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University of Ottawa
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LA
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do 4 FR -domgosi ee
TRATTÉE
DE LA GARANCE,
ET
DE SA CUETURE.
Avec la Defcription des Étuves
pour deffécher cette Plante, G
des Moulins pour la pulvérifer.
NOUVELLE EDITION.
Avec Figures en taille-douce.
Par M. DUHAMEL DU MONCE AU, de l’Académie
Royale des Sciences ; de la Société Royale de Londres ;
de celle des Arts & du Commerce d'Angleterre; de
la Société d'Edimbourg ; de l’Inflitur de Boulogne ;
de l’Académie Impériale de Petershourg ; de celle
Phyfico-Botanique de Florence, &'c. & de pluieurs
Sociétés d'Agriculture ; Infpelteur Général de la
Marine,
X: PAR I 9
Chez H.L. Guerin & L.F. DELcAToUs,
rue S. Jacques, à S. Thomas d'Aquin,
M'DEÉ EXT
Avec Approbation & Privilege du Roi,
DES ARTFICELES.
a AITÉ de la Garance & de fa
Culture , Page 1
INTRODUCTION, Ibid.
ArRTicee I, Des différentes efpeces de Garance, 6
ART. Ii. Defcription de la Garance, Rubia Tin-
Étorum fativa, C. B. e
ART. 11, Des Terres propresa la Garance, 11
ART. IV. Préparation de la Terre pour en faire
une Garanciere , 13
ART. V. Multiplication de la Garance par les
Semences ; 14
Arr. VI. Maniere de former une Garanciere avec
de gros pieds bien pourvus de racines, 22
ART. VII. Maniere de former une Garanciere avec
des tronçons de Racines , 24
ART. VIII, De la Mulriplication de la Garance par
les Drageons enracinés , 2$
ART. IX. Culture dela Garance plantée par Tlan-
ches & Plate-bandes ; avec la maniere de faire
les Couchis , 33
ART. X,. Récolre des Racines de Garance, 4I
ART. XI. DuDefféchement de la Garance, 44
ART.X II, Qu'on peur employer la Garance verte,
fans la deffécher ni la pulvérifer , SI
ART. XIII. Du choix de La Garance, 59
ART. XIV. Maniere de faire un Effai de Teinrure
_ avec la Garance, 64
ART. XV. Maniere de deffécher & de puluérifer la
Garance , 66
pi TALLE DES ARTICLES.
Arr. XVI. Culture de la Garance en Zélande &r en
Hollande , : 69
ArT. XVII, Arrêt du Confeil d'État du Rot du
29 Février 1756, en faveur de ceux qui culri-
veront. la Garance 73
* DescRiPTION des Etuves pour def-
fécher la Garance, & des Mou-
lins pour la pulvérifer , 76
ARTICLE Î. Defcription de l'EtuvedeLille, ibid.
ART. II, Réflexions fur l'Etuve qu'on emploie à
Lille , S4
ART. III. Du fourneau de cette Etuve, 92
ART. IV. De la Meule verticale, pour écrafer la
Garance , 95
ART. V. Defcription du Moulin à grapper la Ga-
rance, tel qu'il ef} exécuté à Lille en Flandre , 96
Arr. VI. Réflexions [ur la confiruttion du Moulin
de Lille, 102
ART. VII. Defcription du Moulin à puluérifer la
Garance , conflruit a Corbeilles , 10$
OBSERVATIONS, 113
EXPLICATION des figures du Moulin de Corbeil-
les , 118
CONCLUSION, 126
Fin de la Table des Articles.
NOT 4.
L’Approbation & le Privilege du Roi fe trouvent
dans les précédentes Editions,
TRAITÉ
TRAITÉE
DE LA GARANCE,
ET
DE SA CULTÜRE.
cé cr Li Ce Ce CO ci
INTRODUCTION.
| A RACINE DE LA GARANCE eft d’un
ufage fort étendu pour la Teinture des
Laines, du Coton & des Etoffes. Elle
les teinten rouge : cette couleur, à la
vérité, eft peu brillante; mais elle ré-
fifte fans altération à l’a&tion de l’air, à
celle des rayons du foleil, & à l'effet
des ingrédients qu'on emploie pour
éprouver fa ténacité. On l'emploie en-
core pour donner de la folidité à plu-
fieurs autres couleurs compofées,
A
3 CULTURE
Ces avantages ont engagé le Minif-
tere à encourager la culture d’une plan-
te qui devient d’une fi grande impor-
tance pour plufeurs Manufa@ures. Ce
motif la porté à accorder en 1756
des privileges diftingués en faveur de
ceux qui entreprendroient de la cul
tiver. J'ai été engagé à publier en
3757, un Mémoire fur la Garance &
fur fa culture. L’édition de ce petit
ouvrage fe trouvant épuifée, & la con-
fommation de cette plante étant de-
venue plus confidérable que jamais, par
létabliffement de quantité de Manu-
fa@ures de Toiles peintes, on en a de-
firé une réimpreflion. Mais comme la
culture & l'emploi de la Garance fe font
beaucoup perfe&ionnés depuis 1757;
j'ai cru devoir faire des changements
& des additions confidérables à mon
premier Mémoire, pour le rendre plus
utile au Public. Mon principal objet
eft toujours Île même, celui d’inftruire
Je Cultivateur préférablement au Tein-
turier, qui probablement renonceradé-
DE LA GARANCE. 3
formais à tirer de l'Etranger la racine
de cette plante, lorfqu’il verraque nos
Provinces feront en état de lui en four-
nir de très-bonne qualité , &au même
prix que celle qu'il tire des Hollan-
dois, des Zélandois , &c.
La culture de la Garance n’eft point
nouvelle en France : on enéleve de-
puis long-temps aux environs de Lille
en Flandre ; mais comme les Payfans
de cette Province font toujours avides
de jouir du bénéfice de leur récolte, ils
arrachent les racines avant qu’elles
aient eu le temps d’acquérir affez de
groffeur , ce qui fait qu’elles ont peu
de parenchyme, qui eft la partie qui
contient principalement la fubftance
colorante. C’eft pour cette raifon que
la Garance de Flandre eft moins efti-
mée que celle de Zélande.
Nous ne penfons pas cependant que
les plus groffes racines foient toujours
les meilleures:1l ya en cela,comme en
beaucoup d’autres chofes, un milieu à
obferver. Des racines de cette plante
À 1
4 CULTURE
qui auront refté très-long temps en
terre , fe trouveront [ouvent avoir
moins de parties colorantes que d’au-
tres qui , par une bonne culture, fe-
ront aflez promptement parvenues à
une grofieur convenable. J’en ai ce-
pendant vu de très-belles qui avoient
été arrachées dans les bois & dans
d’autres endroits où elles avoient crû
naturellement ; & où probablement
cette plante fubfftoit depuis long-
temps.
L’Azala ou Izari,qui eft une Garance
que l’on cultive dans les plaines de
Smyrne , féchée fans feu, eft la feule
efpece de toutes celles qui entrent dans
le Commerce qui donne au coton bien
préparé ce rouge vif incarnat, que l’on
appelle Rouge d’Andrinople , & qu'on
imite fi bien maintenant en France,
On l'envoie en nature à Marfeille :
ceux qui en veulent faire ufage , la font
pulvérifer.
Cette Garance de Smyrne n’elt ce-
pendant pas la feule qui donne un fi
DE LA GARANCE. $
beau rouge. On eft parvenu à donner
cette belle couleur au coton avec la
Garancé des Provinces de Languedoc,
de Poitou, du Gatinois, des environs de
Rouen, & même avec celle qui croît
fans culture au pied des haies. Il faut
avoir foin de faire fécher cette racine,
de maniere qu’elle ne contraéte aucune
impreflion de fumée, & par une cha-
leur modérée. Nous en parlerons dans
Je cours de cet Ouvrage.
Il eft étonnant qu’on abandonne
aux Etrangers la culture d’une plante
dont la plupart des Propriétaires des
terres pourroient tirer un profit confi-
dérable , en fe conformant aux inftru-
&ions qu'ils pourront puifer dans ce
petit Ouvrage.
A ii
6 CU EUMN EE SRE
LL. 2
A ROBE CL ERE
Des différentes efpeces de Garance.
EF y à plufieurs efpeces de Garance
qui toutes fourniffent de la teinture.
M. GueTrarp , de PAcadémie Royale
des Sciences, a éprouvé que les Caille-lait,
Gallium (PL. I. fig. 2), pourroient en four-
nir; mais il ne dit point que ce rouge foit
auffi intenfe , ni auffi beau que celui des
garances ; d’ailleurs les racines de Gallium
font très-menues. Il eft vrai que le Raye-
de-chaÿe, ou Chayaver ( Hediotis herbacea
Linn.), qu'on emploie pour la teinture
rouge fur la côte de Coromandel, eft vrai-
femblablement un caïille-lait 3 ce font des.
plantes rubiacées qui fourniffent la teinture
rouge : néanmoins M. d'AMBOURNEY ,
de la Société d'Agriculture de Rouen , ce
zélé Citoyen , qui a fait plufieurs belles
découvertes fur la garance , & que je
citerai plufieurs fois à cette occafion, n’a
pu jufqu à préfent tirer une belle couleur
du gallium : les racines de cette plante font
fi déliées qu’on peut négliger de l’em-
ployer pour la teinture.
Îl ÿ a encore une plante fort appro-
DE LA GARANCE, "7
chante de la garance , qu’on nomme Croi-
fette | Cruciata ou Rubia quadrifolia vel
latifolia levis. I. B. Cette plante ne dif-
fere du Gallium que parce qu’elle n’a à
chèque étage que quatre feuilles difpofées
en croix. Je n’ai point examiné fi fes ra-
cines donnent beaucoup de couleur , mais
M. d’Ambourney a teint en beau rouge
du coton, avec des racines fraîches de la
Cruciata Lufitanica , latifolia glabra ,
flore albo : INsT. Il y a employé de ces ra-
cines fraîches , au poids de fix fois celui
du coton. Ce coton après avoir été teint,
a bien réufñ à l’avivage , & a foutenu le
débouilli du favon pendant dix minutes.
Comme je fuis perfuadé que M. d’Am-
bourney communiquera le détail de fon
expérience à la Société d'Agriculture de
Rouen , ilme fufht ici d’annoncer le fait.
L’Azala ou Izari de Smyrne, que on
emploie à Darnetal & à Aubenas pour faire
les belles teintures incarnates fur le coton,
à la façon d’Andrinople , eft une vraie
garance : il en croît naturellement quel-
ques efpeces dans les haies & dans les bois,
dont les racines , lorfqw’elles font féchées
avec précaution, fourniflent d’aufhi belle
teinture que l’Azala de Smyrne. M. d’Am-
bourney a cultivé une efpece de garance
qui s’eft trouvée fur les rochers d’Oifel
A iv
8 Curfvreze
en Normandie : les racines de cette plante
lui ont donné une teinture du moins auffi
belle que l'Azala.
L’efpece qu’on cultive le plus ordinai-
rement eft le Rubia Tinétorum fativa, C. B.
C’eft cette même efpece dont on fait des
plantations en Zélande & aux environs de
Lille ; on la deffeche, on la pulvérife, &
on envoie vendre en France fous le nom
de Garance, Grappe de Hollande.( PL E,
fig. 1).
Il n’eft pas poffible de faire un auffi bel
incarnat fur le coton , avec cette garance
qu'avec l’azala de Smyrne, non plus qu’a-
vec la garance d’Oifel ; mais je foupçonne
que cette différence ne dépend pas parti-
culiérement de l’efpece de garance, puif-
que le rubia trinétorum fativa, qu’on a
cultivé en plufieurs endroits du royaume,
a donné à M. HELLOT, de l’Académie
Royale des Sciences, une auffi belle tein-
ture que l’azala. Nous ferons voir dans la
fuite en quoi nous eftimons que confifte le
défaut des garances de Zélande & de
Lille : il faut, avanttout, donner la def-
cription de la garance qu’on cultiveleplus
communément.
“br
DE LA GARANCE. 9
NRA EE" TE
Defcription de la Garance , Rubia
Tin£orum fativa , C. B.
Carre PLANTE poufle des tiges lon-
gues de 3 à 4 pieds, quarrées , noueufes,
rudes au toucher ( PI. I. fig. 1) : elles fe
foutiennent aflez droites : chaque nœud
eft garni de cinq ou fix feuilles pofées
dans le pourtour de la tige , ou , comme
difent les Botaniftes,verticillees : ces feuil-
les font longues , étroites, garnies à leurs
bords de dents fines & dures qui s’atta-
chent aux habits.
Les fleurs 2,b,c,d , naïffent vers les
extrémités des branches : elles font d’une
feule piece, figurées en godet , percées
dans le fond c, découpées par leurs bords
en 4ou $ parties : leur couleur eft d’un
jaune verdâtre : on apperçoit dans l’in-
térieur quatre étamines & un piftil, formé
d’un ftyle fourchu ee, porté fur un em-
bryon qui fait partie du calice. Cet em-
bryon devient un fruit compofé de deux
baies fucculentes attachées enfemble.
Quand les fruits font mûrs , chaque baie
contient une femence prefque rondefg,
10 CULTURE
recouverte par une pellicule : les racines
de cette plante font longues , rampantes :
d’autres fois pivotantes, de la groffeur d’un
tuyau de plume, quelquefois de celle du
petit doigt , ligneufes , rougeâtres, &
elles ont un goût aftringent : c’eft cette
feule partie qu’on emploie pour les tein-
tures. M. d’'Ambourney qui a cultivé la
garance d’Oiffel, dit qu’elle pouffe plutôt
au printemps que celle de Lille : il ajoute
que fes tiges menues fe penchent jufqu’à
terre, dès qu’elles fe font feulement éren-
dues de la longueur d’un pied : les feuilles
de cette efpece font plus étroites que celles
de la garance de Lille : la principale dif-
férence qui diflingue ces deux efpeces de
garance eft , fuivant le même Amateur,
que les racines de celle d’Oïffel font moins
grofles, moins vives en couleur, moins
garnies de nœuds & de chevelu , que celle
de Lille. Comme elle à donné à la tein-
ture une belle couleur qui a mieux réfifté
au débouilli que celle de Lille, M. d’Am-
bournay foupçonne que c’eft cette efpece
de garance qu’on nomme Azala ou Izari ;
car il dit que la graine qu’il a tirée de
Smyrne lui a effectivement donné la même
plante. Néanmoins la graine tirée du Le-
vant fous le nom d’Azala, a produit , au
Jardin du Roi, la même efpece de garance
DE LA GARANCE. 17
que celle de Lille. Quant à moi , je foup-
çonne que la garance d’Oiffel eft le Rubia
filveltris Monspefqulana major, J. B.
Cette garance donne de la graine bien
plus promptement, & en plus grande quan-
tité que celle de Lille ; mais elle ne prend
pas auffi aifément de drageons.
MORT EC BP )/TIT
Des Terres propres à la Garance.
L: GARANCE fubfifte dans toutes fortes
de terres ; mais elle ne fait pas égale-
ment par-tout de belles produétions. J’ai
éprouvé qu’elle ne fe plaît pas dans les
terreins fecs , quoique bons pour le fro-
ment: elle aime les terres fubftantieufes,
douces & humides en deffous ; mais elle
périt quand elle eft fubmergée , ou dans
les terreins aquatiques : j’en ai vu bien
réuflir dans un fable gras qui étoit aflis
fur la glaife 3 & comme un fond de glaife
empêche les racines de pénétrer beaucoup
enterre , elles coulent, pour ainfi dire,
fur ce fol qui retient l'humidité, elles s’y
multiplient , y deviennent fort grofles , &
font plus aifées à arracher que celles qui
pivotent beaucoup; car il y a telle de ces
12 CuzTusr
racines qui s'étendent de quatre pieds eñ
terre. On aflure que la garance qu’on cul-
tive dans l'ile de Tergoés en Zélande ,
croit dans un terrein gras, argilleux & un
peu falé.
M. DE CoRBEILLES a cultivé de la
garance avec fuccès dans un terrein qui
eit une efpece de marais, plus inondé des
eaux de pluie, qui reftent fur le fol, faute
d'écoulement , que par les débordements
du Fufain, petite riviere qui le traverfe.
Quoi qu’il en foit, ce terrein eft rempli de
groffes & mauvaifes herbes de marais;
mais après avoir été bien défriché & tra-
verfé de foffés , la garance y a reufi : on
peut conclure d’après les fuccès que cette
plante a eus dans une pareille pofition,
que les marais defféchés font propres pour
la garance.
M. d’Ambourney a élevé;avec affez de
fuccès , de la garance dans une argille
jaune , alliée de fable , fous laquelle , à la
profondeur d’un fer de bêche , fe trouvoit
un banc de caïlloutrès-ferré: cette terre,
comme onpenfe, n’étoit pas d’une bonne
nature; mais elle étoit neuve,& M. d’Am-
bournay apperçut , en arrachant cette
garance , que fes racines avoient pénétré
dans le gravier.
DE LA GARANCE. 13
AR TH OE E LV:
Préparation de la Terre pour en faire
une Garanciere.
Quaxn on fe propofe d’établir une ga-
ranciere dans une terre qui eft déja en va-
Jeur , il fuffit, pour la difpofer ärecevoir
cette plante, de lui donner quelques pro-
fonds labours, comme fi on la deftinoit à
produire du grain : les racines s’étendront
d’autant mieux que la terre aura été ameu-
blie à une plus grande profondeur.
Si on veut planter de la garance dans
une terre en friche , il faut détruire les
mauvaifes herbes qui en rendroient la
culture très-pénible , & mettre la terre en
état de labour par les méthodes qui font
indiquées dans les Eléments d'Agriculture,
Chapitre des défrichements *; puis faire
enforte qu’elle fe trouve bien divifée
ayant d’y femer ou planter la garance dans
les mois d'Avril , Mai & Juin. La terre
ayant été bien ameublie , amendée &net-
toyée d'herbes , ii ef néceflaire de fe
pour voir de graine ou de plant, ainfi que
nous l’allons dire.
* Cet ouvrage eft en deux Volumes in-12 avec figurest
i1fe vend chez Guerin & Delatour, rueS. Jacques,
14 C CAR U'AUE
À, KB ICT EME
Multiplication de la Garance par
les Semences.
Ox PENSE aux environs de Lille que
la garance qu’on y cultive, ne donne point
de graine : quoique les fleurs de cette ef-
pece foient plus fujetres à couler que celles
de la garance d’Oiffel , & qu’elles en don-
nent moins que celle-ci, néanmoins elles
en donnent; & fi on n’en recueille pas à
Lille, c’eft qu'on y eft dans lPufage de
couper les tiges de cette plante avant que
la graine foit mûre & bien formée. Il eft
très-certain que la garance d’Oiflel, & celle
qui croit naturellement en Poitou & en
beaucoup d’autres Provinces , fourniflent
quantité de graine, ainfi que l’Izari ou
Azala de Smyrne. M. d’Ambourney ne
cultive que ces efpeces qui donnent de la
graine dès la premiere année. Dans la fe-
conde , on recueille jufqu’à deux mille grai-
nes fur un feul pied qui n’auroit pu fournir
tout au plus que vingt ou trente boutures.
Cette feule confidération fait fentir, com-
bien il eft avantageux de multiplier la ga=
rance par les femences,
DE LA GARANCE. 15
Quand on a peu de pieds de garance,
la récolte des femences ef difficile , parce
qu’on les cueille alors une à une dans la
crainte de n’en point perdre ; mais quand
on eft bien pourvu de plantes , on en
fait couper les grappes aufli-1ôt que la plus
grande partie de la graine eft mûre : les
femmes de journée que l’on charge ordi-
nairement de ce travail , mettent ces grap-
pes dans leur tablier à mefure qu’elles les
cueillent, enfuite elles les étendent fur des
draps à l’expoftion du foleil. Au bout de
deux ou trois jours,quand l’herbe eft fuff-
famment feche, on bat le tout avec des
baguettes,comme on bat la laine; la bonne
graine fe fépare aifément d’avec les grains
verds & les ordures, après quoi on la
vanne.
La graine eft réputée bien mûre, quand
elle eff noire ou violette. On l’expofe une
feconde fois au foleil jufqu’a ce qu’elle de-
vienne fonore ; car fi la pulpe qui l’enve-
loppe n’étoit pas parfaitement defféchée,
elle fe moifiroit pendant Phyver , & le
germe périroit. M. d’Ambourney compte
abréger encore cette opération en faifant
couper l’herbe avec la faux.
Cette récolte fe fait dans le mois de
Septembre. On conferve cette graine dans
des facs que l’on tient fufpendus dans un
16 CULTURE
grenier jufqu'au temps qu’on fe propofe
de la femer , car les rats & les fouris en
font friands. Si on vouloit la femer fur le
champ , fur une couche , alors on feroit
difpenfé de la faire fecher , car l’humidité
qu'elle contient, en favoriferoit la germi-
nation.
La garance donne donc des femences,
de même que prefque toutes les plantes ; il
en a même des efpeces qui en four-
niflent beaucoup. Nous ferons voir dans
peu , que ces femences procurent un
moyen für de multiplier cette plante: voici
les précautions qu’il faut y apporter. Si
l'on a peu de femence, ou fi l'on veut par-
venir à une prompte multiplication, il faut,
fans balancer, femer cette graine fur cou-
che, ainfi que M. d’Ambourney l’a pra-
tiqué. Cette couche peut s'établir fans
beaucoup d’embarras. On fait en terreune
tranchée de deux pieds de profondeur, on
la remplit de fumier de cheval, d'âne ou
de mulet, nouvellement tiré de l’écurie ;
on foule bien cette litiere, & on en rem-
plit la tranchée de trois pouces plus haut
que le terrein. Si le temps eft au hâle, on
jette par-deflus quelques feaux d’eau , &
on charge cette couche de terreau de
vieille couche ou de terre légere, à Pépaif-
feur de quatre à cinq pouces : on preffe un
peu
DÉ LA GARANCE. 17
peu cette terre en appuyant deflus avec
des mains ; on la drefle avec le rateau,
& on laifle pañler la chaleur du fumier. On
met dans un pot, lit par lit, de la terre &c
de la graine qu’on veut femer ; puis on y
donne un léger arrofement. Au bout de 7
ou 8 jours, la graine eft germée , & en état
d’être femée. [l fera bon d'établir cette
couche le long d’une muraille à l’expofition
du levant ou du midi, & avoir foin de la
garantir des vents froids avec des paillaf-
{ons , comme on fait pour les melonieres.
Vers la fin de Février, quand la grande
chaleur de la couche eft pañlée, &r la graine
germée , on fait des rigoles à trois pouces
de diftance les unes des autres,& d’un pou-
ce de profondeur, dans lefquelles on-ré-
pand la graine germée mêlée avec la terre
du pot. Nous confeillons de répandre cette
graine par rangées , afin d’avoir plus de
facilité à faire les farclages. Dans le temps
de hâle, on donnera un léger arrofement
à cette couche : fi pour cette premiere fois
il furvenoit des gelées un peu fortes, il
feroit bon de la couvrir pendant la nuit
avec des paillaflons. On aura foin d’arra«
cher de temps en tempsles mauvaifes her-
bes. Les plantes fe montrent ordinaire-
ment au bout de 4 ou $ jours. Si on a foin
de les arrofer fréquemment , elles feront
18 CurTunrrzr
en état au mois d'Avril, d’être levées &
d’être mifes en terre, comme nous le di-
rons dans la fuite.
Quand on jugera que les plantes font
affez fortes pour pouvoir être bien-tôt ar-
rachées,on mettra de nouvelle graine dans
un pot,mêlée avec de la terre pour la faire
germer comme la précédente, & on la
répandra fur la même couche dès qu’elle
aura été dégarnie du premier plant. Les
cultures feront les mêmes que pour la pre-
miere opération , excepté qu'on fera dif-
penfé de prendre des précautions contre les
gelées qui ne font pas alors tant a craindre.
Ces fecondes plantes pourront être levées
& tranfplantées vers la mi-Juillet ; mais on
eft quelquefois obligé de différer cette
opération,& de ne les replanter que lorfque
la terre fe trouve humide , car cette cir-
conftance eft abfolument néceffaire , fur-
tout dans l’été.
On peut encore faire germer de la
graine pour la troifieme fois & en garnir
la même couche ; mais rarement pourra-
t-on la replanter dans la même année : on
fera obligé de la laiffer fur la couche juf-
qu'au commencement du printemps de
Pannée fuivante. Ainfi on peut faire aifé-
ment trois récoltes de plant fur une même
couche. Si l’on donne à cette couche cinq
DE LA GARANCE. 19
pieds de largeur fur 30 ou 40 pieds de
longueur , on aura beaucoup de plant, ce
qui eft très-avantageux, parce qu’en éle-
vant ainfi quantité de plant, on eff dif
penfé de faire des couchis qui font moins
avantageux, comme nous le dirons dans
Ja fuite.
Ces femis peuvent encore fe faire fur
des planches de potager bien labourées &
bien amendées: on couvrira les femences
d'un pouce & demi ou de deux pouces de
terreau. Au furplus , les arrofements , les
farclages & les autres attentions doivent
être les mêmes que pour les plants que l’on
éleve fur couche. On ne peut femer en plei-
ne terre avant le 10 ou le 12 d'Avril ; &il
feroit difficile de femer deux fois fur les
mêmes planches dans le courant de l’an-
née : tout l'avantage qu’il y a, fe réduit à
ce que ce plant qui aura refté cinq mois
fur la planche , & qu’on ne replantera
que vers la mi-Septembre, fera plus fort
que celui que l’on aura élevé fur couche.
Quand il fera queftion de lever ces diffé-
rents plants, il faudra avoir une finguliere
attention à ménager les racines, & à ne
faire la tranfplantation que lorfque le temps
fera difpofé à la pluie.
M. d’Ambourney a encore réuffi à fe-
mer cette graine germée dans la garanciere
Bij
20 CULTURE
même ; mais il faut pour cela que la terre
foit bien ameublie par les labours ; & avant
de femer,on donne, avec une petite char-
rue appellée binette , un labour léger &
fuperficiel , afin que la femence nefetrouve
pas trop enterrée : après avoir femé dans
une raie, on en fait une autre dans la-
quelle on ne répand point de femence,
puis une troifieme que l’on feme, & ainfi
alternativement dans toute l’étendue du
champ. Si on vouloit fe fervir d’un femoir,
il faudroit , après avoir bien herfé & bien
uni la terre , répandre la femence avec le
femoir , ce qui feroit d’une prompte exé-
cution ; mais fur-tout il faut que la terre
foit bien nette d’herbe , fans quoi on feroit
néceffité à donner de fréquents labours,ce
qui deviendroit bien à charge : cette pré-
caution eft également néceffaire, & pour
la garance qu’on replante , & pour celle
que l’on feme en place.
La vraie faifon pour femer en place
cette graine après qu’on a eu foin de la
faire germer , comme nous l'avons dit, eft
celle du printemps, vers les derniers jours
d'Avril : nous avertiflons que cette mé-
thode confomme beaucoup de graine. Le
moyen de s’en procurer abondamment eft
de ne point arracher les plantes d’un
champ où les racines feroient affez grofles
DE LA GARANCE. 27
pour qu'on put les employer à la tein-
ture. Ces pieds vigoureux donneront cer-
tainement beaucoup de graine , fans que
l'intérêt du Propriétaire en fouffre ; car
ceux que lon aura laiflé fubfifter une
année de plus en terrre, fourniront une
plus grande quantité de très - belles ra-
cines.
Quand on eft pourvu d’une grande
quantité de beau plant élevé fur couche
ou en planches, il faut le mettre en place.
Pour ceteffet, la terre ayant été bien pré-
parée & nettoyée de mauvaifes herbes, un
Journalier entendu s’occupera à lever ce
plant & à le mettre dans des corbeilles qu’il
recouvrira avec de l’herbe ; on tranfpor-
tera ces corbeilles à d’autres ouvriers qui
planteront les pieds de garance avec la
cheville. Pour diminuer les frais de ce
travail & en accélérer l’opération, M,
d’Ambourney faifoit arranger ce plant
dans les fillons formés avec une charrue,
par des femmes qu’il employoit à cet ou-
vrage , & qui recouvroient avec la main
les racines d’un peu de terre, en obfer-
vant de laiffer fix pouces de diftance d’un
pied à l’autre; elles appuyoient la fane ou
la tige de la plante le long de Pados de
la raie, de maniere qu’il y avoit au moins
un étage de feuilles hors de terre : au
22 CULTURE
retour de la charrue, le verfoir achevoit
de combler le fillon & d’enterrer le plant :
on ne mettoit rien dans le fecond fillon,
mais bien dans le troifieme : d’autres fem-
mes fuivoient avec des rateaux, & perfe-
“ionnoient le travail en garniffant de terre
le collet de chaque plante. Selon cette
méthode , il faut, au moins, 1$ ou 20
milliers de plantes pour garnir un arpent.
En mettant un bon pied de diftance entre
chaque raie, on fe procure la liberté de
donner avec plus de facilité deux légers
labours , & de rechaufler les pieds quand il
en eft befoin.
AR, T:I CG LE: NL
Maniere de former une Garanciere
avec de gros pieds bien pourvus
de racines.
S 1 L’ox fe trouve dans une Province où
la garance croît naturellement dans les
bois, le long des haies ou dans les vignes,
ce qui n’eft pas rare 3 ou fi l’on a un champ
de garance qu’on veuille facrifier pour en
former un plus étendu,on peut arracher des
pieds de garance , en ménageant avec foin
toutes les racines , & fur-toutles trainafles
DE LA GARANCE. 23
ou racines rampantes, qui s’étendent en-
tre deux terres ; & on replantera ces pieds
en entier , en obfervant d’étendre de côté
& d’autre leurs racines rampantes. Si l’ona
lattention que ces racines foient près de
la fuperficie de la terre, la plupart pouffe-
ront dans peu de nouvelles tiges, qui for-
meront autant de bons pieds. Ce plant
fournit beaucoup ,; de forte que quatre
milliers fuffifent pour garnir un arpent. Ces
gros pieds pouñlent ordinairement avec
force , & ils donnent dès la premiere an-
née beaucoup de graine, & encore plus à
la feconde , fi c’eft de l’efpece d’Oifel.
La garance fe peut replanter toute Pan-
née, pourvu qu’on le fafle, comme nous
Pavons déja dit, par un temps humide.
Mais quand on eft le maître de choifir la
faifon , on doit le faire vers la fin de Sep-
tembre. Cette garanciere fe cultive de la
même maniere que celle qui a été élevée
de graine.
AS
E>
24 Cru EEE
ART C'L'ÉTNEE
Maniere de former une Garanciere
avec des tronçons de Racines.
pr on arrache les racines de ga-
rance pour les livrer aux Teinturiers, on
peut , fans diminuer le profit qu’on en
doit attendre, fe procurer beaucoup de
plant ; car il eft d’expérience qu’un bout
ou un tronçon de racine , pourvu qu’il foit
garni d’un bouton & d’un peu de chevelu,
produira un pied lorfqu’on le mettra en
terre à une petite profondeur : ainfi quand
on arrache une garanciere ; on peut fe
ménager beaucoup de plant, qu’on met-
tra en terre en automne ; parce que, fui-
vant l’ufage ordinaire, c’eft Ja faifon d’ar-
racher les racines de garance pour les pré
parer & en faire la vente. Mais comme:l
arrive prefque toujours qu’une partie de
ces pieds périt, il eft bon de les planter un
peu épais. M. d’Ambournay a planté avec
beaucoup de fuccès des racines rampan-
tes qu'il avoit coupées par tronçons , gar-
nis chacun de deux nœuds.
ARTICLE
DE LA GARANCE. 2ÿ
en
BORTT ECDE VITE
De la Mulriplication de la Garance
par les Drageons enracinés.
UAND on a de grandes pieces de terre
en garance ,on peut fe procurer beaucoup
de provins , fans faire un tort confidérable
à la garanciere qu’on cultive pour ven-
dre : voici comment il faut s'y prendre.
Lorfque la garance a pouffé des tiges de
8 ou 10 pouces de longueur, ce qui ar-
rive ordinairement dans le cours des mois
d'Avril, Mai ou Juin de l’année fuivante,
on fait arracher ces tiges par des femmes,
qui les faififfent près de terre, & les ar-
rachent comme fielles cueilloient de l’herbe
pour leurs vaches ; une partie des brins
viennent avec de petites racines , & ceux-
ci reprennent aifément , fur-tout s’il fur-
vient un peu de pluie après qu’ils ont été
replantés ; d’autres ne montrent qu’un peu
de rouge vers le bas, & la reprife de ceux-
là n’eft pas à beaucoup près aufli certaine :
d’autres enfin n’ont que du verd & du
jaune; ceux-là doivent être rejettés, parce
qu’il n'en reprendroit qu’un très - petit
nombre, a
26 CULTURE
M. d’Ambourney en avoit replanté qui
avoient depuis 4 jufqu’à 8 pouces de ra-
cines jaunes; il n’y en a eu que la dixieme
partie qui ait repris; mais les provins dont
le bas étroit brun & ligneux, ont réuñffi.
Si , en fuivant la méthode de Lille , on
a eu foin, en cultivant la garance, de
coucher des tiges pour qu’elles forment
des racines; la plupart des brins font des
trainafles qui ne font pas fort enfoncées
en terre 3 on les arrache avec les tiges
quand la terre fe trouve légere , & atten-
drie par la pluie, & cela fait tort à la ga-
ranciere : au contraire, quand les terres
font fortes & dures , la plupart des brins
fe rompent au niveau de la terre, &c ils
n’ont point de racine. Aiïnfi, pour avoir
de bon plant, & pour ne point endom-
mager une garanciere , le mieux eft de fe
fervir d’un plantoir plat, large d’un pouce
ou 15 lignes , qu’on enfonce en terre pour
rompre les couchis, & foulever la terre, à
mefure que de l’autre main on tire douce-
ment les tiges. Comme cette opération re-
tarde le travail, on évitera de s’en fervir
quand le plant pourra s’arracher avec une
fuffifante quantité de racines , fans faire
tort aux pieds, Il ne faut pas lever une
trop grande quantité de plant dans une
garanciere : on courroit rifque de faire
DE LA GARANCE. 27
périr les vieux pieds, fi on ne leur laïfloit
pas au moins le quart de leurs tiges.
À mefure que les ouvriers levent du
plant, il faut fehâter de le mettre enterre:
je fuppofe que le champ que l’on veut
établir en garanciere a été de longue main
bien amélioré, & qu’il a été labouré &
herfé. Comme, en plufieurs endroits , l’u=
fage le plus commun eft de planter les ga-
rancieres avec du provin femblable à ce-
lui dont je viens de parler, je vais expli-
quer fort en détail la façon de mettre en
terre cette forte de plant; ce que nous
dirons des autres plants en fera plus aifé
à comprendre.
Pendant que des ouvriers forment , avec
la houe ou la mare, des fillons d’environ
4 pouces de profondeur & tirés au cordeau,
des femmes ou des enfants couchent les
provins dans les rigoles , de forte qu’ils
{oient à 3 pouces les uns des autres ; d’au-
tres ouvriers enterrent le provin, en rem-
plifant la rigole avec la terre qu’ils tirent
en formant une nouvelle rigole , dans la-
quelle les femmes arrangent du provin, de
la maniere quenous venons de le dire.
Cette feconde rigole eft remplie avec
la terre qu’on tire en en formant une troi-
fieme , dans laquelle on arrange encore du
plant,comme on a fait aux deux premieress
Ci
28 CULTURE
& cette derniere rangée eft comblée avec
de la terre qu’on prend à Pendroit où doit
{e trouver uñe plate-bande vuide. En fui-
vant cette méthode, chaque planche n’eft
formée que de quatre rangées de garance ;
on met un pied d'intervalle entre les ran-
gées, ainfi ces planches n’ont que trois
pieds de largeur ; & on laiffe trois pieds
de diftance d’une planche à l’autre pour
former une plate-bande dans laquelle on ne
met point de garance , mais qu’on laboure
avec la charrue, pour avoir de la terre
meuble à portée des planches, qui fervira
à chauffer les pieds de garance , ce qui
leur donne beaucoup de vigueur. On fait
enfuite une feconde planche pareille à la
premiere, fur laquelle on plante de la même
maniere quatre rangées de garance, puis
une plate-bande de trois pieds de largeur,
& enfuite une planche de trois pieds ; ce
qui fe répete dans toute l’étendue du ter-
rein. En fuppofant qu’un tel terrein ait
un arpent, ilfaudra 15 ou 20 milliers de
provin pour le garnir.
En Flandres , on donne 10 pieds de lar-
geur aux planches, & on ne laïffe entr'el-
les qu’un pied ou un pied & demi pour la
plate- bande. On verra dans la fuite ,
qu'une aufh petite étendue de terrein vuide
n'eft pas fuffifante pour fournir la terre nés
DE LA GARANCE. 29
ceffaire pour charger les plate-bandes , &
qu’il eft pénible de tranfporter la terre à
s pieds de diftance. Mais auffi, plus on
met de plant dans l’étendue d’un terrein,
plus on en retire de profit lorfqu’on vient
à arracher la garance ; & fi l’on ne fe pro-
poloit pas de faire des couchis, on feroit
bien de mettre cinq rangées fur les plan-
ches, & de réduire les plate-bandes à deux
pieds de largeur.
Quoi qu’il en foit , pour bien réuflr à
la plantation de la garance , il faut que des
femmes , dont on fe fert ordinairement ,
arrachent le provin , pendant que des ou-
vriers font des rigoles , dans lefquelles
d’autres femmes arrangent le provin que
les premieres leur fournifient , & que d’au-
tres ouvriers le recouvrent fur le champ:
de terre. Comme nous avons dit plus haut
qu’on arrachoit le provin dans les mois.
d'Avril, Mai ou Juin, il s'enfuit que c’eft
dans ces mêmes mois qu’on doit planter
les garancieres; & comme on peut efpérer
de trouver dans cette faifon une quinzaine
de jours ou trois femaïnes d’un temps fa-
vorable pour cette opération, on‘attendra
à faire. cette plantation jufqu'a ce que le
temps fe montre difpofé à la pluie, parce:
que la reprife de cette plante en fera plus
gertaine. Lorfqw’on met en plein champ
Lo Ji
30 Cuir Tr utrtr
des plants de quelques légumes que ce foir,
on a ordinairement foin d’avoir de l’eau
dans des feaux pour y faire tremper le
plant avant de le mettre en terre ; je crois
que cette pratique feroit utile pour la ga-
rance.
Ce que nous venons dedire , ne regarde
que le plant de provin ; car celui qui ef
formé d’un tronçon de racine garni d’un
bouton & de chevelu , étant choifi dans
les racines qu’on arrache en automne , il
faut le mettre en terre dans cette même
faifon ; la reprife en eft plus certaine ;
mais , à cette circonftance près, on peut
faire les planches & les plate - bandes,
comme pour le provin. |
A l’égard des plants enracinés, on eft
maître de les planter au printemps ou en
automne, en fe conformant toutefois à ce
que nous avons dit à l’occafion des pro-
vins, excepté qu’alors on fait des rigoles
plus larges & proportionnées à la groffeur
du plant, pour pouvoir étendre les trai-
naffes des racines, principalement fuivant
la direction des rigoles, & que l’on doit
avoir attention que ces racines traçantes ne
foient recouvertes que d’un pouce ou un
pouce & demi deterre, afin que les tiges
puifflent percer & fe montrer plus facile-
ment hors de terre. Rendons ceci plus
DE LA GARANCE. 31
clair. La garance eft une plante traçante;
or les plantes qui tracent produifent des
tiges par leurs racines , mais feulement
quand elles ne font qu'à une petite pro-
fondeur en terre; car celles qui font trop
recouvertes de terre , ne peuvent pro+
duire detiges. Et dans le cas où Pon veut
planter de gros pieds, & qu'il eft avanta-
geux de fe procurer du plant, il eft fenfi-
ble qu’il faut placer les racines traçantes
près de la fuperficie de la terre.
Suivant l’ufage de Lille , on arrache le
provin dans le mois de Mai : on le prend
dans un champ de vieille garance , & on
le plante a la pioche dans le champ qu’on
veut garnir. Les fillons font éloignés les
uns des autres de 1$ pouces ; & les pieds,
dans le fens des rangées , font à 3 pouces
les uns des autres. On fait les planches de
10 pieds; & elles font féparées par des
fentiers de 12 à 1$ pouces de largeur.
Comme la garance fe peut tranfplan-
ter dans toutes les faifons de l’année , on
fera bien de profiter d’un temps couvert
& pluvieux , foit pour faire cette planta«
tion, foit pour regarnir les endroits où le
plant auroit manqué. Mais la faifon de
l'automne eft préférable à touteautre;non-
feulement parce que l'humidité de cette
faifon eft plus favorable à la reprife ; mais
Civ
2 CULTURE
encore parce que les provins qu’on leve
alors pour cette opération , font mieux
pourvus de racines que ceux qu’on leverois
au printemps.
J'ai dit que la garance, qui fe plaït dans
une terre humide , périt quand elle eft
inondée : on peut prévenir cette inonda-
tion, en faifant les plate-bandes plus baf-
fes que les planches ; & au contraire, file
terrein étoit trop fec, on feroit bien de
faire en forte que ces plate- bandes fuf-
fent plus élevées que les planches. Il eff
vrai que cette difpofition des plate-ban-
des à l’égard des planches , ne pourra pas
fubfifter long-temps, parce que, comme
on va le voir, on fera obligé dans la fuite
de creufer les plate-bandes pour charger
les planches ; mais ce fera toujours quelque
petit avantage pour les jeunes plantes.
Il feroit poflible d'abréger beaucoup le
travail de la plantation de la garance , en
la faifant avec la charrue , comme nous l’a-
vons dit plus haut.
DE LA GARANCE. 33
ARTICLE IX.
Culture de la Garance plantée par
Planches & Plare-bandes ; avec la
maniere de faire les Couchis.
S 1 LA GARANCE a été plantée en autom-
ne , où doit fe contenter de donner de
temps en temps quelques labours aux pla-
te-bandes avec une charrue légere ; &
comme ces labours n’ont pas tant pour ob-
jet de donner dela vigueur à cette plante,
que de préparer de La terre meuble à por-
tée des planches pour les rechaufler, on
doit avoit l’attention de ne les point faire
quand la terre trop humide pourroit fe pé-
trir. Ondoitauffi, avant les mois de Juin
ou de Juillet, donner un labour aux pla:
te-bandes des garancieres qui ont été plan-
tées au printemps.
À Lille, on donne à toutes les plantes
un léger labour avec un inftrument fort
étroit; & lors de cette culture , quelques-
uns couchent de côté & d’autre les nou-
velles pouffes qu’on recouvre d’une pe-
tite épaifleur de terre. D’autres blâment
cette méthode , & prétendent que les
couchis ne donnent jamais de bonne
34 Cu L'T'Ù RYE
garance : jen parlerai bien - tôt.
- Quand les poufles de la garance ont
acquis un pied de longueur, on fait farcler
les planches par des femmes ; puis la terre
des plate-bandes étant bien labourée juf-
qu’auprès des planches, ceux qui préten-
dent que les couchis produifent de bonne
garance , font coucher fur la terre des pla-
te-bandes une partie des tiges de la pre-
miere rangée, & ils les recouvrent d’un
pouce & demi ou de deux pouces de terre
meuble qu’ils prennent dans la même pla-
te-bande : ceux qui ne font pas de cas des
couchis, fe contentent de rechaufier les
pieds, en chargeant les planches avec la
terre meuble des plate-bandes. C’eft-là le
grand avantage que MM. de Corbeilles
ont trouvé à faire labourer à la charrue les
plate-bandes , pour avoir fous la main une
terre cultivée & ameublie , qui eft bien
utile pour rechauffer les pieds de garance;
ce qu’on ne pourroit faire que très-difh-
cilement , fuivant l’ufage de Lille, ou
même fi on laifloit la terre des plate-ban-
des s’endurcir.
Il faut, dans cette opération, foit qu’on
fafle des couchis ou non , avoir grande
attention de ne pas recouvrir entiérement
de terre les tiges de la plante ; leur ex-
trémité doit fortir de terre, fans quoi celles
DE LA GARANCE. 2$
qui feroient entiérement couvertes de ter-
re , périroient immanquablement.
J'ai éprouvé qu'après un certain temps,
ces branches couchées fe convertiffent en
racines qui contiennent de la fubftance co-
lorante , mais jamais autant que les vraies
racines , & elles reftent creufes ; c’eft
pour cela que je confeille, lors même qu’on
veut faire des couchis, de ne point cou-
cher toutes les poufles, mais d’en confer-
ver une bonne partie fur chaque pied , qui
deviendra par ce moyen plus vigoureux,
& qui produira de belles racines; car nous
avons prouvé en plufieurs endroits de nos
ouvrages , que les plantes pouflent en ra-
cines proportionnellement à ce qu’elles
produifent hors de terre.
Quand on veut faire des couchis , les
brins de la feconde rangée doivent être
couchés entre les pieds de la premiere,
comme nous venons de le dire ; ces cou-
chis étant recouverts de deux pouces de
terre, on couche les brins de la troifieme
rangée entre les pieds de la feconde; puis
ceux de la quatrieme , entre Îles pieds
de la troifieme ; on les recouvre de terre;
& par ce moyen la planche fe trouve élar-
gie de deux pieds aux dépens de la plate-
bande.
Lorfqu’il n’y a que deux rangées plan-
36 CuLrTURE |
tées fur une planche, on couche l’une à
droite, & l’autre à gauche ; ce qui élargit
les planches de deux pieds , & rétrécit pro-
portionnellement les plate-bandes.
Pour faire promptement cette opéra-
tion ; apres avoir donné un labour aux
plate-bandes avec une charrue à verfoir ,
qui releve la terre du côté des planches,
on formera de chaque côté & tout au bord
des planches , un petit fillon , pour rece-
voir les couchis, qu’on recouvrira d’un
peu de terre avec la houe ; ce travail peut
s’exécuter très-promptement.
Quand les années font très-favorables
à la garance, il arrive quelquefois que les
tiges couchées fe font encore élevées d’un
pied ; alors on peut répéter les opérations
que nous venons de décrire, & les plan-
ches fe trouvent une feconde fois élargies
d’un ou de deux pieds aux dépens des pla-
te-bandes. Il arrive rarement que l’on fe
trouve dans une aufli.heureufe circonf-
tance ; mais quand elle fe préfente, ilfaut
laiffer à chaque couchis plufieurs brins qui
s’élevent verticalement ; car il faut s’oc-
cuper toujours de la perfeétion des raci-
nes , qui eff la partie utile de cette plante;
je veux dire, qu’il faut plus compter fur
les racines que produifent les couchis que
fur les branches qui deviennent rouges ,
DE LA GARANCE. 37
après avoir refté un temps fuffifant en
terre. C’eft le fentiment de MM. d’Am-
BOURNEY & de LANGE, qui penfent
que les couchis ne fourniflent pas à beau-
coup près autant de teinture que les vraies
racines ; en conféquence ils ne veulent
pas qu'on fafle de couchis, mais qu’on
plante les pieds beaucoup plus prèsles uns
des autres. Je fuis maintenant de l’avis de
ces Meffieurs ; mais je dis qu’il eft toujours
utile, outre les petits binages qu’on eft
obligé de donner de temps en temps, de
chauffer les plantes avec la terre qui les en=
vironne , ou, encore mieux, de charger
les planches dans le mois de Mars , avant
que les tiges foient forties de terre, ce qui
oblige de ménager des plate-bandes de
diftance en diftance. Cependant , je le
répete , on peut les faire moins larges que
nous l'avons dit.
Enfin, pour ramener la culture de la
garance à des pratiques aifées , auxquelles
les Payfans font habitués , on peut la
comparer à celle que Pon donne aux ha-
ricots qui ont été femés par rangées; car il
faut bien biner & chauffer la garance pré-
cifément comme les haricots : cette com-
paraïfon doit être certainement fenfible
aux Payfans. Il eft, je crois, inutile que
je dife qu’il faut abfolument interdire
38 CuULTUR.E
l’entrée des garancieres au bétail de quel-
que efpece que ce foit.
On ne doit point permettre d’arracher
les tiges de la garance la premiere année ;
comme les pieds de cette plante n’ont
pas encore produit beaucoup de chevelu ,
on les arracheroit avec la fane : il eft vrai
qu'on pourroit les couper ; mais il vaut
mieux laifler périr cette herbe d’elle-
même.
À Lille, on eft dans l’ufage de fouiller
au mois de Mars de la feconde année la
terre des fentiers, jufqu’à un pied & demi
ou deux pieds de profondeur, pour en
charger les planches ; c’eft alors que les
plate-bandes font bien commodes pour
fournir amplement de la terre meuble.
Dans les mois d'Avril, Mai ou Juin,
fi l’on a befoin de plant, on arrache le
provin, comme je l’ai expliqué plus haut ;
après quoi l'entretien de la garanciere
jufqu’au mois d’Août fe réduit à arracher
les mauvaifes herbes , & à donner, avec
la charrue, quelques labours aux plate-
bandes ; mais on fera bien encore de don-
ner un labour léger & à bras au milieu des
planches, fur lefquelles on n’aura pas fait
de couchis : cette culture fera très-avan-
tageufe aux racines.
Dans le mois de Septembre, on pourra
DE LA GARANCE. 39
faucher & faner l’herbe de la garance.
À Lille, on la fauche dés le mois d’Août ;
& c’eft pour cette raïfon que les Flamands
affurent que la garance ne produit point
de graine qu'on puifle femer. D'ailleurs
M. d'Ambourney aflure que la garance
de Lille ne produit point de bonne fe-
mence dans la premiere année. L’herbe de
la garance fournit un excellent fourrage:
pour les vaches : l’ufage de cette nourri-
ture leur procure beaucoup de lait , qui eft
d’une couleur tirant un peu fur le rouge,
& dont le beurre eft jaune & de bon goût.
Si l’on a befoin de graine pour femer,
on ne fauchera la garance que quand elle
fera parfaitement mûre.
Après ces petites récoltes, on fera bien
de donner encore un labour à la charrue ,
aux plate-bandes feulement , pour entre-
tenir la terre en façon, fuppofé qu’on fe
propofe de planter de la garance à cet en-
droit, pour y former les planches l’an-
née fuivante. On pourra répandre un peu
de terre meuble fur les planches, & ren-
verfer de la terre des plate-bandes vers Je
bord de ces planches ; parce que les plus
beaux pieds de garance fe trouvant tou-
Jours fur les bords, il eft bon de leur four-
nir de la terre meuble dans laquelle les
racines ne manqueront pas de s’étendre,
40 CULTURE
Ainfi , après que la récolte de la ga«
rance a été faite , & quand le terrein eft
yuide , on doit le labourer en entier pour
y mettre de nouvelle garance comme la
premiere fois ; & avoir l’attention de pla-
cer les planches au milieu de l’efpace où
étoient les plate-bandes , & pour le refte,
fe conformer entiérement à ce qui a été dit
ci-devant fur la premiere plantation. Dix-
huit mois après, quand cette feconde ga-
rance eft récoltée , fi l’on difpofe le même
terrein à être femé en grain, on peut être
afluré d’y faire d’abondantes récoltes ;
car outre que la garance n’épuife pas la
terre , les labours répétés qu’on a été obli-
gé de lui donner , la difpofent admira-
blement bien pour toutes fortes de pro-
ductions. Cependant fi, après quelques
années d'intervalle , on fe propofoit de
remettre de la garance dans cette même
terre , il faudroit fumer abondamment ce
champ , Pannée qui précéderoit la plan-
tation.
L#
Us
ARTICLE
DE LA GARANCE. 41
À KR TICLE X.
Récolte des Racines de Garance.
Li RACINES font la partie vraiment
utile de la garance ; ce font elles qui doi-
vent dédommager le Propriétaire de tou-
tes fes avances. La récolte s’en fait dans les
mois d'Oûtobre ou de Novembre.
On fe plaint que les Payfans des envi-
rons de Lille en Flandre, trop preflés de
jouir du fruit de leur travail, arrachent
leur garance avant que les racines ayent
eu le temps de groflir fuffifamment : les
Zélandois laiffent prendre plus de groffeur
à celles qu'ils cultivent. Il ne faut pas
cependant tomber dans un excès oppofé
au premier; car une vieille racine , quia
long-temps refté en terre, donne moins de
teinture qu’une jeune racine qui feroit de
la groffeur du petit doigt, ou au moins de
celle d’un gros tuyau de plume. Mais fi
les racines fe trouvent trop menues, on
aura plus de profit à différer d’une année
cette récolte; car alors elles ne fourni-
roient que du billon. En ce cas, il fau-
droit, dans les mois de Février ou de
Mars , avant que la garance gi pouffé ;
42 CULTURE
donner un labour aux planches , & les
charger d’un peu de terre mêlée avec du
crottin de brebis, ou un peu de fumier de
pigeon.
Le moyen le plus expéditif pour faire
la récolte de cette racine , eft de refendre
les planches par des traits d’un cultiva-
teur qui n’ait point de coutre : des femmes
qui fuivent , achevent d’arracher les ra-
cines avec des crochets dont on fe fert
pour curer les étables ; elles les mettent
dans leur tablier, à mefure que des hom-
mes rompent , avec des pioches, les mot-
tes, pour que ces femmes puiflent plus ai-
fément en tirer les racines.
Un autre moyen qui exige plus de tra-
vail, mais aufli qui endommage moins les
racines , eft de renverfer avec une houe
refendue , ou avec un crochet , la terre
des planches dans les plate-bandes : s’il fe
forme des mottes , les ouvriers les rompent
avec la tête de leur houe , & les femmes
ramaflent les racines dans des paniers ou
dans leurs tabliers. Ces moyens peuvent
fuffire quand le fond de la terre ne permet
pas aux racines de la pénétrer à une grande
profondeur. Mais fi laterreavoit beaucoup
de fond , il faudroit commencer Penraya-
güre , & fouiller la terre de tout le champ,
à cette même profondeur.
DE LA GARANCE. 43
Je remarquerai , en pañlant, que les
pieds de garance venus de graine, ontplus
de difpofition à pivoter que ceux de provin,
ou qui viennent de tronçons de racines.
Si Pon fait cette récolte par un temps
fec , les racines fe trouvent aflez nettes
de terre, pour être difpenfé de les laver;
mais lorfque la terre eft humide, on eft
obligé de les laver, ce qu’il faut éviter le
plus qu’il eft poffible; car on s’apperçoit
bien à la couleur que l’eau contraéte ,
qu’elle a un peu diffout la partie colorante :
il vaut mieux nettoyer ces racines avec les
mains ; l'étuve & le fléau, comme nous le
dirons dans la fuite , acheveront de les
nettoyer fufhfamment.
À mefure que les racines font ramaflées,
on les étend fur un pré; car lorfqu’il fait
du vent & du foleil, on fera bien d’en
profiter pour commencer à les deffécher
avant de les tranfporter à la maïfon. Pour
ne rien perdre dans ce tranfport, on gar-
nit de toile une charrette à ridelles , &
on la remplit de racines. À mefure qu’elles
arrivent , on les étend dans des greniers
ou fous des hangards , & on fe hâte de les
mettre à l’étuve pour achever de les def-
fécher fuffifamment , afin qu’elles ne cou-
rent plus le rifque de fermenter ni de fe
corrompre. On diminueroit fans doute les
Dij
A4 Cor TU RTE
frais de l’étuve , fi les racines étoient en
partie defléchées fur le pré; mais pour cela
11 feroit plus à propos de les tirer de terre
au printemps , où le foleil a plus d’a&ion,
que dans Pautomne.
A:RTTCLE: XXE
Du Deféchement de la Garance.
Comme l'établiffement d’une étuve de-
mande beaucoup de frais, & qu’il n’y a
dans chaque canton que quelques Particu-
liers qui puiflent en faire la dépenfe , ceux
qui n’en ont point, vendent ordinairement
les racines qu’ils recueillent aux Proprié-
taires des étuves , qui, pour l’ordinaire ;
taxent le prix de la garance verte fur un
pied très modique.
‘ La racine de garance eft bien difi-
cile à deffécher : fon fuc eft vifqueux , &
elle perd à l’étuve fept huitiemes de fon
poids.
Comme je me propofe de parler en
détail de létuve, il fuffit pour le préfent,
d’avertir qu’il faut l’échauffer aflez , pour
qu’un Thermometre de M.de RÉAUMUR,
placé au centre de l’étuve, marque 40
ou 4$ degrés au-deflus de zéro. Je ne
DE LA GARANCE. 45
crois pas au refte qu’il y eût un grand
inconvénient a excéder ce point; je foup-
çonne même que les Zélandois pañlent de
beaucoup ce degré de chaleur. Mais on
peut pofer pour principe général , qu’il eft
mieux de laifler plus long-temps la ga-
rance dans l’étuve à une chaleur modérée ,
que de précipiter le defféchement par une
chaleur trop vive : quelques effais faits en
petit donnent lieu de croire que la qua-
lité de la garance en feroit meilleure,
f on pouvoit la deffécher entiérement au
foleil ou même à l’ombre , & par la feule
aétion du vent, comme on prétend qu’on
le pratique à Smyrne, où Pair eft bien plus
fec qu’en Flandre.
Je crois que fi l’on arrachoïit la garance
au printemps, on pourroit, dans cette fai-
fon hâleufe , diffiper par le vent & le fo-
leil une grande partie de l’humidité de
cette racine ; & de cette façon on dimi-
nueroit beaucoup les frais de l’étuve :
le feul inconvénient qui s’y trouve , c’eft
la difficulté d’avoir des ouvriers dans cette
faifon.
Je voudrois donc qu’aufli-tôt que les
racines feroïient arrachées , on les tranf-
portât , comme il a été dit ,auprès de l’é-
tuve ; qu’on les étendit à une petite
épaifleur fur une peloufe unie , fort ex=
46 CULTURE
pofée au vent & au foleil, & qu’on les
retournât de temps en temps : il {eroit en-
core néceflaire , dans le temps de pluie,
& tous les foirs, de les retirer fous des
hangards; & afin de n’être pas obligé d’a-
voir des appentis d’une grandeur trop con-
fidérable, on n’arracheroit point les ra-:
cines toutes à la fois, mais par parties, &
feulement ce qu’on en pourroit travailler
dans les bâtiments dont on auroit la dif-
pofition. C’eft pendant cette opération ,
que le Cultivateur fera bien de varier fes
pratiques , fuivant les circonftances des
faifons : fi le hâle & la fécherefle paroiffent
devoir durer, il fera arracher beaucoup
de garance , pour profiter d’une circonf-
tance qui doit lui épargner bien des pei-
nes & de la dépenfe : fi la faifon eft hu-
mide , il n’en fera arracher que la quan-
tité qu'il pourra ferrer dans fes bâtiments,
& la fera étuver fans retard,
M. d’Ambourney eft parvenu à faire
deffécher au foleil de la garance , dont il
a fait de très-belles teintures ; il approuve
fort ce que nous venons de dire ; il penfe
qu'il ne faut arracher dans lautomne que
les racines qui font nécetaires pour plan
ter, & qu’il convient de remettre à arra-
cher au printemps celles qu’on deftine pour
les Teinturiers , afin de profiter des vents
DE LA GARANCE. 47
häleux & de la chaleur du foleil, & dimi-
nuer d’autant le fervice des étuves.
Enfuivant Pufage ordinaire ,‘il ne fufht
pas que la garance toit affez defléchée pour
ne fe point gâter, il faut encore qu’elle
puille fe pulvérifer , ou , comme Pon dit,
fe grapper.
n reconnoit que la garance eft fuffi-
famment defféchée , quand elle fe rompt
net en la pliant : mais il faut être averti
qu'elle continue à fe deffécher, lorfqu’au
fortir de l’étuve , on l’étend à une petite
épaiffeur dans un grenier fec ; car l’humi-
dité qui a été réduite en vapeurs, fe diffipe
d’elle-même. |
Avant que les racines foient entiére-
ment refroidies , on les met fur des claies
fort ferrées , & on les bat à petits coups
de fléau ; puis on les vanne pour féparer
les groffes racines d’avec le chevelu, &
encore d’une partie de l’épiderme,& d’une
portion de terre fine que Paétion de Pé-
tuve rend aifée à détacher. Toutes ces ma-
tieres qui pourroient rendre la teinture
moins brillante , tombent fous les claies,
ou au fond du van: les petites racines dé-
pouillées en partie de leur épiderme peu-
vent être rejettées comme inutiles , quoi-
qu’en Hollande on ne les laiffe pas perdre
car on les emploie pour des teintures coms
munes,
48 EVE TURE
M. d’Ambourney nous a fait part du
moyen fuivant pour rober la garance : il lui
aété communiqué par M. PAyNEL de Dar-
netal. On metlesracines de garance triées,
épluchées & féchées dans un grand fac
de toile rude ; on les y fecoue violemment:
le frottement du fac, & celui des racines
les unes contre les autres , détachent pref-
que entiérement l’épiderme qui acheveen-
fuite de fe féparer aifément au moyen du
van:ona, par cette méthode, de belles
racines de garance robée , dont leffet
prévaut fur l’Azala, autant que celle-ci
a l'avantage fur la plus belle garance de
Hollande. Mais il ne faut faire cette pré-
paration , qu'autant qu’il fe trouveroit des
T'einturiers aflez curieux de leur art pour
donner au Cultivateur un prix proportion-
né aux dépenfes qu’il auroit faites.
M. d’Ambourney aflure poftivement
que fi l’on arrache les garances au prin-
temps ; on aura l’avantage , pour peu que
la faifon fuit favorable , de faire fécher
cette racine au foleil affez parfaitement
pour la pouvoir garder fans la faire pafler à
Pétuve , ce qui épargne de grands frais.
Je nai pas été à portée de faire des effais
affez en grand pour vérifier cela ; & quand
j'ai propofé de faire fécher la garance au
foleil, ce n’a été que pour diminuer les
frais
DE LA GARANCE. 49
frais de Pétuve , que je crois cependant
très-néceflaire en plufieurs circonftances.
M. d’Ambourney ajoute que , pour accé-
lérer la deflication des racines , illes a fair
étendre fur une efpece de plancher de bri-
ques , ou encore mieux de plâtre; mais il
convient aufhi qu'il faut pañler la garance
par l’étuve pour la deffécher au point de
pouvoir être pilée , lorfqu'on opere en
grand. Cet habile Obfervateur compte
exécuter encore d’autres expériences : fi
elles réuflifent , le Public en fera informé,
& ce fera une nouvelle obligation que nous
aurons à ce généreux Patriote. Mais nous
nous propofons de rapporter dans la fuite
une autre découverte que nous croyons de-
voir être encore plus utile.
Les terres fubftantieufes & légeres don-
nent de meilleures racines que les terreins
fort gras & marécageux. Mais il ne fuffit
pas qu’un terrein donne des racines de
bonne qualité, il faut outre cela qu’il en
fournifle affez abondamment pour procu-
rer un profit raifonnable au Cultivateur.
Selon une expérience faire aux environs
de Tours, un arpent de 100 perches, (la
perche de 22 pieds) , a produit huit mil-
liers de racines vertes.
Les premiers eflais de MM. de Cor-
beilles ont donné un produit au moins auffi
Le) EULTURE
confidérable. En 1757, un demi-arpent
a produit fur ce même pied , & a donné
prefqu’autant de racines que 3 arpents &
demi fitués en différents cantons. Mais
communément il s’en faut de beaucoup
qu’on recueille 8 milliers de racines frai-
ches par arpent : l’un dans l’autre il ne faut
gueres compter que fur 4, $ ou 6 milliers
de garance verte.
Si l'on fe propofe de grapper cette ra-
cine , 1l faudra s'attendre à la voir réduite,
par la chaleur de l’étuve, à un -huitieme
de fon poids; de forte que 8 milliers de
racines vertes ne produiront qu'un millier
de racines féches; fans cela elles pourroient
fe corrompre , & elles fe peloteroient fous
les pilons du moulin.
Au fortir de l’étuve, la garance eft en
état d’être vendue aux Teinturiers : quel-
ques-uns même préferent de l’acheter en
racine, plutôt que grappée. Mais comme
ces racines fe chargent aifément de l’hu-
midité de l'air, il faut , fi-tôt qu’elles feront
feches, les arranger le plus réguliérement
& le plus preflé qu'il eft pofhble, dans des
barrils qu’on enfonce enfuite. La garance
peut être voiturée en cet état ju{qu’au lieu
de fa deftination. Si l’on ne devoit pas la
* tranfporter trop loin, on pourroit fe con-
tenter de la mettre dans des facs.
DE LA GARANCE. SI
Ceux qui fe propofent de grapper ou
pulvérifer leur garance, mettent les raci-
nes , au fortir de l'étuve, fous les pilons;
mais comme les moulins ne peuvent pas
fuflire à moudre tout de fuite celles qui
fortent des étuves, on enferme dans des
facs celles qui font defféchées, & on Îles
conferve dans un lieu chaud , par exem-
ple, fous les arches de l’étuve , jufqu’à ce
qu’on puifle les faire pañler fous les pilons
ou fous la meule ; ce qu’il eft à propos de
faire le plutôt poffible.
ARTICLE. XKL
Qu'on peut employer la Garance verte,
fans la deffècher ni la pulvérifer.
A vaxr de décrire la maniere de piler
cette racine,je crois devoir rendre compte
d’une découverte importante de M. d’Am-
bourney qui ne pouvant faire fécher fans
feu les racines qu’il avoit fait arracher
vers le mois d’Oétobre , fe détermina à
les employer toutes fraiches. Il commença
par les faire laver, afin d’en ôter la terre;
& comme il étoit prévenu que cette racine
perd , en fe féchant , les fept huitiemes de
fon poids , lorfqu’on veut la Epeer , il
1]
s2 CULTURE
jugea qu'il convenoit d’employer 8 livres
de racine verte pour un bain où l’on au-
roit employé une livre de garance feche
& moulue ; il pila dans un mortier cette
garance fraîchement arrachée, & ayant
employé un peu moins d’eau que de cou-
tume, il teignit du coton fuivant le pro-
cédé ordinaire. Ayant trouvé, après l’o-
pération , que le bain étoit encore très-
chargé de couleur , quoique le coton fût
tellement imprégné de teinture, qu'il fal-
lüt lui faire effuyer deux débouillis’ pour
le dégrader jufqu’à la couleur d’ufage ,
il répéta fon épreuve qui lui fit connoîïtre
que 4 livres de garance fraiche font le
même effet qu’une livre de garance feche
& réduite en poudre. D’où il a conclu
que l’on pouvoit épargner une moitié
de racine de garance : ce n’eit cependant
pas là où fe borne cette économie.
1°, On eft difpenfé d’établir des étuves
pour fécher la garance,& deshangards pour
la conferver quand le temps eft humide.
2°, On ne court point le rifque que
peut produire un defféchement trop confi-
dérable & trop précipité.
3°, On évite le déchet & les frais du
robage & du grabelage : dans ces deux
opérations , toutes les racines qui font de
la groffeur d’un lacet, tombent en billon.
-
DE LA GARANCE. 53
4°, On épargne les frais du moulin,
le déchet & les fraudes qui peuvent en
réfulter, & l’incommodité d’attendre que
le moulin foit Hbre.
s°, Enfin, on n’eft point expofé à ce
ue les racines moulues s’éventent ou
qu’elles -fermentent ; ce qui arrive quel-
quefois lorfqu’on ne peut les employer fur
le champ.
Tous ces avantages réunis peuvent s’é-
valuer à une économie de cinq huitiemes
au moins. Le Cultivateur qui fauroit tein-
dre, en pourroit jouir dès l’inftant qu'il
pourroit avoir des racines aflez grofles
pour être arrachées ; les Teinturiers par
état feront peu-à-peu engagés d’en pro-
fiter , & de partager le profit avec le Cul-
tivateur , quand il fe trouvera des garan-
cieres à leur portée ; ce qui doit naturel-
lement être, puifque la garance doit être
cultivée près des endroits où s’en fait la
confommation; car comme il n’y a point
de temps à choifir pour ka maturité, le La-
boureur qui apportera une fomme de ra-
cines fraîches au Teinturier, fera {ür de la
vendre en cet état, fans être aflervi nià
des foins qui, quoique peu confidérables
en eux-mêmes , le rebutent par leur nou-
veauté , ni à des dépenfes qui font au-
deffus de fes forces. Le Teinturier pourra
E üj
$s4 CuLrTurer
acheter la racine journellement & à pro-
portion du befoin de fa confommation ;
ou bien il prefcrira au Cultivateur la quan-
tité de garance dont il aura beloin, & le
temps où il faudra la lui fournir.
Cette méthode,outre l’avantage qu’elle
procure de diminuer lesfrais dela teinture,
a encore celui d'établir dans le commerce
extérieur nos étoffes à plus bas prix.
M. d’Ambourney n’a publié le pro-
cédé pour l’ufage de la garance verte
qu'après s'être bien affuré de fon bon effet
& de fa bonté. Tous les effais qui ont été
faits en grand & en petit, & en fa pré-
fence , {ur la teinture du coton , de la laine
& de la toile ont réufi, & nous ofons af-
furer qu’ils réuffiront toujours , pourvu
que Pon fuive de point en point les pro-
cédés qu’il a reconnus être indifpenfables ;
favoir, 1°, que la racine ait au moins dix-
huit mois; 2°, qu’elle foit parfaitement
écrafée; 3°, qu’on diminue d’un quart pour
une grande opération , & d’un tiers pour
une petite, la quantité d’eau qu’on a cou-
tume d'employer ; 4°, que le bain, quand
on y abat l’étoffe, foit un peu plus chaud
qu’à Pordinaire; $°, enfin, que le Tein-
turier foit actif & patient. Les Teinturiers
de Beauvais ont très-bien réufñi en grand;
ceux chez qui M. d’Ambourney a fait fes
DE LA GARANCE. ss
expériences, ont été convaincus de tous
les avantages qu’il leur avoit annoncés ; 5
cependant l’embarras qu’ils trouvent à
écrafer les racines , comparé à la facilité
qu’ils ont de tirer d’une futaille cette même
garance en poudre, mais plus quetout cela,
leur routine ordinaire , les détermine à ne
{e fervir que des racines féchées & grappes.
Le fieur Abraham Pouchet chez lequel
on imprime des toiles peintes, & quia
fa Manufacture à une lieue de Rouen, a
été prefque le feul qui ait fenti qu’une
économie fi confidérable méritoit bien
qu’on fe donnât la peine d’écrafer la ra-
cine fraiche. H a employé la garance verte,
qui lui a fi bien réufli, que le noir, les
deux rouges & les deux violets de {es
toiles ont eu autant de force & de briliant
qu’auroit pu leur donner la plus belle ga-
rance , grappede Hollande. Après l’expofé
de ces faits , ceux qui difent qu’ils n’ont
pu réuflir , s’expolent à être taxés de mal-
adreffe ou de mauvaife volonté : opération
d’écrafer la garance verte eft très-fimple &
demande peu de frais; il s’agit de la faire
pafler fous une meule verticale pour laré-
duire en pâte prefque fans frais. Il feroit
peu-être pofhble, quand la garancea fourni
fa couleur au bain , de retirer du bain une
partie du marc, foit avec une grande écu-
Eiv
s6 CULTURE
moire , {oit en tranfvafant le bain d’une
cuve dans une autre; mais,encore une fois,
on préfere la routine ordinaire à ces petits
foins,êc à quantité d’autres induftries que les
habiles T'einturiers pourroient imaginer.
Je ne puis voir fans chagrin la non-
chalance des Artifans : au lieu de faïfir
avec empreflement les moyens qu’on leur
propofe pour perfetionner leur art; au
lieu de fe prêter à reétifier ce qu’il peut y
avoir de défe@tueux dans leurs méthodes
en profitant des avis qu’on leur donne,
aveuglés par leur routine & leurs prati-
ques ordinaires en quoi confifte toute leur
fcience , ils commencent par décider d’un
ton abfolu, que ce qu’on leur propole , ne
vaut rien. S’il arrive que quelqu'un d’eux
plus docile & plus zélé fe prête à faire
quelques effais, & qu’il ne réuflifle pas
dans fes premieres tentatives, ce qui ar-.
rive prefque toujours , auffi-tôt la méthode
nouvelle eft abfolument profcrite, & tous
la déclarent vicieufe. C’eft par ces mêmes
raifons que le procédé de M. d’Ambour-
ney n’a pas réuffi en plufieurs endroits.
On auroit lieu de croire que les fuccès
animeroient les Teinturiers , & qu'ils de-
vroient fe reprocher de voir plufieurs de
leurs confreres exécuter ce qu’ils affuroient
être impoflible à pratiquer ; loin delà, &
DE LA GARANCE. 57
pour s’autoriler à perfifter toujours dans
leur ancienne routine, ils font des objec-
tions : les uns difent que c’eft une grande
peine de réduire la garance verte en pâte.
Quand cette opération feroit pénible, n’en
feroient-ils pas bien dédommagés par l'é-
conomie confidérable qui en réfulte ; ce
travail, s'ils le vouloient faire, fe réduiroit
à couper grofliérement les racines par pe-
tits morceaux , les écrafer fous une groffe
meule femblable à celle dont on fe fert
pour faire l'huile ; ce qui les réduiroit en
peu de temps en pâte.
D’autres difent que comme la garance
fermente facilement , il arrivera que ces
racines vertes fe trouveront altérées avant
qu’on ait pu les employer. Cette objec-
tion fe réduit à rien , lorfque les Teintu-
riers ont des garancieres à leur portée,
puifqu’ils ne feroient alors arracher la ga-
rance qu’autant & à mefure qu’ils en au-
roient befoin. Maïs lorfque les garancieres
font éloignées de leur attelier, M. d’Am-
bourney leur fournit un moyen bien com-
mode pour conferver ces racines : c’eft de
faire dans un jardin une fofle de 3 ou 4
pieds de profondeur, & de la remplir de
racines pofées lit par litavec du fable, &
de maniere qu’il n’y ait point de vuide.
Javois prié M, d'Ambourney de m'en
53 CULTURE
voyer deux livres pefant de garance fraîche
pour faire une épreuve de cette méthode,
il m'a envoyé des racines qui étoient de-
puis quatre mois dans une femblable foffe ;
elles me font parvenues dans le meilleur
état que l’on puifle defirer. Voilà donc
un moyen bien aifé à pratiquer par les
Teïnturiers pour avoir à leur portée des
racines telles qu’ils les demandent. Au
refte , quelques efforts que l’on faffe’, il ef
d'expérience que les meilleures pratiques
ne peuvent s'établir qu'avec le temps, &
peu à peu. Si une pareïlle découverte nous
venoit des Anglois , des Hollandois ou de
la Chine, elle feroit faifie avec avidité :
c’eft un Citoyen zélé qui la préfente gra-
tuitement à la Patrie; on a de la répu-
gnance à l’adopter.
Après tout ce que je viens de rappor=
ter en faveur de la garance verte, j’avoue-
rai cependant , que comme il y a bien des
cas où l’on eft dans la néceffité de faire
deffécher la garance , quand il s’agit de la
tranfporter au loin , je crois devoir ajou-
ter ici les moyens de deffécher cette racine;
mais je vais indiquer auparavant les fignes
auxquels on peut connoître fi la garance en
racine , ou mife en poudre , eft de bonne
qualité,
DE LA GARANCE. 59
HR LICE, XIBE
Du choix de la Garance.
L Es MarcHANDSs & les Teinturiers
doivent être fuffifamment iniftruits des
marques qui diftinguent les bonnes raci-
nes de garance d’avec celles qui font mau-
vaifes. Cependant nous croyons devoir
en donner ici la connoiffance en faveur des
Culrivateurs , ne fût-ce que pour les met-
tre à l’abri des reproches mal fondés que
les acquéreurs pourroient faire fur cette
marchandife , pour parvenir à fe la procu-
rer à meilleur compte.
Cette racine, qui, comme nous Pavons
déja dit, eft un des meilleurs ingrédients
qu’on puifle employer pour la teinture des
laines & des étoffes , leur imprime un rou-
ge, à la vérité , peu éclatant, mais qui
réfifte fans altération à l’aGtion de Pair , à
celle des rayons du foleil , & à l'épreuve
des ingrédients qu’on emploie pour re-
connoître la ténacité des couleurs. Elle
contribue aufñ à procurer de la folidité à
plufieurs autres couleurs compofées ; enfin
on eft parvenu à faire prendre au coton
une couleur incarnat très-agréable & très=
6o (CD ?L T'UXRLE È
folide. Toutes les parties de cette racine
ne fourniflent pas le rouge qu'on défire; il
y en a qui l’alterent, & d’autres qui font
tout-à-fait inutiles.
Quand on examine à la loupe une
racine de garance bien conditionnée ,
on apperçoit fous l’épiderme & dans le
parenchyme des molécules rouges qui
fourniflent certainement la couleur que
cette racine contient ; mais On voit Outre
cela beaucoup d’une certaine fubftance
ligneufe qui eft de couleur fauve ; & cette
fubftance doit probablement altérer la pre-
miere couleur. Suivant M. pe Tour-
NIERE, cette couleur fauve n’eft pas d’un
auffi bon teint que la rouge; & il croit
que les leffives & l’avivage ne donnent
de Péclat à la teinture de garance que
parce qu’elles emportent ce fauve. Le f0-
leil & la rofée produifent le même effet
fur le fil teint en garance , quand on le
met fur le pré.
M. de Tourniere penfe encore que la
partie qui fournit le rouge , eft dans [a ra-
cine fraiche, difloute dans un fuc muci-
lagineux; car l'écorce & les autres parties
qui contiennent beaucoup de rouge, font
auffi les plus fucculentes : en les deffé-
chant à l’étuve , on leur fait perdre les fept
huitiemes de leur poids , & néanmoins les
DE LA GARANCE. 61
racines ne font point parfaitement feches,
car elles plient avant de fe rompre; elles
s’écrafent fous le pilon au lieu de fe ré-
duire en poudre ; cette poudre onétueufe
au toucher , fe pelote aifément : il eft vrai
que cette racine en vieilliffant , perd fon
onétuofité , & qu’elle devient aride ; mais
aufli la qualité des molécules rouges di-
minue. Ces obfervations méritent bien de
l'attention ; car elles nous font connoître
que cette fubftance précieufe peut être al-
térée par une chaleur trop vive ; peut-être
que fi, la fuppofant onétueufe , elle étoit
parfaitement defféchée , l’eau ne pourroit
plus la difloudre ; enfin ces réflexions s’ac=
cordent avec les procédés de M. d’Am-
bourney, pour établir qu’il ya un avan-
tage confidérable à employer la racine de
garance fraiche. Mais il ne fera jamais
poffible d'employer la garance verte, que
dans le cas où les garancieres feront à por-
tée des Teinturiers ; ainfi lorfqu’on fera
obligé de tranfporter la garance au loin,
on fera toujours dans la néceffité de la
deffécher & de la pulvérifer. Je reviens
à cet objet qu’il eft bon de ne pas perdre
de vue.
1°, Comme les racines de garance ont
une grande difpofition à fermenter , il faut,
quand on les achete en racine , examiner
62 CULTURE
avec attention fi elles n’ont point de ta-
ches ou quelque odeur de moifi ; elles
feroient à rejetter, fi parle progrès de la
corruption, elles étoient devenues noires.
2°, Les racines , pour fournir beau-
coup deteinture, doivent être nouvelles ;
il faut donc rebuter celles qui répandent
de la poufliere quand on les rompt, & à
plus forte raifon celles qui font cariées &
piquées de vers : au contraire , on doit ef-
timer celles qui ont une odeur forte tirant
un peu fur celle dela régliffe ; la garance
en poudre doit être onctueufe, & fe pe-
loter quand on la manie entre les doigts.
3°, Comme la garance fe vend au
poids, il eft avantageux à Pacquéreur que
les racines foient bien feches ; mais il doit
prendre garde qu’elles n’ayent point été
trop chauffées à Pétuve. Celles qui ont
beaucoup d’odeur , font ordinairement
exemptes de ce défaut : un defféchement
trop précipité fait rider & fendre l'écorce;
& comme alors elle fe détache aifément
du bois, on perd la partie la plus utile;
l'écorce doit donc être unie, entiere &
adhérente à la partie ligneufe : il nefaut pas
confondre l'écorce avec l’épiderme qui ne
eut qu’altérer l’éclat du rouge.
4°, Les plus groffes racines ne font pas
toujours les meilleures ; affez fouvent elles
DE LA GARANCE. 63
font jaunes, & la partie rouge, qui feule
fournit la couleur, y eft-peu abondante.
Les racines fort menues ne font pas efti-
mées , parce qu’elles ont trop de cet épi-
derme qui ternit la couleur rouge ; mais
celles qui peuvent être de bonne qualité,
doivent avoir , depuis la groffeur d’un
tuyau de plume a écrire, jufqu’à la groffeur
de l’extrémité du petit doigt.
5°; En rompant lesracines , on apper-
çoit, comme je l'ai déja dit, deux fubf-
tances aflez diftinétes l'une de l’autre; celle
qui tire fur le jaune , ne fait qu’altérer la
teinture ; celle qui eft d’un rouge foncé,
eft la partie vraiment utile ; & par confé-
quent on doit donner la préférence aux
racines qui font hautes en couleur.
Ce feroit une découverte bien utile que
de trouver le moyen d’extraire la partie
rouge fans aucun alliage de la partie jaune
ou fauve : je crois que ces tentatives doi-
vent être faites {ur des racines vertes ,
afin que la partie rouge, qui eft en diflo-
lution , foit plus aifée à extraire.
6°, Comme le moyen le plus für pour
reconnoître la qualité de la garance , eft
d’en faire quelques effais fur des mor-
ceaux d’étoffe ; ceux qui cultivent beau-
coup de garance, feront bien de s’accou-
tumer à la foumettre à cette épreuve »
64 Cu x:'AUISE
afin d'être en état de prouver aux acqué-
reurs la bonne qualité de leurs racines :
en voici le procédé , extrait des ouvrages
de M. HELLOT.
À KR THE CH ELATVe
Marniere de faire un Efai de Teinture
avec la Garance.
Ï L FAUT, pour teindre une livre de laine
filée , faire un bain avec $ onces d’alun
&une once de tartre rouge fondues dans
fuflifante quantité d’eau : on imbibe bien
dans ces fels la laine qu’on veut teindre :
au bout de 7 à 8 jours , on jette une demi-
livre de racine de garance en poudre dans
de l’eau chaude , mais dans laquelle on
puifle tenir la main fans fe brûler ; & après
avoir mêlé cette poudre dans leau avec
une fpatule de bois, on plonge la laine
dans ce bain qu’on entretient chaud pen-
dant une heure , ayant foin qu'il ne bouille
pas, parce que s’il bouilloit , la couleur de
la laine deviendroit terne : néanmoins:
vers la fin de l’opération, on échauffe le
bain jufqu’à le faire bouillir ; mais on retire
Ja laine fur le champ.
MM. de la Société d'Agriculture de
Beauvais
DE EA GARANCE. 6$!
Beauvais, qui ont fi bien réuffi à teindre
avec dela racine fraîche , marquent dans
le procès - - verbal qu’ils ont dreflé de leur
opération , qu’on peut , fans rifque, laïfler
bouillir le bain de garance fraiche, fans
qu’il en réfulte d’altération en brun, ni
ce qu'on appelle coup de féu.
Comme il ne faut que de très-légeres
circonftances pour faire varier la beauté
de la couleur , on fera bien de faire ,
dans le même temps & avec la même
laine , deux opérations femblables ; l’une
avec la garance qu’on a deflein d’éprou-
ver, & l’autre avec la belle garance de.
Zélande ou l’Azala : la beauté des éche-
veaux teints décidera quelle eft la meil-
leure de ces garances,
Comme on peut faire aufli-bien ces
effais fur deux ou quatre onces de laine ,
que far une livre, il faudra alors diminuer
la dofe des fels & de la garance , propor-
tionnellement à la quantité de laine qu’on
voudra teindre, Je vais maintenant parler
des moyens qu’on emploie pour deffécher
& pulvérifer la garance.
ETES
66 CU L'T'U RE
ARRETE CERN.
Maniere de deffécher à de pulverifer
la Garance.
Nov: avons dit que.les racines fraiches
étoient fujettes à s’altérer en peu de temps
par la fermentation : il eft donc néceffaire,
quand la garance doit être tranfportée au
loin , d'employer les moyens propres à
enlever la prodigieufe quantité d’humidité
-qui occafionne cette altération. Il n’eft pas
douteux que s’il arrive du vent, du foleil,
en un mot , du hâle, on fera bien d’en
profiter pour commencer le defféchement,
& épargner la dépenfe du bois ; mais fi
le temps étoit plus humide que hâleux ,
il faudroit étendre les racines fous un han-
gard ou dans des greniers , & les remuer
fouvent ; car fi on les mettoit en tas, el-
les s’échaufferoient en peu de temps, &
elles s’altéreroient plus ou moins, fuivant
le degré de fermentation qu’elles auroient
éprouvé: ces attentions ralentiflent bien
la fermentation des racines; elles peuvent
même , fuivant M. d'Ambourney , les
mettre en état d’être confervées faines
pendant quelque temps 3 mais elles ne
| DE LA GARANCE. 67
font pas aflez efficaces pour produire un
defféchement fuffifant qui puifle préferver
ces racines de toute: altération , & les
mettre en état d'être pulvérifées. Il y a
donc des circonftances où on ne peut fe
difpenfer d’employer l’aétion d’une cha-
leur artificielle, & emprunter le fecours des
étuves. :
Lorfqu’on ne fait que de petites ré-
coltes, on peut employer la chaleur d’un
four à cuire le pain, pourvu qu’elle n’ex-
cede pas 45 à 50 degrés du Thermome-
tre de M. de Réaumur. Mais ce moyen
eft bien long , & il faudroit avoir des
fours très-grands pour fuppléer aux étu-
ves. Pour éviter la dépenfe de la conf-
trution d'une étuve, je confeillerois de
pratiquer un cabinet au - deflus de la
motte d’un four , dans lequel les racines
commenceroient à perdre une partie de
leur humidité. Mais quand on cultive
beaucoup de garance, il eft indifpenfable
d’avoir une étuve dont la grandeur foit
proportionnée à la quantité de garance
qu’on aura à deflécher , foit de fes propres
récoltes , foit de celles des payfans du voi-
finage qui ne font pas en état de faire la
dépenfe d’un pareil établiffement.
On peut donner à ces étuves bien des
formes différentes , dont plufieurs fe trou-
Fi;
68 CULTURE
veront aufli bonnes les unes que les au:
tres ; mais ceux qui feront dans le cas d’en
faire conftruire une , doivent fe propofer
pour objet, 1°, de faire en forte qu’elle
contienne beaucoup de racines ; 2°, que le
fervice en foit commode ; 3°, d’économi-
{er , le plus qu’il fera poffible , les matieres
combuftibles ; 4°, de la difpofer de façon
qu’on puifle yentretenir une chaleur mo-
dérée & égale. Pour faciliter ces moyens
aux Cultivateurs , nous donnerons ci-après
les plans & la defcription des étuves qu’on
emploie depuis long-temps à Lille pour
le defféchement des racines de garance ;
nous ferons remarquer leurs défauts, ainfi
que ceux de deux étuves qui ont été fuc-
ceflivement conftruites à Corbeilles ; &
nous rapporterons les tentatives que nous
avons faites pour les corriger & les perfec-
tionrier,
DE LA GARANCE,. 69
HR TIECUR EU XV
Culture de la Garance en Zélande
© en Holiande,
Jivros defiré pouvoir me procurer
des Mémoires plus circonflanciés fur la
culture qui fe fait en Zélande de la garan-
ce ; mais à ce défaut, j'ai cru devoir faire
imprimer ce qui fe trouve déja imprimé
dans le(Nouvellifte Economique & Lit-
téraire, ne füt-ce que pour faire connoiître
que la culture de cette plante en Zélande
differe peu de celle que nous avons rap-
portée dans ce Traité.
Extrait du Nouvellifle Economique & Lit=
téraire | imprime à la Haye ; Tome IV,
page 110.
» La garance eft la racine d’une plante
» qui porte le même nom; cetteracine,
» féchée, moulue &’ préparée, fert à une
» teinture rouge. La garance ne pafle pas
» pour une plante originaire de ce pays ;
“on prétend qu'il y a quelques fiecles
» qu’elle fut tranfportée des Indes dans la
» Perfe , de ce pays à Venife, & delà par
TO C:u Lux
» l’'Efpagne &laFrance dans les Provinces-
» Unies. On la cultive actuellement avec
> beaucoup de fuccès en Zélande ; elle fe
> trouve aufli en Hollande , & particulié-
»rement au pays de Voorn près de la
» Brille. C’eft une plante fort délicate,
» dont l’accroiflement eft fouvent retardé
» Ou entiérement arrêté par divers contre-
» temps imprévus : ces variétés dans le
» produit & dans le prix de cette racine
+ enrichiffent ou ruinent ceux qui la cul-
»tivent. C’eft des rejettons des vieilles
> plantes qu'on en fait venir de nouvelles:
» ces rejettons font féparés de la mere-
» plante, & mis en terre au printemps vers
» les mois d'Avril, de Mai, ou même de
» Juin, felon que la faifon fe trouve plus ou
» moins favorable. On prépare d’avance
» Ja terre par deux ou trois labours, &
» quelquefois davantage ; on la divife en-
» fuite en lits plats & aflez longs , de deux
» pieds de large : c’eft-là que l’on plante
> lesrejettonsau nombre de quatre ou cinq
» dans la largeur. On a foin d’arracher les
» mauvaifes herbes, & de tenir la plante
» auffi nette qu’il fe peut : on la laiffe deux
» ansentetre, & même quelquefois trois
# ouquatre; on a foin tous les hivers de
» la bien couvrir de tèrre. Après ce temps
# on latire de fon lit, &.on la porte dans
DE LA GARANCE. 71
» des étuves. Pour l’y faire fécher , on la
» pofe fur un plancher léger fait de lattes
» arrangées en forme de gril : ce plancher
» eft placé au-deflus d’un four , dont le
» feu eft entretenu par le moyen de tour-
» bes de Frife, & dont la chaleur s’éleve
» à la couche de la garance au travers de
» diverfes ouvertures affez éloignées l’une
» de Pautre. On porte enfuite cette racine
» dans un appartément pareil à celui où on
» fait fécher les grains pour la biere, & qui
» peut avoir cinquante pieds de long ; on
» l’étend fur un tiflu de crin, & elle acheve
> de s’y fécher : delà on la porte dans une
» aire,& on la nettoie avec foin de la terre
æ & des peaux qui s’y font attachées. Enfin
» On ia met dans un grand mortier de bois,
>» pour y être pilée par le moyen de pilons
» de bois garnis par deflous de lames de
» fer, qu’on nomme couteaux ; ces pilons
s agiflent par l’action d’un moulin que
» trois chevaux font mouvoir. La garance
»ainfi pilée fe tamife enfuite , & on la
2 fépare en trois cuvettes différentes : la
» premiere eft pour la groffiere , dite mule;
» la feconde pour la commune , la troifieme
» pour la ffne ou meilleure. Au fortir de
» ces cuvettes , la garance fe mettoit au-
» trefois dans des facs femblables à ceux
» du houblon ; maison enremplit à préfent
72 CE CL TÜUIRE
» des tonneaux où l’on a foin de la biem
» preffer. Des trois efpeces de garance, la
» plus précieufe eft uniquement tirée du
+ cœur de la racine ; la feconde, ou com-
» mune, left de la fubftance qui envi-
» ronne le cœur; là troifieme ou grofliere
>» eft faite des peaux ou enveloppes exté-
> rieures. Les deux premieres efpeces font
» mêlées l’une avec l’autre; & quand il y
» a deux parties de la premiere & une de
» la feconde , on appelle un & deux. On
» ne laifle poirit perdre ce qui refte fur le
» plancher de l’étuve; mais ou l’on mêle
» ce réfidu avec la troifieme forte , ou on:
» en fait des paquets féparés. [1 en eft de
» même de ce qui fe fépare au moulin,
» Après que la garance a été mife dans les
» tonneaux , elle eft examinée par des Inf-
» pecteurs qui voyent fi elle a été bien
» préparée , fi elle n’a point été brûlée en:
» fe féchant, & s’il n’y a pas un trop grand:
» mélange de terre. Les Edits font très-
sféveres à tous ces égards , & ils font
»>fur-tout exatement obfervés dans la
os Ville de Zierikfée. El y a dans le domaine
» feul de cette Ville dix-neuf fours à ga=
» rance ; & l’on évalue le produit annuel
» de chacun de ces fours à cent milliers
» pefant. Il eft difficile d’eftimer au jufte
æ la quantité de garance qu’une certaine
| étendue
DE LA GARANCE. 73
#étendue de terrein peut porter, vu la
» qualité différente de la terre & la diver-
» fité d’accidents auxquels la récolte eft
» expofée. En général cependant on tire
» de chaque arpent , trois à fix censlivres
» de garance ».
2 2 << — "© —— —————— ————————
AR T-LC LE XVIL
ARREST DUCONSEIL D'ETAT
DU ROÏ, qui ordonne que ceux qui
entreprendront de cultiver des plantations
de Garance dans des marais & autres
Lieux non cultivés , ne pourront pendant
vingt années être impofés à la’ Taille,
eux ni leurs employés à ladite exploira-
tion , pour railon de la proprièté ou du
profit à faire fur l'exploitation defdits
marais © terres cultivées en Garance.
Du 24 Février 175 6.
Extrait des Regiftres du Confeil d’Etar.
» Lx Ror étant informé que plufieurs
»terreins en marais & inondés feroient
#» propres à produire de la garance,que l’on
» eft obligé de tirer des pays étrangers, &
que quelques perfonnes s’offriroient à
faire les frais néceflaires pour cultiver
“cette plante & deflécher “ia marais ;
C'E LDUu RE
» s’il lui plaifoit les faire jouir de quelques
»exemptions & privileges , & nommément
»de ceux qui font attribués par Edit de
» 1607,& la Déclaration de 1641, & au-
otres Réglements fubféquents à ceux qui
sfont le defléchement des marais jufques
“alors incultes. À quoi voulant pourvoir:
5 Oui le rapport du fieur Moreau de Sé-
»chelles, Confeiller d’Etat ordinaire , &
» au Confail royal , Contrôleur général ga
» Finances ; LE Rox étant en fon Confeil,
»a ordonné & ordonne que ceux qui vou-
»droient entreprendre de cultiver des
»plantations de Garance dans des marais
® & autres lieux de pareille nature, qui ne
o font point cultivés , ne pourront,pendant
# vingt années, à compter du jour que
» les defféchements & défrichements au-
sront été commencés , être impofés à la
» Taille, eux ni ceux qui feront employés
» à bide exploitation, pour raifon de la
» propriété ou du profit à faire fur l’ex-
5 ploitation defdits marais & terres culti-
» vées en garance : : Voulant Sa Majefté
“qu'au cas qu'ils n’aient point été im=
» pofés jufqu'’alors, & qu'ils ne foient point
» dans le cas de l’être dans les Paroifles où
s lefdits biens feront fitués , pour leurs au-
stres biens, facultés 8c exploirations , is
# 1e puiffent être compris dans les rôles
DE LA GARANCE. 75
» des Tailles ; & qu’au cas où ils feroient
» d’ailleurs impofables , ils foient taxés
»d’office par le fieur Intendant & Com-
»miflaire départi : Ordonne Sa Majefté
»qu’en outre ils jouiront de tous les pri-
» vileges portés par l’Edit de 1607, & la
» Déclaration de 1641 , en faveur des
» Entrepreneurs des defféchements:comme
»auffi qu’il leur foit permis de tenir , tant
à Paris que dans les autres Villes & lieux
»du Royaume, des Magafins de la ga-
»rance provenant de leurs exploitations ,
» & de les vendre, tant en gros qu’en dé-
tail, fans qu’ils puiffent y être troublés ni
sinquiétés : Evoque Sa Majefté à Elle & à
»fon Confeil, tous les procès , différends
» & conteftations que ceux qui entrepren-
» dront la culture defdites garances pour-
#ront avoir, tant en demandant qu’en dé-
»fendant , pendant le cours de cinq an-
»nées , à compter du jour du préfent Ar-
»rêt , pour raifon de leurs entreprifes &
»privileges à eux accordés , & les a ren-
»voyés & renvoie pardevant les fieurs In-
»tendants & Commiffaires départis , pour
»être par eux jugés en premiere inftance ,
» fauf l'appel au Confeil. Enjoint Sa Ma-
»jefté auxdits fieurs [ntendants, de te-
wnir la main à lexécution du préfent
G ij
76 CULTURE
s Arrêt. Fait au Confeil d'Etat du Roi,
» Sa Majefté y étant , tenu à Verfailles le
» 24 Février 175 6.
Signé, M.P. DE VoyxER D’ARGENSON,
MTiiiiiitiititt.
DESCRIPTION
Des Eruves pour defécher la
Garance, & des Moulins pour
la pulvérifer.
Ex
A: RTIT GP ET
Defcription de l'Etuve de Lille.
ETTE étuve differe peu de celle que
les Braffeurs emploient pour deflécher
l'orge germé ou la dreche , & qu’on nom-
me dans les brafleries Tourailles. Pour en
donner une idée générale, il faut imagi-
ner un fourneau dans lequel on allume un
grand feu ; & que ce fourneau eft établi
au fond d’un fouterrein : l’air chaud & la
fumée s’élevent dans une tour à jour éta-
blie au-deffus du fourneau : on la nomme
dans les brafferies Truite. L’air chaud &
DÉ LA GARANCE. pb À
la fumée fe répandent dans un efpace for-
mé en entonnoir ou en pyramide renver-
fée, dont la bafe eft couverte par un plan-
cher à jour, fur lequel on étend les raci-
nes de garance. Voilà en gros en quoi
confifte cette étuve ; mais en faveur de
ceux qui voudroient en faire conftruire de
femblables , je vais en donner tout le détail
relatif aux figures que j’ai fait graver.
La fig. 4 Pl: I. repréfente la coupe d'un
bâtiment dans lequel eft pratiquée une étu-
ve propre à fécher la garance.
On diffingue dans ce bâtiment une cave
KK, un rez-de-chauflée LL, & un nre-
mier étage GG, qui fuppofe un grenier
au-deflus H. L’étuve dans fon plein de mä-
connerie eft fondée un peu au-deffous du
niveau de la cave; fes murs fe terminent
en voûte au niveau du plancher du pre-
mier étage ; les murs de face du bâtiment
fervent de pieds droits : on voit aufli que
les voûtes de l’étuve font foutenues par
des contre-forts qui aboutiffent dans les
murs de face du même bâtiment. Tout
ceci deviendra encore plus clair par Pex-
plication des lettres de renvoi.
A (PL I, fig. 4 ) Cendrier de deux
pieds d'ouverture fur 3 + de profondeur ,
& 2 pieds 3 pouces de hauteur ; il reçoit
les cendres des matieres qu’on brûle dans
Gi
78 CU E FT UMRE
le fourneau. B, fourneau terminé en bas
par un grillage de fer bb, fur lequel on
pofe les matieres à brûler. C, ligne pon-
étuée qui détermine le haut une porte
fermant l’entrée du fourneau : cette entrée
a 16 pouces de largeur fur 17 de hauteur.
D, cheminée du fourneau : c,d, truitte
où tourelle à jour qui reçoit la chaleur de
ce fourneau , & la repand dans fon pour-
tour par les trous où efpaces vuides co-
tés iii, On remarquera que cette chemi-
née eft entiérement couverte à fon cou-
ronnement, pour empêcher qu’il ne puiffe
rien tomber dedans. iii, trous de deux
pouces en quarré, par lefquels fort la
chaleur ; ils font faits en échiquier, comme
on le voit, avec des briques pannereffes.
F, F, elpace vuide dans lequel fe répand
la chaleur qui fort de la truitte, avant de
monter à Pétage fupérieur. GG, étage
pavé de carreaux, fur lefquels on étend ,
à un pied & demi d’épaifleur, les racines
qu’on veut fécher *. Ces carreaux font de
terre cuite : ils ont 1$ pouces de longueur
fur 10 & 11 de largeur & deux pouces
d’épaiffeur : ils font percés d’outre en ou-
tre de plufieurs trous de figure conique ,
comme ils font repréfentés dans la figure 6.
* On remue de temps en temps la garance avec des
fourches de fer, pour qu’elie feche égalemente
DE LA GARANCE. 79
HH, ouras ou tuyaux de 4 pouces d’ou-
verture, par lefquels fort la fumée quand
elle eft trop abondante , & par où def-
cendent aufli les parcelles qui fe tamifent
par les trous des carreaux du plancher G.
Ces ouras font fermés par une petite porte
de tôle qu'on ouvre quand la chaleur du
fourneau eft trop grande.
X ; cave qui fert aux approvifonne-
ments pour l’entretien du feu de l’étuve.
L, chambre où l’on retire les tonneaux
de garance pilée , où elle fe conferve fé-
chement. MM, &c, fommiers de fer de deux
pouces d’épaiffeur, recouverts de barreaux
en travers , fervants à porter les carreaux
qui forment le plancher. N, tirants de fer
attachés au fommier P, pour foutenir le
poids du plancher G. P, fommier du fe-
cond étage. Q , croifée ou fenêtre que
Fon ouvre au commencement de chaque
étuvée , pour laïfer diffiper la fumée. On
ferme ces croifées quand la garance com-
mence à fe fécher , pour mieux retenir la
chaleur. Il y à encore au fecond plancher
deux trapes qu’on ouvre pour laifler échap-
per la fumée & les vapeurs.
La figure $ repréfente le plan d’un
fourneau d’étuve; ce fourneau a 16 pou-
ces de largeur fur 3 pieds 7 pouces de
profondeur ; les trois barres de fer qui le
G iv
80 Ci EXT UE
traverfent , ont chacune 2 pouces + de lar-
geur fur 6 lignes d’épaifleur ; elles font
empattées de 3 pouces dans les murs : les
barreaux de recouvrement ont un pouceen
quarré, & font rivés en deflus & en deflous
fur les barres. On a exprimé dans ce plan
les deux ouras côtés H, pour faire connot-
tre qu’ils traverfent l’étuve dans toute la
largeur du fourneau. Ces ouras font très-
utiles pour tranfmettre dans la touraille la
chaleur du corps du fourneau.
La figure 6 repréfente le plan de l’é-
tage carrelé G, fur lequel on étend la ra-
cine de garance pour a faire fécher ; il à
16 pieds en quarré. On a donné ci-de-
vant la conftruction des carreaux : il a été
dit aufi qu’on ouvroit les fenêtres cotées
Q ;, pour laïffer fortir la fumée ou vapeur
que répandent les racines de garance à
mefure qu’elles fe fechent , & qu’on les
refermoir enfuite pour entretenir la cha-
leur.
Comme le fourneau que nous venons
de décrire eft femblable aux tourailles des
Braffeurs , jai voulu examiner comment
elles agiflent pour deflécher le grain ger-
mé, & j'ai remarqué que le grain qu’on
y met à l’épaiffeur d'environ 9 pouces , eft
très-chaud par deffous ; la liqueur du Ther-
mometre de M. de Réaumur s’y eft élevée
DE LA GARANCE. 87
à plus de 20 à 22 degrés au-deflus de
zero ; mais le deffus qui eft frappé par l'air
extérieur, s’échauffe peu ; les vapeurs qui
s’élevent des grains qui occupent les def-
fous , étant condenfées à la fuperficie par
lecontaét de l'air frais , fe réduifent en eau,
& font que les grains de deflus font tou-
jours très-mouillés ; ce qui oblige les Braf-
feurs de remuer fréquemment les grains
de leurs tourailles , pour expofer à la
grande action du feu celui de deffus qui
eft fort humide, & mettre à la fuperficie
celui du deflous qui étoit fort chaud.
Mais quand il vient à être échauffé, l’hu-
midité qui en fort & qui fe réduit en va-
peurs, humecte de nouveau le grain qu’on
a mis à la fuperficie, & par conféquent le
defféchement dela mafle totaleen eft confi-
dérablement retardé. J’ai jugéqu’on pour-
roit obvier à cet inconvénient, fi Pon pou-
voit empêcher l’air frais de frapper la fu-
perficie du grain : on y parviendroit fans
doute , en établiffant une couverture fur
toute cette fuperficie 3 & fi cette cou-
verture pouvoit être placée à un pied au
plus au-deflus du grain , il en pourroit ré-
fulter un autre avantage que je vais ex-
pliquer. |
On fait en Phyfique que les vapeurs
des corps qu’on expofe à la chaleur, ont.
82 CULTURE
une grande puiflance pour pénétrer &
échauffer ces mêmes corps, lorfqu’onre-
tient ces vapeurs , & qu’on les réverbere
en quelque forte fur les corps qu’on veut
échauffer ; c’eft fur ce principe qu’eft conf
truite la machine de Papin , dans laquelle
on parvient à difloudre les os des animaux;
& l’on fait qu'a un degré égal de chaleur,
Veau a huit cents fois plus d’aéivité que
Pair : or les vapeurs contiennent beaucoup
d’eau *,
En partant de ce principe, nous avons
jugé qu’il feroit très-avantageux de réver-
bérer les vapeurs fur le grain des Braf-
feurs & fur la racine de garance , par le
moyen de la couverture dont nous venons
de parler. M. ViccoTt, Marchand Braf-
feur à Paris, qui faifit avec empreffement
toutes les idées qui lui paroiïffent propres à
perfectionner la biere qui fe fait chez
lui, a tenté quelques épreuves conformes
à ce que nous venons de dire, &il a eu
quelque fuccès. Il ne s’agit plus que de
trouver le moyen de faire ufage de ce prin-
cipe pour une grande fabrique : nous y
reviendrons dans la fuite.
* Nous pourrions rap- } On peut confulter celles
porter des expériences que | que nous avons rapportées
nous avons faites en grand, | dans le cinquieme Volume
pour attendrir des pieces de | du Traïté de la Culture des
bois par La vapeur de l’eau. | Terres, page 355e
is
db Mot
Ms
_ Rubi
DE LA GARANCE. 83
Un des défauts de l’étuve de Lille eft
que la fumée qui fe mêle avec l’air chaud,
& qui traverfe les racines de garance, les
charge de fuliginofités , qui alterent pro-
bablement la partie colorante, & qui pro-
duifent peut-être la différence qu’on re-
marque entre les garances qui viennent du
Levant & celles de Lille, celles-ci n’étant
point propres, comme on l’a dit , à tein-
dre les cotons à la maniere du Levant:
de plus, on n’eft point maître de graduer
convenablement le feu dans ces fortes de
tourailles. On pourroit corriger ce défaut,
en faifant la tour du milieu clofe, & en la
terminant par un tuyau de fer fondu ou de
forte tôle, qui porteroit la fumée dehors,
à peu près comme on le voit dans la Plan-
che II : on pourroit encore fe difpenfer
de faire le plancher avec des barreaux de
fer & des carreaux ; un plancher de bois
latté, ou garni de claies & d’ungrillage de
fil de fer, feroit fuffifant ; car une fois que
la tour fera clofe & terminée par untuyau,
on ne craindra point le feu. Pour qu’on
puifle varier la conftruétion de ces étuves ,
nous allons joindre des réflexions & des
obfervations qui ont été faites avec beau-
coup de foin par M. pe LA LEvRIE quia
préfidé à la conftruétion de deux étuves à
Corbeilles, & décrire l’ufage qu’on en a fait
84 CULTURE
pour deffécher la garance ; cela nous a
mis en état de connoitre les perfeétions
qu’on peut donner à étuve de Lille.
GER EDR EPS IEEE
RMADI CAENIE
Réflexions [ur l'Etuve quon emploie
a Lille.
Ï L eft bon de commencer par rapporter
les expériences qu’on à faites avec deux
étuves qui ont été conftruites l’une après.
Pautre à Corbeilles , pour deffécher la ga-
rance : on en comprendra mieux l’avan-
tage de celle qu’on propofera enfuite.
La premiere de ces étuves avoit 21
pieds de long , 12 de large, 10 de hau-
teur : elle étoit garnie dans le pourtour
de trois rangs de claies en forme de ta-
biettes de 4 pieds de largeur , qui étoient
à diftance de 20 pouces l’une de l’autre ;
le premier rang étoit à $ pieds de terre :
c’éroit fur ces tablettes qu’on mettoit la
garance fraiche à 8 pouces environ d’é-
paifleur. [1 y avoit au plancher fupérieur
une trappe qu’on ouvroit pour laiffler ex-
baler l'humidité de la racine. Le fourneau,
qui m’étoit pas fans défaut, éroit faillane
d'environ 3 pieds dans l’étuve ; on le fer=
DE LA GARANCE. 8$
voit par dehors ; il étoit garni intérieure-
ment de tuyaux de fonte qui circuloient
entre deux feux ; ces tuyaux recevoient
par un bout l’air extérieur qu'ils rendoient
en dedans très-chaud , par une ouverture
placée à 2 pieds de terre. Voici l’effet de
cette étuve : les trois étages ayant été gar-
nis de racines, celles qui étoient fur l’é-
tage le plus élevé , féchoient fuffifamment
pour pouvoir être portées au moulin. Elles
féchoient lentement à la vérité, parce que
Pévaporation, quoique peu confidérable,
qui fe faifoit fur les deux étages inférieurs,
fournifloit par-deffous les claies du troi-
fieme rang une humidité qui retardoit
Popération. La chaleur , qui n’avoit pas
aflez de force pour réduire en vapeurs
toute l’humidité contenue dans la racine
de la garance des deux premiers étages,
en avoit aflez pour la faire fuer au point
que le deflous des claies étoit rempli de
gouttes d’eau grofies comme le bout du
doigt , & qui tomboient de la feconde
tablette fur la premiere , où elles mouil-
loient la racine ; celles de la premiere ta-
blette tomboient à terre. On ne voyoit
que trés-peu de ces gouttes d’eau à la ta-
blette d’en haut; mais feulement & im-
médiatement après qu’on avoit regarni l’é-
tuve de nouvelles racines , parce qu’au
86 CULTURE
haut de l’étuve la chaleur fe répandoit
bien plus également & y étoit toujours
très-forte, pendant qu’au bas , & vers la
terre il failoit froid. On avoit mis à chaque
étage un thermometre de M. de Réau-
mur : après quatre jours d’un feu conti-
nuel, le plus bas montoit à peine à 18
degrés ; le fecond , un peu plus haut ; le
plus élevé n’a jamais pañlé 27 degrés ,
chaleur qu’on croit prefque fufhfante lorf-
qu'on n'aura pas une évaporation infé-
rieure qui retarde l'effet de la chaleur qui
fe porte en haut. Ce qui le prouve , c’eft
qu'après avoir porté au moulin la racine
fufifamment féchée, on tranfportoit fur le
troifieme étage celle du fecond deja ef-
forée ; fur celui-ci celle du premier, en-
core molle ; enfin l’on metttoit fur le
premier étage de la racine fraiche : alors
le thermometre d’en bas defcendoit au-
deffous de 14 degrés, & le plus haut au-
près de zéro. Cela fit prendre le parti de
fécher tout ce qu’on mettoit dans l’étuve,
avant que de remettre de nouvelles ra-
cines; maisil falloit toujours faire le tranf-
port des étages d’enbas au plus élevé, où
la derniere rangée féchoit plus vite que les
autres. Comme cette manœuvre étoit
longue & pénible , on prit le parti de
détruire cette étuve, & d’en conftruire
une nouvelle qui a fervi depuis.
DE LA GARANCE. 87
Cette feconde étuve avoit même lon-
gueur & même largeur que la précédente ;
mais les claies fur lefquelles on étendoit
la garance n’étoient élevées qu’à 6 pieds
de terre , & les ouvertures du fourneau,
qui donnoient l’air chaud , étoient à raze
terre : d’ailleurs on avoit continué à fe
p'évenir du faux avantage de tripler la
fuperficie pour faire tenir une plus grande
quantité de racines , en faifant, comme
dans autre , trois étages de tablettes. Il
eft vrai que les racines y féchoient plus
vite , parce que le fourneau y donnoit plus
de chaleur ; mais cette chaleur fe diftri-
buoit très-inégalement dans les différentes
hauteurs , & dans les différentes parties
de la longueur de l’étuve , parce que les
mêmes inconvénients fubfifloient , ayant
établi, comme à l’autre, plufieurs étages
les uns au-deflus des autres, & que l’on
avoit donné à l’étuve une forme longue,
fans en avoir fait parcourir toute l’étendue
au fourneau. On avoit encore mis le plan.
cher du premier étage trop près du feu;
mais cela n’étoit pas fans remede , puif
qu’on pourroit fupprimer ce plancher, &
ne fe fervir que du fupérieur , qui fe trou-
veroit à 1$ pieds du bas de lPétuve, &
qui en comprendroit toute l’étendue : alors
la chaleur s’étendroit plus également dans
88 CU L Ty RL+E
toute fa longueur. On mettroit la racine
fur 15 ou 18 pouces d’épaifleur, & on la
foigneroit avec plus de facilité que fur
les tablettes , dont le fervice eft extrême-
ment pénible : on pourroit auffi mettre un
fourneau à chaque bout de l’étuve , & faire
ramper les tuyaux dans toute fa longueur.
De tous ces faits , il réfulte que pour
deflécher une pareille plante qui contient
beaucoup d’humidité , on ne gagnera ja-
mais rien à faire une étuve à trois étages,
dont l’un nuira toujours à l’autre ; puifque
la chaleur gagnant néceffairement le plus
haut, on fera obligé d’y tranfporter la ra-
cine des étages inférieurs ; ce qui ne fe
peut faire fans peine , fans perte de temps
& fans dépenfe ; au lieu qu’on pourra fé-
cher la même quantité en moins de temps
fur un feul plancher élevé de 18 ou 20
pieds au-deflus du fourneau.
Il eft für qu’en fuivant de bonnes inf-
tructions , un payfan qui cultivera fa terre
en garance ,en tirera toujours meilleur parti
que tout autre particulier qui la fera culti-
ver par des gens de journée; mais le payfan
ne fera les frais ni d’une étuve , ni d’un
moulin ; ce feront des particuliers aifés
qui cultiveront en grand , & qui font plus
en état de faire de la dépenfe : ainfi on
préfume que les payfans feront obligés,
ou
DE LA GARANCE. 89
our de vendre leurs racines toutes fraiches
aux Teinturiers, ou de les arracher dans:
le printemps, pour les faire fécher au fo-
leil , ou de les mettre dans leurs fours
quand ils n’en recueillent qu’une petite
quantité, ou enfin de porter leurs racines
à l’étuve , commeils font tranfporter leurs
raifins au prefloir. On croit cependant
qu'il eft toujours avantageux , dès qu’on
a le deflein d'engager à une culture peu
connue en France, de préfenter aux Cul-
tivateurs des idées fimples , & qui tendent
à la moindre dépenfe poffble.
L’étuve de Lille, quoique conftruite
fur le bon principe qu’on vient d'établir ,
ne fe préfente pas fous un coup d’œil d’é-
conomie convenable à tout établiffiement
nouveau. Îl faut de fortes murailles pour
foutenir la pouflée des voûtes, des arc-
boutants intérieurs , de la brique pour
conftruire ces voütes. Il y a telles campa-
gnes où on ne trouvera pas de Maçons qui
fachent voûter en brique. Il faut beaucoup
de gros fer pour le plancher. D’un autre
côté , une étuve de la figure d’un quarré
long, telle que celie de Corbeilles,ne chauf-
fera jamais bien également dans toute fa
longueur , à moins qu’on n’y établifle des
tuyaux dans lefquels on fafle circuler la.
fumée avant qu’elle fe rende dans la che-
H
90 CULTURE
minée, ou bien qu’on y place un four-
neau à chaque bout. Tout cela eft de dé-
penfe, & fujet à des inconvénients.
On penfe qu’une étuve dans le goût d'une
touraille de Braffeur (PI. IT) , eft plus que
fuffifante , & pourra être confiruite par-
tout à peu de frais : une pareille étuve
fera aflez grande en la faifant quarrée de
18 pieds fur toutes les faces ; de 18 à 20
pieds de hauteur du rez-de-chauflée juf-
qu’au plancher. On formera deffous ce
plancher une pyramide renverfée un peu
tronquée par en bas, pour l’emplacement
qu’il faut laiffer au fourneau qui doit
échauffer l’air dans l’intérieur de la pyra-
mide: cette efpece de hotte renverfée fera
faite comme celle des Braffeurs de Paris,
avec des chevrons lattés & revêtus de plâ-
tre , ou de mortier, ou de torchis , ou de
blanc en bourre , fuivant la commodité
du pays. Îl ne faut pas un fourneau im-
menfe pour échauffer ce lieu,quife trouvera
réduit prefqu’à un tiers de fa capacité La
nouvelle étuve de Corbeilles en contient
bien davantage depuis le fecond plancher
jufqu’en bas, & on n’a pas laiflé d’y por-
ter la chaleur jufqu’a plus de 45 degrés.
On fera le plancher de la touraille avec
des folives de 6 & quatre pouces, pofées
fur le champ de pied en pied, & ce plan-
DE LA GARANCÉ. oi
cher fera couvert de lattes, ou d’échalas
de Treillageurs, ou fimplement de clayon-
nage, comme on a fait à Corbeilles , où
ils ont duré plus de fix ans.
On élevera deux pignons , (voyez PI.
IT), & fur les deux autres faces des murs ou
pans pour porter le bout des chevrons,
& on y établira deux fenêtres Q Q. On
fera un plancher plafonné H, à 8 ou
9 pieds au-deflus du clayonnage GG, & on
y pratiquera une ou plufieurs trappes DD,
qui font plus utiles pour l’exhalaifon des
vapeurs, que les fenêtres ; enfin on lam-
briffera les chevrons apparents. Il y a lieu
de croire qu’une pareille étuve coûtera
peu, & fera tout l’effet defiré. On a oublié
de dire que fur le plancher de clayonnage
GG , qui porte la garance EE, il feroit bon
d'étendre une grofle toile fort claire, ou
une haire de crin , comme les Braffeurs le
pratiquent , & dont tout le pourtour fera
recouvert par des efpeces de foubaflements
de toile , arrêtés tout autour & cloués d’ef-
pace en efpace ; ce qui fera fur-tout fort
utile quand on fera fécher en particulier
les menues racines , & pour empêcher qu'il
n’en tombe à travers les claies. À un pied
au - defflus des racines, on pourra met-
tre des traverfes de bois, fur lefquelles on
déroulera des nattes de paille piquées fur
Hi;
92 C'U' LT U 41€
de la toile : cette couverture fervira à re+
tenir les vapeurs , ce qui fera avantageux,
comme nous l’avons dit plus haut. |
Au reite , certte étuve ef fimple , & on:
peut en varier la conftru@ion , fuivant la
commodité, ou la nature des matériaux qui.
fe trouvent le plus communément dans
chaque Province.
A RFC C'E Es FPE
Du Fourneau de cette Etuve.
[ fourneaux de l’étuve de Lille &
ceux de l’étuve de Zélande ne font certai-
nement pas bons pour le défléchement de
la garance, non plus que ceux des rourail-
les des Braffeurs ; ils ont tous le même
défaut , en ce qu'ils rempliflent l’étuve
d’une fumée qui ne peut fe difliper qu’a-
près avoir traver{é la racine, & lui avoir
imprimé un enduit de biftre fort nuifible
à la teinture ; c’eft cet inconvénient qui
a donné lieu à rechercher la façon d'en
conftruire un qui, en donnant beaucoup
de chaleur , n'eût point cette incommo-
dité *, [i paroït probable qu'on y pourra
réufflir en plaçant , au lieu de la truitte, une
* MM. HELLOT & d’Am- ] zala, lorfque la racine n’a-
BOURNEY ont fait, avec | voit pas reçu l’imprefñon
la garance de Lille, d’auffi | de la fumées
belle rcinture qu'avec l’A-
DE LA GARANCE. 9%
tour fermée f d, d’où partiroient des tuyaux
ée qui circuleroient fous la garance avant de
porter la fumée au dehors par le tuyau hh ;
on augmenteroit encore beaucoup la cha-
leur en faifant circuler d’autres tuyaux en-
tre deux feux , pour répandre dans l’étuve
un air chaud qui feroit tiré de dehors , &
qui fe répandroit continuellement dans l’é-
tuve , fuivant le fyfième du fourneau qui
eft décrit dans le Traité de la confervation
des grains.
J'ai fait une épreûve d’un pareil four
neau , & j'avoue que je n’en ai pas obtenu
une chaleur fuffifante : il auroit fans doute
été néceflaire de rendre mon fourneau plus
fpacieux ; mais on eft fouvent arrêté par la
dépenfe , qui refte toujours en pure perte
pour celui qui fait des recherches pour le
Public, & qui n’eft pas dans le cas d’en
faire une application qui lui foit utile. Je
terminerai donc ce qui me refte à dire fur
les étuves à deffécher la garance, par con-
clurre que la touraille des Brafleurs me pa-
roit fort bonne ; mais qu'il faut trouver un
moyen d’empêcher que la fumée ne tra-
verfe les racines.
Peut-être que le mieux feroit d'établir
au bas de la touraille, au lieu d’une truitte,
un fourneau f d(P1. ID), pareil à celui que les
Rafineurs mettent dans leurs étuves; ce qui
ç4 CU LOTERIE
feroit avantageux , fur-tout dans le cas où
Von pourroit le chauffer comme eux avec
du charbon de terre,
La bonne maniere de conduire l’étuve
feroit de mettre les racines, déja en partie
defféchées par le vent & par le foleil , fur
la touraille en EE, d’allumer enfuite le
fourneau, de fermer les trappes D D au-
deflus de la touraille , & même de couvrir
les racines avec des nattes, jufqu’a ce
qu'on vit l'humidité réduite en vapeurs ;
alors on ôteroit les nattes, on ouvriroit
les trappes , & on augmenteroit le feu pour
faciliter la diffipation des vapeurs.
La garance fufhifamment defféchée &
mondée de fon billon, comme nous la-
vons dit plus haut, peut être vendue en
cet étataux Teinturiers ; mais fi on veut
la réduire en poudre, ou, comme dijent
les Teinturiers, la grapper , il faudra être
pourvu de moulins femblables à ceux dont
nous allons donner la defcription. Ainfi il
faut que celui qui entreprend de cultiver
la garance, commence par fe pourvoir
d’une étuve , afin qu’elle foit feche , lorf-
quon ne fera pas en état de l’employer
verte; mais il peut fe difpenfer de faire
conftruire un moulin , puifque le Proprié-
taire trouvera à vendre fa garance en ra-
cines fans être moulue, Néanmoins pour
ence PI I Fage 94.
Ga
Garence PI I Page 94.
DE LA GARANCE. 9$
ne laifler rien à defirer fur tout ce qui re-
garde la garance, nous allons parler des
moyens qu'on emploie pour réduire cette
racine en poudre.
AR E TO ES EY:
De la Meule verticale , pour écrafer
la Garance.
Dis plufieurs endroits on pulvérife
la racine de garance avec une meule ver-
ticale , femblable à celle qu’on emploie
pour écrafer les olives ou les pommes, ex-
cepté qu'il faut que cette meule foit très-
pelante. On commence par couper ou
rompre la racine par petits morceaux ;
enfuite on la met fous la meule qu’on
fait tourner par le moyen de l’eau, ou
avec un cheval. Cette meule étant en
mouvement , il faut qu’une ou deux fem-
mes foient continuellement occupées à
pouffer la racine fous la meule : enfuite on
la pafle par un crible fin , & on remet fous
Ja meule ce qui eft refté fur le crible.
Cette meule feroit afflurémenttrès-bonne
pour broyer la garance verte, dans le
cas où les Teinturiers lemploieroient en
cet état,
96 Cru :r TITRE
AR TI CEE
Defcription du Moulin à grapper la
Garance, tel qu’il ef} exécuré à
Lille en Flandre.
L A Figure 1 , Planche IIT, repréfente le
développement des parties d’un moulin
propre à piler la racine de garance. Ce
moulin eft ifolé, & couvert feulement d’un
toit de chaume , porté par une charpente
fort légere. |
Les Figures 2, 3,4, $ & 6 font des
additions à la précédente : on ñe peut fe
difpenfer d’y avoir recours pour l’intelli-
gence des pieces qui entrent dans la conf-
truction de ce moulin ; & c’eft pour cela
que l’on s’eft fervi des mêmes lettres pour
toutes les figures : on a repréfenté les
principales pieces par autant de figures par-
ticulieres.
À, levier de 9 pieds 8 pouces de lon-
gueur , fur 6 à 4 de groffeur *.
B, arbre de la roue , de 6 pieds 4 pou-
ces 6 lignes de hauteur fur 9 à 10 de grof-
feur. C, liens ou arcboutants de 4 pieds
6 pouces de hauteur fur 4à $ de grof-
* Un cheval, taille de Dragons, fait mouvoir très—
aïfément ce moulin,
{eur,
DE LA GARANCE. 67
feur. D ( PI. III. fig. 1) , roue dentée de
3 pieds 1 pouce 6 lignes de rayon, armée
de 57 dents.
Les courbes de cette roue ont 8 & 4
pouces de grofleur : on voit qu’elles font
liées par des molles-bandes de fer. Les
traverfes formant l’affemblage, font de 6
à 4 pouces de groffeur , boulonnées &
clavetées ; les dents qui font de pommier ,
faillent de 3 pouces 3 lignes ; elles ont 2
pouces + fur 2 à leur racine , fe terminant
à 2 pouces + {ur 1; de même elles ont 2
pouces de queue fur 1 + d’équarriffage :
elles mordent dans les fufeaux de la lan-
terne d’un pouce & demi. Les chevilles
qui les retiennent, font aufi de bois de
pommier.
E , poutre de 12 pouces d’équarriflages
F, lanterne de 13 pouces de rayon, gar-
nie de 18 fufeaux d’un pied de longueur
chacun , & de 2 pouces de diametre. Les
fonds de cette lanterne ont 2 pouces + d’é-
paifleur ; ils font cerclés de fer. On a em-
ployé aufli deux molles - bandes de fer,
boulonnées de même, qui empattent les
joints du bois.
GGG , arbre qui porte les cames ou
leves. Il a dix-huit pieds fix pouces fix
lignes de longueur , 10 & 10 de grof-
{eur , à l’endroit où il traverfe la lanterne,
93 CULTURE
& quatorze pouces de diametre dans fa
partie octogone. H , leves ou cames de
4 pouces 9 lignes de longueur fur $ pou-
ces de face & 2 pouces 6 lignes d’épaifieur.
On voit ici que Parbre eft hériflé de
quinze leves pour cinq pilons , parce que
trois leves fervent à chaque pilon. A cet
effet , on a eu attention de numéroter d’un
même chiffre les leves, les mentonnets &
les pilons , ce qui fera encore expliqué
plus bas,
. K, balanciers ou volants de 4 pieds $
pouces de longueur chacun, fur 4 & 4 pou-
ces de groffeur : ils font chargés de plomb
à leur extrémité. L, mentonnets qui font
relatifs aux leves H; ils faillent de $ pou-
ces 9 lignes,& ont $ pouces de face fur 2 +
d’épaiffeur,
MM , autres mentonnets aflemblés dans
l’épaifleur des pilons NN, & qui répon-
dent aux leviers Q Q. Ces pilons ont 10
pieds 4 pouces de longueur fur 4 & 4 pou-
ces de groffeur. Ils font arrondis à leur ex-
trémité vers les mortiers , & armés d’un fa-
bot de fer de 4 pouces de diametre, repré-
fenté en X dans la Figure 6. On a numéroté
les pilons 1,4,2, $, 3, (fig.1),
pour faire connoître dans quel ordre ils
battent quand la machine eft en mouve-
DE LA GARANCE. 99
ment (* ). O, amoifes de 6 & 4 pouces de
groffeur , qui foutiennent les charnieres P.
P, charnieres de 8 pouces de longueur
fur 6 de largeur & 4 d’épaifleur. Ces char-
nieres font traverfées d’un boulon de fer
claveté , auquel répond un levier mobile
Q ;, qui fait effort contre le mentonnet M,
quand on veut foutenir le pilon Nen l’air.
Q, leviers de 2 pieds 3 pouces 6 lignes
de longueur fur 3 & 4 de groffeur, fai-
fants effort contre les mentonnets M, pour
foutenir les pilons en l’air.
RR, prifons de 6 & 8 de groffeur, qui
contiennent les pilons , & empêchent qu’ils
ne fe dérangent. S, poteaux montants de
4 & 4 de groffeur, qui affemblent les amoi-
fes & les prifons. TT, &’c, mortiers creu-
fés dans une feule piece de bois de 16 fur
16 de groffeur : chacun de ces mortiers eft
creufé de 11 pouces ; leur plus grand dia-
metre eft de 7: on a atention que leur
fond foit garni de plomb de 3 à 4 lignes
d'épaiffeur (? ).
V , auget pour la manutention , fur le=
“Il ya cinq pilons: cha- [ racine. Après quelques
cun d’eux étant armé, doit
pefer environ 112 ou 120
livres : leur armure eft un
fabot de fer à lames tran-
chantes,
b Chaque mortier con-
tient environ 6 livres de
coups donnés, on retire la
racine , & on la pafle pour
ôter le billon. On a éprou-
vé qu’un moulin dirigé par
un feul homme , peut pi-
ler $0O pefant de garance
en 24 heures.
I 1
100 C'o EU Tr 0 RTE
quel on étend une toile attachée à la pri-
fon , pendant que le moulin travaille,
pour empècher la diffipation de la poudre
la plus fine.
Ÿ , poutre de 12 pouces d’équarriflage :
cette poutre & celle de l’autre extrémité,
cotée E , repofent fur les fablieres de la
charpente qui afiemblent le toit. Les cra-
paudines & tourillons font repréfentés
d’une maniere fi fenfible, qu’on n’a pas
cru néceffaire de les indiquer par des let-
tres de renvoi ; j'ajouterai feulement que
les crapaudines font de fonte, & les tou-
rillons d’acier.
On a évité de coter chaque dimenfion ,
pour ne pas trop charger les figures ; mais
il fera aifé d'exécuter cette machine relati-
vement à notre defcription, dont les dé-
tails font juftes.
Aufi-tôt que la garance eft fortie de
l’étuve, on la porte au moulin : quand elle
eft pilée, on la pañle fur le champ au ta-
mis , pour qu'elle foit à peu-près comme de
la fciure de bois, & on l’enferme tout de
fuite dans des barrils bien fermés, qu'il faut
avoir foin de tenir dans un lieu fec.
Les tamis à paffer la garance , ont en-
viron 2 pieds + de diametre fur un pied de
hauteur ; ils font faits en forme de boîtes
cylindriques de trois pieces , & reflcm-
DE LA GARANCE. 1OI
blent à une caiffe de tambour ; ils font re-
couverts de peau par -deflus & par-def-
fous , pour empêcher la diffipation de la
poudre fine. Les toiles de ces tamis font
de crin ; elles font plus ou moins fines,
felon la qualité qu’on veut donner à la ga-
rance. Je crois qu’en quelques endroits on
emploie des bluteaux en place de ces
tamis.
La garance grappée fe diftingue en ga-
rance robée & non robée : la robée a con-
fervé fon épiderme ; l’autre, qui eft la plus
précieufe , en eften partie dépouillée. Pour
la rober , on retire la garance du moulin
après qu'elle à reçu quelques coups de
pilon ; en la tamifant groffiérement on
emporte une partie de l’épiderme, & on
Ja remet enfuite au moulin pour achever
de la pulvérifer ; mais il faut prendre gar-
de d’emporter avec l'épiderme la partie
colorante qui eft la plus précieufe.
J’avois fait venir les plans de ce moulin
pour en aider MM. de Corbeilles ,qui vou-
loient en faire conftruire un ; M. de la
Levrie , qui voulut bien diriger cette
conftruction, ne tarda pas à appercevoir
les défauts du moulin de Lille ; il les a
corrigés, & en a fait conftruire un à Cor-
beilles, qui fatisfait à tout ce qu'on en peut
attendre. Ce Monfieur a bien voulu me
E ii
102 CU EL T/UXRLE
donner les dimenfions de ce moulin , &
en corriger les defleins. Néanmoins je n’ai
pas cru devoir fupprimer les plans du
moulin de Lille, par la raifon qu’il eft
établi, & qu’il y fert à piler la garance;
mais nous y Joignons le plan & les pro-
portions de celui de Corbeilles, qui eft bien
fupérieur au premier.
ART LCL ETNE
Réflexions [ur la conffruéfion du
Moulin de Lille.
D: TOUS les moulins à pilons qu’on
peut conftruire , celui de Lille paroît le
moins propre à piler la racine de garance :
il avoit été fait en premier lieu pour piler
le tabac, & on s’eft contenté d’en changer
l’ufage fans y faire les correétions nécef-
faires pour le nouvel objet. 1°, Les pilons
de 10 pieds de haut ne peuvent pas pefer
112 livres, d’autant que le pied cube de
chêne fec ne pefe que 60 livres: les 10
pieds de 4 pouces quarrés ne pefent que
66 livres £: fion y ajoute 10 livres pour
la pefanteur du fabot & des deux menton-
nets , le tout ne pefera pas 77 livres : on
voit que c’eft trop peu pour pulvérifer la
DE LA GARANCE. 103
garance *. 2°, La fuperficie du quarré de
4 pouces, réduite à cee d’un cercle de
même hauteur , n’eft plus que 12 $ de
pouce; ce qui ne fait pas tout à fait 63
pouces pour la fuperficie des cinq pilons.
3°, Ajoutez que les fabots des pilons étant
garnis de couteaux trop courts, la matiere
doit s’y empâter, & dès-lors elle ne fe
broie plus. 4°, Il eft aifé de voir, par le
rapport de la lanterne au rouet, que cha-
que pilon ne peut battre que 28 coups + par
minute. $°, On fait qu’une livre de ga-
rance bien foulée tient un volume égal à
une pinte d'eau , qu’on fuppofe de 48
pouces cubes ; mais elle tient bien plus de
place quand elle eft en poudre non foulée,
comme elle eft dans les mortiers, éparpillée
par les couteaux & rertombée fur elle-mé-
me ; fuppofant encore qu’elle n’occupe
que moitié en fus, ce fera 72 pouces cu
bes. On prétend qu’on met 6 livres de ra-
cine à la fois dans chaque mortier , qui
feroient 432 pouces cubes ou + de pied
cube de matiere dans un mortier rond de
11 pouces de haut, dont le plus grand
diametre n’eft que de 7 pouces , le plus
petit dans le fond 4 pouces +, & celui
de l’entrée de $ pouces ; & files mortiers
* Ileft vrai qu’on les a chargés de plomb; mais on
fera mieux de s’en pafñler, :
Liv
104 CULTURE
étoient pleins, quelle force auroît la chûte
des pilons ? 6° ,Les leviers qui fervent à
lever les pilons & à les arrêter en l'air,
pendant qu’on vuide les mortiers, font
tout-à-fait mal imaginés ; il faut une grande
force pour en faire ufage ; encore faut-il
faifir le moment où le hériflon a élevé les
pilons à leur plus grande hauteur. 7°, Le
volant eft une piece fuperflue , incommo-
de, même dangereufe pour ceux qui fer-
vent le moulin; c’eft un fardeau inutile qui
ne peut fervir qu’a augmenter le frotte-
ment de l'arbre fur les tourillons: d’ail-
leurs il ne peut faire d’effet pour entretenir
Vuniformité du mouvement, qu’autant
qu’il eft attaché à un arbre qui tourne très-
vite ; ce n’eft pas le cas, puifque l'arbre du
hériflon ne fait pas 10 tours par minute.
8° , On ne dit rien de l’inégalité de la ré-
fiflance, caufée par la figure droite des le-
ves du hérifon , ni du frottement confidé-
rable des pilons dans leurs prifons, occa-
fionné par la longueur de leurs menton-
nets, parce quil s’en faut beaucoup que
la puiffance foit chargée de tout le poids
qu’elle pourroit mouvoir ; mais cette puif-
fance étant un cheval dont on connoït la
force, pourquoi ne la pas employer ? Je
crois en avoir aflez dit pour faire fentir les
défauts du moulin de Lille : la comparai-
DE LA GARANCE. 10$
fon qu’on en pourra faire avec celui de
Corbeilles, dont je vais donner la defcrip-
tion, y fera trouver d’autres imperfec-
tions fur lefquelles il feroit fuperflu de
m'étendre.
AR TI CILE VE
Defcriprion du Moulin à pulvérifer
la Garance, conffruit à Corbeilles.
[Ë N’EST pas néceflaire de faire le détail
du rouage de ce moulin, qui eft le même
que celui de Lille; il fufht de donner les
proportions des parties qui le compofent.
Le timon ou levier, depuis le centre de
Parbre du rouet jufqu’au point où eft at-
tachée la chaîne du palonnier, a 9 pieds;
le rouet a s pieds de rayon, & porte 72
dents ; la lanterne, 10 pouces de rayon
jufqu’au centre des fufeaux , & 12 fu-
feaux ; ainf elle fait fix tours contre un du
rouet ; le cheval faifant 3 pieds de chemin
par feconde , fait trois tours & demi par
minute , & la lanterne 20. Le hériflon
ayant dans fa circonférence trois leves
pour chaque pilon , chaque pilon frappe
60 coups par minute, & les quatre 240
dans le même temps. Le quarréfur lequel
106 CULTURE
eft chauflée la lanterne , eft pris fur un
arbre qui a $ pouces de rayon, plus gros
dans toute la longueur du hériflon, où il
a 7 pouces de rayon. Il lui faut cette
grofleur , afin que les tenons des leves
aient une longueur & une épaiffeur qui leur
donnent de la fclidité : on le laifle rond
plutôt que de le faire à pans ; parce qu’il
eft plus aifé d’y percer réguliérement
les mortaifes , en fe fervant d’un calibre
que les Menuifiers appellent un guide-âne ,
qui leur fert à enfeigner aux apprentifs à
percer une mortaife à plomb *: les leves
ont 12 pouces de rayon, c’eft-à-dire,
qu'il y a 12 pouces depuis le centre de
Varbre du hériflon jufqu’au point qui tou-
che les pilons pour les élever; ce qui indi-
que un cercle de deux pieds de diametre :
la face fupérieure de ces leves eft coupée
felon une courbe qui les alonge , dont tous
les rayons font des tangentes à la circon-
férence de ce cercle. La plus. grande de
ces tangentes a 12 pouces ; elle détermine
la plus grande levée des pilons : il réfulte
de cette coupe , qu’à quelque élévation
que foient les pilons , la réfiftance eft tou-
jours uniforme , puifqu’ils font toujours
pris par les leves à la même diftance de
* ]] faut que les tourillons de cet arbre tournent fur
des paliers de cuivre.
DE LA GARANCE. 107
leur centre de gravité. Comme dans la
longueur du hériflon il y a 12 leves fur
plans , elles forment entr’elles des angles
de 30 degrés , en les fuppofant vues l’une
derriere l’autre comme fur un même plan;
-ce qui fait que quand le premier pilon eft
à la moitié de fon élévation , le fecond eft
prêt à être élevé ; le premier échappant,
le troifieme eft au moment d’être éle-
vé , &c. Je dis, au moment, parce qu’il
eft à remarquer que les leves avancent
fous les mentonnets, ou fous ce qui en
tient lieu, de $ ou 6 lignes; que la plus
grande tangente de la courbe étant de 12
pouces , eft plus petite de près de 7 lignes
que la fixieme partie de la circonférence
du cercle , & donne le temps au premier
pilon d’échapper avant queletroifieme pi-
Jon foit pris ; ce qui eftnéceffaire pour que la
puiflance ne foit jamais chargée de plus
de deux pilons.
On appelle le devant de la batterie,
la face devant laquelle eft le hériffon : la
batterie eft compofée de deux folins de 10
pieds de long , de 8 pouces d’équarriffa-
ge , liés à chaque bout par une entre-toife
de 6 & 4, celle de devant arrafée aux
feuillures pouffées en dedans de cette par-
tie des folins, de 15 lignes de hauteur fur
un pouce de largeur, pour fervir à porter
108 C'v 5 Tux
un plancher : au milieu de la longueur &
de la largeur de deux folins s’élevent deux
montants , qui font mortaifés & chevillés ;
ils ont 12 pieds 8 pouces de hauteur, non
compris leurs tenons, 14 pouces de large
fur 6 pouces d’épaiffeur , foutenus cha-
cun par un lien mortaifé par - devant à
deux pieds de hauteur, & un derriere à 4
pieds +. Entre ces deux montants eft la
pile fur laquelle battent les pilons : elle eft
faite d’une piece d’orme-tortillard bien
fec , de 4 pieds de long entre les mon-
tants , avec lefquels elle eft affemblée par
une languette de 2 pouces de large fur
autant de profondeur ; elle a 20 pouces
de hauteur fur 18 de largeur ; elle pofe
des deux bouts de toute fa largeur fur le
bord des folins , & dans l'intervalle far
trois pieces de bois également efpacées ,
calées fur un maflif de maçonnerie qui
fupporte le tout. La longueur de la pile
eft partagée en deux par une cloifon de
deux pouces d’épaifleur , parallele aux
montants & de même largeur , arrêtée
dans la pile par deux tenons, & une rai-
nure de toute fon épaiffeur , de même en
haut dans la partie de derriere de la pri-
fon qui eft fixe ; fon prolongement jufqu’à
Ja prifon d’en haut eft arrêté par un affem-
blage pareil : cette cloifon divife la lon-
DE LA GARANCE. 109
gueur de la pile en deux auges de 26
pouces de long chacune, formées par deux
planches en pente, de façon que les auges
ont 4 pouces + intérieurement dans le
fond , fur 11 pouces + d’ouverture, & 12
pouces de hauteur perpendiculaire ; &
pour empêcher que la poudre volatile qui
s’éleve en pilant ne fe perde , la diftance
du bord des auges à la premiere prifon eft
fermée par des fonds, dont ceux de der-
riere, ainfi que cette partie des auges ,
font aflemblés à demeure, à rainures &
languettes, dans les montants & la cloi-
fon ; ceux de devant fe levent à coulifle
comme un chaflis, & s'arrêtent de même
avec des tourniquets ; on leve & on Ôte
tout-à-fait le devant des auges ; on tire
toute la racine pilée avec une cuiller de
bois & un balai de plumes, & on la fait
tomber fur une table qui eften avant, dont
les rebords ont 4 pouces de hauteur ; on
remet le devant des auges ; &e on les re-
garnit de racines en bâtons, on baïfle les
couliffes, on laiffe tomber les pilons qu’on
avoit arrêtés pendant cette manœuvre qui
s’exécute facilement & promptement, &
le moulin continue de travailler pendant
qu’on ramañle la racine , & qu’on Îa pañle
au bluteau ou au tamis. Il y a deux pri-
fons ; qui fervent à guider les pilons : le
+10 Cv LTuaR!r
deffous de la premiere eft à 3 pieds; le
deffous de la feconde à 10 pieds du deflus
de la pile ; elles ont 3 pouces + d’épaifleur :
la premiere eft arrafée par-devant aux joues
intérieures des rainures , afin que les cou-
lifles y foient appliquées lorfqu’elles font
fermées , & qu’elles gliffent contre quand
on les leve. Chaque prifon eft de deux
pieces , dont celles de derriere font affem-
blées & chevillées avec les montants, &
entretiennent folidement les clojfons ; cel-
les de devant peuvent s'ôter & fe remet-
tre, fuivant le befoin : elles coulent dans
les rainures d’un pouce de profondeur ,
& de leur épaifieur , qui font aux mon-
tants , & qui font entaillées à mi-bois avec
les cloifons : de plus, elles ont deux clefs
qui entrent dans les mortaifes qui font
aux parties fixes où on les arrête avec des
chevilles. Les pilons ont par le bas 1 2 pou-
ces de face, 18 pouces de hauteur, &
pouces d’épaiffeur , ce qui leur donne à la
bafe 48 pouces quarrés ; les queues ont 8
pieds + de hauteur , 4 pouces de largeur ,
fur 3 pouces d’épaiffeur ; ainfi ils ont en
tout 10 pieds de haut, non compris les
couteaux qui ont 4 pouces, & qui font
faits comme un fermoir de Menuifier ; les
tranchants ont 2 pouces = de large & les
foies 3 pouces ; de long ; il y en a 17 à
DE LA GARANCE. III
chaque pilon. On a fupprimé les menton-
nets, parce que les leves du hérifion les
prenant par le bout , toujours au même
éloignement de $ pouces du centre de
gravité des pilons , la réfiftance du frotte-
ment de leur queue dans les prifons auroit
été confidérable. Pour éviter cet inconvé-
nient, on a fait dans la face de la queue
des pilons une mortaife de 25 pouces de
long fur 3 pouces de large, fortifiée des
deux côtés par des joues de 2 pouces,
prolongées de 6 à 7 pouces au-delà de
chaque bout des mortaifes qu’on a laiffées
de la même piece que les queues. Le haut
des mortaifes eft à 6 pieds au-deffus de la
pile, c’eft-à-dire , à la même hauteur que
le centre du hériflon : cette partie éft gar-
nie d’une platine de cuivre de 2 lignes d’é-
paiffeur bien écrouie , polie & arrondie par
le bord , pour faciliter l’échappement des
leves. On a mis fur le côté des queues des
pilons , & à 16 pouces du deflous de la
prifon d’en haut , des mentonnets d’un
bon pouce d’épaiffeur , de 2 pouces de
hauteur fur 4 de faillie , pour tenir les pi-
lons élevés pendant qu’on vuide les auges.
Les leviers qui fervent à cet ufage font
placés derriere, & portés fur des cheva-
lets aflemblés dans une piece de bois qui
l’eft elle-même par les deux bouts dans
112 Cru -L'T'UNALE
deux corbeaux mortaifés & chevillés dans
les montants ; ces pieces ont 6 pouces d’é-
quarriflage : il y a des youffets fous les
corbeaux. Les leviers font pris dans des
pieces de bois de 6 pouces & +, ainfi que
les leves du hériffon. La face fupérieure
du petit bras eft taillée comme les leves,
fuivant une courbe développée du cercle
générateur , dont le rayon eft l'intervalle
du milieu du mentonnet au centre du
mouvement du levier , qui doit être fur le
même alignement que le deffous du men-
tonnet. Le rayon de ce cercle, ainfi que
le plus grand de la courbe, doit être de
15 pouces, afin que le pilon élevé de 13
ou 14 pouces n’échappe pas. Pour con-
ferver la force des leviers , il faut que le fil
du bois fe trouve droit dans toute la lon-
gueur,paffant par le centre du mouvement,
dans lequel on arrêtera quarrément une
barre de fer faillante de 2 pouces de chaque
côté; cette faillie arrondie en tourillons
fe placera fur des chevalets dans des
fentes garnies, pour le mieux, de coufi-
nets de fonte. On attache une corde au
bout des petits bras , & l’on accroche
cette corde à des crochets de fer ; on a des
chevilles de bois qui font derriere la pile,
pour tenir les leviers un peu plus bas que
les mentonnets quand les pilons travail-
lent.
DE LA GARANCE. 113
lent. Les grands bras font diminués de
largeur infenfiblement jufqu’à leur bout,
où ils font réduits au quarré de leur épaif-
eur; il ya à cet endroit une autre corde
qu’on accroche aux mêmes chevilles de la
pile pour retenir les pilons en l'air.
QzsERVATIONS.
Les pilons de ce moulin ne pefent que
100 livres avec leur armure, peut-être
quelques livres de plus , qu'on peut fup-
primer en diminuant quelques pouces fur
la partie d’en bas: il n’y a jamais que deux
pilons en Pair, qui pefent enfemble 200 li-
vres , lefquelles fe réduifent à un effort de
133 livres + pour la puiffance. On compte
ordinairement qu’un cheval de moyenne
taille peut employer 189 livres de fa force
pour mouvoir une machine, en travaillant
quatre heures de fuite, & faifant 1800
toifes de chemin par heure : il va fonvent
plus vite ; mais c’eft fur ce pied que ce mou-
lin a été calculé : il refte donc 46 livres =
pour vaincre la réfiftance des frottements :
ils’en faut beaucoup qu’ils aillent à cela dans
cette machine; on peut mêmedire qu’ils font
moindres que dans tout autre moulin de
cette efpece. Un cheval peut d’autant
mieux réfifter à ce travail, qu’à chaque pi-
lage qui dure $ ou 6 minutes, il en a deux
114 CG'USÉ TYUMWE
ou trois de repos pendant qu'on vuide les
auges & qu'on les regarnit. Ce moulin de
Corbeilles n°a jamais pilé que 200 livres de
racines par jour,parce que l’étuve n’a jamais
fourni à une plusgrande exploitation ; mais
1a durée de ce travail fait juger qu'il pileroit
aifément 480 & même $00 , s’il étoit
fourni. On prétend que le moulin de Lille
peut piler $0o livres dans vingt heures :
on a peine à le croire , d’autant qu’on ne
juge pas qu’il FRE CH la nuit ; ainfiilne
Jui faut (OPpOe que dix heures de travail,
comme à celui de Corbeilles. Quoi qu’il en
{oit ; Pexploitation de ces deux moulins
doit être en raïfon compofée de la pefan-
teur de leurs pilons , du nombre des coups
qu’ils frappent par minute, & de la fuper-
ficie choquée , ou ce qui MI ME cho-
fe, de leurs bafes ; c’eft-à-dire , que le
moulin de Corbeilles eft à celui de Lille com-
me 400 livres , poids de quatre pilons
multiplié par 240 ; nombre des coups
qu’ils battent par minute , le produit par
192, fuperficie de 4 pilons, eft a 385$,
poids de cinq pilons multiplié par 142 +,
nombre des coups qu’ils battent par mi-
nute, le produit par 63, fuperficie des
cinq pilons ; ou après la réduétion , com-
me 16 eft à 3 ; partant, le moulin de Cor-
beilles pilant s 00 livresen12 heures de tra-
DE LA GARANCE. 11S
vail, celui de Lille n'en doit pas ren-
dre 100.
On ne peut ici s'empêcher de blämer
lindifférence où l’on paroîït être en Flan-
dre fur l’emplacement des étuves & des
moulins ; ils font , dit-on, dans des bà-
timents féparés & qui n’ont point de com-
munication : il n’y a rien de moins conve-
nable. Ona l’expérience à Corbeilles, que la
racine qu’on piloit ci-devant dans un petit
moulin à bras, placé dans une grange à $
ou 6 toifes de l’étuve, dont il ne pouvoit
recevoir aucune impreflion de chaleur , re-
prenoit de l'humidité & s’empâtoit fous
les couteaux , ce qui lui faifoit beaucoup
de tort. Comme cette manœuvre fe fait
toujours en hiver , & il n’eft guere poffible
de faire autrement , il faut donc fe précau-
tionner contre les brouillards de cette
faifon.
L’étuve propofée peut contenir 4 mil-
liers de garance fraîche , qui en rendront
500 livres de feche après y avoir refté
deux fois vingt-quatre heures : le moulin
peut piler cette quantité dans une journée.
Si l’on avoit une récolte confidérable , pas
exemple , de 400 milliers qui pourroient
produire so milliers de feche, ( c’eft tour
ce que ce moulin pourroit exploiter pen-
dant les quatre mois d'hiver en travaillant
Ki
116 CULTURE
tous les jours ) il faudroit néceffairement
deux étuves. Voici à-peu-près comme on
pourroit difpofer les bâtiments pour les
étuves & le moulin. On feroit un bâtiment
de 63 pieds de long fur 21 de large, avec
un plancher à 20 ou 22 pieds du rez-de-
chauffée , qui feroit un grenier fur lequel
on étendroit une partie de la racine frai-
che. On pourroit faire ce plancher avec
un grillage ou avec des claies , afin que
les racines qu’on mettroit deflus , & qu’on
fouleveroit le plus qu’il feroit pofhble,
puflent , en recevant de l’air par - tout,
commencer à fe deflécher au lieu de s’é-
chauffer : le deffous feroit occupé par le
moulin & fa batterie , de façon qu’il ref-
teroit à chaque bout un efpace de 18
pieds jufqu’aux murs des extrémités : au
milieu de cet efpace on feroit les ouvertu-
res des fourneaux pour chauffer les étuves,
qu’on placeroit de façon que les planchers
des tourailles feroient de niveau avec celui
du grenier : on pourroit ménager des
trappes au plancher du grenier, pour Jet-
ter en bas les racines étuvées ; & comme
H convient de les tenir féchement en at-
tendant qu’on les mette au moulin, on les
entafleroit tout autour du fourneau fous
Pévafement des pyramides renverfées des
tourailles , où les racines fe conferve-
DE LA GARANCE. 117
roient fainement pendant qu’on les pileroit
& qu’on les tamiferoit ; car elles ne doi-
vent point fortir d’auprès du fourneau
jufqu’à ce qu’elles aient été mifes en ton-
neaux.
En fuppofant qu’on pût exploiter le
produit de 400 milliers de racine dans les
quatre mois d'hiver , il faudroit être pour-
vu d’un lieu affez étendu pour la confer-
ver en bon état, jufqu’à ce que la derniere
aille à Pétuve ; car on ne peut pas con-
ferver la garance en tas, elle s’y échauffe-
roit & pourriroit : il faut qu’elle foit éten-
due fur une épaiffeur tout au plus de 2
pieds , afin qu’on puiffe la retourner tous
les jours à la fourche. On eftime, d’après
une expérience faite, que 8 pieds cubes
de cette racine fraîche pefent 100 livres.
La fuperficie du grenier fera de 1323
pieds quarrés qui , divifés par quatre, don-
nent 320 quintaux + ou 33075 livres;
c’eft bien loin de 400 milliers. On croit
que le mieux feroit d’avoir quelques grands
bâtiments que l’on éleveroit de quatre ou
cinq étages de claies ; & les côtés pour-
roient être entiérement à jour, comme font
les féchoirs des papeteries : tous ces gre-
niers pourroient contenir enfemble au
moins douze fois autant de racines que le
grenier qu'on vient de donner pour exem-
118 Cu: L'TC URUE
ple; mais on épargneroit cette dépenfe, fion
pouvoitnetirer lagarance de terre que peu-à-
peu pendant l’automne, l'hiver & une partie
du printemps ; ce qui me paroit très-pofli-
ble ; & je fuis très - perfuadé que les raci-
nes qu’on arracheroit en Mai, Juin & Juil-
let, pourroient être en grande partie defé-
chées fur le champ , en les fanant comme
le foin , à moins qu’il ne furvint des pluies,
auquel cas, on les étendroit dans les gre-
niers à jour dont je viens de parler : elles
s’y deffécheroient aflez pour ne fe point
corrompre : dans tous ces cas, Pétuve ne
{erviroit qu’à achever la defication , pour
mettre la garance en état d’Ctre pulvérifée.
ExPz1rcarTzron des Figures du
Moulin de Corbeilles.
La Figure 7, Planche IV, repréfente
la batterie vue par-devant : la figure 8
fait voir la même batterie par un bout,
dont on a Ôté tout l’afflemblage du mon-
tant, avec fon folin.
À, (fig. 7), folins de 8 pouces d’équar-
riflage , vus parles bouts : 4( fig. 8 )lon-
gueur d’un feul qui eft de 10 pieds.
B , entre-toifes qui afflemblent les folins,
dont un eft vu dans fa longueur (fig. 7):
ils font vus tous deux par le bout { fig. 8 ) 3
ils ont 6 pouces fur 4.
DE LA GARANCE. 119
C, Plancher pafé devant fur les feuil-
lures des folins & fur l’entre-toile.
D, montants affemblés dans les folins ,
vus par leur épaifleur dans la figure 7:
on ne voit que le haut d’un de ces mon-
tants dans la figure 8 , au-deflus de la fe-
conde prifon N; & la largeur du bas eft
. défignée par les deux lignes ponétuées qui
font fur le bout de la pile qui le couvre,
comme le refte qui eft couvert par la cloifon
du milieu. Ces montants ont #2 pieds 8
pouces de hauteur, 6 pouces d’épaiffeur ,
14 pouces de large depuis le bas jufqu’aà la
hauteur du hériflon , réduits au - deflus à
10 pouces : leur rétréciflement eft marqué
dans la figure 8 par une portion de cercle
ponctuée , tracée du centre de l’arbre du
hériflon.
E , Liens qui aflurent les montants fur
les folins : ceux du devant font mortaifés
à la hauteur de 2 pieds , ceux de derriere
à 4 pieds +. Îls ont 6 pouces fur 4.
F', pile fur laquelle battent les pilons :
elle eft de bois d’orme de 4 pieds + de long
entre les montants, & de 20 pouces de
haut fur 18 de large ; elle a à chaque bout
une languette de 2 pouces d’épaifeur fur
2 pouces de faillie , qui entre dans les rai-
nures , qui font aux montants, On voitune
de ces rainures X (fig. 8 ).
120 CULTURE
G(fig.7 & 8), table arrafée au -deflus
de la pile , de même longueur , de 12 pou-
ces de largeur, de 2 pouces d’épaifleur ,
ayant un rebord de 4 pouces de hauteur :
elle pofe fur une feuillure prife fur le bord
de la pile & fur les goufiets H.
TITI ( fig. 7),trois pieces de bois qui fup-
portent la pile : on en voit les bouts par.
deflous l’entre-toife. On en voit une dans
fa longueur, qui eft de 2 pieds, (fig. 8). 4
K , mañlif de maçonnerie fur lequel pofe
la batterie,
L, ( fig.7) cloïfon qui partage la longueur
de la pile en deux ; elle regne depuis la pile
jufqu’à la prifon d’en haut ; elle a 2 pou-
ces d’épaifleur , même largeur & même f-
gure que les montants; elle a fur le bord
de devant & fur les faces qui regardent les
montants , des rainures qui montent juf-
qu’à l’étrécifflement; il y en a de pareilles
aux montants. Cette cloifon eft en deux
parties dans fa hauteur : celle d’en bas eft
afflemblée dans la pile à rainure & lan-
guette de fon épaiffeur, & de même en haut
avec un tenon, qui eft de plus chevillé
dans la partie de derriere de la premiere
prifon qui eft fixe : l’autre partie eft affem-
blée de même fur la premiere prifon &
fous la feconde : elles entrent à rainure
dans toute la largeur des parties de de-
vant
DE LA GARANCE. 121
want des prilons, qui font mobiles.
M fig. 7), auges dans lefquelles on met
la racine : ellesont au fond 4 pouces + de
large , 11 pouces + d'ouverture , & 12
pouces de hauteur perpendiculaire. Elles
font formées par deux planches cen pente
devant & derriere ( fig 8 ); l’efpace de-
puis leur bord jufqu'à la premiere prifon
eft fermé par des fonds : le tout eft d’un
ouce d’épaifleur. La partie de derriere c
eft affemblée à demeure, à räinure & lan-
guettes dans les montants & la cloifon :
les fonds de devant d forment deux cou-
lifles qu’on leve par deux boutons f, com-
me on le voit en un des côtés dela figure 7.
Le devant des auges s’enleve tout-à-fait:
on a repréfenté dans la figure 7 l'ange ou-
verte au-deflous de la coulifle qui ef le-
vée, par où on voit le fond & la fermeture
du derriere de l’auge , & deux pilons ,
dont lun eft levé entiérement & l’autre à
moitié : on a repréfenté dans la figure 8
cette auge de côté , appuyée contre le
montant D : f, boutons pour leverles cou-
lifles & ôter le devant des auges.
NN, (fig.7 & 8) prifons de 3 pouces +
d’épaiffeur ; elles font de deux pieces dans
leur largeur : celles de derriere font affem-
blées de toute leur épaifleur avec un tenon
chevillé à chaque bout , dans des rainures
122 CULTURE
d’un pouce de profondeur , faites aux mon-
tants D : la cloifon y eft affemblée dans
le miliéu ,; comme on l’a dit : elles ont
7 pouces de large , font échancrées de
la demi-épaifleur des queues des pilons
aux endroits où elles pañlent : les deux au-
tres pieces s’Otent quand on veut , & font
échancrées de même pour le paflage des
pilons ; elles ont chacune deux clefs de 4
pouces de large, de 4 pouces de long,
d’un pouce d’épaiffeur , qui entrent dans
les mortaifes qui font aux parties fixes entre
les queues des deux pilons de chaque auge,
où on les arrête avec de fortes chevilles.
La prifon d’en bas N a 6 pouces de large,
afin que les coulifles puiffent glifler contre:
celle d’en haut a 4 pouces de large , &
par conféquentun pouce de faillie , & elle
eft arrondie par les bouts. Le deflous de la
premiere prifon eft à 3 pieds au-deflus de
la pile, le deflous de la feconde eft à 10
eds. |
. Ofig.7 68), pilons de 10 piedside
hauteur : ils ont 12 pouces de large par le
bas jufqu’à la hauteur de 18 pouces, 4
pouces d’épaifleur , 8 pieds + de queue de
4 pouces de large fur 3 pouces d’épaiffeur.
À un pouce au-defflus de la premiere pri
fon, on les a laiflés de7 pouces de large
dans une hauteur de 37 à 38 pouces,
DE LA GARANCE. 123
pour y pratiquer une grande mortaile k h
de 2$ pouces de longueur & de 3 pouces
de large. Le hautde ces mortaifes eft garni
d’une lame de cuivre de 2 ou 3 lignes d’é-
paifleur , repliée fur la face, & langle eft
arrondi. À 16 pouces au-deflous de la fe-
conde prifon , & fur le côté des queuesil
y a des mentonnets ii, de 2 pouces de
hauteur , d'un pouce d’épaifleur & de 4
pouces de faillie. Le bas des pilons eft
fortifié par une ceinture de fer m d’un
pouce & demi de large {ur 4 lignes d’épaif-
feur, & eft garni par le bout de dix-fept
couteaux 7. On en voit l’arrangement WF
( fig.10) & la forme de chacun Y ( fig. 11).
P (fig. 8), corbeau de 6 pouces d’é-
quarriflage avec fon gouñlet, Pun & l’au-
tre mortaifés & chevillés dans le montant.
Il y en a un pareil à l’autre montant ; on ne
peut pas le voir dans la figure 7.
Q ( fig. 7); piece de 6 pouces d’é-
querriflage affemblée dans les corbeaux.
On Pauroit pu marquer par le bout dans
la figure 8 ; mais on ne l’a pas deffinée
pour éviter la confufion..
RR ( fig.7 & 8), chevalets affemblés
& chevillés dans la piece Q , refendus eno
(fig. 7), pour pañer les leviers , & en p
(Jig- 8 ) pour recevoir leurs tourillons.
S( fig. 8), leviers qui fervent àlever les
L ji
124 CUETURE
pilons, &à les arrêter pendant qu’on vuide
les auges : ils font portés par les chevalets
R , où ils ont leur jeu : ils font faits d’une
piece de bois de fil, de 6 pouces de large
fur 2 pouces + d’épaiffeur. La face fupé-
rieure du petit bras eft taillée fuivant une
courbe développée d’un cercle , dont le
rayon de 1$ pouces détermine la longueur
de ce petit bras. Le plus grand rayon de
cette courbe a aufli 15 pouces ; le grand
bras a quatre fois cette longueur. On n’a
point déterminé la longueur des cor-
beaux , parce qu'elle dépend de la lon-
gueur du petit bras du levier, qu’on peut
augmenter , fi l’on veut , en donnant au
grand bras telle longueur qu’on voudra,
pourvu qu’on ait aflez de force pour lever
les pilons. Le centre des tourillons doit
être à la même hauteur que le deffous des
mentonnets. Les extrémités des grands
bras font réduites au quarré de leur épaif-
feur, où l’on attache une corde q ( fig. 8),
qu’on arrête à des chevilles r, qui font à
la pile, quand on a élevé les pilons de
12 à 14 pouces. Le plus près des extré-
mités qu’on peut des petits bras, on at-
tache une autre corde f; qu’on arrête aux
mêmes chevilles r, quand les pilons tra-
vaillent.
T (fig. 8 & 9 }), arbre du hériflon vu
DE LA GARANCE. 12ÿ
par le bout ( fig. 8), & de face ( fig.9 )3
ileftrond & de 14 pouces de diametre ; il
eft garni de 12 leves fur quatre plans , ef-
pacés de façon qu'étant en place, les le-
ves fe trouvent vis-à-vis les mortaifes
(fig. 7), où elles doivent entrer pour le-
ver les pilons fans toucher aux joues : on
les voit toutes ( fig. 8). Celles qui font
fur le même plan , fe voient marquées des
mêmes chiffres 1,2,3,4, & elles font
cotées des mêmes chiffres ( fg. 9); elles
font taillées dans des pieces de bois de
pouces de largeur fur 2 + d’épaiffeur:leurs
tenons ont 2 pouces + {ur 2 pouces , &
font de toute la longueur qu’ils peuvent
porter,pourvu qu'ils ne fe touchent pas,au
centre de l’arbre. Du centre de l’arbre au
point où les leves touchent le deflous des
mortaifes k des pilons pour lesélever, il ya
12 pouces; ce point avance fous les mor-
tailes de $ à 6 lignes; c’eft le cercle qui
pafle par ces points qui eft générateur
d’une courbe qui en eft la développée,
& qui donne la forme à la face fupérieure
des leves. Le plus grand rayon de cette
courbe eft auffi de 12 pouces. La face in-
férieure eft coupée droite, & eft tangente
dun cercle dont le rayon auroit un demi-
pouce de moins que le cercle générateur
de la courbe, afin qu’au moment que fa
126 CULTURE
pointe un peu arrondie échappe , rien n’ems
pêche le pilon de defcendre. Il faut avoir
attention que les tenons des leves foient
bien de fil.
VV (Fig. 10), bafe d’un pilon vu par le
bout , pour faire comprendre l’arrange-
ment des couteaux qui font repréfentés
par les traits noirs , comme fi on n’en
voyoit que les tranchants : les lignes pon-
étuées marquent la divifion de cette fur-
face pour les placer.
Y (Fig. 11), un de ces couteaux mar-
qué n dans la Figure 7 ; la hauteur du
deffus du talon au tranchant , eft de 4 pou-
ces ; la foie a 3 pouces +; la bafe un demi-
pouce en quarré ; le talon environ 18 li-
ghes dediametre ; les tranchants, 27 lignes
de large: ils doivent êtreacérés & courts.
Les Figures 10 & 11 font fur une
échelle quadruple de celles des trois pre-
mieres , afin qu’on en apperçoive mieux
le détail.
CO. N. GE US TON.
Après ce que nous avons dit fur la cul-
ture de la garance , fur la conftruction des
étuves, & fur celle des moulins à meule
verticale ou à pilons , il y a lieu d’efpérer
que les Cultivateurs intelligents réufliront
à multiplier une plante qui doit les dé-
DE LA GARANCE. 127
dommager des avances qu’ils auront fai-
tes, & des peines qu’ils fe feront données:
ils doivent de plus être engagés à furmon-
ter les difhicultés qui fe préienteront, par
les privileges que le Roi leur accorde en
vertu de l’Arrêt du Confeil du 24 Février
1756; mais ce qu'ils doivent encore re-
garder comme un point très-avantageux ,
c'eft que la garance n’épuife point la terre,
& que les labours que cette plante exige,
difpofent cette terre à produire en abon-
dance toutes fortes de grains : nous allons
le prouver par quelques expériences.
Dans les paysoüelle fe cultive,les terres
portent une année du feigle ou de lé-
peautre , l’autre année de l’orge ou de l’a-
voine, la troifieme elles reftent en jachere,
Dans le même efpace de trois ans, on
peut faire une récolte de garance & une
de grain. Une année, ayant fait femer de
Pépeautre fur un arrachis de garance , ce
grain, qui avoit été femé à la herfe, refta
fix femaines fans paroïtre , à caufe que la
terre étoit fort feche ; il n’en parut même
après ce temps qu’une petite quantité 3
néanmoins ;, à la moiflon , ce champ fournit
autant de gerbes que les autres du pays;
mais la paille avoit 6 pieds de longueur au
lieu de 4, & les épis étoient une fois plus
longs que ceux des autres champs,
‘128 CULTURE
Une autre année, ayant fait femer du
blé de Mars fur un arrachis de garance,
on récolta à raïfon de 20 douzaines de
gerbes par arpent, tandis que les autres
champs n’en donnerent que huit à neuf.
Enfin , une autre année, ayant femé de
Pavoine fur une terre d’où on venoit de
tirer la garance, elle rendit quarante dou-
zaines par arpent, & chaque douzaine fai-
foit cinq boiffleaux : les terres ordinaires
navoient produit cette année que cinq à
6 douzaines. Aiïnfi on peut efpérer de la
culture de la garance plufieurs avantages
confidérables.
1°, Un profit honnète par la vente de
la racine.
2°, Une amélioration confidérable des
terres médiocres.
3°, La fatisfaction de pouvoir occuper
par ce moyen & donner à vivre à beaucoup
de femmes & d’enfans.
Ce font ces motifs qui ont engagé le
Confeil à donner l’Arrêt que nous venons
de citer.
Mais en fuivant la méthode de M.d’Am-
bourney, l'avantage fera encore plus con-
fidérable , puifqu’on pourra fe pañler d’é-
tuve , enemployant les racines toutes ver-
tés pour la teinture. G
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ADDITION.:
Jar dit dans le Traité de la Garance, que 14
acinture rouge réfidoit principalement dans l’é=
corce de la racine , & que le bois qui en conte-
noit beaucoup moins, fournifloit une teinture
jaune qui donnoit à la teinture rouge un œil
orangé. J'ai ajouté que je croyois que ce jaune
étoit de mauvais teint, & qu’il pouvoit s’'empor-
ter promptement par les débouillis ou fur le pré =
cependant les Teinturiers exigent que les garan-
ces-grappes qu'ils achetent aient cet œil jaune qui
ne peut venir que du bois de la racine. Pour ef
fayer de connoitre fi j'étois dans l'erreur, &:fi
les Teinturiers avoient raifon de donner la pré=
#érence aux garances qui ont un œil jaune , j'ai
pris de la garance fraichement arrachée , j'en ai
aifément détaché l’écorce que j'ai fait fécher à
part. J’ai auffi fait fécher le bois ; & ayant pul-
vérifé l’un & l’autre, l'écorce m'a fourni une
poudre tres-rouge, & le bois une poudre d’un
rouge pale tirant fur le jaune. :
J'ai teint avec l’une & l’autre poudre, féparé-
ment,de petits écheveaux de laine blanche alunée.
Le bain fait avec l'écorce étoit fort rouge ; 4a
laine teinte avec ce bain a pris une couleur rouge
foncée ; & ayant mis égoutter cet écheveau, ka
liqueur qui en tcmboit étoit fort rouge.
Le bain fait avec le bois étoit d’un rouge pâle
ou beaucoup moins foncé que l’autre ; cependant
la laine a pris plus de couleur que je ne croyois,
moins à la vérité que celle qui avoit été teinte
avec l'écorce, Ayant mis égoutter cet écheveau ;
Garance. NM
ñzo ADDITION.
la liqueur que je recevois dans une jatte n’étoit
point rouge ; mais jaune comme le fafran,
N'étant pas bien verfé dans l’art du Teinturier ,
je n’ai pas eu beaucoup deconfiance àmon épreu-
ve ; ce qui m'a déterminé à envoyer à M. & Am-
bourney de la poudre du bois , & de la poudre de
#’écorce , le priant d’éprouver l’un & l’autre. Il
€n a fait l'épreuve , & voici ce qu'il me marque
à ce fujet.
« J'ai pris une petite quantité de coton, de la
mpréparation duquel j'étois bien afluré. Je l’ai fait
» deyider en deux écheveaux qui, étant bien fecs,
“ont été pelés; l’un contre deux fois fon poids
» de la partie ligneufe , autre aufli contre deux
» fois fon poids du parenchyme. Je les ai teints
» en même temps dans deux baflins de cuivre, &
> j'ai remarqué comme vous, Monfeur , que le
»bain de parenchyme a toujours été beaucoup
» plus fort que celui du bois qui s’eft maintenu
» long-temps d’un jaune de fafran, & eft enfin
m devenu citron. L'opération finie , l’écheveau
»teint en parenchyme avoit beaucoup plus de
» fond que l’autre qui cependant étoit fort bon. Je
les a fait paffer enfemble dans un avivage très-
» fort, & un éébouilli de dix minutes dans le fa-
» von : tous deux y ont bien réfifté, mais ils y ont
» pris des nuances inépales, L’écheveau teintavec
# le bois y a acquis le ton convenable pour l’em-
» ployer en tiflu ; celui teint avec le narenchyme
5 étant beaucoup plus foncé , je lui ai fait éprou-
» ver un fecond débouilli pareil au premier,qui l’a
» amené au ton de couleur de l’écheveau teint
mavec le bois ».
I! réfulte de cette expérience , 1°, que le pa-
renchyme donne une couleur plus forte que le
bois : 2°, Que le bois la donne plus gaie : 3°,
Que tout eft bon dans la garance , & que l’épi-
ADDITION. ir
derme étant enlevé , le bois & l'écorce font bien
enfemble : 4° , Que le préjugé des Confomma-
teurs en faveur de la garance en poudre la plus
jaune , oblige de la rober, pour qu’elle ait cette
couleur jaune qui vient du bois; de forte que celle
qui eft eftimée la plus belle eft précifément pa-
reille à la poudre du bois dépouillé de parenchy-
me: $°, La poudre du parenchyme feule ne fe-
roit point eftimée dansle Commerce, quoiqu’elle
fourniffe plus de rouge & plus beau, Nous avons
cru que le détail de ces expériences feroit utile à
ceux qui cultivent la garance , ainfi qu’à ceux qui
en font ufage,
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