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HISTOIRE DE L'HISTOIRE
DES GRANDS ET DES PETITS THÉATfiES DE PARIS
PENDim U RÉVOLUTIOK, LE COIISUUT ET L'EMPIRE
DEUXIEME VOLUME DE LA SERIE
THÉÂTRE
DES
PETITS COMÉDIENS
DE
S, A. S. Monsei^neiir le Comte de Beaujolais
PAR
Louis PÉRICA.UD
PARIS
E. JOUEL, LIBRAIRE
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THEATRE
DES
PETITS COMÉDIENS
HISTOIRE DE L'HISTOIRE
DES &RANDS ET DES PETITS THÉÂTRES DE PARIS
PEIOAIT U RÉVOLUTIOI, LE COKSIIUT ET L'EMPIRE
DEUXIÈME VOLUME DE LA SÉRIE
THÉÂTRE
DES
PETITS COMÉDIENS
DE
S. A. S. Monseigneur le Comte de Beaujolais
PAR
Louis PÉRICAUD
PARIS
E. JOREL, LIBRAIRE
3, Rue Bonaparte, 3
1909
2é2:6
A ALBERT CARRÉ
MON CHER PRÉSIDENT ET MON AMI
L'Auteur :
Louis PÉRICAUD
THÉÂTRE
DES
PETITS COMÉDIENS
DE
S. A. s. Mgr le Comte de BEAUJOLAIS
CHAPITRE 1er
DE 1753 A 1787
PRÉLIMINAIRES d'uN PETIT THEATRE,
APPELÉ A DEVENIR GRAND.
C'est en 1753 que fut construite, sous les galeries du Palais-
Royal, à l'angle septentrional de la galerie du Beaujolais, cette
petite salle de spectacle, où se trouve être actuellement encore
notre gai Théâtre du Palais-Royal.
Ce fut l'architecte Antoine, Victor, Louis, sur les ordres
de Monseigneur Louis, Philippe, duc d'Orléans, petit-fils
du Régent de France, qui traça les plans de cette modeste
salle, pour les seuls plaisirs de Son Altesse Sérénissime.
Elle ne devint publique que beaucoup plus tard, en 1784,
et fut inaugurée le 23 octobre de cette dite année, par une
troupe de comédiens en bois, ou marionnettes, sous la direc-
tion des sieurs Delomel et G ardeur; lesquels avaient obtenu
de Monseigneur le Comte de Beaujolais, troisième fils du duc
d'Orléans, l'autorisation de présenter au public leurs marion-
nettes, sous le titre de : Petits Comédiens de S. A. S. Monsei-
gneur le Comte de Beaujolais.
Cette salle fort restreinte, dont la destination primitive avait
été d'être une salle de bal, se trouvait être « trop longue
2 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS ))
pour sa largeur et trop étroite pour sa longueur ». Basse de
plafond, les lois acoustiques n'y étaient nullement aménagées.
Le public se plaignit tout d'abord de ne point entendre assez
distinctement la voix des acteurs et chanteurs, qui parlaient
et chantaient au lieu et place des marionnettes.
Mais il n'en pouvait être autrement ; le peu d'éléva-
tion du plafond étant exigible, pour que les fils d'archal,
auxquels étaient suspendus les bonshommes et bonnes femmes
de bois — lesquels ne mesuraient pas moins de trois pieds de
hauteur — ne nuisissent pas à l'illusion, s'ils eussent été trop
visibles.
Car ces spectacles de marionnettes n'étaient point alors
fréquentés seulement par des enfants, ce que l'on serait natu-
rellement porté à croire ; mais bien par de grandes person-
nes, voire même du plus haut parage, lesquelles venaient se
distraire simplement et honnêtement aux lazzis, aux intri-
gues, au jeu des pièces, que confectionnaient exprès pour
ces acteurs simulés, de véritables auteurs dramatiques.
Temps éloigné, mais heureux temps de naïveté littéraire,
où des folliculaires daignaient se déranger pour aller apprécier
et juger des vaudevilles, comédies, drames et mélodrames,
faits selon la formule et joués par des marionnettes ;
Où il se trouvait un public, assez affamé de curiosité, assez
oisif, assez désireux de nouveau et d'imprévu, assez ennuyé
de la banalité de la rue, pour venir se distraire à de vérita-
bles compositions musicales ; car, les affiches annonçaient
pompeusement des symphonies, des oratorios, des ouver-
tures nouvelles, joués par un orchestre de vingt-deux musi-
ciens, sous la conduite de M. L. Raymond.
A cette époque on pouvait, sans ridicule, s'intéresser à des
actions scéniques, que faisaient se dérouler des comédiens de
bois, avec leurs voix partant de la coulisse et des gestes brus-
ques, mesurés, comptés, guidés par des mains invisibles ;
Et des auteurs, dont certains devinrent célèbres, s'ils ne
l'étaient déjà, qui ne dédaignaient pas d'écrire des comédies,
des couplets, des vers, de chercher des intrigues, de mettre
leur esprit en éveil pour produire des élucubrations, dont cer-
THEATRE DES (( BEAUJOLAIS » 3
taines ont survécu à leur époque, servant de matrice à ce
que fut plus tard le joyeux Vaudeville, puis la fantaisiste
Opérette.
On pouvait aussi compter avec des musiciens, qui n'étaient
pas les derniers venus — sans être cependant les premiers —
et qui composaient des airs, des duos, des trios, des quatuors,
pour ces pantins articulés ; et leur fournissaient les moyens
de charmer les oreilles par des mélodies qu'applaudissait le
public de l'époque ; mélodies dont bon nombre ont survécu,
harmonieuses à ce point, que certains compositeurs de nos
jours les ont lues, retenues et ne dédaignent pas de nous les
servir, trop souvent aujourd'hui, comme sortant toutes pim-
pantes de leur demi-cerveau producteur.
Le 22 mars 1785, Leurs Altesses Sérénissimes le Duc de
Chartres et la Duchesse de Chartres, Messeigneurs le Duc de
Montpensier et le Comte de Beaujolais honorèrent de leur
présence le petit spectacle, qui, ce soir-là, joua, sur la demande
de ces Princes, Belphégor^ opéra-comique, par M. le Chevalier
de Bérainville.
Je relève cette note dans VAlmanach des Petits Spectacles
de Paris :
« Il ne faut pas croire qu'on ne parle jamais sur ce théâtre,
comme quelques personnes se l'imaginent ; et qu'on ne fasse
toujours qu'y faire des gestes, tandis que d'autres acteurs
chantent ou déclament dans les coulisses ; les enfants parlent
réellement dans la comédie. »
« Ainsi, on fait une mauvaise plaisanterie quand on raconte
qu'un acteur étant venu annoncer le spectacle du lendemain,
ne fit que des gestes, tandis qu'un camarade caché portait la
parole pour lui. »
Ceci m'amène naturellement à vous parler de la substitu-
tion absolue des marionnettes, par de jeunes enfants, substi-
tution qui fit crier beaucoup l'autorité supérieure, mais que
la protection de M. le Comte de Beaujolais finit par faire
triompher.
Le croirait-on, les ennemis les plus acharnés du pauvre
petit Théâtre, furent l'omnipotent Opéra, la toute puis-
4 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS ))
santé Comédie Française et la non moins grande Comédie
Italienne.
Ni les uns, ni les autres n'admettaient que l'on pût parler
ou chanter sur une scène, en dehors des leurs.
Aussi la lutte fut-elle longue et acharnée.
Il est juste de dire que tout cela n'arriva qu'après l'entière
disparition des marionnettes.
Au temps naïf de ces fantoches, les chanteurs de cou-
lisses n'étaient que « de pauvres braillards, aux voix fausses
et discordantes, sans goût et sans expression, à l'exception
cependant d'un seul homme, chanteur des chœurs de l'Opéra,
et d'une femme, qui avait uniquement une belle voix, mais
qu'il n'était quelquefois pas possible d'écouter sans grincer
des dents, tant elle se faisait remarquer par le déclassement
des sons qu'elle faisait entendre. »
Que l'on juge, après cela, de l'excessive difficulté que de-
vaient trouver les auteurs et compositeurs à écrire des pièces
et de la musique, pour les voir interprétées dans de si déplo-
rables conditions. Mais le besoin de se faire connaître était là,
tenaillant, poussant, entraînant, impulsant, et faisait passer
par dessus les mauvaises interprétations, les impatients
auteurs et compositeurs dramatiques.
Hâtons-nous de dire que le temps de « ces pauvres braillards»
dura peu, et que, petit à petit, ils furent avantageusement
remplacés par MM. Delomel et Gardeur, toujours désireux
d'attirer dans leur théâtre les véritables amateurs de fine
Comédie et de bonne musique.
Ces marionnettes «n'allaient et ne venaient que sur une ligne
transversale, sans pouvoir s'asseoir, ni courir, ni rien donner,
ni rien prendre, ni écrire. » C'était monotone pour l'œil ;
l'imagination devait y suppléer.
Il se trouvait pourtant des besogneux « littéraires », dési-
reux de gagner « les deux écus » que leur donnaient les deux
Directeurs pour la confection d'une de leurs œuvres, en un
seul acte.
Deux gros succès : Figaro^ Directeur de Marionnettes^ et
Goburge, parodie de Panurge, de M. de Maillot, furent cepen-
THEATRE DES (( BEAUJOLAIS )) Ô
dant payés « dix écus » chacun. Ce fut, pour le petit théâtre,
le commencement des forts droits d'auteurs.
M. Gardeur, titulaire du Privilège, s'était d'abord tenu à
la stricte observation des règlements institués spécialement
pour son théâtre. Ses marionnettes paraissaient seules en
scène, maniées habilement par des mains expertes, qui, à
l'aide de fils plus ou moins visibles, les faisaient se mouvoir.
Un jour, son associé M. Delomel, osa glisser un enfant parmi
les marionnettes. L'autorité, ou ne s'en aperçut pas, ou
voulut bien ne pas s'en apercevoir. Toujours fut-il qu'elle ne
souffla mot. Alors, l'intrigant directeur prit audace et en glissa
un second, puis un troisième ; il en glissa même un quatrième.
Si bien qu'un soir, par ordre de la Police, on fit sortir de scène
les enfants de chair et d'os, laissant se débrouiller entre eux
les pauvres acteurs de bois.
C'est alors qu'intervint M. Gardeur, le titulaire du Privilège.
Il était petit parent, — prétendait-il, — de M"^® Suzanne
Necker, femme du grand Ministre Necker. Il s'en fut implorer
la protection de cette excellente dame, laquelle obtint pour
l'exploitation des Beaujolais « la permission, outre les figures
« non respirantes » qui paraissaient sur la scène, de faire jouer
« des pantomimes, ainsi que des pièces de comédie, par de
jeunes enfants ; à la condition que d'autres acteurs cachés
parlassent et chantassent pour eux ; et même d'y joindre un
ballet, dans lequel pourraient encore paraître ces mêmes
enfants. »
C'était un pas énorme acquis sur le domaine de la Liberté.
Le point important, toléré puis accordé, MM. Gardeur et
Delomel fermèrent leur spectacle quelques jours ; firent faire
des réparations dans les loges et l'on rouvrit, au bout de
trois semaines, avec la parfaite autorisation, non seulement
de l'autorité, mais même encore de l'Opéra.
Car, « l'Opéra seul octroyait autorisation de chanter, et
la Comédie Française celui de parler sur les théâtres publics. »
Je fis dans la préface d'un écrit, datant de 1786, et accom-
pagnant un volume sur le Théâtre des Beaujolais, ces réflexions
d'un brave bourgeois :
6 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS ))
« Pourquoi les comédiens français veulent-ils exclusive-
ment parler ?... Pourquoi veulent-ils que je dérange ma for-
tune, déjà trop médiocre, pour aller entendre une tragédie,
qui m'ennuiera, quoique bien jouée ?... Parce que je ne prends
intérêt aux débats de princes et de princesses, morts depuis
deux mille ans ?... »
« Tel marchand vend du drap à douze francs l'aulne, qui
ne convient ni à mon état, ni à ma fortune. Le marchand a-t-il
le droit, si je ne prends pas son drap, de m'empêcher d'en
aller faire emplette ailleurs ; moins bon, si l'on veut, mais à
beaucoup meilleur marché ? Fait-il la moindre démarche pour
empêcher l'autre marchand de vendre du drap médiocre à
trois livres, sous prétexte qu'il le prive d'une plus grande
affluence de clients ?... Non ! Il vend tant et autant qu'il peut
son drap à 12 livres, sans s'inquiéter du marchand subalterne,
et sans l'inquiéter. »
« Pourquoi les comédiens français, qui, selon mon allégorie,
sont les marchands à 12 francs l'aulne, ont-ils voulu empêcher
les Variétés^ V Ambigu-Comique (qui n'est pas toujours tel) et
les Beaujolais^ qui ne sont que le marchand à un écu l'aulne,
d'exister ? »
Ces réflexions sont assurément celles d'un honnête criti-
que, glissé dans la houppelande d'un bon commerçant, épris
de hbertés, intéressé à l'abolition d'un privilège injuste. Je
ne les cite que parce qu'elles me paraissent être de toute
loyauté et de toute sincérité.
C'était en effet la marche ascendante vers la liberté entière
des théâtres, que devait proclamer quelques années plus
tard la Révolution Française.
Voilà à quoi toujours mènent les excès.
Car les Comédiens Français ne demandaient rien moins que
l'entière suppression des petits théâtres et théâtres forains
«vu le préjudice qu'ils leur causaient et attendu, écrivaient-
ils dans un Mémoire adressé au Roi, qu'il y a un trop grand
nombre de spectacles dans Paris. »
Or, Paris possédait à cette époque de 1786, près du double
de la population qu'il avait sous Louis XIV ; or, sous le règne
THEATRE DES « BEAUJOLAIS )) 7
du grand roi, huit théâtres offraient au pubhc leurs attrac-
tions très suivies.
C'étaient — tels que Beauchamp les rapporte — le Théâtre
du Petit Bourbon^ celui du Palais-Royal^ celui du Marais,
celui de la Cloche-d' Argent^ celui de la Croix-Blanche, celui de
la Rue Guénégaud, celui de VHôtel de Bourgogne, et l'ancien
Théâtre Italien.
Aussi, dans Paris en miniature, brochure parue en 1786,
un amateur de spectacles écrivait-il ceci :
« Moi, qui ne porterai jamais de pleureuses ni pour Cléopâtre,
ni pour Pompée ; moi qui crois avoir assez larmoyé, quand j'ai
pleuré les morts du jour, sans y joindre ceux de l'antiquité ;
oh î ne m'ôtez pas la ressource de la Foire, et laissez-moi les
petits spectacles. Combien de gens pour qui la Comédie-Fran-
çaise est trop belle! Il serait fâcheux qu'on ne pût s'amuser
quand on n'est ni bel-esprit, ni Seigneur. »
Aussi, l'Opéra et la Comédie-Française avaient-ils fini par
accorder à MM. Delomel et Gardeur, après s'en être longtemps
défendus, « permission à leurs acteurs, de parler et de chanter
dans la coulisse pour les « Bamboches » qui étaient sur la
scène ; voire même pour les enfants, qui devaient se contenter
de mimer, pendant qu'on parlait et qu'on chantait pour eux.
De plus, l'Opéra accordait aux deux Directeurs « le droit
de faire chanter des airs sur les vaudevilles connus, et même
sur de la musique nouvelle que les compositeurs pourraient
apporter à ce spectacle. »
Le nom de « Bamboches » que l'on substituait alors à celui
de Marionnettes, était le nom d'un peintre du siècle précédent,
lequel s'était établi une énorme renommée, en peignant de
petites figures, qui devinrent alors de grande mode ; à ce
point qu'un riche particuHer s'avisa d'élever au Marais un
théâtre de marionnettes et qu'il l'intitula Théâtre des Bam-
boches.
Ce nom était resté à toutes marionnettes que l'on mettait
en œuvre sur les petits théâtres.
Le premier spectacle véritable, dans la salle réformée de
MM. Delomel et Gardeur, se composa de trois pièces :
8 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS ))
1° Momus, Directeur de spectacle^ prologue d'ouverture.
2^ Il y a commencement à tout^ proverbe mis en action, en
un acte.
3° La Fable de Prométhée^ pièce ornée de chant et de danse,
musique de M. Froment.
Le « Continuateur de Bachaumont » écrivit : « Les deux pre-
mières pièces ont paru détestables; mais la dernière a obtenu
le plus grand succès. »
Quand de jeunes enfants remplacèrent définitivement les
Bamboches, on pourrait se figurer que le public, tout d'abord,
demeura surpris de voir de petits acteurs mimer leurs rôles,
tandis que de grands acteurs, ou plutôt des acteurs grands,
parlaient et chantaient en leur place dans la coulisse.
Les marionnettes avaient été le lien. On accepta le fait nou-
veau comme un perfectionnement, sans en être plus étonné.
Le petit Théâtre n'était-il pas dénommé « Les Mimes du
Palais-Royal ? » Les acteurs dits « mimes » remontent, on le
sait, à la plus haute antiquité, alors que le geste et la phy-
sionomie remplaçaient la parole.
Les Beaujolais en étaient la suite décadente.
L'auteur des Réflexions et Critiques sur la Poésie et la Pein-
ture^ donne comme origine sur l'introduction des mimes dans
les pièces jouées à Rome, une définition très acceptable et des
plus vraisemblables.
Il écrit, section XI, page 189 : « Livius Andronicus, poëte
célèbre, qui vivait à Rome cinq cent quatorze ans après sa
création, et six- vingt ans après qu'on y eut ouvert les théâtres,
jouait lui-même dans une de ses pièces. C'était alors la cou-
tume que les poètes dramatiques montassent eux-mêmes sur
le théâtre, pour y réciter leurs ouvrages. »
« Le peuple qui se. donnait la liberté de faire répéter les
endroits qui lui plaisaient, à force de crier his^ fit réciter si
longtemps le pauvre Andronicus, qu'il s'enroua. »
« Hors d'état de déclamer davantage, il fit trouver bon au
peuple qu'un esclave placé devant « le joueur d'instrument »
récitât les vers ; et, tandis que cet esclave parlait, Andronicus
fit les mêmes gestes qu'il eût faits, s'il avait récité lui-même. »
THEATRE DES (( BEAUJOLAIS )) 9
« On remarqua alors que son action était beaucoup plus
animée, parce qu'il employait toutes ses forces à faire les
gestes, quand c'était un autre qui était chargé du soin et de la
peine de prononcer. »
« De là, naquit l'usage de partager la déclamation entre
deux acteurs, le parlant et l'exécutant ; et de réciter, pour
ainsi dire, à la cadence du geste des comédiens. Cet usage a
si bien prévalu que les comédiens ne prononçaient plus eux-
mêmes que les vers des Dialogues. »
Les petits acteurs des Beaujolais se contentaient donc d'ou-
vrir la bouche à propos, sans prononcer une parole, apportant
autant de finesse dans leur jeu que s'ils parlaient eux-mêmes.
Seulement, ils adaptaient si bien leurs gestes à la diction, tant
parlée que chantée, qu'ils produisaient une illusion complète.
Je relate en un écrit du temps cette observation qui con-
firme mon dire :
({ Il faut absolument être convaincu que l'enfant ne dit
mot et que c'est un substitut qui parle pour lui, pour le croire.
Il n'est presque pas de représentations où des seigneurs et
autres personnes de quahté ne viennent s'assurer du fait par
eux-mêmes, en se transportant dans les coulisses. Pleinement
convaincus, leur étonnement alors égale leur admiration. »
L'apparition des Princes de la famille Royale au spectacle
des Beaulolais avait donné une énorme vogue au petit théâtre.
La pièce de M. Person de Bérainville — que certains journaux
orthographient Berrainville^ — Belphégor^ ou le Diable à Flo-
rence, était une comédie en un acte et en prose. C'est le 10 mars
1785 qu'avait eu lieu sa première représentation. Le succès
avait été très grand ; et c'est ce qui avait décidé Leurs Altesses
Sérénissimes à assister, le 22 mars suivant, à sa représen-
tation.
Le sous-titre de Belphégor avait dû être Le Diable au corps,
— ainsi que je l'ai pu constater sur le manuscrit original de la
pièce, qui appartenait au Baron Taylor — ; mais, l'auteur,
ayant craint que l'on ne confondît sa pièce avec Le Diable à
quatre, de Sedaine, représenté en 1756, à la Foire St-Laurent,
en modifia le second titre. Le premier intitulé ayant déjà
10 THEATRE DES « BEAUJOLAIS »
figuré plusieurs fois sur les affiches de théâtre, sans qu'aucune
réclamation se fût produite.
En effet, il y avait eu, en 1721, un Belphégor^ comédie-ballet
en trois actes, représenté par les comédiens itahens, dont
l'auteur était M. Le Grand, comédien du Roy.
Un autre Belphégor — le même que celui de M. Legrand —
avait été joué à Metz, à Mantes et en Italie, avec un nouveau
troisième acte, sous la signature d'un M. P. Bignon.
Un troisième, intitulé Belphégor dans Marseille^ avait été
joué à Marseille en 1736 et imprimé à l'imprimerie Sibié,
portant en tête de son impression : Par un Auteur anonyme.
Cet auteur, dont j'ai retrouvé le nom avec quelque peine, était
M. Jean-Baptiste-Pierre Baco. Sur ce sujet il avait composé
une comédie en un acte, en prose, ornée de chants et de
danses, avec un prologue en vers.
On s'empruntait alors les sujets, on les refaisait, on les
remaniait, sans que nulle réclamation se produisît.
Dans les Petits Spectacles de Paris ^ de l'année 1787, je relève
l'article suivant :
« Toujours la même afïluence, le même enthousiasme de la
part du public aux Beaujolais^ qui récompense par là les Direc-
teurs des soins qu'ils se donnent pour lui procurer des pièces
agréables et pour lui faire entendre d'excellente musique. »
« S'il y a du mérite à avoir vaincu la difficulté, en faisant
chanter dans les coulisses et faire les gestes sur la scène, de
manière qu'on n'anticipe point sur le privilège de l'Opéra,
il y en a bien davantage de faire régner l'ensemble le plus par-
fait, avec les pantomimistes, les acteurs, les chanteurs et avec
l'orchestre ; en sorte que chacun séparément, sans se voir, ne
fasse pas un mouvement, n'ouvre pas la bouche, sans se trou-
ver d'accord avec tous. »
« C'est une justice qu'on ne saurait refuser de rendre aux
Directeurs de ce singulier spectacle, qui ne peut que se conci-
lier de plus en plus l'estime générale, à mesure qu'il s'appro-
chera de la perfection, que le zèle des entrepreneurs s'efforce
de lui donner ; et maintenant surtout que quelques auteurs
THEATRE DES (( BEAUJOLAIS )) 11
et des compositeurs célèbres se font un plaisir d'y faire paraî-
tre quelques-unes de leurs productions. »
« Malgré la difficulté de monter les pièces à musique, on
en donna un grand nombre de nouvelles, dont plusieurs eurent
beaucoup de succès. Nous nous contenterons cette année
d'en rapporter les intitulés, selon la date des représenta-
tions. »
Au commencement du mois de mai 1786, on avait donné
Les Jeunes Amans ^ comédie en un acte, par M. Le Bas.
Les Deux Jumelles^ ou la Méprise^ ballet-pantomime en
trois actes ;
Les Amours du Gros-Caillou^ opéra-comique en un acte,
musique de M. Riggel.
Le 15 mai, -la première représentation du Bailli Bienfai-
sant^ comédie en un acte, mêlée d'ariettes, par M. Chapelle.
Le 18 mai, Alexis et Rosette^ mélodrame en un acte, avec ses
agréments, par M. Guillemin.
Cette pièce eut beaucoup de succès.
Le 22 mai. Les Délassements de V Amour ^ comédie en un
acte, par M. Duserxe.
Le 24 mai, les Projets ridicules^ ou la Suite du Vieux Soldat^
comédie en deux actes, mêlée d'ariettes, par M. de Maillot,
musique de M. Froment, de l'Académie Royale de musique.
Le 6 juin, première représentation de Colin et Colette^ opéra-
parade en un acte, musique de M. Bonnay, de l'Académie
Royale de musique.
On peut juger, par ces tentatives, sur un théâtre de marion-
nettes, des difficultés qu'éprouvaient alors les compositeurs
à produire leurs œuvres.
Le 23 juin, la Solitude^ comédie en un acte, par M. Guille-
main.
Pièce charmante.
Le 11 juillet, première représentation de Le Braconnier^
opéra-boufîe en un acte, par M. Raymond.
Le 25 juillet, Suzette et Colinet^ ou les Amants heureux par
stratagèmes, opéra bouffon en un acte, paroles de M. le Cheva-
lier de Bérainville, musique de M. Piccini fils.
12 THEATRE DES <( BEAUJOLAIS »
Le 31 juillet, Le Peintre jaloux^ ou Tous les Fous ne sont
pas aux Petites Maisons^ comédie-proverbe en un acte, par
M. Maillé.
Cette pièce fut sifflée. Les auteurs prétendirent que le
public ne Pavait pas comprise. De nos jours, il existe encore
de ces auteurs-là.
Le 5 août. Les Fourberies de Mathurin, opéra-bouffon en un
acte, musique de M. Bambini.
Le 9 août, Ninon ^ ou La Fausse Niaise^ mélodrame en un
acte, par M. Pompigni.
Le 15 août, Le Tableau^ comédie en un acte, par M. Guille-
main.
Le 19 août, U Heur eux Stratagème^ ou le Vol supposé^
opéra-bouffon en un acte par Mlle Caroline. Sifïlée, cette pièce
« malgré les égards que l'on aurait dû avoir pour une dame. »
Note de l'époque :
« Le 2 septembre, Le Manteau^ ou Les Deux Nièces rivales^
opéra-bouffon en un acte, paroles de M. Beaunoir, musique
de M. Champein, de l'Académie Royale de musique. »
C'était tout simplement une pièce jouée déjà sur le Théâ-
tre de Nicolet sous le titre de La Mère Nitouche, ou Les Deux
Nièces rivales^ du même M. Beaunoir.
Je relève cette note, relative à la transformation et trans-
portation de cet opéra : « La pièce, du boulevard, a beaucoup
perdu à être transplantée au Palais- Royal. »
Le 8 septembre, Rosine et Julien^ mélodrame en un acte,
par M. Lutaine.
Le 26 septembre, première représentation à^Atine et Zamo-
rin, ou V Amour turc, opéra-bouffon en trois actes, avec
ses agréments, paroles de M. Dancourt, musique de M.
Riggel.
Vingt ans auparavant, cette pièce, mise en musique par
M. Davesne, et un musicien attaché au Concert du feu Prince
de Conti, avait été jouée à la Comédie Italienne. Elle repa-
raissait cette fois sur le Théâtre des Beaujolais, avec de la
musique nouvelle, signée Riggel.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS )) 13
Le 21 octobre, L'Entrée du Seigneur, comédie en un acte,
mêlée d'ariettes.
Plus tard, en 1813, MM. Creuzé de Lesser et Favière firent
sur ce même sujet, un opéra-comique en un acte, qu'ils inti-
tulèrent : Le Nouveau Seigneur du Village, sur lequel le grand
mélodiste Boïeldieu composa une adorable partition, pleine de
charme, et que l'on joue trop rarement aujourd'hui.
Le 2 novembre, La Surprise réciproque, comédie en un acte.
Un critique reproche vivement à l'auteur de faire apporter
successivement, dans sa pièce, trois lettres ! « Cet auteur
aurait dû savoir, écrit-il, qu'un moyen fort usé était même
d'en faire apporter une seule. »
Ainsi, (( trois lettres » apportées successivement condam-
naient à la chute une pièce, quelque bien qu'elle pût être
faite !... Songez donc : trois lettres I... Une seule paraissait
même « un moyen fort usé. »
Pourquoi ?... Probablement parce que le moment où ces
lettres étaient apportées par le valet ou la soubrette était mal
choisi; parce que l'auteur se tirait de cette façon, trop facile-
ment, d'une situation tendue ou fort embrouillée.
Dans une pastorale héroïque, en trois actes et en vers
libres, de M. Quesnot de la Ghénée, jouée à Gand en 1706,
La Bataille de Ramélie, ou les Glorieuses Conquêtes des Alliez,
au moment le plus décisif de la bataille, un courrier apporte
au général Marlborough, le vainqueur célèbre de Hochstaed
et de Malplaquet, devenu légendaire en France par la fameuse
chanson :
« Malboroug s'en va-t-en guerre »
« Miron ton ton ton mirontaine »
Un courrier, dis-je, apporte au brave général anglais, la
lettre d'une jeune femme qui lui dit :
« Vous m'aimez, et jamais, au grand jamais, Monsieur,
« Je ne vous ai cédé cette part de l'honneur,
« Qui fait battre le cœur et fait grossir la taille.
« Eh I bien, je cède, si vous gagnez la bataille. »
14 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS »
La pièce fut abominablement sifïlée, on contraignit à bais-
ser le rideau et la pièce disparut pour tout jamais de l'affiche.
Sur la brochure de cette pièce imprimée à Gand, « chez les
Héritiers de Maximihen Graet, » on Hsait en tête du premier
acte :
« ACTE PREMIÈRE ».
Cela peut donner une idée de ce qu'était le reste.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS )) 15
CHAPITRE II
PRIX DES PLACES. — DETAILS RETROSPECTIFS. — REPERTOIRE.
DÉCOUVERTE d'uN LIVRE INTROUVABLE.
De graves discussions s'étaient élevées entre les deux
Directeurs, pour déterminer le prix des places :
(( — Nous sommes « Petit spectacle », disait M. Delomel,
nos prix doivent être petits ; parce que notre genre s'adresse
plutôt aux petites bourses qu'aux grandes. Il me semble que
Deux livres les premières. Une livre et dix sous le parquet, et
Une livre les secondes, sont des chiffres très raisonnables et
acceptables de tout le monde. »
« — Vous êtes fou, répliquait M. Gagneur, nous sommes
Théâtre, sous l'étiquette d'un Prince. Ce serait humiUer Mon-
seigneur de Beaujolais d'assimiler nos prix à ceux des petits
Spectacles des boulevards. )>
Bref, après bien des débats, beaucoup de pourparlers et de
nombreux avis, recueillis un peu partout, il avait été arrêté
ceci :
Le prix des places « à la portée de tout le monde » est fixé à :
3 livres les Premières Loges.
2 livres et 10 sols le Parquet.
Et 2 livres les Secondes.
Maintenant comment l'idée d'un théâtre de marionnettes
avait-elle pu naître en l'esprit de MM. Delomel et Gagneur ?
M. Delomel était tourneur en bois, établi dans le faubourg
Saint-Antoine. Il s'amusait dans ses moments de loisir à
16 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
sculpter des figurines, auxquelles il donnait la ressemblance,
par à peu près, de certains personnages connus.
Un M. Gardeur, le frère du Gardeur qui devint, par la
suite, l'associé de Delomel dans la direction des Beaujolais^
était tailleur d'habits et habitait le troisième étage de la mai-
son dont M. Delomel occupait le rez-de-chaussée. Il vint à
la pensée de Gardeur de revêtir d'habits les bonshommes
que s'amusait à sculpter assez adroitement M. Delomel. Il
le lui proposa. Celui-ci, charmé de voir compléter son œu-
vre, accepta ; et quelques jours après, dans la montre de la
boutique de M. Delomel, entre des échecs, des quilles et des
boules, on vit apparaître la figure du Roi Louis XVI, majes-
tueusement drapé dans son costume royal.
Les badauds ne tardèrent pas tout naturellement à se
grouper devant la boutique du sieur Delomel ; tant et si bien,
que l'autorité s'en émut et invita Delomel à retirer de sa
vitrine la marionnette du Roi, comme « attentatoire à la
dignité royale. » Delomel obéit et remplaça sa statuette du
Roi, laquelle fut achetée aussitôt par Nicolet, directeur de
l'Ambigu-comique, qui la faisait voir dans les entr'actes, en
annonçant « que S. M. le Roi de France avait bien voulu poser
lui-même, pour la ressemblance de cette statue, w
La statuette du Roi fut remplacée dans la vitrine de M.
Delomel par celle, très ressemblante également, de M. de
Voltaire, lequel était mort quelques années avant, et dont
la personnalité était encore en grande faveur parmi le peuple
parisien. M. de Voltaire, décédé, n'étant pas un personnage
subversif, l'autorité ne put que disperser les groupes qui se
formaient compacts et obstruants, à la sortie des atehers,
devant la boutique de M. Delomel.
Ce fut alors que Jean- Nicolas Gardeur, inventeur de la sculp-
ture en carton pâte, s'en vint rendre visite à son frère Célestin
Gardeur, habilleur des marionnettes en vogue, vit le succès
qu'obtenaient ces poupées hautes de trois pieds, que confec-
tionnaient MM. Delomel et son frère Célestin, conçut l'idée de
créer un théâtre de marionnettes avec figures et costumes, res-
semblant aux acteurs et actrices de l'Opéra, de la Comédie-
THEATRE DES (( BEAUJOLAIS )) 17
Française et des Italiens, et proposa à M. Delomel de fonder
avec lui un théâtre de marionnettes, comme on n'en aurait
jamais vu ; avec véritables chanteurs en coulisses, véritables
décors peints exprès, véritables auteurs pour composer leur
répertoire et véritable orchestre de musiciens pour accompa-
gner ce merveilleux ensemble ; se chargeant également de
sculpter en carton-pâte « les têtes ressemblantes des marion-
nettes qu'ils auraient à faire jouer. »
M. Delomel trouva l'idée ingénieuse, et par une société en
commandite, qu'ils parvinrent facilement à former, les deux
Associés purent traiter avec S. A. Sérénissime Monseigneur le
comte de Beaujolais, de l'occupation de la salle, à lui appar-
tenant, moyennant « la somme de 14.000 livres par annuité
de location, avec bail de trois années, voire six, s'il y avait
lieu de poursuivre l'exploitation. »
Il était de plus accordé à Monseigneur « comme pot-de-vin,
la somme forte de 6.000 livres, pour son acquiescement à ce
que son nom fût accolé au titre du théâtre fondé par MM. De-
lomel et Gardeur. » Monseigneur ne faisait rien pour rien.
Enfin, le 26 octobre 1784, l'ouverture du Petit Théâtre des
Beaujolais avait eu lieu ; et le spectacle d'inauguration s'était
fait par les trois pièces nouvelles, que j'ai déjà nommées :
1° Momus, directeur de spectacle.
2^ Il y a commencement à tout.
3^ Prométhée, grande pièce de chant et de danses, musique
de M. Froment.
L'auteur des Mémoires secrets, le continuateur de Bachau-
mont, mort en 1771, rend compte en ces termes de cette pre-
mière soirée :
« L'ouverture de la Salle des Beaujolais s'est effectuée avec
autant d'afïluence que celles des Comédies Italienne et Fran-
çaise. Cette salle est charmante, mais petite. Il y a vingt-deux
banquettes dans le parquet ; deux rangs de onze loges chacun ;
quelques loges grillées .et des intervalles pour des spectateurs
debout ; en sorte qu'elle peut contenir environ 800 personnes. »
« L'orchestre des musiciens est spacieux et le Théâtre d'une
étendue convenable, même pour le jeu des machines d'opéra. »
18 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
« De plein pied, au parquet, sont deux chauffoirs dont l'un
en galerie et l'autre en « sallon quarré )>. Ils sont décorés avec
autant de goût que de noblesse et meublés très élégamment.
L'orchestre est excellent. »
Jusque-là, M. Gardeur avait trouvé l'article admirable. A
partir de l'alinéa suivant, son front se plissa, se rembrunit
et ses nobles traits se contractèrent. Il continua cependant
de lire :
« Les marionnettes sont bien faites et ont assez de vérité ;
sauf ces vilains fils d'archal, qui les font se mouvoir par en
haut, dont le spectateur voit chaque différent mouvement et
qui ôtent toute illusion. »
« Quant aux ballets, ils sont dessinés par de petits enfants
des deux sexes, qui ont besoin d'étude et de pratique. »
« Les deux premières pièces ont été si mal reçues, tellement
sifflées et huées, que les directeurs et les acteurs étaient dé-
concertés ».
— Mais non, imbécile d'écrivaillon, je n'étais pas décon-
certé, vociférait le bouillant Gardeur. Je n'étais qu'ennuyé
de voir un public, que je croyais de choix, ne pas saisir les
beautés des deux pièces que j'avais retouchées moi-même, et
dans lesquelles mes collaborateurs et moi avions coulé le meil-
leur de notre esprit.
Bref, les deux directeurs s'étaient remis à la besogne et deux
jours après, le spectacle était changé et remplacé par une
comédie en un acte, en vers : Le Vieux Soldat et sa Pupille,
paroles de M. Demaillot et musique de M. Froment, « de
l'Académie Royale de musique ».
Cette pièce obtint un énorme succès. On cita ses mots, on
fredonna ses airs.
Cependant le sieur Delomel, plus audacieux et plus pra-
tique que son associé Gardeur, s'était avisé de glisser — je
l'ai écrit plus haut — parmi ses acteurs de bois, des
enfants de 5, 6, 7 et 8 ans qu'on lui toléra d'abord ; puis
des jeunes gens de 12 à 16 ans, qui se contentèrent pri-
mitivement de mimer, puis prononcèrent quelques mots,
s'interrompant quand l'acteur de coulisse avait à répondre.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS » 19
Gela amusa beaucoup le public et attira complètement la
vogue chez les Beaujolais.
UOpéra et la Comédie- Française s'émurent de cet empiéte-
ment sur leurs droits et firent interdire « à tout acteur en scène
l'usage de la parole et de la voix. »
Alors, des acteurs spéciaux et chanteurs avec jolies voix,
furent engagés pour demeurer invisibles dans les coulisses,
mais parler et chanter, tandis qu'en scène les mimes conti-
nuaient leurs jeux et dépeignaient, ou plutôt accompagnaient
de leurs gestes et de leurs expressions de physionomie, les pa-
roles qu'en dehors, les acteurs et chanteurs restant inaperçus,
débitaient.
L'illusion, quelqu'invraisemblable que cela puisse paraître,
était parfaite ; et je n'en veux citer pour preuve à l'appui de
mon dire que certains articles publiés à cette époque.
L'almanach des Petits spectacles de Paris^ « imprimé chez
Guillot, hbraire de MONSIEUR, frère du Roi, rue Saint-
Jacques, vis-à-vis celle des Mathurins, » écrit l'article suivant :
« La gesticulation ou Pantomime, chez les Beaujolais, s'exé-
cute avec tant d'art, elle est tellement d'accord avec les paro-
les et le chant, que l'illusion est complète et qu'il semble que
les acteurs qu'on a sous les yeux n'aient point d'interprètes. »
« Quoique cette invention soit prise de l'usage où étaient
les Romains de faire faire les gestes à un acteur, tandis qu'un
autre déclamait, il faut avouer que l'application qu'on en fait
de nos jours a quelque chose de neuf et de fort ingénieux. »
« On sent bien que ce spectacle exige un très grand nombre
de sujets, attendu qu'il faut souvent trois acteurs pour rem-
plir le même rôle. »
Ces trois acteurs étaient d'abord celui qui jouait, puis
celui qui parlait, enfin celui qui chantait.
Je donne ici 1' « Etat du personnel » qui, en 1785, compo-
sait ce spectacle si étrange :
20
THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS »
Directeurs et Entrepreneurs :
MM. DELOMEL ET GARDEUR.
Chant et Comédie :
ACTEURS, Messieurs :
Rousseau.
Tourçel.
Vénier.
Dromainville.
Chellet.
Frestat.
Bénard.
Lefort,
Angot.
Mateau.
Chaplot. .
Latigalrète.
Cazal
Talon, .
Masely.
et
Malard.
Champté.
ACTRICES,
Mesdemoiselles :
Carpentier.
Ducastel.
Montoriol.
Robin.
Vénier.
Grillé.
Théodore.
Trial.
Bonnard. .
Justine.
Chevigny.
Dorvillier cadette.
Simonet.
Nebet.
Brion.
Varenne.
et
Dorvillier. l^
aînée.
La Danse était composée de Douze figurants et de Douze
figurantes :
D'un PREMIER DANSEUR, M. Gibel.
Et d'une PREMIÈRE DANSEUSE, Mlle Dastrovigne.
ORCHESTRE
MAITRE DE MUSIQUE
M. Lintant.
PREMIER VIOLON
M. Feauveau.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS ))
21
AUTRES VIOLONS, Messieurs :
Cadré.
Lequin,
Paris.
MM. David.
Saint- Char les.
MM. Chreihk.
Hartmann.
MM. Piquet.
Launet.
Casimir.
Scherdre.
Boubert.
et Pagnier.
QUINTES
CORS
BASSONS
MM. Hastier.
Touty.
MM. Le casseur.
Hubert.
Mailli.
HAUTBOIS
BASSES
CONTRE-BASSE
M. Gresset.
En tout 20 musiciens, soigneusement choisis et triés sur
le volet.
Le Théâtre des Beaujolais^ pour avoir le droit de faire chan-
ter sur sa scène — même par des chanteurs que l'on ne voyait
pas — payait à V Académie Royale de Musique une redevance
de 833 livres, 6 sols et 8 deniers.
En octobre 1785, les Petits Comédiens de Monseigneur le
Comte de Beaujolais furent appelés à Saint-Cloud pour avoir
l'honneur de jouer V Amateur de Musique, paroles et musique
22 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS ))
de M. Raymond, et Les Ruses d'amour ou VEpreuve^ comédie
en vers libres par Maillé de Marencourt, musique de Chardini,
devant Leurs Majestés et la Famille Royale assemblées.
Cet honneur immense fait à la troupe de MM. Delomel et
Gardeur, eut le plus grand retentissement, et fit une énorme
réclame aux Petits Comédiens de Monseigneur le comte de Beau-
jolais.
L'auteur de VAmateur de Musique, M. Raymond, devait
remplacer au pupitre de chef d'orchestre, deux années plus
tard, M. Lintant, décédé.
Voici le Répertoire des pièces jouées en l'année 1785, par
la troupe des Beaujolais :
U Amant Echo, comédie en un acte.
U Amateur de Musique, musique de M. Raymond ;
L'Amour et la Poésie, comédie en un acte, mêlée de chant.
Anacréon, pièce en un acte, mêlée de chant.
Annette et Basile, mélodrame en un acte.
L'Armoire ou La Cachette, en un acte, musique de M. Ray-
mond.
Belphégor ou Le Diable à Florence, comédie en un acte, dont
j'ai parlé déjà.
Cidippe, opéra en un acte, paroles de M. Bouteiller, mu-
sique de M. Froment, de l'Académie Royale de musique.
Cette pièce n'était qu'un arrangement des trois, portant
le même titre et faites sur le même sujet, qui précédemment
avaient été jouées, la première en 1625 sous le titre de
Aconie et Cydipe, tragédie de Jean, Ogier de Gombault.
La seconde en 1623 sous le titre de Cydipe, Pastorale en
5 actes, avec des Chœurs et un Prologue, par M. de Baussais.
Enfin la troisième en Février 1726, sous le même titre de
Cydippe, — mais par deux P, cette fois — Opéra-comique en
1 acte, avec un Prologue.
Cette dernière fois, elle réapparaissait avec un I rempla-
çant l'Y, et remportait un véritable succès.
Puis, vinrent :
Le Compliment du jour de VAn ou Les Fêtes gauloises, pièce
d'à-propos jouée le 31 décembre.
THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS )) 23
Les Cris de Paris, comédie en un acte.
Esope au Palais-Royal, pièce épisodique en un acte.
C'était une satyre contre les mœurs parisiennes, flagellant,
cinglant les auteurs, les actrices et les filles.
Une revue, comme on les sert de nos jours dans nos petits
théâtres, à toutes les époques de l'année : Revues de Prin-
temps, d'Eté, d'Hiver, etc., etc.
Cet acte obtint un succès de vogue. Le spectacle était nou-
veau, il attira.
Puis on reprit : Figaro, directeur de Marionnettes, comédie
en un acte, représentée l'année précédente sans applaudis-
sements, mais que M. Gardeur tenait beaucoup à voir jouer,
parce qu'il y avait collaboré.
Galathée, comédie en un acte, par M. le chevalier de Gu-
bières.
Le critique Rousseau écrivit un article enthousiaste sur
cette jolie comédie, « estimant qu'elle aurait été jouée plus
dignement par les Comédiens-Français. »
Il terminait par cette phrase : « Galathée, dans la salle des
Petits Comédiens, est un bas de soie dans un sabot. »
Goburge dans Vile des Fallots, parodie de l'opéra de Panurge.
Cette parodie avait été représentée en l'année 1764. Le succès
avait été tel que le public redemanda la pièce ; ce à quoi les
deux directeurs s'empressèrent d'acquiescer.
U heur eux Dépit, ou Les Enfantillages de V Amour, comédie
en un acte, en vers, mêlée d'ariettes.
U Impromptu du Palais-Royal, compliment de clôture de
l'année théâtrale 1784 à 1785.
Ce compliment de clôture avait été récité par M. Venier,
lequel, paraissant sur la scène au milieu des enfants et des
marionnettes « avait l'air d'un géant au milieu de pygmées. »
Dans la riche et précieuse bibliothèque de la Comédie-
Française, l'érudit et aimable bibliothécaire, M. Couët, met à
ma disposition une pièce rarissime, intéressant le petit théâ-
tre dont je reconstitue l'existence. C'est une affiche imprimée
de ce spectacle, que je m'empresse de copier, dans sa forme,
pour la mettre sous les yeux de mes lecteurs :
24
THEATRE DES « BEAUJOLAIS »
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50
THEATRE DES (( BEAUJOLAIS )) 25
Les affiches des théâtres grands ou petits ne donnaient pas
encore le nom des acteurs ; je l'ai écrit dans mon « Histoire
du Théâtre de MONSIEUR ». Ce furent les sieurs Léonard et
Viotti qui inaugurèrent, pour leur beau théâtre, cette pré-
sentation des noms de leurs Comédiens sur les affiches.
Puis, les vedettes succédèrent à l'uniformité, ou plutôt à
l'égalité des caractères d'imprimerie ; beaucoup plus tard, sur
l'affiche du théâtre de la Porte-Saint-Martin, un débat très
grave s'étant élevé entre Bocage et Mlle Georges, que pro-
tégeait intimement le directeur Harel, il fut arrêté que
chacun des deux artistes, aurait chaque semaine son tour de
priorité sur l'autre.
Pendant une semaine, l'affiche annonçait donc : M. BO-
CAGE, rôle de Buridan, et Mlle GEORGES, rôle de Mar-
guerite de Bourgogne.
La semaine suivante on pouvait lire : Mlle GEORGES, rôle
de Marguerite de Bourgogne, et M. BOCAGE, rôle de Buridan.
Beaucoup plus tard, ce fut le tour de Frederick Lemaitre
et de Laferrière de se trouver en rivalité, sur l'affiche du théâ-
tre de la Gaité, à propos d'une reprise à ce théâtre de Henri III
et sa cour.
On connaît le mot de Frederick, cédant la première vedette
à Laferrière, en disant au directeur Hostein :
— Que Laferrière passe avant moi I Honneur aux Dames 1...
Mais, revenons à nos Beaujolais :
Le il juillet, on donna la première représentation de Luhin
et Suzette, opéra-comique en un acte.
Puis vinrent La ivraie Ruse d'amour, musique de M. Ray-
mond ;
Les Spectacles, ou Le Petit mot pour rire, pièce en un acte,
mêlée de vaudevilles.
Cette dernière pièce était une sorte ne revue théâtrale, où
tous les spectacles de Paris, depuis la sévère Comédie- Fran-
çaise jusqu'aux théâtres de la Foire, étaient plaisantes et pris
spirituellement à partie, dans leurs prétentions exagérées, et
le côté grotesque qui en résultait.
Le compère de la pièce — car déjà le personnage du com-
26 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS ))
père s'imposait pour voir défiler devant lui les Spectacles de
Paris, — voyant s'avancer un personnage tragique, vêtu en
Romain et portant des lunettes et un bonnet de coton, chan-
tait sur l'air : Cœurs sensibles^ cœurs fidèles :
A la Gomédi' -Française,
Où tout est grec et romain,
Le spectateur dort à l'aise
Sous le vers Alexandrin.
Là, tout orage s'apaise,
Il y bâille à tout propos.
Comme en un champ de repos.
C'est un vrai champ de repos.
Un soir, on ne vit pas paraître à son orchestre le Maître de
musique M. Lintant ; on courut chez lui ; on le trouva mort
dans son lit.
On jouait, ce soir-là, Uarmoire et la Cachette. M. Raymond,
l'auteur de la musique, proposa de monter au pupitre, à dé-
faut de l'infortuné défunt. On accepta avec empressement, et
dès le lendemain, M. Raymond traitait avec MM. Delomel
et Gardeur, pour le remplacement immédiat du mort.
J'ai découvert dans un bouquin devenu introuvable, et que
seul possède dans sa riche bibhothèque le si célèbre et si artis-
tique couturier pour dames, M. Doucet, des notes surprenan-
tes, que je suis aise de présenter aux amateurs de curiosités
théâtrales, M. Doucet ayant eu l'extrême complaisance de
mettre ce livre précieux à mon entière disposition.
Le bouquin est intitulé :
LES MIMES DU PALAIS-ROYAL
Son auteur est ce même M. Louis Raymond, devenu chef
d'orchestre des Beaujolais.
Les détails que je vais citer ont été scrupuleusement relevés
et annotés par lui au jour le jour ; donc, indiscutables.
Par la citation que j'ai faite du « Continuateur de Bachau-
mont », on a pu voir que la critique n'avait pas été tendre pour
l'entreprise naissante de MM. Delomel et Gardeur.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS »
27
M. Gardeur s'était fâché, avait voulu répondre, mais De-
lomel plus froid l'avait raisonné et calmé :
— On parle de nous, avait-il dit ; peu importe que ce soit
en bien ou en mal!... l'important, c'est que l'on cite notre théâ-
tre ; cela prouve que nous existons.
Et M. Gardeur avait repris du sang-froid, reconnaissant la
justesse de raisonnement de son associé.
Voici le Tableau de la Troupe des Beaujolais., tel que je le
relève pour l'année 1787, dans le livre si documenté de M. Louis
Raymond :
ÉTAT
DE TOUT CE QUI COMPOSE LE SPECTACLE DES BEAUJOLAIS
Messieurs Delomel et Gardeur.
REGISSEUR
M.
Dorceval.
CAISSIER
M.
Munier.
ACTEURS CHANTANT DANS LA COULISSE.
Messieurs :
Mesdames
:
Delhois.
1
Vincent.
\
Premières
Labit.
(
Hautes-contre.
Plaisance.
\
chanteuses.
Hugot.
1
Che crier.
Cardinal.
Masclé.
i
Tailles.
Lefebvre.
Duchesne.
Théodore.
i
Deuxièmes
chanteuses.
Vénier.
]
Rosin.
1
Deuxièmes
Bourgeois.
Dubois.
Basses-tailles.
De St- Martin.
(
chanteuses.
Chaplot.
)
Venier.
i
Dester.
(
Parlants dans la De la Porte.
Duègnes.
Plaisance.
\
coulisse.
Du Castel.
RÉPÉTITEUR DU CHANT
M. Delboi, de l'Académie Royale de Musique.
28 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS »
ACTEURS PARLANT SUR LA SCÈNE
MM. Lefort. Mlles Malard.
Dester. Nebel.
Lorillard. Brion.
Talon. Lévesque.
Mercier. Masson.
Boitte. Gontier.
Damas. Duprés,
Moreau. Vallot.
Le Fehvre.
Fleuri.
Trial.
Le Gendre.
(Ces mêmes acteurs jouent les mimes).
RÉPÉTITEURS POUR LES ENFANTS
Soient qu'ils jouent les mimes ou qu'ils parlent.
MM. Guillemain et Maillé.
BALLET
MAITRE DES BALLETS
M. Barré, de l'Académie royale de Musique.
1er DANSEUR
ire DANSEU
'.. Moreau
Mlle
Hugens.
FIGURANTS
FIGURANTES
MM. Giraud.
Mlles
Flamant.
Verneuil.
Flein.
Bourgeois.
Jouan.
Cliatus.
Lacoste.
Tabraise.
Etienne.
Garochel.
Galais
La Bottière.
Pichard.
Desforges.
Richet.
Parisot.
RÉPÉTITEURS DES BALLETS
MM. Paris et Boitte.
THEATRE DES (( BEAUJOLAIS )) 29
ORCHESTRE
MAITRE DE MUSIQUE
M. B.-L. Raymond.
INSTRUMENTISTES
4 premiers violons.
4 seconds violons.
2 quintes.
4 basses.
1 hautbois.
1 flûte.
2 bassons.
2 cors.
1 trompette.
1 timbalier.
22 Musiciens.
EMPLOYÉS
4 contrôleurs.
1 chef machiniste.
5 garçons de théâtre, machinistes.
1 concierge.
3 garçons de service.
3 habilleuses.
7 ouvreuses de loges.
MM. Delomel et Gardeur employaient donc en tout 113 per-
sonnes.
On voit que c'était bien un véritable théâtre que dirigeaient
les deux administrateurs des Beaujolais et que la taille et le
physique des enfants masculins et féminins qui composaient
la troupe, n'avaient rien à voir avec les plaisanteries qui, d'a-
bord, s'adressèrent avec acharnement, aux deux entrepre-
neurs de ce théâtre hlliputien. Tout n'étant qu'illusion, au
bout d'un instant les spectateurs oubliaient qu'ils avaient
affaire à de pauvres bébés, pour ne voir en eux que les per-
sonnages qu'ils représentaient.
Je hs cet article dans la Lorgnette Théâtrale à l'appui de ce
que je viens d'avancer :
30 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS ))
« Un effet surprenant que produit ce petit théâtre, par
la manière dont il est construit, c'est de faire paraître de
petits enfants de deux pieds et demi, aussi grands que de
grandes personnes. Il faut voir plusieurs fois ces petits êtres
descendre du théâtre après les pièces, pour se persuader que
ce ne sont, en effet, que des enfants. Cette illusion provient
des frises qui étaient fort basses du temps des Bamboches ».
« De loin, tel enfant, qui n'a pas quatre pieds, parait être de
la taille d'une personne ordinaire. »
Voici maintenant le répertoire des ouvrages joués depuis
l'ouverture des Beaujolais, c'est-à-dire depuis 1784, jusqu'à
1789, époque à laquelle il brillait de tout son éclat :
OPÉRAS
1784. — Cydippe^ pastorale en un acte, en vers, de M. de
BouTiTiER, musique de M. Froment, de l'Académie royale
de Musique.
Les Projets ridicules, ou la suite du Vieux soldat, comédie en
deux actes, en vers, paroles de M. Demaillot, musique de
M. Froment.
U Amateur de musique, opéra-bouffon en un acte, en prose,
paroles et musique de M. B.-L. Raymond.
Cette pièce n'était qu'un prétexte à airs intercalés. « Un ama-
teur de musique réunissait dans son salon amis et connais-
sances, les faisait chanter, et accordait en mariage sa fille à la
plus jolie voix des hommes, qui se trouvait être un jeune haute-
contre ; et son fils, à la plus méritante des chanteuses, dont le
jeune homme était précisément amoureux. »
La musique était gracieuse, la pièce réussit.
Anacréon, comédie-pastorale, en vers, en un acte, paroles et
musique du même.
M. B. L. Raymond avait tout simplement pris, un Ana-
créon de M. de S***, en prose, mêlée de vers, joué au mois de
janvier 1754.
Il en avait complètement refait la musique et l'avait fait
réussir à nouveau.
THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS )) 31
U Armoire ou la Cachette^ opéra-bouffon en un acte, en prose,
paroles et musique du même.
U Amant écho^ opéra-bouffon en un acte, en prose, paroles
et musique du même, Raymond.
Le Braconnier, comédie lyrique en un acte, en prose, paroles
de M. LiEUTAUD, musique de M. B.-L. Raymond.
Comme on le voit, M. B.-L. Raymond abusait beaucoup
de sa situation de chef d'orchestre du théâtre, pour composer
la musique de presque toutes les pièces que les auteurs fai-
saient recevoir.
Il ne nous est pas possible d'admettre que ce fût la pénurie
de compositeurs, qui forçât MM. Delomel et Gardeur à confier
l'exclusive composition des partitions, à leur chef de musique;
puisque quelque temps après, les deux Directeurs reçurent
d'un groupe de compositeurs une lettre de plaintes et de
réclamations contre l'accaparement « indécent » du trop pro-
lixe M. Raymond.
La Ruse d'amour, comédie en vers, en un acte, paroles de
M. Maillé, musique de M. Chardiny, de l'Académie royale
de Musique.
Le Poui^oir de la Nature, ou la suite de la Ruse d'amour,
oomédie en vers, en deux actes, par les mêmes auteurs.
L'Heureux dépit, comédie en vers, en un acte, paroles de
M. LiEUTAUD, musique de M. Chapelle.
Suzanne et Colinet ou Les Amants heureux par stratagème,
comédie mêlée d'ariettes, par Pierson de Bérainville, mu-
sique de PicciNi.
Le Bailly bienfaisant, comédie en prose, en un acte, paroles
de M. Théo, musique de M. Chapelle.
Le Double mariage, comédie en prose, en un acte, mêlée
d'ariettes, paroles et musique des mêmes.
Jean-Jeannot, opéra-bouffon en un acte, en prose, paroles
et musique de M. ***.
L'auteur des paroles et de la musique de cet opéra était
encore M. B.-L. Raymond. Mais, je l'ai dit, le directeur,
M. Delomel avait reçu de nombreuses lettres de compositeurs
et d'auteurs irrités se plaignant de la trop grande fécondité
32 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS ))
de M. Raymond et l'invitant à modérer l'ardeur de ce pro-
ducteur, s'il ne voulait se créer de nombreux ennemis.
M. Delomel avait communiqué ces lettres à son très utile
pensionnaire ; et celui-ci, dans la crainte d'éloigner complè-
tement du théâtre ces auteurs, trop jaloux de leurs intérêts,
avait résolu, sur le conseil de ses directeurs, de ne plus signer
que quelques-unes de ses productions.
Le Faux Serment^ comédie en vers, en un acte, paroles de
M. Dancourt, musique de M. Deshayes.
Le Paysan à prétention^ opéra-boufîon en un acte, en prose,
paroles de M. Masson, musique de M. Deshayes.
Les amours du Gros-Caillou^ opéra-boufîon en un acte, en
prose, paroles de M. Guillemain, musique de M. Rigel.
Atine et Zamor in oviV Amour turc ^Q,om.éà\Q en vers, en 3 actes,
à spectacle, paroles de M. Dancourt, musique de M. Rigel.
Ariane^ fille de Minos, paroles de M. L.-R. Dancourt,
comédie en un acte, mêlée de couplets, dont la musique est du
même Rigel.
Il ne faut pas confondre ce L.-R. Dancourt avec le Florent,
Carton, Dancourt, comédien de valeur et auteur dramatique
distingué, que l'on surnomma, dans un trop grand élan d'en-
thousiasme, « le continuateur de Molière ».
Celui dont nous nous occupons ici, naissait quand son
célèbre homonyme mourait.
Le Dancourt présent était fils d'un brave tanneur qui avait
son établissement de tannerie sur la rivière de Bièvre, près la
manufacture des Gobehns. Il avait donc fait son apprentis-
sage dans les cuirs.
Le Dancourt d'autrefois, lui, avait fait de fortes études chez
les Jésuites, lesquels l'avaient en quelque sorte poussé, eux-
mêmes, vers le théâtre, de même qu'ils y avaient poussé Cor-
neille, Molière, Voltaire et Gresset.
Le jour où le L.-R. Dancourt était venu faire entendre sa
pièce aux deux directeurs, il avait traversé la scène dans
l'obscurité, sans se rendre compte de l'endroit où il se trouvait,
et ne sachant plus comment retrouver son chemin, s'était mis
à crier : « A l'aide ! à mon secours I je vais tomber. »
THEATRE DES (( BEAUJOLAIS » 33
M. Gardeiir était accouru avec une lanterne, et avait guidé
M. Dancourt vers le foyer où devait s'effectuer la lecture en
lui disant : « Je ne suis pas Louis XIV, Monsieur, mais je vous
sauve la vie, comme ce grand monarque l'a sauvée à votre
homonyme réputé. »
En effet, un jour que la Comédie-Française jouait à la Cour,
Louis XIV, voyant Dancourt reculer vers un escalier, en con-
tinuant à le saluer profondément, lui avait crié : « Prenez
garde, Dancourt, vous pliez tomber. »
Le Dancourt second, auteur de cette Ariane, fille de Minos,
était un homme qui se ressentait beaucoup du milieu commun
dans lequel il avait été élevé, jurant et sacrant à propos de
rien. Le jour de la Confirmation, à peine âgé de 12 ans, il avait
dit à l'Evêque, qui allait lui administrer le Sacrement : « Mon-
sieur l'Evêque, ne me souffletez pas trop fort. J'ai mal aux
dents de ce côté, et si vous me faisiez mal, je gueulerais comme
un âne. »
L'évêque avait immédiatement déclaré ce pécheur mal
élevé, indigne de recevoir le Sacrement de la Confirmation.
Dancourt premier, au contraire, « regrettait fort l'excommu-
nication qui pesait alors sur les comédiens. » Un jour qu'il s'en
plaignait au Président de Harlay, celui-ci lui répondit : « Dan-
court, nous avons des oreilles pour vous entendre, des mains
pour recevoir vos aumônes, mais point de langue pour vous
répondre. »
Il demeure donc impossible de confondre l'acteur-auteur,
bon écrivain, bon comédien et bon chrétien, avec le mécréant
qui avait écrit Ariane, fille de Minos.
La pièce de Dancourt deuxième, obtint un certain succès.
Le soir de la première représentation, grisé par les applau-
dissements, il s'était écrié, devant les acteurs : « Nom de
Dieu I... je ne crois pas que le Dancourt trépassé, que l'on me
f... tout le temps à la tête, désavouerait après ce succès un
homonyme de mon espèce. »
On le surnomma Dancourt le Petit.
C'est à ce même Dancourt que l'on doit le pamphlet célè-
34 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS ))
bre : L.-R. Dancourt^ arlequin de Berlin^ à J.-J. Rousseau^
citoyen de Genèi^e.
M. RiGEL, Henri- Joseph, son collaborateur, était un com-
positeur allemand, élève du grand musicien Jomelli. Il était
venu à Paris, forcé de quitter son pays, Wertheim, en Fran-
conie, pour avoir donné un soufflet à un grand personnage
qui se vantait d'avoir été l'amant de sa mère. Réfugié en Fran-
ce, il y était devenu célèbre pas ses compositions musicales
et comme professeur de clavecin.
Gluck faisait grand cas de lui.
Dancourt le Petit s'était lié avec Rigel d'une façon toute
particulière :
Ce dernier avait surpris Dancourt en conversation compro-
mettante avec sa maîtresse, une demoiselle Rosin, chanteuse
de coulisses, au Théâtre des Beaujolais.
Provocation avait eu lieu ; duel s'en était suivi.
Dancourt avait été blessé légèrement à la main droite et
avait dit, sur le terrain, à Rigel : « Nom de Dieu ! avouez que
nous sommes bien bêtes d'avoir voulu nous couper la gorge
pour une personne qui n'en possède aucune. »
Rigel, amusé de cette facétie, avait tendu la main à Dan-
court ; et de cette liaison était née leur collaboration.
Revenons au répertoire :
Colin et Colette, opéra-bouffon en un acte, paroles et musique
de M. ***.
Ce fut encore le chef d'orchestre Raymond, qui ne signa pas
cet opéra, dont il était l'auteur.
Les Deux Jaloux, opéra-parade en prose, en trois actes,
paroles de M. M..., musique de M. Bonnel, de l'Académie
Royale de Musique.
Les Curieux punis, opéra-bouffon en prose et en un acte,
paroles de M. Desenne, musique de M. Bonnain.
Suzette et Francinet, opéra-bouffon en un acte, paroles de
M. le Ghevaher de Brétigny, musique de M. Champagne.
Les Fourberies de Mathurin, opéra-bouffon en un acte, en
prose, paroles de M. d'AvÈNE, musique de M. Bambini.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS » 35
Uheureux Stratagème^ opéra-bouffon en un acte, en prose,
paroles de M. M***, musique de Mlle Caroline Vuyet.
Adélais^ pantomime historique en trois actes, par M. Maillé
DE Marencourt.
Le Manteau^ comédie en prose, en un acte, paroles de M. Mo-
line, musique de M. L. L. P.
Le Roi de La Bazoche, opéra-bouffon en 1 acte, paroles de
M. ***, musique de M. Borghfse.
36 THÉÂTRE DES d BEAUJOLAIS »
CHAPITRE III
DÉTAILS INTIMES. — RÔLK DE l'iNSTITUTEUR. —
SUITE DU RÉPERTOIRE. — LA PETITE CHANTEUSE AVEUGLE.
Il y avait, parmi ces bambins de neuf à douze ans, des riva-
lités d'emploi, qui dégénéraient parfois en profondes haines.
« On se fût cru à la Comédie-Française. »
Je lis à ce sujet, dans le volume de M. Raymond : « Dévorés
du désir de se montrer avantageusement, ces enfants mettent
tous leurs soins à bien remplir les rôles qu'on leur distribue,
par l'espoir qu'en rendant bien celui-là, outre les applaudisse-
ments qu'ils obtiendront, et auxquels ils sont très sensibles,
on leur en donnera d'autres. »
L'amour-propre est de tous les âges.
« On surprit une fois un enfant de onze ans, cherchant à
étrangler son rival, d'un an plus jeune que lui, parce qu'il avait
été réclamer un rôle auprès de M. Delomel, et qu'il avait réussi
dans sa démarche. »
« Attirés par les cris de la petite victime, ses camarades
eurent toutes les peines à l'arracher des mains de son aîné. »
Quelques détails d'intérieur sur la façon dont le travail
s'exécutait chez les Beaujolais :
« Lorsque l'on veut monter une pièce, les Directeurs font
tirer deux copies du dialogue : l'une pour les enfants, dans
laquelle on joint les vers mis en chant, et l'autre pour les chan-
teurs, où il n'y a que le dialogue seulement. »
« Les Directeurs, de concert avec V Instituteur^ distribuent
les rôles à ceux des enfants qu'ils jugent les plus propres à les
THEATRE DES (ï BEAUJOLAIS » 37
mieux rendre par leur intelligence. On ne pourrait jamais
s'imaginer combien tous ces petits enfants sont jaloux de
jouer dans une pièce ; et combien ils sont sensibles au refus
qu'on fait quelquefois de leur donner un rôle. »
« Rien n'égale encore leur douleur lorsque les Directeurs,
ou Y Instituteur^ ayant jugé la distribution primitive mal faite,
ôte un rôle à quelqu'un d'entre eux. J'en ai vu qui, affligés
jusqu'aux larmes, ne pouvaient se consoler. »
Cet emploi d' Instituteur correspondait à celui de metteur en
scène et régisseur.
On exigeait bien de ces enfants qu'ils sachent lire ; mais les
plus petits ânonnaient à première lecture, ne comprenaient
guère les intonations à produire, les intentions à donner. U Ins-
tituteur était là, leur enseignant les modulations de la voix, les
gestes à faire, les expressions de physionomie, les élans de pas-
sion, les effets comiques ou dramatiques à produire.
M. Dorceval, qui remplissait cet emploi, que l'on peut juger
des plus importants, était un ancien comédien qui avait joué
en province les grands rôles de comédie. Doué d'un juste bon
sens, d'une douceur infinie, d'une bienveillante patience, il
savait se faire adorer de ses petits comédiens, par l'aménité
de ses manières, la loyauté et la franchise de son caractère,
ainsi que par la douce affection qu'il leur portait.
Il avait dit un jour à l'auteur Dancourt, très mal embouché :
— M. Dancourt, je vous prierai de ne plus jurer, devant ces
enfants, le nom du Bon Dieu, comme vous le faites à chaque
instant.
Et M. Dancourt se l'était tenu pour dit.
Mais, je reprends le Répertoire courant de notre petit théâtre.
COMÉDIES
Le Vieillard corrigé, en prose et en un acte, par M. Dulau-
RENS. '^
La Mère clairvoyante, en prose et en un acte, par M"^^ Petit.
C'était une copie de La Mère embarrassée, opéra-comique de
Panard, joué en 1734, à la foire Saint-Laurent.
38 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS ')
]\/[me Petit, l'auteur, n'avait pris souci que de changer le
nom des personnages et le titre de la pièce.
Les Jeunes amans, en prose et en un acte, par M. Le Bas.
Les Delassemens de Vamour, en prose et en un acte, par
Le Peintre jaloux, en prose et en un acte, par M. Maillé.
La Solitude, en prose et en un acte par M. Guillemain.
La Surprise réciproque, en prose et en un acte, par M. ***.
C'est à la première représentation de cette pièce qu'un spec-
tateur s'écria : « La surprise est surtout pour nous. Nous comp-
tions sur une comédie, et on nous sert de la bouillie pour les
chats. ))
Arlequin et Séraphine, en prose et en un acte, par M.
Thibault.
Je relève sur cette même pièce cet autre titre : Les amours
d'Arlequin et de Séraphine, comédie par M. Gorgi. Peut-être
est-ce la même.
MÉLODRAMES
Annette et Basile, en prose et en un acte, par M. Guille-
main.
Alexis et Rosette, par M. Guillemain.
Ninon, par M. Pompigni.
Rosine'et Julien, par M. Lutaine.
L'Honnête criminel, en cinq actes, de M. Fenouillot de
Falbaire.
Cet Honnête criminel ou V Amour filial, était l'histoire véri-
dique de Jean Fabre, protestant de Nîmes, qui se substitua à
son père et obtint d'être condamné aux galères en son lieu et
place, pour avoit fait partie d'une assemblée religieuse, surprise
en 1756.
M. Fenouillot de Falbaire avait écrit sur ce sujet un drame
en vers, très intéressant, drame que la censure royale avait
interdit à Paris, étant donné le motif de l'injuste condamna-
tion ; mais la pièce imprimée avait été jouée en province. Il
appartenait aux Beaujolais de la faire connaître à Paris.
Plus tard, le Théâtre de la Nation — Comédie-Française —
THÉÂTRE DES (L BEAUJOLAIS » 39
s'en empara et fit triompher l'œuvre dans la soirée du 4 jan-
vier 1790.
M. Delomel ne manqua pas de dire à ce sujet : Ils me pren-
nent mes pièces ; ces gens-là sont sans vergogne.
On joua encore Le Fabricant de Londres^ du même auteur.
Anne de Bretagne, de Louis Ferrier, tragédie, qui avait été
représentée à l'Hôtel de Bourgogne en 1678.
M. Delomel avait prié un de ses auteurs ordinaires, M. Guil-
LEMAiN, de la mettre en prose, pour être représentée sur son
théâtre des Beaujolais.
Transformée ainsi, la pièce réussit peu. L'âme de son premier
auteur Louis Ferrier en dut souffrir.
Cet auteur — Louis Ferrier — né en Avignon, avait été ap-
pelé devant le Saint-Ofïice de l'Inquisition, pour être châtié
de ce vers, paru dans un poëme : Les Préceptes galants, dont
il était l'auteur :
« Uamour pour les mortels est le souverain bien. »
Il fut accusé «d'obscène et d'hérétique» et demeura six mois
en un cachot, jusqu'à ce que se terminât son procès, par un
acquittement. C'est alors que, fuyant l'Avignonnais — qui
appartint à l'Eghse Romaine jusqu'en 1791 — il se réfugia
Paris.
La pièce Anne de Bretagne réussit peu, je l'ai dit .
D'autres mélodrames suivirent :
Le Mort vivant, de M. Pascal.
Ce mélodrame en prose était la copie transformée du Mort
vivant, de Boursault; c'est à la Bastille que Boursault écri-
vit sa pièce jouée en 1662.
Cette pièce n'était d'ailleurs, elle-même, que la reproduc-
tion d'une ancienne Comédie Italienne.
La Fiancée du Gouffre, par Antoine Saurin.
Nous devons constater que le genre du mélodrame était le
moins apprécié sur le théâtre des Beaujolais.
Cette liste des pièces formant le répertoire du Petit Théâtre
est relevée entièrement dans le livre de M. Louis Raymond :
Les Mimes du Palais-Boyal, ou Réflexions sur divers points,
concernant le spectacle des Beaujolais.
40 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
Louis Raymond, à propos du genre, dit « mélodrame », qui
était d'origine récente, le définit ainsi :
« Mélodrame est la nouvelle appellation d'une application
théâtrale qui vient de se créer. »
« Le mélodrame, pour ceux qui ne connaissent pas encore ce
genre de pièce, est une comédie dans laquelle le dialogue est
interrompu par de petits morceaux de musique, joués par des
instrumens ; ces morceaux de musique doivent être des airs
connus, tels que des Ponts-neufs. L'auteur arrête souvent ses
phrases, pour faire dire par l'orchestre ce que le personnage
dirait lui-même. On peut prendre Annette et Basile, ou Alexis
et Rosette pour modèles dans ce genre d'ouvrages. »
Combien la définition de ce genre a dévié, depuis M. Louis
Raymond. Et qu'il y a loin de ce qu'on appelle méprisamment
de nos jours « un mélodrame » au doux mélodrame lyrique
d'autrefois.
Dans les notes dont le dit M. Raymond fait suivre chacun
de ses chapitres, je relève celle-ci, des plus curieuses :
« Un point essentiel, que l'on ne doit pas néghger, c'est
d'adapter les organes du chanteur au physique de l'enfant
qui remplit un personnage, tel qu'il soit. Ceci regarde parti-
culièrement la voix des hommes. Il est, en eiîet, très ridicule
d'entendre une voix forte, lorsqu'on voit un enfant fluet sur
la scène, et dont l'air est extrêmement jeune. Il est impossible
de se persuader qu'une pareille voix sorte d'un si petit corps. »
Autre note des plus instructives :
« Il n'est pas bien facile d'être un bon comédien de coulisse.
En premier Heu, on est isolé ; en second lieu, on ne voit sou-
vent point l'interlocuteur avec qui l'on est en scène ; en troi-
sième lieu, il faut être bien pénétré du caractère de son rôle,
pour y mettre de la chaleur ; l'action du geste n'étant presque
pas possible, et le jeu de physionomie paraissant inutile, puis-
qu'il ne peut être aperçu. »
« Si, dans une action ou un dialogue animé, l'acteur en
couhsse débite froidement, et que le mime en scène mette de
la chaleur dans ses gestes, dès lors il y aura entre les deux
personnages un contraste désagréable. »
THEATRE DES « BEAUJOLAIS ï 41
Aussi recommandait-on formellement aux enfants qui
mimaient, de ne point écouter de conseils en dehors de ceux
donnés par l'instituteur et l'auteur de la pièce. Eux seuls
savaient ce qu'ils pouvaient obtenir de leurs élèves, de leur
intelligence, de leurs dispositions, de leur caractère, de leurs
aptitudes, de leurs qualités, voire même de leurs défauts.
L'instituteur avait vite fait de connaître, quand une per-
sonnalité étrangère s'était avisée de donner quelques conseils
à l'un ou à l'une de ses élèves, en dehors des leçons journa-
lières.
Un jour, M. Dorceval reprit un de ses petits élèves, fautif,
à la répétition du lendemain, d'avoir ajouté plus de chaleur
qu'il n'en donnait d'habitude dans la préparation d'un de ses
rôles.
L'enfant s'excusa en se retranchant derrière ceci :
— C'est M. Clairval et Madame Dugazon, qui sont des
connaissances à papa, et qui m'ont conseillé, hier soir, de
faire comme ça.
M. Dorceval fit venir le père de l'enfant et lui dit : « Personne
plus que moi n'admire le talent de M. Clairval et de Madame
Dugazon. Je les considère comme uniques dans leur genre,
et infiniment supérieurs à ces acteurs à ariettes^ qui, lorsqu'ils
cessent de chanter, ne savent plus que faire de leurs bras et
de leurs jambes ; mais, je vous préviens que si votre fils
écoute encore leurs conseils, je me verrai contraint de me
séparer de lui. Les enfants que j'ai à éduquer, ne doivent
être que de petits instruments dont seul je sache jouer. Toute
initiative de leur part détruit l'harmonie qui doit exister
entre leur geste et la parole qui part de la coulisse. C'est moi
le régulateur entre l'un et l'autre. Et Madame Saint-Huberti,
elle-même, que je trouve inimitable dans le troisième acte de
Pénélope^ viendrait dire à une de mes petites élèves : « Faites
ceci et ce sera superbe !... » que je répondrais à Madame
Saint-Huberti : « Admirable comédienne, apprenez vos subli-
mes actions à des femmes ou à des hommes en âge d'agir par
eux-mêmes ; mais ne vous mêlez pas d'éduquer des enfants,
qui ne sont et ne doivent être que de petits singes imitateurs,
42 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS ))
plus OU moins bien doués, pour copier et reproduire ce qui
leur est enseigné par moi. »
Le père comprit que l'instituteur avait raison et recom-
manda à son fils de ne plus écouter les conseilleurs étrangers
aux Beaujolais^ fussent-ils les plus grands comédiens du monde.
A ce sujet, je trouve encore dans les notes de M. Raymond,
ces lignes, qui viennent à ce propos : « Il est malhonnête de
donner des avis à ces enfants en présence ou hors la présence
de leur instituteur ; parce qu'en agissant ainsi, en leur ôte
la confiance qu'ils doivent naturellement avoir dans la capa-
cité de celui qui les enseigne. »
M. Dorceval avait trouvé un très bon moyen, du reste,
d'exciter l'amour-propre de ses petits élèves. Il faisait appren-
dre le même rôle par deux enfants à la fois, et leur disait :
— Celui qui portera le plus d'attention à mon enseignement
et qui saura ce rôle le premier, sera celui qui le jouera.
Vous pensez quelle émulation naissait de cette petite
course au clocher. Souvent, un père, déçu dans le triomphe
qu'il espérait voir obtenir par son rejeton, venait se plaindre
à M. Delomel ou à M. Gardeur.
Ceux-ci répondaient invariablement :
— Ce n'est pas de notr compétence. Adressez-vous à
M. Dorceval. Il s'y connaît mieux que nous et que vous.
Le père, revenu à l'instituteur, ne manquait jamais de lui
dire :
— Moi, Monsieur, je trouve que mon fils a plus de talent
que son petit camarade et que vous avez eu tort de ne pas
lui laisser le rôle.
Et le bon Dorceval répondait : « Ne prononcez pas le mot
({ talent » à propos de mes petites machines. Ils n'ont que des
quahtés. Et encore, ne faut-il pas le leur dire. On gâte les
enfants par des éloges excessifs. Quand vous dites à votre fils
qu'il a joué divinement, vous avez le plus grand tort. Il résulte
de ces éloges outrés que l'enfant, qui croit plutôt à la louange
qu'à la critique, ajoute plus de foi aux discours de celui qui
le trouve charmant^ qu'à ceux de celui qui a droit de le
reprendre. »
THEATRE DES « BEAUJOLAIS » 43
Ainsi raisonnait très justement et parlait « l'InstituteiM*
des Beaujolais. »
MM. Delomel et Gardeur avaient bien choisi en s'attachant
M. Dorceval, lequel avait été un fort bon comédien, et pos-
sédait une grande pratique du Théâtre, qu'il savait appH-
quer avec un grand bon sens.
Il avait dit à ses directeurs, alors que ceux-ci lui propo-
saient d'entrer avec eux :
— « Messieurs, j'accepte cet emploi d'Instituteur, parce
que j'en crois connaître les rouages. U Instituteur doit être
doux, honnête, prudent, sévère sans aigreur, rudesse ou gros-
sièreté ; complaisant quelquefois, mais sans excès. Il doit se
rappeler sans cesse qu'il parle à des enfants, et ne pas se lasser
de répéter dix fois ce qu'ils ont de la peine à concevoir, sans
y mêler aucun emportement. L'instituteur doit se faire aimer
par sa douceur, son affabiHté, autant qu'il doit se faire crain-
dre par sa fermeté et une sévérité placée à propos. )>
Ce code de l'Instituteur, résumé en quelques mots, par M.
Dorceval, doit également se rapporter à celui du Régisseur-
Metteur en scène, lequel n'est du reste qu'un instituteur par-
lant à des hommes — grands enfants — le plus souvent
remplis de vanité et d'amour-propre. La sagesse du Régis-
seur est de connaître les défauts de caractère des artistes
qu'il a à diriger ; et l'adresse, le tact aidant, à en jouer comme
M. Dorceval jouait de ses gamins.
Je lis encore dans le précieux livre de M. Raymond, ces
indications, ayant particuHèrement rapport au Théâtre des
Beaujolais :
« Il est très essentiel que le comédien de coulisse sache «par
cœur » tant son dialogue que son chant, s'il veut servir son
mime dans son jeu. Les personnages, dans une pièce quelcon-
que, ne restent pas toujours à la même place. Ils vont tantôt
de haut en bas et de bas en haut du théâtre ; tantôt de droite
à gauche et de gauche à droite. L'acteur invisible doit exécu-
ter, faire tous ces mouvements divers dans la couhsse, et lors-
que le mime agit vivement sur la scène, s'il veut être à l'unis-
son avec lui, il doit dire vivement son dialogue. Or, pour le
44 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
dire ainsi, il faut qu'il parle de mémoire ; car il lui serait
impossible, ou du moins très difficile de lire en courant sur
la même ligne, ou en passant derrière la toile du fond, pour
aller du côté opposé, où la position théâtrale veut que son
mime se trouve. »
Peut-on s'imaginer qu'un semblable théâtre ait existé ;
qu'il y ait eu des auteurs se disputant la priorité pour faire
jouer leurs pièces; du public et des journalistes pour venir
entendre et juger ces pièces et ces acteurs ?
Cela est pourtant.
Nous en avons la preuve par le procès qu'intenta l'un de
ces auteurs, M. le ChevaUer de Bérainville, à MM. Delomel et
Gardeur, Directeurs du Théâtre des Beaujolais^ pour qu'ils
jouassent sa pièce intitulée : Raison et Folie ; procès que les
estimables Directeurs gagnèrent, étant considérés comme
« marchands ayant accepté une marchandise frelatée, qu'ils
se refusaient d'offrir aux chalands, dits spectateurs. »
L'un des juges avait lu la pièce de M. le Chevalier de Bérain-
ville, et l'avait trouvée « somnolente et insupportable. »
Entre la scène sur laquelle les enfants jouaient, et la cou-
hsse où les acteurs parlaient et chantaient, il y avait, cloué
sur les châssis des décors, un voile découpé, destiné à masquer
les acteurs ou chanteurs de coulisses, qui eussent pu être
aperçus des spectateurs ; dans le fait, ce voile les masquait
fort peu, ou même ne les masquait pas du tout, car M. L.
Raymond dit encore à ce sujet :
« L'acteur qui parle ou qui chante ne doit jamais se tenir
entre deux coulisses, de manière que le public le voye en tout
ou en partie ; car, en usant ainsi, il détruit l'illusion. Au heu
de la toile carrelée^ qui sert à cacher les acteurs parlans et les
laisse voir en entier^ il devrait y avoir une gaze très claire et
très fine, qui, sans intercepter la voix, jetterait plus d'illusion
sur la représentation des pièces. »
« La toile qui cache les acteurs, aux Beaujolais^ est trop
étroite ; elle devrait s'étendre davantage sur la première cou-
lisse ; par ce moyen, les acteurs chantans ne seraient point
vus. »
THEATRE DES « BEAUJOLAIS D 45
La voix de l'acteur de coulisse devait naturellement suivre
le mime, dans tous ses changements de positions scéniques.
Si le mime, dans la mise en scène réglée, avait à passer de
gauche à droite, il fallait que l'acteur de coulisse se dépêchât
de passer derrière le théâtre et de gagner la droite, pour
que sa voix fût en exacte communion avec le jeu de son
mime.
Aussi, pour éviter le bruit qu'occasionnaient ces courses
folles, les acteurs de couHsse devaient-ils se débarrasser de
leurs lourds souliers de ville, pour chausser pantoufles ou espa-
drilles.
Des chemins de tapis épais étaient du reste cloués dans les
couhsses, pour assourdir leurs pas ; ce dont les chanteurs se
plaignaient, prétendant que ces tapis amortissaient le timbre
de leur voix.
Pour éviter le « temps froid », nécessité par une de ces pas-
sades de gauche à droite — ou de droite à gauche, — M. Ray-
mond, dans son livre, conseille aux compositeurs de musique
« l'emploi de petites ritournelles ; ou bien, dans les duo,
trio, etc., de faire dialoguer les autres personnages, tandis
que celui qui se déplace va où il doit être. »
Il y avait une chanteuse aveugle, parmi les chanteuses de
coulisses des Beaujolais^ Mademoiselle Chevrier. Sa voix
était d'une pureté virginale ; et de la salle on la distinguait
dans les « ensembles » au milieu de toutes ses compagnes.
Quand, accompagnée de sa grand'mère, elle s'était présentée
pour subir l'épreuve de l'audition, les deux Directeurs l'avaient
tout d'abord éhminée sans vouloir l'entendre, étant donnée
sa triste infirmité.
La persistance de Madame Chevrier, grand'mère, ancienne
chanteuse de province, fit cependant que M. Delomel, bon
homme, fut pris de pitié pour cette pauvre fille aveugle et
cette vieille femme qui l'imploraient ; les larmes qu'elles
avaient versées en se voyant impitoyablement exclues de
l'épreuve, attendrirent finalement le cœur endurci de
M. Gardeur, et la pauvre petite Chevrier fut admise à con-
courir.
46 THÉÂTRE DES « HKAUJOLAIS ))
Elle chanta un air de Piramc et Tisbé, opéra du sieur Fran-
çois Rebel, pour la musique, et Francœur, pour les paroles.
La voix de l'aveugle s'éleva tellement pure, tellement
suave, tellement timbrée, tellement caressante, tellement
charmeuse, que les applaudissements des auditeurs éclatè-
rent à la fin de l'audition, et que Mademoiselle Ghevrier fut
immédiatement engagée, comme soprano de coulisse, aux
appointements de vingt-quatre hvres par semaine ; mais à la
condition que la grand'mère ne quitterait pas sa petite-fille
un seul instant et qu'elle la guiderait dans les coulisses,
pour les changements de places qu'exigeraient les jeux de
scènes, nécessairement ordonnés par le régisseur, M. Dorceval.
Ce dernier, excellent homme, avait de suite pris en grande
affection la pauvre enfant — elle avait vingt ans — et, dans
son travail de mise en scène, évitait le plus qu'il le pouvait,
les déplacements de l'actrice, dont le jeu devait correspondre
avec la voix de l'aveugle ; ce qui fait que celle-ci pouvait
presque rester assise tout le temps, pendant les pièces dans
lesquelles elle chantait, sans avoir recours à l'appui de sa
grand'mère.
Ce spectacle d'une pauvre vieille femme guidant par la
main son infortunée petite aveugle était tellement attendris-
sant, que les autres chanteurs s'empressaient de leur céder le
pas et même de leur frayer le chemin.
Quand arriva le jour de l'an, tous les artistes, mimes,
acteurs et chanteurs se cotisèrent, pour offrir une montre
à « leur petite Ghevrier ».
Les Directeurs apprenant le fait, portèrent à trente francs
par semaine les appointements de leur intéressante pension-
naire.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS » 47
CHAPITRE IV
1787 ET 1788
UTILITE DE CE PETIT THEATRE
Les éloges de leurs Directeurs et de leurs Instituteurs
flattaient beaucoup plus l' amour-propre des petits comédiens
de Beaujolais que les applaudissements de la salle.
Aussitôt qu'ils avaient joué un rôle, dans lequel ils avaient
obtenu du succès, ils restaient inquiets, jusqu'à ce qu'accou-
rus près de M. Dorceval, celui-ci leur eût dit : « C'est bien !..»
Alors leur joie était débordante, et ils s'en allaient vers leurs
parents en criant : « J'ai bien joué !... Monsieur Dorceval est
content !.. »
Pour les récompenser, on leur permettait alors de parler
eux-mêmes quelques lignes. Le parleur de la coulisse arrêtait
alors son débit et l'enfant continuait seul.
Que d'envie de la part de ceux qui n'avaient pas mérité
semblable récompense î
Autre curiosité, que seulement en ce petit théâtre on pou-
vait rencontrer.
On peut être un parfait chanteur et un méchant débiteur de
prose.
Or, quand le jeu du « parleur » ne correspondait pas exacte-
ment avec son chant, le chant restait attribué à l'un et le
dialogue du même rôle était distribué à un autre. Ce qui fait
que ce seul rôle se trouvait être joué par trois personnes diffé-
rentes : le chanteur, le comédien et le mime.
48 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS ))
Et, cependant, ce petit théâtre, malgré ces difformités — c'en
étaient de véritables — rendait des services signalés à l'art.
M. Louis Raymond écrit dans ses notes : « Le spectacle des
Beaujolais est utile à nombre de musiciens, dont les talents
seraient restés longtemps et peut-être toujours ignorés, si ce
théâtre n'eût point existé. Il n'est pas facile de faire du premier
coup un opéra ; il n'est guère plus facile de faire recevoir un
ouvrage à la Comédie Italienne, lorsqu'on est inconnu ou
sans protecteurs. D'ailleurs, tel peut faire une musique, bien
accueillie aux Beaujolais^ qui ne le serait pas aussi heureuse-
ment à l'Opéra ou à la Comédie-Italienne. »
On se plaignait généralement qu'aux Beaujolais les musi-
ciens jouassent trop fort. C'était à cette époque un repro-
che qui pouvait s'adresser à tous les orchestres.
M. Raymond nous le prouve par cette note : « Il n'est ni
spectacle, ni concert, tant à Paris qu'en Province, où je n'aie
entendu faire ce reproche. »
J'arrive maintenant aux appointements que pouvaient
gagner ces jeunes enfants ; car, devant que d'entrer en leur
théâtre, MM. Delomel et Gagneur faisaient signer aux parents
des engagements par lesquels ceux-ci se déclaraient respon-
sables de leurs enfants « et des dégâts qu'ils pourraient occa-
sionner. »
M. L. Raymond nous fait connaître le chiffre des appointe-
ments de ces petits mimes.
« Il y a des enfants, — écrit-il, — depuis l'âge de cinq ans
jusques à huit ou neuf, qui gagnent quatre et cinq cents livres
(par an) ; d'autres, depuis huit ans jusqu'à douze, gagnent
six, sept et huit cents francs ; enfin, depuis douze ans jusqu'à
quinze, les appointements vont depuis mille francs jusqu'à
cent louis. »
On pense que, rétribués de telle façon, les parents devaient
fort rechercher les places où leurs enfants pouvaient gagner
davantage. Combien d'hommes, à cette époque, où la journée
de l'ouvrier était cotée de trente à trente-cinq sous, eussent
été heureux de redevenir enfants, pour entrer comme mimes
au Théâtre des Beaujolais.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS )) 49
Dans ce livre si fourni en renseignements inconnus ou si
peu connus, je recueille encore celui-ci, des plus suggestifs :
« Lorsqu'on donne une pièce nouvelle aux Variétés (scène
devenue par la suite le Théâtre Français) les entrées des
auteurs qui travaillent pour ce théâtre sont suspendues à la
première représentation ; et cela dans la crainte d^une cabale
de leur part ; de sorte que s'ils veulent voir la pièce, il faut
qu'ils payent. C'est un parti sage. Tous les théâtres devraient
imiter cet exemple, et celui des Beaujolais aussi bien que les
autres. Quand on veut avoir le droit de critiquer, il faut
l'acheter. »
Et l'on parle de la jalousie qui existe entre les
acteurs 1... On cite fort peu d'exemples, dans tous les cas, de
comédiens allant siffler leurs collègues. Cette jalousie entre
auteurs était non seulement le résultat de froissements
d'amour-propre, mais aussi d'intérêts lésés. Les auteurs d'au-
jourd'hui y mettent plus de discrétion, de formes. Ils pensent
— ou du moins certains — pensent absolument comme ceux
d'autrefois. Sans être « méchants », mais simplement parce
que le fait est du domaine de l'humanité en général, la chute
d'une pièce d'un de leurs confrères leur est beaucoup plus
agréable que l'annonce d'une réussite. Quelques-uns savent
se maîtriser assez pour ne le point montrer ; d'autres, moins
maîtres d'eux, ne savent dissimuler ni leur joie, ni leur profond
ennui, suivant qu'il y a eu chute ou succès. C'est affaire de
nervosité. Et les plus grands esprits en subissent les effets.
Théodore Barrière, que l'auteur de ce livre a beaucoup
connu et qui fut incontestablement un puissant auteur dra-
matique, et l'un des hommes les plus spirituels de son époque,
ne se tenait pas de joie quand une pièce de son rival en succès,
Victorien Sardou, chancelait ; par contre, sa colère devenait
grande aux premières représentations de Nos Intimes, des
Vieux Garçons, de la Famille Benoîton, des Bons Villageois,
et de tant d'autres.
Que de Théodores Barrières qui, plus maîtres d'eux que ce
Maître oublié, malgré ses immortels Faux Bonshommes, se
contentent de ronger en dedans, le frein que celui-là ne savait
50 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS »
ronger en silence, « et se taisent sans murmurer », comme le
vieux soldat Stanislas^ de Scribe.
Je vais maintenant donner la liste complète et exacte des
pièces qui se jouèrent sur le Théâtre des Beaujolais, en l'an-
née 1788, avec la date de leur première représentation :
Janvier 1788. — Le 1^^ Janvier, l'on donna la 2^ représenta-
tion de Les Etrennes délicates ou La Vengeance généreuse d'un
Prince, fait historique en un acte, en prose.
La première représentation avait eu heu la veille, 31 Décem-
bre 1787.
La pièce obtint du succès.
Le 9 Janvier vit la première représentation de VHeureux
Naufrage, opéra-bouffon en un acte.
Cette pièce n'obtint aucun succès, aussi ne fut-elle repré-
sentée que deux fois.
Le 21 Janvier fut donnée la première représentation de Les
vrais Amis, ou UEtourderie, comédie en un acte, en prose.
Même insuccès pour Les vrais Amis, que pour VHeureux
Naufrage.
De même que la pièce précédente, elle ne fut jouée que deux
fois.
Février. — Le 18 Février, première représentation de Jean-
nette et Lucas, ou Le Secrétaire de sa prétendue, opéra-bouiîon
en deux actes.
Cette fois, M. Delomel et M. Gardeur eurent lieu d'être sa-
tisfaits. Le public fit fort bon accueil à leur nouvelle produc-
tion. Ce qui n'empêcha pas la vaillante petite troupe de donner
encore :
Mars. — Le 1^^ Mars, la première représentation de Le
Tuteur avare, opéra-bouffon en trois actes, et le 8 mars, une
autre première représentation de Le Divorce inutile, comédie
en un acte.
Le lendemain, 9 Mars, le Théâtre des Beaujolais affichait sa
Clôture annuelle, annonçant sa réouverture pour le 1^^
avril.
Le compliment de clôture fut dit par le plus petit des en-
fants de la troupe, le jeune Lorillard.
THEATRE DES d BEAUJOLAIS ») 51
Ce compliment avait été composé par M. Dorceval.
L'enfant s'était avancé vers le public, avait gravement salué
trois fois, ainsi qu'on le lui avait indiqué et avait récité :
Bonsoir Messieurs, Bonsoir Mesdames,
Permettez-moi de vous offrir
Les remercîments pleins de flammes
De nos cœurs gonflés de plaisir.
D'abord du plaisir de vous plaire,
Du plaisir de vous avoir plu,
Du plaisir de vous satisfaire
Pendant tout un an révolu.
Nous avons épuisé les gammes
Des remercîments passagers,
Bonsoir Messieurs, Bonsoir Mesdames
Recevez nos meilleurs baisers.
Et tous les enfants, « formant le chartron » autour du petit
Lorillard, sur une cadence rythmée, envoyèrent à pleines
mains, de gros baisers aux spectateurs.
L'effet fut immense.
Le petit Lorillard fut contraint, par les applaudissements,
de recommencer trois fois son compliment.
Ainsi se termina l'année théâtrale 1787-1788.
Cette réouverture se fit par Le Divorce inutile^ comédie en
un acte ; Le Manteau^ opéra-boufîon en un acte ; L'Emména-
gement de Thalie, prologue d'ouverture et la Belle Esclai^e.
Avril. — Le 10 Avril vit la première représentation de V An-
tiquaire^ ou Le Bijoutier moraliste au Palais-Royal^ pièce en un
acte.
Dans cette pièce débuta un certain Sadous, chanteur de cou-
lisse sans talent, dont la femme donnait son adresse de cette
façon :
« La dame Sadous, place de l'Ecole n» 3, continue de débi-
ter un Rouge végétal, approuvé parles gens de l'art, comme ne
pouvant nuire ni à la peau, ni à la santé. Elle en a étabh un
dépôt, chez la Dame Aspour, rue des Saints-Pères, vis-à-vis
la Charité, n» 3 : Prix, 3, 6 et 12 Hvres le pot. Le mari de
Madame Sadous, attaché au Théâtre des Beaujolais, peut don-
ner la preuve de l'innocuité de ce produit de haute valeur. »
62 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
Pour prouver que le rouge végétal que vendait Madame
Sadous était inofîensif, M. Sadous n'hésitait pas, devant les
douteux et les incrédules, à en graisser une croquignole et à
la manger enduite du fameux coloris, après l'avoir saupoudré
de quelques pincées de sucre.
Le 15 Avril eut lieu la première représentation de Le Rosier ^
opéra-bouffon en deux actes, avec un divertissement.
Note critique : « Le Rosier ne verra pas fleurir ses roses. »
Le 26 Avril, première représentation de La Croisée^ opéra-
bouffon en deux actes.
Cette pièce obtint peu de succès. On la risqua encore dans
le spectacle du 5 Mai ; puis on la retira de l'affiche pour
toujours ; on lui reprochait d'énormes longueurs.
Note critique visant à l'esprit : La Croisée ne s'ouvrira
pas longtemps :
Mai. — Le 8 Mai, première représentation de : Le Faux
Procureur^ pièce en un acte.
Le lendemain 9 Mai, autre première représentation de
Gabrielle et Paulin^ opéra-bouffon en un acte.
Les pièces passaient sur le petit théâtre comme lettres à la
poste. Aussi le travail était-il énorme, de la part de tous.
Le 19 Mai, première représentation de Clitandre et Céphise,
opéra-bouffon en un acte.
Le 28 Mai, première représentation de Le Triomphe de
r Amour, ballet-pantomime et dialogué en deux actes, avec
tout son spectacle.
Dans une partie parlée de ce ballet, l'un des personnages
s'exprimait ainsi : « Ces nymphes sont ce que l'on peut appe-
ler des amatrices de l'amour. »
Monsieur Feydel, un puriste érudit, écrivit à ce sujet : « Le
mot amatrice est ici des plus impropres. Il ne faut pas le
laisser déparer notre belle langue française. J'ai entendu, il y
a trois ans, un prédicateur capucin apostropher ainsi les
Dames de l'Ile Saint-Louis : Vous êtes des amatrices de vous-
mêmes !... »
« Le Capucin se trompait. Le mot amatrice ne se francisera
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS » 53
pas plus que philosophesse ; ou s'il y passe jamais ce sera
comme expression ironique. »
Juin. — Le 6 Juin, on tente une reprise de La Croisée ; la
pièce avait été modifiée, raccourcie et corrigée. Le public lui
fit meilleur accueil. Elle devint même un succès par la suite.
Savoir ne pas faire long est une des sciences du théâtre.
C'est ainsi que, beaucoup plus tard, Scribe sut d'un mélo-
drame en cinq actes, faire une charmante pièce en un seul
acte : La Chanoinesse.
Le 28 Juin, première représentation de Colas et Colette,
opéra-bouffon en un acte.
Le 23 Juin, première représentation de La Double Méprise,
comédie en deux actes.
Je trouve une note annonçant que même à cette époque
d'été, le spectacle des Beaujolais commençait à 5 heures et
demie, « pour permettre aux spectateurs d'aller prendre le frais
du soir, vers dix heures, sous les frais ombrages du jardin du
Palais-Royal, »
Le 5 Juillet 1788, première représentation de La Jeune
Veuve curieuse, comédie en un acte, mêlée d'ariettes.
Le 7 Juillet, première représentation de Tarare régnant,
mélodrame en trois actes, en vers, avec ses agréments.
Voir jouer le mélodrame, par des enfants, devint une
grande curiosité ; aussi la pièce fit-elle de très appréciables
recettes.
Le 22 Juillet, première représentation de V Amour arrange
tout, comédie en un acte (reprise), par Loisel Tréogate.
Le couplet au public terminait ainsi :
« Même si notre pièce est mauvaise,
« Aimez-nous, l'amour arrange tout.
Le 26 Juillet, première représentation de La Ressemblance
supposée, opéra-bouffon en un acte.
Le 9 Août, première représentation à' Aline et Dupré, ou
Le Marchand de Marrons, comédie-parade en deux actes.
Le 13 Juillet, un orage épouvantable avait éclaté, ravageant
54 THEATRE DES d BEAUJOLAIS ID
les récoltes entre Chartres et Paris. Le lundi 11 août, les
Beaujolais donnèrent une représentation au profit des culti-
vateurs malheureux. On joua la 20^ représentation de La
Croisée^ comédie en deux actes, mêlée d'ariettes, et la 19^
représentation du Tuteur ai^are, opéra-bouffon en deux actes.
Le 21 Août, première représentation du Mariage enfantin,
ou le Mari de quinze ans, comédie en un acte.
Le 4 Septembre, première représentation de V Amour inva-
lide, comédie en un acte.
C'était une jeune actrice nommée Léontine Malard, qui
jouait le rôle de l'amour. Elle était bien âgée de quatorze ans
et la demie.
A la première représentation, sautant sur la scène, d'un
bosquet de fleurs qui s'ouvrait devant elle, pour se lancer
entre ses deux amoureux qui se boudaient, elle tomba si lour-
dement et si maladroitement, qu'elle ne put se relever et que
l'on fut forcé de la transporter dans la coulisse.
Le rideau fut baissé, et le maître de ballet, M. Barré, de
l'Académie Royale de Musique, vint annoncer au public que
Mademoiselle Léontine Malard se trouvait dans l'impossibilité
de reprendre son rôle, mais que Mademoiselle Lévesque allait
la remplacer.
On demanda, de la salle, si l'indisposition présentait une
certaine gravité.
M. Barré répondit : « Elle est entre les mains d'un chirur-
gien, qui, seul, peut apprécier le cas. »
Or, Mademoiselle Léontine Malard venait tout simplement
de faire une fausse couche.
Le mardi 9 Septembre 1788, les Beaujolais donnaient la
vingt-quatrième représentation du Tuteur avare, opéra-bouf-
fon en trois actes, précédé de V Amour arrange tout, comédie
en un acte, au bénéfice de Mlle Léontine Malard, jeune
actrice « victime d'un accident. »
Interrompons un instant le répertoire et remplaçons-le par
un fait, qui trouve ici sa place.
Dans les Archives des Communes, n^ 4688, à cette même
date, je trouve cet exploit détaillé.
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS » 55
« A sept heures du soir, nous François, Jean, Sirebeau, etc., ayant
été requis par M. Gabriel, aide-major de la Garde de Paris, de service
au spectacle de S. A. S. Monseigneur le Comte de Beaujolais, nous nous
sommes transporté dans le dit spectacle, et, étant dans le bureau de la
Direction, nous y avons trouvé un sieur Robert Wolf, huissier audiencier
ordinaire du Roi, lequel nous a dit qu'en vertu des sentences rendues au
Chatelet de Paris, les 13 Février 1787 et 5 mars dernier, et d'une ordon-
nance rendue en référé, par M. le Lieutenant civil, au dit Chatelet, le
25 du dit mois de Juin, aussi dernier, le tout à la requête des sieurs
Bernard frères, marchands merciers, demeurant à Paris, à l'abbaye de
Saint-Germain-des-Prés, lesquels font élection de domicile en la demeure
du dit Wolf, contre les sieurs Delomel et Gardeur, Directeurs du dit spec-
tacle, où nous sommes ; »
« Qu'il a, par procès-verbal du 5 de ce mois, procédé à la saisie-exécu-
tion des effets détaillés au dit procès-verbal, et établi à la dite saisie, en
garnison réelle, dans les lieux où nous sommes, les personnes des sieurs
Lelièvre et Boucheron, avec commission de recevoir et toucher la recette
journalière du dit spectacle ainsi qu'il est ordonné par l'ordonnance
susdatée ; »
« Que ce jourd'hui, sur les cinq heures de relevée, à la requête des dits
sieurs Bernard, il s'est transporté au dit Spectacle, dont il s'est procuré
l'entrée au moyen d'un billet qu'il a pris au bureau, pour surveiller ses
gardiens, savoir s'ils exerçaient leur commission dans la recette, ou s'ils
n'y étaient pas troublés ; »
« Qu'il a aperçu le dit sieur Lelièvre, seul, sur le pas de la porte du
bureau, lequel lui a dit que la sentinelle n'avait pas voulu lui permettre
d'entrer dans le bureau de la recette, à l'effet d'exercer sa commission. »
« A quoi le dit sieur Wolf a déclaré aux dits sieurs Delomel et Gardeur,
parlant pour eux à un garçon, qu'il allait à l'instant réintégrer le dit
gardien ; à l'effet de quoi, il a requis le sergent de garde, d'ordonner
qu'on laissât entrer le dit gardien pour la dite recette ; »
« Que ce sergent a répondu au dit sieur Wolf qu'il ne pouvait donner
cet ordre, mais qu'il allait en avertir son officier ; qu'effectivement, il a
envoyé chercher cet officier, lequel étant arrivé sur les six heures du
soir, et le dit sieur Wolf lui ayant expliqué le sujet de son transport, et
requis même son appui à la commission du dit gardien, et lui faire
donner l'entrée de la dite recette, il a répondu au dit Wolf qu'il ne pou-
vait rien prendre sur lui ; mais qu'il en référerait à nous, commissaire
chargé de la police du dit spectacle ; et qu'il allait nous envoyer chercher ;
et que, jusqu'à ce que nous fussions arrivé, il allait donner consigne à la
sentinelle de ne point laisser sortir l'argent de la dite recette, à la con-
sidération de qui il appartiendrait. »
« En conséquence, le dit sieur Wolf requiert qu'à l'instant même, en
notre présence, nous lui donnions tout secours et donnions les ordres
56 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS 1>
nécessaires à la garde, afin que le dit Lelièvre, son gardien, puisse tou
cher la recette du spectacle de ce jourd'hui, pour en faire le dépôt. »
Signatures : François-Jean SIRBEAU, Commissaire de Police.
GABRIEL, aide-major de la Garde de Paris.
Robert WOLF, huissier^ pour les frères Bernard.
Les frères Bernard étaient d'honnêtes marchands merciers,
qui depuis quatre années fournissaient le maître costumier du
Théâtre des Beaujolais. Ce maître costumier avait nom Lema-
nissier. Depuis dix-huit mois, M. Delomel, s'étant aperçu que
ce costumier quelque peu voleur vendait pour son compte
des costumes du magasin appartenant à la Direction, s'était
débarrassé de lui, l'invitant à aller se faire pendre ailleurs. Ce
qui n'avait pas empêché le sieur Lemanissier de continuer
ses nombreux achats « de mercerie et galons, ainsi que passe-
menteries d'or et d'argent» au compte de ses anciens Directeurs.
Le dit Lemanissier ayant disparu tout à coup, les frères
Bernard s'étaient adressés directement à MM. Delomel et
Gardeur, lesquels avaient répondu n'avoir aucune connais-
sance de cette dette de 870 livres et 12 sols, réclamée par les
deux merciers.
Ce que voyant, les sieurs Bernard avaient remis leur créance
entre les mains du sieur Robert Wolf « huissier audiencier ordi-
naire du Roi, en sa chancellerie du Palais, y demeurant rue de
Bussi, paroisse de Saint-Sulpice, » lequel avait obtenu le 13 Fé-
vrier 1787, une première ordonnance du Ghatelet, rendue sur
référé, par M. le Lieutenant civil du Ghatelet, une seconde le
5 mars 1788, enfin une troisième le 25 juin de la même année,
« donnant droit au sieur Wolf de saisir les recettes jusqu'à
parfait paiement de la somme réclamée par les deux frères
Bernard. »
Mais voyons la suite de cette affaire, suite retrouvée éga-
lement dans les Archives des Communes :
« A l'instant est aussi comparu sieur François, Hyacinthe, Guislain,
Crescent de Bernaut, administrateur général, nommé par jugement du
Conseil, du Spectacle dont il s'agit, pour le compte des intéressés, qui
composent la Compagnie de la dite entreprise, demeurant, le dit sieur
THEATRE DES d BEAUJOLAIS )) 57
deBernaut,à Paris, rue Saint- Lazare, lequel a dit que la Compagnie n'a
pas été peu surprise d'apprendre qu'il avait été procédé dans leur spec-
tacle, à une saisie-exécution des meubles et effets et autres objets y
étant, à la requête des sieurs Bernard, et ce, sur les sieurs Delomel et
Gardeur, en vertu de sentences et ordonnances paraissant avoir été
rendues contre eux ; seulement que, comme d'un côté les intéressés et
associés, par acte du 14 octobre 1785, duement publié aux Consuls, ne
doivent rien, mais encore qu'il n'existe aucun jugement ni condamna-
tion contre eux ; »
« Ils auraient, par exploit du 10 de ce mois, fait interjeter appel de la
dite saisie, comme faite super non domino, avec réserve de se pourvoir
incessamment tant par les voies ordinaires qu'extraordinaires, attendu
V esclandre gratuit à eux occasionné par la dite saisie ; »
« Et, en attendant, ont déclaré par le même acte qu'ils s'opposaient
formellement à ce que les dits sieurs Bernard donnassent aucune suite
à leur contrainte sur l'entreprise dont il s'agit, avec protestation de
nullité et de tous dépens, dommages et intérêts. »
« Que d'après cet acte, ils auraient cru que les sieurs Bernard se
seraient contentés de l'esclandre public qu'ils avaient occasionné dans
un établissement public, à une compagnie d'associés qui n'est ni leur
débiteur, ni leur obligé, ni leur condamné ; »
« Mais, que ce jourd'hui, vers les cinq heures du soir, à l'heure de
l'ouverture de leur spectacle, ils auraient été avertis qu'à la porte et
principale entrée d'icelui, était le dit WoK, qui, en continuant les con-
traintes vexatoires ci-devant énoncées, portait le comble à l'esclandre
et à la vexation en voulant publiquement introduire des gardiens dans
les bureaux de recettes du dit spectacle, et en interrompant entièrement
l'exploitation ; ce qui aurait été effectué si la garde établie pour le bon
ordre du spectacle n'eût interposé son autorité, jusqu'à l'arrivée de nous
commissaire. »
« Déclare, le dit Bernaut, que rien n'est plus irrégulier que la con-
trainte des sieurs Bernard, en ce que l'on entend faire de la saisie de la
recette et de l'interruption que l'on entend mettre à l'exploitation. »
« En effet, le spectacle, dont il est question, appartient à une Société
d'intéressés ; qu'il n'y a de condamnations prononcées que contre les
sieurs Delomel et Gardeur, ad hoc ; qu'il n'existe aucune condamnation
contre la Société dont il s'agit ; qu'en conséquence, n'ayant donc aucun
moyen d'asseoir une saisie-exécution sur la dite société, lui comparant,
en sa quahté d'administrateur général, soutient qu'il ne peut être inter-
rompu dans son administration. »
« Pourquoi il requiert qu'en notre qualité de subdélégué du magistrat,
seul compétent pour juger des troubles et contestations relatifs à la dite
administration, nous ordonnions, d'après ce que dessus, ce qui convient
pour faire cesser le trouble et l'esclandre gratuits qu'elle éprouve en ce
58 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS T>
moment. Ajoutant en outre la réserve expresse qu'il fait pour les dits
sieurs intéressés de tous leurs droits. »
Signé : GRESSENT DE BERNAUT.
Le sieur Wolf n'était pas huissier à se rendre devant sem-
blable opposition. Il prétendit que cet acte de société, dont
parlait si hautement et si puissamment Cressent de Bernant,
n'existait pas ; que sans cela, cet acte lui eût été notifié pen-
dant ses premières opérations ; qu'il n'avait jamais eu affaire
qu'aux sieurs Delomel et Gardeur, ici présens ; qu'en consé-
quence, il requérait quand même « que son gardien fût mis
en possession de la recette d'aujourd'hui, qui venait d'être
apportée au bureau par la receveuse, comptée et montant à
la somme de 205 livres 10 sols, déduction faite des frais de
garde et du quart des pampres. »
Ce à quoi le sieur Bernant de Cressent répondit que l'huissier
Wolf niait à tort la connaissance de l'acte de société, puisque
cet acte avait été déposé par lui. Bernant, sur le bureau, de-
vant Wolf, avec liberté d'en prendre connaissance.
Enfin le commissaire Jean-François Sirebeau déclara que
« toutes choses demeurant en l'état, il renvoyait les parties se
pourvoir en l'Hôtel et par devant M. le Lieutenant civil, le
lendemain mercredi, 10 du mois, à trois heures de relevée. »
Puis il s'empara de la recette, objet du Htige, la gardant en
sa possession jusqu'à ce que jugement définitif fût rendu.
Voici enfin la solution de cette grave atteinte portée à la
considération de MM. Delomel et Gardeur :
« Le vendredi 12 Septembre 1788, est comparu devant moi, Sirebeau,
le sieur Nicolas, Louis, Delafosse, caissier du spectacle de Monseigneur
le Comte de Beaujolais, demeurant rue Neuve des Petits Champs,
paroisse de Saint-Eustache. Lequel requiert que nous ayons à lui re-
mettre la somme de 205 livres et 10 sols. »
« Signé : DELAFOSSE. »
« Sur quoi, nous Commissaire, etc., avons versé au dit Delafosse, la
dite somme. »
« Signé : SIREBEAU, DELAFOSSE. »
THEATRE DES « BEAUJOLAIS )) 59
M. le Lieutenant civil avait reconnu que «le sieur Lemanis-
sier s'était livré à ces achats alors qu'il n'appartenait plus à
l'administration directoriale des Beaujolais ; v
« Qu'en conséquence, il déboutait les sieurs Bernard de leurs préten-
tions sur les recettes encaissées par les sieurs Delomel et Gardeur ; »
« Laissant les sieurs Bernard libres de requérir contre le sieur Lema-
nissier, en quel endroit qu'il fût. »
Mais en homme prudent, le dit Lemanissier avait jugé à
propos de disparaître. On le disait passé en Angleterre. Tou-
jours est-il qu'il ne reparut pas à Paris.
Octobre. — Le 8 Octobre, première représentation de Le
Lord et son Jockei^ comédie en trois actes, mêlée d'ariettes,
avec ses agréments, par le sieur Lutaine, musique du sieur
Leblanc.
Ce fut une chute terrible. Les sifflets des spectateurs arri-
vèrent à un tel degré de violence, qu'en scène, plusieurs en-
fants prirent peur et se réfugièrent dans les coulisses.
M. Cressent de Bernant se présenta de nouveau chez le
commissaire de pohce Jean-François Sirebeau, à fin de lui
faire connaître certains moyens ilHcites qu'avait employés
le dit sieur Lutaine, pour arriver à faire représenter sa
pièce.
Il s'était tout d'abord adressé à l'un des associés comman-
ditaires du dit spectacle des Beaujolais^ le sieur Pasquise, sans
vouloir déposer le manuscrit du Lord et son Jockei entre les
mains de MM. Delomel et Gardeur, qui seuls avaient auto-
risation de présenter le dit manuscrit à la Censure royale. Sur
leurs vaines sollicitations, le sieur Lutaine avait fini par leur
répondre que l'ouvrage « était censuré et signé de M. le Lieu-
tenant-général de Police. »
Sur ce dire, les Directeurs n'avaient plus hésité à faire les
dépenses nécessaires « dépenses très considérables » pour le
montage de la pièce.
On avait donc commencé les répétitions particulières, aux-
quelles assistait le sieur Lutaine. Quand arrivèrent les der-
nières répétitions dites générales, Lutaine ne se présenta plus
au théâtre, laissa annoncer sur les affiches la première repré-
60 THÉÂTRE DES d BEAUJOLAIS »
sentation de sa pièce jusqu'au 8 Octobre ; et ce ne fut que ce
même jour, à neuf heures et demie du matin, qu'il avertit
la Direction « que sa pièce n'était pas censurée, comme il
l'avait annoncé depuis deux mois. »
« MM. Delomel et Gardeur — dit l'acte signé Leblanc,
Gressent de Bernant et Sirebeau, retrouvé aux Archives des
Communes — ont fait appeler le sieur Leblanc, auteur de la
musique, qui a répondu que le sieur Lutaine l'avait trompé
lui-même, en lui assurant et en l'exposant à assurer à la Direc-
tion que Le Lord et son Jockei était prêt et qu'on pouvait l'af-
ficher ; mais que cette conduite du dit sieur Lutaine était si
malhonnête, qu'il priait la Direction de lui rendre sa parti-
tion, qu'il aimait mieux sacrifier, que de la voir servir à l'ou-
vrage de cet auteur. »
La Direction n'accepta pas, courut chez M. le Lieutenant-
général de la Police, lui exposa le cas embarrassant dans lequel
elle se trouvait, parvint à l'émouvoir et le visa fut accordé
pour représenter l'œuvre le soir même.
Quelques coupures assez importantes avaient cependant été
faites par M. le Censeur royal. Il fallut passer la journée à
relier les scènes, à remanier la pièce, si bien que quand elle se
présenta le soir devant le public, elle fut abominablement
reçue, ainsi que je l'ai écrit plus haut.
La Direction, furieuse contre le sieur Lutaine, porta plainte
devant le commissaire Sirebeau.
L'acte des Archives des Communes se termine donc ainsi :
« Dans ces circonstances, les Directeurs désespérés de s'être exposés
à mériter les justes reproches du magistrat, par leur trop grande indul-
gence envers le dit Lutaine, ont, malgré cela, recours à la Justice et à
son autorité pour obtenir que le dit sieur Lutaine soit obligé de les
dédommager des dépenses considérables qu'ils ont été forcés de faire,
pour mettre sa pièce en exécution sur leur théâtre. »
Le sieur Lutaine reconnut qu'il avait eu le plus grand tort
d'agir comme il avait agi, et dédommagea le plus qu'il put
le Direction, laquelle l'année suivante lui fit représenter deux
^iBGQ^: U Alchimiste ovi la Palingénésie^ opéra-boufîon, en trois
THEATRE DES (( BEAUJOLAIS 1> 61
actes, en vers ; et la Mère indécise^ comédie également en
vers et en trois actes.
Le 18 Octobre, première représentation de Le Bon Père,
opéra-bouffon en un acte, avec des divertissements.
Le 22 Octobre, première représentation de U Intendant sup-
posé^ comédie en deux actes. Cette pièce obtint un véritable
succès.
Novembre. — Le 12 Novembre, première représentation de
Le Mari comme il les faudrait tous, opéra-bouffon en un acte.
Cette pièce fut représentée cinq fois de suite ; puis reprise
par intermittence.
Décembre. — Le 2 Décembre, première représentation de
Le Baron de Boquentin, pièce en deux actes.
Le 6 Décembre, les journaux annoncent la « seconde » pre-
mière représentation de Le Lord et son Jockei, opéra-bouffon en
trois actes.
Cette pièce, la même qui déjà avait été représentée le 8 octo-
bre précédent et était tombée accablée parles sifïlets, avait été
remaniée par ses auteurs sur les conseils de M. Gardeur ; les
situations avaient été modifiées, la distribution des rôles chan-
gée ; des airs nouveaux avaient remplacé les anciens ; à ce
point que, les deux Directeurs crurent naïvement que sans
changer le titre de la pièce ils pouvaient la représenter au
public comme une nouveauté.
Cette seconde tentative ne fut guère plus heureuse que la
première. Cependant comme MM. Delomel et Gardeur avaient
fait de grands frais pour la monter, qu'en vue de cela, l'au-
teur M. Lutaine leur avait versé en compensation une somme
importante d'argent, put-elle reparaître encore quelques fois
sur l'affiche, sans pourtant faire rentrer dans la caisse des
pauvres entrepreneurs tout ce qu'elle leur avait coûté.
La concurrence, dès cette époque, commençait à atteindre
le Théâtre des Beaujolais ; car on ne comptait pas moins de
quinze ou vingt théâtres, tant grands que petits, dans la ville
de Paris.
Je puis citer V Opéra, les Italiens, la Comédie- Française, les
Variétés, V Ambigu-Comique, Nicolet, les Associés, les Délasse-
02 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
ments comiques, les Pygmées, les Fantoccini, les Ombres chi-
noises, les Beaujolais, le Musée des Enfants, le Panthéon, le
Vaux-Hall, etc., sans compter les nombreux théâtres de so-
ciété où l'on jouait la tragédie, la comédie et même l'opéra-
bouffon. Tout était au spectacle, rien qu'au spectacle.
Ruggieri, le fameux pyrotechnicien, donnait des soirées qui
attiraient la foule, laquelle s'allait esbaudir aux aveuglants et
merveilleux feux d'artifices du maître en l'art de diriger ces
feux.
On se plaignait déjà, à cette époque, de l'exaltation trop
bruyante des enthousiastes écervelés, qui applaudissaient à
tort et à travers, sans se préoccuper d'interrompre une scène
pathétique, ou une johe phrase harmonique, avant qu'elle fût
arrivée à son entière solution.
Un spectateur des Beaujolais avait écrit : « Quelle rage pos-
sèdent tous ces batteurs de mains à tout propos, à toute ou-
trance ; ces crieurs de hravo, aux voix de Stentor, ou de Cas-
trati ; ces trépigneurs de pieds ; ces énergumènes enfin, qui
ne savent témoigner qu'ils ont du plaisir qu'en se disloquant
tout le corps ? »
« Quelle fureur ont-ils d'interrompre un vers ou une tirade
pour m'empêcher d'entendre le sens d'une phrase, entièrement
perdu pour moi, par le fait du bruit qu'ils font avec leurs pieds,
leurs mains et leurs voix. »
Pour justifier le cri réprobatif de cet amateur, ennemi des
expansions bruyantes, le Journal de Paris, par la plume d'un
anonyme, fit une proposition dont on rit beaucoup alors, mais
qui, somme toute, était l'embryon de l'insupportable claque
qui, de nos jours, énerve le spectateur, et l'empêche souvent
d'applaudir, dans la crainte qui lui est venue, d'être pris
pour un claqueur.
Le Journal de Paris proposa très sérieusement « de placer
dans un endroit apparent de la salle, un homme avec un gros
bâton, qui servirait à indiquer les endroits où l'on devrait
applaudir les acteurs. »
« Pareil exemple, — disait le Journal — s'était produit en
Angleterre et y avait été adopté. »
THEATRE DES d BEAUJOLAIS » 63
Une autre feuille répondit au Journal de Paris : « Je ne sais
si la proposition est faite de bonne foi ; mais elle me parait
fort plaisante, et l'ironie la plus sanglante contre tous nos
étourdis et nos énergumènes. »
Bref, la proposition — malgré Vexemple donné par l'Angle-
terre — ne fut pas prise en considération et demeura l'aimable
plaisanterie d'un joyeux mystificateur ou d'un convaincu trop
ardent.
Aujourd'hui, ce n'est pas un homme armé d'un bâton qui
nous donne le signal des endroits à souhgner, c'est cinquante
braillards savamment répartis dans tous les coins de la salle,
aux mêmes places tous les soirs, qui nous rompent les oreilles
de leurs applaudissements frénétiques, à propos de refrains, de
phrases ou de situations auxquels ils ne comprennent, le plus
souvent, rien ; mais qu'ils ont ordre d'applaudir, ce dont ils
sont récompensés soit par leur entrée gratuite, ou par une dimi-
nution sur le prix de la place qu'ils occupent.
L'emploi de chef de service — le mot «service» a remplacé
celui de claque^ — est aujourd'hui des plus lucratifs. Ces mes-
sieurs meurent tous, ou presque tous, dans la peau de million-
naires, alors que les Directeurs qu'ils ont été censément sou-
tenir, dégringolent trop souvent de faillite en faillite, et que
les acteurs qu'ils ont applaudis — s'appelassent-ils Frederick
Lemaitre, Duprez, Dumaine, Bocage, Taillade, Mlle Georges,
Mmes Dorval, Fargueil et Déjazet — meurent dans l'extrême
misère.
Les applaudisseurs enthousiastes du Théâtre des Beaujolais
étaient assez insupportables pour que MM. Delomel et Gar-
deur eussent placé à l'entrée de leur salle un écriteau portant
cette inscription :
« Les exagérations en bravos étant aussi gênantes pour l'in-
terprétation des pièces que celles des sifflets, messieurs les
spectateurs sont prévenus que la garde a ordre d'expulser les
manifestants intempestifs qui, par leurs applaudissements,
troubleraient l'ordre dans la salle de notre spectacle. »
Cette recommandation ne servit à rien. Le public s'en gau-
dit. La garde voulut, pour l'exemple, faire d'abord quelques
64 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS M
expulsions ; mais la masse des^sp éclateurs protesta. Des ora-
teurs s'improvisèrent, se réclamant du vers de Boileau :
C'est un droit qu'à la porte on achète en entrant.
MM. Delomel et Gardeur finirent par faire enlever leur
malencontreux écriteau et tout rentra dans l'ordre... relatif,
c'est-à-dire dans le désordre habituel.
Vers la fin de 1788, un gros événement se produisit. Les en-
fants furent totalement supprimés et remplacés par de véri-
tables comédiens, qui sortirent de la coulisse pour être intro-
duits sur la scène.
Les petites filles et les petits garçons employés par MM.
Delomel et Gardeur avaient grandi. De vieux et de jeunes
messieurs, sentant le frais gibier, étaient parvenus à s'in-
troduire dans les coulisses. Quelques petites actrices furent
débauchées et mises à mal. Des plaintes avaient été portées,
et le Lieutenant-général de la pohce, M. Lenoir, avait fait man-
der les deux Directeurs, les menaçant de faire fermer .leur
théâtre, si certain scandale assez récent se renouvelait.
Effrayés, les pauvres Directeurs avaient interdit l'entrée de
leurs coulisses « à toute personne étrangère au théâtre. « Mais,
chaque soir, les gardiens du petit sérail étaient débordés. Si bien
qu'un jour, sous menace, mise cette fois à exécution, de M. Le-
noir, les deux entrepreneurs se virent contraints de faire affi-
cher : (( Sous peine de châtiments prévus par la loi et par or-
donnance spéciale de pohce, l'entrée des confisses est absolu-
ment interdite. » Puis, les petits comédiens et jeunes comé-
diennes furent peu à peu remerciés, indemnisés et définitive-
ment congédiés ; on ne conserva que ceux et celles aptes à
danser, complétant le ballet dirigé par M. Barré, tandis que
les véritables acteurs et actrices prenaient possession du
répertoire courant et débutèrent — sans très grand succès —
sur la scène des Beaujolais.
Les petits artistes allaient-ils donc se trouver sans place ?
Non!... Le petit Théâtre dit MUSÉE DES ENFANTS
existait encore.
Situé à l'extrémité des Galeries de bois, proche les Variétés
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS » 65
— qui devinrent le Théâtre Français — un sieur Letellier
avait ouvert cet établissement pour « servir de cours d'ému-
lation aux enfants de l'un et de l'autre sexe. »
Le sieur Letellier se trouva très heureux de recueillir les
petits comédiens, fort experts déjà, du Théâtre des Beaujolais.
Ce petit théâtre avait fait son ouverture le 6 octobre 1785
et donnait tous les jours, à six heures du soir, une « grande et
brillante représentation qui se terminait à huit heures. » La
salle était décorée avec goût et pouvait contenir 250 personnes.
Il était situé au-dessus du café, où se trouve maintenant le
café Corrazza. Les espérances du sieur LeteHier ne se réali-
sèrent pas, car l'année suivante, en 1787, et non en 1788,
ainsi qu'il a été écrit, le petit théâtre du MUSÉE DES
ENFANTS ferma ses portes, malgré le renfort apporté par
les petits artistes des Beaujolais.
Désormais, chez MM. Delomel et Gardeur, l'originalité
était remplacée par la désolante banalité. Cela nuisit considé-
rablement aux recettes. La pauvre petite aveugle Chevrier fut
congédiée avec sa mère. Elle pleura beaucoup, mais elle
devenait inutile.
M. Gardeur eut même ce mot cruel : notre Théâtre n'est
pas l'Hospice des Quinze-Vingts.
Les Directeurs allèrent rendre visite au Lieutenant général
de la pohce : « Vous nous ruinez, Monseigneur, lui dirent-ils ;
mais nous espérons que vous nous saurez gré de notre entière
soumission. »
M. Lenoir les félicita de leur respectueuse soumission et leur
promit sa protection.
Le théâtricule devint alors un véritable théâtre, avec une
garde fournie par l'autorité supérieure. Cette garde se compo-
sait de huit cavahers de la mihce nationale parisienne, com-
mandés par « un bas ofTicier ».
Parmi les nouveaux acteurs de scène et les anciens, conser-
vés par la Direction, je vais citer ceux que le public se mit à
apprécier le plus :
Ce fut d'abord M. Vénier, « très goûté pour le naturel,
66 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS ï)
Texpression, le jeu, l'habitude de la scène et la précision dans
le chant. »
Après M. Vénier, arrivait M. D elbois, « fort recommandable
pour la voix et surtout les rôles de gaîté. »
A la suite se faisait remarquer, M. Dumily, second comique,
« incomparable dans les rôles de niais, les valets de comédie et
partout où il fallait de la diction. »
M. Talon était aussi très apprécié « dans certains rôles
comiques. »
Mme Fusil, — qui a laissé des Mémoires des plus intéres-
sants, — « excellente dans le chant. »
Mme Sara, « fort recommandable dans le même genre. »
Mlle Latour, {( toujours très applaudie dans l'opéra. »
Et Mlle FouRNiER, « de même. »
Un comique de talent, M. de Toeuvre était venu à Pâques
renforcer la troupe ; mais depuis, « se voyant dépassé par ses
camarades », avait demandé sa résihation, qui lui avait été
accordée.
Une certaine partie spéciale des acteurs et chanteurs de cou-
lisse perdit également beaucoup à cette substitution subite.
Ce fut surtout la catégorie des infirmes.
Un acteur ou chanteur de couhsse pouvait être cagneux,
ou boiteux, manchot ou bossu ; une chanteuse pouvait être
laide, borgne, mal bâtie, géante ou naine, peu importait au
public, qui ne connaissait d'eux que leurs voix.
A partir du jour où ces infortunés durent paraître sur la
scène, le physique du personnage qu'ils représentaient devint
naturellement exigible.
Presque tout le personnel des coulisses fut en conséquence
congédié, car — sorte de petite cour des miracles — tous les
disgraciés de la nature doués d'une joHe voix, ne pouvant se
produire ailleurs que dans l'invisibihté, s'étaient réfugiés dans
les coulisses des Beaujolais. Ils furent tous contraints d'en
partir.
Il y eut de profondes douleurs, devant lesquelles demeura
insensible, l'impassible Lieutenant de Pohce, M. Lenoir.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS )) 67
CHAPITRE V
1789
LES PETITS REMPLACES PAR LES GRANDS. — MORT DU DAU-
PHIN DE FRANCE. — ÉVÉNEMENTS POLITIQUES. — CAMILLE
DESMOULINS. — FERMETURE. — SÉPARATION DE MM. DELO-
MEL ET GARDEUR. — l'hONNÊTE DELOMEL. — DÉCADENCE.
— LA DEMOISELLE MONTANSIER.
Cette histoire du Théâtre des Beaujolais^ faisant partie d'une
série intitulée : Histoire de V Histoire des grands et des petits
Théâtres de Paris pendant la Réi^olution^ le Consulat et VEm-
pire, c'est au début de l'année 1789 que je vais commencer par
donner, presque au jour le jour, la vie intérieure de ce petit
théâtre si original dans sa forme, si honnête dans son genre de
travail, si utile pour les jeunes, aussi bien acteurs, qu'auteurs
et compositeurs de musique.
Pâques était l'époque des renouvellements d'acteurs dans
toutes les troupes de comédiens. Les directeurs faisaient leur
clôture, tant en province qu'à Paris, ou le dimanche de Lœtare,
ou celui de la Passion, ou celui des Rameaux.
« Par ordre », leurs théâtres restaient fermés toute la semaine
sainte, jusques et y compris le dimanche de Pâques ; c'était le
lundi que MM. les Directeurs reprenaient leur réouverture.
En cette année 1789, Mlle Brillon quitta les Beaujolais
pour entrer aux Variétés du Palais-Royal, qui devinrent l'an-
née suivante le Théâtre Français.
68 THÉÂTRE DES QC BEAUJOLAIS »
Je donne donc le répertoire courant des Beaujolais depuis le
1^^ Janvier :
1®^ Janvier 1789. — Ce soir-là, on donna la première repré-
sentation de Les Etrennes critiques ou Mercure et la Frivolité
du Palais-Royal^ pièce épisodique, en un acte, en prose,
de M. Galiot.
Le spectacle avait commencé par V Heureux Dépit ^ comédie
en un acte, « mêlé de chant, sous forme d'ariettes » et s'était
terminé par :
Aline et Zamorin^ opéra-boufîon en trois actes.
Chaque soir, le répertoire courant changeait.
Du 2 Janvier au 15, on joua, tant en nouveautés qu'en
reprises :
Florette et Colin, opéra-boufîon en un acte, en prose.
Le Bon Père, opéra-bouffon en un acte.
Le Tuteur avare, opéra-bouffon en trois actes.
La Matinée du Jardin public, comédie en un acte.
Le Manteau, opéra-bouffon en un acte.
La Belle Esclave, opéra-bouffon en un acte.
Les Curieux punis, opéra-bouffon en un acte.
U Intendant supposé, -comédie en deux actes.
La Noce béarnaise, opéra-bouffon en deux actes, avec ses
agréments.
« À vec ses agréments » signifiait avec les danses et divertis-
sements intercalés dans les scènes de la pièce.
Alexis et Rosette, mélodrame en un acte, avec un ballet.
Annette et Bazile, mélodrame en un acte.
U Armoire, opéra-bouffon en un acte.
La Solitude, comédie en un acte.
Le Paysan à prétentions, opéra-bouffon en un acte.
Le 15 Janvier, eut lieu la première représentation de Le
Philosophe imaginaire, opéra-bouffon en trois actes, en prose.
Ce fut cet opéra qu'au Théâtre de MONSIEUR on joua quel-
que temps après,en italien, sous le titre de / Filosofi imaginari.
Le 19 Janvier, première représentation (reprise) de Le Baron
de Roquentin, comédie en deux actes. La réussite fut cette
fois douteuse.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS » 69
Le 23 Janvier, première représentation de La Fête de So-
phie^ ballet-pantomime en trois actes. Réussite parfaite.
Le 25 Janvier, on donna la reprise de Le Fat en bonne For-
tune^ opéra-bouffon en deux actes.
Le 31 Janvier eut lieu la première représentation de V Amour
Hermite^ opéra en un acte, avec ses agréments.
Ce soir-là, en dansant, un jeune sauteur nommé Huguenet,
ayant fait un faux-pas, tomba et se cassa la jambe.
On fit une annonce au public, en l'informant que l'enfant —
il avait 16 ans — était le soutien de sa famille. Immédiate-
ment, on fît courir des plateaux dans la salle, pour y déposer
les offrandes de chacun « selon ses moyens ^), au bénéfice du
pauvre petit blessé. Cette collecte improvisée produisit 260
livres, qui furent remis séance tenante au jeune Huguenet,
que l'on transporta chez lui dans un carrosse, qu'une dame
de haut parage, assistant au spectacle, mit à la disposition
du petit éclopé.
Février. — Le 10 Février, première représentation de La
Double Récompense^ comédie en un acte.
Voici la genèse de la pièce :
Félix Bouteloup, un jeune soldat, a sauvé des mains de
brigands un M. de la Richardière, riche financier ; celui-ci, pour
le récompenser, et malgré les obstacles que tente de faire
naître un vieux marquis ridicule, amoureux de la tendre Amé-
lie, lui accorde la main de la jeune personne.
Le public, ému, applaudit avec enthousiasme.
Le lendemain, 11 Février, première représentation de V Amant
locataire., opéra-bouffon en deux actes.
Le 23 Février, on donna Le Faux Somnambule^ opéra-bouffon
en deux actes.
Mars. — Le 3 Mars, reprise de Le Lord et son Jockey., opéra
en trois actes « avec ses agréments. »
Le 26 Mars, première représentation de Cora^ ou la Prêtresse
du Soleil., drame en vers et en trois actes, mêlé d'ariettes,
paroles de M. Gabiot^ musique d'// signor Cambini.
Un article de la Chronique de Paris dit : « Belle musique ;
grande pompe ; séances fort longues et souvent ennuyeuses.
70 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS H
Mademoiselle Fournier, très jeune encore, y développe un
talent naissant, qu'on doit encourager. »
« Ces sortes d'ouvrages ne sont pas du genre de ce spectacle
et lui nuisent plutôt que de lui être utiles. Les décorations
sont superbes et très fraîches. »
Le Théâtre Beaujolais fit sa clôture annuelle le 28 Mars,
comme ses collègues plus grands et moindres.
Le sieur Bonthoux de Lorget, prestidigitateur, s'y installa
pendant les Fêtes de Pâques et les deux dernières semaines
du Carême, le Vendredi-Saint excepté.
Alors que l'autorité interdisait les représentations théâ-
trales, durant quinze jours précédant Pâques, elle autorisait
les spectacles de curiosités, tels que cirques, physiciens,
panoramas, etc..
Le spectacle de M. Bonthoux de Lorget se composait
d'une « grande quantité d'automates et de beaucoup de pièces
physiques et mécaniques inventées par le célèbre Professeur. »
Son affiche disait : « Dans les entr'actes, l'incomparable
physicien, décoré de plusieurs ordres étrangers, décernés par
les plus illustres sociétés de sciences, présentera plusieurs
tours surprenants et différentes expériences de physique et
de chimie expérimentales. »
« Les exercices durent deux heures et la demie. »
« Le prix des places est le même qu'au spectacle des
Beaujolais. »
Chaque année, M. Bonthoux de Lorget^ à la même époque,
prenait ainsi possession de la salle de M. Delomel et y fai-
sait de fort bonnes affaires.
Pendant ce temps, les comédiens ne restaient pas oisifs et
répétaient des pièces nouvelles pour la réouverture, sans
qu'ils eussent à souffrir, pécuniairement parlant, de la ferme-
ture ; car ils continuaient d'être payés. Les Directeurs de nos
jours — pas tous, heureusement — jugent que, ne gagnant pas
d'argent pendant les relâches, leurs comédiens n'en doivent
pas gagner non plus ; aussi ne se font-ils aucun scrupule de
faire travailler ces brebis bêlantes, tout le jour et des parties
de nuit, sans leur accorder aucune indemnité.
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS » 71
Si les malheureux, crevant la faim, osent en solliciter une,
le négrier les rudoie impitoyablement ; et quand arrive la fin
de leur engagement, ne le renouvelle pas.
— Va crever ailleurs, chien de comédien ! Ma bourse ou ta vie I
MM. Delomel et Gardeur étaient moins inhumains.
Ai^ril 1879. — La réouverture se fit seulement le 20 Avril.
Le théâtre était resté fermé vingt-deux jours. On y avait fait
d'importantes réparations. Le plafond de la scène et du cadre
avait dû être exhaussé ; puisque des hommes remplaçaient les
enfants.
Les pièces nouvelles n'étant pas suffisamment prêtes, mal-
gré ce laps de temps relativement long, on fut contraint de
rouvrir les portes par le Philosophe imaginaire, qui était
devenu un gros succès, et la Surprise réciproque.
Le 28 Avril, on parvint enfin à donner la première représen-
tation de : Le Mari-Fille, comédie en cinq actes, en vers,
par M. Gabiot.
Cette pièce obtint un très honorable succès, dû surtout
— disent les journaux du temps — au talent de Mademoiselle
Sara, qui jouait le rôle du Mari-fille.
Le critique du Journal des Petites Annonces s'exprime ainsi
sur cette jeune actrice, à propos de ce rôle :
« Elle a, en général, de l'aisance, des grâces et du maintien
sur la scène, comme partout ailleurs. Mais on lui reproche une
diction un peu monotone et un jeu qui n'est pas assez nuancé.
Sa modestie et sa douceur, qui la font chérir du public depuis
quatre ans, nous permettent cette réflexion. Elle a contribué
pour beaucoup au succès de l'œuvre nouvelle. »
Mademoiselle Sara était une des petites filles devenue
femme, conservée par MM. Delomel et Gardeur. Elle avait
seize ans, était douée d'un très gracieux physique et plusieurs
gentilshommes ne demandaient qu'à se « désaiguilletter »
pour elle.
Juin. — Le 5 Juin, « par ordre de l'autorité », l'affiche porta
Relâche.
Le Dauphin de France, Louis, Joseph, François, Xavier,
était mort à Meudon, dans la nuit du 3 au 4 juin.
72 THÉÂTRE DES 4 BEAUJOLAIS »
Il avait cinq ans.
Les onze théâtres de Paris firent Relâche.
Le cœur du pauvre enfant Royal fut porté au Val de Grâce,
dans la soirée du 12 juin ; et le lendemain, son corps déposé
dans les caveaux de Saint-Denis.
Pendant que durèrent toutes les cérémonies funéraires, les
théâtres demeurèrent clos. Gela avait donné le temps aux
acteurs de répéter les pièces nouvelles.
Les Beaujolais rouvrirent le 14 juin par la première repré-
sentation de : Les Deux Babillardes^ comédie en un acte, en
prose, par M. Gabiot.
C'était une très pâle imitation des Caquets.
Juillet. — Le 6 Juillet, première représentation de : Le
Bon époux., ou La Petite Ecole des Maris., comédie en trois
actes, en prose.
Ce même jour, parut le premier numéro du journal Le
Bulletin de V Assemblée nationale., rédigé par Maret, lequel,
par la suite, devint l'ami, et le confident de Napoléon, qui le
fit Ministre et Duc de Bassano.
Maret avait vingt-six ans ; il était ardent, fougueux, et
habitait plutôt Versailles que Paris. Mais il venait très sou-
vent en la grande ville, attiré par la compagnie de la demoiselle
Adélaïde Cousin^ gentille actrice des Beaujolais.
Adélaïde Cousin était de Dijon, ville dans laquelle Maret
était né et avait fait son droit. Venu à Paris, il avait été fort
étonné de retrouver Adélaïde, qu'il avait jadis connue dans
sa ville natale. Il s'éprit fortement de sa johe compatriote
devenue comédienne.
Il composa même une pièce, dans laquelle il écrivit le prin-
cipal rôle pour Mademoiselle Cousin.
Cette pièce, intitulée : Le Te Deum des Grâces, devait être
représentée le 13 Juillet. Les grands événements politiques ne
permirent pas qu'on la jouât.
Le 12 Juillet, le Ministre Necker avait été renvoyé ; les
autres Ministres s'étaient vus contraints de donner leur
démission. L'agitation dans Paris était immense.
Camille Desmoulins, dans le jardin du Palais-Royal, monté
THEATRE DES « BEAUJOLAIS » 73
sur une chaise, avait harangué la foule qui l'entourait. Il
avait dit : « C'est le tocsin d'une Saint-Barthélémy de patriotes
qui sonne. Les bataillons Suisses et Allemands vont sortir de
leurs camps pour nous égorger. Il ne nous reste qu'à courir
aux armes et à prendre une cocarde pour nous reconnaître.
Quelle couleur choisissons-nous ? Est-ce le bleu, couleur de
la Répubhque américaine ? ou le vert, couleur de l'espé-
rance ? »
— Le vert ! avait crié la foule, dont étaient Maret et Made
moiselle Adélaïde Cousin.
Camille Desmouhns avait continué : « Que tous les bons
citoyens m'imitent. »
Alors, il avait attaché à son chapeau un ruban vert qu'une
femme venait de lui remettre. Cette femme, qui était mar-
chande de rubans dans la galerie même, dite Galerie Beaujo-
lais, donna tous ses rubans verts. Quand il n'y en eut plus,
on dépouilla les arbres de leurs feuilles et chacun en arbora
une à son chapeau ou à son bonnet, se faisant ainsi une cocarde
verte naturelle.
Maret dit à son tour : « Que toutes réjouissances s'arrêtent
jusqu'à ce que le sol français soit purgé des soldats étrangers
qui nous menacent. Fermons les bals, fermons les spectacles,
fermons les théâtres. »
Et la foule s'était ruée sur tous les théâtres dont elle avait
arraché les affiches.
Maret et Adélaïde Cousin s'étaient chargés des Beaujolais
qui se trouvaient sous leurs mains.
ft M. Necker ayant — comme je l'ai écrit — reçu l'ordre de
s'éloigner de France, pendant la nuit précédente, ce départ
consterna tous les esprits. Le peuple, sur les quatre heures,
vint en foule à tous les spectacles, leur demander de fermer,
de la part de la Nation. »
« Sur les huit heures, on cria : Aux armes I... et jusqu'au
bas peuple, tout s'arma. »
(Extrait des Rapports sur VOpéra du S^ Louis, Joseph^
Francœur, secrétaire de ce théâtre.)
74 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS H
Les boutiques d'armuriers furent pillées ; le grand combat
de la masse contre la force se préparait.
Le lendemain 14 Juillet, la Bastille était prise par le peuple.
Le pauvre petit théâtre de M. Delomel n'avait pourtant
guère besoin de ces grands événements, pour péricliter de
plus en plus et de jour en jour.
Le public l'abandonnait complètement, les Beaujolais étant
devenus un théâtre « comme les autres », depuis que les petits
comédiens avaient été remplacés par des grands. Ce qui avait
amusé le pubhc de MM. Delomel et Gardeur, c'était de voir un
rôle de Père noble remph par un bambin de douze ans, et une
Mme Femelle jouée par une gamine de dix. Cette originahté
avait disparu, la foule s'était désintéressée et les événements
de la rue n'étaient pas faits pour la ramener.
M. Gardeur^ l'associé de M. Delomel, las d'apporter de l'ar-
gent, se retira. C'était le bailleur de fonds, donc l'homme le
plus important dans l'entreprise.
Ce ne fut pas pour ranimer le courage et amener la con-
fiance parmi les comédiens.
Dans le monde des théâtres on est bavard. Le tempérament
loquace des acteurs fait qu'ils sont enchns à reporter volon-
tiers au dehors, avec une exagération dont ils ne se rendent
pas compte, ce qui devrait demeurer au dedans.
M. Delomel^ resté seul à la tête de l'exploitation, avait
réuni ses pensionnaires dans le foyer de son théâtre et leur
avait dit : « Mes chers camarades, M. Gagneur, las de lutter
contre la malechance qui depuis quelque temps nous pour-
suit, se retire de l'association qui le liait à moi. Il en a le
droit, je ne lui en veux pas. Je vous dois un mois d'appointe-
ments ; je vous demande de vouloir bien m'en faire momen-
tanément l'abandon ; m'engageant à vous rembourser ma
dette, par quart, à partir du mois de Novembre prochain,
c'est-à-dire à l'époque où les recettes ont des chances de
devenir meilleures. »
Tous, avec l'enthousiasme des gens de théâtre, qui étaient
à cette époque ce qu'ils sont encore aujourd'hui, avaient
consenti, sachant que M. Delomel était un très honnête homme
THEATRE DES « BEAUJOLAIS )) 75
et un lutteur courageux. Il leur avait encore demandé de
vouloir bien garder le secret sur cet arriéré, dont il leur était
redevable, comptant trouver un nouveau bailleur de fonds,
qui lui permettrait de continuer honorablement l'exploitation
de son infortuné théâtre, trop discrédité déjà.
Demander à des comédiens de garder un secret, c'est de-
mander au Tonneau des Enfers de retenir l'eau du Tartare,
que les filles de Danaus tentent encore vainement de remplir.
Les comédiens bavardèrent; mais dans la très excellente et
très louable intention de prouver l'honnêteté de M. Delomel;
honnêteté qu'ils étaient heureux de proclamer à très haute,
très nette et très inteUigible voix.
La preuve en était « qu'eux, créanciers, — disaient-ils —
n'hésitaient pas à lui faire momentanément l'abandon de
leur créance, » tant ils avaient confiance en lui, comme
administrateur et comme directeur intègre.
Tout cela était dit et répété dans les estaminets de théâtre.
D'autres comédiens reportaient ces nouvelles au loin ; si bien
que dans tous les foyers il n'était plus question que de la
débâcle prochaine des Beaujolais.
Le pauvre Delomel voyait s'enfuir devant lui les gens aux-
quels il s'adressait pour leur emprunter de l'argent.
Cependant il finit par trouver. Le prestidigitateur mécani-
cien physicien, M. Bonthoux de Lorget^ qui, depuis plusieurs
années, louait le théâtre pendant la quinzaine de Pâques
pour y représenter ses tours de physique amusante, lui avança
quatre mille livres, remboursables à raison de soixante-quinze
livres par soirée, et cela pendant deux cents soirées consécutives.
L'intérêt de ces quatre mille livres était colossal ; mais
Delomel accepta quand même ; il fallait qu'à tout prix, il
réussisse. Et le Théâtre Beaujolais put rouvrir ses portes.
Août. — Le 3 Août, on parvint à donner la première repré-
sentation de : Le Parrain et la Marraine de Village, comédie
en un acte. Chute retentissante.
Le 8 Août, autre représentation de : Les Déguisements heu-
reux, opéra-bouffon en trois actes. Demi-succès.
Le 18 Août, première représentation de La Politique à la
76 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS ))
Halle^ opéra-comique en vaudevilles, en un acte, précédé d'un
Prologue.
A la représentation du 20 Août, les « Forts et Dames de la
Halle )) se rendirent en corps, au Théâtre des Beaujolais et pro-
testèrent bruyamment contre les critiques, bien douces cepen-
dant, qui amusaient beaucoup l'auditoire aux dépens de « ces
irascibles messieurs et de ces trop susceptibles dam.es. »
Tous et toutes ne cessèrent de crier : Cest pas çrai !...
Taisez-i^ous, gueulards !... Les gens de la Halle sont d'honnêtes
gens !... Tous bien éduqués !... A bas les acteurs !... Vwe le
Roi^ qui saura bien arrêter la pièce !... En cave le Directeur I...
La garde s'empara de l'un des forts, nommé Giraud^ « d'une
très puissante structure », lequel menaçait de tout casser dans
« la baraque. »
Ces renseignements nous sont fournis par le rapport de
police que fit le sieur Mathieu Vanglenne, commissaire du
quartier. {Archii^es Nationales).
Ses camarades voulurent s'opposer à l'arrestation. Il y
eut lutte !... le sang allait couler, quand les Dames de la
Halle se mirent à s'emparer des gardes, à les embrasser, à les
caresser ; et comme « certaines étaient jeunes et gentilles »,
Messieurs de la Garde se laissèrent attendrir. « Sur quoi le
sieur Mathieu Vanglenne, commissaire, ayant été requis par
le sieur Delomel, Directeur des Beaujolais^ s'amena au théâtre
et prétendit maintenir l'arrestation de l'inculpé Giraud. »
Alors, les acteurs et actrices du Théâtre ayant sauté en bas
de la scène et enjambé l'orchestre, pour arriver dans le par-
terre où la scène se passait, entourèrent à leur tour M. le
Commissaire, et levant les bras en l'air, se mirent à genoux
et lui chantèrent en chœur un ensemble de la pièce que l'on
jouait : Le Parrain et la Marraine de Village^ dont les paroles
étaient :
Grâce !...
Faites-lui grâce 1...
Le village assemblé vous le demande en masse.
Tout le monde sera content
Si vous vous montrez indulgent I
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS » 77
Elargissez pour lui les mailles de la nasse,
Faites-lui grâce !
Grâce !...
Bref, M. le commissaire finit par rire, consentit à ce qu'on
relâchât le fort Giraud et la représentation s'acheva sans
encombre.
Mais, le surlendemain, la pièce de : La Politique à la Halle
ne fut pas jouée, « par ordre de l'autorité supérieure. »
Quelques coupures ayant été opérées, quelques mots re-
tranchés, quelques scènes remaniées, le sieur Delomel obtint
cependant qu'elle pût reparaître sur l'affiche ; ce qui, pendant
quelques jours, attira encore la masse au pauvre petit théâ-
tre bien atteint dans sa vitalité artistique.
Hélas 1 Cent fois hélas 1... Ce ne fut que l'espace d'un éclair.
Le coup de tonnerre, comme tout honnête coup de ton-
nerre, alla s'amoindrissant, pour s'éteindre tout à coup ;
faisant plus grand encore le silence de mort, dont s'envelop-
paient peu à peu les pauvres Beaujolais.
Les comédiens ne possédaient plus l'ardeur des combat-
tants ardents à la lutte, et se laissaient gagner par le décou-
ragement et la torpeur, qui, nécessairement, l'accompagnent.
Bientôt on ne répéta plus et l'on ne donna plus de nouveau-
tés que de loin en très loin.
Septembre. — Le mercredi 23 Septembre, il se passa un petit
drame intime au Théâtre des Beaujolais.
Un chanteur, nommé Blain^ille^ avait sa fille parmi les
petites danseuses du théâtre. Or, ce jour-là, la jeune Blain-
viïle se prit de bec avec la petite Laurence Dottel^ âgée de qua-
torze ans, également danseuse aux mêmes Beaujolais.
Blainuille prit naturellement parti pour sa fille, et donna
plusieurs soufflets à la petite Dottel ; puis, lui administra
quelques tapes sur le derrière, « par dessus son caleçon. »
L'enfant, exaspérée, se mit à pousser des cris terribles. Ce
qui fit accourir sa mère qui, dès le lendemain, porta plainte
par devant le commissaire du quartier, ce qui est certifié par
le présent procès-verbal, inscrit sous le numéro 567, aux
« Archives des Communes. »
78 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
« L'an 1789, le jeudi, 24 Septembre, au matin, en l'hôtel
et par devant nous Adrien^ Louis, Carré, etc., est comparue
Marie, Jeanne Lamayrie, veuve de Thomas, Ignace Dottel,
maître cordonnier à Paris, y demeurante, rue Saint-Honoré,
maison du S^ Parisot, perruquier, paroisse Saint- Roch :
laquelle nous a rendu plainte contre un particulier, connu au
Théâtre des Beaujolais sous le nom de Blainville, chanteur
dans les couhsses, de ce qu'hier matin, vers midi, tandis qu'on
faisait répétition, le dit Blainville, de propos déhbéré et en
fureur, vint trouver la fille de la comparante, nommée Lau-
rence Dottel, âgée de quatorze ans, pour la maltraiter ; qu'il
l'a suivie jusque dans une loge, où il l'a renversée, la tenant
les pieds en l'air en la frappant sur le corps et le derrière, avec
brutahté, et lui cognant la tête, au point qu'elle n'a pu rester
et qu'elle a été obligée de se retirer et se coucher ; qu'en ce
moment elle est dans son lit, souffrante de tout le corps et de
la tête, des coups qu'elle a reçus ; qu'elle a eu deux boucles
d'oreilles d'or brisées, des traitements du dit Blaim^ille ; que
cette conduite du dit Blainville à son égard, qu'elle ne sait à
quoi attribuer, l'empêche de pouvoir rempHr ses devoirs de
danseuse au spectacle des dits Beaujolais et comme elle a
intérêt d'avoir raison de l'injure et des mauvais traitements
du dit Blainçille, la comparante s'est déterminée à se retirer
par devers nous, pour nous rendre plainte. »
(Déposition signée : LAMAYRIE).
Les témoins de cette scène, qui furent appelés à en déposer,
se nommaient :
1^ Louise Richer, âgée de quatorze ans et demi, attachée au
Théâtre des Variétés, comme danseuse, demeurant rue Traver-
sière-Saint-Honoré, au petit hôtel de la Barre ;
2° Jean, Baptiste, Garrochot, âgé de treize ans et demi,
danseur au Spectacle des Beaujolais, demeurant rue des
Prouvaires ;
3° Louis, François, Boisgirard, âgé de seize ans et demi, atta-
ché au Spectacle des Beaujolais, demeurant rue de Provence ;
40 Marie, Elisabeth, Guillain, âgée de treize ans, danseuse
THEATRE DES a BEAUJOLAIS » 79
au Théâtre des Beaujolais^ demeurant enclos du Temple, chez
son père, bijoutier ;
5° Jacques Tabraize, âgé de dix-sept ans, danseur au Spec-
tacle des Beaujolais, demeurant chez sa mère, rue du Bouloi ;
6° Sophie Tabraize, âgée de douze ans, danseuse au Théâtre
des Beaujolais.
Tous affirmèrent avoir vu le dit Blainville retrousser les
jupes de Laurence Dottel et l'avoir fessée à plusieurs reprises ;
mais « sans avoir retiré son caleçon de danse. »
La fille Blainviïle, interrogée, répondit que Laurence Dottel
l'avait traitée de « putassière » et « traînée de boulevard » ;
que là-dessus elle l'avait appelée « fille de putain » et qu'aussi-
tôt la dite Laurence Dottel l'avait prise aux cheveux et lui
avait égratigné la figure ; qu'à ses cris, son père, le S^ Blainville
était accouru et que c'était pour faire lâcher prise à Laurence
Dottel qu'il l'avait fouettée devant tout le monde, et non pas
dans une loge, comme l'affirme mensongèrement la femme
Jeanne Lamayrie.
Sur quoi le sieur Blainville, « maître de musique et chanteur
au Théâtre des Beaujolais, » a été condamné à payer à la dite
Laurence Dottel, « 18 livres d'indemnité, étant donnée l'exagé-
ration de la plainte portée par la mère. »
Le langage de ces petites filles était, — on le voit par ces
faits — des plus vulgaires et des plus fibres.
Pouvait-il en être autrement dans le milieu où elles vivaient,
milieu corrompu et abject, qui avait motivé plusieurs fois les
menaces d'une autorité, pas assez vigilante et trop portée à la
miséricorde.
Octobre. — Le 3 Octobre, on parvint à donner une première
représentation de : La Soubrette rusée, comédie en un acte,
mêlée d'ariettes.
Cette pièce attira un peu de monde.
Le 30 Octobre, première représentation de : La mère rivale
de sa fille, comédie en trois actes.
On ne vint pas voir la Fille plus que la Mère.
Novembre. — Le 5 Novembre, première représentation de :
Grégoire et ses filles, opéra-bouffon en trois actes.
80 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
Cette pièce fit quelque argent, et le sieur Delomel prouva
alors à ses comédiens que la confiance dont ils l'avaient honoré
était bien fondée ; car, malgré les désastreuses recettes dont,
pendant trois mois, il venait d'être la victime, il remboursa,
suivant promesse faite, tout son personnel, du premier quart
de la dette qu'il avait contractée envers lui.
Cette « noble conduite » fit grand bruit dans les milieux
théâtraux et l'on n'appela plus M. Delomel que « l'honnête
Delomel ».
Décembre. — Le 12 Décembre^ première représentation de :
La Veuve espagnole., comédie en un acte, en vers, par M. Guille-
main, très bonne pièce, fort bien jouée par M. Talon jeune et
Mademoiselle Cousin.
Le 22 Décembre, première représentation de : Le Menuisier
de Bagdad^ comédie en un acte, mêlée de vaudeville, par M.
C. J. Guillemain.
Le lendemain, 23 Décembre, première représentation de :
Le Directeur dans rembarras, opéra-bouffon en deux actes,
musique del signor Cimarosa.
Ce titre de Directeur dans l'embarras sur l'affiche des Beau-
jolais, fit beaucoup rire le tout-théâtre d'alors.
On se demandait pourquoi le S^ Delomel n'en avait pas de-
mandé le changement à son auteur.
On ignorait que, tout au contraire, c'était lui-même, Delo-
mel, qui avait choisi la pièce à cause de son titre, si bien
approprié à son cas.
Et, en effet, l'on vint la voir par curiosité.
La chance semblait vouloir revenir au petit théâtre. Aussi
les acteurs de M. Delomel commencèrent-ils à redoubler leurs
efforts pour arriver à tirer d'embarras « l'honnête Delo-
mel. » Malheureusement, de nouveaux événements survinrent,
qui précipitèrent la chute de cette vaillante petite troupe,
si pleine de courage, de talent et de bonne volonté.
La Demoiselle Montansier, directrice du Théâtre de Ver-
sailles, était rentrée à Paris, à la suite de la Reine, revenue
aux Tuileries le 6 Octobre, en même temps que le Roi et toute
la Cour.
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS » 81
La Demoiselle Montansier n'avait plus de raisons pour tenir
ouvert son théâtre de Versailles, la Cour n'étant plus en cette
ville, et son théâtre se trouvant, de ce fait, en partie déserté.
Aussi cherchait-elle activement à Paris une salle où elle pût
faire débuter sa troupe de très heureuse et très belle compo-
sition.
Il ne lui fut pas difficile de connaître la situation désespérée
dans laquelle se trouvait « l'honnête Delomel ! » Qui ne la
connaissait, d'ailleurs ?... Depuis quelque temps, déjà, on se
demandait comment il se pouvait faire que les pauvres Beau-
jolais fussent encore ouverts.
La Demoiselle Montansier fit agir la Reine auprès de l'Inten-
dant de Son Altesse Monseigneur le Comte de Beaujolais,
auquel elle donna un très important pot-de-vin, remboursa
les loyers non payés par l'infortuné Directeur, et obtint le
renouvellement du bail à son profit, pour les premiers jours de
l'année 1790.
C'est ainsi que se termina pour la pauvre troupe de comé-
diens de « l'honnête Delomel », la fatale, mais si grande année
1789.
82 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS ))
CHAPITRE VI
1790
A LA RECHERCHE d'UNE NOUVELLE SALLE. — PERSÉCUTIONS
DE LA MONTANSIER. — LE THEATRE MAREUX. — LE THEA-
TRE DES ÉLÈVES DE l'oPÉRA ET DES FEUX PHYSIQUES. —
DÉGRINGOLADE.
Le brave Delomel, que rien n'abattait, se mit en quête de
trouver une autre salle de spectacle. Ses comédiens lui res-
taient dévoués. Ses créanciers, indignés du procédé dont avait
usé la Demoiselle Montansier, qui n'avait reculé devant aucun
méchant moyen pour expulser et déposséder Delomel et ses
acteurs, s'étaient groupés pour le soutenir ; il continua donc
de jouer en son Théâtre du Palais-Royal jusqu'à ce que
congé lui fût duement signifié au nom et de par la loi ; cepen-
dant, le 1^' janvier 1790, il put donner encore la première
représentation de : Les Etrennes du Moment^ intermède en un
acte, mêlé de vaudevilles.
Ces Etrennes du Moment étaient loin d'être gaies.
On y chantait entre autres couplets :
Souvenirs des temps passés
Qui donnèrent la victoire
Vous êtes finis. Fuyez
Dans l'intérêt de l'Histoire.
Rien ne laisse ici-bas de trace,
Les contents font les mécontents,
Du grand, du bon, on se lasse.
Tout ça passe {ter) en même temps.
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS » 83
On vint voir cette revue-intermède. On y pleura presque au
lieu d'y rire. Les acteurs des Beaujolais la jouaient avec
la conviction du désespoir. Gela redonna quelques forces à la
vaillante petite phalange; et avant d'abandonner complète-
ment sa salle du Palais-Royal, M. Delomel tint à prouver au
public que la troupe des Beaujolais était loin de vouloir rendre
en ce bas monde, âme et vie.
Il fit composer de grandes affiches que ses comédiens allè-
rent eux-mêmes coller dans les principaux carrefours de Paris.
Ces affiches comportaient le tableau de troupe pour l'année
nouvelle.
Au bas du tableau de troupe, il y avait cette note :
« Devant les persécutions injustifiables dont est victime
l'entrepreneur du Théâtre des Beaujolais^ celui-ci prévient le
pubhc que rien n'abattra son courage, pas plus que celui de
ses acteurs. Au contraire, ils redoubleront d'activité et de
talent pour mériter encore les faveurs dont les Parisiens les
ont toujours comblés et dont ils espèrent être honorés encore. »
« Les spectacles des Beaujolais continueront donc à être
joués sur la scène qu'ils occupent à l'angle septentrional de la
galerie Beaujolais, au Palais- Royal. »
Cette annonce, signée : De Lomel^ en deux mots, était pré-
cédée du Tableau de troupe suivant :
TABLEAU DE TROUPE DES « BEAUJOLAIS » POUR 1790
Directeur
M.
DE LOMEL.
Régisseur
M
. DELBOY.
ACTEURS
ACTRICES
MM.
Vénier,
Mmes Sara.
Dumily.
Latour.
Lahitt.
Fournier,
Dubois.
Bonardot.
Monrose,
Fusil.
Latour.
Adélaïde Cousin.
Berville,
Richard.
Boitte
Alphonsine.
84 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
MM. Mériel.
M mes Bayer.
Dufossé.
Guillain.
Loriant.
Cornu.
Henry.
Bellet.
Talon cadet.
Simonet.
Hugot,
Monrose.
Maurel.
Joinville cadette.
Durancy,
Honorine.
Gobelot.
Hélène.
Dumoulin.
Victoire.
Masclet, copiste de musique.
Mulot.
Cliksus.
Racine,
Beau jeu.
MAITRE DE MUSIQUE
M. LE ROI, sujet précieux.
DIRECTEUR DE L'ORCHESTRE
Il signor CAMBINI.
SOUFFLEUR
M. Richard.
On le voit, M. De Lomel, bravant les haines qui commen-
çaient à s'accumuler contre tout ce qui était de la Cour,
s'était très vaillamment annobli. Il signait désormais de
Lomel.
Janvier 1790. — Le 6 Janvier., M. « de Lomel », à court de
pièces nouvelles, fit une reprise ; il donna La Fête de V Arque-
buse., comédie en deux actes, mêlée de chant et de danses.
Enfin, le 18 Janvier., le Théâtre des Petits Comédiens de
S. A. S. Monseigneur le comte de Beaujolais afficha : Relâche,
et fit suivre le mot sinistre de cette note :
AU PUBLIC
« Les entrepreneurs de ce spectacle, forcés de l'interrompre
par des circonstances particulières, auront l'honneur de pré-
venir le public du jour où leur théâtre sera rouvert dans un
autre lieu. »
M. de Lomel, expulsé régulièrement de par la Loi, et au nom
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS T> 85
de la demoiselle Montansier, devenue possesseur du bail et
directrice de la salle, qui devait bientôt orgueilleusement rou-
vrir ses portes, sous le titre fort prétentieux de Théâtre Mon-
tansier^ cherchait partout une salle où porter ses décors, ses
comédiens et ses pièces.
De même qu'Enée, après la prise de Troie, s'enfuyait empor-
tant son père Anchise pour le mettre à l'abri du désastre, sur
un des vaisseaux de sa flotte, de même de Lomel portait sur
son dos courbé, le poids de tout son personnel, et cherchait vai-
nement un vaisseau terrien pour y déposer ce personnel de
soixante-dix engagés, tant acteurs que musiciens, machinistes,
etc., etc.
Poussant l'imitation du prince Troy en jusqu'à l'exagération,
M. de Lomel, dans la débâcle, égara sa femme ; de même
qu'Enée, dans sa fuite, avait perdu son épouse Creuse.
Seulement, Enée ne retrouva jamais sa compagne chérie,
tandis que M. de Lomel retrouva la sienne, six mois après,
dans les bras d'un certain Arnould-Mussot, acteur forain,
auteur dramatique et directeur associé d'Audinot, au Théâtre
de V Ambigu-Comique. Il ne la réclama pas.
De Lomel s'en fut trouver le sieur Mareux, propriétaire d'un
théâtre d'amateurs situé rue Saint- Antoine, n^ 46, et lui pro-
posa de louer sa salle pour y transporter sa troupe de comé-
diens.
Les offres de M. de Lomel étaient si alléchantes, tant était
grand le désir et le besoin du pauvre honnête homme de rou-
vrir ses fameux Beaujolais^ sa création, son orgueil, que le
sieur Mareux accepta tout d'abord.
Une première somme de cinq mille livres devait être versée
le 4 février, par de Lomel, entre les mains du dit Mareux. De
Lomel était parvenu à trouver un nouveau bailleur de fonds,
un certain Ghapotel, maître tailleur, étabh rue Saint-Honoré,
grand amateur de théâtre, fréquentant tous les soirs les Beau-
jolais, habillant ses acteurs qui l'avaient toujours payé, et ai-
mant fort « l'honnête de Lomel ». Ce Ghapotel devait lui four-
nir 15.000 livres en l'espace de deux mois ; aussi, l'heureux
de Lomel fit-il paraître dans les journaux du 3 février la note
86 THEATRE DES « BEAUJOLAIS 0
que voici : « Uouverture du Théâtre de S. A. S. Monseigneur
LE Comte de Beaujolais, se fera incessamment rue Saint-
Antoine^ n^ 46. »
Mais M. Ghapotel, circonvenu par sa femme — prétendit-on —
se déroba au dernier moment, si bien que le 4 février, la somme
de 5.000 livres ne put être versée entre les mains du proprié-
taire Mareux; lequel, dans la crainte que sa salle de spectacle
demeurât inoccupée, s'empressa de faire paraître à son tour
dans les mêmes feuilles, qui avaient inséré l'annonce anticipée
de l'ouverture des Beaujolais :
« Je, soussigné, principal locataire de la salle de spectacle,
n^ 46, rue Saint- Antoine, déclare n'avoir fait aucun traité pour
la location de cette salle, avec les intéressés, ou directeurs du
spectacle des Beaujolais. »
« A Paris, le 5 février 1790. »
Signé : MAREUX l'aîné. »
Voilà donc la pauvre troupe plus que jamais sur le pavé ;
mais plus que jamais confiante, également, en l'habileté re-
connue de son infortuné directeur, et se gardant bien de se
désagréger.
De temps en temps, pour ne pas complètement mourir de
faim, les pauvres acteurs allaient jouer en banlieue, à Nan-
terre, à Saint-Denis, à Gorbeil, à Palaiseau. Un jour qu'ils
étaient allés jusqu'à Pontoise, ils ne firent pas leurs frais. Leurs
malles furent retenues comme garantie de la location par le
propriétaire de la salle de danse dans laquelle ils avaient ins-
tallé leurs tréteaux, et les pauvres diables, enfants comme
grandes personnes, se virent contraints de revenir à pied, sans
manger m boire, jusqu'à leurs domiciles parisiens.
L'odyssée en a été contée plus tard, même écrite par l'acteur
Vénier, qui avait conçu l'idée fâcheuse de cette déplorable
excursion.
Enfin, à force de pérégrinations, et par la raison que tout
arrive, même ce qu'on désire, « l'honnête de Lomel » finit
par se rendre acquéreur d'un théâtre sur le boulevard Ménil-
montant, juste en face la rue Chariot. Par la suite, le boule-
THEATRE DES ft BEAUJOLAIS » 87
vard Ménil-Montant devint le commencement de notre boule-
vard du Temple actuel.
Ce nouveau théâtre de M. de Lomel dont la salle était fort
jolie et la scène assez vaste, avait été bâti pour Les Elèi^es de
la Danse de l'Opéra,
Son éloignement, relatif, des autres salles du boulevard du
Temple, faisait qu'il n'avait jamais beaucoup réussi. Rouvert
sous le titre des Feux Physiques^ il s'était bientôt vu dans
la nécessité de fermer ses portes.
Ce théâtre des Elèves de la Danse de l'Opéra avait cependant
très brillamment débuté. Ses deux administrateurs les Sieurs
Parisot et Texier avaient inauguré leur ouverture par un coup
de maître, en « opérant des merveilles, au moyen de la fameuse
baguette d'Armide », tenue par la célèbre danseuse Mlle Dau-
thier, du Théâtre-Français^ devenue la maîtresse du grand
maître de ballet Deshais.
Armide avait été un grand succès. Tellement grand, qu'il
avait écrasé les putres spectacles arrivant à sa suite.
Contrainte de se retirer par manquement de recettes, la
Troupe des Elèves de la Danse de V Opéra ferma ses portes au
bout de quelque temps ; ses administrateurs y avaient pour-
tant monté des spectacles de toute beauté, qui n'étaient pas
parvenus à attirer le public routinier, dont les habitudes
prises ne pouvaient lui faire franchir trois cents pas de plus,
qui le séparaient de son unique objectif, le boulevard du
Temple, proprement dit.
Les portes s'étaient encore rouvertes un instant, avec un
théâtre d'optique et d'ombres chinoises tenu par les sieurs
Provost et Bertaud, offrant d'ordinaire leur spectacle aux
foires Saint-Laurent, Saint-Germain, Saint-Ovide, et même à
celle des Loges.
— Mais, écrit un journaHste de l'époque, « je passe sur cet
optique, parce que j'en ai vu de semblables au Pont-Neuf ;
et sur les ombres chinoises de Bertaux, parce que j'ai vu celles
du Mirmidon Moreau et de l'Esope Séraphin au Palais-
Royal. »
Ces portes entrebâillées s'étaient donc bien vite refermées
88 THEATRE DES « BEAUJOLAIS »
sur les imprudents exploiteurs, dont l'audace avait infructueu-
sement tenté leur ouverture.
Février. — Ce fut, cependant, cette mauvaise salle de spec-
tacle qu'entreprit de désenguignoner le pauvre de Lomel, trop
confiant dans la haute réputation de son enseigne qu'il croyait
prestigieuse : Théâtre des Beaujolais ! et sur le mérite qu'il
exagérait de ses acteurs.
Le 22 Février eut lieu l'ouverture solennelle, par Une Ruse
(Vamour^ comédie en un acte, en prose, mêlée d'ariettes ;
Le Menuisier de Bagdad^ comédie en un acte et vaude-
villes, de M. Guillemin, très agréable pièce, dans laquelle « la
gaité, le naturel et l'esprit se disputaient le pas » ; et
3° Les Déguisements^ opéra-boufîon en trois actes.
Avant le lever du rideau, M. Vénier, le principal acteur de
la troupe, était venu débiter au public le compliment suivant :
Au public de Paris, en masse,
Le spectacle des Beaujolais,
Dont nul théâtre ne surpasse
Les grands et glorieux succès,
Vient offrir sa modeste troupe
Et ses pièces, dont Apollon,
Joint à ses neuf Muses en groupe.
Ont tracé le brillant sillon.
Au travers du temple de Gloire,
Où croissent dans l'air théâtral
Les lauriers qui de la victoire.
Sont le diadème idéal.
Le Directeur, qu'on dit « l'honnête »,
Qui de ce titre se sent fort,
Offre à vos yeux fête sur fête.
Pour mieux vous éblouir encor.
Il sait le goût et la finesse
Des spectateurs du boulevard
Et leur présente, plein d'ivresse.
Ses représentants d'un grand art.
Donc, Parisiens et Parisiennes,
Pour venir à lui, tous debout!...
Chez nous, point d'intrigues obscènes.
Point de pièces de mauvais goût.
Des scènes pleines de comiques,
THEATRE DES « BEAUJOLAIS » 89
Avec de joyeux calembourgs ;
Des idylles, des bucoliques,
Avec des jeux et ris d'amours !
Car les oreilles les plus chastes
Et les yeux les plus innocents
Peuvent assister à nos fastes
Et nos travaux réconfortants.
Cet avant-propos disposa assez bien le public. On applaudit.
M. Vénier revint en scène, salua, et comme il eût fait pour une
pièce d'importance, il dit :
— L'auteur de cette pièce de vers est Mme Vénier, ma
femme.
Les frères de Mme Vénier, qui étaient au parterre, crièrent
tant et tant : Bravo !... Bravissimo I... que Mme Vénier, qui,
« par hasard^ » se trouvait dans la coulisse, fut contrainte de
venir saluer le public, lequel n'était nullement en délire, sauf
les deux frères de Mme Vénier, que l'on menaça d'expulser, s'ils
ne cessaient de crier his^ avec tant de puissance et d'exhubé-
rance.
Il s'agissait, pour M. de Lomel, de parvenir à attirer à son
spectacle un public trop habitué aux mélodrames à noires
actions, aux vaudevilles dont la grivoiserie confinait à la gros-
sièreté, et aux pantomimes à grand spectacle, qui se jouaient
journellement sur les autres théâtres du boulevard.
Les Beaujolais^ avec leurs petites pièces en un ou deux
actes, plus rarement en trois, réussiraient-ils à capter l'atten-
tion de la foule indifférente ?
Les épices légères, dont les pièces du répertoire de M. de
Lomel étaient assaisonnées, seraient-elles du goût d'un public
au palais blasé par les sauces grossières, si fortement pimen-
tées, salées et moutardées, des pièces représentées chez Audi-
not, Nicolet et les Associés ?
Faudrait-il que ces comédiens légers, d'un genre plaisant,
presque délicat, à côté des insalubrités ordurières qui se débi-
taient chaque jour sur les scènes voisines, changeassent leurs
façons de dire et de jouer ?
That is the question I eût dit M. de Lomel, s'il eût jamais
90 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS ))
entendu parler de Shakespeare ; mais Timmortel et génial
poète anglais n'était alors connu qu'à travers les lueurs cré-
pusculaires de quelques informes traductions ; et M. de Lomel
ignorait absolument qu'il eût existé de l'autre côté du détroit
un comédien audacieux, auteur de génie, qui triomphait sous
le nom du grand Will.
Le travail fut repris cependant plus désespérément que
jamais, par les petits et grands comédiens de S. A. S. Monsei-
gneur le comte de Beaujolais, et les nouveautés s'entassèrent
encore sur les nouveautés.
Mars 1790. — Le l^^ Mars, les Beaujolais donnèrent la pre-
mière représentation de Griffonnet, comédie en prose et en
deux actes, mêlée de vaudevilles, par M. Imhert.
Dans cette pièce, l'auteur critiquait très finement et de
plume fort alerte, la nuée d'écrivains et de folliculaires, éclose
depuis la Révolution. La Presse d'alors, pour ce fait, fit un fort
mauvais accueil à cette œuvre ; mais, nous qui l'avons entre les
mains, nous pouvons affirmer qu'elle n'était dépourvue ni de
bon sens, ni d'une certaine littérature.
On y chantait ce couplet sur l'air : Nous nous marierons di-
manche :
Gomment d'un grand sot
Faire un Diderot,
C'est une chose facile :
A l'oie vous prenez
Une plume assez
Taillée pour être imbécile.
Vous trempez la plume dans la
Sottise,
Vous écrivez sous la loi d' la
Bêtise.
Alors on se dit
Qu'il a donc d'esprit
Malgré sa gross' balourdise !
Ce couplet n'est pas un des meilleurs de la pièce, mais je le
donne comme note du genre d'esprit qui l'avait inspiré à son
auteur.
Le même jour, on donna encore La Solitude, comédie sen-
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS » 91
timentale en un acte, et Le Philosophe imaginaire^ opéra-bouf-
fon en trois actes.
Le public ne vint pas beaucoup à cette représentation ; pas
plus qu'aux suivantes.
Le 6 Mars^ ce fut le tour des Deux Jumelles^ de voir pour la
première fois le jour douteux des quinquets fumeux de la
rampe.
Ces Deux Jumelles étaient un ballet-pantomime en trois actes,
composé sur le Due Gemelle^ opéra italien del signor Guglielmi.
Le 14 Mars, première représentation de la reprise de La
Politique à la Halle, de M. Guillemain.
La pièce expurgée, châtrée de quelques situations mal
accueillies au Palais- Royal, lors de sa première apparition, par
un public qui se voyait plaisanter dans ses coutumes, dans son
langage, dans ses mœurs particulières, passa cette fois sans
encombre ; mais n'attira plus les spectateurs, toujours avides
de scandale, et plus friands du spectacle qui se passe dans la
salle, que de celui qui se passe sur la scène.
Le 22 Mars, M. de Lomel fit jouer la première représentation
de la reprise de U Apparence trompeuse, comédie en un acte,
mêlée de vaudevilles, par M. Maillot.
Cette pièce obtint du succès.
L'auteur qui signait Maillot, au Théâtre des Beaujolais,
n'était autre que M. Maillé de la Maille, défini « l'ange conser-
vateur de la tragi-comédie », par le Petit Almanach des grands
hommes de l'année 1788.
Par les applaudissements qu'obtint cette comédie, on eût
pu croire à la rénovation complète du petit théâtre et au triom-
phe final du pauvre M. de Lomel ; il n'en fut cependant
rien.
Mlle Montansier, pour arriver à l'expulsion de M. de Lomel,
avait employé les pires moyens. Elle avait racheté à vil prix
et en sous-main, les créances du pauvre Directeur, avait obtenu
un jugement contre lui et s'était mise à le poursuivre impi-
toyablement, pour se rembourser des dites créances.
Aussi, le 25 Mars au soir, le commissaire Delaporte,\es sieurs
Tulot, exempt de police, et Poussardin, second sergent de la
92 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
Garde Nationale Parisienne, du district des Pères de Nazareth,
accompagnant le sieur Ourdin^ huissier, se présentèrent-ils
au contrôle des Beaujolais et saisirent-ils, au nom de la dite
demoiselle Montansier^ la recette qui s'élevait à 221 livres.
L'indignation contre la méchante femme fut générale.
Les acteurs réunis du Boulevard lui adressèrent une lettre
collective dans laquelle ils lui reprochaient vertement 3a con-
duite. Elle se garda bien d'y répondre.
Dans cette lettre, écrit Mayeur de Saint-Paul, il y avait ce
passage :
« Si votre « maquereau » veut se trouver en face le café de
Roy, entre quatre heures et cinq heures, ce soir, nous lui
exprimerons dans le derrière les coups de bottes que nous ne
pouvons vous administrer, parce que vous passez pour être
une femme. »
Le « maquereau » qu'ils désignaient était l'acteur Neuville.
Le Samedi 27 Mars^lQ Théâtre des Beaujolais affichait Clô-
ture annuelle pour cause de Semaine Sainte. »
Cependant la veille, le 26 Mars., on avait encore pu donner
la première représentation de Compliment de clôture pour Pâ-
ques 1790.
C'était un à-propos vaudeville en un acte de M. Imbert.
Cet à-propos avait obtenu beaucoup de succès. Un feuille-
toniste écrivit : « Des couplets, plus heureux par les allusions à
la circonstance que par leur tournure, ont plu au public, d'ail-
leurs toujours porté à l'indulgence quand on lui rend hommage.
Mais l'auteur a su, avec beaucoup d'adresse, placer chaque
sujet d'une manière avantageuse. »
« La première scène languit ; mais peu à peu l'intérêt se
ranime et les spectateurs s'échauffent avec les acteurs. »
M. Imbert, en auteur ingénieux, s'était arrangé de façon à
ce que chaque acteur parût dans le rôle, qui dans le courant
de l'année lui avait été le plus favorable.
Dans un couplet de circonstance, Mlle 5riZ/on, laquelle devait
passer des Beaujolais au Théâtre des Variétés, exprimait au
pubhc tout le regret qu'elle éprouvait d'abandonner son cher
théâtre, qui « avait été le berceau de son talent. »
THEATRE DES (( BEAUJOLAIS "6 93
Très émue par les applaudissements que lui prodiguait le
public, elle fondit en larmes et ne put achever.
Les applaudissements redoublèrent et la jeune Brillon
recommença ; mais peine vaine, elle s'arrêta au même vers
et les sanglots reprenant de plus belle, s'interrompit comme
elle avait fait la première fois.
Alors, ce fut du délire de la part du public, et Mlle Brillon
sortit de scène, entraînée par ses camarades, aussi émotionnés
qu'elle.
Mlle Sara, ingrate envers M. de Lomel, qui l'avait formée
en l'art de la scène, et l'avait fortement mise en avant, aban-
donnait également les Beaujolais^ pour entrer au théâtre de la
Montansier, la persécutrice de son bienfaiteur.
Le public savait tout cela, aussi l'accueil qu'il fit à Mlle Sara
fut-il des plus « glacials. »
Gomme on lui disait, quand elle sortit de scène : Ils ont été
plutôt froids, elle répondit : « Bah I chez la Montansier, je les
réchaufferai. »
Le perruquier des Beaujolais était un nommé Duhreuil
cadet, frère de Dubreuil l'aîné, « coëfurier » de l'Opéra ; car à
l'Opéra, il y avait un « perruquier », M. Bruno, un « coëfeur »,
M. Desnoyers, et un « coëfurier », M. Dubreuil l'aîné.
Or, il arriva que le lendemain même de la clôture des Beau-
jolais, des voleurs pénétrèrent de nuit chez Dubreuil cadet,
perruquier du Petit Théâtre, et le dévaUsèrent complètement,
ce qui plongea le pauvre hère dans la dernière des détresses.
Les comédiens n'aiment pas voir pleurer. Qu'on leur
donne tous les défauts, même ceux qu'ils n'ont pas, qu'on les
accuse de vanité, de légèreté, d'imprévoyance ; d'être débau-
chés, volages, jaloux entre eux, orgueilleux, susceptibles, hâ-
bleurs, etc., etc., mais qu'on ne leur nie pas d'être gens de
cœur.
Ils virent pleurer le pauvre Dubreuil cadet, et sans lui en
soufïler mot, organisèrent une représentation à son bénéfice ,
qui eut lieu le lundi 5 Açril.
Ils étaient allés solHciter leurs grands confrères du Théâtre
du Palais- Roy d1 (Théâtre-Français), et avaient obtenu d'eux
94 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS ))
un spectacle entier, en faveur de l'infortuné Duhreuil cadet.
L'affiche portait : « Spectacle exceptionnel donné par les
acteurs du Théâtre du Palais- Royal, au profit du perruquier
du Théâtre des Beaujolais, à qui des voleurs, qui se sont intro-
duits chez lui en son absence, ont enlevé tous les effets. »
On donna VOrpheline, comédie en trois actes, et Ricco, co-
médie en deux actes.
La pièce était jouée par les citoyens : Monvel, Saint-Clair,
Michot, Fusil, Beaulieu, etc., et les citoyennes Gandeille, Saint-
Clair, Monvel, Roubeau, etc., c'est-à-dire les acteurs et actrices
principaux, qui devaient former quelques mois plus tard la
base de ce Théâtre-Français, auxquels devaient venir s'ad-
joindre Talma, Grandmesnil, Dugazon, Folly et Mmes Vestris,
Desgarcins, Lange, Simon et Dubois.
Le « coëffeur )) du Palais-Royal (ex-théâtre des Variétés) se
nommait Dupont. C'est à lui que, tout d'abord, s'étaient
adressés les acteurs de Beaujolais, lui demandant de s'inté-
resser à l'infortune de son pauvre collègue dévahsé.
Ils savaient Dubreuil cadet brouillé avec Dubreuil aine.
Dupont, heureux de contrarier son puissant collègue de l'O-
péra, et de démontrer ouvertement le peu d'affection de ce
frère aîné pour son cadet, s'était adonné de toutes ses forces
à la tâche que lui avaient confiée les acteurs de Beaujolais. Il
avait obtenu le concours gratuit des premiers acteurs de son
théâtre, et l'illustre Monvel, le père de Mlle Mars, remplissait
dans cette représentation le principal rôle de VOrpheline,
comme il le remphssait sur son théâtre du Palais-Royal. C'était
un gage certain de réussite, le nom de Monvel étant dans la
très grande faveur du public.
Avril 1790. — La représentation eut lieu, comme je l'ai dit,
le 5 Avril, sur le Théâtre des Beaujolais, et produisit 640 livres
et 15 sous. Tous frais payés et réduits à leur plus simple
expression, 563 livres furent remises ès-mains du malheureux
perruquier dévalisé.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS » 95
CHAPITRE VII
SUITE DE 1790. — RÉOUVERTURE APRÈS PAQUES. —
AU THEATRE MAREUX.
Je trouve dans VAlmanach général de tous les spectacles la
note suivante :
« Ce théâtre ferme maintenant une bonne partie de la se-
maine ; et c'est une espèce de proverbe : Que donne-t-on ce
soir aux Beaujolais ? On donne Relâche.
L*auteur de la note était dans l'erreur, sans cependant se
tromper complètement ; et voici comment :
Le sieur Mareux aîné, propriétaire de la salle de la rue St-
Antoine, n^ 46, fort dépité de voir son théâtre sans locataire,
avait indirectement fait offrir à M. de Lomel de venir jouer
chez lui son répertoire, se contentant pour toute rétribution,
lui écrivait-il, de dix pour cent sur la recette brute.
M. de Lomel, se souvenant de ses mauvaises relations avec
le dit Mareux aîné, avait tout d'abord refusé. Le sieur Mareux
avait dit alors à M. de Lomel qu'il se contenterait de huit
pour cent. Le Directeur des Beaujolais, qui gardait grosse
rancune au sieur Mareux, du démenti que ce dernier lui avait
infligé dans les journaux, lors de leurs premiers pourparlers,
rompus pour cause dite déjà, refusa encore; bien que son désir,
guidé par son intérêt, l'engageât cependant à accepter.
Voyant de nouveau ses offres repoussées, Mareux aîné
était venu, en personne, dire à M. de Lomel que « le seul plai-
sir de posséder sur son théâtre une troupe de la valeur des
Beaujolais » lui faisait une obligation de ne percevoir que six
96 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS »
pour cent sur la recette que feraient les comédiens de M. de
Lomel.
M. de Lomel, facilement vaincu, avait fini par accepter ;
et, trois fois par semaine, les Beaujolais affichaient Relâche
à la porte de leur théâtre du boulevard Ménil-Montant, pour
s'en aller jouer à la salle Mareux. Mais, j'anticipe, car ce ne
fut qu'au mois de Juin qu'eut lieu le début au Théâtre
Mareux^ de la troupe dite des Beaujolais.
Nous ne sommes encore qu'en Avril, restons-y jusqu'à com-
plet achèvement.
Le Lundi 12 Açril^lQ Théâtre des Beaujolais faisait sa réou-
verture par le Compliment^ de M. Imbert, comphment qui
avait produit un tel effet, à la clôture, que les acteurs avaient
demandé à le rejouer, en priant l'auteur de le remanier un peu,
dans le sens de compliment de « bienvenue » ; ce qui avait
exigé un fort mince travail de la part de M. Imbert. Venait
ensuite le Tuteur auare, opéra-bouffon en trois actes, et Flo-
rette et Colin, opéra-bouffon en un acte.
Mai 1790. — Le 2 Mai, on donna la première représen-
tation de Lucile et Dercourt, comédie en deux actes, par
M. de Trégoate. Cet auteur avait déjà donné à ce même théâtre
une pièce intitulée : Uamour arrange tout I Cette pièce avait
obtenu quelque succès. Jugeant qu'il était inutile de se met-
tre martel en tête pour trouver un sujet nouveau, l'excellent
M. Trégoate avait tout simplement changé le nom de ses per-
sonnages, remanié quelques scènes, retranché quelques cou-
plets et avait présenté au pubhc, comme une nouveauté,
Lucile et Der court, qui n'était autre que V Amour arrange
tout !
Toutes les pièces de théâtre de cette époque-là pouvaient
du reste s'appeler : V Amour arrange tout.
Un critique écrivit sur cette pièce : « Il ne s'y trouve pas un
tableau qui n'ait frappé cent fois les yeux des spectateurs
sur tous les théâtres. Peu d'intérêt, presque point d'intrigue
et aucune situation piquante. Il parait que l'auteur roule tou-
jours sur un seul et même canevas, et qu'il n'a que le style
pour sauver la monotonie qui règne dans ses productions. »
THEATRE DES « BEAUJOLAIS » 97
« Son style est si peu de chose, que sa nouvelle pièce peut
être considérée comme rien. »
Le 24 71/ ai, eut lieu la première représentation de Les deux
Cousins rivaux^ comédie en deux actes, en vers, par M. Gahiot.
« Mauvaise pièce, sans intérêt, mal conçue, n'ayant pour elle
que quelques vers, bien frappés, qui sont l'excuse du Direc-
teur qui l'a reçue et produite. »
Juin 1790. — Le Dimanche 6 Juin^ première représentation
de VAnti- Dramaturge^ comédie en trois actes, en vers.
Cette pièce avait été imprimée et jouée avec quelque suc-
cès à Bordeaux et à Lyon. Son auteur avait vainement tenté
de la faire représenter sur les grands théâtres de la capitale.
Repoussée partout, elle avait fini par tomber entre les mains
de M. de Lomel, qui, moyennant 500 hvres, versées par l'au-
teur, l'avait mise en répétitions et fait jouer par ses acteurs.
Appréciation d'un critique : « Une vraie rapsodie, à laquelle
on ne peut adapter aucun titre. »
Le dimanche 13 Juin^ reprise de Cora ou la Prêtresse du
Soleil.
Chez Nicolet, on avait représenté une pièce pantomime,
sur le même sujet, intitulée les Enfants du Soleil. La pièce des
Beaujolais présentait plus d'intérêt que celle de Nicolet ;
cependant elle réussit moins.
Le 23 Juin., première représentation de V Amour H ermite.,
opéra Anacréontique en un acte.
Que pouvait bien venir faire en cette galère le doux Ana-
créon, le joyeux poète de Téos, dont la forme lyrique et toute
gracieuse n'avait rien à voir avec les joyeuses trivialités des
comédiens ordinaires de M. de Lomel.
Rien ! absolument rien I Mais voici l'explication que je
trouve dans le Journal Les Petites Affiches de 1790 :
Un restaurant du boulevard Saint-Martin s'était ouvert
sous l'enseigne de : Au Banquet d'Anacréon. Ce restaurant
existe même encore au numéro 47.
Le titre seul a changé, et cela depuis cinq ou six ans à
peine. Dans ce restaurant se réunissaient, à sa formation, de
gais chansonniers populaires, qui par leurs galants refrains
98 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
et joyeux flonflons l'avaient mis en grande vogue ; et l'au-
teur de V Amour H ermite^ lequel faisait partie de la bande
joyeuse, avait simplement voulu fêter, par cette désignation
poétique, sa bienvenue dans la petite confrérie.
Ce fut le Mardi 29 Juin que les comédiens de Beaujolais
donnèrent leur première représentation, sur le théâtre de
M. Mareux Vaine.
M. de Lomcl, je l'ai dit, gardait rancune au sieur Mareux,
et eût bien voulu ne pas se rendre aux sollicitations, si pres-
santes qu'elles aient été, du propriétaire de la rue Saint-An-
toine.
Mais les spectacles de son théâtre du boulevard Ménil-Mon-
tant faisaient de moins en moins fructueuses recettes ; ses
nombreux Relâches se succédaient avec beaucoup trop de rapi-
dité ; force fut bien à M. de Lomel d'accepter les offres, plutôt
avantageuses du sieur Mareux, et l'ouverture du théâtre de
la rue Saint- Antoine se fit par V Anti- Dramaturge et le Phi-
losophe imaginaire.
On ne donna jamais, au théâtre Mareux, que des pièces
déjà jouées. Les nouveautés étaient conservées pour la salle
du boulevard, ou le « grand public » se rendait de préférence.
Le grand pubhc se composait de bourgeois du Marais et des
quartiers Saint-Martin, Saint-Antoine et du Temple.
Juillet 1790. — Le 11 Juillet^ fut donnée aux Beaujolais du
Boulevard, la première représentation de : La Fédération du
Parnasse^ divertissement en un acte, en prose, en vaudevilles
et airs nouveaux, par le Cousin Jacques.
Les journaux d'alors l'annoncent sous le titre de : la Conjé-
dération du Parnasse., alors que le véritable titre est la
Fédération^ simplement et uniquement.
Cette fantaisie du spirituel foUiculaire fort en vogue obtint
un énorme succès.
Le Cousin Jacques, pseudonyme de Beffroy d'^Origny, était à
cette époque l'auteur fantaisiste et original très à la mode.
La Chronique de Paris écrit : « C'est sans contredit la plus
agréable des pièces « fédératives » ; excepté celle de M. Colot
d'HerboiSj jouée au Théâtre de MONSIEUR qui, dans un autre
THEATRE DES « BEAUJOLAIS « 99
genre, lui dispute la palme. Les couplets ingénieux et piquants
s'y succèdent, depuis le commencement jusqu'à la fin ; et les
tableaux les plus riants captivent l'œil du spectateur. L'au-
teur à su mettre à leur place des acteurs, peu connus aupa-
ravant, qui lui ont dû leur succès ; entre autres M. Dumily^
qui fait un rôle de niais raisonné, avec un talent qui ne laisse
rien à désirer. »
Sur l'air : Ce fut par la faute du sort^ un abbé chantait dans
cette pièce :
Oui, tout le bien que j'ai perdu
M'en procure un plus magnifique ;
Avec usure il m'est rendu
Par la félicité publique.
Il ne manquait plus à mes vœux
Que de doubler le sacrifice ;
Si les Français sont tous heureux
Ce sera là mon bénéfice [his).
Et le public trépignait d'aise en entendant cet Ahhé faire
aussi joyeusement abnégation de ses biens de la terre, en
faveur du bonheur de tous les Français.
La pièce se terminait sur un couplet fort applaudi, que chan-
tait encore l'acteur Dumily dans le personnage du paysan
Guillot.
Voici ce couplet, sur l'air du Ça ira \ :
Ah 1 ça ira, ça ira, ça ira,
J' découvre à vue d' nez qu' nous n'aurons pus d' peine,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira.
Vous verrez bientôt qu' tout ça s'accommod'ra.
Tout un chacun s'épanouit déjà ;
Ça ravigot' le cœur, quand on voit tout ça.
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Les aristocrat's vont r'venir par douzaine.
Ah 1 ça ira, ça ira, ça ira,
Dans peu, 1' bon exempl' les convertira.
La finance allait cahin caha,
V'ià les assignats qui vont r'mettr' ça ;
Pour en avoir ma poch' pleine
J' donn'rais d' bon cœur tout c' que j'ai déjà.
Ah ! ça ira, ça ira, etc., etc.
100 THEATRE DES « BEAUJOLAIS »
Le lendemain, 12 Juillet^ on donna la première représen-
tation de La Revanche^ ou Les deux Frères^ comédie en trois
actes, mêlée d'ariettes, paroles de M. Duhuisson^ musique
del signor Cambini.
Note du journaliste Ducray-Duménil : « Intrigue assez
curieuse ; quelques situations plaisantes, mauvais dénoue-
ment ; beaucoup de longueurs ; musique charmante et pleine
d'effets. On regrette de voir, sans pudeur, estropier la langue
française dans une pièce de haut comique ».
Septembre 1790. — Le 3 Septembre^ première représentation
de Les Amants ridicules^ comédie-parade en prose et en un
acte, mêlée d'ariettes, paroles de M. Desaudrais, musique de
M. Bonnet.
Or, qu'était-ce que Les Amants ridicules? Tout simplement
les deux Jaloux^ dont M. de Lomel changeait le titre et qu'il
offrait au public comme une nouveauté. Les deux Jaloux
avaient été donnés, alors que les Beaujolais étaient encore au
Palais-Royal ; et M. le Directeur s'était dit : « La distance est
tellement grande entre ces deux salles de spectacle, que pas
un des spectateurs qui verra la pièce boulevard Ménil-Mon-
tant, ne se souviendra l'avoir vue galerie Montpensier. »
La pièce passa en effet comme une nouveauté et obtint
beaucoup de succès ; ce qui ne veut pas dire qu'elle fit beau-
coup d'argent.
Octobre 1790. — Le 3 Octobre, première représentation de
Le Retour de V Inconstant, comédie en un acte, en vers, qui
ne produisit que fort peu d'effet. On ne nomma pas l'auteur.
Puis, le Vendredi 8 Octobre, autre première représentation de
La Veui^e espagnole, comédie en un acte, en vers, par M. Guille-
main : « C'est une des pièces les plus johes et les mieux écrites
de cet auteur fécond », écrit un critique de l'époque. « Mlle
Cousin et M. Talon jeune y sont fort goûtés. »
On le voit, le pauvre petit Théâtre des Beaujolais luttait
désespérément, ne voulant pas sacrifier complètement au
mauvais goût du jour et du boulevard, à la triviahté mal-
saine du moment et au facile à-propos pohtique. 11 donnait
des pièces en vers ; il tentait de faire triompher la Httéra-
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS » 101
ture, il essayait de faire de l'art, là où il n'eût dû faire que du
métier ; aussi dégringolait-il de plus en plus et se voyait-il
souvent forcé, faute de public, d'afïicher le terrible mot :
Relâche^ au grand désespoir de son directeur et des infortunés
acteurs.
Ce fut encore le Cousin Jacques qui empêcha les Beaujolais
de sombrer. Il composa pour eux un nouvel à-propos : Le
Retour du Champ-de-Mars^ divertissement en prose et en un
acte, mêlé de vaudevilles.
Cette pièce fut lue, répétée et jouée en cinq jours.
Le succès qu'elle obtint permit à M. de Lomel de pouvoir
verser quelque argent à ceux des rares acteurs qui lui restaient
fidèles.
On voyait, dans le cours de cet acte, des soldats portant
triomphalement le buste de Louis XVI et le venant déposer
entre les mains d'Apollon, qui le confiait aux Muses, pour le
placer au temple de Mémoire. Les Muses chantaient alors les
louanges du « Bon Roi » — que l'on devait guillotiner trois an-
nées plus tard — aux acclamations de ce même peuple, lequel
criait encore bravo aux strophes et aux couplets dont l'auteur
encensait le monarque, par les voix éraillées des braves acteurs
des Beaujolais.
Le Cousin Jacques avait même composé de la musique pour
accompagner les couplets que chantait Mlle Fournier^ sur les
Français qui avaient abandonné la France, et par conséquent
la cause royale :
I
Tous ces Français que, loin de nous,
L'épouvante retient encore ;
Ils n'ont pas vu d'un jour si doux
Briller la bienfaisante aurore.
Pareils à ceux que le cie fit
Habitants d'un autre hémisphère,
Ils sont au milieu de la nuit
Quand le plein midi nous éclaire.
Le Cousin Jacques avait écrit deux couplets sur ce sujet ;
mais Mlle Fournier ne devait chanter que celui que nous
102 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS T>
venons d'écrire. Cet auteur, fort spirituel et fort avisé, avait
dit à Mlle Fournier: «Si l'on crie 6w, au lieu de répéter ce cou-
plet, vous chanterez le second. L'effet sera plus grand. »
Et Ton avait crié 6 w avec délire; et Mlle Fournier avait alors
chanté :
II
Mais surtout n'oublions jamais
Que chacun d'eux est notre frère.
La voix du sang chez les Français
Doit-elle un seul instant se taire ?
Loin d'avoir un cruel plaisir
A les voir se troubler et craindre,
Pour parvenir à les guérir
Il faut nous borner à les plaindre, {bis)
A la chute du rideau, le public, transporté, rappela l'au-
teur avec enthousiasme. Cela eut dû cependant satisfaire
entièrement l'amour-propre de cet auteur très nerveux; mais
la rapidité avec laquelle la pièce avait été montée, fit que des
hésitations, des manques de mémoire avaient très fortement
irrité l'irascible Cousin Jacques. Il refusa de paraître sur la
scène où le rappelait le public trépignant ; poursuivi par
les régisseurs et le directeur, il se réfugia dans le cintre du
théâtre, et s'y cacha derrière un moufle.
Pendant ce temps, le pubhc faisait rage au parterre, ré-
clamant sur la batterie des Lampions : Cousin Jacques l Cou-
sin Jacques !, car l'acteur Dumily était venu nommer le
triomphateur à la fin de sa pièce.
Un machiniste du cintre finit par le découvrir et dénonça sa
retraite ; les acteurs y coururent, le ramenèrent de force. Cou-
sin Jacques était furieux. Il les abreuvait d'injures, les trai-
tait de toutes sortes de noms. Les acteurs n'en riaient que
davantage. Bref, ils le contraignirent d'entrer avec eux sur
la scèm et de venir saluer le public qui continuait à l'accla-
mer avec rage. Cousin Jacques était pâle de colère. Enfin, il
parvint à se dégager des mains de ses oppresseurs et s'avança
résolument sur le devant de la scène, comme pour parler.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS )) 103
Aussitôt, un grand silence se fit. Il commença : « Messieurs,
les Jean-foutres de comédiens qui... qui... »
Alors, il s'arrêta, balbutia et finit par dire, plus en fureur
que jamais : « Ces brigands d'acteurs n'en savaient pas un
mot. Ils ont tout fait pour... »
Tout à coup Dumily, le comique qui avait joué, avec beau-
coup de succès, le niais dans la pièce, lui coupa la parole et
lui dit :
— Eh bien I quoi ? ça n'a pas bien été, aujourd'hui, et ça
vous donne de l'humeur ?... Soyez tranquille, demain, ça ira !...
Pas vrai, camarades ?...
Et, il se mit à chanter :
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !...
On saura ses rôl's, vous 1' verrez sans peine ;
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Vous verrez bientôt qu'tout ça s'arrang'ra !
Les acteurs en scène reprirent les paroles en chœur ; les
spectateurs redoublèrent leurs applaudissements, et le rideau
retomba sur ce tableau unique, d'un auteur récalcitrant,
embrassé, malgré lui, par ses infâmes Comédiens, qu'il conti-
nuait à accabler d'injures.
Le petit théâtre fit, avec cette pièce, quelques bonnes re-
cettes.
Le Roi était encore populaire, aimé. On chantait ses louan-
ges. Le pubhc les chantait avec les acteurs, plus convaincu
et plus passionnément qu'eux, peut-être.
Le Dimanche il Ocioôre, première représentation de V Enfant
bien corrigé^ pièce en un acte, de M. Desaudrais^ ouvrage plus
que médiocre et « qui ne vaut pas l'honneur de la critique »
écrit un journaliste de l'époque.
Le 30 Octobre, première représentation de Tarare Régnant
(suite de Tarare), ou Vlsle d'Ormus heureuse, pièce en prose
et en trois actes, mêlée de vaudevilles, par M. Guillemain.
Je lis cette critique sévère de la pièce : « Cet ouvrage n'a ni
intrigue, ni action, ni ensemble, ni mouvements. Les costu-
104 THÉÂTRE DES C BEAUJOLAIS »
mes sont assez riches, ainsi que les décorations ; mais l'intérêt
est faible et va en diminuant jusqu'à la fin. Une justice à
rendre à l'auteur, c'est de dire que peu d'écrivains font des
couplets comme les siens. Il y a un joli rôle &^ Eunuque^ bien
rendu par M. Dubois. »
Le pauvre M. de Lomel avait dépensé pas mal d'argent
pour monter cette pièce, qui lui en fit perdre beaucoup.
Novembre 1790. — Le 2 Novembre^ on donna Le Divorce inu-
tile^ comédie en un acte, en prose, de M. Gabiot.
« C'est une très jolie pièce, dit un critique, écrite avec pureté,
pleine de sentiments relevés et d'idées fines et spirituelles ; il
y règne d'un bout à l'autre un excellent ton ; et l'on ne peut
trop engager les acteurs de ce théâtre à entremêler souvent
leurs « opéras », de comédies du même genre. Mesdames Sara
et Fusil s'y font applaudir, parce que les bons rôles siéent
toujours aux talents. »
Le 21 Novembre^ première représentation de : Le Sourd et
r Aveugle^ comédie en un acte de M. Patrat.
Cette pièce, imprimée depuis longtemps, avait été jouée
« souventes fois, en province. » Malgré sa parfaite réussite,
le dénouement avait excité, à Paris, quelques murmures.
Sa gaité tombait peu à peu dans la trivialité ; mais les scènes
en étaient bien conduites et spirituelles.
Le 28 Novembre on joua pour la première fois : Le Paysan à
prétention^ opéra bouffon en un acte ; sans grand succès.
Décembre 1790. — Puis, le 1^^ Décembre : La Ruse villageoise,
comédie mêlée d'ariettes, en un acte, musique de M. Champein.
Le 7 décembre, le Cousin Jacques, malgré son serment de
ne plus rien donner aux Beaujolais, s'empara de nouveau de
l'affiche avec : Toute la Famille, foHe en prose et en deux
actes, mêlée de chants.
Les querelles entre Directeurs et auteurs ne sont jamais de
longue durée. Les intérêts communs les rapprochent vite.
Ce fut une chute retentissante que cette pièce. Aussi « le
très coléreux » Cousin Jacques ne manqua-t-il pas de rejeter
toute la responsabilité de l'insuccès sur les acteurs de Beau-
jolais, lesquels — dit-il — « ne se donnent jamais la peine
THEATRE DES « BEAUJOLAIS » 105
d'apprendre leurs rôles » ; et sur leur Directeur, l'infortuné
M. de Lomel, « qui ne les paye que très faiblement, quand il
les paye, et ne possède sur eux aucune autorité. »
De sa critique acerbe, Beffroy d'Origny, dit le Cousin
Jacques, exceptait toujours Madame Louise Fusil, laquelle,
pour cette raison et d'autres, passait alors pour être sa maî-
tresse.
On remonta à la hâte Atine et Zamorin.
Le Cousin Jacques jura ses grands dieux qu'il ne remettrait
plus les pieds dans cette galère, et jamais plus n'écrirait une
seule ligne pour ce directeur, incapable, et ses méchants
acteurs — « plus que toujours Madame Fusil exceptée. »
Atine et Zamorin ne faisant pas d'argent, on reprit : Adèle
et Edwin, pièce de l'ancienne chevalerie, en vers et en deux
actes, musique del signor Camhini.
Mais le pauvre petit Théâtre des Beaujolais était irrémédia-
blement condamné. Les nouveautés et les reprises avaient
beau s'entasser les unes sur les autres comme Pélion sur
Ossa, rien n'y faisait ; les recettes demeuraient nulles, le
public ne venait pas.
Il est vrai que cette salle de spectacle avait été fort mal
choisie par le trop empressé M. de Lomel. Alors que le boule-
vard du Temple retentissait du cri éraillé ou strident des
aboyeurs, des marchands d'orviétans, des faiseurs de parades ;
des lazzis de paillasses, d'escamoteurs ; des boufTonneries d'un
pubhc braillard, des appels de tambours et de trompettes,
le boulevard Ménilmontant, qui s'écrivait alors Boulevard du
M esnil- Montant^ demeurait dans la presque obscurité, absent
de tout bruit et de toute gaîté.
Seul, le Café Goddet^ qui se trouvait être le dernier café du
Boulevard du Temple, arrivant après le Café Yon et le Théâtre
des Associés^et qui attenait presque au Théâtre des Beaujolais,
jetait quelque clarté dans la sombre tristesse du tableau,
tristesse d'autant plus navrante que la partie sud du boule-
vard du Mesnil-Montant, était brillamment éclairée par les
illuminations prestigieuses des Cafés d'en face, le Café Turc,
le Café des Arts et la Galiotte, établissements de plaisirs, où
106 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
Ton entendait d'assez bonne musique, où l'on écoutait chan-
ter d'assez bons chanteurs et d'assez agréables chanteuses, en
prenant d'excellentes consommations. C'était la naissance des
Cafés-Concerts. La partie nord qu'occupaient les Beaujolais
restait morne et silencieuse.
C'est au Café Goddet qu'un soir, un consommateur facé-
tieux, colla dans la salle de billard, cet avis, imprimé en gros
caractères :
« AVIS »
« Il est défendu d^ écraser ses poux sur les bandes du billard. »
La misère était alors grande à Paris. On avait compté sur
le retour du Roi, pour la reprise générale des affaires et les
affaires ne reprenaient pas. Le pain manquait.
La municipalité de Paris ordonna que tous les théâtres
donnassent une représentation « au profit des Pauvres. »
Et le 24 Décembre, les Beaujolais, comme ses confrères
grands et petits, donnèrent «par ordre» cette représentation.
Ces pauvres jouèrent pour les pauvres et ne furent pas com-
pris dans la distribution générale, que fit la municipahté
parisienne du total des recettes.
Ainsi se termina cette année 1790, qui avait été si funeste
aux intérêts du Théâtre des Beaujolais.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS )) 107
CHAPITRE V
1791
NOUVELLES DIRECTIONS. — LE SIEUR NOISEL. — SA TROUPE
d'acteurs. — M. BRIOIS. — LE CIRQUE ASTLEY. — LE
THEATRE DES COMEDIENS SANS TITRE.
Tant que les Beaujolais avaient réussi, dans leur premier
emplacement du Palais-Royal, on avait chanté la subtilité, la
délicatesse, le goût, l'habileté de M. de Lomel, leur « intelh-
gent administrateur. » Maintenant que la veine était détruite,
que le filon était perdu, on daubait fort sur le pauvre homme ;
les plumes n'éclaboussaient plus assez de critiques injustes
et mordantes sur lui et sa façon d'administrer.
On hsait : « Il faut qu'il y ait dans son administration quel-
que vice incurable et radical. Ce Directeur qui est aimable,
spirituel et poh, n'a pas sans doute les qualités propres à la
Direction d'un théâtre. »
Et dans un autre article : « Le grand vice des Beaujolais
est surtout d'éloigner tous les auteurs par le défaut de paie-
ment. Il arrive de là que les acteurs, en dépit de leur bonne
volonté, sont obhgés de chercher dans de vieux bouquins de
quoi monter leur répertoire. On ne donne presque jamais que
du réchauffé ; et toutes ces rapsodies imprimées, qui sont
nulles et sans effet, chassent le pubHc, qui ne revient guère,
quand une fois il est mal prévenu. Nous le répétons, il faut,
pour ressusciter ce spectacle, une administration à la fois
108 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS ))
sévère, active et intelligente, de nouvelles pièces et qu'elles
soient bonnes. »
Voici ce que dans VAlmanach général de tous les spectacles
de Paris et des Provinces^ publié par Froullé^ libraire, quai
des Augustins, on lisait encore :
« La plupart des acteurs des Beaujolais vont être sans
place, parce qu'il est impossible d'exister de ses talents,
quand on n'est pas payé ; la justice et l'humanité nous impo-
sent le devoir d'en recommander plusieurs aux Directeurs
qui veulent améliorer leurs entreprises. »
« M. Dumily^ qui n'a plus d'autre nom que le Niais de la
Fédération^ est un charmant acteur ; il a un genre à lui, que
personne n'a encore imité. »
« M. Dubois^ jouant les valets, a une tournure très agréable,
une très belle basse-taille et de la gaîté. »
« Madame Fusil a de la finesse et une jolie tournure dans
les soubrettes. »
« Mademoiselle Latour, âgée de dix-sept ans, et Mademoi-
selle Cousin^ du même âge, sont deux sujets on ne peut plus
intéressants. »
« Mais M. Vénier, premier acteur de ce théâtre, est d'une
vérité rare ; il entend parfaitement la scène ; il a une méthode
de chant très soignée, une belle voix, des mœurs honnêtes, un
caractère doux, du zèle et de l'exactitude à ses devoirs. »
C'en était donc fait du petit Théâtre, puisque déjà l'on
cherchait à s'en partager les dépouilles. Sa fin était donc bien
proche, que les journahstes en étaient arrivés à recommander
ouvertement leurs protégés.
Un nommé Noisel, qui avait déjà fait plusieurs fois banque-
route, et s'était ruiné cinq ou six autres, après fortune refaite,
vint proposer à M. de Lomel d'abandonner sa Direction et de
la lui céder, moyennant certaine part sur les bénéfices aléatoi-
res, qu'il pourrait réahser.
Le pauvre Directeur, heureux de débarrasser d'une si lourde
charge, ses épaules fatiguées et fourbues, se hâta d'accepter la
proposition du dit Noisel, ne se leurrant pas un instant sur
« la part de bénéfices » qui devait lui revenir.
THEATRE DES « BEAUJOLAIS » 109
Or, qu'était ce Noisel ? Un ancien protégé du Duc d'Or-
léans. Il avait tenu une maison de jeu au Palais-Royal.
Sur la demande que lui adresse le Compère Mathieu^ dans
les Pantins du Boule{>ard^ pamphlet obscène, mais dans lequel
se trouvent, à travers de repoussantes et ineptes plaisan-
teries, un grand nombre de vérités, tombées de la plume
venimeuse de l'auteur-acteur Mayeur de St-Paul, ce dernier
fait répondre au Directeur Noisel, de la façon la plus cynique :
— « Si j'ai mangé de l'argent avec les femmes, ce n'est
pas la cause principale de la gêne dans laquelle je me trouve ;
mais les tributs fort lourds, que j'étais obligé de payer à Son
Altesse Sérénissime, pour avoir le droit de me déclarer, sans
risque, le directeur privilégié d'une maison de jeu établie au
Palais-Royal. C'est un terrible homme que Son Altesse
Monseigneur le Duc d'Orléans. Il ne connaît que l'argent,
sans s'embarrasser du choix des moyens. »
Le Duc d'Orléans, dont parle ici Noisel, était Louis, Phi-
lippe, Joseph, qui, pendant la Révolution, joua un grand
et triste rôle pohtique, sous l'appellation de « Philippe-Ega-
lité. » Il fut de ceux qui votèrent la mort de l'infortuné
Louis XVI, son cousin.
Noisel, au temps où ce prince possédait encore quelque
fortune, avait été son pourvoyeur de femmes. Mais, ledit
Noisel ayant « oublié » de lui porter un jour les redevances
qu'il devait lui verser, sur les bénéfices qu'il réalisait dans
la dite maison de jeu. Son Altesse Sérénissime avait impi-
toyablement chassé l'escroc, l'envoyant pour tout châtiment
chercher une potence ailleurs.
Tel était l'homme indéhcat et peu scrupuleux qui succédait
à « l'honnête de Lomel » dans la Direction du pauvre Théâtre
des Beaujolais.
Aussi, la plus grande partie des très honorables comédiens
composant la troupe, s'empressa-t-elle d'envoyer sa démission
au nouveau Directeur.
Peu importait au sieur Noisel. Il était de ces trop nombreux
« jemen fichistes », qui, au théâtre, ont pris pour devise .
« Bah ! le rideau baissera toujours l » se moquant pas mal
110 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS Ti
que la pièce eût été mal jouée, qu'elle fût mauvaise et mal
montée.
« Le rideau baissera toujours ! » est leur critérium.
Noisel avait remplacé les bons acteurs qui se dérobaient,
par de médiocres, et le petit Théâtre était resté ouvert, con-
servant seulement son titre comme drapeau.
Pauvre drapeau, véritable loque, qui, de la misère, devait
tomber dans la boue.
Parmi les chanteurs demeurés avec Noisel, nous citerons
la première haute-contre, Monrose, lequel, malgré ses cin-
quante-cinq ans sonnés à l'horloge de la vie, avait encore des
prétentions amoureuses et se figurait, vieux coq, être adoré
de toutes les poules, ses voisines. Convaincu, il ne se gênait
pas pour dire : « Quand je joue, la salle se rempht de femmes. »
La dame Monrose, son épouse, digne compagne de son sot
mari, fermait les yeux sur les débauches éhontées de la haute-
contre, à la condition qu'il les fermât, lui, sur les irrégularités
conjugales dont elle se sentait susceptible. Elle était de vingt
ans moins âgée que lui.
C'était, du reste, un excellent ménage, parfaitement assorti,
et qui ne pouvait manquer de plaire au nouveau Directeur,
lequel ne se préoccupait pas plus des mœurs que du talent de
ses acteurs.
Empocher des recettes, si maigres qu'elles fussent, était sa
seule préoccupation.
Madame Monrose rempHssait l'emploi, qu'était en train de
créer à la Comédie-Itahenne la célèbre Madame Dugazon.
Noisel avait encore engagé un jeune homme nommé Latour,
jouant l'emploi des amoureux. Il avait vingt ans et était fort
joh garçon. Ce jeune homme lui avait été amené par Made-
moiselle Latour, sa sœur, gracieuse enfant de dix-sept ans, et
qui, dans la troupe des Beaujolais, remplissait l'emploi des
« jeunes amoureuses. »
Dès qu'elle avait vu le frère de sa petite camarade. Madame
Monrose était tombée follement éprise de lui. Elle l'avait acca-
paré à ce point, qu'un jour Noisel, ayant pris le mari à part,
lui avait dit :
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS » 111
— Mon cher Monrose, engagez donc votre femme à modé-
rer un peu ses ardeurs amoureuses. Hier, ce petit Latour, qui
maigrit à vue d'œil, a encore fait deux « couacs » dans ses
couplets.
Et le sieur Latour avait majestueusement répondu : « Mon
cher Directeur, dans l'intérêt de l'administration, je ne man-
querai pas de faire à ma femme l'admonestation que vous me
recommandez de lui faire. M'écoutera-t-elle ?... tout est là !
« Cette femme a du sang de vache dans les veines ! »
Peut-être quelques-uns de mes lecteurs trouveront-ils
oiseux ces cancans, recrutés un peu partout, et déclareront-
ils qu'un lot de faits, de si mince importance, n'a rien à voir
avec l'histoire d'un théâtre. Qu'ils me permettent de ne pas
être de leur avis.
Le caractère des individus fait partie intégrante des actes
qu'ils commettent ; ou plutôt c'est ce caractère qui dirige
leurs actes. Il influe sur leur talent. Tel violent, dans la vie
privée, ne parviendra jamais à représenter un doucereux sur
la scène.
Marie Dorval, cette passionnée d'amour, a surtout réussi
dans les héroïnes amoureuses, parce qu'amoureuse de toutes
les vibrations de son être, elle se substituait au personnage
qu'elle avait à représenter.
Victor Hugo lui fit créer la terrible Catarina dans Angélo,
alors qu'elle eût été admirable dans la Thisbé. Elle le prouva
par la suite, en reprenant ce rôle avec succès, même après
Mademoiselle Mars.
Mademoiselle Georges, qui fut une admirable et sculp-
turale créature, ne joua jamais bien les dolentes et les pleu-
reuses ; mais elle triompha dans les grandes violentes.
Aima-t-elle jamais ?... On en peut douter, après avoir lu ses
Mémoires.
Les passions et les caractères font les acteurs ; les acteurs
font les théâtres Or c'est des théâtres que je reconstitue
l'histoire.
Voilà pourquoi je m'efTorce à trouver les plus menus propos,
les plus futiles faits sur les comédiens et les comédiennes,
112 THEATRE DES (( BEAUJOLAIS ))
appartenant aux Théâtres que je tente de faire revivre pour
les lecteurs, mes contemporains.
Madame Fusil, qui a écrit des Mémoires intéressants,
était encore de celles restées fidèles au Théâtre des Beaujolais.
Madame Fusil avait son mari acteur, tantôt à Paris, tantôt
en province ; ce qui fait qu'elle vivait presque constamment
séparée de lui. Aussi l'intérim était-il rempli, sans aucun
scandale, par de complaisants camarades, lesquels, lorsque
M. Fusil revenait dans ses honnêtes foyers rejoindre sa chère
compagne, s'empressaient de s'efïacer et de disparaître dis-
crètement.
De ce nombre furent le sieur Dubois, basse-taille renom-
mée du Théâtre des Beaujolais.
On citait aussi le beau Desprès, du Théâtre Français^
comique et lyrique^ de la rue de Bondy.
Quand M. Fusil entra au Théâtre Français de la rue Riche-
Heu, Madame Fusil qui, disait-elle, n'avait jamais aimé que
son mari, lui demeura fidèle et devint un modèle de vertu.
Elle élevait l'enfant qu'elle avait eu de lui, en dehors de ses
pudiques frasques, et parvenait à passer aux yeux de tous,
pour une très honnête femme et une excellente mère de
famille.
Pour ce qui est de son physique, voici ce que le Compère
Mathieu lui fait dire par la plume vicieuse de Mayeur de St-
Paul :
— «Quoique je sois maigre, desséchée et tant soit peu étique,
quand j'aurai repris un peu d'embonpoint, je ferai sans doute
d'autres conquêtes. »
Il y avait encore, parmi les comédiens de M. Noisel, un
certain Berville, lequel criait à haute voix sur le boulevard :
« Mon Directeur est le plus infâme scélérat de tous les spec-
tacles du Boulevard. »
Ce que sachant, le sieur Noisel s'empressait de dire : Quel
farceur que ce Berville. Si on ne le savait hâbleur comme il
l'est, c'est qu'on finirait par le croire.
Je peux citer encore le sieur Boitte, qui jouait les « queues
rouges » chez Audinot, avant de venir renforcer la pauvre
THEATRE DES a BEAUJOLAIS Ti 113
troupe des Beaujolais ; et qui, pour entrer avec M. Noisel,
profitant de ce qu'il raclait un peu du violon, était devenu
répétiteur et chef d'orchestre des nouveaux Beaujolais.
C'était l'amour qui avait ainsi transporté Boitte du trem-
plin de Thespis dans les bas-fonds du temple d'Euterpe.
Sa femme. Madame Siccon, avait été précédemment enga-
gée par Noisel ; et c'est pour ne pas la perdre de vue qu'il
avait quitté V Ambigu-Comique, en faveur des Beaujolais, bien
que l'expression « en faveur » soit absolument impropre en la
circonstance.
Je n'aurai garde d'oublier la première actrice de ce petit
Théâtre, devenue « la Reine de l'endroit », par ses relations
amoureuses avec son Directeur.
La petite Simonet était passée d'un seul coup, de l'emploi
de danseuse comparse, à celui des premières amoureuses de
ballet.
Dire qu'elle était « bonne » est impossible ; mais elle était
jolie et admirablement faite. Il n'en fallait pas davantage
pour que le très corrompu Noisel s'éprît follement d'elle et
la mît en vedette sur le tableau de sa troupe.
Mademoiselle Simonet avait, du reste, une mère complai-
sante, qui avait terriblement aplani le terrain raboteux et
ghssant des difficultés.
Le sieur Noisel, qui s'entendait fort peu à la Direction d'un
théâtre, ne sut pas changer le genre, qui semblait ne plus
plaire au public du Boulevard de Mesnil-Montant.
Il vécut du répertoire ancien de M. de Lomel, montant
quelques rares nouveautés que lui apportaient des auteurs,
consentant à ne rien toucher de leurs droits.
Comprenant qu'il ne pouvait lutter contre l'indifférence
d'un pubhc qui s'obstinait à ne pas vouloir franchir les quel-
ques centaines de pas qui séparaient le Boulevard du Temple
du Boulevard Mesnil-Montant, Noisel se mit à chercher une
salle de spectacle où il pût porter certaines idées géniales qui,
subitement, venaient de surgir en son vaste cerveau.
En attendant, il faisait travailler ses acteurs. On finit par
ne plus jouer que tous les dimanches et quelquefois le jeudi.
114 THÉÂTRE DES (( BEAUJOLAIS ))
Janvier 1791. — Le Mardi 6 Janvier^ on donna, par extraor-
dinaire, la première représentation de : Les accords de Julie,
pièce en un acte.
Cette pièce tomba à plat et le sieur Noisel en profita pour
réunir ses acteurs au modeste foyer de son théâtre et leur
tenir à peu près ce langage :
« Mes chers enfants, mes chers camarades, mes chers pen-
sionnaires, permettez-moi de vous présenter mon successeur,
M. BrioiSj Directeur honorablement connu dans toute la
province. C'est un homme de théâtre dans toute l'acception
du mot ; connaissant bien le répertoire et le goût du public
parisien ; ce goût que, paraît-il, je ne connais pas, moi, puis-
que je ne parviens pas à attirer son attention. Je cède à
M. Briois mon théâtre, mon matériel, mes acteurs et les
quelques dettes que j'ai contractées envers eux. »
L'acteur Monrose lequel, on le sait, jouait un des premiers
emplois de la troupe, interrompit l'orateur :
— Pardon, M. Noisel, fit-il, j'ai contracté un engagement
avec vous, non avec un autre. Du moment que vous vous
retirez, je me considère comme libre d'aller porter mes talents
sur un autre théâtre. Je n'accepte donc pas que vous me cédiez,
comme vous cédez votre matériel de décors, qui n'est même
pas votre propriété, puisqu'il est notre garantie à tous.
— Mais, M. Monrose, répondit M. Noisel, votre engagement
avec moi va jusqu'à Pâques.
— Alors, restez jusqu'à Pâques vous-même, répartit Mon-
rose.
— Ou à la Trinité, continua Berville.
Un éclat de rire général, malgré l'état de gêne dans lequel
on se trouvait, accueillit la sortie du comédien.
— Cependant..., voulut poursuivre Noisel un peu décon-
tenancé.
— Assez, interrompit le preneur, M. Briois. Les paroles
de M. Monrose sont un manque absolu de confiance envers
moi et constituent une injure que je ne saurais tolérer. Je
n'accepte pas de M. Noisel le legs qu'il veut me faire de sa
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS » 115
fameuse haute-contre. Que M. Monrose aille planter ses choux
ailleurs.
— C'est ce que je vais immédiatement faire, Monsieur.
Et le chanteur Monrose sortit dignement, en emmenant sa
femme, et s'en alla aussitôt signer, avec M. et Madame Colon,
Directeurs du Délassement Comique^siiué près l'Hôtel Foulon,
à l'entrée du boulevard du Temple.
On apprit bientôt que M. de Lomel s'occupait d'ouvrir le
Théâtre Lom^ois, vaste salle, située entre les rues Sainte-Anne
et de Richeheu, sur l'emplacement même de l'ancien Hôtel
de Louvois.
C'est là que nous le rejoindrons, quand nous en aurons
terminé avec le Théâtre des Beaujolais, dont les tristes et
derniers jours étaient comptés.
M. Briois, le nouveau Directeur, — on n'avait pas encore
francisé le mot imprésario, — conserva et reprit en partie les
acteurs de M. de Lomel, à part quelques-uns qui demandèrent
et obtinrent facilement leur liberté.
Le 14 Janvier, on joua les Babillardes, comédie en un acte,
par M. Gabiot. Je l'ai écrit lors de la création de cette pièce,
c'était une réfection des Caquets, de Madame Riccoboni. On
ne le mâcha pas au nouvel auteur, M. Gabiot, et cette comédie
n'excita pas la curiosité de la foule.
M. Briois voulut tenter du grand répertoire. l\ mit à
l'étude le Brutus, de Voltaire, et V Ecole des Maris, de Molière.
Sur ces entrefaites, un de ses musiciens, M. Valentino,
haut-bois de son orchestre, perdit sa femme et une petite
fille, en une semaine. Le brave homme tomba malade lui-même
et se trouva réduit à la plus grande misère.
M. Briois, qui voulait se montrer brave homme et inaugurer
sa direction par un acte qui pût lui conciher l'estime générale,
se laissa émouvoir par la pénible situation à laquelle se trou-
vait réduit son haut-bois et annonça, au bas de ses affiches,
que le 24 Janvier il donnerait, au profit du dit Valentino, les
premières représentations à son théâtre, des deux chefs-
d'œuvre appartenant au répertoire de la Comédie Française.
En effet, le mardi 24 janvier, l'affiche des Beaujolais por-
116 THÉATHE DES « BEAUJOLAIS D
tait : Aujourd'hui^ au profit d'un musicien malade : Brutus^
tragédie de jeu Voltaire, et V Ecole des Maris, tragédie de jeu
Molière.
Le public, peu confiant dans l'interprétation de ces pièces,
de trop haut répertoire pour un théâtre tombé si bas, ne vint
pas applaudir les deux chefs-d'œuvre des deux grands jeus
annoncés sur l'affiche. Il préféra se ruer au Théâtre de MON-
SIEUR, voir jouer VHistoire Universelle, du Cousin Jacques,
et au Théâtre Français, comique et lyrique de la rue de Bondy,
entendre Nicodème dans la Lune, du même Cousin Jacques,
l'homme à succès du moment.
Le pauvre musicien malade, Valentino, toucha à peine
quelques livres, et les acteurs ne touchèrent rien, pas même
un à-compte léger, sur ce qui leur était dû.
La misère augmentait de plus en plus dans Paris. Et la
municipalité exigeait des théâtres, quels qu'ils fussent, qu'ils
donnassent des représentations au profit de ceux qui man-
quaient de pain.
Certes, l'intention était louable et généreuse ; mais ordon-
ner que ceux qui ne mangent pas, nourrissent des affamés,
était contre toute idée de justice et d'équité. Or, c'était le cas
des acteurs de Beaujolais.
Février 1791. — Ainsi, le 2 Février, par ordre de la muni-
cipahté, tous les théâtres donnèrent encore leur représen-
tation au Projit des Pauvres. Certains des comédiens de M.
Briois ne soupèrent pas en rentrant chez eux ; mais ils
avaient joué « pour les Pauvres 1 »
On précipita le travail. On retomba dans l'ancien réper-
toire et l'on donna successivement : VEnjant corrigé, « pièce
plus que médiocre » ; Tarare-Régnant, ou Vile d'Ormus heu-
reuse, pièce en prose et en trois actes, par M. Guillemin, déjà
représentée aux Beaujolais.
Puis vinrent la Réclamation de V Amour, et la reprise de
Le Sourd et V Aveugle, de M. Patrat.
« Cet ouvrage — écrit le journahste Roblot, parlant de la
Réclamation de V Amour, — n'a ni intrigue, ni action, ni en-
semble, ni mouvement. »
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS » 117
Et l'on continua, plus que jamais, à ne pas faire
d'argent.
Les acteurs cependant ne se décourageaient pas.
Le vendredi, 4 Février, l'affiche des Beaujolais portait : Au
profit d'une Famille infortunée^ MAHOMET, tragédie, jouée
par M. De la Riçe et quelques autres acteurs du Théâtre de la
Nation.
Cette représentation n'eut pas lieu. Les administrateurs du
Théâtre de la Nation ayant prévenu dans la journée M. Briois
que M. de la Rive et les « quelques autres acteurs annoncés »,
ne se rendraient pas le soir aux Beaujolais^ « le devoir du di-
recteur de ce théâtre étant, au moins, de demander autorisation
de jouer, aux administrateurs et directeurs de M. de la Rive,
pour ce pensionnaire et les quelques autres l'accompa-
gnant. »
M. Briois fit aussitôt placarder des affiches portant : Re-
lâchel... r administration du Théâtre de la Nation se refusant de
venir au secours d'une famille infortunée.
Le soir, le pubhc s'ameuta devant le petit théâtre du bou-
levard Mesnil-Montant, sur le seuil duquel se tenait M. Briois,
disant à qui voulait l'entendre : « Ces gens-là sont des aristo-
crates sans cœur I... Parce que je ne suis par allé me traîner à
leurs pieds, ils refusent de venir en aide à des malheureux qui
meurent de faim, de froid et sont sans gîte. »
Il fit tant, qu'une bande de cinquante à soixante braillards
s'en alla jusqu'au Théâtre de la Nation en vociférant : « A la
Lanterne, les acteurs de la Nation ! A bas les aristocrates ! ».
Les badauds avaient augmenté le groupe de manifestants
à la tête desquels s'était mis M. Briois. Et c'est au nombre de
quatre à cinq cents que les hurleurs arrivèrent devant le
Théâtre de « MM. les Comédiens Français, près le Luxem-
bourg. »
On voulut forcer les portes pour pénétrer de force ; mais la
police et les gardes intervinrent et parvinrent à dissiper la
foule des tapageurs, en faisant quelques arrestations.
Le lendemain, 5 Février, paraissait dans les journaux cette
note, envoyée par le Théâtre de la Nation :
118 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS >)
« C'est par un malentendu que l'on a annoncé Mahomet, sur
le Théâtre des Beaujolais. Une « famille indigente », qui avait
sollicité cette représentation, a trouvé des secours dans l'ac-
tive bienfaisance de M. Delarwe qui, secondé par les Comé-
diens-Français, vient de donner avec eux, une nouvelle preuve
de cette touchante sensibilité, compagne ordinaire des vrais
talents. »
Ainsi se termina, par une trop évidente réclame, cet inci-
dent, qui avait menacé de devenir gros de conséquences.
Le comédien Naudet, du Théâtre de la Nation, qui avait,
comme on dit encore et comme on disait déjà, la tête près du
bonnet, alla trouver M. Briois, en son théâtre, et lui dit :
« Vous êtes un drôle et un malhonnête homme !...on vous a vu
à la tête de la troupe de forcenés qui, vendredi dernier, est
venue crier : « A l'eau les aristocrates du Théâtre de la Nation I
Je suis un de ces aristocrates, et je viens pour que vous me
flanquiez à l'eau I... Allez-y !... »
M. Briois, voyant qu'il avait affaire à un homme très
solide et déterminé, jura ses grands dieux qu'il n'avait pas
pris part à la turbulente manifestation ; et l'entrevue se
termina par cette apostrophe virulente de Naudet :
— Si jamais je vous repince à faire, ou dire quoi que ce
soit contre notre théâtre, c'est à coups de bottes dans le der-
rière que je vous reconduirai dans le vôtre.
L'incident, tout au long, est ainsi conté dans VAlmanach
des Petits Théâtres du Boulei^ard .
Quelques jours après, l'un des moindres acteurs des Beau-
jolais fut trouvé mort chez lui. Il s'était asphyxié, en laissant
sur sa table une lettre adressée au commissaire de son quar-
tier. Il demeurait rue Tiquetonne, chez la dame Dupré, pa-
roisse Sainte-Eustache.
La lettre disait : « Modeste acteur, je vivais des petits ap-
pointements que me payait le bon M. de Lomel. La fille Mon-
tansier, sale p et malhonnête femme de mauvaise vie, en
la compagnie du sieur Neui^ille, son principal « macreau », nous
ont méchamment chassés de notre cher théâtre, au Palais-
Royal; et depuis, je meurs de misère! C'est trop long; j'aime
THEATRE DES « BEAUJOLAIS » 119
mieux crever tout à fait que de souffrir plus longtemps. Adieu
à cette vilaine terre, à ses vilains habitans. J'accuse cette
atroce fille Montansier et son ignoble Neuville de ma mort.
Que l'on vende les derniers meubles qui me restent, au profit
de ma camarade Charlotte Cornu, qui souvent m'a aidé,
quoique bien malheureuse aussi. »
«Nicolas HUGOT. »
M. de Lomel voulut tirer parti de cette lettre pour se venger
un peu de la Montansier, et en porta la copie aux journaux.
Mais la Montansier était connue comme très processive, for-
tement appuyée. Les journalistes la ménageaient, d'aucuns,
même, la redoutaient ; pas un n'accepta d'insérer le testament
du pauvre Hugot.
M. de Lomel le fit alors imprimer à ses frais, sous le titre de :
Testament d'une innocente victime ! sans nom d'imprimeur,
car l'imprimeur craignait également les poursuites qu'eût pu
exercer contre lui la demoiselle Montansier.
Celle-ci, quand parut « la dernière pensée du suicidé », ne
put donc que se contenter de faire détruire le plus d'exem-
plaires qu'elle fit saisir ; et c'est l'un de ces très rares exem-
plaires, appartenant à M. Nuitter, l'obhgeant bibhothé-
caire de 'l'Opéra, trop tôt décédé pour le monde et l'art du
Théâtre, que nous l'avons pu reproduire ici.
Les comédiens du boulevard du Temple finirent par
s'émouvoir de l'extrême détresse dans laquelle se trouvaient
réduits leurs camarades des Beaujolais. Eux-mêmes, peu for-
tunés, ne pouvaient que fort peu leur venir en aide. Ils firent
cependant courir dans tous leurs foyers et dans les cafés où
ils fréquentaient, une Hste de souscription qui rapporta
187 hvres et 10 sols.
Cette somme fut remise à M. Briois. Mais celui-ci, au lieu
de la distribuer honnêtement et comme il eût dû le faire, à
ses infortunés comédiens, s'empressa de disparaître, les lais-
sant misérablement se débrouiller comme ils le pourraient.
Ce fut sur tout le boulevard du Temple un haro furieux
contre « l'indélicat » directeur. Le nom de Briois fut collé sur
120 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
tous les murs, affiché dans tous les cafés, suivi de l'épithète
de « voleur I »
On parla de le brûler en effigie dans une grande représen-
tation organisée au profit des comédiens dépouillés. L'auto-
rité s'opposa à cet innocent autodafé « dans la crainte d'in-
cendie. »
La représentation eut lieu cependant et produisit la somme
de 518 livres, qui fut distribuée impartialement aux malheu-
reuses victimes du scélérat Briois.
Le propriétaire de la salle du boulevard de Mesnil-Montant,
autorisa alors les comédiens victimes à jouer en société, se
contentant de ne percevoir que 15 p. 100 sur la recette
brute.
Le 17 février, les derniers acteurs des Beaujolais^ car beau-
coup avaient trouvé de partir en province ou de s'engager ail-
leurs, purent donc donner encore un spectacle ainsi composé :
1° Le Vieillard dupé^ opéra-boufîon en deux actes ;
2° Le Villageois à Vépreuve, en deux actes ;
3° La Soubrette insolente^ en un acte.
Cette pièce n'était autre que la Sentante maîtresse^ dont,
pour la circonstance, les Comédiens, de leur chef, changeaient
le titre.
Pour exciter la curiosité du pubhc, les pauvres victimes,
faisant abnégation de leur chatouilleux amour-propre, avaient
écrit en bas de leurs affiches :
« Ces pièces seront jouées par de nouveaux acteurs. »
Hélas ! cent fois hélas ! le public ne se dérangea pas plus
pour venir voir jouer les « nouveaux acteurs » que les
anciens.
Mars 1791. — Et le 6 Mars suivant, sur injonction du pro-
priétaire de la salle, las de ne pas toucher ses loyers, les socié-
taires annoncèrent :
Pour la clôture du Théâtre des Beaujolais :
1° Le Menuisier de Bagdad ;
2° La Servante maîtresse ; le titre avait été rétabh ;
3° Et Le Fat en bonne Fortune.
Voilà donc les infortunés comédiens de ce théâtre, qui avait
THEATRE DES « BEAUJOLAIS )) 121
été si triomphant, sur le pavé de la rue, sans ressource
aucune et sans pain.
Ne se décourageant pas, et poussés par M. de Lomel, qu'ils
étaient allés solliciter dans sa retraite, pour qu'il se remît un
instant à leur tête, ils rendirent une visite intéressée au sieur
Astley, dont le cirque était situé à l'entrée du faubourg du
Temple, où se trouve maintenant la fabrique de biscuits Guil-
lout, et lui demandèrent de leur louer sa salle, moyennant cer-
taines redevances, sur les recettes qu'ils pourraient faire.
Le sieur Astley accepta l'offre des comédiens, qui se mirent
à l'ouvrage, pour transformer momentanément le cirque en
Salle de spectacle.
Ils firent tout par eux-mêmes; et le dimanche 20 Mars 1791,
le nouveau spectacle fut ouvert au public, sous l'enseigne
énigmatique de : Théâtre des Comédiens sans titre.
On donna la première représentation de :
1^ Le Bosquet de T halle, comphment au public ;
2^ Nanine, pièce du répertoire des Beaujolais ;
3^ La première représentation de : Il ne faut pas dire : « Fon-
taine, je ne boirai pas de ton eau », comédie ;
Et 4° la première représentation de : Les oracles du bois
de Boulogne, comédie.
Le Compliment était ainsi conçu :
« Dans le Bosquet de Tlialie
Les oiseaux se sont groupés,
Joyeux fils de la Trolie
De leurs cages échappés,
Venez, venez les entendre
Chanter leurs gazouillements ;
Venez, venez les surprendre
Dans leurs doux épanchements,
Vous ne regretterez guères
En admirant leurs attraits
Ce qu'avaient été naguères
Les petits des Deaujnlais,
Et vous reviendrez en masse
Aux lazzis de chaque acteur,
Pour que chaque actrice embrasse
Au contrôle un spectateur.
122 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS ))
Et, ainsi qu'il était annoncé dans ce prologue, à la sortie,
chaque actrice s'était fidèlement rendue au contrôle, et avait
embrassé un spectateur, ce qui avait beaucoup diverti et
donné quelque espoir aux acteurs réunis.
Ce compliment était de M. de Lomel.
Une fois encore, il tentait de sauver de la sinistre misère ses
comédiens. Il n'y réussit pas.
J'ai trouvé ce document sur le prospectus de cette représen-
tation, qui appartenait à mon cher et regretté Sapin, l'inappré-
ciable collectionneur sur le théâtre.
Le prix des places était de 30 sols les premières, 20 sols les
secondes et 12 sols les troisièmes.
On espérait que la modicité du prix attirerait la foule. Mais
quand le public a résolu de ne pas aller quelque part, missiez-
vous les places à deux sous, il n'y va pas. De même, par con-
traste, lorsqu'il veut voir quelque chose qui l'intéresse, les
places fussent-elles au taux le plus exorbitant, il se précipite
au bureau de la location et envahit la salle.
Tous les contrôleurs de théâtre vous diront qu'ils n'ont
pas de public plus difficile, plus grincheux, plus méticuleux
que celui des demi-succès.
Dans le grand succès, où la foule accourt, le spectateur ac-
cepte, presque comme une grâce, la place, même mauvaise, que
le contrôleur lui distribue, à défaut d'autre. Il ne récrimine
pas ; mal placé, il se trouve heureux ; il voit, il entend ce qu'il
était si désireux de voir et d'entendre.
Il en était ainsi à cette époque, comme il en est de même
aujourd'hui, et comme il en sera toujours de même dans tous
les temps.
Le 23 Mars^ c'est-à-dire trois jours après son ouverture,
le Théâtre des Comédiens sans titre (anciens Beaujolais) avait
vécu. Le funèbre mot RELACHE fut collé sur l'étendue de la
façade du cirque Astley.
Ce Relâche devait se prolonger indéfiniment.
Ainsi finit le Théâtre des Petits Comédiens de S. A. S. Mon-
seigneur le Comte de Beaujolais.
THEATRE DES a BEAUJOLAIS )) 123
CHAPITRE IX
CONCLUSION. — ENSEIGNES SUCCESSIVES. — DIRECTEURS
NOUVEAUX. — ARTISTES. — FIN.
La demoiselle Montansier, mauvaise femme, mais très
habile directrice, s'était empressée de changer le titre de
Théâtre des Beaujolais^ en y substituant très vaniteusement,
d'abord celui de Théâtre de la Demoiselle Montansier^ puis,
celui de Théâtre Montansier.
L'ouverture de ce nouveau spectacle se fit le 12 Avril 1790.
En 1791, le Palais- Royal étant devenu le Palais-Egalité,
la Montansier, de nouveau, changea son enseigne en celle, un
peu trop longue, de Théâtre du Péristyle du Jardin- Egalité.
En 1794, l'associé de la Montansier, devenu son mari, dé-
cida la dite Montansier, femme Neuville, à suivre la fluctua-
tion politique, et à changer encore son titre en celui de Théâ-
tre de la Montagne.
Les « Montagnards » étaient tout puissants ; la dame phait
sa vieille échine monarchique devant le pouvoir et sacrifiait
aux dieux du moment.
Le nom véritable de Neuville était Bourdon. C'était un fort
bel homme ; il avait été capitaine de cuirassiers au service de
l'empereur d'Autriche.
En 1795, Robespierre étant mort, et le mot « Montagne »
sonnant mal aux esprits, le théâtre ci-devant Beaujolais se fit
Théâtre des Variétés.
En Avril 1795, la femme Montansier, ayant loué son théâtre
aux sieurs Poignet père, Crétu, César, Simon, Ribié et veuve
Nicolet, associés, n'y avait consenti qu'à la condition de voir
124 THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS »
artistes exploitant, conserver le titre de Théâtre des Variétés,
en y ajoutant le nom de Montansier. Les pauvres ex-Beau-
jolais se virent donc transformer une fois de plus en Théâtre
des Variétés- Montansier.
En 1799, les Artistes Associés reprirent — la dame Mon-
tansier consentante — le titre de Théâtre du Jardin- Egalité.
Vers la fin de 1799, ils baptisèrent à nouveau leur spectacle
du nom de Théâtre du Palais- Egalité.
En 1800, la Montansier ayant reconquis la part principale
de l'association, les Beaujolais redevinrent Théâtre Montansier.
Grâce au talent si naïf, si vrai de Brunet le grand comi-
que, autour duquel elle avait su grouper des comédiens
excentriques tels que Tiercelin, Volange et autres de même
valeur, le théâtre devint le théâtre à la mode.
Brazier écrit dans son Histoire des Petits Théâtres de Paris :
« La voix enchanteresse de Mme Caroline, le talent original
de Brunet, celui de Tiercelin, le zèle des administrateurs, les
pièces gaies, font de ces anciens Beaujolais, le heu le plus fré-
quenté de Paris. »
Le décret impérial de 1807 fit fermer le théâtre des Beau-
jolais- Montansier , qui devint café-concert l'année suivante.
C'est sur les plaintes portées par les comédiens du Théâtre-
Français que, le 31 Décembre 1806, la troupe quitta le Théâtre
Montansier, pour se transporter sur celui de la Cité, situé où
se trouve aujourd'hui le Tribunal de commerce.
Et Brunet s'écriait naïvement : Comment l'Empereur
peut-il supposer que je fasse du tort à Talma, nous ne jouons
pas le même emploi.
Le 14 Août 1810, les Beaujolais — toujours au Palais-
Royal — devinrent théâtre d'acrobates sous le titre de Théâ-
tre des Jeux Forains. Ils vécurent deux années sous cette
appellation et fermèrent de nouveau leurs portes en 1812.
En 1808, Mlle Montansier, veuve Bourdon-Neuville, avait
épousé secrètement le fameux danseur de corde Forioso ; elle
avait alors 78 ans. C'est ce Forioso qui l'avait décidée à trans-
porter le genre acrobatique sur la johe scène de Mgr de
Beaujolais.
THEATRE DES (( BEAUJOLAIS ï) 125
Après les acrobates, revinrent les marionnettes, Puppi et
Fantoccini ; puis des chiens savants auxquels on faisait jouer
de « fort touchants mélodrames ».
Avec les marionnettes, était revenue la concession de re-
présenter des pantomimes, dans lesquelles deux personnages
seulement avaient le droit de parler.
Ce fut l'auteur Martainville — celui qui avait répondu,
sous la Terreur, au président du Tribunal révolutionnaire,
qui l'appelait de Martainville : « Citoyen Président, tu oublies
que je suis ici pour être raccourci et non pour être allongé. » —
ce fut Martainville, dis-je, qui inaugura le théâtre par un pro-
logue intitulé : La Résurrection de Brioché.
Quant aux mélodrames joués par les chiens savants, je veux,
d'après Brazier, citer un seul des scénarios :
« Une jeune princesse russe est retenue captive dans un
château-fort, sous la garde d'un Tyran. Son amant veut la
déhvrer, ce qui nécessite l'attaque du château. »
« La princesse russe — une johe chienne épagneule à lon-
gues soies — se promenait sur la tour, comme Madame Mal-
borough. »
« Paraissait le Prince, son amant — un beau chien caniche —
emblème de la fidéhté. Il allait et venait, aboyant son amour. »
« Le Tyran était un bouledogue, avec le nez écrasé, vraie
figure de kalmouck. A un signal donné, l'armée du malheureux
amant venait se ranger sur le théâtre ; c'étaient des barbets,
des caniches, des lévriers, des bassets. »
« Les soldats du camp ennemi étaient des Danois, des An-
glais, des griffons, des carhns, des roquets. On voyait de temps
en temps passer des éclaireurs; c'étaient de petits chiens
qui portaient à la gueule un bâton avec une lanterne à
chaque bout. »
« Au moment où les troupes se mettaient en mouvement,
les assaillants escaladaient les murailles ; les assiégés les re-
poussaient ; la mêlée devenait générale ; mais bientôt les
troupes de l'amant malheureux montaient à l'assaut, le fort
était emporté, la Princesse délivrée et le Tyran emmené
prisonnier. »
126 THEATRE DES « BEAUJOLAIS »
Tous ces chiens avaient leurs noms portés sur les affiches :
Médor, Turc^ Azor, Diane, etc., etc.
Les habitués les connaissaient et « Ton entendait de toutes
parts, des baignoires au paradis: «Tiens! voilà Médor !... Ahl
ah I voilà Turc !... Tiens I c'est Azor qui commande la pa-
trouille. »
Des particuliers conduisaient leurs chiens à ce théâtre, et
les confiaient aux instructeurs canins, pour la seule gloire de
les voir figurer.
« Un soir, raconte Brazier, un caniche était de faction au
pied de la tour, lorsque son maître entra dans la salle et
se plaça à l'orchestre ; le pauvre chien le reconnut, quitta
son poste et déserta avec armes et bagages 1... peu s'en fallut
qu'il n'entraînât une désertion générale. »
En 1815, pendant les Gent-Jours, les Beaujolais devinrent,
sous le titre de Café de la Victoire, le rendez-vous de tous les
partisans de l'Empereur. C'était un café-spectacle, sur lequel
on donnait des petites pièces en un acte, des duos, où l'on
chantait des flonflons et de gais refrains.
« Lors de la seconde Restauration, écrit le Vieux Comparse,
auteur des Mystères des Théâtres de Paris, des gardes du corps,
des mousquetaires, firent expier à la pauvre salle des Beau-
jolais le tort d'avoir retenti des refrains bonapartistes ; ils
brisèrent tout dans le café, et, quelques jours après, on chan-
tait en montrant les jeunes officiers de la maison du roi :
« Ce qu'ils ont fait ?... ils ont cassé les glaces
Du café Montansier. »
« La salle fut fermée à cause de ce désordre. »
Je lis dans VArchitectonographie des Théâtres de Paris :
« L'ancienne salle du Palais- Royal, qui ne formait pas un
édifice distinct, mais faisait partie des bâtiments au pourtour
du jardin, a été convertie en un vaste et magnifique café. «
Ce café prit d'abord le nom de Café Beaujolais. Par la suite,
il s'intitula Café de la Paix.
« On avait, pour cela, élevé le parterre au niveau des pre-
mières et du foyer. Les deux galeries supérieures ont été con-
THÉÂTRE DES « BEAUJOLAIS )) 127
servées ainsi que le Théâtre, sur lequel paraissent encore des
danseurs de corde, et où l'on joue des parades. Dans les inter-
mèdes, il y a constamment symphonie. Le café de la Paix,
richement décoré de peintures, de dorures, de glaces, et fré-
quenté par les beautés vagabondes du Palais-Royal, est visité
par tous les étrangers, mais on chercherait vainement la bonne
compagnie au milieu de ses habitués. »
Brazier écrit encore : « L'étabhssement fut rouvert par un
nommé Valin, qui continua tranquillement d'y faire repré-
senter de petites pièces à couplets, mais à deux personnages
seulement. » Dans le premier spectacle les acteurs Burin et
Stockleit chantaient sur un air nouveau :
Nous n' somm's que deux,
C'est malheureux,
Car si nous étions trois,
Ce s'rait contraire aux lois,
Et si nous étions quatre
On pourrait nous abattre,
Mais,
Nous n' somm's que deux,
C'est malheureux.
Ah ! si cinq nous étions,
Comm' nous triompherions.
Et si nous étions six
Nous aurions tout Paris ;
Mais,
Nous n' somm's que deux.
C'est malheureux.
Ah ! si nous étions sept,
Queir fortune on ferait.
Huit I Ce serait trop beau,
A tous les coups, 1' gros lot.
Mais,
Nous n' somm's que deux,
C'est malheureux.
Le jour où nous s'rons neuf
Je tiendrai mon pied d' bœuf.
Je m'arrêt' devant dix
128 THÉÂTRE DES a BEAUJOLAIS »
Porte du Paradis,
Car,
Nous n' somm's que deux,
C'est fort heureux.
On vit à deux.
Bien plus heureux.
La Révolution de 1830 arriva.
Louis-Philippe I®^ succéda à Charles X.
Le Ministre de l'Intérieur, M. Montahvet, accorda à MM.
Contat-Desfontaines, dit Dormeuil^ et à M. Charles Poirson^
frère de M. Delastre-Poirson, directeur du Théâtre du Gym-
nase, le privilège de rouvrir la salle des Beaujolais sous le titre
de Théâtre du Palais-Royal.
Une société fut formée par les deux directeurs ; société
dont « cent-vingt actions de 3.000 francs chacune » formèrent
le capital.
Ce fut l'architecte Guerchy qui reconstruisit entièrement
la salle.
Le régisseur général fut M. Goupart, homme de lettres
et vaudevilHste, qui longtemps avait tenu l'emploi de chef
de bureau des Théâtres au Ministère de l'Intérieur. Une troupe
nouvelle fut formée, troupe dans laquelle on trouve les noms
de Lepeintre aîné, Philippe, Paul, Derval, Sanson, Régnier;
puis Alcide Tousez, « acteur indéchiffrable, logogriphe vivant,
qu'il ne faut pas chercher à expliquer, mais qui ferait rire un
quaker », Levassor, Leménil, Sainville, Boutin, Germain,
Lhéritier, etc.
Mesdames Déjazet, Dormeuil, Zéha Paul, Eléonora Lemé-
nil, Pernon, etc., etc.
Ce fut le 6 Juin 1831, que le Théâtre du Palais-Royal {an-
ciens Beaujolais) s'ouvrit avec un prologue de MM. Mélesville,
Bayard et Brazier, intitulé : Ils ri'ouvriront pas.
Au règne de Louis-Phihppe succéda la Répubhque de 1848.
Le Théâtre du Palais- Royal se vit contraint, sous peine
d'antipatriotisme, de changer son enseigne.
Il s'appela pendant quelques jours THÉÂTRE DE BEAU-
JOLAIS ; puis, définitivement Théâtre Montansier.
THÉÂTRE DES a BEAUJOLAIS )) 129
En 1851, la République s'étant affaissée sous le coup de
botte de Napoléon III, dès 1852, le théâtre redevint le Théâ-
tre du Palais-Royal.
Depuis cette époque, cet immortel temple du rire n'a plus
changé son enseigne, conservant à son fronton la belle devise
de Rabelais: Le rire est le propre de l'homme.
Ici s'arrêtent les nombreux avatars du Théâtre des BEAU-
JOLAIS, à travers les temps, les mœurs et les fluctuations
poHtiques.
Des comédiens d'immense talent s'y sont succédé.
Les nommer tous serait nommer tous les grands comiques
de Paris :
Un seul survit : C'est mon bon ami Lassouche, à qui, pour
fermer ce livre de souvenirs et de recherches, je suis bien
heureux de serrer une fois encore la main.
FIN
TABLE DES MATIERES
Pag«i
Chapitre I". — De 1753 à 1787. Préliminaire d'un petit théâ-
tre, appelé à devenir grand 1
Chapitre II. — Prix des places. — Détails rétrospectifs. —
Répertoire. — Découverte d'un livre in-
trouvable 15
Chapitre III. — Détails intimes. -— Rôle de l'instituteur. —
Suite du répertoire. — La petite chanteuse
aveugle 36
Chapitre IV. — 1787 à 1788. Caractères d'enfants. — Utilité
de ce petit théâtre 47
Chapitre V. — 1789. Les petits remplacés par des grands.
— Mort du Dauphin de France. — Camille
Desmoulins. — Fermeture. — Séparation
de MM. Deîomel et Gardeur. — L'honnête
Delomel. — Décadence. — La Demoiselle
Montansier ! 67
Chapitre VI. — 1790. A la recherche d'une nouvelle salle. —
Persécutions de la Montansier. ~ Le Théâ-
tre Mareux. — Le Théâtre des Elèves de
l'Opéra et des Feux Physiques. — Dégrin-
golade 82
Chapitre VII. — Suite de 1790. — Réouverture après Pâques.
— Au Théâtre Mareux 95
Chapitre VIII. — Nouvelles directions. — Le sieur Noisel. —
Sa troupe d'acteurs. — M. Briois. — Le
Cirque Astley. — Le Théâtre des Comé-
diens sans titre 107
Chapitre IX. — Conclusion. — Enseignes successives. —
Directeurs nouveaux. — Artistes. — in. 123
Grande Imprimerie du Centre, HERBIN. — Montiuçon
o
B
<
w
<
•H
Hl-
\ i
PN Pèricaud, Lotiis
2636 Théâtre
P4B47
cop.2
PLEASE DO NOT REMOVE
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UNIVERSmr OF TORONTO LIBRARY