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Full text of "Thermidor; drame historique en quatre actes"

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THERMIDOR 



Martial. — Carnot me nomme et lui vante notre 
succès ! L'autre, de son ton rogue : « On fait trop 
mousser nos victoires !» Et il passe. 

Labussière. — Oui ! La gloire militaire Toffus- 
Que. Elle fait pâlir la sienne et sa rhétorique se perd 
dans le bruit du canon. 

Martial. — Ah ! le vilain homme avec ses petits 
yeux faux, son teint livide, le tic de son cou, sa voix 
qui grince et sa tête plate ! Et ce chat-tigre a ter- 
rassé Danton ! 

Labussière. — A qui d'ailleurs il écrivait : « Je 
t'aime jusqu'à la mort », quelques jours avant de l'y 
envover ; comme il affectait de plaindre ce pauvre 
CamfUe à l'heure même où il rédigeait avec Saint- 
Just son act« d'accusation. 

Martial. — Cafard ! 

Ils se trouvent devant le canot. 

Labussière. — Ah ! vous êtes heureux, vous 
autres soldats. Vous ne voyez de la Révolution que 
ses grandeurs et ses vertus, nos armes triomphantes 
et les aigles royales fuyant partout devant le arapeau 
tricolore. Retourne à l'armée, va ! C'est là qu'est 
le pur patriotisme ! Tu ne verras ici que de quoi 
désoler une âme vraiment républicaine comme est 
la tienne. 

Martial. — Hélas ! que tu dis vrai ! Je suis allé 




Martial Hugon (M. Marais). 



à la Convention, j'y ai cherché vainement les grands 
hommes de cette Assemblée nationale qui a sapé l'an- 
cien régime, les héros de la Constituante qui a fondé 
le nouveau, les girondins qui nous ont conquis la 
liberté, les dantonistes qui nous ont conquis la ré- 
publique ! (Il s'assied sur le bord du canot) TouS disparus, 

fugitifs, égorgés ! Je suis allé aux Jacobins. J'y 
ai entendu le doucereux Couthon réclamer le sup- 
plice des indulgentSy et d'autres forcenés renchénr 
sur ces insanités sanguinaires. J'ai parcouru la 
ville... Sur tous les murs, des affiches de ventes ; à 
toutes les portes, des mobiliers à l'encan et partout 
des mendiants, des « enragés » déguisés en galériens 
avec leurs cheveux gras, leurs bonnets rouges, leurs 
carmagnoles et leurs gourdins. Dès la tombée du 
jour, les boutiques fermées, les places vides, les rues 
silencieuses et sombres; à chaque pas une patrouille 
exigeant la carte civique, et, pour tout bruit, la voix 
des crieurs hurlant la liste des gagnants du jour à la 
loterie de Sainte- Guillotine ; car tous les jours, à 
quatre heures, six, sept charrettes suivent les quais, 
menant à la boucherie hommes, femmes, vieillards, 
jeunes filles, enfants ; hier encore, un de quinze ans. 
Et c'est Paris cela, notre beau, notre gloneux Paris, 
le Paris du quatorze Juillet, le Paris de la Fédéra- 
tion !... 

Labussière. — Ah ! mon cher Martial, il est loin 
le jour où, si joyeusement, nous roulions la brouette 
au Champ - de - Mars ! Quel enthousiasme alors de 
tout un peuple affranchi de ses lisières ! Et les beaux 
rêves d'avenir ? Plus d'arbitraire, ni de privilèges ! 
Plus de grands humiliant les petits, de riches oppres- 
seurs du pauvre ! La justice pour tous, le pouvoir 
aux meilleurs, les honneurs aux plus dignes, la 
guerre à tous les abus, la place à tous les droits, l'ap- 
pel à tous les devoirs ! lune de miel de la liberté, 
où es-tu ?... Un si beau rêve finir dans l'horrible !... 
En être venus là!... A ces mœurs de cannibales, à ces 
abattoirs de chair humaine !... Quel écœurement ! 

li s'assied près de Martial. 

Martial. — Enfin, ceux-là mêmes qui mènent à la 
mort ces jeunes filles et cet enfant de quinze ans ne 
peuvent pas les croire capables de conspirer... 

Labussière. — Le petit de Maille ! J\ n'était 
coupable que d'avoir jeté un hareng pourri au nez du 
geôlier qm l'apportait pour son repas. « Mais qu'im- 
porte ! te . dirait Herman ou Fouquier-Tin ville ! Je 
ne juge pas, je condamne ! Il ne s'agit pas de savoir 
si l'accusé est coupable ou non, mais s'il est suspect 
de regretter l'ancien régime. C'est assez pour qu'il 
meure, nous ne voulons plus rien du passé, pas un 
regret, pas même un souvenir !... » Et voilà, dépouil- 
lée de ses déclamations hypocrites et mise à nu, toute 
la théorie du despotisme qui nous écrase. « Un re- 
tour, a dit Camille Desmoulins, qui d'ailleurs est 
mort de l'avoir osé dire, un retour au beau temps des 
Néron et des Caligula », où dix mille coquins font la loi 
à toute une ville intimidée ; où la peur est assise à 
tous les foyers ; où le mari se méfie de sa femme, le 
père de ses enfants ; où les bandits n'ont plus à re- 
douter la rigueur des lois ; car il leur suffit d'être du 
comité de leur section pour forcer ta porte sous pré- 
texte de visite domiciliaire, te dépouiller à titre de 
confiscation et commettre chez toi tous les abus en 
s'en glorifiant comme de vertus civiques ; où ta vie 
est à la merci d'un valet fripon que tu chasses, d'un 
débiteur insolvable, d'une femme jalouse, d'un héri- 
tier impatient, d'un juge impitoyable qui, de par 



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L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



Tatroce loi de prairial, te condamne sans enquêtes, 
ni témoins, ni débats, ni défense ! Car tel est son 
bon plaisir ! Où toujours et partout le mot « sus- 
pect » te guette, te harcèle, te menace, te dénonce ! 
Tu vas à Vincennes sans passe port : « suspect ». Tu 
caches donc qui tu es ; mais ne te hâte pas trop d'en 
réclamer un, car, alors, « suspect », tu veux donc 
fuir! Tu parles poliment, ton Unge est blanc : « sus- 
pect ». Ta propreté sent trop son aristocrate !... 
Tu vas par les rues, silencieux et la tête basse, 
c'est donc que tu blâmes! « Triste », c'est donc 
que tu déplores! « Gai », c'est donc que tu railles! 
« Inquiet », c'est donc que tu as quelque raison de 
craindre ! Prends garde que ta pâleur ne te dénonce. 
Camille l'a dit après Tacite ! Tremble même d'avoir 
peur! Suspects, le talent, le savoir, l'esprit ; car tout 
cela est antiégalitaire ! Suspectes, la bienfaisance et 
la charité même; témoin le fils Micaut, condamné, dit 
le jugement, pour avoir corrompu le peuple par ses 
bienfaits ! Ne porte pas le deuil de ton père sup- 

Elicié, affectation d'anticivisme : la mort ! N'ou- 
lie pas de retourner une plaque de cheminée fleur- 
delisée ! royalisme : la mort ! Ne garde pas, 
comme Pierre Gondier, dans un buffet, des croûtes 
de pain sec destinées à tes poules, accaparement, hé- 
hertisme : la mort î Ne témoigne pas, comme Capote 
Feuillide et Prédicant, en faveur d'un accusé, indul- 
gence et modérantisme : la mort ! Et pour tous les cas, 
sans appel, ni recours, ni sursis : la mort! 

Martial. — Et tout Paris subit, accepte ces hor- 
reurs ? 

Labussiêre. — Ah! pauvre peuple, ignorant et 
crédule, mais si dévoué à la République et si vaillant 
à la défendre. On lui disait des condamnés du pre- 
mier jour : « Des conspirateurs, des traîtres qui pac- 
tisent avec l'étranger pour t'affamer et te remettre 
en servitude. Supprime-les, l'abondance renaîtra et 
ce sera l'âçe d'or! » Il l'a cru. Et, pendant des mois et 
des mois, il a vu passer par charretées : royalistes, 
feuillants, girondins, hébertistes, dantonistes, tous 
les partis, tous les âges, tous les rangs, tous les mé- 
tiers, jetés pêle-mêle au même tombereau. Mais, plus 
la moisson des têtes est copieuse, plus sa misère est 
grande et moins apparaît l'âge d'or. Il s'étonne, il 
s'irrite. Les commerçants de Ta rue Honoré se sont 
plaints qu'à l'heure où passait le funèbre cortège le 
quartier se faisait désert, leurs boutiques étaient 
vides. Le jour de la fête de l'Etre suprême sur la place 
de la Révolution, les huit bœufs oui traînaient le char 
des Arts et Métiers refusaient a'avancer, offusqués 
par l'odeur du sang dont la place était imprégnée et 
le peuple s'est ému de cette leçon donnée a l'homme 
par la brute. L'échafaud menaçait de devenir impo- 
pulaire. Subitement on l'a transporté à la place de la 
ci-devant Bastille. Puis, sur de nouvelles plaintes, à 
la barrière du Trône-Renversé, aux confins de la viUe, 
presque dans les champs... les premières charrettes 
engagées dans le faubourg ont été accueillies par un 
silence morne, hostile, et, depuis, sur leur passage, 
les fenêtres se ferment, les hommes s'éloignent, les 
femmes se cachent. Pense qu'en quarante-neuf jours 
la rue Antoine a vu passer plus ae treize cents con- 
damnés !... 

Il se lève. 
Martial, de même, ils descendent à l'avant-scéne. — Et, 

dans cette ville indignée, il ne s'est pas encore trouvé 
dix hommes de cœur pour se ruer sur l'échafaud ! 
Pas un bon, pas un vrai républicain, comme toi et 



moi, n'a protesté pour sa cause que l'on déshonore 
et n'a crié à ce peuple désabusé : Ça, la République ! 
ça, la Révolution ! ça, la Liberté ! Mais, c'est le 
contraire!... Mais, c'est tout ce que nous exécrons 
dans le passé, et que nous voulons impossible dans 
l'avenir! C'est la Saint-Barthélémy, les dragonnades, 
l'inquisition, l'autodafé... par le fer au lieu du feu ! 
Non, bandits, non, non, ce n'est pas la République, 
c'est le despotisme ! Cest la tyrannie et, de toutes, 
la pire : celle de la canaille ! 

Labussiêre, debout — Danton l'a rêvée comme toi, 
la fin des supplices ; lui, qui disait à Fabricius : 
« J'aime mieux être guillotiné que çuillotineur ! » 
Camille l'a crié comme toi, ce que tu dis là ! Et tous 
deux ont payé de leur tête le crime d'indulgence et 
de modérantisme, et pas une voix de la foule n'a 
protesté contre leur supplice, et c'était Camille, et 
c'était Danton! 

Martial. — Ah ! bon Dieu !... Est-ce possible ! 

Labussiêre. — Ah ! parbleu ! si les honnêtes gens 
avaient la bravoure de leur honnêteté, comme les co- 
quins ont celle de la scélératesse ! Mais la lâcheté 
humaine et l'égoïsme ! Chacun ne songe qu'à son 
propre salut, s'aplatit sur le sol, faisant le mort ! 
Les honnêtes gens gémissent, certes ! C'est leur fonc- 
tion, à ceux-là, de toujours gémir et de ne jamais rien 
faire ; mais, pour se jeter au-devant de la charrette et 
crier : « A bas l'échafaud ! » Pas un ! 

Martial. — Eh bien, je le serai, moi, celui-là ! 

Labussiêre. — Toi ? Et seul ? 

Martial. — Moi ! Et seul ! 

Labussiêre. — Tu ne feras qu'un égorgé de plus ! 
Patience, l'heure n'est pas venue. 

Martial. — Et quand viendra-t-elle ? 

Labussiêre, à mi-voix. — Demain, ce soir peut-être, 

Martial. — Et qui te le fait croire ? 

Labussiêre. — Oh ! je suis en bonne place pour 
tout savoir, car je ne t'ai pas encore dit mon nouvel 
emploi... 

Martlal. — Qui est ? 

Labussiêre. — Je suis commis aux écritures dans 

le bureau... (Grand bruit de voix et de riree à droite.) Mais je 

te conterai cela plus tard !... Voici les laveuses. 
Martlal. — Enfin ! 

n remonte un peu sur la berge à gauche pour regarder vers le 
bateau. Les femmes du quartier descendent l'escalier du fond 
et celui de droite, une à une ou par groupes, avec leurs baquets 
et leurs corbeilles de linge, puis s'installent au bateau en riant» 
jacassant ; et commencent à savonner et à battre leur linge. 



Scène V 

Les mêmes, LUPIN, laveuses, au fond. 
Lupin reparaît par la gauche au moment où Martial remonte. 

Labussiêre, à Lupin, à mi-voix. — C'est 'fait ? 

Lupin, retournant le panier vide et tapant sur le fond. — Voilà! 

Labussiêre. — Sans accident ? 
Lupin. — Aucun. Cest Tîle de Robinson ! Pa» 
un chat ! 
Labussiêre. — Reporte tout l'attirail chez moi. 

Martial, redescendant, à Labussidre, tandis que Lupin gagne la 
droite et ramasse tout leur attirail de pêche. — Je ne la Vois 

pas !... 
Labussiêre. — Patience ! 

Martial, arrêtant Lupin au passage et soulevant le couvercle da 

panier vide. — C'est ta pêche, ça ? 



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THERMIDOR 



liABUSSlÂRE. — Oui. 

Martial. — Il n'y a rien. 

LaBUSSIÈRE, le lui prend des mains. — Justement ! 

(Martial le regarde surpris.) Je t'expliquerai ça tout à l'heure. 
(A Lupin en lui passant le panier.) Va déjeuner ! Tu me re- 
trouveras au bureau. 
LuriN. — Convenu ! A tantôt, patron! 

Il remonte vivement l'escalier de droite et disparaît 

Labussiêre. — A midi. 

Un bruit de rires leur fait tourner la tête vers le bateau où FVan- 
çoise, debout, retroussant ses bras, conte à toutes les laveuses 
quelque chose qui les met en Joie. 

Martial. — Oh ! Oh ! ce bruit ? 

Labussiêre. — C'est Françoise quijî^es harangue. 

Les rires continuent en sourdine. 

Martial. — Cette fille, en bonnet rouge ! 

Labussiêre. — La maîtresse d'un marchand de 
vin de la rue Antoine, une enragée qui va tous les 
soirs brailler aux Jacobins, après s'être égayée tout 
le jour au tribunal révolutionnaire. Tous les jupons 
du quartier frémissent devant cette virago ! De ces 
femmes qui viennent ici laver leur linge, pas une qui, 
voyant un suspect jeté à l'eau, ne lui tendît la perche 
pour le sauver ! Mais que Françoise paraisse et tous 
les battoirs s'abattraient sur le pauvre diable en ca- 
dence ! Et c'est tout Paris, ce bateau-là ! Le fana- 
tisme dit : « Tue ! » la peur crie : « Assomme ! » 

Scène VI 

Les mêmes, FABIENNE, FRANÇOISE, laveuses, 

ENFANTS, passants, puis POURVOYEUR 

Des bruits de voix et des cris éclatent tout à coup dans le bateau; 
les laveuses se lèvent, s'agitent 

Martial, inquiet, remontant. — Qu'est-ce donc ? 
Labussiêre. — On se chamaiUe là-bas ! 

Labussidre et Martial regardent au fond où l'agitation augmente 
subitement Une jeune femme s'élancs sur la planche qui relie, 
au fond, le bateau des blanchisseuses à la berge de l'tle, pour- 
suivie par cinq ou six femmes, tandis que les autres redescendent 
la rive à droite en courant, pour lui barrer le chemin vers l'escalier ; 
tout cela avec des cris, des menaces, pour celle qui fuit : Françoise 
en tête. 

Les Femmes. — A la rivière, l'aristocrat-p î 
Mariotte. — Jetez-la dans l'eau ! 
Toutes. — A la Seine ! A la Seine ! 

Martial, reconnaissant Fabienne qui a disparu un moment 
derrière les arbres de l'Ile et qui redescend en courant vers l'avant-soène 

à gauche. — Mais c'est Fabienne ! 

Labussiêre, voulant le retenir. — Prends garde ! 

Martial, se dégageant — C'est elle !... te dis- je !... 
(Criant) Ici ! Je suis là ! Fabienne, je suis là !... 

Il s'élance vers la berge, du côté des arbres, au moment où Fabienne 
arri v e tf far ^ , essoufflée et, 5«ns le voir ni l'eoieodfie, court ft 
Labussiêre. 

Fabienne, à Ubussière. — Par pitié, sauvez-moi ! 
Elles veulent me tuer ! 

Martial, descendant et la prenant dans ses bras. — Pas moi 

présent! 

Fabienne, saisie à sa vue, puis poussant un cri de joie. " — 

Ah ! vous ! Martial ! Ici ! quel bonheur ! Vous ! Ah ! 
Dieu ! Ah ! quel bonheur ! Les voici ! (Elle se cramponne 
à lui, balbutiant de peur.) Sauvez-moi ! Martial ! J'ai peur ! 
Oh ! que j'ai peur !... 

Pendant ce qui suit, peu à peu l'escalier et le parapet du quai se 
garnissent de curieux, attirés par le bruit ; toute l'avant-soèoe. 




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m 



Labussiêre (M. Coquelin). 



sur la berge, sur les bateaux et les piles de planches, est garnie 
par les laveuses ou de nouveaux venus ; un gamin est grimpé 
dans un arbre, d'autres sur les tonneaux. Fabienne se trouve 
entre Martial et Labussiêre. 
Françoise, arrivant à l'avant-soène, à droite, en franchissant la 

brouette. — Tenez-la bien, la coquine ! 

Mariotte, arrivant derrière Fablenn, par la gauche, avec 
d'autres laveuses. — Ccst Ça ! TeueZ^Ja. 

Toutes, arrivant de ce côté. — A la Seine, l'aristo- 
crate ! A la Seine ! 

Martul. — J'y jette la- piemiève qui la touche ! 
Hors de là ! chiennes enragées ! ou gare à vous ! 

Cris de stupeur ou de colère de toutes les femmes qui reculent. 

Françoise. — Ah ! il nous traite de chiennes, 
celui-là ! 

Toutes, stupéfaites. — Il nous insulte ! 

Labussiêre. — Allons ! Allons ! doucement tout 
le monde... Voilà un beau vacarme ! Et qu'est-ce 
donc qu'elle a fait, cette jeune fille, pour la jeter à 
l'eau ? 

Mariotte. — Ce qu'elle a fait ? 

Françoise. — Une espionne ! 

Labussiêre, protestant — Oh ! 

Fabienne, — Moi ! 



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10 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



Toutes. — Oui, oui ! une espionne ! 

Jeannette. — Ça vient le matin, ça ne souf ik pas 
mot!... 

Françoise. — Et ça écoute ce qu'on dit dans le 
bateau, pour le répéter aux chouans et aux Anglais ! 

liES Femmes. — Oui, c'est sûr, elle nous mou- 
charde ! 

>Urtîal. — Et sur quelle preuve oses-tu l'en accu- 
ser, dis, sorcière?... 

Exclamations. 
LaBUSSIÈRE, le calmant du geste et froidement à Françoise. 

— Chut ! chut !^I1 a raison, sur quoi ? 

Fabienne se trouve entre Martial et Labussière. 

Françoise. — Ah ! la gueuse ! C'est pas visible ! 
Je leur contais l'exécution du six à la barrière Ren- 
versée I Et cette vieille décrépite d'abbesse de 
Montmartre, avec ses béquilles... et c't'autre, para- 
lysée, qu'il a fallu porter a l'échafaud dans un fau- 
teuil ! Et v'ià cette mijaurée qui s'écrie : « Jésus ! 
Quelle horreur ! » 

Jeannette. — Oui, oui, elle a dit : « Quelle hor- 
reur ! » 

MaRIOTTE, derrière Martial et Fabienne, voulant passer entre 

eux. — Et ; « Jésus ! » Elle a dit : « Jésus ! » 

Martial, la prenant par le bras et la faisant tourner devant lui, 
en la rejetant à gauche. — Eh bien, après, après ? 

Labusseère. — Et c'est pour cela que ?... 

Françoise, passant vivement devant Labussière. — Et ça 

donc ! ce n'est pas encore une preuve ! ce qui lui a 
sauté du cou en se sauvant ! 

Elle désigne une croix d'or sortie du fichu de Fabienne. 

Jeannette. — Une croix ! 

Toutes. — Une croix ! 

Françoise. — Une croix ! Et « Jésus ! » (Elle prend 
le bras de Fabienne.) Et SCS mains, SCS bras ! Regardez- 
moi ce blanc de poulet ! Ce n'est pas de la peau d'aris- 
tocrate, ça ? (Retroussant sa manche.) V'ià des bras de 

républicaine... ça ne craint pas le soleil ! (Elle tape 
dessus.) C'est loyal, c'est patriote ! 

Murmure d'approbation. 

Labussière, galamment. — Oh ! pour de beaux 
bras... oui, voilà de beaux bras ! 

Il baise un bras. 

Françoise, sans se fâcher. — Eh bien, ne te gêne 
pas, toi ! dis donc ! 

Labussière. — Avec des patriotes, jamais ! Je 
fraternise ! 

II récidive en baisant l'épaule de Françoise, qu'il fait passer à 
droite. 

Françoise, Hant. adoucie. — Il est farce tout de 
même, c't'effronté-là ! N'empêche que c'est une sus- 
pecte, aussi vrai que je m'appelle Françoise !... 

Labussière. — Eh bien, belle Françoise, tu te 
trompes ! C'est une bonne citoyenne comme toi^ car 
voici son galant, un défenseur de la patrie !... 

Mariotte. — Celui-là ? 

Labussière. — Martial Hugon, un vainqueur de 
Fleurus ! 

Un Gamin, perché dans un arbre, à droite. — Eh Oui ! 
(Toutes les tôtes se retournent vers lui.) Celui qu'est Venu à la 

Convention, porter les drapeaux ! 

Voix. — Ah ! 

Labussière. — Tu entends ? 

Françoise, radoucie. — Et c'est son amoureux, ce 
soldat-là ? 

Labussière. — Et son prétendu ! Ce n'est pas une | 



ci-devant qui épouserait un brave soldat républicain, 
le fils d'un charron. 

Rumeur d'approbation. 

Mariotte. — Oh ! alors, mes enfants, si c'est 
comme ça ! 
Françoise. — Il n'y a plus rien à dire... 
Mariotte. — Qu'ils s'embrassent ! 
Françoise. — Et n'en parlons plus ! 
Tous, gaiement — Oui, oui, qu'ils s'embrassent ! 
Labussière. — Ah! parbleu! s'il ne faut que ça!... 
Martial. — Volontiers ! 

Il embrasse éperdument Fabienne. 
Fabienne, émue, îe repoussant doucement — Oh ! non, 

non ! assez ! je vous en supplie !... 

Françoise. — Eh bien ! Eh bien ! Qu'est-ce 
qu'elle a ? 

Fabienne fond en larmes. Etonnement général. 

Martul, surpris et inquiet — Fabienne !... 

Françoise, voyant Fabienne prtte à défaillir. — Ah ! 

pauvre chatte ! 

Elle passe devant Labussière, soutient Fabienne et la fait asseoir 
sur le bord du canot 

Mariotte, de même, debout dans le cano^ derrière Fabienne, 
à côté de qui s'assied Martial; on les entoure. — V'ià l'effet que ça 

lui fait I 

Labussière. — Ah! bien, cette innocente; voyons, 
devant tout le monde ! 

Françoise, à Martial. — C'est donc la première fois ? 

Martial, inquiet. — Oui ! 

Françoise, gaiement. — Oh ! alors... 

Mariotte. — Courage, va, ma fille. On s'y fait, 
pas vrai ? Tu t'y feras ! 

Toutes, riant. — Oui, oui ! 

Françoise, tapant amicalement dans les mains de Fabienne 
et la faisant lever avec l'aide de Martial — Allons, debout!... 

mon petit cœur. Elle est toute glacée, tenez. Pauvre 
chatte ! Vivent les sans-culottes pour embrasser... 
pas vrai, ma fille ! Et mort aux aristocrates ! 

Fabienne. — Oh ! 

Françoise. — Allons, crie-le avec moi, va ! Ça te 
fera du bien ! Mort aux arist... 

Fabienne. — Oh ! non, je vous en prie, madame ! 

Murmures. 

Françoise, reculant d'un pas, exaspérée. — « Madame!» 
Il n'y a plus de madame, ici !... 

Fabienne, troublée. — Je veux dire : citoyenne ! 

Françoise. — « Madame ! » Eh bien, excusez ! 
Est-ce que ces gens-là se gaussent de nous ? (EUe re- 
vient à Fabienne, brutalement :) VcUX-tu crier tOUt de Suite : 

« Mort aux aristocrates ! » 

Fabienne. — Oh ! non ! je ne souhaite la mort de 
personne ! 

Mouvement 
Françoise, prenant U main de Fabienne et la faisant passer à 
Textrôme droite en la tirant brutalement devant elle. — VeUX-tU 

crier, je te dis ? 

Labussière, les suivant, vivement, à Fabienne. — Bah ! 

Criez donc ! Qu'importe, et partons ! 
Françoise, exaspérée. — Et il ne la tutoie pas, 

celui-là ? (Se retournant vers les autres.) Quand je VOUS le 

dis, que c'est une chouanne déguisée ! 

Martial va pour s'élancer vers Fabienne, mais il est entouré à gaiKhe 
par la Mariotte et les autres femmes qui lui barrent le chemin. 

Toutes. — Oui, oui, c'est une chouanne ! 
Labussière. — Ah ! belle Françoise, nous allons 
nous fâcher ! 



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THERMIDOR 



11 



Françoise. — Ah ! tu la défends, toi ! Eh bien, 

attends ! (Elle saute sur la brouette et crie à ceux du quai :) Eh ! 

là-haut, appelez donc un agent ! 

Labussiére, tandis qu'elle appelle, fait vivement passer Fabienne 
à gauche, du côté de Martial qui a bousculé les femmes. Elle se 
trouve entre les deux hommes. Mariette a couru rejoindre Fran- 
çoise à la brouette. 

Toutes, criant vers le quai. — Oui, oui, un agent ! 

Françoise, debout, triomphante sur la brouette. — En Voilà 

des suspects ! En voilà, et des fameux ! 
Toutes. — Ah !^ oui ! 

Scène VII 

Les mômes, POURVOYEUR 

Pourvoyeur paraît en haut de Tescalier avec deux ou trois autres 
gens du peuple, et descend. 

Mariotte. — Eh ! c'est Pourvoyeur ! 
Voix. — Voilà Pourvoyeur ! 
Françoise. — Avance ici. Pourvoyeur... v'ià du 
gibier pour toi ! 

Labussiére, bas à Martial et Fabienne, tandis qu'on se retourne 
vers le nouveau venu. — Un agent, laissez-moi faire. (A Mar* 

tiai.) Et toi, pas un mot ! 

Pourvoyeur, descendu en scène. — Eh bien, voyons, 
voyons, qu'est-ce qu'il y a ? 

Françoise. — Crois-tu que voilà une morveuse 
qui refuse de crier : « Mort aux aristocrates ! p 

Pourvoyeur. — Oh ! oh ! 

Toutes. — Oui, oui. 

Mariotte. — Et son galant qu'est militaire. 

Françoise. — Et c't' autre qui prend sa défense ! 
Si ça fait pas mal au cœur qu'la nation soit trahite à 
ce point-la ! 

Elle saute à terre. 

Jeannette. — Faut les m'ner à la section. 
Mariotte. — C'est des agents de Pitt et Cobourg ! 
Françoise. — Pour sûr qu'ils ourdissent leurs 
trames. 
Toutes. — Oui, oui, à la section ! 

Labussiére, se redressant, içouailleur et effronté, en les toisant 

— Ah ! nous avons bien le temps d'aller jabot^r là- 
bas, avec des laveuses de linge sale. 

Cris de stupeur et d'indignation. 

Pourvoyeur, faisant taire les femmes. — Allons, ouste ! 
Mariotte. — Demande-lui sa carte ! 
Tous. — Oui, oui, sa carte ! 

Pourvoyeur, ll leur impose silence du geste et va lentement 
près de Labussiére. — Ta caite ! 

Labussiére, qui rassurait Fabienne, feignant de ne pas voir 
Pourvoyeur, se retourne tranquillement vers lui, le chapeau sur l'oreille 
et le regardant sous le nez insolemment — Tu dlS ? 

Pourvoyeur, surpris du ton et intimidé. — Je dis : 
Ta carte ! 



Labussiére. — Et de quel droit le di§-tu, mau- 
vais chien ? 

Etonnement de la foule. 

Pourvoyeur. — Un insolent !... (a Françoise, inquiet) 
Il serait des nôtres ! 

Labussiére, de même, marchant sur lui. — Si je te fai- 
sais coffrer, brissotin, pour t' apprendre à qui tu 
parles !... 

Pourvoyeur, reculant — Pardon, je... 

Murmure de surpriseï 
Labussiére, le faisant reculer de plus en plus, menaçant en 

fouillant dans sa poche. — Ah ! tu veux voir tna Carte ? 

Pourvoyeur, humble. — Non, citoyen, non, à pré- 
sent. 

Labussiére, tirant sa carte et la lui mettant sous le nei. 

— La voilà ! Sais-tu lire, seulement, reste impur du 
fédéralisme ?... 

Pourvoyeur, après avoir lu la carte sans y toucher, obsé- 
quieux, soulevant son bonnet — Oh ! pardon ! citoyen ! Si 
j'avais su ! Ce sont ces fichues bêtes de femmes ! 

Explosion de cris des femmes. 

Mariotte. — Ah ! bêtes, nous ? 

Labussiére, imposant silence et serrant sa carte, — Allons! 

Silence ! Remisez vos battoirs... et qu'on nous 
balaye la place, et plus vite que ça ! 
Pourvoyeur, empressé. — Oui, citoyen, oui ! (ii fait 

écarter le monde pour le passage de Labussiére.) Allons! au large! 
(Du geste, il fait dégager les abords et les marches de l'escalier ; bouscu- 
lant un enfant) Enlève-moi ça, toi, crapaud ! 

Le gamin enlève la brouette; la foule se range stupéfaite, faisant 
place à Labussiére, à Fabienne et à Martial. 

Labussiére, à Fabienne, poUment — Passe devant, 
citoyenne, je vous suis ! 

Fabienne et Martial se dirigent vers l'escalier. 

Pourvoyeur, à ubussiére, humblement — J'espère, 
citoyen, que tu ne m'en voudras pas ? 

Labussiére, protecteur. — Trop de zèle ! Mais il 
n'y a pas de mal. (Lui tapant sur l'épaule.) Tu es un solide ! 
Au revoir ! 

Pourvoyeur, flatté. — Merci, citoyen. (Aux curieux qui 

sont en haut de l'escalier.) Détalez, VOUS autres ! 

Martial, Fabienne et Labussiére gravissent l'escalier, suivis des 
yeux par tout le monde, tandis que toutes les laveuses entourent 
Pourvoyeur. 

Françoise, à mi-voix. — Mais quoi donc qu'il est, 
c't homme-là? 

Pourvoyeur, de même. — Maladroites !... Un em- 
ployé au Comité de Salut public ! 

Toutes, saisies. — Ah! (Elles se tournent vers Labussiére qui, 
en ce moment, est en haut de l'escalier avec Fabienne et Martial qui 

le précèdent) Pardon, citoyen ! Pardon ! Et salut ! 
Françoise. — Fraternité ! 
Labussiére, gracieusement — Et la mort ! 

Seconde d'étonnement, puis rire général. 



RIDEAU 



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L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 




Martial, à Labussidre : « Mais enfin, qu'est-ce que cette carte qui a produit un st merveiiieux effet ? • 



ACTE ]] 



Une chambre Louis XVI, simplement^ mais très proprement meublée. Panneaux de boiseries peints en 
gris. Au fond, alcôve et lit de bois Louis XVI, A droite, premier plan, porte d'entrée.^ Au fond, de 
chaque côté de Valcôve, portes d^intérieur, vitrées à petits carreaux avec rideaux cramoisis. Entre 
r angle de la pièce et la fenêtre à gauche, chiffonnier Louis XVI à garnitures de cuivre. Entre la porte 
d'entrée à droite et V angle : un secrétaire avec son siège. Deux chaises de chaque côté de V alcôve. Toutes 
les étoffes drapant le lit, la fenêtre et recouvrant les sièges, sont en cretonne Louis XV L Au milieu, une table 
ovale de bois gris. Au-dessus et à gauche de la table, chaises. A droite, avant-scène, fauteuil; à gauche, idem, 
fauteuil et petit guéridon. , 



Scène première 
JACQUELINE, BÉRILLON 

Au lever du rideau, Jacqueline est occupée à épouaseter la table 
et les sièfes. On entend dehors la voix de Bérillon. 

BÉRILLON, appelant — Carmagnolc ! 

Jacqueline continue sa besogne en chantonnant entre «es dents. 

Jacqueline, fredonnant 

J'avais égaré mon fuseau. 

Je le cherchais sur la fougère... 

BÉRILLON, de même, hors de scène. — Cannagnole, Sais- 

tu OÙ est ma pipe ? 

Jacqueline, gagnant la droite pour épousseter le fauteuil 
Colin, en ôtant son chapeau. 
Me dit : « Que cherchez-vous bergère ? » 

Nouvel appel. Même jeu. Bérillon paraît sur le seuil de la porte 
d'intérieur à gauche de l'alcôve. Il est à demi habillé, en manches 
de chemise, bretelles tricolores, costume de sans-culotte, pan- 
talon rayé, bonnet phrygien bleu à crête rouge avec une énorme 
cocarde. Il tient d'une main une brosse, de l'autre, sa carma- 
gnole et, sous le bras, son sabre et le baudrier. 

BÉRILLON. — Citoyenne Bérillon, tu es devenue 
sourde ? 



Jacqueline, se retournant et jouant l'étonnée. Pendant toute 
la soône, elle continue à faire le ménage. — Tu m'as appelée ?... 

BÉRILLON. — Non, si peu !... Tu n'as pas entendu, 
peut-être ? 
Jacqueune. — J'ai entendu : « Carmagnole ! » 

Elle traverse à l'avant-scène et va à la fenêtre dont elle pousse 
les volets. 

BÉRILLON. — Eh bien ? 

Jacqueline. — Eh bien, je m'appelle Jac<]ueline 
et je vous ai signifié que je ne répondrais jamais qu'à 
ce nom-là ! 

BÉRILIX)N, posant son bonnet sur la table avec le sabre et la 

carmagnole. — Ah ! l'entêtement des femmes ! 

Jacqueline. — ... Et la bêtise des hommes ! Cette 
idée de m'appeler Carmagnole et de débaptiser notre 
petit Joseph pour l'appeler : « Ça ira !» Je lui ai 
dit : « Toutes les fois que ton papa t'appeUera : « Ça 
» ira », tu n'iras pas. » 

BÉRILU>N, après avoir brossé son bonnet, endossant la carma- 
gnole tout en parlant et trouvant sa pipe dans sa poche. — Ah ! 

voilà ma pipe !... (ii la poee sur la table.) Enfin, tu ne 
veux pas comprendre que c'est une comédie pour 
les autres, pour le quartier ! Et que ces noms-là nous 
posent comme solides patriotes ! Ainsi, moi, Hip- 
polyte Bérillon, crois-tu que je n'aie pas im autre air 



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THERMIDOR 



13 



à m' appeler comme je fais : Casca ? Le citoyen Casca 
Bérillon ? 

Jacqueline, arrangeant les rideaux de TalcÔve. — Qu'est- 

ce que c'est encore que cet Iroquois-là ? 

BÉRILLON. — Casca ? C'est un ancien qui a immolé 
César... Une façon de dire que j'immolerais comme 
lui. 

Jacqueline, elledescend et vient lui aider à passer sa carmagnole. 

— Toi ?... Non, laisse-moi rire... Si ce César-là te don- 
nait seulement une chiquenaude ! Ah ! mon Dieu ! 
Quelle course ! 

Elle le secoue en tirant sur le bas de la carmagnole. 

BÉRILLON, protestant — Oh ! mais... 

Jacqueline, lul passant son baudrier sur l'épaule. — Mais 

laisse-moi donc tranquille ! Tu ne peux seulement 
graisser ton sabre sans frissonner de le voir tout nu. 

(Elle se recule pour le regarder.) Et de quoi encore est-ce 

que tu as l'air avec ce bonnet-là ? D'un vieux coq. 

BÉRILLON, marchant sur la droite. — Et mon briquet ? 

Si tu crois que ça m'amuse de l'avoir tout le temps 
qui me bat les mollets. 

Jacqueline, reprenant sa besogne. — Alors, ôte-le, ni- 
gaud ! Un brave homme de mari, de père, de com- 
merçant ! Le premier lampiste du quartier ; qui n'a 
pas son pareil pour les quinquets et qui est tout le 
temps hors de sa boutique pour aller vociférer avec 
les autres, au comité de sa section! 

BÉRILLON. — Oh ! ma bonne Jacqueline, si tu sa- 
vais comme ils sont mauvais ! Ah ! les gredins ! Mais 
tant plus qu'ils sont enragés, tant plus que je dis 
comme eux pour ne pas avoir l'air d'un suspect ! 

Jacqueline, remontant vers lui. — C'est ça, la peur ! 

BÉRILLON, effrayé, à mi-voix, allant au secrétaire. — VeUX- 

tu pas crier comme ça ! 

Jacqueline. — Eh ! je veux crier, moi ! C'est ré- 
voltant à la fin ! Je ne suis qu'une femme, mais c'est 
moi qui leur dirais leur fait. 

BÉRILLON, il s'assied sur le siège devant le bureau et tire son 

trousseau de clefs pour l'ouvrir. — Tu n'entends rien à la 
politique ! 

Jacqueline. — Et qu'est-ce que vous allez encore 
fricoter là-bas, dès le potron-minet ? 

Elle ouvre la porte à droite de l'alcôve et secoue le torchon au 
dehors. 

BÉRILLON. — Le comité est convoqué d'urgence. 

Il ouvre un tiroir et y prend de l'argent 

Jacqueline, refermant la porte. — Parce que ? 

BÉRILLON. — Paraît qu'il y a eu du grabuge hier à 
la Convention et que la journée sera chaude. 

Jacqueline. — Et vous allez en profiter pour 
boire? 

BÉRILLON, refermant le tiroir. — Ça, OU boira ferme. 
Jacqueline, elle descend avec le torohon prendre la brosse sur 
la table ainsi que le plumeau qu'elle va déposer dans la pièce à gauche 

de l'alcôve. — A tes frais ? 

BÉRILLON, il remet le trousseau de clefs dans sa poche. — 

C'est probable. 

Jacqueune. — Cest ça... et, quand vous aurez 
bien bu... 

Elle disparaît un instant 

BÉRILLON, debout — Nous prendrons les mesures 
patriotiques propres à déjouer les projets liberticides 
des factieux qui, sous le masque du modérantisme, 
sèment parmi nous les ferments de la discorde ! 

Jacqueline, rentrant et fermant la porte. — Oui, va, 

charabia... Tu as appris ça par cœur ? 



BÉRILLON. — Tu peux le croire ? Est-ce que ma 
soupe n'est pas prête ? 

Jacqueline. — Ah ! ta soupe ! c'est bon pour le 
lampiste, la soupe. A présent que te v'ià déguisé en 
tigre, j'oserais jamais t' offrir de la soupe ! 

BÉRILLON, piteusement — Alors, il ne faut plus quc je 
mange ? 

Jacqueline. — Non ! Allons, file et va hurler avec 
les loups... poltron ! 

BÉRILLON, prtt à pleurer. — Mais ce n'est pas une rai- 
son pour me traiter comme un ci-devant nègre ! 

Jacqueline, le repoussant — Va !... Va !... 

BÉRILLON, piteux. — Quand on a pour mari un pau- 
vre sans-culotte comme moi !... 

Jacqueline, elle prend la pipe sur la table et la lui donne. — 

On les porte !... V'ià ta pipe, allons, détale ! 

BÉRILLON, avançant la main pour lui prendre la taille. — 

Alors, tu ne veux pas m' embrasser ? 

Jacqueline, lui tapant sur les mains. — Non ! 

BÉRILLON. — Ma chère petite femme, si tu savais 
comme j'ai peur, vrai, tu aurais pitié de moi. 

Jacqueline, lui tendant la joue. — Allons, va, grosse 
bête... Et tâche de ne pas faire trop de mal. 

BÉRILLON. — Ah ! Dieu de Dieu ! Quand est-ce 
donc que ça finira? Quand est-ce donc ? 

Il sort par la porte du fond, à droite de l'alcôve. 



Scène II 

JACQUELINE, puis GASPARD, puis LABUSSIÈRE 

Jacqueline, seule. — Ah ! si tout le monde était 
comme moi, ça n'serait pas long ! 

On entend dehors la voix de Labussière. 

Labussiére, deho». — M"»« Bérillou est là? 

Gaspard. — Oui, oui, citoyen ! (Ouvrant la porte d'entr6e 

à droite.) Patronne ! 

Jacqueune. — Quoi ? 

Gaspard. — C'est le citoyen Labussière ! 

Jacqueune. — Labussière ! 

Gaspard. — Avec un de ses amis et une citoyenne. 
Ils demandent s'ils peuvent entrer! 

Jacqueline. — Ah ! lui, toujours !... (a u porte.) 
Entrez, entrez, citoyen ! 



Scène III 

JACQUELINE, LABUSSIÈRE, MARTIAL, 
FABIENNE 

Labussière, entrant par la droite. — Merci, chère 
amie, j'étais sûr de votre bon accueil pour cette 
jeune femme... (A Fabienne et à Martial) Entrez, entrez 
vite ! 

Fabienne entre soutenue par Martial. Gaspard sort 

Jacqueline. — Mon Dieu ! Qu'a-t-elle donc ? 
Labussière. — Rien, un peu d'émotion et de fa- 
tigue... Je l'ai fait marcher d un tel pas ! 

Il roule le fauteuil de droite jusqu'à /a table et y fait asseoir Fa- 
bienne, avec l'aide de Martial 

Fabienne, assise, souriant — ^^ Oh ! OUI ! 
Labussière. — C'est que je voulais dépister deux 
ou trois curieux qui nous suivaient de loin. 

Il va à la porte d'entrée restée ouverte prêter l'oreille. 

Martial, api^ un silence. — Eh bien ? 



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14 



UILLUSTRATION THÉÂTRALE 



Lâbussière. — Non, rien. 

Il ferme la porte. 

Jacqueline, au-dessus de u table. — Vous avez été 
inquiétés ? 

Lâbussière, aiunt à eiie. — Les femmes du bateau 
de l'île Louviers voulaient lui faire un méchant parti 
pour une croix d'or qu'elle porte au cou. 

Jacqueline. — Le bateau de Françoise ? 

Lâbussière. — Précisément. (A Jacqueline, faisant signe 
de respirer un fUcon.) VouS n'avez paS ?... 

Jacqueline, allant chercher un flacon dans le secrétaire. — 

Oh ! je les connais ! Des enragées !... 

Lâbussière, entre la table et Fabienne. — NoUS aVOnS 

pu, mon ami et moi, la sortir de peine. 

Martial, à droite de Fabienne. — C'est-à-dire, toi ! 

Labussiêre. — Mais j'avais hâte de nous réfugier 
dans une maison amie, et, la vôtre étant là... 

11 prend le flacon que lui apporte Jacqueline et le donne à Fabienne. 

Jacqueline, au-dessus de Fabienne. — Ah! je crois bien ! 
Labussiêre, à Fabienne. — Cela va mieux ? 
Fabienne. — Oui, merci ; madame ! 

Elle rend le flacon à Jacqueline. 

Labussiêre, à Martial et à Fabienne. — Au fait... 
VOUS ne savez pas chez qui vous êtes !... M™« Béril- 
lon... la meilleure femme du monde. 

Martial. — Je le vois. 

Labussiêre. — Et notre costumière du théâtre 
Mareux !... Son mari, lampiste, comme vous l'avez 
pu voir par sa boutique, est chargé de notre éclai- 
rage... J ai longtemps habité cette chambre qu'ils 
voulaient bien me sous-louer toute meublée. 

Jacqueline. — Et tout à votre service. Elle est 
libre ! 

Labussiêre. — Et qui sait ?... Ce n'est pas de 
refus... 

Jacqueline. — Maintenant, je suppose que ma- 
dame. .^ 

Martial et Labussiêre, rectifiant — Mademoiselle... 

Jacqueline. — Mademoiselle, pardon !... prendra 
volontiers une tasse de lait pour se remettre ! 

Fabienne. — Vous êtes bien bonne, madame... 
j'accepte de grand cœur. 

Labussiêre. — Et nous aussi. 

Jacqueline. — J'ai de très bon lait que ma mère, 
fermière à Montreuil, m'apporte le matin en allant 
au marché Saint-Jean. Le voulez-vous froid ou 
chaud ? 

Labussiêre, à Fabienne. — Ah! froid, n'est-ce pas?... 
par cette chaleur. 

Fabienne. — Froid... oui ! 

Jacqueline. — Ici, vous serez bien au frais. La 
rue Beautreillis est dans l'ombre, les volets sont clos 
et je viens d'arranger la chambre. 

Elle remonte pour sortir par la porte à gauche de l'alcôve. 

Fabienne. — Que je vous suis reconnaissante, ma- 
dame, de vos bons soins ! 

Jacqueline, se retournant — Laissez donc !... Cela 
me distrait l 

Elle sort 

Scène IV 

Les mêmes, moins JACQUELINE 

Martial. — Brave femme ! 
Labussiêre. — Cela console de Françoise. 

Il va entr'ouvrir es volets avec précaution pour regarder dans la rue 



Martial, à Fabienne, assis près d'elle, à droite, sur la chaise du 
bureau qu'il est allé prendre pendant ce qui précède. — Enfin !... 

ma chère Fabienne, nous voilà seuls, un peu tran- 
quilles et je puis vous demander comment vous 
étiez sur ce bateau en si méchante compagnie, 
exposée à de si grands dangers ? 

Fabienne. — Hélas ! Martial, ces dangers-là, je 
suis bien forcée de les braver à tout instant. Depuis 
que j'ai perdu l'excellente femme à qui vous m'aviez 
confiée... j'ai dû chercher ailleurs un asile et de quoi 
vivre, et je n'ai pas le choix des gens que je fréquente. 

Martial. — Mais moi, Fabienne, moi, j'étais là ! 

Fabienne. — Mais vous, mon ami... Je ne vous 
croyais plus de ce monde. 

Martial. — Vous m'avez cru mort ? ^ 

Fabienne. — Et comment ne pas le croire ? Pen- 
dant de si longs mois, pas une lettre de vous ! 

Martial. — Ah ! c'était bien ma crainte !... J'étais 
prisonnier et je vous écrivais sans cesse !... Mes let- 
tres ne passaient pas la frontière. 

Labussiêre repousse les volets et revient à la table écouter discrftte- 
I ment 

Fabienne. — Et les miennes revenaient de l'ar- 
mée avec ces mots cruels : « Disparu !... Pas de nou- 
velles !... Porté pour mort !... » Je cours au Comité de 
lec guerre, oi\ Ton me donne votre mort comme trop 
certaine ! Ah ! le triste retour, après ce dernier espoir 
perdu ! 

Martial, rapprochant sa chaise du fauteuil. — Mais depuls... 

Il y a cinq semaines... Dès ma mise en liberté, je vous 
ai écrit lettre sur lettre, bien surpris de n'avoir 
pas de réponse... et celles-là... 

Fabienne. — Mais celles-là, Martial, je ne les ai 
pas reçues. Car, depuis trois mois que votre parente 
est morte, je ne suis jamais retournée à son logis, d'oik 
ses héritiers m'avaient chassée comme une servante. 

Martial, prenant la main de Fabienne. — Ah ! pauvre en- 
fant !... Et alors, seide dans Paris, sans ressources... 

Fabienne, se dégageant doucement — Oh ! si petites et si 
vite épuisées ! J'avais frappé à bien des portes, 
m'offrant à servir de femme de chambre, bonne d'en- 
fant et ne trouvant nidle part mon gagne-pain. Il 
me restait à peine pour vivre pendant deux jours et 
je n'aurais jamais su où dormir sans la charité d'une 
fruitière qui me cédait son galetas à l'heure où elle 
partait pour les halles ! J'étais à bout de force et bien 

Î>rès du désespoir, quand, un soir, passant devant 
'église Notre-Dame, j'eus la pensée d'y entrer et 
d'appeler Dieu à mon aide. L'église, toute sombre, 
était déserte. li'autel, les ornements sacrés avaient 
disparu et la nef, louée à des marchands de vin, était 
encombrée de tonneaux vides. Je regardais tristement 
la maison de Dieu, plus imposante dans son dénû- 
ment sacrilège qu'elle ne l'avait jamais été dans toute 
sa gloire, quand j'aperçus une femme agenouillée sur 
les dalles et bravant le danger d'être surprise en fla- 
grant délit de piété. Je fis comme elle et, tombant à 
genoux, j'unis ma prière à la sienne. Elle se lève, me 
regarde : c'est Mane-Thérèse, une de mes sœurs aux 
ursulines de Compiègne. Nous échangeons tout bas 
nos confidences. Elle habite avec mère Angélique et 
deux autres sœurs, dont une novice, comme moi, un 
quatrième étage ici près, rue des Toumelles, où elles 
mettent en commun le peu d'argent qu'elles possè- 
dent et celui qu'elles gagnent à des travaux de cou- 
ture que Marie-Thérèse place dans les magasins. Le 
soir même, elles se serraient un peu pour me faire 



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THERMIDOR 



15 



place dans leur misérable logis et à leur pauvre table 
et, pour ma part, j'avais le soin du ménajçe. Voilà 
comment vous m'avez trouvée ce matin blanchis- 
sant à la rivière le linge de notre petite communauté. 

Scène V 

Les mêmes, JACQUELINE, une servante 

Jacqueline et la servante entrent par le fond, à droite, avec le lait, 
trois tasses, des couteaux, du beurre, etc. une miche de pain bis, 
qu'elles déposent sur la table. Jacqueline a, de plus, un gros bou- 
quet de roses blanches. 

Jacqueline. — Voici le Jait ! 

Fabienne se lève. 

LABUSsrèRE, à gauche de la table. — Qu'il soit le bien- 
venu, n'est-ce pas ? 

Martial. — Oui, depuis cinq heures du matin... 

Il pousse le fauteuil do Fabienne j^rèB di la table, pu's remonte 
au-dessus, faisant p^ace à Jacqueline. 

Jacqueline. — Comment, depuis cinq heures? 
Labussiêre et Martial. — Oui ! Oui ! 

Jacqueline, à Fabienne en lui donnant les roses. — Des 

fleurs de Montreuil que je prie la citoyenne d'ac- 
cepter ! 

Fabienne. — Ah ! les belles roses ! Grand merci, 
madame ! 

La servante donne des serviettes à Jacqueline, puis prend la chaise 
laissée par Martial et la reporte au secrétaire. 
LaBUSSIÈRE, prenant le pain et le couteau. — Et Béril- 

lon ? Il n'est pas là, Bérillon ? 

Jacqueline, mettant le couvert en passant devant la table. 
Fabienne s'est assise dans le fauteuil, Martial sur la chaise au-dessus de 

la table. — Chez lui !... jamais !... Il est à sa section ! 

LaBUSSIERB, à gauche, debout, coupant des tranchée de pain. 

— Enragé, toujours ? 

Jacqueline. — Toujours ! le pauvre homme ! 

Elle tourne pendant ce qui suit autour de la table, mettant le cou- 
vert 

liABUSSiÈRE. — Et le théâtre ? 

Jacqueline, môme jeu. — Ça boulotte ! 

Labussière. — Qu'est-ce que vous jouez, ce soir ? 

Jacqueline, de même. — Le Vous et le Toi, du ci- 
toyen Aristide Valcourt ! 

Labussière. — C'est Michelot qui joue mon rôle 
de Justin ? 

Jacqueline. — Non, c'est Gobin ! 

LaBUSSTÈRE. — Médiocre !... (II passe devant la table et 
chantonne en donnant à chacun sa tranche de pain.) 

Le cachet de la servitude 
Est imprimé sur le mot « vous ». 
Ce mot à Toreille est si rude 
Et le mot « toi » paraît si doux ! 

Jacqueline, servant le lait à Fabienne. — Et l'on VOUS 

y regrette assez, au théâtre. 

Labussière. — C'est réciproque ! Mais, après 
mon aventure ! 

Martial, prenant le pot au lait des mains de Jacqueline pour se 

servir. — Laquelle ? 

LABUSsrÈRE. — Une querelle, en répétant, avec 
un misérable nommé Duclos, qui a dénoncé l'un de 
nos camarades ! Dans ma colère, j'ai brisé à coups 
de canne le buste de Marat placé à l'avant-scène et, 
déjà mal noté, j'ai cru prudent d'abandonner pour 
un temps l'art dramatique. C'est alors que ce brave 
poltron de Bérillon m'a donné asile dans cette cham- 



bre que je regrette... surtout à cause de la proprié- 
taire. 

II baise les mains de Jacqueline. 

Jacqueline. — Je redescends à la boutique. Si 
vous avez besoin de moi, vous n'avez qu'à sonner. 

Labussière. — Bien, chère amie ! 

Martial. — Merci, madame ! 

Jacqueline. — Et déjeunez tranquillement, il 
n'y a pas de figure suspecte dans la me Antoine. 

Labussière. — Ni dans la rue Beautreillis... Je 
m'en suis assuré déjà. 

Elle sort Labussière vient entre Martial et Fabienne, prendre le 
pot au lait. 



Scène VI 

FABIENNE, LABUSSIÈRE, MARTLIL 

Labussière. — Nous avons dépisté les curieux ! 

Fabienne, prenant la main gauche de Labussière. — Et je 

ne vous ai pas encore remercié, vous qui m'avez 
arrachée à un si grand péril. 
Labussière. — Sans difficulté !... Avouez-le ! 

Il gagne sa place k gauche de la table, et, debout, verse du lait dans 
sa tasse. 

Martial. — Mais, enfin, par quel secret ? Car 
qu'est-ce que cette carte qui a produit un si mer- 
veilleux efJFet ? 

Labussière, buvant une gorgée de lait — Ma carte tri- 
colore ? 

Martial. — Oui. 

Labussière. — Si je vous la montre, me promet- 
tez-vous de ne pas avoir trop peur ? 

Même ieu. 

Fabienne. — Peur de vous ? 
Labussière. — Eh ! oui. 
Martml. — Quelle plaisanterie ? 
Labussière. — Alors, tenez-vous bien ! (ii lui pré- 
sente sa carte.) Et lis tOUt haut ! 

Martial, lisant. — « République française. Comité 
de Salut public... Charles Hippolyte, employé, bu- 
reau des détenus. » Charles Hippolyte ? 

Labussière. — Moi ! 

Martial. — Toi ? 

Fabienne. — Oh ! 

Labussière, tranquillement. — Quand je vous l'ai 
dit que vous alliez frémir ! 

Martial. — Est-ce possible ? 

Labussière. — Tu vois. 

Martial. — Mais enfin, comment es-tu là ? 

Labussière, s'asseyant, et déjeunant pendant ce qui suit. 

-- Apres mon aventure chez Mareux, j'étais en quête 
d'un métier provisoire, car il fallait vivre ! Un jeune 
auteur dramatique qui fréquente nos coulisses, Guil- 
bcrt Pixérécourt, employé au secrétariat du Comité 
de Salut public me dit : 4 je verrai Fabien Pillet, direc- 
teur du bureau des détenus. Un de ses employés est 
mort, je lui parlerai de toi.» Et, deux jours après 
sous le nom de Charles, j'étais installé dans le cabinet 
de Pillet à titre de commis enregistreur. Un asile dans 
la caverne même du monstre qui s'apprêtait à me' dé- 
vorer et où l'on pouvait d'autant moins me soup- 
çonner que, m'inspirant de mon dernier rôle chez 
Mareux : le Désespoir de Jocrisse, j'ai pris le masque 
d un mais affligé d'un embarras de la langue et ne 
SUIS plus connu dans les bureaux que sous le nom de 
« l'ahuri », ou de Cha-a-arles, le bébé... bégayeur. 



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16 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



Martial. — Mais commis enregistreur... de quoi ? 

Labussière. — Des dossiers ! Tout détenu des 
quarante et une prisons révolutionnaires de Paris a 
son dossier contenant les pièces dites accusatrices. La 
commission populaire siégeant au Louvre, d'accord 
avec le bureau de police générale, dresse la liste de 
ceux qui doivent être mis en jugement et l'expédie 
avec leurs dossiers à Fouquier-Tmville qui règle ses 
fournées en conséquence. 

Martial. — Et ta fonction, à toi ?... 

Labusseère. — Est de classer les dossiers par 
ordre alphabétique et, quand l'employé de la com- 
mission populaire se présente avec la liste des déte- 
nus qui vont être appelés au tribunal, de lui remettre 
les pièces concernant ce§ malheureux. 

Silence embarrassé de Martial et Fabienne qui se regardent. 

Martial. — Et tu as accepté cet affreux emploi ? 

Labussière, tranquuiement. — Sans lequel, avoue-le, 
nous ne serions pas ici tous les trois à déjeuner 
tranquillement. 

Martial. — Dieu me garde d'être ingrat ; mais ce 
qui me passe c'est que toi, Labussière, qui tout à 
1 heure encore n'avait pas assez d'indignation pour 
ce régime atroce, tu te condamnes, même dans l'in- 
térêt de ton salut, à être l'un des rouages de cette 
effroyable machine à tuer ! 

Labussière, à Fabienne. — Et c'est aussi votre 

avis, n'est-ce pas ? (Elle ne répond que par un geste embar- 
rassé.) Allons, je vois bien qu'il faut tout vous dire 
sous peine de passer pour un buveur de sang, (ii vide 
sa tasse et la dépose.) Aussi bien, pourquoi VOUS tairais-je 
la vérité ?... La voici donc ! Outre les dossiers des 
détenus, j'ai sous ma garde ceux des dénoncés qui se 
cachent ou sont en fuite. Avais-je été signalé par mon 
algarade ?... Je l'ignorais... mais, dans ce cas, mon 
dossier était là sûrement, avec les autres, et j'avais 
tout intérêt à le détruire pour me faire oublier. Seu- 
lement cette destruction n était possible que si j'ac- 
ceptais la place offerte : ce que ]e fis dans un intérêt 
tout personnel. 

Martial. — Soit ! Je comprends cela. Mais en- 
suite ? 

Labussière. — Patience donc ! Une heure après 
mon installation, j'étais fixé ! Rien à mon nom, donc 
pas de dénonciation. Et, tout à la satisfaction de cette 
découverte, je cherchais déjà quelque expédient pour 
me démettre de mes répugnantes fonctions, quand 
l'huissier du bureau de police générale entre, une liste à 
la main et me dit : « Prépare ces dossiers pour le tribu- 
nal, je repasserai dans une heure. » Il sort, après avoir 
déposé sur ma table la liste des détenus qui vont être 
appelés en jugement... Je lis... Des noms inconnus 
pour la plupart : un seul me frappe : « Jean-Pierre 
Florian ! » 

Martial. — Celui des fables ? 

Labussière. — Oui ! Je le connaissais pour avoir 
joué au théâtre italien deux de ses arlequinades... 
Accuser, condamner cet honnête, cet excellent 
homme ! Après avoir rassemblé les autres dossiers, 
je feuilletais le sien !... Quel amas de calomnies, d'in- 
sanités enfantées par la sottise, l'ingratitude. Le té- 
moignage le plus ignoble était la lettre d'un misérable 
que Florian avait sauvé de la prison. Indigné, brus- 
quement je la déchire et la jette au feu ! Nous étions 
en hiver !... Le papier flambe et je me dis : Bah ! 
pourquoi pas le reste aussi ?... Etç ma foi, je brûle 
tout. 

Il s es\ levé en éloignant la chaise de la table. 



Martial. — Ah ! bien, cela ! 

Labussière. — L'huissier reparaît... Cest le mo- 
ment de faire appel au comédien. Je joue l'empressé, 
l'essoufflé, le désolé ! Avec un flux de paroles qui 
l'étourdissent, je déclare que j'ai fouillé partout, 
partout et que le dossier Florian est introuvable ! 
Mon prédécesseur, mort subitement, a laissé le bureau 
dans un désordre !... C'est à devenir fou ! Je m'ar- 
rache les cheveux et j'ai tellement l'air d'un idiot 
qu'il éclate de rire et se retire en me disant : < Allons, 
(rest bon, imbécile, pour aujourd'hui on se passera 
de celui-là !» et je tombe épuisé, mais ravi d'avoir 
si bien exécuté pour un autre ce que j'avais com- 
ploté pour moi seul. 

Il se rapproche de Fabienne devant la table. 
Martial, debout, passant au'dessus de Labussière et redescen- 
dant à gauche. — Ah ! mon bon Labussière... Alors ?... 

Labussière, entre Martial debout et Fabienne assise. — 

Alors j'ai pensé : Quoi ! c'est si simple que cela ! 
Je supprime ce dossier, Fouquier ne peut pas dresser 
l'acte d'accusation et c'est du temps gagné pour la 
victime ! Mais aujourd'hui, tout est là, gagner du 
temps ! Ce que j'ai fait pour un, je le puis pour d'au- 
tres !... Mon devoir n'est plus de partir !... Je reste 
et je récidive ! Avouez que c'était bien appétissant ! 

Martial. — Certes ! 

Labussière — Et, timidement d'abord, choisis- 
sant les noms ami», supprimant les pièces les plus 
compromettantes, puis, cachant les dossiers, enfin, 
les détruisant et renouvelant pour M™« de Custine, 
de Buff on, de Lafayette, et pour une camarade, la 
Montansier, ce que j'avais fait pour Florian, invo- 
quant toujours le désordre et toujours avec succ^, 
enhardi par l'habitude et l'impunité, en moins de 
trois semaines, j'avais déjà détruit vingt, trente, 
quarante dossiers... 

Martial. — Par le feu ! 

Labussière, se rasseyant sur sa chaise. — Ah ! non !... 
l'odeur du papier brûlé m'aurait trahi. (Martial 

s'assied sur le fauteuil à gauche.) Je mets SOUS clef, dans 

le tiroir de mon secrétaire, les pièces à détruire 
et je pars tranquillement, les mains vides, à la 
sortie des bureaux où la surveillance est plus active. 
Vers minuit, une heure du matin, je retourne aux 
Tuileries. Mon bureau est au deuxième étage du pa- 
villon de Flore, autrement dit de l'Egalité. Toute la 
nuit, les portes du palais sont ouvertes. Grâce à ma 
carte d'employé, je passe sans difficulté. Sous prétexte 
d'un oubli, d'un travail attardé, je trouve la clef du 
bureau, sous un paillasson, à une place convenue 
avec Fabien Pillet et Pierre, notre garçon de bureau, 
j'entre à tâtons, j'extrais les papiers de mon tiroir, je 
les fais tremper dans ma cuvette où je les pétris, les 
triture et les mets en pâte. Après quoi je les tords en 
pelotes dont je bourre mes poches et je sors. Cest ici 
que le danger commence. Le Comité de Salut public 
siège à quelques pas de mon bureau et il y a séance 
deux fois par jour, à onze heures du matin, avant 
celle de la Convention, et le soir, de neuf... dix heures, 
jusqu'à deux ou trois heures du matin. Je puis ren- 
contrer dans l'escalier, dans un couloir, quelques 
membres du Comité, à qui ma présence à pareille 
heure paraîtrait à bon droit suspecte. Je vais donc 
à pas de loup, rasant les murs, l'oreille au guet et 
quelquefois, blotti dans l'ombre et voyant passer 
Herman ou Fouquier-Tinville, la tête haute, j'ai 
souri à la pensée que, de nous trois, c'était moi qui 
semblais le malfaiteur!... Une fois le guichet franchi. 



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THERMIDOR 



TT 



je suis sauvé. Je rentre chez moi, je dors, puis, de bon 
matin, accompagné du brave petit Lupin, notre 
saute-ruisseau, mon seul confident, je vais à la ri- 
vière, en quelque endroit écarté où, sous mine de me 
baigner ou de pêcher, j'émiette dans l'eau toute ma 
procédure qui s'en va doucement à la dérive ! Et, 
comme bon républicain, à chaq[ue dossier détruit, il 
me semble que je suis un fils pieux qui épargne une 
mauvaise action à sa mère. 

Mabtial, vivement debout — Alors, ce matin ?... 

Labussière. — Huit aristocrates à la Seine d'un 
seul coup ! Comme Carrier ! Mes petites noyades ! 

Martial, allant à lui, et lui serrant la main. — Ah ! mon 

ami ! 

Fabienne. — Ah ! monsieur, que c'est bien ! 

Martial. — Et tu en as détruit de ces dossiers ? 

Labussière. — Des centaines dont le tour n'est 
pas encore venu, trois cents et quelques réclamés par 
le tribunal, entre autres ceux de la Comédie-Fran- 
çaise : Fleury, d'Azincourt, La Rochelle, Saint-Prix, 
Vanhove, les sœurs Contât, Devienne, Lange, Méze- 
ray, Raucourt, et cœtera.., 

Martial. — Mais c'est admirable ! 

Labussière. — Oh ! ma foi !... Je n'y ai pas grand 
mérite, n'ayant plus peur !... On se passionne pour 
ces choses-là, à cause du danger même ; comme les 
dompteurs avec leurs bêtes fauves. Je dompte les 
fauves ! Et puis, j'ai toujours eu le goût de la mysti- 
fication. Mystifier l'échafaud, tu m avoueras que ce 
n'est pas banal. J'y ai pris goût et maintenant cela 
me gênerait beaucoup d y renoncer. 

Fabienne. — Vous allez voir que c'est de l'égoïsme. 

Martial. — En somme, à ce jeu-là, tu joues ta vie 
tous les jours. 

Labussière. — Comme toi, soldat ! 

Martial. — Oh ! ce n'est pas la même chose ! 

Labussière. — Exactement ! 

Fabienne. — Et personne n'a rien vu, rien soup- 
çonné ? 

Labussière. — Personne que Fabien Pillet qui se 
fait mon complice, le brave garçon, en fermant les 
yeux... (Il se lève.) Toutefois, ailleurs, l'attention est 
éveillée et quelqu'un qui trouve que, décidément, le 
désordre est trop grand dans mon bureau, c'est le 
chef de la police générale. Héron. 

Fabienne. — Héron ? 

Labussière. — Vous le connaissez ? 

Fabienne. — François Héron, ancien fourrier des 
écuries d'Artois ! 

TiABUSSiÈRE, inquiet. — Et ami de Marat, espion de 
Robespierre, familier de Fouquier-Tin ville... Bon 
Dieu ! Quel rapport entre vous et ce misérable ? 

Fabienne. — Ha épousé, avant la Révolution, une 
femme de Saint-Malo au service de ma mère, qui 
avait fourni au nouveau ménage les moyens de s'éta- 
blir. A la mort de votre cousine, ma première pensée 
a été de m'adresser à cette femme, ignorant ce qu'est 
devenu son mari. 

Labussière, dont l'inquiétude redouble. — Et VOUS êtes 
allée chez lui ?... 

Fabienne, se levant. — Oui ! 8a femme était sor- 
tie. J'ai dit mon nom. Introduite près du mari, je l'ai 
trouvé à table, un peu gris, à ce qu'il m'a semblé. 

Labussière, anxieux. — Toujours... Alors ? 

Fabienne. — Alors, éclatant de rire à ma vue : «Ah ! 
ah ! c'est toi, petite ! Les rôles sont changés, ma 
belle, et tu seras peut-être bien heureuse, à présent, 
de cirer les souliers de ma femme. » Glacée par cet 



accueil, je ne savais que répondre. Il se lève et fait 
mine de m'attirer à lui... Je le repousse, il trébuche 
et tombe en appelant à l'aide et je gagne la rue, où je 
suis hors d'attemte avant qu'il soit a ma poursuite. 

Labussière. — Mais c'est effrayant ce que vous 
m'apprenez là ! Vous ignorez la suite ? 

Majitial. — Et quoi ? 

Labussière. — Cest que vous êtes venue pour 
assassiner Héron ! 

Fabienne. — Moi ! 

Labussière. — H n'a pas manqué une si belle oc- 
casion de se poser en martyr et j'ai lu, je ne sais où, 
qu'une Vendéenne s'était présentée chez Héron atta- 
blé et, s'armant d'un couteau, avait tenté de le frap- 
per. 

Fabienne. — Quelle indignité ! 

Labussière. — Martial a-t-il prononcé votre nom, 
tantôt, devant cet agent ? 

Martial. — Rien que celui de Fabienne. 

Labussière. — C est encore trop... Pourvoyeur 
est un agent de la commission populaire. S'il fait son 
rapport et vous nomme, Héron est sur vos traces ! 
Vous portiez ce vêtement en allant chez lui ? 

Fabienne. — Le même ! 

Labussière. — Encore un signalement ! (ii reporte sa 

chaise à gauche, devant la table, et va tirer le cordon de sonnette, au- 
dessus de la chaise à droite de Talcôve. Martial le suit. Fabienne gagne 

la gauche.) Ah ! ceci est plus sérieux que l'aventure de 
ce matin. 

Martial. — Tu crois que Héron l'a dénoncée ? 

Labussière, redescendant à droite. — Si je le crois !... 
Il a fait exécuter FoUope, son propriétaire, qui avait 
l'audace de réclamer ses termes !... et a tenté d'im- 
pliquer sa femme dans une prétendue conspiration 
de Saint-Malo, pour se débarrasser d'elle... Voilà 
l'homme ! (a Fabienne.) Vous ne seriez plus de ce monde 
s'il avait su où vous prendre ! 



Scène VII 

Les mêmes, JACQUELINE 

Jacqueline, elle entre par la porte du fond, à droite. — 

Vous m'appelez ? 

Labussière. — Oui, oui, venez vite, chère amie. 
Cette fois, j'ai recours à la costumière. 

Il la fait descendre à l'avant-scàne, à droite. 

Jacqueune. — Pour ? 

Labussière, indiquant Fabienne. — Pour me changer 
tout de suite cette toilette-là. 

Jacqueline. — Si vite ? 

Labussière. — Le temps d'un entr'acte ! Vous 
avez bien quelque ajustement de théâtre qui nous 
convienne ? 

Jacqueline. — Attendez ! Une toilette ?... 

Labussière. — Bourgeoise, très simple. 

Jacqueline. — J'ai l'affaire ; le costume de Cécile 
dans le Mari coupable, de la citoyenne Villeneuve, 
que nous jouons dans trois jours. 

Labussière. — Destiné à...? 

Jacqueline. — Dupré l'aînée... c'est la même 
taille. 

Labussière. — Parfait ! Vous aurez le temps d'en 
couper un autre pour Dupré... Et vite, vite, déguisez- 
nous vite. 

Il fait passer Jacqueline à gauche en la poussant vers Fabienne. 



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18 



L'ILLUSTRATION THEATRALE 



^ Fabienne, hésitante. — Mon Dieu, mais cette robe 
de théâtre... 
Jacqueline. — Toute neuve... 

Elle remonte vers la porte du fond, à gauche. 

Fabienne. — Mais, pourtant... 

Martial, au-dessus de la table. — Oh ! je vous en prie, 
Fabienne ! 

Labussière. — Ne risquons pas trois têtes pour 
une robe ! 

Fabienne. — C'est vrai, pardonnez-moi d'oublier 

que ma perte serait la vôtre ! (Elle remonte vers Martia'.) 

Mais on doit être bien inquiet de moi rue des Tour- 
nelles. 

Labussière. — Habillez-vous d'abord !... Nous 
penserons plus tard à vos amies. 

Fabienne, à Jacqueline qui l'attend. — OÙ dois-jc VOUS 

suivre, madame ? 

Jacqueline, indiquant u porte. — De ce côté, ma- 
demoiselle, s'il vous plaît. 

Elle ouvre la porte. Fabienne la suit. 

Martial, à Fabienne prête à sortir. — Courage, Fa- 
bienne ! Courage... tout ira bien ! 

Il prend sa main qu'elle retire doucement sans affectation, mais 
sans répondre à son étreinte, et elle sort 



Scène VHI 

MARTIAL. LABUSSIÈRE 

Martial, sur le seuil de la porte, suit des yeux trstement Fabienne 
qui disparaît. Silence. 

Labussière. — Qu'as-tu à la regarder de la sorte ? 

Martial. — Comme elle me quitte !... Pas un mot, 
pas un regard... (Môme jeu.) N'as-tu pas vu avec quelle 
froideur sa main se détachait de la mienne ? 

Labussière. — Oh ! mon Dieu, la pauvre enfant, 
elle est inquiète de tout ce qu'elle vient d'entendre. 

Martlal. — Non ; l'inquiétude n'y est pour rien. 

Je ne la reconnais plus.dl redescend d'un pas vers la table.) Il 

y a quelque chose en elle d'inexplicable. Ce n'est plus 
la même femme, ma Fabienne d'autrefois... Ah ! si 
tu l'avais vue, à mon départ pour l'armée !... Ce jour- 
là aussi, elle avait bien des raisons de trembler pour 
elle et pour moi ; mais quelle tendresse dans ses 
craintes ! Et qu'elle avait peine à s'arracher de mes 
bras ! 

Labussière, allant à lui. — Mais elle s'y est jetée 
dans tes bras, ce matin même, et j'entends encore 
son cri de joie ! 

Mar-hal. — Celui de la peur ! La femme en péril 
qui trouve un défenseur et se cramponne à lui. 

Labussière. — Ingrat ! 

Mar-hal. — Et, quand cette mégère me forçait à 
l'embrasser, se dérobait-elle assez à ce baiser-là ? Ses 
mains, son corps, ses lèvres, son âme, tout se refusait 
à moi ! Et ces larmes subites ?... Pourquoi ces larmes? 

Labussière. — Une fille honnête... devant tout ce 
monde ! 

Martul. — Non, tu auras beau dire... il y a entre 
elle et moi... 

Il descend à gauche de la table. 

Labussière, le suivant. — ...Il y a moi, parbleu, dont 
la présence l'intimide ! Allons, tu es fou! (Martial s'as- 
sied dans le fauteuil à gauche, regardant la porte par où est sortie Fa- 
bienne.) Laissons cela et parlons sérieusement. Tu 
comptais partir demain ? 

Martial. — Oui. 



Labussière. — Mais rien ne t'empêche d'avancer 
ton départ ? 

Martial. — Rien. 

Labussière. — Alors, pars ce soir ! 

Martial. — Pourquoi ? 

Labussière. — Parce que Paris ne vaut rien pour 
toi et surtout pour elle. (Martial le regarde.) Nul ne sau- 
rait dire si le départ sera possible demain. Tu ignores 
ce qui s'est passé hier à la Convention. 

Martial. — Oui, je battais encore les rues à la re- 
cherche de Fabienne. Et puis ces intrigues politiques, 
qui n'aboutissent jamais qu'à des têtes coupées, me 
révoltent... Je n'y comprends rien. 

Labussière. — Je t'expUquerai cela... Tiens seu- 
lement pour assuré qu'à la Convention, tantôt, la 
lutte sera formidable et qu'il y a tout profit à quitter 
Paris avant la fin de la séance. 

Il se détache de Martial vers la droite. 

Martul. — Mais elle ? 

Labussière. — Fabienne ? 

Martial. — Oui ! 

Labussière, devant u table. — Eh bien, elle part 
avec toi, parbleu ! Ta femme. C'est tout naturel. Tu 
l'épouseras à Bruxelles ! J'avais pensé d'abord à vous 
marier cet après-midi, mais il faudrait dire son nom. 

Martial, debout. — C'est la dénoncer. 

Labussière. — Justement. Tu vas trouver Car- 
not à onze heures. La séance est à midi et il faut à 
tout prix le voir avant. Tu lui expliques la situation. 
Il te fait délivrer un passeport pour toi et ta femme, 
la citoyenne Hugon. Pas d'autre nom, surtout ! 

Martial, allant à Ubussière. — Ah ! certes ! 

Labussière. — Pourvoyeur t'a vu avec cet uni- 
forme, as-tu quelque habit de ville ? 

Martial. — Oui. 

Labussière. — Mets-le, pour plus de sûreté, et 
viens me prendre à mon bureau. J'aurai déjà retenu 
vos deux places à la diligence de Lille, rue des Vic- 
toires. Nous passons à ton auberge, où tu prends 
ta valise. Nous venons ici dîner en famille, j'aurai 
dépêché Lupin d'avance avec les vivres. C'est moi 
qui vous invite. Et, à trois heures, munis de vos pa- 
piers en règle, vous montez tranquillement en dili- 
gence avant que les barrières soient fermées, que l'on 
batte la générale et qu'on s'égorge dans les rues ! 

Martial. — Tu crois à cela ! 

Labussière. — Absolument ! La nuit sera terrible! 

Martial. — Mais... tout cela suppose... 

Labussière. — Quoi ? 

Martul. — Son consentement à elle. 

Labussière. — A ce départ avec toi ? 

Martlal. — Et au mariage. 

Labussière. — Tu en doutes ? 

Martial. — Ah ! que sais- je à présent ? 

Labussière. — Ah çà ! voyons, décidément, 
t'aime-t-elle, oui ou non ? 

Martial, -r- Je n'en sais rien... son attitude est si 
étrange. 

Labussière. — Enfin, il a bien été question de 
mariage entre voits ? 

Martial. — Quelle demande ! 

Labussière. — Eh bien, alors ! 

Martial. — Oui, mais depuis !... Et ce départ im- 
provisé à la minute !... En brusquant ainsi les cho- 
ses, j'ai peur de tout compromettre ! 

Labussière. — Risque-le, pourtant, plutôt que 
ta vie ou la sienne. 

Martial. — Ah ! sûrement. 



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THERMIDOR 



19 



Labussièrë. — Allons, voyons, mon comman- 
dant !... Figure- toi que tu es à Fleurus et enlève-moi 
ça au pas de charge. 

Martial. — Oui, oui, à la hussarde !... Avec elle... 
tu rêves !... 

Labussièrë. — Soit ! Redevenons sérieux et dis- 
lui ceci de ma part, c'est mon dernier mot : ce soir 
la diligence, ou demain la charrette. 

Jacqueline ouvre la porte du fond. 

Martial. — Tais-toi ! I^a voici ! 

Scène IX 

Les mêmes, FABIENNE, JACQUELINE 

Fabienne entre avec une toilette de bourgeoise très simple et des- 
cend à gauche avec Jacqueline. La servante entre peu après par 
la porte du fond, à droite, enlève le couvert et sort par où elle est 
entrée, ne laissant sur la table que les fleurs. 

Jacqueune. — Voilà qui est fait ! 
Labussièrë, regardant la toilette. — Et parfait ! 

Jacqueline, détachant des roses qu'elle donne à Fabienne. — 

Il n'y manque plus qu'une fleur au corsage ! 

Fabienne. — Merci, madame ! (a Labussièrë.) Je viens 
d'écrire ce petit mot pour la rue des Toumelles. Com- 
ment le faire parvemr ? 

Jacqueline, prenant la lettre. — Gaspard, mon ap- 
prenti, va porter cela tout de suite. 

Elle remonte et sort par la porte du fond, à gauche. Fabienne 
détache une rose à peine ouverte qu'elle met à son corsage. 

Labusseère. — Je vous laisse ! Martial viendra 
me prendre au bureau et nous serons ici entre une 
heure et demie, deux heures, pour dîner, c'est con- 
venu. (A Fabienne.) Et, jusque-là, défense absolue de 
sortir et même de regarder par cette fenêtre. A tan- 
tôt ! (A Martial.) C'est bien entendu, bureau des déte- 
nus, pavillon de l'Egalité, deuxième étage, à partir 
de midi. 

Il va prendre son chapeau sur le bureau où il l'a déposé en arrivant. 

Martial. — J'y serai. 

Labussièrë, revenant à Martial, à mi-voix. — Je te 

donne un quart d'heure pour être maître de la place 
ou tu n'esqu'une poule mouillée.. .Allons!. ..En avant! 

n sort par la droite. 

Scène X 
MARTIAL, FABIENNE 

Martial, allant à Fabienne au-dessus de la table. — Eh 

bien, ma chère Fabienne, vous le voyez, tout est 
péril ici pour vous ! Ce n'est pas demain qu'il faut 
partir comme j'avais l'intention de le faire, c'est au- 
jourd'hui même, ce soir, avant la nuit. 

Fabienne, devant U table, sans le regarder. — C'est de 

votre départ, Martial, que vous parlez ? 

Martial, descendant à gauche, prés d'elle, qui recule un peu 
aissant la chaise entre eux. — Et du VÔtre ! Quoi de pluS 

naturel, Fabienne, que de suivre votre mari ? Ici, 
notre mariage est impossible; mais, dès notre arri- 
vée à Bruxelles... 

Il fait encore un pas vers elle. 

Fabienne, avec effort — Non, Martial, non !... Il 
faudra que vous partiez sans moi ! 

Elle pose sa main pour se soutenir sur le dossier de la chaise. 

Martial. — Et pourquoi, mon Dieu ?... Doutez- 
vous ?... 



' Fabienne, vivement. — Oh ! Dieu, non ! 

Martial. — Alors, quel devoir vous oblige à rester 
seule en un si grand danger, quand tout vous invite 
au départ, votre sécurité d'abord et aussi, je pense, 
votre affection pour moi ? 

Il pose sa main sur celle de Fabienne qui la retire vivement 

Fabienne, très émue. — Oh ! Martial ! quelle 
peine, hélas !.,. quelle peine je vais vous faire ! j 

Martial, anxieux. — Ah ! 

Fabienne. — Je ne peux pas vous suivre, mon 
ami, car je ne peux plus être votre femme ! 

Martial. — Vous ne pouvez plus ?... 

Fabienne. — Hélas, non !... 

Martial, amèrement. — Ah ! je pressentais cela, je 
le disais à Labussièrë à l'instant : « Elle n'est plus la 
. même, ce n'est plus elle ! » Vos façons d'être, la froi- 
deur de vos paroles, tout m'annonçait un désastre. 
Cette séparation trop longue a été fatale à notre 
amour. Vous m'avez cru mort. Vous vous êtes faite 
à cette croyance, et quelque autre... 

Fabienne, vivement — Oh ! non ! non ! Martial, 
non ! Il n'y a rien de tel ! 

Martial, rassuré à demi. — Alors, si votre cœur 
est libre, Fabienne, en quoi ai-je démérité votre 
amour ? 

Fabienne. — Ai-je dit cela, mon Dieu ?... Je n'ai 
rien à vous reprocher. Ah ! certes, non ! Et jamais 
vous n'avez été plus digne d'être aimé. 

Martial. — Eh bien, alors ? 

Fabienne. — Mais je ne peux plus vous aimer. 

Martial. — Comment ? 

Fabienne. — Je ne suis plus libre, Martial... J'ai 
prononcé mes vœux ! 

Elle tombe assise sur la chaise. 

Martial. — Vous!... vous avez fait cela?... (Fabienne 
reste muette. Silence.) Oui ! oui ! je Comprends... ces fem- 
mes ne vous ont attirée chez elles que pour vous vo- 
ler à moi ! 

Fabienne, entrecoupée de larmes. — Ne les accusez 
pas, Martial. Je vous pleurais jour et nuit, et pas une 
d'elles ne m'a reproché d'avoir déserté pour vous la 
sainte cause I... Mais j'étais si malheureuse !... Vous 
mort... rien ne me rattachait plus à ce monde. 

Martial. — Et alors ? 

Fabienne. — Alors... alors, un soir, un prêtre, un 
vieillard, est venu nous apporter la lettre de l'une de 
nos sœurs réfugiées à Cambrai. Et ce saint homme, 
qu'à ses misérables vêtements on eût pris pour un 
mendiant, était M*' Bonneval, évêque de Lisieux, 
qui allait ainsi de ville en ville, comme les premiers 
apôtres, porter la parole divine, relier entre eux les 
fidèles, dire la messe, la nuit, dans les champs, dans 
les granges, bravant partout l'échafaud qui l'atten- 
dait à Strasbourg hmt jours plus tard. Celle de nos 
sœurs qui était novice, comme moi, lui exprimant le 
désir d'entrer en reUgion : « Et vous, ma fille, me dit- 
il, ne ferez- vous pas de même ? Cet amour mondain, 
qui, pour un temps, vous avait détournée de Dieu, le 
voilà rompu par la mort. C'est un signe (ju'il vous ap- 
pelle à lui. Est-ce d'ailleurs quand 1a rehgion est per- 
sécutée qu'il sied à une vierge chrétienne de déserter 
sa foi ? C'est l'heure, au contraire, pour les grandes 
âmes, de s'unir plus étroitement à cette mère sacrée 
et de combler les vides que fait parmi nous le mar- 
tyre ! » 

Martial. — Oui, voilà bien par quelles paroles 
captieuses on séduit vos jeunes âmes . 



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^ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



Fabienne. — ...Et le soir même, dans notre pauvre 
chambre convertie en chapelle, il nous consacrait à 
Dieu, en nous imposant 1 obligation de garder nos 
cheveux et nos habits mondains, pour ne pas nous 
signaler aux bourreaux ! Ce n'est plus Fabienne qui 
vous parle, Martial, mais sœur Marie-Madeleine, 
qui, ne pouvant plus être à vous, ne voulait être à 
personne qu'à Dieu ! 

Martial, se rapprochant d'elle. — Est-ce tout, Fabienne ? 
Vous m'avez fait redouter pis que cela ! Et s'il 
n'est rien de plus entre nous que ces vœux clandes- 
tins et sans valeur aucune... 

Fabienne. — Ah ! Martial !... ces promesses sacrées ! 

Martial. — Pour qui sacrées ?... Pour les hommes 
qui les ont abolies ?... Pour moi qui les en félicite ? 

Fabienne. — Pour moi, du moins. 

Martial. — Pas même pour vous, ma chère Fa- 
bienne. Sans partager vos croyances, je les respecte, 
et je reconnais bien à toute femme le droit de dispo- 
ser d'une vie dont elle est seule maîtresse ; mais ce 
n'est pas là votre cas... (Fabienne le regarde.) Non, Fa- 
bienne, non, vous n'étiez plus libre de disposer de la 
vôtre. Vous vous êtes crue dégagée par ma mort de 
tout ce qui vous unissait à moi, et seule, sans appui, 
la religion vous offrant \m refuge, vous l'avez accepté ! 
Soit ! Mais, ces vœux imprudents, ma mort seule vous 
les a dictés. C'est elle que le prêtre invoquait, comme 
une marque infaillible aue Dieu vous appelait à lui. 
Elle était donc la condition même de votre pacte 
avec le ciel ! Eh bien, me voilà, je suis là, il est donc 
nul ! Fort de nos serments que rien n'a pu rompre, je 
vous réclame et vous reprends ! Car vous étiez à moi 
avant d'être à Dieu ! Et, si vous pouviez lui céder ma 
veuve, vous n'aviez pas le droit de lui donner ma 
fiancée. 

Fabienne. — Tout cela fût-il vrai, Martial, puis- je 
faire que ma faute ne soit irréparable, que mes vœux 
ne soient étemels ?... 

Martial. — Eh ! ma chère Fabienne, il n'est plus 
de vœux étemels. C'est un abus du vieux temps aooli 
par nos lois. Toute alliance a droit à la mpture ; tout 
mariage, au divorce; tout être qui se donne doit pou- 
voir se reprendre. 

Fabienne. — Accordez-moi donc ce droit-là, mon 
ami ! 

Martial. — Tout de suite !... Dis que tu ne m'ai- 
mes plus, et que c'est la seule raison qui nous sépare ! 
Et je m'éloigne pour toujours ! Allons, dis-le, dis ! 

Fabienne, douloureusement. — Puis- je dire cela ? 

Martial. — Tu m'aimes donc ? 

Fabienne, de même. — Je n'en ai plus le droit !... 

Martial. — Et pourtant, tu m'aimes !...(Eiie se tait, 

cachant sa figure de ses mains.) Enfin, si c'était à refaire, 

le ferais-tu ? 
Fabienne, vivement — Ah ! Dieu, non ! 

Martial, tout pràs d'elle, prenant ses deux mains. — Eh 

bien, le voilà ton devoir ! Il est dans ce cri-là ! 
Quelle valeur a-t-il, ton serment, que ton cœur désa- 
voue, que tu ne ferais plus, que tu déplores ? (ii u 
fait lever, l'attirant à lui.) La belle Offrande à Dieu que celle 
d'une créature qui ne se donne à lui qu'à regret. 

Fabienne, se dégageant et remontant à gauche de la table. 

— Hélas ! oui, mais sans pouvoir m'en défendre ! 

Martial, u suivant — Allons donc ! Tu n'as qu'à 
vouloir pour être libre. 

Fabienne. — Ah ! non ! non ! 

Martial. — Et ce serait déjà fait, si tu étais de 
bonne foi ! 



Fabienne. — Ah ! Martial ! 

Martial. — Mais sois donc franche ! Avoue la vé- 
rité ! Le retour aux pratiques religieuses a rallumé 
ta dévotion mal éteinte, et, ma mort te dégageant 
envers moi, tu l'as accueillie comme une délivrance ! 

Fabienne. — Ma délivrance... ta mort ? 

Martlll. — Oui ! 

Fabienne. — Oh 1 ne dis pas cela, tu ne le crois pas ! 

Martial. — Je le crois ! 

Fabienne. — Non !... non, tu ne le crois pas. Tu 
ne peux pas le croire ! C'est trop iniiiste et trop cruel ! 

Martial. — Moins que la douleur que tu m'im- 
poses ! 

Fabienne. — Ta douleur ! Et la mienne ? Ah ! 
malheureux ! Mais vois donc où j'en suis. Aie donc 
pitié de moi. Je ne suis donc pas bien à plaindre aussi, 
moi ? Ce n'est donc pas affreux de ne t'avoir retrouvé 
que pour te perdre encore ?... A présent que, par ma 
faute, c'est moi qui suis morte pour toi ? 

Martial. — Non, si tu m'aimais comme je t'aime. 

Fabienne. — Si je l'aimais!... Et, depuis que je 
l'ai revu, je me désole à la pensée de la vérité qu'il 
faut lui dire ! ! ! Je fuis oes regards... je me défends 
de lui parler, de l'entendre, je me fais mdifférente et 
glacée pour lui dérober mon angoisse et mes pleurs ! 
Plût au ciel que ce fût vrai ! Je ne crierais pas à Dieu 
pour lui demander la résolution qu'il me refuse ! Pour 
un instant d'épouvante qui m'a jetée follement dans 
tes bras, je ne serais pas là toute frémissante encore 
de ton baiser sacrilège dont j'ai gardé la brûlure. (Elle 

gagne la gauche devant le fauteuil.) Je ne SOuf frirais pas Ce 

que je souffre, à me débattre entre ma passion et mon 
devoir, infidèle à l'une, parjure envers 1 autre, amante 
désolée, religieuse indigne, et, dans ma détresse, où 
je n'ose même pas invoquer le ciel que j'outrage, la 
plus misérable créature qui soit au monde !... 

Elle tombe assise en pleurant sur le fauteuil à gauche. 
Martial, tournant le fauteuil et penché vers elle. — Et 

c'est ce cœur tout plein de moi que tu veux offrir 
à Dieu ? 

Fabienne, eUe se lève et gagne la droite, devant la table, où Mar- 
tial la suit et l'aiTête en saisissant son bras. — Je prierai, je 

lutterai, je mortifierai ma chair et mon âme et, quand 
je ne te verrai plus jamais, jamais, je triompherai 
de mon amour profane (EUe dégage son bras.) et je 

l'arracherai de mon Cœur!(Ellecheicheàle fuir, vers la droite.) 

Martial, la suivant, avec force. — Non ! Tu voudras 
prier, et mon souvenir obsédera ta prière. Tu mor- 
tifieras en vain ton âme indocile, ta chair rebelle !... 

(Il la saisit par les deux mains et l'attire à luL) Et, Cet enfer que 

tu redoutes, tu le trouveras plus affreux dans ton 

propre cœur,pour le châtiment de ton crime envers moi ! 

Fabienne, douloureusement, le repoussant — Mon crime ? 

Martial, entre la taWe et Fabienne, au-dessus d'elle. — 

Oui, ton crime, oui, car c'en est un de me faire ici-bas 
une vie misérable pour te conquérir là-haut les joies 
étemelles !... 

Fabienne, renwntant vers Martial. — Ah ! Tais-toi ! 
tais-toi ! J'atteste Dieu que je n'ai jamais fait cet 
horrible calcul. 

Martial. — Tu l'as fait ! 

Fabienne. — Jamais ! Torturer ton âme pour le 
salut de la mienne ! 

Martlll. — Oui ! 

Fabienne. — Moi ! qui, pour faire ton bonheur en 
ce monde, donnerais mon éternité dans l'autre ! 

Martial, vivement, la prenant dans ses bras. — Fais-le donc ! 

Fabienne, désolée. — Ah ! mon Dieu, vous l'enten- 



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THERMIDOR 



21 



dez ! C'est pour vous que je combats ! Défendez- 
moi ! Aidez-moi ! Sauvez-moi ! (EUe tombe assise dans le 

fauteuil, les deux bras sur la table, cachant sa figure.) 

Martial, attirant à lui la chaise qui est au-dessus de la table, 
tendrement penché sur elle. — Mais il est poUT moi, ton 

Dieu ! Il ne t'écoute pas. Tu seras meilleure chré- 
tienne et plus fidèle a ses lois, épouse dévouée et 
mère tendre, que religieuse malgré toi, avec un 
autre amour au cœur que le sien ! 

Fabienne, faiblement — Non ! Non ! Tais-toi !... 
Tais-toi ! Tu es le démon ! 

Elle lui ferme la bouche avec une main qu'il presse contre sesldvres. 
Martial, relevant doucement la tôte de Fabienne. — Toi, 

ime sainte ! Toi, mon adorée, dont la main frémit 

sous ma lèvre, (II baise la main de Fabienne.) dont le regard 

se grise au mien ! Mais je t'en défie ! Tu es bien trop 
femme pour cela !... (L'attirant sur son cœur.) Et tu es 

trop la mienne !... (Il rapproche ses lèvm de celles de Fabienne.) 
Fabienne, vahicue, détournant la tête et se garant avec la 
main du baiser de Martial. — Ah ! Dieu m'en punira I... 

Martlal. — Non ! 

Fabienne. — Si ! Si ! Et pourtant je m'efforce 
assez à ne plus t'aimer ; il le voit bien ! 

Martial. — Oui ! 

Fabienne, toute frémissante. — Mais je ne peux pas, 
je ne peux pas ! 

Martial. — Eh bien, alors ? 

Fabienne, baissant la voix, toute blottie contre luL — Ah ! 

# si j'étais sûre qu'il ait pitié de moi ! 

Martial. — Mais oui, oui ! 

Fabienne. — Dis-le ! Dis-le bien, que je le croie ! 

Martial. — Crois-le ! 

Fabienne, la tête sur répauie de Martial — Et il par- 
donnera, n'est-ce pas !... Jure-le... Jure qu'il me par- 
donnera ! 

Martial. — Je le jure ! 

Fabienne, résolue. — Et puis ! Après tout ! Par- 
donnée ou non ! Qu'importe ! Je t'aime trop ! 

Elle passe son bras droit sur le cou de Martial. 

Martial. — Ah ! ma chérie, mon amour, ma bien- 
aimée femme ! 

JaCQUEUNE, dehors, à la servante. — Oui, je Vais Voir! 

Martial. — On vient ! 

l\ se lève sans précipitation et repose sa chaise tranquillement au- 
dessus de la table, puis va au-devant de Jacqueline. 
Jacqueline, entr'ouvrant U porte de gauche, sans entrer. — 

L'apprenti n'a pas rapporté la réponse à la lettre ? 

Fabienne se lève et s'éloigne un peu du fauteuil, à droite. 

Martial. — Non ! 

Jacqueline, à la servante. — Voyez donc si Gas- 
pard est à la boutique. (Elle entre.) '"' . 

Scène XI 

Les mêmes, JACQUELINE 

Jacqueline. — Et le dîner ? dois-je m' occuper du 
dîner ? 
Martial. — Non ! non ! Labussière s'en est chargé. 

<I1 va prendre son chapeau sur le secrétaire, puis redescend.) Je 

compte bien que vous nous ferez l'amitié de dîner 
avec nous ? 
Jacqueline. — C'est grand honneur pour moi ! 

Elle pousse le fauteuil de gauche vers la fenêtre, dos au public 

Martial. — Je vais le retrouver, (ii descend, a Fabienne.) 
Chère madame... Je vous confie ma femme ! Veillez 
bien sur elle ! 

Jacqueline. — Soyez tranquille ! 



Martial. — Nous serons ici vers deux heures. 

(A Fabienne, en lui baisant les deux mains.) Ah! ma chérie, la belle 

journée et que je suis heureux de ma victoire! Car 
c'est une victoire ! Avoue-le ! A tout à l'heure ! 

Il sort par la droite. 

Scène XII 

FABIENNE, JACQUELINE, puis GASPARD 

Jacqueline, gaiement, à Fabienne. — Ça doit faire 
plaisir tout de même d'être aimée à ce point-là ? 

Gaspard, dehors. — Patronne! Patronne! Où êtes- 
vous ? 

JaCQUEUNE, remontant. — Ici! (A Fabienne.) C'est l'ap- 
prenti ! 

Gaspard, ouvrant vivement la porte à gauche de l'alcôve. — 

Patronne ! Ah ! la citoyenne est là ?... 

Il reste interdit à la vue de Fabienne qui se rapproche de la table. 

Jacqueline. — Oui... tu as porté la lettre ? 

Gaspard. — Oui... mais... 

Jacqueline. — Quoi ? mais... 

Gaspard. — C'est que... 

JaCQUEUNE. — Va donc ! 

Gaspard. — Ah ! citoyenne !... 

Fabienne, inquiète. — Qu'y a-t-il ? 

Jacqueline. — Parle donc ! 

Gaspard. — Après avoir remis la lettre à la vieille 
dame, qui m'a bien remercié, je redescendais dans la 
rue quand j'ai vu venir une patrouille de section- 
naires, précédée de trois membres du comité de la 
section, Bouchard en tête, avec le patron ! 

Rumeurs lointaines qui peu à peu se rapprochent 

Jacqueline. — Mon mari ! 

Gaspard. — Ils entrent dans la maison d'où je 
sortais et j'entends les voisins sur le pas de leurs 
portes se crier d'ime boutique à l'autre : « C'est des 
religieuses qu'on arrête ! » 

Fabienne. — Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! 

Gaspard. — Elles disaient la messe en cachette. 
Et, cinq minutes après, Bouchard, ayant réquisi- 
tionné la tapissière d un menuisier, les faisait monter 
toutes pour les mener à la Force ! 

Fabienne. — Elles ! Elles ! 

Jacqueline. — Ah ! ma pauvre demoiselle, quel 
malheur ! 

On entend les cris, les huées, plus rapprochés. 

Gaspard. — Tenez ! Entendez- vous, elles vont 
passer rue Antoine, on peut les voir. Oh ! il y a un 
monde qui leur crie après ! 

Il va entre-bAillo* le volet. On entend dehors le Ça ira et la Carma- 
gnole. 
Fabienne. — Ah ! (Tout à coup, du milieu des huées et des 
chants de la populace, s'élèvent les voix des ursulines qui entonnent un 
cantique. Les huées et les chansons révolutionnaires cessent un instant, 

comme stupéfaites.) Ah ! écoutez-les ! Ecoutez ! Elles 
chantent, les vaillantes filles ! Elles chantent ! 

Jacqueline. — Un cantique ! 

Fabienne. — Ce n'est pas elles qui trahiraient 
leur foi ! 

Les huées reprennent, mais le chant persiste toujours, se rappro- 
chant malgré les "clameurs et les reprises de la Carmagnole. 

Gaspard. — Elles vont passer ! patronne, voyez ! 

Fabienne, eiie court à la fenêtre, — Je veux les voir ! 

Jacqueline, qui regarde ptk le volet entre-bâiiié. — Prenez 
garde ! 

Fabienne. — Les voilà ! mère Angélique, ma 
chère mère, c'est vous ! Et Marie-Thérèse ! Et sœur 



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L'ILLUSTRATION THEATRALE 



Gabrielle... et ma chère petite Marthe, si douce, si 
frêle!... Une enfant !...Et toutes, calmes et fières, bra- 
vant les bourreaux ! Mes sœurs bien-aimées, priez 
Dieu qu'il me pardonne de ne pas aller au martyre 
avec vous ! 

Elle tombe à genoux, la tète sur le fauteuil, pleurant. Les chants 
et les clameurs continuent, s'éloignant toujours. On entend des 
pas précipités et des bruits de voix et des sons de crosses de 
fusil à la porte du fond, à droite. 

Gaspard. — On vient ! par la boutique ! 
Jacqueline, effrayée. — Ici !... Pourquoi ?... 

La porte s'ouvre violemment et Bouchard paraît, avec un autre 

membre du comité et Bérillon effaré. Derrière eux, six section- 

naires armés et des curieux. La porte d'entrée s'ouvre également 

livrant passage à un autre me.mbre de la section. Des section* 

naires gso-dent la porto sur le palier. A leur vue, Fabienne s'est 

redressée, résolue. Silence pendant lequel on entend les chants 

au loin. 

Bouchard, après un coup d'œil sur la chambre, va à Fabienne 

et, prenant une lettre des mains de Bérillon, se place au-dessus d'elle 

et lui présente la lettre par-dessus l'épaule, — C'est toi qui as 

écrit cette lettre, où tu te dis réfugiée dans cette 
maison ? 



Fabienne, résolument. — Oui, monsieur, c'est moi ! 

Bouchard. — C'est signé ! (ii regarde la signature.) Marie- 
Madeleine. Tu t'appelles ?... 

Fabienne. — Fabienne Lecoulteux. En religion, 
sœur Marie-Madeleine, ursuline comme elles !... 

Mouvement. Jacqueline reste saisie. 
BÉRILLON, tremblant — Chez moi ? 

Fabienne. — Madame ignorait qui je suis ! Qu'elle 
me pardonne de l'avoir trompée! 

Bouchard, à un de ceux qui l'accompagnent — Lecoulteux. . . 

c'est celle du citoyen Héron !... va le prévenir ! 
(A Fabienne.) Allons, ton compte est bon... suis-nous... 
(Aux curieux.) Au large !... vous autres !... 

Il remonte. On n'entend plus que le chant lointain. 

Jacqueline, en larmes, descendant vers Fabienne qui gagne 
lentement la porte, k l'avant-scône. — Ah ! ma pauvre de- 
moiselle ! 

Fabienne. — Ce n'est plus moi qui suis à plaindre ! 

(Douloureusement) C'est lui ! 

Elle se dirige vers la porte. Silence de tous, tandis que le cantique 
va en mourant au lointain. Les sectionnaires s'écartent pour la 
laisser sortir. Et Bouchard la suit 



rideau 




Fabienne Lecoulteux (M°»« Bartet). 



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THERMIDOR 



23 




Marteau, à Labussiôre : « Ne mile pas ce dossier avec les autres et laisse-le sur le tas. » 



ACTE m 

Le bureau de Lahussière aux Tuileries, 'pavillon de Flore ou de V Egalité, C^est un ancien salon Louis X F, très 
richement décoré, avec plafond peint, trumeaux, dessus de portes, moulures dorées, etc., sur les portes peintes, Vécus- 
son royal a été gratté. Au fond, deux portes faisant face au public ; entre les deux, toute la largeur du trumeau 
est occupée par un grand casier de bois blanc, montant jusqu^à la corniche et entièrementrempli par des dossiers 
à couvertures grises. Sur le casier, en haut, piles de paperasses et bustes en plâtre bronzé de Marat et de 
Lepeletier Saint- Far geau. Les portes ouvrent sur un corridor parallèle à la rampe qui aboutit, à droite, hors 
de scène, a une grande fenêtre très visible, dans le prolongement au côté droit du décor. Une fenêtre toute pareille, 
avec des rideaux de soie, occupe le troisième plan du décor sur la scène. Du même côté, entre la fenêtre et V avant- 
scène, un corner pareil à celui du milieu. Au fond, hors de scène, le corridor se coupe à angle droit et, à partir 
de la fenêtre, un autre corridor fait face au spectateur dans Vaxe de la porte et se perd dans V ombre, mal éclairé 
par un quinquet. Au côté gauche, une porte dans le corridor fait face à celle qui est du même côté sur la 
scène : c^est le cabinet de Pillet, A gauche, sur la scène, au premier plan, dans Pembrasure d'une porte, une 
table de bois blanc, avec cuvette, pot à eau, seau de toilette, savon, serviettes. Au deuxième plan, une cheminée 
de marbre, surmontée d^une glace sur laquelle est collée une grande affiche de la Constitution; sur la cheminée, 
une pendule, un flambeau à trois branches dont une munie d'une chandelle qui a coulé. Au troisième plan, 
une porte ouvrant sur un autre bureau. Au milieu de la pièce, une table carrée de bois blanc, à tiroirs, faisant 
face au public; sur cette table, encrier, plumes, etc., papiers nombreux ei, à gauche, une trentaine de dossiers 
en tas. Chaises et fauteuils dorés, avec garnitures de soieries déchirées, tachées. Un marchepied de bois blanc 
devant le casier du fond. Un tabouret sous la table du côté du public. Un autre, au deuxième plan, devant le 
casier de droite. Une chaise de paille même côté, au premier plan, U71 riche fauteuil à droite de la grande 
table, un autre à gauche, entre ta table et la cheminée. Urt^e chaise à r angle de la cheminée, près de la toilette. 
Le chapeau de Labussière est accroché à une applique de bronze flanquant la glace à gauche. Piles de journaux 
sur la cheminée, sur le tapis, sou^ la table. 



Scène première 

CHATEUIL, PIERRE, puis VASSELIN, 
BRICARD et RIBOUT 



Au lever du rideau, 
à gauche. 



Pierre seul est en scène rangeant la toilette 



ChATEUIL, vivement, des papiers à la main, sortant de chez Pilht 
et entrant par la porte de gauche, au fond, qui est ouverte. — LabUo- 

sière n'est pas là ? 



Pierre, sans se déranger. — Non ! 

ChATEUIL, descendant et allant s'asseoir dans le fauteuil, à dixîite 
de la table, où il dépose son chapeau et ses papiers. — OÙ est-il, 

cet imbécile ? 

Pierre. — Chez le citoj'^en Pillet. 

Chateuil, assis et écrivant. — Noii ! j'en soFs ! Je vais 
à la séance et j'ai deux mots à lui dire. 

VASSELIN, ouvrant la porte de droite, au fond, et appelant sans 

entrer. — Eh ! Labussière !... 

Pierre et Chateuil, ensemble. — Absent ! 



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t xn^r\ I ïï\.rKi^nr 



On voit dans le corridor, au fond, Jum^t et Bricard descendre 
et suivre le couloir jusqu'à la porte de gauche, où ils s'arrêtent 

Vasselin, sur le seuil. — Bon ! Cet imbécile, où est-il ? 

Chateuil, écrivant toujours. — Entre donc ! 

Vasselin, descendant — C'est que je vais à la séance... 

Chateuil, de même. — Moi aussi. Nous irons de 
compagnie. 

Bricard, au fond, sur le seuil, avec jameiot — Dites donc, 
vous autres, venez- vous à la Convention ? 

Chateuil et Vasselin. — Oui ! 

Bricard. — Eh bien, en route, alors ! 

Chateuil. — Nous avons le temps. 

Bricard. — Mais non, c'est commencé ! 

Chateuil. — Bon ! Le procès-verbal, les affaires 
courantes !... Entre donc ! 

Bricard. — Nous n'aurons plus de places. 

Chateuil. — Si ! Courvol m'a promis de nous 
placer. 

Bricard. — Dans les couloirs ? 

Chateuil, écrivant toujours. — Derrière les députés. 
Une seconde et nous filons. 

Bricard, entrant avec Jumelot ; il descend au-dessus de la table 
en posant son chapeau sur le siège, à gauche de la porte, tandis que 
Vasselin pose le sien sur la cheminée, puis descend et s'assied dans le fauteuil 

à gauche. — Bouî Comme cela! Car, dans les tribunes... 

Pierre. — Elles étaient prises d'assaut à cinq 
heures du matin. 

Chateuil, Bricard, Vasselin. — A cinq heures ? 

Pierre. — Et il fallait tous les voir avec leurs pro- 
visions ! A huit heures c'était déjà une odeur de cer- 
velas à l'ail !... 

Il remonte à la fenêtre et regarde au dehors, Bricard prend un 
journal au-dessus de la table et s'y assied pour lire. 

Vasselin, assis k droite, sur la chaise pris des dossiers, après 
avoir posé son chapeau sur le tabouret. — Oh ! meS COnci- 

toyens ! H fera chaud à la séance ! 

Chateuil, écrivant toujours. — Oui... Robespierre aux 
prises avec le Comité de Salut public !... 

Vasselin. — Demain, nous compterons les têtes. 

Bricard. — Je parie pour le grand homme ! Il a 
eu hier soir un succès aux Jacobins !... 

Chateuil. — Tu y étais ? 

Vasselin. — Parbleu ! Robespierre est son idole ! 

Bricard. — Collot d'Herbois et Billaud-Varennes 
ont voulu répliquer !... Ils ont failli être écharpés. 

Chateuil, laissant les papiers sur la table, repoussant légèrement 
son fauteuil derrière lui et baissant la voix. — Et moi, j'ai VU la 

suite !... 

Tous. — Toi ? 

Bricard descend à gauche de la table, Pierre descend derrière Cha- 
teuil, Jumelot vient s'asseoir sur le tabouret devant hi table, 
Vasselin rapproche de Chateuil la chaise sur laquelle il se met à 
cheval. 

Chateuil. — De mes yeux !... Au moment de ren- 
trer chez moi, je constate que j'ai oublié ma clef dans 
le bureau. Je viens la chercher vers onze heures et 
demie, minuit. La porte du Comité, sur le corridor, 
est ouverte pour établir un courant d'air et je vois, 
assis à la grande table du milieu, Robert Lindet, 
Prieur et Camot, travaillant. Saint-Just écrivant en 
face d'eux, de l'autre côté de la table. Tout à coup, 
l'autre porte qui donne sur l'escalier s'ouvre violem- 
ment, Billaud et Collot entrent, exaspérés. « Eh bien, 
dit Saint-Just d'un ton narquois, quelle nouvelle des 
Jacobins ?... » Collot bondit et, lui serrant le poignet : 
« Scélérat ! C'est notre acte d'accusation que tu écris 
là ?... » Saint-Just se dégage froidement et réplique : 



« Peut-être bien !... » Là-dessus, ime explosion de 
cris, d'injures. Mais quelqu'un ferme la porte, je n'en- 
tends plu3 rien et je m'esquive. 

Il se lève et gagne le haut de la table, à droite. 

Pierre. — Jugez de ce que ce sera tout à l'heure!... 

Il remonte et sort par la droite. Jumelot se lève, Bricard remonte 
jetant le journal sur la table. 

Bricard, se frottant les mains. — La victoire de l'Incor- 
ruptible ! 

Vasselin, regardant l'heure à sa montre et reportant sa chaise 

au casier. — Ah çà ! il ne vient pas cet idiot de Labus- 
sière ! 

Chateuil, mettant ce qu'il a écrit sous un presse-papier. — 

Autrement dit : « La Buse » ! 

Vasselin, allant au fauteuil pris do ChateuIL — Est-îl 

auspi bête qu'il en a l'air ? 

Tous, surpris. — Oh ! 
. Vasselin, à mi-voix, penché, les mains sur la table; tous 
l'écoutent penchés et Jameiot un genou sur le tabouret — Oh ! il 

a l'œil bien fin. On ne peut pas retrouver les dos- 
siers des comédiens français. Je parierais que c'est 
ce jocrisse-là qui les a fait disparaître. 

Chateuil, à mi-voix. — Quelle idée ! 

Vasselin, même jeu, en confidence. — Toujours est-il 
que Fouquier, qui les a réclamés trois fois, s'est mis 
en colère et qu'il adressait hier, au Comité de Sûreté, 
une lettre où il fulmine contre le désordre des bu- 
reaux, « peuplés, dit-il, d'aristocrates » ! 

Protestations et mouvement de tous. 

Bricard. — Nous ? 

Chateuil. — Cet animal-là nous fera tous guillo- 
tiner ! 

RiBOUT, il entre vivement par la porte du fond, à droite, et descend, 
en déposant des papiers sur la table, entre Vasselin et ChateuiL — 

Robespierre ?... Tu peux y compter ! 

Chateuil, vivement, effrayé. — Ah ! mais non !... pas 
lui. Je ne le traiterais pas d'animal. 

Ribout. — Féroce !... Pourquoi pas ? 

Mouvement de stupeur. Jumelot va vive.nent à Ribout, pour le 
faire taire. 

Bricard, stupéfait, reculant à gauche. — Le grand citoyen ! 
Le pur des purs ! Le père du peuple ! 
Ribout. — Comme Ugolin ! H mange ses petits ! 

Second mouvement plus accentué de surprise et d'inquiétude; 
Chateuil, effrayé, cherchant à calmer Ribout — Tu es fou! 
VASSELIN,à mi-voix, devant la table. — Mais tais-toi donc ! 

Ribout. — Pourquoi ? Parce que Bricard est là, 
qui nous espionne !... 
Bricard, effrayé. — Moi ? 

Ribout. — Toi ! (Il s'élance sur Bricard qui se gare derrière 
le fauteuil, à gauche, et jette à terre la chaise prés de la cheminée.) 

Mais j'aurais bien tort de me gêner à présent. Mon 
oncle I^ecointre m'a prévenu ce matin que j'étais 

avec lui sur la liste du tyran !... (Bricard redescend vivement 
et gagne la droite, devant la table, poursuivi par Ribout que Chateuil. 
Jumelot et Vasselin s'efforcent de retenir et qui continue à yocUénr.) 

... pour nous être moqués de ses airs d'empereur et 
pape, à la fête de l'Etre suprême... et du sacristain 
Couthon, qui porte le goupillon derrière lui... et de 
l'enfant de chœur Saint-Just, qui porte l'encensoir. 

Il entraîne à sa suite Vasselin. Chateuil et Jumelot, à la poursuite 
de Bricard qui s'élance par la porte du fond, k droite, dans 
le corridor. 

Chateuil, Vasselin, Jumelot. — Oh ! Ribout ! 
Ribout ! 

Ribout, hors de lui. toujours contenu. — Eh bien, je me 
moque de Maximilien et de ses mouchards ; car on va 



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THERMIDOR 



25 



eur casser les reins à tous !... J'en serai et j'y cours !... 

Tandis qu'il parla, Bricard a reparu à la porte du fond, gauche, 
s'est emparé de son chapeau, posé sur le fauteuil prés de la porte, 
et s'est enfui. Ribout se dégage d'un coup d'épaule et va le pour- 
suivre, quand un employé du Comité accourt, par la porte droite, 
venant du fond et crie sur le seuil : 

L'Employé. — Mais venez donc, vous autres, 
Saint- Just est déjà à la tribune ! 

Il court dans le corridor et disparaît à gauche. 

Ribout. — Allons commencer par celui-là !... 

Il s'élance dehors par la porte de gauche et disparaît Chateuil, 
Vasselin et Jumelot se regardent, tous terrifiés. 

Chateuil. — H est perdu ! Je vous prends tous à 
témoin que je n'ai pas approuvé ce qu'il a dit. 

Ils prennent tous trois leur chapeau. 

Vasselin et Jumelot. — Ni moi ! 
Vasselin. — La Buse ne vient pas : détalons ! 

Ils remontent pour sortir par la gauche, au moment où entre 
Labussière. 

Scène II 

Les MÊBfES, LABUSSIËRE 

Il arrive du fond par la droite et, pendant toute la scène, il garde 
un air ahuri et bégaye légèrement; il a des lunettes. 

Chateuil, s'arrêtant sur le seuil, à gauche, avec les deux autres. 

— Ah ! le voici ! Eh ! arrive donc, traînard ! 

Labussière. — Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? 

Vasselin, nmitant — Qui !... Que !... Oui, nous 
n'avons pas le temps!... Tu ne vas pas à la séance, 
n'est-ce pas ? 

Labussière. — Quelle séance ? 

Tous. — A la Convention ! 

Labussière. — Ah ! oui !... 

Tous, surpris. — Oui ?... 

Labussière. — Non ! 

Il descend au fauteuil, à droite de la table. 

Vasselin. — Parbleu ! 
Chateuil. — Naturellement ! 
Labussière. — Pourquoi faire ? 

Il rapproche le fauteuil de la table où il dépose ses papiers et s'as- 
sied. 

Chateuil. — On se passera bien de toi... 
Tous. — Oui ! 

Chateuil. — Mais nous y allons tous. 
Vasselin. — Garde les bureaux ! 
Labussière. — Les bu... bureaux ! 
Chateuil. — Et fais partir ma correspondance à 
deux heures. Je t'ai laissé une note. 

Il indique la table. 

Labussière. — Une... note. Bon ! 

Vasselin, déposant une clef à l'angle de la table, à gauche. — 

Et garde ma clef ! 

Labussière. — La clef ! Bien. 

Chateuil. — J'ai écrit sur ma porte, à la craie : 
« S'adresser en face. » Tu répondras pour moi. 

Il gagne la sortie. 

Labussière. — Pour toi !... Bon ! 
Chateuil, de même. — En revanche, nous t'appor- 
terons les nouvelles ! 
Labussière. — Ça m'est bien égal ! 
Vasselin, de môme. — Quel idiot ! 
Chateuil. — Allons I en route ! en route î 

Ils sortent en courant 



Pierre, ll entre de droite avec deux bouteilles de bière et deux 
verres, qu'il pose sur la table. — Citoyen !... je vais aussi 

là-bas ! Voici la bière que tu m'as commandée. 
Labussière. — La bière... bon! 

Pierre s'élance dehors par la gauche, au moment où Martial parait 
au fond du corridor, à droite, descendant droit devant lui. 

Scène III 
LABUSSIÈRE, MARTIAL 

Martial, dans le corridor, de loin, à Pierre qui s'éloigne, sans voir 

Ubussière. — Pardou, le citoyen Labussière ? 
Pierre, se sauvant — Labussière ! Connais pas ! 

Il disparaît 
LaBUSSIÂRE, qui s'est levé vivement déposant ses lunettes sur 

la table. — C'est ici ! Entre ! entre !... 

Il va fermer la porte de gauche, puis celle de droite. 

Martial. — Je suis en retard ; mais j'ai eu bien du 
mal à te trouver dans ces corridors mal éclairés par 
des quinquets, où je n'ai vu personne pour me ren- 
seigner. 

Il descend à droite et pose son chapeau sur la chaise. 
LABUSSlàRE, redescendant à lui. — Oui, ils SOnt tOUS 

à la séance ! Eh bien ? 

Martial, gaiement — Eh bien, mon bon Labussière, 
c'est fait ! 

Labussière, joyeux. — Elle consent ? 

Martial. — Elle consent ! 

Labussiâre. — Quand je te le disais!... 

Martial. — Et sa réserve, sa froideur : tout 
s'explique !... Me croyant mort, elle avait prononcé 
ses vœux. 

Labussière. — Ah ! 

Martial. — Aussi, je n'ai pas triomphé sans com- 
bat !... Mais enfin, elle est à moi, mon ami, et si dé- 
vouée, si tendre, si... 

Labussière, l'interrompant — Oui, oui, et vous par- 
tez !... Cest l'important !... J'ai vos places... Et le 
citoyen Camot ? 

Martial. — Je le quitté ! 

Labussière. — Le passeport ? 

Martial. — Le voici ! 

Labussière, après avoir examiné le passeport en silence. 

— Parfait !... (ii le lui rend.) J'ai envoyé Lupin rue 
Beautreillis, porter notre dîner. Mais il ne peut plus tar- 
der. Je l'attends, ne pouvant pas m' éloigner avant la 
remise de ces dossiers à l'huissier du bureau de police, 
Marteau, qui doit venir les prendre tout à l'heure. 

(Il passe devant la table et frappe sur les dossiers déposés vers la gauche.) 

Maintenant, voici de la bière ; rafraîchis-toi, (ii vcree de 
la bière dans un verre.) pendant que j'achève mon horrible 
besogne. 

Il remonte et va au marchepied qu'il fait rouler devant le casier. 

Martial, après avoir repris son chapeau, regardant autour de lui 

et passant devant la table. — Ah ! Oui. Ce SOnt les dossiers 

de tous ces malheureux ? 
Labussière. — Mes registres mortuaires !... Et 

cette chambre encore, (II lui montre cclle de gauche, troisième 

plan.) qui est pleine, (ii ouvre la porte.) L'ancienne lingerie 
de Marie- Antoinette î... 

Martial, regardant dans la pièce. — Bon Dieu ! Com- 
bien donc y en a-t-il ? 

Labussière, il referme la porte et retourne au marchepied, tan- 
dis que Martial pose son chapeau sur le coin de la cheminée. — Des 

centaines!... détenus et dénoncés. Tu penses bien 
que mon premier soin a êtè de chercher parmi ces 



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^ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



dossiers celui de Fabienne. J'ai trouvé trois dos- 
siers au nom de Coûteux ou Lecoulteux. (ii indique le 

casier à droite de la scène.) Mais pas le sien. 
Martial, avec joie, allant à la table, — Ah ! 

Labussière. — Ce qui ne laisse pas d'être rassu- 
rant ! 

11 prend une liste sur la table et monte sur le marchepied pendant 

ce qui suit, cherche dans les cases du fond, tout en parlant, les 

dossiers désignés, qu'il place sur ceux qui sont déjà sur la table. 

Martial, après avoir pris le verre de bière, regard«int le dernier 

dossier placé sur le tas, tout en buvant. — Quels SOnt ces 

timbres ? 

IjABUSSIÊre. — Ceux de la commission populaire 
et du Comité de Sûreté générale. 

Martial, même jeu. — Et ces notes ? 

Labussière, allant et venant, déplaçant le marchepied pour 
monter dessus et faire ses recherches. — Les conclusions du 

Comité, le renvoi au tribunal. 

Martial. — Et tous condamnés d'avance ? 

Labussière. — Ou presque tous. Kt, si tu veux 
savoir pour quels crimes, lis la note inscrite sur la 
couverture. 

Il continue S€S recherches. 
Martial, déposant son verre et lisant sxir la couverture du dossier. 

— « Auberval Alexandre, soixante-dix ans. Ci-devant 
baron et maréchal de camp. Intrigant ; doux cent 
mille livres de revenus. Blâme Tes sans-culottes 
d'abandonner leur état pour se mêler de politique. * 
Et c'est pour cela ?... 

Labussière, qui pendant cette lecture est descendu du mar- 
chepied qu'il a poussé vers la gauche et jetant un dossier sur la table. — 

Oui !... Et celui-ci. 

Il remonte sur le marchepied et cherche dans le casier à gauche. 

Martial, gagnant la droite, au-dessus de la table, pour prendre 

le dossier que Labussière a déposé et lisant — « MauprOU, Jean- 

Baptiste, comnàerçant, (juarantc-six ans. Négocian- 
tisme, aristocrate endurci, ne croyant pas aux bien- 
faits de la Révolution, ne fréquente que des gens 
comme il faut ! » C'est tout ?... 

Labussière, sur le marchepied, lui tendant un dossier. — C est 

assez! Quant à celle-ci... une mercière... 

ALV-RTIAL, prenant le dossier et lisant, tandis que Labussière des- 
cend du marchepied avec des dossiers. — « Trente-deUX ans. 

Fanatique !... A conservé des jetons à l'effigie du 
dernier tyTan... » 

Labussière, reposant les dossiers sur la pile. — Et, pOUr 

tous ces forfaits, ils seront exécutés après-demain ; 
car demain : décadi, l'échafaud a congé ; à moins 
qu'aujourd'hui ne les sauve. 

Martial, vivement, allant à lui au-dessus de la table. — 

Ah ! Comment ? 

liABUSSiÊRE. — Camot ne t'a rien appris ? 

IVLiRTiAL. — Rien ! On venait en toute hâte le cher- 
cher pour la séance... (Labussière ôte son habit qu'il dépose sur 
le fauteuil, déboutonne et retrousse les manches de sa chemise et va à la 

toilette pDur se laver les mains.) Il n'a pu que me dire en 
me serrant les mains : « Va défendre la République 
à la frontière, tandis qu'ici nous allons tacher de la 
sauver. » 

Labussière, il prend la cruche, verse de l'eau dans la cuvette, 
repose la cruche à terre et commence à se passer de l'eau sur la 
figure avec la serviette et à se laver les mains tout en parlant. — 

Plaise à Dieu ! et pour son propre salut ; car Robes- 
pierre n'est pas homme à oublier que Camot l'a pris 
un jour à la gorge, en le traitant de despote ridicule, 
et qu'il vient d'envoyer en Belgique les trois quarts 
des canonniers parisiens, tout dévoués à la dictature 
de l'Incorruptible. 



Martial, récoutant, a£si& sur le bord de la table. — Sa dicta- 
ture !... 

Labussière, même jeu. — Parbleu !... Maintenant 
qu'il a fauché tout ce qui l'en sépare : girondins, 
dantonistes, hébertistes, républicains, démocrates, 
démagogues... et qu'il tient la Convention courbée 
sous l'épouvante, il n'a plus qu'un obstacle à vaincre : 
le Comité de Salut public!... Aussi a-t-il tenté de le 
tourner !... Il y a un mois, son âme damnée, l'apoca- 
lyptique Saint- Just, est venu proposer aux deux co- 
mités républicains la création d'une magistrature 
suprême, omnipotente, qui serait naturellement dé- 
férée à Robespierre, lequel daignait l'accepter par 
dé>^uement. Les comités ont poussé de beaux cris. 
Battu par le vote et furieux de s'être si mal à propos 
démasqué, il s'est bien promis d'en finir à bref délai 
avec ces « pervers », comme il les appelle, qui ne veu- 
lent pas avoir fait quatre-vingt-neuf au profit d'un 

Maximilien quelconque. (Il jette la serviette sur la toilette, 
puis reboutonne ses manches.) D'oÙ SOn esCarmoUche hier 

contre le Comité et, aujourd'hui, la bataille acharnée 
qui va décider du sort de vingt millions d'hommes, 
y compris le nôtre. 

Il vide la cuvette dans le seaii. 

Martial. — C'est donc pour cela que, depuis six 
semaines, m'a-t-on dit, on ne le voit plus au Comité ? 

Labussière, h revient à la table, se verse à boire et boit, tandis 
que Martial s'assied sur le tabouret, devant la table. — Ah ! il n a 

pas besoin d'y paraître. Par ses agents, de loin, il 
mène tout. Le bureau de police générale que préside 
Herman, sa créature, met dans sa main le système 
policier et judiciaire tout entier : jury, accusateur 
public ; tout ce qui tue ! Chaque matin les présidents 
du tribunal, Dumas et Coffinal, vont chez lui prendre 
ses ordres. Et, les listes de proscription qu'il ne signe 
pas, c'est lui qui les dicte. 

Il vide son verre qu'il repose sur la table. 

Martial. — Et tu crois possible le succès d'un 
tel homme ? 

Labussière, remettant son habit. — Ah! l'imbécillité 
humaine ! 

Martial, debout — Mais, c'est effrayant ! 

Labussière, allant ii im. — Ah ! mon bon Martial, 
t'andis que nous sommes seuls, dans ces bureaux dé- 
serts, quelle tragédie on joue là-bas, dans l'ancien 

théâtre du Palais !... (Il s'assied sur le Ubouret laissé libre 
par Martial et nettoyant ses ongles avec un grattoir pris sur la table.) 

J'ai vu la salle avant le spectacle. Les tribunes re- 
gorgeaient de tout l'arrière-ban de la cabale robes- 
pierriste, dévots et dévotes, tricoteuses et tape-dur à 
vingt-quatre sous par jour, embrigadés pour acclamer 
leur acteur favori et couvrir de huées toute voix qui 
s'élèverait contre lui. Les députés arrivaient insultes, 
menacés et prenaient place à leurs bancs, par petits 
groupes, anxieux, penchés, se parlant bas, sachant 
bien qu'ils vont jouer la suprême partie. A présent, 
la pièce est commencée. Dans un long frémissement 
de l'auditoire, le glacial Saint-Just est monté à la tri- 
bune, et il parle, impassible, à la façon du chœur 
antique, exposant l'argument du drame, qui va dé- 
rouler ses péripéties inconnues, jusqu'au dénouement, 
heureux ou fatal, que nul ne saurait prédire!... Et, 
dans cette salle surchauffée, où tous les fronts sont 
ruisselants, tous les esprits surexcités par l'orage, 
une autre tempjte humaine se prépare, qui tout à 
l'heure éclatera, foudroyant coup sur coup bien des 

têtes... mais lesquelles ? (Il jette le grattoir sur la table.) 



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THERMIDOR 



27 



Martial. — Ah î bon Dieu ! à quoi tiennent les 
destinées d'un peuple ? Mais que faut-il donc pour 
abattre ce tjrran ? 

Labussière. — Un seul homme de cœur osant 
dire à la tribune ce mot-là, que chacun a sur les lèvres, 
et c'est fait de Sylla et de ses proscriptions ; car, de 
par son abominable loi de prairial, le massacre per- 
manent, systématique, à froid, la Terreur, c'est lui ! 
Qu'il tombe, l'échaïaud s'écroule ! Dans les prisons, 
les rues, Paris, la France entière, c'est une clameur 
de délivrance. L'indignation, comprimée par la peur, 
éclate, si violente que les terronstes des comités : 
Barrère, Collot, Vadier, Billaud, voulussent-ils main- 
tenir le bourreau, il ne fonctionnerait plus qu'à leurs 
dépens. Et, qu'elle en ait conscience ou non, ce n'est 
pas contre Robespierre que la Convention se bat en 
ce moment, c'est contre l'échafaud ! 

Scène IV 

Les mêmes, LUPIN, entrant vivement par le fond droite. 

Labussière, debout, allant à lui. — Ah ! enfin ! Qu'as- 
tu donc ? 
Lupin. — Ah ! citoyens ! 

Martial, vivement, inquiet, remontant. — Quoi, qu'v a- 

t-il ? 

Labussière, de môme. — Voyons, parle! 

LuPTN. — Je crois qu'il y a un désastre... 

Labussière et Martial. — Un désastre ? 

Lupin, lui tendant une lettre. — Cette lettre de M""* Bé- 
rillon... 

Labussière. — Eh !... donne donc !... (ii ouvre vive- 
ment la lettre et m.) « Arrêtée. » 

Martial. — Fabienne ? 

Labussière, lui tendant la lettre, à Lupin. — OÙ l'a-t-on 
conduite ? 

Lupin. — On n'en sait rien. 

Martial. — Mais il faut le savoir, et tout de suite ! 

Il va pour s'élancer dehors. 

Labussière, le retenant. — Voyons ! voyons ! ne 
perdons pas la tête. Nous saurons où elle est. 

Martial. — Ah ! mon Dieu ! arrêtée... et je n'étais 
pas là ! 

Labussière. — Allons !... du calme !... je t'en 

Erie ! Nous aviserons, nous agirons !... mais rien à 
lire en ce moment ! Tout dépend de ce qui se passe 

là-bas. (A Lupin qui a gagné la gauche de la scène.) Cours à la 

Convention et rapporte-nous des nouvelles. 

Lupin, courant vers la porte du fond, à gauche. — Oui, pa- 
tron ! 

Labussière. — Reviens vite ! 

Lupin s'élance dehors. 

liUPiN, dehors, — Tout de suite. 
Martul. — Quelle fataUté !... Nous partions !... 
Elle échappait à tout danger !... 

Il passe vivement vers la gauche pour aller prendre son chapeau 
sur la cheminée. 



Scène V 
MARTLiL, LABUSSIÈRE 

Labussière, arrêtant Martial, au-dessus du fauteuil. — As- 

sieds-toi, je t'en prie ! Et calme cette fièvre. Il n'y a 
pas péril immédiat ; on l'a conduite à quelque prison, 
probablement à la Force. Mais on y reste des mois 



entiers ! Elle n'a même pas son dossier. Rien à crain- 
dre pour aujourd'hui ! Demain c'est jour férié — le 
tribunal chôîne — en mettant les choses au pis, c'est 
quarante-huit heures de répit ! Et, dans quarante- 
huit heures... 

Martial. — Soit ! Mais qu'attendons-nous là, 
au lieu d'aller nous-mêmes ?... 

Labussière. — A la séance ? 

Martial. — Je le pousserai, moi, ce cri de rage 
que tout le monde attend. 

Labussière. — Et c'est bien be que je redoute; 
tu crieras, tu nous feras arrêter, et Fabienne sera 
privée de tout secours. 

On voit paraître au fend, à droite, Marteau, par la porte que Lupin 
a laissée ouverte à son arrivée. 

Martial. — On vient !... 
Labussière, vivement. — Marteau, qui vient prendre 
les dossiers. 

_ Il retourne à la table au-dessus et paraît occupé à sas paperasses. 



Scène VI 

liES MÊMES, MARTEAU, en sans-culotte : carmagnole, 
bonnet et gourdin, un dossier à la main, un brûle-gueule à la bouche. 

Marteau, ll entre par le fond droite et ferme la porte après 
ôtre entré, descend à Labussière et attire son attention en le frappant 
amicalement d'un coup de gourdin sur le bras. — BonjOUr, 

l'ahuri ! Toi, au moins, tu es à ton poste. 

IjABUSSIÈRE, reprenant son air niais et son léger bégaiement 

de la première scène. -^— Les autres sont à la séance. 

Marteau aperçoit Martial accoudé à la cheminée, passe au-dessus 
de Labussière et lui frappe l'épaule avec le dossier qu'il tient à 
la nuin, en lui désignant Martial. 

Labussière. — LTn de mes amis ! 

Marteau, regardant Martial immobile. — Et des amis de 

Camot !... Je le connais. Il ferait mieux d'aller voir 
Robespierre travailler les côtes à son patron, (ii dépose 

son gourdin sur le fauteuil et se retourne vers Labussière.) Tu as 

les dossiers pour après-demain ? 

Labussière, désignant le tas en remettant ses lunettes. — 

Les voilà ! Et ça m'a donné une peine, c'est un tel 
fouillis... Dans tous ces tas ! 

Marteau, à gauche de la table, il Ole son bonnet qu'il pose sur le 

fauteuil et s'essuie le front — On les éclaircira ! Les pri- 
sons sont trop pleines, nous allons les vider, (ii 

retire sa pipe qu'il débourre avec une plume et dont il vide la cendre 

sur la table.) Aujourd'hui, Fouquier a commandé sept 
charrettes ; à six têtes par voiture, ça en fait 
quarante-deux. I^a semaine prochaine, nous irons 
bien à la centaine. — Ne mêle pas ce dossier avec 
les autres et laisse-le sur le tas. 

Il y pose le dossier qu'il vient d'apporter. 
Labussière, assis à droite, dans son fauteuil. — Qu'cst- 

ce que c'est ? 

IML^RTEAU, au-dessus de la table de face, se versant de la bière 

dans le verre de Martial. — Un dossier supplémentaire 
pour aujourd'hui que Héron vient d'établir à la 
hâte... Et recommandé, celui-là ! Une particulière 

qu'on vient d'arrêter... (Mouvement de Labussière et de Martial.) 

et qui récemment a voulu l'assassiner ! 

Il surprend le mouvement et s'arrête au moment de boire. 

Labussière, d'un ton indifférent — Ah ! 
Marteau, buvant. — Ça t'intéresse ? 
Labussière, reprenant son air niais. — Moi ? Oh ! pas 
du tout ! 



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L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 




Marteau (M. Laugier). 
Marteau, ll bourre sa pipe et y pose l'amadou. — Héron 

tient à ce qu'on lui fasse son affaire aujourd'hui. 
Demain : décadi, Féchafaud se repose ! Elle est à la 
Conciergerie, toute portée pour être à cinq heures 
dans la brouette nationale. Je te laisse tout cela 

pour le moment. (Regardant l'heure à sa montre.) L' audience 

du tribunal n'est qu'à trois heures, j'ai le temps 

d'aller faire un tour a la séance, (il reprend son bonnet et son 

gourdin.) Je serai ici dans trois quarts d'heure pour 
vérifier et expédier les dossiers a Fouquier avant la 
séance. Et tache que le compte y soit, ou le tien sera 

vite réglé ! (II frappe le tas de dossiers de son gourdin.) 

IiABUSSiÊRE. — On m'arrêtera ?... 

Marteau, battant le briquet, sa canne sous le bras, et allumant 

^ pip^ — Comptes-y ! Fouquier m'a dit hier : « Il 
m'ennuie, ce jocrisse-là ! Au premier dossier qui 
manque, il peut préparer le sien ! » 

Labussiêre. — Mais ce n'est pas de ma faute. Il y 
en a des centaines là-dedans... et dans un désordre !... 

Marteau, imitant le bégaiement de Labussière. — Arrange- 

toi ! Tu es prévenu ! Et à tout à l'heure ! (ii ouvre la 

porte de gauche d'un coup de gourdin et. à l'adresse de Martial :) 

J'espère qu'on va en finir avec ces enragés de mo- 
dérés ! (Il sort en grommelant par la gauche.) 



Scène VII 

LABUSSIÈRE, MARTIAL 

Dès que Marteau est sorti, Martial court fermer la porte fond gau- 
che; Labussière celle fond droite; ils descendent tous deux 
vivement à la table. Labussière prend le dossier laissé par Mar- 
teau, l'ouvre précipitamment et tombe assis sur le tabouret 
devant la table ; Martial l'a rejoint et. debout, penché, regarde. 

Martial. — Ah ! misère de Dieu !... tout est contre 
nous. 

liABUSSlÈRE, regardant les pièces. — C'est bien Cela ! 

C'est bien ce qu'il a dit ! Toute l'accusation de la 

main de ce misérable Héron ! (ils croient entendre venir et 
Jettent un regard vers la porte fond gauche.) DeUX pages !... (Il par- 
court.) Elle a voulu l'assassiner !... Une fanatique !... 
Charlotte Corday, Cécile Renault, naturellement !... 

(Il tourne une page.) Et des témoins ! (Martial lui fait signe 

de baisser la voix, plus bas.) Il a des témoins : Mallet, 
son domestique et ses sous- mouchards : Coulongeon, 
Guesneau, Duchesne... qui ont vu l'accusée s'enfuir, 
en jetant son couteau aans l'escaUer ! 

Martial. — Oh ! bandits !... 

Labussière, môme jeu. — Et il a tellement peur 
que sa proie ne lui échappe demain qu'il insiste pour 
la condamnation d'urgence, immédiate, (ii dépose le 
dossier sur la table.) Ceci au tribunal et, ce soir elle 
est morte! 

Martial, après un temps, touchant les pièces du dossier. — 

Mais ces pièces détruites par toi, comme les autres ? 

Labussière. — Tu ne l'as donc pas entendu ? Il 
va revenir et vérifier le compte. Vérifier !... S'il ne 
le trouve pas ?... 

Martul. — Tu es perdu ! 

Labussière. — Moi, ce n'est rien ! je ne l'attends 
pas et me sauve ! Mais après ? Marteau voit bien 
que le dossier qui manque est celui de Fabienne. Et, 
prévenu sur-le-champ, Héron court au tribunal, si- 
gnale le vol, dépose contre elle. Elle n'est condamnée 
que plus sûrement !... 

Martial. — Alors, supprimons son accusation, et 
des papiers quelconques, du papier blanc sous l'enve- 
loppe ; Marteau, abusé, expédie le dossier à Fouquier 
qui n'a rien. Faute de preuve il ajourne et Fabienne 
lui échappe ! 

Labussière. — Mais, trois fois je l'ai essayé ce 
Que tu dis-là, et trois fois il a fait condamner sur 
1 enveloppe seule, où les chefs d'accusation sont ré- 
sumés en trois mots. 

Martul. — Ah ! mon Dieu ! Est-ce possible ? 

Labussière. — Ah !... Tu ne le connais pas. 

Martlal, prêtant l'oreille. — Tais-toi !... Lui, déjà ?... Il 
revient ?... 



Scène VIII 

Les mêmes, LUPIN 
luABussiÈRE. — Non !... Lupin !... Eh bien ? 

Il court à lui. 
Lupin, essoufflé, rapidement, au-dessus de la table. — Oh ! 

ça chauffe ! ça chauffe ! 

Martlal. — Ah ! 

Lupin. — Tallien a coupé la parole à Saint-Just et 
pris l'offensive ! 

Labussière l'attire au fauteuil où il le fait asseoir et se tient debout 
près de lui ; Martial vient s'asseoir sur le tabouret devant la 
table. 



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THERMIDOR 



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Lupin. — On se démène, on crie ! C'est effrayant ! 

Labussiêre. — Qui préside ? 

Lupin. — Thuriot. 

Labussiêre, anxieux. — Et la Montagne ? 

Lupin. — Oh ! elle va bien, la Montagne ! Elle 
est lancée, la Montagne ! Elle a déjà crié : « A bas 
le tyran ! * 

Labussiêre. — Bien !... Et la Plaine ? 

Lupin. — Oh ! les crapauds du marais !... Impas- 
sibles ! 

Labussiêre. — Les. lâches !... Et les tribunes ? 

Lupin. — Curieuses, les tribunes !... Ahuries de 
voir attaquer si ^^vement leur idole. Elles ne bron- 
chent pas. 

Labussiêre. — Et l'idole ? 

Lupin. — Oh ! lui, il vocifère, les traite de lâches, 
de brigands. Il est vert-de-gris et, avec ça, enroué ! 
Fou de rage, trois fois il a tenté d'escalader la tribune 
en criant de sa voix aigre : « Je demande la parole ! » 
« Tu ne l'as pas ! » hurle Thuriot en agitant sa sonnette. 
Et Tallien de redoubler ses coups ! Robespierre se 
démène, s'égosille, sous les rumeurs croissantes et 
toujours la sonnette va son train, couvrant ses cris 
de chacal éperdu. 

Labussiêre. — Bref ! Ton impression ? Le résul- 
tat ? 

Lupin, se levant — Impossible à dire !... Tout dé- 
pend de la Plaine. 

Martial se lève et repousse le tabouret sous la table, et remonte 
vers Labussiêre. 

Labussiêre. — Qui parle en ce moment ? 
Lupin, remontant. — Tallien ! Sa deuxième charge 
à fond de train. 
Labussiêre. — Dieu veuille que ce soit la bonne!... 

Lupin, gagnant la porte. — Je repars ! (Ubussière le 

suit) Ah ! c'est passionnant ! 

Labussiêre. — Tu reviendras ? 

Lupin, se sauvant — Oui, oui... dès qu'il y aura du 
nouveau. 



Scène IX 
MARTIAL, LABUSSIÊRE 

Labussiêre, refermant la porte. — Et penser que ce 
monstre abattu, dans deux jours il n'y aura plus 
d'échafaud que pour lui... et les siens. 

Martial. — Mais Fabienne sera morte ! 

Labussiêre, gagnant la gauche pour aller regarder l'heure à la 

pendule. — Deux heures cinq !... Dans une heure le 
tribimal entre en séance, pour finir à cinq heures. 
Trois heures de répit, (ii s'assied sur le bras du fauteuil.) Trois 
heures d'oubli. Elle serait sauvée !... 

Martul, près de lui. — Ah î Labussière !... Il le 
faut !... Voilà ce qu'il faut !... 

Labussiêre. — Et comment ? 

Martial. — Ah ! je n'en sais rien ! Mais, toi qui 
as sauvé tant de monde, tu as bien quelque moyen ? 

Labussiêre. — Mais, pas un ! 

Martial. — Oh ! si, si ! Oh ! cherche bien ! Il 
y a sûrement quelque chose ! Cherche-le ! 

Labussiêre. — Mais, que veux- tu que je trouve ? 
Il n^y a rien ! Que je supprime ou laisse son dossier, 
son sort est le même ! Il n'y a rien, te dis-je, rien, 
rienf 

Un silence. 



Martial. — Si ! 
Labussiêre. — Quoi ? 

Martial, après un œup d'œll aux dossiers. — Un fauX 

dossier à son nom. 

Labussiêre, debout — C'est enfantin ! D'un coup 
d'œil, Marteau voit la fraude ! Et ces notes, ce» 
signatures, ces timbres, où sont-ils sur ton faux 
dossier ? 

Martial. — C'est vrai ! 

Labussiêre, allant aux dossiers. — Qu'il fasse confu- 
sion entre deux liasses comme celle-ci, véritables... 
Ah ! parbleu, cela à tout instant !... On condamne 
journellement un détenu qu'une ressemblance de 
nom fait prendre pour un autre : Pérès pour Peyrot l 
Mayet pour Maille ! Et, aujourd'hui même, Verman- 
dois, militaire, pout Vermantois, chanoine ! Mais, leur 
faire prendre un faux dossier pour véritable... c'est 
de la folie ! 

Il gagne la droite au-dessus de la table. 

Martial. — Alors !... un vrai ! 
Labussiêre, se retournant — Un vrai ? 
Martial. — Oui !... Tu parles de noms pareils ou 

semblables... (il désigne le casier à droite.) Tu en aS ? 
Labussiêre, à droite de la table. — Oui. 

Martial. — Choisis le plus capable de le trom- 
per !... Marteau emporte ce dossier-là ; Fabienne 
n'est plus en cause, on l'oublie et c'est fait. 

Labussiêre. — Et l'autre ? 

Martial. — L'autre ?... 

Labussiêre. — Oui !... Elle est perdue, l'autre !... 

Martial. — Mais non ! 

Labussiêre. — Mais si ! Tu envoies une Lecoul- 
teux à Fouquier... il la prend sans même soupçonner 
l'échange et, l'eût-il constaté, gue lui importe ? 
Celle-là ou une autre, c'est toujours une tête et, 
pourvu qu'il ait son compte et que ses charrettes 
soient pleines ?... 

Martial, devant u table. — Mais celle-là n'est pas 
sous sa main, comme Fabienne ? Elle est dans quel- 
que prison, loin de lui. 

Labusseère. — A vingt minutes du Palais en voi- 
ture !... Fût-elle au Luxembourg ou aux Carmes. Va 
pour une heure, aller et retour. Et trois minutes d'in- 
terrogatoire, au plus ; avant cinq heures, c'est fait 
d'elle !... 

Martial, à la table, appuyé sur ses mains, face au public — 

Et, pour Fabienne, ce sera plus rapide encore ! 
Labussiêre. — Hélas ! oui ! 

Martial, lentement, tout à son idée, sans regarder Labussiêre, 

à mi-voix. — Et il n'est pas sûr que Fouquier l'en- 
voie chercher, l'autre !... Tandis que Fabienne, c'est 
fatal, inévitable... Elle est là... sous sa main !... 
Labussiêre. — Assurément ! 

Martial, de même et presque sans voix, comme n'osant pas 

parler. — ... Et je balancerais entre la mort certaine 
de ma femme et la fin... douteuse... et même assu- 
rée... d'une créature qui ne m'est rien !... la première 
venue... que je ne connais pas !... 

Labussiêre, appuyé sur le dossier du fauteuil — Oh ! 

toi!... Je comprends bien!... toi!... 

Martial, allant à lui jusqu'à l'angle de la table. — Mais, toî 

aussi !... mon ami... l'ami de Fabienne... son sauveur!... 
(Brusquement.) Enfin, nous n'avons pas le choix dea 
moyens, n'est-ce pas ? 

Labussiêre, de môme. — Non !... 

Martial. — Cest bien le seul ? 

Labussiêre. — Le seul !... 



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L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



Martial, résolu. — Et je ne l'emploierais pas ? Pour 
la sauver de l'eau, du feu, je me ferais un passage sur 
le corps d'un autre... j'étranglerais celle qui se cram- 
ponnerait à moi !... Et j'hésiterais ?... Et, à ma place, 
tu hésiterais, toi ? 

Labussière. — A ta place... non, peut-être !... 
Mais... 

Il veut s'éloigner; Martial passe vivement entre la table et le fau- 
teuil et l'arrête. 

Martial. — Mais, à la tienne, tu refuses ? 
Labussière. — Ah ! je ne dis pas cela ! Est-ce que 

je sais ? (Il tombe assis sur le fauteuil.) Je ne sais plus OÙ 

j'en suis ! Tu me presses, là, effaré... affolé... sans 
me donner le temps d'y penser ! 

Martial. — Mais ces choses-là, on n'y pense pas, on 
les fait ! sans réflexion, d'instinct !... Tant c'est na- 
turel et vrai !... Son salut d'abord, le reste après ! 

Labussière, ébranlé. — Ah ! sans doute !... Et 
pourtant !... 

Martial. — Enfin, tu l'as employé déjà ce moyen- 
là !... 

Labussière, debout, protestant — Jamais !... Oh ! 
ça, jamais !... 

Martial, suppliant — C'est que Fabienne n'était 
pas en cause !... 

liABUSSiÈRE. — Ah ! certes ! Il faut bien que ce soit 
pour elle !... Et pour toi ! 

Il ouvre le tiroir de la table et y jette le dossier de Fabienne. 

Martul. — Dépêchons ! Tl peut revenir ! Vite ! où 
sont les dossiers aux mêmes noms ? 

Il passe pour aller au casier, à droite, demdre Labussière qui l'ar- 
rête en étendant le bras. Un grand temps. Labussière se dirige 
péniblement vers le casier, tire son mouchoir, s'essuie le front 
et arrive au tabouret où il monte, avec l'aide de Martial ; le tout 
en silence, puis cherche dans une case. 

Labussière. — Ici!... ce casier !... Non! c'est l'M... 

Là, plus bas !... (Il descend du tabouret et cherche dans la case 

au-dessous.) Oui ! les voici !... Lavauguyon... Laverdy... 
Non, ce n'est pas cela !... Ah! voici... (ii tire un dossier.) 
Le Coûteux !... Vois d'abord celui-là !... 

Il passe le dossier à Martial. 
Martial, regardant les notes sur la couverture. — Le Cou- 

teux, en deux mots !... 

Labussière, cherchant d'autres aossiers. — Marteau 
n'y prendra pas garde !.,. 

Martial, lisant — « Alexandre, Eusèbe... ci-devant 
notaire... quatre-vingt-un ans»...(S'arrêtant)Oh! l'âge ! 
Et puis, un homme !... 

Labussière, prenant un autre dossier. — Oui, c'est trop 
dangereux. Bien qu'ils aient condamné Claude Dez 
comme étant un homme, — et c'était une femme ! 

Laisse celui-là. (Martial jette le dossier sur la table.) Celui -ci 

vaudra mieux ! 

Il lui tend un autre dossier. 

Martial. — Une femme ? 

Labussière. — Oui, je cherche le troisième. Lis !... 

Martial, usant — « Jeanne-Octavie Lecoutteux !...» 
(S'arrêtant) Deux T, au lieu de L. T. 

Labussière, continuant sa recherche. — Peu importe !... 

Martl\.l. — Oui, mais il y a « femme », femme Le- 
coutteux. 

Labussière, même jeu, continuant sa recherche. — En 

toutes lettres ? 
Martial. — Non, en abrégé : F. E. 
Labussière. — Cela peut passer pour « fille »! 



N'est-ce pas la veuve d'un receveur des finances?... 

Martial. — Oui !... (Lisant) « Quarante-deux ans, 
aristocrate endurcie, p 

Labussière, prenant un autre dossier. — Mets-le de 

côté !... (Martial pose le dossier sur le fauteuil.) Nous ver- 
rons!... Voici le troisième... Oui!... (Il s'assied sur la chaise 

et lit) « Lecoulteux », même orthographe exacte- 
ment, « Marie-Clotilde ». Et Fabienne, c'est ?... 

MARTLA.L. — Marie-Fabienne ! 

Labussière. — Bien !... 

Martial. — Oui ! 

Labussière, de même. — « Fanatique. Plante des 
lis dans son jardin. Vingt-six ans ». 

Martial. — Celle-là ! Marteau s'y tromperait 
tout à fait... 

Labussière. — Oui. 

Martlal. — Alors, vite !... Il peut venir !... 

Il veut prendre le dossier que Labussière retient 

Labussière. — Pas encore !... Attends !... 
Martul. — Quoi ?... 

Labussière. — Ah ! mon Dieu, attends !... Pas 
si vite !... Il n'est pas là !... 

Silence. 

Martial. — A quoi penses-tu ? 
Labussière, à lui-môme. — Vingt-six ans ! !... 
Martlil. — Fabienne en a vingt-deux ! 

Labussière, indiquant le premier dossier sur la table. — 

Cet autre encore : quatre-vingts ans !... Ses jours 
sont pleins !... Il n'a peut-être plus six mois à vivre !... 
Mais, vingt-six ans !... Pense donc, cette malheu- 
reuse ! Vingt-six ans ! !... 

Martial. — Ah ! Dieu, si nous pensons à cela nous 
ne ferons rien ! Dépêchons, je t'en suppUe!... 

Labussière, se levant et déposant le dossier sur la chaise. — 

Non ! pas celle-là ! Plutôt la première... 
Martial. — La femme Lecoutteux ? 

Labussière, prenant le dossier posé par Martial sur le fauteuil 
et gagnant un peu vers la gauche, au milieu. Martial va à lui. — Oui ! 

Quarante-deux ans ! (Ouvrant le dossier.) Veuve de Sta- 
nislas Savinien... (S'arrêtant) Ah ! 
.Martial. — Quoi ? 

Labussière, mettant le dossier sous les yeux de Martial. — 

Deux enfants !... 
Martial, vivement — Ah ! non ! alors !... 

IjABUSSIÈRE, rejette le dossier sur le coin de la table ; Martial 
reprend celui qui a été posé sur la chaise et le lui repasse. — Oh ! non ! 

non ! Revenons à l'autre î- 

Martial. — Il n'y a qu'elle, je te dis qu'il n'y a 
qu'elle. 

Labussière, ouvrant le dossier. — Du moins, elle n'a 
pas d'enfants ! 

Martial, penché pour lire. — Mariée ? 

Labussière, lisant — Non, et sans profession ! 

Martial, vivement — Quelque fille !... 

IjABUSSIÈRE, même jeu. — C'cst probable !... (Usant) 

Oui î... 

MaRTLAL, satisfait — Ah !... 

Labussière, même jeu. — Fille galante ! 
Martial. — Tu vois !... 

Labussière, usant — « Ci-devant maîtresse du 
général Byron. » 
Martial. — Une créature quelconque !... 
Labussière. — Une créature humaine !... Enfin ! 

Il passe à gauche pour aller placer le dossier sur les autres. 
Martial, remontant et passant à gauche, au-dessus de la tabler 

— Oui ! ne perdons pas de temps ! 

Labussière, ll va pour poser sur le tas le dossier qu'il tient à U 



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THERMIDOR 



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Martial, à Labussidre ; 



« Nzus sommes forcément assassins de Fune ou ds Vautre 
Allons, décide et choisis/... Laquelle tuons-nous?... » 



FMêdne ou attî femm:. 



main, puii s'arrête. — Mais, c'est effroyable, ce que nous 
faisons là !... 

Martial. — Ah ! mon Dieu, je le sais bien, pour- 
quoi le dire ? 

Labussière. — Nous la tuons aussi sûrement que 
fii nous regorgions de nos mains. 

Martial. — Soit ! Mais, à l'instant, tu étais 
résolu à le faire. 

Labussière. — Ah ! pour une inconnue qui n'exis- 
tait pas encore ! Mais une créature réelle, vivante, 
que je tiens là et vais glisser sous le couteau, même 
pour Fabienne et pour toi, je ne peux pas faire cela ! 
Voyons, est-ce que je peux ? Comprends donc que je 
ne peux pas ! 

Il gagne la droite et jette le dossier sur le fauteuil. 

Martlal. — Ah! je comprends que, si nous discu- 
tons encore, tout est perdu ! 

Labussière. — Enfin, voyons!... Cette. malheu- 
reuse, oubliée dans sa prison... qui, dans deux jours, 
sera sauvée... c'est nous qui crions au bourreau : 
4t Prends-la donc, celle-là, tu l'oublies ! » Mais c'est 
Affreux, cela ! c'est atroce ! 

Ils se trouvent séparés par la table, Labussière à droite, Martial à 
luche, au-dessus de la table, au milieu. 

Martial. — Il y a plus affreux ; c'est de lui dire • 
< Voilà celle que j'aime ! Un ami pouvait la sauver et 
c'est lui qui te la donne ! » 



Labussière. — Oh ! peux-tu ?... 
Martial. — Car voilà ce que tu fais ! 
Labussière. — Moi ! 

Martial, allant à Labussière qui recule à droite. — Toi ! 

moins soucieux de mon salut que de celui de la pre- 
mière fille venue, moins ému pour une honnête fille 
que pour cette fille !... 

Il montre le dossier dépose par Labussière sur le fauteuil. 

Labussière. — Mais innocente !... 
Martial. — Fabienne aussi !... 
Labussière. — Et oubliée !... 

Martial, entre la table et le fauteuil. — Ah ! Voilà le 

crime de Fabienne ! N'est-ce pas ?... C'est qu'on ne 
l'oublie pas, elle !... Il faut bien la livrer à Fouquier, 
puisqu'il la réclame !... 

Labussière. — Ah ! malheureux, ai-je dit cela ? 
Mais une autre doit-elle payer pour elle ? Et à celle 
désignée pour la mort avons- nous le droit de substi- 
tuer celle qui ne l'est pas ? 

Martial, descendant devant la table. — Ah ! ah ! le 

droit! Ah! bien, alors, si nous parlons droit!... Il 
s'agit de sauver Fabienne à tout prix, à tout prix, 
à tout prix ! Voilà tout ! 

Labussière, faisant un pas vers Martial. — Même au 
prix d'un crime ! 

MaRTLAL, protestant. — Oh ! 

Labussière. — Enfin, c'est le mot î... Soyons donc 
francs avec nous-mêmes et, si nous sacrifions cette 



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L*I LLUSTRATION THÉÂTRALE 



pauvre femme à Tégoïsme de ton amour et de mon 
amitié, qu'il 8oit bien entendu que c'est un assas- 
sinat ! 

Martial. — Eh bien, va pour assassinat ! — Je 
le prends à ma charge. Ce n'est pas toi qui assas- 
sines, c'est moi. (Tendant la main et indiquant le dossier sur 

le fauteuil.) Donne ! 

Labussière. — Oh ! toi ou moi, qu'importe ♦... 
Nous tuons à deux I 

Martial, hors de lui. — Mais nous tuerons tou- 
jours... et quoi que nous fassions ! Nous sommes 
forcément assassins de l'une ou de l'autre : Fabienne 
ou cette femme. Allons, décide et choisis !... Laquelle 
tuons-nous ?... Décidément. Laquelle ? 

Labussière. — Ah ! Dieu ! 

Martial. — Est-ce l'autre ? Donne ! Est-ce Fa- 
bienne ? (Ouvrant violemment le tiroir.) Alors, tire SOU dos- 

sier de ce tiroir et remets-le sur ce tas, si tu l'oses ! 

Labussière, reculant. — Ah ! tu sais bien que je ne 
ferai pas cela ! 

Martial. — Et qu'importe, puisqu'elle est égale- 
ment perdue, qu'il y soit ou n'y soit pas ! 

Labussière. — C'est vrai !... 

Martial. — Et si tu n'en mets pas un autre à la 
place !... 

Labussière, regardant le dossier. — C'est vrai ! Il le 
faut bien ! Il le faut !... 

Martial. — On vient ! Au nom du ciel !... C'est 
lui !... Je t'en conjure !... 

Labussière. — Tuons-la donc ! (ii va pour poser le 

dossier sur le tas quand on entend dehors un grand éclat de voix et de 
riree. et des bruits de pas précipités ; au lointain, les tambours battent 
aux champs pour la fin de la séance et la sortie du président) Ecoute ! 

Attends ! C'est la fin de la séance !... 
Lupin, dehors. — Victoire ! Victoire ! ! 
Labussière et Martial, joyeux. — Victoire ?... 



Scène X 

Les mêmes, LUPIN, CHATEUIL, JUMELOT, 
VASSELIN, RIBOUT, PIERRE, puis BRICARD, 

DÉPUTÉS, EMPLOYÉS, SPECTATEURS DES TRI- 
BUNES, etc. 

Ils arrivent tous en courant, très excités et joyeux, s'éventant, 

s'essuyant le front, allant, venant, parlant, gesticulant et buvant 

de la bidre que leur versent des garçons de café, pendant ce qui 

suit, dans le corridor et au fond de la scène. 

Lupin, ouvrant U porte brusquement et s'élançant le premier 

«ur la scène. — Victoire ! C'est fait ! Il est à bas ! 



Labussière et Martul. — Robespierre? 

Tous, accourant par les deux portes. — Oui, Oui ! 

RiBOUT, triomphant. — Quand je l'ai dit qu'on Im 
casserait les reins ! 
Labussière, joyeux. — Enfin ! 

liUPTN, devant la table, entouré . — Ah! ça n'a paS 

été sans peine ! Quand je suis rentré, il se démenait 
encore, criant : « Président d'assassins, je demande 
la parole ! » Mais sa voix épuisée se brise en un hoquet 
ridicule, on rit, et une voix terrible : « C'est le sang 
de Danton qui l'étouffé ! » Là-dessus, dans les tri- 
bunes, les couloirs, sur tous les bancs : « L'accusa- 
tion ! L'arrestation ! » On vote, c'est fait ! 

Labussière. — Arrêté ? 

Lupin. — Avec son frère, Couthon, Saint-.Tust et 
trois ou quatre forcenés qui vociféraient dans les cou- 
loirs. Entre autres : Lasne et Marteau ! 

Labussière et Martial. — Marteau ! arrêté ? 

Lupin. — A l'instant ! 

Il remonte et va ouvrir la fenêtre à droite et tous se précipitent 
pour voir dehors, quelques-uns montent sur les chaises. 

Labussière, rejetant sous la table le dossier de Marie-Clotilde 
et tous les autres en tas. — SaUvée ! Et ceUX-là aUSSi !... 

Il ouvre vivement le tiroir et en tire le dossier de Fabienne. 

Martial. — Ah ! quel bonheur ! 

Labussière. — Prends ceci, cache-le ! Courons à 
la Conciergerie ! Nous le détruirons en route ! 

Martial. — Elle est hors de péril, n'est-ce pas ? 

Labussière. — Pas encore l Mais nous brûlons. 
Vite à la Conciergerie ! 

Il court avec Martial, à gauche, prendre leurs chapeaux. On entend 
une clameur au loin et les cris de : « A bas le tyran I A bas Robes- 
pierre! » 

Lupin, à la fenêtre. — On les mène au Comité de 
Sûreté! Les voilà qui passent dans la cour des Ma- 
chines. 

Au fond, les assistants courent à la fenêtre du corridor qu'ils ouvrent 
et unissent leurs cris à ceux du dehors. 

Tous, aux deux fenêtres, agitant leun chapeaux. — A b*W 

Robespierre î A bas le tyran ! 

BrICARD, s'élançant par la porte de gauche sur la soêne et cou- 
rant à la fenêtre. — A mort Robespierre ! A mort ! A 
mort ! 

Labussière. — Toi aussi ?... (Les clameurs continuent 

dehors.) Triple idiot ! 

Il s'élance dehors avec MartiaL 

Bricard, saisi. — Tiens, il ne bégaye plus ! 
Tous, en scène, aux fenêtres — Vive la République l 
La Foule, au dehors. — Vive la République! 



rideau 



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THERMIDOR 



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Fabienne : * Ah / mon cher, mon cher Martial / Je vais donc pouvoir f aimer sans crime i • 



ACTE lY 

Za 'petite cour â^ entrée de la Conciergeriey telle qu^elle est e^xcore aujourd'hui ; à droite du grand escalier du 
Palais de justice, dans la cour du Mai. A gauche, deuxième flan, Varcade, la grille et les marches par 
lesquelles en tnonte^e la petite cour à la grarhde, — A droite, premier plin, la fenêtre de la loge du concierge, 
éovec pots de fleurs et capucines grimpantes; en avant, un banc de bois adossé au mur, une table et trois chaises 
grossières. Au deuxième plan, P entrée de la Conciergerie. Au delà, faisant pendant à la fenêtre de la loge, 
celle du greffe oui est ouverte. Au fond, faisant face au public, porte du corps de garde, affiches au mur, bancs 
de hois,€te... Au-dessus règne le mur bas qui se relie à C arcade de gauche et flanque le grand escalier. Au delà, 
<fn aperçoit, à droite, la colonnade du pavillon central et, en face, par-dessus F aile du Palais qui fait retour vers 
la place, la Sainte-Chapelle sans sa flèche. A gauche, bancs, escabeaux. Au fond, devant le corps de garde, 
chaises, banes : à droite de la scène, à V avant-scène, une table et des sièges. 



Scène première 

BRAULT, SIMONET, LÉCRIVAIN, TAVER- 
NIER, DEBUSNE, M»« BRAULT, RIVIÈRE, 
BOUCHARD, GAUTHIER, OLIVON, quiche- 

TIERS, GARDES NATIONAUX, GENDARMES, EMPLOYÉS 
J)E LA CONCIERGERIE, AIDES DU BOURREAU, etc. 

Au lever du rideau, M'» Brault, à droite à sa fenêtre, arrose ses 
•capucines avec l'aide de Debusne, lieutenant de gendarmerie. 
Ji gauche, au iond, les trois gendarmes achèvent de dtner autour 
■d'une table placée dans l'angle. Devant le corps de garde, deux 
«gardes nationaux assis . l'un lisant un journal, l'autre astiquant 
•son sabre. Une sentinelle en haut de l'escalier. Sur le mur d'appui 
du haut, dans la partie faisant face aux spectateurs, deux jeunes 
isanssmlottes accroupis font une partie de cartes; un autre dort 



étendu tout de son long; un quatrième, les jambes pendantes, 
mange du cervelas; devant la fenêtre du greffe, au bas de l'es* 
calier, et sur le milieu de la scéne,troi8 groupes entourent Brault, 
Simonet et Tavemier : employés de la prison, guichetiers, 
commis-greffiers, etc., gardes nationaux et curieux venus de la 
grande cour. Très agités, les groupes se forment, se reforment. 
De nouveaux venus descendent à chaque instant l'escalier en 
courant, tandis que d'autres sortent par le même chemin. Il 
y a une même allée et venue à droite, de la cour k la prison. Les 
employés du greffe causent par leur fenêtre ouverte avec ceux 
du dehors. 

BrAULT, à Olivon, qui raconte la séance dans le groupe du 

milieu. — Et alors, les conventionnels ?... 
Olivon. — Sont allés dîner !... 
Voix. — Comme ça ? 



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L' I LLUSTRATI ON TH Ê ATRALE 



Olivon. — Comme ça ! Et contents, fallait voir ! 
Ils dégringolaient et enjambaient les bancs, riant 
et parlant tout à la fois, comme des collégiens en va- 
cances. 

Brault. — Au lieu de rester en permanence... 

Olivon. — Ah! ma foi, ils avaient bien gagné leur 
dîner. Ils reprendront séance à sept heures du soir ! 

Brault. — Et pendant ce temp8-là,Robespierre?... 

Olivon. — On Ta mené aux Carmes ! 

Il va pour remonter. 
TaVERNIER, qui l'a entendu, dans un autre groupe, élevant la 

voix. — Mais non, il est à l'hôtel de Brionne, au 
Comité de Sûreté générale. 

Les têtes se tournent vers lui. Les groupes se divisent et se refor- 
ment autour de lui. 

Olivon. — Non, aux Carmes ! 

Tavernier, descendant. — Demande à Bouchard 
qui en vient ! N'est-ce pas, Bouchard, que tu as vu 
passer Robespierre avec les autres ? 

Bouchard, du fond, dans un groupe, se retournant. — Oui, 

cour des Machines... 

Simonet. — Gardés ? 

Bouchard. — Par les gendarmes ! 

Tavernier. — C'est ceux-là qui doivent être em- 
barrassés ! Ils ne savent jamais de quel côté sont les 
traîtres ! (A oebusne.) Eh ! Debusne, à quoi est-ce que tu 
reconnais les conspirateurs ? 

Debusne, sans se retourner, à la fenêtre de Brault, causant 
avec M"e Brault qui arrose ses fîeurs. — Les conspirateurs, 

c'est ceux qu'on arrête. 

On rit 

Tavernier. — Avec ce raisonnement-là, vous 
comprenez, il arrêtera aussi bien Robespierre pour 
le compte de la Convention, que la Convention pour 
le compte de Robespierre ! Ça dépend de celui qui fait 
le premier arrêter l'eutre. 

LÉCRIVAIN, sortant de la Conciergerie. — Eh ! Taver- 
nier, on te demande au tribunal, première section ! 
Tavernier. — J'y vais ! 

Il entre vivement dans la Conciergerie. 

Olivon, à Lécnvain. — Le tribunal siège donc ? 

On les entoure. 

LÉCRIVAIN. — En deux sections, oui. L'une pré- 
sidée par Dumas, l'autre par Scellier. Pourquoi ne 
siégerait- il pas ? 

Olivon. — A cause des événements. Tout le monde 
se figure ça, dans Paris. 

LecRIVAIN, regardant sa montre. — Ça tire à sa fin. 

D'ailleurs, les charrettes partiront dans une demi- 
heure. 

Olivon. — Il n'y en a pas moins de sept dans la 
cour. Il paraît que vous avez encore une fameuse 
fournée. 

LÉCRIVAIN. — Quarante-cinq ou quarante-six, 
pas moins. 

Olivon. — Tu sais ça d'avance ? 

LÉCRIVAIN. — Bon ! Fouquier fait son compte 
dès la veille, à une tête près. 

Bouchard, descendant au milieu d'eux. — Est-ce que 
c'est vrai que les Jacobins se sont déclarés en perma- 
nence... 

SiMONET. — Ah ! bien, si tu crois que ça se passera 
sans qu'on se cogne ? 

LÉCRIVAIN. — Parbleu ! Robespierre a pour lui 
Henriot, et Henriot tient toute la force armée. 

Olivon. — Et il fallait le voir tout à l'heure, celui- 
là, courant le faubourg Antoine à cheval, et appelant 



les citoyens aux armes, pour délivrer V Incorruptible 
et faire sauter la Convention ! 

Bouchard. — Un beau fichu général pour faire 
sauter autre chose que les bouchons de bouteilles ! Il 
était déjà saoul à onze heures du matin ! S'il ne 
tombe pas de cheval, il aura de la chance. 

Un Garde national. — Toujours qu'il a délivré 
Payen qu'on menait à la Force et qu'il vient de mar- 
cher sur les Tuileries, avec une quarantaine de gen- 
darmes. 

Mouvement de curiosité autour de lui. 

Brault. — Tu l'as vu ? 

Le Garde national. — Rue Honoré. Courtois, à la 
fenêtre d'un traiteur, criait à la foule : « Arrêtez-le î 
arrêtez-le ! » Mais on ne l'a pas arrêté. 

Un jeune Sans-culotte, arrivant sur le mur du fond. — 

Dites donc î Eh ! les autres, là-dessous ! Savez- vous 
que Robespierre est mis hors la loi ! 

Tous se tournent vers lui. 

Voix. — Mais non ! 

Le Sans-culotte. — Si ! on le crie par les rues ! 

On entend les voix des crieurs tout au loin et. peu après, le rappel. 
Tavernier, à Gauthier qui descend vivement les marches. 

— Voilà Gauthier qui revient de la Grève ! 

Tout le monde entoure Gauthien 

Simonet, Tavernier, Olivon. — Eh bien ? 

Gauthier. — Eh bien, ça sent rudement la poudre 
à la maison de villç ! 

Tous. — Ah ! 

Gauthier. — Le conseil de la commune a donné 
l'ordre de fermer les barrières et de sonner le tocsin 
à Saint- Paul et à Saint- Gervais. 

Tambours lointains battant le rappel. Puis la générale. 

Bouchard. — Écoutez ! 

Voix. — C'est le rappel. 

Gauthier. — Eh ! oui, il fait battre partout le rap- 
pel pour appeler les sectionnaires à la Grève, d'où 
l'on marchera sur la Convention. Il en arrive déjà de 
tous les côtés, et, sur la place, il y a plus de vingt 
canons en batterie ! (Cloches lointaines.) Tenez, voilà le 
tocsin! 

Olivon. — La nuit sera chaude... 

Ils remontent un peu, continuant a parler par groupes. Les voix 
des crieurs se rapprochent, mêlées au son lointain des cloches 
et des tambours. 

l"^r Crieur, au loin. — C'est la grande conspira- 
tion de Catilina Robespierre et de ses complices, de- 
mandez les nouvelles ! 

Autre crieur, enfant. — Demandez l'arrestation 
et la mise hors la loi du citoyen Robespierre et de ses 
complices, demandez l'arrestation. 

Un petit marchand de journaux entre par la grille, et descend les 
marches. On court à lui. Il traverse la sodne entouré d'acheteurs. 



Scène II 

Les mêmes, LABUSSIÈRE, MARTIAL 

LaBUSSIÈRE, descendant les marches avec Martial. — Sur- 
tout, n'aie pas l'air de venir ici pour la première 
fois. 

Martlal, à mi-voix, regardant. — On dirait d'une fosse 
de bêtes fauves. 

IxABUssière. — C'est bien cela ! Donne ta lettre. 
(Martial lui donne une lettre.) J'ai des intelligences dans la 
place. Tavernier, huissier, ci-devant comédien. Et ce 



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THERMIDOR 



35 



Çros homme, Braiilt, le concierge dont la femme raf- 
fole du théâtre. Et la fille surtout que tu vois là-bas 
coquetant avec le gendarme. J'ai conquis la famille 

par les billets de spectacle. (Allant à Brault qui Ht son jour- 
nal et lui frappant sur l'épaule,) Bonjour, cerbère! 

Brault, se retournant et pliant son journal qu'il met dans sa 

poche. — Eh ! Labussière ! Bonjour, fiston ! On ne te 
voit plus. Tu as donc quitté le théâtre ? 

Labussière. — Ma foi, oui. J'ai pris ma retraite ! 

Brault. — A la campagne ? 

Labussière. — Dans un endroit délicieux. 

Brault. — Eh bien, en voilà du nouveau, hein ? 

Id Olivon et Gauthier au fond rentrent avec des journaux qu'ils 
viennent d'acheter, on les entoure pour écouter la lecture. 

Labussière. — Dame ! ça devait finir par là. 

Brault. — Oui... mais ça n'est pas fini ! 

Labussière. — Bon ! Il y a de l'orage dans l'air ! 
Il pleuvra ce soir, et, par la pluie, il n'y a pas d'émeu- 
tes ! (Le faisant descendre k l'avant-scène.) Rends-moi donc 

un service. 

Brault. — Va ! 

Labussière. — On a dû vous amener ce matin 
une jeune fille, fiancée à mon ami Martial, (ii le désigne.) 
Un brave soldat de l'armée de Sambre-et-Meuse. Il 
s'agit de lui faire parvenir ce petit mot, pour la ras- 
surer, en lui apprenant ce qui se passe. 

Brault, — Tu l'appelles ? 

liABUSSiÈRE. — Fabienne Lecoulteux. 

Brault. — Attends, je vais m'informer au greffe. 

Il remonte vers la fenêtre ouverte du greffe et, se penchant vers 
l'intérieur, parle au greffier, Martial et Labussière ne le perdent 
pas de vue. Pendant toute cette scène et la suivante, on entend 
au loin le rappel, des sons de cloche et la voix des crieurs qui 
s'éloignent 

Martial. — C'est l'entrée de la Conciergerie, cette 
porte ? 

Labussière. — Oui!... le double guichet!... Au 
delà, des grands corridors sinistres et des cachots ! 

Martial. — Et c'est là qu'elle est enfermée ? 

laABUSSiÈRE. — Mais au moins en sûreté. Elle 
n'était signalée à Fouquier que par son dossier, et du 
moment qu'il ne l'a pas reçu ! (a Brault qui descend ) Eh 
bien ? 

Brault, redescendant — Elle est ici ! Donne ta lettre, 
Rivière va la porter.( Appelant) Eh! Rivière! (Rivière descend ) 
Porte ceci tout de suite. (A ubussière.) Il y a réponse? 

Martul. — Sûrement ! 

Brault, à Rivière. — Tu entends ? 

Rivière entre dans la Conciergerie. 

Labussière. — Merci! 

Brault. — A ton service ! 

LABUs.stÈRE. — Pourquoi tout ce monde ? Le tri- 
bunal fonctionne donc, malgré ce qui se passe ? 

Brault. — Comme à l'ordinaire ! Mais ce doit être 
fini, à présent ! Vingt-deux accusés par section, ça 
aura fait juste une heure, à trois minutes d'interro- 
gatoire par t^te. 

Labussière. — Et à propos ! Tu n'as pas vu pas- 
ser Héron, par hasard ? 

Brault. — Héron ?... Non... Tiens, voilà mon 
Emérance ! 

Il remonte, tandis que Emérance Brault sort de la Conciergerie 
avec une cage de serina. 

Labussière, à Martial. — Tout va bien. Nous 
n'avons que Héron à craindre ; mais il a trop à faire 
aujourd'hui !... (a Emérance.) Citoyenne ! 



Emérance, déposant sa cage sur la table. — Tiens, Labus- 
sière, c'est vous ! On ne vous voit plus ! 

Labi^ssière. — Le travail ! Et maman Brault, 
comment va-t-elle ? 

Emérance, regardant Debusne qui, debout sur le banc, enfonce 
un clou dans le mur pour y accrocher la cage, tandis que Martial 
remonte vers le guichet pour voir à l'intérieur. — Pas mal. On est 

venu la chercher pour M"*« de Maillé, qui a été prise 
d'une attaque au tribunal, en se trouvant à la place 
oiH l'on a condamné son fils avant-hier, (indifféremment) 
Il a fallu l'emporter. 
Labussière. — Pauvre femme ! 

Emérance, toute au travail de Debusne. — Y a-t-il 

assez longtemps que vous ne m'avez donné des bil- 
lets de théâtre... 

Labussière. — Le fait est que vous devez avoir 
besoin de distractions. Ce n'est pas gai ce que vous 
voyez tous les jours ? 

Emérance. — Quoi ? 

liABUSSiÈRE. — Ces pauvres gens qu'on mène à la 
mort ! 

Pendant toute la scène, Martial guette le retour de Rivière. 

Emérance. — Oh ! on s'y fait bien, allez... l'habi- 
tude ! (A Debusne, en lui passant la cage.) Accrochez-la bien, 

hier un coup de vent l'a fait tomber et la serine a été 
tuée sur le coup ! Pauvre petite bête ! Ça m'a fait une 

peine ! (Debout sur le banc, mettant de l'eau dans la cage, à Debusne.) 
Merci, lieutenant ! (Debusne va rejoindre ses hommes. A La- 
bussière, sans se retourner.) Qu'est-ce qu'on joue ce soir au 
théâtre de la République ? 

Labussière. — Néron, du citoyen Legouvé ! Il y 
aura des allusions. 

Emérance, eiie descend. — Vous me ferez voir ça ! 

TjABUssiêre. — • Avec plaisir. 

Emérance. — Je suis allée avant-hier au théâtre 
de la Cité, avec des places que nous a données le coif- 
feur du théâtre, Jollbon, (On voit celui-ci arriver avec ses deux 
aides.) qui descend l'escalier, tenez !... C'est lui qui 
coupe les cheveux des condamnés. Oh ! j'ai vu une 
pièce bien att-endrissante. 

liABUSSiÈRE. — Laouelle ? 

Emérance. — D'Olhau, ou le Cri de la nature. Non, 
nous avons pleuré, maman et moi ! 

Eile rentre. 
Labussière, à Martial qui redescend et l'écoute à peine. 

— N'est-ce pas admirable, cette créature qui s^at- 
tendrit sur des malheurs imamnaires, et qui reste 
froide à la plus réelle des tragédies ! 

Scène III 

Les mêmes, moins EMÉRANCE, JOLIBON, ses 

DEUX AIDES 

Pendant la scène, peu à peu, le sommet du mur se garnit de fem.nnes 
et d'hommes, de la lie du peuple. 

Martial] — Cet homme ne revient pas ! 
Labussière. — Patience ! 

JOLIBON, très souriant, laissant ses aides au fond et venant déposer 
sa trousse sur la table k droite. — BonjOUr, citoyeu I^abus- 

sière! Tu ne me remets pas?... Jolibon, coiffeur, rue 
de la Calandre. 

L.\BUSSiÈRE. — Ah ! très bien ! 

JoLiBON. — Je t'ai vu chez Mareux, où mon beau- 
frère coiffe les comédiens. Moi, c'est au théâtre de la 
Cité que je fonctionne. 

Labussière. — Et ici ! 



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36 



L'ILLUSTRATION THEATRALE 



JoLiBON. — Et ici, oui ! avec mes deux garçons. Je 
leur laisse le soin d'accommoder les hommes, et je 
coupe les cheveux des femmes avec les égards aux- 
quels le sexe a toujours droit. 

LABUS8IÊRE, — Fouquier te donne de la besogne. 
C'est l'Etat qui te paye ? 

JoLiBON. — Non. C'est gratuit ; mais on m'aban- 
donne les cheveux. 

Labussière. — Tout profit. 

JoLiBON, rangeant sa trousse. — Dans les premiers 
temps, oui ! Il y avait là de magnifiques chevelures, 
que je revendais jusqu'à deux écus la livre. Mais, de- 
puis ces grandes fournées, c'est une baisse ! Ce qui 
valait encore trente sous en messidor n'en vaut plus 
que quinze. Si ça continue, j'en serai pour mes frais ; 
sans parler de celles qui nous frustrent !... Ainsi, la 
ci-devant princesse de Monaco, croirais-tu qu'hier, 
après sa condamnation, elle s'est déclarée enceinte ? 
Tu sais que, dans ces cas-là, il y a sursis à l'exécution 
pour la constatation légale. Elle voulait en profiter 
pour couper ses cheveux, avec un fragment de vitre, 
et les envoyer à ses enfants ! Des cheveux admira- 
bles ! Ce matin elle est revenue sur sa déclaration, et 
elle va partir tout à l'heure ! Mais je suis floué tout 
de même. 

Brault, l'appelant. — Eh ! Jolibon ! C'est fini là- 
haut. On réclame tes garçons ! 

Jolibon. — Bien, bien. 

Il remonte chercher sas garçons et plus tard entre dans la Concier- 
gerie. 

Scène IV 

Les mêmes, TAVERNIER 

Labussière, voyant Tavemler qui sort de la Conciergerie. — 

Ah ! Tavemier ! 

TaVERNIER, effaré, sans le voir, aux autres. — Eh bien, 

en voilà une affaire ! 

Tous. — Quoi ? (On l'entoure.) Qu'est-ce qu'il y a ? 
Quelle affaire ? 

Tavernier. — Le président Dumas qui vient d'être 
arrêté en plein tribunal, sur son siège ! 

Voix. — Allons donc ! impossible ! 

Tavernier. — J'étais là ! Dumas interrogeait une 
jeune femme qui avait voulu recommencer Charlotte 
Corday. 

Martial, seul avec Labussière. à l'écart — Ah ! 

Labussière, bas. — Fabienne ! 

Martial et Labussidre, frappés, se regardent, et leur anxiété va 
croissant 

Tavernier. — Faute de pièces accusatrices res- 
tées aux mains de Marteau, arrêté avec les autres, il 
commençait à lire une lettre de Héron, dénonçant 
l'accusée. 

Mouvement de Martial, épouvanté. 

Labussière, lui serrant la main. — Attends ! 

Tavernier. — Quand la porte s'ouvre et, suivi de 
deux gendarmes, un agent du Comité vient à lui et lui 
dit : « Citoyen président, au nom de la Convention, 
suis-moi ! » 

Exclamations divenes. 

Labussière, à lui-méme. — Bien, cela ! 

Tavernier, sans l'entendre. — L'assistance ét^it 
terrifiée ! Dumas, tout pâle, se lève, ramasse ses pa- 
piers en grommelant je ne sais quoi et sort entre les 
deux gendarmes ! 

On remonte en parlant de l'événement 



Et alors, l'accusée, sau* 
■ Tiens, 



liABUSSlÊRE, à Tavernier, 

vée ? 

Tavernier, le reconnaissant et lui serrant la main. 

c'est toi ? 

Labussière, vivement — Mais sauvée, réponds 
donc ? Plus de jugement et l'accusée sauvée ?... 

Tavernier. — Non, la séance a continué. 

Labussière. — Et sans dossier, sans témoin, sans 
preuve !... sur une seule lettre on a pu... 

Tavernier. — Je n'en sais rien ! J'ai quitté la 
salle au moment où Maire reprenait la présidence. 



Scène V 

Les MÊMES, puis ri VI ËRE, sortant de la Conciergerie, une 
lettre et une rose à la main. 

Martial. — Ah ! la réponse ! 
Rivière. — Oui, au crayon, avec ceci qu'elle vous 
envoie en descendant du tribunal. 

Il lui remet avec la lettre la rose blanche que Fabienne avait à son 
corsage. Martial ouvre le billet. 

Labussière. — Du tribunal ! 

Martial, lisant. — « Adieu, mon bien-aimé Mar* 
tial, votre amour aura été la seule joie de ma vie, gar- 
dez le souvenir de la pauvre Fabienne qui, là-haut» 
va prier Dieu pour vous. » Condamnée ! ah ! lea 
monstres ! 

Les femmes paraissent sur le parapet 

Labussière. — Que faire, à présent ? 
Martial. — Ameutons la foule pour emp^her le 
départ. 
Labussière. — Dans la rue, peut-être ! Mais ici ! 

11 désigne le sommet du mur entièrement garni d'hommes et de fem- 
mes de la populace, parmi lesquels Françoise, Mariotte» tout cela 
bavardant, mangeant, buvant, les femmes, debout ou accroupies» 
assises; les hommes, les jambes pendantes sur U scène, deux 
gamins grimpés entre les colonnes sur l'entablement 
Françoise, apercevant le bourreau Sanson qui descend les m«r« 
ches. suivi de ses trois aides. — Ah ! v'ià Sanson ! 

Voix. — Vive Sanson ! 

Ils applaudissent Sansrn va s'asseoir à gauche à l'avant-soène ; 
les trois aides restent assis stir les marches. 

Labussière. — La voilà, tiens, la foule ! les 
aboyeurs à quarante sous par jour, la claque de la 
guillotine !... Us applaudissent le bourreau !... At- 
tends !... (Il appelle.) Tavemier ! 

Tavernier, descendant — Quoi ? 

Labussière. — Vous allez faire partir les char» 
rettes? 

Tavernier. — Parbleu ! 

Labussière, élevant u voix exprts. — Cest insensé ? 

Tavernier. — Pourquoi ? 

Lécrivain et Simonet écoutent et descendent avec d'autres qui a» 
groupent autour d'eux. 

Labussière. — Vous envoyez au supplice des gens, 
condamnés par un président que la Convention fait 
arrêter en plein tribimal ? 

Tavernier. — Tiens, je n'ai pas pensé à cela ! 

Simonet. — C'est vrai, au fait. 

Approbations. 

Labussière. — Mais c'est monstrueux. Vous avez 
l'air de la braver, en prenant parti contre elle pour- 
Dumas. 

Approbations. 



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THERMIDOR 



37 



LÉCRIVAIN. — Mais non ! 
Voix. — Si ! si ! il a raison. 

LÉCRIVAIN, haussant ia voix et s'échauflant. — Ce n'est 

pas le président qu'on arrête, c'est l'ami de Robes- 
pierre. 

LaBUSSIÈRE, de même. — C'est tOUt un. 

LÉCRIVAIN. — La Convention n'a pas supprimé 
le tribunal !... Elle ne lui a pas signifié son congé, 
n'est-ce pas ?... Eh bien, alors ? 

Labussière. — Alors, les modérés qui triomphent 
ne feront pas grâce aux enragés que vous êtes. Et, si 
l'exécution a lieu contre le vœu de tout Paris qui 
croit que c'est fini de l'échafaud, je ne vous donne 
pas un mois pour monter dans ces mêmes charrettes : 
président, jury, huissiers, greffiers, Fouquier-Tin- 
ville, tous, et toi le premier. 

Voix nombreuses, — Oui ! oui ! Il a raison. 

Labussière, bas, à Martial. — Courage ! Ils y vien- 
nent. 

Explosions de rumeurs sur la place au dehors. 

LÉCRIVAIN. — Et, s'ils sont les plus forts, on nous 
condamnera comme indulgents pour n'avoir pas fait 
partir les condamnés. 

Voix. — Oui ! oui ! c'est vrai ! 

Rumeurs en haut des spectateurs qui s'impatientent. 

Labussière. — Vous direz qu'on battait le rappel, 
qu'on sonnait le tocsin et que ce n'est pas l'heure de 
s'aventurer dans le faubourg qui ne veut plus d'écha- 
faud ; car on n'en veut plus ! 

Rumeurs de protestations. 

LÉCRIVAIN. — Allons donc ! Le peuple grogne là- 
haut de ce qu'on n'a pas commencé 1 appel. 

Voix, du haut du parapet. — Oui, oui ! Commencez ! 

Labussière. — Ça le peuple, ça ? (Cris d'en haut) Le 
vrai peuple aurait aéjà crié... grâce !... Demandez à 
Sanson ! 

Sanson. — Ça, pour sûr. " 

Silence profond de tous. Se tournant vers lui. 

Labussière. — Vous l'entendez ? 

Sanson. — J'ai vu l'heure, hier, à la place de la 
Bastille, où nous allions rebrousser chemin. On a 
failli jeter des pierres à mes hommes. 

Il se lève. 

Labussière. — Ecoutez cela, écoutez-le ! 

Sanson. — Sans compter qu'aujourd'hui, où le 
faubourg est en ébullition, on nous réduit notre es- 
corte ! 

LÉCRIVAIN. — Qui ça ? 

Sanson. — La Convention donc, qui a déjà rap- 
pelé la moitié des gendarmes du Palais. Il ne reste 
plus que Debusne avec douze ou quinze gendarmes 
pour escorter sept charrettes !... Si l'on nous attaque 
dans le faubourg, voilà une belle défense ! 

Debusne, du haut des marches. — Bah ! qu'on s'y frotte ! 

Sanson. — Tu réponds de ma peau, toi ? 

Debusne. — Comme de la mienne. 

Sanson. — Oui, mais pas plus ? 

LÉCRIVAIN, contrarié. — Ah ! bien ! si le bourreau se 
met en grève, à présent ! 

Sanson, écœuré. — Ah ! mais j'en ai assez, moi 
aussi ! Et je voudrais bien t'y voir, toi, avec le métier 
que nous faisons cîopirs un mois. 

SiMONET. — Enfin, nous ne pouvons pas prendre 
sur nous de partir ou de ne pas partir, n est-ce pas ? 

Tavernier. — Il n'y a qu'un homme qui puisse 
décider ça. 

LÉCRIVAIN. — Four uier. 



Tous. — Oui, oui, Fouquier. 

Gauthier. — Il est déjà parti pour aller dîner chez 
son ami Vergne au pont Kouge. 

Olivon. — Non ! Je viens de le voir au bas du 
grand escalier, causant avec le domestique de Fleu- 
riot Lescot. 

SiMONET. — J'y cours. 

Tous. — Oui, va, va ! 

Olivon. — Non !... Je lui ai demandé ce qu'il 
fallait faire. 

Rumeurs d'impatience sur le mur. 

Françoise, d'en haut. — Ah ! ces limaces !.,. ils 
n'osent pas commencer ! T'nez ! 

Rires, huées. 

Labussière, anxieux. — Et alors ?... 

Olivon. — Fouquier m'a répondu : « Va ton 
train ! Il faut que la justice ait son cours ! » 

LÉCRIVAIN, remontant. — C'est jugé, marchous ! Je 
fais l'appel. 

Cris de joie de la populace. Les gendarmes se réunissent au fend. 
Sanson et ses aides gravissent les marches et sortent au delà de 
l'arcade où ils restent en vue. 

Gauthier, remonunt. — Il a raison, Fouquier. 
Olivon, de môme. — La justice avant tout ! 

Debusne monte en haut des marches soiis l'arcade pour ramener ses 
hommes. 

Martial, hors de lui. — La justice ! c'est l'assassinat ! 

Labussière, le faisant redescendre et le contenant — Tais- 

toi ! Tu vas te faire écharper. 

Pendant le dialogue suivant : mouvement général pour la sortie des 
condamnés. Les gendarmes et quelques gardes nationaux descen- 
dent les marches conduits par Debusne et applaudis par la popu- 
lace. Ils se rangent, faisant la haie sur deux lignes, entre l'escalier 
et la porte de la Conciergerie de façon à former un couloir pour le 
passage des condamnés. Tous les personnages en scène, et d'autres 
sortis du corps de garde ou descendus avec les gardes nationaux, 
-e massent derrière les deux haies, ceux les plus rapprochés de la 
rampe lui tournant le dos ainsi que les gendarmes; quelques-uns 
montent sur les chaises, les bancs, les tables, pour mieux voir, 
au milieu d'une rumeur sourde de la foule. Emérance, sortie de la 
Conciergerie avec un jeune garçon, monte avec lui sur le banc — 
A la hauteur de la première marche, un homme du peuple a mis 
son enfant à cheval sur son cou. Tous les bancs de gauche entre 
l'avant-scène et l'escalier sont garnis de curieux, de curieuses 
surtout. 

Martial, à Labussière. — Mais on part!... Ils vont 
l'emmener !... 

Labussière, le retenant toujours, — Pas encore ! Il 
nous reste une chance ! 

Martlal. — De salut ?^ 

Labussière. — La dernière ! 

Martlal. — Laquelle ? 

Labussière. — Et Tavernier nous y aidera. 

Martlal. — Mais laquelle, laquelle ? ? 

Labussière. — La seule qui fasse obtenir aux 
femmes un sursis, pour la constatation légale. Celle 
qui, en huit jours, a sauvé M«°®* de Saint-Pern, 
Malicorne et Saint-Aignan, qui a fait ajourner hier 
l'exécution de la princesse de Monaco. 

Martlal. — Ah ! oui, oui ; mais Fabienne ? 

Labussière. — Elle n'en saura rien ! Tu es son 
amant : tu fais la déclaration. Tavernier nous ob- 
tient le sursis. Avant qu'on ait avisé la sage-femme 
et le médecin, les voitures sont loin. Ce soir est à 



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J8 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



nous, et demain c'est le salut ! Ijaisse-raoi faire et 
contiens-toi ! Tavemier ! 

Il va vivement à Tavemier, le prend sous le bras et lui parle bas, à 
l'écart, pendant ce qui suit : 

LÉCRIVAIN. — Allons ! en place ! Faites avancer 
les charrettes ! 

La Foule, en haut, applaudissant et criant. — Bravo ! En- 
fin ! 

liÉCRiVAiN. — Et, vivement, n'attendons pas 
qu'on se batte dans les rues. 

Il entre dans la Conciergerie. On entrevoit, au haut des marches, 
l'arrière d'une charrette, qui vient en reculant jusqu'à la grille. 
Les aides de3anson y appliquent un marchepied, puis attendent ; 
derrière eux, des curieux. Tout cela au milieu des applaudisse- 
ments de la populace, debout sur le mur et accrochée aux co- 
lonnes. On entend confusément à l'intérieur de la Conciergerie 
la voix de Lécrivain qui appelle successivement les condamnés. 
On les voit sortir du guichet. Ils ont tous les mains liées et les 
cheveux coupés, et restent un moment groupés sur le seuil, puis, 
sur un geste de Simonet et tandis que l'appel continue, ils tra- 
versent la scène. Le défilé continue sans arrêt pendant ce qui 
suit, accueilli par les huées de la populace. 

Ta VERNI ER, redescendant à l'avant-scène avec Labusslère où ils 
sont seuls tous les trois, après avoir causé bas avec Labussière. — 

Bah ! Laisse donc ! Elles font toutes la môme dé- 
claration pour gagner du temps. 

Labussière. — Pas celle-là... Je te jure que c'est 
exact. Tavemier, viens-nous en aide, je t'en supplie ; 
fais cela pour un vieux camarade. 

Tavernier. — Allons, vrai ou non, pour toi je 
veux bien essayer. 

Labussière. — Merci ! 

Tavernier. — C'est la femme, n'est-ce pas, à qui 
était adressée la lettre ? 

Labussière. — Oui. 

Tavernier, consultant sa liste. — Une religieuse ? 

Labussière. — Oui ! 

Tavernier. prenant des notes gaiement. — Ça c'est pluS 

piquant. Et pour la beauté du fait, vous avez des 
chances. 

Labussière. — N'est-ce pas ? 

Tavernier. — Et le père de l'enfant ? C'est ? 

IjABUSSière. — Lui ! 

Martial. — Martial Hugon. 

Labussière. — Aide de camp de Jourdan. 

Tavernier, môme jeu, il détache de sa ceinture un encrier de 
corne qu'il pose sur la table, avec une plume courte plantée dans l'en- 

crier. — Un militaire ! C'est complet ! Heureusement 
pour vous, Fouquier n'est plus là. 

Il écrit sur la table et passe le papier a Labussière. 

Labussière. — Ah ! merci ! merci ! 

On entend l'appel qui continue à l'intérieur et le nom de fille Le- 
coulteux I 
Martial, frémissant et serrant la main de Labussière. — 

Elle !... c'est elle !... 

Fabienne franchit le seuil, les mains liées, les cheveux coupés, et 
parait devant le guichet, suivie d'autres condamnés. 



Scène VI 

Les mêmes, FABIENNE 

Tavernier, vivement. — Attendez ! Il y a sursis 
pour celle-là ! 

Murmures. Tout s'arrête et l'on s'écarte, dégageant Fabienne à qui il 
fait signe de descendre à l'avant-scène, vers la droite. 



Fabienne, apercevant Martial. — Martial ! Ah ! mon 
Dieu ! ... 

Martial va pour parler. Labussière l'arrête. 

Tavernier, aux aides. — Partez, là-haut ! 

Pendant ce qui suit, les aides retirent le mardiepied et la charrette 
disparaît accueillie par les clameurs de la grande cour; une autre 
voiture vient aussitôt prendre la place. On la devine comme la 
première, sans la voir. Les aides reposent le marchepied. 

Simonet. — Mais pourquoi ce sursis ? 
Tavernier. — On te le dira ! Laisse-les causer î... 
Mais dépêchons ! L'appel tire à sa fin ! 

Il remonte. 

Pendant ce qui précède et ce qui suit, l'appel continue, la haie des 

curieux s'est resserrée masquant les condanmés aux spectateurs. 

Les charrettes se succèdent avec le même jeu de scène, au milieu 

des rires et des apostrophes d'en haut, à chaque départ de voiture. 

Dans un intervalle du dialogue. Martial fait descendre Fabienne 

à gauche de la table, à l'avant-soène. 

Fabienne. — Ah ! Martial ! Pourquoi êtes-vous là ? 
J'avais fait le sacrifice de ma vie et je me croyais 
si forte ! Vous m'ôtez tout mon courage ! 

Martial. — Non ! non, tout va bien. 

Fabienne. — Allez- vous-en, je vous en supplie... 

Martial, déliant ses mains et jetant la corde loin. — Pas 

avant de vous avoir sauvée, ma chérie. 
Fabienne. — Sauvée ? 

Martial la fait asseoir sur la chaise. 
Labusslère, à Fabienne posant sur la table le papier que lui a 
remis Tavernier et lui présentant la plume trempée dans Tencre. — 

Oui, oui ! Vite ici votre signature ! 

Fabienne. — Ma signature ? 

Labussière. — Oui, à cette place, vite, que la 
charrette parte! 

Fabienne. — Mais qu'est-ce donc ? 

Labussière, couvrant le papier de sa main en ayant l'air de te 
maintenir sur la table pour que Fabienne ne lise pas. — Votre Sftlut ! 

(Ici finit l'appel.) Une simple formalité ! 

Simonet, criant du seull de U Conciergerie. — Cest tOUt ? 
LÉCRIVAIN, du dehors. — Oui ! 

Tavernier. — L'appel est fini ? 

liÉCRIVAIN. — Oui ! 

Murmures et protestations de la foule. 

Françoise. — Y en a encore une ! 

Les Femmes. — Oui... il y en a encore une, là-bas ? 

Simonet. — La religieuse ! 

Tavernier, impatient, à ubussière et Martial — Kh bien» 
voyons ! 

Martial, à Fabienne. — Ah! mon Dieu! signez donc. 

Mariotte, en haut. — Eh bien, qu'est-ce qu'oi> 
attend, pour celle-là ! 

Mouvement d'impatience de tous. 

Simonet, allant vere eux. — Voyons, est-ce fini, avec 
la religieuse ? 

Labussière, intervenant — Patience, patience, une 
seconde ! 

Fabienne s'empare du papier et comnience à lire ; ils se regardent 

anxieux. 

Fabienne, après avoir lu debout — Oh ! quelle honte ! 
moi signer cela ! moi ! moi ! 

Labussière. — Mais, malheureuse enfant, la mort 
est là !... 

Fabienne. — Et je l'éxiterais par cette lâcheté ; 
mon déshonneur ? 

Martial et Labussière. — Mais non ! non ! 

Rumeurs plus grandes sur les marches du fond. 

La Foule. — La religieuse ! La religieuse ! 



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