  y  a  vu  le  doigt  de  Diea.  Je  m'en  suis  faii 
raconter  un  do  ces  Jours  les  détails  par  un  vieux  prêtre 
qui  les  tient  d'un  curé  contemporain.  Je  pourrais  citer  le 
nom  de  l'individu,  mais  je  craindrais  de  blesser  la  justice 
et  la  charité,  car  il  a  des  neveux  on  grand  nombre  dans 
nos  environs,  et  des  neveux  qui  ne  lui  ressemblent  guère. 
Voici  le  fait  : 

»  A  Tintigny,  diooèfie  de  Namur,  pendant  la  Révolution 
française,  aux  jours  de  la  Terreur,  le  pouvoir  exécutif 
avait  pour  agent  le  citoyen  G...  Il  était  digne  de  ses 
maîtres;  il  dénonçait  les  prêtres,  dénichait  les  rebelles, 
abattait  les  croix.  C'était  la  terreur  du  pays.  A  cette 
époque,  en  1793,  la  Belgique,  on  s'en  souvient,  était 
devenue  département  français,  et  elle  était  soumise  aux 
lois  sanguinaires  des  scélérats  qui  siégeaien*  k  Paris.  Un 
jour,  la  veille  de  l'Ascension,  le  citoyen  G...,  en  allant  de 
Tintigny  à  Orval,  passe  à  l'entrée  d'un  bois,  devant  un 
christ  connu  sous  le  nom  toachant  de  Bon  Dieu  de  Pitié. 
Le  renégat,  en  le  voyant,  lui  montre  le  point  et  lui  lance 
ce  blasphème  :  «  Si  tu  es  encore  là,  petit  Pierrot,  quand 
»  je  repasserai,  tu  descendras  la  garde.  »  Quand  il  ro» 
passe,  le  Bon  Dieu  de  Pitié  est  encore  là.  L'agent  du 
pouvoir  exécutif  s'apprête  à  renverser  le  crucifix.  Il  faisait 
une  obscurité  profonde.  Tout-à-coup  il  aperçoit,  appuyôc 
sur  le  hêtre  qui  porte  l'image  vénérable,  une  forme 
humaine  toute  nue,  les  bras  étendus  en  croix,  une  cou- 
ronne sur  la  tète.  En  un  clin  d'œil,  la  vision  se  précipilo 
sur  le  voyageur.  Celui-ci  croit  que  c'est  le  Christ  descendu 
pour  se  venger.  Effaré,  éperdu,  il  pique  son  cheval  et 
revient  ventre  à  terre  h  Tintigny,  sans  regarder  derrière 
lui.  Il  arrive  tout  tremblant,  épuisé;  il  se  met  au  lit  en 


DE  1789  A  1800.  1G7 

proie  à  une  fièvre  dévorante;  le  lendemain  matin  il  ex- 
pirait, et  tous  se  dirent  :  Le  doigt  de  Dieu  est  là  f  —  Dieu 
se  laisse  blasphémer  et  persécuter  parce  qu'il  a  l'éternité 
pour  répondre;  mais  cette  fois  il  avait  répondu  avant  le 
grand  jour.  L'apparition  qui  avait  effrayé  le  fier  républicain 
s'expliqua  bientôt  :  Dieu  s'était  servi  de  la  folie  d'un 
malheureux  qui  habitait  ces  bois  pour  «  lui  faire  descendre 
la  garde.  »  La  femme  du  blasphémateur  amsi  que  ses 
deux  filles  moururent  plusieurs  années  après  dans  la 
misère  et  dans  l'abjection.  Et  le  Bon  Dieu  de  Pitié  est 
encore  là,  et  on  se  signe  encore  en  passant  devant  lui,  et 
les  vieillards,  en  songeant  au  jacobin  de  Tintigny,  se 
signent  deux  fois  I  » 

La   vengreance   divine. 

Voici  deux  exemples  de  la  vengeance  de  Dieu>  rapportés 
par  M.  l'abbé  Daux,  vicaire  général  de  Buffalo  : 

<  Dans  mon  pays  natal,  à  l'époque  de  la  grande  Révo- 
lution de  la  fin  du  siècle  dernier,  un  homme  qui  jouissait 
d'une  certaine  considération  se  laissa  entraîner  aux  idées 
du  temps  et  devint  impie.  Après  la  dévastation  de  l'église 
paroissiale,  où  se  commirent  mille  excès  criminels,  ce 
malheureux,  visitant  un  jour  les  ruines  qui  y  étaient 
amoncelées,  et  apercevant  encore  le  grand  christ  de  pierre 
derrière  l'autel  principal,  s'écria  :  «  Quand  donc  ne 
»  verrai-je  plus  ce  monstre  !  »  Son  vœu  sacrilège  fut  exaucé; 
il  ne  le  vit  plus,  en  effet,  car  il  perdit  la  vue  complètement 
sans  la  moindre  douleur.  Il  a  vécu  encore  une  quinzaine 
d'années  dans  ce  triste  état.  J'ai,  depuis,  appris  avec 
plaisir  qu'il  s'était  réconcilié  avec  Dieu. 

»  —  Un  autre  de  mes  compatriotes  assistait  au  renver- 
sement des  statues  dans  la  même  çglise;  il  en  emporta 


1G8  LA  GRANDE   nÉVOLUTION 

une  chez  lui,  non  pour  la  soustraire  à  la  profanation,  mais 
pour  assouvir  sur  elle  une  sorte  de  rage  et  montrer  en 
cela  toute  la  force  de  son  esprit.  Il  ne  trouva  rien  de  plus 
plaisant,  après  certaines  brutalités  indignes,  que  de  fendre 
cette  statue,  comme  un  morceau  de  bois  ordinaire,  et  de 
la  destiner  à  faire  bouillir  son  pot-au-feu.  Ce  ne  fut  pas 
pour  lui  un  brevet  de  longue  vie,  car,  deux  jours  après, 
on  procédait  à  son  enterrement.  Dieu  l'avait  cité  à  com- 
paraître devant  son  tribunal.  » 

Une   orgfle    sacrilcg'e. 

En  1793,  à  cette  époque  si  féconde  en  crimes  de  toute 
espèce,  un  régiment  français  qui  était  en  Italie  passa  dans 
un  village  au  moment  d'un  orage  qui  fut  suivi  d'une 
grande  pluie.  Les  soldats  trouvèrent  l'église  ouverte  et  y 
entrèrent  pour  se  mettre  à  l'abri.  Comme  on  était  alors  en 
un  temps  où  l'on  travaillait  à  détruire  la  religion,  et  où 
ceux  dont  la  foi  et  la  piété  n'étaient  pas  bien  enracinées 
se  faisaient  une  gloire  de  se  montrer  impies,  les  soldats 
se  comportèrent  dans  le  temple  du  Seigneur  comme  dans 
le  lieu  le  plus  profane.  Quelques-uns  proposèrent  d'y 
faire  venir  du  vin;  leur  proposition  fut  bien  accueillie.  On 
en  apporta  bientôt  dans  de  grandes  jattes;  mais  comme 
on  n'avait  pas  assez  de  gobelets  et  de  tasses  pour  y  puiser, 
il  y  eut  un  soldat  qui  fut  assez  impie  pour  se  procurer  un 
vase  sacré  par  un  sacrilège  horrible.  Il  monte  à  l'autel, 
enfonce  la  porte  du  tabernacle,  ose  prendre  en  main  le 
ciboire,  jette  par  terre  les  hosties  saintes  qu'il  renfermait, 
et  vient  ensuite  tout  triomphant.  Mais  le  moment  était 
arrivé  où  le  Seigneur  allait  faire  éclater  sa  vengeance  sur 
ce  malheureux.  Gomme  il  plongeait  le  ciboire  dans  une 
des  jattes  où  il  y  avait  du  vin,  il  tomba  mort;  et  afin 
qu'on  ne  doutât  point  que  cette  mort  ne  fût  un  effet  de  la 


DE  1789  A  1800.  169 

vengeance  d'un  Dieu  irrité,  le  ciboire  profané  ne  put  lui 
être  ôté  des  mains  par  aucun  de  ceux  qui  essayèrent  de  le 
lui  enlever.  Il  fallut  avoir  recours  au  curé  de  la  paroisse, 
qui  l'en  retira  aussitôt  sans  peine.  Plusieurs  habitants  de 
cette  paroisse,  qui  étaient  dans  l'église,  furent  témoins  du 
sacrilège  que  commit  le  soldat  et  des  suites  qu'il  eut.  L'uï 
d'entre  eux,  qui  était  mauvais  chrétien,  se  convertit  et  se 
confessa  ce  jour-là  même.  Un  prêtre  français,  à  qui  l'on 
peut  ajouter  foi,  et  qui  était  alors  sur  les  lieux,  a  raconté 
ce  fait  comme  certain. 

€  La  justice  de  Dieu,  dit  saint  Cyprien,  s'appesantit  de 
temps  à  autre  sur  quelques-uns  pour  servir  d'exemple  à 
îOus.  »  Exempla  sunt  omnium,  tormenta  paucorum. 

Il  est  vrai  que  Dieu  ne  frappe  pas  toujours  d'une  ma- 
nière aussi  subite  ceux  qui  l'outragent  dans  son  sacrement; 
mais  on  peut  dire  aussi  en  toute  vérité,  avec  saint  Au- 
gustin, que  l'impunité  apparente  de  ce  crime  en  est  le 
plus  grand  supplice  :  Impunitas  ipsa  pœnalis  est.  En  épar- 
gnant le  corps,  le  Seigneur  abandonne  l'âme  à  cette  lé- 
thargie intérieure  qui  ne  lui  laisse  aucun  sentiment,  et  la 
rend  incapable  d'expier  ses  fautes  par  un  sincère  repentir. 

Extraits   des  llétuoires   du   temps. 

Nous  détachons  les  traits  suivants  d'un  intéressant  vo- 
lume publié  à  la  librairie  Josserand,  à  Lyon,  sous  ce  titre  : 
Mémoires  pour  servir  à  l'Histoire  ecclésiastique  des  diocèses 
de  Lyon  et  de  Belley. 

Les  autorités  révolutionnaires  de  Montbrison  avaient 
décidé  qu'on  enlèverait  le  grand  christ  dans  l'église  de  Saint- 
André.  Un  homme  se  présente  pour  remplir  cette  fonction. 
Il  monte;  mais,  au  moment  de  saisir  le  crucifix,  il  tombe 
et  reste  mort  sur  le  pavé.  (Not2  de  M.  Ruivet.) 

8 


170  LA  (ÎRÂ!»DB  ftéVOLUTION 

—  A  Roanne,  dans  le  Foroz,  nn  nommé  Garret,  per- 
ruquier, voyant  qa'on  brûlait  les  statues  des  saints,  voulut 
avoir  sa  part  des  profanations  el  s'en  alla  au  calvaire*  Il 
entre  dans  le  sépulcre  où  était  représenté  Notfe-Seigneur 
mort,  et  il  profana  d'une  manière  abominable  le  visage  du 
Sauveur.  Ce  misérable  a  vécu  longtemps  après  ce  crime; 
mais  aussitôt  il  fut  saisi  d'une  douleur  cruelle,  h  tel  point 
qu'il  lui  était  impossible  de  rester  assis  au  instant.  Ce 
long  châtiment  le  fit  heureusement  rentrer  en  Ini-mème. 
Il  racontait  franchement  son  crime,  et,  sur  la  fin  de  sa 
vie,  ses  douleurs  devinrent  si  poignantes,  qu'elles  le  con- 
duisirent au  tombeau.  Il  disait  qu'il  n'avait  point  d'autre 
mal  que  celui-là.  (BotiELLE,  Correspondance.) 

—  M.  Bouveyron,  qui  fut  curé  de  Lagnieu,  a  écrit  le 
trait  suivant  de  1792  : 

«  Les  révolutionnaires  de  Lagnieu  préludaient  à  la  des- 
truction d'une  croix  placée  tout  près  des  halles,  en  chan- 
tant la  Marseillaise  et  autres  hymnes  de  cette  espèce. 
Claude  Nat,  fameux  entre  tous,  devait  faire  sauter  la  croix 
par  un  coup  de  mine.  Il  portait  pour  cela  une  charge  de 
poudre  qu'il  avait  mise  dans  son  sein.  Arrivé  près  de  la 
croix,  il  veut  quitter  son  fardeau  ;  au  même  instant  une 
étincelle  tombe  sur  la  poudre,  Nat  est  enlevé  h  une  telle 
hauteur,  qu'en  tombant  il  n'a  plus  la  forme  humaine;  c'est 
un  objet  d'horreur.  On  l'emporte  dans  une  maison  voisine, 
si  défiguré  qu'il  reste  inconnu  à  ceux  qui  l'ont  vu  quelques 
instants  auparavant.  Ni  ses  concitoyens  ni  même  ses 
parents  ne  pouvaient  le  reconnaître.  Abandonné  de  tout 
le  monde,  il  allait  périr  comme  il  avait  vécu;  mais  une 
femme  vertueuse,  à  la  piété  de  laquelle  il  avait  souvent 
insulté,  s'attacha  nuit  et  jour  à  son  lit  de  souffrance  et  lui 
prodigua  tous  les  soins  corporels  et  spirituels  que  ré- 
clamait son  état.  Une  si  grande  charité  reçut  la  récom- 


DE  1789  A  iSOO.  171 

pense  qu'elle  pouvait  seule  désirer.  Ce  cœur  farouche  et 
dur  comme  le  rocher  s'amollit  tout-h-coup;  il  pleure  ses 
longs  égarements,  implore  la  miséricorde  divine,  demande 
pardon  de  ses  crimes;  il  endure  des  douleurs  atroces 
sans  le  moindre  murmure,  se  recommande  humblement 
aux  prières  de  ceux  que  son  changement  avait  ramenés 
près  de  sa  personne,  et  expire  enfin  au  milieu  des  plus 
grands  sentiments  de  pénitence.  Il  laissa  tous  les  gens  de 
bien  aussi  édifiés  de  son  retour  qu'ils  avaient  été  scan- 
dalisés de  ses  excès.  On  admira  la  grandeur  de  la  misé- 
ricorde divine,  comme  on  avait  été  frappé  de  sa  justice, 
qui,  en  châtiant  le  corps,  voulut  sauver  l'âme.  » 

—  Baron,  qui  se  faisait  nommer  Chalier,  était  natif  de 
Saint-Rambert  en  Bugey.  Pendant  la  Terreur,  il  avait  fait 
partie  du  tribunal  sanguinaire  qui  siégeait  à  Bourg.  R.o- 
bespierre  étant  tombé,  les  gens  pacifiques,  qui  avaient 
beaucoup  souffert,  reprirent  un  peu  de  puissance,  et  ceux 
qui  formaient  le  tribunal  de  sang  furent  arrêtés;  mais 
comme  on  craignait  qu'ils  ne  fussent  massacrés,  on  les  fît 
partir  pour  Lons-le-Saunier.  Arrivés  à  Saint-Etienne-du- 
Bois,  ils  sont  assaillis  et  mis  à  mort;  Baron  seul  est 
épargné  par  un  garde  national  qui  le  jette  dans  un  fossé 
en  lui  disant  :  «  Fais  le  mort.  »  Ce  malheureux,  plein  de 
reconnaissance  envers  son  libérateur,  a  vécu  jusqu'en 
1835,  en  témoignant  son  repentir  des  crimes  qu'il  avait 
commis.  A  cette  époque,  il  reçoit  l'Extrême-Onction; 
néanmoins,  deux  jours  après,  il  se  brûle  la  cervelle.  Le 
lecteur  est  libre  de  porter  son  jugement. 

—  M.  DâHay,  mort  chatiaine  de  Belley,  raconte  ainsi 
le  désespoir  d'un  nommé  Mcrmet,  mort  à  Santhonax, 
pendant  la  Terreur  : 

Gétail  un  homme  qui  avait  édifié  stWi  pays,  et  par  son 


172  LA   OnANDE   RÉVOLUTION 

assiduité  aux  offices   divins,   et  par  son  exactitude  h 
fréquenter  les  sacrements,  et   par  son  amitié  pour  son 
curé.   Mais,  la  Révolution  venue,   Mermet   en  devient 
bientôt  un  chaud  partisan  et  se  livre  à  tous  les  excès 
qu'elle  enfante.  Il  va  jusqu'à  arracher  la  pierre  sacrée  de 
l'autel  et  la  place  dans  son  foyer,  en  se  livrant  à  mille 
railleries  plus  impies  et  plus  indécentes  les  unes  que  les 
autres.  Quand  un  missionnaire  apparaissait  dans  son  pays, 
il  trouvait  en  Mermet  un  terrible  antagoniste,  qui  faisait 
tous  ses  efforts  pour  paralyser  son  ministère.  Dieu,  lassé, 
envoya  h  cet  homme  une  maladie  terrible.  M.  Darlay  est 
appelé,  mais  il  ne  trouve  dans  ce  malade  que  des  so- 
phismes  captieux,  des  arguments  et  des  objections  impies, 
puisés  dans  la  société  des  révolutionnaires.  A  force  de 
raisonnements  suggérés  par  le  zèle,  les  efforts  du  mis- 
sionnaire semblent  couronnés  de  succès.  Le  malade  consent 
à  se  confesser  le  lendemain;  le  prêtre  insiste  et  montre  le 
danger  du  moindre  délai;  le  malade  demande  deux  heures 
de  retard  pour  prendre  un  peu  de  repos.  A  peine  M.  Darlay 
est-il  sorti  qu'un  nommé  Buridon,  complice  du  malade, 
s'approche  de  son  lit.  On  ne  sait  ce  qu'il  lui  dit,  mais 
une  heure  ne  s'était  pas  écoulée  qu'on  accourut  auprès 
de  M.  Darlay.  Il  arrive  à  la  hâte;  ie  malade  est  en  proie 
au  plus  affreux  désespoir.  Ses  cris  affreux,  ses  gestes 
épouvantables  éloignent  tous  ceux  qui  voudraient  le  sou- 
lager; personne  même  de  sa  famille  et  de  ses  voisins  n'ose 
s  approcher.   M.  Darlay  l'aborde  seul.  La  présence  du 
prêtre  redouble  sa  rage.  Celui-ci  lui  parle  des  miséricordes 
de  Dieu;  mais  le  malade,  au  milieu  d'horribles  jurements, 
repond  qu'il  n'y  a  plus  de  miséricorde  pour  lui,  qu'il  est 
damné;  il  maudit  le  prêtre  et  lui  donne  l'ordre  de  se 
retirer,  en  lui  disant  que  sa  présence  lui  cause  les  tour- 
ments de  l'enfer.  Le  missionnaire  lui  adresse  encore  les 
paroles  les  plus  tendres;  le  malheureux,  assis  sur  son  lit 


DE  1789  A  1800.  173 

avec  la  pâleur  de  la  mort,  le  visage  décomposé,  les  yeux 
enflammés  de  colère,  les  cheveux  clair-semés  et  hérissés 
comme  des  fils  de  fer,  pousse  des  rugissements  tels  que 
ceux  d'un  lion.  Tout  le  monde  au  dehors  est  glacé  d'effroi. 
Le  missionnaire,  après  avoir  redoublé  ses  exhortations, 
part  pour  un  pays  voisin.  Il  avait  fait  une  demi-heure  de 
chemin,  quand  le  fils  du  moribond  vient  lui  annoncer  que 
son  père  est  calme  et  qu'il  demande  le  missionnaire. 
M.  Darlay  accourt  de  nouveau,  mais  il  trouve  le  mal- 
heureux sans  connaissance  et  sans  parole,  à  son  dernier 
soupir.  Ainsi  s'accomplit  cet  oracle  du  Psalmiste  :  «  Le 
pécheur  verra  ce  qu'il  redoutait;  il  le  verra  et  entrera  en 
fureur  :  le  désir  des  pécheurs  périra.  » 

—  Voici  un  nouveau  trait  de  la  iustice  de  Dieu  arrivé  à 
Lagnieu  peu  après  le  rétablissement  du  culte  : 

Une  cérémonie  devait  avoir  lieu  dans  l'église.  Un  jeune 
homme  bien  connu  Dar  les  agréments  de  sa  figure,  les 
avantages  de  la  fortune,  et  dius  encore  par  son  libertinage 
et  son  impiété,  profita  de  l'occasion  pour  insulter  aux 
mystères  les  plus  sacrés.  Il  dit  qu'il  irait  avec  ses  amis 
être  témoin  de  ces  simagrées,  et  ses  propos  h  ce  sujet 
furent  si  indignes  que  tous  en  turent  révoltés.  Il  se  rend 
à  l'église  pour  voir  agir  l'arlequin  :  c'est  ainsi  qu'il  parle 
du  célébrant.  Il  se  place  dans  l'endroit  le  plus  patent,  et, 
au  moment  oiî  se  donne  la  bénédiction,  il  se  sent  comme 
frappé  de  mort:  ses  genoux  chancellent  et  il  tombe  à  la 
renverse,  se  débattant  des  pieds  et  des  mains,  et  rendant 
par  la  bouche  une  écume  affreuse.  Tout  le  monde  est  dans 
la  stupéfaction,  mais  on  répète  qu'il  l'a  bien  mérité  par 
ses  railleries  sacrilèges  :  loin  d'accuser  la  justice  divine 
de  ses  rigueurs,  on  accusa  sa  lenteur  à  punir.  Le  mal- 
heureux, comme  un  monument  de  la  colère  céleste,  vécut 
encore  plusieurs  années,  relégué  au  fond  de  ses  appar- 


174  LA   CRANPE   P.évOLUTION 

tciîicnts,  abandonné  de  tout  le  monde,  même  de  ses  amis, 
et  continuant  de  blasphémer  contre  le  Dieu  qui  l'a  puni.  Il 
a  enfin  rendu  son  âme  le  blasphème  dans  la  bouche. 

—  Déjà  nous  avons  vu  un  maçon  tomber  roide  mort  au 
moment  où  il  levait  Le  bras  pour  frapper  de  son  marteau 
M.  Cheuzeville,  qui  passait  enchaîné,  allant  ea  prison. 

—  Quand  le  moment  de  la  justice  divine  est  arrivé,  ejle 
se  sert  de  tous  ies  moyens  pour  exercer  ses  vengeances. 

A  Coligny,  département  de  l'Ain,  se  trouvait  un  nommé 
Gromier,  prêtre  marié,  qui  avait  acheté  le  château  même 
de  Coligny,  croyant  sans  doute  que  la  colère  céleste  ne 
pourrait  l'atteindre  dans  cette  demeure  presque  princière, 
qu'il  tenait  de  la  nation  moyennant  quelques  assignats. 
Tout-îi-coup  on  vient  lui  dire,  en  1814,  que  les  Autrichiens 
vont  entrer  chez  lui:  il  est  saisi  de  frayeur  et  tombe  mort. 

—  A  Saint-Lupicin  se  trouvait  un  intrus  qui  tout  d'un 
coup  tombe  dans  une  maladie  mortelle.  Un  prêtre  ca- 
tholique n'osant  pas  l'aller  voir,  il  est  visité  par  un  de  ses 
pareils;  mais  celui-ci  le  trouve  en  proie  à  un  affreux  dés- 
espoir. Alors  l'ami  lui  parle  des  miséricordes  de  Dieu. 
«  Gomment,  répond  le  malade,  osez-vous  me  parler  des 
miséricordes  de  Dieu,  vous  qui,  comme  moi,  avez  bu 
indignement  plusieurs  mesures  du  sang  de  son  divin  Fils? 
Non,  non,  il  n'y  a  pas  de  miséricorde  pour  des  scélérats 
comme  nous;  d'affreux  et  horribles  supplices,  voilà  notre 
partage  pour  l'éternité...  »  Son  confrère  ose  cependant 
lui  présenter  un  crucifix,  dans  l'espoir  de  lui  inspirer  par 
là  de  meilleurs  sentiments,  le  malade  arrache  des  mains 
de  son  confrère  effrayé  l'imago  du  Sauveur,  la  casse,  la 
brise,  la  met  en  pièces  et  la  jetl«  avec  fureur;  puis  il 
meurt  à  l'instant  même  dans  la  rage  et  le  désespoir. 

(M.  Darlay.) 


DE  1789  A  i800.  175 

Non,  la  justice  divine  n'attend  pas  toujours  les  grands 
coupables;  elle  veut  que  leurs  châtiments  nous  servent  de 
leçons. 

On  voit  que  parmi  les  traits  que  nous  signalons  il  y  en 
a  oîi  la  miséricorde  de  Dieu  se  manifeste  d'une  manière 
visible;  c'est  lorsque  le  châtiment  amène  une  conversion 
sincère,  et  que  le  pécheur  a  le  temps  de  se  reconnaître. 
On  a  remarqué  en  général  que  ceux  qui  ont  brisé  ou 
arraché  les  crucifix  dans  les  églises  ou  ailleurs  ont  presque 
toujours  été  frappés  de  mort  subite,  comme  celui  qui 
enlevait  le  grand  christ  à  Notre-Dame  de  Saint-Etienne 
en  Forez,  qui  tomba  mort  à  l'instant  même.  Celui  qui 
voulut,  au  refus  de  plusieurs  autres,  enlever  le  christ 
qu'on  admire  encore  à  Notre-Dame  de  Montluel,  au  même 
moment  devint  noir  comme  un  nègre  et  mourut  peu  de 
temps  après.  Celui  qui  entreprit  de  descendre  le  crucifix 
de  l'église  de  Rjonno,  paroisse  du  diocèse  de  Lyon,  fut 
pris  presque  au  même  moment  d'une  fièvre  qui  lui  faisait 
pousser  des  cris,  parce  que,  disait-il,  il  brûlait.  Il  suppliait 
qu'on  jetât  sur  lui  de  l'eau  froide  en  abondance,  et  quand 
on  le  faisait,  ses  cris  redoublaient,  parce  qu'il  lui  semblait 
qu'on  l'inondait  d'eau  bouillante.  Il  mourut  furieux. 

—  M^'  Depéry,  mort  depuis  peu  d'années  évèque  de 
Gap,  auteur  de  l'Histoire  hagiologique  du  diocèse  de  Belley, 
raconte,  dans  son  premier  volume,  un  fait  connu  de  tout 
le  département  de  l'Ain  et  plus  encore  du  canton  de 
Belley.  Le  6  décembre  1793,  des  mains  sacrilèges,  après 
avoir  profané  et  l'église  et  la  chapelle  dans  laquelle  on 
vénérait  les  restes  sacrés  de  saint  Anthelme,  enlevèrent  de 
dessus  l'autel  la  châsse  qui  renfermait  le  corps  du  saint, 
et  se  disposaient  k  la  porter  sur  la  place  publique  pour 
la  livrer  aux  flammes.  Cette  nouvelle  met  la  ville  de  Belley 
dan$  un  état  d'alarme  et  de  stupeu».  On  voit  accourir  des 


476  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

hommes  poussés  par  la  rage  et  l'impiété,  d'autres  que 
leur  piété  attire  pour  savoir  ce  que  va  devenir  ce  corps 
sacré.  La  châsse  est  ouverte;  de  courageux  chrétiens  se 
hâtent  d'enlever  quelques  linges  qui  recouvrent  le  corps  et 
quelques  ossements  qu'ils  conservent  avec  soin.  Cependant 
le  nommé  Michel  s'avance  avec  fureur,  et,  prenant  la  tète 
du  saint,  il  la  montre  avec  dérision,  puis,  la  jetant  vio- 
lemment sur  le  pavé,  il  la  brise  en  disant  :  «  Si  tu  es 
saint,  fais-le  voir.  »  Ces  paroles  font  frémir  les  assistants. 
Quelques  jours  après,  d'horribles  tumeurs  survinrent 
autour  du  cou  de  Michel  et  pendaient  sur  ses  épaules  plus 
de  vingt  centimètres  de  long.  Cette  affreuse  infirmité  lui 
dura  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  c'est-à-dire  vingt-trois  ans. 
La  ville  n'a  jamais  vu  dans  cet  événement  qu'un  châtiment 
du  ciel,  où  la  miséricorde  s'unit  à  la  justice.  En  effet, 
longtemps  après,  Michel,  en  pleine  église  et  en  présence 
de  la  population  réunie,  demanda  pardon  à  Dieu  et  fit 
amende  honorable  sur  la  place  publique.  Touché  d'un 
sincère  repentir,  il  revint  à  des  sentiments  chrétiens, 
manifesta  une  grande  dévotion  à  saint  Anthelrae,  et 
mourut  plus  tard  dans  des  dispositions  qui  font  espérer 
qu'il  aura  trouvé  grâce  devant  le  Dieu  vengeur  de  ses 
saints. 

—  pans  une  paroisse  du  Bugey  que  nous  pourrions 
nommer,  un  paysan,  la  tête  exaltée  par  l'impieié  révo- 
lutionnaire, veut  aussi  se  distinguer  par  une  action  d'éclat. 
Il  s'approche  d'une  statue  de  Marie  et  lui  dit  :  «  Tu  me 
regardes?  eh  bien?  dans  un  instant  tu  ne  pourras  plus  me 
regarder.  »  En  disant  cela,  il  frappe  d'un  marteau  les 
deux  yeux  de  la  Vierge.  Ce  paysan  était  garçon;  quelques 
années  après,  il  se  marie,  et  les  trois  premiers  enfants 
qu'il  a  sont  aveugles  :  on  voit  la  place  des  yeux,  mais  il 
n'y  a  rien.  Cet  homme,  à  celte  vue,  ne  se  fait  point  illusion; 


DE  1789  A  1800.  177 

il  connut  qu'il  y  avait  là  un  châtiment  de  Dieu.  Sa  femme, 
désolée,  pria  et  fit  prier,  et  lui  alla  recevoir  le  sacrement 
de  Pénitence,  se  convertit  en  demandant  pardon  à  Dieu. 
Il  eut  depuis  plusieurs  autres  enfants,  qui,  dès  leur  nais- 
sance, eurent  de  beaux  yeux  et  une  vue  excellente. 

—  Dans  une  autre  petite  ville  du  même  département,  on 
avait  dressé  un  bûcher  pour  y  brûler  toutes  les  statues  des 
saints.  Là  se  trouvait  un  particulier  qui  voulait  faire 
parade  de  son  impiété.  Voyant  une  statue  qui  roulait  hors 
du  bûcher,  il  la  pousse  trois  fois  dans  le  feu  avec  le  pied 
en  prononçant  des  plaisanteries  grossières.  Peu  après,  cet 
homme  se  blesse  au  pied  qui  avait  ainsi  poussé  la  statue  ; 
il  fallut  le  lui  couper  au-dessus  de  la  cheville.  Plus  tard, 
on  se  vit  même  obligé  de  lui  couper  la  jambe;  enfin  il 
fallut  amputer  la  cuisse.  Le  malheureux,  après  avoir  cruelle- 
ment souffert,  mourut. 

—  Voici  un  autre  révolutionnaire  qui  veut  faire  le  brave. 
Il  porte  un  calice  volé  dans  une  église  et  s'en  sert  pour 
boire  publiquement  dans  ce  vase  sacré.  Il  ne  voit  pas, 
comme  Balthazar,  une  main  qui  écrit  contre  la  muraille 
sa  condamnation;  mais  bientôt  il  sent  une  douleur  à  la 
langue,  puis  une  plaie  horrible  et  une  prodigieuse  quantité 
de  vers  qui  lui  rongent  la  langue.  Il  exhale  une  puanteur 
effrayante;  tout  le  monde  le  fuit.  On  craignit  même  que 
la  puanteur  qui  sortait  de  sa  bouche  ne  répandît  la  peste 
dans  le  pays.  (M.  Ruivet.)  ' 

—  Dans  une  partie  du  Forez,  tout  le  monde  a  connu  un 
homme  qui,  pendant  la  Révolution,  monta  à  la  hauteur 
d'un  grand  crucifix  dans  une  église,  armé  d'un  marteau. 
Arrivé  là,  il  frappe  et  brise  les  bras  de  cette  image  sacrée. 
Peu  de  temps  après,  cet  homme  a  un  enfant  qui  lui  naît 

8* 


178  LA   GRANDE   RÉVOLUTION. 

sans  bras.  Cet  enfant  a  grandi;  mais,  ne  pouvant  pas 
gagner  sa  vie,  il  a  mendié  pendant  plus  de  cinquante  ans. 

—  Pont-de-Vaux,  jolie  petite  ville  du  département  de 
TAin,  appartenant  autrefois  au  diocèse  de  Lyon,  a  le 
malheur  de  renfermer  encore  un  certain  nombre  de  franc- 
maçons  et  de  disciples  de  Voltaire.  Dieu,  qui  ne  veut  pas 
que  le  pécheur  périsse,  mais  qu'il  se  convertisse  et  qu'il 
vive,  a  déjà  fappé  quelques  impies  de  ce  beau  pays  d'une 
mort  effrayante.  (Tout  le  monde  sait  comment  périt  celui 
qui  faisait  faire  grand  festin  dans  un  hytel  le  jour  du 
vendredi  saint,  et  cet  autre  qui  plaçait  sur  i^n^  table,  en 
dehors  d'un  caf4>  au  mojBent  où  devait  passer  la  pro- 
cession du  Saint-Sacrement,  six  cruches  de  bière  et  six 
chandelles,  lui-même  étant  assis  là,  son  chapeau  sur  la 
tête.)  Nous  ne  les  nommerons  pas,  et  nous  ne  dirons  pas 
les  circonstances  de  leur  mort,  d'autant  quQ  ceci  ne  s'est 
pas  passé  pendant  la  Révolution,  mais  après,  et  que  nous 
craindrions  d'affliger  quelques  familles  qui  gavent  bien 
qu'il  y  a  un  Dieu  qui  punit  les  crimes  quelquefois  dès  ce 
monde,. 

—  M.  Paroii,  viiçaire  général  de  Lyofli  racontait  que, 
dans  le  moi^icnt  où  le  culte  commençait  à  redcvionir  public, 
on  portait  Je  saint  Viatique  à  un  malade  dans  Ift  cojnmunc 
de  Noirélab^e,  et  que  plusieurs  personnes  suivaient  en 
priant,  pleines  do  respect  et  de  foi,  Un  homme  connu 
par  son  irréligion,  témoin  de  ce  zèle,  en  est  irrité  et  se 
met  h  proférer  d'horribles  blasphèmes.  Il  va,  dans  sa 
frénésie,  jusqu'à  prononcer  cette  affreuse  imprécation 
contre  lui-même  :  «  Si  c'est  Dieu  qui  est  là,  qu'il  le 
montre,  qu'il  m'extermine  ou  qu'il  me  brûle  comme  on 
dit  qu'il  fait  brûler  ses  ennemis  dans  l'enfer.  »  La  nuit 
même  qui  suivit  cet  effrayant  scandale,  dont  tout  le  pays 


DE  1789  A  1800.  179 

était  consterné,  on  trouva  ce  malheureux  tout  consumé 
dans  son  lit,  sans  qu'il -fût  possible  d'apercevoir  la  moindre 
trace  de  feu  et  sans  qu'on  ait  jamais  pu  en  assigner  une 
cause  naturelle.  La  maison  ne  présentait  aucune  trace 
d'incendie,  et  cependaiit  le  corps  était  entièrement  grillé. 
Le  bruit  s'en  répandit  bien  vite,  et  toute  la  population 
courut  voir  cet  horrible  spectacle;  M.  Barou  disait  qu'il 
y  alla  comme  les  autres. 

—  Aux  traits  précédents  nous  ajoutons  les  deux  suivants, 
qui  nous  ont  été  communiqués,  en  octobre  1869,  par  une 
noble  dame  de  la  Nièvre  : 

t  Dans  la  commune  de  Saint-Léger,  en  Morvan,  le 
marguillier  de  la  paroisse  et  sa  femme  avaient  suivi  le  flot 
révolutionnaire,  et  tous  deux  aidèrent  à  dévaster  l'église 
qu'ils  avaient  soignée  autrefois, 

>  A  cette  époque  la  femme  accoucha  de  deux  jumelles, 
d'une  beauté  ravissante.  La  mère  osa  envelopper  les  deux 
enfants  dans  des  linges  sacrés  destinés  au  Saint-Sacrifice. 
Mais,  à  peine  les  deux  pauvres  petites  en  furent-elles  re-. 
vêtues  que  leurs  membres  se  replièrent,  se  tordirent;  leurs 
bouches,  leurs  yeux  et  jusqu'aux  traits  de  leurs  visages 
subirent  les  mêmes  torsions  :  les  deux  anges  étaient  de- 
venus des  monstres  hideux.  Consternés  par  une  punition 
si  instantanée,  les  parents  déplorèrent  amèrement  leur 
sacrilège;  ils  se  vouèrent  avec  amertume  h  ces  deux  mal- 
heureuses créatures... 

»  Malgré  tous  leurs  soins,  la  première  succomba  à  l'âge 
de  sept  ans,  sans  avoir  pu  marcher;  la  seconde  ■vit  encore, 
et,  selon  la  recommandation  de  ses  parents,  fait  autant  de 
bien  que  sa  modeste  position  le  lui  permet,  afin  d'obtenir 
grâce  pour  ceux  qui  ont  causé  son  malheur. 

»  Qui  ne  connaît  dans  la  commune  la  bonne  Anna  ?  quel 
malade  n'a-t-elle  pas  soigné?  On  l'aime,  car  elle  est  bonne 


180  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

et  pieuse;  mais  celui  qui  la  rencontre  sans  la  connaître 
ferme  les  yeux  pour  ne  pas  la  voir  :  la  main  de  Dieu  est 
làl... 

—  »  Dans  la  commune  de  Villers-sur- Yonne,  deux  mal- 
heureux, dont  je  tairai  les  noms,  s'étaient  mis  à  la  tête 
d'une  foule  excitée  par  les  révolutionnaires,  et  se  livrèrent 
dans  l'église  à  des  profanations  affreuses;  la  multitude 
consternée  les  voyait  et  ne  les  arrêtait  pas.  La  paix  revint 
et  Dieu  semblait  avoir  oublié  ces  deux  coupables. 

»  Mais  trente  ans  plus  tard,  ces  deux  misérables  furent 
pris  d'une  maladie  affreuse;  leurs  hurlements  de  douleur 
effrayaient  le  village;  le  bon  curé  seul  ne  les  délaissa  pas, 
il  voulut  aller  les  consoler;  mais  à  son  entrée  dans  la 
chambre,  ils  lui  crièrent  de  sortir,  en  lui  disant  :  Retirez- 
vous,  nous  sommes  perdus,  point  de  miséricorde  pour  nous; 
quand  vous  êtes  là,  nos  maux  redoublent  :  allez-vous-en, 
retirez-vous  t  Impossible  d'approcher  des  deux  malheureux, 
qui  moururent  dévorés  vifs  par  les  vers,  en  poussant 
jusqu'à  la  fin  des  cris  de  damnés.  » 

On  ne  se  nioqne  pas  de  Dlen  en  vain. 

—  Une  religieuse  nous  écrit  de  Limoges,  le  8  mai  1870, 
les  traits  suivants  : 

t  Dans  la  nouvelle  édition  de  votre  intéressant  ouvrage  : 
les  Terribles  châtivients  des  révolutionnaires  ennemis  de 
l'Eglise,  vous  pourrez  ajouter  les  traits  suivants  de  la 
justice  de  Dieu,  dont  je  puis  garantir  la  parfaite  authen- 
ticité, en  ayant  été  témoin  moi-même. 

»  Le  barbier  de  mon  père  nommé  M...  L...,  était  à  la 
tête  d'une  procession  sacrilège  de  démagogues  qui  pa- 
rodiaient les  cérémonies  de  notre  sainte  religion.  Une 
vénérable  statue  de  l'auguste  Mère  de  Dieu  était  placée 


DE  1789  A  1800.  181 

dérisoirement  (je  frémis  de  le  dire)  sur  un  âne  et  encensée 
par  une  populace  avinée  avec  des  foies  de  cochon.  En 
rentrant  dans  l'église,  on  voulut  contraindre  l'âne  de 
gravir  les  marches  de  l'autel,  mais  ce  fut  en  vain,  l'animal 
résista.  Alors  le  citoyen  L...,  transporté  de  colère,  pousse 
du  genou  la  bête  qui  s'obstine.  A  l'instant  même,  cet 
énergumène  est  puni  de  Dieu  :  sa  jambe  reste  ployée,  le 
mollet  étant  attaché  à  la  cuisse.  Après  avoir  pendant 
plusieurs  années  traîné  une  existence  misérable,  il  fut 
trouvé  un  matin  mort  dans  son  lit.  » 

—  Voici  un  autre  trait.  —  Une  femme  (je  devrais  dire 
un  démon),  imbue  des  idées  révolutionnaires,  ne  craignit 
pas  de  monter  sur  l'autel  pour  enfoncer  le  tabernacle  et 
profaner  la  sainte  Eucharistie.  Le  châtiment  ne  se  fit  pas 
attendre.  Le  tabernacle  repoussa  cette  impie  en  arrière, 
tomba  sur  elle  et  l'écrasa. 

Terrible  panition   des  profanateurs. 

On  écrit  de  Montpellier,  le  11  août  18o9  : 
«  Monsieur  le  Directeur  du  Rosier, 

»  Je  viens  vous  raconter  un  fait  authentique  et  dont  vous 
pouvez  facilement  vous  procurer  de  nombreux  témoi- 
gnages, car  des  hommes  de  cinquante  ans  qui  vivent  en 
grand  nombre  dans  la  localité  que  je  vais  vous  désigner 
en  feront  foi;  ils  ont  vu  les  profanateurs  et  ont  été  témoins 
de  leur  misère. 

»  Après  la  révolution  de  89,  alors  que  régnait  la  terreur, 
nos  églises  furent  profanées  presque  partout. 

»  A  Gigean,  village  à  18  kilomètres  de  Montpellier,  une 
foule  nombreuse  et  égarée  envahit  le  saint  lieu  et  le  sac- 
cagea. 


182  LA  GRANDS  RÉVOLUTION 

»  Parmi  tous  ces  forcenés,  trois  se  distina^uèrent  parti- 
culièrement :  l'un  d'eux,  d'un  coup  de  sabre,  abattit  la 
tête  du  christ  qui  était  dans  l'église;  le  second,  se  plaçant 
devant  l'image  de  la  Vierge  immaculée,  l'apostropha  d'une 
manière  indigne, 

»  Le  troisième  avait  amené  son  âne,  et,  le  faisant  monter 
à  l'autel,  fit  tant  par  ses  cris  et  les  coups  de  bâton  qu'il 
donna  à  la  pauvre  bête,  qu'il  finit  par  la  faire  braire,  et 
ce  malheureux,  en  la  frappant  toujours,  lui  criait  en  patois 
du  pays  :  Canta  la  mes$a,  canta  la  messa  (chante  la  messe, 
chante  la  messe). 

»  Quand  la  tourmente  fut  passée  et  quelques  années 
plus  tard,  ces  trois  profanateurs,  habitants  du  village, 
avaient  repris  leurs  travaux  des  champs. 

»  Or,  il  arriva  que  celui  qui  avait  abattu  d'un  coup  de 
salire  la  tête  du  christ,  en  revenant  de  sa  vigne,  se  laissa 
choir  de  dessus  son  âne  et  se  cassa  le  cou  sans  cependant 
en  mourir;  mais  jamais  il  ne  put  relever  la  tête  et  regarder 
le  ciel;  tout  le  reste  de  sa  vie,  il  vécut  la  tête  pendante  sur 
sa  poitrine. 

»  Le  second,  qui  avait  insulté  la  sainte  Vierge  de  la  ma- 
nière que  je  vous  ai  dit  plus  haut,  souffrit  longtemps 
d'une  maladie  longue  et  affreuse,  et  mourut  pourri. 

»  Enfin  le  troisième,  qui  avait  fait  profaner  par  son  âne 
la  table  sainte,  fut  atteint  d'une  maladie  terrible  et  mys- 
térieuse, h  laquelle  les  hommes  de  l'art  ne  purent  jamais 
rien  comprendre;  il  possédait  toutes  ses  facultés  intcl- 
lecluellcs,  n'était  privé  d'aucun  de  ses  membres,  mais  il 
resta  pendant  de  longues  années  couché  sur  un  lit  de 
souffrances,  et,  jour  et  nuit,  faisant  entendre  des  cris  dé- 
chirants qui  n'avaient  rien  d'humain,  et  plus  effrayants 
que  des  rugissements  du  lion,  h  tel  point  que,  quand  venait 
la  nuit,  dans  le  calme  du  village,  les  enfants  en  étaient 
épouvantés  et  les  parents  obligés  de  leur  dire  :  «  Ne  vous 


DE  4789  A  1800.  183 

effrayez  pas,  c'est  maître  X...;  il  a  fait  braire  l'âne  à 
l'autel,  maintenant  il  brait  à  son  tour.  » 

»  Celui-là  a  été  le  dernier  survivant  des  trms,  et  ces 
mêmes  enfants  qui  alors  étaient  effrayés  et  qui  sont  des 
hommes  aujourd'hui  en  font  foi.  »  Hieltor.  » 

Jastiee   ei   miséricorde. 

Un  homme  appelé  Robert  avait  reçu  une  éducation  so- 
lidement chrétienne;  mais  il  se  lia  dans  sa  jeunesse  avec 
une  troupe  de  libertins  et  d'esprits  forts,  qui  en  eurent 
bientôt  fait  un  philosophe,  comme  on  disait  alors,  c'est-à-dire 
un  incrédule.  Survint  la  première  révolution.  Robert,  cela 
allait  tout  seul,  l'accueillit  avec  transport;  la  révolution 
sera  toujours  l'affaire  des  libertins  et  des  débauchés.  Il  se 
mit,  en  conséquence,  à  déclamer  publiquement  contre  les 
aristocrates  et  les  prêtres,  dont  il  devint  un  ardent  persé- 
cuteur. On  le  voyait  souvent,  surtout  le  dimanche,  ha- 
ranguer la  multitude,  un  bonnet  rouge  sur  la  tête,  pro- 
clamant le  triomphe  de  la  raison  sur  les  honteux  préjugés 
de  nos  pères,  et  jurant  guerre  à  mort  à  l'autel  du  Seigneur 
Dieu  et  au  trône  du  seigneur  roi.  —  Un  jour,  s'étant  mis 
à  la  tête  d'une  troupe  de  forcenés,  il  les  conduisit  à  l'église, 
où  ils  brisèrent  les  statues,  enfoncèrent  le  tabernacle, 
volèrent  les  vases  sacrés,  foulèrent  aux  pieds  les  saintes 
espèces,  en  proférant  d'effroyables  blasphèmes.  —  «  Cou- 
rage, citoyens  f  leur  disait  ce  misérable,  se  tenant  fière- 
ment debout  sur  les  marches  de  l'autel  :  voici  le  grand 
jour  arrivé  :  plus  de  rois,  plus  de  prêtres,  plus  de  Dieu  ! 
non  plus  de  Dieu  I  son  règne  est  fini  I  Du  reste,  où  est-il, 
ce  Dieu  si  puissant  î  ajouta-t-il  en  jetant  un  regard  de  défi 
sur  un  christ  appendu  en  haut  d'un  pilier,  vis-à-vis  la 
chaire,  où  est-il?  A  moi  seul  je  me  charge  de  vous  prouver 
qu'il  n'existe  pas.  Qu'on  m'apporte  une  échelle  I  «  L'échelle 


-184  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

est  apportée.  Robert  y  monte  lestement.  —  «  Vous  allez 
voir  s'il  y  a  un  Dieu,  »  cria-t-il  à  ses  compagnons  d'un  air 
de  bravade.  —  0  prodige  !  à  peine  sa  main  sacrilège  a- 
t-elle  touché  le  christ  pour  l'abattre  qu'un  craquement  sec 
se  fait  entendre  :  un  échelon  se  brise  sous  le  pied  du  pro- 
fanateur, qui  roule  le  long  de  l'échelle  et  va  rebondir  sur 
le  pavé.  —  «  Ah  I  mon  Dieu  !  ah  I  mon  Dieu,  mon  Dieu  !  » 
s'écria-t-il  d'une  voix  lamentable,  tandis  que  ses  amis 
consternés  cherchaient  à  le  relever.  —  «  Allons,  bon  !  voilà 
qu'il  y  a  un  Dieu  maintenant,  et  il  l'invoque  à  son  aise,  » 
dit  une  bonne  femme  qui  était  parvenue,  au  milieu  du 
tumulte,  à  sauver  une  relique  de  la  vraie  croix. 

Le  malheureux  s'était  cassé  la  jambe  en  trois  endroits; 
il  rugissait  de  douleur.  —  t  Qu'on  m'emporte,  s'écriail-il 
en  se  tordant  les  bras  de  désespoir;  qu'on  m'emporte  d'ici 
avant  que  le  Bon  Dieu  achève  de  m'écraser  !  »  Plusieurs 
médecins  le  soignèrent;  il  en  vint  même  de  Paris,  et  des 
plus  habiles  ;  ce  fut  en  vain.  Mais  le  coupable  était  changé. 
—  «  Que  voulez-vous?  disait  de  temps  en  temps  le  malade 
avec  un  profond  soupir;  c'est  justice  :  je  dois  être,  tant 
que  je  vivrai,  un  éclatant  témoignage  que  Dieu  n'est  pas 
sourd  aux  insultes  de  ses  ennemis.  »  Robert  ne  put  guérir 
de  sa  jambe;  mais  il  fut  pour  toujours  guéri  de  sa  pré* 
tendue  philosophie  et  de  son  mcrédulité,  et  guéri  si  ra- 
dicalement, qu'il  devint  un  modèle  de  ferveur,  de  pénitence 
et  de  charité.  (Revue  de  la  presse,  18G2,  p.  713.) 

Scandale   sur   scandale. 

La  Gazette  du  Midi  a  raconté  la  mort  subite  de  cet 
homme  qui  a  succoml)é,  dans  le  village  de  Saint-Marcel,  à 
ses  excès,  au  milieu  d'une  orgie:  mais  on  ignorait  jusqu'à 
quel  point  de  délire,  de  frénésie,  tant  de  la  part  de  ce 
malheureux  que  de  celle  de  ses  compagnons  de  débauche. 


DE  4789  A  4800.  485 

ces  excès  ont  été  portés.  Pendant  quarante-huit  heures 
consécutives  qu'ils  ont  passées  dans  le  cabaret  dont  ils 
rivaient  fait  le  théâtre  de  leurs  tristes  exploits,  non- 
seulement  ils  n'ont  cessé  de  boire  du  vin,  de  l'eau-de-vie, 
toutes  sortes  de  liqueurs  fortes,  mais  ils  se  sont  ingéniés 
4  aui  mieux  mieux  à  mêler  à  ces  libations  tous  les  objets 
les  plus  étrangers  et  les  plus  dégoûtants,  les  plus  meur- 
triers; celui  qui  avait  péri  avait  ainsi  avalé  tour-à-tour  du 
tabac,  du  sel,  les  chandelles  qui  les  éclairaient,  on  dit 
même  le  verre  dans  lequel  il  buvait,  et  qu'il  a  pilé  pour  le 
rendre  plus  potable,  substituant  ensuite  à  ce  verre  l'une 
de  ses  bottes,  pour  s'abreuver  à  plus  forte  dose  encore. 
C'est  au  milieu  ce  ces  hideuses  folies  qu'il  a  été  frappé  de 
mort  dans  le  cabaret  même. 


186  LA  GRANDE   HÉVOLUTION 

CHAPITRE  IV 

CHATIMENTS   P^   OUTRAGES  FAITS   A  MARIB* 

Pi^u  aime  plus  Marie  que  tous  les  anges  et  les  bienheu- 
j'eux  ensemble.  Cette  "Vierge  incomparable  a  rendu  plus 
(Je  gloire  au  Très-Haut  que  tous  les  saints.  Sa  puissance 
et  sa  miséricorde  ne  connaissent  pas  de  bornes  ;  un  Père 
de  l'Eglise  la  nomme  la  Toute-Puissance  à  genoux  :  Omni- 
jmtentia  supplex. 

Après  cela,  ne  soyons  pas  étonnés  si  Dieu  punit  avec 
tant  de  sévérité  les  outrages  faits  à  sa  divine  Mère.  Ceux 
qui  insultent  Marie  ne  sauraient  trouver  de  refuge  pour  se 
mettre  à  l'abri  des  coups  de  la  vengeance  divine. 

On  lit  dans  la  Vie  de  saint  Albert,  carme,  qu'un  joueur 
ayant  perdu  tout  son  argent  h  Trapani,  aperçut  deux 
images,  l'une  de  Notre-Dame,  l'autre  de  saint  Albert.  Dans 
un  moment  de  fureur  et  de  désespoir,  il  saisit  son  épée  en 
disant  :  Je  t'ai  souvent  invoqué,  et  tu  ne  m'as  pas  aidé,  je  ne 
t'aimerai  jamais,  saint.  Et  toi,  Marie,  surnommée  Mère  des 
grâces,  tu  as  aussi  fait  la  sourde  oreille  à  mes  prières.  Puis 
il  frappa  sur  ces  images,  qui  rendirent  du  sang ...;  mais  la 
foudre  tomba  du  ciel  et  mit  cet  impie  en  poudre. 

On  sait  que  Julien  l'Apostat,  ennemi  de  Jésus-Christ,  se 
montrait  aussi,  à  toute  occasion,  l'ennemi  de  la  sainte 
Vierge.  En  cela,  il  était  conséquent.  Or,  Baronius  rapporte 
que  saint  Basile  le  Grand,  priant  un  jour  en  Cappadoce 
devant  une  image  révérée  de  Marie,  la  suppliait  de  mettre 
fin  aux  ravages  de  ce  prince  impie.  En  finissant  sa  prière, 
il  fut  honoré  d'uDC  vision  qui  le  rassura;  il  voyait  dans  les 


DE  1789  A  1800.  187 

tirs  un  saint  martyr,  sorti  de  son  tombeau,  et  se  dirigeant, 
un  javelot  à  la  main,  vers  les  contrées  où  Julien  livrait 
alors  une  grande  bataille;  et  l'histoire  vous  dira  que,  ce 
même  jour  où  saint  Basile  priait,  Julien  fut  frappé  d'uQ 
javelot,  venu  on  ne  savait  d'où.  Mais  l'apostat  Le  devina; 
car  prenant  dans  sa  main  un  flot  de  sang  qui  sortait  de  sa 
blessure,  il  le  lança  vers  le  ciel  §n  disant  avant  d'expirer: 
t  Tu  as  vaincu,  Galiléen.  » 

Rome,  qui  a  tant  de  miraculeuses  madones,  révère,  daris 
l'église  de  Notre-Dame-du-Porche,  la  pieuse  image  de 
Marie  que  les  anges  donnèrent  à  sainte  Galla,  veuve  de 
Symmaque.  On  l'a  portée  plusieurs  fois  en  processions 
solennelles  dans  les  temps  d'épidémies  ou  de  calamités 
publiques.  En  l'une  de  ces  processions,  qui  eut  lieu  k  la 
fin  du  huitième  siècle,  sous  le  règne  du  pape  Adrien  I", 
un  juif,  qui  suivait  la  foule,  détourna  la  tête  pour  ne  pas 
voir  la  sainte  image,  à  laquelle  il  faisait  des  grimaces, 
pendant  qu'une  femme  juive  fermait  les  yeux  pour  ne  pas 
lavoir  non  plus:  mais  quand  la  procession  dut  se  dis- 
perser, il  se  trouva  que  le  Juif  conserva  sa  tête  de  travers 
et  ne  put  jamais  la  ramener  en  avant;  la  juive,  de  son 
côté,  en  rouvrant  les  yeux,  reconnut  qu'elle  était  aveugle, 
et  elle  le  fut  dès  lors  toute  sa  vie. 

Ceci  nous  rappelle  le  pèlerinage  de  Notre-Dame-des- 
Ardilliers,  sainte  image  de  pitié  qui  tient  son  divin  Fils 
mort  sur  ses  genoux,  et  qui  a  guéri  beaucoup  de  maladies, 
entre  autres  les  ophthalmies  et  la  teigne.  Ses  miracles 
étaient  si  nombreux,  et  en  même  temps  si  évidents  et  si 
incontestables,  que  Duplessis-Mornay,  quoiqu'il  fût  pro- 
testant, ne  permit  jamais  (il  était  gouverneur  du  Sau- 
murois)  qu'on  touchât  ni  qu'on  profanât  ce  sanctuaire,  et 
qu'il  assura  de  sa  protection  les  bonnes  gens  qui  y  venaient 
en  pèlerinage.  Mais  sa  femme,  qui  avait  comme  lui  renié 
l'Eglise  catholique,  était  plus  féroce.  Ne  pouvant  déranger 


188  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

les  pèlerins,  que  son  époux  et  redouté  seigneur  prenait 
sous  son  appai,  elle  se  contentait  de  faire  des  brocards 
sur  la  sainte  image,  qu'elle  appelait  la  teigneuse.  Comme 
toute  peine  mérite  salaire,  il  lui  arriva  un  beau  jour  qu'elle 
vit  sa  tête,  dont  elle  était  fière,  envahie  d'une  teigne  lar- 
gement épanouie.  Elle  ne  put  jamais  ni  s'en  guérir  ni  s'eo 
soulager,  et  sa  teigne  l'accompagna  dans  la  tombe'. 

—  11  y  avait,  dans  un  bois  voisin  d'Arras,  une  image 
révérée  de  la  sainte  Vierge.  Elle  avait  pour  sanctuaire  une 
petite  chapelle,  et  on  la  nommait  Notre-Darae-du-Bois.  Or, 
un  certain  Jean  de  la  Palu,  homme  de  peu  de  valeur,  comme 
il  y  en  a  toujours  eu  et  comme  on  en  trouverait  sans  doute 
encore,  passant  devant  le  saint  lieu,  apostropha  les  bonnes 
gens  qui  venaient  là  en  pèlerinage,  et  leur  dit  que  leur 
chapelle  n'était  bonne  qu'à  faire  une  écurie  pour  son 
cheval;  il  parlait  du  cheval  qu'il  montait.  Après  ces  paroles, 
riant  grossièrement  de  la  peur  qu'il  faisait  aux  bonnes 
gens,  il  poussa  son  cheval  d'un  grand  coup  d'éperon  et 
le  fît  entrer  dans  la  chapelle.  Mais  à  ce  brusque  mou- 
vement, son  cheval  l'ayant  jeté  à  terre,  il  se  t)risa  la  tête 
contre  le  pavé  de  l'humble  sanctuaire,  et  il  fut  enterré  le 
lendemain,  non  en  terre  Dénie. 

L'histoire  de  Notre-Dame-de-Scheer  ou  Scheïr,  en 
Souabe,  nous  offre  une  aventure  d'un  autre  genre.  Tous 
les  seigneurs  de  l'illustre  maison  des  comtes  de  Scheïr 
étant  tombés  d'accord  de  céder  la  part  qu'ils  avaient  au 
château  de  cette  ville  à  la  sainte  Vierge,  Mère  de  Dieu, 
pour  que  ce  manoir  fût  converti  en  une  église,  appuyéû 
d'un  monastère,  un  seul  des  membres  de  cette  grande 
famille  (il  se  nommait  Arnold)  se  refusa  à  cette  fondation, 
en  s  écriant  que,  s'il  lui  fallait  abandonner  sa  part,  au  lieu 
de  la  céder  à  la  Vierge,  il  la  donnait  au  diable.  C'était  en 

•  Voyez  cette  histoire  dans  les  Légendes  des  saintes  Images,  de 
Coiiin  de  Plancy,  p.  325. 


DE  1789  A  1800.  189 

plein  moyen  âge,  et  on  voit  que  ce  temps-ïà  possédait  aussi 
des  enragés.  En  disant  les  paroles  que  nous  venons  de 
transcrire,  Arnold  jeta  son  gant  en  l'air,  comme  gage  du 
don  qu'il  faisait.  Mais  aussitôt  il  bondit  hors  de  sens, 
évidemment  possédé  de  celui  qui  avait  ses  préférences.  A 
SCS  commotions  frénétiques,  on  reconnut  que  les  démons 
l'emportaient.  Personne  n'osait  l'approcher,  quoique  la 
foule  le  suivît  avec  épouvante.  Après  quelques  minutes 
de  convulsions  effrayantes,  il  se  précipita  dans  un  étang 
voisin.  Et  personne  ne  s'occupa  de  l'en  retirer. 

—  L'an  1649,  lorsque  les  troupes  allemandes  étaient  en 
Lorraine,  quelques  soldats  qui  étaient  à  Novian,  après 
avoir  bu  avec  excès,  se  mirent  à  jouer  :  l'un  d'eux,  ayant 
perdu  beaucoup,  se  lève  tout-à-coup  en  furie,  et,  apercevant 
une  image  de  la  sainte  Vierge  attachée  à  la  muraille,  il 
s'en  prend  à  elle,  comme  si  elle  eût  été  cause  de  sa  perte, 
et  lui  donne  plusieurs  coups  en  proférant  des  blasphèmes. 
Il  ne  l'eut  pas  plutôt  fait  qu'il  tomba  par  terre  avec  un 
tremblement  dans  tout  le  corps  et  des  douleurs  si  violentes 
et  si  continuelles  qu'il  fut  impossible  de  lui  faire  prendre 
quelque  nourriture  pendant  quatre  ou  cinq  jours.  Les 
troupes  ayant  reçu  ordre  de  déloger,  on  mit  ce  malheureux 
sur  un  cheval  pour  qu'il  suivît  les  autres.  On  a  su  depuis 
que,  s'étant  jeté  à  bas  à  force  de  se  tourmenter,  il  était 
mort  sur  le  chemin  en  mordant  la  terre  et  ecumant  de 
rage.  A  Novian,  on  ne  cessa  de  parler  avec  étonnement  et 
crainte  de  la  punition  exemplaire  de  cet  impie,  jusqu'à 
ce  que,  deux  ans  après,  à  la  persuasion  d'un  missionnaire, 
on  résolut  de  réparer  solennellement  le  sacrilège. 

Les  ennemis  de  la  sainte  \icrge. 

Lorsque  le  protestantisme  s'imposa  à  la  ville  de  Bâle, 
les  déserteurs  de  l'Eglise  romaine  qui  envahissaient  la 


190  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

vieille  cité  se  disaient  encore  les  adorateurs  de  Jésus- 
Christ,  et  pourtant  ils  l'insultaient  et  l'outrageaient  dans 
sa  Mère.  Comme  ils  ne  pouvaient  l'atteindre  sur  son  trône 
auguste,  que  des  millions  d'anges  entourent  avec  tendresse, 
ils  s'en  prenaient  à  ses  images. 

Or,  il  y  avait,  sur  la  porte  principale  de  la  ville  de  Bâle, 
une  haute  et  belle  statue  de  la  Vierge  immaculée.  Mère 
de  Dieuy  placée  là  comme  le  palladium  de  la  cité  hel- 
vétique. Les  démolisseurs  opinèrent  que,  pour  inaugurer 
dignement  le  massacre  des  saintes  images,  il  fallait  l'en- 
tamer par  la  statue  la  plus  vénérée  de  tous.  On  apporta 
donc  des  pics  et  des  marteaux;  on  planta  une  grande 
échelle  et  le  plus  intrépide  des  destructeurs  monta  vi- 
vement^ un  pic  à  la  main<  La  foule  s'écartait  pour  faire 
place  à  la  chute  de  l'image. 

Mais  aussitôt  que  ce  premier  entrepreneur,  arrivé  en 
face  de  la  Vierge,  leva  son  pic  pour  la  détacher,  l'ins- 
trument lui  échappa,  et  lui-même,  comme  s'il  eût  été 
poussé  par  une  main  invisible,  se  renversa  dans  le  vide  et 
se  tua  sur  le  pavé. 

Un  autre  vaillant  réformé,  voyant  l'accident  sans  frémir, 
prétendit  que  son  devancier  avait  trop  bu,  monta  h  son 
tour  et  fut  pareillement  abattu  sur  le  sol,  où  il  resta 
inanimé. 

Un  troisième  le  suivit  et  fut  tué  comme  les  deux  autres. 

Ces  trois  morts,  subites  et  imprévues,  ces  trois  morts, 
infligées  dans  l'espace  de  quelques  minutes,  consternèrent 
la  foule  impie  et  relevèrent  les  cœurs  catholiques.  On 
décida,  séance  tenante,  qu'il  ne  serait  plus  permis  à 
personne  de  toucher  à  l'image  de  Marie.  Elle  resta  donc 
au-dessus  de  la  porte  principale,  et  elle  y  est  encore. 

Et  quand  les  laitières  de  la  campagne  apportent  le  lait 
chaque  matin  aux  bourgeois  de  la  ville,  beaucoup  d'ctilre 
elles,  même  parmi  les  protestantes,  donnent  à  1  honnête 


DE  1789  A  1800.  M 

laitière  un  sous  de  plus,  en  la  priant  de  dire  Un  Ave,  Maria 
pour  elles  à  l'image  vénérée. 

—  Voici  tm  fait  plus  récent,  qui  a  été  cité  paf  lèà  jour- 
naux du  pays  : 

A  Berchtefsgaden,  dans  le  Tyrol,  un  jetine  honariiê  tout 
fier  de  sa  fortune  et  de  sa  naissance,  attablé  dans  un  café, 
en  partie  de  plaisir  avec  quelques  amis,  venait  de  faire  du 
dogme  de  rimmaculée-Gonceprtion  de  Marie  l'objet  de  ses 
sarcasmes  impies  et  des  plus  inconvenantes  plaisanteries, 
sans  se  mettre  en  peine  du  grand  scandale  qu'il  donnait  h 
plusieurs  personnes  qui  se  trouvaient  présentes;  mais  la 
justice  de  Dieu  ne  devait  pas  tarder  à  venger  l'honneur  de 
la  Vierge  immaculée. 

Les  pots  de  bière  et  les  bouteilles  de  vin  et  dé  liqueur 
étant  vidés,  notre  jeune  frondeur,  plein  de  gaieté  et  riant 
encore  de  ses  fanfaronnades,  quitte  ses  camarades  et  monte 
à  cheval  pour  s'en  retourner  chez  lui.  11  galopait  en  fre- 
donnant toujours  ses  horribles  blasphèmes,  lorsqu'il  aper- 
çut une  statue  de  la  Vierge  au  bord  du  chemin,  comme 
©n  en  voit  beaucoup  dans  ce  pays  plein  de  foi  et  de  piété. 
En  même  temps  son  cheval  fait  un  écart  et  le  jette  avé'c 
tant  de  force  et  de  violence  contre  le  piédestal  de  la 
statue,  qu'il  fut  trouvé  à  la  même  place  sans  connaissance, 
la  poitrine  enfoncée  et  baigné  dans  son  sang.  ïl  mourut 
le  surlendemain  sans  avoir  pu  retrouver  l'usage  de  ses 
facultés.  (Voyez  l'Univers  du  21  mars  18oo.) 

i*<nii<ion  d'une  injure  faite  à  JSIarfe. 

Nous  trouvons  dans  le  Rosier  de  Marie  la  lettre  suivante, 
écrite  par  un  témoin  oculaire  du  fait  qu'il  raconte  : 

«  En  lisant  votre  journal,  je  vois  souvent  des  faits  qui, 
en  montrant  la  bonté  de  Marie,  montrent  aussi  bien  souvent 


192  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

la  manicre  torrible  dont  Dieu  punit  les  outrages  faits  k 
cette  bonne  Mère.  A  ce  sujet,  je  vais  vous  raconter  un  fait 
dont  j'ai  été  moi-même  témoin. 

»  Il  y  a  vingt-quatre  ans  que  la  chose  est  arrivée;  mais 
clic  est  aussi  présente  à  mon  esprit  que  si  elle  n'était  que 
d'hier,  à  cause  de  la  vive  impression  que  j'en  ai  reçue. 
J'avais  dix-neuf  ans,  et  j'aimais  beaucoup  la  sainte  Vierge; 
je  me  plaisais  à  travailler  sous  les  yeux  de  cette  bonne 
Mère,  c'est-à-dire  tout  près  d'une  petite  statue  de  Marie, 
que  j'ornais  de  mon  mieux.  Or,  un  jour  que  j'étais  à 
l'embellir  (c'était  au  commencement  du  mois  de  mai), 
survint  mon  beau-frère,  homme  sans  religion  et  qui  se 
moquait  souvent  de  ma  dévotion  à  Marie.  Il  tenait  en  main 
une  petite  pince  d'acier;  il  fit  mine  de  vouloir  casser  la 
main  de  ma  statue  avec  sa  pince.  «  Oh  I  lui  dis-je,  vous 
»  n'oseriez  pas;  la  sainte  Vierge  vous  punirait.  »  En 
entendant  cela,  il  éclata  de  rire.  «  Je  n'oserais  pas?  Eh 
bien  I  tenez.  »  Et  il  cassa  en  deux  coups  deux  doigts  de  la 
main  de  ma  statue  chérie.  Je  le  regarde  stupéfait,  et  je 
m'écrie  :  «  Qu'avez-vous  fait  I  Si  le  bon  Dieu  vous  en  faisait 
»  autant  f  »  Hélas  I  le  mois  de  Marie  n'était  pas  fini,  que  le 
malheureux  avait  reçu  sa  punition.  Il  fit  un  voyage  par  le 
chemin  de  fer  de  Lyon  à  Saint-Etienne,  car  nous  étions  à 
Lyon.  Arrivé  à  Givors,  il  descend  du  wagon;  il  se  trouve 
en  retard  au  moment  où  le  train  repartait;  il  veut  s'élancer 
pour  monter,  mais  il  tombe  :  les  roues  lui  passent  sur  le 
corps  et  lui  coupent  la  jambe  en  deux  endroits.  Deux 
heures  après  il  n'existait  plus...  Je  ne  pus  méconnaître 
dans  cette  mort  la  punition  de  son  mépris  pour  la  sainte 
Vierge.  Cependant  nous  avons  tant  prié  pour  sa  conversion, 
ma  sœur  et  moi,  qu'il  semble  que  Marie,  si  miséricordieuse, 
ait  voulu  nous  donner  l'espérance  qu'il  était  sauvé;  car 
deux  jours  auparavant  ma  sœur  avait  réussi  à  le  faire  con- 
fesser, ce  qu'il  n'avait  pas  fait  depuis  plus  de  vingt  ans.  « 


DB  1789  A  1800.  193 

Le  démon,  minisfre  des  veogeances  de  Dlea. 

Un  négociant  de  l'Ardèche  nous  a  communiqué  le  trait 
suivant,  qu'il  tenait  de  personnes  dignes  de  foi  : 

Un  révolutionnaire  protestant,  qui  demeurait  dans  une 
petite  maison  de  campagne,  étant  venu  au  village  pour 
traiter  quelques  affaires,  entra  dans  l'église  paroissiale, 
qui  n'était  pas  encore  interdite. 

Ce  misérable  sectaire,  apercevant  une  petite  statue  de 
la  sainte  Vierge  devant  laquelle  les  fidèles  aimaient  à 
venir  prier,  s'écria  en  branlant  la  tête  avec  un  air  dia- 
bolique :  <  Cette  femme  est  restée  là  assez  longtemps.  »  Et 
en  disant  ces  horribles  paroles,  il  s'avança  et  brisa  la  tèle 
de  la  madone. 

Après  cet  exploit  sacrilège,  qui  contrista  tous  les  bons 
chrétiens  du  pays,  cet  impie  étant  remonté  à  cheval  pour 
continuer  sa  route,  il  rencontre  un  homme  qui  le  prie  de 
le  laisser  monter  derrière  lui;  sa  demande  est  acceptée. 
Quand  le  révolutionnaire  fut  arrivé  dans  sa  maison,  son 
compagnon  de  voyage  lui  dit  en  le  quittant  ces  paroles 
mystérieuses  :  Je  t'attends  dans  huit  jours.  Au  bout  de  huit 
jours,  il  mourut  privé  des  secours  de  la  religion.  Ceux  qui 
le  portèrent  au  cimetière  assurèrent  que,  lorsqu'on  mi 
la  bière  dans  la  fosse,  elle  était  vide. 

Révolutionnaires  panis. 

La  petite  ville  de  Neuville-l' Archevêque  possède  une 
église  élégante,  construite  en  1660  par  M^""  Camille  de 
Neuville,  archevêque  et  gouverneur  de  Lyon.  Ce  temple, 
dédié  à  Marie,  fut  embelli  par  les  héritiers  de  ce  puissant 
prélat.  On  remarque,  entre  autres  ornements,  une  boiserie 
magnifique  de  plus  de  vingt  pieds  d'élévation,  et  qui  étaid 

0 


494  LA  GRANDE   nÉVOLirRON 

c.irichie  de  tableaux  sculptés  et  de  différents  trophées, 
symboles  et  emblèmes  de  la  religion  et  de  ses  mystères. 
—  Au  fond  du  sanctuaire,  au-dessus  de  la  boiserie,  s'élève, 
portée  par  deux  anges,  dont  l'un  sonne  de  la  trompeUo, 
une  statue  colossale  de  Marie,  rappelant  son  entrée  triom- 
phale dans  le  ciel. 

Aux  jours  mauvais  de  93,  l'impiété  ne  pouvait  laisse! 
subsister  celte  image  de  la  sainte  Vierge  et  les  tableaux 
religieux  qui  embellissaient  cette  église.  Une  horde  de 
vandales,  ivres  de  fureur,  se  précipite  dans  la  maison  de 
Dieu,  et  Ui,  h  l'cnvi,  on  détruit  tout  ce  qui  peut  rappeler 
le  Christ  et  sa  religion  sainte.  Cependant  il  fallait  atteindre 
à  la  statue  de  la  Reine  du  ciel;  on  a  conjuré  sa  ruine,  car 
pourrait-on  se  résoudre  à  siéger,  dans  le  comité  révo* 
lulionnaire,  sous  l'égide  de  Celle  dont  chaque  jour  on 
attaque  la  maternité  divine?  Des  échelles  sont  dressées 
avec  peine,  et  un  intrépide  et  hardi  démolisseur,  armé 
d'une  hache,  se  lance  pour  détrôner  la  Vierge,  qui,  jusque- 
là,  a  protégé  la  ville  et  attiré  sur  ses  habitants  d'abon- 
dantes bénédictions.  Une  minute  lui  a  suffi  pour  franchir 
l'espace;  il  brandit  sa  hache,  et,  pour  donner  h  son  bras 
plus  de  force,  à  son  coup  plus  de  justesse,  il  saisit  de  la 
main  la  trompette  de  l'ange  et  s'apprête  îi  frapper  l'imago 
de  Mario*  Ses  complices,  qui  ont  suivi  toutes  ses  dé- 
marches, déjà  applaudissent  à  son  sacrilège  triomphe. 
Mais,  ô  décrets  impénétrables  de  la  justice  de  Dieu!  la 
trompcltc  se  brise,  et  l'impie,  entraîné  par  l'impulsion 
qu'il  a  voulu  se  donner,  tombe  sur  l'autel  et  se  rompt  la 
colonne  dorsale.  Sa  chute,  sa  blessure*  ses  cris  épou- 
vantent les  révolutionnaires;  ils  cessent  leurs  ravages^ 
ils  fuient,  et  c'est  à  cette  circonstance  que  l'église  do 
Neuville  doit  d'avoir  conservé  sa  boiserie,  et  surtout  le 
groupe  de  l'Assomption  de  Marie,  qui  fait  son  plus  bel 
orncmcut. 


DE  1789  A  1800.  193 

Le  malheureux  blessé  fut  transporté  dans  sa  demeure, 
où  il  expira  trois  jours  après,  poussant  d'affreux  hur- 
lements de  douleur  et  de  désespoir.  Le  souvenir  de  ce 
terrible  châtiment  est  encore  présent  à  bien  des  mémoires, 
et  a  servi  à  plusieurs  mères  chrétiennes  pour  inspirer  à 
leurs  enfants  des  sentiments  de  respect  et  de  dévotion 
envers  la  sainte  Mère  de  Dieu. 

Nous  détachons  le  trait  suivant  de  la  Notice  sur  le  pèle-' 
rinage  de  Notre-Dame  de  Qiiézac;  ce  sanctuaii'e  date  du 
seizième  siècle  : 

Quoique  isolée  au  milieu  des  bois,  l'église  de  Qaéz«c  ne 
fut  pas  oubliée  par  les  démolisseurs  de  93.  Elle  fut  sanâ 
doute  moins  maltraitée  que  bien  d'autres,  mais  enfin  elle 
eut  sa  part  de  vandalisme  et  de  profanations.  Dès  le  mois 
d'août  1791,  son  pasteur,  Guillaume  de  Chaudesaigues, 
ayant  refusé  de  prêter  un  serment  contraire  aux  intérêts 
de  la  religion  et  à  sa  conscience,  fut  obligé,  pour  sauver 
sa  vie,  d'aller  chercher  un  refage  dans  les  bois.  Il  fat  rem- 
placé par  un  intrus  qui  ne  jouit  pas  longtemps  du  fruit  de 
son  parjure,  car  les  révolutionnaires  ne  voulurent  pas  plus 
de  ceux  qui  avaient  trahi  leur  Dieu  que  de  ceux  qui  lui 
étaient  restés  fidèles.  Il  fut  expulsé  à  son  tour.  Et  lorsque  là 
Convention  eut  décrété  l'abolition  du  culte  catholique,  dé* 
claré  qu'on  ne  devait  reconnaître  d'autre  divinité  que  la 
Raison,  et  ordonné  la  clôture  de  toutes  les  églises,  il  sur- 
vint un  jour  une  bande  de  terroristes  pour  mettre  le  décret 
à  exécution;  ils  entrèrent  dans  l'église,  et  leur  chef  (won 
nom  est  bien  connu  dans  le  pays),  plus  impie  encore  que 
ses  compagnons,  s'avance  jusqu'à  l'autel,  ouvre  le  saint 
Tabernacle,  et  armé  d'un  bàlon,  il  frappe  à  coups  redou* 
blés,  en  disant  :  «  S'il  y  a  un  Dieu,  qu'il  se  fasse  voir.  »  Cet 
acte  d'athéisme  ne  suffit  pas  à  sa  fureur  ;  le  malheureux  t 
il  va  plus  loin  encore  ;  il  monte  sur  l'autel  et  pousse  l'im* 


196  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

piété  ...  je  frémis,  ma  main  se  refuse  à  l'écrire  ...  cepen- 
àant  H  faut  le  dire,  ce  misérable  pousse  l'impiété  jusqu'à 
répandre  des  ordures  dans  le  saint  Tabernacle  1 1 1 

Mais  ici  la  patience  divine  a  un  terme.  Ce  Dieu  qu'il  som- 
mait naguère  de  se  faire  voir,  va  lui  faire  sentir  sa  puis- 
sance. Ce  malheureux  est  frappé  à  l'instant  même  d'une 
infirmité  honteuse  qu'il  portera  au  tombeau.  En  attendant, 
ses  compagnons  renversaient  les  autels  et  mutilaient  les 
belles  sculptures  des  retables. 

Cependant  la  population,  indignée  de  toutes  ces  abomi- 
nations, s'arme  de  pierres,  chasse  ces  impies  de  l'église  et 
les  poursuit  jusqu'au-delà  des  limites  de  la  paroisse.  Grâce 
à  la  protection  puissante  de  Marie,  qui  voulait  conserver 
cette  église  pour  y  continuer  ses  bienfaits  dans  des  jours 
meilleurs,  ces  destructeurs  ne  reparurent  plus,  et  l'ont 
n'eut  pas  d'autres  profanations  à  déplorer. 

Pnnitton  des  profanateurs. 

L'église  de  Husson,  canton  de  Teilleul,  arrondissement 
de  Mortain,  conserve  une  précieuse  relique,  et  vénère  une 
ancienne  statue  de  la  sainte  Vierge,  à  laquelle  se  rat- 
tache un  souvenir  qui  ne  s'effacera  jamais  de  la  mémoire 
des  habitants  de  cette  paroisse. 

En  93,  les  patriotes  de  Husson  ne  crurent  pas  qu'il  fût 
inconvenant  de  dresser  une  table  dans  le  cimetière,  sur  les 
sépultures  de  leurs  proches,  et  d'y  tenir  un  banquet  pour 
célébrer  les  triomphes  de  la  république. 

Les  frères  et  amis  s'abandonnaient  aux  transports  d'une 
bruyante  gaîté,  lorsqu'un  vaurien,  nommé  R ,  non  con- 
tent d'avoir  débité  les  facéties  les  plus  grossières  et  les 
plus  impies,  annonça  ù  haute  voix  qu'il  voulait  procurer  à 
la  compagnie  un  spectacle  amusant,  qu'il  allait  faire  rire 
tout  le  monde. 


DE  1789  A  1800.  197 

Cela  dit,  il  se  lève,  court  à  l'église,  revient,  tenant  dans 
ses  bras  une  statue  de  la  sainte  Vierge,  qu'il  dépose  sur  la 
table,  en  assaisonnant  cette  action  de  bouffonneries. 

Le  citoyen  R ,  glorieux  et  fier  du  succès  qu'il  obte- 
nait auprès  de  ses  dignes  acolytes,  s'enhardit  de  plus  en 
plus,  et  osa,  pour  couronner  ses  fines  et  spirituelles  plai- 
santeries, mettre  sa  tabatière  sous  le  nez  de  la  statue,  en 
lui  disant  :  «  Voilà  du  bon  tabac,  accepte  une  prise,  ci- 
toyenne, et  ne  fais  pas  la  difficile  !  »  Ensuite,  lui  présen- 
tant un  verre  :  «  Allons,  dit-il,  tu  vas  boire  à  la  santé  de  la 
compagnie.  »  A  ce  spectacle,  les  assistants  se  livrent  à  une 
joie  folle  et  poussent  de  grands  éclats  de  rire;  mais  un 
cri  perçant  qui  retentit  aussitôt,  met  bien  vite  un  terme  à 
cette  scène  absurde. 

Le  malheureux  R est  saisi  au  bras  droit  d'une  dou- 
leur poignante;  et  bientôt  ce  bras  se  glace,  se  roidit  et 
reste  paralysé  pour  toujours. 

A  la  vue  de  ce  châtiment,  si  bien  mérité,  les  convives 
effrayés,  comme  si  la  foudre  fût  tombée  au  milieu  d'eux, 
se  lèvent  précipitamment  et  fuient  de  tous  côtés. 

Ainsi  finit  la  fête,  mais  hélas  I  ce  ne  fut  que  le  commen- 
cement des  malheurs  deR 

Ne  pouvant  plus  travailler  pour  gagner  sa  vie,  il  fut 
réduit  à  porter  son  bras  en  écharpe,  à  mendier  son  pain, 
de  porte  en  porte,  dans  la  paroisse,  et,  pour  comble  de 
misère,  il  fut  attaqué  de  cette  hideuse  maladie  connue 
sous  le  nom  d'affection  pelliculeuse  dont  moururent,  dit-on, 
Héi'ode  et  Sylla. 

Son  corps,  couvert  d'ulcères  et  dévoré  par  une  vermine 
nombreuse,  qui  se  renouvelait  sans  cesse,  était  en  proie  à 
des  douleurs  intolérables,  exhalait  une  odeur  repoussante 
et  présentait  le  spectacle  le  plus  triste,  le  plus  digne  de 
compassion. 


198  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

Telle  fut  la  punition  de  son  impiété  ;  heureux  s'il  l'ac- 
cepta avec  résignation  et  en  esprit  de  pénitence  t 

(Revue  de  Coutances.) 

Le  Pataud. 

Le  trait  suivant  a  été  cité  dans  la  Guirlande  de  Marie 
(paars  186G)  : 

Au  mois  d'avril  1854,  je  me  trouvais  dans  les  montagnes 
de  l'Ardèche,  arrêté,  je  ne  sais  plus  par  quel  accident 
de  voiture,  ci  l'unique  auberge  d'un  petit  bourg  dont  j'ai 
également  oublié  le  nom.  Cette  auberge  avait  une  appa- 
rence singulière.  Elle  présentait  une  façade  longue  et 
élevée,  percée  régulièrement  d'une  quantité  de  petites 
fenêtres,  la  plupart  sans  châssis.  L'unique  entrée  était  une 
porte  cochère  donnant  passage  dans  une  cour.  Cette  cour, 
assez  spacieuse,  était  entourée  de  constructions  dont  les 
unes  servaient  de  remises,  tandis  que  les  autres  étaient 
abandonnées  et  tombaient  en  ruine.  Le  tout,  tant  le  bâti- 
ment principal  que  les  dépendances,  offrait  l'aspect  de  la 
misère  et  du  délabrement  le  plus  complet. 

Une  grosse  pierre,  placée  derrière  la  porte,  paraissait 
servir  de  banc.  Je  m'y  établis,  tout  en  pestant  contre  le 
retard  qui  me  clouait  dans  un  endroit  si  peu  agréable. 

Tandis  que  j'étais  là,  méditant  tout  à  mon  aise  sur  les 
jouissances  variées  que  procurent  les  voyages,  un  vieux 
mendiant  vint  à  passer  et  me  demanda  l'aumône  d'un  ton 
nasillard. 

C'était  pour  moi  une  distraction,  et  toute  vulgaire  qu'elle 
fût,  je  voulus  en  profiter. 

Dites  donc,  l'ami,  fis-je,  en  lui  mettant  une  pièce  de 
monnaie  dans  la  main  qu'il  me  tendait,  il  fait  bien  pauvre 
dans  ce  pays. 

—  Dame  1  monsieur,  il  y  fait  d'un  et  d'autre.  Il  y  a  pas 


DE  1789  A  1800.  199 

mal  de  malheureux,  c'est  vrai,  mais  on  trouve  bien  des 
gens  cossus  par-ci  par-lh. 

—  S'il  faut  en  juger  par  cet  échantillon ...,  dis-Je  en 
désignant  l'auberge  du  regard. 

—  Oh  1  cette  auberge,  interrompit  le  mendiant  en  re- 
gardant autour  de  lui  comme  pour  voir  si  personne  ne 
l'écoutait,  cette  auberge,  monsieur,  c'est  une  maison  mau- 
dite. 

—  Une  maison  maudite  !  Contez-moi  donc  cela,  lui  dis-je, 
pressentant  une  légende  curieuse. 

—  Ohl  volontiers,  monsieur;  aussi  bien  le  Patai(d  ne 
peut  nous  entendre,  il  est  à  sa  vigne. 

—  Le  Pataud? 

—  C'est  le  maître  de  céans;  on  ne  le  nomme  pas  autre- 
ment dans  le  pays  ...  quand  il  a  le  dos  tourné,  car  on  a 
peur  de  lui,  quoique  toutes  ses  mauvaises  richesses  se 
soient  fondues  au  soleil.  C'est  une  punition,  voyez-vous, 
monsieur;  cela  va  ainsi  de  père  en  fils  depuis  1794,  et  avant 
vingt  ans,  si  vous  revenez  par  ici,  vous  verrez  des  ronces 
et  des  orties  à  la  place  de  ces  bâtiments  :  c'est  le  vieux 
Pol  qui  vous  le  dit.  Quant  h  l'histoire,  la  voici;  elle  n'est 
pas  longue.  Cette  auberge,  comme  vous  pouvez  le  voir  par 
toutes  ces  petites  fenêtres,  était  autrefois  un  couvent  où 
vivaient  de  bonnes  religieuses.  Il  n'y  avait  pas  de  pauvres 
alors;  c'était  le  bon  temps.  Tout  le  monde  travaillait,  et  les 
infirmes  et  les  vieux  venaient  chercher  la  soupe  au  monas- 
tère. Derrière  cette  cour  qui  est  lîi  s'élevait  une  belle  cha- 
pelle oiî  j'ai  souvent  servi  la  messe.  Quand  vint  la  Révolu- 
tion, les  religieuses  durent  s'enfuir,  et  leur  maison  fut 
mise  en  vente  par  la  république.  L'acheteur  fut  le  grand- 
père  du  Pataud.  C'était  un  mauvais  drôle,  charron  de  son 
état,  et  i\  qui  le  couvent  faisait  la  charité.  Il  eut  cela  pour 
une  poignée  d€  sous.  Ne  sachant  que  faire  de  la  chapelle, 
il  ordonna  de  la  démolir  pour  en  vendre  les  débris.  C'est 


200  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

ici  que  commence  l'histoire,  monsieur.  La  démolition  alla 
son  train  jusqu'au  chœur.  Mais  d'abord  il  faut  savoir  que 
dans  une  niche  au-dessus  de  l'autel,  tout  près  de  la  voûte, 
se  trouvait  une  grande  Vierge  en  pierre,  à  laquelle  les 
gens  du  pays,  et  même  ceux  de  loin,  avaient  grande  dé- 
votion. On  la  nommait  Notre-Dame  de  Bon-Encontre.  Lors 
donc  que  les  ouvriers  furent  arrivés  au  chœur,  l'acqué- 
reur dit  : 

—  Holà,  mes  garçons,  avant  d'aller  plus  loin,  il  nous 
faut  renverser  ça  de  là-haut. 

Et  il  montra  du  poing  Notre-Dame,  le  païen  qu'il  était! 
Les  ouvriers  s'arrêtèrent,  mais  personne  ne  parut  vou- 
loir s'avancer  pour  faire  ce  qu'il  disait. 

—  Comment  leur  cria-t-il,  vous  avez  peur,  poltrons  que 
vous  êtes  !  Qu'on  me  donne  une  échelle. 

Et  comme  on  ne  la  lui  donnait  pas  assez  vite,  il  en  prit 
une  lui-même,  et  alla  la  placer  contre  le  mur,  au-dessous 
de  la  statue. 

Mais  il  s'aperçut  bientôt  que  tout  seul  il  ne  viendrait  pas 
à  bout  de  l'entreprise. 

—  Allons  donc,  cria-t-il  de  nouveau  avec  colère,  qu'on 
vienne  m'aider,  ou  je  vous  dénonce  tous. 

A  ce  temps-là,  monsieur,  c'était  une  fameuse  menace. 

Un  des  ouvriers,  plus  méchant  et  plus  lâche  que  ses 
compagnons,  prit  une  seconde  échelle  et  la  plaça  à  côté 
de  l'autre. 

Entre  temps,  les  curieux  s'étaient  amassés,  et  il  y  avait 
une  foule  de  gens  dans  les  ruines  de  la  chapelle. 

Ce  qu'on  pensait,  on  n'osait  pas  le  dire;  mais  je  crois 
que  tout  bas  plus  d'un  priait  Notre-Dame  de  Bon-Encontre. 

Les  deux  hommes  montèrent,  chacun  de  son  côté.  Je  les 
vois  encore.  Le  mai  Ire  était  en  face  de  la  statue,  l'ouvrier 
à  la  gauche  du  mailre. 

Lorsqu'ils  furent  tout  près,  ila  y  portèrent  ensemble  la 


DE  1789  A  1800.  201 

main,  essayant  d'abord  de  la  remuer  avant  d'y  attacher  la 
corde  dont  il  s'étaient  munis. 

Mais  sans  doute  que  la  démolition  d'une  partie  de  la 
chapelle  avait  ébranlé  le  reste,  car  soudain  toute  cette 
partie  du  mur  s'écroula  avec  un  bruit  terrible. 

Les  spectateurs  poussèrent  un  cri  d'épouvante. 

Ce  fut  d'abord  un  nuage  de  poussière  au  milieu  duquel 
il  était  impossible  de  rien  distinguer. 

Puis,  quand  on  se  fut  approché,  on  vit  le  charron  sous 
la  statue  de  pierre,  écrasé,  aplati,  sanglant.  Il  était  mort. 

Son  complice,  à  quelques  pas  de  là,  avait  les  deux 
jambes  brisées. 

Tout  le  monde  s'enfuit,  et  ce  ne  fut  qu'un  certain  temps 
après  qu'on  osa  venir  ramasser  le  cadavre  et  le  blessé. 

Le  fils  du  mort  hérita  du  couvent. 

Il  hérita  aussi  de  la  malédiction.  Il  ne  fit  que  de  mau- 
vaises affaires,  et  il  y  a  quelques  années  on  le  trouva  pendu 
dans  sa  grange. 

Comprenez-vous  maintenant,  monsieur,  pourquoi  il  n'y 
aura  bientôt  plus  ici  que  des  orties  et  des  ronces? 

Parfois,  quand  le  Pataud  est  un  peu  insolent,  on  lui 
parle  de  son  grand-père. 

Bah  !  répond-il  en  pâlissant,  pur  hasard. 

M'est  aussi  avis,  monsieur,  que  c'est  pur  hasard;  qu'en 
pensez-vous  î 

Et  le  mendiant,  après  avoir  exprimé  cette  idée  en  cli. 
gnaat  de  l'œil  d'une  façon  significative,  se  retira  lente- 
ment. 

Il  voyait  de  loin  le  Pataud  revenir  de  sa  vigne 


Q' 


202  LA  6RANDE  RÉVOLUTION 


Les  profanalenrs  du  sancloaire  de  IVotre-Danie 
de  Rochefort  pnnls  *. 

Le  pèlerinage  de  Notre-Dame  de  Rochefort,  dans  le  dio- 
cèse de  Nîmes,  est  un  des  plus  anciens  et  des  plus  véné- 
rables du  royaume  de  Marie.  Nous  avons  emprunté  h  l'his- 
toire de  ce  sanctuaire  le  chapitre  suivant,  où  l'on  retrace 
les  profanations  des  révolutionnaires  : 

Malgré  les  défenses  portées,  malgré  la  désolation  gé- 
nérale et  le  règne  universel  de  la  Terreur,  on  voyait  tou- 
jours bien  des  pèlerins  venir,  même  de  loin,  prier  aux 
pieds  de  Notre-Dame  de  Rochefort.  L'église  était  fermée, 
mais  ils  se  tenaient  prosternés  h  la  porte,  et  même  h  la 
fin  ils  trouvèrent  moyen  de  pénétrer  dans  l'intérieur  et 
d'arriver  jusqu'au  pied  de  l'autel  et  de  l'image  de  la  bonne 
Mère*.  Les  démagogues  le  surent  bientôt.  Irrités  d'avoir 
laissé  au  peuple  cette  dernière  consolation,  ils  ne  tardèrent 
pas  à  essayer  de  la  lui  ravir. 

Voici,  au  rapport  d'un  témoin  oculaire,  comment  les 
choses  se  passèrent  : 

a  Nous  étions  au  plus  fort  du  règne  désastreux  de  la 
Terreur,  dit-il;  il  n'y  avait  ni  prêtre  ni  église;  il  n'y  avait 

*  Voyez  l'ouvrage  intéressant  sur  Notre-Dame  de  Uochcfort, 
par  un  Père  mariste. 

*  Un  prêtre  vénérable  par  l'âge  et  les  vertus  a  raconté,  les 
larmes  aux  yeux,  qu'i'i  cette  époque  sa  pieuse  mère,  chargée  du 
soin  de  neuf  jeunes  enfants,  venait  fidèlement  chaque  année  à 
Notre-Dame,  faisant  plus  de  six  lieues  à  pied,  demeurant  à  ge- 
noux longtemps  et  priant  les  mains  jointes  ou  les  bras  en  croix 
>levant  les  portes  de  l'église  lorsqu'elle  les  trouvait  fermées  ; 
ensuite  elle  retournait  contente  au  sein  de  sa  famille.  Ce  pèleri- 
nage, disait  cette  pieuse  femme,  était  l'unique  consolation  de  sa 
foi,  privée  qu'elle  était  de  tout  secours  religieux  pendant  les 
tristes  jours  de  la  Uévolution.  Quel  souvenir  et  quel  exemple! 


DE  1789  A  1800.  203 

qtie  cette  chapelle  où  l'on  pouvait  faire  sa  prière.  Tous  les 
dimanches  il  y  avait  du  monde,  même  des  étrangers. 
Un  dimanche,  deux  révolutionnaires  de  Villeneuve,  étant 
venus  cultiver  une  vigne  située  dans  l'étang,  s'aperçurent 
qu'il  y  avait  du  monde  sur  la  montagne.  Ils  quittent  leur 
travail  et  viennent  s'assurer  du  fait,  ramassant  sur  leur 
chemin  tous  les  sans-culottes  qu'ils  rencontrent.  Ils  arri- 
vèrent sur  la  montagne  au  nombre  de  cinq,  écumant  de 
rage,  vociférant  des  horreurs,  insultant  et  provoquant  tous 
ceux  qu'ils  rencontraient.  Peu  s'en  fallut  qu'ils  n'en 
vinssent  à  donner  des  coups.  Enfin  ils  partirent,  mais  la 
menace  à  la  bouche,  et  jurant  que,  si  cela  ne  finissait 
point,  on  recourrait  à  la  force  pour  y  mettre  ordre. 

»  De  retour  à  Villeneuve,  les  susdits  révolutionnaires 
n'eurent  rien  de  plus  pressé  que  de  dénoncer  la  prétendue 
contravention  au  club  de  cette  ville.  De  là,  grand  émoi 
dans  leur  camp  ;  on  s'échauffe,  on  s'exalte,  on  délibère,  et 
on  écrit  au  chef  du  parti  à  Rochefort  pour  lui  faire  des 
reproches  de  ce  qu'un  républicain  émérite  tel  que  lui  souf- 
frait ou  ignorait  que  dans  son  pays  il  y  eût  une  réunion  de 
fanatiques  qui  professaient  un  culte  défendu  par  les  lois. 
Il  fut  décidé  en  même  temps  que  l'on  enverrait  quelques 
membres  du  club  sur  la  montagne,  qu'ils  feraient  dispa- 
raître la  Vierge,  et  qu'ainsi  tout  serait  terminé*. 

Un  matin  donc,  au  lever  du  jour,  trois  des  plus  forcenés 
révolutionnaires  arrivent  en  toute  hâte  sur  la  montagne. 
L'un  d'eux  était  de  Villeneuve,  et  les  deux  autres  de  Ro- 
chefort. Deux  d'entre  eux  s'introduisent  dans  la  chapelle 
comme  à  la  dérobée,  et  s'avancent  jusqu'au  sanctuaire, 
tandis  que  le  troisième  demeure  sur  la  porte  d'entrée.  Pro- 
fitant du  moment  où  ils  n'avaient  aucun  témoin  de  leur 
crime,  ces  nouveaux  iconoclastes  s'élancent  vers  la  statue 

'  Archives  de  Notre-Dame  de  Rochefort,  livre  des  docu- 
ments. 


204  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

de  Marie.  Furieux  et  comme  en  délire,  ils  s'efforcent,  en 
vomissant  l'outrage  et  le  blasphème,  de  'la  séparer  du 
trône  auquel  elle  est  solidement  attachée.  La  tête  seule, 
cédant  à  leurs  efforts  redoublés,  est  détachée  violemment 
du  tronc,  et  demeure  entre  leurs  mains.  Obligés,  contre 
leurs  désirs,  de  laisser  la  sainte  image  debout  à  sa  place, 
ils  s'éloignent  à  la  hâte,  après  avoir,  dit-on,  renversé  les 
statues  de  saint  Benoît  et  de  sainte  Scholastique,  et  causé 
encore  sans  doute  quelques  autres  dévastations.  Ils  empor- 
tèrent la  tête  vénérée  comme  un  trophée  de  leur  honteuse 
et  sacrilège  victoire.  On  ajoute  qu'ils  poussèrent  la  déri- 
sion et  l'impiété  jusqu'à  s'en  faire  un  jouet,  en  la  faisant 
rouler  sur  la  pente  des  rochers,  le  long  des  chemins  et 
dans  les  lieux  publics.  » 

A  cette  vue,  ou  à  la  nouvelle  de  ce  qui  venait  de  se  pas- 
ser, une  telle  horreur  s'empara  des  âmes  qu'elle  s'est  per- 
pétuée vive  et  profonde  jusqu'à  nos  jours,  et  qu'à  présent 
encore,  dans  toute  la  contrée,  on  ne  rappelle  et  l'on  n'en- 
tend raconter  qu'avec  indignation  l'attentat  commis  à 
Notre-Dame  pendant  la  grande  Révolution. 

Quant  aux  impies  qui  l'exécutèrent,  aussi  peu  inquiets 
d'être  à  jamais  flétris  dans  l'opinion  publique  que  d'avoir 
attiré  sur  eux-mêmes  la  vengeance  du  ciel,  ils  ne  pensèrent 
qu'à  compléter  leur  œuvre.  Pour  cela,  ils  travaillèrent  à 
faire  vendre  les  bâtiments  de  l'église,  du  couvent,  et  tous 
les  biens  ayant  appartenu  aux  ci-devant  bénédictins  de  Ro- 
chefort. 

Après  tant  de  dévastations,  le  deuil  était  grand  sur  la 
montagne  de  Rochefort;  une  désolation  profonde  y  avait 
succédé  à  une  prospérité  presque  deux  fois  séculaire.  Le 
sanctuaire,  dépouillé  de  ses  plus  riches  ornements,  comme 
à  la  fm  du  seizième  siècle,  se  voyait  privé  de  ses  véritables 
gardiens.  La  statue  miraculeuse  était  mutilée,  et  les  édi- 
lices  du  couvent  et  de  la  chanelle,  arrachés  violemment  à 


DE  1789  A  1800.  20d 

la  religion  et  à  la  piété,  étaient  rangés  parmi  les  pro- 
priétés purement  séculières  et  destinés  à  devenir  bientôt 
les  objets  d'une  vile  spéculation. 

Au  reste,  tous  ces  révolutionnaires,  si  hardis  et  si  fiers 
en  apparence,  étaient  terrifiés  dans  la  suite  et  couverts  de 
honte  à  la  seule  accusation  d'avoir  outragé  la  sainte  Vierge. 
Personne  n'ignore  dans  le  pays,  plusieurs  pour  l'avoir 
entendu  de  leur  bouche,  que  toute  leur  vie  ils  se  ren- 
voyaient les  uns  aux  autres  la  perpétration  de  ce  forfait.  Il 
paraît  même  que,  si  des  pièces  importantes  et  relatives  à 
la  Révolution  ont  disparu  des  archives  publiques  de  cer- 
taines communes,  quelques-uns  de  ces  hommes  y  auraient 
contribué,  tout  autant  du  moins  qu'ils  les  jugeaient  com- 
promettantes pour  leur  propre  mémoire. 

Mais  l'action  providentielle  parut  avec  éclat  surtout  dans 
les  châtiments  dont  furent  atteints  ces  grands  coupables. 
On  a  vu  presque  en  tous  lieux  la  plupart  des  révolution- 
naires de  1793  porter  dès  cette  vie  la  peine  de  leurs 
crimes.  Plusieurs  ont  été  frappés  jusque  dans  leurs  biens 
ou  dans  leurs  descendants,  et  il  n'est  pas  rare  de  rencon- 
trer encore  aujourd'hui  les  traces  que  la  foudre  vengeresse 
a  laissées  de  son  passage  pour  instruire  les  générations 
nouvelles  et  pour  imprimer  dans  les  âmes  une  salutaire 
terreur.  «  Que  de  faits  de  cette  nature  arrivés  particulière- 
ment en  France,  surtout  dans  le  cours  de  la  dernière  per- 
sécution suscitée  à  l'Eglise  f  On  composerait  des  livres  sans 
fin,  si,  à  l'exemple  de  Lactance,  on  voulait  raconter  les 
punitions  exemplaires  dont  furent  frappés  ceux  qui,  dans 
ces  temps  malheureux,  osèrent  porter  une  main  impie  sur 
les  personnes  ou  sur  les  objets  consacrés  au  culte  de 
Dieu*.  » 

Le  village  de  Rochefort  en  particulier  eut  ses  traits  de  la 

*  Le  Pieux  Pèlerin,  chaii.  ii. 


206  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

vengeance  de  Dieu,  et  ils  ne  furent  pas  des  moins  exem- 
plaires, t  Le  ciel  ne  pouvait  laisser  impuni  aucun  des 
outrages  auxquels  notre  sainte  chapelle  fut  en  butte.  Il  lui 
devait  cette  marque  de  sa  protection,  et  il  la  lui  donna  de 
la  manière  la  plus  éclatante.  Les  coups  de  sa  colère  furent 
dirigés  contre  les  principaux  profanateurs,  et  même,  pour 
avoir  été  quelquefois  différés,  ils  n'en  furent  que  plus  ter- 
ribles. Le  souvenir  de  ces  punitions  est  demeuré  profon- 
dément gravé  dans  l'esprit  du  peuple  de  la  localité  et  des 
environs.  S'il  faut  en  croire  ce  que  tous  ont  pu  entendre 
raconter,  elles  auraient  été  souvent  accompagnées  de  cir- 
constances si  frappantes  qu'il  ne  serait  guère  possible  de 
douter  qu'elles  ne  soient  vraiment  providentielles*.  »  Pour 
les  uns,  ce  furent  de  nombreuses  et  accablantes  infirmités; 
pour  les  autres,  des  plaies  horribles,  des  maladies  incura- 
bles; pour  plusieurs,  une  mort  tragique,  le  malheur  parmi 
leurs  enfants  ou  la  destruction  de  toute  leur  famille. 

Entre  les  faits  de  cette  nature,  nous  citerons  spéciale- 
ment le  suivant.  Toutes  les  bouches  le  racontent  dans  le 
pays,  et  l'on  montre  encore  l'endroit  où  il  s'est  accompli. 
Le  voici  tel  qu'il  est  rapporté  dans  une  relation  particu- 
lière : 

«  Le  premier  dimanche  de  mars  1795,  les  nommés 
A.  S...  et  J.  R...,  tous  deux  de  Rochefort,  et  habitant  non 
loin  de  l'ancienne  église,  se  disposaient  ù  aller  ensemble 
planter  de  figuiers.  Us  étaient  l'un  et  l'autre  des  patriotes 
des  mieux  trempés,  observant  ponctuellement  la  décade 
républicaine  et  le  culte  de  la  Raison.  A...,  plus  matinal, 
se  met  en  raute,  et,  passant  devant  la  porte  do  J..., 
l'éveille  et  lui  dit  qu'il  va  l'attendre  à  l'abri  de  la  muraille 
voisine.  Hâte-toi  do  venir,  ajonte-t-il,  j'ai  vu  quelque  clujse. 
De  la  maison  de  11...,  il  avait  aperçu  la  foule  qui  montait 

*  Le  Pieux  Pèlerin,  chip.  ii. 


DE  1789  A  1800.  207 

à  Notre-Dame  de  Grâce,  parce  que,  chose  rare  en  ce 
temps,  un  prêtre  allait  célébrer  la  messe  h  la  chapelle.  On 
ne  l'avait  annoncé  que  secrètement  et  à  l'oreille.  Néan- 
moins tous  les  fidèles  le  surent,  moins  les  patriotes  pur 
sang,  qui  auraient  peut-être  cherché  à  troubler  la  fête. 
J.  R...  arriva  bientôt.  Voyant  la  foule,  à  son  tour,  il 
s'exalte  comme  son  camarade.  Tous  les  deux  jurent  et 
pestent  ensemble  contre  les  fanatiques,  qui  ne  tiennent  nul 
compte  des  lois  par  lesquelles  la  république  ordonne  de 
fêter  la  décade.  Us  protestent  qu'on  avisera  au  moyen  d'y 
mettre  ordre  une  autre  fois. 

»  Comme  ils  étaient  rouges  de  colère,  passa  devant  eux 
une  femme  endimanchée,  qui  allait  aussi  à  la  messe.  Cette 
femme  étant  sœur  d'un  patriote  distingué  du  lieu,  ils 
eurent  avec  elle  beaucoup  plus  de  liberté.  Ils  l'accablèrent 
d'injures  et  de  menaces.  Et  toi  aussi,  lui  dirent-ils,  tu  vas 
à  la  messe  comme  les  fanatiques.  Puisse  le  tronc  de  figuier 
faire  écraser  la  voûte!  Ce  serait  un  bon  coup  de  filet\  Par  là 
ils  croyaient  pouvoir  la  détourner  de  son  dessein  :  mais 
celle-ci  ne  répondit  pas  et  continua  son  chemin.  A  peine 
était-elle  descendue  à  l'ancien  cimetière,  qu'elle  entendit 
un  grand  fracas.  Elle  poursuivit  son  chemin,  et  apprit 
bientôt  que  ce  bruit  venait  de  l'écroulement  de  la  muraille 
derrière  laquelle  étaient  abrités  J...  et  A...  Ils  furent 
écrasés  tous  deux  sous  cette  cnute,  qui  avait  pour  cause 
une  rafale  violente  du  nord,  survenue  presque  tout-à-coup. 
Le  vent  soufflait  à  peine  le  matin;  mais  en  ce  moment, 
entre  neuf  et  dix  heures,  il  devint  si  impétueux  qu'il  ren- 
versa ce  mur.  C'était  cependant  un  ancien  rempart  du 

1  Baste  que  le  tos  de  figuièire  faguesse  escrasa  la  voûte.  Se- 
riei  une  bonne  leiQue.  Les  révolutionnaires  appelaient  dérisoire- 
ment  la  statue  de  Notre-Dame  le  tronc  de  figuier  depuis  qu'ils 
l'avaient  décapitée.  Nous  verrons  maintenant,  disaient-ils,  si  le 
tronc  de  figuiers  fera  des  miracles. 


208  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

hàteau,  qui  avait  résisté  aux  siècles,  et  que  tout  le  n:OLtle 
croyait  encore  très-solide. 

»  J...  fut  retiré  de  dessous  les  ruines,  respirant  encore. 
Il  était  âgé  de  trente-huit  ans,  et  mourut  deux  jours  après, 
privé  de  toute  connaissance.  Ce  malheureux,  si  acharm''  à 
décrier  et  à  poursuivre  le  culte  de  la  sainte  Vierge,  avait 
prostitué  sa  propre  fille  au  culte  de  la  Raison,  et  en  avait 
fait  la  déesse  du  lieu.  A...  était  âgé  de  quarante-trois  ans. 
Il  vécut  encore  quelques  jours;  on  affirme  qu'il  réclama  le 
secours  d'un  prêtre,  et  qu'il  reçut  les  derniers  sacrements 
avant  de  mourir.  Il  avait  accompagné  jusqu'à  l'entrée  de 
la  chapelle  ceux  qui  avaient  abattu  la  tête  de  la  statue  mi- 
raculeuse *.  » 

Ces  deux  blasphémateurs  furent  évidemment  punis, 
c'est  la  croyance  universelle,  par  le  même  genre  de  mort 
qu'ils  avaient  souhaité  aux  pieux  serviteurs  de  Marie. 

«  Un  exemple  si  soudain,  dit  un  autre  mémoire  manu- 
scrit, fit  du  bruit.  Les  révolutionnaires  en  furent  conster- 
nés. Ils  ne  riaient  plus;  ils  cessèrent  de  parler  du  tronc  de 
ligui'y,  et  étaient  loin  de  l'invoquer  pour  des  miracles,  in- 
vocation qui  avait  si  mal  réussi*. 

Panltions  exemplaires. 

A  Carpentras  se  trouve  un  lieu  de  pèlerinage  fort  cé- 
lèbre dédit';  à  Notre-Dame  de  Santé.  A  l'époque  du  choléra, 
on  demandait  h  un  homme  du  pays  si  le  fléau  n'y  exerçait 
pas  ses  ravages  :  N'avons-nous  pas  Notre-Dame  de  Santé? 
répondit-il  avec  une  foi  pleine  d'espérance.  Et  en  effet,  la 
ville  fut  épargnée,  quoique  le  choléra  fit  des  victimes  non 
loin  de  là. 

1  Archives  de  Notre-Dame,  livre  des  documents. —  *  Ibid. 


DE  1789  A  1800.  209 

Au  moment  de  la  révolution  de  93,  l'individu  chargé  de 
fermer  l'églts"  de  Notre-Dame  de  Santé,  après  avoir  fait 
sortir  en  blasphémant  ceux  qui  s'y  trouvaient,  voulut  clore 
la  porte  sacrée  ;  mais  son  bras  se  retira  à  l'instant  où  il 
tournait  la  clef  dans  la  serrure,  et  on  le  vit  dans  cet  état 
d'infirmité  bien  longtemps  après. 

^  A  la  même  époque,  un  individu  fut  chargé  de  fermer 
le  couvent  des  Capucins  de  Marseille,  dédié  à  la  sainte 
Vierge.  Il  s'acquitta  brutalement  de  sa  mission,  insulta 
par  des  propos  ;  lossiers  les  vierges  consacrées  à  Dieu,  en 
les  chassant,  et  se  permit  même  à  l'égard  de  l'une  d'elles 
des  procédés  bien  plus  qu'inconvenants.  «  Monsieur,  Dieu 
vous  a  vu,  »  se  contenta  de  lui  dire  la  religieuse.  Le  soir 
même,  l'impie  mourut  subitement,  et  l'on  était  contraint 
d' enterrer  rapidement  le  cadavre,  après  l'avoir  entouré  de 
chaux  vive,  à  cause  de  la  puanteur  qu'il  exhalait. 

Un  maire  révolntionnafre. 

Dans  une  notice  sur  le  pèlerinage  de  Notre-Dame  de 
Verdelais  (Gironde),  publiée  par  le  Rosier  de  Marie  dans 
son  numéro  du  19  mai  1866,  nous  avons  lu  le  trait  suivant  : 

«...  Vinrent  les  iours  tristement  mémorables  de  la  grande 
B évolution,  jours  de  ruines  et  de  larmes.  Le  sanctuaire  de 
Verdelais  possédait  à  cette  époque  des  vases  sacrés  d'un 
grand  prix  et  des  ornements  d'une  grande  richesse.  Tout 
fut  pillé  ou  brûlé.  On  poussa  même  le  sacrilège  jusqu'à 
vouloir  anéantir  la  statue  qui  depuis  tant  de  siècles  était 
l'objet  de  la  vénération  et  de  la  piété  des  fidèles. 

»  —  Renverse  cette  statue,  disait  le  chef  de  l'adminis- 
tration locale  au  sacristain,  qui  depuis  bien  des  années 
était  au  service  de  la  chapelle. 

>  —  Je  craindrais  que  Dieu  ne  m'écrasât  dans  le  moment 


210  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

même,  r(^pondit  le  sacristain;  du  reste,  j'aime  mieux  obéir 
h  Dieu  qu'aux  hommes. 
»  Alors  le  magistrat  furieux  se  tournant  vers  un  maçon  : 

>  —  Je  t'ordonne,  au  nom  de  la  loi,  de  renverser  cette 
statue. 

»  —  Fais-le  toi-même,  si  tu  l'oses,  citoyen  maire,  ré- 
pondit le  maçon  avec  un  courage  héroïque;  pour  moi,  je 
ne  le  ferai  jamais. 

>  Rempli  de  colore,  le  maire  impie  monte  lui-même  pour 
consommer  son  projet  sacrilège.  Il  va  saisir  la  statue; 
mais,  ô  prodige  !  une  pâleur  de  mort  se  répand  sur  son 
visage,  ses  genoux  fléchissent,  ses  yeux  se  ferment. 

ï  —  Soutenez-moi;  je  n'y  vois  plus,  s'écrie-t-il  plein 
d'effroi,  et  il  tombe  sans  connaissance  dans  les  bras  des 
personnes  qui  assistaient  à  cette  horrible  scène.  > 

La  puDltlou  d'un  blaspbématear. 

Dans  une  paroisse  qu'il  est  inutile  de  nommer,  l'on 
voyait,  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  les  débris  d'une 
chapelle  construite  sur  une  éminence,  dans  une  position 
très-pittoresque,  aux  abords  d'une  forêt.  Le  sanctuaire 
encore  debout  offrait,  si  j'ai  bonne  mémoire,  trois  ogives 
assez  élégantes  sous  lesquelles  s'abritaient  quelques  débris 
de  statue;  ces  dernières  étaient  grossières,  il  esi  vrai,  mais 
respectables  aux  yeux  de  la  foi  populaire,  et  l'on  venait 
encore  prier  à  leurs  pieds.  Des  souvenirs  que  rappelait 
ce  petit  monument,  je  ne  dirai  rien;  il  n'en  reste  plus 
d'ailleurs  pierre  sur  pierre  depuis  qu'une  route  vicinale  a 
été  construite  sur  son  emplacement,  et  le  récit  que  je  veux 
faire  aujourd'hui  ne  remonte  pas  à  cinquante  ans,  quoiqu'il 
ait  toute  l'apparence  d'une  ancienne  légende. 

Ruinée  pendant  la  Révolution,  la  chapelle  dont  je  parle 
avait  été  vendue  nationalement,  ainsi  que  le  terrain  qui 


DS  1789  A  1800.  211 

l'avoisinait,  et  elle  appartenait,  à  l'époque  où  se  passe  cette 
histoire,  à  un  laboureur,  digne  fils  de  ceux  qui  ravagèrent 
il  y  a  quatre-vingts  ans  nos  édifices  religieux. 

Cet  homme,  ayant  entrepris  de  labourer  le  tour  de  la 
chapelle,  —  je  ne  sais  quoi  l'avait  empêché  de  renverser 
le  saint  édifice,  —  vint  un  jour  travailler  avec  son  valet  le 
nouveau  champ.  Gomme  tant  d'autres,  hélas!  le  malheu- 
reux avait  probablement  bu  plus  que  de  coutume;  ce  qui 
semble  le  prouver  fut  sa  singulière  idée  de  s'écrier  en 
arrivant  au  travail  et  en  regardant  les  vieux  saints  de  pierre 
debout  dans  leurs  niches  :  4  Fainéants  de  saints,  venez 
donc  travailler  avec  moi  I  Depuis  le  temps  que  vous  êtes 
là,  les  mains  jointes  et  les  yeux  levés  au  ciel,  vous  auriez 
fait  de  l'ouvrage,  si  vous  aviez  voulu  !  » 

En  entendant  ces  paroles,  aussi  ridicules  qu'impies, 
accompagnées  d'horribles  blasphèmes,  le  jeune  valet,  — 
qui,  loin  de  ressembler  à  son  maître,  était,  au  contraire, 
pieux  et  bon  chrétien,  ne  peut  se  contraindre  et  témoigne 
hautement  son  indignation.  Mais  la  rage  de  l'impie  continue 
et,  dans  sa  folle  colère,  il  saisit  une  statue,  la  jette  dans 
le  champ  et  s'écrie  :  a  Allons,  travaille  maintenant,  vieux 
saint.  >  Je  ne  puis  citer  ici  textuellement  ses  paroles. 

Comme  on  se  le  figure  facilement,  l'emportement  sa- 
crilège du  paysan  ne  tarda  pas  à  recevoir  une  première 
punition  :  la  statue,  précipitée  dans  la  pièce  de  terre, 
entrava  la  marche  des  bœufs  traînant  la  charrue,  et  le 
méchant  homme  dut  songer  bientôt  à  la  remettre  dans  sa 
niche.  Mais,  chose  singulière,  il  ne  put  parvenir  à  relever 
le  saint  couché  sur  le  sol  :  soit  qu'il  fût  trop  ivre,  soit, 
comme  le  dirent  hautement  plus  tard  ses  voisins,  qu'il  fût 
indigne  d'y  toucher,  il  lui  fut  lout-à-fait  impossible  de  re- 
muer la  statue.  Cela  ne  fit  qu'exciter  encore  sa  rage,  et  sa 
bouche  furieuse  vomit  tous  les  blasphèmes  les  plus  épou- 
vantables. Il  alla  si  loin  ([ue  son  pauvre  domestique  se 


212  LA   GRANDE  RÉVOLUTION 

jeta  h  genoux,  effrayé  de  tant  d'horreurs,  et  se  mit  à  prier 
Jésus  du  plus  profond  de  son  cœur,  implorant  avec  larmes 
la  miséricorde  divine.  Puis  le  jeune  homme  se  releva,  s'ap- 
procha de  la  statue  gisant  dans  la  poussière,  la  saisit  avec 
respect  et  la  replaça  pieusement  dans  sa  niche,  sans 
écouter  les  nouvelles  imprécations  de  son  maître. 

Le  soir  arriva  bientôt,  et  le  méchant  laboureur  e^^oy'. 
devant  lui  son  valet  recondi'.re  son  attelage;  lui  seul  df- 
meura  dans  le  champ,  jadis  béni,  maintenant  souillé  par 
ses  blasphèmes.  Que  se  passa-t-il  alors  sous  les  arceaux  de 
l'antique  oratoire?  Dieu  seul  le  sait.  Toujours  est-il  que,  la 
nuit  étant  arrivée,  on  s'inquiéta  h  la  ferme  de  ne  pas  voir 
revenir  le  maître  du  logis;  pendant  quelques  heures  on 
attendit  en  vain.  N'apercevant  rien,  le  domostique  et 
quelques  autres  personnes  allèrent  enfin  vers  le  champ 
de  la  chapelle  à  la  recherche  du  laboureur.  Mais,  arrivés 
près  de  l'édifice,  un  horrible  spectacle  s'offrit  à  leurs 
yeux  :  le  pan  de  muraille,  dans  lequel  était  assise  la  vieille 
statue  profanée,  s'était  écroulé  avec  le  saint  lui-même,  et 
sous  leurs  débris  gisait  informe  et  couvert  de  sang  le 
corps  du  malheureux  blasphémateur. 

On  devina  qu'après  le  départ  de  son  valet,  le  laboureur 
impie,  ayant  voulu  continuer  ses  sacrilège  attentats,  était 
devenu  victime  de  sa  propre  rage  :  les  vieilles  murailles 
s'étaient  renversées  sous  ses  coups,  mais  elles  l'avaient 
enseveli  dans  leur  ruine  :  la  justice  de  Dieu  qui  punit  le 
blasphème  avait  passé  par  là. 

L'abbé  Guillotin  de  Courson. 

Une  secne  de  la  Passion  et  la  Justice  de  DIen. 

Dans  le  canton  d'Orboc  se  trouve  la  commune  de  Coiir- 
tonnc-la-Ville,  et,  l;i  aussi,  les  jacobins  exercèrent,  en  93,  le 
pouvoir  tyrannique  dont  le  gouvernement  de  l'époque  les 


DE  1789  A  1800.  213 

avait  investis,  en  persécutant  le  clergé,  en  pillant,  en 
profanant  les  lieux  saints. 

A  Courtonne,  ainsi  que  partout  ailleurs,  un  Christ,  placé 
à  l'entrte  du  chœur,  tenait  ses  bras  étendus,  en  signe  de 
miséricorde,  et  abaissait  un  regard  plein  de  clémence  sur 
l'assemblée  des  fidèles.  iMais,  aux  yeux  des  philosophes  du 
temps,  le  monde  n'avait  pas  besoin  de  médiaieur  ;  la  terre 
n'avait  plus  rien  à  demander  au  Ciel. 

Une  bande  de  forcenés  entre  donc  dans  l'église  du 
village;  leur  chef  était  un  habitant  de  la  commune;  il 
se  nommait  Rabot.  Plusieurs  personnes,  de  sentiments 
tout  opposés,  y  entrent  en  même  temps  qu'eux  pour  em- 
pêcher, s'ils  le  pouvaient,  la  dévastation  du  sanctuaire,  et 
le  maire  s'empresse  aussi  de  se  présenter  dans  le  même 
but. 

C'est  le  Christ  que  les  bandits  veulent  d'abord  abattre. 
Les  spectateurs  frémissent  d'indignation,  et  le  maire  intime 
aux  envahisseurs  la  défense  de  toucher  à  cette  image,  vers 
laquelle  il  les  voit  lancer  des  regards  menaçants.  L'auto- 
rité du  maire  est  méconnue.  Rabot  le  repousse  avec  vio- 
lence; et  un  affreux  rugissement  sort  de  la  poitrine  de 
tous  ses  complices.  «  Nous  sommes  seuls  maîtres  ici;  tu 
»  n'es  plus  rien  parmi  nous,  dit  Rabot  au  maire  de  Cour- 
»  tonne;  retire-toi,  et  va  porter  tes  ordres  à  d'autres;  je 
»  te  le  conseille.  Si  non...  » 

Que  faire  seul  contre  une  troupe  de  malfaiteurs  capables 
de  se  porter  aux  dernières  extrémités  ?  Protester  éîait  un 
devoir;  le  maire  s'en  acquitta.  Sa  voix  ne  fut  pas  écoutée, 
et  il  se  vit  contraint  de  céder  à  la  force. 

Aussitôt  les  bandits  exécutent  leur  projet,  et  le  Christ 
est  abattu. 

Devii.it  lui,  peut-être,  plusieurs  étaient  venus  naguère 
se  prosterner  en  demandant  à  Dieu  pardon;  d'autres,  sans 
doute,  au  jour  ^'une  première  comijiunion,  avaient  promis. 


214  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

en  sa  présence,  que  toujours  leur  cœur  serait  uni  au  cœur 
de  Jésus,  devenu  leur  partage;  et  quelques-uns  aussi,  au 
moment  de  s'établir,  avaient  demandé  que  l'union  qu'ils 
contractaient  fût  bénie  sous  les  yeux  du  divin  Crucitié. 
Dans  ce  jour  ils  l'abattent,  ils  l'insultent  ! 

Mais,  pour  Rabot,  ce  n'est  pas  assez  d'avoir  arraché  la 
touchante  image  du  lieu  où  elle  était  et  de  l'avoir  jetée  sur 
le  pavé.  Avec  de  longues  cordes,  il  attache  le  Christ  à  un 
cheval,  et  le  traîne,  ainsi  lié  et  garrotté,  dans  les  chemins 
de  Gourtonne. 

Sans  doute  il  voulait  donner  une  représentation  de  la 
haine  des  Juifs  traînant  le  Sauveur,  chargé  de  chaînes, 
dans  les  rues  de  Jérusalem,  et  le  conduisant  de  Pilate  à 
Hérode,  au  milieu  d'une  populace  effrénée,  qui  l'accablait 
d'injures.  Acharné  contre  sa  victime,  il  semble  vouloir 
renouveler  les  scènes  les  plus  odieuses  de  la  Passion;  il 
ne  quitte  le  Christ  que  quand  il  le  voit  mutilé,  brisé  par 
les  secousses  violentes  et  par  le  choc  des  pierres  sur  les- 
quelles il  a  heurté. 

Peut-être  quelques  âmes  pieuses,  animées  des  mêmes 
sentiments  que  les  saintes  femmes  au  pied  du  Calvaire, 
avaient  dit  en  gémissant,  lorsqu'elles  virent  tomber  le 
Christ  de  Gourtonne  :  «  Nous  allons  le  recueillir,  et  nous 
lui  rendrons  la  place  qu'il  occupait  dans  notre  église 
aujourd'hui  profanée.  »  Mais  Rabot  n'entendait  pas  qu'il 
en  pût  être  ainsi,  et  ce  Christ  n'était  plus  qu'une  masse 
informe  et  méconnaissable,  quand  il  le  déposa  prc;s  do 
l'église  sous  les  yeux  des  spectateurs,  indignés  pour  la 
plupart. 

Un  tel  crime  restera-t-il  impuni  ?  Le  Ciel  n*a-l-il  plus  de 
foudres  à  lancer  contre  l'auteur  d'un  semblable  attentat?... 
Nous  ne  demandons  pas  que  la  justice  divine  éclate  contre 
les  coupables;  mais  celui  dont  nous  parlons  ne  larda  pas 
à  en  ressentir  les  coups. 


DE  1789  A  1800.  215 

Son  ùeuvre  sacrilège  accomplie,  il  monte  sur  son  cheval 
pour  retourner  à  son  logis.  Avant  d'y  arriver,  il  lui  fallait 
traverser  un  bois  nouvellement  coupé.  Tout-à-coup,  le 
cheval  effrayé,  on  ne  sait  par  quelle  cause,  s'emporte  et 
démonte  son  cavalier,  dont  les  jambes,  au  moment  de  la 
chute,  s'engagent  dans  les  cordages  avec  lesquels  il  avait 
lié  le  Christ  pour  le  traîner  dans  les  rues.  Rabot  ne  peut 
ni  retenir  son  cheval,  ni  dégager  ses  jambes  de  l'étreinte 
oi^i  elles  sont  prises;  au  contraire,  ces  nœuds  formés  se 
resserrent  de  plus  en  plus  par  la  course  rapide  de  l'animal, 
qu'aucun  frein  n'arrête,  et  l'infortuné  est  longtemps  traîné 
sur  les  pointes  des  souches  qui  restaient  après  la  coupe 
récemment  faite.  Quand  enfin  le  cheval  un  peu  calmé 
s'arrêta,  on  ne  vit  plus  que  des  vêtements  déchirés,  des 
lambeaux  de  chair  qui  pendaient  à  des  membres  meurtris 
et  fracassés;  Rabot  n'était  plus  qu'un  cadavre.  Tel  fut 
l'état  dans  lequel  son  cheval  vint  l'offrir  aux  habitants 
de  Gourtonne,  effrayés  d'un  supplice  aussi  prompt  et  si 
terrible. 

Je  tiens,  dit  le  curé  du  lieu,  ces  faits  du  fils  du  maire  de 
Gourtonne,  médecin  à  Beuvron. 

Triste  sort  d'an  rérolutloiiBalre  d«  Cag-ny* 

A  Gagny,  canton  de  Troarn,  il  y  eut  aussi  des  persécu- 
teurs de  la  religion,  des  profanateurs  de  nos  saints  temples, 
des  hommes  qui  se  plaisaient  à  porter  une  main  sacriiégo 
sur  les  objets  consacrés  au  culte  de  Dieu  par  la  piété  des 
fidèles.  Un  de  ces  hommes  m'a  été  signalé,  sans  que  j'aie 
pu  obtenir  sur  ses  actes  les  détails  nécessaires.  Je  sais 
seulement  qu'il  avait  assez  outragé  le  Giel  pour  que  la 
main  de  Dieu  s'appesantît  sur  lui. 

Ce  terroriste  avait  poursuivi  ceux  qui  ne  partageaient 
point  6on  impiété  avec  une  frénésie  qj^  faisait  dire  de  lui  î 


216  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

C'est  un  enragé;  et  il  tomba  dans  un  tel  état  de  démence 
et  de  fureur,  que  l'on  fut  contraint  de  le  traiter  comme 
une  bête  fauve,  de  le  tenir  étroitement  enfermé.  Dans  ses 
accès,  imitant  un  chien  réellement  atteint  de  la  rage,  il 
rongeait,  il  broyait  avec  ses  dents  tous  les  objets  qu'il 
pouvait  saisir,  même  la  porte  de  la  loge  qui  lui  servait  de 
prison. 

Enfin  la  colère  céleste  sembla  s'apaiser  à  son  égard. 
Plusieurs  personnes  pieuses  s'étaient  fait  un  devoir  d'im- 
plorer en  sa  faveur  la  divine  miséricorde;  et,  avant  la  fin 
de  son  existence,  il  recouvra  assez  de  calme,  assez  de 
présence  d'esprit  pour  être  capable  de  faire  un  retour  sur 
lui-même.  Sut-il  profiter  de  cette  grâce  qui  lui  était  ac- 
cordée? Je  l'ignore.     (Trait  cité  par  le  curé  de  Beuvron.) 

Dlea  vengée  la  g^loire  de  saint  Joseph. 

Dans  son  mandement  de  1866  sur  la  dévotion  à  saint 
Joseph,  le  cardinal  de  Bordeaux  parle  de  la  statue  de  ce 
glorieux  Patriarche  qui  décore  la  façade  de  la  chapelle  de 
l'orphelinat  dirigé  par  les  sœurs  de  saint  Vincent  de  Paul, 
rue  Saintc-Eulalie,  à  Bordeaux,  et  dit  que  la  conservation 
de  cette  statue,  pendant  la  tourmente  de  93,  est  un  fait 
digne  d'attention. 

«  Le  fait  qui  détermina  la  conservation  de  cette  statue 
est  peu  connu  aujourd'hui;  ce  fait  me  semble  providentiel, 
et  il  serait  bon  que  YAquitaim  voulût  bien  en  conserver  le 
souvenir. 

»  Il  m'a  été  raconté  plusieurs  fois  par  une  sœur  connue 
dans  Sainle-Eulalie,  sous  le  nom  de  sœur  Félicité.  J'avais 
une  dizaine  d'années  quand  cette  sœur  mourut.  Elle  fut 
inhumée  dans  un  des  caveaux  de  l'église  Sainte-Eulalie, 
en  face  de  lu  porlc  de  la  sacristie.  Elle  était  religieuse 
avant  la  Révolution,  quand  les  philanthropes  de  l'époque 


DE  1789  A  1800.  217 

s'aperçurent  que  les  citoyennes  chargées  du  soin  des 
pauvres  s'occupaient  beaucoup  plus  de  leur  famille  que 
des  nécessiteux,  la  sœur  Félicité  fut  une  de  celles  qui, 
sous  l'habit  laïque,  furent  chargées  de  distribuer  les 
aumônes  du  district  dans  Sainte-Eulalie.  Elle  était  donc  à 
portée  de  connaître  exactement  ce  qui  se  passait  et  se 
disait  parmi  le  peuple.  Or,  voici  ce  qu'elle  racontait  sur 
la  statue  de  saint  Joseph  : 

»  On  était  au  fort  de  la  Terreur  ;  tout  objet  rappelant  le 
culte  catholique  avait  été  brisé  et  renversé  depuis  plu- 
sieurs mois,  lorsqu'un  des  plus  fougueux  terroristes  tra- 
versa la  rue  Sainte-Eulalie;  arrivé  en  face  de  la  statue  de 
saint  Joseph,  il  s'arrête,  il  parle  seul  avec  colère,  traite  de 
canaille  les  gens  du  voisinage,  qui  ont  supporté  si  long- 
temps et  sans  rien  dire  un  objet  si  odieux;  puis,  furieux 

et  présentant  le  poing  à  la  statue,  il  s'écrie  :  «  Ahl  b , 

de  sans-culotte,  tu  es  encore  là  1  Je  saurai  bien  te  faire 
f.....  parterre.  A  demain,  à  une  heure  de  relevée;  adieu.  » 

»  Les  voisins,  gens  paisibles  et  religieux,  et  entendant 
les  menaces  de  ce  forcené,  ne  doutèrent  pas  que  leur  pauvre 
saint  Joseph  ne  fût  bientôt  renversé;  mais  leur  tristesse  se 
changea  en  joie,  quand  ils  apprirent  ce  qui  s'était  passé. 

»  Le  soir  même  du  jour  où  le  blasphémateur  avait  pro- 
féré ses  menaces,  il  se  rendit  au  club  et  déclama  avec 
colère  et  force  imprécations  contre  la  statue  de  saint 
Joseph.  Il  demanda  des  ordres  et  des  hommes  pour  ren- 
verser ce  signe  de  superstition. 

»  A  peine  sa  demande  eut-elle  été  accordée  que  le  blas- 
phémateur se  met  à  pousser  d'horribles  cris.  Il  se  plie  et 
se  replie  dans  d'affreuses  convulsions  :  de  fortes  douleurs 
d'entrailles  l'ont  saisi  soudain.  On  l'emporte  chez  lui;  il 
passe  la  nuit  dans  d'horribles  tourments,  et  meurt  le  len- 
demain à  l'heure  qu'il  avait  indiquée  pour  le  renversement 
de  la  statue  de  saint  Joseph.  Tous  virent  dans  ce  fait  un 

10 


218  LA  GRANDE   RÉVOLUTION 

châtiment  du  Ciel,  mêmes  les  clubisles  les  plus  enlêtés,  en 
sorte  que  pas  un  n'osa  se  charger  de  renverser  la  statue  de 
saint  Joseph,  qui  a  pu  ainsi  traverser  saine  et  sauve  la 
tourmente  révolutionnaire  et  parvenir  jusqu'à  nous. 

»  La  sœur  Félicité  avait  une  vertu  trop  élevée  pour  se 
permettre  de  raconter  un  t  -1  fait,  s'i'  u'eûi  été  vrai.  Aussi 
ne  fût-ce  qu'à  simple  titre  de  renseignement  ou  de  chro- 
nique; ce  souvenir  mérite,  ce  me  semble,  de  trouver  place 
dans  l'Aquitaine.  Je  ne  doute  pas  que  ce  récit  ne  soit 
admis  plus  tard  dans  les  recueils  d'anecdotes  qu'on  réu- 
nira pour  exciter  la  confiance  et  la  dévotion  à  saint  Joseph, 
c  Blavières,  curé  de  saint  Médard-en-Jalles  * 

liotre-Danie  de  Benoîte- Vaux,  diocèse  de  Vcrdnn». 

C'était  au  mois  de  novembre  1793.  Tout  ce  qu'il  y  avait 
de  bon  et  d'honnête  à  Benoîte-Vaux  tremblait  et  se  cachait, 
en  appelant  de  tous  ses  vœux  des  jours  de  justice  et  de 
paix.  Des  étrangers,  émissaires  du  comité  de  salut  public, 
avaient  été  placés  à  la  tête  de  la  commune  que  formait 
alors  le  petit  hameau,  et  dans  le  monastère  il  n'y  avait  plus 
que  le  curé  constitutionnel,  lo  P.  Barry,  homme  faible 
et  sans  énergie,  que  servait  le  frère  Norbert,  quand  un 
matin  arrivèrent  encore  de  Saint-Mihiel,  que  l'on  nommait 
alors  Roche-sur-Meuse,  deux  commissaires  bien  autrement 
terribles  que  les  premiers.  L'histoire,  qui  doit  flétrir  toutes 
les  indignités,  ne  saurait  taire  leurs  noms  :  ils  s'appelaient 
Viller  et  Baudot.  C'étaient  des  hommes  capables  de  tout 
oser,  et  qui,  avant  d'arriver  dans  ia  vallée,  avaient  déjà 
ravagé  toutes  les  églises  qui  se  trouvaient  sur  leur  pas- 
sage :  celles  des  Paroches,  de  Dompcevrin,  do  Woimbey, 
de  Bouquemont  et  de  Tillombois.  Aussi  se  présentèrcnt-ils 

»  Nou3  avons  pris  ces  détails  dans  l'intéressant  ouvrage  Notre- 
Dame  de  Benolte-Vaux,  par  le  II.  P.  Chevrcui. 

i 


DE  1789  A  1800.  219 

à  Benoîte-Vaux  avec  le  dessein  arrêté  de  ne  rien  épargner 
et  de  détruire  jusqu'aux  derniers  vestiges  de  ce  qu'ils 
appelaient  «  les  instruments  du  fanatisme.  » 

Vite  alors  on  court  à  la  chapelle,  on  descend  la  statue, 
et  en  répandant  des  larmes  et  des  prières,  on  l'emporte 
dans  la  boulangerie  du  couvent,  où  on  la  cache  soigneu- 
sement en  la  couvrant  de  fagots. 

Il  était  temps,  car  à  peine  la  porte  était-elle  fermée  par 
le  prieur  que  tout-à-coup  le  bruit  du  tambour  retentit  dans 
la  forêt,  et  que  les  commissaires  se  présentent,  escortés  de 
six  gardes  nationaux  de  Tillombois. 

Avant  tout  il  leur  fallait  la  statue  de  Notre-Dame;  ils 
regardent  donc  au  fond  du  sanctuaire  et  ne  la  trouvent 
plus.  «  Où  est  cette  ...  1  s'écrie  Baudot  en  prononçant  un 
blasphème  horrible,  il  faut  qu'elle  se  retrouve.  ^  Et  en  at- 
tendant, pour  assouvir  sa  fureur,  il  frappe  deux  chérubins 
en  pierre  placés  de  chaque  côté  du  tabernacle,  les  brise 
sur  le  pavé,  fait  le  tour  de  l'église  en  mutilant  les  statues, 
enlève  la  grille  en  fer  du  balustre,  et  ne  fait  pas  même 
grâce  à  la  pierre  tombale  de  M.  de  l'Escale,  dont  il  efface 
les  armoiries  et  les  fleurs  de  lis,  pendant  que  de  son  côté, 
le  chef  de  la  commune,  Saintin-Tournay,  commande  à  deux 
enfants,  armés  d'une  hache  et  d'un  couteau,  d'abattre  les 
ornements  des  stalles. 

Mais  pendant  ce  premier  accès  de  fureur  farouche 
Baudot  n'a  pas  oublié  l'objet  principal  de  sa  mission,  c'est- 
à-dire  la  statue  vénérée  que  tant  de  siècles  ont  saluée, 
bénie  et  implorée,  et  qu'il  veut  détruire  à  tout  prix.  «  Où 
est-elle?  s'écrie-t-il  de  nouveau  en  répétant  son  premier 
blasphème.  Encore  une  fois,  il  faut  qu'elle  se  retrouve. 
«  Un  misérable,  Jean-Charles,  natif  de  Woimbcy  et  con- 
seiller municipal  de  Benoîte-Vaux,  initié  sans  doute  au 
secret  do  sa  retraite  par  ses  compatriotes,  lui  indique  alors 
du  doigt  \q  monastère,  et  à  l'instant,  avec  une  joie  sata- 


220  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

nique,  Baudot  s'y  pi  écipite  avec  toute  sa  troupe,  cherchant 
partout  le  prieur,  qui  apparaît  bientôt  en  tremblant. 

f  Citoyen  ci-devant  prêtre,  la  Vierge  que  tu  as  cachée, 
montre-la-moi  tout  de  suite,  ou  tu  es  mort,  »  lui  dit-il  en 
lui-mcttant  l'épée  sur  la  gorge.  Cent  autres  se  seraient  tus, 
ou  lui  eussent  répondu  comme  les  martyrs  des  premiers 
siècles  répondaient  quand  on  leur  demandait  de  trahir  leur 
foi,  leurs  évèques,  ou  de  livrer  des  objets  sacrés;  quant  à 
lui,  plus  effrayé  et  plus  lâche,  après  quelques  résistances 
sans  énergie,  sur  la  promesse  hypocrite  qu'il  ne  serait  fait 
aucun  mal  à  l'image  dont  il  est  le  dépositaire  et  le  gardien, 
il  ouvre  lui-même  la  porte  de  la  boulangerie  et  montre  de 
la  maiu  l'endroit  où  on  l'a  cachée. 

On  sait  qu'autrefois  les  protestants,  les  aventuriers  et  les 
Suédois,  après  l'avoir  souillée,  insultée,  l'avaient  cepen- 
dant encore  laissée  debout,  par  un  sentiment  inexplicable 
de  respect  ou  de  crainte.  L'impie  commissaire  ne  s'éleva 
pas  même  à  leur  niveau;  non-seulement  il  ne  la  respecta 
pas,  mais  sitôt  qu'il  l'aperçut,  il  la  regarda  en  face  avec 
un  sourire  infernal  et  s'écria  :  •  On  dit  que  tu  fais  des  mi- 
racles; eh  bieni  si  tu  as  du  pouvoir,  fais-le  voir;  en  atten- 
dant, il  faut  que  je  te  casse  les  reins.  »  Et  en  parlant  ainsi, 
plus  semblable  h  un  démon  qu'à  un  homme,  il  la  pousse 
violemment,  la  renverse  par  terre,  et  avec  une  hache  la 
frappe  à  coups  redoublés,  pendant  que  la  troupe  ap- 
plaudit, et  que  le  prieur,  comprenant  alors  l'étendue  de  sa 
faute,  se  cache  la  tête  dans  ses  mains  et  se  retire  eu  pous- 
sant des  sanglots.  Mais  c'était  peu  ;  car  après  la  statue,  les 
autels,  les  tombeaux  cl  les  images  des  saints,  restaient  les 
vases  sacrés,  et  dans  la  précipitation  on  les  avait  oubliés. 
Baudot  veut  les  avoir,  et  poussant  aussitôt  devant  lui  l'in- 
forluné  prieur,  il  rentre  dans  l'église,  se  fait  ouvrir  par 
l'indigne  curé  lui-même  la  porte  du  tabernacle,  s'empare 
du  saint  ciboire,  du  calice,  de  l'ostensoir,  et  ordonne  sous 


DE  1789  A  1800-  221 

peine  de  mort  à  un  habitant  du  hameau  de  les  conduire, 
avec  d'autros  objets  désignés,  au  district  de  Saint-Mihiel; 
puis,  afin  de  compléter  son  œmTe  de  destruction,  toute  la 
troupe  brise  à  coups  de  hache  les  quatre  confessionnaux, 
emporte  toutes  les  béquilles  déposées  autrefois  près  de  la 
statue  par  une  multitude  de  malheureux,  en  témoignage  de 
leur  guérison  miraculeuse,  ramasse  tous  les  ornements, 
les  bannières,  les  livres  d'église,  jette  le  tout  pêle-mêle 
dans  la  cour,  y  met  le  feu  et  danse  autour  en  chantant  l'in- 
fâme Carmagnole. 

Une  troisième  perquisition  fut  faite  peu  de  temps  après 
par  trois  commissaires  de  Verdun,  qui  vinrent  visiter  le 
sanctuaire  afin  d'enlever  toute  trace  de  superstition.  Ne 
trouvant  partout  que  le  vide  et  des  ruines,  ces  nouveaux 
visiteurs,  aussi  hostiles  cependant  que  les  précédents,  se 
bornèrent  à  frapper  les  statues  du  portail,  et  ne  pouvant 
les  abattre  malgré  tous  leurs  efforts,  ils  se  retirèrent 
bientôt  en  disant  :  *  Elles  y  étaient  avant  nous,  elles  y 
seront  encore  après  nous.  »  Tous  trois  ne  tardèrent  pas  à 
être  punis  d'une  manière  exemplaire  :  le  premier  fut  brûlé 
vif  dans  une  chaudière  d'eau  bouillante,  le  deuxième  se 
pendit,  le  troisième  devint  fou. 

Les  autres  commissaires  et  leurs  indignes  valets  ne 
furent  pas  plus  épargnés  par  ia  justice  divine.  Baudot,  le 
plus  coupable  de  tous,  qui  avait  juré  de  casser  les  reins  à 
la  statue,  et  qui  l'avait  sommée  de  lui  montrer  son  pouvoir, 
eut  bientôt  à  son  tour  les  reins  littéralement  broyés  sous 
les  roues  d'un  char,  en  conduisant  les  fourrages  de  l'ar* 
mée,  et  mourut  ainsi  misérablement  sans  laisser  de  pos- 
térité. Saintin-Tournay  s'en  alla  terminer  ses  jours  dans 
un  cachot,  à  Clairvaux.  Jean-Charles  mourut  sans  enfants 
l'année  suivante,  en  poussant  des  hurlements  épouvan- 
tables. Le  garde  national  de  Tillombois  qui  avait  aidé  le 
plus  efficacement  à  la  destruction  de  l'image  miraculeuse 


222  LA   GRANDE  BÉVOLUTION 

fut,  peu  de  temps  après,  dévoré  par  les  loups  en  allant  à 
Saint-Hubert;  on  n'en  put  retrouver  que  les  plus  gros 
ossements,  épars  çh  et  là  dans  la  plaine. 

Quant  à  Yiller,  le  moins  coupable,  puisqu'il  s'était  abs- 
tenu de  porter  la  main  sur  tant  d'objets  sacrés,  il  revint 
plur  tard  à  de  meilleurs  sentiments,  et  pour  réparer  le 
mal  auquel  il  avait  contribué,  il  éleva,  sur  le  chemin  de 
Tillombois  à  Benoîte-Vaux,  une  croix  dont  on  voit  encore 
les  débris  à  l'entrée  de  la  forêt. 

Punition  et  miséricorde. 

Les  révolutionnaires  d'un  village  où  l'on  vénérait  une 
ancienne  et  belle  statue  de  la  sainte  Vierge  trouvèrent  bon 
d'ôter  cette  image  de  son  piédestal,  ce  qu'ils  firent  avec 
mille  insultes.  L'un  d'eux  ensuite,  voulant  montrer  son 
zèle,  proposa  de  la  précipiter  dans  un  puits,  La  proposition 
fut  accueillie  au  milieu  de  la  stupeur  des  honnêtes  gens, 
et  l'inventeur  mit  la  main  à  l'œuvre  avec  plus  d'ardeur  que 
tous  les  autres.  On  précipita  donc  la  statue,  mais  les  cris 
de  joie  et  de  blasphèmes  ne  furent  pas  de  longue  durée. 
Le  principal  auteur  du  saculége  perdit  à  l'instant  la  vue. 
Il  fallut  le  ramener  dans  sa  demeure.  Ce  prompt  châti- 
ment ne  e  convertit  point;  il  resta  impie  et  aveugle. 
Après  plusieurs  années,  la  paix  et  le  culte  furent  rétablis. 
Cependant  la  statue  était  restée  dans  le  puits,  et  tous  les 
honnêtes  gens  y  pensaient  avec  douleur.  Un  jour  le  ciwi 
leur  dit  :  «  es  amis,  il  faudra  bien  que  nous  fassions  réf 
paration  à  la  sainte  Vierge,  et  que  nous  retirions  sa  bénit>> 
imago  du  puits  où  nous  l'avons  laissé  jeter...  » 

Chacun  trouva  que  le  curé  avait  raison,  on  fit  les  dispo- 
sitions nécessaires,  et  on  indiqua  le  jour,  ce  fut  une  fête. 
—  Tous  les  habitants  étaient  rassemblés  autour  du  puits, 
sauf  le  curé  qui  devait  présider  au  travail.  Il  arriva,  mais 


DE  1789  A  1800.  223 

non  pas  seul.  Il  conduisait  par  la  main  un  aveugle  bien 
connu  qu'on  ne  s'attendait  guère  ci  voir  là.  Au  milieu  de  la 
rumeur,  le  curé  fit  signe  qu'il  voulait  parler,  il  n'eût  pas 
de  peine  à  obtenir  le  silence,  —  «  Chrétiens,  dit-il,  ce 
pauvre  aveugle  est  venu  chez  moi  ce  matin,  poussé  par  ses 
remords,  pour  obtenir  de  moi  et  de  vous  tous  une  grâce 
que  je  lui  ai  promise  en  votre  nom.  Il  désire  humblement 
que  vous  lui  permettiez  de  tirer  avec  vous  tous  les  cordes 
qui  feront  tout-à-l'heure  remonter  la  statue  de  la  sainte 
Vierge,  de  ce  puits  où  il  a  contribué  à  la  précipiter,  il  y  a 
dix  ans.  Il  déteste  son  sacrilège,  dont  il  a  été  justement 
puni,  il  en  demande  pardon  à  Dieu,  à  Marie  et  à  vous  tous, 
chrétiens.  Je  puis  vous  dire  que  Dieu  et  la  sainte  Vierge 
lui  ont  pardonné;  c'est  à  votre  tour,  mes  frères.  —  «  Oui, 
dit  l'aveugle  étendant  la  main  et  pleurant,  je  demande 
pardon,  je  n'ai  plus  de  repos  ni  jour  ni  nuit.  Ma  conscience 
me  tourmente,  je  demande  pardon  f...  Oui,  c'est  oublié, 
qu'il  vienne,  s'écria  ce  bon  peuple  avec  des  transports  de 
sainte  joie.  »  L'aveugle  s'avança  jusqu'au  bord  du  puits,  et 
on  lui  mit  dans  la  main  la  corde  qu'il  devait  tirer.  —  Déjà, 
des  hommes  étaient  descendus  jusqu'à  la  statue  qui,  par 
miracle,  n'était  pas  brisée.  On  l'avait  attachée  solidement, 
le  travail  commença  au  chant  des  litanies.  Tout  réussit 
très-bien.  La  statue  remonta  sans  accidents.  Lorsqu'on  la 
vit  paraître,  ce  fut  une  explosion  de  joie;  mais-  un  cri 
domina  tous  ces  cris  d'enthousiasme  et  les  fit  taire  :  c'était 
celui  de  l'aveugle  à  genoux  les  bras  ouverts,  il  répétait  : 
«  Je  voisi  je  vois  I  je  vois  I  »  On  courut  à  lui,  ilv  oyait  ea 
effet  et  ce  n'était  pas  une  illusion,  il  voyait  et  il  continua 
de  voir.  Il  suivit  sans  guide  la  procession  qui  ramena  en 
triomphe  la  statue  du  puits  où  elle  avait  été  traînée  la 
corde  au  cou,  h  son  ancienne  place.  Il  travailla  pour  l'y 
rétablir,  et  il  vécut  plusieurs  années  encore  :  irrécusable 
témoin  des  miséricordes  de  Marie.       (Louis  Veuillot.) 


224  LA  GRANDE  ftéVOLUTION 

Le  Christ  ée   VégWne  «t  celui  da  calvaire  de  Benvron*. 

Pendant  la  tourmente  révolutionnaire,  l'église  de  Ceu- 
vron  fut  comme  tant  d'autres  dépouillée  et  profanée;  un 
Christ  fixé  au  sommet  de  l'arcade  qui  sépare  le  chœur  de 
la  nef,  fut  abattu,  comme  j'ai  eu  déjà  l'occasion  de  le  dire 
en  parlant  de  la  sépulture  des  ducs  d'Harcourt. 

Qui  donc  osa  commettre  cet  attentat?  Un  habitant  de 
Beuvron,  un  menuisier,  fut  sommé  d'y  prêter  la  main, 
sans  doute  parce  que  ses  convictions  religieuses  étaient 
bien  connues  ;  et  les  patriotes  du  pays  ne  manquèrent  pas 
de  le  choisir  pour  en  faire  l'objet  de  leurs  vexations.  Mais 
c'était  un  homme  de  caractère,  incapable  de  trahir  h  ce 
point  sa  conscience.  Il  se  dresse  avec  fermeté  en  face  de 
ceux  qui  lui  signifiaient  l'ordre  de  renverser  le  Christ, 
et  jetant  sur  eux  un  regard  de  dédain  :  «  Quand  il  faudra 
»  le  relever,  leur  dit-il,  venez  me  trouver,  je  serai  votre 
>  homme;  mais  l'abattre I ...  moi  1 ...  non  1...  jamais  I  » 

Déconcertés,  les  jacobins  n'insistèrent  pas;  ils  recon- 
nurent aussitôt  qu'ils  avaient  affaire  à  trop  forte  partie. 
La  faiblesse  que  tant  de  gens  laissaient  paraître  en  leur 
présence,  les  rendait  audacieux;  une  courageuse  résis- 
tance les  intimida  plus  d'une  fois.  N'en  serait-il  point  de 
môme  encore  aujourd'hui  ? 

Ils  n'avaient  cependant  pas  renoncé  à  leur  détestable 
lossein.  Un  exécuteur  se  présente,  et  le  Christ  abattu  gît 
«ur  le  pavé  du  temple.  Recueilli  précieusement  et  conservé 
avec  som  par  des  personnes  que  la  piété  guidait,  il  reprit, 
quand  les  temps  furent  changés,  la  place  d'honneur  qui 

*  Les  traits  suivants  ont  été  communiqués  en  juillet  1875  à 
la  Semaine  religieuse  de  Bayeux,  par  M.  Mainfray,  curé  de  Beu- 
won.  Il  serait  bon  que  dans  chaque  paroisse  on  recueillit  des 
f_iL5  de  ce  gonro. 


DE  1789  A  1800.  225 

lui  appartenait;  et,  du  haut  de  l'arcade,  il  abaissa  de 
nouveau  un  regard  de  bonté  sur  la  foule  des  fidèles  assem- 
blés dans  le  lieu  saint.  —  Un  jour,  notre  brave  menuisier 
me  le  montrait  en  me  racontant  les  détails  qui  précèdent, 
et  il  me  disait  simplement,  avec  une  juste  fierté  :  «  C'est 
moi  qui  l'ai  remis  là.  »  Du  reste,  le  bon  serviteur  ne 
perdit  pas  sa  récompense.  Je  l'ai  assisté  à  ses  derniers 
moments;  je  l'ai  vu  sur  son  lit  de  mort,  porter  avec  con- 
fiance ses  yeux  attendris  sur  son  crucifix,  qu'il  tenait  entre 
SOS  mains  défaillantes,  le  poser  avec  amour  sur  son  cœur 
et  sur  ses  lèvres  livides  ;  je  l'ai  vu  mourir  calme  et  plein 
d'espoir,  muni  de  tous  les  secours  de  la  religion. 

Il  y  avait  en  outre  à  Beuvron  un  calvaire  érigé  par  la 
pieté  des  fidèles.  La  Révolution  passe  en  faisant  son  œuvre 
et  ce  calvaire  tombe  sous  ses  coups.  Alors  un  homme,  un 
serrurier  de  Beuvron,  nommé  Renaut,  détacha  le  Christ  de 
l'arbre  de  la  Croix,  non  pas  afin  de  le  dérober  aux  insultes 
de  la  populace,  mais  pour  l'outrager  et  le  mutiler;  il  lui 
brisa  les  jambes. 

L'auteur  de  ce  crime  reçut  aussi  sa  récompense.  Atteint 
d'un  mal  de  jambes  dont  il  ne  put  guérir,  il  eut  à  endurer, 
jusqu'à  la  fin  de  ses  jours,  de  cruelles  souff'rances,  des- 
tinées, ce  semble,  à  lui  rappeler  sans  cesse  l'action  sacri- 
lège qu'il  avait  commise. 

Plus  tard  Renaut  quitta  Beuvron  pour  aller  demeurer  h. 
Dives,  et,  sur  ses  vieux  ans,  ne  pouvant  plus  se  livrer  au 
travail  de  son  métier,  sa  seule  ressource,  il  se  trouva  sans 
moyens  d'existence;  et  alors  l'indigence  et  le  mépris  tom- 
bèrent sur  lui,  comme  un  double  fardeau,  pour  l'accabler 
dans  sa  vieillesse.  Dès  qu'il  paraissait  en  public  :  «  Voili 
le  vieux  révolutionnaire  (  »  s'écriait-on  de  toutes  p?.rtsJ 
Les  enfants  le  poursuivaient  de  leurs  huées  en  lui  jetant 
des  pierres;  et,  poussés  par  je  ne  sais  quel  instinct,  ilsj 

lu* 


226  LA   GRANDE  RévOLUTlON 

prenaient  d'usage  pour  point  de  mire  ses  jambes  ulc(^rées. 
Souvent  m'a-t-on  dit,  il  se  vit  obligé  de  recourir  à  l'inter- 
vention du  garde  champêtre  pour  échapper  à  leurs  pour- 
suites. 

Cependant,  la  charité  chrétienne,  qui  ne  connaît  point 
d'ennemis,  lui  vint  en  aide  dans  sa  détreâSô;  6t  Celui  qui, 
du  haut  de  la  croix,  demanda  le  pardon  dô  ses  bourreaux, 
lui  fit  part  aussi  de  ses  miséricordes.  La  grâce  enfin  toucha 
son  cœur,  et,  cédant  aux  conseils  des  personnes  bien- 
faisante.s  qui  le  visitaient  en  lui  apportant  des  secours, 
il  reprit  le  chemin  de  l'église,  qu'il  ne  connaissait  plus,  et 
mourut  en  chrétien, 

Malhcnr  des  profanatcnrs  ée  la  C'roix. 

Je  me  souviens  d'avoir  entendu,  dans  mon  enfance,  un 
bon  vieillard  de  Cléville,  très-digne  de  foi,  raconter  le  fait 
suivant,  dont  il  avait  été  lui-même  témoin,  je  le  pense.  Un 
calvaire  venait  d'être  abattu  par  une  troupe  de  révolution- 
naires armés,  qui  parcouraient  les  campagnes  en  répan- 
dant partout  la  terreur.  Détaché  de  l'arbre  et  gisant  sur  le 
sol,  le  Christ  était  en  butte  aux  outrages  de  ces  impies, 
tout  disposés  h  porter  leur  mains  criminelles  sur  l'image 
sacrée,  pour  la  mutiler  et  la  briser.  Après  qu'ils  eurent 
joui,  quelques  instants,  de  ce  spectacle  en  faisant  éclater 
leur  infâme  joie,  l'un  d'eux  reprend  la  hache  qui  avait 
servi  à  renverser  l'arbre  do  la  croix;  il  frappe  le  Christ, 
et  bientôt  les  coups  qu'il  lui  porte  ont  séparé  la  tête  du 
tronc.  A  la  vue  de  cette  horrible  exécution,  les  clameurs 
infernales  do  ces  forcenés  redoublent;  on  en  applaudit 
l'auteur;  on  proclame  sa  victoire,  mais  elle  fut  de  courte 
durée. 

Quelques  jours  après,  il  lui  fallut,  en  voyageant,  franchir 
«fi  écluiiiery  espèce  de  cloison  que  l'on  rencontre  souvent 


DE  1789  A  1800.  227 

dans  la  vallée  d'Auge,  Il  tombe  la  tête  en  avant,  et  sa 
chute  entraîne  la  fracture  ou  le  déplacement  d'une  ver- 
tèbre. Sa  tête  ne  fut  point  tranchée,  ainsi  que  l'avait  été 
celle  du  Christ  par  sa  hache;  mais  elle  resta  courbée  sur 
sa  poitrine,  sans  qu'il  fût  possible  de  lui  faire  reprendre  sa 
position  naturelle;  son  regard  ne  devait  plus  se  porter 
V5rs  le  Ciel,  qu'il  avait  tant  outragé.  Il  vécut  nombre  d'an- 
nées encore,  comme  pour  servir  d'exemple  aux  habitants 
du  pays  où  il  demeurait.  Plus  d'un  père,  plus  d'une  mère, 
en  le  montrant  à  leurs  enfants,  leur  firent  le  récit  de  son 
histoire.  Les  étrangers  qui  le  voyaient  pour  la  première 
fois,  demandaient  quelle  était  la  cause  de  cette  affreuse 
infirmité,  et  tous  frémissaient  en  entendant  raconter  le 
crime  dont  les  suites  avaient  été  et  étaient  encore  si  ter- 
ribles. 

Nos  révolutionnaires  ne  se  contentaient  par  de  déclarer 
la  guerre  aux  croix  et  aux  calvaires  érigés  sur  les  routes, 
comme  pour  indiquer  au  voyageur  le  vrai  terme  de  son 
pèlerinage;  ces  impies  pénétraient  dans  nos  temples  pour 
les  profaner,  et  rien  n'était  respecté  par  eux. 

L'un  de  ces  misérables,  je  l'ai  connu,  n'avait  rien  laissé 
d'intact  dans  l'église  de  son  village;  il  osait  s'en  glorifier, 
et  semblait  vouloir  que  la  postérité  apprît  jusqu'oii  l'avait 
poussé  son  aveugle  rage  contre  Dieu,  contre  son  Christ,  le 
jour  où  il  porta  la  désolation  dans  le  lieu  saint.  Les  vases 
et  les  ornements  sacrés,  le  sanctuaire  et  l'autel,  les  croix 
et  les  pieuses  images,  tout  fut  par  lui  pillé,  brisé,  livré 
aux  flammes.  Il  avait  enlevé  la  porte  du  tabernacle  et  il  la 
conservait.  Quel  usage  en  fit-il?....  A  l'impiété  ce  profa- 
nateur ajouta  la  plus  hideuse  indécence. 

La  tourmente  révolutionnaire  ne  devait  pas  durer  tou- 
jours, et  quand  enfin  le  calme  eut  succédé  h  la  tempête,  le 
vieux  jacobin  eut  à  subir  les  plus  dures  humiliations. 


828  LA  GRANDE  RéVOLUTIOK 

Pendant  le  reste  de  son'existence,  le  mépris  public  pesa 
sur  lui  comme  un  fardeau  accablant.  Tombé  dans  une  dé- 
mence absolue,  il  ne  se  livrait  plus  qu'à  des  actes  de  folie; 
et,  dans  les  accès  d'un  délire  fiévreux,  il  allait  jusqu'à 
manger  ses  propres  excréments,  sans  qu  on  pût  l'en  em- 
pêcher. Tous  se  rappelaient  alors  ce  qu'il  avait  fait  de  la 
porte  du  tabernacle  de  l'église  paroissiale,  et  l'on  disait 
hautement  que  la  main  de  Dieu  le  frappait  comme  il  l'avait 
mérité. 

£«•  croix  de  Herrey^Cholsenl  (Haute-Marne). 

Au  jnois  de  juillet  1874,  une  personne  que  j'eus  l'occa- 
sion de  rencontrer  me  parla  de  sa  mère,  qui  conservait, 
bien  que  centenaire  et  au-delà,  toute  son  intelligence. 
€  Elle  doit,  alors,  lui  dis-je,  se  rappeler  au  moins  quel- 
»  ques-uns  des  événements  de  93,  et  je  serais  heureux  si 
»  elle  voulait  bien  me  faire  connaître  les  faits  intéressants 
»  qui  ont  dû  se  passer  sous  ses  yeux. 

»  Dans  le  pays  de  ma  mère,  me  répondit  cette  personne, 
»  il  n'y  avait  point  de  révolutionnaires;  mais  à  plusieurs 
»  reprises,  il  en  vint  du  dehors,  et  ces  étrangers  seuls 
»  furent  cause  des  malheurs  qu'on  y  éprouva.  L'unique 
>  événement  notable  que  ma  mère  m'ait  raconté,  est  la 
»  destruction  d'une  croix,  accompagnée  de  circonstances 
»  assez  frappantes  pour  que  je  ne  les  aie  pas  oubliées.  » 
Et  aussitôt  elle  me  fit  part  de  ses  souvenirs. 

Depuis  cette  époque,  je  lui  ai  écrit  en  la  priant  de  vou- 
loir bien  me  donner  à  ce  sujet  tous  les  renseignements 
qu'il  lui  serait  possible  de  ce  procurer,  et  voici  la  réponse 
qu'elle  m'a  transmise,  après  s'être  elle-même  renseignée 
auprès  de  sa  mère,  présentement  âgée  de  cent  un  ans  et 
huit  mois. 

t  En  1793,  les  tyrans  de  la  France  envoyèrent  des  com- 
»  missaires  dans  tous   les  districts  du  département  de 


DE  1789  A  1800.  229 

»  la  Haute-Marne,  pour  fermer  les  églises,  exiger  le  ser- 
■  ment  des  prêtres,  et  abattre  les  croix  et  les  images. 

>  Dans  le  Bassigny,  les  villages  sont  très-rapprochés,  au 
»  point  que  Merrey,  pays  de  ma  mère,  et  Ghoiseul,  pays 
»  de  mon  père,  ne  sont  distants  l'un  de  l'autre  que  d'un 

>  quart  de  lieue. 

»  En  cette  contrée,  des  croix  étaient  érigées,  sur  les 
»  chemins,  à  tous  les  carrefours  ;  entre  Ghoiseul  et  Merry, 

>  il  y  en  avait  une  remarquable  par  sa  beauté  et  par  la 
»  sculpture  de  son  Christ.  » 

Ce  pieux  monument  fut  un  appât  pour  les  agents  révo- 
lutionnaires, dès  qu'ils  connurent  son  existence.  Aussi,  un 
commissaire  arriva  bientôt  à  Choiseul,  et  il  somma  les 
habitants  de  l'abattre;  mais  il  ne  trouva  pas  un  seul 
homme  du  pays  capable  d'une  telle  impiété.  Alors  il 
essaie  de  les  séduire  par  des  offres  d'argent;  puis  il 
cherche  à  les  intimider  en  déclarant  qu'il  va  tout  incendier, 
s'il  n'est  pas  obéi.  Mais  promesses  et  menaces  tout  est 
inutile,  et  le  forcené  s'éloigne  sans  avoir  exécuté  son  in- 
fâme dessein. 

Quinze  jours  plus  tard  il  revient,  escorté  d'une  troupe  de 
soldats  et  d'un  ancien  habitant  de  Choiseul,  appelé  Cham- 
pion. Celui-ci  avait  quitté  le  pays  depuis  longtemps,  et 
perdu,  dans  de  mauvaises  fréquentations,  les  principes 
qu'on  lui  avait  inculqués  dans  son  jeune  âge.  Il  conduisit 
les  soldats  dans  tous  les  endroits  du  pays  où  des  croix 
étaient  érigées,  se  faisant,  comme  Judas,  le  guide  des 
ennemis  du  Christ  pour  le  livrer  en  leurs  mains.  Rien  ne 
put  échapper  à  leurs  recherches;  tout  fut  renversé, 
détruit. 

Ils  arrivent  enfin  à  la  belle  croix  de  Merrey-Choiseul; 
elle  doit  tomber  aussi  sous  leurs  coups,  t  Je  m'en  charge, 
»  s'écria  Champion;  je  vais  faire  l'aflaire  moi-même;  »  et 
aussitôt  il  se  met  à  l'œuvre. 


230  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

Effray^f^  par  la  prôsoncc  des  soldats  en  armes,  la  popu- 
lation n'avait  osé  d'abord  opposer  aucune  résistance.  Mais 
quand  on  vit  Champion  se  placer,  une  hache  à  la  main, 
sur  les  bras  de  la  croix  où  il  était  monté,  et  frapper  le 
Christ  pour  en  couper  la  tête,  une  clameur  effrayante 
éclata  parmi  la  foule,  décidée  à  mourir  pour  sauver  l'image 
de  son  Dieu.  Tous,  hommes,  femmes,  enfants  se  préci- 
pitent sur  les  soldats,  et  une  lutte  acharnée  s'engage.  Mais, 
hélas  I  que  pouvaient  ces  pauvres  gens  sans  armes  contre 
une  troupe  d'hommes  armés?  Il  y  eut  plusieurs  blessés; 
mais  personne  ne  fut  atteint  mortellement. 

Au  milieu  de  ce  tumulte,  une  voix  menaçante  se  fait  en- 
tendre; c'était  celle  d'une  femme  très-âgée.  Elle  s'écrie, 
en  s'adressant  h  Champion  :  «  Misérable  f  Dieu  te  punira. 
»  Tu  auras  la  tête  coupée  dans  quinze  jours,  aussi  vrai  que 
>  le  bon  Dieu  va  m'appeler  à  lui.  » 

A  l'instant  même,  la  bonne  vieille,  baignée  de  larmes, 
chancelé  et  tombe,  comme  si  la  foudre  l'eût  frappée.  On 
se  presse  autour  d'elle  ;  on  la  relève  ;  elle  avait  cessé  de 
vivre.  D'où  lui  était  venu  ce  pressentiment  d'une  fm  si 
prochaine?  s'était-elle  sentie  tout-à-coup  défaillir  et  près 
de  succomber,  ou  plutôt  n'était-ce  pas  une  inspiration  que 
le  Ciel  lui  avait  envoyée?  C'est  ce  qui  me  paraît  le  plus 
croyable.  Peut-être  avait-elle  conjuré  le  Très-Haut  de  la 
retirer  de  ce  monde,  et  de  ne  point  l'y  laisser  pour  être 
témoin  des  abominations  qui  se  passaient  alors;  et  sa 
prière  avait  été  exaucée. 

A  la  vue  de  cette  femme  expirante,  tous  sont  frappés 
d'étonnement  et  d'effroi.  Du  haut  de  la  croix,  où  il  était 
monté,  Champion  voit  ce  spectacle,  et  la  pour  le  saisit. 
Une  partie  de  la  prédiction  qu'il  avait  entendue  venait  de 
s'accomplir  sous  ses  yeux  ;  ce  qui  le  concernait  ne  dovait- 
il  point  aussi  s'accomplir?  Cette  idée,  n'en  doutons  pas, 
jette  l'épouvante  en  son  âme.  Il  descend  de  la  croix  et  re- 


DE  1789  A  1800.  231 

nonce  h  l'œuvre  de  destruction  qu'il  avait  commencée.  En 
vain  le  commissaire  le  raille  de  sa  faiblesse  et  veut  le  con- 
traindre h  reprendre  son  travail  sacrilège;  soit  crainte, 
soit  repentir,  Champion  persiste  dans  son  refus. 

Alors  ce  commissaire  s'adressant  aux  soldats  :  «  Finis- 
sons-en, leur  dit-il,  avec  cette  croix.  Il  leur  commande 
de  l'abattre,  et  pour  les  rassurer  en  donnant  l'exemple, 
lui-même  il  brise  un  bras  et  une  jambe  du  Christ  et  les 
met  en  morceaux. 

Les  hommes  de  l'escorte  exécutent,  avec  une  répugnance 
visible,  l'ordre  qui  leur  est  donné.  Des  cordés  son  atta- 
chées à  la  colonne  pour  l'abattre,  et  le  commissaire, 
debout  du  côté  opposé  à  celui  oi!i  devait  tomber  la  croix, 
harangue  ses  agents  et  les  encourage,  en  vomissant  les 
plus  horribles  blasphèmes. 

Ceux-ci  donnent  une  forte  secousse,  puia  ils  s'arrêtent, 
afin  de  reprendre  haleine  et  d'achever,  par  un  dernier 
effort,  la  ruine  de  monument.  Pendant  ce  temps,  la  co- 
lonne, ébranlée,  tombe  d'elle-même,  mais  non  du  côté  des 
hommes  qui  la  tiraient  à  eux;  elle  va,  en  efîet,  s'abattre 
sur  le  commissaire,  en  lui  écrasant  le  bras  droit  et  la 
jambe  droite,  précisément  les  mêmes  membres  qu'il  venait 
de  broyer  au  Christ. 

Tout  était  consommé,  pouvons-nous  dire  avec  le  Sau- 
veur expirant.  Les  soldats  abandonnent  le  commissaire 
et  s'enfuient.  Plus  d'un,  peut-être,  se  frappa  la  poitrine 
en  disant  :  Celui  que  nous  persécutons  est  vraiment  le  Fils 
de  Dieu. 

La  personne  dont  je  tiens  ces  détails  ajoute  :  «  Le  com- 
»  missaire  blessé  fut  recueilli  par  ma  bonne  grand'mère. 
»  Le  curé  de  la  paroisse  se  tenait  caché  chez  elle,  et  il  eut 
»  le  bonheur  de  convertir  ce  malheureux,  qui  vécut  encore 
»  quinze  jours  au  milieu  d'atroces  souffrances.  » 

Et  Champion  que  devint-il?  quelle  fut  sa  fm?  Peu  de 


232  LA   GRANDE   REVOLUTION 

temps  après  les  événements  que  je  viens  de  raconter,  il  se 
trouvait  dans  un  moulin  du  voisinage,  on  ne  sait  pour  quel 
motif.  Tout-à-coup  le  moulin  s'arrête.  Le  meunier  se  lève 
pour  connaître  la  cause  de  l'accident,  et  il  aperçoit  le 
corps  d'un  homme  prit  entre  la  grande  roue  et  le  mur 
d'appui.  On  le  dégage,  on  le  retire  :  c'était  Champion;  les 
assistants  frissonnèrent  en  voyant  qu'il  ne  restait  plus  de 
lui  qu'un  tronc  informe.  Suivant  l'arrêt  qu'avait  entendu 
le  coupable,  sa  tête  fut  tranchée  ou  broyée  par  la  roue  du 
moulin. 

«  Après  ces  exemples  si  frappants  des  punitions  que  le 
»  Ciel  inflige  à  l'impiété,  la  crainte  de  Dieu,  m'a-t-on  dit, 
»  fut  plus  grande  que  jamais.  Tous  les  prêtres  restèrent 
»  cachés  dans  le  pays,  sans  que  personne  osât  les  dé- 
>  noncer.  Un  seul  homme  périt  sur  l'échafaud;  deux  prê- 
»  1res  eurent  la  faiblesse  de  prêter  serment;  jamais  ils 
»  n'ont  trouvé  grâce  aux  yeux  des  habitants  de  la  con- 
»  trée.  » 

Ces  faits  m'ont  été  transmis  par  une  personne  digne  de 
toute  confiance,  et  avant  de  m'en  envoyer  la  relation,  elle 
a  voulu,  comme  je  l'ai  dit,  que  sa  vénérable  mère,  témoin 
des  événements,  lui  en  affirmât  de  nouveau  l'exactitude. 

La  s<atae  de  saint  Thibaut,  à  Clerniont,  profhnce. 

Ce  n'était  pas  seulement  les  croix  et  l'image  du  Sauveur 
expirant  que  nos  révolutionnaires  voulaient  faire  dispa- 
raître. Tout  ce  qui  rappelait  une  idée  religieuse  leur  por- 
tait ombrage,  et  les  images  des  saints,  et  les  statues  ex- 
posées en  divers  lieux  k  la  vénération  des  fidèles,  hors  de 
l'enceinte  de  nos  temples,  étaient  l'objet  de  leurs  insultes, 
et  leurs  mains  sacrilèges  s'étendaient  sur  ces  pieux  sym- 
boles pour  les  renverser  et  les  briser. 

C'est  ce  qui  arriva  notamment  à  Clerraont,   ancienne 


DE  1789  A  1800.  233 

paroisse  supprimée  et  réunie  à  Beuvron.  Non  loin  de  l'é- 
glise, que  les  habitants  conservent  avec  un  zèle  digne 
d'éloge,  se  trouve  une  source  dont  les  eaux  intarissables 
coulent  dans  toutes  les  saisons  de  l'année.  Dans  le  pays 
cette  source  porte  le  nom  de  Saint-Thibaut,  le  patron  de  la 
paroisse;  et  de  nombreux  pèlerins  viennent  y  puiser  une 
eau  limpide,  à  laquelle  ils  attribuent  la  vertu  de  guérir  de 
la  fièvre.  Quelle  est  l'origine  de  cette  croyance?  Je  l'i- 
gnore :  mais  elle  est  fortement  enracinée  dans  les  esprits. 

Avant  93,  une  statue  de  saint  Thibaut  fut  placée  d'abord 
dans  une  petite  chapelle,  puis  attachée  à  un  arbre,  dont 
les  rameaux  ombragent  encore  aujourd'hui  la  fontaine. 

Un  jacobin  furieux  vint  un  jour  à  passer  près  de  ce  lieu, 
ou  s'y  rendit  à  dessein,  pour  exécuter  un  projet  impie. 
La  statue  était  jusqu'alors  restée  intacte  à  l'endroit  où 
tant  de  fidèles  aimaient  à  venir  la  vénérer,  cherchant  un 
remède  au  mal  dont  il  souffraient.  Notre  révolutionnaire 
devait  la  faire  disparaître.  —  Les  hommes  de  93  ne  se 
prosternaient  pas,  eux,  devant  les  statues  des  saints,  c'est- 
à-dire  des  pieux  personnages,  qui,  depuis  les  premiers 
siècles,  avaient  illustré  la  France,  ou  les  autres  contrées, 
par  l'éclat  de  leurs  vertus.  Revenus  aux  pratiques  mons- 
trueuses d'un  paganisme  insensé,  ils  adoraient,  placée  sur 
leurs  autels  immondes,  leur  infâme  déesse  ou  l'arbre  que 
leurs  mains  avaient  planté  en  signe,  disaient-ils,  de  la 
liberté  conquise.  Le  jacobin  saisit  donc  la  statue  de  saint 
Thibaut,  l'enlève  de  la  place  qu'elle  occupait,  et  la  brise 
en  vomissant  des  blasphèmes,  en  insultant  à  la  confiance 
des  personnes  qui  venaient  puiser  l'eau  de  la  fontaine.  Il 
avait  fait  justice  de  leurs  puériles  superstitions,  disait-il  ; 
mais  la  justice  divine  ne  tarda  pas  à  l'atteindre  et  à  le 
frapper. 

Bientôt  il  ressentit  les  premiers  symptômes  d'une  fièvre 
violente,  et  le  mal  s'aggrava  à  un  tel  point  que  les  re- 


234  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

m^cles  auxquels  il  eut  recours  ne  lui  procuraient  aucun 
soulagement  ;  les  médecins  épuisèrent  sans  succès,  on  sa 
faveur,  toutes  les  ressources  de  leur  art,  tant  la  main  de 
Dieu  s'était  appesantie  sur  lui. 

Ce  récit  m'est  venu  de  plusieurs  personnes  qui  le  tien- 
nent elles-mêmes  de  leurs  ancêtres,  témoins  des  faits  que 
je  rapporte. 

La  maladie  de  cet  homme  le  conduisit-elle  au  tombeau? 
Quelques-uns  me  l'ont  affirmé,  s'appuyant  sur  leurs  sou- 
venirs. D'autres  m'ont  dit  qu'il  recouvra  la  santé,  après 
avoir  fait  vœu  de  donner  h  Clermont  une  nouvelle  statue 
de  saint  Thibaut.  Il  y  a  donc,  sur  ce  point,  deux  versions 
différentes;  mais  les  témoignages  sont  unanimes  et  sur 
l'acte  d'impiété  commis  à  Clermont,  et  sur  le  châtiment 
qui  le  suivit. 

L'an  dernier,  quand  cette  profanation  me  fut  racontée, 
j'appris  en  même  temps  que,  pour  en  conserver  le  sou- 
venir, les  morceaux  de  la  statue  avaient  été  laissés  au  pied 
d'un  arbre  voisin  de  la  fontaine.  Personne,  d'ailleurs, 
n'eût  osé  les  enlever;  aux  yeux  de  tous,  c'eût  été  se  rendre 
complice  du  crime  commis  par  le  profanateur.  Voulant 
vérifier  par  moi-même  l'exactitude  des  récits,  je  me  rendis 
sur  les  lieux,  et  au  milieu  d'un  monceau  de  décombres 
entassés  au  pied  de  l'arbre,  je  découvris  deux  morceaux 
de  pierre,  dont  la  forme  et  les  sculptures  indiquaient 
d'une  manière  certaine  les  débris  d'une  statue. 

Quelques  jours  plus  tard,  le  P.  Rabot,  missionnaire,  à 
la  Délivrance,  étant  venu  prêcher,  h  Beuvron,  une  retraite 
de  première  communion,  nous  gravîmes  ensemble  les 
coteaux  de  Clermont,  et  nous  portâmes  à  l'église,  pour  y 
être  conservés  décemment,  les  deux  fragments  de  statue 
auxquels  se  rattachent  les  souvenirs  conservés  par  la  tra- 
dition du  pays.  Une  inscription  fera  connaître  leur  origine, 
et  rappellera  les  faits  que  je  viens  de  raconter. 


DE  1789  A  1800.  Î35 


Un   briseur   de   Croix. 


Un  saint  missionnaire,  le  P.  Yarin,  visitait  un  hôpital. 
On  lui  parla  d'un  soldat,  dont  la  vie  paraissait  un  prodige 
dans  l'état  de  mutilation  où  il  se  trouvait.  Il  eut  la  curio- 
sité de  le  voir.  Il  s'approcrie;  iî  aperçoit  un  homme  dont 
la  figure  portait  l'empreinte  d'un  grand  calme.  «  Mon 
ami,  lui  dit-il,  on  m'a  dit  que  vos  blessures  étaient  très- 
graves.  »  Le  malade  sourit.  «  —  Monsieur,  répondit-il, 
levez  un  peu  la  couverture.  »  Il  la  lève,  et  recule,  en 
voyant  que  cet  infortuné  n'a  plus  de  bras.  i  Quoi  I  lui  dit 
alors  le  blessé,  vous  reculez  pour  si  peu  de  chose  ?  Levez 
la  couverture  aux  pieds.  »  Il  la  lève,  et  il  voit  qu'il  n'a 
plus  de  jambes.  «  —  Ah  f  mon  enfant,  s'écrie  le  chari- 
table prêtre,  combien  je  vous  plains  !  —  Non,  répond  le 
malade,  ne  me  plaignez  pas,  mon  Père:  je  n'ai  que  ce 
que  je  mérite  :  c'est  ainsi  que  j'ai  traité  un  crucifix.  Je  me 
rendais  à  l'armée  avec  mes  camarades.  Nous  rencontrâmes 
sur  la  route  une  croix  qui  avait  échappé  à  la  fureur  des 
patriotes  :  aussitôt  on  se  mit  en  devoir  de  l'abattre.  Je  fus 
un  des  plus  empressés;  je  montai,  et,  avec  mon  sabre,  je 
brisai  les  bras  et  les  jambes  du  crucifix,  et  il  tomba.  A 
mon  arrivée  au  camp,  on  livra  bataille,  et,  à  la  première 
décharge,  je  fus  réduit  à  l'état  oîi  vous  me  voyez.  Mais 
Dieu  soit  béni  t  il  punit  mon  sacrilège  dans  ce  monde  pour 
m'épargner  en  l'autre,  comme  je  l'espère  de  sa  grande 
miséricorde.  » 


236  LA  CnANDE   nÉVOLUTION 


CHAPITRE  V. 

C'tATlMENTS  DES  OUTRAGES  FAITS  AUX  PRÊTRES. 


Le  tonnerre,    ministre  de   la  Jastice  de  Dlca. 

Le  Seigneur  ne  cesse,  dans  la  sainte  Écriture,  de  nous 
recommander  le  respect  que  nous  devons  aux  prêtres, 
revêtus  d'un  caractère  sacré. 

Nous  voyons  dans  l'Ancien  Testament  les  punitions 
qu'il  fit  subir  à  ceux  qui  outrageaient  les  prophètes. 
L'histoire  ecclésiastique  est  pleine  des  exemples  de  ce 
genre. 

Dans  une  paroisse  du  diocèse  de  Besançon,  à  quelques 
lieues  de  cette  ville,  il  arriva  un  événement  surprenant, 
qui  fut  regardé  comme  un  coup  du  ciel  pour  inspirer  le 
respect  dû  aux  pasteurs.  Deux  libertins  scandalisaient  la 
paroisse  par  leurs  désordres  :  le  curé,  en  étant  informé, 
en  avertit  leurs  pères,  qui  reçurent  mal  l'avis  de  leur 
pasteur.  L'un  d'eux  eut  l'insolence  de  lui  répondre  : 

—  Monsieur  le  curé,  mêlez-vous  de  dire  votre  Bréviaire, 
et  ne  vous  occupez  point  de  ce  qui  se  fait  chez  moi  :  il 
faut  bien  que  jeunesse  se  passe. 

—  Si  je  vous  avertis  des  désordres  de  votre  famille,  lui  dit 
le  curé,  c'est  que  mon  devoir  m'y  oblige.  Je  suis  chargé 
de  l'âme  de  votre  fils  aussi  bien  que  de  la  vôtre,  et  par  con- 
séquent je  dois  veiller  sur  sa  conduite  et  vous  avertir.  Je 


DE  1789  A  1800.  237 

vous  parle  en  pasteur,  et  vous  ne  me  parlez  pas  en  chré- 
tien; prenez  garde  que  Dieu  ne  vous  punisse,  ainsi  que 
vos  enfants,  dont  vous  autorisez  les  désordres 

Cet  homme,  loin  de  profiter  de  l'avis  de  son  pasteur, 
publia  dans  la  paroisse  qu'il  avait  si  bien  dit  son  fait  au 
curé  qu'il  ne  s'aviserait  plus  de  lui  faire  des  réprimandes. 
C'était  un  samedi,  et  comme  la  chose  devenait  publique, 
le  curé  crut  qu'il  était  de  la  prudence  de  donner  le  len- 
demain au  prône  un  avis  à  ce  sujet.  Il  le  fit  avec  beaucoup 
de  modération,  et  dit  dans  son  instruction  qu'il  estimait 
tous  ses  paroissiens;  que  lorsqu'il  était  obligé  de  leur 
donner  quelques  avis  en  public  ou  en  particulier,  il  les 
priait  de  croire  que  ce  n'était  point  pour  leur  faire  de  la 
peine,  mais  par  charité  et  pour  leur  salut:  qu'au  reste, 
quand  on  méprisait  les  avis  d'un  pasteur,  Dieu  en  était 
très-offensé  et  punissait  de  tels  mépris. 

Après  la  grand'messe,  celui  qui  la  veille  avait  si  mal 
reçu  les  avis  de  son  pasteur  recommença  ses  invectives, 
disant  que  les  prêtres  n'avaient  que  des  reproches  à  faire, 
mais  qu'il  s'en  moquait.  Les  deux  libertins  passèrent  le 
reste  du  jour  au  cabaret,  du  consentement  de  leurs  pères; 
et,  pour^braver  le  curé,  ils  firent  plus  de  scandales  que  les 
autres  fois;  mais  Dieu  mit  fin  à  leur  vie  criminelle  par  un 
châtiment  bien  exemplaire  : 

Le  lendemain,  le  ciel  menaçait  d'un  orage.  Ces  deux 
libertins,  avec  deux  autres  garçons  qui  étaient  très-sages, 
coururent  à  la  tour  de  l'église  pour  sonner  les  cloches;  il 
y  eut  dans- le  moment  un  si  grand  coup  de  tonnerre  que 
ces  quatre  jeames  gens,  saisis  de  frayeur,  descendirent 
promptcment-pom*  se  sauver.  Dans  le  temps  qu'ils  descen- 
daient le  tonnerre  tua  les  deux  libertins,  mais  d'une  ma- 
nière qui  fit  conaprendre  que  c'était  un  châtiment  de  Dieu, 
et  voici  comment  : 

Le^ORûei-re-en^tûmbant,- après  avoir  fait  plusieurs  cir- 


238  LA  GRANDE   RBVOLUTtON 

cuits  dans  la  tour,  suivit  les  quatre  jeunes  hommes  le 
long  de  l'escalier;  il  épargna  le  premier,  qui  était  sage, 
et  écrasa  le  second,  qui  était  un  des  libertins;  il  ne  lit 
aucun  mal  au  troisième,  et  vint  enfin  frapper  le  quatrième, 
qui  était  l'autre  libertin,  et  le  tua.  Ensuite  le  tonnerre 
entra  dans  l'église,  où  était  la  mère  d'un  de  ces  libertms; 
il  enleva  cette  femme,  la  jeta  contre  les  murs,  et  ne  fit 
aucun  mal  aux  autres  personnes  qui  se  trouvaient  dans  le 
lieu  saint.  A  la  vue  d'un  accident  si  extraordinaire,  on 
reconnut  la  justice  de  Dieu,  et  les  parents  de  ces  libertins 
vinrent,  fondant  en  larmes,  demander  pardon  à  leur 
pasteur.  (Instrudion  des  jeunes  gens,) 

lia  rcvolu(tonnalr«  mort  en  lilaspliéniant» 

Voici  un  trait  raconté  par  h  vicomte  Walsh  dans  ses 
Lettres  vendéennes  : 

«  A  l'époque  de  la  Révolution,  à  Rennes,  comme 
partout,  les  victimes  vouées  à  la  mort  étaient  en  grand 
nombre.  La  guillotine  n'allait  pas  assez  vite;  on  recruta 
des  bourreaux.  Des  enfants  de  douze  à  quinze  ans  furent 
choisis.  On  leur  remit  des  fusils,  on  leur  amena  des  pri- 
sonniers royalistes,  et  on  leur  dit  :  Essayez-vous.  Ces  petits 
malheureux  étaient  obligés  d'obéir;  ils  tiraient  en  pleu- 
rant et  en  détournant  la  tête.  Les  condamnés  en  souf- 
fraient davantage,  et  les  hommes  de  sang  s'applaudis- 
saient à  la  fois  d'ajouter  aux  souffrances  des  victimes  et 
d'enseigner  ainsi  la  cruauté  à  l'enfance  qu'ils  enrégimen- 
taient pour  donner  la  mort.  A  ce  bataillon  d'élèves  bour- 
reaux la  Commune  remit  un  drapeau  avec  cette  devise; 
Espoir  de  la  patrie  I 

»  Parmi  ceux  qui  avaient  imaginé  de  former  ce  ba- 
taillon, il  faut  compter  le  trop  fameux  N...,  mort  dans 
ice  finale  il  y  a  quelques  années.  Avant  la  Révo- 


DE  1789  A  1800.  239 

lution,  N...  avait  été  destiné  îi  l'état  ecclésiastique;  il  avait 
étudié  au  séminaire  en  même  temps  que  l'abbé  de  *",  et 
avant  que  les  différences  d'opinions  fussent  venues  tout 
diviser,  une  amitié  d'écoliers  existait  entre  eux.  En  en- 
trant dans  le  monde,  ils  ne  suivirent  point  la  même  route  : 
N...  parvint  au  pouvoir,  et  son  ancien  ami,  resté  fidèle  à 
sa  vocation,  exerçant  dans  les  campagnes  son  saint  minis- 
tère, fut  bientôt  proscrit.  Pour  se  cacher,  il  fut  obligé  de 
venir  à  Rennes.  De  nobles  et  pieuses  personnes,  M""  de 
Renac,  offrirent  un  asile  au  prêtre  persécuté.  Elles  avaient 
dans  leur  hôtel  une  cache  précieuse,  ignorée  de  tout  le 
monde  :  l'abbé  de  "*  y  fut  introduit.  Le  zèle,  les  soins  tou- 
chants de  M"^^  de  Renac,  et  surtout  l'espoir  de  se  sauver, 
lui  faisaient  chérir  son  obscure  prison.  Au  milieu  de  la 
nuit,  il  sortait  quelquefois,  et  bénissait  Dieu  en  se  trou- 
vant encore  au  milieu  d'une  famille  fidèle. 

»  Les  parents  de  M""  de  Renac  avaient  déjà  rendu  quel- 
ques services  à  N...  Malgré  ses  déplorables  écarts  et  sa 
condaiie  révolutionnaire,  il  semblait  en  avoir  conservé  le 
souvenir  et  en  être  reconnaissant.  Devenu  influent  parmi 
ceux  qui  gouvernaient  alors,  il  avait  laissé  à  ces  jeunes 
personnes,  dont  la  pensée  lui  était  connue,  une  entière 
liberté.  Il  allait  même  quelquefois  chez  elles,  et  dans 
ses  entretiens  affectait  une  espèce  de  bonhomie  et  de 
franchise.  Souvent,  en  causant  avec  elles,  il  avait  prononcé 
le  nom  de  l'abbé  de  ***,  en  témoignant  le  désir  de  le 
trouver  pour  lui  être  utile  ;  il  assurait  que  son  plus  grand 
bonheur  serait  de  prouver  à  son  ancien  ami  que  ses  opi- 
nions avaient  pu  changer,  mais  que  son  cœur  était  tou- 
jours resté  le  môme.  Plus  d'une  fois.  M""  de  Renac  furent 
au  moment  de  découvrir  à  N...  la  retraite  du  prêtre;  une 
sage  prudence  les  retint.  Un  soir,  N...  arrive  chez  elles 
plus  tard  que  de  coutume;  on  faisait  quelques  difficultés 
pour  le  recevoir,  il  insista. 


240  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

»  —  Je  ne  m'excuse  point,  dit-il,  en  entrant,  si  je  force 
votre  porte;  il  y  va  de  votre  sûreté.  Je  sors  d'une  assem- 
blée de  la  commune  ;  vous  y  êtes  dénoncées  par  le  comité 
de  salut  public  comme  recelant  un  prêtre  dans  votre  hôtel. 
On  désigne  même  l'abbé  de  *".  J'ai  soutenu  le  contraire. 

»  L'aînée  des  demoiselles  de  Renac  l'interrompit;  elle 
craignait  que  la  frayeur  ne  fit  parler  ses  sœurs. 

»  —  Vous  nous  rendez  justice,  lui  répondit-elle  avec 
assez  de  sang-froid  ;  nous  sommes  innocentes. 

»  —  Je  le  crois,  repartit  le  républicain  ;  mais  je  n'ai  pu 
réussir  à  faire  passer  cette  conviction  dans  le  comité.  Il  a 
été  résolu  que  cette  nuit  même  il  serait  fait  chez  vous  une 
visite  domiciliaire. 

»  —  0  ciel  I  s'écria  avec  terreur  une  des  jeunes  per- 
sonnes, qu'allons-nous  devenir  ? 

»  —  Que  crains-tu  ?  lui  dit  sa  sœur  ;  la  visite  prouvera 
que  nous  sommes  innocentes. 

»  En  parlant  ainsi,  elle  vit  les  regards  de  N...;  ils 
étaient  fixés  sur  elle,  et  semblaient  vouloir  pénétrer  dans 
son  âme.  Un  grand  trouble  s'y  éleva;  elle  sentit  la  rou- 
geur s'étendre  sur  son  front,  et  un  tremblement  la  saisit. 
L'homme  de  la  Révolution  avait  deviné  ce  qui  se  passait 
au  dedans  d'elle  ;  il  se  leva  en  s'écriant  : 

»  —  Celui  que  l'on  cherche  est  ici.  Vous  ne  savez  pas 
feindre  ;  le  cri  de  votre  sœur,  votre  propre  embarras  vous 
ont  trahie.  Je  serai  assez  heureux  pour  pouvoir  sauver 
mon  premier  ami;  vous  vous  joindrez  à  moi  pour  l'arra- 
cher h  la  mort. 

»  —  Ah  !  pour  l'empêcher  de  mourir,  que  pouvons-nous 
faire  ?  demandèrent  en  même  temps  M""  de  Renac. 

»  —  Me  montrer  l'endroit  où  il  est  caché,  répliqua-t-il 
avec  des  yeux  brillants  de  joie.  Hâtez-vous  de  le  faire  sor- 
tir, allons  le  délivrer,  et,  sans  perdre  un  instant,  je  lui 
fournirai  les  moyens  de  s'évader  de  Rennes.  Il  se  rendra  à 


DE  1789  A  1800.  241 

ma. maison  de  campagne;  là,  il  ne  sera  point  recherché. 
Vous  le  savez,  je  ne  suis  point  suspect.  Cette  nuit,  on  vien- 
dra visiter  votre  hôtel;  mais  alors  celui  qu'on  cherchera 
sera  en  sûreté,  et,  hors  de  tout  danger,  il  nous  bénira 
tous. 

,  —  Oui,  oui,  il  nous  bénira;  nous  vous  bénirons  aussi, 
s'écria  M"'  de  Renac.  Venez^  vous  avez  vaincu  mes  craintes 
et  mes  incertitudes.  C'est  ici  qu'est  caché  votre  ami.  De  sa 
retraite  il  a  pu  nous  entendre. 

»  En  prononçant  ses  paroles,  la  pieuse  et  confiante 
demoiselle  ouvrait  la  porte  secrète.  Le  prêtre  s'en  élança, 
il  avait  tout  entendu  à  travers  la  cloison.  Il  se  jeta  dans 
les  bras  de  son  ancien  compagnon  de  séminaire.  Il  ne 
pouvait  parler,  il  pleurait  de  joie.  Le  révolutionnaire  le 
retenait,  le  serrait  sur  son  sein.  Ce  n'était  pas  un  ami  qui 
embrassait  son  ami,  c'était  le  tigre  qui  tenait  sa  proie. 

»  --  A  moi  !  à  moi  !  cria-t-il  d'une  voix  terrible;  il  est 
en  noire  pouvoir  ;  il  n'échappera  pas  plus  que  les  femmes 
qui  voulaient  le  dérober  à  la  vengeance  nationale. 

»  —  Sauvez-vous  t  dit  le  vieux  prêtre  à  M""  de  Renac; 
peut-être  pouvez-vous  fuir  encore. 

»  —  Non  I  non  I 

»  C'était  en  vain  :  des  gendarmes  et  des  soldats  se  pré- 
cipitent dans  la  chambre;  ils  entraînent  le  vieillard  et  les 
malheureuses,  que  trop  de  confiance  a  perdues.  Elles  pas- 
sèrent la  nuit  dans  les  cachots,  et  le  lendemain  elles  re- 
virent le  ministre  de  Dieu  ;  il  les  précédait  de  quelques 
pas  en  marchant  à  la  mort.  Arrivé  au  pied  de  l'échafaud, 
il  se  retourna  vers  celles  qui  allaient  mourir  pour  avoir 
voulu  le  sauver. 

»  —  Je  vous  bénis,  leur  dit-il  ;  ma  dernière  prière  est 
pour  vous.  0  Dieu  1  donnez-leur  la  force  des  martyrs  I 

»  —  Sa  prière  fut  entendue.  Elles  moururent  sans  fai- 

41 


242  LA   GR.VNDE   RÉVOLUTION 

blesso,  et  suivirent  de  près  dans  le  ciel  le  saint  qu'elles 
avaient  voulu  sauver  sur  la  terre, 

•  La  conduite  de  N...  excita  l'horreur  parmi  les  révolu» 
tionnaires;  tant  de  perfidie  jointe  à  tant  de  cruauté  en 
avait  fait  un  monstre,  même  parmi  les  monstres.  11  élail 
reconnu  maintenant  qu'il  n'avait  entretenu  des  relations 
avec  la  famille  de  son  ancien  bienfaiteur  que  pour  décou- 
vrir son  secret  et  la  conduire  à  l'échafaud. 

»  Le  temps  vint  ôter  le  pouvoir  aux  terroristes  et  effaça 
peu  à  peu  les  traces  de  sang,  mais  ne  put  diminuer  l'hoi^ 
reur  qu'inspirait  le  vieux  jacobin.  Dans  les  rues  on  le 
montrait  au  doigt,  les  femmes  se  détournaient  de  son  pas- 
sage, et  bientôt  une  honte  sans  repentir  le  retint  chez  lui 
pendant  le  jour;  quand  venait  la  nuit  il  se  hasardait  îi 
prendre  l'air.  On  le  voyait  quelquefois  se  promener  dans 
les  lieux  les  moins  fréquentés.  Quelque  chose  d'inquiet  se 
faisait  remarquer  dans  sa  démarche  :  au  moindre  bruit,  il 
tressaillait  et  s'arrêtait  tout-k-coup.  Un  soir,  roulant  dans 
la  noirceur  de  son  âme  le  souvenir  de  ses  crimes,  il  mar- 
chait au  hasard;  il  était  arrivé  sur  la  promenade  de  la 
Motte  :  c'est  sur  cette  place  circulaire  que  se  trouve  l'hôtel 
de  Renac.  Le  silence  régnait  autour  de  lui;  il  jouissait 
d'être  seul.  «  Personne  ne  me  voit,  se  disait-il,  personne 
»  ne  me  maudit.  » 

»  Subitement  une  voix  perçante  prononça  son  nom. 

»  —  Qui  m'appelle  ?  dit-il  en  tremblant. 

>  —  M""»  de  Renac  I  répondit  la  voix. 

»  Il  regarde  et  ne  voit  personne  près  de  lui,  personne 
sur  la  place.  Il  était  en  face  de  la  demeure  de  ses  victimes. 
Frappé  de  terreur,  il  croit  que  c'est  leur  voix  qu'il  a  en- 
tendue... Il  fuit.  Une  sueur  froide  coule  de  son  front,  un 
tremblement  convulsif  l'agite.  Il  hdte  ses  pas  et  n'oso 
détourner  la  lèto.  Il  arrive  chez  lui,  il  pousse  toutes  les 
portes,  il  s'entoure  de  lumières,  il  ajipelle  son  domestique. 


DE  1789  A  1800.  243 

>  —  Reste  là,  lui  recommande-t-il,  ne  me  quitte  pas  ;  je 
ne  veux  pas  être  seul.  Oh  !  si  la  voix  pouvait  se  taire  1  si 
je  pouvais  dormir  f 

»  Il  se  couche,  la  fièvre  le  saisit,  le  délire  augmente, 
son  agitation  est  horrible. 

»  Le  malheureux  qui  est  réduit  à  le  servir  s'effraie;  il 
court  chez  un  médecin,  chez  un  prêtre. 

»  Le  prêtre  arrive  le  premier.  Le  moribond  le  voit. 

»  —  Qui  êtes-vous  ?  dit-il. 

»  Le  ministre  du  Dieu  qui  pardonne  lui  répond  : 

>  —  Je  suis  un  prêtre. 

»  —  Un  prêtre?  Fuyez  !  Vous  ne  savez  donc  pas  que  je 
tue  les  prêtres  ?  J'en  ai  fait  mourir  un  grand  nombre. 

»  —  Il  en  reste  un  pour  vous  bénir,  répliqua  le  disciple 
de  Jésus-Christ.  Je  viens  vous  réconcilier  avec  Dieu. 

»  —  Avec  Dieu  1  dit  d'une  voix  épouvantable  le  révolu- 
tionnaire endurci;  avec  Dieu  I  je  n'y  crois  pas. 

>  11  continuait  de  blasphémer;  la  mort  l'arrêta.  » 

Un   bourreau    de   trente  prêtres. 

Une  religieuse  de  Saint-Joseph  nous  a  communiqué  le 
trait  suivant  le  20  novembre  1866  ; 

Il  y  a  quelques  années  que  dans  le  diocèse  de  Lyon  se 
mourait  un  bon  et  vénérable  prêtre,  vieillard  âgé  d'environ 
quatre-vingt-dix  ans,  qui  avait  échappé  aux  massacres 
de  93;  et  voici  ce  qu'il  a  raconté  à  d'autres  prêtres  de  ses 
amis  ; 

«  Trente  ans  après  la  grande  Révolution,  à  laquelle  j'ai 
eu  le  bonheur  d'être  soustrait  par  des  moyens  que  des 
amis  charitables  m'ont  procurés,  je  me  vis  venir  chercher 
un  jour  par  une  vieille  bonne  femme  qui  me  conduisit 
tout  aussitôt  dans  une  espèce  de  caverne.  Là  gisait  sur  un 
pauvue  grabat  uu  homme,  un  moribond,  qui  s'était  creusé 


244  LA    GRANDE    RÉVOLUTION 

un  trou,  pour  s'y  réfugior,  sous  los  débris  d'une  antique 
chapelle  ou  église  complètement  détruite  par  suite  de  la 
Révolution  française.  A  peine  6tais-je  arrivé  à  la  porte 
que  le  malade,  m'aperçevant,  élève  la  main  droite  et 
s'écrie  avec  force  :  Arrête!  arrêtel...  Stupéfait,  je  m'appuyai 
sur  mon  bâton  et  restai  immobile.  Craignant  que  ce  ne  fût 
un  stratagème,  je  lui  demandai  pourquoi  cette  défense:  il 
me  répondit  :  Vois  cette  main,  elle  en  a  tué  trente  comme 
toi...  Il  sentait  sa  grande  misère  et  se  trouvait  lui-même 
indigne  d'être  visité  par  le  ministre  du  Seigneur.  Mais, 
oubliant  tout  pour  ne  suivre  que  l'exemple  de  Celui  qui 
laisse  les  quatre-vingt-dix-neuf  brebis  pour  courir  aprè» 
celle  qui  est  égarée,  je  courus  l'embrasser,  lui  montrant 
mes  cheveux  blancs,  mon  cœur  pour  le  recevoir  et  le  re- 
conduire à  Dieu,  mes  bras  pour  apaiser  sa  justice  en  sa 
faveur.  Je  lui  révélai  le  triste  état  de  son  âme,  le  tribunal 
devant  lequel  il  allait  être  jugé.  Il  en  fut  frappé  et  touché 
en  même  temps,  si  bien  qu'il  commença  sa  confession, 
qu'il  fit  avec  beaucoup  de  larmes,  et  mourut  le  lendemain. 
>  Depuis  de  longues  années  cet  homme  s'était  relégué 
dans  cette  caverne,  n'osant  en  sortir  que  la  nuit  pour  se 
procurer  les  choses  nécessaires  à  sa  subsistance,  et  se  re- 
gardant comme  un  monstre  odieux  Ji  tous  les  humains. 
Espérons  que  Dieu  lui  aura  fait  miséricorde.  » 

Un  démag-ofipac  dévoré  vivant  par  les  vers. 

Un  détachement  royaliste  de  vingt-cinq  hommes  vient 
loger  au  bourg  de  Saint -Christophe- le -Jambet,  près 
Fresnay.  Un  républicain  dont  nous  ne  craindrons  pas  de 
décliner  le  nom,  Votreau  dont  le  sort  est  si  triste  aujour- 
d'hui, part  précipitamment  pour  Alençon,  d'oîi  il  ramène 
des  troupes  ennemies.  Il  était  entre  onze  heures  et  minuit 
lorsque  les  soldats  de  la  ?épublique  arrivèrent  avec  leur 


DE  -1789  A  1800.  245 

coupable  guide.  Ils  tombent  à  l'improviste  sur  le  poste 
royaliste  et  l'ëgorgent.  Après  cet  exploit,  ils  entrent  dans 
le  bourg  et  frappent  à  toutes  les  portes  : 

—  Qui  est  là  ?  leur  dit-on. 

—  Royalistes,  répondirent-ils  avec  ce  ton  d'hypocrisie 
qui  s'allie  si  bien  h  la  scélératesse.  Y  a-t-il  ici  de  nos 
camarades? 

—  Oui,  messieurs,  nous  allons  vous  ouvrir. 

On  ouvre  en  effet;  mais  les  malheureux  royalistes  se 
trouvent  inopinément  saisis  dans  leurs  lits  et  sont  à  la 
hâte  traînés  au  cimetière,  où  on  les  fusille  sans  miséri- 
corde. 

Il  y  avait  parmi  eux  un  ecclésiastique  nommé  Chaumont, 
et  surnommé  Chapedelaine,  qui  les  suivait  pour  sa  sûreté 
personnelle  et  pour  leur  procurer  les  secours  de  la  religion. 
Deux  soldats,  qui  assurément  ne  le  connaissaient  pas  pour 
prêtre,  s'étaient  emparés  de  lui  et  l'avaient  conduit  au 
cimetière  pour  y  être  fusillé  avec  ses  compagnons  d'in- 
fortune. Cet  ecclésiastique  avait  sa  montre  sur  lui,  je  ne 
?ais  par  quel  hasard,  car  je  n'imagine  pas  qu'on  lui  eût 
donné  le  temps  de  se  vêtir. 

—  Je  vais  mourir,  dit-il  h  ses  bourreaux,  prenez  cette 
montre.  » 

En  prononçant  ces  paroles,  il  remet  sa  montre  à  un  des 
républicains.  Un  autre  réclame;  ils  commencent  à  s'em- 
porter, ils  se  maltraitent,  ils  se  poussent  pour  l'avoir, 
ainsi  que  les  soldats  juifs  se  disputaient  les  dépouilles  du 
Sauveur.  Le  prêtre,  témoin  de  ces  débats,  et  persuadé  que 
Dieu  lui  ménageait  cette  circonstance  pour  se  soustraire  à 
la  mort,  prend  la  fuite  et  se  sauve  à  toutes  jambes.  Deux 
coups  de  fusils  sont  tirés  sur  lui  presque  à  bout  portant; 
mais  il  n'a  qu'un  doigt  de  coupé  à  la  main  droite,  et  il 
parvient  k  s'échapper.  Ce  prêtre  vit  «ncore,  à  moins  qu'il 


246  LA   CnANDE   RÉVOLUTION 

ne  soit  mort  depuis  un  an;  on  m'a  dit  qu'il  était  curé  dans 
le  diocè&e  do  Tours,  sur  les  confins  do  la  Sarthe. 

Pour  l'homme  qui  fit  versor  le  sang  des  royalistes,  il  vit 
aussi,  si  c'est  vivre  que  de  voir  tout  son  corps  dévoré  par 
les  vers;  car  tel  est  l'état  de  ce  misérable.  On  peut  le  voir 
h  Saint-Christophe,  qu'il  habite  toujours.  Je  ne  sais  s'il 
songe  îi  se  convertir;  mais  pourrait-il  s'empêcher  de  re- 
connaître la  vengeance  du  Seigneur  dans  les  plaies  qui 
l'affligent?  (Nouvelles  anecdotes  chrétiennes.) 

IBort   affrcasc    d'an    impie* 

A  cette  époque  de  triste  mémoire  où  fut  renversé  le  trône 
de  France,  et  alors  qu'une  foule  de  familles  nobles  étaient 
tombées  dans  la  plus  grande  misère,  une  troupe  d'émigrés 
ugitifs  arrivèrent  dans  un  village  allemand.  Parmi  eux  se 
trouvait,  entre  autres,  un  duc,  qui  fut  reçu  avec  bienveillance 
par  le  fermier  Rertram.  Non  moins  amical  fut  l'accueil  que 
les  habitants  de  l'endroit  firent  aux  autres  émigrés,  qui 
auraient  volontiers  cédé  à  l'invitation  qui  leur  était  faite 
et  séjourné  quelque  temps  auprès  de  ces  bons  villageois 
si  hospitaliers,  si  l'arrivée  de  leurs  ennemis  ne  les  eût 
forcés  de  partir  sans  délai.  Le  duc  fut  aussi  obligé  de 
prendre  la  fuite.  Bertram  l'accompagna,  armé  d'une  lourde 
faux,  car  le  chemin  conduisait  à  travers  un  affreux  pré- 
cipice où  se  trouvait  la  caverne  d'une  bande  de  voleurs 
cxtrômrment  nombreuse.  Depuis  cette  époque,  Bertraiik 
faisait  grand  étalage;  il  achetait  le  bien  des  paysans,  qu'il 
n'avait  fait  que  louer  jusqu'alors,  construisait  un  superbô- 
^bâtiment  entouré  de  jardins  enchanteurs,  faisait  de  bons 
'et  riches  festins,  donnait  de  magnifiques  fêtes  sur  ses 
girairies,  en  un  mot  s'adonnait  tout  entier  aux  plaisirs  des 
feons.  Quand  les  voisins,  étonnés  de  voir  que  Bertram, 
pîalgrétes  brèches  considérables  qu'il  avait  dû  faire  à  sa 


DE  1789  A  1800.  247 

fortune  en  s'adonnant  à  sa  passion  pour  le  vin,  était  de- 
venu si  riche,  lui  demandaient  comment  il  avait  fait  pour 
amasser  tant  de  bien,  il  répondait  que  le  duc,  en  prenant 
congé  d€  lui,  non-seulement  lui  avait  laissé  en  souvenir 
une  grande  somme  d'argent,  mais  lui  avait  encore  offert 
sa  voiture  avec  un  coffre  rempli  d'or  et  de  pierres  pré- 
cieuses, en  récompense  de  ses  bons  offices.  Quelques-uns 
ajoutaient  foi  à  ce  récit;  d'autres  le  prenaient  pour  une 
pure  invention,  et  étaient  d'autant  plus  disposés  h  nourrir 
des  soupçons  contre  lui  qu'il  avait  eu  souvent  des  accès  de 
fureur,  et  que,  parmi  les  discours  qu'il  tenait  alors,  on 
avait  souvent  entendu  ces  mots  :  Duc  I  duc  I  Sang  f  sang  I  > 

A  l'époque  dont  nous  parlons,  ses  fils  se  trouvaient  dans 
un  couvent  où  ils  faisaient  leur  éducation  ;  leur  père  les 
avait  envoyés  là  afin  de  pouvoir  se  livrer  d'autant  plus 
Kbrement  à  sa  passion  pour  les  plaisirs. 

Lorsque  ses  deux  enfants,  qui  étaient  parfaitement 
élevés,  furent  avertis  que  leur  père  était  dangereusement 
malade,  ils  retournèrent  à  la  maison.  Un  jour,  le  serviteur 
de  Bertram  entra  dans  leur  chambre  et  leur  enjoignit  de 
se  rendre  auprès  de  leur  père,  parce  que,  leur  disait-il, 
il  voulait  faire  son  testament.  Les  deux  enfants  suivirent 
le  serviteur,  qui  les  conduisit  en  tremblant  dans  une  écurie. 

—  Est-ce  là  qu'est  couché  notre  père?  demandèrent  les 
deux  fils  étonnés. 

—  Oui,  répondit  le  serviteur,  c'est  ici  que  repose  votre 
père,  mon  maître;  et  il  ferma  la  porte. 

Quel  spectacle  que  celui  qui  s'offrit  alors  aux  regards  de 
ces  deux  enfants  I 

Une  lanterne  suspendue  au  plafond  répandait  une  lu- 
mière incertaine  sur  la  misérable  couche  de  leur  père, 
étendu  sur  le  sol.  Tout  à  côté  de  lui  était  fixée  à  la  muraille 
une  faux  couverte  çà  et  là  de  taches  noires  assez  sem- 
blables à  des  gouttes  de  sang.  Le  vieillard  était  couché 


248  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

sur  de  la  paille  pourrie,  et  sa  tête  reposait  sur  un  sac  qui 
semblait  rempli  de  pierres.  On  ne  savait  quel  moyen  em- 
ployer pour  procurer  du  soulagement  k  ce  malheureux  ;  il 
respirait  difticileraent,  et  depuis  longtemps  déjà  il  refusait 
toute  espèce  de  secours  et  de  nourriture. 

—  Bien  mal  acquis  ne  profite  jamais,  murmura-t-il  avec 
un  ricanement  affreux  en  s'adressant  à  ses  deux  fils. 

Ceux-ci  s'approchant  de  lui  avec  une  frayeur  mêlée  do 
sympathie  : 

—  Père,  qu'avez-vous  ?  lui  demandèrent-ils  d'un  ton 
plaintif  et  alarmé. 

Bertram  lançant  sur  eux  des  regards  furieux  : 

—  Il  faut  que  je  rende  la  justice  I  s'écria-t-il  d'un  son  de 
voix  enroué,  semblable  à  celui  d'une  cloche  fendue,  et  sec 
comme  l'éclat  d'un  rameau  arraché  par  l'orage. 

Ses  fils  voulurent  l'embrasser  tendrement,  mais  il  s'ar- 
racha brusquement  à  leurs  bras  ;  puis,  saisissant  la  faux 
suspendue  à  la  muraille,  il  la  jette  à  ses  pieds  et  s'écrie  : 

—  Voilîi  son  sang  f 

—  Hélas  I  grand  Dieu!  de  qui  ce  sang  est-il?  deman- 
dèrent les  deux  malheureux  fils. 

—  C'est  le  sang  du  duc  I  reprit  d'une  voix  terrible  Ber- 
tram. Je  l'ai  tué  dans  la  trappe  des  morts  avec  cette  faux. 

—  Comment  I  s'écrièrent  les  fils. 

—  Oui,  oui,  je  suis  son  meurtrier.  Je  lui  ai  tout  enlevé, 
sa  vie  et  sa  fortune.  Voilà  la  faux  avec  laquelle  j'ai  brisé  la 
cervelle  de  mon  bienfaiteur.  J'ai  trompé  le  monde;  le 
monde  m'a  cru,  coquin  que  je  suis  t  Patience,  vous  allei 
voir  que  je  dis  la  vérité,  bégaya  Bertram. 

Puis,  saisissant  avec  force  le  sac  qui  se  trouvait  sous  sa 
tète,  il  le  déchira  en  plusieurs  morceaux,  et  au  môme 
instant  il  en  sortit  des  ossements  et  une  tête  de  mort  qui 
alla  rouler  aux  pieds  des  ses  fils,  immobiles  et  pétrifiés. 

—  Voilà  les  ossements  du  duc.  Ce  crâne  est  la  tète  du 


DE  1789  A  1800.  249 

duc.  Je  l'ai  tué  avec  ma  faux  I  Voilà  les  taches  de  son 
sang  ;  il  s'est  collé  sur  la  faux  ;  et  la  mort  s'est  attachée  à 
mon  âme. 

Les  fils  se  voilèrent  les  yeux,  tombèrent  à  genoux  et  se 
mirent  à  pleurer  sur  le  sort  de  leur  infortuné  père  : 

—  Jésus,  iMarie,  Joseph,  ayez  pitié  de  nous  f 

—  Il  faut  que  je  satisfasse,  s'écria  de  nouveau  le  père. 
J'ai  pendant  la  nuit  déterré  de  mes  propres  mains  ces 
ossements  dans  la  trappe  des  morts.  Nulle  part  je  n'y' 
trouvé  de  repos.  Ce  sac  et  les  ossements  du  pauvre  duc, 
voilà  sur  quoi  je  me  suis  étendu.  Le  bien  mal  acquis  ne 
profite  jamais.  Enfants,  rendez  tout,  afin  que  mon  âme 
trouve  du  repos.  Enfants,  rendez  tout,  absolument  tout. 
Voilà  mon  testament. 

Et  les  deux  frères  se  précipitèrent  sur  la  poitrine  de 
leur  malheureux  père,  mais  Bertram  les  repoussa  au 
milieu  de  combats  désespérés.  Il  porta  en  grinçant  les 
dents  le  crânes  du  duc  à  sa  poitrine,  comme  s'il  eût 
voulu  l'enfoncer  dans  son  cœur;  puis,  poussant  un  cri  de 
désespoir,  il  s'affaissa  de  nouveau  sur  la  paille.  Il  n'était 
plus. 

En  ce  moment  s'ouvrit  la  porte  de  l'écurie  :  c'était  le 
curé,  appelé  par  le  domestique,  qui  entrait.  Il  arrivait 
trop  tard.  Il  vit  Bertram  qui  venait  de  mourir,  étendu  au 
milieu  d'ossements  de  mort  et  tenant  entre  ses  doigts 
crispés  le  crâne  de  son  bienfaiteur.  (Nack  Hungan's  glei- 
chnamiger  Erszœlung.) 

La  Fille  de  la  Panition. 

La  nuit  avait  tout  à  fait  remplacé  le  jour.  La  lune,  qu' 
s'élevait  à  l'horizon,  dissipait  à  peine  les  ombres;  à  si 
lueur  incertaine,  je  cheminais  seul.  Tout  ce  que  j'avais  vu 
et  entendu  Je  triste  revenait  dans  ma  mémoire  et  pesait 

ir 


2S0  hk  GRANDE  RÉVOLnTION 

sur  mon  âme.  J'étais  arrivé  h  une  lande.  Un  nuage  noir  et 
é^jais  voilait  la  lune;  incertain  de  mon  chemin,  j'hésitais. 
Tout-à-coup  une  voix  grêle  et  perçante  retentit  au  milieu 
du  silence;  elle  chantait  un  refrain  de  la  Révolution. 
Étonné,  j'écoute,  et  je  distingue  ces  affreuses  paroles  : 
Du  sang  t  du  sang  t  il  faut  du  sang  pour  régénérer  la  répii/' 
blique  t  Saisi  d'horreur,  j'écoutai  encore  ;  la  voix  cessa. 
Alors  un  rayon  de  la  lune  perçant  une  déchirure  de  nuage, 
je  vis  non  loin  de  moi  une  femme  assise  sur  les  ruines 
d'un  calvaire  où  la  croix  n'avait  point  été  rétablie.  J'ap- 
prochai; elle  ne  se  leva  point,  elle  resta  immobile,  los 
yeux  fixes;  ses  lèvres  proféraient  des  sons  confus.  Subi- 
tement elle  fit  entendre  une  plainte,  un  gémissement,  un 
cri  impossible  h  redire  :  c'était  comme  le  dernier  cri  d'un 
mourant.  Je  frissonnai  et  je  frissonne  encore  en  cherchant 
à  vous  peindre  ce  que  j'ai  entendu.  Jamais  son  si  plaintif 
et  si  lugubre  n'avait  frappé  mon  oreille.  Je  crus  que 
j'avais  effrayé  la  malheureuse  que  je  voyais  devant  moi,  et 
je  lui  dis  : 

—  Je  viens  vous  demander  lé  chehiin,  n'ayez  pas  peur. 

—  Peur  !  répcta-t-elle.  Oh  !  je  n'ai  jamais  peur,  moi. 
C'est  moi  qui  fait  peur  aux  autres.  Quand  les  petits  enfants 
m'aperçoivent  dans  les  champs,  ils  se  mettent  à  s'enfuir 
Cl  h  crier  :  Voilà  la  Fille  de  la  Punition  t  Aussi  je  ne  sors 
que  la  nuit,  et  je  viens  m'asseoir  ici,  et  pour  me  distraire 
Jû  chante. 

Et  avec  un  éclat  de  voix  que  les  échos  redirent  au  loin, 
clic  répéta  :  Du  sang  f  du  sang  !  il  faut  du  sang  !  Un  cri 
semblable  h  celui  que  j'avais  déjà  entejijiju,  et  qui  m'avait 
fait  frémir,  s'échappa  de  sa  poitrine  et  interrompit  l'hor* 
rible  refrain. 

Alors  je  contemplai  l'être  que  j'avais  devant  les  yeux  : 
son  corps  était  athlétique;  une  tête  énorme  pesait  sur  ses 
épaules  :  un  large  chapeau  de  paille,  rejeté  en  arrière, 


DE  1789  A   1800.  251 

n'était  retenu  que  par  un  ruban  rouge,  qui  traçait  autour 
de  son  cou  comme  une  raie  de  sang,  et  qui  laissait  voir  des 
cheveux  roides  qui  tombaient  en  désordre;  ses  bras,  à 
moitié  nus,  étaient  maigres,  et  ses  mains  d'une  grandeur 
démesurée.  Tout  ce  que  la  laideur  a  de  hideux,  tout  ce 
que  l'imbécillité  a  de  triste  se  trouvait  sar  son  visage  ;  sa 
vue  inspirait  plus  d'épouvante  que  de  pitié. 

En  me  voyant  la  regarder,  elle  ne  semblait  point  embar. 
rassée  de  mes  regards;  les  siens  restaient  toujours  fixes. 
Une  de  ses  mains  tenait  un  couteau.  Je  vis  du  sang  sur  son 
vêtement  gris.  A  ses  pieds,  un  agneau  saignait  encore. 
Elle  me  le  montra  et  me  dit  : 

—  Mon  père  m'a  ordonné  de  le  tuer.  C'est  moi  qui  les 
tue  quand  il  nous  en  faut.  C'est  mon  plaisir  lorsque  j'en- 
fonce mon  couteau  dans  le  cou  d'un  petit  agneau.  J'ap- 
pelle sa  mère,  elle  vient  pleurer  auprès  de  moi,  et  moi,  ça 
me  fait  rire. 
Et,  proférant  ces  mots,  elle  riait  d'un  rire  satanique. 
Je  remarquai,  abattus  sur  l'herbe,  les  restes  moussus 
delà  croix;  la  figure  du  Christ,  grossièrement  sculptée, 
s'y  voyait  encore.  La  fille  aliénée  posait  indifféremment 
ses  pieds  sur  l'image  sacrée.  Cela  ajouta  à  mon  horreur. 
Tout-à-coup  celle  qui  s'appelait  la  Fille  de  la  Punition  se 
leva,  jeta  encore  son  cri  épouvantable,  et  s'éloigna  chargée 
de  son  agneau  sanglant.  Bientôt  j'entendis  d'autres  voix 
se  mêler  à  la  sienne;  des  jurements,  des  blasphèmes  vin- 
rent jusqu'à  moi. 

Je  me  dis  :  C'est  sans  doute  la  famille  dont  me  parlait 
naguère  mon  compagnon  de  route;  je  suis  près  de  cette 
maison  maudite  où  le  pauvre  ne  s'arrête  jamais.  L'aliénée 
que  je  viens  de  voir  est  peut-être  la  fille  de  la  maison. 

La  lune,  dégagée  de  nuages,  s'élevait  dans  le  ciel  et  me 
montrait  le  chemin  que  je  devais  suivre.  Je  me  hâtai  de  le 
prendre,  et  déjà,  à  travers  les  peupliers  de  la  colline,  j'a- 


252  LA   GRANDE   RÉVOLUTION 

percevais  une  lumière  briller  :  c'était  celle  du  salon  où 
j'étais  attendu.  L'astre  hospitalier  redoubla  ma  vitesse, 
J'arrivai  bientôt.  On  me  reprocha  de  venir  si  tard.  Pour 
m'excuser,  je  redis  tout  ce  que  j'avais  vu  et  entendu,  et 
l'horrible  vision  du  calvaire  en  ruine. 

—  Quoi  f  me  dit  un  de  ces  vieux  royalistes  qui  ont  tou- 
jours suivi  les  armées  vendéennes  et  qui  connaissent  les 
points  les  plus  cachés  du  pays,  vous  avez  vu  ce  monstre? 

—  Oui,  répondis-je,  et  je  frissonne  encore  en  pensant  à 
son  aspect  horrible.  Quelle  est  cette  femme  ?  Elle  m'a  dit 
que  dans  le  pays  on  l'appelait  la  Fille  de  la  Punition. 

—  En  effet,  répliqua  le  royaliste,  c'est  ainsi  qu'on  la 
nomme.  Elle  est  la  terreur'de  la  contrée.  Plusieurs  fois  je 
l'ai  trouvée  quand  j'étais  tard  dans  les  chemins,  et,  comme 
à  vous,  son  souvenir  me  fait  mal.  J'ai  appris  qui  elle  était. 

—  Ah  I  racontez-nous  son  histoire,  fut  un  cri  général. 
On  se  rapprocha  de  la  table,  les  femmes  abandonnèrent 

leur  ouvrage,  le  plus  grand  silence  régna  dans  le  petit 
salon,  et  le  Vendéen  nous  dit  ce  que  je  vais  vous  répéter 
mot  pour  mot  : 

—  Une  famille  de  patauds  habite  dans  ces  contrées;  je 
me  garderai  bien  de  vous  dire  si  c'est  à  dix  ou  à  deux 
lieues,  si  c'est  au  levant  ou  au  couchant,  si  c'est  sur  une 
colline  ou  dans  un  vallon  :  il  faut  montrer  au  doigt 
l'homme  de  bien  pour  qu'on  l'imite,  mais  il  ne  faut  pas 
désigner  le  méchant,  de  peur  d'éveiller  la  vengeance. 
Laissons  Dieu  et  la  justice  se  charger  du  soin  de  décou- 
vrir et  de  punir.  A  nous  n'appartient  que  la  haine  du 
crime. 

Cette  famille  était  composée  du  mari,  de  la  femme  et 
d'un  fils.  Ils  ne  s'étaient  pas  crus  en  sûreté  dans  la  nou- 
velle habitation  qu'ils  venaient  d'acquérir;  le  voisinage  de 
nos  soldats  les  inquiétait,  et  ils  étaient  allés  augmenter  îi 
Nantes  le  nombre  des  familles  réfugiées.  De  temps  en 


DE  1789  A  1800.  553 

temps  la  femme  quittait  la  ville  et  venait  en  secret  visiter 
son  nouveau  domaine.  Dans  ces  excursions,  elle  épiait  les 
royalistes  qui  se  trouvaient  éloignés  de  l'armée;  avec  une 
cruelle  adresse  elle  savait  découvrir  les  infortunés  qui  se 
cachaient,  et  se  hâtait  de  les  dénoncer  au  comité  de  salut 
public.  On  dit  que  plus  d'une  fois  elle-même  contribua  ac- 
tivement à  arrêter  les  femmes  vendéennes. 

Quand  elle  était  à  Nantes,  son  plus  grand  plaisir,  son 
plaisir  de  chaque  jour,  était  d'aller  passer  ses  matinées  sur 
la  place  du  Bouffay.  Dès  le  commencement  du  jour,  elle 
envoyait  garder  sa  place  pour  de  l'argent,  et  ne  quittait  le 
lieu  des  exécutions  que  lorsque  la  lassitude  du  bourreau 
laissait  en  repos  l'instrument  fatal. 

Cette  femme  (je  rougis  de  lui  donner  ce  nom)  continua 
de  repaître  sa  cruauté  de  ces  sanglants  spectacles,  et  ce- 
pendant elle  était  enceinte  f... 

Nos  bourreaux  lui  laissèrent  peu  de  jours  sans  plaisir; 
et  tout  le  temps  de  sa  grossesse  elle  ne  manqua  pas  de 
venir  avec  son  ouvrage  à  sa  place  accoutumée.  Elle  trou- 
vait un  grand  attrait  dans  les  apprêts  du  supplice.  Elle 
aimait  à  insulter  aux  victimes  jusque  sur  l'échafaud.  Mais 
ce  qui  la  faisait  hurler  d'une  infernale  joie,  c'était  le 
dernier  cri  que  poussaient  les  suppliciés.  Dans  cet  instant 
elle  se  levait,  ses  yeux  brillaient  comme  les  yeux  du  tigre 
qui  va  boire  du  sang;  elle  trépignait  de  délire  et  criait  : 
Mort  I  mort  aux  aristocrates  l 

Dieu  a  été  juste  envers  elle.  Un  enfant  lui  est  né  :  c'est 
l'Enfant  de  la  Punition,  c'est  le  monstre  que  vous  avez  vu. 
Cette  fille  est  hideuse  comme  l'âme  de  sa  mère,  horrible 
comme  le  souvenir  du  crime.  Imbécile  dès  son  enfance, 
elle  n'a  rien  pu  apprendre;  elle  ne  sait  que  le  cri  des  mou- 
rants, elle  l'a  appris  dès  le  sein  maternel,  et  un  effroyable 
tic  le  lui  fait  répéter  à  chaque  instant  du  jour.  Quand  ses 
parents  veulent  oublier  le  passé,  quand  ils  rassemblent  des 


25 i  LA  GRANDE  RÉVOLUTION 

gens  de  leur  espèce  et  qu'ils  cherchent  à  s'étourdir,  l'En- 
i'ant  de  la  Punition  est  là  comme  un  remords  incarné,  et 
l'affreux  cri  vient  retentir  et  arrêter  la  joie  qu'ils  vou- 
draient avoir.  A  table,  le  jour,  la  nuit,  ils  sont  condamnés 
à  l'entendre.  Il  s'échappe  involontairement  du  sein  de 
cette  malheureuse.  C'est  en  vain  que,  pour  lui  faire 
étouffer  ce  cri,  ils  la  battent  et  la  maltraitent.  Pour  éviter 
leurs  coups,  elle  n'ose  fuir  au  dehors  :  elle  sait  la  peur 
qu'elle  inspire.  Alors  elle  passe  la  journée  cachée  dans 
quelque  coin  obscur,  et  ce  n'est  qu'à  la  nuit  qu'elle  sort 
de  l'enclos  de  la  maison  maudite. 

La  Fille  de  la  Punition  avait  un  frère.  Il  était  né  avant 
la  Révolution.  Quand  il  fut  d'âge  à  marcher  comme 
conscrit,  il  demanda  à  son  père  de  le  racheter;  il  était 
dans  le  cas  de  le  faire,  car  il  avait  plus  que  l'aisance.  Sa 
fortune  lui  avait  peu  coûté.  Il  ne  voulut  pas  faire  le  plus 
léger  sacrifice.  L'argent  lui  était  plus  précieux  que  son 
fils.  Le  jeune  homme  fut  obligé  de  partir.  Après  quelques 
campagnes  faites  sans  gloire,  il  revint,  exténué  de  fati- 
gues, de  misère  et  de  débauches,  mourir  chez  ses  parents. 

Il  revint,  comme  guidé  par  la  colère  divine,  ajouter  au 
châtiment  de  la  famille  coupable.  Un  soir,  son  père,  étant 
debout  devant  sa  porte,  vit  un  homme  qui  s'avançait  vers 
lui  en  se  traînant  avec  peine  ;  il  lui  cria  : 

—  Etranger,  passez  votre  chemin;  on  ne  donne  pas  ioi. 
L'étranger  répondit  : 

—  Je  sais  bien  qu'on  ne  donne  pas  ici ...,  et  il  s'avan- 
çait toujours. 

La  femme  venait  de  descendre, 

—  Que  nous  veut  ce  mendiant?  dit-elle  avec  emporte^ 
ment. 

L'inconnu  continua  d'approcher  en  disant  : 

—  Ne  me  reconnaisse/.-vous  pas?  Je  suis  votre  fils... 
Le  père  repartit  froidement  : 


DE  1789  A  1800.  2oo 

—  Nous  te  croyions  mort. 
La  mère  ajouta  : 

—  Tu  as  donc  un  congé  ?  Pour  combien  de  temps  ? 

—  Pour  toujours,  répondit  le  soldat. 

—  C'est  impossible  t  s'écria  le  père;  nous  sommes  deve- 
nus pauvres,  nous  ne  pouvons  te  garder. 

—  Eh  f  vous  ne  me  garderez  pas,  vous  m'enverrez  au 
cimetière...  Je  ne  viens  pas  vivre,  je  viens  mourir  chez 
vous,  dit  le  jeune  homme.  Ma  mère,  j'ai  soif. 

La  mère  appela  sa  fille.  La  fille  vint  et  ne  reconnut  pas 
son  frère  ! 

Au  bout  de  quelques  jours  le  soldat  fut  plus  mal  ;  il 
sentit  sa  fin  s'approcher.  Jamais  ses  parents  ne  lui  avaient 
parlé  de  Dieu.  Il  les  appela  près  de  lui,  et  dans  ses  souf- 
frances affreuses,  il  leur  dit  : 

—  J'ai  voulu  que  vous  fussiez  témoins  de  ma  mort. 
C'est  vous  qui  m'avez  tué.  Pour  un  peu  d'or,  vous  m'avez 
laissé  partir.  Et  quels  conseils  m'avez-vous  donnés  pour 
me  défendre  du  vice?  Vous  m'avez  poussé  hors  de  la 
maison  paternelle  en  vous  réjouissant  d'avoir  un  enfant  de 
moins  à  nourrir.  Eh  bien  I  cet  enfant  revient,  non  pour 
mourir  plus  doucement  sous  votre  toit,  mais  pour  que  sa 
mort  vous  soit  une  peine.  Ma  mère,  vous  vous  êtes  sou- 
vent réjouie  de  voir  couler  le  sang,  et  ma  sœur  est  là  pour 
vous  rappeler  sans  cesse  le  cri  des  suppliciés.  Mon  père, 
j'ai  voulu  que  vous  eussiez  aussi  votre  souvenir.  Ma  fosse 
sera  ici  près  de  vous  pour  redire  que  vous  avez  sacrifié 
votre  fils  à  quelques  pièces  d'argent  I 

Pendant  qu'il  parlait  ainsi,  les  deux  coupables  restaient 
debout  près  du  lit  et  gardaient  un  morne  silence. 
Le  malade  s'agitait  et  étendait  les  bras. 
-!-  Y  a-t-il  un  Dieu  ?  s'écriait-il  de  temps  en  temps. 
Et  les  parents  continuaient  à  se  taire. 


SriG  LA    GRANDE    RÉVOLUTIOÎf 

—  Un  prêtre  I  proféra-t-il  d'une  voix  mourante;  amiiKîr- 
moi  un  prêtre  ! 

Alors  le  père  dit  à  sa  compagne  : 

—  Femme,  viens-t'en.  Tu  le  vois  bien,  il  a  le  délire. 
Ils  sortirent  tous  les  deux;  et,  quand  ils  rentrèrent,  ils 

trouvèrent  leur  fille  assise  sur  le  lit  de  son  frère.  Elle 
chantait  t...  11  était  mort  !...  (Lettres  vendéennes.) 

Assassins  des  prêtres  punis  de  Dicn. 

Les  traits  suivants,  rapportés  par  un  témoin  oculaire, 
sont  extraits  des  Mémoires  de  M.  Collombet,  dont  la  Ga- 
zette  de  Lyon  (19  août  1853)  a  publié  des  fragments  : 

€  L'individu  qui  leva  la  hache  sur  le  P.  Angélique  fit 
une  fin  des  plus  affreuses.  Après  avoir  mené  depuis  cette 
époque  une  vie  d'athée,  il  mourut,  livré  par  anticipation 
aux  peines  des  damnés.  Pendant  cinq  ans  il  endura  d'hor- 
ribles souffrances  d'entrailles.  Il  ressentait  à  l'intérieur  un 
feu  dévorant,  et  rien  ne  pouvait  calmer  ses  douleurs;  les 
remèdes  furent  toujours  inutiles.  Il  mourut  il  y  a  dix  i\ 
douze  ans.  Les  trois  derniers  mois  de  sa  vie  furent  une 
agonie  continuelle.  On  l'entendait,  de  l'autre  côté  de  la 
Loire,  qui  hurlait  comme  un  furieux  ;  il  expira  en  rejetant 
toutes  les  consolations  de  la  religion.  Mors  peccatorum 
fessima. 

»  Je  ne  te  parle  que  de  ce  que  j'ai  vu. 

»  Ton  frère  et  ton  ami, 

>  BONNELLB.   t 

€  M.  Imbert,  curé  de  Vernet,  fut  menacé  d'un  coup  de 
hache  par  un  scélérat  ;  le  bras  qui  tenait  la  hache  levée 


DE  1789  A  1800.  2o7 

fut  paralysé.  Cet  individu  ne  fut  redevable  de  sa  guérison 
qu'aux  prières  du  prêtre'.  » 

*  Voici  de  belles  pensées  de  Me»  Pie  sur  la  haine  des  révolu- 
tionnaires pour  les  prêtres  : 

«  Le  divin  Fondateur  de  l'Eglise  nous  l'a  prédit  :  «  Le  disciple 
n'est  pas  au-dessus  de  son  Maître.  Comme  ils  m'ont  traité,  ils 
lous  traiteront.  Vous  serez  en  butte  à  la  baine  de  tous  à  cause 
de  mon  nom...  S'ils  ont  eu  pour  le  père  de  famille  des  appel- 
lations outrageuses,  comment  ne  se  donneraient-ils  pas  libre 
carrière  envers  les  bommes  de  sa  maison  !  »  Dans  vingt  autres 
circonstances,  Jésus-Cbrist  a  pris  soin  de  nous  préparer  à  cette 
bostiUté  enracinée  qui  nous  poursuit,  et  dont  nous  avons  le 
droit  de  nous  glorifier. 

»  Cette  bostilité  nous  honore  et  nous  rassure  d'autant  plus 
qu'en  elle-même  elle  est  devenue  vraiment  inexplicable.  Dans 
d'autres  temps,  le  sacerdoce  a  été  riche,  il  a  été  influent.  Au- 
jourd'hui il  n'a  plus  ni  la  propriété  ni  l'autorité. 

»  On  avait  beaucoup  dit  :  Replacez  le  prêtre  dans  les  condi- 
tions de  l'Eglise  primitive;  qu'il  abandonne  le  terrain  où  s'a- 
gitent les  passions  humaines,  qu'il  se  retranche  dans  le  sanc- 
tuaire, qu'il  se  renferme  dans  les  fonctions  spirituelles  :  il  ga- 
gnera en  autorité  morale  sur  les  peuples  tout  ce  qu'il  aura 
Xjerdu  de  puissance  temporelle. 

»  Nous  savons  à  quoi  nous  en  tenir  désormais,  et  l'expé- 
rience est  venue  démontrer  ce  qu'U  y  avait  de  sincérité  dans  ces 
protestations.  Du  moins  avons-nous  gagné  ceci,  c'est  de  pou- 
voir dire  avec  notre  divin  Maître  «  que  leur  haine  est  une  haine 
gratuite.  » 


LIVRE  DEUXIÈME. 
Lutte  dos  Papes  avec  la  Révolution, 

de  1797  à.  1815. 


CHAPITRE  PREMIER. 

MALHEURS  ET  CBUTS  CES  SOUYBRAhNS  PBRSÉCUTBUBS  DB  l'ÉGLISF, 


L'iiistoire  de  l'Eglise  n'est  qu'un  long  combat  pour  sa 
liberté.  Société  universelle  de  vérité  et  de  justice,  elle  a- 
eu  constamment  à  lutter  en  tous  lieux  contre  la  force  qui 
cherche  sans  cesse  à  prévaloir  sur  l'ordre  intellectuel  et 
moral.  Cette  lutte,  qui  n'est  que  l'antique  et  éteinelle 
guerre  de  la  matière  et  de  l'esprit,  a  pris  successivement, 
selon  l'état  de  la  société,  des  formes  diverses. 

Mais  on  peut  dire  aussi  que  tous  ceux  qui  sont  venus  se 
heurter  contre  cette  pierre  ont  fini  par  s'y  briser.  Chaque 
tiècle  a  ajouté  un  long  chapitre  au  tr.^Jté  de  Lactancc  Sur 
la  mort  des  persécuteurs.  Voici  îl  ce  sujet  une  belle  page  d'un 
profond  penseur  de  notre  époque  ; 

t  Dès  qu'un  prince  s'allie  îi  l'œuvre  divine  et  s'avance 
suivant  ses  forces,  il  pourra  sans  doute  payer  son  tribut 
d'imperfections  et  de  malheurs  à  la  triste  humanité;  mais 
il  n'imporle,  son  front  sera  marqué  d'un  certain  signe  que 
tous  les  siècles  révèrent,  dit  Joseph  de  Maistre  : 


DE  1797  A  I8I0.  2o9 

Illum  aget  penna  metuente  solvi 
Fama  superstes. 

ï  Par  la  raison  contraire,  tout  prince  qui,  né  dans  la 
lumière,  la  méprisera  ou  s'efforcera  de  l'éteindre,  et  qui 
surtout  osera  porter  la  main  sur  le  Souverain-Pontife  ou 
laffliger  sans  mesure,  peut  compter  sur  un  châtiment  tem- 
porel et  visible.  Règne  court,  désastres  humiliants,  mort 
violente  ou  honteuse,  mauvais  renom  pendant  sa  vie,  et 
mémoire  flétrie  après  sa  mort,  c'est  le  sort  qui  l'attend  en 
plus  ou  en  moins. 

»  De  Julien  à  Philippe  le  Bel,  les  exemples  anciens  sont 
écrits  partout  » 

Voici  quelques  pièces  justificatives  de  l'assertion  de 
Joseph  de  Maistre  : 

«  L'an  518,  le  pape  Symmaque  écrivait  à  l'empereur 
Anastase  P'  :  «  Songez,  prince,  au  sort  de  tous  les  empe» 
»  reurs  qui  ont  persécuté  la  foi  catholique.  Ils  ont  presque 
»  tous  péri  misérablement.  »  Symmaque  excommunia 
Anastase  l". 

>  Peu  après  Anastase  périssait  frappé  de  la  foudre  (0I8), 

»  En  526,  le  roi  des  Ostrogoths,  Théodoric  le  Grand 
(arien),  fait  jeter  en  prison,  dans  Ravenne,  sa  capitale,  le 
pape  saint  Jean  P%  qui  meurt  bientôt  de  faim  et  de  soif 
(27  mai  526). 

»  Trois  mois  après,  Théodoric  mourait  de  remords 
d'avoir  fait  périr,  outre  le  saint  Pontife,  ses  conseillers 
Symmaques  et  Boèce. 

»  En  653,  saint  Martin  P' est  arrêté,  emprisonné,  traîné 
à  Constantinople,  puis  exilé  à  Cherson,  où  il  meurt  de  mi- 
sère le  16  septembre  665,  par  ordre  de  l'empereur. 
Constant  II. 

»  Trois  ans  après.  Constant  II  était  tué  dans  le  bain  par 
un  de  ses  ofticiers,  le  15  juillet  668,  après  avoir  dû  quitior 
sa  capitale  devant  la  haine  de  son  peuple. 


260  LUTTE   DES    PAPES   AVEC    LA   RÉVOLUTIOX. 

»  En  692,  Justinien  II  fait  tenir  à  Constantinople  un 
conciliabule  et  cherche  à  faire  saisir  le  pape  saint  Ser- 
gius  I". 

»  Deux  ans  après,  en  694,  il  est  déposé,  a  le  nez  coupé, 
et  se  voit  relégué  en  Grimée  par  Léonce,  son  successeur. 

»  Astolphe  et  Didier,  rois  des  Lombards,  font  la  guerre 
auK  papes  Etienne  II  (75o),  Etienne  III  et  Adrien  P^  Ils  en 
sont  châtiés  par  les  rois  francs  Pépin  et  Charlemagne. 
Celui-ci  met  fin  au  royaume  des  Lombards  en  774. 

»  Vers  la  fin  du  x^  siècle  (998)  Crescentius,  que  Gibbon 
décore  du  nom  de  Brutus,  voulut  absorber  Rome.  A  deux 
reprises,  il  s'empara  do  l'autorité  souveraine,  il  opprima 
les  Souverains-Pontifes  et  les  exila;  enfin  il  conçut  le  des- 
sein de  restaurer  dans  la  ville  sainte  l'autorité  des  empe- 
reurs grecs.  Mais  finalement  il  fut  pendu,  par  ordre,  non 
du  Pape,  mais  de  l'empereur  d'Allemagne,  et  sa  tête  fut 
exposée  sur  les  créneaux  du  château  Saint-Ange. 

»  Arnaud  de  Brescia  voulut  absorber  Rome,  manger  du 
Pape;  mais  le  morceau  s'embarrassa  dans  son  gosier. 
Après  avoir  dominé  à  Rome  pendant  dix  ans,  il  fut  mis 
en  prison,  et  de  là  condamné  h  la  peine  du  feu;  ses  cen- 
dres furent  jetées  dans  le  Tibre. 

»  Frédéric  I"  Barberousse,  jaloux  de  posséder  Rome, 
chercha  à  l'absorber.  Le  pape  Alexandre  III  lui  résista  si 
bien,  qu'il  fut  obligé  de  faire  amende  honorable.  Ge  prince 
se  noya  en  traversant  le  Gydnus,  en  Gilicie,  et  sa  famille 
éprouva  toute  sorte  d'infortunes. 

»  L'empereur  Henri  IV  assiégea  Rome  trois  fois,  y  établit 
un  antipape,  et  trôna  lui-même  quelque  temps  au  Capi- 
tule ;  mais  il  dut  s'enfuir  de  la  ville  sainte  à  l'approche  du 
Normand  Robert  Guiscard,  qui  rétablit  le  véritable  Pape, 
saint  Grégoire  VII;  et  il  alla  plus  tard  mourir  de  misère  à 
Liège. 

»  Henri  V  continue  à  persécuter  les  Papes  et  l'Église, 


DE  1797  A  1815.  £61 

est  excommunié,  mais  enfin  fait  sa  paix  en  1122  avec 
Calixte  IL  II  meurt  sans  postérité  en  1129. 

s  L'empereur  Othon  I",  surnommé  le  Grand,  voulut  ab- 
sorber Rome;  il  chassa  de  son  trône  le  pape  Jean  XII, 
dont  cependant  il  venait  de  recevoir  la  couronne  impériale 
Bientôt  après  il  fut  emporté  par  une  attaque  d'apoplexie. 

»  En  1209,  Othon  de  Saxe,  au  mépris  des  lois  de  la  jus- 
tice et  de  ses  promesses  solennelles,  envahit  le  patrimoine 
du  Saint-Siège,  dans  le  dessein  d'absorber  Rome.  Le  Pape 
lança  sur  lui  une  excommunication  :  quelque  temps  après 
Othon  fut  vaincu  à  Bouvines  par  les  Français,  et  les  Alle- 
mands le  dépouillèrent  de  sa  couronne. 

»  L'empereur  Henri  VI,  s'empare  de  la  Sicile,  fief  du 
Saint-Siège,  est  excommunié  par  Célestin  III,  et  meurt  peu 
après,  le  28  septembre  1197,  à  l'âge  de  trente-deux  ans, 
détesté  de  tous. 

«  Philippe  de  Souabe,  frèrede  Frédéric  Barberousse,  et 
Othon  de  Brunswick  se  disputent  l'empire.  Philippe,  non 
reconnu  par  le  pape  Innocent  III  et  excommunié  par  lui, 
meurt  assassiné  (1208). 

»  Frédéric  II  devait  son  élévation  et  sa  puissance  à  In- 
nocent III;  aussi,  tant  que  ce  Pape  vécut,  il  resta  fidèle  à 
ses  serments  ;  mais,  après  la  mort  d'Innocent,  il  viola  in- 
dignement ses  promesses.  Enivré  par  ses  succès,  il  en- 
treprit d'enlever  au  Saint-Siège  sa  puissance  temporelle; 
il  ravit  à  sa  suzeraineté  la  Sardaigne,  et  dépouilla  l'Eglise 
de  toute  sa  liberté  dans  le  royaume  de  Naples.  Frédéric 
fut  excommunié  au  concile  de  Lyon  et  déclaré  déchu  de  la 
dignité  impériale.  Accablé  de  revers,  il  mourut  en  1250, 
dans  un  coin  de  l'Italie.  Son  fils  Conrad  ne  lui  survécut 
que  quatre  ans,  et  son  petit-fils  Conradin  porta  sa  tète  sur 
l'èchafaad.  Ainsi  s'éteignit  tristement  la  dynastie  des 
Ilohenstauffen,  qui  avait  fait  tant  de  maux  à  lEglise. 

»  Mainfroy,  fils  naturel  de  Frédéric  II  et  usurpateur  du 


262  LUTTE   DES   PAPES   AVEC   LA  RÉVOLUTION. 

royaume  de  Sicile,  est  excommunié  par  Clément  IV,  et 
périt  le  2G  février  126G,  dans  la  bataille  de  Bénévcnt, 
gagnée  par  Charles  d'Anjou,  qui  avait  reçu  l'investiture 
de  la  Sicile  comme  fief  du  Saint-Siège. 

»  Philippe  le  Bel  persécuta  le  pape  Boniface  VIII  et  se 
proposait  d'absorber  Rome;  il  mourut  d'une  chute  de 
cheval  à  l'âge  de  quarante-six  ans. 

»  L'empereur  Louis  de  Bavière  est  excommunié  par  Jean 
XXII,  crée  un  antipape  (Nicolas  V),  et  se  fait  couronner 
par  lui  à  Rome  en  13!28.  Bientôt  il  se  voit  chassé  de  toute 
l'Italie.  Il  persiste  dans  sa  révolte  contre  le  Saint-Siège 
sous  Clément  VI,  qui  fait  élire  et  confirmer  un  nouvel  em- 
pereur, Charles  de  Luxembourg  (1346).  Louis  s'en  moque, 
et  il  meurt  bientôt  après  d'une  apoplexie  foudroyante 
(11  octobre  1347).  » 

Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  ce  court  exposé  des 
jugements  de  Dieu.  Notre  cadre  ne  nous  permet  pas  de 
plus  longs  développements.  Nous  arrivons  sans  transition 
à  l'histoire  contemporaine,  sujet  de  ce  volume. 

Rohrbacher,  dans  son  Histoire  de  l'Eglise,  a  fait  ressortir 
en  quelques  lignes  que  nous  allons  citer,  ce  que  les  divers 
gouvernements  ont  gagné  dans  ces  derniers  temps  en  vou- 
lant entraver  la  liberté  de  l'Église. 

«  Daniel  a  dit  de  la  statue  prophétique  des  quatre  em- 
pires successifs  :  «  Alors  furent  réduits  en  poudre,  fer,  ar- 
•  gile,  airain,  argent,  or;  ils  devinrent  comme  la  menue 
»  paille  que  le  vent  emporte  de  l'aire  pendant  l'été,  et  ils 
»  disparurent  sans  plus  trouver  aucun  lieu.  »  Cette  pré- 
diction, nous  la  voyons  se  réaliser  de  plus  en  plus  dans  la 
période  1802  à  1848,  sur  les  dix  royaumes  issus  de  l'em» 
pire  romain,  notamment  sur  ceux  qui  réceiament  avaient 
fait  plus  ou  moins  la  guerre  à  l'Eglise  de  Dieu.  Joseph  II, 
empereui'  d'Allemagne,  et  même,  quant  au  nam,  empereur 


DE  1797  A  1815.  263 

romain,  avait  fait  cette  guerre  avec  plus  de  persistance; 
ii  n'y  aura  plus  d'empereur  romain  ni  même  d'empereur 
d'Allemagne,  mais  un  empereur  d'Autriche,  avec  une  dou- 
zaine de  rois  ou  de  princes  allemands,  indépendants  les 
uns  des  autres,  pour  aider  le  protestantisme  à  indivi- 
dualiser les  peuples  allemands  comme  de  la  menue  paille. 
Le  roi  d'Espagne,  sur  la  monarchie  duquel  le  soleil  ne  se 
couchait  pas,  s'était  fait  un  devoir  de  contrister  l'Eglise 
en  la  privant  de  sa  plus  vaillante  milice;  récemment  encore 
il  s'apprêtait  à  partager  avec  la  république  française  les 
domaines  du  Saint-Siège.  Le  roi  d'Espagne,  sur  l'ordre 
d'un  général  français,  cessera  d'être  roi,  et  sera  remplacé 
par  un  citoyen  français;  l'Espagne  perdra  ses  immenses 
possessions  du  Nouveau  Monde,  qui  se  transformeront  en 
une  demi-douzaine  de  républiques;  l'Espagne  d'Europe  se 
divisera  contre  elle-même  jusqu'à  ne  plus  savoir  quelle 
tête  se  donner.  Le  Portugal,  complice  de  l'Espagne  dans  la 
guerre  contre  l'Eglise,  perdra  également  ses  possessions 
d'Amérique,  et  verra  sa  dynastie  divisée  contre  elle-même. 
Le  gouvernement  de  Naples,  satellite  obséquieux  de 
l'Espagne,  quelquefois  pire  encore,  sera  expulsé  de  chez 
lui,  remplacé  par  un  gouvernement  français,  ne  trouvera 
de  refuge  que  dans  la  Sicile,  qu'il  traitera  ensuite  en  pays 
conquis,  ce  qui  provoquera  de  nouvelles  révolutions.  La 
France  gouvernementale,  qui  se  posa  toujours  volontiers 
en  gouvernante  de  l'Eglise  romaine,  qui  plus  d'une  fois 
se  permit  de  mettre  la  main  sur  elle,  la  France  gouverne- 
mentale, après  avoir  déjà  subi  tant  de  métamorphoses  de 
1789  à  1804,  s'est  culbutée  elle-même,  avec  ses  chartes  et 
ses  chambres,  jusqu'à  sept  fois,  de  1813  à  1848,  espace  de 
trente-cinq  ans  ;  en  avril  1814,  d'empire  en  royauté  res- 
taurée; en  avril  1815,  de  restauration  en  empire;  en 
juillet  1815,  d'empire  en  restauration;  en  juillet  1830,  de 
royauté  restaurée  en  royauté  constitutionnelle;  en  février 


264  LUTTE  DES  PAPES  AVEC  LA  RÉVOLUTIOH. 

1848,  de  royauté  constitutionnelle  et  héréditaire  en  répu- 
blique provisoire  ;  en  décembre  1851,  elle  a  donné  à  la  ré- 
publique une  présidence  décennale  et  dictatoriale  qui  re- 
nouvelle l'empire.  Tout  cela  paraît  un  commentaire  assez 
intelligible  de  ces  paroles  de  Daniel  :  *  Alors  furent  réduits 
»  en  poudre,  fer,  digile,  airain,  argent,  or;  ils  devinrerrt 
»  comme  la  menue  paille  que  le  vent  emporte  de  l'aire 
»  pendant  l'été,  et  ils  disparurent  sans  plus  trouver  aucun 
•  lieu.  Mais  la  pierre  qui  avait  frappé  la  statue  devint  une 
»  grande  montagne  qui  remplit  toute  la  terre.  » 

Pie  \1   et  Joseph  II. 

Jamais  les  vertus  chrétiennes  n'ont  plus  d'éclat  et  ne 
sont  d'un  plus  bel  exemple  que  lorsqu'elles  brillent  soua 
la  couronne  ou  sous  la  tiare. 

A  peine  Pie  VI  était  assis  sur  le  ti'ône  pontifical,  que 
l'empereur  Joseph  II,  qui  s'était  laissé  pénétrer  des  prin- 
cipes de  la  moderne  philosophie,  entreprit,  dans  ses 
provinces  des  Pays-Bas ,  des  réformes  religieuses  sans  le 
concours  de  l'autorité  pontificale.  Plusieurs  monastères 
supprimés,  d'anciens  usages  religieux  abolis  ou  changés, 
de  nouvelles  doctrines  enseignées  dans  les  rescrits  impé- 
riaux, tout  annonçait  chez  ce  prince  l'intention  de  s'af- 
franchir jusqu'à  un  certain  point,  dans  le  gouvernement  de 
ses  vastes  Etats,  de  la  puissance  spirituelle  des  Pontifes 
romains  ;  les  philosophes  et  même  les  sectaires  se  félici- 
taient de  le  compter  au  nombre  de  leurs  adeptes*. 

•  Joseph  II,  élève  des  philosophes  français  et  leur  alli6, 
avait  renversé  presque  eulièreinent  rédifice  ecclésiasliquecluis 
SCS  Etats.  Les  églises  avaient  été  privées  de  leurs  ornements  et 
des  images  qui  déplaisaient  à  leinpei'cur  philosophe  ;  les  pro- 
cessions, les  pèlerinages,  les  (•(iiifréries  étaient  supprimés.  Oii 
avait  enlevé  du  bréviaire  foi'licc  de  saint  Grégoire  VII;  labullo 


DE  1797  A  1815.  265 

Pie  VI,  profondément  affligé  de  ces  innovations,  lui  fait 
d'abord  entendre  la  voix  du  Père  commun  des  fidèles  ;  il 
l'avertit  avec  tous  les  ménagements  que  réclame  la  dignité 
impériale,  mais  avec  le  zèle  qui  doit  animer  le  premier 
pasteur  de  l'Eglise  catholique,  de  s'arrêter  dans  la  voie 
dangereuse  où  il  s'est  engagé.  Pénétré  de  douleur  en  ap- 
prenant l'inutilité  de  ses  charitables  avis,  il  part  de  Rome 
pour  Vienne,  malgré  son  âge  avancé  et  la  longueur  de  la 
route  qu'il  doit  parcourir  avant  de  trouver  la  brebis  qui 
commence  à  s'égarer.  Reçu  dans  la  capitale  de  l'Autriche 
avec  tous  les  honneurs  dus  à  sa  haute  dignité,  ce  ne  fut 
pas  sans  la  plus  vive  douleur  qu'il  vit  le  monarque  autri- 
chien, se  bornant  à  ces  témoignages  de  son  respect  pour  le 
Chef  de  l'Eglise,  poursuivre  l'accomplissement  de  ses 
desseins. 

Joseph  El  nialhenrenx  dans  toafes  ses  entreprises. 

Le  souverain  qui  tyrannise  l'Eglise  ne  peut  être  le  père 
de  son  peuple.  Joseph  II,  dans  son  Code  criminel,  rangeait 
parmi  les  crimes  d'État  des  délits  ordinaires  qu'il  punis- 
sait de  mort.  Il  y  prodiguait  la  peine  du  bâton  et  de  la 
marque  sur  la  figure:  il  laissait  subsister  des  prisons  hor- 
ribles, où  le  malheureux  prisonnier  était  accablé  sous  des 
masses  de  fers  et  ne  se  voyait  donner  qu'un  peu  d'eau  et  de 

In  cœna  Domini  n'était  plus  admise.  Les  couvents  étaient  sous- 
traits à  la  juridiction  des  généraux  d'ordres,  aucun  religieux 
n'avait  la  permission  d'aller  à  Rome  ;  on  avait  supprimé  2,024 
monastères  et  dispensé  les  moines  qui  restaient  dans  les  autres 
de  l'assistance  au  chœur.  Enfin  on  avait  incarcéré  les  biens  de 
l'Eglise,  enlevé  aux  évêques  de  la  Lombardie  la  direction  de 
leurs  grands  séminaires,  taxé  les  frais  des  funérailles  et  fixé 
les  heures  où  il  serait  permis  de  sonner  les  cloches  et  de  tenir 
les  églises  ouvertes.  Joseph  II  était  entré  dans  de  tels  détails, 
que  Frédéric  II  l'appelait  son  frère  le  sacristain.  VA  quelle  était 
la  raison  de  toutes  ces  innovations?  La  volonté  de  rcnipcrcur. 

12 


2G6  LUTTE   DES   PAPES   AVEC  LA  RÉVOLUTION 

pain;  il  confisquait  les  biens  des  criminels  de  lèse-majesté, 
sans  tenir  nul  compte  des  héritiers  ;  il  créait  de  nouveaux 
délits  politiques  qu'il  faisait  rigoureusement  punir;  il  dé- 
fendait de  voyager  avant  IMge  de  vingt-sept  ans,  et  éta- 
blissait une  taxe  des  absents  sur  les  propriétaires  qui  allaient 
à  l'étranger. 

Ce  despotisme  exercé  sur  l'Eglise  et  sur  le  peuple 
réussit  mal  à  Joseph  II*.  Vers  la  fin  de  son  règne,  il  fut 
battu  par  les  Turcs  ;  l'Angleterre,  la  Prusse  et  la  Hollande 
se  liguèrent  contre  ses  prétentions;  la  Hongrie  et  les 
Pays-Bas  se  révoltèrent.  Des  plaintes  s'élevaient  de  toutes 
parts  contre  lui,  et  il  n'avait  fait,  avec  toutes  ses  réformes 
qu'ébranler  son  trône  au  moment  où  il  avait  le  plus  besoin 
d'être  consolidé.  L'empereur  Joseph  II  ne  transmit  à  ses 
successeurs  que  la  haine  causée  par  ses  innovations.  Re- 
pentant à  l'heure  de  la  mort,  il  dicta  lui-même  cette  épi- 
taphe  :  Ci-gît  Joseph  II,  malheureux  dans  toutes  ses  entre- 
2)rises,  et  il  écrivit  dans  son  testament  :  «  Je  prie  ceux  ii 
qui,  contre  ma  volonté,  je  n'aurais  pas  rendu  justice,  de 
me  pardonner,  soit  par  charité  chrétienne,  soit  par  huma- 
nité; je  les  prie  de  considérer  qu'un  monarque  sur  le  trône 
n'en  est  pas  moins  un  homme  comme  le  pauvre  dans  sa 
chaumière,  et  que  tous  deux  sont  sujets  à  l'erreur.  » 

*  11  répondit  à  un  evCquc  qui  lui  demandait  di  s  inslruclions 
pour  pouvoir  se  conformer  à  ses  décrets  :  L'insittiction  est  que 
)eveux  être  obéi.  (Voyez  Cantù,  Hist.  univ.,  t.  X,  3«  édit.,  Turin, 
1846,  p.  564.) 

En  usurpant  la  puissance  de  l'Eglise,  un  prince,  bien  loin 
à'augnicntor  sa  propre  puissance,  l'airaiblit  au  contraire  ;  car 
nul  iicpcut  soutûnir  ce  qui  le  soutient  ;  et  le  pouvoir  temporel  se 
consumerait  en  vains  eliorts  à  porter  la  colonne  destinée  elle- 
même  ù  le  porter. 


DE  1797  A  181S.  ^67 


Pio  VI    et   le  Birecioire. 

Le  vénérable  Pie  VI  refusa  de  révoquer,  sur  la  demande 
du  Directoire,  ce  qu'il  avait  fait  contre  le  schisme  en 
France, 

Quelques  jours  après  que  les  Français  eurent  pris  pos- 
session de  Rome,  un  calviniste  suisse,  nommé  Haller,  fut 
choisi,  préférablement  à  tout  autre,  pour  aller  annoncer 
au  Pape,  environné  du  Sacré-CoUége,  que  le  peuple  romain 
avait  repris  sa  souveraineté  et  ne  le  reconnaissait  plus 
pour  son  chef  temporel.  Le  Pontife  leva  les  yeux  vers  le 
ciel,  joignit  les  mains  et  adora  les  décrets  de  la  Providence 
qui  l'éprouvait  par  un  si  cruel  revers.  Aussitôt  on  licencia 
ses  gardes,  on  mit  des  Français  à  leur  place,  et  Pie  VI  se 
vit  entre  les  mains  de  ses  ennemis.  Ce  fut  alors  que  le  gé- 
néral Berthier  lui  fit  présenter  par  le  général  Cervoni  la 
cocarde  nationale ,  et  l'invita  à  se  parer  de  ce  nouvel  or- 
nement. »  Je  ne  connais  point  d'autre  uniforme  pour  moi,  » 
répondit  le  Pape,  que  celui  dont  l'Église  m'a  honoré. 
Vous  avez  tout  pouvoir  sur  mon  corps,  mais  mon  âme  est 
au-dessus  de  vos  atteintes.  Je  n'ai  pas  besoin  de  pension; 
un  bâton  au  lieu  de  crosse  et  un  habit  de  bure  suffisent  à 
celui  qui  doit  expirer  sous  la  haire  et  sur  la  cendre.  J'a- 
dore la  main  du  Tout-Puissant,  qui  punit  le  berger  et  le 
troupeau.  Vous  pouvez  brûler  et  détruire  les  habitations 
des  vivants  et  les  tombeaux  des  morts,  mais  la  religion 
est  éternelle  ;  elle  existera  après  vous  comme  eiie  existait 
avant  vous,  et  son  règne  se  perpétuera  jusqu'il  la  fin 
des  siècles.  »  C'est  ainsi  qu'expira  pour  un  temps  la  puis- 
sance temporelle  des  Papes;  mais,  en  perdant  la  sienne, 
Pie  VI  conserva  toute  sa  gloire,  et  sa  chute  ne  servit  qu'à 
mieux  faire  éclater  sa  vertu  et  sa  grandeur  d'âme. 
Gomjne  les  commissaires  français»  craignaient  que  la 


2C8  LUTTE   DES   tAPES   AVEC   LA   RÉVOLUTION 

présence  de  l'ancien  souverain  de  Rome  ne  fût  nuisible  èi 
l'établissement  de  la  nouvelle  république  romaine,  le 
même  Haller  alla  lui  annoncer  de  leur  part  qu'il  se  tînt 
prêt  à  partir  le  lendemain,  dès  les  six  heures  du  matin. 
«  Je  suis  âgé  de  quatre-vingts  ans,  lui  répondit  le  Pape 
avec  douceur;  depuis  deux  mois,  je  suis  accablé  d'une 
maladie  si  cruelle  qu'à  chaque  instant  je  croyais  toucher 
à  ma  dernière  heure.  A  peine  convalescent,  comment 
supporterai-je  les  fatigues  d'un  voyage?  Mon  devoir  m'at- 
tache ici;  je  ne  puis  sans  crime  abandonner  les  fonctions 
de  mon  ministère  :  c'est  ici  que  je  dois  mourir.  »  —  «  Vous 
mourrez  partout  ailleurs  aussi  bien  qu'ici,  reprit  Haller; 
point  de  raisonnement  ni  de  prétexte.  Si  vous  ne  partez 
pas  de  gré,  on  saura  vous  faire  partir  de  force.  »  Le  Pape 
parut  céder  un  instant  à  la  rigueur  du  coup  qui  venait  de 
l'accabler;  mais,  passant  dans  son  cabinet  et  se  jetant  aux 
pieds  du  crucifix,  il  puisa  dans  la  prière  la  force  dont  il 
avait  besoin  pour  résister  à  de  si  cruelles  persécutions. 
Il  parut  un  quart  d'heure  après  avec  son  calme  et  sa  sé- 
rénité ordinaires.  «  Dieu  lèvent,  dit-il  tranquillement,  sou» 
mettons-nous  avec  résignation  à  ses  décrets.  « 

Il  y  a  dans  la  vie  de  ce  Pontife  trois  phases  parfaitement 
distinctes;  elles  aboutissent  toutes  à  sa  gloritication.  En 
montant  sur  le  trône,  en  régnant  comme  un  père,  il  est 
l'admiration  de  son  peuple.  Pèlerin  apostolique,  il  traverse 
l'Italie  et  l'Allemagne  au  milieu  de  tous  les  respects  des 
tatholiques  et  des  protestants;  puis,  quand  une  radieuse 
vieillesse  couronne  sa  tète  de  cheveux  blancs,  le  Pontife 
est  appelé  à  rendre  à  Dieu  un  suprême  témoignage  '.  On 
dirait  que,  comme  saint  Pierre  venant  d'otfrir  h  Jésus- 
Christ  la  double  consécration  de  son  amour  et  de  son  dé- 
vouement. Pie  VI  a  entendu,  a  recueilli  les  paroles  qui  furent 

*  Voir  Grctineau-Joly,  CEijUse  en  face  de  la  Révolution, 
tome  1". 


DE  1797  A  1815.  269 

adressées  au  Prince  des  Apôtres  par  le  Christ  lui-même  : 
€  En  vérité,  en  vérité  je  te  le  dis,  lorsque  tu  étais 
plus  jeune,  tu  te  ceignais  toi-même,  et  tu  allais  où  tu  voa- 
lais;  mais  lorsque  tu  seras  vieux,  tu  étendras  les  mains, 
et  un  autre  te  ceindra  et  te  mènera  où  tu  ne  voudras  pas.  » 

Et  l'Evangéliste  ajoute  :  «  Or,  il  dit  cela  pour  marquer 
par  quelle  mort  il  devait  glorifier  Dieu.  Et  après  avoir 
ainsi  parlé,  il  lui  dit  :  Suivez-moi.  » 

Le  successeur  des  Apôtres  faisait  comme  saint  Pierre,  il 
suivait. 

Dans  ce  corps  affaibli  par  l'âge  et  par  les  souffrances,  il 
éclate  une  magnanimité  de  courage  à  faire  envie  à  des 
héros:  sa  couronne  d'or  pur  a  été  éprouvée  dans  la  four- 
naise sept  fois  ardente  des  tribulations.  Néanmoins  chaque 
parole  qui  tombe  de  ses  lèvres  est  sublime;  chaque 
sourire  de  résignation  que  le  martyr  adresse  aux  princes 
et  aux  peuples  se  pressant  sur  son  passage  sera  une  bé- 
nédiction ou  un  signe  de  félicité.  On  l'a  enlevé  nuitamment, 
afin  que,  comme  dans  le  récit  de  la  Passion,  il  n'y  ait  pas 
de  tumulte  parmi  le  peuple.  On  le  cache  à  tous  les  regards; 
c'est  h  peine  s'il  a  autour  de  lui  quelques  dévoués  ser- 
viteurs. Au  moment  où  il  va  laisser  Rome  pour  toujours, 
un  de  ces  jésuites  que  la  tempête  a  dispersés  se  présente  à 
Pie  VI.  «  Parlez-moi  franchement,  dit  le  Pape  au  P.  Ma- 
rotti,  secrétaire  des  lettres  latines  ;  vous  sentez-vous  le 
courage  de  monter  avec  moi  au  Calvaire?  »  Et  Marotti 
répond  :  Me  voici  prêt  à  suivre  les  pas  et  la  destinée  du 
Vicaire  de  Jésus-Christ  et  de  mon  souverain. 

Ces  peuples,  dont  les  yeux  étaient  depuis  longtemps 
habitués  aux  crimes  et  aux  désastres,  ne  s'étonnaient  plus 
de  grand'chose.  Cependant,  à  la  vue  de  ce  vieillard  n'ayant 
de  force  que  pour  bénir,  n'ayant  de  voix  que  pour  par- 
donner, les  peuples  s'émurent  d'une  de  ces  généreuses 
pitiés  qui  préparent  les  restaurations  et  font  comprendre 


270  LUTTE   DES   PAPES   AVEC   LA  RÉVOLUTION 

la  foi.  On  saluait  le  Pontife  sur  son  passage,  on  s'age- 
nouillait devant  lui;  de  tons  les  yeux  coulaient  des  larmes 
d'attendrissement  ou  de  vénération.  Plus  d'une  fois  môme 
le  Père  commun  se  vit  forcé  d'intervenir  pour  arracher  à 
la  mort  les  satellites  qui  l'escortaient  et  que  la  multitude 
indignée  voulait  massacrer. 

D'étape  en  étape,  c'est-à-dire  de  douleur  en  douleur,  la 
victime  que  l'on  traîne  au  sacrifice  passe  à  travers  toutes 
les  épreuves.  Les  épreuves  produisent  l'espérance.  L'Italie, 
où  tout  est  catholiauc,  s'est  inclinée  devant  ce  front  décou- 
ronné, mais  sur  lequel  resplendit  la  triple  majesté  de  la 
vieillesse,  de  l'infortune  et  de  la  vertu.  L'Italie  a  protesté 
contre  les  outrages  de  l'exil. 

Ces  protestations  sont  une  insulte  au  Directoire.  Un  de 
ses  membres,  un  avocat,  bossu  et  contrefait  comme  un  sac 
de  noix,  mais  théophilanthrope,  La  Réveillère-Lépeaux, 
obtient  de  ses  complices  dans  le  gouvernement  la  transla» 
tion  du  Pape  en  France,  Là  du  moins,  espôrenl-ils,  le 
vieux  levain  du  fanatisme  sacerdotal  ne  fermentera  pas 
pour  imposer  un  démenti  à  toutes  leurs  prédictions. 

Le  cortège  du  Pontife  prisonnier  s'engage  dans  les 
Alpes  et  dans  les  montagnes  du  Dauphiné.  Au  fond  dô 
cette  province,  qui  donna  le  signal  des  innovations,  il  y  a 
de  rudes  paysans,  de  simples  bergers,  des  femmes  labo» 
rieuses  que  la  conquête  de  l'égalité  civile  et  de  la  liccnco 
religieuse  a  dû  charmer.  Le  ciel  est  chargé  d'apostasies» 
l'atmosphère  s'imprègne  d'une  moqueuse  incrédulité.  La 
Révolution  s'applaudit  d'enlever  un  Pape,  mort  ou  vif,  cl 
de  le  montrer  au  peuple  comme  lo  dernier  vestige  de  la 
superstition  expirante. 

Le  peuple  a  saisi  la  leçon,  mais  en  sens  contraire.  On  lui 
a  dit  qu'il  était  libre,  il  use  de  cette  liberté  pour  s'agenouiller 
au  bord  des  chemins.  On  lui  a  légiféré  et  décrété  qu'il  n'y 
avait  plus  d'autre  Dieu  aue  celui  dont  la  nation  faisait 


DE  4797  A  1848.  271 

choix  à  volonté  et  à  terme,  plus  de  Pape,  plus  de  ciel,  plus 
d'enfer.  A  l'aspect  de  ce  pau%Te  vieillard  qui  peut  à  peine 
lever  les  mains  pour  bénir,  ce  peuple  redemande  son  Dieu; 
il  couvre  des  plus  touchants  hommages  le  Vicaire  de  ce 
Dieu. 

Malgré  tous  ses  vols  constitutionnels  et  ses  pillages  à 
domicile,  la  république  française  est  à  la  mendicité.  La 
pénurie  du  trésor  a  quelque  chose  de  si  inexplicable  que 
la  Révolution  se  voit  contrainte  de  laisser  à  la  charge  de 
ses  prisonniers  les  frais  de  leur  translation  forcée.  La  Ré- 
volution est  sans  ménagements  comme  sans  pudeur.  Elle 
a  fait  appel  aux  mauvaises  passions  de  son  peuple,  afin  de 
désoler  la  patience  de  Pie  \1;  le  Pontife  n'entend  sur  sa 
route  que  des  voix  filiales,  il  ne  rencontre  que  de  respec- 
tueuses tendresses.  L'autorité  veut  obéir  aux  ordres  supé- 
rieurs qu'elle  a  reçus  et  s'opposer  à  tant  de  démonstrations 
incroyables;  l'autorité  reste  confondue  dans  son  impuis- 
sance. 

Sur  le  chemin  qui  conduisait  au  Calvaire,  l'Homme-Dieu 
ne  trouva  pas  un  bras  de  bonne  volonté  pour  l'aider  à 
porter  sa  croix.  Simon  de  CjTène,  qui  revenait  des  champs, 
se  vit  imposer  ce  fardeau.  Plus  heureux  que  son  Maître, 
le  Pontife-Roi  provoque  partout  des  dévouements.  Le  jour 
de  la  Passion  précède  la  fête  des  Rameaux,  et  Pie  YI  mou- 
rant, mais  coifsolé,  mais  édifié,  put  s'écrier  :  «  Tout  cela 
prouve  que  la  foi  n'est  pas  éteinte  en  France.  > 

Son  exil  et  ses  pérégrinations  la  réveillaient  dans  les 
cœurs. 

Le  Père  commun,  épuisé  par  les  douleurs  et  vaincu  par 
l'émotion,  arrive  enfin  à  la  citadelle  de  Valence  *.  La  pa- 

'  Pie  VI  venait  d'arriver  à  Valence.  Une  foule,  composée  de 
curieux  et  de  vrais  enfants  de  l'Eglise,  s'était  portée  sur  soa 
pas  icre,  pour  voir  le  Pape  captif  ou  pour  recevoir  sa  béné- 
dicàua  ;  et  le   saint  Pontife  bénissait  tout  le  monde.  En  ce 


272  LUTTE   DES   PAPES   AVEC   LA  RÉVOLUTION 

ralysie  gagne  tous  ses  membres.  Le  Directoire  veut  encore 
qu'il  marche.  Pie  VI  ne  résiste  pas,  ce  sont  les  médecins 
qui  s'opposent  à  cette  impitoyable  translation;  ils  dé- 
clarent que  le  moribond  n'a  plus  que  très-peu  de  jours 
à  vivre.  Le  Pontife  expira  en  effet  le  29  août  1799,  à  l'âge 
de  quatre-vingt-un  ans  et  demi. 

Le  Seigneur  avait  donné  à  ce  grand  Pape  la  science  des 
saints.  Ses  pieds  marchèrent  constamment  dans  la  voie 
droite;  il  n'eut  de  zèle  que  pour  le  bien.  C'est  pourquoi, 
ainsi  qu'il  est  dit  au  Livre  de  la  Sagesse  :  Dieu  rendit 
ses  longs  travaux  vénérables  aux  yeux  de  tous,  et  le 
glorifia  d'une  dernière  couronne  d'honneur. 

Il  n'y  avait  plus  de  Pape,  il  ne  devait  plus  y  en  avoir, 
plus  d'Eglise  par  conséquent.  La  Révolution  se  félicitait 
avec  le  Directoire  de  régner  au  Capitole  et  de  commander 
au  Vatican;  elle  s'applaudissait  d'avon*  dispersé  le  sacré 
Collège,  et  de  rendre  ainsi  tout  conclave  impossible.  Les 
jours  marqués  par  le  philosophisme  uni  aux  jansénistes  et 
aux  constitutionnels  civils  arrivaient  à  pas  précipités. 
L'Eglise  romaine  allait  tomber  par  morceaux  comme  un 
vieux  mur  qui  n'a  plus  d'étais,  quand  tout-à-coup  la  face 
des  événements  change  avec  une  rapidité  providentielle. 

Le  général  Bonaparte,  qui  ne  soupçonnait  pas  alors  à 

moment,  une  toute  petite  enfant,  que  conduisait  par  la  main 
sa  pieuse  tante,  s'écria  vivement  du  milieu  de  la  foule  qui 
l'empêchait  de  voir  le  Saint-Père  :  Tante,  tante,  lève-moi;  je 
veux  le  voir!...  La  bonne  tante  la  prit  entre  ses  bras  et  l'ap- 
procha si  près  de  Pie  VI,  qu'il  put  mettre  ses  deux  mains  vé- 
nérables sur  la  tète  de  l'enfant  et  lui  donner  une  bénédiction 
spéciale.  La  foule  sourit,  et  l'on  entendit  plus  d'une  mère  qui 
disait  :  «  Est-elle  heureuse  !  >>  Ce  mot  s'est  trouvé  une  pro- 
phétie; la  bénédiction  du  saint  Pontife  lui  a  porté  bonheur.  La 
petite  enfant  d'alors  a  aujourd'hui  75  ans,  et  il  y  en  a  50  qu'elle 
est  religieuse  :  elle  aime  à  raconter  ce  trait  gravé  dans  son 
cœur. 


DE  1797  A  181.^,  273 

quelle  fortune  il  allait  être  élevé,  dans  une  lettre  à  son 
frère  Joseph  avait  dit  en  parlant  du  Pape  :  La  vieille  idole 
sera  bientôt  anéantie,  ainn  le  veulent  la  liberté  et  la  politique. 
L'impiété  croyait  voir  dans  cette  circonstance  la  prophétie 
du  grand  homme'. 

Pie  VI  était  mort  le  29  août  1799.  A  moins  de  trois  mois 
d'intervalle,  le  Directoire  succombe  à  son  tour  sous  les 
risées  de  la  France  et  devant  l'épée  du  général  Bonaparte. 
Le  Directoire  a  tout  voulu  gangrener  :  il  meurt  de  sa 
corruption:  il  a  tout  vendu,  tout  acheté,  tout  avili  :  il  se 
laisse  mettre  à  l'encan  et  marchander  comme  un  objet  de 
hasard.  Il  tombe  en  pourriture  sans  même  donner  de 
fumier. 

•  Cours  d'Histoire  ecclésiastique,  par  l'abbé  Rivaux,  t.  III, 
p.  339. 

Kous  détachons  les  lignes  suivantes  du  Mémorial  de  la  Révo- 
lution française  :  «  Le  2  juillet  1796,  Bonaparte  enlève  une 
partie  des  domaines  et  treize  millions  appartenant  au  .Saint- 
Siège.  Le  22  septembre  1798,  Bonaparte,  parti  pour  l'Egypte 
le  19  mai  précédent,  célèbre  au  Caire  l'anniversaii'e  de  la  fon- 
dation de  la  République,  une,  indivisible  et  impérissable.  Le 
bonnet  de  la  Liberté,  le  croissant  de  Mahomet,  les  Droits  de 
l'homme  et  l'Alcoran,  placés,  dit-on,  sur  la  même  table,  sont 
ua  dos  ox'nements  de  cette  fête.  )> 


12* 


274  LUTTE   DES   PAPES   AVEC   LA   RÉVOLUTION 

CHAPITRE  II. 

PIE  VU  BT  NAPOLÉON  BONAPAUTB. 


t  ...  Ma  vengcanco  est  entre  ses  mains.  Je  l'enverrai 
contre  une  nation  perfide,  contre  le  peuple  de  ma  colère. 
Qu'il  s'enrichisse  de  ses  dépouilles,  qu'il  le  mette  au 
pillage,  qu'il  le  foule  aux  pieds  comme  la  boue  ! 

•  ...  Son  cœur  ne  respirera  que  le  ravage  et  la  ruine 
des  nations.  Il  dira  :  «  Les  grands  de  ma  maison  ne  sont-ils 
»  pas  autant  de  rois?...  J'ai  tout  fait  par  la  force  de  mon 
»  bras  et  les  conseils  de  ma  sagesse...  J'ai  réuni  sous 
»  ma  puissance  tous  les  peuples  de  la  terre,  comme  on 
»  rassemble  des  œufs  abandonnés.  » 

t  ...  Mais  la  cognée  se  glorifie-t-elle  contre  celui  qui 
s'en  sert?...  Et  ce  bois  impuissant  s'élève  contre  Dieu  t.., 
Voih\  que  le  Seigneur,  le  Dieu  des  armées,  brisera  ce 
vase  d'argile,  coupera  les  rameaux  de  cet  arbre...  » 

(ISAÏE.) 

Il  est  des  hommes  que  Dieu  a  chargés  d'une  mission 
spéciale;  ils  apparaissent  de  loin  en  loin  sur  la  terre  pour 
la  gloire  ou  le  fléau  des  nations.  Le  Seigneur,  quand  il 
lui  plaît,  les  prend  par  la  main  et  les  élève  :  puis,  dès  qu'ils 
ont  fait  leur  œuvre,  il  les  brise  comme  d'inutiles  roseaux. 
Rien  n'annonce  la  prochaine  venue  de  ces  hommes;  ils  ne 
laissent  après  eux  ni  héritiers  ni  continuateurs.  Sésostris, 
qui  soumit  le  monde,  n'est  plus  de  nos  jours  qu'un  pré- 
texte offert  à  de  vaincs  recherches  hiéroglyphiques;  un 


DE  1797  A  1815.  275 

soufflo  fit  évanouir  l'empire  d'Alexandre  de  Macédoine; 
Attila  n'eut  pas  même  un  tombeau  que  ses  ennemis 
pussent  profaner;  Timour,  Gengiskan,  ces  deux  insensés 
qui  se  sont  baignés  dans  des  mers  de  sang  et  ont  amassé 
des  montagnes  de  têtes  coupées,  ne  nous  ont  transmis, 
pour  prix  de  leurs  travaux,  qu'un  long  souvenir  d'horreur 
et  d'épouvante;  Napoléon,  si  fastueusement  nommé  le 
Grand,  et  qui  avait  égalé  en  renommée  les  conquérants 
des  anciens  âges,  est  mort  à  dix-huit  cents  lieues  de  sa 
patrie,  vaincu,  abreuvé  de  fiel  et  enchaîné  comme  le  Pro- 
méthée  de  la  fable. 

Chacun  de  ces  hommes  fameux  a  eu  son  rôle.  Les  uns, 
et  c'a  été  le  petit  nombre,  ont  été  choisis  pour  consoler 
l'humanité  et  déblayer  quelques  ruines  sociales;  les  autres 
ont  été  envoyés  pour  châtier  par  le  glaive  *. 

Quelle  fut  la  mission  assignée  à  Napoléon  Bonaparte  ? 
C'est  un  secret  de  l'avenir.  Nous  l'entrevoyons  à  peine,  et 


'  «  Lorsque  Dieu  envoie  sur  la  terre  les  exécuteurs  des  châ-» 
timents  célestes,  tout  est  aplani  devant  eux;  ils  ont  des  succès 
extraordinaires  avec  des  talents  médiocres.  Nés  au  milieu  des 
discordes  civiles,  ces  exterminateurs  tirent  leurs  principales 
forces  des  maux  qui  les  ont  enfantés  et  de  la  tei-reur  qu'inspii'e 
le  souvenir  de  ces  maux  ;  ils  obtiennent  ainsi  la  soumission  du 
peuple  au  nom  des  calamités  dont  ils  sont  sortis.  Il  leur  est 
donné  de  corrompre  et  d'avilir,  d'anéantir  l'honneur,  de  dé- 
grader les  âmes,  de  souiller  tout  ce  qu'ils  touchent,  de  tout 
vouloir  et  de  tout  oser,  de  régner  par  le  mensonge,  l'impiété 
et  l'épouvante,  de  parler  tous  les  langages,  de  fasciner  tous  les 
yeux,  de  tromper  jusqu'à  la  raison,  de  se  faire  passer  pour  de 
vastes  génies,  lorsqu'ils  ne  sont  que  des  scélérats  vulgaires,  car 
l'excellence  en  tout  ne  peut  être  séparée  de  la  vertu  :  traînant 
après  eux  les  nations  séduites,  triomphant  par  la  multilude, 
déshonorés  par  cent  victoires,  la  torche  à  la  main,  les  pieds 
dans  le  sang,  ils  vont  au  bout  de  la  terre  comme  des  hommes 
ivres,  poussés  par  Dieu  qu'ils  méconnaissent.  » 

(Chateaubiuand.) 


276  LUTTE   DES   PAPES   AVEC   LA  RÉVOLUTION 

nous  sommes  condamnés  à  l'étudier  longtemps  encore.  Et 
comment,  sous  l'impression  récente  du  bien  et  du  mal  que 
nous  lit  cet  homme,  pourrions-nous  tenir  d'une  main  im- 
partiale la  balance  du  jugement?  S'il  a  relevé  les  autels, 
il  les  a  contristés;  s'il  a  porté  dans  toutes  les  capitales  la 
gloire  de  ses  aigles,  il  a,  par  le  délire  de  ses  entreprises, 
livré  Paris  aux  insultes  de  toutes  les  races  étrangères;  s'il 
a  rétabli  l'ordre,  il  n'a  su  remplacer  l'anarchie  des  piques 
que  par  la  tyrannie  de  la  force  matérielle;  s'il  a  rendu  à  la 
France  une  grandeur  inespérée,  il  s'est  payé  avec  usure 
de  ce  bienfait  en  sacrifiant  à  l'idole  de  son  orgueil  plusieurs 
millions  de  victimes  humaines. 

Dieu,  qui  protège  la  France,  cette  nation  élue  entre 
toutes  pour  porter  et  glorifier  la  croix,  avait  permis  qu'un 
formidable  orage  révolutionnaire  ravageât  notre  pays.  Le 
jour  vint  où  sa  miséricorde  se  reposa  de  nouveau  sur 
nous,  et  alors  elle  suscita  de  l'Egypte  l'homme  qui  devait 
terrasser  l'anarchie  et  relever  les  autels  en  ruine.  Ce  fut 
vraiment  alors  Cyrus,  prédit  par  les  prophètes  et  réservé 
pour  mettre  fin  à  la  servitude  du  peuple  de  Dieu.  Cette 
mission  était  celle  de  Napoléon;  il  l'accomplit  en  réta- 
blissant le  culte  et  en  réorganisant  la  société.  Il  pouvait  la 
compléter  par  de  sages  travaux,  par  de  puissantes  insti- 
tutions; mais  bien  que  sous  ce  rapport  encore  il  ne  soit 
point  demeuré  oisif,  il  est  juste  de  reconnaître  qu'au  lieu 
de  parfaire  son  œuvre,  il  la  dépassa,  qu'il  la  souilla  par 
le  meurtre  de  l'innocent,  par  une  suite  de  guerres  crimi- 
nelles, et  que,  destiné  à  être  la  consolation  de  sa  patrie, 
il  aima  mieux  en  être  le  fléau  :  c'est  là  que  la  justice 
divine  le  reprit  pour  le  châtier. 

Voilà  sa  mission  :  rendre  la  religion  proscrite  à  la 
France,  restaurer  l'ordre  et  les  mœurs  monarchiques;  au- 
delà,  il  ne  fut  plus  qu'un  instrument  de  colère  pour  la 


DE  1797  A  ISlo.  277 

France  et  pour  les  autres  peuples.  La  France  fat  punie  en 
lui  et  par  lui  de  son  fol  amour  pour  la  gloire  des  armes, 
comme  elle  avait  été  punie  dix  ans  plus  tôt,  par  le  règne 
des  bourreaux  et  des  clubs,  du  délire  de  ses  principes  et  du 
dévergondage  de  ses  désirs  *. 

Jagrement  de  Chateaabriand  sur  IVapoIéon. 

Napoléon  est  un  faux  grand  homme  :  la  magnanimité, 
qui  fait  les  héros  et  les  véritables  rois,  lui  manque.  De  là 
vient  qu'on  ne  cite  pas  de  lui  un  seul  de  ces  mots  qui 
annoncent  Alexandre  et  César,  Henri  IV  et  Louis  XIV.  La 
nature  le  forma  sans  entrailles.  Sa  tête  assez  vaste  est 
l'empire  des  ténèbres  et  de  la  confusion.  Toutes  les  idées, 
même  celles  du  bien,  peuvent  y  entrer,  mais  elles  en 
sortent  aussitôt.  Le  trait  distinctif  de  son  caractère  est  une 
obstination  invincible,  une  volonté  de  fer,  mais  seulement 
pour  l'injustice,  l'oppression,  les  systèmes  extravagants; 
car  il  abandonne  facilement  les  projets  qui  pourraient 
être  favorables  à  la  morale,  à  l'ordre  et  à  la  vertu.  L'ima- 
gination le  domine,  et  la  raison  ne  le  règle  point.  Ses 
desseins  ne  sont  point  le  fruit  de  quelque  chose  de  profond 
et  de  réfléchi,  mais  l'effet  d'un  mouvement  subit  et  d'une 
résolution  soudaine.  Il  a  quelque  chose  de  l'histrion  et  du 
comédien;  il  joue  tout,  jusqu'aux  passions  qu'il  n'a  pas. 
Toujours  sur  un  théâtre,  au  Caire,  c'est  un  renégat  qui  se 
vante  d'avoir  détruit  la  papauté;  à  Paris,  c'est  le  restau- 
rateur de  la  religion  chrétienne  :  tantôt  inspiré,  tantôt 
philosophe,  ses  scènes  sont  préparées  d'avance;  un  sou- 
verain qui  a  pu  prendre  des  leçons  afin  de  paraître  dans 
une  attitude  royale  est  jugé  par  la  postérité.  Jaloux  de 
paraître  original,  il  n'est  presque  jamais  qu'imitateur; 

*  Ainédée  Gabourd,  chef  de  bureau  au  ministère  de  l'iatériour, 
division  de  la  sûreté  générale,  sous  Napoléon  III. 


278       LUTTE  DES  PAPES  AVEC  LA  RÉVOLUTION 

mais  ses  imitations  sont  si  grossières  qu'elles  rappellent  îi 
l'instant  l'objet  ou  l'action  qu'il  copie;  il  essaie  toujours 
de  dire  ce  qu'il  croit  un  grand  mot,  ou  de  faire  ce  qu'il 
présume  une  grande  chose.  Affectant  l'universalité  du 
génie,  il  parle  de  finances  et  de  spectacles,  de  guerre  et 
de  modes;  rtgle  le  sort  des  rois  et  celui  d'un  commis  à 
la  barrière;  date  du  Kremlin  un  règlement  sur  les  théâtres, 
et  le  jour  d'une  bataille  fait  arrêter  quelques  femmes  à 
Paris.  Enfant  de  notre  Révolution,  il  a  des  ressemblances 
frappantes  avec  sa  mère  :  intempérance  de  langage,  goût 
de  la  basse  littérature,  passion  d'écrire  dans  les  journaux. 
Sous  le  masque  de  César  et  d'Alexandre,  on  aperçoit 
l'homme  de  peu  et  l'enfant  de  petite  famille.  Il  méprise 
souverainement  les  hommes,  parce  qu'il  les  juge  d'après 
lui.  Sa  maxime  est  qu'il  ne  font  rien  que  par  intérêt,  que 
la  probité  même  n'est  qu'un  calcul.  De  là  le  système  de 
fusion  qui  faisait  la  base  de  son  gouvernement,  employant 
également  le  méchant  et  l'honnête  homme,  mêlant  à 
dessein  le  vice  et  la  vertu,  et  prenant  toujours  soin  de 
vous  placer  en  opposition  îi  vos  principes.  Son  grand 
plaisir  était  de  déshonorer  la  vertu,  de  souiller  les  ré- 
putations; il  ne  vous  touchait  que  pour  vous  flétrir.  Quand 
il  vous  avait  fait  tomber,  vous  deveniez  son  homme,  selon 
son  expression;  vous  lui  apparteniez  par  droit  de  honte; 
il  vous  en  aimait  un  peu  moins  et  vous  en  méprisait  un 
peu  plus.  Dans  son  administration,  il  voulait  qu'on  ne 
connût  que  les  résultats  et  qu'on  ne  s'embarrassât  jamais 
des  moyens,  les  masses  devant  être  tout,  les  individualilés 
rien.  «  On  corrompra  cette  jeunesse,  mais  elle  m'obéira 
mieux;  on  tera  périr  cette  branche  d'industrie,  mais 
j'obtiendrai  pour  le  moment  plusieurs  millions;  il  périra 
soixante  mille  hommes  dans  cette  affaire,  mais  je  gagnerai 
la  bataille.  «  Voilà  tout  son  raisonnement,  et  voilii  comme 
les  royaumes  sont  anéantis  ! 


DE  1797  A  18 JD.  270 


Les  Tcrllifes  de  l'ambition. 


Le  roi  d'Assyrie,  dont  la  puissance  s'était  élevée  si  haut, 
dt  que  le  souffle  de  Dieu  abaissa  au-dessous  de  l'homme, 
est  le  symbole  certain  de  la  chute  réservée  à  l'orgueil  'des 
victorieux  et  des  princes  du  monde.  Le  Seigneur,  qui 
avait  pris  Napoléon  par  la  main  et  l'avait  ramené  de  la 
terre  des  Pharaons  pour  le  faire  servir  d'instrument  au 
salut  de  la  France,  abandonna  à  lui-même  ce  soldat  de 
fortune  lorque  par  ses  usurpations  et  ses  attentats  il  eut 
lassé  la  divine  miséricorde.  De  quelque  gloire  qu'il  plaise 
à  Dieu  d'environner  un  homme,  ce  privilégié  n'est  que 
cendre  et  poussière,  et  tout  honneur  qu'il  se  rend  à  lui- 
même  est  un  cri  de  révolte  contre  le  ciel. 

Quand  Napoléon  se  vit  monté  au  faîte  imprévu  de  sa 
puissance,  il  fut  saisi  d'un  vertige  moral;  on  remarqua 
dans  ses  facultés  un  changement  étrange,  et  qui  montre 
ce  qu'il  y  a  d'aberration  dans  la  vanité  humaine  :  le  rêve 
de  la  monarchie  universelle  entra  dans  son  cœur,  et  il  ne 
put  concevoir  sans  s'indigner  qu'on  osât  lui  imposer  le 
moindre  obstacle.  Toute  volonté  contraire  h  la  sienne  fut 
réputée  coupable;  toute  existence  qui  parut  borner  son 
horizon  dut  être  détruite.  Le  moindre  vestige  de  vérité 
ou  de  droit  lui  sembla  un  point  d'appui  k  la  révolte;  la 
liberté  la  plus  inoffensive  fut  déclarée  crime  de  lèse- 
majesté.  La  France  cessa  d'être  en  dehors  de  lui,  elle  lui 
parut  incorporée  en  sa  personne  ;  il  ne  vit  dans  le  formi- 
dable empire  soumis  à  ses  lois  qu'un  nouvel  instrument 
pour  accroître  sa  domination,  dans  sa  grande  armée 
qu'une  force  dévouée  nécessairement  i  sa  gloire,  dans  la 
population  qu'une  réserve  destinée  à  lui  fournir  des  coupes 
réglées  de  conscrits. 

Lui-même,  se  sentant  ainsi  obéi  et  admiré,  et  ayant 
reçu  en  sacrifice  de  si  nombreuses  victimes  humaines, 


280  LUTTE   DES   PAPES   AVEC    LA   RÉVOLUTION 

sembla  se  croire  d'une  nature  supérieure  h  la  nôtre;  il 
regretta  de  n'être  plus  au  siècle  où  les  monarques  de  la 
terre  se  plaçaient  au  rang  des  dieux',  t  Je  ne  suis  pas 
né  ;\  temps,  disait-il  k  un  de  ses  conseillers,  k  M.  de 
Tontanes.  Voyez  Alexandre  :  il  a  pu  se  dire  fils  de  Jupiter 
sans  être  contredit  :  moi  je  trouve  dans  mon  siècle  un 
prêtre  (le  Pape)  plus  puissant  que  moi,  car  il  règne  sur 
les  esprits,  et  je  ne  règne  que  sur  la  matière.  »  Il  faisait 
allusion  par  ces  paroles  à  ses  démêlés  avec  le  Chef  de 
l'Eglise. 

Napoléon  ne  voulait  point  s'engager  violemment  dans 
la  route  qu'avait  suivie,  huit  siècles  plus  tôt,  l'empereur 
Henri  IV,  et  au  terme  de  laquelle  il  avait  rencontré  un 
abîme.  Comme  il  convoitait  la  domination  exclusive  de 
l'Italie  et  la  souveraineté  de  Rome,  il  voulait  amener  le 
Pape  à  reconnaître  en  lui  un  seigneur  suzerain  à  qui 
Charlemagne  aurait  transmis  sur  les  Etats  de  saint  Pierre 
les  droits  des  anciens  exarques  de  Ravenne.  Dans  son  rêve 
de  monarchie  universelle,  il  songeait  à  faire  de  Paris  une 
capitale  du  monde,  siège  des  deux  grandes  souverainetés, 
temporelle  et  spirituelle,  et  qui  fût  devenue  la  résidence 
du  chef  politique  des  hommes  et  du  Vicaire  de  Jésus-Christ, 
réduit  dès  lors,  au  point  de  vue  de  la  puissance  séculière, 
à  n'être  qu'un  grand  évêque,  pasteur  des  âmes.  Il  osa 
même  faire  pressentir  le  Pape  sur  ce  qu'il  penserait  d'un 
projet  qui  assignerait  aux  Souverains-Pontifes  la  ville 
d'Avignon  pour  résidence,  et  leur  attribuerait  en  outre  à 
Paris  un  palais  papal  et  un  quartier  privilégié.  Il  espérait 
obtenir  ces  étranges  concessions  de  la  faiblesse  du  vieillard; 
mais  Pie  VII  lui  fit  répondre  :  t  On  a  répandu  qu'on  pour- 
rait nous  retenir  en  France;  eh  bien!  qu'on  nous  enlève 
la  liberté,  tout  est  prévu.  Avant  de  partir  de  Rome,  nous 

•  Amédée  Gabourd. 


DE  1797  A  1815.  281 

avons  signé  une  abdication  régulière,  valable,  si  nous 
sommes  jeté  en  prison;  l'acte  est  hors  de  la  portée  du 
pouvoir  des  Français,  le  cardinal  Pigiiatelli  en  est  dépo- 
sitaire à  Palerme,  et  quand  on  aura  signifié  les  projets 
qu'on  médite,  il  ne  vous  restera  plus  entre  les  mains 
qa'un  moine  misérable,  qui  s'appellera  Barnabe  Ghiara- 
monti*.  » 

La  bnlle  dVxi^oninianication. 

Les  relations  diplomatiques  entre  le  Saint-Siège  et  Napo- 
léon avaient,  de  la  part  de  ce  dernier,  un  caractère  d'ai- 
greur et  de  récrimination  qui  cachait  des  projets  fortement 
arrêtés  dans  sa  pensée  :  il  se  plaignait  vaguement  que  le 
Saint-Père  se  laissât  diriger  par  les  ennemis  de  la  France; 
il  affectait  d'accuser  l'autorité  spirituelle  du  Pape  d'en- 
traver sans  cesse,  par  de  nouvelles  exigences,  la  marche 
de  son  gouvernement.  Il  n'en  était  rien  cependant,  et  le 
Saint-Père,  en  maintenant  les  privilèges  de  l'Eglise  de 
France  d'après  les  principes  posés  dans  le  Concordat,  se 
montrait,  sous  le  rapport  temporel,  fidèle  exécuteur  des 
traités  et,  sous  le  rapport  spirituel,  étranger  à  toutes  vues 
personnelles  et  digne  pasteur  des  âmes. 

Tout-à-coup,  après  la  bataille  d'Eckmûhl  et  la  prise  de 
Vienne,  l'empereur  fit  représenter  au  Pape,  par  son  am- 
bassadeur à  Rome,  la  nécessité  absolue  où  il  se  trouvait 
d'exiger  qu'il  fermât  ses  portes  au  commerce  anglais  et 
celle  de  se  joindre  à  lui  contre  l'Autriche  et  l'Angleterre. 
La  réponse  du  Pape  respire  une  noble  et  pieuse  fermeté  : 
«  Je  suis,  dit-il,  le  Père  de  toutes  les  nations  chrétiennes, 
et  je  ne  puis,  sans  manquer  à  ce  titre,  me  faire  l'ennemi 
d'aucune  d'elles.  »  Néanmoins,  et  pour  éviter  tout  prétexte 
d'agression  à  l'empereur,  il  consentit  h  entrer  dans  le 

*  Amédée  Gabourd. 


282  LUTTE  DES   PAPES  AVEC   LA  RÉVOLUTION 

système  continental.  Mais  Napoléon  ne  fat  point  satisfait 
de  cette  déférence  du  Saint-Père  h  ses  projets  politiquos; 
il  osa  taxer  d'obstination  le  refus  du  Pape  ie  prendre  part 
Il  aucune  hostilité,  et  fit  occuper  par  ses  troupes  Ancône 
et  Givita-Vecchia.  Sa  colère  ne  devait  point  se  borner  h 
ces  premiers  actes  d'une  injuste  violence  :  le  2  février 
1809,  le  général  Miollis  entra  dans  Rome  à  la  tête  d'un 
corps  de  troupes  françaises;  il  l'occupa  militairement, 
désarma  et  licencia  la  garde  du  Saint-Père,  et  transmit 
l'ordre  h  tous  les  cardinaux  français  ou  nés  dans  les  parties 
du  territoire  de  l'empire  de  se  retirer  dans  leurs  patries 
respectives.  Napoléon  espérait  que  Sa  Sainteté,  livrée 
ainsi  h  elle-même  et  séparée  des  conseils  du  Saeré-Collége, 
se  montrerait  plus  docile  à  ses  volontés;  mais  l'illustre 
Souverain-Pontife  avait  en  lui  une  puissance  qu'aucune 
force  humaine  ne  pouvait  abattre,  et  il  puisa  dans  le  saint 
caractère  dont  il  était  revêtu  les  nobles  inspirations  contre 
lesquelles  Napoléon  ne  trouva  plus  que  d'odieuses  vio- 
lences. 

Le  17  mai  de  cette  année,  Napoléon,  faisant  remonter  sa 
légitimité  h  Charlemagne,  publia  un  décret  qui  réunit  les 
Etats  du  Saint-Siégo  à  son  empire.  Dans  cet  acte  audacieux. 
Napoléon,  qui  portait  la  main  sur  le  domaine  temporel  do 
saint  Pierre,  voulut  aussi  porter  atteinte  i\  la  vénération 
que  devait  lui  inspirer  le  caractère  spirituel  de  son  succes- 
seur, en  évaluant  en  argent  la  puissance  qu'il  venait  de  lui 
ravir. 

Le  Saint-Père  fut  affligé,  mais  non  abattu,  par  ce  coup 
hardi;  et  le  soir  même  où  Rome  retentit  de  la  procla- 
mation qui  apprenait  aux  Romains  ce  changement  im- 
prévu dans  leur  situation  politique,  il  demanda  justice 
h  Dieu  et  se  saisit  des  armes  spirituelles  qu'il  tenait  de  lui. 
Un  bref  d'excommunication,  écrit  on  entier  de  la  main  du 
Saint-Père  et  scellé  par  lui  de  lanncau  du  Pêcheur,  re- 


DE  1797  A  I8I0.  283 

trancha  l'empereur  de  la  communion  des  fidèles':  on  y 
lisait  ces  paroles,  qui  rappellent  les  temps  où  l'Eglise  a 
été  obligée  de  manifester  son  autorité  suprême  :  «  Que  les 
souverains  apprennent  encore  une  fois  qu'ils  sont  soumis 
par  la  loi  de  Jésus-Christ  à  notre  trône  et  à  notre  com- 
mandement ;  car  nous  exerçons  aussi  une  souveraineté, 
mais  une  souveraineté  bien  plus  noble,  à  moins  qu'il  ne 
faille  dire  que  l'esprit  doit  céder  à  la  chair  et  les  choses 
du  ciel  à  celles  de  la  terre.  >  Ainsi  parlait  le  Souverain» 
Pontife  dans  sa  sainte  colère  ;  néanmoins  il  eut  soin  d'ex- 
pliquer qu'il  n'entendait  infliger  à  l'empereur  qu'un  châ-» 
liment  spirituel. 

Napoléon  se  montra  violemment  irrité  de  ce  qu'il  appe- 
lait l'audace  du  Pape,  et  il  ne  garda  plus  de  mesures 
avec  lui  '. 

*  Le  lendemain,  on  trouva  affiché  aux  portes  de  toutes  les 
églises  de  Rome  la  fameuse  bulle  Quum  memoranda  iUa  die. 

«  Par  l'autorité  de  Dieu  tout-puissant,  disait  le  Pape,  par 
celle  des  saints  apôtres  Pierre  et  Paul,  et  par  la  nôtre,  nous 
déclarons  que  tous  ceux  qui  ont  commis,  dans  Rome  et  dans 
les  possessions  de  l'Eglise,  des  entreprises  sacrilèges  contre  les 
droits  du  Saint-Siège,  tous  leurs  commettants,  fauteurs,  con- 
seillers ou  adhérents,  tous  ceux  enfin  qui  ont  facilité  l'exécu- 
tion des  violences  ou  les  ont  exécutées  par  eux-mêmes,  ont 
encouru  l'excommunication  majeure,  et,  au  besoin,  nous  les 
excommunions  et  anathématisons  de  nouveau.  » 

Napoléon  n'était  pas  nommé  directement  dans  la  bulle,  mais 
il  était  impossible  de  se  méprendre  au  sens  des  paroles  de 
Pie  VU. 

2  Le  tome  vingt-unième  de  la  Correspondance  de  Napoléon  I", 
auquel  nous  avons  déjà  fait  un  emprunt,  contient  la  pièce  sui- 
vante, qu'il  suffit  de  citer  avec  la  date  pour  l'apprécier  suffi- 
samment : 

«  A  Hug&iie  Napoléon,  vice-roi  d'Italie,  à  Milan, 

»  Paris,  3  janvier  18  H. 
»  Mon  fils,  on  vient  de  découvrir  ici  une  clique  du  Pape.  Un 
abbé  Foutana  et  un  abbé  Grégorio,  que  j'avais  fait  venir  de 


284  LUTTE    DES    PAPES    AVEC    LA   RÉVOLUTION 

Pie  YII  s'était  retiré  au  fond  du  Quirinal,  ot  avait  fait 
fermer  les  portes  de  ce  palais.  Un  attroupement  composé 
de  repris  de  justice  et  de  la  lie  des  faubourgs  donna 
l'assaut  aux  murailles  de  l'édifice.  Les  portes  furent  en- 
foncées à  coup  de  hache,  et  les  soldats  de  Mioîlis,  ayant 
à  leur  tête  le  général  Radet,  pénétrèrent  dans  les  appar- 
tements. La  garde  suisse,  sommée  de  mettre  bas  les  armes, 
obéit  sans  résistance,  et  Radet,  suivi  de  sa  troupe,  se 
trouva  en  face  du  Saint-Père.  Le  vénérable  Pontife  était 
entouré  de  ses  cardinaux  et  d'un  petit  nombre  de  servi- 
teurs fidèles.  Pendant  quelques  minutes  un  profond  silence 
régna;  ;\  la  fin,  le  général  français,  la  figure  pâle,  la  voix 
tremblante,  et  pouvant  à  peine  trouver  quelques  paroles, 
dit  au  Pape  qu'il  avait  h  remplir  une  mission  pénible,  mais 
qu'ayant  juré  fidélité  à  l'empereur,  il  ne  pouvait  se  dis- 
penser d'exécuter  son  ordre;   qu'en  conséquence  il  le 
sommait  de  renoncer  à  la  souveraineté  temporelle  de 
Rome.  Le  Pape  répondit  avec  dignité  et  assurance  :  «  Si 
vous  avez  cru  devoir  exécuter  de  tels  ordres  de  l'empereur, 
parce  que  vous  lui  avez  fait  serment  de  fidélité  et  d'obéis- 
sance, pensez  de  quelle  manière  nous  devons,  Nous,  sou- 
tenir les  droits  du  Saint-Siège,  auquel  nous  sommes  liés 
par  tant  de  serments.  Nous  ne  devons  pas,  nous  ne  pouvons 

Rome,  étaient  les  intermédiaires  de  la  correspondance  du  Pape 
avec  les  vicaires  généraux  de  Paris  pour  semer  le  désordre,  lis 
ont  été  arrêtés  tous  avec  leurs  papiers  ;  il  en  résulte  que  le  Pape 
à  la  plus  horrible  conduite  joint  la  plus  grande  hypocrisie.  Je 
vous  donne  ces  renseignements  pour  votre  gouverne,  afin  que 
le  ministre  des  cultes  veille  à  ce  qu'il  ne  trouve  rien  de  pareil 
dans  le  royaume.  » 

Note  pour  le  bibliothécaire  de  l'Empereur. 
«  L'empereur  désire  que  M.  Barbier  lui  envoie,  le  plus  tôt 
possible,  le  résultat  de  ses  recherches  sur  la  question  de  savoir 
s'il  y  a  dus  exemples  d'empereurs  qui  aient  sus^îendu  ou  déposé 
des  Papes.  »  Quelle  crasse  ignorance  1 


DE  1797  A  1813.  285 

pas,  nous  ne  voulons  pas.  —  En  ce  cas,  répliqua  le  général 
Radet  avec  arrogance,  il  faut  vous  préparer  à  quitter 
Rome;  telle  est  la  volonté  de  l'empereur,  que  je  suis  dis- 
posé à  faire  exécuter  par  tous  les  moyens  possibles.  «  Le 
vénérable  Pontife  leva  les  yeux  au  ciel  et  s'écria  :  «  Je 
suis  prêt  à  souffrir,  mais  ce  n'est  pas  à  votre  empereur  que 
j'obérai;  il  reconnaît  mal  aujourd'hui  mon  extrême  con- 
descendance envers  l'Eglise  gallicane  et  envers  lui.  Peut- 
être,  sous  ce  rapport,  ma  conduite  est-elle  blâmable  aux 
yeux  de  Dieu,  et  maintenant  il  veut  m'en  punir;  je  mô 
soumets  humblement  à  sa  divine  volonté.  » 

Enlèvement  du  Pape. 

Quelques  heures  après,  le  pape  Pie  VII,  le  chef  visible 
de  l'Eglise,  vénérable  Pontife  chargé  d'ans  et  d'infirmités, 
fut  jeté  par  les  soldats  de  Radet  dans  une  voiture  oîi  un 
seul  cardinal  obtint  la  faveur  de  monter  avec  lui.  A  la 
porte  du  Peuple  la  voiture  s'arrêta,  et  le  général  réitéra 
ses  ordres  au  Saint-Père,  qui  dédaigna  alors  de  répondre; 
la  voiture  continua  sa  route. 

On  fit  partir  de  Rome  les  deux  prisonniers  apostoliques 
en  prenant  la  dirpction  de  la  Toscane  *. 

t  Aux  premiers  relais,  dans  la  Campagne  de  Rome,  dit 
le  cardinal  Pacca  dans  ses  intéressants  Mémoires,  nous 


*  Le  Pape  demanda;  au  cardinal  s'il  avait  emporté  avec 
lui  quelque  argent.  Les  deux  proscrits  th'èrent  leurs  bourses  ; 
il  se  trouva  dans  celle  de  Pie  VII  vingt-deux  sous  de  France, 
et  seize  environ  dans  celle  de  son  ministre,  «  Us  entrepre- 
naient ainsi,  dit  le  cardinal  dans  ses  Mémoires,  leur  voyage 
à  l'apostolique.  » 

Le  Pape  montra  ces  débris  de  sa  fortune  au  général  Radet, 
et  lui  dit  en  souriant  :  «  De  toute  notre  principauté,  voilà  doue 
ce  que  uous  possédons.  » 


286  LUTTE   DES   PAPES   AVEC   LA  REVOLUTION 

pûmes  remarquer  sur  la  figure  du  peu  de  personnes  que 
nous  rencontrions  la  tristesse,  la  stupeur  que  leur  causait 
ce  spectacle.  A  Monterosi,  plusieurs  femmes,  sur  les  portes 
dos  maisons,  reconnurent  le  Saint-Père,  que  les  gendarmes 
escortaient  le  sabre  nu,  comme  un  criminel,  et  nous  les 
vîmes,  imitant  la  tendre  compassion  des  femmes  de  Jéru- 
salem, se  frapper  la  poitrine,  pleurer,  crier,  en  tendant 
les  bras  vers  la  voiture  :  «  Ils  nous  enlèvent  le  Saint-Père! 
«  lis  nous  enlèvent  le  Saint-Père  I  »  Nous  fûmes  'profon- 
dément émus  de  ce  spectacle,  qui  du  reste  nous  coûta 
cher;  car  Radet,  craignant  que  la  vue  du  Pape,  e7ilevé  de 
cette  façon,  n'excitât  quelque  tumulte,  quelque  soulèvement 
dans  les  lieux  populeux,  pria  Sa  Sainteté  de  faire  baisser 
les  stores  de  la  voiture.  Le  Saint-Père  y  consentit  avec 
beaucoup  de  résignation,  et  nous  continuâmes  ainsi  le 
voyage,  presque  sans  air,  dans  les  heures  les  plus  brû- 
lantes de  la  journée,  sous  le  soleil  d'Italie,  au  mois  de 
juillet.  Vers  midi,  le  Pape  témoigna  le  désir  de  prendre 
quelque  nourriture,  et  Radet  fit  faire  halte  h  la  maison  de 
la  poste,  dans  un  lieu  presque  désert,  sur  la  montagne  do 
Yiterbe.  Là,  dans  une  chambre  sale,  espèce  de  bouge  où 
se  trouvait  une  chaise  disjointe,  la  seule  peut-être  qui  fût 
dans  la  maison,  l*^.  Pipe  s'assit  à  une  table  recouverto 
d'une  nappe  dégoûtante,  y  mangea  un  œuf  et  une  tranche 
de  jambon.  Sur-le-champ  on  se  remit  en  route  ;  la  chaleur 
était  excessive,  suffocante.  Vers  le  soir,  h;  Pape  eut  soif; 
et  comme  on  ne  voyait  aucune  maison  près  de  la  route, 
un  maréchal-des-logis  de  gendarmes  recueillit  dans  uno 
bouteille  l'eau  de  source  qui  coulait  sur  le  chemin,  et  la 
présenta  au  Saint-Père  qui  la  but  avec  plaisir.  Il  but  ainsi 
de  l'eau  du  torrent  sur  le  chemin,  comme  il  est  dit  dans  le 
psaume. 

»  Après  dix-neuf  heures  d'une  marche  forcée,  si  faligantc 
pour  le  Saint-Père,   h  cause   d'une  cruelle  infirmité  à 


DE  1797  A  1818  287 

laquelle  était  contraire  toute  espèce  de  fatigue,  et  surtout 
celle  du  voyage,  nous  arrivâmes,  à  une  heure  avant  minuit, 
à  Radicofani,  premier  endroit  de  la  Toscane,  et  nous 
descendîmes  dans  une  mesquine  auberge,  où  rien  n'était 
préparé.  N'ayant  pas  d'iiabits  à  changer,  il  nous  fallut 
garder  ceux  que  nous  avions,  tout  baignés  de  transpi- 
ration, et  à  l'air  froid  qui  domine  là,  même  au  cœur  de 
l'été,  ils  se  séchèrent  sur  nous.  On  nous  assigna,  au  Saint- 
Père  et  à  moi,  deux  petites  chambres  contiguës,  et  des 
gendarmes  furent  placés  aux  portes  de  devant.  Dans  mon 
habit  de  cardinal,  j'aidai  la  servante  à  faire  le  lit  du  Pape 
et  à  préparer  la  table  pour  le  souper.  Le  repas  fut  extrê- 
mement frugal.  Pendant  tout  ce  temps,  je  tâchai  de  sou- 
tenir l'esprit  du  Saint-Père. 

»  Sur  la  route  de  Florence,  continue  le  cardinal  Pacca, 
nous  nous  trouvâmes  au  milieu  d'un  peuple  immense,  qui 
demandait,  avec  des  signes  extraordinaires  de  ferveur,  la 
bénédiction  apostolique;  mais  à  quelque  distance  d'une 
auberge  où  nous  venions  de  nous  reposer  quelques  heures, 
les  postillons,  qui  nous  menaient  très-vite,  n'aperçurent 
pas  une  petite  élévation  sur  laquelle  se  porta  une  des 
roues  :  la  voiture  versa  avec  violence,  l'essieu  cassa,  la 
caisse  roula  au  milieu  du  chemin,  le  Pape  engagé  dessous, 
et  moi  sur  lui.  Le  peuple,  qui  pleurait  et  criait  :  Santo 
Padre  t  (Saint-Père  !),  releva  en  un  instant  la  caisse.  Un 
gendarme  ouvrit  la  portière,  qui  était  toujours  fermée  à 
clef,  tandis  que  ses  camarades,  pâles  et  défigurés,  s'effor- 
çaient d'éloigner  le  peuple,  qui,  devenu  furieux,  leur 
criait  :  Cani  I  cani  t  (Chiens  !  chiens  f)  Cependant  le  Saint- 
Père  descendit,  porté  sur  les  bras  du  peuple,  qui  se  pressait 
aussitôt  autour  de  lui;  les  uns  se  prosternaient  la  face 
contre  terre,  les  autres  lui  baisaient  les  pieds,  d'autres 
touchaient  respectueusement  ses  habits,  comme  s'ils 
eussent  été  des  reliques,  et  tous  lui  demandaient  avec 


288       LUTTE  DES  PAPES  AVEC  LA  RÉVOLUTION 

empressement  s'il  n'avait  point  souffert  de  sa  chute.  Le 
Saint-Père,  le  sourire  sur  les  lèvres,  les  remerciait  de  leur 
intérêt,  et  ne  leur  répondait  qu'en  plaisantant  sur  celte 
chute.  Pour  moi,  qui  craignais  que  cette  multitude  eu 
fureur  n'en  vînt  aux  mains  avec  les  gendarmes,  et  ne  se 
portât  à  quelque  excès  dont  elle  aurait  été  victime,  je  m'é- 
lançai au  milieu  d'elle,  en  criant  que  le  Ciel  nous  avait 
préservés  de  tout  mal,  et  que  je  la  conjurais  de  se  calmer 
et  de  se  tranquilliser.  » 

Après  cette  scène,  qui  avait  fait  trembler  le  général 
Radcl.  et  ses  gendarmes,  le  Saint-Père  monta  avec  le  car- 
dinal dans  la  voiture  de  M^'  Doria,  et  ils  repartirent. 

«  C'était  un  spectacle  attendrissant  de  voir  sur  tout 
notre  passage  ces  bons  Toscans  demander  la  bénédiction 
du  Saint-Père,  et,  malgré  les  menaces  des  gendarmes, 
s'approcher  de  la  voiture  pour  lui  baiser  la  main  et  lui  té- 
moigner toute  leur  douleur  de  le  voir  dans  cette  cruelle 
position.  » 

A  Mondovi,  l'empressement  du  peuple  prit  un  caractère 
plus  prononcé  :  des  ordres  religieux  vinrent  procession- 
nellement  au-devant  du  Pontife  et  l'escortèrent.  Les 
Piémontais  comptaient  les  gendarmes  d'un  coup  d'œil, 
puis  semblaient  proposer,  sous  toutes  les  formes  de  signes 
et  de  langage,  d'opérer  la  délivrance  de  Sa  Sainteté. 

«  Plus  nous  approchions  de  la  France,  dit  dans  ses  rela- 
tions un  des  serviteurs  du  Pape,  plus  l'enthousiasme  aug- 
mentait. Au  premier  village  français,  les  autorités  voi- 
sines, sous  prétexte  de  veiller  au  bon  ordre,  cherchaient  à 
s'approcher  plus  près  du  Saint-Père,  et  c'était  pour  cou- 
vrir sa  main  de  baisers,  le  consoler  et  le  plaindre.  Pie  VII 
disait  :  «  Dieu  pourrait-il  Nous  ordonner  de  paraître  insen- 
sible à  ces  marques  d'affection?  »  et  il  les  agréait  avec 
dignité  et  modestie.  A  rapproche  de  Grenoble,  plusieurs 
milliers  de  militaires,  mais  sans  armes,  tombent  à  genoux 


DE  1797  A  1815.  289 

comme  un  seul  homme.  C'était  l'héroïque  garnison  de  Sa- 
ragosse,  prisonnière  de  guerre  à  Grenoble,  qui  avait 
demandé  à  se  porter  tout  entière  au  devant  du  Pontife, 
qu'elle  avait  envoyé  féliciter  secrètement  sur  sa  résistance. 
Pie  VII  pencha  presque  tout  son  corps  en  avant,  et  d'un 
air  de  joie,  de  bonheur  et  de  vive  tendresse,  il  étendit  sur 
ces  héros  basanés  par  les  fatigues  une  immense  bénédic- 
tion. » 

Le  cardinal  Pacca,  après  avoir  été  séparé  quelque  temps 
du  Pape,  le  rejoignit  le  21  juillet  à  Saint-Jean-de-Maurienne, 
et  en  partit  dans  la  même  voiture  pour  Grenoble. 

t  La  route  était  couverte  de  monde  accouru  des  pays 
voisins,  dit-il,  et  la  foule  allait  croissant  à  mesure  que 
nous  approchions  de  Grenoble.  C'était  un  spectacle  tou- 
chant que  de  voir  ce  bon  peuple  se  mettre  à  genoux  d'aussi 
loin  qu'il  apercevait  la  voiture,  et  attendre  ainsi  le  passage 
du  Pape  pour  recevoir  sa  bénédiction.  Plusieurs  nous  ac- 
compagnaient en  courant,  et  de  jeunes  personnes  jetaient 
des  fleurs  pour  que  le  Pape  daignât  les  bénir.  Elles  lui  té- 
moignaient hautement  leurs  sentiments  de  respect  et  de 
vénération,  et  je  me  souviens  que  l'une  d'elles  criait  en  pleu- 
rant :  t  Que  vous  avez  l'air  maigri,  Saint-Père  I  Ah  I  ce 
»  sont  les  grandes  afflictions  que  l'on  vous  donne.  »  Et 
lorsque  le  Pape  étendait  la  main  pour  les  bénir,  elles  s'é- 
lançaisnt  pour  la  baiser,  quoique  la  voiture  allât  très-vite, 
au  risque  d'être  écrasées  par  les  roues  ou  foulées  par  les 
chevaux  des  gendarmes.  En  entrant  dans  la  ville,  nous 
vîmes  les  fenêtres  garnies  de  spectateurs  et  la  rue  encom- 
brée de  peuple  qui  s'agenouillait  en  demandant  la  béné- 
diction. On  peut  dire  de  Pie  VII  ce  que,  quelques  années 
auparavant,  on  avait  dit  de  son  prédécesseur,  que  son  en- 
trée à  Grenoble  n'était  pas  celle  d'un  prisonnier  conduit 
par  la  force  au  lieu  de  sa  destination,  mais  celle  du  meil- 
Idur  des  pères  qui,  après  une  longue  absence,  revient  au 

13 


200       LUTTE  DES  PAPES  AVEC  IK   BÉVOLUTION 

sein  de  sa  famille  chérie,  qui  lui  prodigue  les  marques  les 
plus  touchantes  de  son  amour  et  de  son  respect. 

»  Ce  concours  extraordinaire  des  peuples,  ajoute  le  car- 
dinal, ces  témoignages  unanimes  de  vénération  que  le  Pape 
recevait  sur  son  passage,  ont  toujours  été  pour  moi  un 
spectacle,  je  ne  dirai  pas  seulement  prodigieux,  mais  même 
surnaturel.  » 

Soit  que  Pie  VII  et  ses  prédécesseurs  aient  voyagé  en 
souverains  dans  les  pays  étrangers,  soit  qu'ils  y  aient  paru 
escortés  par  les  gendarmes  comme  des  criminels,  partout 
les  villes  et  les  provinces  se  sont  précipitées  sur  leur  pas- 
sage pour  les  saluer  de  leurs  acclamations  et  les  envi- 
ronner d'innombrables  témoignages  de  leur  amour  et  de 
leur  vénération.  Il  est  donc  permis  de  voir  dans  ces  évé- 
nements   extraordinaires  quelque  chose  de   surhumain. 

C'est  amsi  que  d'étape  en  étape  Pie  VU  fut  coudait  à 
Savone,  où  il  fut  prisonnier  d'Etat. 

Pie  WBfl  trftBsrcré  à  PontalncMean. 

Dans  la  soirée  du  9  juin  1812,  fatal  anniversaire  du  jour 
où  Pie  VII  avait  été  prévenu,  il  y  avait  trois  ans,  qu'on 
allait  le  dépouiller  de  ses  Etats,  on  intima  au  Pontife 
l'ordre  de  se  préparer  pour  rentrer  en  France;  il  reçut  l'in- 
jonction de  changer  ses  habits,  qui  auraient  pu  le  faire 
reconnaître  eu  chemin.  On  avait  perfectiouné  la  manière 
de  tourmenter  le  Pape  sans  courir  les  risques  que  sa  po- 
pularité pouvait  attirer,  et  on  le  fit  partir  dans  la  mallnce 
du  10'.  Après  un  pénible  voyage  sans  aucun  repos,  il  ar- 
riva à  l'hospice  du  Mont-Cenis  au  milieu  de  la  nuit.  A  Stu- 
pinigi,  près  Turin,  le  gouvernement  avait  envoyé  d'avance 
Berlazzoli,  qui  entra  dans  la  même  voilure,  et  qui  ensuite 
ne  fut  plus  séparé  de  Pie  VU.  Dans  l'hospice,  le  Papo 

;  M.  Artaud,  Uistoirc  du  pape  Pie  VU,  t.  Il,  p.  296-298. 


DE  1797  A  18115.  2DI 

tomba  si  dangereusement  malade  que  les  officiers  qui  Tes- 
cortaient  crurent  devoir  transmettre  cette  nouvelle  au  gou- 
vernement de  Turin  et  demander  s'ils  devaient  s'arrêter  ou 
poursuivre  leur  route.  Il  leur  fut  enjoint  d'exécuter  ce  qui 
leur  avait  été  ordonné.  En  conséquence,  quoique  le  Pape 
vînt  de  recevoir  l"Extrême-Onction  dans  la  matinée  du 
14,  la  nuit  suivante  on  lui  fit  continuer  le  voyage  '.  Mais 
ce  Pontife  infirme  devait  conserver,  au  milieu  de  tant  d'ou- 
trages, comme  une  santé  de  fer  qui  résisterait  à  toutes  les 
barbaries.  On  marchait  jour  et  nuit.  Le  20  juin  au  matin, 
il  arriva  à  Fontainebleau.  Pendant  tout  ce  trajet,  il  ne  sor- 
tit pas  de  voiture,  et  quand  il  devait  prendre  quelque  nour- 
riture, on  la  lui  portait  dans  le  carrosse,  qu'on  enfermait 
à  clef  dans  les  remises  de  la  poste  des  villes  les  moins  peu- 
plées. Lorsque  Pie  VII  arriva  au  palais  de  Fontainebleau, 
le  concierge  ne  put  l'admettre,  parce  qu'il  n'en  avait  pas. 
encore  reçu  l'ordre  du  ministère  de  Paris,  et  l'on  conduisit 
le  Pape  dans  une  maison  voisine.  Quelques  heures  après 
arriva  l'ordre  de  recevoir  le  Saint-Père  dans  le  palais,  où 
quelques  ministres  de  l'empereur  vinrent  de  la  capitale 
pour  le  complimenter*.  L'empereur  et  son  ministère*  don- 
nèrent pour  motif  de  cette  translation  soudaine  du  Pape, 
qu'ils  avaient  conçu  la  crainte  que  des  vaisseaux  qui  par- 
couraient la  M^iterranée  ne  tentassent  un  débarquement 
imprévu  sur  les  côtes  de  Savone  pour  s'emparer  de  Pie  MI 
et  le  remettre  en  liberté;  mais  le  véritable  motif  fut  de  le 
rapprocher  de  Paris,  afin  de  l'entourer  de  personnes  qui, 
à  force  d'instances  et  de  sollicitations,  l'engageassent  à 
consentir  à  toutes  les  propositions  de  l'empereur. 
Ce  qu'on  ne  peut  comprendre,  c'est  cette  manière  préci- 

*  ilêmoîres  du  cardinal  Pacca,  t.  I",  p.  294. 

2  M'imoircs,  t.  II,  p.  79. 

3  Uistoire  de  l'ambassade  dans  le  grand-duché  de  Varsovie  en 
1812.  • 


292  LUTTE   DES   PAPES   AVEC   LA  RÉVOLUTION 

pitée  de  faire  voyager  le  Pape.  Il  a  fallu  une  assistance 
particulière  du  Ciel  pour  qu'il  ne  perdît  pas  la  vie.  Cette 
mort,  d'ailleurs,  n'aurait  pas  favorisé  les  vues  du  gouver- 
nement, et  les  aurait  au  contraire  déconcertées  ;  car  il  avait 
beaucoup  obtenu  des  infirmités  de  Pie  VII,  et  il  était  près 
d'obtenir  davantage.  Mais  les  subalternes  sTraaginent  sou- 
vent plaire  en  exécutant  avec  plus  de  rigueur  les  ordres 
qu'on  leur  a  donnés.  Le  cardinal  Pacca  *  croit  ne  devoir 
attribuer  ces  résolutions  si  violentes  qu'au  désir  d'abattre, 
par  l'affaiblissement  des  forces  physiques,  les  facultés  in- 
tellectuelles du  Pape,  et  de  mettre  à  bout  sa  patience  hé- 
roïque. En  effet,  il  arriva  à  Fontainebleau  dans  un  état  de 
santé  qui  fit  encore  plus  craindre  pour  ses  jours,  et  il  dut 
rester  au  lit,  trôs-malade,  pendant  plusieurs  semaines.  Au 
moins  avait-il  un  lit  ;  quoique  emprisonné  dans  ses  appar- 
tements, il  pouvait  respirer  mieux  que  dans  l'horrible  voi- 
ture où  il  demeurait  enfermé  même  quand  il  n'était  pas  en 
voyage,  et  il  avait  pu  reprendre  les  vêtements  de  sa 
dignité'. 

*  Mémoires  du  cardinal  Pacca,  t.  II,  p.  80. 

2  En  voyant  la  manière  impie  dont  Napoléon  traite  le  plus 
doux  des  Pontifes,  on  se  demande  si  vraiment  il  avait  la  foi, 
et  l'on  a  de  la  peine  à  le  croire  en  lisant  le  recueil  de  ses  lettres 
publié  par  les  ordres  de  Napoléon  III.  —  Depuis  celte  publica- 
tion, le  gouvernement  impérial,  s'étant  aperçu  qu'il  était  im- 
prudent de  tout  imprimer,  a  fait  un  choix.  C'est  dans  ce  recueil 
que  nous  prenons  les  citations  suivantes  des  lettres  de  Napo- 
léon I": 

<(  N'est-ce  pas  Bossuet  qui  disait  :  «  Mangez  un  bœuf  et  soyez 
chrétien?  »  L'observance  du  maigre  le  vendredi  et  celle  du 
repos  le  jour  du  dimanche  ne  sont  que  des  règles  «très-secon- 
daires et  très-insignifiantes.  Ce  qui  touche  essentiellement  aux 
commandements  de  l'Eglise,  c'est  de  ne  pas  nuire  à  l'ordre 
social,  c'est  de  ne  pas  faire  de  mal  à  son  prochain,  c'est  de  ne 
pas  abuser  de  la  liberté.  Il  ne  faut  pas  raisonner,  mais  se  mo- 
quer des  prêtres  qui  demandent  de  tels  règlements. 

»  Puisqu'on  invoque  l'autorité  sur  cette  matière,  il  faut  donc 


DE  1797  A  1813.  293 

Les  elTets  de  rexcomiuanicafion. 

Cette  translation  violente  et  brutale  du  Pape,  de  Savone 
îi  Fontainebleau,  fut  pour  Bonaparte  la  dernière  faute  qui, 
comme  l'enseigne  l'Ecriture  sainte,  lasse  h  la  fin  la  longa- 
nimité du  Seigneur,  et  lui  fait  saisir  le  glaive  suspendu 

qu'elle  soit  compétente.  Je  suis  l'autorité  et  je  donne  à  mes 
peuples,  et  pour  toujours,  la  permission  de  ne  point  inter- 
rompre leur  travail. 

»  Si  je  devais  me  mêler  de  ces  objets,  je  serais  plutôt  dis- 
posé à  ordonner  que  le  dimanche,  passé  l'heure  des  offices, 
les  boutiques  fussent  ouvertes,  et  tous  les  ouvriers  rendus  à 
leur  travail.  »  (Tome  XIV,  page  374.) 

En  parlant  de  Pie  VII  et  de  ses  conseillers,  Napoléon  écri- 
vait : 

«  Ils  veulent  me  dénoncer  à  la  chrétienté  !  Cette  ridicule 
pensée  ne  peut  appartenir  qu'à  une  profonde  ignorance  du 
siècle  où  nous  sommes  ;  il  y  a  une  erreur  de  mille  ans  de  date. 
Le  Pape  qui  se  porterait  à  une  telle  démarche  cesserait  d'être 
Pape  à  mes  yelix.  Je  ne  le  considérerais  que  comme  l'ante- 
christ  envoyé  pour  bouleverser  le  monde.  Pie  VII  veut-il 
mettre  le  poignard  aux  mains  de  mes  peuples  pour  m'é- 
gorger?  Cette  infâme  doctrine,  des  Papes  furibonds  et  nés 
pour  le  malheur  des  hommes  l'ont  prcchée.  11  ne  resterait 
plus  au  Saint-Père  qu'âme  faire  couper  les  cheveux  et  enfermer 
dans  un  monastère.  Croit-il  notre  siècle  revenu  à  lïgnorance 
et  à  l'abrutissement  du  ix^  siècle  ?  Me  prend-il  pour  Lo\us  le 
Débonnaire  ? 

»  Certes,  je  commence  à  rougir  et  à  me  sentir  humilié  de 
toutes  les  folies  que  me  fait  endurer  la  cour  de  Rome,  et  peut- 
être  le  temps  n'est-il  pas  éloigné,  si  l'on  veut  continuer  à  trou- 
bler les  affaires  de  mes  Etats,  où  je  ne  reconnaîtrai  le  Pape  que 
comme  évêquedeRome,  comme  égal  et  au  même  rang  que  les 
^vèques  de  mes  Etats.  Je  ne  craindrai  pas  de  réunir  les  Edise; 
gallicane,  italienne,  allemande,  polonaise  dans  un  concile  pour 
faire  mes  affaires  sans  Pape.  En  un  mot,  c'est  pour  la  dernière 
fois  que  j'entre  en  discussion  avec  cette  prêtraille  romaine  ;  on 
peut  la  mépriser  et  la  méconnaître  et  être  constamment  dans  la 
voie  du  salut  et  dans  l'esprit  do  la  rehgion...  » 


294  LUTTE   DES   PAPES   AVEC   LA   RÉVOLUTION 

jusqu'alors.  Le  20  juin,  le  Pape  était  arrivé  prisonnier  et 
presque  mourant  h  Fontainebleau;  et  l'on  sait  que,  le 
22  du  même  mois,  Napoléon,  enivré  d'une  prospérité 
merveilleuse  de  quinze  années,  fit  passer  le  Niémen  h  ses 
troupes  et  envahit  le  territoire  russe,  préludant  ainsi  à 
cette  guerre  qui  lui  devint  si  fatale,  qui  le  précipita  du 
trône,  et  qui  lui  fit  perdre  en  peu  de  mois  le  fruit  de  tant 
de  victoires.  Ce  ne  fut  pas  le  bras  des  hommes,  mais  le 
bras  tout-puissant  de  Dieu,  qui  détruisit  une  des  armées 
les  plus  nombreuses  et  les  plus  aguerries  dont  l'histoire 
fasse  mention.  Les  âmes  pieuses,  qui  voient  toujours 
l'œuvre  d'une  main  supérieure  et  invisible  dans  le  cours 
des  choses  d'ici-bas,  reconnaîtront  l'action  de  la  Provi- 
dence à  une  circonstance  bien  remarquable  de  la  célèbre 
et  douloureuse  expédition  de  Russie.  Nous  avons  vu 
Bonaparte  écrivant  m  vico-roi  d'Italie  une  lettre  où  il 

Quelle  aberration  pleine  d'un  orgueil  insensé  I 

«  Pendant  que  Napoléon  jetait  contre  lui-même  ces  semences 
de  ruines,  il  montait  au  faite  de  la  prospérité.  Il  était  le  plus 
grand  roi  et  le  plus  grand  homme  de  la  terre,  sagace,  éloquent, 
plein  de  vastes  desseins,  digne  de  sa  gloire.  Otez  celte  ques- 
tion religieuse,  il  a  toute  la  majesté  de  la  taille  impériale,  et 
c'est  avec  raison  qu'il  dit  de  lui-même  :  Je  suis  un  empereur 
romain,  je  suis  de  la  meilleure  race  des  Césars,  celle  qui  fonde. 

»  Il  avait  seulement  oublié  que  depuis  Jésus-Christ,  rien  de 
grand  ne  se  fonde  parmi  les  hommes  sans  la  main  libre  do 
Jésus-Christ.  Nisi  Dominus  aidificavçrit  domum,  in  vanum  labo» 
ravcrunt  qui  œdificant  cam. 

»  Il  l'oublia  de  plus  en  plus,  et  il  atteignit  l'heure  fatale  où 
Dieu  avait  résolu  d'empêcher  que  le  monde  entier  ne  vînt  à 
partager  le  même  oubli. 

»  Alors,  suivant  la  belle  expresion  de  Fontanes,  «  les  em- 
barras furent  changi^s  en  dcsastres.  »  Et  quels  désastres  !  qiirlle 
intervention  du  Ciel  pour  écraser  cet  homme  contre  qui  c'est 
trop  jieu  de  toute  la  terre  I  II  est  vaincu,  parce  qu'il  ne  peut 
pas  vaincre  contre  Dieu,  v 


DE  1797  A  1815.  295 

sp  plaignait  amèrement  du  Pape  :  «  Que  veut  faire  Pie  VII 
en  me  dénonçant  à  la  chrétienté  ?  disait-il  à  Eugène  de 
Beauharnais.  Mettre  mon  trône  en  interdit,  m'excom- 
munier?  Pense-t-il  alors  que  les  armes  tomberont  des  mains  de 
mes  soldats?  Il  ne  lui  resterait  plus  qu'à  essayer  de  me 
faire  couper  les  cheveux  et  de  m'enfermer  dans  un  mo- 
nastère... »  Nos  penseurs  modernes  diront  que  ce  furent 
la  neige  et  les  glaces  qui  firent  tomber  les  armes  des  mains 
des  soldats^.  Mais  d'oîi  venaient  ces  fléaux?  L'Ecriture 
sainte  nous  l'apprend  :  Nix,  glacies,  spiritus  'procellarum 
faciunt  verbum  ejus  (Ps.  cxLvni). 

Voici  ce  que  le  célèbre  historien  Gantù  raconte  à  ce 
sujet  : 

«  Alors  survinrent  les  grands  froids  qui  devaient, 

non  pas  produire  le  désastre,  mais  le  porter  à  son  comblé. 
La  neige  commença  à  tomber  en  effaçant  toute  trace  de 
routes.  Il  fallait  donc  marcher  au  hasard,  la  bourrasque 
dans  la  yeux,  exposé  à  chaque  instant  à  s'enfoncer  dans 
des  marais.  Les  malheureux  soldats,  suffoqués  par  te 
vent,  engourdis  par  le  froid,  venaient-ils  à  heurter  quelque 
pierre,  quelque  tronc  d'arbre,  ils  tombaient,  hors  d'état 
de  se  relever,  et  la  neige  les  avait  bientôt  recouverts.  Les 
fusils  échappaient  de  leurs  mains  raidies,  les  extrémités 
g-îlaient  et  se  gangrenaient;  celui  qui  s'endormait  ne  se 


*  Tout,  jusqu'à  leurs  armes,  encore  offensives  à  Malo-Jaros- 
lavitz,  mais  depuis  seulement  défensives,  se  tourna  alors  contre 
eux-mêmes.  Elles  parurent  à  leurs  bras  engourdis  un  poids  in- 
supportable. Dans  les  chutes  fréquentes  qu'ils  faisaient,  elles  s'é- 
chappaient de  leurs  mains,  elles  se  brisaient  ou  se  perdaient  dans 
la  neige.  S'ils  se  relevaient,  c'était  sans  elles  ;  car  ils  ne  les 
jetèrent  point  ;  la  faim  et  le  froid  les  leur  arrachèrent.  Les  doigts 
de  beaucoup  d'autres  gelèrent  sur  le  fusil  qu'ils  tenaient  encore, 
et  qui  leur  ôlait  le  mouvenaent  nécessaire  pour  y  entretenir  un 
reste  de  chaleur  et  de  vie.  (Ségur,  liv.  IX,  chap.  xi.) 


290  LUTTE   DES  PAPES   AVEC   LA  RÉVOLUTION 

réveillait  plus*.  Si  quelques-uns  découvraient  un  sentier 
frayé  et  s'y  dirigeaient  avec  espoir,  les  paysans  et  les 
Cosaques  en  embuscade  tombaient  sur  eux  avec  furie, 
et  les  faisaient  expirer  lentement  sur  la  neige.  Les  che- 
vaux, en  petit  nombre,  n'étant  pas  ferrés  à  glace,  glissaient 
sur  le  sol  durci;  il  leur  fallait  briser  la  glace  pour  trouver 
quelque  peu  d'eau,  et  ronger  l'écorce  gelée  des  arbres. 
Lorsque  enfin  ils  tombaient  épuisés  de  fatigue,  on  se 
hâtait  de  les  égorger  pour  se  repaître  de  leur  chair  et 
pour  se  réchauffer  les  pieds  et  les  mains  dans  leurs  en- 
trailles palpitantes. 

t  Chaque  bivouac  devenait  un  cimetière  par  le  manque 
de  feu;  les  soldats  s'y  couchaient  le  sac  sur  le  dos,  les 
cavaliers  la  bride  passée  au  bras.  Souvent  ils  se  tenaient 
embrassés  pour  se  procurer  un  peu  de  chaleur  l'un  à 
l'autre  ;  mais  souvent  aussi,  le  lendemain  matin,  ils  ne 
trouvaient  près  d'eux  qu'un  cadavre,  et  le  quittaient  sans 
plaindre  son  sort,  car  il  avait  cessé  de  souffrir.  Si  l'on 
voyait  quelque  peu  de  bois,  la  marmite,  précieusement 
conservée,  était  mise  sur  le  feu,  et  la  poudre  remplaçait 
le  sel  pour  assaisonner  une  poignée  de  farine  de  seigle 
ou  un  morceau  de  cheval.  Un  égoïsme  farouche  remplaça 
alors  cette  générosité  qui  crt  l'apanage  du  soldat,  et 
chacun  ne  songea  plus  qu'à  :.ûi;  on  allait  jusqu'à  se 

*  Après  que  la  bulle  d'excommimicalion  eut  élô  fulminée, 
Bonaparte  répéta  plusieurs  fois  au  cardinal  Caprara  que,  puis- 
qu'elle ne  faisait  )tas  tomber  les  armes  des  mains  de  ses  sol- 
dats, il  s'en  moquait  ;  mais  Dieu  permit  que  ce  fait  arrivât 
réellement.  Nous  multiplions  les  preuves  de  ce  fait. 

Salgues  dit  que  «  le  suldat  ne  put  tenir  ses  armes  ;  elles  s'é- 
chappaient des  mains  des  plus  braves.  »  {Mémoires  pour  servir 
à  l  histoire  de  France  sous  le  (jouvemement  de  ?>apolèon,  t.  XX, 
chap.  V.)  Il  répète  ailleurs  que  «  les  armes  tombaient  des  bras 
glacés  qui  les  portaient.  »  (Ibid.,  chap.  vu,  page  104.)  Nous 
avons  tenu  à  ciier  divers  témoignages  à  l'appui  de  ce  fait. 


DE  1707  A  ISlo.  297 

disputer,  le  sabre  à  la  main,  une  misérable  croûte  de 
pain,  une  botte  de  paille  ou  un  fagot.  On  ne  tendait  pas 
la  main  au  camarade  qui  tombait;  à  tel  autre  on  arrachait 
de  ses  épaules,  avant  qu'il  fût  gelé  et  roidi,  la  pelisse  qui 
le  couvrait,  pour  l'endosser  tiède  encore.  C'était  en  vain 
que  ceux  qui  gisaient  sur  le  sol  glacé,  tombés  d'épuise- 
ment ou  blessés,  pressaient  les  genoux  de  leurs  frères 
d'armes,  les  suppliant,  au  nom  de  leurs  parents  et  de  leur 
patrie  de  ne  pas  les  abandonner  ;  puis,  quand  le  tambour 
battait  la  marche,  ils  se  traînaient  sur  la  terre  avec  des 
hurlements,  en  leur  montrant  les  Cosaques  qui  arrivaient, 
implorant,  comme  un  dernier  service,  an  coup  de  fusil, 
pour  ne  pas  tomber  au  pouvoir  de  ces  barbares.  » 

Nous  compléterons  cet  effrayant  tableau  par  les  détails 
suivants,  empruntés  à  un  antre  historien  : 

«  Le  28  novembre,  dès  la  pointe  du  jour,  celui  dfs 
deux  ponts  de  la  Bérésina  qui  était  réservé  pour  les 
voitures  s'étant  rompu,  les  bagages  et  l'artillerie  de 
l'armée  de  réserve  tournèrent  vers  l'autre  pont,  et  en- 
treprirent de  forcer  le  passage,  ce  qui  engagea  entre  les 
cavaliers  et  les  fantassins  une  querelle,  puis  un  combat  où 
périt  un  grand  nombre  d'hommes,  égorgés  ou  assommés 
les  uns  par  les  autres;  un  plus  grand  nombre  encore  fut 
étouffé  ou  écrasé  à  la  tête  du  pont,  et,  pour  y  arriver,  il 
fallut  marcher  sur  les  morts  et  les  vivants  confondus 
ensemble.  Ces  infortunés,  luttant  contre  la  mort,  essayaient 
de  se  lever;  ils  s'accrochaient  aux  habits,  aux  jambes  de 
ceux  qui  les  foulaient.  Ceux-ci  les  repoussaient  à  coups  d* 
pieds  pour  s'en  débarrasser;  mais  souvent  ils  étaient  ren- 
versés eux-mêmes.  Tandis  qu'il  se  débattaient  entre  eux, 
la  multitude  qui  suivait,  semblable  i\  une  mer  en  fureur, 
se  pressait,  s'avançait  et  amoncelait  sans  cesse  de  nou- 
velles victimes.  Dans  ce  moment,  les  Russes  arrivent  des 
deux  côtés  de  la  rivière  à  la  foil;,  et  attaquent  avec  im- 

13* 


298  LUTTE   DES   PAPES  AVEC   LA  RÉVOLUTION 

pétuosité.  La  nécessité  donna  des  forces  aux  Français,  ils 
se  défendirent  en  désespérés;  mais,  accablés  par  des 
forces  toujours  croissantes,  ils  furent  enfoncés  et  rejfttés 
sur  les  rives  de  la  Bérésina.  Alors  les  boulets  et  les  obus 
ennemis  commencèrent  îi  tomber  au  milieu  de  ces  milliers 
de  malades,  de  blessés,  de  femmes,  d'hommes  sans  armes, 
qui  obstruaient  les  avenues  du  pont.  Mille  et  mille  victimes 
se  jettent  pêle-mêle  dans  la  rivière;  elles  y  expirent  au 
milieu  des  convulsions  de  la  douleur  ou  du  désespoir. 
Enfin  l'artillerie  russe  ayant  coupé  îe  pont,  le  passage 
cesse  aussi  bien  que  le  combat,  et  au  fracas  le  plus  affreux 
succède  un  silence  non  moins  affreux.  Tous  les  bagages 
de  l'armée  de  réserve,  deux  cents  pièces  de  canon  et  plus 
de  vingt  mille  hommes  restèrent  au  pouvoir  du  vainqueur. 
Pour  les  morts,  il  est  impossible  d'en  calculer  le  nombre  *. 
d  Ce  qui  échappa  à  cette  horrible  journée  n'était  qu'un 
misérable  amas  d'hommes  qui,  toujours  pressés  par  les 
Cosaques  et  tourmentés  par  la  faim,  parsemaient  la  route 
de  cadavres,  et  se  faisaient  par  cela  seul  suivre  à  la  piste. 
Le  froid  avait  repris,  et  en  peu  de  jours  il  était  devenu 
insupportable.  On  voyait  non-seulement  les  soldats,  mais 
les  officiers,  la  plupart  sans  armes  et  couverts  de  haillons, 

*  Pour  comble  de  malheur,  au  passage  de  la  D^résina,  les 
Russes,  munis  d'une  forte  artillerie,  tombent  ù  l'improviste  sur 
les  nombreux  traînards  qui  n'ont  pas  encore  franchi  la  rivitirc. 
Alors  ces  infortunés  se  précipitent  en  niasse  sur  le  pont,  qui 
s'écroule  ;  ils  tombent  les  uns  sur  les  autres  dans  les  flots  ; 
en  un  mot,  ce  terrible  passage  leur  fait  plus  de  30,000  vic- 
times. 

Finalement,  quand  on  fut  arrivé  au  bout  de  celte  cruelle  cam- 
pagne, la  Grande- Armer,  qui  comptait  au  début  450,000  hommes, 
n'en  eut  plus  que  J>0,000. 

(Les  détails  qu'on  vient  de  lire  nous  ont  été  transmis  par  un 
témoin  oculaire,  le  général  comte  de  Ségur,  qui  faisait  partie 
de  l'expéditioa  et  en  a  écrit  l'histoire.)        L.  de  Sainte-Maiithe. 


M  4797  A  1815.  299 

se  traîner  appuyés  sur  des  bâtons  de  pin,  les  cheveux  et 
la  barbe  hérissés  de  glaçons.  Quiconque  n'avait  pas  la 
force  d'avancer  était  un  homme  abandonné,  et  tout  homme 
abandonné,  une  heure  après,  était  un  homme  mort.  Dans 
les  marches,  on  voyait  tomber  à  chaque  instant  quelqu'un 
de  ces  malheureux,  comme  s'ils  eussent  été  sous  le  feu 
de  l'ennemi.  Les  haltes  présentaient  quelque  chose  de 
plus  horrible  encore.  Plusieurs,  déjà  la  mort  dans  le  sein, 
venaient  s'asseoir  près  du  feu  sur  les  corps  de  leurs  ca- 
marades qui  venaient  d'expirer  ;  ils  regardaient  fixement 
quelques  charbons  allumés  qu'ils  n'avaient  pas  la  force 
d'entretenir;  bientôt  les  charbons  venant  à  s'éteindre,  ces 
spectres  livides  tombaient  à  côté  de  ceux  sur  lesquels  ils 
étaient  assis.  Quelques-uns,  l'esprit  aliéné  par  la  douleur,, 
venaient,  avec  leurs  pieds  nus  et  gelés,  se  jeter  au  milieu 
des  flammes,  où  ils  périssaient  en  poussant  des  cris  aigus, 
tandis  que  d'autres,  frappés  d'une  égale  démence,  les 
suivaient  et  trouvaient  la  même  mort.  * 

Ces  traits,  choisis  entre  mille  autres  également  horribles 
et  transmis  par  des  témoins  oculaires,  font  juger  de  l'état 
oîi  était  l'armée  française  quand  elle  regagna  le  Niémen 
(13  décembre  1812). 

L'historien  et  les  témoins  oculaires  ae  cette  terrible  cam- 
pagne rapportent  que,  »  pendant  le  moment  de  repos  qu'on 
eut  à  Smolensk,  on  se  demandait  comment  il  se  pouvais 
qu'à  Moscou  tout  eût  été  oublié,  pourquoi  tant  de  bagages 
inutiles,  pourquoi  tant  de  soldats  déjà  morts  de  faim  et 
de  froid  sous  le  poids  de  leurs  sacs,  chargés  d'or  au  lieu 
de  vivres  et  de  vêtements,  et  surtout  si  trente-trois  journées 
de  repos  a'^vaient  pas  suffi  pour  préparer  aux  chevaux  de 
la  cavalerie,  de  l'artillerie,  et  à  ceux  des  voitures,  des 
fers  à  crampons  qui  eussent  rendu. leur  marche  plus  sûre 
et  plus  rapide.  Alors  nous  n'eussions  pas  perdu  l'élite 


300       LUTTE  DES  PAPKS  AVEC  LA  RÉVOLUTIOV 

des  hommes  à  Viazma,  au  Vop,  au  Dnieper  et  sur  toute 
la  route;  enfin  Kuttusof,  Vittgenstein,  et  peut-Cire  Tchil- 
chakof,  n'auraient  pas  eu  le  temps  de  nous  préparer  de 
plus  funestes  journées. 

»  Mais  pourquoi,  à  défaut  d'ordre  de  Napoléon,  cette 
précaution  n'avait-elle  pas  été  prise  par  des  chefs,  tous 
rois,  princes  et  maréchaux  ?  L'hiver  n'avait-il  donc  pas  été 
prévu  en  Russie?  Napoléon  habitué  à  l'industrieuse  in- 
telligence de  ses  soldats,  avait-il  trop  compté  sur  leur 
prévoyance?  Le  souvenir  de  la  campagne  de  Pologne, 
pendant  un  hiver  aussi  peu  rigoureux  que  celui  de  nos  cli- 
mats, l'avait-il  abusé,  ainsi  qu'un  soleil  brillant  dont  la  per- 
sévérance, pendant  tout  le  mois  d'octobre,  avait  frappé 
d'étonnement  jusqu'aux  Russes  eux-mêmes  ?  De  quel 
esprit  de  vertige  l'armée,  comme  son  chef,  a-t-elle  donc 
été  frappée?  Sur  quoi  chacun  a-t-il  compté?  Car,  en 
supposant  qu'à  Moscou  l'espoir  de  la  paix  eût  ébloui  tout 
le  monde,  il  eût  toujours  fallu  en  revenir,  et  rien  n'avait 
été  préparé,  même  pour  un  retour  pacifique. 

»  La  plupart  ne  pouvaient  s'expliquer  cet  aveuglement 
de  tous  que  par  leur  propre  incurie,  et  parce  que  dans  les 
armées,  comme  dans  les  Etats  despotiques,  c'est  à  un 
seul  à  penser  pour  tous;  aussi  celui-là  seul  était  respon- 
sable, et  le  malheur,  qui  autorise  la  défiance,  poussait 
chacun  à  le  juger.  On  remarquait  déjà  que,  dans  cette 
faute  si  grave,  dans  cet  oubli  invraisemblable  pour  un 
génie  si  actif,  pendant  un  séjour  si  long  et  si  désœuvré,  il 
y  avait  quelque  chose,  dit  Scgur, 

...  de  cet  esprit  d'erreur. 
De  la  chute  des  rois  funeste  avant-coureur.  » 

Ces  réfiexions  du  général  et  de  ses  compagnons  sont 
infiniment  remarquables,  dit  Rohrbacher.  On  y  voit  que, 
même  aux  yeux  de  ces  rudes  guerriers,  la  conduite  de 
Napoléon  et  de  ses  entours  pendant  cette  campagne  n'était 


DE  4797  A  I8I0.  301 

plus  la  même  qu'autrefois,  n'était  plus  naturelle  ni  hu- 
mainement explicable,  mais  une  punition  mystérieuse  de 
la  Providence  *. 

Ce  grand  homme,  ce  grand  guerrier  a  failli  dans  la 
conduite  de  la  guerre  de  Russie  et  il  a  succombe  non  pas 
seulement  sous  le  poids  imprévu  de  ce  linceul  de  glace  jeté 
des  cieux  sur  cinq  cent  mille  hommes,  mais  aussi  par  une 
défaillance  encore  plus  imprévue  de  son  génie,  je  n'en 
sais  rien.  Dans  tous  les  cas,  ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  faits 
extraordinaires  n'avait  sa  cause  dans  la  constitution  in- 
térieure de  la  France;  l'un  et  l'autre  viennent  de  Dieu, 
et  si  l'on  en  cherche  l'explication,  celle  de  Fontanes  est 
la  bonne  :  «  Depuis  ce  funeste  coup  de  main  de  Miollis 
»  à  Rome,  que  de  maux  sur  nous  t  que  d'embarras  sup- 
»  chargés  de  désastres  !...  > 

Le  cardinal  Mattei  écrivait  en  1796  à  Bonaparte  les 
paroles  suivantes,  que  celui-ci  aurait  dû  se  rappeler  alors  : 

€  Votre  armée  est  formidable,  mais  vous  savez  vous- 
même  qu'elle  n'est  pas  invincible;  nous  lui  opposerons 
nos  moyens,  notre  constance,  la  confiance  que  donne  la 
bonne  cause,  et,  par-dessus  tout,  l'aide  de  Dieu,  que  nous 
espérons  obtenir.  Nous  savons  bien  que  les  incrédules  et 
les  philosophes  modernes  tournent  en  ridicule  les  armes 

*  Lorsque  Napoléon  osa  lever  la  main  sur  le  Souverain-Pon- 
tife, retenu  par  lui  captif  à  Fontainebleau,  le  Vicaire  de  Jésus- 
Ciirist  se  contenta  de  lui  dire  cette  parole  propliétique  :  Votre 
bonheur  estpassé.  Depuis  ce  jour,  le  vainqueur  de  l'Europe  mar- 
cha de  défaite  en  défaite  ;  battu  en  Espagne,  battu  en  Russie, 
battu  en  Allemagne,  battu  en  France,  il  arriva,  toujours  battu  et 
toujours  fuyant,  jusqu'à  Fontainebleau,  où  il  signa  son  abdication 

DANS  LA  MÊME  CHAMBRE  ET  A  LA  PLACE  MÊME   OÙ   il  avait  Outragé   IC 

successeur  de  Pierre.  On  le  sait,  et  ce  que  sont  devenues  toutes 
ces  Majestés  napoléoniennes  dont  il  avait  couvert  l'Europe...  Et 
cependant  cet  homme  était  fort,  et  il  avait  gagné  la  bataille 
d'iéna  et  bien  d'autres.  >    (H.  de  Bonald.) 


n02  LUTTR    DES   PAPES   AX'EC   LA   RÉVOLUTION 

spirituelles:  mais  s'il  plaisait  au  Soigneur  que  l'on  fû; 
dans  le  cas  de  les  déployer,  vos  phalanges  feraient  sans 
doute  une  funeste  expérience  de  leur  efficacité.  Je  convions 
avec  vous  que  la  guerre  que  vous  feriez  au  Pape  serait 
peu  glorieuse  ;  quant  au  péril  que  vous  ne  croiriez  pas  y 
rencontrer,  notre  confiance  en  Dieu  ne  nous  permet  pag 
de  croire  qu'il  n'y  en  eût  d'autre  que  pour  VOUS  et  pour 
les  vôtres.  » 

Jagroniont  d«  Oiatoanlirtant  snp  ee  dcsasfpo. 

«  La  pluma  d'un  Français  se  refuserait  à  peindre 
l'horrour  de  ces  champs  de  bataille  :  un  honîme  blessé 
devient  pour  Bonaparte  un  fardeau;  tant  mieux  s'il  meurt, 
on  en  est  débarrassé.  Des  monceaux  de  soldats  mutilég, 
jetés  pêle-mêle  dans  un  coin,  restent  quelquefois  des  jours 
et  (Jes  semaines  sans  être  pansés  :  il  n'y  a  plus  d'hôpitaux 
as»ez  vastes  pour  contenir  les  malades  d'une  année  de 
sept  ou  huit  cent  mille  hommes,  plus  assez  de  chirurgiens 
pour  les  soigner.  Nulle  précaution  prise  pour  eui  par  le 
bourreau  des  Français  :  souvent  point  de  pharmacie, 
point  d'ambulance,  quelquefois  même  pas  d'instruments 
pour  couper  les  membres  fracassés.  Dans  la  campagne  de 
Moscou,  faute  de  charpie,  on  pansait  les  blessés  avec  du 
foin;  le  foin  manqua,  ils  moururent. 

On  vit  errer  cinq  cent  mille  guerriers,  vainqueurs  de 
l'Europe,  la  gloire  de  la  France;  on  les  vit  errer  parmi  les 
neiges  et  les  déserts,  s'appuyant  sur  des  branches  de  pin, 
car  ils  n'avaient  plus  la  force  do  porter  leurs  armes,  et 
couverts,  pour  tout  vêtement,  de  la  peau  sanglante  des 
chevaux  qui  avaient  servi  à  leur  dernier  repas.  De  vieux 
capitaines,  les  cheveux  et  la  barbe  hérissés  de  glaçons, 
s'abaissaient  jusqu'à  caresser  le  soldat  h  qui  il  était  resté 
quelque  pourriture,  pour  en  obtûuir  une  chétive  partie, 


DE  1797  A'f8i5.  303 

tant  ils  éprouvaient  les  tourments  de  la  faim  !  Des  esca- 
drons entiers,  hommes  et  chevaux,  étaient  gelés  pendant 
la  nuit,  et  le  matin  on  voyait  encore  ces  fantômes  debout 
au  milieu  des  frimas.  Les  seuls  témoins  des  souffrances  de 
nos  soldats,  dans  ces  solitudes,  étaient  des  bandes  de 
corbeaux  et  des  meutes  de  lévriers  blancs  denai-sauvages, 
qui  suivaient  notre  armée  pour  en  dévorer  les  débris. 
L'empereur  de  Russie  a  fait  faire  au  printemps  la  re- 
cherche des  morts  :  on  a  compté  deux  cent  quarante? 
trois  mille  six  cent  dix  cada\Tes  d'hommes,  et  cent  vingt- 
trois  mille  cent  trente-trois  de  chevaux.  La  peste  mir 
litaire,  qui  avait  disparu  depuis  que  la  guerre  ne  se 
faisait  plus  qu'avec  un  petit  nombre  d'hommes,  cette 
peste  a  reparu  avec  la  conscription,  les  armées  d'un 
million  de  soldats  et  les  flots  de  sang  humain.  Et  que  ' 
faisait  le  destructeur  de  nos  pères,  de  nos  frères,  de  nos 
fils,  quand  il  moissonnait  ainsi  la  fleur  de  la  France?  II 
fuyait!  il  venait  aux  Tuileries  dire,  en  se  frottant  les 
mains  au  coin  du  feu  :  //  fait  meilleur  ici  que  sur  les  bords 
de  la  Bérésina.  Pas  un  mot  de  consolation  aux  épouses, 
aux  mères  en  larmes  dont  il  était  entouré;  pas  un  regret, 
pas  un  mouvement  d'attendrissement,  pas  un  remords, 
pas  un  seul  aveu  de  sa  folie. 

»  Les  Tigellins  disaient  ;  «  Ce  qu'il  y  a  d'heureux  dans 
cette  retraite,  c'est  que  l'empereur  n'a  manqué  de  rien;  il 
a  toujours  été  bien  nourri,  bien  enveloppé  dans  une  bonne 
voiture;  enfin  il  n'a  pas  du  tout  souffert,  c'est  une  grande 
consolation;  »  et  lui,  au  milieu  de  sa  cour,  paraissait  gai, 
triomphant,  glorieux;  paré  du  manteau  royal,  la  tête 
couverte  du  chapeau  à  la  Henri  IV,  il  s'étalait,  brillant, 
sur  un  trône,  répétant  les  attitudes  royales  qu'on  lui  avait 
enseignées;  mais  cette  pompe  ne  servait  qu'à  le  rendre 
plus  hideux,  et  tous  les  diamants  de  la  couronne  ne  pou- 
vaient cacher  le  sang, dont  il  était  couvert.  » 


304  LUTTE   DES   PArES   AVEC   LA   RÉVOLT'TIO:* 

Paroles   remarquables  de  M.  de  Fonfancs. 

En  1813,  apr^s  la  campagne  de  Russie,  Fontanes,  con- 
sulté par  M.  Villemain  sur  les  difficultés  de  la  situation 
religieuse,  lui  disait  ces  paroles  significatives  : 

«  Voyez-vous,  de  tout  temps  et  même  dans  notre  sièc]( 
de  fer,  les  questions  religieuses  sont  les  plus  graves,  les 
plus  dangereuses,  les  plus  mortelles  à  qui  se  trompe. 
Savez-vous  bien  une  chose?  Le  meilleur  papier  de  ï  empereur, 
son  meilleur  titre  impérial  et  royal,  c'était  son  Concordat, 
C'était  par  \h  qu'il  s'était  mis  hors  de  pair,  qu'il  était  de- 
venu mieux  qu'un  conquérant,  qu'il  était  un  restaurateur 
de  la  société  moderne  et  un  fondateur  d'empire  pour  lui* 
même  '. 

*  On  a  exagéré  les  services  rendus  à.  l'Eglise,  en  France,  par 
le  Concordat.  Bonaparte  avait  beaucoup  plus  en  vue  en  signant 
cette  pièce,  ses  intérêts  politiques  que  le  bien  de  la  religion. 
Voici  à  ce  sujet  quelques  l'éflexions  du  comte  d'Iîaussonvillû 
dans  son  ouvrage  :  l'Eglise  romaine  et  le  -premier  Em-pire  : 

«  Ce  traité  a  été  certainement  utile  au  rétablissement  de  la 
religion  catholique  ;  nous  avons  pour  cette  religion  la  fierté  de 
croire  qu'elle  ne  lui  était  pas  indispensable.  Non,  mille  fois 
non,  quoi  qu'en  aient  dit  alors  les  plates  haran'gues  des  adula- 
teurs de  tous  les  camps  et  de  tous  les  étages,  l'ancienne  foi 
n'avait  pas  si  entièrement  disparu  pendant  la  tourmente  révolu- 
tionnaire, et  ce  n'est  pas  le  vainqueur  de  Marengo  qui,  du  jour 
au  lendemain,  d'un  mot  de  sa  bouche  victorieuse,  a  fait  surgir 
de  terre  les  autels  renversés.  De  pieuses  mains  les  avaient 
dt'y;!  relevés  avant  lui.  Hépétons-le  bien  haut  à  ce  clergé  de 
France,  qui  oublie  ti'op  complaisamment  son  meilleur  titre  c'e 
gloire  pour  en  laisser  l'honneur  à  un  autre  :  c'est  lui  qui  fut  le 
premier  à  la  besogne.  La  généreuse  ardeur  de  quelques  simples 
prêtres  avait  devancé  les  calculs  du  plus  profond  d(^s  poli- 
tiques. Par  leur  zèle,  les  églises  de  Paris  et  des  départements 
s'étaient  ouvertes  à  de  nombreux  fidèles  longtemps  avant  que 
le  chef  de  l'Etat  eût  songé  à  iiioltre  le  pied  à  Notre-Dame.  Il 
n'avait  pas  encore  offert  sa  protection,  que,  sans  l'atlendre,  lo 


DE  1797  A  1815.  30o 

t  Qu'a-t-il  fait  d'aller  prendre  Rome?  J'aurais  mieux 
aimé  pour  lui  une  bataille  perdue  que  cette  conqacto-l;\. 
Je  vous  le  dis  à  vous,  parce  que  vous  avez  l'esprit  sage, 
quoique  un  peu  voltairien,  comme  moi  du  reste.  Je  l'ai 
dit  à  l'oncle  de  l'empereur,  à  ce  bon  cardinal  Fesch,  qui 
n'est  pas  tout-à-fait  assez  éclairé  pour  les  bonnes  intentions 
qu'il  a.  Mais,  voyez,  mon  cher,  ce  qu'il  y  a  de  salutaire  dans 
l'esprit  chrétien  et  dans  l'Eglise  catholique,  c'est  la  seule 

CHOSE    QUI    DONNE    AUJOURD'HUI    LA    FORCE    DE    DIRE    QUELQUE- 
FOIS NON  A  l'empereur. 

»  ...  Depuis  le  coup  de  main  de  Miollis  à  Rome,  que  de 
maux  sur  nous  I  Que  d'embarras  surchargés  de  désastres  f 
Savez-vous  bien  que,  dans  le  moyen  âge,  on  aurait  cru  que 
c'était  un  effet  d'excommunication  pontificale!  Eh!  ma 
foi,  on  naîtrait  pas  eu  absolument  tort;  car  certain  degré 
d'injustice  et  de  déraison  dans  le  génie  m'a  bien  l'air 
d'une  possession  diabolique.  Gardez  cela  pour  vous,  j'ai 
tort  d'en  dire  tant,  même  à  vous,  jeune  homme.  » 

Ces  paroles  renferment  la  vraie  philosophie  de  l'histoire 
napoléonienne.  Oui,  le  Concordat  était  «  le  meilleur 
papier  »  de  Napoléon,  son  vrai  titre  impérial.  Quand  ses 


vieux  culte  renaissait  de  lui-même,  par  ses  propres  forces,  et 
dans  des  conditions  selon  nous  beaucoup  plus  conformes  à  l'es- 
prit véritable  comme  aux  intérêts  bien  entendus  du  Chris- 
tianisme. 

»  De  ce  traité  signé  par  le  chef  de  la  catholicité,  le  gouver- 
nement français  a  immédiatement  tiré,  malgré  les  réclamations 
répétées  mais  dédaignées  du  Saint-Siège,  le  droit  de  régler  par 
les  articles  dits  organiques  ses  relations  avec  le  clergé.  Presque 
tous  les  articles  organiques  contiennent  des  entraves  mises  à 
l'exercice  de  l'autorité  spirituelle  du  Saint-Père,  des  évèques  et 
des  prêtres.  Leurs  rapports  avec  l'Etat  sont  minutieusement 
réglés  avec  dos  précautions  infinies,  toutes  favorables  aux  re- 
présentants du  pouvoir  civil,  et  qui  impliquent  de  la  part  des 
membres  du  clergé  une  subordination  déguisée  mais  réelle.  » 


306  LUTTE   DES   PAPES   AVEC   LA   RÉVOLUTION 

conseillers,  voulant  le  détourner  du  Concordat,  lui  di- 
saient :  A  quoi  bon  I  il  aurait  pu  répondre  ;  «  A  me  faire 
roi  I  » 

Angoisses  de  IVapoléon  à  Fonialiîcbleaat 

Comme  on  le  sait,  l'empereur  avait  fait  venir  Pie  VII  îi 
Fontainebleau,  afin  de  l'avoir  sous  la  main,  espérant,  à 
force  d'insistances  et  de  vexations,  obtenir  enfin  quelque 
concession  de  cet  infortuné  vieillard  affaibli  par  l'âge  et 
les  cruelles  épreuves  qu'il  venait  de  subir.  On  éloignait 
avec  soin  du  Pape  les  cardinaux  fidèles  et  les  serviteurs 
dévoués.  L'auguste  Pontife  se  consolait  dans  cette  so^ 
litude  forcée  en  célébrant  tous  les  jours  l'adorable  sa- 
crifice  du  Calvaire  et  en  méditant  ces  paroles  du  divin 
Crucifié  :  »  Bienheureux  ceux  qui  souffrent  persécution 
pour  la  justice.  »  Au  milieu  de  ses  épreuves,  le  Vicaire  de 
Jésus-Christ  était  consolé  par  l'onction  de  la  grâce  et  par 
la  satisfaction  que  l'on  trouve  dans  l'accomplissement 
d'un  devoir  sacré. 

La  Providence  ne  tarda  pas  à  faire  expier  dans  ce 
même  lieu  tous  ces  outrages  au  persécuteur  de  Pie  VII. 

Pendant  les  sept  jours  qu'il  dut  passer  à  Fontainebleau 
pour  attendre  la  ratification  de  l'Angleterre  au  traité  du 
11  avril,  Napoléon,  qui  avait  éprouvé  pendant  tan| 
d'années  toutes  les  extrémités  de  la  flatterie,  éprouva 
celles  du  délaissement  et  de  l'abandon.  Les  agonies  dC. 
fortune  sont  plus  tristes  que  lo§  agonies  d'existence,  parce 
qu'elles  demeurent  sensibles  h  ce  qui  se  passe  autour 
d'elles  et  qu'elles  durent  plus  longtemps.  L'expiation,  qui 
devait  continuer  dans  l'exil,  commençait.  Non-soulrmct 
Napoléon  avait  beaucoup  méprisé  les  hommes,  mais  en 
leur  demandant  une  obéissance  aveugle,  sans  conditions 
et  jsans  scrupules,  en  ravalant  des  êtres  moraux  nu  rang 


DE  1797  A  18io.  307 

d'agents  mécaniques,  il  les  avait  avilis.  Quoi  d'étonnant 
qu'au  moment  où  la  force,  c'est-à-dire  le  seul  moteur  des 
agents  matériels,  s'échappait  de  ses  mains,  il  retrouvât 
les  hommes  de  son  entourage  à  la  place  qu'il  leur  avaii 
marquée  lui-même,  c'est-à-dire  au  niveau  de  ses  mépris  I 

Triste  et  découragé,  il  vivait  retiré  dans  le  coin  du 
palais  de  Fontainebleau  où  il  s'était  caché.  S'il  quittait 
quelques  instants  sa  chambre,  c'était  pour  se  promener 
dans  le  petit  jardin  renfermé  entre  l'ancienne  galerie  des 
Cerfs  et  la  chapelle.  Sa  curiosité  éteinte  ne  se  ranimait 
que  lorsque  le  bruit  inaccoutumé  des  roues,  réveillant  les 
échos  endormis  de  la  grande  cour,  annonçait  un  départ 
ou  un  retour,  moins  souvent  le  second  que  le  premier. 
Alors,  comme  un  homme  qui,  déjà  entré  dans  les  ombres 
et  le  silence  du  passé,  se  retourne  pour  entendre  les- 
bruits  du  monde,  de  la  vie  et  du  mouvement  arrivant 
jusqu'à  lui,  il  voulait  savoir  qui  venait  visiter  le  royaume 
de  îa  solitude  et  de  l'abandon.  Rarement  les  réponses 
étaient  de  nature  à  le  satisfaire.  Ses  plus  chers  confidents, 
ceux  qui  l'avaient  servi  de  plus  près,  ne  vinrent  pas. 
Quelques  hommes  qui,  tenus  à  distance,  avaient  gardé  Le 
sentiment  de  la  dignité  humaine,  furent  les  seuls  à  visiter 
Fontainebleau  désert  '. 

On  peut  voir  dans  les  divers  historiens  de  l'Empire, 
comment  Napoléon,  après  sa  chute,  fut  traité  par  le  Sénat 
et  par  le  Conseil  municipal,  dans  les  proclamations  qui 
annoncèrent  sa  déchéance. 

M.  Léopold  de  Gaillard  a  donné,  dans  le  Correspondant 
de  septembre  1869,  une  leçon  d'histoire  au  prince  démo- 
crate qui  a  osé  parler  de  la  trahison  dont  Napoléon  I"  avait 
été  victime.  L'auteur  cite  très-heureusement  MM.  Louis 
Blanc,  Proudhon,  Carnot,  Aug.  Thierry,  Déranger,  La- 

*  HistQire  de  la  R^staui'ation,  par  M.  Alfred  Nettement. 


308  LUTTE   DKS   PAPES    AVEC   LA   RÉVOLUTION 

bédoyèi'O,  le  prince  Eugène,  le  roi  Murât  et  les  maréchaux 
qui  ont  tous  reconnu  que  la  France,  harassée,  soupirait 
après  un  règne  de  paix  et  de  liberté. 

A  M.  de  Forcade  La  Roquette,  qui  a  récriminé  contre 
les  historiens  modernes  de  Napoléon  I",  M.  de  Gaillard 
cite  l'inscription  latine  placée  au-dessus  de  la  porte 
d'entrée  de  la  colonne  Vendôme,  inscription  qui  dit  : 

t  A  Napoléon,  empereur  très-bon  et  très-grand  I  Que  lo 
ciel  daigne  lui  accorder  pour  l'éternité  la  paix  que  la 
méchanceté  des  hommes  lui  a  toujours  refusée  sur  la 
terre.  » 

Quand  on  écrit  ainsi  l'histoire  sur  les  monuments  pu- 
blics, faut-il  s'étonner  si  un  jour  il  a  été  répondu  ^  pareillo 
flagornerie  par  le  quatrain  suivant  appliqué  à  la  place 
môme  de  l'inscription  latine  J 

Si  le  sang  que  tu  fis  répandra 
En  ce  lieu  pouvait  s'amasser, 
Tu  prendrais  un  bain  sans  descendre 
Et  tu  boirais  sans  te  baisser  \ 


*  «  On  en  était  venu  à  ce  point  de  mépris  pour  la  vio  d03 
hommes  et  pour  la  France,  d'appeler  les  conscrits  la  matièfO 
première  et  la  chair  à  canon. 

))  On  agitait  quelquefois  cette  grande  qiiestion  parmi  le-J 
pourvoyeurs  de  chair  humaine  :  savoir  combien  de  temps  du* 
rait  un  conscrit  ;  les  uns  prétendaient  qu'il  durait  trente-trois 
mois,  les  autres  trente-six.  Bonaparte  disait  lui-mêmo  :  J'ai  trois 
cent  mille  hommes  de  revenu.  11  a  fait  périr,  dans  les  onze  années 
de  son  régne,  plus  de  cinq  millions  de  Français,  ce  qui  surpasse 
le  nombre  de  ceux  que  nos  guerres  civiles  ont  enlevés  pondant 
treize  siècles,  sous  les  régnes  de  Jean,  de  Charles  V,  de  Charles  VI, 
de  Charles  VU,  de  Henri  II,  de  François  II,  de  Charles  IX,  do 
Henri  111  et  de  Henri  IV. 

»  Hunaparte  a  levé  (sans  compter  la  garde  nationale)  troizû 
cent  mille  hommes,  ce  qui  est  plus  de  cent  mille  hommes  par 
mois  :  et  on  a  osé  dire  qu'il  n'avait  dépensé  (juc  1(î  Iuxo  do  la 
population.  »  (Ch.vteauuriant.) 


DE  1797  A  1815.  309 


1%'apolcon  tente  de  se  suicider. 

Au  tribunal  de  la  vraie  philosophie,  attenter  à  sa  vie» 
c'est  commettre  un  crime  contre  Dieu,  contre  soi-même  et 
contre  la  société.  C'est  un  crime  contre  Dieu,  car  c'est 
violer  son  droit.  En  effet,  ne  sont-ce  pas  ses  mains  qui  ont 
pétri  ce  corps,  construit  cette  merveilleuse  machine,  formé 
les  innombrables  ressorts  de  ce  vivant  organisme,  chef- 
d'œuvre  de  la  création  visible?  Et  cette  âme,  sa  vivante 
image,  n'est-ce  pas  lui  qui  l'a  produite,  et  qui,  par  les 
inexplicables  liens  de  l'union  hypostatique,  l'incarne  dans 
ce  corps  pour  ne  constituer  avec  lui  qu'une  personne? 
Tout  cela,  étant  nécessairement  l'œuvre  du  Créateur,  lui 
appartient  essentiellement  à  titre  de  propriété,  par  un  droit  • 
naturel,  rigoureux,   absolu.  Donc,  briser  violemment  et 
sans  ordre  cet  organisme,  rompre  cette  réunion,  détruire 
cette  vie,  c'est  attenter  au  droit  de  Dieu  même.  Le  suicide 

—  La  psropriété  d'Ermenonville  vient  d'être  vendue. 

A  ce  sujet,  nous  trouvons  dans  les  Mémoires  d'un  des  pro- 
priétaires d'Ermenonville,  M.  Stanislas  de  Girardin,  l'anecdote 
suivante,  qui  a  bien  sa  signification  : 

«  —  Eu  fructidor,  an  IX  de  la  première  République,  le  pre- 
mier consul  alla  visiter  Ermenonville. 

»  Arrivé  dans  l'île  des  Peupliers,  dit  l'auteur  Ae,  ces  Mémoires, 
il  s'est  arrêté  devant  le  tombeau  de  Jean-Jacques  Rousseau  et 
il  a  dit  : 

»  —  11  aurait  mieux  valu,  pour  le  repos  de  la  France,  que  cet 
homme  n'eût  pas  existé. 

»  —  Et  pourquoi,  citoyen  consul  ?  lui  dis-je. 

»  —  C'est  lui  qui  a  préparé  la  Révolulion  française. 

»  —  Je  croyais,  citoyen  consul,  que  ce  n'était  pas  à  vous  à 
vous  plaindre  de  la  Révolution. 

»  —  Eh  bien  !  répliqua-t-il,  l'avenir  apprendra  s'il  n'eût  pas 
mieux  valu,  pour  le  repos  de  la  terre,  que  ni  Rousseau,  ni  moi, 
n'eussions  jamais  existé. 

»  Et  il  reprit  sa  promenade.  » 


310  LUTTE  DES  PAPÉS  AVeC   LA  RÉVOLUTION 

est  donc  la  lutte  impie  de  la  volonté  de  l'homme  s'insur- 
goant  contre  la  volonté  de  Dieu.  La  preuve  évidente  que 
Dieu  I  établit  pas  1  homme  l'arbitre  de  sa  vie,  qu'il  se  ré- 
serve le  pouvoir  suprême  d'en  décider,  c'est  que  de  fait  il 
exerce  ce  droit. 

Le  suicide  est  un  attentat  contre  Dieu  et  un  crime 
contre  la  société,  au  bien  de  laquelle  chacun  doit  con- 
courir selon  la  mesure  de  ses  forces.  Enfin,  se  donner  la 
mort,  c  est  se  faire  à  soi-même  un  mal  irréparable;  c'est 
sor  ir  de  la  vie  en  vouant  sa  mémoire  à  la  fiétriss^re  de 
1  infamie  ;  c  est  manquer  à  sa  destinée,  se  jeter  sans  res- 
source sous  les  coups  vengeurs  de  la  justice  divine  et  con- 
sommer soi-même  son  malheur  éternel. 

L'histoire  et  la  statistique  s'accordent  pour  démontrer 
que  le  suicide  ne  fut  jamais  que  la  conséquence  des  plus 
graves  erreurs  de  l'esprit  sur  Dieu  et  sa  providence 

lloMZT'r  ^''^^"''^'  ''  ''  ^"^*^  ^''  P^"«  triste^ 

aesordres  dans  les  mœurs. 

Napoléon,  auquel  on  accorde  une  force  de  caractère 
peu  commune,  a  eu  cependant  la  faiblesse  de  vouloir 
attenter  à  sa  vie,  quand  le  malheur  s'est  appesanti  sur  lui. 

Dévore  de  chagrin  et  de  remords  au  souvenir  de  tout 
le  sang  qu  il  avait  fait  verser  pour  satisfaire  son  ambition, 
et  ne  trouvant  pas,  comme  Louis  XVI,  un  secours  dans 
rable''"'"''^''  ''^^°^'^^'  ^^  ^^^  ^^^  ^^^it  devenue  inlolé- 

dit  le  Saint  ÊsnHl  ^Iln^f  "î  ^°"',  ''"'  ^"^  ''''''^  ^°i«  ^'  D^"^"'  « 
sa  n.^nr;v    -^  "^'"'  '^^  "°'  j^"^'^'  ^^^^  ^^"S  doute  de 

sapiopie  cxpencncca  conuneiitc  ce  verset  de  TE criliire  sainte 
du^o  manière  bien  éloquente.  Voici  les  paroles  de  M.  vS 

q-.e  la  inei  de  rcvcmr  au  rivage.  Pour  le  matelot,  cela  sappeJIe. 


DE  1797  A  1813.  311 

Dans  des  faits  de  cette  importance,  nous  le  laisserons 
parler  lui-même. 

Napoléon  a  été  trois  fois  sur  le  point  de  mettre  un  terme 
à  ses  jours.  Les  sources  où  nous  puisons  nos  documents 
ne  sont  point  suspectes,  puisqu'elles  nous  sont  fournies 
d'abord  par  le  héros  lui-même,  puis  par  le  général  Mon* 
tholon.  Voici  ce  qu'écrivait  Bonaparte  à  l'époque  de  la 
Terreur  : 

•  Toujours  seul  au  milieu  des  hommes,  je  rentre  pour 
rêver  avec  moi  et  me  livrer  à  toute  la  vivacité  de  ma  mé- 
lancolie. De  quel  côté  est-elle  tournée  aujourd'hui?  Du 
côté  de  la  mort.  Dans  l'aurore  de  mes  jours,  je  puis  encore 
espérer  de  vivre  longtemps.  Je  suis  absent  depuis  six  ou 
sept  ans  de  ma  patrie.  Quel  plaisir  ne  §oûterai-je  pas  à 
revoir,  dans  quatre  mois,  et  mes  compatriotes  et  mes 
parents  ?  Des  tendres  sensations  que  me  fait  éprouver  le 
plaisir  des  souvenirs  de  mon  enfance,  ne  puis-je  pas  con- 
clure que  mon  bonheur  sera  complet?  Et  quelle  fureur  me 
porte  donc  à  vouloir  ma  destruction?  Sans  doute,  que 
faire  dans  ce  monde?  Puisque  je  dois  mourir,  ne  vaut-il 
pas  autant  se  tuer  ?  Si  j'avais  passé  soixante  ans,  je  res- 
pecterais les  préjugés  de  mes  contemporains,  et  j'attendrais 
patiemment  que  la  nature  eût  achevé  son  œuvre;  mais 
puisque  je  commence  à  éprouver  des  malheurs,  que  rien 
'ft'est  plaisir  pour  moi,  pourquoi  supporterais-je  des  jours 
)ù  rien  ne  prospère  ?... 

»  Quand  la  patrie  n'est  plus,  un  bon  citoyen  doit  mourir. 

la  mai'ée  ;  pour  le  coupable,  cela  s'appelle  remords.  Dieu  sou- 
lève lame  comme  l'Océan. 

»  Le  coupable  a  beau  faire,  il  reprend  ce  sombre  dialogue 
dans  lequel  c'est  lui  qui  parle  et  c'est  lui  qui  écoute,  disant  ce 
qu'il  voulait  taire,  écoutant  ce  qu'il  ne  voulait  pas  enlendrej 
cédant  à  cette  puissance  mystérieuse  qui  lui  dit  :  Pense,  comme 
elle  disait  à  un  autre  condamné  :  Marcîie.  » 


312  LOTIE   DES   PAPES  AVEC   LA   RÉVOLUTION 

Si  je  n'avais  qu'un  homme  à  détruire  pour  délivrer  mes 
compatriotes,  je  partirais  à  l'instant  même,  j'enfoncerais 
dans  le  sein  du  tyran  le  glaive  vengeur  de  la  patrie  et  des 
lois  violées...  La  vie  m'est  à  charge,  parce  que  je  ne  goûte 
aucun  plaisir,  et  que  tout  est  peine  pour  moi;  elle  m'est  h 
charge,  parce  que  les  hommes  avec  qui  je  vis  et  vivrai 
probablement  toujours,  ont  des  mœurs  aussi  éloignées  des 
miennes  que  la  clarté  de  la  lune  diffère  de  celle  du  soleil. 
Je  ne  puis  donc  pas  suivre  la  seule  manière  de  vivre  qui 
pourrait  me  faire  supporter  la  vie;  d'où  s'ensuit  un  dégoût 
pour  tout  *.  » 

Plus  lard,  dans  l'Histoire  de  la  cctptivité  de  Sai/iite-Hélène, 
par  le  général  Montholon,  nous  retrouvons  à  plusieurs 
années  de  distance,  la  même  idée,  mais  à  un  degré  plus 
avancé  et  même  en  voie  d'exécution.  Pour  mettre  le  lecteur 
plus  h  même  d'apprécier  ces  circorstances,  nous  allons 
citer  encore  textuellement  les  paroles  de  Napoléon  rap- 
portées par  le  général. 

«  Une  nuit,  la  conversation  ayant  ramené  rex-emi>ercur 
aux  souvenirs  du  règne  de  la  Convention  et  de  son  séjour 
à  Paris  après  le  siège  de  Toulon,  il  donna  ces  détails  : 

»  Je  me  trouvais  dans  une  de  ces  situations  nauséabondes 
qui  suspendent  les  facultés  cérébrales  et  rendent  la  vie  un 
fardeau  trop  lourd.  Ma  mère  venait  de  m'avouer  touto 
l'horreur  de  sa  position.  Obligée  de  fuir  la  guerre  que 
faisaient  les  montagnards  corses,  elle  était  à  Marseille 
sans  aucun  moyen  d'existence,  et  n'ayant  que  ses  vertus 
héroïques  pour  défendre  l'honneur  de  ses  filles  contre  la 
misère  et  la  corruption  qui  étaient  dans  les  mœurs  de 
de  cette  époque  de  chaos  social.  La  méchante  conduite  du 


'  Souvenirs  de  la  jeunesse  de  Napoléon,  par  M.  G.  Libri.  {Revue 
des  Deux  Mondes,  janvier,  février,  mars  1842.)  Ces  ligjics  soiil 
écrites  de  la  main  même  de  l'empereur. 


DE  1797  A  1815.  313 

représentant  Aubry  m'ayant  privé  de  mes  appointements, 
toutes  mes  ressources  étaient  épuisées;  il  ne  me  restait 
qu'un  assignat  de  cent  sous.  J'étais  sorti  comme  entraîné 
par  un  instinct   pour  le  suicide,  mais  sans  pouvoir  le 
vaincre.  Quelques  instants  de  plus,  je  me  jetais  à  l'eau, 
quand  le  hasard  me  fit  heurter  un  individu  couvert  des 
habits  d'un  simple  manœuvre,  et  qui  me  reconnaissant,  me 
sauta  au  cou  en  me  aisant  :  «  Est-ce  bien  toi.  Napoléon  ? 
»  Quelle  joie  de  te  revoir  i  »  C'était  Démasis,  mon  ancien 
camaraae  d'artillerie;  il  avait  émigré,  ei  était  rentré  en 
France,  déguisé,  pour  voir  sa  vieille  mère;  il  allait  repartir. 
€  Quas-tu?  me  demanda-t-il,  tu  ne  m'écoutes  pas,  tu  ne  te 
»  réjouis  pas  de  me  voir.  Quel  malheur  te  menace?  Tu 
»  me  représentes  un  fou  qui  va  se  tuer.  »  Cet  appel  direct 
à  l'impression  qui  me  dominait  produisit  en  moi  une  ré- 
volution, et  sans  réflexion  je  lui  dis  tout.  «  Ce  n'est  que 
»  cela  ?  me  dit-il  en  ouvrant  sa  mauvaise  veste  et  en  dé- 
»  tachant  une  ceinture  qu'il  me  mit  dans  les  mains;  voilà 
»  30,000  francs  en  or,  prends-les  et  sauve  ta  mère.  » 

Voici  la  troisième  circonstance  où  Napoléon  tenta  de  se 
suicider.  Nous  le  laissons  parler  lui-même  : 

«  Depuis  la  retraite  de  Russie,  je  portais  du  poison 
suspendu  au  cou  dans  un  sachet  de  soie  ;  c'est  Yvan  qui 
l'avait  préparé  par  mon  ordre,  dans  la  crainte  que  j'avais 
d'être  enlevé  par  les  Cosaques.  Ma  vie  n'appartenait  plus 
à  la  patrie,  les  événements  de  ces  derniers  jours  m'en 
avaient  rendu  le  maître.  Pourquoi  tant  souffrir,  me  dis-jc, 
et  qui  sait  si  ma  mort  ne  placerait  pas  la  couronne  sur  la 
tête  de  mon  fils?  La  France  alors  serait  sauvée.  Je  n'hésitai 
pas,  je  sautai  à  bas  de  mon  lit,  et  délayant  le  poison  dans 
un  peu  d'eau,  je  le  bus  avec  une  sorte  de  bonheur;  mais 
le  temps  lui  avait  ôté  sa  valeur.  D'atroces  douleurs  m'ar- 
rachèrent quelques  gémissements;  ils  furent  entendus;  des 

14 


314  LUTTE   DES  PAPES   AVEC   LA   RÉVOLUTION 

secours  m'arrivèrent.  Dieu  ne  voulut  pas  que  je  mourusse 
encore...  Sainte-Hélène  était  dans  ma  destinée*.  » 

Nous  ferons,  à  l'occasion  de  ce  fait,  quelques  réflexions 
sur  Louis  XVI.  On  a  reproché  avec  quelque  raison  i\  ce 
monarque  infortuné  d'avoir  une  bonté  qui  dégénérait 
quelquefois  en  faiblesse  de  caractère;  mais  quand  on 
touchait  à  sa  conscience,  il  retrouvait  aussitôt  toute  son 

»  Voyez  feuilleton  de  la  Presse,  5  et  14  février  1846,  Histoin 
de  la  captivité  de  Sainte-Uéléne,  par  le  général  Montholon. 

Comme  ce  fait  nous  paraît  très-grave,  nous  ajouterons  ici  un 
extrait  du  récit  du  baron  Fain,  cité  par  M.  Alfred  Nettement 
dans  son  Histoire  de  la  Restauration. 

«  A  l'époque  de  la  retraite  de  Moscou,  Napoléon  s'était  pro- 
curé, en  cas  d'accident,  le  moj'en  de  ne  pas  tomber  vivant 
dans  les  mains  de  l'ennemi.  Il  s'était  fait  remettre  par  son 
chirurgien  Yvan  un  sachet  d'opium  qu'il  avait  porté  à  son  cou 
pendant  tout  le  temps  qu'avait  duré  le  danger.  (Ce  n'était  pas 
seulement  de  l'opium,  c'était  une  préparation  indiquée  par 
Cabanis,  la  même  dont  Condorcet  s'était  servi  pour  se  donner 
la  mort.)  Depuis  il  avait  conservé  avec  grand  soin  ce  sachet 

dans  un  coin  de  son  nécessaire Cette  nuit,  le  moment  lui 

avait  paru  arrivé  de  recourir  à  cette  dernière  ressource.  Le 
valet  de  chambre  qui  couchait  derrière  sa  porte  entr'ouverte 
l'avait  entendu  délayer  quelque  chose  dans  un  verre  d'eau, 
boire  et  se  coucher.  Bientôt  les  douleurs  avaient  arraché  à 
Napoléon  l'aveu  de  sa  fin  prochaine.  C'est  alors  qu'il  avait  fait 
appeler  ses  serviteurs  les  plus  intimes.  Yvau  avait  été  mandé 
aussi  ;  mais  apprenant  ce  qui  venait  de  se  passer,  et  entendant 
Napoléon  se  plaindre  de  ce  que  l'action  du  poison  n'était  pas 
assez  prompte,  il  avait  perdu  la  tôte  et  s'était  sauvé  à  Fon- 
tainebleau. On  ajoute  qu'un  long  assoupissement  était  survenu, 
qu'après  une  sueur  abondante  les  douleurs  avaient  cessé,  et 
que  les  symptôm.es  effrayants  avaient  Uni  par  s'cfl'accr,  soit  que 
la  dose  se  fût  trouvée  insuffisante,  soit  que  le  temps  eût  amorti 
le  venin.  On  dit  enfin  que  Napoléon,  étonné  de  vivre,  avait 
réiléchi  quelques  instants.  «  Dieu  ue  le  veut  pas  I  »  s'était-il 
écrié,  et,  s'ubandounant  à  la  Providence  qui  venait  de  conscr* 
'#er  sa  vio,  il  s'était  résigné  à  de  nouvelles  destinées.  »  {Ma* 
nuscrit  de  1814,  par  le  baron  Fain,  page  394.) 


DE  1797  A  181S.  313 

énergie  de  chrétien.  Ainsi,  en  présence  même  des  sbires 
chargés  de  le  surveiller  dans  sa  prison  du  Temple,  il  s'est 
contenté  plusieurs  fois  de  prendre  du  pain  et  de  l'eau 
plutôt  que  d'enfreindre  les  lois  de  l'abstinence. 

Sa  mort,  personne  ne  le  niera,  a  été  celle  d'un  vrai 
chrétien. 

Jamais  la  pensée  d'échapper  par  le  suicide  au  supplice 
ignominieux  qui  l'attendait  ne  vint  à  l'esprit  de  ce  ver- 
tueux prince.  Nous  citerons  à  ce  sujet  le  deux  traits  sui- 
vants : 

Lorsque  le  fidèle  Malesherbes  venait  visiter  Louis  XVI 
dans  sa  prison,  les  municipaux  le  fouillaient  quelquefois, 
de  peur,  disaient-ils  qu'il  n'apportât  du  poison  au  ci-devant 
roi  pour  priver  la  nation  du  spectack  de  sa  mort.  <  Si  le  roi, 
répondit  Malesherbes,  était  de  la  religion  des  anciens  phi- 
losophes, vos  craintes  pourraient  avoir  quelque  fondement; 
mais,  pieux  comme  il  est,  jamais  il  ne  sera  tenté  de  com- 
mettre c6  crime.  » 

La  veille  de  sa  mort,  après  avoir  entendu  la  lecture  de 
£on  jugement,  Louis  XVI  se  mit  à  table,  à  l'heure  de  son 
dîner,  aussi  tranquillement  que  de  coutume  ;  sa  surprise 
fut  grande  lorsqu'il  s'aperçut  qu'on  lui  avait  enlevé  son 
couteau.  On  lui  communiqua  un  arrêté  de  la  municipalité 
ainsi  conçu  :  «  Louis  ne  se  servira  point  de  couteau  ni  de 
fourchette  à  ses  repas.  Il  sera  confié  un  couteau  à  son  valet 
de  chambre  pour  lui  couper  son  pain  et  sa  viande;  ensuite 
le  couteau  sera  retiré.  »  —  «  Les  malheureux  l  s'écria 
Louis  XVI,  quelle  idée  ont-ils  de  moi?  Quand  je  serais 
assez  lâche  pour  me  donner  la  mort,  ne  savent-ils  pas  que 
la  religion  me  le  défend  ?  On  m'impute  des  crimes,  mais 
j'en  suis  innocent,  et  je  mourrai  sans  crainte.  Je  voudrais 
que  ma  mort  fît  le  bonheur  des  Français  et  pût  écarter  les 
malheurs  que  je  prévois.  > 


316  LUTTE   DES    PAPES   AVEC    LA   RÉVOLUTION 

Humiliations  de  IVapoléon.  —  Triomphe  da  Pape  ^. 

Le  18  avril  1814,  les  quatre  commissaires  désignés  par 
les  puissances  coalisées  pour  accompagner  Napoléon  jus- 
qu'au port  d'embarquement  arrivèrent  à  Fontainebleau; 
c'étaient  le  général  Schouwaloff  pour  la  Russie,  le  général 
Kohler  pour  l'Autriche,  le  colonel  Campbell  pour  l'An- 
gleterre, le  général  Waldbourg-Truchsess  pour  la  Prusse. 
Le  départ  fut  fixé  au  20  avril  ;  Napoléon,  sur  l'invitation 
des  commissaires,  en  indiqua  l'heure  lui-même.  A  midi, 
les  voitures  de  voyage  vinrent  se  ranger  dans  la  cour  du 
Cheval-Blanc,  au  bas  de  l'escalier  du  Fer-à-Cheval.  Le 
maréchal  Bertrand  entra  dans  les  appartements  de  l'em- 
pereur pour  lui  annoncer  que  tout  était  prêt.  Sa  garde, 
faible  reste  de  tant  de  guerres,  était  sous  les  armes.  Les 
quatre  commissaires  étrangers  étaient  présents,  et  le  petit 
nombre  de  serviteurs  demeurés  à  Fontainebleau  pour 
être  témoins  de  la  dernière  scène  de  l'Empire  se  tenaient 
rangés  sur  deux  files  dans  le  salon  sur  lequel  s'ouvrait  le 
cabinet  impérial. 

L'épopée  de  l'Empire  est  arrivée  à  son  terme;  ce  qui 
reste  de  l'empereur  et  ce  qui  reste  de  tant  d'armées  im- 
périales qui  ont  vaincu  sur  tous  les  champs  de  bataille 
se  rencontrent  dans  la  cour  de  Fontainebleau  pour  un 
dernier  adieu.  Pour  que  tous  les  acteurs  de  ces  journées 
héroïques  soient  représentés,  l'Europe  a  envoyé  ses  lé- 
moins. 

Les  voitures  s'ébranlèrent  et  roulèrent  vers  la  première 
étape  de  l'exi)  ;  les  troupes  commandées  à  cet  effet  les 

'  Pour  mieux  apprécier  les  humiliations  de  Napoléon  dans 
celte  circonstance,  qu'on  se  rappelle  les  témoignages  de  véné- 
ration et  de  dévouement  qui  furent  prodigués  à  Pie  Vil  quand 
ou  le  traînait,  captif  et  gardé  ù  vue,  d'une  prison  à  l'autre. 


DE  1797  A  1813.  317 

escortaient.  Le  premier  Empire  était  fini;  son  convoi  sui- 
vait la  route  de  Lyon. 

A  Moulins,  on  vit  les  premières  cocardes  blanches.  Le 
24  avril,  à  midi,  on  rencontra,  près  de  Valence,  le  ma- 
réchal Augereau.  Napoléon  et  le  maréchal  descendirent 
de  voiture  et  allèrent  au-devant  l'un  de  l'autre;  ils  s'em- 
brassèrent; mais  tandis  que  le  premier  ôtait  son  chapeau, 
le  second  resta  la  tête  couverte.  Ce  qu'il  respectait  dans  son 
ancien  souverain,  c'était  la  nuissance  et  non  un  droit;  cette 
puissance  tombée,  il  se  retrouvait  de  niveau  avec  lui,  et, 
reprenant  la  familiarité  républicaine,  il  tutoya  l'empereur, 
OUI  l'avait  tutové,  en  lui  reprochant  sa  proclamation  m- 
jurieuse  contre  lui,  et  lui  rendit  reproche  pour  reproche 
en  lui  rappelant  l'ambition  insatiable  à  laquelle  il  avait 
sacrifié  la  France.  Bientôt»  importuné  de  cette  conver- 
sation, Napoléon,  qui  avait  marché  à  peu  près  un  quart 
d'heure  h  côté  d'Augereau  en  se  dirigeant  vers  Valence, 
se  retourna  brusquement  de  son  côté,  l'embrassa  encore, 
le  salua  et  se  ieta  dans  la  voiture.  Augereau,  les  mains 
derrière  le  dos,  le  laissa  partir  sans  même  porter  la  main  à 
sa  casquette  de  voyage,  et  lorsque  l'empereur  fut  monté  en 
voiture  il  lui  fit  pour  tout  adieu  un  geste  équivoque  *. 

Depuis  Orange,  partout  où  le  cortège  passa,  il  fut  ac- 
cueilli par  les  cris  de  Vice  le  roi  !  auxquels  se  mêlaient  des 
injures  et  des  menaces  contre  l'empereur  déchu.  A  Orgon, 
on  éleva  une  potence  avec  un  mannequin  tout  couvert  de 
sang  devant  l'auberge  où  les  voitures  devaient  relayer. 
Les  fenomes  surtout  se  montraient  impitoyables.  La  colère 
de  tant  de  mères,  de  tant  d'orphelines,  de  tant  de  veuves 
privées  de  leurs  maris,  de  leurs  enfants,  bouillonnait-elle 
dans  les  âmes  ardentes  ds  ces  furies  méridionales,  qui 
demandaient  d'une  voix  tantôt  menaçante,  tantôt  sup- 

*  Histoire  de  la  Restauration» 


SI  8  LUTTE  DF.S  PAPES   AVEC   LA  RÉVOLUTION 

plianto,  le  sang  do  Napok^on  comme  une  satisfaction  qui 
leur  était  due  pour  ce  qu'elles  avaient  souffert?  Le  njle 
des  commissaires  européens  devenait  difficile.  Ils  n'avaient 
point  prévu  qu'ils  auraient  besoin  d'une  escorte,  non  pour 
défendre  leur  vie,  elle  ne  courait  aucun  risque,  mais  pour 
défendre  celle  de  l'homme  qui  avait  été  empereur  des 
Français  contre  le  peuple  qui  avait  été  son  peuple.  Ils  ne 
virent  d'autre  moyen  de  sauver  sa  vie  que  de  sacrifier  sa 
dignité,  A  Orgon,  le  comte  Schouwaloff  harangua  la  mul- 
titude en  furie  ;  il  lui  représenta  »  le  profond  abaissement 
de  celui  qu'elle  voulait  punir,  »  en  ajoutant  que  «  h 
mépris  était  la  seule  arme  qu'on  dût  employer  contre  un  homme 
qui  avait  cessé  d'être  dangereux,  et  qu'il  serait  au-dessous 
de  la  nation  française  d'en  prendre  une  autre  vengeance.  » 
La  relation  de  Waldbourg  ajoute  :  «  L'empereur  se  cachait 
derrière  le  général  Bertrand  le  plus  qu'il  pouvait;  il  était 
pdle,  défait,  et  ne  disait  mot.  Quand  il  vit  que  le  peuple 
applaudissait  à  ce  discours,  il  fit  des  signes  d'approbation  à 
Schomoalo/f  ol  le  remercia  plus  tard  du  service  qu'il  lui 
avait  rendu.  » 

Triste  service,  où  personne  n'est  à  sa  place,  personne 
ne  remplit  son  devoir,  ni  cette  vile  multitude,  qui,  après 
avoir  subi  le  despotisme  puissant,  vient  insulter  la  toule- 
puissance  tombée  et  sans  défense;  ni  ces  commissaires 
étrangers  qui,  chargés  de  protéger  l'empereur,  commis  îi 
leur  loyauté  et  à  leur  respect  jusqu'à  ce  qu'il  soit  arrivé  îi 
l'île  d'Elbe,  dont  il  est  souverain,  livrent  sa  dignité  comme 
i  rançon  de  sa  vie;  ni  l'empereur  lui-même,  qui  consent  h 
I  cet  indigne  marché.  Il  avait  la  grandeur  du  génie,  mais 
il  lui  manquait  cette  grandeur  plus  haute  que  donne  le 
sentiment  du  droit  et  la  vertu.  Ni  le  royal  martyr  de  la 
place  de  White-Hall,  ni  le  royal  supplicié  de  la  place  do 
la  Révolution  n'auraient  accepté  une  pareille  défense. 
Louis  XVI  prescrivit  ù  de  Sèze  de  ne  pas  attendrir  ses 


DE  1797  A  1815.  319 

juges.  Quoique  roi,  il  voulait  bien  demander  la  justice  i\ 
ses  sujets,  mais  il  n'acceptait  pas  la  pitié,  moins  encore  le 
mépris. 

A  un  quart  de  lieue  d'Orgon,  Napoléon  crut  nécessaire  b. 
sa  sûreté  de  prendre  un  déguisement.  Il  se  revêtit,  dit  la 
relation,  d'une  mauvaise  redingote  bleue,  se  couvrit  la 
tète  d'un  chapeau  rond  avec  une  cocarde  blanche,  et  monta 
sur  un  cheval  de  poste  pour  galoper  devant  la  voiture, 
en  se  faisant  passer  pour  un  courrier.  A  Saint-Canat,  à  la 
Calade,  petite  auberge  sur  la  grande  route,  il  rencontra 
le  même  accueil,  il  éprouva  les  mêmes  appréhensions. 
Toute  sa  suite,  depuis  le  général  jusqu'au  marmiton, 
poursuit  la  relation,  était  couverte  de  cocardes  blanches. 
Puis  il  eut  l'idée  de  revêtir  l'uniforme  autrichien  du  général 
Kohier,  et,  pour  dérouter  les  soupçons,  il  sollicita  de  ses  com- 
pafjnons  des  marques  de  familiarité;  il  demanda  au  cocher  du 
général  Kohler  de  fumer,  et  au  général  de  chanter  ou  de  siffler 
dans  la  voiture.  Quand  il  s'agissait  de  prendre  un  repas 
dans  une  auberge,  il  n'osait  toucher  à  aucun  plat,  dans  la 
crainte  d'être  empoisonné.  Il  priait  les  commissaires  de 
rechercher  si  les  maisons  dans  lesquelles  on  s'arrêtait 
avaient  des  portes  dérobées  par  lesquelles  on  pût  s'é- 
chapper en  cas  d'alerte.  C'est  ainsi  qu'il  arriva  à  Saint- 
Maximin,  jouant  toujours  le  rôle  de  général  autrichien,  tandis 
que  l'aide-de-camp  du  général  Schomcaloff,  le  major  Olewieff„ 
prenait  sa  place  dans  la  voiture,  et  jouait,  à  sa  prière,  celui  de 
l'empereur^,  »  ' 

Ayant  appris  que  le  sous-préfet  d'Aix  était  dans  cet 
endroit,  continue  la  relation  Waldbourg,  il  le  fit  appeler 
et  l'apostropha  en  ces  termes  :  «  Vous  devez  rougir  de  rao 
voir  en  uniforme  autrichien.  J'ai  dû  le  prendre  pour  mettre 

*  On  se  demande,  en  lisant  ces  lignes,  ce  qu'était  devenu  le 
courage  de  cet  homme,  qui  avait  dicté  des  lois  à  l'Europe  et 
bravé  si  souvent  la  mort  sur  les  champt  de  bataille. 


320  LUTTE   DES   PAPES    AVEC   LA   RÉVOLUTION 

ma  vie  h  l'abri  des  insultes  des  Provençaux.  J'arrivais  en 
pleine  confiance  au  milieu  de  vous,  tandis  que  j'aurais  pu 
venir  avec  six  mille  hommes  de  ma  garde.  Je  ne  trouve  ici 
que  des  tas  d'enragés  qui  menacent  ma  vie.  C'est  une  mé- 
chante race  que  les  Provençaux  :  ils  ont  commis  toutes 
sortes  de  crimes  et  d'horreurs  dans  la  Révolution,  et  sont 
tout  prêts  à  recommencer;  mais  quand  il  s'agit  de  se  battre 
avec  courage,  ce  sont  des  lâches.  Jamais  la  Provence  ne 
m'a  fourni  un  régiment  dont  j'aurais  pu  être  content; 
mais  ils  seront  peut-être  demain  aussi  acharnés  contre 
Louis  XVIII  qu'ils  le  paraissent  aujourd'hui  contre  moi.  » 
Après  avoir  parle  quelque  temps  dans  ce  sens,  il  se  re- 
tourna vers  les  commissaires  et  leur  dit  «  que  Louis  XVIII 
ne  ferait  jamais  rien  de  la  nation  française  s'il  la  traitait 
avec  trop  de  ménagements.  » 

A  Saint-Maximin ,  les  commissaires  apprirent  qu'il  y 
avait  au  Luc  deux  escadrons  autrichiens,  et,  sur  la  de- 
mande de  Napoléon,  ils  envoyèrent  au  commandant  l'ordre 
d'attendre  leur  arrivée  pour  escorter  l'empereur  jusqu'à 
Fréjus. 

Ici  s'arrête  l'itinéraire  de  Waldbourg,  en  ne  laissant 
dans  le  cœur  d'autre  émotion  que  celle  de  la  tristesse  et 
d'une  humiliation  profonde.  L'âme  humaine  reste  sans 
consolation  devant  l'abaissement  de  cette  immense  fortune, 
parce  qu'elle  ne  sait  où  se  prendre  pour  aimer  et  admirer. 
Dans  Marins  assis  sur  les  ruines  de  Carthage  ou  se  re- 
dressant en  présence  du  Cimbre,  elle  trouve  du  moins  la 
force  morale  survivant  h  la  force  matérielle  et  la  grandsur 
païenne  de  l'homme  déliant  de  ses  intrépides  regards  les 
coups  de  la  fortune,  qui  a  pu  renverser  sa  puissance,  mais 
non  abattre  son  cœur.  Dans  l'abdication  volontaire  de 
Charles-Quint,  on  est  ému  par  la  liberté  môme  de  l'action, 
et  par  l'élévation  d'une  âme  plus  haute  que  le  pouvoir 
qu'elle  quille.  Chez  Louis  XVI,  îi  ses  derniers  moments. 


DE  1797  A  181S.  321 

le  roi  déchu  se  transfigure  dans  le  saint  et  le  martyr;  le 
souverain  est  tombé,  mais  l'homme  ne  descend  pas,  il 
monte  :  «  Fils  de  saint  Louis,  montez  au  ciel  I  »  Rien  de 
pareil  sur  la  route  de  Fontainebleau  à  Fréjus.  Cette  multi- 
tude est  sans  pitié,  la  victoire  de  l'Europe,  représentée 
par  ses  quatre  commissaires,  sans  générosité,  sans  no- 
blesse, le  malheur  de  Napoléon  sans  prestige.  Il  ne  sait 
emprunter  à  son  passé  aucun  rayon  pour  illuminer  les 
ombres  de  son  adversité.  C'est  une  vie  déplorablement 
attaquée  qui  se  défend  par  des  moyens  vulgaires  :  la 
ruse,  les  déguisements,  la  fuite,  les  subterfuges,  le  dernier 
acte  de  la  tragédie  de  l'Empire  descend  jusqu'à  la  comédie. 
La  grandeur  païenne  comme  la  grandeur  chrétienne  y 
manque.  Pour  trouver  l'enseignement  contenu  dans  cette 
scène,  il  faut  s'élever  jusqu'au  jugement  de  Dieu  par 
lequel  deux  souverains  sortaient  à  si  peu  de  distance  de 
Fontainebleau  :  le  premier,  le  pape  Pie  VII,  traversant  en 
triomphe  la  France  agenouillée  sous  sa  bénédiction,  pour 
aller  retrouver  sa  ville  de  Rome,  heureuse  et  fière  de  le 
revoir;  le  second.  Napoléon,  traversant  les  multitudes 
ameutées  contre  lui  et  ardentes  à  préluder  par  l'outrage  à 
la  violence,  pour  aller  chercher  au-delà  de  la  mer  un 
exil.  Dieu  reste  grand  dans  ces  enseignements  alors  même 
que  l'homme  devient  petit. 

Pour  décider  entre  l'usurpation  française  et  Le  gouver- 
nement du  Pape  à  Rome,  il  suffit  de  consulter  l'histoire, 
qui  nous  apprendra  comment  les  révolutionnaires  se  main- 
tinrent dans  les  Etats  pontificaux,  et  comment  y  fut  ac- 
cueilli Pie  VII  à  son  retour.  Les  premiers  employèrent  la 
violence,  les  cours  de  justice  et  les  cours  spéciales;  les 
faits  mêmes  allégués  par  la  Révolution  française  pour 
justifier  l'envahissement  de  l'Etat  pontifical  prouvent  com- 
bien elle  était  odieuse  aux  populations,  tandis  que  les 
fêtes,  les  acclamations  avec  lesqu(^les  fut  reçu  le  Pape  à 

14* 


322  LUTTE  DKS    PAPES    AVEC   LA   RÉVOLUTION 

son  retour,  démontrent  combien  son  gouvernement  était 
cher  à  ses  sujets  *. 

Le  12  mai  1814,  Pie  VII  arrivait  h  Ancône.  où  il  était 
reçu  avec  les  plus  grands  transports  de  joie.  Dos  hommes 
de  mer,  vêtus  uniformément,  ayant  dételé  les  chevaux  de 
son  carrosse,  s'y  attachèrent  eux-mêmes  avec  dos  cordes 
de  soie  rouge  et  jaune,  et  le  traînèrent  pendant  que  tonnait 
I  artillerie  des  bastions,  et  que  de  toutes  les  églises  les 
cloches  envoyaient  leurs  joyeuses  volées  dans  les  airs  A 
Osimo,  le  14,  une  garde  d'honneur  se  forma  et  le  conduisit 
à  Lorette.  C'était  un  triomphe  dans  tous  les  pays  traversés- 
et  pendant  ce  temps-là  Napoléon  se  retirait  à  l'île  d'Elbe* 
entendant  crier  autour  de  lui  :  A  bas  le  tyran  f  se  voyant 
même  menacé  d'un  coup  de  fourche  dans  un  endroit  où  il 
s  était  arrêté.  Le  Pape  recevait  les  plus  sincères  démons- 
trations d'amour  du  peuple;  il  se  disposait  dès  lors  à 
accueillir  avec  tous  les  égards  convenables  M"»»  Lœtitia 
la  mère  de  l'empereur,  qui  se  rendait  à  Rome  pour  y 
trouver  un  refuge.  Le  vénérable  Chiaramonti  rentra  donc 
dans  la  ville  éternelle  au  milieu  des  palmes  de  la  Ligurie 
et  des  hozanna  de  son  peuple,  si  longtemps  orphelin. 

Sainte-Hélène  *. 

L'île  de  Sainte-Hélène  est  située  au  milieu  de  l'Atlantique, 
îi  neuf  cents  lieues  de  la  côte  d'Afrique,  à  treize  conts  dé 
celle  du  Brésil,  vers  le  i6<^  degré  de  latitude  au^elfi  de 

'p^^f/^^ïf  °''''°''^^  Humphrey  Davy,  qui  assista  au  retour 
e  Pic  VII  u  Rome,  a  écrit  ;  «  Jo  n'oublierai  jamais  l'enlhou. 
siasme  de  cette  réception.  U  est  impossible  de  dire  tes  acclama- 
tions les  transports  d'allégresse  du  peuple,  qui  de  toutes  parts 
criait  :  Le  Saint-Pére!  Le  Saint-Père!  Sa  restauration  est  l'œuvre 
de  Dieu!  »  (Voy.  Consolations  of  travel,  p.  16i.) 

^  Avant  de  raconter  les  angoisses  de  Napoléon  à  Sainte-Hélène 
sous  la  verge  d'un  géuéral  anglais,  nous  allons  rappelé?  d'une 


DE  1797  A  181d.  323 

l'équateur.  Elle  a  vingt-huit  milles  anglais  de  circuit,  h 
peu  près  la  superficie  de  Paris  avant  1860. 

Le  sol  de  l'île  est  celui  d'un  volcan  refroidi  depuis  des 
siècles;  la  seale  pierre  qu'on  y  trouve  est  spongieuse, 
rougeàtre,  et  si  tendre  qu'on  la  travaille  à  la  main.  Les 
sommités  sont  couronnées  de  bois,  mais  les  vallées  et  les 
plateaux  intermédiaires  sont  dépourvus  de  toute  culture, 
La  terre  végétale  ne  se  trouve  que  là  où  on  a  pu  l'apporter. 
L'eau  n'y  existe  qu'en  des  quantités  insuffisantes  pour  les 
besoins  d'une  nombreuse  garnison;  il  en  était  ainsi  du 
moins  à  l'époque  où  Napoléon  fut  relégué  dans  l'île.  La 
population  de  Sainte-Hélène  s'élève  à  environ  quinze  cents 

manière  sommaire  les  traitements  que  l'empereur  fît  subir  au 
vénérable  Pie  VII,  pendant  de  longs  mois,  dans  la  prison  da 
Savone,  où  il  était  tenu  par  son  ordre  dans  un  état  de  séques- 
tration absolue.  Nous  empruntons  ces  détails  à  l'ouvrage  du 
comte  d'Haussonville,  qu'on  ne  soupçonnera  pas  de  clérica' 
lisrae  : 

«  Pie  VU  était  à  Savone  depuis  quatre  mois,  le  9  mai  1811. 
Non-seulement  tous  ses  livres,  tous  ses  papiers  lui  avaient  été 
enlevés;  non-seulement  il  était  privé  de  plumes  et  d'encre  pour 
son  usage  particulier,  mais  ses  plus  intimes  et  ses  plus  indis- 
pensables serviteurs  avaient  été  arrachés  d'auprès  de  sa  pei-sonna, 
et  la  plupart  enfermés  dans  la  prison  d'Etat  de  Fénestrelle.  Cette 
mesure  d'une  rigueur  inouïe  avait  atteint,  outre  le  prélat  Doria, 
le  propre  confesseur  du  Pape  et  jusqu'à  un  vieux  valet  de 
chambre  qui  lui  servait  de  barbier.  Aucune  nouvelle  politique 
quelconque  n'était  venue  du  dehors  jusqu'à  Pie  VII,  sinon 
celles  que,  d'après  les  instructions  reçues  de  Paris,  le  préfet  de 
Montenotte  avait  été  parfois  invité  à  porter  à  sa  connaissance, 
quand  elles  avaient  paru  de  nature  à  jeter  le  découragement 
dans  son  âme  et  à  le  détourner  de  ses  idées  de  résistance.  Tout 
ce  qui  regardait  les  affaires  de  la  catholicité  en  général,  et  sur- 
tout celles  de  l'Eglise  de  Finance,  avait  été  dérobé  à  sa  connais- 
sance avec  un  soin  particulier.  Afin  que  son  isolement  moral 
fiât  plus  complet,  on  lui  avait  laissé  ignorer  jusqu'au  sort  des 
membres  du  Sacré-CoUége  auxquels  il  portait  le  plus  d'affec- 
tion. » 


324        LUTTE  DES  PAPES  AVEC  LA  RÉVOLUTION 

âmes,  en  y  comprenant  la  garnison.  Les  colons  y  sont, 
pour  la  plupart;  d'anciens  employés  subalternes  de  la 
Compagnie  des  Indes.  La  vie  y  est  très-courte;  il  est  rare 
qu'elle  atteigne  au  terme  de  soixante  ans.  Le  climat  est 
dévorant^  pour  les  Européens.  Les  variations  de  l'atmos- 
phère y  sont  considérables,  fréquentes  et  subites.  La  saison 
des  pluies  surtout  y  est  morbifique  ;  les  maladies  qu'elle 
engendre  sont  la  dyssenterie  et  l'inflammation  du  foie, 
L'Angleterre  avait  bien  choisi  pour  ses  vengeances;  si  elle 
avait  calculé  sur  le  climat  et  spéculé  snr  les  misères  d'un 
semblable  exil,  ses  prévisions  ne  devaient  être  que  trop 
bien  accomplies. 

Après  avoir  passé  deux  mois  à  Briars,  habitation  d'un 
négociant  anglais.  Napoléon  fut  installé  dans  son  nouveau 
logement  de  Longwood  :  c'était  une  maison  de  bois  que, 
pendant  neuf  mois  de  l'année,  moisissait  l'humidité  des 
pluies  ou  des  orages,  et  que,  durant  trois  autres  mois, 
calcinait  le  soleil  de  plomb  des  tropiques.  Napoléon  habi- 
tait une  pièce  tendue  de  nankin  brun,  et  dont  les  deux 
fenêtres  s'ouvraient  sur  le  camp  du  54^  régiment,  préposé 
à  sa  garde.  Elle  avait  pour  ameublement  un  canapé, 
quelques  chaises,  une  commode,  un  guéridon,  le  lit  de 
fer  d'Austerlitz,  le  réveil-matin  du  grand  Frédéric,  et  les 
portraits  des  deux  impératrices  et  du  roi  de  Rome. 

Longwood,  dans  l'origine,  n'était  qu'une  sorte  de  grange 
à  l'usage  de  la  Compagnie  des  Indes.  Cette  maison,  res- 
taurée à  la  hâte  et  tant  bien  que  mal  appropriée  â  la 
résidence  de  l'empereur  et  de  ses  compagnons  d'infortune, 
était  située  dans  la  portion  la  plus  malsaine  de  l'île,  assise 
sur  un  platneu  élevé  de  deux  mille  pieds  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer,  sans  cesse  battu  par  des  vents  impétueux 
ou  couvert  do.  nuages  humides,  dépouillé  d'arbres  et  de 
végétation.  «  Ce  pays  est  mortel,  disait  Napoléon  ;  partout 
où  les  fleurs  sont  étiolées,  l'homme  ne  peut  pas  vivre.  Ce 


DE  1797  A  1815.  325 

calcul  n'a  point  échappé  aux  élèves  de  Pitt.  »  Il  ajoutait  : 
«  Transformer  l'air  en  instrument  de  meurtre,  cette  idée 
n'était  pas  venue  au  plus  farouche  de  nos  proconsuls  ;  elle 
ne  pouvait  germer  que  sur  les  bords  de  la  Tamise.  » 

Et  pourtant  ce  fut  là  qu'il  languit  près  de  six  ans,  sous 
la  garde  du  général  anglais  sir  Hudson  Lowe.  Cet  homme 
fut  fidèle  à  la  mission  de  haine  qui  lui  avait  été  confiée. 
Il  se  montra  geôlier  plutôt  que  gouverneur,  sbire  et  non 
soldat.  Chaque  jour,  dans  son  humeur  inquiète  et  cha- 
grine, il  ajoutait  de  nouvelles  privations  à  celles  que  Na- 
poléon devait  endurer;  tantôt  il  taxait  les  rations  de  vin 
des  prisonniers,  tantôt  il  leur  refusait  les  vivres  nécessaires, 
et  forçait  l'empereur,  pour  nourrir  ses  compagnons,  de 
vendre  sa  vaisselle  ou  son  argenterie.  Vainement  Napoléon 
demandait-il  des  journaux  et  des  livres,  on  ne  lui  en 
accordait  que  de  loin  en  loin;  on  lui  interdit  toute  com- 
munication avec  les  habitants  de  l'île,  toute  correspon- 
dance libre  avec  les  siens,  toute  relation  avec  les  mi- 
litaires de  la  garnison.  Il  ne  pouvait  écrire  à  personne 
sans  que  ses  lettres  fussent  livrées  à  l'examen  du  gou- 
verneur et  des  subalternes.  Un  voyageur  qui  arrivait 
d'Europe,  après  avoir  vu  de  près  Marie-Louise  et  son  fils, 
ne  put  recevoir  la  permission  de  donner  à  ce  père  in- 
fortuné des  nouvelles  de  ces  objets  demeurés  si  chers  à 
son  cœur.  C'était  par  ces  tortures  impies  qu'on  espérait 
abattre  ses  forces  morales  et  abréger  la  durée  de  son  exis- 
tence *. 

*  «  Napoléon  avait  pour  promenoir  une  arène  de  12  milles 
des  sentinelles  entouraient  cet  espace,  et  des  vigies  étaient 
placées  sur  les  plus  hauts  pitons.  Le  lion  pouvait  étendre  ses 
courses  au-delà,  mais  il  fallait  alors  qu'il  consentît  à  se  laisser 
garder  par  un  bestiaire  anglais.  Deux  camps  défendaient  l'en 
ceinte  excommuniée:  le  soir,  le  cercle  des  factionnaires  se 
resserrait  sur  Longwood.  A  neuf  heures,  Napoléon,  consigné, 
no  pouvait  plus  sortir  ;  les  patrouilles  faisaient  la  ronde  j  des 


326  LUTTE   DES  PAPES  AVEC   LA  RÉVOLUTION 

Ayant  un  jour  entrepris  la  lecture  d' Andromague,  et  en 
étant  venu  à  ces  vers  connus  : 

Je  passais  jusqu'aux  lieux  où  l'on  garde  mon  fils 
Puisqu'une  fois  le  jour  vous  souËfrez  que  je  voie 
Le  seul  bien  qui  me  reste  et  d'Hector  et  de  Me 
J  allais,  seigneur,  pleurer  un  moment  avec  lui  • 
Je  ne  lai  pomt  encore  embrassé  d'aujourd'hui.".. 

d'abondantes  larmes  remplirent  ses  yeux;  et  il  ferma  le 
livre.  Il  songeait  à  cet  autre  Astyanax  qu'il  avait  tant  aim^ 
quil  ne  devait  plus  revoir,  et  qui  devait  à  peine  lui  sur- 
vivre de  quelques  années.  Puis  ses  souvenirs  se  reportaient 
vers  la  Corse,  théâtre  de  ses  premiers  jeux,  berceau  aimé 
de  son  enfance;  vers  l'Ecole  de  Brienne,  où  s'écoula  sa 
jeunesse:  vers  cette  France  qu'il  avait  remplie  de  gloire 
et  de  deuil*.  ^  &     *^ 

cavaliers  en  vedette  des  fantassins  plantés  cà  et  là,  veillaient 
dans  les  criques  et  les  ravins  qui  descendaient  à  ir  grève 
D^^ux  bncks  armes  croisaient,  l'un  sous  la  vent,  l'autre  ÂZnX 

»  Que  de  précautions  pour  garder  un  seul  homme  au  milien 
des  mers  !  Après  le  coucher  du  soleil,  aucunTchalounê  ^« 
pouvait  mettre  à  la  mer;  les  bûteaux  pêcheurs  étaient  comntés 
t onanTd  t  '''''T'^  P«^'^  -US  la  responsabilil  d'un  fi  t 
cnant  de  manne.  Le  souverain  généralissime  qui  avait  ci  He 
monde  a  son  etner  était  appelé  à  comparaître  deux  Lis  leLu 
devant  un  hausse-col;  Bonaparte  ne  se  soumettait  po  nt  V  c 
appel;  quand,  par  fortune,  il  ne  pouvait  éviter  les  regards  do 
1  olhcier  de  service,  cet  officier  n'aurait  osé  dire  où  et  commenï 
al  avait  vu  celui  dont  il  était  plus  difficile  de  consta  er  raSnco 

Voici  un  beau  passage  de  Chateaubriant  : 
«  Bonaparte  approchait  de  sa  Un;   rongé  d'une  plaie  inté. 

urseVrirr^"'^!-'^'"^"-^"'   m  ava' portée,  cet'ep  le, 
au  sein  de  la  prospérité  :  c'était  le  seul  héritage  qu'i    eu 
jeçu  de  son  père  ;   le  reste  lui  venait  des  mumrice^nces  de 

«  Déjà  il  comptait  six  années  d'exil  ;  il  lui  avait  fallu  moins 
de  temps  pour  conquérir  l'£urupc.  Il  restait  presque  toujours 


PE  1797  A  1815.  327 

«  Rien  n'est  plus  difficile,  même  aux  hommes  supé- 
rieurs, dit  le  P.  Lacordaire,  que  de  supporter  le  repos. 
Quand  l'àme  et  le  corps  se  sont  habitués  au  travail  so- 
lennel des  grands  événements,  ils  ne  peuvent  plus  souffrir 
la  simple  et  pacifique  succession  des  jours.  Cette  paix 
froide  leur  est  un  tombeau.  Ils  regrettent  le  bruit,  l'agi- 
tation, les  alternatives  des  revers  avec  les  succès,  et  toute 
cette  tragédie  des  choses  humaines  où  ils  avaient  naguère 
leur  part  et  leur  action.  L'histoire  ne  compte  qu'un  très- 
petit  nombre  d'hommes  qui  aient  passé  de  la  vie  publique 
à  la  vie  privée  en  conservant,  avec  la  tranquille  possession 
d'eux-mêmes,  la  plénitude  de  leur  grandeur.  La  plupart 
se  consument  dans  un  ennui  vulgaire;  d'autres  demandent 
aux  passions  des  sens  l'oubli  d'eux-mêmes  et  de  leur 
dignité;  les  plus  élevés  succombent  au  poison  mystérieux 


du  chagrin,  » 


Blort  de  Itîapoléon. 


Napoléon  approchait  de  sa  dernière  heure.  Les  années 
1819  et  1820  s'écoulèrent  dans  des  alternatives  de  maladie 

renfermé,  et  lisait  Ossian,  de  la  traduction  italienne  de  Cesa- 
rotti.  Tout  l'attristait  sous  un  ciel  où  la  vie  semblait  plus  courte, 
le  soleil  restant  trois  jours  de  moins  dans  cet  hémisphère  que 
dans  le  nôtre.  Quand  Bonaparte  sortait,  il  parcourait  des  sen- 
tiers scabreux  que  bordaient  des  aloès  et  des  genêts  odorifé- 
rants. 11  se  promenait  parmi  les  gommiers  à  fleurs  rares  que 
les  vents  généreux  faisaient  pencher  du  même  côté,  ou  il  se 
cachait  dans  les  gros  jiuages  qui  roulaient  à  terre.  On  le  voyait 
assis  sur  les  bases  du  pic  de  Diane,  du  Flay-Slaff,  du  Leader- 
Hill,  contemplant  la  mer  par  les  brèches  des  montagnes.  De- 
vant lui  se  déroulait  cet  Océan  qui  d'une  part  baigne  les  côtes 
de  l'Afrique,  de  l'autre  les  rives  américaines,  et  qui  va,  comme 
un  tleuve  sans  bords,  se  perdre  dans  les  mers  australes.  Point 
de  terre  civihsée  plus  voisine  que  le  Cap  des  Tempêtes.  Qui 
dira  les  pensée  de  ce  Prométhée  déchiré  vivant  par  la  mort, 
lorsque,  la  main  appuyée  sur  sa  poitrine  douloureuse,  il  pro- 
menait ses  regards  sur  les  flots  !  » 


328  LUTTE   DES   PAPES  AVEC   LA  RÉVOLUrON 

et  de  rétablissomcnl ,  qui  firent  présager  une  suprême 
crise.  Au  commencement  de  1821,  le  captif  commença  îi 
décliner;  une  comète  ayant  paru  dans  le  ciel,  il  songea  à 
celle  de  Jules  César,  et  regarda  sa  fin  comme  prochaine. 
Le  17  mars  1821,  des  symptômes  fort  graves-  se  mani- 
festèrent; les  jours  suivants,  la  maladie  fit  d'effrayants 
progrès,  et  tout  espoir  ne  tarda  pas  à  s'éteindre. 

Un  moment  on  crut  reconnaître  une  amélioration  dans 
son  état  :  c  Vous  vous  réjouissez,  dit-il,  et  vous  ne  vous 
trompez  pas;  je  suis  mieux,  mais  je  n'en  sens  pas  moins 
ma  mort  prochaine.  Lorsque  je  ne  serai  plus,  chacun  de 
vous  aura  le  bonheur  ae  revoir  l'Europe  et  sa  famille. 
Moi,  je  reverrai  mes  braves  dans  les  Champs-Elysées  '.  Oui, 
ajouta-t-il  solennellement,  Kléber,  Desaix,  Bessières,  Duroc, 
Key,  Murât,  Masséna,  Berthier,  tous  viendront  à  ma  ren- 
contre. En  me  voyant,  ils  viendront  tous,  fous  d'enthou- 
siasme et  de  gloire.  Nous  causerons  de  guerre  avec  les 
Scipion,  les  Annibal,  les  César,  les  Frédéric,  à  moins, 
ajoutait-il  en  riant,  que  là-bas  on  n'ait  peur  de  voir  tant  de 
guerriers  ensemble.  »  Triste  I  triste  I 

Alors  entra  chez  lui  le  docteur  Arnold,  chirurgien  d'un 
régiment  anglais.  «  C'en  est  fait,  lui  dit  Napoléon,  le  coup 
est  porté.  Je  touche  à  ma  fin;  je  vais  rendre  mon  corps  h 
la  terre.  Bertrand,  traduisez  à  monsieur  ce  que  vous  allez 
entendre  : 

«  J'étais  venu  m'asseoir  au  foyer  du  peuple  britannique. 
Je  demandais  une  loyale  hospitalité.  Contre  tout  ce  qu'il 
y  a  de  droit  au  monde,  on  me  répondit  par  des  fers. 
J'eusse  reçu  un  autre  accueil  d'Alexandre,  de  l'empereur 
François,  du  roi  de  Prusse.  Mais  il  appartenait  îi  l'An- 
gleterre de  surprendre,  d'entraîner  les  rois,  et  de  donner 
au  monde  le  spectacle  inouï  de  quatre  puissances  s'a- 

*  Les  Champs-Elysdes  no  sont  piu|,d'un  calholic[ue. 


DE  1797  A  1815.  323 

charnant  sur  un  seul  homme.  C'est  votre  ministère  qui  a 
choisi  cet  affreux  rocher  où  se  consume  en  moins  de  troij 
ans  la  vie  des  Européens,  pour  y  achever  la  mienne  par 
un  assassinat.  Et  comment  m'avez-vous  traité  depuis  quo 
je  suis  sur  cet  écueil  ?  Il  n'y  a  pas  une  indignité  dont 
vous  ne  vous  ^ipyez  fait  une  joie  de  m'abreuver.  Les  plu-, 
simples  communications  de  famille,  celles  même  qu'on  n'a 
jamais  interdites  à  personne,  vous  me  les  avez  refusées; 
ma  femme,  mon  fils  n'ont  pas  vécu  pour  moi;  vous 
m'avez  tenu  six  ans  dans  la  torture  du  secret,  dans  cette 
île  inhospitalière,  j  etc. 

Voici  comment  un  grand  écrivain,  Chateaubriant,  qa 
avait  été  témoin  et  victime  de  la  tyrannie  de  Napoléon, 
raconte  ses  derniers  moments  : 

«  Le  silence  de  la  chambre  n'était  interrompu  que 

par  le  hoquet  de  la  mort,  mêlé  au  bruit  régulier  du  ba- 
lancier d'une  pendule  :  l'ombre  avant  de  s'arrêter  sur  le 
cadran  fit  encore  quelques  tours,  l'astre  qui  la  dessinait 
avait  de  la  peine  à  s'éteindre.  Le  4  mai,  la  tempête  de  l'a- 
gonie de  Cromwell  s'éleva;  presque  tous  les  arbres  de 
Longwood  furent  déracinés.  Enfin  le  5,  à  six  heures  moins 
onze  minutes  du  soir,  au  milieu  des  vents,  de  la  pluie  et 
du  fracas  des  flots,  Bonaparte  rendit  à  Dieu  le  plus  puis- 
sant souffle  de  vie  qui  jamais  anima  l'argile  humaine.  Les 
derniers  mots  saisis  sur  les  lèvres  du  conquérant  furent  : 
«  Tête  ...  armée,  ou  tête  d'armée.  »  Sa  pensée  errait  encore 
au  milieu  des  combats.  Quand  il  ferma  pour  jamais  les 
yeuv,  son  épée,  expirée  avec  lui,  était  couchée  h  sa 
gauche.   » 

Le  5  juillet  1821,  cette  nouvelle,  depuis  quelque  temps 
prévue,  mais  qui  devait  cependant  produire  une  profonde 
sensation  en  Europe,  une  vive  émotion  en  France,  arriva 
à  Paris  :  Napoléon  était  mort  le  5  mai,  sur  le  rocher  de 


330  LUTTE  DES   PAPES  AVEC  LA  RÉVOLUTION 

Saintc-II616ne.  Le  lointain  de  sa  captivitc';  et  de  sa  mort 
devait  profiter  à  sa  mémoire,  comme  du  temps  du  Di- 
rectoire, le  lointain  de  son  expédition  d'Egypte  avait  pro- 
fité h  son  ambition  et  à  sa  vie.  Les  ombres  de  ses  dernières 
années,  cette  sorte  d'impatience  fiévreuse  avec  laquelle  il 
s'était  débattu  contre  l'adversité,  au  lieu  de  l'accepter 
avec  la  grandeur  de  la  résignation  chrétienne;  cet  iso- 
lement qui  se  faisait  peu  à  peu  autour  de  lui  par  les 
altercations  intestines  de  son  entourage;  cette  guerre  de 
chicane  qu'il  avait  soutenue  contre  la  sollicitude  ombra- 
geuse et  chagrine  de  Hadson  Lowe,  qui  avait  les  défiances 
et  les  craintes  de  sa  responsabilité;  tout  disparut  dans  la 
lumière  d'une  apothéose  à  laquelle  les  rayons  vinrent  de 
tous  côtés. 

La  gloire  militaire  de  Napoléon  se  confondait  avec  celle 
de  la  France,  intéressée  à  la  défendre  et  à  la  maintenir 
comme  une  des  splendeurs  de  son  histoire.  La  grandeur 
du  personnage  historique  qui  avait  gouverné  pendant 
quinze  ans  la  nation  devenait  comme  une  sorte  de  pro- 
priété nationale.  En  outre,  Napoléon  avait  la  bonne  fortune 
de  léguer,  en  mourant,  un  nouveau  motif  h  la  passion  sé- 
culaire et  naturelle  de  la  France  contre  l'Angleterre,  car 
il  accusait  celle-ci  de  sa  mort  devant  la  postérité. 

Les  âmes  généreuses,  en  présence  de  ces  six  années 
longues  et  mornes  que  le  captif  de  Sainte-Hélène  venait 
de  passer  sur  un  rocher  au  milieu  des  solitudes  de  l'Océan 
et  sous  un  climat  de  feu,  oubliaient  les  maux  que  son 
ambition  avait  déchaînés  sur  la  France.  Le  temps  avait 
cicatrisé  les  blessures  ouvertes  au  sein  de  la  patrie  par 
tant  de  guerres;  ses  contemporains  pardonnaient  h  ce 
malheur  d'hier  leurs  malheurs  passés,  et  d'ailleurs  une 
nouvelle  génération  parvenait  h  l'Age  d'homme,  d'autant 
plus  indulgente  pour  les  fautes  de  l'Empire  qu'elle  n'en 
avait  pas  porté  le  poids. 


DE  1797  A  181o.  331 

L'histoire  n'a  de  complaisances  pour  personne.  Elle  ne 
peut  subordonner  ses  jugements  ni  aux  illusions  des  uns, 
ni  aux  calculs  des  autres.  Elle  cherche  et  elle  trouve  lo 
véritable  Napoléon  dans  ses  lettres,  où  il  s'est  peint  lui- 
même,  avec  le  despotisme  d'une  volonté  qui  regardait  les 
moyens  les  plus  violents  et  les  plus  indignes  comme  lé» 
gitimes,  du  moment  qu'ils  lui  étaient  utiles,  les  obstacles 
fcomme  des  révoltes,  les  résistances,  qu'elles  fussent  dictées 
par  le  sentiment  religieux  ou  par  le  sentiment  national, 
comme  des  crimes  *.  Elle  n'accepte  pas  ce  Napoléon  hu- 
manitaire et  ce  César  sentimental  qu'on  a  voulu  lui  im- 
poser. Au  point  de  vue  du  génie,  Napoléon  reste  la  grande 
figure  contemporaine  comme  homme  de  guerre  et  comme 
organisateur.  Il  eut,  au  sortir  de  la  Révolution  française, 
qui  avait  fait  le  chaos,   l'intuition  des  deux  premiers 
besoins  de  la  société,  la  religion  et  l'administration;  avec 
l'intelligenee  qui  voit,  il  eut  la  volonté  qui  exécute,  quand 
elle  est  servie  par  les  circonstances.  Il  eut  de  plus  le  génie 
militaire,  qui  l'aida  à  voiler  le  gouvernement  absolu  sous 
des  trophées.  Il  dut  quatorze  ans  de  règne  à  ces  trois 
grands  côtés  de  sa  nature  :  l'intelligence  des  choses  poli- 
tiques et  civiles,  la  volonté  et  le  génie  militaire.  Il  périt 
par  l'abus  du  principe  de  son  gouvernement,  qui  était 
l'omnipotence  d'une  volonté  solitaire  s'imposant  à  tout  et 
h  tous,  et  qui,  après  avoir  été  irrésistible  tant  que  les 
circonstances  la  favorisèrent,  devait  se  briser  et  se  brisa 
dans  un  duel  impossible  contre  les  circonstances  devenues 
défavorables,  en  partie  par  suite  de  ses  fautes,  en  partie 
par  le  cours  naturel  des  événements  ', 

*  M.  Raudot,  ancien  représentant  de  l'Yonne,  a  puhlié,  en 
I860,  un  livre  curieux  sous  ce  titre  :  Napûléoa  peint  par  bii- 
méme.  11  est  composé  exclusivement  de  fragments  empruntés 
aux  lettres  authentiques  de  l'empereur. 

-  M.  Alfred  Nettement.  - 


332        LUTTE  DE?  PAPES  AVEC  LA  RÉVOLUTION 

On  s'arrête  étonné  devant  la  grandeur  intellectuollo  de 
ce  !  i-sonnage,  et  l'étonnement  augmente  quand  on  lit  ses 
dictées  de  Sainte-Hélène,  oii  il  touche  h  tant  de  sujets; 
mais  la  grandeur  morale  lui  manque.  Il  inspira  de  nom- 
breux dévouements,  il  n'en  ressentit  aucun,  ni  pour  une 
croyance,  ni  pour  une  idée,  ni  pour  une  cause.  On  voit 
par  ce  qu'il  dit  lui-même  des  motifs  qui  le  décidèrent  h. 
rétablir  le  catholicisme  en  France,  que  ces  motifs  furent 
purement  humains.  Il  était  loin  d'être  irréligieux  ce- 
pendant, mais  il  hésitait  entre  toutes  les  religions,  qu'il 
regardait,  c'est  lui  qui  l'a  dit,  comme  l'œuvre  des  enfants 
des  hommes  *.  Cette  proposition  est  formellement  hérétique 

*  La  théodicée  de  Napoléon  était  vague  et  confuse,  comme 
on  peut  le  voir  par  les  extraits  suivants  du  Mémorial  de  Sainte- 
Hélène  :  (c  Tout  proclame  l'existence  d'un  Dieu,  c'est  indubi- 
table ;  mais  toutes  nos  religions  sont  évidemment  l'œuvre  des 
enfants  des  hommes.  Pourquoi  y  en  avait-il  tant  ?  Pourquoi 
la  nôtre  n'avait-elle  pas  toujours  existé  ?  Pourquoi  était-elle 
exclusive  ?  Que  détenaient  les  hommes  vertueux  qui  nous 
avaient  devancés  ?  Toutefois,  dès  que  j'ai  eu  le  pouvoir,  je  mo 
suis  empressé  de  rétablir  la  religion.  Je  m'en  servais  comme  de 
bases  et  de  racines.  Elle  était  à  mes  yeux  l'appui  de  la  bonne 
morale,  des  vrais  principes,  des  bonnes  mœurs.  Et  puis  l'in- 
quiétude de  l'homme  est  telle,  qu'il  lui  faut  ce  vague  et  ce 
merveilleux  qu'elle  lui  présente.  11  vaut  mieux  qu'il  le  prenne 
là  que  d'aller  le  chercher  chez  Cagliostro  et  chez  M""  Lcnor- 
mand.  » 

Après  avoir  cédé  à  des  objections  banales,  auxquelles  les 
grands  apologistes  de  tous  les  temps  ont  répondu,  quelquefois 
Napoléon  semblait  prévoir  que  le  sentiment  de  la  dévotion 
pourrait  reprendre  l'empire  dans  son  âme.  Quelqu'un,  lit-on 
dans  le  Mémorial  de  Sainte-Hélène,  ayant  osé  lui  dire  qu'il  pour- 
rait se  faire  qu'il  finit  par  être  dévot,  l'empereur  a  répondu 
avec  l'air  de  conviction  ><  qu'il  craignait  que  non,  et  qu'il  lo 
disait  avec  grand  regret,  car  c'était  sans  doute  une  grande 
consolation  ;  mais  que  son  incrédulité  ne  venait  ni  de  travers 
ni  de  libertinage  d'esprit,  mais  seulement  de  la  force  de  sa 
raison.  Cependant,  ajoutait-il,  l'homme  ne  doit  juicr  de  rieu 


DE  1797  A  I8I0.  333 

et  par  conséquent  incompatible  avec  la  profession  de 
chrétien.  Les  paroles  que  l'on  prête  à  Napoléon  sur  la 
divinité  de  Jésus-Christ,  et  dont  les  orateurs  et  les  poètes 
se  sont  emparés  en  les  embellissant,  sont  apocryphes. 
D'ailleurs,  il  ne  suffit  pas  pour  être  catholique  de  croire 
à  la  divinité  de  Jésus-Christ,  mais  il  faut  croire  encore  à 
la  divinité  de  l'Eglise. 

Dieu  envoya-t-il  aux  dernières  journées  de  Napoléon 
une  lumière  plus  complète  ?  On  doit  l'espérer  sans  pouvoir 
l'affirmer. 
Le  15  avril  1821,  il  avait  écrit  en  tète  de  son  testament: 
€  Je  meurs  dans  la  religion  apostolique  et  romaine,  dans 
le  sein  de  laquelle  je  suis  né  il  y  a  plus  de  cinquante  ans.  ^ 
Mais  dans  ce  même  testament,  il  a  écrit  ces  lignes  :  «  J'ai 
fait  arrêter  et  juger  le  duc  d'Enghien,  parce  que  cela  était 
nécessaire  à  la  sûreté,  à  l'honneur  et  à  l'intérêt  du  peuple 
français,  lorsqu'il  entretenait,  de  son  aveu,  soixante  as- 
sassins à  Paris.  Dans  une  semblable  circonstance,  j'agirais 

ENCORE    DE  MÊME  '.   » 

Dans  un  codicille  du  même  testament,  à  la  date  du 
24  avril  1821,  on  lit  encore  ces  lignes  :  t  Nous  léguons 
10,000  francs  au  sous-officier  Cantillon,  qui  a  essuyé  un 
procès,  comme  prévenu  d'avoir  voulu  assassiner  lord 
Wellington,  ce  dont  il  a  été  déclaré  innocent.  Cantillon 

en  ce  qui  concerne  ses  derniers  instants.  En  ce  moment,  sans 
doute,  je  crois  que  je  mourrai  sans  confesseur,  et  néanmoins 
voilà  un  tel  (montrant  l'un  de  nous)  qui  me  confessera  peut- 
être...  Sous  l'empire,  et  surtout  après  le  mariage  de  Marie- 
Louise,  on  fit  tout  au  monde  pom'  me  porter,  à  la  manière  de 
vos  rois,  à  aller  communier  en  grande  pompe  ;  je  m'y  refusai 
tout-à-fait.  Je  n'y  croyais  pas  assez,  disaij-je,  pour  que  ce  pût 
m'ctre  bénéficiel,  et  j'y  croyais  trop  encore  pour  m'exposer  évidem- 
ment à  un  sacrilcQc.  » 

*  Voir  à  la  fin  du  volume,  note  A,  les  pièces  sur  l'assassinat 
du  prince  de  Condc.    ' 


334       LUTTE  DES  PAPES  AVEC  LA  RÉVOLUTION 

avait  autant  de  droit  d'assassiner  cet  oligarque  que  celui- 
ci  de  m'envoycr  périr  sur  le  rocher  de  Sainte-Hélène  '.  » 

*  Nous  citerons  ici  quelques  passages  du  sublime  testament 
de  Louis  XVI,  et  nous  laissons  au  lecteur  le  soin  de  comparer 
CCS  deux  pièces  ; 

«  Je  meurs  dans  l'union  de  notre  sainte  mère  l'Eglise  catho- 
lique. apostoUque  et  romaine,  qui  tient  ses  pouvoirs,  par  une 
succession  non  interrompue,  de  saint  Pierre,  auquel  Jésus- 
Christ  les  avait  confiés... 

«  Je  prie  tous  ceux  que  je  pourrais  avoir  offensés  (car  je  nô 
me  rappelle  pas  avoir  fait  sciemment  aucune  offense  à  per- 
sonne), ou  à  qui  j'aurais  pu  donner  de  mauvais  exemples  ou 
des  scandales,  de  me  pardonner  le  mal  qu'ils  croient  que  je 
peux  leur  avoir  fait.  Je  prie  tous  ceux  qui  ont  de  la  charité  d'u- 
nir leurs  prières  aux  miennes  pour  obtenir  de  Dieu  la  pardon 
de  tous  mes  péchés. 

»  Je  pardonne  de  tout  mon  cœur  à  ceux  qui  se  sont  faits  mes 
ennemis  sans  que  je  leur  en  aie  donné  aucun  sujet,  et  je 
prie  Dieu  de  leur  pardonner,  de  môme  qu'à  ceux  qui,  par 
un  faux  zèle  ou  par  un  zèle  mal  entendu,  m'ont  fait  beaucoup 
de  mal... 

»  Je  recommande  à  mon  fils,  s'il  avait  le  malheur  de  deve- 
nir roi,  de  songer  qu'il  se  doit  tout  entier  au  bonheur  de  ses 
concitoyens  ;  qu'il  doit  oublier  toute  haine  et  tout  ressenti- 
ment, et  nommément  ce  qui  a  rapport  aux  malheurs  et  aux 
chagrins  que  j'éprouve  ;  qu'il  ne  peut  faire  le  bonheur  des 
peuples  qu'en  l'égnant  suivant  les  lois  ;  mais  en  même  temps 
qu'un  roi  ne  peut  les  faire  respecter  et  faire  le  bien  qui  est 
dans  son  cœur  qu'autant  qu'il  a  l'autorité  nécessaire,  et  qu'au- 
trement, étant  lié  dans  ses  opérations  et  n'iusph'ant  point  de 
respect,  il  est  plus  nuisible  qu'utile.. 

»  Je  sais  qu'il  y  a  plusieurs  personnes  de  celles  qui  m^étaient 
altacnécs  qui  ne  se  sont  pas  conduites  envers  moi  comme 
elles  le  devaient,  et  qui  ont  même  montré  de  l'ingratitudo  ; 
mais  je  leur  pardonne  (souvent,  dans  les  moments  de  trouble 
et  d'effervescence,  ou  n'est  pas  maître  de  soi),  et  je  prie  mou 
lils,  s'il  en  trouve  l'occasion,  de  ne  songer  qu'à  leur  mal- 
heur... 

»  Je  pardonne  encore  très-volontiers  à  ceux  qui  me  gar- 
daient les  mauvais  trailcmculs  et  les  gênes  dont  ils  ont  cru 


DE  1797  A  1813.  335 

Certes,  l'intitulé  du  testament  est  chrétien,  mais  le  sen- 
timent qui  a  dicté  les  deux  dispositions  que  nous  venons 
de  citer  ne  l'est  pas.  Quelques  jours  plus  tard,  une  lumière 
surnaturelle  se  fit-elle  dans  cette  intelligence?  La  paix 
descendit-elle  dans  cette  âme  subitement  éclairée  ?  Cette 
conscience  se  jugea-t-elle  et  s'accusa-t-elle  avant  de  se 
présenter  au  jugement  de  Dieu?  C'est  le  secret  du  tom- 
beau. 

Ce  qu'on  peut  dire,  c'est  que  vers  la  fin  de  l'année  1819, 
lorsque  deux  ecclésiastiques  envoyés  par  le  cardinal  Fesch, 
l'abbé  Buonavita,  ancien  missionnaire  au  Mexique,  et 
l'abbé  Vignale,  arrivèrent  à  Sainte-Hélène,  Napoléon  s'ex- 
prima k  leur  sujet  de  manière  à  faire  croire  qu'il  aurait 
souhaité  de  se  trouver  en  face  d'un  prêtre  capable  de  ré- 
soudre les  problèmes  qui  agitaient  son  esprit.  «  Je  re- 
connais bien  mon  oncle  Fesch  à  ces  choix,  dit-il  après 
s'être  entretenu  avec  eux  de  sujets  religieux.  Il  me  fallait 
un  prêtre  savant  avec  lequel  je  pusse  discourir  des  dogmes 
du  christianisme.  Certes,  il  ne  m'aurait  pas  rendu  plus 
croyant  en  Dieu  que  je  ne  le  suis;  mais  il  m'aurait  édifié 
peut-être  sur  quelques  points  importants  de  la  croyance 
chrétienne.  Il  est  si  doux  de  s'approcher  de  la  tombe  avec 
des  croyances  catholiques  1  Mais  je  n'ai  rien  de  pareil  à 
attendre  de  mes  deux  prêtres.  Pourtant  ils  me  diront  la 
messe,  et  ils  seront  au  moins  bons  à  cela  '  I  > 

A  partir  de  ce  jour,  en  effet,  Napoléon  fit  dire  tous  les 
dimanches  la  messe  dans  la  grande  salle  à  manger  de  sa 
triste  résidence,  qu'il  avait  fait  transformer  en  chapelle. 

devoir  user  envers  moi.  J'ai  trouvé  quelques  âmes  sensibles 
et  compatissantes  ;  que  celles-là  jouissent  dans  leur  cœur  delà 
tranquillité  que  doit  leur  donner  leur  façon  de  penser...  » 

*  Histoire  du  Consulat  et  de  l'Emidrc,  par  M.  Tiiiers  ;  Sainte- 
Ilcîcne,  t.  X.X,  p.  C93. 


336  LUTTE   DES   PAPES   AVEC   LA   RÉVOLUTION 

Le  jeune  médecin  italien  qu'on  lui  avait  envoyé,  Anto- 
marchi,  s'étant  permis  à  ce  sujet  quelques  propos  qui  lui 
déplurent,  Napoléon  le  réprimanda  sévèrement,  en  lui 
disant  t  qu'il  admettait,  quant  à  lui,  qu'on  fût  croyant 
ou  qu'on  ne  le  fût  pas,  et  qu'il  n'en  concluait  rien  ni  pour 
ni  contre  personne;  mais  ce  qu'il  ne  souffrait  pas,  c'était 
le  défaut  de  respect  à  l'égard  de  la  religion  la  plus  véné- 
rable du  genre  humain,  et  qui,  pour  des  Français  et  des 
Italiens,  était  leur  religion  nationale.  »  C'est  ainsi  encore 
que  tout  près  de  la  mort,  dans  les  derniers  jours  d'avril 
1821,  il  recommanda  à  l'abbé  Vignale  de  faire  observer  à 
ses  funérailles  les  rites  du  culte  catholique  ;  et  comme  le 
même  docteur  Antomarchi  laissait  échapper  un  sourire  : 
«  Jeune  homme,  lui  dit  Napoléon  d'un  ton  sévère,  vous 
avez  peut-être  trop  desprit  pour  croire  en  Dieu;  je  n'en 
suis  pas  là  :  n'est  pas  athée  qui  veut  '.  » 

Telle  fut,  selon  les  récits  les  plus  vraisemblables,  la 
dernière  expression  des  idées  religieuses  de  Napoléon. 
Quelques  écrivains,  avec  des  idées  louables,  sont  allés  plus 
loin;  je  ne  les  suivrai  pas  sur  ce  terrain.  Les  choses  sont 
ce  qu'elles  sont  :  tout  le  monde  a  besoin  de  la  vérité 
religieuse,  qui  n'a  besoin  de  personne.  En  face  de  cet 
infini  en  puissance,  en  sagesse  et  en  bonté  qu'on  appelle 
Dieu,  la  grandeur  cesse  d'exister,  et  le  premier  et  le 
dernier  des  hommes  sont  également  petits*. 

*  Alfred  Nettement. 

2  Voici,  d'après  un  discours  prononcé  par  le  prince  Napoléon- 
Jérôme,  ce  qu'il  pense  des  sentiments  religieux  de  son  oncle. 
Nous  lui  laissons  la  responsabilité  de  ses  paroles,  que  nous 
ne  citons  que  comme  un  document  qui  appartient  à  riiisloirc  : 

((  Napoléon  était  religieux  d'une  façon  générale  et  élevée, 
mais  il  est  difficile  de  rattacher  ses  convictions  à  une  religion 
formulée.  Né  catholique,  nous  ne  trouvons  pas  trace  de  pré- 
occupation religieuse  dans  les  premières  années  de  sa  vie. 
Joseph,  dans  une  de  ses  loLlrcs,  dit  quil  était  élève  de  Platon  et 


DE  1797  A  1815.  337 

Le  4  mai  1821,  une  affreuse  tempête,  sorte  de  présage 
sinistre,  déracina  tous  les  arbres  qui  prêtaient  leur  ombrage 

des  philosophes.  Avant  qu'il  fût  maître  de  la  Révolution,  il  par- 
tageait évidemment  les  idées  ohUosoDhiaues  de  tous  les  parti- 
sans du  nouveau  régime  ;  chef  de  l'Etat,  il  ne  suivit  les  pres- 
criptions d'aucun  culte,  et  refusa  même  au  pape  Pie  VII,  pour 
lequel  il  avait  une  affectueuse  vénération,  de  communier  lors 
du  sacre  et  du  couronnement.  A  Sainte-Hélène  seulement,  il 
appela  les  secours  d'un  orètre,  voulant  peut-être  donner  amsi 
unerand  exemple  d'humiUté,  et  témoigner  de  la  force  du  sen- 
timent religieux  quouid  il  est  dégagé  de  toutes  considérations 
terrestres. 

»  Dans  les  campagnes  d'Italie,  le  général  Bonaparte  se  mon- 
trait tolérant  et  même  respectueux  pour  le  culte  de  ses  pères; 
jamais  nous  n'ytrouverons  trace  d'une  persécution.  En  Egypte, 
alors  qu'il  entrevoyait  les  Indes  comme  le  but  de  cette  guerre, 
il  voulut  se  servir  de  la  foi  musulmane  ;  ses  longues  confé- 
rences avec  les  chefs  de  la  loi  de  Mahomet  et  ses  proclama- 
tions eu  sont  la  preuve.  Devenu  consul,  un  grand  désir  d'a- 
paisement, de  réunion  de  tous  les  Français,  lui  inspire  l'idée 
d'un  arrangement  avec  l'Eglise  :  il  fait  le  Concordat. 

»  Ces  conduites  si  différentes  s'expliquent  cependant  :  il 
avait  la  conviction  de  la  nécessité  des  idées  religieuses,  qui 
moralisent  une  nation,  qui  servent  de  frein  aux  passions,  qui 
élèvent  l'âme  des  peuples  comme  celle  des  individus  ;  mais  il 
n'attachait  pas  une  grande  importance  aux  formes  qu'elles  re- 
vêtent et  qui  dépendent  de  motifs  si  divers. 

»  Le  Concordat  ne  fut  pas  l'affirmation  de  telle  ou  telle  re- 
ligion; ce  fut  un  acte  d'apaisement.  Le  restaurateur  de  la  so- 
ciété, croyant  qu'une  religion  était  indispensable  à  un  peuple 
civilisé,  prit  celle  qui  existait  encore  incontestablement  dans 
la  grande  majorité  du  peuple,  et  la  rétablit,  non  sans  beau- 
coup d'obstacles,  mais  du  moins  en  sauvegardant  les  droits  de 
la  société  moderne  et  du  pouvoir  laïque,  et  la  forçant  à  ne  pas 
méconnaître  la  liberté  des  consciences,  l'égalité  des  religiojis, 
le  mariage  civil,  la  suppression  de  tous  les  privilèges  ecclé- 
siastiques. » 

(Extrait  du  discours  du  prince  Napoléon  à  Ajaccio,  15  mai 
186o.  Voir  le  Monde  du  21  mai  1863.) 

Dans  la  Vie  de  M.  Thmjer,  sénateur  et  gendre  du  général 

•  13 


338  LUTTE   DES   PAPBS   AVEC   l\  RÉVOLUTION 

à  Napoléon;  et  le  môme  soir,  h  cinq  heures  Qt  demie,  il 
n'interrompit  le  silence  léthargique  dans  lequel  il  était 
plongé,  que  pour  laisser  échapper  ces  deux  mots,  qui  sont 
presque  le  résumé  de  sa  vie  :  «  Tète  ...  armée.  »  Vingt  mi» 
nutes  après  Napoléon  n'existait  plus.  D'un  dernier  regard 
il  avait  encore  caressé  le  buste  de  son  fils,  placé  depuis 
un  mois  en  face  du  lit  mortuaire, 

Parmi  les  papiers  de  Napoléon  recueillis  sur  son  bureau, 
les  réflexions  suivantes,  écrites  de  sa  main,  donnent  la 
juste  mesure  des  pensées  qui,  dévorant  son  âme,  creusaient 
journellement  la  tombe  dans  laquelle  il  venait  de  des- 
cendre :  «  Nouveau  Prométhée,  je  suis  cloué  eur  un  roc  où 
un  vautour  me  ronge.  Oui,  j'avais  dérobé  le  feu  du  ciel 
pour  en  doter  la  France;  le  feu  est  remonté  à  sa  source, 

Bertrand,  on  a  démontré  que  tous  les  sentiments  religieux 
que  le  chevalier  de  Beauterne  prêtait  à  Napoléon  étaient  une 
pure  invention  de  son  imagination  et  ne  reposaient  sur  au- 
cune preuve. 

—  Dans  son  expédition  en  Egypte,  Bonaparte  se  faisait  an- 
noncer, le  2  juillet  1798,  par  une  proclamation  dont  voici  un 
extrait  :  «Nous  aussi  nous  sommes  de  vrais  musulmans.  N'est-ce 
pas  nous  qui  avons  détruit  le  Pape,  qui  disait  qu'il  fallait  faire 
la  guerre  aux  musulmans  ?  » 

Et  plus  tard,  le  21  décembre  t798,  dans  une  autre  procla- 
mation aux  chérifs  et  aux  ulémas,  il  disait  :  «  Faites  connaître 
aux  peuples  que  depuis  que  le  monde  est  monde  il  était  écrit 
qu'après  avoir  délruit  les  ennemis  de  l'islamisme  et  fait  abattre 
les  croix,  je  viendrais,  du  fond  de  l'Occident,  remplir  la  tâche 
qui  m'a  été  imposée.  »  (Lanfiuy,  1. 1'^,  p,  373  et  391.) 

Pendant  la  captivité  de  Pie  VII,  Napoléon  I"  avait  réuni  une 
sorte  de  concile,  auquel  il  prétendait  dicter  ses  volontés  comme 
à  un  conseil  d'Etat.  On  raconte  que,  dans  la  salle,  le  Saint- 
Esprit  était  représenté  sous  la  forme  d'une  colombe  descen- 
dant du  ciel.  Napoléon  allant  visiter  la  salle,  pendant  les  pré- 
paratifs, son  premier  et  inslinctif  mouvement  fut  de  chasser 
la  colombe  ou  le  Saint-Esprit  d'un  cuup  de  chapeau. 

£videiumeut,  en  eiiet,  le  Suint-Esprit  était  de  trop. 


DE  1797  A  1815.  33:) 

et  me  voilà  f  L'amour  de  la  gloire  ressemble  à  ce  pont  que 
Satan  jeta  sur  le  chaos  pour  passer  de  l'enfer  en  paradis; 
la  gloire  joint  le  passé  à  l'avenir,  dont  il  est  séparé  par  un 
abîme  immense.  Rien  à  mon  fils,  que  mon  nom  f  » 

L'exilé  de  Sainte-Hélène  disait  à  l'un  de  ses  derniers 
confidents  :  1  Nous  étions  comme  le  dôme  des  Invalides, 
resplendissant  d'or  au  soleil  de  l'été;  mais  la  pluie  du 
malheur  est  tombée  sur  nous,  elle  détache  chaque  jour 
quelque  parcelle  de  l'or.  Nous  ne  sommes  plus  que  du 
plomb,  et  bientôt  un  peu  de  terre.  Voilà  la  gloire,  et 
pourtant  qu'a-t-elle  laissé  ?  un  tombeau.  » 

On  lit  dans  la  Vie  de  la  Vénérable  Anna-Maria  Ta'igi^ 
d'après  les  documents  authentiques  du  procès  de  sa  Béatification^ 
par  le  P.  G.  Bouffier,  de  la  Société  de  Jésus  : 

«  La  Vénérable  Servante  de  Dieu  vit  dans  le  mystérieux 
soleil  la  déroute  de  l'armée  française  du  nord  devant 
Moscou  au  moment  oîi  elle  s'accomplissait;  elle  me  décrivit 
toute  la  défaite  de  Napoléon,  et  m'en  donna  les  détails 
bien  avant  qu'on  pût  en  avoir  la  nouvelle.  Elle  vit  aussi 
sa  mort  à  Sainte-Hélène,  son  lit,  ses  dispositions,  son 
tombeau,  les  cérémonies  de  ses  funérailles,  le  sort  de  ce 
prince  dans  le  temps  et  dans  l'éternité.  »  (Liv.  V,  p.  241.) 

Le  lecteur  sera  surpris  de  ce  que  la  Vénérable  Anna- 
Maria  n'ait  pas  révélé  d'une  manière  plus  précise  la  des- 
tinée de  Napoléon  dans  l'autre  monde,  tandis  qu'elle  a  dit 
formellement  que  a  l'âme  d'Alexandre,  empereur  do 
Russie,  était  en  purgatoire,  et  qu'il  était  mort  catholique, 
parce  qu'il  avait  usé  de  miséricorde  envers  le  prochain, 
respecté  le  Souverain-Pontife,  vicaire  de  Jésus-Christ,  et 
protégé  l'Eglise  catholique.  » 

Mais  on  ne  doit  pas  oublier  qu'à  cause  des  circonstances 
graves  où  l'on  se  trouve,  Pie  IX  a  défendu  de  faire  con- 
iiaitrc  la^^partie  secrète  du  procès  de  la  Vénérable  Servante 
de  Dieu, 


340  LUTTE   DES   PAPES   AVEC    LA   RÉVOLUTION 

Nous  terminerons  ce  chapitre  par  ces  belles  paroles  de 
Joseph  de  Maistre  et  de  Bossuet  : 

«  Qu'on  ne  se  laisse  point  éblouir  par  les  plus  belles 
apparences  humaines.  Qui  jamais  en  rassembla  davantage 
que  le  personnage  extraordinaire  dont  la  chute  retentit 
encore  dans  toute  l'Europe  ?  Vit-on  jamais  de  souveraineté 
en  apparence  si  aHermie,  une  plus  grande  réunion  de 
moyens,  un  homme  plus  puissant,  plus  actif,  plus  redou- 
table? Longtemps  nous  le  vîmes  fouler  aux  pieds  vingt 
nations  muettes  et  glacées  d'effroi,  et  son  pouvoir  entin 
avait  jeté  certaines  racines  qui  pouvaient  désespérer  l'espé- 
rance. Cependant  il  est  tombé,  et  si  bas,  que  la  pitié  qui  le 
contemple  recule,  de  peur  d'en  être  touchée.  » 

Citons  enfin  ce  beau  passage  de  Bossuet  : 
Dieu  semble  avoir  de  la  complaisance  à  voir  les  grands 
rois  et  les  rois  superbes  humiliés  devant  lui.  Ce  n'est  pas 
que  les  plus  grands  rois  soient  plus  que  les  autres  hommes 
à  ses  yeux,  devant  lesquels  tout  est  également  un  néant; 
mais  c'est  que  leur  humiliation  est  d'un  plus  grand  exemple 
au  genre  humain. 

«  Comment  ètes-vous  tombé,  bel  astre,  qui  luisiez  au 
ciel  comme  l'étoile  du  matin?  Vous  qui  frappiez  les 
nations,  et  disiez  en  votre  cœur  :  Je  monterai  jusqu'au 
ciel:  je  m'élèverai  au-dessus  des  astres,  je  prendrai  séance 
sur  la  montagne  du  Temple  où  Dieu  a  fixé  sa  demeure  à 
côté  du  Nord,  je  volerai  au-dessus  des  nues,  et  je  serai 
semblable  au  Très-Haut.  Mais  je  vous  vois  plongé  dans  les 
enfers,  dans  l'abîme  profond  du  tombeau.  Ceux  qui  vous 
verront  se  baisseront  pour  vous  considérer  dans  ce  creux 
et  diront  en  vous  regardant  :  N'est-ce  pas  là  celui  qui 
troublait  la  terre,  qui  ébranlait  les  royaumes,  qui  a  fait 
du  monde  un  désert,  qui  en  a  désolé  les  villes  et  renfermé 
SC6  captifs  dans  des  cachots  ?  Les  rois  des  Gentils  sont 


DE  1797  A  1815.  341 

morts  dans  la  gloire,  et  enterrés  dans  leurs  sépultures; 
mais  vous,  on  vous  a  arraché,  et  vous  êtes  resté  sur  la 
terre,  comme  une  branche  inutile  et  impure,  sans  laisser 
de  postérité.  » 

Et  un  peu  devant  :  «  Quand  vous  êtes  tombé  à  terre, 
tout  l'univers  est  demeuré  dans  l'étonnement  et  dans  le 
silence;  les  pins  mêmes  se  sont  réjouis,  et  on  dit  que 
depuis  votre  mort  personne  ne  les  coupe  plus  (pour  en 
construire  des  vaisseaux  et  en  faire  des  machines  de 
guerre).  L'enfer  a  été  troublé  par  votre  arrivée  et  a  envoyé 
au-devant  de  vous  les  géants.  Les  rois  de  la  terre  se  sont 
élevés,  et  tous  les  princes  des  nations,  et  tous  vous  disent  : 
Quoi  donc  I  vous  avez  été  blessé  comme  nous  ?  vous  êtes 
devenu  semblable  à  nous?  Votre  orgueil  est  précipité  dans 
les  enfers,  votre  cada\Te  est  gisant  dans  le  tombeau  ;  vous 
êtes  couché  sur  la  pourriture,  et  votre  couverture  sont  les 
vers  l  » 

Coup  d*œil  rétrospectif  sar  la  dernière  partie 
du  XVIIIe  siècle. 

Nous  ne  saurions  mieux  montrer  l'action  de  la  Provi- 
dence et  de  la  justice  divine  dans  les  événements  mémo- 
rables que  nous  venons  d'esquisser,  qu'en  citant  les  pages 
suivantes  de  M.  Louis  Veuillot,  un  des  écrivains  les  plus 
vigoureux  de  notre  époque. 

Dans  le  milieu  de  la  dernière  moitié  du  dix-huitième 
siècle,  l'Europe  tout  entière  n'offrait  qu'un  spectacle  de 
scandale.  Jamais,  depuis  que  la  société  chrétienne  avait 
une  existence  politique,  la  souveraineté  ne  s'était  signalée 
par  un  pareil  et  plus  unanime  oubli  de  ses  devoirs.  Les 
noms  des  rois  de  cette  époque  sont  autant  de  souvenirs  de 
débauche,  de  frivolité,  d'irréligion,  de  despotisme.  Sous 
un  vernis  général  de  philosophie  et  de  littérature,  c'était 


342  LUTTE    DKS    PAPES    AVEC    LA  RÉVOLUTION 

partout  le  mépris  de  Dieu  et  le  mépris  de  l'âme  humaine 
poussé  aussi  loin  qu'il  peut  aller.  En  France,  Louis  XV; 
en  Allomagno,  l'athc'îe  Frédéric,  le  sectaire  Joseph,  la  foule 
corrompue  des  petits  princes,  dont  les  uns  habitaient  un 
sérail,  dont  les  autres  vendaient  leurs  sujets.  Catherine  la 
Grande  régnait  en  Russie,  du  fard  sur  la  jolie  et  du  sang 
aux  mains.  Le  monstrueux  Joseph  souillait  le  trône  de 
Portugal;  un  historien  philosophe  nous  le  montre  repu  de 
voluptés  sacrilèges,  engourdi  du  sommeil  de  la  brute, 
tandis  que  son  ministre  Pombal  faisait  monter  la  noblesse 
sur  l'échafaud  et  le  sacerdoce  sur  le  bûcher.  Les  rois 
d'Angleterre  brillaient  à  la  fois  par  la  galanterie  des 
Français  et  par  l'ivrognerie  des  Allemands,  et  l'homme 
d'Etat  du  parlement  britannique  était  Walpole.  Charles  III 
d'Espagne,  peut-être  incrédule  sous  des  dehors  chrétiens, 
livré,  en  tous  cas,  aux  conseils  des  philosophes,  étonnait 
le  monde  par  l'une  des  plus  violentes  iniquités  qui  pèsent 
sur  les  mémoires  royales.  En  Italie,  on  se  souvient  h  peine 
des  princes  de  la  maison  de  Bourbon,  qui,  par  leur  nullité, 
autorisaient  les  déclamations  révolutionnaires  des  gens  de 
lettres;  mais  on  sait  les  noms  de  leurs  ministres^  complices 
des  encyclopédistes,  véritables  pionniers  de  la  destruction. 
Le  Patriarcat  vénitien,  aux  trois  quarts  hérétique,  entière- 
ment corrompu,  allait  disparaître  sans  même  laisser  de 
débris.  Gènes,  digne  d'un  meilleur  sort,  attaquée  cependant 
par  le  ver  du  philosophisme,  n'avait  plus  que  l'ombre  de 
son  ancienne  puissance  et  de  son  ancienne  vertu. 

Souverains  et  aristocrates  se  détachaient  de  l'Eglise,  la 
haïssaient,  l'opprimaient,  travaillaient  à  sa  ruine.  Les  uns 
voulaient  s'enrichir  de  ses  dépouilles;  les  autres  su- 
bissaient cette  affreuse  maladie  de  l'ame  qui  s'appelle  la 
haine  de  Dieu.  Durant  ce  malheureux  siècle,  la  haine  de 
Dieu  s'était  répandue  comme  une  épidémie  dans  l'Europe, 
parvenue  au  comble  de  la  prospérité  et  de  l'ingratitude. 


DE  1797  A  1815.  343 

La  conjuration  était  générale;  Voltaire  donnait  le  mot 
d'ordre  au  monde  civilisé.  Depuis  le  triomphe  de  l'aria- 
nisme,  —  mais  alors  il  restait  les  barbares,  —  l'Eglise 
n'avait  jamais  été  attaquée  avec  autant  de  ruse  et  d'en- 
semble; et  jamais,  il  faut  le  dire,  ses  défenseurs  n'avaient 
para  si  faibles  et  si  déconcertés.  Sous  la  bannière  catho- 
lique, pas  un  peuple,  pas  un  prince,  pas  un  grand  homme  ( 
Des  commentateurs,  des  beaux  esprits  tièdes  ou  effrayés, 
qui  prenaient  leurs  précautions  et  faisaient  leurs  réserves, 
rien  de  plus.  On  est  saisi  de  honte  lorsqu'on  lit  la  plupart 
des  auteurs  chrétiens  de  cette  époque.  Comme  ils  se  ména- 
geaient la  bienveillance  des  souverains!  comme  ils  avaient 
peur  de  Voltaire  I  comme  ils  ignoraient  ou  comme  ils 
redoutaient  la  vérité!  L'hérésie  nationale  et  l'hérésie  royale 
avaient  obstrué,  sinon  coupé  les  canaux  de  la  science  et 
de  l'obéissance,  par  ou  la  sève  divine  se  communique  au 
corps  catholique.  Dès  branches  immenses  semblaient  déjà 
mortes,  quoique  non  encore  détachées  du  trOnc.  Là  même 
où  la  résistance  était  le  strict  devoir,  on  laissait  faire  le 
mal,  lorsqu'une  indigne  et  aveugle  jalousie  n*y  applau- 
dissait pas.  Nulle  part,  pas  même  parmi  ceux  qui  étaient 
désignés  pour  périr,  ne  s'élevait  une  protestation  cou- 
rageuse en  faveur  des  droits  de  saint  Pierre  et  de  son 
inaliénable  primauté.  Le  Pontife  romain,  contemplant  l'u- 
nivers, n'y  voyait  debout  que  ses  ennemis. 

La  Révolution  avait  compté  avec  Bonaparte;  les  monar- 
chies comptent  avec  lui  à  leur  tour.  Un  ouragan  de  fer  et 
de  feu  se  promène  quinze  ans  à  travers  l'Europe.  Dans  cet 
écroulement  des  trônes,  dans  ces  longs  abaissements  de 
toute  l'aristocratie  européenne,  décimée  tant  de  fois  dans 
ses  antiques  fortunes  ou  radicalement  anéanties  ou  terri- 
blement humiliées,  dans  celte  domesticité  de  vieux  rois 
remplissant  les  antichambres  du  roi  de  la  Révolution, 
Vainqueur  de  la  Révolution,  aveugle  qui  ne  peut  pas  voir 


344    LUTTE  DES  PAPES  AVEC  LA  RÉVOLUTIO.N 

la  vengeance  de  Dieu.  Oui,  ce  sont  des  choses  doulou- 
reuses et  sanglantes  I  Jamais  Dieu  n'avait  ainsi  traité  la 
Souveraineté,  depuis  que  la  croix  surmontait  les  cou- 
ronnes. Mais  pourquoi  la  croix  n'y  était-elle  plus  qu'un 
vain  ornement  ?  pourquoi  avaient-ils  permis  et  trouvé  bon 
qu'un  ramassis  de  scribes  entreprissent  de  rendre  mé- 
prisable l'emblème  sacré  qui  est  le  double  gage  des 
peuples  et  des  rois,  garant  à  ceux-ci  de  leur  puissance,  à 
ceux-là  de  leur  dignité  ?  Ces  rois  qui  formaient  la  cour  de 
Napoléon,  qui  venaient  chercher  ses  ordres,  qui,  loin  de 
lui,  tremblaient  devant  ses  ambassadeurs,  ils  avaient  sou- 
do  uyé  les  blasphèmes  des  disciples  de  Voltaire;  leurs 
pères  ou  eux-mêmes  avaient  refusé  au  Vicaire  de  Jésus- 
Christ  non-seulement  leur  obéissance  en  matière  spiri- 
tuelle, mais  jusqu'aux  égards  extérieurs  qu'on  se  doit 
entre  souverains.  Le  Pape  n'avait  été  pour  eux  qu'un 
prêtre,  un  homme  de  rien,  un  intrus,  qui  déparait  la  fa- 
mille des  Majestés  humaines.  Les  voilà  inclinés  devant  ce 
soldat  de  fortune  qui  ôte  et  donne  les  couronnes  à  qui  lui 
plaît.  Intelligite,  reges  !  Vous  avez  si  bien  fait  que  le  Pape 
n'est  plus  grand'chose  sur  la  terre;  mais  Dieu  est  au  ciel 
ce  qu'il  a  toujours  été,  et  vous  n'avez  dans  sa  main  que 
votre  poids.  Intelligite,  comprenez,  souvenez-vous,  ne  di- 
minuez pas  le  nombre  de  ceux  qui  prient  pour  vous  ! 

Mais  si  Dieu  promène  la  vengeance,  il  promène  aussi  la 
miséricorde  et  la  résurrection.  OiJ  allaient  les  monarchies, 
sans  la  terrible  leçon  que  Bonaparte  leur  donna,  avec  la 
main  de  la  Révolution,  de  la  part  de  Dieu  ?  Ces  aristo- 
craties décimées,  dans  quel  bourbier  ne  s'affaissaient-elles 
pas  ?  Et  si  elles  peuvent  renaître,  c'est  de  ce  bain  de  sang. 
Quant  à  l'Eglise,  quelles  que  fussent  les  intentions  des 
hommes,  dans  le  cours  de  ces  événements  déchaînés  contre 
elle,  tout  semble  s'être  fait  pour  elle.  L'apostasie  l'épure, 
le  martyre  la  rajeunit,  l'exil  et  la  pauvreté  la  fécondent. 


DE  1797  A  I8I0.  345 

elle  est  afFvanchie  par  la  guerre.  Que  d'entraves  se  re" 
lâchent  ou  tombent  avec  les  gouvernements  qui  les  avaient 
lentement  et  savamment  établies  !  La  renaissance  catho- 
lique de  l'Angleterre,  de  l'Allemagne,  de  la  Hollande,  de 
Genève,  est  inaugurée  ou  préparée  par  ces  ébranlements. 
Le  canon  de  l'Empire  a  ouvert  dans  l'édifice  politique  du 
protestantisme  une  brèche  qui  ne  sera  jamais  réparée,  qui 
s'élargira  sans  cesse. 

Tout,  jusqu'à  l'hostilité  prête  à  dégénérer  en  persécution 
générale,  où  Napoléon  eut  le  malheur  de  se  laisser  en- 
traîner; tout,  par  la  grâce  de  Dieu,  a  servi  la  cause  do 
l'Eglise  *.  D'un  côté,  les  pensées  de  Napoléon  furent  un 
grand  malheur;  de  l'autre,  il  a  été  bon  que  cette  con- 
séquence extrême  des  thèses  régaliennes  se  révélât,  qu'on 
en  vit  tout  le  péril,  que  les  consciences  alarmées  cher- 
chassent et  reconnussent  le  seul  terrain  où  la  résistance 
est  invincible. 

Il  a  été  bon  aussi  que  le  Pontife  romain,  timide  et  pri- 
sonnier, parût  cependant,  à  la  face  du  monde,  le  seul 
prince  que  Bonaparte  n'ait  pas  su  contraindre  à  l'abandon 
d'un  devoir.  A  l'heure  où  l'Angleterre  ourdissait  tant  de 
mensonges  et  soldait  tant  de  défections,  au  moment  où 
l'Autriche  donnait  la  main  d'une  archiduchesse  à  l'époux 
divorcé  de  Joséphine,  il  a  été  bon  pour  l'enseignement  du 
monde  que  ce  Pape  captif,  ce  souverain  détrôné,  ce 
pauvre  prêtre,  regardant  son  crucifix,  après  avoir  écouté 

*  On  parle  de  la  faiblesse  du  pouvoir  pontifical.  Tout 
sceptre  qui  a  frappé  cette  faiblesse  s'est  trouvé  fragile,  et  qui- 
conque a  cessé  de  s'appuyer  à  cette  faiblesse  a  tari  en  soi- 
même  les  nobles  et  abondantes  ressources  de  la  vie!  Plusieurs 
se  targuent  d'avoir  rompu  avec  le  Pape  et  de  vivre  encore.  En 
présence  de  son  immortalité  sans  cesse  rajeunie,  ils  allèguent 
avec  orgueil  deux  ou  trois  misérables  siècles  de  cette  vie  sé- 
parée. Mais  déjà  ils  ont  peur  de  ne  pouvoir  longtemps  soutenir 
ce  fol  isolement. 


346  LUTTE   DES   PAPES  AVEC   LA  RÉVOLUTION 

les  messages  impérieux  (11!  la  toute-puissance  humaine, 
répondit  :  Non,  je  ne  donnerai  pas  ma  conscience  pour 
relrouvei'  ma  couronne  f 

Dieu  ne  veut  pas  que  Napoléon  s'assouvisse  de  succès  et 
de  pouvoir,  comme  ceux  de  qui  une  prospérité  vengeresse 
éloigne  toute  pensée  de  retour  sur  eux-mêmes  et  qui  s'en- 
durcissent à  jamais.  Il  le  punit,  il  le  fait  redescendre, 
peut-être  devrais-je  dire,  il  le  fait  remonter  à  la  condition 
humaine,  éloignant  de  lui  le  bruit  des  affaires,  l'ivresse  de 
la  fortune,  Toubli  de  la  dernière  heure;  lui  donnant  enfin 
le  temps  propice  et  le  terrain  favorable  pour  cette  bataille 
suprême  où  tout  homme  rencontre  en  face  son  plus  ter- 
rible ennemi  et  le  seul  dont  il  importe  de  n'être  pas  dé- 
finitivement vaincu. 

Mais  quelle  punition,  quelle  défaite  et  quel  théâtre  de 
mort!  cet  effort  de  tous  les  rois  contre  lui  seul;  cotte 
conjuration  des  éléments;  cette  Russie,  vierge  de  grandes 
batailles,  pour  qu'aucun  conquérant  n'eût  encore  parcouru 
le  chemin  où  celui-ci  tomberait;  cette  reprise  si  prompte 
après  un  tel  désastre,  ces  dernières  foudres  lancées  d'une 
main  si  sûre,  et  dont  chaque  coup  abat  un  armée;  enfin, 
ce  rocher  où  il  va  s'éteindre,  comme  le  soleil  dans  les 
flots,  prisonnier  que  peut  seul  garder  l'immensité  des 
abîmes,  cercueil  auquel  il  faut  l'immensité  de  la  mer  I 

Il  assista,  de  son  rocher,  à  la  ruine  de  tous  les  trônes 
de  ses  frères,  en  même  temps  qu'à  la  restauration  glo- 
rieuse du  Pape,  et  put  comprendre  la  terrible  vérité  de 
cette  parole  divine  :  Qui  seminant  iniquitatem,  metenf 
mala  '. 

1  La  môre  de  Lamartine  a  écrit  dans  ses  Mémoires,  publié» 
en  1874,  les  lignes  suivantes,  qui  expriment  bien  l'impression 
de  la  plupart  des  Français  ù.  la  nouvelle  de  la  décadence  du 
persécuteur  du  Pape  : 

('  La  chute  de  Napoléon  est  un  grai  d  exemple  de  la  justice 


DE  1797  A  1818.  347 

Sous  le  r&gne  de  la  Commune,  la  célèbre  colonne  de  la 
place  Vendôme,  élewe  à  grands  frais  par  Napoléon,  afin 
de  porter  à  la  postérité  la  plus  reculée  le  souvenir  de  ses 
victoires,  a  été  ignominieusement  renversée  par  les  hommes 
qui  avaient  joui  des  faveurs  de  son  neveu. 

Voici,  à  ce  sujet,  les  réflexions  d'un  éloquent  publU 
ciste  : 

«  Dans  les  temps  impies,  la  justice  divine  emploie  le 
crime  à  punir  le  crime,  afin  que  le  monde  voie  mieux  à 
quelles  mains  infâmes  son  crime  Ta  livré.  Nul  juge  lé- 
gitimé n'eût  abattu  ce  monument,  et  néanmoins  il  y  a  ici 

de  Dieu  et  dé  sa  longue  patience.  Il  est  patient  parce  qu*il  est 
étemel;  j'ai  souvent  pensé  à  ce  ffiot  sublime,  que  je  crois  de 
saint  Augustin  ou  de  Bossuet.  N'était-ce  pas  une  tentation  pour 
beaucoup  de  gens  de  voir  ce  colosse  de  gloire  élevé  sur  un  si 
énorme  piédestal  d'iniquité,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi? 
Toute  l'Europe  semblait  soumise  à  sa  puissance  ;  il  n'avait  qu'à 
désirer,  qu'à  entreprendre  et  tout  réussissait  bien  au-delà 
même  de  sa  pensée.  Tant  qu'il  a  été  l'instrument  de  Dieu, 
rien  n'a  arrêté  le  cours  de  ses  conquêtes,  de  ses  dévastations, 
du  bouleversement  général  qui  s'est  opéré  par  lui  presque  sur 
toute  la  face  de  la  terre.  Xe  pouvait-on  pas  dire  :  A  quoi  seii 
la  vertu,  puisque  l'iniquité  portée  au  dernier  excès  qu'on 
puisse  concevoir  a  un  succès  si  éclatant  ?  Ne  fallait-il  pas  un 
effort  surnaturel  pour  ne  pas  proférer  ce  blasphème  ?  Mais 
attendez,  hommes  de  peu  de  foi,  attendez  un  moment,  et  ce 
prodige  sera  dissipé,  foudroyé,  détruit  encore  plus  prompte- 
mcnt  qu'il  ne  s'était  élevé  !  On  en  cherchera  la  trace  ;  il  sera 
enseveli  dans  ce  qu'on  appelait  sa  gloire,  sous  des  ruines  de 
nations  et  sous  des  monceaux  de  cadavres  immolés  à  l'ambi- 
tion insatiable  d'un  seul  homme! 

»  Le  royaume  de  saint  Loms  va  renaître  avec  le  royaume  de 
Dieu! 

»  Chantez  un  nouveau  cantique,  chantez  la  puissance  et  la 
bonté  de  Dieu  sur  toute  la  ten  e  1 

)>  Que  toutes  les  mères  qui  conserveront  maintenant  le  fruit 
de  leui's  entrailles  chauteat  le  cantique  du  salut  avec  moa 
cœm'  !  » 


348  LUTTE    DES   PAPES   AVEC    LA  RÉVOLUTION 

une  justice  faite.  Couvrant  d'une  exécration  entière  le 
vandale  insolent  et  stupide,  la  conscience  humaine  regarde 
l'œuvre  abolie  et  ne  lui  accorde  qu'un  regret  léger.  C'était 
une  emphase  de  l'orgueil,  un  champignon  gonflé  du  venin 
de  la  fausse  gloire;  sous  les  coups  d'un  autre  orgueil, 
le  champignon  tombe,  corrodé  du  même  venin  qui  l'a 
produit. 

»  Ceux-là  doivent  gémir  et  s'irriter  amèrement  qui  ont 
élevé  ces  sauvages  et  qui  sont  encore  à  s'en  repenti?. 
Pour  se  grandir  eux-mêmes,  pour  achever  leurs  desseins 
et  leur  gloire,  ils  ont  donné  au  peuple  de  fausses  notions 
de  tout  :  le  peuple  culbute  leurs  desseins,  abat  leur  mo- 
numents, avilit  leur  gloire,  tournant  contre  eux  les  men- 
songes dont  ils  l'ont  nourri  et  les  passions  dont  ils  l'ont 
enflammé... 

»  Et  nous  regardons  d'un  œil  tranquille  crouler  subi* 
tement  ce  qui  avait  monté  si  haut,  monter  subitement  ce 
qui  croulera  si  bas.  Après  tout,  puisque  ces  sages  et  ces 
fous  se  font  un  même  jeu  d'arracher  la  pierre  fondamen- 
tale, il  est  juste  que  les  maisons  branlent  et  que  les  co- 
lonnes croulent.  Nous  aimons  mieux  la  justice  de  Dieu 
que  nos  biens  et  que  nous-mêmes,  et  quel  bien  pourrons- 
nous  allendre  de  ceux  qui  ne  veulent  pas  de  Dieu  !  » 


LIVRE  TROISIÈM. 
La  Révolution  de  Juillet  1830. 


CHAPITRE  PREMIER 

PERSÉCUTION    RELIGIEUSE    ET   IMPIÉTÉ   DU   NOUVEAU 
GOUVERNEMENT 

Si  nous  voulions  faire  ici  un  chapitre  d'histoire,  nous 
n'aurions  pas  de  peine  à  montrer  que,  dépuis  son  auteur, 
Philippe,  frère  de  Louis  XIV,  la  branche  d'Orléans  a  eu 
pour  préoccupation  constante  la  recherche  d'une  popu- 
larité lîourgeoise  à  côté  et  aux  dépens  de  la  Royauté. 

—  Saint-Simon,  dans  ses  Mémoires,  et  Madame  mère  du 
Régent,  dans  ses  Lettres,  signalent  cette  affectation  chez 
Monsieur,  frère  du  Roi,  à  venir  tenir  cour  à  Paris,  au 
Palais-Royal,  à  y  recevoir  un  monde  un  peu  mêlé  et  à 
se  faire  populaire  avec  les  dames  de  la  Halle  et  de  petit 
état. 

Il  pensait  ainsi  rappeler  le  souvenir  du  Bon  Henri, 
et,  autant  que  l'époque  et  la  crainte  qu'il  avait  du  Roi  le 
permettaient,  faire  acte  d'opposition. 

Cette  conduite  fit  tradition  :  le  Régent  abandonna  Ver- 
sailles, vécut  à  Paris,  et  cherchait  à  s'y  rendre  populaire. 

Son  fils  et  son  petit-fils  l'imitèrent  et  continuèrent  cette 
politique;  on  vit  enfin  le  duc  d'Orléans,  Egalité,  faire  de 
sou  habitation  même,  aux  approches  de  la  Révolution, 


3S0  LA   RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

un  immense  bazar,  en  construisant  les  galeries  du  Palais- 
Royal. 

La  révolution  est  née  là;  elle  y  eut  tout  d'abord  son 
quartier  général. 

Bientôt,  renonçant  à  son  titre,  le  duc  d'Orléans  se  livra 
tout  entier,  et,  par  une  épouvantable  faiblesse,  il  glissa 
jusqu'au  crime  en  poursuivant  cette  popularité  qu'il 
n'obtint  jamais. 

Louis-Philippe  I",  roi  des  Français,  son  digne  fils,  ne 
tut  pas  plus  heureux,  comme  nous  allons  le  voir  *. 


*  Nous  détachons  les  lignes  suivantes  d'une  lettre  écrite  de 
Paris,  le  4  juin  1872,  et  adressée  aux  journaux  de  pi'ovince  par 
M.  de  Saint-Chéi'on  : 

«  Je  viens  de  lire  une  réponse  adressée  par  M.  leMuc  d'Au- 
malc  fi  M.  le  marquis  de  Franclicu,  qui  avait  écrit  au  prince  au 
sujet  de  sa  déclaration  eh  faveur  du  drapeau  tricolore.  M.  le 
duc  d'Aumale  maintient  ses  paroles  et  ajoute  J 

«  Je  crois  être  resté  fidèle  aux  traditions  de  mes  aïeux  ea 
)>  parlant  comme  je  l'ai  fait  du  drapeau  de  la  France.  » 

»  Les  vraies  traditions  de  vos  aïeux.,.  »  mais  lesquelles?  Il  y 
a  Louis  I«*,  prince  de  Condé,  se  mettant  à  la  tète  des  calvi- 
nistes, vaincu,  fait  prisonnier  par  l'armée  roj'ale  et  catho- 
lique ;  mis  en  liberté,  il  n'en  use  que  pour  recommencer  là 
guerre  contre  son  roi. 

))  11  y  a  le  grand  Condé,  qui  se  met  contre  le  roi,  à  la  tCte  de 
la  guerre  civile,  passe  aUx  Espagnols,  est  vaincu  par  Tur^nue 
et  donne, dans  ses  derniers  jours,  l'exemple  du  respect  des  tra- 
ditions monarchiques  et  catholiques  qui  ont  fait  la  grandeur 
de  la  France. 

»  Il  y  a  Philippe-Egalité,  lâche  complice  des  conspirateuri 
contre  la  monarchie,  votant  la  mort  de  Louis  XVI  et  mourant 
sans  courage  sur  l'échafaud. 

»  Eh  bien,  Monsieur  le  duc,  à  quelles  traditions  de  vos 
aïeux  ùtes-vous  resté  fidèle  ?  Est-côà  celles  du  calviniste,  est-ce 
à  celles  du  régicide,  est-ce  à  celles  du  conquérant  de  Id 
Franche-Comté,  serviteur  loyal  de  son  roi  ? 

»)  Malgré  les  trahisons  de  Louis  I",  prince  de  Condé,  malgré 


LA  RÉVOLUTION  DE   JUILLET   1830.  381 

Dieu  a  lavé  par  le  sang,  en  1793,  les  fautes  du  philoso- 
phisrae  et  de  l'irréligion;  en  1830,  il  flagellait  notre  orgueil 
par  la  honte^  Rien  ne  console,  rien  ne  distrait,  dans  cette 
Tévolution  de  boutique.  On  vit  l'usurpateur,  monté  sur  uïl 
balcon,  entonner  comme  un  histrion  la  Marseillaise  au  soft 
tl'un  clavecin  tenu  par  sa  sœur,  en  face  d'une  multitude 
avinée,  hurlante»  ;^ui  criait  :  Bisf  et  l'homme  recommen- 
çait*. 

Il  n'entre  pas  dans  notre  plan  d'exposer  ici  par  quelles 
fautes  d'un  côté,  par  quelles  intrigues  de  l'autre,  la 
branche  d'Orléans  arriva  au  trône.  Traitant  la  question 
uniquement  au  point  dé  vue  religieux,  nous  ferons  re- 
marquer, avec  les  historiens  catholiques,  qu*il  y  eut  alors 
une  recrudescence  de  voltairianisme. 

les  égarements  passagers  du  héros  de  Rocroi,  la  France  s'est 
relevée  et  a  vu  le  siècle  de  Louis  XIV. 

»  Malgré  la  défection  des  princes  d'Orléans  de  nos  jours, 
malgré  leurs  affinités  incurables  avec  la  révolution,  dont  les 
dernières  phases  produisirent  la  Commune,  la  France  se  relè- 
vera, comme  après  l'anarchie,  les  hontes,  les  trahisons  de  la 
Fronde;  la  France  se  relèvera  et  se  sauvera  en  prouvant 
qu'elle  est  restée  monarchique  et  catholique,  seule  condition 
pour  reprendre  son  rang  eh  Europe  et  continuer  ses  glorieuses 
destinées.  » 

*  Ce  n'était  pas  chose  aisée,  dit  M.  Trognon,  que  de  faire 
respecter,  au  début  de  son  établissement,  une  royauté  assise 
sur  les  pavés  des  barricades.  Plusieurs  jours  se  passèrent  du- 
rant lesquels  le  Palais-Royal  resta  à  peu  près  ouvert  à  tout 
venant.  Point  de  livrée  dans  les  antichambres,  de  peur  d'offen- 
ser les  susceptibilités  de  la  démocratie  aux  bras  nus  ;  point  de 
gardes  aux  portes,  sinon  des  hommes  contre  lesquels,  ea 
d'autres  temps,  il  eût  paru  prudent  de  se  garder.  11  ne  man- 
quait point  de  gens  qui,  pour  avoir  reçu  dans  la  rue  des  poignées 
de  main  du  prince,  le  jour  de  sa  visite  à  l'Hôtel-de-Ville,  se 
croyaient  des  droits  au  même  accueil  dans  ses  salons  ;  ce  n'était 
pas  pour  rien  qu'on  l'avait  salué  du  titre  de  roi-citoyen  :  il  lui 
fallait  payer  les  frais  de  sa  popularité,  et  il  n'était  pas  toujours 
libre  de  s'y  refuser-, 


352  LA   RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

La  monarchie  de  Juillet  ne  voyait  dans  la  religion  qu'un 
instrument  de  gouvernement  :  à  ses  yeux,  la  loi  devait 
être  athée,  c'est-à-dire  absolument  indifférente  entre  les 
divers  cultes.  A  cette  époque,  la  joie  fut  immense  parmi 
tous  les  ennemis  de  l'Eglise,  de  l'ordre  social,  de  la  vérité 
sous  ses  diverses  formes.  Les  honnêtes  gens  furent  cons- 
ternés. Il  devint  à  la  mode  de  les  honnir.  La  rue,  avec  ses 
passions  brutales,  fit  la  loi  et  refusa  de  la  recevoir.  La 
maison  du  Seigneur,  envahie,  retentit  de  rugissements 
sanguinaires.  La  mort  est  vociférée  contre  les  évêques, 
les  religieux,  les  prêtres.  Le  déchaînement  de  la  fureur 
révolutionnaire  fait  tout  craindre.   Les  archevêques  de 
Besançon  et  de  Reims  sont  en  fuite  ;  l'évêque  de  Nancy 
est  menacé  de  mort;  l'évêque  de  Chartres  s'abrite  sous  un 
toit  étranger;  celui  de  Châlons  se  cache  h  l'hôpital;  celui 
de  Séez  récfeme  l'hospitalité  d'un  château  qui   lui  est 
fermé;  les  évêques  de  Perpignan  et  de  Marseille  n'évitent 
la  mort  qu'en  quittant  précipitamment  leurs  sièges.   A 
Saint-Sauveur,  près  de  Poitiers,  le  curé  e«t  brutalement 
arraché  de  ï' autel    pendant   qu'il    célèbre  la  mesae;  à 
Villeneuve,  on  le  jette  en  prison;  à  Bourbon-Vendée,  le 
vicaire  est  lapidé  dans  son  lit;  à  Matha,  dans  la  Charente- 
Inférieure,  on  l'assomme  à  coups  de  bâton.  De  semblables 
violences  se  multiplient  dans  chaque  département.  L'esprit 
qui  triomphe  se  livre  à  ses  œuvres  naturelles.  Dans  uu 
seul  diocèse,  M.  Roselly  de  Lorgnes  compte  seize  curés, 
dans  un  autre  quarante,  qui  sont  en  péril  de  mort  et 
chassés  de  leurs  demeures.  Des  personnes  la  haine  s'é- 
tend aux  édifices.  Outre  l'archevêché  de  Paris  saccagé, 
la  cathédrale  violée,  les  ornements  sacrés  traînés  sur  les 
boulevards  dans  une  procession  dérisoire,  l'église  de  Blois 
est  envahie  et  souillée;  les  maisons  religieuses  du  Saint- 
Esprit,  de  Saint-Lazare,  du  Mont-Valérien,  le  séminaire  de 
Conflans,  près  Paris,  etc.,  sont  ou  saccagés  ou  vidés  par 


LA  RÉVOLUTION  DE  JUILLET   1830.  353 

la  force.  A  Strasbourg,  Cahors,  Nancy,  Autun,  Narbonne, 
Saintes,  Chartres,  Dijon,  etc.,  des  forcenés,  convaincus 
qu'il  ne  s'agit  pas  seulement  de  l'expulsion  du  roi  lé- 
gitime, mais  aussi  de  celle  du  Dieu  unique  qui  proscrit 
ces  enivrements  brutaux,  abattent  le  signe  de  salut  et 
ne  laissent  pas  une  croix  debout.  Suivant  les  localités,  les 
outrages  varient.   A  Blois,   à  Niort,   l'image  de  Jésus- 
Christ  est  enlevée  et  traînée  comme  celle  d'un  malfaiteur 
à  l'hôtel  de  ville.  A  la  Ferté-sous-Jouarre,  on  l'arrache  de 
l'église  au  milieu  des  huées;  on  la  scie  et  on  la  foule  aux 
pieds.  A  Sarcelles,  on  mutile  Notre-Seigneur  sur  la  croix; 
à  Beaune,  après  l'avoir  outragé,  on  le  brûle,  tandis  qu'à 
Montargis  on  le  noie  dans  la  rivière.  Dans  quelques  villes, 
à  Poitiers,  Toulon,  Riom,  Nîmes,  Toulouse,    l.-utorité 
procède  officiellement  au  sacrilège;  à  Paris,  elle  ferme 
l'église  de  Saint-Germain-l'Auxerrois,  parce  qu'on  y  célèbre 
un  service  de  fondation  pour  un  prince  assassiné,  et  elle 
en  fait  une  mairie.  Ailleurs,  elle  semble  redouter  la  lu- 
mière :  à  Bourges,  par  exemple,  à  Trévoux,  à  Rodez,  à 
Grenoble,  c'est  la  nuit  qu'elle  procède  pour  abattre  les 
croix.  A  Carpentras,    à  Noyon,   les   ouvriers  indigènes 
refusent  leur  aide;  il  faut  appeler  l'incrédulité  foraine,  ou 
bien,  comme  à  Besançon,  employer  la  main   militaire, 
destinée  à  d'autres  exploits.  Par  la  même  cause,  les  hosti- 
lités municipales,  la  tendance  à  l'usurpation  des  pouvoirs 
ecclésiastiques,  ne  sont  pas  moins  manifestes.  Ici,  un  maire 
enfonce  les  portes  de  l'église;  là,  il  prescrit  au  curé  à 
quelle  heure  il  dira  la  messe;  ailleurs  II  fait  chanter  par 
les  siens  un  office  de  sa  façon,  psaumes  patriotiques  à 
versets  sanguinaires.  A  Berru  (Marne),  le  fils  du  maire 
lit  dans  le  sanctuaiie  le  recueil  des  actes  administratifs  et 
empêche  le  catéchisme.  A  Pouilly  (Yonne),  la  garde  na- 
tionale prend  l'église  pour  place  d'armes  et  supprime  les 
vêpres.  Dans  les  grandes  villes  surtout,  le  souffle  de  l'im- 


854  LA   RÉVOLUTION   DE  JUILLET   1830. 

piété  attise  le  foyer  des  haines  populaires.  La  calomnie 
s'adosse  aux  murs  de  la  capitale,  les  souille  d'orduriers 
écrits;  les  moins  dégoûtants  s'intitulaient  :  Infamies  des 
prêtres.  Dans  un  commun  effort  contre  le  sacerdoce,  les 
voltairiens  mettent  à  ses  trousses  des  bandes  de  crieurs 
vociférant  :  »  Les  poignards  et  la  poudre  découverts  dans 
les  caves  de  l'archevèclié  I  —  Les  chanoines  et  les  sémi- 
naristes qui  ont  tiré  sur  le  peuple  par  les  fenêtres  I  *—  Les 
armes  surprises  chez  les  Frères  des  Ecoles  chrétiennes 
(qu'on  a  soin  d'appeler  ignoratitiiis)  1  —  L'empoisonnement 
des  blessés  de  Juillet  par  les  Sœurs  de  la  Charité  I  —  Les 
Jésuites  déguisés  arrêtés  dans  les  rassemblements!  etc.  » 
Le  culte  catholique,  poursuivi  par  des  aboiements  obscènes 
dans  les  rues,  les  passages,  les  promenades,  jusque  sous 
les  fenêtres  do  Louis-Philippe,  condamné  sans  être  en- 
tendu, est  mis  au  carcan  et  exposé  sur  le  pilori  des 
théâtres.  A  côté  des  ennemis  effrontés  et  bruyants 
marchent  des  outrageurs  taciturnes.  Tantôt  c'est  un  Ar- 
ménien du  Gros-Caillou  qu'on  rencontre  portant  écrit  sur 
la  poitrine  :  Qu'est-ce  qu'un  prêtre?  et  distribuant  une 
explication  infernale  de  ce  mot;  tantôt  c'est  quelque  der- 
viche de  la  rue  Quincampoix  débitant  la  prétendue  Corres- 
pondance des  éoêques  sur  les  événements  de  Juillet,  Et  pendant 
que  l'apostasie  soulève  sa  tète  hideuse,  des  mimes  pa- 
rodient sur  le  seuil  des  églises  les  saintes  cérémonies  de 
la  messe  ^ 

*  Sous  le  gouvernement  de  Juillet,  l'Université  fut  peuplée 
de  professeurs  impies  qui  enseignaient  à  leurs  jeunes  élèves  la 
négation  des  dogmes  du  christianisme.  Nous  nous  contenu 
terons  do  citer  ici  les  paroles  suivantes  de  M.  Patrice  Larotjuc, 
recteur  de  l'Académie  du  Limoges,  ex-prol'essour  de  philosophie 
au  collège  royal  de  Grenoble  : 

«  ...  Rien  n'est  plus  véritablement  impie  que  le  dogme  de 
l'éternité  des  peine!»...  »  Quatre  lignes  plus  bas  il  ajoute  : 
«1  r,'c?t,  jn  le  réputé,  de  toutes  les  irapiéléâ,  la  plus  clil'oyable 


LA   PivOLUTION  DE  JUILLET   1830.  3o5 

Le  gouvernement  nouveau  ne  fit  rien  pouf  s'opposer  à 
ces  abominations.  Il  sentait  que  la  vertu  lui  était  hostile, 
et  il  n'était  pas  fâché  d'humilier  la  vertu.  Son  grand 
travail  désormais,  pour  s'affermir,  sera  de  fausser  les 
consciences,  de  les  habituer  insensiblement  à  appeler  mal 
ce  qui  est  bien,  et  bien  ce  qui  est  mal  *. 

Parvenus  au  pouvoir,  les  francs-maçons  îie  négligèrent 
rien  pour  blesser  l'Eglise  de  France  au  cœur,  en  faisant 
tous  leurs  efforts  pour  tarir  les  vocations  au  sacerdoce. 

Plusieurs  séminaires,  grands  ou  petits,  entre  autres 
ceux  de  Verdun,  de  Metz,  de  Meaux,  de  Nancy,  de  Châlons- 
s'-ir-Marne,  de  Pont-à-Mousson,  furent  violemment  fermés. 
De  plus,  une  ordonnance  royale,  en  date  du  l^'  octobre, 
décréta  ce  qui  suit  contre  ces  établissements  :  1°  L'article  7 
de  l'ordonnance  du  16  juin  1828,  portant  création  de  huit 
mille  demi-bourses  dans  les  écoles  secondaires  ecclésias- 
tiques, est  rapporté  ;  cette  dépense  cessera  en  conséquence 
de  faire  partie  du  budget  de  l'Etat,  à  compter  du  1"  jan- 
vier 1831;  2°  Demeureront,  au  surplus,  en  pleine  vigueur 
et  seront  exécutées  les  autres  dispositions  des  deux  or- 
donnances du  16  juin.  »  Pendant  que  l'on  fermait  et  que 
l'on  dépouillait  les  séminaires,  le  préfet  de  la  Seine, 
Odilon  Barpot,  formait  le  projet  de  supprimer  les  écoles 
des  Frères  dans  tout  son  département,  sous  le  ridicule 
prétexte  que  «  ces  religieux  retenaient  l'enfance  dans  les 
entraves,  et  retardaient,  par  politique,  le  moment  où  l'es- 
prit prend  son  essor.  »  Enfin  l'année  1830  se  termina  par 
deux  circulaires  du  ministre  des  cultes,  Mérilhou,  dignes 
de  la  couronner  :  la  première,  datée  du  mois  de  no- 
vembre, défendait  la  célébration  des  fêtes  autres  que  les 
quatre  consacrées  par  l'induit  du  cardinal  Caprara^  la  se- 

que  l'homme  ait  pu  imaginer  et  que  sa  bouche  puisse  pro- 
férer. »  (Cours  de  ■philosophie,  1838,  p.  209-297.) 
*  Voyez  le  Monopole  universitaire. 


356  LA   RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

conde,  contre-signée  au  mois  de  décembre,  supprimait  la 
Société  des  Missionnaires  de  France,  et  leur  enlevait  le  Mont- 
Valérien,  où  était  le  calvaire.  En  1831,  M.  de  Montalivet, 
aussi  ministre  des  cultes,  défendit  la  procession  de  l'As' 
somption  *,  etc. 

L'égpllse  de  Sainte-Geneviève  profanée* 

Ne  pouvant  pas  entrer  dans  tous  les  détails  des  im- 
piétés qui  souillèrent  la  France  dès  le  commencement  de 
cette  révolution  provoquée  par  les  mauvais  écrits  que  la 
Restauration  eut  l'imprudence  irréparable  de  laisser  mul- 
tiplier et  répandre  partout',  nous  finirons  ce  tableau  en 
rappelant  d'abominables  profanations  qui  consternèrent 
tous  les  cœurs  chrétiens. 

Le  26  août,  l'église  de  Sainte-Geneviève,  à  Paris,  fut 
retirée  au  culte  catholique  et  de  nouveau  convertie  en 
Panthéon.  Les  patriotes  avaient  pris  l'avance  à  l'issue  des 
événements  de  Juillet,  en  rétablissant  sur  ce  monument 
l'inscription  de  la  première  révolution. 

Voici  comment  un  éloquent  publiciste  a  flétri  cette  im- 
piété voltairienne  : 

*  L'Ami  de  la  religion,  t.  LXV  et  LXVL  «  Le  but  avoué  des 
libéraux,  enfants  adultérins  de  la  République  et  de  l'Empire, 
dit  Crétineau-Joly,  était  de  provoquer  un  schisme  et  d'ébranler 
à  coups  de  subterfuges  légaux  cotte  Jérusalem  qui  se  bâtit 
comme  une  cité  et  qui  ne  fait  tout  entière  qu'un  seul  corps.  Le 
choix  des  premiers  ecclésiastiaues,  appelés  à  l'épiscopat  par 
l'insurrection  de  Juillet,  dut  nécessairement  se  ressentir  de  ces 
dispositions.  Le  vent  soufUait  contre  le  clergé.  On  se  promet- 
tait de  le  séduire  ou  de  l'etfrayer;  on  désigna  pour  évoques 
certains  abbés  qui  n'avaient  que  le  moins  possible  les  vertus 
de  leur  état.  Devant  celte  moquerie  jeiee  comme  un  ûefi, 
l'E^rli^e  de  France,  profondément  humiliée,  ne  cacha  point  sa 
légitime  émotion.  » 

*  Voyez  la  note  B,  à  l'Appendice. 


LA  RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830.  3S7 

€  La  révolution  de  1830  jela  sur  le  trône  un  prince  vol- 
lairien,  qui,  durant  près  de  deux  années,  au  nom  de  la 
liberté,  proscrivit  dans  Paris  l'habit  ecclésiastique.  Voltaire 
alors  reçut  ses  derniers  honneurs.  H  eut  sa  statue  élevée, 
des  deniers  publics,  au  fronton  d'un  temple  d'où  l'on  avait 
arraché  la  croix. 

»  Ce  fut  la  fin,  autant  du  moins  que  ces  combats  peuvent 
finir.  Voltaire  alors  reste  debout  au  fronton  de  Sainte- 
Geneviève,  mais  déjà  humilié  sous  la  croix,  perpétuel 
objet  de  ses  sarcasmes.  A  cette  place  insolente,  il  n'est 
désormais  qu'un  témoin,  et  non  pas  un  triomphateur. 

»  Parle,  dis  ce  que  tu  fais  là!  Sur  nos  vieilles  cathé- 
drales, les  barbares  et  les  sectaires  de  tous  les  siècles  ont 
marqué  leur  passage  par  d'impuissantes  dévastations; 
l'incendie,  les  mutilations,  le  pillage,  ce  sont  leurs  traces; 
leurs  monuments  sont  des  ruines.  Ici  les  Normands,  ici 
les  protestants,  ici  les  révolutionnaires.  Il  fallait  un  monu- 
ment plus  effronté  du  règne  de  Voltaire,  une  offense  plus 
signalée  aux  vertus  qu'il  aurait  voulu  abolir;  et  comme  il 
n'a  rien  tant  haï  que  la  foi,  l'humilité  et  la  chasteté,  ses 
disciples  ont  eu  cette  inspiration  digne  de  lui.  Dans  la 
pierre  consacrée  au  Dieu  vivant,  ils  ont  figuré  l'insulteur 
de  la  chaste  Jeanne,  et  ils  en  ont  insulté  le  souvenir  de 
l'humble  Geneviève  :  Quoniam  diffamavit  nomen  pessimum 
super  virginem  Israël.  0  renégats  du  Dieu  et  de  l'honneur 
de  la  France!  Ayant  commis  d'un  seul  coup  ce  triple 
outrage,  ils  ont  appelé  le  peuple.  «  Viens  voir,  connais  le 
»  génie  de  tes  maîtres;  apprends  d'eux  ce  qu'ils  croient 
»  et  ce  qu'ils  honorent!  »  Aujourd'hui  ils  cherchent  à 
expliquer  leur  chute.  L'oracle  s'est  accompli;  les  pierres 
ont  crié  ;  elles  crient,  elles  rendent  témoignage  contre  les 
crimes  que  l'on  a  voulu  les  contraindre  à  glorifier.  Voyez 
ce  qu'ils  faisaient,  ces  hommes  d'Etat,  ces  penseurs,  ces 
premiers4iés  du  nouveau  genre  Tiumaiu  ;  voilà  les  monu- 


3d8  la  révolution  de  juillet  1830. 

lucnts  de  leur  règne,  leur  foi,  leur  sagesse  et  leur  recon- 
naissance  !  Eux  cependant,  tombés  et  ne  comprenant  rien, 
témoins  aussi  pétrifiés  que  leur  idole,  se  racontent  lon« 
guoment  les  beaux  jours  qui  virent  leurs  grandes  actions. 
JiCs  uns  accusent  la  folie  et  l'inconstance  populaire,  les 
autres  cherchent  à  deviner  par  quel  prodige  t  la  civilisa- 
tion du  dix'huitième  siècle,  »  comme  ils  disent,  n'en  a 
pas  fini  avec  l'Eglise;  pourquoi  l'Eglise  a  survécu  aux 
mépris  comme  à  la  violence;  aux  pamphlétaires  comme 
aux  bourreaux;  pourquoi  le  règne  de  Voltaire  expire  et 
celui  du  Christ  recommence  ;  pourquoi  la  croix  passe  en- 
eoP8  une  fois  du  lieu  de?  supplices  au  front  des  empe- 
reurs *,  » 

Sac  de  Saint 'Gcriuatp'rAaxerrola. 

Le  pillage  du  presbytère  et  de  l'église  a  été  consommé 
par  des  bourgeois  en  habit  noir  et  par  des  étudiants  fai- 
sant là  leur  stage  de  juges  de  paix. 

La  pire  excitation  des  scélérats  était  la  douleur  des 
bons.  Le  vieux  monument  de  la  piété  de  nos  pères  fut 
livré  au  cynisme  en  goguettes.  On  le  dépouilla  de  ses  orne- 
ments; on  brisa  le  tabernacle  où  Dieu  est  toujours  pré- 
sent, dans  son  adorable  humanité.  On  mutila  ses  statues; 

1  Le  noble  et  CQura8:Qux  archevêque  de  Pari»  flétrit  en 
quelques  mots  l)icn  cnergiqueg  cette  impiété.  «  Quel  est,  je  ne 
dis  pas  le  chnHicn,  le  prêtre,  l'évêque,  mais  seulement  le 
Français,  l'homme  honnête  qui  ne  gémisse  à  la  vue  du  nouvel 
outrage  fait  à  la  religion  du  pays?  quelle  est  la  femme  pu- 
dique, la  raùro  de  famille,  la  fille  tant  soit  peu  modeste,  qui 
ne  rougisse  devant  celte  apothéose  où  rinftlme  détracteur  de 
l'héroïne  d'Orléans  et  le  père  honteux  d'iicloise  usurpent  les 
honneurs  dus  à  la  vierge  de  Nanterre,  et  ravissent  des  cou- 
ronnes qui  n'appartiennent  qu'à  la  vertu?  Je  suis  assez  fier  de 
ma  patrie  pour  croire  que  j©  serai  toujours  du  côté  de  l'im- 
mense mi'jorité.  »> 


LA   RÉVOLUTION    DE   JUILLET   1830.  3o9 

on  détruisit  l'aulel:  on  se  fit  des  habita  sacerdotaux  un 
d'^2;u.soment  de  carnaval.  Tandis  que  cette  foule,  à  deux 
pas  de  la  demeure  du  roi-citoyen,  dansait  en  hurlant  et 
en  blasphémant,  un  apothicaire,  officier  municipal,  nommé 
Cadet-Gassicourt,  intimait  l'ordre  d'abattre  la  croix  qui 
s'élève  au-dessus  du  temple.  Ce  fut  la  seule  autorité  dont 
Ja  présence  et  l'action  furent  constatées  sur  les  lieux. 

liO  lendemain,  l'insurrection  a  changé  d'hommes  et  de 
plan  :  elle  allait  se  ruer  contre  le  Palais-Royal,  entouré  de 
ses  baïonnettes  intelligentes.  Les  avenues  en  étaient  soi- 
gneusement gardées  par  la  troupe  de  ligne.  L'insurrection 
hésitait;  d'habiles  recruteurs  lui  persuadent  «  de  donner 
une  bonne  leçon  à  l'archevêque  de  Paris.  »  Ms''  de  Quélen 
est  bien  coupable  en  effet.  Ouvrier  irréprochable,  selon  les 
saintes  Eoritures,  sachant  traiter  droitement  la  parole  de 
vérité,  et  imitant  l'exemple  de  Simon,  fils  d'Onias,  souve- 
rain-pontife, il  monte  à  l'autel  pour  orner  et  honorer  le 
saint  habit  qu'il  porte.  M°'  de  Quélen  a  sagement  refusé 
de  se  prêter  à  un  service  commémoratif  de  l'assassinat  du 
duc  de  Berry.  Un  mandat  d'amener  n'en  fut  pas  moins 
décerné  contre  lui,  que  l'orléanisme  désignait  à  la  vindicte 
des  siens.  Le  Palais-Royal  n'a  plus  rien  à  redouter;  ses 
favoris,  ses  c(jnfidents,  ses  ministres  et  ses  ofticiers  assistent 
en  souriant  à  ce  spectacle  de  dévastation. 

Le  Moniteur  et  le  Journal  des  Débats  avaient  exe  ;sé  et 
presque  encouragé  les  fureurs  que,  dans  leur  stylq  Q;ïîciel, 
ils  appelaient  la  légitime  indignation  du  peuple.  Ce  peuple 
se  sent  les  coudées  franches;  on  lui  passe  pour  son  mardi 
gras  les  ornements  sacrés,  l&s  livres  précieux,  les  tableaux 
historiques  et  les  archives  de  l'archevêché.  Il  brûle,  il  jette 
à  l'eau,  il  met  en  pièces  tous  ces  trésors  d'une  science  sé« 
culaire.  Le  pillage  consommé,  il  laisse  à  l'orléanisme  et  à 
ses  gouvernants  le  soin  de  s'accuser  entre  eux.  Tous  étaient 
coupables  de  complicité  ou  d'apatlîie;  tous  s'accablaient 


360  LA   RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

des  reproches  les  mieux  mérités,  tous  ne  rencontrèrent  an 
Palais-Royal  que  des  éloges  et  des  récompenses. 

Pillag-e  et  destraction  da  palais  arcMépiscopal  de  Paris. 

La  populace,  encouragée  par  l'attitude  du  gouverne- 
ment, ne  garde  plus  de  mesure.  On  cherche  M«'  de  Quélen, 
le  saint  archevêque  de  Paris,  pour  l'égorger;  on  force  son 
palais,  on  brise,  on  déchire,  on  incendie,  on  pille  tout. 
Louis-Philippe  et  les  siens  ne  font  pas  un  mouvement 
pour  arrêter  ces  bacchanales  immondes.  «  Laissez  passer 
la  justice  du  peuple!  »  dit  froidement  un  ministre  '.  Elle 
repassera,  cette  justice,  en  1848,  et  cette  fois  elle  sera 
bien  nommée  \ 

L'abbé  Lacordaire,  à  la  vue  de  ces  sauvages  dévasta- 
tions, écrivait  dans  VAveiiir  ces  lignes  pleines  d'une  j^uate 
indignation  : 

«  Ce  palais  avait  été  bâti  par  les  prédécesseurs  de  M^'  de 
Quélen;  il  fut  envahi  et  saccagé  dans  les  journées  de  1830  : 

1  Un  écrivain  dont  le  témoignage  ne  sera  pas  suspect,  le 
révolutionnaire  Louis  Blanc,  raconte  ce  curieux  épisode  du 
pillage  de  l'archevêché  de  Paris  en  1831  : 

«  A  l'archevêché,  les  démolisseurs  poursuivaient  leur  œuvre 
avec  une  fureur  croissante.  Témoin  de  cette  lugubre  comêdio, 
M.  François  Arago  frémissait  de  son  impuissance,  et  comme 
savant  et  comme  citoyen.  Convaincu  qu'il  y  avait  parti  pris,  de 
la  part  du  pouvoir,  de  favoriser  l'émeute,  il  allait  donner  ordre 
à  son  bataillon  d'avancer,  décidé  à  tout  plutôt  qu'à  une  rési- 
gnation grossière,  lorsqu'on  vint  l'avertir  que  quelques  perso/i- 
nages  marquants  mêlés  aux  gardes  nationaux  les  engageaient 
à  laisser  faire.  On  lui  cita  particulièrement  M.  Thiers,   sous- 

SECRKTAIRE  D'EtAT  AU  MINISTÈRE  DES  FINANCES.  Il  L'aPERÇUT  EN 
EFFET,  SE  PROMENANT  DEVANT  CES  RUINES  AVEC  UN  VISAGE  SATISFAIT 
ET  LK  SOURIRE  AUX  LÈVRES.  » 

Quoi  d'étonnant,  après  cola,  que  M.  Thiers  n'ait  pas  assisté 
aux  obsèques  de  M^'  Ddi'boyl 


LA   RÉVOLUTION   DE   JUILLET    1830.  361 

les  meufeles  furent  jetés  par  les  fenêtres,  les  boiseries  et 
es  parquets  enfoncés;  on  arracha  les  portes  de  leurs 
gonds,  on  brisa  les  croisées,  on  déchii^  les  chartes  de 
l'Eglise  de  Paris,  et  on  en  foula  aux  pieds  les  lambeaux. 

»  Nous  ne  rappellerons  pas  les  autres  injures  publiques 
que  notre  premier  pasteur  a  eu  à  subir.  Nous  tairons  les 
sacrilèges  de  Saint-Germain,  de  Sainte-Geneviève,  de  l'Ab- 
baye-aux-Bois,  l'enlèvement  des  statues  qui  ornaient  le 
sanctuaire  de  la  métropole  ;  nous  tairons  encore  ces  in- 
dignes refus  de  traitements  que  la  France  connaît  aujour- 
d'hui et  qui,  étant  une  exception  arbitraire  à  l'ordre  com- 
mun, empruntaient  de  cette  circonstance  et  des  malheurs 
de  l'archevêque  le  caractère  de  la  plus  basse  persécution. 
Il  faut  finir  ;  le  pouvoir  nous  a  instruits  à  marcher  vite 
q^iand  il  s'agit  de  la  honte. 

»  Voilà  ce  qu'on  a  fait  à  notre  honorable  pontife  depuis 
un  an;  c'est-à-dire  que  quiconque  a  pu  lui  donner  une 
preuve  d'animosité  la  lui  a  donnée,  et  tout  le  monde  l'a 
pu.  Ennemis  de  k  religion,  ennemis  personnels,  peuple 
aveuglé,  ministres,  magistrats,  chacun  s'est  jeté  sur  la 
victime,  chacun  l'a  déchirée  à  son  tour,  et  on  chercherait 
en  vain  un  genre  d'injures  qui  lui  ait  été  épargné. 

»  Quand,  après  cela,  on  se  demande  d'où  vient  tant  de 
haine,  nul  ne  le  sait.  Qu'a  fait  Ms""  l'archevêque  de  Paris 
qui  lui  ait  mérité  un  sort  si  différent  du  sort  de  ses  col- 
lègues dans  l'épiscopat?  Homme  doux  et  aimé  dans  son 
intérieur,  évêque  plein  de  tolérance,  il  avait  encore  des 
qualités  populaires,  et  nul  évêque  sous  la  Restauration, 
n'a  joui  de  moins  de  faveur  à  la  cour.  » 

Le  lendemain  la  calomnie  s'assit  dans  les  caves  et  dans 
les  appartements  dévastés  :  là  elle  vit  des  poignards,  ici 
des  habits  de  femme.  Les  portefeuilles  étaient  pleins  de 
mystères  affreux  dont  on  promettait  la  réN'élation  à  la 
France,  et  l'on  eût  dit  qu'une  moitié  de  l'eufer,  pour  le 

lU 


362  LA  RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

moins,  avait  été  prise  sur  le  fait  à  l'archevêché  par  la 
Révolution*. 

Cependant  l'illustre  calomnié  cacha  sa  t6te  où  il  put;  il 
erra  pendant  six  mois  de  maison  en  maison,  craignant  de 
compromettre  les  amis  qui  lui  donnaient  l'hospitalité,  €ft 
poursuivi  dans  ses  divers  asiles  par  des  libelles  innon> 
trahies.  Au  bout  de  six  mois  d'une  vie  cruellement  trou- 
blée, on  se  ressouvint  que  les  murs  de  son  palais  étaient 
encore  debout.  Quelque  chose  qu'on  appela  le  peuple  s'y 
précipita  de  nouveau,  et,  après  avoir  achevé  la  dévastation 
des  appartements,  se  mit  à  enlever  les  toits,  afin  que  le 
soleil  vît  ce  qui  avait  été  fait.  La  croix,  qui  le  voyait  aussi, 
tomba  ce  jour-là  de  Notre-Dame,  et  tandis  que  la  Seine 
emportait  le  long  de  Paris,  sous  les  yeux  de  l'autorité  im- 
mobile, les  preuves  du  pouvoir  des  forçats  dans  la  capitale 
de  la  civilisation,  ces  bandes  animées  par  l'impunité  re- 

*  Parmi  les  objets  précieux  qui  étaient  à  l'archevêché  se 
trouvait  un  christ  en  ivoire,  chef-d'œuvre  de  sculpture  anato- 
niique,  qnc  Louis  XIV  avait  donné  à  M""  de  La  Vallière  lors 
de  sa  profession,  qu'on  avait  trouvé  en  1791  chez  les  Carmélites 
de  la  rue  Saint-Jacques  lox-s  de  la  suppression  des  monastères. 
Napoléon  l'avait  fait  tirer  depuis  du  g'arde-raeublc  pour 
décorer  l'archevêché,  dans  le  temps  qu'il  voulait  y  loger  le 
Pape.  Ce  christ,  frappé  de  deux  coups  d'un  instrument  tran- 
chant, fut  porté  à  riiôtel-Dieu  par  deux  hommes  du  peuple  qui 
venaient  de  contribuer  aux  dévastations. 

La  statue  de  la  sainte  Vierge  en  argent,  que  Charles  X  avait 
donnée  à  Notre-Dame,  fut  jetée  par  la  fenêtre  sur  la  pavé;  le 
piédestal  fut  cassé  ;  trento-ti'ois  marcs  d'argent  qui  composaient 
les  ornements  furent  volés,  ainsi  que  les  picda  et  le  soclo  delà 
statue. 

Si  îi  tous  ces  détails  on  joint  les  sept  meurtres  commis  pen- 
dant la  dévastation,  soit  dans  l'archevêché  môme,  soit  auprès 
du  jardin,  on  comprendra  aisément  que  la  désolation  fùL  au 
comble  dans  une  maison  qui,  à  l'époque  même  do  la  premicre 
Uévolution,  n'avait  pas  été  le  Ihéàlrc  de  pareilles  horreurs. 
(IIiiNiiioN,  Histoire  de  l'Eglise.) 


LA   RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830.  363 

montaient  le  fleuve  et  ravageaient  le  seul  lieu  où  la  pensée 
de  leur  victime  pouvait  encore  chercher  la  paix.  Conflans 
fut  détruit.  Le  troisième  jour,  l'archevêque  de  Paris 
n'ayant  plus  rien  à  perdre  sur  la  terre,  la  tranquillité  se 
trouva  rétablie,  et  quatre-vingt  mille  hommes  sous  les 
armes  annoncèrent  aux  forçats  que  leur  règne  était  fini,  à 
l'Europe  que  l'ordre  était  sauvé. 

La  jasdce  de  Diea  et  la  veng^eauce  d'an  archevêi|ne. 

W  de  Quélen,  obligé,  pour  se  dérober  à  la  persécution, 
de  se  cacher  chez  des  amis  fidèles,  vécut  en  proscrit  au 
milieu  de  son  diocèse.  La  main  de  Dieu,  plus  forte  que  les 
haines  des  hommes,  allait  bientôt  le  rappeler  au  grand 
jour. 

Voici  ce  qu'écrivait  à  ce  sujet  un  célèbre  publiciste  dans 
l'Invariable  : 

«  A  des  fléaux  humains,  déjà  bien  propres  à  nous  désa- 
buser et  à  nous  instruire.  Dieu  a  ajouté  des  fléaux  plus 
éloquents  encore.  Depuis  que  les  peuples  sont  entrés  dans 
le  malheur  par  la  révolte,  il  leur  rend  son  bras  plus  pesant 
et  plus  visible J  car  il  veut  que  sa  justice  dise  enfin  son 
nom  à  ceux  qui  ont  refusé  de  l'apprendre  de  la  miséri- 
corde. Ici,  aux  cris  de  blasphème  contre  son  Christ,  il 
répond  par  la  mort  instantanée  du  blasphémateur;  là,  aux 
croix  abattues  dans  nos  champs,  il  répond  en  détruisant 
les  moissons  qu'elles  protégeaient;  à  l'impiété  des  villages 
il  répond  par  la  foudre  qui  les  consume,  comme  à  l'im- 
piété des  villes  par  la  misère  et  la  famine  qui  les  dé- 
ciment ;  à  l'insolent  ministre-roi  qui  envahit  le  patrimoine 
de  l'Eglise  il  répond  en  changeant  son  orgueilleuse  sa- 
gesse en  folie  et  son  trône  en  cercueil  ;  enfin,  aux  crimes 
sans  nombre  et  sans  nom  de  la  ville  de  sédition  qui  jette 


364  LA  RÉVOLUTION   DE  JUILLET   1830 

ses  pavés  au  front  des  rois,  il  répond  par  le  mal  inconnu. 
le  mal  impénétrable  dont  les  savants  ne  savent  pas  la  cause, 
dont  la  science  ne  sait  pas  le  remède,  le  mal  intelligent  <jui 
frappe  avec  discernement  ei  punit  avec  justice*. 

Le  choléra,  après  avoir  franchi  les  limites  de  l'Asie  et 
promené  ses  ravages  dans  le  nord  de  l'Allemagne,  était 
parvenu  aux  portes  de  la  France,  précédé  de  la  terreur 
q.i'il  répandait  partout  sur  son  chemin.  Tout-à-coup  les 
angoisses  se  changent  en  une  affreuse  réalité  :  le  choléra 
est  à  Paris.  Les  hôpitaux  se  remplissent;  ceux  qu'on 
ouvre  à  la  hâte  de  tous  côtés  ne  suffisent  bientôt  plus.  Les 
affaires  cessent;  les  meilleurs  sentiments  s'altèrent  et 
s'affaiblissent.  Les  familles  s'enferment  dans  l'isolement; 
l'enfant  meurt  sur  le  sein  de  sa  mère,  qui  succombe  bien- 
tôt elle-même;  les  époux  expirent  à  quelques  instants  l'un 
do  l'autre.  Le  savant  est  frappé  dans  son  cabinet,  l'artisan 
dans  son  atelier,  le  riche  dans  ses  somptueux  apparte- 
ments, le  pauvre  dans  son  galetas.  Un  seul  jour  vit  dix- 
huit  cents  décès  de  tout  rang  et  de  tout  âge  (10  avril  1832). 
On  eût  dit  les  funérailles  de  tout  un  peuple.  Belzunce  du 
dix-neuvième  siècle,  M^'  de  Quélen  sort  de  sa  retraite  h 
l'appel  du  fléau,  qui  est  pour  lui  la  voix  de  Dieu.  Il  se 
montre  plus  majestueux  qu'au  temps  de  sa  prospérité;  il 
ne  craint  ni  les  flots  soulevés  naguère  contre  lui,  ni  la 
faux  de  la  mort,  qui  frappait  au  hasard  la  vcitu  comme  le 
crime,  sans  distinction  d'âge  ni  de  position.  Il  dirige  ses 

*  Ne  faut-il  pas  être  aveugle  de  l'aveuglement  du  siècle  des 
lumières,  pour  ne  pas  voir  la  justice  divine  dans  ces  HUIT 
MILLE  héros  ou  décorés  de  Juillet,  abaltcurs  de  croix,  profa- 
nateurs ou  pillards  d'églises,  frappés  à  Paris  parmi  quarante  à 
cinquante  mille  victimes,  tandis  que,  parmi  ce  clergé  si  nom- 
breux, si  zélé  et  si  exposé,  et  cette  multitude  de  sœurs  de  cha- 
rité, si  intrépidement  dévouées,  on  ne  compte  que  DLUX 
religieuses  qui  aient  succombé,  et  CilS'Q  prôtres,  dont  eacora 
deux  vieillards  et  deux  iiilinaes  I... 


LA  RÉVOLUTION   DE   JUILLET  1830.  36o 

pas  vers  les  hôpitaux,  où  les  moribonds  étaient  amenés  de 
toutes  p'arts,  dans  ces  salles  encombrées  où  chaque  minute 
entendait  un  dernier  soupir.  Tous  les  cœurs  s'émurent,  des 
pleurs  coulèrent  de  tous  les  yeux.  Au  chevet  des  pères  et 
des  mères  qui  lui  recommandaient  leurs  enfants,  aux  cris 
lamentables  de  l'agonie,  en  pressant  les  mains  glacées  des 
malheureux  cholériques,  en  recueillant  leur  dernier  souffle, 
M*'  de  Quélen  promit  d'être  le  père  de  tant  d'orphelins  *. 
Le  28  décembre  1832,  il  parut  en  public  pour  la  première 
fois  depuis  le  pillage  de  l'archevêché.  L'église  de  Saint- 
Roch,  où  l'héroïque  prélat  devait  prêcher,  fut  assiégée 
dès  le  matin  par  les  flots  pressés  de  la  multitude  qui  inon- 
dait les  avenues  du  saint  lieu.  Bientôt  tous  les  yeux,  tour- 

1  Plusieurs  de  ces  malheureux  avouaient  en  pleurant  à 
Me^  de  Quélen  qu'ils  avaient  pris  part  au  pillage  de  l'arche- 
vêché et  à  toutes  les  scènes  d'horreur  qui  l'accompagnèrent. 
«  Nous  ne  vous  connaissions  pas  alors,  lui  disaient-ils  en  fon- 
dant en  larmes,  on  nous  avait  égarés.  »  L'héroïque  prélat  les 
consolait,  calmait  leurs  remords  par  les  assurances  mille  fois 
Féilérées  de  son  pardon,  et  soulageait  leur  douleur  par  ses  pa- 
ternelles consolations.  Il  ne  se  vengeait  qu'en  redoublant  de 
charité  et  de  tendresse. 

Parmi  les  objets  de  prix  que  renfermait  l'archevêché,  il  y 
avait  encore  une  petite  croix  ornée  de  diamants  et  où  était 
enchâssée  une  parcelle  de  la  vraie  croix  ;  elle  avait  appartenu 
à  la  reine  Anne  d'Autriche,  qui  la  portait  habituellement.  Elle 
disparut  dans  la  dévastation,  mais  fut  rendue  plus  tard,  pen- 
dant les  ravages  du  choléra.  Un  malade  qui  se  confessa  ne 
voulut  pas  mourir  avec  cette  croix  accusatrice,  et  demanda 
qu'elle  fût  restituée  au  véritable  propriélaire.  La  plupart  des 
diamants  avaient  disparu,  mais  la  parcelle  de  la  vraie  croix 
était  restée  intacte. 

A  peu  près  dans  le  même  temps,  un  calice  et  deux  patènes 
venant  aussi  de  l'archevêché  furent  restitués.  Ces  objets  se 
trouvaient  dans  un  tel  état,  qu'on  pouvait  à  peine  recûunaître 
leui-  première  destination.  On  avait  dénaturé  la  forme,  mais 
au  moins  la  matière  était  conservée. 

{L'Av.ri  de  larcU(/iun.  t.  LWII,  p.  214.) 


366  LA  ftévoLunoN  de  juillet  t830. 

Hos  v«rs  la  chaire  sainte,  annoncent  l'arrivée  du  pontife*. 
A  la  vue  de  cette  noble  figure,  pàlic  pa?  la  douleur,  vieillie 
par  la  souffi-ance,  mais  toujours  douce  autant  que  majes- 
tueuse, l'émotion  fut  unanime  et  profonde  ;  lui-même,  à 
l'aspect  de  cet  immense  concours  de  fidèles  assemblés 
pour  le  revoir,  pour  l'entendre,  ne  put  retenir  ses  larmes. 
Sa  voix,  d'abord  altérée,  s'affermit  peu  à  peu  sans  rien 
perdre  de  son  onction;  pas  un  mot  d'amertume,  pas  un 
souvenir  du  passé  ne  s'échappa  de  ses  lèvres  :  comme 
saint  Vincent  de  Paul,  il  avait  à  plaider  la  cause  des  orphe- 
lins, il  ne  s'occupa  que  d'eux.  Lorsque  le  saint  archevêque 
descendit  de  la  chaire,  il  vit  cette  foule  émue,  empressée, 
qui  l'étouffait  presque,  s'agenouiller  sous  ses  bénédictions. 
Quatre-vingt  mille  francs,  fruit  de  la  quête,  remis,  le  soir 
de  ce  beau  jour,  entre  les  mains  du  prélat,  inaugurèrent 
l'œuvre  des  Orphelins  du  choléra;  elle  versa,  dans  le  cours 
de  son  existence,  plus  d'un  million  dans  le  sein  des  mal- 
heureux. 

Chât«I,  primat  de  l'Eglise  franchise. 

Le  gouvernement  de  Juillet,  qui  laissait  traquer  le  noble 
archevêque  de  Paris  par  la  lie  de  la  populace,  encoura- 
geait les  projets  d'une  espèce  de  saltimbanque  qui  se  pro- 
posait encore  une  fois  de  réformer  la  sainte  Eglise  et  de  la 
mettre  au  niveau  du  siècle'.  Voici  quelques  détails  bio- 
graphiques sur  ce  plaisant  personnage  : 

Châtel,  né  à  Gannat  et  ordonné  prêtre  à  Glermont,  alors 

*  Voyez  l'Histoire  de  l'Eglise,   par  l'abbé  Darras. 

2  Nous  ne  ferons  pas  à  M.  Châtel  l'honneur  de  le  comparer 
à  Luther.  Qu'est-ce  que  ce  pygmée  du  schisme  près  du  gigan- 
tesque sectaire  qui  remua  l'Lurope  au  xvi"  siècle  ?  Quand  le 
lion,  sur  le  soir,  sort  do  son  autre,  rugit  et  déchire  sa  proie, 
il  y  a  des  animaux  lâches  qui  le  suivent  de  loin  pour  lécher  à 
terre  les  gouttes  de  sang  çà  et  là  sur  ses  traces. 

{L'Avenir,  19  avriH831.) 


LA   RÉVOLUTION   DE   JUILLET    1830.  3G7 

que  le  diocèse  de  Moulins  n'était  pas  encore  rétabli,  devint 
aumônier  d'un  régiment  de  carabiniers  de  la  garde  royale. 
Dans  les  différents  séjours  de  garnison  qu'il  fit  à  Versailles 
et  à  Meaux,  on  put  pressentir  en  lui  les  dispositions  du 
futur  primat  de  l'Eglise  française.  En  1826,  comme  il  prê- 
chait la  station  du  carême  à  la  cathédrale  de  Meaux, 
M.  Féry,  supérieur  du  grand  séminaire,  auquel  l'évêque 
demandait  ce  qu'il  pensait  de  l'orateur,  répondit  :  *  Mon- 
seigneur, je  ne  sais  trop  pourquoi,  mais  cette  bouche,  en 
prêchant  la  vérité,  me  paraît  menteuse.  »  On  a  dit  que 
Châtel  fit  le  coup  de  fusil  en  1830.  Ce  qui  est  plus  certain, 
c'est  qu'au  moment  de  l'insurrection,  il  essaya  de  faire  un 
journal,  et  Paris  vit  ses  murs  tapissés  du  prospectus  sur 
lequel  il  s'était  fait  dessiner  en  soutane  et  en  manteau 
long,  donnant  la  main  h  un  patriote  h  qui  il  disait  :  «  Je 
suis  prêtre,  mais  tolérant,  »  et  qui  lui  répondait  :  «  Je 
vous  cherchais.  »  Alors  Châtel  imagina  de  s'o/frir  gratuite- 
ment à  quelques  maires  qui  se  trouvaient  avoir  des  discus- 
sions avec  leur  curé  et  leur  évêque  ;  bien  qu'annoncé  dans 
tous  les  journaux,  cet  essai  n'eut  pas  non  plus  de  succès. 
L'ancien  aumônier  de  régiment  voulait  ouvrir  à  Paris,  rue 
Sainte-Avoie,  une  espèce  de  culte,  attirant  le  peuple  par  la 
promesse  de  cérémonies  et  de  prières  gratis  et  en  français. 
C'est  après  avoir  obtenu  de  M.  0.  Barrot,  alors  préfet  de  la 
Seine,  cette  réponse  :  Agissez,  Monsieur  l'abbé,  vous  avez  la 
LOI  POUR  vous,  que  le  prêtre  égaré  publia  que,  le  dimanche 
23  janvier  1831,  il  inaugurerait  une  chapelle  qu'il  appelait 
catholique  française  ;  comme  si  la  dénomination  limitative 
de  française  ne  faisait  pas  mentir  l'épithète  de  catholique 
ou  universelle.  Cette  chapelle  était  une  chambre  au  deuxième 
étage,  rue  de  la  Sourdière,  près  Saint-Roch.  Ceux  qui  y 
suivirent  le  parodiste  sacrilège  n'avaient  ni  enthousiasme, 
ni  foi,  ni  rien  qui  ressemblât  même  de  loin  au  fanatisme 
qui  fait  les  hérésies  et  les  schismes.  Auzou,  renvoyé  de 


368  LA  RévOLUTION  DE  JUILLET  iS36. 

Versailles,  où  la  poHce  avait  eu  à  s'occuper  de  lui,  acteur 
des  théâtres  de  la  banlieue,  vivant  assez  misérablement 
aux  alentours  de  l'Ecole-Militaire  de  Paris,  était  venu  ser- 
VH.  d  acolyte  à  l'apostat.  Blachère,  qui  ne  savait  non  plus 
où  douner  de  la  tête  après  ses  non-succès  de  vocation 
ecclésiastique  à  Viviers,  au  collège  Stanislas  et  à  Meaux, 
s  associa  aussi  à  cette  déplorable  entreprise  de  culte^  A 
un  et  a  1  autre  Châtel  donna  le  vivre  et  le  couvert.  Tous 
trois  Ils  redigèrent  et  signèrent  une  profession  de  foi  qui 
fit  dire  que  si  les  fondateurs  de  l'Eglise  française  n'étaient 
pas  plus  forts  en  théologie  que  sur  notre  langue,  il  n'v 
avait  pas  lieu  à  leur  prédire  du  succès.  Ils  obtinrent  au 
moins  le  scandale.  L'usage  de  la  langue  vulgaire  dans  les 
offices  n  était  de  la  part  des  novateurs  qu'un  plagiat  ridi- 
cule. L  Eglise  constitutionnelle,  dont  Châtel  copiait  la 
nturgie  lui  fournit,  dans  la  personne  de  Thomas-Just  du 
Foulard,  ancien  évêque  de  Saône-et-Loire,  le  moyen  de  se 
recruter  *.  *^ 

'  Ils  disaient  la  messe  et  administraient  les  sacrements  en 
langue  vulgaire.  Leur  vénération  pour  les  saints  se  boniait^ 

da  ent  le  cehbat  des  prêtres  comme  opposé  à  l'esprit  6^1  la 
ettre  de  1  Evangile.  «  C'est,  disaient-ilsflm  état  con^tre  natur 
tant  que  les  prêtres  ne  seront  pas  mariés,  la  relig  o  f  p5  h^ 

'oc-ar  rrVrr^ÏH '^''"^:;'^'  ""^^-J^^  de^pertu'rbat^ 
bociale  ,.  etc  Les  prédications  de  Châtel  n'étaient  le  plus 
souvent,  que  des  déclamations  contre  tout  ce  qui  est  vénéré 
par  les  catholiques.  Il  mêlait  au  dogme  la  poli  gue  e 
blasphème    le  ridicule    Un  jour,  il  annonça  qu'i^p  r  S  de 

des  bouquets  à  toutes  les  dames.  11  admettait  à  la  première 

traTtTeZw ';-^  '"'"'^"°"  ^^  ^^"^  préparation;  il  En  ! 
trait  de  même  les  sacrements  de  Confirmation  et  de  Mariage. 

Ja      ,."//"*  '^''°"'  ^  "ï'^^ï    degré   d'abjection  peut  dos 
piacarclce  en  i8*2  aux  coins  des  rues  delà  capitale  • 
«Sûireo  maçonnique,  dramatique  etphilanthropique,  donnée 


LA  RÉVOLUTION  DE   JUILLET   1830.  369 

Nous  ne  parlerons  pas  de  personnages  divers  qui  con- 
coururent successivement  aux  scandales  de  l'abbé  Châtel; 
de  la  séparation  d'Auzou  d'avec  le  primat;  de  l'établisse- 
ment, aussi  ridicule  que  sacrilège,  de  V Eglise  presbytérienne 
française  sur  le  boulevard  Saint-Denis;  de  la  fin  de  cette 
entreprise,  suivie  de  la  pénitence  et  de  la  rétractation  de 
son  auteur;  de  la  rétractation  de  Blachère  et  de  sa  rechute 
déplorable.  En  vain,  le  jour  de  l'Assomption  1832,  M^'  de 
Quélen,  archevêque  de  Paris,  écrivait-il  à  Châtel  :  l'apostat 
ne  sut  comprendre  la  lettre  du  premier  pasteur;  il  la  com- 
menta avec  ses  sarcasmes  et  ses  blasphèmes  accoutumés, 
dans  sa  chaire  du  faubourg  Saint-Martin,  dernier  asile  de 
l'Eglise  catholique  française.  Mais  ce  que  pendant  tant  d'an- 
nées il  refusa  d'accorder  aux  invitations  de  son  archevêque, 
le  prétendu  primat  se  vit  forcé  enfin  de  le  céder  à  la  force 
publique.  Grâce  à  l'imprudente  protection  du  pouvoir,  il 
avait  pu  continuer  ses  parodies  scandaleuses  jusqu'à  la  fin 

par  la  loge  des  Hospitaliers  de  la  Palestine,  en  son  local,  rue  de 
Grenelle-Saint-Honoré,  45,  au  bénéfice  de  F.\  ***,  ancien 
vén.-.  et  ex-artiste  du  théâtre...  Lesdeux  Francs-Maçons,  drame 
en  trois  actes,  de  PeJletier-Volmeranges.  Les  principaux  rôles 
seront  joués  parles  FF.*.  Lepeintre  aîné,  artiste  du  théâtre  des 
Variétés  ;  Granger,  ex-artiste  du  théâtre  de  la  Porte-Saint- 
Martin;  M'^^  Dupont,  du  théâtre  de  l'Ambigu,  et  M^'^  Potel,, 
élève  du  Conservatoire.  Les  autres  rôles  seront  joués  par  les 
artistes  de  la  capitale.  Précédé  du  Solitaire  ou  \'Hom7ne-Mélo- 
drame,  intermède  orné  de  nouveaux  rébus,  composé  et  exécuté 
par  Odry,  artiste  du  théâtre  des  Variétés.  La  séance  sera  ou- 
verte et  présidée  par  le  F.*.  Guerineau,  vén.*.  de  la  loge.  Immé- 
diatement après  l'ouverture,  il  sera  fait  un  discours  sur  la 
philanthropie  parle  F.*.  Châtel,  primat  de  l'Eglise  française. 
La  soirée  se  terminera  par  un  bal  de  nuit,  dont  l'orchestre 
sera  dirigé  par  M***.  Une  mise  décente,  mais  non  recherchée, 
est  de  l'igueur.  Les  maçons  seront  en  costume.  Les  personnes 
qui  ne  sont  point  francs-maçons  peuvent  y  assister.  Le  prix  des 
billets  sera  pour  un  cavalier,  1  fr.  50  c.  ;  pour  une  dame, 
i  fr.  » 

16 


370  LA  RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

de  1842.  Le  préfet  de  police  fit  alors  mettre  les  scellés  sur 
cette  école  d'impiété  et  de  dépravation.  Dans  les  diocèses 
de  Langres,  de  Limoges  et  de  Nantes,  les  préfets  fermèrent 
les  succursales  de  la  primatiale  de  Paris,  et  ces  mesures 
s'accomplirent  sans  autres  réclamations  de  la  part  du  fon- 
dateur entêté  de  l'Eglise  catholique  française  qu'une  pétition 
adressée  aux  deux  Chambres  législatives.  Voilà  où  aboutit 
une  tentative  insensée,  preuve  nouvelle  de  l'impuissance 
de  l'ennemi  contre  la  religion  de  Jésus-Christ. 

L'ex-primat  de  l'Eglise  française  obtint  alors  un  emploi 
dans  les  postes;  mais  en  1848  il  reparut  comme  orateur  de 
club,  et  vécut  dans  la  misère  jusqu'il  sa  mort,  en  1857. 

E<es  abatteam  de  eroix. 

Après  les  jours  néfastes  de  la  grande  Révolution,  qui  fit 
tant  de  ruines  dans  notre  belle  patrie,  tous  les  signes  exté- 
rieurs de  notre  sainte  religion  furent  rétablis.  Le  blasphème 
avait  fait,  pendant  la  Révolution,  des  ravages  terribles  :  on 
le  flétrit  dans  toute  bouche  qui  se  respectait,  ce  qui  porta 
les  mauvais  k  multiplier  les  leurs.  L'abstinence  du  ven- 
dredi, du  samedi,  des  veilles  de  fête  et  du  Carême  rentra 
dans  l'usage  général.  Les  nombreuses  statues  de  saints 
placées  jadis  au  coin  des  maisons,  à  l'angle  des  rues,  et 
qu'on  avait  brisées  ou  cachées,  furent  installées  de  nou- 
veau où  la  piété  des  pères  les  avait  honorées.  Les  croix 
des  chemins  reparurent  en  grand  nombre,  ornées  de  cru- 
cifix dont  la  vue  rappelle  à  Dieu,  et  alors  invitait  les  âmes 
à  la  pénitence  après  tant  de  sacrilèges  et  d'erreurs.  Chacun 
faisait  mi  signe  de  croix  en  passant  auprès  d'elles,  et,  si 
c'était  en  accompagnant  un  mort  à  sa  dernière  demeure, 
on  attachait  à  la  grande  croix  une  autre  petite  croix  de 
bois  qui  semblait  répéter  nuit  et  jour  au  Seigneur  :  «  0 
Jésus,  vous  êtes  mort  pour  cette  âme,  sauvez-la  I  »  La 


LA  RÉVOWmO»  M  JH1U,ET  i830.  371 

belle,  la  tottchante,  i'évan§éli(nie  pratique,  que  ces  images 
du  Sauveur  disposées  de  toutes  parts  pour  fa-ire  souvenir 
le  voyageur  de  son  pèlerinage  vers  le  ciel  et  de  la  soumis- 
sion avec  laquelle  il  doit  ^eepter  le  travail,  tes  sueurs  et 
les  peines  de  la  vk*. 

«  Je  te  salae,  ô  croix,  noire  uaïque  espoir  !  Afferims  les 
bons,  pardonne  aux  coupables,  rends-nous  dignes  de  toi.  » 
Les  histoires  au4ti«îtiques  ne  manquent  point  pour  exciter 


*  Les  héros  de  Juillet,  comme  on  l«s  appelait  alors,  d'accord 
avec  1«  gouvernement,  brisèrent  les  croix  que  nos  ancêtres 
vénéraient.  Voici  en  quels  termes  le  jeune  comte  de  Monta- 
kmbert  protestait  contre  ces  abominables  sacrilèges  :  «  Il  s'est 
trouvé  dan»  le  monde  um  peuple  qui  s'est  proclamé  le  pontife 
de  la  civilisation,  le  Hbérateitr  des  nations,  le  maître  de  l'a- 
venir ;  et  ce  peuple  a  brisé  la  creix...;  la  garde  nationale  a  to- 
léré cette  profanation,  l'autorité  l'a  encouragée  et  la  société 
l'accueillit  avec  une  glaciale  indifférence  ou  une  pitié  dérisoire. 
Ce  sacrifice,  ce  dernier  sacrifice  entrait  sans  doute  dans  la  vue 
de  Dieu,  et  Celui  qui  nous  a  interdit  jusqu'au  désir  de  la  ven- 
geance, se  chargera  sans  doute  du  châtiment.  Mais,  nous  l'a- 
vouons, nous  eussions  voulu  que  ce  calice  nous  fût  épargné, 
qu'on  nous  eût  laissé  le  privilège  de  vénérer  extérieurement 
l'emblème  sacré  de  notre  foi,  d'y  tourner  quelquefois  nos  yeux 
fatigués  du  moftde.  Nous  savons  que  la  vie  nous  a  été  donnée 
à  une  époque  de  sacrifices  et  d'épreuves;  si  nous  n'étions 
qu'hommes,  nous  oserions  à  peiae  nous  plaindre  de  la  vue 
d'un  roi  forcé  de  renoncer  à  ses  armoiries,  forcé  d'abdiquer 
l'honneur  de  ses  ancêtres  et  huit  siècles  de  gloire  nationale, 
forcé  de  dire  adieu  à  ces  insignes  que  le  monde  ne  comprend 
plus  guère,  mais  auquel  on  tient  comme  à  ces  amis  vieux  et 
délaissés,  que  l'on  chérit  à  cause  même  de  leur  abandon  et  de 
leur  vieillesse  ;  mais  nous  sommes  de  plus  chrétiens,  et  nous 
croyons  notre  infortune  et  notre  ignominie  plus  grande  que  la 
sienne.  Notre  cœur  se  soulève  à  la  pensée  de  cet  affront,  et  nous 
nous  écrions  avec  un  généreux  compagnon  de  nos  luttes  et  de 
nos  croyances  :  «  Remplacez  ces  croix  d'or  par  des  croix  de 
»  bais;  qu  H  y  ait  quelque  chose  entre  Paris  et  le  ciel  pour  ea 
»  détourner  la  foudre.  » 


372  LA   RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

cette  sainte  dévotion  :  on  sait  qu'en  mille  circonstances, 
dans  le  pays  même,  les  abatteurs  de  croix  ont  presque 
tous  fini  misérablement.  Les  traits  que  l'on  en  raconte  for- 
meraient un  volume. 


Proranation  d'une  croix  pnnie  en  ce  monde. 

Au  sortir  de  notre  Révolution,  un  respectable  ecclésias- 
tique travaillait  au  salut  des  âmes  dans  un  hôpital,  et  pro- 
diguait les  secours  et  les  consolations  de  la  religion  aux 
malades  et  aux  blessés  qui  s'y  trouvaient  en  grand  nombre. 
On  lui  parla  d'un  soldat  dont  la  vie  paraissait  un  prodige 
dans  l'état  de  mutilation  où  il  était.  Il  eut  la  curiosité  de 
le  voir.  Il  s'approche;  il  aperçoit  un  homme  dont  la  figure 
portait  l'empreinte  d'un  grand  calme.  *  Mon  ami,  lui  dit-il, 
on  m'a  dit  que  vos  blessures  étaient  très-graves.  »  Le  ma- 
lade sourit  :  »  Monsieur,  répondit-il,  levez  un  peu  la  cou- 
verture. »  Il  la  lève  et  recule  d'horreur  en  voyant  que  cet 
infortuné  n'a  plus  de  bras.  «  Quoi  I  lui  dit  alors  le  blessé, 
vous  reculez  pour  si  peu  de  chose?  Levez  la  couverture  aux 
pieds.  »  Il  la  lève  et  voit  qu'il  n'a  plus  de  jambes.  «  Ah  I 
mon  enfant,  s'écrie  le  charitable  ministre,  combien  je  vous 
plains!  —  Non,  répond  le  malade,  ne  me  plaignez  pas,  mon 
père  ;  je  n'ai  que  ce  que  je  mérite  :  c'est  ainsi  que  j'ai  traité 
un  crucifix.  Je  me  rendais  à  l'armée  avec  mes  camarades; 
nous  rencontrâmes  sur  la  route  une  croix  qui  avait  échappé 
à  la  fureur  des  patriotes  :  aussitôt  on  se  mit  en  devoir  de 
l'abattre.  Je  fus  un  des  plus  empressés;  je  montai,  et  avec 
mon  sabre  je  brisai  les  bras  et  les  jambes  du  crucifix,  et  il 
tomba.  A  mon  arrivée  au  camp,  on  livra  bataille,  et  dès  la 
première  décharge,  je  fus  réduit  à  l'état  où  vous  me  voyez. 
Mais  Dieu  soit  béni,  qui  punit  mon  sacrilège  en  ce  monde 
pour  m'épargner  en  l'autre,  comme  je  l'espère  de  sa  grande 
miséricorde.  »  (Retraite  du  P.  Siniscakin.) 


LA   RÉVOLUTrON    DE    JUILLET    1830.  373 

Impies  frappés  de  BMtrt* 

Une  personne  très-hoaorable  nous  a  adressé  le  trait  sui- 
vant : 

«  En  l'année  4848,  alors  qiie  la  Révolution  semblait 
vouloir  tout  envahM"  et  réduire  au  même  niveau,  dans  un 
des  bourgs  du  département  de  h.  Loire,  trois  jeunes  gens, 
après  avoir  planté  l'arbre  de  la  liberté,  voulurent  le  faire 
bénir  et  firent  toutes  les  tentatives  possibles  auprès  des 
pasteurs  de  leurs  paroisses:  démarches  qui  furent  inu- 
tiles, car  l'autorité  ecclésiastique  s'y  refusa  complètement. 
Alors  l'un  d'eux  prit  la  parole  au  milieu  de  toute  l'assem- 
blée qui  l'entourait,  et  après  avoir  prononcé  quelques  pa 
rôles  injurieuses  à  Dieu  et  à  ses  ministres,  il  déclara  qu'il 
bénirait  lui-même  l'arbre  de  la  liberté,  et  il  se  mit  aussitôt 
en  devoir  de  procéder  à  la  cérémonie.  Il  se  fait  apporter 
de  l'eau  et  une  branche  verte  pour  lui  servir  d'aspersoir, 
qu'il  trempe  dans  l'eau,  après  quoi  il  lève  le  bras  pour 
bénir  l'arbre.  Mais  le  Dieu  vengeur  l'a  entendu  :  il  tombe 
mort  au  pied  de  l'arbre...  La  foule  qui  l'entoure  est  terri- 
fiée ;  elle  reconnaît  la  main  qui  vient  de  frapper  le  sacri- 
lège. Quant  à  ses  deux  compagnons,  ils  reconnaissent  leur 
faute  et  retournent  au  presbytère  faire  leurs  excuses  aux 
ministres  du  Seigneur. 

—  Un  malheureux,  à  Angers,  dans  un  accès  de  fièvre 
irréligieuse,  conçut  le  projet  d'aller  placer  un  drapeau 
tricolore  sur  la  tête  d'un  Christ;  mais  la  grille  en  fer  qui 
environnait  le  monument  l'ayant  empêché  de  pénétrer  dans 
l'enceinte,  il  remit  à  un  autre  moment  cet  acte  d'impiété. 
Deux  jours  après,  on  l'entendit  tout-à-coup  s'écrier  :  «  Je 
brûle I  je  brûle!  »  M.  le  curé,  appelé,  vint  aussitôt,  mais  il 
ne  put  rien  tirer  de  cet  infortuné,  tout  entier  à  sa  douleur, 
et  s' écriant  sans  cesse  :  «  Je  brûle  t  je  brûle?  »  Au  bout  de 


374  LA    RÉVOLUTION    DE   JUILLET    4830. 

deux  heures,  il  mourut,  poussant  toujours  le  même  cri  de 
désespoir. 

—  A  Beaune,  en  Bourgogne,  on  avait  appelé,  pour 
abattre  la  croix,  un  charpentier  d'une  petite  ville  des  en» 
virons.  S'en  retournant  chez  lui,  après  cette  profanation, 
avec  des  personnes  de  sa  connaissance,  il  se  vantait, 
comme  d'une  prouesse,  d'avoir  déjà  fait  trois  expéditions 
de  ce  genre  et  de  ne  pas  se  porter  plus  mal.  Toutefois 
l'éternité  allait  s'ouvrir  pour  lui  effectivement;  à  peine 
avait-il  mis  le  pied  sur  le  seuil  de  sa  porte,  qu'il  tomba 
mort  et  alla  rendre  h  Dieu  compte  de  son  audace. 

La  peine  da  talion. 

On  lit  dans  le  Drapeau  tyrolien  du  mois  de  janvier  i'867  : 
«  Un  chapelain,  visitant  l'hôpital  de  Trautenau,  trouva 
là,  parmi  nombre  de  blessés,  un  soldat  prussien  qui  avait 
eu  les  deux  bras  emportés  dans  une  des  premières  batailles 
de  la  campagne  de  Bohême.  Le  prêtre,  s'apitoyant  sur  son 
malheur,  essaya  d'encourager  et  de  consoler  cet  infwtuné 
en  l'exhortant  à  la  résignation  aux  volontés  d'en  haut.  En- 
tendant ces  paroles,  le  blessé  fit  un  effort  et  se  mit  sur  son 
séant  :  «  Il  est  bien  juste,  prononça-t-il  d'une  voix  émue, 
que  je  me  soumette  à  la  volonté  de  Dieu  ;  car  je  subis  le 
juste  châtiment  d'un  grand  crime  que  j'ai  commis.  Lorsque 
j'entrai  avec  mon  régiment  sur  le  territoire  autrichien,  nous 
rencontrâmes  une  croix  sur  la  route;  je  tirai  mon  sabre,  et 
j'abattis  les  deux  bras  du  crucifix.  Dieu  est  juste  :  il  m'a 
infligé  le  même  traitement.  Puisse  ma  punition  servir  à  ex- 
pier mon  impiété  passée  1  » 

Terribles  punitions  iuflig^ées  aux  proranaicnrs  des  croix* 

A  l'époque  de  la  révolution  de  1830,  pendant  laquelle 
on  abattit  un  si  grand  nombre  de  croix  de  mission,  à  Reims 


LA  RÉVOLUTION   DE   JUILLETT   1830.  375 

l'impiété  se  signala  par  des  raffinements  atroces  dans  cette 
circonstance. 

On  cite  à  ce  sujet  le  trait  suivant  : 

Un  infoi-tuné  qui,  pour  se  procurer  le  criminel  plaisir  de 
voir  disparaître  ce  signe  de  salut,  avait  soudoyé  des  misé- 
rables, fut  pett  de  temps  après  mordu  par  son  chien,  et 
mourut  dans  \m.  ^^oleHt  accès  de  rage. 

Un  de  ces  hommes  qui,  bien  payé,  concourut  à  cette 
opération  révoltante,  tomba  de  la  fenêtre  d'un  étage  supé- 
rieur et  se  brisa  dans  sa  chute. 

Un  second  périt  subitement  dans  les  douleurs  aiguës 
d'une  colique  néphrétique. 

\ki  troisième,  au  moment  où  les  journaux  publiaient  ces 
terribles  nouvelles,  était  h  l' Hôtel-Dieu,  en  proie  t\  d'af- 
freuses sôtiffrances,  et  implorait  à  grands  cris  le  pardon 
de  son  crime.  {Quotidienm,  1"  octobre  1830.) 

—  A  Narbonne,  même  attentat,  suivi  de  malheurs  à  peu 
près  semblables.  L'un  de  ceux  qui  vomissaient  avec  le  plus 
de  fureur  des  imprécations  contre  la  croix,  au  moment  où 
elle  tombait  de  son  piédestal,  perdait  son  sang  par  la 
bouche,  par  le  nez,  et  même  par  les  yeux.  Deux  autres 
aussi  périrent  misérablement;  un  autre  aussi  a  été  frappé 
d'une  cécité  complète. 

(Quotidienne,  2  et  3  novembre  1830.) 

—  Un  huissier  de  la  ville  de  Brou  (Eure-et-Loir)  dé- 
chargea son  fusil  sur  le  calvaire  de  ce  lieu.  A  l'instant 
même  les  douleurs  les  pkis  aiguës  le  saisirent  dans  la 
partie  du  corps  correspondant  h  celle  où  le  plomb  avait 
frappé  l'image  du  Rédempteur.  Toutes  les  ressources  de 
l'art  furent  impuissantes;  il  succomba.  U  conjura  le  Sei- 
gneur avec  instances  de  lui  paixionner;  espérons  qu'il 
aura  cAtenu  grâce  et  miséricorde. 

(Jmirnal  des  Villes  et  des  Campagnes,  7  mai  1832.) 


^'^  LA   RKVOLfTIO.\   DE   JUILLET   1830. 

ITn  Impie  mort  sar  le  conp. 

Une  dame  chrétienne  nous  a  adressé  la  lettre  suivante  : 

^r  .  .   .  «  Besançon,  20  octobre  1868. 

.^otrc  ouvrage  si  intéressant  sur  les  Ternbles  Châti- 
ments  des  Révolutionnaires  m'a  rappelé  une  lettre  de  mon 
fnVe  missionnaire  à  Siam;  elle  est  datée  de  mars  1853  II 
écrit  du  séminaire  des  Missions-Etrangères  de  Paris,  que  le 
mercredi  précédent,  comme  il  revenait  de  la  maison  de 
campagne  de  Meudon,  où  les  jeunes  aspirants  aux  missions 
vont  chaque  semaine  se  délasser  en  s'exerçant  à  la  marche 

I  vit  entre  Meudon  et  Paris,  la  croix  de  pierre  qui  avaii 
été  rétablie  sur  la  route,  entourée  de  gens  sans  aveu  et  à 
moitié  ivres,  disant  mille  sottises  à  qui  mieux  mieux,  non- 
seulement  aux  jeunes  abbés  qu'ils  voyaient  venir,  mais  au 
Christ  lui-même  étendu  sur  la  croix  de  pierre.  L'un  d'eux 

apostropha  ainsi  :  .  Ahl  tu  ne  dis  rien?  Attends,  je  vas 
te  faire  sauter... .  Et,  montant  sur  le  piédestal  de  la  croix 

II  1  ébranle  si  fort,  en  cherchant  à  la  briser,  qu'il  perd  pied 
et  tombe  à  la  renverse.  Ses  compagnons,  ne  le  voyant  pas 
se  relever,  s  écrient  :  .  Ah  I  poltron,  tu  as  peur?  Allons, 
marche  donc!  .  Il  ne  bouge  pas.  Alors  ils  avancent;  il^ 
lui  prennent  la  main,  essaient  de  le  relever;  ii  retombe 
inerte  :  il  était  mort!  La  colonne  vertébrale  s'était  brisée 
dans  sa  chute.  Cette  punition  fut  si  rapide,  que  les  sémi- 
naristes, qui  avaient  vu  la  profanation  de  la  croix  furent 
saisis  de  terreur  en  présence  du  cadavre  de  cet  impie  aue 
la  justice  de  Dieu  venait  de  frapper.  -  Dan^  la  me^me  se- 
maine,  les  pieux  habitants  du  pays  se  réunirent  et  entou. 
rèrent  d  hommages  la  croix  du  chemin,  comme  pour  faire 
amende  honorable  à  Dieu  de  tous  ces  outrages 

.  Ce  trait  a  été  rapporté  par  mon  frère,  le  P.  Joseph 
Ducat,  alors  aspirant  au  séminaire  des  Missions-Etran- 
^'''''''*  •  N.  Ducat.  . 


LA  RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830.  377 

Profanation   de  la    croix  de  Saint-S^aitl   (île  de  la  Méa- 
uion)  en  1S33.  —  Solennelle  réparation  en  flS®î>  ^ 

C'est  pendant  que  M.  l'abbé  Dalmond  était  à  Saint-Paul 
qu'arriva  dans  cette  ville  un  scandale  dont  les  plus  anciens 
paroissiens  ne  se  souviennent  qu'avec  horreur;  car  enfin  la 
colonie  n'est  pas  parfaite  sans  doute,  mais  nous  soutenons 
qu'il  y  a  peu  d'endroits  au  monde  où  la  crainte  de  Dieu 
soit  plus  enracinée  dans  les  cœurs. 

A  la  suite  d'un  jubilé  prêché  à  Saint-Paul  en  1828,  une 
croix  avait  été  plantée  sur  la  place  de  l'Eglise.  C'était  un 
digne  couronnement  et  un  touchant  mémorial  de  ce  temps 
de  grâce  et  de  bénédiction.  Les  habitants  de  Saint-Paul 
entouraient  de  vénération  ce  signe  adorable  de  notre  salut. 
Mais  voilà  que  tout-à-coup,  en  1831,  six  libertins,  dont  le 
cerveau  sans  doute  avait  été  troublé  autant  par  les  fumées 
des  liqueurs  enivrantes  que  par  le  récit  apporté  par  les 
feuilles  publiques  du  sac  de  l'archevêché  de  Paris  et  de 
Saint-Germain-l'Auxerrois,  veulent,  eux  aussi,  se  signaler 
par  un  sacrilège  complot,  celui  d'abattre,  pendant  la  nuit, 
la  croix  du  jubilé  de  leur  paroisse.  Ils  l'exécutent.  En 
apprenant  cet  attentat,  M^' Dalmond  tombe  dans  une  morne 
stupeur  :  «  Ah!  les  malheureux  !  s'écrie-t-il;  Dieu  ne  laisse 
pas  le  sacrilège  impuni  ;  ils  ne  savent  donc  pas  ce  qui  les 
attend?  Quelquefois,  il  est  vrai,  la  justice  de  Dieu,  qui  a 
l'éternité  à  son  service,  ne  se  presse  pas  pour  punir  ;  elle 
semble,  comme  dit  le  poète  latm,  poursuivre  le  coupable 
d'un  pied  boiteux.  Mais   quelquefois   aussi  elle  frappe 
comme  la  foudre.  »  M^'  Dalmond  prophétisait.  Peu  après, 
en  effet,  l'un  faisait  naufrage  sur  les  côtes  de  Manille  et 
tombait  sous  le  fer  d'un  assassin.  Un  autre  est  foudroyé 

»  Voyez  l'excellent  Almanach  religieux  de  l'île  de  la  Réunion 
pour  l'année  1867. 


378  LA   RéVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

au  milieu  d'un  affreux  orage.  Le  troisième,  se  reiKÎnTit  h 
Saint-Denis,  veut  traverser  à  gué  la  rivière  des  Galets; 
mais  le  torrent  l'emporte,  il  se  noie.  Le  cadavre  aurait  dû 
être  transporté  par  les  eaux  jusque  dans  la  mer;  mais,  au 
contraire,  il  est  poussé  sur  la  rive  droite  de  la  rivière,  et 
le  lendemain  on  le  trouve  dévoré  par  les  chiens.  La  tète 
seule  du  malheureux  avait  été  laissée  intacte;  c'est  par 
elle  qu'on  put  le  reconnaître.  Un  autre,  repris  de  justice, 
mourait  en  prison,  et  nul  n'osa  accompagner  sa  triste 
bière  à  sa  dernière  demeure.  Le  cinquième  tomba  dans  la 
plus  déplorable  imbécillité.  Il  perdit  la  parole,  qu'il  rem- 
plaça par  le  grognement  du  porc,  et  marchait  à  quatre 
pattes.  Il  mourut  comme  un  autre  célèbre  impie,  en  man- 
geant ses  excréments.  Trop  visible  punition  de  ceux  qui 
avaient  souillé  l'auguste  symbole  de  notre  rédemption.  Le 
sixième,  le  seul  qui  n'eût  pas  porté  la  main  sur  la  croix, 
mais  qui  faisait  le  guet  pendant  que  ses  camarades  l'abat- 
taient, est  encore  vivant.  Son  unique  occupation  est  de 
tracer  des  croix  sur  le  sable  et  de  répéter  en  les  traçant  : 
«  Ne  touchez  pas  à  la  croix,  cela  porte  malheur.  »  Que  le 
rationalisme  explique  ces  faits  comme  il  voudra;  pour 
nous,  nous  ne  pouvons  que  baisser  humblement  la  tète  et 
adorer  en  silence  la  justice  divine. 

{Vie  de  3/»'  Dalmond,  par  M^'  l'évèque  de  Saint-Denis.) 

—  Depuis  longtemps  la  chrétienne  population  de  Saint- 
Paul  désirait  qu'une  réparation  publique  vînt  effacer  cet 
outrage  public.  Il  lui  semblait  que  ce  crime,  auquel  ce- 
pendant elle  était  bien  étrangère,  restait  comme  une  tache 
sur  son  front.  Cette  réparation,  ardemment  et  légitime- 
ment désirée,  a  eu  lieu  le  30  novembre  1865,  jour  de  la 
clôture  du  jubilé. 

La  réparation  a  été  solennelle,  M.  le  maire  de  Saint- 
Paul  et  ses  adjoints  se  sont  fait  un  bonheur  d'entourer  la 


LA  RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830.  379 

solennité  du  30  novembre  de  toute  la  pompe  possible. 
M.  le  gouverneur,  sur  la  demande  qui  lui  en  avait  été  faite, 
s'est  empressé  de  permettre  à  la  milice  et  à  l'artillerie 
d'augmenter  par  leur  présence  l'éclat  de  la  fête.  M.  le 
commandant  Tricault  avait  fait  pavoiser  les  bâtiments  de 
la  station,  et  tous  les  navires  présents  sur  la  rade  de 
Saint-Paul  avaient  suivi  son  exemple  avec  empressement. 
La  ville  était  remplie  de  monde  et  avait  pris  un  air  de  fête 
et  d'animation  qui  ne  lui  est  pas  habituel. 

f  J'ai  eu  le  bonheur,  dit  un  témoin  oculaire,  de  me  trou- 
ver à  cette  cérémonie,  où  la  croix  s'est  élevée  sur  la  place  et 
devant  cette  foule  immense,  qui  est  tombée  à  genoux  comme 
poussée  par  une  commotion  électrique  ;  tous,  hommes  et 
femmes,  avaient  les  yeux  remplis  de  larmes.  Le  bruit  des 
cloches  et  du  canon,  les  harmonies  de  la  musique,  le  son 
des  clairons,  les  roulements  des  tambours,  les  chants  sa- 
crés, cette  foule  prosternée,  ces  yeux  baignés  de  larmes, 
oh  !  encore  une  fois,  quel  admirable  et  sublime  spectacle  I 
Je  crois  que  le  bon  Dieu  a  dû  être  content,  car  il  se  faisait 
ce  jour-là  un  acte  de  foi  bien  solennel.  » 

Sacrilège  panf. 

Pouyastruc  est  un  petit  bourg  des  environs  de  Tarbes. 
Là,  un  jeune  homme,  appelé  Dominique  Cùme,  menait 
une  vie  si  déréglée,  qu'il  était  devenu  la  désolation  et  la 
terreur  de  sa  famille.  La  gendarmerie  avait  été  plusieurs 
fois  obligée  d'intervenir  pour  empêcher  les  actes  de  vio- 
lence dont  il  menaçait  ses  parents  lorsqu'il  était  ivre.  Peu 
s'en  fallut  même,  une  fois,  qu'il  ne  tuât  son  oncle. 

Dans  la  soirée  du  31  décembre  1868,  la  tête  échauffée 
par  la  boisson,  il  se  présenta  chez  un  de  ses  cousins,  pré- 
tendant passer  la  nuit  dans  sa  maison.  Celui-ci,  qui  crai- 
gnait justement  un  hôte  si  dangereux,  essaya  de  s'en 


380  LA  RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

débarrasser.  Côme  se  relira  furieux,  et  s' armant  d'une 
massue,  il  s'en  alla  dans  un  cimetière  situé  près  de  là. 

On  l'entendit  bientôt  poussant  des  cris,  proférant  des 
blasphèmes  et  frappant,  à  coups  de  massue,  sur  la  croix 
qu'il  voulait  abattre.  Voyant  qu'elle  résistait,  il  grimpa  au 
sommet.  Soudain,  la  croix  tomba,  et  Côme,  tombant  avec 
elle,  fut  écrasé  et  resta  sur  le  sol. 

(L'Ere  impériale  de  Tarbes.) 

Treize  Impies  morts  à  rhôpital. 

«  J'étais,  dit  M.  l'abbé  Daux,  en  1827,  dans  une  ville 
épiscopale,  où  je  prêchais  le  jubilé.  Elle  avait  été  le 
théâtre  de  toutes  les  horreurs  pendant  le  règne  du  délire 
révolutionnaire.  Des  personnes  parfaitement  instruites  de 
ce  qui  s'était  passé  dans  ces  jours  de  funeste  mémoire  me 
donnèrent  les  détails  de  ces  scènes  abominables.  Seize 
bourgeois  s'y  étaient  signalés  par  un  zèle  diabolique  pour 
la  mutilation  et  le  renversement  de  la  croix  et  des  non>- 
breuses  statues  qui  ornaient  le  portail  et  l'intérieur  de  la 
cathédrale.  L'un  d'eux  souscrivit  à  cette  entreprise  crimi- 
nelle pour  la  somme  de  neuf  cents  francs;  c'était  attacher 
à  cette  œuvre  de  destruction  une  singulière  importance. 
A  partir  de  ce  moment,  la  malédiction  divine  sembla  s'at- 
tacher à  eux.  En  effet,  en  cette  année  1827,  treize  d'entre 
eux  étaient  déjà  morts  à  l'hôpital,  et  le  nom  de  celui  qui 
avait  fait  le  sacrifice  de  ses  neuf  cents  francs  se  trouvait, 
depuis  assez  longtemps,  inscrit  sur  les  registres  pour  y 
entrer  à  son  tour.  Les  deux  derniers  paraissaient  devoir 
bientôt  aller  frapper  à  la  môme  porte.  » 


LA  RÉVOLUTION  DE  JUILLET   1830.  381 


CHAPITRE  II. 

CHATIMENTS    DES    d'0RLÉAN3. 


Déjà  nous  avons  vu  le  choléra,  ce  te.-rible  fléau,  ministre 
des  vengeances  divines,  faire  expier  à  Paris  ses  profana- 
tions sacrilèges;  nous  allons  maintenant  voir  la  main  de  la 
justice  de  Lieu  s'appesantir  sur  la  famille  royale  elle- 
même,  qui  avait  encouragé  toutes  ces  impiétés. 

Au  milieu  des  événements  de  Juillet,  la  Révolution  avait 
établi  en  dogme  qu'afin  d'orléaniser  la  patrie  commune,  il 
fallait  la  protestantiser.  Dans  l'espoir  d'accomplir  cette 
œuvre  impossible,  Louis-Philippe,  qui  a  placé  sa  majesté 
sous  la  sauvegarde  d'une  loi,  permet  de  mêler  l'outrage  à 
l'encens  dû  à  son  Dieu.  Il  essaie,  par  des  subsides  publics 
ou  par  des  trames  occultes,  de  raviver  dans  le  royaume  le 
calvinisme  divisé  et  expirant,  dit  M.  Grétineau-Joly.  A 
l'ombre  de  la  liberté  des  cultes,  qui  n'existe  jamais  lorsque 
la  Révolution  se  charge  d'en  proclamer  et  d'en  applique? 
le  principe,  on  multiplia  les  temples  et  les  prêches  dans 
des  contrées  où  il  n'y  avait  que  de  très-rares  brebis  sépa- 
rées du  Pasteur.  On  les  combla  de  tendresses  administra- 
tives et  de  faveurs  budgétaires.  L'abbé  Chàtel  lui-même, 
sacré  primat  des  Gaules  par  un  pédicure,  grand-maître 
anonyme  des  templiers  de  la  droguerie  parisienne,  jouit, 
dans  les  beaux  jours  de  sa  religion  française,  de  la  faculté 
de  créer  des  renégats  et  de  se  composer  un  clergé  d'apos- 


882  LA   RévOLUTIOK   DE   lOILLET   1839 

tasie.  Lassé  de  tant  d'efforts  dont  la  dispendieuse  stérilité 
lui  devenait  à  charge,  Louis-Philippe  a  cru  que  le  pays  se 
conformerait  k  l'exemple  du  roi.  Déjà  ses  deux  filles  aînées, 
Louise  et  Marie  d'Orléans,  se  sont  vues  dans  la  nécessité 
d'épouser  Léopold  de  Cobourg  et  Alexandre  de  Wurtem- 
berg, deux  protestants.  Une  mort  prématurée  ne  tarda 
point  à  frapper  ces  princesses  ainsi  sacrifiées  à  la  raison 
d'Etat  orléaniste,  aux  mariages  mixtes  et  à  une  neutralité 
religieuse  dont  le  sceptiscime  a  quelque  chose  d'effrayant 
pour  la  foi  des  peuples  et  le  bonheur  des  familles'. 

Mort  dn  duc  d'Orléans. 

Madame  Amélie  éleva  ses  filles  chrétiennement,  nous 
pouvons  lui  rendre  cette  justice;  si  eWa  consentit  à  des 
unions  protestaBtes,  c'est  que  la  politique  le  demandait.  On 
a  dit  que  la  mue  des  Belges,  dont  tout  le  monde  admirait 
la  vraie  piété,  ne  pouvait  se  consoler  d'être  unie  à  un 
prince  hérétique.  Voici  ce  qu'écrivait  l'un  de  ses  frères  à 
l'occasion  de  la  mort  de  l'auguste  défunte  : 

«  Dieu  a  appesanti  sa  main  sur  nous,  et  nous  a  enlevé 
celle  qui  était  l'honneur  de  notre  famille,  la  consolation  de 
la  reine,  l'objet  de  la  vénération  de  tous.  Elle  est  morte 
avec  son  graiid  cœur,  ne  songeant  jusqu'au  derniei'  mo- 
ment qu'aux  autres.  Elle  a  accompli  sa  tâche  en  ce  monde; 
aucune  épreuve  ne  lui  a  été  épargnée,  et  c'est  ce  qui  l'a 


*  Deux  mariages  mixtes  attristèrentles  catholiques  de  France, 
La  Providence  s'est  prononcée  d'une  manière  qai  peut  servir 
de  leçon.  Le  2  janvier  1839,  la  princesse  Marie  meurt  à  Piso, 
moins  encore  de  maladie  que  de  douleur  d<î  se  voir  trompé© 
dans  ses  espéz'ances,  et  de  devcnif  inèi'c  non  pas  d'un  fils  de 
suint  Louis,  mais  d'un  protestant  wurtembergeois. 

(ROHRBACHËK.) 


LA   RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830.  383 

tuée.  Mais  au  moins  sa  mort  a  été  entom*ée  de  consola- 
tions. Elle  est  morte  heureuse,  heureuse  de  la  déchirante 
douleur  de  ce  mari  si  froid  d'ordinaire  et  qu'elle  aimait  si 
tendrement,  heureuse  de  nous  voir  tous  auprès  d'elle, 
heureuse,  après  une  vie  de  souffrance,  d'être  délivi'ée  de 
sa  tâche...  » 

Le  duc  d'Orléans,  héritier  présomptif  du  trône,  avait 
épousé  une  princesse  protestante  de  Mecklenbourg.  La 
France  catholique,  qui  empêcha  Henri  FV,  tant  qu'il  fut  hu- 
guenot, de  monter  sur  le  trône  de  saint  Louis,  quoiqu'il 
fût  de  sa  race,  la  France  catholique  voyait  avec  dégoût 
s'approcher  du  même  trône  une  huguenote  étrangère  venue 
d'Allemagne;  et  voilà  ce  qui  détourna  les  cœurs  de  s'atta- 
ciier  à  cette  famille.  En  revanche,  la  coterie  protestante 
s'insinuait  partout  avec  des  airs  de  triomphe.  Dans  plu- 
sieurs localités  où  les  protestants  ne  sont  pas  en  nombre 
légal  pour  avoir  un  seul  ministre,  ils  en  obtinrent  facile- 
ment plusieurs.  Vers  la  mi-juillet  1842,  ceux  de  Strasbourg 
paraissaient  rayonnants  de  joie.  La  protestante  duchesse 
d'Orléans  devait  y  venir  sous  peu  des  eaux  de  Plombières, 
accompagnée  de  son  époux,  pour  présider  à  l'installation 
des  diaconesses  protestantes.  On  parlait  quelquefois  de  lui 
donner  le  palais  bâti  par  les  anciens  évèques  de  Stras- 
bourg ;  le  bruit  courait  même  qu'on  ôterait  la  cathédrale 
aux  catholiques  pour  la  livrer  aux  protestants.  Ces  der- 
niers triomphaient.  Un  homme  catholique  du  peuple  leur 
dit  :  «  Ne  vous  y  fiez  pas  trop  ;  tôt  ou  tard  vous  verrez  que 
le  bon  Dieu  est  catholique.  «  Effectivement,  dès  le  13  juillet 
au  soir,  une  nouvelle  du  télégraphe,  comme  un  coup  de 
foudre,  changea  le  triomphe  des  prolestants  en  deuil  et 
consterna  les  catholiques  eux-mêmes  :  le  duc  d'Orléans, 
en  allant  de  Paris  à  Neuilly  faire  ses  adieux  à  ses  parents, 
s'est  tué  sur  le  chemin  de  la  Révolte,  en  sautant  de  sa  voi- 
ture, dont  les  chevaux  s'emportaient,  et  le  jour  fixé  pour 


384  LA   RÉVOLUTION   DE  JUILLET   1830. 

son  entrée  triomphale  à  Strasbourg  fut  le  jour  de  son  ser- 
vice funèbre  dans  la  cathédrale  *. 

M.  Crétineau-Joly,  à  l'occasion  de  cette  catastrophe,  a 
écrit  les  réflexions  suivantes  : 

t  Cette  lamentable  mort,  retentissant  comme  un  coup  de 
tonnerre  dans  un  ciel  serein,  fut  pour  la  famille  d'Orléans 
une  douleur  aussi  légitime  que  profonde.  Il  y  eut  bien  des 
larmes  versées  autour  de  ce  corps  si  prématurément  re- 
froidi, et  la  France  s'associa  par  des  paroles  de  compassion 
à  un  deuil  royal  qui  était  le  précurseur  de  celui  de  la 

*  On  lit  dans  la  Vie  de  M°»«  Amélie,  écrite  par  M.  Trognon, 
sur  la  demande  des  princes  d'Orléans  : 

«  La  mort  du  duc  d'Orléans  eut  dans  la  vie  de  sa  mère  un 
long  retentissement.  Ce  coup,  d'une  soudaineté  si  lamentable, 
ne  laissait  pas  à  la  reine  la  consolation  qui  avait  adouci  pour 
elle  la  mort  de  la  princesse  Marie  :  l'inquiétude  pour  l'âme  de 
sou  fils  était  une  plaie  qui  lui  restait  au  fond  du  cœur,  et  qui 
devait  saigner  bien  longtemps  encore.  » 

—  Le  comte  de  Chambord  apprit  en  voyage  la  fin  tragique 
du  lils  de  Louis-Pbiiippe,  objet  de  grandes  espérances,  et  que 
la  mort  venait  de  livrer  bien  jeune  au  jugement  libre  de 
l'histoire. 

«  En  recevant  cette  nouvelle,  le  comte  de  Chambord  me 
parut  frappé  de  son  importance;  cependant  une  impression 
pénible  attristait  son  visage  :  «  Quelle  que  soit,  me  dit-il,  la 
»  portée  politique  de  cet  événement,  c'est  un  grand  malheur 
»  privé,  que  je  déplore  profondément,  car  le  duc  de  Chartres 
»  est  mort  sans  avoir  eu  le  temps  de  se  reconnaître  !  Voici  les 
»  noms  de  ce  prince,  veuillez  les  remettre  au  curé  de  Tœplitz; 
)»  dites-lui  que  je  demande  pour  Ferdinand  d'Orléans,  mon 
»  cousin,  les  prières  de  l'Eglise,  et  que  demain  je  me  rendrai, 
»  avec  tous  les  Français  qui  sont  ici  à  la  messe  qui  sera  dila 
»  à  son  intention.  »  Le  lendemain,  en  effet,  nous  suivîmes  lo 
prince  à  la  chapelle  publique  du  chûteau;  le  général  Talon,  sa 
famille  et  plusieurs  autres  Français,  se  joignirent  à  lui  et  s'as- 
socièrent à  son  deuil  religieux. 

{Souvenirs  des  voyuyes  du  comte  de  Chambord,  par  le 
comte  de  Locniaria.) 


LA   RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830.  385 

dynastie.  Mais  la  pitié  que  les  grandes  catastrophes  pro- 
voquent tout  naturellement  cherchait  dans  celle-ci  plus 
qu'une  émotion  passagère.  Les  partis  y  découvrirent  de 
mystérieux  enseignements.  En  rapprochant  les  circon- 
stances de  cette  chute,  ils  leur  attribuèrent  une  terrible 
signification.  C'était  la  veille  de  la  prise  de  la  Bastille, 
dans  ce  mois  de  juillet,  le  mois  des  révolutions,  que  le 
fatal  événement  avait  eu  lieu  sur  le  chemin  de  la  Révolte. 
La  tète  de  l'héritier  de  la  monarchie  des  barricades  s'était 
brisée  sur  un  tas  de  pavés.  Il  avait  été  recueilli,  il  avait 
rendu  le  dernier  soupir  dans  une  boutique  d'épicier,  l'em- 
blème et  la  force  du  gouvernement  de  1830;  et  Louis- 
Philippe  qui,  afin  de  s'emparer  de  la  couronne,  donna 
pour  mot  d'ordre  :  «  Surtout  point  de  régence  et  pas  d'en- 
fant, »  se  trouva,  par  une  sublime  ironie  du  ciel,  obligé 
d'avoir  recours  à  un  enfant  et  à  une  régence.  Mais,  dans 
cette  famille  toujours  pleine  d'ingratitude  et  de  folie,  le 
berceau,  dérogeant  à  la  loi  commune,  ne  peut  pas  faire 
oublier  la  tombe. 

>  Affaissé  sous  un  châtiment  sans  consolation,  ce  châ- 
timent réservé  à  ceux  qui  vivent  longtemps,  le  malheureux 
vieillard  a  soutenu  de  son  bras  chancelant  la  malheureuse 
mère  suivant  à  pied  jusqu'au  château  de  Neuilly  le  cadavre 
de  son  premier-né,  de  ce  fils  qu'en  1810,  à  Palerme,  elle 
salue  dans  ses  entrailles  du  titre  déjà  convoité  de  roi  de 
France.  Durant  ce  lugubre  trajet,  les  larmes  se  mêlèrent 
aux  prières,  les  tristes  images  se  confondirent  avec  les 
tristes  souvenirs.  » 

M.  Trognon,  dans  la  Vie  de  Madame  Amélie,  cite  ces 
lignes  de  la  reine  sur  la  mort  de  son  fils  : 

«  Mon  fils  bien-aimé,  celui  dont  la  naissance  avait  fait 
mon  bonheur,  dont  l'enfance  et  l'adolescence  avaient  fait 
toute  mon  occupation,  dont  la  jeunesse  était  ma  gloire  et 
ma  consolation,  et  qui,  j'espérais,  serait  l'appui  de  mes 

17 


3S6  LA  RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

vieux  jours,  n'existe  plus!  Il  nous  a  été  enlevé  au  milieu 
du  plus  complet  bonheur,  et  de  la  plus  heureuse  perspec- 
tive pour  l'avenir  t. ..  Que  la  sainte  volonté  de  Dieu  soii 
faite,  je  méritais  cette  punition,  j'aimais  trop  mon  pauvre 
enfant  t.. . 

t>  Quand  le  prince  eut  rendu  le  dernier  soupir,  le  roi 
m'a  emmenée  dans  la  chambre  voisine  ;  je  me  suis  jetée  à 
son  cou  ;  nous  étions  malheureux  ensemble  ;  notre  irrépa- 
rable perte  nous  était  commune,  et  je  souffrais  autant  pour 
lui  que  pour  moi. 

»  Au  bout  de  quelques  minutes  on  a  dit  que  tout  était 
prôt;  le  corps  avait  été  placé  sur  un  brancard,  couvert  d'uii 
drap  blanc.  Il  était  porté  par  quatre  hommes  de  la  maison, 
et  soutenu  par  quatre  gendarmes.  On  est  sorti  par  la  porto 
cochère  de  l'écurie;  il  y  avait  au  dehors  une  foule  immense. 
Deux  bataillons  du  2°  et  du  47»  léger,  qui  naguère  avaient 
passé  avec  lui  les  Portes-de-Fer  et  le  col  de  la  Mouzaïâ, 
bordaient  la  haie  et  ont  continué  avec  nous.  Nous  avons 
tous  suivi  à  pied  le  corps  de  ce  fils  bien-aimé,  qui  peu 
d'heures  auparavant  arrivait  sur  cette  route,  plein  de  santé, 
de  force,  de  bonheur,  d'espérance,  pour  embrasser  ses 
parents,  plongés  à  présent  dans  une  immense  douleur.  » 

liC  testament  du  duc  d'Oiicaus. 

Au  moment  de  partir  pour  l'expédition  des  Portes-de-Fcr, 
le  duc  d'Orléans  avait,  dans  une  heure  de  mélancolique 
abandon,  rédigé  quelques  pages  sous  forme  de  testament. 
Ces  pages,  qu'il  aurait  peut-être  mieux  valu  anéantir,  par 
respect  pour  la  mémoire  du  mort,  étaient  l'expression 
d'une  dme  vouée  au  doute  et  incertaine  de  l'avenir.  L'inex- 
périence du  jeune  homme,  ainsi  que  les  troubles  de  sa  foi 
religieuse  et  monarchique,  s'y  font  jour  à  chaque  phrase. 
Dans  un  temps  où  la  Révolution  attribue  tous  les  droits  au 


LA  RÉVOLUTION   DB   JUILLET   1830.  387 

peuple,  c'est-à-dire  à  elle-même,  et  où  les  princes  se 
plaisent  à  ne  s'en  reconnaître  que  le  moins  possible,  une 
pareille  profession  d'anarchie  fut  acceptée  comme  un  dé- 
plorable phénomène.  On  lit  dans  ce  document  : 

«...  C'est  une  grande  et  difficile  tâche  que  de  préparer 
le  comte  de  Paris  à  la  destinée  qui  l'attend  ;  car  personne 
ne  peut  savoir  dès  à  présent  ce  que  sera  cet  enfant  lors- 
qu'il s'agira  de  reconstrnire  sur  de  nouvelles  bases  une  so- 
ciété qui  ne  repose  aujourd'hui  que  sur  les  débris  mutilés 
et  mal  assortis  de  ses  organisations  précédentes.  Mais  que 
le  comte  de  Paris  soit  un  de  ces  instruments  brisés  avant 
qu'ils  aient  servi,  ou  qu'il  devienne  l'un  des  ouvriers  de 
cette  régénération  sociale  qu'on  n'entrevoit  qu'à  travers 
de  grands  obstacles  et  peut-être  des  flots  de  sang;  qu'il 
soit  roi  ou  qu'il  demeure  défenseur  inconnu  et  obscur 
d'une  cause  à  laquelle  nous  appartenons  tous,  il  faudra 
qu'il  soit  avant  tout  un  homme  de  son  temps  et  de  la  na- 
tion, qu'il  soit  catholique  et  serviteur  passionné,  exclusif, 
de  la  France  et  de  la  Révolution.  » 

Quand  Louis  XIV,  dans  tout  l'éclat  de  sa  jeunesse  et 
radieux  de  majesté,  s'adressait,  comme  le  duc  d'Orléans, 
h  son  fils  au  berceau,  il  ne  faisait  point  appel  aux  idées 
sociales  nouveUes.  Il  ne  conseillait  point  à  cet  enfant  d'être 
un  serviteur  passionné,  exclusif,  de  la  Révolution.  Il  n'au- 
rait jamais  osé  déclarer  :  Ma  foi  politique  m'est  encore  plus 
clùie  que  mon  drapeau  religieux.  Blasphème  royal,  préfé- 
rence aussi  absurde  que  sacrilège,  dont  un  père  et  une 
épouse  n'auraient  pas  du  se  faire  les  éditeurs. 

Ce  qui  prouve  encore  que  le  socialisme  révolutionnaire 
était  caché  dans  les  profondeurs  de  l'orléanisme. 

Ce  socialisme  vague,  indéterminé,  était  en  réalité  la  re- 
ligion du  fils  de  Louis-Philippe;  il  l'appelle  sa  foi  poli- 
tique, tandis  que  le  catholicisme  n'est  que  son  drapeau, 
retournant  ainsi  le  sens  raisonnable  de  ces  deux  mots. 


388  LA  RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

Et  encore  le  catholicisme  n'est-il  accepté  par  lui  que 
parce  qu'il  croit  y  voir,  par  une  interprétation  pareille  à 
celle  des  Mazzini,  des  Lamennais  et  de  quelques  autres 
sectaires,  un  accord  de  principes  avec  ces  idées  sociales  nou- 
velles au  triomphe  desquelles  il  s'est  voué. 

Il  veut  que  son  fils  soit  élevé  dans  ce  culte,  dans  cette 
religion  révolutionnaire,  et  qu'il  soit,  ainsi  que  lui,  un 
serviteur  exclusif  et  passionné  de  la  révolution.  C'est,  en 
réalité,  sa  passion  qu'il  lègue  à  son  fils  par  testament. 

C'est  sans  doute  pour  éviter  à  la  France  et  au  monde 
l'aggravation  de  maux  qui  serait  résultée  du  fanatisme 
révolutionnaire  de  ce  jeune  prince  qu'il  avait  été  frappé. 
C'est  l'avenir  de  l'usurpation  et  de  la  révolution  que  la 
Providence  avait  détruit  en  lui,  en  même  temps  qu'elle 
sommait  Louis-Philippe  de  revenir  à  ses  devoirs  de  chré- 
tien et  de  prince  français,  en  lui  montrant  la  ruine  de  ses 
combinaisons  et  la  chute  de  sa  race  dans  le  chemin  be  la 
Révolte. 

EiA    croix    reparaît   pabllquenient   dans    Paris  anx 
funérailles  du  due  d'Orléans. 

Au  jour  marqué  pour  le  convoi  funèbre,  on  vit  le  clergé, 
précédé  des  insignes  de  la  religion,  passer  processionnel- 
loment  dans  les  rues  de  Paris  pour  aller  jeter  à  Notre- 
Dame  l'eau  bénite  sur  la  dépouille  du  prince.  0  contraste 
des  révolutions!  la  croix,  qui  depuis  1830  avait  été  exilée 
des  rues  de  la  capitale,  reparut  triomphante  par  la  mort, 
et  elle  rentra  dans  le  même  temple  qui  en  fut  dépouillé  à 
cette  époque. 

Et  parmi  les  hommes  qui  conduisaient  ou  escortaient  le 
funèbre  cortège,  nos  yeux  découvraient  les  fonctionnaires 
de  ce  temps  où  l'on  procédait  à  la  dégradation  du  monu- 
ment et  au  bris  sacrilège  de  la  croix;  et  un  archevêque  de 


LJ    RÉVOLUTION   DE  JUILLET   1830.  389 

Paris  donnait  l'absoute,  et  il  recevait  les  jeunes  dépouilles 
royalps  au  jour  anniversaire  du  triomphe  de  la  révolution 
de  1830.  Dès  ce  moment  la  famille  de  Louis-Philippe  pou- 
vait bien,  pour  quelques  années  encore,  maintenir  son  rang 
parmi  les  familles  couronnées;  mais  tout  le  monde  sentait 
que  Dieu,  dans  la  sévérité  de  ses  desseins,  avait  parlé 
contre  elle.  Un  instinct  qui  se  communiquait  d'une  âme  à 
l'autre,  dans  notre  pays,  avertissait  la  France  que  la  main 
de  la  Providence  se  retirait  de  la  dynastie  de  Juillet;  aussi 
l'avenir  apparaissait-il  sombre  et  sans  issue  '. 

*  Plusieurs  journaux  ont  raconté  que  l'on  a  trouvé,  dans  les 
poches  de  ce  malheureux  prince,  mort  d'une  manière  si  tra- 
gique, les  chansons  de  Béranger,  qui  ont  tant  contrihué,  comme 
on  le  sait,  à  la  révolution  de  1848,  qui  a  chassé  les  d'Orléans  et 
préparé  le  second  empire. 


390  LA   RÉVOLUTION  DE  JUILLET  1830. 


CHAPITRE  III. 

DERNIÈRES   ANNÉES   ET   CHATIMENTS   DE   LOUIS-PHIUPPE. 


«  Louis-Philippe,  dit  M.  Crétincau-Joly,  ne  fut  qu'un 
homme  médiocre.  » 

Il  est  impossible  de  mieux  dire.  Si  d'ailleurs  ce  résumé 
fidèle  et  complet  avait  besoin  d'être  confirmé,  il  suffirait 
d'un  fait  bien  simple  :  Louis-Philippe,  roi  des  Français,  est 
demeuré  l'idéal  des  hommes  médiocres. 

Jamais  homme  ne  fut  moins  roi.  C'est  un  homme  du 
dix-huitième  siècle.  Il  était  jeune  quand  le  siècle  de  Vol- 
taire finissait  par  la  guillotine.  Il  profita  de  sa  jeunesse 
pour  se  faire  admettre  au  club  des  Jacobins  et  recevoir  la 
dignité  d'huissier  au  club.  Devenu  général  de  la  Répu- 
blique française,  il  signait  :  Louis-Philippe  Egalité,  prince 
français  pour  son  malheur,  et  jacobin  jusqu'au  bout  des  ongles. 

Cette  jeunesse  orageuse  n'em pécha  pas  Dumouriez  de 
proposer  à  la  Vendée,  pour  général  en  chef,  le  fils  d'Ega- 
lité. Gharettc,  indigné,  répondit  par  un  refus  qui  ne  per- 
mettait pas  d'insister.  L'orléanisme  pouvait,  sans  se  dé- 
mentir, jouer  ce  double  rôle  et  observer  cette  double 
altitude.  L'orléanisme  est  un  legs  de  l'ancien  régime  ;  son 
libéralisme  cache  une  indifférence,  un  égoïsme  qui  a  pro- 
longé le  dix-huitième  siècle. 

Une  lettre  curieuse  de  Louis-Philippe,  dirigée  contre  la 


LA  RÉVOLUTION   DE  JUILLET   1830,  391 

Pologne,  une  lettre  datée  de  1806,  en  donne  un  saisissant 
exemple. 

C'est  au  dix-huitième  siècle  que  la  Pologne  assassinée 
commença  cette  vie  étrange,  victorieuse  de  la  mort,  supé- 
rieure à  la  mort,  qui  frappe  aujourd'hui  ses  bourreaux 
d'une  inquiétude  surnaturelle.  Louis-Pnilippe  d'Orléans, 
alors  émigré,  écrivait  : 

«  Il  faut  que  l'empereur  de  Russie  ne  souffre  point  la 
paix  de  la  Prusse;  il  faut,  si  elle  est  faite,  qu'il  ne  la  recon- 
naisse pas.  Il  doit  mettre  en  mouvement  toutes  les  forces  de  son 
vaste  empire  pour  empêcher  la  résurrection  de  la  Pologne; 
et  il  le  doit  également,  soit  que  la  Prusse  ait  la  lâcheté  de 
s'y  soumettre,  soit  qu'elle  ait  le  courage  de  s'y  opposer. 
Le  sort  de  l'empire  de  Russie,  com,me  celui  de  la  Prusse,  de'r 
pend  de  celui  de  la  Pologne^.  » 

Cette  lettre  est  adressée  au  comte  d'Entraigues  et  datée 
du  2  novembre  1806.  A  la  fin  de  la  lettre,  Louis-Philippe 
prie  son  correspondant  de  venir  causer  avec  lui  de  tout  cela 
à  fond,  et  ajoute  : 

d  Si  vous  trouvez  que  mes  idées  en  soient  dignes,  votre 
plume  de  feu  les  transmettra.  » 

Yûilà  donc  une  plume  de  feu  chargée  d'empêcher  la  ré- 
surrection d'uft  peuple  ! 

En  parlant  ainsi,  en  adorant  la  Russie,  en  assassinant  la 
Pologne  autant  qu'il  était  en  lui,  Louis-Philippe  demeu- 
rait fidèle  aux  traditions  de  Voltaire,  qui  admirait  le  par- 
tage de  la  Pologne,  Le  siècle  mil,  qui  prit  Voltaire  pour  un 
philosophe  et  Boucher  pour  un  artiste,  méritait  de  con- 
sommer dans  l'ordre  social  un  crime  inconnu  :  le  meurtre 
d'une  nation  chrétienne  *. 

*  Laurent  (de  l'Ardèche),  p.  245. 
'  Le  Monde,  14  janvier  1862. 


392  LA  RÉVOLUTION  DE  JUILLET  1830. 


Dernier  entretien  de  Lonls-Philippo  avec  Mv  AITre, 
archevêque  de  Paris. 

L'esprit  du  gouvernement  de  Louis-Philippe,  c'était  l'es- 
prit  du  monde,  tel  que  nous  l'avons  vu  définir  par  le  païen 
Tacite  :  Corrumpi  et  corrumpere  sœculum  vocatur.  On  en  vit 
des  preuves  éclatantes.  Plusieurs  ministres,  pairs  de 
France,  furent  convaincus  publiquement  d'avoir  volé, 
comme  des  fripons  vulgaires.  Un  pair  de  France,  d'un 
ancien  nom,  fut  convaincu  d'avoir  égorgé,  avec  une  pré- 
méditation atroce,  la  mère  de  ses  enfants,  sa  propre 
femme,  fille  du  général  Sébastian!. 

La  partie  ecclésiastique  de  la  cour  n'était  pas  non  plus 
sans  reproche.  L'abbé  Guillon,  professeur  à  la  Sorbonne, 
était  aumônier  de  la  reine.  Or,  pour  avoir  compilé  une 
bibliothèque  des  Pères  de  l'Eglise,  il  n'en  avait  pas  mieux 
pris  leur  esprit;  car  il  montra  une  servilité  peu  commune. 
Malgré  les  règles  de  l'Eglise,  qu'il  devait  connaître,  mal- 
gré la  défense  de  l'archevêque  de  Paris,  qu'il  connaissait, 
il  se  permit  de  donner  les  derniers  sacrements  à  [un  héré- 
tique obstiné,  l'abbé  Grégoire,  évéque  schismatique  de 
Loir-et-Cher,  qui  mourut  impénitent  le  28  avril  1831. 
L'abbé  Guillon  reconnut  plus  tard  sa  faute,  que  l'opinion 
catholique  lui  reprocha  sévèrement.  Lorsqu'il  eut  été 
nommé  à  l'évêché  de  Beauvais,  il  s'éleva  contre  lui  une  ré- 
clamation si  générale,  qu'il  dut  renoncer  à  sa  nomination. 
Or,  quand  l'aumônier,  le  conseiller  ecclésiastique  de  la 
cour,  a  des  idées  si  confuses  sur  l'autorité  de  l'Eglise,  il 
n'est  pas  étonnant  que  la  cour  même  n'en  ait  pas  de  plus 
Baines. 

De  pareils  événements  pouvaient  être  regardés  comme 
un  avertissement  du  Ciel.  On  n'y  fit  pas  toute  l'attention 
qu'on  aurait  dû  faire.  Lors  de  la  réception  des  autorités 


LA   RÉVOLUTION   DE   lUILLET   1830.  393 

de  la  capitale  pour  la  fête  du  roi  en  1846,  l'archevêque  de 
Paris,  ayant  osé  dire  dans  son  discours  que  l'Eglise  récla- 
mait la  liberté  et  non  la  protection,  Louis-Philippe,  choqué  de 
cette  liberté  épiscopale,  empêcha  que  ce  discours  ne  fût 
imprimé  au  Moniteur  avec  tous  les  autres.  Quand  il  fut 
question  d'une  nouvelle  présentation  au  jour  de  l'an  1847, 
l'archevêque  prévint  la  reine  qu'il  viendrait  bien  offrir  ses 
vœux  au  roi,  mais  qu'il  était  dans  l'intention  de  ne  pas 
faire  de  discours,  et  cela  pour  ne  pas  s'exposer  de  nou- 
veau à  un  affront  comme  à  la  Saint-Philippe.  La  reine, 
dans  l'espoir  de  tout  concilier,  ménagea  une  entrevue,  que 
l'archevêque  rapporta  en  ces  termes  à  l'un  de  ses  amis  : 
c  Le  roi  me  reçut  dans  son  salon,  et,  comme  c'était  son 
habitude,  il  me  tira  à  part  dans  l'embrasure  d'une  fenêtre, 
où  il  me  fit  asseoir  et  s'assit  lui-même.  Là,  nous  fûmes 
quelque  temps  à  nous  regarder  en  silence.  A  la  fin,  je  pris  la 
parole  et  je  lui  dis  :  Ayant  su  que  le  roi  désirait  me  parler, 
je  me  suis  rendu  avec  empressement  à  son  invitation.  — 
Moi,  dit  le  roi,  je  n'ai  rien  à  vous  dire  ;  c'est  vous,  m'a-t-on 
dit,  qui  vouliez  me  parler,  et  je  suis  prêt  à  vous  écouter. 
—  Eh  bien  !  le  roi  doit  savoir  le  sujet  de  ma  visite;  comme 
je  ne  veux  pas  m'exposer  encore  à  l'affront  qui  m'a  été 
fait  lors  de  la  dernière  présentation,  je  me  propose  de 
venir  offrir  mes  vœux  pour  la  santé  du  roi  à  la  tête  de 
mon  clergé,  mais  je  ne  ferai  pas  de  discours.  —  Ah  I  je 
vois,  c'est  une  nouvelle  attaque  que  vous  dirigez  contre 
moi;  je  croyais  que  toutes  nos  discussions  étaient  finies,  et 
il  paraît  que  vous  voulez  encore  recommencer.  Si  j'ai  em- 
pêché que  votre  discours  ne  fût  publié,  c'est  que  vous  vous 
étiez  permis  des  conseils  inconvenants.  —  J'en  demande 
bien  pardon  au  roi,  mais  ni  mes  intentions  ni  mes  paroles 
ne  pouvaient  avoir  ce  sens  :  demander  la  liberté  et  non  la 
protection  est  peut-être  la  demande  la  plus  modérée  que 
puisse  faire  l'Eglise.  —  Et  moi,  je  ne  l'entends  pas  ainsi; 

17* 


394      "  LA  RÉVOLUTION   DE  JUILLET   1830. 

avec  vos  demandes  et  vos  journaux,  vous  jetez  le  trouble 
partout.  »  Et  passant  tout  de  suite  îi  une  autre  question  : 
t  Ainsi,  par  exemple,  je  sais  qu'il  y  a  peu  de  temps,  vous 
avez  assemblé  un  concile  îi  Saint-Germain.  —  Ce  n'est 
point  un  concile  que  nous  avons  assemblé;  mais  quelques 
évêques,  mes  suffragants  et  mes  amis,  sont  venus  me  voir, 
et  nous  avons  traité  de  différents  points  de  discipline 
ecclésiastique.  —  Ah  l  je  le  disais  bien,  que  vous  aviez 
formé  un  concile,  sachez  que  vous  n'en  avez  pas  le  droit.  » 
Jusqu'à  ce  moment,  racontait  l'archevêque,  j'avais  répondu 
au  roi  avec  beaucoup  de  déférence,  en  évitant  presque  de 
le  regarder;  mais  à  ce  mot  j'élevai  les  yeux  et  les  fixai  sur 
les  siens.  Je  lui  dis  avec  fermeté  :  *  Pardon,  Sire,  nous  en 
avons  le  droit,  car  toujours  l'Eglise  a  eu  le  droit  d'assem- 
bler ses  évêques  pour  régler  ce  qui  pouvait  être  utile  à 
leurs  diocèses.  —  Ce  sont  là  vos  prétentions,  mais  je  m'y 
opposerai.  D'ailleurs  l'on  m'a  dit  aussi  que  vous  aviez  en- 
voyé un  ambassadeur  au  Pape;  J6  sais  même  que  c'était 
pour  lui  demander  la  permissîou  do  faire  gras  le  samedi. 
—  C'est  vrai,  Sire,  nous  avons  envoyé  un  ecclésiastique 
faire  quelques  demandes  au  Pape  ;  mais  cela  même  est 
dans  les  droits  de  tous  les  fidèles  et,  à  plus  forte  raison, 
des  évêques.  —  Et  qu'est-ce  que  vous  lui  avez  demandé 
encore  ?  Je  veux  le  savoir.  -«■  Si  c'était  mon  secret,  je  le 
dirais  tout  de  suite  au  roi;  mais  ce  n'est  pas  seulement  le 
mien,  mais  encore  celui  de  mes  collègues,  et  je  ne  puis  le 
dire  au  roi.  »  A  ces  mots,  le  roi,  rouge  de  colère,  se  leva 
brusquement,  me  prit  par  le  bras  et  me  dit  :  —  t  Arche- 
vêque, souvenez-vous  que  l'on  a  brisé  plus  d'une  mitre,  i» 
Je  me  levai  îi  mon  tour,  disant  :  «  Gela  est  vrai.  Sire,  mais 
que  Dieu  conserve  la  couronne  au  roi,  car  on  a  vu  briser 
aussi  bien  des  couronnes.  »  Telle  a  été  ma  dernière  au- 
dience avec  Louis-Philippe.  Le  surlendemain,  je  me  pré- 
sentai avec  mon  clergé  h  l'audience;  je  souhaitai  verbale- 


LA  RÉVOLUTION  PB  JUILLET  1830.  39S 

ment  au  roi  mes  vœux  pour  sa  santé  ;  puis  l'on  fit  un 
discours  assez  long  avec  mes  paroles,  et  on  l'inséra  au 
Moniteur  comme  si  je  l'avais  prononcé.  » 

D'après  ce  récit  de  l'archevêque  de  Paris,  publié  dans 
les  Annales  de  philosophie  chrétienne  (n°  403,  juillet  1848), 
on  voit,  une  fois  de  plus,  que  la  politique  des  d'Orléans, 
comme  celle  des  Bourbons  et  des  Bonapartes,  et  générale- 
ment de  tous  les  gouvernements  modernes,  vis-à-vis  de 
l'Eglise  de  Dieu,  c'était  de  la  tenir  dans  la  servitude  pour 
l'avantage  de  la  dynastie.  Nous  avons  vu  tomber  Bona- 
parte, nous  avons  vu  tomber  les  Bourbons,  nous  allons 
voir  tomber  les  d'Orléans  *. 

En  février  1848,  cette  famille  est  au  comble  de  la  pros- 
périté :  Louis-Philippe  admis  au  rang  des  premiers  souve- 
rains de  l'Europe,  tous  ses  enfants  convenablement  établis, 
la  guerre  d'Afrique  terminée  par  la  soumission  du  chef 
des  Arabes,  des  armées  nombreuses  et  fidèles,  la  majorité 
des  deux  Chambres  sincèrement  dévouée,  une  année  abon- 

*  On  sait  ce  qui  est  arrivé  depuis.  Louis-Philippe  est  tombé; 
sa  chute  a  été  tout-à-fait  ignominieuse  ;  ses  lâches  concessions 
faites  peu  auparavant  n'ont  pu  le  soustraire  à  la  haine  de  ces 
hommes  qui  détestent  toute  autorité.  Les  fortifications  de 
Paris,  les  forts  détachés,  élevés  avec  de  si  énormes  dépenses, 
en  vue  de  comprimer  les  élans  de  l'esprit  révolutionnaire, 
n'ont  été  d'aucune  utilité.  On  avait  envisagé  ce  moyen  comme 
le  fait  d'une  haute  prudence,  d'une  sagesse  profonde  ;  mais  il 
a  été  prouvé  une  fois  de  plus  qu'il  n'y  a  ni  prudence  ni  sagesse 
contre  le  Seigneur,  qui  sait  réprouver  la  sagesse  des  sages  et 
la  prudence  des  prudents.  L'archevêque  a  succombé  aussi  dans 
cette  crise  révolutionnaire,  mais  noblement.  Il  a  été  martyr  de 
sa  charité  ;  il  était  résolu,  en  allant  sur  ce  théâtre  de  carnage, 
de  donner  sa  vie  pour  ses  brebis,  comme  le  bon  Pasteur  par 
excellence.  Que  de  bouches  ont  célébré  ses  louanges  !  J'ai  par- 
couru l'Allemagne  peu  après,  j'ai  trouvé  son  portrait  dans  bien 
des  salons,  chez  les  protestants  eux-mêmes.  Tout  ce  que  la 
religion  marque  de  son  sceau  devient  vénérable. 


396  LA   RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

dante  succédant  à  une  année  de  cherté;  on  ne  craignait 
qu'une  chose,  la  mort  du  roi,  suivie  d'une  régence.  Le 
roi  ne  meurt  point,  mais,  à  propos  d'un  banquet,  il  y  a, 
sans  que  personne  l'ait  préméditée,  une  révolution  com- 
plète, et  la  dynastie  d'Orléans  est  congédiée  tellement  h 
ï'iraproviste  qu'elle  n'a  pas  même  le  temps  de  prendre  des 
habits  et  des  provisions  de  voyage. 

Le  seul  écho  de  cette  révolution  ébranle  tous  les  rois  et 
tous  les  peuples  de  l'Europe;  il  s'aperçoivent  avec  effroi 
que  les  bases  de  tous  les  empires,  de  tous  les  royaumes, 
de  toutes  les  républiques,  de  toutes  les  familles,  de  toutes 
les  propriétés,  sont  minées,  vermoulues,  calcinées,  ré- 
duites en  poudre,  et  remplacées  par  un  volcan  qui  menace 
d'un  moment  à  l'autre  d'engouffrer  toutes  les  sociétés  hu- 
maines dans  un  commun  incendie.  Peuples  et  rois  se 
troublent,  s'assemblent,  se  heurtent  et  s'efforcent  de  sou- 
tenir le  monde  croulant  avec  des  constitutions  et  des  lois 
en  papier. 

La  seule  Eglise  de  Dieu,  bâtie  sur  le  roc,  apparaît  tran- 
quille et  confiante,  avec  sa  sainte  hiérarchie  de  peuples 
unis  et  soumis  à  leurs  prêtres,  de  prêtres  unis  et  soumis 
à  leurs  évèques,  d'évêques  unis  et  soumis  au  Vicaire  de 
Jésus-Christ,  de  Jésus-Christ  qui  est  avec  elle  tous  les 
jours  jusqu'à  la  consommation  des  siècles,  et  qui  a  donné 
sa  parole  :  Les  portes  de  l'enfer  ne  prévaudront  point  contre  elle. 

Au  moment  où  ce  roi  voltairien  croyait  avoir  établi  dé- 
finitivement sa  dynastie,  après  avoir  enfin  organisé  le 
chapitre  de  Saint-Denis,  qui  devait  être,  dans  sa  pensée, 
une  pépinière  d'évêques  faciles  et  complaisants,  il  espé- 
rait être  désormais  maître  de  la  situation.  Hélas  I  il  n'avait 
pas  compté  avec  la  Providence,  qui  veillait  sur  l'Eglise  en 
France.  Voici  comment  un  éloquent  écrivain  raconte  la 
chute  ignominieuse  du  fils  de  Philippe-Egalité  : 

«  Une  immense  révolution  s'est  accomplie  avant  qu'on 


LA  RÉVOLUTION  DE   JUILLET   1830.  397 

ait  eu  pour  ainsi  dire  le  temps  de  s'en  apercevoir.  En  deux 
jours,  tout  Paris  a  fait  l'œuvre  ;  au  bout  de  huit  jours, 
Paris  avait  reçu  la  réponse  et  l'assentiment  de  toute  la 
France. 

»  Un  prince  habile,  un  trône  bien  armé,  une  classe  puis- 
sante rangée  autour  du  pouvoir,  et  qui  avait  mis  dix-huit 
ans  à  le  fortifier,  sont  tombés,  suivant  la  menace  de  l'Ecri- 
ture, comme  un  vase  d'argile  sous  une  massue  de  fer.  Le 
monde  a  reconnu  tout  de  suite  quelle  main  frappait.  Cha- 
cun a  senti  que  ce  qu'elle  abattait  ne  se  relèverait  pas. 
Aucune  idée  de  résistance  n'est  venue  à  personne.  Tous  se 
sont  courbés,  tant  la  Providence  se  manifestait  terrible, 
juste,  logique. 

»  La  veille  du  22  février,  la  France  s'était  endormie  dans 
une  paix  profonde,  dans  une  grande  prospérité  maté- 
rielle. Cette  paix  ne  pouvait  durer  plus  longtemps  que  la 
vie  du  roi,  cette  prospérité  était  menacée  de  plus  d'une 
manière,  c'est  vrai;  on  prévoyait  des  jours  laborieux,  on 
s'attendait  à  de  nombreuses  et  graves  catastrophes  finan- 
cières et  industrielles  ;  cependant  toute  inquiétude  était 
ajournée,  parce  que  la  société  avait  confiance  en  elle- 
même.  On  aurait  pu,  sans  la  troubler  un  moment,  lui  pré- 
dire ce  qui  est  arrivé,  elle  ne  l'aurait  pas  cru.  Un  coup  de 
foudre  éclate  et  cette  sécurité  n'est  plus.  Tout  est  non  pas 
modifié,  mais  bouleversé  de  fond  en  comble.  C'est  plus 
qu'une  révolution  politique,  c'est  une  révolution  sociale 
qui  arrive  par  le  télégraphe.  Les  influences  sont  dé- 
truites, les  positions  sont  perdues,  les  fortunes  son\ 
ébranlées*. 

'  Dans  la  Vie  de  M™*  Adélaïde,  l'auteur  dit  que  «  la  reine  en 
était  venue  à  acquérir  la  pleine  conviction  de  la  mission  provi- 
dentielle assignée  à  son  mari,  du  devoir  et  du  droit  qu'il  y 
avait  pour  lui  de  faire  ce  qu'il  avait  fait.  »  A  la  lueur  du  coup 
de  foudre  du  24  février  1848,  Madame^  Amélie,  victime  elle- 


398  LA  RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

»  Cette  insurrection  était  du  genre  de  celles  que  décrit 
Tacite  :  «  peu  la  conçurent,  la  plupart  la  voulaient,  tous 
»  la  souffrirent.  »  Elle  prend  Louis-Philippe  d'Orléans 
pour  point  de  mire,  et  alors  eile  était  une  justice  du  ciel, 
car  la  puissance  sans  droit  est  la  plus  détestable  chose  qu'on 
puisse  imaginer.  L'insurrection  éclatait  par  des  moqueries 
elle  débordait  par  des  jeux  de  mot,  elle  sonnait  ses  fan- 
fares à  coups  de  sifflet.  Sans  frein,  mais  sans  passion,  elle 
assistait  à  la  chute  du  trône  qu'elle  avait  élevé  dans  un 
jour  de  colère.  Le  roi  de  Juillet  fuyait  sans  être  suivi,  et 
ses  hommes  perdirent  leurs  emplois,  mais  leurs  emplois 
n'y  perdirent  rien.  Dans  les  rues,  sur  les  places  publiques, 
au  foyer  même  de  la  famille,  il  n'y  eut  qu'un  cri.  Tout  le 
monde  vit  la  main  de  Dieu  dans  une  punition  aussi  écla- 
tante. Chacun  disait  :  Leurs  pères  ont  péché,  ne  faut-il  pas 
qu'ils  expient  les  iniquités  ? 

»  Lorsque,  le  21  janvier  1793,  Louis  XVI  parut  sur  la 
place  oii  la  Révolution  avait  dressé  son  échafaud,  il  se 
trouva  près  du  royal  martyr  un  prêtre  qui,  avec  la  France 
entière,  lui  dit  :  «  Fils  de  saint  Louis,  montez  au  ciel.  » 
Lorsqu'au  24  février  1848,  Louis-Philippe  d'Orléans,  qui 
se  proscrivait  lui-même,  arriva  sur  cette  même  place  sans 
nom,  il  ne  vit  auprès  de  lui  qu'un  avocat  juif  escortant 
quelques  msurgés,  et  ce  juif  lui  disait  :  «  Fils  du  citoyen 
Egalité,  montez  en  fiacre'.  » 

même  de  la  révolution  dont  sa  famille  avait  profité  en  1830  aux 
dépens  de  ses  parents,  qui  n'avaient  eu  pour  elle  que  des 
bontés,  elle  répétait  ces  paroles,  dit  M.  Trognon  :  «  Jamais  je 
n'ai  plus  vivement  senti  que  maintenant  la  peine  que  m'ont  faite  les 
journées  de  Juillet  1830...  Je  suis  plus  malheureuse  à  présent 
que  je  ne  l'étais  alors,  quand  je  songe  à  l'avenir  brisé  de  mes 
pauvres  enfants,  à  l'exil  qui  les  attend,  et  qu'ils  ne  con- 
naissent pas,  comme  je  l'ai  déjà  connu  1  » 

*  Nous  trouvons  les  détails  suivants  dans  le  volume  ^e  Palais 
des  Tuileries  en  1848,  par  l'abbé  Denys  : 


LA   RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830.  399 


Haniiliations  des  d'Orléans. 

Voici  des  réflexions  d'un  écrivain  contemporain  sur  la 
chute  de  ce  gouvernement  voUairien  : 

«  L'édifice  de  1830  s'effondre  de  la  base  au  sommet.  Il 
a  croulé,  et  Louis-Piiilippe  disparaît  avec  sa  famille,  sans 
recueillir  un  peu  de  cette  banale  commisération  qui  s'at- 
tache à  toutes  les  grandes  infortunes.  La  sienne  a  été  si 
éclatante,  que  les  athées  eux-mêmes  voient,  dans  ce  24  fé- 
vrier 1848,  un  jour  providentiel,  un  arrêt  caché  dans  le 
trésor  des  vengeances  divines.  Moins  d'une  heure  après 
que  la  tempête  eut  balayé  cette  race  qui  s'était  multipliée 
comme  les  grains  de  sable  du  désert,  personne  ne  s'occupa 
d'elle.  Nul,  dans  ce  naufrage  mérité,  ne  s'inquiéta  du  sort 
réservé  à  tant  de  princes.  Ils  avaient  été  sans  pitié;  les  jus- 
tices du  ciel  et  de  la  terre  ne  permettent  point  qu'ils 
restent  sans  châtiments.  Aussi  jamais  on  ne  constata  dans 
l'histoire  une  telle  déroute  royale  ;  jamais  on  ne  remarqua 
une  pareille  insensibilité  de  la  part  du  peuple.  , 

.  Charles  H  d'Angleterre,  vaincu  par  Cromwell  à  la  ba- 
taille de  Worcester,  a  gravé  dans  les  annales  de  la  royauté 
un  souvenir  qui  ne  périra  pas,  Le  chêne  de  Penderell,  qui 
reçut  et  abrita  le  Stuart  proscrit,  est  encore  célèbre  sous  le 
nom  de  Cligne  royal,  même  lorsqu'il  n'y  a  plus  de  Stuarts. 
L'astronome  Halley  et  les  Anglais  en  tirent  une  constella- 
tion. Les  aventures  de  Charles-Edouard  et  le  dévouement 
de  Flora  Macdonald  ont  retenti  dans  le  monde  entier  j  ils 

«  Louis-Philippe  s'était  travesti  ;  il  avait  coupé  ses  favoris, 
portait  des  lunettes  vertes,  et  avait  enveloppé  le  bas  de  sa 
figure  d'un  cache-nez.  Il  \ojnzcixii  sous  le  nom  de  M.  Du- 
rand. » 


^00  LA  BÉVOLUTION   DE   JUILLET    1830. 

provoquent  toujours  des  émotions  nouvelles.  Le  roi  de  Po- 
logne, Stanislas  Leckzinski,  fuyant  de  Dantzig,  tantôt  dans 
une  frêle  barque,  tantôt  à  travers  les  campagnes  inondées 
d'ennemis,  a  captivé  l'attention  publique.  L'empereur  Na- 
poléon, s'exilant  à  l'île  d'Elbe  ou  prisonnier  à  Sainte- 
Hélène,  a  pour  escorte  les  commissaires  des  puissances 
ou  les  flottes  anglaises.  Quoique  découronné,  Charles  X 
reçoit  sur  sa  route,  de  Rambouillet  à  Cherbourg,  tous  les 
honneurs  dus  à  la  majesté  souveraine;  les  siens  l'entourent 
de  leur  tendresse  et  de  leurs  respects.  Le  monarque  et  sa 
famille  sont  accompagnés  de  la  douleur  des  bons  et  de 
l'hommage  involontaire  des  méchants.  C'est  le  premier 
écho  de  la  postérité. 

»  Louis-Philippe  et  sa  dynastie  ne  laissent,  eux,  aucun 
souvenir  dans  les  esprits,  pas  un  regret  dans  les  âmes.  De 
la  place  sans  nom,  de  la  place  où  la  tête  de  Louis  XVI 
tomba  sur  l'échafaud,  le  peuple  les  a  vus  s'acheminer  vers 
l'exil,  et  le  peuple  applaudit  à  cette  lente  mais  admirable 
justice.  Les  d'Orléans,  pareils  à  des  cendres  qui  restent 
après  un  embrasement,  seront  les  seuls  à  la  méconnaître. 
On  ne  sait  s'ils  vivent  m  s'ils  meurent;  ils  se  sont  évanouis 
comme  un  songe  après  le  réveil.  L'indifférence  générale 
les  protège  bien  mieux  que  les  déguisements  et  que  les 
précautions.  C'est  tout  au  plus  si  on  daigne  sourire  de  ce 
jeune  duc  de  Montpensier  qui,  sans  avoir  combattu,  s'é- 
chappe, nouvel  Enée,  en  abandonnant  Creuse,  son  épouse, 
et  n'emportant  même  pas  sur  ses  épaules,  comme  son  de- 
vancier, le  père  Anchise  et  les  dieux  de  la  patrie. 

»  Un  oubli,  sublime  de  spontanéité,  pèse  déjà  sur  les 
d'Orléans.  Dans  son  numéro  du  6  mars  1848,  le  Journal  des 
Débats  réunit  son  courage  à  deux  mains,  et  il  raconte  les 
burlesques  détails  de  la  fuite  :  «  A  Versailles,  dit-il,  Louis- 
»  Philippe  et  Marie-Amélie  prirent  une  voiture  pour  les 
»  conduire  à  Dreux.  Le  roi  prit  un  vieil  habit  et  un  vieux 


LA   RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830.  401 

»  chapeau,  après  avoir  coupé  ses  favoris  et  s'être  grimé  de 
»  manière  à  n'être  pas  reconnu.  » 

»  Cette  déplorable  odyssée  d'une  famille  jusqu'alors  si 
unie  et  se  séparant  afin  de  courir  l'aventure  des  proscrip- 
tions idéales,  a  quelque  chose  de  fatalement  instructif.  Le 
fils  n'a  pas  songé  à  sa  femme;  le  père  laisse  sur  son 
bureau  trois  cent  mille  francs  en  billets  de  banque.  La 
fuite  a  été  tellement  précipitée  que  l'avarice  elle-même  se 
trouve  en  défaut.  Louis-Philippe  a  toujours  cru  que  l'ar- 
gent était  la  solution  de  tous  les  besoins  et  de  toutes  les 
difficultés.  A  la  crise  suprême,  dénué  de  ressources,  il  est 
obligé  d'emprunter  douze  cents  francs  pour  prendre  la 
route  de  l'exil.  A  Dreux,  ces  vieillards,  que  la  fortuné 
combla  de  ses  faveurs,  descendirent  dans  les  caveaux  fu- 
nèbres où  dorment  leur  sommeil  le  citoyen  Egalité  père. 
Madame  Adélaïde,  la  princesse  Marie  et  le  duc  d'Orléans, 
premier-né  de  la  dynastie. 

»  Entre  ces  tombeaux,  si  tristement  visités  dans  cette 
nuit  du  24  février,  Louis-Philippe  pleura  et  pria.  Le  roi 
déchu  touchait  de  la  main  celui  qu'il  s'était  construit  en 
partage  avec  sa  femme;  et  comme  à  Sobna,  lé  préfet  du 
temple,  on  pouvait  lui  demander  :  *  Que  faites-vous  ici,  ou 

>  quel  droit  y  avez-vous,  vous  qui  vous  êtes  préparé  ici  un 
»  sépulcre,  qui  vous  êtes  dressé  un  monument  avec  tant 

>  d'appareil,  et  qui  vous  tailliez  dans  la  pierre  un  lieu  de 
•  repos?  Le  Seigneur  va  vous  faire  transporter  d'ici  comme 
»  un  coq,  et  il  vous  enlèvera  comme  un  manteau  qu'on 
»  met  sur  soi;  il  vous  couronnera  d'une  couronne  de 
»  maux;  il  vous  jettera  comme  une  balle  dans  un  champ 
»  large  et  spacieux.  Vous  mourrez  là,  et  c'est  à  quoi  se 

>  réduira  le  char  de  votre  gloire,  vous,  la  honte  de  la 
»  maison  de  votre  Maître.  » 

»  Ces  paroles  de  la  sainte  Ecriture,  qui  semblent  faites 
pour  l'homme  et  la  situation,  furent  épargnées  au  roi  de 


402  l-A  RÉVOLUTION   DE  lUTLLET  1830. 

Juillet.  Louis-Philippe  s'en  adressa  d'autres,  moins  pro- 
phétiques, mais  tout  aussi  poignantes.  Depuis  sa  fuite  dos 
Tuileries  jusqu'à  la  halte  nocturne  de  Dreux,  il  n'a  cessé 
de  répéter  à  chaque  incident  :  a  Comme  Charles  Xt  comme 
Charles  X!  »  A  l'entendre  murmurer  ces  mots,  qui  sont  la 
sentence  du  ciel,  on  eût  dit  que,  dans  son  âme  bourrelée 
de  remords,  il  s'établissait  une  comparaison  et  un  rappro- 
chement entre  les  malheurs  de  la  royauté  légitime  et  la 
punition  d'un  usurpateur.  Cette  punition  était  méritée,  elle 
fut  pleine  d'angoisses. 

»  La  crainte  s'était  emparée  de  Louis-Philippe  et  de  sa 
famille.  Eux  qui,  selon  la  oarole  de  l'Apôtre,  «  au  lieu  de 
»  faire  servir  leurs  membres  à  la  justice,  les  avaient  fait 
»  servir  h  l'iniquité,  »  ils  supposaient  à  la  France  et  au 
gouvernement  provisoire  des  sentiments  qui  n'existaient 
point.  Heureuse  d'être  débarrassée  de  l'orléanisme,  la 
France  marchait  vers  l'inconnu  ;  mais  la  pensée  de  se  faire 
gendarme  ou  geôlière  n'entra  pas  plus  dans  ses  intentions 
que  dans  sa  volonté.  Les  d'Orléans  ne  purent  se  croire  à 
l'abri  des  poursuites;  ils  souffrirent  de  tous  les  maux  qu'ils 
rêvèrent.  Ce  fut  leur  premier  châtiment.  Louis-Philippe 
était  obsédé  de  ce  supplice  comme  d'une  idée  fixe.  Il  a 
peur  de  tomber  sous  la  mam  des  légitimistes,  peur  de  se 
voir  prisonnier  de  la  république.  Sa  mémoire,  pleine 
d'images  lugubres,  lui  retrace  les  sombres  épisodes  et  les 
plus  sombres  conséquences  du  voyage  de  Varennes.  Ses 
souffrances  du  corps  et  de  l'esprit,  dont  Marie-Amélie  ne 
peut  calmer  l'amertume,  s'augmentent  des  inquiétudes  de 
la  paternité.  Il  ignore  ce  que  devient  sa  famille,  dispersée 
par  le  souffle  des  révolutions.  Puis  Rambouillet,  Saint-Leu 
et  Blaye,  ces  trois  crimes  que  Dieu  n'a  point  prévenus, 
mais  qu'il  punit  enfin,  s'évoquent  comme  les  trois  Furies 
pour  agiter  son  sommeil.  Errant  sous  le  froid  et  sous  la 
pluie,  battu  par  tous  les  vents,  en  proie  h  ces  supplices  de 


LA  RÉVOLUTION   DE  JUILLET   1830,  403 

l'âme  qui  dévorent  les  membres,  il  a  hâte  de  mettre  le 
détroit  entre  lui  et  ses  persécuteurs  chimériques.  Il  aspire 
îi  la  mer,  il  tend  vers  la  mer. 

»  Cet  homme,  qui  n'a  vécu,  qui  n'a  régné  qu'en  flétris- 
sant l'émigration  et  les  émigrés,  émigré  volontairement 
une  troisième  fois.  Il  fuit  à  toute  force  le  sol  natal  qui 
peut  le  dévorer.  Les  yeux  tournés  vers  les  côtes  d'Angle- 
terre, il  use  de  faux  noms,  il  se  grime  à  neuf,  afin  de 
mieux  dissimuler  son  identité.  Les  soins  hospitaliers  de 
M.  de  Perthuis,  son  ancien  officier  d'ordonnance,  lui  de- 
viennent à  charge  sur  le  territoire  français.  Il  attend,  il 
désire  Vexpress  ou,  à  défaut  de  vapeur  britannique,  la  pre- 
mière barque  de  pécheur  qui  lui  fera  franchir  la  Manche.  ■ 
Les  usurpateurs  déchus  ont  seuls  de  ces  précipitations, 
qu'en  exil,  à  tête  reposée,  ils  arrangent  en  stances  patrio- 
tiques ou  en  élégies  sur  le  mal  du  pays. 

>  La  mer  n'est  pas  tenable;  les  pilotes  les  plus  intré- 
pides refusent  d'embarquer,  même  à  prix  d'or.  La  tempête 
gronde  sur  les  flots,  comme  la  révolution  dans  les  âmes,  et 
Louis-Philippe,  tremblant  de  frayeur,  se  livre  aux  plus 
noirs  pressentiments.  Enfin,  le  2  mars,  après  sept  jours 
d'incidents  et  de  tribulations,  un  visage  anglais  se  montre 
en  messager  de  salut.  C'est  le  consul  britannique  au 
Havre,  qui  apporte  la  bonne  nouvelle  et  le  sauvetage.  Par 
ordre  de  son  gouvernement,  il  annonce  que  l'express  est  k 
la  disposition  de  Louis-Philippe.  Depuis  Dreux,  la  roi  de 
Juillet  se  nomme  M.  Lebrun  ;  en  mettant  le  pied  sur  le  na- 
vire anglais,  il  s'appelle  William  Smith. 

»  Dans  la  matinée  du  3  mars,  les  fugitifs  abordèrent  au 
rivage  de  Newhaven.  Le  4,  ils  se  trouvaient  au  château  de 
Claremont,  dans  les  bras  de  leurs  enfants  et  de  leurs 
petits-enfants,  réunis  après  tant  de  catastrophes  et  de 
périls  entrevus  dans  l'imagination. 

»  Louis-Philippe  avî^it  de  graves  reproches  à  se  faire; 


404  LA  RÉVOLUTION   DE   JUILLET   1830. 

la  maison  de  Bourbon  en  a  de  plus  graves  k  lui  adresser. 
Des  paroles  de  miséricorde  et  de  consolation  furent  ap- 
portées du  château  de  Froshdorfau  château  de  Claremont. 
L'exil  immérité,  prodigue  de  miséricordes,  compatissait 
aux  tortures  d'un  juste  exil.  En  s'associant  à  ses  douleurs 
de  famille  et  à  ses  tristesses  de  la  patrie  absente,  il  lui 
disait  avec  le  Prophète  :  «  Vous  voilà  blessé  comme  nous, 
»  et  vous  êtes  fait  semblable  à  nous.  »  Louis-Philippe, 
assure-t-on,  comprit,  malgré  son  affaiblissement  sénil,  la 
sainte  noblesse  de  ce  langage.  Au  triple  point  de  vue  de 
la  famille,  de  l'ordre  social  et  du  droit  monarchique,  il 
avait  commis  des  fautes  irréparables.  Indécis  au  bout  de 
sa  carrière  ainsi  que  dans  son  âge  mûr,  il  essaya  de  les 
racheter  par  une  fin  de  non-recevoir.  En  parlant  sur  son 
lit  de  mort  de  la  fusion  des  deux  branches  de  la  famille 
des  Bourbons,  il  murmurait  encore  :  «  Henri  V  doit  être 
le  chef  de  la  maison  d'Orléans*.  » 

*  Nous  détachons  le  passage  suivant  d'un  article  du  chevalier 
des  Mousseaux, publié  dans  le  Monde: 

«  Louis-Philippe  se  recueille  devant  la  mort,  il  examine  reli- 
gieusement sa  conscience  et  s'inspire,  avant  de  parler,  des  con- 
seils de  son  expérience,  ramené  qu'il  est  par  le  malheur  et  par 
le  sentiment  d'une  fin  prochaine  à  une  saine  vision  des  choses. 
Car  il  touche  à  l'heure  que  décrit  le  sage  des  temps  anciens, 
travaillé  par  la  ciguë  qu'il  vient  de  boire,  et  près  de  passer  de 
ce  monde  dans  un  autre  monde.  Ses  disciples  l'entourent,  l'in- 
terrogent, et  il  se  hâte  de  leur  inculquer  cette  utile  et  philoso- 
phique vérité  que  lui  dicta  la  mort  : 

«  A  ce  moment,  tout  change  d'apparence;  de  nouvelles  lu- 
»  mières  envahissent  les  yeux,  et  les  choses  se  présentent  à 
»  nous  sous  un  aspect  bien  dilférent  de  celui  qu'elles  avaient 
»  pris  pour  nous  leurrer » 

»  Mon  cher  Duchùlel,  dit  le  mourant  à  son  ancien  ministre, 
qui  lui  rendait  sa  dernière  visite,  j'ai  voulu  vous  voir  une  der- 
nière fois...  Continuez  à  ma  famille,  à  mes  enfants,  lorsque  je 
ne  serai  plus,  le  dévouement  que  vous  m'avez  montré;  soyez 
leur  conseil,  leur  ami,  comme  vous  avez  été  le  mien. 


LA   RÉVOLUTlOiN    DE   JUILLET    1830.  403 

»  Ce  vœu  fut  peut-être  la  dernière  espérance  de  ce 
prince,  dont  ta  vie  est  maintenant  livrée  aux  sévérités  de 
l'histoire;  Dieu  jugea  qu'il  était  assez  puni  dans  ce  monde. 
Dieu  ne  permit  pas  qu'une  main  d'homme,  la  main  d'un 
Bonaparte,  aggravât  son  châtiment  par  le  supplice,  le 
plus  terrible  de  tous  les  supplices  pour  sa  race.  Quand  les 
décrets  du  22  janvier  1852  enlevèrent  aux  citoyens  Egalité 
l'apanage  des  ducs  d'Orléans  et  les  obligèrent  à  vendre 
tous  leurs  biens  situés  en  France,  Louis-Philippe  avait  cessé 
de  vivre  depuis  longtemps.  Il  était  mort  le  26  août  1850.  ■ 

Quelques  iDjnstices  en  Belgique  sous  le  règ-ne  da 
g^endre  de  Louis-Philippe. 

Afin  de  suivre  l'ordre  chronologique,  nous  terminerons 
ce  chapitre  par  les  deux  traits  suivants  : 

—  Le  lundi  matin  18  juillet  1842,  «  la  dame  veuve 
Anne-Marie  Van  Isterdael,  âgée  de  quatre-vingt-deux  ans, 
et  sa  sœur  Catherine,  âgée  de  soixante-quinze  ans,  de- 
meurant à  Alsemberg,  près  de  Bruxelles,  furent  trouvées 
gisantes  dans  leur  chambre  à  coucher,  l'une  sur  le  lit, 
l'autre  sur  le  carreau.  La  première  avait  le  cou  coupé  et 

»  Mon  vœu  le  plus  cher  est  que  mes  enfants  se  rapprochent 
du  chef  de  notre  maison,  de  Me'  le  comte  de  Chambord. 

»  Ils  peuvent  se  voir  sans  avoir  rien  à  oublier  ni  à  expliquer. 
Mon  passé  ne  me  permettait  pas  de  tenter  un  rapprochement. 
Que  mes  fils  soient  plus  heureux  que  moi  ! 

»  Vous  les  connaissez,  mon  cher  Duchàtel,  ils  ont  tous  le  cœur 
bien  placé.  Ils  sont  courageux,  appliqués  à  leurs  devoirs,  mais 
aucun  d'eux  n'est  doué  d'initiative.  La  décision,  l'esprit  politique 
leur  fait  défaut. 

))  Et  surtout  qu'ils  se  gardent  bien  d'aucune  entreprise  par- 
ticulière, de  vouloir  recommencer  l'expérience  que  nous  avons 
tentée  I  Y  réussiraient-ils  un  instant,  vous  verriez  les  cent  jours 
de  la  maison  d'Orléans.  » 


/i06  LA  RÉVOLUTION  DB  JUILLET  1830. 

douze  blessarcs  mortelles;  la  seconde  avait  neuf  blessures, 
aussi  mortelles,  faites  à  l'aide  de  couteaux. 

»  L'argent  qui  se  trouvait  dans  deux  coffres  avait  été 
enlevé.  Aucune  effraction  ne  put  être  constatée.  Les 
voleurs  s'étaient  introduits  dans  la  maison  par  escalade.  » 

Voilà  ce  qu'annonçaient  les  journaux  du  lendemain. 

Quelques  semaine  après  on  arrêta  le  meurtrier.  Il  se 
nommait  Jean-Jacques  Van  den  Bossche. 

Lorsque,  le  21  février  1843,  on  fit  son  procès  à  la  cour 
d'assises  de  Bruxelles,  il  fut  convaincu  d'avoir  assassiné 
les  sœurs  Van  Isterdael,  chez  qui  il  avait  pris  une  somme 
de  3,000  fr.  dont  2,400  lui  restaient  encore  dans  uu  petit 
coffre. 

Le  témoin  Demeurs,  receveur  des  contributions  à  Al- 
semberg,  lieu  du  meurtre,  expliquant  l'origine  de  cette 
somme  chez  des  femmes  de  médiocre  aisance,  déclare  que 
le  défunt  époux  d'Anne-Marie  Van  Isterdael,  la  première 
victime,  en  son  vivant  garde  forestier,  était  aussi  trésorier 
des  revenus  de  l'église  d'Alsemberg,  et  tenait  en  sa  pos- 
session, lorsqu'il  était  mort,  une  somme  de  3,000  fr.  ap- 
partenant à  ladite  église.  Après  son  décès,  on  avait  rede- 
mandé cet  argent  à  sa  veuve,  qui  n'avait  voulu  ni  convenir 
du  fait  ni  rendre  la  somme.  Quelque  temps  après,  l'argent 
de  l'église  qu'elle  détenait  tenta  un  voleur,  et  elle  mourut 
assassinée  *. 

—  Ce  qui  suit,  dans  les  profanations,  a  un  autre  ca- 
ractère. La  belle  église  des  Jésuites  do  Liège,  après  leur 
suppression,  fut  changée  en  un  théAtre.  Cette  étrange  mé- 
tamorphose ne  manqua  pas  de  soulever  les  clameurs  pu- 
bliques, et  même  les  ministres  réformés  déclarèrent  dans 
leurs  prêches  qu'ils  regardaient  celte  entreprise  comme 

1  Voyez  les  journaux  de  Diuxe)les,  février  1843. 


LA  RÉVOLUTION  DE  JUILLET  1830.  407 

odieuse;  car  elle  était  une  violation  manifeste  d'un  culte 
religieux.  Elle  ne  se  consomma  que  par  les  menées 
sourdes  de  quelques  magistrats  philosophes,  qui  pro- 
fitèrent de  l'absence  de  leurs  collègues  pour  l'approuver. 
Or,  à  peine  avait-on  mis  la  main  à  l'ouvrage,  que  celui  qui 
le  premier  avait  placé  des  actions  sur  ce  théâtre  fut  enlevé 
par  une  mort  subite.  Le  grand  meneur  de  la  profanation 
eut  peu  après  une  fin  plus  tragique  encore.  Tombé  de  son 
haut  en  pleine  rue,  il  eut  la  tête  cassée,  et  au  bout  d'un 
mois  de  démence  il  expira,  sans  avoir  pu  se  reconnaître, 
quelques  jours  avant  l'ouverture  de  son  théâtre. 

Beaucoup  de  profanations  analogues  n'ont  pas  eu  de 
meilleurs  résultats  '. 

Depuis  cette  époque,  le  libéralisme,  si  souvent  condamné 
par  l'auguste  Pie  IX,  a  fait  de  terribles  ravages  en  Belgique. 
On  pourra  désormais,  selon  la  parole  du  divin  Maître,  juger  de 
l'arbre  par  ses  fruits;  or  les  fameux  principes  de  89  appliqués 
dans  ce  pays  si  religieux,  ont  abouti  à  l'oppression  brutale  des 
catholiques.  Les  sectaires  arrivés  au  pouvoir,  grâce  à  la  tolé- 
rance et  à  l'incurie  des  libéraux-conservateurs,  ne  gardent  plus 
de  mesure.  Les  mariages  purement  civils  sont  inta'oduits,  les 
enfouissements  solidaires  sont  à  l'ordre  du  jour;  les  cimetières 
bénits  sont  profanés  et  souillés  par  les  cadavres  des  athées  ;  le 
nom  adorable  de  Dieu  est  banni  de  tous  les  actes  officiels  ;  la 
religion  et  le  clergé  sont  exclus  des  écoles  de  l'Etat  ;  la  presse 
vénale  insulte  impunément  de  la  manière  la  plus  outrageante, 
nos  mystères  les  plus  saints,  le  Vicaire  de  Jésus-Christ  et  les 
prêtres.  Les  fidèles  qui,  usant  d'un  dernier  reste  de  liberté,  se 
permettent  de  faire  des  pèlerinages,  sont  exposés  ù  des  injures 
et  h  des  sévices  de  la  part  de  la  canaille,  qui  sait  qu'elle  peut 
compter  sur  l'impunité. 


LIVRE   QUATRIEME. 
La  Révolution  en  Italie  de  1848  à  1879. 


CHAPITRE  PREMIER. 

LS    PIÉMONT    RÉVOLUTIONNAIRE. 


Sous  prétexte  de  travailler  à  l'indépendance  de  l'Italie, 
le  Piémont  a  voulu  la  conquérir,  et  substituer  ainsi  sa 
propre  domination  à  celle  de  tous  les  princes  de  la  Pé- 
ninsule. «  Abusant,  dit  le  Souverain-Pontife  Pie  IX,  de  la 
victoire  qu'il  a  remportée  avec  l'aide  et  le  secours  d'une 
grande  et  belliqueuse  nation,  durant  une  guerre  funeste, 
le  gouvernement  piémontais  a  étendu  sa  domination  en 
Italie,  au  mépris  de  tous  les  droits  divins  et  humains. 
Comme  si  le  premier  chef  populaire  pouvait  usurper  im- 
punément et  à  son  gré  le  pouvoir  suprême  dans  de  petits 
Etats.  L'histoire  de  la  formation  du  royaume  d'Italie  est 
l'histoire  de  toutes  les  trahisons,  de  toutes  les  corruptions, 
de  toutes  les  turpitudes  que  l'on  puisse  imaginer.  Il 
n'existe  peut-être  pas,  dans  les  fastes  de  l'Europe,  un  fait 
plus  immoral  et  plus  honteux.  » 


LA  RÉVOLUTION   EN   ITALIE   DE  1848  A  1879.  409 


{Invasion  piémontaise 

oomme  motifs  et  pièces  iustificatives  d'un  jugement 
aussi  grave  que  mérité,  l'histoire  redira  en  détail  toutes 
les  horreurs  de  l'invasion  piémontaise,  dont  voici  seule- 
meni  un  rapide  sommaire,  tracé  aussi  par  un  éminent 
prélat.  Et  d'abord  «  cette  violation  du  traité  de  Zurich  im- 
médiatement après  sa  signature,  à  la  minute  même  où  l'encre 
séchait  encore  sur  le  papier,  dit  Proudhon.  Et  qu'aurait-on 
dit  si,  au  lendemain  du  traité,  l'Autriche  l'avait  jeté  au 
vent  et  eût  envahi  la  Lombardie?  On  aurait  crié  à  la 
perfidie  et  à  la  violation  des  traités  1  Des  sommations- 
faites  au  Saint-Père  pour  désarmer  ses  défenseurs,  au 
moment  même  où  les  envahisseurs  appelaient  tous  les 
peuples  à  la  révolte  et  aux  armes  ;  une  lâche  agression 
sans  déclaration  de  guerre  ;  des  ultimatum  présentés  après 
l'invasion  des  territoires  ;  cette  transformation  du  droit  le 
plus  simple,  d'un  souverain  qui  se  défend,  en  une  insulte 
au  droit  national;  ces  prétextes  de  troupes  étrangères, 
quand  on  avait  soi-même  des  légions  hongroises,- anglaises 
et  polonaises  sous  ses  drapeaux;  ces  reproches  d'émeutes 
qu'on  avait  soi-même  excitées ,  et  de  répressions  qu'on  a 
provoquées  et  nécessitées  ;  ces  proclamations  mêlant  aux 
plus  grossiers  outrages  des  ordres  d'extermination  ;  ces 
mots  de  misérables,  de  sicaires  avides  d'or  et  de  pillage,  de 
hordes  papales,  etc.,  jetés  à  des  héros  français  ou  belges, 
la  fleur  du  catholicisme;  cette  surprise  au  moyen  d'infâmes 
mensonges,  ou  plutôt,  selon  l'énergique  expression  du 
juge  le  plus  compétent,  cet  assassinat,  à  Casteltidardo, 
d'une  petite  armée  par  une  armée  dix  fois  plus  nombreuse, 
ces  douze  heures  de  bombardement  d'Ancôiie  au  mépris 
de  toutes  les  lois  de  la  guerre  et  de  l'honneur,  d'une  place 

18 


410  LA  RÉVOLUTION  EN  ITALIE 

qui  capitule  et  qui  est  protégée  par  le  drapeau  parlemen- 
taire', etc. 

>  Cet  envahissement,  en  pleine  paix,  d'un  royaume  allié  ; 
ces  embarquements,  en  plein  jour,  dans  les  ports  du  Piô- 
pont;  ces  enrôlements  publics  de  forbans  dans  toutes  ses 
villes;  cette  comédie  diplomatique  du  gouvernement  pié- 
montais,  qui,  tant  que  le  succès  est  douteux,  nie  effronlé- 
mcnt  sa  complicité,  pour  l'avouer  plus  tard  et  en  recueillir 
les  bénéfices  avec  une  cynique  audace  ;  ce  débarquement 
de  Garibaldi  protégé  par  des  vaisseaux  anglais  ;  cette  fu- 
sillade des  prisonniers  de  Milazzo  jwnr  donner  un  salutaire 
exemple;  cette  proclamation  de  la  loi  agraire;  ce  partage 
des  biens  communaux  aux  combattants  et  aux  victimes  de 
l'ancienne  tyrannie;  les  quinze  cents  forçats  de  Castella- 
mare  mis  en  liberté  sur  leur  parole  d'honneur;  ce  décret 
qui  proclame  sacrée  la  mémoire  de  l'assassin  Agésilas 
Milano*,  etc. 

*  La  Liberté  cattolica,  en  réponse  aux  clameurs  de  la  presse 
contre  le  Pape,  se  contentait  naguère  de  reproduire  la  statis- 
tique, publiée  le  14  août  1861,  des  massacres  accomplis  durant 
neuf  mois  seulement,  de  septembi-e  1800  à  mai  18G1,  dans  le» 
seules  provinces  napolitaines,  par  les  amis  de  cette  presse  : 

Fusillés  sur-le-champ,  1,841;  —  après  quelques  heures, 
7,127  ;  —  blessés,  10.004;  —  prisonniers,  6,112  ;  —  prêtres  fu- 
sillés, 54;  —  moines  fusillés,  22;  —  maisons  incendiées,  918  ; 
—  villages  incendiés,  Ji;  églises  pillées,  12;  —  enfants  tués» 
60;  —  femmes  tuées,  48;  —  individus  arrêtés,  13,620.  Et  toutes 
CCS  victimes  n'étaient  pas  certes  des  assassins. 

2  Les  italianissimes  n'ont-ils  pas  célébré  unanimement  Agésilas 
Milano,  exécuté  pour  avoir  tenté  d'assassiner  le  roi  de  Naples, 
Ferdinand  II?  Le  Morning-Post,  journal  de  la  haute  société 
d'Angleterre,  n'a-t-il  pas  énuméré,  le  22  décembre  ISiiC,  les  ver- 
tus du  régicide?  Le  Ghbe  n'a-t-il  pas  dit,  le  11  décembre  185G, 
que  la  nouvelle  de  l'assassinat  du  roi  Ferdinand  circulait  à 
Londres  huit  jours  avant  l'attentat?  L'Italie  de  Gènes  n'appelait* 
elle  pas,  depuis  un  mois,  ce  souverain  le  fmroi  de  Naples?  î\'a.- 
t-ou  pas  écrit  en  Piémont  le  panégyrique  de  l'assassin?  Plu- 


DE  1848  A  1879.  411 

»  Ce  jeune  roi  François  II,  qui,  au  moment  où  il  tend  une 
main  loyale  au  Piémont,  voit  la  perfidie  et  la  trahison  pié- 
montaises  partout  autour  de  lui  :  dans  sa  flotte,  dans  son 
armée,  dans  le  ministère  qu'on  lui  a  désigné,  et  jusque 
dans  sa  famille  ;  le  roi  piémontais  lui-même,  sans  déclara- 
tion de  guerre,  et  tandis  que  les  ministres  respectifs  étaient 
encore  accrédités  auprès  des  deux  cours,  venant  en  aide  à 
Garibaldi,  et  le  soutenant  de  son  artillerie  sur  les  bords 
du  Volturne;  le  mensonge  de  la  complicité  tacite  faisant 
ainsi  place  au  scandale  de  la  complicité  effrontée  et  cynique; 
et  de  là  cette  entrevue  du  révolutionnaire  avec  le  roi,  qui 
lui  tend  la  main  et  lui  dit  ;  «  Merci  I  ^  puis  cette  entrée  à 
Naples,  côte  à  côte  dans  la  même  voiture,  du  forban  en 
blouse  avec  le  roi;  et  puis  cependant,  plus  tard,  Garibaldi 
fusillé  à  Aspromonte,  sur  le  sol  même  qu'il  a  conquis 
pour  le  Piémont,  comme  pour  frapper,  dit  Pelletan,  le  bien- 
faiteur sur  le  bienfait,  etc. 

^  L'état  de  siège  dans  les  provinces  napolitaines  ;  tout 
mouvement  contre  le  mouvement  piémontais  puni  de 
mort;  le  cri  de  Vive  François  II  puni  de  mort;  des  soldats 
de  François  II,  uniquement  pour  avoir  été  fidèles  à  leur 
roi,  punis  de  mort  ;  les  colonnes  piémontaises  lancées  en 
tous  sens  dans  le  pays  pour  y  porter  la  terreur  et  la  mort; 
d'effroyables  ordres  du  jour;  Gialdini  ordonnant  de  fusiller 
sans  merci  les  paysans  parce  qu'ils  sont  fidèles  à  leur 
prince,  au  Pape,  à  leur  religion,  à  leur  pays;  Pinelli  plus 
sauvage  encore  :  Il  faut,  dit-il,  écraser  le  vampire  sacer^ 
dotal,  le  vicaire  non  du  Christ,  mais  de  Satan;  nous  purifie- 

sieurs  journaux  n'ont-ils  pas  publié  son  apologie  ?  Les  poètes 
n'ont-ils  pas  chanté  ses  louanges?  iN'a-t-on  pas  frappé  à  Gênes 
et  distribué  à  Turin  une  médaille  destiné^  à  éterniser  sa  mé- 
mou-e?  Comment,  après  ces  faits  et  après  tant  d'aveux,  oser 
dire  que  ks  assassins  ne  sont  d'aucun  iiarli  ? 


412  LA  RÉVOLUTION  EN   ITALIE 

rons  par  le  fer  et  par  le  feu  les  pays  infectés  de  cette  bave  im- 
pure;  soyez  inexorables  comme  le  destin;  contre  de  tels 
ennemis  la  pitié  est  un  crime;  Fantoni  menaçant  de  fusiller 
quiconque  donnerait  le  moindre  secours  aux  insurgés 
napolitains,  ou  même  serait  convaincu  d'avoir  sur  soi  plus 
de  pain  qu'un  individu  n'en  peut  consommer  en  un  jour  ; 
le  major  Fumel  promettant  une  récompense  de  cent  francs 
pour  chaque  brigand  que  l'on  amènerait  mort  ou  vif;  pa- 
reille somme  promise  à  tout  brigand  qui  tuera  un  de  ses 
semblables  :  quiconque  restera  indifférent  sera  considéré  et 
traité  comme  brigand,  etc. 

»  En  conséquence  de  ces  ordres  barbares,  on  vit  d'ef- 
froyables fusillades,  des  prêtres,  des  magistrsts,  des 
femmes,  des  mères,  emprisonnés,  fusillés  ;  en  une  seule 
fois,  treize  bergers  brûlés  vifs  dans  leurs  fenils;  quatorze 
villes  incendiées  et  leurs  habitants  poursuivis  et  fusillés. 
Avec  les  fusillades,  les  bombardements  ;  après  le  bombar- 
dement d'Ancône,  le  bombardement  de  Capoue  ;  après  le 
bombardement  de  Capoue,  le  bombardement  de  Gaëte,  un 
des  plus  effroyables  dont  l'histoire  fasse  mention;  les 
bombes  s'attaquent  spécialement  aux  maisons,  aux  églises, 
aux  hôpitaux;  l'explosion  des  poudrières  par  trahison; 
les  ofticiers  de  l'ancienne  marine  napolitaine  traduits  de- 
vant les  conseils  de  guerre  piémontais,  parce  que,  chez 
eux,  un  dernier  reste  d'honneur  se  refusait  à  bombarder 
leur  roi  et  leur  jeune  et  héroïque  reine.  Au  milieu  de  tout 
cela  une  votation  sous  la  terreur  des  baïonnettes,  du  stylet 
et  des  bombes.  Faites  le  compte  des  bombes  et  des  suf- 
frages, conclut  l'éminent  prélat,  auteur  de  ce  sommaire 
d'iniquités,  le  Piémont  a  lancé  plus  de  bombes  qu'il  n'a  re- 
cueilli de  suffrages  *.  » 

»  Victor-Emmanuel  a  bombardé  Palerme,  il  a  bombardé 
Ancône,  il  a  bombardé  Gaële!  C'est  le  souverain  italien  qui  a 
fait  le  plus  bombarder.  Il  a  fait  pleuvoir  le  fer  et  le  feu,  mémo 


DE  1848  A  1879.  413 

L'impiété  et  l'immoralité  ont  marché  de  pair  avec  la  vio* 
lence.  «  L'un  des  plus  hideux  traits  de  la  révolution  d'Italie, 
a  dit  à  la  tribune  anglaise  lord  Malmesbury,  est  la  vente  et 
l'exposition  puHique  des  gravures,  des  photographies  et 
des  livres  les  plus  abominables,  expressément  inventés,  je 
puis  le  dire,  pour  corrompre  la  jeunesse  des  deux  sexes. 
Il  n'y  a  pas  une  boutique  à  Londres  qui  ne  serait  fermée, 
si  elle  mettait  en  vente  des  infamies  pareilles  à  celles  qu'on 
voit  à  Naples  tous  les  jours  et  dont  la  vente  est  permise. 
La  presse  athée  travaille  de  toutes  ses  forces  à  l'œuvre  de 
perversion,  et  la  vie  même  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
est  l'objet  d'un  scandaleux  roman,  intitulé  le  Charpentier 
de  Nazareth.  Des  brochures  de  la  forme  la  plus  dégoû-. 
tante  sur  la  famille  royale,  sur  le  Pape,  sur  les  ministres 
de  la  religion,  et  même  sur  les  pauvres  Sœurs  de  Charité, 
pullulent  à  tous  les  étalages  des  libraires,  et  je  n'aurais 
jamais  pu  imaginer  jusqu'à  quel  degré  d'indécence  elles 
peuvent  aller,  si  je  ne  l'avais  vu  par  moi-même.  > 

Voici  ce  qu'Etienne  San-Pol,  rédacteur  en  chef  du  Con- 
temporaneo  de  Florence,  écrivait  [avant  la  dernière  insur- 
rection de  Palerme.  Ces  chiffres  ont  leur  éloquence  : 

«  Dans  le  seul  arrondissement  de  Palerme,  la  statistique 

après  capitulation,  comme  à  Ancône.  Et  Victor-Emmanuel  n'a 
pas  bombardé  pour  se  défendre,  mais  pour  attaquer  en  dehors 
de  tout  droit.  C'est  un  roi  «  Bomba  »  sans  excuse.  La  mitraille 
serait-elle  moins  meurtrière  lorsqu'on  saute  à  pieds  joints  sur 
les  traités  et  le  droit  des  gens  ? 

Nous  remarquons  plus  d'une  fois  que  nos  adversaires  ou- 
blient les  événements  ;  mais  trop  oublier  finit  par  être  de  la 
maladresse.  Nous  n'oublions  pas,  quant  à  nous,  que  les  bom- 
bardements de  Palerme,  d'Ancône  et  de  Gaëte,  et  les  fusil- 
lades et  les  incendies  du  royaume  de  Naples  resplendirent 
autour  du  berceau  du  nouveau  royaume  de  Victor-Emma- 
nuel. 


Ai't  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

criminelle  de  quatre  mois  seulement  a  présenté  l'épouvan 
table  chiffre  de  6,745  délits  et  crimes  divers,  dont  794 
étaient  des  meurtres  et  1,096  des  vols  ou  agressions. 
A  Païenne,  en  un  seul  jour,  on  a  vu  le  navrant  spectacle 
de  plus  de  164  délits,  et  dans  l'espace  de  vingt  jours  seu- 
lement, les  assassinats  ont  atteint  l'épouvantable  et  déso- 
lant chiffre  de  98  ! 

»  Pendant  l'année  1867,  le  nombre  des  homicides  s'était 
élevé,  dans  l'Italie  régénérée,  h  2,626. 

»  Ce  chiffre  accuse  en  Italie  une  épouvantable  démorali- 
sation. Ce  pays  est  aujourd'hui,  à  tous  égards,  la  honte  de 
l'Europe  civilisée.  » 

Eh  bien,  sait-on  dans  quels  termes  le  Journal  officiel  de 
l'Einpire  français  parlait  alors  du  royaume  d'Italie? 

•  Les  documents  officiels  récemment  publiés  par  la  di- 
»  rection  générale  de  la  statistique  du  royaume  jettent  une 
»  vive  lumière  sur  les  progrès  de  divers  genres  qui  s'accom- 
»  plissent  en  Italie.  * 

«  Le  député  sicilien  Ferrari  affirme  que  toute  sa  patrie 
est  sous  l'effroi  des  sicaires,  des  larrons,  des  assassins, 
des  traîtres,  des  espions  ;  que  les  campagnes  elles-mêmes 
sont  infestées  de  bandes  armées;  que  l'on  brûle  les  mois- 
sons, qu'on  disperse  les  récoltes,  que  l'on  tue  le  bétail, 
que  l'on  rançonne  les  propriétaires,  que  l'on  attaque  les 
courriers,  que  l'on  menace  les  juges,  qu'on  punit  les  té- 
moins, qu'on  fusille  sans  procès,  qu'on  emprisonne  sans 
motifs,  qu'on  fait  mourir  de  faim  les  prisonniers,  qu'on 
bâtonnc  les  prévenus,  qu'on  exile  les  suspects,  et  que  l'on 
oublie  même  dans  les  cachots  les  captifs  durant  des  mois 
entiers.  En  trois  ans,  on  a  fusillé  jusqu'à  10,000  personnes, 
Les  prisonniers  dépassent  actuellement  20,000.  Les  sus- 
pects éloignés  de  l'île  atteignent  le  nombre  de  7,000.  On 
compte  déjà  plus  de  16,000  réfractaires  à  la  conscription. 
Plus  de  14,000  personnes   ont  émigré  volontairement. 


I 


DE  1848  A  1879.  41o 

4,000  baïonnettes  ne  suffisent  pas  pour  garantir  l'ordre,  la 
sûreté  et  l'honneur  des  gens  paisibles.  » 

Et  toutes  ces  infamies  et  ces  atrocités,  comme  on  a  dit 
au  parlement  anglais,  et  ce  hideux  spectacle  de  perfidie, 
d'impiété,  de  violence,  d'iniquité,  d'anarchie,  de  dépréda- 
tions, sont  appelés  par  le  Piémont  et  les  journaux  libé* 
raux  hmne  de  l'oppression,  délivrance,  honheur,  liberté  de 
l'Italie,  règne  du  galant  homme,  etc.  En  vérité,  ce  sont  là  des 
confusions  de  langage  qui,  en  déplaçant  la  honte,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  d'après  un  illustre  prélat,  en  cou- 
vriront notre  époque  :  Et  terra  infecta  est  ah  habitatoribus 
suis,  quia  transgressa  sunt  leges,  et  mutaverunt  jus  (Isaïe, 
XXIV,  5). 

Proudhon  lui-même  n'a  pu  s'empêcher  de  flétrir  tout  ce 
que  le  Piémont,  instrument  de  la  Révolution,  a  fait  en- 
durer à  l'Italie,  «  La  dilapidation,  dit-il,  le  déficit,  l'arbi- 
traire, l'hypocrisie,  la  tyrannie  subalterne,  l'incendie,  le 
massacre,  la  ruine,  voilà  ce  que,  depuis  quatre  ans,  l'Italie 
a  recueilli  de  cette  politique  unitaire  préconisée  depuis 
1820  par  Mazzini,  reprise  en  sous-œuvre  par  Cavour  et  ses 
successeurs,  et  soutenue  en  France  par  une  presse  sans 
autorité.  Un  compatriote  de  Mazzini  a  dit  de  lui  qu'il 
n'avait  su  faire  en  toute  sa  vie  que  deux  choses  :  soutirer 
de  l'argent  aux  riches  et  du  sang  au  peuple,  et  qu'il 
n'avait  jamais  rendu  l'un  et  l'autre.  Les  Italiens  ont  de  la 
patience*.  > 


*  Appuyé  sur  l'autorité  de  Farini,  montrons  comment  fut 
gouvernée  la  cité  sainte  pendant  l'absence  du  Pape  et  sous  la 
férule  de  Mazzini. 

Farini  (voyez  l'Etat  romain,  t.  III,  p.  335)  affirme  que  les  chefs 
du  gouvernement  étaient  de  complicité  dans  les  infamies  que 
nous  allons  raconter,  et  qu'on  voyait  le  maître  lui-même  dans 
la  compagnie  de  scélérats  dont  la  familiarité  enleva  au  gou- 
vernement toute  autorité  pour  réprimer  leurs  déportements. 


^^^  l'A   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

Le  langage  des  journaux  révolutionnaires  est  quelque- 
fois  pour  nous  un  sujet  d'admiration,  car  il  est  difficile  de 
ne  pas  admirer  jusqu'à  quel  point  la  force  de  la  vérité  se 
fait  sentir  et  comment  ceux  qui  la  combattent  sont  amenés 

Trois  malheureux  jésuites  furent  arrêtés  et  conduits  à  Rome 
au  miheu  des  imprécations  d'une  foule  furieuse,  et  on  les  u  it 
en  pièces  au  pont  Saint-Ange.  On  dévastait  les  maisons  Ce 
campagne,  et  l'on  ne  respectait  ni  les  biens  ni  les  personne?. 
On  menaçait  sourdement  les  couvents  du  pillage,  car  il  fallait 
à  ces  appétits  insatiables  l'argenterie  des  églises  et  des  mo- 
nastères. On  prenait  tout,  chevaux,  meubles  et  vêtements, 
pour  le  service  de  l'armée  :  c'était  le  prétexte.  A  Ancône  il  y 
eut  des  meurtres  commis  en  plein  midi,  sur  les  places,  dans 
les  maisons  particuhères,  dans  les  lieux  publics,  en  présence 
des  mihces,  qui  laissaient  faire.  Il  y  eut  des  officiers  de  poliœ 
qui,  remplissant  en  même  temps  les  rôles  d'assassins,  de  ju-es 
et  de  bourreaux,  tuaient  les  citoyens  que  leur  devoir  était ^de 
protéger  contre  toute  violence.  Heureux  celui  qui  pouvait  ra- 
cheter sa  vie  avec  de  l'or  ou  la  sauver  par  la  fuite,  tant  était 
grande  la  terreur  qui  dominait  les  esprits,  tant  l'autorité  était 
avihe  et  la  tyrannie  triomphante!  L'impunité  atteignait  un  tel 
degré  à  Ancône,  que  les  consuls  étrangers  s'en  plaignirent  au 
gouvernement  et  en  firent  connaître  au  dehors  les  horribles 
suites.  On  frappa  d'une  contribution  de  trente  mille  écus  le 
patrimoine  de  la  Mai. -^.n  de  Lorette,  et  c'est  par  la  vertu  drs 
poignards  qu'on  voului:  fonder  une  république.  On  se  moquait 
des  pompes  de  la  cour  papale  ;  on  faisait  des  feux  de  joie  des 
voilures  des  cardinaux  et  des  confessionnaux  qu'on  tirait  des 
églises  pour  les  brûler  sur  la  place  du  Peuple.  L'Italia  del  Po- 
polo  disait  :  «  De  la  flamme  des  voitures  cardinalices  brûlées 
sur  la  place  du  Peuple  est  sortie  une  lumière  qui  éclairera  la 
route  sur  laquelle  les  peuples  s'embrasseront  un  jour  ou  l'autre 
Jans  un  v  litablc  progrès  religieux,  dans  une  même  foi 
d'oeuvres,  de  salut  et  d'amom'  !  » 

Zambianchi,  qui  gardait  la  frontière  napolitaine  avec  ses 
finanzieri,  avait  envoyé  prisonniers  à  Rome  des  prêtres  et  des 
citoyens  signalés  comme  ennemis  de  la  république,  et,  parce 
que  le  gouvernement  les  avait  renvoyés  libres  quelque  temps 
après,  il  avait  juré,  ainsi  qu'il  le  fit  savoir  plus  tard,  d'ajouter 
à  son  métier  de  bandit  celui  déjuge  et  de  bourreau.  Il  tint  son 


DE  1848  A  1879.  417 

à  l'exprimer.  Nous  en  avons  eu  un  exemple,  il  y  quelque 
temps,  dans  le  Diritto  de  Turin.  Veut-on  savoir  quelle 
idée  ce  journal  se  faisait  de  la  pensée  qui  devait  réunir 
au  Parlement  de  Florence  les  hommes  de  son  parti,  ces 
députés  de  la  gauche  que  l'on  appelle  en  italien  e  sinistri? 
Pour  l'exprimer  il  empruntait  les  paroles  de  Dante  : 

Chiama  gli  abitatori  delP  ombre  eterne 
Il  rauco  suon  délia  tartarea  tromba. 

Le  "on  rauque  de  la  trompette  infernale  appelle  les  habitant» 
des  ombres  éternelles. 

On  ne  saurait  mieux  dire.  Quelque  idée  que  nous  nous 
fassions  des  projets  et  des  œuvres  du  parti  révolution- 
naire, nous  n'aurions  pas  trouvé  de  si  heureuses  et  de  si 
justes  expressions.  Mais  le  Diritto  connaît  encore  mieux 
que  nous  les  hommes  dont  il  annonce  la  venue,  et  il  en  sait 


serment.  De  retour  à  Rome,  il  rencontra  sur  la  voie  de  Monte- 
Mario  le  curé  de  Sghirla,  dominicain;  il  le  tua  et  se  vanta  de 
son  action.  S  étant  logé  à  Santa-Maria,  dans  le  Transtévère, 
soit  qu'il  soupçonnât,  soit  qu'il  feignit  de  croire  que  les  prêtres 
et  les  religieux  conspiraient  la  ruine  de  la  république,  il  alla  à 
la  chasse  des  prêtres  et  des  religieux,  les  enferma  dans  Saint- 
Calixte  et  commença  le  massacre.  On  ne  saurait  dire  quel  fut 
le  nombre  des  victimes  :  lui-même  écrivit  dans  la  suite  qu'elles 
étaient  nombreuses.  Mais  disait-il  la  vérité  ou  cherchait-il  à  se 
vanter?  Je  n'ai  pas  le  nom  des  victimes,  excepté  celui  du  curé 
de  Sainte-Marie  de  la  Minerve,  le  P.  Pellicaio,  qui  était  aussi 
dominicain.  Quatorze  cadavres,  dit-on,  furent  trouvés  à  demi- 
enterrés  dans  le  jardin  du  couvent. 

Les  vols,  les  rapines,  les  cruautés,  inaugurés  en  même  temps 
que  le  gouvernement  mazzinien,  continuèrent  jusqu'au  jour 
de  l'entrée  des  Français  dans  Rome.  Ce  jour-là  même,  deux 
ou  trois  prêtres  furent  encore  poignardés  au  milieu  du 
tumulte.  Pantaleoni  attaqué  se  défendit  avec  une  épée,  et 
l'abbé  Perfetti,  qui  l'accompagnait,  fut  frappé  d'un  coup  de 
couteau.  • 

18* 


A\^  LA  RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

peut-être  plus  que  nous  sur  le  caractère  et  le  but  de  la 
mission  qu'ils  ont  à  remplir  en  Italie*. 

—  Nous  lisons  dans  l'Armonia  d'octobre  1869  :  M.  Pré- 
vost-Paradol,  un  des  principaux  rédacteurs  du  Journal  des 
Débats,  a  écrit  au  Pays  une  lettre  dans  laquelle  il  dit,  entre 
autres  choses  :  t  Le  socialisme  ne  fera  jamais  tant  de  mal 
9  à  la  France  que  n'en  fait  la  fondation  de  l'unité  ita- 
»  lienne.  »  Et  cependant  le  Journal  des  Débats  a  toujours 
été  l'un  des  plus  ardents  partisans  du  royaume  d'Italie. 

*  Pour  apprécier  la  révolution  italienne,  il  n'y  a  qu'à  consi- 
dérer quels  sont  ses  correspondants  et  ses  amis  en  France. 

On  sait  que  le  fils  d"un  régicide  a  eu  la  pensée  d'élever  une 
statue  à  l'infâme  Voltaire,  l'ennemi  le  plus  acharné  de  Noire- 
Seigneur  Jésus-Christ.  Les  journaux  ont  reproduit  à  ce  sujet 
la  pièce  qui  suit  : 

Le  directeur  politique  du  Siècle  a  reçu  la  lettre  suivante  : 

«  Caprera,  \  9  février. 

»  Un  monument  à  Voltaire  en  France  signifie  le  retour  de 
ce  noble  pays  à  son  poste  d'avant-garde  du  progrès  humain 
vers  la  fraternité  des  peuples.  C'est  de  bon  augure  pour  lo 
monde  entier,  dont  l'homme  immense  était  citoyen,  et  une 
terrible  secousse  à  la  coalition  du  despotisme  et  du  men- 
songe. 

»  Agréez  mon  obole  et  toute  ma  gratitude. 

»  Votre  G.  Gaiubaldi.  » 


DE  4848  A  1879.  419 


CHAPITRE  II. 

t-ES  HÉROS  PB  LA  RÉVOLUTION   ITALIENNE. 


Charles 'jLlbert. 

Né  en  1798  de  la  branche  de  Carignan  de  la  maison  de 
Savoie,  il  parvint  au  trône  de  Sardaigne  en  1831,  par 
l'extinction  de  la  ligne  royale  de  cette  maison.  Livré  k  la 
R-évolution  par  l'éducation  à  laquelle  sa  mère  l'abandonna, 
il  fut,  à  ce  qu'il  paraît,  affilié  de  bonne  heure  aux  sociétés 
secrètes.  Après  l'abdication  de  Victor-Emmanuel  I",  lors 
de  la  révolution  de  1821,  il  fut  nommé  régent  du  royaume 
en  attendant  l'arrivée  du  nouveau  roi,  Charles-Félix.  Il 
proclama  alors  une  constitution  qui  était  celle  des  cortès 
d'Espagne  ;  mais  l'intervention  armée  de  l'Autriche  le  con- 
traignit bientôt  de  se  réfugier  en  Toscane.  Il  commença 
bientôt  à  mener  la  vie  malheureuse  qui  a  été  le  résultat  de 
la  faiblesse  de  son  caractère.  Pour  se  réhabiliter  au  point 
de  vue  monarchique,  il  fit,  comme  volontaire  dans  l'armée 
française,  la  campagne  de  1823  en  Espagne.  Arrivé  au 
trône,  il  essaya  de  concilier  ses  sentiments  religieux  avec 
ses  engagements  envers  la  Révolution  ;  tel  est  le  secret  de 
son  apparente  duplicité.  Il  donna  au  royaume  de  Sar- 
daigne, en  1847,  la  constitution  représentative  appelée 
Statut  fondamental.  Dupe  de  l'hypocrisie  du  faux  libéra- 
lisme, il  se  laissa  persuader,  par  l'appel  trompeur  fait  à  sa 
religion,  qu'il  était  destiné  à  être  le  libérateur  de  l'Italie  et 


420  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

à  en  chasser  les  Autrichiens.  Battu  à  San-Donato  par  le 
maréchal  Radetzki,  il  fut  forcé  d'évacuer  le  Milanais  et  de 
demander  un  armistice.  Il  se  laissa  bientôt  entraîner  par 
la  démocratie  h  recommencer  la  lutte,  et  Radetzki  lui  re- 
procha cette  violation  des  conditions  de  l'armistice  dans 
une  proclamation  où  il  disait  :  «  Si  j'avais  pressenti  que  la 
dignité  royale  pût  déchoir  à  tel  point  dans  la  personne  de 
Charles-Albert,  je  ne  lui  aurais  pas  épargné  la  honte 
d'une  captivité  à  Milan.  » 

La  polKiqae  de  Charles-Albert  '. 

Tous  les  malheurs  de  l'Italie,  que  nous  déplorons  (et 
Dieu  sait  pour  combien  de  temps  nous  avons  à  les  déplo- 
rer encore),  la  faute  en  est  à  la  politique  de  ce  souverain, 
tantôt  rusée,  tantôt  bizarre,  tantôt  captieuse,  jamais 
franche,  toujours  indécise.  De  son  vivant,  il  fut  adulé,  il 
fut  loué  :  malheur  de  tous  les  princes  de  la  terre.  Ce  furent 
précisément  les  adulations,  les  louanges  et  les  applaudis- 
sements qui  le  perdirent.  Charles- Albert  chassa  un  jour  de 
son  palais  les  anciens  et  fidèles  serviteurs  de  la  couronne, 
t  A  choses  nouvelles  hommes  nouveaux,  »  s'écriait  la 
foule  traîtresse  et  intéressée  des  sectaires;  et  Charles- 
Albert  renvoya  des  conseils  les  vieillards,  les  sages  et  les 
gens  rompus  au  gouvernement,  pour  s'environner  de 
jeunes  gens,  de  téméraires  et  d'hommes  sans  expérience. 
Il  chancela  et  tomba  dans  le  premier  piège. 

Avec  des  jeunes  gens,  avec  des  dandys,  avec  des  Gany 
mèdcs  de  théâtre,  on  ne  gouverne  pas  les  peuples. 

Il  y  faut  l'expérience,  la  sagessse  et  la  maturité  que  les 
enfants  ne  possèdent  pas. 

*  Ces  considérations  sont  en  partie  empruntées  à  un  coura- 
geux publiciste  italien,  Etienne  San-Pol,  rédacteur  en  chef  du 
CoiUemporanco,  de  Florence. 


DE  4848  A  4879.  424 

Cette  vérité,  nous  en  avons  la  preuve  dans  les  pre- 
mières ardeurs  de  jeunesse  qui  se  montrent  en  ce  prince. 

On  a  dit  et  Ton  a  écrit  qu'en  4821  Charles-Albert,  alors 
prince  de  Carignan,  trahit  les  révolutionnaires  de  l'Italie 
entière.  En  l'absence  de  son  légitime  souveram  et  parent, 
il  avait  fait  alliance  étroite  avec  les  rebelles  et  proclamé 
une  constitution  contre  la  volonté  du  prince  dont  il  était  le 
représentant  à  Turin.  Dans  le  fait,  il  les  abandonna  tout-à 
coup;  en  se  retirant  ainsi,  il  laissa  ses  amis  et  ses  com- 
plices exposés  à  la  fureur  des  troupes  demeurées  fidèles  au 
roi  et  aux  rigueurs  de  la  justice. 

La  justice  fut  sévère.  Je  ne  veux  pas  rappeler  tout  ce 
qu'il  coula  de  sang  en  Italie  et  dans  les  rues  mêmes  de  la 
capitale  sarde.  On  fusilla,  on  emprisonna,  on  exila. 
Charles-Albert  se  mit  à  l'abri  et  ne  perdit  pas  un  cheveu; 
au  contraire,  dix  ans  après  cette  échauffourée,  de  simple 
prince  de  Carignan,  il  devenait  roi. 

Quant  aux  complices  de  cette  trahison  juvénile,  plu- 
sieurs furent  pendus  en  effigie  par  la  main  du  bourreau. 

Telle  fut  la  faute  des  libéraux  de  1821,  par  la  faute  de 
Charles-Albert.  Je  dis  par  sa  faute,  parce  que,  s'il  se  fût 
souvenu  des  liens  du  sang  et  des  devoirs  qui  l'attachaient  à 
son  souverain,  s'il  n'eût  point  pactisé  avec  les  rebelles  qui 
menaçaient  sa  patrie  et  le  trône  de  sa  maison  ;  l'Italie,  en 
ces  jours-là,  n'aurait  pas  vu  son  sol  ensanglanté  ni  ses  fils 
tués  par  le  plomb  ou  étranglés  à  la  potence. 

Dès  l'abord,  la  politique  de  Charles-Albert  fut  double. 
Les  années  ne  lui  amenèrent  pas  de  meilleurs  conseils  et 
des  principes  plus  sages. 

Voyons-le  maintenant  sur  le  trône. 

Charles-Félix  mourant  sans  héritier,  la  branche  aînée  de 
la  maison  de  Savoie  s'éteignait,  et  Charles-Albert  montait 


''^22  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

sur  le  trône  de  Sardaigne.  Tous  s'attendaiet.^  h  ce  que,  de- 
venu arbitre  souverain  de  son  pays,  il  inaugurerait  une 
politique  vraiment  italienne.  Les  révolutionnaires,  se  sou- 
venant de  ce  qu'il  avait  fait  en  1821,  se  flattaient  de  l'avoir 
pour  eux.  De  vrais  Piémontâis  espéraient  qu'il  aurait  con- 
tinué la  politique  religieuse,  ferme  et  prudente  des  princes 
de  Savoie,  ses  prédécesseurs  et  ses  modèles. 

L'histoire  l'atteste,  Charles-Albert  ne  prit  aucun  parti  et 
inaugura  une  politique  à  double  face.  Il  caressa  les  catho- 
liques, les  absolutistes,  les  anticonstitutionnels,  les  prêtres, 
les  moines;  il  tendit  la  main  aux  progressistes,  aux  réfor- 
mateurs, aux  révolutionnaires  de  toute  l'Italie. 

Libéral  et  révolutionnaire,  il  n'eut  point,  pendant  qua- 
torze années  de  règne,  le  courage  de  rouvrir  les  jjortes  du 
royaume  à  ses  complices  de  1821.  Religieux  et  absolutiste. 
il  regardait  avec  convoitise  la  couronne  de  fer:  avec  les 
libéraux,  il  ridiculisait  les  hommes  les  plus  sages  qui  sié- 
geaient dans  les  conseils  de  la  couronne. 

N'allez  pas  croire  que  j'exagère.  Des  témoins  parfaite- 
ment dignes  de  foi  nous  rapportent  dans  leurs  écrits  jus- 
qu'à quel  point  Charles-Albert  poussa  un  jour  sa  politique 
ambiguë,  la  légèreté  indécise  de  son  allure. 

Il  venait  de  se  courber  respectueusement,  dans  une  céré- 
monie publique,  devant  le  vénérable  archevêque  de  Turin, 
et  derrière  lui,  il  s'en  moquait  pour  faire  rire  ses  amis. 

Un  historien  indépendant  et  sans  [passion  oserait-il  ap- 
peler loyale  et  vanter  la  politique  d'un  tel  prince?  Les 
révolutionnaires  l'osèrent  bien  et  s'en  trouvèrent  satisfaits. 
Nous  savons  par  les  témoignages  de  ce  matois  de  Giobcrti 
que  le  roi  était  content. 

Charles-Albert  haïssait  l'Autriche;  il  en  convoitait  les 
possessions  italiennes,  il  se  promettait  de  lui  faire  la 
guerre  ;  en  attendant,  pour  lui  cacher  ses  pensées,  il  en 
prenait  les  avis,  en  exécutait  les  ordres,  persécutait  les 


DE  1848  A  1879  423 

révolutionnaires  et  formait  les  alliances  de  sa  famille  avec 
les  Allemands. 

Le  soir  même  qui  précéda  la  descente  des  armées  pié- 
montaises  au  secours  de  la  révolution  de  Milan,  par  ordre 
de  Charles-Albert,  lui,  Charles-Albert,  devant  l'ambassa- 
deur d'Autriche,  protestait  de  son  inviolable  fidélité,  de 
son  respect  pour  les  traités,  de  son  amitié  inaltérable  et 
des  sentiments  profonds  que  lui  inspiraient  les  alliances 
de  sa  famille  avec  Vienne. 

Le  ministre  autrichien,  prenant  au  sérieux  cette  parole 
de  roi,  en  écrivit  à  son  souverain  pour  dissiper  toute 
espèce  de  soupçons  et  de  craintes. 

Et  Charles-Albert,  que  fit-il?  Charles-Albert  quittait 
Turin  quatre  heures  après,  se  mettait  à  la  tête  de  son 
armée,  passait  le  Tessin  et  tombait  sur  les  Autrichiens 
pour  donner  la  main  à  la  révolution  lombarde.  Sur  le 
droit  de  cette  guerre,  je  ne  me  prononce  pas  :  l'histoire  s'en 
est  chargée  ;  mais  je  me  prononce  sévèrement  contre  qui- 
conque, sujet  ou  monarque,  oublie,  même  envers  ses  en- 
nemis, la  loyauté  ou  la  parole  donnée. 

Persécutions    et   spoliations  de    l'Eg'Iise  sons 
Charles'Albert. 

Charles-Albert  ne  mérite  pas  le  titre  de  roi-chevalier  ; 
il  ne  mérite  pas  non  plus  celui  de  roi  dévoué  à  l'Eglise,  à 
la  religion,  au  Pape.  A  cet  égard,  la  politique  de  son  gou- 
vernement fut  constamment  ambiguë  et  répréhensible. 
Jn  prince  qui  a  un  sentiment  profond  de  la  religion,  qui 
connaît  la  guerre  acharnée  que  lui  font  ses  ennemis  ;  un 
prince  sincèrement  dévoué  à  l'Eglise,  ne  doit  pas  tolérer 
que,  sous  les  vains  prétextes  de  patrie,  de  liberté,  d'indé- 
pendance et  de  pouvoir  civil,  on  enchaîne  la  liberté  et 
l'indépendance  do  l'Eglise,  que  l'o»  riolente  la  conscience 


424  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

des  catholiques,  que  l'on  déchire  les  ministres  de  Dieu,  et 
que  l'on  opprime  les  prédicateurs  de  l'Evangile. 

La  première  liberté,  la  première  indépendance  des 
hommes  réside  dans  leur  conscience;  la  première  obéis- 
sance est  due  à  Dieu  et  k  ses  lois:  le  premier  respect,  la 
première  vénération  se  doivent  à  ceux  qui  le  représentent 
légitimement  sur  la  terre,  qui  parlent  en  son  nom. 

Qu'est-ce  qu'un  homme  qui  s'arroge  le  droit  d'envahir 
l'autorité  de  Dieu  et  de  l'Eglise?  Qu'est-ce  qu'un  prince 
qui  prétend  river  aux  marches  de  son  trône  la  volonté  de 
ceux  qu'envoie  Celui  qui  élève  les  puissants  sur  la  terre, 
et  d'un  seul  mot  les  brise? 

Charles-Albert  flatta  la  révolution  même  dans  ses  persé- 
cutions contre  le  catholicisme;  il  oublia  que  ses  ancêtres 
s'agrandirent  par  la  religion,  embellirent  leur  couronne 
par  la  piété,  s'élevèrent  eux-mêmes,  se  firent  aimer,  ho- 
norer et  craindre  par  leur  foi  et  par  leur  respect  pour  les 
successeurs  de  saint  Pierre. 

Charles-Albert  voulut  commander  même  à  l'Eglise.  Il 
écoulait  les  calomnies  des  ennemis  les  plus  prononcés  et 
les  plus  lâches  de  la  religion  au  sein  de  laquelle  il  était  né 
et  promettait  de  vivre.  Il  n'eut  pas  le  courage  de  s'opposer 
au  torrent,  qui  dès  lors  ouvrait  les  digues  à  l'immoralité, 
à  l'insolence  et  au  protestantisme  dans  l'Italie.  La  Révo- 
lution le  proclama  monarque  jaloux  des  prérogatives 
royales,  tandis  que  l'Eglise,  les  ordres  religieux,  les  pré 
rogatives  catholiques  en  souffrirent  et  pleurèrent. 

Des  gfins  de  rien,  indignes  du  nom  de  patriote,  d'Ita- 
lien, d'homme  même,  envahirent  les  saints  asiles  des  re- 
ligieux et  des  prêtres.  Ce  fut  sous  son  règne  que  l'on  vit 
les  plus  belles  rues  de  Turin  encombrées  de  meubles,  de 
saintes  images  et  d'ornements  sacrés,  et  la  populace 
avinée  en  faire  l'objet  de  son  divertissement...  Je  fais  allu- 
sion au  pillage  des  maisons  des  Jésuites,  à  la  violation  des 


DE  1848  A  1879.  42o 

palais  épiscopaiix,  aux  emprisonnements,  aux  exils,  aux 
séquestres  de  prélats  recommandables. 

Le  roi  se  tut,  la  Révolution  applaudissait,  l'iniquité  se 
démasquait,  ce  beau  pays  courait  h  sa  ruine,  et  il  y  tomba. 
Aujourd'hui  l'Italie  recueille  les  fruits  des  délires  de  ce 
règne.  Aujourd'hui  encore,  la  Révolution,  en  habit  de  ré- 
jouissance, se  couronne  de  fleurs,  comptant  bien  atteindre 
son  but,  qui  est  d'abattre  le  catholicisme  et  d'élever  avec 
ses  débris  les  dernières  barricades  contre  les  trônes  de 
tous  les  monarques,  dit  San-Pol. 

Y  réussiront-ils,  les  scélérats?  Mon  regard  ne  lit  pas 
dans  le  livre  de  l'avenir.  Je  lis  dans  celui  du  passé  et  du 
présent.  Les  méchants  n'abattront  pas  la  religion  du 
Christ.  D'autres  l'ont  essayé,  et  ils  ont  péri. 

Mais  les  trônes  !  —  Les  trônes,  ils  branlent.  Les  trônes 
qui  ne  s'appuient  pas  sur  la  justice,  sur  la  religion,  sur  la 
probité,  craquent,  et  c'est  l'œuvre  de  ceux  qui  se  donnent 
pour  leur  soutien,  leurs  colonnes. 

Charles-Albert,  le  premier,  oublia  l'histoire  de  sa  mai- 
son. Vaincu  en  mars  1849,  à  la  bataille  de  Novare,  Charles- 
Albert  renonça  le  même  jour  à  la  couronne,  et  alla  mourir 
de  chagrin  et  de  honte  dans  une  pauvre  chambre  d'Oporto,  en 
Portugal,  ajoiUant  un  nouveau  nom  à  cette  longue  liste  de  per- 
sécuteurs de  l'Eglise  punis  dès  cette  vie. 

Mort  déplorable  de  CiioEierti,  le  théolog^ien  de  Ift 
révolution  italienne  ^ 

La  révolution  italienne  n'a  rien  d'original,  ni  de  propre- 
/nent  italien,  si  ce  n'est  d'être  une  répétition  burlesque  et 
posthume  des  révolutions  d'Allemagne  et  de  France. 
L'abbé  Gioberti,  qui  en  a  été  le  missionnaire  piémontais, 

*  Né  à  Turin  en  1801,  il  entra  jeune  dans  les  ordres  sacrés, 
professa  la  théologie  à  l'université  de  sa  ville  natale,  et  fut 


426  LA  RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

n'est  qu'un  copiste  de  Luther.  Nous  avons  vu  le  moine 
apostat  de  Wittemberg  commencer  la  guerre  contre  l'Eglise 
de  Dieu  par  une  série  de  quatre-vingt-dix-neuf  thèses  contre 
les  scolasliques,  comprenant  par-devers  soi,  sous  ce  nom, 
tous  les  évoques,  tous  les  Papes,  tous  les  Pères  de  l'Eglise 
qui  reconnaissent  la  bonté  de  Dieu  et  le  libre  arbitre  de 
l'homme,  et  cela  pour  y  substituer  le  Dieu  méchant  et 
l'homme  brute  de  Mahomet.  L'abbé  Gioberti,  pour  atteindre 
au  même  but,  commence  par  des  pamphlets,  par  des  livres 
contre  les  Jésuites.  Chacun  sait  que  le  monde  entend  au- 
jourd'hui par  Jésuites  non-seulement  les  dignes  enfants  de 
saint  Ignace,  mais  encore  tous  les  fidèles,  tous  les  prêtres, 
tous  les  cvcqucs  catholiques  qui  ont  du  zèle  pour  Dieu  et 
son  Eglise,  qui  aiment  Jésus-Christ  et  son  Vicaire. 

Il  y  a  tel  endroit  de  son  Jésuite  moderne  où  il  se  lamente 
que  tout  le  monde  est  jésuite  en  Italie,  sans  s'excepter  lui- 
môme,  car  il  met  pour  titre  du  paragraphe  :  Nous  sommes 
tous  jésuites. 

Pour  connaître  toujours  mieux  l'esprit  et  le  but  du  ré- 
formateur piémontais,  il  est  bon  de  considérer  ses  sympa- 
thies et  ses  antipathies.  Il  fait  l'éloge  de  Mahomet,  de  Lu- 
ther et  de  Socin,  le  chef  de  ces  modernes  apostats  qui 
nient  formellement  la  divinité  de  Jésus-Christ,  et  que  l'on 
appelle  communément  sociniens.  Il  fait  le  panégyrique  du 
luthéranisme,  du  jansénisme,  du  philosophisme,  du  josé- 
phisme.  Il  a  des  louanges  pour  l'apostat  Strauss,  pour 
l'apostat  Ronge  :  Strauss,  professeur  d'exégèse  protes- 
tante, qui  révoque  en  doute  jusqu'à  l'existence  historique 
de  Jésus-Christ;  Ronge,  mauvais  prêtre,  qui  a  voulu  forger 
un  catholicisme  allemand,  et  dont  l'entreprise  finit  pai 
avorter  dans  la  boue.  En  France,  à  Paris,  une  secte  de 

chapelain  du  roi  Charles-Albert.  Adepte  du  libérali.sine  révo- 
lutionnaire, il  fut  exilé  en  1833.  De  Paris,  où  il  a'était  d'abord 
rél'ugié,  il  passa  en  Belgique. 


DE  1848  A  1879.  427 

nouveaux  gnostiques  s'était  formée  sous  le  nom  de  pha- 
lanstériens,  d'enfantiniens,  de  saint-simoniens,  pour  éta- 
blir le  culte  de  la  débauche;  le  réformateur  appelle  cette 
èecte  impure  un  don  de  Dieu. 

Voici,  sur  le  trop  fameux  Vincent  Gioberti,  prêtre  apos* 
lat,  une  petite  notice  biographique  que  nous  extrayons  du 
Journal  historique  et  littéraire  de  Liège  (1847)  : 

«  Il  y  a  treize  ou  quatorze  ans,  M.  l'abbé  Gioberti  en- 
seignait h  Turin.  Il  fut  convaincu  ou  gravement  soupçonné 
h  cette  époque  d'avoir  trempé  dans  des  menées  politiques 
contraires  au  gouvernement  sarde,  et  il  reçut  l'invitation 
de  quitter  sa  patrie,  afin  d'échapper  h  de  sérieux  désagré- 
ments. Il  vint  à  Bruxelles,  où  M.  Gaggia,  prêtre  italien, 
apostat  et  concubinaire,  l'accueillit  à  bras  ouverts  et  l'em- 
ploya comme  professeur  dans  un  petit  pensionnat  qu'il 
dirigeait.  M.  Gioberti  se  plia  de  très-bonne  grâce  à  sa 
nouvelle  position;  il  abandonna  toutes  les  fonctions  du 
saint  ministère,  tous  les  signes  de  son  état;  il  ne  célébra 
plus  la  sainte  messe  ;  il  déposa  l'habit  ecclésiastique,  porta 
constamment  l'habit  laïque,  et  ne  conserva  de  ses  an- 
ciennes habitudes  que  celle  de  réciter  le  bréviaire. 

»  Il  y  a  environ  trois  ans  que  M.  Gaggia  mourut  de  la 
mort  d'Arias,  dans  un  angle  perdu  des  remparts  d'Anvers. 
Peu  de  temps  avant  ou  après  cet  événement,  M.  Gioberti 
quitta  Bruxelles  et  se  fixa  à  Paris.  Pendant  son  séjour  dans 
cette  capitale,  il  a  composé  un  grand  nombre  de  volumes 
jui  lui  ont  fait  un  nom  comme  philosophe. 

»  Pour  fixer  sur  lui  l'attention  de  ses  compatriotes,  il  a 
yiublié,  en  1843,  trois  énormes  volumes  sur  la  Primauté  de 
l'Italie  parmi  les  peuples.  11  a  placé  sa  nation  à  la  tête  de 
toutes  les  autres  ;  il  a  prodigué  à  ses  compatriotes,  nous 
ne  dirons  pas  des  flatteries,  mais  des  flagorneries  telles 
que  jamais  le  courtisan  le  plus  vil  n'en  a  adressé  de  pa- 
reilles au  souverain  le  plus  absolu.  Pour  plaire  aux  francs- 


428  LA  RÉVOLUTION  EN   ITALIE 

maçons,  il  ajouta  à  la  seconde  édition  de  son  Prmato 
d'italia  des  prolégomènes  dans  lesquels  il  entassa  en  peu  de 
pages  presque  toutes  les  insinuations,  toutes  les  méchan- 
cetés que  les  jansénistes,  les  joséphistes  et  les  voltairiens 
avaient  ramassées  contre  les  Jésuites  depuis  deux  siècles. 
M.  Gioberti  indique  lui-même,  dans  le  premier  volume  de 
son  Gesuita  moderno,  plus  de  vingt  écrivains  étrangers  à  la 
Compagnie  de  Jésus  qui  signalèrent  ses  prolégomènes 
comme  une  honte  et  un  scandale. 

Dans  le  courant  du  mois  de  novembre  1852,  cet  apostat 
est  mort  subitement  à  Paris,  frappé  d'une  apoplexie  fou- 
droyante. Dans  son  ouvrage  contre  les  Jésuites,  il  avait 
écrit  contre  la  confession  ;  le  malheureux  !  il  a  été  privé 
de  ce  sacrement  à  son  heure  dernière.  Les  jugements  de 
Dieu  sont  impénétrables,  mais  ils  sont  terribles  ! 

Il  est  passé  d'une  vie  scandaleuse  au  tribunal  redoutable 
de  Celui  qu'il  avait  insulté  dans  ses  écrits  et  dans  ses  dis- 
cours. Et  c'est  à  un  pareil  homme  que  le  Piémont  révolu- 
tionnaire a  élevé  une  statue  dans  la  ville  de  Turin,  dans 
cette  ville  autrefois  si  catholique,  et  qui  compte  plusieurs 
de  ses  princes  au  nombre  des  saints  nonorés  par  l'Eglise  1 


DE  1848  A  1879.  429 


CHAPITRE  III. 

ANARCHIE  ET  CHATIMEiNTS  DE  l'iTALIE  RÉVOLUTIONNAIRE*. 


Viet«r  •  Emnianael. 

Victor-Emmanuel,  après  avoir  été  élevé  chrétiennement, 
mit  de  côté  les  pratiques  religieuses,  à  cause  des  habitudes 
scandaleuses  de  sa  vie  privée  et  de  son  ambition,  qui 
n'avait  d'autre  règle  que  celle  d'un  fameux  révolution- 
naire :  La  pi  justifie  les  moyens.  Sans  principes  et  totale- 
ment dépourvu  de  bonne  foi  politique,  il  cacha  sous  une 
apparente  aversion  pour  les  affaires  une  grande  ténacité  et 
une  forte  dose  de  finesse  italienne.  Il  sut  choisir  les 
hommes  qu'il  lui  convenait  d'employer.  En  se  cachant  der- 
rière eux,  il  parut  constamment  entraîné  par  la  révolution, 
tandis  qu'il  ne  cessait  de  la  stimuler  et  de  la  pousser  en 
avant.  Toutefois,  quand  les  événements  l'obligèrent  à  se 

*  Depuis  la  première  édition  des  Terribles  Châtiments,  nous 
avons  publié  d'autres  ouvrages,  auxquels  nous  devons  renvoyer 
nos  lecteurs  pour  ne  pas  faire  double  emploi.  On  verra  dans 
le  Trio'mphe  de  Pie  IX  dans  les  épreuves,  dans  les  Victoires  de 
Pie  IX  sur  les  Garibaldiens,  dans  les  Martyrs  de  la  liberté  de  l'E- 
glise, a  quel  degré  d'abaissement  est  tombé  ce  gouvernement 
qui  prétendait  régénérer  l'Italie,  et  quels  fléaux  de  tous  genres 
il  a  attirés  sur  ce  malheureux  pays. 

Vie  intime  et  édifiante  de  Pie  IX,  ^  vol.  in-8<»,  de  600  pages. 
—  Tournai  et  Paris,  librairie  Caslormaun. 


430  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

montrer,  il  n'hésita  pas,  soit  qu'il  eût  à  renier  sa  signa- 
tare,  comme  après  le  traité  de  Zurich  et  la  convention  de 
septembre,  soit  îi  détrôner  François  II,  son  cousin,  qu'il 
assiégea  dans  Gaëte,  ou  à  trahir  un  bienfaiteur,  comme  le 
grand-duc  de  Toscane  et  tant  d'autres.  C'était  l'homme  qui 
convenait  à  la  révolution,  afin  de  ne  pas  trop  effrayer  les 
souverains  de  l'Europe. 

Victor-Emmanuel  s'est  servi  de  la  Révolution  pour  satis- 
faire une  ambition  démesurée,  sans  se  douter  probable- 
ment que  la  Révolution  n'endosse  pas  gratis  la  livrée  roya- 
liste. Aveuglé,  séduit  par  des  enthousiasmes  de  commande, 
il  n'a  pas  compris  que  cette  révolution,  dont  le  but 
suprême  est  la  destruction  de  tous  les  trônes  sur  les  ruines 
de  la  Papauté,  ne  l'acceptait,  ne  le  servait  que  parce  que 
son  titre  de  roi  dissimulait  aux  yeux  de  l'Europe  la  véri- 
table portée  du  mouvement  italien,  essentiellement  antire- 
ligieux et,  comme  tel,  antisocial.  Il  n'a  pas  compris  que 
c'était  une  bonne  fortune  pour  des  misérables  comme 
Mazzini,  Garibaldi  et  compagnie,  de  trouver  un  roi  et  une 
armée  pour  réaliser,  sous  prétexte  d'unitarisme,  le  but 
poursuivi  depuis  si  longtemps  et  avec  une  infernale  per- 
sistance par  la  franc-maçonnerie  :  la  chute  de  la  Rome 
chrétienne  *. 

Un  homme  bien  informé  écrivait  de  Florence  à  l'Univers  : 
a  Victor-Emmanuel,  ce  galant  homme,  est  une  des  phy- 
sionomies les  moins  étudiées  des  temps  actuels.  Ou  le  con- 
naît fort  mal  à  l'étranger,  et  il  n'y  a  rien  d'étonnant  à 

*  Ce  malheureux  prince,  qui  n'avait  pas  perdu  la  foi,  était  en 
proie  aux  remords  les  plus  cruels.  Nous  savons  d'une  manière 
très-certaine  qu'au  moment  de  partir  pour  la  guerre  d'Italie 
qui  devait  déposséder  Pie  IX,  Victor-Emmanuel  disait  à  rarchc- 
vôque  de  Gènes,  son  ancien  précepteur  :  Je  souffre  comme  U7i 
damné! 


DE  4848  A  1879.  431 

cela,  car  on  ne  le  connaît  guère  mieux  en  Italie.  Si  vous 
me  dites  que  la  politique  qui  domine  en  Italie  est  bien 
celle  d'un  abruti,  je  ne  vous  contredirai  pas;  mais  encore 
faut-il  en  donner  le  mérite  à  qui  il  revient  :  ce  ne  sont  ni 
Cavour,  ni  La  Marmora,  ni  Ricasoli,  ni  Ratazzi,  ni  Lanza 
qui  ont  tout  mené;  le  gouvernement  est  toujours  resté 
entre  les  mains  du  galant  homme. 

»  La  lutte  avec  l'Eglise»  qui  n'était  qu'un  expédient  poli- 
tique, devint  tout  un  programme  pour  ce  parti. 

»  Le  roi  s'engagea  d'abord  avec  répugnance  sur  ce  che- 
min. Je  l'ai  entendu  répéter  plusieurs  fois  :  «  M.  de  Cavour 
»  est  un  bon  cheval,  un  pur  sang  qui  me  sert  bien  ;  mais  il 
»  faut  toujours  le  regarder  entre  les  oreilles.  »  Bien  cer- 
tainement il  ne  croyait  pas,  en  ce  temps,  que  l'exil  de 
Mê"^  Franzoni,  archevêque  de  Tui^in,  et  ia  rupture  du  con- 
cordat, l'amèneraient  jusqu'à  renfermer  Pie  IX  dans  le 
Vatican.  L'empire  survint  en  France  sur  ces  entrefaites,  et 
l'Italie  trouva  tout-à-coup  sur  sa  porte  un  vieux  conspira- 
teur qui  avait  fait  le  coup  de  fusil  contre  les  soldats  do 
Grégoire  XVI,  Ce  vieux  conspirateur  était  à  la  tête  d'une 
très-puissante  nation  et  entouré  de  beaucoup  de  prestige. 
Tout  le  monde  l'étudiait  avec  anxiété.  > 

Le  «OBi<e  Cavonr*. 

Nous  détachons  les  pages  suivantes  d'un  volume,  le 
Dernier  des  Napoléons^  attribué  à  un  diplomate  autrichien, 

»  Cavour  (Camille  Benso,  comte  de)  né  en  1810,  d'une  ancienne 
famille  noble  du  Piémont,  fut  page  du  roi  de  Sardaigne  Charles- 
Félix.  Il  rentra  ensuite  à  l'Ecole  militaire,  où  il  avait  été  élevé, 
et  en  sortit  à  Tâge  de  dix-huit  ans  avec  le  grade  de  lieutenant 
de  génie. 

Presque  toute  la  famille  de  sa  mère  était  protestante. 
Il  eu  résulta  que  son  éducation,  mêlée  d'jm  catholicisme  plein 
de  tiédeur,  d'une  part,  et  de  prmcipes  chaleureusement  héré- 


432  LA  RÉVOLUTION  EN   ITALIE 

dont  les  révélations  ont  fait  une  grande  sensation  en  Eu- 
rope. Cavour,  Louis-Napoléon  et  son  cousin  Jérôme  y  sont 
peints  d'après  nature. 

«  Camille  Benso,  comte  de  Cavour,  est,  sans  contredit, 
le  plus  grand  ministre  et  l'âme  la  plus  scélérate  que  l'Eu- 
rope ait  produits  depuis  Talleyrand.  Journaliste,  exilé, 
conspirateur,  Cavour  avait  été  à  Paris  étudier  les  moyens 
de  faire  absorber  par  le  Piémont  tous  les  Etats  de  la  Pénin- 

tiques,  de  l'autre,  devait  enfanter  pour  l'avenir  l'incrédulité  po- 
sitive, ou  tout  au  moins  l'indifférence  complète  en  matière  re- 
ligieuse. 

Et  ceci  nous  explique  déjà  pourquoi  le  ministre  du  roi  de 
Piémont  eut  à  l'égard  du  Saint-Père  et  de  l'Eglise  un  véritable 
sans-gêne  de  huguenot  et  des  procédés  qui  ont  fait  le  scandale 
du  monde  chrétien.  {Les  Contemporains.) 

Le  comte  de  Cavour,  qui  n'était  encore  en  1850  qu'un 
simple  jûurnahste,  rompait  alors  une  lance  contre  lord  Palmers- 
ton  en  faveur  du  gouvernement  pontifical.  Dans  un  article  du 
Risorgimento  du  mois  de  juin  de  cette  année-là,  il  disait  :  «  La 
note  du  gouvernement  anglais,  qu'on  a  dit  avoir  été  remise  à  la 
cour  de  Rome  pour  demander  douze  mille  livres  sterling  d'in- 
demnité en  faveur  de  ses  nationaux,  pour  les  dommages  par  eux 
soufferts  sous  le  triumvirat  républicain,  doit  inspirer  de  sé- 
rieuses réflexions  à  tous  les  gouvernements,  sur  cet  étrange  droit 
international  que  cette  puissance  entend  faire  prévaloir  pour 
soutenir  ses  commerçants.  Pendant  que  les  peuples  font  tout  ce 
qui  dépend  d'eux  pour  se  soustraire  à  l'empire  de  la  force, 
l'Angleterre  l'exerce  sans  se  gêner  successivement  sur  toutes 
les  nations  que  leur  faiblesse  ou  leurs  dissensions  intestines 
mettent  hors  d'état  de  lui  résister.  Elle  impose  à  la  Chine  l'em- 
poisonnement de  ses  propres  habitants  pour  favoriser  les  pro- 
ducteurs et  les  marchands  d'opium  de  la  Compagnie  des  Indes. 
Elle  force  la  Grèce,  Naples.  et  maintenant  Rome,  à  payer  une 
indemnité  à  ses  nationaux  pour  des  événements  fortuits 
supportés  également  par  tous  les  habitants;  c'est  là  un  abus  in- 
compatible avec  le  progrès  de  la  civilisation  actuelle.  »  (Voyez 
la  Campuna,  petit  journal  de  Turin,  n"  31,  p.  123,  et  l'opuscule 
intitulé  Lezzioni  nlla  Gazctta  dcl  Popolo  sulla  Gran  Bretagna. 
Turin,  18dl ,  p.  60  et  suiv.) 


DE  1848  A  1879  433 

suie,  rêve  éternel,  ambition  séculaire  de  la  maison  de 
Savoie. 

»  L'unification  de  l'Italie,  ce  vieux  dogme  du  Dante,  de 
Machiavel,  des  Borgia,  avait  toujours  présenté  des  difficul- 
tés si  ardues,  qu'il  avait  fini  par  passer  aux  yeux  de  presque 
tous  les  Italiens  a  l'état  de  chimère.  Cavour  comprit 
que  l'avènement  de  Louis-Napoléon  Bonaparte  en  France 
pourrait  bien  convertir  la  cnimère  en  une  Dnllante  réalité. 
Louis->^apoléon.  le  carbonaro,  l'insurgé  de  1831,  l'ami 
d'Arèse,  le  justicianle  de  la  Loge  des  Vengeurs,  Louis-Napo- 
léon fut  décidément  l'homme  au  destin  :  Uomo  del  des- 
tinât 

»  La  question  qui  se  pose  devant  nous  est  grave. 

•  Le  génie  et  les  aspirations  de  l'Italie  révolutionnaire 
s'étaient  incarnés  dans  le  comte  de  Cavour.  Celui-ci  jugea 
d'un  coup  d'œil  profond  la  situation  de  l'Europe. 

»  La  lassitude  morale,  l'indifférence  ou  le  scepticisme 
envahissaient  les  nations  et  les  gouvernements.  Plus  de 
cette  foi  robuste  qui  soulève  les  montagnes.  Plus  de  ces 
grands  principes  qui  vivifient  les  sociétés  et  insufflent  aux 
hommes  d'Etat  les  hautes  inspirations  du  bien  et  du  juste. 
L'égoïsme  à  la  place  du  dévouement;  le  fait  accompli 
usurpant  la  place  du  droit;  la  défaillance  ou  la  déprava- 
tion presque  partout  : ...  tels  étaient  le  fond  et  le  courant 
de  la  politique  européenne. 

»  Cavour  sentit  que  les  temps  étaient  venus  où  la  ruse  et 
la  trahison  pouvaient  donner  à  la  maison  de  Savoie,  dans 
un  guet-apens  nabilement  ourdi,  ce  que  les  siècles  n'a- 
vaient pu  lui  conquérir. 

»  M.  de  Cavour  avait  compris  qu'il  fallait  éviter  de  tom- 
ber dans  les  aberrations  de  Charles-Albert,  en  1848. 
Lorsque  la  France  lui  offrit  son  concours,  le  roi  de  Sar- 
daigne  refusa,  parce  qu'il  avait  pris  la  direction  du  mou- 
vement dans  un  but  d'agrandissement  personnel.  Il  vou- 

10 


434  LA   UÉVÛLUTIÛN   EN   ITALfE 

lait  s'emparer,  pour  sa  dynastie,  du  royaume  lombard- 
vénitien,  tandis  que  les  Italiens  n'entendaient  combattre 
que  pour  leur  nationalité  et  la  fédération  des  divers  Etatâ 
de  la  Péninsule.  A  l'exhibition  de  cette  vieille  ambition 
égoïste  du  Piémont,  l'élan  patriotique  s'attiédit,  la  France 
recula  et  Charles-Albert  fut  vaincu.  Appeler  la  France  par 
l'entremise  du  Piémont,  chasser  rois  et  princes  d'Italie 
sous  le  couvert  des  aspirations  d'indépendance  et  de  natio- 
nalité, et  enfin,  confisquer  le  tout  au  profit  de  la  maison 
de  Savoie,  tel  était  le  programme  perfectionné  de  la  poli- 
tique du  Piémont. 

»  Cavour  avait  surtout  merveilleusement  ausculté  et  de- 
viné Louis-Napoléon.  Il  va  le  manier  en  maître.  Ce  fut  un 
trait  de  génie  d'avoir  fait  accepter  par  Napoléon  III  le 
petit  contingent  de  troupes  sardes  dans  son  expédition 
de  Crimée. 

»  On  n'a  jamais  su  à  quoi  il  avait  pu  servir.  Comme 
l'honnête  femme  de  Voltaire,  il  n'a  jamais  fait  parler  de 
lui.  Mais  là  n'était  pas  sa  n^ission.  Le  véritable  général 
était  Cavour,  et  le  champ  de  bataille  et  de  manœuvres,  les 
Tuileries.  Il  entra  profondément  dans  l'intimité  de  Napo- 
léon, et  c'est  de  connivence  avec  l'empereur  qu'il  profila 
du  congrès  des  grandes  puissances  à  Paris  pour  y  exposer 
subrepticement  le  bilan  hypocrite  des  prétendus  maux  de 
ritalie.  La  flèche  était  lancée. 

»  S'inféoder  entièrement  l'empereur,  dans  la  conspira 
tion  contre  l'Autriche,  n'était  pas  la  tAclie  difficile,  grâce 
aux  intimes  attaches  de  Louis-Napoléon  avec  Arèse  et  les 
patriotes  italiens.  Cavour  en  vint  ù  bout  plus  aisément 
qu'il  ne  l'avait  supposé. 

»  Mais  les  diflicultés  naissaient  en  foule,  quand  on  abor- 
dait les  détails  de  l'exécution,  à  cause  du  caractère  hési- 
tant, irrésolu,  dissimulé  de  l'empereur.  Il  faudrait  donc 
uu  instrument  puissant,  aaiorisé,  dans  l'intérieur  même  des   . 


DE  18-48  A  1879.  435 

Tuileries,  qui  uùt  à  toute  heure  surveiller  les  oscillations 
de  l'empereur,  redresser  les  affaissements  de  cette  âme 
troublée,  et  au  besoin,  au  moment  solennel,  exercer  une 
pression  vigoureuse  pour  déterminer  la  résolution  suprême 
et  pousser  à  l'action.  » 
^  I  Cavour  trouva  ce  complice  dans  le  prince  Napoléon. 
Jérôme-Napoléon,  ex-conspirateur,  comme  ses  cousins, 
continuait  le  métier  au  Palais-Royal. 

»  Nature  cynique,  âme  tordue  et  pleine  d'ambitions 
sourdes,  dévoré  d'une  haine  et  d'un  mépris  profonds  pour 
l'empereur,  qui  «  usurpait  son  héritage",  ^  il  s'était  formé 
une  cour  des  hommes  d'opposition  et  des  principaux 
conspirateurs  de  l'Europe. 

»  On  comprend  de  prime  abord  que  c'était  là  le  collabo- 
rateur qui  remplissait  merveilleusement  toutes  les  vues  de 
Cavour. 
»  L'Italien  n'hésita  pas  et  prit  les  grands  moyens. 
>  Il  y  avait  à  la  cour  de  Turin  uue  jeune  fille  de  quinze 
ans,  pieuse  et  douce,  reléguée  dans  une  retraite  claustrale, 
loin  des  orgies  et  des  scènes  scandaleuses  dont  son  père 
Victor-Emmanuel,  Il  re  galantuomo,  remplissait  la  cour 
et  la  ville,  et  son  propre  palais. 

^  «  Cavour  proposa  son  marché  au  prince  Jérûme-Napo- 
Icon  et  offrit  pour  premier  enjeu  la  main  de  la  princesse 
Clotilde. 

»  Malgré  les  résistances  éplorées  de  la  pauvre  et  hon- 
nête enfant,  malgré  son  jeune  âge,  malgré  les  hésitations 
de  Victor-Emmanuel,  Cavour  emporta  tout  de  haute  lutte. 
»  Désormais,  l'Italie  est  maîtresse  au  Palais-Royal;  ce 
sera  le  pied-à-terre  de  ses  conspirations, 

«  Indiquons,  en  passant,  une  autre  pression  qui  avait 
vivement  influencé  l'esprit  de  l'empereur  et  rendu  à  Cavour 
la  tâche  plus  facile. 
3  Louis-Napoléon  avait  jadis  juré  auxcarbonari  de  réa- 


436  LA  RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

User  l'indépendance  et  l'unité  de  l'Italie.  Du  jour  où  il 
est  arrivé  au  pouvoir,  le  spectre  marche  derrière  lui , 
dans  l'ombre,  son  serment  d'une  main,  le  poignard  de 
l'autre,  obsédant  ses  veilles,  épouvantant  ses  nuits;  lui 
signifiant  l'arrêt  de  la  loge  des  Vengeurs,  où  quarante  con- 
jurés avaient  été  désignés  par  le  sort  pour  assassiner 
Napoléon  III,  s'il  ne  réalisait  pas  ses  promesses  envers 
l'Italie.  Le  comte  Arèse  arrivait  aux  Tuileries,  secouait  sa 
torpeur,  lui  signalait  le  péril  qui  le  menaçait.... 

»  Napoléon  promettait,  mais  ajournait  toujours.  Les 
conspirations  de  l'Hippodrome  et  de  l'Opéra-Comique, 
l'attentat  de  Pianori  ne  purent  vaincre  les  irrésolutions  du 

complice  couronné Les  bombes  d'Orsini  avancèrent  la 

question. 

»  Cavour  était  le  politique  le  plus  foncièrement  et  le 
plus  froidement  pervers  de  son  temps.  » 

La  politique  et  la  mort  de  Cavour. 

Après  la  paix  de  Villafranca,  Cavour  quitta  momentané- 
ment la  direction  des  affaires  pour  la  reprendre  aussitôt. 
Il  laissa  Garibaldi  organiser  l'invasion  de  la  Sicile,  et 
l'aida  sous  main  à  renverser  le  trône  des  Deux-Siciles  en 
1860  '.  Par  ses  ordres,  l'armée  sarde  envahit  la  môme 

*  M.  de  Cavour  comiaissait  Garibaldi  de  longue  date.  Il  y 
avait  entre  eus.  pleine  et  cordiale  entente. 

Si  vous  en  voulez  la  preuve,  la  voici  : 

«Un  matin,  le  valet  de  chambre  entre  dans  le  cabinet  où  tra- 
vaillait Cavour.  Il  annonce  qu'un  homme  demande  à  voir  M.  le 
c.omlc. 

«  —  Quel  est  son  nom  ? 

«  —  Il  n'a  pas  voulu  le  dire  ;  il  a  un  gros  bâton  et  un  grand 
cîiapeau  ;  mais  il  prétend  que  Monsieur  le  comte  l'attend. 

«  —  Ah!  reprit  Cavour  en  se  levant,  faites  entrer. 

«  Cet  homme  était  Garibaldi,  récemment  arrivé  de  Caprera, 
et  que  le  ministre  avait  toujours  tenu  en  estime.  » 


DE  1848  A  1879.  437 

année,  les  Etats  pontificaux,  sans  déclaration  de  guerre  et 
au  mépris  du  droit  des  gens.  Le  comte  de  Cavour  a  été 
l'artisan  des  manœuvres  par  lesquelles  le  roi  de  Sardaigne 
s'est  emparé  de  la  majeure  partie  des  Etats  nontificaux, 
des  duchés  de  Parme  et  de  Modène,  du  grand-duché  de 
Toscane  et  du  royaume  des  Deux-Siciles.  C'est  ainsi  qu'il 
s'acheminait,  avec  une  astucieuse  habileté,  à  réaliser  l'idée 
de  l'unité  italienne  *, 


*  Dans  le  recueil  de  ses  discours,  voici  un  passage  signifi- 
catif : 

«  L'étoile  de  l'Italie,  s'écria-t-il  un  jour,  c'est  Rome  !  Voilà 
notre  étoile  polaire.  Il  faut  que  la  cité  éternelle,  sur  laquelle 
vingt-cinq  siècles  ont  accumulé  toutes  les  gloires,  soit  notre 
capitale.  Mais,  dit-on,  nous  ne  pourrons  jamais  obtenir  l'assen- 
timent à  ce  dessein  du  Catholicisme,  ou  des  Etats  qui  s'en  re- 
gardent comme  les  représentants  ou  les  défenseurs.  Cette  diffi- 
culté ne  saurait  être  tranchée  par  le  glaive  -,  ce  sont  les  forces 
morales  qui  doivent  la  résoudre  ;  c'est  la  conviction  qui  ira 
croissant  de  jour  en  jour  dans  la  société  moderne,  même  au 
sein  de  la  grande  société  catholique,  que  la  religion  n'a  rien  à 
craindre  de  la  liberté.  Saint-Père,  pourrons-nous  dire  au  Sou- 
verain-Pontife, le  pouvoir  temporel  n'est  plus  une  garantie  de 
votre  indépendance.  Renoncez-y,  et  nous  vous  donnerons  cette 
liberté  que  depuis  trois  siècles  vous  demandez  en  vain  aux 
grandes  puissances  catholiques,  cette  liberté  dont  vous  avez  pé- 
niblement, par  des  concordats,  arraché  quelques  lambeaux  con- 
cédés en  retour  de  l'abandon  de  vos  privilèges  les  plus  chers  et 
de  l'afTaiblissement  de  votre  autorité  spix'ituelle.  Eh  bien  1  cette 
liberté,  que  vous  n'avez  jamais  obtenue  de  ces  puissances  qui  se 
vantent  de  vous  protéger,  nous,  vos  fds  soumis,  nous  vous  l'of- 
frons dans  sa  plénitude.  Nous  sommes  prêts  à  proclamer  en 
Italie  le  grand  piùncipe  de  I'Eglise  libre  dans  l'Etat  libre.  » 

Et  allez-donc  ! 

Dites  encore  que  la  parole  n'a  pas  été  donnée  à  l'homme  pour 
déguiser  sa  pensée. 

Voyee-vous  M.  de  Cuvour  juge  dans  sa  propre  cause,  et  tran- 
chant d'un  seul  coup  à  la  tribune  les  destinées  de  l'Eglise?  En- 
tendez-vous ce  théologien  subtil,  dressé  par  ses  amis  de  Genève 


438  LA  névoLUTioN  en  Italie 

Gavour  ne  se  faisait  aucun  scrupule  de  prôner  et  do  pra« 
tiquer  les  doctrines  de  Machiavel.  On  peut  en  juger  par 
ces  paroles  détachées  de  ses  écrits  : 

«  Faut-il  condamner  le  gouvernement  qui  achète  les 
hommes  corroni})US  ?  Je  n'hésiterais  pas  à  le  faire  si,  par 
une  fatale  erreur,  l'opinion  publique,  dans  les  siècles  pas- 
sés et  même  encore  dans  le  nôtre,  n'eût  pas  en  quelque 
sorte  sanctionné  pour  les  gouvernements  l'usage  d'une 
morale  autre  que  celle  que  reconnaissent  les  particuliers, 
et  si  elle  n'avait  pas,  de  tout  temps,  traité  avec  une  exces- 
sive indulgence  les  actes  immoraux  qui  ont  amené  de 
grands  résultats  politiques.  » 

On  sait  que  l'amiral  Persane  a  publié  récemment  son 
journal  de  18G0  pour  prouver  que,  si  Garibaldi  a  conquis 
la  Sicile,  c'était  grâce  aux  secours  de  Gavour  et  de  la  mo- 
narchie sarde.  Garibaldi  vient  de  protester  contre  ces  allé^ 
gâtions  dans  une  lettre  datée  de  Gaprera,  24  août,  et 
publiée  par  le  Movimento  de  Gênes,  où  il  déclare  que  Gavour 
et  la  monarchie  ont  aidé  l'expédition  lorsqu'elle  était  sur 
le  point  de  réussir.  «  Alors,  dit  Garibaldi,  le  spoliateur, 
stupéfait  h  la  vue  de  tant  d'événements  auxquels  il  ne 
s'attendait  pas,  mettait  la  main  sur  la  Sicile.  » 

Notons  qu'au  moment  où  l'infànic  Liborio-Romano  con- 
spirait ainsi  pour  livrer  son  maître  à  l'infâme  Gavour  et  à 
son  complice  Emmanuel  de  Savoie,  la  cour  de  Turin  avait 
un  ambassadeur  à  Naplcs  et  y  entretenait  les  meilleures 

aux  arguties  protestantes,  dire  au  Père  des  chétiens  :  Dépouillez- 
vous  sans  crainte,  liez-vous  à  moi,  croyez-en-moi!  Je  vous  ai 
donné  la  prouve  de  ma  loyauté  politique  :  je  vous  ai  presque 
tout  pris,  abandonnez-nous  le  reste  avec  contiance,  et  vous  au- 
rez en  échange  la  liberté,  c'est  moi  qui  vous  le  jure.  Pour  le 
maintien  de  celte  liberté  précieuse,  je  ne  vous  offre  pas  d'autre 
garantie  que  ma  parole;  mais  elle  suffit.  J'engage  avec  moi 
l'Italie  toute  entière,  le  prince  qui  la  gouverne  elles  dynastiesà 
venir  jusqu'il  la  lin  du  monde. 


DE  4848  A  1879.  439 

relations.  Quelle  justice  de  voir  ces  hommes  marqués  au 
front  ignominieusement,  de  leurs  mains  et  pour  jamais  ! 

Voici  comment  an  célèbre  publiciste  italien  apprécie  Ifl 
comte  de  Cavour,  dont  la  fin  prématurée  devrait  servir  d4 
leçon  à  tous  les  persécuteurs  de  l'Eglise  '  : 

€  Ce  fut  l'homme  d'Etat  le  plus  flatté,  le  plus  applaudi, 
le  plus  adulé  dans  sa  carrière. 

>  Devant  lui,  humbles  et  respectueux,  se  sont  courbes 
des  ministres  et  des  souverains  étrangers. 

3  C'est  à  lui  que  la  Révolution  doit  les  triomphes  et  les 
lauriers  dont  elle  est  encore  glorieu.-;e;  mais  c'est  à  lui 
aussi  que  l'Italie  doit  ses  plus  grands  malheurs. 

»  C'est  Cavour  qui  séduisit  le  peuple,  corrompit  la 
presse,  qui  accorda  des  récompenses  à  des  hommes  nuls, 
ses  aides  dans  son  plan  de  diviser  l'Italie,  avec  l'intention 
de  la  fondre  en  un  seul  tout.  C'est  Cavour  qui  proclama 
Rome  capitale  de  l'Italie;  Cavour  qui  appuya  les  révolu- 
tionnaires de  Parme,  de  Modène,  de  la  Toscane,  de  la 
Sicile:  Cavour  qui  organisa  l'envahissement  des  Marches 
et  de  l'Ombrie.  Sous  le  ministère  de  Cavour,  l'Eglise  n'eut 
pas  de  paix,  le  sacerdoce  fut  persécuté,  la  probité  tournée 
en  dérision,  le»  serments  les  plus  saints  furent  violés,  le 
cœur  du  Souverain-Pontife  fut  affligé  de  la  façon  la  plus 
barbare. 

»  Cavo'"''^  était  parvenu  au  sommet  de  la  gloire.  Monu- 
ments, ttii^dailles,  inscriptions  devaient  en  éterniser  le  sou- 
venir, et  lui  se  préparait  déjà  h  pénétrer  dans  la  ville  des 
Papes  pour  arborer  sur  les  sept  collines  l'étendard  trico- 
lore italien. 

*  Nous  restons  convaincu,  dit  M.  Louis  Veuillot,  que  les 
foudres  spirituelles  portent  coup  tout  comme  au  moyen  âge, 
et  qu'il  y  a  toujours  dans  l'air  des  soldes  qui  font  bientôt 
crouler  tout  ce  qu'elles  ont  frappé. 


^^^  ''A  RÉVOLUTION  EN  ITALIB 

»  Mais  Diou  avait  compté  ses  pas  ;  il  lui  avait  permis  de 
parcourir  en  triomphe  toute  l'Italie,  et  lui  laissait  voiries 
portes  de  Rome  ouvertes. 

»Tout-.Vcoup  son  entendement  se  voile;  sa  main  aui 
avait  écrit  tant  de  notes  et  de  protocoles,  tremble'  Un 
moine,  je  ne  sais  comment,  recueille  son  dernier  soupir, 
et  les  cloches,  par  leur  son  funèbre,  annoncent  que  l'àme 
du  comte  de  Cavour  venait  de  se  présenter,  non  plus  par- 
devant  le  tribunal  du  journalisme  qui  l'encensait,  mais  au 
pied  du  trône  de  Dieu,  qui  avait  décidé  de  le  juger  *.  . 

«  Nous  tenons  de  M?»  Franzoni,  archevêque  de  Turin  eue 
1  ordre  de  faire  recevoir  les  derniers  sacrements  à  Caour  est 
venu  de  Napoléon  III.  On  sait  que  le  malade  n'avaU  plu  sa 
connaissance  quand  un  prêtre  faible  lui  a  donné  le  Viatique! 

(Note  de  l'auteur.) 

La  Civiltà  cattolica  nous  donne  le  récit  de  ce  aui  s'est  nasse 
à  1  audience  accordée  par  le  Saint-Père  au  confesseurdu 
comte  de  Cavour.  Voici  ce  récit  : 

«  A  peine  arrivé  à  Rome,  où  il  avait  été  appelé  par  les  su- 
périeurs  de  son  Ordre,  le  P.  Giacomo  da  Poirino  fut  reçu  en 
audience  par  le  Saint-Père.  Sa  Sainteté  lui  adressa  aussitôt  la 
parole  en  ces  termes  :  «  Nous  savons  qu'à  tous  ceux  qui  vous 
»  demandent  ce  qui  s'est  passé  à  la  mort  du  comte  de^câvom- 
»  vous  avez  l'habitude  de  répondre  :  «Il  s'agit  du  secret  sacra' 
»  mentel  de  la  confession,  et  ainsi  je  ne  pufs  rien  dTre  ,  Po,i 
»  ne  pas  .tre  exposé  à  recevoir   de  vous  une  semblable  rï 
»  ponse,  qui,  s  adressant  à  Nous,  serait  une  véritable  insulte 
»  nous  vous  déclarons  que  le  secret  de  la  confession  cstcho^é 
»  tellement  inviolable,  que  vous  êtes  obligé  de  le  garder  en 
»  face  de  quelque  autorité  que  ce  soit,   quand  ce  serait  la 
•»  plus  haute    quand  ce  serait  la  nôtre.  Mais,  à  la  mort  du 
.  comte  de  Cavour,  il  y  a  eu  des  actes  extér  eurs  et  visi^^Ics 

"  rrn  rrJ'."?°"'n  '•  °"  '"'  '  ''^^'"•"'^t^é  Je  Viatique,  on  u 
l  tionTpt  ^^^'■^"^^-O^^^io"-  Cet  acte  extérieur  d'adminisla. 
»  tion  des  sacrements  exigeait  nécessairement  un  autre  acte 
».  exléneur,  îa  rétractation,  sans  laquelle  vous,  son  curé 
»  vous  ne  pouviez  consentir  à  Iui\dm)nisti4  le  sacre- 
H  ments  de  l'Eglise.    Comment  ces  acte,  extérieurs  ont  eu 


DE  4848  A  1879.  441 

€  Qu'il  nous  dise  ce  que  sont  devenus  ses  projets,  ses 
triomphes,  ses  vengeances;  qu'il  nous  dise  quel  juge- 
ment l'Eternel  a  porté  sur  ses  menées  diplomatiques,  sur 
les  révolutions  qu'il  propageait  sans  relâche  par  les  récom- 
penses accordées  à  des  conspirations  ténébreuses. 

»  Cavour  est  mort;  ses  membres  tombèrent  en  putréfac- 
tion la  veille  même  de  la  première  fête  nationale  qui 
devait  lui  montrer  l'Italie  telle  que  lui  et  les  siens  venaient 
de  la  faire. 

»  Terrible  leçon  !  Elle  nous  avertit  que  devant  la  mort 
rien  ne  vaut,  ni  génie,  ni  astuce,  ni  gloire,  ni  présomp- 
tion. » 

Voici  comment  l'auteur  des  Contemporains,  qu'on  ne 
saurait  soupçonner  d'être  clérical,  raconte  la  fin  imprévue 
de  Cavour  : 

t  Voilà  donc  le  ministre  au  comble  de  sa  renommée. 
>  Plus  d'inquiétudes,  plus  de  luttes;  il  touche  au  terme, 
et  la  réussite  couronne  pleinement  ses  efforts. 

»  lieu,  c'est  ce  que  Nous,  gardien  de  la  sainte  discipline  de 
»  l'Eglise,  voulons  apprendre  de  vous-même.  >>  A  ces  naroles 
si  graves,  le  Père  répondit  en  racontant  ce  qui  était  déi.\ 
connu  de  tout  le  monde,  qu'il  n'y  avait  pas  eu  ae  rétractation, 
parce  qu'il  n'avait  pas  cru  devoir  l'exiger.  Cette  réponse,  il  la 
confirma  ensuite  par  écrit,  en  exposant  la  suite  des  faits  ar- 
rivés en  cette  douloureuse  circonstance;  et  sans  confesser 
explicitement,  selon  le  désir  de  l'autorité  ecclésiastique,  qu'il 
avait  manqué  à  son  devoir,  peut-être  en  raison  de  la  difticulté 
des  circonstances,  il  déclara  seulement  d'une  manière  générale 
que,  s'il  avait  manqué  en  quelque  manière,  il  en  demandait 
pardon.  Le  but  de  son  voyage  étant  ainsi  atteint,  quoique  im- 
parfaitement, on  le  laissa  partir,  en  lui  défendant  seulement 
d'administrer  désormais  les  sacrements,  puisque  n'ayant  pas 
su  ou  n'ayant  pas  voulu,  dans  un  cas  si  évident,  remplir  le 
devoir  d'un  ministre  de  l'Eglise,  il  ne  pouvait,  sans  détriment 
pour  les  âmes,  exercer  des  fonctions  si  importantes.  » 

19* 


442  LA   RÉVOUTTIO:^   E>î   ITALIE 

»  Il  a  fait  du  Piémont  une  grande  puissance,  en  violant 
les  droits,  en  brisant  les  obstacles,  en  trompant  les  princs 
de  la  terre,  en  se  raillant  du  Monarque  du  ciel,  en  insul- 
tant l'Eglise,  en  affligeant  le  cœur  du  saint  Pontife  qui  la 
gouverne,  et  en  scandalisant  les  fidèles,  toujours  associés 
aux  douleurs  et  aux  amertumes  du  chef  du  catholicisme. 

»  Rien  n'entrave  plus  sa  marche. 

»  On  accepte  les  résultats  de  sa  politique;  l'Europe, 
éblouie  par  son  audace,  a  pour  lui  de  singulières  condes- 
cendances et  presque  du  respect. 

»  Toute  la  Péninsule  bat  des  mains  et  se  prosterne  de- 
vant sa  gloire. 

»  Bref,  on  annonce  une  grande  fête  patriotique,  —  la 
fête  nationale  du  royaume  d'Italie,  célébrée  pour  la  pre- 
mière fois.  Cavour  seul  en  sera  le  héros;  lui  seul  va 
recueillir  l'hommage  des  foules  enthousiastes,  en  leur 
présentant  le  souverain  dont  il  a  si  puissamment  élargi  la 
couronne  et  grandi  le  sceptre..» 

s  Eh  bien,  non  ! 

t  Le  2  juin  1861,  jour  fixé  pour  la  fête,  le  ministre  de 
Victor-Emmanuel  est  attaqué  d'une  fièvre  pernicieuse  et 
succombe  dans  la  matinée  du  6. 

»  Ah  !  vous  refusez  de  croire  aux  châtiments  célestes, 
messieurs  les  libres-penseurs? 

»  Il  faut  convenir  alors  que  le  hasard  vous  joue  do 
vilains  tours  et  donne  étrangement  gain  de  cause  i\  vos 
adversaires. 

»  Ainsi,  je  l'accorde,  ce  n'est  pas  Dieu,  —  c'est  le  hasard 
qui  a  dit  h  cet  homme,  objet  de  vos  admirations  et  de  vos 
louanges  : 

t  Tu  arriveras  à  ton  but  immoral.  Mais,  à  l'heure  mcrn^ 
du  triomphe,  j'ouvrirai  pour  toi  la  tombe,  et  ton  cadavre 
ne  sera  pas  encore  en  dissolution  que  déjà  le  désarroi  se 
mettra  dans  ton  œuvre,  et  que  l'édifice  d'opprobre  et  de 


DE  1848  A  1879.  443 

mensonge  élevé  par  tes  mains  s'écroulera,  aux  applaudis- 
sements des  principes  que  tu  as  méconnus  et  des  croyances 
que  tu  as  outragées.  » 

Nous  avons  vu  à  Milan  la  statue  élevée  par  la  ville  au 
comte  de  Cavour  :  l'Italie  est  représentée  à  ses  pieds.  On 
ne  pouvait  imaginer  rien  de  mieux.  Depuis  que  l'Italie  est 
tombée  au  pouvoir  du  ministre  piémontais  et  de  ses  dignes 
successeurs,  on  peut  dire  qu'elle  rampe  à  leurs  pieds,  écra- 
sée d'exactions  et  de  fusillades. 

Mort  d'ArnielIInl. 

ftp  Armellini,  qui  prononça  la  déchéance  du  Pape  comme 
prince  temporel,  avait,  comme  avocat  consistorial,  prêté 
six  serments  de  fidélité  à  la  Papauté;  il  avait  même  com- 
posé, en  l'honneur  de  la  Papauté,  un  sonnet  remarquable 
que  voici  :  t  Je  rencontrai  le  Temps  et  lui  demandai 
compte  de  tant  d'empires,  de  ces  royaumes  d'Argos,  de 
Thèbcs  et  de  Sidon,  et  de  tant  d'autres  qui  les  avaient  pré- 
cédés ou  suivis.  Pour  toute  réponse,  le  Temps  secoua  sur 
son  passage  des  lambeaux  de  pourpre  et  de  manteaux  de 
roi,  des  armures  en  pièces,  des  débris  de  couronnes,  et 
lança  à  mes  pieds  mille  sceptres  en  morceaux.  Alors,  je 
lui  demandai  ce  que  deviendraient  les  trônes  d'aujour- 
d'hui. «  Ce  que  furent  les  premiers,  les  autres  le  devien- 
»  dront,  »  me  répondit-il  en  agitant  cette  faux  qui  nivelle 
tout  sous  ses  coups  impitoyables.  Je  lui  demandai  si  le  sort 
de  toutes  ses  choses  était  réservé  au  trône  de  Pierre.  Il  s?; 
tut,  et  au  lieu  du  Temps,  ce  fut  l'Eternité  qui  se  charge^ 
de  la  réponse.  » 

Quelque  temps  après  le  départ  du  Saint-Père,  Armellini, 
devenu  traître  à  ses  serments  et  ministre  do  l'intérieur, 
donnait  à  dîner  aux  principaux  chefs  de  la  révolution.  Sa 
femme,  qui  lui  disait  sans  cesse  :  «'Avocat  consistorial. 


444  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

qu'avcz-vous  fait  de  voire  serment?  •  sa  femme  s'était 
retirée  au  fond  de  son  appartement  pour  ne  pas  souiller 
ses  regards,  avait-elle  dit,  de  la  vue  des  Sterbini.  Mamiani, 
Galetti  et  autres.  Ceux-ci  demandaient  la  cause  de  son 
absence,  lorsque  tout-à-coup  la  porte  s'ouvrit  et  livra  pas- 
sage à  M™*  Armellini,  qui,  pâle,  l'œil  en  feu,  le  geste  me- 
naçant et  la  main  armée  d'un  rouleau  de  papier,  s'écria  : 
€  Vous  êtes  tous  des  maudits  !  Craignez  les  châtiments  de 
Dieu,  ô  vous  qui,  au  mépris  de  vos  serments,  ne  pouvant 
8e  tuer,  avez  enassé  son  ministre.  Redoutez  la  colère 
divine  :  Pie  IX,  du  fond  de  son  exil,  en  appelle  h  Dieu 
contre  vous  ;  écoutez  ses  arrêts.  »  Et  déroulant  lentement 
la  feuille  qu'elle  tenait  à  la  main,  elle  lut  d'une  voix  ferme, 
rendant  cnaque  exnression,  marquant  chaque  nuance,  le 
décret  du  Saint-Père  contenant  la  menace  de  l'excommu- 
nication. 

Cette  lecture  fut  un  coup  de  foudre  pour  les  convives. 
^jmo  Armellini,  après  un  instant  de  silence,  reprit  :  «  Avez- 
vous  compris,  messieurs?  Le  bras  vengeur  auquel  nul  ne 
saurait  échapper  est  suspendu  sur  vos  tètes,  prêt  à  frapper; 
mais  il  en  est  temps  encore,  la  voix  de  Dieu,  par  celle  de 
son  Vicaire,  n'a  pomt  encore  fulminé  contre  vous  la  sen- 
tence terrible.  Au  nom  de  votre  bonheur  en  ce  monde  et 
de  votre  salut  dans  l'autre,  jetez-vous  au-devant  de  sa 
miséricorde;  la  coupe  des  iniquités  se  remplit  dans  vos 
mains,  brisez-la  avant  qu'elle  déborde.  »  Disant  ainsi, 
cette  femme,  exaltée  par  une  sainte  indignation,  jeta 
devant  eux  sur  la  table  le  décret  du  Saint-Père,  puis  elle 
se  retira. 

Après  l'entrée  de  l'armée  française  à  Rome,  Armellini 
fut  forcé  de  s'expatrier.  Il  est  mort  à  Bruxelles  en  1863, 
méprisé  de  tous  les  hommes  honnêtes,  pendant  que  Pic  IX 
était  encore  h  Rome,  faisant  par  ses  vertus  et  son  courage 
apostolique  l'admiration  du  monde. 


DE  1848  A  1879.  445 

Im  mort  de  Fariol,  dlg^nc  de  sa  vie  alioutiitalile. 

Il  faudrait  fermer  les  yeux  à  la  lumière  pour  ne  pas 
voir  la  main  de  Dieu  dans  la  triste  fin  de  ces  fiers  Italiens 
qui  ont  si  souvent  répété  ces  mots  :  Rome  ou  la  mort  t 

On  écrivait  de  Rome  au  Journal  de  Bruxelles,  dans  1g 
mois  de  novembre  1866  : 

«  Les  Italiens  vont  élever  un  monument  à  Luigi-Carlo 
Farini  ;  Farini  est  une  de  leurs  gloires. 

»  Farini  naquit  le  22  octobre  1822,  à  Russi,  dans  les 
Etats  de  l'Eglise.  Avant  d'entrer  dans  la  politique,  il  étudia 
la  médecine  à  Bologne  et  montra,  avec  de  l'aptitude  pour 
la  science,  un  tempérament  moral  très-dépravé.  Tout 
jeune,  il  fut  affilié  par  un  sien  parent  aux  sectes  révolution- 
naires, figura  avantageusement  dans  les  mouvements  poli- 
tiques de  1841  à  1843,  et  obligea  la  police  pontificale  à' 
l'exiler.  Etant  en  Toscane,  il  rédigea  le  fameux  manifeste 
de  Rimini,  qui  servit  de  programme  à  la  rébellion  des 
Romagnes  en  1845,  et  reçut  du  professeur  Montanelli  la 
mission  de  corrompre  la  jeunesse  de  l'Université  de  Pise, 
ce  dont  il  s'acquitta  à  la  satisfaction  des  patriotes.  Maz- 
zini,  dans  ses  œuvres  imprimées  h  Milan,  déclare  que 
Farini,  après  avoir  appartenu  à  la  Jeune-Italie,  a  lâchement 
abandonné  cette  haute  école  du  patriotisme  sans  tache 
pour  se  vendre  au  parti  piémontais.  Mazzini  affirme  qu'à 
Bologne  pourtant  Farini  avait  été  vu  relevant  les  manches 
de  son  habit  et  criant  qu'il  plongerait  ses  bras  jusqu'au 
coude  dans  le  sang  des  prêtres.  En  1847,  l'amnistie  de 
Pie  IX  lui  rouvrit  les  portes  de  la  patrie.  Le  sicaire  que 
Mazzini  traite  en  transfuge  n'avait,  en  se  faisant  piémon- 
tiste,  que  changé  de  peau.  Il  s'était  résigné  à  l'hypocrisie. 
A  Rome,  il  sut  gagner  la  confiance  du  gouvernement 
d'alors  et  devint  «^ibstitut  du  ministre  de  l'intérieur.  Dans 


^^^  l'A  RÉVOLUTION  EN  ITALIE 

cette  position  élevée,  il  usa  de  son  autorité  pour  transfor- 
mer  le  personnel  des  délégations  et  des  municipalités,  et 
substitua  le  plus  qu'il  put  aux  gens  honnêtes  des  fonction- 
naires hostiles  au  Pape.  Chargé  ensuite  d'une  mission  au- 
près de  Charles-Albert,  à  Volta,  élu  membre  du  parlement 
par  la  ville  de  Faenza,  et  nommé  directeur  de  la  santé  des 
prisons  par  M.  Rossi,  il  agit  partout  avec  la  même  perver- 
sité. On  conserve  à  Rome  un  document  qui  ne  tardera  pas 
à  être  publié  :  c'est  le  compte-rendu  qu'il  fit  au  Cercle 
populaire,  touchant  l'assassinat  du  ministre  de  Pie  IX. 
Dans  les  aveux  imprudents  de  ce  document,  on  voit  jus- 
qu'où ont  pu  arriver  la  félonie  et  l'hypocrisie  de  cet 
homme,  qui  restera  comme  une  des  figures  les  plus 
hideuses  de  la  révolution  italienne. 

.  La  rentrée  du  Pape,  en  1849,  lui  fit  le  séjour  de  Rome 
impossible.  II  s'était  déclaré  modéré  et  demanda  un  refuge 
...  et  de  l'argent,  des  emplois  et  des  dignités  en  Piémont, 
lequel  n'avait  garde  à  cette  époque,   de  mépriser  les 
hommes  qui  devaient  plus  tard  devenir  les  instruments  de 
son  ambition  criminelle  et  de  ses  attentats  dans  toute  h 
Péninsule.  En  Piémont,  grâce  à  la  protection  de  Cavour, 
protection  achetée  à  un  prix  qua  révélé  la  chronique 
scandaleuse  et  qu'il  n'est  pas  décent  de  faire  figurer  ici,  il  fut 
tour-à-tour  journaliste,  ministre,  médecin,  député;  ilécrivit 
un  livre  qui  n'a  que  la  valeur  d'un  pamphlet,  //  Stato  romano 
et  travailla  avec  passion  à  préparer  les  événements.  Aussi', 
en  1859,  prit-il  un  rôle  important  et  entra-t-il  de  plain-pied 
dans  la  voie  où  il  devait  se  couvrir  à  la  fois  de  sang  et  de 
ridicule.  Elevé  à  la  dignité  de  dictateur  des  duchés  de 
Modène  et  de  Parme,  il  s'établit  dans  le  palais  de  Fran- 
çois  V.  On  le  vit  alors  déployer  un  faste  insensé,  trancher 
du  souverain,  couvrir  sa  femme  et  sa  fille  des  habits  des 
princesses  exilées,  se  faire  servir  par  des  laquais  à  la 
livrée  du  duc,  donner  enfin  dans  tous  les  travers  d'or<-ueil 


DE  1848  A  1870.  447 

auxquels  peut  se  livrer  un  parvenu  un  instant  paré  des 
attributs  de  la  royauté.  Ce  fut  pitié  de  le  voir  dans  ce  rôle 
si  peu  fait  pour  lui  et  qu'il  prenait  au  sérieux,  en  dépit  des 
quolibets  populaires  et  des  railleries  de  toute  la  presse 
italienne.  Argenterie,  vaisselle  plate,  linge  de  table  et  linge 
de  corps,  le  tout  au  chiffre  du  duc,  surmonté  de  la  cou- 
ronne ducale,  tomba  en  la  possession  du  dictateur.  L'ini- 
tiale de  Son  Altesse  Impériale  était  la  sienne.  Il  n'eut 
qu'à  enlever  la  couronne,  non  point  par  modestie,  mais 
pour  mieux  s'approprier  ces  biens  que  lui  envoyait  la  pro- 
vidence révolutionnaire.  Enrichi  à  l'instar  de  tousses  com- 
plices, Farini,  les  surpassant  encore  en  fourberie,  répétait 
à  tout  venant  «  qu'il  voulait  mourir  pau\Te.  »  Le  téméraire 
croyait  in  petto  s'assurer  une  vie  opulente,  comme  si  Dieu 
ne  savait  pas,  quand  il  lui  plaît,  précipiter  ses  ennemis  du 
faîte  de  leur  fortune  dans  les  abîmes  de  la  misère.  Epicu- 
rien à  l'instar  de  tous  ses  complices,  Farini,  les  surpassant 
encore  en  gloutonnerie,  se  livrait  aux  recherches  et  aux 
abondances  de  la  table,  et  l'on  sait  quelle  allait  être  bien- 
tôt son  horrible  nourriture.  Bourré  d'or,  plein  de  viandes 
et  de  vins,  enflé  par  la  puissance,  Farini  se  compléta  par 
le  crime  '. 

*  On  écrit  de  Florence  à  l'Univers  : 

«  J'ai  vu  M.  Farini  triomphant,  dominateur,  vice-roi  de 
l'Emilie,  trôner  à  Modène  et  y  recevoir  de  l'ignotile  couardise 
de  la  plèbe  révolutionnaire  le  titre  pompeux,  expressément 
inventé  pour  lui,  d'Eccdso.Ce  démocrate  dédaignait  le  titre  de 
Majesté  ou  d'Altesse;  il  voulait  VEcceho,  et  c'est  à  ce  seul  nom 
qu'il  daignait  abaisser  ses  cccelse  oreilles  pour  vous  entendre. 
C'était  pourtant  ce  même  docteur  Farini  qu'on  avait  vu,  dans 
sa  jeunesse,  parcourir  les  rues  de  Lugo,  le  bras  nu  et  criant  : 
«  11  faut  que  je  plonge  ce  bras  jusqu'au  coude  dans  le  sang 
des  prêtres  !  » 

Cet  ecceho,  je  l'ai  revu,  il  y  a  peu  d'années,  à  la  villa  Spi- 
nola,  près  de  Gênes  ;ies  yeux  hagards,  la  poitrine  pantelante, 


l'A  RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

vul  ^' f"\P^^/^»  o^-dre  que  le  colonel  comte  Anviti,  ser- 
viteur de  la  duchesse  de  Parme,  fût  arrêté  et  livré  ?i  la 
populace,  qui  se  porta  contre  lui,  on  s'en  souvient  avec 
horreur,  à  tous  les  actes  d'une  férocité  abominable.  Le 
I?i    ^""K^'P"''  '^'  ^''^  ^^^^^'  On  traîna  par  la  ville  les 
lambeaux  de  son  corps;  sa  tête,  promenée  au  bout  d'une 
pique    demeura  exposée  au  faîte  d'une  colonne  sur  une 
des  places.  Dénoncé  par  la  voix  publique  et  par  les  révéla- 
tions de  Massimo  d'Azeglio,  sommé  de  poursuivra  les  assas- 
sins  Farini  se  contenta  de  faire  abattre  la  colonne.  Cet 
exp  oit  mit  bientôt  fin  à  la  mission  du  dictateur  dans  les 
duchés,  qui  furent  annexés,  et  aussitôt  après  la  victoire  de 
Castelfidardo,  Farini,  revêtu  de  dignités  nouvelles,  alla, 
en  octobre  1860,  remplir  à  Naples  un  autre  rôle  souverain, 
mut  chargé,  comme  commissaire  extraordinaire  de  Victor- 
Emmanuel,  de  préparer  les  Deux-Siciles  à  entrer  dans  la 
nouvelle  monarchie  italienne.  Mais  le  jour  de  la  justice  de 
Dieu  commençait  à  poindre.  Un  homme  était  cher  et  utile 
à  Farini,  lui  servait  de  secrétaire  et  gouvernait  sa  maison  • 
c  était  son  gendre,  M.  Ricciardi.  Il  mourut  subitement! 
Peu  de  temps  après  vint  le  tour  de  sa  fille.  M-"  Ricciardi 
et  Farini  se  trouva  seul  ^  Entendit-il  la  voix  qui  s'élevait 

ne  présentant  plus  rien  d'humain  sur  sa  personne,  je  l'ai  vu 
de  mes  yeux  vu,  plonger  son  bras  nu  jusqï  au  coude  dans  lë^ 
propres  ordures,  et  faisant  horreur  aux  gardiens  mêmes  que 
1  hosp.ce  des  fous  avait  cédés  à  sa  familIel>our  le  préserver^du 

'  On  lit  à  ce  sujet  dans  le  Monde  du  i3  avril  1866  : 

«  Il  ne  nous  reste  qu'à  enregistrer  un  nouveau  coun  do  H 

Zn  t:  m7'L\'''  r.^-  '"■^"''  ''''  '^  proZ':7Jio\\ 

mort  en  1861,  dune  maladie  mystérieuse,  après  guelaucs  se- 
maines  de  mariage,  à  Naples.  où  il  occu^ait^  cZTZ  se- 
crétaire de  la  l.culenance  auprès  de  son  beau-père, ^vient  de 
mounr  elle-même  quelques  mois  seulement  ap^^^ès  kvrcon- 
tracte  un  second  mariage.  Quant  à  M.  Farini  lui-même,  il  est 


DE  1848  A  1879.  449 

de  ces  deux  tombes  ?  Nul  ne  le  sait.  De  retour  h  Turin, 
en  1864,  il  fut  tout-à-coup  frappé  du  mal  le  plus  terrible  : 
il  devint  fou,  fou  furieux.  Je  ne  raconterai  pas  tous  les 
incidents  auxquels  donna  lieu  sa  maladie.  Il  me  suffit  de 
révéler,  pour  faire  ressortir  l'action  de  la  justice  divine, 
ces  trois  rapprochements  : 

«  Farini,  par  une  hypocrite  raillerie,  s'était  plu  à  répé- 
ter, en  même  temps  qu'il  étalait  un  faste  insolent  et  accu- 
mulait des  trésors  pour  l'avenir,  «  qu'il  voulait  mourir 
pauvre,  »  et  il  a  vécu  les  dernières  années  de  sa  vie  dar.s 
une  abjection  et  une  nudité  auxquelles  la  pauvreté  la  plus 
misérable  ne  saurait  se  résigner.  Farini  s'était  livré  à  un 
luxe  de  Sardanapale,  et  on  l'a  vu,  dans  sa  folie,  refuser 
toute  nourriture  qu'on  lui  offrait,  et  assouvir  sa  faim  de  la 
façon  la  plus  immonde.  Farini  enfin  avait,  au  faîte  du  pou- 
voir, livré  un  innocent  aux  mains  d'une  populace  furi-  • 
bonde,  et,  précipité  dans  les  abîmes  de  la  folie,  il  n'a 
cessé  de  se  croire  poursuivi  par  l'ombre  vengeresse  de  sa 
victime  :  «  Anviti,  Anviti,  tout  sanglant,  sa  tête  à  la  main, 
le  voilà  !  »  Il  répétait  sans  cesse  ces  paroles,  et  se  roulait 
nu,  couvert  de  vermine  et  d'ordures,  sur  le  pavé  de  sa 
chambre,  en  proie  à  des  terreurs  et  à  des  rages  horribles. 

»  C'est  à  un  tel  homme  que  la  révolution  italienne  va 
élever  un  monument.  Il  ne  faut  pas  s'en  plaindre  ;  la  révo- 
lution est  logique,  et  Farini  est  digne  d'elle.  > 

Cassinis,   l'cx^niinlstre  des   cultes^  met  fin  à  ses  jours. 

Les  révolutionnaires  italiens,  qui  ne  sont  que  des  misé- 
rables copistes  des  démocrates  de  93,  couronnent  leur  vie 

à  Quarto,  sur  la  rivière  de  Gênes.  Il  est  tombé  dans  un  état 
d'enfance  complet,  et  il  donne  tous  les  signes  d'un  abrutisse- 
ment épouvantable.  » 


450  LA   RÉVOLUTION  EN   ITALIE 

par  une  mort  violente  qui  attache  à  jamais  à  leur  mémoire 
une  note  d'infamie. 

En  voici  encore  un  exemple  annoncé  dans  les  lettres  de 
Turin  du  18  décembre  1866  : 

L'avocat  Cassinis,  ex-président  de  la  Chambre  des  dé< 
pûtes,  ex-garde  des  sceaux  et  ministre  des  cultes,  s'es^i 
coupé  la  gorge  avec  un  rasoir. 

On  attribue  h  trois  motifs  principaux  cette  mort,  qui  a 
produit  une  sensation  extraordinaire.  En  premier  lieu, 
M.  Cassinis  souffrait  beaucoup  depuis  quelque  temps  d'un 
tic  douloureux  (sans  parler  du  tic  révolutionnaire  et  du 
ver  rongeur).  En  second  lieu  il  avait  perdu  sa  femme  il  y 
a  deux  ans,  et  était  resté,  depuis  cette  époque,  sous  la 
pression  d'idées  mélancoliques.  {Non  est  pax  impiis  :  •  Il 
n'y  a  point  de  paix  pour  l'impie.  »  Pauvres  gens  sans  foi, 
sans  espérance!)  En  troisième  lieu,  on  affirme  que  les 
affaires  de  Cassinis  étaient  dérangées.  Quoi  qu'il  en  soit, 
personne  ne  s'attendait  h  une  si  déplorable  catastrophe*. 

M  Cassinis  était  ministre  des  cultes  en  1859  et  1860,  et 
en  cette  qualité,  il  a  coopéré  à  l'invasion  des  Etats  pontifi- 

*  Cinq  jours  avant  sa  mort,  l'ancien  ministre  Cassinis  adres- 
sait au  chevalier  Paolo  di  Trompeo,  secrétaire  de  la  questure 
à  la  Chambre  des  députés,  une  lettre  dont  l'Italie  publia  l'ex- 
trait suivant,  qui,  disait-elle,  serait  lu  avec  intérêt  : 

«  Le  15  de  ce  mois  sera  le  plus  beau  jour  que  l'Italie  ait 
jamais  vu  luire.  Le  discours  de  la  couronne  annoncera  au 
monde  qu'il  n'y  a  plus  un  soldat  étranger  sur  le  sol  de  la  pa- 
tine. Jug-L'Z  donc  coni])ion  j'aurais  été  heureux  de  me  trouver 
ce  jour-là  à  Florence!  Mais  je  ne  suis  que  trop  forcé  d'y  re- 
noncer. Cette  afTeclion  névralgique,  loin  de  diminuer,  aug- 
mente sans  cesse,  et  j'en  suis  tellement  tourmenté  que,  lorsque 
je  me  trouve  en  société,  j'éprouve  des  spasmes  si  violents,  que 
je  suis  obligé  de  sortir.  Vous  pouvez  vous  imaginer,  mon  cher 
di  Trompeo,  dans  quelle  tristesse  je  vis  et  quelle  existence  est 
la  mienne.  » 


DE  1848  A  1879.  451 

eaux.  C'est  lui  qui  donna  l'ordre  d'enlever  le  cardinal  de 
Angelis  de  son  siège  épiscopal  de  Fermo  et  de  le  conduire 
à  Turin.  C'est  encore  lui  qui,  sachant  le  cardinal  arrivé 
dans  cette  ville,  le  fit  amener  dans  son  cabinet,  où  il  lui 
tint  un  langage  tout  au  moins  irrévérencieux  pour  un 
prince  de  l'Eglise.  Six  ans  viennent  de  s'écouler;  le  cardi- 
nal est  rentré  paisiblement  dans  son  diocèse,  et  M.  Cassi- 
nis  vient  de  passer  d'une  façon  bien  tragique  devant  ce 
Dieu  dont  il  maltraitait  les  ministres,  mais  qui  dispose 
tout,  cuncta  disponit,  pour  la  gloire  et  l'exaltation  de  son 
Eglise. 

Depuis  Cavour,  frappé  de  mort  subite,  jusqu'à  Cassinis, 
se  coupant  la  gorge,  que  de  pourfendeurs  du  Pape  ont 
déjà  disparut... 

On  parle  d'élever  une  statue  au  suicidé  Cassinis,  sans 
doute  à  côté  de  celles  de  Cavour  ou  de  Gioberti. 

Le  comte  de  Syracnse. 

Pour  les  hommes  appartenant  à  la  secte  des  francs-ma- 
çons et  liés  par  les  serments  les  plus  horribles,  les  liens 
sacrés  de  la  nature  et  du  sang  sont  brisés.  Comme  l'infâme 
Judas  qui  vendit  son  Maître  aux  Juifs  afin  de  contenter  son 
avarice,  ces  fiers  révolutionnaires  sont  toujours  prêts  à 
livrer  leur  famille  et  leur  conscience,  pourvu  qu'on  leur 
promette  des  places  ou  les  moyens  de  satisfaire  leurs  hon- 
teuses passions.  Et  voilà  pourquoi  les  révolutions  coûtent 
si  cher  et  ruinent  les  pays  où  elles  éclatent. 

Un  jour,  le  comte  de  Syracuse,  oubliant  les  traditions 
religieuses  de  sa  race,  séduit  par  les  promesses  que  pro- 
diguent la  révolution  et  les  sectes,  conspira  contre  son 
parent,  son  souverain;  rompant  les  liens  du  sang  dans  un 
moment  des  plus  dangereux  pour  lep'ône,  le  comte  de  Syra- 
cuse fit  cause  commune  avec  les  rebelles  et  les  traîtres. 


452  LA  RÉVOLUTION  EN   ITALIE 

La  couronne  du  roi  de  Naples  fut  brisée.  Le  comte  de 
Syracuse,  son  parent,  s'en  réjouit  pour  l'Italie,  et  peut- 
être  même  pour  son  propre  intérêt;  il  fut  applaudi  par  les 
révolutionnaires  et  se  lança  au  milieu  d'eux.  Mais  un  beau 
jour  le  comte  de  Syracuse  ferme  subitement  les  yeux  et 
tombe  à  terre.  Un  coup  d'apoplexie  foudroyante  l'avait 
étendu  mort.  Mémorable  leçon  t 

Elle  est  faite  pour  nous  apprendre  que  l'on  ne  sa  heurte 
pas  en  vain  contre  la  volonté  de  la  Providence  divine,  qui, 
dans  les  princes  comme  dans  les  peuples,  punit  la  dé- 
loyauté, les  calculs  personnels,  l'orgueil  et  l'ambition  '. 

Un  ennemi  da  Pape  dévoré  par  son  chien. 

De  l'aveu  même  de  ses  adversaires,  Pie  IX  était  si  bon, 
si  populaire,  qu'il  n'est  pas  possible  d'expliquer  la  rage  et 
la  haine  de  certains  hommes  pour  le  meilleur  des  pères 
sans  une  intervention  de  l'enfer,  qui  ne  peut  lui  pardonner 
la  gloire  qu'il  a  rendue  à  Marie  par  la  définition  dogma- 
tique de  L'Imniaculée-Conccption.  Mais  Dieu  n'a  pas  ab- 
diqué, et  de  temps  en  temps  sa  justice  éclate  d'une  ma- 
nière terrible. 

Sous  ce  titre  :  Accidents  qui  n'en  sont  pas,  les  journaux 
italiens  publient  depuis  quelque  temps  un  assez  grand 

*  Un  écrivain  que  la  Providence  semble  avoir  suscité  pour 
flageller  les  apostats  et  les  félons,  a  fait  pour  le  comte  de  Syra- 
cuse l'épitaphe  suivante  : 

«  Traître  à  son  roi,  traître  à  son  sang, 
>»  Traître  à  l'honneur  humain,  traître  à  la  foi  chrétienne, 

»  Moins  homme  qu'animal  paissant, 
»  Moms  animal  eiicor  que  funiier  croupissant, 

»  Indigne  d'avoir  face  humaine, 
»  Gorgé  de  l'or  abject  d'un  traître  plus  puissant, 
»>  Par  le  diable  écrasé  dans  la  fange  en  passant, 
»  Ce  seigneur  a  crevé  comme  une  outre  trop  pleine.  » 


DE  1848  A  1879.  4S3 

nombre  de  faits  du  genre  de  celui  que  nous  allons  rappor- 
ter ;  il  se  trouve  mentionné  dans  le  Bon  Pasteur  de  Naples  : 
«  Un  habitant  de  Francavilla,  province  de  Lecce,  animé 
d'un  sentiment  sacrilège  de  mépris  pour  la  personne 
sacrée  du  Pape,  avait  donné  à  son  chien  le  nom  de  Pie  IX. 
Dans  le  mois  de  juillet,  se  trouvant  seul  dans  sa  chambre, 
il  appela,  pour  se  divertir  comme  à  l'ordinaire,  son  chien, 
et  le  fit  tenir  debout  contre  le  mur,  à  l'instar  d'un  soldat. 
Pendant  qu'il  se  raillait  irrévérencieusement  du  Souverain- 
Pontife,  le  chien,  comme  indigné  d'une  telle  insolence,  se 
mit  en  fureur,  sauta  sur  son  maître,  le  prit  à  la  gorge,  le 
renversa  à  terre  et  disparut.  C'est  à  peine  si  le  malheureux 
put  crier  au  secours.  Il  était  inondé  de  sang.  Sa  femme  et 
ses  enfants,  accourus  à  ses  cris,  reçurent  de  sa  bouche  le 
récit  de  ce  fait,  qu'il  eut  peine  à  proférer.  Il  mourut  en- 
suite sans  avoir  reçu  les  consolations  de  la  religion.  » 

Punitions  exemplaires. 

Peu  de  Papes  ont  rendu  autant  de  gloire  à  Dieu  et  à  la 
Vierge  immaculée  que  Pie  IX  ;  aussi  l'enfer  a  soulevé 
toutes  les  passions  contre  lui.  Mais  de  temps  en  temps,  le 
bras  du  Seigneur  s'appesantit  d'une  manière  effrayante  sur 
les  malheureux  qui  ne  craignent  pas  d'insulter  son 
Vicaire. 

Nous  lisons,  dit  la  Chronique  religieuse  de  Toulouse,  dans 
une  lettre  écrite  par  un  savant  et  pieux  cardinal  romain  à 
une  personne  qui  nous  est  parfaitement  connue,  les  traits 
suivants  : 

«  Un  malheureux  sectaire  ayant  entendu  son  curé  lire 
l'encyclique,  l'a  rencontré  peu  après,  et,  lui  montrant  un 
poignard,  lui  a  dit  :  «  Voilà  ce  qui  fera  votre  affaire,  si 
»  vous  revenez  sur  ce  sujet;  »  puis,  tirant  un  pistolet  de  sa 
poche  :  «  Pour  w-Jitft  arme,  a-t-il  ajouté,  elle  servira  contre 


434  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

Pie  IX.  »  Et,  en  remettant  le  pistolet  dans  sa  poche,  il  a, 
sans  s'en  apercevoir,  fait  partir  la  détente,  et  a  été  tué  sur 
le  coup. 

«  —  Une  comédienne  qui  avait  reçu  de  grands  applau- 
dissements dans  une  pièce  où  le  Pape  était  insulté,  a  été 
saisie,  en  rentrant  chez  elle,  par  un  accès  de  folie  ;  elle 
s'est  jetée  par  la  fenêtre  et  est  morte  sur-le-champ.  » 

€  —  Un  médecin  impie  disait  à  un  de  ses  malades  : 
»  Je  ne  vous  verrai  plus  avant  que  Pie  IX  soit  expédié 
»  pour  l'autre  monde.  »  Le  lendemain,  ayant  voulu  revoir 
son  malade,  il  est  tombé  roide  mort  avant  d'arriver  jus- 
qu'à lui.  » 

Le  schisme,  aussi  bien  que  l'hérésie,  est  la  porte  de  l'en^ 
fer,  et  à  moins  d'une  bonne  foi  invincible,  qui  est  le  secret 
de  Dieu  seul  et  qui  ne  se  rencontre  guère  que  chez  les 
pauvres  gens,  un  schismatique  est  un  réprouvé  par  avance, 
jam  judicatus  est;  c'est  un  homme  qui  est  sorti  de  la  voie 
du  salut  ;  c'est  un  rebelle  au  Vicaire  de  Jésus-Christ,  donc 
un  rebelle  h  Jésus-Christ  lui-même,  donc  un  rebelle  îi 
Dieu  *. 

La  mort  est  dure  pour  ces  rebelles,  surtout  quand  ce 


*  Le  clergé  italien,  en  face  de  la  rûyolulion,  a  été  à  la  hau- 
teur des  difliciillés.  Nous  ne  voulons  pas  du'c  pour  cela  qu'il 
n'y  ait  eu  aucune  défection.  Si  tous  les  prêtres  étaient  dos 
saints,  les  révolutions  seraient  impossibles.  Dieu,  dans  sa  sa- 
gesse, ne  les  permet  que  pour  purifier  l'Ejjlisc  au  feu  de  la 
pcr.oécution. 

Mais  il  est  vrai  de  dire  qu'on  a  beaucoup  exagéré  lo  nombre 
des  apostats.  C'est  ainsi  que  les  journaux  ont  répété  que  toul  lo 
chapitre  de  Nolrc-Daine  de  Lorette  avait  bien  accueilli  Victor- 
Emmanuel.  On  nous  a  afiirmé  sur  les  lieux  qu'un  seul  iwélre, 
mort  peu  de  temps  après  misérablement,  osa  se  présenter 
pour  recevoir  eu  prince  excommunié. 


DE  1848  A  1879.  455 

aont  des  prêtres,  surtout  quand  ce  sont  des  évêqucs.  Dans 
les  persécutions  que  suscitèrent  au  Saint-Siège  les  mau- 
vaises passions  des  empereurs  soi-disant  chrétiens  du  on- 
zième siècle  (et  qu'on  devrait  appeler  non  la  guerre  du 
sacerdoce  et  de  l'empire,  mais  la  guerre  de  l'empire  contre 
le  sacerdoce),  plusieurs  évêques,  aveuglés  par  l'ambition, 
s'insurgèrent  contre  l'autorité  du  Saint-Siège,  et  prirent 
parti  pour  l'impie  Henri  IV  contre  le  saint  pape  Gré- 
goire VII.  Un  de  ces  rebelles,  Guillaume,  évêque  d'Utrecht, 
fut  frappé  subitement  par  la  justice  divine,  et  les  détails 
de  sa  mort,  qui,  chose  curieuse  I  nous  sont  rapportés  par 
des  écrivains  protestants,  peuvent  servir  de  leçon  à  tous 
ceux  qui  seraient  tentés  de  se  ranger  du  côté  des  ennemis 
du  Pape.  En  proie  aux  plus  affreux  tourments  de  l'âme  et 
du  corps,  ce  coupable  et  ce  misérable,  qui  avait  perdu, 
comme  le  traître  Judas,  l'espérance  du  pardon,  criait  d'une 
voix  lamentable  aux  clercs  qui  entouraient  son  lit  : 
«  Quand  je  serai  mort,  que  ni  vous  ni  personne  ne  fasse 
des  prières  pour  moi  l  Par  un  juste  jugement  de  Dieu,  je 
perds  la  vie  présente  et  la  vie  éternelle  ;  je  me  suis  em- 
ployé de  toutes  mes  forces  aux  mauvais  desseins  de  l'em- 
pereur ;  pour  avoir  ses  bonnes  grâces,  j'ai  abreuvé  d'in- 
sultes le  Ponltfe  romain,  homme  de  grande  sainteté  et  de 
grande  vertu,  dont  je  connaissais  très-bien  l'innocence.  «  Et 
il  expira  en  disant  ces  paroles,  et  son  cadavre  fut  laissé 
sans  sépulture  jusqu'à  ce  que  le  Pape,  consulté  par  les 
principaux  de  l'Eglise  d'Utrecht,  eût  ordonné  qu'on  l'ense- 
velit, mais  sans  honneurs  et  sans  prières  *. 

Un  fait  non  moins  terrible  a  été  donné,  par  manière 
d'avertissement,  aux  schismatiques  modernes  qui  veulent, 
en  Italie,  diviser  le  clergé  et  séparer  les  prêtres  du  Siège 

*  Ces  considérations  et  les  traits  qui  «uivent  sont  extraits  de 
ropusculc  de  lù'i'  de  Ségursur  le  Souverain-Fontifc. 


456  LA   RÉVOLUTION  EN   ITALIB 

apostolique.  En  novembre  1862,  un  de  ces  prêtres  égarés, 
nommé  Foggi,  curé  de  Giocoli,  à  quatre  milles  de  Flo- 
rence, vint  à  mourir  sans  avoir  pu  se  reconnaître.  II 
s'était  rendu  tellement  odieux  par  le  cynisme  de  son  apos- 
tasie, que  beaucoup  de  gens  de  bien  ne  purent  s'empêcher 
de  dire  en  apprenant  sa  mort  :  «  C'est  bien  fait.  »  Ses 
amis,  ou  plutôt  les  sectaires  qui  l'avaient  compté  dans 
leurs  rangs,  voulurent  lui  faire  un  service  funèbre,  malgré 
les  règlements  ecclésiastiques.  Un  chanoine  perdu  de 
mœurs  et  comme  eux  schismatique  osa  chanter  la  messe 
mortuaire  :  le  lendemain  il  mourut  subitement  sans  au- 
cune assistance  spirituelle.  A  celui-ci  de  nouveau  on 
voulut  rendre  les  honneurs  de  la  sépulture  chrétienne,  et 
un  certain  Brunoni,  curé  de  San-Pietro,  ne  craignit  pas 
de  prononcer  l'éloge  funèbre  du  malheureux.  Le  len- 
demain matin  il  fut  trouvé  mort  dans  les  lieux  d'aisance. 
Ainsi,  quinze  siècles  auparavant,  avait  Uni  le  prêtre  schis- 
matique et  hérétique  Arius.  Terrible  leçon  pour  tous  les 
prêtres,  et  principalement  pour  ces  esprits  aventureux, 
indociles,  portés  à  l'opposition  et  à  la  libérâlrerie,  toujours 
prêts  cl  juger  leurs  supérieurs  ecclésiastiques,  lecteurs  im- 
prudents de  journaux  frelatés  et  anticatholiques;  en  un 
mot,  plus  près  du  schisme  que  de  l'unité,  plus  inclinés  à 
la  révolte  qu'à  l'obéissance  ! 

On  doit  bénir  Dieu  en  voyant  l'épiscopat  italien,  au  mi- 
lieu de  la  tourmente,  demeurer  fidèle  à  ses  serments  et  à 
la  sainte  Eglise. 

Excepté  deux  ou  trois  prélats  et  un  cardinal  dont  la 
tête  était  singulièrement  affaiblie,  comme  le  témoignent 
ses  écrits  *,  tous  les  autres  ont  bravé  la  persécution  la 
plus  brutale  plutôt  que  de  manquer  à  leur  devoir. 

La  justice  de  Dieu  s'est  appesantie  sur  le  petit  nombre 

*  D'Andréa,  niorl  d'une  mauiùrc  déplorable. 


DE  1848  A  1879.  457 

t^ui  s'est  montré  infidèle  à  sa  vocation,  comme  on  va  le 
Yoir  dans  la  tin  déplorable  de  cet  évêque  qui  avait  toutes 
les  faveurs  du  roi  galaiit  homme. 

M'""  Caputo  aurait  voulu  chanter  un  Te  Deum  dans  la 
iasilique  de  Saint-Pierre  pour  célébrer  la  chute  de  Rome 
par  les  mains  de  la  révolution  italienne  et  la  déchéance 
finale  du  pouvoir  temporel  des  Papes. 

Dieu  lui  coupa  le  mot  dans  la  bouche,  et  M^'  Caputo 
descendit  dans  la  tombe  pour  s'y  consoler  en  compagnie 
des  comtes  de  Syracuse  et  de  Cavour. 

Jugement  de  Dieu,  que  tu  es  grand  !  M^""  Caputo  mourut 
grand'croix  des  Saints-Maurice-et-Lazare,  mais  sans  l'abso- 
lulion  et  la  bénédiction  du  Souverain-Pontife.  Le  clergé  et 
son  troupeau,  qui  avaient  été  scandalisés  par  son  incon- 
duite, ne  versèrent  aucune  larme  de  compassion  sur  son 
tombeau.  Ensuite  les  journaux  publièrent  que  quelques 
dames  italianissimes  avaient  pleuré  sa  mort.  Le  malheu- 
reux !  il  doit  savoir  maintenant  ce  que  lui  valent  devant 
Dieu  sa  vanité  sans  bornes  et  les  panégyriques  pompeux 
qu'il  débitait  à  la  louange  d'hommes  révoltés  contre  l'E- 
vangile de  son  Eglise  et  contre  les  lois  du  Vatican. 

Nous  pourrions  multiplier  les  traits  de  la  justice  divine 
frappant,  au  milieu  de  leurs  complots,  nombre  de  forbans 
répétant  dans  leurs  cris  :  Rome  ou  la  mort! 

Presque  tous  les  journaux  nous  racontent  les  morts  dé- 
plorables des  ennemis  du  plus  doux  des  Pontifes. 

Nous  lisons  dans  la  Correspondance  de  Rome  : 

«  L'armée  piémontaise  a  perdu  encore  un  général.  Fer- 
dmand  Pinelli  est  mort  à  Bologne  dans  la  force  de  l'âge.  Il 
avait  conduit  une  brigade  à  l'assaut  d'Ancûnc,  si  héroïque- 
ment défendue  par  l'illustre  chef  pontifical  Lamoricière. 
Comme  la  plupart  des  hommes  qui  se  sont  souillés  dans  les 
etttx'cpriscs  de  la  révolution,  Pinelli  est  enlevé  presque 

20 


458  LA   nÊVOLUTION   EN   ITALIE 

inopin(^'ment.  Les  consolations  de  la  foi,  le  pardon  de  l'E- 
glise lui  font  défaut;  car,  selon  le  Corriere  deW  Emilia, 
»  dans  le  cours  rapide  de  sa  maladie,  il  n'a  parlé  que  de 
>  Venise,  d'assauts  et  de  batailles,  et,  en  proférant  le  saint 
»  nom  ...  de  la  patrie,  il  a  rendu  le  dernier  soupir  entre 
»  les  bras,  non  point  d'un  prêtre,  mais  d'un  capitaine 
»  Canassa.  »  Pinelli  était  né  à  Rome  le  31  décembre  1811. 

c  Un  des  patriarches  de  la  révolution,  Cosimo  Rodolfi, 
est  mort  à  Florence,  à  la  même  heure  et  le  même  jour  que 
Pinelli;  un  accès  de  fièvre  cérébrale  l'a  emporté  tout  d'un 
coup.  » 

Le  Chef  de  l'Eglise  n'a  pas  k  chercher  des  soldats  et  des 
gardes  :  il  est  des  légions  invisibles  qui  savent  comment 
on  descend  sur  la  terre,  comment  on  gagne  des  victoires  et 
comment  on  frappe  les  ennemis  du  Christ.  Dieu  a  toujours 
à  sa  droite  un  sergent  de  bataille  que  vous  ne  corromprez 
jamais  :  c'est  la  Mort.  Dieu  a  toujours  dans  sa  main  des 
foudres  qui  portent  plus  loin  que  le  canon  et  qui  frappent 
plus  sûrement  :  c'est  l'air,  c'est  l'eau,  c'est  le  soleil;  c'est 
ce  rayon  vif  et  meurtrier  qui  est  descendu  à  l'improviste 
sur  l'armée  de  Frédéric  Barljcrousse,  et  qui  l'a  cnassée  de 
Rome  en  quatre  jours;  c'est  la  peste  qui  a  dissipé,  sous  les 
murs  de  la  Ville  éternelle,  l'armée  luthérienne,  toute  gorgée 
d'or  et  de  dépouilles;  c'est  le  vent  glacé  du  nord  qui  a  fait 
tomber  les  armes  aes  mains  les  plus  vaillantes  derrière  ce 
conquérant,  heureux  jusque-là,  qui  tenait  Rome  sous  le 
joug  d'une  domination  usurpée,  et  le  Pape  sous  les  verrous 
de  Fontainebleau. 

Ah!  ccst  qu'il  reste  dans  la  maison  de  Dieu  de  ces 
petits  graviers  qui,  selon  l'expression  de  Pascal,  n'eussent 
été  rien  ailleurs,  mais  qui,  allant  se  loger  au  fond  du 
corps  de  Cromwell,  troublent,  renversent,  tuent  du  même 
coup  un  nomme,  un  trône,  un  empire,  et  étendent  sous  un 
aiap  mortuaire  la  gloire  flétrie,  l'ambition  trompée  et  les 


DE  48 iS  A  1879.  459 

rêves  de  la  domination  universelle.  Seule  l'Eglise  brave 
tout,  survit  à  tout,  ressuscite  et  triomphe  partout,  hier, 
aujourd'hui,  demain,  toujours. 

Les  coups  multiplies  de  la  justice  de  Idiea. 

Les  sectaires  et  les  révolutionnaires,  encouragés  par 
l'attitude  du  gouvernement,  qui  laissait  commettre  impu- 
nément les  impiétés  les  plus  révoltantes,  redoublaient  de 
rage  contre  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré.  Le  Pape,  les 
évèques  et  les  religieux,  étaient  baffoués,  de  la  manière  la 
plus  révoltante,  dans  d'infâmes  caricatures,  dans  des 
pièces  de  théâtres  immondes,  et  dans  les  journaux  de 
Rome  rédigés  par  les  descendants  de  ceux  qui  crucifièrent 
Jésus-Christ  en  demandant  que  son  sang  retombât  sur 
eux  et  sur  leurs  enfants. 

Dieu  est  palient,  parce  qu'il  est  éternel.  Mais  sa  justice, 
qui  est  pleine  de  miséricorde,  n'attend  pas  toujours  l'é- 
ternité pour  avertir  les  hommes  pj.r  le  châtiment  des 
impies.  Le  même  jour,  à  Rome,  deux  révolutionnaires,  les 
avocats  Bruni  et  Mercadante,  tous  deux  déjà  frappés  par 
des  sentences  ecclésiastiques  et  qui  s'en  moquent,  sont 
frappés  par  la  miain  de  Dieu  et  tombent  morts  d'apoplexie. 
Un  jeune  impie,  qui  se  pare  de  son  impiété,  va  demander 
dans  un  lieu  public  je  ne  sais  quel  mels  alla  scomunica, 
car  dans  la  ville  vraiment  désolée,  la  tache  de  l'excommu- 
nication est  vraiment  une  mode.  Le  malheureux  dévore  sa 
condamnation  qu'il  a  lui-même  demandée  ;  le  mets  alla 
scomunica  s'est  changé  en  un  poison  violent,  et  l'impie,  à 
peine  rentré  chez  lui,  meurt  sans  qu'on  ait  le  temps  d'ap- 
peler un  prêtre.  Le  châtiment  d'un  autre,  pour  n'êlre  pas 
aussi  prompt,  ne  porte  pas  moins  le  signe  visible  de 
la  colère  de  Dieu.  Louis  Mancini,  comj)licc  de  Monti  et  de 
Tognetli  dans  l'attentat  de  la  caserne  Scrristori,  avait, 


4G0  LA    RÉVOLUTION    EN    ITALIE 

après  son  crime,  quitte  Rome  où  il  est  rentré  le  20  sep- 
tembre pour  y  recevoir  le  prix  d'un  tel  service.  Qui 
pourrait  maintenant  l'empêcher  de  jouir  de  la  douce 
existence  que  la  révolution  doit  à  ses  serviteurs?  Mais  il 
éprouve  à  la  langue  un  mal  inconnu  que  d'abord  il  mé- 
prise :  Ce  n'est  rien,  dit-il.  Ce  rien  c'est  le  châtiment,  c'est 
la  justice  de  Dieu.  Le  malheureux  doit  périr  par  cette 
langue  qui  n'a  pas  béni  Dieu,  mais  qui  l'a  maudit.  Un 
cancer  s'y  déclare,  et  la  science  ne  peut  rien  pour  le  guérir 
ni  pour  en  arrêter  les  progrès.  Le  malade,  transporté  à 
l'hôpital  S.  Giacomo  in  Angusta,  au  Corso,  y  recevait  les 
consolations  et  les  exhortations  des  frères  de  Saint-Jean- 
dc-Dicu,  s'il  ne  se  condamnait  lui-même  à  mourir  sans 
consolation  et  sans  espérance.  Il  ne  peut  plus  parler,  mais 
il  sait  encore  exprimer  sa  volonté  funeste  de  finir  comme 
une  brute,  sans  entendre  le  nom  de  Dieu.  Un  prêtre,  de 
passage  îi  Rome,  est  amené  auprès  de  ce  furieux.  Il  essaie 
de  l'adoucir  et  de  lui  persuader  d'avoir  pitié  de  lui.  Il 
meurt  dans  l'impénilcnce  finale. 

Terribles  punitions  des  Masphcnialeiirs. 

«  0  vous  tous,  les  ennemis  de  votre  Père  le  Pontife  de 
Rome,  tôt  ou  tard  vous  subirez  le  sort  que  Dieu  tenait  en 
réserve  pour  le  bombardement  d'Ancône,  si  chaleureuse- 
ment applaudi  par  vous  f  » 

On  n'entend  parler,  sous  le  nom  de  casi,  que  des  repré- 
sailles terribles  exercées  par  la  colère  divine  contre  les  im- 
pics. La  mort  foudroie  ces  impies  sous  les  yeux  de  ceux 
qu'ils  ont  scandalisés,  et  opère  de  la  sorte  de  nombreux 
retours.  Nous  ne  redirons  point  tous  les  traits  qui  four- 
millent dans  les  journaux,  mais  nous  reproduirons  d'abord 
le  récit  d'un  événement  qui  s'est  passé  à  Bénévent;  il  a  été 
transmis  par  un  témoin  : 


DE  1848  A  1879.  4C1 

Un  soir  de  carnaval,  il  y  avait  réunion  et  souper  dans 
une  des  maisons  aisées  de  cette  ville,  et  un  révolutionnaire 
s'y  faisait  fort  remarquer  par  la  licence  de  son  langage. 
Loin  de  céder  aux  observations  de  ceux  qui  avaient  encore 
un  reste  de  pudeur,  il  se  plut  d'abord  à  les  braver;  puis, 
le  vin  aidant,  il  se  mit  à  blasphémer  contre  la  sainte  Mère 
de  Dieu,  contre  le  Pape,  contre  la  religion.  La  maîtresse 
de  la  maison  se  risqua  à  lui  dire  :  «  Si  vous  aviez  le 
moindre  respect  pour  votre  mère,  pour  votre  épouse  et 
pour  les  femmes,  vous  ne  parleriez  pas  ainsi  de  la  très- 
sainte  Vierge.  »  Mais  ce  propos  l'exalta  encore  davantage; 
il  entra  peu  à  peu  dans  un  véritable  paroxysme  d'impiété, 
et  répondit  enfin  à  ceux  qui  lui  disaient  que  Dieu  punit 
souvent  les  outrages  faits  à  son  Fils  et  à  sa  Mère  :  «  Et 
bien!  je  défie  Dieu,  sa  Mère  et  tous  ses  prétendus  saints.  » 
Vers  le  milieu  de  la  nuit,  il  rentra  chez  lui,  et  sa  femme, 
depuis  longtemps  habituée  à  son  inconduite,  n'y  prit  pas 
garde.  Mais  le  lendemain,  quel  fut  son  effroi  de  le  trouver 
mort,  étendu  sur  le  parquet,  le  visage  noirci,  et  la  langue 
horriblement  gonflée  et  tuméfiée,  pendante  hors  de  la 
bouche  I 

Toute  la  ville  est  accourue,  et  chacun  de  dire  que  la 
main  de  Dieu  a  frappé  cet  homme  de  scandale,  et  qu'il 
est  bon  de  vivre  chrétiennement,  pour  ne  pas  mourir 
ainsi. 

—  Plusieurs  relations  des  ravages  du  choléra  à  Ancône 
ont  été  publiées  par  des  témoins  oculaires.  Dans  l'une 
d'elles,  nous  lisons  ce  qui  suit  : 

«  Un  étranger,  R...  S...,  qui  passait  la  belle  saison  dans 
une  maison  de  campagne  un  peu  éloignée  de  la  ville,  vivait 
dans  le  désordre  et  l'oubli  de  Dieu.  Un  domestique  indi- 
gène l'abandonna  au  commencenie»t  d'août,  en  disant 
qu'il  ne  voulait  plus  rester  «  dans  une  famille  où  l'on  pro- 


ib"!  LA  RÉVOLUTION   EN  ITALIE 

voquait  si  clîronlément  le  courroux  céleste...  »  Ce  brave 
homme  ne  s'était  pas  trompé  :  six  jours  après,  le  fléau  en- 
vahissait la  villa,  en  dépit  de  toutes  les  précautions  prises 
contre  lui,  et  emportait  en  quelques  heures  un  autre  do- 
mestique et  deux  femmes  que  R...  avait  amenés  de  son 
pays. 

»  Un  matin,  de  bonne  heure,  un  prêtre  vénérable,  qui 
arrivait  en  toute  hâte  d'une  ville  voisine  pour  assister  les 
cholériques,  passa  sous  les  fenêtres  de  la  villa.  R...,  fou 
de  désespoir  et  d'épouvante,  l'appela  en  l'injuriant  de  la 
manière  la  plus  brutale,  et  môme,  dit-on,  en  le  menaçant 
d'un  revolver  qu'il  tenait  à  la  main.  Le  prêtre  entra.  Les 
trois  cadavres  étaient  étendus  dans  le  jardin,  où  R...  les 
avait  jetés,  se  flattant  par  là  d'échapper  à  l'épidémie.  Mais 
le  malheureux  venait  d'être  atteint  lui-même  :  les  symp- 
tômes étaient  effrayants.  Il  avait  l'écume  à  la  bouche,  et 
se  tordait  sur  le  plancher... 

»  Le  prêtre  l'exhorta,  h  cause  du  danger  imminent,  à  ne 
plus  songer  qu'à  son  âme.  R...  hurlait  :  «  Non,  je  ne  veux 
pas,  je  ne  veux  pas  mourir  I  Je  suis  trop  riche,  trop  jeune 
et  trop  heureux!  Va-t'en,  prêtre  imposteur,  oiseau  de  mau- 
vais augure  :  je  t'ai  appelé  pour  me  soigner  et  non  pour 
me  confesser...  > 

»  Puis  ce  misérable  blasphémait  Dieu  et  offrait  son  âme 
à  Satan  en  échange  de  la  vie  II! 

»  Le  pauvre  prêtre  eut  beau  se  confondre  en  prières  et 
en  bonnes  œuvres  ;  il  alla  jusqu'à  offrir  son  existence  à 
Dieu  pour  sauver  l'âme  et,  s'il  était  possible,  le  corps  de 
ce  forcené.  Dieu,  dans  ses  impénétrables  desseins,  n'ac- 
cepta point  ce  sacrifice;  R...  mourut  en  jetant  au  ciel  un 
dernier  blasphème.  » 

—  A  Salerne,  le  25  janvier  1864,  la  police  enfonçait  la 
porte  de  la  clôture  du  monastère  de  Sainte-Marie  de  la 


DE  1848  A  1879.  463 

Merci,  et  en  chassait  brutalement  les  religieuses  professes. 
Bientôt  après,  la  caisse  ecclésiastique  prenait  possession 
de  l'église. 

Un  employé  appela  un  portefaix,  qu'il  chargea  d'em- 
porter les  tableaux;  on  ne  sait  pourquoi  le  portefaix  eut 
la  hardiesse  d'arracher  la  pierre  sacrée  de  l'un  des  autels. 
Quelques  bons  habitants,  informés  de  ce  sacrilège,  lui 
demandèreut  comment  il  avait  osé  commettre  une  telle 
impiété.  Pour  toute  réponse,  le  malheureux  se  mit  à  rire. 

Le  2  juin  1864,  le  même  portefaix  ajustait  une  persienne 
sur  un  balcon:  tout-à-coup  le  pied  lui  manque,  et  il  est 
précipité  sur  le  sol.  Au  premier  instant,  on  le  crut  mort; 
mais  quand  on  le  releva,  il  donnait  encore  signe  de  vie  ;  il 
se  lamentait  en  disant  :  Ma  Madone  !  Ma  Madone  I  Les  méde- 
cins le  visitèrent  et  trouvèrent  la  tête  et  la  poitrine  intactes; 
mais  il  avait  le  bras  et  la  main  droite  tellement  fracturés 
que  les  os  perçaient  la  peau.  On  ne  balança  pas  à  faire 
l'amputation  da  bras.  Le  malheureux  fut  porté  à  l'hôpital 
de  Saint-Jean-de-Dieu. 

—  On  écrit  de  Rimini,  le  20  novembre  1864  : 

«  La  population  a  été  frappée  de  deux  exemples  de  châ- 
timents célestes  tombés  sur  un  impie  et  sur  un  parjure. 

»  Un  paroissien  de  Saint-Nicolas  avait  perdu  sa  fille, 
qu'il  maltraitait  beaucoup.  Il  s'en  prit  de  cette  perte  à 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  à'' la  Vierge,  aux  saints,  et  ne 
cessait  de  les  outrager  dans  ses  paroles  ou  d'insulter  à 
leurs  images.  Peu  d'heures  après  ces  blasphèmes,  il  est 
saisi  d'atroces  douleurs  d'entrailles,  qui  le  rendent  fu- 
rieux, et  il  expire  avec  des  contorsions  et  des  cris  épou- 
vantables, sans  avoir  pu  demander  pardon. 

»  Le  7  novembre,  le  fait  suivant  est  arrivé  k  Pavie,  d'a- 
près le  Commercio  de  Florence.  Un  homme  se  rendait  au 
tribunal  comme  témoin.  On  lui  présente  le  crucifix  pour 


464  LA   RÉVOLUTION  EN   ITALIE 

prêter  serment.  Ce  malheureux,  qui  avait  déjà  menti  ou 
voulait  mentir,  s'écria  :  «  Si  je  ne  dis  pas  la  vérité,  que 
»  Dieu  me  frappe!  »  A  peine  avait-il  proféré  ce  parjure 
qu'il  tomba  mort,  frappé  d'apoplexie.  Une  foule  de  per- 
sonnes sont  venues  regarder  avec  terreur  le  cadavre,  qui 
attestait  une  fois  de  plus  comment  le  Seigneur  peut,  dbs 
:ette  vie,  montrer  sa  justice.  » 

—  On  lit  dans  une  correspondance  de  Bologne,  publiée 
par  l'Observateur  romain,  le  trait  suivant  : 

«  Dans  une  maison  située  dans  le  voisinage  de  Saint- 
François  était  logé  un  officier  âgé  d'environ  vingt-quatre 
ans.  Plongé  dans  toutes  sortes  de  vices,  il  tenait  nuit  et 
jour  avec  ses  amis,  des  réunions  où  les  heures  se  pas- 
saient dans  les  débauches  les  plus  ordurières.  Un  jour  ce 
jeune  étourdi  se  blanchit  la  figure  et,  tout  habillé  de  blanc, 
il  s'étendit  sur  une  table  pour  singer  le  mort;  puis  il  se  fit 
porter  par  ses  compagnons,  qui  sortirent  dans  la  rue,  nu 
grand  étonnement  et  au  grand  scandale  de  tous  ceux  qui 
virent  ce  grotesque  cortège  funèbre,  parodiant  dans  leurs 
chants  obscènes  les  prières  que  l'on  récite  pour  les  morts. 
Eh  bien!  le  croirait-on?  à  peine  rentré  dans  la  maison, 
l'oftkier  fut  pris  d'une  forte  et  terrible  fièvre,  qui.  en  hnit 
jours  le  conduisit  au  tombeau;  les  nombreux  médecins 
qui  l'ont  visité  sont  encore  à  se  demander  quelle  est  la 
nature  de  cette  maladie  qui  l'a  si  promplement  enlevé  à 
ses  amis.  Avis  à  ceux  que  cela  regarde.  » 

Madones  profanées. 

Le  17  juillet  18G2,  à  Trapani,  quatre  soldats  de  l'armée 
italienne,  en  parcourant  les  longs  corridors  qui  régnent 
autour  du  couvent  des  Mineurs  observantins,  qui  leur 
servait  de  caserne,  outragèrent  brutalement  et  salirent 


DE  1848  A  1879.  465 

avec  leurs  cigares  le  visage  d'une  image  vénérable  de 
rimmaculée-Gonception  de  la  très-sainte  Vierge. 

A  peine  rentrés  dans  leur  chambre,  où  ils  continuaient 
à  rire  et  à  se  vanter  de  leur  action,  voilà  qu'une  partie  du 
plafond  se  détache,  tombe  et  écrase  de  son  poids  trois 
d'entre  eux.  Le  quatrième,  horriblement  mutilé,  quelques 
heures  plus  tard  expirait  aussi  au  milieu  des  plus  cruelles 
tortures. 

—  Un  jeune  étudiant  de  l'université  de  Pavie,  plein 
d'esprit  et  d'excellentes  qualités,  mais  n'ayant  nullement 
la  foi,  était  allé,  pendant  ses  vacances,  à  la  campagne, 
voir  quelques-uns  de  ses  amis  et  de  ses  camarades. 

Un  soir,  au  milieu  d'une  conversation  impie  qu'il  eut 
l'imprudence  de  tenir,  il  se  prit  à  dire  des  choses  épou- 
vantables à  l'endroit  de  l'auguste  Mère  de  Dieu,  Marie 
Immaculée,  et  vomit  contre  elle  les  blasphèmes  les  plus 
horribles. 

Tous  les  assistants  frémirent  d'horreur  et  manifestèrent 
hautement  leur  indignation,  surtout  la  maltresse  de  la 
maison,  femme  chrétienne,  qui  se  mit  en  devoir  de  con- 
gédier le  jeune  impie;  et  muets,  silencieux,  attristés,  ils 
rentrèrent  chacun  chez  soi,  priant  la  sainte  Vierge  de  par- 
donner à  ce  gaalheureux.  Mais,  ô  prodige  f  ô  stupeur  f 
quel  ne  fut  pas  l'étonnement  de  deux  de  ses  amis,  lorsque, 
ne  le  voyant  pas  arriver  à  l'heure  accoutumée  et  pressen- 
tant un  malheur,  ils  entrèrent  dans  sa  chambre  et  le 
trouvèrent  moït  dans  son  lit,  noir  comme  le  charbon I 
Infortuné  jeune  homme  !  il  n'avait  que  vingt  ans,  et  sa 
pauvre  mère,  inconsolable,  le  pleure  et  l'appelle  nuit  et 
jour,  ignorant  [encore  la  cause  de  cette  mort  lamentable. 

—  L'Italie  est  témoin  des  coups  terribles  de  la  ven- 
geance divine.  En  voici  un  rapporté  par  le  Contemporaneo 
de  rioreuce,  et  cité  dans  le  Monde  du  23  avril  1853  : 

2U* 


4G5  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

t  Un  conscrit  réfractaire  étant  mort  étouffé  dans  une 
meule  de  foin  où  il  s'était  caché,  les  soldats  mutilèrent 
son  cadavre  d'une  manière  horrible.  Et  comme  un  de  ces 
furieux  vint  à  découvrir  sur  la  poitrine  du  mort  un  scapu- 
laire,  il  s'écria  :  Voilà,  voilà  la  preuve  que  c'était  un 
brigand  et  un  <r  assassin!  »  Puis  il  se  mit,  en  blasphé- 
mant, à  poignarder  l'image  de  la  très-sainte  Vierge.  Quelle 
fut  la  stupeur  des  assistants  f  Ils  virent  tout-à-coup  ce  sol- 
dat s'arrêter,  frémir  et  se  débattre...  Un  coup  d'apoplexie 
l'avait  foudroyé.  » 

Scélérats  panis  snr  place. 

Voici  quelques  extraits  de  la  Correspondance  de  Rome  et 
du  Contcmporaneo  de  Florence  : 

Un  garibaldien  ayant  pris  une  chambre  dans  un  hôtel 
de  Cagliari,  y  aperçut  un  crucifix  en  bois.  Les  plus 
odieuses  imprécations  furent  proférées  par  ce  malheu- 
reux ;  il  détacha  la  sainte  image,  la  rongea  avec  fureur 
et  la  brisa  en  mille  pièces;  il  la  jeta  ensuite  au  feu.  Trois 
jours  après  on  le  trouva  mort  dans  sa  chambre,  le  corps 
enflé  outre  mesure  et  noir  comme  le  charbon. 

—  Dans  un  village  près  de  Cretone,  en  Calabre,  un  in- 
dividu, au  lieu  de  faire  le  signe  de  la  croix,  f^lon  le  pieux 
usage  des  chrétiens,  lorsque  le  tonnerre  é^  .ate,  profciait 
les  plus  horribles  imprécations  contre  Dieu,  et  particu- 
lièrement contre  le  Pape.  Il  n'a  pas  encore  achevé  qu'un 
second  coup  de  tonnerre  l'étend  mort  en  renversant  aussi 
sa  maison.  La  population,  consternée,  était  le  lendemain 
tout  entière  à  l'église  et  ne  pouvait  retenir  ses  larmes. 
Elle  se  souviendra  longtemps  du  juste  châtiment  infligé  à 
ce  blasphémateur. 

—  Un  autre  individu,  de  très-mauvaise  vie,  s'étant  livré 


PE  1848  A  1879.  467 

à  des  emportements  contre  limage  de  sainte  Anne,  saisit 
dans  sa  rage  un  revolver  et  s'en  servit  pour  la  frapper  en 
blasphémant;  mais  le  choc  fit  partir  la  détente,  et  le  mal- 
heureux, atteint  en  pleine  poitrine,  expira  au  bout  de 
cinq  minutes. 

—  La  Providence  vient  de  frapper  un  de  ces  coups 
propres  à  faire  réfléchir  ceux  qui  semblent  ne  pas  se  rap- 
peler qu'elle  existe.  Nos  correspondances  nous  ont  appris, 
il  y  a  quelque  temps,  la  hideuse  mascarade  qu'on  a  essayée 
dans  une  ville  des  Légations,  oîi  l'on  représentait  le  Pape 
se  rendant  à  Jérusalem.  D'après  le  Veridico^  le  principal 
acteur  de  cette  scène  dégoûtante,  celui-là  mèrne  qui  avait 
osé  représenter  la  personne  du  Pape,  frappé,  quelques 
jours  plus  tard,  d'une  attaque  d'apoplexie  foudroyante, 
n'aurait  eu  que  le  temps  de  s'écrier  avant  de  mourir  ; 
e  Vite  un  prêtre  I  s 

—  Une  correspondance  de  Salerne  à  la  Vera  Bnûna  No- 
vella,  journal  italien,  nous  raconte  que,  pendant  qu'une 
société  de  bons  amis  italianissimes  de  Salerne  faisait  une 
partie  champêtre  h  Gava,  après  la  station  ordinaire  au 
cabaret,  ils  s'étaient  arrêtés  sur  la  place  à  faire  des  bouf- 
fonneries,' lorsque  le  saint  Viatique  sortit  de  l'église  pa- 
roissiale. Un  certain  0...,  de  Salerne,  se  mit  ù  tourner  ei^ 
dérision,  au  grand  scandale  de  cette  religieuse  cité.  Celui 
qui  du  fond  de  ses  tabernacles  répand  à  pleines  mains  ses 
grâces  sur  les  hommes.  A  la  fin  de  la  journée,  pendant 
que  la  société  se  promenait  dans  un  jardin,  0...  monta 
sur  un  petit  mur  pour  tirer  à  lui  une  branche  ;  le  malheu- 
reux perdit  l'équilibre  et  se  tua  sur  le  coup. 

Un  journal  de  Bologne,  le  Patriotto  cattolico,  raconte  uq 
exemple  terrible  de  la  justice  divine  : 

€  C'était  le  vendredi  saint.  Deux  eûtroprencurs  du  che- 


468  LA   RÉVOLUTION   EN  ITALIE 

min  de  fer  des  Calabres,  s'étant  rendiî^s  h  Lazzaro,  petit 
village  près  Roggio,  demandèrent  à  un  aubergiste  de  leur 
préparer  un  dîner  gras.  L'aubergiste  fit  observer  qu'en  un 
pareil  jour  on  faisait  maigre  et  qu'on  ne  trouvait  pas  de 
viande  chez  le  boucher.  Les  entrepreneurs  se  mirent  à 
blasphémer  et  exigèrent  qu'on  leur  préparât  des  volailles; 
puis,  l'heure  du  dîner  étant  venue,  ils  s'attablèrent,  buvant 
à  la  santé  du  diable  et  se  répandant  en  imprécations  hor- 
ribles. Pour  comble  d'insulte,  ils  prirent  un  crucifix,  le 
placèrent  sous  la  table,  et,  lui  jetant  les  débris  de  leur 
repas,  dirent  à  diverses  reprises  :  «  Tiens  I  mange,  chien  I  » 
Mais  Dieu  voulut  tout-à-coup  venger  sa  majesté  et  faire 
éclater  sa  puissance.  Un  de  ces  misérables,  surpris  par 
d'atroces  coliques,  tomba  de  son  siège  et  mourut  aussitôt. 
L'autre,  effrayé,  fut  atteint  d'une  attaque  d'épilepsie  qui 
lui  enleva  la  raison  pour  un  temps  et  l'a  laissé  dans  un 
état  très-précaire.  Cet  événement  a  causé  la  plus  profonde 
impression  parmi  les  habitants  de  Lazzaro,  qui  y  ont  vu 
sensiblement  la  justice  de  Dieu,  de  ce  Dieu  si  outragé  et 
si  indignement  appelé.  Quant  aux  compagnons  et  aux  ou- 
vriers des  entrepreneurs,  ils  ont  compris  que  le  Dieu  des 
miséricordes  est  aussi  le  Dieu  des  vengeances.  » 

"Voici  un  trait  terrible  de  la  justice  de  Dieu,  qui  est 
arrivé  dans  le  mois  de  mai  1865  : 

On  lisait  dans  le  Stendardo  cattolico  : 

€  Un  Vénitien,  recueilli  depuis  quelque  temps  dans 
l'hôpital  de  Pammadone,  scanaalisait  les  autres  malades 
par  ses  blasphèmes  et  ses  imorecations.  Il  ne  tenait  aucun 
compte  des  avertissements  cnaritablcs  qu  on  lui  adressait 
pour  l'engager  à  se  convertir^  il  éloignait  tout  le  monae 
par  ses  grossières  insultes,  ur,  un  jour,  étant  nors  de  son 
lit,  il  voulut  dcrecnct  manifester  son  épouvantable  haine 
contre  Dieu  et  vomit  cet  hoiriblc  blasphème,  qui  fait 


DE  1848  A  1879.  469 

trembler  la  main  qui  le  transcrit  :  «  Dieu,  situ  existes, 
»  pourquoi  ne  m'envoies-tu  pas  u)i  accident?  »  Le  malheu- 
reux, il  put  se  convaincre  immédiatement  de  l'existence 
de  Dieu,  car  il  tomba  mort  à  terre,  imprimant  une  pro- 
fonde terreur  dans  l'âme  des  autres  malades  qu'il  avait 
tant  scandalisés.  » 

Laissez  passer  la  Jnstlce  de  Dlea. 

La  Révolution,  aidée  de  la  franc-maçonnerie,  son  auxi- 
liaire le  plus  puissant,  s'est  abattue  sur  la  malheureuse 
Italie,  où  elle  cherche  à  établir  le  règne  de  Satan;  mais 
la  justice  de  Dieu  se  montre  de  temps  en  temps  d'une 
manière  bien  terrible.  Nous  en  avons  donné  d'effrayants 
exemples;  en  voici  un  récent  et  bien  authentique.  Ils 
étaient  là  vingt  hommes  réunis  autour  d'une  table  chargée 
de  viandes  et  de  vins.  Une  acre  gaîté  animait  leur  visage; 
ils  parlaient  ou  plutôt  ils  hurlaient  tous  à  la  fois;  leurs 
discours  n'étaient  que  des  blasphèmes  entrecoupés  d'hor- 
ribles éclats  de  rire,  et,  dans  leurs  projets  d'avenir,  ils  pro- 
mettaient tolérance  entière  à  l'hérétique,  au  juif,  à  l'athée, 
mais  haine,  haine  à  mort  aux  catholiques,  aux  prêtres 
surtout,  -se  promettant  bien  de  ne  pas  laisser  vivre  un  seul 
de  ces  hommes  noirs  qui  aspirent  à  tenir  tous  les  hommes 
dans  une  étroite  servitude.  Mort  aux  prêtres  !  revenait 
comme  un  refrain  obligé  à  la  fin  de  tous  leurs  propos. 
Tout-à-coup  celui  qui  paraissait  être  leur  chef,  homme  à 
la  figure  sinistre,  dont  l'air  sombre  ne  s'éclaircissait  que 
par  des  éclats  de  rire  stridents,  plus  rudes  encore  que  sa 
physionomie  dure  et  sauvage,  s'arrête  portant  la  main  suT 
sou  front  dans  un  silence  soucieux.  Au  bout  de  quelques 
secondes,  son  poing  fermé  retombe  sur  la  table  avec  une 
violence  telle  que  les  bouteilles  et  les  verres  sont  presque 
tous  renversés,  et  il  s'é'^rie  :  «  Je  l'ai  trouvé  !  je  l'ai  trouvé! 


470  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

—  Qu'est-ce?  qu'as-tu  trouvé?  lui  demandèrent  à  la  fois 
tous  ses  compagnons.  —  Silence  1  leur  dit-il,  un  moment!  • 
Et,  choisissant  trois  d'entre  eux,  il  s'écarta  avec  eux  pour 
leur  expliquer  son  plan.  «  Admirable!  »  dirent-ils  tous 
les  trois;  et  comme  les  autres  voulaient  savoir  :  «  Non, 
pas  h  présent,  un  peu  plus  tard.  Séparons-nous.  »  Et  tous 
se  levèrent,  moins  ivres  que  d'habitude. 

Le  lendemain  l"mar?  1864,  à  six  heures  du  matin,  un 
homme  était  debout  à  la  porte  d'un  palais;  il  paraissait 
inquiet,  et  ses  regards  se  portaient  de  tous  côtés  dans  la 
rue.  Il  aperçoit  un  prêtre  d'une  quarantaine  d'années.  Il 
venait  de  porter  des  secours  h.  une  pauvre  famille,  et  son 
visage  semblait  encore  rayonner  du  bonheur  qu'il  avait 
donné,  des  bénédictions  qu'il  avait  reçues.  L'homme 
l'aborde,  un  mouchoir  sur  les  yeux,  comme  pour  essuyer 
des  larmes,  et  d'une  voix  entrecoupée  il  lui  dit  :  «  Père, 
un  homme  se  meurt;  il  demande  assistance  dans  ses 
derniers  moments.  Par  charité,  montez  vers  lui.  »  Sans 
répondre,  le  prêtre  le  suit.  Il  arrive  dans  une  salle 
écartée,  où  il  trouve  quelques  individus  entourant  un  lit 
dont  les  rideaux  étaient  soigneusement  fermés.  Il  entre 
avec  le  salut  de  l'Eglise  :  «  Paix  à  cette  maison  et  à  ceux 
qui  l'habitent,  »  et  il  s'approche  du  lit,  tout  en  ayant 
surpris  quelques  regards  sinistres  ou  moqueurs  lancés 
sur  lui.  Ces  hommes  cependant  s'éloignent  et  il  adresse 
quelques  mots  au  moribond.  Ne  recevant  point  de  réponse, 
il  soulève  les  rideaux  et  fait  un  mouvement  d'horreur  en 
voyant  une  figure  affreuse;  les  yeux  paraissaient  sortir  do 
leur  orbite,  la  bouche  était  hideusement  ouverte  et  con- 
tournée, la  langue  pendante.  Il  le  secoue;  point  de  mou- 
vement. Il  rejette  le  drap  et  voit  qu'il  était  tout  habillé, 
tenant  dans  la  main  droite  un  revolver  h  six  coups,  la 
doigt  placé  sur  la  gAchette  de  l'arme.  «  Trop  tard,  s'écrie- 
t-il,  trop  tard,  il  est  mortf  »  Tous  se  précipitent,  entourent 


DE  1848  A  1879.  474 

le  lit  en  le  secouant  et  l'appelant,  mais  en  vain.  Le  prêtre 
était  tombé  à  genoux  et  priait.  Il  se  relève,  et,  élevant  ses 
mains  vers  le  ciel,  il  s'écrie  :  «  Mon  Dieu,  mon  Dieu,  que 
vous  êtes  terrible  dans  vos  colères  I  »  Se  retournant  vers 
les  assistants,  dont  il  n'avait  que  trop  pénétré  les  coupables 
desseins,  mais  qui  semblaient  tous  éperdus  et  consternés, 
il  leur  dit  :  «  Que  Dieu  vous  pardonne  dans  le  ciel  comme  je 
vous  pardonne  sur  la  terre  !  .  et  il  les  laissa  frappés  d'une 
inexprimable  terreur  sur  le  sort  de  leur  complice,  et  de 
remords  de  leurs  imprécations  contre  des  hommes  qui 
risquent  si  facilement  leur  vie  pour  le  salut  des  autres. 

Le  journal  de  Bologne,  la  Vérité,  affirme  la  certitude  de 
ce  fait,  qui  s'est  passé  dans  une  ville  d'Italie.  Nous  en 
avons  extrait  ce  récit  en  l'abrégeant. 

La  main  de  Diea. 

Lorsque  le  conseil  municipal  de  Catane  fut  saisi  de  la 
proposition  d'intervenir  dans  la  célébration  des  fêtes  en 
l'honneur  de  sainte  Agathe,  un  conseiller,  M.  Ferdinand 
Aradas,  fils  de  parents  très-pieux,  mais  malheureusement 
engagé  dans  la  franc-maçonnerie,  la  repoussa,  en  blas- 
phémant contre  la  sainte  et  contre  la  religion  catholique. 
Aradas  retourfta  à  sa  maison,  où  il  continua  à  blasphémer 
en  présence  de  son  domestique,  encore  plus  impie  que  lui. 
Mais,  pris  tout-à-coup  de  violents  crachements  de  sang  et 
d'horribles  convulsions,  il  ne  tarda  pas  à  expirer.  Trois 
heures  après,  le  domestique  fut  également  frappé  et  enlevé. 
Qui  peut  s'empêcher  de  reconnaître  la  main  de  Dieu  dans 
la  fin  de  ces  deux  blasphémateurs? 

—  On  lit  dans  le  journal  italien  VAncora  : 
«  Un  chasseur,  s'étant  arrêté  devant  Santa  Maria  di 
Gesù.  à  Palerme,  se  mit  à  viser  la  croix  qui  surmonte  la 


472  LA    RÉVOLUTION    EN    ITALIK 

petite  colonne  placée  devant  l'église.  Un  garde  voulut 
l'empêcher  de  tirer,  mais  le  chasseur,  sans  tenir  compte 
de  ses  paroles,  lâcha  la  détente.  Le  coup  partit.  Au  même 
instant  le  chasseur  tombait  mort.| 

—  Au  mois  d'octobre,  un  sicaire,  appelé  Montesi,  avaif 
blessé,  dans  les  rues  de  Bologne,  cinq  prêtres.  Le  tribunal, 
considérant  peut-être  que  cet  homme  était  à  ménager, 
s'était  empressé  de  l'acquitter.  Mais  l'homme  vient  de  se 
suicider.  h'Ancora  dit  avec  raison  :  Les  hommes  lui  refu- 
saierv^Ja  justice,  Dieu  l'a  faite. 

—  Une  lettre,  adressée  d'Imola  au  Ravennate,  raconte 
un  fait  aussi  triste  que  scandaleux  ;  Quelques  jeunes 
gens,  ayant  attaché  une  corde  au  cou  de  la  statue  de  san 
Felice,  se  sont  mis  à  tirer  de  toutes  leurs  forces  en 
criant  :  «  En  bas,  Felice,  descends  (  »  A  force  de  tirer, 
Fjlice  descendit  vraiment,  et  il  descendit  de  telle  façon 
qu'il  écrasa  un  des  jeunes  gens  et  en  blessa  grièvement 
deux  autres.  On  a  déjà  amputé  la  jambe  à  l'un;  l'état  de 
l'autre  est  très-grave. 


DE  1848  A  1879.  473 


CHAPITRE  IV. 

LE    PIÉMONT    RÉVOLUTIONNAIRE   A  ROME. 


C'est  le  2  juillet  1870  que  s'est  accomplie  la  grande 
iniquité.  Au  mépris  des  siècles,  des  souvenirs,  des  titres, 
de  l'Eglise  elle-même  et  du  peuple  chrétien  tout  entier,  le 
roi  lombard  est  entré  dans  la  Ville  éternelle.  Il  y  est 
entré  avec  ses  soldats,  précédé  de  l'injustice,  de  la  mauvaise 
foi,  de  l'ignominie.  Cependant  il  a  paru  en  vainqueur, 
comme  s'il  était  le  vrai  maître.  Du  fond  du  Vatican,  Pie  IX 
put  voiries  drapeaux  flotter  aux  fenêtres;  il  put  entendre 
un  à  un  les  cent  coups  de  canon  qui  annonçaient  l'arrivée 
du  roi;  son  cœur  de  père  dut  tressaillir  de  douleur. 

Victor-Emmanuel  s'est  fait  conduire,  par  un  détour  à 
travers  la  ville,  au  Quirinal.  C'est  là,  dans  le  palais  des 
Papes,  qu'il  est  venu  prendre  possession  de  Rome. 

Quand  Victor-Emmanuel  fut  arrivé  au  Quirinal,  les  cris 
de  la  foule  l'appelèrent  au  balcon.  Le  roi  se  fit  attendre, 
comme  si  une  crainte  superstitieuse  l'arrêtait  à  cette 
dernière  limite  de  l'impudence  et  de  la  forfaiture.  La 
populace  redoubla  de  cris.  Un  domestique  vint  jeter  une 
tenture  sur  la  balustrade.  Enfin,  le  roi  ému,  presque 
tremblant,  s'avan  a  lentement  vers  le  balcon  et  salua  avec 
emDai-rab  la  foule,  de  cette  même  place  où  le  nouveau 
Pape  élu  a  coutume  de  bénir  le  peuple  après  sa  préconi- 
salion.  Dans  le  palais  des  Papes,  surte  balcon  du  Quirinal, 


A74  LA  RÉVOLUTION  EN  ITALIE 

à  cette  place,  entre  les  statues  de  saint  Pierre  et  de  saint 
Paul,  sous  l'image  de  la  sainte  Vierge,  non  jamais  je 
n'oublierai  l'effet  que  me  produisit  la  face  de  Victor- 
Emmanuel  !  Cependant,  les  crieurs  continuèrent  à  crier:  le 
roi  fut  obligé  de  reparaître  une  seconde  fois. 

On  remarqua  qu'il  fixait  sur  le  Vatican  un  regard  sombre 
et  troublé.  Derrière  ces  murs  il  devinait  sa  victime  et 
sentait  l'écueil  sur  lequel  ne  tarderait  pas  à  aller  faire 
naufrage  lui,  son  trône  et  sa  dynastie.  Ce  spectacle  rempli 
de  remords  et  de  menaces  ne  lui  a  pas  permis  de  savourer 
beaucoup  les  hurlements  gagés  et  les  applaudissements 
mercenaires  que  la  foule  lui  prodiguait  sur  la  place. 

Après  l'usurpation  de  la  Ville  sainte  par  les  Piémontais, 
on  écrivait  de  Rome  : 

—  Depuis  que  l'Italie  est  une,  la  main  de  Dieu  s'est 
appesantie  sur  elle  comme  pour  l'avertir  que  la  voie  où 
elle  s'est  engagée  est  une  voie  funeste,  qui  aboutit  à  un 
précipice  affreux. 

Les  fléaux  se  sont  succédé  presque  sans  interruption, 
surtout  depuis  la  prise  de  Rome;  maintenant  ils  se  prennent 
sur  la  nation  tout  entière.  Dans  l'intervalle  d'un  peu  plus 
d'un  mois,  nous  avons  vu  l'éruption  terrible  du  Vésuve,  qui 
a  brûlé  les  campagnes  napolitaines,  les  inondations  du 
Pô,  qui  ont  dévasté  et  dévastent  encore  des  provinces 
entières,  les  sauterelles,  qui  ravagent  la  Sardaigne  en  si 
grand  nombre  que  tous  les  moyens  de  destruction  em- 
ployés par  les  habitants  sont  inutiles.  La  récolte  est  corn» 
plètement  perdue.  Les  maisons  elles-mêmes  en  sont  in- 
festées h  tel  point  qu'on  n'ose  plus  ouvrir  les  fenêtres,  do 
peur  de  voir  les  appartements  envahis  par  des  myriades 
de  ces  insectes  destructeurs.  Et  comme  si  les  châtiments 
du  ciel  n'étaient  pas  suffisants,  le  gouvernement  sonflle 
sur  la  Péninsule  la  fureur  de  la  guerre  par  ses  lois  sur  les 


DE  1848  A  1879.  47o 

fortifications,  sur  l'armement  des  troupes,  et  par  ses 
alliances  significatives. 

L'horizon  se  fait  bien  noir,  et  nous  croyons  que  la 
tempête  n'est  pas  éloignée  I 

Trêves  de  phrases  sentimentales  :  voici  de  tous  les  argu- 
men-3  le  plus  irréfutable,  des  chiffres. 

Les  statistiques  judiciaires  du  royaume  d'Italie  con- 
tiennent des  chiffres  qui  montrent  quel  sens  on  doit  attacher 
à  ce  mot  de  régénération  : 

Pendant  l'année  1869-70,  les  tribunaux  italiens  ont  pro- 
noncé 226,526  condamnations;  ils  ont  vu  défiler  306,221 
prévenus. 

N'est-ce  pas  effrayant?  Ce  qui  l'est  surtout,  c'est  la  pro- 
gression des  crimes  et  délits.  Dans  le  chiffre  des  con- 
damnations, nous  voyons  figurer  27,912  méfaits  de  sang 
ou  attentats  contre  les  personnes;  on  en  avait  seulement 
compté  14,818  pendant  l'année  1863-64.  Les  attentats 
contre  la  propriété  sont  montés,  de  21,793  en  1863-64, 
à  40,748  en  1869-70! 

Les  prisons  italiennes  renfermaient,  h.  la  fin  de  1869,  une 
véritable  armée,  composée  de  64,58o  personnes. 

Le  mfiuvement  annuel  des  détenus,  dans  l'Italie  régé- 
nérée, n'est  pas  inférieur  à  cent  mille  individus.  Et  quatre 
cent  mille  sont  placés  sous  la  surveillance  de  la  police. 

On  le  voit,  c'est  un  véritable  progrès  :  Magni  passas  extra 
viam,  dit  saint  Augustin.  Encore  quelques  pas  de  plus,  et 
l'Italie,  cette  nation  privilégiée  entre  toutes,  aura  descendu 
les  derniers  degrés  de  l'abîme. 

C'est  ainsi  que  l'exemple  venu  d'en  haut  a  porté  ses 
fruits.  La  question  romaine  peut  se  résumer  en  quelques 
lignes.  Malgré  toutes  les  menées  des  Bonapartes  et  les 
agissements  des  sectaires,  les  Etats  pontificaux  restaient 
fidèles  à  leur  auguste  souverain.  Voyant  que  les  moyens 
moraux  (I)  étaient  impuissants  i\  soulever  le  peuple  contre 


476  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

son  roi  légitima,  on  imagina  alors  un  expédient  plus 
court  :  Victor-Emmanuel,  désireux  de  montrer  sa  loyauté 
personnelle  et  le  courage  invincible  de  ses  soldats,  fit 
marcher  contre  Rome,  avec  tous  les  engins  d'un  siège, 
une  armée  six  fois  plus  nombreuse  que  les  soldats  pon- 
tificaux, et  ayant  trouvé  les  portes  de  la  Ville  sainte 
fermées,  il  les  fit  enfoncer,  tanquam  fur  et  latro,  et  se  pro- 
clama lui-même,  au  nom  du  droit  moderne,  maître  des 
Etats  de  l'Eglise.  Comment  veut-on,  après  de  pareils 
forfaits,  que,  dans  un  pays  où  les  brigands  foisonnent, 
Victor-Emmanuel  ne  trouve  pas  des  imitateurs  de  ce  qu'il 
a  fait  lui-même  sur  une  plus  grande  échelle?  Il  ne  peut  pas 
y  avoir  deux  morales  et  deux  justices,  l'une  à  l'usage 
des  souverains  et  l'autre  de  la  vile  multitude.  Aussi 
quel  spectacle  hideux  l'Italie  donne  au  monde  en  ce  mo- 
ment f 

On  écrit  de  Palerme  au  Tem'po  ces  lignes,  bien  propres 
à  tirer  de  l'illusion  ceux  qui  n'ont  pas  juré  d'y  pourrir  : 

<t  On  vient  d'organiser  parmi  notre  jeunesse  une  société 
de  libres-penseurs  sous  le  titre  de  Société  des  fils  de 
Satan.  « 

Voilà  bien  le  dernier  mot  du  radicalisme  moderne,  et 
tout  le  plan  de  l'Italie  sous  le  joug  de  la  démagogie. 

Le  véritable  programme  de  la  Révolution  ne  tend  à  rien 
moins  qu'à  renverser  Dieu  et  à  mettre  Satan  sur  ses  autels. 

Prouvons  le  fait. 

Tous  les  révolutionnaires  ont  toujours  eu  un  culte  réel 
pour  Satan.  Ils  niaient  les  vérités  les  plus  solennelles, 
mais  ils  confessaient  le  pouvoir  du  démon.  Déjà  Jésus- 
Christ  leur  disait  ;  Vous  avez  le  diable  pour  père.  S'ils  se 
sont  montrés  mauvais  citoyens,  ils  n'ont  jamais  été  des 
enfants  indignes. 

Le  diable  a  été  homicide  dès  le  commencement,  et  la  Révo- 
lution qu'il  a  engendrée  vit  de  sang  et  se  repaît  de  carnage. 


DE  1848  A  1879.  477 

Le  diable  est  le  père  du  mensonge,  et  la  Révolution 
n'accomplit  son  œuvre  que  par  la  fourberie,  la  fausseté 
et  la  calomnie.  Le  diable  enlève  les  âmes  à  Dieu,  et  la 
Révolution,  pour  dépouiller  l'Eglise  de  tout  ce  qui  est  son 
domaine,  déploie  ce  que  l'Apocalypse  appelle  les  profon- 
deurs de  Satan,  et  toutes  ces  opérations  sataniques  dont 
parle  saint  Paul. 

On  écrivait  de  Florence  le  22  janvier  1872  : 

«  Plaignez  un  malheureux  sur  la  tête  duquel  s'appesantit 

la  main  de  Dieu  vengeresse  des  injures  contre  le  vicaire  de 

Jésus-Christ...  » 

On  a  dit  à  propos  de  l'ouverture  du  parlement  italien  : 

«  Le  gouvernement  de  Victor-Emmanuel  croit  qu'il  vient 
de  prendre  possession  de  Rome  :  il  vient  de  creuser  sa 
fosse.  » 

Rien  n'est  plus  vrai  :  rien  n'est  plus  probable  pour  qui 
sait  chercher  dans  l'histoire  les  données  sur  l'avenir. 

M.  de  Maistre  écrivait  en  1810,  en  apprenant  les  usur- 
pations du  premier  Bonaparte  : 

«  Jamais  aucun  souverain  n'a  mis  la  main  sur  un  Pape 
quelconque  (avec  ou  sans  raison),  et  n'a  pu  se  vanter  en- 
suite d'un  règne  long  et  heureux.  Henri  V  d'Angleterre  a 
souffert  tout  ce  que  peut  souffrir  un  homme  et  un  prince. 
Son  fils  dénaturé  mourut  de  la  peste  à  quarante-quatre  ans, 
après  un  règne  fort  agité.  Frédéric  I"  mourut  à  trente-huit 
ans,  dans  le  Gydnus.  Frédéric  II  fut  empoisonné  par  son 
fils,  après  s'être  vu  déposé.  Philippe  le  Bel  mourut  d'une 
chute  de  cheval,  à  quarante-sept  ans.  Ma  plume  se  refuse 
aux  exemples  moins  anciens.  Gela  ne  prouve  rien,  dira- 
t-on.  A  la  bonne  heure  1  Tout  ce  que  je  demande,  c'est  qu'il 
en  arrive  autant  à  un  autre,  quand  même  cela  ne  froncerait 
rien;  et  c'est  ce  que  nous  verrons.  » 

C'est  ce  que  nous  avons  vu  deux  fois  depuis,  témoin  les 


478  LA   r.ÉVOLUTIOM   EN   ITALIE 

rochers  de  Sainlc-Hclènc  et  les  murs  de  Sedan;  c'est  ce  que 
nous  verrons  encore. 

Le  triomphateur  d'aujourd'hui  pourrait  bien  être  le 
condamné  de  domain.  L'histoire  l'a  déjà  juge,  et  l'on  peut 
prévoir,  sans  être  prophète,  que  la  Providence  se  montrera 
envers  lui  aussi  sévère  qu'elle  l'a  été  pour  ceux  qui, 
comme  lui  et  avant  lui,  ont  persécuté  l'Eglise. 

Châtiments  des  rêvolntlonnalres  à  Rome. 

Lors  môme  que  Dieu  semble  donner  un  libre  cours,  pen- 
dant quelques  jours,  à  la  puissance  des  ténèbres,  sa  justicd 
ne  laisse  pas  de  se  montrer  de  temps  en  temps,  afin  d'em- 
pêcher le  scandale  des  âmes  faibles. 

On  écrivait  de  Rome,  le  29  novembre  1870,  à  l'Univers  : 
t  Les  tremblements  de  terre  qui  viennent  d'affliger  les 
Romagnes  ont  suscité  parmi  les  populations  de  cette  partie 
des  Etats  de  l'Eglise  des  retours  à  Dieu  dans  lesquels  l'es- 
prit chrétien  sait  voir  un  nouveau  témoignage  de  la  misé- 
ricorde céleste,  de  cette  miséricorde  toujours  prête  à 
adoucir  les  rigueurs  de  la  justice.  On  conçoit  qu'au  milieu 
des  agitations  militaires  et  politiques  de  l'Europe,  ces  faits 
passent  inaperçus.  Cependant,  je  crois  devoir  signaler  une 
circonstance  tout  au  moins  singulière,  que  les  habitants  de 
Forli,  la  ville  la  plus  éprouvée,  prennent  pour  un  prodige. 
Le  dimanche  avant  la  catastrophe,  une  dame  inconnue, 
vêtue  de  deuil,  s'est  présentée  dans  les  principaux  maga- 
sins, qui,  au  mépris  du  précepte  ecclésiastique,  demeu- 
raient ouverts,  et,  d'une  voix  douce  et  triste,  a  reproché 
aux  marchands  leur  impiétr-,  ajoutant  que  Dieu  leur  ferait 
connaître  sa  colère  par  des  manifestations  de  sa  puissance, 
et  les  reconduirait  ainsi  au  respect  de  sa  loi.  Les  mar- 
chands accueilliient  par  des  lazzi  et  des  rires  les  menaces 
de  la  dame;  mais  aux  premières  secousses  du  tremblement 


DE  4848  A  1879.  470 

de  terre,  ils  se  souvinrent  d'elle,  la  cherchèrent  de  tous 
côtés,  et  ne  parvinrent  pas  à  la  retrouver. 

>  A  Rome,  les  Romagnols,  très-émus  et  affligés  de  la 
situation  de  leur  pays,  ont  célébré  les  1",  2  et  3  décembre, 
dans  l'église  de  Saint-Marcel  au  Corso,  un  triduum  en 
l'honneur  de  la  madone  dite  det  Fuoco  (du  feu),  protectrice 
de  la  ville  de  Forli.  —  Partout  les  populations  victimes  du 
fléaa  se  jettent  aux  pieds  des  autels. 

»  —  Les  morts  subites  de  certains  ennemis  du  Pape  et 
de  la  religion  ont  laissé  dans  Rome  une  impression  pro- 
fonde. 

»  Un  impie,  qui  blasphémait  sans  cesse,  a  été  frappé  au 
moment  même  où  il  se  déchaînait  contre  Pie  IX. 

i  Enfin,  un  avocat  célèbre  à  Rome,  M.  Bruni,  est  mort 
tout-à-coup,  sans  avoir  le  temps  de  proférer  une  parole.  Ce 
dernier  faisait  partie  de  la  commission  des  six  juriscon- 
sultes romains  qui  ont  eu  la  lâche  complaisance  de  rédiger 
une  consultation  pour  prouver  que  le  Pape  n'avait  aucun 
droit,  comme  Pape,  sur  le  Quirinal.  On  dit  que  M.  Bruni 
est  le  dernier  trappe;  les  cinq  autres  ont  succombé  ces 
jours  derniers. 

»  Il  ne  faut  pas  oublier  que  depuis  l'invasion  de  18o9  un 
grand  nombre  de  villes  et  de  villages  d'Italie  ont  été  té- 
moins de  faits  de  ce  genre.  Dieu  les  a  multipliés  pour  ser- 
vir d'avertissements  aux  méchants  et  confirmer  les  bous 
dans  la  fidélité.  > 

Les  Caribaldîens  à  Rome. 

Dans  le  quartier  de  Monti,  et  dans  la  rue  de  Serpenti,  se 
trouve  une  auberge  devenue  célèbre  depuis  le  20  septembre 
1870,  grâce  à  la  conduite  du  propriétaire.  Tous  les  jours, 
il  se  répandait  en  blasphèmes  contre  les  choses  les  plus 
sacrées  de  notre  religion,  et  en  offensait  le  chef  auguste  de 
la  manière  la  plus  inlùme. 


480  LA   nÉVOLUTION   EN    ITALIE 

Vint  le  3  juillet  avec  l'inauguration  à  Rome  de  ce  qu'ils 
appellent  la  capitale.  Alors  l'aubergiste,  pris  d'une  joie 
satanique,  redoubla  les  démonstrations  de  son  allégresse; 
il  fallut  banqueter  avec  les  amis,  tandis  que  plus  mons- 
trueux sortaient  de  sa  bouche  les  blasphèmes  et  les 
imprécations  mêlées  d'expressions  de  triomphe,  pour  la 
satisfaction  éprouvée  en  voyant  que  c'en  était  fait  de  la 
Papauté. 

Les  jugements  de  Dieu  sont  justes  I 

Après  le  copieux  repas,  il  était  allé  se  reposer,  en  or- 
donnant à  ses  gens  de  le  réveiller  un  peu  avant  le  feu 
d'artifice,  afin  de  jouir,  lui  aussi,  de  ce  divertissement  na- 
tional. Mais  quand  on  alla  pour  le  tirer  de  son  sommeil,  à 
la  tombée  de  la  nuit,  il  n'était  qu'un  froid  cadavre. 

Et,  à  l'heure  même  où  le  malheureux  avait  dit  vouloir 
assister  aux  fêtes  publiques,  il  devait  se  présenter  au  divin 
tribunal. 

—  Le  7,  un  groupe  de  huit  polissons  appartenant  à  ces 
jeunes  gens  payés  cina  francs  par  tète  afin  de  représenter 
l'enthousiasme  de  rigueur  pour  la  levée  militaire,  par- 
courait le  Transtevere  en  faisant  alterner  les  hymnes  pa- 
triotiques avec  les  plus  terribles  imprécations  et  les  plus 
horribles  blasphèmes.  Ces  malandrins  avaient  déjà  crié  : 
Mort  aux  noirs,  mort  aux  prêtres  et  mort  au  Pape,  lorsque 
l'un  d'entre  eux,  plus  enragé  que  les  autres,  voulut  crier  : 
Mort  au  Christ.  Mais  le  nom  divin  ne  put  sortir  de  sa 
bouche,  car  il  tomba  sur-le-champ  foudroyé. 

L'horreur  et  l'épouvante  causés  à  Rome  par  ce  fait  sont 
immenses. 

—  Le  21,  dans  une  rue  voisine  de  la  place  de  Monte 
d'Oro,  on  faisait  vacarme  en  certain  cabaret.  Le  principal 
crieur  était  un  cocher,  bien  connu  pour  ses  prouesses  irré- 
ligieuses. Ce  malheureux  proférait  îi  pleine  bouche  les  plus 


DE  1848  A  1879.  481 

horribles  blasphèmes  contre  Dieu,  la  Vierge,  les  saints,  en 
un  mot  contre  ce  que  la  religion  a  de  plus  auguste  et  de 
plus  vénérable.  Il  serait  également  impossible  de  dire  ce 
qu'il  vomit  d'injures  contre  le  Pape.  Mais  voilà  que  tout-à- 
coup  au  vacarme  infernal  succède  un  silence  effrayant.  On 
sort  de  l'auberge  en  criant  :  Un  'prêtre  î  un  prêtre  I  Bientôt 
un  ecclésiastique  arrive,  mais  il  était  trop  tard.  Le  cocher 
perdait  le  sang  par  la  bouche,  les  yeux  et  les  narines,  et 
mourait  avant  d'avoir  pu  reprendre  connaissance. 

On  écrit  de  Florence,  le  4  août  1871,  à  l'Univers  : 

c  Encore  un  coup  du  hasard  à  Rome.  Le  2  de  ce  mois, 
un  homme  qui  était  monté  sur  le  toit  du  palais  Bonaparte 
perd  l'équilibre  et  tombe  dans  la  rue.  On  s'empresse  autour 
du  cadavre  et  l'on  reconnaît  en  lui  un  agent  subalterne  de 
l'ex-sénat  romain,  celui-là  même  qui,  au  mépris  de  ses 
devoirs,  grimpait,  le  20  septembre,  au  haut  du  Capitole  et 
y  plantait  le  premier  drapeau  tricolore  qui  ait  flotté  dans 
la  Ville  éternelle.  Bien  certainement  ce  n'est  là  qu'un 
simple  coup  du  hasard;  mais  ces  jeux  du  hasard  se  mul- 
tiplient depuis  quelque  temps,  et  il  n'y  a  aucun  mal  à  en 
compléter  la  série,  quand  ils  sont  authentiques  comme 
celui-ci.  » 

On  écrit  de  Rome  : 

Encore  un  hasard  I  Le  6  septembre  1871,  l'ingénieur 
Morelli,  chargé  de  la  direction  des  travaux  au  palais  Be- 
leani,  transformé  en  Cour  des  comptes,  monte  sur  les 
échafaudages  extérieurs  pour  y  surveiller  les  travaux  et 
presser  les  travailleurs,  qui  n'allaient  pas  aussi  vite  qu'il 
le  désirait.  On  lui  fit  observer  que  le  8,  jour  de  la  Nativité 
de  la  sainte  Vierge,  nombre  d'ouvriers  manqueront  à 
l'appel,  car  ce  jour  est  fête  solennelle  dans  le  calendrier 
romain,  t  il  n'y  a  pas  de  sainte  Vierge  qui  tienne,  répond 

21 


482  LA   RÉVOLUTION  EN  ITALIE 

l'ingénieur;  ceux  qui  se  dispenseront  du  travail  sous  ce 
prétexte  seront  renvoyés  pour  touiours.  »  Cela  dit,  le  pied 
lui  glisse  et  il  tombe  au  troisième  étage.  On  s'empresse 
autour  de  lui,  il  était  mort  sur  le  coup.  La  presse  sectaire 
le  pleure  beaucoup  et  croit  lui  faire  un  bel  éloge  funèbre 
en  disant  que  c  était  un  des  meilleurs  jeunes  hommes  (il 
n'avait  pas  quarante  ans)  de  la  nouvelle  Rome.  Hélas  I  le 
malheureux  f 

On  écrit  de  Rome  : 

Le  28  août  1871,  un  maître  maçon  connu  pour  un  des 
plus  forcenés  blasphémateurs  de  Rome,  après  avoir  vomi 
les  paroies  les  puis  horribles  contre  Dieu  et  la  sainte 
Vierge,  est  entré  dans  un  estaminet  orès  de  l'église  des 
Saints  Giuliano  et  Celso.  A  peine  avait-il  pris  place  à  une 
table  qu'il  a  été  frappé  a  une  attaque  d'apoplexie  fou- 
droyante. Cette  mort  a  tait  une  grande  impression  sur  le 
peuple. 

Mort  de  ISazzinl. 

Le  fameux  agitateur  Mazzini,  qui  s'était  promis  de  célé- 
brer les  funérailles  de  la  Papauté,  est  mort  h.  l'àgc  de 
soixante-trois  ans,  pendant  que  Pie  IX  portait  fièrement 
ses  quatre-vingt-un  ans. 

Un  journal  de  Rome  a  noté  de  curieuses  coïncidences 
au  sujet  de  la  mort  de  l'ancien  triumvir  de  Rome  : 

Mazzini  a  été  frappé  le  premier  jour  do  la  neuvainc  do 
saint  Joseph,  dont  il  portait  indignement  le  nom,  le  troi- 
sième jour  du  triduum  solennel  îi  Saint-Pierre,  dont  il 
avait  combattu  les  droits  sacrés  pendant  toute  sa  vie,  au 
moment  où  il  allait  se  rendre  k  Rome  pour  y  accomplir 
son  œuvre  de  malédiction  et  jouir  do  sa  victoire  infernale, 
et  ealin  à  l'heure  même  où  Pic  IX,  prisonnier  de  ses  sec- 
lairos,  a  rappelé,  comme  inspiré,  en  présence  d'une  élite 


DÏ3  1848  A  1879.  483 

do  fidèles  Romains,  ce  fatal  cri  de  guerre  :  Agitez,  agitez 
encore,  avec  lequel,  après  avoir  parcouru  l'Italie  et  le 
inonde  pendant  un  quart  de  siècle,  Mazzini  s'est  présenté 
au  terrible  jugement  de  Dieu. 

Les  démagogues  ont  beau  l'exalter  de  la  manière  la 
plus  ridicule,  on  se  rappelle  ces  belles  paroles  de  saint 
Augustin  :  Laudantur  ubi  non  sunt,  cruciantur  ubi  sunt. 

—  Les  journaux  nous  apportent  presque  tous  les  jours 
quelques  nouveaux  traits  de  la  justice  de  Dieu  qui  s'exerce 
contre  les  envahisseurs  sacrilèges  des  Etats  pontificaux. 
Plusieurs  de  ces  misérables  finissent  comme  Judas,  ils  sont 
eux-mêmes  leur  propre  bourreau. 

On  écrit  de  Florence  à  l'Univers  : 

Il  y  avait  à  Rome  un  certain  Lori,  surnommé  Ra- 
neighetta,  boucher  de  profession,  et  très-connu  dans  le 
monde  patriotique.  Ce  fut  un  des  plus  zélés  fabricateurs 
du  plébiscite.  Non  content  de  raccoler  dans  sa  classe  et 
dans  le  bas  peuple  tous  ceux  qu'il  pouvait  entraîner  au 
Capitole  pour  y  déclarer  la  déchéance  du  Pape,  lors  de 
l'annexion,  il  s'amusait,  la  nuit,  à  aller  peindre  sur  les 
maisons  des  caccialpri  un  énorme  si  ou  d'autres  symboles 
analogues,  dans  toutes  les  circonstances  où  la  révolution 
devait  faire  parade  de  ses  forces.  Ce  malheureux  vient  de 
se  jeter  par  la  fenêtre,  le  lendemain  de  la  mort  violente  du 
général  Gugia. 

Ma  lettre  semblera  à  quelques-uns  remplie  de  petits 
riens  aujourd'hui.  Mais  tous  ces  petits  riens  expliquent 
bien  des  choses.  Ils  expliquent  pourquoi  le  sénat  se  dé- 
clare en  nombre  avec  trente  membres,  sur  trois  cents  qui 
le  composent,  et  pourquoi  la  Chambre  n'est  jamais  lianice 
que  par  une  cinquantaine  de  députés;  ils  expliquent  pour- 
quoi le  roi,  qui  n'est  cependant  plus  un  tout  jeune  homme, 
est  piqué  par  la  tarentule  de  la  locomotion.  Les  révolu- 


484  LA   RÉVOLUTION  EN   ITALIE 

tionnaires  qui  affectent  de  mépriser  notre  doigt  de  Dieu, 
ainsi  qu'ils  l'appellent,  ne  le  méprisent  que  du  bout  des 
lèvres.  Ils  sentent  que  Rome  est  fatale,  et  tout  en  jappant  : 
Romel  Remet  ils  cherchent  à  s'en  tenir  le  plus  éloigné 
que  possible.  Petite  précaution  à  la  vérité!  car  yiotre  doigt 
de  Dieu  est  assez  long  pour  les  atteindre  même  au  dehors 
de  l'enceinte  de  la  ville  sacrée;  mais  encore  se  trouvent-ils 
mieux  ailleurs  que  là  I 

On  écrit  de  Rome  : 

t  II  arrive  tous  les  jours  de  funestes  accidents  que  l*on 
considère  comme  le  châtiment  de  la  violation  du  saint 
jour  du  dimanche  et  des  fêtes.  Ainsi  le  gouvernement  fait 
réparer  la  caserne  de  Serristori,  de  triste  mémoire,  pour 
cacher,  sans  doute,  au  monde  la  part  qu'il  a  prise  à  ce 
crime.  Il  a  fait  travailler  le  jour  même  de  l'Immaculée- 
Conception,  quoique  ce  soit  ti  Rome  fête  d'obligation;  le 
lendemain,  une  voûte  entière  s'est  écroulée  :  elle  a  écrasé 
sous  ses  débris  deux  ouvriers,  qui  sont  morts  aussitôt,  et 
elle  a  blessé  assez  grièvement  plusieurs  autres.  » 

—  Un  journal  de  Rome  nous  apporte  la  nouvelle  d'une 
mort  qui  a  produit  une  grande  sensation.  On  sait  de  quelle 
manière  impie  et  scandaleuse  le  carnaval  s'est  passé  à 
Rome.  Le  dernier  jour  de  cette  orgie,  le  général  Ephisc 
Cugia,  premier  aide-de-camp  du  prince  Humbert,  à  huit 
heures  du  soir,  a  été  frappé  d'une  apoplexie  foudroyante. 
La  Capitale,  journal  révolutionnaire,  déclare  que  le  général 
sarde  «  était  une  belle  individualité  et  qu'il  est  tombé 
roide  mort  dans  l'escalier  du  Quirinal  (palais  pontifical) 
en  revenant  des  fêtes  carnavalesques.  » 

La  Voce  délia  Verità  ajoute  :  t  Le  général  ...  cessait  de 
vivre  pour  ainsi  dire  à  côté  du  prince.  Nous  n'avons  pas 
l'habitude  de  faire  des  commentaires  sur  le  malheur,  mais 


DE  1848  A  1879.  48a 

nous  voudrions  que  cette  première  mort  au  Quirinal  servît 
de  quelque  enseignement.  » 

On  écrit  de  Florence,  30  janvier  1872  : 

Je  ne  pensais  pas  avoir  à  revenir  aussi  vite  que  je  le  fais 
sur  la  scandaleuse  tragédie  :  Hardouin,  roi  d'Italie,  qui  se 
joue  à  Rome.  Mais  puisque  le  doigt  de  Dieu  continue  d'é- 
crire, mon  devoir  est  d'épeler  humblement  ce  qu'il  écrit. 
La  représentation  est  suspendue  au  théâtre  Valle  ii  cause 
de  la  maladie  d'un  des  acteurs.  Et  quel  est  cet  acteur? 
C'est  celui-là  même  qui  frappa  à  coups  de  pied  l'arche- 
vêque de  Milan.  Ce  malheureux  est  au  lit  depuis  deux 
jours  et  a  le  délire:  il  s'écrie,  en  se  tordant  de  douleur  : 
Je  suis  maudit  I  Je  sais  maudit  !  J'apprends  tout  cela  par 
une  lettre  qui  m'arrive  à  l'instant  de  Rome. 

Le  doig^t  de  Dieu. 

En  attendant  que  Dieu  frappe  un  de  ces  grands  coups 
qui  étonnent  le  monde  et  font  rentrer  dans  les  abîmes  les 
suppôts  de  Satan,  sa  colère  ne  laisse  pas  d'éclater  d'une 
manière  terrible  sur  des  impies  qui  osent  le  braver.  Voici 
des  traits  àojÉ.  il  est  facile  de  vérifier  l'authenticité  : 

—  Un  homme  de  la  ville  de  Terracine,  non  loin  de 
Rome,  s'est  mis  à  parler  de  Pie  IX  d'une  manière  indigne, 

et  comme  il  disait  :  Ce n'est  pas  encore  mort,  mais  il 

mourra  bientôt,  il  a  été  saisi  d'un  tremblement  subit  dans 
tous  ses  membres  et,  peu  de  temps  après,  il  est  mort,  en 
refusant  de  se  réconcilier  avec  Dieu.  Cette  triste  mort  a 
tellement  terrifié  ses  compagnons  qu'ils  ont  presque  tous 
changé  de  vie  et  se  sont  approchés  des  sacrements. 

—  Le  secrétaire  de  Garibaidi,  écrit-on  de  Rome  à  l'Uni- 
vers, nommé  PlanluUi,  est  devenu  fou  furieux.  On  a  dû 


486  LA   RIJVÔLUTION   EN   ITALIE 

î'cnfermer  dans  la  maison  des  aliénés.  C'est  à  ce  misérable 
que  le  héros  doit  les  épîtres  les  plus  ordurières  qu'il  a 
signées.  Plantulli  se  vantait  d'avoir  inventé  l'insulte  sacri- 
lège que  Garibaldi  a  jetée  h  la  face  de  la  chrétienté,  en 

parlant  du  Vicaire  de  Jésus-Christ  iwi  mètre  cube  de 

Plantulli  a  perdu  l'esprit, et  Garibaldi,  hideux  à  voir,  est 
étendu  sur  son  lit,  tandis  que  les  foules  fidèles  admiraient 
le  doux  visage  de  Pie  IX  et  écoutaient  avec  enthousiasme 
ses  sublimes  enseignements. 

On  lit  dans  la  Semaine  de  Toulouse  : 

Le  citoyen  rrapolli,  grand-orient  des  francs-macons  ita- 
liens, vient  d'être  atteint  d'aliénation  mentale,  à  tel  point 
que  l'on  a  dû  l'enfermer  dans  l'hospice  des  fous  îi  Turin. 
Avis  aux  insensés  qui  osent  faire  la  guerre  à  l'Eglise  et  à 
Dieu  !  Ils  auront  à  compter  d'une  manière  ou  de  l'autre, 
mais  lomours  terrible,  avec  la  justice  divine.  Qu'on  les 
appelle  he'ros  des  Veux-Mondes,  ou  de  n'importe  quel  autre 
titre,  ils  seront,  au  moment  des  célestes  vengeances,  bien 
petits,  et  surtout  bien  fâchés,  mais  trop  tard,  de  leurs  im- 
piétés. 

C'est  ce  M.  Frapolli  qui,  en  1869,  le  8  décembre,  jour 
de  l'ouYcrtare  du  concile  général  du  Vatican,  a  présidé,  à 
Naples,  un  contre-concile,  composé  d'impies  de  son  espèce 
et  qui  n'a  duré  que  vingt-quatre  heures.  On  y  était  d'ac- 
cord comme  à  la  Tour  de  Babel. 

—  La  loi  qui  frappe  l'un  après  l'autre  tous  les  ennemis 
du  Pape,  suit  toujours  son  cours  :  nous  venons  d'en  voir 
une  nouvelle  application. 

Le  député  Petruccclli  dcUa  Gattina  vient  d'être  frappé 
d' apoplexie  :  il  n'est  pas  mort  sur  le  coup,  mais  sa  carrière 
est  finie. 

L'an  dernier,  dans  une  séance  restée  célèbre,  il  avait, 
pendant  plus  d'une  heure,  vomi  des  injures  assaisonnées 


DE  tM8  A  1879.  487 

de  blasphèmes,  qu'une  Chambre  italienne  seule  peut 
écouter.  Cela  passait  toutes  les  bornes  :  les  radicaux  à 
Paris,  les  Prussiens  de  M.  de  Bismarck  à  Berlin  lui  auraient 
imposé  silence.  Il  s'était  placé  du  coup  au  premier  rang 
des  insulteurs  de  la  Papauté. 

Il  confondait  dans  une  même  haine  le  Pape  et  la 
France, 

Je  lisais  en  1870,  pendant  la  guerre  et  la  Commune,  les 
lettres  qu'il  envoyait  de  Paris  à  la  Gazetta  d'ItuUa.  Il 
triomphait  à  chaque  victoire  des  Prussiens,  il  n'avait  que 
des  railleries  et  des  sarcasmes  pour  chacun  de  nos  mal- 
heurs. Son  Italie  à  lui  ne  pouvait  grandir  que  sur  les 
ruines  de  Paris  et  de  la  France.  Ce  souvenir  m'était  resté 
amer  parmi  bien  d'autres;  il  m'est  revenu  tout  naturelle- 
ment à  la  pensée,  et  je  ne  puis  m'empêcher  de  le  noter 
ici. 

—  RoTnia  è  fatale!  Rome  est  fatale  I  —  Giuseppe  Ferrari, 
l'un  des  esprits  les  plus  brillants  et  les  plus  extravagants 
de  la  révolution  italienne,  l'a  dit  souvent.  Il  ne  se  doutait 
pas  qu'il  prédisait  sa  propre  fin.  On  l'a  trouvé  mort,  un 
matin,  dans  sa  chambre,  comme  Gioberti. 

Piécemment,  à  l'Université  romaine,  traitant  de  l'empire 
d'Orient,  il  avait  vomi  de  telles  insultes  contre  le  Christ 
que  les  incrédules  s'en  étaient  montrés  indignés.  Le  voilà 
tombé  entre  les  mains  redoutables  du  souverain  Juge  des 
vivants  et  des  morts. 

—  Le  marquis  Guatterio,  le  dernier  ami  de  Victor- 
Emmanuel,  vient  d'être  frappé  de  folie  furieuse  et  enfermé 
dans  l'hôpital  des  fous.  Les  médecins  n'ont  pas  eu  beaucoup 
de  peine,  à  ce  qu'il  parait,  à  caractériser  la  maladie  du 
malheureux  :  ils  l'ont  déclarée  incurable  et  du  même  genre 
que  cdlle  doût  est  mort  M.  Farini. 


l'A  RÉVOLUTION  EN  ITALIE 

Ce  marquis  Guatterio  était  d'Orvieto,  des  Etats  ponti- 
ficaux.  Elevé  dans  les  antres  de  la  seete,  où  il  se  rendit 
tres-jeune  pour  conspirer  contre  le  Pape,  il  en  con- 
naissait les  détours.  Peu  favorisé  du  côté  de  la  fortune 
et  devant  au  roi  la  belle  position  d'intendant  général  de 
la  liste  civile,  il  s  était  sincèrement  dévoué  à  sa  personne 
et  ne  cachait  pas  assez  sa  résolution  de  le  défendre  en 
tout  contre  la  secte. 

-  Le  Q   février  1877,   à  Rome.  -    M-   Marignoli, 
femme    d  un   banquier,   sénateur  de  Victor- Emmanuel 
personne  .   très-coquette,  très-belle,   la  plus  belle  des 
Komaines,  »  dit  une  correspondance,  avait,  à  l'occasion 
du  carnaval,  orné  son  balcon  à  la  manière  chinoise;  elle 
était   elle-même  vêtue   richement  en  Chinoise   et  avait 
exige  que  toutes  les  dames  libérales  qui  venaient  chez 
elle    fussent    habillées    en   chinoises.   C'est  cette  dame 
Marignoli  qui,  à  l'entrée  de  Victor-Emmanuel,  après  le 
20  septembre  1870,  fut  choisie,  à  cause  de  sa  beauté 
pour  offrir  un  bouquet  au  roi  galantuomo.  C'est  de  ce  même 
balcon    orné  ces  jours  derniers  à  la  manière  chinoise, 
qu  en  1870  elle  avait  craché  sur  les  zouaves  du  Pape  I  Eh 
bieni  le  6  février,  pendant  qu'à  ce  balcon  elle  se  livrait 
avec  passion  au  jeu  du  carnaval,  elle  a  porté  la  main  à 
son  front,  est  devenue  d'une  pâleur  mortelle  et  est  tombée 
à  la  renverse  sans  prononcer  une  parole.  Elle  s'est  éteinte 
au  bout  de  deux  heures  sans  avoir  repris  ses  sens.  Qu'on 
se  figure  le  spectacle  de  ces  femmes  et  de  ces  hommes 
déguises  en  Chmois   et  entourant  dans  la  plus  grande 
désolation  le  cadavre  de  cette  damel  Chose  étrange,  au 
moment  où  son  convoi  traversait  la  place  d'Espagne  un 
homme  a  jeté,  du  milieu  de  la  foule,  un  grand  crî  et'  est 
tombe  ro.de  mort.  C'était  un  ardent  sectaire,  qu'on  a 
enterré  civilement  le  lendemain. 


DE  1848  A  1879.  489 

Autre  coïncidence,  diront  ceux  qui  ne  veulent  pas  voir 
des  punitions  dans  ces  coups  de  foudre  : 

Il  est  bon  de  rappeler  que  c'est  le  6  fé\Tier  187o,  en 
plein  carnaval  encore,  que  le  trop  fameux  Souzogno  fut 
assassiné  par  un  «  frère  et  ami,  »  sectaire  comme  lui,  et  que 
le  6  février  1872,  le  général  Ephèse  Cugia  tombait  fou- 
droyé de  la  même  façon  que  la  Marignoli. 

Carnaval  sinistre,  cette  révolution  italienne!  Ses  illustra- 
tions méritent  bien  d'être  touchées  du  doigt  de  Dieu  en 
plein  carnaval! 

Peu  de  temps  avant  sa  mort,  Pie  IX  disait  ces  paroles 
remarquable  i  : 

«  Je  ne  parle  pas  des  punitions  effrayantes  dont  Dieu  a 
frappé  tantôt  l'un,  tantôt  l'autre  de  ces  sectaires  impies, 
morts  dans  la  terreur  et  dans  la  désolation,  abandonnés 
au  pouvoir  des  ténèbres  infernales.  Je  me  borne  à  un  seul 
des  faits  survenus  ici,  h  Rome  même.  N'est-il  pas  vrai  que 
l'un  des  chefs  de  la  révolution  italienne,  se  trouvant  près 
de  mourir,  demandait  un  prêtre  qui  recueillît  les  derniers 
soupirs  de  sa  vie?  Il  le  trouva;  mais  ce  fut  inutile,  parce 
que  les  émissaires  de  Satan  firent,  comme  l'on  dit,  barri- 
cade autour  de  son  lit.  Le  ministre  de  Dieu  ne  put  entrer. 
On  lui  dit  :  «  Quand  il  sera  nécessaire,  vous  serez  appelé.  > 
Et  en  attendant'?  En  attendant,  le  malade  mourait,  et  plaise 
à  Dieu  qu'il  ait  pu  dire  avec  un  vrai  repentir  dans  son 
cœur  :  Nunc  reminiscor  malorum  quxfeci  in  Jérusalem!  » 

Nous  composerions  de  nombreux  volumes  si  nous 
voulions  citer  tous  les  traits  de  la  justice  divine,  à  l'endroit 
des  révolutionnaires  italiens;  nous  sommes  obligé  de  nous 
borner. 


21* 


^'^^^  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 


CHAPITRÉ   IV. 

LES  DERNIERS  JOURS  DE  VICTOR-EMMAKUEL. 


Les  traits  de  la  vengeance  divine,  dont  l'usurpateur 
était  témoin,  entretenaient  dans  son  âme  les  remords  les 
plus  cuisants  sans  toutefois  changer  sa  conduite.  Il  passait 
son  temps  à  la  chasse,  ou  dans  les  débauches,  loin  du 
Vatican  et  de  Saint-Pierre,  dont  la  vue  le  troublait  pro- 
fondement. 

On  lit  dans  un  journal  libéral  : 

«  Victor-Emmanuel  est  encore  à  Rome;  mais,  malgré 
les  objurgations  et  les  supplications  de  ses  ministres.  I 
est  décidé,  paraît-il,  à  partir  aussitôt  après  avoir  reçu  les 
adresses  des  sénateurs  et  des  députés  à  son  discours  du 
trône.  Le  séjour  de  la  Ville  éternelle  n'a  pas  l'avantage  de 
plaire  au  roi;  il  ne  peut  s'y  faire  ni  s'y  voir,  et  la  Capitale 
s'écriait  à  ce  propos,  il  y  a  deux  jours  :  «  Nous  ne  savons 
vraiment  comment  expliquer  une  telle  hâte  de  partir  I  . 

»  Le  secret  de  ce  malaise  que  le  roi  semble  éprouver 
ici  n'est  pas,  du  reste,  difficile  h  deviner  :  sa  conscience 
n'est  pas  tranquille,  et,  avec  cette  haute  délicatesse  qui 
est  comme  de  race  et  qu'il  garde  sous  les  rudes  apparences 
de  sa  grossière  nature,  il  sent  mieux  que  qui  que  ce  soit 
combien  est  fausse,  pénible  et  périlleuse,  même  pour  son 
pouvoir  monarchique,  la  situation  que  les  événements  lui 
ont  faite  à  Rome. 

»  Il  y  a  peu  de  jours  que,  penché  à  l'une  des  fenêtres 


DE  1848  A  1879.  491 

du  Quirinal,  il  s'épanchait  tranquillement  avec  le  comte 
Castellanzo.  «  Tenez,  lui  dit-il  tout-à-coup,  en  lui  montrant 
le  Vatican,  il  y  a  là  un  prisonnier  qui  est  un  homme  libre, 
tandis  qu'il  n'y  a  ici  qu'un  homme  libre  qui  est  pri- 
sonnier. » 

s  La  sécurité  à  Rome  continue  à  être  très-compromise  : 
l'autre  jour,  on  a  volé  tout  un  bureau  de  poste,  et  l'on  ne 
sait  pas  encore  comment  les  voleurs  ont  pu  faire  pour  s'y 
introduire.  La  boite  forcée  a  été  jetée  par-dessus  les  murs 
d'un  monastère,  où  on  l'a  retrouvée  le  matin.  Dans  les 
rues,  les  prêtres  sont  quotidiennement  insultés  :  les  ma- 
dones elles-mêmes  ne  sont  plus  respectées;  on  les  casse 
à  coups  de  pierres,  et  la  police  regarde  et  laisse  faire  ! 
Qu'aurait  dit  l'Europe,  je  vous  le  demande,  si  ce  que 
nous  voyons  aujourd'hui  à  Rome  s'y  était  passé  il  y  a 
dix  ans?  Quels  arguments  n'aurait-on  pas  trouvés  dans  un 
tel  état  de  choses  pour  établir  l'impuissance  et  l'incapacité 
du  gouvernement  pontifical?  Mais  ceci  se  passe  sous  le 
gouvernement  révolutionnaire  de  Victor-Emmanuel,  et 
l'on  trouve  que  tout  est  pour  le  mieux  :  nous  avons  une 
police  impuissante  ou  complice  des  brigands,  et  pas  une 
voix  ne  proteste.  Voilà  cependant  ce  que  sont  la  justice 
des  hommes  et  l'esprit  de  parti.  >  (Le  Français.) 

Victor-Emmanuel,  usurpateur  de  Rome,  semble  triom- 
pher aujourd'hui  au  Quirinal.  Il  parle  de  ses  projets,  il 
fait  montre  de  ses  espéiwices,  il  cherche  à  se  faire  un 
piédestal  en  face  même  du  Vatican,  tout  éclairé  de  l'auréole 
de  Pie  IX. 

Mais  le  triomphateur  d'aujourd'hui  pourrait  bien  être 
le  condamné  de  demain.  L'histoire  l'a  déjà  jugé,  et  l'on 
peut  prévoir,  sans  être  prophète,  que  la  Providence  se 
montrera  envers  lui  aussi  sévère  qu'elle  l'a  été  pour  ceux 
qui,  comme  lui  et  avant  lui,  ont  persécuté  l'Eglise. 


^^^  l'A   RÉVOLUTION'   EN   ITALIE 

Victor-Emmanuel  a  touché  au  Pape,  et  il  est  mort ...  au 
Quirinal,  dans  le  palais  des  Papes. 

Qu'un  roi  meure,  il  n'y  a  rien  en  cela  que  de  très- 
ordinaire.  Si,  comme  l'a  dit,  il  y  a  longtemps,  un  grand 
monarque,  Salomon,  les  rois  n'ont  pas  une  autre  entrée 
en  ce  monde  que  les  gens  du  peuple,  il  est  tout  naturel  de 
croire  qu'ils  n'en  sortent  pas  dans  d'autres  conditions. 

Mais  la  parole  du  philosophe  savoyard,  terriblement 
vérifiée  dans  la  chute  et  la  mort,  sur  un  rocher  de  l'Océan, 
du  plus  puissant  souverain  de  ce  siècle,  dans  la  chute  et 
la  mort  en  exil  d'un  neveu  persécuteur  de  Pie  IX,  vient, 
pour  la  troisième  fois,  retentir,  comme  une  écrasante 
prophétie,  dans  la  mort  de  Victor-Emmanuel  II,  qui  s'est 
fait  appeler  Roi  d'Italie. 

Comme  Caïphe,  Victor-Emmanuel  a  été  prophète  à  son 
jour  : .  Nous  sommes  venus  à  Rome,  et  nous  y  resterons, . 
a-t-il  dit.  Il  est  venu  à  Rome,  et  il  y  est  resté.  C'est  le  jour 
de  la  fête  des  Rois  -  des  bons  Rois,  -  qu'il  a  été  frappé 
tout-à-coup  d'une  pneumonie,  dont  il  est  mort  trois  jours 
après,  le  9  janvier  1878. 

Voici,  d'après  les  journaux  les  mieux  informés,  quelques 
détails  sur  la  mort  de  l'usurpateur  des  Etats  de  l'Eglise. 

Victor-Emmanuel  avait  une  grande  aversion  pour  le 
palais  apostolique  du  Quirinal,  parce  qu'une  femme  des 
Calabres  lui  avait  annoncé,  bien  avant  l'annexion,  et  le 
mot  a  été  mille  fois  répété,  qu'il  mourrait  subitement  au 
Quirinal,  avec  ses  souliers,  ce  qui  eut  lieu.  Le  matin,  il 
avait  voulu,  malgré  les  médecins,  se  lever.  On  l'habilla,'on 
le  chaussa,  on  l'assit  dans  un  fauteuil.  Cette  femme  avait 
prédit  qu'il  mourrait  colle  scarpe  (avec  les  souliers);  Anne- 
Maria  Taïgi  avait  dit  colle  pantufole  (avec  les  pantoufles). 
Souliers  ou  pantoufles,  cela  se  ressemble. 

Victur-Emiuauuel,  prince  sans  mœurs,  mais  héritier  de 


Dr  1848  A  1879.  493 

la  foi  de  ses  ancêtres,  avait  le  pressentiment  que  le  palais 
des  Papes  portait  malheur. 

Lorsqu'il  quitta  Florence  pour  aller  s'établir  à  Rome, 
comme  dans  sa  capitale,  il  laissa  entrevoir  à  quelques  in- 
times une  crainte  que  le  remords  lui  inspirait.  «  Cette 
première  nuit  que  je  vais  passer  au  Quirinal,  lui  dit-il,  me 
fait  éprouver  une  certaine  appréhension.  — -  Prince,  lui 
répondit-on,  votre  crainte  n'est  sans  doute  qu'une  puéri- 
lité. —  Je  le  sais  bien  ...,  mais  ce  palais  me  portera  mal- 
heur. —  Que  craignez-vous  donc?  ....  un  assassinat?...  — 
Je  n'ai  jamais  songé  à  cela;  mais  je  vous  assure  que,  si  je 
couchais  cette  nuit  au  Quirinal,  je  craindrais  de  ne  plus 
me  réveiller  demain  matin,  i 

Victor-Emmanuel,  après  avoir  assisté  à  toutes  les  fêtes, 
se  retira  vers  minuit  dans  les  appartements  qui  lui  étaient 
destinés;  mais  quand  tout  fat  rentré  dans  le  calme,  il 
monta  dans  une  voiture  ordinaire  et  alla  coucher  au  palais 
du  prince  Doria,  situé  sur  le  Corso. 

Mais  un  fait  récent  vient  de  donner  un  singulier  lustre  à 
l'action  de  la  Providence.  Victor-Emmanuel  se  promettait 
d'enterrer  le  Pape,  et  de  l'enterrer  sous  peu.  Le  29  ou 
le  30  décembre  dernier,  il  avait  signé  un  décret  prescri- 
vant un  deuil  général  pour  la  mort  de  Pie  IX  et  des  funé- 
railles solennelles.  L'amour  de  l'Eglise  et  du  Pape  n'en- 
traient pour  rien,  on  le  pense  bien,  dans  ce  luxe  de  pompe 
funèbre  :  il  fallait  jeter  de  la  poudre  aux  yeux  des  popula- 
tions, et  montrer  qu'on  avait  calomnié  le  gouvernement  si 
respectueux  de  Sa  Majesté  pour  le  Chef  de  l'Eglise.  Les 
livrées  de  deuil  pour  la  cour  étaient  déjà  prêtes  ;  les  robes 
et  les  chapeaux  de  la  princesse  Marguerite  étaient  aussi 
tout  prêts. 

Livrées,  robes  et  chapeaux  ont  servi  pour  enterrer 
Victor-Emmanuel. 

Le  2  janvier,  à  l'occasion  des  réceptions  du  jour  de 


^^'5'  LA  nÉVOLUTION   EN   ITALIE 

l'an,  Victor-Emmanuel  avait  dit  aux  délcgm^s  du  parle- 
ment que  l'on  [se  trouvait  à  cette  heure  dans  de  graves 
conjectures,  et  qu'il  était  indispensable  de  se  préparer  aux 
plus  douloureuses  éventualités. 

Le  4,  une  dépêche  de  Florence  annonçait  à  Victor- 
Emmanuel  que  l'un  de  ses  meilleurs  généraux  venait  de 
mourir.  Le  général  La  Marmora  était  en  effet  ?i  peu  près  le 
seul  Italien,  avec  le  général  Menabrea,  qui  eût  une  répu- 
tation militaire.  La  nouvelle  de  cette  mort  causa  au  roi 
une  douleur  profonde,  suivant  les  termes  mêmes  de  sa 
dépêche  au  maire  de  Florence. 

Cependant  le  6  janvier,  fête  des  Rois,  Victor-Emmanuel 
donnait  un  grand  dîner  dans  le  palais  apostolique  du  Qui- 
rinal.  A  son  morne  silence,  h  ses  yeux  hagards,  on  devi- 
nait l'inquiétude  qui  dévorait  son  âme.  Comme  autrefois 
l'impie  Balthazar,  aurait-il  aperçu  sur  les  murailles  de  la 
salle  une  main  qui  traçait  sa  condamnation  ?  Ce  qu'il  y  a 
de  certain,  c'est  qu'il  dater  de  ce  jour,  Victor-Emmanuel, 
dans  toute  la  force  de  l'âge  et  d'une  constitution  de  fer, 
se  sentit  frappé  à  mort.  Il  se  proposait  de  repartir  le  len- 
demain. Toutefois  il  fut  retenu  ce  jour-h\  par  une  indispo- 
sition qui  parut  d'abord  peu  grave;  mais  dans  la  nuit  du 
vendredi  au  samedi,  Victor-Emmanuel,  tourmenté  par  l'in- 
somnie, trouva  bon  de  se  lever  et  d'ouvrir  les  fenêtres 
pour  respirer  l'air  libre,  h  moitié  déshabillé.  Cette  grave 
imprudence  lui  coûta  la  vie.  C'est  \h,  en  effet,  suivant  le 
témoignage  du  correspondant  du  Temps  lui-même,  qu'il 
prit  et  sa  fièvre  et  sa  fluxion  de  poitrine. 

A  la  nouvelle  de  la  maladie  du  roi,  le  Pape  envoya 
M«'  Marinclli  au  Quirinal.  Trois  fois  le  prélat  se  présenta, 
déclarant  qu'il  désirait  voir  le  roi  au  nom  du  Saint-Père, 
trois  fois  il  fut  éconduit,  sous  prétexte  que  le  malade  était 
trop  souffrant  pour  parler  avec  qui  que  ce  fût. 

Cependant  la  maladie  faisait  de  terribles  progrès.  La 


DE  4848  A  1879.  495 

nuit  qui  précéda  la  mort  fut  très-agitée.  Est-ce  en  ce  mo- 
ment que  la  grâce  commençait  son  premier  travail?  Peut- 
être,  car  on  dit  que,  dans  les  moments  de  délire,  le  roi 
avait  voulu  se  lever,  en  s'écriant  à  plusieurs  reprises  : 
«  Je  ne  veux  pas  rester  à  Rome.  » 

Dès  le  matin,  les  médecins  avaient  donné  l'alarme,  en 
annonçant  que  toute  espérance  était  désormais  superflue. 
A  onze  heures,  le  docteur  Bruno,  médecin  de  Sa  Majesté, 
fut  chargé  de  demander  au  roi  s'il  consentait  h  recevoir 
les  sacrements.  «  Je  suis  donc  bien  mal?  »  répondit  le  ma- 
lade. Le  médecin  s'efforça  de  le  rassurer,  Victor-Emmanuel 
comprit  :  «  Eh  bien  !  qu'on  me  porte  le  saint  viatique,  je 
suis  prêt.  » 

Le  chanoine  Anzino,  chapelain  du  roi,  fut  appelé.  Vic- 
tor-Emmanuel, après  s'être  confessé,  fit,  en  présence  des 
quelques  officiers  de  sa  maison,  appelés  expressément  pour 
senùr  de  témoins,  une  déclaration  publique  par  laquelle 
il  condamnait  tous  les  actes  de  sa  vie  contraires  à  la 
religion  et  à  l'Eglise,  et  demandait  pardon  au  Pape.  Le 
prêtre  voulut  écrire  et  faire  signer  la  rétractation  du  mori- 
bond :  les  ministres  et  les  médecins  avaient  eu  soin  d'en- 
lever papier,  encre  et  plume  de  la  chambre.  Le  chanoine 
Anzino  l'écrivit  chez  lui  et  l'envoya  au  Vatican.  Elle  est 
entre  les  mains  du  Pape. 

Il  fallait  se  hâter;  la  respiration  devenait  plus  gênée;  la 
mort  approchait.  Le  chapelain  se  jeta  dans  une  voiture  et 
alla,  muni  de  l'autorisation  ordinaire,  prendre  le  saint 
viatique  dans  l'église  des  Saints-Vincent-et-Anastase. 

On  raconte  que,  pendant  les  dernières  heures  de  sa  ma- 
ladie, ce  malheureux  prince  s'est  écrié  à  plusieurs  reprises: 
Sortons  d'ici,  sortons  d'ici.  Il  lui  en  coûtait  de  rendre  le 
dernier  soupir  dans  ce  palais  apostolique  dont  il  avait 
profané  la  chapelle.  Peut-être  que,  dans  ce  moment,  le  dé- 
mon lui  représentait  vivement  tout  le  mal  qu'il  avait  fait 


496  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

OU  permis  dans  la  Ville  sainte  :  les  biens  de  l'Eglise  volés, 
les  monastères,  asiles  de  la  prière  et  de  la  charité,  trans- 
formés en  casernes  et  en  prisons;  les  épouses  de  Jésus- 
Christ  chassées  et  réduites  à  la  dernière  misère,  un  bon 
nombre  d'églises  vénérables  livrées  îi  des  usages  profanes, 
les  innocents  tués  dans  le  siège  de  Gaëte  et  d'Ancône  ',  etc. 

D'une  communication  du  Saint-Siège,  nous  détachons 
les  lignes  suivantes  : 

«  Le  gouvernement  aurait  voulu,  non-seulement  les 
pompes  funèbres  accordées  à  tout  homme  privé  qui,  sur 
le  point  de  mourir,  s'est  réconcilié  avec  l'Eglise,  mais  en- 

*  Dans  notre  siècle  positiviste,  il  n'y  a  pas  de  langage  plus 
éloquent  que  celui  des  chiffres.  C'est  par  ce  langage  que  nous 
voulons  faire  connaître  à  nos  lecteurs  les  vols  sacrilèges  comniU 
par  l'Italie. 

Voici,  d'après  VUnità  cattolica,  le  compte-rendu  OFFICIEL 
des  calices,  ciboires,  ostensoirs,  ex-voto  et  ornements  sacrés 
enlevés  par  le  gouvernement  italien  et  vendus  aux  fripiers  et 
aux  juifs  jusqu'à  la  lin  de  1871. 

L'administration  dite  du  Domaine  (Domanlo),  après  avoir  fait 
les  plus  minutieuses  recherches  dans  les  sanctuaires,  les  cha- 
pelles, les  sacristies,  s'était  emparée  des  ornements  sacrés  et 
des  objets  précieux,  sans  même  oublier  les  chandeliers  et  les 
bancs.  D'après  le  compte-rendu  de  ladite  administration,  le 
butin  s'élevait  à  près  de  OiNZE  millions  (10,913,333  fr.  72).  .Mais 
les  réclamations  des  catholiques  furent  si  éclatantes  que  le 
gouvernement  se  vit  forcé  d'eu  restituer  la  plus  grande  partie, 
savoir  :  7,709,738  fr.  G7  c. 

Il  restait  donc  trois  millions.  Et  le  gouvernement  italien  n'a 
pas  craint,  pour  cette  somme  relativement  mesquine,  d'exposer 
sur  les  marchés  publics  les  vases  sacrés  qui  avaient  contenu  le 
corps  et  le  sang  du  divin  Rédempteur  1  et  de  s'attirer  ainsi  la 
malédiction  de  Dieu  et  dos  peuples  !1!  Si  nous  ajoutons  à  cet 
enlèvement  de  trois  millions  toutes  les  usurpations  et  expro- 
priations de  biens  religieux,  quelle  autre  qualilication  pourrons- 
nous  donner  au  gouvernement  italien  que  celle  d'IMSIGNE 
SPOLIATEUR? 


DE  1848  A  1870.  497 

core  celles  qui  se  trouvent  dues  h  un  roi  catholique  mort 
dans  ses  Etats  et  dans  son  propre  royaume.  Tous  les  efforts 
possibles  furent  tentés  pour  obtenir  cela,  mais  en  vain, 
l'autorité  ecclésiastique  ayant  tenu  fermement  à  n'accorder 
que  ce  qui  pouvait  être  demandé  par  un  pécheur  quel- 
conque mort  pénitent,  et  à  refuser  tout  le  reste.  Et  c'est 
pour  cette  raison  que  le  défunt  ne  put  être  accompagné  à 
sa  sépulture  que  du  curé  et  du  clergé  de  sa  paroisse,  com- 
posé d'une  dizaine  de  simples  ecclésiastiques.  Pas  un  pré- 
lat, pas  un  évêque,  ni  aucun  de  ceux  qui  restent  des 
membres  des  ordres  religieux  supprimés  par  la  Révolu- 
tion, pas  même  les  confréries,  ne  furent  autorisés  à  prendre 
part  au  convoi  funèbre.  Quoi  qu'on  se  fût  abaissé  à  plu- 
sieurs reprises  aux  plus  pressantes  sollicitations,  l'autorité 
ecclésiastique  ne  permit  pas  davantage  qu'une  messe  fût 
célébrée  au  palais  pontifical  du  Quirinal  usurpé,  et  elle 
refusa  sans  cesse  le  privilège  royal,  plus  souvent  encore 
réclamé,  de  célébrer  les  funérailles  dans  une  des  trois  ba- 
siliques patriarcales  de  Rome.  » 

L'Eglisi.»,  invoquée  dans  les  extrémités  du  temps  et  dans 
les  angoisses  de  lagonie,  ouvre  miséricordieusement  les 
bras  à  celui  qui  va  comparaître  en  la  présence  du  Juge 
suprême,  et  elle  lui  aplanit,  autant  qu'il  est  possible,  les 
voies  du  salut  éternel;  mais,  en  même  temps,  elle  veille 
sévèrement  à  la  pleine  observance  de  ses  très-saintes  lois. 

On  peut  dire  que  le  roi  Victor-Emmanuel  II  a  emporté 
avec  lui  les  dernières  traditions  de  la  maison  de  Savoie. 
Trois  faits  surtout  achèvent  de  briser  ces  traditions.  D'a- 
bord le  choix  de  la  cité  pontificale  et  de  l'église  du  Pan- 
théon pour  lieu  de  sépulture  du  monarque  défunt.  La 
presse  sectaire  a  appuyé  ce  projet  de  tout  son  pouvoir. 
Elle  veut  sans  doute  prouver  par  là  qu'elle  ne  craint  point 
l'accomplissement  littéral  et  complet  de  cette  redoutable 


498  LA   RÉVOLUTION   EN    ITALIE 

jiarole  :  Nous  sommes  venus  à  Rome,  et  nous  y  resterons. 
Au  reste,  le  projet  susdit  a  reçu  de  chaleureuses  adht"'-- 
sions  de  la  part  des  conseillers  municipaux,  ainsi  que  de 
plusieurs  députés  et  sénateurs,  à  tel  point  que  le  nouveau 
roi  a  dîl  réunir  un  conseil  de  famille  pour  trancher  la  ques- 
tion et,  de  fait,  il  a  été  résolu  que  le  nouveau  roi  serait  en- 
terré au  Panthéon  et  qu'on  lui  élèverait,  dans  cette  église, 
un  monument  «  digne  de  lui.  >  Ainsi  Victor-Emmanuel  ne 
reposera  pas  auprès  de  ses  ancêtres.  Il  restera  dans  cette 
ville  de  Rome  comme  un  témoin  perpétuel  de  l'impuis- 
sance des  hommes  contre  l'œuvre  de  Dieu. 

Ces  coups  de  foudre  ont  une  éloquence  qui  se  fait  com- 
prendre de  toute  la  terre;  on  s'arrête,  on  s'étonne,  on  re- 
garde en  haut.  Pendant  que  le  gouvernement  italien  était 
aux  aguets  pour  savoir  et  calculer  ce  qui  restait  de  jouis 
au  Pape  chargé  d'ans  et  d'infirmités,  il  a  tout-à-coup  en- 
tendu des  bruits  étranges,  des  bruits  effrayants  :  «  Le  roi 
est  malade  »,  et  trois  jours  après  :  «  Le  roi  est  mort!  »  Ce 
n'était  pas  un  prince  d'une  frêle  nature,  ni  dans  un  Ace 
qui  pût  faire  prévoir  une  fin  prochaine  ;Yictor-Emmanue!, 
robuste  parmi  les  robustes,  marchait  dans  toute  la  puis- 
sance de  la  vie.  Il  disparaît  dans  la  mort.  Que  veut  donc 
dire  ce  funèbre  défilé  de  tous  les  personnages,  qui,  depuis 
vingt  ans,  ont  joué  un  rôle  dans  le  drame  d'iniquité? 

Victor-Emmanuel,  qui  a  perdu  l'Italie  par  son  ambition, 
n'a  pas  excité  les  moindres  regrets.  On  écrivait  le  31  jan- 
vier 1878  h  la  Décentralisation  : 

«  Un  ami  arrivant  de  l'Italie  méridionale  me  raconte 
qu'à  Naples,  Torre  del  Greco,  Caslellamare  et  plusieurs 
autres  localités,  à  l'arrivée  de  la  dépêche  annonçant  la 
mort  du  roi,  la  plupart  des  habitants,  qui  étaient  couchés, 
se  sont  levés  et  ont  soupe  royalement  pour  fêter  la  buona 
notizia.  Tel  est  le  deuil  national  si  pompeusement  annoncé 
par  les  journaux  italiens.  » 


DE  1848  A  1879.  499 

Un  célèbre  publiciste  a  fait  les  réflexions  suivantes  sur 
la  mort  foudroyante  et  imprévue  de  l'usurpateur  de  la  Ville 
sainte  : 

«  Victor-Emmanuel  a  survécu  cinq  ans  à  Napoléon  III; 
mais  toujours  poussé  par  cette  fatale  logique  de  la  Révo- 
lution dont  il  s'était  fait  l'esclave,  il  n'a  voulu  ouvrir  ni 
ses  yeux  à  la  lumière,  ni  son  cœur  h  la  grâce  ;  il  s'est  en- 
gagé plus  avant  dans  la  voie  de  l'injustice  et  de  l'impiété. 
Toujours  plus  coupable  à  mesure  qu'il  devenait  plus  puis- 
sant, il  avait  conçu  la  pensée  d'unir  sa  fortune  à  celle  de 
Bismark,  et  le  jour  de  la  fête  des  Rois,  répondant  à  quelques 
personnages  qui  le  félicitaient,  il  avait  dit  :  Ad  ogni  evento. 

Ad  ogni  evento!  Il  faut  nous  tenir  prêts  à  tout  événement. 
De  quels  événements  s'agit-il?  Ah!  nous  pensons  à  la 
guerre  européenne,  aux  futures  annexions,  peut-être  à  un 
prochain  conclave.  Nous  sommes  là  pleins  de  vie  et  de 
force,  fiers  de  nos  conquêtes  faciles,  heureux  de  nos 
alliances  et  pleins  de  confiance  dans  l'avenir.  Nice,  la 
Savoie,  la  Corse,  le  Trentin,  les  cantons  suisses  et  quelques 
lambeaux  de  la  Turquie,  tout  cela  nous  sourit.  Il  faut  se 
tenir  prêts  à  tout  événement ...  Meditati  sunt  inaniat 

C'est  trois  jours  après  ces  pensées  de  conquête,  d'al- 
liance avec  le  Kidturl:ampf,  de  révolte  contre  le  Seigneur 
et  contre  son  Christ  que  Dieu  vous  brise  comme  l'œuvre 
fragile  du  potier,  ne  laissant  même  pas  à  l'auteur  de  tant 
de  convoitises  un  tombeau  paisible  dans  sa  capitale,  car 
cette  terre  de  Rome  dont  il  s'est  emparé  par  la  violence, 
cette  terre  le  repousse  I  Ad  ogni  evento  ...,  prêt  à  tout  évène- 
ijient ...  :  il  n'avait  pas  prévu  celui-là  I 

11  était  jeune  encore.  Cinquante-huit  ans,  qu'esl-ce  que 
cela?  Il  nouait  de  tous  côtés  ses  ficelles,  il  formait  de  tous 
côtés  ses  desseins.  Il  était  l'un  des  plus  anciens  rois  de 
l'Europe,  et  en  même  temps  l'un  ^es  plus  jeunes.  Il  se 
croyait  un  grand  crédit.  Il  faisait  de  grandes  promesses. 


500  LA  RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

On  ne  le  gênait  pas  et  il  ne  se  gênait  pas.  Il  serait  l'héritier 
du  Pape,  qui  ne  manquerait  pas  de  mourir,  comme  tout 
le  monde  l'annonçait.  Oubliant  Dieu,  il  lui  était  aisé  aussi 
d'oublier  que  le  Pape  ne  meurt  pas.  --  Sois  donc  béni,  fm 
Cavour,  qui  as  mis  le  Piémont  en  si  beau  chemin  !  —  Mais 
tout-à-coup  voici  le  moucheron  qui  dérangea  le  roi  d'As- 
syrie, voici  la  malaria,  voici  la  mort.  Non  amplhis!  Le 
conquérant  se  reconnaît.  Il  demande  pardon,  il  expire. 
Victor-Emmanuel  est  non-avenu. 

S'il  y  a  une  loi  rrappante  dans  l'histoire  et  même  dans 
toute  vie  humaine,  c'est  celle  du  talion.  Nous  sommos 
ordinairement  punis  par  où  nous  avons  péché,  dit  la 
sagesse  des  nations;  et  saint  Augustin  est  son  interprète 
lorsqu'il  ajoute  :  Le  coupable  trouve  dans  sa  faute  son 
propre  châtiment.  Le  mot  passion,  qui  indique  un  désordre 
de  l'âme,  signifie  également  la  souffrance,  cet  autre  dés- 
ordre qui  l'accompagne  toujours. 

L'Ecriture  sainte  nous  dit  à  son  tour  :  Le  pécheur 
conçoit  l'iniquité  ei  u  enfante  la  douleur;  il  tombe  dans 
l'abîme  qu'il  a  creusé  lui-même.  Oui,  le  mal  moral  engendre 
le  malheur  analogue  à  la  faute,  et  qui  est  à  la  fois  son  châti- 
ment et  souvent  son  remède,  s'il  est  accepté  comme  il  faut. 

Voltaire,  cet  ennemi  personnel  de  Jésus,  écrivait  fi  un 
ami  :  Dans  vingt  ans,  le  Christ  aura  beau  jeu!  Et  en  effet, 
vingt  ans  après,  jour  par  jour,  l'impie  expirait  dans  les 
convulsions  du  désespoir,  pouvant  s'écrier,  comme  Julien 
l'Apostat  :  Tu  as  vaincu,  Galiiéen!  Que  fait  le  Fils  du 
charoenlier?  disait  un'our  ironiquement  l'empereur  Julien 
?i  un  chrétien  au'il  Dorsécutait.  —  Il  fait  un  cercueil,  ré- 
pondit celui-ci,  prédisant  la  chute  prochaine  du  tyran. 

Mais,  que  d  exemples  récents  nous  avons  h  citer!  Nous 
retirons  nos  troupes  de  Rome,  où  elles  avaient  la  noble 
mission  de  sauvegarder  la  liberté  de  l'Eglise,  et  en  même 
temps  nous  élevons  une  statue  h  Voltaire  1 


DE  1848  A  1879.  501 


CHAPITRE  VI. 

LES  MÉCOMPTES   DE   l'itALIE    UNIFIÉE. 


Victor-Emmanuel  frappé,  au  moment  où  il  rêvait  de 
nouvelles  spoliations,  par  Celui  qui  fait  la  loi  aux  rois,  et 
qui  leur  donne,  quand  il  lui  plaît,  de  terribles  leçons,  n'a 
été  regretté  que  par  les  juifs  et  les  démagogues,  dont  il 
favorisait  les  projets  sacrilèges.  Son  ami,  Garibaldi,  a 
versé  un  pleur  et  un  blasphème  en  son  honneur.  Ce 
prince  célèbre  par  ses  débauches  a  ruiné  l'Italie,  qui  a 
sacrifié  des  sommes  énormes  pour  satisfaire  ses  caprices 
et  l'aider  à  entretenir  ses  courtisanes.  D'après  les  journaux 
les  mieux  informés,  il  a  laissé  60  millions  de  dettes... 

Voici  entre  mille  quelques  preuves  de  ce  que  nous 
affirmons. 

Sous  ce  titre  :  «  La  ruine  de  Rome  décrite  »  par  un 
député  italien,  VUnità  cattolica  donne  quelques  extraits 
bien  instructifs  du  livre  que  vient  d'éditer  un  ex-député, 
l'avocat  L.  Dubino  :  Considérations  sur  les  deux  premières 
années  du  gouvernement  italien  à  Rome.  Sans  se  l'être  pro- 
posé pour  but,  l'auteur  de  ce  livre,  un  libéral,  arrive  à 
prouver  que  Rome  a  été  ruinée  par  le  gouvernement 
italien.  «  Des  dix-huit  fabriques  de  laine  qui  existaient 
en  1870,  dit-il,  dix  sont  fermées  et  les  huit  autres  ont 
réduit  leur  personnel;  sur  1,240  ouvriers  qu'elles  occu- 
paient alors,  il  en  reste  à  peine  120  aiyourd'hui...  Bientôt, 
nous  aurons  la  douleur  et  la  honte  de  voir  complètement 


îj02  la  révolution  en  Italie 

formées  et  détruites  toutes  les  fabriques  de  Saint-Pierre 
à  Montorio,  qui,  alimentées  par  une  force  motrice  de  cent 
cinquante  cnevaux,  fabriquaient  des  draps  et  des  tapi<i 
excellents.  »  (Page  2829) 

L'Italie,  dont  le  budget  était  le  moins  chargé  de  toutt 
l'Europe,  est  aujourd'hui  endettée  pour  dix  milliards, 
malgré  les  biens  des  églises,  des  monastères  et  des  pauvres 
pillés  et  gaspillés. 

L'Italie  une  et  régénérée  peinle  par  les  Italiens  : 

Quand  un  voyageur  ou  un  publiciste  catholiaue  expose 
le  mauvais  état  des  tinances  italiennes  ou  décrit  la  misère 
de  la  population,  on  l'accuse  de  parti  pris;  c'est,  dit-on,  la 
mauvaise  humeur  qui  s  exhaie  dans  d'énormes  exagéra- 
tions, sinon  de  pures  caiomnies. 

Puisque  les  catholiques  sont  suspects,  écoutons  un  de 
leurs  ennemis.  Nous  empruntons  au  Journal  des  économistes 
un  extrait,  significatif  au  plus  haut  point,  d'un  discours 
prononcé  par  le  marquis  Pepoli,  sénateur  dllalie,  à  la 
reunion  de  la  Société  d'économie  politique  de  Paris  du 
7  octobre  1878.  Journal  des  économistes,  Société  d'économie 
politique,  marquis  Pepoli  1  ces  trois  noms  ne  peuvent  prêter 
à  aucun  soupçon  de  partialité  cléricale  ou  de  papisme. 

Voici  l'extrait  en  question  : 

«  Le  système  d'impôts  de  l'Italie  lui  crée  une  situation 
exceptionnelle.  La  concurrence  (contre  la  production 
étrangère)  est  impossible  avec  les  cnarges  qui  pèsent  sur 
le  travail  national.  Une  filature  de  coton  qui,  en  France,  paie 
5,000  fr.  d'impôt,  en  Italie  en  paie  lo,000. 

»  Je  crains  qu'on  ne  se  fasse  pas  une  idée  exacte  de  la 
pénible  situation  des  contribuables  italiens.  L'Italie,  ;\ 
l'heure  qu'il  est,  est  le  pays  le  plus  libre  du  monde  (??).  Ses 
hommes  d'Etat  ont  tenu  à  honneur  de  démolir  lédifice  du 
passé.  Mais  si  l'Italie  jouit  d'une  parfaite  liberté  politique, 
il  n'en  est  pas  de  même  pour  les  libertés  économiques. 


DE  1848  A  1879.  803 

»  Tous  les  Etats  de  l'Europe  depuis  quelque  temps 
cherchent  à  abolir,  ou  pour  le  moins  h.  diminuer  les  impôts 
qui  grèvent  les  matières  alimentaires  de  première  nécessité. 
Seul  le  gouvernement  italien  a  remonté  ce  grand  courant  de 
l'opinion  publique.  Il  a  demandé  deux  cent  millions  au  pain, 
au  sel,  à  la  viande.  L'impôt  du  sel  n'existe  pas  en  Angleterre. 
Il  a  été  de  même  aboli  en  Belgique  et  en  Portugal.  Il 
s'élève  à  8  centimes  par  kilogr.  en  Russie,  à  15  en  Alle- 
magne. En  France  il  est  de  10  centimes.  En  Italie  l'impôt 
du  sel  est  monté  graduellement  à  S5  centimes.  Il  rapporte  à 
l'Etat  quatre-vingt  millions  et  grève  les  habitants  de  3  fr.  02 
par  tête.  Le  professeur  Montegazza  évalue  à  7  kilogr.  et 
demi  la  quantité  de  sel  nécessaire,  indispensable  h  chaque 
individu.  Or,  il  y  a  des  pays  chez  nous  où  la  quantité  con- 
sommée du  sel  ne  dépasse  pas  en  moyenne  3  kilogr. 

9  Je  ne  puis  me  dispenser  de  parler  du  droit  de  mouture, 
de  cet  exilé  maudit  de  toutes  les  nations  civilisées,  qui 
vient  de  se  réfugier  dans  le  budget  italien  f 

»  Le  droit  qui  grève  le  blé  est  de  2  fr,  par  hectolitre. 
Il  rapporte  à  TEtat  81  millions.  Mais  le  gouvernement  se 
réserve  aussi  un  droit  sur  les  farines.  En  certaines  villes 
les  droits  réunis  montent  jusqu'à  20  pour  cent.  Dans  les 
campagnes  surtout,  il  est  intolérable  pour  les  pauvres  ou- 
vriers. Dans  l'Emilie,  il  a  porté  un  coup  fatal  à  l'agricul- 
ture. Le  résultat  de  ce  système  est  que  nulle  part  le  pain  n'est 
aussi  cher  qu'en  Italie.  A  Paris,  le  pain  coûte  15  centimes  par 
kilogramme  de  moins  qu'à  Rome.  Les  viandes  n'échappent 
pas  non  plus  au  fisc  en  Italie. 

»  Le  résultat  de  ce  système  est  des  plus  pénibles.  Il 
détruit  l'épargne,  sans  laquelle  il  n'y  a  pas  de  prospérité 
possible.  L'ouvrier  ne  peut  pas  épargner,  parce  que  l'impôt 
lui  enlève  une  portion  considérable  de  son  salaire,  qui  no  suffit 
souvent  pas  à  sa  nourriture. 

»  Le  nombre  des  malheureux  attemts  par  la  pellagre 


S04  LA   RÉVOLUTION  EN  ITALIE 

augmente  de  jour  on  jour.  Les  ouvriers  de  la  province  de 
Ferrare  ne  meurent  pas  de  faim  violente,  ce  qui  ne  se 
voit  pas  de  nos  jours,  mais  ils  meurent  de  faim  chronique. 
Le  professeur  Lombroso  évalue  à  400,000  les  ouvriers 
atteints  en  Italie  par  la  pellagre  (maladie  cutanée  commune 
en  Italie  chez  les  individus  dont  la  constitution  est  affaiblie 
par  la  misère). 

»  L'impôt  sur  les  bâtiments  dépasse  toute  mesure. 
Dans  la  ville  de  Bologne  par  exemple,  l'impôt  atteint  41  pour 
cent.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  l'impôt  sur  le  revenu 
dépasse  13  pour  cent.  Un  employé  travaille  onze  mois 
pour  sa  famille,  un  mois  pour  le  fisc.  L'énormité  de  l'impôt 
autorise  et  multiplie  la  fraude.  Les  gens  riches  échappent 
à  l'impôt;  les  pauvres  ne  le  peuvent  pas.  » 

Un  autre  Italien,  le  professeur  Betocchi,  aussi  peu 
papalin  et  clérical  que  le  marquis  Pepoli,  a  pris  la  parole 
à  son  tour  pour  présenter,  «  comme  Italien  et  surtout 
comme  Napolitain,  »  quelques  observations  sur  les  plaintes 
amères  que  son  compatriote  venait  d'expruuer  au  sujet 
de  la  situation  économique  de  l'Italie  unifiée.  Faisant 
allusion  aux  lamentables  embarras  financiers  de  plusieurs 
villes  de  la  péninsule,  il  a  dit  que  «  ce  n'est  pas  l'heure 
de  s'apitoyer  sur  le  malheureux  sort  des  ouvriers  des 
villes  et  des  paysans  et  de  réclamer  la  suppression  des 
impôts  sur  le  sel  et  sur  la  mouture;  ce  serait  plutôt  l'heure 
de  payer  les  dettes  des  villes  embarrassées  en  général  et 
de  la  ville  de  Naples  en  particulier.  • 

L'extrait  suivant  d'une  correspondance  de  Rome  en 
date  du  19  janvier  1879,  adressée  au  Courrier  de  Bruxelles, 
jettera  un  nouveau  jour  sur  le  déplorable  élat  où  la  Ré- 
volution satanique  a  réduit  la  malheureuse  Italie,  autrefois 
si  prospère  : 


BE  1848  A  1879.  SOo 

Rome,  19  janvier  1879. 

Voici  quelques  données  statistiques  sur  le  misérable 
état  oîi  l'Italie  se  trouve  réduite.  Je  les  extrais  au  hasard 
de  l'Annuario  storko,  que  vient  de  publier  le  député  Mauro 
Macchi  : 

De  1874  à  1878, 123,000  cultivateurs  ont  émigré  d'Italie. 
Rien  qu'en  1876,  il  y  a  eu  un  total  de  108,771  émigrauts 
de  toutes  conditions.  —  Un  journal  médical  ;  Il  BuUettino 
del  Manicomio,  déclare  que,  sur  63  fous  enfermés  dans 
l'hospice  de  Ferrare,  durant  le  premier  tiers  de  l'année  1878, 
vingt-cinq  étaient  des  cultivateurs  devenus  fous  pour  avoir 
souffert  la  faim  et  l'avoir  vu  souffrir  à  leurs  proches. 

Il  y  a,  chaque  année,  environ  130,000  nouveaux-nés 
abandonnés  sur  la  voie  publique  ou  mis  aux  enfants 
trouvés.  Ces  malheureux  sont  si  bien  soignés  qu'en  1874, 
dans  la  province  de  Lucques,  sur  174  exposés,  137  mou- 
rurent la  première  année  et  29  la  seconde.  Plus  de  9o  pour 
1001 

En  1876,  il  y  avait  184,loo  ammoniti  (individus  soumis 
à  la  surveillance  de  la  police). 

En  1877,  les  cours  de  cassation  prononcèrent  2,428 
sentences:  les  cours  d'appel,  13,487;  les  tribunaux  civils, 
69,493;  les  tribunaux  de  commerce,  10,148. 

En  1875,  année  modèle,  on  a  gardé  dans  les  prisons 
83,339  individus. 

De  1872  à  1876,  il  y  a  eu  34,060  morts  violentes. 

...  En  1876,  l'impôt  sur  la  mouture  des  céréales  a  rap- 
^rté  83,073,305  francs.  Il  est  question  maintenant  de 
supprimer  cet  impôt ...  et  de  le  remplacer  par  une  taxe  sur 
les  farines. 

L'impôt  sur  la  richesse  mobilière  prend  le  13,  20  du 
cent:  l'impôt  foncier  est  de  30  pour  cent  sur  le  revenu  du 
propriétaire.  Aussi  les  petites  propretés  disparaissent. 
Dans  la  seul  ville  de  Florence,  il  y  a  présentement  711 

22 


ë08  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

maisons  qui  sont  mises  à  l'encan  par  le  fisc  pour  cause 
d'impôt  non  payé.  On  connaît  d'ailleurs  les  conditions  de 
la  commune  de  Florence,  qui  doit  îi  elle  seule  la  bagatcl!« 
de  75  millions.  Pour  le  reste  de  l'Italie,  les  dettes  des 
communes  s'élèvent  à  650  millions. 

—  Sous  le  titre  les  chiffres  parlent,  la  Voce  délia  Verilà 
public  la  statistique  des  hommes,  des  femmes,  des  enfants 
pauvres  pour  lesquels  il  a  fallu  ouvrir  des  dortoirs  publics 
et  gratuits  oîi  ils  puissent  s'abriter  durant  la  nuit.  Il  résulte 
de  cette  statistique  que  dans  la  seule  ville  de  Rome  et 
pendant  l'hiver  de  1878,  le  nombre  des  individus  reçus 
dans  ces  dortoirs  s'élève  à  130,984. 

Au  milieu  de  cette  misère  générale,  on  voit  briller  les 
traits  de  bienfaisance  du  Vicaire  de  Jésus-Christ,  qui,  bien 
que  spolié  lui-même,  partage  avec  les  pauvres  les  otYrandes 
qui  lui  arrivent  du  monde  catholique.  Dans  la  semaine 
qui  vient  de  s'écouler,  il  a  fait  parvenir  une  somme  de 
2,000  francs  i\  l'hôpital  du  Bamhino  Gcsù,  où  sont  re- 
cueillis les  enfants  malades,  auxquels  on  enseigne  en 
même  temps  le  catéchisme  et  que  l'on  prépare  à  la  pre- 
mière communion.  Le  Saint-Père  a  également  envoyé  un 
subside  de  500  francs  aux  religieuses  de  Saint-François  de 
Paul,  qui  ont  leur  couvent  au  quartier  des  Monli  et  qui  se 
trouvent  réduites  à  la  dernière  misère.  La  saine  éducation 
de  la  jeunesse  préoccupe  vivement  le  Souverain-Pontife, 
et  je  sais  que,  depuis  le  commencement  de  la  nouvelle 
année  scolaire,  il  a  dépensé  de  fortes  sommes  pour  faire 
ouvrir  de  bonnes  écoles  dans  les  quartiers  de  Rome  qui 
n'en  avaient  pas  encore. 

Dans  sa  réplique,  le  marquis  de  Pepoli  a  achevé  de 
peindre  le  gâchis  des  financtîs  publiques  et  municipales  de 
'Italie.  Nous  no  pouvons  pas  tout  citer,  mais  voici  encore 
un  Irait  qui  a  bien  son  prix  • 


DE  1848  A  1879.  507 

«  On  gaspille  l'argent  en  fortifications  inutiles,  comme 
celles  de  Rome,  et  en  achetant  des  navires  cuirassés  d'une 
utilité  douteuse.  Peut-être  que  les  navires  italiens,  après 
avoir  coûté  tant  d'argent,  ne  serviront  pas  à  la  défense 
du  pays,  parce  que,  en  attendant,  la  science  aura  marché 
et  qu'il  faudra  mettre  aux  enchères,  comme  cela  est  déjà 
arrivé,  la  flotte  pour  des  sommes  minimes.  C'est  très-beau 
d'avoir  la  plus  belle  flotte  cuirassée  du  monde,  mais  c'est 
déplorable  d'avoir  le  pain  au  prix  le  plus  élevé  du  monde  f  > 

Ces  édifiantes  citations  se  passent  de  commentaire. 
Libre  après  cela  aux  Journaux  libéraux  de  toute  nuance 
et  de  tout  pays  qui  n'ont  eu  que  des  applaudissements 
pour  le  banditisme  politique  auquel  l'Italie  doit  son  unité 
factice,  de  continuer  à  chanter  sur  tous  les  tons  les 
splendeurs  de  l'ère  nouvelle  inaugurée  dans  la  péninsule 
par  la  Révolution  ;  en  les  renvoyant  au  marquis  Pepoli  et 
au  professeur  Betocchi,  nous  pouvons  nous  borner  à  leur 
répondre  :  Farceurs*  ! 

—  On  écrivait  de  Rome  à  la  Semaine  de  Rennes,  le  14  dé- 
cembre 1878  : 

«  La  population  de  Rome,  y  compris  la  garnison, 
était  de  282,214  habitants  le  31  décembre  1877,  savoir  : 

»  M.  Edmond  About,  qui,  dans  son  pamphlet  de  la  Question 
romaine,  a  tant  insulté  l'Eglise  et  la  Papauté,  signe  les  lignes 
suivantes  dans  le  Soir  ;  «  Oui,  le  gouvernement  du  second  em- 
pire a  commis  une  lourde  faute  en  frayant  à  Viclor-Emmanuel 
le  chemin  de  Rome;  oui,  les  publicistes  français  qui  ont  coo- 
péré à  ce  funeste  résultat  ont  eu  la  vue  courte;  ils  ont  été,  sans 
le  voir  et  sans  le  vouloir,  les  ouvriers  de  l'unité  germanique; 
s'ils  se  jugent  aussi  sévèrement  que  nous  nous  jugeons  nous- 
mûme,  ils  feront  leur  mca  cidpa.  Quand  il  serait  prouvé  que 
toutes  les  consciences  catholiques  sont  résignées  à  la  déposses- 
sion du  Pape  en  tant  que  roi,  le  patriotisme  français  devrait  en- 
core déplorer  la  chute  de  cette  petite  monarchie  indépendante 
et  supérieure  qui  empêchait  les  Italiens  de  s'unir  entre  eux  et 
avec  nos  ennemis.  » 


508  lA  RÉVOLUTION  EN   ITALIE 

256,138  pour  la  ville  proprement  dite,  26,076  pour  les 
faubourgs  et  la  banlieue. 

»  Ce  chiffre  augmente  chaque  année,  bien  que  le  nombre 
des  naissances  soit  inférieur  à  celui  des  morts  ;  mais  de 
nouvelles  familles,  arrivant  de  tous  les  points  de  l'Italie, 
comblent  les  vides.  Cette  supériorité  du  chiffre  des  morts 
sur  celui  des  naissances  s'explique  tout  naturellement, 
si  on  réfléchit  au  grand  nombre  de  célibataires,  soldats, 
employés,  ouvriers  étrangers,  prêtres  et  religieux  que 
renferme  Rome,  et  à  ce  fait  que  tous  les  malades  de  la 
campagne  viennent  mourir  dans  les  hôpitaux  de  la  ville. 
»  Ce  sont  les  quartiers  pauvres  qui  donnent  le  plus  de 
naissances;  il  y  a  moins  d'enfants  dans  les  quartiers  riches 
du  centre. 

»  Je  transcris  textuellement  l'observation  suivante  d'un 
journal  ministériel;  j'aime  à  recueillir  ces  aveux  de  leur 
propre  bouche  : 

«  Contrairement  à  la  règle  admise  par  les  économistes, 
y  à  Piorae,  accroissement  de  population  ne  signifie  mal- 
»  heureusement  pas  accroissement  du  bien-être  et  de  la 
»  richesse  publique.  On  a  pu  voir,  en  effet,  par  ce  que 
»  nous  avons  dit,  d'après  la  statistique  officielle,  qu'à 
»  l'augmentation  du  nombre  des  habitants  de  la  ville 
"  correspond  une  diminution  déplorable  du  chiffre  de 
»  la  consommation  des  denrées  alimentaires  les  plus 
»  nécessaires,  vin,  viande,  etc.  » 

»  Ainsi,  la  population  augmente,  et  cette  population, 
plus  nombreuse,  boit  moins  de  vin,  mange  moins  do 
viande,  etc.  C'est  le  règne  non-seulement  de  la  misère, 
mais  de  la  faim! 

»  La  faim  I  inconnue  autrefois  en  Italie,  est  au  fond  de 
toutes  ces  agitations  socialistes;  c'est  elle  qui  fait  la  force 
des  tribuns  populaires,  c'est  sur  elle  que  s'appuient  leurs 
journaux,  et   le   gouvernement  qui  l'a  créée  se  trouve 


DE  1848  A  1879.  509 

impuissant  h  la  combattre,  et  l'horrible  fléau  s'étend  et 
grandit  chaque  année. 

ï  Avec  la  faim,  les  crimes.  On  a  constaté,  dans  l'année 
1877,  26  suicides,  18  homicides,  78  morts  accidentelles. 
Remarquons  qu'il  ne  s'agit  pas  d'une  statistique  judiciaire 
relevant  tous  les  crimes  et  les  délits,  mais  d'une  simple 
statistique  municipale,  qui  se  borne  à  enregistrer  les 
morts,  avec  leur  cause.  Le  journal  auquel  j'emprunte  ces 
chiffres  ajoute  que  le  nombre  des  suicides  augmente 
ch.aque  année  dans  une  proportion  malheureusement 
sensible.  Ce  crime  du  désespoir  et  de  l'incrédulité,  le 
dernier  que  l'homme  puisse  commettre,  et  le  plus  irré- 
missible, était  tout-à-fait  inconnu  à  Rome  avant  ces  révo- 
lutions, et  très-rare  dans  le  reste  de  l'Italie.  » 

Nous  trouvons  dans  la  Semaine  de  Toulouse  les  lignes 
suivantes,  qui  sont  de  nature  à  donner  une  idée  de  la  rapa- 
cité et  de  l'impudence  du  fisc  de  l'Italie  régénérée  : 

«  Dans  son  inépuisable  charité,  Pie  IX  acheta,  en  1864, 
pour  plus  de  200  mille  francs  de  blé  pour  les  pauvres  de 
Rome,  et  il  fit  faire  ces  achats  par  le  sénateur  de  Rome, 
M.  le  marquis  Cavalleti.  Or,  aujourd'hui,  le  gouvernement 
libéral  italien,  se  prétendant  le  légitime  successeur  du 
gouvernement  pontifical,  et  considérant  cette  générosité 
de  Pie  IX  comme  un  prêt  fait  à  la  municipalité  d'alors,  en 
rédame  la  restitution  et  a  commencé  par  se  payer  de  ses 
propres  mains,  en  retenant  180  mille  francs  qu'il  devait  à 
divers  titres  à  la  commune  de  Rome.  «  En  d'autres  termes, 
dit  ï Osservatore  romano,  le  gouvernement  régénérateur 
veut  se  faire  payer  par  les  pauvres  de  Rome  le  blé  que 
Pic  IX  leur  a  donné,  par  un  acte  de  charité,  pendant  la 
disette  de  1867,  »  Tout  commentaire  sur  celte  énormité 
est  absolument  inutile. 


olO  LA   nÉVOLUTION   EN   ITALIE 


CHAPITRE  VIL 

LES  MAUVAIS   JOURS   d'hUMDERT   ET   DE   MARGUERITE, 


Des  hommes  sérieux  ont  écvli  d'Italie  dans  les  dernières 
années  de  Victor-Emmanuel  que  ce  malheureux  prince, 
dévoré  de  remords,  car  il  n'avait  pas  pu,  malgré  tous  ses 
désordres,  éteindre  la  foi  dans  son  cœur,  voulait  renoncer 
au  trône;  mais  il  rejetait  cette  pensée  en  disant  :  Cela 
n'arrangerait  rien.  Humbert  est  plus  mauvais  que  moi,  et 
plus  mal  disposé  que  moi  à  l'égard  du  Saint-Siège.  Les 
faits  et  gestes  de  ce  prince  ont  démontré  que  son  père  le 
connaissait  bien  ;  il  a  été  la  première  victime  de  son  im- 
piété; en  effet,  personne  n'ignore  aujourd'hui  que  l'en- 
tourage de  Victor-Emmanuel,  pour  éviter  une  rétractation 
solennelle  et  par  écrit,  devant  témoins,  de  son  usurpation 
sacrilège,  ne  laissa  entrer  le  prêtre  qu  ;i  la  dernière  heure  '. 

Le  successeur  de  Victor-Emmanuel  II,  obéissant  à  ses 
ministres  républicains,  adopte  la  signature  de  Humbert  /"% 
ce  qui  est  bel  et  bien  un  renoncement  à  la  tradition  de 

*  On  écrivait  de  Rome  à  la  Décentralisation  : 

Tant  que  l'homme  respirait  encore,  la  révolution  faisait  la 
garde  à  la  porte  de  sa  chambre  et  ne  laissait  pénétrer  aucune 
parole  du  Vatican.  On  éconduisait  M*'  Marineili  trois  fois  de 
suite;  on  suspendait  l'envoi  des  dépêches  au  prince  Araédée, 
au  prince  de  Carignan,  à  la  princesse  Clolildo,  à  la  i-eine  de 
Portugal,  qui  auraient  pu  déterminer  le  roi  à  une  rétractation 
solennelle. 


DE  1848  A  1879.  oll 

famille  et  à  l'exemple  de  son  ptire,  exemple  que,  d'nn  autre 
côté,  il  dit  vouloir  suivre  en  tout  *. 

En  voulant  suivre  son  père  en  tout,  il  a  par  le  fait  en- 
couru les  mêmes  excommunications  qui  le  mettent  eu 
dehors  de  la  communion  des  saints. 

Au  reste,  avant  d'envahir  le  trône  de  saint  Pierre,  Hum- 
bert  et  sa  digne  femme,  la  princesse  Marguerite,  avaient, 
dans  maintes  circonstances,  fait  parade  de  leur  impiété, 
Gitons-en  une  preuve  entre  mille  : 

Le  15  décembre  au  soir,  un  grand  dîner  était  offert  dans 
le  palais  apostolique  du  Quirinal  aux  délégués  du  congrès 
télégraphique  international.  Quelques  journaux,  entre 
autres  le  Fanfulla,  qui  représente  assez  bien  le  Figaro  du 
temps  de  l'empire,  moins  l'esprit,  nous  a  décrit  avec  com- 
plaisance la  toilette  de  la  princesse  Marguerite  à  ce  festin 
d'apparat.  Il  nous  apprend  qu'elle  était  vêtue  d'une  robe 

♦  En  prenant  le  titre  d'Humbert  I",  il  renie  tous  les  anté- 
cédents de  sa  maison.  Ce  même  titre  d'Humbert  I®'  fut  porté 
avec  gloire  par  le  fondateur  de  la  dynastie  de  Savoie.  Deux 
autres  princes  ont  aussi  porté  ce  nom,  de  sorte  que  le  fils  de 
Victor-Emmanuel  devait  s'appeler  Humbert  IV.  En  1861, 
lorsque  Victor-Emmanuel  lî  prit  le  titre  de  roi  d'Italie,  on  lui 
demanda  aveo  insistance  de  s'appeler  désormais  Victor-Em- 
manuel I'^^  Mais  il  tint  bon  et,  par  un  sentiment  inné  de  son 
droit  héréditaire,  il  voulut  garder  à  tout  prix  le  nom  de  Victor- 
Emmanuel  II.  L'avènement  subit  d'Humbert  I"  nous  met  en 
présence  de  l'inconnu;  c'est  en  quelque  sorte  une  nouvelle 
dynastie  que  l'on  veut  inaugurer,  et,  en  tous  cas,  il  ne  reste 
rien  des  traditions  de  la  maison  de  Savoie.  Aussi  les  répu- 
blicains lèvent-ils  la  tète  pour  afficher  à  leur  tour  de  nouvelles 
prétentions.  A  Rome,  le  journal  la  Capitale  demande  que  l'on 
fasse  un  plébiscite  pour  ratifier  les  droits  qui  ont  été  attribués 
«  précipitamment  »  au  fils  de  Victor-Emmanuel.  A  Milan,  un 
autre  organe  républicain,  la  Ragione,  à  la  première  annonce 
de  la  mort  du  roi,  s'est  écrié  ;  «  Maintenant  nous  sommes 
libres  de  tout  engagement;  nous  p^juvous  déployer  notre 
draneau.  » 


Si  2  LA  RÉVOLUTION  EN  ITALIE 

de  velours  ronge  et  qu'elle  portait  sur  sa  tête  une  cou- 
ronne hérissée  de  pointes  ornées  de  brillants,  reliées  entre 
elles  par  des  coquilles  aussi  en  brillants  et  soutenues  par 
un  cercle  d'or  sur  lequel  on  lisait  ces  paroles  :  Non  gau- 
deant  tentantes  contra  Domxim  Sabaudix  injuste,  qxiia  Dent 
pugnat  pro  ea. 

Voici  d'abord  la  traduction  :  «  Qu'ils  ne  se  réjouissent 
pas  ceux  qui  attaquent  injustement  la  maison  de  Savoie  ; 
car  Dieu  combat  pour  elle.  » 

Quant  à  la  sentence,  je  crois  fort  que  l'héritier  pré- 
somptif n'en  connaît  pas  l'auteur,  pas  plus  que  sa  con- 
jointe. Qu'ils  l'apprennent  donc  aujourd'hui. 

Elle  est  extraite  de  la  Chronique  de  Juvénal  d'Aquin, 
précieusement  conservée  aux  archives  de  Turin  et  publiée 
pour  la  première  fois  en  1840,  par  ordre  du  roi  Charles- 
Albert. 

Juvénal  raconte  que  Louis  le  Maure  avait  tenté  une  en- 
treprise coupable  contre  la  duchesse  de  Savoie,  femme 
d'une  grande  faiblesse.  Il  voulait  lui  enlever  ses  Etats,  et 
la  fortune  n'avait  pour  lui  que  des  sourires.  Il  espérait,  au 
moyen  d'intelligences  entretenues  avec  le  marquis  de 
Saluées,  s'annexer  le  Piémont  et  unifier  ainsi  sous  son 
sceptre  toute  la  haute  Italie.  Mais  il  eut  à  se  repentir  de 
sa  tentative  ;  car  Dieu  le  châtia  en  le  faisant  prendre  et 
conduire  en  captivité. 

C'est  après  avoir  raconté  longuement  les  malheurs  de 
l'ambitieux  et  les  larmes  amères  qu'il  répandit  sur  ses 
convoitises,  ses  usurpations,  ses  injustices,  que  l'historien 
termine  son  récit  par  les  paroles  gravées  sur  le  diadème 
de  la  princesse  Marguerite  :  Non  gaiideant  tentantes  contra 
Domum  Sabaudix  injuste,  quia  Deus  pugnat  pro  ea,  et  quoi 
hoc  sit  verum  videbitur  infra*. 

*  Monumenta  historiw  patriœ,  édita  jussu  régis  Caroli  Alberti 
—  scriptorcm,  loiae  l",  p.  709. 


DE  1848  A  1879.  513 

On  a  de  la  peine  à  comprendre  comment  une  femme 
baptisée  osait  porter  sur  sa  tête  orgueilleuse,  au  moment 
où  elle  profanait,  par  des  danses  lascives,  le  palais  aposto- 
lique réservé  aux  conclaves,  un  diadème  attestant  que 
Dieu  protégeait  la  maison  de  Savoie;  la  maison  de  Savoie  1 
qui  a  converti  en  écurie  la  chapelle  de  Saint-André,  oîi  re- 
posent les  restes  des  aïeux  de  cette  famille  qui  a  donné 
plusieurs  saints  à  l'Eglise*;  la  maison  de  Savoie!  qui 
tient  captif  le  Vicaire  de  Jésus-Christ  et  qui  a  converti  en 
prisons  et  en  casernes  tant  de  monastères,  asiles  de  la  prière 
et  de  la  pénitence;  la  maison  de  Savoie!  qui  a  remplacé 
les  écoles  chrétiennes  par  des  établissements  païens  d'où 
le  nom  de  Dieu  est  banni...  » 

La  princesse  Marguerite  n'a  pas  craint  de  braver  le  ciel 
et  la  terre  en  paraissant  sur  la  loge  de  la  Bénédiction 
papale  au  Quirinal.  Au-dessous  de  cette  loge  célèbre  sont 
placées  les  statues  à  demi-couchées  de  saint  Pierre  tenant 
les  clés  symboliques  et  de  saint  Paul  armé  de  l'épée;  au 

*  Dans  un  couloir,  à  côté  du  maître-autel,  on  voit  la  tombe 
de  Charles-Emmanuel  IV,  roi  de  Sardaigne,  qui  abdiqua  en 
1802,  se  retira  à  Rome  pour  s'y  abandonner  aux  exercices  do 
piété,  embrassa  la  règle  de  saint  Ignace  en  1815  et  mourut 
dans  l'Institut  en  1819.  Cette  tombe  nous  rappelle  la  protesta- 
tion adressée  par  le  R.  P.  Becks,  général  de  la  Compagnie,  à 
Victor-Emmanuel,  lors  des  premiers  attentats  à  la  propriété 
dont  le  galant  homme  s'était  rendu  coupable  après  la  conquête 
de  la  Lombardie,  en  1860.  Dans  sa  protestation,  le  R.  P.  général 
disait  :  «  J'adresse  cette  protestation  à  la  conscience  de  Votre 
»  Majesté.  Je  la  dépose  sur  la  tombe  de  Charles-Emmanuel  IV, 
»  illustre  prédécesseur  de  Votre  Majesté,  qui,  il  y  a  quarante- 
»  cinq  ans,  descendit  volontairement  du  trône  qu'occupe  au- 
))  jourd'hui  Votre  Majesté,  pour  venir  mourir  parmi  nous,  vêtu 
»  de  l'habit,  lié  par  les  vœux  de  la  Compagnie  de  Jésus,  et 
»  professant  dans  notre  noviciat  de  Rome,  où  reposent  au- 
»  jourd'hui  ses  cendres  bénite?,  ce  genre  de  vie  que  le  gou- 
»  vernement  de  Votre  Majesté  b'âme  et  poursuit  de  ses  haines 
»  calomnieuses  et  acharnées  » 


514  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

dessus,  la  Irùs-sainle  Vierge,  portant  dans  ses  bras  le  divin 
Enfant.  C'est  du  haut  de  cette  loge  que  le  premier  diacre 
de  la  sainte  Eglise  romaine  annonçait  au  peuple  l'élection 
du  Souverain-Pontife,  et  jamais  aucun  jupon  féminin  ne 
s'y  était  montré. 

Quelle  femme  chrétienne  dans  Rome  aurait  osé  profa- 
ner ce  lieu  sanctifié  par  la  tradition?  Aucune,  j'en  suis 
convaincu.  Mais  elle,  Marguerite,  ne  craint  pas  :  elle  a  le 
courage  de  la  Révolution  qui  domine  tous  les  préjunés  et 
défie  toutes  les  superstitions.  Elle  s'est  montrée  souvent  à 
la  populace  sectaire  qui  l'acclamait  d'en  bas  :  elle  s'est 
montrée  tantôt  à  côté  de  son  beau-père  Victor-Emmanuel, 
de  galante  mémoire,  tantôt  h  côté  de  son  mari  Humbort, 
hussard  de  Guillaume.  Elle  s'est  montrée  tenant  son  fils, 
auquel  elle  a  donné  un  nom  qui  fait  bouillir  le  sang  aux 
Napolitains,  fidèles  îi  leur  maison  de  Bourbon.  Elle 
s'est  montrée  aussi  avec  le  prince  de  Prusse,  lequel,  sou» 
levant  à  son  tour  l'enfant  dans  ses  bras,  l'a  présenté  à  la 
même  populace  d'en  bas.  Ce  jcur-lii,  la  reine  de  Portugal 
était  h  Rome,  et  Marguerite  lui  dit  :  «  Viens,  viens  h  la 
Loge.  »  Mais  Maria-Pia,  filleule  de  Pie  IX,  recula  d'hor- 
reur :  «Jamais  I  jamais  I  C'est  un  sacrilège.  »Et  Marguerite, 
souriante  et  sautillante,  courut  h  la  Loge  de  la  Bénédic- 
tion. 

Dernièrement  Humbert  a  donné  audience  à  sept  mi- 
nistres protestants,  au  nombre  de  ceux  qui,  après  l'inva- 
sion de  1870,  ont  obtenu  des  nouveaux  maîtres  de  Rome 
l'autorisation  bénévole  d'y  élever  des  temples  à  l'hérésie. 
Ces  soi-disant  pasteurs  sont  allés  offrir  leurs  hommages  ù 
leur  accommodant  souverain  et  le  féliciter  d'avoir  échappé 
à  l'attentat  de  Naples.  Naturellement,  ils  ont  profité  de 
l'occasion  pour  faire  au  prince  le  récit  de  leurs  succès  (?) 
dans  la  capitale  ;  et  Humbert  a  témoigné  d'un  scandaleux 
intérêt  pour  les  progrès  de  l'Iiérésie  à  Home  même.  Non-seule- 


DE  1848  A  1879.  Bîo 

ment,  des  sentiments  de  cette  espèce  sont  indignes  d'ui? 
catholique;  mais  ils  sont  encore  en  contradiction  formelle 
avec  l'esprit  et  la  lettre  du  statut  fondamental  de  la  Consti- 
tution italienne,  qui,  dans  son  premier  article,  déclare 
la  religion  catholique  religion  de  l'Etat. 

Comme  si,  dans  cette  malheureuse  Italie,  il  n'y  avait 
pas  assez  de  divisions  pour  y  introduire  encore  le  protes- 
tantisme, qui  forme,  comme  on  le  sait,  des  sectes  innom- 
brables*. Au  reste,  ce  n'est  pas  le  premier  témoignage 
donné  à  l'hérésie  de  Luther.  Quelque  temps  avant  la  mort 
de  Victor-Emmanuel  on  lisait  dans  les  journaux  : 

Le  prince  Humbert  et  la  princesse  Marguerite  sont  par- 
tis pour  Berlin,  où  ils  doivent  tenir  sur  les  fonts  baptismaux 
la  fille  du  prince  impérial  de  Prusse,  née  pendant  la  guerre. 
Ici  se  présente  une  question  fort  grave,  à  savoir  si  des  ca- 
tholiques peuvent  être  parrain  et  marraine  d'un  luthérien, 
et  si  cet  acte  ne  constitue  pas  une  coopération  coupable  à 
un  culte  d'une  fausse  religion.  Le  couple  royal  aura  sans 
doute  pris  conseil  auprès  des  vieux -catholiques  et  il  s'est 
mis  en  route  d'un  cœur  léger.  Pendant  le  trajet,  l'héritier 
présomptif  aura  bien  fait  de  se  souvenir  d'un  autre  baptême, 
qui  eut  lieu  à  Turin  en  1847  et  où  le  nouveau-né,  sa  sœur, 
recevait  le  nom  de  Pia.  Ce  rapprochement  ne  saurait 
manquer  dé  faire  ressortir  à  ses  yeux  la  délicatesse  et  la 
dignité  de  sa  conduite.  Mais  la  politique  !... 

1  Une  feuille  religieuse  d'Espagne,  rapportant  ce  trait,  le  fai_ 
suivre  d'un  autre  récit  de  ce  genre: 

Lors  du  passage  d'Humbert  et  de  sa  femme  dans  la  ville  de 
Bologne,  un  certain  Josiié  Cardwci,  que  ses  compatriotes  ap- 
pellent le  poète  de  Satan  (parce  qu'il  a  composé  un  pocmc  en 
l'honneur  de  Lucifer),  demanda  une  audience.  Elle  lui  fut  ac- 
cordée. Le  prince  lui  dit  :  «  Je  fais  cas  de  votre  talent;  »  et  la 
princesse  ajouta:  «Monsieur,  j'ai  lu  plusieurs  de  vos  odes. 

Cette  manière  de  parler  à  un  tel  auteur  n'est  pas  plus  royale 
que  chrétienne.  » 


S^6  LA  RÉVOLUTION  EN  ITALIE 

Ils  sont  bien  loin  de  se  rendre  populaires  en  agissant 
ainsi.  Les  révolutionnaires  eux-mêmes  méprisent  ceux  qui 
sont  à  la  merci  de  la  Prusse. 

La  nuit  du  !•'  janvier,  le  popolaccio,  c'est-à-dire  une 
plèbe  horrible,  parcourait  les  rues  de  Rome  en  hurlant 
des  chansons  républicaines  et  en  criant  :  Vive  Mazzini  ! 
Vive  Garibaldif  Mort  aux  prêtres  t  Mort  au  Papef  La 
questure  est  intervenue  et  on  a  tiré  quelques  coups  de  feu. 

Le  roi  a  voulu  se  rendre,  vers  dix  heures  du  soir,  au 
théâtre  Apollon,  pour  une  représentation  de  gala,  mais  il 
fut  sifflé  durant  le  trajet  et  retourna  en  grande  hâte  au 
Quirinal. 

Sur  les  murs  du  Quirinal,  on  a  trouvé,  le  1"  janvier, 
une  immense  pancarte  contenant  ces  vers  : 

Accidente  al  plebiscito! 
A  Margarita  e  suo  marito  I 
E  se  viene  anche  il  re, 
Accidenti  a  tutti  tre! 
Evviva  il  Papa,  nostro  re! 

Malheur  au  plébiscite  ! 
A  Marguerite  et  à  son  époux! 
Et  si  le  roi  arrive, 
Malheur  à  tous  les  trois  ! 
"Vive  le  Pape,  noire  roi  ! 

TeB<a(lTc  d'assassinat  du  prince  lliimbcrt. 

On  a  fait  souvent  la  remarque  que  l'arrivée  de  Victor. 
Emmanuel  h  Rome  était  suivie  de  tempêtes  et  d'inon- 
dations; il  paraît  que  son  fils  est  dans  le  même  cas. 

On  écrivait  dernièrement  de  Naples  : 

Ici,  au  palais  royal,  les  ncros  subalpins  ont  été  pré- 
cédés  par  une  tempête  dont  les  journaux  vous  ont  porté 
sans  doute  les  détails.  C'est  h  la  hâte  qu'il  a  fallu,  tant 
bien  que  mal,  réparer  les  dégâts.  Tous  les  carreaux  ne 
sont  pas  encore  remis;  on  voit  des  décombres  amassés 


DE  1848  A  1879.  517 

dans  les  cours,  et  les  vases  de  la  terrasse  ne  sont  pas  rem- 
placés. 

En  venant  coucher  dans  les  lits  des  Bourbons,  Humbert 
et  Marguerite  y  ont-ils  trouvé  le  repos  dont  y  jouit  Ferdi- 
nand après  l'attentat  d'Agésilas  Milano  ?  Je  l'ignore.  Mais 
on  dit  que  le  petit  prince ,.,  de  Naples  a  des  convulsions. 
Il  va  criant  :  «  On  veut  tuer  papa...  Vous  savez,  on  veut 
tuer  papa  f  » 

Cette  fois  encore  la  vérité  sortait  de  la  bouche  des  en- 
fants. 

Un  journal  de  Bologne,  la  Stella  d'Italia,  déclare  tenir 
de  source  autorisée  qu'un  complot  existait  dans  la  ville 
peur  assassiner  le  roi  Humbert  et  la  reine  Marguerite  à 
leur  passage  dans  la  rue  Galliera,  et  que  c'est  là  le 
motif  des  nombreuses  arrestations  opérées  par  la  police 
de  Bologne. 

Ce  même  journal  ajoute  que  le  ministre  de  l'intérieur  a 
entre  les  mains  les  rapports  officiels  contenant  les  détails 
du  complot  et  le  nom  des  tavernes  où  se  réunissaient  les 
conspirateurs. 

^  L'Internationale,  en  relation  avec  tous  les  révoltés  de 
l'Europe,  manifeste  sa  puissance;  elle  s'appuie  sur  la 
misère  effroyable  et  sur  l'immoralité  plus  effroyable  encore 
que  le  régime  subalpin  a  apportées  à  la  Péninsule;  elle  a 
des  fonds  provenant  de  divers  côtés,  et  notamment  du  vol 
de  2  millions  100,000  francs  commis,  il  y  a  quelques  jours, 
au  préjudice  de  la  Banque  nationale. 

L'Internationale  se  persuade  sans  doute  qu'il  est  naturel 
que  des  billets  à  l'effigie  de  la  maison  subalpine  servent 
à  l'accomplissement  de  ses  desseins  criminels. 

L'attentat  à  la  vie  d'Humbert  lui  était  annoncé  d'avance, 
soit  en  Italie,  soit  en  Angleterre  et  en  Suisse. 

On  télégraphiait  de  Naples  : 

Il  est  certain  que  l'Internationale's'agite  à  Naples. 


818  LA   RÉVOLUTION   EN   ITALIE 

Le  dimanche  10  novembre,  soit  huit  jours  avant  l'arrivée 
du  roi,  une  réunion  d'internationalistes  a  eu  lieu  dans  le 
Circolo  Nazionnle,  Environ  mille  personnes  appartenant  ù 
la  classe  ouvrière  y  assistaient. 

Le  môme  soir  un  manifeste  incendiaire  signé  :  Les 
enfants  de  Mazanicllo,  était  lancé  dans  la  circulation  et 
affiché  sur  les  murs  de  la  ville. 

Il  se  confirme  que  le  roi  avait  été  averti  de  l'attentat 
projeté. 

Un  des  membres  du  corps  diplomatique,  à  Rome,  aurait 
aussi  reçu  avis  des  attentats  qu'on  devait  diriger  tant 
contre  le  roi  Alphonse  d'Espagne  que  contre  Humbert  I". 

On  écrit  de  Rome  : 

On  a  trouvé  la  preuve  que  plusieurs  individus  demeurant 
à  l'étranger  avaient  été  prévenus  par  lettres  que  le  jour 
où  le  roi  d'Italie  entrerait  à  Naplcs  on  tenterait  de  l'assas- 
siner, pour  proclamer  immédiatement  la  république  ita- 
lienne, avec  Garibaldi  pour  chef  du  gouvernement.  Il 
demeure  acquis  que  Garibaldi  fait  partie  de  l'Internatio- 
nale. 

L'événement  a  justifié  ce  pressentiment.  Humbert  tra- 
versait une  rue  de  Naples  dans  un  carrosse  découvert  en 
compagnie  de  Marguerite  et  du  ministre  Cairoli,  l'intime 
ami  de  Garibaldi,  qui  ne  cesse  de  prêcher  l'extermination 
de  tous  les  souverains,  lorsque  tout-à-coup  un  homme  îi 
mauvaise  mine,  tenant  d'une  main  une  supplique  et  de 
l'autre  un  poignard  italien,  caché  par  un  drapeau  rouge, 
se  précipite  sur  le  roi  pour  l'assassiner.  Le  premier  coup 
de  poignard,  portant  h  faux,  ne  fit  qu'une  blessure  légère; 
et  comme  le  séide  revenait  h  la  charge  la  princesse  Mar- 
guerite se  tournant  vers  Cairoli  lui  cria  :  «  Défendez  donc 
le  roi.  »  C'est  alors  qu'il  reçut  une  blessure  qui  l'oliligoa 
h  garder  le  lit  pendant  plusieurs  jours.  Passanante  étant 
arrêté,  ses  douze  compagnons  s'échappèrent  au  plus  vite. 


DE  1848  A  1879.  519 

Ce  malheureux  faisait  partie  des  sociétés  secrètes  et  appar- 
tenait h  la  secte  des  socialistes  les  plus  avancés. 

Voici  l'interrogatoire  qu'il  a  subi.  On  verra  quel  degré 
de  cynisme  se  puise  dans  ces  affiliations  sataniques,  où 
disparaissent  tous  les  sentiments  de  pudeur  : 

D.  Pourquoi  as-tu  voulu  tuer  le  roi? 

R.  Tant  d'apparat,  tant  de  fêtes  m'agaçaient.  Je  me  suis 
dit  :  Comment,  il  mangera,  lui,  dix  plats  et  moi  un  seul  I 
C'est  pour  cela  que  j'ai  voulu  le  tuer. 

D.  Quelles  sont  tes  opinions? 

R.  Je  suis  républicain  socialiste.  Ma  profession  de  foi 
était  écrite  sur  le  drap  rouge  :  «  Vive  la  République  uni- 
verselle t  »  Je  demande  qu'on  insère  au  proçès-verbal  que 
j'avais  aussi  écrit  :  «  Vive  Orsini  !  » 

D.  Avais-tu  réellement  l'intention  de  tuer  le  roi  ou 
seulement  de  le  blesser  ? 

R.  Je  voulais  l'achever.  Si  j'avais  eu  de  l'argent,  j'aurais 
acheté  un  revolver,  et  le  coup  n'aurait  pas  manqué. 

D.  Malheureux!  ton  crime  ne  te  fait-il  pas  horreur? 

R.  r^on;  je  suis  ennemi  des  empereurs  et  des  rois  à  cause 
de  leur  luxe.  J'ai  compris  par  tout  ce  que  j'ai  lu  que  les 
rois  dépensent  trop  d'argent. 

D.  Toi  qui  te  dis  républicain  et  qui  dois  par  conséquent 
vénérer  les  grandes  figures  des  patriotes,  pourquoi  as-tu 
eu  la  hardiesse  de  frapper  également  Cairoli  I 

R,  Peuh!  c'est  un  laquais,  lui  aussi. 

L'effervescence  continue  dans  la  Péninsule,  et  la  réaction 
que  veut  tenter  la  politique  d'Humbert  paraît  devoir  être 
impuissante  pour  arrêter  le  torrent  révolutionnaire.  Par^ 
tout  se  manifestent  des  projets  subversifs,  des  complots 
criminels. 

Le  roi  n'a  plus  qu'une  autorité  fictive  sans  aucune 
puissance   morale.  Hélas!  le   malheureux!  il  expie  la 


g20  I^    RÉVOLUTIOX     EN     ITALIE 

conséquence  des  doctrines  consacrées  par  la  politique  de 
son  père  et  par  lui-même. 

Passanante  est  une  figure  de  la  Révolution,  et  ce  serait 
commeltre  la  plus  vile  et  la  plus  odieuse  trahison  que  do 
méconnaître  sa  grandeur (??).  Les  journaux  en  parlent  de 
façon  à  le  rendre  intéressant.  On  oublie  le  marmiton  en 
voyant  le  régicide,  ferme,  convaincu,  plein  de  courage  et 
de  cynisme.  La  magistrature  joue  son  petit  rôle.  Contre 
toute  décence,  elle  communique  les  détails  propres  à 
séduire  le  populaire;  elle  fait  publier  les  interrogatoires. 

M.  Zanardelli,  que  la  Chambre  et  le  Sénat  ont  accueilli 
avec  un  froid  glacial,  est  obligé  de  se  retirer.  D'après  son 
discours-programme  d'Isco,  il  avait  juré  de  ne  jamais 
prévenir,  mais  simplement  de  réprimer  les  délits,  et  le  voilà 
prévenait,  prévenant  de  façon  à  ne  savoir  plus  où  fourrer 
les  gens  qu'il  fait  arrêter  chaque  nuit. 

La  presse  révolutionnaire  blâme  cette  conduite;  elle 
veut  la  liberté  pour  tous  :  la  liberté  est  le  premier  dos 
biens,  et  les  assassins  ont  le  droit  d'en  jouir  tant  qu'ils 
n'ont  pas  tué  qui  les  embarrasse. 

D'ailleurs,  si  tuer  le  roi  est  un  acte  répréhcnsible, 
parce  qu'après  tout  le  roi  est  un  homme  (on  en  convient), 
tuer  la  liberté  est  un  crime  abominable.  Le  roi  peut 
disparaître,  il  n'y  a  pas  grand  mal;  mais  la  liberté  doit 
rester.  Puis,  si  le  roi  ne  veut  pas  être  tué,  qu'il  s'en  aille  ; 
c'est  le  meilleur  parti  qu'il  ait  h  prendre. 

Telle  est  la  morale  politique  qui  ressort  des  journaux. 

Il  n'y  a  à  cela  rien  d'étonnant,  puisqu'on  fait  en  Italio 
une  pension  aux  parents  de  l'assassin  du  roi  de  Naples 
Agésilao,  dont  le  nom  a  été  trouvé,  sans  doute  comme  un 
modèle  à  imiter,  dans  le  portefeuille  de  Passanante. 

Le  jour  môme  de  l'attentat  commis  à  Naples,  la  reine 
Marguerite  a  vu  le  danger  de  la  situation  et  elle  a  dit 


DE  1848  A  1879.  521 

au  ministre  Zanardelli  :  .  C'en  est  fait  du  prestige  de  la 
maison  de  Savoie.  »  Or,  pour  une  monarchie  consti- 
tutionnelle, le  prestige  c'est  tout,  et  lorsqu'il  est  perdu, 
la  monarchie  elle-même  en  demeure  ébranlée.  Le  roi 
Humbert  n'est  pas  moms  alarmé  que  son  épouse.  Il  a  pris 
un  air  taciturne  et  concentré  oui  révèle  assez  les  tristes 
préoccupations  de  son  esprit.  Et  pour  combler  la  mesure, 
je  dois  dire  que  la  santé  au  roi,  déjà  bien  débile,  est 
sérieusement  compromise  par  les  émotions  des  jours 
derniers.  Une  personne  qui  l'a  vu  de  très-près  et  qui 
fréquente  même  le  Quirinal  m'affirme  que,  «  si  le  roi 
Humbert  n'est  pas  précisément  poitrinaire,  il  lui  faut 
pourtant  garder  d'extrêmes  ménagements  pour  échapper 
à  la  crise  qui  le  menace.  »  Enfin  le  prince  Amédée  est 
comme  frappé  d'une  fixité  mentale  qui  le  porte  à  rire  et 
à  pleurer  avec  excès,  à  tout  moment,  sans  aucun  motif, 
ou  plutôt  par  un  ensemble  de  motifs  qui,  depuis  deux 
ans,  ont  ébranlé  toutes  les  fibres  de  son  cœur  d'époux, 
de  fils  et  de  frère.  Telle  est  la  situation  au  Quirinal. 

On  écrit  de  Rome  : 

Denys  le  tyran  est  représenté  par  la  révolution.  Celle-ci 
a  fait  asseoir  au  festin  les  rois,  nouveaux  Damoclès,  et 
elle  a  suspendu  au-dessus  de  leur  tête  une  épée  nue 
attachée  à  la  voûte  par  un  crin  de  cheval. 

De  tous  ces  rois,  le  plus  menacé  sans  contredit  est  celui 
qui  a  hérité  à  Rome  de  la  *  gloire  incomparable  »  de  son 
père,  dont  on  a  célébré  aujourd'hui  même  l'anniversaire 
funèbre  au  Panthéon. 

Humbert  reçoit  tous  les  jours  des  lettres  de  la  secte, 
qui  le  somment  de  se  retirer  s'il  ne  veut  point  périr,  lui 
et  les  siens.  Conçues  dans  le  style  le  plus  brutal,  ces 
lettres  portent  la  terreur  au  Quirinal.  Le  roi  et  la  reine  se 
croient  au  milieu  de  conjurés;  ils  soupçonnent  un  Passa- 


522  LA  RÉVOLUTION   EN   ITALIE   IB  1848   A   1878. 

liante  dans  tout  homme  qui  s'avance  vers  eux.  Samedi, 
comme  le  roi  passait  dans  le  Corso,  un  douanier,  qui  se 
tenait  sur  le  trottoir  du  palais  Ruspoli,  s'avança  vivement 
vers  la  voiture  en  criant,  une  supplique  h  la  main. 

Le  roi  se  leva  debout,  plaça  son  bras  de  façon  à  dé- 
fendre sa  poitrine,  comme  à  Naples,  et  cria  au  cocher  ; 
«  Vite  t  vitet  »  Et  les  chevaux  l'emportèrent  au  galop. 

Le  douanier  désespéré,  se  jeta  sur  le  pavé,  cherchant 
à  se  faire  écraser  par  une  autre  voiture  qui  suivait.  Le 
cocher  arrêta  à  temps,  et  l'on  releva  l'homme  tout  meurtri 
et  on  le  conduisit  à  l'hôpital  voisin. 

Toutes  les  routes  que  parcourent  les  princes  sont  soi- 
gneusement battues  par  la  police  et  peuplées  d'agents  et 
de  soldats  sans  uniforme.  La  reine  est  escortée  de  pelotons. 

Possesseur  illégitime  des  droits  et  des  propriétés  des 
souverains  que  son  père  a  dépossédés,  Humbcrt,  qui  a 
noblement  assumé  le  devoir  de  payer  les  dettes  énormes 
de  la  couronne,  Humbert  est  relativement  pauvre,  et  sa 
famille  n'a  pas  les  ressources  que  l'on  suppose*.  On  assure 
même  que  la  princesse  Clotilde,  vivant  près  de  Turin  et  à 
peu  près  ruinée,  reçoit  une  pension  du  roi  Humbcrt  et  met 
ses  enfants  au  collège.  (Univers  du  22  janvier  1879.) 

*  Victor-Emmanuel  empruntait  à  tout  le  monde.  Lorsque  le 
khédive  d'Egypte  passa  par  Florence,  de  retour  de  son  voj'agc 
à  Paris,  où  il  contracta  sa  dorniôrc  opération,  il  eut  l'impru- 
dence de  raconter  la  chose  au  roi  d'Italie,  qui,  à  brûle-pourpoint, 
se  fit  prêter  deux  millions.  Je  ne  parle  pas  des  pensions  aux 
prétendues  veuves  et  aux  prétendus  orphelins  :  la  liste  en  est 
longue...  {Paris-Journal.) 


LIVRE  GINQUIÈ^IE. 
Louis-Napoléon  &  les  malheurs  de  la  France 

cl©  1870  à.  i879. 


CHAPITRE   PREMIER. 

LA  QUESTION  ROMAINE 


Déjà  SOUS  Grégoire  XVI  Louis-Napoléon  se  distinguait 
parmi  les  carbonari  qui  conspiraient  contre  l'Eglise. 

Dès  que  la  révolution  de  février  l'eut  porté  au  pouvoir,  il 
laissa  entrevoir  de  nouveau  ses  aspirations  de  sectaire. 

Les  hommes  clairvoyants  purent,  dès  les  premiers  jours 
de  l'empire,  voir  ses  aspirations  antifrançaises. 

A  dater  de  la  guerre  d'Italie,  la  tendance  révolutionnaire 
prévalut  dans  la  politique  extérieure  comme  dans  le 
gouvernement  du  pays.  La  guerre  italienne  affirmait  le 
fatal  principe  des  nationalités  ;  elle  conduisait  par  l'unité 
des  Italiens  à  l'unité  des  Allemands  ;  elle  tendait  à  créer 
sur  nos  frontières  deux  grandes  puissances  révolution- 
naires et  offensives,  dont  la  coalition  pouvait  détruire  la 
France  *. 

*  M.  le  comte  de  Kercado,  de  Bordeaux,  avait  chargé  un 
ecclésiastique  de  cette  même  ville,  faisant  son  pèlerinage  à 


524  LOUIS-NAPOLÉON 

—  A  partir  de  18G0,  il  est  entré  dans  une  voie  que  depuis, 
malgré  quelques  heureux  écarts,  il  n'a  plus  abandonnée. 
Dans  ce  chemin  l'on  rencontre,  d'une  part,  la  trahison 
italienne  absoute  sinon  protégée,  le  droit  insurrectionnel 
des  peuples  proclamé  et  soutenu,  le  principe  révolution- 
naire de  non-intervention  tour-à-tour  invoqué  et  méconnu, 
selon  les  convenances  de  la  révolution,  et  enfin  le  Pape 
captif  aux  mains  d'un  geôlier  que  Napoléon  avait  mis  en 
ce  grade;  de  l'autre,  la  presse  révolutionnaire  favorisée 
et  se  ruant  à  l'attaque  de  l'Eglise  dont  on  bâillonnait  les 
défenseurs,  les  Conférences  de  Saint-Vincent  de  Paul 
dissoutes;  la  franc-maçonnerie  entrant  solennellement  dans 
les  Conseils  de  l'Etat,  les  députés  catholiques  persécutés 
et  honnis,  l'immoralité  des  jeux  publics  et  des  théâtres 
prenant  son  essor;  enfin  la  France,  énervée  par  ces 
multiples  instruments  de  mort,  jetée  pantelante  en  proie 
au  vainqueur,  qui  l'arrachait  sans  peine  des  mains  débiles 
qui  ne  la  pouvaient  défendre. 

On  espérait  par  ces  désordres  et  la  corruption  générale 
des  mœurs  oblitérer  à  tel  point  la  conscience  chrétienne, 
que  les  plus  grands  forfaits  passeraient  inaperçus.  C'est 
ainsi  que  l'on  imagina  le  massacre  de  l'élite  de  la  jeunesse 
française  à  Castelfidardo.  Voici,  sur  cet  horrible  guet-à- 
pens,  des  renseignements  authentiques  donnés  par  un 
historien  sérieux  : 

Rome,  de  demander  au  Saint-Père  une  bénédiction  spéciale 
pour  sa  famille,  et  de  lui  ollVir  une  pièce  d'or  de  100  fr.  en- 
fermée dans  un  érrin.  Le  l'ape  a  cru  d'abord  que  c'était  une 
médaille  à  bénir;  mais  apercevant  l'effigie  de  Napoléon  III, 
il  a  dit  tristement  : 

«  Dieu  le  veuille  avoir  en  sa  miséricorde. 

»  Le  pauvre  homme!  il  a  voulu  faire  de  la  politique  de  bas- 
cule :  cela  ne  réussit  jamais  et  l'on  finit  par  tomber  du  mauvais 
côié.  » 


ET  LES  MALHEURS  DE  LA  FRANCE.         525 

€  Cialdini  et  Farini  arrivèrent  à  Chambéry  le  soir.  L'em- 
pereur présidait  à  un  grand  dîner  à  la  préfecture.  Il 
paraissait  très-préoccupé  et  ne  toucha  pour  ainsi  dire  à 
aucun  des  mets  qui  furent  servis.  Il  était  naturellement 
sobre  et  souvent,  lorsqu'il  mangeait  chez  autrui,  il  poussait 
la  précaution  jusqu'à  dîner  à  part,  une  demi-heure  aupa- 
ravant, avec  ce  que  lui  préparait  son  cuisinier  particulier. 
Sitôt  qu'on  lui  eut  annoncé  la  présence  des  envoyés  pié- 
montais,  il  se  leva  de  table,  où  il  ne  reparut  plus,  et 
passa  le  reste  de  la  soirée  en  conférence  avec  eux.  Durant 
cette  conférence,  une  carte  muette  de  l'Italie  centrale  fut 
déployée  sur  une  table.  L'empereur,  tout  en  discutant,  y 
traça,  effaça  et  modifia  une  suite  de  traits  au  crayon.  La 
carte  fut  ensuite  abandonnée  sur  la  table,  car  elle  ne 
portait  aucun  nom,  aucune  indication  écrite;  mais  le 
marquis  Costa  de  Beauregard,  alors  l'homme  politique  le 
plus  important  de  la  Savoie,  la  recueillit.  Quelle  ne  fut 
pas  sa  surprise  lorsqu'on  l'examinant  quelques  jours  plus 
tard,  à  Rome,  avec  le  cardinal  Barnabo,  il  reconnut  dans 
C3UX  des  traits  au  crayon  qui  n'étaient  pas  effacés,  h 
marche  exacte  suivie  par  Cialdini  et  Fanti  dans  leur  inva- 
sion de  l'Etat  pontifical  I 

'  Nous  tenons  ces  détails  d'un  homme  très-honorable  et 
tiès-sûr,  écrivain  et  savant  éminent  (M.  le  chevalier  Jules 
Baux),  auquel  le  marquis  Costa  de  Beauregard  les  a 
racontés  plusieurs  fois.  >  (Pie  IX  et  son  siècle,) 


526  LODIS-NAPOLÉON 


CHAPITRE  II. 

LES  B£PII£SÀILLES  D£  LÀ  lOSTICB   DIVINEk 


€  On  a  souvent  remarqué,  dit  l'Univers,  la  correspon- 
dance de  nos  désastres  et  des  avantages  que  notre  poli- 
tique, tant  sous  l'empire  que  sous  la  république,  a  faits 
aux  Italiens  dans  la  question  romaine. 

»  Rome  souffre  par  la  faute  de  la  France  concentrée  à 
Paris,  et  Paris  et  la  France  paient  eu  or,  en  funérailles, 
en  atïront  les  souffrances  de  Rome.  Tous  les  pas  que  la 
conspiration  italienne  fait  contre  Rome  et  dans  Rome  sont 
aussitôt  marqués  chez  nous  par  une  défaite.  A  mesure  que 
l'Italie  s'installe  dans  la  ville  du  Christ,  la  Prusse  serre 
davantage  Paris  et  accable  de  revers  plus  lourds  et  plus 
décisifs  les  vains  efforts  qui  sont  tentés  pour  le  secourir  ; 
et  enfin,  lorsque  le  roi  excommunié  entre  dans  Rome, 
l'empereur  protestant  reçoit  les  ciels  de  Paris  '.  » 

*  On  lit  dans  VUniiers  du  l^'  mars  (édilîon  de  Bordeaux)  : 
«  Les  84,900  hommes  de  l'armée  de  Bourbaki,  qui  viennent 
de  se  réfugier  en  Suisse,  élèvent  le  chiffre  des  prisonniers 
français  et  fugitifs  internés  dans  les  Etats  voisins  à  plus  d'un 
million.  D'après  la  Gazette  de  l'Allemagne  du  IÇoi'd,  930,000 
hommes  sont  prisonniers  de  guerre,  en  y  comprenant  la  gar- 
Tlison  de  Paris.  Prés  de  20,900  se  sont  enfuis  en  Belgique  après 
ies  batailles  de  Metz  et  de  Sedan,  et  plus  de  80,000  viennent  de 
passer  la  frontière  suisse.  Ce  total  énorme  de  1 ,034,000,  observe 
la  Gazette,  est  sans  précédents  dans  l'histoire.  » 

Voilà  comment  le  Seigneur  a  pimi  la  captivité  de  Pie  IX,  ti-alii 
par  l'Empire. 


ET   LES   MALHEURS   DE   LA   FHA:>CE  527 

La  justice  de  iîica  à  Sedan. 

Nous  empruntons  le  récit  de  ce  drame  à  l'ouvrage  déjà 
cité  :  le  Dernier  des  Napoléon.  Nous  tenons  toutefois  à  faire 
une  réserve;  l'auteur,  qui  est,  dit-on,  un  Allemand,  se 
montre  trop  sévère  dans  le  jugement  définitif  des  race? 
latines,  parce  qu'il  fait  abstraction  du  rôle  que  la  Provi- 
dence leur  a  assigné.  D'ailleurs,  les  autres  nations  ne  sont 
pas  dans  des  conditions  meilleures;  jusqu'à  ce  jour  rien 
ne  prouve  qu'elles  sont  destinées  à  remplacer  la  France 
auprès  du  Saint-Siège.  Voici  maintenant  les  belles  pages 
de  ce  livre  sur  Sedan,  justement  admirées  : 

L'arrêt  de  mort  était  scellé  par  la  Providence  :  tous  les 
efforts  humains  n'en  retarderont  plus  le  dénouement. 

C'est  ainsi  qu'empereur  et  armée  s'acheminèrent  len- 
tement vers  les  fourches  caudines. 

C'eit  à  Courcelles  que  Napokou  III,  décidément  acculé 
de  tout  côté  au  précipice,  prit  sa  résolution  dernière  et  se 
prépara  à  l'acte  suprême  de  son  règne. 

L'empereur  croyait  à  la  prédestination  et  parlait  souvent 
de  son  étoile.  L'étoile  incline  au  couchant,  au  bord  de 
l'horizon  liviiie  et  sanglaut  de  Waterloo.  Allons,  il  faut  se 
courber  sous  la  destinée.  Il  n'y  a  d'ailleurs  plus  d'autre 
issue  que  cette  porte  surbaissée  de  la  honte  suprême.  Il  ne 
peut  plus  se  réfugier  nulle  part;  l'impératrice  lui  a  fermé 
le  retour  à  Paris  ;  le  soldat  qui  se  traîne  derrière  lui  mur- 
mure à  son  oreille  des  imprécations;  la  France  lui  apparaît 
partout  hostile,  farouche;  l'univers  lui  est  inhospitalier, 
le  ciel  inexorable. 

Il  faut  jouer  le  dernier  acte  du  drame  des  Napoléon  : 
Après  l'invasion  une  dernière  hécatombe  humaine,  et  enfin 
l'exil.  C'est  la  tradition!  Et  lui,  qui  s'évertue  depuis  ses 
jeunes  auaées  à  ressusciter  la  légende  impériale,  comment 


828  LOUIS-NAPOLÉON 

échapperait-il  à  la  main  d'airain  qui  l'achemine  vers  le 
dénouement  fatidique?  N'avait-il  pas  blâmé  dans  le  pre- 
mier Bonaparte  cette  soif  intempérante  de  guerroyer,  et 
inauguré,  quant  à  lui,  l'empire  de  la  paix?  Or,  la  fatalité 
n'avait-elle  pas  cahoté  cet  empire  de  la  paix  d'une  guerre 
à  une  autre,  jusqu'à  cette  campagne  insensée?  Le  premier 
monument  qu'il  a  élevé,  n'est-ce  pas  ce  groupe  du  ma- 
réchal Moncéy  luttant  contre  l'invasion  des  Prussiens  qui 
envahissent  Paris  ?  Allons,  c'était  écrit. 

Il  faut  finir  comme  les  Napoléon  finissent,  comme  finit 
Bonaparte  I",  le  modèle  de  la  race,  à  la  distance  bien  en- 
tendu qui  sépare  Prométhée,  foudroyé  sur  son  roc  de 
Sainte-Hélène,  de  Romulus  Augustule,  promené  piteuse- 
ment dans  les  rues  de  Ravenne  au  milieu  des  huées  des 
barbares. 

Il  n'y  avait  donc  plus  qu'à  se  laisser  mener  jusqu'au 
lieu  du  dénouement.  C'est  ainsi  que  Napoléon  III  se  traînait 
péniblement  dans  les  rangs  débandés  de  cette  armée 
bizarre,  le  chaos  allant  à  l'aventure.  Il  avait  écarté  son 
fils,  pour  que  le  pauvre  enfant  échappât  autant  que  pos- 
sible aux  périls  et  aux  responsabilités  de  la  chute.  Lui,  il 
allait,  comme  le  condamné  qui  n'a  plus  le  souci  de  la 
route,  attendre  qu'elle  aboutît  inexorablement  à  l'endroit 
fatal.  Plus  une  lueur  d'espoir,  plus  une  éclaircie  dans  ce 
ciel  d'orage.  N'avait-il  pas,  avec  tout  le  conseil  de  Reims, 
reconnu  et  déclaré  que  dégager  Bazaine  était  impossible, 
que  lutter  contre  les  armées  du  prince  royal  et  du  prince 
de  Saxe,  qui  encerclaient  rapidement  d'heure  en  heure 
celte  cohue  de  soldats  battus  d'avance,  était  impossible. 
Impossible  de  reculer,  impossible  de  vaincre  ! 

Il  restait  peut-être  bien  le  parti  des  grandes  âmes,  qui, 
aux  heures  suprêmes,  se  relèvent  d'un  bond  de  géant,  ra- 
chètent leur  défaillance  par  un  de  ces  coups  d'audace  qui 
étonnent  le  moud<i  et  frappent  jusqu'à  leurs  ennemis  de 


El  LES  MALHEURS  DE  LA  FRANCE.         b29 

respect  et  d'adiiiration.  Et  si  la  fortune  adverse  leur  barre 
toutes  les  issues,  ils  franchissent  le  cercle  de  fer  par  la 
résolution  des  héros.  Ils  s'ensevelissent  dans  les  Dlis  du 
drapeau  et  échappent  à  la  honte  dans  l'apothéose  des 
morts  immortelles. 

Ces  vamcus-là  rendent  sacrées  les  causes  pour  lesquelles 
ils  tombent,  et  leur  ouvrent  dans  l'avenir  la  perspective  de 
ia  résurrection. 

Mais  personne,  assurément,  n'attend  rien  de  semblable 
de  Mapoléon  III.  Non  pas  que  l'empereur  fût  lâche  physi- 
quement :  il  avait  montré  partout  et  surtout  à  Sedan  un 
courage  froid,  décidé,  de  l'indifférence  en  face  du  péril; 
mais  chez  lui  la  torpeur,  l'affaiblissement,  le  fatalisme, 
c'est-à-dire  la  lâcheté  morale,  était  profonde,  absolue. 

Tout-à-coup  deux  mille  bouches  à  feu  entonnèrent 
l'hymne  de  la  mort.  On  arrivait  à  Sedan. 

C'était  là  I 

C'était  le  lieu  du  châtiment.  L'exécuteur  des  hautes 
œuvres  du  grand  justicier  des  peuples  et  des  rois  y  atten- 
dait le  condamné. 

Quoique  l'empereur  eût  prévu  et  calculé  le  résultat, 
l'apparition  du  dénouement  l. dû  être  terrible!  Comme  elle 
a  dû  secouer  brutalement  le  rêveur  obstiné  I  Sa  carrière 
finissant  plus  mal  que  ses  ennemis  mortels  n'eussent  pu 
le  souhaiter;  toutes  les  fautes  de  sa  vie  reparaissant  tour- 
à-tour  et  lui  jetant  l'anathème;  autour  de  lui  Sedan  en- 
combré de  blessés,  de  mourants,  le  sang  et  les  malédic- 
tions ruisselant  dans  les  rues,  une  population  affolée  sous 
l'éclat  incessant  des  bombes,  tandis  qu'au  dehors,  sur  cet 
immense  périmètre  du  champ  de  bataille,  40,000  hommes 
râlaient  l'agonie,  tandis  que  la  Meuse,  obstruée  de  ca- 
davres et  toute  rouge  de  sang,  déborde,  tandis  qu'à  l'ho- 
rizon en  flammes  les  Bavarois  brûlent  vifs  dans  Bazeilles, 
malgré  les  cris  et  les  supplications,,  toute  une  populatioi) 

23 


530  LOUIS-NAPOLÉON 

de  blessés,  de  vieillards,  de  femmes,  d'enfants,  ceux  qui 
veulent  s'échapper,  rejetés  dans  les  flammes  par  la  mi- 
traille et  la  baïonnette  des  barbares  :  l'enfer  évoqué  sur 
terre  f  En  même  temps  que,  du  côté  de  Vandresse  et  de 
Chemery,  l'armée  prussienne  triomphante  éclatait  en 
hourras  frénétiques  et  improvisait  une  illumination  co- 
lossale au  passage  du  roi  Guillaume  t. .. 

Puis  au  loin,  aerrière  un  ciel  en  feu,  son  fils  en  fuite; 
Paris  soulevé  comme  un  volcan;  l'impératrice  aux  mains 
de  l'émeute,  l'empire  croulant  au  milieu  des  huées  et  des 
blasphèmes;  la  France  entière  debout  et  jetant  une  su- 
prême malédiction  h  ce  nom  néfaste  des  Napoléon!... 
Quelle  vision! 

Tout  est  dit!...,  et  l'empereur,  de  son  autorité  et  de  son 
propre  mouvement,  fait  hisser  le  drapeau  blanc  sur  la 
citadelle  par  l'un  de  ses  cent-gardes. 

L'empire  avait  vécu. 

Le  2  septembre  1870,  dans  une  serre  attenant  au  chdteau 
de  Bellevue,  h  Frenois,  le  dernier  des  Napoléon  rendit 
son  épée  inoffensive  et  vierge  à  l'homme  casqué  qui  vit, 
il  y  a  soixante  ans,  dans  les  caveaux  de  Berlin,  le  premier 
des  Bonaparte  prendre  sur  le  cercueil  i'épée  de  Frédéric 
le  Grand,  après  avoir  fait  du  royaume  des  Hohenzollern 
une  chétive  dépendance  du  formidable  empire  français. 

C'est  ainsi  que  Louis-Napoléon  Bonaparte  couronna  l'é- 
difice du  second  empire.  Tout  est  perdu  ...  et  l'honneur! 

0  plaines  de  Sedan,  vous  n'êtes  pas  que  le  tombeau 
d'une  dynastie  éphémère;  les  ossements  blanchis  qui 
sèment  vos  ravines  ne  raconteront  pas  seulement  aux  gé- 
néralions  futures  que  Ib.  se  joua  le  drame  d'une  des  grandes 
boucheries  humaines...  L'histoire  tracera  sur  ce  champ 
sinistre  une  autre  épitaphe  : 

«  Ici  tomba  la  France,  et  derrière  elle  l'influence  des 
I  races  latines  dans  le  monde » 


ET   LES   MALHEURS   DE    LA   FRANCE.  631 

Le  télégramme  qui  portera  à  Paris  la  nouvelle  du 
désastre  de  Sedan  y  portera  la  condamnation  à  mort  de 
l'empire.  Cet  édifice,  qu'on  croyait  si  puissant,  s'effondrera 
au  premier  souffle,  comme  tout  ce  qui  est  bâti  sur  la  force 
et  l'usurpation.  Il  s'évanouira  dans  l'émotion  publique 
comme  un  mauvais  rêve,  et  glissera  dans  la  fosse  sans 
qu'il  soit  besoin  d'un  effort  pour  l'y  précipiter. 

Cette  majorité  du  parlement  français  si  docile  aux  vo- 
lontés de  l'empire,  si  complaisante  pour  les  mensonges  et 
les  folies  de  ministres  imbéciles,  ne  trouvera  pas  un  élan 
d'énergie  pour  maintenir  l'édifice  impérial  contre  quelques 
émeutiers  débraillés,  ou  au  moins  pour  faire  respecter  le 
mandat  et  les  droits  de  la  nation. 

Quant  à  cette  opposition  avariée,  sans  cœur  ni  entrailles 
pour  l'honneur,  pour  la  patrie  en  danger,  elle  va  se  ruer 
sur  le  pouvoir  avec  cette  voracité  des  eunuques  qui,  ne 
pouvant  le  conquérir  par  la  valeur  et  le  mérite,  le  volent 
pendant  le  déménagement.  Ils  savent,  les  misérables,  qu'ils 
sont  en  face  de  l'invasion  la  plus  formidable  qui  ait  me- 
nacé le  sol  français;  ils  savent  que  l'apparition  du  spectre 
de  la  république,  cet  épouvantail  des  mauvais  jours,  va 
désagréger  le  faisceau  des  efforts  et  des  volontés,  énerver 
la  défense,  détourner  d'elle  ou  paralyser  toutes  les  sym- 
pathies de  l'Europe.,.  N'importe,  périsse  la  France,  mais 
que  leurs  basses  ambitions  s'assouvissent. 

Ce  pouvoir,  qu'ils  vont  ravaler  au  niveau  de  leur  furpi- 
tude  et  de  leur  abêtissement,  va  les  aplatir  sous  les  dé- 
combres de  la  France.  Mais,  peu  leur  importent  la  gran- 
deur ou  les  hontes  de  la  nation.  Vous  les  verrez  se 
prélasser  bientôt  sur  ses  ruines,  accrochés,  qui  aux  mi- 
nistères, qui  aux  ambassades,  qui  aux  préfectures,  qui  à 
des  fortunes  impies  ramassées  dans  le  sang  et  la  faillite 
de  la  patrie.  * 

Aux  Tuileries  veillait,   anxieuse  et   frémissanle,  une 


532  LOUIS-NAPOLÉON 

femme  que  l'empire  laissait  derrière  lui,  qui,  hier  encore, 
voyait  à  ses  pieds,  courbés  de  l'échiné  et  de  la  conscience, 
cette  cohue  de  courtisans  qui  se  disputaient  l'honneur  d'un 
de  ses  regards  et  la  gloire  de  mourir  pour  elle. 

€  Et  que  le  sourire  du  dédain  vienne  désormais  régner 
sur  ses  lèvres;  que  son  noble  cœur  calme  ses  abattements 
inquiets.  Nous  sommes  nombreux  autour  de  vous,  Madame, 
nombreux  qui,  pour  vous,  risquerions  joyeusement  notre 
fortune  et  notre  vie!....  Et  souvenez-vous  qu'il  fut  autrefois 
une  grande  et  illustre  impératrice.  Son  trône  lui  fut  dis- 
puté!... » 

Elle  ne  désespéra  de  rien  et  sauva  son  empire.  Ses 
fidèles  Hongrois  vinrent  à  son  aide  et  poussèrent  le  fameux 
cri  de  guerre  :  «  Moriamur  pro  rege  nostro  Maria  ïhc- 
resa...  »  Toute  la  jeune  France,  Madame,  fera  comme  la 
jeune  Hongrie,  et  le  jour  du  danger,  vous  entendrez,  vous 
aussi,  ce  cri  de  guerre  et  de  victoire  qui  s'échappera  de 
nos  poitrines  :  <i  Moriamur  pro  rege  nostro  Eugenia  I  » 

Hélas!  ce  n'est  pas  le  cri  qu'elle  entendit.  L'impératrice, 
si  énergique  devant  le  péril,  avait  fléchi  depuis  quelques 
jours.  Une  vague  désespérance  envahissait  son  àmc.  A 
peine  le  glas  funèbre  de  l'effondrement  de  Sedan  eut-il 
retenti,  que  déjà  le  palais  se  trouva  dépeuplé;  et  quand, 
vers  les  trois  heures  du  soir  du  4  septembre,  la  mer  hou- 
leuse de  la  populace  vint  battre  les  grilles  aux  cris  si- 
nistres :  «  La  déchéance!  vive  la  République!!!  »  réveillant 
sous  les  voûtes  sonores  des  Tuileries  les  échos  des  hurle- 
ments des  fauves  de  1848,  de  1830  et  de  93,  la  pauvre 
femme  regarda  avec  épouvante  autour  d'elle  ...  elle  était 
seule. 

Elle  se  sauva  avec  une  dame  de  son  service,  voilée  et 
inconnue,  par  la  porte  du  Louvre,  et  gagna  la  gare  du 
Isord,  dans  le  coupé  d"un  donlisle! 

La  révolution  a  de  sinistres  ironies  pour  ses  idoles 


ET    LES   MALHEURS   DE   LA   FRANCE.  533 

éphémères.  Quand  elle  ne  les  conduit  pas  à  l'échafaad, 
aux  barricades  ou  à  Cayenne,  elle  les  déménage  irrévé- 
rencieusement dans  un  fiacre. 

L'impératrice  Eugénie,  depuis  trois  ans,  disait  souvent 
avec  une  affectation  pleine  de  coquetterie  qu'elle  s'atten- 
dait au  sort  de  Marie-Antoinette,  dont  elle  collectionnait 
pieusement  tous  les  souvenirs.  Elle  ne  se  doutait  guère 
que,  l'heare  venue,  on  ne  lui  octroierait  pas  même  l'au- 
mône de  la  persécution  et  l'honneur  de  la  lutte,  l'occasion 
et  l'apothéose  du  martyre.  Pauvre  femme!  que  tant  d'a- 
bandon avait  brisée,  elle  ne  savait  pas  que  les  courtisans 
ne  meurent  qu'en  paroles:  —  que  les  peuples  déchus  se 
courbent  sous  tous  les  jougs  et  ne  savent  pas  mourir  !  — 
que  ceux  qui  donnent  volontairement  leur  vie  pour  une 
cause,  sont  ceux  dont  l'épicuréisme  n'a  pas  avili  l'àrae  et 
atrophié  le  cœur;  ceux  qui  voient  par-delà  les  frontières 
étroites  de  la  matière,  par-delà  l'ombre  inquiétante  du 
tombeau,  les  horizons  infinis  de  Dieu  et  les  rayonnements 
divins  de  l'immortalité. 

On  meurt  pour  ce  qui  en  vaut  la  peine  :  pour  l'honneur, 
pour  sa  conviction,  pour  cette  grande  chose  mystérieuse, 
chère  et  sacrée  qu'on  appelle  la  patrie;  on  meurt  pour  le 
souverain  légitime,  expression  vivante  de  la  nation  :  Mo- 
riamur  pro  rege  nostrot...  mais  on  ne  meurt  pas  pour  un 
régime  de  hasard;  on  ne  meurt  pas  pour  un  aventurier. 

Un  épisode  inédit  de  Sedan. 

On  lit  dans  l'Opinion  nationale*  : 
Au  moment  où  le  procès  poursuivi  par  le  général  de 
Wimpfen  contre  Cassagnac  appelle  de  nouveau  l'attention 

1  Le  témoignage,  de  ce  journal  ne  saurait  être  suspect.  On 
sait  qu'il  a  été  t'undé  grâce  à  l'intervention  et  à  une  mise  de 
fonds  du  cousin  de  Loois-ISapoléon. 


b34  LOUIS-.NAPOLÉON 

du  public  sur  le  desastre  de  Sedan,  il  ne  nous  a  point  pnru 
saiis  intérêt  de  mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  un  dO- 
tail  ignoré  de  ce  terrible  drame,  détail  dont  rauthenlicilé 
ne  saurait  être  mise  en  doute. 

Nous  visitions  dernièrement  ce  déparlement  si  éprouvé 
des  Ardennes,  interrogeant  avec  une  curiosité  émue  les 
champs  de  bataille,  parcourant  les  villages  témoins  de  la 
lutte,  contrôlant  les  récits  de  nos  compatriotes,  vérifiant 
les  allégations  des  journaux  étrangers,  recueillant  les 
anecdotes  et  consultant  les  livres  publiés  dans  les  princi- 
pales localités  que  nous  traversions. 

C'est  ainsi  que  nous  fûmes  amenés  par  nos  recherches 
à  lire  le  travail  de  M.  Gornebois,  inspecteur  des  eaux  et 
forêts,  capitaine  commandant  la  compagnie  des  guides 
forestiers,  que  l'on  avait  organisée  à  la  hâte  et  sur  sa 
demande  au  mois  d'août  1870. 

Parmi  les  faits  particuliers  qui  y  sont  relatés,  mais  qui 
offrent  un  caractère  d'intérêt  trop  spécial  pour  que  nous 
les  mentionnions  ici,  nous  rencontrâmes  un  passage  sin- 
gulièrement curieux  sur  l'état  de  l'âme  de  Napoléon  III,  à 
l'heure  de  la  défaite. 

Quand  l'empereur  vit  la  déroute  commencer  et  les  régi- 
ments vaincus  s'entasser  pêle-mêle  dans  les  rues  de  Sedan, 
il  ne  songea  point  un  instant  h  tenter  un  effort  suprême  et 
îi  percer  les  masses  ennemies  ;  la  pensée  qui  se  présenta 
d'abord  à  son  esprit  fut,  non  point  celle  de  la  capitula- 
tion, mais  celle  do  la  fuite. 

Il  voulait  se  déguiser  en  paysan,  partir  sous  la  conduite 
d'un  guide  sûr,  et  gagner  Mézières  îi  travers  les  sentiers 
des  Ardennes. 

Celte  entreprise  eut  môme,  en  quelque  sorte,  un  com- 
mencement d'exécution. 

Par  son  ordre,  on  envoya  chercher  M.  Petit,  inspecteur 
des  eaux  et  forêts  h  Sedan,  pour  l'accompagner. 


ET  LES  MALHEURS  DE  LA  FRANCE.         B3o 

Mais  celui-ci,  troublé  par  les  graves  événements  qui  se 
succédaient  avec  tant  de  rapidité,  errait  dans  la  ville,  en 
quête  de  nouvelles. 

Quand  on  parvint  à  le  rencontrer,  il  était  trop  tard. 

Une  heure  et  demie  s'était  écoulée,  et  durant  ce  laps  de 
temps,  l'empereur  avait  changé  d'avis.  Il  avait  préféré  la 
captivité. 

Nous  le  répétons,  il  est  impossible  de  douter  de  la 
vérité  de  cette  affirmation,  les  détails  donnés  par  M.  Cor- 
nebois  sont  très-précis  et  très-nets;  une  seule  chose  nous 
étonne,  c'est  qu'ils  n'aient  point  été  mis  plus  tôt  au  grand 
jour  de  la  publicité,  au  lieu  de  demeurer  pour  ainsi  dire 
ensevelis  dans  ce  volume  paru  depuis  quatre  ans. 

I<a  mott  de  E.otiis-!VapoIéon. 

Le  vaincu  de  Sedan  a  supporté  sans  dignité  les  humiliîi- 
tions  de  sa  captivité.  Tandis  que  nos  soldats,  victimes  de 
l'imprévoyance  de  son  gouvernement,  enduraient  toute  es- 
pèce de  privations  pendant  un  hiver  des  plus  rigoureux,  leur 
chef,  sans  soucis  des  malheurs  qui  accablaient  la  France, 
s'amusait  h  patiner  pour  tromper  la  longueur  du  temps, 
sans  renoncer  toutefois  à  être  rétabli  sur  le  trône  par  la 
politique  de  la  Prusse.  De  leur  côté,  les  bonapartistes,  à  la 
vue  de  rincanacité  de  ceux  qui  gouvernent  la  France,  se 
flattaient  de  voir  revenir  bientôt  VHomine  de  Sedan. 

Mais  voilà  que  tout-à-coup  une  terrible  nouvelle  éclate 
au  milieu  d'eux  comme  un  coup  de  foudre,  qui  met  à 
néant  leurs  espérances.  Louis-Napoléon  est  mort  !  et  il  est 
mort  d'une  manière  si  imprévue  des  docteurs  qui  l'envi- 
ronnaient, qu'à  l'arrivée  du  prêtre  il  n'avait  déjà  plus  sa 
connaissance*. 

*  Napoléon  souffrait  depuis  plusieurs  années  de  la  pierre.  Sa 
maladie  était  devenue  tellement  grave  depuis  quelque  temps 


836  LOUIS-NAPOLÉON 

Cette  mort  soudaine,  qui  glace  d'effroi  les  chrétiens,  en 
voyant  comparaître  au  jugement  de  Dieu  un  prince  qui 
avait  assumé  sur  lui  une  effrayante  responsabilité,  a  été 
accueillie  par  les  sarcasmes  et  les  injures  des  libres- 
penseurs  de  la  presse  voltairienne,  si  favorisée  et  si  épar- 
gnée par  le  dernier  empire. 

Dans  ce  Paris,  que  Napoléon  avait  refait  aux  dépens  du 
reste  de  la  France,  la  nouvelle  de  sa  mort  a  été  accueillie 
à  la  Bourse,  qui  servait  de  thermomètre  à  sa  politique,  par 
une  hausse  sur  le  3  pour  100  !f 

La  mort  de  celui  qui  fut  appelé  Napoléon  III  n'a  excité 
h  Paris  et  dans  les  départements  aucune  espèce  d'émo- 
tion, et  nulle  part  ne  s'est  rencontrée  la  moindre  trace  de 
tristesse  publique. 

Le  royaume  d'Italie,  plus  encore  que  le  Royaume-Uni, 
lui  doit  des  regrets,  car  il  a  favorisé  par  nos  armes  toutes 
les  conspirations,  toutes  les  iniquités  piémontaises  au 
bruit  des  applaudissements  des  publicistes  révolution- 
naires français  qui  insultent  aujourd'hui  son  cercueil;  au- 
cun Français  n'oserait  dire  que  notre  pays  doit  à  Louis- 
Napoléon  une  «  reconnaissance  éternelle  »  pour  sa  politque 
en  Italie,  mais  le  royaume  d'Italie,  sur  les  débris  de  cinq 
souverainetés  légitimes,  insolemment  et  criminellement 
installé  à  Rome,  envoie  k  celui  qui  vient  de  mourir  le  té- 
moignage d'une  «  reconnaissance  éternelle.  »  L'intérêt 
national  sacrifié  se  tait  en  ce  moment,  mais  l'intérêt  ita- 


qii'il  a  fallu  recourir  à  une  opération.  C'est  à  la  suite  de  cette 
opération,  et  par  l'action  du  chloroforme,  qui  a  produit  un 
é'fet  de  poison  sur  lui,  que  l'empereur  a  succombé  le  9  janvier, 
à  10  heures 45  minutes,  dans  sa  résidence  anglaise  de  Chisle- 
liurst,  près  de  Londres.  L'autopsie  du  corps  a  été  faite  par  le 
prot'esstfur  Saunderson.  La  pierre  avait  la  grosseur  d'un  petit 
œuf  allongé  :  elle  était  formée  de  plusieurs  couches  dont  cha- 
cune correspondait  à  une  altération  de  l'organisme. 


ET  LES  MALHEURS  DE  LA  FRANCE.         5o7 

lien,  du  haut  de  son  triomphe,  s'écrie  *  «  Je  suis  recon- 
naissant! j»  Remarquez  bien  que  depuis  deux  ans  un  con- 
cert d'injures  s'élevait  contre  notre  nation  de  l'autre  côté 
des  Alpes,  et  qu'au  milieu  de  ces  insultantes  clameurs  une 
part  de  louange  et  d'honneur  était  toujours  faite  au  bona- 
partisme. Tout  le  monde  sait  que  le  rétablissement  de 
l'empire  était  un  désir  très-peu  caché  du  gouvernement 
italien.  Un  retour  de  règne  souhaité  par  nos  ennemis, 
quel  avertissement! 

Il  faut  aussi  que  l'on  sache  que  le  gouvernement  de  Ber- 
lin, non  pas  l'Allemagne,  regrettera  la  mort  de  l'exilé  de 
Chislehurst.  Il  nous  le  tenait  en  réserve  dans  des  éventua- 
lités prévues.  C'est  une  bonne  carte  de  moins  dans  le  jeu 
de  M.  de  Bismark.  Guillaume  pourrait  bien  parler  de  sa 
reconnaissance  comme  Victor-Emmanuel,  car  Louis-Napo- 
léon a  fait  pour  la  Prusse,  avec  sa  diplomatie,  ce  qu'il  a 
fait  pour  le  roi  de  Piémont  avec  notre  épée. 

Voilà  donc  comment  l'étranger  regrette  celui  que  la 
France  ne  regrette  pas.  Les  hommes  qui  ont  fait  la  gran- 
deur de  notre  nation  ont  été  aimés  chez  nous,  jamais  chez 
les  autres.  Avoir  régné  sur  la  France  et  n'être  escorté 
dans  la  mort  que  par  des  douleurs  qui  éclatent  de  l'autre 
côté  de  nos  frontières,  ce  n'est  pas  une  enviable  destinée  '. 

*  Le  Monde  a  donné,  sur  la  physionomie  morale  de  Napo- 
léon III,  une  très-profonde  étude  où  nous  remarquons  ces 
lignes  : 

'i-i 

«  Il  n'entrevit  jamais  que  dans  un  brouillard  les  limites  du 
vrai  et  du  faux,  du  bien  et  du  mal.  Ses  manifestes  et  procla- 
mations sont  empreints  de  ce  vague  humanitaire,  social,  d'où 
peuvent  sortir  les  conclusions  les  plus  opposées. .  Kul  homme 
n'a  mieux  réalisé  dans  sa  couduue  et  dans  ses  idées  le  sysLème 
hégélien  de  l'identilé  des  contraires. 

»  Parmi  les  catholiques,  personne  ne  s'est  trompé.  A  ce  cri 
unanime  qui  réprouvait  la  gaerre  d'Italie,  il  répondait  par  des 
paroles  bienveillantes,  par  des  plans  aimables  de  pacification, 


■S38  LOUIS-NAPOLÉON 

Un  jour  Napoléon  I",  du  haut  de  son  rocher  de  Sainte- 
Hélène,  contempla  le  ciel,  la  terre  et  les  mers  ;  il  considéra 
les  empires,  les  institutions,  les  grands  hommes  et  leurs 
créations;  puis,  s'étant  profondément  recueilli,  il  s'est 
écrié  d'une  voix  qui  a  ému  l'univers  : 

Les  peuples  passent! 
Les  trônes  croulent! 
L'Eglise  demeure!... 

de  conciliation,  de  réorganisation.  Il  s'entourait  de  prétendus 
catholiques  et  commandait  des  brochures  prétendues  catho- 
liques. 11  n'était  pas  impie  du  tout,  mais  il  professait  une  es- 
pèce de  christianisme  buchezien  ou  mazzinien.  Il  devait  cepen- 
dant savoir  que,  dans  cette  question,  l'Eglise  ayant  direclenient 
parlé  par  la  bouche  du  Souverain -Pontife,  il  devenait  dés  lors 
ridicule  d'attacher  de  l'importance  à  des  voix  catholiques, 
quelles  qu'elles  fussent.  L'empereur  fut  un  vrai  sectaire.  11  ap- 
pHqua  contre  lui,  et  malheureusement  contre  nous,  ses  propres 
principes.  11  créa  l'Italie  de  Victor-Emmanuel  et  l'Allemagne  du 
roi  Guillaume  en  l'honneur  des  principes  de  89,  et  au  nom  d'un 
principe  des  nationalités  qu'il  inventa  lui-même  et  qui  n'a 
jamais  été  qu'une  hallucination  de  l'esprit.  » 

—  On  ht  dans  le  Monde  du  29  janvier  : 

«  On  s'est  beaucoup  occupé  des  sentiments  de  Napoléon  III 
manifestés  l'an  passé  par  rapport  à  la  politiqiie  qu'il  a  suivie  à 
l'égard  du  Saint-Siège.  Napoléon  aurait  regretté  cette  poli- 
tique. Or,  les  paroles  adressées  à  son  ami  de  cœur,  le  comte 
Borromeo  Arèse,  quelques  jours  avant  sa  mort,  protestent  contre 
celles  qu'on  lui  a  prêtées.  Voilà  ce  que  Napoléon  III  a  dit  au 
comte  Arèse  :  «  Des  obligations  personnelles  m'empêchaient  de 
remettre  la  ville  de  Rome  aux  Italiens  et  de  tourmcnler  le 
vieux  Pape.  Je  n'ai  pas  oublié  qu'il  m'a  sauvé  la  vie  en  1832, 
quand  il  était  archevêque  de  Spolète,  et  je  n'aurais  pas  voulu 
être  ingrat.  Mais  Pie  IX  mort,  rien  ne  se  serait  plus  opposé  ;\  ce 
que  Victor-Emmanuel  prit  Rome  et  en  fît  la  capitale  de  l'Italie. 
Néanmoins,  je  félictte  les  Italiens  d'avoir  saisi  l'occasion  de 
s'emparer  de  la  ville  des  Papes  au  moment  opportun  et  de 
n'avoir  pas  attendu  la  mort  de  Pie  IX.  »  Telles  sont  les  paroles 
publiées  par  le  comte  Arèse  lui-même  dans  l'Opinione  et  la 
Capitale. 


ET  LES  MALHEURS  DE  LA  FRANCE.         539 

On  sait  que  le  fils  de  Louis-Napoléon  dans  son  voyage 
en  Italie  a  été  constamment  entouré  par  des  sectaires. 
Plusieurs  journaux  ont  même  assuré  qu'il  s'était  fait  re- 
cevoir dans  la  franc-maçonnerie. 

La  Gazette  du  Midi  s'est  portée  garante  des  paroles 
suivantes,  que  Pie  IX  aurait  dites  au  prince  impérial,  lors 
de  la  visite  qu'il  reçut  de  son  filleul  et  de  l'ex-impératrice 
des  Français  : 

1  Vous  voulez  imiter  votre  père,  mon  enfant?  on  le  dit, 
du  moins  ;  mais  prenez  garde,  j'ai  beaucoup  connu  votre 
père.  S'il  n'avait  pas  eu  de  liens  avec  l'Italie,  il  aurait 
pu  vi^Te  en  prince  chrétien,  servir  la  France,  qui  l'avait 
pris  pour  chef,  et  mourir  sur  le  trône.  Mais  ces  liens 
étaient  de  ceux  qu'on  ne  peut  rompre;  ils  s'imposent 
avec  la  menace,  avec  les  bombes,  avec  les  poignards. 
Demandez  à  l'impératrice,  votre  mère,  et  elle  vous  dira 
quelles  craintes  ont  sans  cesse  assailli  l'empereur  et  elle- 
même.  » 

Quant  à  l'ex-impératrice,  Pie  IX  lui  aurait  dit  : 

«  J'ai  prévenu  le  jeune  prince  votre  fils.  Votre  devoir 
»  était  de  ne  point  venir  en  Italie;  votre  devoir  est  aujour- 
«  d'hui  de  l'éloigner  au  plus  tôt.  ^ 

«  On  doute,  que  la  mère  et  le  fils  reviennent  de  sitôt  au 
Vatican,  s 


840  tA  COMMUNE 

CHAPITRE  III. 

LA    COMMUNE   ET   SES   HORREURS. 


Cette  guerre  commencée  avec  des  troupes  démoralisées 
et  de  beaucoup  inférieures  h  celles  de  l'ennemi  devait 
mettre  la  France  à  deux  doigts  de  sa  perte.  Que  pouvait- 
on  espérer  d'un  peuple  marchant  au  combat  en  hurlant 
\di  Marseillaise?  Le  Dieu  des  armées  ne  pouvait  étendre 
sa  protection  sur  ces  bataillons  insurgés  contre  lui.  La 
France  fut  témoin  de  désastres  inouïs  qui  devaient  la 
conduire  à  des  événements  plus  déplorables  encore.  Sous 
ce  rapport,  le  règne  funeste  de  Louis-Napoléon  ne  le  cède 
à  aucun  autre  *.  Nous  ne  ferons  qu'énoncer  les  faits;  nous 

*  La  Revue  nationale  publie  un  long  et  consciencieux  travail 
de  M.  Leroy-Beaulieu ,  où  nous  trouvons  des  statisiiqiies 
ellVayantes,  dont  les  éléments  ont  été  pris  aux  sources  ufli- 
cielles  et  par  conséquent  parfaitement  authentiques  et  exactes. 
Voici  l'une  d'elles  :  c'est  la  statistique  funèbre  des  perles  en 
honimes  et  en  argent  qui  ont  été  intligées  à  l'humanité  dans 
les  quatorze  années  qui  viennent  de  s'écouler.  Depuis  la  guerre 
de  (ùimée  jusqu'à  la  guerre  du  Mexique,  les  pertes  en  hommes 
sont  de  1,742,591  hommes. 

Les  pertes  financières  occasionnées  par  la  guerre  s'élèvent  à 
47  milliards  839  millions. 

Ce  chiffre,  si  énorme  qu'il  soit,  est  encore  incomplet  ;  car 
nous  n'avons  pas  de  renseignements  précis  sur  les  dépenses 
faites  par  l'Espagne  en  Cochincliine,  au  Maroc,  au  Pérou,  au 
Chili,  à  Saint-Domingue,  etc.  lili  bien!  tous  ces  progrès,  quoi 
que  puisse  dire  le  Siècle,  ne  sont  point  beaux,  et  nous  souhaitons 
qu'ils  disparaissent  pour  le  bien  et  l'honneur  de  l'humanité. 


ET   SES   HORREURS.  541 

les  avons  racontés  dans  d'autres  ouvrages  :  Paris,  ses 
crimes  et  ses  châtiments,  —  Bourreaux  et  victimes  de  la  Comr 
mime,  auxquels  nous  renvoyons  nos  lecteurs. 

Après  la  catastrophe  de  Sedan,  les  radicaux,  qui  ne 
cessent  de  recommander  le  respect  de  la  loi,  envahirent 
l'Assemblée  nationale,  proclamèrent  la  république  dont 
bien  entendu  ils  se  nommèrent  les  ministres  ;  un  avocat, 
qui  ne  savait  pas  le  premier  mot  du  métier  des  armes,  se 
désigna  lui-même  comme  ministre  de  la  guerre,  avec  de 
forts  appointements,  sans  compter  les  énormes  bénéfices 
faits  sur  les  fournitures;  un  vieux,  juif,  radical,  fut  choisi 
naturellement  pour  ministre  des  affaires  ecclésiasti- 
ques, etc.  Les  Prussiens  ne  tardèrent  pas  à  investir  Paris, 
où  la  famine  fit  d'aftreux  ravages.  La  capitale  finit  par 
se  rendre.  Les  populations  effrayées,  appelées  à  élire  une 
Assemblée,  nommèrent  en  grand  nombre  des  députés 
monarchistes.  Mais  comme  il  y  avait  parmi  eux  beaucoup 
de  libéraux,  ils  choisirent  Thiers  pour  président  de  la 
république  provisoire.  Sur  ces  entrefaites,  la  garde  natio- 
nale de  Paris,  composée  en  majorité  de  révolutionnaires, 
auxquels,  par  une  imprudence  impardonnable,  on  avait 
laissé  des  armes  et  des  munitions,  s'insurgea,  et  le  gou- 
vernement s'étant  replié  sur  Versailles,  la  capitale  de  la 
France  fut  au  pouvoir  des  insurgés  pendant  deux  mois. 

Paris,  livré  aux  francs-maçons  et  aux  sectaires,  épou- 
vanta le  monde  par  ses  forfaits  de  tout  genre. 

Les  misérables  ont  voulu  dépasser  tout  ce  que  con- 
tiennent de  plus  abominable  les  annales  du  crime,  et  ils 
y  ont  réussi.  De  tous  ces  romanciers,  en  quête  de  po- 
pularité malsaine,  qui  fatiguaient  leur  imagination  dé- 
lirante à  la  recherche  des  plus  noirs  et  des  plus  in- 
vraisemblables forfaits,  aucun  n'a  osé  rêver  rien  de 
semblable  à  l'affreuse  réalité  qui  se  révèle.  Après  avoir, 
pendant  soixante-dix  jours,  tenu  Ig  ville  (ie  Pans  courbée 


542  LA  COMMUNE 

SOUS  la  terreur,  après  avoir  pratiqué  sur  une  effroyable 
échelle  l'assassinat,  le  vol,  le  pillage  et  les  violences  de 
toutes  sortes,  ils  ont  couronné  la  longue  série  de  leurs 
crimes  par  un  acte  inouï  de  sauvagerie  barbare,  par  l'in- 
cendie des  plus  splendides  monuments,  des  plus  précieuses 
collections  et  d'un  nombre  incalculable  de  propriétés  pri- 
vées de  la  capitale. 

C'est  ainsi  qu'à  cette  heure  sinistre  des  malfaiteurs 
cosmopolites  ont  déployé  contre  Dieu  et  contre  la  Babylone 
moderne  un  courage  qu'ils  avaient  moins  prodigué  en 
présence  de  l'ennemi.  Une  fois  Dieu  et  le  patriotisme 
bannis  de  leurs  âmes,  une  sorte  de  possession  infernale 
les  a  occupées.  Alors  on  a  vu  une  puissance  diabolique  se 
déclarer  dans  la  mesure  et  dans  le  nombre  des  crimes. 
A  défaut  de  grands  hommes,  le  satanisme  a  produit  des 
héros  légendaires  de  l'assassinat  et  de  la  destruction;  et 
ce  que  l'Ecriture  raconte  de  la  malice  des  anciens  géants, 
ce  que  l'Apocalypse  prédit  des  cruautés  de  l'Antéchrist 
s'est  véritié  dans  les  débauches  sanglantes  de  la  déma- 
gogie \ 

Il  faudrait  des  volumes  pour  raconter  tous  les  désastres 
causés  dans  Paris  par  les  communards,  armés  de  torches 
incendiaires.  Cette  grande  capitale,  si  fiôre  dé  sa  civili- 
sation, est  bien  la  ville  des  ruines  et  des  pleurs,  la  vé- 
ritable Città  dolente  du  poète. 

On  traitait  de  visionnaires  ceux  qui  prétendaient  voir 
s'amonceler  au-dessus  de  Paris  le  nuage  sombre  de  la 
vengeance  divine.  Hélas  f  l'heure  est  venue  :  le  chAtiment 
a  encore  dépassé  en  horreur  tout  ce  que  les  imaginations 
avaient  pu  rôver;  et  par  une  ignominie  de  plus,  ce  ne 

^  Plus  tard,  on  aura  de  la  peine  à  le  croire;  ce  sont  ces 
monstres  que  l'on  veut  non-seulement  amnistier,  mais  encore 
réhabiliter,  afin  de  leur  rendre  tous  leurs  droits  civils,  dont  ils 
ne  manqueront  pas  de  se  servir  de  nouveau  contre  la  société. 


ET   SES   HORREURS.  843 

sont  pas  des  ennemis  enivrés  par  la  victoire,  ce  sont  des 
Français  qui  auront  accumulé  ces  désastres  sans  pré- 
cédent dans  l'histoire.  De  telle  sorte  que  ces  ruines 
fumantes  témoigneront  au  monde  plus  encore  de  nos 
hontes  que  de  notre  malheur. 

Les  théâtres  de  la  révolatlon  détroits  par  le  fea. 

On  a  remarqué  avec  raison  que  les  monuments  qui 
avaient  été  le  théâtre  des  crimes  et  des  orgies,  ont  été 
dévorés  par  le  feu,  tandis  que,  malgré  l'intention  formelle 
des  révolutionnaires  de  détruire  les  églises,  aucune  n'a 
été  renversée. 

Que  d'événements  sinistres  se  sont  'passés  aux  Tui- 
leries. C'est  là  que,  dans  la  fameuse  journée  du  10  août, 
furent  massacrés  les  neuf  cents  Suisses  restés  fidèles  îi 
l'infortuné  Louis  XVI,  et  avec  ces  braves  soldats  périrent 
tous  les  employés  du  palais,  depuis  les  premiers  officiers 
jusqu'aux  derniers  valets  des  cuisines. 

C'est  aux  Tuileries  que  fut  décidé  le  Congrès  de  Paris 
1856,  dans  lequel  le  gouvernement  de  Pie  IX  fut  dénoncé 
à  l'Europe;  c'est  dans  ce  Congrès  qu'on  proposa  au 
Souverain-Pontife  des  réformes  qui  auraient  arraché  sa 
souveraineté  dans  sa  racine. 

C'est  aux  Tuileries  que  Louis-Napoléon  déclara  la  guerre 
à  l'Autriche  catholique,  afin  de  favoriser  l'Italie  révolu- 
tionnaire et  de  perdre  le  roi  de  Naples. 

C'est  des  Tuileries  que  partit  la  défense  de  publier  en 
chaire,  et  même  dans  les  journaux,  la  lettre  encyclique 
du  18  juin  1859,  dans  laquelle  Pie  IX  rappelait  l'excom- 
munication majeure  portée  par  les  décrets  du  concile  de 
Trente  contre  tous  ceux  qui  ont  concouru  à  l'envahissement 
du  patrimoine  de  saint  Pierre. 

C'est  aux  Tuileries  que  fut  reconnu  par  Louis-Napoléon 


544  LA   COMMUNE 

le  royaume  d'Italie,  sacrilège  usurpation  des  domaines  de 
l'Eglise. 

Cette  démarche  avait  été  préparée  par  la  fameuse 
brochure  le  Pape  et  le  Congrès,  écrite  par  un  sénateur 
ami  de  César,  et  «  qui  eut  pour  conséquence,  dit  lord  John 
Russell,  ministre  des  affaires  étrangères  en  Angleterre, 
de  faire  perdre  au  Pape  plus  de  la  moitié  de  ses  domaines.  » 

C'est  aux  Tuileries,  le  31  décembre  1839,  que  Louis- 
Napoléon  écrivait  au  Pape  une  lettre,  chef-d'œuvre  d'hy- 
pocrisie et  qui  fut  communiquée  aux  journaux  avant  que 
Pie  IX  ne  l'eût  reçue. 

C'est  aux  Tuileries  que  fut  arrêtée  la  suppression  de 
l'Univers,  coupable  d'avoir  reproduit  l'encyclique. 

C'est  aux  Tuileries  qu'on  décida  que  tous  ceux  qui 
feraient  partie  de  l'armée  pontificale  perdraient  leurs  titres 
de  Français,  avec  tous  leurs  droits. 

C'est  aux  Tuileries  que  l'on  a  nommé  et  maintenu  au 
ministère  de  l'instruction  publique  M.  Duruy,  dont  les 
ouvrages  étaient  pleins  d'erreurs  et  de  calomnies  contre 
l'Eglise. 

Le  Palais-Royal,  agrandi  et  embelli  par  Louis-Philippe- 
Egalité,  a  eu  le  même  sort  que  les  Tuileries.  On  peut 
dire  aussi,  sans  craindre  d'être  démenti,  que  ce  palais  n'a 
pas  été  toujours  la  demeure  de  la  vertu  et  le  théâtre  des 
bonnes  mœurs. 

C'est  là  qu'habitait  encore,  au  4  septembre,  le  prince 
Jérôme-NaDoléon,  l'ami  de  George  Sand,  de  Renan  et  du 
sénateur  Sainte-Beuve,  dont  il  partageait  le  dîner  scanda- 
leux du  Vendredi -Saint. 

Que  de  conciliabules  se  sont  tenus  dans  cette  demeure 
çrincièrc,  fréquentée  par  les  rédacteurs  de  l'Opinion 
mtionale  et  d'autres  feuilles  ennemies  jurées  de  l'Eglise. 
Que  de  fois  on  y  a  annoncé  la  chute  définitive  de  la 
Papauté. 


ET   SES   HORREURS.  54d 

La  vérité  divine  outragée  finit  par  se  venger  de  tant 
d'impiétés. 

Ne  soyons  pas  étonnés  après  cela,  si  la  justice  de  Dieu 
passe  sur  le  Palais-Royal  comme  elle  est  passée  sur  les 
Tuileries.  Dans  ce  duel  de  l'homme  contre  le  ciel,  de 
l'impiété  contre  l'Eglise,  c'est  toujours  Dieu  qui  a  le 
dernier.  Les  ruines  de  ce  Palais-Royal,  habité  par  des 
princes  révolutionnaires,  démontrent  une  fois  de  plus  qu'on 
ne  se  moque  pas  de  Dieu  en  vain. 

L'Hôtel-de-Ville  eut  le  même  sort.  C'est  là  qu'avaient  lieu 
des  fêtes  babyloniennes,  où  la  luxure  et  la  vanité  dé- 
ployaient toute  leur  pompe,  si  propre  à  attiser  cette  triple 
concupiscence  dont  parle  l'apôtre  saint  Jean. 

Le  Journal  des  Débats,  organe  de  la  queue  de  Voltaire, 
écrivait  ces  lignes  qui  dépeignent  bien  ce  spectacle  horrible 
d'un  peuple  incorrigible  : 

«  Dans  cette  monstrueuse  orgie,  dit-il,  il  n'y  a  ni  un 
sentiment,  ni  une  idée  :  on  n'y  trouve  que  l'instinct  fauve 
et  sanguinaire  et  l'appétit  carnassier.  C'est  la  bête  qui 
s'est  insurgée,  qui  a  brisé  sa  cage  et  s'est  jetée  sur  tout 
sans  savoir  sur  quoi.  Elle  a  pu  être  châtiée  avec  le  fer 
rouge,  maià  corrigée,  non. 

ï  11  suflit  de  marcher  dans  nos  rues  en  cendres,  de 
regarder  dans  le  visage  pervers  et  dans  les  yeux  sangui- 
naires de  Paris  pour  y  lire  ceci  :  C'est  à  recommencer. 
On  a  pu  le  voir  dimanche,  quand  toute  la  population  errait 
curieusement  dans  les  grandes  rues,  et,  hier,  quand  elle 
regardait  passer  le  convoi  des  prêtres  massacrés.  Combien 
de  ceux  qui  ont  brûlé  Paris  se  promènent  à  travers  leur 
œuvre,  en  tenant  par  la  main  leurs  enfants,  auxquels  ils 
soufflent  tout  bas  le  mot  de  vengeance,  auxquels  ils  font 
respirer  l'odeur  du  soufre  et  du  s^ng,  qui  les  suivra  partout 
cl  qu'ils  reconnaîtront  un  jour!  Regardez-les,  ils  n'ont 


546  LA  COMMUNE   ET   SES   HORREURS. 

qu'un  seul  sentiment,  celui  de  l'érostratisme  !  L'immensité 
uème  de  la  destruction  fait  leur  orgueil!  » 

Quant  aux  massacres  qui  eurent  lieu,  on  a  dit  que  près 
de  soixante  mille  communards  y  trouvèrent  la  mort.  Sans 
doute  il  y  eut  aussi  un  archevêque,  des  magistrats,  des 
prêtres,  des  religieux  massacrés.  Mais  c'étaient  des 
victimes  qui  ofTraient  généreusement  leur  vie  à  Dieu,  afin 
de  désarmer  sa  colère,  tandis  que  les  autres,  en  vrais 
suppliciés,  expiraient  dans  la  rage  du  désespoir'. 

M.  Thiers  est  un  des  personnages  qui  ont  le  plus  con- 
tribué par  ses  ruses  et  sa  politique  astucieuse  à  doter  une 
troisième  fois  la  France  d'une  république,  en  empêchant 
l'héritier  de  nos  rois  de  remonter  sur  le  trône,  et  de 
rétablir,  dans  le  royaume  de  saint  Louis,  la  paix,  la  sé- 
curité et  les  traditions  qui  ont  fait,  dans  les  siècles  pré- 
cédents, son  honneur  et  sa  gloire. 

*  Parmi  les  publicistes  qui  ont  raconté  ces  horreurs,  les  ou- 
vrages de  M.  Maxime  du  Camp  :  les  Convulsions  de  Paris,  les 
Prisons  de  Paris  sous  la  Commune,  renferment  des  détails  très- 
complets  el  d'autant  plus  authentiques  que  cet  écrivain  est  loin 
d'être  clérical. 

L'Univers  du  12  février  1879  cite  ce  passage  du  Pays  :  «  La 
répression  de  la  Commune  a  été  foi't  mal  faite,  on  a  laissé 
échapper  presque  tous  les  chefs  des  communards  ;  F.  Pyat  est 
resté  plusieurs  semaines  à  Paris  (d'après  lui  im  an),  au  su  de 
la  policf,  qui,  par  ordre  supérieur,  a  dû  lermer  les  yeux.  Thiers 
a  même  fait  arrêter  la  personne  qui  avait  découvert  Pjat,  de 
peur  que  l'opinion  publique  indignée  ne  forçût  le  gouverne- 
jnentà  mettre  la  main  sur  le  plus  liche  des  communards.  Tan- 
dis que  les  Rochcfort,  les  Vallès,  les  Grousset,  etc.,  ne  s'occu- 
paient que  de  leur  fuite,  ceux  qu'ils  avaient  poussés  en  avant 
se  faisaient  tuei*.  » 


MORT   DÉPLORABLE   DE   M.    THIERS.  547 


CHAPITRE  rV. 

MORT   DÉPLORABLE   DE   THIERS. 


Parvenu  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans,  M.  Thiers  au  lieu 
de  s'occuper  de  ses  fins  dernières,  employait  hélas!  le 
reste  de  ses  forces  à  rendre  le  radicalisme  moins  effrayant, 
et  à  lui  rattacher  la  queue  de  Voltaire,  lorsque  il  a  perdu 
tout-à-coup  l'usage  de  ses  facultés;  et  peu  d'heures  après 
il  paraissait  devant  le  souverain  Juge. 

Il  ne  nous  appartient  pas  de  mettre  des  bornes  à  la 
miséricorde  divine  et  à  l'efficacité  de  la  grâce,  qui,  comme 
une  habile  ouwière,  dit  Bossuet,  fait  de  grandes  choses 
en  peu  de  temps.  Toutefois  on  ne  peut  s'empêcher  de 
déplorer  le  sort  des  malheureux  qui,  après  avoir  employé 
leurs  talents  incontestables  et  leur  longue  vie  à  combattre 
la  sainte  E|flise  et  à  vulgariser  les  idées  révolutionnaires, 
ont  été  tout-à-coup  jetés  au  tribunal  de  Dieu,  sans  avoir 
eu  le  temps  de  pousser  un  soupir  pour  implorer  sa  misé- 
ricorde. 

C'est  ainsi  que  M.  Thiers  est  mort  subitement  à  Saint- 
Germain,  dans  une  hôtellerie,  après  avoir,  la  veille,  passé 
une  bonne  partie  de  la  journée  avec  un  des  rédacteurs 
d'un  très-mauvais  journal  de  Paris. 

Le  moment  d'avant,  il  était  encore  dans  les  troubles  et 
dans  le  gâchis  de  la  politique. 

Il  avait  quatre-vingts  ans  passés. 

Durant  cette  longue  vie,  il  a  tourbillonné  dans  toutes 


ni-8  MORT   DÉPLORABLE    DE   M.    TIIIERS. 

les  affaires  humaines,  sans  s'occuper  jamais  que  d'être  un 
homme  considérable  au  milieu  du  monde.  Il  l'a  été 
cinquante  ans;  il  s'en  était  fait  une  habitude  de  vieillard. 
Il  tenait  encore  en  France  une  place,  disputée,  il  est  vrai, 
mais  qui  pouvait  lui  sembler  prépondérante.  On  pouvait 
dire  que  la  Providence  se  plaisait  h  le  flatter.  Il  a  réussi 
à  tout,  et  n'a  pas  été  content.  Sa  vie  n'est  parvenue  que 
rarement  à  l'amuser  un  peu,  et  elle  n'a  fait  qu'amuser  un 
peu  aussi  le  monde,  qui  n'a  pas  cessé  de  réclamer  autre 
chose.  Célèbre,  il  l'est  pour  le  moment;  occupé,  il  l'a 
été  plus  que  personne,  mais  de  rien,  rapetissant  tout  à 
sa  taille.  Voilà  ce  que  tout  cela  tient.  C'est  de  quoi  remplir 
médioci'ement  un  cercueil.  Il  n'a  pas  eu  le  temps  de  se 
reconnaître.  Dieu  ne  lui  a  pas  laissé  le  temps  de  mourir. 
Maintenant,  le  voilà  peut-être  au  rang  de  ceux  qui  vou- 
draient n'avoir  jamais  vécu. 

Ua  des  séides  de  Louis-Napoléon,  M.  Mocquard,  auquel 
on  doit  une  pièce  de  théâtre  abominable  contre  le  véné- 
rable Pie  IX,  a  fait  un  portrait  en  raccourci  de  Thiers, 
dans  le  genre  italien  : 

«  Fataliste  dans  son  histoire,  fatal  dans  ses  conseils, 
fat  dans  ses  résistances,  réunissant  en  lui  tout  ce 
qu'inspirent,  et  contre  la  Providence  le  culte  du  hasard, 
et  contre  le  pouvoir  le  génie  du  renversement,  et  contre 
soi-même  l'excès  de  la  vanité;  s'amusant  avec  son  esprit, 
s'abusant  avec  son  ambition,  s'usant  avec  ses  roueries.  » 

De  son  côté  Alphonse  Karr,  anticlérical,  a  écrit  ces 
lignes,  qui  caractérisent  bien  l'auteur  de  l'Histoire  de  la 
Révolution  française  : 

«  Certes,  ce  petit  homme  possède  une  rare  et  robuste 
»  intelligence;  mais  il  lui  manque  une  Ame  élevée,  un 
»  grand  cœur,  —  et,  tel  qu'il  est,  il  faut  le  mettre  au 
»  nombre  des  plus  grands  fléaux  que  la  colère  divine  ait 
»  jamais  envoyés  sur  la  France.  » 


MORT   DÉPLORABLE   DE   M.    THIERS.  849 

Par  ses  écrits  et  sa  siluation  d'homme  d'Etat,  M.  Thiers 
»  exercé,  en  France,  pendant  cinquante  ans,  l'influence  la 
plus  pernicieuse. 

Son  Histoire  de  la  Révolution,  du  Consulat  et  de  l'Einpire 
a  contribué  dans  la  plus  large  et  la  plus  affligeante  mesure 
k  pervertir  l'esprit  public  dans  notre  pays.  Par  cette 
œuvre,  remarquable  d'ailleurs  à  cause  des  brillantes  qua- 
lités de  l'écrivain,  il  a  popularisé,  vulgarisé  les  principes 
ruineux  de  la  Révolution.  Dégagée  de  ces  violences  de 
forme  et  d'expression  qui  répugnent  aux  esprits  prudents 
et  modérés,  elle  a  pu  entrer  dans  toutes  les  bibliothèques. 
Elle  est  devenue  le  code  de  la  bourgeoisie  et  elle  sert  de 
base  à  l'enseignement  de  l'histoire  dans  toutes  les  écoles 
de  l'Etat.  M.  Thiers  a  une  grande  part  de  responsabilité 
dans  toutes  les  erreurs,  les  préjugés,  qui  égarent  trop 
d'intelligences  même  loyales. 

La  République  française  a,  dans  une  phrase,  défini  le 
rôle  qu'a  joué  cet  homme  pendant  les  cinquante  années  de 
sa  vie  publique  : 

«  Sa  longue  carrière  avait  été  consacrée  à  la  défense 
des  idées  et  des  principes  de  notre  grande  Révolution,  dont 
il  n'a  jamais  abandonné  la  cause  et  qui  a  trouvé  en  lui 
un  serviteuf.  aussi  fidèle  que  résolu,  » 

Voilà  bien,  en  effet,  tout  l'homme  et  la  mission  qu'il  a 
remplie. 

Comme  homme  d'Etat,  il  a  été  le  même.  C'est  le  même 
but  qu'il  a  poursuivi.  Il  a  ruiné  dans  les  esprits  le  respect 
de  l'autorité.  Il  a  toujours  eu  la  prétention  d'abaisser 
toutes  les  questions  au  niveau  de  sa  petite  taille.  Toujours 
de  l'égoïsme ,  de  l'ambition,  de  la  vanité  personnelle. 
Jamais  de  l'élévation,  de  la  générosité,  de  la  grandeur 
morale. 

Comme  chez  tous  les  sectaires,  .l'Eglise  a  été  sa  grande 
ennemie.  C'est  vrai,  il  dissimulait  autant  qu'il  le  pouvait 


550  MORT   DÉPLORABLE   DE   M.    THIERS. 

sa  haine  et  ses  préjugés,  mais  au  fond  il  avait  horreur 
(le  l'influence  des  principes  catholiques  et  il  cherchait  h 
l'annihiler  avec  les  mille  industries  de  son  génie  actif  et 
inquiet.  Il  a  été,  contre  les  droits  et  les  prérogatives  de 
l'Eglise,  ce  que  Voltaire  a  été  contre  les  dogmes  et  les  vé- 
rités de  la  religion 

Thiers,  enfant  de  la  révolution,  a  été  beaucoup  trop 
flatté  par  les  catholiques  libéraux.  On  a  vraiment  de  la 
peine  à  comprendre  comment  un  prélat  académicien  a  pu 
faire,  à  la  tribune  française,  l'éloge  de  ce  sceptique,  pour 
lequel  il  n'y  avait  rien  de  vrai  ni  de  faux  et  qui  n'avait 
d'autre  symbole  qu'une  tolérance  absolue.  Voici  un 
extrait  de  la  profession  de  foi  de  Thiers  prononcée  à  la 
Chambre  : 

€  Le  plus  haut  degré  de  philosophie  n'est  pas  de  penser 
de  telle  ou  telle  façon  (l'esprit  humain  est  libre  heureuse- 
ment); le  plus  haut  degré  de  philosophie,  c'est  de  respec- 
ter la  conscience  religieuse  d'autrui,  sous  quelque  forme 
qu'elle  se  présente,  quelque  caractère  qu'elle  revête. 

»  Quant  h  moi,  désoler  les  catholiques,  désoler  les  pro- 
testants est  une  faute  égale.  Les  protestants  ne  veulent  pas 
qu'une  seule  communion  chrétienne  puisse  dominer  les 
autres;  c'est  leur  croyance  et  c'est  leur  droit. 

»  Les  catholiques  croient  qu'une  seule  communion  dans 
le  christianisme  doit  dominer  les  autres  pour  maintenir  en 
grand  et  noble  phénomène  religieux,  l'unité  de  croyances  ; 
ils  le  croient  et  ils  ont  raison  :  c'est  leur  droit.  » 

Dans  ces  paroles  on  voit  une  fausse  conséquence,  une 
impossibilité  et  une  contradiction.  Une  fausse  consé- 
quence :  car  il  résulterait  des  prémisses  posées  par 
M.  Thiers,  qu'il  n'y  a  pas  de  vérité  religieuse  absolue,  et 
que  chacun  est  libre  d'être  indifleront  ou  de  suivre  n'im- 
porte quelle  religion  :  ce  qui  est  philosophiquement  faux. 


MORT   DÉPLORABLE   DE   M.    THiEUS.  5Bi 

Une  impossibilité  :  si  la  conscience  d'autrui  est  infectée 
de  fausses  et  funestes  maximes,  est-ce  que  je  suis  obligé 
de  la  respecter?  M.  Thiers  respectait-il  la  conscience 
des  communeux  qui  croyaient  utile  au  genre  humain  de 
démolir  son  hôtel  I 

Une  contradiction  :  M.  Thiers  affirme  que  les  protes- 
tants et  les  catholiques  ont  le  droit  pour  eux;  or,  les  idées 
des  catholiques  et  des  protestants  sont  diamétralement 
opposées  :  il  y  a  donc  deux  droits  contradictoires. 

Après  avoir  montré  que  ni  le  Piémont,  ni  la  France 
n'avaient  le  droit  de  faire  l'unité  de  l'Italie,  M.  Thiers 
ajoute  : 

«  L'Italie  est  devenue  une,  soyons  justes,  impartiaux, 
c'était  sa  destinée  à  elle,  et  elle  faisait  bien  de  la  pour- 
suivre; ce  n'est  pas  à  nous  de  lui  en  faire  un  reproche, 
je  le  répète,  c'est  à  nous  qu  il  faut  lefaire.  » 

Que  veut  dire  ce  galimatias  ?  Si  la  cause  de  l'Italie  est 
juste,  qui  pouvait  nous  empêcher  de  lui  prêter  main  forte? 
Si  elle  est  injuste,  à  cause  des  spoliations  et  des  troubles 
religieux  qu'elle  a  causés,  pourquoi  fait-elle  bien  «  de 
poursuivre  sa  destinée  et  nous  mal  de  la  défendre?  » 
M.  Thiers  est-il  fataliste  en  histoire  et  utilitaire  en  morale? 

Un  mot  pour  terminer  sur  VHistoire  de  la  Révolution 
française  de  M.  Thiers.  Elle  se  trouve  dans  un  grand 
nombre  de  familles;  elle  est  lue  par  beaucoup  de.  jeunes 
gens;  elle  n'est  bonne  qu'à  fausser  leur  esprit  en  leur 
faisant  porter  un  jugement  faux  sur  la  Révolution  et  ses 
œuvres,  et  qu'à  pervertir  leur  cœur  en  leur  enlevant  toute 
foi  et  tout  respect  envers  notre  sainte  religion.  Parlant 
des  saturnales  célébrées  en  l'honneur  de  la  déesse  Raison, 
M.  Thiers  ose  insulter  au  peuple  chrétien  dans  les  termes 
que  voici  :  ^ 

«  On  voit  sans  doute  avec  dégoût  ces  scènes  sans  re- 


552  MORT   DÉPLÛRABLE   DE   M.    THIERS. 

»  cueillement,  sans  bonne  foi,  où  un  peuple  changeait 
»  son  culte  sans  comprendre  ni  l'ancien  ni  le  nouveau. 
«  Mais  quand  le  peuple  esl-il  de  bonne  foi?  Quand  est-il 

>  capable  de  comprendre  les  dogmes  qu'on  lui  donne 
»  à  croire  I  Ordinairement  que  lui  faut-il?  De  grandes 
»  réunions  qui  satisfassent  son  besoin  d'être  assemblé, 
»  des  spectacles  symboliques  où.  on  lui  rappelle  l'idée 
»  d'une  puissance  supérieure  à  la  sienne,  enfin,  des  fêtes 
»  où  l'on  rende  hommage  aux  hommes  qui  ont  le  plus 
»  approché  du  bien,  du  beau,  du  grand;  en  un  mot,  des 
»  temples,  des  cérémonies  et  des  saints.  Il  avait  ici  des 

>  temples,  il  était  réuni,  il  adorait  une  puissance  myslé- 
t  rieuse,  la  Raison,  il  célébrait  deux  hommes,  Marat  et 
»  Lepeltier.  Tous  ses  besoins  étaient  donc  satisfaits,  et  il 
»  n'y  cédait  pas  autrement  qu'il  n'y  cède  toujours.  -^  Nous 
pourrions  faire  d'autres  citations;  celle-ci  suffit  pour  faire 
juger  l'œuvre  et  son  pitoyable  auteur. 

On  lit  dans  V Univers  du  7  septembre  1877  : 
€  Dans  le  testament  de  M.  Thiers,  il  y  a  bien  des  singu- 
larités à  côté  de  paroles  bien  vagues,  et  qui  témoignent 
de  quelque  aspiration  de  cette  âme  vers  la  lumière  divine. 
Il  y  a  des  appels  vers  Dieu,  il  y  a  aussi  des  symptômes 
naïfs  d'une  infatuation  inimaginable  et  qui  feraient  bien 
rire,  nous  le  répétons,  si  la  mort  n'avait  pas  encore  pris  sa 
proie.  En  voici  un  passage  : 

«  L'avenir  est  sombre,  et  les  plus  clairvoyants  ne  dis- 
cernent pas  très-bien  la  route;  mais  j'emporte,  du  moins, 
en  mourant,  la  conscience  d'avoir  rempli  ma  mission  de 
pilote  fidèle,  et  je  demande  à  Dieu,  comme  dernière  prière, 
qu'après  moi  il  protège  encore  la  France.  » 

C'est  navrant.  Mais  cette  invocation  à  Dieu  mêlée  à 
cette  préoccupation  de  soi-même  est  typique;  et,  disons  le 
mol,  tout-iVfait  burlesque  et  digne  de  ce  petit  esprit. 


Ik   SITUATION   EN   JANVIER    1879.  5o3 

CHAPITRE  V. 

LÀ  SITUATION  EN  JANVIER  1879. 


M.  Thiers,  révolutionnaire  émérite,  employa  toutes  ses 
ruses  afin  d'empêcher,  à  la  grande  satisfaction  de  Bismarck, 
l'Assemblée  nationale,  en  majorité  monarchique,  de  rap- 
peler le  roi,  fils  de  saint  Louis.  Son  successeur  à  la  prési- 
dence, animé,  nous  voulons  le  croire,  de  bonnes  intentions, 
mais  entouré  de  francs-maçons  et  de  libéraux,  a  commis 
la  même  faute,  et  il  a  fini  par  se  démettre,  après  s'être 
soumis  à  tout,  selon  la  parole  d'un  révolutionnaire,  sans 
que  sa  réputation  y  ait  rien  gagné. 

M''  Pie,  l'éminent  cardinal  de  Poitiers,  avait  longtemps 
d'avance  exprimé,  dans  un  langage  élevé,  combien  il 
était  nécessaire,  dans  la  situation  présente,  d'avoir  des 
hommes  de  foi  et  de  conviction,  énergiquement  résolus  à 
faire  triompher  leurs  principes,  sans  admettre  aucun  alliage 
qui  pourrait  les  altérer. 

Les  bonnes  intentions  ne  suffisent  plus.  Pour  s'en 
convaincra,  on  n'a  qu'à  lire  les  paroles  suivantes,  que 
Me'  Pie  pr««nonçait  en  présence  de  son  clergé  dans  le  mois 
de  juillet  1871. 

On  dirait  une  prophétie.  Que  ce  soit  pour  tous  une 
profitable  leçon  t 

«  Pourquoi  cette  Assemblée,  où  se  groupent  tant  d'in- 
dividualités estimables,  cette  Assemblée  qui  devait  tout 
sauver  en  remettant  tout  à  sa  place,  pourquoi  est-elle  irré- 
médiablement frappée  d'impuissance  politique  ? 


Bo4  lA   SITUATION   aN   JANVIER    i870. 

»  La  faiblesse  des  caractères  et  l'absence  ou  la  nullité 
des  actes  y  résultent  du  manque  de  convictions  éclairées 
et  de  principes  déiinis.  De  I.î  cette  énormité  :  une  Chambre 
souveraine  prenant  et  conservant  son  ministère,  son  pou- 
voir exécutif  en  dehors  de  la  majorité.  Et  l'excuse  qu'elle 
fait  valoir  c'est  qu'elle  n'a  point  d'hommes,  Quoil  pas  un 
homme  au  sein  de  cette  imposante  réunion  conservatrice 
et  monarchique  I  Mais  vous  aviez  tant  dit  et  répété  que 
tous  les  maux  venaient  du  gouvernement  personnel  et 
finiraient  avec  lui  I 

»  Or,  voici  que,  faute  d'un  homme  en  qui  se  pcrson* 
nalise  la  majorité,  elle  abdique,  et  remet  le  sort  du  pays 
aux  mains  d'une  minorité  qui  aura,  elle,  son  iiomme, 
son  chef,  son  dictateur,  son  autocrate,  subi  par  les  élu3 
de  la  nation  devenue  son  jouet,  en  attendant  qu'il  devienne 
lui-même  la  victime  de  ceux  qui  se  seront  servis  de  lui.  > 

Quand  on  songe  que  ces  graves  paroles  ont  été  pro- 
noncées devant  le  clergé  de  Poitiers  le  13  juillet  1871,  au 
lendemain  de  la  Commune  et  du  triomphe  de  l'Assemblée 
nationale,  on  est  presque  stupéfait.  Qui  d'entre  nous  alors 
aurait  osé  tenir  un  pareil  langage  et  juger  ainsi  M.  Tliiers 
sans  être  taxé  de  témérité?  Et  pourtant,  à  la  terrible  lueur 
de  l'expérience,  nous  voyons  aujourd'hui  que  la  France 
se  trompait  et  que  l'évèque  de  Poitiers  avait  raison.  Or, 
pourquoi  l'illustre  prélat  a-t-il  été  prophète?  C'est  parce 
que  sa  voix  n'était  que  l'écho  du  Syllabus.  Entendons  le 
grand  évoque  nous  donner,  dans  le  même  discours  adressé 
à  son  clergé,  la  raison  de  l'impuissance  de  l'Assiembléc 
nationale  : 

«  Des  hommes  éclairés,  qui  prétendent  même  être  re- 
ligieux, onl  accepté  et  implanté  parmi  nous  cette  théorie  de 
la  société  publique  sans  le  Christ,  de  l'Etat  sans  Dieu.  Et 
l'impuissance  de  ces  utopistes,  que  dis-je,  et  les  effets 
funestes  de  leur  participation  aux  affaires  tiennent  à  ce 


LA   S1TLAT[ÛN   EN   ÎAJ^VIER    1879.  555 

qu'ils  se  sont  posés  sans  Christ  et  sans  Dieu  dans  ce 
monde.  Je  vous  étonnerais,  Messieurs,  si  je  prenais  le 
temps  de  vous  donner  quelques  échantillons  de  la  déraison 
de  ceux  qu'on  appelle  les  bons,  les  conservatears,  même 
les  chrétiens.  Je  ne  sache  rien  de  plus  renversant  que 
certains  discours  mis  sous  nos  yeux  par  le  Journal  officiel 
en  ces  derniers  mois. 

»  Décidément,  il  ne  faut  pas  demander  le  sens  politique 
ni  même  le  sens  moral,  aux  chrétiens  présomptueux  ou 
dévoyés  qui  se  placent  au-dessus  ou  en  dehors  des  ensei- 
gnements de  l'Eglise.  » 

En  lisant  ces  graves  paroles,  on  admire  le  coup  d'œil 
de  cet  éminent  prélat;  depuis  Joseph  de  Maistre  on  n'avait 
pas  entendu  de  pareils  accents  prophétiques'. 

Catholicisiue  ou  seciallsnic. 

Nous  vivons  à  une  époque  étrange,  dans  un  siècle  de 
contradictions  vivantes.  Ce  siècle,  où  tous  les  extrêmes  se 
touchent  et  se  heurtent,  se  demande  où  il  va  et  ne  trouve 

*  On  se  rappelle  que  c'est  pendant  que  il.  Crémieuï,  juif  el 
radical,  était  ministre  des  cultes,  qu'a  eu  lieu  la  nomination  do 
dignes  évèques  destinés  à  occuper  des  sièges  vides  depuis  long 
temps  par  le  mauvais  vouloir  de  Louis-Napoléon. 

Voici  une  nouvelle  justification  de  la  parole  de  Fénelon  : 
L'homme  s'agite  et  Dieu  le  mène;  c'est  pendant  que  la  repu 
blique  menace  de  verser  dans  le  radicalisme,  que  l'clévalion  du 
grand  évêque  de  Poitiers  au  cardinalat  est  venue  consoler 
TEglise  au  milieu  des  épreuves.  C'est  la  consécration  des  plus 
pures  doctrines  théologiques  ;  c'est  comme  un  dernier  sceau 
imprimé  au  concile  du  Vatican  ;-c'est  Léon  XIII  réalisant,  contre 
tous  les  calculs  humains,  le  vœu  de  son  immortel  prédécesseur. 

11  n'y  a  plus  d'Arius  ni  de  Constance;  mais  Ililaire  est  debout 
encore,  victorieux  de  l'erreur  et  de  César.  Après  quinze  siècles 
le  mot  célèbre  de  saiut  Jérôme  retrouv^  sa  vérité  :  lune  liila- 
Hwra  e  'pnelio  revertmtan  Galliarum  Eccksia  cçmj^lexa  vst. 


B56  LA   SITUATION   EN   JANVIER   1879. 

aucune  solution;  mais,  au  milieu  de  ces  ténèbres,  un 
arc-en-ciel  d'espérance  a  lui  devant  nous;  —  au  milieu  de  ce 
chaos,  Dieu  a  placé  un  phare  lumineux,  Lumen  in  cœlo, 
chargé  d'indiquer  à  la  société  les  abîmes  où  elle  se  pré- 
cipite, et  quelle  est  la  voie  où  elle  doit  marcher,  si  elle  veut 
échapper  aux  plus  déplorables  catastrophes. 

Pendant  que  tout  s'affaisse,  et  que  les  peuples  et  les  rois 
foulent  aux  pieds  les  principes  qui  élèvent  les  nations, 
Léon  XIII  défend  seul  les  droits  de  la  vérité  et  de  la 
justice;  abandonné  de  tous,  trahi  par  ceux  qui  avaient 
le  plus  grand  intérêt  à  le  défendre  et  à  le  protéger,  ren* 
fermé  par  la  révolution  dans  un  cercle  de  feu,  ce  glorieux 
Pontife,  appuyé  sur  Dieu  seul,  rappelle  avec  une  sainte 
liberté,  aux  peuples  et  aux  rois  leurs  devoirs  respectifs. 

La  conclusion  pratique  du  document  pontifical,  c'est 
que,  si  l'on  veut  échapper  aux  étreintes  du  socialisme,  il 
faut  recourir  à  l'Eglise  et  mettre  un  terme  à  la  lutte  in- 
sensée que  l'on  fait  à  la  liberté  de  son  action  et  de  son 
influence  dans  le  monde.  Or,  à  ce  point  de  vue,  les  ensei- 
gnements de  l'encyclique  confirment  à  merveille  les  dé- 
clarations que  les  représentants  du  parti  catholique  en 
Allemagne  ont  été  amenés  îi  faire  pendant  la  discussion  de 
Il  loi  contre  les  socialistes. 

De  telles  mesures  de  rigueur,  ont-ils  dit,  ne  sauraient 
conjurer  le  mal  si,  tout  d'abord,  l'ordre  social  ne  repose 
sur  les  bons  principes,  dont  l'Eglise  est  la  maîtresse  et  la 
gardienne.  Ces  déclarations  ont  trouvé  dans  la  dernière 
encyclique  l'écho  le  plus  autorisé  : 

«  Les  régisseurs  des  peuples,  dit  le  Souverain-Pontife, 
>  venant  à  connaître  que  l'Eglise  du  Christ  possède, 
»  pour  combattre  la  peste  du  socialisme,  plus  de  force 
»  que  n'en  sauraient  avoir  les  lois  humaines,  les  coërci- 
»  lions  des  magistrats  et  Ips  armes  des  soldats,  nous  les 
»  conjurons  de  rendre  à  l'Eglise  la  condition  voulue  de 


LA   SITUATION   EN  JANVIER   1879.  5^7 

•  liberté,  afin  qu'elle  puisse  déployer  d'une  manière 
»  efficace  sa  bienfaisante  influence  en  faveur  de  la  société 
»  humaine.  » 

Le  Souverain-Pontife  vient  de  signaler  d'avance  le  seul 
et  vrai  remède  efficace.  Il  a  ouvert  l'unique  voie  de  salut 
qui  reste  à  la  société;  maintenant  il  s'agit  de  savoir  y 
entrer  résolument,  et  c'est  avant  tout  le  devoir  des  régis- 
seurs publics.  C'est  à  eux,  en  effet,  que  sont  adressées  ces 
paroles  de  la  Sagesse  rappelées  dans  l'Encyclique  :  *  Prê- 
tez l'oreille,  ô  vous  qui  gouvernez  les  multitudes  et  qui 
vous  plaisez  dans  la  tourbe  des  nations,  car  le  pouvoir 
vous  a  été  donné  par  le  Seigneur  et  la  puissance  par  le 
Très-Haut,  qui  vous  interrogera  sur  vos  œuvres  et  scru- 
tera vos  pensées...  Un  jugement  très-dur  est  réservé  à 
ceux  qui  exercent  le  commandement...  Car  il  n'est  point 
d'acception  de  personnes  auprès  de  Dieu  et  il  ne  tiendra 
pas  compte  de  la  grandeur.  C'est  lui,  en  effet,  qui  a  créé 
les  petits  et  les  grands  et  qui  a  également  soin  de  tous. 
Les  puissants  courent  le  risque  d'un  plus  grand  châti- 
ment. » 

Personne  n'ignore  la  tentative  d'assassinat  sur  le  roi 
d'Espagne  qui  a  eu  lieu  dernièrement  par  un  émissaire 
des  socialistes.  Voilà  ce  que  l'on  a  gagné  k  donner,  malgré 
les  réclamations  de  Pie  IX,  une  existence  légale  au  pro- 
testantisme dans  une  nation  toute  catholique,  et  qui  était 
déjà  assez  divisée. 

Pendant  qu'on  se  prépare  en  Belgique  à  rendre  l'ensei- 
gnement officiel  athée,  les  journaux  organes  des  commu- 
nards, parmi  lesquels  le  Mirabeau  de  Verviers  est  au  pre- 
mier rang,  prêchent  le  régicide. 

Après  le  tour  des  souverains  qui  laissent  publier  de 
telles  infamies,  viendra  le  tour  des  bourgeois  lijjérâtres. 


558  LA   SITUATION  EN   JANVIER  1879. 

Cette  conclusion  est  indiquée  dans  les  couplets  de  la 

Communarde,  dont  voici  un  échantillon  : 

Avec  les  bourgeois  d'aujourd'hui, 
Entre  nous,  tout  est  bien  fini. 
Quant  aux  gendarmes,  aux  soldats, 
Aux  policiers,  aux  renégats, 

Leur  compte  sera  bon, 

Au  jour  du  rigodon. 
Dansons  la  Communarde ,  etc. 

M.  Frère,  protecteur  du  Denier  des  Ecoles,  est  spéciale- 
ment invité  à  méditer  ces  extraits  du  Mirabeau,  Il  est  cer- 
tain que  les  radicaux  de  la  Sociale  récolteront  ce  que  le 
Denier  des  Ecoles  sans  Dieu  aura  semé. 

L'empereur  Guillaume  sait  par  expérience  ce  qu'il  en 
coûte  d'affaiblir  les  principes  religieux  chez  un  peuple; 
il  a  été  dernièrement  l'objet  de  deux  assassinats  socialistes; 
il  a  failli  perdre  la  vie  par  suite  de  ses  blessures,  dont  il 
n'est  pas  encore  complètement  rétabli.  C'est  ainsi  que 
l'iniquité  s'est  tournée  contre  elle-même.  La  guerre  contre 
l'Eglise  catholique  n'a  fait  que  ranimer  la  foi  des  fidèles 
et  hâter  la  dissolution  du  protestantisme;  ses  temples  sont 
déserts,  le  baptême  et  le  mariage  religieux  sont  regardés 
comme  des  choses  surannées,  et,  malgré  les  dernières  lois, 
il  n'est  pas  de  pays  où  la  misèrcj  l'immoralité  et  le  so- 
cialisme aient  fait  plus  de  progrès.  Des  chiffres  officiels 
en  seront  la  meilleure  preuve.  On  verra,  de  l'aveu  des 
intéressés  eux-mêmes,  que  les  orincipes  religieux  peuvent 
seuls  faire  obstacle  au  socialisme.  Qu'on  lise  cette  décla- 
ration de  la  Presse  libre,  iournal  socialiste  de  Berlin  : 

La  vérité  c'est  que  dans  les  régions  où,  le  conservatisme  et 
le  cléricalisme,  et  par  conséquent  la  bêtise  (sic),  régnent  dans 

le  peuple,  LA  DÉMOCRATIE  SOCIALISTE  GAGNE  BIEN  PLUS  DIFFICILE- 

MEiNT  DU  TERRAIN  quc  dans  celles  oii  le  libéralisme  a  introduit 
dans  le  peuple  une  instruction  bien  qu'insuffisante  et  souvent 
superficielle  (lisez  la  persécution  contre  l'Eglise). 


LX  SlfUÂÏlÔN  feN  ÎANVIEft  Î879.  5o9 

Cette  glorieuse  (?)  époque  du  cultnrkampf  n'a  jamais  été 
aussi  féconde  en  crimes  et  délits  de  toutes  sortes.  Voici, 
pour  les  amateurs  de  statistique,  des  chiffres  officiels  que 
j'emprunte  à  la  feuille  des  tribunaux;  il  rie  s'agit  que  dî. 
royaume  de  Prusse  : 

r.  Homicides  et  tentatives  d'assassinnt. 

1871  1872  1873  1874  1875 

95  142  loO  iB6  22Ô 

IL  Infanticides. 

«2  toi  Î13  Ù'i  15Ô 

III.  Attentats  et  blessures  graves. 

282  379  446  48o  S23 

IV.  Parjures. 

S91  716  TGo  è'35  900 

V.  Attentats  à  la  pudmr. 

501  €14  7o2  982  ï,()lâ 

t^.  Faux. 

1,344  l,o8S  1,403  1,600  2,556 

VIÎ.  Éanqueroutes  fraMulcuses. 

59  Ôl  150  195  223 

VIIÏ.  Fraudes  (art.  264  et  265  du  Code  pénal). 

Î80  377  449  468  "543 

i.      - 
Ainsi,  d'après  la  statistique  officielle,  dans  l'espace  de 

cinq  ans, 

Les  assassinats  ont  augmenté  en  Prusse  déi  ...  I4i  22  0/0 

Les  infanîicides  de .  ,  ^  82  93  » 

Les  attentats  à  la  vie  de.  .  ,  , 85  46  » 

Les  parjures  de ".■'.''.','' 51  51  » 

Les  attentats  à  la  pudéùr  A^.  .  -.  .  .  -.  .  .  -.  :  :  102  19  n 

Les  faux    de.      .  i  ;  .  .  ; ;.»»;;$•  i-«.  90  19  » 

Les  banqueroutes  frauduleuses  de.  .  t  .      i  .  •  k  286  44  » 

Je  laisse  aux  observateurs  le  souci  de  chercher  dans  ce 
tableau  de  la  vie  morale  du  peuple  prussien  quels  instincts 
remportent  dans  cette  nalion,  qae  l'on  nous  montra  si 


S60  LA  SITUATION  EN  JANVIER   1879. 

longtemps  comme  la  plus  vertueuse,  la  plus  probe,  la  plus 
sincère  de  l'époque. 

Ce  sont  les  Allemands  qui  ont  inventé  la  statistique,  et 
c'est,  il  faut  en  convenir,  une  bien  belle  et  bien  édifiante 
science  ! 

On  lit  dans  le  Courrier  de  Bruxelles  : 

M.  de  Bismark  a  vu  un  peu  tard,  à  la  lueur  du  coup  de 
fusil  de  Nobiling,  que  tout  le  terrain  qu'il  croyait  avoir 
conquis  sur  l'Eglise  avait  été  livré  aux  socialistes  par  ses 
amis  libéraux. 

«  Lorsque  les  civilistes  auront  reconquis  le  calme  et  le 
sang-froid  du  jugement,  ils  pourront  constater  que  toutes 
les  concessions  faites  au  libéralisme  ont  profité  aux  gueux 
radicaux.  Le  terrain  que,  dans  une  intention  évidente, 
mais  erronée,  ils  ont  voulu  soustraire  à  l'action  de  l'Eglise 
est  devenu  la  proie  du  socialisme.  » 

L'éloquent  et  courageux  évêque  d'Angers  a  fait  les  ré» 
flexions  suivantes  sur  l'encyclique  de  Léon  XIII. 

«  C'est  donc  pour  la  deuxième  fois  que  la  voix  du  pape 
Léon  XIII  va  se  faire  entendre  à  vous  avec  la  solennité 
propre  aux  lettres  encycliques.  Du  haut  de  la  chaire  de 
saint  Pierre,  le  vicaire  de  Jésus-Christ,  jetant  un  regard  à 
travers  le  monde  moderne,  y  a  découvert  un  mal  profond, 
déjà  signalé,  à  maintes  reprises,  par  ses  illustres  prédéces- 
seurs, mais  qui,  dans  ces  derniers  temps,  a  pris  des  pro- 
portions effrayantes,  au  point  de  menacer  l'existence  môme 
de  la  société  civile.  C'est  à  la  suite  de  criminels  attentats, 
commis  presque  en  même  temps  sur  la  personne  de  plu- 
sieurs souverains,  que  le  mal  s'est  révélé  dans  toute  son 
étendue.  Alors,  on  a  pu  voir  clairement  qu'il  existe,  en 
Amérique  comme  en  Europe,  une  vaste  association,  dont 
tous  les  iiiembres  sont  liés  entre  eux  par  un  pacte  formel, 


LA  SITUATION   EN  JANVIER   1S79.  ÎjGI 

et  qui  ne  se  proposent  rien  moins  que  de  bouleverser  la 
société  de  fond  en  comble.  Qu'elle  s'appelle,  suivant  les 
différents  pays,  socialiste,  communiste,  nihiliste,  le  but  que 
poursuit  cette  ligue  internationale  est  partout  le  même. 

»  Détruire  la  propriété  individuelle  ou  privée,  pour  y 
substituer  la  propriété  collective,  faire  de  l'Etat  l'unique 
possesseur  du  sol  et  des  intruments  de  travail,  revendiquer 
pour  tous  la  même  part  à  tous  les  biens  et  à  toutes  les 
jouissances,  ne  laisser  subsister  aucune  inégalité  sociale  ou 
politique,  aucune  hiérarchie  de  droits  ni  de  pouvoirs,  et, 
par  suite,  faire  table  rase  de  toutes  les  institutions  exis- 
tantes, religieuses,  juridiques,  militaires,  pour  reconstruire 
la  société  sur  de  nouvelles  bases  qui  seraient  la  négation 
de  Dieu,  de  l'âme  immortelle,  de  la  vie  future,  c'est-à-dire 
le  matérialisme  théorique  et  pratique,  telle  est  l'œuvre  à 
laquelle  travaillent  des  milliers  d'hommes,  d'une  extré- 
mité du  monde  à  l'autre  et  qui,  à  des  degrés  divers  et 
sous  des  formes  multiples,  se  résume  dans  la  révolution 
sociale. 

»  Et,  comme  le  dit  à  si  juste  titre  le  chef  suprême  de 
l'Eglise,  ce  n'est  plus  en  secret  ni  dans  les  réunions 
occultes  que  se  produisent  ces  théories  subversives  de  tout 
ordre  social;  non,  elles  s'étalent  au  grand  jour,  sous  les 
yeux  des  gouvernements  et  des  peuples.  Ces  programmes, 
où  rien  n'est  respecté,  où  l'on  annonce  hautement  l'inten- 
tion de  renverser  tout  ce  qui  existe,  nous  les  avons  en- 
tendu développer  dans  des  congrès  tenus  publiquement 
sur  différents  points  de  l'Europe  :  à  Londres  en  1864,  à 
Genève  en  1866,  à  Lausanne  en  1867,  à  Bruxelles  en  1868, 
à  Bàle  en  1869,  à  La  Haye  en  1872,  à  Gand  en  1877.  Le 
régime  despotique  et  sanguinaire  inauguré  à  Paris  sous  le 
nom  de  Commune,  à  la  suite  de  nos  désastres  militaires, 
n'a  été  que  l'application  pratique  d'une  théorie  qui  ne 
voudrait  rien  laisser  debout  dans  l'ordre  de  choses  actuel, 

24* 


562  LA  SITUATION   EN   JANVIER    1879. 

dût-on  y  employer  le  fei'  et  le  feu.  A  l'heure  présente,  et 
malgré  des  succès  inespérés,  l'Allemagne  du  Nord  se 
débat  sous  les  étreintes  du  socialisme  qui  l'enveloppe  de 
toutes  parts.  Aveugle  qui  ne  voit  pas  ce  péril,  le  plus 
grand  des  temps  modernes.  Il  n'y  a  que  les  politiques  à 
courtes  vues  qui  s'obstinent  à  ne  pas  prévenir  de  si  redou- 
tables éventualités.  Si  le  socialisme  n'est  pas  encore  pour 
chaque  pays  le  danger  d'aujourd'hui,  il  sera  pour  tous  le 
danger  de  demain.  Voilà  pourquoi  le  Souverain-Pontife, 
plus  clairvoyant  que  certains  hommes  d'Etat,  parce  qu'il 
voit  de  plus  haut  et  du  plus  loin,  dévoile  le  mal  que  l'on 
voudrait  dissimuler,  en  même  temps  qu'il  indique  les 
seuls  remèdes  vraiment  efficaces  et  salutaires.  » 

Ceux  que  le  flot  des  révolutions  a  portés  au  pouvoir  en 
France,  en  Belgique,  en  Italie,  se  rendront-ils  aux  ensei- 
gnements du  chef  de  l'Eglise,  nous  n'osons  pas  l'espérer  : 
on  ne  remonte  pas  certains  torrents. 

On  lit  dans  un  joufnal  belge  : 

«  La  Révolution  suit  son  cours  d'une  manière  aveugle 
et  fatale.  Certains  obstacles  pourront  retarder  sa  course 
furietlse;  aucun  ne  pourra  l'arrêter,  jusqu'à  ce  qu'elle 
arrive  au  fond  de  l'abîme  où  elle  se  brisera,  selon  la  pré- 
diction de  Pie  IX. 

»  Nous  allons  donc  là  voir  rouler  sans  ï'oftibre  d'un 
obstacle,  ce  qui  lui  permettra  d'aller  très-vite.  » 

L'organe  des  libres-penseurs,  la  Revue  des  Deiix-Mondes, 
après  avoir  examiné  où  en  est  la  Révolution,  fait  ces 
aveux  : 

«  Sa  banqueroute  est  désormais  un  fait  accompli,  irré- 
vocable. Il  n'est  pas  une  seule  de  ses  promesses  que  la 
Révolution  n'ait  été  impuissante  à  tenir;  il  n'est  pas  un 
seul  de  ses  principes  qui  n'ait  engendré  le  contraire  de  lui- 
même... 


LA   SITUATION   EN  JANVIER   1879.  563 

»  La  liberté  1  elle  n'a  jamais  pu  nous  la  donner  qu'avec 
intermittence.-..  L'égalité,  elle  l'a  compromise  par  une  in- 
terpiclation  brutalement  matérialiste  qui,  renversant  les 
rôles,  reconstruit  au  profit  de  la  pauvreté  et  de  l'igno- 
rance les  privilèges  de  la  science  et  du  rang. 

»  Pour  toute  fraternité,  elle  ne  nous  a  fait  connaître 
jusqu'à  présent  que  celle  de  Gain  pour  Abel... 

»  Le  règne  de  la  loi  !  nous  avons  vu  vingt  fois  la  révolte 
l'interrompre. 

»  La  souveraineté  nationale  t  nous  avons  vu  commenl 
s'en  jouent  les  minorités  factieuses... 

»  Les  droits  de  la  conscience  I  îiOîiË  sàvdîis  avec  quel 
ipéspect  ils  ont  été  traités! 

»  L'unité  nationale!  nous  l'âVoilS  Vu  filer  ètîriehàcér  par 
cette  doctrine  soudainement  sortie  de  terre  sous  le  nom  de 
Commune,  qui  ne  demandait  rien  doins  que  la  désagré- 
gation de  toutes  les  molécules  nationales. 

«  L'idée  de  patrie  l  le  cosmopolitisme  des  nouvelles  doc- 
trines populaires  la  nie  ou  l'ignore;  on  se  tait  sur  son 
compte^  on  n'a  l'air  d'y  tenir  que  médiocrement. 

»  La  supréniatilî  politique  de  la  France  !  la  Révolution 
l'a  perdue...  » 

Là  ïiévoluiion  a  dOnc  trompé  depliis  quatre-vingts  ans 
les  honriêtes  gens,  qui,  d'abord  abusés  par  ses  promesses; 
avaient  pu  espérer  eh  elle.  L'Éiirope  revieiidrà  à  l'Église, 
où  elle  périra. 

La  Révolution  a  commencé  par  la  proclamation  des 
droits  de  l'homme;  elle  finira,  dit  un  éminent  philosophe, 
par  la  proclamation  des  droits  de  Dieu. 


PIECES  JUSTIFICATIVES. 


Un  roi  de  France  disait  que  a  si  la  bonne  foi  était  bannie  du 
milieu  des  hommes,  elle  devrait  se  retrouver  dans  le  cœur  des 
rois.  »  Cette  qualité  d'une  âme  royale  mancpie  surtout  à  Bona- 
parte. Les  premières  victimes  connues  de  la  perfidie  du  tyran 
furent  deux  chefs  des  royalistes  de  la  Normandie.  MM.  de  Frotté 
et  le  baron  de  Commarque  eurent  la  noble  imprudence  de  se 
rendre  à  une  conférence  où  on  les  attira  sur  la  foi  d'une  pro- 
messe ;  ils  furent  arrêtés  et  fusillés.  Peu  de  temps  après , 
Toussaint  Louverture  fut  enlevé  par  trahison  en  Amérique,  et 
probablement  étranglé  dans  le  château  où  on  l'enferma  en  Eu- 
rope. 

Bientôt  un  meurtre  plus  fameux  consterna  le  monde  civilisé. 
On  crut  voir  renaître  ces  temps  de  barbarie  du  moyen  âge,  ces 
scènes  que  l'on  ne  trouve  plus  que  dans  les  romans,  ces  catas- 
trophes que  les  guerres  de  lllalie  et  la  politique  de  Machiavel 
avaien*.  rendues  familières  au-delà  des  Alpes.  L'étranger,  qui 
n'était  point  encore  roi,  voulut  avoir  le  corps  sanglant  d'un 
Français  pour  marchepied  du  trône  de  France.  Et  quel  Fran- 
çais, grand  Dieu!  Tout  fut  violé  pour  commettre  ce  crime  : 
droit  des  gens,  justice,  religion,  humanité!  Le  duc  d'Enghien 
est  arrêté  en  pleine  paix,  sur  un  sol  étranger.  Lorsqu'il  avait 
quitté  la  France,  il  était  trop  jeune  pour  la  bien  connaître; 
c'est  du  fond  d'une  chaise  de  poste,  entre  deux  gendarmes, 
qu'il  voit,  comme  pour  la  première  fois,  la  terre  de  sa  patrie, 
et  qu'il  traverse,  pour  mourir,  les  champs  illustrés  par  ses 
aïeux.  11  arrive  au  milieu  de  la  nuit  au  donjon  de  Vincennes.  A 
la  lueur  des  flambeaux,  sous  les  voûtes  d'une  prison,  le  petit-fils 
du  grand  Condé  est  déclaré  coupable  d'avoir  comparu  sur  des 
champs  de  bataille;  convaincu  de  ce  crime  héréditaire,  il  est 
aussitôt  condamné.  En  vain,  il  demande  à  parler  à  Bonaparte 
(ô  simplicité  aussi  touchante  qu'héroïque  I),  le  brave  jeune 
homme  était  un  des  plus  grands  admirateurs  de  son  meurtrier; 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  868 

il  ne  pouvait  croire  qu'un  capitaine  voulût  assassiner  un  soldat. 
Encore  tout  exténué  de  faim  et  de  fatigue,  on  le  fait  descendre 
dans  les  ravins  du  château;  il  y  trouve  une  fosse  nouvellement 
creusée;  on  le  dépouille  de  son  habit;  on  lui  attache  sur  la 
poitrine  une  lanterne  pour  l'apercevoir  dans  les  ténèbres  et 
pour  mieux  diriger  la  balle  au  cœur.  Il  demande  un  confes- 
seur; il  prie  ses  bourreaux  de  transmettrai  les  dernières  mar- 
ques de  son  souvenir  à  ses  amis  ;  on  l'insulte  par  des  paroles 
grossières.  On  commande  le  feu;  le  duc  d'Enghien  tombe 
sans  témoins,  sans  consolation,  au  miUeu  de  sa  patrie,  à  quel- 
ques lieues  de  Chantilly,  à  quelques  pas  de  ces  vieux  arbres 
sous  lesquels  le  saint  roi  Louis  rendait  la  justice  à  ses  sujets, 
dans  la  prison  où  M.  le  Prince  fut  renfermé;  le  jeune,  le  beau, 
le  brave,  le  dernier  rejeton  du  vainqueur  de  Rocroi,  meurt 
comme  serait  mort  le  grand  Condé,  et  comme  ne  mourra  pas 
son  assassin.  Son  corps  est  enterré  furtivement,  et  Bossuet  ne 
renaîtra  point  pour  parler  sur  ses  cendres. 

(CH.\TEAUBRLiXT.) 

Voici,  sur  l'assassinat  du  prince  de  Condé,  le  témoignage 
d'un  homme  qu'on  ne  saurait  accuser  de  partialité  à  l'endroit 
des  Bourbons;  nous  citons  les  propres  paroles  de  M.  Dupin  : 

«  La  mort  de  l'infortuné  duc  d'Enghien  est  un  des  événe- 
ments qui  ont  le  plus  affli are  la  nation  française;  il  a  désho- 
noré le  gouvernement  consulaire. 

>>  Un  jeune  prince,  à  la  fleur  de  l'âge,  surpris  par  trahison 
sur  un  sol  étranger,  où  il  dormait  en  paix  sous  la  protection 
du  droit  des  gens,  entraîné  violemment  vers  la  France,  traduit 
devant  de  prétendus  juges,  qui,  en  aucun  cas,  ne  pouvaient 
être  les  siens,  accusé  de  crimes  imaginaires,  privé  du  secours 
d'un  défenseur,  interrogé  et  condamné  à  huis  clos,  mis  à  mort 
de  nuit  dans  les  fossés  du  château  fort  qui  servait  de  prison 
d'Etat;  tant  de  vertus  méconnues,  de  si  chères  espérances  dé- 
truites, feront  à  jamais  de  cette  catastrophe  un  des  actes  les 
plus  révoltants  auxqiiels  ait  pu  s'abandonner  un  gouvernement 
absolu  ! 

»  Si  aucune  forme  n'a  été  respectée;  si  les  juges  étaient 
incompétents;  s'ils  n'ont  pas  même' pris  la  peine  de  relater 


566  PIÈGES   JUSTIFICATIVES. 

dans  leur  arrêt  la  date  et  le  texte  des  lois  sur  lesquelles  ils 
prétendaient  appuyer  celte  condamnation;  si  le  malheureux 
duc  d'Enghien  a  été  fusillé  en  vertu  d'une  sentence  signée  en 
blanc  ...  et  qui  n'a  été  régularisée  qu'après  coup  i  alors  ce  n'est 
plus  seulement  l'innocente  victime  d'une  erreur  judiciaire j 
la  chose  reste  avec  son  véritable  nom  :  «  c'est  an  odieux  assas- 
sinat. » 

»  Pas  un  seul  témoin  n'a  été  entendu  ni  produit  contre  l'ac- 
cusé. L'accusé  est  déclaré  coupable!  coupable  de  quoi?  le  juge- 
ment ne  le  dit  jias.  » 

Pendant  les  jours  de  son  exil,  Napoléon,  rentrant  en  lui- 
même,  avoua  au  comte  de  Las  Cases  le  tort  qu'il  avait  eU  en 
faisant  ainsi  assassiner  le  duc  d'Enghien.  «  tin  jôUr,^  dit  l'âutèur 
du  Mémorial  de  Sainte-Hélène,  après  avoir  parlé  avec  rtioi  dii 
sort  et  de  la  jeunesse  de  ce  prince  infortuné,  l'efnpereur  ter- 
mina en  disant  :  Et  j'ai  appris  depuis,  mon  cher,  qu'il  m'était 
favorable  ;  on  m'a  assuré  qu'il  ne  parlait  paà  de  moi  sans  quelque 
admiration,  et  voilà  pourtant  la  justice  distributive  d'ici-bas? 

Note  de  la  page  385. 

C'est  toujours  une  chose  très-délicate  que  d'avoir  à  parler 
publiquement  d'une  femme,  surtout  quand  elle  a  occupé  une 
position  importante  et  lorsque  ses  fils  sont  encore  vivants. 
«  Quand  on  a  eu  les  profits  de  la  vie  politique,  dit  de  Pradt, 
on  a  couru  les  dangers  de  l'histoire.  »  On  a  dit  aussi  qu'on  ne 
devait  que  la  vérité  aux  morts.  Quoi  qu'il  en  soit,  puisqu'on 
a  cru  qu'il  ne  fallait  pas  attendre  que  les  passions  politiques 
fussent  un  peu  apaisées  pour  écrire  la  Vie  de  Marie-Amélie, 
reine  des  Français,  c'est  notre  droit  de  contrôler  cet  ouvrage. 

Un  publiciste  très-distingué,  bien  au  courant  de  l'histoire 
contemporaine,  M.  U.  Maynard,  a  écrit  une  critique  remarquable 
du  livre  de  M.  Auguste  Trognon.  Nous  allons  la  reproduire  en 
grande  partie,  d'après  la  Bibliographie  catholique  : 

Précepteur  des  princes  d'Orléans,  hôte  et  commensal,  à  ce 
titre,  du  Palais-Royal  et  des  Tuileries;  puis,  par  reconnaissance 
et  par  dévouement,  compagnon  d'exil,  à  Claremont,  de   la 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  567 

famille  détrônée,  M.  Trognon  est  d'abord  un  témoin  racontant 
une  vie  dont  près  de  la  moitié,  plus  de  quarante  années,  s'est 
déroulée  estérieurement  sous  ses  yeux,  et  dans  l'inliraité  de 
laquelle  une  confiance,  une  amitié  honorable  l'ont  introduit 
plus  avant  qu'aucun.  D'ailleurs,  les  fils  de  la  feue  reine,  en  le 
chargeant  d'écrire  l'histoire  de  leur  mère,  lui  ont  livré  tout 
ce  qu'ils  possédaient  de  documents  propres  à  l'aider  dans  son 
travail,  en  sorte  que  jamais  historien,  par  lui-même  ou  par 
d'autres,  n'a  été  mieux  renseigné.  A  l'avantage  de  telles  infor- 
mations a-t-il  joint  les  qualités  ou  conditions  d'esprit  et  de 
cœur  indispensables  en  pareil  cas,  à  savoir,  l'impartialité  et 
l'indépendance?  L'indépendance  la  plus  complète,  il  affirme 
qu'elle  lui  a  été  laissée  par  les  princes  pendant  la  composition 
et  après  l'achèvement  d'un  travail  dont  aucun  d'eux  n'a  eu 
communication  avant  le  pubUc  mêmej  mais  lui  a-t-elle  été 
laissée  également  par  la  reconnaissance?  Non  que  la  recon- 
naissance soit  nécessairement  une  muse  trompeuse  ;  mais  elle 
porte  quelquefois  à  exagérer  l'admiration  et  la  louange.  Or, 
suivant  nous,  il  y  a  exagération  dans  l'idée  et  le  sentiment 
que  la  bienfaitrice  inspire  à  l'historien,  et  qui,  pour  elle,  va 
jusqu'à  une  sorte  de  culte.  Grande  femme,  grande  reine, 
grande  sainte,  telle  est  à  ses  yeux  Marie-Amélie,  telle  il 
voudrait  qu'elle  parût  aux  nôtres.  Epouse  fidèle  et  dévouée, 
exceUente  mère  de  famille,  chrétienne  croyante  et  pieuse,  à 
la  bonne  heufe,  et  encore  avec  quelques  restrictions,  et  avec 
les  défauts  de  quelques-unes  de  ses  quâUtés;  mais,  au-delà,  il 
y  a  excès,  et  c'est  presque  toujours  au-delà  que  M.  Trognon 
s'attache  ou  tend  à  nous  emporter. 

Qu'elle  qu'ait  été  Marie-Amélie  pour  les  siens  et  pour  ses 
amis,  pour  elle-même  et  devant  Dieu,  on  doit  dire  hardiment 
que  son  rôle  et  son  action  ont  été  funestes  à  la  France.  Et 
plus  ou  voudra,  avec  M.  Trognon,  lui  accorder  de  part  dans  la 
vie  publique  de  son  mari,  plus  on  aggravera  sa  responsabilité, 
plus  on  provoquera  contre  elle  un  jugement  sévère.  11  n'y 
aurait  donc  qu'un  moyen  de  lui  conserver  les  sympathies  des 
uns  et  de  faire  amnistier  sa  mémoire  par  les  autres  :  ce  serait 
de  ne  lui  donner  qu'un  rôle  à  la  suite,*^u'un  rôle  d'eftacement 


S68  PIÈCES   JUSTIFICATIVES. 

soumis  et  de  dévouement  aveugle;  mais  alors  elle  n'aurait  pas 
d'Iiiî^toire,  et  il  n'y  aurait  pas  lieu  d'écrire  sur  elle  près  de 
cinq  cents  pages.  En  tout  cas,  cette  histoire,  même  telle  que 
l'a  écrite  M.  Trognon,  et  malgré  ses  efforts  intempestifs  pour 
maintenir  Marie-Amélie  sur  un  premier  plan,  qui  jamais  peut- 
être  —  et  nous  le  voudrions  —  n'a  été  le  sien,  est  beaucoup 
trop  longue;  et  lui-même,  à  chaque  instant,  est  obligé  de 
s'arrêter  dans  ses  hors-d'œuvre,  en  disant  :  Mais  je  n'ai  à 
raconter  ni  l'histoire  du  roi  ni  l'histoire  de  France;  je  ne  suis 
que  l'historien  de  la  reine. 

Mais,  si  diminuée  qu'on  fasse  l'action  publique  et  politique  de 
Marie-Amélie,  il  en  reste  encore  assez  pour  motiver  notre  refus 
de  nous  associer  à  l'admiration  que  lui  a  vouée  et  que  prêche 
son  historien.  Le  43  juillet  1810,  grosse  de  son  premier-né,  elle 
écrivait  à  son  mari  une  lettre  ignorée  de  M.  Trognon  ou  passée 
prudemment  sous  silence,  et  où  nous  lisons  :  «  Les  Français 
seraient  bien  aises  de  m'avoir  dans  leurs  mains  pour  éteindre 
l'unique  branche  des  Bourbons  qui  put  leur  porter  ombrage.  » 
Elle  croyait  porter  dans  son  sein  le  roi  de  France  !  Hélas  !  combien 
cette  ambition  maternelle  amoindrit  et  attiédit  d'avance  le  pa- 
thétique de  la  catastrophe  du  13  juillet  1842  et  de  la  descente 
nocturne  des  deux  vieillards  au  tombeau  de  l'aîné  de  leur  race  ! 
et  qu'on  aurait  été  tenté,  en  effaçant  les  trente-deux  années  qui 
séparaient  ces  deux  dates,  et  en  les  confondant  dans  ce  jour 
essentiellement  révolutionnaire  du  13  juillet,  de  leur  dire  : 
Laissez  passer  la  justice  de  Dieu! 

Cinq  ans  après,  Marie-Amélie  fuyait  devant  Bonaparte;  et, 
au  lieu  de  partager  l'exil  du  roi,  elle  se  réfugiait  en  Angle- 
terre, commençant  dès  lors  ce  divorce  de  la  famille  d'Orléans 
avec  la  royauté  légitime.  En  1824,  cette  grande  chrétienne  pa- 
rait épouser  l'idée  de  son  mari,  pensant  qu'il  fallait  profiler  de 
la  lacune  causée  par  les  inlirmités  de  Louis  XVllI  pour  laisser 
tomber  la  tradition  du  sacre  comme  inutile  et  comme  texte  de 
raillerie;  et,  en  effet,  dans  le  récit  du  sacre  de  Charles  X,  que 
contient  son  journal,  il  n'en  est  parlé  que  comme  d'un  spec- 
tacle profane  (p.  153).  Un  peu  plus  tard  elle  se  jette,  corps  et 
âme,  dans  l'iutrigue  de  la  baronne  de  Feuchères,  pour  faire 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  569 

passer  à  son  fils  d'Aumale  le  riche  héritage  des  Condé,  et  la 
femme  vertueuse,  la  vertu  en  personne,  introduit  à  la  cour, 
pour  se  la  rendre  favorable,  la  femme  vicieuse,  le  vice  person- 
nifié dans  la  baronne.  —  Pas  un  mot  de  cela,  bien  entendu, 
dans  le  si  copieux  récit  de  M,  Trognon. 

Mais  c'est  dans  la  participation  de  Marie-Amélie  à  la  révolu- 
tion de  1830  que  nous  puiserons,  au  besoin,  les  considérants 
d'un  verdict  contre  elle.  1830  est  peut-être  la  date  la  plus 
funeste  de  notre  histoire,  plus  funeste  que  93  et  que  1870; 
93  n'était  qu'un  coup  de  force  et  de  violence',  impuissant 
contre  le  droit,  qu'un  orage  troublant,  mais  ne  détruisant  pas 
la  Constitution  française;  1870  n'est  qu'une  conséquence. 
1830,  ce  n'est  plus  la  révolution  accidentelle  et  de  fait,  c'est  la 
révolution  légalisée,  sinon  légitimée,  passant  comme  chose 
obligée  et  ordinaire,  dans  les  lois,  les  mœurs  et  les  habitudes 
de  la  France.  1830  appelait  fatalement  1848,  1832,  1870,  et 
seule  elle  empêche,  à  l'heure  présente,  la  malheureuse  France 
de  reprendre  son  tempérament,  de  sortir  d'un  provisoire  mortel 
et  de  retourner  aux  conditions  essentielles  de  sa  vie.  —  Or,  aux 
premières  démarches  des  chefs  de  1 830  auprès  du  duc  d'Orléans, 
Marie-Amélie  n'opposait  que  ce  scrupule  d'épouse  :  «  Ils  l'ap- 
pelleront usurpateur,  lui  le  plus  honnête  des  hommes.  »  Elle 
cède  cependant  à  la  prétendue  nécessité;  et,  au  départ  de  son 
mari  pour  l'Hôtel-de-Ville,  elle  lui  fait  ses  adieux  «  comme  à 
une  victime  qui  allait  se  dévouer  au  salut  de  son  pays  » 
(p.  18o).  —  Victime  peut-être,  avec  un  répit  de  dix-huit  ans; 
mais  dévouée,  à  quoi? au  pays  ou  à  l'ambition  personnelle?  — 
—  Le  !•='  août,  la  révolution  réclame  ses  instances,  pour  obte- 
nir de  son  mari  qu'après  avoir  accepté  la  lieutenance  générale 
du  royaume,  «  il  complète  son  sacrifice  en  acceptant  la  cou- 
ronne »  (p.  187).  Elle  ne  refuse  pas  des  instances,  suivant  nous 
peu  nécessaires,  «  voyant  bien,  —  dit  le  panégyriste  de  cette 
grande  chrétienne,  —  dans  les  événements  qui  portaient,  mal- 
gré lui  (?),  son  mari,  Tordre  souverain  de  la  Providence  » 
(p.  189).  Et  huit  jours  après,  elle  se  résignait  à  se  faire  saluer 
du  nom  de  reine!  S'il  lui  restait  quelques  doutes  sur  son  droit, 
elle  se  rassura  bientôt  devant  les    députations   provinciales 


570  PIÈGES   JUSTIFICATIVES. 

«  donnant  au  vote  des  Chambres  l'incontestable  ratification  du 
suffrage  universel  »  (p.  198).  Elle  se  confirma  de  plus  en  plus 
dans  sa  sécurité,  et,  de  plus  en  plus,  elle,  l'adversaire  du  sacre, 
elle  donna  à  la  royauté  usurpée  de  1830  une  sorte  de  consécra- 
tion religieuse.  «  En  y  réfléchissant  chaque  jour  devant  Dieu, 
elle  en  était  venue  à  acquérir  la  pleine  conviction  de  la  mission 
providentielle  assignée  à  son  mari,  du  devoir  et  du  droit  qu'il 
y  avait  pour  lui  de  laire  ce  qu'il  avait  fait  >»  (p.  213).  Et  jamais 
elle  ne  se  repentit,  même  en  entendant  Louis-Philippe  exilé 
reporter  à  un  autre  exilé  tout  le  bénéfice  du  droit  royal.  Lors 
des  négociations  fusionistes  de  18bl  et  1852,  elle  refusa,  comme 
la  mOre  ae  ses  pelils-fils,  touve  accession  au  véritable  principe 
monarchique.  Se  voyant  par  là  «  condamnée  à  l'implicite  aveu 
de  l'usu  ation  de  son  mari,  tout  aussi  résolument  aue  ses  fils, 
elle  repoussa  une  transaction  politique  qui  eût  eu  celte  signifi- 
cation humiliante.  »  Et  à  une  dame  qui  combattait  sa  résolu^ 
tion,  elle  répondit  avec  vivacité  :  «  Ma  chère,  vous  ne  voyez 
donc  pas  qu'on  veut  nous  faire  passer  sous  les  fourches  cau- 
dines!  »  (p.  409).  De  même,  en  1866,  à  Nervi,  quand  elle  reçut 
la  visite  du  comte  de  Chambord ,  elle  s'obstina  dans  l'idée 
«  que,  pour  les  deux  branches,  il  y  avait  autant  que  jamais  im- 
possibilité de  s'entendre  »  (p.  432).  Quelques  semaines  après, 
cette  épouse,  cette  mère  de  l'orléanisme  mourait  dans  l'impéni- 
tence  finale. 

Un  prince  de  la  maison  de  Finance  vient  de  âésertei'  le  dra- 
peau de  ses  pères  ...,  ce  drapeau  blanc  qu'une  longue  suite  de 
rois,  ses  aïeux,  avait  conduit  à  la  victoire  dans  plus  de  cent 
batailles,  et  dans  les  plis  duquel  la  France  heureuse  et  respec- 
tée s'était  trouvée  si  longtemps  à  l'abri  de  toute  atteinte  de 
l'ennemi. 

Reniant  les  traditions  de  ses  aînés,  oubliant  dix  siècles  de 
gloire  et  de  prospérité,  M.  le  duc  d'Aumale  a  osé,  dans  le  pa- 
lais même  de  Louis  XIV,  arborer,  en  face  de  son  pays,  le  dra- 
peau tricolore  et  l'a  proclamé  l'emblème  de  la  victoire,  le 
symbole  de  la  concorde. 

Ce  drapeau  tricolore,  emblème  de  la  victoire,  n'a  rien  su  gar- 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES,  571 

der  de  ses  victoires  ...,  il  n'a  même  pas  su  protéger  l'Alsace  et 
la  Lorraine;  Metz  et  Strasbourg  no  le  voient  plus  sur  leurs 
remparts,  et  il  s'est  rencontré  un  homme  qui  l'a  déshonoré  à 
Sedan  1 

M.  le  duc  d'Aumale  ose  dire  à  la  France  que  le  drapeau  tri- 
colore est  le  symbole  de  la  concorde.  Le  symbole  de  la  con- 
corde i*.  ce  drapeau  qui  n'a  jamais  été  déployé  que  par  la  main 
de  la  Révolution  ! 

Peut-il  appeler  la  concorde  89  et  93,  les  journées  des  5  et 
6  octobre,  la  spoliation  du  clergé,  le  10  août,  les  massacres  des 
prisons,  le  martyre  d'une  famille  royale,  le  règne  de  la  Ter- 
reur, les  profanations  sacrilèges,  l'anéantissement  de  la  religion 
et  le  culte  de  la  déesse  Raison  ? 

Peut-il  appeler  la  concorde  le  premier  empire,  c'est-à-dire 
le  fossé  de  Vincennes,  les  guerres  criminelles,  le  bouleverse- 
ment des  empires,  l'épuisement  des  peuples,  la  Papauté  con- 
duite en  caplivUé? 

Peut- il  appeler  la  concorde?  1830,  c'est-à-dire  le  rapt  d'une 
couronne  fait  à  un  enfant,  l'usurpation  d'un  trône,  le  sac  d'un 
archevêché,  la  profanation  des  églises,  l'humiliation  de  la 
France  devant  l'Angleterre,  le  règne  du  voltairianisme,  l'en- 
fance de  la  libre  pensée  ? 

Comment  oser  appeler  le  drapeau  tricolore  le  symbole  de 
la  concorde,  lorsqu'il  n'est  que  le  symbole  de  la  discorde  au 
sein  d'un  grand  peuple,  la  cause  de  la  désunion  d'une  famille 
royale,  et  l'obstacle  qui  arrête  la  régénération  d'une  puissante 
nation  ? 

Ah  !  l'on  comprend  que  M.  le  duc  d'Aumale  porte  haut  et 
fier  ce  drapeau. 

C'est  le  drapeau  tricolore  qui  flottait  aux  Tuileries,  quand 
les  régicides  envoyaient  le  roi  son  aïeul  à  l'échafaud;  c'est 
dans  ses  pUs  qu'a  roulé  la  tête  du  plus  honnête  des  monar- 
ques ! 

On  comprend  que  M.  le  duc  d'Aumale  ait  de  la  vénération 
pour  ce  drapeau. 

C'est  en  «  proclamant  qu'il  portait  avec  orgueil  ses  glo- 
rieuses couleurs,  »  qu'un  prince,  son  père,  après  avoir  pris 


5/2  PIECES   JUSTIFICATIVES. 

rengagement  solennel  de  se  faire  mettre  en  pièces  plutôt  que 
de  se  laisser  mettre  la  couronne  sur  la  tète  ...,  abandonnait 
un  enfant,  un  iîls  de  France,  dont  on  le  faisait  le  tuteur,  dont 
on  lui  confiait  la  couronne,  lui  prenait  cette  couronne  et  son 
trône,  et  le  condamnait  à  passer  quarante  années  de  sa  vie  en 
exil  sur  la  terre  étrangère  ! 

On  comprend  que  M.  le  duc  d'Aumale  ne  puisse  vivre  en 
paix  qu'à  l'ombre  du  drapeau  tricolore  : 

C'est  sous  la  protection  de  ce  drapeau  que  résidait  en  France 
Hn  vieillard,  un  Condé,  qui  fut  trouvé  mort  à  Saint-Leu,  le 
matin  même  du  jour  où  il  voulait  aller  rejoindre  en  exil  les 
princes  de  sa  race,  pour  se  faire  pardonner  sans  doute  sa  fai- 
blesse d'avoir  dépouillé  de  sa  royale  fortune,  au  profit  d'un 
autre,  l'héritier  de  saint  Louis  et  d'Henri  IV 1 

Mais  la  France  qui,  avec  le  drapeau  tricolore,  a  perdu  deu-x 
de  ses  plus  belles  provinces  et  a  été  obligée  de  payer  cinq 
milliards,  la  France,  épuisée  par  les  divisions  que  ce  drapeau 
a  jetées  dans  son  sein,  trouvera-t-elle,  avec  M.  le  duc  d'Aumale 
que  l'étendard  de  la  Révolution  lui  apporte  dans  ses  plis,  le 
repos,  la  fortune  et  la  gloire,  et  ne  dira-t-elle  pas  bientôt  à  ce 
"Valois  révolutionnaire  : 

«  Prince!  réfléchissez  quand  il  en  est  temps  encore,  au  lieu 
d'allumer  des  feux  de  Bengale  au  château  des  Condés,  devenu 
votre  héritage,  à  l'heure  où  vous  auriez  dû  vous  vêtir  de  deuil 
et  prier  avec  l'Eglise  et  tout  un  peuple  pour  les  martyrs  de  la 
Commune  ! 

»  Réfléchissez,  et  si  vous  aimez  vraiment  votre  patrie,  rangez- 
vous  sous  la  bannière  de  Rocroy,  de  NordUngen  et  de  Fontenoy, 
à  la  suite  du  fils  de  saint  Louis.» 


riN. 


TABLES   DES   MATIERES. 


Lettre  de  Msr  Mercurelli v 

Avant-Pkopos vu 

Introduction xi 

LIVRE  PREMIER. 

iM  grande  Révolution,  de  1*389  à  IgOO. 

CHAPITRE  PREMIER  —  Les  coryphées  de  la  Révolu- 
tion. —  Les  pionniers  de  l'impiété  —  Jean-Jacques  Rousseau. 

—  Jean-Jacques  Rousseau  met  fin  à  sa  vie  infâme  par  le  suicide. 

—  Voltaire.  —  Aveux  de  Voltaire.  —  Mort  de  Voltaire.  —  Con- 
dorcet.  —  Supplice  de  Brissot.  —  Fin  misérable  de  Jean  Carra, 
ennemi  de  Dieu  et  des  rois.  —  L'apostat  Chabot  meurt  comme 
il  a  vécu.  —  Marat.  —  Pétion  termine  par  le  suicide  sa  misérable 
carrière.  —  Le  sanguinaire  Carrier  condamné  à  mort  par  ses 
propres  complices.  —  Chaumette,  le  bourreau  des  prêtres.  — 
Georges  Schneider.  —  CoUot  d'Herbois.  —  Hébert  (Jacques- 
Renej.  —  Saint-Just  Anloine-Louis-Léon).  —  Danton  (Georges- 
Jacques^.  —  Fabre  d'Eglantme.  —  Fouquier-TinviUe.  —  Hérault 
de  Séchelles,  Jourdan.  —  Lacroix  et  Lebon.  —  Robespierre.  — 
Robespierre  le  jeune.  —  Roux.  —  M"*  Roland.  —  Pag.  1  à  73. 

CHAPITRE  II.  —  Louis  XVI  et  ses  bourreaux.  —  La  Con- 
vention. —  Le  21  janvier.  —  La  Terreur.  —  Supplice  des  bour- 
reaux. —  Louis-PhUippe  d'Orléans-Egalité.  —  Philippe-Egalité 
assiste  à  la  mort  de  Louis  XVI.  —  Mort  d'Egalité.  —  Le  tour  des 
apostats.  —  Grégoire  (Henri).  —  Scènes  de  la  Révolution  dans 
le  Velay.  —  Le  sermon  qui  fait  tomber  la  grêle.  —  Les  sans- 
culottes  reçoivent  une  grêle  de  balles  ayant  le  verre  en  main.  — 
Le  coup  de  fusil  qui  produit  l'effet  de  la  foudre  au  milieu  des 
saccageurs  et  brûleurs  révolutionnaires.  —  Pag.  74  à  135. 

CH.^PITRE  III.  —  Les  profanateurs  d'églises  et  les  as- 
sassins des  prêtres.  —  Coup  d'oeil  rétrospectif.  —  Punitions 
éclatantes  des  acquéreurs  et  des  profanateuri»  des  édifices  sacrés 


574  TABLE   DES   MATIÈRES. 

en  Angleterre.  —  ChCiliments  des  profanateurs  en  France.  — 
Punition  terrible  subie  par  un  révolutionnaire.  —  Un  révolu- 
tionnaire châtié  dans  son  enfant.  —  Relation  de  l'incendie  de  la 
ville  de  Saint-Claude,  en  juin  1799.  —  Triste  sort  des  profana- 
teurs. —  Châtiments  éclatants.  —  Telle  vie,  telle  mort.  —  Le 
Bon  Dieu  de  Pitié  profané  par  un  jacobin.  —  La  vengeance  di- 
vine."— Une  orgie  sacrilège.  —  Extraits  des  mémoires  du  temps. 
—  On  ne  se  moque  pas  de  Dieu  en  vain.  —  Terrible  punition 
des  profanateurs.  —  Justice  et  miséricorde.  —  Scandale  sur 
scandale.  —  Pag.  136  à  18o. 

CHAPITRE  IV.  —  Châtiments  des  outrages  faits  a  Marie. 
•^  Les  ennemis  de  la  sainte  Vierge.  —  Punition  d'une  injure 
faite  à  Marie.  —  Le  démon,  ministre  des  vengeances  de  Dieu.  — 
Révolutionnaires  punis.  —  Punition  des  profanateurs.  —  Le 
Pataud.  —  Les  profanateurs  du  sanctuaire  de  Notre-Dame  de 
Rochefort  punis.  —  Punitions  exemplaires.  —  Un  maire  révolu- 
tionnaire. —  La  punition  d'un  blasphémateur.  —  Une  scène  de 
la  Passion  et  la  justice  de  Dieu.  —  Triste  sort  d'un  révolution- 
naire de  Cagny.  —  Dieu  venge  la  gloire  de  saint  Joseph.  — 
Notre-Dame  de  Benoîte-Vaux,  diocèse  de  Verdun.  —  Punition 
et  miséricorde.  —  Le  Christ  de  l'église  et  celui  du  calvaire  do 
Beuvron.  —  Malheur  des  profanateurs  de  la  Croix.  -—  La  croix 
de  Merrey-Choiseul  (Haute-Marne).  -^  La  statue  de  saint  Thi- 
baut, à  Clermont,  profanée,  —  Un  briseur  d©  Croix.  — 
Pag.  183  à  233. 

CHAPITRE  V.  —  Châtiments  des  outrages  faits  aux 
PRiîïRES.  —  Le  tonnerre,  ministre  de  la  justice  de  Dieu.  —  Un 
révolutionnaire  mort  en  blasphémant.  —  Un  bourreau  de  trente 
prûtres.  —  Un  démagogue  dévoré  vivant  par  les  vers.  —  Mort 
affreuse  d'un  impie.  —  La  fille  de  la  Punition.  —  Assassins  des 
prôlres  punis  de  Dieu.  —  Pag.  236  à  237. 

LIVRE  DEUXIÈME. 
Lnttc  des  Papes  aveo  la  lïévolullop,  de  fldl  à  IS85. 

CHAPITRE  PREMIER.  —  Malheurs  et  chutes  des  souve- 
rains PEUSÉOUTEURS  DB  lEglise.  —  Pie  VI  et  Joseph  II.  — 
Joseph  II  malheureux  dans  toutes  ses  entreprises.  —  Pie  VI  et 
le  Directoire.  -^  Psig.  238  à  273. 

CHAPITRE  II.  —  Pie  VII  et  Napoléon  Bonaparte.  —  Ju- 
gement de  Chateaubriaut  sur  Napoléon.  —  Les  vertiges  de  l'am- 
bition. —  La  bulle  d'excommuaicalion.  —  Enlèvement  du  Pape. 


TAiJLE  BES  MATIÈRES.  57g 

-  Pie  yil  transféré  à  Fontainebleau  ^  Les  effets  de  l'excom- 
murucation.  -  Jugement  de  Chateaubriant  sur  ce  désalfre  - 
Paroles  remarquables  de  M.  de  Fontanss.  -  Angoisses  de  Napo- 
léon à  Fontainebleau.  -  Napoléon  tente  de  se  SMicider.  -  Hu- 

Mnï'^Hp  N  ^Pr'°^-  - J"«^P^«  du  pape.  -  Sainte-Hélfne. 

-  Mor.  de  Napoléon.  -  Coup  d'oeil  rétrospectif  sur  la  dernière 
pvtie  du  xviiie  siècle.  —  Pag.  274  à  348.  ciuieio 

LIVRE  TROISIÈME. 

La  Révehilion  de  juillet  flS30. 

JS^^^l^^^  PREMIER.  ^  Pehsécution  reugibuse  et  im- 
piété DU   NOUVEAU    GOUVEBNEMEMEXT.  -  L'église    de    SainfP 

Geneviève  profanée.  -  Sac  de   Saint-Geria'r  AuxerlL  t 
Pillage  et  destruction  du  palais  archiépiscopal  de  Paris  -'lT 
justice   de  Dieu  et  la  vengeance  d'un  archevêque  -  Châtel 
primat  de  1  Eglise  française.  -  Les  abatteurs  de' croix.  -  Pro- 

mort.  -  La  peine  du  tahon.  -  Terribles  punitions  infligées  aux 
profanateurs  des  croix.  -  Un  impie  mort  sur  le  coup  -  PrÏÏ^. 
na  ion  de  la  croix  de  Saint-Paul  (île  de  la  Réunion^  en  1833  1 
Solennelle  réparation  en  1865.  -  Sacrilège  puni.  -  Treize  ïm, 
pies  morts  à  l'hôpital.  -  Pag.  349  à  380.  ^ 

d„?!m^^^^^  "■  r  ^«^"^^^^^N^'S  i>ES  d'Orléans.  -  Mort  du 
duc  d  Or.eans.  -  Le  testament  du  duc  d'Orléans   -  La  rroiv 

^'ly^^'^tf'  '-^^  -  ^-^-^^erdu  d'uc  d'oli 

CHAPITRE  III.   -    DERNIÈRES    années    et    CHATIMENTS    D" 

iTïlTr^-   -  ^'?'''   ^^'^^^^«^   d«  Louifpbi  ppe  avec 
Mgr  Aifre,  archevêque  de  Paris.  -  Humiliations  des  d'Orléan 
—  Quelques  injustices  en  Belgique  sous  1p  rprr„a  h,,        ^     ^ 
Louis-Philippe.  -Pag.  390  à  407!  ®      ^"^  ^^""^'^  ^"^ 

LIVRE  QUATRIÈME. 

I.a  Révoladon  en  Italie,  de  I8J8  à  fl8'V9. 

Inv^^^^^™^  PREMIER.  -  Le  Piémont  révolutionnaire  ~ 
Invasion  piemontaise.  -  Pag.  408  à  418.  ^^^uhonnaire.  ~ 

rw^^^^J,^^."- ~ -""^^  ^^^«os  de  la  révolution  it-vuenn-f 
l^on     Pt     n'rT  L^P°li"^"e  de  Challes-Albert  -1  Peislc^ 
lions  et  spoliations    de   l'Eglise  sous  Charles-Albert.  -  tS-t 


S76  TABLE  DES  MATIÈRES. 

déplorable  de  Gioberti,  le  théologien  de  la  révolution  italienne. 

—  Pag.  419  à  428. 

CHAPITRE  III.  —  Anarchie  et  châtiments  de  l'Italie 
RÉVOLUTIONNAIRE.  —  Victor-Emmanuel.  —  Le  comte  Cavour.  — 
La  politique  et  la  mort  de  Cavour.  —  Mort  d'Armellini.  —  La  mort 
de  Farini,  digne  de  sa  vie  abominable.  —  Cassinis,  l'ex -ministre 
des  cultes,  met  fin  à  ses  jours.  —  Le  comte  de  Syracuse.  —  Ua 
ennemi  du  pape  dévoré  par  son  chien.  —  Punitions  exemplaires. 

—  Les  coups  multipliés  de  la  justice  de  Dieu.  —  Terribles  pu- 
nitions des  blasphémateurs.  —  Madones  profanées.  —  Scélérats 
punis.  —  Laissez  passer  la  justice  de  Dieu.  —  La  main  de  Dieu 

—  Pag.  429  à  472. 

CHAPITRE  IV.  —  Le  Piémont  révolutionnaire  a  Rome.  — 
Châtiments  des  révolutionnaires  à  Rome.  —  Les  Garibaldiens  à 
Rome.  —Mort  de  Mazzini.  —  Le  doigt  de  Dieu.  —  Pag.  473  à  489. 

CHAPITRE  V.  —  Les  derniers  jours  de  Victor-Emmanuel. 

—  Pag.  490  à  500. 

CHAPITRE  VI.  —  Les  MÉCOMPTES  dk  l'Italie  unifiée.  — 
Pag.  501  à  509. 

CHAPITRE  VIL  —  Las  mauvais  jours  d'Humbert  et  db 
Marguerite.  —  Tentative  d'assassinat  du  prince  Humbert.  — 
Pag.  510  à  522. 

,  LIVRE  CINQUIÈME. 

Louis-IVapoléon  et  les  lualkeurs  de  la  FrAucc,^ 
de  IHTIO  à  1SK9. 

CHAPITRE  PREMIER.  -  La  question  romaine.  —  P.  523  à  523. 

CHAPITRE  II.  —  Les  représailles  de  la  justice  divine.  — 
La  justice  de  Dieu  à  Sedan.  —  Un  épisode  inédit  de  Sedan.  — » 

—  La  mort  de  Louis-Napoléon.  —  Pag.  326  à  339. 

CHAPITRE  III.  —  La  Commune  et  ses  horreurs.  —  Les 
'héùtres  de  la  révolution  détruits  par  le  feu.  —  Pag.  340  à  540 

CHAPITRE  IV.  —  Mort  déplorable  db  Thiers.  —  Pag.  347| 
à  5o2.  ; 

CHAPITRE  V.  —  La  situation  en  janvier  1879.  —  Catho-I 
licisme  ou  socialisme.  -—  Pag.  533  à  363.  ! 

PiÈGES  justificatives.  —  P.  564  à  572. 


BR  846 


Huguet,  R.  P. 

(Jean-Joseph),  b.  1812. 
Terribles  châtiments 

des  révolutionnaires 
AWP-3530  (mcsk) 


É^. 


:fimr: 


/>  ^ 


,^^%fp 


m^î 


mr^^: 


M- •^•-•^ 


^1^.-  "^^ 


^r-^^îîn^