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Full text of "Théâtre des petit comédiens de S.A.S. Monseigneur le comte de Beaujolais"

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HISTOIRE  DE  L'HISTOIRE 

DES  GRANDS  ET  DES  PETITS  THÉATfiES  DE  PARIS 

PENDim  U  RÉVOLUTIOK,  LE  COIISUUT  ET  L'EMPIRE 


DEUXIEME    VOLUME    DE   LA   SERIE 


THÉÂTRE 


DES 


PETITS  COMÉDIENS 

DE 

S,  A.  S.  Monsei^neiir  le  Comte  de  Beaujolais 

PAR 

Louis   PÉRICA.UD 


PARIS 

E.   JOUEL,    LIBRAIRE 

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THEATRE 


DES 


PETITS  COMÉDIENS 


HISTOIRE  DE  L'HISTOIRE 

DES  &RANDS  ET  DES  PETITS  THÉÂTRES  DE  PARIS 

PEIOAIT  U  RÉVOLUTIOI,  LE  COKSIIUT  ET  L'EMPIRE 


DEUXIÈME    VOLUME    DE   LA   SÉRIE 


THÉÂTRE 


DES 


PETITS  COMÉDIENS 


DE 


S.  A.  S.  Monseigneur  le  Comte  de  Beaujolais 

PAR 

Louis   PÉRICAUD 


PARIS 
E.   JOREL,    LIBRAIRE 

3,  Rue  Bonaparte,  3 
1909 


2é2:6 


A  ALBERT  CARRÉ 

MON    CHER   PRÉSIDENT   ET   MON    AMI 

L'Auteur  : 

Louis  PÉRICAUD 


THÉÂTRE 


DES 


PETITS  COMÉDIENS 

DE 

S.  A.  s.  Mgr  le  Comte  de  BEAUJOLAIS 


CHAPITRE  1er 


DE  1753  A  1787 

PRÉLIMINAIRES    d'uN    PETIT    THEATRE, 
APPELÉ    A    DEVENIR   GRAND. 

C'est  en  1753  que  fut  construite,  sous  les  galeries  du  Palais- 
Royal,  à  l'angle  septentrional  de  la  galerie  du  Beaujolais,  cette 
petite  salle  de  spectacle,  où  se  trouve  être  actuellement  encore 
notre  gai  Théâtre  du  Palais-Royal. 

Ce  fut  l'architecte  Antoine,  Victor,  Louis,  sur  les  ordres 
de  Monseigneur  Louis,  Philippe,  duc  d'Orléans,  petit-fils 
du  Régent  de  France,  qui  traça  les  plans  de  cette  modeste 
salle,  pour  les  seuls  plaisirs  de  Son  Altesse  Sérénissime. 

Elle  ne  devint  publique  que  beaucoup  plus  tard,  en  1784, 
et  fut  inaugurée  le  23  octobre  de  cette  dite  année,  par  une 
troupe  de  comédiens  en  bois,  ou  marionnettes,  sous  la  direc- 
tion des  sieurs  Delomel  et  G  ardeur;  lesquels  avaient  obtenu 
de  Monseigneur  le  Comte  de  Beaujolais,  troisième  fils  du  duc 
d'Orléans,  l'autorisation  de  présenter  au  public  leurs  marion- 
nettes, sous  le  titre  de  :  Petits  Comédiens  de  S.  A.  S.  Monsei- 
gneur le  Comte  de  Beaujolais. 

Cette  salle  fort  restreinte,  dont  la  destination  primitive  avait 
été  d'être  une  salle  de  bal,   se  trouvait   être  «  trop  longue 


2  THÉÂTRE   DES    ((  BEAUJOLAIS  )) 

pour  sa  largeur  et  trop  étroite  pour  sa  longueur  ».  Basse  de 
plafond,  les  lois  acoustiques  n'y  étaient  nullement  aménagées. 
Le  public  se  plaignit  tout  d'abord  de  ne  point  entendre  assez 
distinctement  la  voix  des  acteurs  et  chanteurs,  qui  parlaient 
et  chantaient  au  lieu  et  place  des  marionnettes. 

Mais  il  n'en  pouvait  être  autrement  ;  le  peu  d'éléva- 
tion du  plafond  étant  exigible,  pour  que  les  fils  d'archal, 
auxquels  étaient  suspendus  les  bonshommes  et  bonnes  femmes 
de  bois  —  lesquels  ne  mesuraient  pas  moins  de  trois  pieds  de 
hauteur  —  ne  nuisissent  pas  à  l'illusion,  s'ils  eussent  été  trop 
visibles. 

Car  ces  spectacles  de  marionnettes  n'étaient  point  alors 
fréquentés  seulement  par  des  enfants,  ce  que  l'on  serait  natu- 
rellement porté  à  croire  ;  mais  bien  par  de  grandes  person- 
nes, voire  même  du  plus  haut  parage,  lesquelles  venaient  se 
distraire  simplement  et  honnêtement  aux  lazzis,  aux  intri- 
gues, au  jeu  des  pièces,  que  confectionnaient  exprès  pour 
ces  acteurs  simulés,  de  véritables  auteurs  dramatiques. 

Temps  éloigné,  mais  heureux  temps  de  naïveté  littéraire, 
où  des  folliculaires  daignaient  se  déranger  pour  aller  apprécier 
et  juger  des  vaudevilles,  comédies,  drames  et  mélodrames, 
faits  selon  la  formule  et  joués  par  des  marionnettes  ; 

Où  il  se  trouvait  un  public,  assez  affamé  de  curiosité,  assez 
oisif,  assez  désireux  de  nouveau  et  d'imprévu,  assez  ennuyé 
de  la  banalité  de  la  rue,  pour  venir  se  distraire  à  de  vérita- 
bles compositions  musicales  ;  car,  les  affiches  annonçaient 
pompeusement  des  symphonies,  des  oratorios,  des  ouver- 
tures nouvelles,  joués  par  un  orchestre  de  vingt-deux  musi- 
ciens, sous  la  conduite  de  M.  L.  Raymond. 

A  cette  époque  on  pouvait,  sans  ridicule,  s'intéresser  à  des 
actions  scéniques,  que  faisaient  se  dérouler  des  comédiens  de 
bois,  avec  leurs  voix  partant  de  la  coulisse  et  des  gestes  brus- 
ques, mesurés,  comptés,  guidés  par  des  mains  invisibles  ; 

Et  des  auteurs,  dont  certains  devinrent  célèbres,  s'ils  ne 
l'étaient  déjà,  qui  ne  dédaignaient  pas  d'écrire  des  comédies, 
des  couplets,  des  vers,  de  chercher  des  intrigues,  de  mettre 
leur  esprit  en  éveil  pour  produire  des  élucubrations,  dont  cer- 


THEATRE   DES    ((  BEAUJOLAIS  »  3 

taines  ont  survécu  à  leur  époque,  servant  de  matrice  à  ce 
que  fut  plus  tard  le  joyeux  Vaudeville,  puis  la  fantaisiste 
Opérette. 

On  pouvait  aussi  compter  avec  des  musiciens,  qui  n'étaient 
pas  les  derniers  venus  —  sans  être  cependant  les  premiers  — 
et  qui  composaient  des  airs,  des  duos,  des  trios,  des  quatuors, 
pour  ces  pantins  articulés  ;  et  leur  fournissaient  les  moyens 
de  charmer  les  oreilles  par  des  mélodies  qu'applaudissait  le 
public  de  l'époque  ;  mélodies  dont  bon  nombre  ont  survécu, 
harmonieuses  à  ce  point,  que  certains  compositeurs  de  nos 
jours  les  ont  lues,  retenues  et  ne  dédaignent  pas  de  nous  les 
servir,  trop  souvent  aujourd'hui,  comme  sortant  toutes  pim- 
pantes de  leur  demi-cerveau  producteur. 

Le  22  mars  1785,  Leurs  Altesses  Sérénissimes  le  Duc  de 
Chartres  et  la  Duchesse  de  Chartres,  Messeigneurs  le  Duc  de 
Montpensier  et  le  Comte  de  Beaujolais  honorèrent  de  leur 
présence  le  petit  spectacle,  qui,  ce  soir-là,  joua,  sur  la  demande 
de  ces  Princes,  Belphégor^  opéra-comique,  par  M.  le  Chevalier 
de  Bérainville. 

Je  relève  cette  note  dans  VAlmanach  des  Petits  Spectacles 
de  Paris  : 

«  Il  ne  faut  pas  croire  qu'on  ne  parle  jamais  sur  ce  théâtre, 
comme  quelques  personnes  se  l'imaginent  ;  et  qu'on  ne  fasse 
toujours  qu'y  faire  des  gestes,  tandis  que  d'autres  acteurs 
chantent  ou  déclament  dans  les  coulisses  ;  les  enfants  parlent 
réellement  dans  la  comédie.  » 

«  Ainsi,  on  fait  une  mauvaise  plaisanterie  quand  on  raconte 
qu'un  acteur  étant  venu  annoncer  le  spectacle  du  lendemain, 
ne  fit  que  des  gestes,  tandis  qu'un  camarade  caché  portait  la 
parole  pour  lui.  » 

Ceci  m'amène  naturellement  à  vous  parler  de  la  substitu- 
tion absolue  des  marionnettes,  par  de  jeunes  enfants,  substi- 
tution qui  fit  crier  beaucoup  l'autorité  supérieure,  mais  que 
la  protection  de  M.  le  Comte  de  Beaujolais  finit  par  faire 
triompher. 

Le  croirait-on,  les  ennemis  les  plus  acharnés  du  pauvre 
petit    Théâtre,    furent   l'omnipotent  Opéra,    la  toute    puis- 


4  THÉÂTRE   DES    ((  BEAUJOLAIS  )) 

santé  Comédie  Française  et  la  non  moins  grande  Comédie 
Italienne. 

Ni  les  uns,  ni  les  autres  n'admettaient  que  l'on  pût  parler 
ou  chanter  sur  une  scène,  en  dehors  des  leurs. 

Aussi  la  lutte  fut-elle  longue  et  acharnée. 

Il  est  juste  de  dire  que  tout  cela  n'arriva  qu'après  l'entière 
disparition  des  marionnettes. 

Au  temps  naïf  de  ces  fantoches,  les  chanteurs  de  cou- 
lisses n'étaient  que  «  de  pauvres  braillards,  aux  voix  fausses 
et  discordantes,  sans  goût  et  sans  expression,  à  l'exception 
cependant  d'un  seul  homme,  chanteur  des  chœurs  de  l'Opéra, 
et  d'une  femme,  qui  avait  uniquement  une  belle  voix,  mais 
qu'il  n'était  quelquefois  pas  possible  d'écouter  sans  grincer 
des  dents,  tant  elle  se  faisait  remarquer  par  le  déclassement 
des  sons  qu'elle  faisait  entendre.  » 

Que  l'on  juge,  après  cela,  de  l'excessive  difficulté  que  de- 
vaient trouver  les  auteurs  et  compositeurs  à  écrire  des  pièces 
et  de  la  musique,  pour  les  voir  interprétées  dans  de  si  déplo- 
rables conditions.  Mais  le  besoin  de  se  faire  connaître  était  là, 
tenaillant,  poussant,  entraînant,  impulsant,  et  faisait  passer 
par  dessus  les  mauvaises  interprétations,  les  impatients 
auteurs  et  compositeurs  dramatiques. 

Hâtons-nous  de  dire  que  le  temps  de  «  ces  pauvres  braillards» 
dura  peu,  et  que,  petit  à  petit,  ils  furent  avantageusement 
remplacés  par  MM.  Delomel  et  Gardeur,  toujours  désireux 
d'attirer  dans  leur  théâtre  les  véritables  amateurs  de  fine 
Comédie  et  de  bonne  musique. 

Ces  marionnettes  «n'allaient  et  ne  venaient  que  sur  une  ligne 
transversale,  sans  pouvoir  s'asseoir,  ni  courir,  ni  rien  donner, 
ni  rien  prendre,  ni  écrire.  »  C'était  monotone  pour  l'œil  ; 
l'imagination  devait  y  suppléer. 

Il  se  trouvait  pourtant  des  besogneux  «  littéraires  »,  dési- 
reux de  gagner  «  les  deux  écus  »  que  leur  donnaient  les  deux 
Directeurs  pour  la  confection  d'une  de  leurs  œuvres,  en  un 
seul  acte. 

Deux  gros  succès  :  Figaro^  Directeur  de  Marionnettes^  et 
Goburge,  parodie  de  Panurge,  de  M.  de  Maillot,  furent  cepen- 


THEATRE   DES    ((  BEAUJOLAIS  ))  Ô 

dant  payés  «  dix  écus  »  chacun.  Ce  fut,  pour  le  petit  théâtre, 
le  commencement  des  forts  droits  d'auteurs. 

M.  Gardeur,  titulaire  du  Privilège,  s'était  d'abord  tenu  à 
la  stricte  observation  des  règlements  institués  spécialement 
pour  son  théâtre.  Ses  marionnettes  paraissaient  seules  en 
scène,  maniées  habilement  par  des  mains  expertes,  qui,  à 
l'aide  de  fils  plus  ou  moins  visibles,  les  faisaient  se  mouvoir. 
Un  jour,  son  associé  M.  Delomel,  osa  glisser  un  enfant  parmi 
les  marionnettes.  L'autorité,  ou  ne  s'en  aperçut  pas,  ou 
voulut  bien  ne  pas  s'en  apercevoir.  Toujours  fut-il  qu'elle  ne 
souffla  mot.  Alors,  l'intrigant  directeur  prit  audace  et  en  glissa 
un  second,  puis  un  troisième  ;  il  en  glissa  même  un  quatrième. 
Si  bien  qu'un  soir,  par  ordre  de  la  Police,  on  fit  sortir  de  scène 
les  enfants  de  chair  et  d'os,  laissant  se  débrouiller  entre  eux 
les  pauvres  acteurs  de  bois. 

C'est  alors  qu'intervint  M.  Gardeur,  le  titulaire  du  Privilège. 
Il  était  petit  parent,  —  prétendait-il,  —  de  M"^®  Suzanne 
Necker,  femme  du  grand  Ministre  Necker.  Il  s'en  fut  implorer 
la  protection  de  cette  excellente  dame,  laquelle  obtint  pour 
l'exploitation  des  Beaujolais  «  la  permission,  outre  les  figures 
«  non  respirantes  »  qui  paraissaient  sur  la  scène,  de  faire  jouer 
«  des  pantomimes,  ainsi  que  des  pièces  de  comédie,  par  de 
jeunes  enfants  ;  à  la  condition  que  d'autres  acteurs  cachés 
parlassent  et  chantassent  pour  eux  ;  et  même  d'y  joindre  un 
ballet,  dans  lequel  pourraient  encore  paraître  ces  mêmes 
enfants.  » 

C'était  un  pas  énorme  acquis  sur  le  domaine  de  la  Liberté. 
Le  point  important,  toléré  puis  accordé,  MM.  Gardeur  et 
Delomel  fermèrent  leur  spectacle  quelques  jours  ;  firent  faire 
des  réparations  dans  les  loges  et  l'on  rouvrit,  au  bout  de 
trois  semaines,  avec  la  parfaite  autorisation,  non  seulement 
de  l'autorité,  mais  même  encore  de  l'Opéra. 

Car,  «  l'Opéra  seul  octroyait  autorisation  de  chanter,  et 
la  Comédie  Française  celui  de  parler  sur  les  théâtres  publics.  » 

Je  fis  dans  la  préface  d'un  écrit,  datant  de  1786,  et  accom- 
pagnant un  volume  sur  le  Théâtre  des  Beaujolais,  ces  réflexions 
d'un  brave  bourgeois  : 


6  THÉÂTRE    DES    ((  BEAUJOLAIS  )) 

«  Pourquoi  les  comédiens  français  veulent-ils  exclusive- 
ment parler  ?...  Pourquoi  veulent-ils  que  je  dérange  ma  for- 
tune, déjà  trop  médiocre,  pour  aller  entendre  une  tragédie, 
qui  m'ennuiera,  quoique  bien  jouée  ?...  Parce  que  je  ne  prends 
intérêt  aux  débats  de  princes  et  de  princesses,  morts  depuis 
deux  mille  ans  ?...  » 

«  Tel  marchand  vend  du  drap  à  douze  francs  l'aulne,  qui 
ne  convient  ni  à  mon  état,  ni  à  ma  fortune.  Le  marchand  a-t-il 
le  droit,  si  je  ne  prends  pas  son  drap,  de  m'empêcher  d'en 
aller  faire  emplette  ailleurs  ;  moins  bon,  si  l'on  veut,  mais  à 
beaucoup  meilleur  marché  ?  Fait-il  la  moindre  démarche  pour 
empêcher  l'autre  marchand  de  vendre  du  drap  médiocre  à 
trois  livres,  sous  prétexte  qu'il  le  prive  d'une  plus  grande 
affluence  de  clients  ?...  Non  !  Il  vend  tant  et  autant  qu'il  peut 
son  drap  à  12  livres,  sans  s'inquiéter  du  marchand  subalterne, 
et  sans  l'inquiéter.  » 

«  Pourquoi  les  comédiens  français,  qui,  selon  mon  allégorie, 
sont  les  marchands  à  12  francs  l'aulne,  ont-ils  voulu  empêcher 
les  Variétés^  V Ambigu-Comique  (qui  n'est  pas  toujours  tel)  et 
les  Beaujolais^  qui  ne  sont  que  le  marchand  à  un  écu  l'aulne, 
d'exister  ?  » 

Ces  réflexions  sont  assurément  celles  d'un  honnête  criti- 
que, glissé  dans  la  houppelande  d'un  bon  commerçant,  épris 
de  hbertés,  intéressé  à  l'abolition  d'un  privilège  injuste.  Je 
ne  les  cite  que  parce  qu'elles  me  paraissent  être  de  toute 
loyauté  et  de  toute  sincérité. 

C'était  en  effet  la  marche  ascendante  vers  la  liberté  entière 
des  théâtres,  que  devait  proclamer  quelques  années  plus 
tard  la  Révolution  Française. 

Voilà  à  quoi  toujours  mènent  les  excès. 

Car  les  Comédiens  Français  ne  demandaient  rien  moins  que 
l'entière  suppression  des  petits  théâtres  et  théâtres  forains 
«vu  le  préjudice  qu'ils  leur  causaient  et  attendu,  écrivaient- 
ils  dans  un  Mémoire  adressé  au  Roi,  qu'il  y  a  un  trop  grand 
nombre  de  spectacles  dans  Paris.  » 

Or,  Paris  possédait  à  cette  époque  de  1786,  près  du  double 
de  la  population  qu'il  avait  sous  Louis  XIV  ;  or,  sous  le  règne 


THEATRE   DES   «  BEAUJOLAIS  ))  7 

du  grand  roi,  huit  théâtres  offraient  au  pubhc  leurs  attrac- 
tions très  suivies. 

C'étaient  —  tels  que  Beauchamp  les  rapporte  —  le  Théâtre 
du  Petit  Bourbon^  celui  du  Palais-Royal^  celui  du  Marais, 
celui  de  la  Cloche-d' Argent^  celui  de  la  Croix-Blanche,  celui  de 
la  Rue  Guénégaud,  celui  de  VHôtel  de  Bourgogne,  et  l'ancien 
Théâtre  Italien. 

Aussi,  dans  Paris  en  miniature,  brochure  parue  en  1786, 
un  amateur  de  spectacles  écrivait-il  ceci  : 

«  Moi,  qui  ne  porterai  jamais  de  pleureuses  ni  pour  Cléopâtre, 
ni  pour  Pompée  ;  moi  qui  crois  avoir  assez  larmoyé,  quand  j'ai 
pleuré  les  morts  du  jour,  sans  y  joindre  ceux  de  l'antiquité  ; 
oh  î  ne  m'ôtez  pas  la  ressource  de  la  Foire,  et  laissez-moi  les 
petits  spectacles.  Combien  de  gens  pour  qui  la  Comédie-Fran- 
çaise est  trop  belle!  Il  serait  fâcheux  qu'on  ne  pût  s'amuser 
quand  on  n'est  ni  bel-esprit,  ni  Seigneur.  » 

Aussi,  l'Opéra  et  la  Comédie-Française  avaient-ils  fini  par 
accorder  à  MM.  Delomel  et  Gardeur,  après  s'en  être  longtemps 
défendus,  «  permission  à  leurs  acteurs,  de  parler  et  de  chanter 
dans  la  coulisse  pour  les  «  Bamboches  »  qui  étaient  sur  la 
scène  ;  voire  même  pour  les  enfants,  qui  devaient  se  contenter 
de  mimer,  pendant  qu'on  parlait  et  qu'on  chantait  pour  eux. 

De  plus,  l'Opéra  accordait  aux  deux  Directeurs  «  le  droit 
de  faire  chanter  des  airs  sur  les  vaudevilles  connus,  et  même 
sur  de  la  musique  nouvelle  que  les  compositeurs  pourraient 
apporter  à  ce  spectacle.  » 

Le  nom  de  «  Bamboches  »  que  l'on  substituait  alors  à  celui 
de  Marionnettes,  était  le  nom  d'un  peintre  du  siècle  précédent, 
lequel  s'était  établi  une  énorme  renommée,  en  peignant  de 
petites  figures,  qui  devinrent  alors  de  grande  mode  ;  à  ce 
point  qu'un  riche  particuHer  s'avisa  d'élever  au  Marais  un 
théâtre  de  marionnettes  et  qu'il  l'intitula  Théâtre  des  Bam- 
boches. 

Ce  nom  était  resté  à  toutes  marionnettes  que  l'on  mettait 
en  œuvre  sur  les  petits  théâtres. 

Le  premier  spectacle  véritable,  dans  la  salle  réformée  de 
MM.  Delomel  et  Gardeur,  se  composa  de  trois  pièces  : 


8  THÉÂTRE   DES    ((  BEAUJOLAIS  )) 

1°  Momus,  Directeur  de  spectacle^  prologue  d'ouverture. 

2^  Il  y  a  commencement  à  tout^  proverbe  mis  en  action,  en 
un  acte. 

3°  La  Fable  de  Prométhée^  pièce  ornée  de  chant  et  de  danse, 
musique  de  M.  Froment. 

Le  «  Continuateur  de  Bachaumont  »  écrivit  :  «  Les  deux  pre- 
mières pièces  ont  paru  détestables;  mais  la  dernière  a  obtenu 
le  plus  grand  succès.  » 

Quand  de  jeunes  enfants  remplacèrent  définitivement  les 
Bamboches,  on  pourrait  se  figurer  que  le  public,  tout  d'abord, 
demeura  surpris  de  voir  de  petits  acteurs  mimer  leurs  rôles, 
tandis  que  de  grands  acteurs,  ou  plutôt  des  acteurs  grands, 
parlaient  et  chantaient  en  leur  place  dans  la  coulisse. 

Les  marionnettes  avaient  été  le  lien.  On  accepta  le  fait  nou- 
veau comme  un  perfectionnement,  sans  en  être  plus  étonné. 

Le  petit  Théâtre  n'était-il  pas  dénommé  «  Les  Mimes  du 
Palais-Royal  ?  »  Les  acteurs  dits  «  mimes  »  remontent,  on  le 
sait,  à  la  plus  haute  antiquité,  alors  que  le  geste  et  la  phy- 
sionomie remplaçaient  la  parole. 

Les  Beaujolais  en  étaient  la  suite  décadente. 

L'auteur  des  Réflexions  et  Critiques  sur  la  Poésie  et  la  Pein- 
ture^ donne  comme  origine  sur  l'introduction  des  mimes  dans 
les  pièces  jouées  à  Rome,  une  définition  très  acceptable  et  des 
plus  vraisemblables. 

Il  écrit,  section  XI,  page  189  :  «  Livius  Andronicus,  poëte 
célèbre,  qui  vivait  à  Rome  cinq  cent  quatorze  ans  après  sa 
création,  et  six- vingt  ans  après  qu'on  y  eut  ouvert  les  théâtres, 
jouait  lui-même  dans  une  de  ses  pièces.  C'était  alors  la  cou- 
tume que  les  poètes  dramatiques  montassent  eux-mêmes  sur 
le  théâtre,  pour  y  réciter  leurs  ouvrages.  » 

«  Le  peuple  qui  se.  donnait  la  liberté  de  faire  répéter  les 
endroits  qui  lui  plaisaient,  à  force  de  crier  his^  fit  réciter  si 
longtemps  le  pauvre  Andronicus,  qu'il  s'enroua.  » 

«  Hors  d'état  de  déclamer  davantage,  il  fit  trouver  bon  au 
peuple  qu'un  esclave  placé  devant  «  le  joueur  d'instrument  » 
récitât  les  vers  ;  et,  tandis  que  cet  esclave  parlait,  Andronicus 
fit  les  mêmes  gestes  qu'il  eût  faits,  s'il  avait  récité  lui-même.  » 


THEATRE   DES    ((  BEAUJOLAIS  ))  9 

«  On  remarqua  alors  que  son  action  était  beaucoup  plus 
animée,  parce  qu'il  employait  toutes  ses  forces  à  faire  les 
gestes,  quand  c'était  un  autre  qui  était  chargé  du  soin  et  de  la 
peine  de  prononcer.  » 

«  De  là,  naquit  l'usage  de  partager  la  déclamation  entre 
deux  acteurs,  le  parlant  et  l'exécutant  ;  et  de  réciter,  pour 
ainsi  dire,  à  la  cadence  du  geste  des  comédiens.  Cet  usage  a 
si  bien  prévalu  que  les  comédiens  ne  prononçaient  plus  eux- 
mêmes  que  les  vers  des  Dialogues.  » 

Les  petits  acteurs  des  Beaujolais  se  contentaient  donc  d'ou- 
vrir la  bouche  à  propos,  sans  prononcer  une  parole,  apportant 
autant  de  finesse  dans  leur  jeu  que  s'ils  parlaient  eux-mêmes. 
Seulement,  ils  adaptaient  si  bien  leurs  gestes  à  la  diction,  tant 
parlée  que  chantée,  qu'ils  produisaient  une  illusion  complète. 

Je  relate  en  un  écrit  du  temps  cette  observation  qui  con- 
firme mon  dire  : 

({  Il  faut  absolument  être  convaincu  que  l'enfant  ne  dit 
mot  et  que  c'est  un  substitut  qui  parle  pour  lui,  pour  le  croire. 
Il  n'est  presque  pas  de  représentations  où  des  seigneurs  et 
autres  personnes  de  quahté  ne  viennent  s'assurer  du  fait  par 
eux-mêmes,  en  se  transportant  dans  les  coulisses.  Pleinement 
convaincus,  leur  étonnement  alors  égale  leur  admiration.  » 

L'apparition  des  Princes  de  la  famille  Royale  au  spectacle 
des  Beaulolais  avait  donné  une  énorme  vogue  au  petit  théâtre. 

La  pièce  de  M.  Person  de  Bérainville  —  que  certains  journaux 
orthographient  Berrainville^  —  Belphégor^  ou  le  Diable  à  Flo- 
rence, était  une  comédie  en  un  acte  et  en  prose.  C'est  le  10  mars 
1785  qu'avait  eu  lieu  sa  première  représentation.  Le  succès 
avait  été  très  grand  ;  et  c'est  ce  qui  avait  décidé  Leurs  Altesses 
Sérénissimes  à  assister,  le  22  mars  suivant,  à  sa  représen- 
tation. 

Le  sous-titre  de  Belphégor  avait  dû  être  Le  Diable  au  corps, 
—  ainsi  que  je  l'ai  pu  constater  sur  le  manuscrit  original  de  la 
pièce,  qui  appartenait  au  Baron  Taylor  —  ;  mais,  l'auteur, 
ayant  craint  que  l'on  ne  confondît  sa  pièce  avec  Le  Diable  à 
quatre,  de  Sedaine,  représenté  en  1756,  à  la  Foire  St-Laurent, 
en  modifia  le  second  titre.  Le  premier  intitulé  ayant  déjà 


10  THEATRE   DES    «  BEAUJOLAIS  » 

figuré  plusieurs  fois  sur  les  affiches  de  théâtre,  sans  qu'aucune 
réclamation  se  fût  produite. 

En  effet,  il  y  avait  eu,  en  1721,  un  Belphégor^  comédie-ballet 
en  trois  actes,  représenté  par  les  comédiens  itahens,  dont 
l'auteur  était  M.  Le  Grand,  comédien  du  Roy. 

Un  autre  Belphégor  —  le  même  que  celui  de  M.  Legrand  — 
avait  été  joué  à  Metz,  à  Mantes  et  en  Italie,  avec  un  nouveau 
troisième  acte,  sous  la  signature  d'un  M.  P.  Bignon. 

Un  troisième,  intitulé  Belphégor  dans  Marseille^  avait  été 
joué  à  Marseille  en  1736  et  imprimé  à  l'imprimerie  Sibié, 
portant  en  tête  de  son  impression  :  Par  un  Auteur  anonyme. 
Cet  auteur,  dont  j'ai  retrouvé  le  nom  avec  quelque  peine,  était 
M.  Jean-Baptiste-Pierre  Baco.  Sur  ce  sujet  il  avait  composé 
une  comédie  en  un  acte,  en  prose,  ornée  de  chants  et  de 
danses,  avec  un  prologue  en  vers. 

On  s'empruntait  alors  les  sujets,  on  les  refaisait,  on  les 
remaniait,  sans  que  nulle  réclamation  se  produisît. 

Dans  les  Petits  Spectacles  de  Paris ^  de  l'année  1787,  je  relève 
l'article   suivant    : 

«  Toujours  la  même  afïluence,  le  même  enthousiasme  de  la 
part  du  public  aux  Beaujolais^  qui  récompense  par  là  les  Direc- 
teurs des  soins  qu'ils  se  donnent  pour  lui  procurer  des  pièces 
agréables  et  pour  lui  faire  entendre  d'excellente  musique.  » 

«  S'il  y  a  du  mérite  à  avoir  vaincu  la  difficulté,  en  faisant 
chanter  dans  les  coulisses  et  faire  les  gestes  sur  la  scène,  de 
manière  qu'on  n'anticipe  point  sur  le  privilège  de  l'Opéra, 
il  y  en  a  bien  davantage  de  faire  régner  l'ensemble  le  plus  par- 
fait, avec  les  pantomimistes,  les  acteurs,  les  chanteurs  et  avec 
l'orchestre  ;  en  sorte  que  chacun  séparément,  sans  se  voir,  ne 
fasse  pas  un  mouvement,  n'ouvre  pas  la  bouche,  sans  se  trou- 
ver d'accord  avec  tous.  » 

«  C'est  une  justice  qu'on  ne  saurait  refuser  de  rendre  aux 
Directeurs  de  ce  singulier  spectacle,  qui  ne  peut  que  se  conci- 
lier de  plus  en  plus  l'estime  générale,  à  mesure  qu'il  s'appro- 
chera de  la  perfection,  que  le  zèle  des  entrepreneurs  s'efforce 
de  lui  donner  ;  et  maintenant  surtout  que  quelques  auteurs 


THEATRE   DES    ((  BEAUJOLAIS  ))  11 

et  des  compositeurs  célèbres  se  font  un  plaisir  d'y  faire  paraî- 
tre quelques-unes  de  leurs  productions.  » 

«  Malgré  la  difficulté  de  monter  les  pièces  à  musique,  on 
en  donna  un  grand  nombre  de  nouvelles,  dont  plusieurs  eurent 
beaucoup  de  succès.  Nous  nous  contenterons  cette  année 
d'en  rapporter  les  intitulés,  selon  la  date  des  représenta- 
tions. » 

Au  commencement  du  mois  de  mai  1786,  on  avait  donné 
Les  Jeunes  Amans ^  comédie  en  un  acte,  par  M.  Le  Bas. 

Les  Deux  Jumelles^  ou  la  Méprise^  ballet-pantomime  en 
trois  actes  ; 

Les  Amours  du  Gros-Caillou^  opéra-comique  en  un  acte, 
musique  de  M.  Riggel. 

Le  15  mai, -la  première  représentation  du  Bailli  Bienfai- 
sant^ comédie  en  un  acte,  mêlée  d'ariettes,  par  M.  Chapelle. 

Le  18  mai,  Alexis  et  Rosette^  mélodrame  en  un  acte,  avec  ses 
agréments,  par  M.  Guillemin. 

Cette  pièce  eut  beaucoup  de  succès. 

Le  22  mai.  Les  Délassements  de  V Amour ^  comédie  en  un 
acte,  par  M.  Duserxe. 

Le  24  mai,  les  Projets  ridicules^  ou  la  Suite  du  Vieux  Soldat^ 
comédie  en  deux  actes,  mêlée  d'ariettes,  par  M.  de  Maillot, 
musique  de  M.  Froment,  de  l'Académie  Royale  de  musique. 

Le  6  juin,  première  représentation  de  Colin  et  Colette^  opéra- 
parade  en  un  acte,  musique  de  M.  Bonnay,  de  l'Académie 
Royale  de  musique. 

On  peut  juger,  par  ces  tentatives,  sur  un  théâtre  de  marion- 
nettes, des  difficultés  qu'éprouvaient  alors  les  compositeurs 
à  produire  leurs  œuvres. 

Le  23  juin,  la  Solitude^  comédie  en  un  acte,  par  M.  Guille- 
main. 

Pièce  charmante. 

Le  11  juillet,  première  représentation  de  Le  Braconnier^ 
opéra-boufîe  en  un  acte,  par  M.  Raymond. 

Le  25  juillet,  Suzette  et  Colinet^  ou  les  Amants  heureux  par 
stratagèmes,  opéra  bouffon  en  un  acte,  paroles  de  M.  le  Cheva- 
lier de  Bérainville,  musique  de  M.  Piccini  fils. 


12  THEATRE   DES   <(  BEAUJOLAIS  » 

Le  31  juillet,  Le  Peintre  jaloux^  ou  Tous  les  Fous  ne  sont 
pas  aux  Petites  Maisons^  comédie-proverbe  en  un  acte,  par 
M.  Maillé. 

Cette  pièce  fut  sifflée.  Les  auteurs  prétendirent  que  le 
public  ne  Pavait  pas  comprise.  De  nos  jours,  il  existe  encore 
de  ces  auteurs-là. 

Le  5  août.  Les  Fourberies  de  Mathurin,  opéra-bouffon  en  un 
acte,  musique  de  M.  Bambini. 

Le  9  août,  Ninon ^  ou  La  Fausse  Niaise^  mélodrame  en  un 
acte,  par  M.  Pompigni. 

Le  15  août,  Le  Tableau^  comédie  en  un  acte,  par  M.  Guille- 
main. 

Le  19  août,  U  Heur  eux  Stratagème^  ou  le  Vol  supposé^ 
opéra-bouffon  en  un  acte  par  Mlle  Caroline.  Sifïlée,  cette  pièce 
«  malgré  les  égards  que  l'on  aurait  dû  avoir  pour  une  dame.  » 

Note  de  l'époque  : 

«  Le  2  septembre,  Le  Manteau^  ou  Les  Deux  Nièces  rivales^ 
opéra-bouffon  en  un  acte,  paroles  de  M.  Beaunoir,  musique 
de  M.  Champein,  de  l'Académie  Royale  de  musique.  » 

C'était  tout  simplement  une  pièce  jouée  déjà  sur  le  Théâ- 
tre de  Nicolet  sous  le  titre  de  La  Mère  Nitouche,  ou  Les  Deux 
Nièces  rivales^  du  même  M.  Beaunoir. 

Je  relève  cette  note,  relative  à  la  transformation  et  trans- 
portation  de  cet  opéra  :  «  La  pièce,  du  boulevard,  a  beaucoup 
perdu  à  être  transplantée  au  Palais- Royal.  » 

Le  8  septembre,  Rosine  et  Julien^  mélodrame  en  un  acte, 
par  M.  Lutaine. 

Le  26  septembre,  première  représentation  à^Atine  et  Zamo- 
rin,  ou  V Amour  turc,  opéra-bouffon  en  trois  actes,  avec 
ses  agréments,  paroles  de  M.  Dancourt,  musique  de  M. 
Riggel. 

Vingt  ans  auparavant,  cette  pièce,  mise  en  musique  par 
M.  Davesne,  et  un  musicien  attaché  au  Concert  du  feu  Prince 
de  Conti,  avait  été  jouée  à  la  Comédie  Italienne.  Elle  repa- 
raissait cette  fois  sur  le  Théâtre  des  Beaujolais,  avec  de  la 
musique  nouvelle,  signée  Riggel. 


THEATRE   DES   «  BEAUJOLAIS  ))  13 

Le  21  octobre,  L'Entrée  du  Seigneur,  comédie  en  un  acte, 
mêlée   d'ariettes. 

Plus  tard,  en  1813,  MM.  Creuzé  de  Lesser  et  Favière  firent 
sur  ce  même  sujet,  un  opéra-comique  en  un  acte,  qu'ils  inti- 
tulèrent :  Le  Nouveau  Seigneur  du  Village,  sur  lequel  le  grand 
mélodiste  Boïeldieu  composa  une  adorable  partition,  pleine  de 
charme,  et  que  l'on  joue  trop  rarement  aujourd'hui. 

Le  2  novembre,  La  Surprise  réciproque,  comédie  en  un  acte. 

Un  critique  reproche  vivement  à  l'auteur  de  faire  apporter 
successivement,  dans  sa  pièce,  trois  lettres  !  «  Cet  auteur 
aurait  dû  savoir,  écrit-il,  qu'un  moyen  fort  usé  était  même 
d'en  faire  apporter  une  seule.  » 

Ainsi,  ((  trois  lettres  »  apportées  successivement  condam- 
naient à  la  chute  une  pièce,  quelque  bien  qu'elle  pût  être 
faite  !...  Songez  donc  :  trois  lettres  I...  Une  seule  paraissait 
même  «  un  moyen  fort  usé.  » 

Pourquoi  ?...  Probablement  parce  que  le  moment  où  ces 
lettres  étaient  apportées  par  le  valet  ou  la  soubrette  était  mal 
choisi;  parce  que  l'auteur  se  tirait  de  cette  façon, trop  facile- 
ment, d'une  situation  tendue  ou  fort  embrouillée. 

Dans  une  pastorale  héroïque,  en  trois  actes  et  en  vers 
libres,  de  M.  Quesnot  de  la  Ghénée,  jouée  à  Gand  en  1706, 
La  Bataille  de  Ramélie,  ou  les  Glorieuses  Conquêtes  des  Alliez, 
au  moment  le  plus  décisif  de  la  bataille,  un  courrier  apporte 
au  général  Marlborough,  le  vainqueur  célèbre  de  Hochstaed 
et  de  Malplaquet,  devenu  légendaire  en  France  par  la  fameuse 
chanson  : 

«  Malboroug  s'en  va-t-en  guerre  » 
«  Miron  ton  ton  ton  mirontaine  » 

Un  courrier,  dis-je,  apporte  au  brave  général  anglais,  la 
lettre  d'une  jeune  femme  qui  lui  dit  : 

«  Vous  m'aimez,  et  jamais,  au  grand  jamais,  Monsieur, 
«  Je  ne  vous  ai  cédé  cette  part  de  l'honneur, 
«  Qui  fait  battre  le  cœur  et  fait  grossir  la  taille. 
«  Eh  I  bien,  je  cède,  si  vous  gagnez  la  bataille.  » 


14  THÉÂTRE   DES    ((  BEAUJOLAIS  » 

La  pièce  fut  abominablement  sifïlée,  on  contraignit  à  bais- 
ser le  rideau  et  la  pièce  disparut  pour  tout  jamais  de  l'affiche. 

Sur  la  brochure  de  cette  pièce  imprimée  à  Gand,  «  chez  les 
Héritiers  de  Maximihen  Graet,  »  on  Hsait  en  tête  du  premier 
acte  : 

«  ACTE  PREMIÈRE  ». 

Cela  peut  donner  une  idée  de  ce  qu'était  le  reste. 


THEATRE   DES   «  BEAUJOLAIS  ))  15 


CHAPITRE  II 


PRIX  DES  PLACES. —  DETAILS  RETROSPECTIFS.  —  REPERTOIRE. 
DÉCOUVERTE    d'uN    LIVRE    INTROUVABLE. 


De  graves  discussions  s'étaient  élevées  entre  les  deux 
Directeurs,  pour  déterminer  le  prix  des  places  : 

((  —  Nous  sommes  «  Petit  spectacle  »,  disait  M.  Delomel, 
nos  prix  doivent  être  petits  ;  parce  que  notre  genre  s'adresse 
plutôt  aux  petites  bourses  qu'aux  grandes.  Il  me  semble  que 
Deux  livres  les  premières.  Une  livre  et  dix  sous  le  parquet,  et 
Une  livre  les  secondes,  sont  des  chiffres  très  raisonnables  et 
acceptables  de  tout  le  monde.  » 

«  —  Vous  êtes  fou,  répliquait  M.  Gagneur,  nous  sommes 
Théâtre,  sous  l'étiquette  d'un  Prince.  Ce  serait  humiUer  Mon- 
seigneur de  Beaujolais  d'assimiler  nos  prix  à  ceux  des  petits 
Spectacles  des  boulevards.  )> 

Bref,  après  bien  des  débats,  beaucoup  de  pourparlers  et  de 
nombreux  avis,  recueillis  un  peu  partout,  il  avait  été  arrêté 
ceci  : 

Le  prix  des  places  «  à  la  portée  de  tout  le  monde  »  est  fixé  à  : 

3  livres les  Premières  Loges. 

2  livres  et  10  sols le  Parquet. 

Et  2  livres les  Secondes. 

Maintenant  comment  l'idée  d'un  théâtre  de  marionnettes 
avait-elle  pu  naître  en  l'esprit  de  MM.  Delomel  et  Gagneur  ? 

M.  Delomel  était  tourneur  en  bois,  établi  dans  le  faubourg 
Saint-Antoine.   Il  s'amusait  dans  ses  moments  de  loisir  à 


16  THÉÂTRE   DES    «  BEAUJOLAIS  » 

sculpter  des  figurines,  auxquelles  il  donnait  la  ressemblance, 
par  à  peu  près,  de  certains  personnages  connus. 

Un  M.  Gardeur,  le  frère  du  Gardeur  qui  devint,  par  la 
suite,  l'associé  de  Delomel  dans  la  direction  des  Beaujolais^ 
était  tailleur  d'habits  et  habitait  le  troisième  étage  de  la  mai- 
son dont  M.  Delomel  occupait  le  rez-de-chaussée.  Il  vint  à 
la  pensée  de  Gardeur  de  revêtir  d'habits  les  bonshommes 
que  s'amusait  à  sculpter  assez  adroitement  M.  Delomel.  Il 
le  lui  proposa.  Celui-ci,  charmé  de  voir  compléter  son  œu- 
vre, accepta  ;  et  quelques  jours  après,  dans  la  montre  de  la 
boutique  de  M.  Delomel,  entre  des  échecs,  des  quilles  et  des 
boules,  on  vit  apparaître  la  figure  du  Roi  Louis  XVI,  majes- 
tueusement drapé  dans  son  costume  royal. 

Les  badauds  ne  tardèrent  pas  tout  naturellement  à  se 
grouper  devant  la  boutique  du  sieur  Delomel  ;  tant  et  si  bien, 
que  l'autorité  s'en  émut  et  invita  Delomel  à  retirer  de  sa 
vitrine  la  marionnette  du  Roi,  comme  «  attentatoire  à  la 
dignité  royale.  »  Delomel  obéit  et  remplaça  sa  statuette  du 
Roi,  laquelle  fut  achetée  aussitôt  par  Nicolet,  directeur  de 
l'Ambigu-comique,  qui  la  faisait  voir  dans  les  entr'actes,  en 
annonçant  «  que  S.  M.  le  Roi  de  France  avait  bien  voulu  poser 
lui-même,  pour  la  ressemblance  de  cette  statue,  w 

La  statuette  du  Roi  fut  remplacée  dans  la  vitrine  de  M. 
Delomel  par  celle,  très  ressemblante  également,  de  M.  de 
Voltaire,  lequel  était  mort  quelques  années  avant,  et  dont 
la  personnalité  était  encore  en  grande  faveur  parmi  le  peuple 
parisien.  M.  de  Voltaire,  décédé,  n'étant  pas  un  personnage 
subversif,  l'autorité  ne  put  que  disperser  les  groupes  qui  se 
formaient  compacts  et  obstruants,  à  la  sortie  des  atehers, 
devant  la  boutique  de  M.  Delomel. 

Ce  fut  alors  que  Jean- Nicolas  Gardeur,  inventeur  de  la  sculp- 
ture en  carton  pâte,  s'en  vint  rendre  visite  à  son  frère  Célestin 
Gardeur,  habilleur  des  marionnettes  en  vogue,  vit  le  succès 
qu'obtenaient  ces  poupées  hautes  de  trois  pieds,  que  confec- 
tionnaient MM.  Delomel  et  son  frère  Célestin,  conçut  l'idée  de 
créer  un  théâtre  de  marionnettes  avec  figures  et  costumes,  res- 
semblant aux  acteurs  et  actrices  de  l'Opéra,  de  la  Comédie- 


THEATRE   DES    ((  BEAUJOLAIS  ))  17 

Française  et  des  Italiens,  et  proposa  à  M.  Delomel  de  fonder 
avec  lui  un  théâtre  de  marionnettes,  comme  on  n'en  aurait 
jamais  vu  ;  avec  véritables  chanteurs  en  coulisses,  véritables 
décors  peints  exprès,  véritables  auteurs  pour  composer  leur 
répertoire  et  véritable  orchestre  de  musiciens  pour  accompa- 
gner ce  merveilleux  ensemble  ;  se  chargeant  également  de 
sculpter  en  carton-pâte  «  les  têtes  ressemblantes  des  marion- 
nettes qu'ils  auraient  à  faire  jouer.  » 

M.  Delomel  trouva  l'idée  ingénieuse,  et  par  une  société  en 
commandite,  qu'ils  parvinrent  facilement  à  former,  les  deux 
Associés  purent  traiter  avec  S.  A.  Sérénissime  Monseigneur  le 
comte  de  Beaujolais,  de  l'occupation  de  la  salle,  à  lui  appar- 
tenant, moyennant  «  la  somme  de  14.000  livres  par  annuité 
de  location,  avec  bail  de  trois  années,  voire  six,  s'il  y  avait 
lieu  de  poursuivre  l'exploitation.  » 

Il  était  de  plus  accordé  à  Monseigneur  «  comme  pot-de-vin, 
la  somme  forte  de  6.000  livres,  pour  son  acquiescement  à  ce 
que  son  nom  fût  accolé  au  titre  du  théâtre  fondé  par  MM.  De- 
lomel et  Gardeur.  »  Monseigneur  ne  faisait  rien  pour  rien. 

Enfin,  le  26  octobre  1784,  l'ouverture  du  Petit  Théâtre  des 
Beaujolais  avait  eu  lieu  ;  et  le  spectacle  d'inauguration  s'était 
fait  par  les  trois  pièces  nouvelles,  que  j'ai  déjà  nommées  : 

1°  Momus,  directeur  de  spectacle. 

2^  Il  y  a  commencement  à  tout. 

3^  Prométhée,  grande  pièce  de  chant  et  de  danses,  musique 
de  M.  Froment. 

L'auteur  des  Mémoires  secrets,  le  continuateur  de  Bachau- 
mont,  mort  en  1771,  rend  compte  en  ces  termes  de  cette  pre- 
mière soirée  : 

«  L'ouverture  de  la  Salle  des  Beaujolais  s'est  effectuée  avec 
autant  d'afïluence  que  celles  des  Comédies  Italienne  et  Fran- 
çaise. Cette  salle  est  charmante,  mais  petite.  Il  y  a  vingt-deux 
banquettes  dans  le  parquet  ;  deux  rangs  de  onze  loges  chacun  ; 
quelques  loges  grillées  .et  des  intervalles  pour  des  spectateurs 
debout  ;  en  sorte  qu'elle  peut  contenir  environ  800  personnes.  » 

«  L'orchestre  des  musiciens  est  spacieux  et  le  Théâtre  d'une 
étendue  convenable,  même  pour  le  jeu  des  machines  d'opéra.  » 


18  THÉÂTRE   DES    «  BEAUJOLAIS  » 

«  De  plein  pied,  au  parquet,  sont  deux  chauffoirs  dont  l'un 
en  galerie  et  l'autre  en  «  sallon  quarré  )>.  Ils  sont  décorés  avec 
autant  de  goût  que  de  noblesse  et  meublés  très  élégamment. 
L'orchestre  est  excellent.  » 

Jusque-là,  M.  Gardeur  avait  trouvé  l'article  admirable.  A 
partir  de  l'alinéa  suivant,  son  front  se  plissa,  se  rembrunit 
et  ses  nobles  traits  se  contractèrent.  Il  continua  cependant 
de  lire  : 

«  Les  marionnettes  sont  bien  faites  et  ont  assez  de  vérité  ; 
sauf  ces  vilains  fils  d'archal,  qui  les  font  se  mouvoir  par  en 
haut,  dont  le  spectateur  voit  chaque  différent  mouvement  et 
qui  ôtent  toute  illusion.  » 

«  Quant  aux  ballets,  ils  sont  dessinés  par  de  petits  enfants 
des  deux  sexes,  qui  ont  besoin  d'étude  et  de  pratique.  » 

«  Les  deux  premières  pièces  ont  été  si  mal  reçues,  tellement 
sifflées  et  huées,  que  les  directeurs  et  les  acteurs  étaient  dé- 
concertés ». 

—  Mais  non,  imbécile  d'écrivaillon,  je  n'étais  pas  décon- 
certé, vociférait  le  bouillant  Gardeur.  Je  n'étais  qu'ennuyé 
de  voir  un  public,  que  je  croyais  de  choix,  ne  pas  saisir  les 
beautés  des  deux  pièces  que  j'avais  retouchées  moi-même,  et 
dans  lesquelles  mes  collaborateurs  et  moi  avions  coulé  le  meil- 
leur de  notre  esprit. 

Bref,  les  deux  directeurs  s'étaient  remis  à  la  besogne  et  deux 
jours  après,  le  spectacle  était  changé  et  remplacé  par  une 
comédie  en  un  acte,  en  vers  :  Le  Vieux  Soldat  et  sa  Pupille, 
paroles  de  M.  Demaillot  et  musique  de  M.  Froment,  «  de 
l'Académie  Royale  de  musique  ». 

Cette  pièce  obtint  un  énorme  succès.  On  cita  ses  mots,  on 
fredonna  ses  airs. 

Cependant  le  sieur  Delomel,  plus  audacieux  et  plus  pra- 
tique que  son  associé  Gardeur,  s'était  avisé  de  glisser  —  je 
l'ai  écrit  plus  haut  —  parmi  ses  acteurs  de  bois,  des 
enfants  de  5,  6,  7  et  8  ans  qu'on  lui  toléra  d'abord  ;  puis 
des  jeunes  gens  de  12  à  16  ans,  qui  se  contentèrent  pri- 
mitivement de  mimer,  puis  prononcèrent  quelques  mots, 
s'interrompant   quand  l'acteur  de  coulisse  avait  à  répondre. 


THEATRE    DES    «  BEAUJOLAIS  »  19 

Gela  amusa  beaucoup  le  public  et  attira  complètement  la 
vogue  chez  les  Beaujolais. 

UOpéra  et  la  Comédie- Française  s'émurent  de  cet  empiéte- 
ment sur  leurs  droits  et  firent  interdire  «  à  tout  acteur  en  scène 
l'usage  de  la  parole  et  de  la  voix.  » 

Alors,  des  acteurs  spéciaux  et  chanteurs  avec  jolies  voix, 
furent  engagés  pour  demeurer  invisibles  dans  les  coulisses, 
mais  parler  et  chanter,  tandis  qu'en  scène  les  mimes  conti- 
nuaient leurs  jeux  et  dépeignaient,  ou  plutôt  accompagnaient 
de  leurs  gestes  et  de  leurs  expressions  de  physionomie,  les  pa- 
roles qu'en  dehors,  les  acteurs  et  chanteurs  restant  inaperçus, 
débitaient. 

L'illusion,  quelqu'invraisemblable  que  cela  puisse  paraître, 
était  parfaite  ;  et  je  n'en  veux  citer  pour  preuve  à  l'appui  de 
mon  dire  que  certains  articles  publiés  à  cette  époque. 

L'almanach  des  Petits  spectacles  de  Paris^  «  imprimé  chez 
Guillot,  hbraire  de  MONSIEUR,  frère  du  Roi,  rue  Saint- 
Jacques,  vis-à-vis  celle  des  Mathurins,  »  écrit  l'article  suivant  : 

«  La  gesticulation  ou  Pantomime,  chez  les  Beaujolais,  s'exé- 
cute avec  tant  d'art,  elle  est  tellement  d'accord  avec  les  paro- 
les et  le  chant,  que  l'illusion  est  complète  et  qu'il  semble  que 
les  acteurs  qu'on  a  sous  les  yeux  n'aient  point  d'interprètes.  » 

«  Quoique  cette  invention  soit  prise  de  l'usage  où  étaient 
les  Romains  de  faire  faire  les  gestes  à  un  acteur,  tandis  qu'un 
autre  déclamait,  il  faut  avouer  que  l'application  qu'on  en  fait 
de  nos  jours  a  quelque  chose  de  neuf  et  de  fort  ingénieux.  » 

«  On  sent  bien  que  ce  spectacle  exige  un  très  grand  nombre 
de  sujets,  attendu  qu'il  faut  souvent  trois  acteurs  pour  rem- 
plir le  même  rôle.  » 

Ces  trois  acteurs  étaient  d'abord  celui  qui  jouait,  puis 
celui  qui  parlait,  enfin  celui  qui  chantait. 

Je  donne  ici  1'  «  Etat  du  personnel  »  qui,  en  1785,  compo- 
sait ce  spectacle  si  étrange  : 


20 


THÉÂTRE    DES    ((  BEAUJOLAIS  » 


Directeurs  et  Entrepreneurs  : 
MM.  DELOMEL  ET  GARDEUR. 

Chant  et  Comédie  : 
ACTEURS,  Messieurs  : 


Rousseau. 

Tourçel. 

Vénier. 

Dromainville. 

Chellet. 

Frestat. 

Bénard. 

Lefort, 

Angot. 

Mateau. 

Chaplot.  . 

Latigalrète. 

Cazal 

Talon,  . 

Masely. 

et 

Malard. 

Champté. 

ACTRICES, 

Mesdemoiselles  : 

Carpentier. 

Ducastel. 

Montoriol. 

Robin. 

Vénier. 

Grillé. 

Théodore. 

Trial. 

Bonnard.  . 

Justine. 

Chevigny. 

Dorvillier  cadette. 

Simonet. 

Nebet. 

Brion. 

Varenne. 

et 

Dorvillier.  l^ 

aînée. 

La  Danse  était  composée  de  Douze  figurants  et  de  Douze 
figurantes  : 

D'un  PREMIER  DANSEUR,  M.  Gibel. 
Et  d'une  PREMIÈRE  DANSEUSE,  Mlle  Dastrovigne. 

ORCHESTRE 

MAITRE  DE  MUSIQUE 
M.  Lintant. 


PREMIER  VIOLON 
M.  Feauveau. 


THEATRE   DES    «  BEAUJOLAIS  )) 


21 


AUTRES  VIOLONS,  Messieurs  : 


Cadré. 

Lequin, 

Paris. 


MM.  David. 

Saint- Char  les. 


MM.  Chreihk. 
Hartmann. 


MM.  Piquet. 
Launet. 


Casimir. 
Scherdre. 
Boubert. 


et  Pagnier. 
QUINTES 

CORS 

BASSONS 


MM.  Hastier. 
Touty. 


MM.  Le  casseur. 
Hubert. 
Mailli. 


HAUTBOIS 


BASSES 


CONTRE-BASSE 


M.  Gresset. 


En  tout  20  musiciens,  soigneusement  choisis  et  triés  sur 
le  volet. 

Le  Théâtre  des  Beaujolais^  pour  avoir  le  droit  de  faire  chan- 
ter sur  sa  scène  —  même  par  des  chanteurs  que  l'on  ne  voyait 
pas  —  payait  à  V Académie  Royale  de  Musique  une  redevance 
de  833  livres,  6  sols  et  8  deniers. 

En  octobre  1785,  les  Petits  Comédiens  de  Monseigneur  le 
Comte  de  Beaujolais  furent  appelés  à  Saint-Cloud  pour  avoir 
l'honneur  de  jouer  V Amateur  de  Musique,  paroles  et  musique 


22  THÉÂTRE   DES    ((  BEAUJOLAIS  )) 

de  M.  Raymond,  et  Les  Ruses  d'amour  ou  VEpreuve^  comédie 
en  vers  libres  par  Maillé  de  Marencourt,  musique  de  Chardini, 
devant  Leurs  Majestés  et  la  Famille  Royale  assemblées. 

Cet  honneur  immense  fait  à  la  troupe  de  MM.  Delomel  et 
Gardeur,  eut  le  plus  grand  retentissement,  et  fit  une  énorme 
réclame  aux  Petits  Comédiens  de  Monseigneur  le  comte  de  Beau- 
jolais. 

L'auteur  de  VAmateur  de  Musique,  M.  Raymond,  devait 
remplacer  au  pupitre  de  chef  d'orchestre,  deux  années  plus 
tard,  M.  Lintant,  décédé. 

Voici  le  Répertoire  des  pièces  jouées  en  l'année  1785,  par 
la  troupe  des  Beaujolais  : 

U Amant  Echo,  comédie  en  un  acte. 

U Amateur  de  Musique,  musique  de  M.  Raymond  ; 

L'Amour  et  la  Poésie,  comédie  en  un  acte,  mêlée  de  chant. 

Anacréon,  pièce  en  un  acte,  mêlée  de  chant. 

Annette  et  Basile,  mélodrame  en   un  acte. 

L'Armoire  ou  La  Cachette,  en  un  acte,  musique  de  M.  Ray- 
mond. 

Belphégor  ou  Le  Diable  à  Florence,  comédie  en  un  acte,  dont 
j'ai  parlé  déjà. 

Cidippe,  opéra  en  un  acte,  paroles  de  M.  Bouteiller,  mu- 
sique de  M.  Froment,  de  l'Académie  Royale  de  musique. 

Cette  pièce  n'était  qu'un  arrangement  des  trois,  portant 
le  même  titre  et  faites  sur  le  même  sujet,  qui  précédemment 
avaient  été  jouées,  la  première  en  1625  sous  le  titre  de 
Aconie  et  Cydipe,  tragédie  de  Jean,  Ogier  de  Gombault. 

La  seconde  en  1623  sous  le  titre  de  Cydipe,  Pastorale  en 
5  actes,  avec  des  Chœurs  et  un  Prologue,  par  M.  de  Baussais. 

Enfin  la  troisième  en  Février  1726,  sous  le  même  titre  de 
Cydippe,  —  mais  par  deux  P,  cette  fois  —  Opéra-comique  en 
1  acte,  avec  un  Prologue. 

Cette  dernière  fois,  elle  réapparaissait  avec  un  I  rempla- 
çant l'Y,  et  remportait  un  véritable  succès. 

Puis,  vinrent  : 

Le  Compliment  du  jour  de  VAn  ou  Les  Fêtes  gauloises,  pièce 
d'à-propos  jouée  le  31  décembre. 


THÉÂTRE   DES    ((  BEAUJOLAIS  ))  23 

Les  Cris  de  Paris,  comédie  en  un  acte. 

Esope  au  Palais-Royal,  pièce  épisodique  en  un  acte. 

C'était  une  satyre  contre  les  mœurs  parisiennes,  flagellant, 
cinglant  les  auteurs,  les  actrices  et  les  filles. 

Une  revue,  comme  on  les  sert  de  nos  jours  dans  nos  petits 
théâtres,  à  toutes  les  époques  de  l'année  :  Revues  de  Prin- 
temps, d'Eté,  d'Hiver,  etc.,  etc. 

Cet  acte  obtint  un  succès  de  vogue.  Le  spectacle  était  nou- 
veau, il  attira. 

Puis  on  reprit  :  Figaro,  directeur  de  Marionnettes,  comédie 
en  un  acte,  représentée  l'année  précédente  sans  applaudis- 
sements, mais  que  M.  Gardeur  tenait  beaucoup  à  voir  jouer, 
parce  qu'il  y  avait  collaboré. 

Galathée,  comédie  en  un  acte,  par  M.  le  chevalier  de  Gu- 
bières. 

Le  critique  Rousseau  écrivit  un  article  enthousiaste  sur 
cette  jolie  comédie,  «  estimant  qu'elle  aurait  été  jouée  plus 
dignement  par  les  Comédiens-Français.  » 

Il  terminait  par  cette  phrase  :  «  Galathée,  dans  la  salle  des 
Petits  Comédiens,  est  un  bas  de  soie  dans  un  sabot.  » 

Goburge  dans  Vile  des  Fallots,  parodie  de  l'opéra  de  Panurge. 
Cette  parodie  avait  été  représentée  en  l'année  1764.  Le  succès 
avait  été  tel  que  le  public  redemanda  la  pièce  ;  ce  à  quoi  les 
deux  directeurs  s'empressèrent  d'acquiescer. 

U  heur  eux  Dépit,  ou  Les  Enfantillages  de  V  Amour,  comédie 
en  un  acte,  en  vers,  mêlée  d'ariettes. 

U  Impromptu  du  Palais-Royal,  compliment  de  clôture  de 
l'année  théâtrale  1784  à  1785. 

Ce  compliment  de  clôture  avait  été  récité  par  M.  Venier, 
lequel,  paraissant  sur  la  scène  au  milieu  des  enfants  et  des 
marionnettes  «  avait  l'air  d'un  géant  au  milieu  de  pygmées.  » 

Dans  la  riche  et  précieuse  bibliothèque  de  la  Comédie- 
Française,  l'érudit  et  aimable  bibliothécaire,  M.  Couët,  met  à 
ma  disposition  une  pièce  rarissime,  intéressant  le  petit  théâ- 
tre dont  je  reconstitue  l'existence.  C'est  une  affiche  imprimée 
de  ce  spectacle,  que  je  m'empresse  de  copier,  dans  sa  forme, 
pour  la  mettre  sous  les  yeux  de  mes  lecteurs  : 


24 


THEATRE    DES    «  BEAUJOLAIS  » 


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50 


THEATRE   DES    ((  BEAUJOLAIS  ))  25 

Les  affiches  des  théâtres  grands  ou  petits  ne  donnaient  pas 
encore  le  nom  des  acteurs  ;  je  l'ai  écrit  dans  mon  «  Histoire 
du  Théâtre  de  MONSIEUR  ».  Ce  furent  les  sieurs  Léonard  et 
Viotti  qui  inaugurèrent,  pour  leur  beau  théâtre,  cette  pré- 
sentation des  noms  de  leurs  Comédiens  sur  les  affiches. 

Puis,  les  vedettes  succédèrent  à  l'uniformité,  ou  plutôt  à 
l'égalité  des  caractères  d'imprimerie  ;  beaucoup  plus  tard,  sur 
l'affiche  du  théâtre  de  la  Porte-Saint-Martin,  un  débat  très 
grave  s'étant  élevé  entre  Bocage  et  Mlle  Georges,  que  pro- 
tégeait intimement  le  directeur  Harel,  il  fut  arrêté  que 
chacun  des  deux  artistes,  aurait  chaque  semaine  son  tour  de 
priorité  sur  l'autre. 

Pendant  une  semaine,  l'affiche  annonçait  donc  :  M.  BO- 
CAGE, rôle  de  Buridan,  et  Mlle  GEORGES,  rôle  de  Mar- 
guerite de  Bourgogne. 

La  semaine  suivante  on  pouvait  lire  :  Mlle  GEORGES,  rôle 
de  Marguerite  de  Bourgogne,  et  M.  BOCAGE,  rôle  de  Buridan. 

Beaucoup  plus  tard,  ce  fut  le  tour  de  Frederick  Lemaitre 
et  de  Laferrière  de  se  trouver  en  rivalité,  sur  l'affiche  du  théâ- 
tre de  la  Gaité,  à  propos  d'une  reprise  à  ce  théâtre  de  Henri  III 
et  sa  cour. 

On  connaît  le  mot  de  Frederick,  cédant  la  première  vedette 
à  Laferrière,  en  disant  au  directeur  Hostein  : 

—  Que  Laferrière  passe  avant  moi  I  Honneur  aux  Dames  1... 

Mais,  revenons  à  nos  Beaujolais  : 

Le  il  juillet,  on  donna  la  première  représentation  de  Luhin 
et  Suzette,  opéra-comique  en  un  acte. 

Puis  vinrent  La  ivraie  Ruse  d'amour,  musique  de  M.  Ray- 
mond ; 

Les  Spectacles,  ou  Le  Petit  mot  pour  rire,  pièce  en  un  acte, 
mêlée  de  vaudevilles. 

Cette  dernière  pièce  était  une  sorte  ne  revue  théâtrale,  où 
tous  les  spectacles  de  Paris,  depuis  la  sévère  Comédie- Fran- 
çaise jusqu'aux  théâtres  de  la  Foire,  étaient  plaisantes  et  pris 
spirituellement  à  partie,  dans  leurs  prétentions  exagérées,  et 
le  côté  grotesque  qui  en  résultait. 

Le  compère  de  la  pièce  —  car  déjà  le  personnage  du  com- 


26  THÉÂTRE   DES    «  BEAUJOLAIS  )) 

père  s'imposait  pour  voir  défiler  devant  lui  les  Spectacles  de 
Paris,  —  voyant  s'avancer  un  personnage  tragique,  vêtu  en 
Romain  et  portant  des  lunettes  et  un  bonnet  de  coton,  chan- 
tait sur  l'air  :  Cœurs  sensibles^  cœurs  fidèles  : 

A  la  Gomédi' -Française, 
Où  tout  est  grec  et  romain, 
Le  spectateur  dort  à  l'aise 
Sous  le  vers  Alexandrin. 
Là,  tout  orage  s'apaise, 
Il  y  bâille  à  tout  propos. 
Comme  en  un  champ  de  repos. 
C'est  un  vrai  champ  de  repos. 

Un  soir,  on  ne  vit  pas  paraître  à  son  orchestre  le  Maître  de 
musique  M.  Lintant  ;  on  courut  chez  lui  ;  on  le  trouva  mort 
dans  son  lit. 

On  jouait,  ce  soir-là,  Uarmoire  et  la  Cachette.  M.  Raymond, 
l'auteur  de  la  musique,  proposa  de  monter  au  pupitre,  à  dé- 
faut de  l'infortuné  défunt.  On  accepta  avec  empressement,  et 
dès  le  lendemain,  M.  Raymond  traitait  avec  MM.  Delomel 
et  Gardeur,  pour  le  remplacement  immédiat  du  mort. 

J'ai  découvert  dans  un  bouquin  devenu  introuvable,  et  que 
seul  possède  dans  sa  riche  bibhothèque  le  si  célèbre  et  si  artis- 
tique couturier  pour  dames,  M.  Doucet,  des  notes  surprenan- 
tes, que  je  suis  aise  de  présenter  aux  amateurs  de  curiosités 
théâtrales,  M.  Doucet  ayant  eu  l'extrême  complaisance  de 
mettre  ce  livre  précieux  à  mon  entière  disposition. 

Le  bouquin  est  intitulé  : 

LES  MIMES  DU  PALAIS-ROYAL 

Son  auteur  est  ce  même  M.  Louis  Raymond,  devenu  chef 
d'orchestre  des  Beaujolais. 

Les  détails  que  je  vais  citer  ont  été  scrupuleusement  relevés 
et  annotés  par  lui  au  jour  le  jour  ;  donc,  indiscutables. 

Par  la  citation  que  j'ai  faite  du  «  Continuateur  de  Bachau- 
mont  »,  on  a  pu  voir  que  la  critique  n'avait  pas  été  tendre  pour 
l'entreprise  naissante  de  MM.  Delomel  et  Gardeur. 


THEATRE   DES    «  BEAUJOLAIS  » 


27 


M.  Gardeur  s'était  fâché,  avait  voulu  répondre,  mais  De- 
lomel  plus  froid  l'avait  raisonné  et  calmé  : 

—  On  parle  de  nous,  avait-il  dit  ;  peu  importe  que  ce  soit 
en  bien  ou  en  mal!...  l'important,  c'est  que  l'on  cite  notre  théâ- 
tre ;  cela  prouve  que  nous  existons. 

Et  M.  Gardeur  avait  repris  du  sang-froid,  reconnaissant  la 
justesse  de  raisonnement  de  son  associé. 

Voici  le  Tableau  de  la  Troupe  des  Beaujolais.,  tel  que  je  le 
relève  pour  l'année  1787,  dans  le  livre  si  documenté  de  M.  Louis 
Raymond  : 

ÉTAT 

DE  TOUT  CE  QUI  COMPOSE  LE  SPECTACLE  DES  BEAUJOLAIS 


Messieurs  Delomel  et  Gardeur. 

REGISSEUR 

M. 

Dorceval. 

CAISSIER 

M. 

Munier. 

ACTEURS  CHANTANT  DANS  LA  COULISSE. 

Messieurs  : 

Mesdames 

: 

Delhois. 

1 

Vincent. 

\ 

Premières 

Labit. 

( 

Hautes-contre. 

Plaisance. 

\ 

chanteuses. 

Hugot. 

1 

Che  crier. 
Cardinal. 
Masclé. 

i 

Tailles. 

Lefebvre. 

Duchesne. 

Théodore. 

i 

Deuxièmes 
chanteuses. 

Vénier. 

] 

Rosin. 

1 

Deuxièmes 

Bourgeois. 
Dubois. 

Basses-tailles. 

De  St- Martin. 

( 

chanteuses. 

Chaplot. 

) 

Venier. 

i 

Dester. 

( 

Parlants  dans  la      De  la  Porte. 

Duègnes. 

Plaisance. 

\ 

coulisse. 

Du  Castel. 

RÉPÉTITEUR  DU  CHANT 
M.  Delboi,  de  l'Académie  Royale  de  Musique. 


28  THÉÂTRE  DES   ((  BEAUJOLAIS  » 


ACTEURS  PARLANT  SUR  LA  SCÈNE 

MM.  Lefort.  Mlles  Malard. 

Dester.  Nebel. 

Lorillard.  Brion. 

Talon.  Lévesque. 

Mercier.  Masson. 

Boitte.  Gontier. 

Damas.  Duprés, 

Moreau.  Vallot. 

Le  Fehvre. 

Fleuri. 

Trial. 

Le  Gendre. 
(Ces  mêmes  acteurs  jouent  les  mimes). 

RÉPÉTITEURS  POUR  LES  ENFANTS 
Soient  qu'ils  jouent  les  mimes  ou  qu'ils  parlent. 
MM.  Guillemain  et  Maillé. 


BALLET 

MAITRE  DES  BALLETS 
M.  Barré,  de  l'Académie  royale  de  Musique. 


1er  DANSEUR 

ire  DANSEU 

'..  Moreau 

Mlle 

Hugens. 

FIGURANTS 

FIGURANTES 

MM.  Giraud. 

Mlles 

Flamant. 

Verneuil. 

Flein. 

Bourgeois. 

Jouan. 

Cliatus. 

Lacoste. 

Tabraise. 

Etienne. 

Garochel. 

Galais 

La  Bottière. 

Pichard. 

Desforges. 

Richet. 
Parisot. 

RÉPÉTITEURS  DES  BALLETS 
MM.  Paris  et  Boitte. 


THEATRE   DES   ((  BEAUJOLAIS  ))  29 


ORCHESTRE 


MAITRE  DE  MUSIQUE 
M.  B.-L.  Raymond. 

INSTRUMENTISTES 

4  premiers  violons. 
4  seconds  violons. 
2  quintes. 
4  basses. 
1  hautbois. 

1  flûte. 

2  bassons. 
2  cors. 

1  trompette. 
1  timbalier. 

22  Musiciens. 


EMPLOYÉS 

4  contrôleurs. 

1  chef  machiniste. 

5  garçons  de  théâtre,  machinistes. 
1  concierge. 

3  garçons  de  service. 

3  habilleuses. 

7  ouvreuses  de  loges. 

MM.  Delomel  et  Gardeur  employaient  donc  en  tout  113  per- 
sonnes. 

On  voit  que  c'était  bien  un  véritable  théâtre  que  dirigeaient 
les  deux  administrateurs  des  Beaujolais  et  que  la  taille  et  le 
physique  des  enfants  masculins  et  féminins  qui  composaient 
la  troupe,  n'avaient  rien  à  voir  avec  les  plaisanteries  qui,  d'a- 
bord, s'adressèrent  avec  acharnement,  aux  deux  entrepre- 
neurs de  ce  théâtre  hlliputien.  Tout  n'étant  qu'illusion,  au 
bout  d'un  instant  les  spectateurs  oubliaient  qu'ils  avaient 
affaire  à  de  pauvres  bébés,  pour  ne  voir  en  eux  que  les  per- 
sonnages qu'ils  représentaient. 

Je  hs  cet  article  dans  la  Lorgnette  Théâtrale  à  l'appui  de  ce 
que  je  viens  d'avancer  : 


30  THÉÂTRE    DES   «  BEAUJOLAIS  )) 

«  Un  effet  surprenant  que  produit  ce  petit  théâtre,  par 
la  manière  dont  il  est  construit,  c'est  de  faire  paraître  de 
petits  enfants  de  deux  pieds  et  demi,  aussi  grands  que  de 
grandes  personnes.  Il  faut  voir  plusieurs  fois  ces  petits  êtres 
descendre  du  théâtre  après  les  pièces,  pour  se  persuader  que 
ce  ne  sont,  en  effet,  que  des  enfants.  Cette  illusion  provient 
des  frises  qui  étaient  fort  basses  du  temps  des  Bamboches  ». 

«  De  loin,  tel  enfant,  qui  n'a  pas  quatre  pieds,  parait  être  de 
la  taille  d'une  personne  ordinaire.  » 

Voici  maintenant  le  répertoire  des  ouvrages  joués  depuis 
l'ouverture  des  Beaujolais,  c'est-à-dire  depuis  1784,  jusqu'à 
1789,  époque  à  laquelle  il  brillait  de  tout  son  éclat  : 

OPÉRAS 

1784.  —  Cydippe^  pastorale  en  un  acte,  en  vers,  de  M.  de 
BouTiTiER,  musique  de  M.  Froment,  de  l'Académie  royale 
de  Musique. 

Les  Projets  ridicules,  ou  la  suite  du  Vieux  soldat,  comédie  en 
deux  actes,  en  vers,  paroles  de  M.  Demaillot,  musique  de 
M.  Froment. 

U Amateur  de  musique,  opéra-bouffon  en  un  acte,  en  prose, 
paroles  et  musique  de  M.  B.-L.  Raymond. 

Cette  pièce  n'était  qu'un  prétexte  à  airs  intercalés.  «  Un  ama- 
teur de  musique  réunissait  dans  son  salon  amis  et  connais- 
sances, les  faisait  chanter,  et  accordait  en  mariage  sa  fille  à  la 
plus  jolie  voix  des  hommes,  qui  se  trouvait  être  un  jeune  haute- 
contre  ;  et  son  fils,  à  la  plus  méritante  des  chanteuses,  dont  le 
jeune  homme  était  précisément  amoureux.  » 

La  musique  était  gracieuse,  la  pièce  réussit. 

Anacréon,  comédie-pastorale,  en  vers,  en  un  acte,  paroles  et 
musique  du  même. 

M.  B.  L.  Raymond  avait  tout  simplement  pris,  un  Ana- 
créon  de  M.  de  S***,  en  prose,  mêlée  de  vers,  joué  au  mois  de 
janvier  1754. 

Il  en  avait  complètement  refait  la  musique  et  l'avait  fait 
réussir  à  nouveau. 


THÉÂTRE    DES    ((  BEAUJOLAIS  ))  31 

U Armoire  ou  la  Cachette^  opéra-bouffon  en  un  acte,  en  prose, 
paroles  et  musique  du  même. 

U  Amant  écho^  opéra-bouffon  en  un  acte,  en  prose,  paroles 
et  musique  du  même,  Raymond. 

Le  Braconnier,  comédie  lyrique  en  un  acte,  en  prose,  paroles 
de  M.  LiEUTAUD,  musique  de  M.  B.-L.  Raymond. 

Comme  on  le  voit,  M.  B.-L.  Raymond  abusait  beaucoup 
de  sa  situation  de  chef  d'orchestre  du  théâtre,  pour  composer 
la  musique  de  presque  toutes  les  pièces  que  les  auteurs  fai- 
saient recevoir. 

Il  ne  nous  est  pas  possible  d'admettre  que  ce  fût  la  pénurie 
de  compositeurs,  qui  forçât  MM.  Delomel  et  Gardeur  à  confier 
l'exclusive  composition  des  partitions,  à  leur  chef  de  musique; 
puisque  quelque  temps  après,  les  deux  Directeurs  reçurent 
d'un  groupe  de  compositeurs  une  lettre  de  plaintes  et  de 
réclamations  contre  l'accaparement  «  indécent  »  du  trop  pro- 
lixe M.  Raymond. 

La  Ruse  d'amour,  comédie  en  vers,  en  un  acte,  paroles  de 
M.  Maillé,  musique  de  M.  Chardiny,  de  l'Académie  royale 
de  Musique. 

Le  Poui^oir  de  la  Nature,  ou  la  suite  de  la  Ruse  d'amour, 
oomédie  en  vers,  en  deux  actes,  par  les  mêmes  auteurs. 

L'Heureux  dépit,  comédie  en  vers,  en  un  acte,  paroles  de 
M.  LiEUTAUD,  musique  de  M.  Chapelle. 

Suzanne  et  Colinet  ou  Les  Amants  heureux  par  stratagème, 
comédie  mêlée  d'ariettes,  par  Pierson  de  Bérainville,  mu- 
sique de  PicciNi. 

Le  Bailly  bienfaisant,  comédie  en  prose,  en  un  acte,  paroles 
de  M.  Théo,  musique  de  M.  Chapelle. 

Le  Double  mariage,  comédie  en  prose,  en  un  acte,  mêlée 
d'ariettes,  paroles  et  musique  des  mêmes. 

Jean-Jeannot,  opéra-bouffon  en  un  acte,  en  prose,  paroles 
et  musique  de  M.  ***. 

L'auteur  des  paroles  et  de  la  musique  de  cet  opéra  était 
encore  M.  B.-L.  Raymond.  Mais,  je  l'ai  dit,  le  directeur, 
M.  Delomel  avait  reçu  de  nombreuses  lettres  de  compositeurs 
et  d'auteurs  irrités  se  plaignant  de  la  trop  grande  fécondité 


32  THÉÂTRE    DES    ((  BEAUJOLAIS  )) 

de  M.  Raymond  et  l'invitant  à  modérer  l'ardeur  de  ce  pro- 
ducteur, s'il  ne  voulait  se  créer  de  nombreux  ennemis. 

M.  Delomel  avait  communiqué  ces  lettres  à  son  très  utile 
pensionnaire  ;  et  celui-ci,  dans  la  crainte  d'éloigner  complè- 
tement du  théâtre  ces  auteurs,  trop  jaloux  de  leurs  intérêts, 
avait  résolu,  sur  le  conseil  de  ses  directeurs,  de  ne  plus  signer 
que  quelques-unes  de  ses  productions. 

Le  Faux  Serment^  comédie  en  vers,  en  un  acte,  paroles  de 
M.  Dancourt,  musique  de  M.  Deshayes. 

Le  Paysan  à  prétention^  opéra-boufîon  en  un  acte,  en  prose, 
paroles  de  M.  Masson,  musique  de  M.  Deshayes. 

Les  amours  du  Gros-Caillou^  opéra-boufîon  en  un  acte,  en 
prose,  paroles  de  M.  Guillemain,  musique  de  M.  Rigel. 

Atine  et  Zamor  in  oviV  Amour  turc  ^Q,om.éà\Q  en  vers,  en  3  actes, 
à  spectacle,  paroles  de  M.  Dancourt,  musique  de  M.  Rigel. 

Ariane^  fille  de  Minos,  paroles  de  M.  L.-R.  Dancourt, 
comédie  en  un  acte,  mêlée  de  couplets,  dont  la  musique  est  du 
même  Rigel. 

Il  ne  faut  pas  confondre  ce  L.-R.  Dancourt  avec  le  Florent, 
Carton,  Dancourt,  comédien  de  valeur  et  auteur  dramatique 
distingué,  que  l'on  surnomma,  dans  un  trop  grand  élan  d'en- 
thousiasme, «  le  continuateur  de  Molière  ». 

Celui  dont  nous  nous  occupons  ici,  naissait  quand  son 
célèbre  homonyme  mourait. 

Le  Dancourt  présent  était  fils  d'un  brave  tanneur  qui  avait 
son  établissement  de  tannerie  sur  la  rivière  de  Bièvre,  près  la 
manufacture  des  Gobehns.  Il  avait  donc  fait  son  apprentis- 
sage dans  les  cuirs. 

Le  Dancourt  d'autrefois,  lui,  avait  fait  de  fortes  études  chez 
les  Jésuites,  lesquels  l'avaient  en  quelque  sorte  poussé,  eux- 
mêmes,  vers  le  théâtre,  de  même  qu'ils  y  avaient  poussé  Cor- 
neille, Molière,  Voltaire  et  Gresset. 

Le  jour  où  le  L.-R.  Dancourt  était  venu  faire  entendre  sa 
pièce  aux  deux  directeurs,  il  avait  traversé  la  scène  dans 
l'obscurité,  sans  se  rendre  compte  de  l'endroit  où  il  se  trouvait, 
et  ne  sachant  plus  comment  retrouver  son  chemin,  s'était  mis 
à  crier  :  «  A  l'aide  !  à  mon  secours  I  je  vais  tomber.  » 


THEATRE   DES    ((  BEAUJOLAIS  »  33 

M.  Gardeiir  était  accouru  avec  une  lanterne,  et  avait  guidé 
M.  Dancourt  vers  le  foyer  où  devait  s'effectuer  la  lecture  en 
lui  disant  :  «  Je  ne  suis  pas  Louis  XIV,  Monsieur,  mais  je  vous 
sauve  la  vie,  comme  ce  grand  monarque  l'a  sauvée  à  votre 
homonyme  réputé.  » 

En  effet,  un  jour  que  la  Comédie-Française  jouait  à  la  Cour, 
Louis  XIV,  voyant  Dancourt  reculer  vers  un  escalier,  en  con- 
tinuant à  le  saluer  profondément,  lui  avait  crié  :  «  Prenez 
garde,  Dancourt,  vous  pliez  tomber.  » 

Le  Dancourt  second,  auteur  de  cette  Ariane,  fille  de  Minos, 
était  un  homme  qui  se  ressentait  beaucoup  du  milieu  commun 
dans  lequel  il  avait  été  élevé,  jurant  et  sacrant  à  propos  de 
rien.  Le  jour  de  la  Confirmation,  à  peine  âgé  de  12  ans,  il  avait 
dit  à  l'Evêque,  qui  allait  lui  administrer  le  Sacrement  :  «  Mon- 
sieur l'Evêque,  ne  me  souffletez  pas  trop  fort.  J'ai  mal  aux 
dents  de  ce  côté,  et  si  vous  me  faisiez  mal,  je  gueulerais  comme 
un  âne.  » 

L'évêque  avait  immédiatement  déclaré  ce  pécheur  mal 
élevé,  indigne  de  recevoir  le  Sacrement  de  la  Confirmation. 

Dancourt  premier,  au  contraire,  «  regrettait  fort  l'excommu- 
nication qui  pesait  alors  sur  les  comédiens.  »  Un  jour  qu'il  s'en 
plaignait  au  Président  de  Harlay,  celui-ci  lui  répondit  :  «  Dan- 
court, nous  avons  des  oreilles  pour  vous  entendre,  des  mains 
pour  recevoir  vos  aumônes,  mais  point  de  langue  pour  vous 
répondre.  » 

Il  demeure  donc  impossible  de  confondre  l'acteur-auteur, 
bon  écrivain,  bon  comédien  et  bon  chrétien,  avec  le  mécréant 
qui  avait  écrit  Ariane,  fille  de  Minos. 

La  pièce  de  Dancourt  deuxième,  obtint  un  certain  succès. 

Le  soir  de  la  première  représentation,  grisé  par  les  applau- 
dissements, il  s'était  écrié,  devant  les  acteurs  :  «  Nom  de 
Dieu  I...  je  ne  crois  pas  que  le  Dancourt  trépassé,  que  l'on  me 
f...  tout  le  temps  à  la  tête,  désavouerait  après  ce  succès  un 
homonyme  de  mon  espèce.  » 

On  le  surnomma  Dancourt  le  Petit. 

C'est  à  ce  même  Dancourt  que  l'on  doit  le  pamphlet  célè- 


34  THÉÂTRE    DES    «  BEAUJOLAIS  )) 

bre  :  L.-R.  Dancourt^  arlequin  de  Berlin^  à  J.-J.  Rousseau^ 
citoyen  de  Genèi^e. 

M.  RiGEL,  Henri- Joseph,  son  collaborateur,  était  un  com- 
positeur allemand,  élève  du  grand  musicien  Jomelli.  Il  était 
venu  à  Paris,  forcé  de  quitter  son  pays,  Wertheim,  en  Fran- 
conie,  pour  avoir  donné  un  soufflet  à  un  grand  personnage 
qui  se  vantait  d'avoir  été  l'amant  de  sa  mère.  Réfugié  en  Fran- 
ce, il  y  était  devenu  célèbre  pas  ses  compositions  musicales 
et  comme  professeur  de  clavecin. 
Gluck  faisait  grand  cas  de  lui. 

Dancourt  le  Petit  s'était  lié  avec  Rigel  d'une  façon  toute 
particulière  : 

Ce  dernier  avait  surpris  Dancourt  en  conversation  compro- 
mettante avec  sa  maîtresse,  une  demoiselle  Rosin,  chanteuse 
de  coulisses,  au  Théâtre  des  Beaujolais. 

Provocation  avait  eu  lieu  ;  duel  s'en  était  suivi. 
Dancourt  avait  été  blessé  légèrement  à  la  main  droite  et 
avait  dit,  sur  le  terrain,  à  Rigel  :  «  Nom  de  Dieu  !  avouez  que 
nous  sommes  bien  bêtes  d'avoir  voulu  nous  couper  la  gorge 
pour  une  personne  qui  n'en  possède  aucune.  » 

Rigel,  amusé  de  cette  facétie,  avait  tendu  la  main  à  Dan- 
court ;  et  de  cette  liaison  était  née  leur  collaboration. 
Revenons  au  répertoire  : 

Colin  et  Colette,  opéra-bouffon  en  un  acte,  paroles  et  musique 
de  M.  ***. 

Ce  fut  encore  le  chef  d'orchestre  Raymond,  qui  ne  signa  pas 
cet  opéra,  dont  il  était  l'auteur. 

Les  Deux  Jaloux,  opéra-parade  en  prose,  en  trois  actes, 
paroles  de  M.  M...,  musique  de  M.  Bonnel,  de  l'Académie 
Royale  de  Musique. 

Les  Curieux  punis,  opéra-bouffon  en  prose  et  en  un  acte, 
paroles  de  M.  Desenne,  musique  de  M.  Bonnain. 

Suzette  et  Francinet,  opéra-bouffon  en  un  acte,  paroles  de 
M.  le  Ghevaher  de  Brétigny,  musique  de  M.  Champagne. 

Les  Fourberies  de  Mathurin,  opéra-bouffon  en  un  acte,  en 
prose,  paroles  de  M.  d'AvÈNE,  musique  de  M.  Bambini. 


THEATRE  DES   «  BEAUJOLAIS  »  35 

Uheureux  Stratagème^  opéra-bouffon  en  un  acte,  en  prose, 
paroles  de  M.  M***,  musique  de  Mlle  Caroline  Vuyet. 

Adélais^  pantomime  historique  en  trois  actes,  par  M.  Maillé 
DE  Marencourt. 

Le  Manteau^  comédie  en  prose,  en  un  acte,  paroles  de  M.  Mo- 
line,  musique  de  M.  L.  L.  P. 

Le  Roi  de  La  Bazoche,  opéra-bouffon  en  1  acte,  paroles  de 
M.  ***,  musique  de  M.  Borghfse. 


36  THÉÂTRE  DES   d  BEAUJOLAIS  » 


CHAPITRE  III 


DÉTAILS    INTIMES.    —   RÔLK   DE    l'iNSTITUTEUR.  — 
SUITE    DU    RÉPERTOIRE.   —    LA   PETITE     CHANTEUSE    AVEUGLE. 


Il  y  avait,  parmi  ces  bambins  de  neuf  à  douze  ans,  des  riva- 
lités d'emploi,  qui  dégénéraient  parfois  en  profondes  haines. 
«  On  se  fût  cru  à  la  Comédie-Française.  » 

Je  lis  à  ce  sujet,  dans  le  volume  de  M.  Raymond  :  «  Dévorés 
du  désir  de  se  montrer  avantageusement,  ces  enfants  mettent 
tous  leurs  soins  à  bien  remplir  les  rôles  qu'on  leur  distribue, 
par  l'espoir  qu'en  rendant  bien  celui-là,  outre  les  applaudisse- 
ments qu'ils  obtiendront,  et  auxquels  ils  sont  très  sensibles, 
on  leur  en  donnera  d'autres.  » 

L'amour-propre  est  de  tous  les  âges. 

«  On  surprit  une  fois  un  enfant  de  onze  ans,  cherchant  à 
étrangler  son  rival,  d'un  an  plus  jeune  que  lui,  parce  qu'il  avait 
été  réclamer  un  rôle  auprès  de  M.  Delomel,  et  qu'il  avait  réussi 
dans  sa  démarche.  » 

«  Attirés  par  les  cris  de  la  petite  victime,  ses  camarades 
eurent  toutes  les  peines  à  l'arracher  des  mains  de  son  aîné.  » 

Quelques  détails  d'intérieur  sur  la  façon  dont  le  travail 
s'exécutait  chez  les  Beaujolais  : 

«  Lorsque  l'on  veut  monter  une  pièce,  les  Directeurs  font 
tirer  deux  copies  du  dialogue  :  l'une  pour  les  enfants,  dans 
laquelle  on  joint  les  vers  mis  en  chant,  et  l'autre  pour  les  chan- 
teurs, où  il  n'y  a  que  le  dialogue  seulement.  » 

«  Les  Directeurs,  de  concert  avec  V Instituteur^  distribuent 
les  rôles  à  ceux  des  enfants  qu'ils  jugent  les  plus  propres  à  les 


THEATRE  DES   (ï  BEAUJOLAIS  »  37 

mieux  rendre  par  leur  intelligence.  On  ne  pourrait  jamais 
s'imaginer  combien  tous  ces  petits  enfants  sont  jaloux  de 
jouer  dans  une  pièce  ;  et  combien  ils  sont  sensibles  au  refus 
qu'on  fait  quelquefois  de  leur  donner  un  rôle.  » 

«  Rien  n'égale  encore  leur  douleur  lorsque  les  Directeurs, 
ou  Y  Instituteur^  ayant  jugé  la  distribution  primitive  mal  faite, 
ôte  un  rôle  à  quelqu'un  d'entre  eux.  J'en  ai  vu  qui,  affligés 
jusqu'aux  larmes,  ne  pouvaient  se  consoler.  » 

Cet  emploi  d' Instituteur  correspondait  à  celui  de  metteur  en 
scène  et  régisseur. 

On  exigeait  bien  de  ces  enfants  qu'ils  sachent  lire  ;  mais  les 
plus  petits  ânonnaient  à  première  lecture,  ne  comprenaient 
guère  les  intonations  à  produire,  les  intentions  à  donner.  U Ins- 
tituteur était  là,  leur  enseignant  les  modulations  de  la  voix,  les 
gestes  à  faire,  les  expressions  de  physionomie,  les  élans  de  pas- 
sion, les  effets  comiques  ou  dramatiques  à  produire. 

M.  Dorceval,  qui  remplissait  cet  emploi,  que  l'on  peut  juger 
des  plus  importants,  était  un  ancien  comédien  qui  avait  joué 
en  province  les  grands  rôles  de  comédie.  Doué  d'un  juste  bon 
sens,  d'une  douceur  infinie,  d'une  bienveillante  patience,  il 
savait  se  faire  adorer  de  ses  petits  comédiens,  par  l'aménité 
de  ses  manières,  la  loyauté  et  la  franchise  de  son  caractère, 
ainsi  que  par  la  douce  affection  qu'il  leur  portait. 

Il  avait  dit  un  jour  à  l'auteur  Dancourt,  très  mal  embouché  : 
—  M.  Dancourt,  je  vous  prierai  de  ne  plus  jurer,  devant  ces 
enfants,  le  nom  du  Bon  Dieu,  comme  vous  le  faites  à  chaque 
instant. 

Et  M.  Dancourt  se  l'était  tenu  pour  dit. 

Mais,  je  reprends  le  Répertoire  courant  de  notre  petit  théâtre. 

COMÉDIES 
Le  Vieillard  corrigé,  en  prose  et  en  un  acte,  par  M.  Dulau- 

RENS.  '^ 

La  Mère  clairvoyante,  en  prose  et  en  un  acte,  par  M"^^  Petit. 

C'était  une  copie  de  La  Mère  embarrassée,  opéra-comique  de 
Panard,  joué  en  1734,  à  la  foire  Saint-Laurent. 


38  THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  ') 

]\/[me  Petit,  l'auteur,  n'avait  pris  souci   que  de  changer  le 
nom  des  personnages  et  le  titre  de  la  pièce. 
Les  Jeunes  amans,  en  prose  et  en  un  acte,  par  M.  Le  Bas. 
Les  Delassemens  de  Vamour,  en  prose  et  en  un  acte,    par 

Le  Peintre  jaloux,  en  prose  et  en  un  acte,  par  M.  Maillé. 

La  Solitude,  en  prose  et  en  un  acte  par  M.  Guillemain. 

La  Surprise  réciproque,  en  prose  et  en  un  acte,  par  M.  ***. 

C'est  à  la  première  représentation  de  cette  pièce  qu'un  spec- 
tateur s'écria  :  «  La  surprise  est  surtout  pour  nous.  Nous  comp- 
tions sur  une  comédie,  et  on  nous  sert  de  la  bouillie  pour  les 
chats.  )) 

Arlequin  et  Séraphine,  en  prose  et  en  un  acte,  par  M. 
Thibault. 

Je  relève  sur  cette  même  pièce  cet  autre  titre  :  Les  amours 
d'Arlequin  et  de  Séraphine,  comédie  par  M.  Gorgi.  Peut-être 
est-ce  la  même. 

MÉLODRAMES 

Annette  et  Basile,  en  prose  et  en  un  acte,  par  M.  Guille- 
main. 

Alexis  et  Rosette,  par  M.  Guillemain. 

Ninon,  par  M.  Pompigni. 

Rosine'et  Julien,  par  M.  Lutaine. 

L'Honnête  criminel,  en  cinq  actes,  de  M.  Fenouillot  de 
Falbaire. 

Cet  Honnête  criminel  ou  V Amour  filial,  était  l'histoire  véri- 
dique  de  Jean  Fabre,  protestant  de  Nîmes,  qui  se  substitua  à 
son  père  et  obtint  d'être  condamné  aux  galères  en  son  lieu  et 
place,  pour  avoit  fait  partie  d'une  assemblée  religieuse,  surprise 
en  1756. 

M.  Fenouillot  de  Falbaire  avait  écrit  sur  ce  sujet  un  drame 
en  vers,  très  intéressant,  drame  que  la  censure  royale  avait 
interdit  à  Paris,  étant  donné  le  motif  de  l'injuste  condamna- 
tion ;  mais  la  pièce  imprimée  avait  été  jouée  en  province.  Il 
appartenait  aux  Beaujolais  de  la  faire  connaître  à  Paris. 

Plus  tard,  le  Théâtre  de  la  Nation  —  Comédie-Française  — 


THÉÂTRE  DES   (L  BEAUJOLAIS  »  39 

s'en  empara  et  fit  triompher  l'œuvre  dans  la  soirée  du  4  jan- 
vier 1790. 

M.  Delomel  ne  manqua  pas  de  dire  à  ce  sujet  :  Ils  me  pren- 
nent mes  pièces  ;  ces  gens-là  sont  sans  vergogne. 

On  joua  encore  Le  Fabricant  de  Londres^  du  même  auteur. 

Anne  de  Bretagne,  de  Louis  Ferrier,  tragédie,  qui  avait  été 
représentée  à  l'Hôtel  de  Bourgogne  en  1678. 

M.  Delomel  avait  prié  un  de  ses  auteurs  ordinaires,  M.  Guil- 
LEMAiN,  de  la  mettre  en  prose,  pour  être  représentée  sur  son 
théâtre  des  Beaujolais. 

Transformée  ainsi,  la  pièce  réussit  peu.  L'âme  de  son  premier 
auteur  Louis  Ferrier  en  dut  souffrir. 

Cet  auteur  —  Louis  Ferrier  —  né  en  Avignon,  avait  été  ap- 
pelé devant  le  Saint-Ofïice  de  l'Inquisition,  pour  être  châtié 
de  ce  vers,  paru  dans  un  poëme  :  Les  Préceptes  galants,  dont 
il  était  l'auteur  : 

«  Uamour  pour  les  mortels  est  le  souverain  bien.  » 

Il  fut  accusé  «d'obscène  et  d'hérétique»  et  demeura  six  mois 
en  un  cachot,  jusqu'à  ce  que  se  terminât  son  procès,  par  un 
acquittement.  C'est  alors  que,  fuyant  l'Avignonnais  —  qui 
appartint  à  l'Eghse  Romaine  jusqu'en  1791  —  il  se  réfugia 
Paris. 

La  pièce  Anne  de  Bretagne  réussit  peu,  je  l'ai  dit . 

D'autres  mélodrames  suivirent  : 

Le  Mort  vivant,  de  M.  Pascal. 

Ce  mélodrame  en  prose  était  la  copie  transformée  du  Mort 
vivant,  de  Boursault;  c'est  à  la  Bastille  que  Boursault  écri- 
vit sa  pièce  jouée  en  1662. 

Cette  pièce  n'était  d'ailleurs,  elle-même,  que  la  reproduc- 
tion d'une  ancienne  Comédie  Italienne. 

La  Fiancée  du  Gouffre,  par  Antoine  Saurin. 

Nous  devons  constater  que  le  genre  du  mélodrame  était  le 
moins  apprécié  sur  le  théâtre  des  Beaujolais. 

Cette  liste  des  pièces  formant  le  répertoire  du  Petit  Théâtre 
est  relevée  entièrement  dans  le  livre  de  M.  Louis  Raymond  : 
Les  Mimes  du  Palais-Boyal,  ou  Réflexions  sur  divers  points, 
concernant  le  spectacle  des  Beaujolais. 


40  THÉÂTRE   DES    «  BEAUJOLAIS  » 

Louis  Raymond,  à  propos  du  genre,  dit  «  mélodrame  »,  qui 
était  d'origine  récente,  le  définit  ainsi  : 

«  Mélodrame  est  la  nouvelle  appellation  d'une  application 
théâtrale  qui  vient  de  se  créer.  » 

«  Le  mélodrame,  pour  ceux  qui  ne  connaissent  pas  encore  ce 
genre  de  pièce,  est  une  comédie  dans  laquelle  le  dialogue  est 
interrompu  par  de  petits  morceaux  de  musique,  joués  par  des 
instrumens  ;  ces  morceaux  de  musique  doivent  être  des  airs 
connus,  tels  que  des  Ponts-neufs.  L'auteur  arrête  souvent  ses 
phrases,  pour  faire  dire  par  l'orchestre  ce  que  le  personnage 
dirait  lui-même.  On  peut  prendre  Annette  et  Basile,  ou  Alexis 
et  Rosette  pour  modèles  dans  ce  genre  d'ouvrages.  » 

Combien  la  définition  de  ce  genre  a  dévié,  depuis  M.  Louis 
Raymond.  Et  qu'il  y  a  loin  de  ce  qu'on  appelle  méprisamment 
de  nos  jours  «  un  mélodrame  »  au  doux  mélodrame  lyrique 
d'autrefois. 

Dans  les  notes  dont  le  dit  M.  Raymond  fait  suivre  chacun 
de  ses  chapitres,  je  relève  celle-ci,  des  plus  curieuses  : 

«  Un  point  essentiel,  que  l'on  ne  doit  pas  néghger,  c'est 
d'adapter  les  organes  du  chanteur  au  physique  de  l'enfant 
qui  remplit  un  personnage,  tel  qu'il  soit.  Ceci  regarde  parti- 
culièrement la  voix  des  hommes.  Il  est,  en  eiîet,  très  ridicule 
d'entendre  une  voix  forte,  lorsqu'on  voit  un  enfant  fluet  sur 
la  scène,  et  dont  l'air  est  extrêmement  jeune.  Il  est  impossible 
de  se  persuader  qu'une  pareille  voix  sorte  d'un  si  petit  corps.  » 

Autre  note  des  plus  instructives  : 

«  Il  n'est  pas  bien  facile  d'être  un  bon  comédien  de  coulisse. 
En  premier  Heu,  on  est  isolé  ;  en  second  lieu,  on  ne  voit  sou- 
vent point  l'interlocuteur  avec  qui  l'on  est  en  scène  ;  en  troi- 
sième lieu,  il  faut  être  bien  pénétré  du  caractère  de  son  rôle, 
pour  y  mettre  de  la  chaleur  ;  l'action  du  geste  n'étant  presque 
pas  possible,  et  le  jeu  de  physionomie  paraissant  inutile,  puis- 
qu'il ne  peut  être  aperçu.  » 

«  Si,  dans  une  action  ou  un  dialogue  animé,  l'acteur  en 
couhsse  débite  froidement,  et  que  le  mime  en  scène  mette  de 
la  chaleur  dans  ses  gestes,  dès  lors  il  y  aura  entre  les  deux 
personnages  un  contraste  désagréable.  » 


THEATRE  DES  «  BEAUJOLAIS  ï  41 

Aussi  recommandait-on  formellement  aux  enfants  qui 
mimaient,  de  ne  point  écouter  de  conseils  en  dehors  de  ceux 
donnés  par  l'instituteur  et  l'auteur  de  la  pièce.  Eux  seuls 
savaient  ce  qu'ils  pouvaient  obtenir  de  leurs  élèves,  de  leur 
intelligence,  de  leurs  dispositions,  de  leur  caractère,  de  leurs 
aptitudes,  de  leurs  qualités,  voire  même  de  leurs  défauts. 

L'instituteur  avait  vite  fait  de  connaître,  quand  une  per- 
sonnalité étrangère  s'était  avisée  de  donner  quelques  conseils 
à  l'un  ou  à  l'une  de  ses  élèves,  en  dehors  des  leçons  journa- 
lières. 

Un  jour,  M.  Dorceval  reprit  un  de  ses  petits  élèves,  fautif, 
à  la  répétition  du  lendemain,  d'avoir  ajouté  plus  de  chaleur 
qu'il  n'en  donnait  d'habitude  dans  la  préparation  d'un  de  ses 
rôles. 

L'enfant  s'excusa  en  se  retranchant  derrière  ceci  : 

—  C'est  M.  Clairval  et  Madame  Dugazon,  qui  sont  des 
connaissances  à  papa,  et  qui  m'ont  conseillé,  hier  soir,  de 
faire  comme  ça. 

M.  Dorceval  fit  venir  le  père  de  l'enfant  et  lui  dit  :  «  Personne 
plus  que  moi  n'admire  le  talent  de  M.  Clairval  et  de  Madame 
Dugazon.  Je  les  considère  comme  uniques  dans  leur  genre, 
et  infiniment  supérieurs  à  ces  acteurs  à  ariettes^  qui,  lorsqu'ils 
cessent  de  chanter,  ne  savent  plus  que  faire  de  leurs  bras  et 
de  leurs  jambes  ;  mais,  je  vous  préviens  que  si  votre  fils 
écoute  encore  leurs  conseils,  je  me  verrai  contraint  de  me 
séparer  de  lui.  Les  enfants  que  j'ai  à  éduquer,  ne  doivent 
être  que  de  petits  instruments  dont  seul  je  sache  jouer.  Toute 
initiative  de  leur  part  détruit  l'harmonie  qui  doit  exister 
entre  leur  geste  et  la  parole  qui  part  de  la  coulisse.  C'est  moi 
le  régulateur  entre  l'un  et  l'autre.  Et  Madame  Saint-Huberti, 
elle-même,  que  je  trouve  inimitable  dans  le  troisième  acte  de 
Pénélope^  viendrait  dire  à  une  de  mes  petites  élèves  :  «  Faites 
ceci  et  ce  sera  superbe  !...  »  que  je  répondrais  à  Madame 
Saint-Huberti  :  «  Admirable  comédienne,  apprenez  vos  subli- 
mes actions  à  des  femmes  ou  à  des  hommes  en  âge  d'agir  par 
eux-mêmes  ;  mais  ne  vous  mêlez  pas  d'éduquer  des  enfants, 
qui  ne  sont  et  ne  doivent  être  que  de  petits  singes  imitateurs, 


42  THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  )) 

plus  OU  moins  bien  doués,  pour  copier  et  reproduire  ce  qui 
leur  est  enseigné  par  moi.  » 

Le  père  comprit  que  l'instituteur  avait  raison  et  recom- 
manda à  son  fils  de  ne  plus  écouter  les  conseilleurs  étrangers 
aux  Beaujolais^  fussent-ils  les  plus  grands  comédiens  du  monde. 

A  ce  sujet,  je  trouve  encore  dans  les  notes  de  M.  Raymond, 
ces  lignes,  qui  viennent  à  ce  propos  :  «  Il  est  malhonnête  de 
donner  des  avis  à  ces  enfants  en  présence  ou  hors  la  présence 
de  leur  instituteur  ;  parce  qu'en  agissant  ainsi,  en  leur  ôte 
la  confiance  qu'ils  doivent  naturellement  avoir  dans  la  capa- 
cité de  celui  qui  les  enseigne.  » 

M.  Dorceval  avait  trouvé  un  très  bon  moyen,  du  reste, 
d'exciter  l'amour-propre  de  ses  petits  élèves.  Il  faisait  appren- 
dre le  même  rôle  par  deux  enfants  à  la  fois,  et  leur  disait  : 

—  Celui  qui  portera  le  plus  d'attention  à  mon  enseignement 
et  qui  saura  ce  rôle  le  premier,  sera  celui  qui  le  jouera. 

Vous  pensez  quelle  émulation  naissait  de  cette  petite 
course  au  clocher.  Souvent,  un  père,  déçu  dans  le  triomphe 
qu'il  espérait  voir  obtenir  par  son  rejeton,  venait  se  plaindre 
à  M.  Delomel  ou  à  M.  Gardeur. 

Ceux-ci   répondaient  invariablement   : 

—  Ce  n'est  pas  de  notr  compétence.  Adressez-vous  à 
M.  Dorceval.  Il  s'y  connaît  mieux  que  nous  et  que  vous. 

Le  père,  revenu  à  l'instituteur,  ne  manquait  jamais  de  lui 
dire  : 

—  Moi,  Monsieur,  je  trouve  que  mon  fils  a  plus  de  talent 
que  son  petit  camarade  et  que  vous  avez  eu  tort  de  ne  pas 
lui  laisser  le  rôle. 

Et  le  bon  Dorceval  répondait  :  «  Ne  prononcez  pas  le  mot 
({  talent  »  à  propos  de  mes  petites  machines.  Ils  n'ont  que  des 
quahtés.  Et  encore,  ne  faut-il  pas  le  leur  dire.  On  gâte  les 
enfants  par  des  éloges  excessifs.  Quand  vous  dites  à  votre  fils 
qu'il  a  joué  divinement,  vous  avez  le  plus  grand  tort.  Il  résulte 
de  ces  éloges  outrés  que  l'enfant,  qui  croit  plutôt  à  la  louange 
qu'à  la  critique,  ajoute  plus  de  foi  aux  discours  de  celui  qui 
le  trouve  charmant^  qu'à  ceux  de  celui  qui  a  droit  de  le 
reprendre.  » 


THEATRE  DES  «  BEAUJOLAIS  »  43 

Ainsi  raisonnait  très  justement  et  parlait  «  l'InstituteiM* 
des  Beaujolais.  » 

MM.  Delomel  et  Gardeur  avaient  bien  choisi  en  s'attachant 
M.  Dorceval,  lequel  avait  été  un  fort  bon  comédien,  et  pos- 
sédait une  grande  pratique  du  Théâtre,  qu'il  savait  appH- 
quer  avec  un  grand  bon  sens. 

Il  avait  dit  à  ses  directeurs,  alors  que  ceux-ci  lui  propo- 
saient d'entrer  avec  eux  : 

—  «  Messieurs,  j'accepte  cet  emploi  d'Instituteur,  parce 
que  j'en  crois  connaître  les  rouages.  U Instituteur  doit  être 
doux,  honnête,  prudent,  sévère  sans  aigreur,  rudesse  ou  gros- 
sièreté ;  complaisant  quelquefois,  mais  sans  excès.  Il  doit  se 
rappeler  sans  cesse  qu'il  parle  à  des  enfants,  et  ne  pas  se  lasser 
de  répéter  dix  fois  ce  qu'ils  ont  de  la  peine  à  concevoir,  sans 
y  mêler  aucun  emportement.  L'instituteur  doit  se  faire  aimer 
par  sa  douceur,  son  affabiHté,  autant  qu'il  doit  se  faire  crain- 
dre par  sa  fermeté  et  une  sévérité  placée  à  propos.  )> 

Ce  code  de  l'Instituteur,  résumé  en  quelques  mots,  par  M. 
Dorceval,  doit  également  se  rapporter  à  celui  du  Régisseur- 
Metteur  en  scène,  lequel  n'est  du  reste  qu'un  instituteur  par- 
lant à  des  hommes  —  grands  enfants  —  le  plus  souvent 
remplis  de  vanité  et  d'amour-propre.  La  sagesse  du  Régis- 
seur est  de  connaître  les  défauts  de  caractère  des  artistes 
qu'il  a  à  diriger  ;  et  l'adresse,  le  tact  aidant,  à  en  jouer  comme 
M.  Dorceval  jouait  de  ses  gamins. 

Je  lis  encore  dans  le  précieux  livre  de  M.  Raymond,  ces 
indications,  ayant  particuHèrement  rapport  au  Théâtre  des 
Beaujolais  : 

«  Il  est  très  essentiel  que  le  comédien  de  coulisse  sache  «par 
cœur  »  tant  son  dialogue  que  son  chant,  s'il  veut  servir  son 
mime  dans  son  jeu.  Les  personnages,  dans  une  pièce  quelcon- 
que, ne  restent  pas  toujours  à  la  même  place.  Ils  vont  tantôt 
de  haut  en  bas  et  de  bas  en  haut  du  théâtre  ;  tantôt  de  droite 
à  gauche  et  de  gauche  à  droite.  L'acteur  invisible  doit  exécu- 
ter, faire  tous  ces  mouvements  divers  dans  la  couhsse,  et  lors- 
que le  mime  agit  vivement  sur  la  scène,  s'il  veut  être  à  l'unis- 
son avec  lui,  il  doit  dire  vivement  son  dialogue.  Or,  pour  le 


44  THÉÂTRE  DES   «  BEAUJOLAIS  » 

dire  ainsi,  il  faut  qu'il  parle  de  mémoire  ;  car  il  lui  serait 
impossible,  ou  du  moins  très  difficile  de  lire  en  courant  sur 
la  même  ligne,  ou  en  passant  derrière  la  toile  du  fond,  pour 
aller  du  côté  opposé,  où  la  position  théâtrale  veut  que  son 
mime  se  trouve.  » 

Peut-on  s'imaginer  qu'un  semblable  théâtre  ait  existé  ; 
qu'il  y  ait  eu  des  auteurs  se  disputant  la  priorité  pour  faire 
jouer  leurs  pièces;  du  public  et  des  journalistes  pour  venir 
entendre  et  juger  ces  pièces  et  ces  acteurs  ? 

Cela  est  pourtant. 

Nous  en  avons  la  preuve  par  le  procès  qu'intenta  l'un  de 
ces  auteurs,  M.  le  ChevaUer  de  Bérainville,  à  MM.  Delomel  et 
Gardeur,  Directeurs  du  Théâtre  des  Beaujolais^  pour  qu'ils 
jouassent  sa  pièce  intitulée  :  Raison  et  Folie  ;  procès  que  les 
estimables  Directeurs  gagnèrent,  étant  considérés  comme 
«  marchands  ayant  accepté  une  marchandise  frelatée,  qu'ils 
se  refusaient  d'offrir  aux  chalands,  dits  spectateurs.  » 

L'un  des  juges  avait  lu  la  pièce  de  M.  le  Chevalier  de  Bérain- 
ville, et  l'avait  trouvée  «  somnolente  et  insupportable.  » 

Entre  la  scène  sur  laquelle  les  enfants  jouaient,  et  la  cou- 
hsse  où  les  acteurs  parlaient  et  chantaient,  il  y  avait,  cloué 
sur  les  châssis  des  décors,  un  voile  découpé,  destiné  à  masquer 
les  acteurs  ou  chanteurs  de  coulisses,  qui  eussent  pu  être 
aperçus  des  spectateurs  ;  dans  le  fait,  ce  voile  les  masquait 
fort  peu,  ou  même  ne  les  masquait  pas  du  tout,  car  M.  L. 
Raymond  dit  encore  à  ce  sujet  : 

«  L'acteur  qui  parle  ou  qui  chante  ne  doit  jamais  se  tenir 
entre  deux  coulisses,  de  manière  que  le  public  le  voye  en  tout 
ou  en  partie  ;  car,  en  usant  ainsi,  il  détruit  l'illusion.  Au  heu 
de  la  toile  carrelée^  qui  sert  à  cacher  les  acteurs  parlans  et  les 
laisse  voir  en  entier^  il  devrait  y  avoir  une  gaze  très  claire  et 
très  fine,  qui,  sans  intercepter  la  voix,  jetterait  plus  d'illusion 
sur  la  représentation  des  pièces.  » 

«  La  toile  qui  cache  les  acteurs,  aux  Beaujolais^  est  trop 
étroite  ;  elle  devrait  s'étendre  davantage  sur  la  première  cou- 
lisse ;  par  ce  moyen,  les  acteurs  chantans  ne  seraient  point 
vus.  » 


THEATRE  DES    «  BEAUJOLAIS  D  45 

La  voix  de  l'acteur  de  coulisse  devait  naturellement  suivre 
le  mime,  dans  tous  ses  changements  de  positions  scéniques. 
Si  le  mime,  dans  la  mise  en  scène  réglée,  avait  à  passer  de 
gauche  à  droite,  il  fallait  que  l'acteur  de  coulisse  se  dépêchât 
de  passer  derrière  le  théâtre  et  de  gagner  la  droite,  pour 
que  sa  voix  fût  en  exacte  communion  avec  le  jeu  de  son 
mime. 

Aussi,  pour  éviter  le  bruit  qu'occasionnaient  ces  courses 
folles,  les  acteurs  de  couHsse  devaient-ils  se  débarrasser  de 
leurs  lourds  souliers  de  ville,  pour  chausser  pantoufles  ou  espa- 
drilles. 

Des  chemins  de  tapis  épais  étaient  du  reste  cloués  dans  les 
couhsses,  pour  assourdir  leurs  pas  ;  ce  dont  les  chanteurs  se 
plaignaient,  prétendant  que  ces  tapis  amortissaient  le  timbre 
de  leur  voix. 

Pour  éviter  le  «  temps  froid  »,  nécessité  par  une  de  ces  pas- 
sades de  gauche  à  droite  —  ou  de  droite  à  gauche,  —  M.  Ray- 
mond, dans  son  livre,  conseille  aux  compositeurs  de  musique 
«  l'emploi  de  petites  ritournelles  ;  ou  bien,  dans  les  duo, 
trio,  etc.,  de  faire  dialoguer  les  autres  personnages,  tandis 
que  celui  qui  se  déplace  va  où  il  doit  être.  » 

Il  y  avait  une  chanteuse  aveugle,  parmi  les  chanteuses  de 
coulisses  des  Beaujolais^  Mademoiselle  Chevrier.  Sa  voix 
était  d'une  pureté  virginale  ;  et  de  la  salle  on  la  distinguait 
dans  les  «  ensembles  »  au  milieu  de  toutes  ses  compagnes. 
Quand,  accompagnée  de  sa  grand'mère,  elle  s'était  présentée 
pour  subir  l'épreuve  de  l'audition,  les  deux  Directeurs  l'avaient 
tout  d'abord  éhminée  sans  vouloir  l'entendre,  étant  donnée 
sa  triste  infirmité. 

La  persistance  de  Madame  Chevrier,  grand'mère,  ancienne 
chanteuse  de  province,  fit  cependant  que  M.  Delomel,  bon 
homme,  fut  pris  de  pitié  pour  cette  pauvre  fille  aveugle  et 
cette  vieille  femme  qui  l'imploraient  ;  les  larmes  qu'elles 
avaient  versées  en  se  voyant  impitoyablement  exclues  de 
l'épreuve,  attendrirent  finalement  le  cœur  endurci  de 
M.  Gardeur,  et  la  pauvre  petite  Chevrier  fut  admise  à  con- 
courir. 


46  THÉÂTRE  DES  «  HKAUJOLAIS  )) 

Elle  chanta  un  air  de  Piramc  et  Tisbé,  opéra  du  sieur  Fran- 
çois Rebel,  pour  la  musique,  et  Francœur,  pour  les  paroles. 

La  voix  de  l'aveugle  s'éleva  tellement  pure,  tellement 
suave,  tellement  timbrée,  tellement  caressante,  tellement 
charmeuse,  que  les  applaudissements  des  auditeurs  éclatè- 
rent à  la  fin  de  l'audition,  et  que  Mademoiselle  Ghevrier  fut 
immédiatement  engagée,  comme  soprano  de  coulisse,  aux 
appointements  de  vingt-quatre  hvres  par  semaine  ;  mais  à  la 
condition  que  la  grand'mère  ne  quitterait  pas  sa  petite-fille 
un  seul  instant  et  qu'elle  la  guiderait  dans  les  coulisses, 
pour  les  changements  de  places  qu'exigeraient  les  jeux  de 
scènes,  nécessairement  ordonnés  par  le  régisseur,  M.  Dorceval. 

Ce  dernier,  excellent  homme,  avait  de  suite  pris  en  grande 
affection  la  pauvre  enfant  —  elle  avait  vingt  ans  —  et,  dans 
son  travail  de  mise  en  scène,  évitait  le  plus  qu'il  le  pouvait, 
les  déplacements  de  l'actrice,  dont  le  jeu  devait  correspondre 
avec  la  voix  de  l'aveugle  ;  ce  qui  fait  que  celle-ci  pouvait 
presque  rester  assise  tout  le  temps,  pendant  les  pièces  dans 
lesquelles  elle  chantait,  sans  avoir  recours  à  l'appui  de  sa 
grand'mère. 

Ce  spectacle  d'une  pauvre  vieille  femme  guidant  par  la 
main  son  infortunée  petite  aveugle  était  tellement  attendris- 
sant, que  les  autres  chanteurs  s'empressaient  de  leur  céder  le 
pas  et  même  de  leur  frayer  le  chemin. 

Quand  arriva  le  jour  de  l'an,  tous  les  artistes,  mimes, 
acteurs  et  chanteurs  se  cotisèrent,  pour  offrir  une  montre 
à  «  leur  petite  Ghevrier  ». 

Les  Directeurs  apprenant  le  fait,  portèrent  à  trente  francs 
par  semaine  les  appointements  de  leur  intéressante  pension- 
naire. 


THEATRE  DES    «  BEAUJOLAIS  »  47 


CHAPITRE  IV 


1787  ET  1788 


UTILITE   DE    CE    PETIT   THEATRE 


Les  éloges  de  leurs  Directeurs  et  de  leurs  Instituteurs 
flattaient  beaucoup  plus  l' amour-propre  des  petits  comédiens 
de  Beaujolais  que  les  applaudissements  de  la  salle. 

Aussitôt  qu'ils  avaient  joué  un  rôle,  dans  lequel  ils  avaient 
obtenu  du  succès,  ils  restaient  inquiets,  jusqu'à  ce  qu'accou- 
rus près  de  M.  Dorceval,  celui-ci  leur  eût  dit  :  «  C'est  bien  !..» 
Alors  leur  joie  était  débordante,  et  ils  s'en  allaient  vers  leurs 
parents  en  criant  :  «  J'ai  bien  joué  !...  Monsieur  Dorceval  est 
content  !..  » 

Pour  les  récompenser,  on  leur  permettait  alors  de  parler 
eux-mêmes  quelques  lignes.  Le  parleur  de  la  coulisse  arrêtait 
alors  son  débit  et  l'enfant  continuait  seul. 

Que  d'envie  de  la  part  de  ceux  qui  n'avaient  pas  mérité 
semblable  récompense  î 

Autre  curiosité,  que  seulement  en  ce  petit  théâtre  on  pou- 
vait rencontrer. 

On  peut  être  un  parfait  chanteur  et  un  méchant  débiteur  de 
prose. 

Or,  quand  le  jeu  du  «  parleur  »  ne  correspondait  pas  exacte- 
ment avec  son  chant,  le  chant  restait  attribué  à  l'un  et  le 
dialogue  du  même  rôle  était  distribué  à  un  autre.  Ce  qui  fait 
que  ce  seul  rôle  se  trouvait  être  joué  par  trois  personnes  diffé- 
rentes :  le  chanteur,  le  comédien  et  le  mime. 


48  THÉÂTRE   DES  ((  BEAUJOLAIS  )) 

Et,  cependant,  ce  petit  théâtre,  malgré  ces  difformités  — c'en 
étaient  de  véritables  —  rendait  des  services  signalés  à  l'art. 

M.  Louis  Raymond  écrit  dans  ses  notes  :  «  Le  spectacle  des 
Beaujolais  est  utile  à  nombre  de  musiciens,  dont  les  talents 
seraient  restés  longtemps  et  peut-être  toujours  ignorés,  si  ce 
théâtre  n'eût  point  existé.  Il  n'est  pas  facile  de  faire  du  premier 
coup  un  opéra  ;  il  n'est  guère  plus  facile  de  faire  recevoir  un 
ouvrage  à  la  Comédie  Italienne,  lorsqu'on  est  inconnu  ou 
sans  protecteurs.  D'ailleurs,  tel  peut  faire  une  musique,  bien 
accueillie  aux  Beaujolais^  qui  ne  le  serait  pas  aussi  heureuse- 
ment à  l'Opéra  ou  à  la  Comédie-Italienne.  » 

On  se  plaignait  généralement  qu'aux  Beaujolais  les  musi- 
ciens jouassent  trop  fort.  C'était  à  cette  époque  un  repro- 
che qui  pouvait  s'adresser  à  tous  les  orchestres. 

M.  Raymond  nous  le  prouve  par  cette  note  :  «  Il  n'est  ni 
spectacle,  ni  concert,  tant  à  Paris  qu'en  Province,  où  je  n'aie 
entendu  faire  ce  reproche.  » 

J'arrive  maintenant  aux  appointements  que  pouvaient 
gagner  ces  jeunes  enfants  ;  car,  devant  que  d'entrer  en  leur 
théâtre,  MM.  Delomel  et  Gagneur  faisaient  signer  aux  parents 
des  engagements  par  lesquels  ceux-ci  se  déclaraient  respon- 
sables de  leurs  enfants  «  et  des  dégâts  qu'ils  pourraient  occa- 
sionner. » 

M.  L.  Raymond  nous  fait  connaître  le  chiffre  des  appointe- 
ments de  ces  petits  mimes. 

«  Il  y  a  des  enfants,  —  écrit-il,  —  depuis  l'âge  de  cinq  ans 
jusques  à  huit  ou  neuf,  qui  gagnent  quatre  et  cinq  cents  livres 
(par  an)  ;  d'autres,  depuis  huit  ans  jusqu'à  douze,  gagnent 
six,  sept  et  huit  cents  francs  ;  enfin,  depuis  douze  ans  jusqu'à 
quinze,  les  appointements  vont  depuis  mille  francs  jusqu'à 
cent  louis.   » 

On  pense  que,  rétribués  de  telle  façon,  les  parents  devaient 
fort  rechercher  les  places  où  leurs  enfants  pouvaient  gagner 
davantage.  Combien  d'hommes,  à  cette  époque,  où  la  journée 
de  l'ouvrier  était  cotée  de  trente  à  trente-cinq  sous,  eussent 
été  heureux  de  redevenir  enfants,  pour  entrer  comme  mimes 
au  Théâtre  des  Beaujolais. 


THEATRE  DES   «  BEAUJOLAIS  ))  49 

Dans  ce  livre  si  fourni  en  renseignements  inconnus  ou  si 
peu  connus,  je  recueille  encore  celui-ci,  des  plus  suggestifs  : 

«  Lorsqu'on  donne  une  pièce  nouvelle  aux  Variétés  (scène 
devenue  par  la  suite  le  Théâtre  Français)  les  entrées  des 
auteurs  qui  travaillent  pour  ce  théâtre  sont  suspendues  à  la 
première  représentation  ;  et  cela  dans  la  crainte  d^une  cabale 
de  leur  part  ;  de  sorte  que  s'ils  veulent  voir  la  pièce,  il  faut 
qu'ils  payent.  C'est  un  parti  sage.  Tous  les  théâtres  devraient 
imiter  cet  exemple,  et  celui  des  Beaujolais  aussi  bien  que  les 
autres.  Quand  on  veut  avoir  le  droit  de  critiquer,  il  faut 
l'acheter.  » 

Et  l'on  parle  de  la  jalousie  qui  existe  entre  les 
acteurs  1...  On  cite  fort  peu  d'exemples,  dans  tous  les  cas,  de 
comédiens  allant  siffler  leurs  collègues.  Cette  jalousie  entre 
auteurs  était  non  seulement  le  résultat  de  froissements 
d'amour-propre,  mais  aussi  d'intérêts  lésés.  Les  auteurs  d'au- 
jourd'hui y  mettent  plus  de  discrétion,  de  formes.  Ils  pensent 
—  ou  du  moins  certains  —  pensent  absolument  comme  ceux 
d'autrefois.  Sans  être  «  méchants  »,  mais  simplement  parce 
que  le  fait  est  du  domaine  de  l'humanité  en  général,  la  chute 
d'une  pièce  d'un  de  leurs  confrères  leur  est  beaucoup  plus 
agréable  que  l'annonce  d'une  réussite.  Quelques-uns  savent 
se  maîtriser  assez  pour  ne  le  point  montrer  ;  d'autres,  moins 
maîtres  d'eux,  ne  savent  dissimuler  ni  leur  joie,  ni  leur  profond 
ennui,  suivant  qu'il  y  a  eu  chute  ou  succès.  C'est  affaire  de 
nervosité.  Et  les  plus  grands  esprits  en  subissent  les  effets. 

Théodore  Barrière,  que  l'auteur  de  ce  livre  a  beaucoup 
connu  et  qui  fut  incontestablement  un  puissant  auteur  dra- 
matique, et  l'un  des  hommes  les  plus  spirituels  de  son  époque, 
ne  se  tenait  pas  de  joie  quand  une  pièce  de  son  rival  en  succès, 
Victorien  Sardou,  chancelait  ;  par  contre,  sa  colère  devenait 
grande  aux  premières  représentations  de  Nos  Intimes,  des 
Vieux  Garçons,  de  la  Famille  Benoîton,  des  Bons  Villageois, 
et  de  tant  d'autres. 

Que  de  Théodores  Barrières  qui,  plus  maîtres  d'eux  que  ce 
Maître  oublié,  malgré  ses  immortels  Faux  Bonshommes,  se 
contentent  de  ronger  en  dedans,  le  frein  que  celui-là  ne  savait 


50  THÉÂTRE    DES  ((  BEAUJOLAIS  » 

ronger  en  silence,  «  et  se  taisent  sans  murmurer  »,  comme  le 
vieux  soldat  Stanislas^  de  Scribe. 

Je  vais  maintenant  donner  la  liste  complète  et  exacte  des 
pièces  qui  se  jouèrent  sur  le  Théâtre  des  Beaujolais,  en  l'an- 
née 1788,  avec  la  date  de  leur  première  représentation  : 

Janvier  1788.  —  Le  1^^  Janvier,  l'on  donna  la  2^  représenta- 
tion de  Les  Etrennes  délicates  ou  La  Vengeance  généreuse  d'un 
Prince,  fait  historique  en  un  acte,  en  prose. 

La  première  représentation  avait  eu  heu  la  veille,  31  Décem- 
bre 1787. 

La  pièce  obtint  du  succès. 

Le  9  Janvier  vit  la  première  représentation  de  VHeureux 
Naufrage,  opéra-bouffon  en  un  acte. 

Cette  pièce  n'obtint  aucun  succès,  aussi  ne  fut-elle  repré- 
sentée que  deux  fois. 

Le  21  Janvier  fut  donnée  la  première  représentation  de  Les 
vrais  Amis,  ou  UEtourderie,  comédie  en  un  acte,  en  prose. 

Même  insuccès  pour  Les  vrais  Amis,  que  pour  VHeureux 
Naufrage. 

De  même  que  la  pièce  précédente,  elle  ne  fut  jouée  que  deux 
fois. 

Février.  —  Le  18  Février,  première  représentation  de  Jean- 
nette et  Lucas,  ou  Le  Secrétaire  de  sa  prétendue,  opéra-bouiîon 
en  deux  actes. 

Cette  fois,  M.  Delomel  et  M.  Gardeur  eurent  lieu  d'être  sa- 
tisfaits. Le  public  fit  fort  bon  accueil  à  leur  nouvelle  produc- 
tion. Ce  qui  n'empêcha  pas  la  vaillante  petite  troupe  de  donner 
encore  : 

Mars.  —  Le  1^^  Mars,  la  première  représentation  de  Le 
Tuteur  avare,  opéra-bouffon  en  trois  actes,  et  le  8  mars,  une 
autre  première  représentation  de  Le  Divorce  inutile,  comédie 
en  un  acte. 

Le  lendemain,  9  Mars,  le  Théâtre  des  Beaujolais  affichait  sa 
Clôture  annuelle,  annonçant  sa  réouverture  pour  le  1^^ 
avril. 

Le  compliment  de  clôture  fut  dit  par  le  plus  petit  des  en- 
fants de  la  troupe,  le  jeune  Lorillard. 


THEATRE  DES   d  BEAUJOLAIS  »)  51 

Ce  compliment  avait  été  composé  par  M.  Dorceval. 
L'enfant  s'était  avancé  vers  le  public,  avait  gravement  salué 
trois  fois,  ainsi  qu'on  le  lui  avait  indiqué  et  avait  récité  : 

Bonsoir  Messieurs,  Bonsoir  Mesdames, 
Permettez-moi  de  vous  offrir 
Les  remercîments  pleins  de  flammes 
De  nos  cœurs  gonflés  de  plaisir. 
D'abord  du  plaisir  de  vous  plaire, 
Du  plaisir  de  vous  avoir  plu, 
Du  plaisir  de  vous  satisfaire 
Pendant  tout  un  an  révolu. 
Nous  avons  épuisé  les  gammes 
Des  remercîments  passagers, 
Bonsoir  Messieurs,  Bonsoir  Mesdames 
Recevez  nos  meilleurs  baisers. 

Et  tous  les  enfants,  «  formant  le  chartron  »  autour  du  petit 
Lorillard,  sur  une  cadence  rythmée,  envoyèrent  à  pleines 
mains,  de  gros  baisers  aux  spectateurs. 

L'effet  fut  immense. 

Le  petit  Lorillard  fut  contraint,  par  les  applaudissements, 
de  recommencer  trois  fois  son  compliment. 

Ainsi  se  termina  l'année  théâtrale  1787-1788. 

Cette  réouverture  se  fit  par  Le  Divorce  inutile^  comédie  en 
un  acte  ;  Le  Manteau^  opéra-boufîon  en  un  acte  ;  L'Emména- 
gement de  Thalie,  prologue  d'ouverture  et  la  Belle  Esclai^e. 

Avril.  —  Le  10  Avril  vit  la  première  représentation  de  V An- 
tiquaire^ ou  Le  Bijoutier  moraliste  au  Palais-Royal^  pièce  en  un 
acte. 

Dans  cette  pièce  débuta  un  certain  Sadous,  chanteur  de  cou- 
lisse sans  talent,  dont  la  femme  donnait  son  adresse  de  cette 
façon  : 

«  La  dame  Sadous,  place  de  l'Ecole  n»  3,  continue  de  débi- 
ter un  Rouge  végétal,  approuvé  parles  gens  de  l'art,  comme  ne 
pouvant  nuire  ni  à  la  peau,  ni  à  la  santé.  Elle  en  a  étabh  un 
dépôt,  chez  la  Dame  Aspour,  rue  des  Saints-Pères,  vis-à-vis 
la  Charité,  n»  3  :  Prix,  3,  6  et  12  Hvres  le  pot.  Le  mari  de 
Madame  Sadous,  attaché  au  Théâtre  des  Beaujolais,  peut  don- 
ner la  preuve  de  l'innocuité  de  ce  produit  de  haute  valeur.  » 


62  THÉÂTRE   DES   «  BEAUJOLAIS  » 

Pour  prouver  que  le  rouge  végétal  que  vendait  Madame 
Sadous  était  inofîensif,  M.  Sadous  n'hésitait  pas,  devant  les 
douteux  et  les  incrédules,  à  en  graisser  une  croquignole  et  à 
la  manger  enduite  du  fameux  coloris,  après  l'avoir  saupoudré 
de  quelques  pincées  de  sucre. 

Le  15  Avril  eut  lieu  la  première  représentation  de  Le  Rosier ^ 
opéra-bouffon  en  deux  actes,  avec  un  divertissement. 

Note  critique  :  «  Le  Rosier  ne  verra  pas  fleurir  ses  roses.  » 

Le  26  Avril,  première  représentation  de  La  Croisée^  opéra- 
bouffon  en  deux  actes. 

Cette  pièce  obtint  peu  de  succès.  On  la  risqua  encore  dans 
le  spectacle  du  5  Mai  ;  puis  on  la  retira  de  l'affiche  pour 
toujours  ;  on  lui  reprochait  d'énormes  longueurs. 

Note  critique  visant  à  l'esprit  :  La  Croisée  ne  s'ouvrira 
pas  longtemps  : 

Mai.  —  Le  8  Mai,  première  représentation  de  :  Le  Faux 
Procureur^  pièce  en  un  acte. 

Le  lendemain  9  Mai,  autre  première  représentation  de 
Gabrielle  et  Paulin^  opéra-bouffon  en  un  acte. 

Les  pièces  passaient  sur  le  petit  théâtre  comme  lettres  à  la 
poste.  Aussi  le  travail  était-il  énorme,  de  la  part  de  tous. 

Le  19  Mai,  première  représentation  de  Clitandre  et  Céphise, 
opéra-bouffon  en  un  acte. 

Le  28  Mai,  première  représentation  de  Le  Triomphe  de 
r Amour,  ballet-pantomime  et  dialogué  en  deux  actes,  avec 
tout  son  spectacle. 

Dans  une  partie  parlée  de  ce  ballet,  l'un  des  personnages 
s'exprimait  ainsi  :  «  Ces  nymphes  sont  ce  que  l'on  peut  appe- 
ler des  amatrices  de  l'amour.  » 

Monsieur  Feydel,  un  puriste  érudit,  écrivit  à  ce  sujet  :  «  Le 
mot  amatrice  est  ici  des  plus  impropres.  Il  ne  faut  pas  le 
laisser  déparer  notre  belle  langue  française.  J'ai  entendu,  il  y 
a  trois  ans,  un  prédicateur  capucin  apostropher  ainsi  les 
Dames  de  l'Ile  Saint-Louis  :  Vous  êtes  des  amatrices  de  vous- 
mêmes  !...  » 

«  Le  Capucin  se  trompait.  Le  mot  amatrice  ne  se  francisera 


THÉÂTRE  DES   «  BEAUJOLAIS  »  53 

pas  plus  que  philosophesse  ;  ou  s'il  y  passe  jamais  ce  sera 
comme  expression  ironique.  » 

Juin.  —  Le  6  Juin,  on  tente  une  reprise  de  La  Croisée  ;  la 
pièce  avait  été  modifiée,  raccourcie  et  corrigée.  Le  public  lui 
fit  meilleur  accueil.  Elle  devint  même  un  succès  par  la  suite. 
Savoir  ne  pas  faire  long  est  une  des  sciences  du  théâtre. 

C'est  ainsi  que,  beaucoup  plus  tard,  Scribe  sut  d'un  mélo- 
drame en  cinq  actes,  faire  une  charmante  pièce  en  un  seul 
acte  :  La  Chanoinesse. 

Le  28  Juin,  première  représentation  de  Colas  et  Colette, 
opéra-bouffon  en  un  acte. 

Le  23  Juin,  première  représentation  de  La  Double  Méprise, 
comédie  en  deux  actes. 

Je  trouve  une  note  annonçant  que  même  à  cette  époque 
d'été,  le  spectacle  des  Beaujolais  commençait  à  5  heures  et 
demie,  «  pour  permettre  aux  spectateurs  d'aller  prendre  le  frais 
du  soir,  vers  dix  heures,  sous  les  frais  ombrages  du  jardin  du 
Palais-Royal,  » 

Le  5  Juillet  1788,  première  représentation  de  La  Jeune 
Veuve  curieuse,  comédie  en  un  acte,  mêlée  d'ariettes. 

Le  7  Juillet,  première  représentation  de  Tarare  régnant, 
mélodrame  en  trois  actes,  en  vers,  avec  ses  agréments. 

Voir  jouer  le  mélodrame,  par  des  enfants,  devint  une 
grande  curiosité  ;  aussi  la  pièce  fit-elle  de  très  appréciables 
recettes. 

Le  22  Juillet,  première  représentation  de  V Amour  arrange 
tout,  comédie  en  un  acte  (reprise),  par  Loisel  Tréogate. 

Le  couplet  au  public  terminait  ainsi  : 

«  Même  si  notre  pièce  est  mauvaise, 
«  Aimez-nous,  l'amour  arrange  tout. 

Le  26  Juillet,  première  représentation  de  La  Ressemblance 
supposée,  opéra-bouffon  en  un  acte. 

Le  9  Août,  première  représentation  à' Aline  et  Dupré,  ou 
Le  Marchand  de  Marrons,  comédie-parade  en  deux  actes. 

Le  13  Juillet,  un  orage  épouvantable  avait  éclaté,  ravageant 


54  THEATRE  DES   d  BEAUJOLAIS  ID 

les  récoltes  entre  Chartres  et  Paris.  Le  lundi  11  août,  les 
Beaujolais  donnèrent  une  représentation  au  profit  des  culti- 
vateurs malheureux.  On  joua  la  20^  représentation  de  La 
Croisée^  comédie  en  deux  actes,  mêlée  d'ariettes,  et  la  19^ 
représentation  du  Tuteur  ai^are,  opéra-bouffon  en  deux  actes. 

Le  21  Août,  première  représentation  du  Mariage  enfantin, 
ou  le  Mari  de  quinze  ans,  comédie  en  un  acte. 

Le  4  Septembre,  première  représentation  de  V Amour  inva- 
lide, comédie  en  un  acte. 

C'était  une  jeune  actrice  nommée  Léontine  Malard,  qui 
jouait  le  rôle  de  l'amour.  Elle  était  bien  âgée  de  quatorze  ans 
et  la  demie. 

A  la  première  représentation,  sautant  sur  la  scène,  d'un 
bosquet  de  fleurs  qui  s'ouvrait  devant  elle,  pour  se  lancer 
entre  ses  deux  amoureux  qui  se  boudaient,  elle  tomba  si  lour- 
dement et  si  maladroitement,  qu'elle  ne  put  se  relever  et  que 
l'on  fut  forcé  de  la  transporter  dans  la  coulisse. 

Le  rideau  fut  baissé,  et  le  maître  de  ballet,  M.  Barré,  de 
l'Académie  Royale  de  Musique,  vint  annoncer  au  public  que 
Mademoiselle  Léontine  Malard  se  trouvait  dans  l'impossibilité 
de  reprendre  son  rôle,  mais  que  Mademoiselle  Lévesque  allait 
la  remplacer. 

On  demanda,  de  la  salle,  si  l'indisposition  présentait  une 
certaine   gravité. 

M.  Barré  répondit  :  «  Elle  est  entre  les  mains  d'un  chirur- 
gien, qui,  seul,  peut  apprécier  le  cas.  » 

Or,  Mademoiselle  Léontine  Malard  venait  tout  simplement 
de  faire  une  fausse  couche. 

Le  mardi  9  Septembre  1788,  les  Beaujolais  donnaient  la 
vingt-quatrième  représentation  du  Tuteur  avare,  opéra-bouf- 
fon en  trois  actes,  précédé  de  V Amour  arrange  tout,  comédie 
en  un  acte,  au  bénéfice  de  Mlle  Léontine  Malard,  jeune 
actrice  «  victime  d'un  accident.  » 

Interrompons  un  instant  le  répertoire  et  remplaçons-le  par 
un  fait,  qui  trouve  ici  sa  place. 

Dans  les  Archives  des  Communes,  n^  4688,  à  cette  même 
date,  je  trouve  cet  exploit  détaillé. 


THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  »  55 

«  A  sept  heures  du  soir,  nous  François,  Jean,  Sirebeau,  etc.,  ayant 
été  requis  par  M.  Gabriel,  aide-major  de  la  Garde  de  Paris,  de  service 
au  spectacle  de  S.  A.  S.  Monseigneur  le  Comte  de  Beaujolais,  nous  nous 
sommes  transporté  dans  le  dit  spectacle,  et,  étant  dans  le  bureau  de  la 
Direction,  nous  y  avons  trouvé  un  sieur  Robert  Wolf,  huissier  audiencier 
ordinaire  du  Roi,  lequel  nous  a  dit  qu'en  vertu  des  sentences  rendues  au 
Chatelet  de  Paris,  les  13  Février  1787  et  5  mars  dernier,  et  d'une  ordon- 
nance rendue  en  référé,  par  M.  le  Lieutenant  civil,  au  dit  Chatelet,  le 
25  du  dit  mois  de  Juin,  aussi  dernier,  le  tout  à  la  requête  des  sieurs 
Bernard  frères,  marchands  merciers,  demeurant  à  Paris,  à  l'abbaye  de 
Saint-Germain-des-Prés,  lesquels  font  élection  de  domicile  en  la  demeure 
du  dit  Wolf,  contre  les  sieurs  Delomel  et  Gardeur,  Directeurs  du  dit  spec- 
tacle, où  nous  sommes  ;  » 

«  Qu'il  a,  par  procès-verbal  du  5  de  ce  mois,  procédé  à  la  saisie-exécu- 
tion des  effets  détaillés  au  dit  procès-verbal,  et  établi  à  la  dite  saisie,  en 
garnison  réelle,  dans  les  lieux  où  nous  sommes,  les  personnes  des  sieurs 
Lelièvre  et  Boucheron,  avec  commission  de  recevoir  et  toucher  la  recette 
journalière  du  dit  spectacle  ainsi  qu'il  est  ordonné  par  l'ordonnance 
susdatée  ;  » 

«  Que  ce  jourd'hui,  sur  les  cinq  heures  de  relevée,  à  la  requête  des  dits 
sieurs  Bernard,  il  s'est  transporté  au  dit  Spectacle,  dont  il  s'est  procuré 
l'entrée  au  moyen  d'un  billet  qu'il  a  pris  au  bureau,  pour  surveiller  ses 
gardiens,  savoir  s'ils  exerçaient  leur  commission  dans  la  recette,  ou  s'ils 
n'y  étaient  pas  troublés  ;  » 

«  Qu'il  a  aperçu  le  dit  sieur  Lelièvre,  seul,  sur  le  pas  de  la  porte  du 
bureau,  lequel  lui  a  dit  que  la  sentinelle  n'avait  pas  voulu  lui  permettre 
d'entrer  dans  le  bureau  de  la  recette,  à  l'effet  d'exercer  sa  commission.  » 

«  A  quoi  le  dit  sieur  Wolf  a  déclaré  aux  dits  sieurs  Delomel  et  Gardeur, 
parlant  pour  eux  à  un  garçon,  qu'il  allait  à  l'instant  réintégrer  le  dit 
gardien  ;  à  l'effet  de  quoi,  il  a  requis  le  sergent  de  garde,  d'ordonner 
qu'on  laissât  entrer  le  dit  gardien  pour  la  dite  recette  ;  » 

«  Que  ce  sergent  a  répondu  au  dit  sieur  Wolf  qu'il  ne  pouvait  donner 
cet  ordre,  mais  qu'il  allait  en  avertir  son  officier  ;  qu'effectivement,  il  a 
envoyé  chercher  cet  officier,  lequel  étant  arrivé  sur  les  six  heures  du 
soir,  et  le  dit  sieur  Wolf  lui  ayant  expliqué  le  sujet  de  son  transport,  et 
requis  même  son  appui  à  la  commission  du  dit  gardien,  et  lui  faire 
donner  l'entrée  de  la  dite  recette,  il  a  répondu  au  dit  Wolf  qu'il  ne  pou- 
vait rien  prendre  sur  lui  ;  mais  qu'il  en  référerait  à  nous,  commissaire 
chargé  de  la  police  du  dit  spectacle  ;  et  qu'il  allait  nous  envoyer  chercher  ; 
et  que,  jusqu'à  ce  que  nous  fussions  arrivé,  il  allait  donner  consigne  à  la 
sentinelle  de  ne  point  laisser  sortir  l'argent  de  la  dite  recette,  à  la  con- 
sidération de  qui  il  appartiendrait.  » 

«  En  conséquence,  le  dit  sieur  Wolf  requiert  qu'à  l'instant  même,  en 
notre  présence,  nous  lui  donnions  tout  secours  et  donnions  les  ordres 


56  THÉÂTRE   DES  «  BEAUJOLAIS  1> 

nécessaires  à  la  garde,  afin  que  le  dit  Lelièvre,  son  gardien,  puisse  tou 
cher  la  recette  du  spectacle  de  ce  jourd'hui,  pour  en  faire  le  dépôt.  » 

Signatures  :  François-Jean  SIRBEAU,  Commissaire  de  Police. 
GABRIEL,  aide-major  de  la  Garde  de  Paris. 
Robert  WOLF,  huissier^  pour  les  frères  Bernard. 

Les  frères  Bernard  étaient  d'honnêtes  marchands  merciers, 
qui  depuis  quatre  années  fournissaient  le  maître  costumier  du 
Théâtre  des  Beaujolais.  Ce  maître  costumier  avait  nom  Lema- 
nissier.  Depuis  dix-huit  mois,  M.  Delomel,  s'étant  aperçu  que 
ce  costumier  quelque  peu  voleur  vendait  pour  son  compte 
des  costumes  du  magasin  appartenant  à  la  Direction,  s'était 
débarrassé  de  lui,  l'invitant  à  aller  se  faire  pendre  ailleurs.  Ce 
qui  n'avait  pas  empêché  le  sieur  Lemanissier  de  continuer 
ses  nombreux  achats  «  de  mercerie  et  galons,  ainsi  que  passe- 
menteries d'or  et  d'argent»  au  compte  de  ses  anciens  Directeurs. 

Le  dit  Lemanissier  ayant  disparu  tout  à  coup,  les  frères 
Bernard  s'étaient  adressés  directement  à  MM.  Delomel  et 
Gardeur,  lesquels  avaient  répondu  n'avoir  aucune  connais- 
sance de  cette  dette  de  870  livres  et  12  sols,  réclamée  par  les 
deux  merciers. 

Ce  que  voyant,  les  sieurs  Bernard  avaient  remis  leur  créance 
entre  les  mains  du  sieur  Robert  Wolf  «  huissier  audiencier  ordi- 
naire du  Roi,  en  sa  chancellerie  du  Palais,  y  demeurant  rue  de 
Bussi,  paroisse  de  Saint-Sulpice,  »  lequel  avait  obtenu  le  13  Fé- 
vrier 1787,  une  première  ordonnance  du  Ghatelet,  rendue  sur 
référé,  par  M.  le  Lieutenant  civil  du  Ghatelet,  une  seconde  le 
5  mars  1788,  enfin  une  troisième  le  25  juin  de  la  même  année, 
«  donnant  droit  au  sieur  Wolf  de  saisir  les  recettes  jusqu'à 
parfait  paiement  de  la  somme  réclamée  par  les  deux  frères 
Bernard.  » 

Mais  voyons  la  suite  de  cette  affaire,  suite  retrouvée  éga- 
lement dans  les  Archives  des  Communes  : 

«  A  l'instant  est  aussi  comparu  sieur  François,  Hyacinthe,  Guislain, 
Crescent  de  Bernaut,  administrateur  général,  nommé  par  jugement  du 
Conseil,  du  Spectacle  dont  il  s'agit,  pour  le  compte  des  intéressés,  qui 
composent  la  Compagnie  de  la  dite  entreprise,  demeurant,  le  dit  sieur 


THEATRE  DES    d  BEAUJOLAIS  ))  57 

deBernaut,à  Paris,  rue  Saint- Lazare,  lequel  a  dit  que  la  Compagnie  n'a 
pas  été  peu  surprise  d'apprendre  qu'il  avait  été  procédé  dans  leur  spec- 
tacle, à  une  saisie-exécution  des  meubles  et  effets  et  autres  objets  y 
étant,  à  la  requête  des  sieurs  Bernard,  et  ce,  sur  les  sieurs  Delomel  et 
Gardeur,  en  vertu  de  sentences  et  ordonnances  paraissant  avoir  été 
rendues  contre  eux  ;  seulement  que,  comme  d'un  côté  les  intéressés  et 
associés,  par  acte  du  14  octobre  1785,  duement  publié  aux  Consuls,  ne 
doivent  rien,  mais  encore  qu'il  n'existe  aucun  jugement  ni  condamna- 
tion contre  eux  ;  » 

«  Ils  auraient,  par  exploit  du  10  de  ce  mois,  fait  interjeter  appel  de  la 
dite  saisie,  comme  faite  super  non  domino,  avec  réserve  de  se  pourvoir 
incessamment  tant  par  les  voies  ordinaires  qu'extraordinaires,  attendu 
V esclandre  gratuit  à  eux  occasionné  par  la  dite  saisie  ;  » 

«  Et,  en  attendant,  ont  déclaré  par  le  même  acte  qu'ils  s'opposaient 
formellement  à  ce  que  les  dits  sieurs  Bernard  donnassent  aucune  suite 
à  leur  contrainte  sur  l'entreprise  dont  il  s'agit,  avec  protestation  de 
nullité  et  de  tous  dépens,  dommages  et  intérêts.  » 

«  Que  d'après  cet  acte,  ils  auraient  cru  que  les  sieurs  Bernard  se 
seraient  contentés  de  l'esclandre  public  qu'ils  avaient  occasionné  dans 
un  établissement  public,  à  une  compagnie  d'associés  qui  n'est  ni  leur 
débiteur,  ni  leur  obligé,  ni  leur  condamné  ;  » 

«  Mais,  que  ce  jourd'hui,  vers  les  cinq  heures  du  soir,  à  l'heure  de 
l'ouverture  de  leur  spectacle,  ils  auraient  été  avertis  qu'à  la  porte  et 
principale  entrée  d'icelui,  était  le  dit  WoK,  qui,  en  continuant  les  con- 
traintes vexatoires  ci-devant  énoncées,  portait  le  comble  à  l'esclandre 
et  à  la  vexation  en  voulant  publiquement  introduire  des  gardiens  dans 
les  bureaux  de  recettes  du  dit  spectacle,  et  en  interrompant  entièrement 
l'exploitation  ;  ce  qui  aurait  été  effectué  si  la  garde  établie  pour  le  bon 
ordre  du  spectacle  n'eût  interposé  son  autorité,  jusqu'à  l'arrivée  de  nous 
commissaire.  » 

«  Déclare,  le  dit  Bernaut,  que  rien  n'est  plus  irrégulier  que  la  con- 
trainte des  sieurs  Bernard,  en  ce  que  l'on  entend  faire  de  la  saisie  de  la 
recette  et  de  l'interruption  que  l'on  entend  mettre  à  l'exploitation.  » 

«  En  effet,  le  spectacle,  dont  il  est  question,  appartient  à  une  Société 
d'intéressés  ;  qu'il  n'y  a  de  condamnations  prononcées  que  contre  les 
sieurs  Delomel  et  Gardeur,  ad  hoc  ;  qu'il  n'existe  aucune  condamnation 
contre  la  Société  dont  il  s'agit  ;  qu'en  conséquence,  n'ayant  donc  aucun 
moyen  d'asseoir  une  saisie-exécution  sur  la  dite  société,  lui  comparant, 
en  sa  quahté  d'administrateur  général,  soutient  qu'il  ne  peut  être  inter- 
rompu dans  son  administration.  » 

«  Pourquoi  il  requiert  qu'en  notre  qualité  de  subdélégué  du  magistrat, 
seul  compétent  pour  juger  des  troubles  et  contestations  relatifs  à  la  dite 
administration,  nous  ordonnions,  d'après  ce  que  dessus,  ce  qui  convient 
pour  faire  cesser  le  trouble  et  l'esclandre  gratuits  qu'elle  éprouve  en  ce 


58  THÉÂTRE  DES    «  BEAUJOLAIS  T> 

moment.  Ajoutant  en  outre  la  réserve  expresse  qu'il  fait  pour  les  dits 
sieurs  intéressés  de  tous  leurs  droits.  » 

Signé  :  GRESSENT  DE  BERNAUT. 

Le  sieur  Wolf  n'était  pas  huissier  à  se  rendre  devant  sem- 
blable opposition.  Il  prétendit  que  cet  acte  de  société,  dont 
parlait  si  hautement  et  si  puissamment  Cressent  de  Bernant, 
n'existait  pas  ;  que  sans  cela,  cet  acte  lui  eût  été  notifié  pen- 
dant ses  premières  opérations  ;  qu'il  n'avait  jamais  eu  affaire 
qu'aux  sieurs  Delomel  et  Gardeur,  ici  présens  ;  qu'en  consé- 
quence, il  requérait  quand  même  «  que  son  gardien  fût  mis 
en  possession  de  la  recette  d'aujourd'hui,  qui  venait  d'être 
apportée  au  bureau  par  la  receveuse,  comptée  et  montant  à 
la  somme  de  205  livres  10  sols,  déduction  faite  des  frais  de 
garde  et  du  quart  des  pampres.  » 

Ce  à  quoi  le  sieur  Bernant  de  Cressent  répondit  que  l'huissier 
Wolf  niait  à  tort  la  connaissance  de  l'acte  de  société,  puisque 
cet  acte  avait  été  déposé  par  lui.  Bernant,  sur  le  bureau,  de- 
vant Wolf,  avec  liberté  d'en  prendre  connaissance. 

Enfin  le  commissaire  Jean-François  Sirebeau  déclara  que 
«  toutes  choses  demeurant  en  l'état,  il  renvoyait  les  parties  se 
pourvoir  en  l'Hôtel  et  par  devant  M.  le  Lieutenant  civil,  le 
lendemain  mercredi,  10  du  mois,  à  trois  heures  de  relevée.  » 

Puis  il  s'empara  de  la  recette,  objet  du  Htige,  la  gardant  en 
sa  possession  jusqu'à  ce  que  jugement  définitif  fût  rendu. 

Voici  enfin  la  solution  de  cette  grave  atteinte  portée  à  la 
considération  de  MM.  Delomel  et  Gardeur  : 

«  Le  vendredi  12  Septembre  1788,  est  comparu  devant  moi,  Sirebeau, 
le  sieur  Nicolas,  Louis,  Delafosse,  caissier  du  spectacle  de  Monseigneur 
le  Comte  de  Beaujolais,  demeurant  rue  Neuve  des  Petits  Champs, 
paroisse  de  Saint-Eustache.  Lequel  requiert  que  nous  ayons  à  lui  re- 
mettre la  somme  de  205  livres  et  10  sols.  » 

«  Signé  :  DELAFOSSE.  » 

«  Sur  quoi,  nous  Commissaire,  etc.,  avons  versé  au  dit  Delafosse,  la 
dite  somme.  » 

«  Signé  :  SIREBEAU,  DELAFOSSE.  » 


THEATRE   DES  «  BEAUJOLAIS  ))  59 

M.  le  Lieutenant  civil  avait  reconnu  que  «le  sieur  Lemanis- 
sier  s'était  livré  à  ces  achats  alors  qu'il  n'appartenait  plus  à 
l'administration  directoriale  des  Beaujolais  ;  v 

«  Qu'en  conséquence,  il  déboutait  les  sieurs  Bernard  de  leurs  préten- 
tions sur  les  recettes  encaissées  par  les  sieurs  Delomel  et  Gardeur  ;  » 

«  Laissant  les  sieurs  Bernard  libres  de  requérir  contre  le  sieur  Lema- 
nissier,  en  quel  endroit  qu'il  fût.  » 

Mais  en  homme  prudent,  le  dit  Lemanissier  avait  jugé  à 
propos  de  disparaître.  On  le  disait  passé  en  Angleterre.  Tou- 
jours est-il  qu'il  ne  reparut  pas  à  Paris. 

Octobre.  —  Le  8  Octobre,  première  représentation  de  Le 
Lord  et  son  Jockei^  comédie  en  trois  actes,  mêlée  d'ariettes, 
avec  ses  agréments,  par  le  sieur  Lutaine,  musique  du  sieur 
Leblanc. 

Ce  fut  une  chute  terrible.  Les  sifflets  des  spectateurs  arri- 
vèrent à  un  tel  degré  de  violence,  qu'en  scène,  plusieurs  en- 
fants prirent  peur  et  se  réfugièrent  dans  les  coulisses. 

M.  Cressent  de  Bernant  se  présenta  de  nouveau  chez  le 
commissaire  de  pohce  Jean-François  Sirebeau,  à  fin  de  lui 
faire  connaître  certains  moyens  ilHcites  qu'avait  employés 
le  dit  sieur  Lutaine,  pour  arriver  à  faire  représenter  sa 
pièce. 

Il  s'était  tout  d'abord  adressé  à  l'un  des  associés  comman- 
ditaires du  dit  spectacle  des  Beaujolais^  le  sieur  Pasquise,  sans 
vouloir  déposer  le  manuscrit  du  Lord  et  son  Jockei  entre  les 
mains  de  MM.  Delomel  et  Gardeur,  qui  seuls  avaient  auto- 
risation de  présenter  le  dit  manuscrit  à  la  Censure  royale.  Sur 
leurs  vaines  sollicitations,  le  sieur  Lutaine  avait  fini  par  leur 
répondre  que  l'ouvrage  «  était  censuré  et  signé  de  M.  le  Lieu- 
tenant-général de  Police.  » 

Sur  ce  dire,  les  Directeurs  n'avaient  plus  hésité  à  faire  les 
dépenses  nécessaires  «  dépenses  très  considérables  »  pour  le 
montage  de  la  pièce. 

On  avait  donc  commencé  les  répétitions  particulières,  aux- 
quelles assistait  le  sieur  Lutaine.  Quand  arrivèrent  les  der- 
nières répétitions  dites  générales,  Lutaine  ne  se  présenta  plus 
au  théâtre,  laissa  annoncer  sur  les  affiches  la  première  repré- 


60  THÉÂTRE  DES  d  BEAUJOLAIS  » 

sentation  de  sa  pièce  jusqu'au  8  Octobre  ;  et  ce  ne  fut  que  ce 
même  jour,  à  neuf  heures  et  demie  du  matin,  qu'il  avertit 
la  Direction  «  que  sa  pièce  n'était  pas  censurée,  comme  il 
l'avait  annoncé  depuis  deux  mois.  » 

«  MM.  Delomel  et  Gardeur  —  dit  l'acte  signé  Leblanc, 
Gressent  de  Bernant  et  Sirebeau,  retrouvé  aux  Archives  des 
Communes  —  ont  fait  appeler  le  sieur  Leblanc,  auteur  de  la 
musique,  qui  a  répondu  que  le  sieur  Lutaine  l'avait  trompé 
lui-même,  en  lui  assurant  et  en  l'exposant  à  assurer  à  la  Direc- 
tion que  Le  Lord  et  son  Jockei  était  prêt  et  qu'on  pouvait  l'af- 
ficher ;  mais  que  cette  conduite  du  dit  sieur  Lutaine  était  si 
malhonnête,  qu'il  priait  la  Direction  de  lui  rendre  sa  parti- 
tion, qu'il  aimait  mieux  sacrifier,  que  de  la  voir  servir  à  l'ou- 
vrage de  cet  auteur.  » 

La  Direction  n'accepta  pas,  courut  chez  M.  le  Lieutenant- 
général  de  la  Police,  lui  exposa  le  cas  embarrassant  dans  lequel 
elle  se  trouvait,  parvint  à  l'émouvoir  et  le  visa  fut  accordé 
pour  représenter  l'œuvre  le  soir  même. 

Quelques  coupures  assez  importantes  avaient  cependant  été 
faites  par  M.  le  Censeur  royal.  Il  fallut  passer  la  journée  à 
relier  les  scènes,  à  remanier  la  pièce,  si  bien  que  quand  elle  se 
présenta  le  soir  devant  le  public,  elle  fut  abominablement 
reçue,  ainsi  que  je  l'ai  écrit  plus  haut. 

La  Direction,  furieuse  contre  le  sieur  Lutaine,  porta  plainte 
devant  le  commissaire  Sirebeau. 

L'acte  des  Archives  des  Communes  se  termine  donc  ainsi  : 

«  Dans  ces  circonstances,  les  Directeurs  désespérés  de  s'être  exposés 
à  mériter  les  justes  reproches  du  magistrat,  par  leur  trop  grande  indul- 
gence envers  le  dit  Lutaine,  ont,  malgré  cela,  recours  à  la  Justice  et  à 
son  autorité  pour  obtenir  que  le  dit  sieur  Lutaine  soit  obligé  de  les 
dédommager  des  dépenses  considérables  qu'ils  ont  été  forcés  de  faire, 
pour  mettre  sa  pièce  en  exécution  sur  leur  théâtre.  » 

Le  sieur  Lutaine  reconnut  qu'il  avait  eu  le  plus  grand  tort 
d'agir  comme  il  avait  agi,  et  dédommagea  le  plus  qu'il  put 
le  Direction,  laquelle  l'année  suivante  lui  fit  représenter  deux 
^iBGQ^:  U Alchimiste  ovi  la  Palingénésie^  opéra-boufîon,  en  trois 


THEATRE   DES  ((  BEAUJOLAIS  1>  61 

actes,  en  vers  ;  et  la  Mère  indécise^  comédie  également  en 
vers  et  en  trois  actes. 

Le  18  Octobre,  première  représentation  de  Le  Bon  Père, 
opéra-bouffon  en  un  acte,  avec  des  divertissements. 

Le  22  Octobre,  première  représentation  de  U Intendant  sup- 
posé^ comédie  en  deux  actes.  Cette  pièce  obtint  un  véritable 
succès. 

Novembre.  —  Le  12  Novembre,  première  représentation  de 
Le  Mari  comme  il  les  faudrait  tous,  opéra-bouffon  en  un  acte. 

Cette  pièce  fut  représentée  cinq  fois  de  suite  ;  puis  reprise 
par  intermittence. 

Décembre.  —  Le  2  Décembre,  première  représentation  de 
Le  Baron  de  Boquentin,  pièce  en  deux  actes. 

Le  6  Décembre,  les  journaux  annoncent  la  «  seconde  »  pre- 
mière représentation  de  Le  Lord  et  son  Jockei,  opéra-bouffon  en 
trois  actes. 

Cette  pièce,  la  même  qui  déjà  avait  été  représentée  le  8  octo- 
bre précédent  et  était  tombée  accablée  parles  sifïlets,  avait  été 
remaniée  par  ses  auteurs  sur  les  conseils  de  M.  Gardeur  ;  les 
situations  avaient  été  modifiées,  la  distribution  des  rôles  chan- 
gée ;  des  airs  nouveaux  avaient  remplacé  les  anciens  ;  à  ce 
point  que,  les  deux  Directeurs  crurent  naïvement  que  sans 
changer  le  titre  de  la  pièce  ils  pouvaient  la  représenter  au 
public  comme  une  nouveauté. 

Cette  seconde  tentative  ne  fut  guère  plus  heureuse  que  la 
première.  Cependant  comme  MM.  Delomel  et  Gardeur  avaient 
fait  de  grands  frais  pour  la  monter,  qu'en  vue  de  cela,  l'au- 
teur M.  Lutaine  leur  avait  versé  en  compensation  une  somme 
importante  d'argent,  put-elle  reparaître  encore  quelques  fois 
sur  l'affiche,  sans  pourtant  faire  rentrer  dans  la  caisse  des 
pauvres  entrepreneurs  tout  ce  qu'elle  leur  avait  coûté. 

La  concurrence,  dès  cette  époque,  commençait  à  atteindre 
le  Théâtre  des  Beaujolais  ;  car  on  ne  comptait  pas  moins  de 
quinze  ou  vingt  théâtres,  tant  grands  que  petits,  dans  la  ville 
de  Paris. 

Je  puis  citer  V Opéra,  les  Italiens,  la  Comédie- Française,  les 
Variétés,  V Ambigu-Comique,  Nicolet,  les  Associés,  les  Délasse- 


02  THÉÂTRE   DES  «  BEAUJOLAIS   » 

ments  comiques,  les  Pygmées,  les  Fantoccini,  les  Ombres  chi- 
noises, les  Beaujolais,  le  Musée  des  Enfants,  le  Panthéon,  le 
Vaux-Hall,  etc.,  sans  compter  les  nombreux  théâtres  de  so- 
ciété où  l'on  jouait  la  tragédie,  la  comédie  et  même  l'opéra- 
bouffon.  Tout  était  au  spectacle,  rien  qu'au  spectacle. 

Ruggieri,  le  fameux  pyrotechnicien,  donnait  des  soirées  qui 
attiraient  la  foule,  laquelle  s'allait  esbaudir  aux  aveuglants  et 
merveilleux  feux  d'artifices  du  maître  en  l'art  de  diriger  ces 
feux. 

On  se  plaignait  déjà,  à  cette  époque,  de  l'exaltation  trop 
bruyante  des  enthousiastes  écervelés,  qui  applaudissaient  à 
tort  et  à  travers,  sans  se  préoccuper  d'interrompre  une  scène 
pathétique,  ou  une  johe  phrase  harmonique,  avant  qu'elle  fût 
arrivée  à  son  entière  solution. 

Un  spectateur  des  Beaujolais  avait  écrit  :  «  Quelle  rage  pos- 
sèdent tous  ces  batteurs  de  mains  à  tout  propos,  à  toute  ou- 
trance ;  ces  crieurs  de  hravo,  aux  voix  de  Stentor,  ou  de  Cas- 
trati  ;  ces  trépigneurs  de  pieds  ;  ces  énergumènes  enfin,  qui 
ne  savent  témoigner  qu'ils  ont  du  plaisir  qu'en  se  disloquant 
tout  le  corps  ?  » 

«  Quelle  fureur  ont-ils  d'interrompre  un  vers  ou  une  tirade 
pour  m'empêcher  d'entendre  le  sens  d'une  phrase,  entièrement 
perdu  pour  moi,  par  le  fait  du  bruit  qu'ils  font  avec  leurs  pieds, 
leurs  mains  et  leurs  voix.  » 

Pour  justifier  le  cri  réprobatif  de  cet  amateur,  ennemi  des 
expansions  bruyantes,  le  Journal  de  Paris,  par  la  plume  d'un 
anonyme,  fit  une  proposition  dont  on  rit  beaucoup  alors,  mais 
qui,  somme  toute,  était  l'embryon  de  l'insupportable  claque 
qui,  de  nos  jours,  énerve  le  spectateur,  et  l'empêche  souvent 
d'applaudir,  dans  la  crainte  qui  lui  est  venue,  d'être  pris 
pour  un  claqueur. 

Le  Journal  de  Paris  proposa  très  sérieusement  «  de  placer 
dans  un  endroit  apparent  de  la  salle,  un  homme  avec  un  gros 
bâton,  qui  servirait  à  indiquer  les  endroits  où  l'on  devrait 
applaudir  les  acteurs.  » 

«  Pareil  exemple,  —  disait  le  Journal  —  s'était  produit  en 
Angleterre  et  y  avait  été  adopté.  » 


THEATRE  DES  d  BEAUJOLAIS  »  63 

Une  autre  feuille  répondit  au  Journal  de  Paris  :  «  Je  ne  sais 
si  la  proposition  est  faite  de  bonne  foi  ;  mais  elle  me  parait 
fort  plaisante,  et  l'ironie  la  plus  sanglante  contre  tous  nos 
étourdis  et  nos  énergumènes.  » 

Bref,  la  proposition  —  malgré  Vexemple  donné  par  l'Angle- 
terre —  ne  fut  pas  prise  en  considération  et  demeura  l'aimable 
plaisanterie  d'un  joyeux  mystificateur  ou  d'un  convaincu  trop 
ardent. 

Aujourd'hui,  ce  n'est  pas  un  homme  armé  d'un  bâton  qui 
nous  donne  le  signal  des  endroits  à  souhgner,  c'est  cinquante 
braillards  savamment  répartis  dans  tous  les  coins  de  la  salle, 
aux  mêmes  places  tous  les  soirs,  qui  nous  rompent  les  oreilles 
de  leurs  applaudissements  frénétiques,  à  propos  de  refrains,  de 
phrases  ou  de  situations  auxquels  ils  ne  comprennent,  le  plus 
souvent,  rien  ;  mais  qu'ils  ont  ordre  d'applaudir,  ce  dont  ils 
sont  récompensés  soit  par  leur  entrée  gratuite,  ou  par  une  dimi- 
nution sur  le  prix  de  la  place  qu'ils  occupent. 

L'emploi  de  chef  de  service  —  le  mot  «service»  a  remplacé 
celui  de  claque^  —  est  aujourd'hui  des  plus  lucratifs.  Ces  mes- 
sieurs meurent  tous,  ou  presque  tous,  dans  la  peau  de  million- 
naires, alors  que  les  Directeurs  qu'ils  ont  été  censément  sou- 
tenir, dégringolent  trop  souvent  de  faillite  en  faillite,  et  que 
les  acteurs  qu'ils  ont  applaudis — s'appelassent-ils  Frederick 
Lemaitre,  Duprez,  Dumaine,  Bocage,  Taillade,  Mlle  Georges, 
Mmes  Dorval,  Fargueil  et  Déjazet  —  meurent  dans  l'extrême 
misère. 

Les  applaudisseurs  enthousiastes  du  Théâtre  des  Beaujolais 
étaient  assez  insupportables  pour  que  MM.  Delomel  et  Gar- 
deur  eussent  placé  à  l'entrée  de  leur  salle  un  écriteau  portant 
cette  inscription  : 

«  Les  exagérations  en  bravos  étant  aussi  gênantes  pour  l'in- 
terprétation des  pièces  que  celles  des  sifflets,  messieurs  les 
spectateurs  sont  prévenus  que  la  garde  a  ordre  d'expulser  les 
manifestants  intempestifs  qui,  par  leurs  applaudissements, 
troubleraient  l'ordre  dans  la  salle  de  notre  spectacle.  » 

Cette  recommandation  ne  servit  à  rien.  Le  public  s'en  gau- 
dit.  La  garde  voulut,  pour  l'exemple,  faire  d'abord  quelques 


64  THÉÂTRE  DES   ((  BEAUJOLAIS  M 

expulsions  ;  mais  la  masse  des^sp éclateurs  protesta.  Des  ora- 
teurs s'improvisèrent,  se  réclamant  du  vers  de  Boileau  : 

C'est  un  droit  qu'à  la  porte  on  achète  en  entrant. 

MM.  Delomel  et  Gardeur  finirent  par  faire  enlever  leur 
malencontreux  écriteau  et  tout  rentra  dans  l'ordre...  relatif, 
c'est-à-dire  dans  le  désordre  habituel. 

Vers  la  fin  de  1788,  un  gros  événement  se  produisit.  Les  en- 
fants furent  totalement  supprimés  et  remplacés  par  de  véri- 
tables comédiens,  qui  sortirent  de  la  coulisse  pour  être  intro- 
duits sur  la  scène. 

Les  petites  filles  et  les  petits  garçons  employés  par  MM. 
Delomel  et  Gardeur  avaient  grandi.  De  vieux  et  de  jeunes 
messieurs,  sentant  le  frais  gibier,  étaient  parvenus  à  s'in- 
troduire dans  les  coulisses.  Quelques  petites  actrices  furent 
débauchées  et  mises  à  mal.  Des  plaintes  avaient  été  portées, 
et  le  Lieutenant-général  de  la  pohce,  M.  Lenoir,  avait  fait  man- 
der les  deux  Directeurs,  les  menaçant  de  faire  fermer  .leur 
théâtre,  si  certain  scandale  assez  récent  se  renouvelait. 

Effrayés,  les  pauvres  Directeurs  avaient  interdit  l'entrée  de 
leurs  coulisses  «  à  toute  personne  étrangère  au  théâtre.  «  Mais, 
chaque  soir,  les  gardiens  du  petit  sérail  étaient  débordés.  Si  bien 
qu'un  jour,  sous  menace,  mise  cette  fois  à  exécution,  de  M.  Le- 
noir, les  deux  entrepreneurs  se  virent  contraints  de  faire  affi- 
cher :  ((  Sous  peine  de  châtiments  prévus  par  la  loi  et  par  or- 
donnance spéciale  de  pohce,  l'entrée  des  confisses  est  absolu- 
ment interdite.  »  Puis,  les  petits  comédiens  et  jeunes  comé- 
diennes furent  peu  à  peu  remerciés,  indemnisés  et  définitive- 
ment congédiés  ;  on  ne  conserva  que  ceux  et  celles  aptes  à 
danser,  complétant  le  ballet  dirigé  par  M.  Barré,  tandis  que 
les  véritables  acteurs  et  actrices  prenaient  possession  du 
répertoire  courant  et  débutèrent  —  sans  très  grand  succès  — 
sur  la  scène  des  Beaujolais. 
Les  petits  artistes  allaient-ils  donc  se  trouver  sans  place  ? 
Non!...  Le  petit  Théâtre  dit  MUSÉE  DES  ENFANTS 
existait  encore. 

Situé  à  l'extrémité  des  Galeries  de  bois,  proche  les  Variétés 


THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  »  65 

—  qui  devinrent  le  Théâtre  Français  —  un  sieur  Letellier 
avait  ouvert  cet  établissement  pour  «  servir  de  cours  d'ému- 
lation aux  enfants  de  l'un  et  de  l'autre  sexe.  » 

Le  sieur  Letellier  se  trouva  très  heureux  de  recueillir  les 
petits  comédiens,  fort  experts  déjà,  du  Théâtre  des  Beaujolais. 

Ce  petit  théâtre  avait  fait  son  ouverture  le  6  octobre  1785 
et  donnait  tous  les  jours,  à  six  heures  du  soir,  une  «  grande  et 
brillante  représentation  qui  se  terminait  à  huit  heures.  »  La 
salle  était  décorée  avec  goût  et  pouvait  contenir  250  personnes. 
Il  était  situé  au-dessus  du  café,  où  se  trouve  maintenant  le 
café  Corrazza.  Les  espérances  du  sieur  LeteHier  ne  se  réali- 
sèrent pas,  car  l'année  suivante,  en  1787,  et  non  en  1788, 
ainsi  qu'il  a  été  écrit,  le  petit  théâtre  du  MUSÉE  DES 
ENFANTS  ferma  ses  portes,  malgré  le  renfort  apporté  par 
les  petits  artistes  des  Beaujolais. 

Désormais,  chez  MM.  Delomel  et  Gardeur,  l'originalité 
était  remplacée  par  la  désolante  banalité.  Cela  nuisit  considé- 
rablement aux  recettes.  La  pauvre  petite  aveugle  Chevrier  fut 
congédiée  avec  sa  mère.  Elle  pleura  beaucoup,  mais  elle 
devenait  inutile. 

M.  Gardeur  eut  même  ce  mot  cruel  :  notre  Théâtre  n'est 
pas  l'Hospice  des  Quinze-Vingts. 

Les  Directeurs  allèrent  rendre  visite  au  Lieutenant  général 
de  la  pohce  :  «  Vous  nous  ruinez,  Monseigneur,  lui  dirent-ils  ; 
mais  nous  espérons  que  vous  nous  saurez  gré  de  notre  entière 
soumission.  » 

M.  Lenoir  les  félicita  de  leur  respectueuse  soumission  et  leur 
promit  sa  protection. 

Le  théâtricule  devint  alors  un  véritable  théâtre,  avec  une 
garde  fournie  par  l'autorité  supérieure.  Cette  garde  se  compo- 
sait de  huit  cavahers  de  la  mihce  nationale  parisienne,  com- 
mandés par  «  un  bas  ofTicier  ». 

Parmi  les  nouveaux  acteurs  de  scène  et  les  anciens,  conser- 
vés par  la  Direction,  je  vais  citer  ceux  que  le  public  se  mit  à 
apprécier  le  plus  : 

Ce  fut  d'abord   M.  Vénier,   «  très  goûté  pour  le  naturel, 


66  THÉÂTRE  DES    «  BEAUJOLAIS  ï) 

Texpression,  le  jeu,  l'habitude  de  la  scène  et  la  précision  dans 
le  chant.  » 

Après  M.  Vénier,  arrivait  M.  D elbois,  «  fort  recommandable 
pour  la  voix  et  surtout  les  rôles  de  gaîté.  » 

A  la  suite  se  faisait  remarquer,  M.  Dumily,  second  comique, 
«  incomparable  dans  les  rôles  de  niais,  les  valets  de  comédie  et 
partout  où  il  fallait  de  la  diction.  » 

M.  Talon  était  aussi  très  apprécié  «  dans  certains  rôles 
comiques.  » 

Mme  Fusil,  —  qui  a  laissé  des  Mémoires  des  plus  intéres- 
sants, —  «  excellente  dans  le  chant.  » 

Mme  Sara,  «  fort  recommandable  dans  le  même  genre.  » 

Mlle  Latour,  {(  toujours  très  applaudie  dans  l'opéra.  » 

Et  Mlle  FouRNiER,  «  de  même.  » 

Un  comique  de  talent,  M.  de  Toeuvre  était  venu  à  Pâques 
renforcer  la  troupe  ;  mais  depuis,  «  se  voyant  dépassé  par  ses 
camarades  »,  avait  demandé  sa  résihation,  qui  lui  avait  été 
accordée. 

Une  certaine  partie  spéciale  des  acteurs  et  chanteurs  de  cou- 
lisse perdit  également  beaucoup  à  cette  substitution  subite. 

Ce  fut  surtout  la  catégorie  des  infirmes. 

Un  acteur  ou  chanteur  de  couhsse  pouvait  être  cagneux, 
ou  boiteux,  manchot  ou  bossu  ;  une  chanteuse  pouvait  être 
laide,  borgne,  mal  bâtie,  géante  ou  naine,  peu  importait  au 
public,  qui  ne  connaissait  d'eux  que  leurs  voix. 

A  partir  du  jour  où  ces  infortunés  durent  paraître  sur  la 
scène,  le  physique  du  personnage  qu'ils  représentaient  devint 
naturellement  exigible. 

Presque  tout  le  personnel  des  coulisses  fut  en  conséquence 
congédié,  car  —  sorte  de  petite  cour  des  miracles  —  tous  les 
disgraciés  de  la  nature  doués  d'une  joHe  voix,  ne  pouvant  se 
produire  ailleurs  que  dans  l'invisibihté,  s'étaient  réfugiés  dans 
les  coulisses  des  Beaujolais.  Ils  furent  tous  contraints  d'en 
partir. 

Il  y  eut  de  profondes  douleurs,  devant  lesquelles  demeura 
insensible,  l'impassible  Lieutenant  de  Pohce,  M.  Lenoir. 


THEATRE  DES   «  BEAUJOLAIS  ))  67 


CHAPITRE  V 


1789 


LES  PETITS  REMPLACES  PAR  LES  GRANDS.  —  MORT  DU  DAU- 
PHIN DE  FRANCE. —  ÉVÉNEMENTS  POLITIQUES. —  CAMILLE 
DESMOULINS.  —  FERMETURE.  —  SÉPARATION  DE  MM.  DELO- 
MEL  ET  GARDEUR.  —  l'hONNÊTE  DELOMEL. —  DÉCADENCE. 
—    LA  DEMOISELLE   MONTANSIER. 


Cette  histoire  du  Théâtre  des  Beaujolais^  faisant  partie  d'une 
série  intitulée  :  Histoire  de  V Histoire  des  grands  et  des  petits 
Théâtres  de  Paris  pendant  la  Réi^olution^  le  Consulat  et  VEm- 
pire,  c'est  au  début  de  l'année  1789  que  je  vais  commencer  par 
donner,  presque  au  jour  le  jour,  la  vie  intérieure  de  ce  petit 
théâtre  si  original  dans  sa  forme,  si  honnête  dans  son  genre  de 
travail,  si  utile  pour  les  jeunes,  aussi  bien  acteurs,  qu'auteurs 
et  compositeurs  de  musique. 

Pâques  était  l'époque  des  renouvellements  d'acteurs  dans 
toutes  les  troupes  de  comédiens.  Les  directeurs  faisaient  leur 
clôture,  tant  en  province  qu'à  Paris,  ou  le  dimanche  de  Lœtare, 
ou  celui  de  la  Passion,  ou  celui  des  Rameaux. 

«  Par  ordre  »,  leurs  théâtres  restaient  fermés  toute  la  semaine 
sainte,  jusques  et  y  compris  le  dimanche  de  Pâques  ;  c'était  le 
lundi  que  MM.  les  Directeurs  reprenaient  leur  réouverture. 

En  cette  année  1789,  Mlle  Brillon  quitta  les  Beaujolais 
pour  entrer  aux  Variétés  du  Palais-Royal,  qui  devinrent  l'an- 
née suivante  le  Théâtre  Français. 


68  THÉÂTRE  DES   QC  BEAUJOLAIS  » 

Je  donne  donc  le  répertoire  courant  des  Beaujolais  depuis  le 
1^^  Janvier  : 

1®^  Janvier  1789.  —  Ce  soir-là,  on  donna  la  première  repré- 
sentation de  Les  Etrennes  critiques  ou  Mercure  et  la  Frivolité 
du  Palais-Royal^  pièce  épisodique,  en  un  acte,  en  prose, 
de  M.  Galiot. 

Le  spectacle  avait  commencé  par  V Heureux  Dépit ^  comédie 
en  un  acte,  «  mêlé  de  chant,  sous  forme  d'ariettes  »  et  s'était 
terminé  par  : 

Aline  et  Zamorin^  opéra-boufîon  en  trois  actes. 

Chaque  soir,  le  répertoire  courant  changeait. 

Du  2  Janvier  au  15,  on  joua,  tant  en  nouveautés  qu'en 
reprises  : 

Florette  et  Colin,  opéra-boufîon  en  un  acte,  en  prose. 

Le  Bon  Père,  opéra-bouffon  en  un  acte. 

Le  Tuteur  avare,  opéra-bouffon  en  trois  actes. 

La  Matinée  du  Jardin  public,  comédie  en  un  acte. 

Le  Manteau,  opéra-bouffon  en  un  acte. 

La  Belle  Esclave,  opéra-bouffon  en  un  acte. 

Les  Curieux  punis,  opéra-bouffon  en  un  acte. 

U Intendant  supposé,  -comédie  en  deux  actes. 

La  Noce  béarnaise,  opéra-bouffon  en  deux  actes,  avec  ses 
agréments. 

«  À  vec  ses  agréments  »  signifiait  avec  les  danses  et  divertis- 
sements intercalés  dans  les  scènes  de  la  pièce. 

Alexis  et  Rosette,  mélodrame  en  un  acte,  avec  un  ballet. 

Annette  et  Bazile,  mélodrame  en  un  acte. 

U Armoire,  opéra-bouffon  en  un  acte. 

La  Solitude,  comédie  en  un  acte. 

Le  Paysan  à  prétentions,  opéra-bouffon  en  un  acte. 

Le  15  Janvier,  eut  lieu  la  première  représentation  de  Le 
Philosophe  imaginaire,  opéra-bouffon  en  trois  actes,  en  prose. 

Ce  fut  cet  opéra  qu'au  Théâtre  de  MONSIEUR  on  joua  quel- 
que temps  après,en  italien,  sous  le  titre  de  /  Filosofi  imaginari. 

Le  19  Janvier,  première  représentation  (reprise)  de  Le  Baron 
de  Roquentin,  comédie  en  deux  actes.  La  réussite  fut  cette 
fois  douteuse. 


THEATRE  DES    «  BEAUJOLAIS  »  69 

Le  23  Janvier,  première  représentation  de  La  Fête  de  So- 
phie^ ballet-pantomime  en  trois  actes.  Réussite  parfaite. 

Le  25  Janvier,  on  donna  la  reprise  de  Le  Fat  en  bonne  For- 
tune^ opéra-bouffon  en  deux  actes. 

Le  31  Janvier  eut  lieu  la  première  représentation  de  V Amour 
Hermite^  opéra  en  un  acte,  avec  ses  agréments. 

Ce  soir-là,  en  dansant,  un  jeune  sauteur  nommé  Huguenet, 
ayant  fait  un  faux-pas,  tomba  et  se  cassa  la  jambe. 

On  fit  une  annonce  au  public,  en  l'informant  que  l'enfant  — 
il  avait  16  ans  —  était  le  soutien  de  sa  famille.  Immédiate- 
ment, on  fît  courir  des  plateaux  dans  la  salle,  pour  y  déposer 
les  offrandes  de  chacun  «  selon  ses  moyens  ^),  au  bénéfice  du 
pauvre  petit  blessé.  Cette  collecte  improvisée  produisit  260 
livres,  qui  furent  remis  séance  tenante  au  jeune  Huguenet, 
que  l'on  transporta  chez  lui  dans  un  carrosse,  qu'une  dame 
de  haut  parage,  assistant  au  spectacle,  mit  à  la  disposition 
du  petit  éclopé. 

Février.  —  Le  10  Février,  première  représentation  de  La 
Double  Récompense^  comédie  en  un  acte. 

Voici  la  genèse  de  la  pièce  : 

Félix  Bouteloup,  un  jeune  soldat,  a  sauvé  des  mains  de 
brigands  un  M.  de  la  Richardière,  riche  financier  ;  celui-ci,  pour 
le  récompenser,  et  malgré  les  obstacles  que  tente  de  faire 
naître  un  vieux  marquis  ridicule,  amoureux  de  la  tendre  Amé- 
lie, lui  accorde  la  main  de  la  jeune  personne. 

Le  public,  ému,  applaudit  avec  enthousiasme. 

Le  lendemain,  11  Février, première  représentation  de  V Amant 
locataire.,  opéra-bouffon  en  deux  actes. 

Le  23  Février,  on  donna  Le  Faux  Somnambule^  opéra-bouffon 
en  deux  actes. 

Mars.  —  Le  3  Mars,  reprise  de  Le  Lord  et  son  Jockey.,  opéra 
en  trois  actes  «  avec  ses  agréments.  » 

Le  26  Mars,  première  représentation  de  Cora^  ou  la  Prêtresse 
du  Soleil.,  drame  en  vers  et  en  trois  actes,  mêlé  d'ariettes, 
paroles  de  M.  Gabiot^  musique  d'//  signor  Cambini. 

Un  article  de  la  Chronique  de  Paris  dit  :  «  Belle  musique  ; 
grande  pompe  ;  séances  fort  longues  et  souvent  ennuyeuses. 


70  THÉÂTRE  DES   «  BEAUJOLAIS  H 

Mademoiselle  Fournier,  très  jeune  encore,  y  développe  un 
talent  naissant,  qu'on  doit  encourager.  » 

«  Ces  sortes  d'ouvrages  ne  sont  pas  du  genre  de  ce  spectacle 
et  lui  nuisent  plutôt  que  de  lui  être  utiles.  Les  décorations 
sont  superbes  et  très  fraîches.  » 

Le  Théâtre  Beaujolais  fit  sa  clôture  annuelle  le  28  Mars, 
comme  ses  collègues  plus  grands  et  moindres. 

Le  sieur  Bonthoux  de  Lorget,  prestidigitateur,  s'y  installa 
pendant  les  Fêtes  de  Pâques  et  les  deux  dernières  semaines 
du  Carême,  le  Vendredi-Saint  excepté. 

Alors  que  l'autorité  interdisait  les  représentations  théâ- 
trales, durant  quinze  jours  précédant  Pâques,  elle  autorisait 
les  spectacles  de  curiosités,  tels  que  cirques,  physiciens, 
panoramas,  etc.. 

Le  spectacle  de  M.  Bonthoux  de  Lorget  se  composait 
d'une  «  grande  quantité  d'automates  et  de  beaucoup  de  pièces 
physiques  et  mécaniques  inventées  par  le  célèbre  Professeur.  » 

Son  affiche  disait  :  «  Dans  les  entr'actes,  l'incomparable 
physicien,  décoré  de  plusieurs  ordres  étrangers,  décernés  par 
les  plus  illustres  sociétés  de  sciences,  présentera  plusieurs 
tours  surprenants  et  différentes  expériences  de  physique  et 
de  chimie  expérimentales.  » 

«  Les  exercices  durent  deux  heures  et  la  demie.  » 

«  Le  prix  des  places  est  le  même  qu'au  spectacle  des 
Beaujolais.  » 

Chaque  année,  M.  Bonthoux  de  Lorget^  à  la  même  époque, 
prenait  ainsi  possession  de  la  salle  de  M.  Delomel  et  y  fai- 
sait de  fort  bonnes  affaires. 

Pendant  ce  temps,  les  comédiens  ne  restaient  pas  oisifs  et 
répétaient  des  pièces  nouvelles  pour  la  réouverture,  sans 
qu'ils  eussent  à  souffrir,  pécuniairement  parlant,  de  la  ferme- 
ture ;  car  ils  continuaient  d'être  payés.  Les  Directeurs  de  nos 
jours  —  pas  tous,  heureusement  —  jugent  que,  ne  gagnant  pas 
d'argent  pendant  les  relâches,  leurs  comédiens  n'en  doivent 
pas  gagner  non  plus  ;  aussi  ne  se  font-ils  aucun  scrupule  de 
faire  travailler  ces  brebis  bêlantes,  tout  le  jour  et  des  parties 
de  nuit,  sans  leur  accorder  aucune  indemnité. 


THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  »  71 

Si  les  malheureux,  crevant  la  faim,  osent  en  solliciter  une, 
le  négrier  les  rudoie  impitoyablement  ;  et  quand  arrive  la  fin 
de  leur  engagement,  ne  le  renouvelle  pas. 

—  Va  crever  ailleurs,  chien  de  comédien  !  Ma  bourse  ou  ta  vie  I 

MM.  Delomel  et  Gardeur  étaient  moins  inhumains. 

Ai^ril  1879.  —  La  réouverture  se  fit  seulement  le  20  Avril. 
Le  théâtre  était  resté  fermé  vingt-deux  jours.  On  y  avait  fait 
d'importantes  réparations.  Le  plafond  de  la  scène  et  du  cadre 
avait  dû  être  exhaussé  ;  puisque  des  hommes  remplaçaient  les 
enfants. 

Les  pièces  nouvelles  n'étant  pas  suffisamment  prêtes,  mal- 
gré ce  laps  de  temps  relativement  long,  on  fut  contraint  de 
rouvrir  les  portes  par  le  Philosophe  imaginaire,  qui  était 
devenu  un  gros  succès,  et  la  Surprise  réciproque. 

Le  28  Avril,  on  parvint  enfin  à  donner  la  première  représen- 
tation de  :  Le  Mari-Fille,  comédie  en  cinq  actes,  en  vers, 
par  M.  Gabiot. 

Cette  pièce  obtint  un  très  honorable  succès,  dû  surtout 
—  disent  les  journaux  du  temps  —  au  talent  de  Mademoiselle 
Sara,  qui  jouait  le  rôle  du  Mari-fille. 

Le  critique  du  Journal  des  Petites  Annonces  s'exprime  ainsi 
sur  cette  jeune  actrice,  à  propos  de  ce  rôle  : 

«  Elle  a,  en  général,  de  l'aisance,  des  grâces  et  du  maintien 
sur  la  scène,  comme  partout  ailleurs.  Mais  on  lui  reproche  une 
diction  un  peu  monotone  et  un  jeu  qui  n'est  pas  assez  nuancé. 
Sa  modestie  et  sa  douceur,  qui  la  font  chérir  du  public  depuis 
quatre  ans,  nous  permettent  cette  réflexion.  Elle  a  contribué 
pour  beaucoup  au  succès  de  l'œuvre  nouvelle.  » 

Mademoiselle  Sara  était  une  des  petites  filles  devenue 
femme,  conservée  par  MM.  Delomel  et  Gardeur.  Elle  avait 
seize  ans,  était  douée  d'un  très  gracieux  physique  et  plusieurs 
gentilshommes  ne  demandaient  qu'à  se  «  désaiguilletter  » 
pour  elle. 

Juin. —  Le  5  Juin,  «  par  ordre  de  l'autorité  »,  l'affiche  porta 
Relâche. 

Le  Dauphin  de  France,  Louis,  Joseph,  François,  Xavier, 
était  mort  à  Meudon,  dans  la  nuit  du  3  au  4  juin. 


72  THÉÂTRE  DES   4  BEAUJOLAIS  » 

Il  avait  cinq  ans. 

Les  onze  théâtres  de  Paris  firent  Relâche. 

Le  cœur  du  pauvre  enfant  Royal  fut  porté  au  Val  de  Grâce, 
dans  la  soirée  du  12  juin  ;  et  le  lendemain,  son  corps  déposé 
dans  les  caveaux  de  Saint-Denis. 

Pendant  que  durèrent  toutes  les  cérémonies  funéraires,  les 
théâtres  demeurèrent  clos.  Gela  avait  donné  le  temps  aux 
acteurs  de  répéter  les  pièces  nouvelles. 

Les  Beaujolais  rouvrirent  le  14  juin  par  la  première  repré- 
sentation de  :  Les  Deux  Babillardes^  comédie  en  un  acte,  en 
prose,  par  M.  Gabiot. 

C'était  une  très  pâle  imitation  des  Caquets. 

Juillet.  —  Le  6  Juillet,  première  représentation  de  :  Le 
Bon  époux.,  ou  La  Petite  Ecole  des  Maris.,  comédie  en  trois 
actes,  en  prose. 

Ce  même  jour,  parut  le  premier  numéro  du  journal  Le 
Bulletin  de  V Assemblée  nationale.,  rédigé  par  Maret,  lequel, 
par  la  suite,  devint  l'ami,  et  le  confident  de  Napoléon,  qui  le 
fit  Ministre  et  Duc  de  Bassano. 

Maret  avait  vingt-six  ans  ;  il  était  ardent,  fougueux,  et 
habitait  plutôt  Versailles  que  Paris.  Mais  il  venait  très  sou- 
vent en  la  grande  ville,  attiré  par  la  compagnie  de  la  demoiselle 
Adélaïde  Cousin^  gentille  actrice  des  Beaujolais. 

Adélaïde  Cousin  était  de  Dijon,  ville  dans  laquelle  Maret 
était  né  et  avait  fait  son  droit.  Venu  à  Paris,  il  avait  été  fort 
étonné  de  retrouver  Adélaïde,  qu'il  avait  jadis  connue  dans 
sa  ville  natale.  Il  s'éprit  fortement  de  sa  johe  compatriote 
devenue  comédienne. 

Il  composa  même  une  pièce,  dans  laquelle  il  écrivit  le  prin- 
cipal rôle  pour  Mademoiselle  Cousin. 

Cette  pièce,  intitulée  :  Le  Te  Deum  des  Grâces,  devait  être 
représentée  le  13  Juillet.  Les  grands  événements  politiques  ne 
permirent  pas  qu'on  la  jouât. 

Le  12  Juillet,  le  Ministre  Necker  avait  été  renvoyé  ;  les 
autres  Ministres  s'étaient  vus  contraints  de  donner  leur 
démission.  L'agitation  dans  Paris  était  immense. 

Camille  Desmoulins,  dans  le  jardin  du  Palais-Royal,  monté 


THEATRE  DES   «  BEAUJOLAIS  »  73 

sur  une  chaise,  avait  harangué  la  foule  qui  l'entourait.  Il 
avait  dit  :  «  C'est  le  tocsin  d'une  Saint-Barthélémy  de  patriotes 
qui  sonne.  Les  bataillons  Suisses  et  Allemands  vont  sortir  de 
leurs  camps  pour  nous  égorger.  Il  ne  nous  reste  qu'à  courir 
aux  armes  et  à  prendre  une  cocarde  pour  nous  reconnaître. 
Quelle  couleur  choisissons-nous  ?  Est-ce  le  bleu,  couleur  de 
la  Répubhque  américaine  ?  ou  le  vert,  couleur  de  l'espé- 
rance ?  » 

—  Le  vert  !  avait  crié  la  foule,  dont  étaient  Maret  et  Made 
moiselle  Adélaïde  Cousin. 

Camille  Desmouhns  avait  continué  :  «  Que  tous  les  bons 
citoyens  m'imitent.  » 

Alors,  il  avait  attaché  à  son  chapeau  un  ruban  vert  qu'une 
femme  venait  de  lui  remettre.  Cette  femme,  qui  était  mar- 
chande de  rubans  dans  la  galerie  même,  dite  Galerie  Beaujo- 
lais, donna  tous  ses  rubans  verts.  Quand  il  n'y  en  eut  plus, 
on  dépouilla  les  arbres  de  leurs  feuilles  et  chacun  en  arbora 
une  à  son  chapeau  ou  à  son  bonnet,  se  faisant  ainsi  une  cocarde 
verte  naturelle. 

Maret  dit  à  son  tour  :  «  Que  toutes  réjouissances  s'arrêtent 
jusqu'à  ce  que  le  sol  français  soit  purgé  des  soldats  étrangers 
qui  nous  menacent.  Fermons  les  bals,  fermons  les  spectacles, 
fermons  les  théâtres.  » 

Et  la  foule  s'était  ruée  sur  tous  les  théâtres  dont  elle  avait 
arraché  les  affiches. 

Maret  et  Adélaïde  Cousin  s'étaient  chargés  des  Beaujolais 
qui  se  trouvaient  sous  leurs  mains. 

ft  M.  Necker  ayant  —  comme  je  l'ai  écrit  —  reçu  l'ordre  de 
s'éloigner  de  France,  pendant  la  nuit  précédente,  ce  départ 
consterna  tous  les  esprits.  Le  peuple,  sur  les  quatre  heures, 
vint  en  foule  à  tous  les  spectacles,  leur  demander  de  fermer, 
de  la  part  de  la  Nation.  » 

«  Sur  les  huit  heures,  on  cria  :  Aux  armes  I...  et  jusqu'au 
bas  peuple,  tout  s'arma.  » 

(Extrait  des  Rapports  sur  VOpéra  du  S^  Louis,  Joseph^ 
Francœur,  secrétaire  de  ce  théâtre.) 


74  THÉÂTRE   DES    «  BEAUJOLAIS  H 

Les  boutiques  d'armuriers  furent  pillées  ;  le  grand  combat 
de  la  masse  contre  la  force  se  préparait. 

Le  lendemain  14  Juillet,  la  Bastille  était  prise  par  le  peuple. 

Le  pauvre  petit  théâtre  de  M.  Delomel  n'avait  pourtant 
guère  besoin  de  ces  grands  événements,  pour  péricliter  de 
plus  en  plus  et  de  jour  en  jour. 

Le  public  l'abandonnait  complètement,  les  Beaujolais  étant 
devenus  un  théâtre  «  comme  les  autres  »,  depuis  que  les  petits 
comédiens  avaient  été  remplacés  par  des  grands.  Ce  qui  avait 
amusé  le  pubhc  de  MM.  Delomel  et  Gardeur,  c'était  de  voir  un 
rôle  de  Père  noble  remph  par  un  bambin  de  douze  ans,  et  une 
Mme  Femelle  jouée  par  une  gamine  de  dix.  Cette  originahté 
avait  disparu,  la  foule  s'était  désintéressée  et  les  événements 
de  la  rue  n'étaient  pas  faits  pour  la  ramener. 

M.  Gardeur^  l'associé  de  M.  Delomel,  las  d'apporter  de  l'ar- 
gent, se  retira.  C'était  le  bailleur  de  fonds,  donc  l'homme  le 
plus  important  dans  l'entreprise. 

Ce  ne  fut  pas  pour  ranimer  le  courage  et  amener  la  con- 
fiance parmi  les  comédiens. 

Dans  le  monde  des  théâtres  on  est  bavard.  Le  tempérament 
loquace  des  acteurs  fait  qu'ils  sont  enchns  à  reporter  volon- 
tiers au  dehors,  avec  une  exagération  dont  ils  ne  se  rendent 
pas  compte,  ce  qui  devrait  demeurer  au  dedans. 

M.  Delomel^  resté  seul  à  la  tête  de  l'exploitation,  avait 
réuni  ses  pensionnaires  dans  le  foyer  de  son  théâtre  et  leur 
avait  dit  :  «  Mes  chers  camarades,  M.  Gagneur,  las  de  lutter 
contre  la  malechance  qui  depuis  quelque  temps  nous  pour- 
suit, se  retire  de  l'association  qui  le  liait  à  moi.  Il  en  a  le 
droit,  je  ne  lui  en  veux  pas.  Je  vous  dois  un  mois  d'appointe- 
ments ;  je  vous  demande  de  vouloir  bien  m'en  faire  momen- 
tanément l'abandon  ;  m'engageant  à  vous  rembourser  ma 
dette,  par  quart,  à  partir  du  mois  de  Novembre  prochain, 
c'est-à-dire  à  l'époque  où  les  recettes  ont  des  chances  de 
devenir  meilleures.  » 

Tous,  avec  l'enthousiasme  des  gens  de  théâtre,  qui  étaient 
à  cette  époque  ce  qu'ils  sont  encore  aujourd'hui,  avaient 
consenti,  sachant  que  M.  Delomel  était  un  très  honnête  homme 


THEATRE   DES  «  BEAUJOLAIS  ))  75 

et  un  lutteur  courageux.  Il  leur  avait  encore  demandé  de 
vouloir  bien  garder  le  secret  sur  cet  arriéré,  dont  il  leur  était 
redevable,  comptant  trouver  un  nouveau  bailleur  de  fonds, 
qui  lui  permettrait  de  continuer  honorablement  l'exploitation 
de  son  infortuné  théâtre,  trop  discrédité  déjà. 

Demander  à  des  comédiens  de  garder  un  secret,  c'est  de- 
mander au  Tonneau  des  Enfers  de  retenir  l'eau  du  Tartare, 
que  les  filles  de  Danaus  tentent  encore  vainement  de  remplir. 

Les  comédiens  bavardèrent;  mais  dans  la  très  excellente  et 
très  louable  intention  de  prouver  l'honnêteté  de  M.  Delomel; 
honnêteté  qu'ils  étaient  heureux  de  proclamer  à  très  haute, 
très  nette  et  très  inteUigible  voix. 

La  preuve  en  était  «  qu'eux,  créanciers,  —  disaient-ils  — 
n'hésitaient  pas  à  lui  faire  momentanément  l'abandon  de 
leur  créance,  »  tant  ils  avaient  confiance  en  lui,  comme 
administrateur  et  comme  directeur  intègre. 

Tout  cela  était  dit  et  répété  dans  les  estaminets  de  théâtre. 
D'autres  comédiens  reportaient  ces  nouvelles  au  loin  ;  si  bien 
que  dans  tous  les  foyers  il  n'était  plus  question  que  de  la 
débâcle  prochaine  des  Beaujolais. 

Le  pauvre  Delomel  voyait  s'enfuir  devant  lui  les  gens  aux- 
quels il  s'adressait  pour  leur  emprunter  de  l'argent. 

Cependant  il  finit  par  trouver.  Le  prestidigitateur  mécani- 
cien physicien,  M.  Bonthoux  de  Lorget^  qui,  depuis  plusieurs 
années,  louait  le  théâtre  pendant  la  quinzaine  de  Pâques 
pour  y  représenter  ses  tours  de  physique  amusante,  lui  avança 
quatre  mille  livres,  remboursables  à  raison  de  soixante-quinze 
livres  par  soirée,  et  cela  pendant  deux  cents  soirées  consécutives. 

L'intérêt  de  ces  quatre  mille  livres  était  colossal  ;  mais 
Delomel  accepta  quand  même  ;  il  fallait  qu'à  tout  prix,  il 
réussisse.  Et  le  Théâtre  Beaujolais  put  rouvrir  ses  portes. 

Août.  —  Le  3  Août,  on  parvint  à  donner  la  première  repré- 
sentation de  :  Le  Parrain  et  la  Marraine  de  Village,  comédie 
en  un  acte.  Chute  retentissante. 

Le  8  Août,  autre  représentation  de  :  Les  Déguisements  heu- 
reux, opéra-bouffon  en  trois  actes.  Demi-succès. 

Le  18  Août,  première  représentation  de  La  Politique  à  la 


76  THÉÂTRE  DES  ((  BEAUJOLAIS  )) 

Halle^  opéra-comique  en  vaudevilles,  en  un  acte,  précédé  d'un 
Prologue. 

A  la  représentation  du  20  Août,  les  «  Forts  et  Dames  de  la 
Halle  ))  se  rendirent  en  corps,  au  Théâtre  des  Beaujolais  et  pro- 
testèrent bruyamment  contre  les  critiques,  bien  douces  cepen- 
dant, qui  amusaient  beaucoup  l'auditoire  aux  dépens  de  «  ces 
irascibles  messieurs  et  de  ces  trop  susceptibles  dam.es.  » 

Tous  et  toutes  ne  cessèrent  de  crier  :  Cest  pas  çrai  !... 
Taisez-i^ous,  gueulards  !...  Les  gens  de  la  Halle  sont  d'honnêtes 
gens  !...  Tous  bien  éduqués  !...  A  bas  les  acteurs  !...  Vwe  le 
Roi^  qui  saura  bien  arrêter  la  pièce  !...  En  cave  le  Directeur  I... 

La  garde  s'empara  de  l'un  des  forts,  nommé  Giraud^  «  d'une 
très  puissante  structure  »,  lequel  menaçait  de  tout  casser  dans 
«  la  baraque.  » 

Ces  renseignements  nous  sont  fournis  par  le  rapport  de 
police  que  fit  le  sieur  Mathieu  Vanglenne,  commissaire  du 
quartier.  {Archii^es  Nationales). 

Ses  camarades  voulurent  s'opposer  à  l'arrestation.  Il  y 
eut  lutte  !...  le  sang  allait  couler,  quand  les  Dames  de  la 
Halle  se  mirent  à  s'emparer  des  gardes,  à  les  embrasser,  à  les 
caresser  ;  et  comme  «  certaines  étaient  jeunes  et  gentilles  », 
Messieurs  de  la  Garde  se  laissèrent  attendrir.  «  Sur  quoi  le 
sieur  Mathieu  Vanglenne,  commissaire,  ayant  été  requis  par 
le  sieur  Delomel,  Directeur  des  Beaujolais^  s'amena  au  théâtre 
et  prétendit  maintenir  l'arrestation  de  l'inculpé  Giraud.  » 

Alors,  les  acteurs  et  actrices  du  Théâtre  ayant  sauté  en  bas 
de  la  scène  et  enjambé  l'orchestre,  pour  arriver  dans  le  par- 
terre où  la  scène  se  passait,  entourèrent  à  leur  tour  M.  le 
Commissaire,  et  levant  les  bras  en  l'air,  se  mirent  à  genoux 
et  lui  chantèrent  en  chœur  un  ensemble  de  la  pièce  que  l'on 
jouait  :  Le  Parrain  et  la  Marraine  de  Village^  dont  les  paroles 
étaient  : 

Grâce  !... 
Faites-lui  grâce  1... 
Le  village  assemblé  vous  le  demande  en  masse. 
Tout  le  monde  sera  content 
Si  vous  vous  montrez  indulgent  I 


THÉÂTRE    DES    «  BEAUJOLAIS  »  77 

Elargissez  pour  lui  les  mailles  de  la  nasse, 
Faites-lui  grâce  ! 
Grâce  !... 

Bref,  M.  le  commissaire  finit  par  rire,  consentit  à  ce  qu'on 
relâchât  le  fort  Giraud  et  la  représentation  s'acheva  sans 
encombre. 

Mais,  le  surlendemain,  la  pièce  de  :  La  Politique  à  la  Halle 
ne  fut  pas  jouée,  «  par  ordre  de  l'autorité  supérieure.  » 

Quelques  coupures  ayant  été  opérées,  quelques  mots  re- 
tranchés, quelques  scènes  remaniées,  le  sieur  Delomel  obtint 
cependant  qu'elle  pût  reparaître  sur  l'affiche  ;  ce  qui,  pendant 
quelques  jours,  attira  encore  la  masse  au  pauvre  petit  théâ- 
tre bien  atteint  dans  sa  vitalité  artistique. 

Hélas  1  Cent  fois  hélas  1...  Ce  ne  fut  que  l'espace  d'un  éclair. 
Le  coup  de  tonnerre,  comme  tout  honnête  coup  de  ton- 
nerre, alla  s'amoindrissant,  pour  s'éteindre  tout  à  coup  ; 
faisant  plus  grand  encore  le  silence  de  mort,  dont  s'envelop- 
paient peu  à  peu  les  pauvres  Beaujolais. 

Les  comédiens  ne  possédaient  plus  l'ardeur  des  combat- 
tants ardents  à  la  lutte,  et  se  laissaient  gagner  par  le  décou- 
ragement et  la  torpeur,  qui,  nécessairement,  l'accompagnent. 

Bientôt  on  ne  répéta  plus  et  l'on  ne  donna  plus  de  nouveau- 
tés que  de  loin  en  très  loin. 

Septembre.  —  Le  mercredi  23  Septembre,  il  se  passa  un  petit 
drame  intime  au  Théâtre  des  Beaujolais. 

Un  chanteur,  nommé  Blain^ille^  avait  sa  fille  parmi  les 
petites  danseuses  du  théâtre.  Or,  ce  jour-là,  la  jeune  Blain- 
viïle  se  prit  de  bec  avec  la  petite  Laurence  Dottel^  âgée  de  qua- 
torze ans,  également  danseuse  aux  mêmes  Beaujolais. 

Blainuille  prit  naturellement  parti  pour  sa  fille,  et  donna 
plusieurs  soufflets  à  la  petite  Dottel  ;  puis,  lui  administra 
quelques  tapes  sur  le  derrière,  «  par  dessus  son  caleçon.  » 
L'enfant,  exaspérée,  se  mit  à  pousser  des  cris  terribles.  Ce 
qui  fit  accourir  sa  mère  qui,  dès  le  lendemain,  porta  plainte 
par  devant  le  commissaire  du  quartier,  ce  qui  est  certifié  par 
le  présent  procès-verbal,  inscrit  sous  le  numéro  567,  aux 
«  Archives  des  Communes.  » 


78  THÉÂTRE    DES  «  BEAUJOLAIS   » 

«  L'an  1789,  le  jeudi,  24  Septembre,  au  matin,  en  l'hôtel 
et  par  devant  nous  Adrien^  Louis,  Carré,  etc.,  est  comparue 
Marie,  Jeanne  Lamayrie,  veuve  de  Thomas,  Ignace  Dottel, 
maître  cordonnier  à  Paris,  y  demeurante,  rue  Saint-Honoré, 
maison  du  S^  Parisot,  perruquier,  paroisse  Saint- Roch  : 
laquelle  nous  a  rendu  plainte  contre  un  particulier,  connu  au 
Théâtre  des  Beaujolais  sous  le  nom  de  Blainville,  chanteur 
dans  les  couhsses,  de  ce  qu'hier  matin,  vers  midi,  tandis  qu'on 
faisait  répétition,  le  dit  Blainville,  de  propos  déhbéré  et  en 
fureur,  vint  trouver  la  fille  de  la  comparante,  nommée  Lau- 
rence Dottel,  âgée  de  quatorze  ans,  pour  la  maltraiter  ;  qu'il 
l'a  suivie  jusque  dans  une  loge,  où  il  l'a  renversée,  la  tenant 
les  pieds  en  l'air  en  la  frappant  sur  le  corps  et  le  derrière,  avec 
brutahté,  et  lui  cognant  la  tête,  au  point  qu'elle  n'a  pu  rester 
et  qu'elle  a  été  obligée  de  se  retirer  et  se  coucher  ;  qu'en  ce 
moment  elle  est  dans  son  lit,  souffrante  de  tout  le  corps  et  de 
la  tête,  des  coups  qu'elle  a  reçus  ;  qu'elle  a  eu  deux  boucles 
d'oreilles  d'or  brisées,  des  traitements  du  dit  Blaim^ille  ;  que 
cette  conduite  du  dit  Blainville  à  son  égard,  qu'elle  ne  sait  à 
quoi  attribuer,  l'empêche  de  pouvoir  rempHr  ses  devoirs  de 
danseuse  au  spectacle  des  dits  Beaujolais  et  comme  elle  a 
intérêt  d'avoir  raison  de  l'injure  et  des  mauvais  traitements 
du  dit  Blainçille,  la  comparante  s'est  déterminée  à  se  retirer 
par  devers  nous,  pour  nous  rendre  plainte.  » 

(Déposition  signée  :  LAMAYRIE). 

Les  témoins  de  cette  scène,  qui  furent  appelés  à  en  déposer, 
se  nommaient  : 

1^  Louise  Richer,  âgée  de  quatorze  ans  et  demi,  attachée  au 
Théâtre  des  Variétés,  comme  danseuse,  demeurant  rue  Traver- 
sière-Saint-Honoré,  au  petit  hôtel  de  la  Barre  ; 

2°  Jean,  Baptiste,  Garrochot,  âgé  de  treize  ans  et  demi, 
danseur  au  Spectacle  des  Beaujolais,  demeurant  rue  des 
Prouvaires  ; 

3°  Louis,  François,  Boisgirard,  âgé  de  seize  ans  et  demi,  atta- 
ché au  Spectacle  des  Beaujolais,  demeurant  rue  de  Provence  ; 

40  Marie,  Elisabeth,  Guillain,  âgée  de  treize  ans,  danseuse 


THEATRE   DES   a  BEAUJOLAIS  »  79 

au  Théâtre  des  Beaujolais^  demeurant  enclos  du  Temple,  chez 
son  père,  bijoutier  ; 

5°  Jacques  Tabraize,  âgé  de  dix-sept  ans,  danseur  au  Spec- 
tacle des  Beaujolais,  demeurant  chez  sa  mère,  rue  du  Bouloi  ; 

6°  Sophie  Tabraize,  âgée  de  douze  ans,  danseuse  au  Théâtre 
des  Beaujolais. 

Tous  affirmèrent  avoir  vu  le  dit  Blainville  retrousser  les 
jupes  de  Laurence  Dottel  et  l'avoir  fessée  à  plusieurs  reprises  ; 
mais  «  sans  avoir  retiré  son  caleçon  de  danse.  » 

La  fille  Blainviïle,  interrogée,  répondit  que  Laurence  Dottel 
l'avait  traitée  de  «  putassière  »  et  «  traînée  de  boulevard  »  ; 
que  là-dessus  elle  l'avait  appelée  «  fille  de  putain  »  et  qu'aussi- 
tôt la  dite  Laurence  Dottel  l'avait  prise  aux  cheveux  et  lui 
avait  égratigné  la  figure  ;  qu'à  ses  cris,  son  père,  le  S^  Blainville 
était  accouru  et  que  c'était  pour  faire  lâcher  prise  à  Laurence 
Dottel  qu'il  l'avait  fouettée  devant  tout  le  monde,  et  non  pas 
dans  une  loge,  comme  l'affirme  mensongèrement  la  femme 
Jeanne  Lamayrie. 

Sur  quoi  le  sieur  Blainville,  «  maître  de  musique  et  chanteur 
au  Théâtre  des  Beaujolais,  »  a  été  condamné  à  payer  à  la  dite 
Laurence  Dottel,  «  18  livres  d'indemnité,  étant  donnée  l'exagé- 
ration de  la  plainte  portée  par  la  mère.  » 

Le  langage  de  ces  petites  filles  était,  —  on  le  voit  par  ces 
faits  —  des  plus  vulgaires  et  des  plus  fibres. 

Pouvait-il  en  être  autrement  dans  le  milieu  où  elles  vivaient, 
milieu  corrompu  et  abject,  qui  avait  motivé  plusieurs  fois  les 
menaces  d'une  autorité,  pas  assez  vigilante  et  trop  portée  à  la 
miséricorde. 

Octobre.  —  Le  3  Octobre,  on  parvint  à  donner  une  première 
représentation  de  :  La  Soubrette  rusée,  comédie  en  un  acte, 
mêlée  d'ariettes. 

Cette  pièce  attira  un  peu  de  monde. 

Le  30  Octobre,  première  représentation  de  :  La  mère  rivale 
de  sa  fille,  comédie  en  trois  actes. 

On  ne  vint  pas  voir  la  Fille  plus  que  la  Mère. 

Novembre.  —  Le  5  Novembre,  première  représentation  de  : 
Grégoire  et  ses  filles,  opéra-bouffon  en  trois  actes. 


80  THÉÂTRE  DES   «  BEAUJOLAIS  » 

Cette  pièce  fit  quelque  argent,  et  le  sieur  Delomel  prouva 
alors  à  ses  comédiens  que  la  confiance  dont  ils  l'avaient  honoré 
était  bien  fondée  ;  car,  malgré  les  désastreuses  recettes  dont, 
pendant  trois  mois,  il  venait  d'être  la  victime,  il  remboursa, 
suivant  promesse  faite,  tout  son  personnel,  du  premier  quart 
de  la  dette  qu'il  avait  contractée  envers  lui. 

Cette  «  noble  conduite  »  fit  grand  bruit  dans  les  milieux 
théâtraux  et  l'on  n'appela  plus  M.  Delomel  que  «  l'honnête 
Delomel  ». 

Décembre.  —  Le  12  Décembre^  première  représentation  de  : 
La  Veuve  espagnole.,  comédie  en  un  acte,  en  vers,  par  M.  Guille- 
main,  très  bonne  pièce,  fort  bien  jouée  par  M.  Talon  jeune  et 
Mademoiselle  Cousin. 

Le  22  Décembre,  première  représentation  de  :  Le  Menuisier 
de  Bagdad^  comédie  en  un  acte,  mêlée  de  vaudeville,  par  M. 
C.  J.  Guillemain. 

Le  lendemain,  23  Décembre,  première  représentation  de  : 
Le  Directeur  dans  rembarras,  opéra-bouffon  en  deux  actes, 
musique  del  signor  Cimarosa. 

Ce  titre  de  Directeur  dans  l'embarras  sur  l'affiche  des  Beau- 
jolais, fit  beaucoup  rire  le  tout-théâtre  d'alors. 

On  se  demandait  pourquoi  le  S^  Delomel  n'en  avait  pas  de- 
mandé le  changement  à  son  auteur. 

On  ignorait  que,  tout  au  contraire,  c'était  lui-même,  Delo- 
mel, qui  avait  choisi  la  pièce  à  cause  de  son  titre,  si  bien 
approprié  à  son  cas. 

Et,  en  effet,  l'on  vint  la  voir  par  curiosité. 

La  chance  semblait  vouloir  revenir  au  petit  théâtre.  Aussi 
les  acteurs  de  M.  Delomel  commencèrent-ils  à  redoubler  leurs 
efforts  pour  arriver  à  tirer  d'embarras  «  l'honnête  Delo- 
mel. »  Malheureusement,  de  nouveaux  événements  survinrent, 
qui  précipitèrent  la  chute  de  cette  vaillante  petite  troupe, 
si  pleine  de  courage,  de  talent  et  de  bonne  volonté. 

La  Demoiselle  Montansier,  directrice  du  Théâtre  de  Ver- 
sailles, était  rentrée  à  Paris,  à  la  suite  de  la  Reine,  revenue 
aux  Tuileries  le  6  Octobre,  en  même  temps  que  le  Roi  et  toute 
la  Cour. 


THÉÂTRE  DES   «  BEAUJOLAIS  »  81 

La  Demoiselle  Montansier  n'avait  plus  de  raisons  pour  tenir 
ouvert  son  théâtre  de  Versailles,  la  Cour  n'étant  plus  en  cette 
ville,  et  son  théâtre  se  trouvant,  de  ce  fait,  en  partie  déserté. 
Aussi  cherchait-elle  activement  à  Paris  une  salle  où  elle  pût 
faire  débuter  sa  troupe  de  très  heureuse  et  très  belle  compo- 
sition. 

Il  ne  lui  fut  pas  difficile  de  connaître  la  situation  désespérée 
dans  laquelle  se  trouvait  «  l'honnête  Delomel  !  »  Qui  ne  la 
connaissait,  d'ailleurs  ?...  Depuis  quelque  temps,  déjà,  on  se 
demandait  comment  il  se  pouvait  faire  que  les  pauvres  Beau- 
jolais fussent  encore  ouverts. 

La  Demoiselle  Montansier  fit  agir  la  Reine  auprès  de  l'Inten- 
dant de  Son  Altesse  Monseigneur  le  Comte  de  Beaujolais, 
auquel  elle  donna  un  très  important  pot-de-vin,  remboursa 
les  loyers  non  payés  par  l'infortuné  Directeur,  et  obtint  le 
renouvellement  du  bail  à  son  profit,  pour  les  premiers  jours  de 
l'année  1790. 

C'est  ainsi  que  se  termina  pour  la  pauvre  troupe  de  comé- 
diens de  «  l'honnête  Delomel  »,  la  fatale,  mais  si  grande  année 
1789. 


82  THÉÂTRE   DES    «  BEAUJOLAIS  )) 


CHAPITRE  VI 


1790 


A  LA  RECHERCHE  d'UNE  NOUVELLE  SALLE.  —  PERSÉCUTIONS 
DE  LA  MONTANSIER.  —  LE  THEATRE  MAREUX.  —  LE  THEA- 
TRE DES  ÉLÈVES  DE  l'oPÉRA  ET  DES  FEUX  PHYSIQUES.  — 
DÉGRINGOLADE. 

Le  brave  Delomel,  que  rien  n'abattait,  se  mit  en  quête  de 
trouver  une  autre  salle  de  spectacle.  Ses  comédiens  lui  res- 
taient dévoués.  Ses  créanciers,  indignés  du  procédé  dont  avait 
usé  la  Demoiselle  Montansier,  qui  n'avait  reculé  devant  aucun 
méchant  moyen  pour  expulser  et  déposséder  Delomel  et  ses 
acteurs,  s'étaient  groupés  pour  le  soutenir  ;  il  continua  donc 
de  jouer  en  son  Théâtre  du  Palais-Royal  jusqu'à  ce  que 
congé  lui  fût  duement  signifié  au  nom  et  de  par  la  loi  ;  cepen- 
dant, le  1^'  janvier  1790,  il  put  donner  encore  la  première 
représentation  de  :  Les  Etrennes  du  Moment^  intermède  en  un 
acte,  mêlé  de  vaudevilles. 

Ces  Etrennes  du  Moment  étaient  loin  d'être  gaies. 

On  y  chantait  entre  autres  couplets  : 

Souvenirs  des  temps  passés 
Qui  donnèrent  la  victoire 
Vous  êtes  finis.  Fuyez 
Dans  l'intérêt  de  l'Histoire. 
Rien  ne  laisse  ici-bas  de  trace, 
Les  contents  font  les  mécontents, 
Du  grand,  du  bon,  on  se  lasse. 
Tout  ça  passe  {ter)  en  même  temps. 


THÉÂTRE  DES   «  BEAUJOLAIS  »  83 

On  vint  voir  cette  revue-intermède.  On  y  pleura  presque  au 
lieu  d'y  rire.  Les  acteurs  des  Beaujolais  la  jouaient  avec 
la  conviction  du  désespoir.  Gela  redonna  quelques  forces  à  la 
vaillante  petite  phalange;  et  avant  d'abandonner  complète- 
ment sa  salle  du  Palais-Royal,  M.  Delomel  tint  à  prouver  au 
public  que  la  troupe  des  Beaujolais  était  loin  de  vouloir  rendre 
en  ce  bas  monde,  âme  et  vie. 

Il  fit  composer  de  grandes  affiches  que  ses  comédiens  allè- 
rent eux-mêmes  coller  dans  les  principaux  carrefours  de  Paris. 
Ces  affiches  comportaient  le  tableau  de  troupe  pour  l'année 
nouvelle. 

Au  bas  du  tableau  de  troupe,  il  y  avait  cette  note  : 

«  Devant  les  persécutions  injustifiables  dont  est  victime 
l'entrepreneur  du  Théâtre  des  Beaujolais^  celui-ci  prévient  le 
pubhc  que  rien  n'abattra  son  courage,  pas  plus  que  celui  de 
ses  acteurs.  Au  contraire,  ils  redoubleront  d'activité  et  de 
talent  pour  mériter  encore  les  faveurs  dont  les  Parisiens  les 
ont  toujours  comblés  et  dont  ils  espèrent  être  honorés  encore.  » 

«  Les  spectacles  des  Beaujolais  continueront  donc  à  être 
joués  sur  la  scène  qu'ils  occupent  à  l'angle  septentrional  de  la 
galerie  Beaujolais,  au  Palais- Royal.  » 

Cette  annonce,  signée  :  De  Lomel^  en  deux  mots,  était  pré- 
cédée du  Tableau  de  troupe  suivant  : 

TABLEAU  DE  TROUPE  DES  «  BEAUJOLAIS  »  POUR  1790 


Directeur 

M. 

DE  LOMEL. 
Régisseur 

M 

.  DELBOY. 

ACTEURS 

ACTRICES 

MM. 

Vénier, 

Mmes  Sara. 

Dumily. 

Latour. 

Lahitt. 

Fournier, 

Dubois. 

Bonardot. 

Monrose, 

Fusil. 

Latour. 

Adélaïde  Cousin. 

Berville, 

Richard. 

Boitte 

Alphonsine. 

84  THÉÂTRE  DES   «  BEAUJOLAIS  » 


MM.  Mériel. 

M  mes  Bayer. 

Dufossé. 

Guillain. 

Loriant. 

Cornu. 

Henry. 

Bellet. 

Talon  cadet. 

Simonet. 

Hugot, 

Monrose. 

Maurel. 

Joinville  cadette. 

Durancy, 

Honorine. 

Gobelot. 

Hélène. 

Dumoulin. 

Victoire. 

Masclet,  copiste  de  musique. 

Mulot. 

Cliksus. 

Racine, 

Beau  jeu. 

MAITRE  DE  MUSIQUE 
M.  LE  ROI,  sujet  précieux. 

DIRECTEUR  DE  L'ORCHESTRE 
Il  signor  CAMBINI. 

SOUFFLEUR 
M.  Richard. 

On  le  voit,  M.  De  Lomel,  bravant  les  haines  qui  commen- 
çaient à  s'accumuler  contre  tout  ce  qui  était  de  la  Cour, 
s'était  très  vaillamment  annobli.  Il  signait  désormais  de 
Lomel. 

Janvier  1790.  —  Le  6  Janvier.,  M.  «  de  Lomel  »,  à  court  de 
pièces  nouvelles,  fit  une  reprise  ;  il  donna  La  Fête  de  V Arque- 
buse., comédie  en  deux  actes,  mêlée  de  chant  et  de  danses. 

Enfin,  le  18  Janvier.,  le  Théâtre  des  Petits  Comédiens  de 
S.  A.  S.  Monseigneur  le  comte  de  Beaujolais  afficha  :  Relâche, 
et  fit  suivre  le  mot  sinistre  de  cette  note  : 

AU  PUBLIC 

«  Les  entrepreneurs  de  ce  spectacle,  forcés  de  l'interrompre 
par  des  circonstances  particulières,  auront  l'honneur  de  pré- 
venir le  public  du  jour  où  leur  théâtre  sera  rouvert  dans  un 
autre  lieu.  » 

M.  de  Lomel,  expulsé  régulièrement  de  par  la  Loi,  et  au  nom 


THÉÂTRE  DES   «  BEAUJOLAIS  T>  85 

de  la  demoiselle  Montansier,  devenue  possesseur  du  bail  et 
directrice  de  la  salle,  qui  devait  bientôt  orgueilleusement  rou- 
vrir ses  portes,  sous  le  titre  fort  prétentieux  de  Théâtre  Mon- 
tansier^ cherchait  partout  une  salle  où  porter  ses  décors,  ses 
comédiens  et  ses  pièces. 

De  même  qu'Enée,  après  la  prise  de  Troie,  s'enfuyait  empor- 
tant son  père  Anchise  pour  le  mettre  à  l'abri  du  désastre,  sur 
un  des  vaisseaux  de  sa  flotte,  de  même  de  Lomel  portait  sur 
son  dos  courbé,  le  poids  de  tout  son  personnel,  et  cherchait  vai- 
nement un  vaisseau  terrien  pour  y  déposer  ce  personnel  de 
soixante-dix  engagés,  tant  acteurs  que  musiciens,  machinistes, 
etc.,  etc. 

Poussant  l'imitation  du  prince  Troy en  jusqu'à  l'exagération, 
M.  de  Lomel,  dans  la  débâcle,  égara  sa  femme  ;  de  même 
qu'Enée,  dans  sa  fuite,  avait  perdu  son  épouse  Creuse. 

Seulement,  Enée  ne  retrouva  jamais  sa  compagne  chérie, 
tandis  que  M.  de  Lomel  retrouva  la  sienne,  six  mois  après, 
dans  les  bras  d'un  certain  Arnould-Mussot,  acteur  forain, 
auteur  dramatique  et  directeur  associé  d'Audinot,  au  Théâtre 
de  V Ambigu-Comique.  Il  ne  la  réclama  pas. 

De  Lomel  s'en  fut  trouver  le  sieur  Mareux,  propriétaire  d'un 
théâtre  d'amateurs  situé  rue  Saint- Antoine,  n^  46,  et  lui  pro- 
posa de  louer  sa  salle  pour  y  transporter  sa  troupe  de  comé- 
diens. 

Les  offres  de  M.  de  Lomel  étaient  si  alléchantes,  tant  était 
grand  le  désir  et  le  besoin  du  pauvre  honnête  homme  de  rou- 
vrir ses  fameux  Beaujolais^  sa  création,  son  orgueil,  que  le 
sieur  Mareux  accepta  tout  d'abord. 

Une  première  somme  de  cinq  mille  livres  devait  être  versée 
le  4  février,  par  de  Lomel,  entre  les  mains  du  dit  Mareux.  De 
Lomel  était  parvenu  à  trouver  un  nouveau  bailleur  de  fonds, 
un  certain  Ghapotel,  maître  tailleur,  étabh  rue  Saint-Honoré, 
grand  amateur  de  théâtre,  fréquentant  tous  les  soirs  les  Beau- 
jolais, habillant  ses  acteurs  qui  l'avaient  toujours  payé,  et  ai- 
mant fort  «  l'honnête  de  Lomel  ».  Ce  Ghapotel  devait  lui  four- 
nir 15.000  livres  en  l'espace  de  deux  mois  ;  aussi,  l'heureux 
de  Lomel  fit-il  paraître  dans  les  journaux  du  3  février  la  note 


86  THEATRE  DES  «  BEAUJOLAIS  0 

que  voici  :  «  Uouverture  du  Théâtre  de  S.  A.  S.  Monseigneur 
LE  Comte  de  Beaujolais,  se  fera  incessamment  rue  Saint- 
Antoine^  n^  46.  » 

Mais  M.  Ghapotel,  circonvenu  par  sa  femme  —  prétendit-on  — 
se  déroba  au  dernier  moment,  si  bien  que  le  4  février,  la  somme 
de  5.000  livres  ne  put  être  versée  entre  les  mains  du  proprié- 
taire Mareux;  lequel,  dans  la  crainte  que  sa  salle  de  spectacle 
demeurât  inoccupée,  s'empressa  de  faire  paraître  à  son  tour 
dans  les  mêmes  feuilles,  qui  avaient  inséré  l'annonce  anticipée 
de  l'ouverture  des  Beaujolais  : 

«  Je,  soussigné,  principal  locataire  de  la  salle  de  spectacle, 
n^  46,  rue  Saint- Antoine,  déclare  n'avoir  fait  aucun  traité  pour 
la  location  de  cette  salle,  avec  les  intéressés,  ou  directeurs  du 
spectacle  des  Beaujolais.  » 

«  A  Paris,  le  5  février  1790.  » 

Signé  :  MAREUX  l'aîné.  » 

Voilà  donc  la  pauvre  troupe  plus  que  jamais  sur  le  pavé  ; 
mais  plus  que  jamais  confiante,  également,  en  l'habileté  re- 
connue de  son  infortuné  directeur,  et  se  gardant  bien  de  se 
désagréger. 

De  temps  en  temps,  pour  ne  pas  complètement  mourir  de 
faim,  les  pauvres  acteurs  allaient  jouer  en  banlieue,  à  Nan- 
terre,  à  Saint-Denis,  à  Gorbeil,  à  Palaiseau.  Un  jour  qu'ils 
étaient  allés  jusqu'à  Pontoise,  ils  ne  firent  pas  leurs  frais.  Leurs 
malles  furent  retenues  comme  garantie  de  la  location  par  le 
propriétaire  de  la  salle  de  danse  dans  laquelle  ils  avaient  ins- 
tallé leurs  tréteaux,  et  les  pauvres  diables,  enfants  comme 
grandes  personnes,  se  virent  contraints  de  revenir  à  pied,  sans 
manger  m  boire,  jusqu'à  leurs  domiciles  parisiens. 

L'odyssée  en  a  été  contée  plus  tard,  même  écrite  par  l'acteur 
Vénier,  qui  avait  conçu  l'idée  fâcheuse  de  cette  déplorable 
excursion. 

Enfin,  à  force  de  pérégrinations,  et  par  la  raison  que  tout 
arrive,  même  ce  qu'on  désire,  «  l'honnête  de  Lomel  »  finit 
par  se  rendre  acquéreur  d'un  théâtre  sur  le  boulevard  Ménil- 
montant,  juste  en  face  la  rue  Chariot.  Par  la  suite,  le  boule- 


THEATRE  DES    ft  BEAUJOLAIS  »  87 

vard  Ménil-Montant  devint  le  commencement  de  notre  boule- 
vard du  Temple  actuel. 

Ce  nouveau  théâtre  de  M.  de  Lomel  dont  la  salle  était  fort 
jolie  et  la  scène  assez  vaste,  avait  été  bâti  pour  Les  Elèi^es  de 
la  Danse  de  l'Opéra, 

Son  éloignement,  relatif,  des  autres  salles  du  boulevard  du 
Temple,  faisait  qu'il  n'avait  jamais  beaucoup  réussi.  Rouvert 
sous  le  titre  des  Feux  Physiques^  il  s'était  bientôt  vu  dans 
la  nécessité  de  fermer  ses  portes. 

Ce  théâtre  des  Elèves  de  la  Danse  de  l'Opéra  avait  cependant 
très  brillamment  débuté.  Ses  deux  administrateurs  les  Sieurs 
Parisot  et  Texier  avaient  inauguré  leur  ouverture  par  un  coup 
de  maître,  en  «  opérant  des  merveilles,  au  moyen  de  la  fameuse 
baguette  d'Armide  »,  tenue  par  la  célèbre  danseuse  Mlle  Dau- 
thier,  du  Théâtre-Français^  devenue  la  maîtresse  du  grand 
maître  de  ballet  Deshais. 

Armide  avait  été  un  grand  succès.  Tellement  grand,  qu'il 
avait  écrasé  les  putres  spectacles  arrivant  à  sa  suite. 

Contrainte  de  se  retirer  par  manquement  de  recettes,  la 
Troupe  des  Elèves  de  la  Danse  de  V Opéra  ferma  ses  portes  au 
bout  de  quelque  temps  ;  ses  administrateurs  y  avaient  pour- 
tant monté  des  spectacles  de  toute  beauté,  qui  n'étaient  pas 
parvenus  à  attirer  le  public  routinier,  dont  les  habitudes 
prises  ne  pouvaient  lui  faire  franchir  trois  cents  pas  de  plus, 
qui  le  séparaient  de  son  unique  objectif,  le  boulevard  du 
Temple,  proprement  dit. 

Les  portes  s'étaient  encore  rouvertes  un  instant,  avec  un 
théâtre  d'optique  et  d'ombres  chinoises  tenu  par  les  sieurs 
Provost  et  Bertaud,  offrant  d'ordinaire  leur  spectacle  aux 
foires  Saint-Laurent,  Saint-Germain,  Saint-Ovide,  et  même  à 
celle  des  Loges. 

—  Mais,  écrit  un  journaHste  de  l'époque,  «  je  passe  sur  cet 
optique,  parce  que  j'en  ai  vu  de  semblables  au  Pont-Neuf  ; 
et  sur  les  ombres  chinoises  de  Bertaux,  parce  que  j'ai  vu  celles 
du  Mirmidon  Moreau  et  de  l'Esope  Séraphin  au  Palais- 
Royal.  » 

Ces  portes  entrebâillées  s'étaient  donc  bien  vite  refermées 


88  THEATRE   DES  «  BEAUJOLAIS  » 

sur  les  imprudents  exploiteurs,  dont  l'audace  avait  infructueu- 
sement tenté  leur  ouverture. 

Février.  —  Ce  fut,  cependant,  cette  mauvaise  salle  de  spec- 
tacle qu'entreprit  de  désenguignoner  le  pauvre  de  Lomel,  trop 
confiant  dans  la  haute  réputation  de  son  enseigne  qu'il  croyait 
prestigieuse  :  Théâtre  des  Beaujolais  !  et  sur  le  mérite  qu'il 
exagérait  de  ses  acteurs. 

Le  22  Février  eut  lieu  l'ouverture  solennelle,  par  Une  Ruse 
(Vamour^  comédie  en  un  acte,  en  prose,  mêlée  d'ariettes  ; 

Le  Menuisier  de  Bagdad^  comédie  en  un  acte  et  vaude- 
villes, de  M.  Guillemin,  très  agréable  pièce,  dans  laquelle  «  la 
gaité,  le  naturel  et  l'esprit  se  disputaient  le  pas  »  ;  et 

3°  Les  Déguisements^  opéra-boufîon  en  trois  actes. 

Avant  le  lever  du  rideau,  M.  Vénier,  le  principal  acteur  de 
la  troupe,  était  venu  débiter  au  public  le  compliment  suivant  : 

Au  public  de  Paris,  en  masse, 
Le  spectacle  des  Beaujolais, 
Dont  nul  théâtre  ne  surpasse 
Les  grands  et  glorieux  succès, 
Vient  offrir  sa  modeste  troupe 
Et  ses  pièces,  dont  Apollon, 
Joint  à  ses  neuf  Muses  en  groupe. 
Ont  tracé  le  brillant  sillon. 
Au  travers  du  temple  de  Gloire, 
Où  croissent  dans  l'air  théâtral 
Les  lauriers  qui  de  la  victoire. 
Sont  le  diadème  idéal. 
Le  Directeur,  qu'on  dit  «  l'honnête  », 
Qui  de  ce  titre  se  sent  fort, 
Offre  à  vos  yeux  fête  sur  fête. 
Pour  mieux  vous  éblouir  encor. 
Il  sait  le  goût  et  la  finesse 
Des  spectateurs  du  boulevard 
Et  leur  présente,  plein  d'ivresse. 
Ses  représentants  d'un  grand  art. 
Donc,  Parisiens  et  Parisiennes, 
Pour  venir  à  lui,  tous  debout!... 
Chez  nous,  point  d'intrigues  obscènes. 
Point  de  pièces  de  mauvais  goût. 
Des  scènes  pleines  de  comiques, 


THEATRE  DES    «  BEAUJOLAIS  »  89 

Avec  de  joyeux  calembourgs  ; 
Des  idylles,   des  bucoliques, 
Avec  des  jeux  et  ris  d'amours  ! 
Car  les  oreilles  les  plus  chastes 
Et  les  yeux  les  plus  innocents 
Peuvent  assister  à  nos  fastes 
Et  nos  travaux  réconfortants. 

Cet  avant-propos  disposa  assez  bien  le  public.  On  applaudit. 
M.  Vénier  revint  en  scène,  salua,  et  comme  il  eût  fait  pour  une 
pièce  d'importance,  il  dit  : 

—  L'auteur  de  cette  pièce  de  vers  est  Mme  Vénier,  ma 
femme. 

Les  frères  de  Mme  Vénier,  qui  étaient  au  parterre,  crièrent 
tant  et  tant  :  Bravo  !...  Bravissimo  I...  que  Mme  Vénier,  qui, 
«  par  hasard^  »  se  trouvait  dans  la  coulisse,  fut  contrainte  de 
venir  saluer  le  public,  lequel  n'était  nullement  en  délire,  sauf 
les  deux  frères  de  Mme  Vénier,  que  l'on  menaça  d'expulser,  s'ils 
ne  cessaient  de  crier  his^  avec  tant  de  puissance  et  d'exhubé- 
rance. 

Il  s'agissait,  pour  M.  de  Lomel,  de  parvenir  à  attirer  à  son 
spectacle  un  public  trop  habitué  aux  mélodrames  à  noires 
actions,  aux  vaudevilles  dont  la  grivoiserie  confinait  à  la  gros- 
sièreté, et  aux  pantomimes  à  grand  spectacle,  qui  se  jouaient 
journellement  sur  les  autres  théâtres  du  boulevard. 

Les  Beaujolais^  avec  leurs  petites  pièces  en  un  ou  deux 
actes,  plus  rarement  en  trois,  réussiraient-ils  à  capter  l'atten- 
tion de  la  foule  indifférente  ? 

Les  épices  légères,  dont  les  pièces  du  répertoire  de  M.  de 
Lomel  étaient  assaisonnées,  seraient-elles  du  goût  d'un  public 
au  palais  blasé  par  les  sauces  grossières,  si  fortement  pimen- 
tées, salées  et  moutardées,  des  pièces  représentées  chez  Audi- 
not,  Nicolet  et  les  Associés  ? 

Faudrait-il  que  ces  comédiens  légers,  d'un  genre  plaisant, 
presque  délicat,  à  côté  des  insalubrités  ordurières  qui  se  débi- 
taient chaque  jour  sur  les  scènes  voisines,  changeassent  leurs 
façons  de  dire  et  de  jouer  ? 

That  is  the  question  I  eût  dit  M.  de  Lomel,  s'il  eût  jamais 


90  THÉÂTRE   DES  «  BEAUJOLAIS  )) 

entendu  parler  de  Shakespeare  ;  mais  Timmortel  et  génial 
poète  anglais  n'était  alors  connu  qu'à  travers  les  lueurs  cré- 
pusculaires de  quelques  informes  traductions  ;  et  M.  de  Lomel 
ignorait  absolument  qu'il  eût  existé  de  l'autre  côté  du  détroit 
un  comédien  audacieux,  auteur  de  génie,  qui  triomphait  sous 
le  nom  du  grand  Will. 

Le  travail  fut  repris  cependant  plus  désespérément  que 
jamais,  par  les  petits  et  grands  comédiens  de  S.  A.  S.  Monsei- 
gneur le  comte  de  Beaujolais,  et  les  nouveautés  s'entassèrent 
encore  sur  les  nouveautés. 

Mars  1790.  —  Le  l^^  Mars,  les  Beaujolais  donnèrent  la  pre- 
mière représentation  de  Griffonnet,  comédie  en  prose  et  en 
deux  actes,  mêlée  de  vaudevilles,  par  M.  Imhert. 

Dans  cette  pièce,  l'auteur  critiquait  très  finement  et  de 
plume  fort  alerte,  la  nuée  d'écrivains  et  de  folliculaires,  éclose 
depuis  la  Révolution.  La  Presse  d'alors,  pour  ce  fait,  fit  un  fort 
mauvais  accueil  à  cette  œuvre  ;  mais,  nous  qui  l'avons  entre  les 
mains,  nous  pouvons  affirmer  qu'elle  n'était  dépourvue  ni  de 
bon  sens,  ni  d'une  certaine  littérature. 

On  y  chantait  ce  couplet  sur  l'air  :  Nous  nous  marierons  di- 
manche : 

Gomment  d'un  grand  sot 

Faire  un  Diderot, 
C'est  une  chose  facile  : 

A  l'oie  vous  prenez 

Une  plume  assez 
Taillée  pour  être  imbécile. 
Vous  trempez  la  plume  dans  la 

Sottise, 
Vous  écrivez  sous  la  loi  d'  la 
Bêtise. 

Alors  on  se  dit 

Qu'il  a  donc  d'esprit 
Malgré  sa  gross'  balourdise  ! 

Ce  couplet  n'est  pas  un  des  meilleurs  de  la  pièce,  mais  je  le 
donne  comme  note  du  genre  d'esprit  qui  l'avait  inspiré  à  son 
auteur. 

Le  même  jour,  on  donna  encore  La  Solitude,  comédie  sen- 


THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  »  91 

timentale  en  un  acte,  et  Le  Philosophe  imaginaire^  opéra-bouf- 
fon en  trois  actes. 

Le  public  ne  vint  pas  beaucoup  à  cette  représentation  ;  pas 
plus  qu'aux  suivantes. 

Le  6  Mars^  ce  fut  le  tour  des  Deux  Jumelles^  de  voir  pour  la 
première  fois  le  jour  douteux  des  quinquets  fumeux  de  la 
rampe. 

Ces  Deux  Jumelles  étaient  un  ballet-pantomime  en  trois  actes, 
composé  sur  le  Due  Gemelle^  opéra  italien  del  signor  Guglielmi. 

Le  14  Mars,  première  représentation  de  la  reprise  de  La 
Politique  à  la  Halle,  de  M.  Guillemain. 

La  pièce  expurgée,  châtrée  de  quelques  situations  mal 
accueillies  au  Palais- Royal,  lors  de  sa  première  apparition,  par 
un  public  qui  se  voyait  plaisanter  dans  ses  coutumes,  dans  son 
langage,  dans  ses  mœurs  particulières,  passa  cette  fois  sans 
encombre  ;  mais  n'attira  plus  les  spectateurs,  toujours  avides 
de  scandale,  et  plus  friands  du  spectacle  qui  se  passe  dans  la 
salle,  que  de  celui  qui  se  passe  sur  la  scène. 

Le  22  Mars,  M.  de  Lomel  fit  jouer  la  première  représentation 
de  la  reprise  de  U Apparence  trompeuse,  comédie  en  un  acte, 
mêlée  de  vaudevilles,  par  M.  Maillot. 

Cette  pièce  obtint  du  succès. 

L'auteur  qui  signait  Maillot,  au  Théâtre  des  Beaujolais, 
n'était  autre  que  M.  Maillé  de  la  Maille,  défini  «  l'ange  conser- 
vateur de  la  tragi-comédie  »,  par  le  Petit  Almanach  des  grands 
hommes  de  l'année  1788. 

Par  les  applaudissements  qu'obtint  cette  comédie,  on  eût 
pu  croire  à  la  rénovation  complète  du  petit  théâtre  et  au  triom- 
phe final  du  pauvre  M.  de  Lomel  ;  il  n'en  fut  cependant 
rien. 

Mlle  Montansier,  pour  arriver  à  l'expulsion  de  M.  de  Lomel, 
avait  employé  les  pires  moyens.  Elle  avait  racheté  à  vil  prix 
et  en  sous-main,  les  créances  du  pauvre  Directeur,  avait  obtenu 
un  jugement  contre  lui  et  s'était  mise  à  le  poursuivre  impi- 
toyablement, pour  se  rembourser  des  dites  créances. 

Aussi,  le  25  Mars  au  soir,  le  commissaire  Delaporte,\es  sieurs 
Tulot,  exempt  de  police,  et  Poussardin,  second  sergent  de  la 


92  THÉÂTRE  DES   «  BEAUJOLAIS  » 

Garde  Nationale  Parisienne,  du  district  des  Pères  de  Nazareth, 
accompagnant  le  sieur  Ourdin^  huissier,  se  présentèrent-ils 
au  contrôle  des  Beaujolais  et  saisirent-ils,  au  nom  de  la  dite 
demoiselle  Montansier^  la  recette  qui  s'élevait  à  221  livres. 

L'indignation  contre  la  méchante  femme  fut  générale. 
Les  acteurs  réunis  du  Boulevard  lui  adressèrent  une  lettre 
collective  dans  laquelle  ils  lui  reprochaient  vertement  3a  con- 
duite. Elle  se  garda  bien  d'y  répondre. 

Dans  cette  lettre,  écrit  Mayeur  de  Saint-Paul,  il  y  avait  ce 
passage  : 

«  Si  votre  «  maquereau  »  veut  se  trouver  en  face  le  café  de 
Roy,  entre  quatre  heures  et  cinq  heures,  ce  soir,  nous  lui 
exprimerons  dans  le  derrière  les  coups  de  bottes  que  nous  ne 
pouvons  vous  administrer,  parce  que  vous  passez  pour  être 
une  femme.  » 

Le  «  maquereau  »  qu'ils  désignaient  était  l'acteur  Neuville. 

Le  Samedi  27  Mars^lQ  Théâtre  des  Beaujolais  affichait  Clô- 
ture annuelle  pour  cause  de  Semaine  Sainte.  » 

Cependant  la  veille,  le  26  Mars.,  on  avait  encore  pu  donner 
la  première  représentation  de  Compliment  de  clôture  pour  Pâ- 
ques 1790. 

C'était  un  à-propos  vaudeville  en  un  acte  de  M.  Imbert. 

Cet  à-propos  avait  obtenu  beaucoup  de  succès.  Un  feuille- 
toniste écrivit  :  «  Des  couplets,  plus  heureux  par  les  allusions  à 
la  circonstance  que  par  leur  tournure,  ont  plu  au  public,  d'ail- 
leurs toujours  porté  à  l'indulgence  quand  on  lui  rend  hommage. 
Mais  l'auteur  a  su,  avec  beaucoup  d'adresse,  placer  chaque 
sujet  d'une  manière  avantageuse.  » 

«  La  première  scène  languit  ;  mais  peu  à  peu  l'intérêt  se 
ranime  et  les  spectateurs  s'échauffent  avec  les  acteurs.  » 

M.  Imbert,  en  auteur  ingénieux,  s'était  arrangé  de  façon  à 
ce  que  chaque  acteur  parût  dans  le  rôle,  qui  dans  le  courant 
de  l'année  lui  avait  été  le  plus  favorable. 

Dans  un  couplet  de  circonstance,  Mlle  5riZ/on,  laquelle  devait 
passer  des  Beaujolais  au  Théâtre  des  Variétés,  exprimait  au 
pubhc  tout  le  regret  qu'elle  éprouvait  d'abandonner  son  cher 
théâtre,  qui  «  avait  été  le  berceau  de  son  talent.  » 


THEATRE   DES  ((  BEAUJOLAIS  "6  93 

Très  émue  par  les  applaudissements  que  lui  prodiguait  le 
public,  elle  fondit  en  larmes  et  ne  put  achever. 

Les  applaudissements  redoublèrent  et  la  jeune  Brillon 
recommença  ;  mais  peine  vaine,  elle  s'arrêta  au  même  vers 
et  les  sanglots  reprenant  de  plus  belle,  s'interrompit  comme 
elle  avait  fait  la  première  fois. 

Alors,  ce  fut  du  délire  de  la  part  du  public,  et  Mlle  Brillon 
sortit  de  scène,  entraînée  par  ses  camarades,  aussi  émotionnés 
qu'elle. 

Mlle  Sara,  ingrate  envers  M.  de  Lomel,  qui  l'avait  formée 
en  l'art  de  la  scène,  et  l'avait  fortement  mise  en  avant,  aban- 
donnait également  les  Beaujolais^  pour  entrer  au  théâtre  de  la 
Montansier,  la  persécutrice  de  son  bienfaiteur. 

Le  public  savait  tout  cela,  aussi  l'accueil  qu'il  fit  à  Mlle  Sara 
fut-il  des  plus  «  glacials.  » 

Gomme  on  lui  disait,  quand  elle  sortit  de  scène  :  Ils  ont  été 
plutôt  froids,  elle  répondit  :  «  Bah  I  chez  la  Montansier,  je  les 
réchaufferai.  » 

Le  perruquier  des  Beaujolais  était  un  nommé  Duhreuil 
cadet,  frère  de  Dubreuil  l'aîné,  «  coëfurier  »  de  l'Opéra  ;  car  à 
l'Opéra,  il  y  avait  un  «  perruquier  »,  M.  Bruno,  un  «  coëfeur  », 
M.  Desnoyers,  et  un  «  coëfurier  »,  M.  Dubreuil  l'aîné. 

Or,  il  arriva  que  le  lendemain  même  de  la  clôture  des  Beau- 
jolais, des  voleurs  pénétrèrent  de  nuit  chez  Dubreuil  cadet, 
perruquier  du  Petit  Théâtre,  et  le  dévaUsèrent  complètement, 
ce  qui  plongea  le  pauvre  hère  dans  la  dernière  des  détresses. 

Les  comédiens  n'aiment  pas  voir  pleurer.  Qu'on  leur 
donne  tous  les  défauts,  même  ceux  qu'ils  n'ont  pas,  qu'on  les 
accuse  de  vanité,  de  légèreté,  d'imprévoyance  ;  d'être  débau- 
chés, volages,  jaloux  entre  eux,  orgueilleux,  susceptibles,  hâ- 
bleurs, etc.,  etc.,  mais  qu'on  ne  leur  nie  pas  d'être  gens  de 
cœur. 

Ils  virent  pleurer  le  pauvre  Dubreuil  cadet,  et  sans  lui  en 
soufïler  mot,  organisèrent  une  représentation  à  son  bénéfice , 
qui  eut  lieu  le  lundi  5  Açril. 

Ils  étaient  allés  solHciter  leurs  grands  confrères  du  Théâtre 
du  Palais- Roy d1  (Théâtre-Français),  et  avaient  obtenu  d'eux 


94  THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  )) 

un  spectacle  entier,  en  faveur  de  l'infortuné  Duhreuil  cadet. 

L'affiche  portait  :  «  Spectacle  exceptionnel  donné  par  les 
acteurs  du  Théâtre  du  Palais- Royal,  au  profit  du  perruquier 
du  Théâtre  des  Beaujolais,  à  qui  des  voleurs,  qui  se  sont  intro- 
duits chez  lui  en  son  absence,  ont  enlevé  tous  les  effets.  » 

On  donna  VOrpheline,  comédie  en  trois  actes,  et  Ricco,  co- 
médie en  deux  actes. 

La  pièce  était  jouée  par  les  citoyens  :  Monvel,  Saint-Clair, 
Michot,  Fusil,  Beaulieu,  etc.,  et  les  citoyennes  Gandeille,  Saint- 
Clair,  Monvel,  Roubeau,  etc.,  c'est-à-dire  les  acteurs  et  actrices 
principaux,  qui  devaient  former  quelques  mois  plus  tard  la 
base  de  ce  Théâtre-Français,  auxquels  devaient  venir  s'ad- 
joindre Talma,  Grandmesnil,  Dugazon,  Folly  et  Mmes  Vestris, 
Desgarcins,  Lange,  Simon  et  Dubois. 

Le  «  coëffeur  ))  du  Palais-Royal  (ex-théâtre  des  Variétés)  se 
nommait  Dupont.  C'est  à  lui  que,  tout  d'abord,  s'étaient 
adressés  les  acteurs  de  Beaujolais,  lui  demandant  de  s'inté- 
resser à  l'infortune  de  son  pauvre  collègue  dévahsé. 

Ils  savaient  Dubreuil  cadet  brouillé  avec  Dubreuil  aine. 
Dupont,  heureux  de  contrarier  son  puissant  collègue  de  l'O- 
péra, et  de  démontrer  ouvertement  le  peu  d'affection  de  ce 
frère  aîné  pour  son  cadet,  s'était  adonné  de  toutes  ses  forces 
à  la  tâche  que  lui  avaient  confiée  les  acteurs  de  Beaujolais.  Il 
avait  obtenu  le  concours  gratuit  des  premiers  acteurs  de  son 
théâtre,  et  l'illustre  Monvel,  le  père  de  Mlle  Mars,  remplissait 
dans  cette  représentation  le  principal  rôle  de  VOrpheline, 
comme  il  le  remphssait  sur  son  théâtre  du  Palais-Royal.  C'était 
un  gage  certain  de  réussite,  le  nom  de  Monvel  étant  dans  la 
très  grande  faveur  du  public. 

Avril  1790.  —  La  représentation  eut  lieu,  comme  je  l'ai  dit, 
le  5  Avril,  sur  le  Théâtre  des  Beaujolais,  et  produisit  640  livres 
et  15  sous.  Tous  frais  payés  et  réduits  à  leur  plus  simple 
expression,  563  livres  furent  remises  ès-mains  du  malheureux 
perruquier  dévalisé. 


THEATRE  DES    «  BEAUJOLAIS  »  95 


CHAPITRE  VII 


SUITE   DE  1790.  —    RÉOUVERTURE    APRÈS    PAQUES.   — 
AU  THEATRE   MAREUX. 


Je  trouve  dans  VAlmanach  général  de  tous  les  spectacles  la 
note  suivante  : 

«  Ce  théâtre  ferme  maintenant  une  bonne  partie  de  la  se- 
maine ;  et  c'est  une  espèce  de  proverbe  :  Que  donne-t-on  ce 
soir  aux  Beaujolais  ?  On  donne  Relâche. 

L*auteur  de  la  note  était  dans  l'erreur,  sans  cependant  se 
tromper  complètement  ;  et  voici  comment  : 

Le  sieur  Mareux  aîné,  propriétaire  de  la  salle  de  la  rue  St- 
Antoine,  n^  46,  fort  dépité  de  voir  son  théâtre  sans  locataire, 
avait  indirectement  fait  offrir  à  M.  de  Lomel  de  venir  jouer 
chez  lui  son  répertoire,  se  contentant  pour  toute  rétribution, 
lui  écrivait-il,  de  dix  pour  cent  sur  la  recette  brute. 

M.  de  Lomel,  se  souvenant  de  ses  mauvaises  relations  avec 
le  dit  Mareux  aîné,  avait  tout  d'abord  refusé.  Le  sieur  Mareux 
avait  dit  alors  à  M.  de  Lomel  qu'il  se  contenterait  de  huit 
pour  cent.  Le  Directeur  des  Beaujolais,  qui  gardait  grosse 
rancune  au  sieur  Mareux,  du  démenti  que  ce  dernier  lui  avait 
infligé  dans  les  journaux,  lors  de  leurs  premiers  pourparlers, 
rompus  pour  cause  dite  déjà, refusa  encore;  bien  que  son  désir, 
guidé  par  son  intérêt,  l'engageât  cependant  à  accepter. 

Voyant  de  nouveau  ses  offres  repoussées,  Mareux  aîné 
était  venu,  en  personne,  dire  à  M.  de  Lomel  que  «  le  seul  plai- 
sir de  posséder  sur  son  théâtre  une  troupe  de  la  valeur  des 
Beaujolais  »  lui  faisait  une  obligation  de  ne  percevoir  que  six 


96  THÉÂTRE  DES   ((  BEAUJOLAIS  » 

pour  cent  sur  la  recette  que  feraient  les  comédiens  de  M.  de 
Lomel. 

M.  de  Lomel,  facilement  vaincu,  avait  fini  par  accepter  ; 
et,  trois  fois  par  semaine,  les  Beaujolais  affichaient  Relâche 
à  la  porte  de  leur  théâtre  du  boulevard  Ménil-Montant,  pour 
s'en  aller  jouer  à  la  salle  Mareux.  Mais,  j'anticipe,  car  ce  ne 
fut  qu'au  mois  de  Juin  qu'eut  lieu  le  début  au  Théâtre 
Mareux^  de  la  troupe  dite  des  Beaujolais. 

Nous  ne  sommes  encore  qu'en  Avril,  restons-y  jusqu'à  com- 
plet achèvement. 

Le  Lundi  12  Açril^lQ  Théâtre  des  Beaujolais  faisait  sa  réou- 
verture par  le  Compliment^  de  M.  Imbert,  comphment  qui 
avait  produit  un  tel  effet,  à  la  clôture,  que  les  acteurs  avaient 
demandé  à  le  rejouer,  en  priant  l'auteur  de  le  remanier  un  peu, 
dans  le  sens  de  compliment  de  «  bienvenue  »  ;  ce  qui  avait 
exigé  un  fort  mince  travail  de  la  part  de  M.  Imbert.  Venait 
ensuite  le  Tuteur  auare,  opéra-bouffon  en  trois  actes,  et  Flo- 
rette  et  Colin,  opéra-bouffon  en  un  acte. 

Mai  1790.  —  Le  2  Mai,  on  donna  la  première  représen- 
tation de  Lucile  et  Dercourt,  comédie  en  deux  actes,  par 
M.  de  Trégoate.  Cet  auteur  avait  déjà  donné  à  ce  même  théâtre 
une  pièce  intitulée  :  Uamour  arrange  tout  I  Cette  pièce  avait 
obtenu  quelque  succès.  Jugeant  qu'il  était  inutile  de  se  met- 
tre martel  en  tête  pour  trouver  un  sujet  nouveau,  l'excellent 
M.  Trégoate  avait  tout  simplement  changé  le  nom  de  ses  per- 
sonnages, remanié  quelques  scènes,  retranché  quelques  cou- 
plets et  avait  présenté  au  pubhc,  comme  une  nouveauté, 
Lucile  et  Der court,  qui  n'était  autre  que  V Amour  arrange 
tout  ! 

Toutes  les  pièces  de  théâtre  de  cette  époque-là  pouvaient 
du  reste  s'appeler  :  V Amour  arrange  tout. 

Un  critique  écrivit  sur  cette  pièce  :  «  Il  ne  s'y  trouve  pas  un 
tableau  qui  n'ait  frappé  cent  fois  les  yeux  des  spectateurs 
sur  tous  les  théâtres.  Peu  d'intérêt,  presque  point  d'intrigue 
et  aucune  situation  piquante.  Il  parait  que  l'auteur  roule  tou- 
jours sur  un  seul  et  même  canevas,  et  qu'il  n'a  que  le  style 
pour  sauver  la  monotonie  qui  règne  dans  ses  productions.  » 


THEATRE  DES  «  BEAUJOLAIS  »  97 

«  Son  style  est  si  peu  de  chose,  que  sa  nouvelle  pièce  peut 
être  considérée  comme  rien.  » 

Le  24  71/ ai,  eut  lieu  la  première  représentation  de  Les  deux 
Cousins  rivaux^  comédie  en  deux  actes,  en  vers,  par  M.  Gahiot. 
«  Mauvaise  pièce,  sans  intérêt,  mal  conçue,  n'ayant  pour  elle 
que  quelques  vers,  bien  frappés,  qui  sont  l'excuse  du  Direc- 
teur qui  l'a  reçue  et  produite.  » 

Juin  1790.  —  Le  Dimanche  6  Juin^  première  représentation 
de  VAnti- Dramaturge^  comédie  en  trois  actes,  en  vers. 

Cette  pièce  avait  été  imprimée  et  jouée  avec  quelque  suc- 
cès à  Bordeaux  et  à  Lyon.  Son  auteur  avait  vainement  tenté 
de  la  faire  représenter  sur  les  grands  théâtres  de  la  capitale. 
Repoussée  partout,  elle  avait  fini  par  tomber  entre  les  mains 
de  M.  de  Lomel,  qui,  moyennant  500  hvres,  versées  par  l'au- 
teur, l'avait  mise  en  répétitions  et  fait  jouer  par  ses  acteurs. 

Appréciation  d'un  critique  :  «  Une  vraie  rapsodie,  à  laquelle 
on  ne  peut  adapter  aucun  titre.  » 

Le  dimanche  13  Juin^  reprise  de  Cora  ou  la  Prêtresse  du 
Soleil. 

Chez  Nicolet,  on  avait  représenté  une  pièce  pantomime, 
sur  le  même  sujet,  intitulée  les  Enfants  du  Soleil.  La  pièce  des 
Beaujolais  présentait  plus  d'intérêt  que  celle  de  Nicolet  ; 
cependant  elle  réussit  moins. 

Le  23  Juin.,  première  représentation  de  V  Amour  H  ermite., 
opéra  Anacréontique  en  un  acte. 

Que  pouvait  bien  venir  faire  en  cette  galère  le  doux  Ana- 
créon,  le  joyeux  poète  de  Téos,  dont  la  forme  lyrique  et  toute 
gracieuse  n'avait  rien  à  voir  avec  les  joyeuses  trivialités  des 
comédiens  ordinaires  de  M.  de  Lomel. 

Rien  !  absolument  rien  I  Mais  voici  l'explication  que  je 
trouve  dans  le  Journal  Les  Petites  Affiches  de  1790  : 

Un  restaurant  du  boulevard  Saint-Martin  s'était  ouvert 
sous  l'enseigne  de  :  Au  Banquet  d'Anacréon.  Ce  restaurant 
existe  même  encore  au  numéro  47. 

Le  titre  seul  a  changé,  et  cela  depuis  cinq  ou  six  ans  à 
peine.  Dans  ce  restaurant  se  réunissaient,  à  sa  formation,  de 
gais  chansonniers  populaires,  qui  par  leurs  galants  refrains 


98  THÉÂTRE  DES   «  BEAUJOLAIS  » 

et  joyeux  flonflons  l'avaient  mis  en  grande  vogue  ;  et  l'au- 
teur de  V  Amour  H  ermite^  lequel  faisait  partie  de  la  bande 
joyeuse,  avait  simplement  voulu  fêter,  par  cette  désignation 
poétique,  sa  bienvenue  dans  la  petite  confrérie. 

Ce  fut  le  Mardi  29  Juin  que  les  comédiens  de  Beaujolais 
donnèrent  leur  première  représentation,  sur  le  théâtre  de 
M.  Mareux  Vaine. 

M.  de  Lomcl,  je  l'ai  dit,  gardait  rancune  au  sieur  Mareux, 
et  eût  bien  voulu  ne  pas  se  rendre  aux  sollicitations,  si  pres- 
santes qu'elles  aient  été,  du  propriétaire  de  la  rue  Saint-An- 
toine. 

Mais  les  spectacles  de  son  théâtre  du  boulevard  Ménil-Mon- 
tant  faisaient  de  moins  en  moins  fructueuses  recettes  ;  ses 
nombreux  Relâches  se  succédaient  avec  beaucoup  trop  de  rapi- 
dité ;  force  fut  bien  à  M.  de  Lomel  d'accepter  les  offres,  plutôt 
avantageuses  du  sieur  Mareux,  et  l'ouverture  du  théâtre  de 
la  rue  Saint- Antoine  se  fit  par  V Anti- Dramaturge  et  le  Phi- 
losophe imaginaire. 

On  ne  donna  jamais,  au  théâtre  Mareux,  que  des  pièces 
déjà  jouées.  Les  nouveautés  étaient  conservées  pour  la  salle 
du  boulevard,  ou  le  «  grand  public  »  se  rendait  de  préférence. 

Le  grand  pubhc  se  composait  de  bourgeois  du  Marais  et  des 
quartiers  Saint-Martin,  Saint-Antoine  et  du  Temple. 

Juillet  1790.  —  Le  11  Juillet^  fut  donnée  aux  Beaujolais  du 
Boulevard,  la  première  représentation  de  :  La  Fédération  du 
Parnasse^  divertissement  en  un  acte,  en  prose,  en  vaudevilles 
et  airs  nouveaux,  par  le  Cousin  Jacques. 

Les  journaux  d'alors  l'annoncent  sous  le  titre  de  :  la  Conjé- 
dération  du  Parnasse.,  alors  que  le  véritable  titre  est  la 
Fédération^  simplement  et  uniquement. 

Cette  fantaisie  du  spirituel  foUiculaire  fort  en  vogue  obtint 
un  énorme  succès. 

Le  Cousin  Jacques,  pseudonyme  de  Beffroy  d'^Origny,  était  à 
cette  époque  l'auteur  fantaisiste  et  original  très  à  la  mode. 

La  Chronique  de  Paris  écrit  :  «  C'est  sans  contredit  la  plus 
agréable  des  pièces  «  fédératives  »  ;  excepté  celle  de  M.  Colot 
d'HerboiSj  jouée  au  Théâtre  de  MONSIEUR  qui,  dans  un  autre 


THEATRE  DES  «  BEAUJOLAIS  «  99 

genre,  lui  dispute  la  palme.  Les  couplets  ingénieux  et  piquants 
s'y  succèdent,  depuis  le  commencement  jusqu'à  la  fin  ;  et  les 
tableaux  les  plus  riants  captivent  l'œil  du  spectateur.  L'au- 
teur à  su  mettre  à  leur  place  des  acteurs,  peu  connus  aupa- 
ravant, qui  lui  ont  dû  leur  succès  ;  entre  autres  M.  Dumily^ 
qui  fait  un  rôle  de  niais  raisonné,  avec  un  talent  qui  ne  laisse 
rien  à  désirer.  » 

Sur  l'air  :  Ce  fut  par  la  faute  du  sort^  un  abbé  chantait  dans 
cette  pièce  : 

Oui,  tout  le  bien  que  j'ai  perdu 

M'en  procure  un  plus  magnifique  ; 

Avec  usure  il  m'est  rendu 

Par  la  félicité  publique. 

Il  ne  manquait  plus  à  mes  vœux 

Que  de  doubler  le  sacrifice  ; 

Si  les  Français  sont  tous  heureux 

Ce  sera  là  mon  bénéfice  [his). 

Et  le  public  trépignait  d'aise  en  entendant  cet  Ahhé  faire 
aussi  joyeusement  abnégation  de  ses  biens  de  la  terre,  en 
faveur  du  bonheur  de  tous  les  Français. 

La  pièce  se  terminait  sur  un  couplet  fort  applaudi,  que  chan- 
tait encore  l'acteur  Dumily  dans  le  personnage  du  paysan 
Guillot. 

Voici  ce  couplet,  sur  l'air  du  Ça  ira  \  : 

Ah  1  ça  ira,  ça  ira,  ça  ira, 
J'  découvre  à  vue  d'  nez  qu'  nous  n'aurons  pus  d'  peine, 

Ah  !  ça  ira,  ça  ira,  ça  ira. 
Vous  verrez  bientôt  qu'  tout  ça  s'accommod'ra. 

Tout  un  chacun  s'épanouit  déjà  ; 
Ça  ravigot'  le  cœur,  quand  on  voit  tout  ça. 

Ah  !  ça  ira,  ça  ira,  ça  ira, 
Les  aristocrat's  vont  r'venir  par  douzaine. 

Ah  1  ça  ira,  ça  ira,  ça  ira, 
Dans  peu,  1'  bon  exempl'  les  convertira. 

La  finance  allait  cahin  caha, 
V'ià  les  assignats  qui  vont  r'mettr'  ça  ; 

Pour  en  avoir  ma  poch'  pleine 
J'  donn'rais  d'  bon  cœur  tout  c'  que  j'ai  déjà. 

Ah  !  ça  ira,  ça  ira,  etc.,  etc. 


100  THEATRE  DES  «  BEAUJOLAIS  » 

Le  lendemain,  12  Juillet^  on  donna  la  première  représen- 
tation de  La  Revanche^  ou  Les  deux  Frères^  comédie  en  trois 
actes,  mêlée  d'ariettes,  paroles  de  M.  Duhuisson^  musique 
del  signor  Cambini. 

Note  du  journaliste  Ducray-Duménil  :  «  Intrigue  assez 
curieuse  ;  quelques  situations  plaisantes,  mauvais  dénoue- 
ment ;  beaucoup  de  longueurs  ;  musique  charmante  et  pleine 
d'effets.  On  regrette  de  voir,  sans  pudeur,  estropier  la  langue 
française  dans  une  pièce  de  haut  comique  ». 

Septembre  1790.  —  Le  3  Septembre^  première  représentation 
de  Les  Amants  ridicules^  comédie-parade  en  prose  et  en  un 
acte,  mêlée  d'ariettes,  paroles  de  M.  Desaudrais,  musique  de 
M.  Bonnet. 

Or,  qu'était-ce  que  Les  Amants  ridicules?  Tout  simplement 
les  deux  Jaloux^  dont  M.  de  Lomel  changeait  le  titre  et  qu'il 
offrait  au  public  comme  une  nouveauté.  Les  deux  Jaloux 
avaient  été  donnés,  alors  que  les  Beaujolais  étaient  encore  au 
Palais-Royal  ;  et  M.  le  Directeur  s'était  dit  :  «  La  distance  est 
tellement  grande  entre  ces  deux  salles  de  spectacle,  que  pas 
un  des  spectateurs  qui  verra  la  pièce  boulevard  Ménil-Mon- 
tant,  ne  se  souviendra  l'avoir  vue  galerie  Montpensier.  » 

La  pièce  passa  en  effet  comme  une  nouveauté  et  obtint 
beaucoup  de  succès  ;  ce  qui  ne  veut  pas  dire  qu'elle  fit  beau- 
coup d'argent. 

Octobre  1790.  —  Le  3  Octobre,  première  représentation  de 
Le  Retour  de  V Inconstant,  comédie  en  un  acte,  en  vers,  qui 
ne  produisit  que  fort  peu  d'effet.  On  ne  nomma  pas  l'auteur. 

Puis,  le  Vendredi  8  Octobre,  autre  première  représentation  de 
La  Veui^e  espagnole,  comédie  en  un  acte,  en  vers,  par  M.  Guille- 
main  :  «  C'est  une  des  pièces  les  plus  johes  et  les  mieux  écrites 
de  cet  auteur  fécond  »,  écrit  un  critique  de  l'époque.  «  Mlle 
Cousin  et  M.  Talon  jeune  y  sont  fort  goûtés.  » 

On  le  voit,  le  pauvre  petit  Théâtre  des  Beaujolais  luttait 
désespérément,  ne  voulant  pas  sacrifier  complètement  au 
mauvais  goût  du  jour  et  du  boulevard,  à  la  triviahté  mal- 
saine du  moment  et  au  facile  à-propos  pohtique.  11  donnait 
des  pièces  en  vers  ;  il  tentait  de  faire  triompher  la  Httéra- 


THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  »  101 

ture,  il  essayait  de  faire  de  l'art,  là  où  il  n'eût  dû  faire  que  du 
métier  ;  aussi  dégringolait-il  de  plus  en  plus  et  se  voyait-il 
souvent  forcé,  faute  de  public,  d'afïicher  le  terrible  mot  : 
Relâche^  au  grand  désespoir  de  son  directeur  et  des  infortunés 
acteurs. 

Ce  fut  encore  le  Cousin  Jacques  qui  empêcha  les  Beaujolais 
de  sombrer.  Il  composa  pour  eux  un  nouvel  à-propos  :  Le 
Retour  du  Champ-de-Mars^  divertissement  en  prose  et  en  un 
acte,  mêlé  de  vaudevilles. 

Cette  pièce  fut  lue,  répétée  et  jouée  en  cinq  jours. 

Le  succès  qu'elle  obtint  permit  à  M.  de  Lomel  de  pouvoir 
verser  quelque  argent  à  ceux  des  rares  acteurs  qui  lui  restaient 
fidèles. 

On  voyait,  dans  le  cours  de  cet  acte,  des  soldats  portant 
triomphalement  le  buste  de  Louis  XVI  et  le  venant  déposer 
entre  les  mains  d'Apollon,  qui  le  confiait  aux  Muses,  pour  le 
placer  au  temple  de  Mémoire.  Les  Muses  chantaient  alors  les 
louanges  du  «  Bon  Roi  »  —  que  l'on  devait  guillotiner  trois  an- 
nées plus  tard  —  aux  acclamations  de  ce  même  peuple,  lequel 
criait  encore  bravo  aux  strophes  et  aux  couplets  dont  l'auteur 
encensait  le  monarque,  par  les  voix  éraillées  des  braves  acteurs 
des  Beaujolais. 

Le  Cousin  Jacques  avait  même  composé  de  la  musique  pour 
accompagner  les  couplets  que  chantait  Mlle  Fournier^  sur  les 
Français  qui  avaient  abandonné  la  France,  et  par  conséquent 
la  cause  royale  : 

I 

Tous  ces  Français  que,  loin  de  nous, 
L'épouvante  retient  encore  ; 
Ils  n'ont  pas  vu  d'un  jour  si  doux 
Briller  la  bienfaisante  aurore. 
Pareils  à  ceux  que  le  cie    fit 
Habitants  d'un  autre  hémisphère, 
Ils  sont  au  milieu  de  la  nuit 
Quand  le  plein  midi  nous  éclaire. 

Le  Cousin  Jacques  avait  écrit  deux  couplets  sur  ce  sujet  ; 
mais  Mlle  Fournier  ne  devait  chanter  que  celui  que  nous 


102  THÉÂTRE   DES    «  BEAUJOLAIS  T> 

venons  d'écrire.  Cet  auteur,  fort  spirituel  et  fort  avisé,  avait 
dit  à  Mlle  Fournier:  «Si  l'on  crie 6w,  au  lieu  de  répéter  ce  cou- 
plet, vous  chanterez  le  second.  L'effet  sera  plus  grand.  » 

Et  Ton  avait  crié 6 w  avec  délire;  et  Mlle  Fournier  avait  alors 
chanté  : 

II 

Mais  surtout  n'oublions  jamais 
Que  chacun  d'eux  est  notre  frère. 
La  voix  du  sang  chez  les  Français 
Doit-elle  un  seul  instant  se  taire  ? 
Loin  d'avoir  un  cruel  plaisir 
A  les  voir  se  troubler  et  craindre, 
Pour  parvenir  à  les  guérir 
Il  faut  nous  borner  à  les  plaindre,  {bis) 

A  la  chute  du  rideau,  le  public,  transporté,  rappela  l'au- 
teur avec  enthousiasme.  Cela  eut  dû  cependant  satisfaire 
entièrement  l'amour-propre  de  cet  auteur  très  nerveux;  mais 
la  rapidité  avec  laquelle  la  pièce  avait  été  montée,  fit  que  des 
hésitations,  des  manques  de  mémoire  avaient  très  fortement 
irrité  l'irascible  Cousin  Jacques.  Il  refusa  de  paraître  sur  la 
scène  où  le  rappelait  le  public  trépignant  ;  poursuivi  par 
les  régisseurs  et  le  directeur,  il  se  réfugia  dans  le  cintre  du 
théâtre,  et  s'y  cacha  derrière  un  moufle. 

Pendant  ce  temps,  le  pubhc  faisait  rage  au  parterre,  ré- 
clamant sur  la  batterie  des  Lampions  :  Cousin  Jacques  l  Cou- 
sin Jacques  !,  car  l'acteur  Dumily  était  venu  nommer  le 
triomphateur  à  la  fin  de  sa  pièce. 

Un  machiniste  du  cintre  finit  par  le  découvrir  et  dénonça  sa 
retraite  ;  les  acteurs  y  coururent,  le  ramenèrent  de  force.  Cou- 
sin Jacques  était  furieux.  Il  les  abreuvait  d'injures,  les  trai- 
tait de  toutes  sortes  de  noms.  Les  acteurs  n'en  riaient  que 
davantage.  Bref,  ils  le  contraignirent  d'entrer  avec  eux  sur 
la  scèm  et  de  venir  saluer  le  public  qui  continuait  à  l'accla- 
mer avec  rage.  Cousin  Jacques  était  pâle  de  colère.  Enfin,  il 
parvint  à  se  dégager  des  mains  de  ses  oppresseurs  et  s'avança 
résolument  sur  le  devant  de  la  scène,  comme  pour  parler. 


THEATRE  DES  «  BEAUJOLAIS  ))  103 

Aussitôt,  un  grand  silence  se  fit.  Il  commença  :  «  Messieurs, 
les  Jean-foutres  de  comédiens  qui...  qui...  » 

Alors,  il  s'arrêta,  balbutia  et  finit  par  dire,  plus  en  fureur 
que  jamais  :  «  Ces  brigands  d'acteurs  n'en  savaient  pas  un 
mot.  Ils  ont  tout  fait  pour...  » 

Tout  à  coup  Dumily,  le  comique  qui  avait  joué,  avec  beau- 
coup de  succès,  le  niais  dans  la  pièce,  lui  coupa  la  parole  et 
lui  dit  : 

—  Eh  bien  I  quoi  ?  ça  n'a  pas  bien  été,  aujourd'hui,  et  ça 
vous  donne  de  l'humeur  ?...  Soyez  tranquille,  demain,  ça  ira  !... 
Pas  vrai,  camarades  ?... 

Et,  il  se  mit  à  chanter  : 

Ah  !  ça  ira,  ça  ira,  ça  ira  !... 
On  saura  ses  rôl's,  vous  1'  verrez  sans  peine  ; 

Ah  !  ça  ira,  ça  ira,  ça  ira, 
Vous  verrez  bientôt  qu'tout  ça  s'arrang'ra  ! 

Les  acteurs  en  scène  reprirent  les  paroles  en  chœur  ;  les 
spectateurs  redoublèrent  leurs  applaudissements,  et  le  rideau 
retomba  sur  ce  tableau  unique,  d'un  auteur  récalcitrant, 
embrassé,  malgré  lui,  par  ses  infâmes  Comédiens,  qu'il  conti- 
nuait à  accabler  d'injures. 

Le  petit  théâtre  fit,  avec  cette  pièce,  quelques  bonnes  re- 
cettes. 

Le  Roi  était  encore  populaire,  aimé.  On  chantait  ses  louan- 
ges. Le  pubhc  les  chantait  avec  les  acteurs,  plus  convaincu 
et  plus  passionnément  qu'eux,  peut-être. 

Le  Dimanche  il  Ocioôre,  première  représentation  de  V Enfant 
bien  corrigé^  pièce  en  un  acte,  de  M.  Desaudrais^  ouvrage  plus 
que  médiocre  et  «  qui  ne  vaut  pas  l'honneur  de  la  critique  » 
écrit  un  journaliste  de  l'époque. 

Le  30  Octobre,  première  représentation  de  Tarare  Régnant 
(suite  de  Tarare),  ou  Vlsle  d'Ormus  heureuse,  pièce  en  prose 
et  en  trois  actes,  mêlée  de  vaudevilles,  par  M.  Guillemain. 

Je  lis  cette  critique  sévère  de  la  pièce  :  «  Cet  ouvrage  n'a  ni 
intrigue,  ni  action,  ni  ensemble,  ni  mouvements.  Les  costu- 


104  THÉÂTRE  DES  C  BEAUJOLAIS  » 

mes  sont  assez  riches,  ainsi  que  les  décorations  ;  mais  l'intérêt 
est  faible  et  va  en  diminuant  jusqu'à  la  fin.  Une  justice  à 
rendre  à  l'auteur,  c'est  de  dire  que  peu  d'écrivains  font  des 
couplets  comme  les  siens.  Il  y  a  un  joli  rôle  &^ Eunuque^  bien 
rendu  par  M.  Dubois.  » 

Le  pauvre  M.  de  Lomel  avait  dépensé  pas  mal  d'argent 
pour  monter  cette  pièce,  qui  lui  en  fit  perdre  beaucoup. 

Novembre  1790.  —  Le  2  Novembre^  on  donna  Le  Divorce  inu- 
tile^ comédie  en  un  acte,  en  prose,  de  M.  Gabiot. 

«  C'est  une  très  jolie  pièce,  dit  un  critique,  écrite  avec  pureté, 
pleine  de  sentiments  relevés  et  d'idées  fines  et  spirituelles  ;  il 
y  règne  d'un  bout  à  l'autre  un  excellent  ton  ;  et  l'on  ne  peut 
trop  engager  les  acteurs  de  ce  théâtre  à  entremêler  souvent 
leurs  «  opéras  »,  de  comédies  du  même  genre.  Mesdames  Sara 
et  Fusil  s'y  font  applaudir,  parce  que  les  bons  rôles  siéent 
toujours  aux  talents.  » 

Le  21  Novembre^  première  représentation  de  :  Le  Sourd  et 
r Aveugle^  comédie  en  un  acte  de  M.  Patrat. 

Cette  pièce,  imprimée  depuis  longtemps,  avait  été  jouée 
«  souventes  fois,  en  province.  »  Malgré  sa  parfaite  réussite, 
le  dénouement  avait  excité,  à  Paris,  quelques  murmures. 
Sa  gaité  tombait  peu  à  peu  dans  la  trivialité  ;  mais  les  scènes 
en  étaient  bien  conduites  et  spirituelles. 

Le  28  Novembre  on  joua  pour  la  première  fois  :  Le  Paysan  à 
prétention^  opéra  bouffon  en  un  acte  ;  sans  grand  succès. 

Décembre  1790.  —  Puis,  le  1^^  Décembre  :  La  Ruse  villageoise, 
comédie  mêlée  d'ariettes,  en  un  acte,  musique  de  M.  Champein. 

Le  7  décembre,  le  Cousin  Jacques,  malgré  son  serment  de 
ne  plus  rien  donner  aux  Beaujolais,  s'empara  de  nouveau  de 
l'affiche  avec  :  Toute  la  Famille,  foHe  en  prose  et  en  deux 
actes,  mêlée  de  chants. 

Les  querelles  entre  Directeurs  et  auteurs  ne  sont  jamais  de 
longue  durée.  Les  intérêts  communs  les  rapprochent  vite. 

Ce  fut  une  chute  retentissante  que  cette  pièce.  Aussi  «  le 
très  coléreux  »  Cousin  Jacques  ne  manqua-t-il  pas  de  rejeter 
toute  la  responsabilité  de  l'insuccès  sur  les  acteurs  de  Beau- 
jolais, lesquels  —  dit-il  —  «  ne  se  donnent  jamais  la  peine 


THEATRE  DES  «  BEAUJOLAIS  »  105 

d'apprendre  leurs  rôles  »  ;  et  sur  leur  Directeur,  l'infortuné 
M.  de  Lomel,  «  qui  ne  les  paye  que  très  faiblement,  quand  il 
les  paye,  et  ne  possède  sur  eux  aucune  autorité.  » 

De  sa  critique  acerbe,  Beffroy  d'Origny,  dit  le  Cousin 
Jacques,  exceptait  toujours  Madame  Louise  Fusil,  laquelle, 
pour  cette  raison  et  d'autres,  passait  alors  pour  être  sa  maî- 
tresse. 

On  remonta  à  la  hâte  Atine  et  Zamorin. 

Le  Cousin  Jacques  jura  ses  grands  dieux  qu'il  ne  remettrait 
plus  les  pieds  dans  cette  galère,  et  jamais  plus  n'écrirait  une 
seule  ligne  pour  ce  directeur,  incapable,  et  ses  méchants 
acteurs  —  «  plus  que  toujours  Madame  Fusil  exceptée.  » 

Atine  et  Zamorin  ne  faisant  pas  d'argent,  on  reprit  :  Adèle 
et  Edwin,  pièce  de  l'ancienne  chevalerie,  en  vers  et  en  deux 
actes,  musique  del  signor  Camhini. 

Mais  le  pauvre  petit  Théâtre  des  Beaujolais  était  irrémédia- 
blement condamné.  Les  nouveautés  et  les  reprises  avaient 
beau  s'entasser  les  unes  sur  les  autres  comme  Pélion  sur 
Ossa,  rien  n'y  faisait  ;  les  recettes  demeuraient  nulles,  le 
public  ne  venait  pas. 

Il  est  vrai  que  cette  salle  de  spectacle  avait  été  fort  mal 
choisie  par  le  trop  empressé  M.  de  Lomel.  Alors  que  le  boule- 
vard du  Temple  retentissait  du  cri  éraillé  ou  strident  des 
aboyeurs,  des  marchands  d'orviétans,  des  faiseurs  de  parades  ; 
des  lazzis  de  paillasses,  d'escamoteurs  ;  des  boufTonneries  d'un 
pubhc  braillard,  des  appels  de  tambours  et  de  trompettes, 
le  boulevard  Ménilmontant,  qui  s'écrivait  alors  Boulevard  du 
M esnil- Montant^  demeurait  dans  la  presque  obscurité,  absent 
de  tout  bruit  et  de  toute  gaîté. 

Seul,  le  Café  Goddet^  qui  se  trouvait  être  le  dernier  café  du 
Boulevard  du  Temple,  arrivant  après  le  Café  Yon  et  le  Théâtre 
des  Associés^et  qui  attenait  presque  au  Théâtre  des  Beaujolais, 
jetait  quelque  clarté  dans  la  sombre  tristesse  du  tableau, 
tristesse  d'autant  plus  navrante  que  la  partie  sud  du  boule- 
vard du  Mesnil-Montant,  était  brillamment  éclairée  par  les 
illuminations  prestigieuses  des  Cafés  d'en  face,  le  Café  Turc, 
le  Café  des  Arts  et  la  Galiotte,  établissements  de  plaisirs,  où 


106  THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  » 

Ton  entendait  d'assez  bonne  musique,  où  l'on  écoutait  chan- 
ter d'assez  bons  chanteurs  et  d'assez  agréables  chanteuses,  en 
prenant  d'excellentes  consommations.  C'était  la  naissance  des 
Cafés-Concerts.  La  partie  nord  qu'occupaient  les  Beaujolais 
restait  morne  et  silencieuse. 

C'est  au  Café  Goddet  qu'un  soir,  un  consommateur  facé- 
tieux, colla  dans  la  salle  de  billard,  cet  avis,  imprimé  en  gros 
caractères  : 

«   AVIS   » 

«  Il  est  défendu  d^ écraser  ses  poux  sur  les  bandes  du  billard.  » 

La  misère  était  alors  grande  à  Paris.  On  avait  compté  sur 
le  retour  du  Roi,  pour  la  reprise  générale  des  affaires  et  les 
affaires  ne  reprenaient  pas.  Le  pain  manquait. 

La  municipalité  de  Paris  ordonna  que  tous  les  théâtres 
donnassent  une  représentation  «  au  profit  des  Pauvres.  » 

Et  le  24  Décembre,  les  Beaujolais,  comme  ses  confrères 
grands  et  petits,  donnèrent  «par  ordre»  cette  représentation. 

Ces  pauvres  jouèrent  pour  les  pauvres  et  ne  furent  pas  com- 
pris dans  la  distribution  générale,  que  fit  la  municipahté 
parisienne  du  total  des  recettes. 

Ainsi  se  termina  cette  année  1790,  qui  avait  été  si  funeste 
aux  intérêts  du  Théâtre  des  Beaujolais. 


THEATRE  DES  «  BEAUJOLAIS  ))  107 


CHAPITRE  V 


1791 


NOUVELLES  DIRECTIONS.  —  LE  SIEUR  NOISEL.  —  SA  TROUPE 
d'acteurs.  —  M.  BRIOIS.  —  LE  CIRQUE  ASTLEY.  —  LE 
THEATRE   DES   COMEDIENS  SANS  TITRE. 


Tant  que  les  Beaujolais  avaient  réussi,  dans  leur  premier 
emplacement  du  Palais-Royal,  on  avait  chanté  la  subtilité,  la 
délicatesse,  le  goût,  l'habileté  de  M.  de  Lomel,  leur  «  intelh- 
gent  administrateur.  »  Maintenant  que  la  veine  était  détruite, 
que  le  filon  était  perdu,  on  daubait  fort  sur  le  pauvre  homme  ; 
les  plumes  n'éclaboussaient  plus  assez  de  critiques  injustes 
et  mordantes  sur  lui  et  sa  façon  d'administrer. 

On  hsait  :  «  Il  faut  qu'il  y  ait  dans  son  administration  quel- 
que vice  incurable  et  radical.  Ce  Directeur  qui  est  aimable, 
spirituel  et  poh,  n'a  pas  sans  doute  les  qualités  propres  à  la 
Direction  d'un  théâtre.  » 

Et  dans  un  autre  article  :  «  Le  grand  vice  des  Beaujolais 
est  surtout  d'éloigner  tous  les  auteurs  par  le  défaut  de  paie- 
ment. Il  arrive  de  là  que  les  acteurs,  en  dépit  de  leur  bonne 
volonté,  sont  obhgés  de  chercher  dans  de  vieux  bouquins  de 
quoi  monter  leur  répertoire.  On  ne  donne  presque  jamais  que 
du  réchauffé  ;  et  toutes  ces  rapsodies  imprimées,  qui  sont 
nulles  et  sans  effet,  chassent  le  pubHc,  qui  ne  revient  guère, 
quand  une  fois  il  est  mal  prévenu.  Nous  le  répétons,  il  faut, 
pour  ressusciter  ce  spectacle,  une  administration  à  la  fois 


108  THÉÂTRE  DES  ((  BEAUJOLAIS  )) 

sévère,  active  et  intelligente,  de  nouvelles  pièces  et  qu'elles 
soient  bonnes.  » 

Voici  ce  que  dans  VAlmanach  général  de  tous  les  spectacles 
de  Paris  et  des  Provinces^  publié  par  Froullé^  libraire,  quai 
des  Augustins,  on  lisait  encore  : 

«  La  plupart  des  acteurs  des  Beaujolais  vont  être  sans 
place,  parce  qu'il  est  impossible  d'exister  de  ses  talents, 
quand  on  n'est  pas  payé  ;  la  justice  et  l'humanité  nous  impo- 
sent le  devoir  d'en  recommander  plusieurs  aux  Directeurs 
qui  veulent  améliorer  leurs  entreprises.  » 

«  M.  Dumily^  qui  n'a  plus  d'autre  nom  que  le  Niais  de  la 
Fédération^  est  un  charmant  acteur  ;  il  a  un  genre  à  lui,  que 
personne  n'a  encore  imité.  » 

«  M.  Dubois^  jouant  les  valets,  a  une  tournure  très  agréable, 
une  très  belle  basse-taille  et  de  la  gaîté.  » 

«  Madame  Fusil  a  de  la  finesse  et  une  jolie  tournure  dans 
les  soubrettes.  » 

«  Mademoiselle  Latour,  âgée  de  dix-sept  ans,  et  Mademoi- 
selle Cousin^  du  même  âge,  sont  deux  sujets  on  ne  peut  plus 
intéressants.  » 

«  Mais  M.  Vénier,  premier  acteur  de  ce  théâtre,  est  d'une 
vérité  rare  ;  il  entend  parfaitement  la  scène  ;  il  a  une  méthode 
de  chant  très  soignée,  une  belle  voix,  des  mœurs  honnêtes,  un 
caractère  doux,  du  zèle  et  de  l'exactitude  à  ses  devoirs.  » 

C'en  était  donc  fait  du  petit  Théâtre,  puisque  déjà  l'on 
cherchait  à  s'en  partager  les  dépouilles.  Sa  fin  était  donc  bien 
proche,  que  les  journahstes  en  étaient  arrivés  à  recommander 
ouvertement  leurs  protégés. 

Un  nommé  Noisel,  qui  avait  déjà  fait  plusieurs  fois  banque- 
route, et  s'était  ruiné  cinq  ou  six  autres,  après  fortune  refaite, 
vint  proposer  à  M.  de  Lomel  d'abandonner  sa  Direction  et  de 
la  lui  céder,  moyennant  certaine  part  sur  les  bénéfices  aléatoi- 
res, qu'il  pourrait  réahser. 

Le  pauvre  Directeur,  heureux  de  débarrasser  d'une  si  lourde 
charge,  ses  épaules  fatiguées  et  fourbues,  se  hâta  d'accepter  la 
proposition  du  dit  Noisel,  ne  se  leurrant  pas  un  instant  sur 
«  la  part  de  bénéfices  »  qui  devait  lui  revenir. 


THEATRE  DES  «  BEAUJOLAIS  »  109 

Or,  qu'était  ce  Noisel  ?  Un  ancien  protégé  du  Duc  d'Or- 
léans. Il  avait  tenu  une  maison  de  jeu  au  Palais-Royal. 

Sur  la  demande  que  lui  adresse  le  Compère  Mathieu^  dans 
les  Pantins  du  Boule{>ard^  pamphlet  obscène,  mais  dans  lequel 
se  trouvent,  à  travers  de  repoussantes  et  ineptes  plaisan- 
teries, un  grand  nombre  de  vérités,  tombées  de  la  plume 
venimeuse  de  l'auteur-acteur  Mayeur  de  St-Paul,  ce  dernier 
fait  répondre  au  Directeur  Noisel,  de  la  façon  la  plus  cynique  : 

—  «  Si  j'ai  mangé  de  l'argent  avec  les  femmes,  ce  n'est 
pas  la  cause  principale  de  la  gêne  dans  laquelle  je  me  trouve  ; 
mais  les  tributs  fort  lourds,  que  j'étais  obligé  de  payer  à  Son 
Altesse  Sérénissime,  pour  avoir  le  droit  de  me  déclarer,  sans 
risque,  le  directeur  privilégié  d'une  maison  de  jeu  établie  au 
Palais-Royal.  C'est  un  terrible  homme  que  Son  Altesse 
Monseigneur  le  Duc  d'Orléans.  Il  ne  connaît  que  l'argent, 
sans  s'embarrasser  du  choix  des  moyens.  » 

Le  Duc  d'Orléans,  dont  parle  ici  Noisel,  était  Louis,  Phi- 
lippe, Joseph,  qui,  pendant  la  Révolution,  joua  un  grand 
et  triste  rôle  pohtique,  sous  l'appellation  de  «  Philippe-Ega- 
lité. »  Il  fut  de  ceux  qui  votèrent  la  mort  de  l'infortuné 
Louis  XVI,  son  cousin. 

Noisel,  au  temps  où  ce  prince  possédait  encore  quelque 
fortune,  avait  été  son  pourvoyeur  de  femmes.  Mais,  ledit 
Noisel  ayant  «  oublié  »  de  lui  porter  un  jour  les  redevances 
qu'il  devait  lui  verser,  sur  les  bénéfices  qu'il  réalisait  dans 
la  dite  maison  de  jeu.  Son  Altesse  Sérénissime  avait  impi- 
toyablement chassé  l'escroc,  l'envoyant  pour  tout  châtiment 
chercher  une  potence  ailleurs. 

Tel  était  l'homme  indéhcat  et  peu  scrupuleux  qui  succédait 
à  «  l'honnête  de  Lomel  »  dans  la  Direction  du  pauvre  Théâtre 
des  Beaujolais. 

Aussi,  la  plus  grande  partie  des  très  honorables  comédiens 
composant  la  troupe,  s'empressa-t-elle  d'envoyer  sa  démission 
au  nouveau  Directeur. 

Peu  importait  au  sieur  Noisel.  Il  était  de  ces  trop  nombreux 
«  jemen fichistes  »,  qui,  au  théâtre,  ont  pris  pour  devise  . 
«  Bah  !  le  rideau  baissera  toujours  l  »  se  moquant  pas  mal 


110  THÉÂTRE  DES   «  BEAUJOLAIS  Ti 

que  la  pièce  eût  été  mal  jouée,  qu'elle  fût  mauvaise  et  mal 
montée. 

«  Le  rideau  baissera  toujours  !  »  est  leur  critérium. 

Noisel  avait  remplacé  les  bons  acteurs  qui  se  dérobaient, 
par  de  médiocres,  et  le  petit  Théâtre  était  resté  ouvert,  con- 
servant seulement  son  titre  comme  drapeau. 

Pauvre  drapeau,  véritable  loque,  qui,  de  la  misère,  devait 
tomber  dans  la  boue. 

Parmi  les  chanteurs  demeurés  avec  Noisel,  nous  citerons 
la  première  haute-contre,  Monrose,  lequel,  malgré  ses  cin- 
quante-cinq ans  sonnés  à  l'horloge  de  la  vie,  avait  encore  des 
prétentions  amoureuses  et  se  figurait,  vieux  coq,  être  adoré 
de  toutes  les  poules,  ses  voisines.  Convaincu,  il  ne  se  gênait 
pas  pour  dire  :  «  Quand  je  joue,  la  salle  se  rempht  de  femmes.  » 

La  dame  Monrose,  son  épouse,  digne  compagne  de  son  sot 
mari,  fermait  les  yeux  sur  les  débauches  éhontées  de  la  haute- 
contre,  à  la  condition  qu'il  les  fermât,  lui,  sur  les  irrégularités 
conjugales  dont  elle  se  sentait  susceptible.  Elle  était  de  vingt 
ans  moins  âgée  que  lui. 

C'était,  du  reste,  un  excellent  ménage,  parfaitement  assorti, 
et  qui  ne  pouvait  manquer  de  plaire  au  nouveau  Directeur, 
lequel  ne  se  préoccupait  pas  plus  des  mœurs  que  du  talent  de 
ses  acteurs. 

Empocher  des  recettes,  si  maigres  qu'elles  fussent,  était  sa 
seule  préoccupation. 

Madame  Monrose  rempHssait  l'emploi,  qu'était  en  train  de 
créer  à  la  Comédie-Itahenne  la  célèbre  Madame  Dugazon. 

Noisel  avait  encore  engagé  un  jeune  homme  nommé  Latour, 
jouant  l'emploi  des  amoureux.  Il  avait  vingt  ans  et  était  fort 
joh  garçon.  Ce  jeune  homme  lui  avait  été  amené  par  Made- 
moiselle Latour,  sa  sœur,  gracieuse  enfant  de  dix-sept  ans,  et 
qui,  dans  la  troupe  des  Beaujolais,  remplissait  l'emploi  des 
«  jeunes  amoureuses.  » 

Dès  qu'elle  avait  vu  le  frère  de  sa  petite  camarade.  Madame 
Monrose  était  tombée  follement  éprise  de  lui.  Elle  l'avait  acca- 
paré à  ce  point,  qu'un  jour  Noisel,  ayant  pris  le  mari  à  part, 
lui  avait  dit  : 


THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  »  111 

—  Mon  cher  Monrose,  engagez  donc  votre  femme  à  modé- 
rer un  peu  ses  ardeurs  amoureuses.  Hier,  ce  petit  Latour,  qui 
maigrit  à  vue  d'œil,  a  encore  fait  deux  «  couacs  »  dans  ses 
couplets. 

Et  le  sieur  Latour  avait  majestueusement  répondu  :  «  Mon 
cher  Directeur,  dans  l'intérêt  de  l'administration,  je  ne  man- 
querai pas  de  faire  à  ma  femme  l'admonestation  que  vous  me 
recommandez  de  lui  faire.  M'écoutera-t-elle  ?...  tout  est  là  ! 
«  Cette  femme  a  du  sang  de  vache  dans  les  veines  !  » 

Peut-être  quelques-uns  de  mes  lecteurs  trouveront-ils 
oiseux  ces  cancans,  recrutés  un  peu  partout,  et  déclareront- 
ils  qu'un  lot  de  faits,  de  si  mince  importance,  n'a  rien  à  voir 
avec  l'histoire  d'un  théâtre.  Qu'ils  me  permettent  de  ne  pas 
être  de  leur  avis. 

Le  caractère  des  individus  fait  partie  intégrante  des  actes 
qu'ils  commettent  ;  ou  plutôt  c'est  ce  caractère  qui  dirige 
leurs  actes.  Il  influe  sur  leur  talent.  Tel  violent,  dans  la  vie 
privée,  ne  parviendra  jamais  à  représenter  un  doucereux  sur 
la  scène. 

Marie  Dorval,  cette  passionnée  d'amour,  a  surtout  réussi 
dans  les  héroïnes  amoureuses,  parce  qu'amoureuse  de  toutes 
les  vibrations  de  son  être,  elle  se  substituait  au  personnage 
qu'elle  avait  à  représenter. 

Victor  Hugo  lui  fit  créer  la  terrible  Catarina  dans  Angélo, 
alors  qu'elle  eût  été  admirable  dans  la  Thisbé.  Elle  le  prouva 
par  la  suite,  en  reprenant  ce  rôle  avec  succès,  même  après 
Mademoiselle  Mars. 

Mademoiselle  Georges,  qui  fut  une  admirable  et  sculp- 
turale créature,  ne  joua  jamais  bien  les  dolentes  et  les  pleu- 
reuses ;  mais  elle  triompha  dans  les  grandes  violentes. 

Aima-t-elle  jamais  ?...  On  en  peut  douter,  après  avoir  lu  ses 
Mémoires. 

Les  passions  et  les  caractères  font  les  acteurs  ;  les  acteurs 
font  les  théâtres  Or  c'est  des  théâtres  que  je  reconstitue 
l'histoire. 

Voilà  pourquoi  je  m'efTorce  à  trouver  les  plus  menus  propos, 
les  plus  futiles  faits  sur  les  comédiens  et  les  comédiennes, 


112  THEATRE  DES  ((  BEAUJOLAIS  )) 

appartenant  aux  Théâtres  que  je  tente  de  faire  revivre  pour 
les  lecteurs,  mes  contemporains. 

Madame  Fusil,  qui  a  écrit  des  Mémoires  intéressants, 
était  encore  de  celles  restées  fidèles  au  Théâtre  des  Beaujolais. 
Madame  Fusil  avait  son  mari  acteur,  tantôt  à  Paris,  tantôt 
en  province  ;  ce  qui  fait  qu'elle  vivait  presque  constamment 
séparée  de  lui.  Aussi  l'intérim  était-il  rempli,  sans  aucun 
scandale,  par  de  complaisants  camarades,  lesquels,  lorsque 
M.  Fusil  revenait  dans  ses  honnêtes  foyers  rejoindre  sa  chère 
compagne,  s'empressaient  de  s'efïacer  et  de  disparaître  dis- 
crètement. 

De  ce  nombre  furent  le  sieur  Dubois,  basse-taille  renom- 
mée du  Théâtre  des  Beaujolais. 

On  citait  aussi  le  beau  Desprès,  du  Théâtre  Français^ 
comique  et  lyrique^  de  la  rue  de  Bondy. 

Quand  M.  Fusil  entra  au  Théâtre  Français  de  la  rue  Riche- 
Heu,  Madame  Fusil  qui,  disait-elle,  n'avait  jamais  aimé  que 
son  mari,  lui  demeura  fidèle  et  devint  un  modèle  de  vertu. 
Elle  élevait  l'enfant  qu'elle  avait  eu  de  lui,  en  dehors  de  ses 
pudiques  frasques,  et  parvenait  à  passer  aux  yeux  de  tous, 
pour  une  très  honnête  femme  et  une  excellente  mère  de 
famille. 

Pour  ce  qui  est  de  son  physique,  voici  ce  que  le  Compère 
Mathieu  lui  fait  dire  par  la  plume  vicieuse  de  Mayeur  de  St- 
Paul  : 

—  «Quoique  je  sois  maigre,  desséchée  et  tant  soit  peu  étique, 
quand  j'aurai  repris  un  peu  d'embonpoint,  je  ferai  sans  doute 
d'autres  conquêtes.  » 

Il  y  avait  encore,  parmi  les  comédiens  de  M.  Noisel,  un 
certain  Berville,  lequel  criait  à  haute  voix  sur  le  boulevard  : 
«  Mon  Directeur  est  le  plus  infâme  scélérat  de  tous  les  spec- 
tacles du  Boulevard.  » 

Ce  que  sachant,  le  sieur  Noisel  s'empressait  de  dire  :  Quel 
farceur  que  ce  Berville.  Si  on  ne  le  savait  hâbleur  comme  il 
l'est,  c'est  qu'on  finirait  par  le  croire. 

Je  peux  citer  encore  le  sieur  Boitte,  qui  jouait  les  «  queues 
rouges  »  chez  Audinot,  avant  de  venir  renforcer  la  pauvre 


THEATRE    DES  a  BEAUJOLAIS  Ti  113 

troupe  des  Beaujolais  ;  et  qui,  pour  entrer  avec  M.  Noisel, 
profitant  de  ce  qu'il  raclait  un  peu  du  violon,  était  devenu 
répétiteur  et  chef  d'orchestre  des  nouveaux  Beaujolais. 

C'était  l'amour  qui  avait  ainsi  transporté  Boitte  du  trem- 
plin de  Thespis  dans  les  bas-fonds  du  temple  d'Euterpe. 

Sa  femme.  Madame  Siccon,  avait  été  précédemment  enga- 
gée par  Noisel  ;  et  c'est  pour  ne  pas  la  perdre  de  vue  qu'il 
avait  quitté  V Ambigu-Comique,  en  faveur  des  Beaujolais,  bien 
que  l'expression  «  en  faveur  »  soit  absolument  impropre  en  la 
circonstance. 

Je  n'aurai  garde  d'oublier  la  première  actrice  de  ce  petit 
Théâtre,  devenue  «  la  Reine  de  l'endroit  »,  par  ses  relations 
amoureuses  avec  son  Directeur. 

La  petite  Simonet  était  passée  d'un  seul  coup,  de  l'emploi 
de  danseuse  comparse,  à  celui  des  premières  amoureuses  de 
ballet. 

Dire  qu'elle  était  «  bonne  »  est  impossible  ;  mais  elle  était 
jolie  et  admirablement  faite.  Il  n'en  fallait  pas  davantage 
pour  que  le  très  corrompu  Noisel  s'éprît  follement  d'elle  et 
la  mît  en  vedette  sur  le  tableau  de  sa  troupe. 

Mademoiselle  Simonet  avait,  du  reste,  une  mère  complai- 
sante, qui  avait  terriblement  aplani  le  terrain  raboteux  et 
ghssant  des  difficultés. 

Le  sieur  Noisel,  qui  s'entendait  fort  peu  à  la  Direction  d'un 
théâtre,  ne  sut  pas  changer  le  genre,  qui  semblait  ne  plus 
plaire  au  public  du  Boulevard  de  Mesnil-Montant. 

Il  vécut  du  répertoire  ancien  de  M.  de  Lomel,  montant 
quelques  rares  nouveautés  que  lui  apportaient  des  auteurs, 
consentant  à  ne  rien  toucher  de  leurs  droits. 

Comprenant  qu'il  ne  pouvait  lutter  contre  l'indifférence 
d'un  pubhc  qui  s'obstinait  à  ne  pas  vouloir  franchir  les  quel- 
ques centaines  de  pas  qui  séparaient  le  Boulevard  du  Temple 
du  Boulevard  Mesnil-Montant,  Noisel  se  mit  à  chercher  une 
salle  de  spectacle  où  il  pût  porter  certaines  idées  géniales  qui, 
subitement,  venaient  de  surgir  en  son  vaste  cerveau. 

En  attendant,  il  faisait  travailler  ses  acteurs.  On  finit  par 
ne  plus  jouer  que  tous  les  dimanches  et  quelquefois  le  jeudi. 


114  THÉÂTRE  DES  ((  BEAUJOLAIS  )) 

Janvier  1791.  —  Le  Mardi  6  Janvier^  on  donna,  par  extraor- 
dinaire, la  première  représentation  de  :  Les  accords  de  Julie, 
pièce  en  un  acte. 

Cette  pièce  tomba  à  plat  et  le  sieur  Noisel  en  profita  pour 
réunir  ses  acteurs  au  modeste  foyer  de  son  théâtre  et  leur 
tenir  à  peu  près  ce  langage  : 

«  Mes  chers  enfants,  mes  chers  camarades,  mes  chers  pen- 
sionnaires, permettez-moi  de  vous  présenter  mon  successeur, 
M.  BrioiSj  Directeur  honorablement  connu  dans  toute  la 
province.  C'est  un  homme  de  théâtre  dans  toute  l'acception 
du  mot  ;  connaissant  bien  le  répertoire  et  le  goût  du  public 
parisien  ;  ce  goût  que,  paraît-il,  je  ne  connais  pas,  moi,  puis- 
que je  ne  parviens  pas  à  attirer  son  attention.  Je  cède  à 
M.  Briois  mon  théâtre,  mon  matériel,  mes  acteurs  et  les 
quelques  dettes  que  j'ai  contractées  envers  eux.  » 

L'acteur  Monrose  lequel,  on  le  sait,  jouait  un  des  premiers 
emplois  de  la  troupe,  interrompit  l'orateur  : 

—  Pardon,  M.  Noisel,  fit-il,  j'ai  contracté  un  engagement 
avec  vous,  non  avec  un  autre.  Du  moment  que  vous  vous 
retirez,  je  me  considère  comme  libre  d'aller  porter  mes  talents 
sur  un  autre  théâtre.  Je  n'accepte  donc  pas  que  vous  me  cédiez, 
comme  vous  cédez  votre  matériel  de  décors,  qui  n'est  même 
pas  votre  propriété,  puisqu'il  est  notre  garantie  à  tous. 

—  Mais,  M.  Monrose,  répondit  M.  Noisel,  votre  engagement 
avec  moi  va  jusqu'à  Pâques. 

—  Alors,  restez  jusqu'à  Pâques  vous-même,  répartit  Mon- 
rose. 

—  Ou  à  la  Trinité,  continua  Berville. 

Un  éclat  de  rire  général,  malgré  l'état  de  gêne  dans  lequel 
on  se  trouvait,  accueillit  la  sortie  du  comédien. 

—  Cependant...,  voulut  poursuivre  Noisel  un  peu  décon- 
tenancé. 

—  Assez,  interrompit  le  preneur,  M.  Briois.  Les  paroles 
de  M.  Monrose  sont  un  manque  absolu  de  confiance  envers 
moi  et  constituent  une  injure  que  je  ne  saurais  tolérer.  Je 
n'accepte  pas  de  M.  Noisel  le  legs  qu'il  veut  me  faire  de  sa 


THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  »  115 

fameuse  haute-contre.  Que  M.  Monrose  aille  planter  ses  choux 
ailleurs. 

—  C'est  ce  que  je  vais  immédiatement  faire,  Monsieur. 

Et  le  chanteur  Monrose  sortit  dignement,  en  emmenant  sa 
femme,  et  s'en  alla  aussitôt  signer,  avec  M.  et  Madame  Colon, 
Directeurs  du  Délassement  Comique^siiué  près  l'Hôtel  Foulon, 
à  l'entrée  du  boulevard  du  Temple. 

On  apprit  bientôt  que  M.  de  Lomel  s'occupait  d'ouvrir  le 
Théâtre  Lom^ois,  vaste  salle,  située  entre  les  rues  Sainte-Anne 
et  de  Richeheu,  sur  l'emplacement  même  de  l'ancien  Hôtel 
de  Louvois. 

C'est  là  que  nous  le  rejoindrons,  quand  nous  en  aurons 
terminé  avec  le  Théâtre  des  Beaujolais,  dont  les  tristes  et 
derniers  jours  étaient  comptés. 

M.  Briois,  le  nouveau  Directeur,  —  on  n'avait  pas  encore 
francisé  le  mot  imprésario,  —  conserva  et  reprit  en  partie  les 
acteurs  de  M.  de  Lomel,  à  part  quelques-uns  qui  demandèrent 
et  obtinrent  facilement  leur  liberté. 

Le  14  Janvier,  on  joua  les  Babillardes,  comédie  en  un  acte, 
par  M.  Gabiot.  Je  l'ai  écrit  lors  de  la  création  de  cette  pièce, 
c'était  une  réfection  des  Caquets,  de  Madame  Riccoboni.  On 
ne  le  mâcha  pas  au  nouvel  auteur,  M.  Gabiot,  et  cette  comédie 
n'excita  pas  la  curiosité  de  la  foule. 

M.  Briois  voulut  tenter  du  grand  répertoire.  l\  mit  à 
l'étude  le  Brutus,  de  Voltaire,  et  V Ecole  des  Maris,  de  Molière. 

Sur  ces  entrefaites,  un  de  ses  musiciens,  M.  Valentino, 
haut-bois  de  son  orchestre,  perdit  sa  femme  et  une  petite 
fille,  en  une  semaine.  Le  brave  homme  tomba  malade  lui-même 
et  se  trouva  réduit  à  la  plus  grande  misère. 

M.  Briois,  qui  voulait  se  montrer  brave  homme  et  inaugurer 
sa  direction  par  un  acte  qui  pût  lui  conciher  l'estime  générale, 
se  laissa  émouvoir  par  la  pénible  situation  à  laquelle  se  trou- 
vait réduit  son  haut-bois  et  annonça,  au  bas  de  ses  affiches, 
que  le  24  Janvier  il  donnerait,  au  profit  du  dit  Valentino,  les 
premières  représentations  à  son  théâtre,  des  deux  chefs- 
d'œuvre  appartenant  au  répertoire  de  la  Comédie  Française. 

En  effet,  le  mardi  24  janvier,  l'affiche  des  Beaujolais  por- 


116  THÉATHE    DES  «  BEAUJOLAIS  D 

tait  :  Aujourd'hui^  au  profit  d'un  musicien  malade  :  Brutus^ 
tragédie  de  jeu  Voltaire,  et  V Ecole  des  Maris,  tragédie  de  jeu 
Molière. 

Le  public,  peu  confiant  dans  l'interprétation  de  ces  pièces, 
de  trop  haut  répertoire  pour  un  théâtre  tombé  si  bas,  ne  vint 
pas  applaudir  les  deux  chefs-d'œuvre  des  deux  grands  jeus 
annoncés  sur  l'affiche.  Il  préféra  se  ruer  au  Théâtre  de  MON- 
SIEUR, voir  jouer  VHistoire  Universelle,  du  Cousin  Jacques, 
et  au  Théâtre  Français,  comique  et  lyrique  de  la  rue  de  Bondy, 
entendre  Nicodème  dans  la  Lune,  du  même  Cousin  Jacques, 
l'homme  à  succès  du  moment. 

Le  pauvre  musicien  malade,  Valentino,  toucha  à  peine 
quelques  livres,  et  les  acteurs  ne  touchèrent  rien,  pas  même 
un  à-compte  léger,  sur  ce  qui  leur  était  dû. 

La  misère  augmentait  de  plus  en  plus  dans  Paris.  Et  la 
municipalité  exigeait  des  théâtres,  quels  qu'ils  fussent,  qu'ils 
donnassent  des  représentations  au  profit  de  ceux  qui  man- 
quaient de  pain. 

Certes,  l'intention  était  louable  et  généreuse  ;  mais  ordon- 
ner que  ceux  qui  ne  mangent  pas,  nourrissent  des  affamés, 
était  contre  toute  idée  de  justice  et  d'équité.  Or,  c'était  le  cas 
des  acteurs  de  Beaujolais. 

Février  1791.  —  Ainsi,  le  2  Février,  par  ordre  de  la  muni- 
cipahté,  tous  les  théâtres  donnèrent  encore  leur  représen- 
tation au  Projit  des  Pauvres.  Certains  des  comédiens  de  M. 
Briois  ne  soupèrent  pas  en  rentrant  chez  eux  ;  mais  ils 
avaient  joué  «  pour  les  Pauvres  1  » 

On  précipita  le  travail.  On  retomba  dans  l'ancien  réper- 
toire et  l'on  donna  successivement  :  VEnjant  corrigé,  «  pièce 
plus  que  médiocre  »  ;  Tarare-Régnant,  ou  Vile  d'Ormus  heu- 
reuse, pièce  en  prose  et  en  trois  actes,  par  M.  Guillemin,  déjà 
représentée  aux  Beaujolais. 

Puis  vinrent  la  Réclamation  de  V Amour,  et  la  reprise  de 
Le  Sourd  et  V Aveugle,  de  M.  Patrat. 

«  Cet  ouvrage  —  écrit  le  journahste  Roblot,  parlant  de  la 
Réclamation  de  V Amour,  —  n'a  ni  intrigue,  ni  action,  ni  en- 
semble, ni  mouvement.  » 


THÉÂTRE   DES   «  BEAUJOLAIS  »  117 

Et  l'on  continua,  plus  que  jamais,  à  ne  pas  faire 
d'argent. 

Les  acteurs  cependant  ne  se  décourageaient  pas. 

Le  vendredi,  4  Février,  l'affiche  des  Beaujolais  portait  :  Au 
profit  d'une  Famille  infortunée^  MAHOMET,  tragédie,  jouée 
par  M.  De  la  Riçe  et  quelques  autres  acteurs  du  Théâtre  de  la 
Nation. 

Cette  représentation  n'eut  pas  lieu.  Les  administrateurs  du 
Théâtre  de  la  Nation  ayant  prévenu  dans  la  journée  M.  Briois 
que  M.  de  la  Rive  et  les  «  quelques  autres  acteurs  annoncés  », 
ne  se  rendraient  pas  le  soir  aux  Beaujolais^  «  le  devoir  du  di- 
recteur de  ce  théâtre  étant,  au  moins,  de  demander  autorisation 
de  jouer,  aux  administrateurs  et  directeurs  de  M.  de  la  Rive, 
pour  ce  pensionnaire  et  les  quelques  autres  l'accompa- 
gnant. » 

M.  Briois  fit  aussitôt  placarder  des  affiches  portant  :  Re- 
lâchel...  r administration  du  Théâtre  de  la  Nation  se  refusant  de 
venir  au  secours  d'une  famille  infortunée. 

Le  soir,  le  pubhc  s'ameuta  devant  le  petit  théâtre  du  bou- 
levard Mesnil-Montant,  sur  le  seuil  duquel  se  tenait  M.  Briois, 
disant  à  qui  voulait  l'entendre  :  «  Ces  gens-là  sont  des  aristo- 
crates sans  cœur  I...  Parce  que  je  ne  suis  par  allé  me  traîner  à 
leurs  pieds,  ils  refusent  de  venir  en  aide  à  des  malheureux  qui 
meurent  de  faim,  de  froid  et  sont  sans  gîte.  » 

Il  fit  tant,  qu'une  bande  de  cinquante  à  soixante  braillards 
s'en  alla  jusqu'au  Théâtre  de  la  Nation  en  vociférant  :  «  A  la 
Lanterne,  les  acteurs  de  la  Nation  !  A  bas  les  aristocrates  !  ». 

Les  badauds  avaient  augmenté  le  groupe  de  manifestants 
à  la  tête  desquels  s'était  mis  M.  Briois.  Et  c'est  au  nombre  de 
quatre  à  cinq  cents  que  les  hurleurs  arrivèrent  devant  le 
Théâtre  de  «  MM.  les  Comédiens  Français,  près  le  Luxem- 
bourg. » 

On  voulut  forcer  les  portes  pour  pénétrer  de  force  ;  mais  la 
police  et  les  gardes  intervinrent  et  parvinrent  à  dissiper  la 
foule  des  tapageurs,  en  faisant  quelques  arrestations. 

Le  lendemain,  5  Février,  paraissait  dans  les  journaux  cette 
note,  envoyée  par  le  Théâtre  de  la  Nation  : 


118  THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  >) 

«  C'est  par  un  malentendu  que  l'on  a  annoncé  Mahomet,  sur 
le  Théâtre  des  Beaujolais.  Une  «  famille  indigente  »,  qui  avait 
sollicité  cette  représentation,  a  trouvé  des  secours  dans  l'ac- 
tive bienfaisance  de  M.  Delarwe  qui,  secondé  par  les  Comé- 
diens-Français, vient  de  donner  avec  eux,  une  nouvelle  preuve 
de  cette  touchante  sensibilité,  compagne  ordinaire  des  vrais 
talents.  » 

Ainsi  se  termina,  par  une  trop  évidente  réclame,  cet  inci- 
dent, qui  avait  menacé  de  devenir  gros  de  conséquences. 

Le  comédien  Naudet,  du  Théâtre  de  la  Nation,  qui  avait, 
comme  on  dit  encore  et  comme  on  disait  déjà,  la  tête  près  du 
bonnet,  alla  trouver  M.  Briois,  en  son  théâtre,  et  lui  dit  : 
«  Vous  êtes  un  drôle  et  un  malhonnête  homme  !...on  vous  a  vu 
à  la  tête  de  la  troupe  de  forcenés  qui,  vendredi  dernier,  est 
venue  crier  :  «  A  l'eau  les  aristocrates  du  Théâtre  de  la  Nation  I 
Je  suis  un  de  ces  aristocrates,  et  je  viens  pour  que  vous  me 
flanquiez  à  l'eau  I...  Allez-y  !...  » 

M.  Briois,  voyant  qu'il  avait  affaire  à  un  homme  très 
solide  et  déterminé,  jura  ses  grands  dieux  qu'il  n'avait  pas 
pris  part  à  la  turbulente  manifestation  ;  et  l'entrevue  se 
termina  par  cette  apostrophe  virulente  de  Naudet  : 

—  Si  jamais  je  vous  repince  à  faire,  ou  dire  quoi  que  ce 
soit  contre  notre  théâtre,  c'est  à  coups  de  bottes  dans  le  der- 
rière que  je  vous  reconduirai  dans  le  vôtre. 

L'incident,  tout  au  long,  est  ainsi  conté  dans  VAlmanach 
des  Petits  Théâtres  du  Boulei^ard  . 

Quelques  jours  après,  l'un  des  moindres  acteurs  des  Beau- 
jolais fut  trouvé  mort  chez  lui.  Il  s'était  asphyxié,  en  laissant 
sur  sa  table  une  lettre  adressée  au  commissaire  de  son  quar- 
tier. Il  demeurait  rue  Tiquetonne,  chez  la  dame  Dupré,  pa- 
roisse Sainte-Eustache. 

La  lettre  disait  :  «  Modeste  acteur,  je  vivais  des  petits  ap- 
pointements que  me  payait  le  bon  M.  de  Lomel.  La  fille  Mon- 

tansier,  sale  p et  malhonnête  femme  de  mauvaise  vie,  en 

la  compagnie  du  sieur  Neui^ille,  son  principal  «  macreau  »,  nous 
ont  méchamment  chassés  de  notre  cher  théâtre,  au  Palais- 
Royal;  et  depuis,  je  meurs  de  misère!  C'est  trop  long;  j'aime 


THEATRE  DES  «  BEAUJOLAIS  »  119 

mieux  crever  tout  à  fait  que  de  souffrir  plus  longtemps.  Adieu 
à  cette  vilaine  terre,  à  ses  vilains  habitans.  J'accuse  cette 
atroce  fille  Montansier  et  son  ignoble  Neuville  de  ma  mort. 
Que  l'on  vende  les  derniers  meubles  qui  me  restent,  au  profit 
de  ma  camarade  Charlotte  Cornu,  qui  souvent  m'a  aidé, 
quoique  bien  malheureuse  aussi.  » 

«Nicolas  HUGOT.  » 

M.  de  Lomel  voulut  tirer  parti  de  cette  lettre  pour  se  venger 
un  peu  de  la  Montansier,  et  en  porta  la  copie  aux  journaux. 
Mais  la  Montansier  était  connue  comme  très  processive,  for- 
tement appuyée.  Les  journalistes  la  ménageaient,  d'aucuns, 
même,  la  redoutaient  ;  pas  un  n'accepta  d'insérer  le  testament 
du  pauvre  Hugot. 

M.  de  Lomel  le  fit  alors  imprimer  à  ses  frais,  sous  le  titre  de  : 
Testament  d'une  innocente  victime  !  sans  nom  d'imprimeur, 
car  l'imprimeur  craignait  également  les  poursuites  qu'eût  pu 
exercer  contre  lui  la  demoiselle  Montansier. 

Celle-ci,  quand  parut  «  la  dernière  pensée  du  suicidé  »,  ne 
put  donc  que  se  contenter  de  faire  détruire  le  plus  d'exem- 
plaires qu'elle  fit  saisir  ;  et  c'est  l'un  de  ces  très  rares  exem- 
plaires, appartenant  à  M.  Nuitter,  l'obhgeant  bibhothé- 
caire  de  'l'Opéra,  trop  tôt  décédé  pour  le  monde  et  l'art  du 
Théâtre,  que  nous  l'avons  pu  reproduire  ici. 

Les  comédiens  du  boulevard  du  Temple  finirent  par 
s'émouvoir  de  l'extrême  détresse  dans  laquelle  se  trouvaient 
réduits  leurs  camarades  des  Beaujolais.  Eux-mêmes,  peu  for- 
tunés, ne  pouvaient  que  fort  peu  leur  venir  en  aide.  Ils  firent 
cependant  courir  dans  tous  leurs  foyers  et  dans  les  cafés  où 
ils  fréquentaient,  une  Hste  de  souscription  qui  rapporta 
187  hvres  et  10  sols. 

Cette  somme  fut  remise  à  M.  Briois.  Mais  celui-ci,  au  lieu 
de  la  distribuer  honnêtement  et  comme  il  eût  dû  le  faire,  à 
ses  infortunés  comédiens,  s'empressa  de  disparaître,  les  lais- 
sant misérablement  se  débrouiller  comme  ils  le  pourraient. 

Ce  fut  sur  tout  le  boulevard  du  Temple  un  haro  furieux 
contre  «  l'indélicat  »  directeur.  Le  nom  de  Briois  fut  collé  sur 


120  THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  » 

tous  les  murs,  affiché  dans  tous  les  cafés,  suivi  de  l'épithète 
de  «  voleur  I  » 

On  parla  de  le  brûler  en  effigie  dans  une  grande  représen- 
tation organisée  au  profit  des  comédiens  dépouillés.  L'auto- 
rité s'opposa  à  cet  innocent  autodafé  «  dans  la  crainte  d'in- 
cendie. » 

La  représentation  eut  lieu  cependant  et  produisit  la  somme 
de  518  livres,  qui  fut  distribuée  impartialement  aux  malheu- 
reuses victimes  du  scélérat  Briois. 

Le  propriétaire  de  la  salle  du  boulevard  de  Mesnil-Montant, 
autorisa  alors  les  comédiens  victimes  à  jouer  en  société,  se 
contentant  de  ne  percevoir  que  15  p.  100  sur  la  recette 
brute. 

Le  17  février,  les  derniers  acteurs  des  Beaujolais^  car  beau- 
coup avaient  trouvé  de  partir  en  province  ou  de  s'engager  ail- 
leurs, purent  donc  donner  encore  un  spectacle  ainsi  composé  : 

1°  Le  Vieillard  dupé^  opéra-boufîon  en  deux  actes  ; 

2°  Le  Villageois  à  Vépreuve,  en  deux  actes  ; 

3°  La  Soubrette  insolente^  en  un  acte. 

Cette  pièce  n'était  autre  que  la  Sentante  maîtresse^  dont, 
pour  la  circonstance,  les  Comédiens,  de  leur  chef,  changeaient 
le  titre. 

Pour  exciter  la  curiosité  du  pubhc,  les  pauvres  victimes, 
faisant  abnégation  de  leur  chatouilleux  amour-propre,  avaient 
écrit  en  bas  de  leurs  affiches  : 

«  Ces  pièces  seront  jouées  par  de  nouveaux  acteurs.  » 

Hélas  !  cent  fois  hélas  !  le  public  ne  se  dérangea  pas  plus 
pour  venir  voir  jouer  les  «  nouveaux  acteurs  »  que  les 
anciens. 

Mars  1791.  —  Et  le  6  Mars  suivant,  sur  injonction  du  pro- 
priétaire de  la  salle,  las  de  ne  pas  toucher  ses  loyers,  les  socié- 
taires  annoncèrent  : 

Pour  la  clôture  du  Théâtre  des  Beaujolais  : 
1°  Le  Menuisier  de  Bagdad  ; 

2°  La  Servante  maîtresse  ;  le  titre  avait  été  rétabh  ; 
3°  Et  Le  Fat  en  bonne  Fortune. 

Voilà  donc  les  infortunés  comédiens  de  ce  théâtre,  qui  avait 


THEATRE   DES    «  BEAUJOLAIS  ))  121 

été  si  triomphant,  sur  le  pavé  de  la  rue,  sans  ressource 
aucune  et  sans  pain. 

Ne  se  décourageant  pas,  et  poussés  par  M.  de  Lomel,  qu'ils 
étaient  allés  solliciter  dans  sa  retraite,  pour  qu'il  se  remît  un 
instant  à  leur  tête,  ils  rendirent  une  visite  intéressée  au  sieur 
Astley,  dont  le  cirque  était  situé  à  l'entrée  du  faubourg  du 
Temple,  où  se  trouve  maintenant  la  fabrique  de  biscuits  Guil- 
lout,  et  lui  demandèrent  de  leur  louer  sa  salle,  moyennant  cer- 
taines redevances,  sur  les  recettes  qu'ils  pourraient  faire. 

Le  sieur  Astley  accepta  l'offre  des  comédiens,  qui  se  mirent 
à  l'ouvrage,  pour  transformer  momentanément  le  cirque  en 
Salle  de  spectacle. 

Ils  firent  tout  par  eux-mêmes;  et  le  dimanche  20  Mars  1791, 
le  nouveau  spectacle  fut  ouvert  au  public,  sous  l'enseigne 
énigmatique  de  :  Théâtre  des  Comédiens  sans  titre. 

On  donna  la  première  représentation  de  : 

1^  Le  Bosquet  de  T halle,  comphment  au  public  ; 

2^  Nanine,  pièce  du  répertoire  des  Beaujolais  ; 

3^  La  première  représentation  de  :  Il  ne  faut  pas  dire  :  «  Fon- 
taine, je  ne  boirai  pas  de  ton  eau  »,  comédie  ; 

Et  4°  la  première  représentation  de  :  Les  oracles  du  bois 
de  Boulogne,  comédie. 

Le  Compliment  était  ainsi  conçu  : 

«  Dans  le  Bosquet  de  Tlialie 
Les  oiseaux  se  sont  groupés, 
Joyeux  fils  de  la  Trolie 
De  leurs  cages  échappés, 
Venez,  venez  les  entendre 
Chanter  leurs  gazouillements  ; 
Venez,  venez  les  surprendre 
Dans  leurs  doux  épanchements, 
Vous  ne  regretterez  guères 
En  admirant  leurs  attraits 
Ce  qu'avaient  été  naguères 
Les  petits  des  Deaujnlais, 
Et  vous  reviendrez  en  masse 
Aux  lazzis  de  chaque  acteur, 
Pour  que  chaque  actrice  embrasse 
Au  contrôle  un  spectateur. 


122  THÉÂTRE   DES  «  BEAUJOLAIS  )) 

Et,  ainsi  qu'il  était  annoncé  dans  ce  prologue,  à  la  sortie, 
chaque  actrice  s'était  fidèlement  rendue  au  contrôle,  et  avait 
embrassé  un  spectateur,  ce  qui  avait  beaucoup  diverti  et 
donné  quelque  espoir  aux  acteurs  réunis. 

Ce  compliment  était  de  M.  de  Lomel. 

Une  fois  encore,  il  tentait  de  sauver  de  la  sinistre  misère  ses 
comédiens.  Il  n'y  réussit  pas. 

J'ai  trouvé  ce  document  sur  le  prospectus  de  cette  représen- 
tation, qui  appartenait  à  mon  cher  et  regretté  Sapin,  l'inappré- 
ciable collectionneur  sur  le  théâtre. 

Le  prix  des  places  était  de  30  sols  les  premières,  20  sols  les 
secondes  et  12  sols  les  troisièmes. 

On  espérait  que  la  modicité  du  prix  attirerait  la  foule.  Mais 
quand  le  public  a  résolu  de  ne  pas  aller  quelque  part,  missiez- 
vous  les  places  à  deux  sous,  il  n'y  va  pas.  De  même,  par  con- 
traste, lorsqu'il  veut  voir  quelque  chose  qui  l'intéresse,  les 
places  fussent-elles  au  taux  le  plus  exorbitant,  il  se  précipite 
au  bureau  de  la  location  et  envahit  la  salle. 

Tous  les  contrôleurs  de  théâtre  vous  diront  qu'ils  n'ont 
pas  de  public  plus  difficile,  plus  grincheux,  plus  méticuleux 
que  celui  des  demi-succès. 

Dans  le  grand  succès,  où  la  foule  accourt,  le  spectateur  ac- 
cepte, presque  comme  une  grâce,  la  place,  même  mauvaise,  que 
le  contrôleur  lui  distribue,  à  défaut  d'autre.  Il  ne  récrimine 
pas  ;  mal  placé,  il  se  trouve  heureux  ;  il  voit,  il  entend  ce  qu'il 
était  si  désireux  de  voir  et  d'entendre. 

Il  en  était  ainsi  à  cette  époque,  comme  il  en  est  de  même 
aujourd'hui,  et  comme  il  en  sera  toujours  de  même  dans  tous 
les  temps. 

Le  23  Mars^  c'est-à-dire  trois  jours  après  son  ouverture, 
le  Théâtre  des  Comédiens  sans  titre  (anciens  Beaujolais)  avait 
vécu.  Le  funèbre  mot  RELACHE  fut  collé  sur  l'étendue  de  la 
façade  du  cirque  Astley. 

Ce  Relâche  devait  se  prolonger  indéfiniment. 

Ainsi  finit  le  Théâtre  des  Petits  Comédiens  de  S.  A.  S.  Mon- 
seigneur le  Comte  de  Beaujolais. 


THEATRE  DES  a  BEAUJOLAIS  ))  123 


CHAPITRE  IX 


CONCLUSION.  —   ENSEIGNES    SUCCESSIVES.  —  DIRECTEURS 
NOUVEAUX.    —    ARTISTES.   —    FIN. 


La  demoiselle  Montansier,  mauvaise  femme,  mais  très 
habile  directrice,  s'était  empressée  de  changer  le  titre  de 
Théâtre  des  Beaujolais^  en  y  substituant  très  vaniteusement, 
d'abord  celui  de  Théâtre  de  la  Demoiselle  Montansier^  puis, 
celui  de  Théâtre  Montansier. 

L'ouverture  de  ce  nouveau  spectacle  se  fit  le  12  Avril  1790. 

En  1791,  le  Palais- Royal  étant  devenu  le  Palais-Egalité, 
la  Montansier,  de  nouveau,  changea  son  enseigne  en  celle,  un 
peu  trop  longue,  de  Théâtre  du  Péristyle  du  Jardin- Egalité. 

En  1794,  l'associé  de  la  Montansier,  devenu  son  mari,  dé- 
cida la  dite  Montansier,  femme  Neuville,  à  suivre  la  fluctua- 
tion politique,  et  à  changer  encore  son  titre  en  celui  de  Théâ- 
tre de  la  Montagne. 

Les  «  Montagnards  »  étaient  tout  puissants  ;  la  dame  phait 
sa  vieille  échine  monarchique  devant  le  pouvoir  et  sacrifiait 
aux  dieux  du  moment. 

Le  nom  véritable  de  Neuville  était  Bourdon.  C'était  un  fort 
bel  homme  ;  il  avait  été  capitaine  de  cuirassiers  au  service  de 
l'empereur  d'Autriche. 

En  1795,  Robespierre  étant  mort,  et  le  mot  «  Montagne  » 
sonnant  mal  aux  esprits,  le  théâtre  ci-devant  Beaujolais  se  fit 
Théâtre  des  Variétés. 

En  Avril  1795,  la  femme  Montansier,  ayant  loué  son  théâtre 
aux  sieurs  Poignet  père,  Crétu,  César,  Simon,  Ribié  et  veuve 
Nicolet,  associés,  n'y  avait  consenti  qu'à  la  condition  de  voir 


124  THÉÂTRE   DES   «  BEAUJOLAIS  » 

artistes  exploitant,  conserver  le  titre  de  Théâtre  des  Variétés, 
en  y  ajoutant  le  nom  de  Montansier.  Les  pauvres  ex-Beau- 
jolais se  virent  donc  transformer  une  fois  de  plus  en  Théâtre 
des  Variétés- Montansier. 

En  1799,  les  Artistes  Associés  reprirent  —  la  dame  Mon- 
tansier consentante  —  le  titre  de  Théâtre  du  Jardin- Egalité. 

Vers  la  fin  de  1799,  ils  baptisèrent  à  nouveau  leur  spectacle 
du  nom  de  Théâtre  du  Palais- Egalité. 

En  1800,  la  Montansier  ayant  reconquis  la  part  principale 
de  l'association,  les  Beaujolais  redevinrent  Théâtre  Montansier. 

Grâce  au  talent  si  naïf,  si  vrai  de  Brunet  le  grand  comi- 
que, autour  duquel  elle  avait  su  grouper  des  comédiens 
excentriques  tels  que  Tiercelin,  Volange  et  autres  de  même 
valeur,  le  théâtre  devint  le  théâtre  à  la  mode. 

Brazier  écrit  dans  son  Histoire  des  Petits  Théâtres  de  Paris  : 
«  La  voix  enchanteresse  de  Mme  Caroline,  le  talent  original 
de  Brunet,  celui  de  Tiercelin,  le  zèle  des  administrateurs,  les 
pièces  gaies,  font  de  ces  anciens  Beaujolais,  le  heu  le  plus  fré- 
quenté de  Paris.  » 

Le  décret  impérial  de  1807  fit  fermer  le  théâtre  des  Beau- 
jolais- Montansier ,  qui  devint  café-concert  l'année  suivante. 

C'est  sur  les  plaintes  portées  par  les  comédiens  du  Théâtre- 
Français  que,  le  31  Décembre  1806,  la  troupe  quitta  le  Théâtre 
Montansier,  pour  se  transporter  sur  celui  de  la  Cité,  situé  où 
se  trouve  aujourd'hui  le  Tribunal  de  commerce. 

Et  Brunet  s'écriait  naïvement  :  Comment  l'Empereur 
peut-il  supposer  que  je  fasse  du  tort  à  Talma,  nous  ne  jouons 
pas  le  même  emploi. 

Le  14  Août  1810,  les  Beaujolais  —  toujours  au  Palais- 
Royal  —  devinrent  théâtre  d'acrobates  sous  le  titre  de  Théâ- 
tre des  Jeux  Forains.  Ils  vécurent  deux  années  sous  cette 
appellation  et  fermèrent  de  nouveau  leurs  portes  en  1812. 

En  1808,  Mlle  Montansier,  veuve  Bourdon-Neuville,  avait 
épousé  secrètement  le  fameux  danseur  de  corde  Forioso  ;  elle 
avait  alors  78  ans.  C'est  ce  Forioso  qui  l'avait  décidée  à  trans- 
porter le  genre  acrobatique  sur  la  johe  scène  de  Mgr  de 
Beaujolais. 


THEATRE  DES  ((  BEAUJOLAIS  ï)  125 

Après  les  acrobates,  revinrent  les  marionnettes,  Puppi  et 
Fantoccini  ;  puis  des  chiens  savants  auxquels  on  faisait  jouer 
de  «  fort  touchants  mélodrames  ». 

Avec  les  marionnettes,  était  revenue  la  concession  de  re- 
présenter des  pantomimes,  dans  lesquelles  deux  personnages 
seulement  avaient  le  droit  de  parler. 

Ce  fut  l'auteur  Martainville  —  celui  qui  avait  répondu, 
sous  la  Terreur,  au  président  du  Tribunal  révolutionnaire, 
qui  l'appelait  de  Martainville  :  «  Citoyen  Président,  tu  oublies 
que  je  suis  ici  pour  être  raccourci  et  non  pour  être  allongé.  »  — 
ce  fut  Martainville,  dis-je,  qui  inaugura  le  théâtre  par  un  pro- 
logue intitulé  :  La  Résurrection  de  Brioché. 

Quant  aux  mélodrames  joués  par  les  chiens  savants,  je  veux, 
d'après  Brazier,  citer  un  seul  des  scénarios  : 

«  Une  jeune  princesse  russe  est  retenue  captive  dans  un 
château-fort,  sous  la  garde  d'un  Tyran.  Son  amant  veut  la 
déhvrer,  ce  qui  nécessite  l'attaque  du  château.  » 

«  La  princesse  russe  —  une  johe  chienne  épagneule  à  lon- 
gues soies  —  se  promenait  sur  la  tour,  comme  Madame  Mal- 
borough. » 

«  Paraissait  le  Prince,  son  amant  —  un  beau  chien  caniche  — 
emblème  de  la  fidéhté.  Il  allait  et  venait,  aboyant  son  amour.  » 

«  Le  Tyran  était  un  bouledogue,  avec  le  nez  écrasé,  vraie 
figure  de  kalmouck.  A  un  signal  donné,  l'armée  du  malheureux 
amant  venait  se  ranger  sur  le  théâtre  ;  c'étaient  des  barbets, 
des  caniches,  des  lévriers,  des  bassets.  » 

«  Les  soldats  du  camp  ennemi  étaient  des  Danois,  des  An- 
glais, des  griffons,  des  carhns,  des  roquets.  On  voyait  de  temps 
en  temps  passer  des  éclaireurs;  c'étaient  de  petits  chiens 
qui  portaient  à  la  gueule  un  bâton  avec  une  lanterne  à 
chaque  bout.  » 

«  Au  moment  où  les  troupes  se  mettaient  en  mouvement, 
les  assaillants  escaladaient  les  murailles  ;  les  assiégés  les  re- 
poussaient ;  la  mêlée  devenait  générale  ;  mais  bientôt  les 
troupes  de  l'amant  malheureux  montaient  à  l'assaut,  le  fort 
était  emporté,  la  Princesse  délivrée  et  le  Tyran  emmené 
prisonnier.  » 


126  THEATRE  DES  «  BEAUJOLAIS  » 

Tous  ces  chiens  avaient  leurs  noms  portés  sur  les  affiches  : 
Médor,  Turc^  Azor,  Diane,  etc.,  etc. 

Les  habitués  les  connaissaient  et  «  Ton  entendait  de  toutes 
parts,  des  baignoires  au  paradis:  «Tiens!  voilà  Médor  !...  Ahl 
ah  I  voilà  Turc  !...  Tiens  I  c'est  Azor  qui  commande  la  pa- 
trouille. » 

Des  particuliers  conduisaient  leurs  chiens  à  ce  théâtre,  et 
les  confiaient  aux  instructeurs  canins,  pour  la  seule  gloire  de 
les  voir  figurer. 

«  Un  soir,  raconte  Brazier,  un  caniche  était  de  faction  au 
pied  de  la  tour,  lorsque  son  maître  entra  dans  la  salle  et 
se  plaça  à  l'orchestre  ;  le  pauvre  chien  le  reconnut,  quitta 
son  poste  et  déserta  avec  armes  et  bagages  1...  peu  s'en  fallut 
qu'il  n'entraînât  une  désertion  générale.  » 

En  1815,  pendant  les  Gent-Jours,  les  Beaujolais  devinrent, 
sous  le  titre  de  Café  de  la  Victoire,  le  rendez-vous  de  tous  les 
partisans  de  l'Empereur.  C'était  un  café-spectacle,  sur  lequel 
on  donnait  des  petites  pièces  en  un  acte,  des  duos,  où  l'on 
chantait  des  flonflons  et  de  gais  refrains. 

«  Lors  de  la  seconde  Restauration,  écrit  le  Vieux  Comparse, 
auteur  des  Mystères  des  Théâtres  de  Paris,  des  gardes  du  corps, 
des  mousquetaires,  firent  expier  à  la  pauvre  salle  des  Beau- 
jolais le  tort  d'avoir  retenti  des  refrains  bonapartistes  ;  ils 
brisèrent  tout  dans  le  café,  et,  quelques  jours  après,  on  chan- 
tait en  montrant  les  jeunes  officiers  de  la  maison  du  roi  : 

«  Ce  qu'ils  ont  fait  ?...  ils  ont  cassé  les  glaces 
Du  café  Montansier.  » 

«  La  salle  fut  fermée  à  cause  de  ce  désordre.  » 
Je  lis  dans  VArchitectonographie  des  Théâtres  de  Paris  : 
«  L'ancienne  salle  du  Palais- Royal,  qui  ne  formait  pas  un 
édifice  distinct,  mais  faisait  partie  des  bâtiments  au  pourtour 
du  jardin,  a  été  convertie  en  un  vaste  et  magnifique  café.  « 

Ce  café  prit  d'abord  le  nom  de  Café  Beaujolais.  Par  la  suite, 
il  s'intitula  Café  de  la  Paix. 

«  On  avait,  pour  cela,  élevé  le  parterre  au  niveau  des  pre- 
mières et  du  foyer.  Les  deux  galeries  supérieures  ont  été  con- 


THÉÂTRE  DES  «  BEAUJOLAIS  ))  127 

servées  ainsi  que  le  Théâtre,  sur  lequel  paraissent  encore  des 
danseurs  de  corde,  et  où  l'on  joue  des  parades.  Dans  les  inter- 
mèdes, il  y  a  constamment  symphonie.  Le  café  de  la  Paix, 
richement  décoré  de  peintures,  de  dorures,  de  glaces,  et  fré- 
quenté par  les  beautés  vagabondes  du  Palais-Royal,  est  visité 
par  tous  les  étrangers,  mais  on  chercherait  vainement  la  bonne 
compagnie  au  milieu  de  ses  habitués.  » 

Brazier  écrit  encore  :  «  L'étabhssement  fut  rouvert  par  un 
nommé  Valin,  qui  continua  tranquillement  d'y  faire  repré- 
senter de  petites  pièces  à  couplets,  mais  à  deux  personnages 
seulement.  »  Dans  le  premier  spectacle  les  acteurs  Burin  et 
Stockleit  chantaient  sur  un  air  nouveau  : 

Nous  n'  somm's  que  deux, 

C'est  malheureux, 

Car  si  nous  étions  trois, 

Ce  s'rait  contraire  aux  lois, 

Et  si  nous  étions  quatre 

On  pourrait  nous  abattre, 

Mais, 

Nous  n'  somm's  que  deux, 

C'est  malheureux. 

Ah  !  si  cinq  nous  étions, 
Comm'  nous  triompherions. 
Et  si  nous  étions  six 
Nous  aurions  tout  Paris  ; 
Mais, 

Nous  n'  somm's  que  deux. 

C'est  malheureux. 

Ah  !  si  nous  étions  sept, 
Queir  fortune  on  ferait. 
Huit  I  Ce  serait  trop  beau, 
A  tous  les  coups,  1'  gros  lot. 
Mais, 

Nous  n'  somm's  que  deux, 

C'est  malheureux. 

Le  jour  où  nous  s'rons  neuf 
Je  tiendrai  mon  pied  d'  bœuf. 
Je  m'arrêt'  devant  dix 


128  THÉÂTRE  DES   a  BEAUJOLAIS  » 

Porte  du  Paradis, 
Car, 

Nous  n'  somm's  que  deux, 

C'est  fort  heureux. 

On  vit  à  deux. 

Bien  plus  heureux. 

La  Révolution  de  1830  arriva. 

Louis-Philippe  I®^  succéda  à  Charles  X. 

Le  Ministre  de  l'Intérieur,  M.  Montahvet,  accorda  à  MM. 
Contat-Desfontaines,  dit  Dormeuil^  et  à  M.  Charles  Poirson^ 
frère  de  M.  Delastre-Poirson,  directeur  du  Théâtre  du  Gym- 
nase, le  privilège  de  rouvrir  la  salle  des  Beaujolais  sous  le  titre 
de  Théâtre  du  Palais-Royal. 

Une  société  fut  formée  par  les  deux  directeurs  ;  société 
dont  «  cent-vingt  actions  de  3.000  francs  chacune  »  formèrent 
le  capital. 

Ce  fut  l'architecte  Guerchy  qui  reconstruisit  entièrement 
la  salle. 

Le  régisseur  général  fut  M.  Goupart,  homme  de  lettres 
et  vaudevilHste,  qui  longtemps  avait  tenu  l'emploi  de  chef 
de  bureau  des  Théâtres  au  Ministère  de  l'Intérieur.  Une  troupe 
nouvelle  fut  formée,  troupe  dans  laquelle  on  trouve  les  noms 
de  Lepeintre  aîné,  Philippe,  Paul,  Derval,  Sanson,  Régnier; 
puis  Alcide  Tousez,  «  acteur  indéchiffrable,  logogriphe  vivant, 
qu'il  ne  faut  pas  chercher  à  expliquer,  mais  qui  ferait  rire  un 
quaker  »,  Levassor,  Leménil,  Sainville,  Boutin,  Germain, 
Lhéritier,  etc. 

Mesdames  Déjazet,  Dormeuil,  Zéha  Paul,  Eléonora  Lemé- 
nil, Pernon,  etc.,  etc. 

Ce  fut  le  6  Juin  1831,  que  le  Théâtre  du  Palais-Royal  {an- 
ciens Beaujolais)  s'ouvrit  avec  un  prologue  de  MM.  Mélesville, 
Bayard  et  Brazier,  intitulé  :  Ils  ri'ouvriront  pas. 

Au  règne  de  Louis-Phihppe  succéda  la  Répubhque  de  1848. 
Le  Théâtre  du  Palais- Royal  se  vit  contraint,  sous  peine 
d'antipatriotisme,  de  changer  son  enseigne. 

Il  s'appela  pendant  quelques  jours  THÉÂTRE  DE  BEAU- 
JOLAIS ;  puis,  définitivement  Théâtre  Montansier. 


THÉÂTRE  DES  a  BEAUJOLAIS  ))  129 

En  1851,  la  République  s'étant  affaissée  sous  le  coup  de 
botte  de  Napoléon  III,  dès  1852,  le  théâtre  redevint  le  Théâ- 
tre  du    Palais-Royal. 

Depuis  cette  époque,  cet  immortel  temple  du  rire  n'a  plus 
changé  son  enseigne,  conservant  à  son  fronton  la  belle  devise 
de  Rabelais:  Le  rire  est  le  propre  de  l'homme. 

Ici  s'arrêtent  les  nombreux  avatars  du  Théâtre  des  BEAU- 
JOLAIS, à  travers  les  temps,  les  mœurs  et  les  fluctuations 
poHtiques. 

Des  comédiens  d'immense  talent  s'y  sont  succédé. 

Les  nommer  tous  serait  nommer  tous  les  grands  comiques 
de  Paris  : 

Un  seul  survit  :  C'est  mon  bon  ami  Lassouche,  à  qui,  pour 
fermer  ce  livre  de  souvenirs  et  de  recherches,  je  suis  bien 
heureux  de  serrer  une  fois  encore  la  main. 


FIN 


TABLE  DES  MATIERES 


Pag«i 

Chapitre  I".  —  De  1753  à  1787.  Préliminaire  d'un  petit  théâ- 
tre, appelé  à  devenir  grand 1 

Chapitre  II.  —  Prix  des  places.  —  Détails  rétrospectifs.  — 
Répertoire.  —  Découverte  d'un  livre  in- 
trouvable         15 

Chapitre  III.  —  Détails  intimes.  -—  Rôle  de  l'instituteur.  — 
Suite  du  répertoire.  —  La  petite  chanteuse 
aveugle 36 

Chapitre  IV.     —  1787  à  1788.  Caractères  d'enfants.  —  Utilité 

de  ce  petit  théâtre 47 

Chapitre  V.       —  1789.   Les  petits  remplacés  par  des  grands. 

—  Mort  du  Dauphin  de  France.  —  Camille 
Desmoulins.  —  Fermeture.  —  Séparation 
de  MM.  Deîomel  et  Gardeur.  —  L'honnête 
Delomel.  —  Décadence.  —  La  Demoiselle 
Montansier  ! 67 

Chapitre  VI.  —  1790.  A  la  recherche  d'une  nouvelle  salle.  — 
Persécutions  de  la  Montansier.  ~  Le  Théâ- 
tre Mareux.  —  Le  Théâtre  des  Elèves  de 
l'Opéra  et  des  Feux  Physiques.  —  Dégrin- 
golade         82 

Chapitre    VII.  —  Suite  de  1790.  —  Réouverture  après  Pâques. 

—  Au  Théâtre  Mareux 95 

Chapitre  VIII.  —  Nouvelles  directions.  —  Le  sieur  Noisel.  — 

Sa  troupe  d'acteurs.  —  M.  Briois.  —  Le 
Cirque  Astley.  —  Le  Théâtre  des  Comé- 
diens sans  titre 107 

Chapitre     IX.  —  Conclusion.    —   Enseignes   successives.    — 

Directeurs  nouveaux.  —  Artistes. —    in.       123 


Grande  Imprimerie  du  Centre,  HERBIN.  —  Montiuçon 


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PN  Pèricaud,  Lotiis 

2636  Théâtre 

P4B47 
cop.2 


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