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Full text of "Traité de la prédication à l'usage des séminaires"

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in  2009  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/traitdelaprdOOIiamouoft 


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TRAITÉ 


LA  PRÉDICATION 


On  a  désigné  par  des  astérisques  (*)  les  passages  qu'il  suffit  de  lire  pour 
les  distinguer  de  ceux  dont  il  importe  de  faire  rendre  compte  eu  classe  aux 
élèves. 


F.  AlREAl!.    —    IMPl'.IMEUIE  DE   LAG^T 


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TRAITE 


PRÉDICATIO 


A  L'USAGE  DES  SEMINAIRES 


M.  LE  CURE  DE  SAINT-SULPICE 

S.  Jean  Chrvsostome,  du  Sacerdoce,  Ht.  IV. 


NOUVELLE  EDITION 


XJjQl 


PARIS 

LIBRAIRIE    JACQUES    LECOFFRE 

ANCIENNE    MAISON    PERISSE    FRÈltES    DE    PAUIS 

LECOFFRE    FTLS    ET    C'^    SUCCESSEURS 

90,  RUE  BONAPARTE,  90 
1869 


AVANT-PROPOS 


Depuis  quelques  années,  il  s'est  établi  dans  la  plupart  des 
séminaires  un  cours  spécial  pour  former  les  prêtres  au  su- 
blime ministère  de  la  prédication.  On  a  compris  qu'il  y  aurait 
lacune  dans  l'éducation  cléricale,  si,  en  môme  temps  qu'on 
enseigne  aux  jeunes  lévites  les  sciences  ecclésiastiques,  on  ne 
leur  apprenait  à  en  dispenser  aux  peuples  les  riches  trésors  du 
haut  de  la  chaire  sacrée.  Qu'est-ce,  en  effet,  qu'un  docteur  qui 
ne  sait  pas  paître  son  troupeau,  un  guide  qui  connaît  le  che- 
min, mais  ne  sait  pas  le  montrer?  Qu'est-ce  qu'un  ministre  de 
l'Evangile  qui  n'est  pas  capable  d'en  développer  les  sublimes 
enseignements,  qui  n'a  dans  ses  discours  ni  l'ordre  ni  la 
clarté  nécessaires  pour  instruire,  ni  l'art  et  la  grâce  pour 
plaire,  ni  l'onction  pour  toucher,  et  qui,  par  la  manière  basse 
et  ravalée  dont  il  expose  les  divins  oracles,  leur  ôte  toute  leur 
force  et  toute  leur  majesté?  C'est  un  ouvrier  inutile  dans  le 
champ  de  l'Église,  ses  prédications  stériles  laissent  les  peuples 
dans  l'ignorance,  ne  convertissent  personne,  et  n'ont  d'autre 
effet  que  d'inspirer  pour  la  parole  sainte  de  l'éloignement  et  du 
dégoût.  L'expérience  ne  l'apprend  que  trop. 

De  là  naît  un  autre  mal,  la  déconsidération  du  sacerdoce. 

a 


▼I  AVANT-PROPOS. 

Nous  vivons  dans  un  siècle  où  les  vues  de  la  foi  ne  suffisent 
plus  pour  concilier  au  prêtre  l'estime  et  la  vénération  dont 
son  ministère  a  besoin  d'être  entouré  pour  être  utile.  Il  faut 
qu'il  force  par  son  mérite  le  respect  des  peuples  :  et  ce  mé- 
rite, quel  est-il?  Nous  n'hésitons  pas  à  le  dire,  c'est  en  pre- 
mière ligne  le  talent  de  la  chaire.  Si  un  pasteur  des  âmes  fait 
des  instructions  claires  et  solides  ;  si  l'onction  de  ses  discours 
en  égale  la  pureté  et  la  grâce  ;  si  sa  parole  vive,  pénétrante, 
captive  et  entraîne  tout  son  auditoire,  l'estime  publique  lui 
est  assurée  :  mais  s'il  fait  mal  son  prône,  si  ses  discours, 
sans  clarté  comme  sans  chaleur,  sans  solidité  comme  sans 
onction,  ennuient  ses  auditeurs,  il  sera  déconsidéré  dans  sa 
paroisse  autant  que  peu  utile.  Quelques  esprits  trop  faciles  à 
prévenir  ont  pris  pour  thermomètre  de  la  considération  ré- 
servée au  prêtre  son  plus  ou  moins  d'habileté  dans  les  sciences 
modernes  que  l'engouement  de   la  nouveauté  a  mises  à  la 
mode;  c'est  une  erreur.  Quelque  belles  et  intéressantes  que 
puissent  être  ces  sciences  par  elles-mêmes,  quel  que  soit  l'éclat 
glorieux  à  la  religion  qu'elles  réfléchissent  sur  le  prêtre  de 
mérite  qui  s'y  applique,  il  n'en  est  pas  moins  certain  que,  si 
celui-là  même  qui  les  ignore  remplit  dignement  le  grand  mi- 
nistère de  la  prédication,  aucun  homme  de  sens  ne  songera  à 
lui  demander  compte  de  ce  qu'il  ne  sait  pas  et  de  ce  qu'il  n'est 
pas  tenu  de  savoir,  pas  plus  qu'on  n'exige  d'un  médecin  ha- 
bile dans  son  art  qu'il  soit  bon  astronome,  ou  d'un  avocat  sa- 
vant dans  la  science  des  lois  qu'il  soit  bon  chimiste.  Si  au  con- 
traire il  prêche  mal,  possédât-il  d'ailleurs  toutes  les  sciences 
du  jour,  il  pourra  siéger  avec  honneur  dans  une  académie  ; 
mais  comme  pasteur  il  ne  sera  pas  estimé  :  les  peuples  com- 
prennent très-bien  que,  si  ce  n'est  pas  une  honte  au  prêtre 
d'ignorer  les  choses  étrangères  à  son  état,  c'en  est  une  de  ne 


AYAKT-PROPOS.  vtt 

pas  être  habile  dans  la  fonction  principale  de  son  ministère, 
qui  est  la  prédication. 

C'est  donc  une  belle  et  heureuse  institution  que  l'établisse- 
ment d'une  chaire  d'éloquence  sacrée  dans  les  grands  sémi- 
naires :  toutefois  cette  œuvre  ne  peut  obtenir  un  plein  succès 
qu'autant  qu'on  aura  à  mettre  entre  les  mains  des  jeunes 
lévites  un  livre  contenant  les  règles  de  l'art  auquel  on  veut  les 
former  :  sans  cela  il  y  aura,  d'une  part,  grande  fatigue  pour 
le  professeur  obligé  de  faire  beaucoup  de  recherches  et  de 
parler  longtemps,  et,  de  l'autre,  peu  d'utilité  pour  les  audi- 
teurs,  qui  auront  bientôt  oublié  ce  qui  n'aura  fait  qu'efileurer 
leurs  oreilles;  tandis  qu'aidé  d'un  livre,  l'élève  médite  à  loisir 
les  bonnes  règles  de  la  prédication,  en  saisit  l'esprit  et  la  por- 
tée, en  enrichit  sa  mémoire  et  son  goût,  en  rend  compte  en 
classe  et  en  confère  avec  son  professeur,  dont  la  tâche  alors 
est  aussi  facile  que  profitable.  Placé  plus  tard  dans  le  minis- 
tère, le  jeune  prêtre  n'est  point  réduit  à  des  réminiscences 
vagues  et  confuses;  il  reprend  en  main  son  Traité  de  la  pré- 
dication, rafraîchit  dans  sa  mémoire  le  souvenir  des  vrais 
principes,  et  s'attache  ensuite  à  mettre  d'accord  dans  ses 
compositions  la  pratique  et  la  théorie. 

Il  faut  donc  un  livre  ;  et  ce  livre  doit  contenir  des  règles 
sûres,  propres  à  préserver  les  jeunes  gens  du  mauvais  goût,  à 
leur  apprendre  la  vraie  manière  de  prêcher  selon  l'esprit  de 
l'Évangile  :  ce  livre  doit  traiter  tous  les  genres  de  prédication, 
puisqu'il  s'agit  de  former  la  jeunesse  cléricale  à  tous  ces  genres  : 
ce  livre,  enfin,  doit  être  écrit  dans  un  style  et  une  forme  qui 
tiennent  le  milieu  entre  la  sécheresse  d'une  composition  didac- 
tique peu  agréable  au  lecteur,  et  l'abondance  d'un  ouvrage 
oratoire  ou  académique  que  les  élèves  ne  pourraient  que  difli- 
cilement  analyser,  apprendre  et  retenir  :  car  ici  il  y  a  deux 


▼nt  AVANT-PROPOS. 

classes  de  personnes  à  satisfaire,  le  lecteur  qui  veut  toujours 
trouver  son  plaisir  dans  ce  qu'il  lit,  et  l'élève  qui,  ayant  à  ren- 
dre compte  en  classe  de  ce  livre  comme  d'une  leçon  de  théo- 
logie, devra  y  démêler  sans  peine  les  divisions,  subdivisions  et 
moyens  de  preuve. 

Telle  est  l'idée  que  je  me  suis  faite  d'un  livre  vraiment  utile 
pour  les  cours  de  prédication  établis  dans  les  séminaires.  J'en 
ai  cherché  longtemps  un  de  ce  genre  parmi  les  nombreux  ou- 
vrages écrits  sur  ces  matières;  mes  recherches  ont  été  vaines. 
Force  donc  a  été  à  moi  de  me  mettre  à  l'œuvre.  Ai-je  atteint  le 
but  que  je  me  suis  proposé  ?  Il  ne  m'appartient  pas  d'en  juger; 
d'autres  prononceront. 

Dans  ce  travail,  je  me  suis  attaché  à  ne  rien  omettre  d'utile, 
soit  sur  les  principes  généraux,  soit  sur  chaque  genre  de  pré- 
dication, parce  que  j'ai  pensé  qu'un  grand  nombre  de  lec- 
teurs, ou  n'auraient  pas  les  livres  auxquels  je  les  renverrais, 
ou  n'en  combineraient  pas  les  enseignements  de  manière  à 
former  un  ensemble  ;  et,  par  ces  motifs,  j'ai  estimé  chose 
bonne  et  importante  de,  faire  un  livre  qui  pût  à  lui  seul  tenir 
lieu  de  tous  les  autres  sur  la  matière. 

Toutefois,  je  dois  le  dire  ici,  ces  préceptes  serviront  peu  si 
on  ne  les  enseigne  pratiquement  aux  élèves  ;  et  voici  les  exer- 
cices qui  nous  semblent  les  plus  utiles  à  cet  effet. 

1°  On  peut  faire  débiter  aux  jeunes  gens  des  instructions 
ou  parties  d'instructions  composées  pendant  les  vacances,  et 
leur  faire  remarquer  en  quoi  pèche  soit  le  discours,  soit  le 
débit.  Il  serait  même  bon  de  prendre  l'avis  des  élèves  ;  cela 
les  fait  mieux  écouter,  leur  apprend  à  apprécier  un  discours, 
et  souvent  ils  font  des  observations  sages  qui  échapperaient  au 
professeur. 

2°  On  peut,  la  veille  ou  i'avant-veille  de  la  classe,  indiquer 


AYANT-PROPOS.  ix 

à  un  OU  deux  élèves  un  Irnit  Iiisloiiquc  à  lire  dnns  Godescard, 
ou  nicme  dans  l'Évangile  ou  l'Ancien  Testament;  ils  s'en 
pénètrent  sans  l'apprendre  par  cœur,  et  s'exercent  à  le  débiter 
sans  se  reprendre,  en  articulant  bien  tons  les  mots  et  tVun  ton 
naturel. 

5"  Il  sera  très-utile  de  les  exercer  à  donner  des  avis  au 
peuple  et  à  annoncer  les  fêtes  :  on  leur  fera  lire,  pour  les 
avis,  la  Méthode  de  Besançon,  tome  III,  page  104,  et  pour  les 
annonces  des  fêtes,  le  Rituel,  s'il  les  contient,  ou  quelque  au- 
tre ouvrage. 

4°  On  peut  leur  faire  apprendre  par  cœur  et  débiter  tantôt 
quelque  morceau  oratoire,  comme  ceux  qui  se  trouvent  pages 
il9  et  suivantes  de  cet  ouvrage,  tantôt  quelque  formule  dont 
la  prononciation  exige  successivement  les  divers  tons  de  la  nar- 
ration, de  l'interrogation,  de  la  prière,  etc..  comme  le  cha- 
pitre xiii  de  saint  Jean  jusqu'au  j.  18  ;  le  chapitre  xi  de  la  1''' 
aux  Corinth.,  depuis  le  y.  20  jusqu'à  la  fin. 

5°  Il  sera  encore  très-utile  de  leur  faire  faire  le  catéchisme 
selon  la  Méthode  pratique  de  catéchisme  de  raonseigneiu-  Dé- 
vie, évêque  de  Belley,  qu'on  leur  aura  fait  étudier  d'avanc(\ 

Tels  sont  les  cinq  exercices  par  lesquels  on  peut  former  les 
élèves  et  donner  de  l'intérêt  à  la  classe. 

Si,  aux  principes  développés  dans  cet  ouvrage,  quelques-uns 
voulaient  joindre  des  études  plus  étendues  ou  plus  approfon- 
dies, nous  donnerons  ici  en  leur  faveur  la  liste  des  auteurs 
principaux  à  consulter  sur  la  matière. 

1°    AUTEURS   ECCLÉSIASTIQUES. 

S.  Augustinus,  de  Doctrinâ  chiistianâ,  lib.  IV; 
—  de  Catechi%andis  Riidibns. 


^  AVANT-PROPOS. 

Ces  deux  ouvrages  sont  des  mines  inépuisables  :  plus  on  les 
étudie,  plus  on  y  découvre  de  richesses. 

S.  Joannes  Chrysostomus,  de  Sacerdotio,  lib.  IV  et  Y. 
Cet  ouvrage  est  moins  pratique  que  le  précédent,  mais  ce- 
pendant se  lit  avec  grand  fruit. 

S.  Gregorius  Magnus,  de  Cura  pastorali. 

La  troisième  et  la  quatrième  partie  de  ce  livre  admirable, 
digne  d'être  le  manuel  de  tous  les  pasteurs,  contiennent  les 
règles  les  plus  sages  sur  la  prédication  ;  et  les  deux  premières 
parties  ont  encore  quelques  chapitres  précieux  relatifs  à  la 
matière.  —  On  lira  encore  très-utilement  l'homélie  xvii  du 
même  saint  docteur  sur  les  évangiles,  livre  1%  et  ses  commen- 
taires sur  le  chapitre  xxxiii  d'Ézéchiel. 

De  Vitâ  contemplativd,  inter  opéra  S.  Prosperî,  lib.  L 

Gerson,  Tractatus  deparvulis  ad  Christum  trahendis. 
Cet  opuscule  est  un  petit  chef-d'œuvre  de  pieuse  sensibilité 
et  de  foi  vive. 

Humbert  de  Romanis,  cinquième  général  des  Dominicains, 
de  Eriiditioiie  prxdicatorum,  ouvrage  latin  divisé  en  deux  li- 
vres, dont  le  premier  traite  de  l'éloquence  de  la  chaire  en  gé- 
néral, et  le  second  de  la  manière  de  faire  proraptement  un 
sermon  ;  il  se  trouve  au  tome  XXV  de  la  Bibliotheca  maximo 
Patrum  de  l'abbé  de  La  Bigne. 

S.  Carolus,  Acta  Ecdesise  mediolanensis  ;  uM  de  Prxdicatione 
verbl  Bel  et  de  catechizandis  pueris  rudibus. 

S.  François  de  Sales,  Lettre  xxxi  à  V archevêque  de  Bourges. 
—  Celte  lettre  est  une  sorte  de  traité  de  la  prédication.  Le 
saint  ne  veut  pas  que  le  prédicateur  s'applique  à  plaire  :  nous 
nous  permettons  quelques  réserves  à  ce  sujet. 


AVANT-PROPOS.  ii 

S.  Ignace,  Règles  de  la  Société  de  Jésus  pour  la  prédication. 
S.  François  Xavier,  Lettres  au  P.  Barzée,  de  1549  et  1552. 
S.  François  deBorgia,  Tractatus  de  ratione  concionandi. 

Le  P.  Aqiiaviva,  Epistola  ad  piwvinciales  Societatis  et  Instruc- 
tio  pro  concionatoribus . 

Les  écrits  des  quatre  derniers  auteurs  que  nous  venons  de 
citer  sont  des  monuments  de  sagesse,  de  piété  et  de  zèle. 

Benoît  XIV,  Institutio  9^  10",  72^;  Litterx  encijclicsô^  etsi  mi~ 

NIMÈ,  CUM  RELIGIOSI. 

Le  p.  Rapin,  Réflexions  sur  Véloqiience. 

Le  P.  Louis  de  Grenade,  Rhétorique  ecclésiastique. 

Le  P.  Gilbert,  jésuite,  Le  Bon  Goût  de  l'éloquence  chrétienne; 
—  l'Éloquence  chrétienne  dans  l'idée  et  dans  la  pratique. 

Ces  deux  ouvrages  sont  remarquables,  le  second  surtout,  où 
les  meilleurs  préceptes  sont  appuyés  des  plus  beaux  exemples 
de  saint  Jean  Chrysostome^ 

Le  P.  Albert,  de  Paris,  de  la  Véritable  Manière  de  prêcher 
selon  l'esprit  de  l'Evangile.  —  C'est  un  des  auteurs  les  plus 
sages  et  les  plus  pratiques  sur  la  prédication.  On  regrette  seu- 
lement que  le  style  en  soit  si  pâle  et  si  peu  soigné. 

Gaicbiez,  Maxijnes  sur  le  ministère  de  la  chaire^  ouvrage 
plein  de  substance  et  de  doctrine,  où  sont  rassemblés  en  peu 
de  mots,  avec  un  goût  exquis,  les  vrais  principes  sur  la  ma- 
tière. 

Le  P.  de  Foix,  jésuite,  l'Art  de  prêcher ^  ouvrage  profond  et 
solide,  dont  l'abbé  Gouget  donne  l'analyse  dans  le  2"  volume 
de  sa  Bibliothèque  française ^  page  155. 

*  Cet  ouvrage  forme  le  dernier  volume  de  la  Bibliotltèque  des  Pndkaleurs. 


XII  AVANT-PROPOS 

Antoine  Arnaud,  Rc(lexwns  sur  V éloquence  des  prédicalcurSy 
un  des  meilleurs  ouvrages  sur  la  malièrc,  1  vol.  in-]2. 

Fleury,  Discours  sur  la  prédication;  ce  n'est  qu'une  ébauche, 
mais  on  y  reconnaît  un  grand  maître. 

Dinouart,  Éloquence  du  corps.  —  Rhétorique  du  prédicateur , 
traduite  du  latin  d'Augustin  Valérie,  1  vol.  in-12.  «  Ouvrage, 
«  dit  l'abbé  Gouget,  propre  à  corriger  ceux  qui  manqueraient 
«  dans  leur  ministère,  et  à  former  ceux  qui  veulent  s'y  rendre 
«  habiles.  » 

L'abbé  Mallet,  Essai  sur  les  bienséances  oratoires.  —  Prin- 
cipes pour  la  lecture  des  orateurs. 

Le  P.  de  la  Rue,  Préface  de  ses  sermons. 
Bédouin,  chanoine  régulier  de  l'abbaye  de  Prémontrê,  Prin- 
cipes de  V  éloquence  sacrée,  1  vol.  in-12,  Soissons,  1787. 

Nouvelles  Observations  sur  les  différentes  méthodes  de  prê- 
cher. 

Cet  ouvrage  ne  porte  point  le  nom  de  son  auteur,  mais  il 
contient  des  observations  fort  sages. 

S.  Liguori,  Lettre  à  un  religieux  de  ses  amis.  11  y  rend 
compte  de  l'ouvrage  de  Muratori,  qui  a  pour  litre  :  de  l Elo- 
quence populaire,  ouvrage  qu'il  appelle  un  livre  d'or.  —  De  la 
Véritable  Manière  de  prêcher  à  l'apostolique.  —  Instruction  pra- 
tique pour  les  exercices  de  la  mission. 

Miroir  du  clergé,  vol.  II. 

Méthode  de  Besançon,  vol.  II. 

Pastoral  de  Limoges,  vol.  II. 

Ces  trois  ouvrages  sont  précieux,  les  deux  premiers  [in-  des 


AVAÎST-PUOPOS.  xn 

I 

observations  pratiques  du  plus  grand  intérêt,  le  troisième  par 
un  fond  de  doctrine,  de  sagesse  et  de  piété  qui  en  fait  le  traité 
peut-être  le  plus  complet  que  nous  ayons  dans  notre  langue  sur 
la  prédication  :  son  seul  défaut  est  de  ne  pas  vouloir  que  le 
prédicateur  s'applique  à  plaire. 

Besplas,  Essai  sur  l'éloquence  de  la  chaire. 

Maury,  Essai  sur  l'éloquence  de  la  chaire. 
Cet  ouvrage  manque  de  netteté  et  de  précision  dans  l'énoncé 
des  principes. 

Dupanloup,  Rhétorique  sacrée,  extraite  des  écrits  de  Fénelon. 
Une  source  si  pure  révèle  assez  le  mérite  de  l'ouvrage. 

Le  Guide  de  ceux  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu. 

Méthode  générale  du  cafd/m'me,  par  M.  Dupanloup. 

Les  Vrais  prijicipes  de  la  prédication,  par  M.  Vêtu'. 
Ces  trois  derniers  ouvrages  sont  des  recueils  estimables  de 
ce  qui  a  été  écrit  de  mieux  sur  la  prédication. 


2"    AUTEURS   PROFANES. 

Arislote,  Bhétorique. 

Quoique  le  prédicateur  ait  à  laisser  de  côté  dans  cet  ouvrage 
bien  des  choses  étrangères  à  sa  partie,  il  gagnera  beaucoup  en 
le  lisant  :  ce  que  dit  Aristote  des  moeurs  et  des  passions,  des 
preuves,  de  l'élocution  et  de  toute  l'économie  du  discours,  est 
d'une  sagesse  remarquable. 

'  L'aulciir  cilc  partout  l'ouvrage  du  P.  Albert  sons  le  nom  (l'Ahelly,  trompé 
sans  doute  par  le  catalogue  qui  est  à  la  (in  du  livre,  où  le  libraire  l'attribue, 
eu  cllet,  à  Abclly. 


iiv  AVANT-PROPOS. 

Longin,  Traité  du  sublime. 

Le  mérite  de  cet  ouvrage  est  au-dessus  de  nos  éloges. 

Cicéron,  ad  Hereyinium,  libri  quatuor. 

—  de  Inventione,  libri  duo. 

—  de  Oratore,  libri  très. 

—  Orator. 

—  Brutus  seu  de  Claris  Oratonhiis. 

Tous  ces  ouvrages  de  Cicéron,  mais  surtout  les  trois  der- 
niers, renferment  tout  ce  qui  peut  se  dire  de  mieux  sur  l'art 
de  la  parole  :  la  doctrine  d'Aristote  y  est  perfectionnée  par 
tout  ce  qu'une  vaste  érudition,  un  étonnant  génie,  de  mûres 
réflexions,  une  longue  expérience,  pouvaient  y  ajouter  :  et  la 
grâce  de  la  diction  y  fait  toujours  marcher  côte  à  côte  le  pré- 
cepte et  le  modèle. 

Quiutilien,  Institutiones  oratorix,  édition  de  Rollin ,  en 
2  vol. 

Celui-ci  a  profilé  du  travail  d'Aristote  et  de  Cicéron  :  moins 
théorique,  il  est  plus  pratique,  et  le  sage  Rollin  en  porte  ce 
jugement  :  Ex  omnibus  antiquis  scriptoribus,  qui  magis  prodesse 
juventuti  possit,  neminem  prorshs  reperiri'posse  arbitror.  Cet 
ouvrage,  en  effet,  comme  on  pourra  le  remarquer,  est  la 
source  où  nous  avons  puisé  le  plus  souvent. 

J.  Severianus,  Synthemata  rhetoricsd,  dans  la  collection  des 
Rhetores  minores. 

Le  P.  Buffier^ ,  Traité  philosophique  et  pratique  de  V élo- 
quence. 


*  Nous  plaçons  ce  célèbre  jésuite  parmi  les  auteurs  profanes,  parce  que  son 
ouvrage  n'a  aucun  rapport  particulier  à  l'éloquence  sacrée. 


AVANT-PROPOS.  tv 

Gibert,  la  Rhétorique  ou  les  Règles  de  l éloquence. 

—     Jugement  des  savants  sur  les  auteurs  qui  ont  traité  de 
la  rhétorique. 

Campbell,  Philosophie  de  la  rhétorique,  Londres,  1776,  ou 
abrégé  du  même  ouvrage  pour  les  écoles,  Londres,  1825'.  Un 
savant  anglais  apprécie  cet  ouvrage  en  ces  termes  :  «  Ce  livre 
a  est  incomparablement  supérieur  à  celui  du  docteur  Blair, 
«  non-seulement  pour  la  profondeur  des  pensées  et  l'origina- 
«  lité  des  recherches,  mais  encore  en  utilité  pratique  et  pour 
«  l'enseignement.  » 

Richard  Wately,  Éléments  de  rhétorique,  O.xford,  1852. 

Encyclopédie  méthodique,  articles  Éloquence  de  la  chaire, 
Rhétorique,  Art  oratoire.  Pathétique,  Stijle,  etc..  Soit  dans  le 
corps  de  l'ouvrage,  soit  aux  suppléments  :  rarement  on  a  mieux 
traité  ces  questions. 

Marmontel,  Éléments  de  littérature.  Parmi  quelques  principes 
faux,  il  se  trouve  d'excellentes  choses  dans  cet  ouvrage. 

Rollin,  Traité  des  études,  vol.  II. 

L'abbé  Le  Batteux,  Cours  de  belles-lettres,  vol.  IV,  plein  des 
observations  les  plus  solides  sur  l'éloquence. 

L'abbé  Collin,  Préface  de  sa  traduction  de  ï  Orateur  de  Ci- 
céron,  écrit  plein  de  goût  et  d'excellentes  réflexions. 

Girard,  Préceptes  de  rhétorique. 


TRAITÉ 


LA  PEÉDICATION 


La  Prédication  est  une  fonction  sainte  par  laquelle  on  enseigne 
aux  hommes  les  vérités  chrétiennes  et  on  les  exhorte  à  y  conformer 
leur  conduite.  Tout  est  saint  dans  la  prédication  :  elle  a  été  fondée 
par  l'Auteur  même  de  la  sainteté,  Jésus-Christ,  qui  a  dit  :  Prxdicate 
Evangelium  omni  creaturx^  :  elle  demande  un  ministre  saint,  saint 
par  son  caractïîre,  saint  par  ses  vertus;  ou  plutôt  le  Sauveur  lui- 
même  en  est  le  ministre  invisible  qui  prêche  au  fond  des  consciences 
par  l'organe  du  Prêtre  :  Deo  exhortante  per  nos^.  Tout  son  langage 
est  saint;  elle  ne  traite  que  la  parole  de  Dieu  ;  elle  en  est  ou  l'exposé 
ou  le  commentaire.  La  fin  où  elle  tend  est  sainte  :  détourner  de  tout 
ce  qui  est  mal,  porter  à  tout  ce  qui  est  bien,  faire  des  saints,  voilà 
son  but;  et  pour  l'atteindre  elle  a  divers  moyens  :  car  elle  ne  con- 
siste pas  seulement  dans  ce  genre  d'instruction  solennelle  qu'on 
appelle  le  sermon,  mais  dans  tout  enseignement  de  la  doctrine  chré- 
tienne au  peuple,  sous  quelque  forme  de  discours  qu'on  la  lui  pré- 
sente, soit  sous  la  forme  de  sermon,  soit  sous  la  forme  de  prône  ou 
d'homélie,  soit  même  sous  la  forme  de  catéchisme. 

11  est  des  règles  pour  diriger  ceux  qui  sont  appelés  à  ce  sublime 
ministère  :  les  Pères  de  l'Eglise,  plusieurs  saints  et  divei's  auteurs 
ecclésiastiques  les  ont  tracées  avec  une  sagesse  et  une  profondeur 

*  Marc,  XVII.  15.  ^  -  II  Cor.,  v. 


2  TRAITE  DE  LA  PRÉDICATION. 

de  \ues  remarquables  :  nous  en  avons  donné  la  longue  liste  dans 
y  Avant-Propos,  et  nous  nous  sommes  permis  d'y  joindre  un  grand 
nombre  d'auteurs  profanes,  dont  les  préceptes  nous  semblent  devoir 
faire  autorité,  même  dans  la  chaire  :  la  raison  en  est  que  le  discours 
sacré  et  le  discours  profane,  quoique  bien  différents  sous  tant  de 
rapports,  se  re^s^nublent  par  leur  fin  immédiate,  qui  est  de  con- 
vaincre et  de  persuader  les  auditeurs  :  or  ces  grands  hommes,  ayant 
fait  une  étude  spéciale  de  l'âme  humaine,  des  moyens  par  lesquels 
elle  se  gagne  et  des  ressorts  par  lesquels  elle  se  meut,  ont  connu  à 
fond  l'art  de  convaincre  et  de  persuader. 

Mais  si  la  chaire  a  ses  régies  incontestables  tracées  à  la  fois  par 
les  auteurs  ecclésiastiques  et  les  auteurs  profanes,  c'est  un  devoir 
pour  le  prédicateur  d'en  faire  une  étude  sérieuse,  d'en  acquérir 
une  connaissance  exacte.  En  effet,  si  l'art  de  bien  dire  peut  servir 
à  persuader  le  vrai  et  le  faux,  le  bien  et  le  mal,  peut-on  penser  qu'il 
soit  permis  d'en  laisser  le  monopole  au  mensonge  et  à  l'iniquité 
sans  employer  les  mêmes  moyens  à  la  défense  de  la  vérité  et  de  la 
vertu?  Qids  ità  desipiat  ut  hoc  sapint?  dit  saint  Augustin  :  Cumin 
média  posita  sit  facilitas  eloquii,  cnr  non  bonorum  studio  comparatur 
ut  militet  veritati,  si  eam  mali  in  usus  iniquitatis  et  errons  usur- 
pant^'? Ce  serait  un  crime  de  négliger,  pour  sauver  les  hommes,  les 
ressources  que  d'autres  emploient  pour  les  égarer  ou  les  perdre,  et, 
tandis  qu'une  parole  de  vice  ou  d'erreur  se  montre  souvent  si  belle, 
si  entraînante,  de  présenter  la  parole  de  Dieu  sans  grâce,  sans  in- 
térêt et  sans  couleur,  souvent  même  sous  une  enveloppe  difforme 
propre  à  en  dégoûter  les  peuples.  De  là  l'avis  de  l'Apôtre  aux  mi- 
nistres de  l'Évangile  :  Sollicité  cura  teipsum  probabilem  exhibere 
Deo,  operarium  inconfusibilejn  rectè  tractantem  verbam  veritatis^. 
Or,  quelque  talent  naturel  qu'on  puisse  avoir  reçu  de  la  nature, 
quelque  connaissance  même  qu'on  ait  de  la  théologie  et  des  sciences 
ecclésiastiques,  on  ne  prêchera  que  médiocrement,  souvent  même 
inutilement,  si  l'on  ne  connaît  pas  les  régies  de  la  prédication  :  car, 
si,  pour  réussir  dans  quelque  art  que  ce  soit,  il  faut  auparavant  en 
étudier  et  en  posséder  les  règles,  combien  plus  le  faut-il  pour  réussir 
dans  l'art  si  sublime  de  parler  au  nom  de  Dieu,  de  développer  les 
mystères  du  ciel,  d'arracher  les  pécheurs  aux  passions  qui  les  tyran- 
nisent et  de  les  gagner  à  la  vertu?  II  est  vrai  que  la  nature  contribue 
plus  que  l'art  à  former  l'orateur,  et  qu'il  n'y  a  de  vraie  éloquence  que 

*  Lib.  IV  de  Doct.  christ.,  c.  n.  —  -  II  Tim.,  ii,  15. 


THAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION.  5 

là  où  elle  en  a  déposé  le  germe  heureux  (car  nous  sommes  loin  de 
partager  l'avis  de  celui  qui  disait:  Nciscuntur  poetx,  flunt  oratores)  ; 
mais  il  n'en  est  pas  moins  certain  que  la  nature  abandonnée  à  elle 
seule  ne  ferait  jamais  que  des  orateurs  incomplets  :  dans  les  uns, 
elle  a  besoin  d'être  corrigée,  parce  qu'elle  se  produit  ou  avec  excès, 
déployant  son  énergie  sans  discrétion,  ou  à  contre-temps,  plaçant 
mal  ce  qui,  dit  à  propos  et  en  son  lieu,  eût  été  parfait;  dans  les  au- 
tres, elle  a  besoin  d'être  aidée,  parce  qu'elle  ne  se  montre  qu'à 
moitié  :  elle  laisse  voir  le  germe  du  talent;  mais  ce  germe,  il  faut 
que  l'ait  le  développe;  dans  d'autres  enfin,  elle  ne  paraît  aucune- 
ment, elle  semble  muette;  mais,  si  l'art  la  scrute,  l'interroge,  il  la 
trouve,  la  saisit  et  la  fait  parler.  La  nature,  c'est  une  terre  qui  a  be- 
soin d'être  cultivée,  et  qui,  abandonnée  à  elle  seule,  produirait  in- 
distinctement de  bonnes  et  de  mauvaises  herbes,  ou,  si  on  l'aime 
mieux,  c'est  une  aveugle  qui  ne  sait  où  elle  va  si  l'art  ne  la  condnit. 
Il  faut  donc  que  Tune  et  l'autre  marchent  toujours  ensemble  :  leur 
alliance  est  la  condition  du  succès.  C'est  ce  que  Montaigne  a  voulu 
dire  par  ce  mot  de  sa  façon  :  Il  faut  que  la  nature  sartinlise;  elle 
ne  peut  que  par  là  atteindre  au  développement  pour  lequel  elle  est 
faite,  selon  ces  paroles  d'Horace  : 

Naliirâ  fïeret  laudabile  carmen,  an  arte, 
Qusesitum  est.  Ego  nec  studium  sine  divite  vend, 
Nec  rude  quidprosU  video  ingenium  :  alterius  sic 
Altéra  poscit  opem  res,  et  conjurât  amicè. 

Au  reste,  l'expérience  démontre  tous  les  jours  cette  vérité  :  d'où 
vient  que  les  chaires  chrétiennes  retentissent  si  souvent  de  discours 
défectueux,  qui  ne  produisent  aucun  fruit,  soulèvent  la  critique  des 
moins  malveillants,  provoquent  l'ennui,  et  sont  quelquefois  même 
ridicules  ?  C'est  que  les  auteurs  de  ces  discours  ignorent  les  bonnes 
règles  de  la  prédication.  Sans  doute,  les  régies  seules  n'eussent  pas 
fait  d'eux  de  grands  orateurs,  car  rien  ne  supplée  la  nature;  mais  du 
moins  elles  eussent  formé  leur  goût,  diminué  ou  peut-être  corrigé 
tout  à  fait  leurs  défauts  naturels,  et  en  eussent  fait  des  prédicateurs 
utiles,  sinon  brillants.  D'où  vient  que  les  sermons  de  Bossuet  lui- 
même,  malgré  les  beautés  sublimes  dont  ils  étincellent,  laissent  tant 
à  désirer  pour  être  des  œuvres  complètes,  au  jugement  de  la  Harpe 
et  du  cardinal  Maury?  N'est-ce  point  qu'il  les  composa  à  un  âge  où 
la  réflexion  et  le  travail  n'avaient  point  encore  corrigé  les  écarts  de 


4  TH.UTK  DE  LA  PRÉDICATION. 

la  nalure  abandonnéo  à  elle-même  ?  D'où  vient  que  Bourdaloue,  mal- 
gré la  merveilleuse  solidité  de  ses  discours,  est  quelquefois  mono- 
tone, froid,  sec,  dans  l'exposé  de  ses  preuves,  et  de  mauvais  goût 
dans  ses  compliments?  Il  est  difficile  de  penser  qu'il  fût  tombé  si 
souvent  dans  ces  défauts  s'il  eût  plus  réfléchi  sur  certaines  règles  de 
l'art  et  se  fût  étudié  à  les  mettre  en  pratique.  Or,  si  les  plus  beaux 
génies  sont  sujets  à  de  grands  écarts,  souvent  même  à  des  défauts 
choquants,  lorsqu'ils  ne  joignent  pas  aux  talents  naturels  l'étude  et 
la  connaissance  des  régies,  combien  cette  élude  et  cette  connaissance 
sont-elles  nécessaires  à  ceux  qui  n'ont  que  des  talents  médiocies, 
c'est-à-dire,  pour  parler  avec  vérité,  au  plus  grand  nombre  de  ceux 
que  leur  vocation  oblige  à  annoncer  la  parole  de  Dieu  ! 

Il  est  donc  certain  que  tout  prêtre,  avant  d'exercer  le  ministère  de 
la  prédication,  est  tenu  d'en  apprendre  les  règles  ;  mais  quelle  est 
la  gravité  de  cette  obligation?  Deux  considérations  le  feront  com- 
prendre :  1°  Plus  un  ministère  est  excellent,  sublime  et  sacré,  plus 
est  coupable  celui  qui,  sans  en  connaître  les  règles,  s'y  ingère  aveu- 
glément, le  traite  sans  honneur  et  le  rend  méprisable  aux  peuples  : 
or,  quoi  de  plus  excellent,  de  plus  sublime,  de  plus  sacré  que  le 
ministère  de  la  prédication?  2"  L'obligation  de  posséder  les  règles 
d'un  art  qu'on  veut  exercer  est  en  proportion  avec  la  gravité  des 
intérêts  qui  s'y  rattachent  :  ainsi,  un  homme  qui,  se  donnant  pour 
médecin,  traiterait  les  malades  sans  connaître  les  régies  de  la  théi  a- 
peutique,  commettrait  un  crime  égal  à  l'homicide,  par  la  raison  évi- 
dente que  son  ignorance  mettrait  en  péril  la  vie  des  citoyens  :  or,  à 
la  prédication  se  rattachent  des  intérêts  plus  grands  que  tous  les  inté- 
rêts temporels  et  que  la  vie  même;  il  y  va  du  ciel  ou  de  l'enfer  pour 
les  auditeurs,  selon  que  le  prêtre,  chargé  de  les  instruire,  remplira 
bien  ou  mal  son  ministère.  Celui  qui  prêche  selon  les  bonnes  règles 
éclaire,  touche  et  souvent  convertit  ;  celui  qui  ne  le  fait  pas,  laisse 
les  pécheurs  croupir  dans  l'ignorance  et  le  désordre,  les  dégoûte  de 
la  parole  de  Dieu  et  la  leur  rend  inutile  ;  d'où  nous  pouvons  conclure 
avec  le  père  Louis  de  Grenade  *  :  «  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  coupable 
«  que  cette  témérité  avec  laquelle  on  entre  dans  un  emploi  si  grand, 
«  si  important,  si  nécessaire  à  l'Église  et  le  plus  difficile  de  tous,  sans 
«  s'instruire  auparavant  des  règles  et  méthodes  sûres  par  lesquelles 
«  on  pourra  s'en  acquitter  dignement  et  avec  fruit.  » 


*  r.liél.  ecclés.,  liv.  I,  c.  n. 


Tr.VITÊ  DE  LA  PRÉDICATION.  5 

Et  qu'on  ne  pense  pas  que  les  règles  que  donne  la  rh-îoiique 
puissent  suffire;  ces  notions  élémentaires,  puisées  au  collège,  ne 
sont  en  quelque  sorte  que  le  fondement  sur  lequel  s'élèvent  le  .^règles 
de  la  prédication,  régies  bien  plus  hautes  et  plus  étendues  qui  com- 
mencent, pour  ainsi  dire,  là  où  les  autres  finissent,  et  qui  ont  d'ail- 
leurs un  tout  autre  caractère  :  car,  chargées  de  diriger  Téloquence 
dans  les  régions  de  la  foi,  on  sent  que  comme  l'atmosphère  où  elles 
doivent  se  développer  est  différente,  elles  doivent  aussi  avoir  leur 
spécialité.  L'esprit  de  l'Évangile,  le  génie  de  l'apostolat,  les  observa- 
tions qu'a  fournies  l'expérience  à  ceux  qui  ont  parcouru  la  carrière 
de  la  chaire  avec  succès,  doivent  y  dominer  plus  encore  que  tout 
l'art  des  rhéteurs.  Nous  sommes  loin  de  rejeter  cet  art  ;  nous  le  pro- 
clamons essentiel,  comme  nous  l'avons  déjà  fait  observer;  mais, 
pour  le  rendre  plus  utile  à  la  prédication,  il  faut  le  christianiser,  si 
je  puis  ainsi  dire.  C'est,  du  reste,  ce  qu'on  comprendra  mieux  par  la 
lecture  de  cet  ouvrage. 

Entrant  donc  sur-le-champ  en  matière,  nous  diviserons  notre  Traité 
en  deux  livres  :  dans  le  premier,  nous  ti  altérons  de  la  prédication  en 
général,  c'est-à-dire  des  principes  généraux  qu'on  y  doit  suivre  et 
dos  règles  communes  aux  différents  genres  de  prédication  ;  dans  la 
second,  nous  traiterons  des  différents  genres  de  prédication  en  par- 
ticulier et  des  règles  spéciales  rpfon  y  doit  observer. 


LIVRE  PREMIER 


DE  LA  PRÉDICATION  EN  GÉNÉRAL 


Celui  qui  aspire  à  la  magnifique  mission  d'annoncer  la  parole  de 
Dieu  aux  hommes  doit  commencer  par  bien  comprendre  tout  l'en- 
semble de  ce  sublime  ministère.  S'il  n'en  a  pas  une  idée  exacte,  le 
faux  qui  sera  dans  son  esprit  passera  dans  son  travail,  et  il  fera  mal 
en  croyant  bien  faire  :  si,  au  contraire,  il  en  a  une  idée  juste,  il  s'ap- 
pliquera avec  ardeur  à  réaliser  cette  idée,  évitant  ou  corrigeant  tout 
ce  qui  s'en  écarte,  retouchant  sa  composition,  la  remaniant  sans 
cesse  jusqu'à  ce  qu'il  y  reconnaisse  le  beau  idéal  qu'il  a  dans  la 
pensée,  et  ainsi  il  atteindra  la  mesure  de  perfection  dont  il  est  capable. 
Voyez  l'architecte,  voyez  le  peintre;  s'ils  n'ont  pas  une  idée  juste  et 
complète,  l'un  de  la  belle  ordonnance  d'un  édifice,  de  sa  solidité  et 
de  sa  grâce,  l'autre  de  la  sage  distribution  des  couleurs,  des  posi- 
tions et  des  nuances  à  donner  aux  divers  personnages  ou  paysngos 
qu'il  représente,  il  ne  sortira  de  leur  idre  incom])lùtt>  qu'un  édifice 
ou  un  tableau  incomplet,  sans  ensemble,  sans  proporlions  et  sans 
justesse.  Pour  réussir  en  quelque  genre  que  ce  soit,  il  est  donc  essen- 
tiel de  se  former  avant  tout  une  idée  juste  de  ce  qu'on  doit  faire  ;  et, 


8  TP.Ani;  l'F.  i.A  rr.Éiur.ATioN. 

celte  idée  une  fois  acquise,  il  ne  icsle  [)Uis  qu'à  étudier  la  manière 
de  la  réaliser. 


Conformément  à  ces  principes,  nous  partagerons  ce  livre  en  trois 
parties.  Dans  la  première,  nous  examinerons  quelle  idée  il  faut  se 
faire  du  ministère  de  la  prédication  ;  dans  la  seconde,  nous  étudie- 
rons la  préparation  qu'il  demande,  et,  dans  la  troisième,  nous  traite- 
rons de  la  manière  de  s'en  bien  acquitter. 


PREMIÈRE  PARTIE 


QUELLE  IDÉE  IL  FAUT  SE  FAIRE  DU  MIKISTIiRE 
DE   LA   l'RÉBICATlON. 


Pour  se  former  de  ce  ministère  une  idée  complète  qui  dispose  à  le 
remplir  dignement,  il  faut  bien  comprendre  1"  l'excellence  de  la 
prédication  ;  autrement  on  ne  porterait  pas  dans  l'exercice  de  celte 
sublime  fonction  cette  haute  estime,  cette  élévation  de  vues,  cette 
ferveur  de  zèle  qu'on  y  doit  porter;  2°  la  nécessité  de  la  prédication  ; 
autrement  on  pourrait  se  rendre  coupable  de  négligence  grave  dans 
l'exercice  d'un  si  saint  devoir;  5"  les  matières  qu'il  convient  de 
traiter  en  chaire  ;  sans  des  notions  exactes  sur  ce  point,  on  serait 
exposé  à  traiter  des  sujets  qui  ne  conviendraient  pas  à  un  discours 
sacré  ou  ([ui  seraient  moins  utiles  aux  lldèles  ;  4"  les  qualités  de  la 
prédication  ;  car  celui  qui  ne  les  connaîtrait  pas  serait  dans  l'impossi- 
bilité de  donner  à  ses  insiructions  les  caractères  et  la  forme  qui  leur 
sont  essentiels  ;  5**  enfin  les  qualités  du  prédicateur,  afin  de  les  ac- 
quérir avant  de  s'engager  dans  la  carrière,  et  de  les  conserver  après 
s'y  être  engagé.  Tel  sera  donc  l'objet  des  cinti  chapitres  qui  vont 
partager  celle  première  partie. 


10  TRAITH  DE  LA  rRÉDICATION. 


CHAPITRE  PREMIER 


De  l'excellence  de  la  Prédication  ^ 


*  Après  le  saint  sacrifice  de  la  Messe,  il  n'est  point  dans  le  mi- 

*  nistère  ecclésiastique  de  fonction  plus  sublime  que  celle  de  la  pré- 

*  dication.  C'était  l'occupation  principale  de  Notre-Seigneur  pendant 

*  les  trois  années  de  sa  vie  apostolique  et  le  but  de  la  mission  qu'il 

*  avait  reçue  de  son  Père  :  Oportet  me  evangelizare  regnumUei,  qidà 

*  ideô  missus  sum^,  et  il  laissait  à  ses  disciples,  comme  moins  im- 

*  portante,  la  charge  de  baptiser  :  Quanquàm  Jésus  non  baptizaret, 

*  scd  discipuli  ejus'.  Saint  Paul  faisait  de  même  :  Je  n'ai  baptisé 

*  personne  à  Gorinlhe,  disait-il,  sinon  Crispe  et.Caïuset  la  famille 

*  de  Stephanas  :  Non  enim  misit  me  Christus  baptizare,  sed  evange- 

*  lizare'*.   Conformément  à   ces  grands  exemples,  et  pénétrés  de 

*  l'excellence  d'un  ministère  qui  demande  tant  de  science,  de  lu- 

*  mières  et  de  grâce,  les  évêques  des  premiers  siècles  se  réservaient 

*  souvent  à  eux  seuls  l'exercice  de  la  prédication,  quoiqu'ils  en  re- 

*  connussent  dans  les  prêtres  le  pouvoir  ordinaire.  Sous  l'ancienne 

*  loi  même,  cet  office  n'était  envisagé  qu'avec  une  vénération  pro- 

*  fonde  :  Moïse  et  Jérémie  s'en  proclament  tout  à  la  fois  indignes  et 

*  incapables;  Isaïe  a  besoin  qu'un  ange,  pour  l'y  disposer,  vienne 

*  purifier  ses  lèvres  :  le  Précurseur  s'y  prépare  par  la  pénitence  et 

*  la  solitude  la  plus  austère.  Pleine  du  même  esprit  qui  animait  les 

*  saints  de  l'un  et  de  l'autre  Testament,  sainte  Thérèse  ne  pouvait 

*  assez  admirer  la  grandeur  de  cet  emploi,  et  elle  portait  envie  aux 

*  prédicateurs,  en  considérant  le  service  éminent  qu'ils  rendent  à 

*  Dieu  et  aux  hommes  :  Je  donnerais  mille  vies,  disait-elle,  pour  le 

*  bonheur  d'être  chargée  d'une  si  noble  mission^.  C'est  qu'en  effet, 

*  de  quelque  côté  qu'on  envisage  le  ministère  du  prédicateur,  tout  y 

*  est  dune  excellence  incomparable,  et  la  sublimité  de  sa  mission, 


1  Voyez  le  Pastoral  de  Limoges,  t.  II,  titre  i.  —  La  Harpe,  Cours  de  littéra- 
ralure,  t.  VIII.  —  Grenade,  liv.  I,  vi.  —  ^  Luc.,  iv,  43.  — ^  Joami.,  iv.  —  -^I  Cor.,  i. 
—  2  Chap.  XXI  de  sa  Vie,  écrite  par  elle-même. 


EXCELLENCE  DE  LA  PRÉDICATION.  It 

*  et  la  majesté  de  sa  parole,  et  la  grandeur  des  sujets  qu'il  est  chargé 

*  de  traiter,  et  la  fin  pour  laquelle  il  parle,  et  les  el'fels  de  sa  pré- 

*  dication,  quand  elle  est  à  la  hauteur  de  son  ministère,  et  les 

*  grands  avantages  qu'en  relire  la  société,  et  le  bien  qui  lui  en  re- 

*  vient  à  lui-même. 

♦ARTICLE  1. 

*  EXCELLENCE   DE   LA    PRÉDICATION.    DÉMONTRÉE    PAR  LA   SUBLIMITÉ  DE  LA   MISSION 
*  DU    PRÉDICATEUR. 

*La  mission  la  plus  haute  que  puisse  recevoir  un  orateur  profane, 

*  c'est  d'être  l'interprète  de  son  roi  ou  l'organe  de  sa  patrie  ;  mais 

*  l'orateur  sacré  remplit  une  mission  bien  plus  sublime,  celle  d'in- 

*  terprête  de  son  Dieu  et  d'organe  de  la  religion.  Jésus-Christ  lui- 

*  même  a  institué  cette  mission  sacrée  toute  sainte  et  toute  surnatu- 

*  relie,  en  vertu  de  la  plénitude  de    puissance  qui  lui    avait  été 

*  donnée  :  Data  est  mihi  omnis  potestas  in  cœlo  et  in  terra  ;  euntes 

*  ergo,  docete  ',  et  en  envoyant  ses  apôtres  et  leurs  successeurs  de 

*  la  môme  manière  qu'il  avait  été  envoyé  lui-môme  :  Sicut  misit  me 

*  vivens  Pater,  et  ego  mitto  vos  ^,  il  leur  confie  sa  parole  pour  qu'ils 

*  la  dispensent  aux  fidèles,  il  les  établit  ses  ambassadeurs  et  ses  mi- 
*iiistres;  ce  qui  leur  donne  la  hardiesse  de  dire  :  Pro  Christo  le- 

*  gatione  fiuigimur^;  ou  plutôt  il  s'identifie  en  quelque  sorte  avec 

*  eux  :  Qui  vos  audit  me  audit  *  ;  ils  ne  sont  que  ses  organes  par 

*  lesquels  il  évangéhse  les  hommes  et  les  exhorte  à  la  vertu,  selon 

*  celte  parole  de  l'Apôtre  :  Deo  exhortante  per  nos...  ^,  in  me  loqui- 

*  tur  Christus^.   Or,  qui  pourrait  dire  la  sublimité  de  cette  am- 

*  bassade,  de  celte  divine  nonciature,  comme  l'appelle  saint  Jean 

*  Cbrysostome,  ou  plutôt  de  celte  sorte  de  personnification  avecJésus- 

*  Christ  môme?  Toutes  les  ambassades  du  monde  ne  sauraient  lui 

*  être  comparées  :  ici  ce  n'est  point  un  roi  de  la  terre  qui  nous 

*  envoie,  c'est  le  Roi  des  rois,  près  duquel  tous  les  rois  du  monde  ne 

*  sont  que  poussière  ;    et  la  foi  ne  laisse  plus  voir  on  nous  des 

*  hommes  qui  parlent  à  des  hommes;  nous  sommes  les  anges  du 

*  Seigneur,  les  envoyés  du  ciel;  ou  plutôt  c'est  le  Seigneur  môme  du 

*  ciel  qui  par  nous  en  inliine  les  oracles  et  les  volontés  à  la  terre. 


*  Mali]].,  XXVIII.    —   *  Joaiiii.,   x\-.   —    ^11  Cor.,   v,   '2-).  —  •*  Luc,  x,  1G.  — 
*  II  Cor.,  V,  '20. —  c  II  Cor.,  xiii,  5. 


12  TRAITÉ  DE  tA  PHÉDlCATION. 

*  Les  premiers  chrétiens  étaient  si  frappés  do  cette  considéra! ion, 

*  qu'ils  respectaient  leurs  prédicateurs  comme  les  anges  de  Dieu, 

*  comme  Jésus-Christ  lui-même,  honorant  la  personne  du  prince 

*  dans  colle  do  son  ambassadeur  :  Sicnt  angeluin  Dei  excepistis  mi , 
* siait  Christum  Jesum^,  et  ils  recueillaient  avec  religion  toutes  les 

*  paroles*  qui  sortaient  de  leur  bouche,  comme  s'ils  les  eussent  en- 

*  tendues  sortir  de  la  bouche  même  de  Dieu  :  Accepistis  illiid,  non 

*  vt  vcrhum  hominum,  scd,  sicnt  est  verè,  verbum  Dei-. 

*  Tel  est  le  premier  principe  par  lequel  se  démontre  l'excellence 

*  de  la  prédication,  principe  fécond  en  conséquences  que  nous  dé- 

*  unirons,  dans  la  suite  de  ce  Traité,  sur  la  nécessité  de  la  mission, 

*  de  la  sainteté  de  vie  dans  le  prédicateur,  de  l'exactitude  dans  la 

*  doctrine,  de  la  clarté  dans  le  langage,  etc. 


*  ARTICLE  2. 

*  EXCELLENCE  DE    LA    PRlÎDlCATlON,    DÉMnNlRÉE    PAP,    LA  MAJESTÉ    DE    LA    PAIIOLE 
*  DU   PRÉDICATEUR. 

*  La  parole  du  prédicateur  diffère  essentiellement  de  la  parole  de 

*  l'homme  ou  du  discours  profane.  Elle  est  la  parole  même  de  Dieu, 

*  telle  qu'elle  est  énoncée  dans  l'Écriture,  ou  exphquée  par  l'Eglise 

*  avec  l'infaillibilité  de  Dieu  môme;  d'où  il  suit  qu'elle  n'a  point 

*  pour  objet,  comme  presque  tous  les  discours  humains,  des  ques- 

*  lions  sujettes  à  controverse.  Elle  est  vérité  et  sainteté  :  comme 

*  vérité,  elle  commande  avec  un  empire  souverain  à  toutes  les  in- 

*  telligences;   comme  sainteté,  elle  a  droit  de  se  faire  obéir  par 

*  toutes  les  volontés,  de  frapper  de  sa  réprobation  tout  ce  qui  n'est 

*  pas  avoué  par  la  vertu,  et  d'abattre  toute  créature  qui  s'élève  contre 

*  la  loi  de  Dieu.  Capable  de  remplir  cette  sublime  mission,  elle  tire 

*  du  ciel  môme  une  force  invincible,  c'est-à-dire  la  grâce  de  Jésus- 

*  Christ,  pour  manier  et  toucher  les  cœurs,  jointe  à  l'autorité  de 

*  Dieu  pour  corriger,  pour  reprendre  et  dire  toutes  les  vérités  qui 

*  nulle  part  ailleurs  ne  pourraient  trouver  un  organe.  Quelque  sa- 

*  vants  ou  quelque  puissants  que  soient  ses  auditeurs,  la  parole  du 

*  prédicateur,  comme  parole  de  Dieu,  est  au-dessus  d'eux  ;  elle 

*  domine  leur  science  et  leur  puissance  de  tonte  la  science  et  de 

»  Galat.,  IV,  1  i.  —  *  I  Tlles^^ul.,  ii,  15. 


EXCELLENCE  DE  LA  TRÉDICATION.  13 

*  toute  la  puissance  de  Dieu.  Les  rois  eux-mêmes  s'humilient  comme 

*  le  peuple   devant  sa  majesté,   et  viennent  l'entendre  pour  être 

*  instruits  et  recevoir  des  leçons.  C'est  elle  qui  jugera  le  monde  au 

*  dernier  jour,  dit  Notre-Seigneur  :  Sermo  qnem  locutiis  siim,  illeju- 

*  dicahit  eiim  in  novissimo  die  S  et  elle  est  le  texte  de  la  loi  sur  laquelle 

*  sera  dressée  pour  chacun,  dans  l'extrême  rigueur  du  droit,  la  sen- 

*  tence  d'une  éternité  heureuse  ou  malheureuse.  C'est  elle  enfin  que 

*  saint  Augustin  proclame  non  moins  digne  de  respect  que  le  corps 

*  même  de  Jésus-Christ  :  No7i  minus  est  verbum  Dei  quàm  corpus 

*  Christi'.  Aussi  est-ce  justement  que  la  trihune  du  haut  de  laquelle 

*  on  l'annonce  s'appelle  la  chaire  sacrée,  et  que  toutes  les  grandeurs 

*  de  la  terre  s'effaceni;,  que  les  rangs,  les  litres  et  les  fortunes  se 

*  confondent  à  ses  pieds,  pour  ne  laisser  sentir  que  la  prééminence 

*  du  prédicateur  parlant  au  nom  de  celui  devant  qui  tous  les  hommes 

*  sont  égaux,  au  nom  du  ciel  d'où  descend  tout  empire. 

*  Tout  ce  qui  environne  le  prédicateur  ajoute  encore  une  nouvelle 

*  majesté  à  sa  parole.  Il  est  élevé  dans  la  chaire  comme  entre  le  ciel 

*  et  la  terre  pour  intimer  à  celle-ci  les  oracles  de  celui-là.  Sa  voix 

*  retentit  dans  le  silence  d'un  recueillement  universel,   dans  l'é- 

*  tendue  d'une  enceinte  sacrée  :  et  le  Dieu  dont  il  est  l'envoyé,  dont 

*  il  venge  les  droits,  est  là  présent  sur  l'autel,  sanctionnant  par  son 

*  autorité  les  discours  de  son  ministre,  pénétrant  de  son  regard  les 

*  replis  les  plus  cachés  des  cœurs,  leur  disant  à  tous  qu'il  n'entend 

*  pas  que  sa  parole  tombe  en  vain  au  milieu  d'eux,  et  que,  s'ils  n'en 

*  recueillent  les  moindres  parcelles  avec  un  religieux  respect  pour 

*  les  faire  servir  à  la  réforme  de  leur  vie,  ils  lui  en  rendront  un 

*  jour  un  compte  sévère.  Or  se  peut-il  une  parole  plus  majestueuse 

*  que  celle  qui  est  entourée  de  tant  de  circonstances  vénérables? 

*  Kl  combien  toute  l'éloquence  profane  pâlit,  rapprochée  de  celle- 

*  là  !  Si  la  tribune  et  le  barreau  sont  le  théâtre  de  l'éloquence,  on 

*  peut  dire  que  la  chaire  en  est  le  trône;  l'éloquence  sacrée,  c'est 

*  l'éloquence  par  excellence. 

*  De  ce  second  principe,  comme  du  premier,  découlent  de  nom- 
■*  brcuses  conséquences  que  nous  déduirons  dans  le  cours  de  ce 

*  Traité. 

*  Joann.,  xii,  48.  —  *  Scnn.  ctc,  m  aiiijcnd. 


a  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION, 

*AUT1CLE5. 

*  EXCELLENCE    DE    LA  PRÉDICATION,    DKiMOMRÉE   PAR    LES  SUJETS 
*  QUE    LE    PRÉUIOATEUR  EST  CHARGÉ  DE  TRAITER. 

*  Le  pi'ivilége  du  prédicateur,  dit  saint  Augustin,  est  de  n'avoir 

*  jamais  à  parler  que  de  grandes  choses  :  Dicfnr  est  rernm  magna- 

*  rum^.  Presque  tous  les  sujets  que  peut  traiter  l'orateur  profane 

*  sont  d"un  intérêt  passager,  ne  regardent  que  les  circonstances  du 

*  moment  ;  et  les  circonstances  une  fois  passées,  le  sujet  perd  son 

*  intérêt.  Que  nous  importent  aujourd'hui,  par  exemple,  Philippe  et 

*  les  Athéniens,    Milon    et  Ligarius,   Catilina  et  Verres?   Mais  les 

*  sujets  de  l'éloquence  chrétienne  ont  un  intérêt  de  tous  les  temps, 

*  parce  que  le  salut  auquel  ils  se  rapportent  est  l'affaire  de  tous  les 

*  siècles,  affaire  à  chaque  moment  aussi  saisissante  d'intérêt,  aussi 

*  grave,  aus.si  pressante,  aussi  personnelle  à  une  époque  qu'à  une 

*  autre. 

*  Presque  tous  les  sujets  de  l'éloquence  profane  ne   regardent 

*  que   certains  individus  et  ne  s'adressent  qu'à  un  petit  nombre 

*  d'hommes  ;  mais    ce    que  dit    l'orateur  sacré  regarde  tous  les 

*  hommes,  parce  que  tous  ont  le  même  intérêt  à  se  sauver.  Pas 

*  un  seul  homme,  dans  toute  la  suite  des    siècles,  qui,   en  lisant 
*un  discours  sacré,  ne  doive  se  dire:  Ceci  me  regarde,   ceci  s'a- 

*  dresse  à  moi. 

*Les  plus  grands  sujets  que  puisse  traiter  l'orateur  profane  sont 

*  l'homme  et  ses  besoins,  le  temps  et  ses  vicissitudes,  c'est-à-dire 

*  des  intérêts  bornés  ;  mais  que  la  parole  du  prédicateur  s'élève 

*  bien  plus  haut  !   l'éternité  et  ses  suites,  Jésus-Christ  et  ses  lois, 
*Dieu  et  ses  perfections,  ses  oracles  et  ses  mystères,  voilà  ses  sujets! 

*  sujets  immenses  où  l'on  peut  déployer  tour  à  tour  le  pathétique  et 
*le  terrible,  le  touchant  et  le  sévère,  tout  ce  qui  favorise  l'élan  du 

*  génie,  intéresse  le  sentiment,  étonne  l'imagination  :  Omnia  magna 

*  qux  dicimus^.  La  Providence  qui  gouverne  tout,  l'immensité  divine 

*  qui  remplit  tout,  l'Incarnation,  la  Piédemption,  l'Eucharistie,  tous 
*ces  miracles  d'amour  dont  se  compose  l'histoire  du  christianisme, 

*  les  grandeurs  du  chrétien  qui  a  Dieu  pour  père,  Jésus-Christ  pour 

*  frère,  les  anges  pour  serviteurs  et  pour  gardiens,  les  démons  pour 

*  esclaves,  et  qui  est  appelé  à  être  dans  une  autre  vie  roi  du  plus 

*  beau  royaume  qui  se  puisse  imaginer,  enfin  les  quatre  fins  de 

*  De  Doct.  christ.,  lib.  IV,  xxxvni.  —  -  S.  Aug.,  de  Doct.  christ.,  Ub.  IV,  xxxv. 


EXCELLENCE  DE  LA  rRÉDICÂTION.  13 

*  l'homme  qui  placent  l'orateur  toujours  en  face  de  l'éternité  et  en 

*  embrassent  les  grands  intérêts,  se  peut-il  une  plus  Ijelle  carrière 
*pour  l'éloquence?  Omnia  magna  qux  dicimus.  Si  du  dogme  nous 

*  passons  à  la  morale,  que  peut-on  concevoir  de  plus  intéressant  que 

*  d'avoir  à  dire  aux  lîommes  d'aimer  de  tout  leur  cœur  celui  qui  les 

*  a  aimés  jusqu'à  mourir  pour  eux,  de  s'aimer  les  uns  les  autres 

*  comme  une  famille  de  frères,  de  vivre  dans  un  corps  de  boue  de  la 
*vie  même  des  anges,  quand  surtout  on  a  pour  traiter  ces  vérités 

*  tout  l'Évangile,  ce  code  sublime  de  morale  qui  offre  au  prédicateur 
*un  champ  immense  et  fécond,  une  si  merveilleuse  richesse,  gran- 
*deur  et  variété  de  vues?  Omnia  magna  qux  dicimus.  Telle  est 

*  l'excellence  de  ces  sujets,  que  rien  n'y  est  médiocre;  tout  y  est 

*  grand  et  majestueux  jusqu'aux  choses  les  plus  simples  et  les  plus 

*  vulgaires  :  quoi  de  plus  commun  et  de  moins  important  quun 

*  verre  d'eau  froide?  Res  minima  atque  vilissimay  dit  saint  Augustin. 

*  Cependant,  continue  ce  saint  docteur,  la  religion  apprend  au  pré- 
*dicateur  à  s'élever  de  cette  chose  si  petite  aux  vues  les  plus  hautes, 
*et  à  faire  jaillir  de  ce  verre  d'eau  froide  comme  une  flamme  de 

*  charité  qui  allume  dans  le  cœur  des  auditeurs  les  plus  indifférents 

*  un  saint  désir  de  se  livrer  aux  œuvres  de  miséricorde  par  l'espoir 

*  de  la  récompense  céleste  :  Tanquàm  de  illâ  aquâ  frigidd  quxdam 

*  flamma  surrexit,  qux  etiam  frigida  homimmi  pectora  ad  misericor- 

*  dix  oj)era  facienda  spe  cœlestis  mcrcedis  accenderet  ^ 

*  De  ces  considérations  le  prédicateur  doit  conclure  combien  sa 

*  position  est  supérieure  à  celle  de  l'orateur  profane.  Au  barreau  ou 

*  à  la  tribune,  celui-ci  est  réduit  le  plus  souvent  à  traiter  des  sujets 

*  d'un  intérêt  si  médiocre,  si  peu  durable  et  si  peu  général,  que  c'est 

*  vraiment  pitié  de  voir  des  honmies  de  génie  exercer  leur  talent  sur 
*si  peu  de  chose,  tandis  que  le  prédicateur  est  toujours  grand  et  in- 

*  téressant  par  l'excellence  des  choses  dont  il  parle,  lors  nnhne  qu'il 
*les  dit  dans  le  langage  le  plus  simple. 

*  ARTICLE  4. 

*  EXCELLENClî  DE    LA.    PP.lÎDICATION,   DÉMOMTliÉE    PAU  LA  FiN    MKMK 
*  DE    LA    PIIÉDICATION. 

.    *  L'éloquence,  dit  Euripide,  est  la  souveraine  des  âmes'  :  elle  élève 

1  De  Doct.  clirist.,  lilj.  IV,  xxxvii. 

*  IlctOw  0£  T-i7y  ri>f,xvjov  ûvOf-uTioii;  ij.ivrfj.  llcciil).,  v,  77ri,  —  l'aciiviiis  a  ilil    un 


l(i  TII.VITÉ  D2  L\  l'IiÉDICATlON. 

*  celui  qui  la  possède  au-dessus  des  autres  hommes,  ethii  donne  une 

*  [)uissance  personnelle,  qui,  comme  Pascal  l'a  remaïqué',  n'a  point 

*  d'égale  sur  la  terre,  la  puissance  de  conduire  à  son  i;ré  les  volontés, 

*  de  maîtriser  ses  semblables   par  la  conviction  et  la  persuasion, 

*  d'exciter  dans  les  cœurs  tous  les  nobles  sentiments,  de  faire  réussir 

*  li's  plus  grandes  affaires  et  les  plus  difficiles  entreprises  :  aussi 
*(;icéron  déclare-t-iP  qu'il  ne  connaît  rien  de  plus  grand  et  de  plus 

*  magnifique,  rien  de  plus  excellent  et  de  plus  royal.  Mais,  si  telle  est 

*  l'excellence  de  la  parole  humaine  considérée  dans  sa  fin,  combien 

*  plus  grande  n'est  pas,  sous  le  même  rapport,  rexcellence  de  la 

*  parole  divine  ! 

*  Tous  les  discours  des  orateurs  profanes,  toutes  les  négociations 

*  dont  peuvent  être  chargés  les  ambassadeurs  des  rois  de  la  terre, 

*  ne  tendent  pour  l'ordinaire  qu'à  obtenir  la  jouissance  ou  empêcher 

*  la  perte  de  quelques-uns  des  biens  périssables  de  ce  bas  monde. 
*Mais  la  prédication  a  une  fin  incomparablement  plus  haute  et  plus 

*  sublime  :  c'est  de  réconcilier  la  terre  avec  le  ciel,  et  de  coopérer 

*  avec  Jésus-Christ  au  grand  ouvrage  de  la  rédemption  du  monde  ; 

*  c'est  de  procurer,  pour  cette  vie  et  pour  l'autre,  la  gloire  de  Dieu 

*  et  le  bonheur  de  l'homme.  Tous  les  jours  Dieu  est  méconnu  et  of- 

*  fensé  par  ses  créatures  ;  le  prédicateur  est  envoyé  pour  proclamer 

*  devant  les  peuples  ses  droits  à  leur  amour  et  le  faire  aimer  de  tous 

*  les  cœurs.  Tous  les  jours  il  est  des  hommes  qui,  appelés  à  êtrerois 
*dans  léternité,  se  rendent  indignes  de  cette  sublime  destinée;  le 

*  prédicateur  est  délégué  pour  leur  faire  recouvrer  les  trônes  qu'ils 

*  ont  perdus.  Quelle  fin  plus  magnifique  !  et  peut-il  être  une  mission 
*plus  digne  d'un  grand  cœur,  dun  cœur  qui  aime  Dieu  et  les 

*  hommes?  Jamais  la  parole  humaine  fut-elle  animée  par  de  tels 

*  motifs?  Jamais  l'éloquence  fut-elle  employée  au  service  d'intérêts  si 

*  augustes,  si  sacrés?  Ce  n'est  pas  ici  une  tête  à  sauver,  une  ville,  une 

*  pallie  à  défendre  ;  ce  sont  des  milliers  d'âmes  qui  se  perdent,  à 

*  arracher  à  l'enfer,  à  conquérir  pour  le  ciel!  Et  qui  ne  comprend 

*  combien  ces  considérations  sont  plus  nobles,  plus  élevées,  et  sur- 

*  tout  plus  inspiratrices  que  l'amour  de  la  patrie  et  de  la  justice  dont 

*  s'inspire  l'orateur  de  la  tribune  ou  du  barreau? 

mot  semblable  :  0  flexanima  atque  omnium  regina  reriim  oratio!  Fragment  de 
l'Ilerniione,  cité  par  Cicéron,  de  Orat.,  lib.  II,  187;  et  par  Konius-llarcellus, 
au  mot  flexanima. 

'  LeUre  à  Christine  de  Suède,  ou  dédicace  du  Traité  de  la  Roulette. 

"  De    Orat  ,  lib.  I,  50et  seq. 


EXCELLENCE  DE  LA  rRÉUlCATION.  i? 

*  Pour  arriver  à  leur  but,  les  orateurs  profanes  ne  se  proposent 

*  d'exciter  dans  leurs  auditeurs  que  des  mouvements  naturels,  comme 

*  le  désir  ou  l'aversion,  la  crainte  ou  la  joie  ;  mais  pour  atteindre  son 

*  but  qui  sort  du  cercle  des  choses  naturelles,  le  prédicateur  se  pro- 
*pose  de  produire  dans  les  cœurs  des  mouvements  surnaturels,  qui 

*  disposent  l'âme  à  la  justification,  ou  la  justifient  à  l'instant  même, 

*  ou  lui  méritent,  si  déjà  elle  est  dans  un  état  de  justice,  un  nouveau 

*  degré  de  grâce  pour  la  vie  présente  et  une  nouvelle  mesure  de 

*  gloire  pour  la  vie  future.  Il  faudrait  avoir  les  yeux  du  cœur  éclairés 
*par  une  foi  vive  pour  comprendre  tout  ce  qu'il  y  a  d'excellent  dans 

*  cette  fin  de  la  prédication. 

*  Ce  n'est  pas  tout  :  comme  une  fin  si  sublime  est  supérieure  à 

*  toutes  les  forces  de  l'éloquence  humaine,  le  prédicateur  s'associe  à 

*  l'esprit  de  Dieu  pour  produire  dans  les  âmes  ces  impressions  cé- 

*  lestes,  méritoires  de  la  gloire  éternelle  ;  il  l'aide  dans  celte  œuvre 

*  toute  divine  :  Dei  enim  swnus  adjutores^,  donnant  pour  cela  à  son 

*  discours  une  forme  persuasive  et  touchante,  propre  à  s'allier  avec 

*  l'action  aussi  douce  que  forte  de  la  grâce,  qui  tourne  les  cœurs 

*  comme  il  lui  plaît  sans  les  violenter  :  de  là  l'onction,  cette  sublime 

*  création  propre  au  genre  apostolique,  et  qui  ne  convient  à  aucun 

*  autre  genre.  Or,  quoi  de  plus  magnifique,  de  plus  divin  que  de  co- 

*  opérer  à  l'esprit  de  Dieu  convertissant  les  pécheurs,  formant  les 

*  saints  et  enfantant  les  élus,  que  de  joindre  l'onction  de  ses  discours 
*à  celle  de  la  grâ(îe  pour  sauver  les  hommes,  et  de  partager  ainsi 

*  avec  Dieu  même  l'œuvre  de  la  conversion  et  l'empire  des  cœurs? 

*  ARTICLE  5. 

*  EXCELLENCE    DE   LA    PRÉDICATION,    DÉMONTRÉE    PAR  SES    EFFETS. 

*  Les  sacrements  produisent  sans  doute  des  effets  merveilicux  cpii 
*ont  été  souvent  célébrés  par  l'éloquence  dos  Pères  et  des  Docteurs 

*  de  l'Église.  Toutefois,  il  y  a  cette  différence  entre  le  prêtre  qui  les 

*  administre,  et  le  prédicateur,  que  l'action  du  premier  se  restreint 

*  à  un  seul  homme,  tandis  que  l'action  du  second  s'étend  à  tout  un 

*  peuple;  Pun  est  le  pêcheur  à  la  ligne  qui  ne  prend  qu'un  poisson 

*  à  la  fois,  Paulre  le  pêcheur  au  filet  qui  en  prend  une  multitude  d'un 

*  seul  coup:  et  ce  qui  rend  cette  action  du  prédicateur  sur  les  peuples 

*  I  Cor.,  m. 


18  TRAITE  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  plus  merveilleuse,  c'est    qu'elle  est  le  développement  de  la  plus 

*  grande  puissance  morale  qu'il  puisse  être  donné  à  l'homme  d  exer- 

*  cer  sur  ses  semblables;  elle  obtient  du  cœur  humain  les  sacrifices 

*  les  plus  pénibles  qui  puissent  se  faire  en  ce  monde,  le  sacrifice  de 

*  ses  passions,  de  son  orgueil,  de  ses  attaches  les  plus  enracinées  ; 

*  elle  brise  sous  sa  puissance  les  superbes  et  les  rend  humbles  ;  elle 

*  amollit  les  cœurs  les  plus  durs  et  les  rend  tendres  envers  Dieu  et 

*  envers  leurs  frères;  elle  purifie  les  âmes  les  plus  gâtées  et  les  ra- 
*méne  à  la  blancheur  de  l'innocence  :  Vox  Domini  confringentis  ce- 
*dros...  concidientis  desertum...  Vox  Domini  in  virtiite,  vox  Domini 

*  in  magnificenticl^ . . .  Vivus  est  enim  sermo  Dei  etefficaxet  penetra- 

*  bilior  omni  gladio  ancipiti  et  pertingens  usque    ad  divisionem 

*  animx  ac  spiritûs  ^.  Par  le  ministère  des  apôtres,  la  parole  de  Dieu 

*  a  converti  le  monde  et  rendu  communes  sur  la  terre  les  plus  su- 
*blimes  vertus^.  Sa  puissance  n'a  pas  cessé  avec  le  siècle  aposto- 
*lique:  saint  Denis  en  France,  saint  Boniface  en  Allemagne,  saint 

*  Augustin  en  Angleterre,  saint  François  Xavier  dans  les  Indes,  saint 

*  Charles  Borromée  en  Italie,  saint  François  de  Sales  dans  le  Cha- 

*  biais,  saint  François  Régis  dans  les  Gévennes  et  une  foule  d'autres 

*  saints  prédicateurs  sur  tous  les  points  du  globe,  ont  prouvé  au 

*  monde  sa  vertu  impérissable.  Tous  les  jours  encore,  par  le  minis- 
*tére  des  hommes  apostoliques,  elle  continue  les  mêmes  merveilles 
*dans  rOcéanie,  l'Amérique  et  autres  terres  lointaines.  Même  au 

*  milieu  de  nous,  de  fervents  missionnaires  vont  la  porter  dans  les 

*  paroisses  qu'on  croyait  les  plus  impies,  et  elle  les  rend  chrétiennes; 

*  elle  y  fait  fleurir  les  plus  pures  vertus.  Sans  doute,  hors  le  temps 

*  des  missions  et  des  retraites,  elle  ne  produit  pas  toujours  des  effets 

*  aussi  merveilleux.  Mais  toutefois,  lorsqu'elle  est  annoncée  assidù- 
*ment  dans  une  paroisse  par  de  bons  prônes  et  des  instructions 
*sohdes,  elle  y  opère  un  bien  qui,  pour  être  moins  sensible,  n'en 
*est  pas  moins  réel;  elle  y  entretient  l'esprit  de  religion  et  de  piété; 

*  elle  y  conserve  la  foi,  l'espérance  des  biens  futurs,  la  charité  envers 
*Dieu  et  le  prochain,  et  toutes  les  vertus  qui  font  le  bonheur  de 

*  l'homme  en  ce  monde  et  en  l'autre. 

*  Et,  chose  digne  de  remarque,  celte  puissance  de  la  parole,  cet 

*  effet  merveilleux  d'un  discours  sortant  de  la  bouche  d'un  homme, 


1  Psalm.  xxviti.  —  -  Heb.,  iv.  —  '  Voy.  m»  hom.  de  S.  Clirys.  sur  la  1"  ép 
aux  Cor.  —  Homélie  du  même  aux  Juifs  et  aux  Gentils,  pour  leur  prouver  la  dU 
vinilé  de  Jésus-Christ. 


EXCELLENCE  DE  LA  PREDICATION.  19 

*  t'?t  le  privilège  exclusif  delà  prédication.  Bien  de  grands  génies  ont 

*  entrepris  d'enseigner  la  sagesse  aux  hommes  :  les  Platon,  les  So- 

*  crate,  les  Cicéron,  les  Épictète  et  les  Sénèque  en  ont  donné  d'admi- 
■*  râbles  leçons;  mais  ils  n'ont  pas  gagné  à  la  vertu  une  seule  ville, 

*  une  seule  bourgade.  La  prédication  évangélique  seule  a  le  sublime 

*  pouvoir  de  remuer  les  populations,  de  les  arracher  au  vice  et  de 

*  les  former  à  la  vertu  ;  l'univers  converti  par  elle  en  rend  témoi- 

*  gnage. 

*  Or,  combien  est  excellent  un  ministère  qui  peut  produire  de  tels 
'  *  effets,  et  qui  les  produit  quand  le  ministre  soutient  la  vertu  de  sa 

*  parole  par  la  sainteté  de  sa  vie  ! 

*  ARTICLE  6. 

*  EXCELLENCE   DE   LA    PRÉDICATION,    DÉMO>TRÉE    PAR   l'uTILITÉ   QUE   LA   SOCIÉTÉ 

*  EN    RETIRE. 

*  La  prédication,  indépendamment  des  grands  biens  qu'elle  est 

*  appelée  à  produire  dans  l'ordre  de  la  religion,  est  la  chose  la  plus 

*  utile  à  la  société  civile,  à  un  État  quelconque.  Et  peut-on  concevoir, 
*en  effet,  politiquement  parlant,  une  institution  plus  précieuse,  plus 

*  ci\i!isatrice,  plus  favorable  à  la  sécurité  publique  et  aux  intérêts 

*  bien  entendus  Je  tout  gouvernement,  que  celle  qui  rassemble  les 

*  citoyens  tous  les  huit  jours  dans  un  lieu  de  silence  et  de  recueille- 

*  ment  pour  leur  exposer,  au  nom  et  sous  l'œil  de  Dieu,  tous  leurs 

*  devoirs,  leur  redire  ce  bel  abrégé  de  morale  :  Pi'oiit  vultis  ut  faciant 

*  vobis  homines,  et  vos  facite  illis  similiter  %leur  recommander  tout 

*  ce  qui  est  pur,  tout  ce  qui  est  juste  et  saint,  tout  ce  qui  est  aimable 

*  et  honorable,  tout  ce  qui  est  vertuetix  et  digne  d'éloge,  en  un  mot 

*  leur  défendre  de  la  part  de  Dieu  tout  ce  qui  peut  nuire  à  la  société 

*  et  aux  particuliers,  et  leur  tracer  les  régies  de  conduite  les  plus 

*  propres  à  procurer  la  paix  pubhque,  la  sécurité  générale,  le  bon- 
*heur  de  tous  et  le  bien  de  chacun? 

*  C'est  là  sans  contredit  le  meilleur  moyen  de  faire  d'honnêtes  gens 
*etdc  bons  citoyens,  d'obtenir  l'obéissance  aux  lois,  le  respect  de 

*  l'autorité,  la  paix  dans  les  familles,  la  bonne  foi  dans  les  contrats 

*  et  le  commerce,  la  charité  et  la  douceur  dans  les  rapports  mutuels; 

*  et  les  pasteurs  qui,  sur  les  divers  points  d'un  royaume,  font  chaque 

'  Luc,  VI,  31. 


aï  TRAITE  DE  L\  PP.EDICATION. 

"^Dimanolit;  une  instiuclioii  reli<;i(>use  à  leur  peuple  rassemblé,  con- 
''tribiient  plus  efficacement  au  bien  de  l'État  que  tous  les  agents  de 
*îa  force  publique,  que  tous  cimix  qui  tiennent  en  main  les  rênes  du 

*  gouvernement.  L'antiquité  ne  nous  offre  rien  de  semblable,  et  elle 

*  aurait  rêvé  en  vain  une  telle  institution,  parce  que  le  cbristianisme 

*  seul  pouvait  l'exécuter.  Or,  combien  ne  doit  pas  paraître  excellente 

*  aux  yeux  du  prêtre  qui  aime  les  liommes  une  œuvre  féconde  en  si 

*  précieux  résultats  ! 


ARTICLP]  7. 

*  EXCELLENCE   DE   L\    PRÉDICATION,    DÉMONTRÉE   l'AK    LE   BIEN   QUI   EN   REVIENT 

*   AU    PRÉDICATEUR    LUI-MÊME. 

*  C'est  bien  au  prédicateur  que  peuvent  s'appliquer  ces  paroles  des 

*  Proverbes  :  L'bomme  recueillera  des  fruits  de  sa  bouclie  une  abon- 

*  dance  de  biens.  De  frucluoris  sui  homo  satiabitar  bonis  ^.  En  effet, 
*il  retire  de  l'exercice  de  la  prédication  quatre  avantages  inappré- 
*ciables. 

*  1°  Il  y  trouve  son  instruction.  Appliquez-vous,  disait  saint  Paul  à 
*Timothée,  à  vous  instruire  par  l'étude  des  bons  auteurs  pour  pou- 
*voir  ensuite  instruire  les  autres  :  Attende  lectioni^  exhortationi'^ . 

*  En  enseignant  les  autres,  vous  deviendrez  un  bon  ministre  de  Jésus- 

*  Christ,  parce  qu'en  remplissant  cette  fonction  vous  vous  nourrirez 
*des  enseignements  de  la  foi  et  de  la  saine  doctrine,  vous  vous  les 

*  incorporerez  comme  la  nourriture  s'incorpore  en  nous  :  Hxcpro- 

*  ponens  fmtribiis,  bonus  eris  minisler  Christi  Jesii,  emUritus  verbis 
*fidei  et  bonx  doctrinx  '.  C'est  en  effet  une  nécessité  pour  le  préJI- 

*  cateur  d'approfondir  les  vérités  qu'il  doit  enseigner,  les  endroits 
*de  la  sainte  Écriture  qu'il  doit  expliquer,  et  les  auteurs  qui  ont  le 

*  mieux  écrit  sur  ces  beaux  sujets.  Or,  quoi  de  plus  heureux  pour  le 

*  prêtre  que  celte  nécessité  de  s'instruire,  celte  sorte  d'impossibilité 

*  d'ignorance?  Après  qu'il  aura  prêché  successivement  sur  toutes  les 

*  vérités  de  la  religion,  il  devra  les  connaître  toutes  à  fond,  n'eût-il 
*fait  qu'apprendre  sur  chacune  d'elles  les  sermons  d'autrui. 

*  2"Le  prédicateur  trouve  dans  son  ministère  de  puissants  moyens 

*  de  sanctification.  Car,  pour  bien  prêcher,  il  ne  suffit  pas  d'étudier; 
*il  faut,  par  de  sérieuses  méditations,  se  pénétrer  de  ce  qu'on  doit 

«  Prov.,  XIII,  2.  —  3  r  Tim..  iv.  —  ^  l  Tiin..  iv,  0. 


EXCELLENCE  DE  L\  PnÉDlC.UION.  2t 

*  dire,  en  acquérir  une  foi  vive,  un  senliment  profond  :  or,  cet  exer- 
*cice  est  éminemment  propre  à  le  faire  avancer  dans  la  vertu.  En 

*  cherchant  à  pénétrer  et  à  remplir  les  autres,  il  e^t  facile  de  se  péné- 

*  trcr  et  de  se  remplir  soi-même  :  Qui  inebviat,  ipse  qnoque  inehria- 
*bitnr^,  de  s'ajtpliquer  ce  qu'on  leur  dit*,  de  s'animer  en  les  ani- 

*  maiit,  et  ainsi  de  se  sauver  en  les  sauvaut,  selon  la  remarque  de 

*  l'Apôlre  :  Hoc  faciens,  teipsum  salvum  faciès^  et  eos  qui  te  audiunt^. 
*Aiis:>i  plusieurs  maîtres  delà  vie  spirituelle,  et  en  parliculier  saint 

*  Ignace,  conseillent-ils  aux  prédicateurs  de  traiter  en  chaire,  par 

*  préférence  à  tout  autre  sujet,  si  la  circonstance  le  permet,  les  ma- 

*  liéres  qui  reviennent  le  mieux  à  leurs  propres  besoins. 

*  7}"  Le  prédicateur  reçoit  dés  cette  vie  les  plus  douces  récompenses 

*  de  son  zèle.  Car  quelle  consolation  pour  Je  pasteur  fidèle  à  instruire, 

*  de  voir  les  âmes  dont  il  est  chargé  ramenées  au  devoir  et  à  la  piélê. 

*  Ce  sont  des  enfants  qu'il  a  engendrés,  et  qu'il  peut  avec  confiance 

*  présenter  au  Seigneur.  Ils  l'entourent  de  leur  reconnaissance  comme 

*  de  leur  respect,  et  ces  sentiments  s'accroissent  chaque  jour  de  tout 

*  leur  amour  pour  la  vertu,  comme  leur  amour  pour  la  vertu  s'accroît 

*  de  tout  l'amour  qu'ils  portent  au  pasteur.  Celui  qui  ne  dispense  pas 

*  au  peuple  le  pain  de  la  parole  est  sans  considération  dans  sa  pa- 

*  roisse,  parce  que  tout  le  monde  sent  qu'il  manque  à  son  devoir  : 

*  Qui  abscondit  frumenta  maledicetiir  à  populia'*;  mais  le  bon  pas- 

*  teur  qui  prêche  exactement  est  estimé  de  tous,  on  croit  à  son  nié- 
*iite,  plus  encore  à  sa  vertu;  c'est  un  bienfaiteur,  un  père  qu'on 
*aime  à  consulter  dans  ses  peines  et  ses  doutes;  et,  quand  il  parle, 

*  on  recueille  toutes  ses  paroles  avec  un  religieux  respect.  N'est-ce 

*  pas  là  la  plus  douce  récompense  qu'un  bon  prêtre  puisse  recevoir 

*  en  ce  monde,  et  l'accomplissement  de  l'oracle  del'Esprit-Saint  ;  Vir 
peritns multos  crudivit  el  aninne  sux  suavis  est^l 

*  4"  Des  récompenses  meilleures  encore  lui  sont  assurées  pour 

*  l'éternité.  L'Esprit-Saint  les  décrit  avec  une  merveilleuse  magni- 

*  ficence  d'expression  :  Qui  ad  justitiam   erndiu7U  multos,  fulge- 

*  Imnt  quasi  sUdlx  in  perpétuas  xlernitates^...  Qui  feceril  et  do- 

*  ciierit,  hic  rnaqnus  vocubitiir  in  regno  cœlorum'^  ;  et  les  docteurs 

*  enseignent  que  les  saints  prédicateurs  auront  dans  le  ciel  une 
■*  gloire   proportionnée  au  nomjjre  de  ceux  qu'ils  auront  évangé- 


1  l'rov.,  XI,  '25.  —  *  Voyez  Rodri^riirz,  toino  IV,  \"  Iraih",  cli.  vi,  vl  Cli'innit 
d  Alox.,  liv.  1  (les  Slioiiiates. —  '•  I  Tiin.,  iv,  It).  —  *  l'iov.,  ii,  '2<i.  — ■'  Kccli,, 
xxxvii.  $C--  —  ^  iJaiiit-'l,  xii,  5.  —  ''  Miillli.,  v,  l'J. 


22  TRAITE  DE  LA  PREDICATION. 

*  lises.  Ces  âmes  qui  leur  devront  le  salut  chanteront  leurs  louan- 

*  ges,  leur  formeront  comme  un  cortège  d'honneur*,  et  Dieu  déco- 

*  rera  leur  tète   d'une  couronne   magnifique  et  d'une  auréole  de 

*  gloire^,  conformément  à  ces  paroles  de  l'Apôtre  :  Qux  est  noslra 

*  spes  aut  corona  glorix?  Nonne  vos^...   qaiidium   meum   et  co- 


rona  mea 


49 


CHAPITRE  II 

De  la  nécefssité  de  la  Prédication. 

Tout  ce  que  nous  venons  de  dire  sur  l'excellence  du  ministère  de 
la  prédication  devrait  suffire  à  un  prêtre  animé  de  l'esprit  de  son 
état  pour  lui  inspirer  le  zèle  de  cette  fonction  et  le  rendre  fidèle  à 
s'en  bien  acquitter  ;  mais  comme  la  matière  est  si  importante  et  in- 
téresse à  un  si  haut  degré  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  du  prochain, 
nous  établirons,  1°  l'obligation  de  prêcher  imposée  à  tout  pasteur 
des  âmes;  nous  exposerons,  2"  l'étendue  de  cette  obligation  ;  o°  nous 
démontrerons  la  futilité  des  prétextes  qu'on  allègue  pour  l'éluder,  et 
4°  enfin,  nous  examinerons  jusqu'à  quel  point  les  prêtres  qui  n'ont 
point  charge  d'àmes  sont  tenus  de  prêcher. 

ARTICLE  1. 

DE    l'obligation   DE   PP.ÊCnER,    IMPOSÉE   A   TOUT   PASTEUR   ifES   AMES. 

Tout  pasteur  doit  trouver  cette  obligation  écrite  dans  son  cœur  : 
car,  pour  peu  qu'il  ait  de  charité,  comment  laisser  périr  sous  ses 
yeux,  par  un  silence  coupable,  des  ouailles  qu'il  a  mission  de  sauver, 
sans  se  mettre  en  peine  de  les  arracher,  par  des  instructions  exactes 
et  soignées,  à  l'ignorance,  au  vice,  à  l'enfer,  pour  les  rendre  à  la 
vertu  et  au  ciel,  le  légitime  héritage  des  enfants  de  Dieu?  Mais  toute- 

*  Ilomél.,  XVII  de  S.  Grégoire,  sur  le  ch.  xsv  de  S.  Matth.,  in  mcdio.  —  ^  IJug. 
Gard,  in  cap.  xn  Dan.  —  S.  Thom.,  suppL,  q.  xcvi,  arL  7  —  ^V  Tl:css  ,  ii,  19. 
—  *  Philip.,  IV. 


•NÉCESSITÉ  DE  I.A  pr.ÉfjICATION.  23 

fois,  comme  l'homme  est  si  enclin  à  se  faire  illusion  sur  les  dcToirs 
les  plus  évidents,  dès  qu'ils  le  gênent,  nous  établirons  les  deux  pro- 
positions suivantes  :  la  première,  que  la  prédication  est  en  tout 
temps  un  devoir  rigoureux  pour  tout  pasteur  des  âmes;  !a  seconde, 
que  ce  devoir  est  aujourd'hui  plus  pressant  que  jamais. 

PHEMIÈRE    PROPOSITION. 
La  prédication  est  en  tout  temps  tin  devoir  rigonreox  pour  tout  pasteur  des  âmes  '. 

En  effet,  si  nous  ou\Tons  l'Ancien  Testament,  nous  voyons  que  les 
pasteurs  y  sont  appelés  des  sentinelles  destinées  à  avertir  le  p'juplc 
de  Dieu  de  ses  devoirs,  à  lui  dénoncer  les  malheurs  qui  le  menacent 
s'il  est  infidèle;  et  l'Esprit-Saint  frappe  des  plus  terribles  analhèrnes 
ceux  d'entre  eux  qui  négligeraient  cette  divine  mission  :  Speculatores 
ejus  cseci...  Canes  muti  non  valentes  lutrare^...  Speculntorem  dedi 
te  domui  Israël;  si  non  fuerin  locutus  ut  se  custodial  impius  à  via 
sud,  sanguinem  ejus  de  manu  tud  requiro-m'",  paroles  auxquelles  ssint 
Paul  faisait  sans  doute  allusion  quand  il  disait  aux  Éphésiens  :  Mun- 
dus sum  à  sanguine  omnium;  non  enim subterfugi  quominiis  annun- 
tiarem  omne  consilium  Dei  vobis  ;  per  triennium  non  cessavi  mm 
lacrymis  monens  uniimquemque  vestrûm  *.  Sur  quoi  le  droit  canonique 
fait  cette  remarque  :  Mundus  à  sanguine  eorum  non  esset^  si  eis  Dei 
consilium  annuntiare  noluisset,  quià  cum  increpare  delinquentes  no- 
luerit,  eos  procul  dubio  tacendo  pastor  occidit^.  Évidemment  donc, 
d'après  l'Ancien  Testament  interprété  par  saint  Paul  et  par  le  droit 
canonique,  le  pasteur  répondra,  âme  pour  âme,  de  toutes  les  ouailles 
qu'il  n'aura  pas  suffisamment  instruites.  —  Si  de  là  nous  passons  au 
Nouveau  Testament,  nous  y  retrouverons  la  même  doctrine  claire- 
ment enseignée.  Car  ce  n'est  pas  seulement  aux  apôtres  que  Notre- 
Seigneur  a  dit  :  Prsedicate  Evangelium  omni  creaturx^...  docete 
omnes  gentes';  le  concile  de  Trente  déclare  que  ces  paroles  regardent 
tous  ceux  qui  ont  charge  d'âmes  :  Pnecepto  divino  mandatum  est 
omnibus  qnibus  animarum  cura  commissa  est,  oves  suas...  verbi 
divini  prsedAcatione...  pa.^cere^,  et  le  contexte  de  l'Évangile  nous  le 
dit  assez  clairement  :  car  Notre-Seigneur  parle  ici  à  un  corps  de 

*  Voyez  Habert,  de  Ordine,  c.  v,  §12.  —  Pastoral  de  I.imog^^?,  i.  II.  lit.  (I. 

—  CoUft,  Dfîvoirs  d'un  pasteur,  v.  —  Jliroir  du  Ck rf';,  t.  II.  —  Le  Guide  de 

ceux  qui  annoncent   la   parole  de   Dieu,  iiv.  111,  specialiUs,  p.  Ô7J  et  ST."!;.  — 

*  Isaï,  Lvi.  —  s  Ezech.,  xxxni.  —  *  Act.  Apost.,  xxi.  —  »  Di.'t.  xmii,  c.  Epliesiis. 

*  .Marc,  XVI.  —  "^  Matth..  xxviii.  —  »  Scss.  xxiii,  c.  i.  de  l'.eform. 


24  TRAITÉ  DE  LA  PIIÉDIGATION. 

pasteurs  qui  doit  durer  jusqu'à  la  fin  des  siècles,  puisqu'il  leur  dit  : 
Ecce  ego  vobiscum  siim  omnibus  diehus  usque  ad  consnmmationem 
sxculi  :  c'est  doue  aux  successeurs  perpétuels  des  apôtres  qu'il  s'a- 
dresse; et  à  quels  successeurs?  Ce  n'est  pas  aux  évèques  seuls,  puis- 
qu'ils ne  peuvent  pas  se  multiplier  dans  chaque  paroisse  de  leur 
diocèse  pour  prêcher;  c'est  donc  aux  pasteurs  du  second  ordre, 
établis  dans  ces  mêmes  paroisses  pour  remplacer  l'évèque  ;  c'est  à 
eux  qu'il  dit  :  Docele.  Aussi  quand  le  grand  Apôtre,  cet  excellent  in- 
terprète de  l'Évangile  et  des  volontés  de  son  Maître,  énumère  les 
grâces  que  l'Esprit-Saint  répand  dans  l'Église,  il  joint  ensemble 
comme  inséparables  la  qualité  de  pasteur  et  celle  de  docteur  :  Alios 
vero  pastores  et  doctores^,  selon  la  belle  remarque  de  saint  Thomas, 
qui  ne  fait  en  cela  que  suivre  saint  Jérôme  et  saint  Augustin  :  Sub 
eodem  addit  pastores  et  doctores  ad  ostendendum  quod  proprium  offi- 
ciuni  pastonim  Ecclesise  est  docereea  qux  pertinent  adfuk'yn  et  bonos 
mores-;  et  quand  il  veut  inculquer  à  Timothée  l'obligation  de  prê- 
cher, il  emploie,  pour  mieux  la  lui  taire  sentir,  les  instances,  les 
protestations,  tout  ce  que  le  langage  humain  a  de  plus  énergique,  et 
il  en  appelle  même  au  tribunal  de  Dieu  et  de  Jésus-Christ  qui  doit 
juger  le  monde  :  Testificor  coràm  Deo  et  Jesu  Christoquijudicaturus 
estvivos  et  moi'tiios,  prœdica  verbum,  insta  opportune,  importuné; 
argue,  obsecra,  increpa  inomni  patientiâ  et  doctrina" .  Or,  demande 
saint  Augustin,  quel  est  celui  qui,  après  avoir  entendu  une  exhorta- 
tion si  pressante,  n'apportera  à  la  prédication  tout  le  zèle  et  tous  les 
soins  que  demande  l'Apôire?  Quel  pasteur,  après  de  telles  paroles, 
serait  assez  osé  pour  négliger  le  devoir  sacré  de  l'instruction  :  Qids 
hxcaudiens  ab  hâc  diligentiâ  et  instantiâ  conquiescat?  Quis  sub  hâc 
testificatione  segnis  esse  audeaf^'l 

Celte  même  obligation  a  été  promulguée  dans  tous  les  siècles  de- 
puis l'origine  du  christianisme.  Les  canons  apostoliques  ordonnent 
d'excommunier  le  prêtre  qui  n'instruit  pas,  et  s'il  ne  se  corrige  point, 
d'en  venir  à  la  déposition  :  Presbyter  qui  negligentiùs  circà  populum 
agit  neque  in  pietate  eos  erudit^  à  communione  segregetur  :  si  verô  in 
eâ  socordiâ  perseveraverit,  deponatur'.  Saint  Basile  appelle  un  tel 
prêtre  un  homicide  :  Cuidocendi  munus  commissum  est,  si  is  annun- 
tiare  7ieglexerit ,  perindè  ac  homicida  judicatur^.  Saint  Grégoire  dit 
dans  le  môme  sens  :  Tôt  occidimus,  quot  ad  mortem  ire  quotidiè 


»  Eph.,  IV,  11.  —  -  s.  Thom.,  in  Ep.  ad  Epli.,  vu.  —  "'H  Ynn.,  iv.  —  *  Lib.  I, 
contr.  Crescent.,  c.  vi,  n.  8.  —  ^  Can.  lvii   —  ^  p,eg.  brcv.,  'ii. 


^ÉCESS1T1•:  DE  LA  PREDICATION.  25 

tepidi  et  taccntes  videmus,  quià  peccatum  sxihditi,  culpa  prsepositi,  si 
taciœrit,  vepiUaturK  Saint  Chrysoslome  va  plus  loin  encore;  il  pro- 
nonce que  le  silence  du  pasteur  est  pire  que  l'homicide,  parce  que 
l'homicide  ne  fait  mourir  que  le  corps,  et  la  négligence  à  instruire 
entrahie  la  mort  éternelle  des  âmes  :  Quantum  melior  est  anima 
quàm  corpus,  tantà  gravins  peccatiim  animabiis  laborantibus  spiri- 
tuales eleemosynasnon  prxstare  quàm.  corpoiibiis  corporales...  scian^ 
pastores  quantum  bealitudinis  sibi  acquirant  si  diligentes  fuerint 
circà  verbum  Dei,  et  quantum  damnationis  si  fuerint  négligentes^. 
Saint  Isidore  de  Séville  dit  de  même  :  Sacerdotes  pro  populorum  ini- 
quitate  damnantur,  si  eos  aut  ignorantes  non  erudiant,  aut  peccantes 
non  arguant'.  De  là  ces  prescriptions  des  conciles  :  Oportet,  dit  le 
M"  concile  général^  eos  qui  prœsunt  ecclesiis,  omnibus  quidem  die- 
bus,  sedprxcipuè  diebus  dominicis,  omnem  clerum  etpopulum  docere. 
Omne  opus  eorum,  dit  le  IV^  concile  de  Tolède,  in  prxdicatione  et 
doctrinâ  consistit'^.  Ad  evangelizamlum  missi  sunt  parochi,  dit  le 
1"  concile  de  Cologne  ;  vx  ergo  illis  si  non  evangelizaveriyit.  A  la 
suite  de  tous  ces  conciles  vient  le  concile  de  Trente,  plus  explicite 
encore  et  plus  énergique  :  Curam  animarum  habentes,  dil-il  au 
chap.  II  de  la  v'^  sess.,  de  Reform.,  per  se  vel  alios  idoneos,  si  légi- 
timé impediti  fuerint,  diebus  saltem  dominicis  et  festis  solemnibus 
plèbes  sibi  commissas,  pro  siuî  et  earum  capacitate  pascant  saluta- 
ribus  verbis...  Si  quis  eorum  prxstare  negligat,  per  censuras  eccle- 
siasticas  cogantur;  paroles  qui  révèlent  ici  une  obligation  grave, 
puisqu'on  ne  peut  infliger  les  censures  que  pour  une  faute  mortelle. 
Non  content  d'une  injonction  si  formelle,  le  saint  concile  revient 
encore  sur  ce  sujet  dans  la  xxii^  session,  chap.  xiii,  de  Sacrif.  Missae  : 
Mandat  sancta  synodus  pastoribus  et  singulis  curam  animarun  ge- 
rentibus,  ut  fréquenter  inter  missarum  celebrationem  vel  per  se  vel 
per  alios...  aliquid  cxponanl...  diebus  prxsertim  dominicis  et  fes- 
tivis.  Enfin,  à  la  xxiV"  session,  ch.  vn,  de  Reform.,  il  ajoute  :  Prx- 
cipit  sancta  synodus...  ut  inter  missarum  solemnia  aut  divinorum 
celebrationem  sacra  eloquia  et  salulis  monita...  singulis  diebus  festis 
explanent,  eademque  in  omnium  cordibus...  inserere  aiqueeos  in  lege 
Domini  erudire  studeant.  Or,  ces  canons  ont  été  adoptés  et  publiés 
par  les  conciles  des  diverses  provinces  en  France,  de  Rouen  en  lôî^l, 
de  Bordeaux  en  1585,  etc.,  et  sont  devemis  la  base  des  statuts  de 


1  HciiTi.  XII,  in  Ezccli.  —    -  Honi.  liv,  in  c.  xxv  S.  M;iltli.  —  ^.^ciil.  lil).  III.  — 
*  C.  XIX.  —  ''  C.  XXV,  can.  i. 


2r,  TRAITÉ  DK  LA  PRÉDICATION. 

tous  les  diocèses.  11  n'i'st  donc  point  d'article  du  droit  ecclésiastique 
plus  solidement  établi,  plus  universellement  vénéré. 

Du  reste,  la  raison  seule,  é(;lairée  par  la  foi,  suffirait  pour  dé- 
montrer cette  obligation.  Car  tout  pasteur  doit  à  son  troupeau  de 
le  nourrir  :  Pastor  à  jjasceudo;  et  la  nourriture  qu'il  faut  à  l'esprit 
et  au  cœur  de  l'honime,  c'est  la  parole  de  Dieu  :  Non  in  solo  pane 
vivit  Jwmo,  scd  in  omni  verbo  quod  procedit  de  are  Dei\^.  En  prenant 
charge  d'âmes,  le  pasteur  s'est  engagé  à  donner  aux  fidèles  confiés 
à  ses  soins  les  secours  nécessaires  pour  les  sauver,  puisque  le  salut 
€st  la  fin  essentielle  du  ministère  pastoral  ;  or,  l'instruction  leur  est 
doublement  nécessaire  :  nécessaire,  parce  que,  les  uns  ne  sachant 
pas  lire,  les  autres  ne  sentant  pas  l'importance  d'apprendre,  et 
manquant  ou  de  bon  vouloir,  ou  de  temps,  ou  d'intelligence,  il 
n'est  point  pour  eux  d'autre  moyen  d'acquérir,  en  matière  de  re- 
ligion, les  connaissances  suffisantes  au  salut  ;  nécessaire  encore, 
parce  que  la  volonté  humaine,  si  faible  pour  le  bien,  si  fortement 
inclinée  vers  le  mal,  a  besoin  d'être  avertie,  cxliortée,  pressée;  et 
si  on  la  laissait  à  elle  seule,  elle  négligerait  bientôt  fous  ses  devoirs. 
Ici  donc  s'applique  dans  toute  son  énergie  la  parole  de  l'Apôtre  : 
Fidcs  ex  auditu,  aiulitns  autan  fer  verhnm  Christ i...  qaomodo  au- 
tem  aiidient  sine  prxdicante'^2  Le  pasteur  qui  n'instruit  pas  manque 
donc  à  la  première  de  ses  obligations  envers  son  peuple  :  c'est  un 
parricide,  disent  les  saints,  puisque  comme  pasteur  il  est  le  père 
de  son  peuple,  et  que,  d'après  une  maxime  de  droit,  ne  pas  nourrir 
son  enfant  c'est  le  tuer,  autant  que  si  on  l'étouffait  :  Necnre  vide- 
tur  non  solhm  qiix  partum  prœfocat  scd  qux  alimenta  denegat. 
Crime  horrible  qui  ne  perd  pas  seulement  une  âme,  mais  une  pa- 
roisse tout  entière,  et  cela  quelquefois  pour  plusieurs  générations, 
parce  que  l'ignorance  une  fois  établie,  les  peuples  n'attachant  plus 
aucun  intérêt  à  ce  qu'ils  ne  connaissent  pas,  ignoti  nulla  cupide, 
ne  veulent  plus  entendi'e  parler  de  la  religion,  et  résistent  à  tous 
les  efforts  du  zèle  qui  voudrait  réparer  le  mal.  —  Telle  est  la  gra- 
vité de  cette  faute,  que  c'est  de  la  part  du  pasteur  un  péché  de 
lèse-société  :  la  société  chrétienne  l'a  placé  pour  instruire  au  poste 
qu'il  occupe  :  dans  son  plan,  chaque  cure  est  une  école  fondée  pour 
enseigner  les  vérités  et  les  vertus  chrétiennes  ,  le  pasteur  est  le 
maître  de  celte  école,  les  paroissiens  en  sont  les  disciples.  S'il  n'y 
donne  pas  exactement  ses  leçons,  il  trompe  la  confiance  de  l'Église 

»  Jlatlh.,  IV.  —  -  r.oia.,  x,  17. 


iSECESSITÈ  DE  L.V  PRÉDICATION.  27 

et  de  la  société;  il  pèche  contre  la  probité  et  la  justice,  comme  le 
professeur  de  science  ou  de  belles-lettres  qui  garderait  le  silence 
dans  sa  classe,  avec  celte  différence,  que  la  faute  du  pasieur  qui 
n'instruit  pas  surpasse  celle  du  professeur  qui  ne  donne  pas  ses 
leçons,  de  toute  la  distance  qui  existe  entre  l'importance  des  vérités 
religieuses  et  l'importance  des  connaissances  scientifiques  ou  lit- 
téraires ;  c'est-à-dire  qu'il  se  rend  coupable  envers  les  particuliers 
dont  il  cause  la  damnation  éternelle,  envers  la  société  qui  attendait 
de  lui  cette  garantie  de  paix  et  de  sécurité  que  peuvent  seules  donner 
'es  doctrines  religieuses,  envers  l'Église,  dont  il  laisse  périr  la  foi, 
dont  il  fait  mourir  les  enfants.  Si,  après  cela,  il  ose  percevoir  le 
traitement  que  la  société  ne  lui  alloue,  comme  au  professeur 
public,  qu'à  la  condition  de  leçons  exactement  données,  ne  doit-il 
pas  se  dire  au  fond  de  sa  conscience,  comme  ces  pasteurs  dont  parle 
saint  Grégoire  :  Quid  nos,  ô  pastores,  aginius^  qui  mercedem  con- 
sequimur  et operarii  nequaquàm  suvius?  Fnictus  Ecdesix percipimus 
et  pro  Ecclesiâ  minime  in  prxdicatione  laboyavuisK  —  Une  telle 
prévarication  est  une  offense  directe  et  immédiate  de  Dieu  lui-même. 
Car  Dieu,  en  rétablissant  pasteur,  l'a  constitué  son  ambassadeur 
auprès  du  peuple  qui  lui  est  confié  :  or,  tout  ambassadeur  est  obligé 
à  notifier  les  volontés  de  son  maître  ;  il  prévarique  s'il  ne  le  fait 
pas,  et  est  responsable  des  maux  qui  sont  la  suite  de  son  coupable 
silence.  De  même  et  au  même  titre,  Dieu  l'a  établi  gardien  de  la  re- 
ligion et  de  la  vertu  dans  sa  paroisse  :  or,  s'il  n'instruit  pas,  il  est  un 
gardien  infidèle  ;  et  selon  la  désolante  prédiction  du  Prophète  qui 
disait  :  Lexpcribit  à  sacerdote'^,  il  laisse  périr  la  religion  et  la  vertu 
dans  la  portion  de  l'Église  commise  à  ses  soins.  Car  c'est  un  fait 
d'expérience  que  là  où  la  prédication  est  négligée,  la  foi  se  perd, 
les  sacrements  sont  abandonnés,  les  solennités  désertes  ;  on  ne  sait 
ni  se  confesser  ni  prier;  tous  les  vices  se  débordent,  et  les  mœurs 
se  dépravent  en  proportion  de  l'ignorance  :  Non  est  scientia  Dei  in 
terra;  maledictio,  et  mendacium,  et  homicidiam,  et  furtum,  et 
adulteriiim  iniindaverunt  ^. 

De  toutes  les  preuves  que  nous  venons  d'exposer,  on  peut  inférer 
combien  est  exacte  cette  conclusion  de  Médina,  qui  en  cela  est 
d'accord  avec  tous  les  théologiens  :  Advertant  quiciimque  in  Christi 
Ecclesiâ  ad  pastoralis  officii  dignitatem  assnmpti  siint,  ad  apostoli- 
cum  prxdicatioms munusexercrndiim  naturali,  diviaoct  ccdcsiasLico 

*  Iloiri.  XVII,  in  Evanj;.  —  *  Ezccli.,  vu,  '20.  —  ^  Osi'e,  iv,  2. 


28  TRAITÉ  DE  I.A  PREDICATION. 

jure  ità  esse  constrictos  iit,nisi  id  diligenter  explevennt,  cerlimsub- 
ituri  sint  ârmuationis  sitpplichim  ;  et  combien  encore  sont  justes 
ces  analhèmes  du  pope  Nicolas  dans  sa  lettre  à  l'empereur  Michel  : 
Dispensatio  cœlestis  seminis  nobis  crédita  est  :  vx  si  non  spar- 
serimus,  vx  si  taciierimus,  vx  nobis  qui  ministerii  opus  suscepimus, 
si  Domini  veritatem  quam  Apostoli  prxdicaveriint,  prxdicare  ne- 
glexerimus! 

*  DEUXIÈME    PROPOSITION. 

*  Le  devoir  de  la  prédication  est  plus  pressant  aujourd'hui  que  jamais  pour  tout 

,*  pasteur  des  âmes. 

*  Kn  effet,  plus  il  y  a  pour  les  fidèles,  d'un  côté  difficulté  de  s'in- 

*  struire,  de  l'autre  profonde  ignorance,  plus  il  y  a  pour  le  pasteur 

*  dt'voir  pressant  de  ne  pas  négliger  la  prédication.  Or,  cette  dif- 

*  flculté  de  s'instruire  et  cette  ignorance  sont  plus  grandes  aujour- 

*  d'iuii  que  jamais. 

*  Âulrefois  on  s'instruisait  en  famille,  on  y  parlait  volontiers  le 

*  langage  de  la  religion,  et  par  là  on  apprenait  ce  que  l'on  ne  savait 

*  pas,  et  ce  qu'on  savait  on  ne  l'oubliait  pas  :  aujourd'hui  les  tradi- 

*  lions  et  l'enseignement  de  famille  n'existent  plus  ;  on  laisse   au 

*  pasteur  le  soin  de  parler  de  la  religion,  et  on  ne  se  réserve,  au 
"*  moins  dans  un  grand  nombre  de  familles,  que  la  liberté  de  la 

*  blaj^pliémer,  de  la  tourner  en  ridicule  et  d'en  violer  les  préceptes. 

*  Autrefois  la  religion  était  la  première  des  sciences  qu'on  enseignait 

*  dans  les  écoles  et  les  collèges;  aujourd'hui  elle  est  à  la  dernière 

*  place,  et  souvent   même   on  n'en    parle  que  pour  jeter   dans 

*  les  esprits  des  objections  et  des  préjugés  contre  elle.  Autrefois  on 

*  s'instruisait  à  l'église  en  écoutant  les  prédicateurs,  parce  que  la 

*  science  qu'on  avait  de  la  rehgion  mettait  en  état  de  les  compren- 

*  dre;  aujourd'hui  on  est  si  ignorant,  que  tous  les  sermons  qui  ne 

*  sont  pas  une  expUcation  élémentaire  de  la  doctrine  ne  sont  pour 

*  plusieurs  auditeurs  que  comme  un  assemblage  d'énigmes.  Autrefois 

*  on  s'instruisait  en  particulier,  parce  qu'on  attachait  un  grand  prix 

*  à  connaître  sa  religion  ;  aujourd'hui  l'indifférence,  qui  glace  les 

*  esprits  et  les  cœurs,  a  introduit  des  dispositions  toutes  contraires  ; 

*  l'étude  de  la  religion  a  été  prise  en  dégoût  et  mise  au  rang  des  oc- 

*  cupations  puériles  et  surannées. 

*  Aussi  l'ignorance  en  matière  de  religion  n'a-t-elle  jamais  été 

*  aussi  profonde   et  aussi  générale.   La  plupart  des  hommes  qui 


M'fIF.SSITF  DE  LA  rriL,DlC\llo:v.  29 

*  composent  aujourd'lini  la  société  en  France,  quelles  que  puissent 

*  être  leurs  lumières  sur  d'autres   points,  n'ont  que  des  connais- 

*  sauces  trèsi^superficielles  et  pleines  de  préjugés  sur  la  religion  : 

*  ils  en  ignorent  jusqu'aux  éléments,  et  ne  savent  que  les  objections 

*  et  les  blasphèmes  vomis  contre  elle.  Ceux-là  même  qui  l'ont  ap- 

*  prise  autrefois,  trouvant  dans  ses  maximes  et   ses  pratiques  la 

*  condamnation  de  leur  vie  déréglée,  cherchent  à  l'oublier,  à  ne 

*  pas  la  croire,  et  en  viennent  à  bout^  H  y  a  plus  :  un  grand  nombre 

*  de  fidèles,    même  parmi  ceux  qui    fréquentent  les  sacrements, 

*  ignorent  les  vérités  dont  la  connaissance  est  nécessaire,  soit  de 

*  nécessité  de  précepte,  soit  même  de  nécessité  de  moyen.  C'était 

*  la  remarque  que  faisait  Bossuet  dans  son  temps  :   «  Elle  est  fort 

*  «  grande  parmi  les  fidèles,  disait-il,   la  troupe  de  ceux  qui  pé- 

*  «  rissent  faute  de  connaître  la  religion,  et  ce  ne  sont  pas  seule- 

*  «  ment  les  pauvres  et  les  simples,  dépourvus  des  moyens  d'ap- 

*  «  prendre,  mais  les  puissants,  les  riches,  les  grands  et  les  princes 

*  «  même  qui  négligent  presque  toujours  de  se  faire  instruire  de 

*  «  leurs  obligations    particulières  et  des  devoirs  communs  de  la 

*  «  piété  chrétienne,  et  qui  tombent,  par  le  défaut  de  cette  science, 

*  «  pêle-mêle  avec  la  foule  dans  les  abîmes^.  »  Or,  si  l'ignorance  de 

*  la  religion  perdait  tant  d'âmes  au  temps  de  Bossuet,  que  doit-ce 

*  être  aujourd'hui  après  tous  les  ravages  de  l'impiété  déchainée  sur 

*  la  France  depuis  plus  d'un  demi-siècle?  Combien  l'ignorance  est- 

*  elle  plus  profonde  et  plus  générale  !  Le  mal  en  est  au  point  qu'un 
■*  grand  nombre  de  chrétiens,  même  assidus  à  l'église,  quand  on  les 

*  presse  par  des  interrogations,  se  montrent  assez  ignorants  pour 

*  répondre  que  Dieu  n'a  pas  toujours  exjsté,  que  le  ciel,  le  soleil  et 

*  la  terre  existent  de  toute  éternité,  que  dans  la  Trinité,  le  Père 

*  existait  avant  le  Fils,  qu'il  a  un  corps  comme  le  Fils,  que  les  trois 

*  personnes  ne  font  qu'une  seule  personne,  que  c'est  le  Père  ou  le 

*  Saint-Esprit  qui  s'est  fait  homme,  que  le  corps  de  Jésus-Christ  est 

*  éternel  comme  sa  divinité.  Combien  parmi  eux  n'ont  pas  la  moindre 

*  idée  de  la  foi,  de  l'espérance,  de  la  charité  !  La  foi  est,  à  leur  avis, 

*  une  sinifde  opinion;  ils  pensent  que  tel  article  de  foi  est  vrai, 

*  pourquoi  ?  on  le  leur  a  dit,  ils  n'en  savent  pas  davantage.  L'es- 

*  Voyez  la  Confcrcnce  de  M.  de  Fi-nyssinous  sur  les  causes  de  nos  erreurs  et 
le  discours  i)réliiuiiiaire  du  (latécliisiue  historique  de  Floury. 

'•*  Sermon  m  jiour  le  premier  Dimanclie  de  carême  sur  la  prédication.  —  lie- 
rioît  XIV  i-emarcjuait  aussi  de  son  temps  la  nirme  ij^^noraiiee  de  la  relii;ion. 
Voyez  le  Guide  de  ceux  qui  annoncent  In  parole  de  Dieu,  p.  370. 


ÔO  THAITÉ  DE  U  PRÉDICATION. 

*  {)t'«j;incc,  ils  rapprécicnt  si  peu,  que  s'il  dépoiidait  d'eux  de  vivre 

*  loMJoui's  sur  la  terre,  ils  conseiiliraienl  bien  volontiers  à  se  passer 

*  du  ciel.  L'amour  de    Dieu  pour  lui-même,    quoique  cet   amour 

*  soit    d'obligation,  est  une  chose  qu'ils  ne  soupçonnent  pas,    et 

*  l'amour  surnaturel  du  prochain  ne  leur  est  pas  plus  connu.  Com- 

*  bien  enfin  sont  incapables,  par  le  fait  seul  de  leur  ignorance,  de 

*  recevoir  validement  une  absohuion,  ne  connaissant   pas  plus  la 

*  contrition,  ses  qualités  et  ses  motifs  que  les  dogmes  de  la  foi?  Or, 

*  en  présence  d'une  telle  calamité,  qui  ne  sent  combien  est  pres- 

*  sant,  pour  un  pasteur,  charsié  du  salut  des  âmes,  le  devoir  d'ac- 
*complir  la  parole  de  l'Esprit-Saint  :  Labia  sapicntium  dissemina- 

*  hunt  sdentiam^l 

ARTICLE  2. 

jusqu'où  s'étend  l'obligation  de  prêciîeu  ". 

1"  Tout  pasteur  est  obligé  à  faire  ce  qui  lui  est  moralement  pos- 
sible pour  instruire  tous  ses  paroissiens  de  toutes  les  vérités  dont  la 
connaissance  est  nécessaire,  soit  de  nécessité  de  moyen,  soit  de  néces- 
sité de  précepte,  de  telle  sorle  qu'on  ne  puisse  lui  imputer  l'igno- 
rance où  serait  un  seul  d'entre  eux  de  quelqu'une  de  ces  vérités.  Si, 
en  effet,  les  fidèles  sont  obligés  sub  gravide  connaître  tous  ces  points 
de  doctrine,  le  pasteur,  par  une  obligation  corrélative,  est  tenu  de 
les  leur  enseigner  de  manière  qu'ils  les  sachent,  s'ils  ont  bonne 
volonté  :  autrement,  Dieu,  en  les  obligeant  à  les  savoir,  leur  ferait 
un  commandement  impossible,  puisque  la  plupart  d'entre  eux  n'ont 
d'autre  moyen  de  les  apprendre  que  l'enseignement  de  leur  pasteur. 
Par  conséquent,  tout  pasteur  des  âmes  est  responsable,  devant  Dieu, 
de  l'ignorance  où  serait  sa  paroisse  de  ces  dogmes  essentiels  ;  et  il 
n'a  droit  de  se  rassurer  qu'autant  qu'il  peut  se  dire,  la  main  sur  la 
conscience  :  Si  quelqu'un  de  mes  paroissiens  ne  connaît  pas  ces  vé- 
rités; si  chaque  année,  à  l'époque  des  Pâques,  quelque  absolution  se 
trouve  nulle  par  l'ignorance  du  pénitent  ;  si,  ce  qui  est  plus  affreux 
à  penser,  quelque  moribond  reçoit  une  absolution  inutile,  parce 
qu'il  ne  sait  pas  les  principaux  mystères  ou  les  conditions  de  la  con- 

1  Prov.,  XV,  7.  —  2  Collet,  Devoirs  d'un  pasteur,  c.  v,  n"  5,  8,  9,  10.  —  Be- 
noît XIV,  do  Synod.,  lib.  IX,  c.  xvii.  —  BuUar.,  t.  I,  Cnnslit.  42,  iustit,.  U,  10, 
72.  —  Segneri,  c.  v.  —  Le  Guide  de  ceux  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu, 
p.  360  et  suiv. 


NECESSITE-DE  LA  PREDICATION.  51 

trition,  ce  n'est  pas  à  moi  la  faute;  j'ai  expliqué  toutes  ces  choses 
assez  clairement,  assez  souvent,  pour  que  personne  de  bonne  volonté 
ne  puisse  les  ignorer. 

2"  De  ce  principe,  on  doit  conclure  qu'il  faut  prêcher  souvent.  C'était 
l'avis  de  saint  François  Xavier  :  «  Faites  des  instructions  au  peuple, 
((  le  plus  souvent  que  vous  pourrez,  écrivait-il  à  ses  compagnons  ;  il 
«  n'est  point  de  fonction  d'une  utilité  plus  universelle  pour  la  gloire 
«  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes.  »  Saint  François  de  Sales  pensait  de 
même  :  «  Croyez-moi,  disait-il  à  M.  de  Belley,  on  ne  prêchera  jamais 
«  assez  :  Numquam  satis  dicitiir  quoi  minqiiam  satis  discitur.  »  Et 
celte  conviction  était  si  profonde  dans  saint  Liguori,  que  non-seule- 
ment il  ne  manquait  aucune  occasion  d'instruire  son  peuple,  mais 
encore  il  donnait  par  lui-même  ou  faisait  donner  par  ses  prêtres,  des 
missions  fréquentes  dans  toutes  les  paroisses  de  son  diocèse,  et  des 
retraites  plusieurs  fois  chaque  année. 

o"  De  cette  conclusion  générale  descendant  à  des  conclusions  par- 
ticulières, nous  établissons  avec  le  concile  de  Trente  que  tout  pasteur, 
s'il  n'a  un  empêchement  légitime,  est  tenu  de  prêcher  au  moins  tous 
les  Dimanches  et  tous  les  jours  de  fêtes  solennelles  :  Dielms  saltem 
dominicis  et  festis  solemnibus  ^  et  même  tous  les  jours  pendant 
l'avent  et  le  carême,  ou  au  moins  trois  fois  la  semaine ,  si  le  peuple 
a  besoin  de  cette  instruction  héquente  et  veut  venir  l'entendre^. 

4°  Les  théologiens  conviennent  que  la  loi  du  concile  de  Trente,  ou 
plutôt  le  droit  divin  dont  elle  est  l'inlerprète,  n'oblige  pas  siib  gravi 
pour  chaque  Dimanche  ou  chaque  fête  en  particulier.  Mais  quel  est 
le  nombre  précis  de  Dimanches  où  l'on  ne  peut  omettre  la  prédica- 
tion sans  qu'il  y  ait  péché  mortel?  Ceci  est  assez  difficile  à  déter- 
miner, et,  en  cette  question  comme  en  bien  d'autres,  il  n'y  a  souvent 
que  Dieu  qui  sache  la  limite  rigoureuse  qui  sépare  le  mortel  du 
véniel.  Le  pasteur  qui  méditera  au  pied  du  crucifix  le  principe  posé 
en  têle  de  cet  article,  ne  s'enquerra  guère  de  cette  solution,  il  instruira 
le  plus  qu'il  pourra,  et  craindra  toujours  de  n'avoir  pas  assez  instruit. 
—  Quant  à  ceux  qui  voudraient  une  délerminalion  précise,  nous  leur 
répondrons  :  !•  que  le  concile  de  Trente,  par  cela  même  (juil  oi"- 
donne  à  l'évêque  de  sévir  par  les  censures  ecclésiastiques  contre  le 
pasteur  qui  laisserait  passer  trois  mois  dans  une  année  sans  instruire', 
déclare  que  cette  omission  est  surfisanle  poui'un  péché  mortel,  puis- 
qu'il n'y  a  qu'une  faute  mortelle  qui  puisse  être  irappée  de  censure. 

*  Scss.  V,  2,  (le  Ilefunin.  —  -  Sess.  xxiv,  c.  iv,   de  Heîonri.  —  ^  Siss.  v,  c.  ii. 


32  TRAITE  DE  LA  PRKDIGATION. 

Nous  répondrons,  1°  qu'au  jugement  des  théologiens,  il  n'est  pas 
requis,  pour  qu'il  y  ait  péché  mortel,  qu'on  omette  la  prédication 
pendant  trois  mois  de  suite  ;  il  suffit  qu'on  l'omette  la  valeur  de  trois 
mois  dans  le  cours  d'une  année,  c'est-à-dire  treize  Dimanches,  sans 
y  coniprendre  toutefois  ni  les  six  semaines  ou  deux  mois  destinés  à 
la  moisson  ou  aux  vendanges,  pendant  lesquels  Tévèque  peut  per- 
mettre la  suspension  des  instructions,  ni  les  cas  de  légitime  dispense 
dont  nous  parlerons  à  l'article  suivant;  d'où  l'on  peut  conclure  quelle 
serait  l'erreur  de  celui  qui  croirait  pouvoir  se  contenter  de  prêcher 
tous  les  quinze  jours,  puisqu'alors  il  laisserait  passer  par  le  fait  six 
mois  ou  la  moitié  de  l'année  sans  instruire.  Nous  répondrons,  5"  que 
laisser  passer  un  mois  de  suite  sans  prêcher,  hors  le  temps  des  va- 
cances, c'est,  au  jugement  d'un  grand  nombre  de  théologiens,  matière 
suffisante  pour  un  péché  mortel.  A  l'appui  de  ces  diverses  assertions, 
nous  pourrions  citer  Navarre,  Azor,  Antoine,  Collet,  Bonacina,  saint 
Liguori,  Mgr  Bouvier  :  nous  nous  bornerons  à  citer  les  trois  derniers. 
Bonacina  s'exprime  ainsi  dans  son  Traité  du  Décalogue  *  :  Ego  arhi- 
tror  morlaliter  peccare  si  uno  intégra  mense  continiio,  aut  ctiam  si 
duobus  vel  tribus  mensibiis  totius  aniii  discontinuis  non  concionentur, 
quia  hxc  videtur  materia  gravis,  non  solîim  secundkni  se ,  verùni 
etiam  respective.  Saint  Liguori,  qui  n'a  pas  la  réputation  d'être  trop 
sévère,  parle  dans  le  même  sens,  avec  cette  différence  qu'il  affirme 
que  tel  est  le  sentiment  commun  des  docteurs  :  Doctores  a(lîrniant 
graviter  peccare  parochum  qui  per  mensem  continuum,  aut  per  très 
menses  discontinuos  concionari  omittit,  exceptis  duobus  mensibus  in 
quibus  permittit  conc.  Trident,  parochis,  ex  justd  causa  ab  episcopo 
approbandâ,  posse  licite  abesse^  ;  et  ailleurs  il  prescrit  aux  confes- 
seurs d'interroger  les  curés  dont  ils  dirigent  la  conscience,  s'ils  ont 
été  exacts  à  prêcher  chaque  Dimanche  :  Etenim,  ajoute-t-il,  paro- 
chus,  cum  non  est  légitimé  impeditus,  omittendo  concionari  per  men- 
sem continuum.,  aut  très  menses  discontinuos  intrà  unnum,  à  docto- 
ribus  non  excusatur  à  gravi  culpâ^.  Enfin,  Mgr  Bouvier,  dans  son 
Traité  du  Décalogue  *,  dit  en  termes  semblables  ;  Graviter  peccant 
pafochi  qui  tribus  mensibus  anni  etiam  discontinuis  per  se  vel  per 
alios  non  concionanlur,  et  il  ajoute  :  Ità  sentiunt  omnes  theologi, 
etiam  meliores. 
5°  Quelque  instruits  qu'on  suppose  les  paroissiens,  la  faute  du 

4 

*  De  .'î"  Prœcept.,  §  2,  n.  51.  —  -  Praxis  confess.,  n.  21)5.  — s  Praxis  con- 
fess.,n.  52.  — *  De  4°  Prœcept.,  p.  520. 


NÉCESSITE  DE  LA  PREDICATiON.  33 

pasteur  qui  ne  prêche  que  rarement  n'en  est  pas  moins  un  péché 
nioi'tel,  suivant  ces  paroles  de  Barbosa^:  Qui  rarb  concionantur ^ 
peccant  moitaliter,  etiam  prxcisâ  gravi  necessitate  populi.  £t  la 
raison  en  est  que  ceux  qui  sont  instruits  de  la  religion  Toublieraient 
bientôt  si  l'on  n'entretenait  leiu^s  connaissances  par  des  instructions 
liéquentes;  et  que,  quand  même  ils  ne  l'oublieraient  pas,  ils  auraient 
besoin  d'être  exhortés  à  pratiquer  ce  qu'ils  croient,  et  à  combattre 
la  tendance  au  relâchement,  qui  dégoûte  notre  nature  du  bien  et  la 
prédis|)0sc  au  mal  ;  car  toujours  cette  tendance  malheureuse  demeu- 
rera dans  l'homme  et  y  fera  des  ravages  ;  toujours  il  y  aura  des  vices 
à  déraciner,  des  scandales  à  réprimer,  des  âmes  tiédes  à  réchauffer, 
des  volontés  faibles  à  fortifier,  des  pensées  de  foi  à  réveiller;  toujours 
par  conséquent  la  prédication  sera  nécessaire,  quelque  instruits 
qu'on  suppose  les  paroissiens.  Lorsqu'ils  sont  ignorants,  l'obligation 
devient  double,  si  Ton  peut  ainsi  dire,  et  croît  en  proportion  de  l'i- 
gnorancie,  au  point  que  si,  dans  telle  paroisse  où  le  peuple  est  in- 
struit, il  y  a  péché  véniel  à  omettre  la  prédication  un  certain  laps  de 
temps,  il  pourra  y  avoir  péché  mortel  à  l'omettre  pendant  un  temps 
semblable  dans  une  paroisse  où  règne  l'ignorance.  C'est  à  la  sagesse 
des  évêques  à  apprécier  ces  besoins  respectifs  des  peuples,  et  à 
prescrire  en  conséquence  le  nombre  des  prédications  strictement 
oblig.itoires.  Dans  le  diocèse  de  Bordeaux,  il  y  a  suspense  ipso  facto 
contre  tout  prêtre  qui  laisserait  passer  trois  Dimanches  dans  un  mois 
sans  instruire,  et  obhgation,  mais  non  sous  peine  de  censuie,  de  prê- 
cher tous  les  Dimanches,  à  moins  d'empêchements  légitimes,  excepté 
seubment  six  Dimanches  dans  l'année,  au  temps  de  la  vendange  ou 
de  la  moisson.  Toutefois  encore  alors,  pour  ne  pas  laisser  le  peuple 
sans  instruction,  il  est  prescrit  de  lire  le  prône  du  Rituel,  qui  est  un 
abrégé  do  la  doctrine  chrétienne. 

0°  Bonacina  enseigne  qu'une  fois  qu'un  pasteur  a  omis  la  prédi- 
cation assez  de  Dimanches  pour  constituer  un  péché  mortel,  il  pèche 
ensuite  mortellement  chaque  Dimanche  qu'il  laisse  passer  sans  in- 
struction, parce  (jue,  dit-il,  Obtigatio  concionandi  non  est  nffixa  diei, 
itri  ut  transeul  cum  ipso  die  ^  Tlus  il  a  lardé  à  prêcher,  plus  l'obli- 
gation de  le  faire  devient  pressante  le  Dimanche  suivant.  De  cette 
observation  comirie  de  celles  qui  précèdent,  il  suit  que  le  prêtre, 
dans  cet  état  de  négligence,  ne  peut  être  absous  par  aucun  confes- 
seur, puisqu'il  est  dans  une  habitude  de  péché  mortel,  et  ({u'on  ne 

*  De  Oliic.  [larocli.,  p.  1.  c.  vi,  ii.  8.  —  -  De  3°  l'iicccpl.,  §  2,  ii.  32. 

3 


54  TRAITÉ  DE  L\  PREDICATION. 

poul  pas  supposer  eu  lui  la  boune  foi  ou  l'iguorauce  iuvinoible  sur  un 

devoir  aussi  claireinonl  et  aussi  souvent  promulgué. 

7"  Selon  Mgr  Bouvier  %  les  vicaires  (jui,  sans  en  être  légilimement 
empêchés,  ne  prêchent  pas  à  leur  tour,  et  sont  cause  par  là  qu'il 
s'écoule  treize  Dimanches  dans  Tannée  sans  instruction,  ou  môme 
seulement  trois  Dimanches  dans  un  mois  là  où  est  admise  la  disci- 
pline (lu  diocèse  de  Bordeaux,  pèchent  mortellement,  parce  qu'étant 
envoyés  par  l'évoque  pour  aider  le  curé  dans  les  fonctions  du  mi- 
nistère, ils  partagent  par  cela  même  la  responsabilité  avec  lui. 

8"  Le  Père  le  Jeune*  recommande  aux  curés  comme  un  devoir 
très-important  la  prédication  à  la  première  messe.  «  Âutrem.ent,  dit- 
«  il,  les  valets,  servantes  et  autres  qui  ne  se  trouvent  qu'à  cette  messe 
«  n'apprendront  jamais  leur  religion.  »  De  là  vient  que  Mgr  Bouvier^ 
déclare  coupables  de  péché  mortel  les  curés  qui  ne  prêclient  jamais 
à  cette  messe,  et  à  plus  forte  raison  ceux  qui  ne  veulent  pas  y  laisser 
prêcher  leur  vicaire.  Il  oblige  même  suh  gravi  les  pasteurs  à  instruire 
dans  des  catéchismes  privés  les  ignorants  d'un  âge  avancé,  que  la 
honte  ou  les  travaux  éloignent  des  instructions  adressées  aux  enfants, 
ou  qui,  à  raison  de  leur  grossièreté,  ont  besoin  d'explications  parti- 
culières; et  il  recommande  de  choisir  pour  cela  le  temps  de  la  jour- 
née qui  leur  est  le  plus  commode  ;  ordinairement,  c'est  le  soir, 
quand  tous  les  travaux  sont  finis. 

9°  Tout  curé  ou  vicaire  qui  ne  prêche  pas  de  manière  à  se  faire 
comprendre,  soit  parce  qu'il  emploie  un  genre  trop  relevé,  soit  parce 
que,  faute  de  se  préparer  quand  il  le  pourrait,  il  parle  sans  ordre  ni 
clarté,  est  coupable  comme  s'il  ne  prêchait  pas.  La  raison  en  est 
qu'il  manque  tout  à  fait  le  but  de  la  prédication,  et  que,  loin  d'être 
utile  aux  âuies,  il  les  dégoûte  de  la  parole  de  Dieu,  et  met  par  là 
obstacle  à  leur  conversion  future. 

10°  Ce  précepte  de  la  prédication  fréquente  n'a  rien  de  pénible  si 
on  le  comprend  bien  :  car  ce  ne  sont  pas  de  longs  sermons  qu'on 
demande;  celle  longueur  est  au  contraire  un  grand  défaut,  comme 
nous  le  dirons  plus  tard  ;  il  s'agit  seulement  d'un  quart  d'heure  d'in- 
struclion  chaque  Dimanche,  sans  toutefois  y  comprendre  les  caté- 
chismes. Qui  peut  dire  que  c'est  trop  exiger?  C'est  à  peu  près  une 
heure  par  mois  ou  douze  heures  par  an  ;  c'est  même  moins  encore,  à 
raison  des  vacances. 

■^  De  4"  Prœcept. ,  p.  551.  —  2  Pi-êface  de  ses  Sermons,  —  s  iqco  citât j,  p.  330, 


NÉCESSITÉ  DE  LA  PRÉDICATION.  35 


*  ARTICLE  3. 

"  FUTILITÉ   DES    PRETEXTES   Qu'oN    ALLEGUE    POUR    ÉLUDER   L  OJJLIGATIO.N 
*  DE    Pr.ÈCUER  *. 

*  D'après  les  principes  posés  à  l'article  précédent,  le  pasteur  qui 

*  ne  p<Hit  pas  prêcher  habituellement  doit  se  démettre  de  sa  cure, 

*  puisqu'il  n'est  point  permis  de  garder  un  emploi  dont  on  ne  peut 

*  pas  remplir  la  première  et  la  plus  essentielle  obligation.  S'il  ne  s'a- 

*  gissait  que  de  suspendre  la  prédication  pendant  \m  temps  assez 

*  long,  avec  l'espoir  de  reprendre  plus  tard  ce  ministère,  le  pasteur 
■*  pourrait  conserver  son  titre,  de  l'agrément  de  l'évoque,  mais  à  la 
"*  condition  de  se  faire  remplacer  dans  la  chaire,  pour  ne  pas  laisser 

*  les  fidèles  sans  instruction  pendant  ce  long  temps.  Si  enfm  il  n'était 
■*  question  que  de  quelques  Dimanches  en  passant,  et  qu'une  bonne 
■*  raison,  soit  locale,  soit  personnelle,  s'opposât  à  une  prédication 

*  aussi  fréquente  que  le  prescrivent  les  règles,  il  devrait  demander 
"*  dispense  aux  supérieurs  ecclésiastiques,  et,  s'il  ne  le  pouvait  pas 

*  commodément,  il  pourrait  user  de  leur  dispense  implicite,  ou  légi- 
■*  timement  présumée,  supposé  que,  devant  Dieu,  il  jugeât  qu'il  y  a 

*  motif  suffisant.  De  là  il  suit  qu'on  peut  se  dispenser  de  prêcher  : 

*  1°  pendant  les  vendanges  ou  la  moisson  pourvu  qu'on  n'étende  pas 

*  cette  dispense  au  delà  du  temps  fixé  par  l'autorité  ecclésiastique  ; 
"*  2"  dans  un  cas  de  maladie  ou  d'infirmité  passagère  qui  rendrait  la 

*  prédication  impossible  ou  très-difficile  ;  o°  lorsqu'il  y  a,  soit  ur- 

*  gence  d'administrer  un  malade,  soit  quoique  autre  obstacle  que 

*  l'autorité  ec.clésiasti([ue  consultée  jugerait  certainement  une  raison 
■*  suffisante  d'omettre  la  prédication  ce  jour-là. 

*  Mais,  en  dehors  de  ces  raisons  légitimes,  il  est  un  grand  nombre 
"*  de  prétextes  à  l'omhre  desquels  on  aime  à  se  déguiser  ses  obliga- 

*  tions  et  il  est  utile  d'en  dévoiler  toute  la  futilité,  afin  qu'on  ne  s'y 

*  laisse  plus  tromper.  On  peut  partager  ces  prétextes  en  trois  classes  : 
"*  les  uns  se  prennent  du  côté  du  peuple,  les  autres  du  côté  du  pas- 

*  leur,  et  les  derniers  du  côté  des  supérieurs  ou  des  confrères. 

'  Voyez  Si'gnori,  c.  v  et  vi.  —  Devoirs   du  Sacerdoce,  jmr   l'ablié   Malliieu, 
t.  III,  p.  2i8.  —  Collet,  Devoirs  des  pasteurs,  c.  v.  —  Pastorales  de  Limoges, 

t.    II,  tit.  H,   c.   III. 


SO  TllAITÉ  DE  LA  rRÉDICATION. 

*  I.  l'rétexles  pris  du  côté  du  peuple. 

*  i'^'' Prétexte.  — On  ne  gagne  rien  à  tant  instruire  ;  le  peuple  n'en 

*  profite  pas,  et  les  paroisses  où  l'on  prêche  souvent  ne  valent  pas 

*  mieux  que  celles  où  l'on  prêche  rarement. 

*  Réponse, —  1"  Voilà  près  de  trois  mille  ans  que  Dieu  a  résolu 

*  celle  objection  par  le  prophète  Ézèchiel^  :  Si  annuntiante  te  ad 

*  impium  nt  à  viis  suis  convertatur,  non  fuerit  conversiis  à  via  sud, 

*  ipse  in  iniquitate  sud  morietur  :  porro  tu  animam  tuam  liberasti. 

*  Ainsi,  lors  même  que  la  paroisse  ne  profite  pas  de  l'instruction,  le 

*  pasteur  y  gagne  toujours  d'avoir  fait  son  devoir  et  mis  son  âme  à 

*  l'abri  de  la  justice  de  Dieu,  qui  lui  demande  d'avoir  du  zèle,  mais 

*  non  pas  de  réussir^  ;  de  semer,  mais  non  pas  de  faire  croître  la  se- 

*  mence;  il  y  gagne  la  même  récompense  pour  le  ciel  que  s'il  eût 

*  réussi,  et  même  une  récompense  plus  belle,  puisque  le  travail  sans 

*  succès  est  plus  pénible,  et  par  conséquent  plus  méritoire  ;  une  ré- 

*  compense  plus   sûre,  puisqu'il  a  moins  à  craindre  que  l'amour- 

*  propre  ne  l'enlève.  Par  conséquent,  fût-il  certain  que  la  prédica- 

*  tion  ne  produira  pas  de  fruit,  il  devrait  prêcher  également.  Le 

*  soleil,  dit  saint  Jean  Chrysostome,  ne  laisse  pas  d'éclairer  les  dé- 

*  serts,  ni  les  sources  de  couler  sur  les  sables  arides.  —  2"  Le  fruit 

*  de  la  prédication,  sans  être  sensible  au  moment  même  où  l'on 

*  parle,  n'en  est  quelquefois  pas  moins  réel,  et  se  montrera  plus 

*  tard.  On  n'opère  pas  encore  la  conversion,  mais  on  la  prépare.  C'est 

*  une  semence  jetée  dans  les  âmes,  il  faut  du  temps  pour  qu'elle  y 

*  germe  et  s'y  développe.  Un  jour,  qui  peut-être  n'est  pas  loin  on  en 

*  verra  les  fruits  :   Noli  suhtraliere  verbum,  dit  l'Esprit-Saint,  si  forte 

*  audierit  et  convertatur  unusquisque  à  via  sud  mald'.  Jamais  un 

*  pasteur  ne  doit  désespérer  de  la  conversion  de  ses  ouailles  :  une 

*  mère  tendre  n'abandonne  point  son  enfant  tant  qu'il  respire,  fùt-il 

*  même  désespéré  de  tous  les  médecins*.  L'amour  espère  toujours  et 

*  essaye  les  remèdes  jusqu'à  la  fin.  «  Je  n'ai  pas  persuadé  aujourd'hui 

*  «  mon  auditeur,  dit  saint  Jean  Chrysostome^;  mais  peut-être  le  ferai- 
.'.  je  demain,  peut-être  dans  trois  ou  quatre  jours  ou  dans  quelque 

*  «  temps.  Le  pêcheur  qui  a  jeté  inutilement  ses  filets  pendant  un 

*  ft  jour  entier,  prend  quelquefois  sur  le  soir,  et  au  moment  où  il 

*  «  allait  se  retirer,  le  poisson  qu'il  n'avait  pu  prendre  pendant  tout 

*  Ezech.,  c.  îxxiii.  —  *  Curam  exigeris ,  non  curationem,  S.  Bern.,  de  Con- 
sid. ,  lib.  IV,  c.  II.  —  '  Jerem.,  c.  xxvi.  —  *Nemo  desperandiis  est  dhm  in  hoc 
corpore  constituitur.  De  Pœnit.,  dist.  7.  —  *1"  Homélie  sur  Lazare. 


NECESSITE  DE  LA  PREDICATION.  57 

*  «  le  jour.  Le  laboureur  ne  laisse  pas  de  cultiver  ses  terres,  quoiqu'il 

*  «  n'ait  pas  eu  de  bonne  récolte  pendant  plusieurs  années;  et,  à  la 

*  a  fin,  une  seule  année  répare  souvent  les  dommages  soufferts  pen- 
■*  «  dant  plusieurs.  Il  y  a  plus  :  le  diable  cesse-t-il  de  tenter  chacun 

*  «  des  fidèles,  parce  qu'il  prévoit   que    plusieurs  seront  sauvés? 

*  ((  Voyez  avec  quels  soins,   quelle  infernale  persévérance,  quelle 

*  (!  détestable   sollicitude   il  poursuit  l'âme  jusqu'à   ce  qu'on  ait 

*  «  rendu  le  dernier  soupir  :  jusque-là  il  ne  désespère  pas  ;  et  vous 

*  «  croyez,  ajoute   le  saint  docteur,  que  votre  évêque  ne  fera  pas 

*  «  pour  sauver  votre  âme,  ce  que  le  diable  fait  pour  la  perdre  ?  Jé- 

*  ((  sus-Christ  savait  bien  que  Judas  ne  se  convertirait  pas,  et  pourtant 

*  «  jusqu'à  la  fin  il  voulut  tenter  sa  conversion,  lui  reprochant  sa 

*  «  faute  dans  les  termes  les  plus  touchants  :  Amice,  ad  quid  venisti  ? 

*  «  Or,  si  Jésus-Christ,  le  modèle  des  pasleurs,  a  travaillé  jusqu'à  la 

*  «  fin  à  la  conversion  d'un  homme  désespéré,  que  ne  devons- nous 

*  «  pas  faire  pour  ceux:  à  Tégard  desquels  il  nous  est  ordonné  d'cs- 

*  «  pèrer*?  »  —  5°  L'expérience  démontre  que  sur  le  nombre  des 

*  auditeurs,  il  y  en  a  toujours  quelques-uns  qui  tirent  du  fruit  de 

*  la  prédication,  et  qu'en  somme  les  paroisses  où  l'instruction  a  été 

*  soignée  valent  mieux  que  celles  où  elle  a  été  négligée.  Si  quelque- 

*  fois  il  n'y  a  pas  plus  de  communions  pascales  dans  l'une  que  dans 

*  l'autre,  c'est  que  dans  la  première  il  y  a  moins  de  sacrilèges.  — 
*4°  Enfin,  quel  que  soit  le  peu  de  fruit  de  la  divine  parole,  le  prédi- 

*  cateur  doit,  au  lieu  de  se  décourager,  faire  servir  cette  stérilité 

*  même  à  son  profit  spirituel,  et  en  tirer,  avec  un  nouveau  degré 

*  d'humilité,  un  encouragement  puissant  à  devenir  meilleur.  Si  ma 

*  parole  a  été  stérile,  doit-il  se  dire  à  lui-même,  c'est  que  je  ue  suis 

*  pa§  assez  saint;  je  n'ai  ni  assez  édifié  ni  assez  prié.  Si  à  ma  place 

*  eût  prêché  un  François  Xavier,  un  François  de  Sales,  combien  de 

*  pécheurs  se  seraient  convertis  !  Il  faut  donc  que,  cessant  de  me 

*  plaindre  de  mes  auditeurs,  je  m'en  prenne  à  moi-même,  que  je  prie 

*  davantage  et  que  je  me  sanctifie. 

*  2"  Prétexte.  —  Il  y  en  a  si  peu  qui  viennent  entendre  la  parole 

*  de  Dieu  !  Cela  ôte  le  courage  de  prêcher. 

*  Réponse.  —  1°  Il  n'est  pas  juste  que  le  petit  nouibre  de  chrétiens 

*  présents  soient  puni;»  de  l'absence  des  autres  par  la  privation  du 

*  puin  de  la  parole  :  le  pasteur  doit  l'instruction  à  ce  petit  nombre 

*  Voyez  sur  le  môme  sujet,  le  seutiment  de  S.  Frauçois  de  Sales  dans  le  Guide 
de  ceux  qui  aiinoncciit  tu  jxdoIc  de  l'ieu,  p.  71. 


58  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  aussi  bien  qu'à  une  imillitude;  et  n'y  eùL-il  qu'une  seule  âme  à  en 

*  profiter,  elle  vaut  bien  toute  la  peine  que  se  donne  le  prédicateur 

*  pour  prêcher  :  Jésus-Christ  fit  une  de  ses  plus  belles  instructions 

*  pour  une  seule  fennne,  la  Samarilaine.  Et  puis,  est-ce  quelesfontai- 

*  nés  placées  de  dislance  en  dislance  parla  main  delà  nature  cessent 

*  de  couler  lorsqu'il  ne  vient  personne  puiser  à  leurs  eaux?  Or,  nous 

*  sommes  les  ruisseaux  de  Celui  qui  a  dit  :  Je  suis  la  source  d'eau 

*  vive;  venez  à  moi,  vous  tous  qui  avez  soif.   11  faut  donc  que  les 

*  eaux  de  la  giàce  coulent  sans  cesse  de  notre  bouche,  afin  que  si 

*  quelqu'un  de  nos  frères  a  soif,  il  trouve  toujours  dans  noire  parole 

*  un  rafraichissement  contre  des  passions  qui  le  dévorent.  —  2"  Loin 

*  de  refuser  la  divine  parole  aux  petits  auditoires,  ce  sont  ceux  au 

*  contraire  oii  nous  devons  la  répandre  avec  plus  de  consolation  :  le 

*  cœur  du  prédicateur  s'y  conserve  plus  humble,  son  intention  plus 

*  pure,  et  le  ciel  y  verse  plus  de  grâces  :  «  Ayez  une  grande  joie, 

*  «  disait  saint  François  de  Sales  S  quand,  en  montant  en  chaire, 

*  «  vous  apercevez  peu  de  gens  et  votre  auditoire  clair-semé.  Une 

*  «  expérience  de  trente  ans  m'a  appris  que  la  prédication  fait  plus 

*  «  de  fruits  dans  les  petites  assemblées  que  dans  les  grandes.  »  Et, 

*  en  effet,  le  saint  évêque  prêcha  un  jour  devant  sept  personnes  et 

*  l'une  d'elles  se  convertit. 

*  5"  Prétexte.  —  Le  peuple  n'aime  pas  les  prédications;  il  les  écoute 

*  avec  ennui  et  dégoût,  ou  plutôt  il  n'y  fait  aucune  attention   et 

*  pense  à  toute  autre  chose  pendant  l'instruction. 

*  Réponse.  —  L'Église,  qui  n'a  pu  ignorer  cette  objection,  ne  l'a 

*  pas  crue  fondée,  puisqu'elle  n'en  a  pas  moins  posé  la  règle  de 

*  prêcher  aîi  «joins  tous  les  Dimanches  et  jours  de  fêtes  solennelles. 

*  Saint  Paul  en  a  porté  le  même  jugement,  puisqu'il  dit  à  Timothôe  : 

*  Prxdica  verhum,  instaopportimi',  importuné;  c'est-à-dire,  comme 

*  l'explique  saint  Césaire^  :  Opportune  volentihus,  imporhinè  nolcnti- 

*  bus.  Enfin,  Jésus-Christ  et  tous  les  apôtres  ont  pensé  de  même, 

*  puisque  sachant  bien  que  beaucoup  de  Juifs  n'aimaient  pas  leur 

*  prédication  et  ne  l'écoulaient  mêine  qu'avec  dépit,  ils  n'en  ont  pas 

*  moins  prêché.  Et,  en  effet,  si  quelques  auditeurs  ou  même  le  plus 

*  grand  nombre  sont  distraits  ou  dégoûtés,  tous  ne  le  sont  pas,  et  il 

*  serait  injuste  que  ceux-ci  portassent  la  peine  delà  faute  de  ceux-là. 

*  Le  prédicateur  est  comparé  dans  l'Évangile  au  laboureur  qui  ense- 

*  menée  son  champ  :  or,  parce  que  quelques  grains  de  semence  se 

1  Guide  de  ceux  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu,  p.  82  et  20G.  —  -  Ilom.  xxvi. 


NECESSITE  DE  LA  P!;i: IJCATION.  39 

*  perdent,  les  uns  en  tombant  sur  la  jiicrre  ou  dans  un  mauvais 

*  fonds,  les  autres  emportés  par  le  vent,  !e  laboureur  ne  laisse  pas 

*  de  semer,  convaincu  que  si  quelques  grains    périssent,  il  en  est 

*  dédommagé  par  ceux  qui  fructifient. 

*  A  toutes  ces  raisons,  nous  pourrions  eu  ajouter  une  autre  qui 

*  sape  par  la  base  les  trois  objections  à  la  fois  que  nous  venons  de 

*  combattre  :  c'est  que  le  plus  souveist  il  dépend  du  prêtre  de  faire 

*  tomber  tous  ces  prétextes,  et   que  les  reproches  qu'il  jette  aux 

*  peuples  ne  sont  imputables  qu'à  lui.  Oue  la  prédication  soit  ce 

*  qu'elle  doit  être,  et  les  peuples  en  profiteront,  et  ils  y  courront  en 

*  foule,  et  ils  l'écouteront  avec  attention  et  intérêt  :  mais  si,  comme 

*  il  arrive  souvent,  le  prédicateur  parle  sans  ordre  et  sans  solidité, 

*  sans  clarté  et  sans  chaleur,  dans  un  style  bas   et  trivial,  s'il  se 

*  fâche  et  s'emporte   contre  les  absents  en  invectives  aussi  désa- 

*  gréables  pour  les  personnes  présentes  qui  ne  les  méritent  pas, 

*  qu'inutiles  aux  autres  qui  ne  les  entendent  pas^;   si,   trop  long 

*  dans  ses  discours,  et  oubliant  que  les  personnes  malades  et  dé- 

*  goûtées  ne  peuvent  prendre  que  peu  de  nourriture   à  la  fois,  il 

*  fatigue  et  ennuie  ses  auditeurs,  il  a  jnauvaise  grâce  de  se  plain- 

*  dre  des  fidèles  ;  il  doit  s'en  prendre  uniquement  à  lui-même,  et 

*  cesser  d'alléguer  pour  son  excuse  cela  même  qui  fait  sa  condam- 

*  nation. 

II.  Pi'étextes  pris  du  côté  du  pasteur. 

*  i^'^  Prétexte.  —  Je  n'ai  pas  le  temps  de  préparer  des  instruc- 

*  lions  ;  tous  mes  moments  sont  absorbes  par  d'autres  soins. 

*  Réponse.  —  Voyons   d'abord  s'il  est  bien  vrai  qu'on  ne  puisse 

*  pas  trouver  le  loisir  de  préparer  ses  instructions  :  qu'on  examine 

*  aux  pieds  du  crucifix  si  Ton  ne  perd  pas  beaucoup  de  moments 

*  en  conversations  inutiles,  en  visites  superflues,  en  repas,  jeux  et 

*  amusements,  en  affaires  temporelles  où  l'Apôtre  défend  de  s'ingé- 

*  rer  ;  qu'on  se  demande  à  soi-même  si  l'on  met  de  l'ordre  dans 

*  l'emploi  de  ses  journées,  si  l'on  mène  cette  vie  de  règle  qui  est  le 

*  grand  secret  de  mulliplii-r  le  temps,  si  dès  le  connnencement  de 

*  la  semaine  on  prépare  le  prône  du  Dimanche,   de  peur  que,   les 

*  derniers  jours,  des  confessions  inattendues,  des  visites  imprévues 

*  ou  autres  affaires  n'en  ôlent  le  loisir.  Si  la  conscience   fait  des 

*  reproches  sur  quelqu'un  de  ces  points,  le  pasteur  est  sans  excuse; 

*  Guide  de  ceux  (jui  auuoncent  la  i)arolc  de  Dieu,  p.  112. 


10  Tn.UTK  DE  L.\  l'IlÉlilCATION. 

*  mais  si  rôellement  on  ne  peut  pas  concilier  la  préparation   dos 

*  prônes  avec  la  multiplicité  des  occupations,  alors  de  deux  choses 
"*  l'une  :  ou  l'on  se  fait  remplacer  en  chaire  par  un  prédicateur  ca- 

*  pable,  ou  non  :  si  l'on  se  fait  remplacer,  on  n'est  plus  tenu  sans 

*  doute  de  prêcher   habituellement,    puisque,    par   hypothèse,   on 

*  ne  le  peut  pas,  et  qu'on  pourvoit  d'une  autre  manière  à  l'inslruc- 

*  tion  du  peuple  :  mais  on  n'est  pas  cependant  entièrement  dis- 

*  pensé  de  prêcher,  et  on  doit  le  faire  lorsqu'on  le  peut,  soit  parce 

*  que  quiconque  accepte  un  emploi  s'engage  à   en  remplir  les  obli- 

*  gâtions  par  lui-même   toutes  les  fois  qu'il  n'aura  pas  d'empê- 

*  «hements   légitimes,  soit   parce  qu'il  y  a  une   grâce  d'état,  une 

*  efllcacité  particulière  altachée  à  la  parole  du  pnsleur  :  c'est^  selon 

*  dom  Barthélémy  des  Martyrs^,  le  lait  de  la  mère  qui  vaut  mieux 

*  à  l'enfant  que  celui  d'une  nourrice,  d'ailleurs  saine  et  vigoureuse. 

*  Si,  au  contraire,  on  ne  se  fait  pas  remplacer,  on  doit  retrancher 

*  de  ses  occupations  le  temps  dont  on  a  besoin  pour  prêcher  aussi 

*  souvent  que  l'Église  l'ordonne  et  que  l'exigent  les  besoins   des 

*  peuples.  C'est  ce  que  nous  enseigne  l'exemple  des  apôtres  :  car, 

*  s'il  était  une  occupation  sainte   et  importante  qui  pût  dispenser 

*  du  devoir  d'instruire,  c'eût  été  sans  doute  le  soin  de  ces  généreux 

*  chrétiens,  pauvres  volontaires,  qui   avaient  renoncé  à  tous  leurs 

*  biens  pour  l'amour  de  Jésus-Christ  :  or,  cependant  que  lisons-nous 

*  dans  les  Actes?  Les  apôtres,   accablés  par  la  multitude  de  ces 

*  pauvres,  ne  disent  pas  :  Nous   ne  pouvons  prêcher,   nous  avons 
"*  trop  d'affaires  ;  mais  ils  disent  :  Non  est  œquum  nos  derelinquere 

*  verbum  Dei,  et  ministrare  mensis^.  «  Quelque  saint  et  excellent 

*  «  que  soit  le  soin  des  pauvres,  nous  devons  cesser  de  nous  y  ap- 

*  «  pliquer  nous-mêmes,  plulôt  que  de  quitter  la  prédication;  »  et 
■*  en  conséquence,  ayant  institué  l'ordre  des  diacres,  ils  se  déchar- 

*  gèrent  sur  eux  de  la  distribution  des  aumônes,  afai  de  pouvoir  se 

*  livrer  tout  entiers  au  ministère   de  la  parole  ;  tant  ils  estimaient 

*  ce  ministère  le  premier  et  le  plus  essentiel  des  devoirs;  et  certes, 

*  bien  justement,  car  le  soin  des  pauvres  ne  soulage  que  des  misè- 
■*  res  corporelles  ;  la  prédication  guérit  les  âmes  :  les  sacrements 

*  peuvent  être  suppléés  dans  les  adultes  parla  charité  jointe  au  désir 

*  de  les  recevoir;  rien  ne  peut  remplacer  l'instruction;  sans  elle, 

*  le  peuple  tombe  dans  l  oubh  de  Dieu,  la  foi  se  perd  et  la  rehgion 

*  s'éteint. 

*  .Sliiimliis  pastoi'um,  2  part.,  c.  vu,  ou  Vie  de  dom  liartliùlcmy  des  Martyrs, 
ilv.  iV,  c.  V.  —  '-'  AlI.  ajiobl  .  c.  vi,  2. 


jsécessite  de  la  prédication.  41 

*  2"  Prétexte.  —  Faire  un  bon  sernion  est  une  chose  au-dessus  île 

*  mes  forces;  puis,  ma  santé  ne  tiendrait  pas  à  prêcher  si  souvent 

*  et,  enfin,  je  suis  si  timide  que  je  n'ose  parler  en  public. 

*  Réponse.  —  Si  cette  objection  était  fondée  en  vérité,  je  dirais 

*  au  pasteur  qui  me  la  proposerait  :  Quittez  votre  poste  sans  tarder. 

*  Point  de  prédication,  point  de  cure;  c'est  un  principe  invariable, 

*  il  n'est  point  permis  de  garder  une  place  dont  on  ne  peut  pas 

*  remplir  l'oblipration  la  plus  essentielle.  Mais  il  n'est  pas  vraisembla- 

*  ble  que  ces  difficultés  soient  réelles.  1°  La  préoccupation  qui  porte 

*  à  se  croire  incapable   de  prêcher  vient  uniquement  de  la  fausse 

*  idée  qu'on  se  fait  de  ce  ministère.  On  s'imaghie  qu'il  faut  conipo- 

*  ser  des  pièces  d'éloquence,  des  discours  à  grands  mouvements, 

*  genre  dans  lequel  on  désespère  de  réussir;  tandis  que  dans  îa 

*  réalité  il  ne  s'agit  que  d'expliquer  la  doctrine  chrétienne  avec  sim- 

*  plicité,  piété,  onction,  et  surtout  assurance,  sans  hésitation,  en 

*  termes  clairs  et  à  la  portée  du  peuple.  Si  on  le  fait  ainsi,  ce  sera 

*  merveille,  et  l'on  sera  sûr  d'emporter  les  suffrages  de  tous,  des 

*  savants  comme  des  ignorants,  des  grands  comme  des  petits.  Or, 

*  pour  cela  que  faut-il?  11  n'est  pas  nécessaire  d'avoir  de  grands  ta- 

*  lents;  il  suffit  de  lire  sur  le  sujet  qu'on  veut  traiter  quelque  bon 

*  auteur,  comme  Lambert,  Guillet,  Lhomond,  et,  après  s'en  être  bien 

*  pénétré,  de  diviser  sa  matière  en  deux  ou  trois  réflexions,  puis 

*  d'aimer  beaucoup  ses  paroissiens,  d'avoir  à  cœur  de  les  pénétrer 

*  de  la  vérité  qu'on  a  à  leur  prêcher,  et  d'écrire,  sous  l'inspiration 

*  de  la  charité,  les  pensées  et  les  sentiments  dont  on  est  plein. 

*  C'est  assez  de  bien  aimer  pour  bien  dire,  remarque  saint  François 

*  de  Sales^;  le  cœur  rend  éloquents  ceux  qui  le  sont  le  moins,  et 

*  supplée  à  tous  les  agréments  du  style.   Un  père,  sans  être  habile 

*  orateur,  sait  donner  de  bons  avis  à  sa  famille,  et  il  le  fait  avec 

*  plus  de  succès  que  personne  ;  toutes  ses  paroles  sont  entendues 

*  avec  plaisir,    recueillies    avec    bonheur,   parce  qu'on  l'aime  et 

*  qu'on  sait  en  être   aimé  :  de  même  un  pasteur  qui  a   pour  ses 

*  ouailles  un  cœur  de  père,  qui  leur  parle  avec  simplicité,  mais 

*  d'une  manière  cordiale  et  paternelle,  avec  un  grand  désir  de  les 

*  sauver  tous,  est  nécessairement  goûté,  et  produit  un  grand  fruit. 

*  11  est  possible  qu'en  connnençant,  la  difficulté  de  composer  et 

*  d'apprendre,  ou  peut-être  même  certains  vices  d'organe,  fassent 

*  Lettre  à  l'archevêque  de  liourgcs. 


42  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  croire  qu'on  est  incapable  de  prêcher;  mais  l'expérience  démontre 

*  que   l'exercice  vient  à  bout  do  tous  ces  obstacles  :  on  s'enhardit 

*  peu  à  pou,  on  devient  plus  maître  de  soi,  et  bionlôt  on  a  acquis 

*  une  assurance  et  un  aplomb  dout  on  ne  se  croyait  pas  capable. 

*  Démosthèues,  le  plus  parfait  orateur  de  la  Grèce  et  de  l'antiquité 

*  tout  entière,  avait  dans  sa  jeunesse  un  embarras  de  langue  qui  eût 
*doiroûlé  pour  jamais  de  l'éloquence  un  homme  moins  laborieux*. 

*  Saint  Charles   Borromée  éprouva   de  môme  en  commençant  de 

*  grandes  difficultés,  et  à  force  de  travail  il  parvint  à  prêcher  avec 

*  aisance  et  noblesse,  ordonnant  parfaitement  la  marche  de  ses  dis- 

*  cours  et  les  soutenant  par  la  vigueur  et  la  sohdité  des  raisonne- 
*ments^  — 2°  La  santé  ne  peut  guère  être  compromise  par   la 

*  prédication  :  comment  un  quart  d'heure  d'instruction  tous  les  huit 

*  jours   fatiguerait-il  à  ce  point?  On  se  fatigue  plus  quelquefois  à 

*  soutenir  des  conversations  longues  et  animées,  à  faire  des  lectures 

*  ou  des  compositions  qui  intéressent,  et  on  ne  songe  pas  môme  à 

*  s'en  plaindre;  preuve  évidente  que,  dans  le  prétexte  allégué,  il  y 

*  a  plus  d'imagination  que  de  réalité  Du  rcsle,  si  la  santé  était  réel- 

*  lement  compromise,  il  faudrait  en  référer  à  l'autorité,  et  s'en  tenir 

*  à  ses  décisions.  —  5"  La  timidité  n'est   point  un  obstacle  insur- 

*  montable  :  il  faut  d'abord  concevoir  une  volonté  ferme  d'en  triom- 

*  pher,  en  considérant  le  compte  terrible  que  le  souverain  Juge  nous 

*  demandera  de  nos  ouailles,  et  que  ne  pourra  couvrir  celte  mau- 

*  vaise  excuse  :  Je  n'ai  pas  osé  les  instruire.  Cette  volonté  une  fois 

*  arrêtée,  il  faut,  pour  la  mettre  à  exécution,  1"  envisager  avec  une 

*  foi  vive  l'autorité  et  la  grandeur  de  notre  ministère  :  en  chaire, 

*  nous  sommes  les  ambassadeurs  de  Dieu  et  les  représentants  de 

*  Jésus-Christ;  c'est  à  l'auditeur  à  trembler  devant  nous.  Nous  som- 

*  mes  ses  juges;  c'est  notre  parole  qui  le  jugera.  Nous  sommes  ses 

*  maîtres,  nous  avons  droit  de  le  reprendre  et  de  l'enseigner.  Il 

*  faut,  2"  avoir  une  intention  droite  cl  pure.  Le  prédicateur  qui  n'a 

*  que  Dieu  en  vue  ne  s'inquiète  pas  de  l'opinion  des  hommes,  et  ne 

*  craint  point  la  confusion  que   lui  attirerait  une  infidélité  de  mé- 

*  moire  ;  il  dit  comme  l'Apôtre  :  MUii  pro  minimo  est,  ut  à  vohis  ju- 

*  dicrr  aut  ab  humano  die'\  11  faut,  o"  ne  pas  s'exagérer  le  mérite  de 

*  son  auditoire  :  partout  la  plupart  des  auditeurs  sont  peu  capables 

*  d'apprécier  un  discours,  et  sont  môme  disposés  à  le  trouver  bon, 

*  Voyage  d'Anacharsis,  c.  lxi.  —  -  Préface  de  ses  Ilomùlies,  publiées  en  1747  ; 
Milan,  5  \ol   in-folio.  —  ^  I  Cor.,  iv,  5. 


NÉCESSITÉ  DE  LA  PRÉDICATION.  45 

*  pourvu  qu'il  soit  clair,  pieux,  bien  oidonné;  et  qu'on  le  prononce 

*  d'un  ton  ferme  et  sans  s'arrêter.  A"  Enfin,  il  faut  essayer  et  se 

*  lancer,  l'ius  on  retarde,  plus  la  timidité  croît  ;  et  plus  tôt  on  com- 

*  meiice,  plus  tôt  on  triomphe  :  «  Prêchez  souvent,  disait  saint  Fran- 

*  «  çois  deSalesSil  n'y  a  que  cela  pour  devenir  maître  :  hardiment, 

*  «  monsieur,  et  courage  pour  l'amour  de  Dieu.  Dites  quatre  mots,  et 

*  «  puis  huit,  et  puis  douze,  jusqu'à  demi-heure  :  montez  en  chaire, 

*  «  il  n'est  rien  d'impossible  à  l'amour.  » 

*  o'  Prétexte.  —  Je  suis  trop  vieux,  je  ne  puis  plus  prêcher, 

*  Réponse.  —  Je  le  veux  bien,  vénérable  vieillard;  mais  alors,  que 

*  vos  cheveux  blancs  me  pardonnent  cet  avis,  alors  cédez  à  un  autre 
*la  place  que  vous  ne  pouvez  plus  remplir.  Jamais  un  vieillard  ne 

*  s'honore  plus  que  lorsque,  comprenant  son  impuissance,  il  quitte 

*  de  lui-même  un  poste  au-dessus  de  ses  forces.  Si  toutefois  votre 

*  évêque  veut  que  vous  restiez  au  milieu  de  votre  peuple,  comme  un 
*père  au  milieu  de  sa  famille,  faites  instruire  vos  ouailles  par  une 

*  voix  étrangère  ^,  comme  autrefois  Valère,  évêque  d'IIippone,  qui 

*  faisait  prêcher  Augustin  en  sa  place  ;  et  alors  il  vous  suffira  d  y 

*  joindre  de  temps  en  temps  quelques  mois  de  salut,  à  l'exemple  de 

*  saint  Jean,  qui,  dans  sa  dernière  vieillesse,  se  faisait  porter  à  l'église 

*  pour  répéter  aux  fidèles  :  Filioli,  diligite  alterutrum.  Les  paroles 
*d'un  vieillard  de  mérite,  blanchi  à  l'ombre  du  sanctuaire,  ont  quol- 

*  que  chose  de  si  touchant  et  de  si  vénérable  !  Il  ne  dit  que  quelques 

*  mots,  mais  ces  mots  vont  au  cœur.  La  parole  divine,  en  passant 

*  par  sa  bouche,  semble  acquérir  un  plus  grand  poids  ;  on  l'écoute 
*avec  vénération,  comme  un  maître  qu'un  long  exercice  a  rendu 
*plus  habile  et  plus  capable  de  donner  des  conseils  judicieux.  Ces 

*  efforts  d'une  voix  qui  tombe,  d'une  ardeur  qui  s'éteint-,  faibles  restes 
*dece  qu'il  fut  autrefois,  consolent  et  réjouissent  ses  enfants.  Ce 

*  sont  les  débris  d'un  beau  monument,  qu'on  admire  et  qu'on  res- 
*pecle  jusque  dans  sa  chute.  La  vieillesse,  relevée  par  une  vie  hono- 
*rable,  dit  l'Esprit-Saint^,  est  une  couronne  de  gloire  ;  il  y  a  dans 
*les  cheveux  blancs  une  majesté  qui  rend  le  vieillard  vénérable. 

*4''  Prétexte.  —  Je  fais  des  lectures  en  chaire  :  cela  vaut  bien  des 

*  prédications. 

*  Réponse.  —  Le  concile  de  Trente  demande  plus  qu'une  lecture  ; 

*  Lnltre  à  l'archevêque  de  Bourges,  versus  finem.  —  -  I>e  Guide  de  ceux  qui 
annoncent  la  parole  de  Dieu,  pag.  T,Q-l  et  57'2.  —  '  Coroiia  dignilatis  senec- 
tus  qux  in  viis  jiistitiœ  reperittir,  l'rov.,  10,  31  Difjiiilas  scnnm  canilies. 
Ibid.,  '20,  20. 


44  TRAITE  DE  LA  PRÉDICATI0N. 

*il  veut  une  prédication,  parce  que  ce  dernier  genre  d'instruction  a 
*une  tout  autre  vertu  pour  exciter  l'attention,  provoquer  l'intérêt, 

*  loucher  les  cœurs,  et  l'on  peut  bien  mieux  s'y  accommoder  à  la 

*  portée  et  aux  besoins  de  tous.  Eût-on  composé  soi-même  son  in- 
*strucfion,  ce  serait  encore  un  abus  de  la  lire  en  chaire,  si,  avec  du 

*  travail,  on  pouvait  faire  autrement.  Cette  lecture  ôte  au  discours  le 

*  mouvement  et  la  vie,  elle  le  prive  de  cette  puissance  de  persuasion 

*  qu'un  débit  animé  et  naturel  exerce  sur  l'auditoire,  et  le  paralyse 

*  en  quelque  sorte  tout  entier.  Cette  pratique  est  d'ailleurs  contraire 

*  à  la  coutume  universelle  de  l'Église  catholitjue,  dont  la  sagesse  doit 

*  faire  règle  sur  ce  point  comme  sur  tous  les  autres.  Si  toutefois  on 

*  était  dans  l'impossibilité  de  prêcher,  on  devrait,  avec  la  permission 

*  de  Tévêque,  y''suppléer  par  des  lectures  appropriées  aux  besoins 
*des  auditeurs.  Le  cinquième  concile  de  Milan  le  recommande;  saint 

*  Augustin  le  dit  expressément^;  saint  Césaire  et  saint  Grégoire  le 

*  Grand,  au  sixième  siècle,  ont  même  composé,  dans  cette  vue,  des 

*  instructions  à  l'usage  des  prêtres  incapables  d'en  faire  de  leur  pro- 
*pre  fonds  ^;  et  saint  Charles  Borromée,  vers  la  fm  de  sa  vie,  mit 

*  par  écrit  ses  Homélies  dans  le  même  dessein  :  ce  qui  prouve  que 

*  l'Eglise  a  cru  que,  dans  le  cas  de  nécessité,  ces  lectures  pouvaient 

*  tenir  lieu  de  la  prédication.  —  Les  pasteurs  qui  seraient  réduits  à 

*  adopter  celte  méthode  doivent  observer  les  avis  que  nous  donnerons 

*  dans  le  second  livre,  11*'  partie,  chap.  viii,  pour  rendre  ces  lectures 
*plus  profitables. 

'  III.  Prétextes  pris  du  côté  des  supérieurs  ou  des  confrères. 

*  1"  Prétexte.  —  Les  supérieurs  ecclésiastiques  laissent  ou  placent 
*à  ia  tête  des  paroisses  des  pasteurs  qui  ne  prêchent  pas. 

*  Réponse.  —  Si  les  supérieurs  agissent  ainsi,  c'est  ou  qu'ils  igno- 
*rent  la  négligence  de  ces  pasteurs,  ou  qu'ils  ne  peuventles  changer, 
*ou  que,  n'ayant  personne  à  mettre  en  leur  place,  ils  estiment  un 
"*  moindre  mal  pour  les  paroisses  d'avoir  de  tels  prêtres  que  de  rester 
*sans  culte  extérieur,  sans  sacrements,  sans  aucun  secours  religieux. 
■*Mais,  d'ailleurs,  quoiqu'il  en  soit  de  la  conduite  des  supérieurs,  les 
■*  pasteurs  qui  ne  prêchent  pas  n'en  sont  pas  moins  coupables  :  l'obli- 

*  galion  d'instruire  est  de  droit  divin,  et  indépendante  de  la  manière 

*  d'agir  des  hommes,  lesquels  n'ont  pas  droit  de  l'abroger. 

1  De  Doct.  christ.,  lib.  IV,  c  xxix,  n.  62.  —  ^  Abrégé  de  la  discipline  de 
l'Église,  par  d'iléricourt,  I  part.,  c.  x,  p.  89  et  95. 


NÉCESSITÉ  DE  LA  PllEDICATION,  45 

*^e  PnHexte.  — On  voit  des  prêtres  instruits  et  estimables  qui 
*ne  prêchent  pas  aussi  souvent  que  l'exigent  les  règles  établies 
*jusqu'ici. 

*  Réponse.  —  Personne  ne  possède  plus  de  science  et  n'est  plus 

*  estimable  que  l'Église  et  ses  docteurs;  or,  les  principes  que  nous 

*  avons  établis  ne  sont  autre  chose  que  la  doctrine  de  l'Église  et  de 
*tous  les  théologiens.  Ici,  comme  en  tout  le  reste,  il  faut  donc  se 

*  rappeler  l'axiome  ;  Nos  non  exemplis,  sed  regulis  vivimus. 

ARTICLE  4. 

UE   l'obligation    de   prêcher,    par   RAr'POl;T   AUX    PRÊTRES 
QOI    n'ont    POIÎ.T    CHARGE    d'aMES. 

1*''  Principe.  —  Le  vœu  de  l'Église  est  que  tous  les  prêtres,  sans 
exception,  soient  capables  de  prêcher  d'une  manière  utile  et  conve- 
nable. On  en  peut  juger  par  la  loi  du  concile  de  Trente,  qui  prescrit 
de  n'admettre  au  sacerdoce  que  des  personnes  capables  d'enseigner 
au  peuple  les  vérités  dont  la  connaissance  est  nécessaire  pour  le  salut  : 
Ei  sint  qui...  ad  populum  docendum  ea  qux  scire  omnibus  necessa- 

riuni  est  ad  salut  cm diligenti  examine  prxcedente,  idonei  com- 

probentur  K  On  en  peut  juger  encore  par  le  Pontifical  qui,  dans  la 
cérémonie  de  l'ordination  des  prêtres,  leur  dit  à  tous  sans  distinc- 
tion :  Sacerdotem  oportet  prxdicare,  et  prescrit  de  les  revêtir  de 
l'élole,  ornement  que  toute  l'antiquité  a  regardé  non-seulement 
comme  le  symbole  de  la  puissance  sacerdotale,  mais  plus  spéciale- 
ment comme  l'indice  du  pouvoir  de  prêcher;  ce  qui  lui  a  fait  donner 
le  nom  d'orarmm,  selon  l'étymologie  que  nous  en  a  laissée  le  IV*^  con- 
cile de  Tolède,  en  531  :  Orarium oportet  levitam  gerere,  quiàorat,  id 
est,prxdicat^.  Enfin,  les  exemples  de  l'antiquité  nous  révèlent  encore 
le  vœu  de  l'Église  sur  ce  point.  11  est  vrai  que  [)lusieurs  auteurs  pré- 
tendent que  les  évêques  des  premiers  siècles  avaient  seuls  le  droit 
d'adresser  aux  peuples  la  prédication  solennelle,  tellement  que,  selon 
eux,  Oiigèiie,  saint  Cln^ysostome,  saint  Augustin,  ne  durant  qu'à  leur 
merveilleuse  et  précoce  éloquence  le  privilège  de  faire  entendre  leurs 
voix  dans  l'assemblée  des  fidèles  ;  mais  les  auteurs  qui  ont  le  mieux 
approfondi  ce  point  de  discipline  ^  enseignent  généralement  que, 

1  Scss.  2ô,  c.  XIV,  de  Picform.  —  "  Voy.  Ifabeit,  do  Ordine,  c.  v,  g  12  ad 
finom.—  ^  Tliomassjn,  Discipline  de  l'Église,  t.  Il,  p.  1759  et  suiv. —  D'iléricourl., 
Abrégé  du  même  ouvrage,  I  part.,  c.  x.  —  Fleury,  Mœurs  des  chrétiens,  n.  40, 


46  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION, 

dés  les  premiers  siècles,  on  reconnaissait  dans  les  simples  pn'lres  le 
pouvoir  de  prêcher,  et  qu'ils  prêcliaient  effectivement  dans  plusieurs 
diocèses  :  c'est  ainsi  qu'au  troisième  siècle  on  voit  saint  Félix,  encore 
simple  prêtre,  prêcher  souvent  à  Noie  sous  deux  évêiiues  successive- 
ment ;  au  cinquième  siècle,  saint  Jérôme  blâme,  dans  sa  lettre  à 
Népotien,  la  coutume  de  quelques  églises  où  le  prêtre  ne  parlait  point 
en  présence  de  l'évèque  ;  preuve  que  plus  généralement  les  prêtres 
prêchaient,  même  l'évèque  présent.  A  la  même  époque,  Yalôre, 
évoque  d'Hi[)pone,  en  chargeant  saint  Augustin,  encore  simple  prê- 
tre, du  ministère  de  la  parole,  jusiifie  cette  innovation  par  l'exemple 
des  Églises  d'Orient;  preuve  évidente  encore  qu'en  Orient,  le  minis- 
tère de  la  prédication  était  dévolu  aux  simples  prèlresdèsles  prenaers 
siècles.  Si  donc  en  quelques  endroits  les  prêtres  n'exerçaient  pas  le 
pouvoir  de  prêcher,  c'était  que  l'évèque  se  le  réservait,  soit  parce 
qu'en  certains  pays  ils  en  avaient  abusé,  comme  il  arriva  à  Alexandrie 
du  temps  d'Arius,  soit  parce  que,  les  diocèses  étant  alors  trôs-mul- 
tipliéset  peu  étendus,  l'évoque  ne  voyait  pas  de  raison  de  confier  à 
de  simples  prêtres  un  ministère  qu'il  pouvait  facilement  exercer  lui- 
même,  soit  enfin  parce  que  telle  était  la  discipline  particulière  des 
lieux,  fondée  sur  des  circonstances  que  nous  ne  connaissons  pas. 

S'"  Principe.  —  Il  est  certain  que  les  prêtres  qui  n'ont  point  charge 
d'âmes  ne  sont  pas  obligés,  à  titre  de  justice,  à  prêcher.  C'est  un 
point  trop  universellement  reconnu  pour  nous  y  arrêter  plus  long- 
temps. 

o^  Principe.  —  Il  est  certain  que,  sans  avoir  charge  d'âmes,  les 
prêtres  n'en  sont  pas  moins  obligés,  à  titre  de  charité,  à  prêcher  en 
certaines  circonstances  :  car  1"  lorsque  Dieu  leur  a  donné  dans  leur 
ordination  le  pouvoir  de  prêcher,  et  qu'ils  ont  reçu  de  la  nature  les 
moyens  de  le  faire,  c'est  sans  doute  pour  le  bien  du  prochain  et  le 
salut  des  âmes  :  si  donc  ils  n'annoncent  jamais  la  divine  paiole,  ils 
encourent  le  reproche  qu'adresse  l'Esprit-Saint  à  ceux  qui  enfouissent 
leur  talent,  à  ceux  qui  placent  la  lampe  sous  le  boisseau  lorsque  la 
maison  de  Dieu  est  dans  les  ténèbres,  à  ceux  enfin  qui  tiennent  la 
vérité  captive.  2°  Si  c'est  une  faute  grave  contre  la  charité  de  refuser 
à  des  frères  qui  languissent  ou  se  meurent  faute  de  pain,  la  nourri- 
ture corporelle  qu'on  pourrait  leur  donner,  n'est-ce  pas  une  faute 
bien  plus  grave  de  leur  refuser  la  nourriture  spirituelle  qui  leur 
manque?  Si  l'aumône  qui  fait  vivre  le  corps  est  obligatoire,  combien 
plus  celle  qui  fait  vivre  les  âmes!  Or,  c'est  un  fait  patent  que,  dans 
un  grand  nombre  de  diocèses,  les  peuples  n'ont  pas  cette  mesure 


MATIÈRES  DE  LA  PRÉDICATION.  47 

d'instruction  dont  ils  ont  besoin  :  les  âmes  languissenl  ou  se  meurent 
faute  de  la  parole  de  Dieu. 

Mais  quelle  est  la  gravité  de  cette  obligation  ?  la  solution  de  celte 
question  dépend  des  besoins  plus  ou  moins  pressants  des  localités. 
Si  l'on  demeure  dans  un  diocèse  où  la  parole  de  Dieu  soit  distribuée 
abondamment  aux  peuples  avec  zèle  et  intelligence,  l'obligation  du 
prêtre  qui  n'a  point  cliarge  d'âmes  sera  légère,  et  pourra  même  se 
restreindre  à  certaines  circonstances  où  on  l'inviterait  à  prêcher 
pour  remplacer  un  confrère  malade,  ou  pour  réveiller  l'aîtenlion 
des  fidèles  par  l'intérêt  qu'inspirent  la  variété  et  la  nouveauté  ;  mais 
si  Ton  deuieure  dans  un  de  ces  diocèses,  malheureusement  si  nom- 
breux, où  l'on  peut  dire  :  PariniU  petierunt  patieyn,  et  non  erat  qui 
fnuujeret  eis'-...  Messis quidem  muUa,  operarii autem  panci^,  l'obli- 
gation alors  acquiert  une  gravité  proportionnelle  aux  besoins,  sauf 
le  cas  où  l'on  se  rendrait  utile  par  un  autre  genre  de  ministère, 
comme  celui  de  la  confession.  En  effet,  plus  la  nécessité  des  pauvres 
est  extrême,  plus  le  précepte  de  l'aumône  devient  urgent  et  grave 
pour  le  riche.  Or  le  même  raisonnement  s'applique  ici  :  plus  les 
peuples  ont  besoin  d'instruction  religieuse,  plus  celui  qui  peut  la 
leur  donner  y  est  obligé.  Demeurer  oisif  en  présence  de  celte  famine 
si  commune  et  si  désastreuse  de  la  parole  de  Dieu,  ou  perdre  en  lec- 
tures frivoles  et  vains  amusements  les  longs  loisirs  qu'on  pourrait 
employer  à  préparer  d'utiles  instructions^,  c'est  être  cruel  envers  ses 
frères,  c'est  manquer  à  l'Église,  c'est  manquer  à  Jésus-Christ  même  : 
Sic  peccantes  in  fratres,  in  Ciirislum  peccatis^. 


CIUriTRE  III 

Des  matirres   <tc  la  Prc-dicatîon. 

Nous  exposerons  H"  ce  qu'il  faut  traiter  dans  la  chaire  sacrée  ; 
2°  ce  dont  on  doit  s'y  abstcin'r. 

1  Jércin.,  Tliron.,   iv,  4.  —  *  Mnllli.,   ix.  —  ^  Miroir  du  clorur,    Miroir  du 
clianoine,  à  la  lin  du  premier  voluiuc.  —  *  1  Cor.,  vin. 


-{<;  TI'.AlTi;  liE  F,A  ÎM'vKDiCATIOrv. 

ARTICLE  i. 

DE    CE    qu'il    faut    TRAITER    EN    CIIAU'.E. 

Jésns-Clirist,  comme  nous  l'avons  dit  ailleurs,  n'a  fondé  la  prédi- 
cation que  pour  le  salut  des  hommes.  De  ce  principe,  nous  pouvons 
conclure  que  tout  ce  qui  est  nécessaire  ou  utile  au  salut,  peut  être  la 
matière  de  la  prédication,  et  doit  l'être  plus  ou  moins,  selon  que  la 
chose  est  plus  ou  moins  nécessaire  ou  utile  au  salut.  Mais  quel  est 
cet  ordre  de  nécessité  ou  d'utilité  qui  doit  régler  les  matières  de  la 
prédication?  Telle  est  la  question  que  nous  avons  ici  à  examiner. 

1"  Il  faut  placer  en  tête  les  trois  principaux  mystères  avec  le  sym- 
bole et  les  vertus  théologales,  les  commandements  de  Dieu  et  de 
l'Église  avec  les  sacrements  qu'on  doit  recevoir  et  les  dispositions 
nécessaires  pour  s'en  approcher,  enfin  l'oraison  dominicale  et  les 
devoirs  d'état.  Voilà  la  hase  de  l'édifice  spirituel,  et  par  conséquent 
de  linstruction  religieuse^;  voilà  le  corps  de  doctrine  que  Dieu  oblige 
tous  les  fidèles  à  savoir  distinctement,  et  sur  lequel,  par  conséquent, 
il  faut  revenir  sans  cesse  jusqu'à  ce  qu'ils  le  possèdent,  selon  la  sage 
prescription  du  Concile  de  Trente  :  Pnrochi...  pascant  plebcm  sibi 
commissam  salularihus  verbis,  doccndo  qux  scire  omnibus  necessa- 
rium  est  ad  saluteni-  :  devoir  d'autant  plus  rigoureux  aujourd'hui 
que,  si  l'on  excepte  un  très-petit  nombre  de  paroisses  longtemps 
gouvernées  par  un  pasteur  zélé  et  capable,  qui  ait  donné  un  soin 
spécial  à  l'instruction,  la  plupart  des  auditeurs  ignorent  ces  premiers 
éléments  de  la  religion,  ou  parce  qu'ils  ne  les  ont  pas  appris  suffi- 
samment au  catéchisme,  ou  parce  qu'ils  les  ont  oubliés.  «  Ceux  qui 
«  ont  quelque  expérience  des  fonctions  ecclésiastiques  et  quelque 
«  zèle  du  salut  des  âmes,  dit  Fleury  dans  la  préface  de  son  Caté- 
«  chisme,  sont  sensiblement  touchés  de  l'ignorance  de  la  plupart  des 
((  chrétiens  :  ce  ne  sont  pas  seulement  les  paysans,  les  ouvriers,  ce 
«  sont  les  gens  du  monde,  polis  et  éclairés  d'ailleurs,  souvent  même 
«  les  gens  de  lettres,  que  l'on  trouve  fort  mal  instruits  de  nos  mys- 
«  tères  et  des  règles  de  la  morale...  On  voit  même  des  personnes 
«  dévotes  qui  ont  lu  beaucoup  de  livres  spirituels  et  savent 
«  grand  nombre  de  pratiques  de  piété,  mais  qui  n'ont  pas  encore 

«  Miroir  du  clergé,  t.  II,  p.  lO."  à  111.  —  Devoirs  d'un  pasteur,  c.  v,  §  2, 
ii°=  2  et  4.  —  Iiistruct.  pastorale  de  l'évèque  de  Chartres,  en  août  1828,  dans 
l'Ami  de  la  relijion  du  10  décembre  1828.  —  -  Sess.  5,  de   Reform.,  c.  ii.  — 


MATIÈRES  DE  LA  PREDICATION  49 

«  compris  l'essentiel  de  la  religion.  »  Frappé  de  la  même  observation, 
le  Père  le  Jeune  raconte  de  lui-même*  que,  pendant  quarante  ans, 
en  quelque  endroit  qu'il  prêchât  l'avent  ou  le  carême,  il  exposait 
presque  tous  les  Dimanches  et  fêtes,  à  la  fin  du  sermon,  les  mystères 
de  la  Trinité  et  de  l'Incarnation,  de  la  passion,  la  résurrection  el 
l'ascension  du  Sauveur,  tout  ce  qui  est  essentiel  aux  sacrements  de 
baptême,  de  pénitence  et  d'eucharistie,  faisant  remarquer  à  ses  au- 
diteurs que  le  Fils  de  Dieu  n'a  pas  toujours  été  homme  ;  qu'étant 
Dieu  de  toute  éternité  il  s'est  fait  homme  par  amour  pour  nous,  et 
sera  homme  à  jamais  ;  qu'il  est  dans  l'eucharistie  en  chair  et  en  sang; 
que  la  confession  ne  sert  de  rien  sans  un  vrai  repentir,  et  qu'il  faut 
le  demander  à  Dieu  avec  instance.  «  Si  vous  avez  du  zèle  pour  la 
«  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes,  ajoute  ce  célèbre  missionnaire 
«  en  s'adressant  aux  prédicateurs,  vous  ferez  de  même  :  autrement 
«  les  peuples  tomberont  et  demeureront  dans  une  effroyable  igno- 
«  rance  de  ces  mystères  si  nécessaires  au  salut.  »  —  C'est  donc  à 
tort  que  beaucoup  de  pasteurs  n'instruisent  presque  jamais  leurs 
peuples  sur  les  vérités  fondamentales,  bornant  toutes  leurs  prédica- 
tions à  quelques  réflexions  morales  tirées  plus  ou  moins  heureuse- 
ment de  l'Évangile  du  jour.  Suivre  une  pareille  méthode,  là  sm-tout 
où  ces  vérités  ne  sont  pas  gravées  dans  tous  les  esprits  et  tous  les 
cœurs,  c'est  bâtir  un  édifice  sans  fondement,  c'est  abandonner  les 
âmes  à  leur  perte  éternelle.  «  C'est  se  perdre  soi-même,  dit  l'évêque 
«  de  Chartres^,  et  méconnaître  la  grande  dette  des  pasteurs.  Non, 
«  continue  ce  Prélat  parlant  à  son  clergé,  vous  ne  sauriez  vous  dis- 
«  penser  de  poser  pour  le  fondement  de  vos  instructions  l'explication 
<(  de  ces  articles  essentiels.  Ce  n'est  que  lorsque  toute  votre  paroisse 
a  en  sera  profondément  imbue  que  vous  pourrez  passer  à  autre 
«  chose.  Si  vous  suiviez  un  autre  ordre,  vous  donneriez  desahments 
H  peu  profitables,  au  lieu  de  ceux  dont  on  ne  peut  se  passer  et  dont 
«  la  privation  cause  la  mort.  Traitez  donc  d'abord  ces  matières, 
«  approfondissez-les,  reproduisez-les  sous  mille  formes;  il  est  trés- 
«  facile  de  les  orner,  de  les  enviroimer  de  détails  qui  les  rendent 
«  agréables  et  attrayantes.  Par  là  vous  assurerez  tout  à  la  fois  votre 
«  salut  et  celui  de  vos  frères,  d  Conformément  à  tant  d'autorités  et  de 
raisons,  un  pasteur  ne  peut  rien  faire  de  mieux  que  de  suivie  le  plan 
d'instructions  tracé  par  les  soins  de  saint  Charles  dans  le  Catéchisme 
du  Concile  de  Trente,  ou,  s'il  ne  croit  pas  devoir  suivre  ce  plan,  de 

'  Prélaco  de  ses  Sermons.  —  *  Instruct.  pastorale  du  mois  d'aoïH  1S'J8. 

4 


50  ThAlTE  DE  LA  PREDiCATIOÎ*. 

traiter  au  moins  chaque  Dimanche  celles  des  vérités  chrétiennes  qui 
ont  le  plus  de  rapport  avec  l'évangile  du  jour  ou  de  la  fête  qu'on 
célèbre,  suivant  la  table  qui  se  trouve  à  la  fin  du  Catéchisme  du 
même  Concile.  C'est  l'avis  que  donnait  Bossuet  à  ses  curés*  :  «  Nous 
(i  vous  exhortons,  leur  disait-il,  à  répandre  toujours  dans  vos  prônes 
«  et  dans  vos  sermons  quelque  chose  du  catéchisme,  et  à  y  ramener 
«  souvent  les  mystères  de  Jésus-Christ  et  la  doctrine  des  sacrc- 
«  ments.  » 

2°  Après  les  vérités  fondamentales,  les  fins  dernières  doivent 
être  la  matière  la  plus  fréquente  des  prédications.  C'est  là,  dit  saint 
Liguori,  ce  qui  fait  d'ordinaire  le  plus  d'impression  sur  les  hommes 
et  es  porte  à  changer  de  conduite  ;  c'est  en  parlant  de  la  mort,  de 
l'enfer,  de  l'éternité,  et  en  intéressant  par  là  la  nature  immortelle 
de  l'homme,  qu'on  remue  les  cœurs,  qu'on  réveille  le  remords, 
qu'on  arrache  les  larmes,  et  que  le  prédicateur,  s'élevant  au-dessus 
de  lai-môme,  se  montre  vraiment  l'envoyé  du  ciel  et  parle  en  son 
nom  ;  puis,  celte  matière  est  plus  à  la  portée  de  tous,  plus  adaptée 
à  tous  les  besoins,  plus  intelligible  à  tous  les  esprits,  plus  efficace 
sur  tous  les  cœurs  pour  les  détourner  du  vice  et  les  porter  à  la 
vertu.  Les  fins  dernières,  dit  un  célèbre  orateur,  sont  le  grand  res- 
sort qui  fait  aller  toute  la  vie  chrétienne,  et  leur  souvenir,  dit 
l'Esprit-Saint,  préserve  de  tout  mal-  :  on  ne  pèche  que  parce  qu'on 
les  oublie;  si  l'on  y  pensait  bien,  on  ne  pécherait  jamais.  Aussi 
saint  François  Xavier  donnait-il  cet  avis  à  un  de  ses  compagnons^  : 
«  Faites  sentir  combien  le  péché  est  abominable  ;  représentez  l'excès 
«  de  l'injure  que  fait  à  la  souveraine  majesté  de  Dieu  l'homme  qui 
«  se  souille  d'un  péché  mortel;  imprimez  dans  les  esprits  un  sa- 
«  lutaire  effroi  de  la  terrible  condamnation  qui,  au  grand  jour  du 
«  jugement,  sera  fulminée  contre  les  coupables  convaincus  ;  pei- 
((  gnez  d'une  manière  vive  les  affreux  tourments  de  l'enfer  ;  mena- 
«  cez  de  la  mort,  surtout  d'une  mort  inopinée  et  subite,  ceux  qui 
«  ne  se  mettent  point  en  peine  de  servir  Dieu,  et  dorment  tranquilles 
«  avec  une  conscience  souillée  et  abominable  ;  saisissez  en  même 
«  temps  les  moments  favorables  pour  rappeler  aux  pécheurs  la 
«  croix  de  Jésus-Christ,  ses  blessures,  sa  mort,  par  lesquelles  il  a 
«  daigné  expier  nos  offenses,  et  que  votre  discours,  alors  animé  des 
«  affections  les  plus  touchantes  exprimées  par  des  figures  pathé- 

*  Préface  de  son  Catéchisme.  — ^EccI.,  vu,  iO.  —  s  LeUre  du  saint  au  P.  Bai-- 
zée,  en  1549,  §  8. 


MATIÈRES  DE  LA  rUÉDICATlON'.  51 

«  tiques,  des  apostrophes  et  di's  colloques  propres  à  émouvoir, 
«  inspirent  une  telle  douleur  du  péché,  que  les  larmes,  s'il  est  pos- 
«  sible,  coulent  de  toutes  parts.  Voilà  le  véritable  et  l'unique  portrait 
«  d'une  prédication  fructueuse.  »  — Contre  cette  doctrine,  on  objecte 
que  les  temps  sont  changés,  qu'aujourd'hui  on  ne  veut  plus  entendre 
parler  de  sujets  terribles,  qu'il  faut  s'accommoder  au  siècle  et  mé- 
nager sa  faiblesse.  A  cela  nous  répondrons,  1°  que,  tout  en  traitant 
les  fuis  dernières,  on  peut  et  on  doit  entremêler  le  terrible  et  le 
consolant,  opposer  les  fins  dernières  du  juste  aux  fins  dernières  du 
pécheur,  encourager  après  avoir  effrayé,  montrer  la  route  du  ciel 
après  avoir  décrit  l'enfer,  et  faire  voir  en  Dieu  un  père  plein  de  ten- 
dresse envers  celui  qui  se  reppnt  en  même  temps,  qu'il  est  un  juge 
terrible  contre  celui  qui  s'obstine.  Nous  répondrons,  2"  que,  si  dans 
les  siècles  de  foi  et  de  vertu,  on  prêchait  surles  fins  dernières,  la  chose 
est  bien  plus  nécessaire  dans  ces  derniM's  jours  d'indifférence  où 
la  crainte  de  la  mort  et  de  l'enfer  ne  retient  plus  les  passions  dé- 
chaînées. C'est  aujourd'hui  plus  que  jamais  qu'il  faut  élever  la  voix 
pour  faire  entendre  ces  grandes  vérités  :  Clama,  ne  cesses,  quasi 
tuba  exalta  vocem  tiiam,  et  annuntia  populo  meo  scelera  eorum^. 
Malheur  au  prêtre  qui,  en  dissimulant  les  justices  du  Seigneur,  laisse 
les  âmes  dans  une  fausse  sécurité  qui  les  perd  :  Si  dicente  me  ad 
impiiim,  morte morieris,  non  anmmtiaveris  ei...  ipse  impius  inini- 
quitnte  sua  morietur  ;  sanguinem  autem  ejus  de  ynanu  tuâ  requiram  -, 
La  modération  que  les  gens  du  monde  demandent  au  prédicateur 
n'est  qu'un  ménagement  coupable  pour  la  mollesse  de  leurs  mœurs, 
la  nullité  de  leurs  principes,  les  vices  de  leur  vie  et  le  sommeil  de 
leur  conscience  qui  ne  voudrait  pas  être  réveillée  :  il  est  indigne 
d'un  ministre  de  la  parole  de  céder  à  de  telles  considérations. 

5°  Après  les  vérités  fondamentales  et  les  fins  dernières,  la  matière 
la  plus  importante  de  la  prédication,  c'est  l'ensemble  delà  religion, 
présenté  de  manière  à  mener  ses  auditeurs  avec  ordre  et  méthode, 
depuis  les  premiers  éléments  jusqu'aux  plus  hauts  mystères.  Cet 
ensemble  se  compose  de  faits,  de  dogmes,  de  morale  et  de  prati- 
ques. 1°  L'exposé  des  faits  doit  entrer  comme  premier  élément  dans 
l'ensemble  de  l'enseignement  religieux  :  car  presque  tout  est  lii>to- 
rique  dans  la  religion  ;  et  on  ne  la  connaît  bien  qu'autant  qu'on  con- 
naît son  histoire.  Ce  sont  les  l'.iits  (pii  établissent  et  consolident  la 
foi,  qui  expliquent  presque  tous  les  dogmes,  qui  rendent  raison  des 

'  Isaïe,  Lviii.  —  -  Ezecli.,  xxxm. 


52  TRAITÉ  DE  I..\  mEDICATION. 

principales  céréinonios  du  culte  catholique,  etdorjnent  rijilelligciice 
des  instructions  religieuses  qui  se  font  dans  les  chaires  chrétiennes. 
Tous  les  jours  on  parle  aux  peuples  de  l'Écriture,  de  l'Église,  des 
deux  Testaments  ou  des  deux  lois,  des  sacrifices  de  Moïse  et  d'Aa- 
ron,  d'Abraham  et  de  Melchisédech,  des  prophètes,  des  apôtres  ;  et 
s'ils  ignorent  les  faits,  les  choses  et  les  personnes  de  l'Histoire 
sainte,  ils  ne  comprennent  rien  à  ce  langage.  On  leur  dit  que  Jésus- 
Christ  est  notre  Pâque,  et  quel  sens  peut  avoir  pour  eux  cette  parole, 
s'ils  ne  savent  auparavant  quelle  était  la  Pâque  des  Juifs  mstiluée 
pour  célébrer  la  délivrance  d'Egypte  et  figurer  la  déliviance  plus 
excellente  de  l'esclavage  du  démon  par  Jésus-Christ?  Toute  l'année, 
enfin,  ils  voient  célébrer  les  mystères  du  christianisme  et  adminis- 
trer les  sacrements  ;  et  s'ils  ne  connaissent  pas  l'histoire  de  la  vie 
deXotre-Seigneur,  ils  ne  comprennent  pas  plus  ce  qu'ils  voient  faire 
que  ce  qu'ils  entendent  dire.  Il  est  donc  de  la  plus  grande  impor- 
tance d'expliquer  au  peuple  la  partie  historique  de  la  religion  ;  et  ce 
g-enre  d'instruction  aura  le  triple  avantage  d'être  écouté  avec  plus 
d'attention  et  d'intérêt,  de  se  graver  dans  la  mémoire  d'une  ma- 
nière plus  nette  et  plus  durable,  et  de  faire  mieux  ressortir  les  vé- 
rités qu'il  démontre  :  ainsi  l'action  de  la  Providence  se  montrera 
sensible  dans  l'histoire  des  patriarches  et  du  peuple  de  Dieu;  la 
beauté  et  les  charmes  de  la  vertu  éclateront  dans  l'histoire  de  Piuth, 
de  Tobie,  d'Eslher-,  la  crainte  de  Dieu  et  l'horreur  du  péché  res- 
sortironl  du  récit  de  la  création,  du  déluge,  de  Pembrasement  de 
Sodome,  des  plaies  d'Egypte,  des  miracles  du  désert,  de  la  captivité 
de  Babylone,  et  des  autres  effets  de  la  justice,  de  la  puissance  et  de 
la  grandeur  divines.  Dieu,  au  contraire,  paraîtra  aimable  si  l'on  ex- 
pose les  biens  qu'U  a  faits  à  Abraham,  Joseph  et  Moise,  les  soins  qu'il 
a  pris  de  son  peuple  dans  le  désert  et  surtout  l'incarnation  du  Verbe, 
la  vie  et  la  mort  de  Jésus-Christ*.  On  trouvera  les  matériaux  tout 
préparés  pour  ce  travail,  dans  le  Catéchisme  historique  de  Fleury, 
dans  l'Histoire  delà  Religion  par  Lhomond,  dans  l'Abrégé  de  l'An- 
cien Testament  par  Mésenguy,  et  dans  le  Discours  de  Bossuet  sur 
l'Histoire  universelle.  La  Bible  de  Royaumont  pourra  aussi  fournir 
des  réflexions  pieuses  à  intercaler  dans  le  cours  de  la  narration, — 
2^  11  faut  instruire  sur  le  dogme.  C'est  dans  plusieurs  prédicateurs 
un  étrange  écart  de  ne  jamais  traiter  que  des  sujets  de  morale,  sans 


•  On  peut  aiipliquer  aux  grandes  pci'j-'onnes  ce  que  Fûndon  d'il   de  l'utilité 
de  l'Histoire  sainte  pour  les  enfants  :  Editcatm:  des  filles,  c.  vi. 


MATIEP.ES  DE  LA  rHEDICAT10>;.  55 

expliquer  le  dogiiifi.  C'est  bâtir  en  l'air  que  tle  procéder  ainsi  :  h 
morale  a  son  fondement  et  sa  sanction  dans  le  dogme  :  sans  lui,  elif. 
n'est  qu'une  morale  philosophique,  dénuée  d'autorité  et  de  vie  ; 
élayée  par  lui,  elle  prend  une  majesté  imposante  et  sainte  ;  Dieu  la 
commande,  l'éternité  la  sanctionne,  Jésus-Christ  la  consacre  par  ses 
exemples,  et  ses  mystères  la  persuadent  mieux  que  tous  les  raison- 
nements^  Aussi  tous  les  grands  maîtres  de  la  prédication  sesont-iis 
atlachés  au  dogme.  C'est  dans  la  région  sublime  des  mystères,  dit 
M.  de  Boulogne  ^,  que  l'on  a  vu  planer  les  aigles  de  la  chaire  ;  c'est 
dans  ces  vastes  réservoirs  qu'ils  ont  puisé  les  eaux  abondantes  de 
l'éloquence  sacrée  ;  c'est  dans  ce  saint  des  saints,  qu'entrant  comme 
le  grand  prêtre  de  l'ancienne  loi,  ils  sont  allés  chercher  ces  oracles 
que  les  populations  émues  et  saisies  écoutaient  comme  la  voix  d^ 
Dieu  même  ;  et  c'est  au  contraire  pour  avoir  négligé  la  partie  doc- 
trinale et  mystérieuse,  pour  s'être  trop  attaché  à  la  partie  morale  cl 
humaine,  que  plusieurs  prédicateurs  modernes  ont  manqué  le  vrai 
but  de  l'instruction  chrétienne,  celui  d'enrichir  la  morale  par  le 
dogme  et  le  dogme  parla  morale.  Voilà  d'où  vient  encore  l'incontes- 
table supériorité  des  prédicateurs  catholiques  sur  les  prédicateurs 
protestants  ;  c'est  que  ceux-ci  puisent  tous  leurs  sermons  dans  une 
raison  toute  nue,  qui  semble  s'effaroucher  de  tout  ce  qui  est  dogme 
et  repousser  tout  ce  qui  est  mystère.  Il  faut  donc  traiter  à  fond  le 
dogme,  faire  connaître  Dieu  et  ses  perfections,  Jésus-Christ,  ses  mys- 
tères et  sa  doctrine,  l'Église  et  son  autorité  infaillible,  la  justification 
et  la  grâce,  les  sacrements,  la  nécessité  et  les  qualités  de  la  prière. 
—  5"  Tout  en  instruisant  sur  le  dogme,  il  ne  faut  pas  négliger  la 
morale.  Puisque  le  salut  des  auditeurs,  qui  est  le  but  de  la  prédica- 
tion, ne  s'obtient  que  par  les  œuvres,  il  est  évident  que  le  prédicateur 
qui  s'en  tient  à  la  spéculation  et  aux  considérations  dogmatiques, 
manque  tout  à  fait  son  but,  et  que  celui  qui  veut  être  utile  doit  tout 
rapporter  à  la  pratique,  c'est-à-dire  à  la  réforme  des  mœurs,  à  l'exer- 
cice des  vertus,  jusque-là  que,  lors  même  qu'il  traite  un  sujet  pure- 
ment dogmatique,  il  doit  toujours  terminer  par  une  conséquence 
morale  qui  tende  à  rendre  l'honmie  meilleur.  Les  sujets  principaux 
à  traiter  en  ce  genre  sont  les  commandements  de  Dieu  et  de  l'Eglise, 


'  La  véritaîjle  fin  des  mystères,  dit  Dossiiet  dans  la  préface  de  son  Café'- 
chi.sine,  c'est  d'inspirer  l'amour  de  Dieu  et  de  tontes  les  vertus,  Dieu  n'ajant 
pas  l'ait  des  elio.~es  si  admirables  pour  être  la  pâture  des  esprits  curieux,  mais 
pour  être  le  fondement  des  saintes  pratiques  auxquelles  La  religion  nous  oblige. 

*  Discours  sur  les  causes  de  la  décadence  de  l'éloquence. 


hi  TRAITÉ  DE  LA  PIŒDICATION. 

la  iiatuie  des  vices  et  des  vertus,  avec  les  motifs  et  la  manière  d'évi- 
ter les  uns  et  de  pratiquer  les  autres,  la  haine  du  péché  et  ses  diffé- 
rentes espèces,  sans  oublier  les  péchés  de  pensées  et  de  désirs, 
d'omissions  et  de  pai-oles,  la  nécessité  des  bonnes  œuvres,  avec  la 
manière  de  faire  chrétiennement  ses  actions  et  surtout  ses  exercices 
de  piété.  Mais  entre  fous  ces  sujets,  il  faut  choisir  de  préférence  les 
grands  devoirs  du  christianisme  et  les  grands  défauts  les  plus  com- 
muns :  l'esprit  instruit  des  devoirs  importants,  et  le  cœur  touché  des 
vérités  essentielles,  corrigeront  d'eux-mêmes  les  petits  défauts  ;  et 
d'ailleurs,  ne  pouvant  tout  dire,  ce  serait  employer  moins  bien  son 
temps  que  de  s'arrêter  à  des  choses  moins  importantes.  Ce  n'est  pas 
que  le  prédicateur  doive  négliger  d'enseigner  la  perfection  aux  justes  : 
ces  âmes  généreuses,  si  chères  au  cœm'  de  Notre-Seigneur,  ont  droit 
à  une  part  abondante  dans  la  distribution  de  la  divine  parole.  Il  ne 
faut  quelquefois  qu'un  mot  pour  faire  éciore  une  vocation  :  témoin 
saint  Antoine,  auquel  il  suffit  d'entendre  lire  à  l'église  cette  parole  : 
Si  vis  perfectus  esse,  vade,  vende  qiiod  hahes,  et  dapmiperihus^.  Mais 
le  prédicateur  pourra  satisfaire  à  ce  qu'il  doit  à  ces  âmes  d'élite, 
tantôt  en  insérant  dans  ses  discours  des  avis  sur  les  conseils  et  la 
perfection  évangéliques,  tantôt  en  traitant  ces  matières  ex  professa, 
quand  le  genre  de  l'auditoire  le  comportera.  —  A"  Il  faut  expliquer 
aux  fidèles  les  pratiques  de  la  religion,  et  par  là  nous  entendons  les 
cérémonies  du  culte  public  et  de  l'administration  des  sacrements, les 
prières  du  matin  et  du  soir,  enfin  les  pratiques  pieuses.  Les  céré- 
monies ont  toutes  un  sens  caché  et  sont  une  prédication  en  action. 
Si  le  fidèle  les  comprend,  elles  l'intéressent,  l'instruisent  et  l'édi- 
fient :  si  on  ne  lui  en  donne  pas  l'intelligence,  il  ne  les  voit  qu'avec 
ennui  et  dégoût,  sans  profit  pour  la  piété;  souvent  même  il  les  cri- 
tique comme  choses  singulières  qui  n'ont  pas  de  sens.  Rien  ne  lui 
sera  plus  agréable  que  d'en  entendre  l'explication,  soit  parce  qu'une 
instruction  qui  se  rattache  à  des  objets  sensibles  se  saisit  et  se  retient 
sans  peine,  soit  parce  que  tout  le  monde  éprouve  un  plaisir  naturel 
à  savoir  la  raison  des  choses  qui  se  iont  sous  ses  yeux.  Même  utilité 
et  même  agrément  pour  les  fidèles  se  rattacheraient  à  l'explication 
des  prières  du  matin  et  du  soir  :  il  y  aurait  utilité  ;  car,  s'ils  les 
comprenaient,  ils  les  diraient  plus  aisément  avec  attention  et  piété, 
entreraient  dans  le  sens  qu'elles  expriment  et  rendraient  ainsi  à  Dieu 
un  culte  vraiment  intérieur,  tandis  que,  s'ils  ne  les  comprennent  pas, 

*  Matth.,  XIX,  21. 


MATIÈRES  DE  L\  PRÉDICATION.  55 

ce  qu'ils  disent  n'est  plus  qu'un  jeu  des  lèvres  où  l'esprit  et  le  cœur 
ne  sont  pour  rien,  où,  aucun  sentiment  pieux  n'occupnnt  rame,  il 
est  difficile  de  se  défendre  des  distractions  et  de  faiie  une  bonne 
prière.  11  y  aurait  aussi  agrément  :  car,  qui  ne  prendrait  plaisir  à 
acquérir  Tintelligence  de  paroles  qu'on  profère  tous  les  jours,  et  à 
éviter  par  là  l'ennui  et  le  dégoût  presque  inséparables  d'une  récita- 
tion de  mots  incompris?  Enfin,  il  serait  également  intéressant  d'ex- 
pliquer et  de  recommander  aux  fidèles  les  pratiques  pieuses,  propres 
à  maintenir  les  âmes  dans  la  vertu  et  à  accélérer  leurs  progrès  dans 
la  perfection,  par  exemple,  un  règlement  de  vie,  l'oraison  mentale 
avec  l'examen  de  prévoyance  chaque  matin,  l'examen  particulier  et 
général,  la  lecture  spirituelle,  la  visite  au  Saint-Sacrement,  la  prière 
en  famille,  au  moins  le  soir;  la  pratique  des  oraisons  jaculatoires, 
pour  offrir  à  Dieu  ses  actions,  accepter  avec  calme  ses  souffrances 
et  ses  peines,  l'appeler  à  son  secours  dans  les  tentations,  et  demander 
son  amour  ;  la  piété  envers  le  crucifix  et  l'usage  si  chrélien  d'en 
avoir  un  exposé  en  chaque  maison  ;  la  dévotion  à  la  sainte  Vierge  et 
la  fidéhté  à  l'honorer  chaque  jour  par  le  chapelet  et  autres  pratiques 
ou  prières  ;  la  fréquentation  des  sacrements,  l'audition  journalière 
de  la  sainte  messe,  autant  qu'on  le  peut;  la  manière  de  l'entendre 
et  d'assister  aux  offices;  un  acte  de  contrition  aussitôt  après  chaque 
faute,  et  la  confession  au  plus  tôt;  la  fuite  des  occasions  du  péché, 
comme  les  mauvaises  compagnies,  les  rapports  trop  intimes  avec 
les  personnes  d'un  autre  sexe,  la  modestie  des  regards,  qui  prévient 
la  vue  des  objets  dangereux,  etc..  Le  monde  appellera  communes 
et  triviales  les  instructions  sur  ces  matières  ;  mais  ses  vaines  criti- 
ques n'arrêteront  pas  le  prédicateur  qui  aura  un  vrai  désir  de  sauver 
les  âmes  ;  car  c'est  par  de  telles  pratiques  qu'on  assure  la  conversion 
des  pécheurs  et  qu'on  sanctifie  les  justes.  Saint  François  de  Sales  et 
saint  Liguori  ne  cessaient  de  les  recommander*,  et  c'est  mémo  là 
presque  la  seule  partie  du  sermon  que  retiennent  les  gens  simples 
qui  y  assistent  :  ils  oublient  les  divisions,  les  preuves,  les  mouve- 
ments oratoires,  mais  ils  retiennent  une  pratique  pieuse  qu'on  leur 
a  expliquée  et  recommandée. 

-4"  Dans  le  choix  des  matières  de  la  prédication,  il  faut  préférer 
les  sujets  communs  et  rebattus  aux  sujets  nouveaux  et  extraordi" 


*  LeUres  de  S.  Liguori  à  un  religieux  de  ses  amis,  sur  leloquenco  et  la  pré- 
dication populaire,  dans  la  Méthode  qàiérale  de  catéchisme,  par  M.  Dupanloup 
t.  II,  p.  44. 


50  TRAITE  DE  LA  PREDICATION. 

naires  ^  La  raison  en  est  que  les  sujets  les  plus  communs  sont  les 
plus  utiles  ;  ils  ne  sont  si  communs  que  parce  que  leur  importance 
a  frappé  un  plus  grand  nombre  d'esprits  qui  ont  cru  ne  pouvoir  rien 
faire  de  mieux  que  de  les  traiter.  Si  les  auditeurs  les  ont  déjà  en- 
tendus, il  leur  sera  très-utile  de  les  entendre  encore,  pour  s'en 
pénétrer  toujours  davantage  et  les  appliquer  à  la  réforme  de  leui 
vie.  D'ailleurs,  les  sujets  les  plus  rebattus  ont  souvent  aujourd'hui 
le  mérite  de  la  nouveauté,  soit  parce  qu'un  grand  nombre  de  prédi- 
cateurs les  dédaignent  par  une  secrète  vanité  qui  veut  parler  autre- 
ment que  les  autres,  ce  sont  vraiment  des  sujets  neufs  et  peu  ordi- 
naires dans  la  chaire  ;  soit  parce  qu'un  nombre  d'auditeurs  n'ayant 
que  des  coimaissances  superficielles  en  religion,  ces  sujets  com- 
muns, bien  traités  et  bien  approfondis,  leur  paraissent  neufs.  Enfin, 
les  Pères  dans  leurs  homélies,  Massillon  et  Bourdaloue  dans  leurs 
sermons,  n'ont  point  traité  des  sujets  extraordinaires  :  ils  se  sont 
attachés  à  traiter  les  vérités  les  plus  communes,  parce  qu'ils  les 
regardaient  comme  les  plus  importantes  et  les  plus  utiles.  Or  les 
prédicateurs  modernes  auraient  mauvaise  grâce  à  se  croire  plus 
habiles  dans  le  choix  de  leurs  sujets  que  ces  grands  maîtres  de  la 
chaire. 

5°  Tout  pasteur  doit  régler  ses  instructions  de  manière  à  pou- 
voir dire  comme  l'Apôtre  aux  habitants  d'Éphése  :  Mundns  siim  à 
sanguine  omnium  ;  non  enim  subterfugi  quominùs  annuntiarem  omne 
consilium  Dei  vobis;  c'est-à-dire  qu'il  ne  doit  rien  y  avoir,  dans 
la  religion,  qu'au  bout  d'un  certain  temps  il  n'ait  enseigné  à  ses 
ouailles,  plus  ou  moins,  en  proportion  de  l'importance  de  la  chose 
et  de  la  capacité  des  auditeurs. 

ARTICLE  2. 

DES   CHOSES   qu'il   FAUT    s'aBSTENIR   DE    DIRE   EN    CHAIRE  '. 

Rappelons  ici  le  principe  posé  au  commencement  de  l'article 
précédent  :  c'est  que  Jésus-Christ  n'a  étab-li  la  prédication  que 
pour  le  salut  des  hommes.  On  pourrait  démontrer,  par  ce  seul 
principe,  qu'il  faut  éviter  dans  la  chaire  les  inexactitudes  de  doc- 
trine, la  discussion  des  objections  inconnues  aux  auditeurs,   les 

*  S.  Liguori,  Véritable  Manière  de  prêcher  à  l'apostolique,  n°'  45  et  44.  — 
—  Le  P.  bégneri,  Devoirs  des  curés,  p.  128.  —  -  Pastoral  de  Limoges,  t.  II, 
til.  IV,  c.  II. 


JIATIEUES  DE  LA  IT'.LDIGATION.  57 

questions  douteuses  et  controversées,  les  nouveautés,  les  matières 
relevées  et  subtiles  qui  surpassent  la  portée  de  l'auditoire,  enfin 
tout  ce  qui  ne  tend  pas  au  salut  ou  n'est  pas  propre  à  le  procurer. 
Mais,  comme  ces  points  sont  d'une  haute  importance,  nous  allons 
les  éclaircir  par  des  preuves  spéciales  et  des  applications. 

1"  Il  faut  éviter  avec  le  plus  grand  soin  toutes  les  inexactitudes 
de  doctrines,  soit  en  dogme,  soit,  en  morale.  Le  prédicateur  parle 
comme  ambassadeur  de  Jésus-Christ  :  or  un  ambassadeur  doit  se 
conformer  exactement  aux  instructions  de  son  prince.  11  parle  au 
nom  de  Dieu  ;  or  dire  au  nom  de  Dieu  des  choses  fausses,  c'est 
faire  Dieu  auteur  du  mensonge,  c'est  blesser  sa  véracité  infinie. 
Ajoutez  que,  s'il  n'expose  pas  exactement  le  dogme,  il  déshonore 
la  chaire  de  vérité  et  en  fait  une  chaire  d'erreur  ;  il  trompe  ses 
auditeurs,  leur  donne  de  fausses  idées  sur  la  religion,  et  court 
risque  de  leur  faire  perdre  la  foi.  S'il  n'expose  pas  exactement  la 
morale,  ou  il  l'atténue  ou  il  l'exagère  :  s'il  l'atténue,  il  corrompt 
la  loi  de  Dieu,  altère  la  sévérité  de  l'Évangile,  fausse  les  con- 
sciences, se  rend  responsable  de  tous  les  péchés  qui  seront  la 
suite  de  ses  doctrines  relâchées  ;  et,  pour  avoir  condescendu  aux 
pécheurs  qui  lui  disent  :  Loquimini  nohis  placentia\  il  s'attire 
l'analhème  porté  contre  ceux  qui  consuunt  piilvillos  siib  omni  cu- 
hito  manûs,  et  [admit  cervicalia  suh  capite  universx  xtntis^; 
souvent  même  il  perd  la  confiance  des  auditeurs,  quand  il  s'en 
trouve  d'assez  instruits  pour  reconnaître  l'inexactitude  de  sa  doc- 
trine. Si,  au  contraire,  il  exagère  la  morale,  s'il  présente  comme 
mortel  ce  qui  est  véniel,  comme  précepte  ce  qui  est  de  conseil  ; 
s'il  invective  contre  des  fautes  légères  comme  contre  des  fautes 
graves,  en  prenant  à  la  lettre  certaines  propositions  échappées  aux 
saints  Pères,  ou  s'il  recueille,  sans  discrétion,  tout  ce  que  lui  sug- 
gère une  imagination  ardente  pour  rendre  son  sujet  plus  terrible, 
il  résulte  de  là  que  les  uns  se  découragent  et  abandonnent  la  vertu 
comme  impraticable,  les  autres  se  font  une  fausse  conscience  qui 
est  pour  eux  une  source  de  fautes  et  peut-être  de  fautes  graves , 
d'autres  enfin,  frappés  de  ses  exagérations,  n'écoutent  plus  qu'avec 
défiance  un  prédicateur  qu'ils  jugent  entraîné  par  son  caractère 
dans  une  rigidité  excessive,  ou  emporté  par  son  imagination  en 
de  vaines  déclamations  :  ils  se  persuadent  qu'il  y  a  toujours  à  ra- 
battre de  ce  qu'il  dit,  et  en  viennent  quelquefois  jusqu'à  mettre 

*  Isaïe.  c.  XXX.  —  *  Ézéchiel,  c.  xiii. 


53  TRAITE  DE  LA  PllEDICATION. 

en  doute  les  maximes  les  plus  incontestables  de  la  perfection 
chrétienne.  Massillon  mérite  des  reproches  à  ce  sujet  ;  il  sacrifie 
quelquefois  l'exactitude  de  la  morale  aux  mouvements  de  rélo- 
quence,  et  les  objets  les  plus  terribles  en  eux-mêmes  le  deviennent 
encore  davantage  dans  sa  bouche  par  suite  des  exagérations  où 
son  imagination  l'entraîne.  Il  semble  oublier  qu'il  vaudrait  mieux 
laisser  le  pécheur  dans  l'apathie  que  de  le  précipiter  dans  le  déses- 
poir ;  que  la  voie  du  ciel  est  assez  étroite  par  elle-même  sans  la 
rétrécir  encore,  et  que  le  rigorisme  d'une  morale  outrée  contredit 
la  parole  du  divin  Maître  :  Jugum  meum  siiaveK  L'exagération 
dans  la  morale,  soit  du  côté  de  la  sévérité,  soit  du  côté  du  re- 
lâchement, est  donc  aussi  funeste  aux  âmes  que  déplacée  dans  le 
ministre  du  Dieu  de  vérité;  et,  en  conséquence,  iî  faut  bien  peser 
d'avance  tout  ce  qu'on  doit  dire  en  chaire,  ne  rien  s'y  permettre 
qui  ne  soit  incontestablement  exact,  n'y  énoncer  que  les  prm- 
cipes  qu'on  peut  suivre  dans  la  pratique,  et  ne  pas  être  comme 
ces  prédicateurs  dont  on  dit  qu'ils  surfont  en  chaire  et  rabattent 
au  tribunal  :  Eloqiiia  Domini  igné  examinato.-,  eloquia  Domini, 
eloquia  casta,  argenium  igné  examinatum,  purgatum  septuplum^. 

2°  Il  faut  éviter  la  discussion  des  objections  inconnues  aux  au- 
diteurs :  car  toute  objection  est  comme  le  fruit  défendu  ;  elle 
pique  la  curiosité,  elle  excite  l'intérêt,  et  est  toujours  parfaite- 
ment écoutée  :  il  n'en  est  pas  de  même  de  la  réponse  ;  on  y  est 
souvent  distrait,  et  l'objection  demeure  seule  avec  l'esprit,  avec 
ses  funestes  conséquences  que  le  démon  et  la  passion  savent  bien 
déduire.  De  plus,  les  âmes  simples  qui  ne  croient  pas  possible 
qu'on  ose  attaquer  la  religion  pourraient  se  scandahser  dy  trait 
lancé  contre  leur  croyance  ;  et  il  est  important  de  ne  pas  donner 
lieu  à  ce  scandale. 

5"  Il  ne  faut  point  traiter  en  chaire  les  questions  douteuses  et 
controversées,  ni  entreprendre  d'établir  comme  des  dogmes  ses 
opinions  particulières.  Incerta  tractari  non  permittant  cpiscopi, 
dit  le  Concile  de  Trente*.  En  effet,  la  prédication  doit  avoir  pour 
objet  la  parole  de  Dieu;  or  la  parole  de  Dieu,  c'est  le  dogme  catho- 
lique, et  non  les  opinions  particulières  de  chaque  individu.  Le 
prédicateur  est  l'ambassadeur  de  Jésus-Christ  et  parle  en  son  nom  ; 
il  doit  donc  parler  comme  parlerait  Dieu  lui-même,   c'est-à-dire 


1  Matth.,  XI,  dO.  —  -  Psalm.,  xvii,  51.  —  ^  Psalm.,  xi,  7.  —  •*  Sess.  nxv,  dé- 
cret, de  Purff. 


MATIÈRES  BE  LA  TREPICATION.  59 

prononcer  autant  d'oracles  que  de  paroles  :  mais  s'il  prêche  ses 
opinions  particulières,  il  ne  parle  plus  comme  Dieu  ni  d'une 
manière  digne  de  Dieu  ;  il  parle  comme  homme,  et  ses  paroles, 
loin  d'être  des  oracles,  sont  sujettes  à  contestation  ;  il  n'a  point 
<lroit  de  demander  créance  pour  elles  et  ne  peut  pas  même  sans 
témérité,  dit  saint  Bernard,  affirmer  ce  qu'il  enseigne  :  Opinio  qux 
assertionem  hahei,  temeraria  estK  Ce  qu'il  dit  aujourd'hui,  un 
autre  pourra  le  contredire  demain,  en  soutenant  que  lui  seul  a 
raison  ;  et  alors  la  chaire  èvangélique  d'où  la  parole  de  Dieu  de- 
vait seule  descendre,  deviendra  une  arène  où  les  hommes  se  com- 
battront pour  des  opinions  humaines  :  témoin  de  ces  débats  et 
incapable  d'ailleurs  de  discerner  l'opinion  d'avec  le  dogme,  le 
peuple  conclura  qu'on  peut  bien  ne  pas  ajouter  foi  à  tout  ce  que 
disent  des  hommes  qui  ne  s'entendent  pas  entre  eux  ;  et  dès  lors, 
par  une  conséquence  inévitable,  le  sacré  ministère  de  la  prédi- 
cation sera  déshonoré,  et  toute  autorité  sera  enlevée  à  la  parole 
de  Dieu. —  De  là  il  suit  qu'il  ne  faut  point  traiter  en  chaire  cer- 
tains point  délicats,  comme  le  sort  des  enfants  morts  sans  bap- 
tême^, ou  celui  des  infidèles  qui  auraient  observé  la  loi  natu- 
relle ;  la  matière  des  sacrements  de  la  Confirmation  et  de  l'Ordre, 
le  ministre  du  Mariage,  la  mitigation  des  peines  des  damnés,  le 
titre  de  la  loi  par  rapport  à  l'intérêt,  les  inventions  de  certains 
théologiens  pour  expliquer  la  présence  réelle,  etc..  —  Observons 
cependant  que  le  prédicateur  ue  doit  pas  se  croire  obligé  à  ne  dire 
que  les  vérités  défin-ies;  il  peut  et  doit  même  traiter  les  vérités 
qui,  sans  être  décidées,  font  partie  de  l'enseignement  universel, 
par  exemple,  l'union  de  la  divinité  au  corps  de  Jésus-Christ  pen- 
dant les  (rois  jours  de  sa  mort,  la  nature  du  feu  de  l'enfer,  la 
matière  et  la  forme  du  sacrement  de  Pénitence,  la  notion  de  l'in- 
dulgence plénière  et  de  l'indulgence  partielle,  les  opinions  de 
morale  généralement  reçues  dans  TÉcoie,  pourvu  toutefois  qu'il 
sépare  le  certain  du  probable,  les  points  définis  de  ceux  qui  ne  le 
sont  pas,  qu'après  l'exposé  des  principes  généraux  communé- 
ment admis,  il  laisse  les  fidèles  au  jugement  de  leurs  directeurs 
quant  aux  applications  particulières  sujettes  à  discussion  ;  qu'enfin 
il  se  garde  bien  de  donner  des  décisions  hasardées,  de  fixer  la  li- 

•  De  Consid.,  lib.  V,  c.  m.  —  '  Plusieurs  abuseraient  de  l'cnseignemenl  gé- 
néral sur  coUe  question  pour  différer  de  faire  baptiser  leurs  enfants,  pour  se 
inénager  moins  pendant  la  grossesse,  ou  munie  peut-être  pour  mettre  leur 
honneur  à  couvert  à  la  faveur  d'un  crime. 


60  TRAITE  DE  LA  PREDICATION. 

mite  du  péché  mortel  au  péché  véniel  lorsque  renseignement 
commun  ne  le  fixe  pas,  et  surtout  d'introduire  dans  son  discours 
des  opinions  singulières,  quoique  permises  dans  ll^cole  :  Ne  sin- 
gulares  opiniones,  qiianqiiàm  in  sdiolis  afferantur,  ad  concionem 
adhibeat,  dit  saint  Charles  ;  7iihil  quod  cum  prohatis  Ecdesis&  doc- 
toribus  consentaneuvi  non  sit,  proférât^. 

4"  Il  faut  s'abstenir  en  chaire  de  toutes  les  nouveautés,  comme 
certaines  considérations  politiques,  littéraires,  purement  philoso- 
phiques et  autres  semblables,  car  le  Saint-Esprit  dit,  dans  le  Psal- 
miste,  que  c'est  la  parole  de  Dieu  qui  convertit  :  Lex  Domini  im- 
maculata convertens  animas;  testimonium  Domini  fidèle,  sapientiam 
pi'xstans  parnilis;  prseceptum  Domini  lucidum  illuminans  oculos. 
Or,  ce  serait  une  présomption  d'espérer  plus  de  ses  propres  pensées 
que  de  la  parole  de  Dieu.  L'Esprit-Saint,  d'ailleurs,  a  tracé  le  cercle 
dans  lequel  doit  se  renfermer  le  prédicateur  :  Prœdicate  Evangelium, 
prxdica  verbum;  l  Évangile,  la  parole  de  Dieu,  voilà  la  matière  né- 
cessaire, comme  l'âme  et  la  substance  de  la  prédication  :  y  substituer 
de  profanes  nouveautés,  des  questions  sociales,  économiques,  poli- 
tiques ou  philosophiques;  prétendre  que  la  chaire  doit  subir  une  ré- 
forme, que  les  besoins  de  l'époque  demandent  un  enseignement 
autre  que  celui  de  nos  pères,  mieux  en  rapport  avec  le  siècle,  c'est 
dénaturer  la  prédication  et  vouloir  faire  de  la  tribune  évangéhque 
une  école  de  philosophes  livrée,  comme  celle  du  Portique  ou  du 
Lycée,  aux  disputes  des  hommes,  à  l'arbitraire  des  opinions,  à  la 
mobilité  des  imaginations  humaines  ;  c'est  contredire  saint  Paul,  qui 
veut  qu'on  évite  même  les  nouveautés  d'expressions  :  Devitans  pro- 
fanas vocum  novitates,  et  le  saint  Concile  de  Trente  qui  prescrit  aux 
prédicateurs  de  ne  prêcher  que  la  loi  de  Dieu  :  Divinam  legem  an- 
nuntient;  c'est  faire  le  procès  aux  Chrysostome,  aux  Grégoire  de 
Nysse  et  de  Nazianze,  aux  Basile,  qui  tenaient  sans  doute  parleur  en- 
seignement aux  besoins  de  leur  époque,  et  qui  cependant  prêchaient 
comme  avaient  prêché  avant  eux  tous  les  hommes  apostoliques,  sans 
faire  au  siècle  aucune  concession,  tenant  pour  certain  que  la  reli- 
gion, antique  comme  le  monde,  ne  souffre  de  nouveau  que  le  tour 
qu'on  donne  à  la  pensée,  ce  tour  ingénieux  qui  fait  paraître  toujours 
nouvelles  les  choses  les  plus  anciennes.  C'est,  enfin,  insulter  à  la  pa- 
role de  Dieu  que  de  croire  qu'elle  est  une  chose  surannée,  qui  ne 
convient  plus  au  siècle,  qui  ne  peut  plus  avoir  son  efficacité  pre- 

*  Act.  Eccl.  Mediol.,  part.  IV,  instr.  praîdic.  de  materià  sacrae  concionis. 


îlIATiERES  DE   LA  riŒDICATION.  01 

îiiière  "  il  y  a,  aujourd'hui  comme  toujours,  des  pécheurs  à  convertir, 
cl  pour  cela  il  faut,  aujourd'hui  comme  toujours,  leur  prêcher  Jésus- 
christ  crucifié,  quoique  le  Juif  s'en  scandalise,  et  que  le  Grec  n'y  voie 
qu'une  folie  ;  il  faut,  comme  l'Apôtre  en  présence  de  Félix,  les 
el'hayer  par  la  terreur  des  jugements  de  Dieu.  —  De  là,  nous  pou- 
vons conclure  combien  sont  répréhensibles  ces  prédications  modernes 
qui  n'ont  plus  de  l'Écriture  dans  leurs  sermons  que  le  texte  obligé, 
qui  ne  prêchent,  plus  la  parole  divine,  mais  de  profanes  nouveautés  ; 
qui  ne  vont  plus  cherclier  leurs  sujets  dans  l'Évangile,  mais  dans  les 
spéculations  de  la  philosophie  ou  de  la  politique,  ou  qui,  quand  ils 
parlent  du  christianisme,  semblent  prendre  à  tâche  de  le  séculariser, 
rougissant  de  nommer  Jésus-Christ  en  chaire,  et  mettant  à  la  place 
de  ce  nom  adorable  quelquenom  nouveau,  le  MaUre,\e  Christ,  etc., 
n'osant  plus  traiter  ni  nos  mystères,  ni  les  vertus  chrétiennes,  ni  les 
analhémes  que  lance  l'Évangile  contre  les  vices  et  les  passions,  et 
aimant  mieux  présenter  cette  rehgion  divine  comme  le  principe  géné- 
rateur du  beau  dans  la  civilisation,  dans  les  arts,  etc.,  comme  si 
c'était  pour  la  civilisation  que  le  christianisme  fût  descendu  du  ciel; 
et  ils  disent  tout  cela  à  des  âmes  pieuses  venues  dans  l'église  pour 
s'édifier  !  On  suivrait  ces  prédicateurs  pendant  un  carême  entier,  et 
on  ne  les  entendrait  pas  parler  du  délai  de  la  cenversion,  d'une  seule 
des  fins  de  l'homme,  d'un  sacrement ,  d'un  précepte  du  Décalogue, 
d'une  loi  de  l'Église,  d'un  mystère,  d'un  poché  mortel  :  or,  quel  fruit 
peuvent  produire  dans  les  âmes  de  tels  prédicateui-s,  et  quel  rapport 
y  a-t-il  entre  leur  genre  et  le  genre  des  Pères  et  des  prédicateurs  de 
tous  les  siècles?  Le  remède  à  cet  abus,  c'est  de  poser  en  principe  que 
ie  langage  du  prédicateur  doit  être  tellement  l'expression  des  pensées 
et  des  sentiments  de  Jésus-Christ,  qu'après  l'avoir  entendu  chacun 
puisse  dire  :  Hsec  dicit  Dominus,  et  que  toutes  ses  paroles  puissent 
être  traduites  dans  le  langage  môme  de  l'Ecriture.  Tout  discours  qui 
ne  peut  pas  subir  cette  épreuve  n'est  pas  un  discours  évangéliquc. 

5°  Il  faut  éviter  les  questions  relevées  et  subtiles  qui  surpassent  la 
portée  des  auditeurs  :  Apud  rudem  piebem  difllciliores  ac  subtiliores 
quxstiones...  à  popularibus  concionibus  sccludantur,  dit  le  Concile  de 
Trente ^  En  effet,  quel  est  le  but  de  la  prédication?  c'est  sans  doute 
l'instruction  et  la  sanctification  des  fidèles  :  or,  que  sert  pour  cette 
fin  de  leur  dire  des  choses  difficiles  et  subtiles  qu'ils  ne  peuvent 
comprendre?  Quelque  relevé  et  magnifique  que  soit  le  discours  pour 

*  Scss.,  XXV,  dccr.  de  Purg 


62  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

les  savants,  il  n'est  d'aucune  lUilité  pour  ceux  qui  ne  le  comprennen 
pas,  et  par  conséquent  leur  parler  ainsi,  c'est  se  prê(;her  soi-même 
plutôt  que  prêcher  Jésus-Christ  ;  c'est  suivre  les  inspirations  d'un 
amour-propre  avide  de  gloire  plutôt  que  celles  d'un  zèle  éclairé  et 
sincère  ;  c'est  enfin  s'écarter  des  exemples  de  Notre-Seigneur,  que 
nous  voyons  au  contraire  s'ahaisser  toujours  à  la  portée  des  plus 
humbles  esprits,  ménager  ses  lumières  pour  ne  pas  éblouir  leur 
faible  vue,  leur  parler  avec  la  plus  grande  simplicité  et  employer 
pour  se  faire  comprendre  les  comparaisons  les  plus  communes  :  mo- 
dèle qui  apprend  aux  prédicateurs  de  tous  les  siècles  à  ne  point  faire 
montre  de  leur  esprit,  et  à  ne  dire  en  chaire  que  ce  qui  convient  à  la 
portée  des  auditeurs  :  d'où  l'on  voit  combien  seraient  déplacés  dans 
nos  auditoires  ordinaires,  composés  de  femmes  et  de  gens  simples, 
soit  les  conférences  de  M.  Frayssinous,  soit  les  sermons  de  Bourda- 
loue,  de  Bossuet,  et  même  la  plupart  des  discours  de  Massillon  :  évi- 
demment, les  hautes  considérations  qu'ils  renferment  ne  seraient  pas 
comprises. 

G"  11  faut  éviter  dans  la  prédication  tout  ce  qui  ne  tend  pas  au 
salut  ou  n'est  pas  propre  à  le  procurer.  Quxstiones...  quai  ad  xdifi- 
cationemnon  faciuntet  ex  quibus  nullafit  pietntis  accessio,  à  popiila- 
ribus  concionibus  secliidantur,  dit  le  Concile  de  Trente  à  l'endroit  déjà 
cité.  Le  caractère  de  la  parole  de  Dieu,  c'est  d'être  utile  :  Ego  Do- 
minus  Deiis  tirns  docens  te  utilia,  dit  le  Seigneur  dans  Isaïe  ^  Le  Sage 
dans  l'Ecclésiaste  enseigne  le  peuple  ;  mais  son  discours  ne  contient 
que  des  choses  utiles  et  pleines  de  vérité  :  Chmqiie  esset  sapientU- 
simus  Ecclesiastes  docuit  popidum...  quxsivit  verba  utilia  et  con- 
scripsit  sermones  rectissimos  acveritate  plenos^.  Saint  Jean-Baptiste 
est  suscité  pour  préparer  les  voies  au  Messie,  mais  sa  prédication  se 
résume  tout  entière  dans  la  science  du  salut:  Puer  propheta...  ad 
dajidam  scieiitiam  salutis  plebi  ejus^.  Jésus-Christ  dans  ses  prédica- 
tions n'a  pas  dit  un  mot  qui  ne  tendît  au  salut;  saint  Paul  prenait  à 
témoin  les  Éphésiens  qu'il  leur  avait  prêché  tout  ce  qu'il  leur  était 
utile  de  connaître  :  Scitis  qucvwdo  nihil  substraxerim  utilium'',  et 
défendait  à  Tite  de  s'occuper  des  disputes  de  généalogie,  parce 
qu'elles  étaient  inutiles  pour  le  salut  :  Genealogias  devita  :  sunt  enim 
inutiles^.  Et  en  effet,  puisque  le  salut  est  l'unique  but  de  la  prédica- 
tion, tout  ce  qui  n'y  tend  pas  est  hors  d'œuvre  et  chose  déplacée. 


»  Isaïe,  XLViii,  17.  —  -  Eccl.,  xn,  9.   —  ^  Luc,  i,  77.  —  ■»  Act.,  xx,  20.  — 
6  Tit.,  m,  9. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  63 

Jamais  donc  on  ne  doit  parler  en  chaire  ni  de  politique,  ni  d'affaires 
temporelles,  ni  d'intérêts  personnels,  ni  de  querelles  et  contestations 
particulières.  Jamais  même  il  ne  faut  faire  intervenir  dans  son  dis- 
cours des  points  d'histoire,  de  science  ou  d'art,  qui  ne  font  rien  à  la 
gloire  de  Dieu  on  au  salut  des  âmes.  Il  faut  négliger  les  systèmes  de 
physique,  parler  du  ciel  et  de  la  terre  comme  on  en  parlait  avant  Co- 
pernic et  Descartes,  et  comme  en  parle  encore  aujourd'hui  tout  le 
monde  dans  le  langage  de  la  conversation.  Les  discussions  scienti- 
fiques seraient  là  plus  que  superflues,  et  pourraient  peut-être  faire 
admirer  le  savoir  du  prédicateur  ou  repaître  la  curiosité  des  audi- 
teurs, mais  ôteraient  au  discours  son  onction  et  sa  force,  en  allonge- 
raient inutilement  la  marche,  en  feraient  perdre  de  vue  le  but  essen- 
tiel. Ici  donc  s'applique  parfaitement  le  mot  de  Quintilien,  qui  défend 
de  se  laisser  détourner  de  ce  qui  est  utile  au  sujet  par  l'appât  de  la 
vaine  gloire,  comme  il  arrive  à  plusieurs,  dit-il  :  Cavendiim  antè 
omnia,  ne,  quocl  plerisque  accidit,  ah  ntilitate  causx  prœsentis  cupido 
laïidis  abdîicatK 


CHAPITRE  IV 

Des  qualités  de  la  prédication 

La  prédication  peut  se  considérer  ou  dans  le  prêtre  qui  en  est 
le  ministre,  ou  dans  l'auditeur  auquel  elle  s'adresse,  ou  dans  son 
action  sur  les  âmes,  ou  enfin  dans  l'ensemble  des  parties  dont  elle 
se  compose.  Suivant  ces  divers  rapports,  elle  doit  avoir  divers  ca- 
ractères. 

Considérée  dans  le  prêtre  qui  en  est  le  ministre,  elle  doit  être 
adaptée  à  sa  personne. 

Considérée  dans  l'auditeur,  elle  doit  être  appropriée  à  ceux  aux- 
quels elle  s'adresse. 

Considérée  dans  son  action  sur  les  âmes,  elle  doit  instruire,  plaire 
et  toucher. 

1  LiL,  XII.  c.  IX. 


64  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

Considérée  dans  rensenible  des  parties  qui  la  constituent,  elle 
doit  former  un  tout  régulier,  et  être  conforme  au  principe  d'unité 
qui  est  essentiel  à  toute  bonne  composition. 

Revêtue  de  tous  ces  caractères,  la  prédication  est  parfaite;  privée 
d'un  seul,  elle  est  vicieuse.  Ce  qui  ne  veut  pas  dire  qu'elle  soit  coupable 
et  répréhensible  devant  Dieu  :  car  tous  ne  peuvent  pas  s'élever  jus- 
qu'à la  perfection  de  Fart,  perfectio  paucorum  est;  et  le  Dieu  juste 
et  bon  ne  demande  à  ses  ministres  que  ce  qu'ils  peuvent.  Nous  pro- 
posons la  perfection  parce  que  tous  doivent  y  tendre;  mais  celui 
qui,  sans  y  atteindre,  s'en  sera  approché  selon  la  mesure  de  talent 
qui  lui  a  été  donnée,  aura  rempli  tout  devoir  devant  Dieu  et  devant 
les  hommes.  C'est  dans  cette  vue  que  nous  allons  exposer  les  divers 
caractères  de  la  bonne  prédication, 

ARTICLE  I". 

PREMIER    CARACTÈRE   DE    LA    PREDICATION;    ELLE    DOIt    ÈTI'.E    ADAPTÉE 
♦    AU   PRÉDICATEUR. 

Saint  Augustin  a  dit  :  Il  n'y  a  de  véritable  éloquence  que  celle 
qui  convient  à  la  personne  qui  parle;  et  rien  de  plus  juste  que  cette 
observation.  On  raconte  de  Socrate  que,  Lysias  lui  ayant  lu  un  dis- 
cours qu'il  avait  composé  pour  sa  défense,  ce  philosophe  lui  dit  : 
Votre  discours  est  fort  beau  et  parfaitement  bien  écrit  ;  mais  il  ne 
convient  pas  à  Socrate  :  Prxdara  sanè  et  elegans  oratio  est,  sed  non 
convenu  Socrati.  Mais,  reprit  Lysias,  si  mon  discours  est  bon  et  bien 
fait,  pourquoi  ne  vous  convient-il  pas?  C'est,  répondit  ce  grand 
homme,  que  toute  chaussure  ne  va  pas  à  tous  les  pieds,  par  cela 
seul  qu'elle  est  élégante  :  réponse  digne  de  Socrate.  Autre,  en 
effet,  devait  être  la  manière  de  parler  d'un  philosophe  austère,  autre 
le  genre  d'un  rhèlheur  aux  formes  gracieuses  et  polies.  Le  discours, 
pour  être  utile  et  goûté,  doit  donc  être  adapté  à  celui  qui  parle  *, 
c'est-à-dire  être  en  rapport  avec  son  âge  ;  avec  l'autorité  que  lui 
donne  sa  position  ou  sa  réputation  ;  enfin,  avec  son  genre  de  talent. 
Ainsi,  un  vieillard  vénérable  pourra  sans  inconvénient  dire  bien 
des  choses  qui  seraient  souverainement  déplacées  dans  la  bouche 

*  Providendiim  est  ne  qux  dicuntur  ab  eo  qui  dicit  dmmtiant. . .  Idem  aliter 
Csesar,  aliter  Cicero,  aliter  Cato  sttadere  debehit,  dit  Quinlilicn.  iib.  III,  c.  viii. 
—  Rien  ne  s'applique  mieux  à  cette  partie  de  l'art  oratoire  que  les  principes 
de  conduite  donnés  par  Cicéron,  Iib.  I,  c.  xxxi,  de  Officiis 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  65 

d'un  jeune  homme  *,  par  exemple,  adresser  certains  reproches  aux 
auditeurs,  faire  une  insliuclion  sur  le  mariage,  sur  riiupurolé  ou 
autres  détails  déhcats  relatifs  à  celte  matière.  Ainsi,  un  curé  ancien 
dans  sa  paroisse,  un  évoque  dans  son  diocèse,  peuvent  prendre  un 
ton  de  commandement  et  d'empire  qui  serait  ridicule  dans  un  jeune 
prêtre.  De  même,  quoique  Bourdaloue  ait  pu  dire  :  Voilà  ce  que  Dieu 
7n  inspire  pour  voire  édification,  on  ne  pardonnerait  pas  cet  air  in- 
spiré à  un  jeune  prédicateur  sans  renom.  On  ne  lui  pardonnerait  pas 
plus  de  vouloir  s'élever  au-dessus  de  sa  sphère,  sortir  de  son  genre 
et  quitter  le  naturel.  Le  poëte  a  dit  avec  justesse  : 

Sumite  materiam  vestris,  qui  scribitis,  asquam 
Viribus^. . . . 

Chacun  a  son  caractère  particulier  qui  le  distingue,  un  genre 
d'esprit  qui  lui  est  propre;  chacun  a  sa  manière  de  concevoir,  de 
sentir,  de  rendre  ses  pensées  et  ses  sentiments.  Tant  qu'on  s'en 
tient  là,  sans  chercher  à  faire  mieux  qu'on  ne  peut,  on  parle  d'une 
manière,  sinon  élevée,  au  moins  raisonnable  ;  et  le  discours,  s'il 
n'annonce  pas  un  homme  de  génie,  annonce  un  homme  de  goût 
et  de  bon  sens.  Les  grands  hommes  ne  se  sont  élevés  au  degré  de 
perfection  où  ils  sont  parvenus,  qu'en  suivant  le  genre  qui  leur  était 
propre,  qu'en  cultivant  la  spécialité  pour  laquelle  la  nature  les  avait 
faits,  et  travaillant  à  en  tirer  le  meilleur  parti  possible.  <i  Remplissez 
«  toute  l'étendue  de  votre  mérite,  disait  le  cardinal  de  Retz;  déve- 
«  loppez,  autant  qu'il  est  susceptible  de  l'être,  le  talent  qui  vous  est 
«  propre;  restez  ce  que  vous  êtes,  ou  plutôt  devenez  tout  ce  que 
«  vous  devez  être.  »  Mais,  si  l'on  veut  sortir  du  naturel,  si  l'on  ne 
veut  plus  être  soi-même,  on  éprouvera  la  vérité  de  ce  mot  du  poëte: 

Tti  nildl  invita  dices  faciesve  Minervâ. 

Et  Ton  se  donnera  beaucoup  de  peine  pour  ne  rien  faire  de  bon. 
C'est  un  écart  de  jugement  de  mépriser  ce  qu'on  a,  de  n'estimer 
que  ce  qu'on  n'a  pas,  et  de  courir  après  des  talents  qui  ne  sont  pas 
les  nôtres.  Si  Rourdaloue  eût  voulu  être  Bossuet,  il  eût  été  un  pi- 
toyable orateur,  et  si  Massillon  eût  voulu  être  Rourdaloue,  son  nom 
serait  demeuré  sans  gloire.  Tel  réussit  dans  le  genre  doux  et  calme, 
qui  échouera  dans  le  genre  véhément  et  terrible;  tel  traite  fort  bien 
un  sujet  où  il  faut  du  raisonnement,  qui  sera  plus  que  médiocre  dans 

*  Quintil.,  lib.  XI,  c.  i.  —  «  Art  poét. 


r.G  THAIIE  UE  LA  PHEDICATION. 

un  autre  où  il  faudrait  du  sonliinont.  Toi  fera  de  bons  prônes,  qui 
fera  de  mauvais  sermons  ;  et  tel  st^'a  excellent  catéchiste,  qui  sera 
pauvre  prédicateur.  L"art  doit  perfectionner  la  nature,  mais  non 
pas  la  forcer:  ce  qui  sort  du  naturel  est  fanx,  contiefait,  maniéré, 
et  dès  lors  ne  saurait  ni  plaire  Jii  toucher.  Le  grand  secret  est  donc 
de  se  connaître,  de  cultiver  son  genre  sans  viser  à  en  sortir,  et 
d'adapter  sa  prédication  à  sa  spécialité. 

De  ces  rénexious,  concluons,  1°  que  chacun  doit  étudier  son  apti- 
tude naturelle,  sa  position  relativement  à  ses  auditeurs,  et  y  accom- 
moder son  sujet,  son  style,  son  geste,  son  ton  de  voix,  sans  vouloir 
se  donner  plus  d'art,  plus  de  science,  plus  d'extérieur  que  le  naturel 
n'en  comporte. 

Concluons,  2°  que  chacun  doit  laisser  prédominer  dans  ses  dis- 
cours celle  des  trois  forces  oratoires  (instmiro,  plaire,  toucher}  dont 
l'a  particulièrement  doué  la  nature.  Si  l'on  a  reçu  d'elle  le  don  de 
convaincre  par  un  raisonnement  profond,  on  ne  doit  pas  (juilter  ce 
genre  fort  et  sohde  pour  le  genre  fleuri  et  délicat;  si  au  contraire  on 
a  reçu  le  don  de  plaire  et  de  toucher  par  un  esprit  vif,  une  imagina- 
tion brillante,  un  cœur  sensible,  il  faut  se  garder  d'échanger  ce 
genre  pour  la  gravité  sévère  d'un  théologien  qui  raisonne  et  disserte. 
Par  la  même  i-aison,  celui  qui  a  la  facilité  naturelle  de  bien  parler, 
ne  doit  pas  détruire  son  talent  pour  prendre  le  genre  recherché  et 
extraordinaire,  comme  au  contraire  celui  qui  n'a  reçu  que  le  don 
de  parler  simplement,  doit  s"en  tenir  là  sans  vouloir  s'élever  plus 
haut.  On  ne  saurait  dire  combien  d'ecclésiastiques  ont  perdu  leur 
talent,  faute  de  suivre  ces  règles  :  ils  auraient  pu  faire  avec  succès 
des  instructions  familières,  et  ils  se  sont  rendus  inutiles  autant  que 
ridicules  en  voulant  faire  des  sermons  relevés  et  au-dessus  de  leur 
portée.  Parce  qu'ils  avaient  réussi  en  quelques  prônes,  ils  se  sont 
imaginé  être  en  état  de  prêcher  des  sermons;  et,  voulant  se  faire 
orateurs  sans  être  nés  pour  cela,  ils  n'ont  été  que  déclamateurs.  Ce 
langage  et  ces  hautes  considérations  sortaient  de  leur  naturel  ;  c'é- 
taient des  armes  trop  fortes  pour  leur  faiblesse,  ils  les  ont  maniées 
gauchement  et  sans  succès  ;  malheureux  de  ne  s'être  pas  dit  comme 
David,  lorsqu'on  lui  fit  prendre  l'armure  de  Saûl  :  Je  ne  puis  marcher 
ainsi  au  combat;  je  n'ai  pas  l'usage  de  ces  armes  :  No7i possum  sic 
incedere,  quia  umm  non  haheo.  Plus  malheureux  encore  de  ii'avoir 
pas  eu,  au  défaut  de  sens  pour  comprendre  qu'il  fallait  demeuier 
dans  leur  sphère,  assez  de  docilité  pour  prendre  conseil  et  suivre 
les  avis  d'un  ami  sincère  qui  leur  auiail  dit  de  s'en  tenir  toujours  à 


QUALITES  DE  LA  PREDICATiaN.  67 

des  compositions  simples,  les  seules  pour  lesquelles  la  nature  les 
avait  faits. 

Concluons,  5"  que  ceux  qui  commencent  ne  doivent  point,  dès 
leur  début,  enti^eprendre  de  grands  sermons  ni  traiter  des  sujets 
difficiles  qui  demandent  le  talent  d'un  prédicateur  exercé,  mais 
faire  leurs  premiers  essais  par  des  prônes  sur  des  sujets  faciles  et 
pratiques,  comme  les  dispositions  à  la  pénitence  et  à  l'eucliaristie  ; 
et  peu  à  peu,  si  Dieu  leur  en  a  donné  les  moyens,  ils  s'élèveront  à 
des  compositions  plus  hautes. 

Concluons,  A°  qu'il  faut  se  tenir  en  garde  contre  le  désir  d'imiter 
les  prédicateurs  qui  passent  pour  les  plus  excellents.  On  peut  bien 
emprunter  d'eux  ce  qui  revient  à  notre  manière  de  sentir  et  de  dire  ; 
mais  vouloir  les  singer  en  tout,  renoncer  à  être  soi-même  pour 
chercher  à  être  ce  qu'ils  sont,  s'étudier  sérieusement  à  prendre 
leur  ton  de  voix,  leurs  gestes,  leur  regard  et  toutes  leurs  manières, 
c'est  se  rendre  ridicule;  c'est  une  affectation  indigne  de  la  parole  de 
Dieu,  et  que  les  auditeurs  punissent  presque  toujours  d'un  sourire 
moqueur.  Mieux  vaut  être  médiocre  en  son  genre  que  copie  défigu- 
rée d'un  beau  modèle.  On  perd  ce  qu'on  a  de  talent  en  voulant  pren- 
dre celui  d'un  autre  ^  :  tantôt  on  copie  ce  qu'il  a  d'admirable,  mais 
ce  qui  allait  bien  dans  sa  bouche  et  dans  sa  composition  va  mal  à  no- 
ire personne,  cadre  mal  avec  notre  genre,  et  gâte  notre  travail, 
comme  le  plus  beau  trait,  quand  il  est  déplacé,  gâte  le  plus  beau 
visage;  tantôt  aveuglé  par  l'enthousiasme  qui  fait  voir  tout  en  beau 
dans  les  prédicateurs  de  renom,  on  veut  les  imiter  en  tout  ;  et 
comme  le  faux  et  l'irrégulier  sont  toujours  ce  qui  frappe  davantage, 
ou  copie  d'eux  précisément  ce  qu'il  en  faudrait  éviter,  semblable 
en  cela  au  peintre  qui  attrape  plus  aisément  les  défauts  d'un  visage 
que  la  juste  proportion  des  traits. 

Concluons,  enfin,  qu'il  n'est  pas  aussi  utile  qu'on  le  croit  souvent 
d'entendre  et  de  consulter  les  grands  prédicateurs  :  c'est  à  chacun 
à  se  faire  des  règles  propres  à  son  génie,  à  se  perfectionner  par  le 
développement  de  ses  dispositions  naturelles  en  conservant  toujours 
son  genre  de  talent,  selon  que  le  tempérament,  le  goût,  l'inchnalion, 
nous  l'ont  fait. 

*  L'esprit  qu'on  veut  avoir  g5te  celui  qu'on  a.  —  Gresset 


.^,  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 


ARTICLE  2. 


DEUXltME    CARACTÈRE    DE    LA    PKtDICATION  ;    ELLE    DOIT    ETRE    APPROPRIÉE 

A  l'auditoire  *. 

*  Tous  los  maîtres  dans  l'art  de  bien  dire  ont  proclamé  la  néces- 

*  site  d'adapter  le  discours  à  l'auditoire.   Quintilien,  dans  ses  Insti- 

*  lutions,  a  consacré  un  livre  entier  au  développement  de  cette 

*  importante  matière,  qu'il  estime  la  plus  essentielle  de  toutes  :  Qnx 

*  est,  dit-il,  meojudicio  maxime  necessaria  '  ;  et  Cicéron  avait  enseigné 

*  avant  lui  que  l'orateur  doit  accommoder  non-seulement  ses  pen- 

*  sées,  mais  encore  ses  expressions  à  ceux  auxquels  il  parle  :  Non 

*  enim,  dit-il,  auditor  omnis  eodem  aut  verhorum  génère  tractandus 

*  est,  aut  sententianmi^...  Nec  semper,  nec  apud  omnes,  nec  contra 

*  omnes,  nec  pro  omnibus,  eodem  modo  dicendum*.  De  là  dépend 

*  tout  le  succès  du  discours,  et  on  peut  affirmer  qu'une  des  princi- 

*  pales  causes  du  peu  de  fruit  que  produisent  tant  de  prédications, 

*  c'est  que  le  plus  souvent  elles  ne  sont  point  adaptées  aux  audi- 

*  leurs.  Les  prédicateurs  composent  dans  leur  cabinet  des  discours 

*  vagues  destinés  à  tous  les  auditoires  possibles  où  ils  seront  appelés 

*  à  porter  la  parole,  sans  songer  à  approprier  leur  langage  aux  be- 

*  soins  et  aux  dispositions  d'aucun  auditoire  particulier.   On  dirait, 

*  à  voir  leur  manière  de  faire,  que  tous  les  peuples  ont  la  même 

*  portée,  de  sorle  que  ce  qui  sera  compris  dans  un  endroit  devra 

*  l'être  partout;  les  mêmes  besoins,  de  sorte  que  le  même  remède 

*  devra  convenir  à  tous  les  malades  ;  enfin  les  mêmes  dispositions, 

*  à  tel  point  qu'il  soit  inutile  de  varier  ses  moyens  pour  s'insinuer 

*  dans  les  cœurs  et  les  gagner  à  la  vertu.  Par  suite  de  cette  erreur, 

*  on  voit  certains  prêtres  se  faire  un  cours  annuel  de  prônes  ou 

*  d'instructions,  et  se  reposer  après  ce  travail  fini,  croyant  satisfaire 

*  à  leur  devoir  en  répétant  tous  les  ans  les  mêmes  discours  ;  comme 

*  si  les  besoins  des  fidèles  ne  variaient  pas  selon  les  temps,  et  que 

*  les  circonstances  n'amenassent  dans  leurs  idées  et  leur  conduite  au- 

*  cun  changement  qui  exigeât  de  nouveaux  avis,  comme  s'ils  ne  fai- 

*  saient  aucun  progrés  dans  la  religion  et  la  pratique  de  la  vertu  ; 

*  S.  Grégoire,  5«  livr.  —  S.  Augustin,  de  catechîzandis  Rudibus.  —  Pastoral 
de  Limoges,  t.  II,  1"  part.,  tit.  vu.  —  Introductio  Catecliismi  Conc.  Trid.,  §  4. 
—  *  Lib.  XI,  I.  —  '  Orator,  lxxi,  —  *  Orator,  cxxm.  —  Voyez  encore  de  Oro^,  210. 


'    QUALITES  DE  LA  PREDICATION.  69 

*  comme  si,  enfin,  après  de  longues  années  de  ministère,  le  pasteur 

*  ne  les  connaissait  pas  mieux,  n'était  pas  plus  formé  à  la  science 

*  de  son  état,   capable,  par  conséquent,   de  leur  dire  des  choses 

*  plus  utiles  et  plus  pratiques  que  le  premier  jour.  Ce  n'est  pas 

*  ainsi  que  procède  le  prédicateur  qui  entend  son  devoir  :  convaincu 

*  qu'il  n'y  a  de  bonne  instruction  que  celle  qui  est  adaptée  à  l'audi- 

*  toire,  selon  l'avis  de  l'Esprit-Saint  :  Sermo  opportumis  est  optimus^, 

*  il  considère  moins  ce  qui  convient  à  la  nature  du  sujet  que  ce  qui 

*  convient  à  ceux  à  qui  il  adresse  la  parole,   moins  ce  qu'on  peut 

*  dire  sur  telle  matière  que  ce  qu'il  est  à  propos  de  dire  à  de  tels 

*  auditeurs  :  et  le  soin  d'entasser   des  passages  et  des  réflexions 

*  de  manière  à  former  un  discours  complet  ne  vient  qu'en  second 

*  lieu,  après  l'élude  simultanée  et  de  l'état  moral   des  fidèles  qu'il 

*  doit  évangéliser,  et  des  moyens  les  plus  propres  à  les  éclairer  et  à 

*  les  convertir  :  car  on  ne  prêche  pas  pour  parler,  mais  pour  chan- 

*  ger  les  cœurs,  et  il  n'y  a  pas  d'apparence  que  l'auditeur  songe  à  sa 

*  conversion,  si  le  prédicateur  n'y  pense  le  premier  et  n'en  prépare 
*les  voies. 

Pour  donner  les  développements  nécessaires  à  une  matière  si  im- 
portante, nous  traiterons  en  trois  paragraphes  l'obligation  et  la 
manière  d'adapter  son  discours  :  1°  à  la  portée  des  auditeurs;  2"  à 
leurs  besoins;  3"  à  leurs  dispositions. 

De  l'obligation  et  de  la  manière  d'adapter  son  discours  à  la  portée  des  auditeurs. 

Entre  les  divers  rapports  sous  lesquels  le  prédicateur  doit  adapter 
son  discours  à  son  auditoire,  il  est  évident  que  celui-ci  est  le  pre- 
mier. Car  la  première  condition  pour  que  deux  personnes  traitent 
l'une  avec  l'autre,  c'est  qu'elles  se  comprennent.  Nous  parlerons 
donc  :  1"  de  l'obligation  d'adapter  son  discours  à  la  portée  des  au- 
diteurs, 2"  de  la  manière  d'y  réussir. 

SECTION   i^\ 
De  robligation  d'adapter  son  discours  à  la  portée  des  auditeurs*. 

*  Quoique  cette  obligation  soit  si  évidente  par  elle-même  qu'aucun 

*  homme  de  sens  ne  la  puisse  nier,  il  n'est  pas  moins  nécessaire  de 

'  Pi'ov  ,  XV,  25. 

*  Voyez  le  Prédicateur  apostolique,  par  le  P.  Eudes.  —  S.  Liguori,  Véritable 


7jft  TUAITÈ  DE  LA  PnÉDICATlON. 

*  la  faire  ressorUr  dans  loule  sa  foi-ce,  car,  si  tous   l'admettent  en 

*  théorie,  Irès-peu  s'y  conforment  dans  la  pratique.  On  ne  se  repré- 

*  sente  poiat  assez,  en  écrivant  ses  discours,  comment  sont  composés 

*  presque  tous  nos  auditoires  même  dans  les  grandes  villes  ;  on  ou- 

*  blie  que  les  hommes  instruits  étant  partout  en  minorité,  que  nos 

*  églises  étant   d'ailleurs  fréquentées  par  les  petits  et  les  pauvres 

*  beaucoup  plus  que  par  les  grands  et  les  riches,  les  persomies  capa- 

*  blés  de  comprendre  les  choses  difficiles  y  sont  presque  toujours  en 

*  moindre  nombre,  de  sorte  que  la  masse  de  l'auditoij'e  se  compose 

*  de  gens  simples  et  sans  lettres  qui  n'entendent  rien  aux  expres- 

*  sions  relevées,  aux  longues  périodes,  aux  pensées  subtiles  et  abs- 

*  traites.  De  là  tant  de  discouj'squi  n'apprennent  rien,  parce  qu'ils 

*  ne  sont  pas   compris  ;  de  là  l'inutilité  de  la  prédication,  l'iguo- 

*  ranee  des  peuples,  le  dépérissement  de  la  foi  et  la  dépravation 

*  des  mœurs  ^ 

Prêcher  ainsi  sans  se  mettre  à  la  portée  de  ses  auditeurs,  c'est 
abuser  de  la  parole,  s'écarter  des  règles  de  la  véritable  éloquence, 
jublier  les  exemples  de  Jésus-Christ  et  des  Saints,  prévariquer  contre 
on  ministère  ;  c'est  la  même  faute  que  si  l'on  ne  prêchait  pas  ;  c'est, 
sous  certains  rapports,  une  faute  plus  grande  encore  ;  c'est  enfin  una 
faute  sans  excuse.  Reprenons  chacune  de  ces  assertions. 

1°  C'est  abuser  de  la  parole  :  car  la  parole  n'a  été  donnée  à 
l'homme  que  pour  être  un  moyen  de  communication  d'idées  avec  ses 
semblables,  et  comme  le  véhicule  des  pensées  de  l'un  dans  l'esprit 
de  l'autre  :  or,  évidemment  elle  ne  pont  atteindre  ce  but  qu'autant 
qu'elle  est  comprise  :  si  donc  celui  qui  me  parle  ne  se  met  pas  à  ma 
portée,  il  manque  la  fin  pour  laquelle  Dieu  lui  a  donné  la  noble 
faculté  du  langage,  il  est  pour  moi  comme  un  étranger  qui  me  parle 
une  langue  inconnue  :  Si  nesciero  virtutem  vocis,  qui  loquitur,  miki 
barbarus  *.  11  dépense  sa  voix  sans  raison, dit  saint  Augustin,  puisque 

manière  de  prêcher  à  VapostoUque.  —  Lettre  à  un  religieux  de  ses  amis.  — - 
L'Eloquence  clu'étienne  dans  l'idée  et  la  pratique,  par  le  P.  Gisbert  de  la  S.  J. 
—  Muralori,  de  l'Éloquence  populaire  dans  la  Mi'thode  générale  de  Catéchisme, 
par  M.  Dupanloiip,  t.  II,  p.  5  et  suiv. 

*  Contliujil  m/iltis  concionaturibus,  dit  Piollin  dans  la  préface  de  son  édition 
des  Institutions  de  Quintilien,  quia  non  satis  cogiiant  plerosque  audientium,  etiam 
inter  eos  qui  in  caHeris  eruditi  videnliir,  sxpè  in  rébus  divinis  infantes  esse  et 
novitios,  continrjit  illis,  inqnam.  nt  diim  inayna  et  siiblimia  affectant,  facii  velut 
ses  sonates  aut  ci/wbaium  tiniiicns,  nihd  prxter  canoros  strepitns  edanl,  quibus 
non  pasii,  sed  illusi,  pleriqiie  vacni  et  inancs  integram  et  jejiinam  famem  do- 
mum  référant.  Parvuli  peUerunt  panem,  et  non  erat  qui  frangeret  eis. 

*  I  Cor.,  XIV. 


QUALITES  DE  LA  PRtDlCATiON.  71 

nous  ne  devons  parier  que  pour  être  compris  :  Loquendi  omnino 
miUa  causa,  si  quod  loquimur  non  intelligimt  ii  quos  ut  intelligant 
loqiiimur  ^  et  volontiers  on  lui  appliquerait  ces  vers  du  poêle 
Maynard  à  un  écrivain  de  son  temps  : 

Mon  ami,  chasse  bien  loia 
Cette  noire  rliétorique  : 
Tes  écrits  auraient  besoin 
D'un  devin  qui  les  explique. 
Si  ton  esprit  veut  caclKr 
Les  belles  choses  qu'il  pense. 
Dis-moi,  qui  peut  t'empôchcr 
De  te  servir  du  silence  *? 

Le  conseil  était  très-raisonnable  :  il  vaut  mieux  se  taire  que  de 
parler  pour  n'être  pas  entendu. 

2"  C'est  s'écarter  des  règles  de  la  véritable  éloquence  :  car  la  véri- 
table éloquence  ne  consiste  pas  à  se  faire  admirer  par  les  grâces  de 
son  style,  par  de  belles  périodes  et  d'élégantes  figures,  mais  bien  à 
agir  sur  les  esprits  et  les  cœurs  :  sur  les  esprits,  en  les  éclairant  par 
une  instruction  solide  et  leur  imprimant  de  fortes  convictions  ;  sur 
les  cœurs,  en  y  faisant  pénétrer  la  persuasion  avec  ses  vives  émotions 
qui  subjuguent  la  volonté,  qui  l'entraînent  comme  de  vive  force  et 
transforment  pour  ainsi  dire  en  un  autre  homme  l'auditeur  vaincu. 
Or,  il  est  évident  que  la  première  condition  pour  obtenir  ces  grands 
effets  de  l'éloquence,  c'est  de  se  mettre  au  niveau  de  ceux  à  qui  l'on 
parle  et  de  s'en  faire  parfaitement  comprendre.  Tel  est  le  secret  par 
lequel  le  fameux  O'Connell  a  exercé  sur  sa  nation,  pendant  tant 
d'années,  une  si  grande  puissance  de  parole,  remuant  les  masses  et 
les  retenant,  les  maniant  et  les  gouvernant  comme  un  seul  homme  : 
c'est  que  son  langage  véritablement  éloquent,  précisément  parce 
qu'il  n'avait  rien  de  semblable  à  cette  parole  brillante  qu'il  faisait 
entendre  devant  le  Parlement,  précisément  parce  qu'il  était  popu- 
laire, était  parfaitement  adaplé  à  la  portée  de  ses  auditeurs  ;  un  dis- 
cours académique  eût  trouvé  les  populations  inattentives  et  les  eût 
laissées  inertes.  .Vussi  Quintilien  a-t-il  bien  raison  de  dire  :  Apiid 
populum  qui  expluribus  constat  indoctis,  secundùm communes  mugis 


t  DeDoct.  c]irist.,lib.  IV,  10. 

*  An  scire  a'que  iiitclli^icre  nemincm  vis,  qux  dicas?  Qtiidni,  homo  inepti',  ut 
quod  lis,  (ibnndè  conscquaris,  tuccs'f  Aulu-dclle,  i,  10. —  Noitne  satins  est  viii- 
tum  esse  quàm,  quod  nemo  intelliyal,  dicere?  Gic,  Philippic,  m,  c.  ix,  n.  22. 


72  TRAITE  DE  LA  PRÉDICATION. 

intellectus  loquendvm  ',  et  les  prédicateurs  de  notre  siècle  ne  sau- 
raient trop  méditer  cette  grande  et  utile  leçon. 

5°  Ne  pas  se  mettre  à  la  portée  de  ses  auditeurs,  c'est  oublier  les 
exemples  de  Jésus-Christ  et  des  Saints;  car  Notre-Seigneur  variait  le 
fond  et  la  forme  de  ses  instructions  selon  la  portée  de  ceux  auxquels 
il  s'adressait  :  il  parlait  un  langage  élevé  et  raisoinié  avec  les  doc- 
teurs de  la  loi,  et  les  pressait  par  l'Kcriture  ;  mais  quand  il  s'adresse 
au  peuple,  il  l'instruit  de  la  manière  la  plus  simple  et  la  plus  fami- 
Mère;  toutes  ses  paroles  sont  claires,  ce  sont  des  maximes  courtes, 
faciles  à  retenir  et  pleines  de  substance,  comme  on  le  voit  dans  le 
sermon  sur  la  montagne  :  pour  se  faire  comprendre,  il  descend  jus- 
qu'aux comparaisons  les  plus  humbles,  celles  du  laboureur,  du  fer- 
mier, de  la  semence,  de  la  vigne,  du  figuier  et  autres  objets  que  les 
auditeuts  avaient  tous  les  jours  sous  les  yeux.  Il  ne  leur  parle,  dit 
saint  Marc, que  selon  qu'ils  étaient  capables  de  comprendre,  proiit 
yoteroMt  audire^,  et  il  s'abstient  de  leur  dire  ce  qui  eût  été  au-dessus 
de  leur  portée  :  Adhuc  haheo  midta  diccre  vobis,  sed  non  potestîs  por- 
tare  modo'.  A  l'exemple  de  ce  divin  Maître,  les  apôlres  ont  toujours 
proportionné  leurs  discours  à  leur  auditoire.  Je  n'ai  pu,  dit  saint 
Paul  aux  Corinthiens,  vous  parler  comme  à  des  personnes  spirituelles; 
je  vous  ai  donné  le  lait  de  la  doctrine  élémentaire  comme  à  des  en- 
fants dans  la  piété,  et  non  la  nourriture  solide  d'une  doctrine  plus 
élevée  ;  vous  n'étiez  pas  capables  de  la  comprendre  et  de  la  goûter  : 
Non  potui  loqui  vobis  quasi  spiritualibiis.  Tanquàm  parmdis  in  Christo 
lac  vobis  dedi,  non  escam;  nondhm  enim  poteratis'^.  Cet  excellent 
prédicateur,  qui  savait  parler  la  plus  haute  sagesse  devant  les  par- 
faits, ménageait  prudennnent  les  sources  de  ce  savoir  immense  puisé 
au  troisième  ciel,  et  n'en  produisait  au  dehors  que  la  petite  partie 
que  l'esprit  de  ses  auditeurs  pouvait  porter  :  il  craignait  justement 
que  trop  de  science  ne  les  eût  accablés  comme  on  voit  la  pluie  qui 
tombe  par  torrents  écraser  au  lieu  d'arroser,  tandis  que  celle  qui 
tombe  goutte  à  goutte  féconde  heureusement  la  terre.  —  La  méthode 
de  Jésus-Christ  et  des  apôtres  a  été  celle  des  saints  prédicateurs  de 
tous  les  siècles.  Saint  Basile,  au  rapport  de  saint  Grégoire  de  Nysse, 
prêchait  de  telle  manière  que  les  plus  simples  comprenaient  ses 
discours,  et  que  les  plus  savants  les  admiraient.  Lorsque  saint  Jean 
Chrysostome  commença  à  prêcher,  il  employa  un  langage  relevé; 
mais  une  fennne  du  peuple  lui  ayant  dit  :  Mon  père,  nous  autres 

»  Lib.  III,  c.  viiî.  —  '  Marc,  iv,  55.  —  ^  Joann.,  xvi,  12.  —  *  I  Cor.,  m 


nilAMTÈS  DE  LV  PI'.ÉDIGATION  75 

pauvres  d'esprit,  nous  ne  vous  entendons  pas,  il  cliangea  aussilûl  sa 
manière  et  prit  ce  genre  simple  qu'on  remarque  dans  ses  Homélies, 
toujours  intelligible  à  tous,  malgré  l'éclat  de  l'éloculion,  et  abondant 
en  comparaisons  tirées  d'objets  sensibles  connus  du  peuple.  Saint 
Augustin,  ce  génie  si  sublime,  prêcbant  devant  les  marins  et  les 
marchands  d'Hippone,  s'abaisse  a  leur  portée  et  leur  parle  le  langage 
le  plus  clair  :  il  avait  d'abord  écrit  contre  les  Manichéens  dans  un 
style  relevé,  qui  faisait  que  ceux  qui  avaient  peu  de  science  ne  l'en- 
tendaient qu'avec  peine  ;  mais  sur  les  représentations  qu'on  lui  fit,  il 
prit  le  style  simple  et  ordinaire,  qui,  dit-il,  a  cet  avantage  au-dessus 
de  l'autre,  d'être  intelligible  tout  à  la  fois  et  aux  savants  et  aux  igno- 
rants ^  Quoi  de  plus  clair  et  de  plus  à  la  portée  des  peuples,  que  les 
Homélies  de  saint  Grégoire  le  Grand?  On  voit  qu'il  pratique  excellem- 
ment ce  qu'il  avait  dit  en  commentant  ces  paroles  de  Job  :  Super  illos 
stillahat  eloquium  meum^.  Celui  qui  instruit  les  autres,  disait  ce 
grand  docteur,  doit  se  proportionner  à  la  faiblesse  de  ses  auditeurs, 
ne  laisser  tomber  sur  eux  ses  instructions  que  peu  à  peu,  goutte  à 
goutte,  selon  qu'ils  sont  capables  de  les  recevoir,  et  s'abstenir  de 
tout  ce  qui  est  trop  relevé  pour  être  utile  ;  en  agir  autrement,  ce 
serait  chercher  sa  gloire  plutôt  que  le  bien  des  âmes.  Tous  les  saints 
prêtres,  tous  les  saints  missionnaires  qui  ont  fait  de  grands  fruits 
dans  l'Église,  ont  redit  le  même  précepte  et  donné  le  même  exemple. 
Saint  François  de  Sales  y  insiste  d'une  manière  spéciale,  dans  sa  lettre 
à  l'Archevêque  de  Bourges  ;  saint  Vincent  de  Paul  ne  cessait  de 
recommander  à  ses  missionnaires  la  plus  grande  simplicité  dans  la 
pensée  et  dans  l'expression,  comme  le  moyen  le  plus  propre  à  in- 
struire et  là  convertir.  Enfin,  saint  Liguori  a  fait  un  traité  entier  sur 
cette  matière'.  «  Si  le  bas  peuple,  y  dit-il,  ne  doit  pas  comprendre, 
«  pourquoi  l'appeler  dans  les  églises?  dés  lors  la  parole  de  Dieu  lui 
«  devient  inutile,  et  toute  la  peine  qu'on  se  donne  en  chaire  est 
«  perdue  pour  la  presque  totalité  des  auditeurs...  Pour  moi,  ajoutait 
(  ce  saint  Évêque,  je  n'aurai  pas  à  rendre  compte  à  Dieu  de  mes  ser- 
«  mons  :  car  j'ai  toujours  prêché  de  manière  à  me  faire  comprendre 
«  de  la  bonne  femme  la  plus  simple  et  la  plus  grossière.  »  Donc, 
pouvons-nous  conclure,  ne  pas  mettre  son  discours  à  la  portée  des 
auditeurs,  c'est  oublier  les  exemples  de  Jésus-Christ  et  des  Saints. 
4"  C'est  prévaiiquer  contre  son  ministère  :  car  tout  prédicateur  est 

»  De  Gcn.  contra  Miniich.,  lih.  1,  1.  —  *  .Toit,  x\ii,  '22,  —  »  Do  la  Véritable 
Manière  de  prèclicr  à  raj)Osloli(iuc. 


74  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

rairibassadonr  de  Jésus-Clirist  auprès  des  hommes  ;  or,  le  devoir  d'un 
ambassadeur  est  d'expliquer  clairement  et  de  faire  comprendre  à 
ceux  vers  qui  il  est  envoyé  les  volontés  de  son  maître.  Tout  prédica- 
teur a  pour  mission  d'instruire  les  peuples  et  de  presser  leur  con- 
version. Or,  celui  qui  ne  proportionne  pas  ses  discours  à  la  portée 
des  fidèles  n'instruit  pas  et  convertit  moins  encore,  puisque  évi- 
dennnent  un  discours  qu'on  ne  comprend  point  ne  peut  porter  ni 
instruction  dans  les  esprits,  ni  dispositions  à  la  conversion  dans  les 
volontés ^  En  vain  allé^erait-on  pour  excuse  que  quelques-uns 
comprennent  :  le  prédicateur  est  redevable  de  son  ministère  à  tous, 
aux  ignorants  et  aux  pauvres,  autant  et  plus  encore  qu'aux  savants 
et  aux  riches.  S'il  en  prive  les  premiers  qui  sont  partout  en  majorité, 
s'il  semble  avoir  honte  d'être  compris  par  eux  et  ne  vouloir  être  com- 
pris que  par  les  gens  de  lettres  qui  sont  partout  en  si  petit  nombre, 
il  prévarique  contre  son  ministère. 

5"  Il  commet  la  même  faute  que  s'il  ne  prêchait  pas.  En  effet,  que 
dirait-on  d'une  nourrice  qui,  au  lieu  de  donner  du  lait  à  des  enfants  à 
la  mamelle,  ne  leur  donnerait  que  des  viandes  solides  qu'ils  ne  sau- 
raient ni  manger  ni  digérer?  Que  dirait-on  d'un  père  qui,  au  lieu  de 
couper  le  pain  par  morceaux  à  ses  enfants  de  manière  qu'ils  pussent 
s'en  nourrir,  placerait  devant  eux  un  pain  entier  qu'ils  n'auraient  pas 
la  force  de  rompre  pour  apaiser  leur  faim?  Est-ce  que  cette  nour- 
rice, est-ce  que  ce  père  ne  seraient  pas  réputés,  devant  Dieu  et  de- 
vant les  hommes,  coupables  d'homicide  comme  s'ils  avaient  laissé 
mourir  ces  enfants  sans  aucune  nourriture?  Or,  telle  est  l'image  exacte 
du  pasteur  qui  ne  met  pas  sa  prédication  à  la  portée  de  ses  auditeurs  : 
il  leur  donne  bien  un  certain  aliment,  mais  un  ahment  qu'ils  ne  peu- 
vent prendre  ni  digérer  ;  il  leur  faudrait,  comme  à  des  enfants  dans 
la  foi,  le  lait  des  doctrines  élémentaires,  et  il  leur  présente  une 
viande  solide  qui  ne  convient  qu'aux  forts  ;  il  faudrait  leur  rompre 
par  morceaux,  pour  ainsi  parler,  le  pain  de  la  parole  évangélique, 


*  Saint  Liguori,  parlant  des  prédicateurs  de  carême  qui  ont  leurs  discours 
dans  la  mémoire,  et  n'y  chang'ent  jamais  un  mot,  quel  que  soit  l'auditoire,  ra- 
conte que  le  cardinal  l'ig-natelli,  archevêque  de  iNaples,  recommandait  un  jour 
à  des  prêlres  qui  partaient  pour  une  mission  de  metti^e  leurs  discours  à  la  portée 
du  peuple,  parce  que,  disait-il,  tout  sermon  qui  n'est  pas  à  la  portée  de  ceux 
qui  doivent  l'entendre,  est  un  sermon  inutile.  Vous  me  répliquerez,  ajouta  ce 
prélat,  que  la  recette  est  faite;  en  ce  cas,  je  répondrai  :  Pauvres  malades!  — 
Ce  prélat,  reprend  saint  Liguori,  avait  raison;  car  quel  bien  peut  tirer  mi  ma- 
lade d'une  recette  que  le  médecin  aui'ait  faite  au  hasard  et  à  l'avance,  sans 
connaître  celui  qu'il  aurait  à  guérir? 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  75 

c'c'sl-à-dire  la  leur  expliquer  jusque  dans  les  plus  petits  détails,  et  il 
ne  leur  dit  que  des  généralités  qu'ils  ne  peuvent  saisir,  de  sorte  qu'ils 
demeurent  fout  aussi  ignorants,  tout  aussi  étrangers  à  la  foi  que  ceux 
qui  n'en  entendent  jamais  parler.  Il  ne  suffit  donc  pas  aux  pasteurs 
de  prêcher  chaque  Dimanche  ;  s'ils  ne  mettent  leurs  discours  à  la 
portée  de  leurs  audileurs,  ils  seront  condamnés  devant  Dieu  comme 
s'ils  n'avaient  pas  prêché. 

6°  C'est  même  sous  certains  rapports  une  faute  plus  grande  que 
l'absence  de  toute  prédication  :  car,  en  prêchant  ainsi,  on  dégoûte 
les  peuples  de  la  parole  de  Dieu,  ils  la  prennent  en  aversion  et  ne 
viennent  plus  l'entendre,  tandis  que  si  l'on  ne  prêchait  pas,  il  y  au- 
rait une  prévention  de  moins  contre  les  prêtres  qui  se  présenteraient 
ensuite  pour  les  instruire.  Puis  on  prend  la  place  d'un  prédicateur 
utile,  et  par  là  non-seulement  on  ne  donne  pas  aux  peuples  le  pain  de 
la  divine  parole  dont  ils  ont  besoin,  mais  on  empêche  qu'un  autre  ne 
vienne  le  leur  rompre.  De  plus,  on  donne  un  exemple  contagieux  à 
ses  confrères,  qui  finissent  par  l'adopter,  croyant  que  c'est  là  le  bon 
ton  de  la  chaire.  Enfin,  l'absence  de  toute  prédication  serait  un  mal 
patent  que  le  pasteur  se  reprocherait,  dont  le  peuple  se  plaindrait, 
et  dont  les  supérieurs  ecclésiastiques  feraient  justice,  tandis  que  la 
prédicafion  qui  n'est  pas  à  la  portée  des  peuples  est  le  voile  qui  cache 
le  mal,  c'est  le  palliatif  de  la  gangrène,  lequel  trompe  les  fidèles,  les 
supérieurs  ecclésiastiques  et  souvent  même  la  conscience  du  pasteur 
qui  se  fait  illusion. 

7°  Prêcher  ainsi,  c'est  une  faute  sans  excuse  :  car  que  peut-on 
alléguer  pour  justifier  un  pareil  abus  de  la  parole  sainte?  C'est, 
dit-on,  qu'il  peut  se  trouver  dans  l'auditoire  un  certain  nombre  de 
personnes  instruites.  Mais  est-ce  qu'un  discours  simple,  clair  et 
solide  n'est  pas  fait  pour  plaire  à  tous  les  esprits?  Mais  n'est-ce  pas 
un  abus  déplorable  de  ne  prêcher  que  pour  le  très-petit  nombre  dç 
personnes  éclairées  qui  peuvent  se  trouver  dans  l'église,  quelquefois 
même  pour  un  ou  deux,  protides  dont  on  convoite  l'estime,  dont  on 
redoute  la  critique,  et  de  laisser  sans  instruction  la  presque  totalité 
des  auditeurs?  Où  est,  dans  une  pai'eille  conduite,  la  pureté  d'inten- 
tion, le  zèle  de  la  gloiie  de  Dieu  et  du  salut  des  âmes?  Quoi!  pour 
contenter  quelques  personnes,  priver  tout  un  grand  peuple  qui  écoute 
de  l'instiuction  dont  il  a  besoin  !  Un  pareil  désordre  ne  peut  cerlai- 
■  nement  trouver  grâce  devant  Dieu,  ni  même  devant  les  hommes 
d'esprit  qui  ont  du  sens;  car  ils  doivent  se  dire  en  entendant  ce  dis- 
cours :  Non  eral  hic  Iocuh  :  ce  lanir.i'ro  est  un  contre-sens  devant  un 


76  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

tel  aiulifoire.  —  On  allègue  encore  que,  ne  voulon^  rien  dire  que  ne 
puissoiit  comprendre  les  gens  simples  et  sans  lettres,  ce  serait  frap- 
per de  mort  l'éloquence  de  la  chaire.  A  cette  excuse,  nous  répon- 
drons que,  si  ce  genre  d'éloquence  ne  pouvait  se  conserver  qu'au 
déiriment  du  salut  des  âmes,  il  vaudrait  mieux  mille  fois  qu'il  pérît. 
Mais  il  est  faux  que  l'éloquence  de  la  chaire  soit  incompatible  avec 
le  genre  simple;  saint  Vincent  de  Paul,  dans  ses  discours  familiers, 
est  pathétique  et  entraînant,  et  on  y  trouve  des  traits  qui  feraient 
honneur  aux  plus  grands  orateurs.  Il  n'y  a,  dit  QuintiUen,  que  des 
orateurs  de  mauvais  goût  qui  croient  avoir  beaucoup  d'esprit  quand 
il  en  faut  pour  les  entendre  :  Tune  demùm  ingeniosi  si  ad  intelliijen- 
dos  nos  opus  sit  ingenio  ^  Le  seul  bon  discours,  au  contraire,  nous 
dit  ce  prince  des  rhéteurs,  est  celui  qui  est  clair  pour  les  ignorants, 
sans  que  les  savants  y  trouvent  rien  à  reprendre  :  Sermo  doctis  pjvbabilis 
et  planus  imperitis-;  et  toutes  les  fois  que  l'auditeur  n'a  pas  assez  de 
son  esprit  pour  comprendre  un  discours,  on  peut  prononcer  que  ce 
discours  est  mauvais  :  Otiosum  {seu  vitiosum)  sermonem  dixerim, 
quem  aiiditor  suo  ingenio  non  intelligit  *. 

SECTION   2. 

De  la  manière  d'adapter  son  discours  à  la  portée  de  ses  auditeurs. 

*  On  se  fait  rarement  une  idée  exacte  de  ce  que  doit  être  un  dis- 

*  cours  pour  être  à  la  portée  du  peuple  qui  compose  ordinairement 
*nos  auditoires.  Nous  nous  imaginons  que  les  autres  comprennent 

*  ce  que  nous  comprenons  nous-mêmes  ou  ce  que  comprendraient 

*  les  gens  de  lettres,  que  ce  qui  est  clair  pour  notre  intelligence  le 

*  sera  aussi  pour  l'intelligence  des  autres,  et  nous  oublions  la  dis- 

*  tance  immense  qui  existe  entre  la  portée  d'un  esprit  cultivé  et  la 

*  portée  d'un  esprit  inculte,  incapable  de  saisir  toute  pensée,  toute 

*  tournure  ou  expression  qui  n'est  pas  de  la  plus  grande  clarté  :  pre- 

*  mière  erreur  de  bien  des  prédicateurs*.  Une  seconde,  c'est  qu'ils 

*  s'imaginent  que  se  mettre  à  la  portée  du  peuple,  c'est  parler  un 

*  langage  trivial,  bas  et  négligé  ;  et  ils  ne  pensent  pas  que  la  parole 

*  de  Dieu  doit  toujours  être  traitée  avec  honneur,  que  la  simplicité 

«  In  Pram.,  lib.  VIII.  —  «  Ibid.  —  '  Lib.  VIII,  ii. 

*  On  raconte  de  Molière  qu'il  récitait  ses  pièces  de  théâtre  à  sa  servante,  et 
estimait  mauvais  tout  ce  qui  n'était  pas  clair  pour  elle  et  ne  lui  faisait  pas  une 
impression  analogue  aux  paroles.  Que  de  choses  à  réformer  dans  les  sermons,  si 
on  les  soumettait  à  une  épreuve  semblable! 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  77 

*  de  l'expression  n'en  exclut  point  la  noblesse,  et  que  la  manière  de 

*  parler  de  la  religion  ne  doit  jamais  provoquer  le  rire  ou  le  mépris 

*  des  peuples,  mais  commander  leur  respect  et  leur  vénération.  Une 

*  troisième  erreur  consiste  à  penser  que  la  bonne  manière  de  parler 

*  aux  peuples,  c'est  de  dire  les  cboses  comme  elles  se  présentent  à 

*  l'esprit,  sans  s'y  être  préparé  :  étrange  illusion,  que  nous  aurons 

*  occasion  de  réfuter  plus  tard.  Nous  dirons  seulement  ici  que  plus 

*  les  peuples  sont  grossiers  et  ignorants,  plus  il  faut  de  préparation 

*  pour  se  rendre  intelligible.  On  se  fait  facilement  comprendre  à  un 

*  homme  d'esprit  :  Intelligenti  pauca;  mais  s'adresser  à  une  multi- 
*tude  sans  instruction,  avoir  à  mettre  à  sa  portée  des  notions  spiri- 

*  tuelles  de  l'ordre  le  plus  élevé  et  étrangères  au  cercle  accoutumé 

*  de  ses  pensées,  voilà  qui  est  vraiment  difficile  et  demande  une 

*  forte  préparation,  beaucoup  de  tact  et  une  grande  patience  de  ré- 

*  flexion. 

Pour  réussir  dans  une  telle  entreprise  il  faut  :  1°  choisir  un  genre 
et  un  sujet  proportionnés  aux  auditeurs;  2''  disposer  le  tout  avec 
ordre;  5'' l'énoncer  avec  clarté.  Ceci  a  besoin  de  quelques  dévelop- 
pements. 

\°  Il  faut  choisir  un  genre  et  un  sujet  proportionnés  aux  auditeurs; 
c'est-à-dire  que,  s'ils  sont  pour  la  plupart  peu  versés  dans  la  con- 
naissance de  la  religion  et  la  culture  des  lettres,  l'instruction  fami- 
lière et  catéchistique  est  le  genre  qui  convient;  si,  au  contraire,  ils 
connaissent  déjà  les  vérités  de  la  foi  et  ont  reçu  une  certaine  éduca- 
tion, c'est  le  sermon  ou  un  cours  de  religion  développé;  si,  enfin, 
il  y  a  mélange  de  ces  deux  classes  d'auditeurs,  il  faut  prendre  un 
genre  mitoyen,  propre  tout  à  la  fois  à  se  faire  comprendre  des  igno- 
rants et  à  intéresser  les  savants.  —  Quant  au  sujet  ou  au  fond  du 
discours,  il  ne  faut  choisir  pour  les  auditoires  ordinaires  que  des  su- 
jets simples,  accessibles  à  toutes  les  intelligences,  n'employer,  en 
les  traitant,  que  des  preuves  qui  soient  à  la  portée  de  tous,  des 
raisons  faciles  à  comprendre,  des  comparaisons  familières,  des 
exemples  sensibles,  des  traits  d'histoire,  surtout  d'Écriture  sainte, 
et  omettre  toutes  les  raisons  qui  ne  pourraient  être  saisies  que  par 
des  esprits  exercés  et  élevés.  Avec  un  sujet  simple,  traité  simple- 
ment, un  prédicateur  médiocre  produit  plus  de  fruit  que  n'en  pro- 
duirait dans  sa  place  le  premier  des  orateurs,  déveloi)pant  de  su- 
blimes doctrines;  et  son  infériorilé'inênic  tourne  au  bien  des  âme.s, 
selon  la  remarque  d'Aiislote,  qui  dit  que  les  hommes  peu  érudits 
sont  plus  propres  que  les  savants  à  persuader  le  peuple  parce  que, 


T*  TP^arÉ  DE  LA  rR£.DtaTia-M. 

n"etant  capables  que  de  choses  commîmes,  ils  se  trouvent  par  là 
aièflae  plas  à  la  portée  de  leurs  auditeurs  :  Mugis  idonei  ad  persua- 
iendiLm  mnL  ineruiiti  quàm  eruditi  intar  vvlgares ,  quià  commiima 

S"*  Il  faut  disp-^iser  tout  sou  discours  avec  ordre,  c'est-à-dire  qu'il 
Êaut  que  dans  le  discours  tout  soit  à  sa  place,  que  la  matière  soit 
bien  liivisee,  les  pensées  parfaitement  coordonnées  et  si  bien  enchai- 
aées  entre  elles  qu'elles  paraissent  naître  sans  effort  les  unes  des 
autres;  il  faut  que  l'esprit  sort  toujours  mené  par  mie  marche  droite 
et  naturelle  du  connu  àlinco-nnu,  du  plias  connu  à  ce  qui  l'est  moins, 
sans  qu'il  y  ait  jamais-  de  passage  brusque  et  non  ménagé  d'une 
aoliûîi  à  une  autre.  Ce  bel  ordre  fait  quse  les  auGMteurs  saisissent  fa- 
cilefflent  et  trouvent  presque  toutes  les  matières  à  leur  portée. 

3'  11  faut  s'énoncer  avec  clarté,  c'est-à-dire  d'une  manière  si  in- 
telUiible,  que  la  pensée  exprimée  par  la  parole  passe  sur-le-cbamp 
et  sans  effort  dans  l'esprit  de  l'auditeur,  et  que  comme  le  soleil 
frappe  nos  yeux  sans  que  nous  y  songions  et  presque  malgré  nous, 
le  discours  par  sa  clarté  non-seulement  puisse  se  compreûdre.  mais 
ne  pa.s.-e  pas  ne  point  être  comprise  irest  la  qualité  fondamentale 
de  tout  discours,  dit  Ouintiiien  :  Prima  virtus  perspicuitas-,  et  c'est 
là  en  particulier  comme  l'essence  de  la  langue  française  ;  elle  cesse 
d'être  elle-même,  dès  qu'elle  cesse  d'être  claire.  Mais  si  elle  doit 
être  claire  partout,  eEe  doit  l'être  plas  encore  dacs  la  prédication. 
Là,  elle  doit  surpasser  la  clarté  du  genre  épistolaire.  la  clarté  même 
si  limpide  du  langage  de  la  conversation,  parce  que,  dans  une  lettre 
OQ  peut  découvrir  le  sens  d'un  passage  obscur  par  une  seconde  lec- 
ture plus  attentive;  et  dans  l'entretien  familier,  on  peut  se  faire  ex- 
pliquer ce  qu'on  n'a  pas  compris,  tandis  que,  dans  la  prédication, 
l'usage  et  les  bienséances  ne  permettent  rà  de  faire  répéter  au  pré- 
dicaieur  ce  qu'il  a  dit,  pour  essayer  de  raieir:  idre,  ni  de  loi 

demiinder  des  explicatioas^.  Il  faut  donc  q  -  -  .-  de  toutes  ses 
paroles  soit  tellement  clair,  qu'il  soit  saisi  du  premier  coup,  et  pour 
ainsi  dire  à  la  volée,  par  des  auditeurs  dont  plusieurs  sont  peu  in- 
telligents, et  qui  presque  tous  ne  donnent  pas  à  toutes  les  parties  du 
discours  une  attention  également  soutenue.  C'est  l'avis  que  donne 

*  Id  in  consilio  est  hahendmn . . .  Multis  enm  (anditorem)  frequenier  cogitatio- 
nïhus  a^ocari,  nisi  tàm.  clara  fuerint  ea  quEe  dicimus  ut  in  animara  ejus  oratio, 
lit  sol  in  nciilos.  etiamsi  non  intendatur,  inairrat.  Quarè  non  ut  iniellig'ere 
pœsit,  aedne  (anninc  possit  non  intelli^ere  carandum.  Quint.,  Ub.  VlII.  ii.  — 
*  Hid.  —  ^  S.  iugust..  de  Doctr.  ciiri.st.,  lib.  IV,  xiy. 


criuns  K  Là  râmcsnim 

QùtffioipoiirtBas  ksdisooarspBUics:  fùmmémmi 

qaod  otiosum  fcrUsse  ledmem  «ne  /Ui^ 

iHC&K  rrp^Êimr  exfiecUÊt^',  etti  est  aasâle  jj  ■tîwn  iii  et 

IVosper  :  Toi  sàiipter  et  mpertus...  aermm  deket  esse,  Atl^  itf  a» 

mteUifemtiÊ  sm  nmUos  fwnnw  im^erilos  eaimàat^. 

Pour  dUôndre  cette  pai&ite  darté,  ï  est  des  lè^es  à  ohaaKa 
dasDsremploidesnHifs,  AmsI»  toarire  des  phi  jlh..1j,  jb«s  la  mard?? 
gêflénle  da  &ooors,  et  oifia  daas  TBage  de  «filai»  Mijais  I^k: 
peot  s'aider  le  prê&atear. 

1*  Bè^ks  ooneetaxM  Fea^Qî  as  ne^ 

i^BèfU.  — Pour  être  ckir,kfn£ctfear  dot  éâto-:  t'insles 
tennesderécaie,  t^  ye  esttmce,  aArimcg,  mmàrmiXy 
OÊMx  matérkUt,  fsnmeSe,  efficiaÊi^faÊmU^ 9em€~,e^èa  A. 
qae  le  peiqftie  n'atfendpas;  ^  les  nais  twJwifes  et 
tirés  des  arts  et  des  sriflBCBS,  da  grec  <m  Cane  antre  fai^ae^Be  les 
pi  I  iiiim  I  iMiiiii  tiiimiil  mV  MWfuiilii  .TV  nier  iltili  lil!^ 
les  tenues  trtsç  g^ièravL,  oâcuns  le  sauulîsae,  le  setràBclûaK, 
le «ylif îiwe,  etc.^  tooies  exjppesâMis  aaoqades  lapliifiîn  if:^ 
■liili  m  '  m'entendent  xien;  4*  Iwis  les  ewb  svannês  oa 
«<^q"*t¥*».  ansâ  liîai  que  toœ  ks  nèologisBâs  «a  mots  j 
qaâ  ne  panent  être  compris  qae  des  sasams,  etpaBB-riatâffiçanoe 
«ip«MpM»fe;  le  pol^  aurait  besrâi  fm  dîftiawnaîre'.  Fnrei,  dsail 
César,  diè  par  AnliHbeiie.  fuyez  rn—T  an  éenâl  taate  expression 
non  consacrée  par  an  usage  constant:  Tafàn»  iciya  fmai^  ac/ayâar 
tasolens  terinai  ^  à»  ks  apressians  qai  minfnfnt  de  natmel,  ^ 
sont  affectées,  prtHafitîeBses,  guindées  on  bonrsoaâèfê.  lâen  n  ^  à 
of^Kisè  à  la  clarté  qae  cette  manière  de  s'espnma'.  etTuk^iers  os 
rappellerait  aux  partisans  de  cemaarais  ge^^recemetdelaBmTèfe: 
(  Vous  Toalez.  Acis^  me  dire  qaH  ^t  froid?  qne  ne  me  d^ei~Toas  : 
lH  lait  firtMd?  Est-ce  donc  vn  si  grand  md  d'être  entendu  qnand  on 
t  parkâ  de  parkroaoMnelonlle  monde?)  d'  Ls  expierions  tirées 
àalai^gage  mystique  que  k  peafde  ne  ooaopRnd  pas,  comane  la  wic 
spùitÊtilc,  ïkmmmte  auhnaf,  k  rieU  hmmme  et  k  aauw/  hoKWkt, 
FninâyBfâaB,  la  nâpènû'afâw   et  les  aatics  paraks  de  TEciiuire 


Tîe  4a  cavfinl  de  Cfaneras,  Pl  3S.  51  et  «•.  —  «  Aaii-Cdfe,  A.  l.  x.  — 
Qoùtifiai  dit.  di^  le  Mtee  seas  :  CmMiwttmâf.  turtietimm  ttfM*mâi  ■wftùfra 


80  TP.AITÉ  DE  LA  PI'.ÉDICATION. 

saillie,  allégoriqiK^s  ou  métaphoriques,  qui  font  allusion  à  des  faits 
anciens,  pou  connus  des  auditeurs. 

2'  Règle.  —  Quand  pour  rendre  certaines  pensées  il  ne  se  présente 
d'expressions  propres  que  certains  mots  qu'on  soupçonne  n'être  pas 
bien  compiis  des  auditeurs,  il  faut  les  expliquer  avec  une  parfaite 
netteté  et  ne  rien  laisser  passer  d'obscur  sans  l'éclaircir.  On  doit  éviter 
toutefois,  autant  que  possible,  de  mettre  dans  son  discours  trop  de 
mfts  à  expliquer  ou  d'expliquer  trop  longuement  ceux  qui  en  ont 
besoin  :  des  explications  trop  répétées  ou  trop  longues  rendraient  le 
discours  languissant,  en  interrompraient  la  marche  et  en  ôleraient  la 
vie. 

5«  Règle.  —  Quand  les  termes  usités  dans  le  vulgaire  font  mieux 
comprendre  ce  qu'on  veut  dire,  il  ne  faut  pas  rougir  de  les  employer, 
quoiqu'ils  ne  soient  pas  conformes  à  la  langue.  L'essentiel  est  de  se 
faire  comprendre  et  non  d'avoir  l'approbation  des  grammairiens  : 
Meliùsest  ut  reprehendant  nos  gmiimiatici  quàm  no7i  intelligant  po- 
puli,  dit  saint  Augustin^  :  et  le  même  saint  docteur  ajoute  qu'eu 
Afrique,  où  les  ignorants  comprenaient  mieux  le  barbarisme  ossiim 
que  le  mot  latin  os,  il  ne  fallait  pas  faire  difficulté  de  l'employer  en 
les  instruisant  :  Cur  doctorem  pietatis  pigeât  imperitis  loquentem 
ossum  potiits  dicere  quàm  os^'^.  Exemple  qui  nous  apprend  que  là  où 
le  commun  du  peuple  entend  très-peu  le  français,  il  faut  l'instruire 
dans  son  langage  vulgaire  qu'on  appelle  ^m/om;  autrement  les  fidèles 
croupiraient  dans  l'ignorance  et  dans  tous  les  vices  qui  en  sont  la 
suite.  On  doit  se  garder  toutefois  des  manières  de  parler  basses  ou 
ridicules.  11  y  a  dans  le  patois,  comme  dans  toute  espèce  de  langue, 
une  manière  de  s'énoncer  qui  ne  prête  point  à  rire,  qui  a  même  sa 
dignité  et  sa  noblesse. 

2"  Règles  concernant  la  tournure  des  phrases. 

1"^^  Règle.  —  Il  faut  éviter  les  périodes  trop  longues  dont  le  sens 
demeure  longtemps  suspendu,  ou  dont  les  membres  n'ont  pas  une 
liaison  facile  à  saisir.  Ces  longues  périodes  fatiguent  l'attention  des 
auditeurs  ou  en  dépassent  souvent  l'intelligence.  «  Il  faut  se  garder, 
«  dit  saint  François  de  Sales,  des  quanquàm  et  des  longues  périodes 
{(  des  personnes  de  classe  :  tout  cela  est  la  peste  de  la  prédication.  » 
Il  vaut  mieux  couper  ces  phrases  trop  longues,  sans  cependant  tomber 

*  In  Tsalm.  138    —  -  De  Doctr.  christ.,  lib.  IV,  xxiv. 


QUALITÉS  DE  l.A  rRÉDlCATlUN.  81 

dans  l'excès  coiilrnire  des  phrases  trop  courtes,  d'où  résiillerail  un 
style  haché,  satilillant,  par  conséquent  maigre,  sec  et  sans  dignité. 

2^  Règle.  —  Il  faut  éviter  les  circonlocutions,  les  phrases  inci- 
dentes, les  expressions  ou  épilhéLes  inutiles,  enfui  les  ornenienis 
superflus  qui,  noyant  la  véiité  dans  un  luxe  de  paroles  et  d'images, 
rendent  le  discours  obscur,  et  distraient  ou  au  moins  occupent  sans 
utilité  l'attention  de  l'auditeur  :  rien  ne  favorise  plus  la  clarté  que  de 
parler  simplement  et  avec  précision,  n'employant  les  mots  (ju'autant 
qu'ils  sont  nécessaires  pour  rendre  la  pensée,  et  retranchant  impi- 
toyablement tous  ceux  dont  on  peut  se  passer  sans  que  l'auditoire  y 
perde  rien 

5*=  Règle.  —  Il  faut  éviter  les  arrangements  de  mots  qui  ne  sont 
pas  naturels,  les  tournures  de  phrases  embarrassées,  entortillées, 
traînantes,  obscures,  qui  ne  présentent  pas  dès  le  premier  abord  un 
sens  net  et  développé,  mais  surtout  les  ambiguïtés  et  équivoques  qui 
résultent  si  souvent  de  l'emploi  des  pronoms  :  il,  le,  la,  son,  sa,  ses, 
parce  qu'on  ne  voit  pas  clairement  à  quoi  ils  se  rapportent,  connue 
dans  cette  phrase  :  Les  Mages  qui  cherchaient  Jésus-Christ  en  pré- 
sence d'Héi-ode,  montraient  bien  qu'ils  ne  craignaient  pas  sa  colère  : 
ils  disaient  hardiment  qu'ils  avaient  vu  son  étoile',  ou  mieux  encore 
dans  celle.-ci  :  Le  casque  de  Goliath  qui  fut  tué  par  David,  faisait  la 
charge  de  son  ccuyer  :  il  77iarchait  devant  lui,  et  il  croyait  l'effrayer 
par  SES  menaces. 

4"  Règle.  —  Il  faut  étudier  la  manière  dont  le  peuple  qu'on  est 
chargé  d'instruire  conçoit  les  choses  et  rend  ses  idées,  les  figures  et 
les  comparaisons  qui  lui  sont  les  plus  ordinaires,  les  tournures  qui 
lui  sont  les  plus  familières,  et  se  rapprocher  de  sa  manière  de  con- 
cevoir et  de  parler,  autant  que  le  permet  la  dignité  de  la  chaire  :  rien 
n'est  plus  propre  que  cette  méthode  à  mettre  la  prédication  à  la 
portée  de  l'auditeur. 

5"  Règle.  —  Lorsqu'il  est  nécessaire,  "oonr  se  faire  mieux  com- 
prendre, de  sacrifier  les  grâces  et  même  la  pureté  du  langage,  il 
faut  le  faire  sans  hésiter  et  préférer  la  tournure  ou  la  manière  qui  fait 
le  mieux  entendre  ce  qu'on  veut  dire,  quoiqu'elle  flatte  moins  l'o- 
reille ou  soit  moins  cnuformc  aux  règles.  Evideutix  appetitns,  dit 
saint  Augustin,  aliquando  negligit  verbacultiora,  nec  carat  quid  benê 
sonet,  sed  qxdd  benèindicet  quod  ostendere  intendit^.  Et  en  effet,  re- 
marque ce  savant  docteur,  que  sert  l'exactitude  de  votre  phrase,  la 

*  De  Doctr.  clirist,  lib.  IV,  xxiv. 


82  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

pureté  de  votre  style,  si  l'auditeur  ne  comprend  pas,  puisqu'on  ne 
parle  que  pour  se  faire  entendre?  Quid  prodest  locittionis  inlegritas 
quam  non  seqnitur  intellectus  audientis^.  Que  me  sert,  ajoute-l-il  par 
une  ingénieuse  comparaison,  que  me  sert  une  clef  d'or  si  elle  n'ouvre 
pas  le  lieu  où  je  veux  entrer,  et  quel  mal  y  a-t-il  qu'elle  soit  de  bois 
si  elle  l'ouvre?  Quid  prodest  clavis  aurea  si  aperîre  quodvolumiisnon 
potest,  aitt  quid  obestlignea,  si  hoc  potest'.  —  Et  qu'on  ne  croie  pas 
que  cette  manière  de  parler  soit  sans  esprit  et  sans  art  :  elle  est,  dit 
Cicéron,  d'autant  plus  soignée,  qu'elle  le  paraît  moins,  negliijentia  est 
diligens'^;  elle  indique  un  homme  plus  attentif  aux  choses  qu'aux 
mots,  plus  occupé  du  bien  des  autres  que  de  sa  propre  réputation. 
Observons  toutefois  que  cette  manière  de  parler  ne  doit  jamais  aller 
jusqu'à  rendre  le  discours  bas  et  rampant  :  en  le  rendant  plus  clair 
et  plus  intelligible,  elle  doit  toujours  lui  conserver  sa  dignile  :  Kxc 
sic  ornatum  detrahit  ut  sardes  non  contraliat,  dit  saint  Augustin*. 

5»  Règles  pour  la  marche  généi^ale  du  discours. 

l"'*'  Règle.  —  11  faut  bien  faire  ressortir  ses  divisions,  ses  raison- 
nements, ses  pensées  principales  et  les  divers  enseignements  et 
résolutions  qu'on  veut  inculquer  à  ses  auditeurs.  Si  l'on  ne  parlait 
qu'à  des  gens  instruits,  capables  de  décomposer  un  discours,  d'en 
remarquer  les  raisonnements  et  les  parties  essentielles  on  plus  im- 
portantes ,  cette  règle  serait  sans  application  ;  mais  l'expérience 
démontre  au  contraire  que  la  plupart  des  auditeurs  ne  savent  dis- 
cerner ni  les  parties  d'un  discours,  ni  les  endroits  qu'il  est  plus 
utile  de  retenir;  souvent  même  ils  s'attachent  à  une  pensée  inci- 
dente, à  des  choses  accessoires,  et  négligent  l'important  et  l'essen- 
tiel. Il  ne  faut  donc  pas  craindre  de  leur  dire  :  Nous  avons  vu  pre- 
mièrement telle  vérité,  secondement  telle  vérité,  troisièmement  celle 
autre  vérité;  vous  ferez  premièrement  telle  chose;  secondement  telle 
chose  ;  troisièmement  telle  autre  chose;  remarquez  Uen  ceci,  faites 
attention,  à  cela;  voilà  le  fruit  principal  que  vous  devez  retirer  de  ce 
discours,  etc..  Cette  méthode  réveille  l'attention,  frappe  l'intelli- 
gence et  grave  l'instruction  dans  la  mémoire. 

S''  Règle.  —  Quand  il  s'agit  de  choses  difficiles  à  comprendre 
ou  dont  il  importe  de  pénétrer  les  auditeurs,  il  faut  représenter  la 

*  De  Doct.  christ.,  hb.  IV,  xxiv^  —  -Ibid.,  xxvi  —  ^  Orat.,  lxxvu  et  lxxvui. 
4  De  Doct.  clirisl.,  lib.  IV,  xxvi. 


QUALITES  DE  LA  Pr.EniCATION.  83 

même  pensée  sous  diverses  expressions,  la  tonrnor  en  plusiours  ma- 
nières et  quelquefois  même  la  redire  dans  les  mêmes  termes  :  cela 
est  nécessaire  pour  suppléer  au  peu  d'intelligence  ou  au  défaut 
d'attention  des  auditeurs. 

5*  Règle.  —  Le  prédicateur,  en  débitant  son  discours,  doit  lire 
dans  les  yeux  et  dans  la  contenance  des  auditeurs  s'il  est  compris  ;  et 
lorsqu'il  s'aperçoit  qu'on  ne  l'entend  pas,  il  doit  revenir  sur  ce  qu'il 
a  dit,  donner  à  sa  pensée  différents  tours  jusqu'à  ce  qu'il  reconnaisse 
qu'on  le  comprend  *.  Il  est  vrai  que  cette  régie  est  impraticable 
pour  ceux  qui  apprennent  leurs  sermons  mot  à  mot,  et  les  récitent 
comme  urt  écolier  dit  sa  leçon,  servilement  attachés  à  leur  mémoire: 
mais  nous  verrons  plus  tard  la  manipre  de  s'affranchir  de  cette  mar. 
che  timide  des  commençants. 


4"  Règles  concernant  les  divers  moyens  dont  doit  s'aider  le  prédicateur 
pour  se  faire  comprendre. 

l''^  Règle,  —  Avant  d'écrire  ou  de  parler,  il  faut  se  rendre  exac- 
tement à  soi-même  raison  de  son  sujet  et  l'étudier  jusqu'à  ce  qu'on 
le  possède  pleinement,  c'est-à-dire  jusqu'à  ce  qu'on  en  ait  une  idée 
nette,  précise  et  lumineuse.  Le  défaut  de  netteté  dans  la  pensée  est 
la  cause  la  plus  fréquente  de  l'obscurité  dans  l'expression  :  c'est 
parce  qu'on  ne  sait  pas  bien  positivement  ce  qu'on  veut  dire,  ou 
qu'on  n'en  a  qu'une  idée  confuse,  qu'on  ne  sait  pas  le  dire  claire- 
ment. De  là  ce  mot  de  Quintilien  :  plus  un  écrivain  est  médiocre, 
plus  il  est  obscur;  plus,  au  contraire,  il  a  d'instruction  et  de  génie, 
plus  il  est  clair  et  facile  à  comprendre  ^.  De  là  aussi  ces  vers  si  connus 
de  Boileau  : 

Avant  donc  que  d'écrire,  apprenez  à  penser  : 
Selon  que  notre  idée  est  plus  ou  moins  obscure, 
L'expre;~sion  la  suit  ou  moins  nette  ou  plus  pure. 
Ce  que  l'on  conçoit  bien  s'énonce  clairement, 
Et  les  mots  pour  le  dire  arrivent  aisément. 

2^  Règle.  —  En  composant  son  discours,  il  faut  se  considérer  ou 
comme  un  père  plein  de  tendresse  pressant  ses  enfants  bien-aimés 
de  se  soustraire  à  quelque  grand  malheur,  et  leur  parlant  en  consè- 

*  Solet  motu  suo  signifccare  utrùm  intellexerit.  cognnscendi  avida  multitudo  t 
quod  donec  significel,  v  ersandum  est  qiiod  agilnr  midtmodâ  varielate  dicendi 
S.  Aug.,  de  Doct.  christ.,  lib.  IV,  xxv.  —  ^  Lïh.  II,  c.  v. 


M  TRAITÉ  DE  \A  mÉUICATION. 

quonco  avoc  un  désir  ininiensc  d'être  bien  compris,  ou  comme  un 
ami  qui,  voulant  éclairer  des  personnes  chères  sur  les  périls  qui 
les  menacent,  cherche  de  toutes  les  manières  à  s'en  faire  entendre, 
sans  perdre  do  vue  un  seul  instant  que  ces  personnes  n'ayant  pas 
fait  d'étude,  leur  esprit  inculte  ne  peut  comprendre  que  les  choses 
les  plus  simples.  Le  prédicateur  qui  aura  pour  ses  auditeurs  des 
entrailles  de  père  et  d'ami,  sera  nécessairement  clair,  parce  que, 
s'oubliant  tout  entier  lui-même,  il  ne  songera  qu'au  bien  de  ceux  à 
qui  il  parle. 

o*"  lU'gte.  —  Quand  on  a  écrit  son  discours,  il  faut  le  lire  lente- 
ment, le  méditer  attentivement  ;  se  demander  ce  qu'on  a  voulu  dire, 
et  si  on  l'a  dit  d'une  manière  nette  et  claire  ;  discuter  jusqu'aux 
moindres  détails  de  sa  composition,  comme  si  c'était  l'ouvrage  d'un 
«étranger  qu'on  eût  à  cœur  de  critiquer  sévèrement,  enfin  se  mettre 
à  la  place  des  auditeurs,  et  examiner  devant  Dieu  s'ils  comprendront 
îelle  expression,  telle  phrase,  telle  figure;  toutes  choses  peut-être 
éminemment  claires  pour  les  esprits  cultivés,  mais  non  moins 
obscures  pour  les  gens  simples  et  sans  lettres  qui  composent  la  ma- 
jorité de  l'auditoire. 

§2. 

Ile  Tobligation  et  de  la  manière  d'adapter  son  discours  aux  besoins  des  auditeurs. 

Nous  diviserons  ce  paragraphe  comme  le  précédent. 

SECTION    f*. 

De  l'obligation  d'adajiter  son  discours  aux  besoins  des  auditeuis*. 

Le  prédicateur  est  tenu  d'adapter  son  discours  aux  besoins  des 
auditeurs,  par  la  même  raison  qu'un  médecin  est  tenu  d'adapter  ses 
remèdes  aux  besoins  de  ses  malades.  S'il  est  fidèle  à  ce  piùncipe,  il 
prêchera  toujours  utilement,  et  les  auditeurs  l'écouteront  avec  inté- 
rêt, parce  qu'ils  sentiront  que  le  discours  convient  à  leurs  besoins, 
que  le  prédicateur  n'est  pas  un  cliarlatan  qui  colporte  partout  la 
même  recette  pour  tous  les  maux,  mais  un  médecin  habile  et  intelli- 
gent qui  coimaît  leur  ma!  et  leur  en  apporte  le  remède  propre  et 
spécifique.  Cette  prédication,  a'usi  appropriée  à  leur  état  moral,  les 

*  Voyez  le  P.  Albert,  II*  part.,  c.  xvt.  xxxvii  et  xxxviii.  —  Gicnade,  liv,  II, 
e.  XI  et  XII.  —  Devoirs  des  curés,  c.  vu,  art.  I. 


OUALMES  DE  LA  l'IiÉDICATION.  8S 

forcera  de  rentrer  en  eux-mèiries,  de  se  faire  l'applicalioii  des  vérités 
entendues,  de  voir  clairement  ce  qu'ils  sont  et  ce  qu'ils  doivent  être, 
leurs  défauts  et  les  moyens  de  se  corriger  ;  et  ainsi  sera  obtenue  la 
fin  première  et  essentielle  de  l'éloquence  chrétienne.  Mais,  au  con- 
traire, si  le  prédicateur  Ji'adaple  pas  sou  discours  aux  besoins  de;-; 
auditeurs,  il  manquera  tout  à  fait  son  but;  car,  ou  ce  qu'il  dira  ne 
sera  pas  en  rapport  avec  leurs  besoins,  ou  il  négligera  de  leur  en 
faire  l'application,  ou  il  leur  en  fera  une  applicaliini  fausse  et  a 
contre-sens  :  dans  le  premier  cas,  le  discours  sera  déraisonnable; 
dans  le  second,  il  sera  inutile  ;  dans  le  troisième,  il  sera  mauvais,  sou- 
vent jusqu'à  être  nuisible. 

1°  Si  la  matière  n'est  pas  en  rapportaveclcs  besoins  des  auditeurs, 
le  discours  sera  déraisonnable;  car  quoi  de  plus  déraisonnable,  par 
exemple,  que  de  prêcher  contre  le  luxe  et  le  mauvais  usage  des 
richesses  là  où  tout  le  monde  est  pauvre,  sauf  peut-être  deux  ou  trois 
familles  ;  contre  l'ambition  ou  l'orgueil  de  César  et  d'Alexandre  de- 
vant des  femmes  du  peuple  qui  ne  portent  pas  leurs  prétentions  au 
delà  de  leur  ménage  ;  contre  les  philosophes  et  les  incrédules  devant 
un  auditoire  qui  ne  comprend  pas  seu!em(?nt  ce  que  signifient  ces 
dénominations  :  contre  l'ivrognerie  là  où  personne  ne  s'enivre; 
contre  la  communion  sacrilège  là  où  très-peu  de  personnes  font 
leurs  Pâques?  On  sent  combien  tout  cela  est  absurde 

2°  Quand  même  la  matière  conviendrait  aux  auditeurs,  si  le  pré- 
dicateur néglige  d'en  faire  l'application  à  leurs  besoins,  il  fera 
peu  ou  point  de  fruit.  Les  fidèles  sont  si  peu  habitués  à  rentrer  en 
eux-mêmes,  à  étudier  leur  cœur,  et  à  en  observer  les  mouvements, 
ils  craignent  tant  de  te  voir  tels  qu'ils  eont  de  peur  d'être  réduits  à 
se  condamner,  que  si  le  prédicateur  s'en  tient  à  des  généralités, 
sans  descendre  dans  des  détails  pratiques  qui  les  obligent  à  s'ap- 
pliquer ce  qu'ils  entendent,  ils  écouteront  l'instruction  connne 
quelque  chose  de  purement  spéculatif  d'où  ils  n'ont  à  tirer  aucune 
conclusion  pratique  ;  personne  ne  se  dira  :  «  C'est  toi  que  cela  re- 
«  garde,  le  mal  qu'on  signale  est  le  tien  :  Tu  es  ille  vir.  »  .Ainsi 
l'on  sortira  du  sermon  tel  qu'on  y  était  venu,  sans  même  penser  à 
se  corriger;  et  quelque  talent  qu'ait  un  prédicateur,  il  sera  à  peu 
près  inutile;  comme,  au  contraire,  n'eût-il  (|u'un  talent  médiocre, 
il  instruira  avec  grand  fruit  si,  descendant  dans  ces  détails  et  con- 
duisant l'auditeur  comme  par  la  main  dans  les  différentes  actions 
de  sa  vie,  jusque  dans  les  replis  les  plus  cachés  de  son  co-nr,  il 
l'amène  à  recoimaitre  l'opposition  de  ses  mœurs,  de  ses  pensées, 


88  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

(le  ses  sentiments  avec  la  vérité  prêchée,  et  à  voir  clairement  ce 
qu'il  a  à  réformer  en  lui,  soit  dans  sa  conduite  extérieure,  soit  dans 
ses  dispositions  intérieures.  C'est  donc  là  un  des  points  essentiels 
de  toute  instruction,  un  des  devoirs  principaux  des  prédicateurs; 
et  l'on  ne  saurait  trop  déplorer  qu'un  grand  nombre  d'entre  eux^ 
craignant  sans  doute  de  paraître  trop  simples  en  s'abaissant  à  ces 
détails,  et  plus  jaloux  de  leur  réputation  que  du  salut  des  ânfifis, 
se  bornent  à  des  généralités,  à  des  déclamations  vagues  sans  rien 
de  pratique,  sans  aucune  application  aux  besoins  des  auditeurs. 

o'*  Quand  même  le  prédicateur  essayerait  d'appliquer  la  vérité 
qu'il  prêche  aux  besoins  des  auditeurs,  s'il  n'en  fait  une  applica- 
tion iu:  te,  sa  parole  deviendra  souvent  funeste  et  nuisible  :  si,  par 
exemple,  quand  je  parle  du  péché  mortel,  je  ne  cite  que  des  dés- 
ordres énormes,  et  par  conséquent  rares;  si,  quand  j'attaque  l'or- 
gueil, je  frappe  de  mes  anathèmes  et  Aman  et  Nabuchodonosor, 
non-seulement  mes  traits  trop  élevés  passeront  par-dessus  la  tête 
des  auditeurs  et  n'iront  point  à  leur  cœur,  je  porterai  mes  coups 
en  l'air  et  je  combattrai  des  chimères;  mais  encore  je  contribuerai 
à  tranquilliser  les  pécheurs  dans  leur  état  :  car,  voyant  clairement 
qu'ils  n'ont  point  les  vices  contre  lesquels  je  tonne,  puisqu'ils  sont 
join  d'être  des  Aman,  des  Nabuchodonosor  et  des  monstres  de  scélé- 
ratesse tels  que  ceux  que  je  décris,  ils  se  rassureront,  par  mon  dis- 
cours même,  dans  leurs  désordres;  et  concluront  qu'ils  peuvent 
encore  aller  loin  dans  la  carrière  du  vice  avant  de  tomber  sous  mes 
anathèmes.  Tel  est  l'inconvénient  du  défaut  de  justesse  dans  les 
applications  ;  et,  sous  ce  rapport,  Massillon  n'est  pas  toujours  irré- 
prochable :  les  peintures  qu'il  fait  de  certains  vices  ou  désordres 
sont  quelquefois  tellement  exagérées,  que  personne  ne  s'y  reconnaît. 

SECTION  2. 
De  la  manière  d'adapter  son  discours  aux  besoins  des  auditeur* 

Pour  remplir  avec  succès  ce  devoir  si  important  du  prédicateur, 
il  faut  :  1°  bien  connaître  le  peuple  à  qui  l'on  parle  ;  2°  embrasser 
dans  son  discours  les  besoins  des  différentes  classes  d'auditeurs  aux- 
quelles on  s'adresse;  5°  s'attacher  surtout  à  combattre  les  passions 
dominantes,  les  abus  ou  désordres  principaux  qui  régnent  dans  la 
paroisse. 

«  Partout  où  vous  serez  appelés  à  exercer  le  saint  ministère,  di- 


QUALITES  DE  LA  PRÉDICATION.  87 

«  sait  saint  François  Xavier  aux  compagnons  de  son  apostolats  n'y 
«  fussiez-vous  que  pour  un  peu  de  temps,  interrogez  avec  soin  des 
«  hommes  de  Jjien  qui  aient  l'expérience  de  la  vie  que  mènent  com- 
«  munément  les  gens  du  pays  ;  apprenez  d'eux  le  plus  exactement 
«  que  vous  pourrez,  non-seulement  les  crimes,  les  fourberies  ordi- 
«  naires,  les  artifices  dont  on  se  sert  pour  faire  des  injustices  et 
n  tromper  dans  le  négoce,  mais  encore  les  usages  reçus  parmi  le 
«  peuple,  les  opinions  généralement  répandues,  les  goûts  de  la 
«  nation,  la  manière  dont  les  hommes  ont  coutume  d'agir  entre  eux. 
«  Croyez-en  mon  expérience,  il  n'est  point  de  connaissance  plus 
«  utile...  Il  faut  mettre  à  acquérir  cette  science  du  monde,  ajoute  le 
«  même  saint-,  autant  de  soin  qu'à  apprendre  la  philosophie  ou  lalhéo- 
«  logie,  parce  qu'avec  elle  on  fait  les  discours  les  plus  utiles  :  par  là 
((  on  sait  sur  quoi  il  faut  insister  dans  les  prédications,  et  comment 
«  il  faut  manier  les  esprils  ;  par  là  on  acquiert  une  grande  autorité  sur 
«  ses  auditeurs,  qui  souvent  méprisent  nos  discours  par  la  pensée 
«  qu'ignorant  le  monde,  nous  ne  sommes  pas  aptes  à  le  juger;  mais 
«  quand  ils  reconnaissent,  par  expérience,  que  le  prédicateur  est 
«  aussi  versé  et  aussi  rompu  qu'eux  dans  les  usages  de  la  vie  civile, 
<(  ils  l'admirent,  se  livrent  à  lui  avec  confiance  et  exécutent  volontiers 
«  ce  qu'il  leur  conseille  même  de  plus  dur  à  la  nature.  »  Confor- 
mément à  des  observations  si  sages,  il  faut  étudier  avec  soin  le  peuple 
qu'on  est  chargé  d'évangéUser  :  si  l'on  est  étranger,  on  s'informe 
près  du  pasteur  du  lieu  ;  et  si  l'on  est  soi-même  pasteur,  on  acquiert 
la  connaissance  de  son  troupeau  par  les  observations  auxquelles  don- 
nent lieu  les  rapports  journaliers  avec  lui,  par  les  renseignements 
qu'on  recueille  dans  la  conversation,  ou  qu'on  demande  adroitement 
aux  uns  et  aux  autres;  par  l'étude  de  son  propre  cœur,  le  meilleur 
livre  où  l'on  puisse  apprendre  à  connaître  les  hommes,  suivant  le 
mot  célèbre  de  Fontenelle  :  C'est  moi  que  j'étudie  quand  je  veux  con- 
naître les  autres^,  enfin  par  l'exercice  même  du  saint  tribunal,  qui 
fait  connaître  d'une  manière  précise  les  vices  à  corriger,  les  erreurs 
à  combattre,  les  préjugés  à  réformer,  tous  les  besoins  des  auditeurs 
et  les  ohslacles  qu'ils  ont  à  vaincre  pour  arriver  au  salut  :  toutefois  il 
faut  observer  qu'on  ne  doit  user  de  ce  dernier  moyen  qu'avec  discré- 
tion, pour  ne  blesser  personne  et  ne  pas  donner  lieu  au  soupçon 

*  LeUrc  au  P.  Gaspard  Barzéc,  du  mois  de  mars  1549,  g  Ô9. 

*  Lettre  au  même,  du  mois  de  mars  1545,  §  40. 

'  Voyez  sur  l'avantage  de  s'étudier  soi-même  pour  connaître  les  autres,  l 
cardinal  Maury,  Essai  sur  l'éloquence  de  la  chaire,  1. 1,  p.  56. 


88  TI'.AITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

qu'on  trahif  le  secret  des  consciences.  —  C'est  avec  tous  ces  moyens 
de  conn;iitre,  que  le  prédicateur  devra  préparer  ses  instructions;  et 
voici  comment  :  supposons,  par  exemple,  que  je  veuille  prêcher  sur 
la  charité  envers  le  prochain  ;  je  commencerai  par  bien  étudier  la 
nature,  l'étendue  de  cette  vertu  et  les  motifs  qui  portent  à  la  pra- 
tiquer ;  puis,  me  transportant,  par  la  pensée,  au  milieu  des  hommes 
pour  voir  comment  par  le  fait  ils  la  pratiquent,  me  rappelant  ce  que 
j'ai  vu  et  entendu  dans  le  monde,  devinant  le  reste  soit  paranalogie^ 
soit  parl'étnde  de  ce  qu'éprouverait  mon  propre  cœur  placé  en  telle 
et  telle  position,  je  me  demanderai  :  Quelle  idée  a-t-on  de  ce  devoir 
vians  le  monde?  Comment  la  charité  y  est-elle  pratiquée?  Ce  son*- 
dans  les  conversations  des  médisances,  des  railleries,  des  amuse- 
ments aux  dépens  du  prochain;  dans  les  relations  réciproques,  peu 
d'égards  et  de  complaisances  les  uns  pour  les  autres,  des  brusque- 
ries, des  paroles  dures  ou  piquantes,  des  reproches  vifs  pour  les 
moindres  torts,  des  refus  de  services  qu'on  pourrait  facilement  rendre, 
ou  des  services  rendus  de  mauvaise  grâce,  par  intérêt  et  espérance 
de  retour,  par  bonté  naturelle  ou  inclination,  jamais  par  un  motif  de 
charité  chrétienne  et  en  vue  de  Dieu;  c'est,  pour  tous  ceux  qui  ne 
sont  ni  parents  ni  amis,  une  insouciance  complète  qui,  loin  devoir  en 
eux  des  frères,  y  voit  à  peine  des  hommes,  et  ne  sait  pas  même  dire 
avec  le  sage  du  paganisme  :  Homo  mm,  humanum  nihil  à  me  alie- 
num  piito;  ce  sont  enfin,  dans  les  moindres  démêlés,  des  altercations 
violentes,  des  haines  et  des  injures;  dans  les  concurrences,  des  ja- 
lousies, des  rivalités  et  des  vengeances.  Toutes  ces  observations  me 
fourniront  la  matière  principale  de  mon  discours,  et  m'apprendront 
les  désordres'  dont  j'ai  à  faire  ressortir  la  gravité  et  à  signaler  les 
remèdes.  Je  n'aurai  qu'à  exécuter  ces  indications,  et  j'aurai  fait  une 
instruction  vraiment  utile,  appropriée  aux  besoins  de  mes  auditeurs. 
Après  m'avoir  entendu,  ils  verront  clairement  leurs  devoirs;  et  se 
reconnaissant  dans  mes  tableaux  parce  que  je  leur  aurait  dit  les 
choses  comme  elles  se  passent,  ils  seront  forcés  de  s'en  faire  l'applica- 
tion à  eux-mêmes.  «Avec  cette  méthode,  observe  saint  François  Xavier, 
«  on  fera  des  discours  plus  utiles  que  si  l'on  débitait  au  peuple  des 
«  bibliothèques  entières  de  raisonnements  spéculatifs.  »  Aussi,  disait- 
il  au  Père  Barzée*  :  «  Employez  la  plus  grande  partie  de  votre  ser- 
«  mon  à  faire  une  peinture  vive  de  l'élat  intérieur  et  du  trouble  des 
«  pécheurs;  que  chacun  se  voie  dans  votre  discours  comme  dans  un 

»  Lettre  au  P.  Barzée,  §§  40  et  47. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  80 

«  miroir,  et  y  reconnaisse  l'inquiétude  de  ses  projets,  la  frivolité  de 
«  ses  pensées,  le  néant  de  ses  espérances,  les  fraudes  qu'il  médite 
«  dans  son  esprit.  Les  hommes  n'écoutent  rien  avec  plus  d'attention 
«  que  les  choses  dont  le  témoignage  intime  de  leur  conscience  leur 
«  fait  sentir  la  vérité.  Faites-leur  un  portrait  fidèle  de  tout  ce  qui  se 
«  passe  en  eux,  et  pour  cela,  examinez-les  avec  soin,  observez,  appro- 
«  fondissez,  étudiez  ces  livres  vivants  :  par  là,  vous  enseignerez  ulile- 
«  ment,  vous  acquerrez  un  grand  empire  sur  les  pécheurs  pour  les 
«  attirer  à  vous,  les  détourner  de  la  mauvaise  voie  et  leur  faire  goûter 
«  la  vérité  et  la  vertu.  » 

Pénétré  de  ces  sages  avis,  le  prédicateur  doit  embrasser  dans  son 
discours  les  besoins  des  différentes  classes  d'auditeurs  auxquels  il  s'a- 
dresse :  car  s'il  ne  traite  que  les  besoins  d'une  certaine  classe,  son  dis- 
cours sera  sans  intérêt  comme  sans  utilité  pour  le  reste  de  l'auditoire  ; 
il  donnera  aux  uns  la  nourriture  qui  leur  convient,  et  laissera  les  au- 
tres à  jeun.  Or,  cependant,  tous  ont  un  droit  égal  à  la  distribution  de 
la  divine  parole  ;  ils  sont  là  autour  de  la  chaire  comme  ces  malades  de 
l'Évangile  autour  de  la  piscine,  et  le  prédicateur  est  l'ange  envoyé  de 
Dieu  pour  les  guérir  :  médecin  de  tous,  il  se  doit  à  tous,  aux  aveugles 
pour  leur  faire  voir  la  lumière,  aux  faibles  pour  les  fortifier  et  les  en- 
courager, à  ceux  qui  sont  tombés  pour  les  relever,  à  ceux  qui  sont  de- 
bout pour  les  affermir.  11  faul  donc  pourvoir  à  tant  de  besoins  divers  S 
et  pour  cela,  se  souvenir  qu'il  y  a  dans  presque  tous  les  auditoires 
trois  classes  de  pécheurs,  ceux  qui  pèchent  par  faiblesse  ou  igno 
rance,  ceux  qui  pèchent  par  habitude,  mais  n'ont  pas  encore  étouffé 
le  remords,  et  les  pécheurs  endurcis  ;  comme  aussi  trois  classes  de 
justes,  ceux  qui  commencent  à  se  donner  à  Dieu,  ceux  qui  ont  déjà 
fait  quelques  progrès  et  ceux  qui  sont  fort  avancés;  enfin  des  person- 
nes de  différents  états.  Pour  satisfaire  aux  besoins  des  diverses  classes 
de  pécheurs  et  de  justes,  si  le  prédicateur  traite  d'un  vice,  il  com- 
battra de  toute  la  puissance  de  sa  parole  les  péchés  graves  que  ce 
vice  fait  commettre,  parlant  avec  commisération  de  ceux  qui  tom- 
bent par  faiblesse,  avec  force  contre  les  habitudinaires,  avec  plus 
d'énergie  encore  contrôles  endurcis;  puis  il  censurera  les  moindres 
défauts,  les  imperfections  mêjnc  relatives  à  cette  matière,  et  enfin  il 
prescrira  les  moyens  de  corriger  ou  prévenir  ce  vice,  indiquant  suc- 
cessivement ceux  qui  sont  de  nécessité  ou  de  précepte,  et  ceux  qui 
sont  de  perfection.  Si,  au  contraire,  il  traite  d'une  vertu,  il  s'alla- 

•  Voyez  lUiéloriciue  eccliibiastiiiiie  fie  GrciKulc,  liv.  H,  c.  t'2. 


90  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

chera  à  inspirer  de  l'horreur  des  péchés  opposés,  puis  il  proposera 
les  pratiques  communes  de  celte  vertu,  et  enfin  il  en  fera  reconnaître 
les  pratiques  les  plus  parfaites  :  par  là  il  s'atisfera  à  tous  les  be- 
soins indiqués  ;  chaque  classe  de  pécheurs  ou  de  justes  recevra  son 
remède  propre,  et  il  n'y  aura  personne  dans  l'auditoire  qui  ne  puisse 
tirer  profil  de  la  prédication.  Quant  aux  divers  états  ou  professions 
de  ses  auditeurs,  il  inculquera  souvent  dans  ses  discours  le  principe 
général  que  les  devoirs  d'état  sont  de  tous  les  devoirs  les  plus  es- 
sentiels, et  cependant  ceux  qu'on  néglige  le  plus,  dont  on  se  repro- 
che le  moins  l'infraction  :  puis,  à  l'exemple  de  saint  Jean,  qui  fixait 
d'une  manière  si  précise  les  obligations  de  chaque  condition,  des 
soldats,  des  publicains,  d'Hérode  lui-même,  il  expliquera  avec 
clarté,  selon  l'occurrence,  les  obligations  des  riches  et  des  pauvres, 
des  maîtres  et  des  serviteurs,  des  pères  et  des  enfants,  aussi  bien 
que  celles  des  divers  états  qu'on  exerce  dans  la  paroisse,  en  ayant 
soin  :  1°  de  ne  décrier  aucune  profession  honnête,  et  de  relever  au 
contraire  les  diverses  professions  de  la  société  par  ce  qu'elles  au- 
raient de  beau,  si  elles  étaient  remphes  selon  la  religion  ;  2"  de  ne 
point  développer  les  devoirs  d'état  qui  ont  des  obligations  respecti- 
ves, comme  ceux  de  maîtres  et  de  serviteurs,  sans  dire  en  même 
temps  les  devoirs  de  la  partie  corrélative,  afin  de  ne  pas  donner  à 
penser  qu'il  ménage  les  uns  en  attaquant  les  autres  ;  5"  de  n'a- 
dresser ni  reproches  ni  avis  publics  sur  un  état  ou  un  emploi 
quelconque,  lorsqu'il  n'y  a  que  deux  ou  trois  personnes  à  l'exercer 
dans  la  paroisse,  parce  qu'alors  il  est  évident  que,  dans  l'opinion 
générale,  cela  équivaudrait  à  une  personnalité  offensante. 

Tout  en  embrassant  ainsi  les  divers  besoins  de  son  auditoire,  le 
prédicateur  s'attachera  surtout  à  combattre  les  passions  dominantes, 
les  abus  ou  désordres  principaux  du  Heu  où  l'on  prêche.  Car,  par 
cela  même  que  ces  vices  dominent  en  ce  Heu,  ce  sont  les  plus  grands 
obstacles  au  salut  ;  ce  sont  les  maladies  auxquelles  il  est  le  plus  ur- 
gent d'apporter  remède,  et  si  l'on  ne  les  déracine,  ce  seront  celles 
qui  feront  le  plus  de  victimes.  Telle  était  la  pratique  des  saints  Pé- 
rès; de  là  ces  discours  multipliés  de  saint  Âmbroise  contre  l'usure, 
de  saint  Chrysostome  contre  le  luxe  et  la  dureté  envers  les  pauvres, 
de  saint  Augustin  contre  l'ivrognerie  et  la  débauche  ;  et  lors  même 
que  ces  Pères  traitaient  un  autre  sujet,  ils  savaient  intercaler  tou- 
jours quelques  mots  contre  le  vice  dominateur.  Tel  était  aussi  l'avis 
que  donnait  saint  Charles  aux  prédicateurs,  leur  recomniandant  de 
poursuivre  dans  leurs  discours,  jusqu'à  extinction,  les  dérèglements 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  91 

du  lieu  où  ils  prêcliaicnt  :  Cam  ad  concionandum  aliqub  concionator 
venerit,  accuratè  illhis  loci  morum  coiTvptelas  conquiret,  qiias,  ut 
occasio  foret,  constantissimè  iisqiie  adeb  exagîtaint  ut  fundiths^  quan- 
tum in  se  est,  extirpet^.  «  Les  villes  et  les  populations,  dit  Co7'neliusà 
Lapide,  cité  par  Benoît  XIV  dans  son  Institution  27,  n"  19,  demeu- 
rent toujours  plongées  dans  les  mêmes  désordres,  sans  que  les  pré- 
dications produisent  parmi  elles  presque  aucun  fruit,  parce  que  les 
prédicateurs,  se  jetant  dans  les  sujets  généraux  de  la  religion,  ne 
poursuivent  pas  à  outrance  et  n'attaquent  même  pas  les  vices  parti- 
culiers propres  au  lieu  où  ils  prêchent.  Qu'ils  changent  de  méthode, 
continue  ce  savant  homme,  s'ils  ont  à  cœur  les  intérêts  de  Dieu,  de 
leur  conscience,  de  l'Église  et  de  leurs  auditeurs^.  » 

Toutefois  en  combattant  les  désordres  de  la  paroisse,  il  est  plu- 
sieurs règles  à  observer  : 

1"  Il  ne  faut  point  prendre  le  ton  acerbe  du  reproche  et  de  Tin- 
vective  :  le  vrai  zèle  ne  connaît  point  ce  langage  :  il  est  doux  et 
sans  fiel,  tendre  et  compatissant  pour  le  pécheur  qui  s'égare.  D'ail- 
leurs, l'invective  aigrit  et  ne  corrige  pas  :  la  seule  manière  de  ren- 
dre un  reproche  profitable,  c'est  d'en  retrancher  tout  ce  qui  est 
offensant,  et  de  le  revêtir  de  toute  la  douceur  du  langage,  de  tous 
les  charmes  de  la  charité,  et  surtout  des  industries  aimables  qu'en- 
seigne le  grand  art  des  précautions  oratoires  dont  nous  parlerons 
au  paragraphe  suivant.  Un  reproche  est  toujours  une  médecine 
amère;  on  ne  la  peut  faire  accepter  aux  auditeurs  qu'en  tempérant 
son  amertume  par  la  bonté  des  formes,  qu'en  dorant  la  pilule,  s'il 
nous  est  permis  d'employer  l'expression  vulgaire. 

2°  11  ne  faut  point  présenter  les  désordres  comme  plus  graves 
ou  plus  communs  qu'ils  ne  sont.  Si  on  les  présente  comme  plus  gra- 
ves, on  donne  au  pécheur  qui  ne  va  pas  jusqu'à  cet  excès  occasion 
de  se  dire  :  Je  ne  vis  donc  pas  aussi  mal  que  bien  d'autres,  et  l'on 
s'expose  à  être  traité  d'homme  exagéré  qui  ne  mérite  pas  confiance. 
Si  on  les  présente  comme  plus  communs  :  Je  ne  vis  donc  que 
comme  tout  le  monde  vit,  se  diront  les  coupables,  et  ainsi  ils  s'cn- 

*  Act.  Eccl.  Mcd.,  t.  I,  p.  104. 

'  Concionatorcs  communcm  tramitem  explicandi  evangelia  seqiiuntur,  pecca- 
toribus  comnicndunt  passionem  Cliristi,  iriisericordiain  Dei  et  culliim  B.  Vir{;i- 
iiis,  quod  illa  suî  cultores  non  sinat  periic;  nec  descenduuL  ad  vitia  liuic  illive 
loco  prnpria,  ut  contra  ca  tonont  et  rnlniincnt  eaqufi  extirpent  :  nndè  urljos  et 
popiili  manont  in  iisdcm  vitiis  nec  nlhim  vel  exigumn  ex  concioniljus  omiiiliiis 
fructum  reCenint.  Mutent  ergo  rnoduin  concionandi,  si  Deo,  x:onscicntiae,  licclc- 
siœ  et  auditoribus  consulcre  satagunt. 


î'2  TliAlTE  DE  LA  PREDICATION. 

hardiroiit  au  mal  pnr  le  mauvais  exemple.  Joignez  à  cela  l'injustice 
(le  diffamer  une  paroisse  entière  pour  les  désordres  de  quelques 
particuliers.  C'est  pourquoi,  dans  les  reproches  généraux,  il  faut  tou- 
jours mettre  quelque  exception  pour  ne  pas  envelopper  les  inno- 
cents avec  les  coupables.  De  même,  en  s'é'.evant  contre  les  grands 
crimes,  il  faut  toujours  supposer  qu'ils  sont  rares,  afin  d'inspirer 
plus  de  honle  et  de  regret  à  ceux  qui  ont  à  se  les  reprocher  ;  mais  il 
faut  insister  longuement  sur  les  vices  moins  énormes,  qui  sont  com- 
muns parmi  les  auditeurs,  vices  d'autant  plus  dangereux  qu'ils 
n'ont  lien  de  déshonorant  aux  yeux  du  monde,  et  qu'on  les  rencontre 
fréquemment  dans  les  personnes  mêmes  qu'on  estime,  qu'on  appelle 
braves  et  honnêtes  gens.  Ainsi,  par  exemple,  si  je  parle  du  salut,  je  ne 
me  bornerai  pas  à  m'élever  contre  ceux  qui  le  négligent  entièrement, 
mais  je  m'étendrai  sur  ceux  qui  ne  s'en  occupent  qu'à  demi,  et 
cioient  pourlai^t  en  faire  assez,  et  je  leur  ferai  toucher  du  doigt  le 
danger  de  se  perdre  auquel  ils  s'exposei.t.  Si  je  prêche  sur  l'orgueil, 
je  laisserai  de  côté  les  excès  qui  révoltent  et  qui  sont  rares  ;  je  mon- 
trerai l'orgueil  tel  qu'il  est  dans  presque  tous  les  hommes,  dans  ceux- 
là  même  qui  s'en  croient  le  plus  exempts  ;  et  en  faisant  réfléchir  sur 
les  motifs  qui  les  font  penser,  parler,  agir,  en  leur  représentant  au  na- 
turel comment  et  dans  quelles  circonstances  ce  vice  se  manifeste  en 
eux,  je  les  forcerai  de  reconnaître  que  l'orgueil  est  le  mobile  ordinaire 
de  leur  conduite,  que  leurs  pensées  et  leurs  désirs  ne  tendent  qu'à 
le  satisdiire,  et  qu'il  gâte  souvent  jusqu'à  leurs  meilleures  actions. 
5°  Il  faut  porter  dans  la  peinture  du  vice  une  réserve  extrême  pour 
ne  souiller  en  rien  l'imagination.  Ainsi,  point  de  ces  peintures  si 
vives  et  si  délicates,  qu'elles  semblent  laisser  au  vice  ses  agréments; 
point  de  ces  descriptions  des  amusements  mondains  dans  un  langage 
plaisant  et  léger,  plus  propre  à  faire  aimer  le  monde  qu'à  le  décrier; 
point  de  ces  détails  qui  annoncent  dans  le  prédicateur  un  homme 
parfaitement  instruit  des  modes,  du  nom  des  parures,  des  divertis- 
sements et  des  jeux  :  il  ne  faut  pas  que  le  prêtre  paraisse  trop  con- 
naître le  monde  ;  son  mérite,  observe  Gaichiez,  est  qu'on  dise  de  lui 
qu'il  l'a  deviné  ;  enfin,  point  de  ces  locutions  qui,  quoique  les  termes 
soient  chastes,  réveillent  dans  l'imagination  quelque  chose  capable 
d'alarmer  la  pudeur.  La  langue  française  est  la  plus  chaste  de  toutes 
les  langues  ;  avec  elle,  le  voile  dont  on  couvrirait  certaines  matières 
serait  toujours  transparent,  les  âmes  pures  et  innocentes  s'en  offen- 
seraient, les  autres  s'en  scandaliseraient  et  croiraient  peut-être  qu'on 
n'est  pas  exempt  soi-même  des  vices  dont  on  parle  si  volontiers. 


CVJALnES  DE  I.A  PULDICATION.  93 

4° II  faut  éviter  trois  autres  défauts  dans  les  poitraits  ou  peintures 
de  mœurs  :  le  premier  serait  d'y  mettre  de  la  malice  ou  de  l'humeur  ; 
ce  qu'aurait  peint  la  malignité  ou  l'humeur  chagrine  ne  saurait  être 
béni  de  Dieu,  irriterait  ceux  qui  s'y  reconnaîtraient,  divertirait  ceux 
qui  ne  s'y  retrouveraient  pas,  et  ne  convertirait  personne.  Le  second 
défaut  serait  de  descendre  dans  des  détails  trop  bas  et  de  tomber 
dans  le  trivial  :  ainsi,  par  exemple,  il  serait  indécent  de  rapporter 
les  paroles  et  de  représenter  les  postures  de  deux  femmes  qui  se 
querellent,  de  dépeindre  les  manières  ridicules  d'un  ivrogne,  de  citer 
les  propos  que  la  passion  inspire  :  il  faut  toujours  conserver  à  la 
chaire  sa  dignité,  à  la  parole  de  Dieu  sa  majesté.  Le  troisième  défaut 
serait  de  se  permettre  quelque  personnalité  *,  c'est-à-dire  quelque 
reproche  qui,  par  sa  nature  ou  par  l'interprétation  prévue  des  assis- 
tants, est  tellement  applicable  à  certains  individus,  qu'on  peut  le 
regarder  comme  une  diffamation  Ce  genre  de  reproches  aigrit  le 
coupable  et  le  porte  à  de  plus  grands  excès,  met  le  trouble  et  la 
division  dans  les  paroisses,  fait  perdre  au  prédicateur  l'estime  et  la 
confiance  au  moins  d'un  grand  nombre,  et  décèle  en  lui  une  secrète 
animosité  contraire  à  la  douceur  évangélique  ;  un  esprit  exagéré, 
satirique  et  vindicatif.  Pour  ne  point  tomber  dans  ce  défaut,  il  faut 
énoncer  les  reproches  en  termes  généraux  qui  ne  puissent  d'une 
manière  quelconque  désigner  personne  en  particulier  ;  et  plus  les 
lieux  où  l'on  prêche  sont  petits,  plus  les  expressions  y  doivent  être 
mesurées,  parce  que,  le  nombre  des  auditeurs  étant  plus  restreint, 
les  applications  y  sont  plus  faciles,  et  la  malignité  ne  les  manquerait 
pas.  Tant  qu'on  se  tient  dans  des  généralilés,  on  est  irréprochable. 
Si  alors  beaucoup  de  personnes  trouvent  que  ce  qu'on  dit  s'applique 
à  elles,  le  prédicateur  n'en  est  que  plus  digne  d'éloges.  C'est  une 
preuve  que  l'instruction  est  bonne  et  qu'on  a  mis  le  doigt  sur  la 
plaie.  Le  pécheur  qui  se  condamne  en  secret  démontre  l'opportunité 
de  la  morale. 

5°  En  même  temps  qu'on  peint  les  désordres  et  qu'on  les  déplore, 
il  faut  toujours  en  indiquer  les  remèdes.  Il  y  en  a  de  généraux  et  de 
particuliers.  Les  remèdes  généraux  sont  la  retraite,  la  prière,  la  mé- 
ditation, les  lectures  de  piété,  le  jeûne,  la  mortification  et  l'aumône. 
Les  remèdes  particuliers  varient  selon  les  défauts  ou  les  dispositions 
des  personnes,  et  doivent  être  présentés  par  le  prédicateur,  non 
d'une  manière  vague,  mais  avec  tant  de  netteté  et  de  précision,  que 

'  Voyez  la  lettre  de  S.  François  Xavier  au  P.  Barzée.  en  1549,  §  9,  dans  le 
Guide  de  ceux  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu,  p.  504. 


n  TRAITE  DE  LA  PRÉDICATION. 

tous  voient  clairement  ce  qu'ils  ont  à  faire.  Comme  on  leur  a  montré 
en  détail  ce  qu'ils  sont,  il  faut  leur  montrer  aussi  en  détail  ce  qu'ils 
doivent  être,  les  pratiques  et  les  moyens  divers  par  lesquels  ils  peu- 
vent se  corriger,  les  obligations  qu'ils  ont  à  remplir  et  la  vie  nou- 
velle où  il  leur  faut  entrer.  La  meilleure  méthode  pour  réussir  en 
ceci,  c'est  de  leur  présenter,  si  je  puis  ainsi  dire-,  leurs  devoirs  en 
action,  sous  la  forme  d'un  récit  où  leurs  yeux  suivent  en  quelque 
sorte  pas  à  pas  le  chrétien  accomplissant  tout  ce  qu'on  a  dit  dans 
l'instruction  et  tout  ce  qui  en  est  la  conséquence.  Je  suppose,  par 
exemple,  que  je  prêche  sur  le  respect  dû  aux  églises;  je  dirai  à  mes 
auditeurs  :  Voyez  le  vrai  chrétien  ;  dès  l'entrée  du  lieu  saint,  tout 
son  extérieur  plus  calme,  plus  recueiUi,  annonce  la  foi  vive  dont  il 
est  pénétré  ;  il  prend  avec  respect  de  l'eau  sainte  que  l'Église  a  bénie, 
et  trace  sur  lui  le  signe  de  la  croix  avec  religion  ;  sa  démarche  est 
modeste,  son  maintien  édifiant,  ses  regards  retenus  :  voyez-le  comme 
il  tombe  à  genoux  devant  la  majesté  de  son  Dieu,  comme  il  prieavec 
recueillement,  etc..  Je  suppose  encore  que  j^  prêche  sur  le  respect 
humain  :  je  leur  ferai  d'abord,  comme  nous  avons  dit,  le  tableau  des 
fautes  où  entraîne  ce  vice,  je  peindrai  ces  lâches  et  timides  esclaves 
de  l'opinion,  n'osant,  malgré  le  cri  de  leur  conscience,  remphr  les 
devoirs  du  christianisme,  venir  à  l'église,  s'y  tenir  avec  modestie, 
fréquenter  les  sacrements;  mais  ensuite,  à  ce  premier  tableau,  j'op- 
poserai le  tableau  du  vrai  chrétien  foulant  tout  respect  humain  sous 
les  pieds,  suivant  toujours  avec  noblesse  et  fermeté  la  voix  de  sa 
conscience,  faisant  bien  et  laissant  dire;  et  je  le  montrerai  dans 
toutes  les  positions  fidèle  à  son  devoir,  parce  qu'il  est  plus  grand 
que  l'opinion.  On  sent  combien  ces  tableaux  pratiques  sont  utiles; 
ils  renferment  tout  le  fruit  que  les  auditeurs  doivent  retirer  du 
sermon. 

§  3. 

De  l'obligation  et  de  la  manière  d'adapter  son  discours  aus  dispositions 
des  auditeurs. 

Encore  même  division  que  dans  les  paragraphes  précédents. 

SECTION   f*. 

De  l'obligation  d'adapter  son  discours  aux  dispositions  des  auditeurs. 

Autant  il  est  nécessaire  d'adapter  le  discours  à  la  portée  et  aux 
besoins  des  auditeurs,  autant  et  plus  encore  il  est  essentiel  de 


QUALITES  DE  LA  PREDICATION.  95 

l'adapter  à  leurs  dispositions.  Cicéron  tient  pour  une  des  premières 
qualilés  de  l'orateur  celle  finesse  naturelle  et  perfectionnée  par 
l'exercice,  qui  sait  discerner  les  pensées,  les  sentiments  de  son  au- 
ditoire pour  y  approprier  son  langage  :  Acuto  homine  opus  est  na- 
turâ  usuque  callido,  qui  sagaciter  pervestîget  quid  il  qiiibus  aliquid 
dicendo  persuadere  velit,  cogitent,  sentiant,  opinentui\  expectent  : 
teneat  oporiet  venas  cujusque  generis,  œtatis,  ordinis,  et  eoriim 
mentes  sensusque  degustet  ^.  Le  bon  sens  qui  sait  faire  ce  discerne- 
ment, dit-il  ailleurs,  est  le  fondement  de  l'éloquence.  Est  eloquentix 
fundamentum  sapientia  *;  et  Quinlilien  dit  dans  le  même  sens  :  Res 
in  oratore  prsecipua  consilium  est'"...  lUud  dicere  satis  habeo  nihil 
esse  in  orundo  prius  consilio  *.  C'est  qu'en  elTet  tout  le  succès  du 
discours  dépend  essentiellement  de  là.  Si  l'on  présente  aux  auditeurs 
la  vérité  d'une  manière  qui  leur  convienne,  ità  ut  veritas  placeat, 
selon  la  belle  expression  de  saint  Augustin  ;  si  par  certains  tours 
adroits  on  ménage  leurs  dispositions  et  on  capte  leur  bienveillance, 
on  sera  sûr  d'être  goûté  :  si,  au  contraire,  on  heurte  de  front  et 
sans  jjnénagemenls  leurs  préventions,  leurs  passions  chéries,  leur 
caractère  ;  si  en  un  mot  on  leur  déplaît,  on  ne  fera  que  les  aigrir 
sans  produire  aucun  bien  :  car  telle  est  la  susceptibilité  humaine, 
qu'elle  reçoit  mal,  même  les  meilleures  choses,  si  on  ne  les  lui  pré- 
sente d'une  manière  qui  lui  convienne.  Un  mot,  un  seul  mot  qui 
blesse  ou  qui  déplaît,  peut  faire  échouer  un  discours  tout  entier. 
Jamais  on  ne  choque  impunément  un  auditeur  délicat  et  sensible. 
Aussi  les  plus  grands  orateurs  ont-ils  porté  jusqu'au  scrupule  la 
crainte  de  déplaire  à  leurs  auditeurs.  Périclés,  au  rapport  de  Quin- 
tilien  ^,  formait  des  vœux,  lorsqu'il  avait  à  parler  en  public,  pour 
qu'il  ne  lui  vînt  pas  sur  les  lèvres  un  seul  mot  qui  pût  offenser  le 
peuple;  et  en  montant  à  la  tribune,  il  se  disait  :  Souviens-toi  que  tu 
vas  parler  à  des  hommes,  à  des  Grecs,  à  des  Athéniens.  Cicéron,  non 
moins  scrupuleux  observateur  de  ce  grand  principe  de  l'art  oratoire, 
ne  s'épargnait  ni  réflexions  ni  sollicitudes  pour  venir  â  bout  de  con- 
naître parfaitement  les  dispositions,  les  manières  de  voir,  les  senti- 
ments les  plus  intimes  de  ses  auditeurs,  afin  d'y  adapter  son  discours. 
Omni  mente  in  eâ  cogitatione  curâque  versor,  nous  dit-il®,  ut  odorer 
quàm  sagacissimè  possim,  quid  sentiant,  quid  existiment,  quid 
expectent,  quid  velint,  quù  deduci  oralione  facillimè  passe  videantur. 

*■  De  Orat  ,  lib.  I,  cxxiii.  —  «  Orat.,  lxx.  —  s  Lih.  II,  \\v.  —  *  Lib.  YI,  ▼.  — 
»  Lib.  XII,  IX.  —  6  De  Orat.,  lib.  Il,  clxxiv;. 


90  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

On  fient  donc  bien  appliquer  ici  ce  que  le  coniédieii  Ilosciuî  disait  de 
son  art  :  Le  point  c.ipilal  est  d'observer  ce  qui  convient  :  Caput  esse 
artis  decereK  El  ce  qui  augmente  l'importance  du  principe  que  nous 
établissons,  c'est,  l"  qu'il  embrasse  toutes  les  parties  de  la  rliélo- 
rique;  invention,  disposition,  éloculion,  ton  et  geste,  tout  doit  être 
contenu  dans  les  limites  strictes  des  bienséances,  adapté  à  l'auditoire, 
et  réglé  de  manière  que  rien  ne  lui  déplaise  :  c'est,  2"  que  la  nature 
nous  incline  à  suivre  une  marcbe  toute  contraire  :  quand  les  hommes 
ne  font  pas  à  notre  gré  et  surtout  quand  ils  nous  mécontentent  ou 
nous  blessent,  nous  sommes  portés  à  consulter  notre  humeur  plutôt 
que  leurs  dispositions,  à  satisfaire  notre  vivacité  plutôt  qu'à  peser 
l'effet-  que  produiront  nos  paroles,  et  de  là  résultent  les  plus  grands 
maux  :  c'est,  5"  que  les  ménagements  nécessaires  pour  bien  adapter 
son  discours  aux  dispositions  des  auditeurs  sont  doublement  diffi- 
ciles :  difficiles  à  discerner,  il  faut  pour  cela  beaucoup  de  réflexion  : 
Nihil  difficilms  quàm  quid  deceat  videre,  dit  Cicéron  ^,  et  difficiles  à 
observer,  il  faut  se  retenir  pour  demeurer  dans  la  mesure  convena- 
ble, et  l'homme  n'aime  pas  ce  qui  le  gêne  et  le  captive  ;  il  lui  e^plus 
commode  de  se  vider  le  cœur  en  toute  liberté  des  mécontentements 
qu'il  éprouve. 

SECTION  2. 

De  la  manière  d'adapter  son  discours  aux  dispositions  des  auditeurs. 

*  L'art  d'adapter  son  discours  aux  dispositions  des  auditeurs,  est 

*  à  peu  près  identique  avec  ce  tact  exquis  des  convenances  sociales 

*  qui  sait  non-seulement  éviter  tout  ce  qui  blesse,  mais  encore  char- 

*  mer  par  son  langage  et  ses  manières,  faire  plaisir  à  tous  et  forcer 

*  la  bienveillance  même  des  esprits  les  plus  prévenus.  C'est  la  finesse 

*  de  l'homme  du  monde,  poli  et  adroit,  traitant  avec  des  personnes 

*  qu'il  a  intérêt  à  ménager;  c'est,  qu'on  nous  passe  celte  compa- 

*  raison,  l'art  du  courtisan,  qui  sait  prendre  les  hommes,  les  tourner 
"*  comme  il  lui  plaît,  et  les  amener  à  ses  fins  ;  il  n'y  a  qu'à  en  retran- 

*  cher  la  flatterie  et  le  manque  de  droiture,  qui  seraient  des  crimes 

*  dans  la  chaire  de  vérité.  C'est  enfin,  pour  parler  plus  chrétien- 
*nement,  cette  parfaite  intelligence  des  hommes  et  de  la  manière  de 

*  s'en  faire  goûter,  fruit  de  la  prudence  surnaturelle  que  coinmu- 

*  nique  l'esprit  de  Dieu  aux  prédicateurs  qui  le  possèdent,  ou  de 

*  De  Orat.,  lib.  1,  cxxxii.  —  ^  Orat.,  i\x. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  97 

*  celle  sagesse  d'en  haut,  promise  aux  hérauts  de  l'Évanj^ile  :  Ihidio 

*  ejus  docet  vos  de  omnibus^.  Dabitur  vobis  in  illâ  horâ  quid  loqua- 

*  mini'^. 

*  Pour  réussir  dans  cet  art  difficile  qui  contient  les  plus  rare? 

*  secrets  et  les  plus  profonds  mystères  de  l'éloquence,  il  faut  com- 

*  mencer  par  étudier  et  bien  constater  l'état  moral  des  auditeurs, 

*  les  sentiments  qui  les  animent  et  qu'il  s'agit  de  changer  ou  de  for- 

*  tifier,  leurs  susceptibilités,  leurs  préjugés,  leurs  passions  ou  leurs 

*  attaches,  ce  qu'ils  auront  plaisir  à  entendre  et  ce  dont  ils  s'offeii- 

*  seraient.  Dans  celte  étude,  ou  l'on  ne  découvrira  aucun  danger 

*  particulier  de  blesser  l'auditoire,  ou  l'on  reconnaîtra  la  nécessité 

*  de  garder  des  ménagements  :  chacune  des  deux  hypothèses  a  ses 

*  règles  spéciales. 

Première  h'jpothèse,  dans  laquelle  il  nij  a  aucun  danger  particulier  de  blesser 

Vaudiloire. 

Dans  ce  cas  plus  facile,  il  suffit,  pour  adapter  le  discours  aux  dis-      ; 
positions  des  auditeurs,  de  ne  manquer  à  aucune  des  bienséances*/; 
oratoires^.  Ces  bienséances  sont  de  plusieurs  sortes;  elles  sont  re- 
latives et  au  prédicateur  et  aux  auditeurs,  et  au  lieu  et  au  temps  où 
l'on  parle,  et  au  sujet  qu'on  traite. 

Les  bienséances  oratoires,  par  rapport  au  prédicateur,  lui  pres- 
crivent de  ne  rien  se  permettre  qui  ne  convienne  à  son  âge,  à  sa 
position,  aux  circonstances  dans  lesquelles  il  parle,  de  se  montrer 
sans  faste  et  sans  prétention,  simple  et  modeste,  honnête  et  bien- 
veillant, surtout  de  ne  parler  de  soi  que  rarement,  lorsqu'il  y  est 
forcé*,  et  de  tendre  à  se  faire  oublier  le  plus  possible  pour  ne  laisser 
penser  qu'à  la  vérité  qu'il  prêche.  On  a  presque  toujours  mauvaise 
grâce  à  se  mettre  en  scène,  et  l'auditeur  le  voit  avec  peine.  Bossuet 
est  louable  d'avoir  si  noblement  et  si  à  propos  parlé  de  lui-même 
dans  la  péroraison  du  prince  de  Condé  ;  mais  on  pardonnerait  diffi- 
cilement  à  un  homme  ordinaire  de  parler  de  son  âge  et  de  ses  che- 
veux blancs  pour  donner  plus  de  poids  à  son  discours.  Il  serait  même 
difficile  d'excuser  dans  Bossuet  ce  qu'il  dit  de  lui-même  sans  utilité 
pour  l'auditoire  dans  l'exorde  de  son  premier  panégyrique  de  saint 
Joseph. 

•  Joann.,  ii,  27.  —  «  MaUli.,  x,  19.  —  »  Voyez  GrciKide,  lil).  V,   c.  xvm.  — 

*  Le  moi  est  liaïssable,  dit  Pascal,  il  est  l'ennemi  et  voudrait  être  le  tyi;iii  Je 
tous  les  autres.  Pensées,  c  xxv. 


98  TRAITÉ  DE  LA  PRÉWCATION . 

Les  bicnséancos  relatives  aux  auditeurs  consistent  à  observer  en- 
vers eux  toutes  les  convenances,  et  à  adapter  son  discours  à  leur 
sexe,  leur  âge,  leur  caractère,  leur  esprit  et  leur  position.  On  doit 
parler  un  langage  différent  selon  qu'on  s'adresse  à  un  auditoire 
d'hommes  ou  à  un  auditoire  de  femmes,  à  des  personnes  âgées  ou  à 
des  jeunes  gens.  «  Ne  reprenez  pas  un  vieillard  avec  sévérité,  dit 
«  saint  Paul  *,  mais  usez  d'humilité,  de  douceur  et  de  prières  comme 
«  envers  un  père  :  avertissez  les  jeunes  gens  comme  vos  frères,  et  les 
«  femmes  avancées  en  âge  comme  vos  mères,  les  fdles  comme  vos 
«  sœurs.  »  Et  si  l'auditoire  est  composé  d'enfants,  on  sent  qu'il  faut 
encore  un  autre  langage,  éminent  en  simplicité  et  en  clarté.  11  est 
aussi  une  manière  de  parler  différente  selon  le  caractère  des  audi- 
teurs. Il  y  a  des  auditoires  susceptibles  qui  veulent  être  traités  avec 
délicatesse  ;  il  leur  faut  le  langage  de  la  douceur  et  de  la  condescen- 
dance; il  en  est  d'autres  où  il  est  plus  utile  de  parler  avec  vigueur 
et  sans  détour  ;  il  leur  faut  le  langage  de  la  fermeté  et  de  l'autorité. 
Saint  Paul  prêche  la  douceur  à  Timothée,  parce  que  celui-ci,  d'une 
humeur  ardente,  avait  à  gouverner  les  Éphésiens,  peuple  sensible 
qu'il  fallait  ménager,  tandis  qu'il  prêche  la  fermeté  à  Tite,  parce  que 
celui-ci,  d'un  naturel  doux,  avait  à  gouverner  les  Cretois,  peuple 
farouche  et  grossier  qui  avait  besoin  d'être  repris  sévèrement  :  In- 
crepa  illos  duré,  argue  cum  omni  imperio,  lui  dit-il,  tandis  qu'à  Ti- 
mothée il  disait  :  liicrepa  in  omni  patientid.  Enfin,  il  faut  avoir  égard 
à  l'esprit  et  à  la  position  des  auditeurs,  parlant  un  langage  plus 
simple  avec  les  simples,  un  langage  plus  élevé  avec  les  esprits  cul- 
tivés, un  langage  d'insinuation  avec  les  esprits  hautains  ou  prévenus, 
un  langage  plus  réservé  devant  les  grands  et  les  riches  du  monde, 
surtout  si  l'on  veut  leur  expliquer  leurs  devoirs,  leur  reprocher  leurs 
vices,  leur  luxe  et  leur  ambition.  Plus  ils  sont  élevés,  plus  ils  sont 
faciles  à  froisser,  et  dès  lors  ceci  rentre  dans  la  seconde  hypothèse 
dont  nous  parlerons  plus  bas. 

Les  bienséances  relatives  au  lieu  où  l'on  parle  consistent  à  appro- 
prier son  langage  à  ce  lieu,  variant  sa  manière  selon  que  c'est  une 
ville  ou  une  campagne,  un  collège  ou  une  paroigse,  une  communauté 
<îe  religieuses  ou  un  pensionnat;  et  les  bienséances  relatives  au  temps 
consistent  dans  le  rapport  du  sermon  avec  la  circonstance  dans  la- 
quelle on  le  prononce,  par  exemple  avec  le  mystère  qu'on  solennise 
ce  jour-là,  avec  les  cérémonies  qu'on  y  fait,  ou  avec  l'esprit  de  l'Église. 

*  ITim.,  V. 


QUALITES  DE  LA  PIIEDICATION.  99 

Enfin,  les  bienséances  relatives  au  sujet  consistent  dans  le  rapport 
eu  style,  du  geste  et  du  débit  avec  le  sujet  qu'on  traite,  rapport  qui 
doit  varier,  selon  que  l'on  fait  ou  un  sermon,  ou  un  prône,  ou  un 
catéchisme,  mais  qui  toujours  doit  être  l'expression  de  sentiments 
analogues  aux  choses  que  l'on  dit  :  tantôt  ce  sera  la  tristesse,  tantôt 
la  joie  ;  ici,  la  douceur  et  la  bonté  ;  là,  l'amour  et  la  tendresse  ;  ail- 
leurs, le  mépris  de  la  gloire,  des  richesses,  des  plaisirs  et  des  hon- 
neurs. 


Deuxième  hypothèse,  dans  laquelle  de  grands  ménagements  sont  nécessaires 
pour  ne  pas  blesser  l'auditeur. 


*  Ici  le  prédicateur  a  une  question  préliminaire  à  se  faire  :  y  a-t-il 
"*  lieu  de  penser  que  mes  auditeurs,  étant  disposés  comme  ils  sont, 

*  profiteront  de  telle  vérité  que  je  me  propose  de  leur  annoncer,  de 

*  tel  avis  que  je  voudrais  leur  donner?  à  quoi  servira  mon  discours? 

*  cui  bono?  Et,  s'il  ne  peut  pas  prudemment  espérer  un  heureux  ef- 
■*  .et,  il  doit  taire  la  chose,  et  attendre  pour  la  dire  un  moment  fa- 
■*  vorable,  selon  cetle  parole  du  Sauveur  :  Habeo  muUa  dicere  vobis, 

*  sed  non  potestis  povtare  modo,  et  se  borner  pour  le  présent  à  des 

*  instructions  qu'on  entende  volontiers  et  qui  disposeront  à  écouter 

*  plus  tard  des  vérités  sévères.  En  agir  autrement,  et  dire  à  contre- 

*  temps  certaines  vérités,  ce  serait  peine  perdue,  comme  lorsque  le 

*  médecin  prescrit  des  remèdes  à  un  malade  qui  n'est  pas  disposé 

*  à  les  prendre;  ce  serait  pis  encore  ;  on  provoquerait  le  méconten- 

*  tement  et  le  murmure,  on  augmenterait  le  mal  qu'on  voulait  dé- 
"*  truire.  Le  discours  pourrait  être  excellent  en  soi,  et  faire  beaucoup 
"*  (le  bien,  étant  prononcé  dans  des  circonstances  favorables  :  mais 

*  ;;  iressé  à  un  auditoire  mal  disposé,  il  ne  produit  qu'un  effet  fâ- 
■*  clieux,  comme  la  même  herbe  qui  nourrit  quelques  animaux  en 

*  fait  mourir  d'autres,  ou  comme  le  même  remèue  qui  guérit  une 
"*  maladie  en  augmente  une  autre.  Qu'un  prêtre,  par  exemple,  nou- 

*  vellement  arrivé  dans  une  paroisse  pour  exercer  le  ministère  pas- 

*  toral  ou  prêcher  une  slalion,  commence  par  inveclivcr  contre  les 

*  désordres  et  à  traiter  des  sujets  terribles  ;  les  paroissiens,  non  dis- 

*  posés  à  ces  sorties  violentes,  se  préviendront  et  ne  verront  plus  en 

*  lui  qu'un  homme  dur,  qui  ne  sait  pas  garder  de  ménagements; 

*  tandis  que  s'il  eût  commencé  par  des  sujets  doux,  attrayants,  et 

*  réservé  les  vérités  fortes  pour  le  temps  où  il  aiu;iit  eu  giigné  la 


10(»  TRAITÉ  DE  LA  PREDICATION. 

*  confiance,  il  eût  parfaitement  réussi'.  Qu'un  autre  attaque  de 

*  front  les  danses,  les  spectacles,  les  cabarets  et  autres  désordres 

*  semblables,  il  ne  fera,  le  plus  souvent,  que  les  multiplier;  mais 

*  qu'il  attaque  ces  maux  dans  leurs  sources  qui  sont  l'ignorance  de 

*  la  religion,  l'amour  des  plaisirs  sensuels  ;  qu'il  s'attache  à  faire 

*  renaître  la  pudeur  dans  ceux  qui  l'ont  perdue,  à  la  cultiver  dans 

*  ceux  qui  la  conservent  encore,  et  tous  ces  abus  disparaîtront  sans 

*  presque  qu'il  en  parle  ^. 

-  *  C'est  ainsi  qu'en  interrogeant  les  dispositions  de  ses  auditeurs, 

*  le  prédicateur  discernera  ce  qu'il  doit  dire  ou  ce  qu'il  doit  taire. 

*  Mais  si,  dans  cet  examen,  il  reconnaît  la  nécessité  et  l'utilité  d'a- 

*  border  certains  points  délicats  qui  froissent  des  passions  chéries, 

*  des   préjugés  enracinés  ou  des  susceptibilités  d'amour-propre, 

*  comment  doit-il  s'y  prendre?  C'est  là  le  nœud  de  la  difficulté  : 

*  c'est  alors  qu'il  faut  avoir  recours  à  ces  tours  adroits  et  insinuants, 

*  à  ces  ménagements  ingénieux  que  les  rhéteurs  désignent  sous  le 

*  nom  de  frécaiitions  oratoires,  et  que  peuvent  seuls  enseigner  la 

*  connaissance  du  monde,  de  l'homme  en  général  et  des  auditeurs 

*  en  particulier,  le  bon  sens,  le  tacl,  le  sentiment  des  convenances; 

*  c'est  alors  qu'il  faut  étudier  toutes  les  avenues  du  cœur  les  plus 

*  douces  et  les  plus  faciles,  molles  aditus,  mollissima  fanai  tempora, 

*  comme  dit  Virgile,  y  entrer  avec  adresse,  et  une  fois  qu'on  s'y  est 

*  introduit,  en  toucher  les  fibres  les  plus  sensibles  sans  blesser. 

*  Voilà  sans  doute  pourquoi  Aristote  remarque^  que  la  rhétorique 

*  tient  à  l'ensemble  des  sciences  morales,  et  surtout  à  la  politique, 

*  dont  elle  est,  dit-il,  comme  un  germe  et  un  rejeton  ;  et  il  n'y  a, 

*  en  effet,  qu'une  science  profonde  du  cœur  humain,  qu'un  esprit  po- 

*  litique  fin  et  exercé,  qui  puisse  révéler  ces  délicatesses  et  ces  mystè- 

*  res  de  langage  que  n'enseignent  point  les  préceptes  de  la  rhétorique. 

*  Dans  l'impossibilité  où  nous  sommes  de  préciser  le  mode  qu'il 

*  faut  suivre  en  chaque  occasion,  nous  nous  bornerons  à  exposer  ici 

*  certaines  règles  qui  pourront  au  moins  servir  d'exemples  ou  d'in- 

*  dications  au  prédicateur  pour  se  tirer  de  cette  partie  si  difficile  de 

*  son  art. 

i^^  Règle.  — 11  faut  mettre  dans  tout  son  langage  un  grand  fonds 
de  bon  sens,  accompagné  d'estime  et  d'affection  pour  ses  auditeurs. 
Ce  grand  fonds  de  bon  sens  que  nous  requérons  ici  consiste  à  pré- 

*  S.  Carol.,  Instr.  prscdic.  de  mat.  prîedic,  p.  599.  —  *  Miroir  du  Clergé 
t.  II,  p.  511.  — 3Rhet.,  lib.  I,  c.  ii 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION  101 

senter  la  vérilé  qu'on  prêche  comme  quelque  chose  de  si  juste,  de  si 
sage,  de  si  conforme  à  la  droite  raison,  que  les  auditeurs  ne  puissent 
s'empêcher  de  l'approuver.  Tel  est  le  mérite  éminent  des  Conféren- 
ces de  M.  Frayssinous,  et  tel  est  aussi  le  caractère  propre  de  V Intro- 
duction à  la  vie  dévote,  où  saint  François  de  Sales  décrit  la  dévotion 
avec  tant  de  sens  et  de  vérité  qu'en  même  temps  que  «  le  religieux 
«  le  plus  austère  la  peut  reconnaître,  le  courtisan  le  plus  dégoûté, 
«  s'il  ne  lui  donne  pas  son  affection,  ne  peut  lui  refuser  son  estime^  » 
Conformément  à  ces  grands  exemples,  que  le  prédicateur  montre 
toujours  la  religion  et  la  vertu  comme  souverainement  raisonnables, 
et  ses  paroles  seront  bien  accueillies,  parce  qu'il  est  difficile  à 
l'homme  de  se  fâcher  contre  le  bon  sens,  surtout  quand  on  le  lui 
présente  avec  calme  et  modération.  A  ce  bon  sens,  toutefois,  il  est 
important  de  joindre  des  témoignages  d'estime  pour  ses  auditeurs, 
évitant  de  les  supposer,  au  moins  tous,  coupables  des  excès  qu'on 
censure,  et  semblant  plutôt  les  prémunir  contre  un  mal  à  craindre 
que.  les  corriger  d'un  mal  existant.  Le  cœur,  flatté  de  l'estime  qu'on 
lui  témoigne,  écoute  avec  une  prévention  favorable,  et  supporte 
même  volontiers  la  plaie  qu'on  lui  fait,  surtout  s'il  reconnaît  dans 
l'orateur  cet  amour  tendre  et  ces  douces  effusions  de  charité  dont 
l'apôtre  saint  Paul  a  donné  dans  ses  épîtres  de  si  beaux  exemples 
aux  prédicateurs  de  tous  les  siècles  :  Os  nostnim  patet  ad  vos,  ô 
Corinthii,  cor'  nostrum  dilatatum  est.  Non  angustiamini  innohis-... 
Non  ut  confundam  vos  hxcscribo,  sed  ut  filios  meos  cliarissmos  mo- 
neo ^.. .  Filioli,  quos  itenim  parturio,  donec  formetur  Christus  in  vo- 
bis * . . .  Testis  est  mihi  Deus,  quomodo  cupiam  omnes  in  visceribiis  Jesu 
Christi^.  Cupide  volebamus  traderevobis  non  solum  Evangelium  Dei^ 
sed  etiam  animas  nostnis,  quoniam  charissimi  nobis  fucti  estis^. 
Un  cœur  qui  aime  tant  a  droit  de  tout  dire,  et  l'auditeur  ne  peut 
s'en  offenser  :  il  comprend  que  toutes  les  paroles  qui  sortent  d'une 
bouche  si  amie  ne  sont  inspirées  que  par  l'amour  qu'on  lui  porte, 
et  par  un  vif  désir  de  son  plus  grand  bien.  Fussent-elles  sensibles  à 
son  cœur  comme  le  vin  sur  la  plaie,  la  charité,  comme  une  huile 
douce,  en  tempère  l'âcretè. 

Le  cardinal  deCliev(;rus  a  pratiqué  admirablement  cette  règle  dans 
l'exorde  de  son  discours  à  l'Kcole  polytechnique  le  jour  du  Ven- 
<lredi-Saint  :  un  illustre  prélat  avait  été  obligé,  par  le  tumulte  des 

«  Bossuot,  l'aii('';,'yri(iiic  de  S.  François  de  Sales,  r°  part.  —  *  II  Cor.,  vt,  11 , 
~  5  I  Cor.,  jv,  14.  —  ''  Gai.,  iv,  11).  —  »  Philip.,  i,  8,  —  "  I  Thcss.,  ii,  8. 


102  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

élèves  indociles,  de  descendre  de  chaire  l'année  précédente.  Mon- 
seigneur de  Cheverus  arrive,  et  commence  ainsi  : 

Non  judicavi  me  scirc  aliquid  inter  vos,  7iisi  Jesum  Christum  et  hune 
crucifîxum ,  au  milieu  de  vous  je  n'estime  savoir  autre  chose  que  Jésus 
crucifié  :  «  Si  j'avais,  dit-il  ensuite,  à  parler  des  sciences  humaines,  ce  se- 
«  rait  au  milieu  de  cette  savante  école,  ce  serait  de  vous-mêmes,  messieurs, 
«  que  je  viendrais  prendre  des  leçons;  mais  aujourd'hui  il  s'agit  de  la 
«  science  de  la  croix,  c'est  là  ma  science  spéciale,  la  science  que  j'étudie  et 
«  prêche  depuis  quarante  ans  parmi  les  nations  civilisées  comme  parmi  les 
«  peuplades  sauvages,  parce  qu'elle  convient  également  à  tous  ;  et  vous  per- 
te mettrez  à  un  vieil  évoque  de  vous  communiquer  le  fruit  de  ses  longues 
«  études.  » 

2^  Règle.  —  11  faut  se  supposer  au  rang  des  auditeurs,  et  se  de- 
mander à  soi-même  :  Si  j'étais  en  leur  place,  comment  voudrais-je 
qu'on  me  parlât?  si  j'étais  imbu  dételle  prévention,  dominé  par  telle 
passion  ou  tel  esprit  de  parti,  affecté  de  tel  sentiment  ou  aveuglé 
par  telle  erreur,  aurais-je  plaisir  à  entendre  ce  langage?  n'en  serais-je 
pas  au  contraire  blessé  et  révolté?  Ce  qui  nous  paraîtra  alors  propre 
à  nous  plaire  dans  l'hypothèse  posée  plaira  très-probablement  aux 
autres,  et  ce  qui  nous  semblera  capable  de  nous  blesser  les  blessera, 
parce  que  tous  les  hommes  portent  en  eux  le  germe  plus  ou  moins 
développé  des  mêmes  affections.  De  là  ce  mot  de  l'Esprit-Saint  : 
Intellige  qiix  snnt  jiroximi  tiii  ex  teipso^,  que  Fontenelle  n'a  fait 
presque  que  traduire,  lorsqu'il  a  dit  :  C'est  moi  que  j'étudie  quand 
je  veux  connaître  les  autres. 

5"  Règle.  —  Il  faut  commencer  par  entrer  dans  l'esprit  et  les 
sentiments  des  auditeurs,  et  faire  de  leurs  dispositions  comme  le 
point  de  départ  pour  les  amener  au  but  que  Von  se  propose.  C'était 
là  la  tactique  que  suivait  l'abbè  de  Polignac,  depuis  cardinal,  dans 
ses  conférences  avec  le  souverain  pontife  Alexandre  VIH.  Vous  com- 
mencez toujours  par  penser  comme  moi,  lui  disait  le  pape,  et  vous 
finissez  par  me  faire  penser  comme  vous^.  Beau  modèle  pour  le  pré- 
dicateur, lorsqu'il  a  à  combattre  des  préventions  ou  à  traiter  cer- 
tains sujets  délicats.  Par  la  même  raison,  s'il  a  à  consoler  des 
auditeurs  affligés,  il  doit  se  garder  de  paraître  gai  et  de  les  inviter 
à  la  joie  dès  le  début  de  son  discours  ;  ce  serait  les  offenser  et  leur 
déplaire;  mais  il  doit  se  montrer  triste  comme  eux,  compatir  à  leur 

1  Eccli.,  XXXI,  18.  —  -  Louis  XIV  disait  aussi  de  lui  r  «  Je  viens  d'entretenir 
un  jeune  homme  qui  m'a  toujours  contredit  et  qui  m'a  toujours  plu.  » 


QUALITES  DE  LA  rRÉDICVTION.  103 

douleur  et  les  faire  entrer  peu  à  peu  dans  les  sentiments  de  conso- 
lation qui  sont  le  but  de  son  discours. 

^^^  Pièglc.  —  Si  l'on  a  à  parler  de  faits  qui  puissent  blesser  les 
susceptibilités  de  Tamour-propre,  froisser  les  préjugés  et  l'esprit  de 
parti,  il  faut  saisir  le  côté  honorable  ou  excusable  de  la  chose  et 
dissimuler  l'autre,  imitant  l'artifice  de  ce  peintre  qui,  pour  cacher 
la  difformité  d'un  visage,  inventa  l'art  du  profil.  Ainsi  a  fait  admira- 
blement Bossuet  dans  l'oraison  funèbre  du  grand  Condé,  lorsqu'il 
parle  des  guerres  civiles  dans  lesquelles  ce  prince  avait  pris  pari 
contre  son  roi. 

Puisqu'il  faut  une  fois  parler  de  ces  choses  dont  je  voudrais  pouvoir  me 
taire  éternellement,  jusqu'à  cette  fatale  prison,  il  n'avait  pas  seulement 
songé  qu'on  pût  rien  attenter  contre  l'État;  et  s'il  souhaitait  d'obtenir  des 
grâces,  il  souhaitait  encore  plus  de  les  mériter.  Je  puis  bien  répéter  ici  de- 
vant ces  autels  les  paroles  que  j'ai  recueillies  de  sa  bouche,  puisqu'elles 
marquent  si  bien  le  fond  de  son  cœur  ;  il  disait  en  parlant  de  cette  prison 
malheureuse,  qi\'il  y  était  entré  le  plus  innocent  de  tous  les  hommes  et  qu'il 
en  était  sorti  le  plus  coupable.  Hélas!  poursuivait-il,  je  ne  respirais  que  le 
service  du  roi  et  la  grandeur  de  l'État  !  On  ressentait  dans  ses  paroles  un 
regret  sincère  davoir  été  poussés!  loin  par  ses  malheurs.  Mais,  sans  vouloir 
excuser  ce  qu'il  a  si  hautement  condamné  lui-même,  disons,  pour  n'en 
parler  jamais,  que,  comme  dans  la  gloire  éternelle,  les  fautes  des  saints  pé- 
nitents, couvertes  de  ce  qu'ils  ont  fait  pour  les  réparer  et  de  l'éclat  infini 
de  la  divine  miséricorde,  ne  paraissent  plus  ;  ainsi,  dans  des  fautes  si  sin- 
cèrement reconnues,  et,  dans  la  suite,  si  glorieusement  réparées  par  de 
fidèles  services,  il  ne  faut  plus  regarder  que  Ihumble  reconnaissance  du 
prince  qui  s'en  repentit  et  la  clémence  du  grand  roi  qui  les  oublia. 

Fléchier,  dans  l'oraison  funèbre  de  Turenne,  nous  offre  un  aulrs 
exemple  de  la  même  difficulté  vaincue. 

Souvenez-vous,  messieurs,  de  ce  temps  de  désordre  et  de  trouble  où  l'es- 
prit ténébreux  de  discorde  confondait  le  droit  avec  la  passion,  le  devoir 
avec  l'intérêt,  la  bonne  cause  avec  la  mauvaise,  où  les  astres  les  plus  bril- 
lants souffrirent  presque  tous  quelque  écli|  s-e,  et  les  plus  fidèles  sujets  se 
virent  entraînés  malgré  eux  par  le  torrent  des  partis,  comme  ces  pilotes  qui, 
se  trouvant  surpris  de  l'orage  en  pleine  nier,  sont  contraints  de  quitter  la 
route  qu'ils  veulent  tenir,  et  de  s'abandonner  pour  un  temps  au  gré  des 
vents  et  de  la  tempête  :  telle  est  la  justice  de  Dieu  ;  telle  est  l'infirmité  na- 
turelle des  hommes.  -Mais  le  sage  revient  aisément  à  soi,  et  il  y  a  dans  la 
pohlique  comme  dans  la  religion  une  espèce  de  pénitence  plus  glorieuse 
que  l'innocence  même,  qui  répare  avantageusement  un  peu  de  fragilité  par 
des  vertus  extraordinaires  et  par  une  ferveur  continuelle.  Que  dirai-je  doncl 


ia*  TRAITE  DE  LA  PREDICATION. 

Dieu  peimil  aux  vents  et  à  la  mer  de  gronder  et  de  s'émouvoir,  et  la  tem- 
pête s'éleva.  Un  air  empoisonné  de  factions  et  de  révolte  gagna  le  cœur  de 
l'État;  les  passions  que  nos  péchés  avaient  allumées  rompirent  les  digues 
de  la  justice  et  de  la  raison,  et  les  plus  sages  mêmes,  entraînés  par  le  raal- 
lieur  des  engagements  et  des  conjonctures,  contre  leur  propre  inclination, 
se  trouvèrent,  sans  y  penser,  hors  des  bornes  de  leur  devoir. 

5«  Pièijle.  —  Si  l'on  a  à  traiter  des  vérités  morales  qui  aient  quel- 
que chose  de  pénible  pour  l'auditeur,  ou  à  faire  des  reproches,  à 
donner  des  avis  délicats,  il  faut  adoucir  ce  qu'on  a  à  dire,  non  pas 
en  altérant  la  vérité,  ce  qui  serait  un  crime,  mais  en  la  proposant 
sous  une  forme  aimable  qui  lui  ôte  son  amertume.  11  est  pour  cela 
divers  moyens  :  tantôt  on  tempère  la  leçon  à  la  faveur  d'un  compli- 
ment délicat,  comme  fait  saint  Paul  dans  son  admirable  discours 
à  l'Aréopage,  où,  trouvant  jusque  dans  l'idolâtrie  des  Athéniens  une 
matière  à  éloge  et  une  disposition  à  l'Évangile,  il  les  loue  de  leur 
caractère  religieux,  et  de  là,  par  une  transition  aussi  fine  que  natu- 
relle, prend  occasion  de  leur  prêcher  Jésus-Christ,  le  Dieu  inconnu 
qu'ils  adoraient  ;  ou  bien  on  convertit  le  reproche  en  un  éloge  dé- 
guisé, comme  fait  Démosthènes,  lorsqu'il  reproche  aux  Athéniens 
de  ne  pas  se  montrer  dignes  d'eux-mêmes,  dignes  des  vainqueurs 
de  Salamine  et  de  Marathon,  ou  lorsqu'il  s'écrie  :  «  Vous  venez  de- 
«  mander  tous  les  jours  sur  la  place  :  Qu'y  a-t-il  de  nouveau?  Et 
«  quoi  de  plus  nouveau  que  de  voir  un  peuple,  tel  que  les  Athé- 
«  niens,  près  d'être  envahi  par  Philippe?  »  Tantôt  on  se  met  du 
nombre  de  ceux  qu'on  veut  corriger,  et  on  s'applique  la  leçon  à 
soi-même,  comme  fait  Massillon,  lorsque  voulant  donner  devant 
les  laïques  une  leçon  aux  prêtres  sur  le  respect  dû  au  lieu  saint, 
il  s'écrie  : 

Par  là  vous  nous  avertissez,  ô  mon  Dieu  !  quelle  doit  être  dans  nos 
temples  la  sainte  gravité  et  le  recueillement  inviolable  de  vos  ministres; 
que  c'est  à  nous  à  porter  ici,  gravée  sur  notre  front,  la  sainte  terreur  de 
vos  mystères  et  le  sentiment  vif  et  intime  de  votre  présence  ;  que  c'est  à 
nous  à  inspirer  ici  le  respect  au  peuple  qui  nous  environne,  par  le  seul 
spectacle  de  notre  modestie,  et  à  ne  pas  paraître  autour  de  l'autel,  lorsque 
nous  sommes  occupés  aux  saints  mystères,  plus  inappliqués,  plus  précipités 
que  la  multitude  même  qui  y  assiste  '. 

D'autres  fois  on  mêle  à  de  justes  remontrances  des  excuses  qui 
atténuent  la  faute.  C'est  quelquefois  un  moyen  de  porter  les  coupables 

*  Tome  I  du  Grand  Carême. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  105 

à  se  condamner  plus  sévèrement,  et  ce  fut  celui  que  saint  Pierre 
employa  pour  reprocher  aux  Juifs  leur  déicide,  s'appliquant  à  excu- 
ser leur  faute  en  même  temps  qu'il  la  leur  reprochait.  Et  mmc, 
fratres,  scio  quiaper  ignorcmtiam  fecistis  sicut  et  princij)es  vestri^. 
On  peut  encore,  sans  adresser  de  reproche  direct  aux  coupables,  se 
borner  à  gémir  en  général  sur  tel  ou  tel  désordre,  laissant  à  chacun 
à  prendre  la  part  qui  lui  revient  dans  la  censure  du  prédicateur^.  A 
ces  manières  d'adoucir  ce  que  la  vérité  a  d'amer,  on  peut  joindre 
certaines  formes  de  politesse,  par  exemple  :  Permettez-moi  de  dire, 
ou  bien  encore  :  il  m'en  coûte,  mes  frères,  de  vous  faille  entendre  des 
vérités  pénibles,  mais  mon  devoir,  mais  votre  intérêt  m'oblige  à 
parler,  etc..  Enfin,  on  peut  avoir  recours  à  des  tours  ou  des  circon- 
locutions qui  voilent  ce  qu'il  serait  trop  accablant  de  montrer  à  nu. 
Ainsi  Bossuet,  pour  dire  que  Charles  P""  est  mort  sur  l'échafaud, 
s'exprime  en  ces  termes  : 

Qui  pourrait  raconter  ses  justes  douleurs  (de  la  reine  d'Angleterre)  !  Non, 
Jérémie  lui-même,  qui  seul  semble  capable  d'égaler  les  lamentations  aux 
calamités,  ne  suffirait  pas  à  de  tels  regrets  ;  elle  s'écrie  avec  ce  prophète  ; 
Voye%,  Seigneur,  mon  affliction  :  mon  ennemi  s'est  fortifié,  et  mes  enfants 
sont  perdus.  Le  cruel  a  mis  sa  main  sacrilège  sur  ce  qui  m'était  le  plus 
cher.  La  royauté  a  été  profanée  et  les  princes  ont  été  foulés  aux  pieds. 
Laissez-moi,  je  pleurerai  amèrement;  n'entreprenez  pas  de  me  consoler; 
Vépée  a  frappé  au  dehors,  mais  je  sens  en  moi-même  une  mort  semblable. 

Cette  citation  heureuse  raconte  l'horrible  événement  d'une  manière 
noble  et  touchante. 

*Nous  terminerons  ces  régies  par  deux  exemples  remarquables 

*  propres  à  en  donner  l'intelligence  :  le  premier  se  lit  dans  le  29''  ser- 
*monduP.  Ségneri,  célèbre  prédicateur  d'Italie,  et  nous  offre  un 

*  modèle  de  modération  et  d'urbanité  dans  la  censure  du  vice.  Après 

*  s'être  élevé  avec  énergie  contre  ceux  qui,  n'étant  pas  bons,  empê- 

*  client  les  autres  de  l'être,  il  fait  ainsi  l'application  de  son  sujet  à  ses 
"  auditeurs  : 

Je  ne  veux  pas  vous  offenser,  mes  frères;  il  me  serait  bien  plus  doux  de 
vous  louer  que  de  vous  blâmer.  Je  sais  qu'il  en  est  plusieurs  parmi  vous  qui 
s'appliquent  à  déraciner  les  vices  par  le  zèle,  à  faire  germer  les  vertus  par 

•  Act.  apost.,  m,  17.  —  ^  Voyez,  sur  la  manièi'e  de  faire  ces  reproches,  les 
précautions  oratoires  que  recommandent  S.  François  de  lîorgia  dans  le  Guide 
de  ceux  (jui  annoncent  la  parole  de  Dieu,  p.  20i>,  210,  211,  et  S.  François  Xa- 
vier, ibidem,  p.  522,  552,  555. 


d06  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

é'exemple;  mais  est-ce  le  grand  noiTibre?  j'en  appelle  à  votre  conscience; 
ne  vous  reproche-t-elle  point  d'avoir  raillé  quelquefois  les  jeunes  gens  qui, 
dédaignant  vos  réunions  et  fuyant  vos  jeux,  mettaient  leurs  délices  à  s'en- 
tretenir avec  Dieu  dans  nos  églises  1  Répondez,  êtes-vous  sûr  de  n'être  pour 
personne  un  obstacle  qui  l'arrêle  dans  les  voies  de  la  piété,  qui  le  détourne 
d'assister  au  saint  sacrifice,  ou  de  participer  aux  sacrements  aussi  souvent 
que  son  cœur  l'y  porterait  !  Dieu  m'est  témoin,  mes  frères,  que  j'ai  plaisir 
à  penser  de  vous  tout  le  bien  possible;  mais  plaise  au  ciel  que  vous  ne  soyez 
pas  de  ces  hommes  dont  parle  la  Sagesse,  qui  invitent  leurs  compagnons  à 
partager  de  coupables  amusements  ;  Venez,  leur  disent-ils,  couronnons-nous 
de  roses  avant  qu'elles  se  flétrissent,  ne  songeons  qu'à  nous  divertir,  à  nous 
enivrer  de  plaisirs.  11  se  rencontre  parfois  dans  le  monde  des  personnes  qui, 
voyant  un  David  prêt  à  pardonnera  Saûl,  l'animent  à  la  vengeance  ;  qui, 
trouvant  un  Assuérus  transporté  d'une  injuste  colère  contre  Vasthi,  applau- 
dissent à  ses  fureurs;  qui,  s'associant  à  un  Amnon  dévoré  d'un  amour  im- 
pur pour  Thamar,  approuvent  cette  passion  frénétique  et  lui  enseignent 
l'art  de  la  satisfaire,  i'ourriez-vous  assurer,  mes  frères,  qu'il  ne  se  trouve 
parmi  vous  aucun  de  ces  hommes,  qu'il  n'y  en  ait  pas  un  dans  cette  ville 
d'ailleurs  si  sainte,  dans  cet  auditoire  d'ailleurs  si  édifiant  ?  Oh  !  plût  à  Dieu 
que  vous  pussiez  m'en  donner  l'assurance?  Tour  cela,  je  donnerais,  oui,  je 
donnerais  avec  joie  tout  le  sang  de  mes  veines. 

*  Voilâsans  doute  des  reproches  graves  ;  mais  comme  ils  sont  pré- 

*  sentes  avec  délicatesse,  grâce  et  force!  Qui  pouvait  s'en  offenser? 
*et  comment  ne  pas  aimer  au  contraire  le  prédicateur  qui  parlait  un 
*tel  langage? 

*  Le  second  exemple  se  trouve  dans  les  dernières  pages  du  sermon 
*de  Massillonsur  la  parole  de  Dieu.  L'orateur,  voulant  condamner 

*  les  censeurs  de  cette  divine  parole,  ne  leur  dit  pas  :  Quel  droit 
*ave%-vous  sur  nous  ?  Ce  serait  de  l'arrogance  ;  mais  avec  une  mo- 

*  destie  qui  désarmerait  la  malignité  même,  il  leur  dit  : 

S'il  était  permis  de  nous  recommander  ici  nous-mêmes,  comme  le  disait 
autrefois  l'Apôtre  à  des  fidèles  ingrats,  plus  attentifs  à  censurer  la  simplicité 
de  son  extéric^ur  et  de  son  langage  que  touchés  des  fatigues  et  des  périls  in- 
finis qu'il  avait  essuyés  pour  leur  annoncer  l'Évangile,  nous  vous  dirions  : 
Mes  frères,  nous  soutenons  pour  vous  tout  le  poids  d'un  ministère  pénible  ; 
nos  soins,  nos  veilles,  les  travaux  infinis  qui  nous  conduisent  à  ces  chaires, 
n'ont  point  d'autre  objet  que  votre  salut:  eh!  ne  méritons-nous  pas  du 
moins  que  vous  respectiez  nos  peines  !  Le  zèle  qui  souffre  tout  pour  vous 
assurer  le  salut,  peut -il  jamais  devenir  le  triste  sujet  de  vos  dérisions  et  de 
vos  censures  ! 

*  Il  ne  dit  pas  :  Nous  méprisons  vos  critiques,  ce  serait  de  l'amer- 
*tume,  mais  : 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  107 

Nous  vous  montrons  le  g'Iaive  terrible  du  Seigneur  suspendu  sur  votre 
lête,  prêt  à  tomber  sur  vous;  et,  loin  de  Jrémir,  vous  vous  amusez  à  exa- 
miner s'il  brille,  et  vous  cherchez  dans  les  terreurs  mêmes  delà  prédicoiion 
les  beautés  de  Téloquence.  Grand  Dieu!  que  le  pécheur  paraît  méprisable  et 
digne  de  risée,  quand  on  l'envisage  dans  votre  lumière! 

*  Enfin  il  ne  dit  pas  :  Vos  applaudissevioits,  nous  les  méprisons, 

*  il  nous  faut  des  larmes;  mais  avec  la  plus  touchante  onction,  il 

*  s'écrie  : 

Eh  !  que  nous  importe  de  vous  plaire,  si  nous  ne  vous  changeons  pas  ? 
Que  nous  sert  d'être  éloquents,  si  vous  êtes  toujours  pécheurs  ?  Quel  fruit 
nous  revient-il  de  vos  louanges,  si  vous  n'en  retirez  vous-mêmes  aucun  de 
nos  instructions?  Notre  gloire,  c'est  l'établissement  du  régne  de  Dieu  dans 
vos  cœurs  ;  vos  larmes  toutes  seules,  bien  mieux  que  vos  applaudissements, 
peuvent  faire  notre  éloge  ;  et  nous  ne  voulons  pas  d'autre  couronne  que 
vous-mêmes  et  votre  salut  éternel. 

*  Comme  ces  phrases  admirablement  précises,  sans  être  ni  sèches, 
*m  obscures,  ni  incomplètes,  ménagent  adroitement  toutes  les  sus- 

*  ceptibilités,  et  toutes  les  déUcatesses  ! 


ARTICLE  5. 

TROISliiJIE    CAKACTÈRE    DE    LA    PKÉDICATION  ;    ELLE    DOIT    ETRE    INSTRUCTIVE. 

C'est  un  grand  tort  de  certains  prédicateurs  et  un  grand  oubli  de 
leurs  devoirs,  de  s'occuper  plus  à  embellir  leurs  discours  qu'à  les 
remplir  de  vérités  utiles,  à  plaire  par  les  grâces  du  style  et  de  la 
déclamation  qu'à  éclairer  par  une  instruction  solide.  Diseurs  de  rien 
ou  de  peu  en  beaucoup  de  paroles,  ils  ne  portent  ni  lumières  ni  con- 
viction dans  l'esprit  de  leurs  auditeurs,  et  leur  prédication  n'est  qu'un 
verbiagQ  vide  de  raisonnements  et  de  choses.  Pour  prévenir  ce  grave 
abus,  nous  traiterons  dans  un  premier  paragraphe  de  la  nécessité  de 
rendre  la  prédication  instructive  ;  et  dans  un  secoiîd,  de  la  manière 
de  le  faire. 

^  1". 

Delà  nécessité  de  renilr*^  la  prédication  iiislructive. 

Soit  qu'on  envisage  la  prédication  sous  le  rapport  oratoire,  soit 
qu'on  la  considère  sous  le  rapport  de  la  foi,  on  voit  également  la 
nécessité  de  la  rendre  instructive. 


108  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

1*  A  ne  l'envisager  que  sous  le  rapport  oratoire,  il  est  essentiel  de 
la  rendre  instructive;  car  un  discours  bien  nourri  de  doctrines,  for 
de  preuves  et  de  raisons,  est  presque  infailliblement  un  bon  discours. 
Les  pensées  solides,  les  grandes  vérités  dont  l'orateur  est  plein,  en- 
traînent après  elles  des  expressions  qui  y  répondent. 

Verbaqiie  pronisam  rem  non  invita  sequentur. 

Le  secret  de  l'éloquence,  au  jugement  d'Horace,  c'est  d'être  bien 
instruit  de  son  sujet,  de  connaître  à  fond  toute  la  doctrine  qui  s'y 
rapporte  ;  et  bien  penser  sert  merveilleusement  à  bien  dire. 

Scribendi  rectè  sapere  est  principiiau  et  fous  *. 

A  cette  première  considération  s'en  joint  une  autre,  tirée  de 
Cicéron  :  Una  res,  dit-il,  prx  nohis  est  ferenda,  ut  nihil  aiiiid  nisi 
docere  velle  videamiir  ^.  C'est-à-dire  que  l'instruction  doit  faire  le 
fond  du  discours  ;  tout  le  reste  n'est  que  son  accessoire,  un  moyen 
de  le  faire  recevoir,  goûter  et  pratiquer.  Cicéron  explique  cette  pensée 
par  une  belle  comparaison  :  instruire  à  fond  les  auditeurs  du  sujet 
qu'on  traite,  dit-il,  développer  et  faire  ressortir  la  vérité  qui  doit  les 
mener  à  la  vertu,  voilà  ce  qui  doit  former  le  corps  ou  la  substance 
du  discours,  et  les  autres  parties  de  l'éloquence  qui  consistent  à 
plaire  et  à  émouvoir,  ne  doivent  y  intervenir  que  comme  le  sang 
dans  les  veines,  fondues  et  circulant  en  quelque  sorte  dans  le  corps  de 
l'instruction  :  Sicuti  sanguis  in  corporibus,  sic  illx  in  orationibiis 
fusx  esse  debebunt  ^,  ou,  comme  le  dit  Quintilien,  elles  n'ont  droit  de 
s'y  montrer  que  pour  venir  au  secours  de  l'instruction  et  la  faire 
valoir  *.  S'il  est  donc  important  de  plaire  et  de  toucher,  il  l'est  bien 
plus  d'instruire  ;  et  même  on  peut  dire  qu'on  ne  réussira  à  plaire  et 
à  toucher  qu'autant  qu'on  instruira.  Si  les  mouvements  oratoires  ne 
sont  amenés  et  préparés  par  l'instruction,  c'est-à-dire  par  un  exposé 
clair  du  sujet  et  par  des  preuves  solides,  ils  ne  seront  qu'une  décla- 
mation vaine,  un  jeu  de  l'imagination  sans  objet,  une  fureur  hors  de 
saison,  comme  dit  Longin;  des  actes  d'un  homme  ivre  parmi  des 
auditeurs  à  jeun,  selon  Cicéron  :  Vinolentiis  inter  sobrios  '.  Ces  pro- 
duits de  l'éloquence,  séparés  de  l'instruction,  peuvent  être  comparés 
à  un  bel  habit  auquel  il  manque  un  corps  pour  le  porter,  à  une  belle 
décoration  à  laquelle  manque  un  sujet  pour  la  recevoir.  Aussi  voyons- 

*  Art  poét.  —  2  De  Orat.,  lib.  II,  ccc.t.  —  ^  De  Orat.,  lib.  II,  cccx.  —  «  Quint., 
T,  8.  —  *  Orat.,  xcix. 


QUALITÉS  DE  LA.  PRÉDICATION.  •  ÎOJ) 

nous  chez  les  grands  orateurs  de  l'antiquité  chaque  mouvement 
amené  par  les  preuves,  engendré,  si  je  puis  ainsi  dire,  par  les  raisotis 
et  les  faits  ;  ce  n'est  qu'après  les  arguments  les  plus  décisifs  que  ces 
grands  hommes  ébranlent  et  entraînent  l'auditeur  par  la  vivacité  des 
mouvements  oratoires  :  ainsi  procèdent  Démosthènes  dans  ses  Philip- 
piques,  dans  son  immortel  chef-d'œuvre /)/'o  Coronâ.,  et  Cicérondans 
ses  discours  contre  Catilina,  contre  Verres,  etc....  Donc,  même  à  ne 
considérer  la  prédication  que  sous  le  rapport  oratoire,  elle  doit  ren- 
fermer une  instruction  solide. 

fsf  2"  Si  on  l'envisage  sous  le  rapport  de  la  foi,  elle  le  doit  bien  plus 
encore. 

Car  l'obligation  de  prêcher  est  identique  avec  l'obligation  de 
donner  une  instruction  solide.  Quand  Jésus-Christ  disait  à  ses  Apô- 
tres :  Docete  omnes  génies. . .  Docentes  eos  servare  omnia  quxcumque 
mandavi  vohis;  et  quand  saint  Paul,  son  fidèle  interprète,  disait  à 
Timothée  :  Doce  et  exhortare...  Attende  lectioni  et  doctrinœ,  c'était 
une  instruction  solide  que  l'un  et  l'autre  demandaient.  Tel  est  le  sens 
du  verbe  docere;  et  prêcher  sans  instruire,  c'est  éluder  l'obligation, 
ce  n'est  pas  la  remplir,  puisque  celui  qui  n'instruit  point  peut  faire 
du  bruit,  mais  pas  de  fruit;  se  faire  admirer,  mais  non  êlre  utile  : 
Qui  tantùm  verba  sectatur,  7iUiil  liabehit,  dit  l'Esprit-Saint  ^  Ce  qui 
a  fait  dire  à  saint  Augustin  :  Docere  necessitatis  est...  Popidi  piins 
docendi  quam  movendi^. 

Et  en  effet,  pour  peu  qu'on  réfléchisse  sur  les  besoins  des  peuples, 
on  comprendra  combien  l'instruction  leur  est  nécessaire.  L'instruc- 
tion consiste  à  expliquer  clairement  la  doctrine  chrétienne  et  à  la 
prouver  solidement  ;  or,  n'est-il  pas  évident  que  les  peuples  ont  un 
besoin  immense  de  l'un  et  de  l'autre?  1°  Ils  ont  besoin  qu'on  leur 
explique  clairement  la  doctrine  :  car  la  plupart,  n'ayant  d'autre 
moyen  de  l'apprendre  que  les  instructions  de  leur  pasteur,  ne  la 
connaîtiont  jamais,  si  on  ne  la  leur  explique  en  chaire;  ou  ils  n'au- 
ront que  des  notions  confuses,  inexactes,  fausses  sur  la  religion,  ses 
dogmes,  ses  préceptes,  la  pratique  des  vertus,  la  vraie  et  solide 
piété:  et  ici  nous  pouvons  citer  en  preuve  une  trop  malheureuse 
expérience.  Combien  de  personnes  ont  suivi  pendant  de  longues 
années  les  prédications  de  leur  paroisse,  qui  n'en  sont  pas  plus  in- 
struites sur  la  religion  et  sur  tous  leurs  devoirs,  qui  n'en  croupissent 
pas  moins  dans  l'ignorance  et  les  vices  qu'elle  traîne  à  sa  suite?  Le. 

*  Prov.,  xix,  8.  —  'De  Doct.  christ.,  lilj.  IV,  c.  xii. 


110  TRAITE  DE  LA  mEDICATION. 

prédic:tteur  no  leur  a  pas  assez  expliqué  la  doctrine,  on  a  supposé  un 
fonds  d'instruction  qu'ils  n'avaient  pas.  Be  là  point  de  religion,  oa 
une  religion  mal  entendue  ;  point  de  piété,  ou  une  fausse  vertu  ;  de 
là  les  superstitions,  l'alliance  des  pratiques  religieuses  et  quoique^ 
fois  même  des  sacrements  avec  le  désordre.  Si  donc  on  veut  être 
vraiment  ulile,  il  faut  nourrir  de  doctrine  toutes  ses  prédications,, 
expliquer  toujours,  en  chacune  d'elles,  quelques  pages  de  théologie 
ou  de  catéchisme  sur  les  mystères,  les  sacrements,  les  commande- 
ments de  Dieu  ou  de  l'Église.  2"  Il  n'est  pas  moins  nécessaire  de- 
prouver  solidement  la  doctrine  chrétienne.  Sans  doute  il  est  des 
vériîés  si  claires,  si  généralement  admises,  qu'il  serait  inutile  et 
même  dangereux  d'insister  à  le  prouver^;  mais  hors  de  celte  classe 
de  vérités  premières,  il  faut  appuyer  de  preuves  solides  tout  ce  que 
l'on  dit;  car,  1°  les  auditeurs  ne  tiennent  ni  le  prédicateur  pour 
inspiré,  ni  sa  parole  pour  infaillible  :  souvent  même  ils  écoutent  avec 
prévention  et  ne  se  rendent  qu'à  la  force  des  preuves,  si  même  en- 
core ils  s'y  rendent,  parce  que  la  passion,  appréhendant  les  sacrifices 
qu'on  lui  demande,  cherche  par  tous  les  subterfuges  à  échapper  à 
la  conviction.  Il  faut  donc  que,  si  l'auditeur  résiste  encore  dans  son 
cœur,  il  soit  au  moins  confondu  dans  son  esprit  et  réduit  ou  à  se 
taire  ou  à  se  débattre  en  vain  contre  des  raisonnements  inatta- 
quables. 2°  Qui  ne  sait  que  la  conviction  est  la  seule  chose  qui  de- 
meure? Les  émotions  sont  passagères,  les  résolutions  inconstantes, 
les  impressions  faciles  à  s'effacer;  tout  cela,  si  une  conviction  pro- 
fonde ne  le  soutient  ou  ne  le  remplace,  ne  sera  qu'un  édifice  bâti 
sur  le  sable,  qui  tombera  aux  premiers  vents  des  tentations,  au  pre- 
mier souffle  du  respect  humain,  au  premier  entraînement  de  la  pas- 
sion, ou  par  le  seul  effet  du  dégoût  naturel.  o°  L'homme,  étant  un 
être  raisonnable,  veut  être  conduit  par  la  raison,  comprendre  les 
choses  et  la  raison  des  choses;  autrement,  ou  il  ne  les  adopte  pas, 
ou  ne  les  croyant  que  faiblement,  il  se  laisse  facilement  aller  à  ee 
qu'on  lui  a  défendu,  ou  enfin  sa  foi,  ne  reposant  pas  sur  des  fon- 
dements solides,  sera  en  périt  continuel  d'être  ébranlée,  peut-être 
même  tout  à  fait  renversée,  soit  par  les  mauvais  discours  qu'il  sera 
exposé  à  entendre,  soit  par  les  livres  irréligieuse  qui  tomberont  sous 
ses  yeux,  soit  enfin  par  les  tentations  que  le  démon  ou  son  propre 
esprit  lui  suggérera.  —  La  prédication  qui  n'instruit  pas  manque 

*  In  rébus  apertis  argumentari  îimi  stultum  quàm  in  clariisimum  solcm  mor- 
tale  lumen  inferre.  Quintil.,  lib.,  V,  c.  xir. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATIO>\  Hl 

donc  tout  à  fait  le  but.  Au  contraire  celle  qui  instruit  l'atteint  admi- 
rablement. Qu'on  interroge  l'expérience,  et  que  Ton  compare  deux 
paroisses,  l'une  où  se  font  habituellement  de  beaux  discours,  pleins 
de  feu,  d'une  certaine  éloquence  même  si  vous  voulez,  mais  vides 
de  doctrine  ;  l'autre  où  le  pasteur  instruit  simplement,  mais  avec 
clarté  et  solidité.  Dans  la  première  de  ces  paroisses,  on  verra  la 
religion  peu  connue  et  encore  moins  pratiquée;  dans  l'autre,  au 
contraire,  on  trouvera  une  piété  éclairée,  une  vertu  véritable  et  bien 
entendue,  les  sacrements  fréquentés  ;  et  il  ne  faut  pas  en  être  sur- 
pris :  le  prédicateur  ne  fit-il  qu'exposer  les  vérités  chrétiennes,  la 
religion  est  si  belle  par  elle-même  qu'on  ne  peut  la  connaître  sans 
l'aimer  :  il  suffit  de  la  montrer  telle  qu'elle  est  pour  déterminer  la 
conversion,  quand  on  parle  à  des  âmes  droites  qui  ne  sont  hors  de 
la  voie  que  par  ignorance.  Bossuet  a  obtenu  plus  de  conversions  par 
son  Exposition  de  la  doctrine  catholique  que  par  tous  ses  livres  de 
controverse;  et  les  saints  Pères,  comme  l'observe  le  Concile  de 
Trente  S  ont  souvent  converti  les  infidèles,  ramené  les  hérétiques, 
et  confirmé  les  catholiques  dans  la  vraie  foi  par  un  simple  exposé 
des  vérités  de  la  religion.  Les  esprits  égarés  eussent  peut-être  ré- 
sisté à  tons  les  mouvements  oratoires  et  se  fussent  tenus  en  garde 
contre  les  prestiges  de  l'éloquence;  mais  un  exposé  de  la  religion, 
simple,  clair,  méthodique  et  plein  de  calme,  les  gagnait;  l'amour 
du  beau,  du  juste,  du  grand  et  du  sublime,  dont  l'âme  humaine  ne 
peut  se  dépouiller,  ne  leur  permettait  pas  de  résister  à  cet  ensemble 
de  vérités  si  belles,  si  pures,  si  divines  :  ils  se  rendaient  avec  bon- 
heur, ils  s'attachaient  à  la  religion  par  amour. 

Et  si  le  simple  exposé  des  vérités  chrétiennes  est  si  utile,  que  doit- 
ce  être  lorsqu'on  y  joint  des  preuves  solides  de  tout  ce  qu'on  avance? 
C'est  alors  qu'une  conviction  profonde  s'associant  à  une  intelligence 
parfaite  de  la  religion,  le  fidèle  devient  inébranlable  dans  la  foi, 
capable  de  rendre  raison  de  sa  croyance  et  de  défendre  ses  pratiques 
religieuses  contre  quiconque  oserait  les  attaquer  ;  c'est  alors  que  la 
volonté  embrasse  généreusement  le  parti  de  la  vertu,  et  ses  réso- 
lutions sont  durables  parce  qu'elles  reposent  sur  la  pierre  ferme  de 
la  conviction.  —  Et  qu'on  ne  croie  pas  que  les  preuves  ne  soient 
faites  que  pour  les  esprits  cultivés;  les  gens  les  plus  simples  ont  du 
sens,  se  montrent  intelligents  sur  ce  qui  les  intéresse  et  sont  capables 
de  saisir,  sinon  des  raisonnements  profonds  et  subtils,  au  moins  des 

*  Sess.  III,  de  Symbole. 


112  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

preuves  claires  et  simples,  telles  qu'en  offre  la  religion.  Quiconque 
se  rapprochera  de  leur  manière  de  concevoir  et  de  raisonner  leur 
apprendra  facilement  à  motiver  leur  croyance  et  leurs  actes,  rendra 
leur  foi  raisonnable,  leur  piété  éclairée,  et  assurera  ainsi  leur  fidélité 
aux  devoirs  du  christianisme  ^ 

Aussi  voyons-nous  que  les  grands  maîtres  de  la  chaire  se  sont 
appliqués  à  nourrir  leurs  discours  d'une  instruction  solide.  Bour 
daloue  ne  songe  pour  ainsi  dire  qu'à  instruire,  prouver  et  convaincre 
s'il  émeut  et  gagne  ses  auditeurs,  ce  n'est  qu'à  force  de  les  presser 
par  le  nombre  et  le  poids  des  raisons  ;  il  est,  sous  le  rapport  de  l'in- 
struction, le  roi  des  prédicateurs-  Massillon  lui  est  bien  inférieur 
en  ce  genre;  mais  cependant  on  trouve  une  instruction  très-soUde 
dans  plusieurs  de  ses  discours,  par  exemple  dans  les  sermons  sur  la 
divinité  de  Jésus-Christ,  sur  la  vérité  d'un  avenir,  sur  la  vérité  de  la 
religion,  sur  les  doutes  en  matière  de  religion.  On  regrette  seulement 
que  dans  beaucoup  d'autres  discours,  il  ait  supposé  l'instruction  sans 
la  donner,  ou  ait  outré  la  morale  en  fondant  sur  cette  exagération 
des  mouvements  pathétiques,  comme  dans  les  sermons  sur  le  petit 
nombre  des  élus,  sur  la  tiédeur,  sur  le  jeûne,  Bossuet,  comme  les 
grands  orateurs  de  l'antiquité,  ne  fait  venir  les  mouvements  oratoires 
qu'à  l'appui  des  preuves;  il  instruit,  il  raisonne  et  démontre;  il 
porte  un  regard  d'aigle  sur  la  religion,  sur  les  mystères,  et  découvre 
à  l'auditeur  étonné  des  aperçus  neufs,  vastes  et  sublimes.  Seulement 
ses  raisonnements  ont  parfois  le  défaut,  ou  d'être  trop  profonds  pour 
être  saisis  par  les  intelligences  ordinaires,  ce  qui  peut  venir  de  ce 
que  son  esprit,  nourri  des  plus  hautes  conceptions,  était  moins 
propre  à  abaisser  la  discussion  à  la  portée  du  vulgaire,  ou  d'être  d'une 
subtilité  qui  fatigue  l'esprit  plus  qu'elle  ne  le  convainc,  ce  qui  peut 
venir  encore  de  ce  qu'il  a  composé  ses  sermons  à  un  âge  où  son  goût 
n'était  pas  mûri  par  l'expérience,  ou  de  ce  qu'il  les  a  peu  travaillés 
et  ne  les  a  jamais  retouchés  ensuite,  n'en  faisant  aucun  cas  dans  la 
dernière  moitié  de  sa  vie,  comme  on  peut  le  voir  dans  son  histoire 
par  le  cardinal  de  Beausset. 

§2. 

De  la  manière  d'instruire. 

Pour  faire  un  discours  vraiment  instructif,  il  ne  faut  pas  commencer 
par  consulter  son  imagination, rêver  des  mouvements  oratoires  et  des 

*  Fénclon,  6°  IcUre  sur  la  religion,  n"  1  et  2.  Miroir  du  clergé,  t.  II,  p.  112, 
—  Flcury,  dit^cours  préliiu,  du  Catéch.  liist. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  113 

figures  :  te  serait  vouloir  faire  l'habit  avant  de  connaître  la  taille  et 
les  formes  du  corps  auquel  il  est  destiné;  mais  il  faut  commencer 
par  étudier  sa  matière,  voir  ce  qu'enseignent  là-dessus  la  théologie 
et  les  bons  auteurs  spirituels,  et  se  faire  de  son  sujet  des  idées  nettes 
et  précises,  en  observer  les  divers  rapports  et  en  embrasser  l'en- 
semble. Après  l'avoir  étudié  pour  soi,  il  faut  l'étudier  pour  les  autres  : 
car  autre  chose  est  de  savoir  pour  soi,  autre  chose  de  savoir  pour 
enseigner  :  l'homme  qui  possède  le  mieu\  une  matière  quelconque, 
a  besoin  d'y  réfléchir  beaucoup  encore  pour  être  en  étal  de  l'exposer 
avec  clarté,  méthode  et  d'une  manière  qui  convienne  au  genre  d'es- 
prit de  ses  auditeurs.  Dans  cette  étude  de  son  sujet,  il  doit,  comme 
nous  1  avons  dit,  se  proposer  deux  choses  :  la  première  de  bien  expli- 
.  quer  la  doctrine  chrétienne  ;  la  seconde  de  la  prouver  solidement  : 
comment  faire  l'une  et  l'autre?  C'est  ce  que  nous  avons  maintenant  à 
traiter. 

SECTION    i'\ 

De  la  manière  d'expliquer  la  doctrine  chrétienne. 

Pour  bien  expliquer  les  vérités  chrétiennes,  il  est  plusieurs  règles 
à  observer  : 

\°  11  faut  supposer  peu  de  choses  comme  sues  d'avance,  laisser 
peu  à  deviner,  et  éclaircii  tout  ce  qu'on  soupçonne  n'être  pas  par- 
faitement clair  dans  l'esprit  des  auditeurs.  Il  y  a  moins  d'inconvé- 
nients à  risquer  d'en  dire  trop  pour  les  gens  d'esprit  qu'à  risquer  de 
n'en  pas  dire  assez  pour  le  vulgaire  ;  tout  d'ailleurs  dans  la  religion 
est  énigme  pour  le  peuple,  si  on  ne  le  lui  exphque.  Plongé  dans  les 
sens  et  les  intérêts  matériels,  il  ne  voit  les  choses  spirituelles  que 
d'une  manière  tout  à  fait  confuse,  comme  nous  voyons  les  objets 
placés  à  une  grande  distance  de  notre  vue  :  il  faut  donc  les  rapprocher 
de  son  intelligence,  et  les  lui  montrer  dans  tout  leur  jour. 

2°  Dans  ces  explications,  il  faut  se  faire  un  devoir  de  conscience 
d'être  exact,  de  bien  discerner  les  préceptes  d'avec  les  conseils,  les 
dispositions  essentielles  d'avec  ce  qui  est  de  perfection,  et  surtout 
s'attacher  plus  à  la  pratique  qu'à  la  spéculation,  à  ce  qui  peut  bien 
faire  recevoir  les  sacrements  qu'à  ce  qui  peut  en  donner  de  l'admira- 
tion. Les  raisons  do  cette  règle  sont  évidentes. 

o"  Pour  que  l'explication  soit  claire,  il  faut  suivre  les  règles  données 
à  l'article  précédent  sur  la  manière  d'adapter  son  discours  à  la  portée 

8 


114  TRAITÉ  DE  L.\  PRÉDICATION. 

des  auditeurs,  et  la  plupart  des  règles  que  nous  exposerons  plus  bas* 
sur  la  manière  de  faire  le  catéchisme;  mais  surtout  il  faut  bien  dé- 
finir, bien  diviser  et  éclaircir  sa  matière  par  des  comparaisons  et  des 
exemples  :  une  définition  exacte  dont  on  explique  tous  les  termes,  ou 
à  laquelle  on  amène  comme  par  degrés  l'intelligence  de  l'auditeur 
en  procédant  à  magis  noto  ad  minus  notum,  fait  connaître  la  nature 
de  la  chose  dont  on  parle  :  une  bonne  division  en  fait  discerner  les 
différentes  parties  ou  ramifications,  empêche  la  confusion  des  idées 
et  précise  le  sens  des  mots.  Enfin,  les  comparaisons,  les  exemples, 
rendent  la  chose  sensible  et  la  font  pour  ainsi  dire  toucher  au  doigt. 

4°  Après  avoir  expliqué  la  vérité  considérée  en  elle-même,  il  faut 
déduire  les  conséquences  pratiques  qui  en  découlent,  en  faire  l'ap- 
plication aux  besoins  des  auditeurs  selon  ce  que  nous  avons  dit  plus 
haut^,  leur  préciser  d'une  manière  claire  les  résolutions  qu'ils  doi- 
vent prendre,  c'est-à-dire  telle  chose  à  faire  en  telle  circonstance  et 
de  telle  manière,  ou  telle  chose  à  éviter  en  telle  occasion  et  par  tel 
moyen  ;  puis  enfin  leur  faire  comprendre  que,  pour  être  fidèles  à  ces 
résolutions,  il  faut  en  demander  la  grâce  à  Dieu  par  des  prières  fer- 
ventes et  prendre  les  moyens  de  s'en  souvenir,  par  exemple,  en  se 
les  rappelant  tous  les  jours  après  la  prière  du  matin  et  du  soir. 

5°  Ces  explications  de  la  doctrine  chrétienne  demandent  un  style 
simple  et  le  langage  calme  de  la  raison  ;  tout  raUre  genre  y  serait 
déplacé  :  lesîyle  élevé,  les  gnindes  figures,  les  mouvements  oratoires 
doivent  êîre  réservés  pour  îcs  autres  parties  du  discours. 

SECTION  2. 

De  la  maniiJre  de  prouver  '. 

i°  Il  ne  faut  jamais  donner  de  preuves  qui  ne  soient  solides  :  don- 
ner une  preuve  dont  on  sent  le  faux,  c'est  manquer  de  probité,  c'est 
exposer  la  rehgion  à  la  dérision  des  impies  qui,  s'ils  découvrent  le 
faible  de  l'argument,  jugeront  toutes  les  autres  preuves  de  notre 
croyance  aussi  défectueuses  ;  c'est  enfin  faire  tort  à  tout  son  discours, 
parce  qu'une  preuve  faible  ou  mal  exposée  fait  soupçonner  le  discours 
entier  de  n'être  pas  solide,  et  inspire  l'envie  de  le  contredire  ;  souvent 
môme  cette  partie  faible  est  la  seule  qu'on  retient,  la  seule  dont  on 
parle.  11  vaut  donc  mieux  donner  moins  de  preuves  et  n'en  donner 

»  Liv.  II,  c.   X,  art.  0,  §  2.  —  2  c.   iv,  art.  2,  §  2.  —  ^  Voyez  le  P.  .Albert, 
2'  fan.,  ch.  xm,  xtv,  xvii  et  suiv, ,  51,  o2. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  115 

que  de  convaincantes.  Les  preuves  ne  se  comptent  pas,  elles  se 
pèsent,  et  plusieurs  faibles  raisons  n'en  valent  pas  une  concluante. 

2°  Il  ne  faut  point  entreprendre  de  donner  sur  chaque  chose  toutes 
les  bonnes  preuves  possibles;  il  vaut  mieux  choisir  les  meilleures  et 
laisser  les  autres.  En  laissant  entrevoir  plusieurs  preuves  sans  les 
pousser,  on  fait  sentir  à  l'auditeur  qu'on  a  une  surabondance  de 
droit  et  de  raison.  Puis,  il  serait  impossible  de  mettre  un  si  grand 
ama^  de  preuves  dans  tout  leur  jour  :  on  ne  pourrait  que  les  effleurer,  TtA-sa-f^^  «-ff 
et  dès  lors  elles  feraient  peu  d'impression,  au  lieu  qu'un  moindre 
nombre,  mais  qu'on  fera  fortement  ressortir,  entraînera  bien  plutôt 
la  conviction.  Enfin,   peu  d'auditeurs  sont  capables  de  suivre  une 
trop  longue  série  d'arguments  et  de  démonstrations,  et  d'ailleurs", 
quand  ils  le  pourraient,  tout  un  discours  employé  en  preuves  serait 
nécessairement  sec,  peu  propre  à  émouvoir.  Il  n'y  aurait  rien  pour  le  ^^ 
cœur,  rien  pour  ces  grands  mouvements  oratoires  qui  ébranlent,  en-       ,„ 
traînent,  emportent  d'assaut  la  volonté.  —  On  excepte  de  cette  règle    0^^>' 
certaines  vérités  qui  trouvent  de  grandes  contradictions,  et  où  il  faut 
non-seulement  convaincre,  mais  terrasser  son  adversaire  :  alors  on 
peut  accumuler  les  preuves  plus  que  dans  les  discours  ordinaires. 

5°  Dans  le  choix  des  preuves,  il  faut  préférer  celles  que  l'auditeur 
saisira  plus  aisément,  qui  l'intéresseront  davantage  et  lui  feront  plus 
d'impression.  Les  preuves  les  plus  fortes  en  elles-mêmes  ne  sont  pas 
toujours  les  meilleures  :  on  peut  même  dire  qu'elles  ne  valent  rien 
relativement,  si  elles  dépassent  la  portée  des  auditejjrs  ou  si  elles  ne 
doivent  pas  les  frapper.  11  faut  donc  nous  tenir  en  garde  contre  le 
penchant  qui  nous  porte  à  croire  que  les  autres  saisiront  les  dé- 
monstrations que  nous  saisissons  nous-mêmes,  éviter  dans  les  audi- 
toires vulgaires  les  raisonnements  profonds  et  ne  jamais  rechercher 
les  preuves  extraordinaires  :  les  plus  communes  sont  souvent  les 
meilleures  ;  elles  ne  sont  devenues  communes  qu'à  force  d'être  vraies, 
et  l'auditeur  les  revoit  avec  plaisir  si  on  leur  donne  un  tour  neuf.      ^ 

4°  Le  fond'  principal  des  preuves  employées  dans  la  chaire  doit  être 
tiré  des  moliCs  de  la  foi,  de  l'Écriture  sainte,  des  Pères  ou  des  con- 
ciles et  des  exemples  des  saints.  Parlant  au  nom  de  Dieu  et  comme 
son  envoyé,  le  prédicateur  doit  faire  valoir  surtout  la  parole  divine 
cl  la  doctrine  de  1' [église  interprète  de  cette  parole.  Ce  serait  se  dé- 
grader que  de  fonder  son  discours  sur  des  raisons  profanes,  comme 
ferait  un  académicien.  Cependant  il  ne  faut  pomt  négliger  les  preuves 
de  raison  ;  elles  sont  un  accessoire  utile  aux  preuves  tirées  de  la  ré- 
vélation, et  elles  ont  cet  avan'nge  qu'elfes  excitent  plus  l'altcnlion  et 


m  TRAITÉ  DE  LA   PREDICATION. 

l'intérêt  que  toute  autre.  L'auditeur  se  fait  honneur  de  les  com- 
prendre, et  l'esprit  superbe  de  notre  siècle  en  est  plus  satisfait.  On 
aime  même  non-seulement  les  preuves  démonstratives,  mais  encore 
les  raisons  de  convenance  qui  rendent  d'une  croyance  plus  facile  les 
mystères  de  la  religion,  en  éclaircissent  les  ténèbres  et  en  lèvent  les 
contradictions  apparentes.  Seulement,  le  prédicateur  doit  se  garder 
de  donner  comme  preuves  ces  raisons  de  convenance,  de  sonder  té- 
mérairement le  mystère  et  de  chercher  à  le  faire  disparaître. 

5°  Pour  s'assurer  de  la  force  des  preuves,  il  faut  voir  si,  propo- 
sées froidement  dans  la  conversation,  elles  convaincraient  un 
homme  sensé;  si,  en  cas  que  nous  fussions  à  la  place  du  pécheur 
que  nous  voulons  convertir,  elles  nous  convaincraient  nous-mêmes; 
si,  réduites  en  syllogisme,  il  en  résulte  deux  prémisses  claires  et 
une  conséquence  évidemment  déduite  qui  soit  la  proposition  même 
qu'on  veut  prouver.  Ce  n'est  qu'après  leur  avoir  fait  subir  cette 
épreuve  qu'il  faut  les  adopter*. 

6°  Le  choix  des  preuves  une  fois  arrêté,  il  faut  les  disposer  de  ma- 
nière que  le  discours  aille  toujours  croissant,  que  chaque  preuve 
enchérisse  sur  la  précédente,  et  que  les  dernières  soient  les  plus 
fortes,  les  plus  propres  à  loucher  l'auditeur,  afin  de  le  laisser  sans 
réplique  et  sous  l'empire  d'une  conviction  profonde.  Quelques  rhé- 
teurs sont  d'avis  qu'il  faut  placer  au  milieu  les  preuves  moins  for- 
tes *  et  observer  l'ordre  suivant  :  fortiora,  fortia,  fortissima  :  ce 
sentiment,  moins  commun,  peut  cependant  quelquefois  avoir  son  ap- 
plication selon  les  circonstances  ^. 

7"  Les  preuves  ainsi  disposées,  il  reste  à  les  développer  ;  et  pour 
cela,  il  faut  1°  déguiser  les  formes  de  l'argumentation  sous  les  grâ- 
ces du  langage.  Le  syllogisme  est,  par  rapport  au  discours,  ce  que 
sont  les  os  et  les  nerfs  par  rapport  au  corps  :  si  on  les  voyait  à  nu, 
ils  offriraient  à  l'œil  un  spectacle  repoussant  ;  de  même  le  syllo- 
gisme, s'il  était  présenté  dans  toute  sa  nudité,  ne  formerait  que  le 
squelette  d'un  discours  vigoureux  peut-être,  mais  sec  et  disgra- 
cieux. 11  faut  donc  le  revêtir  des  charmes  de  l'élocution*,  mais  ce- 

*  Voyez  le  sermon  de  Massillon  sur  le  bonheur  des  justes  :  l'exorde  est  la 
majaire,  le  corps  du  discours  la  mineure,  et  la  péroraison  contient  la  con- 
clusion. —  *  Cic,  lib.  ad  Heren.,  n.  18. 

'  Argumenta,  prout  ratio  causx  cujusque  poslulabit,  ordinabuntur ,  tino  ex-' 
cepto,  ne  à  potenlissimis  ad  levissima  decrcscat  oratio.  Quint.,  lib.  V,  c.  xii. 

*  Orationem  coufertam  esse  enthymematiim  stipatione  minime  velim...  nisi 
delectatione  allicimiut  et  viribus  trahimus,  ipsa  quae  justa  ac  vera  sunt  tenere 
non  possumus.  Locuples  et  speciosa  vult  esse  eloqueutia. ..    Feralur  igitur  non 


QUALITÉS  DE  LA  ['HÉDICATION.  117 

pendant  ne  pas  tellement  le  dissimuler  qu'il  échappe  au  discerne- 
ment de  l'auditeur  :  pour  cela  il  faut,  après  avoir  prouvé  solidement 
a  majeure,  la  répéter  pour  en  montrer  la  liaison  avec 4a  mineure, 
et  après  avoir  prouvé  cette  dernière,  réunir  les  deux  prémisses  en- 
semble pour  faire  ressortir  la  conclusion  et  la  force  du  raisonne- 
ment. Faute  de  procéder  ainsi,  un  grand  nombre  de  prédicateurs  font 
des  discours  tout  à  fait  défectueux  :  ainsi,  par  exemple,  pour  prou- 
ver qu'il  faut  aimer  Dieu,  ils  énumérent  ses  bienfaits  dans  l'ordre 
de  la  nature  et  dans  l'ordre  de  la  grâce,  et  en  restent  là;  tandis  que, 
cette  énumération  n'étant  qu'une  des  prémisses  de  ce  syllogisme  : 
Il  faut  aimer  un  Dieu  infiniment  bienfaisant;  or  Dieu  est  infim- 
ment  bienfaisajit;  donc  il  faut  l'aimer,  il  y  aurait  à  développer  l'au- 
tre prémisse  et  la  conclusion  ;  développement  qui  donnerait  lieu  à 
une  foule  d'inductions  et  d'applications  du  plus  grand  intérêt,  et  fe- 
rait en  même  temps  toute  la  force  comme  tout  le  fruit  du  sermon. — 
2'  11  faut  éviter  les  raisonnements  trop  concis  et  trop  serrés  qui 
par  là  même  sont  obscurs  ou  demandent,  pour  être  suivis,  une 
grande  contention  d'esprit  :  autrement  on  place  l'auditeur  dans 
cette  situation  pénible  qu'il  ne  peut  perdre  la  moindre  partie  de 
la  prédication  sans  en  perdre  la  suite,  ni  réparer  par  le  retour  de 
Fattention  ce  qu'un  moment  de  distraction  lui  a  dérobé  ;  et  s'il 
veut  prendre  sur  lui  d'être  toujours  attentif,  on  l'oblige  à  une  fati- 
gue d'esprit  qui  l'absorbe  et  ne  laisse  point  assez  de  loisir  à  l'âme 
pour  rentrer  en  elle-même,  au  cœur  pour  s'échauffer,  à  la  volonté 
pour  se  déterminer.  Voilà  pourquoi  l'orateur  doit  donner  plus  de 
développement  à  ses  pensées  que  le  théologien.  Saint  Augustin  n'a 
pas  prêché  comme  saint  Thomas  a  écrit,  et  saint  Chrysostome  inté- 
resserait moins  s'il  était  plus  serré.  —  5"  11  faut  éviter  les  longs  rai- 
sonnements qui  enchaînent  plusieurs  propositions  dont  chacune 
attend  sa  preuve.  Quand  on  se  livre  trop  à  la  dialectique,  il  en  ré- 
sulte deux  inconvénients  :  le  premier,  de  fatiguer  l'auditeur,  qui 
aime  qu'on  lui  épargne  la  peine  de  suivre  si  loin  le  til  de  l'argumen- 
tation; le  second,  d'ôter  au  discours  le  coulant,  la  chaleur  et  l'onc- 
tion :  il  vaut  mieux  donner  moins  à  l'esprit  et  plus  au  cœur;  un 
sentiment  vivement  exprimé  enlève  l'auditeur  et  en  triomphe  mieux 
que  tous  les  raisonnements.  —  4°  Quoiqu'on  principe  général  il  faille 
l)ien  se  garder  de  délayer  ses  preuves  eu  les  développant  trop,  il  est 

semitis,  sed cr/mpis;  non  vti  fontes  angusHs  fistulis  colliginiliir,  srd  ut  latissimi  atn- 
nrs,  toits  vtiUibiiH  piiat . . .  MtiUUm  ad  (idem  (idjiwi/l  aiidieulis  voluplas . . .  his 
tamen  h(ibcnd\in  modiis,  ut  sinl  ornamcnlu,  non  mpedimenlo.  Quintil.,  lib.  V,c.  xiv 


1:S  TIiA.lIÉ  DE  LA  rRÉDiCATJON. 

quelquefois  nécessaire  de  présenter  sous  diverses  faces  et  à  diverses 
reprises  uu  argument  péremptoire,  une  raison  décisive,  soit  parce 
que  la  variété  des  tours  pique  et  réveille  «eux  qui  ont  écouté  une 
première  fois  sans  intérêt,  soit  parce  que  plusieurs  ont  pu  être  dis- 
traits et  perdre  ainsi  la  preuve,  etd'autres,  à  conception.lente,  ne  l'ont 
pas  saisie  ou  l'ont  écoutée  avec  prévention  ;  un  retour  au  point  décisif 
emporte  la  conviction. — 5°  Comme  les  exemples  enseignent  mieux  tou- 
tes choses  que  les  préceptes,  il  sera  ti'ès-utile  de  voir  l'application  de 
ces  règles  dans  nos  grands  orateurs,  en  particulier  dans  les  sennons 
de  Massillon  sur  la  vérité  de  la  religion,  et  la  vérité  d'un  avenir, 
et  dans  la  célèbre  Passion  de  Bourdaloue,  Judxi  signa  petîtnt  et 
Graeci  sapiciitiavi  q^ixriint,  nos  a/titcm,  etc. 

8°  Ce  n'est  pas  assez  au  prédicateur  de  bien  prouver  :  il  faut  en- 
core, en  matière  ide  morale,  qu'il  poursuive  le  pécheur  à  travers  les 
prétextes  et  objections  où  il  se  retranche,  qu'il  le  pousse  à  outrance, 
se  mettant  en  communication  intime  avec  lui  par  un  diiilogue  serré 
plein  de  naturel  et  d'adresse,  mais  sans  amertume  ni  rien  qui  of- 
fense :  cette  réfutation  est  pleine  d'intérêt  quand  elle  est  fait^  avec 
tact  et  discernement.  On  la  place  ordinairement  à  la  suite  des  preu- 
ves, mais  cependant  on  peut  la  donner  plus  tôt  quand  on  a  à  dé- 
truire des  préju;;^é5  qui  empêcheraient  de  saisir  le  corps  du  discours, 
ou  même  on  peut  l'interc.alerenire  les  différents  meiiibros  de  la  preuve 
si  elle  y  convient  mieux.  La  chose  principale  à  observer  dans  ces  ré- 
A^itations,  c'est  de  bien  choisir  les  objections  qu'on  veut  attaquer,  et 
de  s'abstenir  de  celles  qu'on  n'est  pas  sûr  de  réfuter  victorieuse- 
ment et  sans  réplique  :  le  pécheur  s'affermit  dans  son  désordre  si 
l'on  n'oppose  aux  prétextes  dont  il  le  couvre  que  de  faibles  raisons. 
Quand  le  choix  est  fait,  le  meilleur  moyen  de  présenter  ces  objections 
est  de  les  mettre  dans  la  bouche  de  l'auditeur,  et  de  les  exposer  avec 
franchise  et  sans  détour,  telles  qu'il  les  comprend  et  qu'il  les  sent, 
de  sorte  qu'en  les  entendant,  il  se  dise  que  c'est  bien  là  le  point  de 
la  difficulté;  par  là,  on  captive  son  intérêt,  on  enchaîne  sa  curiosité. 
L'objection  posée,  il  est  bien  des  manières  d'y  répondr-e. 

1°  On  peut  montrer  la  fausseté  du  principe  sur  lequel  s'appuie  le 
pécheur.  Massillon  nous  en  offre  de  Idéaux  exemples  lorsqu'il  réfute 
ce  principe  :  La  jeunefise  est  la  saison  des  plaisirs,  la  vertu  sera  pour  le 
déclin  de  l'âge,  et  cet  autre  principe  :  Il  ne  faut  pas  s'engager  envers 
h  public  par  une  conversion  qu'on  n'est  pas  sûr  de  soutenir.  Voici 
comment  il  renverse  le  premier  principe  : 


QUALITES  DE  LA  PRÉDICATION.  119 

(jui  vous  a  dit  que  la  mort  ne  vous  surprendra  pas  dans  le  cours  de  ces 
■années  que  vous  destinez  au  monde  et  aux  passions?...  Je  veux  qu'elle  ne 
vous  surprenne  pas,  l'âge  changera-t- il  votre  cœur?...  Changea-t-il  le  cœur 
de  Salomon...,  de  Saùl,  de  Jézabel,  d'Uérodias?...  Sous  des  dehors  différents, 
et  que  la  bienséance  seule  a  changés,  on  conserve  le  même  goût  pour  le 
monde,  la  même  vivacité  pour  les  plaisirs,  un  cœur  jeune  encore  dans  un 
corps  changé  et  effacé...  M;iis  quand  ce  malheur  ne  serait  point  à  craindre, 
le  Seigneur  n'est-ii  pas  le  Dieu  de  tous  les  âges?...  Le  premier  est-il  trop 
précieux  pour  lui  être  consacré  ?  Vous  ne  lui  réservez  donc  que  les  restes  cl 
le  rebut  de  vos  passions  et  de  votre  vie?  C'est  comme  si  vous  lui  disiez  : 
Seigneur,  tant  que  je  serai  propre  au  monde  et  aux  plaisirs,  n'attendez  pas 
que  je  revienne  à  vous  ;  tant  que  le  monde  voudra  de  moi,  je  ne  saurais  vou- 
loir de  vous  ;  quand  il  commencera  à  m'écliopper,  et  que  je  ne  pourrai  plus 
en  faire  usage,  alors  je  me  tournerai  vers  vous,  je  vous  dirai  :  Me  voici;  je 
vous  prierai  d'accepter  un  cœur  que  le  monde  rejettera,  et  qui  sera  même 
triste  de  la  dure  nécessité  de  se  donner  à  vous...  Le  prophète  Isaïe  insultait 
autrefois  aux  adorateurs  des  idoles  :  Vous  prenez  un  cèdre  sur  le  Liban,  leur 
disait-il,  vous  en  retranchez  la  plus  belle  partie  pour  vos  plaisirs  et  l'orne- 
ment de  vos  palais  ;  et  quand  vous  ne  savez  plus  à  quoi  employer  ce  qui 
reste,  vous  dites  :  Et  de  reliquo  ejus  idolum  faciam.  Voilà  ce  que  je  puis 
vous  dire  ici  à  mon  tour  *. 

Dans  la  réfutation  du  second, principe  qui  termine  le  même  ser- 
mon, nous  remarquons  ce  magnifique  morceau  : 

Commencez  toujours...  La  chose  ne  vaut-elle  pas  du  moins  la  peine  d'être 
tentée?  Est-ce  qu'un  homme  qui  serait  à  la  merci  des  flots  et  sur  le  point 
d'un  triste  naufrage  ne  tente  pas  premièrement  s'il  pourra  aborder  au  port 
à  la  nage  avant  de  se  laisser  submerger  aux  ondes!  Ne  fait-il  point  d'ef- 
forts !  Se  dit-il  à  lui-même  pour  ne  rien  tenter  :  Peut-être  je  ne  me  soutien- 
drai pas  !  Ali  !  il  essaye,  il  combat  contre  le  danger,  il  va  jusqu'au  dernier 
moment  de  sa  force...  Vous  périssez,  mon  cher  auditeur,  les  ondes  vous 
gagnent,  le  torrent  vous  entraîne,  et  vous  balancez  si  vous  essayerez  devons 
sauver,  et  vous  mettez  à  sonder  vos  forces  les  seuls  moments  qui  vous  res- 
tent pour  pourvoira  votre  sûreté?... 

2»  On  peut  distinguer  un  principe  qui  a  un  double  sens,  l'un  vrai, 
l'autre  faux  ;  c'est  ainsi  que  Massillon,  dans  son  sermon  sur  les  œu- 
vres de  miséricorde  ^,  distingue  le  principe  :  La  miséricorde  aide 
à  expier  les  crimes:.  « 

La  miséricorde  aide  à  expier  les  crimes  dont  on  se  repent,  mais  elle  r.e 
justitie  pas  ceux  qu'on  aime;  elle  est  le  secours  de  la  pénitence,  mais  n'est 

1  Sermon  sur  le  délai  de  la  conversion,  2''  partie,  Avont  —  -  Dans  le  volume 
des  Mystères,  vei's  la  fin  du  sermon 


120  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

pas  l'excuse  de  la  volupté...  Ce  qu'il  y  a  ici  de  déplorable,  c'est  que...  st 
quelquefois  la  grâce  jette  des  terreurs  dans  la  conscience,  la  nudité  couverte, 
la  faim  rassasiée,  s'offrent  à  l'instant  et  calment  cet  heureux  orage.  Ce  sont 
des  signes  de  paix  qui  dissipent  nos  alarmes;  c'est  l 'arc-en-ciel  trompeur 
dont  parle  le  Prophète,  aj'cns  dolosiis,  lequel,  au  milieu  des  nuages  et  des 
tempêtes  heureuses  que  Dieu  commençait  à  exciter  dans  le  cœur,  divertit 
notre  esprit  de  rimaL;e  du  danger.  On  s'endort  sur  ces  tristes  débris  de  re- 
ligion, comme  s'ils  pouvaient  nous  sauver  du  naufrage  ;  et  des  œuvres  chré- 
tiennes qui  devraient  être  le  prix  de  notre  salut  deviennent  l'occasion  de 
notre  perte. 

5°  On  peut  montrer  la  fausseté  de  la  conséquence  qu'on  tire  d'un 
fait  ou  d'un  principe  vrai.  C'est  ainsi  encore  que  Massillon,  dans  son 
.sermon  sur  les  élus  *,  réfute  les  conséquences  de  ce  fait  allégué  par 
le  pécheur  :  Je  ne  fais  que  ce  que  font  tous  les  autres  :  Venez  nous 
dire  maintenant,  etc.  (voyez  dans  l'auteur  même),  et  que  dans  le 
discours  sur  le  délai  de  la  conversion  il  réfute  les  conséquences  du 
principe  posé  par  le  pécheur  :  Supposons  que  la  grâce  vous  manque, 
qu'en  concluez-vous?  etc..  (Voyez  encore  dans  l'auleur.) 

4°  Souvent  on  peut  nier  en  même  temps  le  principe  et  la  consé- 
quence, comme  le  fait  si  bien  Massillon^  en  réfutant  celte  objection  : 
Il  faut  distinguer  entre  ceux  qui  sont  du  monde  et  ceux  qui  n'en  sont 
pas  :  donc  puisque  je  suis  du  monde,  je  puis  me  dispenser  d'une 
morale  si  sévère. 

Réfulation  du  principe  : 

Y  a-t-il  un  autre  Évangile  pour  vous  que  pour  ceu.'c  qui  habitent  les  dé- 
serts?... Vous  êtes  du  monde?  Mais  la  pécheresse  de  l'Évangile  était  du 
monde  ;  se  crut-elle  dispensée  de  faire  pénitence?  David  était  du  monde  ;  se 
persuada-t-il  que  ce  titre  dût  modérer  la  rigueur  de  ses  austérités?...  Les 
Judith,  les  Estlier,  lesPaule,  les  Marcelle  étaient  du  monde...  distinguait-on 
entre  les  premiers  fidèles  ceux  qui  étaient  du  monde  de  ceux  qui  n'en 
étaient  pas?  PJlre  chrétien,  et  n'être  plus  du  monde,  était  alors  la  même 
chose.  Vous  êtes  du  monde,  mon  cher  auditeur?  Mais  c'est  là  votre  cVime, 
et  vous  en  laites  votre  excuse?  Un  chrétien  n'est  plus  de  ce  monde,  c'est  un 
citoyen  du  ciel... 

Réfulation  de  la  conséquence  : 

Quand  vous  dites  que  vous  êtes  du  monde,  que  prétendez-vous  dire?  Que 
vous  êtes  dispensé  de  faire  pénitence?  Mais  si  le  monde  est  le  séjour  de  l'in- 
nocence, l'asile  de  toutes  les  vertus,  le  protecteur  fidèle  de  la  pudeur,  delà 

*  2»  volume  du  Grand  Carême.  —  *  Sermon  sur  la  Samaritaine,  1"^^  partie, 
3"  volume  du  Grand  Carême. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  121 

sainteté,  de  la  tempérance,  vous  avez  raison.  Que  la  prière  est  moins  néces- 
saire? Mais  si  dans  le  monde  les  périls  sonî.  moms  fréquents  que  dans  les  so- 
litudes, les  pièges  moins  à  craindre,  les  séductions  moins  ordinaires,  les 
chutes  plus  rares,  et  qu'il  faille  moins  de  grâce  pour  s'y  soutenir,  je  suis 
pour  vous.  Que  la  retraite  n'y  saurait  être  un  devoir?  Mais  si  les  entretiens 
y  sont  plus  saints,  les  assemblées  plus  innocentes  ;  si  tout  ce  qu'on  y  voit, 
qu'on  y  entend,  élève  à  Dieu,  nourrit  la  foi,  réveille  la  piété,  sert  de  soutien 
à  la  grâce,  je  le  veux.  Qu'il  en  doit  moins  coûter  pour  se  sauver?  Mais  si 
vous  y  avez  moins  de  pussions  à  combattre,  moins  d'obstacles  'a  surmonter; 
si  le  monde  vous  facilite  tous  les  devoirs  de  rÉvangile...,  vous  dites  vrai,  et 
on  vous  l'accorde.  0  homme  !  tel  est  votre  aveuglement,  de  compter  vos 
malheurs  parmi  vos  privilèges,  de  vous  persuader  que  ce  qui  multiplie 
vos  chaînes  augmente  votre  liberté,  et  de  faire  votre  sûreté  de  vos  périls 
mêmes  ! 

5"  Les  réfutations  les  plus  piquantes  sont  celles  où  l'on  réunit 
comme  dans  un  faisceau  plusieurs  objections  qu'on  repousse  l'une 
après  l'aulre  par  des  réponses  incisives  aussi  fortes  que  courtes.  Ces 
traits  brefs  et  lumineux  d'une  dialectique  nerveuse  et  pressante, 
d'une  clarté  portée  au  plus  haut  point  d'évidence,  sont  comme  des 
dards  qui  vont  s'enfoncer  dans  le  cœur  de  l'adversaire,  et  qui  tom- 
bant sur  lui  de  toutes  parts,  ne  lui  laissent  aucun  moyen  d'évasion. 
Massillon  excelle  en  ce  genre  :  nous  en  citerons  deux  exemples  pour 
faire  comprendre  la  chose. 

1"  Exemple.  —  Il  s'agit  de  prouver  que  les  vertus  des  bons  laisse- 
ront les  méchants  sans  excuse*. 

Que  pourrez-vous  répondre  devant  le  tribunal  de  Jésus-Christ  !  Direz-vous 
que  TOUS  n'avez  fait  que  suivre  des  usages  établis?  Mais  les  justes  qui  sont 
parmi  vous  s'y  conforment-ils?  Vous  excuserez- vous  sur  les  suites  d'une  nais- 
sance illustre?  Vous  en  connaissez  qui,  avec  un  nom  encore  plus  grand  que 
le  vôtre,  en  sanctifient  l'éclat  et  trouvent  le  secret  de  le  faire  servir  au  salut. 
Quoi  !  la  vivacité  de  l'âge,  la  délicatesse  du  sexe  ?  On  vous  en  montre  tous 
les  jours  qui  regardent  tous  ces  vains  avantages  comme  la  boue,  et  n'ont  de 
pensées  que  pour  le  ciel.  Quoi!  la  dissipation  des  emplois?  Vous  en  voyez 
chargés  des  mêmes  soins  que  vous,  et  qui  cependant  font  du  salut  la  prin- 
cipale affaire.  Voire  goût  pour  le  plaisir?  L'amour  du  plaisir  est  le  premier 
penchant  de  tous  les  hommes  ;  et  il  est  des  justes  en  qui  il  est  encore  plus 
violent.  Vos  afllictions?  11  y  a  des  gens  de  bien  malheureux.  Votre  prospé- 
rité ?  11  s'en  trouve  qui  se  sanctilient  dans  l'abondance.  Votre  santé  ?  On  vous 
en  montrera  qui,  dans  un  corps  iiilhme,  portent  une  âme  remplie  d'une 
force  divine. 

*  Sormon  sur  le  mélango  des  bons  et  des  méchants,  vers  la  fin  de  la  l'*  partie, 
2*  vol.  du  Grand  Carême 


152  TRAITÉ  DE  LA  PRÉniCATLON. 

2"  Exemple.  —  11  s'agit  de  prouver  que  les  discours  du  inonde  ne 
doivent  pas  nous  détounier  de  la  pratique  de  la  vertu*. 


Que  pourra-t-on  dire  de  vous  dans  le  monde  qui  doive  tant  vous  alarmer? 
One  vous  êtes  cliangeanl?  Heureuse  inconstance  qui  vous  délache  d'un 
monde  toujours  flottant  et  incertain,  pour  vous  attacher  aux  biens  im- 
muables que  personne  ne  pourra  vous  ravir  !  Que  vous  êtes  insensé  de  re- 
noncer aux  plaisirs  à  v.otre  âge  ?  Sainte  folie,  plus  sage  que  toute  la  sagesse 
du  siècle,  puisqu'en  renonçant  aux  plaisirs  vous  ne  renoncez  à  rien,  et  qu'en 
trouvant  Dieu  vous  trouvez  tout!  Que  vous  ne  vous  soutiendrez  pas?  Utiles 
reproches  qui  deviennent  pour  vous  des  instructions  et  doivent  animer  votre 
vigilance.  Que  vous  ne  quittez  le  monde  que  parce  que  le  monde  vous  quitte? 
Précieuse  injustice  qui  vous  empêche  de  recevoir  ici-bas  une  vaine  récom- 
pense! Que  vous  ne  jouez  ce  nouveau  personnage  que  pour  aller  plus  sûre- 
ment à  vos  fins?  Soupçon  plus  honteux  au  monde  qu'à  vous-même.  Que 
vous  affectez  des  routes  singulières  qui  vous  donnent  du  ridicule  dans  le 
monde?  Censure  consolante  qui  vous  déclare  que  vous  suivez  la  route  des 
saints  qui  n'ont  jamais  ressemblé  à  la  multitude!  Enlin,  que  depuis  votre 
changement  vous  n'êtes  plus  bon  à  rien?  Mon  Dieu!  mais  vous  servir,  vous 
ri  ::er,  remplir  ses  devoirs,  prier  pour  ses  frères,  les  éditler,  les  secourir, 
les  consoler,  est-ce  donc  être  inutile  sur  la  terre? 

Tels  sont  les  différents  modes  de  réfutation  ;  et  après  avoir  ainsi 
pressé  l'auditeur  jusque  dans  ses  derniers  retranchements,  et  l'y  avoir 
terrassé,  on  le  relève,  on  l'encourage  et  on  lui  montre  ce  qu'il  a  à 
faire  pour  son  salut. 

Pour  résumer  et  mettre  en  pratique  toutes  les  régies  que  nous 
venons  d'exposer  sur  la  manière  d'instruire,  il  sera  très-utile  de  se 
rappeler  la  méthode  deMassillon  :  «  Quand  je  fais  un  sermon,  disait- 
((  il.  j'imngine  que  quelqu'un  me  consulte  sur  une  affaire  sur  laquelle 
((  il  n'est  pas  d'accord  avec  moi  :  alors  je  mets  toute  mon  application 
«  à  le  convaincre,  je  le  presse,  je  l'exhorte,  et  je  ne  le  quitte  point 
«  qu'il  ne  se  soit  rendu  à  mes  raisons.  »  A  l'exemple  de  ce  grand 
orateur,  il  faut  se  représenter  avoir  en  face  un  homme  qui  n'a  que 
des  idées  fausses  ou  inexactes  sur  la  matière  qu'on  a  à  traiter  :  on 
essaye  d'abord  de  la  lui  expliquer  si  clairement  qu'il  ne  puisse  pas  ne 
point  la  comprendre,  puis  de  la  lui  prouver  en  se  demandant  sou- 
vent :  Cette  preuve  est-elle  bien  claire,  bien  concluante  pour  mon 
auditeur?  qu'aurait-il  à  m'objecter,  et  qu'aurais-je  à  lui  répondre? 
Serait-il  obhgé  de  se  rendre  à  mes  preuves,  sous  peine  d'être  souve- 
rainement déraisonnable? 

'  Sermon  sur  le  respect  humain,  vers  la  fin  de  la  2«  partie,  2»  vol.  du  Grand 
Carême. 


QUALITÉS  DE  L\  PRÈDICATIOX  125 

ARTICLE  A. 

QUATRIÈME   CABACTÈRE   DE    LA    PREDICATION;    ELLE    DOIT    PLAIRE. 

La  nécessité  de  plaire  fera  le  sujet  d'un  premier  paragraphe;  et 
nous  étudierons  dans  le  second  la  manière  de  plaire, 

§  l"' 
De  la  nécessité  de  plaire. 

Nous  voici  arrivés  à  un  point  sur  lequel  non-seulement  les  rhéteurs 
compilateurs,  mais  les  maîtres  mêmes  se  sont  souvent  trompés.  Ci- 
cêron  lui-même,  dans  plusieurs  passages  de  ses  écrits  sur  l'élo- 
quence, n'entend  par  l'art  de  plaire  que  l'art  de  cadencer  les  pé- 
riodes; et  Fénelon^  à  son  exemple,  confondant  deux  choses  si 
distinctes,  rejette  la  doctrine  commune  des  rhéteurs  qui  impose  à 
l'orateur  l'ohligation  d'instruire,  de  plaire  et  de  toucher;  et  tout  en 
louant  les  grâces  du  discours  qui  servent  à  la  persuasion^  il  substitue  à 
l'art  de  plaire  celui  de  peindre,  lequel  se  trouve  sans  contredit  dans 
l'éloquence;  comme  nous  le  dirons  à  l'article  suivant,  mais  ne  s'y 
ti  cuve  que  sur  un  plan  qu'on  peut  nommer  secondaire. 

Pour  préciser  les  notions  d'un  point  si  mal  éclairci,  commençons 
par  définir  ce  qu'est  dans  le  prédicateur  l'art  de  plaire.  Ce  n'est  point 
seulement,  comme  quelques-uns  l'ont  pensé,  l'art  de  cadencer  des 
périodes  ;  car  on  peut  plaire  sans  cela,  déplaire  avec  cela,  et  même 
précisément  à  cause  de  cela;  mais  c'est,  en  prenant  ce  mot  dans  le 
sens  large  et  vrai,  le  secret  de  se  faire  écouter  avec  plaisir,  intérêt  et 
confiance.  Or,  pour  obtenir  un  tel  résultat,  il  faut  que  le  prédicateur 
plaise  par  ses  mœurs,  par  le  fond  des  choses  qu'il  dit  et  par  la  ma- 
nière de  les  dire. 

Plaire  par  ses  mœurs,  c'est  conquérir  par  sa  vertu  et  son  caractère 
aimable  cette  confiance,  celte  affection  et  cette  estime  qui  font  écouter 
volontiers  un  orateur,  et  prédisposent  les  esprits  à  lui  accorder 
créance;  c'est;  pour  plus  préciser  encore,  donner  à  son  discours  et 
à  son  débit  môme  l'empreinte,  la  couleur,  si  je  puis  ainsi  dire,  de  la 
vertu  qui  convient  dans  la  circonstance  où  l'on  parle.  On  ne  saurait 
dire  combien  ce  point  est  essentiel  à  toute  bonne  prédication.  Diffici- 
lement on  résiste  à  l'accent  inimitable  de  la  vertu,  lorsqu'elle  prête 

*  Dialogue  sur  l'éloquence 


124  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

ses  charmes  au  discours  et  l'éclairé  de  sa  douce  et  vive  lumière ^  ;  la 
confiance  qu'elle  inspire  fait  seule  la  moitié  de  la  persuasion  ;  comme, 
au  contraire,  le  défaut  d'affection  ou  d'estime  forme  une  prévention 
défavorable  qui  nuit  aux  meilleurs  discours*.  Cette  observation,  faite 
ici  en  passant,  recevra  son  plein  développement  au  chapitre  suivant, 
lorsque  nous  traiterons  les  qualités  du  prédicateur. 

Plaire  par  le  fond  des  choses  que  l'on  dit,  c'est  adapter  son  dis- 
cours au  caractère,  aux  goûts,  aux  préjugés  même  et  aux  passions  de 
ses  auditeurs,  de  manière  qu'il  ne  s'y  trouve  rien  qui  les  froisse  ou 
leur  déplaise,  et  qu'au  contraire  la  vérité  se  montre  à  eux  sous  un 
jour  si  beau,  si  séduisant,  qu'ils  ne  puissent  lui  refuser  leur  estime 
et  leur  amour,//»  ut  veritas  placeat,  dit  saint  Augustin';  c'est,  plus 
spécialement  encore,  observer  dans  toutes  ses  paroles,  comme  dans 
toutes  ses  manières,  les  bienséances  et  précautions  oratoires.  Nous 
avons  traité  ailleurs*  cette  question  aussi  impartante  que  délicate, 
lorsque  nous  avons  montré  la  nécessité  d'adapter  son  discours  aux 
dispositions  des  auditeurs. 

Enfin,  plaire  par  la  manière  de  dire  les  choses,  c'est  rendre  ses 
pensées  et  ses  sentiments  avec  l'éloquence  ou  la  grâce  qui  leur  con- 
vient devant  l'auditoire  auquel  on  s'adresse;  et  ici  se  trouve  le  point 
le  plus  délicat  de  la  controverse.  Faut-il  s'attacher  aux  grâces  de  l'é- 
loquence, ou  faut-il  les  mépriser  comme  indignes  de  la  simplicité  de 
1  Evangile  et  de  la  folie  de  la  croix  ?  Le  pour  et  le  contre  en  celte 
question  sont  soutenus  par  des  hommes  que  recommandent  égale- 
ment le  mérite  et  la  vertu.  Pour  nous,  continuant  à  distinguer  les 
différents  sens  qu'on  peut  attacher  au  mol  piaille,  nous  établissons 
comme  incontestables  les  trois  propositions  suivantes  :  1"  le  prédica- 
teur ne  doit  point  chercher  à  plaire  par  le  bel  esprit  et  l'élégance  af- 
fectée ;  2°  il  ne  doit  point  chercher  à  plaire  par  le  genre  romantique  ; 
5°  il  doit,  en  vue  de  convertir,  embellir  la  parole  sainte  des  charmes 
de  la  vraie  et  solide  éloquence,  de  manière  qu'elle  plaise  aux  audi- 
teurs. Ces  propositions  recevront  successivement  leur  explication  et 
leur  preuve. 


*  C'est  cette  expression  naïve  et  simple  des  plus  belles  mœurs  qui  répand 
tant  de  charmes  sur  les  discours  de  saint  Vincent  de  l'aul,  les  écrits  de  saint 
François  de  Sales,  le  Petit  Carême  de  Massillon ,  et  surtout  les  péroraisons, 
entre  autres  celle  du  sermon  sur  le  Triomphe  de  la  Religion. 

*  Voyez  une  lettre  de  saint  François  Xavier  dans  le  Guide  de  ceux  qui  an- 
noncent la  parole  de  Dieu.  p.  S28.  —  ^  T>c  Doct.  christ.,  lib.  IV.  —  *  Pag.  111 
et  suiv. 


QUALITES  DE  LA  PRÉDICATION.  125 

*  PREMIÈKE   l'ROrOSITION. 

*  Le  pfédicateur  ne  doit  pas  chercher  à  plaire  par  le  bel  esprit  et  l'élégance  affectée', 

*  Car,  1°  il  n'est  point  de  modèles  pins  sûrs  de  la  bonne  prédica- 
*tion  que  Jésus-Christ  et  les  saints  :  or,  comment  ont-ils  .prêché? 
*Notre-Seigneur,  s'il  l'eût  voulu,  eût  pu,  sans  doute,  embellir  sa  pré- 

*  dication  de  fout  ce  que  le  bel  esprit  a  de  plus  fin  et  de  plus  délicat  : 

*  cependant  on  ne  trouve  dans  ses  discours  rien  de  semblable.  Élevé 
*et  profond  dans  la  pensée,  il  est  simple  et  populaire  dans  l'e.Kpres- 
*sion;  et  Ton  chercherait  en  vain  dans  son  langage  le  jeu  des  anti- 

*  thèses,  et  les  raffinements  du  bel  esprit.  Les  apôtres  ont  prêché  de 
*la  même  manière;  tous  ont  pu  dire  comme  saint  Paul  :  Prxdicatio 
*mea  non  inpersxiasibilibtis  Jmmanx  sapientix  verbis,  ut  fides  vestra 

*  non  sit  in  sapientiâ  hominum,  sed  in  virtute  Bel.  Misit  me  Christus 

*  evangelizare  non  in  sapientiâ  verbi,ut  non  evaciietiir  criix  Christi^. 

*  Et  elle  a  été  aussi  la  méthode  des  saints  prédicateurs  de  tous  les 

*  siècles,  des  hommes  apostoliques  de  tous  les  pays  :  ces  maîtres 

*  consommés   dans  l'art  d'annoncer  la  divine  parole,  habitués  aux 

*  succès  d'une  éloquence  mâle  et  vigoureuse  qui  remuait  tous  les 

*  cœurs,  dédaignaient  comme  indignes  d'eux  les  ornements  étudiés, 
*le  bel  esprit,  l'élégance  recherchée.  On  raconte  même  de  saint 

*  François  de  Sales,  qu'un  jour,  s'apercevantque  ses  auditeurs  étaient 

*  près  d'applaudir  aux  traits  d'esprit  dont  il  avait  parsemé  le  sermon 

*  qu'il  prêchait,  il  quitta  tout  à  coup  ce  qu'il  avait  préparé,  et  se  mit 
*à  parler  simplement,  afin  de  ne  pas  partager  le  cœur  de  ses  audi- 

*  leurs  entre  la  parole  humaine  et  la  parole  divine,  et  de  laisser  à 

*  celle-ci  seule  tout  le  fruit  et  l'honnenr  du  sermon.  On  lit  de  Taulère 

*  quelque  chose  de  semblable.  La  grâce  recherchée  de  ses  discours  le 

*  faisait  admirer  de  toute  la  ville  de  Cologne  :  mais,  sur  l'avis  d'un 

*  saint  solitaire,  il  échangea  ce  genre  fleuri  avec  le  genre  aposto- 
*lique,  et  alors  on  ne  se  borna  plus  à  l'admirer;  en  l'entendant,  on 
*se  frappait  la  poitrine,  on  fondait  en  larmes  et  on  se  convertissait. 
*0r,  un  genre  de  prédication  opposé  à  celui  qu'a  adopté  la  sagesse  de 

*  Jésus-Christ  et  des  saints,  et  que  l'expérience  des  siècles  a  démontré 

*  être  le  seul  fécond  en  œuvres  de  salut,  est  par  cela  même  réprouvé. 

*  Voyez  le  Pastoral  de  Limoges,  t.  II,  Impartie,  lit.  v,  c.  ii,  §  3,  et  tit.  viii 
c.  I  et  IV.  —  Le  P.  Albert,  2»  part.,  c.  xv;  3°  part.,  c.  x  et  xi.  —  Le  Guide  do 
ceux  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu,  p.  Tiol  et  35'2.  —  Ibid.,  p.  195,  '257  et 
'258.  —  2  I  Cor.,  I  et  ii. 


126  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

*2°  Ce  mauvais  genre  est  contraire  au  bon  goût.  Car,  V  le  bon 
*goût  dit  à  roratcur  de  se  faire  oublier  pour  qu'on  ne  pense  qu'aux 

*  choses  qu'il  dit;  par  conséquent,  de  cacher  son  art  sous  le  naturel 
*et  la  simplicité  de  ses  paroles.  Le  peintre  ne  laisse  pas  remarquer 

*  les  coups  de  pinceau  sur  sa  toile,  mais  seulement  les  objets  qu'il  a 

*  voulu  peindre  ;  de  même  le  vrai  orateur  met  sa  gloire  à  ne  point 

*  paraître  pour  vous  occuper  uniquement  du  sujet  qu'il  traite;  telle 
*est  la  règle  que  dicte  le  bon  goût.  Or  celui  qui  cherche  à  plaire  par 
*le  bel  esprit  et  l'élégance  affectée  pèche  évidemment  contre  cette 

*  règle.  2"  C'est  un  autre  principe  du  bon  goût,  que  la  vraie  élo- 

*  quence  consiste  dans  une  parole  forte  de  choses  et  pleine  de  moa- 
*vements;  que  faire  le  bel  esprit  par  des  expressions  ingénieuses  et 
*la  profusion  des  ornements  mêlés  à  un  style  toujours  parfaitement 
"peigné,  c'est  imiter  les  enfants  qui  préfèrent  le  clinquant  à  Tor 

*  massif,  les  bagatelles  qui  amusent  aux  choses  sérieuses  qui  sont 

*  utiles;  c'est  énerver  le  discours^  comme  on  affaiblit  une  colonne  à 

*  mesure  qu'on  la  taille  pour  y  ajouter  des  ornements.  C'est  même  se 

*  rendre  désagréable  aux  auditeurs  :  car  l'abondance  produit  la  sa- 
*tiété;  et  les  grâces  n'ont  de  charmes  qu'à  la  condition  de  n'être  pas 
'prodiguées.  Elles  s'effacent  par  le  nombre,  et  cessent  de  plaire  si 

*  elles  sont  trop  continues^.  C'est  avoir  de  l'esprit,  dit  la  Bruyère, 
*que  de  plaire  par  un  style  fleuri,  des  traits  brillants  et  de  vives 
"descriptions;  mais  ce  n'est  pas  en  avoir  assez.  Un  meilleur  esprit 
*"néghge  ces  ornements  indignes  de  servir  à  l'Évangile  :  il  prêche  sim- 
*plement,  fortement,  chrétiennement;  il  n'a  garde  de  remplacer  la 

*  manière  forle  et  tout  apostoMque  des  vrais  prédicateurs  par  la  va- 
*nité  du  genre  académique  ;  de  manquer  le  touchant  et  le  subhme 
^des  vérités  chrétiennes,  pour  faire  du  bel  esprit.  Les  hommes  les 
*pius  propres  aux  succès  de  la  chaire  y  perdraient  leur  propre  talent. 
"'*■  Qu'on  hse  les  prédicateurs  du  siècle  de  Louis  XIV  ;  ils  sont  partO!  t 
*i;alurels.Bossuetne  recherche  jamais  la  phrase;  s'il  est  grand,  c'est 
*parla  force  de  son  génie.  Jilassillon  est  toujours  pur,  etBourdaloae 

*  ion  jour  s  solide. 

*  5"  Ce  mauvais  genre  est  contraire  au  bon  sens.  Quintili'en5'se 

*  plaignait  autrefois  de'  ee-  que  cette'  envie  démesurée  de  plaire  par 

*  les  charmes  du  style  avait  envahi  le  barreau,  à  ce  point  que  les 

'  Cultus  muliebris  et  luxuriosus  non  corpus  cxornat,  sed  detcgit  montera. 
Similiter  illa  transUicida  et  versicoloi- elocutio  res  ipsas  effœminat  qiiœ  illo  yer- 
Ijorum  habilu  vestiuutur.  Quintil.,  Jib.  VIII  in  proœmio.  (Legantiir  sequentia.) 
—  «  Cicer.,  de  Orat.,  ni,  95  et  seq.  —  Ad  Heren.,  lib.  IV,  25  et  51.  —  '  Lib.  IV, 
c.  iT,  versus  fiiiem. 


QUALITES  DE  LA  PREDICATION  4M 

*  avocats,  dans  les  procès  même  où  la  fortune  et  la  vie  des  citoyens 

*  étaient  mises  en  cause,  s'amusaient  à  faire  le  bel  esprit,  à  parsemer 

*  leurs  discours  de  fleurs  de  rhétorique  qui  ne  faisaient  rien  a  l'af- 

*  faire,  au  lieu  de  raisonner  avec  force,  de  s'appliquer  à  convaincre, 

*  à  persuader  et  toucher  les  juges.  In  ipsa  capitis  aut  fortunariim 
*pericula  irnipit  voluptas.  C'était  là  sans  doute  un  grand  oubli  du 

*  bon  sens  ;  c'est  comme  si  un  médecin  près  d'mi  malade  à  l'extrémité 

*  s'amusait  à  débiter  des  phrases   élégantes  et  des  pensées  ingé- 

*  nieuses  pour  faire  montre  de  son  esprit,  au  lieu  de  prescrire  promp- 

*  tement  le  rem^e  qui  va  arracher  le  malade  à  une  mort  imminente. 

*  Mais  si,  dans  l'avocat  et  le  médecin,  cet  abus  d'un  esprit  plus  oc- 

*  cupè  des  mots  que  des  choses  est  si  condamnable,  combien  plus 

*  l'est-il  dans  le  prédicateur  chargé  de  traiter  des  intérêts  bien  au- 

*  trement  graves  !  Quoi  !  lorsqu'il  faudrait  des  coups  de  tonnerre 

*  pour  réveiller  le  pécheur  endormi,  y  a-t-il  du  sens  de  s'occuper  à 

*  charmer  son  oreille  par  l'harmonie  des  sons?  Lorsqu'il  faudrait 

*  le  terrasser  par  le  cri  du  sang  de  Jésus-Christ  qui  demande  ven- 

*  geance  d'avoir  été  si  longtemps  profané,  par  la  menace  de  la  colère 

*  d'un  Dieu  prête  à  éclater  sur  sa  tête,  de  la  mort  qui  s'approche  et 

*  de  l'enfer  ouvert  sous  ses  pieds  pour  l'engloutir,  est-il  raisonnable 

*  de  penser  à  faire  un  vain  étalage  d'esprit,  à  ramasser  des  pensées 

*  brillantes,  à  entasser  des  figures  et  arrondir  des  périodes?  Ce  n'est 

*  pas  en  jetant  des  fleurs  sur  les  pas  des  pécheurs  qu'on  leur  inspire 

*  la  crainte  des  jugements  de  Dieu,  qu'on  brise  les  cœurs  et  qu'on 

*  arrache  des  larmes.  Quand  le  feu  prend  à  une  maison,  dit  saint 

*  Thomas  de  Villeneuve,  faut-il  une  période  étudiée  pour  crier  à 

*  l'incendie  ;  et,  ajoute  saint  Liguori,  faut-il  de  Teau  de  rose  pour 

*  l'éteindre?  On  peut  conclure  de  là  quelle  est  l'aberration  de  ces 

*  prédicateurs  qui  veulent,  non  effrayer,  mais  plaire  ;  non  remuer 

*  les  consciences,  mais  flatter  les  oreilles;  non  opérer  la  conversion, 

*  mais  enlever  les  suffrages.  Le  P.  de  Neuville,  prédicateur  remar- 

*  quable  sous  beaucoup  de  rapports,  mérite  bien  des  reproches  sur 

*  ce  point;  on  souffre  de  le  voir  épuiser  toutes  les  finesses  de  son 

*  esprit  riche  en  antithèses,  pour  dépeindre  les  horreurs  dujuge- 

*  ment  dernier  ou  les  supplices  affreux  du  réprouvé  dans  l'enfer,  et 

*  l'on  se  dil  malgré  soi  que,  s'il  avait  eu  le  cœur  touché,  l'âme  brisée 

*  par  ce  spectacle,  il  n'aurait  pas  eu  le  courage  de  s'amuser  à  faire 

*  le  bel  esprit  en  disant  des  choses  si  terribles. 

*  M.  de  La  Motte,  dans  une  ode  au  cardinal  de  Polignac,  censure 

*  ainsi  celle  classe  de  prèdicafeuis  : 


i28  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  Mais  qui  lèvera  le  scandale 

*  De  ces  faux  propliètes  du  Christ, 

*  Qui  font  d'une  sainte  morale 

*  Un  sacrilège  jeu  d'esprit? 

*  C'est  leur  gloire  et  c'est  leur  adresse 

*  Non  nos  maux  et  notre  faiblesse, 
'Qu'ils  veulent  nous  faire  sentir; 

*  Et,  fiers  du  vain  succès  de  plaire, 

*  Ils  laissent  au  pasteur  vulgaire 
"  L'humble  gloii'c  de  convertir. 

*  Que  l'orateur  évangélique 

*  A  mon  seul  intérêt  s'applique  : 

*  S'il  veut  plaire,  il  va  m'attiédir;  • 

*  Il  n'a  qu'à  rougir  de  sa  gloire, 

*  S'il  laisse  un  nombreux  auditoire 

*  Tranquille  assez  pour  l'applaudir. 

*  4°  Ce  mauvais  genre  est  indigne  de  la  sublimité  du  ministère 

*  évangélique.  Prêcher  de  la  sorte,  c'est  rabaisser  ce  sublime  mi- 

*  nistère  au  rôle  d'un  jeune  rhétoricien  qui  s'exerce  à  tourner  la 

*  phrase,  ou  d'un  homme  vain  qui  veut  se  faire  admirer  '  ;  c'est 

*  mettre  la  parole  de  Dieu  au  service  de  l'éloquence  humaine,  au 

*  lieu  de  faire  servir  l'éloquence  humaine  à  la  parole  de  Dieu, 

*  comme  le  dit  si  bien  saint  Augustin  :  Non  doctoi'  verhis  serviat, 

*  sed  verba  doctorV^;  c'est  porter  en  chaire,  au  lieu  des  grandes  vues 
*de  l'éternité,  de  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut  des  âmes,  les  vues 

*  étroites  de  sa  vanité  et  les  misérables  intérêts  de  son  amour-propre; 

*  c'est  imiter  le  soldat  qui,  au  lieu  de  suivre  vigoureusement  l'en- 

*  nemi,  fait  le  beau  en  sa  présence  et  s'occupe  plus  à  faire  admirer 

*  sa  bonne  mine  qu'à  terrasser  ceux  qu'il  a  à  combattre,  comme  si 

*  c'était  pour  une  fin  si  vile  que  le  glaive  de  la  parole  a  été  mis  aux 

*  mains  des  prédicateurs;  c'est  enfin  se  dégrader  jusqu'à  prendre 
*pour  but  de  ses  efforts  le  plaisir  de  l'oreille,  lorsqu'il  faudrait  au 

*  contraire  déchirer  les  cœurs,  les  arracher  au  plaisir,  et  leur  faire 

*  embrasser  la  pénitence.  Ceux  qui  avilissent  ainsi  la  chaire,   dit 

*  saint  Liguori,  sont  des  ermemis  de  Jésus-Christ,  des  traîtres  à  la 

*  parole  de  Dieu  qu'ils  profanent,  et  leur  conduite  est  un  forfait 
contre  le  saint  ministère  dont  ils  sont  chargés.  —  Ils  veulent,  di- 

*  sent-ils,  apprivoiser  le  siècle  avec  la  divine  parole  et  faire  goûter 

*  Si  vous  voulez  faire  du  bel  esprit,  disait  un  courtisan  au  P.  de  La  Rue,  vous 
trouverez  des  gens  qui  en  meltroiit  plus  dans  un  couplet  de  chanson  que  vous 
dans  tout  un  sermon,  et  ils  se  croiront  vos  maîtres;  mais  parl-ez-leur  de  Dieu 
avec  force  et  science,  c'est  ce  qu'ils  n'entendent  point,  et  en  cela  vous  serez 
maître  et  ils  vous  respecteront.  —  *  De  Doct.  christ.,  lib.  IV,  lxi. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  12» 

*  la  religion  aux  gens  du  monde:  misérable  prétexte  pour  couvrir  la 

*  vanité  qui  brigue  la  réputation  d'orateur  et  veut  faire  montre  d'es- 

*  prit.  Saint  Paul  ne  croyait  pas  devoir  user  de  ce  moyen  pour  faire 

*  goûter  la  religion  aux  beaux  esprits  de  Corinthe  et  d'Athènes;  il 

*  était  éloquent,  mais  non  pas  élégant  dans  le  sens  de  nos  adversaires. 

*  Un  orateur  chrétien  doit  dompter  son  siècle,  et  non  s'en  laisser 

*  maîtriser;  être  le  juge  de  ses  auditeurs,  et  non  les  accepter  pour 

*  arbitres;  leur  parler  en  maître,  et  non  se  faire  leur  esclave.  Il  doit, 

*  disait  le  P.  Mac  Carthy,  se  proposer  d'être,  non  pas  pi'édicateur^ 

*  dans  le  sens  que  le  monde  attache  à  ce  mot,  mais  convertisseur.  Eh 

*  conséquence,  il  ne  doit  pas  s'occuper  à  chatouiller  les  oreilles,  mais 

*  à  changer  les  cœurs;  à  amuser  ses  auditeurs  malades,  mais  à  les 

*  guérir  :  et  s'il  fait  entrer  dans  son  discours  les  ornements  qui  se 

*  présentent  d'eux-mêmes,  et  qu'emporte  comme  par  force  la  nature 

*  du  sujet,  il  ne  doit  pas  les  rechercher  pour  paraître  et  se  faire  re- 

*  marquer  :  Fertur  inipetu  suo,  et  elocutio7iis  pulcfmtndinem ,  si  occur- 

*  rerit,  vi  rerum  capit,  iioii  cura  decoris  assumit  ^  ;  il  les  saisit  comme 
*en  passant,  parce  qu'ils  lui  tombent  sous  la  main,  mais  il  les  dé- 

*  daigne  s'ils  nuisent  à  la  liberté  de  son  action,  au  pathétique  de 

*  ses  mouvements,  ou  ne  conviennent  pas  à  l'intelligence  bornée  de 

*  ses  auditeurs;  il  veut  la  force  et  la  clarté  de  l'expression  plutôt  que 
*son  agrément,  comme  l'orateur  Antoine,  au  rapport  de  Cicéron*: 

*  Nequeid  ipsum  tàm  leporis  causa  quàmponderis^  parce  qu'il  n'am- 
*bitionne  ni  l'admiration  du  monde  ni  la  réputation  d'homme  d'es- 

*  prit;  il  ne  veut  que  le  salut  de  ceux  qu'il  évangélise. 

*  5"  Le  genre  que  nous  combattons  est  nuisible  au  succès  de  la 
•prédication.  11  est  impossible  que  Dieu  bénisse  la  parole  de  ces 

prédicateurs  qui  se  prêchent  eux-mêmes;  et  coimne  toute  parole 

*  de  l'homme  est  stérile  si  Dieu  ne  la  bénit,  il  suit  qu'ils  seront  dans 
*lo  champ  de  l'Église  des  arbres  à  belles  fleurs,  si  vous  voulez, 
*mais  sans  aucun  fruit.  A  considérer  même  humainement  la  chose, 

*  lorsque   le   prédicateur   domie    trop  d'attention   au   tour  de  la 

*  phrase,  au  choix  de  l'expression,  à  l'harmonie  de  la  période,  sa 

*  composition  est  moins  animée,  moins  libre,  moins  passionnée, 

*  moins  touchante;  l'esprit  nuit  au  cœur  et  les  mots  aux  choses.  On 

*  réussit  tout  autrement  lorsque,  sans  s'anêler  à  un  vain  luxe  d'es- 

*  prit  qui  ne  fait  que  gêner  et  ralentir  la  marche  oratoire,  on  se 

*  précipite  avec  force  vers  son  bul.  Ajoutez  ((ue  la  plupart  des  au- 

•  De  Doct.  clirisl.,  lilj.  IV,  xi.if.  —  *  In  Driilo,  IIO. 


'^30  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

éditeurs  ne  peuvent  pas  comprendre  ces  longues  périodes,  ces 
■*  phrases  poétiques,  ces  métaphores  fréquentes  et  hardies,  ces  épi- 

*  thètes  entassées,  ces  mots  nouveaux  inventés  et  ces  vieux  mots 

*  rajeunis,  dont  cette  classe  de  prédicateurs  aime  à  farcir  ses  dis- 

*  cours,  et  ainsi  la  prédication  devient  inutile,  faute  d'être  comprise, 

*  Quand  même  on  la  comprendrait,  elle  ne  produirait  pas  de  fruit, 

*  parce  qu'étant  inspirée  par  un  esprit  tout  profane,  plutôt  acadé- 

*  mique  qu'évangélique,  elle  ne  laisse  aucune  impression  de  grâces 

*  dans  les  cœurs  ;  elle  perd  sa  vigueur  et  sa  mâle  énergie,  sa  no- 

*  blesse  et  sa  dignité.  Ce  n'est  plus  ce  glaive  de  la  parole  qui  pénètre 

*  jusque  dans  la  moelle  des  plus  secrètes  pensées  ;  les  riches  drape- 

*  ries  dont  on  recouvre  son  tranchant  empêchent  son  action  sur  leff 

*  âmes.  Puis,  parmi  les  auditeurs,  les  uns  se  scandalisent  de  cette 

*  vaine  ostentation  de  bien  dire,  de  ces  recherches  d'amour  propre 

*  mêlées  à  un  ministère  sacré  ;  les  autres  s'en  amusent,  écoutant  ces 

*  sortes  de  discours  sans  aucun  but  de  conversion,  comme  un  dis- 

*  cours  profane,  comme  un  concert  de  musique,  uniquement  pour 
"*  le  plaisir  des  sons,  selon  ce  que  disait  Dieu  à  Ézéchiel  :  Es  eis  qiuisi 

*  Carmen  muslcnm^;  et  au  sortir  de  là  on  s'écrie  :  Comme  il  a  bien 

*  parlé  !  comme  c'est  beau  !  mais  on  ne  songe  pas  même  à  réformer 
*sa  conduite  ;  on  s'occupe  du  prédicateur,  et  on  s'oublie  soi-même. 

*  Cest  un  feu  d'artifice  qui  éclaire,  amuse,  étonne  les  spectateurs, 

*  mais  qui  les  laisse  en  finissant  dans  la  plus  profonde  obscurité.  De 

*  là  le  discours  chrétien  devenu  comme  un  speclacle,  un  exercice 
■*  académique  où  l'on  va  pour  applaudir  ou  condamner,  et  non  pour 

*  devenir  meilleur,  où  l'on  cherche,  non  des  sermons  qui  portent  la 

*  componction,  mais  des  discours  qui  charment  par  l'harmonie  des' 

*  périodes;  de  là  les  peuples  gâtés  et  perdus,  dit  saint  Jean  Chrysos- 

*  tome^.  Il  y  a  plus,  c'est  que  ceux-là  même  (jui  écoulent  ces  sortes 

*  de  discours  avec  la  bonne- volonté  d'en  profiter  se  trouvent  comme' 

*  involontairement  distraits  à  chaque  instant  du  fond  des  choses  par 

*  les  fleurs  de  rhétorique  jetées  avec  profusion,  par  les  tours  spiri- 
*tuels,  les  mots  choisis  et  nouveaux,  et  autres  vains  ornements' 

*  qui  piquent  la  curiosité,  occupent  l'esprit  et  empêchent  qu'on  ne 

*  soit  touché  :  on  songe  à  la  parure  dont  la  vérité  est  ornée,  et  non 
*à  la  vérité  elle-même,  à  la  beauté  de  la  phrase,  à  la  richesse  d«  k- 

*  Txxiii,  32.  —  *  Subvertit  ecclesias,  quod  vos  nonquœritis  sermonem  qui  com- 
pungere  possit,  sed  quioblectet,  quasi  cantores  aitdienles:  et  idem  fit  ac  sipaler 
videns  piierum  xgrolum,  iUi  qusecnmquc  oblectent  porrigat  :  talem  non  dtxerim 
patrem.  Hom.  xxx,  in  Act.  apost. 


QIIALITKS  DE  LA  PREDICATION.  131 

*  période,  ot  iioi  i'iîx  choses  qu'elles  expriment  et  aux  fruits  qu'il 

*  faudrait  recueillir  :  la  forme  emporte  le  fond. 

*  DEUXIÈME    PaûPOSITiON. 

*  Le  prtdicaleiu'  ne  doit  point  chercher  à  pUihe  par  le  genre  romanliquc. 

*  Pour  bien  comprendre  le  sens  de  cette  proposition,  avant  d'on 

*  établir  les  preuves,  distinguons  deux  genres  d'éloquence,  le  clas- 

*  sique  el  le  romantique.  Le  classique  est  le  genre  qui  suit  les  règles 

*  dom-iées  par  les  grands  maîtres  dans  l'art  de  bien  dire,  Aristote, 

*  Cicéron,  Quintilien,  et  qui  a  pour  caractères  dislinctifs  des  plans 

*  bien  ordonnés  où  tout  se  suit  et  s'enchaîne,  des  explications  nettes, 

*  des  définitions  exactes,  des  preuves  solides,  une  marche  logique 

*  et  toujours  claire,  un  style  coulant  et  naturel,  des  expressions 

*  propres  et  sans  prétention,  des  mouvements  oratoires  bien  amenés 
■*  et  sagement  dirigés,  en  un  mot  la  manière  d'écrire  de  Massillon 
"*  ou  de  Fénelon,  de  la  Bruyère  ou  de  d'Aguesseau,  de  M.  Frayssi- 

*  nous  ou  de  M.  Mac  Carthy.  Le  genre  romantique,  au  contraire, 

*  tient  peu  de  compte  de  toutes  ces  choses  ;  il  n'entend  pas  s'as- 

*  treindre  à  un  ordre  régulier  de  raisonnements  et  de  pensées,  à  des 

*  explications  de  la  religion,  de  ses  mystères  et  de  ses  préceptes  :  il 

*  lui  semble  que  ce  serait  rétrécir  le  génie  et  le  lier  sous  les  bande- 

*  leltes  de  l'enfance,  que  de  l'enfermer  dans  les  règles  des  rhéteurs  : 

*  en  conséquence,  il  s'abandonne  aux  élans  de  l'imagination  oflran- 

*  chie  de  toutes  règles,  court  sous  sa  conduite  à  travers  son  sujet, 

*  entassant  pêle-mêle  toutes  sortes  de  raisons  et  de  moyens,  sans 

*  les  graduer  dans  ce  bel  ordre  qu'enseigne  la  rhétorique,  chargeant 

*  tout  ce  qu'il  dit  d'ornements,  d'images  et  de  grands  mots  jetés  à 

*  profusion  sans  discuter  sévèrement  leur  à-propos  et  leur  conve- 

*  nance.  Ce  sont  des  néologismes,  des  constructions  forcées,  des 

*  idées  vagues  et  sans  précision  ;  enfin  c'est  l'opposé  des  écrivains  du 

*  grand  siècle;  on  ne  veut  pas  parler  comme  eux,  avoir  comme  eux 

*  un  style  coulant  et  naturel  :  on  croirait  5'abaisser. 

*  Ces  notions  du  claspu[ne  et  du  romanliqrie  ainsi  précisées,  nous 
■*  établissons  que  le  prédicateur  ne  doit  point  cherciier  à  plaiie  par 

*  le  genre  romantique.  Nous  pourrions  nous  borner  ici  à  renvoyer 
■*  aux  preuves  développées  dans  la  question  piècédente:  nul  doute 

*  que  le  partisan  du  romaiitisiiie  qui  les  pèserait  devant  Dieu  avec 

*  un  cœur  droit,  n'y  reconnût  la  coudamnalion  de  ce  genre,  trop 

*  semblable  sous  plusieurs  rap|io!  ts  à  l'élégance  afi'eclée.  Mais  l'im- 


152  TRAITÉ  DE  LA  l'nÉniCATION. 

*  portance  de  la  matière  demandant  des  preuves  spéciales,  nous  di- 

*  sons  ((ue  le  genre  romantique  doit  être  réprouvé,  en  preniier  lieu, 

*  comme  iiiiiitelligible  à  la  masse  des  auditeurs  :  en  effet,  dans  nos 

*  auditoires,  dont  l'immense  majorité  se  compose  presque  toujours 

*  de  personnes  d'un  esprit  peu  cultivé  ou   tout  à  fait  inculte,  un 

*  discours  ne  peut  être  bien  compris  qu'autant  que  la  plus  grande 

*  clarté  règne  dans  l'expression,  la  netteté  !a  plus  parfaite  dans  la 

*  pensée,  une  sorte  de  limpidité  pure  dans  le  style  et  un  ordre  con- 

*  stant  dans  la  suite  des  idées  :  chose  très-difficile,  comine  nous 

*  l'avons  remarqué  ailleurs,  et  écueil  de  bien  des  prédicateurs.  Or  si 

*  ceux-là  même    qui  s'y  appliquent  n'y  réussissent   pas  toujours, 

*  combien  moins  y  réussira  le  prédicateur  romantique  qui  n'y  pense 

*  pas  même  et  que  la  nature  de  son  genre  en  éloigne?  Observez  tous 

*  ses  discours;  tantôt  c'est  un  mot  nouveau  dont  la  signification  est 

*  inconnue  aux  auditeurs,  tantôt  une  figure  gigantesque,  une  tour- 

*  nure  étrange,  une  tirade  entière  doBt  plusieurs  ne  saisissent  pas  le 

*  sens;  le  plus  souvent,  pour  ne  pas  dire  toujours,  c'est  le  discours 

*  entier  qui  est  pour  eux  une  énigme,  faute  de  clarté  dans  l'expres- 

*  sion,  d'ordre  dans  les  pensées  :  aussi  n'est-il  pas  rare  de  les  en- 

*  tendre  s'écrier,  au  sortir  de  ces  sortes  de  sermons  :  C'était  si  beau, 

*  si  relevé,  que  je  nai  pu  rien  y  comprendre  ;  ou  s'ils  n'ont  pas  la 

*  franchise  de  faire  cet  aveu,  il  suffirait  de  les  interroger  pour  s'as- 

*  surer  que  leur  intelligence  ne  remporte  rien  de  ce  genre  d'instruc- 

*  tion.  Ici  donc  s'applique  tout  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  ^  sur 

*  la  gravité  de  la  faute  que  commet  le  prédicateur  qui  n'adapte  pas 

*  son  discours  à  la  portée  des  auditeurs. 

*  2"  Le  genre  romantique,  lors  même  qu'il   se  rendrait  intelli- 

*  gible,  est  impropre  à  enseigner  la  religion  :  en  effet,  pour  bien 

*  l'enseigner,  il  faut  dans  le  discours  :  1°  un  fond  abondant  de  doc- 

*  trine  théologique  qui  donne  aux  fidèles  des  notions  complètes  sur 

*  nos  dogmes,  nos  mystères  et  les  préceptes   moraux  ou  positifs  ; 

*  2°  une  exactitude  rigoureuse  dans  l'énoncé  de  chaque  proposition  ^ 

*  T)»  des  explications  nettes  et  détaillées  qui  forcent  les  intelligences 

*  les  plus  bornées  à  comprendre  ;  4°  des  preuves  solides  de  tout  ce 

*  qu'on  avance  :  or,  tout  cela  est  peu  compatible  avec  le  genre  ro- 
*mantique.  Ce  serait  en  vain,  pour  l'ordinaire,  qu'on  chercherait 

*  dans  ces  sortes  de  discours  un  fond  abondant  de  doctrine  :  i'ima- 

*  gination,  avec  ses  grandes  figures,  ses  mouvements  exagérés,  y 

*  Art.  2,  §  1. 


QUALITES  DE  LA  PîîEr.I CATION.  153 

*  occupe  presque  toule  la  place,  à  ce  point  que,  si  on  les  dépouille 

*  de  tout  ce  qui  surcluirge  la  pensée  et  qu'on  les  soumette  à  l'ana- 

*  lyse,  on  Irouveia  que  le  fond  de  la  doctrine  se  réduit  presque  à 

*  rien,  et  que  ce  j^rand  bruit  de  paroles  est  vide  d'idées.  Ce  serait 

*  en  vain  qu'on  y  chercherait  l'exactitude  théologique  :  l'expérience 

*  démonti'e  que  le  plus  souvent  l'imagination  emporte  l'orateur  ro- 

*  mantique  et  ne  lui  laisse  pas  le  calme  et  la  maturité  de  réflexion 
■*  nécessaire  pour  ne  rien  dire  d'inexact,  et  peser  sévèrement  toutes 

*  ses  propositions  et  toutes  ses  pai'oies.  On  y  trouverait  encore  moins 

*  les  explications  nettes  et  détaillées  propres  à  faire  comprendre  la 

*  religion  à  ceux  qui  ne  la  connaissent  pas  :  Torateur  romantique  ne 

*  descend  point  à  ces  menus  détails  qui  lui  semblent  trop  froids 

*  pour  son  imagination,  trop  petits  pour  qu'il  y  concentre  l'ardeur 

*  impétueuse  de  son  génie  avide  de  s'élancer  dans  le  grand  et  de 

*  produire  effet.  Enfin  on  n'y  trouvera  pas  plus  les  preuves  solides  : 

*  pour  bien  prouver,  il  faut  peser  la  valeur  de  chaque  raison  avec 

*  un  grand  calme  de  réflexion,  les  disposer  ensuite  avec  ordre  et 

*  méthode,  et  enfin  les  développer  avec  une  parfaite  lucidité  de  style  : 

*  tel  est  le  caractère  des  Conférences  de  M.  Frayssinous,  et  voilà 

*  pourquoi  elles  satisfont  si  pleinement  l'esprit  ;  mais  tout  cela  est 

*  évidemment  opposé  à  la  nature  du  genre  romantique,  d'où  il  suit 

*  que  si  ce  genre  finissait  par  prévaloir  dans  la  chaire,  la  science  de 

*  la  religion  périrait  et  la  foi  s'éteindrait  dans  tous  les  cœurs. 

*  o"  Le  genre  romantique  est  impropre  à  convertir  et  sanctifier  les 

*  âmes.  Les  discours  propres  à  cette  fin  sont  ceux  qui  parliMit  dun 

*  ca;ur  touché  de  Dieu,   et  pénétré  j>ar  une  fervente  niéditalion, 

*  qui  allient  Toiiction  de  sa  piété  avec  l'exposé  lucide  des  principes 

*  d'une  conversion  et  d'une  vertu  solides,  et  toutes  les  saintes  iii- 

*  dusti'ies  propres  à  gagner  le  cœur  à  Dieu.  Or,  dans  le  discours  ro- 

*  mantique  011  ne  trouve  tien  de  semblable  :  là,  ce  n'es!  pas  ii;  coMir 

*  touché  de  Dieu,  mais  l'imagination  exaltée  qui  inspire  la  parole  ;  ce 
■*  n'est  pas  l'espiil  divin  qu'on  consulte  dans  la  méditation,  c'est  une 

*  ardeur  tout  liuiiiaine  dont  ou  cluu'che  à  s'enflammer;  ce  n'est  pas 

*  l'onction  de  la  piété  (jui  sanctifie  le  langage  et  le  fait  entrer  dans  le 

*  cœur,  c'est  la  véhémence  des  mots  et  fies  figures  (pii  ne  tend  qu'à 

*  frapper  et  saisir  l'imagination.  l'IiiMu,  le  discours  loniantique  est 

*  vide  des  principes  de  la  vraie  et  solide  piété,  et  on  n'y  r(;connait 

*  pas  cette  étude  du  cœur  humain  cl  des  moyens  par  lesquels  on  le 

*  gagne,  des  ressorts  par  lesquels  on  le  meut.  Tout  l'effel  que  peuvent 

*  produin^  les  prédicalionéi  romani i(pi(^s  est  donc  de  séduire  les  inia- 


15'i  îilAITÈ  DE  LA  PUÉDICATION. 

*  giaations  ardentes  et  d'eulraîner    ainsi  la  foule.  On  est  content 

*  d'avoir  entendu  autre  chose  qu'un  sermon,  d'avoir  écouté  un  beau 

*  diseur  qui  a  amusé  l'imagination  ;  mais  on  ne  songe  pas  à  se  con- 
*vertir;  ou  si  parfois  il  en  résulte  quelques  conversions,  elles  du- 

*  rcnl  peu,   parce  que  le  prédicateur  n'a  pas  posé  les  principes 

*  solides  qui  les  rendent  durables. 

*  ¥  Le  genre  romantique  est  contraire  aux  principes  de  la  saine 

*  éloquence.  En  effet,  le  bon  goût,  comme  le  bon  sens,  prescrit  à 

*  notre  langue,  plus  encore  qu'à  toute  autre,  la  clarté  dans  Te.vpres- 

*  sion,  la  netteté  dans  le  style,  et  ne  lui  permet  d'être  hardie  qu'à 

*  condition  d'être  correcte,  dètre  gracieuse  dans  sa  marche  qu'à 

*  condition  d'être  facile,  de  revêtir  toutes  les  formes  qu'à  condition 

*  qu'elles  seront  naturelles,   de  prendre   tous  les  ornemenis  qu'à 

*  condition  qu'ils  seront  vrais.  Le  bon  goût,  comme  le  bon  sens,  de- 

*  mande  encore  dans  l'orateur  cette  raison  judicieuse  qui  dirige  ses 

*  conceptions  vers  un  but  unique,  qui  coordonne,  d'après  un  plan 

*  a^Têlé,  les  diverses  parties  d'une  composition  et  en  fait  un  tout  ré_ 

*  gulier,  cette  force  calme  qui,  réglant  les  écarts  de  l'imagination, 

*  se  modère  elle-même,  gradue  habilement  ses  moyens  et  les  fait 

*  tous  converger  vers  une  impression  unique  et  profonde  qu'elle  a 

*  dessein  de  produire  :  tout  ce  qui  s'écarte  de  là  sort  des  vrais  prin- 

*  cipes.  Or  tout  cela  reste  à  désirer  dans  le  genre  romantique;  vous 

*  y  trouvez  des  élans  désordonnés  de  l'imagination,  des  ornements 

*  ambitieux,  de  bizarres  alliances  de  mots,  des  acceptions  étranges 

*  de  termes,  des  images  incohérentes,  la  confusion  et  le  désordre 

*  dans  la  marche  du  discours. 

*  5"  Enfin  le  genre  romantique  est  condamné  par  les  autorités  les 

*  plus  compétentes   en  littérature  et  en  religion.  Les  romantiques 

*  font  profession  de  ne  plus  vouloir  des  règles  tracées  par  tous  les 

*  grands  maîtres  dans  l'art  de  bien  dire.  Mais  parler  ainsi,  c'est  pro- 

*  noncer  soi-même  sa  condamnation.  Car  des  règles  qui,  dans  tous 
'  les  temps,  ont  obtenu  l'as.'^entiment  général,  sont  évidemment  la 

*  voix  de  la  raison  et  de  la  vérité;  prétendre  s'en  affranchir,  c'est 

*  s'inscrire  en  faux  contre  le  témoignage  de  tous  les  siècles,  et  pré- 

*  férer  son  opinion  au  jugement  de  tous  les  hommes  qui  ont  honoré 

*  l'humanité  par  la  puissance  de  leur  génie  et  l'étendue  de  leur  intel- 

*  iigence.  Il  est  vrai  que  quelques  écrivains  romantiques,  Ossian, 

*  Shakespeare,  Young,  Schiller,  Gœthe,  lordByron,  Victor  Hugo,  ne 

*  sont  pas  sans  beautés;  mais  à  côté  de  ces  traits  de  génie,  que  de 

*  choses  étranges  et  bizarres  qui  avertissent  l'homme  de  goût  que  ce 


QUALITÉS  DE  LA  PREDICATION  135 

*  ne  sont  pas  là  les  vrais  maîtres  à  suivre  !  El  que  sont,  d'ailleurs,  ces 

*  novateurs  en  littérature  près  de  cette  foule  de  beaux  génies  qui  ont 

*  illustré  les  siècles  de  Périclès,  d'Auguste  et  de  Louis  Xl-Y?  Que 
*vaut  leur  autorité  près  de  celle  de  Longin,  de  Cicéron,  d'Horace, 

*  de  Quintilien  ;  et  dans  nos  temps  modernes,  de  Boileau  et  de  Féne- 

*  Ion  ;  près  de  tous  les  siècles  enfin  ?  Si  à  ces  autorités  littéraires  nous 

*  voulions  joindre  les  autorités  religieuses,  nous  dirions  à  ces  parti- 

*  sans  du  romantisme  :  Est-ce  ainsi  qu'a  prêché  Jésus-Christ,  qu'ont 

*  prêché  les  apôtres  et  tous  les  hommes  apostoliques?  Est-ce  là  l'élo- 

*  quence  grave  et  austère  des  Basile  et  des  Chrysostome,  des  Am- 
*broise  et  des  Augustin?  Et  comment  pouvez-vous  espérer  faire  le 

*  bien  dans  l'Église  de  Dieu  avec  un  genre  opposé  à  celui  qu'ont 

*  employé  tous  les  saints? 

*  Mais,  dira-t-on  peut-être,  il  faut  approprier  la  prédication  au 

*  goût  des  temps  où  l'on  vit,  et  attirer  par  l'appât  d'un  genre  qui 

*  plaît  tous  les  mécréants  à  l'église  pour  les  y  prendre  au  filet  de  la 

*  divine  parole.  —  Nous  répondrons  à  cela  :  1°  qu'on  peut  attirer 

*  les  auditeurs  autour  de  la  chaire  chrétienne  sans  recourir  à  ce 

*  mauvais  genre.  Le  feu  sacré  du  bon  goût  ne  s'éteint  jamais  enîiè- 

*  rement  dans  la  société;  la  foule  peut  applaudir  quelque  temps  au 

*  mauvais  genre  comme  à  une  mode  qui  passe  ;  mais  lorsque  le  bon 

*  goût  lui  apparaît  dans  toute  sa  beauté  native,  elle  ne  peut  en  au- 

*  cun  temps  lui  refuser  son  approbation,  elle  admire  par  instinct  ;  et 

*  les  Frayssinous  et  les  Mac  Carthy,  ces  orateurs  au  goût  si  pur  et  si 

*  classique,  en  sont  une  preuve  éclatante.  2"  Il  est  inutile  d'attirer 

*  ta  foule  à  l'église  si  l'on  ne  l'instruit  de  la  religion,  si  l'on  ne  la 

*  dispose  au  moins  à  se  convertir.  Or  ces  discours  romantiques  n'in- 

*  struispnl  ni  ne  disposent  à  une  conversion  solide. 

*  Mais,  dira-t-on  peut-être  encore,  vous  voulez  donc  bannir  de  la 

*  chaire  l'imagination  et  les  grands  mouvements  de  l'éloquence?  — 

*  Non,  certes;  nous  voulons  seulement  qu'on  réprime  les  écarts  de 

*  l'imagination,  qu'on  respecte  la  langue  et  le  bon  goût,  qu'on  s'en 

*  tienne  aux  règles  qu'ont  suivies  les  Cicéron,  les  Dôinosthènes,  les 

*  Massillon,  sans  sacrifier  pour  cela  les  ressources  que  l'imaginaliou 

*  bien  dirigée  fournit  à  l'éloquence. 


i36  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 


TROISIEME   PUOPOSniON. 


Le  pn'iiicateiir  doit,  en  vue  de  convertir,  embellir  la  parole  sainle  des  charinea  delà 
vraie  et  solide  éloquence,  de  manière  qu'elle  plaise  aux  auditeurs'. 

Pour  avoir  la  prouve  de  cette  assertion,  il  suffit  d'étuditr  le  cœur 
humain, d'examinerce  que  demande  le  respect  dû  à  la  parole  de  Dieu, 
de  voir  ce  qu'ont  pensé  et  ce  qu'ont  pratiqué  à  ce  sujet  les  plus 
saints  prédicateurs  de  l'antiquité. 

Etudions  d'abord  le  cœur  humain  :  nous  y  trouverons  une  secrète 
et  involontaire  estime  pour  l'homme  éloquent,  laquelle  captive  l'at- 
tention, éveille  l'intérêt,  suspend  tout  un  auditoire  à  la  bouche  de 
l'orateur  qui  excelle  dans  son  art,  et  au  contraire,  un  dégoût  naturel 
pour  celui  qui  parle  mal  ou  débite  mal  ;  nous  y  trouverons  un  fond 
d'amour-propre  qui,  flatté  des  égards  qu'on  lui  témoigne  en  ne  lui 
parlant  qu'avec  correction  et  grâce,  dispose  à  mieux  écouter  ;  nous 
y  trouverons  l'attrait  du  plaisir  qui  ne  veut  prêter  attention  qu'au- 
tant que  cela  amuse,  et  détourne  sa  pensée  si  on  l'ennuie.  Cela  est 
mal  sans  doute,  mais  tel  est  l'homme,  et  il  faut  bien  l'accepter  et  le 
prendre  tel  qu'il  est  :  par  conséquent,  il  faut  lui  plaire  pour  s'en 
faire  écouter,  lui  plaire  pour  l'instruire  et  le  convaincre.  II  est 
même  difficile  de  le  toucher  sans  lui  plaire,  parce  que,  le  pathéti- 
que ne  pouvant  régner  que  par  intervalles,  celui  qui  ne  s'applique- 
rait pas  suffisamment  à  plaire  dans  le  corps  du  discours  risquerait 
ou  de  paralyser  d'avance,  ou  de  détruire  postérieurement  l'effet 
qu'il  pourrait  produire  en  s'adressant  aux  passions.  Aussi  Platon, 
malgré  la  sévérité  avec  laquelle  il  traite  la  rhétorique  dans  son  Gor- 
gias,  recommandait  à  Xénocrates  de  sacrifier  aux  Grâces,  et  disait  à 
Dion  que  plaire  aux  hommes  était  l'indispensable  condition  de  tout 
succès^.  Aristote  de  même  enseignait  que,  par  suite  dc&  mauvaises 
dispositions  et  de  l'infirmité  de  l'auditeur'^,  l'expression  ou  la  forme 
n'est  indifférente  dans  aucun  genre  d'enseignement;  que  telle  chose 
sera  comprise  et  goûtée,  si  vous  la  présentez  d'une  certaine  manière, 
qui  ne  le  serait  pas,  présentée  d'une  autre. 

Mais  si  ces  observations  sont  justes  par  rapport  aux  discours  profa- 
nes, elles  le  sont  bien  plus  dans  la  prédication,  où  il  s'agit  défaire 
goûter  aux  hommes  des  vérités  qui  leur  nnposent  des  devoirs  péni- 

*  V.  Rollin,  Traité  des  Éludes,  t.  II.  — *  iv«  lettre.  —  '  Atx  tv^  toû  àz/;o«Tou 
/t(jx''''P'«^  ^oJi^  tout  le  passage,  1II«  livre  de  sa  Rhétorique,  cli.  i,  p.  142  et  445 
de  l'édition  et  excellente  traduction  de  M.  E.  Gros.  Paris,  in -S",  1822. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  137 

bles.  Les  mauvaises  dispositions  dont  parle  Aristole  s'augmentent 
alors  de  toute  la  grandeur  des  sacrifices  à  faire,  et  le  cœur  effrayé 
cherche  tous  les  moyens  de  ne  pas  se  laisser  persuader  ;  il  essaye 
de  se  prendre  à  tous  les  mots  pour  ne  pas  être  accablé  par  les 
choses,  de  trouver  matière  à  critique  pour  se  distraire  de  ce  qui 
pourrait  le  convaincre  ou  le  toucher  ;  et  l'esprit,  facilement  dupe  du 
cœur,  ne  sent  pas  la  force  des  preuves  les  plus  solides  ;  ou  si  l'évi- 
dence des  raisons  emporte  la  conviction  comme  de  vive  force,  la 
lâcheté  arrête  la  détermination  de  la  volonté,  et  on  ne  fait  pas  le 
bien  qu'on  voit  clairement  qu'il  faudrait  faire  :  Video  meliora  pro- 
hoque,deleriora  sequor.  Or,  pour  faire  goûter  les  vérités  évangéliques 
à  un  cœur  ainsi  disposé,  ce  n'est  pas  trop  de  tous  les  charmes  de  la 
vraie  et  solide  éloquence,  de  toutes  ses  industries  et  de  toutes  ses 
ressources  ;  il  faut  que  la  doctrine,  si  elle  est  rude  par  elle-même, 
soît  au  moins  aimable  dans  sa  parure  et  dans  sa  manière  de  se  pré- 
senter, que  la  forme  fasse  passer  le  fond,  et  que  l'esprit  satisfait 
ouvre  à  la  vérité  la  porte  du  cœur.  Hélas  !  à  peine  encore  alors  se 
laissera-t-on  gagner  ;  que  serait-ce  donc  si  le  discours  était  sec  et 
sans  agrément?  11  est  vrai  que  certains  auditeurs  bien  disposés  peu- 
vent quelquefois  accueillir  avec  bienveillance  tout  ce  qu'on  leur  dit, 
de  quelque  manière  qu'on  le  leur  dise,  parce  qu'ils  s'attachent  uni- 
quement au  fond  des  choses  ;  mais  ce  sont  là  de  rares  exceptions. 
L'expérience  et  la  moindre  connaissance  du  cœur  humain  démon- 
trent que  la  plupart  ont  besoin  d'être  gagnés  par  des  formes  insi- 
nuantes, attirés  par  l'amorce  du  plaisir  :  llliim  qui  est  delectatione  af- 
fectus,  facile  qiiô  volueris  duces,  dit  saint  Augustin  ;  nemo  flectituî'  si 
molesté  audit  ^  Pour  que  les  auditeurs  écoutent  avec  fruit,  dit  en- 
core le  même  Père,  il  faut  qu'ils  écoutent  volontiers,  Hbenter.  Or 
coirnnent  écouteront-ils  volontiers,  si  l'on  ne  leur  parle  d'une  ma- 
nière intéressante  et  avec  une  certaine  grâce  :  Qiiis  eum  velit  audirCy 
nisi  auditorem  nonmiUâ  suavitate  detineat^?  On  n'arrive  donc  au 
cœur  que  par  l'esprit,  et  pour  remuer  l'un,  il  faut  plaire  à  l'autre'. 
N'y  outil  d'ailleurs  que  les  égards  dus  à  la  parole  sainte,  c'en  se- 
rait assez  pour  faire  au  prédicateur  une  loi  de  ne  point  négliger  les 
ornements  de  la  vraie  et  solide  éloquence.  Car  si  le  respect  dû  au 
corps  eucharistique  de  Jésus-Christ  a  fait  penser  à  tous  les  siècles 

1  DcDoct.  clirist  ,  lib.  IV,  xxv.  — *  De  Doct.  christ.,  i.vi.  —  *  Yiue  prwct'ijta, 
(lit  Qiiintilioii,  etlamsi  natitrâ  suiit  lioitcsta.  plks  tawen  ad  forinaitilas  iiieiilts  ua- 
li.nl,  quoties  pnlcltriludint m  rtrum  cliirilas  orationis  itliiiitiiial.  Ouiiit.,   lib.  II, 

C.   XVII. 


138  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

qu'on  ne  pouvait  faire  un  plus  digne  usage  de  l'or  et  des  pierreries 
que  de  les  employer  aux  vases  destinés  à  le  contenir,  le  respect  dû 
à  sa  parole,  qui  selon  saint  Augustin,  n'est  pas  moins  vénérable  que 
son  corps,  doit  nous  porter  aussi  à  employer  pour  elle  tout  ce  que 
le  langage  humain  a  de  plus  parfait  ;  et  comme  celui-là  serait  très- 
coupable  qui  déposerait  le  corps  du  Sauveur  dans  des  vases  vils  et 
ignobles,  celui-là  ne  l'est  pas  moins  qui,  par  sa  négligence,  avilis- 
sant celte  divine  parole  aux  yeux  des  peuples,  la  leur  présente  sous 
«ne  forme  désagréable,  dépourvue  des  ornements  propres  à  la  faire 
aimer  et  respecter.  Quelle  irrévérence,  d'ailleurs,  ne  serait-ce  pas 
envers  la  parole  sainte,  si  les  prêtres  avaient  moins  de  zèle  pour  la 
traiter  avec  honneur  que  n'en  ont  les  hommes  du  monde  pour  trai- 
ter dignement  la  parole  humaine?  Or,  que  l'on  voie  au  barreau,  à  la 
tribune,  dans  les  feuilles  publiques,  au  théâtre,  comment  toutes  les 
ressources  de  l'art  sont  mises  en  jeu  pour  donner  de  l'intérêt  à  la 
parole  humaine  et  remporter  par  elle  des  victoires.  Les  orateurs  ont 
un  langage  pur,  brillant  et  énergique,  les  écrivains  composent  de 
belles  pages,  les  acteurs  pàUssent  sur  les  hvres,  sacrifient  ^'ur  re- 
pos, n'épargnent  rien  pour  bien  savoir  et  bien  débiter  leur  rôk\.  ne 
se  pardonnent  pas  un  ton  de  voix  faux,  un  geste  déplacé  :  et  ne  ^^.x»- 
rait-ce  pas  une  chose  honteuse  que  tandis  qu'une  parole  de  fiction 
et  de  mensonge  est  maniée  avec  tant  d'adresse,  la  parole  de  Dieu  fût 
traitée  négligemment,  présentée  dans  un  style  bas,  rampant  et  tri- 
vial, débitée  froidement  et  maladroitement? 

Aussi  les  plus  saints  pi'édicateurs  nous  ont  donné  en  cette  matière 
et  l'exemple  et  le  précepte.  Un  des  auteurs  qui  ont  le  mieux  étudié 
la  tradition  sur  ce  point,  le  savant  Thomassin  ^,  pense  que  pendant 
les  trois  ou  quatre  premiers  siècles,  la  plupart  des  évêques  et  des 
prêtres,  jugeant  les  ressources  de  l'art  suffisamment  remplacées 
par  le  don  des  miracles,  alors  si  commun,  se  contentaient  de  faire 
des  instructions  familières  dans  le  genre  le  plus  simple,  et  de  ver- 
ser, de  la  plénitude  d'un  cœur  rempU  du  Saint-Esprit,  les  paroles 
de  lumière  et  de  grâce  qu'ils  avaient  puisées  dans  l'oraison;  mais 
il  ajoute  que,  le  don  des  miracles  étant  devenu  rare,  les  plus  saints 
évêques  crurent  devoir  y  suppléer  par  les  ressources  de  Tart,  et  vi- 
rent dans  ce  moyen  nouveau  un  auxiUaire  puissant  pour  gagner  les 
âmes  de  Dieu.  C'est  ce  que  nous  remarquons,  en  effet,  chez  les  Pè- 
res grecs  et  les  Pères  latins.  Chez  les  Pères  grecs  nous  voyons  saint 

*  Ancienne  et  Nouvelle  Discipline,  1. 11^  liv  III,  c.  Lxxxm. 


QUALITÉS  DE  LA  l'RÉDlCATiON.  159 

Grégoire  de  Nazianze,  d'ailleurs  si  plein  de  mépris  pour  l'arrange- 
ment des  paroles  et  les  vaines  délicatesses  du  langage  qui  ne  servent 
qu'à  flatter  l'oreille,  professer  la  plus  haute  estime  pour  tout  ce  que 
la  solide  éloquence  peut  avoir  d'utile.  11  nous  apprend  dans  son 
troisième  discours  que,  pour  acquérir  le  talent  de  la  parole,  il  avait 
voyagé  sur  terre  et  sur  mer;  et  «.  je  ne  me  repens  point,  dit-il,  des 
«  peines  et  des  fatigues  au  prixdesquclle.s  j'ai  acheté  un  talent  si  utile; 
<■  je  désirerais  en  posséder  toute  la  force...  J'ai  tout  abandonné  pour 
«  Dieu,  dit-il  ailleurs';  c'est  là  le  seul  de  tous  les  biens  qui  me  soit 
«  resté...  Je  m'attache  uniquement  à  l'art  de  parler,  j'en  fais  mon 
«  partage  et  je  ne  l'abandonnerai  jamais.  »  Dans  un  autre  discours^, 
il  dit  qu'il  s'est  formé  à  l'éloquence  par  l'étude  des  auteurs  profanes, 
mais  qu'il  a  ennobli  ces  premières  connaissances  par  la  lecture  des 
fivres  sacrés  et  par  le  bois  vivifiant  de  la  croix,  lequel  leur  a  ôté  ce 
qu'elles  avaient  d'amertume  :  et  il  ajoute  qu'il  ne  partage  pas  le 
sentiment  de  ceux  qui  veulent  qu'on  se  contente  d'un  discours  sec, 
sans  ornement,  sans  élévation,  et  qui,  couvrant  leur  paresse  ou  leur 
ignorance  par  un  mépris  dédaigneux  des  règles,  prétendent  en  cela 
imiter  les  Apôtres,  sans  considérer  que  les  miracles  et  les  prodiges 
leur  tenaient  lieu  d'éloquence.  Saint  Basile,  contemporain  et  ami  de 
saint  Grégoire,  s'appliqua  comme  lui  à  l'art  de  bien  dire  ;  et,  dans 
la  chaire  de  Césarée,  il  déploya  toutes  les  ressources  de  l'art  qui  lui 
avait  valu  auparavant  tant  de  succès  au  barreau.  Un  peu  après  ces 
deux  grands  hommes,  parut  saint  Chrysostome,  qui,  non  content  de 
cultiver  l'éloquence,  enseigna  comme  un  principe  incontestable, 
dans  son  beau  Traité  du  Sacerdoce,  que  le  devoir  d'un  pasteur  est 
d'acquérir  le  talent  de  la  parole  au  plus  haut  degré  dont  la  nature 
l'a  fait  capable^,  parce  que  c  est  de  là  que  dépend  le  salut  de  1p  '7lu- 
part  des  âmes  qui  lui  sont  confiées  ;  d'où  il  infère  combien  se  iro'n- 
penl  les  pasteurs  qui,  n'ayant  ni  les  vei  tus  de  saint  Paul  ni  le  don 
des  miracles,  négligent  le  secours  de  l'éloquence  que  le  grand  Apô- 
tre lui-même  n'a  pas  dédaigné.  Et  la  même  doctrine  se  retrouve 
chez  les  Pères  latins.  Saint  Ambroise,  dans  le  livre  I"  de  ses  Offices*, 
enseigne  que  le  discours  de  l'orateur  chrétien,  tout  en  rejetant  l'é- 
légance  affectée,  doit  conserver  de  l'aménité  et  de  la  grâce  :  Non 
affectatâ  elegantiâ,  sed  non  inlermissd  gratta,  et  il  observait  lui-même 
admirablement  ce  principe  :  car,  au  témoignage  de  saint  Augustin"', 

*  Disc,  xii.  —  *  Disc,  xivii.  —  ^  lY"  et  Y"  livre.  \pr,  tov  lifjza  tzû.-jtx  iroisf» 
vnkp  TOÛ  TaÙT>)v  xr/jTaTÔat    t)7v  ijyyv.  —  *  G.  xxii.   —  ^  Coiifess.,  lib.  Y,  c.    xiu 

et  XIV. 


1*0  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

il  prêchait  avec  tant  de  grâce  et  de  charme,  que  les  auditeurs  en 
étaient  comme  dans  une  sainte  ivresse,  ravis  et  transportés,  hors 
d'eux-mêmes.  «  l'eut-être,  dit  saint  Augustin,  je  ne  me  serais  jamais 
«  converti  si  je  n'eusse  été  attiré  aux  instructior.s  par  l'éloquence 
«  d'Ambroise.  Car  je  cherchais  beaucoup  moins  le  fond  des  choses 
«  que  la  manière  dont  il  les  disait.  Mais  la  vérité  que  j'estimais  si 
«  peu  entrait  dans  mon  esprit  avec  les  agréments  du  discours  que 
V  je  cherchais  uniquement.  Il  n'était  pas  en  mon  pouvoir  de  séparer 
«  ces  deux  choses,  et  tandis  que  je  croyais  n'ouvrir  mon  cœur  qu'à 
«  la  beauté  de  la  diction,  la  vérité  y  entrait  en  même  temps  et  se 
«  rendait  maîtresse  de  mon  esprit.  »  A  l'exemple  de  saint  Ambroise, 
saint  Augustin  employait  en  chaire  toutes  les  ressources  de  l'élo- 
quence, et  recommandait  aux  prédicateurs  de  les  cultiver,  par  cette 
raison,  disait-il,  qu'il  en  est  de  la  parole  comme  de  la  nourriture  : 
l'une  et  l'autre  doivent  être  assaisonnées  pour  être  reçues  avec  plai- 
sir et  par  conséquent  avec  fruit  ;  la  déUcalesse  des  hommes  l'exige, 
et  il  faut  donner  quelque  chose  à  leur  goût.  Sans  doute,  ajoule-t-il,  ce 
serait  beaucoup  mieux  de  n'aimer  dans  les  mots  que  les  choses, 
mais  cette  qualité  est  rare,  et  si  l'on  montre  la  vérité  nue  et  sans 
grâce,  on  touchera  peu  de  personnes^  C'est  dans  celte  vue  que  le 
grand  docteur  a  composé  son  IV«  livre  de  la  Doctrine  chrétienne, 
oîi,  traçant  d'une  main  habile  les  régies  de  la  prédication,  il  ne  fait 
qu'appliquer  à  l'orateur  chrétien  les  principes  que  les  anciens  rhé- 
teurs, et  surtout  Âristote  et  Cicéron  avaient  enseignés  pour  l'ora- 
teur en  général.  Saint  Jérôme  développe  la  même  doctrine  dans  sa 
lettre  à  l'orateur  Magnus,  et  là  il  fait  un  long  dénombrement  des 
écrivains  sacrés  et  d'autres  ecclésiastiques  qui  ont  employé  l'élo- 
quence humaine  à  la  défense  du  christianisme,  faisant  remarquer 
en  particulier  que  saint  Paul  a  cité  les  poètes  grecs  pour  établir 
sa  doctrine,  parce  que,  dit  le  saint  docteur,  il  avait  appris  de  David 
à  arracher  à  ses  ennemis  leurs  propres  armes  pour  les  battre  et  à 
couper  la  tête  de  Goliath  avec  sa  propre  épée. 

Il  demeure  donc  démontré  que  l'orateur  chrétien  doit  chercher 
à  plaire,  non  pas  précisément  pour  plaire,  mais  pour  faire  goûter 
la  vérité  aux  hommes,  et  par  cet  innocent  appât  les  engager  à  en 
accepter  plus  volontiers  les  divins  enseignements,  à  en  pratiquer 
plus  fidèlement  les  salutaires  leçons.  Ornatu  non  jactanter,  sed 
prudenter  utamur,  non  ejus  fine  contenti  quo  delectatur  auditor,  sed 

^  De  Doct    christ.,  lib.  IV,  xxvi. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  î il 

hoc  potiùs  aijentes  ut  ipse  ad  bomim  quod  persuadere  volumus,  adjii- 
vetiir'-.  El  voilà  pourquoi  TEsprit-Saint  nous  dit  que  la  langue  des 
sages  embellit  ce  qu'ils  savent,  et  que  le  charme  de  leurs  dis- 
cours est  doux  à  l'âme  comme  un  rayon  de  miel  à  la  bouche  : 
Lingua  sapientiiim  ornât  scientiam^.  Favus  mellis  composita 
verba'". 

*  Si  l'on  nous  objecte  la  simpliché  du  langage  des  écrivains  sa- 

*  crés,  nous  répondrons,  1°  que  le  don  des  miracles  et  une  émi- 

*  nente  sainteté  leur  suffisant  pour  convertir  les  peuples,  ils  pou- 

*  valent  se  dispenser  d'une  ressource  qui  nous  est  nécessaire  à  nous 

*  qui  n'avons  point  les  mêmes  moyens  de  conversion.  Nous  répon- 

*  drons,  2°  que  le  langage  simple  et  calme  des  évangélistes  en  ra- 

*  contant  les  mystères  les  plus  propres  à  émouvoir,  est  quelque 

*  chose  de  surhumain,  impossible  à  l'homme  sans  un  secours  ex- 

*  traordinaire,  tel  que  l'inspiration,  et  qu'ainsi,  tenter  de  parler, 

*  par  exemple,  de  la  passion  de  Jésus-Christ  avec  la  simplicité  des 

*  évangélistes,  c'est  tenter  Dieu,  c'est  s'exposer  à  parler  d'une  ma- 

*  niére  opposée  à  la  nature  et  par  conséquent  ridicule.  Nous  répon- 

*  drons,  3"  que,  dans  l'Écriture  sainte,  à  côté  des  pages  écrites  avec 

*  une  simplicité  surhumaine,  se  trouvent  encore  des  modèles  ache- 

*  vés  de  tous  les  genres  d'éloquence  qui  ont  étonné  les  littérateurs 

*  anciens  et  modernes  ;  nous  aurons  occasion  de  le  démontrer  plus 

*  tard.  Si,  dans  tous  les  livres  saints,  l'art  ne  paraît  point,  ce  n'est 

*  pas  qu'il  y  manque,  dit  saint  Augustin'^;  c'est  que  les  auteurs  ne 

*  s'occupent  pas  à  le  démontrer,  non  quià  non  habent,  sed  quià  non 

*  ostentant,  c'est  qu1ls  ont  atteint  la  perfection  de  l'art,  laquelle 

*  consiste  à  donner  aux  plus  beaux  ornements  du  discours  tant  de 

*  naturel  qu'on  n'y  soupçonne  pas  l'art  ^.  Il  est  vrai  que  saint  Paul 

*  s'appelle  imperitus  sermone;  mais  cela  ne  veut  pas  dire  qu'il  fût 

*  ignorant  dans  l'art  de  défendre  la  vérité  avec  adresse  :  car  il  ajoute 

*  aussitôt  après  :  sed  non  scientiâ,  et  nous  montrerons  plus  tard  qu'il 

*  a  réuni  au  plus  haut  degré  toutes  les  qualités  qui  font  le  grand 

*  orateur.  C'est  donc  ou  une  concession  gratuite  qu'il  fait  par  nio- 

*  destie  à  ses  adversaires,  ou  parce  que,  originaire  de  Tarse,  il  ne 

*  parlait  que  le  grec  corrompu  des  Juifs  hellénistes,  et  savait  assez 

*  mal  cette  langue. 

*  Si  on  nous  objecte  encore  que  vouloir  convertir  par  les  moyens 

«  De  Docl.  clirist.,  lib.  IV,  xxv.  —  -  Piov.,  .w,  '2.  —  ^  lb:d.,  xvi,  U.  —  *  »e 
Docl.  christ.,  11. 10  et  14.  —  "  Deshiit  ors  esse,  si  apparet,  dit  Qxiintilicn,  lib.  IV, 
c.  II,  firrf  fiiiem. 


142  TRAirÉ  DE  LA    PliKOlCATlON. 

*  Ininiains,  on    s'adrossanf   à   l'imagination  et  anx  passions,  c'est 

*  anéantir  la  croix  de  Jésus-Christ,  lui  dérober  sa  gloire,  et  employer 

*  des  moyens  de  succès  indignes  d'un  orateur  chrétien,  nous  répon- 
*drons;-1"  que,  quoique  la  conversion  des  âmes  soit  l'ouvrage  de 

*  l'Espril-Saiiit,  l'homme,  étant  l'instrument  dont  cet  Esprit  divin  se 

*  sert  pour  l'opérer,  doit  faire  tout  ce  qui  dépend  de  lui  pour  aider 

*  son  action  :  Dei  enim  sumiis  adjutores;  et  comme  on  ne  laisse  pas 

*  d'employer  Ich  remèdes  que  prescrit  la  médecine,  quoique  leur 

*  effet  dépende  uniquement  de  Dieu,  ainsi  on  doit  mettre  en  œuvre 
*tous  les  moyens  de  l'éloquence,  quoique  la  parole  de  l'homme 

*  n'ait  d'effet  qu  autant  que  la  grâce  touche  les  cœurs.  Nous  répon- 

*  drons,  2°  que  l'miagination  et  les  passions  sont  des  dons  excellents 

*  du  Créateur,  qui,   employés  selon  ses  vues,  peuvent  servir  à  sa 

*  gloire  et  à  notre  perfection.  Notre-Seigneur  ne  s'adressail-il  pas  à 

*  l'imagination,    celte  faculté    que  nous   avons  de  concevoir  les 

*  choses  sous  des  images  sensibles,  lorsqu'il  mêlait  dans  ses  discours 

*  tant  de  paraboles,  d'images  et  de  figures?  N'a-t-il  pas  éprouvé  lui- 

*  même  les  passions,  ces  mouvements  de  l'âme  qui  se  porte  avec 

*  ardeur  vers  quelque  ol)jet?  11  a  pleuré  sur  Lazare  et  sur  Jérusalem  ; 

*  il  s'est  indigné  dans  le  temple;  il  a  été  triste  au  jardin  des  ÛHves. 

*  Si  donc  on  peut  abuser  de  l'imagination  et  des  passions,  on  peut 

*  s'en  servir  aussi  pour  le  bien. 

Du  principe  que  nous  venons  d'établir,  il  suit,  1"  que  le  prèdi" 
cateur  doit  bien  posséder  les  règles  de  l'art  oratoire,  et  savoir  se 
servir  contre  le  mensonge  des  mêmes  armes  dont  le  mensonge  s'est 
servi  si  souvent  contre  la  vérité.  Il  suit,  2°  qu'il  doit  préparer  et 
soigner  ses  discours,  mais  en  même  temps  bien  diriger  son  inten- 
tion vers  Dieu  seul,  et  ne  vouloir  plaire  que  pour  conveitir. 


De  la  manière  de  plaire. 

D'après  les  principes  posés  plus  haut,  le  prédicateur  doit  plaire 
par  ses  mœurs,  par  le  fond  des  choses  qu'il  dit  et  par  la  manière  de 
les  dire. 

Pour  plaire  par  ses  mœurs,  il  faut  que  toutes  ses  paroles,  ses 
gestes,  ses  regards,  les  traits  de  son  visage  portent  le  cachet  de  la 
vertu  et  de  la  sainteté  ;  qu'il  se  montre  tendrement  affectionné  à  ses 
auditeurs,  non  par  des  expressions  flatteuses  qui  aviUssent  le  mi 
nistère,  mais  par  un  désir  ardent  de  leur  plus  grand  bien,  leur  fai- 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION  145 

sant  envisager  leur  devoir  comme  leur  bonheur,  et  leur  bonheur 
comme  nécessaire  au  sien.  L'orateur  qui  parait  nous  vouloir  du  bien 
et  chérir  nos  intérêts,  nous  plaît  sans  peine  et  range  facilement 
notre  volonté  à  son  avis  ^ 

Pour  plaire  par  le  fond  des  choses,  il  faut  avoir  ce  tact,  ce  bon 
sens  qui  sait  éviter  tout  ce  qui  peut  blesser,  et  trouver  le  secret  de 
faire  goûter  la  vérité  qu'on  prêche.  Nous  avons  donné  plus  haut^  les 
règles  relatives  à  ce  secret  de  l'art  oratoire. 

Enfin,  pour  plaire  par  In  manière  de  dire  les  choses,  le  prédicateur 
doit,  en  premier  lieu,  éviter  tout  ce  qui  décèlerait  en  lui  soit  igno- 
rance, soit  négligence  peu  respectueuse  pour  son  auditoire^,  comme 
les  fautes  de  français,  le  mauvais  style,  le  mauvais  geste,  la  mauvaise 
prononciation,  les  discours  froids,  sans  chaleur  et  sans  vie,  et  sur- 
tout celte  prétendue  abondance,  fruit  de  la  paresse,  qui  dit  les 
choses  comme  elles  viennent,  sans  choix,  sans  ordre  et  sans  jus- 
tesse, qui  a  toujours  la  même  morale  et  des  redites  ennuyeuses,  qui 
est  triviale  dans  l'expression,  basse  et  rampante  dans  la  pensée, 
acerbe  dans  l'invective.  Aussi  saint  Augustin  recommande-t-il  que, 
lors  même  qu'on  dit  les  choses  les  plus  simples,  on  les  dise  de  ma- 
nière à  ne  pas  dégoûter  l'auditeur  :  Nohmiis  fastidiri,  etiam  quod 
subviissè  dicimus'*. 

Mais  si  le  prédicateur  doit  éviter  la  paresse  qui  néglige  l'art  de 
plaire,  il  doit  aussi  éviter  la  préoccupation  qui  recherche  trop  les 
moyens  de  plaire.  Il  est,  dit  la  Fontaine,  un  art  de  plaire  et  de  n'y 
penser  pas.  Si  on  laisse  soupçonner  à  l'auditeur  qu'on  s'applique  à 
lui  plaire,  il  s'en  scandalise,  il  veut  voir  dans  le  prédicateur  un  des- 
sein plus  haut,  et  on  lui  déplaît  par  cela  seul  qu'on  parait  préoccupé 
du  désir  de  lui  plaire.  Il  y  a  plus  :  souvent  même  on  plaît  davantage 
en  paraissant  ne  point  craindre  de  déplaire  ;  ce  secret  était  celui  de 
Démosthènes  lorsqu'il  traitait  si  sévèrement  les  Athéniens. 

Reste  donc  à  voir  mainicnant  quels  sont  les  moyens  de  plaire.  Les 
règles  données  par  les  rhéteurs  à  ce  sujet  regardent  les  mots,  la  con. 
struction  des  phrases,  l'élocution,  le  style  et  la  manière  de  présenter 
son  sujet  :  autant  de  points  qu'il  ne  faut  pas  confondre,  et  qu'une 
comparaison  nous  rendra  sensibles.  Les  mots  sont  au  discours  ce  que 
sont  les  matériaux  à  l'édifice  ;  la  construction  des  phrases  ce  qu'est 
la  disposition  des  matériaux  entre  eux;  l'élocution  ce  qu'est  la  taille 

*  Voyez  au  chapitre  suivant  les  qualités  du  prédicateur,  surtout  la  sainteté.  — 
'■*  Papes  113  et  suiv.  —  '  Voyez  Groiiade,  liv.  V,  c.  nxiv. —  *  De  Doct.  ciirist., 
jib.  JV,  Lvi. 


144  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

et  le  poli  des  matériaux;  le  style  ce  qu'est  le  genre  d'architecture; 
la  manière  de  présenter  son  sujet  ce  qu'est  l'appropriation  de  l'édi- 
fice au  goût  et  au  bien-être  de  ceux  qui  doivent  l'iiabiter.  Voici  main- 
tenant ces  règles  en  substance. 

1»  Règles  pour  les  mots  '. 

1"  Règle.  — Il  faut  avoir  pour  chaque  pensée  le  terme  propre 
ou  l'expression  juste  qui  lui  convient,  11  n  y  a  presque  plus  de  termes 
entièrement  synonymes  ;  chaque  idée  a  un  mot  qui  l'exprime  plus 
clairement  que  tout  autre,  qui  la  rend  tout  entière,  et  est  fait  pour 
elle;  c'est  ce  qu'on  appelle  le  terme  propre  qu'il  faut  toujours  re- 
chercher, et  qu'il  faut  saisir  dès  qu'on  l'a  trouvé  ;  aucun  autre  ne 
le  vaut.  César  tenait  comme  un  principe  que  l'origine  de  l'éloquence 
est  dans  le  choix  des  mots^,  et  la  Bruyère  observe  que,  s'il  y  a 
peu  d'écrivains  supérieurs,  c'est  que  la  science  du  mot  propre,  de 
l'expression  unique  pour  chaque  pensée  est  très-rare.  Qui  ne  pos. 
sède  pas  cette  science,  ajoute-l-il,  n'est  ordinairement  qu'un  esprit 
médiocre. 

2''  Règle.  —  Il  ne  suffit  pas  que  l'expression  soit  juste,  il  faut  en- 
core qu'elle  soit  digne  et  convenable  ;  c'est-à-dire  qu'il  faut  éviter 
tout  terme  bas  et  trivial,  toute  parole  non  consacrée  par  l'usage 
dans  le  sens  qu'on  emploie^,  tout  mot  non  approuvé  par  la  foi, 
comme  le  destin,  la  fatalité,  la  fortune,  le  hasard.  Le  français  porte 
dans  le  choix,  de  l'expression  l'exactitude  jusqu'au  scrupule;  et, 
comme  on  l'a  observé,  un  mauvais  mot  fait  souvent  plus  de  toit 
qu'un  mauvais  raisonnement. 

Zf  Règle.  —  Il  faut  n'employer  les  mots  qu'autant  qu'ils  sont  né- 
cessaires pour  rendre  les  pensées,  et  les  pensées  qu'autant  qu'elles 
sont  utiles  pour  le  sujet*.  Tout  mot  superflu,  toute  épithète  qui  ne 
multiplie  pas  le  sens,  et  en  général  tout  ce  qui  peut  se  retrancher 
san  jue  le  discours  y  perde,  doit  être  impitoyablement  supprimé. 
Ce:  e  fait  d'un  charlatan  de  pailer  pour  dire  des  riens,  et  il  est  in- 
digne dun  ministre  de  l'Évangile  de  faire  servir  la  chaire  sacrée  à 
étaler  des  phrases  qui  ne  tendent  qu'à  une  vaine  montre  d'esprit. 

2°  Règles  pour  la  construction  des  phrases^. 

\'^^  Règle.  —  Il  faut,  dans  la  construction  des  phrases,,  disposer 

*  Voyez  le  P.  Albert,  III-'  part.,  c.  viii  et  ix.  —  -  Reclè  et  verèdicebat  Cxsar 
delectum  verborim  csxe  oriirinem  cloquentise,  Muret,  Orat.,  xiii.  —  '  Cic. 
Orat.,  155.  —  *  Cic,  de  Orat.,  lib  II,  32G  et  209.  —  s  Voyez  le  P.  Albert,  III« 
part.,  c.  T,  Ti,  VII,  VIII, 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  145 

les  mots  selon  l'ordre  même  des  idées  et  des  sentiments  *.  Il  est  en- 
tre les  idées  une  subordination  naturelle  qui  les  lie  les  unes  aux  au- 
tres; et  plus  cette  liaison  est  rendue  sensible  par  la  disposition  de 
l'expression,  par  le  tour  de  la  phrase,  plus  le  discours  est  net  et 
parfait;  c'est  là  ce  qui  caractérise  le  bon  écrivain;  comme  au  con- 
traire, sans  cttte  liaison,  la  lumière  disparaît  avec  l'ordre,  et  le  dis- 
cours ne  produit  plus  que  de  faibles  lueurs.  Prenons  un  exemple  de 
l'une  et  de  l'autre  înanière  d'écrire  : 


Discours  parfaiteinent  lié. 

Quand  Thistoire,  dit  Bossuet,  se- 
rait inutile  aux  autres  hommes,  il 
faudrait  la  faire  lire  aux  princes.  Il 
n'y  a  pas  de  meilleur  moyen  de  leur 
découvrir  ce  que  peuvent  les  pas- 
sions, et  les  inlérêls,  et  les  temps, 
et  les  conjectures.  Si  Texpérience 
leur  est  nécessaire  pour  acquérir 
cette  prudence  qui  fait  régner,  il 
n'est  rien  de  plus  utile  à  leur  instruc- 
tion que  de  joindre  les  exemples 
des  siècles  passés  aux  expériences 
qu'ils  font  tous  les  jours.  Au  lieu 
qu'ordinairement  ils  n'apprennent 
qu'aux  dépens  de  leurs  sujets  et 
de  leur  propre  gloire  à  juger  des 
affaires  dangereuses  qui  leur  arri- 
vent, par  le  secours  de  l'histoire 
ils  forment,  sans  rien  liasarder, 
leur  jugement  sur  les  événements 
passés.  Lorsqu'ils  voient  jusqu'aux 
vices  les  plus  cachés  des  princes, 
malgré  les  fausses  louantes  qu'on 
leur  donne  pendant  la  vie,  exposés 
aux  yeux  de  tous  les  hommes,  ils 
ont  honte  delà  vaine  joie  que  leur 
cause  la  llatlerie,  et  iis  connaissent 
que  la  vraie  gloire  ne  peut  s'ac- 
corder qu'avec  le  mérite. 


Même  discours  sans  liaisons  iVidces. 

Il  faudrait  faire  lire  lliistoire  aux 
princes,  quand  même  elle  serait 
inutile  aux  autres  lionimes.  Il  n'y  a 
pas  de  meilleur  moyen  de  leur  dé- 
couvrir ce  que  peuvent  les  [ia;siûns, 
et  les  intérêts,  et  les  temps,  et  les 
conjonctures.  Il  n'est  rien  de  plus 
utile  à  leur  instruction  que  de  join- 
dre les  exemples  des  siècles  passés 
aux  expériences  qu'ils  font  tous  les 
jours,  s'il  est  vrai  que  rexpérience 
leur  soit  nécessaire  pour  acquérir 
cette  prudence  qui  fait  régner.  Par 
le  secours  de  l'histoire,  ils  forment, 
sans  rien  hasarder,  leur  jugement 
sur  les  événements  passés,  au  lieu 
qu'ordinairement  ils  n'apprennent 
qu'aux  dépens  de  leurs  sujets  et 
de  leur  propre  gloire  à  juger  des 
affaires  dangereuses  qui  leur  arri- 
vent. Ils  ont  honte  de  la  vaine  joie 
que  leur  cause  la  tlatterie,  et  con- 
naissent que  la  vraie  gloire  ne  peut 
s'accorder  qu'avec  le  njérile,  lors- 
(|u"ils  voient  jusqu'aux  vices  les 
plus  cachés  des  princes,  nial-ré  les 
fausses  louanges  qu'on  leur  donne 
pendant  la  vie,  exposés  aux  yeux  de 
tous  les  hommes. 


Uiu'lle  dilVéreiice    entre  ces  deux  nmrceaux!   Dans  le  premier,  il 
faudrait  faire  lire  Vliisioire  aux  princes',  se  lie  natinvllemont  avec 

*  Voyez  Condillac,  île  ['Art  d'écrire. 


iO 


146  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

il  n'y  a  pas  de  meilleur  moijen,  etc.,  et  voilà  que  dans  le  second 
on  a  séparé  ces  deux  idées.  Dans  le  premier,  après  avoir  remarqué 
que  l'étude  de  l'histoire  est  utile  aux  princes,  l'esprit,  en  suivant  la 
liaison  des  idées,  se  porle  naturellement  sur  l'expérience,  autre 
source  d'instruction.  Dans  le  second,  cet  ordre  d'idées  n'existe  plus. 
Dans  le  premier,  Bossuel,  voulant  démontrer  l'utilité  que  les  prin- 
ces peuvent  retirer  des  exemples  du  passé,  commence  par  faire  voir 
l'insuffisance  de  l'expérience,  observe  ensuite  les  secours  que  donne 
l'histoire;  et,  pour  démontrer  quels  sont  ces  secours,  il  expose  d'a- 
bord ce  que  les  princes  voient  dans  l'histoire,  et  puis  il  considère 
quelle  impression  elle  peut  faire  sur  eux;  dans  le  second,  au  con- 
traire, tout  cet  ordre  d'idées  est  changé.  Aussi  les  phrases  ne  tien- 
nent plus  les  unes  aux  autres,  il  semble  qu'à  chacune  on  reprenne 
un  nouveau  discours,  sans  égard  à  ce  qu'on  a  dit  ou  à  ce  qu'on  va 
dire;  on  est  comme  un  homme  fatigué  qui  s'arrête  à  chaque  pas  et 
qui  n'avance  que  par  efforts,  tant  le  principe  de  la  liaison  des  idées 
est  fondamental  dans  l'art  d'écrire  et  de  parler. 

2"=  Règle.  —  Tout  en  construisant  ses  phrases  selon  l'ordre  des 
idées,  il  faut  éviter  ce  qui  peut  blesser  l'oreille;  car,  comme  le  dit 
Boileau, 

la  plus  noble  pensée 

Ne  peut  plaire  à  l'esprit  si  l'oreille  est  blessée. 

D'après  ce  principe,  il  faut  éviter  la  répétition  des  mêmes  mots, 
excepté  celle  qui  rendrait  la  phrase  plus  nette,  plus  nombreuse  et 
plus  élégante,  le  concours  des  syllabes  de  même  consonnance,  la 
rencontre  des  voyelles  qui  forment  hiatus,  comme  dans  cette  phrase  : 
Il  alla  à  Amiens,  oîi  il  s'appliqua  à  apprendre  la  viusique  :  le  rappro- 
chement des  sons  pesants  et  rudes,  trop  légers  ou  trop  sautillants; 
en  un  mot,  tout  arrangement  de  mots  qui  s'opposerait  à  une  pronon- 
ciation coulante  de  la  phrase,  et  surtout  l'accumulation  des  de, 
comme  dans  cette  phrase  :  J'ai  reçu  de  Paris  de  mon  marchand  de 
livres  des  recueils  de  musique  d'une  grande  beauté;  plus  encore 
l'accumulalion  des  qui,  et  des  que  se  rapportant  à  des  substantifs 
différents,  comme  dans  cette  phrase  de  Nicole  :  «  Qui  ne  croirait 
«  que  ceux  que  Dieu  a  éclairés  de  si  pures  lumières,  à  qui  il  a  dé- 
«  couvert  la  double  éternité  de  bonheur  ou  de  misères  qui  les  at- 
«  tend,  qui  ont  l'esprit  rempli  de  ces  grands  objets,  sont  incapables 
«  d'être  touchés  des  bagatelles  du  monde?  »  Ou  cette  autre  phrase 
du  même  auteur  :  «  Nous  tombons  sans  y  penser  dans  une  infinité 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION  147 

«  de  fautes  à  l'égard  de  ceux  avec  qui  nous  vivons,  qui  les  disposent 
«  à  prendre  en  mauvaise  part  ce  qu'ils  souffriraient  sans  peine,  s'ils 
«  n'avaient  déjà  un  commencement  d'aigreur  dans  l'esprit.  »  Tous 
ces  qui  se  rapportant  à  différents  objets  forment  une  construction 
vicieuse,  embarrassent  la  pbrase  en  même  temps  qu'ils  font  des 
équivoques. 

3«  Règle.  —  Ce  n'est  pas  assez  de  ne  point  blesser  l'oreille,  il  faut 
encore  la  charmer  par  les  combinaisons  heureuses,  qui  donnent  à  la 
contexlure,  à  la  coupe  et  à  l'enchaînement  des  phrases,  cette  har- 
monie qu'on  appelle  le  nombre  oratoire.  Pour  cela,  il  faut,  1°  que 
les  périodes  soient  variées  dans  le  nombre  et  la  longueur  de  leurs 
membres,  sans  être  jamais  ni  trop  courtes  ni  trop  longues.  L'o- 
reille se  lasse  d'entendre  toujours  la  même  coupe  de  phrases,  au 
lieu  qu'elle  se  plait  à  cet  heureux  mélange  de  longues  et  de  courtes 
périodes  qui  donne  du  fou  et  de  la  majesté  au  style.  Il  faut,  2"  que 
l'es  sons  soient  liés  entre  eux  par  certaines  proportions  et  tempérés 
l'un  par  l'autre  S  une  syllabe  rude  adoucie  par  une  plus  douce  qui 
la  suive  ou  la  précède,  une  syllabe  faible  soutenue  par  une  plus 
forte;  que  les  consonnes  et  les  voyelles,  les  longues  et  les  brèves 
s'assortissent;  que  la  phrase  se  cadence  de  manière  à  précipiter  ou 
ralentir  la  prononciation  au  gré  de  l'oreille,  du  goût  et  du  cœur, 
sans  avoir  jamais  rien  de  dur  ni  de  lâche,  rien  de  pesant  ni  d'em- 
barrassé. Il  est  une  sorte  de  modulation  résultant  de  la  valeur  syl- 
labique  et  de  la  disposition  des  mots,  qui  en  rend  la  prononciation 
facile  et  harmonieuse;  l'oreille  seule  en  juge  par  l'instinct  du  sen- 
timent et  indépendamment  des  régies^;  toutefois  ce  nombre  ora- 
toire ne  peut  produire  son  effet  qu'autant  qu'il  semble  se  présenter 
de  lui-même  plutôt  qu'être  amené  par  artitîce^.  11  faut,  o°  qu'il  y 
ait  rapport  entre  les  sons  du  discours  et  l'objet  qu'ils  expriment.  Ce 
rapport,  qu'on  appelle  l'harmonie  iraitative,  crée  des  images,  peint 
par  les  sons  et  produit  des  effets  merveilleux.  Nos  grands  orateurs, 
comme  nos  poètes,  en  offrent  de  nombreux  exemples.  11  faut,  4"  sa- 
voir dans  l'occasion  symétriser  entre  eux  les  Inembres  de  phrase, 
de  telle  sorte  que  chacun  contienne  une  pensée  différente,  comme 
dans  celte  description  d'une  ânje  pénitente  : 

«  Ce  n'est  point  son  tempérament  qu'elle  consulte,  ce  sont  ses 
«  besoins;  ce  n'est  pas  la  nature  qui  la  règle,  c'est  la  grâce;  ce  n'est 


»  ^ic.  de  Orat.,  nr,  171.  —  -  Cic,  Orat.,  121).  —  ï  De  Orat.,  105. 


148  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

«  pas  la  faiblesse  humaine  qui  la  soutient,  c'est  la  main  de  Dieu  qui 

«  la  porte.  » 

3°  Règles  pour  léloculion  ^ . 

l'f*  W'gle.  —  L'élocution  de  la  chaire  doit  toujours  être  pure.  Les 
meilleures  choses  déplaisent  si  elles  sont  mal  exprimées,  et  le  mau- 
vais langage  a  le  triple  inconvénient  de  distraire  l'attention,  de  pro- 
voquer la  critique  et  de  déshonorer  le  ministère. 

2^  Eègle.  —  L'élocution  doit  être  naturelle,  sans  affectation, 
paraître  couler  de  source,  de  telle  sorte  qu'on  n'y  reconnaisse  ni 
étude  ni  travail,  et  que  les  auditeurs  s'imaginent  que  cette  manière 
de  s'énoncer  est  facile^.  Les  figures  qui  l'ornent  et  les  mouvements 
qui  l'animent,  doivent  naître  du  fond  même  du  sujet,  et  y  aller  si 
bien,  peindre  tout  avec  tant  de  vérité,  qu'on  ne  songe  pas  même  à  la 
fio-ure  ;  si  on  y  pense,  elle  est  mauvaise  :  d'où  il  suit  que  le  bon  dis- 
cours, quoique  élevé  quand  il  le  faut,  n'est  jamais  guindé  :  il  né 
connaît  ni  l'enflure  qui  est  de  tous  les  défauts  du  langage  le  plus 
ridicule,  ni  les  expressions  ampoulées  et  à  prétention  qui  dénotent 
la  vanité,  ni  la  recherche  qui  court  après  l'élégance.  11  procède  bon- 
nement et  naturellement,  mais  non  négligemment;  et  voilà  ce  qui 
plaît  à  l'auditeur.  On  charme  toujours  quand,  par  sa  simpUcité  et 
son  air  naturel,  on  persuade  qu'on  ne  pense  pas  à  charmer.  Et  qu'on 
ne  croie  pas  que  cette  simphcité  dispense  du  travail,  qu'elle  consiste 
à  s'arrêter  à  la  première  pensée  qui  se  présente,  à  lui  laisser  le  tour 
sous  lequel  elle  se  montre,  à  l'exprimer  sans  choix  de  termes,  à  la 
placer  où  le  hasard  l'a  fait  trouver;  c'est  là  de  la  négligence,  ce  n'est 
pas  du  naturel  et  de  la  simplicité.  Pour  être  naturel  et  simple,  il 
faut,  au  contraire,  souvent  beaucoup  de  travail  :  celui-là  seul  qui,  à 
force  d'étude,  s'est  rendu  bien  maître  de  sa  matière  et  de  sa  langue 
peut  tout  disposer  et  tout  dire  dans  cet  ordre  naturel  qui  dissimule 
l'art,  qui  semble  tout  simple  et  coule  doucement  comme  une  rivière 
paisible  dont  le  lit  est  droit  et  bien  uni. 

5^  Uègle.  —  L'élocution  doit  être  noble  :  Oralio  sit  plena  gravi- 
tatis  et  ponderis,  dit  saint  Ambroise\  Ce  qu'on  a  bien  pensé,  perd 
de  son  prix,  s'il  n'est  dignement  exprimé,  comme  un  diamant  s'il  est 
mal  enchâssé*.  L'élocution  de  la  chair»  sacrée  est  le  vêtement  de  la 

1  Voyez  le  P.  Albert,  III«  part.,  c.  i,  xii  ot  xvi.—  Traité  des  Études,  de  Rol- 
Ijn,  t.  II.  —  Pastoral  de  Limoges,  t.  II,  I"  part.,  lit.  vm  —  Grenade,  liv.  V, 
—  2  Ouintil.,  IV.  2.  —  Cic.,  Orat.,  77.  —  ^  De  Offic,  lib.  I,  c.  xxu  —  *  Gai- 
cbiez. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  149 

vérité  ;  ce  vêtement  doit  être  grave  comme  le  corps  qu'il  couvre.  Il 
est  d'ailleurs  de  la  dignité  de  la  chaire  d'y  parler  toujours  noble- 
ment, d'y  porter  une  majesté  douce  et  modeste,  incompatible  avec 
toute  plaisanterie,  toute  façon  de  parler  capable  de  faire  rire,  toute 
parole  de  flatterie  envers  qui  que  ce  soit,  fût-il  roi  ou  prince,  toute 
louange  de  soi-même  indirecte,  toute  expression  peu  digne  d'un 
homme  grave,  tous  les  bons  mots  et  les  proverbes  vulgaires,  toute 
parole  blessante  ou  injurieuse,  vive,  colère,  inspirée  par  l'aigreur 
ou  le  mécontentement. 

4*  Hègle.  —  L'élocution  doit  être  modérément  ornée.  11  faut  des 
ornements  au  discours  pour  réveiller  l'attention,  donner  à  la  vérité 
une  couleur  plus  vive  qui  la  fasse  mieux  saisir  et  dispose  les  cœurs 
à  la  conversion.  La  rhétorique  désigne  ces  ornements  sous  le  nom  de 
figures,  parce  qu'ils  revêtent  la  pensée  comme  d'une  forme,  d'une 
figure  nouvelle  ;  ils  lui  donnent,  dit  Quintilien,  force  et  beauté  :  Vim 
rebîis  adjiciunt  et  gratiam  ■prxstant^,  et,  par  elle,  une  idée  com- 
mune devient  grande  et  magnifique.  Quoi  de  plus  commun,  par 
exemple,  que  cette  pensée  :  L'homme  conserve,  jusqu'au  dernier 
moment,  des  espérances  qui  ne  se  réaliseront  jamais.  Et  quoi  de  plus 
frappant  que  la  même  pensée  ainsi  rendue  par  Bossuet  :  «  L'homme 
«  marche  vers  le  tombeau,  traînant  après  lui  la  longue  chaîne  de  ses 
«  espérances  trompées.  »  Quoi  de  plus  commun  encore  que  cette 
pensée  :  «  En  Angleterre,  sous  Charles  I",  les  catholiques  ne  pou- 
vaient ni  se  confesser  ni  entendre  la  messe  sans  péril.  «  Et  quoi  de 
pins  beau  que  la  périphrase  de  la  même  pensée,  toujours  par  Bos- 
suet : 

<(  Les  enfants  de  Dieu  étaient  étonnés  de  ne  plus  voir  ni  l'autel  ni 
«  le  sanctuaire,  ni  ces  tribunaux  de  miséricorde  qui  justifient  ceux 
«  qui  s'accusent.  0  douleur!  il  fallait  cacher  la  pénitence  avec  le 
(i  même  soin  qu'on  eût  fait  les  crimes,  et  Jésus-Christ  même  se  voyait 
«  contraint,  au  grand  malheur  des  hommes  ingrats,  de  chercher 
«  d'autres  voiles  et  d'autres  ténèbres  que  ces  voiles  et  ces  ténèbres 
«  mystiques  dont  il  se  couvre  volontairement  dans  l'Eucharistie.  » 

Les  figures  ou  ornements  sont  donc  bien  utiles  au  prédicateur; 
mais  cependant  il  en  faut  user  modérément.  Nous  l'avons  déjà  ob- 
si>rvé,  il  est  danjrereux  de  vouloir  trop  orner  ce  qu'on  dit,  parce  que 
cette  surabondance  d'ornements  sort  du  naturel,  distrait  l'auditeur 
du  fond  des  choses,  et  l'empêche  d'être  touché;  cette  prodigalilô  de 


IX,    l. 


iiD  :  aBBMfe  fe  EaHBSMlliWIRHif.  fflli  «fe- 

^iië^  Tuaud  •]][  aL  â⣠ as  miMHBrtiifc.  I^eiei  Le»  pmidçeâ  onu.  iaaoït 

«    ■  ^  ^  

■3L  iioit  (Èe^eaiir  xel  oins  «slaiis.  mu  pius  tuochaate.  «m  puis  ^agee  à 

L  ail^  s-  ^  ibiid  les  ânes 

:r    -  -        -  -  --  ^-ida- 

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..'ju;.  îipjL  ^le  auis  leoiaca  (çoe  d'èd» 

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fHvûwiv  «snt<ii*:  niême  devoir  èfinen.  et  aipi^renore  par  coeur  .iAa  di»- 

la  . 

te»  •u!3t«»nK  uiOHnr^; 


*  •tsèehifs.  — *  Sari  pRi>&c  ut  hfloi.  S.  Car.,  w»  «  av 


QUALITES  DE  LA  PREDiCATlO".  tôl 

4"  RctjLes  pour  le  sttjle  K 

Il  faut  varier  son  slyle  selon  les  diverses  parties  de  son  discours  et 
selon  les  sujets  qu'on  traile.   Vw  ''U, 

ditCiceroa^  Eu  toutes  clioses,  i  ^  u- 

dreut  le  dégoût:  Omnibun  t/i  rébus  stmilUiLd*/  satietatLi  est  rtuner^, 
et  ici  elles  seraient,  pli-  '  ars.  un ''    '  me 

le  devoir  de  l'orateur  e-  -      :  aux  peu?     -  co- 

Jon?r  diftéreuimeat,  selon  la  nature  des  choses  qu'où  traite  ;  ce  q«e 
''  ','Ue  tiptè  aurrv*,  et  ce  qu'un  poète  a  élégamment 

e  vers  : 

"'•s  wiileui-s  du  s«jel  je  teùulrai  mou  lan^agv. 

Aiusi,  le  stvle  d       "        simple  et  "  "     ^  "         .     '  .     :■  a- 

cipes.  co«Luit  et  s  les  rv«    -  >       -  .os 

preuves,  vil' et  rapide  itans  les  niouveuieuls.  Les  choses  de  sentmieat 
no  veulent  point  dun  >:  '  lîuè  daus de  îo  ,     -  -       les 

le  veulent  iuiime  et  p.i  Les  cboses  :^  u 

un  stvle  aracieux  et  tîeuri.  pittoresijiie  et  abondant  eu  nuages.  Fo«r 

les  sujets  simples,  '         '    ^!vle  simpi         .  :;     - "  "^  "^  "ue 

sans  titres,  boau       ^  -        >  grâces  -i- 

ractère,  réumt  la  netteté  dans  le  discours,  le  aatui-ei  àajus  ta  peusee, 
et  l'abandon  au  moins  apparent  daus  lexpression.  Pour  les  grands 
sujets,  il  faut  le  style  élevé  qui  prend  s.i  source  dans  la  graaùeur 
d'ime  et  lélëvalioti  des  setitimeuls^  qui  déploie  toutes  les  riclit.ss^ 
de  la  belle  éloi^ueuce.  les  uobles  hardiesses^  l  éclat  des  penst'es,  la 
véhémence  des  prissions  et  la  beauté  des  plus  ma^nitiques  igures. 
t  Mliiî,  pour  les  sujets  luoveas*  il  faut  u«  style  qm  ue  s"  la 

hauteur  convenable,  ce  style  teiupéré  qui  réjouit  par  ;.-  -i>s 

s;iMS  éblouir  par  st»n  éclat,  qui  a  des  grâces,  des  peùatures  déli- 
cieuses et  pleines  de  vérité,  nr-  -^'cesgra    ^  rtts 

qui  saisissent  etetoiiaeut.  La  pc- ie  Vart  o:        :.        -  ::it 

Vugustin  *  eu  s  appuyant  sur  Cicéroa  *,  coasiste  à  savoir  emplox«r 

à  prv>po8>  c«s  trois  genres  d'éloquenc 

à:xtt:   ts  Itfiinr  .--••;;  >-.\'.r/(trt>  itiù  - 


—  -^  Lii).  M.  —  *  Oc  IWt.  cànsc  -  to.  IV,  «.m*.  —  «  Onu  ie  Oi-si- 


15'2  TP.AITÉ  DE  LA  PP.KDICATION 

tempcratc,  v.iatjna  (jnuiditer  dicere  ;  et  IJoileau  a  dit  dans  le  même 
sens  : 

Sans  ct'sse  en  cci'ivaiit  variez  vos  discours; 

Tu  slyU-  irop  ryal  cl  toujours  iiniformo 

1-11  v;iiii  lu'iHo  à  nos  yeux  :  il  faut  qu'il  nous  endorme. 

5°  Piniles  pour  la  manière  de  présenter  son  sujet. 

V"  Règle.  —  Il  l'aLit  subordonner  l'art  de  plaire  aux  autres  devoirs 
de  l'orateur,  et  faire  servir  les  autres  devoirs  de  l'orateur  à  l'art  de 
plaire  :  car,  l"  plaire  ne  peut  jamais  être  un  but  pour  un  ministre 
de  l'Évangile,  mais  seulement  un  moyen;  tandis  que  les  autres  de- 
voirs de  l'orateur,  qui  consistent  à  instruire,  convaincre  et  per- 
suader, sont  le  vrai  but  de  la  prédication  ;  d'où  il  suit  qu'on  ne  doit 
s'appliquer  à  plaire  qu'en  vue  de  ces  devoirs,  c'est-à-dire  pour  faire 
goûler  l'instruction,  faire  arriver  la  conviction  dans  les  esprits,  la 
persuasion  dans  les  cœurs.  2°  Quoique  les  autres  devoirs  de  l'orateur 
ne  suffisent  pas  seuls  pour  plaire,  ils  y  contribuent  puissamment. 
On  plaît  si  on  explique  avec  netteté  et  clarté  la  doctrine  évangèlique: 
ce  qui  est  clair,  net  et  naturel  s'écoute  toujours  avec  plaisir,  et  le 
plaisir  s'accroît  encore  quand  ce  que  dit  l'orateur  est  grand  et  ma- 
gnifique, d'une  importance  souveraine,  d'une  utilité  infinie,  comme 
le  sont  les  vérités  chrétiennes.  On  plaît  si  on  prouve  solidement  tout 
ce  qu'on  avance  :  le  cœur  de  l'homme  fait  pour  la  vérité  éprouve  du 
plaisir  à  entendre  raisonner  juste,  à  voir  la  vérité  invinciblement 
prouvée,  fortement  défendue.  Undè  acclamntur  ità  dicentibus,  re- 
marque saint  Augustin,  7iisiquiàverîtassicdemonstrata,sicdefensa, 
sic  invicta  delectat^^.  On  plaît  si  on  émeut:  le  cœur  touché  est  tou- 
jours content.  On  plaît  si  on  dispose  toutes  les  parties  de  son  dis- 
cours avec  un  ordre  parfait,  et  qu'on  le  prononce  d'une  manière 
naturelle,  grave,  pieuse,  modeste  et  paternelle.  Cette  manière  de 
faire  plaît  incomparablement  plus  que  toutes  les  figures  de  la  rhéto- 
rique et  toutes  les  grâces  du  style. 

2"  liègle.  —  Pour  présenter  son  sujet  d'une  manière  qui  plaise,  il 
faut  s'attacher  à  bien  penser,  bien  sentir  et  bien  rendre.  Tel  est  le 
secret  comme  la  mesure  de  toute  bonne  composition.  Bien  penser, 
c'est  n'avoir  que  des  pensées  vraies,  justes  et  naturelles,  claires  et 
nett.  s,  (jui  aillent  bien  au  sujet  et  y  intéressent  l'auditeur  tantôt  par 
leur  élévation,  leur  grandeur  et  leur  force,  tantôt  par  leur  vivacité^ 

*  De  Doct.  christ.,  lib.  IV,  c.  xxvi. 


QUALITES  DE  LA  PREDICATION.  153 

leur  délicatesse  et  leur  grâce,  d'autres  fois  par  un  sens  à  demi  pro- 
duit qui  laisse  à  l'esprit,  non  l'embarras  de  comprendre,  mais  le 
plaisir  facile  de  deviner ,  ou  par  quelque  chose  de  nouveau  qui 
frappe  et  surprend.  Bien  sentir,  c'est  avoir  l'âme  fortement  impres- 
sionnée par  son  sujet  ;  et  ce  sentiment  doit  toujours  être  vrai,  natu- 
rel, et  selon  les  circonstances,  plein  de  délicatesse  ou  de  feu, 
d'énergie  ou  de  grandeur,  de  pathétique  ou  de  sublime.  Bien  rendre, 
c'est  dire  ses  pensées  et  ses  sentiments  de  manière  à  les  faire  entrer 
dans  l'âme  des  auditeurs  par  la  vérité  et  la  force,  la  grâce  et  la  jus- 
tesse de  l'expression,  quelquefois  même  par  le  pouvoir  seul  d'un 
mot  mis  à  sa  place  ;  et  pour  cela  il  ne  faut  pas  voir  seulement  dans 
le  bien  rendre  le  vêtement  de  la  pensée  ou  du  sentiment  ;  c'est  la 
pensée  même  avec  sa  forme,  c'est  l'âme  mise  en  dehors,  observe  un 
littérateur  habile  ^  :  ce  qui  fait  dire  à  Montaigne  que  quand  on  voit 
de  braves  formes  de  s'expliquer,  bien  vives,  bien  'profondes,  il  ne  faut 
pas  s'écrier  que  c'est  bien  dire,  mais  que  c'est  bien  sentir  et  bien 
penser;  et  que  dans  tous  les  chefs-d'œuvre  des  lettres  et  des  arts,  il 
faut  voir  des  peintures  conduites  non  tant  par  dextérité  de  la  main 
comme  pour  avoir  eu  l'objet  plus  vivement  enpreinteti  l'âme. 

3*  Règle.  —  Il  faut  éviter  la  longueur  dans  ses  prédications,  et 
tendre  à  retrancher  plutôt  qu'à  ajouter-.  Cette  trop  grande  longueur 
fatigue  et  rebute:  les  murmures  des  auditeurs,  quelquefois  même 
leur  désertion  de  l'église,  en  sont  les  tristes  résultats  :  peu  et  bon, 
c'était  la  maxime  de  saint  François  de  Sales  ^  :  peu  de  choses,  mais 
des  choses  utiles  et  bien  choisies.  «  Moins  vous  direz,  disait  ce  saint 
«  évêque,  plus  on  profitera  ;  plus  vous  direz,  moins  on  retiendra;  à 
«  force  de  charger  la  mémoire  des  auditeurs,  on  la  démolit,  comme 
«  on  éteint  les  lampes  quand  on  y  met  trop  d'huile,  et  on  suffoque 
«  les  plantes  en  les  arrosant  démesurément.  Quand  un  discours  est 
«  trop  long,  la  fin  fait  oublier  le  milieu,  et  le  milieu  le  commence- 
«  ment.  »  Le  P.  Grenade  était  du  même  avis.  «  Dès  que  ceux  qui 
«  nous  entendent,  dit-il,  commencent  à  se  lasser,  ils  ne  font  plus 
«  attention  à  ce  qui;  nous  disons;  ils  perdent  même  le  goût  et  le 
«  souvenir  des  clioses  qu'ils  ont  auparavant  écoutées  avec  plaisir.  » 
Aussi  voyons-nous  que  les  homélies  dos  saints  Pères  étaient  très- 
courtes  :  et  Fénelon  se  plaint  avec  raison  (ju'on  ait  cru  mieux  faire 
en  préchant  longuement.  «  Maintenant,  dit-il,  afinqu'uu  prédicateur 

*  M.  Villcmain.  —  *  Mémoires  do  M.  de  la  Mottp,  t.  I,  p.  T,)l .  —  '  Le  Giiiile 
ceux  de  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu,  p.  Hl. 


154  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

«  ait  bien  fait,  il  faut  qu'en  sortant  de  chaire  il  soit  tout  en  eau, 
«  hors  d'haleine  et  incapable  d'agir  le  reste  du  jour:  les  anciens 
«  évêques  ne  faisaient  pas  tant  de  cérémonies.  »  D'après  ces  ré- 
flexions, voici  les  règles  à  suivre  :  1°  le  prône  du  Dimanche  ne  doit 
jamais  dépasser  vingt  minutes,  et  il  sera  meilleur  s'il  n'en  dure  que 
quinze:  aller  au  delà  de  ces  limites,  c'est  mécontenter  ceux  qui 
n'ont  pas  assez  de  loisir  ou  de  dévotion  pour  rester  si  longtemps 
à  l'église,  et  qui  cependant  ne  peuvent  décHner  celte  instruction, 
puisqu'elle  est  enclavée  dans  la  Messe  ;  2"  les  sermons  ou  discours 
de  Vêpres  seront  toujours  assez  longs  s'ils  durent  une  demi-heure  ; 
trois  quarts  d'heure ,  c'est  beaucoup  ;  l'heure ,  c'est  le  nec  plus 
ultra. 

APJICLE  5. 

CINQUIÈME   CAKACTÈUE   DE   LA   PKÉDICATION;    ELLE    DOIT  TOUCHER. 

Suivant  notre  marche  accoutumée,  nous  montrerons ,  dans  un 
premier  paragraphe,  la  nécessité  de  toucher,  et  dans  un  second 
paragraphe,  la  manière  d'y  réussir. 

§  l". 

De  la  nécessité  de  toucher  '. 

*  Toucher  ou  émouvoir,  c'est  remuer  dans  les  profondeurs  de 

*  l'âme  les  passions,  ces  puissants  mobiles»  de  la  volonté  humaine, 

*  et  par  là  faire  entrer  dans  les  cœurs  les  sentiments  et  détermina- 

*  lions  généreuses  analogues  au  sujet  qu'on  traite.  C'est,  dit  saint 

*  Augustin,  amener  l'auditeur  à  aimer  le  bonheur  qu'on  lui  promet, 

*  à  craindre  le  châtiment  dont  on  le  menace,  à  haïr  le  mal  qu'oji 

*  condamne,  à  embrasser  le  bien  qu'on  recommande  :  Flectitur 

*  si  amat  quod  polliceris,  timeat  quod  minaris,  oderit  qiiod  argîdSj 

*  quod  commendas  amflectatur'^  :    ce   n'est  pas  seulement  con- 

*  vaincre  et  montrer  la  lumière,  mais  c'est  persuader  et  déterminer 
■*  à  suivre  la  lumière  que  l'on  voit;  c'est  entraîner  la  volonté,  ravir 

*  l'auditeur  à  lui-même  pour  le  gagner  à  la  vertu.  Au  théâtre,  on 
*veut  émouvoir  tant  que  dure  le  spectacle;  au  barreau,  jusqu'à  ce 

*  que  l'arrêt  soit  prononcé  ;  mais  dans  la  chaire,  il  s'agit  d'exciter 
*des  sentiments  qui  durent,  de  changer  le  cœur  en  définitive  et 

*  Roilin,  Traité  des  Étudep,  t.  II.  —  Pastorale  de  Limoges,  t.  II.  —  Quinti- 
lien,  lib.  X,  c.  vu.  —  -  De  Doct.  christ.,  lib.  IV,  xxvu. 


QUALITÉS  DE  LA  TREDICATION.  155 

*pour  toujours;  et  ce  qui  augmente  la  difficulté,  c'est  que  si,  au 
*ijaiTeau,  le  juge  auquel  l'orateur  s'adresse  est  indifférent  entre  les 

*  parties,  dans  la  chaire,  celui  que  vous  voulez  soumettre  est  juge 
*et  partie,  et  se  croit  intéressé  à  résister.  Nos  deux  grands  ora- 

*  leurs,  Bourdaloue  et  Bossuet,  si  parfaits  d'ailleurs,  l'un  sous  le 

*  rapport  de  l'instruction  et  de  la  solidité,  l'autre  pour  le  sublime 

*  des  pensées  et  la  grandeur  des  vues,  laissent  beaucoup  à  désirer 
*sur  ce  point  :  aucun  d'eux  n'est  cet  orateur  véhément  qui  triomphe 
*des  volontés  rebelles,  entraîne  les  populations  et  captive  tous 
*les  cœurs.  Massillon,  un  peu  plus   heureux,  ne  traitait  presque 

*  jamais  un  sujet  de  sentiment  sans  faire  verser  des  larmes  à  tout 
*son  auditoire,  dit  le  cardinal  Maury*;  mais  toutefois  on  n'était 

*  pas  converti  pour  cela  ;  la  sensibilité  était  émue  sans  que  le  cœur 
*fùt  changé.  C'est  dans  l'antiquité  surtout  qu'on  trouve  ces  grands 

*  effets  de  l'art  d'émouvoir.  Lorsque  saint  Augustin,  encore  simple 

*  prêtre,  fut  chargé,  par  l'évêque  Valére,  de  le  remplacer  dans  le 

*  ministère  de  la  chaire,  le  peuple  d'IIippone  était  dans  l'usage  de 

*  célébrer  à  l'église,  le  jour  de  la  fête  de  saint  Léonce,  des  réjouis- 
■*  sances  accompagnées  de  festins,  qui  dégénéraient  en  ivrogneries 

*  et  en  débauches  :  le  nouveau  prédicateur  entreprend  d'abolir  cet 

*  usage  :  la  multitude  murmure  ;  il  prononce  un  premier  discours, 
"il  rencontre  de  nombreux  contradicteurs;  il  reprend  la  parole  le 
*jour  suivant,  fait  éclater  toute  la  douleur  que  la  charité  lui  in- 

*  spire,  il  prie,,  il  gémit,  il  conjure  par  les  humiliations  et  les  souf- 

*  fronces  de  Jésus-Christ,  par  sa  couronne  d'épines,  sa  croix  et  son 

*  sang,  par  la  tendresse  du  vénérable  Valére,  qui  l'a  établi  pour  être 
*le  ministre  de  leur  salut  et  non  le  témoin  de  leur  perte,  par  les 

*  châtiments  dont  Dieu,  dans  sa  miséricorde,  les  frappera   sans 

*  doute  en  ce  monde  pour  ne  pas  les  damner  dans  l'autre.  A  ces 

*  accents  si  touchants  de  la  charité  et  du  zèle,  tout  l'auditoire  fond 
*en  larmes  :  Augustin  y  mêle  les  siennes,  et  la  victoire  est  rem- 

*  portée;  l'usage  est  aboli   à  jamais.  —  Le  même  saint   docteur 

*  trouve  à  Césarée,  en  Mauritanie,  l'habitude  ancienne  d'un  spec- 

*  lacle  barbare  qui  faisait  les  délices  du  peuple  :  il  monte  en  chaire 
"pour  demander  la  suppression  de  cette  coutume,  et  s'élève,  avec 

*  toute  la  force  de  son  génie,  contre  un  spectacle  si  indigne  d'âmes 

*  chrétiennes.  Ou  applaudit  :  il  croit  n'avoir  lien  fait,  il  conlhme 
*avec  plus  de  véhémence;  on  fond   en  liirmcs,  alors  il  espère. 

•  Essai  sur  l'Eloquence  de  la  chiire. 


156  TRAITÉ  T)E  L.\  rRÉOICATION. 

*(i  En  effet,  ajoute-t-il  en  racontanl  ce  trait,  le  peuple  renonça 

*  «  au  spectacle,  et  il  y  a  huit  ans  qu'il  n'en  est  plus  question.  » 

*  Voilà  ce  qu'on  appelle  le  talent  d'émouvoir.  On  trouve  ce  même 

*  talent    dans    saint    Chrysostome    désarmant  par   la   bouche    de 

*  Flavien  la  colère  de  Théodose  contre  les  habitants  d'Ântioche, 
*et  dans  Démosthènes,  dont  Fénelon  a  tracé  un  portrait  si  vrai, 

*  lorsqu'il  le  fait  parler  ainsi  à  Cicéron,  au  trentième  dialogue  des 

*  morts:  «  Tu  occupais  l'assemblée  de  toi-même,   et  moi  je  ne 

*  «  l'occupais  jamais  que  de  l'affaire  dont  je  parlais  ;  on  t'admirait, 

*  «  et  moi  j'étais  oublié  par  mes  auditeurs,  qui  ne  voyaient  que  le 

*  «  parti  que  je  voulais  leur  faire  prendre.  Tu  réjouissais  par  les 

*  «  traits  de  ton  esprit,  et  moi  je  frappais,  j'abattais,  je  terrassais 

*  «  par  des  coups  de  foudre  ;  tu  faisais  dire  :  Qu'il  farle  bien  !  et 

*  «  moi  je  faisais  dire  :  Allons^  marchons  contre  'Philippe.  »  On  ne 

*  saurait  donner  une  idée  plus  parfaite  du  talent  d'émouvoir.  Si 
*donc,  en  m'entendant,  l'auditeur  demeure  froid,  assez  calme  pour 

*  s'occuper  de  mon  éloculion  et  de  mon  geste;   si,  après  m'avoir 

*  entendu,  il  n'éprouve  que  le  plaisir  que  laisse  une  musique  agréa- 
*ble,  et  s'écrie  :  Qu'il  parle  bien!  qu'il  est  grand  orateur! ]e  n'ai 
*pas  touché,  et  mon  discours  manque  d'un  des  plus  beaux  carac- 
*tères  de  la  véritable  éloquence.  Si,  au  contraire,  pendant  que  je 

*  parlais,  l'auditeur  s'est  senti  profondément  ému;  si,  uniquement 

*  frappé  des  vérités  que  j'annonçais,  il  n'a  pas  eu  le  loisir  de  songer 
*à  la  diction;  si  je  l'ai  entraîné  comme  tout  palpitant  dans  ma 

*  course  sans  lui  laisser,  pour  ainsi  dire,  la  liberté  de  respirer; 
*si,  à  mesure  que  je  parlais,  son  cœur  s'est  attendri,  s'il  a  poussé 
*des  soupirs,   éclaté  en  sanglots,  versé  des  larmes,  et  pris  une 

*  résolution  ferme  de  faire  ce  que  je  lui  demandais,  j'ai  atteint 
*mon  butj  ma  prédication  a  été  touchante,  elle  a  été  ce  qu'il 
♦fallait. 

Quoique  la  prédication  ne  tende  pas  toujours  à  toucher  ou  émou- 
voir, elle  doit  cependant  plus  généralement  avoir  ce  caractère.  Car 
que  servirait  d'instruire  et  de  plaire,  si  l'on  n'amenait  l'auditeur  à 
aimer  et  pratiquer  les  devoirs  qu'on  lui  expose?  Si  l'on  ne  le  fait 
arriver  jusque-là,  on  demeure  en  chemin,  puisqu'on  n'a  dû  vou- 
loir instruire  et  plaire  que  pour  déterminer  à  pratiquera  Or,  pour 
l'amener  là,  il  faut,  par  l'art  de  loucher  et  d'émouvoir,  attaquer  son 

'  Victorise  est  flectere,  dit  saint  Augustin,  quià  fleri  potest  ut  (auditor)  docea- 
ttir  et  delectetttr,  et  non  assentiatur  :  quid  antem  illa  duo  proderunt,  si  desit 
hoc  tertium?  De  Doct.  christ.,  lib.  IV,  xxvni. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  157 

cœur  où  est  le  siège  de  sa  volonté  et  des  déterminations  généreuses  ; 
il  faut  s'en  rendre  maître  à  l'aide  des  passions  et  des  mouvements 
oratoires  qui  sont  les  ressorts  par  lesquels  il  se  gagne.  La  volonté 
sans  passion,  dit  Plutarque,  est  un  vaisseau  qui,  pour  partir,  attend 
que  le  vent  vienne  enfler  sa  voile.  Le  cœur  de  l'homme  a  naturelle- 
ment peu  de  goût  pour  la  verlu  ;  on  ne  le  décide  à  l'embrasser  qu'en 
lui  en  parlant  avec  âme  et  sentiment  ;  il  est  froid  pour  le  bien,  on  ne 
l'y  détermine  qu'en  l'échauffant  par  une  parole  passionnée  et  brû- 
lante :  c'est  donc  peu  pour  le  prédicateur  de  donner  de  la  lumière  à 
l'entendement,  dit  saint  François  de  Sales;  il  faut  encore  donner  de 
la  chaleur  à  la  volonté;  comme  c'est  peu  pour  l'auditeur  de  sortir 
du  sermon  convaincu  qu'il  doit  être  vertueux,  il  faut  qu'il  en  sorte 
déjà  vertueux,  c'est-à-dire  décidé  fortement  à  l'être.  Si  le  soleil 
n'avait  que  de  la  lumière  sans  chaleur,  il  demeurerait  toujours,  à  la 
vérité,  le  plus  bel  ornement  de  l'univers,  mais  il  n'en  serait  pas  la 
vie  et  cesserait  d'être  le  principe  des  beautés  de  la  nature  :  de  même 
tout  discours  qui  laisse  l'auditeur  froid,  qui  ne  remue  pas  le  cœur  et 
ne  lui  fait  pas  prendre  de  résolutions  fortes,  peut  être  étincelant  d'es- 
prit et  rayonnant  de  beautés,  mais  n'est  certainement  pas  un  bon 
discours.  Il  lui  manque  la  condition  essentielle  que  requiert  saint 
Augustin  :  Flectendus auditor  ut  moveatur  ad  agendum^. 

Si  au  contraire  le  prédicateur  réussit  à  toucher  les  cœurs,  tout 
sera  gagné.  Il  plaira  ;  car  on  plaît  toujours  quand  on  touche,  et  un 
plaît  davantage  à  proportion  qu'on  touche  davantage  ;  ses  preuves 
seront  trouvées  bonnes,  car  l'esprit  ne  songe  plus  à  contredire 
quand  le  cœur  s'est  rendu,  l'émotion  l'entraîne,  et  la  victoire  est 
assurée.  C'est  en  touchant,  bien  plus  qu'en  raisonnant,  qu'on  con- 
vertit; c'est  en  prenant  les  hommes  par  le  cœur  qu'on  les  ramène, 
bien  plus  qu'en  les  prenant  par  l'esprit,  parce  que,  pour  la  plupart, 
le  siège  du  mal  est  bien  plus  dans  la  volonté  que  dans  l'entende- 
ment; et  voilà  ce  ((ui  explique  comment  des  discours  médiocres 
pour  la  compo.sition,  mais  louchants  et  pathétiques,  ont  produit 
de  si  grands  effets.  C'est  le  sentiment  qui  est  l'âme  de  l'éloquence, 
et  c'est  le  pathétique,  l'xpression  du  sentiment,  qui  fait  faire  les 
conversions,  les  restitutions,  les  réconciliations  :  à  la  faveur  des 
mouvements,  on  triomphe  du  cœur,  et  on  en  obtient  tout  ce  qu'on 
veut.  Tout  le  secret  du  succès  est  donc  là  :  le  discours  qui  n'atta([ne 
pas  le  cœur,  qui  ne  le  remue  ni  ne  le  touche,  est  presque  nécessaire- 

'  De  Doct.  clirist.,  lib.  IV,  xxvii. 


158  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

ment  un  discours  sans  effet.  On  aura  beau  prouver,  par  exemple, 
qu'il  y  a  un  jugeinent  dernier  et  un  enfer,  l'auditeur  ne  se  convertira 
pas  si,  par  des  tours  vifs  et  des  mouvements  passionnés,  on  ne  lui 
inspire  la  crainte  de  l'un  et  de  l'autre. 

D'ailleurs,  le  christianisme  étant  une  religion  toute  de  sentiment, 
l'onction  qui  part  du  cœur  et  va  au  cœur  doit  être  le  caractère  es- 
sentiel et  comme  l'âme  de  l'éloquence  sacrée.  Parler  du  christianisme 
avec  froideur  et  sans  âme,  ce  n'est  pas  s'en  montrer  le  ministre, 
c'est  oublier  ce  qu'on  doit  à  Dieu,  à  ses  freines,  à  soi-même  :  à  Dieu, 
puisque  c'est  sa  cause  qu'on  plaide,  sa  gloire  qu'on  défend  ;  à  ses 
frères,  puisque  ce  sont  les  grands  intérêts  de  leur  éternité  heureuse 
ou  malheureuse  qui  sont  en  question  ;  à  soi-même,  puisque  les 
vérités  que  le  prédicateur  annonce  le  regardent  aussi  bien  que  ses 
auditeurs,  et  que  si  ceux-ci  ne  se  sauvent  pas  par  sa  faute,  il  en  est 
responsable  devant  Dieu.  Loin  de  la  chaire  ces  prédicateurs  dont  la 
parole  froide  montre  des  hommes  pleinement  résignés  à  la  répro- 
bation de  leurs  auditeurs.  Quintilien  enseigne,  en  parlant  de  l'élo- 
quence profane,  que  les  mouvements  sont  la  partie  essentielle  de 
l'art  oratoire,  l'âme  qui  donne  la  vie  au  discours,  lequel  sans  cela  est 
sec,  froid,  languissant  et  mort  :  Hoc  opus,  hic  lahor  est,  sine  quo 
cxtera  nuda,  jejuna,  infirma  et  ingrata  sunt^.  Mais  si  ce  prince  des 
rhéteurs  exigeait  ces  mouvements  pour  les  harangues  séculières, 
combien  plus  sont-ils  nécessaires  dans  un  discours  chrétien  où  l'on 
a  à  faire  prévaloir  contre  toutes  les  résistances  de  la  nature  des 
intérêts  si  grands,  si  propres  à  émouvoir?  Plaire  sans  toucher  en 
pareilles  matières,  peut  valoir  la  réputation  de  bel  esprit,  mais  le 
titre  d'apôtre  et  d'homme  de  Dieu,  jamais  :  c'est  là  le  privilège 
exclusif  du  prédicateur  qui  touche. 

§  2. 

De  la  manière  de  toucher. 

Comme  toucher  ou  émouvoir  dans  le  sons  que  nous  l'entendons 
ici,  c'est  remuer  les  passions  qui  sont  dans  le  cœur  de  l'homme  et  les 
diriger  vers  le  bien,  il  est  évident  que  le  prédicateur  qui  veut  réussir 
dans  cette  partie  doit  connaître  la  manière  dont  le  cœur  se  meut,  ou 
plutôt  connaître  le  cœur  lui-même  ;  et  c'est  là  la  première  science 
de  l'orateur,  celle  qui  lui  vaut  les  plus  beaux  triomphes.  Delà  l'utilité 

»  Lib.  YI,  n. 


QUALITES  DE  LA  rKCDICATIOiN  159 

immense  dont  peut  lui  être  l'étude  de  la  théorie  des  passions,  telle 
quelle  est  présentée  dans  le  second  livre  de  la  Rliétorique  d'Aristote 
et  dans  les  quatrième  et  cinquième  livres  de  la  Recherche  de  la  vérité 
du  P.  Ma'lebranche  :  de  là  l'utilité  non  moindie  qu'il  peut  retirer  de 
l'étude  de  son  propre  cœur  pour  y  trouver  le  secret  de  remuer  celui 
des  autres,  parce  que  tous  les  autres,  étant  hommes  comme  nous, 
ont  un  cœur  comme  le  nôtre,  où  se  remuent  les  mêmes  passions  que 
nous  ressentons  en  nous-mêmes.  Ces  connaissances  présupposées, 
nous  indiquerons  au  prédicateur  :  P  le-s  conditions  requises  pour 
produire  les  mouvements  ;  "2"  la  manière  de  les  diriger. 

SECTION   v^ 

Des  conditions  reqiiises  pour  produire  les  mouvements  oratoires  '. 

Pour  produire  dans  les  auditoires  chrétiens  ces  grands  mouvements 
oratoires  qui  louchent  et  changent  les  cœurs,  il  faut  autre  chose  que 
pour  émouvoir  une  assemblée  profane.  Il  faut  d'abord  édifier  el 
prier  :  édifier,  parce  que  les  peuples  ne  se  laisseraient  pas  toucher 
par  un  homme  dont  la  conduite  démentirait  les  paroles;  prier,  parce 
que  la  grâce  toute-puissante  de  Jésus-Christ  peut  seule  opérer  dans 
les  âmes  ces  changements  meneilleux  qui  transtorment  un  honnne 
tout  entier.  Nous  réservons  au  chapitre  suivant  (art.  5  et  5)  le  déve- 
loppement de  ces  deux  vérités. 

Il  laut,  i"  étudier  les  dispositions  des  auditeurs  :  car  elles  vaiùent 
selon  les  personnes,  les  lieux  et  les  circonstances.  Ici  l'on  sera  touché 
dune  considération  qui  ne  produirait  rien  ailleurs  :  1  amour  et  les 
afiections  douces  gagneront  ceux-ci,  et  ceux-là  ne  seront  sensibles 
qu'aux  alïeclions  de  la  crainte.  Or,  si  le  prédicateur  ne  sait  pas  dis- 
cerner les  fibres  du  cœur  qu'il  faut  remuer,  impossible  qu'il  touche; 
s'il  le  sait,  sa  tâche  s'aplanit  et  le  succès  lui  devient  facile. 

Il  faut,  5"  être  profondément  touché  soi-même  de  son  sujet  :  Pectiis 
est  quod  disertos  facit,  a  dit  Quintihen-;  et  1  Esprit-Saint  avait  dit 
avant  lui  :  Car  sapientis  efudiet  os  ejus,  et  labiis  ejus  addet  graliam'. 
Il  n'y  a  qu'un  cœur  touché  qui  puisse  loucher  les  autres;  c'est  ime 
vérité  d'expérience.  —  J'ai  tenté,  dit  Cicéron%  tous  les  moyens  d'é- 
mouvoir; je  les  ai  portés  à  la  perfection  autant  qu'd  m'a  été  possible; 
mais  j'avoue  que  je  dois  mes  succès  moins  aux  efforts  de  mon  esprit 

'  Voyez  le  P.  Albei-t,  II*  pai't.,  c.  xmv  et  suiv.  —  -  lust.  orat..  x,  7  —  -'Pi-ov., 
XM,  23.  —  *  Orator.,  c\xxii. 


160  TRAITE  DE  LA  PRÉDICATION. 

qu'à  la  véhémence  des  passions  qui  m'agitent  et  me  transportent 
hors  de  moi-même  quand  je  parle  en  public...  C'est  par  celte  véhé- 
mence que  j'ai  réduit  au  silence  Hortensius,  que  j'ai  fermé  la  bouche 
à  Catilina,  que  j'ai  réduit  Curion  à  s'asseoir  sans  pouvoir  répondre  un 
seul  mot,  sinon  que  je  lui  avais  fait  perdre  la  mémoire  par  quelques 
sortilèges*.  »  «  Voulons-nous,  dit  Quintihen^,  après Cicéron^,  tou- 
«  cher  vivement  nos  auditeurs  ?  soyons  touchés  les  premiers  du  sen- 
«  timent  que  nous  voulons  leur  inspirer  :  A  tali  animo  proficiscatur 
((  oratioqualem  facere  {aiiditorem)  volet. Commen[  atlendrirai-je  si  ma 
«  parole  prouve  que  je  ne  sens  rien?  Comment  échaufferai-je  si  je 
«  suis  froid?  Comment  ferai-je  verser  des  larmes  si  j'ai  les  yeux 
«  secs?  Gela  est  impossible  :  on  n'allume  qu'avec  du  feu,  on  n'hu- 
«  mecte  qu'avec  quelque  chose  d'humide  ;  et  nulle  chose  ne  donne  à 
(t  une  autre  la  couleur  qu'elle  n'a  point.  »  Tout  le  monde  connaît  le 
mot  d'Uorace  : 

Si  vis  me  flere,  dolendum  est 

Primiim  ipsi  tibi. 
Pour  me  tirer  des  pleurs  il  faut  que  vous  pleuriez. 

La  raison  de  ce  principe  est  facile  à  concevoir  :  lorsque  l'orateur 
est  profondément  pénétré  de  son  sujet,  l'émotion  intérieure  donne  à 
ses  paroles,  à  ses  regards,  à  ses  gestes,  à  son  maintien,  à  toute  sa 
manière  une  action  passionnée  qui  exerce  sur  les  auditeurs  comme 
un  pouvoir  irrésistible  :  témoin  saint  Ignace,  dont  l'histoire  rapporte 
que,  malgré  la  grande  simpHcité  avec  laquelle  il  exposait  les  vérités 
de  la  religion,  la  manière  pénétrée  dont  il  en  parlait  touchait  ses 
auditeurs  jusqu'aux  larmes;  la  véhémence  du  sentiment  le  rendait 
éloquent.  Mais  si  l'on  n'a  pas  dans  l'âme  le  sentiment  qu'on  veut  in- 
spirer, en  vain  on  essayera  de  le  feindre;  tout  ce  qui  ne  vient  point 
du  cœur  ne  va  point  au  cœur,  et  rien  n'a  plus  mauvaise  grâce  qu'un 
orateur  qui  veut  faire  l'homme  touché  sans  l'être  réellement.  Il  crie 
avec  effort,  il  gesticule  avec  excès,  il  s'agite  en  tout  sens  ;  et  tous 
ces  mouvements  que  le  cœur  ne  dicte  pas,  n'aboutissent  qu'à  faire 
souffrir  l'auditeur.  .lamais  l'affectation  ou  ce  qui  n'est  point  naturel 
n'a  fait  verser  une  larme.  C'est  ce  qui  fait  dire  à  saint  François  de 
Sales*  que  «  pour  toucher  il  faut  être  bien  épris  de  son  sujet;  il  faut 
«  que  les  paroles  soient  enflammées  non  par  des  cris  et  des  rotions 

1  Orator.,  cxxix.  —  "  Lib.  VI,  n.  —  s  De  Orat.,  n,  189  et  seq.  —  *  Lettre  à 
l'archevêque  de  Bourges,  c.  v. 


QUALITÉS  DE  LA  PREDICATION.  Iffi 

«  démesurées,  mais  par  l'affection  intérieure,  et  qu'elles  sortent  du 
«  cœur  plus  que  de  la  bouche.  On  a  beau  dire,  ajoute-t-il,  le  cœur 
«  seul  parle  au  cœur  et  la  langue  ne  parle  qu'aux  oreilles.  »  Voilà 
ce  qui  explique  le  peu  de  fruit  qu'ont  produit  certains  prédicateurs 
de  beaucoup  d'esprit  ;  leurs  discours  brillaient  de  tout  l'éclat  du 
style;  la  vivacité,  la  hardiesse  et  le  nombre  des  figures,  rien  n'y 
manquait  ;  mais  en  entendant  ce  beau  langage,  on  reconnaissait  que 
l'orateur  n'était  pas  pénétré  des  sentiments  qu'il  exprimait,  que  sa 
parole  ne  partait  pas  du  cœur;  et  dés  lors,  on  ne  voyait  plus  en  lui 
qu'un  froid  déclamateur.  Voilà  aussi  ce  qui  fait  comprendre  comment 
les  mêmes  hommes  qui  parlent  si  bien  d'inspiration  dans  les  moments 
où  ils  sont  touchés,  sont  si  inférieurs  à  eux-mêmes  quand  ils  écri- 
vent dans  le  silence  du  cabinet;  comment,  par  exemple,  Maury, 
qui  parlait  à  la  tribune  un  langage  si  plein  d'âme  et  de  chaleur,  nous 
a  laissé  des  discours  écrits  où  l'on  ne  retrouve  le  plus  souvent  qu'un 
style  froid,  ambitieux  et  boursouflé.  Pedus  est  qiwd  disertos  facit, 
tel  est  le  mot  de  l'énigme.  Une  personne  même  ignorante  s'exprime 
éloquemment  dans  un  moment  de  douleur,  de  colère  ou  de  quelque 
autre  passion;  une  personne  simple  et  sans  lettres  parle  des  choses 
de  Dieu  avec  une  élévation  de  pensées  et  de  sentiments  qui  confond 
les  plus  habiles  docteurs  ;  c'est  que  l'une  et  l'autre  sentent  vivement, 
et  le  cœur  les  inspire. 

C'est  donc  une  condition  indispensable,  pour  quiconque  veut  tou- 
cher et  émouvoir,  de  se  bien  pénétrer  de  son  sujet;  mais  comment 
s'en  pénéti  er?  La  chose  est  facile  à  ceux  qui  ont  reçu  du  ciel  une 
âme  tendre  et  sensible  ;  sans  grands  efforts  ils  sentent  vivement, 
ils  se  pénétrent  fortement,  et  il  leur  est  aisé  d'être  éloquents  :  car 
les  grandes  pensées,  aussi  bien  que  les  grands  sentiments,  viennent 
du  cœur  ;  et  pour  parler  avec  Corneille,  il  est  facile  de 

Verser  dans  tous  les  cœurs  ce  que  ressent  son  cœur. 

C'est  cette  exquise  sensibilité  qui  répand  tant  de  charmes  sur  les 
écrits  de  Fénelon,  sur  les  sermons  de  Massillon\  et  qui,  dans  les 
temps  anciens,  a  inspiré  à  saint  IJernard  tant  de  morceaux  d'un  pa- 
thétique aciii'vé,  tels  que  le  discours  sur  la  mort  de  son  iVére  Gérard, 
et  à  saint  Jean   Chrysostome   tant  de   chefs-d'œuvre   d'éloquence. 

1  Voyez,  entre  autres  morceaux,  son  Iiomélic  sur  l'Enfant  prodigue  :  dès  les 
premiers  traits  qu'il  dessine  des  oomiials  inlrrifiirs  du  iirodigue,  on  se  sont 
ému,  tant  il  y  a  de  vérité  dans  la  iicinUiic  :  Combattu  par  ces  agitations  in- 
finies, etc. 

11 


168  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

Mais  si  l'on  manque  de  sensibilité,  jamais  on  ne  sera  oraleur.  Ne 
sachant  pas  s'attendrir  soi-même,  comment  sanrait-on  attendrir  les 
autres?  C'est  pourquoi  ceux  qui  ont  reçu  du  ciel  ce  don  précieux 
doivent  travailler  à  le  développer,  et  ceux  que  la  nature  n'a  pas 
créés  sensibles  doivent  s'efforcer  d'y  suppléer.  Il  est  pour  les  uns  et 
pour  les  autres  un  moyen  assuré,  c'est  la  pratique  journalière  et  fer- 
vente de  la  méditation,  comme  nous  le  dirons  au  chapitre  suivant 
(art.  5);  et  si  la  méditation  seule  n'émeut  pas  assez,  on  peut  lire 
attentivement  quelque  bon  auteur  sur  la  matière,  y  remarquer  les 
mouvements  oratoires  et  les  considérations  les  plus  propres  à  tou- 
cher, s'efforcer  par  la  prière  et  de  pieuses  affections  de  les  faire 
passer  dans  son  âme,  et  concevoir  un  grand  désir  de  les  communi- 
quer aux  auditeurs  pour  leur  salut.  Cette  disposition  de  zèle  mettra 
nécessairement  dans  le  cœur  des  mouvements  tendres  et  pleins  de 
sensibilité  propres  à  toucher  l'auditoire. 

4°  Après  qu'on  s'est  ainsi  pénétré  de  son  sujet,  il  ne  reste  plus 
qu'à  bien  peindre  les  sentiments  qu'on  éprouve.  La  vive  peinture  des 
choses,  dit  Fénelon  S  est  l'âme  de  l'éloquence  ;  le  véritable  ora- 
teur ne  se  contente  pas  d'énoncer  ce  qu'il  veut  dire,  il  le  peint; 
et  quiconque  n'aura  pas  ce  talent  ne  réussira  jamais  à  émouvoir.  Le 
sentiment  se  peint  par  le  ton  de  la  voix,  le  regard,  le  geste,  la  phy- 
sionomie et  tout  l'extérieur  qui  annoncent  si  l'on  est  touché  et 
Jusqu'à  quel  point  on  l'est;  mais  il  se  peint  surtout  par  la  parole. 
Quelquefois  il  inspire  lui-même  son  expression,  et  c'est  alors  quelle 
est  meilleure  : 

*  Lorsqu'il  ne  l'inspire  pas,  il  faut  appeler  à  son  secours  l'imagi- 

*  nation,  la  rhétorique  et  le  goût.  L'imagination  est  cette  faculté  de 

*  l'âme  qui  nous  peint  tous  les  objets  de  manière  à  les  rendre  aussi 

*  présents  à  l'esprit  que  si  on 'les  avait  sous  les  yeux;  ce  qu'elle 

*  nous  montre,  on  croit  le  voir,  on  croit  le  toucher 2;  et  il  n'est  pas 

*  jusqu'à  la  pensée,  jusqu'à  l'objet  même  spirituel  ou  idéal,  à  qui 

*  elle  ne  donne  un  corps  pour  le  faire  servir  à  former  dans  le  dis- 

*  cours  ces  tableaux  si  pleins  de  vie,  ces  images  si  touchantes  qui 

*  ravissent,  qui  donnent  de  la  force  à  la  diction  et  du  sentiment  aux 

*  choses  même  inanimées.  La  vérité  toute  nue  est  comme  une  fi- 

*  gure  morte  et  un  cadavre,  l'auditeur  s'en  laisse  peu  émouvoir; 

*  mais,  revêtue  par  l'imagination  de  qualités  sensibles,  elle  vit  et 

*  respire,   elle  émeut  le  cœur,  elle  l'intéresse,  elle  l'attendrit.  Les 

*  Dialogue  sur  l'Éloquence  de  la  chaire.  —  -  Quintilien,  llv.  YI,  c.  ii. 


QUALITES  DE  LA  PREDICATION.  163 

*  images,  dit  LonginS  animent  et  échauffent  le  discours,  captivent 

*  et  persuadent;  et  voilà  ce  qui  a  fait  dire  à  un  écrivain  de  beaucoup 

*  d'esprit*  que  «  l'éloquence  est  tout  entière  dans  le  cœur  et  l'ima- 

*  ,(  gination.  C'est  là  qu'elle  va  prendre  ces  vives  couleurs  qui  vous 
"*  «  font  voir  ce  dont  el!e  vous  parle,  ces  charmes  qui  embellissent 

*  «  tout,  ces  tours  hardis  et  véhéments  qui  donnent  aux  pensées  des 

*  «  ailes  de  feu  et  les  jettent  comme  des  traits  brûlants  dans  l'âme 

*  «  de  l'auditeur.  »  Or  le  moyen  de  cultiver  ou  plutôt  de  féconder 

*  cette  faculté  précieuse,  brillante  et  nécessaire  auxiliaire  de  l'élo- 

*  quence,  c'est  de  se  représenter  vivement  les  faits  dont  on  parle 

*  comme  si  l'on   en  était  l'acteur  ou  le  témoin,  en  étudiant  par  la 

*  pensée  toutes  les  circonstances  de  personnes,  de  lieu  et  de  temps, 

*  et  s'attachant  principalement  à  celles  qui  sont  plus  capables  d'en- 

*  flammer  l'imagination;  c'est  de  lire  les  bons  auteurs  et  d'y  obser- 

*  ver  tant  de  beaux  tableaux,  tant  de  vives  images  qui  représentent 

*  les  choses  avec  vérité,  les  meltcnt  sous  les  yeux  et  forcent  !e  cœur 

*  d'y  être  sensible.  —  La  rhétorique  doit  ensuite  venir  er.  aide  à 

*  l'imagination  avec  son  genre  pathétique,  ses  grandes  et  vives  figu- 

*  ^e^ï  si  propres  à  exprimer  les  mouvements  du  cœur,  comme  Vexcla- 

*  mation,  V apostrophe,  surtout  celle  qui  s'adresse  à  Dieu  par  des  re- 

*  tours  doux  et  tendres  qui  semblent  le  rendre  présent  au  discours*, 

*  ï interrogation,  de  toutes  les  figures  oratoires  la  plus  dominante  et 

*  la  plus  rapide  ;  le  dialogue,  qui  met  en  rapport  le  prédicateur  et 

*  l'auditoire,  et  qui  est  si  propre  à  échauffer  le  discours^  ;  le  mono- 

*  logue,  par  lequel  l'auditeur  rentre  en  lui-même,  se  reproche  le 

*  passé,  s'encourage  pour  le  présent  ou  prend  des  résolutioiîs  pour 

*  l'avenir;  V adjuration  ou  le  serment  oratoire,  qui  consiste  à  prendre 

*  à  témoin  les  êtres  animés  ou  inanimés,  l'autel,  la  croix,  les  tribu- 

*  naux  sacrés,  les  murs  de  l'église,  les  personnes;  le  souhait,  qui 

*  consiste  dans   des  désirs  ardents  de  convertir  son  auditoire,  de 

*  faire  aimer   Dieu,  fallût-il  pour  cela  donner  son  f-aug  jusqu'à  la 

*  Loiiîjin,  Traité  du  sublime,  c.  xiii.  —  ^  Le  P.  Guénard. 

3  Massillon  olfrc  do  licaux  exemples  de  ces  épancliemcnts  de  sensibilité  vers 
Dieu  :  1°  dans  son  liomélie  sur  l'cufaiit  prodigue  :  //  semble,  ô  mon  Dieu!  que 
vous  vouliez  être  purliculièrement  le  père  des  ingrats,  cic.  0  miséricorde  de 
mon  Dieu!  eli!  que  vous  revient-il  donc  du  sulut  de  la  cn'alure?  etc. . .  2°  Dans 
le  sermon  sur  le  Mélange  des  bons  et  des  méclianls  :  Il  semble,  ô  mon  Dieu! 
que  vous  ne  soyez  pas  assez  aimnMe  pour  être  servi  dans  la  seule  vue  de  vouS' 
même.  ">»  Dans  la  péroraison  du  Sermon  sur  les  ainiclions  :  Grand  l)ieu,  c'est  à 
V(S  pieds  désormais,  etc. 

*  On  trouve  des  dialogues  rcmarqualiles  dans  presque  Ions  les  .sermons  de 
Massillon;  voyez,  enlre  autres,   dans  le  sermon  sur  Thniploi  du  ienips. 


164  TliAlTÉ  DE  LA  rnEI)lCATlO>'. 

*  dernière  goutte  ;  quelquefois  mêiiie,  mais  lareineuf.,  les  iutorrup- 

*  lions,   les  sens  suspendus  ou  phrases  imparfaites.  A  ces  fij:;ures, 

*  ajoutez  tout  ce  qu'un  cœur  pénétré  d'une  foi  vive  peut  inspirer  à 

*  un  orateur  plein  de  son  sujet  :  une  courte  prière,  une  aspiration, 

*  un  coup  d'œil   vers  le  ciel,  un  geste,  un  soupir  suffisent  souvent 

*  pour  donner  aux  réflexions  les  plus  communes  une  force  capable 

*  de  toucher  jusqu'aux  larmes.  —  Enfin,  à  l'imagination  et  à  la  rliè- 

*  torique  doit  se  joindre  le  goût,  cet  instinct  pur  et  délicat  qui  ap- 

*  précie  le  vrai  beau  et  le  discerne  du  faux,  qui  rend  la  pensée  et 

*  le  sentiment  avec  une  vérité  parfaite  sans  rien  de  trop  ni  de  trop 

*  peu.  Privée  de  sa  direction,  l'imagination  se  jette  dans  des  écarts, 

*  et  la  rhétorique  prodigue  ses  fleurs  sans  discernement.  Avec  son 

*  secours,  au  contraire,  l'une  et  l'autre  sont  soutenues  dans  les  li- 

*  mites  où  il  faut  qu'elles  restent,  dirigées  dans  le  sens  où  elles  doi- 

*  vent  marcher;  les  couleurs  sont  distribuées  avec  sagesse,  chaque 

*  chose  est  à  sa  place,  rien  n'est  outré,  tout  est  comme  il  faut.  Cette 

*  faculté  si  importante  se  cultive  et  s'épure  par  l'étude  des  grands 

*  modèles,  l'habilude  de  la  réflexion,  la  discussion  sévère  de  ses 

*  propres  compositions,   comme  si  c'était  l'ouvrage  d'un  étranger 

*  soumis  à  notre  critique. 

SECTION   2. 

De  la  manière  de  diriger  les  mouvements. 

Autant  les  mouvements  oratoires  produisent  un  grand  effet  quand 
on  les  emploie  avec  sagesse  et  disci^étion,  autant  ils  gâlent  le  discours 
quand  on  ne  les  conduit  pas  selon  les  règles.  Or  ces  règles  peuvent 
se  réduire  à  six. 

1"'  Règle.  —  Tout  mouvement  oratoire  doit  être  en  rapport  avec 
le  sujet.  Il  est  de  petits  sujets  où  les  grands  mouvements  seraient  dé- 
placés et  ridicules  ;  d'en  est  d'autres  où  il  faut  des  mouvements  forts 
et  véhéments,  par  exemple  l'énormité  du  péché,  la  mort  du  pé- 
cheur, le  jugement,  l'enfer:  là  les  grands  mouvements  sont  de  mise; 
et,  employés  avec  art  par  un  orateur  vivenient  pénétré,  ils  peuvent 
produire  les  plus  heureux  effets,  comme  on  peut  le  voir  en  lisant  la 
peinture  du  jugement  dernier  par  saint  Éphreni  *  ou  par  saint  Jean 
Clïrysoslome^,  et  les  fragments  de  Bridaine  sur  les  fins  dernières'. 

*  Kibliotliôquc  des  Pères,  par  M.  Guillon,  t.  XI,  XVI,  ou  Godcscard,  Vie  de 
saint  Éplirem.  —  -  Discours  choisis,  par  l'abLû  Aiiger,  t.  II,  p.  282  et  455.  — 
'  Vie  de  Bridaine,  par  l'abbé  Carron. 


QUALITÉS  DE  LA  PREDICATION.  165 

Il  est  enfin  d'autres  sujets  où  il  faut  des  mouvements  doux  et 
tendres:  par  exemple,  l'amour  de  Dieu  ou  du  prochain,  le  ciel,  la 
confiance,  la  patience,  l'aumône;  et  même  on  pourrait  ranger  dans 
celle  classe  la  plupart  des  sujets  do  prédication,  puisque  le  fond  de 
la  religion  n'est  que  charité  et  amour,  que  la  douceur  est  plus  propre 
que  la  violence  à  gagner  les  cœurs,  et  que  l'auditeur  se  fatiguerait 
bientôt  des  mouvements  véhéments  qui  reviendraient  trop  souvent; 
d'où  l'on  peut  conclure  que  le  genre  dominant  de  la  chaire  doit  être 
l'onction,  cet  épanchement  suave,  pieux  et  affectif  d'un  cœur  plein 
de  Dieu,  lequel  s'insinue  dans  l'âme  sans  secousse,  y  réveille  les 
sentiments  les  plus  tendres,  en  gagne  et  soumet  toutes  les  puis- 
sances par  une  victoire  qu'elle  chérit.  Massillon  avait  bien  saisi  ce 
principe  :  dans  presque  tous  ses  sermons,  son  âme  s'épanche  en 
sentiments  avec  un  naturel  qui  enlève  ^  ;  et  il  est  à  regretter  qu'un 
grand  nombre  de  prédicateurs  ne  l'aient  pas  aussi  bien  compris. 
Emportés  par  une  imagination  vive  et  ardente,  ils  emploient  à  tout 
propos  les  grands  mouvements,  les  peintures  vives,  les  figures  har- 
dies, les  paroles  véhémentes,  jusque  dans  les  sujets  qui  demande- 
raient le  langage  le  plus  doux  et  le  plus  affectueux  :  par  là  ils  dé- 
naturent la  religion,  cachent  aux  peuples  ce  qu'elle  a  d'aimable  et 
d'attrayant,  et  fatiguent  leur  auditoire.  Eussent-ils  même  à  traiter 
des  sujets  terribles,  ils  devraient  savoir  au  moins  qu'il  faut  toujours 
dans  l'exorde  des  mouvements  doux,  dans  la  péroraison  des  mouve- 
ments véhéments,  et  dans  le  corps  du  discours  un  sage  tempéra- 
ment des  uns  et  des  autres, 

2«  Règle.  —  Tout  mouvement  doit  être  amené,  c'est-à-dire  qu'il 
faut  y  venir  par  degrés ,  y  préparer  peu  à  peu  les  auditeurs  par 
l'exposé  des  raisons  et  des  preuves,  et  y  arriver  comme  à  une  con- 
séquence toute  naturelle  de  ce  qu'on  a  dit.  Si  l'on  se  jette  brusque- 
ment et  sans  préparation  dans  ces  mouvements,  on  sort  de  la  nature, 
on  devient  ridicule.  Celte  précaution  est  surtout  nécessaire  quand 
les  auditeurs  sont  dans  des  dispositions  contraires  aux  mouvemejils 
qu'on  veut  produire:  alors,  connne  nous  l'avons  déjà  observé  ailleurs, 
il  faut  commencer  par  entrer  dans  leur  pensée,  se  confoi mer  à  leur 
situation  ;  puis  arriver  peu  à  peu  à  calmer  les  passions  qui  se  sont 
opposées  à  notr'e  but,  et  enfin  exciter  celle  que  nous  souhaitons.  Si 
les  mouvements  ne  sont  préparés  et  amenés  ainsi,  il  est  impossible 
qu'ils  réussissent. 

•  Voyez  le  sermon  sur  le  BoiiIumu*  cIoï  justes,  où,  îipièsMvoir  iiciiil  le  iiiallieur 
<lii  iirclieur  otiligé  de  s'étouidii"  sur  son  étal,  il  s'éi-rie  :  0  /uniniie,  etc. 


166  TRAITÉ  DE  LA  rRÉDlCATION. 

o"  Règle.  —  Tout  mouvement  doit  être  soutenu  et  ne  pas  s'arrêter 
brusquement.  Il  ne  sert  à  rien  d'arriver  au  cœur  et  de  l'émouvoir, 
si  on  laisse  imparfaite  l'émotion  commencée  pour  passer  tout  à  coup 
à  autre  chose.  En  ne  soutenant  pas  ce  mouvement,  on  prouve  à  l'au- 
diteur qu'il  était  factice,  qu'il  ne  partait  pas  du  fond  de  l'âme,  et 
par  cela  seul  on  en  détruit  tout  l'effet.  Puis  l'auditeur  qui  avait  com- 
mencé à  être  ému,  qui  se  préparait  à  suivre  l'émotion,  regrette  de 
se  voir  trompé  dans  son  attente  et  retombe  dans  la  froideur.  C'est 
donc  manquer  de  tact  et  de  goût  que  de  quitter  un  mouvement  à 
moitié:  lorsqu'il  commence  à  s'exciter,  il  faut  le  poursuivre  et  le 
conduire  à  sa  perfection  en  développant  par  des  tours  énergiques  ce 
qui  peut  toucher  et  pénétrer  davantage. 

Â"  Règle.  —  Les  mouvements  oratoires  ne  doivent  pas  être  poussés 
trop  loin,  c'est-à-dire  qu'il  faut  savoir  les  arrêter  à  propos  et  ne  pas 
les  faire  durer  trop  longtemps.  Les  mouvements  ne  doivent  régner 
dans  le  discours  que  par  intervalles  ;  rien  de  ce  qui  est  violent  ne 
peut  ni  ne  doit  être  durable,  et  si  l'orateur  a  assez  de  poumons  pour 
tonner  pendant  tout  un  sermon,  le  cœur  des  auditeurs  n'est  pas  fait 
pour  tenir  à  cet  excès  d'agitation  ;  il  s'en  fatigue,  et  ces  mouvements 
trop  fréquents  ou  trop  prolongés  cessent  de  lui  faire  impression  ^ 
On  s'accoutume  à  ce  qui  dure  ;  l'âme  s'y  endurcit  comme  le  corps 
aux  coups  réitérés,  et  tout  l'intérêt  se  refroidit.  D'ailleurs,  soutenir 
trop  longtemps  une  émotion  vive,  c'est  sortir  du  naturel,  et  s'épui- 
ser à  contre-temps.  Plus  même  le  mouvement  est  fort,  moins  il  faut 
l'étendre  ;  on  doit  craindre  de  le  délayer  en  le  présentant  sous  trop 
de  paroles  :  ce  serait  lui  ôter  toute  sa  force.  On  raconte  d'un  prédi- 
cateur que  quand  il  avait  ému  le  peuple  jusqu'aux  larmes,  il  des- 
cendait aussitôt  de  chaire  et  laissait  dans  son  émotion  l'auditoire 
consterné.  Commotis  animis,  dit  Cicéron -,  diutiùs  morarinon  opor- 
tebit:  lacrymâ  enim  nihil  citiùs  arescit.  Qu'on  juge,  d'après  cela^ 
combien  se  trompent  certains  prédicateurs  à  imagination  vive,  qui 
croient  faire  merveille  en  accumulant  les  tableaux,  les  figures,  les 
élancements  de  cœur,  les  mouvements  de  toute  espèce  ;  ils  visent  à 
l'effet  et  sortent  du  naturel.  Observons  toutefois  que  si  les  grands 
mouvements  ne  doivent  régner  que  par  intervalles,  il  n'est  aucune 
partie  du  discours  qui  ne  doive  être  animée  de  cette  chaleur  douce, 

1  Lacrymis  latigatur  auditor.  .  Is'on  patiamur  frigescere  hoc  opus,  et  affec- 
tum,  cùm  ad  summiun  ]iorduxerimus,  relinquamus. . .  Qiiidquid  non  adjicit 
prioribus  detroliere  \idetur.  et  facile  déficit  afïectns  qui  descendit.  Quintil., 
lil).  YI,  CI.  —  -  De  invontionc.  lih.  I,  110. 


QUALITES  DE  L\  PREDICATION.  167 

de  ces  mouvements  modérés  qui  donnent  la  vie  et  l'intérêt  à  tout  ce 
qu'on  dit. 

5«  Règle.  —  11  faut  retrancher  des  mouvements  oratoires  tout  ce 
qui  est  étranger  et  tout  ce  qui  est  outré.  Ce  qui  est  étranger  au 
mouvement  lui  donne  un  air  faux  qui  le  rend  froid  et  ridicule  ;  quand 
on  est  bien  touché  de  quelque  objet,  on  ne  pense  pas  à  autre  chose  ; 
l'âme  est  tout  entière  à  ce  qui  l'émeut.  D'un  autre  côté,  ce  qui  est 
outré  manque  tout  fait  son  but,  et  fait  souvent  rire  ceux  auxquels  on 
voulait  arracher  des  larmes,  observe  Quintilien  :  Nihil  habet  ista  res 
médium,  sed  aut  lacrymas  meretiir  mit  risum  ^  ;  ou  du  moins  quand 
ce  pathétique  outré  n'est  pas  ridicule,  il  est  froid  et  ennuyeux  ;  le 
cœur  veut  se  donner,  il  n'aime  pas  qu'on  le  force.  De  là  on  peut 
voir  combien  il  est  facile  de  s'égarer  en  essayant  le  pathétique,  et 
c'est  ce  qui  fait  dire  à  Quintilien  qu'on  ne  doit  point  entreprendre 
de  tirer  des  larmes  à  son  auditoire,  à  moins  de  se  sentir  le  talent 
nécessaire  pour  y  réussir  :  Ne  quis,  sine  summis  ingenii  viribus,  ad 
movendas  lacrymas  aggredi  aiideat...  Metiatur  ac  diligenter  sestimet 
villes  suas,  et  quantum  omis  subit2irus  sit  intelligat  -. 

6*^  Règle.  —  Les  grands  mouvements  oratoires  ne  comportent  pas 
un  style  châtié,  minutieusement  exact,  fleuri  et  périodique.  La  na- 
ture émue  a  de  l'abandon  dans  son  langage  et  ne  songe  pas  à  amuser 
l'esprit  par  des  périodes.  Tout  occupée  de  ce  qui  l'émeut  et  non  de 
la  manière  dont  elle  le  dit,  elle  a  dans  son  style  un  certain  désordre; 
son  expression,  sa  voix,  son  geste,  ne  sont  réglés  que  par  son  émo- 
tion. Le  soldat  qui  pousse  lennemi  à  outrance,  dit  Gaichiez,  se  met 
peu  en  peine  si  les  spectateurs  sont  charmés  de  sa  grâce,  il  est  con- 
tent pourvu  qu'il  vainque.  Pour  terrasser  des  monstres,  on  n'em- 
ploie pas  des  armes  de  parade  ;  il  faut  le  sabre  et  la  massue.  Ces 
irrégularités  éloquentes  sont  éminemment  propres  au  sermon  où  le 
prédicateur  envisage  moins  la  perfection  que  le  fruit  du  discours. 
Cependant  il  ne  faut  pas  croire  que  la  nature  émue  n'ait  ni  ses  insi- 
nuations ni  ses  figures  ;  elle  arrange  même  à  la  fin  avec  un  reste 
d'émotion  ce  que  dans  le  feu  elle  a  traité  en  désordre. 

OBSERVATIONS   SUR    LES    TROFS    ARTICLES    PRÉCÉDENTS. 

*  Avant  d'aller  plus  loin,  nous  croyons  devoir  rappeler  l'attention 
*du  lecteur  sur  les  trois  articles  précédents.  Remarquons,  l"qu'in- 

'  Lib.  VI,  c,  I.  —  *  Ibidem,  c.  vi,  n"'  1  et  4. 


168  TRAITE  DE  L\  rUEDICATION. 

*  slruire,  plaire  et  toucher  forment  les  trois  éléments  que  l'analyse  a 

*  fait  découvrir  aux  i  héteurs  dans  le  pouvoir  de  l'éloquence  sur  les 
*âmes,  les  trois  actions  que  l'orateur  est  appelée  exercer  sur  ses 

*  semblables,  les  trois  arts  (lui  font  l'homme  puissant  par  la  parole; 

*  ce  que  saint  Augustin  a  fort  bien  dit  par  ces  mots  aussi  courts  que 

*  pleins  de  sons  :  Veritas  pateat,  veritas  placent,  veritas  inoveat.  — 

*  Veritas  pateat,  voilà  l'élément  logique  qui  instruit  ;  veritas  placeat^ 

*  voilà,  pour  parler  comme  Âristote,  l'élément  politique  qui  capte  la 

*  bienveillance  et  fait  goûter  la  vérité  ;  veritas  moveat,  voilà  l'élé- 

*  ment  esthétique  ou  pathétique  qui  remue  les  passions  et  entraîne 
*ia  volonté. 

*  Remarquons,  2°  qu'on  retrouve,  sinon  toujours,  au  moins  le  plus 

*  souvent,  la  présence  on  l'action  de  ces  trois  éléments  dans  toutes 

*  les  opérations  par  lesquelles  doit  passer  l'œuvre  oratoire,  savoir  : 

*  1"  dans  l'invention  :  car  là  il  y  a  preuve  ou  élément  logique,  mœurs 

*  ou  élément  politique,  passions  ou  élément  pathétique;  2"  dans  la 

*  disposition  :  car  l'exorde  ou  le  début  demande  l'élément  politique  ou 

*  l'art  de  plaire,  le  corps  du  discours  l'élément  logique,  la  péroraison 

*  l'élément  pathétique  ;  3"  dans  l'élocution  :  car  ce  triple  élément  est 

*  la  base  de  la  diï^tinction  des  trois  styles  :  le  style  simple  sert  à 

*  mstruire  et  prouver;  puis,  comme  la  passion  est  poëto,  cliaquefo  s 

*  qu'on  est  ému  et  qu'on  veut  émouvoir,  on  en  prend  spontanément 

*  un  autre  tout  différent,  le  style  noble  et  élevé  ;  et  enfin  quand  on 

*  veut  plaire,  on  a  recours  naturellement  à  un  style  intermédiaire 

*  entre  les  deux  autres,  et  qu'on  nomme  le  style  tempéré;  A"  dans 

*  l'action  :  car  le  ton  et  le  geste  doivent  varier  selon  qu'on  instruit, 

*  qu'on  plaît  ou  qu'on  touche. 

*  Remarquons,  5"  que  le  concours  de  ces  trois  grands  éléments  de 

*  l'art  oratoire  n'est  pas  toujours  nécessaire  pour  constituer  l'élo- 

*  quence  :  il  peut  y  avoir  éloquence  avec  deux  éléments,  quelquefois 

*  même  avec  un  seul,  si  celui-là  est  le  seul  qui  soit  de  mise  dans  le 

*  cas  posé.  Qu'est-ce,  en  effet,  que  l'éloquence?  C'est  l'art  ou  le  don 

*  d'agir  sur  les  facultés  de  ses  semblables  par  l'expression  de  sa 

*  pensée.  Si  donc  je  parle  dans  une  circonstance  où  il  ne  faut  qu'in- 

*  struire  et  prouver,  je  serai  éloquent  si  j'instruis  et  je  prouve,  parce 

*  que  j'aurai  exercé  sur  l'esprit  de  mon  auditeur  la  seule  action  que 

*  j'étais  appelé  à  y  exercer.   Par  la  même  raison,  si  je  parle  dans 

*  quelque  grande  circonstance  où  il  ne  faut  qu'émouvoir,  je  serai 

*  éloquent  si  j'émeus,  sans  chercher  à  instruire  et  à  plaire  ;  et  la 

*  raison  fondamentale  de  cette  doctrine,  c'est  que  souvent  nous  nous 


QUALITES  DE  LA  PREDICATION.  169 

*  décidons  sous  l'influence  d'une  seule  des  trois  actions  que  peut 

*  exercer  sur  nous  l'orateur. 

*  Remarquons  enfin,  4°  que  cependant  le  plus  souvent  il  faut  fondre 

*  ensemble  ou  faire  marcher  de  front  ces  trois  éléments  ;  et  alors 

*  chacun  d'eux  doit  faire  des  concessions  à  l'autre  et  le  laisser  pré- 

*  dominer  selon  la  nature  du  sujet,  la  partie  du  discours  etles  diverses 

*  circonstances. 

ARTICLE  6. 

SIXIÈME   CARACTÈRE   DE  I.A    PREDICATION;   ELLE  DOIT   ETRE    CONFORME  AU  PRINCIPE 
d'uMTÉ    qui    est    essentiel   a    toute    bonne    COMPOSITION. 

Nous  montrerons  dans  un  premier  paragraphe  la  nécessité  de  cette 
condition,  et  dans  un  second  la  manière  d'y  satisfaire. 

*  §  !"• 

*  Combien  l'unité  est  nécessaire  dans  la  piédicalion  '. 

*  L'unité,  en  fait  de  composition  littéraire,  consiste  en  deux  cho- 

*  ses,  l'unité  de  vue  et  l'unité  des  moyens. 

*  1°  Il  y  a  unité  de  vue,  lorsque  tout,  dans  le  discours,  tend  à  une 

*  fin  commune  qui  est  comme  le  centre  où  tout  aboutit,  le  foyer  où 

*  tout  converge  ;  lorsqu'il  n'est  pas  une  phrase  qui  n'aille  à  ce  but, 

*  qui  ne  soit  nécessaire  ou  utile  pour  y  conduire  et  y  faire  arriver 

*  l'auditeur;  lorsque,  enfin,  de  ce  but,  comme  d'un  point  central, 

*  vous  voyez  d'un  seul  coup  d'œil  le  sermon  tout  entier,  de  même  que 

*  de  la  place  publique  d'une  ville,  on  voit  dans  toute  leur  longueur 

*  toutes  les  rues  qui  y  aboutissent  quand  elles  sont  droites  et  en 

*  symétrie.   Cette  unité  de  vue  donne  au  discours  cette  propriété 

*  remarquable,  qu'il  se  réduit  à  une  seule  proposition  mise  au  plus 

*  grand  jour  par  des  tours  variés,  ou  plutôt,  comme  dit  Fénelon,  il 

*  est  la  proposition  développée,  et  la  proposition  est  le  discours  en 

*  abrégé.  2"  Il  y  a  unité  de  moyens,  lorsque  toutes  les  parties  du 
■*  discours  sont  coordonnées,  liées  et  assorties  de  manière  qu'on 

*  avance  toujours  sur  une  même  ligne  de  conceptions  progressives  : 

*  c'est  un  tissu  de  pensées  et  de  sentiments  qui  se  suivent  et  s'engen- 

*  drent,  s'appellent  et  s'enchaînent,  et  forment  un  tout  régulier. 

*  Chaque  cliose  est  placée  en  son  lieu;  chaque  vérité  prépare,  amène, 

*  Voyez  le  Guide  de  ceux  qui  aiinoiiceiit  la  iiarolc  de  Dieu,  p.  '259,  2C0.  — 
Fénelon,  Lettre  à  l'Acadcmie. 


lîO  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION.  • 

*  appuie  une  autre  vérité  qui  a  besoin  de  son  secours,  et  toutes  con- 

*  spirant  à  conduire  l'auditeur  au  but,  l'y  mènent  par  une  liaison  de 

*  pensées  telle  qu'on  ne  peut  rien  en  ôter  sans  rompre  la  marche, 

*  rien  en  déplacer  sans  affaiblir  la  force  ou  déranj:^er  l'harmonie  du 

*  discours  ^  Voilà  ce  qu'on  appelle  ï unité,  ce  caractère  si  essentiel  à 

*  tout  ouvrage  d'art. 

*  Or,  disons- nous,  cette  unité  est  requise  pour  toute  bonne  prédi- 

*  cation;  et  premièrement,  l'unité  de  vue  est  nécessaire  :  car  tout  ce 

*  qui,  dans  un  discours,  ne  va  pas  au  but  et  ne  fait  rien  au  dessein 

*  que  le  prédicateur  a  dû  se  proposer,  est  un  hors-d'œuvre.  Fût- 

*  ce  de  vrais  traits  de  génie,  dès  qu'ils  ne  vont  pas  au  but,  ils  déparent 

*  l'ouvrage,  en  dérangent  l'économie,  semblables,   dit  Horace,  à 

*  des  bandes  de  pourpre  cousues  sans  ordre  les  unes  à  la  suite  des 

*  autres,  et  rappellent  la  manière  de  faire  du  statuaire  malhabile,  qui 

*  réussit  dans  les  détails  et  ne  sait  pas  composer  un  ensemble^,  ou 

*  celle  du  peintre  ignorant  qui  joint  au  corps  représenté  sur  sa  toile 

*  un  membre  qui  n'y  revient  pas.  Ces  pensées  disparates  distraient 

*  l'auditeur  ;  pour  peu  qu'il  ait  d'intelligence,  il  s'offense  de  ce  qu'on 

*  lui  fait  perdre  de  vue  le  sujet  principal  ;  et  mécontent  d'entendre 

*  ce  qu'il  sent  qu'on  ne  devrait  pas  lui  dire,  ne  voyant  plus  dans  le 

*  prédicateur  qu'un  voyageur  hors  de  sa  route,  qui  oublie  où  il  veut 

*  aller,  il  n'écoute  plus  avec  intérêt;  le  fruit  du  discours  est  manqué. 

*  2°  Quand  même  ce  qu'on  dirait  se  rapporterait  au  but  du  ser- 

*  mon,  cela  ne  suffirait  pas  encore  ;  il  faut  de  plus  l'unité  de  moyens 

*  dans  le  sens  que  nous  l'avons  expliqué.  En  effet,  ce  qui  fait  un  bel 

*  édifice,  ce  n'est  ni  un  grand  amas  de  pierres  et  de  matériaux,  ni 

*  même  la  collection  de  plusieurs  petites  maisons  rapprochées  sans 

*  vue  d'ensemble  ;  c'est  la  juste  proportion  de  divers  bâtiments  en 

*  rapport  les  uns  avec  les  autres  et  disposés  dans  le  même  dessein 

*  pour  former  un  tout  régulier.  Ce  qui  fait  une  armée  forte  el  capable 

*  de  vaincre,  ce  n'est  pas  la  multitude  des  soldats  :  s'ils  étaient  pêle- 

*  mêle  et  sans  règle,  ils  s'embarrasseraient  et  se  nuiraient  muluel- 

*  lement .  c'est  le  bel  ordre  dans  lequel  on  les  dispose,  l'ensemble  de 

*  la  marche  et  des  mouvements.  Enfin,  remarque  Quintilien',  ce  qui 

*  Bossuet  laisse  souvent  à  désirer  sur  ce  point  :  bien  des  morceaux ,  dans 
plusieurs  de  ses  sermons,  pourraient  se  retrancher  sans  que  le  discours  cessât 
d'être  complet. 

2  Infelix  opcris  suinmâ,  quià  ponere  totum 

Nesciet.  De  Art.  poet. 
s  Lib.  VI,  in  proœmio. 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  171 

*  fait  un  corps  luitnain  fort  et  vigoureux,  c'est  l'union  et  la  parfaite 

*  correspondance  de  tons  ses  membres.  Mettez  un  membre  à  la  place 
*d'un  autre,  vous  n'aurez  qu'un  monstre;  dérangez  tant  soit  peu 

*  les  muscles  et  les  nerfs,  ils  ne  feront  plus  leur  fonction.  Il  en  est 

*  de  même  du  discours  :  ce  qui  fait  sa  force  comme  sa  beauté,'  cène 

*  sont  pas  de  belles  lirades  disparates  et  sans  liaisons;  c'est  le  rapport 

*  intime  et  la  convenance  parfaite  de  chaque  partie  entre  elles  et  avec 

*  le  tout;  c'est  le  placement  bien  entendu  de  chaque  preuve,  de 

*  chaque  mouvement,  de  chaque  pensée  ;  c'est  la  suite  etl'enchaine- 

*  ment  des  idées  qui  se  tiennent  et  se  hent  si  bien  les  unes  aux  autres, 

*  qu'on  n'en  peut  rien  retrancher  sans  faire  une  lacune,  sans  couper 

*  dans  le  vif,  si  je  puis  ainsi  dire  :  c'est  l'ordre,  en  un  mot  ;  et  plus 

*  il  y  a  d'ordre,  plus  le  discours  est  parfait.  Quiconque  ne  voit  pas 

*  la  grâce  et  la  force  de  ce  bel  exemple  n'a  encore  rien  vu  au  grand 

*  jour,  ditFénelon*.  Si,  au  contraire,  chaque  vérité  ne&t  pas  mise 

*  à  sa  place,   si  l'orateur  dit  au  commencement  ce  qu'il  ne  devrait 

*  dire  qu'au  milieu  ou  à  la  fin,  ou  s'il  finit  par  où  il  devait  commencer, 

*  s'il  n'y  a  point  de  suite  dans  les  idées,   point  d'ensemble,  point  de 

*  marche  régulière,  c'est  un  discours  essentiellement  mauvais;  il 

*  manque  d'unité,  et  l'unité,  dit  saint  Augustin,  c'est  le  principe  et 

*  la  forme  de  tout  ce  qui  est  beau  :  Omnispidchriludinis  forma  imitas 

*  est^.  Sans  elle,  point  d'ordre,  et  sans  l'ordre,  il  n'y  a  que  confu- 

*  sion  et  ténèbres. 

De  la  manière  de  donner  de  l'unité  à  la  prédication. 

Pour  faire  une  instruction  qui  réunisse  l'unité  de  vue  et  l'unité  de 
moyens,  il  faut,  avant  tout,  se  proposer  une  fin  bien  précise  et  net- 
tement désignée.  Plusieurs  prédicateurs  seraient  fort  embari^assés 
pour  répondre,  si  on  leur  demandait  quel  est  le  but  où  tend  leur 
sermon  ;  ils  se  sont  proposé  de  remplir  leur  tâche,  de  com[)Oser  un 
discours  quelconque,  et  n'ont  pas  eu  d'autre  vue.  l>e  là  il  résulte 
qu'ils  errent  à  l'aventure,  qu'ils  parlent  à  tort  et  à  travers,  qu'ils 
frappent  en  l'air,  faute  d'avoir  un  but  où  diriger  leurs  coups;  et  l'au- 
diteur ne  voyant  pas  où  tend  celle  inslruclion,  et  où  l'on  veut  le 
mentir,  écoute  sans  intérêt  ou  du  moins  sans  i'ruil.  «  11  faut  donc, 
«  dit  saint  François  de  Sales,  bien  se  garder  d'entrer  jamais  en 
«  chaire  sans  avoir  un  dessein  pailiculier  d'êdiliir  quelque  coin  des 

•  Lettre  à  rAcadcniie.  —  *  I  Episl.  xviii. 


l'2  TliAITÉ  DE  LA  riŒDlCATION. 

«  aiiirailles  do  Jérusalem,  »  c'est-à-dire  qu'on  doit  toujours  se  pro- 
poser une  fui  jtile  au  salut  des  auditeurs,  comme  l'extirpation  d'un 
vice,  la  pratique  d'une  vertu,  l'abolilion  d'un  abus,  l'élablissement 
d'une  bonne  œuvre,  et  se  dire  à  soi-même  pour  mieux  préciser  celte 
fin  :  Qu'est-ce  que  je  veux  obtenir  de  mes  auditeurs?  Quelles  sont 
les  réformes,  les  pratiques  pieuses,  ou  la  vertu  spéciale  que  j'aspire 
à  leur  inculquer?  Quelles  dispositions,  quelles  résolutions  désiré-je 
qu'ils  remportent  de  mon  discours?  Et  il  faut  que  la  réponse  à  ces 
questions  soit  bien  nette  dans  l'esprit  ;  car  si  elle  y  est  vague  et  con- 
fuse, on  sera  comme  le  voyageur  qui  se  met  en  route  sans  savoir  où 
il  va*. 

Celte  fm  bien  précisée,  il  faut  :  1°  se  tracer  un  plan  propre  à  l'at- 
teindre ;  2''  remplir  ce  plan  sans  dévier  du  but  ni  déroger  à 
l'ensemble. 

1°  DU  PLAN^. 

Sans  plan  ou  avec  un  plan  mal  conçu,  obscur  ou  indéterminé, 
l'unité  est  impossible  :  on  peut  assembler  des  phrases  et  des  mots, 
mais  il  y  a  désordre  et  confusion  :  c'est  un  pêle-mêle  d'idées  jetées 
sans  suite  et  sans  enchaînement,  parce  que,  ne  les  ayant  pas  subor- 
données entre  elles,  on  ne  voit  pas  la  raison  de  placer  l'une  dans 
un  endroit  plutôt  que  dans  un  autre  :  mais  avec  un  bon  plan  on 
forme  sans  peine  un  corps  d'ouvrage  où  tout  se  lie  et  se  tient,  où 
toutes  les  raisons  apparaissant  chacune  à  sa  place,  claires  et  dis- 
tinctes, se  prêtent  une  force  mutlielle  qui  double  leur  effet,  où  les 
mouvements  bien  préparés  arrivent  à  propos,  où  enfin  la  succession 
des  idées  qui  naissent  l'une  de  l'autre  et  l'ordonnance  générale  de 
tout  le  discours  forment  une  éloquence  de  choses  bien  autrement 

'  M.  de  Bclley  rapporte  que  S.  François  de  Sales  lui  demandait  souvent 
après  l'avoir  entendu,  quel  avait  été  son  Lut  particulier  dans  son  sermon,  et 
il  lui  recommandait  de  ne  pas  se  borner  au  dessein  y;énéral  do  convertir  les  pé- 
cheurs et  de  sanclilier  les  justes,  mais  d'avoir  toujours  un  but  particulier.  «  Vous 
«  ne  sauriez  croire,  ajoute  M.  de  Belley,  jusqu'à  quel  point  cet  avis  est  impor- 
«  tant  et  combien  de  sermons  bien  travaillés  sont  inutiles  faute  de  tendre  à  un 
«  but  particulier  ;  mais  quand  ou  n'a  qu'un  but  et  que  toutes  les  raisons  et  tous 
«  les  mouvements  frappent  là,  l'impression  est  puissante  et  de  nature  à  amollir 
«  les  cœurs  les  plus  durs.  » 

On  doit  tenir  pour  certain,  dit  le  P.  Albert,  qu'on  ne  fera  jamais  un  bon 
sermon  si  l'on  ne  se  dit  à  soi-même,  avant  de  le  commencer  :  Il  faut  que  je 
persuade  telle  vérité  :  cotte  intention  est  comme  un  cordeau  qui  conduit  les 
preuves  en  ligne   droite  et  empêche  qu'on  ne  s'égare  en  choses  inutiles. 

-  Voyez  CéruUi,  Discours  sur  l'intérêt  d'un  ouvrage.  —  Féuelon,  Lettre  à 
l'Académie,  §  4. 


QUALITES  DE  LA  PHEDICATION.  173 

entraînante  que  celle  des  expressions  ou  de  quelques  morceaux 
isolés. 

(le  plan  peut  se  faire  de  deux  manières  :  ou  par  une  division  clai- 
rement énoncée,  ou  sans  division.  Les  orateiiis  anciens,  les  Pères 
de  l'Église,  les  prédicateurs  d'autrefois,  pendant  plusieurs  siècles, 
s'abstenaient  souvent  de  diviser  leur  discours  :  ils  proposaient  leur 
sujet  et  le  conduisaient  jusqu'à  la  fin  sans  en  distinguer  les  parties. 
On  doit  les  imiter  en  cela  :  1"  quand  un  seul  point  doit  suffire  pour 
tout  le  discours  :  car  il  est  ridicule  d'annoncer  plusieurs  points  en 
se  réservant  de  dire  qu'on  n'a  pas  le  temps  de  les  traiter:  à  quoi  bon 
promettre  à  l'auditeur  ce  qu'on  ne  veut  pas  lui  donner  ?  2'^  quand  la 
liaison  des  matières  conduit  assez  l'esprit  sans  quil  soit  utile  d'an- 
noncer le  partage  de  ce  qu'on  va  dire  :  il  est  bon  même  quelquefois 
d'en  cacber  l'ordre  et  l'barmonie,  comme  dans  une  homélie  ou  une 
exhortation  ;  5"  quand  le  discours  doit  être  très-court,  comme  un 
compliment,  une  allocution,  une  petite  liarangue  :  l'énoncé  de  la 
division,  en  ces  circonstances,  nuirait  à  l'effet,  prouverait  un  esprit 
minutieux,  un  cœur  froid. 

Mais,  hors  de  ces  cas,  il  faut  énoncer  son  plan  à  l'aide  des  divi- 
sions. L'usage  constant  en  cette  matière  doit  faire  loi  :  s'en  écarter, 
ce  serait  une  singularité  de  mauvais  goût,  ce  serait  frustrer  l'attente 
des  auditeurs  et  les  mécontenter.  D'ailleurs,  la  pratique  des  divi- 
sions a  les  plus  grands  avantages  :  elle  est  utile  au  prédicateur  pour 
aider  sa  mémoire,  mais  surtout  pour  le  diriger  dans  sa  composition  : 
le  génie  a  besoin  d'être  guidé  dans  sa  route;  la  règle  qui  lui  épargne 
les  écarts  le  sert  en  le  contraignant  ;  et  il  n'en  est  que  plus  ferme 
et  plus  grand  lorsqu'il  marche  avec  ordre,  éclairé  par  la  raison 
et  le  goût.  La  division  n'est  pas  moins  utile  à  l'auditeur  :  elle 
répand,  dit  Quiniilien*,  une  grande  clarlè  sur  tout  le  cours  du 
discours  ;  elh;  sert  à  démêler  les  questions  principales  d'avec  les 
questions  iiundenles  qui  peuvent  les  obscurcir,  et  à  faire  ressortir 
les  iàée§  mères  auxquelles  se  rattacbent  tous  les  détails;  elle  délasse 
l'esprit  par  les  repos  auxquels  elle  donne  lieu  et  qui  disposent  à  un 
renouvcllenieut  d'attention  ;  elle  ex(nle  l'intérêt  par  h;  désir  ((n'elle 


*  Onil/oiii  pluriinum  liicis  et  fjralix  coufurl.  Neqne  eniin  soliini  id  cffieit  ut 
clariora  fiant  qux  ilicnntiir,  reluis  veliit  ex  tiirbû  cxlrarlix;  scd  rr/icil  f/iioqiie 
audtciitcDi  ccrlc  .shifjiila/  luii  parliidii  fine,  non  alitrr  fjnani  /'(tricntihns  jirr.  miil- 
tiim  dctraliHut  pUiii'ilionin  noliila  in)icri]iHs  liip/diliiis  Sjiatii/.  Màni  et  cilirinsti 
laboris  nusse  ineuHuruni  voliiptati  est,  et  Iwrtniiir  ad  rctiiina  fortins  c.vrqurnda 
scire  quantnm  supersit.  Oui  ni  il.,  lil).  IV,  c.  v. 


174  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

inspire  de  voir  coimnenl  le  plan  annoncé  sera  rempli  :  enfin,  dit 
saint  Charles,  c'est  \\n  fait  d'expérience,  que  tous  conçoivent  ei  re- 
tiennent phis  aisément  un  sermon  dont  les  parties  sont  bien  distinc- 
tes :  sachant  où  l'on  veut  les  conduire,  ils  suivent  le  discours  avec 
plus  de  plaisir,  et  en  retirent  un  plus  grand  fruit.  Aussi  est-il  digne 
de  remarque  que,  quand  le  sujet  du  discours  est  une  proposition 
composée,  ou,  ce  qui  revient  au  même,  quand  l'orateur  doit  établir 
plusieurs  propositions,  comme  cela  se  l'ait  dans  la  plupart  des  ser- 
mons, tous  les  orateurs  anciens  et  modernes,  sacrés  et  profanes, 
énoncent  les  divisions,  malgré  leur  usage  habituel  de  les  supprimer, 
comme  on  le  voit  dans  les  discours  de  Cicéron  pro  Milone^,  pro  Ar- 
cliiâ  poetd^,  pro  lege  Maniliâ^,  pro  Murenâ'',  dans  la  harangue 
de  Démosthènes  contre  Aristocrate,  dans  plusieurs  discours  de  saint 
Jean  Chrysostome,  de  saint  Basile  et  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  ; 
d'où  il  suit  combien  est  fausse  l'assertion  de  quelques  auteursmodernes 
qui  prétendent  ({ue  ia  méthode  des  divisions  a  été  inconnue  aux  an- 
ciens et  n'est  qu'une  invention  de  la  scolastique.  Celle-ci,  à  la  vé- 
rité, les  a  rendues  plus  communes,  mais  elles  existaient  longtemps 
auparavant. 

Fénelon  objecte  que  ces  divisions  avec  pause  entre  chaque  partie 
dessèchent  et  gênent  le  discours,  brisent  Taclion  de  l'orateur  et 
l'effet  qu'elle  doit  produire,  ôtent  l'unité  et  forment  comme  deux 
ou  trois  discours  différents.  Nous  convenons  qu'il  est  des  divisions 
vicieuses  qui  peuvent  produire  ces  mauvais  effets  ;  qu'il  fut  même 
un  temps  où  l'abus  en  ce  genre  était  porté  jusqu'au  ridicule  ;  mais 
de  l'abus  des  divisions  conclure  qu'il  faut  les  supprimer  toutes, 
c'est  un  sophisme  que  Fénelon  réfute  par  son  propre  exemple, 
puisqu'il  a  divisé  son  sermon  pour  l'Epiphanie  et  son  beau  discours 
pour  le  sacre  de  l'électeur  de  Cologne.  11  faut  en  conclure  seu- 
lement qu'il  faut  bien  connaître  et  bien  observer  les  règles  de  la 
division . 

Ces  règles  peuvent  se  réduire  à  cinq,  également  applicai)les  aux 
subdivisions  comme  à  la  division  elle-même. 

1°  La  division  doit  être  claire  :  car  on  l'emploie  pour  répandre 
la  clarté  sur  tout  le  discours;  et  comment  la  répandrait-elle  si  elle 
n'était  pas  claire  elle-même''?  Elle  doit  donc  être  conçue  en  termes 
si  nets  et  si  précis,  présenter  avec  tant  de  lucidité  le  partage  du  dis- 

1  C.  2.  —  2  G.  2.  —  3  C.  2.  —  *  G.  5.  —  »  Qyjj  turpius  quàm  id  esse  obscurum 
ipsum,  quod  in  eum  solum  adhibetur  usum,  ne  sint  cœtera  obscura?  Quint., 
lib.  IV,  c.  V. 


QUALITES  DE  LA  PRÉDICATION.  175 

cours,  que  même  .es  esprits  bornés  le  saisissent  et  que  personne 
ne  puisse  s'y  niépi  endre. 

2"  Elle  doit  être  just'»;  c'est-à-dire  qu'elle  doit  embrasser  toute 
l'étendue  du  sujet  ni  plus  ni  moins,  qu'un  point  ne  doit  pas  rentrer 
dans  l'autre,  que  les  diverses  parties  doivent  se  rapporter  à  un  tout 
de  manière  à  former  cette  unité  qui  fait  goûter  la  proportion  des 
parties  ;  que  même,  autant  que  possible,  le  premier  point  doit  être 
un  degré  pour  monter  au  second,  et  celui-ci  doit  confirmer  l'autre 
et  enchérir,  de  sorte  que  l'intérêt  aille  toujours  croissant.  Si  les 
partitions  ne  sont  pas  bien  tranchées,  si  les  membres  rentrent  les 
uns  dans  les  autres,  en  sorte  que  le  prédicateur  soit  obligé  de  re- 
venir sur  ce  qu'il  a  déjà  dit,  la  confusion  se  met  dans  le  discours, 
et  l'auditeur,  rebuté  de  voir  reparaître  les  mêmes  idées,  refuse  son 
attention.  Ce  serait  s'exposer  à  manquer  à  celte  justesse  que  de  vou- 
loir diviser  son  discours  toujours  en  deux  points  ou  toujours  en 
trois.  Il  ne  faut  pas  être  esclave  de  ce  nombre,  m^is  s'en  tenir  aux 
parties  indiquées  par  la  nature  du  sujet.  On  trouvera  dans  les 
Passions  de  Bourdaloue  et  de  Massillon  de  beaux  exemples  de  la 
justesse  dont  nous  parlons. 

5°  La  division  doit  être  courte,  mais  féconde.  Car  si  les  points  de 
la  division  n'étaient  pas  proposés  brièvement,  il  serait  difficile  de 
les  retenir;  et  s'ils  étaient  trop  nombreux,  par  exemple  quatre  ou 
cinq,  on  ne  les  traiterait  pas  assez  à  fond,  ou  l'on  ferait  un  sermon 
trop  long  et  on  disperserait  l'attention  sur  une  surface  trop  étendue. 
Il  en  serait  de  même  pour  les  subdivisions.  Multipliées,  elles  nuiraient 
aux  mouvements  oratoires,  et  rendraient  le  discours  sec  et  trop  di- 
dactique; on  serait  toujours  dans  les  énoncés,  et  rien  ne  serait 
poussé  ni  développé  ;  elles  ennuieraient  l'auditeur  et  embarrasse- 
raient sa  mémoire,  rapetisseraient  le  sujet  au  lieu  de  l'agrandir, 
l'obscurciraient  au  lieu  de  l'éclaircir  et  amèneraient  les  inconvénieiits 
qu'on  veut  prévenir  en  divisant  :  In  eamclem  obscur i la U>m  incidunt 
contra  qiiam  partitio  inventa  est,  dit  Quintilien^  Enfin,  elles  ôte- 
raient  au  sermon  sa  force  et  sa  majesté  ;  ce  qu'on  hache  trop  se  ré- 
duit à  rien,  et  ces  pai  ties  tant  subdivisées  ne  seraient  plus  les  mem- 
bres entiers  d'un  corps  de  discours  fort  et  vigoureux,  ce  n'en  seraient 
que  des  morceaux  coupés  et  comme  disséqués.  Auctorituti  plurimùm 
detrahunt  illa  non  menibra,  sed  frusta,  dit  encore  Quintilien®.  Si 
donc  beaucoup  de  subdivisions  semblent  naître  du  sujet,  il  faut  ou 

»  Lib.  IV,  c.  V,  u»  2.  —  ^  Ibida^ 


17S  TRAITE  DE  LA  PREDICATION. 

les  fondre  dans  le  discours  comme  preuves  ou  appendices  des  subdi- 
visions énoncées,  ou,  si  cela  ne  se  peut,  les  omettre  tout  à  fait.  Ce- 
pendant, dans  leur  brièveté,  les  divisions  et  subdivisions  doivent 
être  fécondes.  Car  si  l'on  se  resserrait  dans  de  petits  aperçus,  l'élo- 
quence serait  bientôt  à  sec.  11  faut  donc  prendre  des  sujets  vastes  ; 
mais,  toutefois,  pour  ne  pas  embrasser  trop  de  matières,  ce  qui  met 
trait  dans  la  nécessité  d'effleurer  les  choses  sans  les  approfondir,  il 
faut  se  borner  aux  rapports  les  plus  utiles,  et  leur  donner  les  déve- 
loppements convenables. 

4"  La  division  doit  être  simple,  soit  en  elle-même,  soit  dans  son 
énoncé  :  1°  en  elle-même,  c'est-à-dire  qu'il  ne  faut  point  rechercher 
les  plans  extraordinaires;  les  plus  communs,  étant  les  plus  naturels, 
sont  les  meilleurs.  C'est  plus  dans  la  manière  de  remplir  un  plan 
que  dans  le  plan  lui-même  que  se  montrent  le  talent  et  le  génie. 
D'ailleurs,  dédaigner  les  plans  communs  et  les  roules  battues,  c'est 
imiter  le  voyageur  qui  abandonne  la  route  publique  pour  se  jeter 
dans  des  sentiers  écartés.  2"  La  division  doit  être  simple  dans  son 
énoncé  :  c'est-à-dire  qu'il  faut  éviter  ces  divisions  par  antithèses  re- 
cherchées, par  répétitions  étudiées,  par  symétries  savamment  arran- 
gées qui  retournent  en  mille  manières  les  points  du  sermon,  et  énon- 
cer sa  division  le  plus  simplement  possible  pour  bien  fixer  l'esprit  de 
l'auditeur  sur  le  sujet  à  traiter,  sans  l'en  distraire  par  un  vain  jeu  de 
paroles,  par  une  affectation  puérile  de  répéter  la  même  chose  en 
trois  ou  quatre  manières  différentes. 

5°  La  division  doit  être  pratique  ;  c'est-à-dire  qu'en  général  les 
membres  de  la  division  doivent  montrer  ce  que  nous  devons  faire  ou 
ce  que  nous  devons  éviter  ;  de  sorte  que  l'auditeur,  en  retenant  seu- 
lement la  division,  sache  le  fruit  qu'il  doit  retirer  du  sermon.  Nous 
verrons  dans  la  première  partie  du  second  livre  la  manière  de  rendre 
pratiques  les  divisions  sur  toutes  sortes  de  sujets  ;  et  l'on  comprend 
ja  raison  de  cette  condition,  c'est  que  la  pratique  est  l'essentiel,  c'est 
la  seule  chose  qui  sauve. 

Le  plan  sans  division  doit  avoir  à  peu  près  les  mêmes  caractères 
que  la  division  elle-même,  il  doit  être  clair,  c'est-à-dire  qu'il  faut 
disposer  toutes  les  parties  du  sujet,  de  manière  qu'on  saisisse  d'un 
coup  d'oeil  leur  ensemble  et  leurs  rapports,  les  séparant  sans  les  iso- 
ler, les  assemblant  sans  les  confondre  et  donnant  à  chacune  la  place 
qui  lui  revient.  11  doit  être  juste,  c'est-à-dire  embrasser  le  sujet  dans 
toute  son  étendue,  mais  sans  aller  au  delà,  ne  rien  omelti'o  de  ce 
qui  lui  est  propre  comme  n'y  rien  mêler  d'étranger.  11  doit  être 


QUALITÉS  DE  LA  PRÉDICATION.  l''^ 

fécond,  c'est-à-dire  oiïrir  à  l'orateur  une  grande  abondance  de  pen- 
sées. Ce  doit  être  comme  un  beau  point  de  vue  du  haut  duquel  le 
voyageur  découvre  mille  objets  qui  le  ravissent.  Il  doit  être  simple, 
c'est-à-dire  que  tout  le  sujet  doit  se  réduire  à  un  petit  nombre  de 
pensées  ou  de  propositions  générales  qui  l'embrassent  tout  entier. 

Ces  diverses  qualités  du  plan,  comme  celles  de  la  division,  se  sai- 
siront beaucoup  mieux  en  les  appliquant  à  quelques  discours,  par 
exemple  au  sermon  de  Massillon  sur  la  vérité  de  la  religion  ou  sur 
la  Passion,  au  sermon  de  Bourdaloue  sur  la  loi  chrétienne  ou  à  celui 
de  Terrasson  sur  la  pensée  de  la  mort.  On  peut  dire  qu'en  général 
Bourdaloue  et  Massillon  sont  remarquables  par  la  perfection  de  leurs 
plans  et  de  leurs  divisions  :  on  ne  peut  que  profiter  beaucoup  en  les 
étudiant.  Le  premier  a  même  dans  ses  Pensées  plus  de  vingt  plans 
excellents  non  remplis,  que  tout  prédicateur  peut  s'approprier  et 
remplir  à  sa  manière. 

On  peut  tirer  ses  divisions,  tantôt  de  l'Écriture  sainte,  et  c'est  là 
la  meilleure  source,  parce  qu'alors  elles  ont  l'autorité  de  l'esprit  de 
Dieu  dont  on  ne  fait  que  commenter  les  divins  enseignements  ;  tantôt 
des  écrits  des  Pères  :  l'autorité  de  ces  hommes  éminents  leur  donne 
un  très-grand  poids  ;  tantôt  enfin  du  fond  même  du  sujet,  d'après  les 
indications  que  nous  donnerons  dans  la  première  partie  du  ssM^ond 
livre:  ainsi,  si  l'on  parle  d'une  vertu,  on  peut  prendre  pour  division  : 
Motifs  et  moyens  de  la  pratiquer  ;  si  c'est  un  mystère,  Excellence  du 
mystère  et  fruits  qu'on  en  doit  tirer  :  si  c'est  une  action  ou  une  œuvre 
à  recommander,  Motifs  de  faire  cette  œuvre,  manière  de  la  faire. 

2"    DE    LA    îIANILrE   DE    P.EMl'LU;    LE     PL.VN. 

Le  plan  une  fois  tracé,  il  faut,  1°  choisir  avec  discernement  les 
pensées  propres  à  le  remplir  et  n'y  admettre  que  celles  qui  vont 
droit  à  la  fin  qu'on  se  propose.  A  mesure  qu'elles  se  présentent  à 
l'esprit  dans  !a  méditation  préparatoire  du  sujet,  il  faut,  si  je  puis 
ainsi  dire,  leur  demander  ce  qu'elles  feront  pour  cette  fin.  Et  si  elles 
ne  vont  pas  au  but,  ou  n'y  vont  que  par  des  voies  détournées  et  tor- 
tueuses, obscures  et  difficiles  à  suivre,  il  faut  les  rejeter  sans  pitié. 
Si,  au  contraire,  elles  semblent  convenir,  il  faut  en  prendre  note, 
afin  de  les  conserver;  ce  sont  pièces  de  bon  aloi.  Le  prédicateur 
continue  ainsi  son  travail,  toujours  les  yeux  fixés  sur  la  (in  cpi'il  se 
propose  pour  y  ajuster  tout  son  discours  ;  et  comme  un  hiibile  tireur 
qui  ne  perd  [n\s  de  vue  le  but  où  il  vise,  souvent  il  se  redit  :  Voilà 

U 


178  TRAITÉ  DE  LA  TREDICATION. 

OÙ  je  veux  amener  mes  auditeurs;  quel  effet  peut  produire  pour  cela 
telle  considération  :  Quid  hoc  ad  salutem  animarum  ?  Après  qu'il  a 
ainsi  rassemblé  toutes  ses  pensées,  il  les  repasse  en  revue,  il  les  dis- 
cute, il  examine  s'il  ne  lui  est  point  échappé  quelque  raisonnement, 
quelque  réflexion  qui  ne  se  rapporte  pas  au  but  ;  et  dès  qu'il  l'a 
reconnu,  quelque  spirituel  que  le  trait  lui  paraisse,  il  on  fait  le  sacri" 
flce  en  dépit  de  Famour-propre  :  par  là  jamais  il  ne  divague,  et  va 
toujours  droit  où  il  faut  aller,  se  tenant  constamment  dans  les  limites 
du  chemin  qui  y  conduit.  Si  le  sermon  a  plusieurs  parties,  par 
exemple  si  c'est  une  instruction  sur  la  pénitence  ainsi  divisée  :  Il 
faut  faire  pénilence,  il  ne  faut  pas  différer  la  pénitence,  il  faut  que 
la  pénitence  soit  rigoureuse,  l'orateur,  discernant  ces  trois  points  de 
vue,  ne  dira  rien  dans  la  première  partie  qui  se  rapporte  à  la  promp- 
titude ou  à  la  rigueur  de  la  pénitence,  rien  dans  la  seconde  qui  se 
rapporte  à  la  nécessité  ou  à  la  rigueur  de  cette  pénitence,  et  enfin 
rien  dans  la  troisième  qui  ait  trait  à  sa  nécessité  ou  à  sa  promptitude  ; 
autrement  il  perdrait  de  vue  son  but,  ses  preuves  ne  seraient  pas 
ad  rem. 

1°  Ce  n'est  pas  assez  que  toutes  les  pensées  aillent  toujours  clai- 
rement au  but,  il  faut  encore  les  coordonner  ensemble;  c'est  ce 
qu'Horace  explique  parfaitement  par  ces  vers  : 

Ordinis  hxc  virtus  erit,  et  venus,  aitt  ego  fallor, 
Ut  jàin  mine  dicat  jàni  nunc  debentia  die!, 
Pleraque  différât,  et  prsesens  in  tempus  omittat  * . 

Une  pensée  placée  après  telle  autre  qui  y  prépare  les  esprits  et 
lui  iriénage  en  quelque  sorte  bon  accueil,  fera  un  excellent  effet;  la 
môme  pensée,  jetée  tout  à  coup  à  l'auditeur  sans  aucune  précaution 
qui  l'y  dispose,  sera  mal  venue,  et  mécontentera  ou  ne  fera  aucun 
bien.  Une  preuve  qui  dite  d'abord  n'aurait  paru  rien,  deviendra  dé- 
cisive si  vous  la  réservez  pour  un  autre  endroit  où  l'auditoire  sera 
préparé  par  d'autres  considérations  à  en  sentir  toute  la  force;  sou- 
vent même  un  mot  qui  a  trouvé  heureusement  sa  place,  y  met  la 
vérité  dans  tout  son  jour  ;  tant  il  est  important  de  bien  coordonner 
toutes  les  parties  du  discours,  afin  qu'elles  marchent  avec  ensemble 
vers  le  but  comme  une  armée  aux  rangs  serrés  et  en  bel  ordre  de 
bataille.  Mais  pour  déterminer  ainsi  la  place  précise  de  chaque  chose, 
il  faut  être  bien  maître  de  sa  matière,  avoir  tout  vu,  tout  pénétré, 
tout  embrassé,  savoir  discerner  le  premier  anneau  de  cette  chaîne  de 

*  De  A:  L.  p  'cl.,  X1.I,  xLiv, 


QUALITÉS  DU  PRÉDICATEUR.  179 

preuves,'de  raisons,  de  sentiments,  puis  le  second  anneau  qui  sou- 
tiendra le  premier  et  auquel  le  premier  aura  préparé  les  esprits,  et 
ainsi  de  suite  jusqu'à  la  fin,  de  sorte  que  toutes  les  preuves  et  tous 
les  sentiments  s'entr'aident  pour  faire  impression,  que  le  discours 
aille  toujours  croissant  et  que  l'auditeur  sente  de  plus  en  plus  le 
poids  de  la  vérité.  L'ordre  même  dans  lequel  on  remue  les  passions 
n'est  pas  indifférent  ;  il  faut  commencer  par  celles  qu'on  peut  exciter 
d'abord  plus  facilement  et  qui  peuvent  servir  à  émouvoir  les  autres  ; 
de  là  on  passe  à  celles  qui  peuvent  produire  les  plus  grands  effets 
et  par  lesquelles  il  faut  terminer  le  discours. 

Les  diverses  parties  du  discours  ainsi  coordonnées,  il  faut  les  lier 
entre  elles  par  des  transitions  naturelles  ^  Sans  cela  le  discours  pa- 
raîtrait décousu,  composé  de  pièces  et  de  morceaux  qui,  rapprochés, 
ne  s'unissent  pas,  se  succédant  ne  se  suivent  pas  et  ne  font  jamais 
un  tout.  Ces  transitions  ne  doivent  point  être  un  simple  rapproche- 
ment de  mots,  mais  une  suite  dans  le  raisonnement  ou  le  sentiment, 
ménagée  avec  tant  d'art  qu'on  n'y  aperçoive  ni  effort  ni  intention  de 
faire  une  liaison.  Ce  doit  être  une  connexion  naturelle  telle,  qu.î  'es 
idées  s'appellent,  se  correspondent,  semblent  naître  les  unes  des 
autres  et  s'unir  par  leur  simple  développement  sans  des  rapports 
péniblement  combinés,  comme  les  pierres  bien  taillées,  dit  Cicéron, 
s'unissent  sans  le  secours  du  ciment.  Alors  les  transiiions  sont  à 
peine  sensibles,  et  le  discours  ressemble  à  ces  ouvrage  d'art,  fondus 
d'un  seul  jet,  où  l'œil  cherche  en  vain  le  point  d'union  des  parties 
qui  le  composent.  Pour  atteindre  ce  secret  de  l'art  oratoire,  il  faut 
bien  étudier  les  rapports  qui  unissent  entre  elles  les  différentes 
parties  du  discours  ;  et  si  l'on  ne  peut  pas  i  éussir  à  trouver  de 
bonnes  transitions,  il  vaut  mieux  s'en  passer;  les  mauvaises  dépai^ent 
le  discours  au  lieu  de  l'orner. 


CHAPITRE  V 

Des  (jualâtéK  «lu  prédicateur. 


Le  ministère  de  la  chaire,  pour  être  à  toute  lia  hauteur  de  son 
excellence,  demanderait  un  assemblage  de  qualités  qui  se  trouve  ra- 

*  Voyez  le  P.  Albert,  III"  part.,  c.  vu  et  vm. 


180  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

rement  dans  un  seul  homme.  Tout  ce  que  peuvent  et  doivent  faire 
ceux  qui  en  sont  honorés,  c'est  de  tendre  sans  cesse  à  perfectionner 
la  mesure  de  moyens  naturels  et  surnaturels  que  Dieu  leur  a  donnés, 
en  s'humiliant  tous  les  jours  d'être  si  éloignés  de  ce  qui  devrait  être 
un  ministre  de  la  parole  sainte.  Afin  de  les  diriger  dans  ce  travail  de 
perfectionnement,  nous  traiterons  ici  des  qualités  principales  qui 
doivent  distinguer  un  prédicateur  vraiment  digne  de  ce  nom,  et 
nous  les  réduirons  à  sept,  savoir  :  1°  la  mission  légitime  ;  2°  la  pu- 
reté d'intention  ;  5°  la  vie  sainte  et  exemplaire;  A°  le  zèle;  5"  l'es- 
prit d'oraison  ;  6"  le  talent  ;  7°  la  science. 

*  ARTICLE  I«^ 

'   DE   LA   MISSION    LEGITIME  *. 

*  Un  prédicnteur  n'a  droit  de  prêcher  qu'autant  qu'il  y  est  auto- 

*  risé  par  l'évêque  du  diocèse,  lequel  subordonne  ordinairement  sa 

*  permission  à  l'agrément  du  curé  du  lieu  où  doit  se  faire  la  prédi- 

*  cation.  C'est  là  ce  qu'on  appelle  la  mission  légitime,  et  saint  Paul 
*nous  en  démontre  la  nécessité  quand  il  dit  aux  Romains  :  Quomodo 
* prsedicabunt   nisi  mittantur^^.    Paroles  qui  ne  sont  que  counne 

*  l'écho  de  celles  que  fit  entendre  autrefois  le  Seigneur,  parlant  au 

*  prophète  Jérémie  :  Cùm  non  misissem  eos,  nihil  profuerunt  popido 
*hinc''.  Cette  nécessité  d'ailleurs  est  fondée,  1°  sur  la  subordination 

*  hiérarchique  ;  car,  supposons  pour  un  instant  que  chacun  puisse 

*  aller,  malgré  les  évêques  et  les  curés,  prêcher  dans  tous  les  dio- 

*  cèses  et  toutes  les  paroisses  ;  l'Église  ne  présenterait  plus  que 
*rimage  hideuse  du  désordre  et  de  la  confusion;  chacun  pourrait 

*  convoquer  les  peuples  à  son  gré,  prêcher  la  doctrine  qui  lui  plai- 

*  rait  ;  et  les  évêques  dépouillés  du  droit  d'accorder  ou  de  refuser  la 

*  mission,  selon  qu'ils  jugent  que  le  bien  spirituel  de  leurs  diocésaiiiS 

*  l'exige,  ne  pourraient  plus  remplir  les  devoirs  que  leur  impose  le 

*  double  titre  de  gardiens  de  la  foi  et  de  pasteurs  des  âmes.  La  né- 
*cessitè  de  la  mission  est  fondée,  2°  sur  la  nature  même  de  la  pré- 

*  dication  ;   car  la   prédication  ,    étant   une    légation ,    ainsi    que 

*  nous  l'avons  établi  dans  le  premier  chapitre,  suppose  qu'on  est 

*  envoyé  légitimement;  or  on  ne  peut  être  envoyé   légitimement 

*  que  par  ceux  que  Dieu  a  revêtus  de  son  autorité   pour  le  gouver- 

*  Voyez  Pastoral  de  Limoges,  t.  II,  I"  part.,  lit.  ra,  c.  i.  ~  *Rom.,  x,  IT).— 
c  iérém.,  xxiii,  52. 


QUALITÉS  DU  PRÉDICATEUR.  181 

*  iiement  de  son  Église,  puisqu'il  n'y  a  plus  aujourd'hui  de  mission 

*  immédiate  comme  au  temps  des  apôtres  et  des  prophètes. 

*  De  ce  principe  il  suit,  1°  qu'on  doit  aller  prêcher  partout  où 
*Dieu  envoie  par  l'organe  des  supérieurs,  sans  donner  pour  excuses 
*les  défiances  que  la  pusillanimité  suggère.  C'est  alors  que  le  prêtre 
*doit  dire:  In  verho  tuo  laxabo  rete^,  et  compter  sur  les  divins 

*  oracles:  Vir  obediens  loqiietar  victorias-.  Si  Dominus  magmis  vo- 
*hierit^  spiritu  intdligentix  replebit  illum'^.  Veni  et  mittam  te... 

*  Ego  ero  tecum''.  Il  suit,  2"  qu'il  ne  faut  point  cheicher  à  prévenir 
*le  choix  des  supérieurs  par  des  sollicitations  directes  ou  indirectes 

*  que  trop  souvent  Taniour-propre  inspire,  mais  at'endre  et  suivre 

*  l'indication  de  la  Providence.  Il  suit,  5"  que  si  l'on  a  le  choix  entre 

*  plusieurs  chaires,  sans  que  les  supérieurs  veuillent  prononcer,  il 
*uiut  choisir  celles  où  l'on  juge  que  la  prédication  sera  plus  ulile,  et 
*non  point  celles  où  l'on  espère  obtenir  soit  plus  de  réputation,  soit 
*plus  d'émoluments.  Une  mission  divine,  telle  que  celle  du  prédi- 

*  cateur,  ne  doit  point  prendre  sa  source  dans  la  vanité  ou  l'avarice, 

*  mais  uniquement  dans  l'intérêt  de  la  plus  grande  gloire  de  Dieu  et 

*  du  salut  des  âmes. 

*  ARTICLE  2. 

*  DE   LA    PURETÉ    d'iNTFNTIOS  ^. 

*  Celui  qui  enseigne  dans  l'Église,  dit  saint  Prosper,  doit  se  pro- 

*  poser  pour  fin  spéciale  de  rendre  meilleurs  ceux  qui  l'écoutent: 

*  Hoc  specialiter  doclor  ecdesiasticus  elaboret,  quo  fiant  qui  andiunt 
*eîim,  meliores,  non  vanâ  assentatione  faiitores^.  Son  but  doit  être 

*  d'amener  l'auditeur,  non  pas  à  battre  des  mains  d'admiration  et 

*  de  plaisir,  mais  à  se  frapper  la  poitrine  de  douleur  et  componction, 

*  à  rentrer  dans  sa  conscience  sans  penser  au  prédicateur,  à  aimer 

*  uniquement  Dieu  qui  l'a  fait  pour  lui  seul,  et  Jésus-Christ  qui  l'a 

*  racheté  au  prix  de  son  sang  ;  voilà  le  noble  et  unique  mobile  qui 
*doit  diriger  l'orateur  sacré.  Mais,  d'un  autre  côté,  l'éclat  de  cette 

*  fonction,  la  réputation  qu'elle  peut  donner,  l'ostime,  les  louanges, 

*  la  confiance  publique  qui  accompagnent  le  succès,  ont  une  telle 

*  puissance  de  séduction  sur  le  cœur  humain,  qu'il  est  à  craindre 

'  Luc,  V,  5.  —  -  l'rov.,  xxi,  28.  —  '  Eccli.,  xxxix,  8.  —  *  l'xod     ..i,  ri.  — 

*  l'iistoral  de  Liu.o-es,  t.  II,  1'°  part.,  5,  c.  i.  —  Le  1».  Albert,  II"  part.,  c.  xv.— 
Grenade,  liv.  I,  c.  viii.  —  ^  De  Yità  conlemplalivà,  iib.  I,  c.  xxiii. 


482  TRAITE  DE  LA  PRÉDICATION 

*  que  l'amour-propi-e  ne  s'empare  de  l'intenlion  du  prédicateur  et 

*  ne  devienne  comme  l'âme  de  son  ministère. 

*  Et  cependant  quoi  de  plus  contraire  aux  exemples  de  Jésus- 

*  Christ  et  des  apôtres?  Ilonorifico  patrem  memn...  disait  le  Sau- 

*  veur  :  ego  non  quxro  gloriam  meam  *...  Et  saint  Paul  disait  au  nom 

*  de  tous  les  apôtres  :  Nous  prêchons,  nonpas  pour  plaire  aux  hommes, 

*  mais  à  Dieu  :  Non  quasi  hominibus  placentes,  sed  Deo  qui  probat 

*  corda  nostva^.  Nous  ne  cherchons  ni  à  flatter,  ni  à  gagner  des 

*  biens    temporels  *  ni    à  nous  attirer  la  gloire  et  l'estime    des 

*  hommes:  Neqiie  enim  fiiimus  in  sermone  adulationis,  neqm  in 
* occasione  avaritix,  nec  quxrentes  ab  hominibus  gloriam^.  Nous  ne 
*nous  prêchons  pas  nous-mêmes,  mais  Jésus-Christ:  Non  nosmet- 

*  ipsos  prœdicamiis ,  sed  Jesum  Christum  *  ;   c'est-à-dire ,    suivant 

*  Tinterprélation  de  saint  Thomas,  nous  ne  rapportons  pas  nos  prè- 

*  dications  à  notre  gloire  ou  à  notre  intérêt,  mais  à  la  gloire  de  Jésus- 

*  Christ.  Nous  prêchons  en  toute  sincérité,  comme  parlant  delà  part 

*  de  Dieu,  en  sa  présence  et  dans  l'esprit  de  Jésus-Christ:  Ex  since- 
* ritute  sicut  ex  Deo,  coram  Deo,  in  Christo  loquimur'".  Telle  est 

*  l'excellente  et  très-parfaite  pureté  d'intention  avec  laquelle  ont 

*  prêché  Jésus-Christ  et  les  apôtres  ;  tel  est  l'exemple  donné  aux  pré- 
*dicateurs  de  lous  les  siècles  :  mais  celui  qui  porte  dans  la  chaire 

*  sacrée  des  vues  d'omour-propre  et  de  vanité,  fait  tout  le  contraire; 

*  il  se  constitue  en  opposition  formelle  avec  le  divin  fondateur  de 
*la  prédication,  avec  tous    les   apôtres,   et  c'est  là  son   premier 

*  désordre. 

*Le  second,  c'est  qu'il  fait  à  Dieu  un  outrage  direct.  Si  un  prince 

*  envoyait  un  de  ses  officiers  pour  calmer  une  révolte,  et  que  celui-ci, 
*au  lieu  de  rallier  à  son  souverain  les  sujets  insoumis,  se  fit  lui- 

*  même  le  chef  de  la  rébelUon  et  les  ralliât  à  sa  personne  ;  si  un  am- 
*bassadeur,  chargé  de  traiter  pour  son  roi  d'un  mariage  avec  une 

*  princesse  étrangère,  en  traitait  pour  lui-même,  ce  seraient-là  sans 

*  doute  des  crimes  de  félonie  et  de  lèse-majesté  au  premier  chef  :  or, 

*  tel  est  exactement  le  crime  du  prédicateur  qui  prêche  par  vanité.  II 

*  est  l'envoyé  de  Dieu  pour  lui  ramener  les  cœurs  des  hommes  re- 

*  belles  à  sa  loi  sainte  ;   et  au  lieu  de  gagner  ces  cœurs  à  Dieu,  il  se 

*  révolte  contre  Dieu  par  son  amour-propre  et  ne  songe  qu'à  se  les 

*  gagner  à  lui-même.  Il  est  le  délégué  de  Jésus-Christ,  chargé  de 

*  dire  aux  âmes  que  ce  divin  Sauveur  les  demande  pour  épouses, 

»  Joann.,  vm,  49  et  50.  —  ^  I  Thess.,  ii,  4.  —  ^  j  Tli«s..  ii,  5.  —  ♦!!  Cor., 
IT,  î>.  —  "  II  Cor.,  u,  17. 


QUALITÉS  DU  PRÉDICATEUR.  183 

■*et  de  presser  ce  saint  mariage  :  et  voilà  qu'il  ne  travaille  qu'à  se 

*  faire  aimer  lui-même  de  ces  âmes.  Traître  coupable  et  malheu- 
*reux!  s'écrie  saint  Chrysostonie:   Miser  et  infclix  proditor^ ,  il 

*  profane  la  sainteté  de   son  ministère  :    semblable  à  Judas  qui, 

*  dans  l'exercice  de  son  apostolat,  se  proposait  pour  lin  un  gain  sor- 

*  dide  :  Fur  erat  et  loculos  habens  ^,  lui  se  propose  l'intéiêt  non  moins 

*  méprisable  d'un  fol  orgueil.  Comme  ces  faux  apôtres  dont  parle 

*  saint  Paul,  pseiido-apostoli,  operarii  suhdoli,  Irmisflgurantes  se  in 
* apostolos  Ckristi' ;  quidam  per  invidiam  et  contentionem  prxdi- 
*C(mt'*^  il  abaisse  la  grandeur  de  sa  mission  jusqu'aux  petitesses  de 
*i'amour-proj)re;  il   s'en  sert  pour  faire  penser  à  lui  et  conquérir 

*  quelque  fumée  de  louange,  appliquant  ainsi  à  la  satisfaction  de  sa 
*vanité  les  talents  que  Dieu  lui  avait  donnés  pour  sauver  les  âmes  ; 

*  crime  dont  le  Seigneur  se  plaint,  dit  sain!  Bernard^,  par  ces  paroles 

*  du  Prophète  :  Je  leur  ai  donné  mon  or  et  mon  argent,  et  ils  l'ont  fait 

*  servir  au  culte  de  Baal.  Ainsi  il  corrompt  et  avilit  la  divine  parole 
*en  l'employant,  non  à  engendrer  des  enfants  à  Dieu,  selon  le  dessein 

*  qu'avait  eu  Jésus-Christ  en  la  lui  confiant,  mais  à  engendrer  des 

*  louangeurs  de  sa  personne,  des  admirateurs  de  son  mérite;  ce  qui 
*cst,  selon  saint  Grégoire,  une  espèce  d'adultère:  Adiilterare  ver- 
*bum  Dei  est  ex  eo  non  spirituelles  fructus  quxrere,  sed  adulterinos 
"^  fœtus  laudis  humansô^  ;  et  c'est  le  sens  que  donne  le  saint  docteur 

*  à  ces  paroles  de  l'Apôtre  :  Non  sumus  sicut  plu7imi  adultérantes 

*  verbum  Dei  ''    Enfin,  le  prédicateur  vaniteux  fait  encore  à  Dieu  un 

*  autre  outrage  :  c'est  que,  si  quelques  âmes  sont  touchées  en  l'en- 

*  tendant,  il  s'en  attribue  la  gloire  et  s'arroge  ainsi  un  mérite  qui  ne 

*  convient  qu'à  Dieu.  Car  si  l'homme  peut  planter  et  arroser,  Dieu 

*  seul  fait  croître  ;  si  l'homme  peut  frapper  les  oreilles,  Dieu  seul 

*  change  les  cœurs  :  à  lui  seul,  par  conséquent,  appartient  l'honneur 

*  de  la  conversion  :  Soli  Deo  honor  et  gloria. 

*  Mais  il  y  a  dans  l'amour-propre  du  prédicateur  quelque  chose 
*de  pire  que  l'injustice.  Que  dirait-on  d'un  père  qui,  accouru  pour 
*sauver  ses  enfants  de  quelque  grand  péril,  se  préoccuperait 
"moins  de  leur  délivrance  que  du  jugement  des  spectateurs  sur  le 
^plus  ou  moins  de  grâce  dans  sa  manière  de  faire,  et  se  consolerait 

*  aisément  de  l'inulililè   de  ses   efforts,   pourvu  qu'on   louât  son 


*  Homil.,  XXX,  ad  popul. -^  -  .Io;iiiii.,  XII,  G. — "'lICor.,xi,  \'>.  —  *!'liil.,  i,  1."). 
—  •>  Iii  Canlic,  serin  xli.  —  "^  Mural.,  lib.  .\VI,  2b.  el  lih.  XXIII,  c.  xii.  — 
">  II  Coi-.,  II. 


•If^'t  TRAITE  L)K  LA  ITmiDTCATION. 

*  adresse?  Sans  doute  toui   le    monde  crierait  à   l'inliumaiiité  ;  et 

*  cependant  c'est  là  l'image,  encore  bien  adoucie,  de  celui  qui  prê- 

*  elle  par  amour-propre.  Tère  de  son  peuple,  accouru  pour  arracher 

*  ses  enfants  à  l'enfer,  il  songe  moins  à  leur  salut  qu'à  sa  vanité  ; 
*sa  pensée  dominante  est  de  se  l'aire  estimer,  et  il  sera  content 
*si  1  on  dit  qu'il  a  bien  prêché,  quoique  personne  ne  se  soit  con- 

*  verti . 

*Une  telle  conduite  lui  fait  à  lui-même  le  plus  grand  tort  :  car, 

*  après   s'être  donné,  pour  composer  un  sermon,  l'apprendre  et  le 

*  débiter,  une  peine  qui  aurait  pu  lui  mériter  une  belle  couronne 
*dans  le  ciel,  il  en  perd  tout  le  fruit  en  le  sacrifiant  à  la  vanité.  II 

*  fait  de  sa  prédication  même  un  péché  digne  des  châtiments  de  la 

*  justice  divine;  et  semblable  à  la  lampe  qui  se  consume  en  éclai- 

*  rant  les  autres,  il  trouve  sa  perte  dans  les  choses  mômes  où  il  pro- 

*  cure  le  salut  des  auditeurs.  Peut-être,  par  un  sévère  jugement  de 
*Dieu,  il  obtiendra  la  gloire  et  les  éloges  qu'il  ambitionne;  mais 

*  cette  réputation,  à  laquelle  il  sacrifie  de  si  grands  intérêts,  est 

*  plutôt  une  ignominie  qu'une  gloire,  car  il  perd  la  réputation  ho- 
*norable  d'être  un  homme  de  Dieu  qui  touche  les  cœurs,  et  il  n'ob- 

*  tient  que  le  triste  )'enom  d'être  un  rhéteur  qui  flatte  les  oreilles  : 

*  il  perd  la  réputation  d'mi  prêtre  humble  et  sans  prétention,  et  il 

*  obtient  la  honte  attachée  à  la  vanité  qui  se  montre.  Voilà  devant 
*Ies  hommes  le  fruit  de  l'amour-propre  satisfait  ;  mais  devant  Dieu 

*  c'est  bien  autre  chose  :  l'orgueil  enfle  le  cœur  de  ce  prédicateur  à 

*  prétention;  il  lui  ferme  la  porte  des  grâces,  et  devient  pour  lui 
*un  piincipe  de  chute  et  de  péché  :  Initium  omnis  peccati  sii- 
*perbia'-. 

*A  tant  de  raisons,  ajouterai-je  que  l'amour-propre  suffit  seul 

*  pour  paralyser  tout  l'efi'et  de  la  prédication?  Pour  qu'une  pré- 
*dication  soit  utile,  il  faut  :  1°  la  bénédiction  du  ciel,  puisque 
*la  conversion  des  cœurs  ne  peut  être  que  l'ouvrage  de  la  grâce; 
*2"  la  bienveillance  des  auditeurs,  poui-  qu'ils  écoutent  favora- 
*blement;  3"  un  discours  propre  à  les  édifier.  Or,  l'amour-propre 

*  exclut  ces  trois  conditions  de  succès  :  \°  11  éloigne  les  bénédic- 
*tion3  du  ciel  ;  on  ne  les  aura,  ni  pour  traiter  dignement  les  mys- 
*tères,  puisque  les  lumières  divines  qui  en  révèlent  l'excellence, 
*la  grâce  et  les  vertus,  sont  réservées  aux  humbles  et  refusées  aux 


Eccli.,  X,  15. 


QUALITÉS  DU  PRKDICATEUr,.  183 

*  orgueilleux  '  ;  ni  pour  loucher  les  cœurs,  puisqu'il  est  écrit: 
*Deus  siiperbis  resistit,  humilibus  autem  dut  gratinm^;  ce  qui 
*veut   dire   que   les    humbles   peuvent    espérer   une    bénédiclion 

*  abondante  sur  leurs  prédications,  mais  que  les  orgueilleux  auront 

*  Dieu   contre  eux,  loin  d'en  pouvoir  espérer   assistance  :  «   C'est 

*  (i  vous,  »  écrivait  saint  François  Xavier  à  un  prédicateur  qui  se 

*  recherchait  lui-même  et  briguait  la  réputation  d'homme  d'esprit, 
*ft   c'est  vous  qui  êtes  cause  que  Dieu  est  privé  d'une  partie  de  sa 

*  ((  gloire;  c'est  vous  qui  êtes  cause  que  les  âmes  dont  le  soin  vous 

*  «  a  été  condé  ne  reçoivent  qu'une  faible  partie  dos  fruits  abon- 
*((  dants  que  vous  étiez  appelé  à  leur  procurer.  Oh!  combien  de 

*  «  dons  célestes  qui  étaient  sur  le  point  de  couler  sur  elles,  et  que 

*  «  vous  avez  arrêtés  par  cela  seul  que  vous  n'êtes  pas  tel  que  vous 

*  «  devriez  être.  »  —  2"  L'amour-propre  éloigne  la  bienveillance 
*des  auditeurs.  Celui  qui  affecte  de  montrer  de  l'esprit  se  fait  mé- 

*  priser  :  Odibilis  coram  Deo  et  hominibns  svperbia'\  On  n'est  pas 

*  disposé  à  le  croire,  et  on  cherche  des  subterfuges  pour  résistera 
*ses  raisons,  parce  qu'il  n'en  paraît  pas  touché  lui-même.  Affcrt 

*  andientibus ,  dit  Quintilien,  no7i  fastidhim  modo,  scd  et  odium'*.  — 

*  3"  Sous  l'inspiration  de  l'amour-propre,  on  ne  fait  pas  un  discours 

*  propre  à  édifier  :  on  commence  par  choisir  le  sujet  où  l'on  espère 

*  faire  briller  son  esprit  et  on  laisse  là  celui  qui  pourrait  être  plus 

*  utile  aux  auditeurs  :  on  n'a  pas  à  cœur  de  les  instruire,   dit  saint 

*  Grégoire  :  Non  illos  appétit  eriidire,  sed  se  ostendere,nec  intuetur 

*  quàm  justi  qui  audiunt  fiant,  sed  ipse  quàm  doctus,  ciim  avditiir, 

*  appareat^.  On  semble  avoir  adopté  la  maxime  d'Éliu,  cet  ami  de 

*  Job,  qui  disait  :  Audite,  sapientes,  verba  mea;  et,  enidÀti,  auscul- 

*  tate  me^  :  Ce  n'est  pas  pour  des  ignorants  que  je  parle;  vous  qui 

*  êtes  savants  et  pouvez  comprendre  ce  que  je  dis,  écoutez-moi  ;  et 

*  en  conséquence  on  délaisse  le  pauvre  sans  lui  donner  une  instruc- 

*  tion  à  sa  portée.  Chose  afligeante  !  Lors  môme  qu'on  prendrait  un 

*  sujet  utile,  la  vanité  empêche  de  le  traitei'  d'une  manière  profita- 

*  ble  ;  car  l'amour-propre  songe  plus  à  être  brillant  qu'à  être  clair, 

*  à  se  faire  remarquer  par  la  singularité  de  son  genre  qu'à  se  faire 

*  comprendre  par  un  langage  simple  et  naturel.  Les  preuves  com- 

*  numes  lui  déplaisent  comme  trop  vulgaires,  et  les  raisonnements 

'  ConliU'or  tibi,  l'alcr,  Domino  cœli  cl  terne,  quià  aliscoiidisti  Iircc  à  sapien- 
tibus  et.  iiriuleiililjns,  et  rovcliisti  ea  jiarvnlis.  Matlli.,  xi,  2r>.  — '^  I  l'etr.,  \.  5. 
—  .lac.  IV,  C.  —  '■  Kccl.,  X.  —  ■»  l,ih.  il,  c).  1.  —  ■■'  S.  C.rc-.,  Do  Mural., 
lib.  XXIV,  viu.  —  •=  Job.,  xxxiv,  '2. 


186  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  subtils  obtiennont  la  préférence  comme  plus  neufs  et  plus  piquants. 

*  xVinsi  l'on  parle  à  des  gens  simples  comme  si  c'était  à  des  hommes 

*  doctes  ;  et  pour  comble  de  malheur,  l'affectation  du  ttyle,  la  mul- 

*  tiplicité  des  figures,  ôtent  toute  chaleur  et  toute  onction  au  discours. 

*  Ajoutez  à  cela  que  l' amour-propre  met  dans  la  prononciation,  le 

*  geste  et  le  débit,  un  faste,  un  air  de  prétention  et  de  suffisance 

*  qui  ôteraient  au  meilleur  sermon  tout  son  effet  ;  et  ainsi  la  prédi- 

*  cation  se  trouve  entièrement  paralysée. 

*Du  principe  que  nous  venons  d'établir,  nous  pouvons  déduire 

*  plusieurs  conséquences  importantes  pour  la  pratique. 

*  1°  Les  prédicateurs  doivent  méditer  souvent  ces  avis  de  saint 

*  François  Xaxier   au  P.   Barzée^  :  «   Comme  j'entends   de  toutes 

*  ((  parts,  lui  dit-il,  faire  l'éloge  de  vos  prédications,  je  tremble  qu'à 

*  «  force  de  plaire  à  tout  le  monde,  vous  ne  cessiez  de  vous  déplaire 

*  ff  à  vous-même  :  humiliez-vous  sans  cesse  dans  vos  succès  en  en 
"*  «  rapportant  la  louange  à  Dieu,  unique  auteur  de  vos  talents  quels 
■*  «  qu'ils  soient  et  de  tout  le  profit  que  vos  auditeurs  en  tirent.  Rien 

*  «  ne  vous  appartient  en  propre  dans  ce  ministère  que  les  fautes 

*  ({  que  vous  y  mêlez  ;  croyez  que  si  Dieu  donne  à  vos  discours  force 

*  «  et  lumière,  quoique  vous  en  soyez  indigne,  c'est  une  faveur  ac- 

*  «  cordée,  non  à  vos  mérites,  mais   aux  prières  de  l'Église  et  à 

*  «  la  piété  du  peuple.  N'oubliez  pas  que  vous  rendrez  à  Dieu  un 

*  «  compte  très-sévère  de  ce  don  qui  vous  a  été  confié  pour  l'avan- 

*  «  tage  des  autres...  Comparez  le  fruit  de  vos  prédications  avec  le 

*  «  fruit  bien  plus  abondant  qui  en  résulterait,  si  vous  ne  mettiez  pas 

*  «  obstacle  aux  desseins  de  la  divine  bonté  par  vos  péchés  journa- 

*  ((  liers...  Plein  de  ces  pensées,  plus  on  vous  élèvera,  plus  vous  de- 

*  «  vez  vous  abaisser  profondément...  Je  vous  en  supplie,  appliquez- 

*  ((  vous  sans  relâche  à  ces  exercices  du  mépris  de  vous-même  :  si 

*  «  vous  veniez  à  les  négliger  ou  à  les  interrompre,  j'aurais  tout  à 

*  «  craindre  pour  votre  salut.  Piappelez-vous  tant  de  prédicateurs 

*  «  qui,  après  avoir  prêché  les  autres,  sont  devenus  des  réprouvés, 

*  «  par  cela  seul  qu'ils  manquaient   d'humilité  ;  ils  prêchaient  élo- 

*  «  quemment,  admirablement  ;  ils  ont  converti  grand  nombre  de 

*  «  pécheurs,  et  après  avoir  servi  d'instruments  aux  miséricordes 

*  «  du  Seigneur,  ils  ont  été  précipités  dans  les  feux  éternels,  parce 

*  «  qu'ils  se  sont  attribué  la  gloire  due  à  Dieu  seul.  Dressant  leur 

*  Voyez  le  Guide  de  ceux  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu,  p.  511  et  suiv 
Voyez  le  même  sujet,  par  S.  François  de  Borgia,  il/id.,  p.  202,  et  par  le  P.  Aqua- 
viva,  il>!cl.,  p.  2.bô. 


QUALITES  DU  PREDICATEUU.  487 

*  «  tête  superbe,  ils  ont  rencontré  les  foudres  que  Dieu  lance  contre 

*  «  ceux  qui  s'élèvent...  Pour  prévenir  ce  malheur,  calculez  ce  qui, 

*  «  dans  vos  prédications,  appartient  à  Dieu,  et  ce  qui  vous  appar- 

*  «  tient  à  vous-même  ;  alors  vous  ne  trouverez  pas  de  quoi  vous  glo- 

*  «  rifier,  mais  abondamment  de  quoi  trembler  et  vous  humilier,  s 

*  2"  Avant,  pendant  et  après  la  prédication,  il  faut  se  tenir  conti- 

*  nuellement  en  garde  contre  l'amour-propre  :  il  est  aussi  difficile 

*  de  n'en  point  subir  les  influences,  que  facile  de  se  le  dissimuler 

*  à  soi-même.  Saint  Grégoire  le  Grand  dit  de  lui-même,  dans  le  der- 

*  nier  chapitre  de  ses  Morales  :  «  Si  je  rentre  dans  mon  cœur  pour 

*  «  examiner  l'intention  qui  m'a  porté  à  composer  cet  ouvrage,  je 

*  «  vois  que  je  l'ai  entrepris  dans  la  vue  de  plaire  à  Dieu  ;  mais  je 

*  «  reconnais  en  même  temps  qu'il  se  mêle  quelquefois  à  cette  pre- 

*  «  mière  intention  d'autres  vues  moins  pures,  et  un  certain  désir 

*  «  de  la  gloire  humaine,  qui  s'empare  de  mon  esprit  comme  un 

*  «  voleur  qui  se  jette  à  l'improviste  sur  le  voyageur  au  miheu  de 

*  «  son  chennn.  »  Cet  exemple  d'un  si  grand  saint  apprend  aux  pré- 

*  dicateiu^s  combien  ils  doivent  se  tenir  en  garde  contre  ce  dange- 

*  reux  ennemi.  Jamais  ils  ne  doivent  se  permettre  un  mouvement, 

*  une  phrase,  un  mot,  pour  se  faire  remarquer,  pour  provoquer 

*  l'admiration  et  faire  dire  :  Que  c'est   bien  écrit  !  quelles  belles 

*  images!  Loin  de  rechercher  de  tels  éloges,  ils  doivent  en  être 

*  humiliés  lorsqu'on  les  leur  donne,   parce  que  c'est  une  preuve 

*  qu'ils  ont  manqué  leur  but,  qui  est  la  conversion.  Si  les  audi- 

*  teurs  étaient  vraiment  touchés  et  convertis,  ils  ne  songeraient  pas  à 

*  la  forme  du  discours;  ils  seraient  tout  occupés  du  fond  des  choses. 

*  3°  Autant  il  faut  s'oublier  soi-même  en  prêchant,  autant  il  faut 

*  se  préoccuper  vivement  de  la  fin  qu'on  se  propose  d'atteindre 

*  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes.  On  ne  doit  pas  imiter 

*  ces  prédicateurs   qui  ne  visent  qu'à  remplir  leur  tâche  de  ma- 

*  nière  à  contenter  leurs  auditeurs,  et  ne  songent  pas  même  au 

*  dessein  de  les  convertir;  l'homme  de  Dieu,  au  contraire,  le  vr.ii 

*  prédicateur,   ne  tend  qu'à  convertir   et  est  comme  tout  absorbé 

*  dans  cette  pensée. 

*  4"  Pour  avoir  cette  pureté  parfaite  d'intention,  il  faut  être  trés- 

*  saint.  Car  il  n'y  a  qu'une;  éminente  sainteté  qui  soiL  à  l'épreuve 

*  de  la  complaisance  dans  les  succès   et  du  découragement  dans 

*  les  revers,  qu'une  humilité  profonde  qui  ne  prenne  aucune  part 

*  dans  les  applaudissements  et  les  louanges,   qu'un   détachement 

*  complet  qui  ferme  les  yeux  à  toute  vue  propre  pour  ne  se  proposer 


i88  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*que  d'engendrer  des  enfants  à  Dieu,  de  former  Jésus-Christ  dans 
*les  cœurs  avec  son  esprit   ot  ses    saintes  dispositions,  heureux 

*  de  le  faire  vivre  et  croître  dans  l'estime  et  l'anioui'  de  tous,  et 

*  d'être  ouhlié  soi-même,  selon  la  devise  du  premier  prédicateur  qui 

*  l'a  annoncé  au  monde  :  lllum  oportet  crescere,  me  autem  mi- 

*  7iuiK 

*  ARTICLE  5. 

*  DE    LA   VIE    SAINTE    ET   EXEMPLAIRE  *. 

*  11  ne  suffit  pas  que  le  prédicateur  porte  dans  la  chaire  sacrée 

*  une  intention  droite  et  pure  ;  il  faut  encore  que  l'ensemble  de  sa 

*  vie  ait  répandu  d'avance  parmi  son  auditoire  comme  un  parfum 

*  de  vertu  et  sainteté  qui  prépare  la  persuasion  et  fraye  à  ses  pa- 

*  rôles  la  route  des  cœurs.  Les  païens  eux-mêmes  plaçaient  la  ré- 

*  putalion  d'homme  de  bien  et  de  grande  vertu  au  premier  rang 

*  des  qualités  de  l'orateur,  selon  le  mot  de  Caton  que  Quintilien  a 

*  si  bien  développé  au  Xll'^  livre  de  ses  Institutions  :  Orator  est  vir 
■*  probus  dicetidi  peritus.  Or,  si  tel  doit  être  l'orateur  profane,  que 

*  ne  doit  pas  être  l'orateur  sacré  qui  vient  prêciier  la  sainteté  à  ses 

*  auditeurs?  Pour  le   bien  comprendre,   considérons  d'un  côté  le 

*  saint  prédicateur,  et  de  l'autre  celui  dont  la  vie  n'est  pas  assez 

*  exemplaire. 

*  Le  saint  prédicateur  agit  sur  les  âmes  par  sa  présence  seule, 

*  par  ses  exemples,  par  ses  discours  et  par  ses  prières.  La  vue  seule 

*  en  chaire  d'un  homme  plein  de  piété  et  qu'on  croit  un  saint,  ré- 

*  veille  des  idées  de  vertu  et  donne  à  ses  paroles  comme  une  auto- 

*  rite  divine.  Tous  vénèrent  en  lui  l'homme  de  Dieu,  l'ange  du  Sei- 

*  gneur  ;  tous  récoutent  avec  un  religieux  respect  ;  et  jamais  le  mot 

*  de  Virgile  n'eut  une  application  plus  vraie  : 

*  Tune  pietate  gravent  ac  meritis  si  forte  viriim  quem 
'  Coitspexêre,  silent,  arrectisque  auribui  adsiant. 

*  nie  régit  dictis  animos  et  pectora  ninlcet. 

*  Saint  Liguori  n'avait  qu'à  se  montrer  en  chaire  ;  l'expression 

*  touchante  de  sa  physionomie,  son  air  pénétré,  ses  gestes  inspirés, 

*  Joann.,  m.  3lt. 

*  Voyez  le  Guide  de  ceux  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu,  p.  2G4,  269,  529. 
—  Rodriguez,  t.  IV,  1"  traité,  c.  viii.  —  Pastoral  de  Limoges,  lit.  ni,  c  m. — 
Albert,  I"=  part.,  c.  v.  —  Miroir  du  clergé,  t.  II.  —  Grenade,  liv.  I,  c.  ix,  et 
liv.  VI,  c.  XI. 


QUALITÉS  DU  PRÉDICATEUR.  189 

*  convertissaient  les  pécheurs  les  plus  endurcis,  et  jusqu'à  ceux  qui 

*  ne   pouvaient  saisir  une  soûle  de  ses  paroles^  Saint  François  de 

*  Borgia.  prêchant  à  la  première  messe  qu'il  dit  en  public,  fit  fon- 

*  dre  en  larmes  ceux-là  même  dont  il  ne  put  se  faire  entendre; 'le 

*  spectacle  seul  de  sa  personne  fit  dans  les  âmes  une  impression 

*  égale  à  celle  que  produisaient  ses  paroles  sur  ses  plus  proches  ou- 

*  diteurs.  Nous  avons  vu  le  saint,  s'écriait-on  tout   attendri,  nous 

*  avons  vu  l'amour  divin  élincelant  sur  son  visage  et  dans  tous  ses 

*  gestes  ;  et  l'on  se  convertissait.  On  raconte  quelque  chose  de  sem- 

*  blable  du  P.  Eudes  ;   un  seul  mot  sorti  de  sa  bouche,  la  simple 

*  récitation  de  l'Oraison  dominicale,  de  '.a  Salutation  angélique  ou 
■*  du  Décaloi'ue.  les  coups  dont  il  se  frappait  la  poitrine  en  disant  : 

*  Priez-  pour  nous,  pauvres  pécheurs,   touchaient  plus   les  fidèles 

*  que  les  sermons  les  plus  soignés  des  autres  prédicateurs  :  c'est 

*  ainsi  que  la  vue  seule  d'un  homme  de  Dieu  touche  et  convertit.  Ce 
"*  que  sa  présence  produit  de  bien  dans   les  âmes,  ses  saints  exein- 

*  pies  le  confirment  et  le  perfectionnent.  Avant  qu'il  parle,  sa  vie 

*  édifiante  a  déjà  prouvé  que  le  bien  est  possible,  et  ce  genre  de 

*  preuve  est  plus  du  goût  des  auditeurs  que  la  voie  de  la  discus- 

*  sion;  ils  le  saisissent  mieux,  c'est  un  langage   hiteliigible  à  tous 

*  les  yeux  ,  il  convainc  sans  discuter,  il  reprend  sans  offenser,  il  ôto 

*  tout  prétexte  à  la  lâcheté.   Comment  pourrions-nous  refuser  do 

*  faire  ce  qu'il  nous  demande,  disait-on  en  entendant  saint  Frau- 

*  cois  de  Borgia,  puisqu'il  en  a  fait  lui-même  beaucoup  plus? Cette 

*  prédication   d'action  a  encore  cet  avantage,   qu'une  fois  entrée 

*  dans  l'âme,  elle  n'en  sort  plus;  on  oublie  un  beau  discours,  on 

*  n'oubliera  jamais  un  grand  exemple  ;  il  demeurera  dans  le  cœur 

*  comme  un  remords  si  l'on  devient  infidèle.  Voilà  ce  que   pro- 

*  duit  l'exemple  d'un  saint  prédicateur;  que  produiront  donc  ses 

*  paroles?  Car  c'est  un  fait   d'expérience  que  la  sainteté  contribua 

*  merveilleusement  à  l'éloquence  :  elle  fait  une  partie  essentielle  du 

*  génie  apostolique  ;  c'est  elle  qui  inspire  les  grandes  pensées,  les 

*  sentiments  élevés,  les  dévouements  nobles,  généreux,  et  tous  ces 
■*  sublimes  élans  qui  font  battre  les  cœurs,  qui  enlèvent  l'admiration 
■•  et  entraînent  les  masses;    c'est  elle  qui   apprend  à  parler  de  la 

*  religion,   des   mystères,   des  vertus,  avec  âme,    iiilelligonco   et 

*  onction.  Quand  on  aime  Dieu  de  tout  son  cœur,  on  e^t  éloquent 

*  pour  dire  aux  autres  de  l'aimer.  Si  saint  Pierre  par  sa  première 

*  C'est  ce  qui  arriva  à  Salcrnc,  à  Bénévcnt,  à  Anialfi  et  ailleurs. 


190  THAITÉ  DE  LA  rr.l'.DîCATIO>'. 

*  i>rt''(licalioii  a  coiivorti  cinq  mille  lioiiiiiies,  c'est  que  son   cœur 

*  tout  embrasé  Taisait  arriver  sur  ses  lèvres  des  paroles  de  feu  qui 

*  allaient  au  cœur  des  auditeurs  :  Viriute  magnâ,  disent  les  Actes 

*  des  apôtres,  reddebant  testimonium  resuD-cclionif!  Jesn  Christi^. 

*  Mais  c'est  peu  encore  pour  les  saints  préilicati  urs  que  celte  pa- 

*  rôle  éloquente  que  leur  inspire  ri''sprit  divin  dont  ils  sont  rem- 
*j)lis,  ils  [trient  avec  ferveur,  et  leurs  prières  montent  au  ciel, 

*  en  fout  drscendre   la  grâce  rpù  bénit  el  féconde  tous  leurs  dis- 

*  cours.  Us  entrent,  selon  l'expression  du  Prophète,  dans  les  puis- 

*  sauces  du  Seigneur,  et  en  font  découler  une  pluie  salutaire  qui 

*  dispose  les  âmes  à  concevoir,  à  croire  et  à  aimer  les  vérités  qu'ils 

*  prêchent. 

*  Ainsi  réussissent  les  saints  prédicateurs.  Les  apôtres  n'étaient 

*  pas  des  orateurs  habiles  dans  les  lettres  humaines,  mais  ils  étaient 

*  des  saints  et  ils  convertissaient;  saint  Siméon  Stylite,  saint  Antoine, 

*  .^aint  François  d'Assise,  étaient  des  hommes  sans  études  et  sans 

*  science,  usais  ils  étaient  des  saints  ;  et  on  ne  saurait  dire  le  nombre 
*■  prodigieux  de  pécheurs  que  leur  parole  a  gagnés   à  la    vertu. 

*  Sainte  Catherine    de  Sienne  était  une  pauvre   fdle  sans   aucune 

*  connaissance  des  lettres,  qui  n'a  vécu  que   trente-trois  ans;   et 

*  néanmoins  ses  exhortations,  relevées  par  sa  sainteté,  opéraient 

*  tant  de  conversions  que  quatre  confesseurs  qui  l'accompagnaient, 

*  par  une  permission   spéciale  du  souverain  Pontife,  ne  pouvaient 

*  suffire  à  entendre  les  pécheurs  qu'elle  ramenait  par  ses  discours, 

*  tant  la  vie  sainte  et  exemplaire   donne  d'eflicacitô  à  la  prédi- 

*  cation. 

*  C'est  ce  que  disent  d'une  voix  unanime  tous  les  saints  docteurs  : 

*  saint  Augustin  enseigne  que  la  sainteté  de  la  vie  a  une  force  de 

*  persuasion  plus  puissante   que  la  plus  magnifique  éloquence  : 

*  Uabet  qunntâcumque  granditaîe  dictionis  majns  pondus  vita  di- 

*  centis^.  Saint  Prosper  dit  que  la  prédication  est  parfaite  quand 

*  elle  est  relevée  et  expliquée  aux  fidèles  par  f  éminente  sainteté  du 

*  prédicateur  plus  que  par  ses  beaux  discours  :  Eani  esse  perfectam 

*  dodrinam  quani  conversatio  spiritualis  oslendcvit,  non  qiiam  ina- 

*  nis  sermo  jaciildrit'^.  Et  saint  Bernard  attriluie  toute  la  puissance 

*  de  la  parole  du  prédicateur  à  l'édification  d'une  vie  exemplaire 

*  ({ui  prouve  à   tous  les  auditeurs  qu'il  est  le  premier  à  croire  ce 

<  Act.  IV,  ■".  —  -Lilî.  lY,  de  Doct.  cliri?!.,  c.  xxvii.  —  ^  Lib.  f,  de  Vilà  con- 
tcmp.,  c  XVII. 


QUALITÉS  DU  PRÉDICATEUR.  191 

*  qu'il  veut  persuader  aux  autres  .  Dahis  voci  tuse.  vocem  vîrtulis, 

*  si  quod  suades,  prius  tibi  illiid  persuasisse  cognosceris  :  validior 

*  operis  quàm  oris  vox^ 

*  xMais  autant  le  prédicateur  exemplaire  est  puissant  par  la  parole, 

*  autant  le  prédicateur  qui  ne   prêche  pas  d'exemple  est  impuissant 

*  pour  le  bien;  car  1"  il  n'aura  point  la  bénédiction  du  ciel,  sans 

*  laquelle  la  parole  est  stérile  :  au  lieu  de  bénir  sa  prédication,  Dieu 

*  la  lui  reproche  :  Peccatorî  cmtem  dixit  Deus  :  Quarè  tu  enarras 

*  juslilias  meas  etassumis  testamentum  meuniper  os  tuum^2  ei  elle 

*  sera  un  jour  le  texte  même  de  sa  condamnation  :  Ex  ore  tiio  te 

*  judico,  serve  nequain'^.  Les  bénédictions  célestes  ne  sont  que  pour 

*  les  prédicateurs  qui  pratiquent  ce  qu'ils  prêchent,  qui  ont  un  fonds 

*  solide  de  sainteté,  et  vivent  unis  à  Dieu  au  nom  de  qui  ils  parlent, 

*  à  Notre-Seigneur  dont  ils  sont  les  représentants,  et  à  l'Esprit-Saint 

*  dont  ils  sont  les  organes. 

*  2"  Il  n'aura  point  en  sa  faveur  la  bienveillance  des  auditeurs  : 

*  car,  lorsque  le  prédicateur  est  seulement  soupçonné  de  ne  pas 

*  faire  ce  qu'il  enseigne,  les  auditeurs  tournent  contre  lui  toutes 

*  ses  instructions,  lui   disant  intérieurement  :   Medice,  cura   teip- 

*  sum^...  Inexcusabilis  es,  ô  komo...  In  quo  enim  judicas alterum, 

*  teipsum  condemnas  :  eadein  enim  agis  quac  judicas...  Qui  alium 

*  doces,  teipsum  non  doces^.  Plus  même  il  prouve   l'obligation  de 

*  régler  ses  mœurs,  plus  il  se  déshonore  si  les  siennes  sont  décriées, 

*  parce  que  chacun  lui  renvoie  les  traits  quil  lance.  On  a  toujours 

*  mauvaise  grâce  de  prêcher  ce  qu'on  ne  fait  pas  ;  c'est,  au  laiîgage 

*  de  l'Écriture,  bâtir  d'une  m.ain  et  abattre  de  l'autre  :  Unus  sedifi- 

*  cans  et  unus  destruens  ;  quidprodest  illis  ''?  C'est  renverser  par  ses 

*  exemples  ce  qu'on  édifie  par  ses  discours  :  Quodverbis  praidicant, 

*  moribus  impvguant,  dit  saint  Grégoire'';  et  dès  lors,  continue  le 

*  même  Père,  le  prédicateur  est  sans  autorité  et  sa  parole  avilie  : 

*  Loquendi  auctoritas  pe7'ditur,  cîirn  vox  opère  non  adjuvntur  :  cnjus 

*  vita  despicitur,  restât  ut  ejus  prxdicalio  contemnatur.  L'auditeur 

*  prévenu  s'indigni;  contre  ces  nouveaux  pharisiens  qui  disent  et  ne 

*  font  pas  :  Dicunt  et  non  faciunt  ;  alligant  onera  gravla  et  imponunt 

*  in  humeros  hominiim,  digito  antem  suo  nohmt  eamovere^;  qui 

*  cen^^urent  le  monde  tandis  qu'ils  en  suivent  les  maximes,  (ju'ils  en 

*  ont  les  manières  et  en  goûtent  les  plaisiis  ;  qui  pi  relient  la  niorti- 

*  Scrm.  MX,  in  C^ntic.  —  -  Ps.  xi.ix,  xvi.  —  ^  Ur.c,  i,  '12.  —  *  I.nc".,  iv.  2i, 

*  Rom.,  II,  1  et  scq.  —  •^  Eccli.,  xwiv.  —  ''  Pii.<tor.,  \k\v\.  I.  '•.  ii.  —  î*  Mutlli,, 


192  TCAITÊ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  lication  et  la  pénitence  quand  ils  sont  connus  pour  aimer  la  bonne 

*  chère,  pour  mener  une  vie  molle  et  mensuelle;  qui  donnent  des 

*  leçons  de  détachement  en  tenant  sordidement  à  leurs  intérêts;  qui 

*  enseignent  la  douceur  avec  une  humeur  colère,  l'humilité  avec  un 

*  amour-propre  manifeste  à  tous.  Témoin  des  actions  qui  donnent  le 

*  démenti  et  font  honte  à  leurs  paroles,  le  peuple  s'en  tient  à  ce 

*  qu'il  leur  voit  faire,  méprise  ce  qu'il  leur  entend  dire,  et  ce  qu'il  y 

*  a  de  pis,  remarque  Fônelon,  c'est  qu'on  s'accoutume  par  là  à  penser 

*  que  cette  sorte  de  prêtres  ne  parle  pas  de  bonne  foi  ;  cela  décrie 

*  leur  ministère,  et  quand  d'autres  parlent  après  eux  avec  un  zèle 

*  sincère,  on  ne  peut  se  persuader  qu'ils  disent  vrai;  on  prend  leurs 

*  discours  pour  chose  de  cérémonie  et  affaire  de  métier.  Ainsi  le 

*  prédicateur  qui  n'est  pas  exemplaire,  n'aura  point  la  bienveillance 

*  des  auditeurs. 

*  5°  Il  n'aura  point  une  manière  de  prêcher  propre  à  convertir  : 

*  car,  quand  on  n'a  point  de  piété,  on  parle  d'une  manière  froide  et 

*  lâche,  qui  ne  peut  pas  toucher  les  cœurs,  remuer  les  volontés  ;  et 

*  si  quelquefois  l'on  s'anime,  tout  le  monde  reconnaît  que  ce  n'est 

*  qu'une  chaleur  factice  comme  celle  d'un  comédien  qui  joue  un 

*  rôle  sans  être  touché  des  sentiments  qu'il  exprime,  a  Si  les  prédi- 

*  »(  caleurs  convertissent  si  peu  de  monde,  dit  sainte  Thérèse*, 
■*  «  c'est  parce  qu'ils  n'ont  point  assez  de  ce  grand  feu  d'amour  de 

*  «  Dieu  qu'avaient  les  apôtres.  »  Quand  on  n'aime  point  Dieu,  on 

*  n'a  pas  à  cœur  qu'il  soit  aimé,  et  on  en  vient  jusqu'à  ne  pas  oser 

*  dire  certaines  vérités  aux  pécheurs,  tantôt  par  respect  humain, 

*  tantôt  par  intérêt  :  Dkm  timemus  detractiones,  irrisiones  et  oppro- 

*  hria  hominum  siipei^borum,  dùmqiie  metidmus  perdere  tejnporalia, 

*  minus  quàm  oportet  prxdicamus  seterna,  dit  saint  Augustin  2,  ou  si 

*  on  leur  en  parle,  on  le  fait  mal,  parae  qu'on  le  fait  sans  piété.  La 

*  plupart  des  prédicateurs  prêcheraient  bien  s'ils  étaient  saints;  une 

*  piété  tendre  et  solide  préviendrait  les  écarts  de  l'humeur  ou  de 

*  l'imagination,  rectifierait  le  goût,  et  suppléerait  même  peut-être  à 

*  ce  qui  manque  du  côté  du  talent.  De  toutes  ces  réflexions,  nous 

*  pouvons  donc  conclure,  avec  saint  Grégoire,  que  le  plus  grand 

*  fléau  de  la  religion  c'est  d'avoir,  pour  reprendre  les  pécheurs,  des 

*  prêtres  dont  la  vie  n'est  pas  édifiante  :  Nulliim,  puto,  ab  aliismajus 

*  prxjudicium  quàm  à  sacerdotibiis  tolérât  Deiis,  quando  eos  quos 

*  ad  aliorum  correctionem  posuit,  dare  exempla  pravitatis  cernit^. 

*  Ch.  XVI  de  sa  Vie.  —  -  Horn.  vu.  —  ^  Ilom.  xvii,  in  Evans:. 


ouALiTLS  Di:  pi;éd:cateit..  102 

*Mais,  dira-t-on,  on  voit  des  prédicateurs  qui  ne  sont  rien  moins 

*  que  Sciials,  et  qui  cependant  ont  des  succès.  A  cela  nous  répondons 

*  que  ces  succès  consistent  le  plus  souvent  en  beaucoup  de  bruit  et 

*  peu  ou  point  de  fruit,  beaucoup  d'éloges  et  point  de  conversions 

*  solides  ;  et  les  succès,  s'il  y  en  a  de  réels,  sont  dus  à  la  réputation 

*  de  vertu  et  de  sainteté  qu'ont  ces  prédicateurs  sans  l'avoir  niéiitée. 

*  Les  fidèles,  par  la  haute  idée  ([u'ils  ont  du  ministère  ecclésiastique., 

*  croient  volontiers,  jusqu'à  preuve  du  contraire,  que  le  prédicateur 

*  pratique  le  premier  ce  qu  il  enseigne,  et  ne  songent  pas  même  à 

*  le  soupçonner.  Mais  malheur  au  jour  où  l'on  découvrirait  la  vérité; 

*  et  si  le  prédicateur  n'est  pas  ce  qu'il  doit  être,  il  est  bien  à  craindre 

*  que  tôt  ou  tard  elle  ne  se  découvre  ;  il  est  difficile,  autant  que  vil 

*  et  honteux,   de  soutenir  constamment  le  rôle  d'une  vertu  qu'on 

*  n'a  pas.  * 

*  De  lî,  il  suif,  1"  que  le  prédicateur  doit  s'observer  dans  fout  le 

*  détail  de  sa  conduite,  dans  son  maintien,  sa  conversation,  l'emploi 

*  de  son  temps,  pour  ne  rien  laisser  paraître  que  d'édifiant^  :  car  le 

*  monde  ne  se  contente  pas  même  d'une  vertu  médiocre  (ians  ceux 

*  qui  lui  prêchent  la  sainteté  :  il  veut  qu'irrépréhensibles,  ils  puis- 

*  sent  dire  comme  l'Apôtre  :  Soye^  mes  imitateurs;  et  pour  peu 

*  qa'il  aperçoive  quelque  chose  d'humain,  il  retire  sa  confiance  :  ce 

*  qui  a  fait  dire  à  saint  Grégoire  ces  belles  paroles  :  Qui  loci  neces- 

*  sitate  exifjitiir  summa  dicere,  hdc  eddem  necessitate  compelUtur 

*  mimma  monstrare  ^. 

*  Il  suit,  2°  que  le  prédicateur  doit  s'interdire,   autant  que  pos- 

*  sible,  les  festins,  les  jeux  et  les  sociétés  du  monde.  On  re-pecte 

*  un  ministre  qu'on  ne  voit  qu'à  l'autel  et  en  chaire  :  si  on  le  voit 

*  boire  et  manger,  jouer  et  s'amuser  comme  les  autres  hommes,  les 

*  esprits  failjji's  diminueront  quoique  chose  de  la  haute  idée  qu'ils 

*  en  avaient;  et  cette  sorte  de  charme  qui  le  faisait  regarder  comme 

*  un  personnage  surhumain  tombera.  Il  n'est  pas  facile  de  soutenir,  au 

*  milieu  des  repas,  des  jeux  et  des  sociétés,  la  dignité  de  ministre 

*  évangélique,   de  ne  jamais  se  montrer  homme,  et  d'éviter  con- 

*  stamment  dans  ses  paroles  et  ses  manières  tout  ce  qui  ne  répond 

*  P«s  à  la  grande   idée  que  les  fidèles  ont  du  prédicateur.  Aussi 

*  voyons-r.'oUi,  que  Notre-Seigneur  ruconnnaïklait  à  ses  apôtres  de  ne 

*  point  aller  mangci-  de  côté  et  d'autre  :  lu  eudem  dumu  munete, 


*  Voyez  le  r.uide  de  ceux  qui  annoncent  la  iiarule  de  Dion,  ji.  '2iO.  —  *  l'ast^ 
lib.  II,  c   m. 

13 


194  TRAITÉ  DE  L,V  rP.EDICATION. 

*  edentes  et  hibentes  qux  apud  illos  sunt  ;  noUte  transira  de  domo  in 

*  domiwi^.  ^ 

*  II  suit,  5°  qu'il  doit  s'abstenir  le  plus  possible  de  fréquenter  les 

*  personnes  du  sexe,  surtout  de  leur  parler  seul  à  seul,  et  même  de 

*  les  tenir  trop  longtemps  au  confessionnal  :  telle  est  la  malignité  du 

*  monde,  que  ces  rapports  mettent  toujours  en  péril  cette  grande 

*  réputation  de  sainteté  dont  le  prédicateur  a  besoin. 

*  Il  suit,  4°  que  la  bonté  et  la  douceur  qui  caractérisent  la  vraie 

*  sainteté,  doivent  respirer  dans  toutes  ses  paroles  et  dans  tous  les 

*  traits  de  son  visage,  surtout  quand  il  est  en  chaire.  Jamais  il  ne 

*  doit  se  permettre  de  reproches  amers,  d'invectives  ou  réprimandes 

*  fougueuses,   d'aposirophes  insultantes  aux  pécheurs,  aux  incré- 

*  dules,  aux  liérétiques,  de  défis  hautains  de  répondre  aux  preuves 

*  données  :  les  peuples  croient  qu'un  prêtre  qui  se  fâche  même 

*  contre  le  vice,  qui  montre  de  la  fierté  et  de  l'humeur,  même  pour 

*  la  vertu,  est  un  homme  comme  un  autre,  qui  se  laisse  dominer 

*  par  la  vivacité  et  l'orgueil  ;  ils  ne  reconnaissent  pas  là  les  traits  de 
*Ia  sainteté  qui,  toujours  bonne,  aimante,  compatissante  pour  les 

pécheurs  égarés,  tempère  l'amertume  des  reproches  nécessaires 

*  par  la   douceur  de  la  charité.   Si   même,    pendant  le  sermon, 
*il  se  fait  quelque  bruit;  si  une  porte,  une  fenêtre,  un  enfant  ou 

*  quelque  autre  chose  incommode  ;  si  des  personnes  arrivent  tard 

*  ou  sortent  avant  la  fm,  il  faut  le  souffrir  sans  humeur  :  en  s'impa- 

*  tientant,  on  scandaliserait  jet  on  nuirait  au  fruit  de  la  prédication  ; 

*  ou  s'il  est  nécessaire  de  parler  pour  faire  cesser  le  bruit,  il  faut  le 

*  faire  modestement  et  sans  émotion,  priant  avec  douceur  qu'on  y 

*  mette  ordre^.  De  même,  si  l'on  n'a  qu'un  petit  nombre  d'auditeurs, 

*  il  ne  faut  point  s'en  plaindre  avec  amertume;  ce  serait  montrer 

*  l'amour-propre  offensé,  et  faire  remarquer  à  ceux  qui  n'y  pensaient 

*  point  qu'on  n'est  pas  bien  suivi,  d'où  il§  conclueraient  qu'on  n'est 

*  pas  bien,  digne  de  l'être.  Si  l'on  est  critiqué,  il  ne  faut  jamais  en 

*  rien  dire  en  chaire;  ce  serait  aigrir  les  censeurs,  et  ils  diraient 

*  encore  pis  ;  ce  serait  divulguer  ce  que  peut-être  beaucoup  igno- 

*  rent,  et  la  justification  ne  convaincrait  pas  le  monde  qui  aime  à 

*  croire  le  mal.  Il  y  a  plus  de  mérite  et  d'honneur  à  imiter  le  silence 

*  du  Fils  de  Dieu  :  Jésus  autem  tacehat. 

»  Luc.,  X,  47.  —  2  s.  François  de  Sales,  dans  sa  lettre  à  l'arclievéque  de  Bour- 
ges, s'accuse  comme  d'une  faute  d'avoir  l'ait  paraître  un  peu  de  mécontentement 
un  jour  qu'on  vint,  à  sonner  avant  qu'il  eût  achevé  son  sermon.  Vojez,  sur  co 
sujet,  le  Guide  de  ceux  qui  ynuoncunt  la  parole  de  Dieu.  p.  209 


QUALITES  DU  PRÉDICATEUR.  195 

*  Pour  conclusion  de  cet  article,  nous  conseillons  àux  prédicateurs, 
■*  i"  de  s'appliquer  à  eux-mêmes  les  vérités  qu'ils  annoncent  aux. 

*  autres  :  ces  vérités  les  regardent  comme  leurs  auditeurs,  et  ils 

*  doivent  être  les  premiers  inquiets  pour  leur  salut  :  autrement  ils 

*  seront  comme  ces    canaux  qui  ne  retiennent  rien  de  la  liqueur 

*  qu'ils  épanchent,  au  lieu  d'être  comme  ces  bassins  qui,  en  répan- 

*  dant  leurs  eaux,  demeurent  toujours  pleins,  parce  qu'ils  ne  font  que 

*  donner  de  leur  surabondance  qui  déborde.  Mous  leur  recomman- 

*  dons,  2°  de  s'exercer  eux-mêmes,  plusieurs  semaines  d'avance,  à 

*  la  pratique  de  la  vertu  sur  laquelle  ils  se  proposent  de  prêcher  : 

*  c'est  ce  que  M.  de  la  Motte,  évêque  d'Amiens,  rappelait  faire  son 

*  sewion.  Par  là  ils  se  pénétreront  mieux  de  leur  malière;  ils  en 
'"  parle)  ont  en  hommes  expérimentés  qui  connaissent  par  eux-mêmes 

*  les  divers  actes  de  cette  vertu,  ses  effets,  ses  difficultés,  ses  conso- 

*  lations,  et  ainsi  leur  discours  sera  -vraiment  instructif  et  pratique  : 

*  sans  cette  méthode,  ils  se  perdront  le  plus  souvent  en  considéra- 

*  tions  spéculatives  et  sans  utilité. 

*  ARTICLE  4. 

*  DU    ZÈLE  '. 

"  Nous  venons  de  voir  que  le  prédicateur  doit  être  saint;  mais  sa 
-*  sainteté  doit  avoir  un  caractère  tout  spécial,  qui  est  le  zélé,  c'est-à- 

*  dire  un  désir  ardent  de  faire  aimer  Dieu  et  de  sauver  ses  frères,  une 

*  sainte  passion  de  dilater  le  royaume  de  Jésus-Christ  dans  les  âmes, 

*  telle  que  l'éprouvait  l'Apôtre  quand  il  disait  :  Cupide  volebamus 

*  tradere  vobis  non  solùni  Evangeliiim  Dei,  sed etiam  animas  uostra^^. . . 

*  Libentissimè  impendam  et  superimpendar'  ipse  pro  animabus  ves- 

*  tris^.  Ce  grand  désir  de  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut  de  ses  frères 

*  est  le  premier  et  le  plus  excellent  maître  de  l'art  de  prêcher  ;  c'est 

*  là  ce  qui  inspire  au  prédicateur  la  vraie  manière  de  se  faire  com- 

*  prendre,  de  toucher  et  de  persuader,  c'est  là  ce  qui  lui  suggère  ces 
''  expressions  qui  vont  au  cœur,  ces  figures  véhémenles,  cos  excla- 

*  malions  énergiques,  ces  supplications  ou  ces  reproches,  ces  apo- 
-  slrophoshanlies,  cette  sainte  ardeur  qui  agitait  les  propliètcs.  L'élo- 

*  quence  vivUiée  par  le  zèle  tient  de  l'inspiration;  elle  [lerce  par  des 

*  traits  vifs,  elle  remue,  elle  entraîne.  L'élégance  du  discours  peut 

*  en  souffrir;  mais  qu'inipoite?  Le  prédicateur  digne  de  ce  nom  vise 

1  Grenade,  ]iv.  I,  c.  x  et  xi.  —  2  I  Tlicss.,  11,  8   —  s  II  Cor.,  xii,  15. 


lOG  TIIAITÉ  DE  L.\  PUÉDICATION. 

*  ù  un  but  plus  haut  :  il  foule  sous  les  \ncAs  toute  vue  d'amour- 

*  propre,  et  s'oublianl  lui-même,  il  lui  suffit  de  faire  sentir  à  l'audi» 

*  leur  qu'il  faut  se  sauver.  11  ne  court  point  après  l'éloquence,  mais 

*  l'éloquence  le  suit,  une  éloquence  vraie  et  naturelle  qui  part  d  un 

*  cœur  pénétré  :  car  il  est  brisé  de  douleur  et  comme  hors  de  lui- 

*  même  à  la  vue  des  dérèglements  des  hommes,  du  mépris  qu'ils  font 

*  de  la  religion,  du  danger  où  ils  sont  de  tomber  en  enfer  ;  et  dans 

*  l'ardeur  du  zèle  qui  le  dévore,  il  tente  toutes  les  voies  pour  s'insi- 

*  nuer  dans  leur  cœur  et  les  gagner;  il  est  fort,  véhément,  pres- 

*  saut;  sa  voix,  ses  gestes,  ses  regards,  la  vivacité  de  ses  paroles,  tout 

*  en  lui  saisit  et  pénètre;  on  sent  qu'il  y  a  là  quelque  chose  de  plus 

*  qu'humain  ;  que  c'est  Dieu  qui  parle  par  sa  bouche  ;  et  sa  voix  est 

*  vraiment  cey,e  voix  du  Seigneur  qui  brise  les  cèdres,  qui  lance  des 

*  feux  et  des  flammes  :  Vox  Domini  confringentis  cedros,  vox  Domini 

*  intevcidentis  flammam  ignis^.  Fût-il  même  prédicateur  médiocre 

*  pour  tout  le  reste,  dès  qu'il  a  cette  ardeur  de  convertir,  il  fera  un 

*  grand  bien  ;  il  saura  sup^gérer  les  moyens  de  salut  les  plus  utiles, 

*  les  acles  et  les  pratiques  les  plus  propres  à  pénétrer  les  cœurs  de 

*  conlrition,  d'amour  de  Dieu,  et  changera  les  populations.  Fût-il  au 

*  contraire  le  prédicateur  le  plus  habile,  s'il  ne  brûle  pas  de  ce  feu 

*  sacré,  si  les  peuples  ne  voient  point  en  lui  le  cœur  qui  parle  avec 

*  un  désir  immense  de  les  sauver,  ses  discours  seront  stériles  et  ne 

*  convertiront  personne. 

*  Pour  acquérir  ce  grand  zèle,  il  faut  :  1°  s'efforcer  de  croître  tous 

*  les  jours  dans  l'amour  de  Dieu  et  des  hommes  :  car  le  zèle  n'est 

*  que  la  flamme  de  la  charité.  Quand  on  aime  beaucoup  Dieu,  on  ne 

*  peut  souffrir  de  le  voir  outragé,  et  on  est  dévoré  du  désir  de  faire 

*  cesser  ces  outrages  :  Vidi  "prssvaricoMtes  et  tahesceham-.  Factus  est 

*  in  corde  meo  quasi  ignis  exxduans,  et  defeci  ferre  non  sustiihvis  : 

*  andivi  enim  coniumelias  multorxim' .  Plus  on  aime  Jésus-Christ, 

*  plus  on  a  de  peine  de  voir  son  sang  inutile  à  tant  de  pécheurs,  son 

*  amour  pour  les  âmes  frustré,  et  on  s'efforce  d'étancher  la  soif 

*  brûlante  qu'il  a  de  leur  salut  ;  on  la  ressent  soi-même,  cette  soif 

*  qui  lui  faisait  dire  sur  la  Croix  :  Sitio.  Enfin,  quand  on  aime  beau- 

*  coup  le  prochain,  on  s'afflige  de  le  voir  courir  à  sa  perte,  et  un 

*  dé.-:ir  immense  de  l'en  préserver  s'allume  dans  le  cœur.  2"  11  faut 

*  souvent  demander  le  zèle  à  Dieu  par  des  prières  ferventes  et  s'y 

*  exciter  par  le  souvenir  des  saints.  Si  saint  Vincent  de  Paul,  saint 

*  Psal.  XXVIII,  7.  —  -  Psal.  cxviii,  158.  —  ^  Jcr.,  xx,  10. 


QUALITES  DU  PREDICATEUR.  197 

*  François  Régis  ou  saint  François  Xavier  étaient  en  ma  place,  que 

*  f<?raient-ils  pour  le  bien  de  cette  paroisse?  avec  quelle  ardeur, 

*  quel  zèle   feraient-ils  cette  instruction?  3°  Il  faut  se  garder   de 

*  prendre  pour  zèle  un  mouvement  naturel  qui  nous  fait  désirer  le 

*  succès  de  tout  ce  dont  nous  sommes  chargés.  On  reconnaît  le  zèle 

*  qu'allume  la  piété  à  deux  caractères,  à  la  charité  qui  est  son  prin- 

*  cipe,  à  la  pruilence  qui  est  sa  règle  :  ainsi  le  vrai  zèle  aime  ten- 

*  (Irement  les  pécheurs,  il  n'a  pour  eux  que  commisération,  jamais 

*  de  courroux.  11  les  attire  par  les  charmes  de  la  douceur,  et  leur  fait 

*  envisager  leur  bonheur  dans  leur  devoir  :  le  vrai  zèle  ne  brusque 

*  ni  h  s  temps  ni  les  personnes,  il  sait  attendre  les  conjonctures  favo- 
"*  râbles  pour  dire  certaines  vérités,  pour  faire  certaines  entreprises. 

*  La  nature  au  contraire  se  fâche  contre  les  volontés  rebelles,  tonne 

*  et  menace  contre  les  pécheurs,  heurte  de  front  les  résistances  et 
■*  veut  que  tout  lui  cède. 

*  ARTICLE  5. 

*  DE   l'esprit  d'obATSON  '. 

*  Une  fois  que  le  prédicateur  a  la  mission  légitime,  la  pureté  d'in- 

*  îention,  la  sainteté  de  vie  et  le  zèle,  il  ne  lui  reste  pUisqu'à  puiser 

*  '"e  qu'il  doit  dire  dans  les  sources  d'où  doit  sortir  toute  bonne  in- 

*  .^truction.  Ces  sources  sont  l'esprit  d'oraison,  le  talent  et  la  science, 

*  trois  choses  dont  il  nous  reste  à  parler, 

*  L'esprit  d'oraison,  objet  de  cet  article,  est  ce  saint  commerce  de 

*  l'âme  avec  Pieu,  par  lequel  on  s'unit  à  lui  dans  un  pieux  recueille- 

*  ment  pour  méditer  son  sujet  à  la  lumière  divine,  et  prier  l'Esprit- 

*  Saint  non-seulement  de  nous  faire  connaître  ce  qu'il  faut  dire, 

*  înais  encore  de  bénir  toutes  les  paroles  qu'il  nous  aura  inspirées. 

*  Telle  est  la  source  première  oià  doit  puiser  tout  prédicateur  qui 

*  veut  être  utile. 

*  Los  anciens  prophètes  ne  parlaient  au  peuple  qu'après  avoir  con- 

*  suite  Dieu  sur  ce  qu'ils  devaient  dire  :  Audies  sermouem  ex  ore  meo, 

*  dit  Dieu  à  Ézèchiel,  et  anmintiabls  eis  ex  me*.  Les  apôtres,  à  leur 
■*  exemple,  joignaient  ensemble  la  prière  et  la  prédication  connr.'J 

*  choses  inséparables,  mais  cependant  en  donnant  toujours  la  pre- 


'  Voyez  S.  François  de  Borgia,  de  Ratioue  coiicioiiandi,  c.  m,  dans  le  Guide 
de  ccii>;  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu,  p.  1^7)  et  l.Sî,  187  et  Miiv.,  198  et 
suiv.,  'iOJ  et  suiv.  —  ^  Lz.,  m,  17. 


198  TRAITÉ  DE  LA  PRKDICaTION 

*  mière  place  à  la  prière  comme  à  la  source  d'où  doit  partir  la 

*  prédication.  Nos  vero  orationi  et  ministerio  verbi  instantes  eiimus^. 

*  El  saint  Paul  ne  se  bornait  pas  à  prier  sans  cesse,  comme  il  le  dé- 

*  clare  en  plusieurs  endroits  de  ses  Épîtres,  mais  il  conjurait  les 

*  fidèles  d'Éphèse,  de  Colosse,  de  Thessa'.onique,  de  joindre  leurs 

*  prières  aux  siennes,  pour  que  sa  prédication  fût  bénie.  Vigilantes 

*  i?i  omni  obsecrationc  pro  me,  ut  ôMurmihi  sermo  in  apertione  oris 
* mei  civm  fidiiciâ  notum  facere  mysîerium  Evangelii'^...  Orantes  pro 

*  nobis,  dil-il  ailleurs,  ut  Beus  aperiat  nobis  ostium  sermonis  ad  lo- 

*  quendum  mysterium  Christi^...  Fratres,  dit-il  encore,  orate  pro  nobis 

*  ut  sermo  Dei  ciirrat  et  clarificetur  '*.  Or,  si  un  saint  Paul,  un  si 

*  grand  apôtre,  un  homme  instruit  au  troisième  ciel,  a  cru  avoir  tant 

*  besoin  de  prières  pour  prêcher  avec  fruit,  combien  n'en  avons- 

*  nous  pas  plus  besoin  nous-mêmes  ! 

*La  ferveur  de  la  prière,  dit  saint  Augustin,  est  plus  nécessaire 

*  au  ministre  de  la  parole  que  toutes  les  ressources  de  l'art  oratoire  : 

*  Pietate  magis  orationum  quàm  oratomm  facultate  indiget.  .  Et  il  ne 

*  doit  exercer  auprès  des  peuples  la  fonction  de  prédicateur  qu'après 

*  avoir  rempli  auprès  de  Dieu  celle  de  supphant  :  Sit  orator  antequàm 

*  dicter^.  Ce  grand  maître  de  l'éloquence  chrétienne  veut  que  le 

*  prédicateur  redouble  encore  de  ferveur  dans  sa  prière,  à  mesure 

*  que  le  moment  de  parler  approche  :  Jpsâ  horâ  ut  dicat  accedens, 

*  priusqiiàm  exserat  proferentem  linguam,  ad  Deum  levet  aniniam 

*  sitientem,  afin,  dit-il,  que  son  discours  ne  soit  qu'un  épanchement 

*  des  saintes  affections  conçues  dans  l'oraison  :  Ut  eriictet  quod  bi' 

*  berit  vel  quod  impleverit  fundat,  et  il  ajoute  une  raison  frappante 

*  de  ce  précepte  :  Qais  novit^  dit-il,  quid  ad  prxsens  tempus  dicere, 

*  expédiât,  nisi  qui  corda  omnium  videt  ?  et  quis  facit  ut  quod  oportet 

*  et  quemadmodlim  oportet  dicatur  à  nobis,  nisi  in  cujus  manu  sunt  et 

*  nos  et  sermones  nostri^"!  La  même  doctrine  se  retrouve  dans  un 

*  Capitulaire  d'Aix-la-Chapelle  :  Hoc  dicat  sacerdos  quod  ex  divinâ 

*  lectione  didicerit,  quod  illi  Beus  inspiraverit,  non  quod  prxsump- 
"*  tione  hiimani  sensûs  invenerit,  et  surtout  dans  cette  belle  parole 

*  de  saint  Thoiiias  qui  dit  que  toute  bonne  prédication  découle  de 

*  la  plénitude  de  l'oraison  :  Ex pleuitudine  contemplationis  derivatur 

*  prscdicatio"^ . 

*  Conformément  à  ces  principes,  le  premier  avis  que  j'ai  à  vous 

1  Act.  VI,  4.  —  '-^  Eph.,  VI,  18  et  19.  —  ^  Col.,  iv,  3.  —  *  II  Thess.,  m.  — 
8  Lib.  iV,  de  Doct.  christ.,  xixii.  —  ^  Lib.  IV,  de  Doct.  christ.,  xxvii.  —  ''  ii,  2, 
q.  1^8,  art.  6. 


QUALITÉS  DU  PRÉDICATEUR.  199 

*  donner  pour  bien  prêcher,  dit  le  célèbre  P.  Lejeune  dans  ses  Avis 

*  aux  prédicateurs,  c'est  de  bien  prier  ;  le  second,  c'est  de  bien 

*  prier;  le  troisième,  le  quatrième,  le  cinquième,  le  dixième,  c'est 

*  de  bien  prier  :  étions  les  hommes  de  Dieu  auxquels  il  a  été  donné, 

*  dans  les  différents  siècles,  de  faire  de  grands  fruits  dans  l'Éylisej 

*  par  leurs  prédications,  comme  les  François  d'Assise,  les  Xavier,  les 

*  Régis,  les  François  de  Sales,  ont  enseigné  la  même  doctrine,  pro- 

*  clamant  d'une  voix  unanime  que  la  prière  est  le  véritable  ressort 

*  de  l'éloquence  chrétienne,  que  celle-ci  n'a  de  puissance  que  par  le 

*  mouvement  que  lui  imprime  le  Saint-Esprit,  qu'une  demi-heure  de 

*  méditation  avant  de  monter  en  chaire  est  plus  utile  que  quatre 

*  heures  d'étude,  et  qu'il  vaut  mieux  s'exposer  à  ne  pas  savoir  exac- 

*  tement  tous  les  mots  de  son  cahier,  que  de  manquer  à  remplir  son 

*  âme  de  la  gi  âce  que  donne  la  prière  pour  s'émouvoir  soi-même  et 

*  émouvoir  les  autres.  Et  ce  qu'enseignaient  ces  saints  prédicateurs, 

*  ils  le  pratiquaient  fidèlement  :  ils  puisaient  toutes  leurs  lumières 

*  aux  pieds  du  crucifix  ;  ils  priaient  avant,  pendant  et  après  la  prèdi- 

*  cation,  y  consacrant  quelquefois  les  nuits  entières,  et  ajoutant  à  la 

*  prière,  pour  lui  donner  plus  d'efficace,  de  rigoureuses  mortifica- 

*  tions.  Saint  Dominique  ne  montait  jamais  en  chaire  qu'après  s'être 

*  prosterné  humblement  aux  pieds  de  la  sainte  Vierge,  pour  lui  re- 

*  commander  sa  prédication  et  lui  dire  :  Dignare  me  laudare  te, 

*  Virgo  sacrata,  da  inihi  virtutem  contra  hostes  tuos.  Saint  Vincent 

*  Ferrier  ne  pi  êchait  qu'après  deux  heures  d'oraison  ;  et  un  jour 

*  qu'ayant  négligé  cet  exercice  pour  mieux  préparer  son  sermon,  il 

*  avait  parlé  d'une  manière  sèche  et  sans  onction.  Hélas  !  s'écria-t-il 

*  en  gémissant,  Vincent  a  parlé  aujourd  hui,  tandis  que  les  autres 

*  jours  c'était  Dieu  qui  parlait  par  sa  bouche*. 

*  Et  en  effet,  ce  n'est  qu'à  l'aide  de  l'oraison  qu'on  peut  bien  com- 

*  poser,  bien  débiter  et  convertir  les  âmes  :  1"  bien  composer  :  car 

*  si  un  ambassadeur  doit  conférer  avec  son  prince  et  en  prendre  les 

*  ordres  avant  d'aller  remplir  sa  mission,  le  prêtre,  avant  de  parler 

*  aux  hommes  de  la  part  de  Dieu,  doit  s'élever  vers  lui  par  la  inédi- 

*  tation  et  le  consulter  sur  ce  qu'il  doit  leur  dire  :  Jésus-Christ  a  suivi 

*  cette  règle,  comme  envoyé  de  son  l'ère  :  Qiix  ego  loqnor,  à  meipso 

*  non  loquor^.  Sicut  docuit  me   Paler,  hxc  loquor'".  A  plus  forte 

*  raison  le  prêtre  doit-il  faire  de  même,  et  semblable  à  l'ange  de 


*  On  lit  un  trait  scmblaLle  de  S.  François  d'Assise,  dans  le  CaU'.li.  spirit.  du 
P.  Surin,  t.  II,  IIl-  pnrl.,  ci.  —  *  Joann.,  xiv,  10.  —  ^  Jonnn.,  vm,  28. 


200  TRAITÉ  DE  LA  PREDICATION. 

■*  réclielle  mystérieuse,  monter  du  peuple  à  Dieu  par  l'oraison  pour 

*  descendre  de  Dieu  au  peuple  par  la  prédication.  C'est  dans  le  re- 

*  Cl  eillement  d'une  méditation  profonde  que  Dieu  é(;lairc  i  ame  de 

*  sa  lumière,  qu'il  la  remplit  de  son  onction,  la  touche,  la  pénètre  et 

*  l'embrase  du  feu  sacré  qui  vivifie  sa  parole.  De  là  jaillissent  les 

*  plus  beaux  mouvements;  on  ne  court  pas  après,  ce  sont  des  traits 

*  de  feu  qui  soitent  d'eux-mêmes,  c'est  le  langage  naturel  d'un  cœur 

*  touché,  et  il  semble  qu'on  serait  embarrassé  pour  parler  autrement. 
*Sans  l'oraison,  au  contraire,  jamais  les  plus  beaux  talents  ne  pro- 

*  duiront  un  discours  vraiment  évangélique  :  on  pourra  faire  une 

*  composition  brillante  d'esprit,  riche  d'imagination,  mais  ce  ne  sera 

*  pas  un  sermon  :  il  y  manquera  l'onction  qui  va  au  coeur,  et  la  piété 

*  qui  convertit.  Cette  onction,  cette  piété  ne  découlent  que  du  sen- 

*  liment  intérieur  des  choses  de  Dieu  :  si  le  cœur  ne  les  sent,  ne  les 

*  goûte  par  la  méditation,  il  ne  produit  que  des  paroles  mortes,  pri- 

*  véi's  de  l'esprit  de  vie,  et  les  passages  mêmes  de  l'Écriture  ou  des 

*  Pères  les  plus  propres  à  toucher  deviennent  pâles  et  sans  force. 

*  Voilà  pourquoi  le  prédicateur  ne  doit  écrire,  autant  qu'il  se  peut, 
■*  que  dans  ces  moments  heureux  où,  par  une  étude  faite  en  esprit  de 

*  prière,  le  cœur  se  remplit  d'onction  :  alors  la  source  des  expres- 

*  sions  est  sanctifiée,  et  l'on  écrit,  sous  l'inspiration  et  comme  sous 

*  la  dictée  de  Dieu,  une  instruction  capable  de  toucher  les  cœurs. 

*  2°  L'oraison  est  nécessaire  pour  bien  débiter.  Ce  serait  en  vain  que 

*  le  prédicateur  aurait  été  homme  d'oraison  en  composant,  s'il  ne 

*  portait  en  chaire  un  cœur  qu'ait  profondément  pénétré  de  son  sujet 

*  une  bonne  méditation  faite  avant  d'y  monter:  la  voix  que  le  cœur 

*  n'anime  pas  n'est  qu'un  airain  sonnant;  les  traits  de  l'homme  qui 

*  n'est  pas  touché  sont  sans  expression  ;  son  geste  faux  ou  théâtral 

*  manque  de  naturel  ou  d'énergie,  et  les  meilleures  choses,  par  cela 

*  seul  qu'il  les  dit  sans  sentiment,  demeurent  sans  effet.  Mais  porte. 
■*  t-il  en  chaire  un  cœur  pénétré  par  l'oraison,  dès  son  arrivée  dans 

*  la  tribune  sacrée,  il  frappe  tous  les  regards,  saisit  toutes  les  âmes 

*  par  cet  air  profondément  recueilli  qui  annonce  plutôt  un  ange  qu'un 

*  homme;  c'ist  un  autre  Moïse  qui  vient  de  s'entretenir  avec  Dieu 

*  sui'  la  montagne,  et  il  semble  qu'on  voit  en  lui  un  rejaillissement 

*  de  la  gloire  du  Dieu  qui  l'envoie  :  cet  aspect  seul  est  un  magnifique 

*  exorde,  et  dispose  tous  les  cœurs  aux  impressions  de  la  grâce.  Dans 

*  le  cours  du  débit,  cet  air  pénétré  ne  l'abandonne  point,  un  vif  sen- 

*  timent  de  foi  anime  et  dirige  sa  voix,  ses  traits  et  son  geste;  l'onc- 
*lion  de  sa  parole  fait  passer  dans  les  âmes  les  impressions  qu'il 


QUALITES  DU  PREDICATEUR  201 

*  éprouve;  et  la  grâce  qui  les  a  fait  naître  dans  le  prédicateur  con- 

*  tinue  de  les  animer  dans  l'auditeur  ;  puis,  l'amour  divin  qui  brûle 

*  au  dedans  lui  inspire  des  mouvements  oratoires,  des  expressions 

*  toutes  de  feu,  auxquels  il  n'avait  pas  même  pensé  dans  sa  compo- 

*  sition,  mais  qui  vont  droit  au  cœur;  et  comme  les  gens  passionnés 

*  trouvent  sans  étude  une  manière  énergique  de  rendre  leurs  pensées, 

*  ainsi,  dit  saint  François  de  Sales,  le  prédicateur  qui  sent  vivement 

*  les  choses  divines  parce  qu'il  les  a  méditées,  a  une  certaine  rliéto- 

*  rique  du  cœur  qui  dépasse  de  bien  loin  tout  l'art  oratoire.  Ne  dit-il 

*  d'ailleurs  que  les  choses  les  plus  communes,  le  feu  et  le  sentiment 

*  avec  lesquels  il  les  dit  leur  fttnt  produire  une  impression  profonde. 

*  —  5°  L'oraison  est  surtout  nécessaire  pour  convertir  les  âmes.  Car 

*  la  foi  nous   enseigne    que    la  conversion    n'e&t  point  le   fait  de 

*  l'homme;  elle  ne  peut  être  produite  que  par  la  grâce  de  Dieu  ;  et 

*  ici,  plus  qu'en  tout  autre  sujet,  s'applique  la  parole  de  Notre-Sei" 

*  gneur  :  Sinemenihil  potestis  facere.  En  vain  on  plante,  en  vain-on 

*  arrose,  si  l'Esprit-Saint  ne  donne  l'accroissement;  en  vainon  frappe 

*  les  oreilles  d'un  son  de  paroles  plus  ou  moins  arlistement  arran- 

*  gées,  si  la  grâce  n'agit  sur  les  cœurs  avec  cette  toute-puissance 
* d'aclion  qui  lui  est  propre  pour  airacher  l'homme  à  lui-même,  à 
"*  ses  désirs,  à  ses  joies,  à  ce  qui  faisait  sa  vie  et  son  bonheur  et  lui 

*  donner  le  courage  d'être  et  de  se  montrer  ouvertement  chrélien. 

*  Mais  s'il  en  est  ainsi,  il  faut  donc  prier,  puisque  dans  le  cours  or- 

*  dinaire  de  la  Providence  la  grâce  ne  s'accorde  qu'à  la  prière  et  aux 

*  gémissements  du  cœur. 

*  De  là  il  suit,  1"  que  la  composition  d'un  sermon  ne  doit  point 

*  être  regardée  comme  une  œuvre  littéraire,  mais  comme  un  exer- 
"*  cice  religieux,  une  occupation  samte  à  laquelle  on  se  livre  sous 

*  l'œil  de  Dieu,  en  le  consultant  dans  un  pieux  recueillement. 

*  Il  suit,  2°  qu'avant  de  monter  en  chaire,  il  faut  se  prosterner 
"*  devant  le  Dit^u  qui  tient  tous  les  cœurs  dans  sa  main,  en  le  conju- 
■*  rant  de  bénir  la  semence  que  nous  allons  y  jeter,  pour  qu'elle  pro- 

*  duise  au   centuple;  et  les  saints  jirêtres  aiment  à  appuyer  celte 

*  prière,  tantôt  par  la  vertu  toute-puissante  du  saint  sacrifice  offert 

*  dans  cette  vue,  tantôt  par  des  visites  ferventes  au  Saint-Sacrement, 

*  qui  èlaicnt  la  grande  ressource  de  l'apôtre  des  Indes  *;  puis,  parle 

*  secours  des  Ang(,'s  gardiens  (lu'iis  conjurent  de  siq)i)léer,  par  leurs 

'  On  olilieril  jilus  tic  convrrsions,  disnit  s.iiiil  François  Xavier,  en  priant  .sur 
le  Hiarciie|iied  (h;  l'autel,  qu'en  iirfiiiun(;anl  en  cliaire  les  /jIus  beaux  morceaux 
d'éloiiuence. 


202  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  inspirations  auprès  de  chaque  auditeur,  à  ce  qui  manquera  aux 

*  discours  de  l'homme;  enfin  par  l'assistance  des  saints  qui  ont  le 

*  plus  excellé  dans  la  vertu  qui  fait  le  sujet  de  l'instruction,  et  sur- 

*  tout  la  protection  de  la  très-sainte  Vierge,  qu'ils  invoquent  comme 

*  le  secours  des  chrétiens,  le  refuge  des  pécheurs,  mettant  tout  ce 

*  qu'ils  doivent  dire  sous  le  patronage  de  son  cœur  immaculé,  par 

*  lequel  tant  de  conversions  se  sont  opérées  en  ce  siècle.  A  mesure 

*  que  le  momenl  de  monter  en  chaire  approche,  il  faut  redouhler  ses 

*  prières  ;  et  lorsqu'on  y  est,  prier  encore  par  de  fréquentes  éléva- 
"  tions  de  cœur,  se  souvenant  des  paroles  de  Notre-Seigneur  ;  Non 

*  enim  vos  esiis  qui  loquimini,  sed  Spiritus  Patris  vestri  qui  lo- 

*  quitur  in  vobis  *,  et  de  ces  autres  de  Judith  :  Memores  estote  Moysi 

*  servi  Dei  qui  Amalec  non  ferro  pugnando,  sed  precibus  sanctis 

*  orando  dejecit^.  Enfin,  lorsqu'on  est  descendu  de  chaire,  il  faut 

*  prier  encore,  n'attendant  de  succès  que  de  la  grâce  divine,  sans 

*  compter  en  rien  sur  son  éloquence  et  ses  talents,  sur  sa  longue 

*  hahitude  et  sa  honne  réputation. 

*  ARTICLE  6. 

*   DU    TALENT   DE   LA    CHAIRE. 

*A  l'esprit  d'oraison  doit  se  joindre  plus  ou  moins  un  fonds  de  ta- 

*  lent  pour  la  prédication  ;  et  personne  sans  cela  ne  peut  entrer  dans 

*  le  sacerdoce,  par  la  raison  qu'il  n'est  point  permis  d'embrasser  un 

*  étal  si  l'on  n'a  l'aptitude  requise  pour  en  remplir  les  fonctiv)ns.  Ce 

*  fonds  de  talent  doit  avoir  pouî-  caractère  spécial  le  bon  sens  ^,  qua- 

*  lité  beaucoup  plus  rare  qu'on  ne  pense,  et  bien  préférable  à  l'es- 

*  prit,  à  la  mémoire  et  à  l'imagination.  Le  bon  sens  dit  tout  ce  qu'il 

*  faut,  rien  de  plus,  et  le  dit  de  la  meilleure  manière;  il  met  de 

*  l'ordre,  de  la  netteté,  de  la  précision,  de  l'exaclilude  en  tout, 

*  classe  sa  matière  par  des  divisions  justes,  prouve  tout  ce  qu'il 

*  avance  par  des  raisonnements  suivis  et  convaincants,  et  y  entre- 

*  mêle,  avec  ménagement  et  prudence,  des  réflexions  judicieuses, 

*  des  applications  pratiques.  Avec  le  bon  sens,  on  est  toujours  goûté; 

*  ce  qui  est  naturel  et  fondé  sur  la  droite  raison  plaît  partout  et  est  de 

*  tous  les  temps  ;  les  grands  et  le  peuple,  les  savants  elles  ignorants, 

*  tous  y  applaudissent  :  sans  le  bon  sens,  au  contraire,  le  plus  beau 

*  talent  n'est  rien  ;  la  justesse  manque  souvent  dans  les  pensées,  la 

*  Matth  ,  X,  20.  —  2  Judith.,  IV,  15.  —'  Est  eloquentise,  sicut  reliquarum  re- 
rum,  fundamenlum  sapieiitia.  Gicer.,  de  Orat.,  c.  vui,  70. 


QUALITES  DL  l'IiEiUCATI.Urî.  203 

'  solidité  dans  les  raisonnements;  il  y  a  pou  di^  pratique,  peu  de  dé- 

*  tails  de  mœurs  bien  présentés  ;  souvent  beaucoup  d'imprudences 

*  et  d'indiscrétions:  tantôt  on  se  rend  ridicule  en  affectant  de  pa- 

*  raîlre  sublime,  ou  faisant  des  gestes  à  contre-sens  ;  tantôt  on  dis- 

*  trait  l'auditeur  du  sujet  principal  par  des  digressions  et  des  hors- 

*  d  œuvre,  on  s'égare  à  la  suite  de  son  imagination,  ou  l'on  court 

*  après  de  fausses  lueurs  de  bel  esprit. 

*  Quelque  talent  qu'on  ait  reçu  de  la  nature  pour  la  prédication,  il 

*  y  a  obligation  de  le  cultiver  et  d'en  tirer  le  meilleur  parti  possible, 

*  Le  respect  dû  à  la  parole  de  Dieu  l'exige  ;  l'intérêt  des  âmes  le  ré- 

*  clame  ;  notre  propre  salut  le  demande  ;   car  il  est  à  la  condition 

*  que  nous  ferons  valoir  la  mesure  de  talent  qui  nous  a  été  départie. 

*  Le  prédicateur  serait  donc  très-coupable  de  se  négliger  dans  sa 

*  manière  de  prêcher.  Mais  aussi,  s'il  fait  ce  qu'il  peut,  il  ne  doit 

*  point  se  décourager  ni  s'affliger  de  ne  pas  faire  mieux.  11  est  dans 

*  l'ordre  de  la  Providence  qu'il  y  ait  des  prédicateurs  qui,  par  la 

*  trempe  de  leur  esprit  et  l'impossiijilité  de  s'élever  à  de  hautes  con- 

*  sidérations,  soient  portés  à  se  dévouer  à  l'instruction  des  ignorants 

*  et  des  simples,  lesquels  font  partout  le  plus  grand  nombre.  Ce  sont 

*  même  ceux-là  qui  produisent  souvent  le  plus  de  fruit  :  car  Dieu 

*  n'atta  'he  point  le  succès  de  sa  parole  à  un  talent  complet.  Comme 

*  c'est  Jésus-Christ  qui  baptise,  c'est  aussi  Jésus-Christ  qui  prêche  : 

*  et  quand  il  trouve  dans  le  ministre,  qui  est  son  organe,  droiture 

*  d'intention,  piété  et  zèle,  il  convertit  par  la  seule  onction,  et  donne 

*  à  la  simplicité  la  même  force  qu'à  la  science  et  à  l'éloquence.  De 

*  1,1  vient  que  des  talents  médiocres,  mais  dont  la  médiocrité  est 

*  suppléée  par  plus  de  piété  et  d'étude,  font  souvent  plus  de  bien 

*  que  des  talents  éminents  ;  Dieu   remplace  par  sa  grâce   ce  qui 

*  manque  au  discours  du  prédicateur.  Or,  quand  on  convertit,  on  a 

*  toujours  assez  de  talent  :  dès  que  le  but  de  la  prédication  est  atteint, 

*  (ju'importe  de  prêcher  mieux?  La  vanité  en  est  contente,  mais  le 

*  huit  n'en  est  pa>  plus  grand  pour  les  fidèles,  et  la  veitu  du  prédi- 
*cateur  est  en  péril. 

ARTICLE?. 

Dli   LA  SCIENCE   NÉCESSAIRE    AU    ri\KDICATEUR  '. 

*  Dans  tous  les  temps  il  y  a  eu  des  orateurs  trop  empressés  de  pa- 
*raitre,  qui  se  sont  étudiés  à  bien  parhM-  avant  d'avoir  appris  ce  qu'il 

1  Pastoral  de  Limoges,  t.  II,  1^°  part.,  til.  ni,  c.  ii.  —  Tiaitù  dos  Études,  par 
RoUin. 


204  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  faut  dire.  Platon  s'en  plaint  dans  le  dialogue  de  Socrate  avec  Phèdre, 

*  el  dans  celui  de  Gorgins  contre  les  rhéteurs  ;  Cicéron  émet  la  même 

*  plainte,  fondée  sur  celte  raison  solide  qu'on  ne  parle  jamais  hien 

*  que  de  ce  qu'on  sait  bien.  Mais  ce  qui  est  vrai  pour  l'éloquence 

*  profane  l'est  bien  davantage  pour  l'éloquence  sacrée  ;  et  ce  serait  à 

*  un  jeune  prêtre  une  grande  faute,  autant  qu'un  grand  malheur,  de 

*  se  lancer  dans  la  carrière  de  la  chaire  avant  d'avoir  acquis  un  fond 

*  suffisant  de  science.   11  faut  se  remplir  avant  de  se  répandre,  dit 

*  saint  Bernard  :  infiinde  ut  effanda^.  Si,  pressé  de  se  produire,  on 

*  veut  verser  au  dehors  lorsqu'on  n'est  encore  qu'à  demi  plein,  on 

*  perd  son  propre  talent  :  Quod  tuum  est  ■perdis,  si  priiisquàm  i^ifim- 
"*  daris  tu  îotus,  semiplenus  festines  effundi^.  Saint  Grégoire  -  compare 

*  les  prédicateurs  qui  se  lancent  ainsi  avant  le  temps  aux  petits  des 

*  oiseaux  qui,  voulant  prendre  leur  vol  trop  haut  avant  d'avoir  les 

*  ailes  assez  fortes  pour  les  soutenir  dans  l'espace,  tombent  à  terre 

*  et  se  tuent.  C'est  là,  en  etfet,  l'image  de  ce  qui  leur  arrive  :  leurs 

*  discours  sont  vides  ;  il  y  a  beaucoup  de  mots  et  peu  d'instruction, 

*  des  phrases  vagues,  des  lieux  communs,  des  raisons  superficielles, 

*  même  souvent  fausses,  et  point  de  vue  d'ensemble,  point  de  fonds 

*  solide.  On  reconnaît  en  les  entendant  que,  dépourvus  de  doctrine, 

*  embarrassés  de  leur  indigence,  ils  se  sont  tourmentés  pour  trouver 

*  que  dire,  bien  différents  de  l'orateur  instruit  qui  ne  parle  que 

*  parce  qu'il  est  rempli  de  vérités,  lesquelles  se  débordent  de  son 
"*  âme  soulagée  de  les  répandre,  et  sortent  en  accents  véhéments 

*  par  un  effet  naturel  de  leur  plénitude.  Oh  !  que  les  saints  Pères 

*  étaient  loin  de  partager  ce  grand  empressement  de  paraître  !  Saint 

*  Grégoire  de  Nazianze,  saint  Basile,  saint  Chrysoslome,  avant  de 

*  commencer  à  prêcher,  se  tinrent  renfermés  pendant  plusieurs  an- 

*  nées  dans  la  retraite,  uniquement  occupés  à  la  méditation  et  à  l'é- 
*tude;  et  quand  Valère,  évêque  d'Hippone,  voulut  charger  saint 

*  Augustin  du  ministère  de  la  prédication,  ce  grand  homme,  effrayé 

*  d'une  fonction  qui  demande  tant  de  lumières,  et  ne  trouvant  ni  dans 

*  ses  talents  naturels  ni  dans  le  fonds  de  science  qu'il  possédait 

*  déjà  un  motif  de  se  rassurer,  demanda  avec  les  plus  vives  instances 

*  le  temps  de  s'y  préparer  par  l'étude,  la  prière  et  les  larmes  :  «  Si 

*  «  vous  ne  voulez  pas,  disait  il  à  Valère^,  me  donner  le  temps  d'ac- 

*  u  quérir  ce  que  je  vois  qui  me  manque,  vous  voulez  donc  que  je 

'  Serin,  x:,  in  cant.  2.  —  -De  Car.  pastor.,  lib.  III,  c.  sxv.  —  ^  Epist.  xxi, 
2d  Val. 


■QUALITÉS  !iU  PREDiCATEUn.  205 

*  «  périsse?  Valorc,  mon  cher  père,  où  est  votre  charité?...  lîélas! 

*  «  qu'aurai-je  à  répondre  au  Seigneur  quand  il  me  jugera?  Lui 

*  ((  dirai-je  qu'étant  déjà  engagé  dans  les  emplois  ecclésiastiques,  il 

*  ((  ne  m'a  plus  été  possible  de  m'instruire  de  ce  qui  m'était  néces- 
*«  saire  pour  m'en  bien  acquitter?  »  Et  remarquons  que  quand 
■*  saint  Augustin  parlait  ainsi,  il  avait  déjà  fait  plusieurs  savants  ou- 

*  vrages  pour  la  défense  de  la  religion  :  déjà  il  avait  écrit  ses  beaux 
■*  livres  de  l'Ordre,  de  ['Immortalité  de  L'dme,  du  Libre  Arbitre,  du 

*  Maître,  de  la  Vraie  Pieligio7i,  elc,  etc..  11  avait  donc  ce  qu'il  ial- 

*  lait  et  plus  qu'il  ne  fallait;  mais   ce   grand  homme  avait  une  si 

*  haute  idée  du  ministère  de  la  parole,  il  pensait  qu'une  étude  si 

*  profonde  et  si  longue  devait  en  précéder  l'exercice,  qu'il  regardait 

*  comme  rien  tout  ce  qu'il  avait  fait.  A  cet  exemple,  le  jeune  prêtre, 

*  au  sortir  du  séminaire,  doit  étudier  longtemps  avant  de  s'établir 

*  prédicateur.  Qu'il  fasse  les  instructions  qui  sont  dans  l'ordre  de  ses 

*  devoirs  indispensables,  à  la  bonne  heure;  mais  qu'il  attende,  pour 

*  se  lancer  plus  avant,  que  ses  provisions  de  science  soient  faites.  Alors 

*  il  éprouvera  la  vérité  de  ces  oracles  de  l'Esprit-Saint:  Si  la  nuée  est 

*  remplie,  elle  répandra  sur  la  terre  une  pluie  précieuse:  Si  repletx 

*  fuerintnubes,  imbrem  fundent  super  terram\  L'homme  instruit 

*  fera  de  grands  biens  par  sa  doctrine  ;   sa  science  sera  une  source 

*  de  vie  pour  ceux  qui  auront  le  bo:dieur  de  l'entenilre  :  Eruditus  in 

*  verbo  reperiet  bona^-...  Fons  vitx  eruditio  possideiitis^.  Pour  mieux 

*  développer  encore  notre  pensée  à  ce  sujet,  nous  traiterons,  dans 

*  un  premier  paragraphe,  des  sciences  profanes  que  le  prédicateur 

*  doit  posséder,  et  dans  un  second,  des  sciences-sacréis  nécessaires 

*  à  son  ministère. 

Des  sciences  profanes  que  le  prédicateur  doit  possiVlcr. 

1°  Le  prédicateur  doit,  avant  tout,  bien  posséder  la  langue  dans 
hujuelle  \\  [trêche,  c'est-à-dire  connaître  le  sens  précis  que  les  audi- 
teurs attachent  à  chaque  mot,  construire  ses  phrases  d'une  manière 
correcte  ,  doinier  à  sa  pensée  la  tonrniu'e  convenable,  et  savoir  la 
piésenler  sous  ses  différentes  faces  pour  iniriix  la  faiie  ressoilir. 
Rien  ne  nuirait  plus  au  succès  de  la  prédication,  surtout  dans  le 
temps  où  nous  sommes,  que  les  fautes  de  français.  Ce  serait  assez 
quelquefois  d'un  terme  impropre,  d'une  phrase  louche,  d'un  tour 

*  Ecoles.,  XI,  j.  —  -  l'iov.,  XVI,  20.  —  ^  l'iov.,  xvi,  22. 


206  Tr.AITÉ  DE  i  A  l'KÉDICATIOÎÎ. 

irrégulier  pour  prévenir  contre  le  prédicateur,  lui  ôter  créance, 
et  lui  valoir  l'épithète  d'ignorant.  C'est  ce  qu'a  dit  très-bien  Eoi- 
leau  : 

Surtout  qu'en  vos  écrits  la  langue  l'éîc^rée 

Dans  vos  plus  grands  excès  vous  soit  toujours  sacrée  . 

En  vain  vous  me  frappez  d'un  son  mélodieux, 

Si  le  terme  est  impropre  ou  le  tour  vicieux. 

Mon  esprit  n'admet  point  un  pompeux  barbarisme, 

Ni  d'un  vers  ampoulé  l'orgueilleux  solécisme. 

Sans  la  langue,  en  un  mot,  l'auteur  le  plus  divin 

Est  toujours,  quoi  qu'il  fasse,  un  méchant  écrivain 

Or,  pour  arriver  à  la  connaissance  parfaite  de  sa  langue,  il  faut 
en  étudier  soigneusement  les  principes,  lire  les  bons  auteurs  qui  en 
traitent,  ne  janiais  laisser  passer  un  doule  ou  une  diflicnlté  dans  ses 
lectures  ou  ses  coniposilions  sans  l'éclaircir,  et  ne  point  s'étayer 
d'une  autorité  en  opposition  avec  les  règles,  parce  qu'il  est  peu  d'au- 
teurs auxquels,  dans  le  cours  d'un  long  ouvrage,  il  ne  soit  écbappé 
quelques  irrégularités. 

2°  Le  prédicateur  doit  connaître  les  préceptes  de  la  rhétorique  et 
les  règles  de  la  saine  littératui  e^  conserver  toujours  présente  dans 
son  esprit  une  idée  générale  des  lieux  communs  oîi  l'invention  puise 
ses  ressources,  de  la  disposition  et  de  ses  différentes  parties,  de  l'é- 
loculion  et  des  figures  qui  donnent  au  discours  grâce  ou  énergie. 
Il  y  aura  toujours  profit  pour  lui  à  repasser  de  loin  en  loin  ces  ma- 
tières, surtout  s'il  y  ajoute  la  lecture  de  nos  bons  auteurs  en  fai- 
sant à  leurs  écrits  l'application  des  règles.  L'étude  des  humanités 
rend  le  goût  plus  fin  et  plus  exquis,  ouvre  l'esprit,  apprend  à  sentir 
et  à  bien  rendre  ce  qu'on  sent.  D'ailleurs,  comme  nous  l'avons  fait 
observer  dés  le  commencement  de  ce  traité,  les  règles  de  la  rhé- 
torique et  les  principes  de  la  saine  littérature  doivent  diriger  toute 
bonne  prédication. 

5°  Le  prédicateur  doit  posséder  parfaitement  cette  parlie  de  la 
logique^  qui  apprend  à  discerner  le  vrai  du  fau.v,  le  certain  de  l'in- 
certain, l'évident  du  pr<  bable,  à  se  faire  des  idées  nettes  des  choses, 
à  les  exposer  avec  clarté  et  méthode,  à  raisonner  juste,  pousser  ses 
raisonnements  jusqu'au  bout  et  tirer  ensuite  ses  conclusions,  11  n'y  a 
de  bon  orateur,  dit  l'abbé  d'Olivet^,  que  celui  qui  est  boa  logicien; 
avuirde  la  rhétorique,  c'est  quelquefois  un  titre  au  blâme  et  même  à 

*  Voyez  le- P.  Albert,  1"  part.,  c.  xv.  —  -  Préface  de  la  traduction  des  Piii- 
lippiijues  de  Déinosllicnes. 


QUALITÉS  DU  PP.EDIGATEUR.  207 

la  raillerie  :  avoir  de  la  logique,  c'est  toujours  un  sujet  d'éloges. 
Un  des  défauts  les  plus  ordinaires  à  ceux  qui  parlent  en  public, 
c'est  de  manquer  de  logique.  La  plupart  ne  sont  que  des  rhéteurs 
qui  pérorent  et  ne  raisonnent  pas  ou  raisonnent  mal  ;  et  pour  com- 
prendre combien  ce  défaut  est  grave,  il  suffit  de  se  rappeler  que 
l'art  de  bien  dire  se  compose  de  deux  parties  :  la  première  a  pour 
objet  d'examiner  qu'est-ce  qu'on  veut  prouver,  et  si  on  le  prouve 
par  des  arguments  clairs,  solides,  concluants  :  c'est  le  fait  de  la  lo- 
gique ;  la  seconde  consiste  à  mettre  ces  preuves  dans  l'ordre  qui 
peut  faire  le  plus  d'impression,  et  à  les  exposer  de  la  manière  la 
plus  capable  de  frapper  :  c'est  le  fait  de  l'éloquence.  Or  il  est  évident 
que  si  la  première  partie  manque,  le  discours  pèche  par  sa  base. 
Aussi  Cicéron  disait-il*  qu'il  était  redevable  de  son  mérite  oratoire 
à  la  philosophie  beaucoup  plus  qu'à  la  rhétorique  :  Fateor  me  ora- 
torem,  si  modo  sim,  non  ex  officmis  rhetojmm,  sed  ex  academix 
spatiis  extitisse  ;  et  il  déplorait  le  divorce  qui  s'était  introduit  de 
son  temps  entre  ces  deux  sciences,  c'est-à-dire  entre  la  pensée  et  la 
parole,  entre  l'esprit  et  la  langue^.  Il  n'est  donc  pas  permis  au  pré- 
dicateur de  n'être  qu'orateur,  il  faut  qu'il  soit  beaucoup  plus  logi- 
cien :  la  logique  lui  fait  trouver  des  preuves  solides,  et  l'éloquence 
les  fait  valoir:  comme  logicien,  il  parle  à  la  raison  et  convainc; 
comme  orateur,  il  parle  à  l'imagination  et  au  cœur,  peint  et  per- 
suade, et  ainsi  tout  l'homme  est  gagné.  Donc  le  prédicateur  doit 
bien  posséder  et  même  repasser  de  temps  en  temps  la  partie  de  la 
logique  qui  regarde  la  définition,  la  division  le  raisonnement  et  la 
méthode.  Il  lira  avec  utilité  sur  ces  matières  plusieurs  chapitres  des 
Leçons  de  philosophie  de  M.  Laromiguière. 

4"  Il  doit  connaître  le  monde,  la  manière  dont  on  y  pense,  dont  on 
y  parle,  dont  on  y  vit  ;  autrement  il  ressemblerait  au  médecin  qui 
ne  connaît  pas  le  malade  qu'il  a  à  traiter.  Il  doit  sui  tout  connaître 
le  cœur  humain,  parce  que  c'est  là  que  se  trouve  la  racine  et  comme 
le  foyer  du  mal  qu'il  a  à  guérir.  Il  arrivera  à  cette  connaissance  en 
observant  les  hommes  et  surtout  en  étudiant  son  propre  cœur.  On 
demandait  un  jour  à  .Massillon  où  il  avait  pris,  lui  qui  vivait  dans  la 
solitude,  des  peintures  si  vraies  d'un  monde  qu'il  ne  fréquentait 
pas  :  Dans  mon  propre  cœur,  répondit-il. 

5"  S'il  n'est  pas  nécessaire,  il  serait  au  moins  utile  au  prédica- 
teur de  connaître  l'histoire  et  les  auteurs  profanes.  Il  en  pourrait 

*  Orot.,  c.  m,  —  ^  m,  de  Orat.,  n.  '  0  et  seq 


208  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

tiror  des  maximes  et  des  traits  propres  à  confondre  las  chréliens 
d'aujourd'hui  qui  pensent  ou  agissent  moins  sagement  que  nos  pè- 
res, que  tant  d'iiommes  vertueux,  dans  des  positions  où  !a  vertu 
leur  était  bien  plus  difficile.  Souvent  même  il  pourrait  les  confondre 
par  les  exemples  et  les  maximes  des  païens,  qui  ne  se  permettaient 
pas  ce  que  font  certains  chrétiens,  et  qui  avaient  sur  bien  des  points 
une  morale  meilleure,  comme  on  pourrait  le  prouver,  entre  autres, 
par  Épictète  et  Sénèqiie,  lesquels  ont  des  sentences  d'une  vérité  et 
d'une  justesse  remarquables,  A  cet  avantage  s'en  joint  un  autre, 
c'est  qu'il  trouverait  les  plus  beaux  modèles  d'éloquence  dans  Cicé- 
ron  et  Démosthènes  parmi  les  anciens  ;  da«s  le  recueil  des  princi- 
paux chefs-d'œuvre  de  l'éloquence  française  parmi  les  modermes» 
—  Toutefois  il  faut  observer  :  1"  qu'il  faut  être  sobre  de  citations 
d'auteurs  profanes  ;  les  prodiguer,  ce  serait  ôter  au  discours  sacré 
sa  couleur  propre,  sa  teinte  évangélique;  2"  qu'il  faut  se  garder  de 
présenter  comme  estimable  ce  qui  n'est  que  le  fait  de  l'orgueil,  de 
la  vanité  ou  de  quelque  autre  sentiment  peu  conforme  à  l'Évangile 
comme  les  vertus  païennes;  S"  qu'il  n'est  pas  permis  de  parler  en 
chaire  des  personnages  de  la  Fable,  ni  de  proposer  pour  modèles 
les  exemples  des  vertus  païennes  que  la  religion  n'a  point  sancti- 
fiées; 4"  que  le  prédicateur  ne  doit  donner  qu'un  temps  médiocre 
à  la  lecture  des  auteurs  païens  :  l'Écriture,  les  Pères  et  les  auteurs 
chrétiens  doivent  toujours  faire  sa  principale  étude  :  saint  Jérôme 
se  reprocha  vivement  de  s'être  attaché  à  l'étude  de  Gicérun  jusqu'à 
négliger  celle  des  saintes  Écritures  ;  5"  qu'on  ne  doit  pas  étudier  les 
auteurs  païens  par  amour  pour  la  belle  littérature  ;  celte  fin  n'est 
pas  assez  élevée  pour  une  âme  sacerdotale  :  on  doit  les  étudier  uni- 
quement en  vue  de  se  former  au  ministère  de  la  parole;  et  en 
chei'ciiaut  à  imiter  leur  éloquence,  il  faut  avoir  soin  de  l'adapter 
au  genre  de  la  chaire  chréitienne. 

Des  sciences  sacrées  nécessaires  au  prédicateur. 

Le  prédicateur  doit  connaître  :  1°  l'Écriture  sainte  et  la  manière 
de  s'en  servir;  2°  les  Pères  ;  5"  l'histoire  ecclésiastique;  4"  la  théo- 
logie ;  5'^  la  science  de  la  vie  spirituelle. 


QUALITÉS  DU  PRÉDICATEUR.  209 

SECTION    l'\ 

De  l'étude  de  l'Écriture  sainte  et  de  la  manière  de  s'en  servir  *. 

i°  De  l'étude  de  l'Écriture  sainte. 

L'Écriture  sainte  est  le  fond  sur  lequel  doit  travailler  tout  prédi- 
cateur ;  et  sa  parole  ne  doit  être  que  comme  le  développement  de 
ce  divin  livre.  Car,  qu'est-ce  que  la  prédication,  sinon  la  parole  de 
Dieu  expliquée?  Prxdica  verhum,  disait  l'Apôtre  à  Timothée.  Am- 
bassadeur de  Dieu  vers  les  hommes,  le  prédicateur  doit  recevoir  de 
Dieu  même  la  parole  qu'il  est  chargé  de  leur  porter  ;  envoyé  du 
ciel,  il  doit  en  parler  le  langage.  Or,  cette  parole  de  Dieu,  ce  hiiigage 
du  ciel  ne  se  puisent  que  dans  l'Écriture  sainte;  et  ce  n'est  qu'au- 
faiit  qu'on  tire  de  celte  source  sacrée  tout  le  fond  de  sa  prédi- 
cation qu'on  a  droit  de  dire  comme  saint  Paul  :  In  me  loquitnr 
Christus...  Posiiit  in  nohis  verhum  reconciliationis...  Deo  exhor- 
tante fer  nos. 

Les  paroles  de  l'homme  sont  des  paroles  mortes  incaijables  de 
produire  des  fruits  pour  la  vie  éternelle  ;  mais  la  parole  de  Dieu, 
pleine  de  vie,  porte  en  elle  une  vertu  qui  touche  et  persuade;  c'est, 
pour  parler  avec  l'Esprit-Saint,  iin  feu  qui  échavffeles  plus  froids, 
îin  marteau  qui  brise  les  âmes  dures  comme  la  pierre.,  un  glaive 
qui  atteint  ju.squ  aux  parties  du  cœur  les  plus  intimes;  et  l'expérience 
démontre  qu'il  y  a  une  grâce  spéciale  attachée  aux  paroles  de  l'É- 
criture, que  les  vérités  liées  à  quelques  passages  des  livres  saints, 
dont  le  prédicateur  a  approfondi  le  sens  ou  fait  sentir  l'énergie, 
sont  ce  qui  produit  le  plus  d'impression  et  ce  qu'on  retient  le 
mieux. 

Mais  si  la  sainte  Écriture,  fondue  dans  le  discours  sacré,  est  si 
utile  à  l'auditeur,  elle  est  encore  plus  précieuse  au  prédicateur.  Car, 
comme  le  dit  l'Apôtre,  elle  peut  servir  à  toutes  les  fins  de  la  prédi- 
caliou,  soit  à  enseigner  le  dogme  ou  expliquer  les  mystères,  soit  à 
développer  la  morale  ou  attaquer  les  vices  :  Oniiris  scriptura  divi- 
niths  inspirata,  utilisest  ad  docendum^  ad  argue ndum,  ad  corripieu- 
dum,  ad  erudiendum  injustitid,  ut  perfertus  sit  Jionto  Dei,  ad  onuw 
opvs  bomim  ijistructus-;  et  saint  Augustin  assure  que  K;  prédicaleuf 
■excelle  pins  ou  moins  dans  le  miiiislèie  de  la  parole,  se!'jn  ({u'il  est 


'  Voyez  le  (iiiide  cli'  ('«iix  ([ni  .'uiiidiicfiit  la  [larnlc  de  Uivn,  p 
•Cl  suiv   —  -  H  Tiiii.,  m,  l(i  ri  17, 


14 


21C  TRAITÉ  DE  LA  PHÉDICATION 

plus  OU  moins  habile  dans  la  science  des  Écritures:  Sapienter  dicii 
tautb  magis  vel  minus,  quanto  in  scripturis  sanctis  magis  minùsve 
profccit^.  C'est  qu'en  effet  la  parole  de  Dieu  communique  au  discours 
de  l'orateur  évangélique  une  autorité  et  une  force  que  ne  sauraient 
lui  donner  tous  les  raisonnements  humains.  Comme  riionime  porte 
naturellement  dans  son  cœur,  avec  l'idée  de  la  Divinité,  un  fonds  de 
vénération  pour  elle,  le  style  consacré  des  saints  livres  répand  sur  le 
discours  une  majesté  touchante  qui  inspire  la  vertu,  qui  commande 
la  soumission  et  le  respect  d'autant  plus  efficacenienî  qu'il  s'y  mêle 
un  charme  de  piété  qui  fait  aimer  la  vérité  qu'on  prêche.  L'o:iction 
de  i'Esprit-Saint,  dont  l'Écriture  est  pleine,  embaume  la  parole  ;  et 
l'amour  de  Dieu,  le  dévouement  à  son  service,  la  charité  envers  le 
prochain,  l'oubli  de  soi-même,  tous  les  sentiments  tendres  et  géné- 
reux s'en  exhalent  comme  un  doux  parfum.  Car,  a  dit  un  auteur 
trop  célèbre  en  parlant  de  nos  divins  livres,  jamais  la  vertu  n'a 
parlé  un  si  doux  langage  ;  jamais  la  plus  parfaite  sagesse  ne  s'est 
exprimée  avec  t  uit  de  grandeur  et  de  simplicité.  On  ne  peut  lire  ces 
pages  sacrées  sans  se  sentir  meilleur  ;  elles  poi  tent  dans  l'âme  l'a- 
mour de  leur  auteur,  la  volonté  d'accomplir  ses  préceptes  ;  et  Ion 
reconnaît  le  prédicateur  qui  s'en  est  pénétré  à  l'onction  sainte  qui 
coule  doucement  de  ses  lèvres.  Quelque  matière  qu'il  ait  à  traiter, 
il  y  trouve,  pour  embellir  son  sujet,  des  traits  de  vertu  louchants  et 
pleins  d'intérêt.  Ce  sont  les  plus  beaux  exemples  de  piété,  dans 
David,  Josaphat  et  autres  saints  personnages  ;  de  tendresse  pater- 
nelle, d'amour  filial,  d'affection  de  famille,  dans  Joseph,  Ruth  et 
Tobie;  de  résignation  parmi  les  épreuves,  dans  Job,  Jérémie  et  les 
Ma('habées;  de  conduite  noble  et  géiiéreuse,  dans  la  manière  d'agir 
d'Abraham  envers  Lot,  de  Joseph  envers  ses  frères,  de  David  envers 
Saùl  ;  d'une  vie  simple  et  laborieuse  paruii  les  richesses,  dans  les 
patriarches. 

Ajoutez  à  tous  ces  avantoges  les  beautés  oratoires  les  plus  magni- 
fiques, qui  y  sont  semées  à  chaque  page  comme  les  étoiles  au  firma- 
ment, et  qui  ne  demandent  qu'à  venir  enrichir  la  parole  du  prédi- 
cateur. Tantôt  c'est  le  snl^lime  des  idées  et  la  magnilicence  des 
images,  comme  dans  ces  peintures  de  la  majesté  de  Dieu  que  nous 
ont  laissées  Moïse  et  Job,  Isaïe  et  Barruch;  tantôt  c'est  le  pathétique  et 
le  véhément,  comme  dans  ces  vives  remontrances  que  les  prophètes 
aiiressent  aux  rois  et  aux  peuples  ;  ici  c'est  le  tendre,  le  doux  et  l'iii- 

1  De  Doct.  christ.,  Lb   IV,  v. 


QUALITÉS  DU  PRÉDICATEUR.  211 

sinuant,  comme  dans  les  exhortations  de  Moïse  aux  Israélites  avant 
sa  mort,  ou  l'épître  de  saint  Paul  à  Philémon  ;  là  c  est  la  simplicité 
du  goût  antique  jointe  à  la  grandeur  des  pensées,  comme  dans  la 
Gtinèse,  dans  l'Évangile,  et  surtout  dans  les  discours  de  Jésus-Christ 
rapportés  par  saint  Jean,  où  presque  tout  est  sensiblement  divin- 
Tous  ces  organes  du  Saint-Esprit  laissent  au-dessous  d'eux,  à  une 
distance  incommensurable,  les  orateurs  et  les  poètes  profanes,  et 
sont  pour  le  prédicateur  un  trésor  inépuisable  de  beautés  littéraires, 
à  l'aide  desquelles  il  peut  facilement  donner  à  son  discours  vie  et  cha- 
leur, mouvement  et  force. 

Aussi  voyons-nous  que  les  saints  Pères  ont  tous  regardé  l'Ecriture 
sainte  comme  la  source  principale  où  le  prédicateur  doit  puiser  ses 
pensées^;  et  eux-mêmes  en  ont  fait  le  sujet  continuel  et  presque 
unique  de  leurs  éludes.  Il  ne  se  passait  pas  de  semaine  que  saint 
Chrysostome  ne  lût  les  quatorze  épîtres  de  saint  Paul;  et  saint  Ber- 
nard était  si  plein  de  toute  l'Écriture  sainte,  qu'il  n'a  presque  pas 
une  phrase  où  il  ne  s'en  trouve  quelque  passage.  Ce  divin  hvre  était 
le  foiîds  où  ces  grands  hommes  prenaient  toutes  leurs  instructions; 
ils  en  développaient  les  histoires,  ils  en  tiraient  des  sens  pieux;  ils 
en  expliquaient  les  difficultés  ;  ils  en  appliquaient  à  la  vie  chrétienne 
les  divins  enseignements  ;  et  s'ils  voulaient  parler  d'un  vice  ou  d'une 
vertu,  c'était  là  qu'ils  puisaient  les  motifs  d'éviter  l'un  et  de  prati- 
quer l'autre.  Là  aussi  ont  puisé  nos  grands  orateurs  ;  Bourdaloue  y 
trouve  ses  preuves,  Bossuet  ses  comparaisons,  ses  exemples,  ses 
images,  ses  traits  sublimes  ;  Massillon  en  tire  également  des  beautés 
merveilleuses,  quoique  ses  citations  soient  plutôt  des  allusions  heu- 
reuses, quelquefois  même  dans  un  sens  opposé  au  texte,  que  de  vé- 
ritables développements  du  texte  lui-même.  C'est  donc  une  vérité 
incontestable  que  l'Ecriture  sainte  a  été  la  mine  féconde  qu'ont  creu- 
sée sans  relâche  tous  les  maîtres  de  la  chaire.  Dans  les  prophètes  ils 
ont  pris  l'énergie  et  le  pathétique  de  leurs  discours;  dans  les  livres 
historiques  les  traits  édifiants  et  les  allusions  ingénieuses;  dans  les 
psaumes  les  sentiments  de  la  piété  la  plus  affective  ;  dans  les  livres 
sapienliaux  des  règles  de  conduite  ;  dans  les  éva;jgiles  et  surtout 
dans  saint  Matthieu,  les  préceptes  moraux  et  les  conseils  de  perfec- 
tion; daiis  saint  Paul  tout  le  fond  de  la  religion.  — ■  Mais  pour  tirer 
de  l'Ecriture  sainte  ces  fruils  précieux,  il  est  des  règles  qui  ap- 
prennent à  s'en  servir:  nous  allons  les  exposer. 

*  Voyez-en  la  pi-ciive  dans  Rallinyliou,  Prwparalio  ad  locûs  comvmnes. 


212  TRAITE  DE  L.\  PRÉDICATION. 

ii"  De  la  manière  de  se  servir  de  l'Écriture  sainte 
dans  la  prédication^. 

1°  Il  faut,  au  jugement  de  saint  Augustin,  que  le  prédicateur  ait 
lu  et  connaisse  l'Écriture  sainte  tout  entière  :  Tolas  legerit  notasque 
habîierit,  etsi  non  intellectu,  tamen  lectione- ,  parce  que  le  livre 
qu'on  aurait  cru  le  moins  utile  au  sujet  qu'on  traite  contient  quel- 
quefois les  plus  riches  aperçus  sur  la  matière  ;  et  il  faut  de  plus  qu'il 
la  relise  continuellement,  parce  qu'elle  est  comme  ces  mines  inépui- 
sables dans  lesquelles  on  trouve  toujours  de  nouvelles  richesses,  à 
mesure  qu'on  creuse,  ou  comme  ces  tableaux  exquis  dans  lesquels 
on  découvre  toujours  des  beautés  nouvelles,  à  mesure  qu'on  les  étu- 
die davantage. 

2°  11  faut  lire  la  Bible  avec  un  sentiment  profond  de  religion, 
comme  une  lettre  envoyée  du  ciel,  écrite  par  le  Saint-Esprit  lui- 
même  :  Quid  est  Scriptiira  sacra,  nisi  epistola  omnipotentis  Dei  ad 
creaturam  siiam^l  d.\gne,  par  conséquent,  d'être  étudiée  avec  une 
vivacité  de  foi  et  d'amour  qui  en  grave  les  passages  dans  l'esprit,  de 
manière  qu'ils  se  représentent  d'eux-mêmes  à  la  pensée  lorsqu'on  en 
aura  besoin.  11  faut  s'en  rendre  le  langage  familier,  en  employer  le 
plus  souvent  possible  les  expressions,  mais  surtout  la  méditer,  en 
priant  Dieu  de  nous  en  donner  l'intelligence.  Sans  l'esprit  d'oraison, 
on  n'en  retire  que  peu  de  fruit  pour  soi  et  pour  les  autres  *  ;  on  y 
puise  des  lumières  qui  brillent,  mais  sans  échauffer,  qui  font  ad- 
mirer le  talent,  mais  sans  convertir  les  cœurs.  L'homme  d'oraison, 
au  contraire,  qui  la  médite,  qui  se  l'approprie,  y  puise  un  feu  divin 
qui  échauffe  et  embrase  ;  il  s'élévâ  au-dessus  de  l'homme  par  l'ex- 
pression comme  par  la  pensée,  ou  plutôt  l'homme  disparaît  en  lui, 
et  on  ne  voit  plus  que  Dieu  seul  dont  il  emprunte  le  langage:  Périt 
in  eis  quodam  modo  mens  Jiumana  et  fit  divina.  Aussi  Dieu  dit-il  à 
Ézéchiel  :  Comede  volume^i  istiid,  et  vadens  loqiiere  filiis  Israël^; 
sur  quoi  saint  Jérôme  fait  ce  beau  commentaire  :  Dévorez  ce  livre 
par  une  lecture  assidue,  digérez-le  par  la  méditation,  faites-le  passer 
en  votre  substance  ;  autrement  n'allez  pas  prêcher  mon  peuple  :  Nisi 
antè comederimiis  volumen,  docere  non possiimus^. 

3°  Il  faut  interpréter  l'Écriture  selon  la  doctrine  de  l'Église  et  des 

*  Le  V.  Albert,  11'=  part.,  c.  xxiv.  —  Pastoral  de  Limoges,  t.  II,  II*  part.,  tit.  i, 
c.  m,  ggô  et  i.  —  -  De  Doct  christ.,  lib.  Il,  viii.  —  3  S.  Grog.  Magii.,  lib.  IV, 
ep.  XL  ad  Theod.  —  *  Le  Guide  de  ceux  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu,  p.  25 i. 
—  ^  III,  I.  —  ^  In  Ezech. 


QUALITÉS  DU  PRÉDICATEUR.  2t3 

Pères*  ;  ce  sont  les  autorités  qui  en  fixent  le  véritable  sens.  Cepen- 
dant, comme  l'Écriture  est  un  fonds  qui  rappoile  sans  cesse,  il  n'est 
pas  défendu  de  donner  de  nouveaux  sens,  pourvu  qu'ils  soient  fon- 
dés sur  la  lettre,  conformes  à  la  piété  et  à  l'analogie  de  la  foi.  On 
n'exclut  que  les  sens  forcés,  évidemment  conlraires  au  sens  naturel: 
citer  ainsi  l'Écriture  sainte,  ce  serait  la  travestir  et  la  défigurer  ;  ce 
serait  la  traiter,  dit  saint  François  de  Sales,  comme  le  carillon  des 
cloches,  à  qui  l'on  fait  signifier  tout  ce  que  l'on  veut. 

4°  Si  l'on  veut  prouver,  il  ne  faut  employer  que  des  passages  dont 
le  sens  littéral  établisse  la  thèse  en  question  ;  c'est  le  seul  sens  qui 
fasse  preuve.  Si  l'on  veut  expliquer  ou  développer,  on  peut  employer 
des  passages  qui  ne  reviennent  au  sujet  que  dans  le  sens  mystique, 
mais  cependant  avec  précaution,  et  autant  que  possible,  d'après 
l'autorité  de  quelque  Père  qui  ait  donné  ce  sens,  à  moins  qu'on  ne 
s'en  serve  seulement  comme  de  point  de  comparaison.  Tous  les 
sermons  de  Massillon  sont  pleins  de  beautés  oratoires  tirées  de  ce 
sens  mystique. 

5»  Il  ne  faut  pas  citer  un  grand  nombre  de  textes,  ou  des  textes 
trop  longs  :  cela  ennuie  l'auditeur  et  dessèche  le  discours.  11  n'en  faut 
que  peu  et  de  bien  choisis,  qui  soient  courts,  clairs,  frappants,  faciles 
à  retenir,  bien  appropriés  au  sujet,  cités  à  propos  et  non  pas  pour 
prouver  des  choses  évidentes. 

6"  Il  faut  très-peu  ou  point  de  citations  latines,  quand  on  parle 
à  des  auditeurs  qui  ne  les  comprennent  pas  ;  et  lors  même  qu'ils  les 
comprennent,  il  faut  toujours,  avant  de  les  citer,  les  traduire  en 
français,  en  les  dépouillant,  autant  que  possible,  de  la  construction 
latine,  pour  leur  donner  une  même  couleur  avec  le  reste  du  discours 
et  faire  passer  dans  notre  langue  leur  grâce  et  leur  beauté. 

7"  Il  faut  rarement  citer  le  livre,  le  chapitre  et  le  verset  :  il 
suffit  de  dire  en  général  :  Comme  dit  VÉcrihire,  comme  dit  saint 
Paul,  etc.. 

8"  Il  faut  expliquer  le  texte,  le  développer  et  l'appliquer  au  sujet. 
Tantôt  on  en  commente  chatpie  mot  pour  en  faire  valoir  la  force  et 
l'énergie  ;  tantôt,  au  lieu  d'interpréter  les  mots,  on  s'attache  au  sens, 
et  on  1(!  fait  ressortir,  soit  par  les  aniécédentselles  conséquents,  soit 
par  le  motif,  l'occasion  et  les  circonstances',  soit  par  le  respect  et  la 

'  Voypz  S.  Franrois  de  lîorpifi,  de  Hatione  concionaiidi,  dans  le  Guide  de  ceux 
qui  annoncent,  la  ])arol(!  de  Dieu,  p.  ISI-'-iUi. —  -  Voyez  dans  l'oraiî^ou  funèbre 
d(;  Henrielle  d'Angleterre,  comment.  liossuet  connuoiite  le  passade  de  David' 
Ecce  mcnsurabilcs  posuisti  dies  meos.  et  plus  bas,  un  mot  de  Saiouion. 


214  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

soumission  dus  à  la  parole  de  Dieu,  soil  enfin  par  d'autres  passages 
de  l'Ecriture  ou  l'iiiterprétalion  des  Pères. 

9°  Les  Pères,  les  grands  prédicateurs,  Bossuet  surtout  dans  ses 
Elévations,  et  Massillon  dans  tous  ses  sermons,  ont  fait  un  heureux 
usage  des  allusions  aux  choses  de  l'Ancien  Testament,  comme  à  l'ar- 
che de  Noé,  à  la  servitude  d'Egypte,  à  l'Agneau  pascal,  au  passage  d^ 
la  mer  Rouge,  à  la  colonne  de  feu,  à  la  manne,  à  l'eau  du  rocher,  au 
serpent  d'airain,  au  voyage  dans  le  désert.  Ces  allusions  plaisent 
beaucoup  aux  auditeurs  et  relèvent  le  discours.  Qui  n'aimerait,  par 
exemple,  celte  application  de  l'Écriture  à  la  persévérance  dans  la 
prière,  par  Massillon? 

Vous  avez  prié,  et  vous  en  êtes  demeurés  là,  comme  ce  roi  dlsraëi,  après 
qu'il  eût  frappé  trois  fois  la  terre  d'un  javelot  ;  mais  que  ne  poursuiviez- 
Tous,  comme  répondit  le  prophète  Elisée  à  ce  prince  imprudent?  Si  vous 
eussiez  frappé  cinq  fois,  c'en  était  fait  de  l'Assyrie,  et  vous  auriez  rem- 
porté une  victoire  entière  sur  vos  ennemis.  Dieu  avait  marqué  le  mo- 
ment de  sa  grâce  à  une  nouvelle  demande;  vous  vous  êtes  découragés 
lorsque  vous  étiez  sur  le  point  de  recueillir  le  fruit  de  vos  peines  : 
Si  percussisses  quinqities.  Encore  un  peu  de  persévérance,  vous  obteniez 
ce  que  vous  demandiez;  encore  un  coup  frappé  à  la  porte,  on  vous  l'eût 
ouverte'. 

Qui  n'aimerait  encore  cette  belle  allusion  du  pécheur  qui  retombe 
à  l'idole  de  Dagon  qui  se  renverse  et  chaque  fois  se  mutile  davantage*, 
et  celte  autre  allusion  de  la  Providence  affligeant  ceux  qu'elle  aime, 
à  Joseph  sentant  renouveler  toute  sa  tendresse  lors  même  qu'il  par- 
lait plus  durement  à  ses  frères^? 

On  lit  aussi  dans  l'abbé  Poule  cette  allusion  touchante  à  la  manne 
du  désert  : 

Tout  ce  que  les  Israélites  ramassaient  de  la  manne,  au  delà  de  leurs 
besoins  de  chaque  jour,  s'altérait  et  se  consumait.  Moïse  en  fit  remplir  une 
urne  qu'il  plaça  dans  r;irche,  et  cette  manne  y  fut  inaltérable.  Il  en  est  de 
même  des  biens  de  la  terre  :  tout  ce  que  vous  en  gardez  au  delà  du 
nécessaire  et  des  bienséances  de  votre  état  se  corrompt  et  vous  cor- 
rompt vous-mêines.  Cachez  ces  richesses  superflues  dans  les  arches 
vivantes  de  Jésus-Clu^ist,  qui  sont  les  pauvres  :  elles  y  deviendront  incor- 
ruptibles * 

10"  On  peut,  pour  se  procurer  des  citations,  se  servir  de  la  Con- 

*  Sermon  de  Massillon  sur  la  Prière   (Carême),  jeudi  delà  première  semaine. 
—  -  Idem  sur  la  Rechute,  11"  part.  —  '  Idem  sur  les  Afflictions  (Avent),  vers  la 
^nde  la  l"  part.  —  *  Sermon  sur  l'Aumône. 


OUALITÈS  DU  PREDICATEUR.  215 

cordanco  ou  du  Thésaurus  hiblicus  ;  mais  il  vaut  mieux  les  puiser  à 
la  source. 

SECTION   2. 
De  l'étude  des  Pères  *. 

Les  Pères  sont  par  excellence  les  grands  maîtres  de  la  chaire. 
Initiés  par  une  merveilleuse  expérience  à  la  connaissance  du  cœur 
humain  et  de  ses  penchants,  parfaitement  instruits  de  (eûtes  les  bien- 
séances pour  parler  en  public,  génies  élevés,  pleins  de  grandes  vues 
et  de  nobles  sentiments,  esprits  délicats,  d'une  politesse  exquise  dans 
l'expression  comme  dans  la  pensée,  ils  offrent  au  prédicateur  dans 
leurs  écrits  des  modèles  sûrs.  Les  Pères  grecs  sont  admirables  en  tout; 
les  Pères  latins  ont,  il  est  vrai,  payé  tribut  au  goût  de  leur  siècle  ; 
mais  à  côté  des  défauts  de  style  qui  tiennent  à  leur  époque,  ils  ont 
des  beautés  inimitables.  Quelle  élévation  de  sentiments  et  de  pensées 
dans  Tertullien  !  quelle  manière  noble  et  touchante,  quel  ton  vélio- 
ment  et  sublime  dans  saint  Cyprien!  quelle  force  de  raisonnement  et 
quel  talent  de  persuasion,  quelle  noblesse  d'idées  et  quel  tact  exquis, 
quel  langage  tendre,  affectueux  et  insinuant  dans  saint  Augustin  ! 
quelle  énergie,  quelle  expression  mâle  et  grande  dans  saint  Jérôme  ! 
Saint  Ambroise  excelle  par  une  force  de  persuasion  inimitable  et  par 
la  tendresse  du  sentiment  quand  le  sujet  y  prête  ;  saint  Léon  est 
grand  et  élevé  ;  saint  Grégoire  plein  de  dignité  et  d'onction  ;  saint 
Bernard  plein  de  dignité  et  de  force.  Voilà  donc  d'immenses  richesses, 
et  elles  sont  toutes  à  nous  :  ce  sont  les  écrits  de  nos  Pères;  c'est  par 
conséquent  notre  héritage  ;  nous  pouvons  y  prendre  la  doctrine,  les 
raisonnements,  les  preuves,  les  tours  même.  Nous  serons  louables  de 
préférer  les  pensées  de  ces  grands  hommes  aux  nôîres  ;  ce  fonds 
étranger  deviendra  notre  propre  bien  par  l'usage  que  nous  en  ferons. 
Or,  un  prédicateur,  pour  peu  qu'il  ait  le  talent  de  la  parole,  se  trou- 
vant au  milieu  de  ces  richesses  immenses  dont  il  lui  est  permis  de 
prendre  tout  (;e  qu'il  lui  plait,  peut-il  manquer  de  parler  d'une  ma- 
nière intéressante,  instructive  et  solide,  grande,  noble,  et  majes- 
tueuse? Bourdaloue  a  tiré  des  Pères  ses  priui^ipaux  raisonnements, 
et  puisé  en  eux  cette  connaissance  profonde  de  la  religion  qui  fait  le 

'  Voyez  le  Traité  des  Éludes  de  Rolliii,  t.  11.  —  De  la  l-ctlure  des  Pères,  par 
D;i:KOiine,  IV»  partie,  c.  xv.  —  Essai  sur  l'éloquence  do  la  chaire,  par  Maury, 
n"  10.  —  Discours  préliminaire  sur  les  Homélies  de  S.  Chrysost.,  par  l'abbé 

AuKcr. 


'ii(j  ïUAiii':  iii:  LA  1'i;li)!catio>' 

mérite  cloniiiiiiiit  de  ses  discours.  Bossnct  cite  conlinuoUement  Ter 
tullien  et  saint  Aiiguslin  ;  et  c'est  de  ces  deux  Pèies  i}u'il  emprunte 
ses  pensées  les  plus  sublimes,  ses  raisonnements  les  plus  convain- 
cants, les  descriptions  et  les  comparaisons  les  plus  frappantes.  On 
peut  en  voir  un  exemple  dans  le  magnifique  exorde  de  son  sermon 
pour  le  dimanche  des  Rameaux  sur  Ihonnour  du  monde,  dans  un 
autre  sermon  du  même  jour  sur  la  nécessité  des  souliVances,  et  ail- 
leurs. Massillon,  quoique  beaucoup  moins  riche  en  ce  genre  que 
Bourdaloue  et  Bossuet,  y  a  puisé  cependant  de  grandes  beautés.  On 
peut  voir  entre  autres  le  pa:  ti  qu'il  tire  de  saint  Augustin  vers  la  fin 
du  sermon  sur  la  confession',  et  d'un  autre  du  même  Père  dans  le 
sermon  sur  le  mauvais  riche,  vers  la  fin  du  premier  point.  —  Si  l'on 
objecte  que  les  Pères  n'ont  pas  d'ordre  et  de  méthode  dans  leurs 
discours,  nous  répondrons  qu'ils  se  proposaient  un  but  tout  différent 
du  nôtre;  nous,  nous  prenons  un  sujet,  nous  l'envisageons  sous  ses 
différentes  faces,  nous  encadrons  ces  aperçus  dans  un  plan  régu- 
lier, et  en  formons  pour  ainsi  dire  un  traité.  Les  saints  Pères  avaient 
une  autre  marche  ;  ils  prenaient  beaucoup  moins  de  matières  et  ne 
cherchaient  pas  comme  nous  à  épuiser  leur  sujet  ;  il  leur  suffisait 
de  dire  ce  qu'ils  jugeaient  utile  au  bien  des  auditeurs,  ou  propre  à 
produire  l'intérêt  et  les  sentiments  qu'ils  voulaient  inspirer,  et  ils 
supprimaient  tout  le  reste.  Conformément  à  ce  principe,  plusieurs  de 
leurs  écrits  oratoires  sont  moins  des  discours  réguliers  que  des  avis 
ou  des  entretiens  paternels  adressés  à  leur  peuple,  des  explications 
de  l'Ecriture  sainte  dans  lesquelles  ils  font  entrer,  selon  les  circon- 
stances des  temps  et  des  lieux,  toutes  les  instructions,  réprimandes 
ou  exhortations  qui  intéressent  le  salut  des  âmes  confiées  à  leur 
sollicitude. 

Quant  à  la  manière  de  se  servir  des  Pères "^  nous  observerons, 
1°  que,  la  plupart  des  prédicateurs  ne  pouvant  consacrer  que  peu  de 
temps  à  cette  étude,  il  vaut  mieux  se  borner  aux  écrits  oratoires,  et 
entre  ceux-ci,  aux  meilleurs,  c'est-à-dire  à  saint  Chrysostome,  saint 
Basile,  saint  Grégoire  de  Nazianze,  parmi  les  Grecs;  saint  Augustin  et 
saint  Bernard,  parmi  les  Latins.  RoUin  pense  que  si  l'on  possédait 
bien  seulement  les  homélies  de  saint  Chrysostome  et  les  sermons  de 
saint  Augustin  sur  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament,  avec  quelques 


*  Grand  Carême,  vendredi  de  la  première  semaine.  —  -  Voyez  le  P.  Albert, 
II«  part.,  c.  XXVI  et  xxvn.  —  Le  Guide  de  ceux  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu, 
p.  '255  et  suiv. 


QUALITÉS  DU  l'RÉniCATEUU  217 

autres  petits  traités  de  ce  dernier  Père,  on  aurait  le  fonds  le  plus 
riche  pour  tous  les  genres  de  prédicalion.  Les  homélies  de  saint 
Chrysostonie  et  de  saint  Basile,  traduites  par  rahbé  Auger,  pourraient 
suffire 'à  plusieurs;  d'autres  pourraient  lire  la  Bibliothèque  des 
Pères,  par  M.  Guillon.  Nous  observerons,  2°  que  les  citations  qu'on 
fait  des  Pères  doivent  être  courtes,  vives  et  énergiques  :  longues, 
elles  ennuieraient  et  ne  feraient  pas  d'impression.  Elles  doivent  aussi 
être  peu  nombreuses  en  chaque  sermon  :  autrement  on  n'aurait  pas 
le  loisir  de  les  paraphraser  de  manière  h  en  faire  ressortir  l'énergie; 
et  l'auditeur,  écrasé  par  le' grand  nombre,  n'en  retiendrait  peut-être 
aucune.  Enfin  elles  doivent  être  choisies  avec  discrétion  ;  il  est  bien 
des  choses  que  les  Pères  n'auraient  pas  dites  de  la  même  manièie  s'ils 
avaient  écrit  de  nos  jours  :  c'est  donc  au  prédicateur  à  faire  la  part 
des  circonstances  où  ils  écrivaient.  5°  Il  ne  faut  pas  citer  toujours  le 
même  Père  ;  l'auditeur  aime  la  variété  :  du  reste,  quel  que  soit  celui 
dont  en  emprunte  les  paroles,  il  est  bon  d'en  relever  l'autorité.  Ainsi 
Bossuet,  citant  saint  Augustin,  l'appelle,  pour  faire  ressortir  le  poids 
de  son  témoignage,  la  plus  grande  lumière  de  VÉglise  au  v"  siècle, 
V oracle  de  l Eglise  d^ Afrique,  alors  une  des  plus  savantes  du  monde. 
4°Entin,  on  trouvera  beaucoup  de  citations  utiles  dans  le  Thésaurus 
Pairum  ;  mais  le  mieux  est  toujours  d'aller  aux  sources. 

SECTION  3. 
De  l'élude  de  Thistoire  ecclésiasiiqiie. 

L'étude  de  l'histoire  ecclésiastique  est  utile  à  tous  :  on  y  apprend 
à  mieux  connaître  la  religion,  son  esprit,  son  influence  sur  le  bon- 
lieur  des  sociétés  et  des  particuliers,  sa  hiérarchie  et  sa  discipline  : 
l'expérience  des  siècles  forme  à  la  connaissance  des  hommes;  et  une 
notion  exacte  des  faits  révèle  le  faux  des  olijections  que  les  ennemis 
de  la  religion  ont  voulu  en  tirer  en  les  dénaturant.  iMais  cette  étude, 
si  utile  à  tous,  l'est  plus  spécialement  encore  au  prôdicaleur  :  il  y 
trouve  dans  la  marche  des  événements  les  traits  visibles  de  la  Provi- 
dence de  Dieu  sur  son  Église  ;  dans  les  mœurs  et  la  discipline  des 
temps  anciens,  des  leçons  pour  nos  temps  modernes,  partout  des 
rappiochemeiils  et  des  preuves  à  l'appui  de  ses  assertions.  N'en 
retiràl-il  d'autres  fruits  que  de  pouvoir  enrichir  ses  discours  des  faits 
édifiants  dont  se  composent  les  vies  des  saints  et  qui  sont  connne 
l'Évangile  en  pratique,  cela  seul  lui  serait  un  avantage  inapprècia- 


218  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

ble,  et  donnerait  le  plus  grand  intérêt  ù  ses  prédications*.  Caria 
curiosité  naturelle  de  riiomme  pour  connaître  les  affaires  d'autrui 
fait(|n'on  écoute  toujours  un  récit  avec  plaisir;  cela  réveille  l'atten- 
tion dans  ceux  qui  étaient  distraits,  la  délasse  et  la  soulage  dans  ceux 
qui  écoutaient.  Puis,  les  faits  font  mieux  comprendre  les  doctrines  ; 
c'est  l'argument  le  plus  frappant,  le  plus  à  la  portée  de  la  multitude; 
il  semble  que  la  chose  se  passe  sous  nos  yeux,  tout  le  monde  voit  et 
comprend.  C'est  même  un  excellent  moyen,  soit  de  faire  entendre 
certaines  vérités  délicates  et  d'avertir  ceux  qu'on  n'oserait  reprendre, 
soit  de  décider  les  auditeurs  à  mettre  l'instruction  en  pratique  :  les 
faits,  en  leur  démontrant  possible,  facile  même,  ce  qu'ils  disaient 
impratica])le,  réfutent  tous  leurs  prétextes,  et  laissent  la  lâcheté  sans 
excuse.  Ces  récits  ont  encore  l'avantage  d'être  la  partie  de  linstruc- 
tion  qu'on  retient  le  mieux,  et  souvent  même  la  seule  chose  qu'on 
retienne  ;  la  doctrine  rattachée  à  des  faits  sensibles  se  grave  plus 
profondément  dans  l'esprit  et  dans  le  cœur.  Enfin,  comme  les  faits 
d'autrui  émeuvent  naturellement,  ils  ouvrent  la  porte  du  cœur  ;  le 
prédicateur  y  entre,  et  déduit  de  son  récit  avec  succès  des  exhorta- 
tions ou  des  avis,  des  promesses  ou  des  menaces,  selon  les  circons- 
tances :  c'est  comme  le  corolla're  tiré  d'un  principe. 

Mais,  pour  que  les  histoires  produisent  ces  heureux  effets,  il  est 
certaines  régies  à  observer.  1°  Il  n'en  faut  point  citer  qui  ne  soient 
certainement  vraies.  Des  histoires  apocryphes  déconsidéreraient  la 
religion  et  feraient  peser  sur  le  clergé  le  reproche  de  crédulité  et 
d'ignorance.  On  doit  même  être  trés-réservé  par  rapport  aux  visions, 
aux  extases  et  aux  faits,  peut-être  vrais  en  eux-mêmes,  mais  qui 
prêteraient  aux  railleries  et  aux  sarcasmes  des  hommes  du  jour. 
2"  Il  n'en  faut  pas  être  prodigue;  un  trop  grand  nombre  fatiguerait 
les  auditeurs  et  les  détournerait  du  sujet  principal.  C'est  assez,  dans 
une  instruction,  d'un  ou  de  deux  exemples  bien  choisis  et  cités  à 
propos.  5"  11  faut  proposer  ces  exemples  avec  une  grande  clarté  et 
d'une  manière  facile  à  retenir.  4°  Il  faut  retrancher  de  son  récit 
toutes  les  circonstances  qui  ne  font  rien  au  sujet,  et  faire  ressortir 
toutes  celles  qui  sont  propres  au  but  qu'on  se  propose,  en  s'atlachant 
à  être  assez  court  pour  n'ennuyer  pas,  et  assez  long  pour  que 
l'exemple  pénétre  :  on  doit  y  éviter  les  dialogues  entre  les  person- 
nages dont  on  parle,  à  moins  qu'ils  ne  soient  fondés  sur  une  très- 

*  Fénelon,  de  l'Éducation  des  filles,  c.  vi.  —  Préface  du  Catéch.  hist.  de 
Fleury.  —  Le  P.  Albert,  II«  part.,  c.  xxix. 


QUALITES  DU  PREDICATEUR  219 

grande  probabiliié,  courts,  saillants  et  snns  tiivialité,  5°  Après  le 
récit,  il  faut  en  faire  l'application  aux  audiîeurs  d'une  manière  vive, 
et  leur  montrer  qu'ils  doivent  imiter  le  trait  proposé. 

SECTION  4. 

De  l'étude  de  la  théologie. 

La  science  de  la  théologie  est  le  fondement  essentiel  de  tou(e 
bonne  prédication  :  car,  1°  le  prédicateur  enseignant  la  vérité  aux 
hommes  de  la  part  de  Pieu,  doit  non-seulement  ne  point  errer,  mais 
être  sûr  qu'il  n'erre  pas  et  qu'il  expose  la  doctrine  évangélique  dans 
toute  sa  pureté.  Or,  sans  un  fonds  solide  de  science  théologique,  le 
prédicateur  errera  ou  hésitera  en  beaucoup  de  choses  ;  en  matière 
de  dogme,  il  confondra  ce  qui  est  de  foi  et  ce  qui  ne  l'est  pas  ;  il  ne 
sera  ni  exact  dans  l'exposé  de  !a  doctrine,  ni  solide  dans  les  preuves, 
et  par  là  ébranlera  la  foi  des  auditeurs  ou  les  jettera  dans  l'erreur  : 
en  matière  de  morale,  il  confondra  le  conseil  avec  le  précepte,  ce 
qui  est  de  perfection  avec  ce  qui  est  d'obligation,  ce  qu'on  peut  to- 
lérer avec  ce  qu'on  doit  interdire,  et,  faussant  la  conscience  des  au- 
diteurs, ou  il  les  tranquillisera  mal  à  propos  par  des  décisions  relâ- 
chées, ou  il  les  rebutera  par  une  morale  exagérée.  2"  Sans  science 
théologique,  il  ne  saura  pas  lui-même  ce  qu'il  y  a  à  dire  sur  chaque 
sujet;  il  n'aura  rien  de  précis  dans  l'esprit,  rien  de  clair  dans  la  pen- 
sée; et  au  défaut  d'une  instruction  solide,  il  se  livrera  à  des  écarts 
d'imagination,  se  jettera  dans  des  généralités  qui  ne  laisseront  aucune 
idée  nette  dans  l'esprit  des  auditeurs,  et  dira  des  choses  peu  utiles, 
aussi  impropres  à  éclairer  l'intelligence  qu'à  convertir  le  cœur.  Il  n'y 
a  que  l'hommesolidement  instruit  qui  puisse  faire  un  discours  clair 
et  nourri  de  doctrine  :  il  faut  savoir  les  choses  à  fond  pour  les  en- 
seigner avec  netteté  et  précision. 

Le  prédicateur  doit  donc  étudier  la  théologie,  et  l'étudier  tous  les 
jours;  car  ce  n'est  qu'à  cette  condition  qu'on  la  sait.  Mais  il  faut  ici 
observer  deux  choses  :  la  première,  c'est  dérégler  ses  études;  la 
curiosité  qui  court  sans  ordre  d'un  sujet  à  un  autre,  qui  effleure  tout 
sans  rien  approfondir,  n'amasse  que  confusion  et  ne  recueille  que 
des  connaissances  superficielles  sans  encliainenient  et  sans  suite. 
Saint  François  de  Sales,  pour  prévenir  cet  écueil,  s'attache  à  la 
Sonnne  de  saint  Thomas,  qu'il  vénérait  comme  le  plus  grand  des 

•  Voyez  Pastoral  de  Limoges,  t.  IF,  l"  |i;irl.,  Ut.  m,  c.  ii.  g  '2. 


2'iO  TUAlTt;  DE  LA  rfiEDlCATIO.N. 

doctiHirs  et  le  plus  profond  des  théologiens;  il  l'étudin,  le  niédiJa, 
l'approfondit  avec  une  infatigable  persévérance,  il  s'en  rendit  les 
principes  si  familiers,  qu'il  en  faisait  dans  toutes  les  circonstances 
une  application  aussi  facile  que  juste.  De  là  cette  exactitude  et  cette 
sagesse  de  doclrine  si  remarquables  dans  tous  ses  écrits.  — La  se- 
conde cliose  à  observer,  c'est  d'éviter  dans  ses  instructions  un  vain 
étalage  d'érudition  et  de  science,  et  tout  ce  qui  élèverait  le  discours 
au-dessus  de  la  portée  du  commun  des  auditeurs,  comme  seraient 
les  abstractions  métaphysiques.  Le  prédicateur  qui  entend  l'éloquence 
prend  plus  de  soin  d'être  intelligible  que  de  paraître  docte.  Il  n'ex- 
clut pas  la  science,  mais  il  en  cache  ce  qui  embarrasserait  l'intelli- 
gence des  fidèles,  et  n'en  montre  que  ce  qu'il  peut  mettre  à  leur 
portée.  Alors  l'ignorant  comprend,  le  snvant  s'édifie,  et  tous  sont 
contents. 

SECTION    5. 
De  la  science  de  la  vie  spirituelle. 

Tout  prédicateur  ayant  pour  mission  de  retirer  les  pécheurs  du 
vice  et  de  les  former  à  la  vertu,  d'affermir  les  faibles  et  de  perfec- 
tionner les  justes,  doit  par  cela  même  connaître  les  règles  par  les- 
quelles l'âme  se  détache  du  péché,  se  façonne  aux  vertus  et  s'élève  à 
la  perfection  ;  c'est-à-dire  qu'il  doit  connaître  la  science  de  la  vie 
spirituelle,  puisqu'elle  n'est  autre  chose  que  la  science  de  ces  règles. 
Fleury  se  plaint^  qu'il  est  des  prêtres  qui  ne  connaissent  pas  le  corps 
de  la  doctrine  chrétienne  et  la  suite  des  desseins  de  Dieu  sur  nous, 
dont,  par  conséquent,  la  dévotion  ne  peut  être  que  superficielle,  parce 
qu'elle  n'est  pas  fondée  sur  des  principes  soUdes.  11  serait  donc  très- 
utile  au  prédicateur  de  s'être  fait  à  lui-même  un  abrégé  de  l'expli- 
cation des  choses  nécessaires  à  la  foi  et  à  la  vie  parfaite.  Rodriguez, 
dans  son  admirable  ouvrage  de  la  Perfection  chrétienne  ;  Grenade, 
dans  toutes  ses  œuvres  ;  le  P.  Saint-Jure,  dans  son  beau  livre  de  la 
Connaissance  et  de  l'Amour  de  Jésus-Christ,  lui  offrent,  sous  ce 
rapport,  une  mine  inépuisable.  Il  pourra  lire  aussi  très-utilement  tous 
nos  ouvrages  ascétiques,  comme  l'Imitation,  le  Combat  spirituel,  les 
Fondements  de  la  vie  spirituelle  par  le  P.  Surin  ;  les  œuvres  de  saint 
François  de  Sales,  la  Retraite  du  P.  Judde,  et  nos  auteurs  d'instruc- 
tions religieuses,  comme  Lambert,  Guillet,  Couturier,  et  le  Caté- 
chisme du  concile  de  Trente.  Toutefois  ces  livres  ne  le  rendront 

*  Préface  du  Catéchisme  historique. 


QUALITÉS  DU  PRÉDICATEUR.  221 

habile  dans  cette  science  qu'autant  qu'il  les  étudiera  :  1»  dans  un 
esprit  d'oraison,  parce  ([ue  la  méditation  en  apprend  plus  que  tous 
les  livres  sur  Jésus-Christ  et  nos  mystères  ;  2°  dans  un  esprit  de  pra- 
tique, parce  que  la  science  des  saints  est  une  science  expérimentale 
dans  laquelle  la  pratique  des  choses  ou  la  propre  e:\perieiice  icnd 
plus  savant  que  l'étude  et  la  spéculaiion. 


*  Ici  finit  tout  ce  que  nous  avions  à  dire  touchant  l'idée  qu'il  faut 

*  se  faire  du  ministère  delà  prédication  :  maintenant  il  ne  sera  pent- 
*être  pas  sans  intérêt  de  voir  comment  saint  Paul,  ce  grand  modèle 

*  du  prédicateur,  a  rempli  admirahlement  cette  idée.  Ce  sera  une 

*  confirmation  de  tout  ce  que  nous  avons  dit,  et  par  conséquent  une 

*  digne  conclusion  de  cette  première  partie. 

*  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  prouver  combien  pai'faitement 

*  saint  Paul  a  connu  l'excellence  et  la  nécessité  de  la  prédication  : 

*  ceci  ressort  assez  des  développements  donnés  dans  les  deux  pre- 

*  niiers  chapities.  11  a  en  outre  traité  toutes  les  matières  de  la  pré- 

*  dication  d'une  manière  adaptée  à  la  dignité  de  son  apostolat,  à  la 

*  portée,  aux  besoins  et  aux  dispositions  de  ceux  auxquels  il  s'adres- 

*  sait.  Le  moindre  souvenir  de  ses  Épitres  prouve  ces  assertions. 

*  Conmic  û  développe  magnifiquement  tous  les  points  de  la  doctrine  ! 

*  Comme  il  sait  prendre  toutes  les  formes  et  tous  les  tours  pour  se 

*  proportionner  à  ses  auditeurs  !  Quelle  adresse  dans  son  discours  à 

*  l'Aréopage  !  Quelle  noblesse  et  quels  ménagements  dans  son  apo- 

*  logie  devant  Félix  et  Agrippa  !  Quelle  tendresse  et  quelle  onction 

*  dans  son  épître  à  Philémon  !  mais  surtout  comme  il  a  su  donner  à 
*sa  prédication  les  trois  caractères  qui  font  le  grand  orateur!  lia 
■*su  convaincie  par  la  force  des  raisoimements,  docere;  plaire  par  la 

*  vivacité  des  tours  et  l'agrément  des  images,  delectare;  émouvoir 

*  les  passions  par  les  njouvements  patliéli(jues  et  les  grandes  figures, 

*  movere.  1°  Il  a  su  convaincre,  docere.  A  Damas  il  confond  les  Juifs; 

*  à  Jérusalem  il  terrasse  les  Grecs  [)ar  la  puissance  de  sa  parole,  tel- 

*  lement  que,  ne  pouvant  souffrir  la  honte  d'être  vaincus,  ils  cher- 

*  client  à  le  faire  mourir;  à  Athènes  il  convainc,  par  un  seul  de  ses 

*  dis(;ours,  un  sénateur  de  l'Aréopage,  qui  se  convertit  avec  toute  sa 

*  famille;  dans  toutes  les  villes  il  discute  avec  les  Juifs,  les  païens, 

*  les  épicuriens,  les  stoïciens,  et  partout  il  st  fait  admirer  ;  les  hycao- 


222  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  nicns  même  le  prennent  pour  Mercure  à  cause  de  son  éloquence. 

*  Dans  ses  Épîtres,  vous  le  voyez  partout  poursuivant  la  thèse  qu'il  a 

*  entreprise,  démontrant  invinciblement  tout  ce  qu'il  avance,  et  em- 

*  portant  par  la  force  du  raisonnement  toute  difficulté  qui  tombe 

*  sous  sa  main.  Avec  quelle  adresse  dans  ses  épitres  aux  Romains  (t 

*  aux  Galates  il  fait  valoir  contre  eux  les  témoignages  de  l'Ancien 

*  Testament!  Comme  il  presse  ses  adversaires!  comme  il  les  en- 

*  traîne  à  son  but  sans  leur  laisser  aucune  issue  par  laquelle  ils  puis- 

*  sent  échapper  à  la  force  de  sa  dialectique!  Quelle  abondance  de 

*  preuves  dans  sa  prenjière  épître  aux  Corinthiens,  pour  démontrer 
*le  dogme  de  notre  résurrection  future,  et  dans  la  seconde  avec 

*  quelle  force,  quel  talent  d'insinuation  il  fait  l'apologie,  tant  de  sa 

*  personne  que  de  son  ministère,  et  pousse  ses  adversaires  jusque 

*  dans  leurs  derniers  retranchements  !  Et  qui  n'admirerait  surtout  la 

*  puissance  de  logique  qu'il  déploie  dans  son  incomparable  épître 

*  aux  Hébreux?  Comme  il  prouve  par  des  raisons  invincibles  la  supé- 

*  riorité   de  Jésus-Christ  sur  les  anges,  sur  Moïse  et  sur  tous  les 

*  prêtres  de  l'ancienne  loi,  puisant  tous  ses  arguments  dans  la  théo- 

*  logie  même  des  Juifs,  qui  ainsi  ne  pouvaient  les  récuser  sans  aban- 

*  donner  leurs  propres  principes!  Aussi  saint  Augusiin,  si  capable 

*  d'en  juger,  professe-t-il  que  saint  Paul  était  un  excellent  dialecticien, 

*  et  que  jamais  personne  n'a  raisonné  avec  plus  de  force.  —  2°  Saint 

*  Paul  a  su  plaire  par  la  vivacité  des  tours  et  l'agrément  des  images, 

*  delectare.  Sans  doute,  son  style  n'est  pas  sans  défaut,  il  n'a  pas 

*  toute  la  pureté   attique,  souvent  même  son  éloculion  a  quelque 

*  chose  de  rude,  et  ses  constructions  sont  embarrassées  et  irrégu- 

*  liéres  ;  mais  toujours  son  expression  est  juste,  vive,  touchante  et 

*  quelquefois  hardie,  grande  et  sublime.  Quelle  beauté  de  diction, 

*  dans  le  douzième  chapitre  de  l'épître  aux  Romains,  que  Grotius 

*  trouve  tout  entier  du  genre  d'Isocrate  !  dans  le  onzième  chapitre 

*  de  la  seconde  épître  aux  Corinthiens,  où  saint  Augustin  admire  à 

*  juste  titre  une  éloquence  toute  divine  et  une  vivacité  de  tours  mer- 

*  veilleuse  !    dans  l'épître  aux  Hébreux,  où  la  pureté  et  la  magnifî- 

*  cence  du  style  le  disputent  à  l'excellence  des  matières  et  à  la  su- 

*  blimité  du  sujet!  Partout  sa  parole  s'embellit  des  figures  les  plus 

*  propres  à  animer  le  discours,  l'interrogation,  l'exclamation,  l'anti- 

*  thèse,  la  comparaison,  l'énuméralion,  la  gradation  et  quelquefois 

*  même  l'ironie  :  tout  s'anime  et  prend  vie  sous  son  pinceau  ;  dans 

*  son  langage,  la  doctrine  élémentaire  est  le  lait  des  enfants,  la  doc- 

*  Irine  plus  parfaite  le  pain  des  forts;  la  parole  de  Dieu  est  un  glaive 


SAINT  PAUL,  MODÈLE  DU  PRÉDICATEUR.  223 

*  à  deux  tranchants  qui  pénétre  jusqu'aux  moeller^  de  l'âme  ;  la  foi 

*  est  un  bouclier  qui  repousse  les  traits  enflammés  de  l'ennemi  ;  l'es- 

*  pérance  est  une  ancre  arrêtée  dans  le  ciel  ;  la  charité  est  une  cui- 
*rasse  qui  cou\Te  tout  entier  le  soldat  de  Jésus-Glirist  ;  les  démons 

*  sont  une  armée  d'ennemis  invisibles  qui  planent  au-dessus  de  nous 

*  dans  les  airs;  les  fidèles  sont  un  champ  que  Dieu  cultive,  un  édi- 

*  fiée  qu'il  bâtit,  un  corps  dont  les  membres,  étroitement  unis  entre 

*  eux,  sont  vivifiés  et   mus  par  le  même   chef;  les  bons  sont  les 

*  azymes,  les  méchants  sont  le  levain  qui  fait  aigrir  toute  la  pâte  ; 

*  les  Gentils  sont  des  hosties  vivantes  que  l'Apôtre  immole  par  le 

*  glaive  de  la  parole  et  consacre  à  Jésus-Christ  ;  lui-même  est  une 

*  libation  qui  va  bientôt  se  répandre,  une  victime  qui  va  être  im- 

*  molée  sur  la  prédication  de  la  foi,  un  atblète  qui  court  dansl'a- 

*  rêne;  il  va  saisir  la  couronne  qui  l'atteud  au  bout  de  la  carrière. 

*  Sa  prédication  est  un  grand  édifice  dont  Jésus-Christ  est  le  fonde- 
*ment;  et  sur  ce  fondement  les  uns  élèvent  l'or,  l'argent  et  les 

*  pierres  précieuses,  les  autres  le  bois,  la  paille  et  un  foin  aride  ; 
*mais  un  feu  vengeur  en  fera  le  discernement.  L'Éghse  est  une 

*  colonne  ferme,  un  fondement  inébranlable,  un  palais  magnifique 

*  où  so  trouvent  des  vases  d'honneur  avec  des  vas'S  d'ignominie, 

*  et  qui  porte  écrite  sur  sa  base  la  céleste  devise  qui  assure  l'immuable 

*  stabilité.  Et  que  dire  de  la  belle  comparaison  dt  s  membres  du 

*  corps   humain,  que  nous  hsons  au  chapitre  Xll''  de  la  première 

*  épître  aux  Corinthiens?  Un  Romain  célèbre  l'avait  déjà  employée, 

*  mais  combien  l'Apôtre  la  présente  d'une  manière  plus  vive,  plus 

*  énergique  et  plus  pittoresque  !  —  Ainsi  saint  Paul  a  su  plaire  et 

*  intéresser,  delectare  ;  il  n'a  pas  moins  exceUé  dans  le  talent  d'émou- 

*  voir,  movere.  Les  figures   les  plus  vives  et  les  plus  pathétiques 

*  viennent,  sans  être  recherchées,  tantôt  élever  son  discours  jus- 

*  qu'au  sublime,  tantôt  le  rendre  touchant  jusqu'à  amollir  les  cœurs 

*  les  plus  durs.  Quoi  de  plus  achevé  et  de  plus  vrai,  au  jugement  de 

*  Grotius  lui-même,  que  la  vive  description  de  la  corruption  des 

*  Gentils,  au  cliapiire  I"  de  l'épître  aux  Romains!  Quoi  de  plus  animé 

*  et  de  jilus  pittoresque  que  le  tableau  qu'il  trace  de  l'hounne  asservi 

*  au  joug  de  la  concupiscence,  .ipprouvant  le  bien  qu'il  ne  fait  pas,  et 
'*  [ais;ml  le  mal  qu'il  condamne  1  Avec  (jUcUe  splendeur  d'images  il 

*  décrit  le  grand  miracle  de  notre  résurrection  future  et  de  la  trans- 

*  formation  des  corps  glorieux,   l'appaiition  subite  ùe  Jésus-Christ 

*  descendant  des  cieux  environné  di^  ses  anges  et  d'un  tourjjillon  de 

*  llammes,  tous  les  lionunes  ressuscites  cl  allant  à  sa  rencontre  au 


224  TRAITE  DE  LA  TREDI CATION. 

*  milieu  des  airs  !  Il  n'est  pas  moins  touchant  lorsqu'il  trace  le  ta- 

*  hleau  de  ses  propres  souffrances,  de  ses  travaux,  de  ses  dangers,  de 

*  ses  morts  multipliées,  de  ses  infirmités,  de  ses  tentations,  de  ses 

*  révélations,   de  ses    extases;    et  quel   parallèle   plus  magnifique 

*  que  celui  qu'il  nous  a  fait  du  ministère  ancien  et  du  ministère 

*  nouveau,  le  premier  changeant  comme  la  figure   qui   passe,  le 

*  second  immuable  comme  la  vérité  qui  demeure;  d'un  côté  Moïse 

*  ébloui  des  splendeurs  divines,  obligé  de  voiler  son  visage  et  lais- 

*  tant  le  voile  sur  les  yeux  des  Juifs  incrédules;  de  l'autre,  les  apôtres 

*  ("onlemplant  à  face  découverte  cet  abîme  de  clartés,   et  connne 

*  transformés  dans  la  splendeur  de  l'essence  divine  !  Quel  autre  pa- 

*  i;dlèlenon  moins  saisissant  d'intérêt  entre  la  Jérusalem  terrestre  et 

*  la  Jérusalem  céleste  !  D'un  côté,  une  montagne  toute  en  feu,  une 

*  nuée  ténébreuse,  l'obscurité  et  le  bruit  de  la  tempête,  des  foudres 

*  et  des  tonnerres,  une  voix  si  terrible  qu'elle  effraye  les  Israélites  et 

*  i^lace  Moïse  d'épouvante  ;  de  l'autre,  la  montagne  de  Sion,  la  cité 

*  du  Dieu  vivant,    la   Jérusalem  céleste,   une  troupe  innombrable 

*  d'anges,  l'Église  des  premiers-nés  dont  les  noms  sont  écrits  dans 
*les  cieux.  Dieu  le  rémunérateur  des  justes,  Jésus  le  médiateur  du 

*  Nouveau  Testament,  dont  le  sang  crie  plus  haut  que  celui  d'Abel. 

*  Que  dire  enfin  de  la  magnifique  description  de  la  foi  dos  justes  de 

*  l'Ancien  Testament,  des  qualités  glorieuses  de  Jésus-Christ  et  des 

*  splendeurs  incomparables  de  son  sacerdoce  !  C'est  ainsi  que  saint 

*  Paul  éblouit  et  surprend  l'imagination  par  la  grandeur  des  figures  ; 

*  et  il  n'est  pas  moins  habile  à  subjuguer  et  entraîner  les  cœurs  par 

*  la  vivacité  des  mouvements  :  tantôt  il  se  livre  à  tous  les  transports 

*  d'une  sainte  indignation  ;  tantôt  il  fait  entendre  les  accents  tou- 

*  chants  d'un  père,  d'une  mère,  d'un  ami  tendre.  Il  pénètre  jusqu'au 

*  cœur  et  vous  montre  palpitantes  les  entrailles  de  sa  charité.  Dé- 

*  iiiosthénes  a-t-il  rien  de  plus  véhément  que  ses  réprimandes  aux 

*  Juifs  qui  n'observaient  pas  la  loi  qu'ils  connaissaient  (ch.  II  del'É- 

*  pitre  aux  Romains),  et  aux  fidèles  qui  portaient  leur  procès  autri- 

*  bunal  des  païens  (ch.  VI  de  la  première  aux  Corinthiens)?  Et  d'un 

*  autre  côté,  ces  Juifs  qu'il  réprimande  avec  tant  de   véhémence, 

*  comme  il  les  aime  !  Il  les  aime  jusqu'à  vouloir  être  auathème  pour 

*  eux.  Ces  Corinthiens  qu'il  vient  de  censurer  si  fortement,  il  les 

*  porté  tous  dans  son  cœur.  «  Notre  bouche  s'ouvre  pour  vous,  ô  Co- 
*iiathiens!  leur  écrit-il,  notre  cœur  se  dilate  de  tendresse,  vous 

*  n'êtes  point  à  Tètroit  ou  f(ind  de  nos  entrailles,  dilatez  donc  aussi 

*  vos  cœurs  pour  nous  recevoir.  Quand  vous  auriez  dix  mille  maîtres, 


SAINT  PAUL,  MODÈLE  DU  PRÉDICATEUR.  225 

*  VOUS  n'avez  qu'un  seul  Père,  et  c'est  moi  qui  vous  ai  engendi  es  en 

*  Jésus-Christ.  Je  ne  cherche  pas  vos  hiens,  mais  vos  âmes,  et  je  suis 

*  tout  prêt  à  sacrifier  tout  ce  que  je  possède  et  à  m'inuiioler  moi- 

*  même  pour  votre  salut.  »  Ailleurs,  il  louche,  il  attendrit  par  d'au- 

*  très  accents  de  charité,  où  se  révèle  l'ànie  la  plus  aimante,  un 

*  cœur  plus  que  paternel,  l'affection  d'une  nourrice  qui  réchauffe  ses 

*  nourrissons  dans  son  sein,  d'une  mère  qui  enfante  avec  douleur 

*  les  fruits  de  sa  tendresse.  11  est  donc  vrai  que  saint  Paul  a  eu  le 

*  talent  de  pénétrer  et  d'émouvoir,  comme  nous  avons  vu  qu'il  avait 

*  eu  celui  de  plaire  et  de  convaincre,  docere^  delectare,  movere. 

*  Qu'il  ait  su  donner  aussi  à  sa  prédication  ce  caractère  d'unité, 

*  essentiel  à  toute   bonne   composition,  c'est  une  chose  dont  son 

*  grand  talent  et  les  discours  qui  nous  restent  de  lui  au  Hvre  des 

*  Actes  ne  nous  permettent  pas  de  douter  :  d'où  nous  pouvons  con- 

*  dure  que   sa  prédication  a  eu  toutes  les  qualités  que  nous  avons 

*  décrites.  Il  ne  nous  sera  pas  plus  difficile  de  démontrer  qu'il  a  eu 

*  lui-même  toutes  les  qualités  d'un  parfait  prédicateur. 

*  4°  Il  a  eu  la  mission  légitime;  c'est  Jésus-Christ  lui-même  qui 

*  l'a  envoyé,  comme  il  le  dit  en  tête  de  presque  toutes  ses  épitres  : 

*  Paidîis  apostolus  Jesu  Christi,  et  comme  il  l'établit  dans  l'épître 

*  aux  Galatos  et  dans  la  seconde  aux  Corinthiens.  C'est  d'ailleurs  un 

*  fait  prouvé  surabondamment  par  les  prodiges  qui  suivaient  ses  pas, 

*  par  les  effusions  miraculeuses  du  Saint-Esprit  descendant  à  sa  voi.v 

*  sur  les  fidèles,  par  cette  multitude  de  conversions  qu'il  appelait 

*  lui-même  une  apologie  de  son  apostolat  écrite  de  la  main  du  Dieu 

*  vivant,  et  mille  fois  plus  convaincante  que  celle  qui  est  tracée  par 

*  une  encre  corruptible. 

*  Et  cette  mission,  il  la  tenait,  non,  comme  les  autres  apôtres,  de 

*  Jésus-Christ  vivant  sur  la  terre,  mais  de  Jésus-Clnist  ressuscité  et 

*  régnant  au  plus  haut  des  cieux,  qui  Ta  instruit   de  sa  propre  bou- 

*  che,  de  sorte  que  s'il  était  allé-  à  Jérusalem  voir  Pierre,  ce  n'était 

*  point  pour  recevoir  ses  instiuctions,  mais  pour  saluer  en  sa  per- 

*  sonne  le  chef  de  tout  l'apostolat  et  se  niellre  en  harmonie  avec 

*  celui  auquel  tout  devait  être  subordonné  et  d'où  (hv.iit  partir  le 

*  rayon  du  gouvernemeiit. 

*  Cette  mission  avait  de  plus  ceci  de  remarquabh%  qu'elle  n'était 

*  pas,  comme  celle  des  autres  apôtres,  ponr  un  pjiys  ou  un  [)rii[)le 
■  particulier,   mais  pour  la  GenliUlé  tout  entière,  de  soi  te  ((u'elle 

*  n'admettait  d'iiulres  bornes  que  celles  de  l'univins.  Ccini-ci.  av.iit 

*  dit  le  Sauveur  à  An, mie,  est  un  vase  d'élection  (leliiiè  ,'i  \)<>ylov  [,i 


f»  TRAITE  DE  LA  PREDICATION. 

*  gloire  de  mon  nom,  non-seulement  aux  enfants   d'Israël,  mais 

*  aux  rois  et  aux  nations  de  la  terre  ;  et  il  déclare  lui-même  aux 
*Éphésiens  que,  quoiqu'il  soit  le  dernier  de  tous,  il  a  reçu  la  mis- 

*  sion  et  la  grâce  d'annoncer  aux  Gentils  les  richesses  ineffables  de 

*  Jésus-Christ. 

*  2"  11  a  rempli  celte  mission  céleste  avec  une  parfaite  pureté  d'in- 
*tention;  qui  peut  en  douter?  Cette  grande  âme  comptait  pour  rien 

*  l'opinion  des  hommes  :  Mihi  pro  minimo  est,  et  ne  se  glorifiait 

*  que  dans  la  croix  de  Jésus-Christ.  Si  je  voulais  plaire  aux  hommes, 

*  disait-il,  je  ne  serais  plus  serviteur  de  Jésus-Christ;  je  neveux 
*d'aulre  gloire  que  le  témoignage  de  ma  conscience.  Quelques-uns 

*  prêchaient  à  Rome  par  un  sentiment  de  malveillance  envers  lui  ; 

*  mais,  disait-il ,  quelle  que  soit  l'intention  qui  les  anime,  je  me  ré- 

*  jouirai  toujours,   pourvu  que  Jésus-Christ  soit  annoncé  et  formé 

*  dans  les  cœurs.  C'est  ainsi  que  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des 

*  âmes  étaient  les  deux  seuls  mobiles  de  son  ministère  et  de  toute 

*  sa  conduite. 

*  5"  Il  a  été  saint  et  a  prêché  d'exemple  ce  qu'il  recommandait 

*  aux  autres  :  il  ne  demande  aux  fidèles  que  de  faire  ce  qu'ils  l'ont 
*v«  faire  lui-même  :  Qux  vidistis  in  me,  hsec  agite;  il  les  loue  de 

*  ce  qu'ils  suivent  ses  exemples  :  Et  vos  imitatores  mei  facti  estis  ; 
*iî  prend  Dieu  à  témoin  de  la  conduite  sainte,  juste  et  irréprocha- 

*  ble  qu'il  a  tenue  parmi  eux  :  Vos  testes  estis  et  Deiis,  qiiàm  sanctè 

*  et  juste  sine  querelâ  fuimus  ;  enfin  il  va  jusqu'à  les  conjurer  d'être 

*  ses  imitateurs  comme  il  l'est  lui-même  de  Jésus-Christ  :  Imitatores 

*  mei  estote,  sicnt  et  ego  Christi.  Si,  en  effet,  il  leur  prêchait  la 

*  pénitence,  il  châtiait  son  corps  et  le  réduisait  en  servitude  ;  s'il 

*  leur  recommandait  la  patience  dans  l'adversité,  il  était  toujours 

*  dans  les  tribulations  et  les  épreuves  ;  s'il  les  exhortait  au  sacrifice 

*  de  leurs  intérêts  les  plus  chers,  il  avait  lui-même  renoncé  à  tout 
*pour  Jésus-Christ,  et  gagnait  sa  vie  en  travaillant  de  ses  mains  ; 
^  s'il  leur  annonçait  le  crucifiement  de  toutes  les  inclinations  de  la 

*  nature,  il  était  lui-même  tout  attaché  à  la  croix  et  servait  le  Sei- 

*  gneur  dans  la  faim,  la  soif  et  la  nudité  ;  s'il  leur  prêchait  l'humi- 

*  lité,  il  n'était  à  ses  yeux  qu'un  persécuteur  outrageux,  le  plus 
'*  grand  des  pécheurs,  un  avorton  qui  ne  mérite  pas  de  voir  la  lu- 
*mière;  s'il  les  animait  à  la  charité  et  au  support  de  leurs  frères,  il 

*  s'était  fait  tout  à  tous  pour  les  gagner  tous  à  Jésus-Christ.  Enfin 

*  Jésus-Christ  était  toute  sa  vie  ;  il  ne  vivait  pas,  mais  c'était  Jésus- 

*  Christ  qui  vivait  en  lui. 


SÂI^■T  PAUL,  MODÈLE  DU  PRÉDICATEUn.  227 

*4°  Il  a  eu  au  plus  haut  degré  le  zèle  du  salut  des  âmes  :  sans 
"*  citer  les  passages  de  ses  Épîtres  où  respire  le  zèle  le  plus  brûlant, 

*  les  faits  seuls  parlent  assez  hautement.  Emporté  par  l'ardeur  qui 

*  le  dévore,  cet  apôtre  insatiable  de  la  gloire  de  son  Maître  el  du  sa- 

*  lut  des  âmes  parcourt  en    les  évangélisant  les   villes  de  l'Asie 

*  Mineure,  passe  de  là  en  Europe,  prêche  la  foi  à  Philippes,  Thessa- 

*  Ionique,  Bérée,  Athènes,  Corinlhe,  Éphèse;  et  depuis  Jérusalem 
'^jusqu'aux  confins  de  l'illyrie,  il  remplit  tous  les  lieux  du  bruit  de 

*  sa  prédication;  de  là  il  se  rend  à  Rome  et  se  propose  de  porter 

*  jusqu'en  Espagne  et  aux  extrémités  de  l'Occident   le  nom  et  l'É- 

*  vangiie  de  Jésus-Christ.  Il  est  dominé  par  la  grande  et  noble  pensée 

*  de  réunir  tous  les  peuples  de  la  terre  dans  une  même  foi,  et  ce 

*  projet  si  digne  de  son  grand  cœur  ne  le  laisse  en  repos  ni  jour  ni 

*  nuit. 

*  5"  Il  a  excellé  dans  l'esprit  d'oraison.  Il  assure  lui-même  qu'il 

*  priait  sans  cesse  avec  une  grande  abondance  de  larmes,  cuni  mul- 

*  tis  lacnjmis,  afin  d'attirer  les  bénédictions   de  Dieu  sur  ses  tra- 

*  vaux.  Ses  courses  et  ses  fatigues  n'interrompant  jamais  sa  prière  ; 

*  jeté  dans  les   cachots  et  chargé  de  chahies  à  Philippe,  il  faisait 

*  monter  vers  le  ciel  les  accents  de  celte  prière  humble  et  fervente 

*  qui  convertit  le  geôlier  et  toute  sa  maison.  Son  oraison  même  était 

*  si  sublime,  que  plus  d'une  fois  elle  a  été  accompagnée  de  révéla- 

*  tiens,  d'extases  et  de  ravissements  jusqu'à  être  transporté  au  troi- 

*  sième  ciel. 

*  (5"  Saint  Paul  a  possédé  à  un  haut  degré  le  talent  de  la  parole; 

*  cela  résulte  clairement  de  tout  ce  que  nous  avons  dit  en  parlant 

*  des  caractères  de  sa  prédication. 

*  7°  Il  a  eu  la  science   nécessaiie  au  prédicateur.    Les  citations 

*  qu'il  fait  de  trois  poètes  grecs,  d'Aratus,  dans  son  discours  à  l'A- 

*  réopage  ;   de  Ménandre,    dans  sa  deuxième   aux  Corinthiens,   et 

*  d'Épiménides,    dans  sa  lettre  à  Tite,   prouvent  qii'il  n'était  pas 

*  étranger  aux   connaissances   littéraires;  mais  où  il  est  bien  plus 

*  admirable,  c'est  dans  cette  sublime  théologie  apprise  au  troisième 

*  ciel  de  la  bouche  de  Jésus-Christ  régnant  glorieux  à  la  droite  de 
'  son  Père,  et(ju'il  a  transmise  à  l'Kgiise  par  ses  Épitres.  Qu'il  nous 

*  soit  permis  d'en  donner  ici  une  légère  esquis-e  dans  les  termes 

*  mêmes  de  l'Apôtre.  Toute  la  théologie  se  réduit  à  connaître  Dieu, 

*  rhomme,  sa  réparation  après  sa  chute,  sa  justificalion,  sa  glorifi- 

*  catior:  ou  son  châtiment  dans   la  vie  future,  et  enfin  les  règles  de 
■*  la  morale  qui  doivent  le  diriger  dans  la  vie  présente.  Oi-,  saint  Paul, 


228  TRAITE  DE  LA  ri'.ÉDÎCATlON. 

*  dans  ses  Épitres,  nous  fait  connaître  toutes  ces  choses  avec  une 

*  magnificence  d'idées  incomparable. 

*  1°  Il  nous  fait  connaître  Dieu;  c'est,  selon  lui,  le  Roi  immortel 

*  des   siècles,  le   Dieu  invisible  et  unique,  le  seul  heureux,  le  seul 

*  puissant,  le  Roi  des  rois,  le  Dominateur  des  dominateurs,  qui  pos- 

*  sède  l'immortalité  et  habite  une  lumière  inaccessible,  celui  que  nul 

*  mortel  n'a  vu  ni  ne  pourra  jamais  voir,  à  qui  appartient  la  gloire 

*  et  un  empire  éternel,  qui  vivifie  les  morts  et  appelle  les   choses 

*  qui  ne  sont  pas  mèn^e   comme  celles  qui  sont;  c'est  en  kii  que 

*  nous  avons  l'existence,  le  mouvement  et  la  vie  ;  c'est  le  Père  des 

*  miséricordes  et  le  Dieu  de  toute  consolation.  Il  a  un  111s  unique 

*  qui  est  la  splendeur  de  sa  gloire,  l'empreinte  de  sa  substance  ;  qui 

*  porte  tout  par  la  toute-puissance  de  sa  parole  ;  qui  a  créé,   outre 

*  les  êtres  visibles,  les  Puissances,  les  Trônes  et  les  Dominations  ; 

*  qui  étant  dans  la  forme  de  Dieu,  pouvait,  sans  usurpation,  s'égaler 

*  à  Dieu;  qui  renferme  en  lui  toute  la  plénitude  de  la  Divinité;  qui 

*  est  le  grand  Dieu  sauveur,  le  Dieu  béni  dans  les  siècles  des  siècles. 

*  Le  Saint-Esprit  est  le  lien  d'amour  qui  unit  le  Père  et  le  Fils  ;  et 

*  c'est  cet  Esprit  adorable  qui  a  parlé  par  les  prophètes,  qui  a  inspiré 

*  les  Écritures,  qui  est  l'auteur  de  tous  les  dons  merveilleux  répan- 

*  dus  dans  l'Église  ;  c'est  par  lui  cpie  les  docteurs  enseignent  la  sa- 

*  gesse,  que  les  prophètes  annoncent  l'avenir,  que  les  thaumaturges 

*  opèrent  les  prodiges,  que  les  interprèles  dévoilent  le  sens  caché 

*  des  Écritures;  c'est  par  lui  qu'on  parle  dans  l'Église  des  langues 

*  étrangères,  qu'on  guérit  les  malades,  qu'on  discerne  les  Espîits; 

*  c'est  lui  seul  qui  peut  sonder  les  profondeurs  de  la  Divinité;  et  ces 
^  trois  divines  personnes  réellement  dislinctes,  puisque  l'Apôtre  les 

*  fait  agir  à  part  et  leur  attribue  des  opérations  propres  et  singuliè- 

*  res,  ne  forment  cependant  qu'un  seul  Dieu  :  Nohis  tamen  uniis 

*  J)eus.  —  1'^  L'Apôtre  nous  fait  connaître  l'homme  ;  il  nous  montre 

*  le  premier  Adam  en  qui  tous  ont  péché,  et  qui,  par  son  péché,  a 

*  introduit  la  mort  dans  le  monde.  Tous  sont  enfants  de  colère  par 

*  le  malheur  de  leur  origine;  et  de  cette  corniplion  originelle  qui 

*  infecte  également  et  le  Juif  et  le  Gentil,  résulte  le  combat  intérieur 

*  de  la  concupiscence  et  de  la  grâce,  de  la  loi   des  membres  et  de 

*  la  loi  de  l'esprit,  la  lutte  continuelle  de  ces  deux  hommes  con- 
*traires,  dont  l'un  fait  le  mal  et  l'autre  veut  le  bien;  d'^i  l'Apôtre 

*  conclut  en  s'écriant  :  Malheureux  homme  que  je  suis!  qui  me  dé- 

*  livrera  de  ce  corps  de  mort?  —  Il  va  vous  l'apprendre  lui-même 

*  en  nous   révélant,   en   troisième  lieu,    la  réparation  de  l'homme 


SAINT  PAUL,  MODÈLE  DU  PRÉDICATEUR.  229 

*  après  sa  chute.  La  nature  avec  les  maximes  d'une  philosophie  or- 

*  gueilleuse  était  impuissante  à  opérer  cette  réparation  :  témoin  les 

*  égarements  affreux  des  philosophes:  la  loi,  avec  ses  ordonnances 

*  et  ses  menaces,  pouvait  arrêter  la  main,  mais  ne  changeait  pas  le 

*  cœur  et  irritait  la  concupiscence  sans  la  réprimer.  La  foi  seule  en 

*  Jésus-Christ  pouvait  donc  relever  l'homme  déchu  ;  et  ici  l'Apôtre 

*  nous  fait  connaître  ce  Médiateur  incomparahle  envoyé  pour  nous 

*  sauver.  Aucun  de  ses  mystères  n'échappe  à  sa  vue  et  à  son  pin- 

*  ceau  :  avec  quelle  magnificence  il  nous  décrit  le  mystère  de  ce 

*  Dieu,  manifesté  dans  la  chair,  justifié  par  les  œuvres  du  Saint-Es- 

*  prit,  montré  aux  anges,  prêché  aux  nations,  cru  dans  le  monde  et 

*  reçu  dans  la  gloire,  apparaissant  aux  hommes  assis  dans  les  té- 
■*  nébres  de  la  mort  comme  un  soleil  levant  pour  les  éclairer  de  ses 

*  divins  rayons:  Apparuit  gratia  Dei  salvatoris,  etc.,  participant  à 

*  notre  nature,  afin  d'être  en  état  de  souffrir  et  de  mourir  pour 

*  nous,  se  donnant  comme  le  prix  de  la  rédemption  de  tous,  s'offrant 

*  comme  une  victime  de  propiliation  et  d'agréable  odeur  aux  yeux 

*  de  Dieu,  médiateur  entre  Dieu   et  les  hommes,  réconciliant  le 

*  monde  avec  un  Dieu  irrité,  pacifiant  par  le  sang  de  sa  croix  le 

*  ciel  avec  la  terre ,  déchirant  la  cédule  de  condamnation  portée 

*  contre  nous,   arrachant  à  l'enfer  ses  trophées  et  ses  dépouilles,  et 

*  menant  attachées  à  son  char  de  tiiomphe  les  puissances  des  té- 

*  nébres  ;  livré  à  la  mort  pour  expier  nos  péchés,  et  ressuscitant 

*  pour  nous  donner  le  modèle  d'une  vie  nouvelle,  puis  montant  au 

*  plus  haut  des  cieux,  menant  à  sa  suite  une  multitude  de  captifs 

*  dont  il  a  brisé  les  fers  ;  et  là  l'Apôtre  nous  le  représente  pénétrant 

*  par  son  sang  dans  le  sanctuaire  éternel,  s'asseyant  à  la  droite  de 

*  la  Majesté  divine,  où  il  vit  toujours  pour  intercéder  pour  nous, 

*  Pontife  saint,  innocent  et  sans  souillure,  plus  élevé  que  les  cieux, 

*  prêtre  selon  l'ordre  de  Melchisédech,  sans  commencement  ni  fin, 

*  dont  le  privilège  est  de  ne  point  avoir  de  successeur,  mais  d(;  rem 

*  plir  éternellement  par  lui-même  les  fonctions  de  son  immortel  sa- 

*  (Trdoce.  —  4"  Pour  justifier  l'homme  par  l'application  de  tant 

*  d'ineffables  mérites,  l'Apôtre  nous  montre  une  suite  de  docteurs 

*  et  de  pasteurs  qui  doiv^'iit  se  succéder  ju.s(|u'à  la  consonnnatiou  des 

*  siècles  ;  une  Église,  le  fondement  de  la  foi  et  la  colonne  de  la  vé- 

*  lité,  afin  de  nous  réunir  tous^ dans  l'unité  d'une  même  croyance  ; 

*  les  sacrements,  qui  ne  sont  plus  des  éléments  sans  vertu,  mais  des 
"  canaux  de  vie,  lesquels  purifii'iil  l'Kglise  et  lui  donnent  une  beauté 

*  é;.^alement  exempte  et  des  taches  de  la  laideur  et  des  rides  de  la 


250  ÎP.AITÈ  DE  LA  PRÈDICITIUN. 

*  vieillesse  ;  le  baplèmo,  qui  nous  régénère  et  nous  sanctifie  par  la  vert 

*  de  ses  eaux  ;  la  confinnation  qui  nous  affermit  et  nous  marque  du 

*  sceau  du  Saint-Esprit;    l'euiliarislie,  qui  est  la  participation  du 

*  corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ,  participation  si  réelle,  que  la  re- 

*  cevoir  indignement,  c'est  profaner  ce  corps  et  ce  sang  adorable,  et 

*  qui  est  en  même  temps  le  sacrifice  propre  des  chrétiens,  auquel  ne 

*  peuvent  participer  les  prêtres  lévitiques  ;  la  pénitence,  sulfisam- 

*  ment  indiquée  par  la  peine  satisfactoire  imposée  à  l'incestueux  de 

*  Corinlhe;  l'ordre  dont  Tirnolhée  doit  ressusciter  en  lui  la  grâce  ; 

*  enfin  le  mariage,  avec  sa  nature  et  ses  devoirs  si  bien  décrits,  et  le 

*  titre  exprès  de  grand  sacrement.  A  ces  moyens  extérieurs  de  sanc- 

*  tification,  l'Apôtre  ajoute  les   moyens  intérieurs  plus  admirables 

*  encore,  et  montre  le  chrétien  toujours  sous  l'empire  de  la  grâce, 

*  objet  de  la  prédile(;tion  des  trois  personnes  divines  :  le  Père  l'a 

*  prédestiné  de  toute  éternité  d'après  le  mouvement  gratuit  de  sa  vo- 

*  lonté,  le  Fils  l'a  racheté  et  justifié  par  son  sang;  et,  assis  à  la  droite 

*  du  Pèie,  il  ne  cesse  d'intercéder  pour  lui  ;  le  Saint-Esprit  l'ainme, 
*le  régit,  éclaire  ses  ténèbres,  répand  la  charité  dans  son  cœur,  lui 

*  donne  la  confiance  d'appeler  Dieu  son  père,  pousse  au  fond  de  son 

*  âme  ces  gémissements  ineffables  qui  sont  toujours  exaucés.  La 

*  grâce,  après  avoir  créé  en  nous  Tliomme  intérieur,  n'abandonne 

*  point  son  ouvrage  :   c'est  elle  qui  nous  fait  croire  et  pratiquer,  qui 

*  nous  crée  dans  les  bonnes  œuvres,  qui  nous  inspire  le  vouloir  et  le 

*  faire,  et  sans  elle  nous  ne  pouvons  rien  :  avec  tant  de  secours, 

*  comment  ne  parviendrions-nous  pas  à  la  gloire?  —  5"  Ici,  l'Apôtre 

*  nous  décrit  avec  un  éclat  merveilleux  le  dernier  avènement  du 

*  Sauveur  pour  nous  emmener  avec  lui  dans  son  royaume.  Au  signal 

*  de  la  trompette,  dit-il,  il  descendra  du  ciel  environné  de  ses  anges 

*  et  d'un  tourbillon  de  feu  ;   les  justes  iront  à  sa  rencontre  dans  les 

*  airs,  revêtus  de   corps  glorieux  et  resplendissants,  prés  desquels 

*  pâliront  la  beauté  des  planètes,  l'éclat  du  soleil  et  des  étodes;  et 

*  ils  pourront  alors  insulter  à  la  mort.  0  mort  !  où  est  ta  victoire  ?  ô 

*  enfer  !  où  est  ton  aiguillon?  Grâces  à  Dieu  qui  nous  a  accordé  celte 

*  grande  victoire  par  Jèsus-Chiist  !  Quant  à  ceux  qui  n'ont  pas  obéi 

*  à  rÉvangile,  ils  seront  séparés  de  sa  face  adorable  et  souffriront 

*  des  peines  éternelles.  —  6°  L'Apôtre  ne  décrit  pas  d'une  manière 

*  non  moins  admirable  les  règles  de  morale  qui  doivent  diriger  le 

*  chrétien  dans  la  vie  présente.  11  pose  la  foi  comme  le  grand  prin- 

*  cipe  de  la  justification  ;  le  juste  vit  de  la  foi  et  se  perfectionne  par 

*  la  foi  ;  sans  la  foi  il  est  impossible  de  plaire  à  Dieu  ;  c'est  par  la  foi 


SAINT  PAUL,  MODÈLE  DU  PRÉDICATEUR.  231 

*  que  les  patriarches  et  les  apôtres,  tous  les  justes  de  l'ancienne 

*  alliance  ont  été  agréables  à  ses  yeux  ;  cette  foi  doit  être  ferme  et 

*  nous  rendre  en  quelque  sorte  visible  l'objet  de  nos  espérances;  elle 

*  doit  être  vive  et  opérer  par  la  charité.  A  la  foi  doit  se  joindre  l'es- 

*  pérance  qui  nous   sauve  :   Spe  salvi  facti  sumus.   Appuyée  sur 

*  les  divines  promesses,  elle  ne  confond  jamais  ;  elle  se  fortifie  au 

*  milieu  des  épreuves,  elle  attend  le  Sauveur  qui  viendra  des  cieux, 

*  elle  est  comparable  à  une  ancre  immobile  fermement  attachée  à  ce 

*  divin  tabernacle  où  Jésus  noire  précurseur  est  entré.  Puis  vient  la 

*  charité  ;   et  ici  comme  l'Apôtre  est  magnifique  !  Il  en  démontre 

*  la  nécessité  ,  il  en  décrit  les  touchants  caractères  ,  il  l'élève  au- 

*  dessus  de  tous  les  dons  surnaturels  et  la  suit  jusque  dans  le  ciel 

*  où  elle  doit  survivre  à  toutes  les  vertus,  et  faire  notre  éternelle 

*  béatitude.  Que  ne  dit-il  pas  encore  de  la  pénitence,  de  la  pureté, 

*  de  la  mortification,  du   crucifiement  intérieur,  de  la  douceur,  du 

*  support  des  infirmités  de  nos  frères,  de  l'humilité  d'esprit  et  de 

*  cœur  ?  Il  veut  qu'un  disciple  de  Jésus-Christ  soit  une  parfaite  copie 

*  de  cet  excellent  modèle,  qu'il  le  représente  dans  tous  ses  mystères, 

*  qu'il  meure  avec  lui,  qu'il  ressuscite  avec  lui  pour  ne  plus  mourir 

*  par  le  péché,  mais  toujours  vivre  de  la  justice.   Le  chrétien  vivant 

*  de  la  foi,  soutenu  par  l'espérance,  enraciné  dans  la  charité,  fortifié 
*par  l'Esprit-Saint,  tenant  à  Jésus-Christ  comme  la  pierre  à  son  fon- 

*  dément,  comme  la  branche  à  sa  racine,  comme  le  membre  au 

*  chef  qui  lui  donne  le  mouvement  et  la  vie,  ne  doit  point  mettre  de 

*  bornes  à  sa  perfection  ;  il  doit  croître  sans  cesse  dans  la  charité, 

*  dans  l'union  avec  Jésus-Christ  dont  il  doit  être  revêtu,  avec  lequel 

*  il  doit  être  incorporé,  ou  plutôt  qui  doit  vivre  en  lui  tout  entier.  A 

*  mesure  que  l'homme  extérieur  se  dissout  et  se  détruit,  l'homme 

*  inlérieur  doit  se  renouveler,  se   fortifier  et  s'avancer  sans  cesse 

*  vers  cette  plénitude  d'âge,  vers  cette  mesure  de  l'homme  parfait 

*  qui  ne  se  trouve  qu'en  Jésus-Christ.  Nous  pourrions  encore  suivre 

*  l'Apôtre  expliquant  les  devoirs  particuliers  de  chaque  condition  ; 

*  mais  c'en  est  assez,  et  nous  sommes  abondamment  autorisés  à 

*  conclure  que  saint  Paul  a  réuni  au  plus  haut  degré  toutes  les  qua- 

*  lités  d'un  orateur  évangélique  et  a  été  le  plus  excellent  des  prédi- 
^  cateurs. 


SECONDE  PARTIE 


DE  LA  PRÉPARATION  QUE  DEMANDE  LE  MINISTÈRE 
DE   LA   PRÉDICATION. 


Ce  que  nous  avons  dit  jusqu'ici  sur  les  caractères  de  la  Prédication 
et  les  qualités  du  prédicateur  démontre  assez  la  grande  préparation 
que  demande  ce  ministère.  Tout  le  monde  comprend  que  ce  n'est 
qu'après  de  longs  efforts  qu'on  peut  atteindre  cette  mesure  de  sainteté 
et  de  science  que  doit  avoir  l'orateur  sacré,  pour  donner  à  sa  prédi- 
cation les  caractères  marqués.  Maintenant,  quittant  ces  considéra- 
lions  générales  et  descendant  à  des  détails  particuliers,  nous  allons 
considérer  le  prédicateur  se  préparant,  dans  le  cabinet,  à  monter  en 
chaire  ;  et,  pour  le  diriger  dans  ce  travail,  nous  traiterons  :  1"  de  la 
préparat:on  éloignée  ;  2°  de  la  préparation  prochaine. 


TUA    Ë  DE  LA  PRÉDICATION. 


CHAPITRE  PREMIER 

De  la  préparation  é.'oîgnée. 

La  préparation  éloignée  consiste  en  certains  moyens  de  se  former 
à  la  prédication  :  il  en  est  trois  principaux,  savoir  :  1°  les  lectures, 
2°  les  recueils,  5°  les  essais  de  composition. 

ARTICLE  1«'. 

DES    LECTURES  *. 

11  est  deux  sortes  de  lectures  :  les  unes  ont  pour  objet  de  recueillir 
des  idées  et  des  matériaux  en  vue  de  composer  actuellement  une 
instruction  ;  et  celles-là  regardant  la  préparation  prochaine,  nous 
n'avons  point  à  nous  en  occuper  ici,  nous  en  traiterons  plus  tard  ;  les 
autres  ont  pour  objet  de  former  le  goût  et  de  développer  les  talents 
qu'on  a  reçus  de  la  nature,  et  c'est  de  celles-oi  seulement  que  nous 
avons  à  traiter  en  cet  article. 

Il  est  certain  que  la  lecture  des  bons  modèles  est  le  premier  et  le 
plus  excellent  moyen  de  se  former  au  ministère  évangélique  et  de 
développer  ses  talents  naturels.  Car,  comme  Sénèque  Ta  justement 
observé,  la  voie  des  préceptes  est  longue,  celle  des  exemples  est  à  la 
fois  plus  courte  et  plus  facile  :  Longum  iter  per  prxcepta,  brève  et 
effïcax  perexempla.  Les  rèj^les  et  les  préceptes,  d'ailleurs  si  utiles  et 
si  nécessaires,  ne  peuvent  même  être  bien  compris  qu'autant  qu'on 
en  voit  l'application  dans  les  bons  modèles  ;  voilà  ce  qui  en  fait  con- 
naître l'esprit,  en  révèle  le  sens,  en  enseigne  la  pratique,  et  ce  qui 
forme  le  goût.  Mais  pour  tirer  de  ces  lectures  tout  le  fruit  qu'elles 
peuvent  produire,  il  est  plusieurs  règles  à  observer. 

1'*  Règle.  — Il  faut  se  borner  longtemps,  et  jusqu'à  ce  qu'on  ait 
le  goût  formé,  à  un  petit  nombre  d'excellents  ouvrages  ;  Diu  nonnisi 

*  Voyez  la  Véritable  Manière  de  prêcher  selon  l'esprit  de  l'Évangile,  par  le 
P.  Albert,  III»  part.,  c.  xxi  et  suiv.  —  Traité  des  Études  de  RoUin,  liv.  III,  c.  ni, 
art.  2,  §  1    —  Quintil.,  liv.  II,  c.  v  et  vi. 


PRÉPARATION  ÉLOIGNÉE.  235 

optimv.s  quisque  et  qui  credentem  sibi  minime  [allât,  legendus  est,  dit 
Quintilien^  I.a  raison  de  cette  règle,  c'est  qu'en  lisant  des  ouvrages 
médiocres,  on  s'expose  à  se  laisser  séduire  par  un  éclat  trompeur 
de  style  ou  de  pensées,  à  prendre  la  fausse  éloquence  pour  la  véri- 
table, et  à  se  gâter  le  goût  peut-être  pour  toute  la  vie  ;  c'est,  en 
second  lieu,  qu'en  méditant  à  fond  un  petit  nombre  d'ouvrages  vrai- 
ment modèles,  on  se  pénètre  de  leur  esprit,  de  leur  genre  et  de  leur 
manière  ;  on  se  les  approprie,  on  les  convertit  en  son  propre  esprit, 
si  je  puis  ainsi  dire;  et  par  là  on  se  forme  le  goût  et  on  perfectionne 
son  talent ,  tandis  que  celui  qui  lit  beaucoup  de  livres  sans  rien 
approfondir  ne  relire  que  peu  de  fruit  de  ses  lectures. 

2'  Règle.  —  Dans  le  choix  de  ses  livres  de  lecture,  il  faut  se  défier 
de  son  propre  jugement,  consulter  des  hommes  d'un  goût  sûr,  et 
n'admettre  que  des  ouvrages  consacrés  par  le  jugement  des  siècles 
ou  placés  au  premier  rang  par  une  opinion  pubhque  certaine  et  inva- 
riable. Tels  sont,  parmi  les  auteurs  profanes,  DêmosthènesetCicéron, 
que  saint  Charles  et  le  P.  Ségneri  lisaient  souvent  comme  les  grands 
modèles  de  l'art  de  bien  dire  ;  parmi  les  Pères,  saint  Chrysostome 
et  saint  Augustin  ;  parmi  les  prédicateur  du  grand  siècle,  Bourda- 
loue  pour  le  fond  des  choses  etMassillon  pour  le  style.  Nous  enga- 
geons les  jeunes  gens  à  s'en  tenir  pendant  longtemps  à  ces  deux 
auteurs  pour  la  langue  française  :  le  défaut  de  Bourdaloue,  qui  est 
d'être  souvent  froid  et  monolone,  sera  corrigé  par  la  grâce,  le  mou- 
vement et  la  chaleur  de  Massillon  :  et  le  défaut  de  Massillon,  qui  est 
de  ne  pas  instruire  assez,  de  traiter  peu  le  dogme,  d'exagérer  la 
morale,  se  corrigera  par  le  genre  si  instructif,  si  sohde  et  si  exact 
de  Bourdaloue  ;  et  ainsi  ils  auront  dans  ces  deux  auteurs  tout  ce  qui 
fait  l'excellent  prédicateur.  Ils  ne  liraient  pas  sans  danger  ni  M.  de 
Boulogne,  qui  gâte  trop  souvent  son  beau  talent  par  un  style  antithé- 
tique et  recherché  ;  ni  le  cardinal  Maury,  dont  la  phrase  ambitieuse, 
manquant  souvent  de  précision,  est  plus  riche  en  mots  qu'en  pen- 
sées et  en  sentiments;  ni  la  plupart  de  nos  auteurs  modernes,  chez 
lesquels  on  trouve  si  rarement  le  goût  pur,  la  justesse  et  le  naturel  ; 
ni  même  Bossuet,  qui,  par  cela  même  qu'en  certains  endroits  il  vous 
ravit,  vous  transporte,  vous  terrasse  d'admiration,  si  je  puis  amsi 
dire,  dispose  les  esprits  peu  formés,  tantôt  à  vouloir  imiter  ce  qui  est 
inimitable,  tantôt  à  tout  admirer  en  lui,  même  les  endroits  défec- 
tueux, et  par  là  à  se  dépraver  le  goût.  A  plus  forte  raison  doivent-ils 

*  Lib.  X,  cap.  i. 


236  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

s'interdire  tous  ces  livres  nouveaux  écrits  dans  le  genre  romantique, 
qui  ne  sont  [tropres  qu'à  pervertir  l'esprit,  souiller  le  cœur  et  dé- 
goûter de  tout  ce  qui  est  grave  et  sérieux.  Il  est  vrai  que  le  prêtre 
doit  prononcer  sur  les  lectures  à  permettre  ou  à  interdire  à  ses  péni- 
tents; mais  il  a  deux  moyens  de  s'éclairer  à  ce  sujet:  le  premier  est  de 
s'en  tenir  au  jugement  de  la  Bibliographie  catholique  ou  autres  revues 
estimables  ;  le  second  est  de  jeter  un  coup  d'œil  rapide  sur  le  livre, 
et  de  s'arrêter  dés  qu'on  a  reconnu  qu'il  est  mauvais.  Pour  avertir 
que  tel  breuvage  est  du  poison,  il  n'est  pas  nécessaire  d'en  vider  la 
coupe  jusqu'à  la  lie. 

5'  Règle.  —  11  faut  lire  peu  à  la  fois  et  réfléchir  beaucoup  :  Miiltiim 
legendiim,  non  multaK  Lorsqu'on  lit  trop  à  la  fois,  l'esprit  se  fatigue, 
effleure  sans  approfondir,  et  n'en  recueille  rien  de  net  et  de  distinct  : 
c'est  comme  une  plaie  d'orage  qui  ne  mouille  que  la  surface  et 
s'écoule  sans  pénétrer  en  terre.  L'essentiel  est  donc  de  réfléchir 
beaucoup,  c'est-à-dire  d'étudier  le  plan,  la  conduite  et  l'ensemble 
du  discours,  de  suivre  l'enchaînement  et  la  liaison  de  ses  parties, 
de  se  rendre  compte  à  soi-même  des  raisonnements  et  des  preuves 
en  les  dépouillant  de  tout  l'éclat  extérieur  qui  les  environne  et  dont 
il  ne  faut  pas  se  laisser  éblouir,  de  peser  ces  raisons  et  ces  preuves 
pour  voir  si  elles  sont  solides,  si  elles  vont  au  sujet,  si  elles  sont  à 
leur  place;  enfin  de  se  mettre  dans  l'esprit  toute  l'économie  du 
travail  de  l'auteur  de  manière  à  pouvoir  dire  :  Ici  il  veut  prouver 
telle  chose,  et  il  la  prouve  par  telles  raisons  ;  là  il  explique  telle 
vérité  et  en  fait  l'application  à  son  auditoire.  Puis,  après  avoir  ainsi 
décomposé  le  discours  et  l'avoir  réduit  à  sa  plus  simple  expression, 
on  examinera  comment  l'auteur  a  agrandi  et  embelli  ces  idées  pre- 
mières, revêtu  ce  squelette  de  si  magnifiques  couleurs  ;  par  quelles 
ligures  et  tournures  oratoires  il  a  relevé  telle  preuve  et  telle  consi- 
dération, avec  quel  art  il  a  appliqué  telles  règles  et  tels  préceptes 
do  la  rhétorique;  et  par  là  on  parviendra  peut-être,  à  son  grand 
profit,  à  surprendre  le  secret  de  l'auteur  sur  l'art  d'écrire.  C'est  là 
aussi  le  sage  conseil  que  donne  le  P.  Jouvency  :  Vide,  ditMl,  cùm 
eloquentem  locum  legis  aiidisve,  quid  te  movcat,  quemadmodum 
moveat,  cur  moveat,  ut  se  insinuet  orator,  ut  reluctantem  animum 
nunc  frangatvi,  nunc  astu  capiat,  ut  spe,  odio,  timoré  accendat^. 
Pour  mieux  fixer  ses  réflexions,  il  serait  même  souvent  utile  d'ana- 
hser  par  écrit  les  discours  qu'on  lit,  c'est-à-dire  d'en  rédigerle  plan, 

»  riin.  Jun.,  lib   VII,  c.  ix.  —  «  De  Rat.  dise,  art.  i,  §  5 


PliÉI'ARATION  ÉLOIGî^ÉE.  257 

les  divisions  et  subdivisions  avec  leurs  principaux  développemeiils  : 
l'habitude  de  ces  analyses  accoutume  l'espi  il  à  la  réflexion,  le  fami- 
liarise avec  l'ordre  et  la  méthode,  grave  dans  la  mémoire  les  beautés 
de  l'ouvrage,  et  lait  insensiblement  contracter  la  facilité  d'écrire  et 
de  rendre  ses  pensées. 

4'  Règle.  —  En  hsant  les  auteurs,  il  faut  avoir  l'esprit  assez  élevé 
et  assez  étendu  pour  apprécier  toute  espèce  de  beautés  qui  s'y  trouve. 
Beaucoup,  dans  ces  lectures,  se  laissent  aveugler  par  la  prévention  : 
ainsi  tel  qui  aime  le  sentiment  et  la  grâce  du  style  ne  peut  souffrir 
Bourdaloue  et  tout  ce  qui  ressemble  à  la  dissertation  ;  tel  qui  a  le 
goût  du  soUde  ne  peut  souffrir  Massillon  et  tout  ce  qui  n'est  pas 
raisonnement;  tel  qui  recherche  les  belles  applications  d'Écriture 
sainte  prend  en  dégoût  toute  lecture  où  il  n'en  trouve  pas,  et  rejette 
le  livre  en  disant  :  II  n'y  a  rien  dans  cet  ouvrage,  parce  qu'il  n'y 
trouve  pas  l'idée  fi.\e  qu'il  y  cherche. 

ARTICLE  2. 

DES   RECUEILS. 

Un  des  premiers  fruits  que  le  prédicateur  doit  tirer  de  ses  lectures, 
c'est  de  recueillir  par  écrit  ce  qu'il  y  trouve  de  plus  touchant,  et  de 
plus  propre  à  convertir.  Locos  sibi  compambit,  dit  saint  Charles, 
quibus  auditornm  animi  commoveri  soient  ad  amoreniDei.  En  notant 
ainsi  dans  un  recueil  toutes  les  choses  saillantes  et  remarquables 
qu'on  lit  ou  qu'on  entend,  qui  nous  frappent  ou  nous  louchent,  on 
se  crée  pour  l'avenir  un  trésor  précieux  qui  fournit  plus  tard  de 
quoi  parler  sur  toutes  les  matières,  et  épargne  des  recherches  péni- 
bles, souvent  infructueuses;  on  se  rend  profitables  pour  loul  1ère:- te 
de  sa  vie  et  les  instructions  ou  lectures  publiques  auxquelles  on 
assiste,  et  les  études  ou  lectures  privées  auxquelles  on  se  livre,  et 
les  réflexions  que  l'on  fait  et  les  sentiments  (ju'on  éprouve  ;  lien 
n'est  perdu,  une  intelligente  précaution  met  tout  en  réserve  pour  le 
jour  du  besoin;  tandis  que  si  l'on  néglige  ce  recueil,  on  laisse  périr 
le  fruit  de  ses  lectures,  de  ses  réflexions  ou  impressions,  de  la  pluj-.art 
même  de  ses  études.  Au  moment  de  la  composition,  on  se  souviendra 
peul-èlre  d'avoir  lu  ou  entendu  quelque  (;hose  sur  la  malière  (lu'on 
a  à  traiter,  mais  qu'a-t-on  lu  ou  entendu?  mais  où  le  retrouver?  on 
l'ignore.  On  a  senti  vivement  autrefois  cerlaiiu^s  considérations  sur 
ce  même  sujet;  et  sous  l'impiession  de  (;e  sentiment  vif,  on  eût  écrit 


238  TUAITÉ  DE  LA  PREDICATION. 

alors  des  pages  pleines  d'âme  et  de  chaleur;  mais  aujourd'hui  on 
n'en  est  phis  touelié,  ou  on  l'est  si  peu  que  le  senliiaenl  n'inspire 
rien.  On  est  donc  dans  une  indigence  complète,  dépourvu  de  tous 
matériaux;  le  passé  n'a  rien  laissé  en  réserve  pour  le  présent  :  n'est- 
ce  pas  là  une  perte  déplorable?  Aussi  l'autorité  et  la  pratique  des 
hommes  les  plus  graves  déposent-elles  en  faveur  de  l'utilité  de  ces 
recueils.  Entre  un  grand  nombre  que  nous pouri  ions  citer,nousnous 
bornerons  à  quelques-uns.  Le  savant  pape  saint  Damase  regardait 
comme  temps  perdu  toutes  les  lectures  dont  on  ne  prenait  pas  note  : 
Lectionem  sine  stylo  somnium  piita  ;  saint  Charles  s'était  composé  à 
lui-même  de  vastes  recueils,  et  on  lit,  dans  la  préface  de  ses  Homé- 
lies', qu'il  en  retirait  les  plus  grands  avantages  pour  écrire  et  varier 
ses  instructions.  M.  Tronson  ne  lisait  rien  de  remarquable  qu'il  ne  le 
notât,  et  c'est  de  là  que  nous  est  venu  son  excellent  ouvrage  qui  a 
pour  titre  :  Forma  cleri.  Les  règles  de  la  société  de  Jésus  prescrivent 
ces  recueils  aux  prédicateurs^;  saint  François  de  Borgia  et  le 
P.  Aquavia  les  leur  recommandent  de  la  manière  la  plus  expresse*; 
et  saint  François  Xavier  en  parle  en  ces  termes  au  P.  Barzée  :  «  Rap- 
«  pelez-vous,  lui  écrit- il  :  1*  que  ce  que  l'on  confie  au  papier  s'im- 
«  prime  plus  avant  dans  la  pensée;  le  soin  de  l'écrire  et  le  temps 
«  qn'onymetle  gravent  dans  la  mémoire;  2"  que  les  choses  qui 
«  nous  ont  frappés  finissant  par  s'effacer  de  notre  esprit,  il  n'en  res- 
«  tera  rien  si,  pendant  que  les  idées  sont  encore  fraîches,  nous  ne 
«  les  écrivons  sur  des  cahiers  où  nous  puissions  les  retrouver,  comme 
«  les  gens  du  monde  conservent  dans  leurs  archives  les  litres  dont 
«  ils  peuvent  avoir  besoin.  Le  profit  que  produit  ensuite  la  lecture  de 
«  ces  cahiers,  est  semblable  à  celui  des  mineurs  qui  retrouvent  une 
((  veine  de  métal  qu'ils  avaient  perdue;  car  en  creusant  cette  veine, 
«  ils  en  tirent  d'abondantes  richesses.  »  Enfin,  plein  de  la  même 
vérité,  le  P.  Mabillon,  juge  si  expert  en  fait  d'études,  voulait  que 
les  jeunes  gens  commençassent  les  recueils  dont  nous  parlons  dès 
les  premières  années  où  ils  en  sont  capables*. 

La  manière  de  faire  ces  recueils  est  facile.  1°  On  a  un  cahier 
dans  lequel  on  indique  an  haut  des  pages,  par  ordre  alphabétique, 
certains  titres,  comme  abstinence,  baptême,  charité,  esj)érance, 
foi,  etc.;  et  sous  ces  titres  on  écrit  toutes  les  choses  remarquables  qui 

*  Prafat.  in  Hom.,  p.  S,  10.  —  ^  Guide  de  ceux  qui  annoncent  la  parole  de 
Dieu,  p.  148.  —  3  Ibid.,  p.  ,i)-î  et  208.  —  *  Trailé  des  Études  monastiques, 
II'  jart. 


PRÉPARATION  ÉLOIGNÉE.  239 

s'y  rapportent,  à  mesure  qu'on  les  lit  dans  l'Écriture  sainte  ou  ail- 
leurs, qu'on  les  entend  dans  les  prédications  ou  la  conversation, 
qu'elles  se  présentent  à  l'esprit  lorsqu'il  réfléchit,  ou  même  dans 
les  moments  les  plus  inattendus,  comme  une  promenade,  un  temps 
d'insomnie,  etc..  2"  Il  ne  faut  mettre  dans  ce  recueil  que  ce  qui 
a  rapport  à  la  prédication,  et  faire,  si  l'on  veut,  des  recueils  sépa- 
rés pour  la  théologie  ou  les  autres  sciences  ;  autrement,  on  ne  pour- 
rait plus  se  reconnaître  dans  son  travail,  et  la  confusion  des  idées 
le  rendrait  inutile.  5°  11  ne  faut  pas  écrire  tout  au  long  les  passages 
de  l'Écriture  sainte  ou  des  Pères,  mais  se  borner  à  en  indiquer  quel- 
ques mots  en  marquant  le  livre  et  le  chapitre  où  l'on  pourra  au  be- 
soin retrouver  le  texte  dans  son  entier.  La  relation  complète  du 
texte  serait  une  perte  de  temps  et  grossirait  trop  le  cahier.  4"  Une 
faut  mettre  dans  ce  recueil  que  les  endroits  vraiment  dignes  d'être 
spécialement  remarqués;  et  si  l'on  a  lieu  de  craindre  qu'on  se  laisse 
éblouir  par  un  faux  brillant,  il  est  sage  d'attendre  que  le  premier 
feu  de  l'enthousiasme  soit  passé  pour  juger  plus  sainement  si  la 
chose  mérite  d'être  notée.  5°  Quand  le  passage  ou  la  réflexi^"  que 
nous  voulons  consigner  dans  notre  recueil  nous  touche  et  -wus 
électrise,  il  est  bon  de  profiter  de  ce  moment  d'inspiration  pour 
écrire  ce  que  l'on  sent  et  les  conséquences  pratiques  qui  se  ré- 
vèlent alors  à  notre  pensée.  Jamais  nous  ne  serons  plus  éloquents 
que  dans  ces  moments  où  nous  sommes  pénétrés  et  pleins  de  notre 
sujet.  Nous  observerons  seulement  qu'alors  il  faut  s'occuper  d'écrire 
ce  qu'on  sent  plutôt  que  ce  qu'on  veut  faire  sentir  aux  autres,  et 
s'appliquer  ces  notes  à  soi-même  plutôt  qu'à  un  auditoire  qu'on  se 
compose  par  l'imagination  au  gré  de  l'amour-propre,  et  qui  jamais 
peut-être  ne  sera  tel  qu'on  se  le  représente. 

Le  Thésaurus  biblicus  et  le  Thésaurus  Patrum  offrent  des  modè- 
les de  recueils,  mais  ne  dispensent  pas  de  s'en  faire  à  soi-même; 
rien  ne  peut  être  adapté  à  notre  genre  d'esprit,  à  notre  trempe  d'âme 
comme  ce  que  nous  avons  goûté  et  senti  nous-mêmes, 

ARTICLE  3. 

DES   ESSAIS    DE   COMPOSITION. 

La  lecture  et  les  recueils  enrichissent  l'esprit  ;  les  essais  de  com- 
position lui  apprennent  à  fiiire  usage  de  ces  richesses  ;  et  Cicéion 
dit  justement  que  le  meilleur  de  tous  les  maiires   dans   l'art  d'c 


'240  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

crire,  c'est  l'exercice*.  On  peut  s'exercer  ainsi  en  plusieurs  ma- 
nières. 

1°  Après  qu'on  a  décomposé  par  l'analyse  et  étudié  à  fond  un 
discours,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  à  l'article  de  la  lecture,  il  serait 
très-utile  d'essayer  de  le  recomposer  pendant  qu'on  a  encore  le 
génie  échauffé  par  celte  étude,  et  de  comparer  ensuite  son  travail 
avec  celui  de  l'auteur.  Rien  n'est  plus  propre  que  cet  exercice  à  ou- 
vrir l'esprit,  à  perfectionner  le  goût,  à  faire  comprendre  l'applica- 
tion des  règles  et  à  les  graver  dans  la  mémoire  en  caractères 
ineffaçables.  Si  l'on  ne  veut  pas  se  donner  la  peine  de  faire  les  ana- 
lyses sur  lesquelles  on  doit  travailler,  on  trouvera  des  canevas  tout 
faits  à  la  fin  des  sermons  de  Bourdaloue,  de  Massillon,  du  P.  Se- 
gaud  et  de  plusieurs  autres.  On  peut  travailler  sur  cet  excellent  fond, 
et  comparer  ensuite  5-a  composition  avec  celle  du  maître  auquel  on 
a  emprunté  le  plan. 

2"  Un  autre  essai  de  composition  plus  simple,  mais  non  moins 
utile,  c'est  de  lire  attentivement  une  ou  deux  pages  parfaitement 
écrites,  soit  en  français,  soit  dans  une  autre  langue  morte  ou  vi- 
vanlb,  de  manière  à  en  retenir  toutes  les  principales  pensées; 
puis,  mettant  le  livre  de  côté,  de  rendre  ces  pensées  par  écrit  le 
mieux  qu'on  peut,  en  s'efforçaiit  de  reproduire  les  figures,  les  mou- 
vements et  les  tours  de  l'auteur,  de  saisir  ses  formes  et  son  carac- 
tère, sa  grâce,  sa  précision  et  son  énergie.  On  reprend  ensuite  le 
livre  et  l'on  compare  son  style  avec  celui  du  modèle.  Par  ce  rap- 
prochement, on  discerne  sans  peine  et  les  défauts  de  sa  compo;i- 
lion,  et  les  tournures  qu'il  eût  fallu  prendre,  et,  en  général,  quelle 
est  entre  plusieurs  manières  d'exprimer  une  pensée  celle  qui  est  la 
meilleure. 

5°  11  serait  très-utile  de  s'exercer  à  rendre  en  français  moderne 
les  plus  remarquables  de  nos  vieux  auteurs  français,  comme  le 
P.  Lejeune,  le  P.  Binet,  le  P.  Lingendes  :  ce  serait  le  moyen  de  se 
former  à  penser  et  à  sentir  comme  ces  auteurs  qui  ont  du  reste  un 
fond  si  excellent.  Massillon  s'est  exercé  ainsi  sur  le  P.  Lejeune. 

h"  Les  maîtres  de  l'art  recommandent  encore  comme  un  exer- 
cice très-important  d'essayer  de  traduire  et  de  faire  passer  dans 
notre  langue  les  beautés  soit  des  principaux  livres  de  l'Écriture 
sainte,  comme  Job,  Isaie,  les  Psaumes;  soit  des  saints  Pères,  comme 

1  Cuput  est...  quàm  plurimîan  scribere.  Stylus  optimus  et  prxstanlissimus 
dicendi  effector  ac  magister.  De  Orat.,  lib.  I,  c.  xxxni,  n'  lûO. 


PREPARATION  ÉLOIGNÉE.  2H 

sîjint  Chrysostome  et  saint  Basile  parmi  les  Grecs  ;  saint  Augustin  et 
saint  Çrégoire  le  Grand  parmi  les  Latins.  Les  efforts  qu'il  faut  faire 
poui  rendre  exactement  l'original,  lui  conserver  sa  grâce,  sa  cou- 
leur et  sa  manière,  obligent  l'esprit  à  se  pénétrer  de  ses  l^eautés,  à 
penser  et  à  parler  comme  lui,  à  s'approprier  son  style  et  ses  tour- 
nui'es,  enfin  à  lutter  avec  son  modèle;  et,  dans  cette  lutte,  à  avoir 
recours  à  toutes  les  ressources  de  la  langue  d'où  naii  une  fécondité 
merveilleuse  d'idées,  de  tours  il  d'expressions.  Cicéron  nous  a;!- 
prcnd  ^  que  la  méthode  par  laquelle  il  s'est  le  mieux  formé  à  l'élo- 
quence, a  été  de  traduire  en  sa  langue  les  plus  beaux  morceaux  des 
grands  oiatcurs  de  la  Grèce.  Fénelon  se  prépara  à  la  composition 
du  Télémaque  par  la  traduction  de  l'Odyssée,  dont  il  prit  l'esprit, 
les  grâces,  l'abondance  ;  Jean-Jacques  Rousseau  acquit  par  la  tra- 
duction de  Tacite  cette  vigueur  et  cette  énergie  de  style  qui  fait  le 
propre  caractère  de  ses  ouvrages.  C'est  donc  là  une  excellente  mé- 
thode ;  seulement  il  faut  bien  choisir  l'auteur  et  l'endroit  de  l'au- 
teur qu'on  veut  traduire  ;  autrement  on  se  gâterait  le  goût. 

5°  Une  dernière  méthode  pour  bien  apprendre  à  écrire,  c'est 
Timitation,  laquelle  consiste  à  transporter  dans  ses  propres  écrits 
les  images,  les  sentiments,  les  pensées  d'un  auteur  en  les  dégui- 
sant avec  esprit  ou  en  les  embellissant.  Les  grands  modèles  nous 
inspirent;  et  une  bonne  part  de  l'art,  dit  Quintilien-,  consiste  à  imi- 
ter ce  qu'on  trouve  en  eux  de  parlait,  l'abondance  et  la  richesse  des 
termes,  la  variété  des  figures  et  la  manière  de  composer.  Virgile 
s'est  formé  en  imitant  Homère,  Cicéron  s'est  inspiré  de  Démoslhè- 
nes,  Pindare  a  été  imité  par  Horace,  lequel  lui-même  a  été  imité 
parBoileau.  Pour  réussir  dans  cette  imitation,  il  faut^,  1°  choisir 
les  modèles  les  plus  purs  et  les  plus  parfaits,  viser  à  les  atteindre 
et  même  à  leur  disputer  la  victoire,  sans  jamais  se  laisser  aller  au 
désespoir  de  les  égaler.  Car,  dit  Quintilien,  altiùs  ibwit  qui  ad 
summa  nitentiir,  qiiàm  qui  desperalione  que  velint  evadendi,  protinîis 
circà  ima  substiterint''.  Il  faut,  2"  se  remplir  si  bien  de  leurs  sen- 
timents et  de  leurs  pensées,  de  leurs  expressions  et  de  leurs  tours, 
que  nous  en  disposions  comme  d'une  chose  qui  sorte  de  notre  fonds 
avec  aisance  et  liberté,  sans  être  esclaves  de  nos  modèles,  sans  ram- 
per servilement  sur  leurs  traces;  de  sorte  qu'il  soit  vrai  de  dire  que 
ce  que  nous  re{)roduisons  (!st  à  nous,  paire  que  nous  nous  le  sonnnes 

'  De  Oral.,  Jib.  I,  I5D.  — -  .Neque  cnim  diibitari  polcsl  quin  artis  pars  inayiia 
ooiilincatiir  inii!a:i<,uc.  Lib.  X.  c.  ii.  Lcgalnr  hoc  caiHit  lnlerjrtmi.  —''De  Uraf., 
îôO.  —  ♦  Lib.   I,  in  Prodiuid,  it. 

Iti 


'242  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

approprié  par  l;i  manière  de  le  rendre,  ô"  Il  faut,  en  iniilant  les 
bons  modèles,  conserver  son  génie  el  son  caractère  particulier,  ne 
prendre  d'eux  que  ce  qui  revient  à  notre  genre,  et  le  transformer, 
si  je  puis  ainsi  dire,  en  nolr(!  substance,  reiidant  mieux  une  boriue 
idée  mal  présentée,  rajeunissant  une  forme  vieillie,  appliquant  à 
une  autre  matière  une  forme  énergique.  4°  Il  faut  se  garder  de  ja- 
mais copier;  ce  serait  tomber  dans  le  plagiat  qui  pille  le  travail 
d'autrui  et  le  donne  comme  sien,  sans  se  donner  la  peine  de  se  l'ap- 
proprier par  l'imitation  large  et  licite  que  nous  venons  d'expliquer. 
Nous  observerons  en  terminant  que,  quoique  l'imitation  ait  ses 
avantages,  il  laut  cependant  savoir  s'en  passer.  Le  génie  s'affaiblit  et 
s'éteint  quand  on  s'obstine  à  lui  substituer  un  génie  étranger  ;  il  s'ac- 
coutume alors  à  ne  rien  produire  de  son  fonds,  perd  sa  tournure 
originale,  ne  peut  p'us  marcber  sans  guide,  et  quand  les  modèles  lui 
manquent,  il  se  trouve  arrêté  et  impuissant. 


CHAPITRE  ÎI 

De  la  préparation  prOieSsai!;^ 


Nous  traiterons  :  1°  de  la  préparation  prochauie  en  général  et  de 
ses  différentes  espèces  ;  2"  de  Ja  manière  de  composer;  .1"  de  la  ma- 
nière d'apprendre. 

ARTICLE   l-^'-. 

DE   LA    PRÉPARATION    PROCHAINE    EN    GÉNÉRAL    ET   DE   SES   DIFFÉRENTES    ESi'ÈCES. 

Nous  établirons  dans  un  premier  paragi-aphe  l'obligation  de  pré- 
parer ses  instructions,  et  dans  le  second  nous  discu ferons  les  diffé- 
rentes manières  dont  plusieurs  prétendent  satisfaire  à  cette  obli- 
gation. 

8  ['^^ 

l'reuves  de  l'obligation  imposte  à  tout  prédicateur  de  préparer  ses  instniclions. 

Nous  convenons  qu'il  est  des  cas  où  le  prêtre,  tantôt  pressé  parla 
multitude  des  affaires,  tantôt  appelé  à  porîer  la  parole  dans  une  cir- 
constance imprévue,  est  obligé  de  parler  sans  piépaiation  :  alors» 


PRÉPARATION  PROCHAINE.  245 

excusé  par  la  nécessité  devant  Dieu  comme  devant  les  hommes,  il  a 
droit  aux  r,râces  du  ciel  et  à  l'indulgence  de  ses  auditeurs ,  mais, 
hors  ces  cas  exceptionnels,  nous  posons  en  thèse  que  tout  prêtre, 
avant  de  monter  en  chaire,  est  tenu  de  préparer  ce  qu'il  doit,  dire. 
Car  c'est  un  fait  incontestahle  que,  quand  on  paile  sans  préparation, 
on  parle  le  plus  souvent  sans  ordre  et  sans  sohdité:  on  tombe  dans 
des  redites,  on  se  perd  dans  des  digressions,  on  noie  ses  pensées 
dans  un  déluge  de  paroles,  et  Ton  ne  fait  que  languir  jusqu'à  ce  que 
l'imaginalion  soit  échauffée,  c'est-à-dire  quelquefois  pendant  tout  le 
sermon.  Pas  d'improvisateur  qui  ne  coure  les  chances  de  mal  dire 
et  d'échouer  d'une  manière  visible  à  tous  :  il  est  des  moments  de 
stérilité  où  l'esprit  le  plus  facile  ne  trouve  rien  ;  il  ne  faut  pour  cela 
quelquefois  qu'une  variation  dans  la  température,  dans  la  santé, 
dans  l'humeur  ;  et  hors  même  de  ces  moments  malheureux,  nulle 
causes  peuvent  troubler  et  faire  perdre  le  fil  d'S  idées,  tantôt  un  au- 
diteur inattendu,  une  circonstance  imprévue,  tantôt  une  imagination 
qui  se  présente,  un  contre-temps  qui  survient  ;  et  pût-on  d'ailleuis 
toujours  remplir  sa  tâche,  ce  ne  serait,  au  moins  habituellement, 
qu'en  tournant  dans  le  même  cercle  d'idées,  et  ce  cercle  épuisé,  en 
se  répétant  soi-même;  de  là  ce  mot  si  connu  :  Un  sermon  qui  coûte 
feu  à  faire,  coûte  beaiicuiip  à  entendre,  et  cet  autre  :  Ce  qui  coûte  peu 
vaut  ce  que  cela  coûte.  Or,  ce  fait  éîabli,  il  est  aisé  d'en  déduire 
l'obligation  de  se  préparer:  car,  1°  si  l'on  ne  se  prépare  pas,  on 
s'expose  à  se  déconsidérer  soi-même  et  à  compromettie  son  minis- 
tère. Le  peuple  sait  souvent  très-bien  discerner  ce  qui  est  mal;  et 
lors  môme  qu'on  pourroit  lui  faire  illusion,  il  se  rencontre  presque 
partout  quelque  connaisseur  qui  blâme  :  son  goût  règle  celui  des 
autres  et  enl)aîne  la  foule. 

2°  Si  l'on  ne  se  prépare  pas,  on  se  rend  coupable  d'irrévérence 
envers  la  parole  de  Dieu,  puisque,  d'un  côté,  cette  divine  parole 
digne,  selon  saint  Augustin,  des  mêmes  respects  que  le  corps  même 
de  Jésus-Christ,  ne  doit  être  [u'ésentée  aux  peuples  que  sous  des 
formes  propres  à  lui  concilier  la  vénération,  et  que,  d'un  autre  côté 
un  bon  sermon  est, une  œuvre  difficile  à  faire,  qui  demande  beau- 
coup de  temps  et  de  soins,  de  léflexions  et  de  paîience.  Ceu.x-là 
même  qui  préparent  le  mieux  C(!  qii'ils  doivent  dire,  ne  réussissent 
pas  toujours  à  parler  aussi  digni'nuMit  qu'il  le  faudrait  :  comment 
donc  s'en  acquilti'ra  celui  (pii  n'y  appoilc  niicune  préparation? 

5°  Une  telle  négligence  est  un  man([ii('ment  envers  Dieu  lui-même. 
Un  ambassadeur,  en  pfl'et,  qui  ne  reinrseiilerait  [»as  dignement  son 


244  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

prince  et  n'apporterait  pas  tous  ses  soins  au  succès  de  la  négociation 
qui  lui  est  confiée,  serait  regardé  avec  raison  par  son  maître  comme 
un  prévaiicateur.  Or  le  prédicateur  est  en  chaire  le  représentant  de 
la  majesté  divine,  chargé  d'y  traiter  les  grands  intérêts  de  la  gloire 
de  Dieu  et  du  salut  des  âmes,  et  voilà  que  non-seulement  il  désho- 
nore par  sa  négligence  sa  sublime  ambassade,  il  traite  à  la  légère  et 
s'expose  à  faire  manquer  les  intérêts  éternels  et  divins  dont  il  est 
chargé,  mais  encore  il  tente  Dieu  en  comptant  sur  un  miracle  pour 
suppléer  à  sa  paresse,  c'est-à-dire  pour  instruire  et  toucher  les  peu- 
ples par  un  discours  qui  n'a  rien  d'instructif  et  de  touchant,  qui 
manque  à  la  fois  de  la  clarté  et  de  l'ordre,  de  la  solidité  et  de  l'onc- 
tion propres  à  produire  ces  effets  de  grâce  et  de  sainteté  ;  tentation 
de  Dieu  que  le  théologien  Navarre  ne  craint  pas  d'appeler  un  péché 
mortel,  au  moins  quand  elle  est  habituelle.  Il  est  vrai  que  le  succès 
de  la  prédication  vient  de  Dieu  qui  seul  donne  l'accroissement,  et  non 
du  discours  en  lui-même  ;  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  dans 
le  cours  ordinaire  de  la  Providence,  Dieu,  pour  produire  ces  fruits, 
se  sert,  comme  de  causes  secondaires,  de  discours  solides,  clairs  et 
touchants,  propres  à  faire  sur  les  auditeurs  de  salutaires  impres- 
sions, 

4"  La  négligence  qui  ne  prépare  pas  l'instruction,  est  un  manque 
d'égards  envers  son  auditoire.  L'auditoire  de  la  plus  humble  cam- 
pagne, comme  celui  des  plus  grandes  villes,  a  le  droit  d'être  res- 
pecté: ce  sont,  de  part  et  d'autre,  des  âmes  immortelles,  rachetées 
au  prix  du  sang  de  Jésus-Christ,  et  destinées  à  régner  dans  les  cieux: 
il  faut  donc  toujours  leur  parler  d'une  manière  convenable.  Saint 
Chrysosfome  explique  cette  vérité  par  une  belle  comparaison  :  Si 
dans  la  maison  des  riches,  dit-il,  de  magnifiques  flambeaux  en  illu- 
minent tous  les  appartements,  tandis  que  dans  le  réduit  des  pauvres 
il  n'y  a  qu'une  petite  lampe  pour  en  éclairer  toutes  les  parties;  si 
dans  les  grandes  villes,  de  belles  fontaines  décorent  toutes  les  rues, 
tandis  que  dans  les  bourgades  il  n'y  a  qu'une  fontaine  pour  tous  les 
habitants,  c'est  la  gloire  de  l'Église  qui  est  la  maison  de  Dieu,  la 
cité  sainte,  d'être  éclairée  jusque  dans  ses  moindres  parties  par  une 
prédication  qui  brille  ccmme  un  magnifique  flambeau,  et  d'être  ar- 
rosée en  tous  sens  par  des  sources  riches  et  pures  de  cette  eau  qui 
rejaillit  jusqu'à  la  vie  éternelle:  les  enfants  de  Dieu  doivent  partout 
être  traités  avec  honneur. 

5°  Négliger  de  préparer  ses  instructions,  c'est  encourir  une  res- 
ponsabilité terrible  ;  car  c'est  altirer  sur  sa  tète  cet  effroyable  ana- 


PRÉPARATION  PROCHAINE.  2i5 

thème:  Maledictus  qui  facit  opiis  Dei  negligenter\  puisque  nulle 
action  n'est  plus  l'œuvre  de  Dieu  que  la  prédication.  C'est  charger  sa 
conscience  de  la  damnation  des  âmes  qu'un  discours  mieux  préparé 
eût  sauvées  ;  et  si  Quintilien  flétrit  des  noms  de  perfide  et  de  traître 
l'avocat  qui  ne  prépare  pas  son  plaidoyer  autant  qu'il  le  peut,  parce 
que  sa  négh'gence  compromet  les  intérêts  de  ses  clients  :  In  suspecta 
causa  perfidi  ac  proditoris  est  pejus  agere  quàm  possU^;  de  quels 
noms  ne  mérite  pas  d'être  flétri  le  prédicateur  qui,  en  ne  pré- 
parant pas  son  instruction  autant  qu'il  lui  est  possible,  compromet 
bien  plus  que  la  fortune,  l'honneur  ou  la  vie  des  particuliers,  savoir 
les  inlérêls  infiniment  supérieurs  de  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut 
des  âmes  !  Chacun,  dit  l'Apôtre,  recevra  selon  son  travail  :  Unusquis- 
qiie  propriam  mercedem  accipiet  secundUm  smim  laborem  :  et  comme 
le  bon  prêtre  qui  aura  apporté  le  plus  de  préparation  recevra  la  plus 
belle  couronne,  quand  même  il  n'aura  eu  aucun  succès,  celui 
qui  ne  se  sera  pas  préparé  sera  puni  en  proportion  de  sa  négligence. 
Et  qu'on  ne  dise  pas  qu'on  prêche  apostoliquement  :  parler  ainsi, 
c'est  profaner  une  expression  si  sainte,  c'est  blasphémer  ce  qu'on 
ignore  :  si  certains  hommes  apostoliques  font  du  fruit  par  des  dis- 
cours simples  et  peu  soignés,  c'est  qu'ils  ont  des  vertus  qui  font 
passer  ce  défaut;  c'est  que  Dieu,  voyant  qu'ils  manquent  de  temps 
ou  de  moyens  pour  mieux  faire,  bénit  leur  bonne  volonté.  Mais  les 
saints  qui  l'ont  pu  se  sont  toujours  préparés.  Saint  Augustin,  ce 
maîlre  si  habile  dans  l'art  de  parler,  préparait  avec  le  plus  grand 
soin  ses  instructions,  même  après  avoir  prêché  pendant  trente  ans 
tous  les  Dimanches,  comme  il  nous  l'apprend  lui-même  à  la  fin  de 
son  quatrième  discours  sur  le  psaume  103  :  Magno  labore  quxsita 
et  inventa  sunt,  dit-il,  magno  labore  niintiata  et  dispittata  sunt  :  sit 
labor  noster  fructuosus  vobis,  et  benedicet  anima  nostra  Dominum. 
Saint  Chrysostome  n'invitait  personne  à  manger  à  sa  table,  afin  d'a- 
voir plus  de  temps  pour  préparer  ses  instructions,  s'appliquant  ces 
paroles  des  Apôtres  :  Non  est  xquum  nos  derclinquere  vevbiim  Dei 
et  minislrare  mensis^.  Dans  des  temps  plus  rapprochés,  saint  Char- 
les Dorroniée,  malgré  la  facilité  acquise  par  de  longues  études  et  de 
fiéquents  exercices,  ne  crut  jamais  pouvoir  négliger  cette  prépa- 
ration *;  et  Fénelon  ne  crut  pas  davantage  pouvoir  s'en  dispenser, 
nonobstant  l'esprit  prodigieux  et  fécond  dont  il  était  doué,  lùifin, 
saint  Liguori,  malgré  son  genre  sinqile  et  missionnaire,  ne  perniet- 

»  Jer.,  xi.vui,  10    —  *  Lib.  XII,  ix.  —  '  Act.,  vi,  'i.  —  ■»  Pmf.  in  lloiii.,  vu. 


*246  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

tait  pas  à  ses  prêtres  de  monter  en  chaire  qu'ils  n'eussent  aupara- 
vant écrit  ioiit  ce  qu'ils  devaient  dire,  à  moins  que  leur  talent  ne 
lût  assez  éprouvé  pour  n'avoir  pas  besoin  d'écrire  ;  et  alors  même 
il  exigeait  qu'ils  eussent  profondément  médité  leur  sujet  et  se  fus- 
sent fait  un  canevas  bien  fourni.  Si  après  de  tels  exemples  il  était 
utile  d'en  ajouter  d'autres,  nous  pourrions  ciler  les  païens  eux- 
mêmes.  Périclès  ne  parlait  jamais  au  peuple  sans  s'être  fortement 
préparé  et  sans  avoir  prié  les  dieux  avant  de  sortir  de  sa  maison,  de 
ne  pas  permettre  qu'il  lui  échappât  une  seule  parole  indigne  de 
son  auditoire.  Cicéron,  tout  habile  qu'il  était,  ne  plaidait  jamais 
sans  s'y  être  disposé  avec  le  plus  grand  soin  :  Ad  illam  causarum 
operam,  nunquàm  nisi  paratus  et  meditatus  accedo^.  Or,  si  l'intérêt 
de  la  réputation,  si  le  désir  d'un  succès  éphémère  a  pu  rendre  des 
païens  si  laborieux,  quel  zèle  pour  se  préparer  ne  doit  pas  inspirer 
au  prédicateur  la  vue  du  salut  éternel  des  âmes  qui  est  le  but  de 
tous  ses  discours  ! 

De  là  nous  pouvons  conclure,  1°  que  le  prêtre  chargé  d'instruire 
doit  toujours  s'y  prendre  à  temps  pour  préparer  ses  instructions  ; 
s'il  attend  à  la  veille  ou  à  l'avont-veille,  il  aura  trop  peu  de  loisir 
pour  penser  suffisamment  à  sa  matière,  pour  trouver  les  meilleu- 
res choses  à  dire  et  la  meilleure  manière  de  les  dire;  souvent 
même  ce  peu  de  loisir  lui  sera  enlevé  par  des  travaux  inattendus 
et  les  fonctions  imprévues  de  son  ministère.  Le  seul  moyen  de  pré- 
venir tous  ces  inconvénients,  c'est,  dès  qu'il  a  fini  une  instruction, 
de  commencer  aussitôt  la  préparation  de  l'instruction  suivante. 

Nous  concluons,  2"  que  le  prêtre,  chargé  d'annoncer  la  parole  de 
Dieu  au  peuple,  doit  s'interdire  tout  passe-temps,  toute  visite,  tt 
même  toute  étude,  toute  lecture  trop  prolongée  de  feuilles  publi- 
ques ou  de  livres  curieux  qui  ne  s'accorderait  pas  avec  la  prépara- 
tion soignée  de  ses  prônes  ou  instructions  ;  et  si  malgré  cela  il  ne 
peut  se  préparer  autant  qu'il  le  désirerait,  il  doit  compenser  le  dé- 
faut de  préparation  par  une  surabondance  de  prières. 

Des  différentes  manières  de  préparer  ses  instructions*. 

On  peut  distinguer  six  manières  de  préparer  ses  instructions  ; 
la  première  est  de  les  écrire  en  entier  et  de  les  débiter  selon  le 

*  Lib.  I,  de  Log.,  xu.  — -  Voyez  Pastoral  de  Liirion^es,  t.  II,  II«  part.,  tit.  r, 
c.  VI  —  S.  Fi'aiiçois  de  Borgia,  de  Ralioue  concionandi,  c.  iv,  v  et  xi,  dans  le 


Pr.ÉPAnATION  PROCHAINE.  247 

mot  à  mot  du  cahier;  la  seconde  est  de  les  écrire  encore  en  antiar, 
mais,  dans  le  débit,  de  s'affranchir  du  mot  à  mut;  !a  troisième  est 
d'écrire  sommairement  tout  le  fond  de  son  discours,  en  indiquant 
toutes  !es  idées  qui  doivent  y  entrer,  l'ordre  de  ces  idées  et  les  fi- 
gures les  plus  marquantes,  mais  sans  s'attacher  aux  mots  qui  doi- 
vent rendre  chaque  idée;  la  quatrième  manière  est  de  se  borner  à 
tracer  le  canevas  du  sermon,  ses  divisions,  subdivisions  et  chefs  de 
preuves;  la  cinquième,  de  ne  pas  écrire  du  tout  et  de  réfléchir  seu- 
lement quelques  instants  avant  de  parler  ;  la  sixième  enfin,  d'ap- 
prendre et  de  débiter  les  sermons  d'autrui.  Que  penser  de  ces  six 
modes  de  préparation?  c'est  sur  quoi  les  propositions  suivantes 
vont  nous  fixer. 

|re  Proposition.  —  Il  faut  écrire  ses  instructions  en  entier  jusqu'à 
ce  qu'on  ait  traité  la  phipart  des  vérités  de  la  religion,  meublé  son 
esprit  d'un  fond  solide  de  doctrine  et  acquis  par  l'exercice  le  talent 
de  s'énonc;^r  en  public  avec  aisance. 

Cette  méthode  a  deux  grands  avantafres  :  le  premier,  de  ménager 
à  l'orateur,  pour  le  reste  de  sa  vie,  des  matériaux  précieux  qu'il  sera 
heureux  de  retrouver  plus  tard,  tandis  que  celui  qui  n'écrit  pas 
perd  tout  le  fruit  de  ses  recherches  et  de  ses  éludes  ;  et  chaque  fois 
qu'il  faut  prêcher,  c'est  un  travail  toujours  nouveau  à  recommencer. 
Le  second  avantage,  c'est  de  perfectionner  et  de  mûrir  le  talent  du 
prédicateur.  En  s'astreignant  à  écrire  ses  idées  et  à  les  bien  rendre, 
on  contraint  l'esprit  à  y  réfléchir  davantage,  à  mieux  les  préciser  et 
les  coordonner,  à  serrer  ses  raisonnements,  à  presser  sa  marche,  à 
avoir  toujours  le  style  pur,  la  pensée  nette,  l'expression  convenable  ; 
enfin,  à  étudier  plus  à  fond  son  sujet,  à  le  traiter  plus  parfaitement; 
et  de  là  il  arrive  que  l'usage,  pénible  d'abord,  de  parler  toujours 
comme  il  faut,  se  convertit  en  habitude,  et  on  le  fait  ensuite  sans  ef- 
fort et  comme  naturellement, 

La  méthode  opposée,  au  contraire,  a  d'immenses  inconvénients. 
D'abord  il  est  très-peu  de  personnes  qui  aient  assez  de  talent  pour 
traiter  convenablement  la  parole  de  Dieu  sans  avoir  écrit.  La  plu- 
jiart  de  ceux  qui  s'y  hasardent  parlent  sans  exactitude  et  précision, 
sans  ordre  et  souvent  sans  plan  ;  ou  s'ils  en  ont  un,  ils  s'en  é eartent 
par  des  digressions  fréquentes.  Tantôt  c'est  une  prolixité  excessive 
qui  fatigue  et  rebute  les  auditeurs;  tantôt  c'est,  pour  trouver  les 

Guidii  de  ceux  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu,  p.  lilô  et  suiv.  —  Jirnioiro 
sur  M.  de  la  Motte,  t.  I,  p.  258.  —  Éloipiencc  du  corps,  par  Dinouart,  c.  v.  — 
Gillet,  Devoirs  d'un  pasteur,  c.  v,  n"  7.  —  IVneloii,  2'  dialo-ue. 


248  TUAITE  DE  L\  PRÉDICATION. 

pensées  ou  les  expressions,  un  einbnrras  qui  ne  I.ii^se  pas  au  débit 
le  ton  convenable;  et  ainsi  le  discours,  niédiocreau  moins  tant  pour 
le  fond  que  pour  la  forme,  est  peu  prolilable  aux  auditeurs  et  désho- 
nore la  parole  de  Dieu.  Puis  eût-on  assez  du  talent  pour  bien  parler, 
ou  pariera  toujours  moins  bien  que  si  l'on  avait  écrit  et  préparé 
avec  soin  sa  inalière.  L'esprit  ne  peut  pas  trouver  dans  l'improvisa- 
tion aulant  de  pensées  et  de  raisons,  ou  du  moins  d'aussi  bonnes 
qu'il  en  eût  trouvé  en  réfléchissant  mûrement  et  fixant  ses  idées  sur 
le  papier.  El  certes,  si  quelqu'un  était  bien  capable  de  bien  parler 
après  une  préparalion  non  écrite,  c'était  sans  doute  Fénelon  :  or,  on 
rapporte  que  quelquefois  il  était  laible  en  chaire  et  au-dessous  de  ce 
qu'on  avait  droit  d'attendre  de  sa  réputation  comme  de  sa  dignité. 
11  faut  donc  écrire  autant  que  possible. 

Si  l'on  objecte  qu'on  n'en  a  pas  le  temps,  nous  répondrons,  1"  que 
ce  prétexie  ne  peut  justifier  ni  ceux  qui  savent  trouver  du  temps 
pour  les  visites  et  conversations  inutiles,  pour  la  lecture  prolongée 
des  journaux,  des  brochures  politiques  et  littéraires  et  autres  livres 
profanes,  ni  ceux  qui  n'ont  point  d'ordre  dans  l'emploi  de  leurs 
journées;  le  défaut  dordre  dépense  le  temps,  l'ordre  le  multiplie. 
Nous  répondrons,  2"  que  quand  nous  faisons  au  prédicateur  une  loi 
d'écrire,  nous  ne  lui  demandons  pas  de  consacrer  de  longues  heures 
à  châtier  et  polir  ses  compositions,  comme  ferait  un  académicien 
qui  n'a  pas  autre  chose  à  faire.  Nous  avons  déjà  condamné  ailleurs 
comme  indigne  de  la  chaire  cette  recherche  de  style,  cette  élégance 
où  tout  est  compassé.  Nous  répondrons,  5"  que  si  réellement  on 
n'a  pas  le  temps  d'écrire  un  prône  pour  tous  les  Dimanches,  il  faut 
en  écrire  un  pour  tous  les  quinze  jours  ou  pour  tous  les  mois  : 
l'intérêt  qu'exciteront  au  moins  ces  ir>structions  soignées,  couvrira 
et  fera  pardonner  les  défauts  des  instructions  improvisées;  de  plus, 
on  exercera  sa  mémoire  en  les  apprenant,  et  on  se  créera  pour  l'a- 
venir une  provision  d'instructions  qui  ira  toujours  croissant  ;  tandis 
que  si  l'on  n'écrit  rien,  on  s'habituera  à  parler  mal  et  on  perdra  la 
mémoire. 

2^^  Proposition.  —  Il  vaut  mieux,  dans  le  débit,  ne  pas  tenir  au 
mol  à  mot  de  son  cahier  ^ 

Les  commençants  auxquels  la  timidité  ne  laisse  pas  assez  de  li- 
berté d'esprit  pour  dire  une  phrase  non  écrite,  ou  qui  ne  savent  pas 


*  Voyez  le  P.  de  Larue,  préface  de  ses  Sermons;  Fénelon,  Dialogue  sur  l'élo- 
quence, et  Duguet,  dans  une  de  ses  lettres. 


rUEPARATION  PROCHAINE.  249 

encore  manier  convenableinent  leur  langue,  sont  dans  la  trisle  né- 
cessité de  s'en  tenir  à  ce  qu'ils  ont  écrit;  mais  ils  doivent  tendre 
peu  à  peu  à  s'affranchir  de  cet  esclavage,  à  suppléer  aux  mots  qui 
leur  manquent,  et  même  à  se  laisser  aller  aux  mouvements  que 
les  circonstances  inspirent. 

En  effet,  la  méthode  de  débiter  mot  à  mot  un  discours  a  quatre 
grands  inconvénients  :  le  premier,  c'est  qu'elle  exige  beaucoup  de 
temps,  beaucoup  de  fatigue,  et  un  grand  courage  pour  surmonter 
l'ennui  et  le  dégoût  insépaiables  de  l'exercice  d'apprendre  par 
cœur.  Oi-,  le  prêtre  qui  ne  saurait  prêcher  que  le  mot  à  mot,  pour- 
rait souvent  manquer  du  temps,  du  courage,  de  la  patience  néces- 
saires, et  négli;^er  ainsi  le  devoir  de  la  prédication.  Le  second 
inconvénient,  c'est  qu'elle  expose  à  demeurer  court  en  chaire. 
Quoiqu'on  ait  appris,  il  ne  faut  qu'une  distraction,  que  l'oubli  d'un 
mot  pour  faire  perdre  le  fil  du  discours  et  réduire  l'orateur  à  ne  sa- 
voir que  dire.  Troisièmement,  cette  attache  aux  mots  diminue  né- 
cessairement le  naturel,  le  feu  et  la  véhémence  du  débit;  c'est  un 
oraleur  qui  déclame,  ou  un  écolier  qui  récite,  plu'ôt  qu'un  homme 
qui  parle  et  que  la  conviction  inspire  ;  son  action  est  contrainte  et 
ses  yeux  marquent  que  la  mémoire  travaille.  Or,  rien  de  plus  nuisi- 
ble au  succès  de  la  prédication;  ce  n'est  pas  ainsi  qu'on  saisit  et 
qu'on  persuade,  qu'on  étonne  et  qu'on  attendrit.  Quatrièmement 
enfin,  quand  on  ne  sait  dire  que  ce  qui  est  écrit,  on  ne  peut  ni  sui- 
vre les  mouvements  que  l'esprit  de  Dieu  inspire  pendant  le  sermon, 
ni  modifier  son  discours  selon  les  circonstances  et  y  mêler  d'heu- 
reux à-propos,  ni  accommoder  son  langage  à  la  portée  des  audi- 
teurs :  «  Ces  sortes  de  prédicateurs,  dit  saint  Liguori,  portent  leurs 
«  discours  dans  la  mémoire  ;  et  qu'ils  parlent  à  des  ignorants  ou  à 
«  des  gens  instruits,  ils  n'y  changent  pas  un  mot  :  ils  remarquent 
«  que  l'auditeur  ne  comprend  pas  ;  n'importe,  ils  ne  donnent  aucun 
«  développement  nouveau,  aucune  explication,  aucun  éclaircissement, 
«  cela  n'est  pas  dans  la  leçon  apprise.  «  Or,  tout  le  monde  sent 
combien  tous  ces  inconvénients  sont  graves. 

Ainsi  leii  hommes  les  plus  habiles  et  les  plus  experts  en  cette  ma- 
tière sont-ils  tous  opposés  à  la  méthode  du  mot  à  mot.  Quinliiien 
dèclai'c  qu'il  déteste  l'esclavage  des  mots,  (pie  c'est  un  lourmrnt 
qui  éteint  le  feu  de  l'imagination,  qui  miit  au  naturel  et  à  la  rapi- 
dité de  l'action'.  Cicéron   demande  que  l'uraleur  ait  une  grande 

•  ALoiTiiii;ind;i   lirec  iiilolicitas,  ([urp  et  ciirsum  dicendi  rcfr;fnat  cl  cnlorein 


250  TllAlTÉ  DE  LA  niÉDICATlON. 

présence  d'esprit  pour  ajouter  à  son  discours  selon  l'inspiration  du 
moment  ou  selon  ce  que  suggèrent  les  circonstances;  et  lui-même 
a  écrit  après  coup,  dans  ses  harangues,  plusieurs  choses  improvi- 
sées dans  le  feu  de  l'action.  Les  saints  Pères  faisaient  de  même  ;  ils 
modifiaient  souvent  leur  première  composition  par  tout  ce  qui  leur 
était  inspiré  dans  le  moment  du  débit;  et  saint  Augustin  veut  que, 
quand  on  parle  en  public,  on  discerne,  par  les  mouvements  du 
corps  et  l'air  du  visage,  si  l'on  se  fait  coiriprendre  et  si  l'on  tou- 
che, et  qu'on  tourne  son  sujet  en  différentes  manières,  jusqu'à 
ce  qu'on  y  soit  parvenu  ;  ce  que  ne  peuvent  pas  faire,  ajoute  le  saint 
docteur,  ceux  qui  ne  savent  que  dire  mot  à  mot  ce  qu'ils  ont  pré- 
paré^. 

Pour  réussir  en  ceci,  il  faut,  1°  procéder  par  degrés  dans  ces 
sorties  hors  de  son  cahier,  et  ne  pas  se  lancer  à  l'aventure  trop  tôt 
ni  trop  longtemps.  11  est  essentiel  de  savoir  auparavant  la  religion  à 
fond,  de  bien  se  posséder,  de  connaître  son  auditoire,  de  s'être 
exercé  longtemps  à  parler  toujours  d'une  manière  noble  et  naturelle, 
et  d'avoir  l'habitude  de  la  réflexion  et  du  raisonnement.  Il  faut,  2*» 
écrire  son  discours  en  style  simple  et  coulant,  parce  que,  si  l'on 
emploie  un  style  parfaitement  limé  et  poli,  élégant  et  compassé,  ce 
qu'on  improvisera  fera  disparate.  5"  11  faut  apprendre  une  première 
fois  son  manuscrit  par  jugement  et  réflexion,  sans  s'attacher  aux 
mots,  se  rendant  compte  de  toutes  ses  parties  et  de  l'ordre  des 
idées,  et  s'exerçant  plusieurs  fois  en  son  particulier  à  le  débiter  avec 
des  termes,  des  gestes  et  une  prononciation  convenables  :  puis  on 
l'apprend,  autant  que  possible,  comme  si  l'on  avait  dessein  de  le 
dire  mot  à  mot,  surtout  le  commencement,  les  transitions  et  les  fi- 
gures principales  ;  mais  après  on  s'abandonne  au  torrent  du  discours, 
sans  courir  après  une  parole  qui  demeure  en  chemin,  de  telle  sorte 
que  les  passages  mêmes  qu'on  récite  mot  à  mot  semblent  sortir  de 
l'abondance  du  cœur. 

o«  Proposition.  —  Quand  on  a  écrit  pendant  un  certain  temps, 
qu'on  a  acquis  une  connaissance  approfondie  de  la  religion  et  la 
facililé  de  parler  en  public,  il  est  mieux  de  n'écrire  ses  Instructions 
que  sommairement  dans  le  sens  expliqué  plus  haut^. 

En  effet,  quand  on  parle  de  la  sorte,  on  met  dans  le  discours  plus 

cogitationis  extinguit  :  miser  enim  et  pauper  orator  est,  qui  nuUiim  vcrbum. 
jequo  animo  perdere  polest.  Lib.  VIII,  in  l'roœmio  —  •  De  Doct.  clirist.,  lib, 
ÏV,  XXV. —  2  Voyez  le  Guide  de  ceux  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu,  p.   19i, 


PRÉPARATION  PnOCllAIlNE.  251 

de  cet  abandon  qui  prouve  à  l'auditour  qu'on  lui  parle  de  conviction, 
plus  de  ce  langage  du  cœur  qui  va  droit  au  cœur;  le  style  et  le 
débit  oi;t  un  naturel  qui  gagne  la  confiance,  qui,  détournant  l'at- 
tention de  la  forme,  la  porte  tout  entière  sur  le  fond  des  choses,  et 
dispose  les  esprits  à  mieux  profiter  de  Tinstruction.  Alors  on  est  li- 
bre et  fort  dans  son  action,  parce  (ju'on  se  possède;  on  pousse  les 
mouvements  oratoires  et  l'on  en  suit  l'impétuosité;  toutes  les  paro- 
les coulent  de  source,  sont  vives,  pleines  de  mouvement,  et  la 
chaleur  dont  on  est  animé  inspire  des  expressions  et  des  figures 
que  l'étude  du  cabinet  n'eût  jamais  trouvées  :  alors  on  proportionne 
son  discours  à  l'effet  qu'on  voit  qu'il  produit,  on  étend  ce  qui  fait 
impression,  on  reprend  d'une  autre  manière  ce  qui  n'a  pas  été  saisi 
et  on  le  revêt  d'images  et  de  comparaisons  plus  sensibles.  La  dic- 
tion, il  est  vrai,  adra  bien  quelques  défauts  que  la  préparation 
écrite  mot  à  mot  eût  prévenus,  mais  ces  défauts  seront  plus  que 
compensés  par  tous  les  avantages  dont  nous  venons  de  parler;  l'au- 
diteur touché  n'y  fera  même  pas  attention;  ou,  s'il  les  aperçoit,  il 
saura  gré  à  l'orateur  de  s'oublier  lui-même  pour  ne  penser  qu'au 
bien  de  ceux  qu'il  évangélise.  C'est  donc  un  mot  bien  juste  que  celui 
du  P  d'Orléans  dans  sa  vie  du  P.  Cotton,  lorsqu'il  dit,  en  parlant 
des  prédicateurs  contempoi  ains  de  ce  célèbre  jésuite  qui  n'appre- 
naient pas  leurs  sermons  n  ot  à  mot  :  Peut-être  paiions-nous  mieux 
queux  ;  mais  vraisemblablement  ils  prêchaient  mieux  que  nous. 

Cette  uiètbode  a  encore  un  autre  avantage,  c'est  qu'elle  demande 
moins  de  temps  et  de  peine.  Quand  on  s'est  habitué  à  ne  rien  dire 
qu'on  n'ait  écrit,  on  e^t  obligé  d'employer  à  la  composition  une 
partie  notable  de  son  temps,  et  par  suite  de  laisser  en  souffrance 
tous  les  autres  devoirs  du  ministère,  Encore  n'est-ce  pas  tout  :  si 
après  avoir  écrit  on  n'a  pas  le  loii^ir  d'apprendre  par  cœur,  on  est 
réduit  à  ne  pouvoir  ritni  dire  ;  or,  (]uoi  de  plus  triste  que  de  voir 
un  pasteur'  qui  ne  sait  pas  parler  de  Dieu  à  son  peuple,  si  aupara- 
vant il  n'a  rangé  toutes  ses  paroles  et  appris  en  écolier  sa  leçon  par 
cœur?  11  n'en  est  pas  ainsi  de  celui  qui  suit  la  méthode  dont  nous 
parlons;  il  lui  faut  beaucoup  moins  de  temps  pour  piéparer  et  pour 
apprendre,  et  il  peut  ainsi  l'aiie  marcher  de  front  toutes  ses  obli- 
gations sans  en  négliger  aucune.  Aussi  celte  méthode  est-elle  celle 
que  conseille  Fènelon,  et  qu'ont  suivie  le  P.  Bridaine,  le  P.  Kudes,  le 
cardinal  Uellarmin,  et  la  plupart  des  hommes  apostoliques. 

Nous  observerons  cependant,  1°  que,  quelque  habitude  qu'on  ait 
de  la  parole,  il  est  certains  sujets  importants,  certaines  prédications 


252  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

solennelles  qu'il  faut  écrire  en  entier.  Fénelon  lui-même  écrivit  les 
dscours  pour  le  sacre  de  l'électeur  de  Cologne  et  pour  la  fête  de 
l'Epiphanie. 

Nous  observerons,  2°  que  même  dans  les  discours  moins  impor- 
tants, il  est  certaines  parties  plus  délicates  ou  plus  difficiles  qu'il 
faut  écrire  telles  qu'on  doit  les  prononcer,  ne  laissant  à  l'improvisa- 
lion  que  les  développements  faciles. 

4«  Proposilion.  —  Il  est  rare  qu'on  puisse  se  borner  à  écrire  un 
simple  canevas,  contenant  seulement  l'indication  des  divisions,  sous- 
divisions  et  chefs  de  preuves. 

En  effet,  un  prêlre  ne  doit  pas,  lorsqu'il  peut  faire  autrement, 
s'exposer  à  traiter  la  divine  parole  d'une  manière  peu  digne  d'elle 
et  peu  utile  au  salut  des  âmes  :  or,  c'est  là  à  quoi  s'expose  celui  qui 
se  contente  du  simple  canevas  dont  nous  venons  de  parler.  11  est 
très-peu  de  prédicateurs  qui  puissent  se  répondre  qu'avec  une  pré- 
paration aussi  courte  ils  sauront  parler  solidement,  clairement,  et 
donner  à  leurs  discours  l'ordre,  l'intérêt  et  la  force  que  demandent 
la  dignité  de  la  parole  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes.  On  peut  même 
dire  que  tous,  sans  exception,  s'exposent  à  éprouver  une  stérilité 
d'idées,  une  sécheresse  de  sentiments,  une  absence  de  mouvements 
qui  nuira  à  tout  l'effet  de  leurs  discours  ;  d'où  il  suit  qu'on  ne  peut 
se  permettre  un  tel  mode  de  préparation  que  quand  il  est  impossi- 
ble de  faire  autrement. 

5^  Proposition.  — Quand  on  ne  peut  écrire  en  aucune  manière 
son  instruction,  il  ne  suffit  pas  de  réfléchir  quelques  instants  avant 
de  monter  en  chaire  ;  il  faut  encore  déterminer  soigneusement  le 
sujet,  le  plan  et  la  marche  de  tout  le  discours. 

Ici  s'applique  la  même  preuve  qu'à  la  proposition  précédente. 
S'écarter  du  principe  énoncé,  c'est  évidemment  s'exposer  à  manquer 
de  matière  et  d'idées,  d'ordre  et  de  précision;  c'est  traiter  sans  res- 
pect la  parole  de  Dieu,  c'est  compromettre  le  salut  des  âmes.  Le 
moins  qu'on  puisse  faire,  quand  on  ne  peut  rien  écrire,  c'est  de  se 
préparer  autant  qu'il  le  faut  pour  être  en  état  de  mettre  de  l'ordre 
dans  son  discours,  de  dire  des  choses  solides  et  touchantes,  de  les 
appuyer  de  passages  do  l'Écriture  sainte  et  de  ne  pas  excéder  les 
bornes  au  delà  desquelles  l'auditoire  se  fatigue.  Aussi,  quand  Fé- 
nelon, dans  ses  dialogues  sur  l'éloquence  de  la  chaire,  se  montre  le 
partisan  du  prédicateur  qui  parle  sans  avoir  écrit,  il  ne  suppose  pas 
seulement  «  un  homme  instruit  et  qui  a  de  la  facilité  pour  s'exprimer, 
«  mais  encore  un  homme  qui  a  médité  fortement  tous  les  principes 


PREPARATION  PROCHAINE.  253 

(î  du  sujet  qu'il  doit  traiter  et  dans  toute  leur  étendue,  qui  s'en  est 
«  fait  un  ordre  dans  l'esprit,  qui  a  rangé  toutes  les  preuves,  préparé 
«  un  certain  nombre  de  fi^rures  touchantes  et  les  plus  fortes  expres- 
«  sions  par  lesquelles  il  veut  rendre  son  sujet  sensible,  qui  sait  tout 
«  ce  qu'il  doit  dire  et  la  place  où  il  doit  mettre  chaque  chose,  de 
«  sorte  qu'il  ne  lui  reste,  pour  l'exécution,  qu'à  trouver  les  expres- 
i(  sions  communes  qui  doivent  faire  le  corps  du  discours.  »  Voilà 
certes  une  grande  et  excellente  préparation  qui  peut  suppléer  le 
sermon  écrit,  et  revient  à  peu  près  à  la  manière  d'écrire  sommai- 
rement son  discours,  dont  nous  avons  parlé  à  la  deuxième  propo- 
sition. 

Il  est  bien  vrai  que  certains  saints  n'ont  pas  apporté  à  leurs  dis- 
cours une  préparation  a  ssi  parfaite  :  ils  se  bornaient  à  méditer 
quelques  instants  leur  sujet  et  se  livraient  ensuite  à  l'esprit  de  Dieu. 
Mais  ces  exemples  ne  détruisent  pas  la  règle  générale  ;  et  ce  serait 
tenter  Dieu  que  de  vouloir  faire  en  cela  comme  les  saints,  sans  avoir 
leur  long  usage  du  ministère  de  la  parole,  leur  union  à  Dieu,  leur 
oraison  habituelle  et  les  grâces  extraordinaires  dont  ils  étaient  rem- 
plis. 

6«  Proposition.  —  Il  est  des  cas  où  il  est  mal,  et  d'autres  où  il  est 
bien  de  prêcher  les  sermons  d'autrui. 

i°  Prêcher  les  sermons  d'autrui  qui  ne  sont  pas  livrés  au  public, 
ou  sur  lesquels  on  n'a  pas  acquis  un  droit  légiîime,  par  donation, 
achat  ou  autre  contrat,  c'est  une  injustice,  un  attentat  au  droit  de 
propriété. 

2°  Prêcher  les  sermons  d'autrui,  lors  même  qu'on  les  possède  à 
titre  légitime,  c'est  un  fait  blâmable,  si  l'on  a  le  temps  et  la  facilité 
de  composer  soi-même.  Car  une  telle  action  procède  ou  de  paresse, 
parce  qu'on  ne  veut  pas  se  donner  la  peine  de  composer, ou  de  va- 
nité, parce  qu'on  veut  se  faire  une  réputation  de  grand  prédicateur; 
or  cette  paresse  ou  cette  vanité  éloigne  les  bénédictions  de  Dieu.  Sup- 
posons iriême  le  prédicateur  mû  par  des  intentions  plus  élevées  et 
plus  dignes  de  lui  ;  toujours  serait-il  certain  que  les  sermons  d'au- 
trui ne  peuvent  être  que  peu  utiles,  soit  parce  qu'il  est  rare  qu'ils 
soient  appropriés  à  la  portée  et  aux  besoins  des  auditeurs,  soit  parce 
qu'il  est  plus  rare  encore  qu'ils  s'adaptent  au  génie  et  à  la  manière 
de  sentir  du  prédicateur,  qui  dès  lors  ne  pourra  pas  les  piononcer 
avecnalurel  etsenliment.  Une  petite  exhortation,  faite  selon  sa  capa- 
cité et  prononcée  avec  zèle,  produirait  incomparablement  plus  de 
fruit.  De  plus,  il  est  difficile  qu'une  fois  ou  autre  le  plagiat  ne  se  dé- 


234  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

couvre,  et  dès  lors  on  sera  déshonoré,  signalé  dans  le  public  comme 
im  ignorant,  comme  le  geai  qui  se  pare  des  plumes  du  paon.  C'en 
sera  assez  pour  n'être  plus  propre  à  faire  le  bien  :  la  prévention  une 
fois  établie  fera  que,  même  dans  ses  propres  compositions,  on  sera 
écouté  sans  inléiêl,  et  par  conséquent,  sans  fruit.  A  tous  ces  incon- 
vénients, ajoutez  le  préjudice  grave  qui  en  résulte  pour  le  prédica- 
teur, lequel  perdant  par  là  toute  habitude  de  composer,  devient  in- 
capable de  rien  tirer  de  son  fonds. 

5°  Lorsqu'on  n'a  pas  le  temps  et  la  facilité  de  composer  soi-même^ 
on  peut  prêcher  les  sermons  d'autrui  légitimement  acquis,  pourvu 
qu'on  le  fasse  par  un  motif  de  zèle  et  uniquement  en  vue  du  bien. 
Car  il  est  évident  qu'il  vaut  mieux  que  les  fidèles  soient  instruits  par 
cette  voie  que  de  rester  sans  instruction  ou  de  n'en  recevoir  qu'une 
fort  médiocre  :  c'était  l'avis  de  saint  Augustin  :  Sunt  quidam,  dit-il*, 
qui  benè  pronuntiare  possunt,  quid  autem  pronuntient  excogitare  non 
possunl.  Qiiod  si  ah  aliis  sumant  eloquenter  sapienterqiie  conscriplum 
memorixque  commend.ent  atqiie  ad  popidum  proférant,  non  improbè 
faciîL7it.  C'était  aussi  l'avis  de  plusieurs  évêques  des  premiers  siècles, 
qui  faisaient  lire  et  même  prononcer  dans  les  paroisses  les  sermons 
qu'ils  avaient  composés,  afin  d'instruire  les  fidèles,  au  défaut  des 
prêtres  dont  la  science  ne  leur  offrait  pas  assez  de  garantie.  Le  prône 
du  Rituel  et  les  instructions  sur  les  principales  fêtes  qui  se  trouvent 
à  la  suite  sont  des  restes  de  cette  ancienne  pratique.  Donc,  dans  la 
supposition  établie,  il  est  permis  de  prêcher  les  sermons  d'autrui.  — 
Toutefois  il  est  des  précautions  à  prendre  pour  parer  aux  inconvé- 
nients de  celte  méthode  :  1"  11  ne  faut  pas  choisir  des  discours  con- 
nus et  surtout  des  morceaux  saillants  qui  décèleraient  à  l'instant  le 
plagiat,  ni  faire  un  assemblage  bizarre  de  morceaux  disparates  pillés 
çà  et  là,  sans  unité  et  sans  goût  :  mais  il  faut  choisir  des  discours 
adaptés  à  son  auditoire  et  en  retrancher  les  détails  qui  ne  convien- 
draient pas;  remarque  d'autant  plus  essentielle  que  la  plupart  des 
sermons  composés  pour  la  cour  ou  les  grandes  villes  parlent  un  lan- 
gage trop  élevé  pour  le  peuple,  et  censurent  des  vices  qui  ne  se  ren- 
contrent pas  probabl»  ment  là  où  l'on  prêche.  En  même  temps  que 
ces  discours  doivent  convenir  à  l'auditoire,  ils  doivent  encore  être 
adaptés  à  l'orateur  :  un  discours  plein  de  feu  serait  un  contre  sens 
pour  un  tempérament  froid;  un  discours  calme,  pour  une  imagina- 
tion ardente  ;  un  discours  d'im  style  nombreux  et  à  longues  périodes, 

*  Lib.  IV,  de  Dùct.  cluist..  62. 


PREPARATION   PROCHAINE.  2rjS 

pour  une  poitrine  faible  et  une  voix  débile  ;  enfin,  un  discours  pom- 
peux et  relevé,  pour  un  esprit  connu  comme  simple  et  borné.  2"  I! 
faut  se  bien  pénétrer  des  sentiments  et  affections  qu'exprime  le  dis- 
cours, afin  d'y  approprier  son  action  et  son  débit;  comme  chacun  a  sa 
manière  d'envisager  et  de  sentir  les  choses,  il  est  difficile  qu'une 
composition  étrangère  revienne  parfaitement  à  l'esprit  et  au  cœur  de 
celui  qui  l'emprunte,  et  d'un  autre  côté,  si  l'action  et  le  débit  ne  ré- 
pondent pas  au  fonddes  choses,  il  est  impossible  que  le  discours  fasse 
impression.  On  doit  donc  tâcher  de  vaincre  la  diificulté  en  retouchant 
un  peu  soi-même  le  discours,  pour  l'accommoder  à  sa  manière  au- 
tant qu'aux  besoins  des  auditeurs. 

4°  11  est  permis  de  prendre  dans  les  auteurs  ses  plans,  ses  divi- 
sions, ses  preuves,  ses  principales  pensées,  pourvu  qu'on  se  les 
rende  propres  par  la  tournure  et  le  style.  On  pardonne  même  de 
prendre  dans  les  anciens  ce  qu'on  y  trouve  de  bon  :  le  travail  de  la 
recherche,  le  discernement  que  cela  suppose,  le  mérite  de  la  traduc- 
tion, deviennent  alors  nos  titres  de  propriété. 

ARTICLE  2. 

DE    LA    MANIÈRE   DE  COMPOSER  * 

La  marche  à  suivre  pour  bien  composer  consiste  :  1"  à  hien  choisir 
son  sujet;  2"  bien  le  méditer;  5"  bien  le  développer  ;  ¥  rédiger  soii 
discours;  5»  revoir  avec  soin  sa  rédaction. 

En  distinguant  ainsi  cinq  parlies  dans  la  composition,  nous  ne  vou- 
lons pas  dire  que  dans  la  pratique  il  faille  les  séparer  de  la  sorte  ; 
souvent  au  contraire,  elles  se  confondent.  Ainsi  un  beau  plan  se  pré- 
sente àl'cspiit,  on  le  médite,  on  le  développa,  on  le  rédige  dans  une 
même  opération  :  nous  ne  les  distinguons  donc  théoriquement  que 
pour  mieux  les  expliquer. 

g  1". 

Du  chorx  du  sujet. 

Rien  de  plus  imporlaiit  (jue  ce  choix.  Un  sujet  bien  choisi  intéresse 
par  cela  seul  les  auditeurs  et  leur  est  utile;  un  sujet  mal  choisi  dé- 
plaît et  est  sans  fruit.  Le  sujet  est  la  base  et  le  fondement  du  discours. 
Or,  quand  un  édifice  manque  par  la  base,  sa  ruine  est  assurée.  Rien 
donc  de  plus  essentiel  qui;  de  bien  choisir  son  sujet. 

*  Voyez  Grenade,  liv.  VI,  c.  xiii. 


256  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

Pour  y  réussir,  voici  les  règles  principales  à  observer  :  1°  Il  no 
faut  point  prendre  conseil  de  l'amour-propre,  ami  exclusif  des  sujeis 
qui  prêtent  le  plus  aux  grands  ornements  et  au  triomphe  de  l'élo- 
quence :  fixer  son  choix  d'après  un  si  mauvais  conseiller,  ce  serait 
ahu?er  de  la  parole  de  Dieu,  et  chercher  à  se  faire  valoir  au  lieu  de 
chercher  à  sauver  des  âmes.  Mais  il  faut  prendre  conseil  de  la  plus 
grande  utihté  des  auditeurs,  et  choisir  les  plus  profitables  à  leur 
salut,  c'est-à-dire  les  plus  propres  à  les  instruire,  à  les  toucher 
et  à  les  convertir,  puisque  c'est  là  le  but  de  la  prédication  :  par 
conséquent,  il  faut  consulter  les  circonstances  du  temps  et  du  lieu, 
la  portée,  les  besoins,  les  dispositions,  le  caractère  des  personnes, 
comme  nous  l'avons  expliqué  ailleurs,  puisqu'il  est  évident  qu'un 
discours  ne  peut  faire  d'impression  salutaire  qu'autant  qu'il  convient 
à  l'auditoire  et  lui  est  bien  adapté. 

2°  Entre  les  sujets  utiles,  il  faut  choisir  ceux  qui  sont  utiles  au 
plus  grand  nombre  des  auditeurs  :  c'est-à-dire  qu'un  sujet  qui  n'in- 
téresserait qu'une  portion  de  l'auditoire  ne  peut  pas  faire  le  fonds 
du  discours;  il  peut  seulement  y  entrer  comme  partie  accessoire, 
objet  de  détail  ;  mais  le  sujet  principal  doit  convenir  à  tout  le  monde, 
ou  au  moins  au  plus  grand  nombre.  Tels  sont  les  fins  dernières,  les 
vertus  théologales  et  cardinales,  les  sacrements,  les  commandements 
de  Dieu  et  de  l'Église,  toutes  les  grandes  vérités  de  la  religion  qui 
intéressent  essentiellement  tous  les  hommes,  comme  le  malheur 
d'une  âme  en  péché,  et  pnr  conséquent  en  péril  des  plus  lerribles 
châtiments;  l'extravagance  de  celui  que  ni  les  jugements  de  Dieu, 
ni  une  éternité  de  souffrance,  ni  la  porte  d'un  bonheur  infini,  ne 
peuvent  effrayer  ;  le  bienfait  de  la  rédemption,  la  dignité  du  chré- 
tien, la  Providence,  l'obligalion  de  pardonner  les  injures,  de  fuir  les 
occasions  du  péché,  de  prier,  de  faire  l'aumône,  le  crime  du  respect 
humain,  de  l'abus  des  grâces,  delà  perte  du  temps,  etc..  Il  est  vrai 
que  ces  sujets  ont  été  souvent  traités,  mais  on  peut  les  rendre  nou- 
veaux par  une  nouvelle  forme  :  Non  debemiis  dicere  nova,  sed  novè, 
et  d'ailleurs  l'expérience  démontre  combien  les  peuples  ont  besoin 
de  se  les  rappeler. 

5°  Entre  les  sujets  utiles  au  plus  grand  nombre,  il  faut,  autant  que 
possible,  choisir  de  préférence  ceux  qui  vont  le  mieux  à  notre  genre 
de  talent,  et  laisser  à  d'autres  ceux  qui  nous  reviennent  moins  :  car 
tel  qui  excelle  à  consoler  et  prêcher  la  confiance,  pourra  réussir 
fort  mal  à  prêcher  les  vérités  terribles,  et  vice  versa.  11  faut  de  plus 
éviter  les  sujets  trop  étendus  qui  obligent  l'orateur  à  effleurer  les 


PREPARATION  PROCHACSE.  257 

choses  sans  en  rien  approfondir,  comme  aussi  les  sujets  trop  petits 
où  l'éloquence  est  à  l'étroit  et  qu'on  ne  peut  remplir  que  par  des 
tours  de  force. 

4'  Le  sujet  une  fois  déterminé,  il  faut  choisir  encore  les  rapports 
ou  points  de  vue  sous  lesquels  il  est  plus  utile  de  le  présenter,  et  le 
but  pratique  qu'il  convient  de  se  proposer,  comme  tel  défaut  à  ré- 
former ou  tel  acte  de  vertu  à  l'aire  pratiquer.  Il  est  une  manière  de 
présenter  la  vertu  qui  la  fait  paraître  hérissée  de  difficultés,  désa- 
gréable et  rep'iussante  ;  il  en  est  une  autre  qui  la  montre  souverai- 
nement raisonnable,  belle  et  aimable,  noble  et  grande  :  il  faut  avoir 
sojiide  bien  choisir  ces  derniers  rapports,  en  examinant  ce  qui  con- 
viendra le  mieux  aux  dispositions  des  auditeurs,  les  côtés  de  la  ques- 
tion qui  leur  plairont  davantage  et  ceux  qwi  pourraient  leur  déplaire; 
et  d'après  cela  on  précise  son  sujet,  en  se  demandant  :  A  quoi  veux- 
je  porter  mes  auditeurs  ?  qu'est-ce  que  je  me  propose  d'obtenir 
d'eux? 

§2. 

De  la  mtditation  du  sujet. 

Après  qu'on  a  fait  choix  d'un  sujet,  et  bien  déterminé  les  points  de 
vue  qu'on  se  propose  en  entreprenant  de  le  traiter,  il  faut  le  méditer 
avec  soin.  Méditer  un  sujet,  c'est  l'étudier,  l'approfondir,  l'envisager 
sous  toutes  ses  faces,  pour  y  chercher  ce  qui  peut  instruire,  convain- 
cre, toucher,  corriger  ses  auditeurs  :  i°  Ce  <jui  peut  les  instruire  : 
et  pour  cela  on  voit  ce  qu'en  dit  la  théologie  ;  on  se  fait  des  idées 
nettes,  exactes  et  précises  sur  la  matière,  et  on  examine  le  moyen 
de  faire  passer  ces  notions  dans  l'esprit  des  auditeurs.  2°  Ce  qui  peut 
les  convaincre;  et  pour  cela  on  se  demande  quelles  preuves,  quels 
arguments  leur  feront  plus  d'impression  ;  et  on  tâche,  à  force  de 
réllexions,  de  s'en  pénétrer  si  profondément  soi-même,  qu'on  ne 
puisse  penser  sans  une  sorte  de  stupeur  à  la  folie  des  hommes  qui 
ne  croient  pas  une  vérité  si  invinciblement  déir)onlrée.  o"  L'esprit 
éclairé  et  convaincu,  on  passe  alors  de  la  partie  doctrinale  à  la  partie 
du  sentiment,  et  l'on  se  demande  :  Comment  remuer  les  cœurs  et 
entraîner  leurs  volontés?  Quels  mouvements  oratoires  puis-je  em- 
ployer pour  les  ébranler,  les  attendrir,  les  gagner?  Que  puis-jc  leur 
dire  de  touchant,  de  pathétique  qui  aille  au  cœur?  Que  me  fournis- 
sent pour  cela  rKciilurc  sainte,  k»s  écrits  dos l'éres,  les  exemples  des 
saints,  les  vues  de  la  foi,  l'étude  du  cœur  humain,  et  même  les  fi- 
gures de  la  rhéturi(iue,  comme  l'apostrophe,  la  prosopopée,  l'excla» 

17 


258  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

mation,  l'interrogalion?  4°  La  partie  du  sonliment  ainsi  étudiée,  que 
pourrais-je  dire,  se  demande-t-on  à  soi-même,  de  plus  pratique  sur 
ce  sujet?  Quels  porlrails  de  mœurs  où  chacun  reconnût  ses  défauts 
pourrais-je  faire  ici?  Quels  actes  de  vertu,  quelles  salutaires  prati- 
ques pourrais-je  conseiller  pour  corriger  mes  auditeurs  et  les  ame- 
ner au  bien? 

Voilà  ce  que  c'est  que  méditer  un  sujet,  et  tous  les  maîtres  de  l'art 
s'accordent  à  recommander  cette  méditation  comme  le  préliminaire 
essentiel  de  toute  bonne  composition  :  sans  cette  étude  préalable,  on 
parlera  d'une  manière  superficielle,  incomplète,  souvent  inexacte; 
le  discours  ne  sera  qu'un  amas  de  réflexions  froides  et  sans  âme,  un 
assemblage  de  textes  et  de  morceaux  décousus.  On  sera  obscur, 
parce  qu'on  n'aura  pas  d'idées  claires  et  précises  sur  la  maliêre  ;  on 
sera  froid,  parce  que  la  méditation  n'aura  échaufié  ni  le  cœur  ni 
l'imagination  ;  on  divaguera,  on  marchera  sans  ordre  et  au  hasard 
comme  un  voyageur  qui  ne  connaît  pas  le  pays  où  il  se  trouve,  ou  à 
tâtons  comme  un  homme  qui  est  dans  les  ténèbres.  Par  la  médita- 
tion, au  contraire,  on  se  rend  maître  de  son  sujet,  et  on  le  possède 
à  fond;  comme  on  le  conçoit  clairement,  on  l'énonce  et  on  le  déve- 
loppe avec  aisance  et  facilité.  L'esprit  fournit  alors  les  meilleures 
preuves,  le  cœur  les  plus  beaux  mouvements,  l'imagination  les  plus 
riches  images;  et  les  expressions,  les  tours,  les  figures  les  plus  con- 
venables se  présentent  comme  naturellement  pour  les  rendre  :  c'est 
alors  que  le  meilleur  style  coule  comme  de  source,  et  que  les  plus 
grandes  beautés  jaiUissent  sans  effort  du  fond  du  sujet. 

Cui  lecta  potenter  erit  res, 

Nec  facundia  deseret  hune,  nec  lucidus  ordo  '. 

Mais  pour  obtenir  ces  heureux  résultats,  il  est  plusieurs  règles  à 
observer. 

1"  Règle.  — 11  faut  appliquer  à  son  sujet  les  régies  spéciales  qu'on 
trouvera  exposées  dans  la  première  partie  du  second  livre  de  ce 
Traité;  et  l'envisager  sous  tous  les  points  de  vue  que  ces  régies  indi- 
quent. Il  résultera  de  cette  étude  une  source  abondante  d'idées  pré- 
cieuses et  utiles. 

S''  Piègle,  — 11  faut  lire  attentivement  quelque  excellent  ouvrage  sur 
la  matière  ;  très-peu  d'hommes  ont  par  eux-mêmes  assez  de  science 
acquise  pour  tirer  de  leur  propre  fonds  tout  un  discours.  La  lecture 

*  Aïs  poet. 


PRÉPARATION  PROCHAINE.  259 

enseigne  ce  qu'on  ignore  et  rafraîchit  la  mémoire  de  ce  qu'on  sait  ; 
elle  réveille  l'im.agination  et  la  fertilise,  excite  le  zèle  et  communique 
l'onction,  inspire  des  conceptions  pleines  de  vie,  sollicite  et  m.ot  en 
jeu  l'esprit  d'invention.  Les  ouvrages  des  grands  maîtres,  ditLongin, 
sont  comme  autant  de  foyers  sacrés  où  s'allument  les  esprits  les  plus 
froids.  On  raconte  que  Bossuet  lisait  toujours,  avant  dose  meltre  u 
la  composition,  un  chapitre  d'Isaïe  et  quelques  pages  de  saint  Gré- 
goire de  Nazianze.  Il  faut  donc  lire  aussi  quelque  excellent  auteur' 
oratoire  ou  ascétique,  sur  le  sujet  que  nous  voulons  traiter,  et  c'est 
dans  cette  vue  que  nous  indiquons,  au  second  livre  de  cet  ouvrage, 
les  écrivains  les  plus  remarquables  sur  chaque  partie  et  les  meilleurs 
auteurs  de  sermons,  prônes,  homélies,  conférences, etc..  Dans  cette 
lecture  nous  devons  nous  proposer  :  1°  de  connaître  à  fond  la  matière 
peur  nous  mettre  en  état  de  donner  une  instruction  solide  et  com- 
plète aux  fidèles  ;  2°  de  n'y  pas  chercher  seulement  des  pensées,  des 
passages,  des  applications  pour  nous  en  servir,  mais  d'y  observer 
bien  plus  l'ordormance  de  tout  le  discours,  la  manière  dont  les  choses 
sont  amenées,  présentées,  liées  avec  ce  qui  précède  et  ce  qui  suit, 
les  images,  les  comparaisons,  les  expressions  vives  et  lumineuses  qui 
mettent  la  pensée  en  relief,  enfin  tout  ce  qui  fait  le  nerf,  la  force  et 
l'agrément  du  discours  ;  5"  de  nous  échauffer  le  cœur  et  l'imagina- 
tion, de  nous  électriser  en  quelque  sorte  sur  le  sujet  que  nous  vou- 
lons traiter. 

3'  Règle.  —  Après  cette  lecture,  il  faut  se  recueillir  au  plus  intime 
de  son  âme  pour  méditer  devant  Dieu  ce  qu'on  a  lu,  se  l'approprier 
et  le  faire  passer  comme  dans  son  propre  fonds  :  là  on  élimine  tout 
ce  qui  ne  vient  pas  à  notre  but,  on  recueille  tout  ce  qui  s'y  rapporte, 
on  le  fond  dans  ses  propres  idées,  on  s'en  pénètre,  on  le  rend  sien 
par  la  manière  de  le  sentir;  et  de  là  naîtront  plus  tard  une  tournure 
et  une  exircssion  qui  seront  à  nous. 

4*  Règle.  —  11  faut  écrire  à  l'instant  même  où  l'on  est  pénétré, 
tout  ce  que  l'esprit,  le  cœur,  l'imagination,  la  sensibilité  inspirent 
de  bon  et  d'utile,  de  touchant  et  de  frappant  sur  le  sujet  que  nous 
éludions  :  on  développe  ces  bonnes  inspirations  selon  l'attrait  du 
moment,  sans  chercher  à  y  meltre  la  perfection  de  l'ordre  et  du  style. 
Pendant  qu'on  les  écrit,  d'autres  se  présentent,  et  celles-ci  en  font 
éclore  de  nouvelles;  car  ce  (jui  ne  vient  point  en  réfléchissant,  vient 
souvent  en  écrivant.  Ainsi  faisait  Rourdaloue.  L'auteur  de  la  préface 
de  ses  Pensées  raconte  qu'il  jetait  d'abord  sur  le  papier  «  les  dil'fé- 
«  rentes  idées  qui  se  présentaient  à  lui  touchant  la  matière  qu'il  vou- 


260  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

«  lait  traiter  ;  il  marquait  tout  confusément  et  sans  aucune  liaison  ; 
«  mais,  s'étant  ensuite  tracé  le  plan  de  son  discours,  il  choisissait  ce 
«  qui  pouvait  convenir  et  laissait  le  reste,  dont  on  a  formé  les  deux 
«  volumes  de  ses  Pensées.  »  Ainsi  doivent  faire  tous  les  prédicateurs  : 
ils  doivent  saisir  ces  moments  heureux  d'inspiration,  où  l'âme  pleine 
de  son  sujet,  ol  se  débordant  en  quelque  sorte,  semble  nous  solli- 
citer de  la  soulager  en  confiant  au  papier  la  vérité  ou  le  sentiment 
qui  la  pénètre  :  tantôt  c'est  une  lumière  soudaine  qui  nous  saisit,  une 
foi  vive,  une  ardente  charité  puisée  dans  l'oraison  au  pied  de  l'autel 
et  du  crucifix,  qui  nous  inspire  ;  tantôt  c'est  la  lecture  d'un  morceau 
sublime  ou  touchant,  la  vue  d'une  cérémonie  imposante,  quelque 
grand  souvenir,  quelque  riche  imagination  qui  nous  met  en  verve  ; 
et  le  cœur  échauffé  dicte  une  composition  qu'on  reçoit  plutôt  qu'on 
ne  la  produit;  la  plume  ne  peut  suivre  la  rapidité  de  la  pensée.  Ce 
qu'on  écrit  sous  l'impression  de  cette  inspiration  vaut  mieux  que 
toutes  les  compositions  à  froid  et  touchera  davantage,  parce  que  le 
mouvement  part  d'un  cœur  touché  ;  d'où  l'on  peut  conclure  combien 
il  est  essentiel  de  ne  pas  se  laisser  refroidir  ou  distraire,  de  profiter 
du  bon  moment  qui,  une  fois  perdu,  ne  se  retrouverait  peut-être 
plus  ;  et  c'est  pour  prévenir  ce  refroidissement  qu'on  conseille,  ainsi 
que  nous  l'avons  dit,  d'écrire  rapidement  tout  ce  qui  se  présente  de 
bon  sans  s'inquiéter  de  la  justesse  de  l'expression,  sans  vouloir  pro- 
duire quelque  chose  de  fini  ;  plus  tard,  on  reviendra  sur  ce  premier 
jet  et  on  y  mettra  le  poli  qui  y  manque.  Nous  recommandons  seulement 
d'ajouter  à  ces  notes  des  indications  marginales  qui  en  exposent  le 
sujet  ;  autrement  on  ne  saurait  pas  comment  s'y  reconnaître. 

Du  développement  du  sujet. 

Après  la  méditation  du  sujet,  il  faut  tout  coordonner  dans  un  plan 
régulier,  comme  nous  l'avons  dit  ailleurs  en  parlant  de  l'unité,  puis 
procéder  aux  développements  oratoires.  Les  développements,  quand 
ils  sont  habilement  exécutés  et  sagement  ménagés,  opèrent  sur  une 
pensée  ou  une  proposition  comme  la  sève  sur  un  germe  :  ils  font 
croître,  grossissent,  rendent  sensible  à  tous  les  yeux  ce  qui  aupara- 
vant était  à  peine  perceptible  :  ils  répandent  la  clarté  du  grand  jour 
sur  toutes  les  parties  du  plan,  ornent  et  relèvent  la  vérité  par  diffé- 
rents tours  qui  en  montrent  les  faces  diverses  ;  et  de  ce  qui  n'était 
d'abord  qu'un  squelette  décharné,  ils  font  un  corps  nourri  et  plein 


PREPARATION  PROCHAINE.  2GI 

d'embonpoint  ;  ils  rendent  brûlant  ce  qui  était  froid,  animé  ce  qui 
était  languissant  ;  de  sorte  qu'il  est  vrai  de  dire  que  ce  sont  des  déve- 
loppements qui  expliquent  les  choses  et  les  font  comprendre,  qui  les 
prouvent  et  les  font  croire,  qui  en  pénètrent  les  cœurs  elles  font 
pratiquer;  que  par  conséquent,  là  est  toute  la  force  de  l'orateur, 
comme  le  dit  Quintilien^ 

Si  l'on  n'avait  à  traiter  qu'avec  des  intelligences  élevées  et  des 
cœurs  vertueux,  la  simple  exposition  des  faits  pourrait  suffire  ;  mais 
la  plupart  des  auditeurs  ayant  des  vues  si  fausses  ou  si  courtes, 
spécialement  sur  les  choses  spirituelles,  on  ne  peut  s'en  faire  com- 
prendre qu'à  force  d'explications  et  d'éclaircissements  :  la  plupart 
opposant  à  la  pratique  de  la  vertu  tant  de  passions,  de  préjugés, 
d'attaches  aux  faux  biens  d'ici-bas,  on  ne  peut  en  triompher  que 
par  des  développements  pleins  de  lucidité,  de  force  et  de  chaleur, 
qui  leur  montrent  clairement  où  sont  les  maux  véritables  qu'ils  doi- 
vent craindre  et  les  vrais  biens  qu'ils  doivent  désirer.  Qu'on  se  borne 
à  leur  dire  les  choses  sèchement,  simplement  et  sans  aucun  déve- 
loppement, ce  seront  paroles  perdues,  ils  ne  se  rendront  pas. 

Aussi, tous  nos  grands  prédicateurs  se  sont-ils  attaciiés  d'une  ma- 
nière spéciale  à  cette  partie  de  l'art  oratoire  :  et  c'est  même  à  cela 
qu'ils  doivent  leurs  plus  beaux  morceaux  ^  ;  c'est  ainsi  que  Bossuet,  dans 
.son  panégyrique  de  saint  Paul,  donne  le  plus  magnifique  dévelop- 
pement à  la  mineure  de  ce  syllogisme,  qui  fait  tout  le  fond  de  son 
discours  :  on  doit  attribuer  à  une  vertu  divine  des  effets  qui  ne  peu- 
vent être  attribués  à  des  moyens  humains;  or,  il  est  impossible' 
d'attribuer  aux  moyens  humains  le  succès  prodigieux  de  la  prédi- 
cation de  saint  Paul  :  donc...,  etc.  C'est  ainsi  encore  que,  dans 
son  sermon  pour  le  jour  de  la  Circoncision,  après  avoir  établi  que 
'  Jésus-Christ  est  notre  roi,  il  développe  d'une  manière  si  belle  et  si 
touchante,  dans  les  six  dernières  pages,  celte  conséquence  :  donc 
nous  lui  devons  une  obéissance  entière. 

Il  est  trois  sources  principales  où  le  prédicateur  peut  puiser  ses 
développements.  La  première,  ce  sont  les  lieux  communs  de  la 
prédication  :  nous  ne  désignons  pas  seulement  par  là  l'Écriture 
sainte,  les  Pères,  les  Conciles  et  tous  les  ouvrages  religieux  ou  ec- 

«  Lib.  VIII,  c.  MI. 

*  Voyiz  comme  Massillon,  dans  son  sermon  sur  la  mort,  dcvoloppe  cette  pen- 
sée si  commune  .  Tout  est  passager  et  périssable  ici-bas  :  Sur  quoi  vous  ras- 
surez-vous donc,  de.  ;  et  comme  Rossuct,  dans  l'oraison  lunébrc  de  Madame, 
dévclo|ipc  cette  simple  pensée  ■  La  vcilà  morte  :  La  voilà,  maigre  ci'  grand 
■cœur,  etc.. 


262  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

clésiasliques,  sources  sacrées  où  le  prédicateur  peut  toujours  puiser, 
mais  encore  et  surtout  les  grandes  vérités  qui  viennent  à  l'appui  de 
tous  les  sujets  de  morale,  comme  le  salut,  la  mort,  le  jugement, 
réternité,  l'amour  di\in,  la  passion  et  la  mort  de  Jésus-Christ  ;  les 
considérations  générales  sur  les  bienfaits  de  Dieu,  sur  les  vertus  ou 
les  vices,  sur  les  sacrements  ou  la  prière,  telles  qu'elles  se  trouvent  ex- 
posées dans  la  première  partie  du  second  livre  de  ce  Traité.  Pour  que 
ces  lieux  communs  contribuent  à  relever  le  discours,  il  faut,  1°  qu'ils 
n'interviennent  que  comme  accessoire  :  si  Ton  s'y  arrêtait  trop,  ils 
absorberaient  le  sujet  principal,  détourneraient  l'attention  et  en 
nuieraient.  11  faut  2°  les  approprier  tellement  au  sujet  qu'ils  pa- 
raissent faits  pour  lui  seul,  et  que  personne  ne  puisse  penser  au  lieu 
commun. 

La  seconde  source  de  développement  se  trouve  dans  les  lieux 
communs  de  la  rhétorique,  laquelle  enseigne  à  faire  ressortir  les 
choses  dont  on  parle,  par  leurs  causes  ou  leurs  principes,  par  leurs 
effets*,  par  l'énumérallon  des  parties^,  par  les  contraires  qui  con- 
sistent à  dire  ce  qu'une  personne  ou  une  chose  n'est  pas  pour  mieux 
faire  comprendre  ce  qu'elle  est',  par  les  circonstances  de  lieu,  de 
temps  et  autres  contenues  dans  le  vers  si  connu  :  Quis,  qiiid,  ubi, 
quibiis  aiixiliis,  cur,  qiiomodo,  qiiando,  enfin,  par  les  comparaisons, 
les  exemples  et  les  paraboles. 

Comme  la  rhétorique  expHque  toutes  ces  choses,  nous  nous 
bornerons  à  quelques  observations  sur  les  comparaisons,  les  exem- 
^ples  et  les  paraboles,  parce  que  d'un  côté  ce  sont  des  points  d'une 
importance  principale  dans  la  prédication,  et  que  de  l'autre  l'élo- 
quence de  la  chaire  doit  les  envisager  sous  un  point  de  vue  qui  lui 
est  propre.  Les  comparaisons  ont  l'avantage  de  donner  au  discours 
de  la  clarté,  de  l'agrément,  de  l'intérêt  et  de  la  force,  de  telle  sorte 
qu'elles  font  comprendre  les  choses  aux  gens  simples  et  plaisent 
aux  esprits  élevés.  C'est  un  trait  de  lumière  qui  embellit  le  sujet 
dont  on  parle,  de  tout  ce  qui  nous  séduit  dans  l'objet  pris  pour 

*  Voyez,  dans  le  sermon  de  Massillon  pour  la  Toussaint,  la  définition  du 
monde  :  En  effet,  qu'est-ce  que  le  monde? 

-  Voyez  un  exemple  d'énumération  dans  le  Petit  Carême  de  Massillon,  au  pre- 
mier Diinauchc.  lil'^  partie  ;  L'ambitieux  ne  jouit  de  rien,  etc.,  etc.;  et  au 
troisième  Dinianclie  ;  Parcourez  toutes  les  passions,  etc. 

■^  Exemple  lire  de  Fléchier  :  «  M.  Le  Tellier  n'était  pas  de  ces  âmes  oisives 
qui  n'apportent  d'autre  préparation  à  leurs  charges  que  celle  de  les  avoir  dé- 
sirées; qui  mettent  leur  gloire  à  les  acquérir,  non  pas  à  les  exercer;  qui  s'y 
jettent  sans  discernement  et  qui  s'y  maintiennent  sans  mérite,  et  qui  n'achè- 
tent ces  titres  vams  que  pour  satisfaire  leur  orgueil  et  honorer  leur  paresse.  »• 


PRÉPARATION  PROCHAIISE.  265 

po  t  de  comparaison^.  Mais  pour  qu'elles  produisent  ces  effets,  il 
faut  observer  certaines  règles.  i°  On  ne  doit  les  tirer  que  d'objets 
bien  connus  des  auditeurs;  autrement,  loin  d'êclaircir  le  discours, 
elles  l'obscurciraient.  L'Esprit-Saint  nous  en  donne  l'exemple  dans 
l'Écriture  :  car  il  tire  ses  comparaisons  du  corps  humain,  du  mou- 
cheron, de  la  fourmi,  du  chien  qui  retourne  à  son  vomissement,  de 
l'arbre,  de  la  semence,  de  la  moisson,  de  la  vigne,  du  berger,  du 
laboureur,  etc..  20  Dans  ces  similitudes,  il  faut  toujours  observer 
la  décence  et  la  noblesse  du  langage  qui  convient  à  la  chaire  :  l'in- 
vention fournit  les  images,  le  bon  sens  les  rend  justes,  c'est  à  l'es- 
prit élevé  à  les  ennoblir.  5°  Il  faut  être  ordinairement  court  dans 
ses  comparaisons,  et  n'en  pas  presser  tous  les  rapports  ;  les  choses 
ne  se  ressemblent  qu'à  certains  égards.  Elles  peuvent  être  dévelop- 
pées et  plus  fréquentes  dans  le  discours  calme  ;  à  mesure  qu'il  s'a- 
nime, elles  doivent  être  plus  concises  :  dans  le  pathétique,  elles  ne 
doivent  paraître  que  comme  un  trait  rapide.  ¥  Les  comparaisons 
tirées  de  l'histoire  sainte  ont  une  grâce  particulière  :  Massillon  les 
emploie  très-souvent  et  toujours  avec  bonheur'^. 
Bossuet  n'est  pas  moins  heureux  :  tantôt  il  montre  dans  les  Israé- 

*  Massillon,  dans  son  deuxième  sermon  pour  une  profession  religieuse,  fait 
sentir  par  une  belle  comparaison  combien,  après  plusieurs  années  de  fei'veur, 
il  faut  se  tenir  en  garde  contre  le  relâchement  :  «  C'est  alors,  dit-il,  que  vous 
«  devez  être  plus  sur  vos  gardes,  et  que,  vous  étant  enrichis  de  biens  spirituels, 
«  le  démon  fera  plus  d'efforts  pour  vous  les  enlever.  Il  vous  laissera  paisibles  dans 
«  les  commencements,  semblable  à  un  pirate  qui  laisse  passer  tranquillement 
a  les  navires  qui  partent  pour  fournir  une  longue  carrière  et  aller  chercher  au 
c  loin  des  marchandises  précieuses,  et  ne  les  attaque  qu'au  retour,  et  pres- 
c  que  sur  la  fin  de  leur  course,  parce  qu'il  les  trouve  alors  chargés  de  richesses 
c  qu'il  s'efforce  de  leur  ravir.  » 

*  Qui  n'admirerait,  par  exemple,  cette  belle  comparaison,  dans  son  sermon  sur 
la  parole  de  Dieu,  versus  finem  :  «  On  peut  appliquer  à  la  plupart  de  nos  audi- 
a  leurs  ce  que  Joseph  disait  par  feinte  à  ses  frères  :  Ce  n'est  pas  pour  chercher 
<  le  froment  et  la  nourriiure  que  vous  êtes  venus  ici;  c'est  comme  des  espions 
a  qui  venez  remarquer  les  endroits  faibles  de  la  contrée.  Exploratores  estis  : 
«  ut  videalis  infinuiora  lerrx  venistis;  ce  n'est  pas  pour  vous  nourrir  du  pain 
c  de  la  parole  que  vous  venez  nous  écouter,  c'est  pour  trouver  où  placer  quel- 
a  ques  vaincs  censures.  » 

Et  plus  bas,  quelle  comparaison  non  moins  ingénieuse  entre  le  prédicateur 
elles  Israélites  aiguisant  leurs  instruments  de  labour  chez  les  Pliiàslins!  Qui 
n'admirerait  encore  cette  belle  comparaison  du  faux  dévot,  dans  son  sermon  sur 
le  véritable  culte,  II"  partie  :  .  -' 

«  Vous  ressemblez  à  cet  autel  des  tabernacles  dont  il  est  parlé  dans  l'Ecriture; 
c  il  était  revêtu  d'or  pur,  les  dehors  en  étaient  brillants,  mais  le  dedans  était 
a  vide,  et  il  n'était  pas  solide,  dit  l'Esprit  de  Dieu  :  Non  eral  solidum,  scd  in- 
«  tm  vacuum.  En  vain  vous  immuiez  dessus  des  victimes  étrangères  dont  le 
a  Seigneur  n'a  pas  besoin,  vos  passions  n'y  paraissent  jamais  immolées  devant 


2C4  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

lites  traversant  le  désert  pour  aller  à  la  terre  promise  l'image 
du  chrétien  allant  au  ciel  sa  patrie';  tantôt  il  compnre  la  vie  à  un 
chemin  qui  aboutit  à  l'éternité^;  d'autres  fois  il  lire  pour  l'âme 
chrétienne  de  sublimes  leçons  de  l'exemple  même  d'un  coursier  in- 
dompté^. 

Non  moins  utiles  que  les  comparaisons,  les  exemples  sont  dans  un 
jcrmon  ce  qu'on  écoute  plus  volontiers,  ce  qu'on  remarque  et  ce 
qu'on  retient  le  mieux,  et  la  manière  de  persuader  la  plus  efficace. 
Voyez  comment  Massillon  en  déduit  l'obligation  du  jeûne  pour  les 
grands  comme  pour  les  petits*. 

Dieu  ne  mesure  pas  vos  infirmités  sur  vos  titres,  mais  sur  sa  loi.  David 
était  un  prince  que  les  délices  de  la  royauté  auraient  dû  sans  doute  amol- 
lir :  lisez,  dans  ses  di\ins  Cantiques,  l'histoire  de  ses  austérités.  Et  si  vous 
croyez  que  le  sexe  vous  donne  quelque  privilège,  Esther,  au  milieu  des 
plaisirs  d'une  cour  superbe,  savait  affliger  son  âme  par  le  jeûne  ;  Judith,  si 
distinguée  dans  Israël,  pleura  la  mort  de  son  époux  dans  le  jeûne  et  dans 
fe  cilice  ;  les  Paule,  les  Marcelle,  ces  illustres  femmes  romaines,  descendues 
des  maîtres  de  l'univers,  quels  exemples  d'austérité  n'ont-elles  pas  laissés 
aux  siècles  suivants  ! 

Voyez  encore  comment  par  l'exemple  Massillon  démontre  l'em- 
pire de  la  vertu  ^  : 

Un  Jean-Baptiste,  accompagné  de  sa  seule  vertu,  devient  le  censeur  d'une 
cour  voluptueuse,  et  Ilérode  ne  peut  s'empêcher  de  craindre  sa  censure  ; 

«  la  sainteté  de  Diou;  il  n'y  voit  que  de  vaines  apparences,  et  le  dedans  est  tou- 
«  Jours  vide  de  foi  et  de  piété  :  lutlis  vacuian.  « 

Et  un  peu  plus  loin  : 

«  Vous  êtes  semblables  à  ces  soldats  dont  il  est  parlé  dans  l'histoire  des  Ma- 
«  chabées,  lesquels,  sous  les  enseignes  de  Juda,  combattaient,  ce  semble,  pour 
«  la  cause  du  Seigneur;  mais  ayant  été  défaits  et  mis  à  mort,  on  trouva  ca- 
«  chées  sous  leurs  tuniques  des  marques  d'idolâtrie  ;  et  on  découvrit  que,  sous 
«  une  fidélité  exlérieui'e  à  la  religion,  ils  avaient  porté  les  abominations  des  in- 
«  fiilèks.  » 

Voyez  encore,  dans  le  sermon  sur  le  respect  humain,  cette  magnifique  com- 
paraison du  juste  avec  le  feu  sacré  cache'  en  terre  et  comme  dans  la  boue,  jusqu'à 
ce  que  le  soleil,  vainqueur  des  nuages,  eût  lancé  dessus  quelques  traits  de  sa 
chaleur  et  de  sa  lumière  :  ainsi,  quand  Jésus-Christ,  soleil  de  l'éternité,  lais- 
sira  tomber  sur  ce  juste,  qu'on  regarde  comme  une  boue  propre  à  être  foulée 
aux  pieds,  les  traits  de  sa  lumière  et  de  sa  majesté,  il  brillera  d'un  éclat  im- 
mortel. 

»  Exorde  du  sermon  sur  l'unité  de  l'Église.  —  Élévation,  9«  semaine.  —  *  Der- 
nier sermon  pour  i'àques.  —  '  Méditations,  4«  jour  de  la  11"=  partie.  —  *  Sermon 
sur  le  jeûne.  Mercredi  des  Gendres.  —  ^  Sermon  sur  le  mélange  de?  bons  et  des 
méchants,  1"  partie,  II'  volume  du  Grand  Carême 


PRÉPARATION  PROCHAINE.  265 

un  Michée  s'oppose  seul  aux  vains  projets  de  deux  rois  et  de  deux  armées, 
et  tout  est  ébranlé  à  la  seule  voix  de  Thomme  de  Dieu.  Un  prophète  in- 
connu vient,  de  la  part  de  Dieu,  reprocher  au  peuple  d'Israël,  rassemblé  à 
Bélhel.  l'impiété  de  ses  sacrifices,  et  les  mystères  profanes  sont  suspendus. 
Élie  tout  seul  vient  au  milieu  de  Samarie  menacer  Achab  de  la  vengeance 
divine,  et  le  prince,  tremblant,  s'humilie.  Un  Samuel,  armé  de  la  seule 
dignité  de  son  âge  et  de  son  ministère,  vient  reprocher  à  Saiil,  vainqueur 
d'Amalec,  encore  environné  de  ses  troupes  victorieuses,  son  ingratitude  et 
sa  désobéissance  ;  et  ce  prince,  si  intrépide  devant  ses  ennemis,  sent  sa 
fierté  tomber  devant  le  prophète,  et  met  tout  en  usage  pour  l'apaiser. 
0  sainte  autorité  de  la  vertu  !  qu'elle  porte  avec  éclat  les  caractères  augustes 
de  sa  céleste  origine  ! 


La  parabole,  qui  est  une  histoire  qu'on  imagine  pour  éclaircir  le 
discours,  produit  le  même  effet  que  l'exemple.  Elle  soutient,  ra- 
nime Tattenlion  de  l'auditoire,  et  lui  fait  sentir  plus  vivement  la 
vérité  ;  elle  est  à  la  portée  des  enfants  et  du  peuple,  plaît  aux  grands 
et  aux  cages,  et  donne  à  tous  des  leçons  importantes  sous  une  enve- 
loppe qui  en  ôte  Tamertume.  Le  P.  lîridaine  s'en  servait  souvent  et 
on  fera  très-bien  de  l'imiter.  Ces  fictions  ne  sont  pas  des  mensonges 
parce  qu'elles  disent  moins  ce  qu'elles  semblent  dire  que  ce  qu'elles 
laissent  à  deviner.  Et  d'ailleurs,  elles  sont  autorisées  par  l'exemple 
de  l'Évangile,  qui  en  est  plein. 

La  troisième  source  de  développements,  ce  sont,  toutes  les  fois 
que  le  sujet  le  comporte,  les  détails  de  mœurs  qui  placent  sous  les 
yeux  des  fidèles  les  obligations  relatives  à  la  matière  qu'on  traite  les 
fautes  par  lesquelles  ils  les  violent  ;  les  moyens  de  se  corriger  et 
enfin  les  diverses  conséquences  pratiques  qui  découlent  de  l'instruc- 
tion. Nous  avons  expliqué  ailleurs  (1'''^  part.,  c.  4,  art.  2,  §  2)  l'im- 
portance et  la  manière  de  donner  ces  détails. 

Telles  sont  les  sources  où  le  prédicateur  doit  puiser  ses  dévelop- 
pements :  mais  cette  connaissance  lui  servirait  peu,  s'il  ne  connais- 
sait, en  même  temps,  les  règles  à  suivre  pour  bien  développer; 
c'est  ce  qui  nous  reste  à  exposer.  La  première  règle  est  de  ne  dé- 
velopper qu'autant  qu'il  le  faut  pour  rendre  le  discours  ou  plus 
clair,  ou  plus  solide,  ou  plus  touchant.  Si  la  pensée  est  développée 
au  delà  de  ses  justes  bornes,  les  bonnes  choses  se  trouvent  étouffées 
sous  le  nombre  des  superflues,  et  l'abondance  fait  naître  l'obscurité. 
De  là  vient  qu'une  grande  facilité  se  convertit  souvent  en  un  grand 
défaut;  elle  est  négligente  et  délaye  tout  ce  qu'elle  dit.  Pour 
prévenir  col  inconvénient,   il  faut  Irier  ses  idées  et  éliminer  tout 


266  TRAITE  DE  LA  PREDICATION. 

ce  qui  est  diffus  ou  sans  utilité,  conformément  au  précepte  de 
Boileau  : 

Fuyez l'abondance  stérile, 

Et  ne  vous  chargez  pas  d'un  détail  inutile. 
Tout  ce  qu'on  dit  de  trop  est  fade  et  rebutant; 
L'esprit  rassasié  le  rejette  à  l'instant. 
Qui  ne  sut  se  borner  ne  sut  jamais  écrire. 

—  La  deuxième  règle  est  d'amplifier,  non  en  accumulant  des  mots 
et  des  phrases,  mais  en  multipliant  le  sens  avec  le  moins  de  mots 
possible,  et  ajoutant  toujours  de  nouvelles  choses  à  ce  qu'on  a  dit. 
Loin  de  la  chaire  ces  amplifications  verbeuses  qui  ne  font  que  ré- 
péter les  mêmes  idées  en  termes  différents  !  —  La  troisième  règle 
est  de  disposer  les  développements  de  telle  sorte  que  le  discours 
aille  toujours  croissant,  c'est-à-dire  qu'à  mesure  qu'il  avance,  il 
soit  plus  clair,  plus  animé,  plus  fort  et  plus  énergique.  —  La  qua- 
trième régie  est  de  se  représenter,, à  l'exemple  de  Massillon,  qu'on 
a  son  adversaire  en  présence,  et  de  diriger  ses  développements  de 
manière  à  le  poursuivre  avec  toute  la  force  du  raisonnement  et  la 
véhémence  du  zèle,  jusqu'à  ce  qu'on  croie  l'avoir  gagné  à  la  vertu. 
Pour  mettre  à  profit  tout  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  sera  utile 
de  hre  de  bons  modèles,  d'observer  les  moyens  de  développements 
qu'ils  ont  employés,  celles  des  sources  que  nous  venons  d'indiquer 
où  ils  ont  puisé,  et  par  cette  étude  on  se  formera  à  développer  ses 
pensées  comme  eux.  On  trouvera,  par  exemple  ,  dans  l'oraison 
funèbre  du  prince  de  Condé  par  Bossuet,  les  plus  magnifiques  déve- 
loppements par  comparaisons  et  descriptions  ;  dans  le  sermon  de 
Massillon  sur  les  vices  et  les  vertus  des  grands,  des  développements 
par  les  effets  et  les  circonstances  ;  enfin  dans  l'oraison  funèbre  de 
Henriette  d'Angleterre,  presque  toutes  les  sources  de  développe- 
ments employées  à  l'amplification  de  cette  simple  pensée:  Tout  est 
vanité  ici-bas. 

§  4. 

De  la  rédaction  du  discours. 

Après  qu'on  a  arrêté  son  plan  et  étudié  tous  les  développements 
à  lui  donner,  il  ne  reste  plus  qu'à  prendre  la  plume  et  à  bien  rendre 
tout  ce  qu'on  a  pensé  et  senti  ;  travail  souverainement  important  et 
décisif  pour  le  succès  :  car  presque  toutes  les  choses  qu'on  dit 
frappent  moins  que  la  manière  dont  on  les  dit.  C'est  là  que  l'orateur 


PREPARATION  PROCHAINE.  267 

donne  à  son  discours  le  nombre  et  l'harmonie,  la  grâce  et  la  force, 
la  dignité  et  l'onction;  c'est  là  qu'il  peint  la  nature,  et  donne  à  ses 
tableaux  ce  coloris  qui  les  anime  ;  c'est  là  enfin  que,  par  les  charmes 
du  style,  il  forme  cette  parole  belle  et  pure  qui  instruit,  qui  plaît, 
qui  s'insinue  dans  les  cœurs  et  les  gagne  à  la  vertu.  Si,  au  con- 
traire, la  rédaction  est  vicieuse,  il  ne  pourra  ni  instruire,  ni  plaire, 
ni  toucher  ;  souvent  même  on  se  défiera  de  sa  doctrine  ;  ce  qui  est 
mal  dit  passe  aisément  pour  mal  pensé.  Voici  les  règles  à  suivre  pour 
réussir  dans  cet  important  travail  : 

1'^  BègJe.  —  11  ne  faut  écrire  que  quand  on  est  touché.  Vouloir 
composer  dans  certains  moments  où  l'esprit,  le  cœur  et  l'imagina- 
tion se  taisent,  où  l'on  se  sent  froid,  stérile  et  sans  aptitude  pour  ce 
genre  de  travail,  serait  se  fatiguer  en  pure  perte;  ce  qu'on  ferait 
alors  serait  mauvais  ou  sentirait  l'effort.  Impossible  de  réussir  si  ron 
n'écrit  de  verve,  fervente  calamo,  c'est-à-dire  sous  l'impulsion  d'un 
cœur  tellement  plein  de  son  sujet,  qu'on  éprouve  comme  un  besoin 
d'épancher  au  dehors  la  vérité  qui  en  veut  sortir.  Alors,  et  seu- 
lement alors,  on  pourra  bien  faire.  Les  mots  viendront  se  pré- 
senter d'eux-mêmes,  et  la  richesse  des  couleurs  affluera  sous  le 
pinceau. 

S""  Règle.  —  C'est  dans  la  prière  et  la  méditation  que  le  prédica- 
teur doit  chercher  à  se  pénétrer  de  son. sujet.  L'imagination  n'in- 
spire qu'une  chaleur  factice  et  profane  :  l'oraison  seule  embrase  le 
cœur  d'une  chaleur  véritable  et  puisée  en  Dieu  même,  comme  nous 
l'avons  dit  dans  la  première  partie,  chap.  V,  art.  5. 

5*=  Règle.  —  Si  l'oraison  nous  laisse  dans  la  sécheresse  et  l'insen- 
sibilité, il  faut  remettre  la  composition  à  un  autre  temps  sans  se 
décourager;  ce  qui  ne  vient  pas  dans  un  moment  sort  quelquefois 
dans  un  autre  avec  impétuosité  et  abondance.  Mais  si  l'on  reconnaît 
que  cette  stérilité  de  l'esprit  ne  provient  que  de  lu  paresse  qui  en- 
gendre un  certain  engourdissement  des  facultés,  il  faut  se  garder  de 
céder  au  dégoût  qui  porte  à  jeter  la  plume  ;  ce  serait  lâcheté  ;  on 
doit  alors  faire  effort  sur  soi,  et  essayer  divers  moyens  d'écrire.  Le 
premier  est  de  se  demander  ce  qu'on  veut  dire  ;  souvent  en  forçant 
l'esprit  à  préciser  ses  idées,  on  trouve  ce  qu'on  cherche  :  si  l'on  avait 
toujours  des  notions  claires  de  son  sujet,  on  serait  rarement  stérile 
et  embarrassé;  l'expression  se  présenterait  d'elle-même,  selon  ces 
vers  si  connus  : 

Ce  que  l'on  conçoit  bien  s'énonce  claircintiif, 
Et  les  mots  pour  le  dire  arrivent  aisément. 


268  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

Le  second  moyen  serait  de  se  supposer  placé  dans  la  chaire,  et  obligé 
d'improviser  sur  le  sujet;  souvent  en  s'essayant  à  parler,  on  réussit 
à  dire  ce  qu'il  faut.  Enfin,  un  troisième  moyen  serait  de  s'entretenir 
avec  un  homme  de  mérite,  ou,  à  son  défaut,  avec  un  autre  quel- 
conque, sur  la  matière  qu'on  veut  traiter.  Celte  conversation  éveille 
l'esprit,  fait  naître  des  idées  ;  on  s'échauffe,  on  s'anime,  la  veine 
s'ouvre  et  la  fécondité  revient. 

4^  Règle.  — Conformément  aux  principes  établis  jusqu'ici,  la  ré- 
daction d'un  discours  sacré  doit  se  distinguer  par  trois  caractères 
principaux,  la  clarté,  la  pureté,  la  variété.  Une  rédaction  claire  est 
celle  qui  est  parfaitement  lucide  dans  la  pensée  et  l'expression,  dans 
le  raisonnement  et  toute  la  marche  du  discours,  de  sorte  qu'elle 
offre  à  l'esprit,  même  le  plus  vulgaire,  une  lumière  nette,  sans  au- 
cune ombre,  sans  obscurité  et  sans  nuages  :  une  rédaction  pure  est 
celle  qui  est  conforme  à  toutes  les  règles  et  toutes  les  délicatesses 
du  langage  ;  enfin  une  rédaction  variée  est  celle  qui  modifie  son  ton 
et  son  style  selon  la  nature  des  choses  que  l'on  dit  et  selon  les  di- 
verses parties  du  discours.  Cette  variété  coule  de  source  tant  qu'on 
écrit  d'inspiration,  parce  qu'elle  est  dans  la  nature  ;  dès  qu'on  ne  la 
retrouve  plus  et  que  le  style  devient  monotone,  il  faut  quitter  la 
plume,  revenir  à  la  méditation;  et  bientôt  chaque  pensée  reprendra 
son  mouvemet,  son  caractère  et  sa  couleur. 

5«  Règle.  —  Il  faut,  pendant  la  rédaction,  prendre  garde  de  se 
dessécher  le  cœur  et  l'imagination,  en  se  préoccupant  trop  des  rè- 
gles de  l'éloquence,  de  la  politesse  du  style,  de  la  recherche  des 
mots;  il  faut,  au  contraire,  s'abandonner  au  feu  de  l'inspiration,  et 
tendre  à  l'accroître  toujours  davantage,  en  nourrissant  au  fond  de 
son  âme  un  désir  ardent  de  procurer  par  sa  composition  la  gloire  de 
Dieu  et  le  salut  des  peuples  :  quand  ce  désir  pénètre  l'orateur,  il 
l'enflamme,  il  l'anime  et  lui  suggère  tantôt  de  beaux  mouvements, 
tantôt  d'utiles  réflexions,  mais  presque  toujours  la  manière  de  se 
faire  comprendre  et  de  toucher.  On  corrige  ensuite  les  défauts  de  ré- 
daction qui  ont  échappé  à  l'impétuosité  de  la  composition. 


De  la  révision  et  de  la  correction  sévère  de  ses  compositions*. 

Lorsqu'on  a  rédigé  son  discours  d'après  les  principes  établis,  i] 
est  nécessaire  de  le  revoir  avec  soin  et  de  le  soumettre  à  une  correc- 

*  Voyez  Quintilien,  liv.  X,  ch.  iv  en  entier. 


PRÉPARATION  PI'.OCHATNE.  269 

tion  sévère.  Le  premier  travail,  quoique  heureux  quelquefois,  est 
toujours  rempli  d'imperfections;  quand  on  se  pardonne  ces  défauts, 
ils  vont  toujours  croissant,  et  le  mal  devient  incurable.  Il  faut  donc 
revenir  sur  ce  qu'on  a  fait,  corriger  les  constructions  et  les  liaisons, 
les  tours  et  les  figures,  les  expressions  même  qui  présenteraient 
quelque  chose  d'impropre,  d'incorrect  ou  d'irrêgulier  ;  ajouter  les 
images,  les  mouvements  ou  tournures  capables  de  faire  impression  ;^ 
retrancher  ce  qui  est  de  trop,  suppléer  à  ce  qui  manque,  transporter 
ce  quine  serait  pas  à  sa  place,  modifier  ce  qui  aurait  besoin  de  l'être. 
Le  discours  ainsi  retouché,  il  faut  le  retoucher  encore  quelques 
jours  après  ;  cette  revue  de  son  manuscrit  fait  découvrir  des  rap- 
ports jusqu'alors  inaperçus,  d'heureux  développements  et  de  nou- 
veaux tours  :  il  est  même  très-utile  d'en  tirer  plusieurs  copies  :  chaque 
fois  on  aperçoit  des  fautes,  on  corrige,  on  perfectionne,  tantôt  en 
ajoutant  ce  qui  manque  à  la  phrase,  tantôt  en  retranchant  ce  qui  s'y 
trouve  de  trop  *.  Ce  n'est  pas  tout  :  il  faut  le  retoucher  en  l'appre- 
nant; cet  exercice  éveille  l'attention  sur  bien  des  fautes;  et  le  re- 
toucher encore  après  l'avoir  prêché  :  c'est  en  le  prononçant  qu'on 
remarque  le  mieux  ce  qu'il  y  a  de  défectueux  et  ce  qui  pouvait  être 
pressé  davantage.  Enfin,  après  un  certain  nombre  d'années,  il  est  à 
propos  de  le  revoir  de  nouveau  ;  alors  la  réflexion  et  l'expérience 
ont  mûri  le  jugement  ;  une  certaine  tendresse  qui  aveugle  pour  ce 
qu'on  vient  de  produire  s'est  refroidie,  et  l'on  peut  mieux  voir  et 
réformer  les  traits  de  jeunesse.  C'est  à  ces  corrections  réitérées  que 
Quintilius  invitait  ceux  qui  le  consultaient,  au  rapport  d'Horace: 
«  Corrigez,  leur  disait-il,  corrigez  ceci,  croyez-moi,  et  encore  cela. 
«  —  Vous  avez  essayé,  vous  ne  pouvez  faire  mieux.  — Ne  vous 
«  découragez  pas,  essayez  encore  et  remettez  sur  l'enclume  ces 
«  endroits  défedueux*.  »  Ce  n'est  qu'à  celle  condition  qu'on  peut 
réussir  ;  et  tout  écrit  qui  n'a  pas  été  longtemps  soumis  à  des  correc- 
tions sévères  et  souvent  répétées  offre  large  prise  à  la  critique  : 

Carmen  reprehenditc,  quoil  non 

Mulla  (lies  et  milita  littira  cocrcuit,  alqiie 
Piscsectum  decies  non  castigiwit  ad  iinguem. 

•  Quel  est,  demandait  M,  de  Ronald  à  un  liltératour  habilo,  colni  de  mes  ou- 
vrages ijuc  vous  csliinoz  le  meilleur?  —  ('.'tst,  réi)oud  celui-ci,  votre  réponse  à 
madame  de  Staël.  —  Je  le  conçois,  reprit  M.  do  iîonald,  je  l'ai  copié  (piatorze  lois. 

•  Qnintilii  si  quid  reciluns,  corrii/e,  sndes, 
Hoc,  aiehat,  et  hoc  :  wcliiis  le  pu  se  nef/ares, 
Ilis  terqiie  expcrtinn  frustra  ;  delere  jiiOel'at 

t7  iiiulè  tornatos  inciidi  rcddere  versus.  (Ars  poet.) 


270  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

Ce  que  Boileau  a  traduit  par  ces  vers  si  connus  : 

Vingt  fois  sur  le  métier  remettez  votre  ouvrage  : 
Polissez-le  sans  cesse  et  le  repolissez, 
Ajoutez  quelquefois  et  souvent  effacez. 

Encore  n'est-ce  pas  assez  de  se  corriger  soi-même  :  il  faut  se  faire 
corriger  par  un  maître  habile,  par  un  ami  charitable  et  intelligent  et 
se  rendre  docile  à  sa  censure^  :  «  Il  condamnera,  dit  Horace,  les 
«  endroits  lâches  ou  durs  de  vos  compositions,  barrera  d'un  revers 
«  de  plume  ceux  qui  seront  négligés,  retranchera  les  ornements 
(1  affectés,  vous  fera  éclaircir  ce  qui  est  obscur,  fixer  ce  qui  estéqui- 
«  voque,  et  marquera  tout  ce  qui  doit  être  changé.  Ce  sera  Aris- 
«  tarque,  et  il  ne  dira  point  :  Pourquoi  faire  de  la  peine  à  ce  jeune 
«  homme  pour  des  bagatelles  ?  Ces  bagatelles  auront  des  suites  dans 
«  un  âge  plus  mûr  ;  ce  qu'on  lui  pardonne  aujourd  hui  le  rendrait 
«  plus  tard  un  objet  de  mépris  et  de  risée  *.  »  Enfin,  après  toutes  ces 
corrections,  on  transcrit  au  net  son  travail,  et  en  le  transcrivant  on 
lui  donne  le  dernier  poli. 

Nous  convenons  que  toutes  ces  corrections  sont  lentes,  pénibles 
et  laborieuses  ;  mais  c'est  précisément  cette  lenteur  qui  garantit  le 
succès  ;  ce  sont  ces  difficultés  vaincues  qui  donnent,  après  un  certain 
temps,  la  facilité  et  la  vitesse  en  faisant  contracter  l'habitude  de 
bien  écrire.  «  Je  prescris  à  ceux  qui  commencent,  dit  Quintilien,  la 
«  lenteur  est  une  sorte  de  sollicitude  en  composant  :  l'essentiel  est 
tt  de  commencer  par  écrire  aussi  bien  qu'il  est  possible  :  la  vitesse 
(c  naîtra  de  l'habitude.  En  écrivant  vite,  on  n'apprend  jamais  à  bien 
«  écrire;  mais,  en  écrivant  bien,  on  apprend  enfin  à  écrire  vite  : 
«  cita  scribendo  non  fit  ut  henè  scribatur;  benè  scribendo  fit  ut  citô^.  » 
Tous  les  grands  écrivains  ne  se  sont  formés  que  de  la  sorte;  les  plus 
illustres  docteurs  de  l'Église  ne  sont  parvenus  qu'après  beaucoup  de 
peines  et  de  travaux  à  annoncer  dignement  la  divine  parole.  Massillon 
a  constamment  retouché  ses  écrits  jusqu'à  sa  mort  ;  et  comment 

*  Voyez  le  Guide  de  ceux  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu,  p.  248,  202. 
-  Vir  bonus  et  prudens  versus  reprehendet  inertes, 

Culpabit  duros.  incomptis  allinet  atriim 

Transverso  calamo  signum  :  ambitiosa  recidet 

Ornamenfa;  parian  Claris  lucein  dure  coget ; 

Arguet  ambiguë  die  tu  m;  mutanda  notablt  ; 

Fiet  Arislarchus,  nec  dicct  :  Cur  ego  amicum 

Offendam  in  nugis?  Use  nugx  séria  diicent 

In  mala  derisum  semel  exceplumque  siniilrê. 
»  X,  V. 


PRÉPARATION  PROCHAINE.  271 

après  cela  des  prédicateurs,  qui  sont  loin  d'avoir  les  mêmes  talents 
naturels  et  le  même  fonds  de  science,  croiraient-ils  pouvoir  négliger 
les  travaux  et  les  soins  dont  les  plus  habiles  maîtres  n'ont  pas  cru 
pouvoir  se  dispenser? 

ARTICLE  3. 

DE  LA  MANIÈRE  d' APPRENDRE  * 

Le  sermon  composé  et  corrigé,  il  ne  reste  plus  qu'une  dernière 
opération  avant  de  monter  en  chaire  :  c'est  de  bien  l'apprendre.  Un 
sermon  bien  appris,  ne  fût-il  que  médiocre,  paraît  bon  ;  et,  s'il  est 
bon,  il  paraît  excellent.  Mieux  on  le  possède,  plus  on  est  en  état 
de  l'animer  et  de  lui  donner  le  séduisant  de  l'improvisation  en  dis- 
simulant l'art,  en  le  débitant  avec  naturel  parce  qu'on  est  sans  préoc- 
cupation, avec  feu  parce  qu'on  est  sans  contrainte.  On  demandait  un 
jour  à  Massillon  quel  était  son  meilleur  sermon  :  «  C'est,  répondit- 
«  il,  celui  que  je  sais  le  mieux.  »  Parole  d'une  parfaite  justesse.  En 
effet,  plus  un  discours  ressemble  à  une  inspiration  soudaine  par  le 
naturel  du  débit,  plus  il  est  propre  à  produire  du  fruit  et  à  exciter 
l'enlhousiasme  :  or  cette  liberté  d'action,  ce  naturel  qui  imite  la 
production  improvisée  du  génie  et  fait  oublier  aux  auditeurs  le  double 
travail  de  la  rédaction  et  de  la  mémoire,  on  ne  peut  l'atteindre  qu'au- 
tant qu'on  sait  très-parfaitement  son  discours.  Si  l'on  ne  sait  qu'à 
moitié,  on  hésite,  on  se  répète,  on  recourt  à  son  manuscrit ,  et, 
toujours  inquiet  de  ce  qu'on  va  dire,  on  ne  pense  jamais  à  ce  qu'on 
dit.  Dès  lors,  on  est  froid  et  sans  intérêt  ;  la  préoccupation  éteint  le 
zèle,  gêne  l'action  et  ô(e  même  à  la  voix  l'inflexion  naturelle  ;  on 
n'apparaît  p'us  à  l'auditeur  que  comme  un  écolier  qui  a  mal  appris 
sa  leçon:  la  dignité  du  ministère  s'efface,  et  tout  le  mérite  intrin- 
sèque du  discours,  fût-il  excellent  en  soi,  est  oublié. 

D'un  autre  côté,  si,  pour  échapper  à  l'inconvénient  de  demeurer 
court,  on  se  réduit  à  lire  ses  sermons,  on  Jeurûte  l'iiilérèt  et  la  vie-: 
on  ennuie  les  auditeurs  et  on  se  déconsidère  soi-même  dans  l'estime 
des  peuples. 

Il  faut  donc,  avant  démonter  en  chaire,  savoir  imperlurbahlement 
ce  qu'on  y  doit  dire  :  il  est  môme  très-désirable  qu'on  soit  tellement 

»  Voyfz  le  P.  Albert,  111°  part.,  c.  xx. —  Devoirs  d'un  l'astcur,  c.  v,  n"  .S.  — 
Le  Guide  de  ceux  (lui  aniioiicent  la  parole  de  iJieu,  p.  195  et  Ï'M.  —  (Juiiililieii, 
liv.  XI,  cil.  Il  en  entier.  — -  Voyez  d'Ajiuesseau,  t.  I,  Discours  sur  les  causes  de 
la  décadence  de  réliKjuence, 


272  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

maître  de  sa  matière,  tellement  indépendant  et  sûr  de  sa  mémoire, 
qu'on  puisse  improviser  les  traits  heureux  que  le  moment  inspire,  et 
reprendre  ensuite  le  fil  de  son  discours. 

Le  plus  grand  auxiliaire  qu'on  puisse  donner  à  sa  mémoire,  après 
toutefois  l'habitude  d'apprendre  qui  l'accroît  autant  que  l'inaction 
la  diminue,  c'est  une  composition  méthodique  et  bien  ordonnée,  où 
rien  n'est  isolé,  où  les  idées  se  suivent  et  s'engendrent,  où  chaque 
chose  esta  sa  place  sans  aucune  divagation.  Ce  bel  ordre  fait  entrer 
sans  peine  dans  l'esprit  l'enchaînement  des  matières,  les  divisions  et 
les  subdivisions,  la  suite  des  idées  depuis  l'exorde  jusqu'à  la  péro- 
raison; et  rien  alors  n'est  plus  facile  à  apprendre,  surtout  si  l'on 
aide  encore  la  mémoire  par  des  titres  à  la  marge  de  son  cahier,  par 
des  numéros  qui  indiquent  les  subdivisions,  des  alinéas  qui,  ména- 
gés à  propos,  dirigent  dans  le  souvenir  du  classement  des  idées,  et 
qu'on  a  soin  de  ne  pas  commencer  par  les  mêmes  mots  de  peur  de 
se  méprendre.  Souvent  même  la  mémoire  trouveun  secoins  précieux 
dans  l'habitude  de  souligner  les  mots  notables  qui  iiwliquent  les 
idées  principales,  dans  la  diversité  deTécriture,  ou  des  traits  bizarres 
qui  aient  rapport  au  sens,  quelquefois  même  dans  les  ratures  et  les 
mots  et  interhgnes  auxquels  les  souvenirs  se  rattachent  souvent 
plus  qu'à  un  discours  mis  au  net*. 

En  étudiant  son  sermon,  il  faut  n'apprendre  qu'un  alinéa  à  la  fois, 
et  réunir  ensuite,  en  repassant,  deux  ou  trois  alinéas,  puis  tout  une 
subdivision,  et  enfin  tout  le  premier  point.  On  doit  s'abstenir  de 
déclamer  dans  cet  exercice,  et  se  borner  à  lire  des  yeux  ou  à  voix 
basse  :  l'intérêt  de  la  santé  exige  cette  précaution. 

Enfin,  il  est  très-utile  de  réciter  son  discours  en  son  particulier  le 
soir  avant  de  s'endormir.  L'expérience  démontre  qu'à  la  faveur  du 
silence  de  la  nuit  et  du  sommeil  les  impressions  se  gravent  mieux 
dans  la  mémoire.  Toutefois  il  faut  le  repasser  encore  le  matin  et 
surtout  deux  ou  trois  heures  avant  le  sermon,  sans  se  rassurer  sur  ce 
qu'on  l'a  débité  la  veille  en  son  particulier. 

Si,  malgré  toutes  ces  précautions,  la  mémoire  vient  à  manquer,  ou 
ce  sont  des  mots  qui  échappent,  et  alors  il  faut  y  suppléer  sans  se 
troubler  par  des  mots  à  peu  près  équivalents  ;  ou  c'est  un  texte,  une 
phrase  qu'on  ne  se  rappelle  pas,  et  alors  il  faut  passer  outre  et  conti- 
nuer sans  rien  laisser  apercevoir;  ou  enfin  c'est  toute  la  suite  du  dis- 
cours qui  semble  disparaître,  et  alors  il  faut  développer  la  dernière 

•  Cic,  ad  Ileren.,  m,  29  et  seq. 


F'RÉPAr.ÂTION  PROCHAINE  27  > 

pensée  à  l'aide  de  quelques  phrases  banales  ou  lieux  communs  : 
souvent  pendant  ce  temps  les  choses  oubliées  reviennent.  L'essentiel 
est  de  ne  pas  s'arrêter,  de  ne  point  se  reprendre,  et  de  dissimuler  son 
embarras.  Si  ces  moyens  ne  réussissent  pas,  il  vaut  mieux  recourir 
humblement  à  son  cahier  que  de  descendre  de  chaire  en  laissant  son 
discours  inachevé. 

On  sera  moins  exposé  à  cet  accident  lorsqu'on  pourra,  comme  nous 
l'avons  dit,  se  borner  à  apprendre  par  cœur  l'exorde,  les  textes  et 
citations,  les  transitions,  les  tableaux  et  mouvements,  certainesfigures 
ou  tournures  propres  à  produire  de  l'effet,  enfin  la  péroraison;  et 
pour  le  reste  s'abandonner  à  l'inspiration  du  moment,  après  toute- 
fois qu'on  a  classé  l'ordre  de  ses  idées  et  fixé  toute  la  marche  du 
discours. 


is 


TROISIÈME  PARTIE 


DE  La  MANIERE  DE  PRECHER  OU  DE  L'ACTION  ORATOIRES 

Jusqu'à  présent  nous  avons  considéré  le  prédicateur  se  préparant 
à  monter  en  chaire  :  il  est  prêt  maintenant  ;  le  voilà  qui  y  apparaît. 
Comment  doit-il  s'y  conduire-?  1°  Il  doit  se  mettre  à  genoux  du 
côté  de  l'autrl  et  prier  Dieu  avec  ferveur  de  bénir  les  paroles  qu'il 
va  dire  de  sa  part  aux  fidèles  assemblés.  2"  Après  sa  prière,  il  se  lève, 
demeure  quelques  instants  en  silence  et  profondément  recueilli;. et, 
quand  tout  est  calme  et  dans  l'attente,  il  jette  modestement  la  vue 
sur  toutes  les  parties  de  l'auditoire  pour  se  familiariser  avec  lui  et 
n'être  pas  distrait  ensuite  par  les  objets  qu'il  n'apercevrait  que  dans 
le  cours  du  discours.  Après  cela,  il  fait  le  signe  de  croix  posément 
et  avec  une  religion  profonde;  puis  il  commence.  Mais  comment 
doit-il  prononcer  son  discours,  ou  autrement  quelle  doit  èlre  son 
action?  Grave  et  importante  question  !  Pour  la  résoudre,  nous  trai- 
terons, dans  un  [)remier  chapitre,  de  l'action  en  général,  et  dans  un 
second,  des  dilférentes  parties  dont  l'action  se  compose. 

*  Voyez  Quinlilipii,  liv,  XI,  c.  m.  —  Le  V.  Albert,  III»  partie,  c.  x\ii,  xvm 
et  XIX.  — Pa.storal  de  Limopos,  t.  II,  l"  partie,  lit.  ix.  —  (iiniadc,  liv.  VI. — 
Éloquence  du  corps,  par  Hinouart.  —  L'Art  de  lire  à  haute  voix,  par  Diibroca. 
—  *  Voyez  Grenade,  liv.  VI,  cli.xiv 


27G  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 


CHAPITRE  PREMIER 

De  l'action  en  g^éncral. 

Ici  se  présentent  à  examiner  trois  questions  :  1°  Timporlance 
de  l'action;  2°  ses  qualités;  5°  les  obstacles  qui  la  gênent  ou  la 
vicient.  ^ 

*  ARTICLE  1". 

DE   l'iMPORTAKCE   DE    l'aCTIOI!. 

*  L'importance  de  l'action  est  une  vérité  tellement  fondée  dans  la 

*  nature,  que  tous  les  siècles  et  tous  les  peuples  se  sont  accordés  à 

*  la  proclamer.  Les  Grecs  et  les  Romains  en  étaient  si  convaincus, 

*  qu'ils  avaient  chaque  semaine  des  exercices  réglés  pour  y  former 

*  la  jeunesse  dès  le  plus  bas  âge  ;  et  on  n'était  point  admis  à  parler 

*  en  public  avant  de  les  avoir  suivis  assidûment  pendant  plusieurs 

*  années.  Tout  le  monde  snit  que  Démoslhènes,  interrogé  quelle 

*  était  la  partie  principale  dans  l'art  oratoire,  répondit  que  c'était 

*  l'action  ;  qu'interrogé  de  nouveau  quelle  était  la  seconde,  quelle 

*  était  la  troisième,  il  répondit  toujours  :  l'action;  signifiant  par  là 
qu'en  elle  seule  pour  ainsi  dire  était  tout  l'art  oratoire.  Tout  le 

*  monde  connaît  également  l'opinion  deCicéron  sur  ce  point:  «  L'ac- 

*  «  tion,  dit-il,  est  le  langage  et  l'éloquence  du  corps...  Elle  est  la 

*  «  reine  de  l'art  de  bien  dire;  sans  elle  le  plus  grand  orateur  est  nul, 

*  «  et  avec  elle  l'orateur  médiocre  s'élève  au-dessus  des  plus  ha- 

*  «  biles*.  »  La  manière  de  dire  les  choses,  observe-t-il  encore,  est 

*  plus  importante  que  les  choses  mêmes  :  Non  tàmrefert  qualia  sint 

*  qiisR  dicas,  quàm  quomodd  dicantur.  Quintilien,  comme  ces  deux 

*  grands  princes  de  l'éloquence,  enseigne  que  c'est  l'action  qui  donne 

*  la  vie  aux  paroles  ;  que,  si  elle  est  vicieuse,  le  plus  beau  discours 

*  fera  peu  ou  point  d'effet ,  et  que,  si  elle  est  ce  qu'elle  doit  être,  le 

*  Cic.  deOrat.,  m,  25.  —  Oralor.,  lv 


ACTION  ORATOIRE.  277 

*  discours  le  plus  médiocre  passera  pour  excellent  ;  que  toutes  les 

*  preuves  paraissent  faibles  si  elles  ne  sont  dites  d'une  certaine  ma- 

*  nière,  et  que  tous  les  sentiments  sont  fi  oids  si  tout  l'extérieur  de 

*  l'orateur,  sa  voix,  son  visage  ne  les  embrasent*.  Or  ce  qti'ont  pensé 

*  ces  grands  hommes  a  été  répété  par  tons  les  siècles  et  admis 

*  comme  des  axiomes.  Saint  François   de  Sales  écrivait  à  l'arclie- 

*  vêque  de  Bourges  :  «  Dites  merveille  et  ne  le  dites  pas  bien,  ce 

*  «  n'est  rien;  dites  peu  et  bien,  c'est  beaucoup.  »  Plein  de  la  même 

*  vérité,  le  P.  de  Grenade  plaçait  tellement  l'aclion  au-dessus  des 

*  autres  parties  de  l'art  oratoire,  qu'il  y  a  consacré  la  partie  la  plus 

*  notable  de  sa  Rhétorique  ecclésiastique. 

*  C'est  qu'en  effet  l'action  oratoire,  quand  elle  est  naturelle,  vive  et 

*  animée,  a  sur  les  âmes  un  empire  prodigieux.  Elle  en  dit  autant 

*  que  les  paroles  :  témoin  le  fameux  Roscius,  qui  défiait  Cicéron  de 

*  rendre  ses  pensées  avec  le  langage  ordinaire  mieux  et  plus  vile  que 

*  lui  avec  le  seul  secours  du  geste.  Et  d'oîi  vient  qu'Hortensius  a  pu 

*  être  le  rival  de  Cicéron,  quoique  ses  écrits  fussent  si  inférieurs  à 

*  ceux  de  l'orateur  romain?  C'est,  dit  Quintilien,  uniquement  par  la 

*  perfection  de  son  débit  et  les  charmes  de  sa  prononciation.  D'où 

*  vient  que  de  tant  de  discours  admirés  en  chaire  il  en  est  si  peu  qui 

*  supportent  l'impression?  La  raison  en  est  toujours  la  même  :  c'est 
*que  l'action  communique  à  tout  ce  qu'on  dit  un  mérite  qu'on  n'y 

*  sent  plus  quand  on  le  lit  ;  elle  est  l'âme  du  discours,  elle  vous  sé- 

*  duit,  vous  entraîne,  et  cache  même  les  défauts  de  la  composition 

*  jusqu'à  faire  trouver  admirable  un  discours  qui  ne  soutiendrait  pas 

*  l'examen  d'une  lecture  réfléchie.  D'où  vient  enfin  que  les  acteurs 

*  du  théâtre  intéressent  à  un  si  haut  point  et  font  passer  dans  l'âme 

*  des  spectateurs  les  sentiments  des  diverses  passions  qu'ils  expri- 

*  ment?  La  perfection  du  débit  en  est  la  cause  unique  :  or,  si  avec 

*  des  sujets  profanes  ou  purement  iniaginaires,  en  jouant  des  per- 

*  sonnagcs  feints  et  simulant  une  passion  qu'on  ne  partage  pas,  on 

*  peut  par  l'action  produire  de  tels  effets,  que  ne  pourrait  pas  l'action 

*  bien  dirigée  du  prédicateur,  qui  a,  dans  les  sujets  sublimes  qu'il 

*  traite,  dans  sa  qualité  d'und)assadeur  de  Dieu,  tant  de  puissants 

*  moyens  d'émouvoir,  d'exciter  la  tendresse  et  les  pleurs,  les  craintes, 

*  l'espérance  et  l'amour,  d'intéresser  tous  les  sentiments,  de  remuer 

*  toutes  les  fibres  du  cœur  ! 

*  Cette  puissance  de  l'acîtion  est,  du  reste,  un  fait  dont  la  raison 

«  l.il).   XI,  c.  VIII,  et  li'j.  il,  c.  m. 


278  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  est  facile  à  concevoir.  Les  sens  étant  la  voie  par  laquelle  la  vérité 

*  arrive  à  l'esprit  et  passe  de  là  au  cœur,  ou  plutôt  étant  comme  l'in- 

*  troducteur  qui  la  présente,  si  cet  introduclenr  plaît  et  charme,  il 

*  assure  bon  accueil  à  la  vérité  et  forme  seul  un  préjugé  favorable  ; 
■"  on  croit  facilement  un  homme  qui  a  l'air  et  les  manières  spiri- 

*  tuelles  :  mais,  si  cet  introducteur  déplaît,  sa  disgrâce  retombe  sur 

*  la  vérité  même  qu'il  présente  et  qui  déjà,  nar  sa  nature,  contrarie 

*  nos  inclinations.  Observation  d'autant  plus  vraie  que  le  commun 

*  des  auditeurs  ne  connaît  guère  le  fort  ou  le  faible  d'un  discours; 

*  mais  il  discerne  très-bien  si  le  prédicateur  parle  comme  un  homme 

*  persuadé,  si  son  action  est  naturelle,  énergique;  et  c'est  parla 

*  qu'on  le  juge  :  si  cela  manque,  tout  est  manqué.  En  vain  vous  aurez 

*  un  excellent  sermon,  si  vous  ne  savez  pas  y  accommoder  l'action: 

*  le  peuple,  qui  apprécie  les  choses  par  les  sens  plus  que  par  l'esprit, 

*  par  la  forme  plus  que  par  le  fond,  prononcera  qu'il  ne  vaut  rien  et 

*  n'en  profitera  pas.  Si,  au  contraire,  votre  action  va  au  cœur,  si 

*  vous  donnez  à  ce  que  vous  dites  l'air  et  le  ton  qui  conviennent, 

*  vous  êtes  sûr  de  toucher,  quand  même  on  ne  vous  enîendrait  pas  ; 

*  une  action  vraiment  oratoire  charme  l'oreille,  éblouit  les  yeux, 

*  porte  l'admiration  dans  l'esprit,  la  séduction  dans  le  cœur;  le  plai- 

*  sir  ouvre  l'âme,  et  la  persuasion  naît  :  Splendore  vocis  et  dignitate 

*  motûs  fit  speciosum  et  illustre  qiiod  dicitur,  dit  Cicéron  *. 

*  De  là  nous  pouvons  conclure  que  c'est  un  devoir  pour  le  prédi- 

*  cateur  de  bien  posséder  les  principes  de  l'art  oratoire  et  de  s'y 

*  exercer  jusqu'à  ce  qu'il  y  soit  parfaitement  formé.  La  conscience, 

*  en  effet,  lui  dit  qu'il  ne  peut  pas  négliger  une  chose  d'où  dépend 

*  le  succès  de  son  ministère,  et  que  si,  pour  perdre  les  âmes,  les 

*  acteurs  de  théâtre  s'efforcent  avec  tant  de  sollicitude  d'arriver  à  la 

*  perfection  de  l'action,  lui,  pour  les  sauver,  doit  travailler,  avec  un 

*  zèle  au  moins  égal,  à  se  rendre  habile  en  cette  partie  de  son  art. 

*  Quoi  !  les  ministres  de  Dieu  énerveraient  par  le  vice  de  leur  action 

*  la  force  de  tout  ce  qu'ils  disent,  tandis  que  les  ministres  de  Satan, 

*  par  la  perfection  de  cette  même  action,  relèvent  la  vanité  de  leurs 

*  discours  et  font  pénétrer  les  passions  dans  les  âmes  !  Ce  serait  une 

*  honte  au  clergé,  et  un  outrage  à  la  parole  de  Dieu. 

*  Si  l'on  objecte  que  l'art  est  ici  inutile,  que  la  nature  seule  ap- 

*  prend  tout,  nous  répondrons  avec  Quintilien  :  Nihil  licet  esse  per- 

*  fectum,  nisi  ubi  natura  cura  juvatur.  Tous  les  talents  sont  bruts 

»  In  Brulo,  '200 


ACTION  ORATOIRE.  279 

*  et  informes,  si  l'art  des  préceptes  ne  les  fait  éclore  et  ne  leur  donne 

*  ce  poli  qui  en  fait  le  prix.  Déniosthènes  avait  reçu  de  la  nature 

*  peu  de  dispositions  pour  parler  en  public  ;  l'exercice  et  l'applica- 

*  tien  lui  donnèrent  ce  que  la  nature  lui  avait  refusé. 

*  Si  l'on  objecte  encore  que  les  apôtres  n'ont  pas  appris  les  règles 

*  de  l'action,  nous  répondrons  qu'ils  avaient  reçu  le  don  des  mira- 

*  des,  bien  capable  de  suppléer  à  l'éloquence  humaine,  et  de  plus, 

*  les  dons  du  Saint-Esprit  qui  leur  enseignait  à  annoncer  dignement 

*  l'Évangile;  qu'inspirés  par  cet  Esprit  divin,  ils  savaient  être  élo- 

*  quents  en  action  comme  en  paroles,  et  que  saint  Paul,  au  milieu 

*  de  l'Aréopage,  n'eût  point  été  écouté,  si  par  une  action  extérieure 

*  jointe  au  sublime  du  langage,  il  n'eiât  su  captiver  l'attention  de  ce 

*  peuple  orateur. 

ARTICLE  2. 

DES   QCAL!TÉS  DE  l'aCTïON. 

L'action  doit  être  naturelle,  édifiante,  variée,  expressive,  appro- 
priée aux  sujets  et  aux  auditeurs. 

l"  Elle  doit  être  naturelle.  Rien  n'est  plus  beau  que  la  nature  ; 
elle  laisse  loin  derrière  elle  l'action  la  plus  étudiée  ;  elle  a  des  grâ- 
ces que  la  science  ne  peut  donner,  et  elle  seule  a  le  secret  de  ces 
beaux  moments,  de  ces  moments  sublimes  qui  vous  enlèvent.  Les 
gestes  qu'on  fait  par  art  ne  valent  jamais  ceux  que  commaade  une 
passion  qui  nous  émeut.  Un  homme  pénétré  de  douleur  ou  saisi  par 
la  surprise  fait  des  gestes  sans  y  penser  ;  ils  sont  parfaits;  c'est  la 
nature  qui  meut  ses  mains  et  sa  voix,  ses  yeux  et  tout  son  corps  ;  on 
ne  peut  mieux  faire.  La  nature  est  belle  jusque  dans  son  immobi- 
lité pleine  de  majesté  et  de  force  ;  c'est  le  repos  d'une  puissance  qui 
vous  maîtrise.  Bourdaloue  prêchait  les  yeux  fermés,  les  mains  join- 
tes collées  sur  la  chaire,  et  il  ravissait  ;  c'est  qu'il  était  natujel.  Au 
contraire,  tout  ce  qui  sort  de  la  nature  déplaît,  et  rien  n'a  plus  mau- 
vaise grâce  que  de  vouloir,  en  chaire,  cesser  d'être  soi-même,  re- 
noncer à  sa  voix  accoutumée  et  prendre  un  ton  décl.unatoire,  une 
manière  de  dire  artificielle  et  affectée.  Il  y  a  Ui  de  quoi  faire  perdre 
tout  le  fruit  du  meilleur  sermon.  A  ce  ton  précieux,  à  ce  genre  af- 
fecté si  peu  en  rapport  avec  la  majeslê  sévère  de  l'éloquence  sacrée, 
l'auditeur  reconnaît  un  homme  là  où  il  cherchait  l'envoyé  de  Dieu, 
et  ne  peut  se  persuader  que  des  passions  si  occupées  d'elles-mêmes 
soient  réelles.  Il  faut  donc  s'appliquer  à  être  naturel,  c'est-à-dire  à 


280  TRAITÉ  DE  1.A  PUÉDICATION 

ne  laisser  par;u(re  ni  gêne  ni  art,  et  à  imiter  ce  que  fait  la  nature 
quand  elle  est  parfaitement  libre,  de  sorte  que  toute  l'action  semble 
proiluifesponîanément  et  comme  inspirée  par  le  sentiment  dont  on 
est  plein;  il  faut  parler  à  son  auditoire,  et  non  pas  déclamer;  gar- 
der sa  voix  telle  que  Dieu  nous  l'a  donnée,  et  ne  pas  vouloir  la  faire 
paraître  on  plus  douce  et  plus  délicafe,  ou  plus  forte  et  plus  pleine 
qu'elle  ne  l'est  par  elle-même  ;  il  ne  faut  ni  grasseyer  à  dessein,  ni 
prendre  le  Ion  emphatique,  ni  affecter,  surtout  avec  une  voix  faible  et 
un  caractère  connu  de  douceur,  le  ton  fier,  menaçant  et  terrible  ;  mais 
se  borner,  en  demeurant  dans  la  nature,  à  corriger  ce  qu'elle  a  de 
défectueux,  et  à  perfectionner  ce  qu'elle  a  de  bon.  Ce  naturel  de 
l'action  était  un  des  principaux  caractères  de  Massillon  ;  et  l'acteur 
le  plus  parfait  qu'eut  le  théâtre  de  son  temps,  étant  venu  l'entendre, 
fut  si  frappé  du  vrai  qui  régnait  dans  toute  sa  manière,  qu'il  s'écria, 
en  s'adressant  à  un  acteur  qui  l'accompagnait  :  Mon  ami,  voilà  im 
orateur;  et  nous,  nous  ne  sommes  que  des  comédiens!  —  De  là  il  suit 
1°  qu'il  ne  faut  point  forcer  son  genre  pour  vouloir  imiter  un  au- 
tre prédicateur,  et  encore  moins  prendre  le  genre  affecté  et  exagéré 
du  théâtre.  Il  ne  s'agit  pas  là  d'arrêter  sur  soi  les  regards  de  l'aii- 
liteur,  mais  de  le  forcer  à  les  retourner  sur  lui-même;  et  pour  cela 
il  faut  régler  son  action  sur  ce  qu'on  sent,  se  contentant  de  donner 
tout  le  naturel  possible  à  son  air,  son  geste  et  sa  voix.  —  Il  suit, 
2"  que  c'est  du  cœur  que  doit  partir  l'action  :  sentir  ce  que  l'on  dit, 
voilà  le  vrai  principe  comme  tout  le  secret  d'une  déclamation  par- 
faite; voilà  ce  qui,  sans  môme  qu'on  y  pense,  donne  à  la  voix  le  ton 
qu'il  faut,  au  corps  le  maintien,  aux  mains  le  geste,  aux  yeux  le  mou- 
vement, au  visage  l'expression,  à  la  tête  la  position  qui  convient,  et 
ici,  comme  dans  l'art  d'écrire,  il  est  vrai  de  dire  :  Pectus  est  quod 
disertosfacit.  Un  geste,  un  regard,  une  inflexion  juste,  inspirés  parle 
sentiment,  saisissent  l'auditeur  et  le  persuadent.  Toutefois  nous  ne 
prétendons  pas  exclure  l'art  :  un  de  nos  poètes  a  dit  : 

Quiconque  plaît  sans  lui  ne  plaît  que  par  hasard. 

L'art  règle  la  nature  dans  ceux  chez  qui  le  sentiment  n'est  pas 
assez  développé,  assez  vif  ou  assez  éclairé  :  il  forme  et  perfectionne 
le  goût,  rappelle  au  naturel  l'orateur  qui  s'en  écarte.  Étudier  la 
nature  et  la  suivre,  voilà  toute  son  industrie,  et  il  ne  s'estime  par- 
fait que  lorsqu'il  s'est  si  pleinement  dissimulé,  qu'elle  seule  se 
montre. 


ACTION  ORATOIRE.  281 

2°  L'aciion  doit  être  édifiante,  c'est-à-dire  que  le  prédicateur  doit 
avoir  un  extérieur  grave,  modeste,  pénétré  de  la  sainteté  de  son 
ministère  et  de  la  vérité  de  ce  qu'il  prêche.  Cet  air  évangélique,  cet 
extérieur  de  prophète,  cette  sorte  d'onction  chrétienne  qui  sanctifie 
toutes  ses  manières  et  se  répand  sur  tout  son  extérieur,  frappe  et  sai- 
sit, édifie  et  parle  au  cœur,  dispose  aux  impressions  de  la  grâce.  Saint 
Charles,  par  cet  innocent  secret,  convertissait  les  peuples,  quoique 
avec  une  voix  faihle,  désagréahle  même,  et  une  éloquence  commune. 
Saint  François  de  Sales  n'était  pas  moins  remarquable  en  ceci  :  «  Il 
«  suffit  de  vous  voir  en  chaire,  lui  disait  M.  de  Belley  :  vous  n'avez 
«  encore  rien  dit  que  déjà  vous  avez  tout  dit  par  votre  seul  extérieur, 
«  et  les  cœurs  sont  gagnés,  »  Enfin,  on  lit  deMassillon'que,  dés  qu'il 
paraissait  à  la  tribune  sacrée,  son  air  recueilU  et  pénétré  annonçait 
d'avance  la  grandeur  et  l'importance  des  vérités  qu'il  allait  annon- 
cer; il  n'av;iit  pas  encore  ouvert  la  bouche,  et  l'auditeur  était  saisi. 
Il  commençait  enfin...  semblant  ne  pouvoir  contenir  au  dedans  de 
lui  les  vérités  dont  il  était  plein.  On  eût  dit  qu'un  feu  intérieur  le 
dévorait,  que  c'était  un  besoin  pour  son  âme  de  !e  laisser  éclater  au 
dehors.  Alors  tout  parlait  en  lui,  tout  persuadait,  tout  portait  dans 
l'auditoire  la  conviction  et  le  sentiment  :  il  disait  les  choses  avec  force 
et  vivacité,  parce  qu'il  les  sentait  de  même,  faisant  consister  tout 
le  mérite  de  l'action  à  paraître  bien  pénétré  des  vérités  dont  il  vou- 
lait pénétrer  les  autres.  —  De  là  il  suit,  1°  qu'il  faut  éviter  les  gestes 
désordonnés  de  certains  prédicateurs  qui  crient,  s'échauffent,  se 
tourmentent,  ont  toujours  l'air  de  l'imiignation.  L'esprit  de  Dieu  est 
plus  calme;  on  le  reconnait  à  la  douceur  du  débit  accompagnée 
d'une  noble  simplicité,  et  cette  douceur  édifie  autant  qu'elle  plaît; 
elle  va  au  fond  des  cœurs  et  y  triomphe  des  obstacles  qu'elle  ren- 
contre, tandis  que  l'action  immodérée  nuit  à  l'effet  en  proportion  de 
son  excès,  et  rompt  ce  calme  majestueux  qui  sied  si  bien  devant  les 
autels  et  dans  l'onction  sacrée.  —  De  là  il  suit,  2"  que  le  prédicateur 
doit  éviter  tout  air  maniéré,  comme  d'ajuster  avec  trop  de  soin  son 
surplis,  de  poser  et  prendre  son  mouchoir  d'un  air  élégant  et  étudié, 
d'affecter  une  toux  de  commande  :  encore  plus  il  doit  éviter  tout  air 
hautain,  comme  de  jeter  des  regards  hardis  et  fiers  sur  son  auditoire, 
de  prendre  un  ton  de  maître  et  di?s  manières  présomptueuses  ;  il  lui 
faut,  au  contraire,  exprimer  dans  tout  son  extérieur  la  simplicité  et 
la  modestie  d'un  homme  de  Dieu.  —  Il  suit,  Z"  qu'une  même  aclicri 

1  Prtfacc  du  l'olit  CiirLine,  jiar  le  I'.  Janiuirt,  de  l'Urytoire. 


282  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

no  convient  pns  à  tons  les  prédicati?urs  ;  que  les  jeunes  gens  doivent 
avoir  une  action  plus  liuiuble,  plus  modeste  que  les  anciens,  une 
action  presque  timide  ;  que  les  inférieurs  ne  doivent  imiter  ni  les 
prélats,  ni  les  vieillards  vénérables,  ni  les  prédicateurs  célèbres  aux- 
quels il  est  permis  de  répandre  sur  leur  extérieur  un  peu  de  cet  air 
d'autorité  qui  convient  à  leur  rang,  leur  âge,  leur  réputation.  On 
malédifierait  en  prenant  le  même  genre. 

5°  L'action  doit  être  variée,  c'est-à-dire  qu'elle  doit  croître  avec  le 
progrès  des  passions  qui  l'animent,  s'échauffer  selon  la  grandeur 
des  obstacles  qu'il  s'agit  de  renverser,  puis  se  calmer,  mais  toute- 
fois se  peindre  jusque  dans  son  repos,  et  reprendre  par  intervalles 
une  nouvelle  ardeur.  Dire  tout  sur  le  même  ton  et  avec  le  même 
geste,  ce  serait  être  semblable  à  un  écolier  qui  récite  plutôt  qu'à  un 
orateur  qui  pnrle,  et  attirer  sur  soi  le  ridicule  de  ce  mauvais  joueur 
de  harpe  qui  ne  toucherait  jamais  que  la  même  corde. 

Ut  citharxdus 

Ridetur,  cltordâ  qui  semper  oberrat  eâdem  *. 

Ce  serait  prouver  qu'on  ne  parle  pas  de  conviction,  et  souvent 
même  rendre  sa  phrase  inintelligible,  puisqu'un  même  mot  a  un 
sens  tout  différent  selon  le  ton  avec  lequel  on  le  prononce.  Ce  se- 
rait enfin  parler  contre  nature,  et  faire  un  contre-sens  continuel, 
puisque  la  voix,  étant  l'interprète  du  cœur,  doit  prendre  autant  de 
tons  qu'il  y  a  d'affections  dans  l'âme,  d'idées  ou  de  sentiments  dans 
le  discours^;  c'est  à-dire,  qu'elle  doit  varier  presque  continuelle- 
ment :  car  chaque  mot  présente  une  idée  nouvelle,  ou  modifie  Tidée 
déjà  présentée,  ou  la  lie  avec  une  autre.  Or,  rien  ne  déplaît  tant  aux 
auditeurs  que  le  désaccord  entre  la  parole  et  la  pensée  :  ce  défaut 
d'harmonie  détruit  l'intérêt  et  gâte  tout  le  mérite  du  discours.  Que 
le  débit,  au  contraire,  soit  accompagné  de  cette  variété  de  gestes  et 
de  tons  qui  forme  ce  qu'on  appelle  Y  accent  oratoire,  dès  lors,  tout  le 
discours  prend  vie  ;  il  a  une  marche  hbre,  franche  et  naturelle  ; 
l'auditeur  s'intéresse,  se  captive,  s'unit  à  celui  qui  parle,  entre  dans 
ses  pensées  et  ses  sentiments,  parce  qu'il  les  trouve  nettement  des- 
sinés, fortement  caractérisés  dans  les  mouvements,  le  visage,  les 
yeux,  les  mains,  la  voix  de  l'orateur,  qui  se  modifient  constamment 
selon  le  sens  et  l'arrangement  des  paroles,  selon  le  tour  des  pé- 

*  Horat.,  Arspoet.  —  -  Cic.  de  Orat.,  lib.  III,  216  et  seq.  —  224  et  seq.  Ora- 
tor.,  55  et  seq. 


ACTION  ORATOIRE.  283 

riodes  et  les  cadences  du  style,  tantôt  graves  et  lentes,  tantôt  légè- 
res et  rapides,  tantôt  douces  et  modérées.  11  en  est  ici  comme  de  la 
musique,  où  toute  la  beauté  consiste  dans  la  variété  des  Ions  accom- 
modés aux  choses  qu'ils  expriment.  Dans  les  endroits  où  l'on  ne  fait 
qu'instruire,  raconter  et  s'insinuer,  l'action  doit  être  simple  et  mo- 
deste ;  là  où  il  faut  appuyer,  elle  doit  avoir  quelque  chose  de  ferme 
!  et  de  prononcé,  et  là  où  le  discours  s'anime  et  s'échauffe,  elle  doit 
I  se  montrer  vive,  impétueuse  et  pathétique.  En  ménageant  ainsi  la 
véhémence,  on  rend  la  surprise  et  l'émotion  des  auditeurs  bien  plus 
saisissantes  lorsque  l'action  s'élève  à  un  enthousiasme  soudain;  au 
lieu  que,  lorsqu'on  ne  sait  pas  se  réserver,  souvent  on  s'épuise  sur 
des  choses  communes,  et  l'on  est  ensuite  réduit  à  dire  faiblement 
celles  qui  demanderaient  une  action  véhémente  ;  ce  qui  emporte  le 
double  ridicule  de  débiter  d'une  manière  animée  des  choses  peu  im- 
portantes ou  écrites  sans  chaleur,  et  de  réciter  d'une  manière  lan- 
guissante des  paroles  pleines  de  verve  et  de  sentiment. 

4"  L'action  doit  être  expressive,  c'est-à-dire,  qu'elle  doit  peindre 
les  pensées  et  les  sentiments,  toutes  les  passions  répandues  dans  le 
discours,  toutes  les  figures  dont  il  est  orné,  comme  les  interrogations 
et  les  réponses,  comme  les  exclamations  et  les  apostrophes;  et  elle 
doit  être  dans  ces  peintures  si  vraie,  si  nette,  si  caractérisée,  qu'il  n'y 
ait  persoime  qui  ne  la  comprenne,  et  que  même  quelquefois  elle  sup- 
plée à  ce  qu'on  ne  peut  ou  à  ce  qu'on  ne  veut  pas  exprimer.  Elle  est 
mauvaise  si  elle  est  obscure  et  équivoque  ;  chaque  mouvement  doit 
avoir  une  signification  claire,  comme  dans  le  langage  chaque  mot 
doit  avoir  un  sens  ;  et  même  ces  mouvements  doivent  être,  aussi 
bien  que  les  différentes  parties  du  discours,  liés  entre  eux  par  des 
transitions  heureuses  qui  ménagent  le  passage  de  l'un  à  l'autre  sans 
y  laisser  aucun  vide.  Quand  l'action  a  ce  caractère,  la  richesse  de 
l'élocution  en  tire  une  nouvelle  grâce,  la  pensée  plus  de  vivacité,  le 
sentiment  plus  d'onction  et  de  force,  et  l'auditeur  touché  livre  son 
âme  au  prestige  de  l'éloquent  débit.  Si,  au  contraire,  l'action  manque 
d'expression,  elle  paralyse  tout  l'effet  du  discours;  un  air  dévisage, 
un  coup  d'oeil,  /m  son  de  voix,  un  geste  qui  ne  sont  pas  en  rapport 
avec  ce  qu'on  dit,  suffisent  pour  trahir  le  prédicateur  non  pénétré  ; 
et  tous  les  auditeurs  alors  lui  ap[)liquent  le  mot  de  Cicéron  à  Cali- 
dius,  qui,  d'un  air  froid,  d'une  voix  huiti;,  d'un  geste  négligé,  accusait 
Gallius  d'empoisonnement  :  «  Si  vous  étiez  convaincu  de  ce  que  vous 
«  avancez,  le  diriez-vous  de  la  sorte?  »  Tu  nisi  (ingères,  sic  agercs^. 

*  In  Hnilri,  277  et  soq. 


284  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION, 

5°  L'action  doit  être  appropriée  au  sujet  :  ainsi  si  Ton  fait  un  prône 
ou  une  instruction  familière,  elle  doit  être  simple  et  aisée,  éloignée 
du  genre  pathétique  ou  élevé  qui  convient  au  discours  solennel.  Le 
prédicateur  est  alors  un  père  qui  exhorte  ses  enfants  ;  il  doit  leur 
parler  d'une  manière  aisée  et  tranquille,  tendre  et  prévenante,  (jui 
annonce  l'autorité  sans  la  faire  sentir.  Si  l'on  traite  les  fins  dernières, 
l'action  doit  être  ferme  et  véhémente  ;  il  faut  l'air  et  la  voix  d'un 
prophète;  tout  doit  annoncer;  et  la  majesté  redoutable  d'un  Dieu 
vengeur,  et  le  tremblement  du  prédicateur  qui  craint  pour  ses  frères, 
qui  craint  pour  lui-même.  Si  l'on  prêche  sur  les  vices  ou  la  corrup- 
tion des  mœurs,  l'action  doit  être  tantôt  vive,  pressée,  insinuante; 
tantôt  tendre,  pleine  de  douleur  et  de  compassion.  Si  l'on  traite  les 
souffrances  et  la  mort  de  Jésus-Christ,  l'action  doit  être  triste,  lente, 
interrompue,  propre  à  exciter  les  gémissements  et  le  repentir,  quel- 
quefois même  entremêlée  d'un  certain  désordre  par  l'excès  de  la 
douleur  ou  de  l'amour;  si  l'on  prend  la  croix  en  main  pour  la  mon- 
trer à  son  auditoire  et  le  faire  fondre  en  larmes,  il  faut  être,  en 
quelque  sorte,  sûr  du  succès  :  en  manquant  l'effet  on  se  rendrait 
ridicule.  A  t-on  à  prêcher  un  panégyrique?  il  faut  que  l'action  soit 
brillante  et  douce,  mais  sans  véhémence.  Est-ce  une  oraison  funèbre^ 
que  l'action  soit  grave  et  sérieuse,  inspire  la  douleur,  le  regret  et 
la  vénération  pour  le  héros.  Si  enfin  Ton  prêche  sur  les  mystères, 
il  faut  une  action  noble,  soutenue  et  variée. 

6°  L'action  doit  être  appropriée  aux  auditeurs.  Ainsi  devant  les 
grands  il  faut  parler  avec  dignité,  devant  le  peuple  avec  autorité  ;  à 
la  campagne  on  peut  se  permettre,  toutefois  jusqu'à  ceitaines  limites, 
de  paraître  véhément  et  terrible  dans  son  action,  de  crier  même  e( 
de  s'agiter,  parce  que  le  peuple  se  persuade  plus  par  une  voix  puis- 
sante et  des  gestes  impétueux  que  par  la  force  du  raisonnement  ou 
la  beauté  de  la  diction  :  en  ville,  il  faut  plus  de  réserve,  de  retenue 
et  de  modestie  ;  il  faut  parler  et  non  crier;  il  faut  une  action  noble 
et  pohe,  une  voix  douce  et  agréable,  un  geste  grave,  des  mouve- 
ments discrets,  un  extérieur  toujours  respectueux  ;  et  l'air  d'autorité 
du  ministre  doit  ê!re  tempéré  par  l'air  modeste  de  l'homme. 

Telles  sont  les  qualités  d'une  bonne  action  oratoire.  Le  public  les 
connaît  par  instinct;  il  est  juge  suprême  en  cette  matière  ;  on  ne 
peut  ni  l'égarer  ni  le  surprendre.  Si  les  auditeurs  s'agitent  d'impa- 
tience sur  leurs  sièges,  s'ils  promènent  sur  l'assemblée  des  regards 
inattentifs  et  distraits,  si  les  paroles  les  plus  touchantes  les  laissent 
froids  et  indifférents,  on  peut  être  sûr  que  le  débit  est  mauvais.  Mais 


ACTION  ORATOIRE.  285 

BÎ  le  prédicateur  captive  leur  attention,  s'il  les  saisit  et  les  émeut, 
s'il  les  voit  immobiles  à  leur  place,  le  regard  fixe  sur  lui,  partageant 
(ouïes  ses  pensées  et  tous  ses  sentiments,  son  action  a  été  certaine- 
ment bonne,  elle  a  rempli  sa  fin 

ARTICLE  3. 

DES   OBSTACLES   QUI    PEUVENT   GÊNER    OU  VICIER  l'aCTION 

11  est  cinq  principaux  obstacles  qui  peuvent  gêner  ou  vicier  l'ac- 
tion. 

Le  premier,  c'est  de  ne  savoir  qu'imparfaitement  son  discours.  Car 
alors,  préoccupé  par  la  crainte  de  s'arrêter  en  chemin  autant  que 
par  la  recherche  inquiète  de  ce  qu'on  doit  dire,  on  perd  toute  la 
hberté  de  son  action,  et  le  sentiment,  étouffé  sous  les  sollicitudes  de 
la  mémoire,  ne  l'anime  plus.  La  parole  n'a  plus  ni  ce  degré  de  viva- 
cité, ni  ces  nuances  et  ces  inflexions  que  requièrent  les  diverses  par- 
lies  du  discours,  ni  ces  transitions  de  voix  heureuses  et  naturelles 
qui  conduisent  d'une  pensée  à  une  autre,  d'une  narration  à  une 
preuve,  d'une  preuve  à  un  sentiment  ;  enfin  on  est  hors  d'état  de 
régler  sa  prononciation. 

Le  second  ol)stacle,  c'est  la  timidité.  Dans  cet  état  fâcheux,  on  n'est 
plus  maître  de  soi  ;  on  est  troublé,  distrait,  gêné  ;  on  ne  s'applique 
qu'à  demi  soit  à  ce  qu'on  dit,  soit  à  la  manière  de  le  dire  ;  cette 
timidité  éteint  le  sentiment,  ôte  l'aisance  et  le  naturel  ;  et,  tant  qu'on 
ne  l'a  pas  surmontée, il  est  impossible  de  réussir.  Nous  avons  indiqué 
ailleurs  les  moyens  de  la  vaincre. 

Le  troisième  obstacle,  c'est  l'amour-propre  qui  craint  l'humiliation 
et  ambitionne  la  louange.  La  crainte  de  l'humiliation  jette  le  prédi- 
cateur dans  le  trouble  et  le  met  à  la  torture  :  il  y  a  embarras  dans 
toute  son  action,  parce  qu'il  y  a  inquiélude  dans  son  esprit  ;  et  il  ne 
laisse  échapper  que  des  sons  de  voix  faux,  des  gestes  restreints. 
D'autres  fois,  l'ambition  des  louanges  lui  inspire  une  envie  excessive 
de  plaire,  qui  le  lait  tomber  dans  l'affectation  et  la  recherche  ;  tous 
ses  gestes  sont  étudiés,  outrés  ou  peu  naturels.  Le  moyen  de  lever 
cet  obstacle  se  trouve  d'abord  dans  une  humililé  franche  et  sincère  ; 
puis  dans  l'habilude  d'une  conversation  toujours  noble  et  naturelle, 
toujours  pleine  de  grâce  et  de  décence,  mais  éloignée  de  toute  affec- 
lalion.  Une  fois  qu'on  s'est  accoutumé  à  un  langage  toujours  digne, 
on  ne  craint  plus  tant  de  déplaire,  on  ne  pense  pins  tant  à  plaire,  et, 
par  cela  même,  on  [)lait  davantage  sans  aucun  effort. 


280  TRAITE  DE  LA  IM'.ÉDICATION. 

Le  quatrième  obstacle,  c'est  le  défaut  de  sensibilité  ou  naturelle 
ou  acquise  par  la  méditation.  Si  l'on  est  froid,  peu  touché  de  ce  qu'on 
prêche,  il  est  impossible  d'avoir  une  bonne  action  oratoire  ;  ce  qu'on 
a  de  mieux  à  faire  alors,  c'est  de  se  borner  à  peu  de  gestes  :  les 
gestes  forcés  que  le  sentiment  n'inspire  pas  nuisent  plus  à  l'effet 
qu'ils  ne  servent. 

Enfin  le  cinquième  obstacle,  c'est  dans  le  prédicateur  une  idée 
imparfaite  de  la  grandeur  de  sa  mission.  Une  foi  vive  de  l'excellence 
d'un  si  haut  ministère  donnerait  à  tous  ses  mouvements  ce  caractère 
de  noblesse  qui  va  si  bien  dans  la  chaire  sacrée,  lui  inspirerait  une 
élévation  de  sentiments,  une  dignité  de  manières  convenables  à 
l'envoyé  de  Dieu,  et  remplirait  son  âme  de  ce  saint  enthousiasme 
qui  dicte  les  plus  beaux  gestes.  Mais  s'il  juge  son  ministère  d'une 
manière  trop  humaine,  s'il  n'en  sent  pas  la  grandeur,  dès  lors  sa 
parole  est  sans  noblesse,  son  geste  sans  dignité;  et  rien  dans  son 
action,  expression  fidèle  de  son  âme,  n'est  à  la  hauteur  de  la  parole 
de  Dieu. 


CHAPITRE  II 

Des  différentes  parties  dont  l'action  se  compose» 

On  peut  distinguer  six  parties  dans  l'action  :  la  prononciation,  la 
contenance  du  corps,  les  gestes  des  mains,  le  mouvement  des  yeux, 
les  traits  du  visage  et  la  position  de  la  tète.  Nous  allons  exposer  les 
règles  qui  regardent  chacune  de  ces  six  parties. 

ARTICLE  1". 

DE    LA    PRONONCIATION. 

*  La  prononciation  est  la  première  partie  de  l'action  comme  elle 
■*  en  est  la  plus  importante  :  rien  n'exprime  et  ne  remue  les  passions 
*  comme  la  voix  :  Ad  actionis  usmn  atqiie  laudem  maximam  sine 
■*  diibio partem  vox  ohtinet,  dit  Cicérone  Elle  relève  les  endroits  fai- 

'  De  Orat.,  lib.  III,  224. 


DES  DIFFERENTES  PARTIES  DE  L'ACTION.  287 

*  bles,   elle  donne  de  l'intérêt  aux  choses  les   plus  simples  et  fait 

*  verser  des  larmes  où  la  lecture  laisserait  l'âme  insensible.  Le  ton 

*  pathétique  touche  souvent  plus  que  les  paroles  les  plus  véhé- 

*  mentes;  il  a  surtout  un  empire  prodigieux  sur  la  multitude,  qui  ne 

*  saisit  pas  le  fond  du  discours,  mais  se  laisse  ébranler  par  le  ton 

*  pénétré  de  l'orateur;  et  c'est  là  ce  qui  donnait  au  P,  Bridaine,  ce 

*  qui  donne  encore  à  tous  les  missionnaires  une  si  grande  puissance 

*  sur  leurs  auditeurs.  Sans  ce  secours,  au  contraire,  toute  éloquence 
'  tombe  ;  un  discours  mal  prononcé  ne  peut  jamais  faire  d'effet. 

*  L'oreille,  ce  sens  qui  porte  les  paroles  à  l'esprit,  est  d'une  délica- 

*  tesse  exlrème,  dit  Cicéron  :  Aurium  est  jndicium  stiperbissimum^  : 

*  si  vous  la  blessez,  elle  fait  oublier  et  compîer  pour  rien  les  charmes 

*  de  votre  élocution.  Tous  les  senliments  languissent,  si  la  voix  ne 

*  parle  leur  langage;  toutes  les  affections  de  l'âme  s'éteignent,  si  elle 

*  ne  les  anime,  et  les  preuves  mêmes  perdent  leur  force,  si  elles 

*  ne  sont  présentées  avec  un  ton  d'assurance  qui  démontre  la  con- 

*  viction. 

La  prononciation  étant  donc  si  importante,  nous  exposerons  : 
1°  ses  qualités;  2"  les  règles  auxquelles  il  faut  la  soumettre;  5°  la 
manière  d'améliorer  et  de  conserver  sa  voix. 

Des  qualités  de  la  prononciation  *. 

La  prononciation  oratoire  doit  avoir  quatre  qualités  principales  : 
elle  doit  être,  1"  claire  et  distincte.  On  finit  bienlôt  par  ne  plus 
écouter  ce  qu'on  n'entend  qu'avec  peine  ;  et  quand  même  on  écou- 
terait, le  traval  de  l'esprit  qui  cherche  à  entendre  préoccupe  l'âme 
et  empêche  de  se  laisser  pénétrer  par  le  sens.  Il  faut  donc  parler 
de  manière  à  être  entendu  aisément  et  parfaitement  de  tous  ;  et 
pour  cela  il  faut  élever  assez  la  voix,  articuler  distinctement  toutes 
les  syllabes,  les  prononcer  selon  leur  quantité,  d'une  manière  nette 
et  pleine,  bien  détacher  les  mots,  les  phrases  et  membres  de  phra- 
ses, et  appuyer  surtout  sur  les  finales. 

2"  La  prononciation  doit  être  pure  et  correcte,  c'est-à-dire,  n'avoir 
aucun  des  défauts  que  réprouvent  les  i  èglos  de  la  grammaire  ou  l'u- 
sage de  la  bonne  société  :  il  faut  y  éviter  tout  accent  vicieux,  c'est- 
à-dire,  en  général,  celui  qui  fait  coimaiire  de  quel  pays  est  l'orateur, 

»Oratoi-.,  150.  —  '^  Cic.  ad  Ileren.,  lib.  lil,  '20  et  spq. 


288  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION, 

et  être  attentif  à  faire  des  liaisons  des  consonnes  finales  avec  les 
voyelles  des  mots  suivants,  prononçant,  par  exemple,  le  divin  na- 
mour,  bon  tiami,  so  torgueil,  gran  torateuv. 

5°  La  prononciation  doit  être  bienséante  ;  c'est-à-dire  n'avoir  rien 
de  choquant,  de  rustique,  d'affecté,  d'embarrassé  comme  si  on  étu- 
diait les  tons  à  donner  à  chaque  mot.  Il  faut  donc  éviter  la  voix 
rauque,  aigre,  rude  ou  efféminée,  la  voix  d'un  volume  trop  gros  et 
trop  vaste  qui  sent  le  ton  magistral,  la  voix  lente  qui,  se  traînant 
sur  les  mots,  fatigue  et  dégoûte  l'auditeur,  plus  encore  la  voix  trop 
précipitée  qui  ne  laisse  pas  le  temps  de  saisir  et  de  goûter  ce  qu'on 
dit,  qui  sent  l'écolier  empressé  de  se  décharger  du  poids  de  sa  le- 
çon, et  qui  est  d'ailleurs  si  opposée  à  la  gravité  de  la  chaire  sacrée, 
où  la  parole  évangélique  doit  couler  comme  un  fleuve  majestueux 
et  non  se  précipiter  comme  un  torrent.  La  perfection  de  la  voix, 
c'est  d'être  sonore  et  claire,  flexible  et  naturelle,  toujours  pleine  de 
dignité,  soit  lorsqu'elle  est  douce,  soit  lorsqu'elle  est  fulminante; 
mais  surtout  toujours  contenue  dans  ce  juste  milieu  également  éloi- 
gné de  la  pré(Mpitation  et  de  la  lenteur,  lequel  donne  du  poids  au 
discours,  en  fait  sentir  la  force  et  l'harmonie,  produit  des  sons  plus 
nourris,  soulage  l'organe  en  facilitant  les  repos,  et  aide  puissam- 
ment à  conserver  l'empire  sur  soi,  sans  jamais  se  troubler  dans  le 
cours  du  débit. 

4"  La  prononciation  doit  être  adaptée  aux  pensées  et  aux  senti- 
ments qui  composent  le  discours,  c'est-à-dire  qu'elle  doit  marquer 
la  nature  et  la  force  de  chaque  idée  par  un  accent  particulier  qui 
fasse  discerner  les  propositions  d'avec  les  preuves,  les  preuves  d'a- 
vec les  conséquences,  les  divisions  d'avec  le  récit,  les  objections 
d'avec  les  répliques,  les  pensées  communes  d'avec  les  pensées  éle- 
vées, les  idées  gracieuses  d'avec  les  idées  tristes.  Un  ton  qui  con- 
fondrait tout,  ferait  un  chaos  capable  de  dégoûter  l'auditeur  le  plus 
attentif,  et  les  mots  iraient  frapper  son  oreille  sans  arriver  jusqu'à 
son  cœur.  Si  l'on  veut  le  toucher,  il  faut  qu'il  y  ait  conformité  enîre 
la  nature  de  la  pensée  ou  du  sentiment  et  la  manière  dont  lun  ou 
l'autre  est  rendu.  La  voix  a  pour  cela  des  moyens  infinis  ;  et  il  n'est 
pas  une  pensée  ou  un  sentiment  qu'elle  ne  puisse  exprimer  par  un 
accent  particulier;  et  voilà  ce  qui  en  fait  un  des  plus  beaux  dons 
que  la  nature  nous  ait  départis.  Le  mal  est  que  ce  talent,  le  plus  di- 
gne de  tous  d'être  cultivé,  est  de  tous  le  plus  négligé  et  le  plus  mé- 
connu :  les  uns  ont  des  tons  insignifiants  qui  n'expriment  rien,  ou 
faute  d'âme  ou  faute  de  connaissance  ;  les  autres  ont  des  tons  faux 


DES  DIFFÉRENTES  TARTIES  DE  L'ACTION.  289 

résultat  du  mauvais  goût  ou  de  rininlelligence  de  ce  qu'ils  disent; 
d'autres  cnfia  ont  un  ton  oxai^oré  et  outré,  fruit  de  leur  imagination 
trop  ardente  ou  de  leur  sensibilité  trop  vive. 

§2. 

De  la  manière  de  ivgler  sa  voix  dans  le  discours  public. 

Le  ton  qu'il  faut  prendre  en  parlant  en  public  se  mesure  d'après 
l'étendue  de  l'auditoire  :  il  est  nécessaire  et  suflisant  de  l'élever  à  un 
degré  tel  que  l'auditeur  le  plus  reculé  puisse  facilement  entendre  : 
l'élever  au  delà,  ce  serait  se  fatiguer  en  vain  et  fatiguer  l'auditeur 
lui-même.  On  a  observé  que  le  ton  général  de  la  voix  doit  être  en  fa, 
le  ton  le  plus  haut  en  la,  et  le  ton  le  plus  bas  en  7'<j.  Au-dessus  du  la, 
la  voix  se  fausse  et  le  ton  est  désagréable  :  au-dessous  du  ré  on  n'est 
pas  entendu.  On  a  observé  également  que,  pour  se  bien  faire  enten- 
dre, il  faut,  1°  se  tenir  au  milieu  de  la  chaire,  sans  voltiger  à  droite 
et  à  gauche,  parce  que  ces  mouvements  partagent  le  son  et  le  dissi- 
pent, ou  donnent  tout  aux  uns  et  rien  aux  autres  :  2"  faire  en  sorte 
que  la  voix  aille  frapper  directement  le  mur  ou  le  pilier  en  face 
de  la  chaire,  afin  que  de  là  les  sons  se  réfléchissent  dans  tout  l'audi- 
toire. 

Le  ton  général  de  la  voix  ainsi  fixé,  doit  modifier  ses  inflexions, 
selon  ce  qu'exigent  les  diverses  parties  du  discours,  la  nature  du  su- 
jet et  le  sens  des  phrases,  les  endroits  où  il  faut  appuyer  et  ceux  où 
il  faut  faire  des  repos. 

1°  Règles  de  la  voix  dans  les  diverses  parties  du  discours. 

La  voix  ne  doit  point  glisser  sur  toutes  les  parties  du  discours 
comme  sur  une  surface  unie  :  dans  i'exorde,  elle  doit  èlre  calme, 
modérée  et  respectueuse.  Crier  dès  lors  et  pousser  des  éclats  de 
voix,  ce  serait  aller  contre  nature,  puisqu'il  n'est  pas  naturel  d'être 
échauffé  dès  le  commencement  ;  la  chaleur  ne  vient  que  peu  à  peu 
et  par  degrés  ;  ce  serait  encore  violer  la  règle  fondamentale  de 
I'exorde,  qui  est  de  s'insinuer  dans  l'esprit  des  auditeurs  par  la  mo- 
destie et  le  calme  du  langage  :  Quid  insuavius,  dit  Cicérun,  ijiiàm 
clamor  in  exordioK...  A  principio  clamare,  aijreste  est  quiddam^. 
Ce  serait  enfin  se  mettre  hors  d'élat  de  s'élever  plus  haut  dans  la 
suil(Mlu  dis(;ours,  c|uan(l  la  natui'(!  des  (;Iioses  le  demanderait,  au 

«  Ad  lîeic'ii.,  lib    m.  'Ji    —  -  1)0  Onit  ,   iih.  111,  'iiT. 

r.) 


290  TRAITÉ  !)!■:  LA  rRÉDlCATION. 

lieu  qu'en  niénageaiil  sou  l'eu  dès  le  conimeuccnient,  pour  ne  le 
produire  qu'à  propos,  on  fait  beaucoup  plus  d'impression.  —  Dans 
l'énoncé  de  la  division  ou  des  sous-divisions,  il  faut  une  clarté  de 
voix  parfaite,  et  on  ne  saurait  trop  y  éviter  la  précipitation  ou  la 
confusion  des  sons,  parce  que,  quand  l'auditeur  n'a  pas  bien  saisi 
cet  énoncé,  il  S(>  mécontente  et  prend  difficilement  intérêt  à  ce  qui 
suit. — Les  définitions  oratoires  exi<;ent  une  précision  exquise  de 
langage;  on  doit  ne  laisser  passer  aucun  des  traits  qui  caractérisent  la 
chose  (ju'on  (iéfiiiit  et  les  présenter  tous  avec  une  égale  force  et  un 
égal  intérêt.  —  Dans  le  corps  du  discours,  quand  on  narre  ou  qu'on 
expose,  la  voix  doit  être  un  peu  plus  élevée  que  dans  l'exorde,  mais 
simple  et  posée,  libre  et  coulante,  plus  animée  en  racontant  un  trait 
de  générosité,  plus  touchante  et  plus  pathétique  en  rapportant  quel- 
que l'ait  attendrissant,  toujours  diversifiée  de  manière  à  représenter 
les  choses  dont  on  parle.  Quand  on  avance  une  proposition  ou  qu'on 
interroge,  la  voix  doit  être  à  peu  prés  celle  de  la  conversation ,  mais 
rm  peu  plus  haute.  Ce  qui  est  argumentation  doit  se  dire  d'un  ton 
pressant,  ferme  et  hardi,  en  observant  toutefois  de  prononcer  d'une 
voix  moins  chaleureuse  les  arguments  moins  forts,  et  avec  un  accent 
beaucoup  plus  énergique  de  conviction  les  arguments  les  plus  con- 
cluants. Ce  qui  est  réfutation  doit  avoir  un  caractère  de  raison  supé- 
rieure qui  ne  laisse  pas  supposer  la  possibilité  de  la  réplique,  et  comme 
un  air  de  triomphe  qui  entraîne  l'auditeur.  Dans  tout  ce  qui  est  mouve- 
ment, il  faut  le  ton  animé  et  pénétré,  mais  en  ol)servant  deux  choses  : 
la  première,  de  bien  remarquer  où  commence  et  finit  le  jialhétique, 
afiJi  de  ne  pas  appliquer  à  faux  le  ton  propre  à  ce  genre,  ce  qui  se- 
rait ridicule  ;  la  seconde,  de  ne  pas  passer  brusquement  du  ton 
calme  au  ton  passionné,  ni  de  l'accent  chaleureux  à  une  voix  gla- 
ciale, mais  de  ménager  le  passage  de  l'un  à  l'autre  :  le  sentiment 
ne  naît  ni  ne  s'éteint  tout  à  coup.  —  Enfin,  il  faut  surtout  réserver 
sa  voix  pour  la  péroraison,  ce  moment  décisif  dont  les  impressions 
restent  presque  seules  et  efiacent  toutes  les  autres  :  c'est  là  qu'il 
faut  déployiu'  une  voix  puissante,  pénétrée  et  pathétique,  qui  aille 
jusi}u'au  fond  des  cœurs. 

2°  Règles  de  la  voix  selon  la  nature  du  sujet  et  le  sejis  des  plirases 

Cluujue  sujet  demande  un  ton  particulier.  Si  l'on  exhorte,  la  voix 
doit  être  forte  et  pressante;  si  l'on  prie,  doiîce  et  soumise  ;  si  l'on 
console,  tendre  et  couinali.ssaule  ;  si  l'on  conseille  ou  |)roiiict,  t^rave 


DES  DIFFÉRENTES  PARTIES  DE  L'ACTION  291 

et  soutenue.  Les  choses  fâcheuses  demandent  un  accent  triste  et 
plaintif,  les  paroles  de  paix  ou  d'encouragement  une  voix  douce  et 
éclatante,  et  si  l'on  parle  des  grandeurs  de  Dieu,  de  la  beauté  de  la 
religion  et  de  ses  mystères,  la  voix  doit  prendre  elle-même  un  ton 
de  grandeur  et  de  majesté.  Quel  que  soit  le  sujet,  le  ton  de  vérité 
avec  lequel  chaque  phrase  doit  être  prononcée  se  présentera 
comme  de  lui-même,  pour  peu  que  le  prédicateur  ail  d'âme.  Il  dira 
les  pensées  communes  d'un  ton  calme  et  modéré;  les  pensées  vives, 
qui  comme  un  trait  de  lumière  illuminent  l'esprit  par  leur  clarté  et 
le  frappent  vite  par  leur  brièveté,  d'un  ton  décidé  et  tranchant*  : 
se  traîner  en  les  énonçant  ferait  un  contre-sens  et  manquerait  le 
but  qui  est  de  produire  une  secousse  momentanée.  Aux  pensées 
fortes  faites  pour  produire  des  impressions  profondes,  il  prendra 
un  ton  grave,  imposant,  entièrement  distinct  du  ton  précédent*. 
Il  exprimera  les  pensées  hardies  avec  une  sorte  d'audace,  les  pen- 
sées nobles,  grandes  et  sublimes,  avec  majesté.  Mais,  surtout,  il 
s'attachera  à  rendre,  par  la  llexibilité  de  sa  voix,  les  passions  diver- 
ses et  les  mouvements  de  l'âme,  qu'exprime  sa  parole. 

Chaque  passion  a  un  ton  qui  la  dislingue  et  la  caractérise.  Dans  la 
douleur,  la  voi.t  est  triste  et  gémissante,  pleine  de  larmes  et  inter- 
rompue par  des  soupirs,  plus  grave  cependant  et  plus  uniforme 
quand  on  ne  veut  pas  se  plaindre;  dans  la  joie  elle  est  gaie  et  cou- 
lante; dans  l'amour  elle  est  douce,  tendre  et  affectueuse;  dans  la 
haine  elle  est  sévère,  et  si  l'on  vient  jusqu'à  l'indignation,  elle  s'ex- 
prime par  des  éclats  violents.  Si  l'on  veut  inspirer  la  hardiesse,  elle 
est  haute  et  ferme  ;  si  l'on  craint,  elle  tremble  et  hérite,  et  si  l'on 
excite  la  compassion,  elle  est  plaintive  et  tendre.  Les  figures  par 
lesquelles  les  passions  s'expriment,  comme  l'interrogalion,  l'apo- 
strophe, l'ironie,  l'exclamation,  ont  aussi  leur  ton  particulier  que  la 
nature  et  le  sentiment  enseignent.  Ainsi  dans  l'apostrophe  à  Dieu, 
aux  saints  ou  aux  choses  inanimées,  il  faut  élever  la  voix  plus  haut 
que  lorsqu'on  parle  aux  honunes^;  dans  le  dialogue,  il  faut  pro- 


»  Ainsi  doit  se  prononcer  le  mot  d'Horace  :  Qu'il  moiirât !  on  lu  rr-plique 
de  Hédéc,  qui,  quand  on  lui  demande  ;  Ouc  vous  rcste-t-il  conlie  tant  d'en- 
nemis? répond  :  Moi. 

*  Ainsi  doivent  se  prononcer  ces  deux  vei's  si  laineux  : 

Celui  qui  mot  un  frein  à  la  fureur  des  Ilots 
Sait  aussi  des  inéchaiits  arnMer  les  complols. 

s  On  raconte  de  Jlassillon  que  lorsqu'il  faisait  son  exclamation  favorite,  ^/-aHd 
Lieu!  (pii  revient  si  souvent  dans  ses  discours,  il  produisait  loujours  une  im- 


•:  ii  TRAiTi:  Dr:  la  puedication. 

)io!K'(  r  la  ivpop.se  d'un  Ion  difrôiriil  de  la  deuiaiulL",  ri  rliaiij^er  S3' 
voix  coiiiîMe  si  deux  persoinies  s'entretenaient  ensemble.  Si  l'on  in- 
troduit dans  le  discours  ([ueliju'un  f|ui  délibère  en  lui-même,  il  faut 
baisser  la  voix  comme  si  l'on  ne  voulait  pas  être  entendu,  tout  en  se 
faisant  suffisamment  entendre. 

a"  Ilrijlcs  de  la  voix  pour  ajfuyer  à  propos. 

Il  est  cerlains  endroits  où  il  faut  appuyer,  c'est-à-dire  qu'il  faut 
marquer  d'nn  son  de  voix  plus  plein  et  plus  fort,  connue  méritant 
une  attention  toute  particulière.  La  manière  dont  on  place  ces  appuis, 
est  ce  qui  doime  à  la  pensée  sa  force,  son  énergie,  souvent  même 
son  sens  ;  et  il  est  bon  de  les  préparer  avant  de  monter  en  chaire,  au 
moins  pour  les  parties  les  plus  touchanles:  quand  on  se  fie  à  l'im- 
pulsion du  moment,  on  se  trompe  souvent,  et  l'effet  est  manqué.  Il 
est  essentiel  aussi  de  ne  pas  trop  les  mulliidier  :  trop  fréquents,  ils 
lasseraient  et  ne  produ  raient  plus  d'effet.  î'our  déterminer  les  en- 
droits où  il  faut  les  placer,  il  n'y  a  guère  d'aulie  règle  que  d'étudier 
le  sens  et  la  force  des  pensées  et  des  sentiments  :  le  tact  et  le  goût 
proiioiiceiit  d'après  cette  étuile  où  l'on  doit  appuyer  plus  ou  moins. 
Toutefois,  voici  quelques  [srincipes  dont  peut-être  on  pourra  s'aider. 
d'Un  dèladie  par  un  léger  changement  de  ton  les  phrases  incidentes, 
et  l'on  appuie  avec  force  sur  les  premiers  tensies  d'un  sens  contraire 
on  qui  expriment  une  conséquence.  2  Lors(pie  la  période  contient 
une  interrogation,  il  faut  appuyer  sur  les  mots  qui  l'ont  ressorti)'  cette 
interrogation  et  sur  la  dernière  syllabe,  ou,  si  celle-ci  se  termine 
par  un  c  muet,  sur  la  pènuUiénie.  Ainsi,  dans  cette  phrase  :  Jusqucs 
à  quand,  cIiriHicns,  ahusercz-vous  de  la  boitte  de  Dieu  et  de  son  iné- 
puisable patience?  il  faut  appuyer  sur  quanti,  sur  nais,  plus  encore 
sur  la  pénultième  de  patience,  et  couler  sur  le  resle.  o"  On  appuie 
avec  un  ton  plein,  ou  nue  sorte  d'empliase  sur  les  mots  qui  expri- 
ment quelque  chose  de  gi'and,  et  avec;  une  voix  faible  sur  ceux  qui 
n^arquent  la  faiblesse  ou  la  dou.leur.  Ainsi,  dans  cette  phrase  :  Si  je 
so)ide  vos  cœurs,  pcrisez--2'ims  cpie  j'u  trouve  une  foi  vive,  forte  et  puis- 
sante ?  J'appréiiende  ou  de  n'en  point  trouver  en  vous,  ou  de  la  trou- 
ver faible,  défectueuse,  languissante,  il  faut  a['piiyer  avec  un  ton 
plein,  fei  nn',  élevé  sur  ces  mots  vive,  forte,  puissante,  et  avec  un 
ton  plaintif,  douloureux,  moins  élevé  sur  ceux-ci  :  faible,  défectueuse, 
languissante.  4°  Lorsqu'il  y  a  aniithèso  dans  une  phras(>,  il  faut  ap. 

I  V(  ;-s;i)ii  [  nif();;iIo  par  l'ncceiit  larliciilicr  qu'il  prenait  alors,  ol  (]u'il  accorupa- 
i.!iail  d'un  n'u:;iid  vif  vers  le  ciul  et  à'v.u  '^v^lc  pkiii  d'exprcs.-io:!. 


DES  DIFFERENTES  PARTIES  DE  L'ACTION.  2' 3 

puyer  diversement  sur  ses  différents  membres,  afin  de  faire  ressortir 
le  contrasie  des  idées  par  le  contraste  de  la  voix.  Ainsi,  dans  cette 
phrase  de  Bossuet,  sur  la  princesse  Henriette  :  Le  matv.i  elle  fleu- 
rissait; avec  quelles  grâces,  vous  le  savez-  :  le  soir  nous  la  vîmes  sé- 
chée,  et  dans  cette  autre  de  Fléchier  :  Hélas!  nous  savions  ce  que 
nous  devions  espérer,  et  nous  ne  savions  pas  ce  que  nous  devions 
craindre,  il  faut  dire  sur  un  ton  plus  haut  le  premier  membre,  et 
le  second  sur  un  ton  plus  bas.  De  même  encore,  dans  cet  exemple 
du  même  auteur  :  0  Dieu  terrible,  mais  juste  dans  vos  conseils  sur 
les  enfants  des  hommes!  vous  immolez-  à  votre  grandeur  de  grandes 
victimes^  et  vous  frappez,  quand  il  vous  plaît,  ces  têtes  illustres  que 
vous  avez,  tant  de  fois  couronnées,  il  faut  appuyer  d'une  voix  haute 
sur  â  Dieu  terrible,  en  faisant  sentir  forîement  les  deux  ?t,  appuyer 
d'une  voix  basse  et  humiliée  sur  juste,  en  faisant  un  peu  siffler  lej, 
couler  ensuite  sur  les  mois  suivants,  puis  appuyer  sur  immolez,  sur 
grandeur,  sur  frappez,  sur  têtes;  abaisser  sur  grandes  victimes  quand 
il  vous  plaît,  et  enfin,  allonger  un  peu  la  dernière  syllabe  de  couron- 
nées. 4°  Quand  on  doit  appuyer  avec  une  véhémence  spéciale  sur 
quelques  parties  d'une  période,  il  faut  ménager  le  ton  dans  celles 
qui  précèdent;  ainsi  quand  l'acteur  Ésopus  récitait  les  trois  vers 
qu'on  a  ainsi  traduits  : 

Où  Irouverai-jc  du  secours? 
A  qui  pourrai-je  avoir  recours? 
Mais,  opère!  ô  pairie!  ô  maison  do  Priam  ! 

il  prononçait,  remarque  un  ancien,  les  deux  premiers  doucement  et 
".ans  véhémence,  afin  de  tomber  sur  le  troisième  avec  cette  émotion 
et  cet  éclat  de  voix  dont  il  eût  été  incapable  s'il  se  fût  épuisé  dans  les 
deux  premiers  vers. 

4°  Règles  delà  voix  pour  les  repos. 

On  dislingue  deux  sortes  de  repos  :  les  premiers  sont  les  repos 
expressifs  qui  se  placent  à  la  suite  d'une  pensée  importante  sur  la- 
quelle on  veut  fixer  Tattcntion  de  l'auditeur,  ou  quelquefois  même 
auparavant.  Ces  petits  silences  ménagés  à  propos  laissent  à  l'audi- 
teur le  loisir  de  goûter  ce  qu'on  lui  dit,  de  saisir  les  preuves,  d'en- 
trer d;;ns  les  sentiments  qu'on  lui  suggère,  et  soulaizent  la  voix  de 
l'orateur  :  Intervalla  vocem  confirmant  et  auditori spatium  cogitandi 
reUwiuunt,  dit  Cicérone  La  seconde'  sorte  de  re[)Os,  ce  sont  ceux 

»  Ad  ilcrcii.,  lib.  111,  xxi. 


294  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

qui  indi(ju(>nt  la  division  des  sens  et  permettent  au  prédicateur  de 
reprendre  ludeinc.  L'art  de  les  placer  est  une  des  parties  délicates 
et  essentielles  du  débit.  Si  on  les  établit  à  faux  ou  qu'on  ne  les  fasse 
pas  là  où  le  sens  le  demande,  et  qu'ainsi  on  forme  une  masse  de  ce 
qui  devrait  être  divisé  ou  qu'on  morcelle  ce  qui  voulait  être  lié,  on 
ôte  au  discours  et  son  sens  et  ses  charmes.  Il  est  trois  causes  qui  les 
déterminent.  —  La  première,  est  le  besoin  de  respirer  combiné  avec 
le  sens.  Ainsi  entre  chaque  période  on  fait  une  pause  courte,  en 
ayant  soin  de  commencer  la  période  suivante  un  degré  plus  bas  que 
la  précédente,  sauf  les  circonstances  où  la  nature  des  choses  indique 
de  faire  le  contraire:  on  prononce  d'une  haleine  les  périodes  courtes 
et  les  plus  longues  à  diverses  reprises,  en  observant  :  1°  de  ménager 
son  haleine  pour  en  avoir  encore  de  reste  quand  on  la  reprend  ;  2"  de 
la  reprendre  légèrement  dans  les  intervalles  lorsqu'on  prévoit  ne 
pouvoir  prononcer  d'un  seul  trait  un  membre  de  période;  3°  de  ne 
faire  les  pauses  que  selon  que  l'esprit  fait  ses  repos,  c'est-à-dire  de 
les  faire  plus  longues  à  la  fin  d'un  sens  entier,  plus  courtes  à  la  fin 
d'un  membre  de  phrase,  plus  courtes  encore  dans  les  petits  inter- 
valles de  chaque  membre,  et  d'éviter  avec  grand  soin  toute  pause 
capable  de  faire  croire  à  l'auditeur  que  le  sens  est  achevé  lorsqu'il 
ne  l'est  pas  encore.  —  La  seconde  cause  qui  détermine  les  repos, 
c'est  la  ponctuation  ;  tout  le  monde  en  connaît  les  signes,  mais  n'en 
connaît  peut-être  pas  les  régies.  La  virgule  s'emploie  plutôt  pouF 
ménager  la  faiblesse  de  l'organe  de  l'orateur  ou  de  l'intelligence  de 
l'auditeur  que  pour  marquer  une  division  réelle  dans  le  sens  de  la 
phrase;  d'où  il  suit  qu'il  faut  s'y  arrêter  très-peu;  autrement  on 
nuirait  à  la  vérité  et  à  l'unité  de  la  pensée  :  le  point  et  virgule  se 
place  pour  diviser  les  parties  principales  d'une  proposition;  et  en 
conséquence,  on  peut  s'y  arrêter  pour  reprendre  haleine,  mais  pas 
plus  longtemps.  Les  deux  points  indiquent  que  la  phrase  est  gram- 
maticalement complète,  mais  que,  dans  la  réaUté,  elle  est  subor- 
donnée à  un  objet  principal,  comme  dans  cet  exemple  :  Il  y  a  dans 
l'homme  deux  principes  opposés  :  rameur-propre  qui  nous  rappelle  à 
nous,  et  la  bienveillance  qui  nous  répand;  et  ainsi  ils  demandent  un 
repos  plus  marqué,  une  chute  de  la  voix  plus  exprimée.  Le  point 
marque  la  fin  d'un  sens  entier,  et  par  cela  même  il  demande  un  re- 
pos décisif,  une  chute  de  voix  pleinement  caractérisée.  Enfin,  la  troi- 
sième cause  qui  détermine  les  repos,  c'est  le  jugement  de  l'esprit  et 
de  l'oreille,  ou,  en  J'autres  termes,  c'est  le  tact  qui  discerne  ce  que 
demandent  la  force  de  l'expression  ou  de  la  pensée,  et  l'harmonie  ou 


DES  DIFFÉRENTES  PARTIES  DE  L'ACTION.  293 

le  nombre  oratoire.  Comme  ceci  n'est  point  susceptible  de  règles, 
nous  ferons  comprendre  la  chose  par  un  exem.ple  :  prenons  l'éloge 
funèbre  de  Judas  Machabée  par  Flécbier,  et  indiquons  par  un  signe 
les  repos  qu'y  veulent  l'esprit  et  l'oreille. 

Cet  homme  |  qui  portait  la  gloire  de  sa  nation  |  jusqu'aux  extrémilés  de 
la  terre,  |  qui  couvrait  son  camp  du  bouclier  |  et  forçait  celui  de  rennenii 
avec  lepée,  |  qui  donnait  à  des  rois  ligués  contre  lui  ]  des  déplaisirs  mor- 
tels I  et  réjouissait  Jacob  par  ses  vertus  et  ses  exploits,  |  dont  la  mémoire 
doit  être  éternelle;  |  cet  homme  qui  défendait  les  villes  de  Juda,  |  qui 
domptait  forgueil  des  enfants  d'Ammon  et  d'Ésaù,  |  qui  revenait  chargé 
des  dépouilles  de  Saraarie,  |  après  avoir  brûlé  sur  leurs  propres  autels  1  les 
dieux  des  nations  étrangères  ;  |  cet  homme  que  Dieu  avait  mis  autour 
d'Israël  |  comme  un  mur  d'airain,  j  où  se  brisèrent  tant  de  fois  toutes  les 
forces  de  l'Asie,  |  et  qui,  après  avoir  défait  de  nombreuses  armées,  |  décon- 
certé les  plus  fiers  et  les  plus  habdes  généraux  des  rois  de  Syrie,  |  venait  tous 
les  ans,  |  comme  les  Israélites,  |  réparer  avec  ses  mains  triomphantes  |  les 
ruines  du  sanctuaire,  1  et  ne  voulait  d'autre  récompense  des  services  qu'il 
rendait  à  sa  patrie  |  que  l'honneur  de  l'avoir  servie  ;  |  ce  vaillant  homme,  | 
poussant  enfin,  |  avec  un  courage  invincible,  |  les  ennemis  qu'il  avait  ré- 
duits I  à  une  fuite  honteuse,  |  reçut  le  coup  mortel,  |  et  demeura  comme 
enseveli  dans  son  triomphe.  |  Au  premier  bruit  de  ce  funeste  accident,  j 
toutes  les  villes  de  Judée  furent  émues;  |  des  ruisseaux  de  larmes  coulèrent 
des  yeux  de  tous  les  habitants;  |  ils  furent  quelque  temps  saisis,  |  muets,  | 
immobiles  ;  |  un  effort  de  douleur  1  rompant  enfin  |  ce  long  et  morne 
silence,  |  d'une  voix  entrecoupée  de  sanglots  |  que  formaient  dans  leurs 
cœurs  I  la  tristesse,  |  la  crainte,  |  ils  s'écrièrent  :  Comment  est  mort  \  cet 
homme  puissant  qui  sauvait  Israël  ? 

Qui  ne  voit  que  ces  repos  aident  à  faire  ressortir  la  magie  des 
nombres  et  de  l'harmonie,  si  évidente  dans  cette  période  qui  semble 
sortir  avec  effort,  se  traîner,  tomber,  se  relever,  et  enfin  arriver 
avec  peine  jusqu'à  l'exclamation  qui  la  termine?  Après  cette  excla- 
mation, l'orateur  s'abandonne  sans  retenue  au  sentiment  qui  a 
éclaté;  il  s'élève  au  ton  de  l'enthousiasme,  et  les  nombres  deviennent 
plus  entrecoupés. 

A  ces  cris,  |  Jérusalem  redoubla  ses   pleurs,  j  les   voiUes    du  temple 
s'ébranlèrent,  |  le  Jourdain  i^e  tioubla,  |  et  tcus  ses  rivages  |  retentirent  du 
son  de  ces  lugubres  paroles  :  |  Conunent  est  mort  |  cet  homme  puissant  | 
qui  sauvait  le  peuple  d'Israël  ! 

C'est  ainsi  que  les  repos  mettent  à  l'aise  l'esprit,  l'oreille,  la  res- 
piration de  l'orateur  et  de  l'auditeur  ;  ils  présentent  les  objets  nette- 


296  TRAITÉ  DE  ].\  PRÉDICATION. 

ment  séparés,  ils  lient  les  phrases  par  dos  rapports  symétriques,  ils 
les  font  croître  ou  décroîlre  selon  les  circonstances,  et  les  varient 
de  manière  à  satisfaire  le  goût.  Lorsque  l'harmonie  est  dans  le  style, 
ainsi  qu'elle  se  trouve  ici  éminemment,  elle  passe  facilement  dans 
la  voix  ;  mais  si  elle  y  manque,  elle  ne  pourra  ,  à  l'aide  d'aucune 
règle,  passer  dans  le  débit. 

Nonobstant  tous  ces  détails,  il  ne  sera  pcut-è're  pas  inutile  de 
présenter  ici,  pour  conclusion  de  toutes  les  régies  relatives  aux  mo- 
difications delà  voix,  un  exemple  annoté  qui  en  offrira  Taiiplicalion. 
Il  est  tiré  de  l'exorde  de  l'oraison  funèbre  de  la  duchesse  d'Orléans, 
parBossuet. 


1  Ton  de  noblesse  et  regret  : 
phrase  entière  sans  varia- 
tion. 

^Attendri. 


'  de  taché  et  ému. 

*  Ton  de  puissance  et  d' en- 
traînement. ^Pénétré. 

^  Élevé.  '  Opposition. 

^Plus  excité.  ^  Sans  force. 

10  Brillant.  ^Supposition. 

s'^  Positif. 

s-'  Componction. 

^'' Interrogation,  gr  ave, j)arlé, 
pénétrant.  *^  Force. 

^^  Simplement. 

1^  Entraîné . 

is  Noblesse.  '^  Chaleur. 
*^  Sans  force.  -'^  Absolu. 
--  Humilité. 

-^  Noble  et  solennel. 


=*  Grave. 

^' Élevé. 

26  Triste.  -''  Soutenu. 

^^  Humble. 

^^  Noblement. 


'  .T'étais  donc  destiné  à  rendre  ce  devoir 
funèbre  |  à  très-haule  et  très-puissante  prin- 
cesse I  Henriette-Anne,  d'Angleterre  ,  ]  du- 
chesse d'Orléans.  |  -Elle  ]  que  j'avais  vue 
si  attentive  ]  pendant  que  je  rendais  le 
même  devoir  à  la  reino  sa  mère,  |  devait 
être  I  ^  sitôt  après  |  le  sujet  d'un  discours 
semblable. — *0  vanité  I  ]  ô  néant!  1  ô  mor- 
tels ignorants  de  leur  destinée!  |  ^Non,  | 
après  ce  que  nous  venons  de  voir,  |  '^h 
santé  I  ''n''est  qu'un  nom;  ]  ^la  vie  |  ^  n'est 
qu'un  songe;  |  *°la  gloire  |  "n'est  qu'une 
apparence...  |  *-Tout  est  vain  en  nous,  [ 
'^  excepté  le  sincère  aveu  que  nous  faisons 
d.'vrail  Dieu  |  de  nos  vanités...  |  '■^îîais  d:s- 
je  la  vérité?  |  L'homme  que  1  *''Dieii  a  fait 
à  son  image  |  '"^  n'est-il  qu'une  ombre  ?  - 
"  Ce  que  Jésus-Christ  est  venu  chercher  du 
ciel  en  la  terre,  |  ce  qu'il  a  cru  pouvoir  | 
^^sans  se  ravilir,  |  *9  racheter  de  tout  son 
sang,  1  -"n'est-ce  cpi'un  rien?  |  -'Recon- 
naissons notre  erreur...  |  -Tout  est  vaai 
en  l'homme  |  si  nous  regardons  le  cours 
de  sa  vie  mortelle;  |  -^  mais  tout  est  pré- 
cieux, I  tout  est  important,  |  si  nous  con- 
templons le  terme  où  elle  aboutit  |  el  le 
compte  qu'il  en  faut  rendre.  |  ^iJlédifons 
donc  aujourd'hui  à  la  vue  |  -^  de  cet  autel  ( 
-^  et  de  ce  tombeau  I  ^'  la  première  et  la 
dernière  parole  de  l'Ecclésiaste,  |  -spune 
qui  montre  le  néant  de  l'homme,  |  ^opaulre 
oui  établit  sa  irrandeur. 


DES  DIFFÉRENTES  PARTIES  DE  L'ACTIOÎN\  297 

*  De  la  manière  d'améliorer  et  de  conserver  sa  voix. 

*  Un  bel  orgnno,  un  timbre  bannonieiu,  ce  son  louchant  qui  \a 

*  au  cœur  avec  le  plaisir,  est  sans  doute  un  don  naturel  que  l'art  ne 

*  saurait  communiquer.  Mais  il  est  des  moyens  de  corriger  ou  de 

*  prévenir  les  défauts  de  cet  organe  et  d'améliorer  ou  de  perfection- 

*  ner  ce  qu'il  y  a  de  bon.  Démosthènes  avait  une  voix  ingrate,  une 

*  articulation  embarrassée,  une  prononciation  difficile  ;  mais  par  sa 

*  persévérance  à  exercer  et  à  développer  sa  voix,  tantôt  dans  un  ca- 

*  binet  souterrain,  où  il  descendait  tous  les  jours  et  demeurait  quel- 

*  quefois  plusieurs  mois  de  suite,  tantôt  sur  les  montagnes   qu'il 

*  gravissait  et  descendait  en  déclamant  avec  force  la  bouche  pleine 

*  de  cailloux,  d'autres  fois  sur  le  bord  de  la  mer  où  il  s'efforçait  de 

*  surmonter  par  l'élévation  de  sa  voix  le  bruit  des  flots,  il  parvint  à 

*  rendre  sa  prononciation  aisée  et  agréable,  forte  et  puissante.  Or, 

*  si  l'amour  de  la  gloire  a  pu  inspirer  tant  d'industrie  et  de  courage 

*  à  un  homme  pour  se  former  une  voix  oratoire,  comment  le  zèle  de 

*  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut  des  âmes  n'engagerait-il  pas  le  prêtre 

*  à  soigner  et  perfectionner  en  lui  un  organe  si  utile  à  son  minis- 

*  1ère?  Voici  les  moyens  qui  pourront  lui  servir  à  cette  fin,  11  faut, 

*  i°  se  tenir  en  garde  dès  sa  jeunesse  contre  les  moindres  défauts  de 

*  prononciation,  afin  de  n'en  contracter  aucun.  Il  faut,  2°  étudier  les 

*  règles  d'une  parfaite  prononciation;  et  nulle  part,  ce  nous  semble, 

*  on  ne  les  trouvera  mieux  présentés  que  dans  l'Art  de  lire  à  haute 

*  voix,  par  Dubroca.  Une  fois  qu'on  les  possède,  il  faut  les  mettre 

*  en  pratique,  et  s'exercer  souvent  en  son  particulier  à  prononcer 

*  quelque  morceau  oratoire,  comme  si  l'on  parlait  en  public,  à  ar- 
■*  ticuler  distinctement  tous  les  mots  et  toutes  les  syllabes,  à  faire 

*  prendre  à  sa  voix  toutes  les  inflexions  depuis  les  sons  les  plus 

*  aigus  jusqu'aux  plus  graves,  et  surtout  à  saisir  sur-le-champ  le  ton 

*  convenable,  et  à  passer  d'un  ton  à  l'autre  sans  blesser  l'oreille.  II 

*  faut,  5°  ménager  sa  voix  et  ne  la  fatiguer  ni  en  chaire  par  des  cris 
■*  trop  violents,  des  prédications  trop  longues,  ni  hors  de  la  chaire 

*  par  des  conversations  inutiles,  des  chants  de  pur  amusement,  des 

*  contestations  et  des  disputes.   4"  Les  médecins  indiquent  comme 

*  moyens  de  conserver  sa  voix  un  régime  alimentaire  adoucissant 

*  cl  fortifiant,   se  coucher  de  bonne  heure,   la  modération  dans 
■*  l'élude,   la  Irugalité,  la  piomcnadi;  prisi;  ;'i  propos,  mais  douce- 


298  TRAITÉ  DE  LA  PHÉDICATION 

*  iiii'iit  t'i  s,ms  excès;  et  ils  rei^ardciif  couime  coiiliaii'e  à  In  voix 

*  ru:<;ii;e  trop  IVéquent  des  noi\,  du  fromai^e  et  de  toute  espèce  de 

*  crudités. 

ARTICLK  2. 

DE    LA    OONTENANCK    DU  CORPS. 

Une  belle  conleiiance  éloignée  de  toute  affectation  fait  impression 
sur  Ions  les  hommes,  quels  qu'ils  soient,  et  il  est  impossible  de 
voir,  sans  être  frappé,  un  prédicateur  en  chaire  dont  le  maintien 
grave  et  plein  de  dignité  est  en  même  temps  humble,  simple  et  sur- 
tout honiièle  :  car  rhonnèteté  est  le  plus  doux  de  tous  les  charmes 
et  dispose  les  cœurs  à  écouler  favorablement.  Voici  les  règles  à  ob- 
server à  ce  sujet. 

1°  Il  faut  tenir  le  corps  droit,  status  erectus  et  celsus,  dit  Cicéron  ^, 
mais  non  pas  rejeté  en  arrière  avec  fierté,  ni  trop  roide  comme  ces 
hommes  tout  d'une  pièce  dont  parla  Epictéte,  incedunt  quasi  veru 
déglutissent  ', 

2"  il  ne  faut  ni  se  balancer  à  droite  et  à  gauche,  ni  se  courber, 
ni  s'appuyer  sur  les  coudes,  ni  faire  du  tapage  et  frapper  des  coups 
de  pied  dans  la  chaire ,  ni  se  permettre  certaines  contenances 
molles  et  efféminées,  certains  laisser-aller  qui  annoncent  trop  un 
ho:!. me  sans  gène,  ni  tenir  le  corps  immobile,  ce  qui  rend  raction 
froide  et  ennuyeuse,  ni  trop  l'agiter,  ce  qui  déroge  à  la  dignité  de  la 
chaire. 

5"  On  demeure  debout  pendant  l'exorde,  tenant  la  barrette  des 
deux  mains  sur  le  bord  de  la  chaire;  on  s'assied  et  on  se  couvre  en 
commençant  la  première  partie;  on  reste  assis  tant  qu'on  raisonne, 
qu'on  expose,  qu'on  expli(|ue  ou  qu'on  narre;  on  se  lève  pour  apo- 
stropher, pour  presser  l'auditeur,  pour  animer  les  endroits  pathéti- 
ques et  puur  prononcer  la  péroraison. 

4"  On  se  découvre  au  nom  de  Jésus-Christ,  puis  quand  on  fait  une 
prière  à  Dieu  ou  aux  saints,  enfin,  pendant  la  péroraison  ;  et  dans 
tous  ces  cas,  on  tient  la  barrette  de  la  main  gauche  pour  gesticuler 
de  la  main  droite;  car  jamais  la  main  qui  tient  la  barrette  ne  doit 
gesticuler. 

'  Orat.,  Lix.  —  *  Arrian.,  lib.  I,  c.  xxr. 


DES  DIFFÉRENTES  PARTIES  DE  L'ACTION.  299 

ARTICLE  3. 

DES   GESTES    DES  MAINS  *. 

Les  mains  sont  pour  l'homme  comme  une  seconde  langue  qui, 
sans  parole,  explique  ses  pensées  et  fait  connaître  ses  sentiments. 
Leur  geste  anime  l'éloquence,  soutient  le  discours,  et  il  n'est  pas  un 
mouvement  de  l'âme,  dit  Cicéron,  qui  n'y  ait  son  expression. 

Nous  dirons  d'abord  les  bonnes  règles  du  geste ,  et  ensuite  nous 
en  signalerons  les  défauts. 

1»  Règles  dii  geste. 

1°  Il  faut  être  sobre  de  gestes,  savoir  dire  certaines  choses  tran- 
quillement, et  ne  remuer  les  bras  que  quand  le  discours  est  animé, 
parce  qu'il  est  contre  la  nature  de  gesticuler  beaucoup  en  disant 
des  choses  simples.  Là  où  la  passion  n'a  aucune  part,  le  mouve- 
ment des  bras  n'a  rien  à  peindre.  Il  est  même  des  cas  où  Fon 
s'exprime  avec  plus  d'énergie  par  une  cessation  de  tout  mouve- 
ment. Un  grand  sentiment  rend  immobile.  Certaines  passions  s'ex- 
priment assez  par  le  jeu  de  la  physionomie,  les  traits  du  visage, 
un  regard,  un  mouvement  de  tête  ;  le  geste  ne  ferait  que  les  affai- 
blir. Un  personnage  élevé  n'a  que  peu  ou  point  de  gestes  :  La  dignité 
n'a  pas  de  bras,  a-t-on  dit.  De  même  tous  ceux  dont  les  yeux  et 
les  traits  sont  susceptibles  d'une  expression  vive  et  forte  n'ont 
besoin  que  de  peu  de  gestes.  En  un  mot,  il  faut  tenir  comme  un  prin- 
cipe qu'il  vaut  mieux  avoir  trop  peu  de  gestes  que  d'en  avoir  trop, 
et  n'en  pas  faire  que  d'en  faire  de  mauvais.  Massillon  et  Bourdaloue 
en  faisaient  très-peu.  2°  Le  geste  doit  toujours  précéder  quelque  peu 
la  parole,  parce  qu'on  sent  bien  plutôt  que  la  voix  ne  peut  le  dire, 
et  le  geste  est  beaucoup  plus  preste  qu'elle  ;  il  faut  des  moments  à 
la  parole  pour  se  former  et  arriver  à  l'oreille,  tandis  que  le  geste  part 
au  moment  même  où  l'âme  éprouve  le  sentiment  :  à  cela  prés,  il  doit 
toujours  être  d'accord  avec  la  voix,  c'est-à-dire  en  suivre  le  progrès 
et  la  graduation,  et  tomber  avec  elle  à  la  fin  des  périodes  ;  c'est-à- 
dire  encore,  s'harmonisT  parfaitement  avec  le  sens  des  paroles,  de 
sorte  que  la  nature  seule  semble  le  former  sans  aucune  étude,  et  que 
l'art  n'y  ait  de  part  que  pour  le  remettre  dans  le  naturel.  Aux  jeux 

'  Voyez  l'Art  de  lije  à  haute  voix,  par  Duhroca,  p.  r>'20  —  Cic,  de  Orat., 
lib   III,  220. 


300  TRAITÉ  DE  LA  PHÉDICATÎON 

olympiques,  un  acteur  perdit  le  prix  pour  avoir  fait,  lui  dit-on,  ui 
solécisme  de  la  main  :  il  avait  montré  la  terre  dans  une  invocalioi 
à  Jupiter,  et  le  ciel  dans  une  apostrophe  à  la  terre.  5°  On  doit  fair 
peu  de  ge.-tes  en  counnençant,  et  ne  les  multiplier  qu'à  proportioi 
que  le  discours  s'échauffe  :  il  faut  lever  la  main  dans  l'exclamation  e 
l'admiration,  la  jeter  en  dehors  pour  repousser,  la  retirer  à  soi  pou 
attirer,  la  tendre  roide  pour  demander  l'attention,  pour  indiquer  oi 
imposer  le  silence,  la  replier  sur  soi  pour  marquer  la  réflexion  ou  1 
remords,  la  porter  au  cœur  pour  exprimer  la  chaleur  du  sentiment 
Les  mains  jointesmarquent  la  soumission  quand  on  les  abaisse,  l'adc 
ration,  le  respect  et  la  prière  quand  on  les  élève,  la  douleur  profond 
quand  on  les  tient  devant  soi.  On  raconte  de  Massillon  qu'il  les  croi 
sait  quelquefois  sur  son  front  avec  un  merveilleux  effet.  Les  bra 
étendus  et  ouverts  marquent  la  bouté  qui  accueille,  un  bras  tendu  c 
roidi  caractérise  la  force  et  la  puissance.  A"  La  main  droite  doit  tou 
jours  dominer  le  geste  ;  elle  le  commence  du  côté  gauche  en  form 
de  croissant  et  le  finit  à  droite,  et  pendant  qu'elle  est  en  action,  l'autr 
main  doit  être  appuyée  sur  la  chaire  ou  étendue  sur  la  poitrine.  L. 
main  gauche  ne  doit  presque  jamais  gesticuler,  plus  rarement  encor 
gesticuler  seule  ;  elle  ne  doit  intervenir  que  pour  accompagner  1 
droite,  pour  obéir  aux  mouvements  que  celle-ci  en  exige,  pou 
témoigner  de  l'aversion  ou  montrer  la  place  des  réprouvés.  5°  L'inde: 
allongé  et  les  trois  derniers  doigts  fermés  sous  le  pouce,  ontquolqui 
chose  d'assuré,  de  vif  et  de  pressant  qui  va  bien  dans  les  reproche: 
elles  arguments  serrés,  mais  qui  siérait  mal  dans  l'exorde. 

2°  Défauts  du  geste. 

1°  Un  geste  trop  régulier  serait  un  défaut  dans  certains  endroit! 
du  discours  :  les  mouvements  pathétiques  demandent  une  espèce  de 
désordre,  et  ne  comportent  pas  une  régularité  si  soignée.  2°  Il  faui 
éviter,  en  gesticulant,  d'élever  les  mains  au-dessus  des  épaules  oi 
des  yeux,  de  les  abaisser  au-dessous  de  la  ceinture,  à  moins  que  cê 
ne  soit  pour  les  poser  sur  la  chaire,  d'écarter  les  doigts,  de  les 
courber,  de  les  remuer  avec  légèreté,  de  présenter  le  poing  fermé, 
de  se  couvrir  delà  main  le  visage  ou  la  bouche.  5°  On  ne  doit  ni 
faire  claquer  ses  mains  l'une  dans  l'autre,  ni  en  frapper  la  chaire  à 
grands  coups,  ni  faire  des  énumérations  sur  ses  doigts,  ni  imiter  les 
actions  de  ceux  dont  on  parle,  par  exemple,  d'un  joueur  d'instru- 
ment, d'un  escrimeur,  d'un  ivrogne,  d'un  liomme  ou  d'une  femme 


DES  DIFFERENTES  PARTIES  DE  L'ACTION.  301 

en  colère.  Si  l'on  représente  Jésus-Christ  tn  croix,  il  ne  faut  pas  lui 
faire  joindre  les  mains  pour  dire  :  Pater,  igaosce  i/ZZ-s-,  ou  lui  faire 
désigner  saint  Jean  avec  le  doigt  pour  dire  :  Millier,  ecce  fdiii^ 
tuus.  A"  On  doit  éviter  d'étendre  les  bras  avec  contenlion  coinnieun 
lutteur,  de  les  laisser  tomber  de  leur  propre  poids,  on  pondre  négli- 
gemment, de  trop  les  remuer  et  do  les  agiter,  ce  qui  est  peu  digne 
de  la  majesté  de  la  chaire  ;  en  un  mot  de  faire  des  gestes  outrés  et 
■violents. 

ARTICLE  4. 

DES   3I0UVE.VESXS  DES   YEUX. 

Les  yeux  sont  comme  un  miroir  où  l'âme  se  peint  tout  enlicj'e; 
ils  sont  la  langue  du  creur  et  comme  une  autre  bouche  par  laquelle 
toutes  les  passions  parlent  le  langage  qui  ieui-  est  propre  :  Oculos 
natnra  nobis  ad  motus  animorum  declarandoa  dédit,  dit  Cicéron  '. 
Que  des  yeux  animés  lancent  un  regard  à  propos,  c'est  assez  pour 
que  le  discours  laisse  nne  impression  profonde.  L'art  d'en  régler  les 
mouvements  et  de  les  mettre  ioujours  en  harmonie  avec  le  discours 
est  nn  des  grands  secrets  de  l'éloquence  et  un  des  plus  jjuissants 
moyens  de  succès.  La  joie  rend  l'œil  vif,  la  tristesse  le  couvre  comme 
d'un  nuage;  dans  l'indignation,  il  est  ardent  et  enflammé  ;  dans  le 
reproche,  sévère  ;  dans  ia  frayeur,  égare.  S'il  déplore  l'état  du 
pécheur,  il  est  compatissant  et  donne  des  larmes  ;  s'il  menace  des 
vongeaiu:es  divines,  il  estt"riibli!,  lance  la  foudre  et  les  éclairs;  s'il 
adn^iire,  il  est  élevé  et  radieux-;  s'il  veut  exprimer  la  honte  et  le 
repentir,  il  est  baissé  et  comme  obscurci. 

Les  principaux  défauts  à  éviter  en  ce  point  sont  de  fixer  le  regard 
.'-■oit  sur  certains  points  de  l'audiloire,  soit  sur  certaines  pei^soimes  ; 
d'avoir  les  yeux  ou  fermés  et  comme  endormis,  ou  trop  ouverls,  ou 
légers  et  volages,  ou  tremblants  et  timities,  ou  tiers  et  liagards,  ou 
eriéminés  et  langoureux,  ou  louches  (ît  elïarés,  ou  continneliemejit 
agiles  et  clignotants.  11  faut  les  promener  modestement  dans  tout 
l'auditoire,  et  leur  faire  prendre  les  forjnes  rjue  demandeiit  lesdilTé- 
rente;;  parties  du  discours,  en  leur  laissant  cepiuidant  toujours  le 
caraclèi'e  de  gravité  et  de  modestie  qui  convient. 

*  De  Orat  ,  lih.  III,  22-2. 


302  TRAITÉ  DE  LA  PP.ÉDICATION. 

ARTICLE  5. 

DES   TRAITS    DU    VISAGE  *. 

Le  visage  a,  comme  les  yeux,  son  langage  propre  :  Snnt  in  ore 
omnia,  dit  Cicéron^.  Toutes  les  passions  y  jouent  leur  rôle  :  c'est 
comme  une  toile  sur  laquelle  la  nature  exprime  les  sentiments  de 
l'âine.  Tous  les  pays,  sans  distinction  de  langues,  tous  les  hommes, 
ignorants  ou  lettrés,  savent  y  lire  la  joie  ou  la  tristesse,  la  colère  ou 
la  compassion,  l'amitié  ou  l'aversion,  l'humilité  ou  l'orgueil,  la  dévo- 
tion ou  la  dissipation.  Il  parle  même  quelquefois  plus  efficacement 
que  le  discours  le  plus  éloquent^  :  un  visage  où  respirent  la  piété, 
la  candeur,  la  modestie,  frappe  et  intéresse  ;  un  front  où  brille  la 
majesté  saisit  et  commande  le  respect  ;  et  avec  quel  surcroît  d'atten- 
tion et  de  plaisir  l'auditeur  prête  l'oreille  lorsqu'il  voit  empreints 
sur  le  visage  de  celui  qui  lui  parle  les  sentiments  exprimés  par  les 
paroles  !  Tout  le  reste,  pour  peu  qu'il  soit  passable,  parait  merveil- 
leux ;  le  discours  entre  facilement  dans  les  esprits  et  gagne  rapide- 
ment toutes  les  âmes. 

Puisque  les  traits  du  visage  sont  d'une  telle  importance,  il  faut 
donc  savoir  bien  les  régler.  1°  En  commençant,  le  visage  doit  être 
doux,  affable  et  tranquille,  et  ne  s'animer  que  par  degrés.  Jamais  i 
ne  doit  êlre  impérieux  ni  trop  sévère.  2"  Il  doit  toujours  s'ajuster  au 
sujet  et  faire  sentir  ou  deviner  les  mouvements  de  l'âme.  Que  toutes 
les  passions  s'y  peignent;  l'auditeur  aime  à  les  lire.  5°  Il  ne  faut 
point  rider  le  front  pour  affecter  l'austérité  ni  le  frotter  avec  la  main 
pour  rappeler  un  mot  qui  échappe.  4°  Corrugare  nares,  inflare  et 
movere  et  dùjito  inquietare,  et  impulsii  subito  spiyitum  excutere  et 
diducere  sxpiùs  et  plenâ  manu  resupinare  indecorum  est,  dit  Quiii- 
tilien  *.  5°  Il  faut  laisser  les  parties  de  la  bouche  agir  naturellement 
sans  les  contraindre,  ne  pas  mordre  ou  lécher  ses  lèvres,  ne  pas  les 
tenir  trop  fendues,  trop  avancées,  trop  serrées  ni  si  ouvertes  qu'elles 
laisseiît  voir  les  dents,  ni  nonchalamment  pendantes,  comme  si  elles 
ne  daignaient  pas  se  prêter  à  l'articulation  des  mots.  6"  Il  faut  éviter 
avec  grand  soin  de  cracher  trop  souvent,  et  surtout  de  laisser 
tomber  sa  salive  sur  les  auditeurs,  de  faire  la  moue,  de  boursoufler 
ses  joues  ou  de  souffler  comme  un  athlète  fatigué. 

1  Voyez  l'Art  de  lire  à  haute  voix,  par  Dubro^a,  IV^  part.  ~  Orator.,  lx.  — 
2  De  Orat.,  lih.  IIÎ,  221. —  3  Non  tiim  affedus  exprimit  scribens  digilus  qu'am 
vidUiS.  Saint  Bernard,  epist.  lxvi.  —  *  Lib.  XI,  c.  m. 


DES  DIFFÉRENTES  PARTIES  DE  L'ACTION.  303 

ARTICLE  6. 

DE    LA    POSITION    DK    LA    TETE. 

Comme  la  tète  occupe  le  premier  rang  entre  les  parties  du  corps, 
aussi  roccupe-t-elle  dans  le  geste,  dit  Ouintilien^  On  doit  la  tenir 
droite  et  dans  une  assiette  naturelle.  On  l'élève  avec  modestie  quand 
on  s'adresse  à  Dieu  ou  aux  saints,  quand  on  parle  du  ciel  et  de  tout 
ce  qui  inspire  la  joie;  on  la  baisse  dans  la  tristesse,  dans  les  récits 
lugubres,  dans  l'aveu  de  nos  faiblesses  ou  de  nos  fautes,  en  évitant 
toutefois,  quand  on  l'élève,  d'imiter  le  mouvement  des  oiseaux  qui 
boivent,  ou  quand  on  la  baisse,  le  mouvement  des  personnes  assou- 
pies. On  l'élève  encore  quand  on  admire,  et  on  l'incline  médiocre- 
ment quand  on  compatit,  qu'on  prie,  qu'on  conjure,  qu'on  sollicite. 
On  la  tient  ferme  quand  on  affirme,  qu'on  exhorte,  qu'on  confond; 
on  la  détourne  pour  refuser,  témoigner  de  l'horreur  ou  de  l'aversion. 
Mais  il  ne  faut  jamais  la  tenir  trop  haute;  ce  serait  signe  d'orgueil 
et  de  suffisance  ;  ni  penchée,  ce  serait  marque  d'indolence  ;  ni  habi- 
tuellement baissée,  cela  ôte  toute  dignité  ;  ni  roideet  immobile,  cette 
position  a  quelque  chose  de  fier  et  de  repoussant.  11  faut  éviter  en- 
core d'en  frapper  l'air  par  des  mouvements  déplacés,  ou  de  sembler 
vouloir  la  cacher  entre  ses  épaules,  ou  de  la  soutenir  de  sa  main, 
ce  qui  donnerait  un  air  de  nonchalance. 

Telles  sont  les  régies  d'après  lesquelles  le  prédicateur  doit  parler 
en  chaire.  Quand  il  est  descendu  de  la  tribune  sacrée,  il  lui  reste 
encore  plusieurs  devoirs  à  remplir^.  1"  11  doit  prier  pour  ses  audi- 
teurs, afin  qu'ils  profitent  de  l'instruction,  et  pour  lui-même,  afin 
d'obtenir  la  grâce  de  faire  ce  qu'il  a  enseigné.  2°  Il  doit  noter  sur 
son  cahier  les  pensées  ou  tournures  frappantes  que  lui  a  inspirées 
la  chaleur  du  débit  et  les  modifications  que  lui  ont  suggérées  soit  ses 
propres  observations,  soit  celles  d'autrui.  «  C'est,  dit  le  cardinal 
«  Maury',  en  prêchant  cinq  ou  six  fois  un  discours  et  en  le  corri- 
«  géant  immédiatement  après,  qu'on  en  juge  très-bien  et  l'effet  et 
((  Teiisenible,  qu'on  peut  en  fortifier  les  mouvements,  en  élaguer 
«  les  longueurs,  en  multiplier  et  perfectionner  les  beautés.  »  3"  Il 
doit  s'appliquer  à  quelque  bonne  lecture  ou  autre  occupation,  pour 
faire  diversion  soit  avec  la  vaine  complaisance  quand  il  croit  avoir 

*  Lib.  XI.  c.  vin.  —  -  Voyez  le  Guide  île  ceux  qui  aiinoucciiL  la  [larolo  de 
Dieu,  p.  21''  et  suiv.  —  '  Essai  sur  l'éloquence  de  la  chaire,  c.  lxxviu. 


504  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

OU  du  succès,  soit  avec  la  tristesse  quaiul  il  pense  avoir  mal  réussi. 
4'^  Il  doit  s'humilier  avec  calme  devant  Dieu  des  fautes  qui  lui  sont 
échappées  dans  le  débit,  sans  s'en  excuser  devant  les  hommes,  sans 
s'inquiéter  et  encore  moins  s'informer  de  ce  qu'on  pense  et  de  ce 
qu'on  dit,  ne  pas  mendier  des  éloges,  et,  s'il  en  reçoit,  ne  pas  s'y 
complaire,  mais  se  demander  ce  qu'il  en  pensera  à  l'heure  de  h\ 
mort,  au  jugement  dernier  ou  dans  l'éternité. 


Viy  DU   LIVUl-,   r'KLKIEPi. 


LIVRE  SECOND 


DES  DIFFÉRENTS  GENRES  D'INSTRUCTION 

ET  DES  RÈGLES  PABTICULIÈKES   QU'oN   DOIT    Y   OBSEnVER. 


Comme  le  prêtre  est  obligé,  selon  les  circonstances,  à  diverses 
sortes  de  prédications,  et  que  cha(;une  d'elles  a  ses  règles  spéciales, 
il  est  nécessaire  d'ajouter  aux  principes  généraux  que  nous  avona 
exposés  jusqu'ici  les  règles  parliculières  propres  à  chaque  gciu-e. 
Cette  nouvelle  étude  aura  l'avantage  de  mettre  les  principes  géné- 
raux dans  un  plus  grand  jour  et  d'en  rendre  l'application  plus  fa- 
cile. 

Or  les  prédications  peuvent  différer  en  deux  manières  :  ou  à  raison 
dos  sujets  qu'on  traite,  ou  à  raison  des  genres  divers  de  discours 
dans  lesquels  on  traite  :  c'est  pourquoi  nous  diviserons  ces  régies 
en  deux  [larties  :  dans  la  première,  nous  parlerons  des  divers  sujets 
que  peut  traiter  l'orateur  sacré  ;  dans  la  seconde,  des  diverses  formes 
de  prédication. 


20 


PREMIÈRE  PARTIE 


DES  DIVERS  SUJETS  QU'ON  PEUT  TRAITER  DAxNS' 
LES  CHAIRES  GBRÉTIEN^'ES. 

On  peut  réduire  à  huit  classes  les  sujets  à  traiter  dans  la  chaire, 
savoir  :  1°  les  vérités  chrétiennes;  2°  les  mystères  de  Notre-Seii:neur 
ou  de  la  sainte  Vierge  ;  5°  les  vertus  et  les  vices;  4°  k'S  sacrements  ; 
5°  la  prière  ;  6°  les  panégyriques  des  saints;  7°  les  vètures  et  profes- 
sions rehgieuses;  8°  les  oraisons  funèbres.  Or  chacun  de  ces  sujets 
demande  à  être  traité  d'après  des  règles  spéciales,  et  nous  allons 
les  exposer. 


CHAPITRE  PREMIER 

De  la  manière  de  traiter  les  vérités  clirétiennes  '• 

Il  est  doux  manières  de  traiter  ces  vérités  :  la  première  est  de 
s'attacher  à  en  faire  ressortir  la  certitude  par  des  preuves  solides 
pour  alïermir  ses  auditeurs  dans  la  fui  ;  la  seconde,  de  les  présenter 
commt»  motif  des  vertus  chrétiennes  en  les  considérant  sous  le  point 
de  vue  moral  :  ces  deux  manières  sont  l'une  et  l'autre  extrêmement 
utiles. 

*Et  d'abord  il  est  très-utile  d'affermir  ses  auditeurs  dans  la  foi 

*  Yoy.  z  Pastoral  de  Limoges,  t.  II,  II»  paît.,  lit.  ii,  c    i. 


^■'8  TRAITÉ  DR  I.A  IT.KDICATIOIS. 

*  cit'  ces  vérilés  par  des  prouvas  solides.  l'iicn  iicsl  plus  propre  à 

*  clc>:i!K  r  aux  fidèlos  une  haute  osliine  el  une  grande  idée  de  la  re- 

*  lijiioii  que  de  leur  montrer  les  preuves  iué!)ran!al)lt's  et  (''clalanles 

*  de  cerlilude  surlesquelles  repose  clia(jue  dogme  de  noti'e  eroyance. 

*  C'est  un    grand  et   vaste  édifict!  dont  toutes  les  pierres  sont  em- 
*preint!S  du  doigt  de  Dieu.  Or  ces  caractères  augusics  de  divinité 

*  pénèlr(;iit  l'ânie  à  laquelle  on  les  présente  d'eslime  et  de  vénéîa- 

*  lion,  de  dévouement  et  d'amour  pour  une  religion  (jui  descend  si 

*  évitletnment  du  ciel.  A  ce  beau  spectacle,  l'énergie  de  la  conviction 

*  agit  sur  la  volonté,  l'enivre  d'un  saint  enthousiasme,  la  rend  forte, 

*  invincible,  capable  de  tous  les  sacrifices.   Que  ne  peut  pas   un 
'homme  à  conviction  profonde?  C'est  là  ce  qui  a  conduit  les  martyrs 

*  aux  écbafauds  et  aux  amphithéâtres,   les  confesseurs  dans  les  pri- 

*  ïons,  les  solitaires  dans  les  déserts;  c'est  là  ce  qui  a  fait  tous  les 

*  saints.  Mais  pour  obtenir  ces  grands  résultats  dans  une  paroisse, 
'il  est  nécessaire  de  raviver  de  temps  en  temps  les  croyances  par 

*  des  preuves  présentées  avec  le  raisomiement  solide  d'une  logique 

*  inexpugnable  et  l'accent  d'une  conviction  personnelle  poitée  au 

*  jilus  liant  degi'é.  Autrement  la  foi  devient  faible,  languissante,  sans 

*  énergie  pour  le  bien  et  est  dans  l'homme  comme  n'y  étant  pas  ;  c'est 

*  la  foi  morte,  la  foi  sans  les  œuvies,  et  même  elle  est  en  grand  péril 

*  de  s'éteindre  entièremeiit.  Car  tout  semble  conjurer  contre  elle  : 

*  les  objections  que  le  démon  fait  naitre  dans  l'esprit,   celles  que 

*  suggèrent  les  lectures  ou  les  réllexions  que  l'on  fait  soi-même,  les 

*  feuilles  publiques,  les  productions  anlireligieuses  qu'un  zèle  impie 

*  répand  partout  à  profusion,  les  discours  particuliers  qui  retentis- 

*  sent  chaque  jour  aux  oreilles,  tout  tend  à  miner,  ébranler,  ren- 

*  verseï-  la  foi  :  et  point  d'autre  remède  à  un  si  grand  mal,  que  l'ex- 

*  posé  solide  des  preuves  qui  établis.^ent  nos  croyances  :  soutenu 

*  par  ces  preuves,  la  foi  demeure  ferme  contre  tous   les  assauts  ; 
"  privée  de  ces  appuis,  elle  chancelle   et  tombe  sans  retour.  Témoin 

*  une  déplorable  expérience  :  qui  pourrait  dire  condjien  de  jeunes 

*  gens  et  d'hommes  faits  ont  ])eidu  la  loi,  paice  que  le  prêtre  qui 

*  catéchisa  leur  enfance  ou  qui  les  instruisit  dans  un  âge  plus  avancé 

*  jie  leur  fit  pas   connaître  les  preuves  sohdes  de  leur  cioyance? 

*  .Mieux  instruits,  ils  se  sciaient  conservés. 

*  'î"  Il  est  très-utile  de  considérer  les  vérilôa  chrétiennes  sous  le 

*  point  de  vue  moral,  en  montrant  aux  audit(!urs  les  conséquences 
'pratiques  qui  en  découlent.  Ces  vérités  sont  pour  l'âme  qui  les 

*  niijdite   une  source  inépuisable  d'utiles  instructions,  de  pieuses 


MANIÈRE  DE  TRAITER  LES  VÉRITÉS  CHRÉTIENNES.  509 

*  affections,  de  résolutions  saintes  et  généreuses.  Plus  on  les  appro- 
■'  fondit,  meilleur  on  devient,  et  il  est  impossible  de  les  considérer 

*  avec  foi  sans  se  reprocher  ses  défauts,  sans  se  sentir  mieux  disposé 

*  pour  la  vertu.  Les  règles  que  nous  exposerons  plus  bas  feront  sentir 

*  la  justesse  de  celte  observation;  et  ce  qui  la  confirme  d'avance, 

*  c'est  que  ces  sublimes  vérités  sont  le  fondement  le  plus  solide  de 

*  toute  la  morale,  parce  qu'elles  en  contiennent  à  la  fois  le  molif,  la 

*  sanction  et  l'exemple  ;  on  peut  même  dire  qu'elles  en  sont  le  charme 

*  puisque  par  elles  l'homme  trouve  du  bonheur  à  se  priver,  à  souffrir, 

*  à  s'humilier  et  mourir. 

*  Mais  pour  traiter  convenablement  sous  ces  deux  points  de  vue 

*  les  vérités  chrétiennes,  il  est  des  règles  à  observer;  et  les  deux 

*  articles  suivants  les  feront  connaître. 

ARTICLE  1". 

RÈGLES  A  SUIVRE   DANS    l'eXPOSÉ   DES   PREUVES    DES  VERITES  CHRÉTIENNES. 

1''^  Règle.  —  Le  prédicateur,  en  établissant  ces  vérités  dans  les 
auditoires  catholiques  ordinaires*,  ne  doit  pas  paraître  soupçonner 
qu'il  y  ait  parmi  ceux  auxquels  il  parle  des  esprits  capables  de  douter 
de  la  vérité  qu'il  propose.  En  effet,  comme  ceux  qui  ne  croient  pas 
ne  viennent  guère  à  l'église,  le  reproche  n'irait  point  à  son  adresse  ; 
et  comme  dans  presque  tous  les  auditoires  il  y  a  beaucoup  d'âmes 
simples  qui  pensent  qu'aucun  homme  sensé  ne  peut  douter  do  la 
religion,  il  est  important  de  leur  laisser  cette  pensée  qui  est  dans 
leur  esprit  comme  la  preuve  fondamentale  ou  plutôt  le  charme  de 
leur  foi.  Si  vous  leur  dites  qu'il  y  a  des  gens  qui  ne  croient  pas,  vous 
leur  ôtez  ce  charme  pieux,  vous  les  scandalisez;  vous  leur  proposez 
un  exemple  de  doute  qu'ils  croyaient  impossible,  vous  ébranlez 
leur  foi. 

2''  Hègle,  —  Il  ne  faut  point  dire  ouvertement  â  ses  auditeurs 
qu'on  entreprend  de  leur  prouver  telle  vérité,  mais  il  faut  dissimuler 
son  dessein  sous  une  forme  de  langage  qui  donne  lieu  cependant 
de  présenter  toutes  les  preuves.  En  effet,  ou  les  auditeurs  auxquels 
on  s'adresse  sont  des  âmes  simples  dont  la  foi  pleine  de  candeur  ne 
soupçonne  pas  même  la  possibilité  du  doute  en  matière  de  dogme, 

*  Nous  ne  prétendons  point  donner  ici  dos  règles  pour  ces  auditoires  spociauv, 
tels  fine  ceux  (jue  rassenililuit,  il  y  a  quclfiucs  années,  autour  de  la  cliairc  de 
ISotre-Dame.  le  i*.  de  Ravignan  ou  le  I'.  Lacordaire.  CeUc  spécialité  a  ses  règles 
à  part,  et  il  n'entre  pas  dans  notre  plan  de  les  exposer. 


310  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

OU  ce  sont  des  personnes  qui  ne  croient  pas.  Dnns  le  premier  cas, 
celui  qui  leur  dirait  :  Je  viens  vous  prouver  telle  chose,  ferait  naître 
dans  leur  esprit  ce  soupçon  :  Mais  cette  vérité  est  donc  matière  à 
controverse  ;  il  est  donc  possible  d'en  douter  ou  de  ne  pas  la  croire, 
et  ce  soiipçon  serait  un  scandale  pour  plusieurs.  Dans  le  second  cas, 
ces  attaques  de  front  portées  à  l'erreur  effaroucheraient  les  esprits, 
les  mettraient  en  défiance  contre  le  prédicateur,  en  faisant  redouter 
à  leur  amour-propre  l'humiliation  d'être  vaincu  dans  le  combat  ;  et 
alors  ils  n'écouteraient  plus  que  dans  un  esprit  de  contestation, 
avec  le  désir  bien  prononcé  de  trouver  en  défaut  l'agresseur  de  leurs 
doctrines.  Aussi  saint  François  de  Sales,  dont  le  jugement  en  cette 
matière  a  tant  de  poids,  puisque  cet  apôtre  de  la  douceur  a  converti 
tant  d'hérétiques,  assure  que  jamais  ces  attaques  directes  ne  lui  ont 
réussi  :  sa  méthode  était  d'exposer  simplement  et  clairement  les 
vérités  de  la  foi  dans  leur  majestueuse  beauté,  sans  aucun  mot  qui 
sentît  la  controverse  ;  et  c'est  ainsi  que  nous  devons  faire  nous-mê- 
mes. Je  suppose,  par  exemple,  que  je  voulusse  prouver  l'existence 
de  Dieu,  je  ne  dirai  pas  :  Je  viens  vous  prouver  qu'il  y  a  un  Dieu  ; 
mais  je  dirai  par  exemple  :  «  Comment  pouvons-nous  vivre  dans  un 
«  si  grand  oubli  de  Dieu  et  penser  si  rarement  à  lui?  Tout  nous  en 
«  parle  dans  la  nature  :  si  je  considère  les  cieux,  etc..  Si  je  consi- 
«  dère  la  terre,  etc..  Si  je  me  considère  moi-même,  etc..  L'enfant 
«  qui  voit  une  maison  se  dit  qu'il  y  a  une  intelligence  qui  a  présidé  à 
«  sa  construction,  une  main  qui  a  élevé  ses  pierres  ;  et  nous,  nous 
«  voyons  l'univers,  et('...  El  nous  ne  pensons  pas,  etc..  Et  nous  n'a- 
«  dorons  pas...  »  —  Si  encore  je  veux  prouver  la  présence  réelle,  je 
ne  dirai  pas  :  Je  viens  vous  prouver  que  Jésus-Christ  est  présent  dans 
l'Eucharistie  ;  mais  je  dirai  :  «  Jésus-Christ,  mes  frères,  nous  a  té- 
«  moigné  un  amour  infini  dans  l'institution  de  ce  sacrement  :  car  on 
«  juge  de  l'amour  d'une  personne  par  la  grandeur  et  l'excellence  du 
«  don  qu'elle  fait  à  la  personne  aimée  :  or  Jésus-Christ  nous  fait 
«  dans  ce  sacrement  le  don  le  plus  excellent  et  le  plus  magnifique  ; 
«  car  ce  n'est  pas  une  figure,  un  mémorial  de  sa  personne  qu'il 
«  nous  y  donne,  c'est  sa  personne  adorable  tout  entière,  comme  le 
«  prouvent  ces  paroles  \  Ceci  est  mon  corps,  etc..  »  Et  ainsi  l'audi- 
teur, me  croyaut  tout  occupé  à  faire  ressortir  l'amour  de  Jésus- 
Christ  pour  les  hommes,  lorsque  par  le  fait  je  serai  occupé  à  lui 
prouver  la  présence  réelle,  sentira  tout  à  la  fois  et  son  cœur  touché 
et  son  esprit  convaincu. 
3^  îlèçile.  —  Il  faut  présenter  les  preuves  par  forme  de  développe- 


MANIÈRE  DE  TRAITER  LES  VERITES  CHRETIENNES.  311 

ment  et  d'exposition  de  la  vérité  qu'on  veut  établir,  en  y  évitant  tout 
ce  qui  ressemble  à  l'argumentation  et  à  la  controverse.  Cette  règle 
est  fondée  sur  la  même  raison  que  la  précédente,  et  l'exemple  déjà 
cité  servira  à  l'éclaircir  ;  ainsi,  au  lieu  d'argumenter  sur  le  sens  à 
donner  à  ces  paroles  :  Ceci  est  mon  corps,  au  lieu  de  dire  que  ce  sens 
est  encore  confirmé  par  les  Pérès,  je  développerai  ma  preuve 
comme  si  je  ne  voulais  que  faire  ressortir  l'amour  de  Jésus  pour 
nous.  «Voyez,  dirai-je,  avec  quelle  clarté  son  amour  s'exprime, etc.. 
«  Aussi  les  Pères,  commentant  ces  paroles,  sont-ils  dans  l'ad- 
((  miration  d'un  tel  excès  d'amour  :  0  miracle  i  ô  amour  !  s'écrie 
«  saint  Chrysostome,  celui  qui  est  assis  à  la  droite  du  Père  est  en 
«  même  temps  entre  les  mains  des  prêtres,  etc..  »  Et  après  cela 
je  conclurai,  non  pas  :  donc  Jésus  est  présent  dans  l'Eucharistie, 
mais  :  donc  il  nous  témoigne  dans  ce  sacrement  un  amour  infini. 
Cette  méthode  a  l'avantage  de  parler  à  la  fois  à  l'esprit  et  au 
cœur;  et,  quand  le  cœur  est  touché,  l'esprit  ne  songe  pas  à  dis- 
puter, 

4®  Règle.  ■ — II  faut  être  très-sévère  dans  le  choix  de  ses  preuves, 
très-clair  et  liès-logique  dans  leur  exposé.  Nous  renvoyons,  pour 
l'explication  de  cette  règle,  à  ce  que  nous  avons  déjà  dit  dans  le 
premier  livre,  chap.  iv,  art.  5,  g  2,  section  2,  de  la  Manière  de 
prouver. 

5^  Règle.  —  11  ne  faut  point  se  proposer  les  objections  ni  paraître 
suppose:'  qu'il  y  en  ait  à  faire  contre  la  vérité  qu'on  traite  ;  mais  il 
faut  donner  des  explications  qui  les  résolvent  en  les  prévenant  S  et 
si  l'objection  se  tire  d'un  texte  de  l'Écriture  ou  des  Pères,  apporter 
le  texte  lui-même  en  preuve  de  la  vérité  qu'on  établit.  La  raison  de 
cette  règle,  c'est  qu'il  est  presque  toujours  dangereux  de  proposer 
des  objections,  soit  pour  le  motif  indiqué  dans  les  règles  piécéderi- 
tes,  soit  parce  que  l'auilileur,  fort  attentif  à  l'objection,  est  souvent 
distrait  à  la  réponse,  soit  enfin  parce  que  l'objection  produit  dans 
l'esprit  une  prévention  défavorable  qui  cherche  à  trouver  la  réponse 
en  défaut  :  et  d'un  autre  côté,  la  méthode  que  nous  indiquons  a  cet 
avantage  qu'elle  détruit  l'objection  dans  ceux  qui  la  connaissent,  et 
met  en  état  d'y  répondre  ceux  qui  ne  la  connaissent  pas,  tout  en  les 
laissant  dans  l'heureuse  simplicité  de  leur  ignorance.  Si  donc  je 

*  Non  itàpropouanlnr  arfjunictila  ut  simpliciorcs  offenUi  possint;  sed  eo  pacto 
res  cxpoïKdur  ut  illi  ex  data  explicaliune  solutionem  eoriim  quiv.  sibi  in  mentetn 
venerint  mit  ab  aliis  audivcrint,  facile  collif/mil. 

(Royiiho  Socictatls  Jfsu.) 


312  TRAITi;  DE  LA  l'r.KlUCATÎON. 

vt'iix  rôinlor  l'objoclioii  (pic  li's  iirolcslrinls  tirent  c.onlre  la  présence 
réelle  do  ce  passage  do  l'Evangile  :  Spirilus  est  qui  vivifient,  caro 
non  pvodcst  qnithjuam,  je  ne  présenterai  pas  ce  texte  connne  for- 
mant iine  (lillicnllé;  mais  je  dirai,  on  continuant  l'exposé  de  la  doc- 
trine calliolitpuî  :  «  [>'espril  de  la  Itivinilé  vivifie  la  chair  sacrée  du 
«  Sauveur  qui,  par  elle  seide  et  sans  son  union  avec  le  Verbe,  ne 
«  poiMiait  répandre  la  grâce  dans  les  âmes,  »  Ou  bien  encore,  en 
suivant  ritileipi'élation  de  saint  Augustin  :  «  Oh!  combien  était 
«  grossier  et  indigne  de  la  majesté  de  ce  mystère  le  sentiment  des 
((  Capharnaïtes,  (jui  croyaient  que  Jésus-Christ  couperait  sa  chair  eu 
«  morceaux  sanglants  pour  la  donner  à  manger  !  Que  la  croyance 
«  catholique  est  plus  belle,  plus  digne  de  Dieu  et  de  l'homme  !  C'est 
«  la  seule  que  Notre-Soigneur  approuve,  puisqu'il  dit  que  le  sens 
«  grossier  et  charnel  des  Capharna'ites  ne  sert  de  rien  :  Caro  non 
«  prodcst  quidquam.  »  On  voit  que  parla  celli'  paiole  qui  élait  une 
(ibjerliou  devient  une  preuve  ;  et  ainsi  on  déguise  la  controverse 
tout  en  latrailant.  Telle  était  la  méthode  de  saint  François  de  Sales; 
et  la  conveision  de  tant  de  milliers  d'hérétiques  qui  en  a  été  l'heu- 
reux ei'fet,  en  démontre  l'excellence  :  telle  était  aussi  la  doctrine  de 
Féiielon  :  «  Je  voudrais,  dit-il  dans  ses  Dialogues  sur  l'éloquence, 
<(  qn'u)i  prédicateur,  en  montrant  l'origine  et  l'établissement  de 
«  la  religion,  ilétruisit  les  objections  des  libeitins,  sans  ontrepren- 
«  dre  ouvertement  de  les  attaquer,  de  peur  de  scandaliser  les  sim- 
«  pies  fidèles.  » 

0°  Rrgle.  : —  11  faut  ajouter  aux  preuves  toutes  les  considérations 
propres  à  faire  ressortir  la  beauté,  la  majesté  et  la  sainteté  de  la 
doctrine  chrétienne  sur  le  point  en  question,  et  montrer  combien  le 
dogme  catholique  est  convenable  à  la  bonté  de  Dieu,  à  sa  miséri- 
corde, à  sa  sagesse  et  à  tous  ses  attributs.  Des  pi'cuves  sèches  trou- 
veraient souvent  Tesprit  prévenu  contre  les  dogmes  difficiles  à  croire 
ou  (pii  ont  pour  conséquences  des  préceptes  pénibles;  mais  si  ces 
dogmes  lui  apparaissent  dignes  d'admiration  et  d'amour,  il  éprouve 
pour  eux,  au  contraire,  des  préventions  favorables  qui  lui  en  font 
accueillir  les  preuves  avec  joie  et  bonheur.  Ainsi,  par  exemple,  si, 
ayant  à  démontrer  l'in^tituliou  divine  de  la  confession,  je  me  borne 
à  donner  sèchement  mes  preuves,  l'orgueil,  conlristè  de  l'humilia- 
tion qu'on  lui  inqiose,  cheichera  des  prétextes,  des  objections  et  des 
difficultés  pour  ne  pas  se  rendre  ;  mais  si  je  lui  montre  dans  celte 
institution  la  miséricorde  infinie  de  Dieu  qui  ne  demande  au  coupa- 
ble que  l'aveu  de  ses  fautes  pour  les  lui  pardonner,  quelque  nom- 


MANIÈRE  DE  TRAITER  LES  VERITES  CHRETIENNES.  wl3 

breiises  et  éiioimes  qu'elles  soient  ;  si  je  lui  fais  voir  dans  ce  sacie- 
mentiui  chef-d'œuvre  de  la  sagesse  divine,  frein  des  passions,  ga- 
rantie de  la  morale,  source  des  sages  conseils,  moyen  de  prévenir 
ou  de  réparer  tous  les  torts,  repos  et  bonheur  des  consciences;  dés 
lors  il  est  gagné,  il  trouve  que  Dieu  a  bien  fait,  et  croit  déjà  à  moitié 
un  dogme  si  beau,  si  consolant,  avant  même  que  je  lui  en  aie  donné 
les  prouves;  il  m'écoute  avec  désir  de  croire,  et  bientôt  il  croit. 
Aussi  les  controversistes  qui  ont  ramené  le  plus  d'hérétiques  au  giron 
de  l'Éghse,  ont-ils  tous  suivi  cette  marche;  et  telle  était  encore  la 
méthode  de  saint  Thomas  d'Aquin,  lequel  s'attache,  dans  presque 
tous  les  sujets  qu'il  traite,  à  faire  voir  combien  la  vérité  qu'il  établit 
est  digne  de  Dieu  et  des  hommes.  Les  prédicateurs  ne  sauraient 
mieux  faire  :  qu'ils  fassent  admirer  et  aimer  à  l'auditeur  la  vérité 
qu'ils  lui  démontrent  ;  cette  disposition  le  rendra  plus  propre  à  sai- 
sir et  goûter  les  preuves. 

7«  Règle.  —  Si  l'on  croit,  d'après  les  circonstances,  devoir  parler 
de  ceux  qui  ne  partagent  pas  notre  croyance  sur  le  point  en  ques- 
tion, il  faut  toujours  en  parler  avec  charité  et  douceur,  sans  se 
permettre  la  moindre  parole  qui  puisse  les  offenser.  Les  apostrophes 
insultantes,  les  invectives  et  les  reproches,  les  paroles  piquantes, 
les  défis  de  répondre  portés  aux  adversaires  ne  peuvent  être  bénis  de 
Dieu,  parce  qu'il  y  entre  toujours  beaucoup  d'orgueil  et  point  de 
charité.  Ajoutez  à  cela  que  nos  adversaires  ne  peuvent  être  que  l'é- 
vollés  et  aigris  par  ce  mauvais  genre  ;  cela  seul  serait  un  obstacle  à 
leur  retour  s'ils  en  avaient  la  pensée.  «  Jamais,  disait  s;ijnt  Vincent 
«  de  Paul,  je  n'ai  vu  ni  entendu  dire  qu'aucun  hérétique  ait  été  con- 
«  vcrti  autrement  que  par  la  douceur  et  l'humilité.  »  Et  il  en  est 
de  même  des  incrédules  et  des  pécheurs  :  pour  les  ramenei-  il 
faut  chercher  à  les  gagner  et  non  à  les  confondre,  se  montrer  à  eux 
non  comme  un  adversaire  qui  veut  remporter  la  victoire,  mais 
comme  un  père  qui  les  aime,  et  ne  cherche  à  les  éclairer  que  parce 
qu'il  les  aime.  Il  est  au  ibiid  de  toutes  les  âmes  un  orgueil  secret 
qui  prévient  contre  la  vérité  que  les  autres  nous  découvrent,  et  cet 
orgueil  demande  à  être  ménagé. 

8"  licgle.  —  Après  avoir  exposé  les  preuves,  il  faut  toujours  dé- 
duire des  affections  pieuses,  et  tirer  quehjues  conséquences  prati- 
ques propres  à  rendre  les  auditeurs  meilleurs.  Ces  affections  servent 
uierv<'illcuseinent  à  la  persuasion,  et  gravent  la  vérité  non-seule- 
ment dans  l'esprit,  mais  dans  le  cœur,  siège  de  la  foi  (jui  justifie  : 
Corde  crcdilur  ad  justitiam.  D'ailleurs,  toute  vérité  religieuse  ayant 


314  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

pour  conséquence  des  obligations  à  remplir,  le  prédicateur  s'arrête- 
rait en  chemin  s'il  ne  menait  ses  auditeurs  jusque-là.  Éclairer  l'enten- 
dement n'est  qu'un  moyen  pour  déterminer  la  volonté  à  mieux  vivre  ; 
et  c'est  perdre,  au  moins  en  grande  partie,  le  fruit  de  son  discours 
que  de  ne  pas  conclure  par  une  exhortation  pressante  à  la  réforme 
des  mœurs,  à  la  pratique  des  vertus. 

ARTICLE  2. 

RÈGLES  A    SUlvr.E  EN    TRAITANT   LES    VERITES   CHRETIENNES    SOUS   LE   RAPPORT   MORAL 
OU  DANS    LE    DESSEIN   DE    PORTER  LES    HOMMES  A  LA  VERTU. 

Les  perfections  de  Dieu,  ses  bienfaits,  les  fins  dernières  de 
Ihomme,  tels  sont  les  trois  chefs  auxquels  peuvent  se  rapporter 
foutes  les  vérités  chrétiennes'.  Les  trois  paragraphes  suivants 
vont  nous  exposer  les  règles  relatives  à  ces  trois  ordres  de  vé- 
rités. 

g    1er. 
De  la  prédication  sur  les  perfections  divines. 

C'est  un  devoir  pour  le  prédicateur  de  développer  souvent  aux 
peuples  les  perfections  de  Dieu,  et  de  leur  montrer  dans  ces  per- 
fections le  principe  de  toutes  leurs  obligations,  le  motif  de  toutes  les 
vertus.  Dieu  n'est  pas  connu,  voilà  la  cause  de  tous  les  maux  qui  dé- 
solent la  terre  ;  voilà  pourquoi  les  pécheurs  ne  le  craignent  point 
et  les  bons  l'aiment  si  faiblement:  ce  qui  a  fait  dire  à  Jésus-Christ 
que  la  connaissance  de  Dieu  est  la  clef  de  la  vie  éternelle  :  Excest 
vita  œterna  ut  cognoscant  te  solum  Deum  venim.  Pour  traiter  digne- 
ment un  si  grand  sujet,  voici  quelques  règles  qui  pourront  diriger 
le  prédicateur. 

d'«  Règle.  —  Le  prédicateur  doit  s'attacher  à  donner  aux  peuples 
la  plus  grande  idée  de  Dieu,  et  n'en  parler  jamais  lui-même  qu'a- 
vec un  profond  respect,  soit  qu'il  traite  ex  professa  les  grandeurs  di- 
vines, soit  qu'il  en  parle  par  occasion  dans  ses  instructions.  L'estime 
souveraine  de  cette  majesté  infinie  dont  Newton  n'entendait  jamais 
prononcer  le  nom  sans  se  découvrir,  fera  comprendre  aux  peuples 
ce  que  c'est  qu'adorer  et  s'abaisser  devant  Dieu  ;  elle  les  rendra 
dociles  à  ses  commandements,  soumis  à  sa  Providence,  religieux  en- 

*  Les  vérités  qui  n'entrent  pas  dans  cette  division  ont  rapport  aux  mystères 
ou  aux  vertus,  à  la  prière  ou  aux  sacrements  dont  nous  parlerons  dans  les  articles 
suivants. 


MANIÈRE  DE  TRAITER  LES  YÉP.ITÉS  CHRÉTIENNES.  515 

vers  son  nom  adorable  qu'on  cessera  de  blasphémer,  et  envers  ses 
'aiinistres  qu'on  honorera;  elle  leur  inspirera  le  respect  et  raltontion 
dans  la  prière  et  le  lieu  saint,  élèvera  leur  âme  au-dessus  des  vues 
humaines,  au-dessus  de  tous  les  intérêts  temporels,  qui  ne  sont  rien 
pour  qui  a  compris  cette  parole  :  Qitis  ut  Dens?  Dieu  seul  est  tout; 
tout  doit  être  sacrifié  au  bonheur  de  lui  plaire.  Il  est  donc  de  la 
plus  haute  importance  d'inspirer  aux  peuples  cette  souveraine  estime 
de  Dieu  ;  et  l'on  y  réussira  en  leur  exposant  avec  un  air  pénétré  et 
un  sentiment  profondément  religieux  sa  toute-puissance,  sa  gran- 
deur, sa  sainteté,  son  éternité,  toutes  ses  perfections  incompréhen- 
sibles parce  qu'elles  sont  infinies,  en  leur  montrant  ensuite  les  anges 
abîmés  de  respect  devant  sa  majesté,  tous  les  saints  prosternés  de- 
vant son  trône,  tels  que  nous  les  représente  l'apôtre  saint  Jean  dans 
l'Apocalypse,  et  surtout  en  accompagnant  ces  paroles  de  son  exem- 
ple, et'paraissant  toujours  proiondément  respectueux  dans  la  prière 
et  le  lieu  saint. 

2'^  Règle.  —  En  même  temps  que  le  prédicateur  donne  aux  peu- 
ples une  grande  idée  de  Dieu,  il  doit  s'attacher  à  le  leur  montrer 
comme  infiniment  aimable  et  infiniment  à  craindre.  L'amour  et  la 
crainte,  voilà  les  deux  sentiments  dont  le  cœur  de  l'homme  a  be- 
soin :  l'amour  pour  l'attirer  à  Dieu,  la  crainte  pour  effrayer  les  pas- 
sions qui  voudraient  l'en  éloigner;  et  la  prédicateur  trouvera  facile- 
ment dans  les  perfections  divines  de  quoi  faire  naître  au  cœur  de 
ses  auditeurs  ces  deux  dispositions.  Quoi  de  plus  aisé  que  de  montrer 
que  Dieu  est  infiniment  aimal)le  ,  puisqu'il  est  infiniment  parfait, 
qu'il  est  notre  l'ère,  le  ce  itre  et  la  joie  de  nos  cœurs?  Et  il  n'est  pas 
plus  difficile  de  faire  voir  qu'il  est  infiniment  à  craindre,  puisqu'il 
est  notre  juge,  juge  infiniment  saint  qui  ne  peut  souffrir  rien  de 
souillé,  juge  infiniment  terrible  qui  tient  entre  ses  mains  la  sentence 
de  notre  éternité  heureuse  ou  malheureuse. 

5«  I{(hjle.  —  Le  prédicateur,  en  traitant  les  perfections  divines, 
devra  saisir  en  elles  ce  qu'elles  nous  ofi'rent  d'imitable,  et  le  pro- 
poser à  ses  auditeurs  comme  le  type  magnifique  et  sublime  de  la  vie 
chrétienne.  Car  Dieu  nous  ayant  créés  à  son  image,  le  propre  de  la 
religion  est  d'achever  dans  nos  âmes  colle  divine  ressemblance  ; 
enfants  de  Dieu,  nous  devons  nous  montrer  dignes  de  notre  père  :  et 
ici  1(!  prédicateur  aura  à  développer  aux  fidèles  la  miséricorde  de 
Dieu  avec  toutes  ses  richesses,  en  leur  disant  comme  Jésus-Christ: 
Estnlc  miséricordes  siciit  et  Pater  vester  misericors  est  ^  ;  sa  sainteté 

•  Luc,  VI,  50. 


510  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATIO:^. 

en  ajci'itant  avec  Dieu  lui-même  dans  le  Lévilique  :  Sniicti  estoie 
quoniam  ego  snnctus  snm  '  ;  ba  patience  qui  soudVc  tous  les  péchés 
des  hommes,  sa  douceur  qui  ne  se  trouble  ni  ne  se  fâche  d'aucun 
outrage,  sa  bonté  qui  rend  le  bien  pour  le  mal,  comble  toutes  les 
créatures  de  ses  bienfaits  et  est  pour  nous  plus  ((ue  maternelle, 
toutes  ses  perfections  enfin,  en  déduisant  avec  le  divin  Maître  l'obli- 
gation de  nous  rapprocher  le  plus  possible  de  ce  beau  modèle:  En- 
tote  verfecti  sicut  et  Pater  rester  coilestis  perfectiis  est^. 

A"  Règle.  —  On  peut  traiter  en  deux  manières  les  perfections  di- 
vines: la  première  est  d'établir  ou  expliquer  cette  perfection  dans 
le  premier  point,  qui  alors  serait  purement  dogmatique,  et  de  déve- 
lopper dans  le  second,  qui  alors  serait  tout  moral,  les  fruits  de  vertu 
que  nous  devons  recueillir.  Par  exemple,  je  puis  dire  :  Dieu  est  pré- 
sent partout,  premier  point  ;  à  quoi  nous  ohUge  cette  présence  de 
Dieu  en  tous  lieux?  second  point  ;  ou  encore:  //  y  aune  Providence 
qui  veille  sur  chacun  de  nous,  premier  point;  quels  sont  nos  devoirs 
envers  cette  Providence?  second  point. —  La  deuxième  manière,  c'est 
d'insérer  les  fruits,  affections  et  pratiques  dans  l'énoncé  même  des 
perfections  de  Dieu;  par  exemple:  La  présence  de  Dieu  partout  est 
un  motif  puissant  d'éviter  tout  péché,  premier  point;  d'arriver  en 
peu  de  temps  à  la  perfection,  second  point  ;  ou  encore  avec  Bourda- 
loue^:  Dieu  a  sur  nous  un  domaine  essentiel  que  nous  devons  recon- 
naître par  une  sincère  oblation  de  nous-mêjnes,  premier  point  ;  un 
domaine  universel  que  nous  devons  reconnaître  par  une  entière  obla- 
tion de  nous-mêmes,  second  point  ;  un  domaine  éternel  que  nous  de- 
vons reconnaître  par  une  prompte  oblation  de  nous-mêmes,  troisième 
point.  Cette  méthode  paraît  plus  utile  que  la  première,  en  ce  qu'elle 
découvre  mieux  aux  peuples  les  fruits  qu'ils  doivent  tirer  du  dis- 
cours, chaque  proposition  de  la  division  marquant  ce  qu'il  faut  faire 
ou  ce  qu'il  faut  éviter. 

On  peut  consulter  sur  les  perfections  divines  :  1°  l'Écriture  sainte, 
et  surtout  les  prophètes;  2°  Bossuet,  dans  ses  Élévations  sur  les 
mystères;  5"  Avrillon,  dans  ses  Réflexions  sur  les  attributs  de  Dieu  , 
4"  Lafosse,  Tractatus  de  Deo  et  divinis  attributis. 

De  la  prélication  sur  les  bienfaits  de  Dieu. 

Il  est  très-utile  de  prêcher  souvent  sur  les  bienfaits  de  Dieu,  et 
de  faire  ressortir  la  reconnaissance  à  laquelle  ces  bienfaits  nous 

*  Lev.,xi,  4i.  —  -Maltli.,  v,  ■^S.  —  ^  Sermon  pour  le  jour  delà  Puri/icatioii. 


MANIERE  DE  TRAITER  LES  VERITES  CHRETIENNES.  517 

obligent.  «  Je  vous  engage,  écrivait  saint  Liguori  à  un  missionnaire, 
«  à  parler  souvent  de  l'amour  que  Jésus-Chiist  nous  a  témoigné 
«  dans  l'institution  du  Saint-Sacrement,  et  de  celui  qu'à  notre  tour 
ti  nous  devons  ressentir  pour  notre  aimable  Rédempteur.  Tout  ce 
«  qui  se  fait  par  la  crainte  des  châtiments  et  non  par  amour,  a  peu 
«  de  durée.  » 

Il  y  a  ici,  comme  dans  le  paragraphe  précédent,  deux  manières  de 
traiter  ce  sujet, -l'une  et  l'autre  également  utiles. 

La  première  est  de  montrer  dans  un  premier  point  la  grandeur  du 
bienfait,  et  dans  le  second  les  obligations  qui  en  résultent,  c'est-à- 
dire  la  reconnaissance  qu'on  en  doit  avoir  et  les  fruits  qu'il  en 
faut  recueillir.  —  Pour  relever  la  grandeur  du  bienfait,  on  considère 
trois  points  de  vue,  le  bienfait  en  lui-même,  celui  (lui  le  donne  et 
celui  qui  le  reçoit  :  1'  le  bienfait  en  lui-même  :  on  en  démontre  le 
prix  en  faisant  voir  combien  il  est  excellent  eu  soi,  combien  il  nous 
est  utile  ,  peut-être  même  nécessaire,  et  s'il  y  a  lieu,  combien  il  est 
multiplié  et  souvent  réitéré;  2°  celui  qui  le  donne;  et  ici  on  fait  res- 
sortir d'un  côté  la  dignité  infinie  du  bienfaiteur  qui  veut  bien  abaisser 
ses  bienfaits  jusqu'à  nous;  de  l'autre  ce  que  lui  coûte  ce  bienfait  et 
l'affection  plus  que  paternelle  avec  laquelle  il  nous  le  donne;  5"  celui 
qui  le  reçoit;  et  ici  on  démontre  que  c'est  une  personne  qui  n'a  mé- 
rité en  rien  cette  faveur  ,  qui  au  contraire  s'en  est  rendue  horrible- 
ment indigne,  et  parles  outrages  faits  à  son  bienfaiteur,  et  par  l'in- 
sensibililù  prévue  pour  le  bienfait.  Ces  trois  considérations  peuvent 
se  développer  à  l'aide  du  vers  si  connu  : 

Quis,  qiiid,  ubi,  qiiibus  anxiliis,  cur,  quomodu,  qucindb. 

Qiiis?  Plus  le  bienfaiteur  est  élevé,  plus  le  bienfait  est  appréciable: 
le  don  d'un  roi  à  un  sujet  est  plus  appréciable  qu'un  don  d'égal  à 
égal.  Quid?  Quel  est  le  bienfait  en  lui-même  et  en  ses  conséquences 
ou  ses  avantages?  l//^i?Oùaèté  déposé  ce  bienfait,  c'est-à-dire  à 
qui  a-t-il  été  donné?  A  uu  néant  rebelle  et  ingrat,  connu  d'avance 
comme  tel.  Qiiibus  anxiliis  ?  Les  moyens  emi)loyés  [)our  conférer  ce 
bienfait  ne  supposent-ils  pas  une  bonté  ineffable?  Car?  Par  pur 
amour,  et  loin  que  le  bieidaiteur  eût  intérêt  à  conférer  ce  bienfait  à 
l'hounne,  tout  devait  l'en  dêtoui'ner.  Qnornod')?  Les  circonstances 
qui  entourent  ce  bienfait,  la  manière  dont  il  est  donné,  relèvent 
encore  la  générosité  et  la  li'iulresse  du  bienfaiteur.  Qnaitdù?  fiC 
temps  où  nous  recevons  ce  l)i(!nfait  en  est  une  nouvelle  preuve.  — 
Pour  (lire  ensuite  à  (pioi  oblige  le  bieufiit,  on  fait  voir:  1"  ([u'il  faut 


518  TUAITÉ  DE  LA  PliÉDICATION. 

aimer  le  bienfaiteur  et  ie  remercier  souvent  ;  craindre  de  l'offenser, 
chercher  au  contraire  à  lui  plaire  en  tout,  et  désirer,  si  on  le  pou- 
vait, de  lui  rendre  la  pareille,  de  faire  pour  lui  autant  qu'il  a  fait 
pour  nous  ;  2"  qu'il  faut  conserver  précieusement  le  bienfait,  en  faire 
toute  l'estime  qu'il  mérite  et  surtout  l'usage  pour  lequel  il  nous  a  été 
donné. 

La  deuxième  manière  de  traiter  les  bienfaits  de  Dieu  est,  comme 
dans  le  paragraphe  précédent,  d'insérer  la  moralité  dans  les  pro- 
positions mômes  de  la  division.  Par  exemple,  si  je  veux  prêcher  sur 
la  création  :  Par  la  création,  Dieu  est  V auteur  de  mon  être,  je  dois 
lui  obéir,  premier  point  ;  il  m'a  fait  pour  lui,  je  dois  tendre  à  luiy 
second  point;  il  ni  a  fait  à  sa  ressemblance,  je  dois  ri7niter,  irohième 
point  ;  ou  encore  :  Dieu  par  la  création  est  mon  maître,  je  dois  le 
servir,  premier  point  ;  il  est  mon  père,  je  dois  l'aimer  et  l'honorer, 
second  point  ;  et  l'on  suit  pour  le  développement  les  moyens  d'am- 
plification que  nous  avons  indiqués  en  exposant  la  première  ma- 
nière. 

Telle  est  la  méthode  qu'on  peut  suivre  pour  traiter  tous  les  bien- 
faits de  Dieu,  comme  laProvidence,  l'Incarnation,  la  Rédemption,  la 
Grâce,  l'Eucharistie,  la  Confession,  etc.  Le  prédicateur,  en  s'atta- 
chant  à  ces  indications,  est  sûr  de  donner  toujours  une  instruction 
utile. 

§5. 

De  la  prédication  sur  les  fins  dernières. 

Nous  avons  déjà  dit,  dans  le  chapitre  troisième  du  premier  livre, 
combien  il  est  important  de  prêcher  souvent  sur  ces  vérités.  On  ne 
saurait  trop  rappeler  à  l'homme  qu'il  ne  meurt  pas  tout  entier 
comme  la  brute,  qu'au  sortir  de  la  vie,  l'attendent  d'ineffables  jouis- 
sances ou  d'épouvantables  supplices,  selon  qu'il  aura  bien  ou  mal 
vécu  ;  et  nul  doute  qu'une  des  causes  principales  du  dépérissement 
des  mœurs  parmi  les  fidèles,  c'est  qu'on  ne  prêche  pas  assez  ou 
qu'on  prêche  mal  sur  ces  graves  sujets.  Pour  les  traiter  utilement,  il 
faut  commencer  par  s'en  bien  pénétrer  en  se  les  appliquant  à  soi- 
même,  afin  d'en  porter  en  chaire  une  foi  si  vive,  que  toutes  les  pa- 
roles, tous  les  gestes,  les  traits  du  visage,  l'accent  de  la  voix,  per- 
suadent aux  auditeurs  qu'on  éprouve  le  premier  pour  soi-même  les 
sentiments  qu'on  veut  leur  inspirer.  C'est  ôter  à  ces  vérités  tout  leur 
effet  que  d'en  parler  avec  froideur,  comme  on  parle  de  choses  in- 
différentes; c'est  même  une  sorte  de  scandale  que  de  laisser  paraître, 


MANIERE  DE  TRAITER  LES  VERITES  CHRETIENNES.  319 

avant,  pendant  ou  après  le  sermon,  un  certain  air  libre  et  content  de 
soi,  qui  décèle  une  âme  étrangère  ou  insensible  à  la  vérité  prèchée, 
II  faut,  en  second  lieu,  se  proposer  un  but  pratique  auquel  on  ra- 
mène le  discours.  Car,  poiter  l'effroi  dans  les  âmes  n'est  pas  un  but 
digne  d'un  ministre  de  l'Évangile  :  si  sa  parole  est  terrible,  ce  ne 
doit  être  que  pour  rendre  les  hommes  meilleurs.  Massillon  a  quel- 
quefois manqué  à  cette  règle  ;  il  effraye  son  auditeur  et  le  laisse  là. 
Bourdaloue ,  au  contraire ,  s'empare  de  l'auditeur  effrayé ,  et  lui 
montre  la  manière  d'échapper  au  danger  qui  l'épouvante.  Ainsi  doit 
faire  tout  bon  prédicateur. 

Sous  le  nom  des  fins  dernières,  on  comprend  ordinairement  le 
salut,  la  mort,  le  jugement,  l'enfer  et  le  ciel.  Nous  ferons  sur  chacun 
de  ces  sujets  quelques  observations  que  nous  croyons  utiles  aux 
prédicateurs  qui  voudront  les  traiter. 

1°  Sur  le  salut. 

1"  Observation.  —  On  rencontre  souvent  trois  défauts  dans  les 
prédications  sur  cette  matière.  Le  premier,  c'est  que  le  prédicateur 
se  transforme  en  historien  fastidieux  des  œuvres  de  Dieu,  depuis  le 
paradis  terrestre  jusqu'au  Calvaire,  et  souvent  plus  loin.  Sans  doute 
il  est  bon  de  montrer  ce  que  Dieu  a  fait  pour  le  salut,  afin  de  faire 
ressortir  l'importance  qu'il  y  attache  ;  mais  cette  peinture  doit  se 
faire  brièvement,  à  grands  traits,  et  surtout  être  entremêlée  d'appli- 
cations ou  d'inductions  contre  le  pécheur  qui  néglige  son  salut  :  le 
salut,  peut-on  lui  dire  par  exemple,  est  la  dernière  de  vos  affaires  ou 
plutôt  n'en  est  pas  une  pour  vous  ;  et  Dieu  en  fait  son  unique  affaire, 
à  laquelle  il  subordonne  tout  le  reste  ;  d'où  je  conclus  ou  que  Dieu 
n'a  pas  raison  ou  que  votre  conduite  est  déraisonnable...  Vous  dites 
que  les  sacrifices  que  demande  le  saUit  sont  trop  pénibles,  et  voyez 
Jésus-Christ  au  jardin  des  Ohves,  à  la  colonne  de  la  llagellalion,  sur 
la  croix...  —  Le  second  défaut  est  de  faire  une  longue  description 
du  ciel  et  de  l'enfer.  Ces  descriptions  ont  l'inconvénient  :  1"  d'être 
nécessairement  faibles  et  imparfaites,  parce  que  ce  sont  des  matières 
trop  vastes  pour  n'occuper  qu'un  coin  du  tableau;  2°  d  être  des  hors- 
d'œuvre.  11  ne  s'agit  pas  ici  de  décrire  le  ciel  ou  l'enfer,  mais  de 
presser  avec  force  et  énergie  ses  auditeurs  de  se  mettre  de  tout  leur 
cœur  à  travailler  à  leur  salut.  —  Le  troisième  défaut  est  de  parler 
sans  modération  du  petit  nombre  des  élus,  de  l'impénitence  finale, 
du  d.inger  du  délai  de  la  conversion,  de  la  suite  des  rechutes  dans 
le  péché,  de  l'empire,  des  mauvaises  habitudes  et  autres  matières 


r.'JO  TUMTM  DE  LA  l'I'.KDin.VTlON. 

st'iiililables.  Par  là  on  (U'couia^c,  on  (!i''st'siu''!(>  les  péclKMirs,  qui  no 
sciiteiil  déjà  {[uc  Iroj)  les  (lilliciillés  (in  saliil;  et  on  Irouidc  les  justes, 
on  leur  ôle  la  paix  (jui  leiu'  i-st  si  nécessaire,  dvMihle  inconvénient 
qui  rend  le  sermon  plus  iniisible  (pi'utile.  Saint  François  de  Sales 
avait  une  liien  antiepi'arKiue  ;  il  s'altaoliait,  au  contraire,  à  montrer 
qu'avec  nu  piui  de  bonne  volonté  tous  S!'s  auditeurs  pouvaient  se 
sauver.  Les  prédicateurs  ne  sauraient  ti'op  imiter  un  si  beau  modèle. 

li''  Observalio)!.  —  Tout  bon  sermon  sur  le  salut  doit  renfermer 
expliciieinenl  ou  implicitement  les  deux  points  suivants  :  Il  fautvous 
occiijHT  iDiit  oiticr  et  drs  (injourd'  lini  de  votre  salut,  premier  point; 
que  faut-il  faire  pour  réussir  dans  une  affaire  si  grave?  second  point. 
—  Dans  le  premier  point,  le  prédicateur  doit  faire  toucher  au  doigt 
que  c'est  une  ali'aire,  1"  importante  (on  peut  en  prendre  à  témoin  les 
l'éprouvés,  les  saints,  Dieu  lui-même);  2°  nécessaire  (pas  moyen  de 
rélud(>r  :  lu  alterutram  ;vternilatem.  cadam  uecesse  est)  ;  o"  [jcrson- 
nelle  (il  ne  s'agit  pas  de  nos  biens  on  de  notre  honneui',  il  s'agit  de 
nous-mêmes,  et  chacun  dans  celle  alTaire  y  est  pour  soi);  4°  urgente 
(tout  délai  est  dangereux);  5°  digne  de  tous  nos  soins  (elle  les 
demande  et  elle  les  mérite).  —  Dans  le  second  point,  il  faut  montrer 
la  nécessité,  i"  de  recouvrer  promplement  eî,  de  conserver  soigneu- 
sement l'étal  de  grâ(;e  ;  2"  de  tout  suijordonner  au  salut,  actions, 
projets,  choix  d'un  état  et  d'un  éta))lissement,  usage  des  choses  de 
ce  bas  monde,  tout  enfin  :  Quid  hoc  ad  xterniiatein?  Voilà  le  prin- 
cipe et  la  régie  de  conduite  (pie  tous  doivent  adopter  comme  consé- 
quence du  sermon. 

3''  Observation.  —  On  peut  consulter  sur  celle  matière  le  Traité 
de  l'importance  du  salut  par  le  V.  llapin  ;  la  Guide  des  pécheurs, 
livi'e  II,  cil.  j  ;  le  P.  Giroust  dans  son  Avent  et  son  Carême;  et,  parmi 
les  Pères  de  l'Kglisc,  saint  Chrysostome,  homélies  22  et  58  au  peuple 
d'Anlioehe,  et  saint  Augustin,  serm.  Gi,  de  Verbis  Domini.  —  Si,  au 
lieu  de  traiter  le  soin  du  salut,  on  voulait  traiter  l'insouciance  des 
hommes  pnur  le  salut,  on  pouriMit  montrer  combien  cette  insou- 
ci.iiire  es!,  1"  injurieuse  à  Dieu;  2"  indigne  d'un  homme  sensé;  et 
Ion  liouverait  de  belles  et  excellentes  considérations  sur  ce  sujet 
(lins  les  chapitres  vni  et  mi  du  premier  volume  de  l'Essai  sur  l'in- 
dilléieiice  par  M.  de  Lamennais. 

2"  Sur  la  mort. 

1"=  Observation.  —  H  y  a  dans  les  prédications  sur  celle  matière 
ti'ois  défauts  très-commims.  Le  premier  est  de  prouver  par  1  Écriture 


MANIÈRE  DE  TMÎTER  LES  VÉRITÉS  CHRÉTIENNES.  3*1 

sainte,  la  tradition,  l'expérience  et  la  raison,  la  certitude  de  la  mort 
et  rincerlilude  du  moment  de  la  mort,  choses  assurément  admises 
de  tout  le  monde.  11  est  bon,  sans  aucun  doute,  de  faire  considérer 
au  pécheur  qu'il  doit  mourir  et  qu'il  n'en  sait  pas  le  moment  ;  mais 
il  est  ridicule  d'entreprendre  de  le  lui  prouver  comme  on  prouve- 
rait une  proposition  sujette  à  controverse.  Le  second  défaut  est  de 
peindre  les  angoisses,  le  remords,  le  désespoir  du  pécheur  mourant. 
Cette  peinture  élait  vraie  et  utile  dans  les  siècles  de  foi  :  aujourd'hui 
elle  porterait  complètement  à  faux.  L'e.xpérience  démontre  que  les 
plus  grands  pécheurs  meurent  fort  tranquilles,  et  les  exhortations  les 
plus  véhémentes  du  zélé  ne  peuvent  réveiller  sur  eux  la  moindre 
inquiétude.  —  Letroisième  défaut  est  de  démontrer  l'impossibilité 
de  bien  mourir  quand  on  a  mal  vécu.  C'est  le  défaut  où  est  tombé  k 
V.  Brydaine  dans  son  sermon  sur  la  mort  du  pécheur,  où  il  traite 
cette  proposition  unique  ;  Telle  vie,  telle  mort;  si  vous  vivez  dans  le 
péché,  vous  mollirez  dans  le  -péché.  Cela  a  l'inconvénient:  1*  de  mettre 
des  bornes  à  la  miséricorde  de  Dieu,  ce  qui  ne  doit  jamais  se  faire; 
2°  d'exposer  le  pécheur  mourant  à  désespérer  de  son  salut,  et  le 
ministre  appelé  pour  l'assister  à  contredire  ce  qui  a  été  dit  en  chaire. 
2°  Observation.  —  Il  y  a  quatre  manières  principales  de  présenter 
ce  sujet,  suivant  le  but  qu'on  se  propose.  —  1°  Si  l'on  veut  engager 
les  fidèles  à  se  préparer  à  la  mort,  on  peut  diviser  ainsi  son  sermon: 
//  faut  se  préparer  à  lamort.,  premier  point:  comment  s'y  préparer? 
second  point.  Le  premier  point  se  prouve  :  1*  par  le  malheur  de 
mourir  sans  préparation,  malheur  immense,  irréparable;  2°  par  le 
danger  évident  d'encourir  ce  malheur  si  l'on  vit  sans  y  penser; 
3*  par  la  difficulté  de  se  préparer  quand  on  attend  au  dernier 
moment.  Pour  le  second  point,  on  montre  qu'il  faut  :  1°  mettre  dans 
sa  conscience  et  ses  affaires,  dès  ce  moment  même,  l'ordre  qu'on 
voudrait  y  avoir  mis  à  l'heure  de  la  mort  ;  2°  faire  chacune  de  ses 
actions  connne  si  on  devait  mourir  aussitôt  après  ;  5°  ne  jamais 
demeurer  dans  un  état  où  l'on  ne  voudrait  pas  mourir.  —  2°  Si  l'on 
veut  détacher  les  cœurs  de  la  terre  pour  les  porter  à  la  sainteté,  on 
peut  dire  :  La  certitude  de  la  mort  doit  nous  détacher  de  toutes  les 
choses  de  ce  monde,  premier  point;  l'incertitude  du  moment  de  la 
mort  doit  nous  inspirer  une  vigilance  continuelle  qui  nous  conserve 
toujours  prêts  à  paraître  devant  Dieu,  second  point.  — 5°  Si  l'on  veuf 
former  ses  auditeurs  à  la  pratique  des  vertus  chrétiennes,  on  jx'ul 
leur  présenter  la  pensée  de  la  mort  connne  motif  d'humi- 
lité, comme  règle  infaillible  de  prudence  chrétienne,  comme  moyen 

21 


3Î2  TRAIÏÈ  DE  f.A  I'ni;ni{;\T[ON. 

efficace  de  ferveur.  Ces  trois  points  donneront  lieu  aux  plus  utiles 
développements;  le  premier  a  été  admirablement  traité  par  Bossuet*. 
4*  Si  l'on  veut  détruire  dans  ses  auditeurs  cette  crainte  excessive  de 
la  mort  si  indigne  d'une  âme  chrétienne,  on  peut  leur  dire  que  dans 
la  mort  du  vrai  chrétien  tout  est  consolation  et  jouissance,  le  passé, 
le  présent  et  l'avenir,  he  passé,  carie  vrai  chrétien  quitte  sans  regret 
ce  qu'il  a  possédé  sans  attache,  il  se  voit  avec  bonheur  affranchi 
des  misères  de  cette  vie  et  surtout  du  danger  dépêcher.  Leprésent, 
c'est  le  voyageur  qui  arrive  au  terme,  le  nautonier  qui  entre  dans 
le  port.  L'avenir,  il  voit  le  ciel  qui  s'ouvre,  il  va  jouir  enfin  du 
bonheur  éternel  pour  lequel  il  est  fait. 

5^  Observation.  —  On  peut  consulter  sur  cette  matière  le  P.  Fallu, 
dans  son  Traité  des  quatre  fins  de  l'homme;  les  Essais  de  morale  de 
Nicolle,  tome  IV,  sur  les  fins  de  l'homme;  la  Retraite  du  P.  Nouet, 
pour  se  préparer  à  la  mort  ;  Bellarmin,  dans  ses  Opuscules,  tome  V; 
Bossuet,  Bourdaloue,  Massillon,  les  sermons  nouveaux,  et,  parmi  les 
saints  Père,  saint  Ambroise,  de  Bono  mortis  ;  saint  Augustin,  dans 
le  livre  Spéculum  peccatoris  ;  saint  Basile,  Admonitio  ad  filnim  spiri' 
tualem  ;  saint  Grégoire,  pape,  au  septième  livre  de  ses  Morales, 
ch.  XIV. 

5°  Sur  le  jugement. 

\^^  Observation.  —  Bien  des  prédicateurs  ont  ici  le  tort,  1°  de  ne 
traiter  presque  jamais  le  jugement  particulier,  matière  cependant  si 
intéressante  et  si  propre  à  toucher;  2°  en  traitant  le  jugement  général, 
de  se  livrer  à  des  descriptions  de  pure  imagination,  lorsqu'ils  ne 
devraient  faire  entendre  que  la  parole  de  Dieu  ;  3"  de  ne  parler  que 
du  jugement  des  pécheurs  et  jamais  du  jugement  des  justes,  contrai- 
rement à  l'exemple  de  Jésus-Christ  qui,  dans  l'Evangile,  réunit  pres- 
que toujours  ce  double  jugement,  et  à  l'intérêt  des  auditeurs  qui 
ont  besoin  d'être  encouragés  et  consolés  par  le  jugement  des  bons, 
autant  qu'effrayés  par  le  jugement  des  méchants.  Le  P.  Brydaine, 
plein  de  cette  vérité,  a  fait  un  long  sermon  consacré  uniquement  au 
jugement  des  bons. 

2"^  Observation.  —  Si  l'on  veut  traiter  le  jugement  particulier,  on 
peut  montrer  l'arme  au  sortir  de  la  vie,  citée  devant  le  tribunal  de 
Dieu.  Si  elle  est  juste,  quelle  consolation!  premier  point.  Si  elle  est 
coupable,  quel  désespoir!  second  point.  Pour  le  premier  point,  tout 

*  Sermon  pour  le  vendredi  de  la  quatrième  semaine  de  Carême. 


MANIÈRE  DE  TRAITER  LES  VÉRITÉS  CHRÉTIENNES.  525 

console  le  juste,  son  juge,  ses  péchés,  ses  bonnes  œuvres,  son  avenir  : 
son  juge,  c'est  son  meilleur  ami  ;  ses  péchés  !  quelle  joie  de  les  voir 
tous  pardonnes  et  couverts  du  sang  de  Jésus-Christ  !  ses  bonnes 
œuvres,  quel  plaisir  de  les  lire  toutes  jusqu'aux  moindres,  inscrites 
au  livre  de  vie  !  son  avenir,  il  va  être  éternellement  heureux.  Pour 
le  second  point,  on  montre  le  pécheur,  1°  saisi  d'effroi,  tout  à  coup 
au  sortir  de  la  vie  seul  devant  son  juge,  et  quel  juge  !  un  juge  irrité, 
un  juge  qui  sait  tout;  2°  accusé  des  péchés  commis,  du  bien  omis, 
de  Tabus  des  grâces,  etc..  ;  5"  convaincu  par  sa  conscience,  par  le 
démon,  par  son  juge;  4°  condamné,  et  l'arrêt  est  exécuté  sur 
l'heure;  on  pourrait  conclure  très-utilement  cette  instruction  par 
l'a\is  de  l'Apôtre  :  Si  nosmetipsos  disjiidicai'emus,  non  utique  jiidica- 
rrnrnr. — Si  l'on  veut  traiter  le  jugement  général,  on  peut,  1°  en 
faisant  l'historique  des  circonstan.ces  qui  précéderont  ou  accompa- 
gneront le  jugement  et  du  jugement  lui-même,  faire  ressortir  tout 
ce  que  ce  dernier  jour  aura  de  consolant  pour  le  juste  et  d'épouvan- 
table pour  le  pécheur.  On  peut,  2°  démontrer  en  deux  points  dis- 
tincts la  joie  du  juste  et  les  angoisses  du  pécheur.  On  peut,  5°  res- 
treindre quelquefois  son  sujet  au  pécheur  seul,  et  montrer  comment, 
en  ce  jour,  il  sera  accusé,  convaincu,  condamné. 

5'^  Observation.  —  On  peut  consulter  sur  ce  sujet  le  P.  Fallu  et  les 
Essais  de  morale  de  Nicole  indiqués  plus  haut;  puis,  parmi  les  pré- 
dicateurs, Bourdaloue  et  Massillon,  Ségaud,  Cambacérès  etMac-Car- 
thy  ;  enfin,  parmi  les  Pères,  saint  Chrysostome,  Sermo  de  secundo 
adventu  Filii  Dei,  hom.  5,  in  epist.  ad  Piom.  10,  in  secundam  ad 
Cor.,  8  in  ep.  ad  Thessal.,  3  in  secundam  ad  Timoth.,  et  S.  Bernard, 
serm.  27  in  Ganlic. 

4°  Sur  l'enfer. 

1"'^  Observation.  —  Bien  des  prédicateurs  tombent  ici  en  plusieurs 
défauts.  Le  premier  est  de  consulter  dans  la  description  qu'ils  font 
de  l'enfer  plutôt  leur  imagination  que  la  parole  de  Dieu  ou  l'ensei- 
gnement de  l'Eglise,  et  d'avancer  beaucoup  de  choses  sans  preuves, 
ou  du  moins  sans  preuves  solides.  Ce  défaut,  grave  dans  tous  les 
temps,  l'est  beaucouj)  plus  dans  ce  siècle  d'incrédulité  :  laudileur 
mal  disposé  en  conclut  (jne  toutes  les  frayeurs  qu'on  veut  lui  faii'e 
de  l'enfer  ne  sont  qu'imaginaires  et  s'enduicit  dans  le  péciié.  11  est 
donc  essentiel  (ra[)[)uyer  tout  ci^  (jue  l'on  dit  de  preuves  sulidi's,  de 
raisonnements  exacts,  et  de  prévenir  niènie,  autant  qu'on  le  peut, 
les  objections  qui  peuvent  naître  thins  l'esprit  des  auditeurs  cdiitre 


Z2i  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

la  bonté  de  Dieu,  contre  sa  justice  et  sa  sagesse.  —  Le  second  dé- 
faut est  de  décrire  les  souffrances  des  damnés  d'un  certain  ton  qui 
annonce  qu'on  n'en  craint  rien  pour  soi,  et  qu'on  est  fort  peu  touché 
du  malheur  do  ceux  qui  les  subissent  :  on  dirait,  en  entendant  cer- 
tains prédicateurs,  qu'ils  prennent  plaisir  dans  ces  peintures  hideuses 
du  supplice  de  leurs  semblables.  Il  n'en  est  pas  ainsi  de  l'homme  do 
Dieu;  il  souffre  à  la  seule  pensée  des  souffrances  de  ses  frères;  il 
n'en  parle  qu'avec  l'accent  de  la  compassion,  et  se  confondant  avec 
l'assemblée  des  fidèles  dans  une  crainte  commune,  il  tremble  d'é- 
prouver lui-même  un  jour  les  maux  qu'il  dénonce  aux  autres,  —  Le 
troisième  défaut  est  de  ne  pas  tirer,  d'un  si  grand  sujet,  des  consé- 
quences pratiques  pour  porter  ses  auditeurs  à  une  conversion 
prompte,  à  une  pénitence  sévère,  à  la  vigilance,  à  la  prière,  au  zèle 
du  salut. 

'2^  Observation.  —  11  n'est  pas  toujours  à  propos  de  décrire  en  dé- 
tail les  tourments  de  l'enfer.  La  foi  de  cerlains  auditoires  est  trop 
faible  pour  supporter  ce  tableau,  et  pourrait  en  être  ébranlée.  On 
pourrait  alors  se  contenter  de  généralités,  et  dire  par  exemple  :  Il  y 
a  une  autre  vie  ou  tout  péché  viortel,  non  expié  ici-bas,  sera  puni, 
premier  point;  ces  châtiments  seront  éternels,  second  point;  cesf 
une  folie  à  lliomme  de  s'y  exposer,  ti'oisième  point.  —  Dans  les  au- 
ditoires plus  chrétiens,  on  décrira  les  quatre  tourments  de  l'enfer, 
un  feu  dévorant,  un  Dieu  perdu,  un  ver  rongeur,  tout  cela  pour  l'é- 
ternité; mais  il  faudra  toujours  ajouter  les  moyens  d'éviter  l'enfer 
ou  les  fruits  à  tirer  de  l'instruction.  —  D'autres  fois,  au  heu  de  trai- 
ter l'enfer  môme,  on  pourra  prêcher  très-utilement  sur  la  pensée  de 
l'enfer,  et  montrer  combien  celte  pensée  est  propre  à  nous  inspirer  : 
1°  un  grand  courage  pour  vaincre  toutes  les  difficultés  qui  s'opposent 
au  salut,  2"  une  vigilance  continuelle,  o"  une  humilité  profonde,  etc. 

5"  Observation.  —  On  peut  consulter  sur  cette  matière  le  P.  Fallu 
dans  ses  quatre  fins  de  l'homme  et  dans  un  de  ses  sermons  ;  Bourda- 
loue,  Ségaud,  Giroust,  Cambacérès,  le  P.  de  Ligny;  et  parmi  les 
saints  Pères,  saint  Grégoire  pape,  lib.  9  z»  Job;  saint  Augustin,  lib.  5 
de  Spiritu  et  anima;  saint  Bernard,  serm.  16  in  Cantic,  et  surtout 
saint  Chrysostome,  hom.  24  in  S.  Matth.,  10  in  2  Cor.,  et  le  livre  de 
Providentiâ  Dei,  où  il  démontre  que  Dieu  devait  à  sa  bonté  de  créer 
l'enfer,  parce  que  sans  l'enfer  personne  n'eût  eu  le  courage  de  fiire 
les  sacrifices  nécessaires  pour  aller  au  ciel. 


MANI!;iiE  DE  TRAITER  LES  MYSTÈRES.  5?5 

5°  Sur  le  ciel. 

Cette  matière  est  très-difficile  à  traiter  et  a  été  l'écueil  de  plusieurs 
grands  prédicateurs,  parce  que  l'homme,  dans  celte  vallée  de  lar- 
mes, connaît  si  peu  le  bonheur,  qu'on  manque  de  points  de  compa- 
raison pour  faire  entendre  la  félicité  dont  Dieu  enivre  ses  saints.  Il 
n'existe  guère  que  deux  manières  de  traiter  ce  sujet  ;  la  première 
est  de  décrire  dans  un  premier  point  le  bonheur  du  ciel,  et  de  mon- 
trer dans  le  second  les  moyens  d'y  arriver  ou  les  fruits  que  doit 
produire  en  nous  cette  considération.  —  La  seconde  manière  est 
d'insérer  la  moralité  dans  le  dogme,  et  de  dire  par  exemple  :  La  foi 
du  paradis  doit  détacher  notre  cœur  de  tous  les  biens  de  ce  inonde, 
premier  point;  7ious  enjlammer  de  ferveur  dans  le  service  de  Dieu, 
second  point  ;  nous  rempli)'  de  patience  et  de  courage  au  milieu  des 
épreuves  de  la  vie,  troisième  point. 

On  peut  consulter  sur  ce  sujet  le  P.  Fallu  dans  son  traité  des  quatre 
fins  de  l'homme,  l'abbè  Poulie,  le  P.  Giroust;  et,  parmi  les  Pères  de 
l'Église,  tous  ceux  qu'indique  la  Bibliothèque  des  Pères,  de  M.  Guil- 
lon,  table  des  matières,  art.  Ciel. 


CHAPITRE  II 


De  la  manière  de  traiter  les  luysttTes  de  IVotre-Scîgneur 
ou  de  la  sainte  Vicrarc  >. 


*  Nous  entendons  ici  par  le  nom  de  mystères,  non-seulement  les 

*  actions  de  Notre-Seigneur  qui  ont  un  rapport  immédiat  à  notre 

*  salut,  comme  sa  Naissance,  sa  Circoncision,  sa  Passion,  sa  Ptésur- 
■*  rection  et  son  Ascension,  mais  encore  les  merveilles  que  Dieu  a 

*  opérées  en  la  sainte  Vierge,  comme  sa  Conception  Immaculée,  sa 

*  Nativité,  son  Annonciation,  son  Assomption,  ou  lesaclions  qu'elle  a 

*  laites  par  inspiration  divine,  counne  sa  Présentation,  sa  Visitation, 

*  sa  Purification.  Le  prêtre  doit  avoir  à  cœur  de  faire  connaître  et 

*  Voyez  le  P.  Albert,  I"  partie,  c.  ii.  —  Pastoral  do  Limogos,  t.  H,  II'  partie, 
lit.  II,  c.  II. 


326  TRAITE  DE  LA  l'IlÉDICATION. 

*  aimt'r  ces  mystères  :  son  talent  y  Ironvera  une  ressource  immense,. 

*  un  liche  li'ésor  des  plus  sublimes  considérations  et  des  plus  beaux 

*  mouvements.   Les  Pères  et  les  docteurs  de  l'Église,  les  orateurs 

*  ecclésiastiques  modernes,  et  à  leur  tôle  Bossuet,  i'ourdaloue,  Mas- 

*  sillon  ,  n'ont  cessé  de  fouiller  cette  mine  si  lèconde  et  ne  l'ont  pas 

*  épuisée;  elle  ne  le  sera  jamais  ;  elle  ne  saurait  l'être,  parce  que  tous 

*  les  mystères  sont  en  Dieu  un  cbef-d'œuvre  de  sagesse  et  de  bonté, 

*  et  que  tout  ce  qui  est  de  Dieu  est  infini.  Négliger  les  mystères,  ce 

*  serait  donc  se  priver  des  richesses  de  son  art,  et  ôter  à  son  discours 

*  la  couleur  qui  lui  convient  pour  lui  donner  une  couleur  mondaine 

*  qui,  dans  la  chaire,  est  une  couleur  déplacée,  un  défaut  réel  et  non 

*  un  mérite. 

*  Toutefois  ce  n'es!  encore  là  que  la  moindre  des  considérations 

*  qui  doivent  porter  le  prédicateur  à  traiter  ces  beaux  sujets.  Les 

*  avantages  spnituels  qui  en  reviennent  aux  auditeurs  lui  en  font  un 

*  devoir  bien  plus  pressant.  Les  mystères,  en  effet,  sont  l'aliment 

*  le  plus  soiide  et  le  plus  utile  de  la  pié:é  chrétienne  :  ils  forment  le 

*  fond  et  comme  la  substance  de  toute  la  religion,  et  on  ne  la  con- 

*  naitbicn  qu'autant  qu'on  les  connaît.  Ils  parlent  au  cœur,  ils  l'é- 

*  chauffent  et  l'embrasent;  ils  lui  demandent  des  sacrifices,  lui  en- 

*  seignent  toutes  les  vertus,  lui  disent  tous  ses  devoirs,  et  le  cœur 

*  ne  peut  rien  leur  refuser.  La  morale  que  le  prédicateur  en  déduit 

*  est  toujours  naturelle,  parce  que  chacun  sent  que  les  mœurs  doi- 

*  vent  être  conformes  à  la  croyance  ;  et  elle  est  en  même  temps  tou- 
■*  jours  pressante,  parce  que  le  mystère  lui  sert  de  preuve. 

*  C'est  donc  manquer  essentiellement  à  son  devoir  que  de  ne  pas 

*  exposer  aux  fidèles  la  doctrine  et  l'esprit  des  mystères,  et  cette 

*  faute  serait  plus  grave  encore  les  jours  où  on  les  solennise  :  car  le 

*  dessein  manifeste  de  l'Église,  en  consacrant  des  fêtes  particuhères 

*  en  leur  honneur,  a  été  que  les  fidèles  entrassent,  ces  jours-là,  dans 

*  l'esprit  propre  du  mystère  qu'on  célèbre  et  en  attirassent  sur  eux 

*  les  grâces  et  les  vertus.  Or,  c'est  un  devoir  pour  le  prédicateur  de 

*  seconder  cette  vue  de  l'Église,  en  expliquant  aux  peuples  le  mys- 

*  tère  du  jour,  non  par  quelques  mots  dits  en  passant  dans  l'exorde 

*  ou  ailleurs,  mais  par  un  discours  destiné  tout  entier  à  ce  dévelop- 

*  pement  et  où  la  morale  n'intervienne  qu'en  second  et  comme  ac- 

*  cessoire.  Les  fidèles  s'y  attendent  et  ils  en  ont  le  droit  :  si  le  prédi- 

*  cateur  frustre  cet  espoir,  il  les  mécontente,  il  leur  porte  un  préju- 

*  dice  grave  en  les  laissant  dans  l'ignorance  de  la  partie  principale 

*  de  la  religion  :  et  cette  faute  est  moins  excusable  que  jamais,  au» 


MANIERE  DE  TRAITER  LES  MYSTÈRES.  327 

*  jourd'hui  où  la  foi  est  si  faible,  le  christianisme  si  peu  connu,  et 

*  son  esprit  si  oublié. 

Pour  traiter  dignement  les  mystères,  il  faut  :  1°  les  faire  connaître; 
2°  les  faire  honorer;  5°  faire  participer  les  fidèles  aux  grâces  qui  y 
sont  renfermées;  A°  diviser  son  instruction  de  manière  que  ces 
trois  objets  soient  remplis  avec  ordre  et  clarté,  Tout  ceci  demande 
des  développements  que  nous  allons  donner  dans  les  articles  sui- 
vants. 

ARTICLE  1«. 

DE  LA   MANIÈRE    DE    BIEN   FAIRE   CONNAÎTRE   LES    MYSTERES 

Saint  François  de  Sales*  indique  aux  prédicateurs  un  moyen  de 
bien  faire  connaître  les  mystères,  qui  est  de  considérer  ces  trois 
points  :  qui  ?  pourquoi?  comment?  Exemple  :  Qui  est  né?  Le  Fils  de 
Dieu  fait  homme.  Pourquoi  ?  Pour  nous  sauver.  Comment  ?  Pauvre, 
nu,  froid,  en  une  étable  et  petit  enfant.  —  Qui  est  ressuscité? 
L'Homme-Dieu  qui  était  mort  pour  nous.  Pourquoi?  Pour  sa  gloire 
et  notre  bien.  Comment?  Glorieux  et  immortel,  etc. —  Cette  mé- 
thode, bonne  en  soi,  ne  nous  semble  pas  assez  explicite. 

Pour  faire  connaître  à  fond  un  mystère,  il  faut  :  1"  en  bien  expli- 
';{ucr  l'extérieur  et  l'intérieur;  2°  faire  ressorlir  les  perfections  de 
Dieu,  de  Jésus-Christ  ou  de  la  sainte  Vierge  qui  y  sont  renfermées  ; 
"5°  exposer  les  avantages  qui  en  reviennent  aux  hommes. 

1°  11  faut  en  expliquer  l'extérieur  et  l'intérieur:  on  entend  par 
l'extérieur  d'un  mystère  ce  qui  en  est  la  partie  visible,  et  par  l'in- 
térieur ce  qui  so  passait  d'admirable,  au  moment  du  fait  extérieur, 
dans  l'âme  de  Jésus-Christ  ou  de  la  sainte  Vierge,  soit  par  rapport 
à  Dieu,  soit  par  rapport  aux  hommes,  soit  par  rapport  à  eux-mêmes. 
Le  fait  extérieur  nous  est  raconté  dans  l'Évangile  ou  quelquefois 
transmis  par  la  tradition.  Il  faut  l'exposer  en  détail  aux  fidèles,  soit 
pour  qu'ils  ne  sortent  pas  du  sermon  sans  connaître  le  mystère  qu'on 
honore,  soit  parce  que  c'est  le  fondement  solide  des  moralités  qu'on 
se  propose  de  tirer,  soit  enfin  parce  que  chaque  circonstance  du 
mystère  contient  une  instruction  propre  à  en  relever  l'excellence,  c( 
utile  au  salut.  Ainsi,  par  exemple,  dans  le  mystère  de  l'Epiphanie, 
l'apparition  de  l'étoile,  la  promptitude  des  Mages  à  partir,  la  dispa- 

*  Lcllrc  à  l'archevêque  de  Douiges. 


3^8  THAITÉ  DE  L\  PRÉDICATION. 

rilion  do  l'étoile  à  leurs  yeux  dans  Jérusalem,  leurs  présents,  leur 
retour  par  un  autre  chemin,  tout  est  intéressant  et  instructif.  L'in- 
lérieur  des  mystères  n'est  pas  moins  digne  de  fixer  l'attention  de  la 
piété  chrétienne,  et  se  découvre  sans  peineà  l'aide  de  la  m:^ditalion, 
des  principes  de  la  foi  ou  des  paroles  mômes  de  rÉvangile.  Ainsi, 
par  exemple,  si  dans  le  mystère  de  l'Epiphanie  dont  nous  venons  de 
parler,  on  se  demande  quels  étaient  alors  les  sentiments  de  Jésus- 
Christ,  on  trouve,  par  la  méditation,  cette  réponse  entre  plusieurs 
autres  :  son  amour  pour  les  hommes  le  pressait  si  fort  d'éclairer  les 
Gentils,  que,  peu  de  jours  après  sa  naissance,  il  envoya  l'étoile  aux 
Bfages  pour  les  appeler  à  sa  crèche:  ceux-ci  n'étaient  que  les  pré- 
mices, et  en  eux  il  voyait  tous  les  Gentils  à  venir.  Il  me  voyait  moi- 
même  distinctement  à  travers  les  siècles,  peut  se  dire  chaque  fidèle, 
et,  du  fond  de  sa  crèche,  il  me  réservait  plus  que  l'apparition  d'un 
météore,  il  me  réservait  la  grâce  de  la  foi,  la  grâce  d'une  éducation 
chrétienne,  la  grâce  de  tant  de  movens  de  salut ,  et  de  là  l'es- 
prit et  le  cœur  concluent  quel  amour  Jésus  nous  porte  dans  ce  mys- 
tère. On  voit  combien  cette  manière  d'envisager  les  mystères  les 
rend  intéressants,  pieux,  touchants,  instructifs,  et  nous  les  fait 
mieux  connaître. 

2**  Il  faut  faire  ressortir  les  perfections  de  Dieu,  de  Jésus-Christ 
ou  de  la  sainte  Vierge  qui  sont  renfermées  dans  le  mystère.  Comme 
Dieu,  en  se  révélant  au  monde,  s'est  proposé  en  premier  lieu  sa 
gloire,  celle  de  son  Fils  ou  de  la  sainte  Vierge,  et  que  cette  gloire 
consiste  principalement  dans  la  manifestation  de  leurs  perfections, 
on  ne  correspondrait  pas  à  ses  desseins  si,  en  traitant  les  mystères, 
on  ne  faisait  ressortir  les  perfections  ineffables  qui  y  brillent  avec 
tant  d'éclat  aux  yeux  de  l'âme  qui  les  médite  ;  on  manquerait  à  la 
religion  en  ne  saisissant  pas  une  occasion  si  favorable  d'en  donner 
une  haute  idée  aux  hommes,  et  de  lui  concilier  leur  estime,  leur 
respect  et  leur  admiration  ;  enfin  on  nuirait  aux  fidèles,  en  les  pri- 
vant d'une  instruction  essentielle.  Si  donc,  par  exemple,  j'ai  à  traiter 
le  mystère  de  la  croix,  j'y  ferai  voir  la  justice  de  Dieu  auquel  il  a  fallu 
une  si  grande  expiation  pour  le  péché,  sa  miséricorde  qui  a  concilié 
les  droits  de  sa  justice  avec  la  grâce  du  coupable,  sa  grandeur  à 
laquelle  un  Dieu  victime  est  immolé  par  un  Dieu  prêtre.  Si  j'ai  à 
traiter  le  mystère  de  l'F.ucharistie,  j'y  ferai  admirer  à  la  fois  la 
bonté  de  Dieu,  sa  puissance  et  sa  sagesse,  selon  le  mot  de  saint  Au- 
gustin: Chin  sit  ditissimus,  plus  dare  non  habuit  ;  chm  sit  poteritis- 
sirmis,  plus  dare  non  potuit;  cUm  sit  sapientissimus,  plus  dare  nés- 


MANIERE  DE  TRAITER  LES  MYSTERES.  529 

tivit.  Si  j'ai  à  parler  des  mystères  où  brillent  soit  les  grandeurs  de 
Notre-Seigneur,  comme  la  Résurrection  et  l'Ascension,  soit  les  pri- 
vilèges incomparables  de  la  sainte  Vierge,  comme  l'Immaculée  Con- 
ception, l'Annonciation,  l'Assomption,  je  m'appliquerai  à  faire  res- 
sortir tout  ce  qui  relève  Jésus  et  Marie  dans  ces  mystères,  pour  leur 
concilier  le  respect  et  la  vénération  des  peuples.  Si,  au  contraire,  j'ai 
à  parler  des  mystères  où  ils  s'bumilient,  par  exemple  de  leur  vie 
cachée  et  laborieuse,  des  mystères  du  Calvaire ,  je  célébrerai  tout 
ce  qu'il  y  a  dans  ces  humiliations  de  grandeur  véritable,  de  sagesse 
et  d'amour  pour  les  hommes.  Enfin,  quel  que  soit  le  mystère,  je 
ferai  remarquer  combien  il  était  digne  de  Dieu,  digne  de  sa  sagesse, 
de  sa  bonté  et  de  sa  puissance. 

5°  Il  faut  exposer  les  avantages  qui  reviennent  de  ce  mystère  aux 
hommes.  Comme  après  sa  propre  gloire,  après  celle  de  son  Fils  ou 
de  la  sainte  Vierge,  Dieu,  en  opérant  les  mystères,  s'est  proposé  le 
bien  de  l'homme,  le  devoir  du  prédicateur  est  de  montrer  comment, 
en  chaque  mystère,  Dieu  a  atteint  son  but,  que  de  maux  ce  mystère 
éloigne  de  nous,  que  de  biens  il  nous  procure;  comment,  par 
exemple,  l'Incarnation  a  relevé  l'homme  tombé,  sauvé  le  genre  hu- 
main que  le  péché  avait  perdu,  rehaussé  notre  nature  jusqu'à  la  par- 
ticipation de  la  nature  divine,  et  procuré  à  la  terre  un  insigne  bien- 
faiteur, un  docteur  infaillible,  un  modèle  incomparable;  ou,  si  on 
l'aime  mieux,  comment  dans  ce  mystère  Jésus-Christ  nous  élève  par 
ses  abaissements ,  nous  enrichit  en  se  faisant  pauvre,  nous  rend 
libres  en  prenant  la  forme  d'esclave.  Celle  manière  de  présenter  les 
mystères  est  éminemment  piopre  à  faire  aimer  et  respecter  la  reli- 
gion, à  toucher  le  cœur  de  l'homme  qui  se  voit  ainsi  l'objet  et  la  fin 
de  tontes  les  œuvres  d'un  Dieu. 

Tels  sont  les  différents  points  de  vue  sous  lesquels  il  faut  envisager 
les  mystères  pour  bien  les  faire  connaître.  Saint  Thomas,  dans  la 
Z"  partie  de  sa  Somme,  et  Suarez,  dans  sa  Théologie,  développent 
l'un  et  l'autre  ces  points  de  vue  d'une  manière  merveilleuse.  Bossuot 
a  suivi  la  même  marche  dans  ses  sermons  sur  les  mystères,  et  c'est 
d'après  cela  que  M.  de  Boulogne,  qui  lui  a  emprunté  un  grand 
nombre  de  ses  idées,  Iraitaiil  le  mystère  de  Noël,  montre,  dans  un 
premier  point,  combien  ce  mystère  fait  ressortir  la  puissance,  la 
grandeur,  la  sagesse,  la  justice,  la  miséricorde,  la  sainteté,  la  bonté 
de  Dieu,  et,  dans  un  second  point,  combien  ce  mystère  était  conve- 
nable pour  consoler  l'honnue  malheureux,  guéi'ir  l'honnue  malade 
et  corrompu,  relever  riionnne  dAt^Madè.  C'est  ainsi  encore  c[ue  pro- 


530  ir.AITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

cède  Bourdaloue  dans  l'Instruction  pour  le  temps  de  l'Avenir  et  que 
doivent  procéder  tous  les  prédicateurs  :  toujours  ils  doivent  montrer 
dans  les  mystères  Dieu  grand  et  bon,  l'homme  ennobli,  meilleur  et 
plus  heureux  ;  ou  s'il  s'agit  de  la  sainte  Vierge,  présenter  ses  gran- 
deurs comme  unies  à  nos  intérêts  :  si  dans  l'Annonciation  elle  de- 
vient mère  de  Dieu,  c'est  pour  être  la  mère  des  hommes;  si  dans 
l'Assomption  elle  est  élevée  en  gloire,  c'est  pour  être  notre  avocate 
et  le  refuge  des  pécheurs. 

ARTICLE  2. 

DE  LA  MANIÈRE   DE    FAIRE   HONORER   LES  MYSTERES. 

En  même  temps  qu'on  éclaire  l'esprit  des  auditeurs  sur  le  fond 
d'un  mystère,  il  faut  parler  à  leur  cœur  et  tâcher  d'y  faire  naître  les 
affections  et  les  sentiments  pieux  que  ce  mystère  est  de  nature  à  in- 
spirer. Le  prédicateur  manquerait  tout  à  fait  sou  but  si,  dissertateur 
froid  et  spéculatif,  il  ne  parlait  qu'à  l'esprit.  Toutes  les  considéra- 
tions indiquées  dans  l'article  précédent  ne  doivent  être  pour  lui  que 
des  moyens  d'arriver  à  remuer  le  cœur,  à  l'échauffer  et  le  pénétrer 
des  sentiments  de  la  piété  chrétienne.  Ces  sentiments  varient  selon 
le  mystère;  mais  cependant,  presque  toujours  on  y  trouve  matière 
aux  sentiments  suivants,  savoir:  1"  la  reconnaissance  pour  les 
grâces  que  ce  mystère  nous  apporte  ;  2"  l'amour  pour  la  bonté  qui 
y  éclate  ;  5°  l'admiration  et  la  louange  pour  la  grandeur,  la  puis- 
sance, la  sagesse  qui  y  brillent  ;  4°  le  respect  et  la  vénération  pour 
l'excellence  du  mystère  en  lui-même  ;  5"  le  désir  et  le  ferme  propos 
d'une  vie  meilleure  et  plus  parfaite,  plus  détachée  et  plus  humble  ; 
6"  la  joie  ou  la  compassion.  C'est  en  développant  ces  sentiments 
divers  que  le  prédicateur  donne  de  l'onction  à  ses  instructions  et  y 
répand  comme  un  parfum  de  piété  qui  touche  les  cœurs:  sans  cela  il 
est  sec,  froid,  peu  intéressant,  et  ses  discours  n'ont  qu'une  médiocre 
utilité. 

ARTICLE  3. 

DE  LA   MANIÈRE  DE   FAIRE   PARTICIPER    LES  FIDÈLES   AUX    GRACES   DES   MYSTERES. 

Jésus-Christ  ayant  opéré  ses  mystères  pour  qu'ils  fussent  des 
sources  abondantes  de  grâces  dans  son  Église,  et  ces  grâces  se  ré- 
pandant principalement  dans  les  jours  où  on  les  solennise,  le  prédi- 

*  Elle  se  trouvq  parmi  les  Exhortations  de  Bourdaloue. 


•        ÎIAIN'IEP.E  DE  TRAITER  LES  3ÎYSTERES.  051 

calcur  doit  enseigner  aux  iklèlcs  à  y  participer;  et  pour  cela  il  doit, 
1°  leur  faire  remarquer  les  leçons  de  vertu  et  de  perfection  que 
renferme  soit  l'extérieur,  soit  l'intérieur  du  mystère,  et  les  inviter  à 
mettre  ces  leçons  en  pratique,  aidés  du  secours  de  Jésus-Christ  et  de 
l'assistance  de  Marie  :  car  la  grâce  qui  aide  à  faire  le  bien,  découle 
de  chaque  mystère  en  même  temps  que  la  leçon  qui  montre  ce  qu'il 
faut  faire. 

2°  Le  prédicateur  doit  faire  observer  les  voies  par  lesquelles  Notre- 
Seigneur  ou  la  sainte  Vierge  a  consommé  le  mystère.  Par  exemple, 
qu'a  fait  Notre-Seigneur  pour  arriver  à  la  gloire  de  sa  résurrection? 
Il  a  été  crucifié,  il  est  mort,  il  a  été  enseveli  :  Crucifixus,  tnoi'tuiiset 
sepultus  resurrexit.  Donc,  conclura  le  prédicateur,  nous  aussi,  si 
nous  voulons  ressusciter  avec  Jésus-Christ,  nous  devons  crucifier 
nos  passions,  mourir  à  nos  péchés,  ensevelir  notre  amour-propre. 

5°  Outre  les  grâces  générales  attachées  aux  mystères  et  dont  nous 
venons  de  parler,  chaque  mystère  a  sa  grâce  propre.  Il  est  important 
de  bien  la  faire  comprendre  aux  fidèles  et  de  les  inviter  à  l'attirer 
en  eux  parleurs  prières,  leurs  désirs  el  les  actes  des  vertus  analogues. 
Car  c'est  là  le  fruit  principal  qu'ils  doivent  recueillir  de  chaque  so- 
lennité. Ainsi  le  mystère  de  Noël  a  pour  grâce  spéciale  l'enfance 
spirituelle,  perfection  sublime  que  le  monde  ne  connaît  pas,  admi- 
rable composé  d'innocence  ,  de  candeur  et  de  simplicité,  condition 
rigoureuse  à  laquelle  Jésus-Chrits  a  mis  son  paradis:  A''m  efficiamini 
sicutparvidi,  nonintrabitis  inregnum  cœlorum.  Le  mystère  de  lÉpi- 
phanie  a  pour  grâce  et  pour  fruit  la  correspondance  prompte,  cou- 
rageuse et  persévérante  à  la  grâce  qui  nous  sert  d'étoile  pour  aller  à 
Jésus-Christ  ;  le  mystère  de  la  Passion,  la  patience  dans  les  souf- 
frances et  la  mort  à  nos  inclinations  déiéglées  ;  le  mystère  de  la  Ré- 
surrection, une  vie  nouvelle  toute  spirituelle  et  intérieure  ;  le  mys- 
tère de  l'Ascension,  les  désirs  du  ciel  et  l'union  à  Dieu.  Ces  quelques 
vues  donnent  une  idée  suffisante  de  la  manière  d'observer  la  grâce 
de  chaque  mystère. 

APJICLE  4. 

COMMENT  CIVISER   LES    LNSTRUCTIONS    SUR   LES   MYSTÈRES. 

La  première  manière  est  de  traiter  dans  le  premier  point  la  doc- 
trine du  mystère,  et  de  montrer  dans  le  second  le  fruit  qu'on  eu 
doit  tirer.  Conformément  à  ce  principe,  on  pourrait  dire:  Excellcvce 
et  grandeur  du  mystère,  premier  point  ;  manière  de  llwnorer  et  d'y 


M-2  TRAITÉ  DE  LA  rRÉDICATION. 

participer,  second  Tpoint;  ou  encore:  Ce  que  Dieu  a  fait  pour  nous 
dans  ce  mystère,  premier  point  ;  ce  que  nous  devons  faire  pour  Dieu, 
second  poinl  ;  ou  encore  :  Desseins  adorables  de  Dieu  dans  ce  mys- 
tère, premier  point;  sentiments  que  ce  mystèi'e  doit  nous  inspirer  y 
second  point  ;  ou  encore  enfin  :  Gloire  ({ui  revient  à  Dieu  dans  ce 
mystère,  premier  point  ;  avantages  qui  en  reviennent  à  l'homme, 
second  point. 

La  deuxième  manière  est  de  joindre  ensemble  la  doctrine  et  les 
fruits  du  mystère  sous  un  môme  énoncé:  conformément  à  cette  in- 
dication, on  pourrait  dire:  Jésus  dans  la  crèche  est  pour  nous  un 
bienfaiteur  qu'il  faut  aimer,  premier  point  ;  un  docteur  qu'il  faut 
écouter,  second  point  ;  un  modèle  à  imiter,  troisième  point  ;  ou  en- 
core :  Marie  dans  sa  purification  nous  apprend  à  obéir,  jusque  dans 
les  moindres  circonstances  de  la  loi,  premier  point;  lors  même  qu'il 
n'y  a  que  conseil  sans  obligation  j^goureuse,  second  point;  lors  même 
qu'il  faut  sacrifier  ce  que  nous  avons  de  plus  cher  et  de  plus  précieux, 
troisième  point. 

Pour  remplir  tous  ces' canevas  et  autres  semblables,  on  trouvera 
d'amples  matériaux  dans  le  P.  Nouet,  dans  Grenade,  dans  nos 
auteurs  ascétiques ,  nos  sermonaires ,  et  surtout  Bourdaloue  et 
Bossuet,  qui  ont  excellé  en  cette  partie.  Bourdaloue  expose  les 
mystères  avec  une  clarté  parfaite  et  en  déduit  les  plus  importantes 
leçons  pour  la  réforme  des  mœurs  ;  Bossuet  en  révèle  toute  la 
beauté  et  la  grandeur  avec  une  magnificence  de  vue  qui  étonne  et 
ravit. 


CHAPITRE  III 

fSe  I»  manière  de  prêcher  sur  les  Yertns  et  les  vîecs  '• 

Pour  bien  traiter  ces  sortes  de  sujets,  il  faut  :  1"  expliquer  d'une 
manière  nette  et  précise  en  quoi  consiste  la  vertu  ou  le  vice  dont 
on  parle  ;  2°  présenter  avec  force  les  motifs  de  pratiquer  cette  vertu 
ou  de  fuir  ce  vice  ;  o°  en  indiquer  les  moyens  ;  4°  bien  diviser  son  in- 

*  Voyez  le  P.  Albert,  I"  partie,  c.  xii.  —  Pastoral  de  Limoges,  t.  II,  II"  partie, 
lit.  Il,  c.  m. 


MANIÈRE  DE  PRÊCHER  SUR  LES  VERTUS  ET  LES  VICES.  333 

strnction.  Les  articles  suivants  indiqueront  la  manière  de  bien  faire 
toutes  ces  choses. 

ARTICLE  l-^'. 

COMMENT   EXPLIQUER  EN   QUOI    CONSISTE    LA    VEUTU  OU    LE  VICK    IIONT    ON    PAP.LE? 

Il  est  très-important  de  donner  une  idée  exacte  de  la  nature  des 
vertus  ou  des  vices.  La  plupart  des  fidèles,  même  pieux,  ont  été  si  pou 
instruits  là-dessus,  qu'ils  ne  sauraient  pas  dire  ce  que  c'est  que  l'hu- 
milité, l'abnégation,  le  recueillement,  la  ferveur;  ce  que  c'est  que 
l'orgueil,  la  tiédeur  ;  et  faute  d'avoir  là-dessus  des  idées  précises,  ils 
sont  comme  dans  l'impossibilité  d'acquérir  les  vertus  ou  de  corriger 
leurs  vices  ;  car  comment  corriger  un  vice  qu'on  ne  croit  pas  avoii", 
ou  pratiquer  une  vertu  qu'on  ne  connaît  pas  ?  Or,  pour  donner  celte 
idée  exacte  des  vertus  ou  des  vices,  il  faut  avant  tout  bien  les  défi- 
nir; et  ici  l'on  peut  employer  les  deux  définitions  indiquées  par  la 
logique,  la  définition  proprement  dite,  qui  fait  connaître  la  nature 
de  la  chose  par  son  genre  et  sa  différence,  comme  quand  je  définis 
l'humilité  ;  Virtus  qiiâ  homo  ex  verissinid  sut  cognitione  sibi  ipsi  vi- 
lescit,  et  la  description  qui  explique  la  chose  plus  au  long,  d'une  ma- 
nière oratoire.  Ces  deux  espèces  de  définitions  sont  très-utiles  :  la 
première  donne  à  tous  les  esprits  attentifs,  capables  de  saisir  la  por- 
tée des  mots,  une  idée  précise,  rigoureuse  et  parfaite  de  la  vertu  ou 
du  vice;  la  seconde  fait  comprendre  la  chose  aux  esprits  superfi- 
ciels et  vulgaires  par  les  détails  et  les  développements  dans  lesquels 
elle  entre.  Quand  c'est  une  description  de  la  vertu,  chacun  peut  sui- 
vre l'inspiration  de  son  talent,  et  aucune  précaution  spéciale  n'est 
requise  :  saint  Cyprien  et  saint  Ambroise  nous  en  ont  laissé  de  ma- 
gnifiques modèles,  le  premier  en  décrivant  la  virginité  dans  son 
livre  de  Ilabilu  et  disciplina  virginum,  le  second  en  traçant  le  ta- 
bleau d(^  la  modestie  dans  son  livre  de  Virginibns  ;  mais  quand  c'est 
la  description  d'un  vice,  il  faut  y  procéder  avec  discrétion  et  observer 
les  règles  de  prudence  exposées  au  premier  livre  de  co  Traité*,  tou- 
chant la  peinture  des  désordres  du  monde. 

Api'ès  avoir  défini  la  vcrlu  ou  le  vice  dont  on  parle,  il  faut  en  dé- 
mêler les  différents  points  de  vue,  en  distinguer  les  espèces  et  les 
degrés.  Si,  par  exemple,  je  veux  faire  connaître  la  contrition,  je 
distinguerai  la  contrition  parfaite  qui  est  fondée  sur  l'amour,  et  la 

*  Chap.  IV,  art.  2,  §  2,  sccl.  n. 


331  TRAITE  DE  LA  PREDICATlOTî. 

contrition  imparfaite  ou  l'attrition  qui  procède  de  divers  motifs  de 
foi  joints  à  un  commoncoment  d'amour.  Si  je  veux  expliquer  l'hu- 
milité, je  la  diviserai,  avec  Rodriguez,  en  quatre  de^rrés,  dont  le 
premier  est  de  ïie  point  s'estimer  soi-même,  le  second  de  ne  point 
désirer  l'estime  des  autres,  le  troisième  de  recevoir  avec  patience 
toutes  les  humiliations,  le  quatrième  de  les  recevoir  même  avec 
joie  et  de  les  désirer.  On  conçoit  combien  ces  aperçus  divers  jet- 
tent de  jour  dans  l'esprit  et  font  mieux  comprendre  la  nature  de  la 
vertu.   ^ 

Cependant  ce  n'est  pas  encore  assez  :  comme  les  hommes  sont  si 
portés  à  se  faire  illusion  et  à  croire  posséder  des  vertus  qu'ils  n'ont 
pas,  ou  être  exempts  des  vices  même  qui  sont  en  eux  les  plus  sail- 
lants, il  sera  utile  de  joindre  à  la  définition  et  à  la  division,  lesca- 
ractères,  les  marques  et  les  effets  des  vertus  ou  des  vices  dont  on 
parle.  Par  là  on  apprendrai  aux  auditeurs  à  se  connaître  ;  on  leur 
donnera  rintelligence  des  vertus  qu'ils  ont  à  acquérir  ou  des  réfor- 
mes qu'ils  ont  à  opérer  pour  corriger  leurs  vices,  et  ils  ne  pourront 
plus  se  tromper  eux-mêmes.  Ainsi,  je  ferai  parfaitement  connaître 
la  charité  si  j'en  parcours  avec  saint  Paul  les  divins  caractères  ;  la 
contrition,  si  j'en  développe  les  cinq  conditions  ;  l'obéissance,  si  je 
kl  montre,  comme  le  fait  saint  Ronaventure  :  Prompta  sine  dilatione, 
voluntaria  sine  contradictione,  stremia  sine  pusillanimitate,  univer- 
salis  sine  exceptione^ .  De  même  je  ferai  reconnaître  l'orgueil  à  ceux- 
là  mêmes  qui  ne  s'en  soupçonnent  pas  coupables,  si  je  le  leur 
signale  par  ses  marques,  qui  sont  la  complaisance  en  soi-même  et 
dans  les  moindres  avantages  qu'on  croit  avoir,  la  bonne  opinion  de 
son  mérite,  qui  fait  qu'on  se  préfère  aux  autres,  qu'on  les  critique, 
qu'on  les  tourne  en  ridicule  et  qu'on  n'entend  pas  être  critiqué  soi- 
même,  l'attache  à  ses  idées  qu'on  juge  toujours  meilleures  que  cel- 
les d'autrui,  l'obstination  dans  ses  volontés,  qui  ne  veut  faire  que  ce 
qui  lui  plaît,  et  fuit  la  soumission  et  la  dépendance,  la  présomption  qui 
ne  doute  de  rien  et  se  croit  capable  de  tout,  la  vanité  qui  cherche  à 
se  faire  remarquer  par  son  extérieur,  à  se  faire  valoir,  à  se  vanter, 
à  capter  en  toutes  manières  l'estime  et  la  louange,  les  postes  hono- 
rables et  les  fonctions  d'éclat.  Si  à  ces  marques  j'ajoute  les  effets 
des  vices  ou  des  vertus  et  que  je  les  fasse  voir  en  action  et  en  pra- 
tique, si  je  détaille,  par  exemple,  les  effets  de  la  charité  chrétienne 
qui  ne  pense  point  le  mal,  et  le  dit  moins  encore,  qui  estime  et  res- 

*  Collât.,  m. 


MANIÈRE  DE  rRÊCIIER  SUR  LES  VERTUS  ET  LES  VICES.  535 

pecte  le  prochain,  qui  fait  du  bien  à  tous  et  leur  en  fait  le  plus 
qu'elle  peut,  qui  souffre  de  tout  le  monde  et  ne  fait  rien  souffrir  à 
personne,  qui  est  toujours  bonne,  aimable,  obligeante,  il  ne  sera 
plus  possible  qu'il  reste  aucun  nuage  sur  les  yeux  de  mes  auditeurs; 
ils  verront  clairement  s'ils  ont  les  vices  ou  les  vertus  que  je  leur 
aurai  si  bien  expliqués. 

Tels  sont  les  moyens  par  lesquels  un  prédicateur  peut  faire  con- 
naître à  ses  auditeurs  la  nature  des  vertus  ou  des  vices  sur  lesquels 
il  prêche;  ils  se  réduisent  à  cinq,  comme  on  le  voit,  et  consistent  à 
les  définir,  les  diviser,  en  décrire  les  caractères,  en  assigner  les 
marques,  en  peindre  les  effets.  On  trouvera,  pour  remplir  ces  indi- 
cations, des  ressources  précieuses  dans  la  deuxième  partie  de  la 
Somme  de  saint  Thomas,  et  dans  les  Examens  particuliers  de 
M.  Tronson,  qui  offrent  un  recueil  d'observations  du  plus  grand  in- 
térêt sur  cette  matière. 

ARTICLE  2. 

DES  MOTIFS   [('embrasser    LA    VERTU    ET  DE    FUIT.   LE  VICE. 

Pour  engager  les  hommes  à  pratiquer  une  vertu  ou  à  fuir  un  vice, 
il  faut  leur  monttrer  :  1°  qu'il  y  a  nécessité  et  justice  à  le  faire; 
2°  qu'il  y  a  utilité  et  sûreté  ;  5"  qu'il  y  a  plaisir;  4"  qu'il  y  a  gloire; 
5"  qu'il  y  a  possibilité  et  même  facilité. 

\"  Motif.  — Il  y  a  nécessité  et  justice.  On  le  prouve  par  la  loi  na- 
turelle, par  la  loi  divine  ancienne  et  nouvelle,  quelquefois  même 
par  la  loi  humaine,  soit  ecclésiastique,  soit  civile,  et  enfin  par  les 
conséquences  déplorables  qu'entraînerait  l'absence  de  celte  vertu  ou 
la  présence  de  ce  vice  :  sans  cette  vertu,  peut-on  dire,  vous  ne  pour- 
rez rempUr  vos  devoirs  d'état,  vous  n'aurez  point  telle  grâce  ou 
telle  autre  vertu  nécessaire  à  votre  salut,  vous  n'obtiendrez  point  la 
persévérance  finale  :  si  vous  ne  déracinez  ce  vice,  il  vous  précipitera 
dans  tel  désordre,  tel  malheur,  etc  .. 

2"  Motif.  —  Il  y  a  utilité  et  sûreté  dans  la  pratique  de  la  vertu.  On 
le  prouve  en  montrant  qu'elle  nous  fait  échapper  aux  plus  grands 
maux  pour  celte  vie  et  pour  l'autre,  qu'elle  concourt  à  notre  bien- 
être  dés  ici-bas,  qu'elle  nous  y  procure  l'amitié  de  Dieu,  toutes  sor_ 
tes  de  biens  et  d'avantages,  en  même  temps  qu'elle  nous  assure, 
pour  la  vie  fwture,  le  bonheur  et  la  gloire.  —  Au  contraire,  on  fait 
voir  que  le  vice  a  les  suites  les  plus  funestes,  qu'il  nous  accable  dès 
maintenant  de  peines  et  de  misères,  qu'il  trompe  toutes  nos  espé- 


336  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

rances,  attire  sur  nous  la  haine  et  l'indignation  de  Dieu  et  nous 
précipite,  au  sortir  do  la  vie,  dans  des  malheurs  et  des  supplices 
sans  fin. 

5*=  Motif.-  11  y  a  plaisir  à  être  vertueux.  On  le  prouve  en  mon- 
trant que  la  vertu  fait  goûter  un  bonheur  solide  qui  surpasse  tous 
les  plaisirs  des  sens,  qu'elle  bannit  les  troubles,  les  inquiétudes  et 
les  remords  de  la  conscience,  qu'elle  remplit  l'âme  d'une  paix  dont 
la  douceur  surpasse  tout  ce  que  le  cœur  de  l'homme  peut  sentir  ici- 
bas,  qu'enfin  la  consolation  qu'elle  donne  est  si  grande  qu'elle 
adoucit  l'amertume  de  toutes  les  afflictions,  et  fait  surabonder  de 
joie  au  milieu  de  la  tribulation.  Superabimdo  gaudio  in  omni  tribu- 
latione.  Au  contraire,  dans  combien  de  chagrins  est  noyé  le  cœur 
de  l'homme  vicieux!  que  d'angoisses,  de  dégoûts  et  d'amertumes! 
que  de  remords  déchirants!  quel  affreux  mécontentement  de  soi! 
On  a  peine  à  se  supporter,  tant  on  se  trouve  vil  et  odieux  à  ses  pro- 
pres yeux  !  Tribulatio  et  angiistia  in  omnem  animam  hominis  ope- 
rantis  malmn^. 

¥  Motif.  —  11  y  a  gloire  à  pratiquer  la  vertu.  On  le  prouve  en 
faisant  ressortir  combien  elle  est  belle,  excellente,  aimable  en  soi, 
conforme  à  la  droite  raison,  plus  précieuse  que  toutes  les  choses 
d'ici-bas;  combien  elle  honore,  élève  et  ennoblit  le  chrétien  qu'elle 
rend  semblable  à  Jésus-Christ,  et  à  qui  elle  mérite  l'approbation  et 
la  louange  de  Dieu,  des  anges  et  des  hommes.  —  On  fait  voir  au 
contraire,  que  le  vice  est  honteux  en  soi  comme  opposé  à  la  droite 
raison,  qu'il  dégrade  et  avilit  ceux  qui  se  font  ses  esclaves,  que 
Dieu  et  les  hommes  l'ont  en  exécration,  que  sa  turpitude  et  sa  bas- 
sesse font  horreur  à  toute  âme  honnête,  et  déconsidèrent  celui  qui 
s'y  livre. 

5®  Motif.  —  11  est  possible  et  même  facile  de  pratiquer  la  vertu  et 
de  fuir  le  vice.  On  le  prouve  :  1»  par  la  bonté  de  Dieu  dont  la  grâce 
aidela  faiblesse  de  ses  enfants,  quand  il  trouve  en  eux  bonne  volonté: 
2"  par  sa  justice  qui,  par  cela  même  qu'elle  commande  quelque 
chose,  doit  les  moyens  nécessaires  pour  l'accomplir,  du  moins  à 
ceux  qui  les  lui  demandent;  5°  par  les  exemples  des  saints;  tant 
d'autres  ont  pratiqué  cette  vertu  ou  fui  ce  vice  dans  une  position 
qui  n'était  pas  plus  favorable  que  la  nôtre,  et  qui  peut-être  l'était 
moins;  or,  quod  isti  et  istx,  cur  non  ego^?  A"  par  la  promesse  de 
Notre-Seigneur,  qui  s'est  engagé  à  rendre  son  service  facile  et  doux: 

*  Rem  ,  11,  9.-3  Confess.  S.  Aug.,  lib.  VIII,  c.  xi. 


MANIÈi'.E  DE  PRÊCHER  SUR  LES  VERTES  ET  LES  VICES.  537 

Jugiim  meiim  suave  est  et  omis  levé  ',  et  par  la  parole  scniblahlo  do 
l'Esprit  de  Dieu,  dans  saint  Jean  :  Mandata  ejus  gravia  non  sunt^; 
5°  par  les  fatigues  et  les  peines  que  se  donne  le  monde  pour  des 
biens  périssables  ;  Dieu  n'en  demande  pas  tant  pour  le  ciel  ;  C"  par 
l'énergie  qu'inspirent  l'amour,  la  grâce,  l'espérance  de  la  récom- 
pense, lesquels  rendent  tout  facile,  et  font  braver  joyeusement  tou- 
tes les  difficultés. 

Tous  ces  motifs  de  pratiquer  la  vertu  et  de  fuir  le  vice  se  lisent  au 
septième  chapitre  de  la  Sagesse,  au  premier  de  rEccIésiaslique,  et 
en  mille  autres  endroits  de  l'Écriture  et  des  Pères.  On  les  trouve  dé- 
veloppés avec  une  rare  perfection  dans  la  Guide  des  pécheurs,  par  le 
P.  Grenade,  et  exposés  en  substance  dans  le  sermon  du  P.  Cheminais 
sur  la  sainteté,  où  l'orateur  démontre  en  trois  points  qu'il  y  a  gloire, 
bonheur  et  facilité  à  se  sanctifier. 

AUTICLE  o. 

PES   MOYENS  D'ACQUÉr.in    LA  VET.TU   ET  DE   CORRIGER   OU  DE   pnÉVENIli   LE   VICE. 

il  servirait  peu  d'avoir  fait  connaître  le  prix  d'une  vertu,  si  l'on 
n'enseignait  à  la  pratiquer,  d'avoir  sondé  la  plaie  que  le  vice  l'ait  à 
l'âme,  si  l'on  n'en  faisait  connaître  le  remède  ou  le  prèservalif. 
C'est  pourquoi  le  prédicateur,  après  avoir  exposé  avec  force  les  rai- 
sons de  pratiquer  une  vertu  ou  de  fuir  un  vice,  doit  toujours  en  en- 
ïcigner  les  moyens.  Ces  moyens  sont  ou  généraux  ou  particuliers  : 
les  moyens  généraux,  c'est-à-dire  également  utiles  pour  l'acquisi- 
tion de  toutes  les  vertus  ou  la  réforme  de  tous  les  vices,  sont  la 
prière,  la  fréquentation  des  sacrements,  les  lectures  pieuses,  l'exa- 
men de  prévoyance  le  malin,  l'examen  particulier  vers  midi,  l'exa- 
men général  le  soir,  et  des  retours  fréquents  sur  soi  pendant  le  jour; 
la  fuite  (les  occasions  dangereuses  et  des  mauvaises  coiMpagnies,  la 
fidélité  à  repousser  les  premières  pensées  du  mal,  et  à  mortifier  sa 
volonté  propre  ;  la  considération  sérieuse  et  fréquente  des  exemples 
de  Noire-Seigneur,  des  vertus  des  saints,  des  motifs  pn^ssants  que 
nous  avons  d'être  vertueux  :  enfin  la  correspondance  pronq)te  et  gé- 
néreuse à  la  grâce,  quelque  sacrifice  qu'elle  nous  demande.  Les 
moyens  particuliers,  c'est-à-dire  propres  pour  chaque  vertu  et  cou- 
re chaque  vice,  ou  aila[»tés  s[)éc.i;d(Mn(!nl  à  (^crlaines  positions  dans 
J('s<|U('I!('S  se  trouvent  les  auditeurs,  varient  selon  les  circonstances, 

».M;.ltli.,  II, '0.  —  M  .lo;m.,i. 

22 


338  TRAITE  DE  LA  TREDICATION. 

et  c'est  à  la  prudence  du  prédicateur  à  les  désigner.  La  retenue  des 
regards  et  la  mortification  des  sens  sont  un  moyen  d'acquérir  et  de 
conserver  la  chasteté;  l'aumône,  un  moyen  d'extirper  l'avarice; 
riunnilité,  un  remède  à  la  colère,  qui  le  plus  souvent  n'est  qu'un 
bouillonnement  de  l'orgueil  contrarié,  et  ainsi  du  reste. 

ARTICLE  4. 

COMMENT  DIVISER   LES   INSTRUCTIONS    SUR   LES    VERTUS   OU  LES    VICES? 
g    |er 

La  manière  la  plus  utile  de  faire  une  instruction  sur  une  vertu  ou 
sur  un  vice  est  de  la  diviser  en  trois  points,  en  exposant,  selon  les 
indications  données  aux  trois  articles  précédents  :  1°  en  quoi  consiste 
la  vertu  ou  le  vice  ;  2"  les  motifs  d'embrasser  cette  vertu  ou  de  fuir 
ce  vice  ;  3°  les  moyens  d'y  réussir.  Si  l'on  voulait  réduire  sa  division 
à  deux  points,  et  dire  par  exemple  :  Importance  de  cette  vertu,  pre- 
mier point  ;  moyens  de  racquérir,  second  point,  il  faudrait  traiter 
accessoirement  dans  le  corps  du  discours  la  partie  omise  par  cette 
division  abrégée. 

§  2. 

On  peut  faire  plusieurs  instructions  sur  une  même  vertu,  en  trai- 
tant séparément  chacun  des  trois  points  énoncés  plus  haut  :  ainsi,  si 
je  veux  traiter  le  premier  point  seul,  savoir  en  quoi  consiste  telle  vertu, 
par  exemple  la  contrition,  je  développerai  les  cinq  indications  don- 
nées à  l'article  premier;  si  je  veux  traiter  le  second  point  seul,  savoir 
les  motifs  de  pratiquer  telle  vertu  ou  de  fuir  tel  vice,  je  développerai 
les  cinq  autres  indications  données  à  l'article  second,  en  les  résu- 
mant en  trois  réflexions  :  Piien  de  plus  nécessaire,  premier  point  ; 
rien  de  plus  avantageux,  second  point  ;  rien  de  plus  facile,  troisième 
point  ;  ou  autrement  :  Excellence  de  cette  vertu,  premier  point 
avantages  qiCelle  procure,  second  point  ;  consolations  quelle  donne, 
troisième  point.  Si  enfin  je  ne  veux  traiter  que  les  moyens  d'acquérir 
la  vertu,  je  puis  exposer  dans  un  premier  point  ce  qu'il  faut  éviter, 
et  dans  un  second  point  ce  qu'il  faut  pratiquer  :  par  exemple,  en 
appliquant  ceci  à  la  vertu  de  chasteté,  je  montrerai  dans  le  premier 
point  que,  pour  la  conserver,  il  faut  éviter  une  sécurité  téméraire, 
la  fréquentation  indiscrète  des  personnes  du  sexe,  l'oisiveté,  la  bonne 
chère;  et  dans  le  second  point,  je  montrerai  qu'il  faut  repousser  par 


MANIÈRE  DE  PRÊCHER  SUR  LES  VERTUS  ET  LES  VICES.  539 

une  diversion  prompte  les  moindres  pensées  du  mal,  les  premières 
atteintes  de  la  tentation,  garder  ses  sens,  mortifier  son  corps,  être 
fidèle  à  la  prière.  —  Les  moyens  généraux  indiqués  à  l'article  troi- 
sième peuvent  aussi  faire  la  matière  de  plusieurs  exhortations, 

§5. 

On  peut  très-utilement  consacrer  une  instruction  à  réfuter  les 
mauvais  prétextes  ou  les  vaines  excuses  par  lesquels  les  pécheurs 
essayent  de  justifier  leurs  vices  :  par  exemple,  on  pourrait  traiter 
ainsi  le  pardon  des  injures  :  Vous  dites  :  Il  y  va  de  mon  honneur  de 
me  venger,  et  moi  je  vous  prouverai  qu'il  y  n  plus  dlioyineur.à  par- 
donner qu'à  se  venger,  premier  point  ;  vous  dites  :  Il  y  va  de  mon 
intérêt,  afin  qu'on  ne  recommence  pas,  et  moi  je  vous  prouverai  qu'il 
y  a  pour  vous  un  plus  grand  avantage  à  pardonner,  second  point  ; 
vous  dites  :  Il  y  va  de  ma  satisfaction,  je  ne  serai  content  que  quand 
je  serai  vengé;  et  moi  je  vous  prouverai  que  le  pardo7i  généreux  vous 
donnera  un  plaisir  j)lusvrai  et  plus  solide,  troisième  point. 

Onpeut  voir  un  modèle  d'une  réfutation  de  ce  genre  dans  le  sermon 
si  frappant  de  Massillon  sur  le  délai  de  laconversion  S  qui  est  consacré 
tout  cîUJerà  l'émter  les  prétextes  que  le  pécheur  allègue  pour  différer 
son  retour  à  Dieu. 

'è  ^- 

Ce  que  nous  avons  dit  de  la  manière  de  traiter  les  vices  et  les  vertus 
peut  s'appliquer  à  toutes  les  obligations  du  chrétien,  par  exemple 
aux  commandements  de  Dieu  et  de  l'Église,  au  bon  emploi  du  temps, 
à  la  dévotion  à  la  sainte  Vierge,  etc..  Ainsi,  si  je  veux  traiter  un  des 
dix  commandements,  je  montrerai  dans  un  premier  point  les  motifs 
de  garder  ce  commandement;  dans  un  second,  en  quoi  consiste  la 
pratique  de  ce  commandement  ;  et  dans  uu  troisième,  quels  sont 
les  moyens  de  l'observer  fidèlement. —  Si  je  veux  prouver  l'obligation 
d'être  saints,  je  dirai  :  Soyez  saints  parce  que  vous  le  devez,  premier 
point;  soyez  saints  parce  que  vous  le  pouvez,  second  point;  et  je 
ferai  entrer  dans  ces  deux  points  les  diverses  considérations  énoncées 
dans  les  Irois  premiers  articles  de  ce  chapitre.  —  Si  je  veux  traiter 
la  dévotion  à  la  sainte  Vierge,  je  montrerai  dans  un  premier  point 
les  motifs  de  cette  dévotion,  et  dans  un  second  point  la  pratique  de 
celte  dévotion,  et  toujours  je  pourrai  faire  entrer  les  mêmes  consi- 

*  Avent, 


J40  TUAITÈ  DE  LA   PRÉDICATION. 

dérations.  En  un  mot,  quel  que  soit  le  sujet,  on  peut  presque  toujours 
diviser  ainsi  la  matière  :  //  faut  faire  cela,  premier  point  ;  comment 
te  faire  ?  second  point.  Cette  division  toute  naturelle  est  aussi  presque 
toujours  la  meilleure,  et  donne  lieu  aux  développements  les  plus 
utiles. 

§5. 

Entre  les  commandements  de  Dieu,  il  en  est  deux  qui  offrent  des 
difficultés  toutes  spéciales  :  ce  sont  le  sixième  et  le  neuvième  -,  le 
prêtre  ne  doit  jamais  les  aborder  qu'avec  une  secrète  crainte  de 
dépasser  les  limites  de  la  prudence,  soit  parce  qu'il  doit  à  la  sainteté 
de  son  caractère,  de  ses  fonctions  et  de  sa  mission  divine,  de  ne  laisser 
échapper  de  ses  lèvres  que  des  paroles  pures  et  chastes  comme  celles 
d'un  séraphin,  soit  parce  que  rien  n'est  plus  dangereux  que  d'arrêter 
les  pensées  des  auditeurs,  dans  une  assemblée  composée  de  person- 
nes de  tout  âge  et  de  tout  sexe,  sur  ces  matières  lubriques.  Quand 
il  aura  à  les  traiter,  il  priera  auparavant  l'Esprit-Saint  de  purifier  ses 
lèvres  comme  celles  du  Prophète,  et  prendra  un  ton  de  décence  et 
de  gravité  qui  inspire  une  sainte  réserve  à  tous  les  auditeurs.  Puis, 
entrant  dans  son  sujet,  il  pourra  l'envisager  sous  deux  faces  oppo- 
sées, c'est-à-dire  ou  traiter  la  vertu  de  pureté  ou  attaquer  le  vice  con- 
traire, et  montrer  les  motifs  et  les  moyens  de  pratiquer  l'une  ou  de 
fuir  l'autre,  selon  les  indications  données  plus  haut,  art.  2  et  3.  La 
première  manière,  qui  consiste  à  traiter  la  vertu,  est  plus  facile, 
moins  dangereuse,  et  convient  mieux  à  un  jeune  prêtre;  la  seconde, 
qui  consiste  à  attaquer  le  vice,  ne  va  guère  qu'à  un  homme  grave 
dont  l'autorité  et  l'expérience  couvrent  la  hardiesse  des  paroles.  — 
En  traitant  les  motifs  de  la  pureté,  le  prédicateur  devra  s'attacher  à 
faire  ressortir  combien  est  belle  cette  vertu  qui  élève  l'homme  au- 
dessus  de  lui-même,  qui  le  fait  vivre  de  la  vie  des  anges  dans  un 
corps  de  boue,  qui  lui  vaut  tant  de  grâces  ici-bas  et  tant  de  gloire 
dans  le  ciel;  il  la  fera  admirer  et  chérir  aux  jeunes  gens  dans  saint 
Louis  deGonzage  ou  saint  Stanislas  Kostka,  dans  Berchmans  ou  Déca- 
logne;  aux  jeunes  personnes,  dans  cette  foule  de  vierges  qui,  pour 
se  conserver  pures,  ont  sacrifié  leur  vie  avec  un  courage  intrépide, 
ou  ont  embrassé  les  austérités  du  cloître,  mais  surtout  dans  Marie, 
la  Reine  des  vierges,  dont  le  nom  seul  exhale  un  parfum  de  pureté 
eéleste;  et  ces  exemples,  pourvu  qu'ils  soient  racontés  avec  des 
paroles  d'une  chasteté  angéliqueet  entremêlés  à  propos  de  sentences 
morales,  produiront  de  merveilleux  efftes  sur  les  cœurs.  Après  ces 


MANIÈRE  DE  PRÊGHEK  SUR  LES  VERTUS  ET  LES  VICES.  3M 

considérations  si  suaves  où  tout  devra  êlre  pur  comme  le  ciel, 
viendra  naturellement  l'exposé  des  moyens  de  vivre  dans  la  pureté, 
tels  que  la  dévotion  à  la  sainte  Vierge,  l'humilité  et  auties  moyens 
indiqués  au  §  2  du  présent  article.  —  En  traitant  les  motifs  de  fuir 
le  vice  opposé,  le  prédicateur  devra  s'attacher  à  deux  principaux, 
ses  effets  et  ses  châtiments  .  ses  effets  sont  hideux  ;  car  il  dégrade 
et  avilit  l'homme,  même  à  ses  propres  yeux;  il  flétrit  dans  le  cœur 
tous  les  sentiments  honnêtes;  il  profane  un  corps  qui  est  le  membre 
de  Jésus-Christ  et  le  temple  de  l'Esprit-Saint  ;  il  engendre  le  dégoût 
de  tous  les  devoirs,  de  Dieu  même  et  de  son  service,  fait  mourir  dans 
les  âmes  la  charité  à  laquelle  il  substitue  un  égoïsme  cruel  et  sans 
enlrailles,  l'espérance  qu'il  remplace  par  le  désir  du  néant  et  jus- 
qu'à la  foi  même  dont  la  doctrine  pure  répugne  à  la  corruption  du 
cœur  :  Dixit  insipiens  in  corde  suo  :  Non  est  Deus.  Ses  châtiments 
sonl  teri  ibles  ;  de  tous  les  vices,  c'est  celui  qui  excite  au  plus  haut 
degré  l'horreur  et  la  vengeance  de  Dieu  :  de  là  le  déluge  ensevehs- 
sant  le  genre  humain  sous  ses  eaux,  quià  caro  est^;  de  là  le  feu  du 
ciel  réduisant  en  cendres  les  villes  corrompues  de  la  Pentapole  ;  de 
là  tant  de  victimes  de  la  mort  avant  l'âge,  ou  frappées  subitement 
comme  la  foudre  ;  de  là  tant  de  désordres  dans  les  familles,  tant  de 
calamités  privées  et  publiques.  —  Enfin,  en  traitant  les  moyens  de 
fuir  ce  vice,  le  prédicateur  exposera  ceux  que  nous  avons  indiqués 
pour  la  garde  de  la  vertu  contraire,  mais  s'altachera  principalement 
à  la  nécessité  d'éviter  les  occasions  dangereuses,  telles  que  les  mau- 
vaises lectures,  les  rapports  trop  libres  avec  les  personnes  d'un  autre 
sexe,  la  licence  des  regards  et  des  paroles.  —  A  ces  remarques  nous 
n'avons  plus  qu'une  observation  à  ajouter  :  c'est  que  pour  ne  pas 
s'écarter  des  limites  de  la  prudence  dans  un  sujet  si  délicat,  le  pré- 
dicateur devra  prendre  pour  modèles  le  sermon  de  Bourdaloue  sur 
l'impureté,  et  le  discours  de  Massillon  sur  l'Enfant  prodigue,  et  ne 
pas  dépasser  la  réserve  que  se  sont  imposée  ces  deux  grands  maîtres 
de  la  chaire. 

g  6. 

Les  auteurs  qui  ont  le  mieuv  écrit  sur  les  vertus  chrétiennes  sont 
Rodriguoz,  Saint-Jure,  saint  François  de  S.des  et  (Irenade.  On  trou- 
vera dans  le  premier  tout  ce  (ju'on  peut  dire  de  mieux  sur  les  vei  tus 
dont  il  traite. 

*  Gcnrs.,  vr,  Z. 


342  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 


CHAPITRE  IV 

De  la  manière  de  prêcher  sur  les  sacrements  * 

Pour  bien  traiter  une  matière  si  importante,  il  faut  connaître: 
i°  les  considérations  générales  dont  elle  est  susceptible;  2°  la  forme 
à  donner  aux  instructions  sur  ces  graves  sujets. 

ARTICLE  1". 

DES    CONSIDÉRATIONS    GÉNÉRALES   QU'ON    PEUT    FAIRE   SUR    LES  SACREMENTS. 

Ces  considérations  ont  pour  objet  de  faire  ressortir  l'excellence  des 
sacrements,  leur  nécessité,  leurs  avantoges,  les  dispositions  qu'on  y 
doit  apporter  et  les  défauts  qu'on  y  doit  éviler,  les  obligations  qu'ils 
imposent  et  le  sens  des  cérémonies  par  lesquelles  ils  se  confèrent. 

§  !''• 

De  la  manière  de  faire  ressortir  rexcellence  des  sacrements. 

On  fait  ressortir  l'excellence  des  sacrements  en  montrant  qu'ils  ne 
sont  point  d'institution  humaine  comme  les  autres  cérémonies  de 
l'Église,  si  vénérables  cependant  à  tant  de  titres  ;  qu'ils  viennent  du 
ciel  même  et  ont  Dieu  pour  auteur;  qu'ils  sont  le  canal  par  lequel 
Jésus-Christ  nous  communique  les  mérites  de  son  sang,  et  répand  sa 
grâce  dans  nos  âmes;  qu'enfin  la  manière  dont  ils  opèrent  mérite 
toute  notre  admiration  et  tout  notre  amour  :  un  peu  d'eau,  d'huile  ou 
de  pain,  quelques  paroles,  et  par  l'application  de  ces  éléments  si  sim- 
ples, si  communs,  l'âme  qui  n'y  met  point  d'obstacle  est  infaillible- 
ment purifiée,  quelles  que  soient  ses  souillures.  Digne  de  l'enfer  et 
esclave  hideuse  du  démon  avant  les  paroles  sacramentelles,  elle 
apparaît  tout  à  coup,  dès  qu'elles  sont  prononcées,  digne  du  ciel, 
belle  aux  yeux  de  Dieu  et  de  ses  anges;  ou,  si  déjà  elle  é<ait  juste 

3  Voyez  Pastoral  de  Limoges,  t.  II,  11=  partie,  tit.  ii,  c.  v. 


MANIÈRE  DE  PRÊCHER  SUR  LES  SACREMENTS.  543 

auparavant,  elle  devient  plus  pure,  riche  d'un  nouveau  degré  de 
grâce  en  ce  monde  et  de  l'espérance  d'un  nouveau  degré  de  gloire 
dans  l'autre.  Quoi  de  plus  merveilleux  !  Outre  ces  titres  d'excellence 
communs  à  tous  les  sacrements,  chacun  a  les  siens  propres;  par 
exemple,  le  Baptême,  la  Confirmation  et  l'Ordre  impriment  dans 
l'âme  un  caractère  ineffaçahle,  lequel  sera  pendant  toute  l'éternité 
comme  une  décoration  magnifique,  un  insigne  de  gloire  qui  brillera 
au  milieu  des  splendeurs  du  ciel,  si  la  sainteté  de  la  vie  y  a  corres- 
pondu. Et  que  dire  de  l'excellence  de  l'Eucharistie,  sacrement  inef- 
fable qui  renferme  un  monde  de  miracles,  sacrement  permanent  par 
lequel  un  Dieu  demeure  avec  nous  et  nous  donne  non-seulement  sa 
grâce,  mais  l'auteur  même  de  la  grâce,  qui  choisit  nos  cœurs  pour 
son  paradis  en  terre,  de  sorte  qu'autour  de  celui  qui  a  communié, 
des  légions  d'anges  sont  prosternées  adorant  leur  Dieu  dans  ce 
nouveau  ciel  où  son  amour  se  plaît  à  habiter.  Quelle  riche  matière  à 
l'éloquence  du  prédicateur,  et  qu'il  y  a  là  un  beau  champ  pour  faire 
ressortir  la  bonté,  l'amour,  la  miséricorde  de  Dieu,  qui  met  à  des 
conditions  si  faciles  le  pardon  des  plus  horribles  offenses,  qui  verse 
si  abondamment  sa  grâce  dans  les  âmes,  et  enfin  se  donne  tout  entier 
lui-même  ! 

Comment  expliquer  la  nécessité  des  sacrements. 

On  peut  distinguer  ici  trois  sortes  de  nécessités,  la  nécessité  de 
moyen,  la  nécessité  de  précepte,  la  nécessité  que  j'appellerai  acci- 
dentelle. Un  sacrement  nécessaire  de  nécessité  de  moyen  est  celui 
qui,  d'après  l'institution  divine,  est  le  seul  moyen  que  nous  ayons 
d'arriver  à  la  justification  quand  nous  sommes  en  état  de  péché  : 
c'est  la  planche  de  salut  qui  reste  au  naufragé  ;  il  serait  bien  cou- 
pable, bien  ennemi  de  lui-même  s'il  n'en  profilait  pas,  et  justement 
on  lui  appliquerait  les  paroles  du  Prophète  :  Perditio  tua,  Israël*-  ! 
C'est  la  considération  que  doit  développer  le  prédicateur  en  traitant 
soit  le  sacrement  de  pénitence,  soit  l'obligation  de  faire  baptiser  les 
enfants  le  plus  tôt  possible  après  la  naissance,  soit  même  l'exlrême- 
onclion,  puisque,  établie  par  Jésus-Christ  comme  supplémenl  du 
sacrement  de  pénitence,  elle  a  la  vertu  de  remettre  les  péchés  mor- 
tels qui  n'auraient  pas  élè  remis  par  ce  sacrement,  soit  (pi'un  n'eût 
pas  pu  le  recevoir,  soit  (ju'on  l'eût  reçu  invalidenient,  soii  qu'après 

*  Osée,  XIII,  9 


3U  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

l'avoir  bien  reçu  on  eiU  commis  un  péché  mortel  dont  on  ne  songe- 
lait  pas  à  se  confesser.  —  Le  prédicateur  doit,  en  second  lieu,  faire 
ressortir  la  nécessité  du  précepte,  en  montrant  :  1"  que  la  bonté  de 
Dieu  ne  se  borne  pas  à  nous  offrir  ses  trésors  ;  son  amour  est  si 
grand  qu'il  nous  fait  une  loi  de  les  recevoir  :  quelle  ingratitude  si 
nous  refusons!  2»  qu'en  désobéissant  à  Dieu  dans  un  précepte  si  ai- 
mable, nous  l'outrageons  de  la  manière  la  plus  sensible,  nous  le 
blessons  au  cœur,  si  l'on  peut  ainsi  dire;  et  son  amour,  converti  en 
colère  par  notre  malice,  nous  menace  de  châtiments  éternels.  — 
Enfin,  le  prédicateur  fera  ressortir  la  nécessité  accidentelle  des  sa- 
crements, en  montrant  qu'ils  sont  pour  plusieurs  un  secours  néces- 
saire pour  vaincre  leurs  mauvaises  habitudes,  résister  aux  tentations 
et  opérer  leur  salut  :  combien  se  soutiendraient  dans  la  vertu  s'ils 
voulaient  se  confesser  souvent,  communier  de  temps  en  temps!  Mais 
en  se  privant  de  ce  secours,  abandonnés  à  leur  propre  faiblesse,  ils 
sont  incapables  de  prendre  le  dessus  sur  le  démon,  sur  eux-mêmes 
et  les  tentations  qui  les  assiègent. 

Comment  expliquer  les  avantages  que  les  sacrements  confèrent  à  Vâme? 

Il  est  très-important  d'exposer  ces  avantages,  afin  de  porter  les 
âmes  à  l'amour  de  nos  sacrements.  Bourdaloue,  dans  sofl  sermon 
pour  le  treizième  dimanche  après  la  Pentecôte,  se  plaint  en  parti- 
culier de  ce  qu'on  parle  trop  peu  aux  fidèles  des  trésors  inestimables 
que  renferme  le  sacrement  de  pénitence  ;  et  en  conséquence  il  s'at- 
tache à  prouver  que  la  confession  e,st  à  la  fois  le  remède  du  péché  et 
le préservntif  contre  la  rechute.  Conformément  à  l'exemple  et  au  con- 
seil de  ce  roi  des  prédicateurs,  on  ne  saurait  trop  expliquer  aux 
fidèles  les  avantages  des  sacrements.  Il  en  est  deux  principaux  :  ils 
confèrent  à  l'âme  qui  les  reçoit  dignement  la  grâce  sanctifiante  et  la 
grâce  sacramentelle. 

Pour  faire  ressortir  les  avantages  de  la  grâce  sanctifiante,  le  pré- 
dicatenr  pourra  exposer  d'abord  l'excellence  de  celte  grâce,  don 
surnaturel  qui  nous  élève  à  la  participation  de  la  sainteté  divine,  qui 
vaut  le  ciel  môme,  puisque  Dieu  ne  peut  pas  le  lui  refuser,  qui  est 
le  prix  du  sang  de  Jésus-Christ,  qui  nous  fait  l'ami  de  Dieu,  l'hé- 
ritier de  son  royaume,  le  temple  de  son  Saint-Esprit.  Puis  il  mon- 
trera celte  grâce  comme  source  de  tous  les  mérites  :  avant  de  la 
posséder,  les  actions  les  plus  héroïques  de  l'homme  ne  pouvaient  lui 


5IAMÈP.E  DE  PP.ÉGIIER  SUR  LES  SACREMEMS.  54". 

être  d'aucun  mérite  pour  le  ciel  ;  mais,  une  fois  qu'il  la  possède,  ses 
œuvres  les  plus  communes,  faites  en  vue  de  Dieu,  leur  valent  un 
poids  immense  de  gloire,  et  les  moindres  souiïrances  d'ici-bas  au- 
ront pour  compensations  des  jouissnnces  éternelles.  Enfin  le  prédi- 
cateur exposera  le  bonlïeur  d'une  âme  réconciliée  avec  Dieu  par  les 
sacrements,  la  paix  et  la  joie  de  la  bonne  conscience  qui  se  puisent 
dans  ces  vives  sources  de  la  grâce. 

Pour  faire  ressortir  ensuite  les  avantages  de  la  grâce  sacramentelle, 
il  fera  admirer  l'infinie  bonté  de  Dieu  qui  a  ménagé  dans  chaque 
sacrement  un  secours  spécial  relatif  aux  diverses  obligations  de 
l'homme  sur  la  Terre.  Si  par  le  baptême  nous  contractons  l'obliga- 
tion de  croire  et  de  vivre  en  chrétien,  ce  sacrement  nous  confère, 
avec  les  vertus  infuses  de  foi,  d'espérance  et  de  charité,  le  droit  aux 
grâces  dont  nous  aurons  besoin  plus  tard  pour  remplir  tous  les  de- 
voirs du  christianisme.  Si  par  la  confirmation  nous  nous  engageons  à 
professer  hautement  la  religion,  nous  recevons,  en  même  temps, 
une  grâce  de  force  contre  le  respect  humain,  contre  nous-même  et 
contre  le  démon  ;  la  pénitence  aide  notre  ferme  propos  par  une 
grâce  spéciale  contre  la  rechute  ;  l'Eucharistie  soutient  notre  âme 
par  son  céleste  aliment,  amortit  le  foyer  delà  concupiscence,  et  dé- 
pose en  nos  corps  le  germe  de  l'imuiorlalité  ;  l'ordre  et  le  mariage 
donnent  les  grâces  pour  vivre  saintement  dans  les  états  difficiles  où 
ils  nous  placent  ;  et,  enfin,  rExIrême-Onction  nous  fortifie  contre  les 
épreuves  de  la  maladie,  contre  les  terreurs  de  la  mort,  prépare  au 
dernier  passage  ou  rend  la  santé  si  elle  est  utile  au  bien  de  l'âme. 
Or,  quoi  de  plus  intéressant  que  le  développement  de  ces  conso- 
lantes vérités,  et  combien  ne  sont-elles  pas  propres  à  faire  sentir  les 
avantages  des  sacrements! 


Des  dispositions  qu'il  faut  apporter  à  la  n'-ception  des  sacrements  et  des  défauts 
qu'il  y  faut  éviter. 

Le  prédicateur  s'attachera  à  faire  ressortir  l'importance  des  dispo- 
sitions requises  pour  s'approcher  des  sacrements,  en  montrant  que 
sans  elles  la  réception  du  sacrement  serait  un  sacrilège,  et  nous  fe- 
rait puiser  la  mort  dans  les  sources  mêmes  de  la  vie  ;  (pu;  la  mesure 
des  dispositions  est  la  mesure  des  grâces  (pi'on  reçoit,  le  sacrement 
oj)éranl  [)his  ou  moins  si>lon  qu'ouest  plus  ou  moins  disposé;  et 
qu'ainsi  celui  qui  n'ap[)Oile  que  des  dispositions  médiocres  se  piive 


550  TRAITE  DE  LA  PRÉDICATION. 

d'une  partie  des  fruits  que  Dieu  a  allachés  à  la  réception  de  ce  sa- 
crement. 

Après  avoir  traité  l'importance  des  dispositions,  il  dira  en  quoi 
elles  consistent  ;  et,  là,  il  exposera  avec  soin  et  précision  les  dispo- 
sitions éloignées  et  les  dispositions  prochaines,  les  dispositions  abso- 
lument nécessaires  et  les  dispositions  utiles  et  plus  parfaites  sans 
être  nécessaires  ;  il  dira  en  quoi  consiste  chaque  disposition  parti- 
culière, les  moyens  de  l'acquérir,  les  défauts  qui  empêcheraient  en- 
tièrement le  fruit  du  sacrement,  et  ceux  qui  ne  feraient  que  le  rendre 
moindre. 

Le  détail  'de  tous  ces  points  nous  mènerait  trop  loin  ;  l'énoncé 
seul  les  fait  assez  comprendre. 


Des  obligations  qu'on  contracte  par  la  réception  des  sacrements. 

Tous  les  sacrements  portent  avec  eux  des  obligations  particulières  : 
la  ptemière  est  celle  de  la  reconnaissance  pour  un  si  grand  bienfait; 
la  seconde  est  de  conserver  précieusement  la  grâce  reçue,  en  veil- 
lant sur  son  cœur  pour  ne  pas  la  laisser  enlever  par  le  péché  ;  la 
troisième  est  de  la  faire  fructifier  par  une  correspondance  exacte 
aux  vues  que  Dieu  s'est  proposées  en  nous  la  donnant  ;  la  quatrième 
est  de  remphr  parfaitement  les  devoirs  de  l'état  pour  lequel  le  sacre- 
ment nous  a  été  conféré.  Le  prédicateur  doit  développer  toutes  ces 
obligations  et  les  faire  ressortir  avec  force  en  montrant  qu'il  nous 
faudra  rendre  un  compte  rigoureux  de  toutes  les  grâces,  et  que  si 
nous  les  laissons  stériles  en  nous,  elles  tourneront  à  notre  perte  ;  les 
bienfaits  mêmes  de  Dieu  deviendront  les  sujets  de  notre  condam- 
nation. 

§6. 

Des  cérémonies  des  sacrements. 

Ces  cérémonies  sont  une  des  matières  de  prédication  les  plus 
utiles;  elles  ont  toutes  un  sens  moral  très-instructif  pour  qui  sait  les 
comprendre;  le  devoir  du  prédicateur  est  de  les  expliquer  aux  fi- 
dèles, da  développer  tout  ce  qu'elles  ont  de  pieux,  de  loucliant,  de 
propre  à  exciter  la  foi  et  la  dévotion,  et  de  montrer  comment  elles 
donnent  l'intelligence  du  sens  caché  des  sacrements,  rappellent  les 
bienfaits  de  Dieu,  honorent  ses  grandeurs  et  relèvoiit  son  culte.  Cette 


MANIÈRE  DE  PRÊGHEU  SUR  LES  SACREMENTS.  547 

instruction  sera  reçue  avec  d'autant  plus  de  plaisir  qu'elle  se  ratta- 
chera à  des  signes  sensibles  que  les  fidèles  s'estimeront  heureux  de 
comprendre,  et  qu'elle  leur  enseignera  d'une  manière  plus  facile  à 
retenir  tous  les  devoirs  que  le  sacrement  leur  impose. 

ARTICLE  2. 

DE  LA    FORME  A  DONNER    AUX    INSTRUCTIONS  SUR    LES    SACREMENTS. 

Les  instructions  sur  les  sacrements  s'adressent  tantôt  au  public  du 
haut  de  la  chaire,  tantôt  aux  particuliers  dans  l'administration 
même  du  sacrement.  Nous  allons  traiter  séparément  ces  deux  cas. 

§  1". 

Des  instructions  publiques  sur  les  sacrements. 

1°  Si  Ton  n'a  qu'une  seule  instruction  à  faire  sur  un  sacrement, 
on  peut  diviser  ainsi  son  sujet  :  Excellence  du  sacrement,  premier 
point  ;  et  sous  cet  énoncé  on  comprend  son  excellence  proprement 
dite,  sa  nécessité  et  ses  avantages;  dispositions  qii  il  demande^  se- 
cond point;  ohligalions  qu'il  impose,  troisième  point;  et,  en  traitant 
ces  deux  derniers  points,  on  expose  les  cérémonies  comme  dévelop- 
pements et  comme  preuves  de  la  doctrine. 

2°  Si  l'on  a  plusieurs  instructions  à  faire  sur  le  même  sacrement, 
les  six  paragraphes  indiqués  dans  l'article  précédent  fournissent 
matière  à  six  instructions  et  plus  encore.  Ainsi,  par  exemple,  si  je 
veux  traiter  le  sacrement  de  pénitence,  je  puis  facilement  faire  six 
instructions  :  la  première  traitera  du  précepte  divin  de  la  confession, 
des  avantages  d'une  bonne  confession,  du  crime  de  ceux  qui  ne  se 
confessent  pas  ou  qui  se  confessent  mal.  La  seconde  traitera  de 
l'examen  de  conscience,  et  là  j'en  ferai  voir  l'importance,  j'en  dirai 
les  qualités,  et  j'exposerai  la  manière  de  le  faire.  La  troisième  trai- 
tera de  la  contrition;  et  là  encore  j'en  montrerai  l'importance,  j'en 
expliquerai  les  conditions,  et  j'enseignerai  la  manière  de  la  former 
dans  son  cœur.  La  quatrième  traitera  du  ferme  propos  et  en  fera  con- 
naître la  nature  et  la  nécessité,  les  caractères  et  les  marques.  La  cin- 
quième traitera  de  la  confession,  en  dèveloppeia  les  qualités  et 
exposera  la  manière  de  se  confesser.  La  sixième,  enfin,  traitera  de  la 
satisfaction  ou  de  la  pénitence  à  laquelle  nous  sonnnes  obligés, 
même  pour  les  péchés  pardonnes  ;  et  là,  réunissant  avec  la  pénitence 
sacramentelle  la  pénitence  laissée  à  notre;  discrétion,  j'exi)oserai  son 


358  THAITÈ  DE  LA  mÉDICATION 

importance,  sa  rigueur,  cl  la  inanièro  de  la  faire.  —  Si  je  veux  traiter 
rEuchai'istie,  que  de  matières  à  instiuclions  ne  s'oUVent  pas  à  la 
pensée!  On  pourrait,  dans  un  premier  discours,  montrer  l'obligatioii 
de  communier  et  tout  ce  que  cette  obligation  a  de  doux  et  d'aimable  :, 
dans  un  second  discours,  faire  ressortir  l'outrage  que  la  coniuiuuiou 
indigue  fait  à  Jésus-Christ,  et  les  maux  qu'elle  fait  à  l'homme;  dans 
un  troisième,  exposer  les  avantages  de  la  bonne  cummunio:i  et  les 
dispositions  pour  bien  communier;  dans  un  quatrième,  enfin,  traiter 
la  comnumion  fréquente,  et  exposer  sa  nécessité  pour  plusiems,  se> 
avantages  pour  tous,  et  ses  conditions. 

5°  Pour  remplir  tous  ces  canevas  ou  autres  semblables,  on  trouvera 
d'excellents  matériaux  dans  les  principaux  auteurs  de  sermons  ou  d^' 
prônes,  dans  les  catéchismes  de  Couturier,  de  M.  de  Lanlages  et  sur- 
tout du  concile  de  Trente. 


Des  instructions  à  adresser  aux  particuliers  clans  l'administralion  des  sacrements. 

Nous  n'avons  point  à  parler  ici  de  la  Confirmation  et  de  l'Oidre  : 
ceux  qui  seront  un  jour  les  ministres  vénérés  de  ces  deux  sacrements 
sauront,  mieux  que  nous  ne  pourrions  l'indiquer,  ce  qu'il  convient 
de  dire  en  les  administrant.  Il  s'agit  donc  uniquement  ici  des  in- 
struclions  que  doit  adresser  le  prêtre  dans  l'administration  des  sacre- 
ments de  Baptême,  de  Mariage,  de  Pénitence,  à  une  première  com- 
munion, en  donnant  le  viatique  et  l' Extrême-Onction.  Une  allocution 
instructive  et  pieuse  est  dans  ces  cas  de  la  plus  grande  importance; 
les  lîiluels  de  presque  tous  les  diocèses  la  prescrivent;  le  prêtre  ne 
peut  avoir  d'occasion  plus  favorable  d'annoncer  la  parole  de  Dieu  : 
ce  sont  même  souvent  les  seuls  cas  où  il  puisse  faire  entendre  des 
paroles  de  foi  et  de  salut  à  plusieurs  qui  ne  viennent  jamais  à  l'église 
hors  de  ces  circonstances  ;  et  où  serait  en  lui  le  zèle  du  salut  des 
âmes,  s'il  manquait  une  occasion  qui  peut-être  ne  se  représentera 
plus?  Enfin,  dans  ces  moments  si  sérieux  on  est  mieux  disposé  à 
entendre  parler  de  Dieu,  si  j'en  excepte  le  Mariage,  où  le  prêtre,  par 
la  gravité  du  langage,  doit  suppléer  à  l'imperfection  des  dispositions. 

Mais  pour  que  ces  instructions  soient  utiles,  il  faut  d'abord  qu'elles 
soient  courtes,  et  fortes  de  choses  en  proportion  de  leur  brièvelé- 
Elles  ne  doivent  guère  dépasser  cinq  à  six  minutes,  excepté  à  la  pre- 
mière communion,  où  l'on  peut  parler  pendant  dix  minutes  avant  et 
dix  minutes  après.  11  faut,  en  second  lieu,  qu'elles  soient  bien  appro- 


MANIÈRE  DE  PRÊCHER  SUR  LES  SACREMENTS.  ôiO 

priées  à  la  circonstance,  et  pour  faciliter  au  prêtre  l'accomplisse- 
ment  de  celte  condition,  nous  allons  parcourir  les  différents  cas. 

1"  Pour  un  Baptême,  il  faut  commencer  par  rappeler  au  recueil- 
lement l'esprit  peut-être  dissipé  des  auditeurs,  en  leur  montrant  le 
profond  respect  qui  est  dû  au  sacrement,  et  les  grandes  choses  qui 
vont  s'opérer  dans  l'enfant  qu'on  présente.  D'esclave  de  Satan,  il  va 
devenir  enfant  de  Dieu  et  de  l'Église,  héritier  du  ciel,  temple  du 
Saint-Esprit,  pur  comme  un  ange,  plus  grand  que  les  anges  par  sa 
dignité  de  chrétien  et  son  union  avec  Jésus-Christ.  Mais  aussi,  et 
c'est  là  la  seconde  réflexion,  que  de  grandes  obligations  vont  lui  être 
imposées  !  Obligation  de  renoncer  au  démon,  à  ses  pompes  et  à  ses 
œuvres,  ol)ligation  de  vivre  de  la  vie  de  Jésus-Christ  :  Quicmnque 
baptizati  estis,  Christum  indiiistis^.  11  faut  ensuite  faire  rentrer  les 
auditeurs  en  eux-mêmes  pour  qu'ils  jugent  comment  ils  ont  porté 
ce  beau  tiire  de  chrétien  et  en  ont  rempli  les  obligations,  les  inviter 
à  renouveler  les  promesses  de  leur  baptême  avec  la  résolution  d'y  être 
plus  fidèles,  et  rappeler  aux  parrains  et  marraines  qu'ils  y  sont  spé- 
cialement tenus,  puisqu'ils  vont  faire  haute  profession  de  la  foi  au 
nom  de  l'enfant,  promettre  à  Dieu  qu'il  exécutera  les  engagements 
qu'ils  vont  prendre  en  son  nom,  et  s'obliger  à  y  veiller. 

2"  Pour  le  Mariage,  il  faut  :  1°  faire  ressortir  combien  c'est  un 
grand  sacrement,  tant  parce  qu'il  représente  l'union  de  Jésus-Christ 
avec  son  Eglise,  que  parce  qu'il  décide  du  bonheur  de  la  vie  entière, 
et  même  souvent  de  la  vie  éternelle,  en  unissant  les  destinées  des 
deux  époux  par  des  liens  indissolubles  :  quoi  de  plus  grave,  de  plus 
digne  de  sérieuses  réflexions  !  2°  il  faut  expliquer  ce  que  les  deux 
époux  se  doivent  l'un  à  l'autre  :  le  mari  doit  aimer  son  épouse 
comme  Jésus-Christ  a  aimé  son  Église,  l'honorer  comme  une  partie 
de  lui-même  et  avoir  pour  elle  une  bonté  compatissante.  L'épouse 
doit  avoir  pour  son  mari  l'amitié  et  la  complaisance,  le  respect  et  la 
soumission  de  l'Eglise  pour  Jésus-Christ  ;  tous  deux  doivent  ne  faire 
qu'un  cœur  et  qu'une  âme;  s'assister  dans  leurs  besoins,  se  suppor- 
ter dans  leurs  faiblesses  ou  leurs  défauts,  s'édifier  par  de  bons  exem- 
ples, s'aider  par  de  bons  avis  et  être  l'un  pour  l'autre  comme  un 
nouvel  ange  gardien.  3"  Il  faut  ajouter  que  si  le  ciel  bénit  leur  ma- 
riage, ils  devront  élever  leurs  enfants  dans  la  pratique  et  l'amour  de 
la  religion,  que  c'est  là  une  obligation  dont  ils  sont  redevables  à 
Dieu,  M  riv,'lise,  à  la  société,  à  eu.x-mômes,  puisque  leur  bonheur 
en  dépend. 

»  Galat.,  III,  27. 


350  TIUITE  DE  LA  PREDICATION. 

5"  Pour  la  Pénitence,  il  faut  une  exhortation  courte,  pleine  de 
charité,  qui  ne  contienne  aucun  reproche  pénible  à  l'amour-propre, 
qui  soit  appropriée  à  l'intelligence,  au  caractère,  aux  besoins  du  pé- 
nitent, et  réunisse  le  langage  de  la  confiance  à  celui  de  la  crainte. 
Celte  exhortation  doit  contenir,  sinon  toujours,  au  moins  le  plus 
souvent  :  1°  des  avis  sur  la  nécessité  de  se  corriger  des  fautes  accu- 
sées, et  d'entrer  dans  une  vie  meilleure;  les  moyens  et  les  pratiques 
les  plus  propres  à  réformer  les  défauts  du  pénitent,  et  à  lui  faire  ac- 
quérir les  vertus,  comme  la  fuite  des  occasions,  la  fidélité  aux  exer- 
cices de  piété,  etc..  ;  5°  les  motifs  de  contrition.  —  On  se  sert  utile- 
ment pour  cette  allocution  de  la  considération  du  mystère  ou  de  la 
fête  qu'on  célèbre  et  qu'on  se  prépare  à  célébrer. 

4°  L'exhortation  d'avant  la  première  communion  doit  contenir  les 
actes  préparatoires  à  la  réception  du  sacrement,  c'est-à-dire  les  actes 
de  foi,  d'humilité,  de  contrition,  d'amour  et  de  désir  :  il  faut  les  présen- 
ter avec  clarté  et  simplicité  pour  qu'ils  soient  à  la  portée  des  enfants, 
mais  en  même  temps  avec  l'onction  et  la  chaleur  d'une  âme  forte- 
ment pénétrée.  Après  la  communion,  l'exhortation  doit  contenir 
une  adoration  humble  mêlée  d'admiration  et  d'amour  pour  le  Dieu 
qui  est  en  leur  poitrine  ;  des  remercîments  pour  une  si  grande 
grâce  ;  des  prières  pour  tous  leurs  besoins  :  nul  moment  plus  fa- 
vorable pour  tout  demander  ;  l'offrande  de  toute  leur  personne  à  ce 
Dieu  si  prodigue  de  lui-même,  pour  ne  plus  vivre  que  de  son  amour 
et  selon  son  bon  plaisir  ;  enfin  la  résolution  de  continuer  à  fréquen- 
ter les  sacrements,  à  assister  aux  instructions,  à  fuir  les  occasions 
et  compagnies  dangereuses;  et  ici  on  fait  une  apostrophe  aux  pa- 
rents pour  leur  dire  que  ces  enfants,  si  purs  aujourd'hui,  sont  un 
trésor  que  l'Église  leur  confie,  qu'ils  en  répondront  devant  le  tribu- 
nal de  Dieu,  s'ils  ne  veillent  pas  à  sa  garde,  et  surtout  s'ils  allaient 
détourner  ces  chers  enfants  de  la  vertu  par  leurs  discours  ou  leurs 
exemples. 

5°  Pour  le  viatique,  l'exhortation  d'avant  et  d'après  doit  contenir 
à  peu  près  les  mêmes  actes  dont  nous  venons  de  parler.  On  ajoute 
seulement  auparavant  quelques  réflexions  touchantes  sur  la  bonté 
de  Notre-Seignenr  qui  vient  en  personne  visiter  le  malade,  le  conso- 
ler, le  fortifier,  nourrir  son  âme  de  sa  chair  et  de  son  sang  ;  et  après 
la  communion,  on  l'engage  à  se  tenir  uni  à  Jésus  souffrant  sur  la 
croix,  à  lui  offrir  sa  maladie,  à  s'abandonner  à  la  Providence,  à  lui 
redire  souvent  du  fond  du  cœur  :  Fiat  voluntas  tua. 

6"  Enfin,  pour  l' Extrême-Onction,  il  faut  1°  faire  admirer  la  bonté 


MAMÈRE  DE  PRÊCHER  SUR  LA  PRIÈRE.  351 

de  Notre-Seigneur  qui  a  établi  pour  les  malades  un  sacrement  spé- 
cial, lequel  a  la  vertu  d'effacer  ce  qui  pourrait  rester  encore  des 
péchés  de  la  vie  passée,  de  fortifier  contre  les  tentations,  de  don- 
ner grâce  et  courage  pour  souffrir  avec  patience  et  mérite  les  dou- 
leurs de  la  maladie,  et  même  de  rendre  la  santé  si  cela  est  utile 
au  salut  ;  quel  amour,  quel  tendre  intérêt  de  la  part  de  Jésus-Christ 
pour  ses  membres  souffrants,  et  avec  quelle  reconnaissance,  quel 
bonheur  ne  doit-on  pas  recevoir  un  sacrement  si  précieux  !  2°  Il  faut 
inspirer  au  malade  l'esprit  de  pénitence  et  de  componction,  l'invi- 
ter à  demander  à  Dieu,  pendant  l'onction  de  chaque  sens,  pardon 
des  fautes  qu'il  a  commises  par  ce  même  sens,  et  tout  à  la  fois 
l'engager  à  concevoir  une  grande  confiance  dans  les  mérites  de 
Jésus-Christ,  qui  vont  lui  être  appliqués  par  la  vertu  du  sacre- 
ment. 


CHAPITRE  V 

De  la  manière  de  prêclier  sur  la  priè^'e  '. 

Nous  entendons  ici  par  la  prière  tous  les  devoirs  et  hommages 
qui  constituent  le  culte  intérieur  dû  à  Dieu,  parce  que  telle  est  l'ac- 
ception commune  de  ce  mot,  bien  différente  de  son  sens  rigoureux 
et  grammatical  qui  ne  comprend  que  la  demande.  Or,  il  est  peu  de 
sujets  sur  lesquels  il  soit  plus  essentiel  d'instruire  les  fidèles,  parce 
que  l'homme  étant  obligé  de  rendre  à  Dieu  ses  devoirs  d'adoration 
et  d'amour,  et  ayant  d'un  autre  côté  tant  de  grâces  temporelles  et 
spirituelles  à  demander,  il  a  besoin  de  connaître  à  fond  tout  ce  qui 
regarde  cet  important  sujet,  afin  de  savoir  adresser  à  son  Créateur 
des  hommages  qui  l'honorent  et  des  supplications  dignes  d'être 
exaucées.  Les  instructions  à  faire  sur  cette  matière  sont  de  deux 
sortes  :  les  unes  regardent  la  prière  en  général,  les  autres  ont  pour 
objet  les  prières  particulières.  Nous  traiterons  successivement  des 
unes  et  des  autres. 

*  Yojez  Pastoral  de  Liinot,'-Gs,  t.  II,  1^  l'îirlie,  tit.  n,  c.  vi. 


352  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

ARTICLE  I«. 

DE   l'iNSTHUCTION   SUP.    LA    PRIÈRE   EN   GÉNÉRAL. 

Trois  sujets  s'offrent  ici  à  traiter,  tous  d'une  égale  importance  : 
i"  les  motifs  qui  doivent  nous  porter  à  prier;  2°  ce  qu'il  faut  de- 
mander dans  la  prière  ;  3°  les  conditions  ou  qualités  de  la  bonne 
prière. 

§  1". 

Les  motifs  de  prier  peuvent  se  réduire  à  trois  :  ce  sont  la  néces- 
sité, l'efficacité  et  les  consolations  de  la  prière.  —  1°  On  prouve  la 
nécessité  de  la  prière  par  quatre  chefs  de  preuve  ;  le  premier  est 
l'obligation  naturelle  imposée  à  tous  d'adorer,  de  remercier,  de 
louer  Dieu  et  de  lui  demander  pardon  ,  le  second,  c'est  la  loi  posi- 
tive que  Jésus-Christ  a  faite  de  la  prière  ;  le  troisième,  c'est  l'im- 
puissance où  nous  sommes  d'accomplir  les  préceptes,  de  vaincre  les 
tentations,  de  faire  quoi  que  ce  soit  de  méritoire,  de  nous  sauver 
en  un  mot  sans  la  grâce,  laquelle  ne  s'accorde  ordinairement  qu'à  la 
prière  ;  la  quatrième  enfin  se  déduit  de  tout  ce  que  nous  avons  à  de- 
mander à  Dieu,  soit  pour  iiolie  vie  temporelle,  hoit  en  faveur  des 
personnes  qui  nous  sont  chères,  de  nos  parents,  de  la  société  en- 
tière. —  2°  Quand  même  la  prière  ne  serait  pas  aussi  absolument 
nécessaire  qu'elle  l'est  en  effet,  tant  d'efficacité  lui  est  promise  que 
cela  seul  devrait  suffire  pour  nous  e.Kciter  à  prier.  Si  un  roi  avait 
promis  d'accorder  tout  ce  qu'on  lui  demanderait,  en  faudrait-il  da- 
vantage pour  exciter  ses  sujets  à  lui  adresser  des  requêtes  ?  Or,  c'est 
là  précisément  ce  que  Dieu  a  promis  à  la  prière  :  ces  promesses 
sont  réitérées  en  cent  endroits  de  l'Écriture  :  elles  sont  munies  de 
l'autorité  du  serment  :  Ameji,  amen  dico  vobis  ^  clies  embrassent 
tout  ce  que  nous  pouvons  chrétiennement  vouloir  :  Quodcumqiie  vo- 
hieritis  petetis  et  fiet  vobis^  ;  elles  sont  laites  pour  tous  sans  dis- 
tinction de  petits  et  de  grands  :  Priîicipis  aiires  paucis  patent,  dit 
saint  Ghrysostome,  Dei  vero  omnibus  volentibus.  Elles  n'excluent 
pas  même  les  plus  grands  pécheurs  ;  témoin  le  publicain  à  la  porte 
du  temple  ;  ce  qui  fait  dire  à  l'Apôtre  que  Dieu  est  riche  envers  tous 
ceux  qui  l'invoquent  :  Dives  in  omnes  qui  invocant  i[lum'\  Dieu  y  a 
donc  engagé  sa  parole,  il  ne  peut  rien  refuser  à  la  prière,  et  elle  lui 

*  Joaun  ,  XIV,  12  et  secj.  —  «  Idem,  xv,  7.  —  ^  Rom.,  x,  12. 


MANIÈRE  DE  PRÊCHER  SUR  LA  PRIÈRE.  553 

fais  violence,  selon  l'expression  de  saint  Jean  Cliraaque  :  Oratio  vim 
Deo  infert.  Seulement,  ilfant  l'aire  observer  aux  fidèles  que  Dieu  ne 
manque  pas  à  sa  promesse  quand  il  ne  fait  pas  à  l'instant  uiême  ce 
que  nous  lui  iemandons,  soit  parce  que  souvent  nos  prières  n'ont 
p;!s  les  qualités  voulues,  soit  parce  que  la  faveur  que  nous  sollici- 
tons, tantôt  n'est  pas  ce  qui  est  le  meilleur  pour  nous,  tantôt  nous 
sera  plus  utilement  accordée  plus  tard,  de  sorte  que  Dieu  sert 
mieux  nos  intérêts,  en  ne  faisant  pas  à  l'instant  ce  que  nous  deman- 
dons ;  et  c'est  là  nous  exaucer  dans  mi  sens  plus  excellent  :  le  délai 
même  a  souvent  l'avantage  d'exciter  en  nous  le  désir  et  l'estime  des 
biens  de  Dieu,  et  de  nous  provoquer  à  prier  avec  plus  de  ferveur. 
—  5°  Les  consolations  de  la  prière  sont  un  troisième  motif  de  nous 
appliquer  à  ce  saint  exercice  :  l'expérience  démontre  que  c'est  dans 
la  prière  que  l'âme  affligée  trouve  sa  consolation,  l'âme  fervente  les 
plus  purs  plaisirs  de  la  vie,  toute  âme  chrétienne  le  calme  des  pas- 
sions, le  goût  de  la  vertu  et  le  bonheur  attaché  à  l'innocence.  Le  pré- 
dicateur, en  développant  ces  pensées,  fera  bien  de  recommander  la 
pratique  des  oraisons  jaculatoires  qui  attirent  tant  de  grâces  à  l'âme 
et  l'unissent  à  Dieu. 

Après  avoir  ainsi  exposé  les  motifs  de  prier,  une  autre  question 
se  présente  :  que  pouvons-nous  demander  dans  nos  prières?  Nous 
pouvons  demander  :  l°tout  ce  qui  est  nécessaire  ou  utile  à  notre 
ânje  ;  2*  la  délivrance  des  maux  temporels  en  tant  qu'il  est  expé- 
dient pour  notre  salut  que  nous  en  soyons  délivrés;  5°  tout  ce  dont 
nous  avons  besoin  pour  la  vie  du  corps  et  pour  la  position  sociale 
({ue  la  Providence  nous  a  faite  ;  4°  toutes  ces  mêmes  grâces  pour  le 
prochain,  le  bien  de  i'l']glise  et  de  la  société  ;  enfin  tout  ce  qui  inté- 
resse la  gloire  de  Dieu  et  la  propagation  du  royaume  de  Jésus-Christ, 
Toute  demande  en  dehors  de  ces  indications  ne  doit  pas  entrer  dans 
nos  prières,  et  ne  serait  pas  exaucée. 

§3. 

Les  motifs  et  l'objet  de  la  prière  ainsi  exposés,  il  ne  reste  plus 
qu'à  en  dire  les  qualités.  Ces  qualités  sont  :  l'Me  respect  extérieur 
et  intérieur  pour  la  majesté  de  Dieu,  et  par  conséquent  l'attention  au 
sens  des  paroles  qu'on  prononce,  ou  du  moins  à  quel(|ue  peii" 
sée  pieuse  propre  à  honorer  Dieu;   2'M'humilitè  inspirée  par  un 

25 


oOi  TRAITE  DE  LA  TREDICATION 

seiiliiiient  profond  do  nos  misères,  et  par  une  foi  vivo  des  gran- 
deurs de  celui  à  qui  nous  parlons;  5"  la  confiance  dans  la  miséri- 
corde divine 'et  dans  les  promesses  faites  à  ceux  qui  prient  comme  il 
faut  ;  4°  un  grand  désir  d'être  exaucé  ;  5"  la  persévérance  dans  la 
prière. 

ARTICLE  2. 

DE  l'instruction    SUR   LES   PRIÈRES   PARTICULIÈRES. 

La  plupart  des  fidèles  ne  comprennent  rien  aux  prières  qu'ils  font, 
par  exemple,  à  l'Oraison  dominicale,  à  la  Salutation  angèlique,  aux 
actes  des  vertus  théologales,  aux  prières  du  matin  et  du  soir,  au 
signe  de  la  croix  ;  et  de  là  vient  qu'ils  récitent  ces  prières  sans  piété 
comme  sans  attention;  leur  culte  est  tout  machinal,  tout  dans  le 
mouvement  des  lèvres  ;  ce  n'est  point  le  culte  en  esprit  et  en  vérité. 
II  est  donc  très-iinporlant,  pour  prévenir  ou  corriger  ce  mal,  de 
faire  des  instructions  sur  les  prières  particulières  les  plus  ordinaires 
aux  fidèles  ;  et  voici  les  règles  à  suivre  en  cette  matière  :  I"  Il  faut 
expliquer  le  sens  de  tous  les  mots  de  la  prière,  de  sorte  qu'il  n'en 
reste  pas  un  seul  incompris  pour  les  auditeurs.  2"  11  faut  faire  res- 
sortir l'excellence  et  la  heautô  de  celte  prière.  5"  I!  faut  indiquer  les 
sentiments  pieux  et  les  saintes  affections  qui  en  doivent  accompa- 
gner la  récitation.  4"  Il  faut  les  engager  à  repasser  souvent  dans 
leur  esprit  les  explications  données  ,  en  redisant  lentement  cette 
même  prière,  et  s'arrêtant  à  goûter  ce  que  chaque  mot  hien  compris 
leur  inspire  de  pieux  et  d'utile. 


CHAPITRE  YI 

Des  panégyriques  des  saints  '. 


*  Il  faut  bien  distinguer  le  panégyrique  d'un  saint  d'avec  son  his- 
*  toire  :  celle-ci  s'applique  à  faire  connaître  toutes  les  actions  et  les 

*  Voyez  le  P.  Albert,  II»  part.,  c.  xi.  —  Pastoral  de  Limoges,  t.  II,  II'  piirt., 
tit.  Il,  c.  IV.  —  Grenade,  liv.  IV,  c.  iv  et  v. 


PANÉGYRIQUES  DES  SAINTS  ôôô 

*  circonstances  de  sa  vie;  mais  le  panégyrique  ne  parle  que  de  ce 

*  qui  est  sujet  d'édification  ;  il  indique  à  peine  en  passant  les  actions 

*  qui  ont  rendu  son  héros  célèbre  ;  et  il  insiste  sur  les  moyens  qui 

*  l'ont  sanctifié,  pour  montrer  aux  peuples  combien  il  est  digne  de 

*  leur  faire  comprendre  en  quoi  consiste  la  véritable  sainteté,  leur 

*  prouver  qu'ils  peuvent,  qu'ils  doivent  l'acquérii',  et  les  y  txcilor 

*  par  ce  qu'il  y  a  de   phis   puissant  sur  le   cœur   de   l'houime, 

*  l'exemple  et  la   récompense.  Ainsi  le  panégyrique  ne   loue  les 

*  saints  que  dans  un  double  but  :  le  premier,  d'engager  les  peuples  à 
*les  honorer  et  les  invoquer;  le  second,  de  porter  les  auditeurs  à 

*  la  vertu  en  leur  offrant  des  modèles  qui  les  instruisent  et  les  ani- 

*  ment  à  la  fois  ^  Tout  ce  qui  ne  se  rapporte  pas  à  cette  double  fin, 

*  ou  la  dévotion  envers  le  saint  ou  l'imitation  de  ses  exemples,  est 

*  un  hors-d'œuvre  dans  le  panégyrique  et  doit  en  être  sévèrement 

*  élagué. 

*  De  celte  notion  du  panégyrique,   il  est  facile  d'en  inférer  les 

*  grands  avantages  :  des  exenjples  de  piété  et  de  vertu  s'écoutent 

*  plus  volontiers,  excitent  plus  d'intérêt,  font  plus  d'impression  sur 
*les  cœurs  et  se  retiennent  mieux  que  toutes  les  réflexions.  Souvent 

*  des  hommes  que  les  exhortations  les   plus  véliémentes   avaient 

*  trouvés  insensibles  ont  été  gagnés  et  convertis  par  les  grands 

*  exemples  des  saints  :  il  semblait  qu'en  leur  montrant  la  voie  que 

*  ceux-ci  ont  suivie  on  en  ôtait  les  épines,  que  la  pratique  de  la 

*  vertu  n'était  plus  pour  eux  aussi  difficile,  et  qu'ils  pouvaient  bien 

*  ce  que  d'autres  avaient  pu:  Qiiod  isti  cur  non  ego?  C'était  ce  qui 

*  faisait  dire  à  saint  Augustin  :  Solemnitates  marlynim  exhortationes 

*  martijriorum  siuit^  ;  et  à  saint  Basile:  Hœc  est  maairjrum  vera 

*  laus  alios  ad  eorum  virtutem  xmiUandam  invitare  ^.  Aussi  voyons- 

*  nous  que  les  Pères  se  plaisaient  à  présenter  au  peuple  les  pané- 

*  gyriques  des  saints  :  saint  Cyprien  a  fait  les  panégyriques  des  pre- 

*  miers  martyrs,  et  il  y  déploie  une  éloquence  qui  ne  le  cède  ea 

*  rien  à  Cicéron  et  à  Démosthènes.  Saint  Basile,  saint  Grégoire  de 
*Nazianze,  saint  Chrysostome,  saint  Augustin,  nous  ont  aussi  laissé 

*  un  grand  nombre  de  panégyriques  ;  et  cet  exemple  est  digne  d'ètrcj 
imité.  Toutes  les  fois  que  l'Église  honore  un  saint  d'un  culte  so- 

*  lenneî,  il  est  dans  les  convenances  de  prendre  pour  matière  de 

*  prédication  le  panégyrique  de  ce  saint  :  toute  autre  matière  serai 

*  Ut   et  mis  débit  us  honor  dicetnr,  et  nobis  virtittis  rxempla  monstrcntur. 
S.  Cluys.,  t.  III,  scrm.  i  de  Marlii. 

*  Serm.,  47,  de  Sanct.  — '  Uom.  20,  iii  quadraginta  Martyres. 


356  TRAITE  DE  LA  PREDICATION. 

*  contraire  à  l'esprit  de  l'Église,  tromperait  ratlente  des  fidèles, 

*  affligerait  leur  piété,  et  leur  serait  beaucoup  moins  utile.  11  est 

*  même  bon  de  choisir  de  temps  en  temps,  le  dimanche,  pour  sujet 

*  d'instruction,  le  panégyrique  du  saint  le  plus  remarquable  qui  se 

*  trouve  dans  la  semaine.  11  est  tellement  dans  la  nature  de  tous 

*  les  hommes  d'aimer  à  entendre  raconter  des  histoires,  que  ce  genre 

*  de  prédication  ne  peut  être  que  très-agréable  autant  qu'utilraux 
■*  auditeurs. 

*  Pour  réussir  dans  le  panégyrique,  il  faut  connaître  :  l°les  sources 

*  d'où  se  tire  l'éloge  des  saints;  2°  la  manière  de  le  présenter;  5"  les 

*  ornements  que  comporte  ce  genre  de  discours.  Ce  sera  le  sujet  de 
■*  trois  articles. 

ARTICLE  1". 

DES   SOURCES   d'oC    SE   TIRE    l'ÉLOGE    DES   SAINTS. 

Il  est  cinq  sources  principales  d'où  Ton  peut  tirer  l'éloge  des 
saints.  On  le  déduit:  1°  de  la  position  où  ils  se  sont  trouvés;  2°  des 
actions  qu'ils  ont  faites;  3"  des  intentions  qu'ils  ont  eues  ;  4"  des  pa- 
roles qu'ils  ont  dites  ou  qu'on  peut  leur  appliquer  ;  5°  des  comparai- 
sons ou  parallèles  avec  d'autres  hommes. 

L'éloge  des  saints  se  tire  de  la  position  où  ils  se  sont  trouvés.  Les 
circonstances  de  position  font,  en  effet,  merveilleusement  ressortir 
leur  vertu,  soit  lorsqu'à  raison  de  ces  circonstances  la  vertu  leur  a 
été  beaucoup  plus  difficile  et  a  exigé  d'eux  un  plus  grand  courage, 
soit  lorsque  jouissant  ou  pouvant  jouir  des  avantages  temporels  de 
la  naissance,  de  la  fortune  et  des  talents,  ils  en  ont  fait  un  saint 
usage  ou  un  généreux  mépris,  plaçant  en  première  ligne  leur  sanc- 
tification et  regardant  tout  le  reste  comme  de  la  boue.  Ainsi,  par 
exemple,  c'est  un  grand  sujet  d'éloge  d'avoir  été  vertueux  au  sein 
d'une  famille  idolâtre  ou  sans  reHgion, comme  saint  Martin;  d'avoir 
eu  le  courage  du  martyre  étant  encore  dans  un  âge  tendre,  comme 
sainte  Agnès  ;  d'avoir  été  humble  au  milieu  des  grandeurs,  mortifié 
parmi  les  délices ,  recueiUi  au  milieu  de  mille  affaires ,  comme 
saint  Louis  f  de  s'être  plu  dans  la  pauvreté  et  l'ignominie  lorsqu'on 
pouvait  être  riche  et  honoré,  comme  saint  Alexis  ;  d'avoir  vécu  dans 
l'opulence  et  d'avoir  consacré  à  Dieu  toutes  ses  richesses  jusqu'à 
être  plus  pauvre  que  les  pauvres  eux-mêmes  pour  l'amour  de  Jésus- 


PANÉGYRIQUES  DES  SAINTS.  357 

Christ,  comme  sainte  Paule,  au  témoignage  de  saint  Jérôme.  Mais  le 
prédicateur  ne  doit  rapporter  ces  circonstances  de  position  qu'au- 
tant qu'elles  servent  à  relever  la  sainteté  :  s'il  paraissait  les  appré- 
cier comme  le  monde,  il  dérogerait  à  son  caractère  de  ministre  de 
l'Évangile,  qui  n'estime  les  choses  que  d'après  le  mérite  qu'elles  ont 
devant  Dieu. 

L'éloge  des  saints  se  tire  des  actions  qu'ils  ont  faites  ;  et  ici  il  faut  : 
i"  faire  un  choix  des  actions  principales,  sacrifiant  les  traits  moins 
importants,  du  moins  les  effleurant  légèrement  ou  se  bornant  à  les 
indiquer  en  masse;  2°  dans  ce  choix,  il  faut  s'attacher  beaucoup 
plus  à  l'imitable  qu'à  l'admirable,  à  l'édification  des  peuples  qu'à  la 
gloire  des  saints,  aux  actions  de  vertu  qu'aux  faits  miraculeux  qui 
ont  étonné  l'univers.  C'est  une  erreur  du  monde  d'attacher  la  sain- 
teté à  des  actions  extraordinaires,  et  de  n'estimer  dans  les  saints  que 
les  faits  qui  portent  le  cachet  du  merveilleux.  Le  prédicateur  doit 
détruire  ce  préjugé  et  apprendre  aux  fidèles  que  la  sainteté  consiste 
dans  les  vertus  cachées  et  qui  paraissent  communes,  dans  cette  piété 
uniforme  et  constante,  sans  éclat  extérieur,  qui  suit  toujours  d'un 
pas  égal  la  route  du  devoir,  qui  est  exacte  dans  les  petites  choses 
aussi  bien  que  dans  les  grandes,  se  prépare  à  celles-ci  par  la  fidélité 
à  celles-là,  et  anime  les  unes  et  les  autres  par  une  foi  vive  et  une 
ardente  chanté.  5°  Le  choix  des  actions  ainsi  fait,  on  les  relève  par 
l'étude  des  circonstances  qui  les  ont  précédées,  accompagnées  ou 
suivies,  comme  le  temps,  le  heu,  la  manière,  l'occasion,  etc..  QuiSy 
quid,  uhi,  etc.  C'est  par  ce  procédé  que  saint  Chrysostome  relève  la 
victoire  du  chaste  Joseph  :  1"  il  était  à  la  fleur  de  l'âge,  à  cette 
époque  de  la  vie  où  les  passions  sont  plus  fortes  et  la  raison  plus 
faible  ;  2"  la  femme  de  Putiphar  lui  propose  le  crime  dans  un  heu 
secret  et  éloigné  de  tous  les  regards  ;  3*  c'était  pendant  l'absence  de 
son  mari  ;  i"  toutes  les  précautions  étaient  prises  pour  que  personne, 
ni  de  la  maison  ni  du  dehors,  n'en  sût  rien  ;  5"  Joseph  était  esclave, 
et  c'était  une  personne  riche  et  puissante  qui  le  tentait  ;  0"  c'était  la 
maltresse  de  la  maison  qui,  s'il  ne  conschtait,  allait  le  diffamer  et  le 
perdre,  et  malgré  tout  cela  le  saint  jeune  hounne  triomphe  de  la 
tentation,  retenu  par  la  crainte  de  l>ieu  et  la  pensée  de  son  devoir. 


558  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

§3. 

On  déduit  l'éloge  des  saints  des  intentions  qu'ils  ont  eues  dans 
toute  leur  conduite.  En  effet,  leur  plus  grand  mérite  n'est  pas  dans 
les  actions  extérieures,  qui  ne  sont,  en  quelque  sorte,  que  l'écorce 
de  la  vertu,  mais  bien  dans  les  intentions  ou  dispositions  intérieures 
qui  ont  animé  ces  actions  et  en  ont  fait  des  œuvres  saintes.  Voilà  ce 
qui  constitue  le  vrai  mérite  aux  yeux  de  Dieu.  Hommes  vident  ea  qux 
jmrent,  Deus  autem  intuetur  cor.  Le  panégyriste  doit  donc  pénétrer 
dans  les  dispositions  intérieures  des  saints,  se  rendre  compte  de 
leurs  intentions,  de  leurs  vues  de  foi,  de  leur  grand  désir  de  plaire 
à  Dieu  en  toutes  choses,  et  révéler  aux  fidèles  ces  secrets  de  leur 
belle  âme. 

§4. 

Les  paroles  qu'ont  dites  les  saints  ou  qu'on  peut  leur  appliquer 
peuvent  servir  beaucoup  à  leur  éloge.  Il  y  a  une  grâce  particulière 
et  comme  un  parfum  de  piété  attachés  aux  paroles  des  saints  ;  elles 
sont  l'expression  de  la  beauté  de  leur  âme,  elles  portent  avec  elles 
lumière  et  oiiclion,  et  se  retiennent  avec  autant  de  facilité  que  de 
plaisir.  Le  prédicateur  peut  donc  utilement  en  enrichir  son  dis- 
coui^s.  11  peut  même  souvent  appliquer  à  son  héros  les  paroles  de 
l'Écriture  ou  de  la  tradition,  par  le  moyen  de  cette  formule  ou 
autre  équivalente  :  Notre  saint  avait  appris  des  livres  sacrés,  de 
saint  Augustin,  de  saint  Chrijsostome,  etc..  ,  que....,  et  on  cite  ici 
leurs  paroles.  Par  là,  le  panégyrique  se  trouve  nourri  des  plus 
belles  maximes  de  l'Écriture  et  des  Pères,  fort  d'autorité  et  de  doc- 
trine. 

Les  comparaisons  et  les  parallèles  sont  une  riche  source  d'éloges, 
et  le  panégyi  iste  ne  peut  rien  trouver  de  plus  propre  à  faire  ressortir 
les  vertus  de  son  héros.  Ces  comparaisons  peuvent  se  faire  de  trois 
manières,  ou  par  opposition,  ou  par  ressemblance,  ou  par  dissem- 
blance :  1°  par  opposition,  si,  par  exemple,  je  compare  les  senti- 
ments, les  paroles  et  les  actions  du  saint  dont  je  fais  i'éloge  avec  les 
sentiments,  les  paroles  et  les  actions  des  hommes  du  monde,  et  que 
par  le  contraste  qui  ressort  de  cette  comparaison,  je  rehausse  le 
courage  et  la  sagesse  des  saints,  leurs  vues  plus  hautes,  leurs  sen- 
timents plus  généreux  et  plus  nobles  ;  2"  par  ressemblance,  si,  par 


PANE'jYP.IQLIES  des  SALMS.  5.!)0 

exemple,  j'expose  quelques  traits  de  grande  vertu  d'un  autre  saint, 
pour  montrer  ensuite  que  le  saint  que  je  célèbre,  ou  a  égalé  cotte 
vertu  ou  s'en  est  apjtroclié  :  Alios  exxquavit,  ab  aliis  parùm  ahfait, 
dit  saint  Grégoire  de  Nazianze,  dans  l'éloge  de  saint  Alhanase; 
5°  par  dissemblance,  en  relevant  telle  action  de  mon  héros,  non 
plus  seulement  au  niveau,  mais  au-dessus  de  quelque  belle  action 
d'un  autre,  comme  quand  saint  Grégoire  de  Nazianze  relève  l'action 
de  la  mère  des  Macliabùes  qui  offie  au  martyre  ses  sept  enfants  au- 
dessus  du  sacrifice  d'Abraham  :  0  sacrifïcium  AbraJix  sncrificio 
majus  ac  pvxstantius!  Nam  ille  unnm  obtulit,  hxc  autem  foimlum 
nniversum  filiornm  Deo  consecravit.  —  Il  faut  seulement  éviter  cer- 
tains écarts  dans  ces  comparaisons  :  1°  on  ne  doit  point  présenter  le 
saint  qu'on  loue  comme  le  plus  grand  saint  du  paradis  ;  de  telles 
exagérations  sont  inutiles  à  la  louange  des  saints,  à  l'édification  des 
auditeurs,  et  dépourvues  d'ailleurs  de  tout  fondement,  puisque  per- 
sonne ne  peut  connaître  la  mesure  de  celte  charité  qui  seule  gradue 
les  saints  dans  la  gloire.  2"  On  ne  doit  point  rabaisser  le  saint  avec 
qui  l'on  compare  son  héros;  il  vaut  mieux,  au  contraire,  le  relever 
autant  qu'on  le  peut,  puisque  plus  il  sera  élevé,  plus  lu  gloire  de 
celui  qu'on  lui  compare  sera  grande.  C'est  d'ailleurs  manquer  de 
respect  aux  saints  que  de  les  déprimer  pour  en  louer  un  autre,  et  de 
ne  les  faire  entrer  dans  son  tableau  que  comme  des  ombres.  5°  On 
ne  doit  jamais  rehausser  la  sainteté  de  son  héros  au-dessus  de  celle 
de  Jésus-Christ,  de  la  sainte  Vierge  ou  des  Apôtres:  il  y  a  de  la  sain- 
teté des  saints  à  celle  de  Jésus  Christ  une  distance  infinie,  à  celle 
de  la  sainte  Vierge  une  distance  indéfinie,  à  celle  des  Apôtres  une 
dislance  toujours  appréciable,  parce  que,  comncele  dit  saint  Tho- 
mas, leur  grâce  a  été  plus  abondante  :  Acceperiint  cxteris  abundan- 
tius. 

ARTICLE  2. 

PE    I.A    MANltr.E    DE    l'RÉSENTEU    l'ÉLOGE    DES    SAI.NTS. 

Nous  pouvons  dihtingiu'r  le  fond  et  la  forme  du  discours.  1"  Pour 
le  fond,  il  faut  s'attacher  à  montrer,  dans  le  saint  qu'on  honore,  les 
vertus  (pie  les  auditeurs  ptïuvent  mieux  pratiquer  dans  leur  posi- 
tion, et  si  l'on  traite  les  autres  vertus  qui  leur  reviennent  peu,  leur 
expliquer  ce  qu'ils  peuvent  f.iin!  pour  approcher  au  moins  de  ce 
qu'ils  ne  peuvent  imiter.  11  lanl  surtout  faire  l'essoitii- eelte.  vérité, 
que  les  saints  ont  rempli  les  obligations  de  leur  état  avec  une  lidé- 


360  TRAITÉ  DE  L.\  PRÉDICATION. 

lité  parfaite,  qu'en  cela  consiste  la  sainteté,  et  qu'ils  ne  sont  arrivés 
à  une  éminente  perfection  que  par  l'exactitude  aux  petits  devoirs, 
aux  vertus  communes  dont  la  pratique  est  de  chaque  jour.  Si  l'on 
célèbre  les  miracles  ou  les  dons  extraordinaires  de  son  héros,  il  faut 
en  tirer  des  arguments  pour  confirmer  la  foi  des  auditeurs,  mon- 
trer la  puissance  de  Dieu,  le  crédit  du  saint  dans  le  ciel,  et  porter 
tous  les  cœurs  à  la  confiance  en  sa  protection,  en  observant,  toute- 
fois, que  cette  confiance  ne  nous  sauvera  qu'autant  que  nous  imite- 
rons ses  exemples  ;  et,  alors,  il  faut  exposer  fortement  et  briève- 
ment les  motifs  de  pratiquer  les  vertus  particulières  que  nous  aurons 
montrées  en  lui. 

On  peut  donner  au  panégyrique  ou  la  forme  morale  ou  la  forme 
historique. 

La  forme  morale  consiste  à  diviser  le  panégyrique  en  deux  ou  trois 
vertus  dans  lesquelles  le  saint  a  excellé,  ou  à  s'arrêter  à  une  seule 
qui  a  fait  son  caractère  propre.  Si  l'on  choisit  deux  ou  trois  vertus, 
voici  un  exemple  de  la  manière  de  procéder  apphquée  au  panégy- 
rique de  saint  Louis  :  L'humilité  de  ce  saint  roi,  au  milieu  des  hon- 
neurs, peut-on  dire,  7ious  apprend  comment  nous  devons  être  humbles, 
premier  point  ;  sa  mortification  au  milieu  des  délices  de  la  cour, 
combien  nous  devons  être  réservés  dans  l'usage  des  jouissances  des 
sens,  second  point  ;  son  détachement  dans  V abondance,  combien  nous 
devons  être  dégagés  de  toute  affectioji  aux  biens  de  cemonde,  troisième 
point  ;  et  pour  peu  qu'on  ait  à  dire  sur  chacune  de  ces  vertus  et  sur 
les  circonstances  dans  lesquelles  le  saint  les  a  pratiquées,  onremplira 
facilement  et  utilement  chacun  de  ces  trois  points,  surtout  si  l'on 
traite  la  nature,  les  caractères,  les  marques  et  les  effets  de  ces  vertus, 
les  motifs  et  les  moyens  de  les  pratiquer  selon  les  indications  données 
au  chapitre  111.  Si  l'on  veut,  au  contraire,  s'arrêter  à  une  seule  vertu 
qui  soit  comme  le  caractère  propre  du  saint,  par  exemple,  la  douceur 
dans  saint  François  de  Sales,  le  zèle  dans  les  apôtres,  la  force  dans 
les  martyrs,  la  pureté  dans  les  vierges,  l'amour  des  pauvres  et  de  la 
pauvreté  dans  saint  Thomas  de  Villeneuve,  le  mépris  du  monde  dans 
saint  Bruno  et  saint  François  de  Borgia,  on  peut,  1"  rattacher  tous 
les  traits  de  la  vie  du  saint  à  cette  seule  idée,  et  dire  par  exemple  : 
Saint  François  de  Sales,  par  la  force  de  sa  douceur,  triomphe  de 
Vhérésie,  premier  point;  par  l onction  de  sa  douceur  rétablit  la  piété 
dans  l'Église,  second  point.  On  peut,  2°  rattacher  la  vie  dusaint à 
quelques-unes  des  indications  propres  à  expliquer  la  nature  de  la 
vertu,  telle  que  nous  les  avons  données  à  l'article  1"  du  chapitre  111  : 


PANÉGYRIQUES  DES  SAINTS.  361 

ainsi,  par  exemple,  si  j'ai  à  faire  le  panégyrique  de  saint  André,  dont 
le  caractère  est  l'amour  de  la  croix,  j'indiquerai,  d'après  saint  Ber- 
nard, les  trois  degrés  de  cet  amour,  qui  sont  de  souffrir  sans 
murmure,  patienter;  avec  égalité  d'âme,  lihenter  ;  avec  joie,  gau- 
denter  :  et  je  montrerai  que  saint  André  nous  apprend  à  porter  la 
croix  en  ces  trois  manières.  On  peut,  o°  faire  entrer  dans  le  panég\-- 
rique  tout  ce  qui  regarde  la  vertu  spéciale  qu'on  a  choisie,  c'est-à- 
dire  sa  nature,  ses  motifs  et  ses  moyens,  comme  nous  l'avons  expliqué 
au  chapitre  111,  et  montrer  que  le  saint  a  pratiqué  excellemment  cette 
vertu,  quels  sont  les  motifs  qui  l'ont  porté  à  cette  pratique,  par  quels 
moyens  il  est  arrivé  à  la  perfection  de  cette  vertu.  A  l'aide  de  ces 
principes,  je  puis  facilement  faire  le  panégyrique  d'un  saint  dont 
même  je  ne  connaîtrais  nullement  la  vie  ;  ainsi,  je  suppose  que  j'aie 
à  faire  le  panégyrique  d'un  martyr  inconnu,  je  puis  choisir  l'amour 
de  Dieu  comme  sa  vertu  propre,  montrer  que  le  véritable  amour  est 
l'amour  pratique  qui  se  manifeste  par  les  œuvres,  l'amour  généreux 
qui  met  Dieu  au-dessus  de  tout,  l'amour  fervent  qui  se  réjouit  d'avoir 
de  grands  sacrifices  à  faire  pour  Dieu  ;  puis  je  montrerai  que  le  saint 
a  eu  ce  triple  amour,  que  tous  les  chrétiens  doivent  l'avoir  de  même, 
et  je  donnerai  les  moyens  d'y  arriver.  4"  On  peut  dire  encore:  Jusqu'à 
quel  degré  le  saint  a  porté  cette  vertu?  premier  point;  quelle  est  la 
récompense  dont  Dieu  a  couronné  sa  vertu?  second  point  *. 

Outre  la  forme  morale,  le  panégyrique  peut  encore  se  présenter 
sous  la  forme  historique,  laquelle  consiste  à  diviser  le  discours 
d'après  les  différentes  époques  ou  les  divers  états  de  la  vie  du  saint  ; 
1°  d'après  les  différentes  époques;  ainsi  on  peut  considérer  le  saint 
dans  son  enfance,  sa  vie  et  sa  mort,  comme  l'a  fait  l'abbé  Clémciit 
dans  le  panégyrique  de  saint  Nicolas,  qu'il  divise  ainsi  :  Ce  saint  a 
été  un  miracle  de  piété  dès  sa  première  enfance,  premier  point  ;  2in 
miracle  de  charité  dans  toute  la  suite  de  sa  vie,  second  point;  un 
miracle  de  foi  à  la  fin  de  ses  jours,  troisième  point.  On  peut  encore 
considérer  le  saint  dans  sa  jeunesse,  son  âge  mûr  etsa  vieillesse,  on, 
si  ses  premières  années  ont  été  entachées  de  quelques  fautes,  mon- 
trer :  r  la  promptitude  de  sa  conversion,  il  a  obéi  sans  délai  à  la 
grâce;  2' la  solidité  dosa  conversion,  il  n'est  pUis  retombé;  5"  la 
perfection  de  sa  conversion,  il  s'est  élevé  à  la  plus  haute  vertu. 
Division  qui  peut  s'appliquer  à  un  panégyrique  de  saint  Augustin,  de 

*  Voyez  le  panégyTique  de  S.  Louis,  par  Bourdaloue,  modèle  du  genre  po'-ir  I« 
plan. 


zi'i  i;;m:i.  wi:  \\  1'[;i.ii!(.ati(i.n. 

s;iiiiti'  i\Iat;(lt'I('iiit>,  e\  iiiôiiic  de  saiiil  l'iuil. — 2°  On  peut  diviser  le 
paiit*'gyrif|ue  d'iiprès  les  dilTérenls  (Mnls  où  le  saint  s'est  trouvé,  et 
t'onsidoror  son  héros,  par  exemple,  dans  le  monde,  dans  la  vie  reli- 
gieuse, daus  la  prélatine;  mais  alors  il  faut  bien  se  garder  dt;  parler 
dos  défauts  des  religieux  ou  des  ecclésiastiques,  sous  prétexte  de 
relover  ki  <,Moire  du  saint  :  cela  malédifierait  les  auditeurs. 

Nous  observerons  en  finissant  cet  article,  1°  que,  quelle  que  soit 
la  forme  de  panéi,'yrique  qu'on  adopte,  il  ne  faut  pas  multiplier  et 
étendre  plus  qu'il  n'est  nécessaire  les  réilexions  morales  :  on  étouf- 
ferait ainsi  et  on  ferait  comme  disparaîti'C  la  vie  du  saint  sous  cet 
amas  de  moralités.  11  vaut  mieux  mettre  son  héios  parlant  et  agissant 
sous  les  yeux  des  auditeurs,  par  un  récit  de  ses  belles  actions, 
concis,  serré,  vif  et  plein  de  mouvements;  voilà  ce  qui  donne  du 
corps  et  de  la  force  à  un  éloge,  ce  qui  instruit  et  ce  qui  touche. 
Lorsque  le  sujet  du  panégyrique  est  fécond  en  événements,  la  morale 
ne  doit  même  naître  que  du  récit  sans  l'interrompre. — Nous  obser- 
verons, 2°  qu'il  ne  faut  pas  craindre  d'entrer  dans  les  détails  de  la 
vie  du  saint  qui  peuvent  édifier  les  auditeurs  :  ce  sont  ces  détails-là 
même  qui  rendent  le  discours  plus  ulde.  Il  faut  seulement  éviter  de 
montrer  aux  peuples  une  perfection  plus  admirable  qu'imitable  ;  ce 
itérait  les  désespérer  et  nuire  au  (ruil  du  panégyrique.  Enfin,  nous 
observerons,  7f  qu'il  ne  faut  ni  s'aslreindre  trop  rigoureusement  à 
l'ordre  chronologique,  ce  qui  glacerait  le  récit  en  sacrifiant  la  marche 
oratoire  au  calcul  des  dates,  ni  s'en  écarter  trop  visiblement  de 
manière  à  être  obligé  de  revenir  sur  ses  pas,  comme  a  fait  Mascaron, 
qui,  après  avoir  raconté  la  mort  de  Turenne  dans  la  première  partie, 
expose  dans  la  seconde  divers  traits  de  sa  vie. 

ARTICLE  o. 

DES   ORNEMENTS   (,)UE   COMPORTE   LE    PANÉGVniQLE. 

Ce  genre  de  discours  admet  le  style  élégant  et  fleuri,  et  même  le 
style  élevé  et  pompeux,  comme  inspiré  par  le  saint  enthousiasme  du 
prédicateur  qui  a  médité  son  héros  et  vient  avec  une  pieuse  ostenta- 
tion communiquer  à  ses  auditeurs  l'admiration  dont  il  est  pénétré. 
L'éloge  est  une  couronne;  il  est  permis  de  l'orner  de  fleurs, et  même 
de  diamants  si  l'on  peut.  Cependant  tout  ne  doit  pas  être  également 
semé  d'ornements;  il  faut  de  la  variété  ;  un  discours  où  tout  brille- 
rait finirait  par  éblouir,  et  déplairait  à  force  de  vouloir  plaire  :  il  faut 
des  ombres  pour  faire  mieux  paraître  les  traits  qui  doivent  frapper. 


PANEGYRIQUES  DES  SAINTS.  563 

Les  grandes  actions  demandent  beaucoup  d'ornements;  celles  qui 
sont  moins  importantes  veulent  être  moins  ornées  ;  mais  toujours  il 
faut  une  sainte  gravité  qui  corresponde  à  la  vie  grave  et  édifiante  du 
héros,  une  éloquence  noble,  éloignée  de  toute  alfectittion,  qui  doive 
sa  beauté  plutôt  aux  choses  qu'aux  mots,  plutôt  à  la  matière  traitée 
qu'à  l'esprit  de  l'orateur. 

Voilà  ce  que  peut  être  le  panégyrique  ;  mais  il  n'est  point  rigou- 
reusement nécessaire  qu'il  soit  tel  ;  et,  quoiqu'il  soit  permis  d'y 
employer  toutes  les  richesses  de  l'éloquence,  on  peut  aussi  le  pré- 
senter dans  le  langage  le  plus  simple.  Car,  dit  saint  Basile*,  l'école 
du  christianisme  ne  suit  point  en  celte  partie  les  préceptes  et  les 
régies  des  rhéteurs  :  les  vertus  des  saints  n'ont  pas  besoin  des  orne- 
menls  et  des  fleurs  de  l'éloquence  humaine;  elles  brillent  assez  par 
leur  propre  éclat,  et  le  narré  simple  et  sans  art  qu'en  fait  le  prédi- 
cateur suffit  à  la  louange  du  héros  chrétien,  comme  à  l'édification, 
des  auditeurs  :  Sacra  Schola,  dit  le  saint  docieur,  prxceptarhetorum 
aiU  instiluta  non  seqiiitur  :  niidam  rerum  expositionem  pro  encomio 
habet,  quam  sanctis  et  nohis  sntis  esse  exislimat.  D'après  ce  principe, 
un  bon  prêtre,  quelque  occupé  qu'il  soit  par  les  travaux  du  ministère, 
peut  donner  souvent  pour  instruction  à  son  peuple  les  panégyriques 
des  saints.  11  raconte  avec  simplicité  les  traits  édifiants  qui  embellis- 
sent leur  vie;  il  y  ajoute  quelques  réflexions  morales,  tire  des  consé- 
quences pratiques  ;  et  cette  méthode,  plus  facile  que  les  panégyri- 
ques solennels,  est  souvent  plus  utile. 

Si,  du  reste,  le  prêtre  désire  dos  modèles  pour  se  former  à  ce 
genre  d'instruction,  l'antiquité  lui  en  offrira  des  plus  magnifiques 
dans  saint  Basile,  saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint  Chrysostome;  et 
la  chaire  française,  dans  Fléchier,  Bourdaloue,  Bossuet,  Ségaud  et 
de  Larue. 


CHAPITRE  YII 

UcM  discours  pour  vt-tureH  et  professions  religieuses. 

On  fait  ordinairement  un  discours  à  la  cérémonie  de  la  prise  d'habit 
et  de  la  profession  d'une  religieuse  :  on  i)eut  réduire   à  ciiui  chefs 

1  Unit.  XMX,  i:i  (idiiliMi 


564  TRAITE  DE  LA  PREDICATION. 

principaux  les  idées  qui  doivent  entrer  dans  ces  sortes  de  discours. 

1°  On  félicite  la  religieuse  de  ce  qu'elle  quitte  le  monde  :  car  le 
monde  est,  1°  une  vanité,  une  fleur  qui  se  fane,  une  vapeur  qui  dis- 
paraît, un  songe  qui  s'évanouit;  2°  une  mer  remplie  d'écueils,  où  le 
salut  est  difficile,  où  la  vertu  même  fait  souvent  naufrage;  3°  une 
source  de  peines,  de  mécomptes,  de  chagrins  et  d'amertumes.  Le 
monde  ne  fait  que  des  malheureux  ^ 

2"  On  la  félicite  de  ce  qu'elle  entre  en  religion.  On  lui  en  fait  voir 
les  avantages,  les  douceurs,  les  consolations.  Des  plaisirs  purs,  les 
joies  de  l'Esprit-Saint,  l'onction  de  la  grâce,  l'espérance  de  la  glon^e, 
adoucissent  les  privations  du  cloître. 

5°  On  lui  développe  les  engagements  de  l'état  religieux,  qui  consis- 
tent à  sacrifier  à  Dieu  ses  biens  par  un  dépouillement  sans  réserve, 
ses  sens  par  une  pureté  sans  tache  et  des  mortifications  constantes, 
son  cœur  et  sa  volonté  par  une  obéissance  entière. 

4°  On  l'exhorte  à  avancer  de  jour  en  jour  dans  les  voies  de  la  per- 
fection, parle  recueillement,  le  silence,  les  exercices  de  piété,  l'imi- 
tation des  beaux  exemples  qu'elle  aura  sous  les  yeux. 

5°  On  finit  par  une  exhortation  aux  assistants,  où,  après  leur  avoir 
fait  admirer  le  sacrifice  de  la  personne  qui  entre  en  religion,  on  les 
invite  à  profiter  de  cet  exemple,  à  imiter  par  les  dispositions  de  leur 
cœur  ce  que  celte  vierge  prudente  va  faire  à  la  face  du  ciel  et  de  la 
terre,  c'est-à-dire  à  quitter  d'affection  tous  les  biens  de  ce  monde, 
à  renoncer  aux  plaisirs  des  sens,  à  mourir  à  toutes  les  choses  créées, 
comme  on  voudrait  l'avoir  fait  à  l'heure  de  la  mort,  et  à  renouveler 
dans  ses  dispositions  les  promesses  de  leur  baptême. 

Voici  quelques  modèles  des  divisions  qu'on  peut  adopter  dans  ce 
genre  de  discours  : 

1"  Modèle.  —  Les  uns  condamnent  la  personne  qui  entre  en  reli- 
gion ;  et  ceux-là  il  faut  les  confondre  en  leur  faisant  voir  la  sagesse 
d'une  telle  détermination,  premier  point  ;  les  autres  la  plaignent,  et 
ceux-là  il  faut  les  éclairer  en  leur  faisant  voir  la  sainteté  de  cette 
détermination,  second  point  ;  d'autres  enfin  la  regrettent,  et  ceux-là 
il  faut  les  consoler  en  leur  faisant  voir  le  bonheur  de  cette  consé- 
cration, troisième  point. 

2^  Modèle.  —  En  quittant  le  monde,  on  ne  fait  que  quitter  un  sé- 
jour de  malheur,  premier  point  ;  en  entrant  en  religion,  on  trouve  le 
bonheur,  deuxième  point. 

*  Voyez  Bourdaloue,  sermon  sur  les  récompenses  des  saints 


ORAISONS  FUNEBRES,  565 

ô^  Modèle. —  Les  exercices  spirituels,  qui  sont  difficiles  dans  le 
monde,  sont  faciles  dans  la  religion,  premier  point  :  les  goûts  spiri- 
tuels, qui  sont  inconnus  aux  gens  du  monde,  sont  communs  en  reli- 
gion, second  point;  le  salut,  qui  est  si  exposé  dans  le  monde,  est  plus 
en  sûreté  en  religion,  troisième  point. 

On  peut  consulter  sur  ce  genre  de  sermons,  Bourdaloue,  qui  a 
jusqu'à  neuf  discours  sur  l'état  religieux  ;  Bossuet,  qui  en  a  treize; 
Massillon,  qui  en  a  quatre  ;  le  P.  Ségaud,  qui  en  a  deux. 


*  CHAPITRE  YIII 

Des   oraisons   funèbres. 


*  L'orateur,  dans  ce  genre  de  discours,  ne  doit  point  se  proposer 

*  pour  fin  principale  de  louer  son  héros  ;  ce  serait  dégrader  la  chaire 

*  sacrée  que  de  la  faire  servir  à  la  vaine  louange  de  la  créature.  Il 

*  doit  encore  moins  se  permettre  des  louanges  qui  ne  seraient  pas 

*  fondées;  la  flatterie,  défendue  partout.  Test  bien  davantage  dans  la 

*  chaire  de  vérité  ;  et  la  religion  ne  souffre  pas  qu'à  la  face  des  au- 

*  tels,  au  milieu  des  saints  mystères,  on  accorde  un  éloge  public  à 
■*  celui  qui  ne  le  mériterait  pas.  De  là  cette  loi  de  l'Église  qui  défend 

*  do  prononcer  aucune  oraison  funèbre  sans  la  permission  do  l'é- 

*  vè([ue,  lequel  seul  doit  juger  si  le  défunt  est  digne  de  cet  honneur. 

*  Enlin,  il  ne  doit  rien  louer  dans  son  héros  de  ce  qui  n'est  pas  louable 

*  selon  le  christianisme  dont  la  doctiine  céleste  ne  connaît  de  vrai- 

*  ment  bon,  de  vraiment  grand,  que  ce  qui  est  sanctifié  par  la  grâce. 
Célébrer  la  naissance,  la  fortune,  la  gloire  et  les  honneurs  que  la 

*  foi  place  au  rang  des  vanités,  ce  serait  se  mettre  en  contradiction 

*  avec  Jésus-Christ;  ce  serait,  pour  ainsi  dire,  abjurer  l'Évangile. 

*  Que  doit  donc  faire  l'orateur  qui  a  reçu  la  mission  de  faire  une 

*  oraison  funèbre?  !•  Il  doit  se  proposer  pour  fin  la  gloire  de  Dieu 
■*  et  l'utilité  des  auditeurs  ;  la  gloire  de  Dieu  en  célébrant  l'action  de 
*la  Providence  ou  de  la  grâce  sur  le  défunt,  l'utilité  dos  auditeurs 

*  en  puisant  dans  la  vie  et  la  mort  de  son  héros  des  leçons  de  vertu, 


306  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  de  zèle  pour  le  salut,  de  mépris  pour  le  monde  et  pour  tout  ce  qui 

*  passe,  de  sorte  que  la  louange  n'apparaisse  dans  le  discours  que 

*  comme  moyen  do  faire  glorifier  Dieu  et  de  sanctifier  les  fidèles. 

*  C'est  ainsi  que  Bossuet,  dans  son  Oraison  funèbre  du  Grand  Condé, 

*  se  propose  de  montrer  «  que  ce  qui  fait  les  héros,  ce  qui  porte  la 

*  {(  gloire  du  monde  jusques  au  comble...  ne  serait  qu'illusion  si  la 

*  «  piété  n'y  était  jointe,  et  enfin  que  la  piété  est  le  tout  de  l'homme.  » 

*  Bourdaloue  rapporte  également  l'éloge  du  même  prince  à  Tinstruc- 

*  tion  de  ses  auditeurs,  comme  on  le  peut  voir  dans  l'oraison  funèbre 

*  qu'il  en  a  faite,  une  des  compositions  qui  font  le  plus  d'honneur  à 

*  son  génie.  2°  L'orateur  doit  choisir  un  texte  qui  mette  la  vie  et  le 

*  caractère  du  héros  devant  les  yeux,  et  qui  en  soit  comme  un  éloge 

*  abrégé.  Si  même  il  en  trouve  un  qui  puisse  être  supposé  dans  la 

*  bouche  du  défunt,  en  sorte  que  les  auditeurs  se  le  représentent  le 

*  prononçant  lui-même,  ce   sera  un  mérite  de  plus.  L'exorde  doit 

*  être  entrecoupé  de  gémissements  et  de  plaintes  sur  la  fragilité  des 

*  choses  humaines;  c'est  la  douleur  elle-même  qui  doit  parler  et 

*  éclater  en  regrets,  —  La  division  pourrait  être  moins  marquée  que 

*  dans  le  sermon;  il  suffit  qu'une  proposition  l'indique  sans  que  i'o- 

*  rateur  la  signale  à  l'attention.  —  Le  corps  du  discours  doit  être 

*  tout  empreint  de  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  bien  des  âmes  ; 

*  il  demande  un  style  noble,  plein  de  dignité,  de  force  et  surtout  de 

*  naturel,  tel  qu'il  convient  à  l'organe  de  la  douleur  publique,  le- 

*  quel  ne  fait  en  quelque  sorte  que  prêter  sa  voix  au  peuple  con- 

*  sterne. —  Vers  la  fin,  il  faut  prendre  un  essor  plus  sublime,  donner 

*  à  l'accent  de  la  douleur  plus  d'énergie,  de  majestueuse  tristesse, 

*  et  frapper  ses  plus  grands  coups  pour  laisser  dans  les  âmes  les  im- 

*  pressions  profondes  de  grâce  et  de  salut  qui  doivent  être  le  fruit  de 

*  celte  lugubre  cérémonie.  Un  certain  désordre  éloquent  est  là  bien 

*  à  sa  place  ;  et  les  circonstances  d'une  mort  édifiante,  ou  quelques 

*  paroles  du  défunt,  présentées  avec  des  traits  et  des  couleurs  con- 

*  venables,  termineront  heureusement  le  discours. 

*  Bossuet  est  le  modèle  incomparable  en  ce  genre;  après  lui,  mais 

*  à  une  distance  immense,  vient  Fléchier,  dont  les  grâces  sentent 

*  l'affectation,  et  qui  laisse  à  désirer  du  côté  de  l'onction  et  de  la 

*  chaleur. 


SECONDE  PARTIE 


DES  DIVERS  GENRES    DE   PRÉDICATION. 


On  peut  distinguer  dix  genres  de  prédication  :  l^la  prédication 
solennelle  ;  2°  le  cours  suivi  d'instructions  sur  la  doctrine  chrétienne; 
5°  l'homélie  ;  4"  le  prône  ;  5°  les  avis  ;  6°  les  conférences  ;  T"  les  allo- 
cutions; 8°  les  lectures  publiques;  9°  les  missions  ou  retraites; 
10°  le  catéchisme.  Nous  traiterons  en  autant  de  chapitres  de  chacun 
de  ces  genres. 


CHAPITRE  PREMIER 

lïe  Im  prcdicMtiou  solennelle. 

Nous  entendons  par  la  prédication  solennelle  le  sermon,  et  par  le 
sermon  une  instructipn  religieuse  dans  hiquollc  on  s'attache  à  suivre 
[es  règles  que  donne  la  rhétorique  i)Oui'  le  discours  oratoire.  11 
peut  avoir  pour  objet  tous  les  sujets  de  prédication  dont  nous  venons 
de  piuier  dans  la  première  partie  de  ce  second  livre,  sauf  (jue,  quand 
)1  traite  l'éloge  d'un  saint,  on  l'appelle  plus  \iro[)remcnlpan('(njriqiie , 
et  oraison  funèbre,  si  c'est  l'éloge  d'un  homme  récemment  mort. 
Nous  examinerons  ici  deux  questions  :  i"  quelles  sont  les  règles  pro- 
pres au  sermon;  2°  s'il  est  expédient  de  prêcher  souvent  des  ser- 
mons. 


568  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

ARTICLE  l". 

QUELLES   SONT   LES   RÈGLES   PROPRES   AU   SERMON? 

Le  sermon  doit  être  écrit  dans  un  style  soutenu,  noble  et  élevé, 
mai^  cependant  toujours  naturel,  toujours  clair,  toujours  à  la  portée 
des  auditeurs  auxquels  il  est  destiné.  Il  exige,  et  c'est  ce  qui  le  diffé- 
rencie des  autres  genres  de  prédication,  il  exige  toujours  un  texte, 
«n  exorde,  un  corps  de  discours  et  une  péroraison.  Chacune  de  ces 
parties  a  ses  règles,  et  nous  allons  les  exposer  dans  les  paragraphes 
suivants  : 

Du  texte. 

1°  Le  texte  doit  renfermer  en  substance  tout  le  sujet  du  discours, 
contenir  même  la  division  ou  en  termes  formels  ou  par  des  consé- 
quences aisées  à  tirer.  Ce  doit  être  comme  un  thème  dont  on  vient 
de  donner  le  développement,  ou  plutôt  ce  doit  être  tout  le  discours 
en  germe,  de  sorte  qu'après  l'avoir  entendu  on  puisse  déjà  prévoir 
jusqu'à  un  certain  point  quel  sera  le  sujet  du  sermon. 

2°  Le  texte  doit  avoir  un  rapport  naturel  au  sujet  du  discours  ;  un 
sens  forcé  dès  le  début  choquerait  l'auditoire.  11  est  même  à  désirer 
que  ce  rapport  soit  httéral,  parce  que  si  le  texte  était  allégorique, 
l'application  en  serait  souvent  obscure,  ou  au  moins  longue  et  for- 
cée; on  ne  pourrait  y  arriver  que  par  un  long  circuit,  que  la  brièveté 
de  l'exorde  ne  permet  pas.  11  est  cependant  des  cas  où  l'application 
littérale  de  l'Écriture  est  moins  nécessaire,  et  quelquefois  même 
n'est  pas  possible,  par  exemple  dans  les  panégyriques  et  les  oraisons 
funèbres,  dans  les  discours  de  circonstance  et  dans  certains  sujets 
de  morale.  De  là  les  textes  employés  par  Fléchier  dans  l'oraison  fu- 
nèbre de  Turenne,  par  Bossuet  dans  l'oraison  funèbre  de  la  reine 
d'. Angleterre,  et  par  Massillon  dans  son  discours  sur  l'excellence  du 
sacerdoce. 

o°  Le  texte  ne  doit  être  ni  trop  long  ni  trop  court  :  trop  long,  il  ne 
se  retiendrait  pas;  trop  court,  il  serait  singulier.  Un  prédicateur 
prit  autrefois  pour  texte  :  Siluit,  il  se  tut  ;  et  l'assemblée  rit. 

4"  Il  faut  donner  une  traduction  du  texte  simple  et  fidèle,  sans  pa- 
raphrase, sans  application  ;  ce  n'en  est  pas  encore  le  temps. 

5°  Le  livre  de  l'Ecclésiastique  contenant  beaucoup  d'éloges  des 


PRÉDICATION  SOLENNELLE.  569 

saints  de  l'Ancien  Testament,  fournit  au  prédicateur  une  mine  précieuse 
de  textes  qu'il  peut  appliquer  heureusement  aux  saints  du  i^ouveau. 


De  l'exorde. 

L'exorde  a  pour  but  de  disposer  les  auditeurs  à  recevoir  favora- 
blement ce  qu'on  va  leur  dire,  et  par  conséquent  de  gagner  leur  bien- 
veillance, d'exciter  leur  intérêt,  de  se  concilier  leur  attention.  De  là 
on  peut  en  inférer  Timportance.  Le  succès  du  sermon  entier  en  dé- 
pend souvent  :  si  les  premières  impressions  sont  favorables,  on  écoute 
volontiers  ;  si  elles  ne  le  sont  pas,  on  écoute  avec  prévention,  et  tout 
le  discours  subit  la  disgrâce  de  l'ciorde.  Si  seulement  on  laisse  hé- 
siter rintérêt  des  auditeurs  et  divaguer  leur  imagination,  si  on  ne 
les  entraîne  pas  à  sa  suite  en  captivant  fortement  leur  attention, 
tout  est  perdu.  De  là  cet  avis  de  Cicéron  à  l'orateur  :  Vestibula  ho- 
nesta,  aditusque  ad  caiisam  faciet  illustres  ^ 

Pour  réussir  en  cette  partie,  il  faut,  1"  se  présenter  en  chaire  avec 
un  air  do  modestie  et  de  candeur  qui  prévienne  favorablement  les 
esprits.  Rien  n'indispose  plus  l'auditeur  qu'une  apparence  de  pré- 
somption et  de  fierté  qui  annonce  qu'on  est  content  de  soi,  ou  un  ton 
de  hardiesse  qui  décèle  peu  de  respect  pour  l'auditoire,  ou  un  cer- 
tain genre  affecté  qui  indique  la  recherche.  La  modestie,  au  con- 
traire, rehausse  le  talent  et  la  vertu,  leur  donne  un  caractère  de 
simplicité  qui  ouvre  le  chemin  à  la  persuasion,  excite  l'intérêt,  attire 
l'estime  et  la  bienveillance,  témoigne  la  considération  qu'on  a  pour 
son  auditoire  ;  et  l'auditeur,  content  d'être  respecté,  écoute  avec 
faveur^.  On  doit  donc  éviter  de  parler  de  soi  dans  l'exorde  :  en  parler 
pour  se  louer,  c'est  vanité  ;  en  parler  pour  excuser  la  faiblesse  de  ses 
talents,  c'est  un  raiïineinent  d'auiour-proprc,  c'est  oubli  do  la  dignité 
du  ministère  évangélique.  —  11  faut,  2°  donner  à  son  exorde  toutes 
les  ';u;ilitt'S  requises  par  les  maîtres  de  l'art  :  selon  eux-,  tout  bon 
exorde  doit  êlie  court,  simple,  clair,  exact,  adapté  aux  dispositions 
des  auditeurs  et  au  sujet. 

4°  Il  doit  être  court,  c'est-à-dire  qu'il  doit  aller  promptemcnt  et 

*  Orat.,  i. 

2  Omius  mi  jaclalio,  dit  Quiiitilicu  au  livre  XI  de  ses  Inst.,  c.  i,  affcrt  nii- 
dienlilnis  non  faslidium  inmio,  sed  odiiini;  habet  enim  mens  nosira  natitrâ 
sublime  qiihldam  et  erectim  et  inipulii'iis  xiipirioris  :  ideof/iœ  abjeclosaul  siiudiuI- 
tentes  ne  lihentcr  allcvumus,  quia  hoc  fucere  tanquàm  majores  lidemur,  el  quoi  tes 
disces.sil  lemululio,  mccedil  htmianilas.  Al  qui.  .se  exUdlil,  premcre  ac  despicere 
creditur,  ncc  làm  se  majorem  quàm  minores  cicleros  facere. 

24 


-■JO  Tr.AlTÉ  M'  1  A  l'Ili.IlICMION. 

diivclt'niont  nii  bul  (jui  est  iraiiiionci'r  ci  d'cxiiosor  en  ^^ros  le  biijet 
du  discours.  Il  n.'  eouiporle  ni  délails  ni  argumcnb  cl  preuves,  ni 
digressions  et  pensées  accessoires.  On  piuil  tout  au  plus  insinuer 
les  scnliniciils  an;ilot;ues  au  sujet,  on  si  c'est  un  pancj;yri(iue,  don- 
ner le  portrait  en  petit.  Un  exorde  loii^^  fatigue  l'auditeur,  le  prê- 
\ient  contre  toute  la  suite  du  discours  qu'il  présume  devoir  être  lon^,' 
en  propoition.  et  use  d'avance  l'attention  et  la  vigueur  de  son  esprit 
qu'il  vaut  bien  mieux  réserver  pour  le  corps  du  sermon.  C'est  là  un 
défaut  dans  lequel  l'ossuet  est  tombé  plusieurs  fois,  eu  particulier 
dans  son  sermon,  si  magnifKjue  du  reste,  pour  le  jour  de  la  Circon- 
cision. Toutefois  en  ne  voulant  pas  élre  long,  il  faut  se  garder  de 
l'excès  contraire  :  la  règle  est  qu'il  doit  y  avoir  proportion  entre 
l'cxordeetla  suite  du  discours,  connne  entre  la  tète  et  le  reste  du 
corps,  comme  entre  le  vestibule  et  l'ensemble  de  l'édifice*. 

2°  L'exorde  doit  être  simple,  c'est-à-dire,  qu'il  faut  y  éviter  Téclat 
et  la  pompe  des  figures,  les  mouvements  véhéments  et  la  magnifi- 
cence des  tours  oratoires.  Dans  la  situation  tranquille  où  est  encoie 
l'audileur,  il  faut  un  langage  plus  calme,  un  exposé  simple  et  mo- 
deste du  sujet,  et  si  l'on  veut  des  mouvements,  que  ce  soient  des 
niouvements  doux  et  paisibles.  Le  plus  beau  jour  ne  connnence  pas 
par  son  midi,  mais  par  une  clarté  si  faible  qu'elle  tient  encore  de 
l'obscurité  de  la  nuil'^  .  ainsi  il  ne  faut  s'élever  que  par  degrés  au.K 
grands  effets  de  l'éloquence.  Beaucoup  de  dignité,  très-peu  d'éclat  et 
de  parure,  voilà,  dit  Cicéron,  le  caractère  de  l'exorde  :  Gravitatis pluri- 
muni,spli')idons('t  concinnitatis  minimum'".  L'art  qui  s'y  montrerait, 
aurait  double  inconvénient  :  le  premier,  de  faire  soupçonner  que  l'ora- 
teur cherche  plus  à  plaire  qu'à  convertir,  à  satisfaire  sa  vanité  qu'à 
sauver  ses  auditeurs;  et  ce  soupçon  diminuerait  la  créance  qu'on  doit 
avoir  en  lui  ;  le  second,  d'amuser  et  de  distraire  les  esprits,  et  par  là 
de  les  rendre  moins  propres  à  goûter  le  langage  solide  du  corps 
du  discours  qui  n'olfrirait  pas  le  même  agrément.  Cependant  il 
est  des  exceptions  au  principe  général  sur  la  simplicité  de  l'exorde: 
le  premier  cas  est  celui  où  les  auditeurs  seraient  déjà  pénétrés  de  quel- 
(pu^s  grands  sentiments  inspirés  par  les  circonstances  :  alors  un  dé- 
but siuq)le  et  sans  ânu^  les  choquerait,  parce  qu'il  contrasterait  avec 
l'impression  générale  :  de  là  vient  que  tout  le  monde  admire  les 
l'xordes  magnifiques  dos  oraisons  funèbres  de  la  reine  d'Angleterre 

1  Cic,  de  Oiat.,  lih.  Il,  ."JO.  _  *  Cic,  de  Chat.,  lib.  il,  r.l7.  —   5  Ul.  \,  de 
IllVCllt.,  x.w. 


PRÉDICATION  SOLENNELLE.  571 

par  Hossuet,  et  de  Turcnno  par  Fléchier.  Le  secosul  cas  est  celui  où 
les  circonstances  demandent  ou  au  moins  permettent  un  exorde  ab  ,, 
abrupto  :  cette  espèce  d'exordeétantpassionné  doit  être  dans  le  genre 
pathétique  et  soutenu  par  de  grands  mouvements.  Le  troisième  cas 
est  celui  où  le  sujet  est  si  saisissant  d'intérêt,  que  les  auditeurs  n'oni: 
pas  besoin  d'êlre  menés  par  degrés  aux  grandes  émolions  :  de  là 
l'exorde  de  saint  Jean  Chrysbstome  sur  la  disgrâce  d'iîulrope,  et 
celui  de  Massilloa  sur  le  mauvais  riche.  Tels  sont  les  cas  d'excep- 
tion, et  il  faut  se  garder  de  trop  les  multiplier,  soit  parce  qu'il  est  dil- 
licile  de  réussir  dans  le  genre  pathétique,  soit  parce  qu'il  est  à  crain- 
dre que  le  reste  du  sermon  ne  soutienne  pas  la  véhémence  du  début  : 
il  vaut  mieux  réserver  ses  ressources  pour  le  corps  du  discours. 

3°  L'exorde  doit  être  clair,  c'est-à-dire  présenter  le  sujet  du  ser- 
mon sous  un  jour  lumineux,  avec  netteté  et  précision,  d'une  ma- 
nière facile  à  comprendre  et  à  retenir  :  sans  cela,  l'auditeur  marche 
à  tâtons,  ne  sachant  où  l'on  veut  le  mener  ;  celte  obscurité  le  dé- 
goûte et  le  prévient  défavorablement. 

4°  L'exorde  doit  être  exact  ;  car  nul  endroit  du  discours  n'est 
écouté  avec  plus  de  sang-fi  oid  ni  plus  examiné.  C'est  là  qu'on  com- 
mence à  apprécier  le  mérite  du  prédicateur,  et  le  jugement  (ju'on 
porte  dans  cette  partie  influe  sur  celui  qu'on  portera  dans  toute  la 
suite  ;  il  est  dans  la  nature  de  l'homme  d'être  porté  à  juger  selon  les 
premières  impressions  reçues. 

5°  L'exorde  doit  être  adapté  aux  dispositions  des  auditeurs,  c'est- 
à-dire  s'harmoniser  si  bien  avec  les  sentiments  de  l'auditoire,  que 
tous  en  soient  contents,  et  entendent  volontiers  traiter  la  matière 
qu'on  leur  annonce.  Pour  cela  il  faut,  1°  être  poli  et  gracieux  quoi- 
que avec  dignité,  ménager  adroitement  les  préventions,  monti'er 
beaucoup  de  bienveillance,  et  un  grand  zèle  pour  le  bien  de  ses  au- 
diteurs, sans  cependant  en  faire  parade  comme  certains  prédica- 
teurs qui  disent  souvent  :  Mon  zèle.  Il  faut,  2°  qu'un  parfum  de  piété 
accompagne  toutes  nos  paroles,  et  que  tout  notre  extérieur  annonce 
condjien  nous  sommes  fortement  pénétrés  des  vérités  que  nous  prê- 
chons. lUen  ne  dispose  mieux  les  fidèles  à  nous  entendre,  parce  qu'a- 
lors ils  ont  la  conviction  que  nous  ne  sommes  mus  en  lein-  p.irlanl 
que  par  des  vues  de  foi,  [)ar  des  motifs  plus  éhnés  que  la  terre.  11 
faut,  5"  leur  montrer  son  suj(!t  parles  endroits  les  plus  intéressants, 
(\t  leur  en  faire  ressortir  l'importance,  sans  cependant  imiter  ces 
prédicateurs,  qui  annoncent  cha(|ue  fois  qu'ils  vont  IrailiT  le  plus 
l)eau  sujet  du  monde,  et. qui  préviennent  l'auditeur  de  l'oidre,  de  la 


572  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

netteté,  de  la  force,  de  toutes  les  qualités  du  discours  qu'ils  vont 
donner.  Le  prédicateur  sage  est  plus  modeste;  il  se  contente  do  re- 
présenter l'importance  de  la  vérité  qu'il  va  traiter. 

ô**  L'exord(4  doit  être  en  rapport  avec  le  sujet,  c'est-à-dire  qu'il 
doit  y  conduire  par  un  rapport  nécessaire  et  avoir  avec  le  corps  du 
discours  une  connexion  essentielle,  comme  la  tête  avec  le  corps  ^  :  un 
exorde  vague  qui  peut  s'appliquer  à  toutes  sortes  de  sujets  ou  être 
retranché  sans  faire  tort  au  discours,  est  vicieux.  11  y  a  plus  :  toute 
pensée  qui  ne  tend  pas  directement  au  sujet,  qui  ne  va  pas  prompte- 
ment  au  fait  et  n'y  met  pas  les  auditeurs,  est  un  écart  blâmable.  En 
vain  on  y  ramènerait  l'attention  après  l'avoir  transportée  ailleurs  ;  il 
y  a  abus  dans  cette  digression.  Pour  prévenir  ces  inconvénients,  Ci- 
céroa^  conseille  de  ne  faire  l'exorde  qu'après  tout  le  reste  du  dis- 
cours, parce  qu'alors,  connaissant  à  fond  tout  le  sujet,  il  est  plus 
facile  d'en  faire  sortir  l'exorde  comme  une  fleur  de  sa  lige  et  de  ne 
rien  mettre  qui  n'y  ait  rapport.  Sa  méthode  est  sûre,  et  c'est  celle 
des  grands  orateurs. 

On  faisait  autrefois  deux  exordes,  l'un  pour  conduire  à  Y  Ave  Ma- 
ria, l'autre  pour  préparer  à  la  division  :  aujourd'hui  on  se  contente 
d'un  seul  ;  il  faut  s'en  tenir  à  cet  usage.  Cet  exorde  peut  se  faire  de 
quatre  manières  :  1°  simplement  et  sans  art,  en  exposant  en  peu  de 
mots  ce  dont  il  s'agit;  c'est  ce  qu'on  doit  faire  quand  l'attention  et 
la  bienveillance  des  auditeurs  nous  sont  assurées  d'avance  ;  2"  par 
insinuation,  quand  on  a  des  dispositions  peu  favorables  à  redouter, 
un  préjugé  enraciné  à  attaquer,  une  erreur  dominante  à  détruire,  un 
adversaire  respectable  et  puissant  à  combattre  ;  et  c'est  là  qu'il  faut 
employer  tout  l'art  et  la  finesse  des  précautions  oratoires  dont  nous 
avons  parlé  ailleurs  ;  5"  dans  le  genre  magnifique  et  pompeux,  quand 
on  a  à  louer  un  héros  ou  un  saint  que  tout  le  monde  admire  d'a- 
vance et  à  la  gloire  duquel  tous  s'intéressent;  4°  enfin,  ab  abrupto, 
cpiand  il  s'agit  d'une  chose  de  la  plus  haute  gravité,  (}ui  excite  par 
elle-même  un  vif  sentiment  de  douleur,  d'indignatit.n  ou  d'une  au- 
tre passion  violente.  L'exorde  simple  ne  doit  avoir  rien  d.3  bas  ni  de 
trop  familier;  l'exorde  par  insinuation,  aucuiie  finesse  qui  choque  la 
vérité  et  la  délicatesse,  l'exorde  pompeux  rien  d'afleclé,  et  l'exord» 
ab  abrupto,  rien  qui  indique  l'orgueil  ou  la  colère.  C'est  en  étudiant 
les  dispositions  des  auditeurs  qu'on  discernera  l'espèce  d'exorde 
qu'il  faut  choisir, 

*  Cic.    de  Orat.,  lib.  II,  525.  —  2  De  Orat.,  lib.  il,  515,  11.  518  et  5iP. 


PRÉDICATION   SOLEPs'NELLE.  573 

Ce  choix  une  fois  fait,  voici  la  manière  de  procéder,  excepté  dans 
i'exorde  ab  abrupto  qui  n'est  point  soumis  à  ces  règles  :  après  avoir 
cité  son  texte,  on  l'explique  ;  on  en  fait  l'application  au  sujet  qu'on 
va  traiter  ;  on  indique  ensuite  ce  sujet  d'une  manière  claire  et  nette; 
puis,  circonscrivant  les  points  de  vue  auxquels  on  veut  s'arrêter,  on 
laisse  paraître  les  germes  de  son  plan;  tous  les  mots  en  avançant,  le 
développent,  l'éclaircissent;  et  ainsi  on  prépare,  on  amène,  on 
énonce  enfin  la  division  ou  le  partage  du  discours,  de  sorte  qu'il  soit 
vrai  de  dire  que  I'exorde  tout  entier  n'est  que  le  développement 
d'une  seule  pensée.  Après  la  division,  on  invoque  les  lumières  de 
l'Esprit-Saint  par  l'intercession  de  Marie.  Rien  de  plus  juste,  lors- 
qu'on entreprend  de  détruire  le  règne  du  démon,  que  de  réclamer 
l'assistance  de  celle  qui  lui  écrasa  la  tête  ;  lorsqu'on  veut  dévelop- 
per le  dogme,  que  d'invoquer  celle  qui  a  éteint  toutes  les  héré- 
sies; lorsqu'on  veut  parler  du  salut,  que  d'employer  les  paroles 
venues  du  ciel  pour  en  être  le  commencement  et  l'annonce  ;  lors- 
qu'on veut  une  grâce,  que  d'invoquer.celle  par  qui  Dieu  se  plaît  à 
dispenser  ses  dons.  Mais  on  ne  saurait  mettre  trop  de  simplicité 
dans  cette  invocation  :  si  l'éloge  de  la  sainte  Vierge  s'y  présente  na- 
turellement, on  peut  l'y  placer  en  peu  de  mots  sans  jamais  l'étendre  : 
sinon,  il  faut  venir  à  VAve  Maria  simplement  et  sans  aucun  art. 
Dans  le  temps  pascal  on  le  remplace  par  le  Hegina  cœli,  et  dans  le 
temps  de  la  passion  et  aux  fêtes  de  la  croix,  par  la  strophe  0  Crnx, 
ave  ;  le  chœur  chante  l'un  et  l'autre. 

Quelquefois,  vers  la  fin  de  I'exorde,  on  insère  un  compliment  pour 
quelque  personnage  présent,  comme  l'évêque,  un  ancien  curé,  un 
prince,  etc..  Ces  compliments  doivent  être  très-rares.  La  chaire  est 
faite  pour  louer  Dieu  et  non  pour  préconiser  les  hommes  :  In  ecdesiis 
benediciie  Deo  ^  Je  ne  vous  donnerai  pas  de  louanges^  disait  un  pré- 
dicateur à  Louis  WN,  farce  que  je  nen  ai  pas  trouvé  dans  l'Évangile. 
Puis,  les  compliments,  s'ils  sentent  la  flatterie,  comme  cela  arrive 
presque  toujours,  déshonorent  l'orateur,  déplaisent  aux  fidèles, 
tentent  de  vanité  celui  (juon  loue,  ou  le  contristeni,  s'il  a  du  bon 
sens',  et  font  même  quehpiefois  ressortir  ses  déiauls.  Rien  de  plus 
indigne  d'un  minisire  dcLl-lvangilc  que  de  doinier  des  louanges  qu'il 

*  Psalm.,  Lxvii,  27.  —  ^  Si  vous  avez  dit  cela  pour  me  couvrir  de  confusion, 
disait  sailli.  Fraiii;ois  de  Sales  à  M.  de  licllcy,  qui  l'avait  compliineiUé,  vous  avez 
trouve  le  vrai  secret.  —  Un  prédicateur  s'étaiil  fort  mal  lire  d'uu  coniplimcnt 
<iu'il  adressait  à  M.  do  la  Motte  :  //  ne  faut  pas  s'étonner,  dit  l'iiuiuble  [U'élaî 
qu'une  ln)i(jne  accouticnc'e  a  la  vérité  se  refuse  au  mensonge. 


:>ii  TiiAiiK  DE  i\  i>ru':nic.\Ti()N. 

s, lit  ("Ir»^  f;iuss(S  :  c'est,  iiiciilir  sci(Miiiii('ii(,  c'est  instiller  à  I;i  vérilé 
du  liiiut,  (le  son  trône.  Cependiiiil,  il  est  des  circonstances  où  le  coiu- 
plinieiit  est  inipéi'ieiisenieiit  l'ecoinniandé  par  l'usage,  par  ce  (|u'on 
appelle  ïrtiijuctit' ;  mais  alors  il  faut  bien  se  garder  du  niainaisgoùt 
de  ces  prétHcateurs  ([ui  débitent  tles  louanges  longues  et  fastidieuses, 
qu'on  a  justement  a\)\)dos  des  coups  (Venceiisoir  au  visage.  Boinxialoue 
a  ('ompléleuient  échoué  en  celte  partie,  et  il  est  ilifficilede  louer  plus 
maladroilemeiit.  Le  compliment  doit  être  si  bien  amené,  qu'il  semble 
sortir  naturellement  du  sujet  qu'on  traite,  et  louchéavec  tant  d'adresse, 
que  la  modi'siic  do  celui  qu'on  loue  n'en  puisse  être  blessée.  Go  doit 
être  une  pensée  délicate,  une  action  de  grâces  en  quelques  mots  à 
l'Auteur  de  tous  les  dons,  une  leçon  lespectueuse  ou  une  exhorta- 
tion cachée  sous  l'enveloppe  d'une  louange,  enfin,  la  moindre  chose, 
pourvu  qu'on  sache  en  gros  qu'on  a  complimenté.  Massillon  est  le 
plus  pariait  modèle  en  ce  genre  :  son  cxorde  pour  le  jour  de  la  Puri- 
fication, sa  péi(»raison  pour  le  jour  de  Pâques  dans  son  Grand  Garème, 
sont  remarcpiables  sous  ce  rappoil  ;  niais  son  chef-d'œuvre,  c'est  son 
exorde  pour  le  jour  de  la  Toussaint,  où  il  loue  avec  tant  d'art 
Louis  XIV,  sans  déroger  aux  maximes  de  l'Évangile  i;ur  la  vanité  de 
la  gloire  humaine.  Bossuet,  quoique  moins  délicat  et  moins  adroit, 
a  aussi  des  compliments  dignes  d'être  cités,  en  particulier  celui  qu'il 
adressa  au  piaiice  de  Gondé,  en  I6MJ',  leijuel,  au  jugement  du 
cardinal  de  11  ii!sset%  contient  un  des  plus  beaux  mouvements  ora- 
toires dont  l'histoire  de  l'éloquence  puisse  offrir  l'exemple,  et  celui 
qu'il  adressa  à  Louis  XIV,  à  la  (in  de  son  sermon  du  jour  de  Pâques 
KiSO.  Fénelou  a  aussi  des  conqjlinients  trés-remarcpuibles  pour 
Louis  XiV  elles  ambassadeurs  di;  Siam,  dans  son  sermon  pour  le  jour 
de  l'Epiphanie. 

*  Telles  sont  les  régies  que  nous  avions  à  donner  sur  l'exorde  : 

*  pour  les  faire  encore  mieux  comprendre,  nous  allons  les  éclaircir 
'^  par  (juebpies  citations  :  la  piemière  sera  cet  exorde  tant  vanté  que 

*  U:  cardinal  Maury  prête  au  V.  llridaine,  ouvrant  la  mission  de  175'"), 

*  dans  légiise  Saml-Snlpice  de  Paris,  devant  vui  brillant  auditoire 

*  accouru  pour  l'entendre  : 

A  la  vue  d'iin  auditoire  si  nouveau  pour  moi,  il  semble,  mes  frères,  que 
je  ne  devrais  ouvrir  la  boiichi'  (|ue  pour  \ui;s  demander  grâce  en  faveur 
d'un  pauvre  niissionnaii'e,  dépoinvu  de.  Um.-,  les  talents  que  vous   exigez 

*  A  l;i  Miilr>  lin  sermon  sur  l'Iimiiicur  du  monde,  Diinaiiclie  des  l'.anicanx.  — 
-'  Histoire  df  D.js.suct,  liv.  il,  v. 


PRÉDICATION  SOLENNELLE.  S75 

qunnd  on  vient  vous  parler  de  votre  salut.  J'éprouve  cependant  aujourd'hui 
un  sentiment  bien  différent;  et  si  je  suis  humilié,  gardez-vous  de  croire  que 
je  m'abaisse  aux  misérables  inquiétudes  de  la  vanité,  comme  si  j'élais  accou- 
tumé à  me  prêcher  moi-même!  A  Dieu  ne  plaise  qu'un  ministre  du  ciel 
pense  jamais  avoir  besoin  d'excuse  auprès  de  vous  !  Car,  qui  que  vous  soyez, 
vous  n'êtes  tous,  comme  moi,  au  jugement  de  Dieu,  que  des  pécheurs.  C'est 
donc  uniquement  devant  votre  Dieu  et  le  mien  que  je  me  sens  pressé  dans 
ce  moment  de  frapper  ma  poitrine.  Jusqu'à  présent,  j'ai  publié  les  justices 
du  Três-I!;iut  dans  des  temples  couverts  de  chaume.  J'ai  prêché  les  rigueurs 
de  la  pénitence  à  des  infortunés  dont  la  plupart  manquaient  de  pain.  J'ai 
annoncé  aux  bons  habitants  des  campagnes  les  vérités  les  plus  effrayantes  de 
ma  religion.  Qu'ai-je  fait,  malheureux?  J'ai  conlristé  les  pauvres,  les  meil- 
leurs amis  de  mon  Dieu.  J'ai  porté  l'épouvante  et  la  douleur  dans  ces  âmes 
simples  et  fidèles,  que  j'aurais  dû  plaindre  et  consoler.  C'est  ici  où  mes  re- 
gards ne  tombent  que  sur  des  grands,  sur  des  riches,  sur  des  oppresseurs 
de  l'humanilé  souffrante  ou  sur  des  pécheurs  audacieux  et  endurcis  :  ah  ! 
c'est  ici  seulement,  au  milieu  de  tant  de  scandales,  qu'il  fallait  faire  i^etentir 
la  parole  sainte  dans  toute  la  force  de  son  tonnerre,  et  placer  avec  moi  dans 
cette  chaire,  d'un  côté  la  mort  qui  vous  menate,  et  de  l'autre  mon  grand 
Dieu,  qui  doit  tous  vous  juger.  Je  tiens  déjà  dans  ce  moment  votre  sentence 
à  la  main.  Tremblez  donc  devant  moi,  hommes  superbes  et  dédaigneux  qui 
m'écoulez  !  L'abus  ingrat  de  toutes  les  espèces  de  grâces,  la  nécessité  du 
salut,  la  certitude  de  la  mort,  l'incertitude  de  cette  heure  si  effroyable  poui' 
vous,  rim[y'iiilence  finale,  le  jugement  dernier,  le  petit  nombre  des  élus, 
l'enfer  et  par-dessus  tout  l'éternité  !  L'éternité  !  Voilà  les  sujets  dont  je  viens 
vous  entretenir,  et  que  j'aurais  dû  sans  doute  réserver  pour  vous  seuls.  Eh! 
qu'ai-je  besoin  de  vos  suffrages,  qui  me  damneraient  { eut-être  sans  vous 
sauver"'  Dieu  va  vous  émouvoir,  tandis  que  son  indigne  ministre  vous  par- 
lera; car  j'ai  acquis  une  longtie  expérience  de  ses  miséricordes.  C'est  lui- 
même,  c'est  lui  seul  qui,  d;uis  quelques  instants,  va  remuer  le  fond  de  vos 
consciences.  Fraj)pés  aussitôt  d'elfroi,  pénélrés  d'horreur  pour  vos  iniquités 
passées,  vous  viendrez  vous  jeter  entre  les  bras  de  ma  chaiité,  eu  versant 
des  larmes  de  componction  et  de  repenlance,  et  à  force  de  r(;mords  vous  me 
trouverez  assez  éloquent. 

*  Voilà  sans  doute  un  inorceau  parfaitomenl  érjit,  et  les  traits  du 

*  i^énie  y  brillent  en  plus  d'un  endroit.  Toutefois,  nous  sommes  loin 

*  (le  présenter  cet  exorde  connme  un  modèle;  nous  le  citons  au  con- 

*  Il  aire  pour  prémunir  les  jeunes  prédicateurs  contre  le  danger  de 

*  limilalion,  el  j)our  1(mu'  apprendre  à  ru;  point  accorder  loui'  adiiii- 

*  cation  à  ([ueUjuos  traits  de  génie,  quand  ces  traits  sont  des  écarts. 

*  i-e  premier  reproche  que  nous  avons  à  faire  à  l'auteur  deceloxorde, 

*  c'est  le  ton  acerbe  avec  Iequ(d  il  traile  ses  auditeurs,  qu'il  ose  quali- 

*  lier  d'oppresseurs  de  l'Iiumunilê  souffrante,  de  péclieurs  audacieux 


376  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  et  endurcis,  dliommes  superbes  et  dédaigneux.  Un  langage  si  dur 
■*  est  déplacé  sur  les  lèvres  d'un  ministre  de  l'Évangile,   et  plus 

*  propre  à  aliéner  les  cœurs  qu'à  les  gagner.  Ce  n'est  pas  ainsi  que 

*  les  François  de  Sales  et  les  Vincent  de  Taul  ont  traité  leurs  audi- 

*  teurs  pour  les  convertir.  Mais  ce  langage,  partout  déplacé,  l'est  ici 

*  bien  plus  encore  :  c'est  dans  un  exorde;  et  qui  ne  sait  que  le  carac- 

*  tère  essentiel  de  cette  partie  du  discours  est  un  ton  de  douceur  et 

*  d'insinuation  qui  dispose  les  auditeurs  à  la  bienveillance  ?  C'est  en 

*  parlant  pour  la  première  fois  à  la  classe  d'auditeurs  la  plus  facile 

*  à  froisser,  aux  grands  et  aux  riches  du  monde;  c'est  au  milieu  d'une 

*  assemblée  que  l'orateur  ne  pouvait  juger  digne  de  si  dures  quali- 

*  fications.  Quoi  !  Bridaine  arrive  pour  la  première  fois  à  Paris,  il 

*  monte  en  chaire,  aperçoit  un  auditoire  composé  d'un  grand  nombre 
■*  d'ecclésiastiques  et  d'évêques,  de  la'iques  religieux  que  l'on  sait  être 

*  toujours  les  plus  nombreux  à  pareils  rendez-vous,  et  probablement, 

*  j'en  conviens,  d'un  certain  nombre  d'autres  qui  ne  l'étaient  pas; 

*  et  voilà  que  tout  à  coup  il  éclate,  il  apostrophe  ses  auditeurs  dans 

*  les  termes  les  plus  durs,  et  cela  sans  faire  aucune  exception;  prêtres, 

*  évêques,  la'iques  pieux,  fout  est  enveloppé  dans  l'anatbème  :  Mes 

*  regards  ne  tombent  ici  que  sur  des  oppresseurs  de  riiumanité  soiif- 

*  frante,  sur  des  pécheurs  audacieux  et  endurcis.   Peut-il  être  un 

*  pareil  oubli  des  convenances,  et  y  a-l-il  du  sens  dans  un  tel  lan- 

*  gage?  —  Le  second  reproche  que  nous  avons  à  fnire  à  l'auîeur  de 

*  cet  exorde,  c'est  l'étrange  et  bizarnsî  pensée  de  réserver  à  la  ville 

*  de  Paris  toute  seule  les  vérités  terribles  delà  religion.  Quoi!  il  n'en 

*  fallait  rien  dire  à  Lyon,  à  Marseille,  Avignon,  Aix,  Montpellier, 

*  Clermont  et  tant  d'autres  grandes  villes  de  France  où  Bridaine  avait 

*  donné  des  missions!  Quoi  !  il  faut  respecter  la  conscience  coupable 

*  du  pécheur  qui  habite  sous  le  chaume  et  manque  de  pain  ;  il  ne 

*  faut  pas  le  réveiller  de  son  sommeil  de  mort  par  le  tonnerre  de  la 

*  divine  parole!  et  si  on  l'a  fait,  il  faut  s'en  repentir,  en  demander  par- 

*  don  à  Dieu  et  aux  hommes  :  Quai- je  fait  malheureux?  C'est  ici  seule- 

*  ment  qui!  fallait  faire  retentir  la  parole  sainte!  etc. . .  Comme  si  dans 

*  tout  le  reste  de  la  France  la  prédicalien  des  vérités  éternelles  eût 

*  été  inopportune,  et  qu'il  n'y  eût  point  trouvé  de  pécheurs  à  con- 

*  vertir.  Se  peut-il  rien  de  plus  absurde?  —  Le  troisième  reproche, 

*  c'est  que  le  prédicateur  parle  trop  de  lui-même  :  Je  ne  m'abaisse 

*  'pas  aux  rnsérables  inquiétudes  de  la  vanité...  Je  ne  suis  pas  accou- 

*  tumé  à  me  prêcher  moi-même...  Tremblez  devant  moi...  Qu'ai-je 

*  besoin  de  vos  suffrages...  Tai  acquis  une  longue  expérience  des 


PREDICATION  SOLENNELLE.  377 

*  miséricordes  divines...  Vous  viendrez  vous  jeter  entre  les  bras  de 

*  ma  charité...  Vous  me  trouverez  assez  éloquent.  C'est,  en  vérité  trop 

*  se  mettre  en  scène  dans  un  si  court  espace;  le  missionnaire  humble 

*  parle  autrement,  il  ne  songe  qu'à  se  faire  oublier,  et  le  moi  ne 

*  revient  pas  si  souvent  sur  ses  lèvres.  —  Enfm,  nolie  quatiiéuie  et 

*  dernier  reproche,   c'est  l'amas  de  faussetés  palpables  dont  cet 

*  exorde  est  plein  :  Jusqu'ici,  dit  Bridaine,  j'ai  publié  les  justices  du 

*  Très-Haut  dans  des  temples  couverts  de  chaume  ;  et  l'histoire  rap- 

*  porte  au  contraire  qu'il  avait  donné  des  missions  dans  les  villes,  et 

*  même  dans  les  principales  cités  du  royaume,  autant  ou  plus  que 

*  dans  les  campagnes.  J'ai  porté  Vépouvante  dans  les  âmes  simples  et 

*  fidèles,  j'ai  contristé  les  meilleurs  amis  de  mon  Dieu;  c'est-à-dire 

*  je  n'ai  prêché  qu'à  des  sainls;  mais  quoi  de  plus  faux?  11  dit  hii- 

*  même  qu'il  a  une  longue  expérience  des  miséricordes  divines  ;  et 

*  cette  expérience  n'a  lieu  que  dans  la  conversion  des  grands  coupa- 

*  blés.  Mes  regards  ne  tombent  ici  que  sur  des  pécheurs  audacieux  et 

*  endurcis.  Et  qu'en  savait-il  ?  Connaissait-il  la  conscience  de  chacun 

*  de  ses  auditeurs  qu'il  voyait  pour  la  première  fois?  Peut-il  même  y 

*  avoir  une  seule  assemblée  chrétienne  dont  un  homme  puisse  dire  : 

*  Tous  sont  des  pécheurs  endurcis  ?  —  Cet  exorde  est  donc  mauvais 

*  de  tout  point,  indigne  du  P.  Bridaine,  un  fruit  de  l'imagination  du 

*  cardinal  Maury,  plutôt  qu'un  produit  de  sa  mémoire. 

*  Veut-on  un  exorde  qui  contienne  le  môme  fond  d'idées  sous  une 

*  forme  meilleure?  qu'on  lise  l' exorde  du  sermon  de  Bossuet,  pour 

*  le  jour  de  Pâques  de  l'an  1680  : 

Avoir  à  prêcher  le  plus  glorieux  des  mystères  de  Jésus-Chri.-t  et  la  fèlt-  la 
plus  solennelle  de  son  Église,  devant  le  plus  grand  de  tous  les  rois  et  la 
cour  la  plus  auguste  de  l'univers,  reprendre  la  parole  après  tant  d'années 
d'un  perpétuel  silence,  el  avoir  à  contenter  le  délicatesse  d'un  auditoire  qui 
ne  soulTre  rien  que  d'ex(|uis,  mais  qui,  pernitttez-moi  de  le  dire,  sans 
songer,  aulant  qu'il  faudrait  à  se  convenir,  souvent  ne  veut  être  ému 
qu'autant  qu'il  le  faut,  pour  éviter  la  langueur  d'un  discours  sans  force, 
qui,  plus  soigneux  de  son  plaisir  que  de  sou  salut,  lorsqu'il  s'agit  de 
sa  guerison,  veut  qu'on  rherclie  de  nouveaux  moyens  pour  (lutter  son  goût 
raffiné  ;  ce  serait  une  chose  à  cramdre,  si  celui  qui  doit  annoncer  dans  l'as- 
semblée des  fidèles  la  gloire  de  Jésus-Christ  ressuscité,  el  y  faire  entendre 
la  voix  immortelle  de  ce  Dieu  sorti  du  tombeau,  avait  à  craindre  autre 
chose  que  de  ne  pas  assez  soutenir  la  force  et  la  majesté  de  sa  parole.  Mais 
ici  ce  qui  fait  craindre  soutient  :  cette  parole  divine,  révérée  du  ciel,  de  la 
terre  et  des  enfers,  est  ferme  et  luute-[)uissanle  jiar  elle-même,  et  on  ne 
peut  l'alfaiblir,  lorsque  toujours  aulant  éloigné  d'une  excessive  riuueur  cpii 


578  TRAITÉ  DK  LA  PRÉDICATlt)N. 

se  délourno  à  la  droite,  que  d'une  extrême  condescendance  qui  se  détourne 
vers  la  gaiiclio,  on  propose  cette  parole  dans  sa  pureté  nalurelle,  telle 
qu'elle  est  sortie  de  la  bouche  de  Jésus-Christ  et  de  ses  apôtres,  fidèles  et 
incorruptibles  témoins  de  sa  résurrection  et  de  toutes  les  obligations 
qu'elle  nous  impose.  Alors  il  ne  reste  plus  qu'une  crainte  vraiment  juste, 
vraiment  raisonnable,  mais  qui  est  commune  à  ceux  qui  écoutent  avec  celui 
qui  parle  :  c'est  de  n'ouvrir  pas  le  cœur  assez  promptement  à  la  vertu  qui 
raccompagne,  et  de  prendre  plus  garde  à  l'homme  qui  parle  au  dehors  qu'au 
prédicateur  invisible  qui  sollicite  les  cœurs  de  se  rendre  à  lui.  Que  si  vous 
écoutez  au  dedans  ce  céleste  prédicateur,  qui  jamais  n'a  rien  de  faible  ni  de 
languissant,  et  dont  les  vives  lumières  pénètrent  les  replis  les  phis  cachés 
des  consciences,  que  de  miracles  nouveaux  nous  verrons  paraître!  Que  de 
morts  sortiront  du  tombeau  ! 


*  Il  est  aisé  de  remarquer  en  ce  morceau  avec  quel  art  Bossuet 

*  ménage  l'esprit  de  ses  auditeurs  ;  s'il  fait  un  reproche,  c'est  un  de 

*  ces  reproches  dont  les  hommes  du  monde  ne  se  choquent  pas  ;  et 

*  encore  il  le  tempère  et  demande  la  permission  de  le  dire.  S'il  parle 

*  de  la  crainte  que  les  vérités  du  salut  doivent  inspirer,  il  s'associe  à 

*  ses  auditeurs,  en  observant  que  celte  crainte  doit  être  commune  et 

*  à  ceuxqiii  écoutent,  et  à  celui  quipaiie. — Bossuet  nous  offre  encore 

*  un  beau  modèle  d'exorde  dans  son  sermon  sur  l'honneur  du  monde, 

*  pour  le  dimanche  des  Rameaux.  On  peut  le  voir  dans  l'auteur 

*  même. 

Du  corps  du  discours. 

Le  corps  du  discours  doit  commencer  par  une  introduction  con- 
sistant en  quelques  phrases  préparatoires  qui  amènent  les  subdi- 
visions, si  l'on  juge  à  propos  de  les  énoncer,  ou  qui  fasse  entrer  en 
matière,  si  on  ne  les  énonce  pas.  Cette  introduction  doit  avoir  deux 
quahtés  :  1°  elle  doit  être  courte,  soit  pour  ne  pas  allonger  le  sermon, 
soit  pour  ne  pas  rebuter  l'auditeur  qui  s'ennuie  d'entendre  un 
homme  qui  n'en  vient  point  au  fait;  2"  elle  doit  amener  si  naturel- 
lement la  subdivision,  que  l'auditeur  puisse  penser  que  le  prédica- 
teur n'a  subdivisé  que  par  nécessité,  pour  expliquer  plus  clairement, 
ou  telle  raison  qui  avait  plusieurs  membres,  ou  tel  passage  de  l'Écri- 
ture ou  des  Pères  qui  ne  pouvait  s'éclaircir  autrement.  Car  si  les 
subdivisions  paraissent  étudiées,  si  l'artifice  s'y  montre,  l'auditeur 
ne  voit  plus  dans  le  prédicateur  qu'un  homme  qui  parle  par  art  et 
non  par  conviction,  qui  a  cherché  des  subdivisions  pour  remplir  une 


rP.EDTCATION  SOLENNELLE.  Z10 

f.îche  Pt  avoir  de  quoi  dire  :  et  àèà  lors  il  est  comme  impossible  que 
le  sermon  louche  et  persuade. 

Il  n'es!  pas  nécessaire  d'annoncer  d'avance  les  subdivisions  au  com- 
mencement de  chaque  point  ;  il  suffit  de  les  énoncer  à  mesure  qu'on 
y  arrive.  Celte  méthode  produit  même  beaucoup  plus  d'effet  lorsque 
les  subdivisions  enchérissent  Tune  et  l'autre.  Cependant  il  est  tou- 
jours permis  et  même  souvent  utile  de  les  annoncer,  pourvu  que  ce 
ne  soit  jamais  dans  l'exorde,  mais  bien  au  commencement  de  cha- 
que point. 

Les  propositions  de  la  subdivision  une  fois  énoncées,  il  faut  s'oc- 
cuper tout  entier  à  les  prouver.  Car,  quelque  bien  divisé  et  subdivisé 
que  fût  un  sermon,  si  les  preuves  n'en  étaient  pas  solides,  ce  ne 
serait  qu'un  beau  plan  d'édifice,  mais  sans  aucune  consistance  dans 
ses  parties.  Les  preuves  de  la  première  subdivision  données,  on  con- 
clut ;  et  l'on  en  vient  aux  applications  de  la  vérité  à  ses  auditeurs, 
aux  sentiments  et  mouvements  oratoires,  si  déjà  on  ne  s'y  est  livré  " 
en  donnant  les  preuves:  puis  on  ménage  les  passages  à  la  subdi- 
vision suivante  par  une  transition  si  naturelle  que  l'auditeur  l'aper- 
çoive à  peine,  sans  cependant  alTecler  de  cacher  la  marche  de  son 
discours,  dont  il  est  bon,  au  contraire,  de  faire  sentir  la  méthode  et 
l'analyse,  en  montrant,  à  mesure  qu'on  avance,  les  rapports  et  la 
marche  progressive  des  différentes  parties,  pour  conduire  par  cette 
clarté  à  la  conviction.  —  On  suit  la  même  méthode  pour  la  seconde 
et  troisième  subdivision  ;  puis  on  conclut  la  première  partie  en  re- 
cueillant et  groupant  ensemble  toutes  les  subdivisions  pour  terrasser 
l'auditeur  de  tout  le  poids  de  ses  forces  réunies.  C'est  là  le  lieu  de 
quelque  beau  mouvement  oratoire,  qu'on  termine  par  une  transition 
à  la  seconde  partie.  —  La  seconde  partie  suit  la  même  marche  et  ar- 
rive par  une  transition  à  la  péroraison. 

§  4. 

De  la  iiéror;iison  *. 

*  lîicn  ne  doit  être  plus  ménagé,  plus  étudié  que  celle  dernière 

*  ])artie  du  discours;  car  c'est  là  le  moment  décisif,  le  dernier  assaut 

*  ([ui  va  décider  de  la  victoire;  c'est  là  qu'il  faut  presser  vivement 

*  l'auditeur,  pour  le  foi  cei'  de  se  rciulre  et  aux  preuves  (ju'on  lui  a 

*  données  et  aux  conclusions  qui  en  sont  rigoureusement  déduites; 

*  Voyez  le  P.  Alherl,  II»   |>Mrti(',  c.  \xxix 


380  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  c'est  là  qu'il  faut  arracher  les  larmes  de  la  componction,  faire 

*  prendre  les  résolutions  généreuses  et  obtenir  tout  ce  que  souhaite 

*  un  prédicateur  qui  n'aspire  qu'à  convertir.  Pour  cela,  il  ne  faut  pas 

*  que  le  discours  languisse;  point  de  citations  longues  ou  qui  aient 

*  besoin   d'explication;    dans  ce  moment    solennel    rien    que  de 

*  fort,  de  vif,  de   pénétrant  :  Qux  excrUmit  servcntur  ad  pero- 

*  randum,  dit  Cicéron  K  Hîc,  si  usqiiam,  totos  eloquentix  finîtes  ape- 

*  rire  licet,  dit  Quintilien^.  Là  il  faut  que  la  passion  s'enflamme  et 

*  rassemble  tout  ce  qu'elle  peut  fournir  de  mouvements  rapides,  im- 

*  pôtueux,    brûlants,  de  tours   animés,  d'expressions  énergiques, 

*  de  figures  hardies,  d'images  attendrissantes;   et  le  prédicateur, 
■*  pour  y  suffire,  doit  avoir  la  prévoyance  de  se  réserver  de  la  voix  et 

*  du  feu. 

La  péroraison  doit  renfermer,  sinon  toujours,  au  moins  le  plus 
souvent,  quatre  parties  qui  sont  comme  les  éléments  dont  elle  se 
compose. 

La  première  est  un  précis,  une  récapitulation  sommaire  des  points 
du  discours,  et  des  principales  raisons  qu'on  juge  les  plus  propres  à 
entraîner  la  persuasion,  afin  que  toutes  les  forces  ainsi  serrées  et  ra- 
massées en  ordre,  allant  fondre  ensemble  sur  les  esprits  et  les  cœurs, 
remportent  la  victoire  qu'on  avait  peut-être  refusée  jusqu'alors  à  cha- 
cune d'elles  prise  isolément  :  Si  per  singula  minus  moverat,  turbâ 
valet,  dit  QuintiUen^;  m.ais  pour  que  cette  récapitulation  produise 
son  effet,  il  faut,  1°  qu'elle  soit  courte,  rapide,  presque  inaperçue  par 
l'auditeur,  qui  s'ennuierait  d'entendre  redire  les  mêmes  choses,  et 
par  conséquent  dégagée  de  tout  ce  qui  pourrait  paraître  répétition  et 
longueur,  ut  memoria,  non  oratio  renovata  videatur,  dit  Cicéron*. 
Sans  cela,  elle  n'atteindrait  pas  son  but;  il  ne  s'agit  plus  ici  de 
prouver,  mais  de  faire  vouloir  ce  qu'on  a  prouvé  qu'il  faut  vouloir  ; 
2°  il  faut  mettre  dans  cette  récapitulation  beaucoup  d'énergie,  de 
chaleur,  et  une  grande  variété  de  tours.  Tantôt  on  peut  mettre  en 
scène  Jésus-Christ,  les  saints,  ou  même  quelque  objet  inanimé  :  «  Si 
«  le  souverain  Juge  paraissait  dans  cette  assemblée,  que  pourriez-vous 
«  lui  alléguer  pour  excuse?  Il  vous  est  démontré  que,  etc..  Si  la  re- 
«  ligion,  si  l'Eglise  pouvaient  parler  ici,  enfants  rebelles,  pourraient- 
«  elles  vous  dire,  vous  savez  que,  etc..  »  Taniôt  on  peut  transporter 
l'auditeur   au    lit  de  mort,  au  jugement  dernier,  dans  l'éternité  : 


»  De  Orat.,  lib.  II,  r;i4.  —  ^  Lib.  IV,  c.  i.  —  '-  IMrlem.  —  *  De  Invcntione, 
lib.  I,  ICO. 


PREDICATION  SOLENÎSELLE.  381 

«  Alors  que  pensere%-vous  de  tels  'prétexte,  de  telle  objection?  Ne  jii- 
«  gerez-voiispas,  comme  je  viens  de  vous  le  montrer,  que.,  elc,  etc..  » 
Quelquefois  on  peut  engager  l'auditeur  à  se  jeter  en  esprit  aux  pieds 
du  crucifix,  et,  là,  à  se  faire  à  lui-même  le  résumé  de  tout  le  discours  : 
«  0  mon  Dieu!  je  le  comprends  maintenant,  etc.,  etc..  »  D'autres 
fois,  enfin,  on  peut  tout  simplement  rappeler  le  fond  du  discours  par 
ces  formules  ou  autres  semblables  :  «  Ouvrons  donc  enfin  les  yeux, 
«  et  comprenons  que...  Que  tardez-vous  encore  à  vous  convertir,  et 
«  que  manque-t-il  à  vos  convictions?  Vous  avez-  vu  que,  etc..  »  Mas- 
sillon  nous  offre  un  beau  modèle  de  récapitulation  à  la  fin  de  son 
sermon  sur  la  vérité  d'un  avenir  : 

Que  conclure  de  tout  ce  discours  ?  Que  l'impie  est  à  plaindre  de  clierciier 
dans  une  ai'lVeuse  incertitude  sur  les  vérités  de  la  foi,  la  plus  douce  espé- 
rance de  sa  destinée  ;  qu'il  est  à  plaindre  de  ne  pouvoir  vivre  tranquille 
qu'en  vivant  sans  foi.  sans  culte,  saus  Dieu,  sans  conscience;  qu'il  est  à 
plaindre,  s'il  faut  que  l'Évangile  soit  une  fable  ;  la  foi  de  tous  les  siècles, 
une  crédulité  ;  le  sentiment  de  tous  les  hommes,  une  erreur  populaire  ;  les 
premiers  principes  de  la  nature  et  de  la  raison,  des  préjugés  d'enfance  ;  le 
sang  de  tant  de  martyrs  que  l'espérance  d'un  avenir  soutenait  dans  les 
tourments,  un  jeu  concerté  pour  tromper  les  hommes  ;  la  conversion  de 
l'univers,  une  entreprise  humaine;  l'accomplissement  des  prophéties,  un 
coup  de  hasard  ;  en  un  mot,  s'il  faut  que  tout  ce  qu'il  y  a  de  mieux  établi 
dans  l'univers  se  trouve  faux,  afin  qu'il  ne  soit  pas  éternellement  malheu- 
reux. Quelle  fureur  de  pouvoir  se  ménager  une  sorte  de  tranquillité  au  mi- 
lieu de  tant  de  suppositions  insensées  !  0  homme  !  je  vous  montrerai  une 
voie  plus  sûre  de  vous  calmer,  etc.. 

La  seconde  partie  do  la  péroraison  doit  contenir  le  fruit  du  dis- 
cours, ou  les  conséquences  pratiques  et  les  résolutions  de  mieux 
vivre  qui  en  découlent  :  saint  Liguori  recommandait  d'une  manière 
spéciale  à  ses  prêtres  ces  résolutions;  et  il  leur  donnait  pour  règle 
de  les  énoncer  dans  un  acte  de  contrition  prononcé  avec  l'accent  de 
la  douleur  la  plus  vive,  avec  toute  la  chaleur  du  zèle  ;  ce  devait  être 
là,  selon  lui,  le  moment  brûlant  où  devaient  couler  les  larmes,  où 
devaient  éclater  les  sanglots. 

Le  troisième  élément  de  la  péroraison  consiste  dans  une  exhorta- 
tion pathétique  et  véhémente  qui  aille  au  fond  de  tous  les  cœurs, 
détermine  les  volontés  et  complète  la  victoire.  C'est  pour  cet  en- 
droit, qui  ne  fait  qu'un  avec  le  préi  édent  dont  nous  venons  de  par- 
ler, qu'il  faut  réserver  les  plus  vives  émotioi.s;  c'est  là  qu'il  faut 
n;ettre  en  jeu  toutes  les  ressources  de  la  sensibilité  et  frapper  les 
plus  grands  coups 


382  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

Enfin,  la  dernière  partie  de  la  péroraison  est  une  prière  adressée 
à  Dieu,  à  Jésus-Christ  ou  aux  saints,  pour  demander  la  grâce  de  met- 
tre à  exécution  les  résolutions  prises.  C'était  la  pratique  des  saint? 
Pères  de  terminer  ainsi  leurs  sermons,  et  quoique  ce  ne  soit  pas  ab- 
solument requis,  il  est  louable  de  les  imiter.  Massillon  l'a  fait  avec 
un  succès  remarquable  en  prêchant  sur  le  petit  nombre  des  élus  et 
dansson  sermon  pour  le  jour  de  Pâques.  La  paraphrase  d'un  endroit 
choisi  de  l'Écriture  sainte  donne  une  grâce  particulière  à  cette  prière 
et  peut  même  faire  une  péroraison  entière  des  plus  touchantes, 
comme  on  en  peut  juger  par  la  paraphrase  du  De  profundis,  qui 
forme  la  péroraison  de  l'homélie  de  Massillon  sur  Lazare  :  Grand 
Dieu,  etc..  ;  par  celle  du  Lœtatus  siim,  dans  la  péroraison  du  ser- 
mon de  l'abbé  Poule,  sur  le  ciel  :  Cité  de  Dieu,  etc..  ;  enfin  par 
celle  des  paroles  de  la  Sagesse,  Timc  stabunt,  qui  fait  la  péroraison 
du  sermon  du  P.  Mac  Carthy,  sur  la  grandeur  des  saints,  et  com- 
mence par  ces  mots  :  Oh!  que  j'aime  à  contempler ,  etc..  Mais  pour 
que  ces  paraphrases  produisent  de  l'effet,  il  faut  :  1°  que  chaque 
verset  commenté  présente  une  variété  rapide  d  idées  et  do  senti- 
ments, de  mouvements  et  d'images  propres  à  exciter  un  intérêt  tou- 
jours nouveau  ;  2°  qu'il  n'y  ait  que  peu  de  textes  et  que  le  commen- 
taire en  soit  court;  autrement  les  auditeurs  se  fatigueraient  de  voir 
recommencer  des  discussions  comme  dans  le  corps  du  discours  ; 
5°  que  le  prédicateur  sache  se  faire  si  bien  l'interprète  de  tous  les 
cœurs,  que  chacun,  en  l'entendant,  retrouve  le  langage  secret  de  sa 
conscience. 

Nous  terminerons  ces  règles  de  la  péroraison  par  deux  observa- 
lions  :  la  première,  c'est  qu'on  ne  doit  que  très-rarement  finir  son 
discours  d'une  manière  brusque  et  sans  bénédictions  :  presque  ja- 
mais ces  coups  de  théâtre  ne  réussissent,  et  quand  leur  effet  est 
manqué,  ils  font  riie.  11  faut  donc  amener  la  fin  du  sermon  tout  na- 
turellement, de  manière  que  les  auditeurs  puissent  la  prévoir,  et  on 
doit  se  garder  de  tromper  leur  prévoyance,  en  imitant  ces  prédica- 
teurs qui  paraissent  finir  à  chaque  instant,  puis  se  reprennent  et  re- 
commencent :  rien  ne  fatigue  plus  Taudileur.  Secondement,  il  faut, 
quoiqu'en  variant  la  formule  selon  le  sujet,  toujours  finir  par  l'es- 
pérance et  le  souhait  de  la  vie  éternelle,  jamais  par  la  menace  et  la 
crainte  :  lors  même  qu'on  a  parlé  comme  interprète  du  Dieu  des 
vengeances,  il  faut  à  la  fin  s'adoucir  comme  un  père  affligé  du  sort 
qui  menace  ses  enfants  ou  plutôt  s'attendrir  comme  une  mère,  et  ne 
point  imiter  ces  prédicateurs  qui  laissent  leurs  auditeurs  en  enfer 


PRÉDICAiiON  SOLENNELLE.  38? 

sans  exprimer  aucun  désir  de  les  en  retirer.  Renvoyé  sous  ces  im- 
pressions, l'auditoire  sort  mécontent. 

Pour  résumé  des  règles  propres  au  sermon,  il  ne  sera  peut-être 
pas  inutile  de  présenter  ici,  sous  un  seul  coup  d'œil,  le  tableau  des 
différentes  parties  qui  le  composent. 

TABLEAU  DES  PARTIES  DU  SERMON 

!•  Exorde. 
i.  Texte. 

2.  Introduction  générale  tirée  du  texte. 
7).  Annonce  du  sujet. 

4.  Division. 

5.  Invocation. 

2°  Corps  du  discours. 

1.  Introduction  particulière. 

2.  Subdivision. 

5.  Première  subdivision,  première  preuve,  seconde  preuve,  con- 
clusion, application,  sentiments  et  transition. 

4.  Seconde  et  troisième  subdivision,  même  marche. 

5.  Conclusion  de  la  première  partie,  mouvement  oratoire. 

6.  Transition  à  la  seconde  partie. 

7.  Même  marche  pour  la  seconde  partie,  avec  transition  à  la  pé- 
roraison. 

3°  Péroraison. 

1.  Récapitulation  des  diverses  parties  du  discours. 

2.  Fruit  pour  la  pratique. 

5.  Exhortation  et  mouvements  pathétiques. 

A.  Invocation. 

5.  Conclusion  propre  au  sujet. 

ARTICLE  2. 

EST-IL    EXribUvNT    PK    PllKCIIER    SOUVENT   DES   SEÎIMONS? 

Par  cela  même  que  le  sermon  est  la  prédication  la  plus  solen- 
nelle de  la  parole  de  Dieu,  il  doit  être  rare,  réservé  pour  les  grandes 
fêtes,  pour  les  grands  événements,  les  stations  d  avent  ou  de  carême, 
les  missions  ou  k's  retraites.  Dans  ces  circonstances  extraordinaires, 


384  TRAITE  DE  LA  PRÉDICATION. 

un  sermon  bien  préparé,  plein  de  force,  d'onction  et  de  mouvements, 
débité  avec  zèle  et  chaleur,  produira  d'utiles  impressions,  réveil- 
lera la  foi  des  auditeurs  el  les  fera  rentrer  en  eux-mêmes.  Mais  si 
l'on  employait  trop  souvent  ce  genre,  il  en  résulterait  deu.x  graves 
inconvénients  :  le  premier,  c'est  que  les  auditeurs  trop  habitMês  à 
ce  mode  d'instruction,  finiraient  par  y  être  tout  à  faits  indifférents 
et  insensibles  comme  des  gens  blasés.  Le  second,  c'est  qu'il  s'en 
faut  que  ce  genre  de  prédication  soit  le  plus  utile  ;  le  peuple  a  be- 
soin d'un  mode  plus  simple,  d'un  langage  plus  commun,  d'une 
sorte  de  catéchisme  raisonné,  d'explications  à  Taide  d'exemples,  de 
comparaisons  et  de  détails  que  ne  comporte  pas  le  sermon.  Aussi 
voyons-nous  que  les  saints  Pères  n'ont  pas  prêché  à  la  manière  de 
Bourdaloue  et  de  Massillon,  que  le  peuple  des  villes  où  l'on  donne 
beaucoup  de  sermons  est  mférieur  ('.ans  la  science  de  la  rehgion  au 
peuple  des  campagnes  où  un  pasteur  zélé  fait  régulièrement  des 
instructions  simples  et  famihères,  et  qu'enfin  un  bon  missionnaire, 
avec  son  genre  populaire,  convertit  plus  d'âmes  que  nos  grands  pré- 
dicateurs de  stations  d'avont  et.  de  carême,  avec  leurs  éloquents 
discours. 

Telles  sont  les  réflexions  que  nous  avions  à  faire  sur  le  sermon.  Il 
ne  nous  reste  plus  qu'à  dire  quelques  mots  de  nos  principaux  ser- 
monaires  français  :  les  trois  princes  de  la  chaire  sont  Bossuet,  Bour- 
daloue el  Massillon.  Bossuet  nous  donne  les  pensées  les  plus  hautes 
sur  la  rehgion  et  les  mystères,  rien  n'égale  la  magnilicence  de  ses 
vues;  Bourdaloue  développe  les  vérités  chrétiennes  avec  exactitude 
et  précision,  et  les  appuie  d'invincibles  raisonnements  ;  il  est  partout 
solide  et  logicien  rigoureux.  Massillon,  enfin,  apprend  à  sentir  et  à 
rendre  avec  une  grâce  parfaite  la  pensée,  le  raisonnement  et  le  sen- 
timent. La  réunion  du  génie  de  ces  grands  hommes  serait  la  perfec- 
tion idéale  de  l'éloquence  de  la  chaire.  —  Après  eux,  mais  à  une 
grande  distance,  viennent  le  P.  Cheminais,  remarquable  par  l'onc- 
tion et  la  douceur  ;  Fléchier,  que  distingue  la  grâce  des  pensées  et 
de  l'expression;  le  P.  Ségaud,  que  recommandent  un  grand  fonds 
d'instruction,  beaucoup  d'énergie  et  d'élégance;  Cambacérès,  qui 
a  quelque  chose  de  la  force  de  Bourdaloue  et  de  la  grâce  de  Massil- 
Ion;  le  P.  de  Larue,  où  l'on  trouve  une  méthode  et  un  style  toujours 
convenables;  le  P.  Giroust,  sage  et  solide;  M.  Joly,  évêque  d'Agen, 
tendre  et  pathétique.  On  pourrait  encore  citer  avec  honneur  le  P.  de 
Neuville,  le  P.  Elysée,  le  P.  Bretonneau,  MaroUes,  le  P.  de  Ligny,  le 
P.  MacCarlhy  et  M.  Borderies,  évêque  de  Versailles. 


COURS  SUIVI  D'INSTRUCTIONS.  585 


CHAPITRE  II 

Da  cours  suivi  d'instructioiifs  sur  la  doctrine  chrétienne  *. 

On  entend  par  ce  cours  une  suite  méthodique  d'instructions  coor- 
données et  enchaînées  ensemble,  dans  lesquelles  on  développerait 
aux  fidèles  :  1  °  l'historique  de  la  religion  depuis  sa  première  ébauche  <^f^'^ 
dans  le  paradis  terrestre  jusqu'à  sa  dernière  perfection  par  Jésus- 
Christ;  2°  ce  que  nous  devons  croire  (le  symbole)  ;  5°  ce  que  nous  de- 
vons pratiquer  (les  commandements  de  Dieu  et  de  l'Église);  4°  ce 
que  nous  devons  éviter  (les  péchés  capitaux);  5°  ce  que  nous  de- 
vons recevoir  (les  sacrements)  ;  6°  ce  que  nous  devons  demander 
(l'oraison  dominicale)  ;  et,  en  parcourant  ce  plan,  on  trouverait  faci- 
lement l'occasion  de  traiter  le  saint  sacrifice  de  la  messe,  les  prin- 
cipales cérémonies  de  l'Église,  les  pratiques  de  piété  les  plus  utiles, 
tout  ce  qu'il  est  convenable  d'enseigner  aux  fidèles. 

Cette  notion  ainsi  précisée,  nous  traiterons  T  de  l'importance  d'un 
pareil  cours  ;  2°  de  la  manière  de  le  faire. 

ARTICLE   1". 

DE  l'impoutance  de  ce  cours. 

De  fous  les  genres  de  prédication  ce  cours  est  sans  contredit  le  plus 
utile,  le  plus  nécessaire  et  le  plus  intéressant. 

1°  Le  plus  utile  :  c'était  l'avis  de  M.  de  la  Motte,  évoque  d'Amiens  ; 
rcxpôriencc  le  lui  avait  appris.  Pendant  plusieurs  années,  lorsqu'il 
était  théologal  de  Carpentras,  il  avait  suivi  dans  ses  prédications  la 
marche  que  nous  venons  d'indiquer,  et  en  avait  recueilli  des  fruits 
si  abondants,  que,  lorsqu'il  futévèque,  il  conseillait  à  tous  ses  curés 
de  suivre  celte  méthode  comme  la  meilleure  qu'il  connût.  M.  Joly, 
évêquc  d'Agon,  reconnnandait  la  niênie  pratique  à  tous  les  pasteurs 
de  son  diocèse;  l'ieury  en  démontre  au  long  les  avantages  dans  la 
préface  de  son  Catéchisme  historique  ;  et  Fénelon  exprime  avec  cha- 

*  Voyez  Collet,  Devoirs  d'iui  [lu.steiu",  ji.  '210-'271. 


*386  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

leur  le  vœu  qu'elle  soit  adoptée  partout.  «  Il  n'y  a,  dit  il,  ni  art  ni 
«  science  dans  le  monde  que  les  maîtres  n'enseignent  d'une  ma- 
«  nière  suivie,  par  principes  et  avec  méthode  :  il  n'y  a  que  la  reli- 
«  gion  qu'on  n'enseigne  point  de  cette  manière  aux  fidèles  :  on  leur 
«  donne  dans  l'enfance  un  petit  catéchisme  sec  qu'ils  apprennent 
«  par  cœur  sans  en  comprendre  le  sens,  après  quoi  ils  n'ont  plus 
«  pour  inslruction  que  des  sermons  vagues  et  détachés.  Je  voudrais 
«  qu'on  enseignât  aux  chrétiens  les  premiers  éléments  de  la  religion 
«  et  qu'on  les  menât  avec  ordre  jusqu'aux  plus  hauts  mystères.  »  Et, 
en  effet,  ce  cours  suivi  d'instructions  aurait  l'avantage  défaire  connaî- 
tre aux  fidèles,  avec  un  ordre  parfait,  le  magnifique  ensemble  de 
la  religion,  son  histoire,  ses  dogmes,  sa  morale  ;  et  par  là  de  les 
mettre  en  état  de  comprendre  toutes  les  instructions,  de  se  rendre 
compte  des  motifs  et  de  l'objet  de  leur  croyance,  d'expliquer  et  de 
défendre  leur  foi.  Par  là  encore  on  retrancherait  une  des  plus  gran- 
des difficultés  du  saint  tribunal,  qui  est  le  peu  d'instruction  des 
pénitents,  et  l'on  ferait  facilement  entrer  dans  toutes  les  âmes  de 
vifs  sentiments  d'admiration  et  d'amour  pour  une  religion  dont 
toutes  les  vérités  forment  un  corps  de  doctrine  si  parfait,  un  ensem- 
ble si  bien  lié,  si  bien  coordonné,  qu'on  ne  peut  le  contempler  sans 
en  être  ravi, 

2°  Ce  cours  est  le  genre  de  prédication  le  plus  nécessaire.  C'est  là, 
en  effet,  le  seul  moyen  d'enseigner  la  religion  comme  il  faut,  et  de 
former  un  peuple  véritablement  et  solidement  instruit.  Car  ce  n'est 
pas  savoir  la  religion  que  d'en  connaître  seulement  des  lambeaux  dé- 
cousus et  sans  ordre  :  il  faut  en  posséder  l'ensemble,  discerner  les 
rapports  qu'ont  entre  elles  ses  différentes  parties,  et  connaître  la 
liaison  qui  en  fait  un  tout  parfaitement  coordonné  :  autrement  on 
n'entendra  pas  le  corps  de  la  doctrine  chrétienne  et  la  suite  des 
desseins  de  Dieu  sur  nous.  Or,  jamais  on  n'arrivera  à  ce  but  par  des 
prédications  sur  des  sujets  détachés  et  sans  suite.  Que  dirait-on  d'un 
professeur  qui,  voulant  enseigner  à  ses  élèves  la  théologie  dogmati- 
que et  morale,  leur  ferait  des  dissertations  savantes  aujourd'hui  sur 
l'incarnation,  demain  sur  la  restitution,  une  autre  fois  sur  l'orgueil, 
puis  sur  la  grâce,  un  autre  jour  sur  la  Trinité,  puis  sur  les  contrats 
ou  les  sacrements?  Évidemment  ce  maître  étrange  n'apprendrait 
jamais  la  théologie  à  ses  élèves,  parce  que  la  religion,  comme 
foutes  les  sciences,  ne  peut  bien  s'enseigner  qu'en  mettant  de  l'or- 
dre dans  les  leçons  qu'on  en  donne,  qu'en  disposant  chaque  ques- 
tion à  sa  place  et  s'attachant  à  suivre  le  fil  et  la  génération  des  idées. 


COURS  SUIVI  DINSTP.UCÏIONS.  587 

ïl  en  est  de  même  du  pasteur  qui,  au  lieu  de  suivre  \m  cours  d'in- 
struclions,  traite  chaque  dimanche  des  queslioi^.s  isolées  :  ou  l'en- 
tendrait pendant  vingt  ans  qu'on  ne  saurait  pas  la  religion  comme 
on  la  doit  savoir.  Car,  indépendannnent  du  défaut  de  suite  dans  son 
enseignement,  il  est  impossible  que,  prenant  les  sujets  sans  ordre 
et  comme  ils  se  présentent,  il  n'oublie  pas  de  traiter,  quelrpiefois 
pendant  de  longues  années,  plusieurs  vérités  importantes,  les  unes 
de  nécessité  de  précepte,  les  autres  de  nécessité  de  moyen.  L'expé- 
rience ne  le  prouve  que  trop  :  combien  de  paroisses  où  l'on  a  laissé 
écouler  dix  et  vingt  ans  sans  expliquer  une  seule  fois  aux  peuples 
les  mystères  de  la  Trinité  et  de  l'Incarnation,  les  sacrements  d'ex- 
trême-onclion  et  de  mariage,  les  actes  de  foi,  d'espérance  et  de 
charité,  l'oraison  dominicale  et  autres  sujets  non  moins  essentiels, 
dont  le  pasteur  doit  l'explication  fréquente  à  son  peuple,  sous  peine 
de  péché  mortel  !  On  se  borne  à  prendre  un  texte  de  l'Évangile  du 
jour  et  à  dire  à  ce  propos  tout  ce  qui  vient  dans  l'esprit,  excepté  les 
explications  de  la  doctrine  chrétienne,  dafts  lesquelles  on  trouve 
qu'on  n'a  pas  le  temps  de  descendre  ou  qu'on  juge  peu  compatibles 
avec  le  langage  élevé  de  l'éloquence.  De  là  vient  que  tant  de  iîdèles, 
même  les  plus  assidus  aux  instructions  de  chaque  dimanche,  igno- 
rent encore  les  premiers  éléments  du  christianisme,  et  l'essentiel  de 
la  religion.  S'ils  ne  savent  pas  d'ailleurs  le  catéchisme,  impossible 
que  les  instructions,  telles  qu'elles  se  font  habituellement,  le  leur 
apprennent.  De  là  vient  que  tant  de  sermons  et  de  prônes  sont  sans 
fruit,  parce  qu'ils  présupposent  dans  les  auditeurs  des  connaissances 
qui  leur  manquent,  faute  du  cours  suivi  dont  nous  parlons.  De  là 
enfin  le  dégoût  de  la  parole  sainle,  parce  que  l'absence  de  ces  con- 
naissances leur  rend  inintelligible,  et  par  conséquent  ennuyeuse, 
une  grande  partie  des  instruclions. 

o°  Le  coui's  suivi  n'est  pas  seulement  le  plus  nécessaire  ;  il  est 
encore  le  plus  intéressant  de  tous  les  genres  de  prédication.  Dans  un 
temps  où  l'instruction  religieuse  est  si  rare,  soit  parmi  le  i)eu|de, 
soit  parmi  les  honnnes  du  monde  de  la  classe  élevée,  parmi  même 
les  fidèles  assidus  à  l'église,  ce  genre  d'instru(;tion  est  de  nature  à 
charmer  infailliblement  les  auditeurs  :  comme  il  aura  dans  leur 
esprit  le  mérite  do  la  nouveauté,  il  excitera  vivement  leur  curiosité 
et  provoquera  toute  leur  attention.  Puis  l'ensemble  de  la  religion 
leur  apparaissant  pour  la  première  fois,  et  h;  récit  des  faits  si  beaux 
.•sur  lesquels  notre  croyance  est  fondée  ou  dont  elle  se  compose,  se 
déroulant  devant  eux  dans  un  ordre  pai'fail,  foi'uii'ront  des  tableaux 


388  THAITE  DE  LA  PREDICATION. 

d'un  tout  autre  intérêt  que  des  prônes  détachés,  où  le  plus  souvent 
il  n'y  a  de  saillant  que  les  reproches  désagréables  qu'on  adresse  à 
Taudiloire.  Enfin,  toutes  les  instructions  se  faisant  suite,  l'une  fera 
désirer  l'autre,  et  on  viendra  avec  plaisir  entendre  la  continuation 
de  ce  qui  aura  si  vivement  intéressé. 

ARTICLE  2. 

DK    LA    MANIÈRE   DE   FAIRE    UN    COUnS    SUIVI    d'iNSTRUCTIONS    SUR    LA    DOCTRINE 
CIir.ÉTIEiSNE. 

Ce  cours  suivi  existe  déjà  presque  tout  fait  dans  le  Catéchisme  du 
concile  de  Trente,  et  en  abrégé  dans  la  Doctrine  chrétienne  de 
Lhomond,  dont  chaque  leçon  fournit  une  matière  si  intéressante 
d'instruction.  Pour  développer  ces  deux  auteurs,  on  a  les  Instruc- 
tions familières  de  Guillet,  Lambert,  Bonnardel,  les  Catéchismes  de 
M.  de  Lantages  et  de  Couturier,  de  Montpellier  et  de  Bourges.  Avec 
de  pareilles  ressources,  rien  de  plus  facile  que  la  composition  de  ce 
cours  ;  il  ne  faut  qu'un  peu  d'étude,  un  esprit  droit  et  du  zèle. 

L'ordre  et  la  clarté  sont  les  deux  caractères  dominants  de  ce  genre 
d'instruction  :  il  faut  de  l'ordre  pour  disposer  chaque  question  à  sa 
place,  enchaîner  les  matières  les  unes  avec  les  autres,  procéder  tou- 
jours méthodiquement  et  dans  le  fond  et  dans  la  forme,  et  montrer 
aux  fidèles  la  suite  merveilleuse  de  nos  mystères,  l'ensemble  de 
toutes  les  vérités  dont  la  religion  se  compose.  Il  faut  de  la  clarté  pour 
se  mettre  à  la  portée  de  son  auditoire  et  se  faire  parfaitement  com- 
prendre à  tous.  Si  l'on  est  bien  compris,  si  l'on  éclaircit  tout  ce  qu'on 
dit  par  une  grande  netteté  d'expressions,  une  parfaite  lucidité  de 
pensées,  et,  au  besoin,  par  des  comparaisons  et  des  exemples,  on  est 
sûr  d'intéresser  au  plus  haut  point  et  d'être  très-utile 

Le  seul  exorde  que  demande  ce  genre  de  prédication  est  de  rap- 
peler ce  qu'on  a  dit  dans  les  instructions  précédentes,  pour  en  mon- 
trer la  connexionavec  ce  qu'onva  dire, et  faire  ainsi  saisir  l'ensemble. 
Dans  le  cours  de  l'instruction,  il  faut  entremêler,  toutes  les  fois  qu'on 
en  trouve  l'occasion,  des  réflexions  propres  à  nourrir  la  piété,  à 
ranimer  la  foi,  à  réformer  les  mœurs,  mais  brièvement  et  sans  trop 
les  étendre  pour  ne  pas  rompre  le  fil  du  discours;  et  à  la  fin  on 
termine  par  une  péroraison  animée  et  pathétique,  contenant  des 
résolutions  d'une  vie  nouvelle  analogues  au  sujet  traité. 

11  est  louable  d'interrompre  ce  cours  dans  les  grandes  solennités^ 
pour  faire  un  sermon  sur  la  fête  ou  le  mystère,  ainsi  que  dans  les 

4"  €<9-^^ 


DE  L'HOMELIE.  589 

temps  d'avent  et  de  carême,  pour  traiter  avec  force  les  principales 
vérités  de  la  religion,  et  frapper  les  grands  coups  qui  touchent  et 
convertissent.  Des  grâces  particulières  sont  attachées  à  ces  jours  de 
salut.  Ce  doit  être  pour  les  peuples  comme  un  temps  de  mission  ou 
de  retraite  ;  et  un  curé  zélé  sait  en  profiter  pour  remuer  sa  pa- 
roisse. L'interruption  aura  même  ce  grand  avantage  qu'on  ne  se 
blasera  pas  avec  le  cours,  et  que  la  reprise  fera  chaque  fois  un  plaisir 
nouveau. 


CHAPITRE  m 

De  l'filoniélie  *. 


L'homélie  est  une  explication  simple  et  pieuse,  une  sorte  de  para- 
phrase de  l'Évangile  ou  de  l'Épitre,  d'où  l'on  tire  des  réflexions 
morales  pour  l'édificalion  des  auditeurs.  Cette  méthode  d'instruire, 
qui  est  la  plus  simple,  est  aussi  la  plus  ancienne  dans  l'Église.  Dans 
les  premiers  siècles,  le  lecteur  lisait  d'abord  pendant  un  certain  temps 
les  divines  Écritures;  Tévêque  ensuite  prenait  la  parole,  commentait 
la  lecture  qu'on  venait  de  faire,  puis  en  déduisait  des  instructions 
pratiques,  accompagnées  de  détails  de  mœurs  pleins  d'intérêt  et  de 
sorties  éloquentes  contre  les  vices  du  temps.  Tantôt  un  seul  verset 
lui  suffisait,  tantôt  il  en  prenait  davantage,  plus  ou  moins  selon  que 
les  vérités  qui  y  sont  contenues  lui  semblaient  demander  plus  ou 
moins  de  développement;  et,  pour  mettre  de  la  suite  dans  ces 
instructions,  il  reprenait  toujours  la  fois  suivante  là  où  il  en  était 
resté,  et  ne  quittait  point  un  livre  de  l'Kcriturc  sainte  qu'il  ne  l'eût 
entièrement  expliqué. 

Telle  était  la  méthode  des  anciens,  et  ils  la  préféraient  à  tout  autre 
genre.  Eu  effet,  elle  demande  moins  de  travail  ;  et  la  composition  de 
sermons,  tels  qu'ils  sont  en  usage  aujourd'hui,  eût  été  incompatible 

*  Voyez  lo  P.  AHjcit,  III»  partie,  c.  viii,  ix  et  x.  —  Mélliode  de  Desaiiçon, 
t.  II,  p.  8ri.  —  Grenade,  liv.  iV,  c.  vi.  —  Pastoral  de  I.imojies,  t.  11,  II"  ])artie, 
tit.  II,  c.  VII.  —  Devoirs  d'un  pasteur,  p.  '.!(>!).  —  L';i]jl)i;  Aiij^er,  prolucc  sur 
«aiut  Jean  Clirysostoine,  p.  (i8  et  suiv 


390  TRAITE  DE  LA  PREDICATION. 

avec  le  laborieux  ministère  des  évêques  de  ces  temps  anciens  :  d'ail- 
'eurs  l'homélie,  se  prêtant  facilement  à  la  variété  des  réflexions, 
permet  d'embrasser,  dans  une  seule  instruction,  les  différents 
besoins  des  aufiiteurs,  bien  mieux  que  le  sermon  essentiellement 
restreint  dans  une  ou  deux  vérités,  souvent  sans  intérêt,  sans  appli- 
cation pour  plusieurs;  puis  ces  enseignements,  immédiatement 
appuyés  sur  la  parole  de  Dieu  qu'on  suit  pas  à  pas,  ont  une  tout  autre 
autorité  que  les  raisonnements  du  prédicateur,  qui  dominent  dans 
les  autres  genres  d'instruction,  sans  compter  que  l'homélie  souffre 
des  détails  pratiques  que  ne  comporte  guère  le  genre  élevé  du  ser- 
mon, et  que,  comme  elle  se  compose  souvent  de  vérités  indépen- 
dantes les  unes  des  autres,  les  distractions  inévitables  à  la  faiblesse 
humaine  qui  surviennent  pendant  l'instruction,  n'empêchent  pas  de 
profite;r  des  morceaux  isolés  qu'on  entend;  tandis  que,  dans  le  sermon, 
une  distraction  fait  souvent  perdre  le  fil,  l'intérêt  et  le  fruit  de  tout 
le  discours.  Aussi  voyons-nous  que  les  auditeurs  goûtent  plus  en 
général  une  bonne  homélie  qu'un  sermon  ;  ils  suivent  avec  intérêt 
celui  qui  leur  explique  bien  l'Évangile,  qui  leur  en  fait  remarquer 
les  endroits  saillants,  qui  en  tire  des  réflexions  et  des  applications 
utiles  ;  et  ils  aiment  à  apprendre  ainsi  à  la  fois  leur  religion,  leurs 
devoirs  et  les  plus  beaux  endroits  de  l'Écriture  sainte  :  ils  sont  même 
très-faciles  à  contenter  dans  ce  genre.  Dés  qu'on  leur  expUque  passa- 
blement l'Évangile,  ils  sont  satisfaits.  On  peut  donc  très -utilement 
adopter  le  mode  de  l'homélie  lorsqu'on  voit  la  paroisse  bien  instruite 
par  le  cours  suivi  dont  nous  avons  démontré  l'importance  au  chapitre 
précédent. 

Quoiqu'il  faille  moins  de  préparation  pour  l'homélie  que  pour  le 
discours  relevé,  cependant  il  en  faut  toujours,  sous  peine  de  ne  faire 
que  des  homélies  froides  et  insipides,  languissantes  et  infructueuses; 
et  voici  quelle  doit  être  cette  préparation  :  il  faut  commencer  par 
étudier  avec  soin  le  texte  qu'on  doit  exphquer,  le  bien  méditer,  s'en 
pénétrer  et  choisir  avec  discernement  les  endroits  sur  lesquels  il 
faudra  insister;  car  on  ne  doit  pas  s'arrêter  à  toutes  les  circonstances, 
ni  prétendre  épuiser  son  sujet;  l  homélie  deviendrait  d'une  longueur 
ennuyeuse.  Dans  cette  étude,  il  faut  observer  quatre  choses  :  le  sens 
littéral,  le  sens  moral  et  spirituel,  les  applications  pratiques  et  les 
exhortations  analogues.  1»  Four  l'explication  du  sens  littéral,  il  faut 
indiquer  le  temps,  l'occasion  et  les  autres  circonstances  des  faits  ou 
des  maximes  contenues  dans  le  texte,  expliquer  les  paroles  qui  ne 
sont  pas  claires  par  elles-mêmes,  et,  s'il  y  a  lieu,  les  usages  de  l'an- 


DE  L'HOMÉLIE.  391 

cienne  loi  dont  la  connai.-sanœ  serait  nécessaire  à  l'intelligence  du 
passage,  enfin  ne  rien  laisser  d'oljscur  sans  l'éclaircir.  Si  c'est  une 
parabole,  il  faut  n'en  développer  la  lettre  que  pour  en  expliquer 
l'esprit,  et  en  faire  ressortir  le  dessein  plutôt  que  les  circonstances 
historiques,  dont  plusieurs  ne  sont  quelquefois  qu'un  accessoire  en. 
dehors  du  sujet.  Si  le  texte  y  prête,  on  peut  joindre  des  réllexions 
dogmatiques,  rarement  des  considérations  physiques,  jamais  de 
discussions  critiques,  à  moins  qu'elles  ne  naissent  du  sujet  et  ne 
soient  utiles  aux  auditeurs.  2'' Pour  l'explication  du  sens  moral  et  spi- 
rituel, il  faut  choisir  les  considérations  les  plus  .simples  et  les  plus 
naturelles,  les  plus  pieuses  et  les  plus  adaptées  aux  besoins  de  la 
paroisse,  et  éviter  les  interprétations  forcées,  les  allégories  poussées 
trop  loin,  comme  on  en  trouve  dans  saint  Grégoire  pape  et  dans 
saint  Augustin;  c'était  le  goût  du  siècle  de  ces  grands  hommes: 
vivant  de  nos  jours,  ils  parleraient  autrement.  3"  Pour  les  applica- 
tio/is  pratiques,  il  faut  se  conformer  à  ce  que  nous  avons  dit  à  ce 
sujet  dans  la  première  partie  du  premier  livre  sur  la  manière  d'a- 
dapter la  prédication  aux  besoins  des  auditeurs.  4'' Quant  aux  exhor- 
tations analogues  au  sujet,  elles  doivent  être  vives,  pressantes,  pathé- 
tiques, accompagnées  d'affections  et  de  pieux  mouvements. 

Mais  en  quelles  formes  convient-il  de  présenter  ces  homélies?  On 
peut  distinguer  ici  quaire  manières  : 

La  première  serait  de  réduire  tout  l'Évangile  du  jour  à  un  seul 
sujet  et  à  une  division  régulière,  lorsqu'on  le  peut  sans  forcer  le  sens. 
AJnsi,  dans  l'Évangile  de  l'Enfant  prodigue,  on  pourrait  montrer  ; 
1''  le  rnallieur  du  p*W;heur  qui  a  abandonné  Lieu  ;  2''  les  sentiments 
dans  lesqu'.-ls  il  faut  revenir  à  Dieu  ;  5''  la  bonlé  de  Dieu  envers  le 
pécheur  qui  se  convertit.  On  peut  de  même  considérer  dans  l'Évan- 
;^ile  de  la  Magdeleine  :  son  péché,  sa  pénitence,  sa  parfaite  réconci- 
liation avec  Dieu;  dans  la  Cananée  :  les  motifs  de  priwr,  les  qualités 
de  la  prière,  les  fruits  de  la  prière  ;  dans  la  Samaritaine  :  ce  que 
fait  Jésus  pour  elle,  ce  qu'elle  fait  pour  Jésus  ;  dans  le  Mauvais  riche  : 
ses  péchés,  qui  consistent  à  être  vain,  fastueux,  sensuel,  et  son  châti- 
ment ;  dans  1  Évangile  du  Pharisien  et  du  Publicain  ;  les  effets  de 
l'orgued  et  de  l'humilité;  dans  la  Parabole  de  la  semence  :  la  néces- 
sité et  l'utilité  de  la  parole  de  Dieu,  les  obstacles  qui  en  empêchent 
l>:  fruit,  et  ce  qu'il  faut  faire  pour  en  profiter. 

La  seconde  manière  est  de  prendre  deux  ou  trois  traits  de  lÉvan- 
gile  relatifs  à  une  vertu  ou  à  un  vice,  de  le«  traiter  l'un  après  l'autre 
quoique  disparates  et  incapables  de  former  entre  eux  une  division 


592  TRAITE  DE  LA  PRÉDICATION, 

juste,  et  de  les  développer  selon  ce  que  nous  avons  dit  de  la  manière 
de  traiter  les  vertus  et  les  vices. 

La  troisième  manière  est  d'expliquer,  dans  un  premier  point, 
'Évangile  du  jour  tout  entier,  et  d'en  déduire,  dans  un  second  point, 
les  conséquences  morales  et  pratiques  :  c'est  la  méthode  de  saint 
Jean  Chrysostome. 

La  quatrième  manière,  c'est  d'expliquer  toutes  les  phrases  de 
l'Évangile,  et  de  tirer  de  chacune  d'elles,  à  mesure  qu'on  l'explique, 
les  affections  et  les  moralités  qui  en  découlent  :  changeant  ainsi  de 
matières  presqu'à  chaque  verset,  on  a  lieu  d'attaquer  plusieurs  vices, 
d'enseigner  plusieurs  vertus,  de  recommander  plusieurs  pratiques 
utiles,  et,  par  cette  variété,  chacun  trouve  dans  l'instruction  un 
secours  à  ses  besoins,  un  remède  à  ses  faiblesses.  D'un  autre  côté, 
cependant,  cette  méthode  a  son  inconvénient,  c'est  qu'en  voulant 
tout  expliquer  il  est  difficile  de  rien  approfondir,  de  remuer  et  de 
toucher  les  cœurs.  On  n'a  guère  que  le  temps  d'effleurer  les  matières. 

Si, à  raison  de  lalongueur  des  offices  ou  de  quelque  aulre  obstacle, 
on  ne  peut  pas  faire,  certains  dimanches,  une  longue  instruction,  on 
pourrait  exposer  brièvement  l'Évangile,  et  en  tirer,  pendant  cinq  à 
six  minutes,  une  ou  deux  réflexions  intéressantes.  Si  elles  étaient 
proposées  d'une  manière  claire  et  touchante,  les  auditeurs  les  écou- 
teraient sans  en  rien  perdre,  et  en  profiteraient  plus  quelquefois  que 
d'un  long  discours. 

Les  modèles  les  plus  parfails  d'homélies  sont,  parmi  les  Pères 
latins,  saint  Ambroise  et  saint  Grégoire  le  Grand;  parmi  les  Pères 
grecs,  saint  Chrysostome  sur  saint  Matthieu.  Dans  ce  dernier,  l'ho- 
mélie a  toute  la  force,  toute  la  grandeur,  tout  le  sublime  d'un  dis- 
cours chrétien.  On  y  trouve  des  tours  d'éloquence  qui  saisissent,  des 
portraits  du  cœur  humain  frappants  de  vérité,  des  peintures  du  vice, 
des  mœurs  et  des  scandales  de  son  siècle,  qui  montrent  tout  le  zèle 
d'un  homme  apostolique,  enfin,,  un  style  noble,  élevé,  brillant,  ingé- 
nieux, véhément,  qui  ravit  et  entraîne  les  lecteurs.  Parmi  les  mo- 
dernes, mais  à  une  grande  dislance,  brille  au  premier  rang  le  car- 
dinal de  La  Luzerne,  dans  son  Explication  des  Evangiles,  puis  l'abbé 
de  Monmorel,  M.  Godeau,  évêque  de  Grasse,  le  P.  Maimbourg,  Lam- 
bert et  Lachétardie. 

Un  pasteur  se  composerait  facilement  à  lui-même  d'excellentes 
homélies  en  notant,  à  mesure  que  les  pensées  se  présentent  dans 
ses  lectures  ou  ses  réflexions,  ce  que  les  évangiles  des  dimanches  et 
fêtes  offrent  de  plus  remarquable,  de  plus  pieux  et  de  plus  utile. 


DU  PRONE.  393 

CHAPITRE  lY 

Du  Prône  *. 

Le  mot  prône  vient  du  grec  Trpôvaov  (en  avant  du  temple  ou  du 
sanctuaire),  et  s'appliquait  autrefois  à  l'instruction  qu'on  donnait 
dans  la  nef  de  l'église  aux  catéchumènes  et  aux  chrétiens  réunis. 
Aujourd'hui  ce  mot  a  différents  sens  :  il  signifie,  1°  le  prône  qui  se 
trouve  imprimé  dans  tous  les  rituels,  et  dont  tous  les  évêques  pres- 
crivent la  lecture  à  certains  jours  ;  2'  il  se  prend  souvent  comme 
terme  générique  pour  signifier  toute  espèce  d'instruction  qui  se 
donne  à  la  messe  paroissiale;  5°  pris  dans  son  sens  propre  et  strict, 
il  désigne  une  instruction  courte  et  simple  qui  se  fait  le  Dimanche 
pendant  la  messe  de  paroisse,  sur  un  sujet  de  dogme  ou  de  morale. 
Ainsi  le  prône  diffère  de  l'homélie  en  ce  qu'il  ne  s'attache  jamais 
qu'à  un  sujet  détaché,  sans  se  proposer  la  paraphrase  de  l'Écriture 
sainte;  et  il  diffère  du  sermon  en  ce  qu'il  ne  s'asservit  pas  aux  régies 
que  donne  la  rhétorique  pour  le  discours  oratoire  :  c'est  le  langage 
plus  simple  d'un  père  à  ses  enfants,  d'un  maître  à  ses  disciples  : 
l'artifice  de  la  rhétorique  est  la  chose  du  monde  à  laquelle  il  pense 
le  moins. 

Le  prône,  ainsi  entendu,  est  souvent  plus  utile  que  le  sermon,  en 
ce  que  son  genre  étant  plus  simple,  il  est  plus  à  la  portée  des  ou- 
vriers, des  pauvres,  des  esprits  non  cultivés,  et  plus  propre  à  répan- 
dre l'instruction  parmi  le  peuple  :  souvent  aussi  il  est  plus  utile  que 
l'homélie,  en  ce  que,  ne  partageant  point  l'attention  sur  plusieurs 
ohjcls,  il  peut  mieux  mettre  dans  tout  son  jour  le  sujet  détaché  qu'il 
traite,  en  tirer  des  conséquences  et  en  faire  des  applications  pra- 
tiques, réfuter  les  ohjcclions  et  poursuivre  les  contradicteurs  dans 
tous  leurs  retranchenieiils.  Le  se(;ret  pour  prendre  une  place  est  de 
réunir  toutes  ses  forces  sur  un  seul  point  plutôt  que  de  les  éparpiller 
de  manière  à  attaquer  faiblement  sur  plusieurs  points  à  la  fois. 

Pour  obtenir  ces  heureux  résultats  du  prône,  voici  les  règles  qu'il 
y  faut  observer. 

1"  Il  faut  préparer  son  prône  avec  soin  et  plusieurs  jours  d'avance. 

*  Voyez  Pastoral  de  Limoffcs,  t.  II,  II*  partie,  lit.  n,  c.  vnr. 


594  Tr.AlTK  DK  LA  rilÉDICATION. 

C\"sl  une  g-raiulo  illusion  de  croire  qu'il  sul'lil  d'y  i)onsor  la  veille  ; 
la  darlé  de  l'inslruelion,  les  détails  de  mœurs,  l'oMclioii  de  la  [)iété, 
lie  s'improvisent  j:uère;  et  la  prédication  sans  préparation  n'acquitte 
pas  la  conscience  du  pasteur,  parce  que,  connue  nous  l'avons  déve- 
loppé ailleurs,  au  lieu  d'avoir  cet  intérêt,  cette  force,  celte  clarté 
propres  à  instruire  et  à  loucher,  elle  n'a  le  plus  souvent  d'autre  effet 
que  de  dé^dûter  de  la  parole  de  Dieu. 

2°  La  matière  des  prônes  embrasse  tous  les  devoirs  de  la  vie  chré- 
tieime;  et  il  est  important  de  les  passer  successivement  en  revue 
dans  le!  cours  de  chaque  année.  Mais  il  faut  s'attacher  surtout  à  in- 
culquer forteuicnt  et  à  rappeler  souvent  certains  points  essentiels, 
savoir  :  1°  les  lins  dernières,  la  folie  de  l'homme  qui  ne  s'inquiète 
pas  de  son  éternité,  la  haine  du  péché  et  le  bonheur  que  donne  la  vertu, 
qui  est  la  source  des  vraies  joies,  un  remède  à  tous  les  maux,  une 
consolation  à  toutes  les  peines  ;  2  "  la  fuite  des  occasions  qui  exposent 
l'imiocence,  connne  les  compagnies  dangereuses,  les  paroles  li- 
bres, etc.  ;  o"  l'usage  fréquent  des  sacrements  de  pénitence  et  d'eu- 
charistie, et  les  dispositions  qu'ils  exigent,  matières  qu'il  est  important 
de  rappeler  chaque  année  à  l'époque  du  carême  :  4°  la  charité  envers 
le  prochain,  d'où  l'on  infère  le  pardon  des  injures,  le  support  des 
défauts,  la  paix  dans  les  ménages,  la  douceur  des  rapports  entre  les 
parents  et  les  enfants,  les  maîtres  et  les  serviteurs,  la  cessation  des 
médisances,  des  injustices,  des  jurements,  des  emportements  et  des 
querelles;  5°  la  relation  de  toutes  ses  actions  à  une  fin  surnaturelle, 
la  dévotion  au  Saint-Sacrement  et  à  la  sainte  Vierge,  le  souvenir  de 
la  présence  de  Dieu  ;  6"  la  réforme  des  vices  les  plus  communs,  des 
abus  ou  des  désordres  principaux  et  la  pratique  des  vertus  les  plus 
négligées  ;  et  l'on  ne  doit  pas  craindre  d'insister  sur  ce  point  avec  une 
sorte  d'importunilé,  parce  que  les  remèdes  doivent  se  continuer 
aussi  longtemps  que  dure  la  maladie:  c'est  ainsi  que  le  pratiquaient 
les  Pères.  Saint  Ambroise  a  fait  plusieurs  discours  de  suite  contre 
l'usure  ;  saint  Chrysostome  ne  se  lassait  point  d'invectiver  contre  la 
colère  et  d'exhorter  à  l'aumône*;  saint  Augustin  poursuivait  les 
abus  tant  qu'il  en  restait  un  seul  vestige.  Mais  pour  ne  pas  indisposer 
les  auditeurs  par  des  redites  ennuyeuses,  il  faut  diversifier  l'entrée, 
le  tour,  les  détails  et  la  conclusion  de  son  discours,  de  telle  sorte 
qu'il  paraisse  toujours  queUpie  chose  de  nouveau,  quoique  le  fond 
soit  le  même.  II  est  essentiel  que  les  auditeurs  ne  puissent  pas  dire  ni 

*  Voyez  on  particulier  son  homélie  xv,  sur  l'Épître  aux  Romains,  vrai  chef- 
d'œuvre. 


DES  AVIS.  595 

même  penser  que  tous  les  dimanches  on  leur  répète  la  même  chose. 

S**  Quant  à  la  manière  de  faire  le  prône,  on  ne  requiert  ni  texte, 
ni  exorde,  ni  préambule  :  on  aborde  tout  simplement  son  sujet  après 
la  lecture  de  l'Évangile;  les  divisions  peuvent  y  être  tolérées,  mais 
n'y  sont  point  nécessaires.  Les  raisonnements  élevés  y  seraient  dé- 
placés :  il  ne  faut  que  des  preuves  simples,  mais  cependant  toujours 
solides,  beaucoup  de  comparaisons  et  d'exemples  :  les  grands  mou- 
vements oratoires  n'y  sont  pas  de  mise  :  il  faut,  en  leur  place,  des 
explications  claires,  des  exhortations  pressantes  à  se  corriger,  des 
détails  de  mœurs  dans  lesquels  chacun  se  reconnaisse  ;  il  ne  faut  ni 
un  style  négligé  et  trivial,  ni  un  style  recherché  et  magnifique,  mais 
un  style  coulant,  naturel,  qui  rende  la  vérité  si  clairement,  que  les 
plus  ignorants  ne  puissent  pas  ne  point  la  comprendre,  et  une  élo- 
quence tout  à  fait  populaire,  quoique  toujours  digne  de  la  majesté 
de  la  chaire.  On  termine  le  prône  en  indiquant  certaines  pratiques 
de  piété,  certains  actes  de  vertu  pour  la  sanctification  de  la  semaine 
et  en  invitant  les  auditeurs  à  réfléchir  souvent  d'un  Dimanche  à 
l'autre  sur  le  sujet  traité  et  à  s'en  rendre  compte  en  famille.  Le 
prône  est  comme  la  nourriture  distribuée  au  troupeau  pour  toute  la 
semaine,  afin  que  celui-ci  la  rumine  et  s'en  alimente  chaque  jour. 
Le  pasteur  doit  ensuite,  dans  les  visites  qu'il  a  occasion  de  faire,  s'as- 
surer par  des  interrogations  discrètes  si  on  l'a  bien  compris,  et  si 
l'on  a  été  fidèle  aux  pratiques  indiquées. 

Les  meilleurs  prônes  que  nous  ayons  sont  ceux  de  Lambert,  do 
.loly,  de  Henry,  de  Billot,  de  Guillet,  les  instructions  de  Toul  et  les 
quatre  années  pastorales  de  Badoire.  Ce  dernier  ouvrage,  publié  par 
M.  Mignc  en  1  vol.  m-4%  contient,  pour  tous  les  dimanches  et  fêtes, 
deux  ou  trois  instructions  courtes,  solides,  nourries  d'Écriture 
sainte,  semées  de  détails  pratiques  ;  on  y  trouve  l'ordre,  la  clarté  et 
un  langage  plein  de  foi  et  de  piété.    ç>ît/.  â«4^    S/-';C-y  ./  ClJ^^  yj 


CHAPITRE  V 

Des  Avis*. 

Des  avis  judicieux,  donnés  avec  zèle  et  à  propos  par  un  pasteur 
attentif  à  profiter  de  tout  pour  le  salut  de  ses  paroissiens,  sont  \\\\ 
*  Voyez  Métliotlc  de  Besançon,  t.  II. 


306  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

puissant  moyon  de  faire  le  bien.  Ils  produisent  souvent  plus  d'impres- 
sion que  les  sermons  et  les  prônes;  on  les  écoute  avec  plus  d'atten- 
tion, on  en  est  plus  touché,  on  les  retient  mieux  et  l'on  aime  à  s'en 
entretenir  liors  de  l'église  et  dans  la  famille.  Tous  ces  avantages  font 
qu'ils  peuvent  tenir  lieu  du  prône  quand  ils  ont  duré  un  certain 
temps;  et  alors  on  peut  les  conclure  en  disant  que,  pour  ne  pas 
retenir  trop  longtemps  les  auditeurs,  on  se  bornera  ce  jour-là  à  quel- 
ques courtes  réflexions  sur  l'Évangile. 

Pour  que  les  avis  produisent  ces  heureux  fruits,  il  faut,  avant  de 
les  donner,  y  bien  réfléchir  et  se  demander  :  1"  si  la  chose  en  vaut 
la  peine:  car  un  avis  donné  sur  des  minuties  est  tourné  en  ridicule; 
2"  s'il  y  a  lieu  d'espérer  que  cet  avis  sera  bien  reçu  :  car  s'il  n'y  a 
pas  de  fruit  à  en  attendre,  il  vaut  mieux  se  taire  ;  5°  comment  on 
mesurera  ses  expressions  pour  que  l'avis  soit  juste,  exact  et  clair: 
car  si  l'avis  manque  de  justesse  et  d'exactitude,  on  ne  songera  qu'à 
le  critiquer;  et  s'il  manque  de  clarté,  on  ne  le  comprendra  pas,  on 
le  dénaturera,  et  il  en  résultera  plus  de  mal  que  de  bien  ;  A"  enfin, 
comment,  si  nous  étions  à  la  place  des  auditeurs,  il  faudrait  nous 
parler,  pour  que  nous  reçussions  cet  avis  avec  plaisir  et  fruit.  Celte 
question,  pour  peu  que  nous  connaissions  les  mœurs  et  la  conduite 
des  gens  du  monde,  nous  apprendra  à  accompagner  toutes  nos  pa- 
roles de  ce  tact  et  de  cette  prudence  qui  les  feront  toujours  bien  re- 
cevoir, comme  nous  l'avons  observé  ailleurs.  Telles  sont  les  quatre 
questions  qu'il  faut  se  faire  à  soi-même  avant  de  donner  un  avis  ;  et 
de  là  nous  pouvons  tirer  une  conclusion  de  la  plus  haute  impor- 
tance: c'est  qu'il  ne  faut  jamais  donner  d'avis  dans  un  premier  mo- 
ment d'émotion,  mais  attendre  toujours  le  calme  et  la  maturité  de 
la  réflexion. 

Après  avoir  bien  réfléchi  sur  les  avis  qu'on  a  à  donner  et  bien 
prié  Dieu  de  les  bénir,  on  peut  monter  en  chaire  et  parler  avec  con- 
fiance. On  commence  par  demander  avec  autorité  et  bonté  l'atten- 
tion des  auditeurs,  leur  disant  par  exemple  :  «  J'ai  quelques  avis 
«  irnportanis  à  vous  donner  ;  je  vous  prie  de  les  écouter  avec  grande 
«  attention,  de  les  recevoir  avec  docilité,  comme  je  vous  les  donne 
«  avec  affection  et  dans  vos  plus  chers  intérêts,  d'en  faire  part  à 
«  ceux  qui  ne  sont  pas  à  l'église,  etc.  J'ai  la  confiance  que  vous  en 
«  profiterez,  etc..  »  Après  ce  préambule  ou  un  autre  semblable, 
on  dit  ce  qu'on  a  à  dire,  mais  sans  trop  l'étendre:  la  prolixité  en 
diminuerait  la  force;  ni  sans  trop  l'abréger:  on  n'aurait  pas  le  temps 
de  faire  impression.  On  l'appuie  de  raisons  solides,  sans  y  mêler  ni 


DES  AVIS.  397 

reproches,  ni  paroles  piquantes  qui  sentent  l'humeur,  ni  menaces, 
ni  invectives,  et  l'on  s'atîache  à  rappeler  aux  auditeurs  ce  qu'ils 
doivent  à  Dieu,  au  public,  à  eux-mêmes  ;  on  les  excite  par  la  vue 
de  la  récompense,  on  les  effraye  par  la  pensée  de  la  mort,  du  ju- 
gement, de  l'enfer,  présentée  avec  bonté,  en  tempérant  toujours  ce 
que  le  reproche  a  d'amer  par  la  douceur  et  la  tendresse  de  la  cha- 
rité. 

Lorsque  l'avis  a  été  goûté  et  suivi  de  son  effet,  il  faut  en  féliciter 
les  auditeurs,  leur  témoigner  son  contentement  et  sa  grande  con- 
solation: ces  paroles  d'encouragement  leur  font  plaisir,  les  disposent 
à  la  docilité  pour  une  autre  fois,  et  resserrent  les  liens  entre  le  pas- 
teur et  le  troupeau.  Si,  au  contraire,  l'avis  n"a  pas  réussi,  il  faut, 
après  beaucoup  de  prières  adressées  à  Dieu,  le  réitérer  avec  patience 
et  douceur,  à  la  première  occasion  favorable;  le  rappeler  en  parti- 
culier au  saint  tribunal,  dans  les  visites,  dans  les  conversations,  et 
prouver  ainsi  qu'on  ne  perd  pas  de  vue  le  bien  entrepris,  qu'on  le 
poursuit  avec  modération,  mais  avec  constance. 

Il  ne  faut  jamais  donner  d'avis  ,  ni  pour  ses  intérêts  personnels, 
ni  sur  des  matières  qui  pourraient  tourner  à  la  diffamation  de  quel- 
que personne  en  particuher,  ni  contre  des  désordres  secrets  dont  la 
révélation  serait  un  scandale  ou  donnerait  lieu  à  des  jugements  ou 
soupçons  téméraires  ;  ni  pour  censurer  tout  ce  qu'on  a  appris  s'être 
passé  de  peu  régulier  dans  la  semaine,  soit  entre  particuliers,  soit  dans 
le  secret  des  familles.  Quand  même  le  scandale  serait  public,  ce  n'est 
pas  toujours  une  raison  d'en  parler  publiquement.  Il  faut  voir  aupa- 
ravant si  un  pareil  remède  n'aigrira  pas  au  lieu  de  coriiger  ;  et  sup- 
posé qu'on  croie  prudent  d'en  venir  là,  il  faut  se  défier  delà  vivacité 
et  de  l'indignation  du  zèle  qui  pourraient  laisser  échapper  quelque 
parole  imprudente,  exagérer  le  mal  et  parler  avec  humeur:  c'est  le 
cas  de  préparer,  aux  pieds  du  crucifix  ou  de  l'autel,  ce  qu'il  convient 
de  dire,  et  encore  alors  serait-il  bon  de  prendre  conseil  d'un  con- 
frère sage  et  expéiimenté. 

Les  avis  ne  doivent  pas  être  trop  fréquents,  assueta  vilescunt;  et, 
pour  les  donner,  il  faut  choisir  les  temps  convenables,  c'est-à-dire  le 
temps  où  il  est  probable  qu'on  les  recevra  le  mieux  ;  le  temps  où 
l'on  peut  les  mettre  en  prati(iue  hic  et  mine  ;  enfin  les  occasions  qui 
y  prêtent,  par  exemple  une  mort  subite,  une  maladie  contagieuse, 
un  temps  d'afflictions  ou  de  calamités,  le  nouvel  an,  l'approche  du 
carnaval,  l'ouverture  du  carême  et  du  temiis  pascal,  lo.  dimanche  des 
Rameaux  pour  instruire  sur  la  semaine  sainte,  les  dimanches  d'a\ant 


r.VS  TRAITE  DE  I-A  PUEIMCATION. 

los  Roirnlions  cl  la  FiMe-Dieu,  l'ôpoqiie  des  foins,  dos  moissons  et 
des  V(Mid:inL;(\s  ,  rentrée  de  Tliivor  ponr  prévenir  les  dangers  des 
soirées,  (pielqne  grande  sdieiniité,  la  fêle  du  jialroii  ou  d'un  autre 
saint  dont  on  citera  quchpies  traits  touchants.  On  trouveiM  tous  ces 
avis  dans  1m  .Vélliode  de  iiesanyon  et  dans  la  Théologie  de  Sœlller, 
t.  V,  p.  i;ic». 


CHAPITRE  YI 

B5«>«*   Conférences  *. 


La  conférence  est  une  instruction  dans  laquelle  un  ecclésiastique 
propose  au  prédicateur  des  questions  sur  la  religion,  et  celui-ci  y 
répond.  Cette  manière  d'enseigner,  qui  nous  vient  de  la  nature,  a 
été  usitée  dés  les  premiers  siècles-.  Les  évoques  interrogeaient  le 
peuple  et  en  étaient  interrogés  ;  les  religieux  surtout  en  faisaient  un 
fréquent  usage,  comme  on  le  voit  parles  écrits  de  Cassien  et  de  saint 
Basile.  Aujourd'hui  les  conférences  sont  moins  en  vogue;  mais  ce- 
pendant leur  utilité  est  incontestable  :  le  peuple  y  accourt  avec 
plaisir,  les  entend  avec  charme,  les  suit  avec  d'autant  plus  de  faci- 
lité que  les  demandes  qui  entrecoupent  l'instruclion  réveillent  son 
intérêt  et  soutiennent  son  attention.  Elles  donnent  lieu  d'expliquer 
la  doctrine  d'une  manière  familière  et  à  la  portée  de  tout  le  monde, 
de  développer  les  vérités  pratiques  et  de  descendre  à  des  détails  qui 
n'ii-aieut  que  difficilement  dans  un  autre  genre  d'instiuclion,  d'ou- 
vrir les  yeux  aux  pécheurs  sur  les  vices  de  leurs  confessions,  sur  des 
obligations  de  restituer  ou  de  réconcilier  qu'ils  se  dissimulaient  à 
eux-mêmes,  et  d'instruire  tous  les  fidèles  sur  des  points  importants 
auxfpu.'ls  ils  n'avaient  jamais  pensé.  Elles  ont  encore  un  aulre  avan- 
tage, elles  servent  même  à  toucher  les  pécheurs  et  à  les  convertir, 
parce  qu'on  y  fait  venir  à  son  gré  l'occasion  de  parler  avec  force  et 
chaleur  des  grandes  vérités  de  la  religion  et  des  fins  dernières.  Enfin, 
elles  sont  utiles  pour  varier  le  mode  d'instruction  et  ôter  le  dégoût 
de  ce  qui  est  toujours  le  même. 

*  Voyez  rnstoral  do  I.iumjjcs,  t.  II,  IP  parlic,  t.  II,  c.  i.\.  —  -  Hiclitmiiaire  ae 
Trévoux,  art.  lloiuclic. 


DES  CONFÉRENCES.  399 

Les  conférences  ont  leurs  règles,  comme  tous  les  autres  genres  de 
prédication  ;  et  si  l'on  n'y  était  fidèle,  elles  tourneraient  au  déi^hon- 
neur  de  la  parole  de  Dieu,  au  détriment  de  la  religion  et  à  la  perte 
des  âmes. 

1°  Il  faut  s'y  interdire  la  plaisanterie,  les  expressions  puériles, 
basses  ou  qui  portent  à  rire.  Le  caractère  de  la  chaire  doit  être  tou- 
jours grave  et  sérieux;  la  plaisanterie  doit  en  être  bannie  ;  elle  ôte- 
rait  au  prédicateur  l'autorité  et  l'onction,  à  l'auditeur  le  recueille- 
ment et  la  piété.  Ce  n'est  pas  qu'on  ne  puisse  rabattre  quelque  chose 
de  la  gravité  du  sermon  à  raison  des  détails  où  il  est  bon  d'entrer , 
mais  ces  détails  doivent  toujours  être  accompagnés  de  réserve  et 
tendre  à  l'édification. 

2°  Il  ne  faut  pas  y  proposer  certaines  objections  contre  la  religion 
qu'il  serait  dangereux  de  développer  au  peuple,  soit  parce  qu'il  ne 
serait  pas  en  élat  d'en  saisir  la  réfutation,  soit  parce  que,  très-atten- 
tif à  l'objection,  il  pourrait  être  distrait  à  la  réponse,  et  ne  rem- 
porter de  la  conférence  qu'une  arme  contre  la  religion,  une  ten- 
tation pour  la  foi.  Les  matières  les  plus  propres  aux  conférences 
sont  les  préceptes  que  la  cupidité  oppose  au  devoir,  tout  le  détail  du 
Dôcalogue  et  spécialement  les  matières  de  justice,  de  restitution  et 
de  contrats,  toutes  les  parties  du  sacrement  de  pénitence,  les  actions 
ordinaires  de  la  journée,  et  enfin  les  questions  morales  ou  cas  de 
conscience. 

5°  Le  prédicateur  qui  ouvre  la  conférence  doit  commencer  par  un 
texte  de  l'Écriture  sainte,  relatif  aux  questions  qu'il  veut  traiter,  le 
développer  comme  dans  les  exordes  ordinaires,  de  manière  à  ame- 
ner le  sujet,  à  moins  que  la  conférence  ne  fit  suite  à  d'autres  confé- 
rences antérieures  ;  dans  lequel  cas  il  se  bornerait  h  reprendre  en 
peu  de  mots  ce  qui  aurait  été  dit,  pour  lier  l'instruction  dernière 
avec  la  présente.  11  propose  ensuite  son  sujet,  en  fait  sentir  l'utilité 
et  l'impoi tance,  afin  d'exciter  l'attention,  et  le  divise  en  deux  ou 
trois  questions  principales;  par  exemple,  s'il  traite  la  confession 
générale,  il  annonce  qu'il  examinera  si  elle  est  utile  à  tout  le 
monde;  si  elle  est  nécessaire  à  plusieurs;  si  elle  n'est  impossible  à 
personne.  —  Après  cet  cxorde,  il  dit  quelques  mots  pour  entrer  en 
maliéic,  puis  annonce  que  pour  mieux  éelaircir  la  chose,  il  va  prier 
son  interlocuteur  de  lui  adresser  en  toute  libellé  des  questions  sur 
ce  sujet.  Alors  commence  le  dialogue,  et  voici  les  devoirs  de  l'inter- 
locuteur :  1"  Il  ne  doit  proposer  que  les  demandes  convenues  aupa- 
ravant ;  en  agir  autrement,  ce  serait  exposer  la  vérité  à  être  mal 


400  TRAITK  DE  L\  PRËDICATJON. 

di''ftMi(]iio.  '•2"  Il  no  doit  point  se  bornera  des  demandes  conrtcs  et 
sèches,  mais  résumer,  en  l'approuvant,  ce  qu'a  dit  le  prédicateur 
dans  l'exorde  ou  la  réi)onse,  et  mettre  ensuite  sa  demande  dans  tout 
son  jour  pour  qu'on  puisse  mieux  saisir  la  réponse.  3"  Il  doit  pro- 
poser SCS  demandes  autant  que  possible  par  forme  de  cas  de  con- 
science on  de  la  manière  que  les  auditeurs  les  proposeraient  en  sa 
place,  de  sorte  que,  contents  de  voir  faire  ces  questions,  ils  en  at- 
tendent la  solution  avec  avidité.  A"  Il  doit  manifester  et  reproduire 
souvent  le  désir  de  s'instruire,  de  connaître  la  vérité  et  de  la  mettre 
en  pratique,  et  après  une  réponse,  dire  qu'il  l'a  bien  comprise,  la 
réiiéter  brièvement,  s'avouer  vaincu  en  louant  l'érudition  du  prédi- 
cateur, sa  clarté  dans  l'exposé,  sa  solidité  dans  les  preuves,  le  re- 
mercier de  sa  jiatience  pour  l'instruire,  et  exprimer  les  bons  senti- 
ments et  les  résolutions  que  lui  a  inspirés  l'instruction,  selon  qu'il 
présume  que  les  auditeurs  sont  affectés.  5°  11  doit  ne  faire  ces  ques- 
tions qu'à  propos,  selon  qu'elles  sont  amenées  par  le  sujet,  et  les 
lier  entre  elles,  de  sorte  (jue  l'une  conduise  à  l'autre,  et  qu'ensemble 
elles  fassent  un  tout  ou  un  sermon  suivi.  0°  11  lui  est  permis  d'assai- 
sonner ses  demandes  de  quelques  traits  d'esprit,  afin  de  réveiller 
l'attention  des  assistants,  qui  s'attendent  à  trouver  dans  le  rôle  de 
l'interlocuteur  de  quoi  piquer  leur  curiosité.  —  Maintenant,  voici 
les  devoirs  du  prédicateur  conférencier  :  1'^  11  doit  répéter  exacte- 
ment la  question  proposée,  et  l'expliquer  aux  auditeurs  s'il  présume 
qu'ils  ne  l'aient  pas  bien  comprise;  il  donne  ensuite  sa  réponse, 
mais  une  réponse  toujours  claire,  victorieuse  et  péremptoire  :  il 
vaudrait  mille  lois  mieux  ne  pas  se  faire  proposer  une  question  que 
de  la  rèsoudi'e  imparfaitement.  11  explique  celle  réponse  avec  beau- 
coup de  netlelé  et  de  précision,  la  piouve  par  l'Ecriture  elles  Pères, 
la  raison,  les  similitudes  et  les  exemples;  il  y  joint  de  saintes  affec- 
tions et  de  pieux  mouvements,  mais  des  mouvements  vifs  et  conçus 
en  peu  de  paroles:  une  courte  morale,  pressée  avec  solidité  et  force, 
fait  souv(  lU  alors  plus  d'impression  que  les  plus  beaux  sermons. 
2"  La  réponse  terminée,  il  demande  à  son  interlocuteur  s'il  a  bien 
compris,  loue  son  intelligence  et  l'encourage  à  faire  de  nouvelles 
questions.  7)°  Il  répond  toujours  dans  un  style  soutenu,  moins  fami- 
lier que  le  calèchisirie,  moins  élevé  que  le  sermon,  jamais  négligé. 
A"  Pour  conclusion  de  la  conférence,  il  recueille  des  questions  trai- 
tées qiu'lques  pialiques  chrétiennes,  en  démontre  l'obligation  aux 
fidèles,  les  invite  à  rentrer  en  eux-mêmes  pourvoir  comment  ils  s'en 
sont  acquittés,  les  exhorte  à  mieux   faire  désormais,  et  leur  en 


DES  ALLOCUTIONS.  401 

inspire  le  ferme-propos  dans  une   péroraison    vive    et  animée. 

¥  Il  ne  faut  pas  faire  un  usage  habituel  des  conférences  :  trop 
fréquentes,  elles  n'exciteraient  plus  l'intérêt.  Il  faut  les  réserver  pour 
certains  temps,  comme  le  jubilé,  une  mission,  une  retraite,  le  ca- 
rême. On  les  fait  ordinairement  à  vêpres  ;  ou,  quand  il  y  a  trois  ser- 
mons dans  un  jour,  on  met  la  conférence  entre  deux. 

Les  meilleures  conférences  sont:  1"  les  conférences  de  Chevassu, 
en  k  volumes,  sur  le  symbole,  les  sacrements  et  les  commande- 
ments: 2"  les  conférences  du  P.  Daniel  de  Paris,  capucin,  sur  l'orai- 
son dominicale,  les  sacrements  et  les  commandements. 


CHAPITRE  YIl 


Toutes  les  allocutions  ont  ceci  de  commun,  qu'il  n'y  faut  ni  exorde, 
ni  division,  ni  péroraison  ;  qu'elles  ne  souffrent  ni  longs  raisonne- 
ments, ni  grandes  périodes,  ni  mouvements  violents,  ni  figures 
véhémentes  et  vives  apostrophes  :  le  temps  qu'elles  durent  est  trop 
court  pour  qu'il  y  ait  place  à  toutes  ces  choses.  Mais  chacune  d'elles, 
selon  son  objet,  doit  avoir  un  genre  spécial  et  une  couleur  parti- 
cuhère. 

1°  Si  elle  a  pour  objet  de  complimenter  un  évêque  à  son  entrée 
dans  l'église  de  la  paroisse  qu'il  visite,  le  style  doit  être  soigné, poli, 
gracieux,  délicat,  toutefois  sans  affccLation;  le  discours  doit  être 
court,  il  faut  se  borner  à  un  petit  nombre  d'idées  vives  et  frap- 
pantes :  la  louange  doit  être  ménagée,  soit  parce  qu'il  n'est  rien  de 
si  difficile  que  de  louer  comme  il  faut,  et  que  la  louange  maladroite 
est  du  plus  mauvais  goût,  soil  parce  qu'on  doit  craindre  d'olfenser 
la  modestie  ou  d'éveiller  la  critique.  Le  fond  du  discours  doit  con- 
tenir :  1°  l'expression  de  la  joie  que  tous  éprouvent  en  recevant  un 
père  vénéré  ,  le  représcnlant  de  Jésus-Christ  dans  le  diocèse,  le 
dispensateur  des  grâces  allachées  au  caractère  de  successeur  des 
apôtres  ;  2»  l'exposé  de  l'état  religieux  de  la  paroisse  et  de  la  ma- 
nière édifiante  dont  on  s'est  pré[)aré  :i  recevoir  la  visite  du  itremier 
pasteur  ;  o"  l'insinualion  des  abus  à  coriiger,  du  mal  à  réformer, 

26 


402  TRAITÉ  DE  L.\  PRÉDICATION. 

mais  présentée  avec  une  adresse  qui  ménage  toutes  les  suscoptibi- 
lités  et  ne  puisse  offenser  personne.  —  Si,  au  lieu  de  l'évêque  diocé- 
sain, on  avait  à  complimenter  quelque  grand  personnage,  il  faudrait 
ennoblir  l'éloge  en  l'associant  avec  courage  et  prudence  à  quelque 
grande  et  utile  vérité,  faire  sortir  l'instruction  de  la  louange  elle- 
même,  et  être  court  pour  éviter  de  se  perdre  dans  des  généralités  ou 
des  louanges  déplacées. 

2°  Si  l'allocution  a  pour  objet  d'exhorter  les  fidèles  à  entrer  dans 
les  dispositions  que  requiert  une  cérémonie,  la  célébration  d'une 
fête,  la  réception  d'un  sacrement,  ou  de  les  porter  à  bien  rejnplir 
quelque  devoir,  à  prendre  part  à  quelque  bonne  oeuvre,  il  faut  parler 
au  cœur,  dire  peu  et  bien  :  ce  doit  être  le  langage  d'un  père  à  ses 
enfants,  langage  tendre,  vif  et  animé,  facile  et  naturel,  plein  de  force 
et  d'onction.  Le  fond  du  discours  doit  contenir:  1°  l'exposé  des 
motifs  qui  démontre  la  nécessité,  l'importance  et  les  avantages  de  la 
chose  qu'on  recommande  ;  2°  l'indication  des  moyens  ou  de  la  ma- 
nière de  la  bien  faire. 

5°  Si  l'allocution  a  pour  objet  de  féliciter  ses  auditeurs  de  quelque 
bonne  œuvre,  de  quelque  acte  de  vertu  ou  de  religion,  il  faut  y 
mettre  beaucoup  d'âme,  de  chaleur,  d'épanchement  de  cœur  et  une 
sorte  d'enthousiasme.  On  doit,  1°  les  louer  du  bien  qu'ils  ont  fait  : 
«  Honneur  à  ces  homnies  de  cœur  et  de  courage,  qui  osent  se  mon- 
«  trer  hautement  chrétiens  !  La  religion  les  bénit,  le  ciel  leur  ap- 
«  plaudil.  Dieu  les  récompensera.  »  On  doit,  2°  tirer  des  motifs  d'es- 
pérance d'un  bien  plus  grand  encore  qu'on  attend  d'eux  et  de  toute 
la  paroisse  encouragée  par  un  si  bel  exemple. 

4°  Si  l'allocution  a  pour  objet  d'expliquer  ou  de  développer  quel- 
que point  de  la  religion,  comme  une  cérémonie  de  l'Église,  l'examen 
de  conscience,  une  prière,  un  verset  de  cantique,  il  faut  alors  beau- 
coup plus  de  simplicité  et  d'abandon  :  ce  doit  être  comme  une  con- 
versation noble  et  simple,  parfaitement  claire,  abaissée,  quand  il  le 
faut,  aux  détails  les  plus  familiers,  pour  mettre  les  choses  à  la  portée 
de  tous  les  espri!s,  mais  en  même  temps  vive,  animée,  touchante 
selon  le  sujet,  et  par-dessus  tout,  toujours  courte  pour  ne  pas  en- 
nuyer par  des  longueurs. 

5"  Si  l'allocution  a  pour  objet  de  reprendre  et  de  corriger,  il  faut 
appliquer  les  règles  que  nous  avons  données  pour  les  avis. 


DES  LECTURES  PUBLIQUES,  403 

CHAPITRE  YIII 

Des  liCctures  publiques. 

Les  lectures  publiques  sont  un  moyen  d'instruire  et  d'exhorter 
(rès-précieux,  qui  réunit  plusieurs  grands  avantages.  Elles  peuvent 
d'abord  suppléer  à  la  prédication  dans  bien  des  occasions  où  les  tra- 
vaux et  les  sollicitudes  du  ministère,  le  détail  du  gouvernement  et 
les  soins  mêmes  que  demande  le  prône  de  chaque  dimanche  ne 
laissent  pas  le  temps  de  préparer  une  instruction  ou  une  exhortation 
convenable,  par  exemple,  aux  prières  du  soir  pendant  l'avent  et  le 
carême  ;  puis  elles  mettent  de  la  variété  dans  l'instruction,  préviennent 
le  dégoût  qu'engendre  l'habitude  d'entendre  toujours  la  même  per- 
sonne, et  sont  un  remède  à  cette  sorte  d'insensibilité  que  trouve  trop 
souvent  en  nous  une  voix  avec  laquelle  nous  sommes  familiarisés  ; 
enfin  elles  ont  plus  d'autorité  que  les  discours  sur  les  gens  du  peuple  : 
quand  un  pasteur  leur  fait  envisager  que  ce  n'est  pas  lui  qui  con- 
damne tel  abus,  que  c'est  le  livre  même,  et  un  livre  composé  par 
des  hommes  d'esprit  et  de  mérite,  un  livre  approuvé  par  les  évoques, 
cette  considération  frappe  singulièrement  ces  esprits  grossiers,  et  ils 
ne  voient  rien  à  répliquer. 

Mais  pour  que  ces  Lctures  soient  utiles,  il  y  a  plusieurs  règles  â 
observer. 

1°  Il  faut  choisir  des  lectures  claires,  simples,  adaptées  aux  be- 
soins des  auditeurs  et  proportionnées  à  leur  intelUgence.  Pour  cela, 
il  faut  préparer  d'avance  ce  qu'on  doit  lire,  et  omettre,  sans  le  lais- 
ser apercevoir,  ce  qui  ne  convient  pas,  par  exemple  certains  raison- 
nements trop  subtils,  certains  détails  trop  diffus,  certaines  expres- 
sions obscures  ou  un  peu  libres,  certains  développements  bons  pour 
des  riches  et  des  gens  du  grand  monde,  mais  qui  ne  s'appHquent 
pas  à  des  gens  de  la  campagne,  à  des  ouvriers,  des  pauvres  et  autres 
personnes  du  peuple. 

2""  Il  faut  faire  ces  lectures  d'un  Ion  de  voix  naturel,  en  articulant 
bien  distinctement,  en  prononçant  pusément,  gravement  et  avec 
1  intérêt  d'un  honnne  qui  sent  ce  qu'il  lit.  Une  lectiu'e  faite  froide- 
ment et  avec  un  air  d'insouciance  ne  peut  pas  intéresser;  le  cœur 
n'entend  que  le  langage  du  cœur.  11  y  aurait  le  même  inconvénient 


401  trahi;  de  l\  rr.F.mrATioN. 

à  pieiulro  un  ton  |K''ii(.''!r('' (It's  I'oiivcmIuic  du  livre  on  danslcs choses 
([i;i  ir;iui;ii(".it  rien  de  lonclianf.  I.a  sensibilité  .simulée  refroidit  aii- 
taiil  ou  pluscpie  riiis'Msihilité  iiiêiiie. 

7)"  Il  faut  l'aire  rassortir  ce  ([u'il  y  a  de  plus  utile  uu  de  plus  sail- 
lant dans  les  leiiures,  pai-  des  relierions  courtes,  mais  bien  prè- 
s(>ntées,  et  par  des  applications  pratitiues  aux  auditeuis.  Ces  ré- 
flexions et  ces  applications  doivent  avoir  été  prévues;  car  si  on  ne 
disait  (pu^  des  clioses  vagues  et  faiblement  présentées,  ou  ferait  plus 
de  m,il  tpie  de  bien,  on  énerverait  l'effet  de  la  lecture  au  lieu  de  le 
corrolioi'er. 

i'  Il  faut  éviter  I(>s  lectures  trop  longues  qui  fatigueraient  les  audi- 
teurs, et  faiie  en  sorte  (pi'elles  finisseiit  toujours  par  quelque  pensée 
frappante,  quelque  trait  qui  aille  au  cœur.  Quand  on  rencontre  de 
ces  morceaux"  heureux,  il  faut  terminer  là  la  lecture,  dût-elle  être 
beaucoup  moins  longue  ;  mieux  vaut  s'arrêter  que  d'affaiblir,  en 
continuant,  une  salutaire  impression  produite. 

Les  meilleurs  livres  à  lire  sont  l'Instruction  des  pauvres,  par  le 
P.  lluby;  le  Trésor  des  pauvres,  par  madame  le  Prince  de  Ceaumont; 
le  Catéiîhisme  de  Couturier  disposé  en  forme  de  lectures ,  par 
Mgr  Morlot,  archevêque  de  Paris;  les  quatre  Années  pastorales,  par 
lîadoire  ;  les  Pensées  de  Ilumbert,  la  Doctrine  chrétienne  de  Lho- 
mond,  rinstructiou  de  la  jeunesse,  l'Ame  sanctifiée  ou  la  lieligion 
pralifiue,  jtar  Baudî'and. 


CHAPITRE  IX 

B>cs  ,'^3î>»sîons  et  ReiraîJi'.s  '. 


*.\ous  plaçons  ces  deux  exercices  sous  un  même  titre,  parce 

*  qu'une  mission  n'est  qu'une  grande  retraite,  et  que  d'ailleurs  le 

*  nom  de  mission  sonnant  mal  à  Poreillc  de  bien  des  gens  i)révenus, 

*  on  le  déguise  souvent  aujourd'hui  sous  le  nom  de  retraite.  Que  la 

'  Voyez  .'■aint  Litriiori,  rie  VlUUitâ.  des  mmions  et  de  la  rnitahie  manière  de, 
prî'cher  à  l'aposloliquc,  1  vol  iii-12.  Le  mC-iue,  Iiislruclion  pratique  pour  les 
exercices  de  la  mission,  1  vol.  in-l'i. 


DES  MISSIONS  ET  RETRAITES.  405 

*  retraite  proprement  dite  soit  souverainement  importante  pour 

*  retirer  une  âme  du  péché  ou  ranimer  sa  ferveur  si  elle  est  dans  la 

*  justice,  c'est  là  une  vérité  si  rebattue  qu'il  serait  déplacé  autant 

*  que  superflu  d'y  insister;  mais  il  n'en  est  pas  de  môme  des  mis- 

*  sions,  et  ces  saints  exercices  trouvent  des  contradicteurs  jusque 

*  dans  le  sanctuaire  ;  il  est  donc  important  d'en  démontrer  ici  l'im- 

*  mense  utilité.  —  Nous  pouvons  l'établir  par  l'autorité  et  par  la 

*  raison. 

*  Depuis  l'origine  du  christianisme,  il  s'est  toujours  fait  des  mis- 

*  sions  dans  lÉglise  :  les  apôtres  n'étaient  que  des  missionnaires, 

*  leur  nom  seul  le  dit;  et  après  eux,  qui  a  converti  successivement 

*  toutes  les  nations  à  l'Évangile,  qui  les  convertit  encore  aujour- 

*  d'hui,  sinon  des  missionnaires  ?  Qu'ont  voulu  et  qu'ont  fait  depuis 

*  leur  naissance  les  ordres  si  illustres  de  Saint-Dominique  et  de. 

*  Saint- François?  Ils  ne  se  sont  employés,  en  grande  partie,  qu'à 

*  donner  des  missions.  Saint  Vincent  de  Paul  n'a  formé  que  pour 

*  cette  œuvre  une  congrégation  de  prêtres,  comme  l'indique  le  nom 

*  qu'ils  portent,  de  prêtres  de  la  mission.   Saint  Liguori  croyait  ne 

*  pouvoir  jamais  trop  multiplier  les  missions  dans  son  diocèse,  et 

*  les  réitérait  le  plus  possible  dans  toutes  les  paroisses,  sans  excep- 

*  tion.  M.  de" la  Motte,  évêque  d'Amiens,  faisait  de  même;  aidé  des 

*  Jésuites  qu'il  appelait  à  son  secours,  il  y  travaillait  en  personne  ; 

*  et,  l'expérience  lui  démontrant  toujours  de  plus  en  plus  l'cxcel- 

*  ience  de  cette  œuvre,  il  y  consacrait  encore  jusque  dans  tes  der- 

*  nieras  années  tout  ce  que  la  nature  affaiblie  lui  laissait  de  forces. 

*  On  pourrait  joindre  à  ces  illustres  exemples,  saint  François  de 

*  Sales,  Bossuct,  Fénelon,  et  presque  tous  les  évêques  de  la  catlio- 

*  licite  qui  ont  eu  à  cœur  de  faire  donner  dans  leurs  diocèses  les 

*  saints  exercices  de  la  mission.  Or,  quel  prêtre  pourrait  sans  témé- 

*  rite  penser  autrement  que  ces  grands  hommes  et  tous  ces  saints 

*  personnages. 

*  Une  pareille  présomption  serait  d'autant  plus  coupable  que  le 

*  sentiment  de  ces  hommes  éminenls  repose  sur  les  raisons  les  plus 

*  évidenles  :  car,  1"  si  le  jtasleur  ordinaire  peut  entretenir,  par  ses 

*  instructions,  le  bien  qui  existe  dans  sa  paroisse,  il  est   sans  em- 

*  pire  sur  les  pécheurs  qui  ne  vieimenl  point  à  l'église  ;  et  même  il 

*  a  peu  d'influence  pour  convertir  ceux  qui  y  viennent,  ou  pour  ra- 

*  nimer  les   tièdes  (lui  sont   ])aituut  en   si    grand  nombre;,  parce 

*  qu'habitué,  comme  on  l'est,  à  entendre  toujours  sa  voix,  on  y  est 
dev(!nu   insensible;  or,  la  mission  a  l'avantage  de  faire  venir  à 


40  >  TRAITÉ  DE  LA  PHÉDICATION. 

*  réj2;l!se  ceux  qui  n'y  venaient  pas,  défaire  entendre  à  tous  des  voix 

*  étrangères  qu'on  écoule  d'abord  avec  l'intérêt  de  la  curiosité,  et 

*  qui  peu  à  peu  s'emparent  des  âmes  et  les  gagn.-'nt  à  Jésus-Christ. 

*  2°  Il  y  a  dans  les  missions  une  multiplicité  d'instructions  et  d'exer- 

*  cices  qui  fait  au  moins  apprendre  la  religion  à  ceux  qui  l'ignorent  et 

*  réveille  les  consciences  endormies;  il  y  a  une  sorte  d'entraînement 

*  général  qui  emporte  les  volontés  et  détermine  à  fouler  aux  pieds 

*  le  respect  humain,  à  restituer  au  prochain  ce  qui  lui  est  dû,  à  se 

*  réconcilier  avec  ses  ennemis,  enfin,  à  se  convertir  entièrement 

*  et  franchement;  c'est  ce  qu'atteste  une  expérience  journalière. 

*  5"  Il  est  bien  des  fautes  qu'on  n'oserait  jamais  avouer  à  un  prêtre 

*  du  lieu  et  qui  tiennent  ainsi  les  coupables  éloignés  des  sacrements; 

*  il  est  bien  des  confessions  que  le  confesseur  ordinaire  croit  bonnes 

*  et  que  la  honte  de  lui  dire  certains  péchés  rend  sacrilèges  depuis 

*  longues  années  :  or,  dans  une  mission,  tout  cela  se  répare  ;  là,  il 

*  n'y  a  plus  lieu  à  la  mauvaise  honte  ;  on  fait  volontiers  les  aveux  les 

*  plus  pénibles  à  un  prêtre  étranger  dont  on  n'est  point  connu  et 

*  qu'on  ne  i  evcrra  plus.  11  est  donc  vrai  de  dire  que  les  missions 

*  produisent  des  biens  immenses,  soit  pour  l'instruction  des  igno- 

*  rants  et  la  conversion  des  pécheurs,  soit  pour  le  renouvellement 

*  entier  d'une  paroisse. 

*  Mais,   ol)jecte-t-on,  les  missions  ne  produisent  que  des  fruits 

*  éphémères  ;  les  pécheurs,  faute  d'avoir  été  éprouvés,  retombent 

*  aussitôt  après,  et  leurs  confessions  sont  un  travail  à  refaire.  A  cela 

*  nous  répondrons  :  1°  que  ces  fruits,  fussent-ils  éphémères,  sont 

*  d'un  très-grand  prix  ;  ce  n'est  pas  une  petite  chose  d'empêcher  un 

*  grand  nombre  de  péchés  mortels  par  la  suspension  des  mauvaises 

*  habitudes,  au  moins  pendant  quelque  temps,  de  faire  cesser  le 

*  respect  humain,  ne  fût-ce  que  quelques  semaines,  et  d'arrêter  la 

*  prescription  de  l'esprit  irréligieux  qui  tient  tant  d'hommes  éloi- 

*  gnés  de  la  fréquentation  des  sacrements;  2**  toute  mission  produit 

*  des  fruits  qui  ne  sont  point  aussi  éphémères  qu'on  le  dit,  savoir 

*  une  plus  grande  connaissance  de  la  religion,  de  ses  dogmes  et  de 

*  ses  préceptes,  la  réparation  des  confessions  sacrilèges,  et  la  per- 

*  sévérance,   au  moins  de  quelques-uns,  plus  ou  moins  nombreux 

*  en  proportion  du  zèle  qu'apporte  le  pasteur  à  entretenir  les  fruits 

*  de  la  mission.  Quant  à  ceux  qui  ne  persévèrent  pas,   le  souvenir 

*  de  la  mission  et  la  connaissance  plus  grande  qu'ils  ont  acquise  de 

*  la  religion  feront  naître  en   eux  des  remords  que   certaines  cir- 
■*  constances  pourront  plus  tard  rendre  efficaces;  mais,  quoi  qu'il 


DES  MISSIONS  ET  RETRAITES.  407 

*  ea  soit,  on  ne  peut  conclure  de  leurs  rechutes,  ni  qu'ils  aient  reçu 
■*  indignement  l'absolution  ;  le  sacrement  de  pénitence  ne  rend  pas 

*  impeccable  ;  ni  qu'ils  n'aient  pas  été  assez  éprouvés;  l'action  de 

*  la  grâce  qui  touche  les  cœurs  donne  quelquefois  une  garantie  plus 

*  grande  des  bonnes  dispositions  actuelles  du  pénitent  que  la  durée 

*  de  l'épreuve  ;  et  cela  est  vrai  surtout  dans  une  mission  où  il  se 

*  fait  comme  un  ébranlement  général  au  fond  des  âmes.  Là  il  n'est 

*  pas  rare  de  trouver  dans  les  pénitents  des  signes  non  équivoques 

*  d'un  changement  de  cœur  opéré  par  la  grâce,  changement  qui 

*  peut-être  no  sera  pas  durable  dans  un  grand  nombre,  mais  qui 

*  n'en  est  pas  moins  réel  pour  le  moment  présent;  et  c'en  est  assez 

*  pour  la  validité  de  l'absolulion,  qui  dès  lors,  à  moins  de  preuves 

*  du  contraire,  pourra  être  un  point  de  départ  pour  une  nouvelle 

*  confession,  quand  ce  pénitent  retombé  reviendra  à  Dieu. 

Pour  réussir  dans  les  missions  et  les  retraites,  il  est  plusieurs  rè- 
gles à  observer.  Il  faut  :  1"  prier  beaucoup  pour  attirer  les  béné- 
dictions de  Dieu  sur  ses  travaux  :  tout  ce  que  nous  avons  dit  ailleurs 
sur  la  nécessité  de  la  prière  pour  le  succès  de  la  prédication  s'appli- 
que éminemment  ici.  Un  missionnaire  doit  être  par  excellence  un 
homme  de  prière,  à  l'exemple  des  apôlres,  ces  grands  mission- 
naires qui  n'ont  converti  le  monde  qu'à  force  de  prier  et  de  prêcher 
tout  ensemble  :  Nos  vtrb  orationi  et  ministerio  verbi  insUuites 
erimus. 

2°  11  faut  beaucoup  édifier  les  peuples  qu'on  veut  évangéliser.  On 
s'attend  à  trouver  dans  les  missionnaires  des  liommes  de  Dieu,  pleins 
de  foi  et  de  dévouement,  disposés  à  s'immoler,  à  donner  jusqu'à 
la  dernière  goutte  de  leur  sang  pour  la  conversion  dos  pécheurs  : 
si  quelque  chose  en  eux  trompait  celte  attente,  ce  serait  un  scan- 
dale, et  la  mission  serait  mnnquée.  Ils  doivent  donc  donner  partout 
de  saints  exemples,  ne  point  aller  manger  ou  jouer  en  ville,  se 
montrer  toujours  prêts  à  confesser  ceux  qui  se  présentent,  toujours 
modestes,  réservés  et  pieux  dans  leur  conduite,  toujours  courageux 
et  même  joyeux  parmi  les  plus  grandes  fatigues  de  ce  pénible  mi- 
nistère. 

3»  Les  prédications  de  missions  ou  de  retraites  ne  doivent  point 
avoir  pour  objet  des  vérités  isolées,  mais  bien  un  système  complet 
des  grandes  vérités  de  la  religion,  afin  que,  se  soutenant  l'une  par 
l'autre  et  se  prêtant  mutuellement  force,  toutes  ces  instructions,  di- 
rigées vers  un  même  but,  composent  comme  nu  corps  (rarniéebien 
ordonné  et  bien  serré  poXu'  livrer  assaut  au  pécheur  et  vaincre  la  ré- 


408  TR.Vlïi:  DE  L\  IMIKMCATION 

sislnnco  dos  prissions.  On  (:onnii('n(;e  \n\v  exposer  riinportance  de  la 
nn'ssion  ou  de  la  retraite,  et  la  manière  d'en  proliler;  puis  on  Iraile 
l'iinportance  du  saluf,  la  néccssilé  d'une  sincère  conversion  et  en 
quoi  elle  consiste,  le  pèclié,  sa  malice  et  ses  cflels,  les  quatre  tins 
dernières,  les  dispositions  pour  la  confession,  savoir  :  l'examen,  la 
contrition,  le  l'ernie-propos,  rintégritê  de  la  confession  et  la  mau- 
vaise iionte  qui  n'a  pas  le  courage  de  la  iranchise,  la  confession  gé- 
nérale, la  tuile  des  occasions,  le  délai  de  la  conversion  ;  de  là 
passant  aux  vertus  et  aux  vices,  on  traite  l'amour  de  Dieu,  la  charité 
envers  le  prochain,  l'amour  des  ennemis,  le  pardon  des  injures, 
la  restitution,  la  patience  dans  les  croix,  puis  les  vices  les  plus  com- 
muns dans  la  paroisse,  comme  le  jurement,  Tivrognerie,  etc..  On 
traite  ensuite  les  moyens  de  se  soutenir  dans  la  piété,  qui  sont  :  la 
prière,  la  fréquentation  des  sacrements,  la  dévotioii  à  la  sainte 
Vierge  ;  enfin,  on  expose  les  dangers  et  le  crime  de  la  rechute,  les 
moyens  de  la  prévenir  ou  de  la  réparer,  et  l'on  finit  par  la  persé- 
vérance dont  on  expose  l'obligation  et  les  moyens.  Tel  est  à  peu 
pi'ès  le  système  de  prédications  dont  se  compose  une  mission  ou  une 
retraite. 

A"  Quant  à  la  manière  de  traiter  ces  vérités,  il  faut  les  avoir  médi- 
tées et  en  être  fortement  pénétré,  parler  un  langage  que  tout  le 
monde  puisse  bien  comprendre,  être  solide  dans  les  preuves  et  les 
raisons,  fort  et  véhément  dans  les  mouvements.  Le  pathétique  est  de 
mise  dasis  tons  les  discours  de  mission  :  les  grandes  images,  les 
figures  à  effet,  comme  la  supposition,  l'apostrophe,  l'interrogation  à 
laquelle  on  répond  soi-même,  en  un  mot,  tout  ce  qui  peut  réveiller 
Tattcntion,  irapper  l'imagination,  toucher  le  cœur,  trouve  sa  place 
dans  ce  genre  de  discoui's.  On  peut  y  être  simple,  plein  d'abandon, 
moins  soigné  dans  son  style  :  on  }»asse  à  un  missionnaire  bien  des 
négligences  dans  l'expression,  à  raison  de  ses  grands  travaux  et  de 
son  zèle. 

f)"  11  faut  joindre  aux  prédications  divers  exercices  qui  font  ordi- 
nairement, (piand  ils  sont  bien  dirigés,  de  salutaires  impressions  : 
ces  exercices  sont  1"  les  conférences  sur  les  preuves  de  la  religion, 
sur  l'examen  de  conscience,  sur  les  devoirs  d'état,  sur  les  vices  les 
plus  connnuns  dans  la  paroisse  ;  nous  avons  dit  plus  haut  la  manière 
de  les  faire;  2"  le  chant  des  cantiques  avant  le  sermon  ou  la  confé- 
fénMice  :  après  avoir  glosé  un  peu  sur  les  couplets  qui  prêtent  le 
plus  aux  senliments,  on  les  entonne  avec  âme  et  chaleni-,  et  le  peu- 
ple, qui  en  a  bien  saisi  le  sens,  les  reprend  avec  enthousiasme.  Sou- 


DU  CATUCHISME.  409 

vent  ces  cantiques  font  plus  d'olfet  qu'un  sermon,  et  ont  en  outre 
l'avantage  de  fournir  matière  aux  chants  du  peuple  pendant  ses  Ira- 
vaux  et  de  bannir  ainsi  l'usage  des  mauvaises  chansons;  3°  certaines 
cérémonies  d'éclat,  comme  la  réparation  dos  injures  faites  au  Saint- 
Sacrement,  la  rénovation  des  promesses  du  baptême,  la  consécra- 
tion à  la  sainte  Vierge,  la  plantation  de  la  croix  :  tout  cela,  fait  avec 
intelligence  et  goût,  sagesse  et  prudence,  produit  d'heureux  effets 
dans  les  âmes. 

6''  Il  faut  joindre  à  tous  ces  moyens  de  succès  des  avis  donnés  à 
propos:  ainsi,  si  l'on  prêche  une  retraite  dans  une  communauté,  il 
faut  insister  dès  le  principe  et  revenir,  autant  qu'il  est  besoin,  sur 
le  silence  et  la  règle,  deux  moyens  essentiels  pour  les  fruits  de  la 
retraite.  Si  c'est  dans  une  mission,  il  faut  recommander  l'assiduité 
et  la  ponctualité  aux  exercices,  le  recueillement  dans  l'église,  etc.. 
Les  circonstances  font  connaître  les  autres  avis  qu'il  est  plus  utile 
de  donner. 

7"  Un  an  après  la  mission,  il  serait  à  désirer  qu'on  pût  donner  une 
retraite  de  huit  jours  dans  la  paroisse,  pour  ranimer  ceux  qui  se 
relâchent,  rappeler  ceux  qui  dé.h  se  sont  égarés  et  soutenir  les  bons. 
Il  serait  même  très-utile  d'y  prêcher  régulièrement  une  retraite 
annuelle,  et  tous  les  cinq  ans  une  nouvelle  mission  pour  donner  un 
nouvel  élan  à  toutes  les  âmes.  Quiconque  connaît  la  facilité  de 
l'homme  à  se  relâcher  comprendra  l'importance  de  ces  moyens  de 
salut, 

8°  Les  viesdu  P.  Eudes  et  du  P.  Brydaine  et  les  sermons  de  ce  der- 
nier feront  connaître,  mieux  que  nous  pourrions  le  dire,  le  genre 
missionnaire,  ses  movens  et  ses  effets. 


CHAPITIIE  X 

Du  Cutféchisnic 

Nous  voilà  arrivés  à  la  partie  la  plus  essentielle  d(!  notre  cours,  et 
pour  lui  domuT  tous  les  développements  qu'elle  réclame,  nous 
traiterons  :  1"  de  la  définition  du  catéchisme;  2"  de  son  imporlaiice 


410  TRAITÉ  DE  U  PRÉDICATION. 

toute  spéciale;  5°  des  qualités  requises  dans  celui  qui  en  est  chargé; 
i"  de  ce  qu'il  faut  y  enseigner  ;  5°  de  la  pré|)aration  qu'il  exige  ; 
6»  de  la  manière  de  le  faire  ;  7°  des  différentes  espèces  de  caté- 
chisme. 

*  ARTICLE  1". 

*  DE  LA   DÉFINITION   DU   CATÉCHISME. 

*  Le  mot  catéchisme  vient  de  deux  mots  grecs,  zarà  ^/ov,  secun- 

*  dhm  sonum,  et  signifie  instruction  de  vive  voix,  parce  que,  dans 

*  la  primitive  Église,  il  y  avait  une  loi,  dite  la  loi  du  secret,  qui  dé- 

*  fendait  d'écrire  les  instructions  sur  nos  sacrements  et  nos  mys- 

*  tores  de  peur  qu'elles  ne  tombassent  entre  les  mains  des  païens, 

*  qui  en  auraient  abusé.  En  vertu  de  cette  loi,  la  doctrine  chrétienne 

*  ne  se  transmettait  guère  que  par  la  tradition  orale  ;  et  les  inslruc- 

*  lions  aux  catéchumènes  se  faisaient  toutes  de  vive  voix,  jamais  par 

*  écrit,  à  très-peu  d'exceptions  près.  De  là  le  nom  qui  leur  a  été 

*  donné  de  catéchisme  ou  catéchèses.  Le  catéchisme  est  donc  une 

*  instruction  familière  sur  les  éléments  de  la  doctrine  chrétienne, 

*  laquelle  se  fait  ordinairement  par  forme  de  dialogue  entre  le  caté- 

*  chiste  et  ses  auditeurs. 

*  On  appelle   encore  catéchisme   un  livre  qui  contient,  dans  la 

*  forme  la  plus  succincte,  les  vérités  élémentaires  de  la  religion, 

*  disposées  avec  ordre  par  demandes  et  par  réponses,  et  mises,  au- 

*  tant  que  possible,  à  la  portée  des  enfants,  auxquels  on  le  fait  ap- 

*  prendre  par  cœur.  L'usage  d'un  livre  de  ce  genre  pour  l'enseigne- 

*  ment  de  la  religion  remonte  à  environ  trois  cents  ans,  époque  à 

*  laquelle  saint  Ignace  et  ses  disciples  firent  revivre  la  coutume  de 

*  catéchiser  les  enfants.  On  ne  saurait  dire  les  fruits  immenses  qui 

*  on  sont  résultés;  et  quelque  ignorance  qui  règne  parmi  les  chré- 

*  tiens,  elle  n'est  pas  comparable  à  celle  qui  désolait  la  face  de  l'É- 

*  glise  avant  cette  époque. 

*  Mais  maintenant  que  toute  la  doctrine  chrétienne  est  recueillie 

*  dans  un  abrégé  authentique,  que  faut-il  entendre  par  l'expression 

*  [aire  le  catéchisme,  et  quel  est  le  sens  que  l'Éylise  y  attache? 

*  Kst-ce  se  borner  à  faire  apprendre  et  réciter  ce  livre  élémentaire  ? 
■*  Nullement;  et  le  pasteur  qui  l'entendrait  ainsi  aurait  la  plus  fausse 

*  idée  de  son  ministère.  Dans  le  sens  de  l'Église,  faire  le  catéchisme, 

*  c'est  l'expliquer  aux  enfants  et  leur  en  donner  l'intelligence.  Que 
■*  leur  servirait  en  effet  de  savoir  le  catéchisme  par  cœur,  s'ils  ne  le 


DU  GATECIÎISME.  411 

^coniprenaien!  pas?  La  foi  qui  sauve  n  est  pas  un  acte  delà  mémoire, 

*  mais  de  Tcntendement  ;  elle  ne  consiste  pas  à  retenir  des  mots, 

*  mais  à  connaître  et  à  croire  des  doctrines;  et  peut-on  dire  qu'on 

*  croit  une  doctrine  quand  on  ne  s'en  fait  aucune  idée,  et  qu'on  a 

*  seulement  la  mémoire  chargée  de  mois  aussi  peu  compris  que  ceux 
'  d'une  langue  inconnue  ?  Ceux-là  seulement  savent  donc  le  caté- 

*  chisme  d'une  manière  utile  au  salut,  qui  en  comprennent  assez  bien 

*  le  sens  pour  pouvoir  le  traduire  et  le  rendre  exactement  dans  leur 

*  manière  habituelle  de  parler.  Or  un  enfant  ne  peut  arriver  jusque- 

*  là  sans  le  secours  d^un  catéchiste  qui  lui  explique  en  détail  et  les 

*  mots  et  les  choses,  et  qui  ait  la  patience  de  lui  répéter  ces  expli- 

*  cations,  de  les  lui  redire  sous  mille  formes,  jusqu'à  ce  qu'on  se 

*  soit  assuré,  en  l'interrogeant,  qu'il  a  bien  compris.  Car,  quelque 

*  clair  et  simple  que  puisse  être  le  catéchisme,  il  diffère  essentielle- 

*  ment,  dans  ses  expressions  et  ses  tournures,  du  langage  que  par- 

*  lent  les  enfants;  ils  n'y  trouvent  presque  aucun  des  termes  qui 

*  eur  sont  famUi ers,  ou,  s'ils  en  trouvent  quelques-uns,  le  plus  sou- 

*  vent  ils  n'y  donnent  pas  le  même  sens.  D'ailleurs,  en  supposant 

*  qu'ils  comprissent  la  lettre  de  ce  livre  élémentaire,  la  doctrine 

*  s'effacerait  bientôt  de  leur  jeune  et  mobile  intelligence,  si  elle  n'y 

*  était  gravée  par  une  explication  nette  et  frappante,  propre  à  pro- 

*  duire  sur  eux  une  impression  durable.  Faire  le  catéchisme,  ce  n'est 

*  donc  pas  seulement  le  faire  apprendre  et  réciter,  c'est  encore 

*  l'expliquer  et  faire  comprendre. 

*  En  vain  objecterait-on  que  le  catéchisme,  entendu  dans  ce  sens, 

*  serait  une  fonction  impossible,  que  les  enfants  et  les  gens  grossiers, 

*  (jui  sont  en  grand  nombre  parmi  le  peuple,  ne  peuvent  apprendre 

*  que  des  mots,  qu'il  n'y  a  aucun  moyen  de  faire  entrer  dans  leur 

*  âme  des  idées  spirituelles  et  l'intelligence  des  vérités  chrétiennes. 

*  Nous  convenons  sans  peine  que  la  chose  est  souvent  difficile,  qu'elle 

*  demande  beaucoup  d'industrie,  de  patience  et  de  douceur  ;  mais 

*  qu'elle  soit  impossible,  nous  le  nions,  excepté  tout  au  plus  pour 

*  ct'rtains  êtres  slupides  dont  la  raison  est  encore  en  enfance.  Car 

*  quiconque  est  capable  de  pécher  doit  être  capable  d'acquérir  la  foi 

*  sans  laquelle  on  ne  peut  recouvrer  la  justice  perdue  ;  autrement  le 

*  salut  lui  serait  impossible.  Or  c'est  un  fait  incontesté  que  ceux 

*  (|u'on  nous  représente  comme  trop  bornés  pour  coinprendre  le 

*  catéchisme  sont  capables  de  pécher  et  souvent  pèchent  tous  les 

*  jours  en  bien  des  manières,  I)'où  je  conclus,  par  une  conséquence 

*  rigoureuse  qu'ils  sont  capables  d'acquèiir  la  foi;  et,  pai'  une  antre 


412  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  conséquence  qni  dérive  de  la  première,  qu'ils  sont  susceptibles  de 

*  comprendre  le  caléchisme.  El,  en  effet,  qu'on  étudie  de  près  ces 

*  gens  grossiers,  on  verra  qu'ils  ne  sont  point  aussi  dépourvus  d'in- 

*  lelligence  qu'ils  le  paraissent,  qu'ils  savent  bien  supputer  exacte- 

*  ment  ce  qui  leur  est  dû  ou  ce  que  doit  leur  rapporter  telle  entre- 

*  prise,  qu'ils  ont  même  souvent  beaucoup  de  finesse  pour  tromper 
*ceux  avec  qui  ils  trafiquent,  pour  se  procurer  du  profit  ou  s'épar- 

*  gner  de  la  perte.  11  ne  faut  donc  jamais  se  décourager  ni  désespérer 

*  du  sucdès,  mais  se  souvenir  qu'il  y  a  très-peu  d'enfants  ou  d'igno- 

*  raiîts  qui  ne  soient  susceptibles  d'être  solidement  instruits  si  l'on 

*  se  met  à  leur  portée,  et  si  l'on  emploie  les  bonnes  méthodes  que 

*  nous  tâcherons  d'exposer  plus  bas. 

*  De  ces  observations  il  suit  que  si  un  curé  veut  se  décharger  sur 

*  un  autre,  par  exemple,  sur  le  maître  et  la  maiiresse  d'école,  de  la 

*  peine  de  faire  apprendre  le  catéchisme,  il  doit  toujours,  par  lui- 
•*  même  ou  par  quelque  ecclésiastique,  en  donner  l'explication  et  ne 

*  rien  néghger  pour  en  faire  parfaitement  comprendre  le  sens.  C'est 

*  là  une  fonction  essentiellement  sacerdotale,  qu'il  ne  peut  aban- 

*  donner  à  aucun  laïque.  Giézi  eut  beau  appliquer  sur  l'enfant  mort 

*  de  la  Sunaniite  le  bâton  du  prophète,  non  surrexit  puer  :  il  fallut 

*  qu'Elisée  vînt  en  personne,  et  l'enfant  ne  recouvra  la  vie  que  lors- 

*  que  le  prophète,  se  rapetissant  à  sa  taille,  eut  appliqué  sa  bouche 

*  à  sa  bouche,  ses  mains  à  ses  mains,  ses  yeux  à  ses  yeu.K^  Image 

*  touchante  du  prêtre  qui  doit  par  lui-même,  et  non  par  un  minis- 

*  tère  étranger,  donner  comme  une  nouvelle  vie  aux  enfants  en  les 

*  instruisant  et  se  rapetissant  jusqu'à  eux. 

ARTICLE  !2. 

DE    L  IMPOr.TASCE   DU  CATÉCHISME. 

Trois  considérations   nous  feront  sentir  l'importance  des  caté- 
chismes :  1°  leur  excellence;  2"  leur  nécessité;  5"  leurs  avantages. 

*  8    1er. 
"  De  Texcellence  des  catéchismes. 

*  C'est  une  erreur  grossière  de  regarder  la  fonction  de  catéchiste 

*  comme  une  fonction  b^sse,  peu  honorable  et  peu  digne  d'un  homme 

«  IV  Reg.,  IV. 


DU  CATÉCHISME.  415 

*  dotaient  :  rien,  au  contraire,  dans  tout  le  ministère  ecclésiaslique, 

*  de  plus  excellent,  rien  dont  un  prêtre  doive  se  tenir  plus  honoré. 

*  Les  plus  illustres  exemples  et  les  plus  fortes  raisons  nous  en  four- 

*  niront  la  preuve. 

*  Qu'y  a-t-il,  en  effet,  do  plus  excellent  qu'une  fonction  qui  a  été 

*  celle  de  Jésus-Christ  pendant  sa  vie  publique,  celle  des  apôtres  et 

*  de  tous  les  hommes  apostoliques,  celle  des  plus  grands  docteurs 

*  et  des  plus  saints  évêques?  or  telle  a  été  la  fonction  de  catéchiste. 

*  Jésus-Christ  est  descendu  du  ciel  en  terre,  non  pour  faire  des  dis- 

*  cours  oratoires,  mais  pour  faire  des  catéchismes  :  il  a  catéchisé  ses 

*  apôtres,  il  a  catéchisé  les  Juifs,  il  a  catéchisé  les  petits  enfants. 

*  L'Evangile  nous  raconte  comment  il  aimait  à  être  entouré  d'eux,  à 

*  les  serrer  dans  ses  bras  et  à  les  bénir  :  Sinite  panndos  venire  ad 

*  me,  et  ne proliibueritis  eos...  et  complexans eos,  et  nianus  imponens 

*  super  illos,  benedicehat  eis.  Sur  quoi  le  chanceher  Gerson  fait  ce 

*  pieux  commentaire  :  0  piissimc  Jesu,  quis  ultra  post  te  verecunda- 

*  bituresse  Jiumilis  ad  parvulos?  quis  elatus  de  sud  maguitiidijïe  vel 

*  scientiâ,  parvitatem  parvidorum,  ignorantiam  vel  inibecillitatem 

*  audebit  aspernaj-i,  quando  tu  qui  es  Deus  benedictus  in  sxcula,  in 

*  qiio  simt  omnes  thesauri  sapietitix  et  scientix  abscoiiditi,  nsqtiead 

*  castissimos parvuloruni  amplexus  heata  brachia  mansuetus  inclinas 

*  atque  circumtigas ! . . .  eos  sapientias  verbis  exhortabor,  ut,  si  quis 

*  jMrvuhis  est,  veniat  ad  me.  Les  apôtres,  à  l'exemple  de  leur  ado- 

*  rable  Maître,    ont  catéchisé  l'univers.   Car,  s'ils   ont  converti  le 
■*  monde,  ce  n'a  pas  été  par  de  grands  discours,  non  in  sublimitate 

*  serynonis,  non  in  persuasibilibus  iLumanx  sapientix  verbis,  mais 
■*  par  des  catéchismes  sur  les  éléments  de  la  religion  nouvelle  qu'ils 

*  prêchaient  ;  ils  se  rapetissaient  au  milieu  des  peuples  pour  leur 

*  expliquer  ces  leçons  élémentaires,  ainsi  qu'à  de  petits  enfants  : 

*  Facti  sumus  pa7vuli  in  medio  veslrûni  tanqnùm  si  niitrix  forent 

*  [ilios  sucs.  A  l'exemple  des  apôtres,  les  plus  beaux  génies  et  les 

*  plus  grands  évoques  se  sont  fait  honneur  de  la  fonction  de  caté- 

*  chistes  :  saint  Cyrille  de  Jérusalem,  saint  Grégoire  de  Nysse,  saint 

*  Augu^-lin,  ont,  non-seulement  fait  le  catéchisme,  mais  écrit  sur  ce 

*  ministère  des  ouvrages  remarquables.  Saint  Jérôme,  jusque  dans 

*  sa  dernière  vieillesse,  s'offre  à  enseigner  le  catéchisme  au  fils  de 

*  LaHa,  datn(!  romaine  :  Ipse  me  magislnnn  spondeo,  dit-il,  et  baihn- 

*  tientia  senex  verba  forjnabo.  Ou  peut  même  dire  que  pendant  bien 

*  des  siècles  l'enseignement  par  forme  de  catéchisme  fut  la  manière 
■*  d'instruire  qu'employaien't  ordinairement  et  les  évoques  cl  les  pas- 


414  TIlAIli:  Iti:  TA  l'ni'.DIC.VTION. 

*  leurs.  Dans  dos  lenips  pins  rapprochés  de  nous,  nous  voyous  saint 

*  Ignace  appeler  autour  de  lui  des  troupes  d'oul'ants  pour  leur  onsoi- 
*p:nor  le  calérhisuie;  et  connue  pour  l'en  détourner  on  lui  disait 

*  (ju'ils  Ut'  viendraient  pas   renlendre  :  «  Ouand  il  n'en  viendrait 

*  (pi'nu,  ré|)ondit-d,  ce  serait  toujours  un  assez  taraud  auditoire.  » 

*  i\ous  lo  voyons,  lorsqu'il  fut  nommé  général  de  sa  compagnie,  com- 

*  mcnccr  l'exercice  de  sa  charge  par  aller  faire  le  catéchisme  dans 

*  une  église  de  lîome  pendant  quarante-six  jours,  et  s'obliger  par 

*  vani,  ainsi  (|iu'  ses  compagnons,  à  cet  important  ministère.  iNous 

*  vovoiis  sain!  Vincent  Feirier,  saint  François  Xavier,  saint  François 

*  Régis,  parcourir  les  provinces  et  les  royaumes  en  y  expliquant  le 

*  catéchisme,  le  cardinal  Dellarmin  renq)l!r  lui-même  cette  fonction 

*  dans  sa  métropole   de  Capoue  et  dans  les  autres  paroisses  de  son 

*  diocèse,  où  il   allait  mémo  souvent  tout  exprés;  nous  voyons  Clé- 

*  ment  XI  s'arréler  dans  les  rues  de  Rome  pour  interroger  sur  le 

*  catécl'.isme   les  enfaals   qu'il  y  rencontrait  et  distribuer  des  mé- 

*  dailles  on  des  chapelets  à  ceux  qui  avaient  le  mieux  répondu;  saint 

*  François  de  Sales  enfin  faire  ses  délices  de  catéchiser  les  enfants 

*  tous  les  dimanches ^  et,  quand  des  occupations  indispensables 

*  l'en  empêchaient,  ne  vouloir  se  décharger  de  cette  fonction  que 

*  sur  les  dignitaires  de  sa  cathédrale  ou  les  personnes  les  plus  ca- 
*pal)les  de  son  clergé.  A  ces  graves  autorités  nous  ajouterons  encore 

*  l'exemple  du  pieux  Gerson.  Ce  grand  docteur,  chancelier  de  l'Uni- 

*  versité  de  Paris,  et  la  plus  éclatante  lumière  de  son  siècle,  jugeant 
"*  l'œuvre  des  caléchismes  plus  excellente  que  l'enseignement  de  la 

*  théologie  dans  la  première  chaire  de  la  capitale,  se  retira  à  Lyon 

*  pour  y  consacrer  le  reste  do  ses  jours  à  catécliiser  les  enfants  ;  et 

*  comme  une  pareille  conduite  lui  attirait  des  crili({ues,  il  composa 

*  pour  son  a|)()log!e  le   traité  De  jiarmdis  ad  Chrislum  trahendis, 

*  qu'on  ne  peut  lire  sans  attendrissement.  Vous  ressemblez,  dit-il  à 

*  ses  censeurs,  aux  disciples  qui  voulaient  éloigner  du  Sauveur  les 

*  petits  enfants,  comme  si  c'était  une  chose  indigne  d'un  si  grand 

*  Maitre  de  ieui'  donner  ses  soins  ;  mais  méditez  bien  ce  que  dit  l'É- 

*  «Cet  aiinaLlc  et  vraiment  bon  père,  »  disent  les  liistoriens  dosa  vie  (le  P.  de 
La  Iîivièi-(%  p.  "(i'2,  cl  Au-usle  de  Sales,  p.  '2."j  cl  'i8i'i,  «  étail  assis  sur  un 
«  h'ôiic  (Mcvè  di'  '|uclqiie  cii;(|  dc.mi's;  imile  l'année  ™i:iMliiie  l'environnait. 
a  c'élait  nn  crmlcnii'inriit  noii]iar{'il  d'ouïr  coniliien  fiimilii'rcMnent  il  exposait  les 
«  rudiments  do  noire  toi:  à  cluuine  projios,  les  riches  comparaisons  lui  nais- 
«  saient  en  la  jjonclie;  il  regardait  son  pelit  monde,  et  son  petit  monde  le  regar- 
«  dail;  il  se  niidail  enl'anl.  avec  eux  jnnu'  i'oi'iiier  en  eux  riiunuiie  intérieur  et 
«  riioinmc  parfait  selon  Jésus-Christ,  u 


DD  CATECHISME.  415 

*  vangile  :  Jésus  en  fut  indigné,  indigné  tulit.  Et,  en  effet,  ajoute  le 

*  pieux  docteur,  je  ne  connais  rien  de  plus  grand  dans  l'Église  de 
■*  Dieu  :  Nescio  pror&îis  an  qiddqnam  majiis  esse  possit  quàm  taies  par- 

*  vulorum  animas  quasi  plantare  aut  rigare,partem  non  indignam 

*  horti  ecdesiastici,  uteis  det  incrementum  Chrishis . .  .porlio  Ecde- 

*  six  non  vilis  est  puerorum  cœtus...  talixmi  est  enim  regnnm  cœlo- 
*riim;  et  comme  on  lui  objectait  qu'il  pourrait  travailler  au  salut 

*  des  âmes  avec  plus  d'éclat  dans  les  prédications  solennelles  ;  Oui, 

*  répondit-il,  je  pourrais  y  travailler  avec  plus  d'éclat,  mais  non  pas 

*  avec  plus  de  fruit,  forte  pomposiîis,  sed  non  efjicaciiis  nequefriic- 

*  tuosiiis:  réponse  bien  digne  de  l'esprit  de  foi  qui  animait  ce  grand 

*  homme.  Conformément  à  ces  beaux  exemples,  de  toutes  parts, 

*  aujourd'hui  comme  dans  les  temps  anciens,  les  pasteurs  les  plus 
*recommandables    se   consacrent   avec  zèle  à  l'œuvre  des  caté- 

*  chismes,  de  sorte  qu'il  est  vrai  de  dire  que  depuis  l'origine  du 

*  christianisme  jusqu'à  nos  jours,  l'amour  de  Jésus-Christ  pour  l'en- 

*  fance  n'a  point  cessé  de  vivre  au  cœur  de  l'Église  et  de  ses  pasteurs  ; 

*  dans   tous  les  siècles,  le  prêtre  qui  a  compris  son  ministère  a 

*  mis  sa  plus  douce  gloire  à  être  l'apôtre  et  le  précepteur  de  l'en- 

*  fance. 

*  Spectacle  touchant,  mais  que  nous  explique  surabondamment  la 

*  raison  éclairée  par  la  foi  :  car,  1"  qui  n'estimerait  honorable  la 

*  fonction  d'instruire  le  fils  d'un  roi  et  d'élever  l'héritier  présomptif 

*  de  la  couronne?  Or  que  fait  le  catéchiste,  s:non  instruire  les  enfants 

*  de  Dieu  et  élever  les  héritiers   du  royaume  des  cieux?  C'est  là, 

*  disait  Gerson  à  ses  adversaires,  une  fonction  grande,  noble,  sublime, 

*  qui  Jie  {leut  que  rehausser  la  dignité  de  chancelier  de  l'Université. 

*  2°  Se  peut-il  rien  de  plus  excellent  que  de  tracer  dans  l'âme  simple 

*  des  enfants  les  premiers  traits  de  la  religion  chrétienne,  d'enrichir 

*  leur  intelligence  naissante  de  la  doctrine  céleste  de  Jésus-Christ, 

*  de  faire  goûtera  leur  cœur  les  choses  de  Dieu  et  de  l'éternité,  et 

*  par  là  de  maintenir  dans  l'innocence  des  âmes  puies  que  le  souffle 

*  du  péclié  n'a  pas  encore  flétries,  de  conserver  à  l'Espril-Saint  ces 

*  sanctuaires  où  il  se  plaît  à  habiter,  de  préparer  pour  la  communion 

*  ces  temples  neufs  dont  .\otre-Seigneur  aime  à  avoir  les  prémices, 

*  et  que  la  pureté  baptismale  rend  si  propres  à  la  piété,  à  toutes  les 

*  vertus?  11  est  vrai  qu'ils  ne  sont  pas  tous  dans  cet  état  d'innocence; 

*  mallieurcusement  plusieurs  en  sont  déchus  ;  mais  ceux-là  mémos 

*  ohi-ent  nn  autre  genre  d'intérêt  :  car,  comme  les  arbres  qui  ont 
"  pris  une  mauvaise  direction  se  redressent  i)lus  facilement  quand  ils 


416  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  sont  jeunes  encore,  le  temps  de  l'enfance  on  de  la  prennère  jeu- 

*  nesse  est  précisément   le  moment    favorable    pour  corriger  les 

*  mauvaises  habitudes;  si  on  les  laisse  s'enraciner  et  vieillir,  le  mal 

*  sera  presque  incurable.  5"  L'excellence  d'une  fonction  s'accroît  en 

*  proportion  de  la  sublimité  et  de  l'utilité  de  son  objet  ;  or  quoi  de 

*  plus  sublime  et  de  plus  utile  que  l'enseignement  du  catéchisme? 

*  Par  là  on  met  à  la  portée  des  plus  humbles  esprits  les  plus  hautes 

*  vérités  ;  on  les  leur  apprend  en  peu  de  temps  avec  une  entière  cer- 

*  titude,  et  l'on  rend  populaire  la  plus  sublime  sagesse.  Le  petit 
"  enfant  dont  la  raison  vient  à  peine  d'éclore  connaît  déjà  Dieu  et  sa 

*  loi,  la  religion  et  ses  mystères,  le  vice  et  sa  vertu,  les  sacrements 

*  et  les  dispositions  qu'ils  demandent,  les  peines  et  les  récompenses 

*  de  la  vie  future  ;  et,  en  sachant  une  seule  page  de  son  catéchisme, 

*  il  sait  plus  de  vérités  que  n'en  contiennent  tous  les  ouvrages  des 

*  philosophes  ensemble  ;  d'où  l'on  peut  conclure  combien  cet  ensei- 

*  gaement  de  la  religion,  quelque  humble  et  modeste  qu'il  paraisse 

*  aux  yeux  du  monde,  est  plus  excellent  que  toutes  les  écoles  de  l'an- 

*  tiquité   les  plus  vantées,  que  les  doctes  leçons  des  plus  grands 

*  maîtres  dans  les  sciences  humaines. 


De  la  nécessité  des  catéchismes. 

Pour  comprendre  l'immense  nécessité  des  catéchismes,  il  suffit 
de  savoir  que  l'Eglise  les  prescrit,  que  la  charité  les  commande,  que 
la  justice  en  fait  un  devoir  à  tous  ceux  qui  ont  charge  d'âmes. 

1°  L'Eglise  les  prescrit.  Le  concile  de  Trente,  dans  sa  xxiv"  session, 
chapitre  iv,  impose  aux  évoques  l'obligation  de  veiller  à  ce  que  les 
pasteurs  fassent  le  catéchisme  aux  enfants  au  moins  tous  les  diman- 
ches et  jours  de  fête,  et  de  les  y  contraindre  au  besoin  par  les  cen- 
sures ecclésiastiques  :  Episcopi  saltem  dominicis  et  aliis  festivis 
diebus  piieros  in  singidis  parocJiiis  fidei  rudimenta  diligenter  ab  us 
ad  qiios spectabit  doceri  curabunt...  et  si  opus  sit,  etiam peiyensuras 
ecdesiasticas  compellent.  Et,  pour  prévenir  les  fausses  interpréta- 
tions que  la  négligence  pourrait  donner  à  ces  paroles,  Clément  XI 
fit  rendre,  en  1715,  par  la  congrégation  du  concile,  un  décret  défen- 
dant expressément  toutes  vacances  pour  les  catéchismes,  et  même 
l'interruption  d'un  seul  Dimanche  dans  l'année.  La  même  congréga- 
tion renouvela  le  même  décret  sous  Benoît  XIV,  en  4744,  ajoutant 
que,  quand  il  ne  viendrait  qu'un  seul  enfant  au  catéchisme,  il  fau- 


DU  CATÉCniSME  417 

di'ait  le  faire  également,  etiamsi  nidbis  nisi  unns  ad  audiendiim 
accédât.  Suivant  un  autre  décret  de  celle  congrégation,  un  curé  ne 
peul  pas  mêine  envoyer  les  enfants  de  sa  paroisse  au  caléchisme 
des  paroisses  voisines,  quelque  rapprochées  qu'elles  soient  ;  il  est 
obligé  de  le  faire  dans  son  église,  ou  par  lui,  ou  par  ses  vicaires. 
C'est  ainsi  que  la  congrégation  a  interprété  les  paroles  du  concile  de 
Trente;  elles  évéques  ne  les  ont  pas  entendues  dans  un  sens  moins 
rigoureux.  Saint  Charles,  dans  ses  célèbres  conciles  de  Milan,  ne  se 
conlente  pas  de  rappeler  souvent  à  tous  les  pasteurs  l'obligation  du 
catéchisme  ;  il  veut  encore  que,  lorsque  les  enfants,  à  raison  de  la 
distance  des  lieux,  ou  de  la  difficulté  des  chemins,  ou  de  l'intem- 
périe des  saisons,  ne  peuvent  venir  à  l'église,  le  curé  ou  son  vicaire 
aille  îeur  faire  un  catéchisme  à  part  dans  quelque  village  plus  rap- 
proché de  leur  demeure,  où  il  rassemblera  tous  les  enfants  des  envi- 
rons. Benoit  XIV,  encore  archevêque  de  Bologne,  publia  trois  lettres 
pastorales  sur  cette  importante  obligation,  et,  devenu  pape,  il  donna 
sur  la  même  matière  denx  encycliques  où,  rappelant  celles  de  plu- 
sieurs de  ses  prédécesseurs,  il  recommande  avec  les  plus  vives 
instances  à  tous  les  ministres  de  l'Eglise  de  se  donner  sans  réserve 
à  une  œuvre  de  zélé  aussi  essentielle.  Clément  XI,  dés  son  élévation 
au  pontificat,  rassembla  tous  les  curés  de  Bome  pour  leur  rappeler 
que  le  premier  de  leurs  devoirs  était  de  catéchiser  exactement  les 
enfants.  Enfin,  les  statuts  de  tous  les  diocèses  en  font  une  loi  rigou- 
reuse ;  plnsieuis  même  portent  suspense,  ipso  facto,  contre  tout 
pasteur  qui  manquerait  deux  Dimanches  dans  un  mois  de  faire  le 
catéchisme;  et,  s'ils  permettent  l'interruption  de  quelques  Diman- 
ches au  temps  des  moissons  ou  des  vendanges,  contrairement  au 
décret  de  la  congrégation  du  concile  de  Trente,  ils  font  compenser 
ceiiB  I.'umne  par  les  catéchismes  sur  semaine  qu'ils  prescrivent  avant 
la  prenjière  communion. 

2"  Ce  que  l'Eglise  prescrit  si  sévèrement,  la  charilè  seule  le  com- 
mande. N'est-ce  pas,  en  effet,  un  devoir  de  charité  de  venir  au 
secours  d'un  enfant  qui  est  prés  d'être  entraîné  par  un  torrent  cl 
englouti  dans  un  abime?  Or  telle  est  la  position  des  enfants  piivés 
d'instruction  religieuse  :  abandonnés  à  la  séduction  des  mauvais 
exemples  qui  les  entourent,  des  mauvais  discours  qu'ils  entendent, 
des  mauvaises  compagnies  qu'ils  fréquentent,  de  leur  propre  cœur, 
où  connnenccnt  à  fermenter  les  passions  naissantes,  leur  perte  est 
inévitable,  si,  volant  à  leur  secours,  on  ne  fait  entrer  dans  leur  âme 
les  vérités  de  la  loi  pour  servir  de  digue  au  torrent  (|ui  les  menace. 

27 


418  THAITH  DE  LA  rRÉDICATION. 

Quoi  !  dit  le  pieux  Gersnn,  si  un  bœuf,  si  un  âne  tombe  dans  un  fossé, 
on  se  bâte  de  l'en  retirer,  et  on  ne  tendrait  pas  une  main  secou- 
rable  à  ces  pauvres  enfants  qui  sont  sur  le  bord  du  précipice!  Où 
serait  la  cbarité?  Si  un  incendie  éclate,  menace  de  porter  au  loin 
ses  rava;:res,  on  croit  que  c'est  un  devoir  de  ti'availler  à  l'éteindre, 
c'esl-à-dire  à  sauver  quelques  maisons  de  pierre  et  de  bois  ;  et  les 
âmes  des  enfints,  ces  temples  du  Dieu  vivant,  ces  sanctuaires  du 
Saint-Ksprit,  on  les  verrait  en  proie  aux  feux  des  passions  que  les 
démons  et  le  monde  cbercbent  de  toutes  parts  à  alknner  dans  leur 
cœur,  en  danger  d'être  atteints  par  les  flammes  de  l'enfer,  et  un 
ministre  de  Jésus-Cbrist  douterait  si  c'est  pour  lui  un  devoir  de  tra- 
vailler à  éteindre  cet  incendie  dont  les  conséquences  sont  à  la  fois 
éternelles  et  si  affreuses!  Er.core  une  fois,  où  serait  la  cbarité?  Mais 
ce  n'est  pas  seulement  ici  un  devoir  de  cbarité,  c'est  encore  un  devoir 
de  jnslicc  pour  tout  pasteur  des  âmes. 

En  effet,  tout  pasteur  est  chargé  en  justice  de  donner  à  son  trou- 
peau l'instruction  religieuse  nécessaire  au  salut  :  or  ce  n'est  que  par 
les  catécbismes  qu'il  peut  donner  cette  instruction  ;  aucune  autre 
prédication  n'en  peut  tenir  lieu.  Les  prédications  ordinaires  n'expli- 
quent point  les  vérités  élémentaires  et  les  faits  qui  sont  les  fonde- 
ments de  nos  dogmes;  elles  supposent  tout  cela  connu  des  auditeurs; 
et,  en  conséquence,  elles  n'en  parlent  pas,  ou  ne  le  font  qu'en  pas- 
sant, d'une  manière  sommaire  et  abrégée,  incapable  d'instruire  ceux 
qui  les  ignorent.  Puis  traitant  cbaque  fois  des  vérités  détachées,  elles 
ne  montrent  jamais  l'ensemble  de  la  religion  ;  ce  n'est  que  dans  les 
catéchismes  qu'on  voit  cette  suite  et  ce  bel  ordre  de  vérité  qui 
s'enchaînent  l'une  à  l'autre.  Ajoutez  à  cela  que,  ne  disant  les  choses 
qu'une  fois,  sans  les  répéter  sous  diverses  formes  jusqu'à  ce  qu'on  le? 
comprenne,  sans  interroger  pour  s'assurer  si  l'on  comprend  réelle- 
ment, et  sans  rien  faire  apprendre,  elles  sont  tout  à  fait  insuffisantes 
pour  enseigner  la  religion  à  ceux  qui  ne  la  connaissent  pas.  —  Il  faut 
donc  des  catécbismes,  et  il  les  faut,  remarquons-le  bien,  dans  le 
premier  âge  de  la  vie,  soit  parce  que  le  pasteur  est  redevable  de  l'in- 
struction religieuse  à  cet  âge  comme  aux  autres,  soit  parce  que,  s 
l'on  arrive  à  une  jeunesse  avancée  sans  connaître  la  religion,  il  n'est 
pas  probal)le  qu'on  s'applique  alors  à  l'étudier.  L'ignorance  fera 
qu'on  n'en  comprendra  ni  l'importance  ni  la  nécessité  ;  puis,  à  un 
certain  âge,  les  travaux  et  les  occupations  de  la  vie  n'en  laissent 
guère  le  loisir  ;  on  a  honte  de  redevenir  enfant,  le  respect  humain 
arrête;  enfin,    on  n'a  plus  la  même  mémoire  qu'autrefois,  et  l'on 


•Kvv.n 


LU  CATÉCHISME.  419 

n'apprend  qu'avec  une  extrême  difficulté.  On  ne  saura  doncjamais  sa 
religion  si  on  ne  l'a  apprise  dans  l'enfance  par  des  caléchisnies  bien 
faits  ;  el  de  là  quelles  conséquences  terribles  dont  le  pasteur  négli- 
gent portera  la  responsabilité  devant  Dieu  !  De  là  point  de  prière,  on 
n'en  connaît  ni  la  nécessité,  ni  les  conditions,  ni  les  formules  ;  de  là 
les  passions  sans  frein,  les  devoirs  sans  motif;  quand  on  ne  connaît 
d'autres  biens  et  d'autres  maux  que  ceux  de  la  vie  présente,  on  est 
capable  de  tous  les  crimes  ;  de  là  toutes  les  prédications  sans  fruit, 
toutes  les  exhortations  à  la  vertu  sans  intérêt  comme  sans  effet;  de 
là  tout  le  ministère  du  prêtre  paralysé  et  toutes  ses  fonctions 
stériles  ;  au  saint  tribunal,  on  ne  sait  ni  les  vérités  nécessaires  pour 
la  validité  de  l'absolution,  ni  la  manière  de  s'accuser,  ni  la  nature  de 
la  contribution;  au  lit  de  mort  ou  dans  ki  maladie,  on  n'entend  rien 
ni  aux  actes  de  foi,  d'espérance,  de  charité  et  de  contrition  que  le 
prêtre  suggère,  ni  aux  vertus  de  patience  et  de  résignation  qu'il 
cherche  à  inspirer,  aux  dispositions  que  demandent  les  derniers 
sacrements,  et  l'on  meurt  sans  espérance  comme  sans  crainte.  Voilà 
les  maux  que  produit  le  catéchisme  mal  fait  ou  omis  :  qu'on  juge 
de  là  couibien  est  grave  pour  un  pasteur  l'obligation  de  le  faire  et  de 
le  bien  faire  ^ 

*  Nous  convenons  cependant  qu'il  est  des  cas  où  un  pasteur  ne 

*  peut  pas  remplir  cette  obligation,  aussi  souvent  du  moins  que  le 

*  prescrivent  les  lois  de  l'Église  ou  les  statuts  des  diocèses  :  tantôt 

*  c'est  la  mauvaise  disposition  des  peuples,  qui  ne  veulent  pas  en- 
■*  voyer  les  enfants  au  catéchisme  ;  tantôt  c'est  la  faible  santé  du 

*  pasteur,  la  charge  de  plusieurs  paroisses,  ou  quelque  autre  ob- 


*  Elles  sont  donc  bien  vraies,  les  éloquentes  paroles  de  Massillon  aux  pasteurs 
qui  négligent  le  catéchisme  :  «  Ces  entants  que  vous  laissez  croître  dans  l'igno- 
«  rance  de  nos  mystères,  ce  sont  des  plantes  que  vous  laissez  sécher  dès  leur 
«naissance.  Vous  aurez  beau  les  arroser,  les  cultiver  dans  la  suilc;  le  mal  est 
«  Kans  remède. . .  Vous  n'avez  donné,  ce  scndjle,  à  ces  innocentes  victimes  la  vie 
«  de  la  grâce  par  le  baptême  que  pour  la  leur  ravir  elles  étoulïer  dès  le  berceau 
«  en  ne  les  nourrissant  pas  du  lait  de  la  doctrine  sainte.  Ils  porteront  devant 
«  Dieu  le  titre  auguste  et  ineffaçable  du  christianisme;  mais  ce  titre  sera  le  titre 
«  terrible  de  voire  condamnation,  bien  plus  que  de  la  leur  ;  il  s'élèvera  contre 
«  vous  et.  demandera  vengeance  de  la  profanation  et  de  l'avilissement  où  vous 
«  l'avez  laissé  après  en  avoir  embelli  leur  âme. . .  Et  en  qu'il  y  a  de  triste,  c'est 
a  (|ue  vous  préparez  à  vos  successeurs  le  même  scandale;  vous  laisserez  en 
«  mourant,  au  milieu  de  votre  peuple,  une  jilaie  où  leur  zélé  ne  jiourra  peut- 
«  être  jamais  trouver  de  remèdes,  car  quel  fruit  pourra  faire  après  vous  un 
«  saint  prêtre  dans  une  paroisse  où  il  ne  trouvera  aucune  connaissance  de  la 
«  religion,  où  il  faudrait  ramener  aux  instructions  de  l'enfance  dis  lidéks  (pie 
«  leur  âge  ou  leurs  occupations  en  rendront  désormais  incaiiablcs?  x 


420  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  slacle  :  mais  alors  il  faut  en  référer  à  l'évêque  et  s'en  tenir  à  ses 

*  prescriptions. 

*  Nous  convenons  encore  qu'il  est  ennuyeux,  pour  un  homme 

*  d'un  esprit  vif  et  d'un  caractère  ardent,  d'enseigner  les  premiers 

*  éléments  de  la  religion  à  des  enfants  qui  manquent  souvent  ou 

*  d'ouverture  ou  d'attention.  Mais  le  sentiment  du  devoir  ne  doit -il 

*  pas  l'emporter  sur  tous  les  ennuis  et  les  dégoûts?  Mais  n'a-t-il  pas 

*  fallu  qu'on  ait  eu  la  même  patience  à  notre  égard,  pour  nous  en- 

*  seigner  à  nous-mêmes  le  catéchisme,  pour  nous  faire  connaître 

*  les  lettres,  épeler  les  syllabes  et  joindre  les  mots?  Et  pourquoi 

*  n'anrions-nous  pas  pour  les  autres  la  patience  dont  il  a  fallu  qu'on 

*  usât  envers  nous  ?  Si  un  ami  ne  se  lasse  point  de  montrer  et  d'ex- 

*  pliquer  à  des  amis  venus  d'un  pays  lointain  tout  ce  qu'offre  de  re- 

*  marquahle  le  lieu  de  sa  demeure,  quoiqu'il  voie  ces  choses  tous 

*  les  jours   et  qu'il  les   ait  déjà  montrées  et  expliquées  cent  fois  à 

*  d'autres,  si  la  douceur  de  l'amitié  répand  même  un  charme  secret 

*  sur  ces  actes  d'obligeance,  que  sans  cela  l'on  trouverait  souverai- 

*  nement  ennuyeux,  comment  la  charité  pastorale  prendrait-elle  à 

*  dégoût  la  mission  si  belle  de  redire  aux  enfants  les  éléments  de  la 

*  foi,  et  de  leur  montrer  Dieu,  Jésus-Christ  et  ses  mystères  ?  «  Si  un 

*  «  père,  dit  saint  Augustin',  met  sa  joie  à  balbutier  des  demi-mots 

*  «  avec  son  fils  pour  lui  apprendre  à  parler,  si  une  mère  goûte  plus 
■"  «  de  plaisir  à  verser  dans  la  bouche  de  son  enfant  un  aliment  pro- 

*  «  portionné  à  sa  faiblesse  qu'à  le  prendre  elle-même,  si  une  poule 

*  «  couvre  de  ses  plumes  traînantes  ses  petits  encore  tendres,  et  les 

*  u  appelle  d'une  voix  entrecoupée  sous  ses  ailes  pour  les  mettre  à 

*  (t  couvert  de  l'oiseau  de  proie  qui  voudrait  les  enlever,  avec  quel 

*  «  bonheur  le  prêtre  doit-il  se  rapetisser  à  la   portée  des  enfants 

*  «  et  surmonter,  à  force  d'amour,  les  peines  inséparables  de  leur 

*  «  instruction,  lui  en  qui  la  charité  doit  avoir  mis  des  entrailles  de 

*  «  père,   de  mère,  les  entrailles  même  de  Jésus-Christ,  cet  ado- 

*  «  rable  ami  des  enfants,  qui  a  tant  fait  et  tant  souffert  pour  le  salut 

*  «  de  leur  âme?  » 

Des  avanlaf;ps  du  catéchisinô. 

Le  catéchisme  est  la  source  des  plus  précieux  avantages,    et  pour 
les  paroissiens  et  pour  le  catéchiste  lui-même. 

*  Do  cntccliis.  rudibus,  c.  x  etxiii. 


DU  CATÉCHISME.  i2l 

*  SECTION    P«. 

*  Avniil.igt's  (lu  catt'chisme  pour  les  paroissiens. 

*  On  ne  saurait  dire  tous  les  avantages  que  le  catéchisme  bien  fait 

*  procure  à  ime  paroisse.  Aucune  prédication  ne  lui  est  comparal)le, 

*  et  c'est  évidemment  la  meilleure  manière  d'apprendre  la  religion, 

*  je  ne  dis  pas  seulement  aux  enfants,  mais  aux  personnes  de  tout 

*  âge  et  aux  peuples  entiers  qui  ont  le  malheur  de  l'ignorer,  lorsqu'on 

*  peut  les  attirera  cet  exercice  ou  que  la  prudence  permet  de  le  siib- 

*  slituer  au  prône  du  Dimanche,   lui  effet,  les  autres  genres  d'in- 

*  slruclion  ne  comportent  ni  certaines  expressions  trop  communes, 

*  ni  certaines  tournures  trop  familières  et  cependant  si  utiles  pour 

*  se  faire  comprendre,  ni  certains  détails  ou  certaines  ré[iétitions 

*  qui  dégoûteraient  et  ennuieraient  la  masse  des  auditeurs,  et  dont 

*  cependant  les  intelligences  bornées  auraient  besoin.  Dans  le  calé- 

*  chisme,  au  contraire,  on  parle  familièrement  comme  dans  la  con- 

*  vcrsation  ;  on  emploie,  quand  cela  est  utile,  les  expressions  popu- 

*  laires  et  le  patois  même  du  pays,  on  peut  même  répéter  plusieurs 

*  fois  la  même  chose  sans  inspirer  de  dégoût,  parce  que  ces  répéti- 

*  tiens,  au  lieu  de  se  faire  par  la  même  personne,  se  font  avec  une 

*  agréable  variété,  par  divers  enfants  qui  répondent  aux  questions 

*  qu'on  leur  adresse.   Les  autres  genres  d'instruction  exigent  une 

*  fatigue  de  l'esprit  pour  soutenir  son  attention,  un  travail  de  l'in- 

*  telligence  dont  ])eaucoup  même  ne  sont  pas  capables  pour  suivre  la 

*  ra[»idilé  du  discours  et  les  raisonnements  du  prédicateur;  et,  d'un 

*  autre  côté,  celui-ci  ne  peut  s'assurer  ni  si  on  l'a  compris,  ni  môme 

*  si  Ton  a  été  attentif  ;  dans  le  catécliisme,  au  contraire,  où  le  dis- 

*  cours  est  coupé    par  des  quet-tions  et  des  réponses,  Tatlenlion  si 

*  soutient  sans  peine  ;  tout  y  est  plus  clair,  plus  net,  plus  à  la  poitée 

*  des  esprits  bornés;   l'on  peut  s'assurer  par  des  interrogations  se 

*  l'on  a  été  bien  compris,  é(;laircir  jusqu'aux  derniers  restes  d'obs- 

*  curilé  qui  seraient  demeurés  dans  les  esprits  ;  et  tout  cela  sans 

*  fatigue  pour  les  auditeurs,  auxquels  le  catéchisme  offre  plutôt  une 

*  récréation  pieuse  et  utile  par  le  vif  intérêt  qu'inspirent  les  réponses 

*  des  enfants,  les  traits  d'histoire  entremêlés  et  toutes  les  industries 

*  qu'on  emploie  pour  captiver  l'attention.      Knfin  Jes  sermons  sont 

*  conune  ces  grandes  {)luies  (pii,    entiainées  par  leur  propre  violence, 

*  ne  pénètrent  que  les  terres  déjà  cultivées,  et  coulent  sur  les  autres; 

*  tandis  que  les  catéchismes  sont  connne  ces  pluies  douces,   mais 


422  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  rêiltTiVs,  qui  s'infiltrent  insensiblement  même  dans  les  terres  sans 

*  culture,  et  les  disposent  à  porter  des  fruits  :  l'esprit  des  auditeurs 

*  s'y  remplit,  suavement  et  sans  effort,  des  vérités  saintes,,  et  leur 

*  cœur  s'y  forme  aux  maximes  de  l'Évangile.  La  justesse  de  ces  re- 

*  marques  est  confirmée,  du  reste,  par  l'expérience  :  c'est  un  fait 

*  reconnu  qu'un  bon  catéchiste  est  plus  utile  à  une  paroisse  qu'un 

*  grand  prédicateur,  et  que  les  personnes  du  monde  profitent  plus 

*  en  assislantà  un  bon  catéchisme  qu'en  entendant  plusieurs  beaux 

*  sermons. 

*  Toutefois  ce  n'est  encore  là  qu'un  premier  avantage  du  caté- 

*  chisme,  avantage  dont  le  pasteur  ne  peut  pas  même  toujours  faire 

*  jouir  son  peuple  :  car  combien  de  paroisses  où  l'on  essayerait  vai- 

*  nement  d'attirer  les  grandes  personnes  au  catéchisme,  et  où  l'on 

*  éloignerait  le  peuple  des  saints  offices,  si  l'on  y  intercalait  cet 

*  exercice  !  Mais  alors  le  catéchisme  offre  un  autre  avantage,  celui 

*  de  régénérer  la  paroisse  par  les  enfants.  C'est  même  là  la  seule 

*  ressource  qui  reste  dans  bien  des  paroisses  où  règne  une  épou- 
*vantable  ignorance  en  matière  de  religion,  où,  par  conséquent,  la 

*  foi  a  disparu  et  toutes  les  passions  sont  sans  frein,  où  l'on  n'attache 

*  plus  aucun  intérêt  au  culte  divin,  aux  sacrements,  à  l'éternité,  où 

*  l'on  vit  et  l'on  meurt  comme  la  brute  :  le  catéchisme,  voilà  pour 

*  un  pasteur  le  dernier  espoir  de   son  âme  affligée  ,  comme  ce 

*  doit  être  sa  première  sollicitude.  En  s'atlachant  aux  enfants,  il 

*  créera  par  eux  une  génération  nouvelle  et  chrétienne  ;  ces  enfants 

*  donneront  le  bon  exemple  dans  l'intérieur  et  au  dehors  de  la  fa- 

*  mille;  leur  conduite  seule  sera  une  censure  tacite  et  souvent  effî- 

*  cace  de  la  dissolution  des  autres  :  au  moins  ils  seront  plus  tard 

*  des  pères  de  famille  chrétiens;  il  aimeront  la  religion,  ses  cérè- 

*  monies  et  ses  prêtres,  élèveront  leurs  enfants  dans  la  piété,  et  la 

*  paroisse  se  trouvera  ainsi  renouvelée  au  bout  d'un  temps  plus 

*  ou  moins  long.  En  continuant  les  catéchismes,  on  verra  le  bien 

*  s'accroître  de  plus  en  plus,  la  science  de  Dieu  et  l'amour  de  la 

*  religion  se  perpétuer,  la  vertu  prendre  racine  dans  les  familles, 

*  les  abus  et  les  désordres  disparaître;  le  vrai  christianisme  s'éta- 
*blira  dans  tous  les  cœurs,  et  Dieu  sera  servi  en  esprit  et  en  vérité. 

*  C'est  ainsi  que  toute  l'Église  a  été  renouvelée  aux  seizième  et  dix- 

*  septième  siècles  par  les  catéchismes  auxquels  se  dévouèrent  les 

*  plus  grands  évêques  et  les  plus  saints  prêtres,  saint  Cbarles,  dom 

*  Barthélémy  des  Martyrs,  saint  François  de  Sales,  saint  Vincent  de 

*  Paul  et  M.  Olier  ;  et  c'est  ainsi  encore  anjourd'hui  qu'on  sanctifiera 


DU  CATÉCHISME.  423 

*  les  paroisses  ;  la  piélé  y  régnera,  les  vertus  solides  y  fleuriront  en 

*  propoiiion  du  plus  ou  moins  de  perfection  et  de  zèle  avec  lequel 

*  on  fera  le  catéchisme  :  l'un  est  la  mesure  de  l'autre,  et  le  sera 

*  toujours. 

*  Souvent  même  on  ramènera  les  parents  par  les  enfants.   Les 

*  soins  qu'on  donne  à  ceux-ci,  l'amitié  qu'on  leur  témoigne,  Tinté- 

*  rêt  qu'on  leur  porte,  les  petites  récompenses  qu'on  leur  distribue, 

*  concilient  au  pasteur  l'affection  et  la  confiance  des  parents  ;  et  ces 

*  dispositions  favorables  sont  déjà  un  grand  acheminement  vers  la 

*  conversion.  Puis  le  changement  que  le  catéchisme  opère  dans  les 

*  enfants,  leur  docilité,  leur  modestie,  leur  piété,  leur  application  à 
*bien  remplir  tous  leurs  devoirs,  font  comprendre  aux  parents 

*  l'empire  de  la  religion,  leur  en  inspirent  l'estime  et  l'amour  avec 

*  le  remords  de  l'avoir  abandonnée,  et  de  là  résulte  une  nouvelle 

*  impulsion  vers  le  retour.  Enfin,  l'enfant  parle  dans  la  maison  pa- 

*  ternelle  de  ce  qu'on  lui  a  enseigné  au  catéchisme  ;  il  y  récite  sa 

*  leçon,  il  raconte  les  histoires  édifiantes  qu'il  a  retenues,  et  rem- 

*  plit  ainsi  dans  la  famille  les  fonctions  de  catéchiste  :  s'il  est  pieux 

*  et  zélé,  il  fait  plus  encore,  il  parle  exphcitement  à  ses  parents  de 

*  l'obligation  de  se  confesser,  du  bonheur  qu'il  aurait  d'aller  avec 

*  eux  à  la  sainte  table  le  jour  de  la  première  communion  :  il  presse, 

*  il  sollicite,  il  prie,  il  conjure,  et  souvent  ce  petit  apôtre  gagne  les 

*  volontés  qui  étaient  d'abord  les  plus  rebelles.  Tel  fut  le  moyen 

*  par  lequel  saint  François  Xavier  commença  la  conversion  des 

*  Indes  :  tous  les  jours  il  parcourait  les  rues  de  Goa,  la  clochette  à  la 
*main,  pour  appeler  les  enfants  au  catéchisme,  et  ceux-ci,  gagnés 

*  au  christianisme,  y  déterminaient  leurs  parents  par  leurs  exemples 

*  comme  par  leurs  discours. 

*l\lais  les  enfants  n'obtinssent-ils  pas  toujours  ce  consolant  ré- 

*  sullat,  au  moins  il  remporteront  du  catéchisme  l'inestimable  avan- 
*tage  de  s'être  préparé  pour  eux-mêmes  l'assurance  du  salut  la 

*  mieux  fondée  qu'ils  puissent  avoir  en  ce  monde.  Le  catéchisme 

*  jette  la  semence  de  toutes  les  vertus  dans  le  cœur  des  enfants  et  y 

*  fait  germer  la  vraie  piété  avant  que  le  vice  y  ait  pris  racine.  Si 

*  ensuite  il  se  laisse  entraîner  par  les  passions  du  jeune  âge,  l'expé- 

*  rioncû  démontre   que  ces  premières  impressions  vcilueuses  rc- 

*  prennent  lot  ou  tard  le  dessus  ;  l'âge  des  passions  passé,  il  suffit 

*  (pi'ils  éprouvent  quelque  maladie  grave,  quebiuc  grande  adversité, 

*  et,  les  illusions  du  monde  venant  à  disparaître,  ils  se  rappellent  les 

*  leçons  reçues  au  catéchisme,  comprennent  ([u'il  n'y  a  rien  de  so- 


*2i  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*li(lo  ici-bas  que  le  salut,  et  reviennent  à  la  vertu.  Presque  jamais 

*  il  n'arrive  qu'après  avoir  été  bien  instruit  de  la  religion  dans  sa 

*  première  enfance  on  meure  impénitent,  au  lieu  qu'il  est  trè.s-diffi- 

*  cile  et  presque  impossible  que  ceux  qui  n'ont  pas  été  formés  par 

*  de  bons  catécbismes   rentrent  dans  la  bonne  voie,  même  à  la 

*  mort.  Leur  ignorance  fait  qu'ils  n'attachent  aucun  intérêt  à  tout  ce 

*  qu'on  peut  leur  dire,  et  ainsi  ils  sont  dans  un  état  presque  déses" 

*  péré.  Là  où  aucun  fondement  n'a  été  jeté,  on  ne  peut  élever  que 

*  des  ruines. 

*  Heureuses   donc  les  paroisses  instruites   par    de    bons   caté- 

*  ciiismos!  Toutes  les  fonctions  du  ministère  y  sont  faciles  et  pro- 

*  )Uables.  Toutes  les  prédications  y  sont  comprises,  et  la  semence  de 

*  la  divine  parole,  tombant  sur  une  terre  bien  préparée,  produit  au 

*  centuple.  Le  ministère  du  tribunal  perd  ses  plus  grandes  difficul- 

*  tés  :  les  pénitents  se  sont  bien  examinés,  s'accusent  comme  il  faut, 

*  coimaissent  les  dispositions  requises  ;  et  le  confesseur  n'a  qu'à  leur 

*  rappe'er  ce  qu'ils  savent,  qu'à  les  presser  de  se  l'appliquer  à  eux- 

*  mômes.  La  visite  des  malades  n'est  pas  moins  facile  -,  leur  foi  éclai- 

*  rée  les  dispose  à  entrer  volontiers  dans  les  sentiments  de  contrition 

*  et  de  pénitence,  de  confiance  et  d'amour,  d'abandon  et  de  sacrifice 

*  qu'on  leur  suggère  ;  et,  quand  même  ce  seraient  des  pécheurs  qui 

*  auraient  croupi  dans  le  désordre,  il  est  toujours  aisé,  dés  qu'ils 

*  sont  instruits,  de  les  rappeler  à  la  religion  :  s'il  est  des  exceptions 

*  à  ce  principe,  elles  sont  rares. 

*  De  toutes  ces  observations  nous  sommes   autorisés  à  conclure 

*  (pie  le  catéchisme  est  pour  les  paroissiens  la  source  des  plus  pré- 
'  cieux  avantages  ;  il  l'est  encore  pour  le  catéchiste  lui-même  :  c'est 

*  ce  qui  nous  reste  à  démontrer. 

*  SECTION    2. 

*  Avantages  d'i  catéchisme  pour  le  catéchiste  lui-même. 

"*  Le  premier  avantage  que  le  catéchiste  relire  de  sa  fonction  bien 
"remplie,  c'est  de  se  former  au  ministère  de  la  chaire.  En  catéchi- 

*  sant,  on  s'enhardit  à  parler  en  public,  on  s'habitue  à  rendre  ses 
"*  pensées  avec  naturel  et  onction,  à  gesticuler  sans  contrainte,  à 

*  improviser  au  besoin  ;  plus  lard,  exercé  que  l'on  est  à  discourir 

*  sur  toutes  les  matières  de  la  religion,  on  compose  sans  peine  des 

*  sermons  et  des  prônes  ;  et  comme  on  ne  craint  pas  que  la  mémoire 


DU  CATÉCHISME.  425 

*  vienne  à  manquer,  parce  qu'on  a  la  facilité  d'y  suppléer,  on  dé- 

*  bile  avec  aisance  ;  on  n'est  point  esclave  du  mol  à  mot  de  son  ma- 

*  luiscril,  et  l'on  peut  se  livrer  aux  inspirations  du  moment,  à  ces 

*  élans  heureux  d'une  âme  pénétrée  qui  vont  droit  au  cœur  des  au- 

*  ditt'urs. 

*  En  même  temps  que  le  catéchiste  acquiert  la  facilité  de  parler 

*  en  public,  il  gagne  dans  l'esprit  des  peuples  l'estime  et  la  con- 

*  fiance  nécessaire  au  succès  de  sa  parole.  Caries  fidèles  ne  peuvent 

*  voir  un  prêtre,  surtout  un  prêtre  dont  ils  apprécient  d'ailleurs 

*  I(^  mérite,  s'appliquer  avec  assiduité  aux  catéchismes,  sans  admi- 

*  rer  son  humilité,  sa  modestie,  sa  foi,  son  zèle  et  la  pureté  de  ses 

*  intentions.  Comme  ses  fonctions  sans  éclat  n'ont  rien  où  l'amour- 

*  propre  puisse  se  complaire,  c'est  à  leurs  yeux  une  preuve  non  équi- 

*  voque  que  ce  prêtre  est  un  homme  de  Dieu,  et  ils  lui  donnent  toute 

*  leur  estime  et  leur  confiance'. 

*  Mais  outre  ces  avantages,  il  en  est  de  plus  précieux  encore 

*  comme  intéressant  directement  la  sanctification  du  catéchiste  lui- 

*  môme  :  d'un  côté,  il  n'y  a  point  là  à  craindre  la  vanité  qui  enlève 

*  quelquefois  aux  prédicateurs  une  partie  de  leur  mérite,  quand  ce 

*  n'est  pas  leur  mérite  tout  entier  ;  et  de  l'autre,  il  y  a  tout  à  gagner. 

*  Indépendamment  des  indulgences  précieuses  que  le  saint-siège  y 

*  a  attachées^,  on  y  gagne  des  mérites  proportionnés  aux  peines  de 

*  cette  fonction,  aux  dégoûts  qui  l'accompagnent,  et  au  peu  de  con- 
■*  siilèration  que  lui  accorde  le  monde,  on  y  gagne  les  magnifiques 

*  récompenses  promises  à  ceux  qui  instruisent  les  autres  dans  la 

*  justice  :  Qui  ad  justilinm  erudmnt  mnltos,  fulgebunt  quasi  slellx 

*  in  perpétuas  xternitates^ ,   on  y  gagne  l'expiation  de  ses  pé(;hés, 

*  conformément  à  ces  paroles  de  saint  Jacques  :  Qui  converti  fecerit 

*  peccatorem  ah  errore  vise,  snx,  operiet  muUitudinem  peccatorum'', 

*  paroles   riches  de  consolation  et  d'espérance  pour  le  catéchiste, 

*  qui,  par  les  soins  qu'il  donne  aux  enfants,  retire  les  uns  de  l'état 

*  (lu  péché,  en  préserve  les  autres,  ouvre  à  fous  la  voie  du  salut.  On 

*  y  gagne  les  grâces  attachées  à  la  miséricorde  spirituelle  la  plus  ex- 

*  cellcute,  puiï-qu'ici  s'appliquent  dans  toute  leur  énergie  littérale 
les  paroles  de  Jésus-Christ  :  Qui  susceperit  unum  parvulum  talein 

*  in  nomine  meo  me  siiscipit^ QuandiU  fecistis  uni  ex  his  fratri- 

•  Voyoz  la  loUrc  de  saint  François  Xavirr  au  I'.  Darzoe,  en  15i!),  g  0,  dans  le 
Guide  de  ceux  qui  aniioncoul  la  parole  de  Dieu,  p.  002.  —  -  licnoîl  MV  accorde 
sept  ans  ol  srpl  (piarantaincs  cIkuiik;  (ois,  et  une  iudul^'^cncc  iili'uicre  ciiaiiue 
mois.  —  *  Daniel,  xii.  '».  —  *  .iacnli,  v,  20.  —  *  Matlh.,  xvui,  5. 


426  TRAITÉ    DE  L\  PRÉDICATION. 

*  bus  meis  minimis,  mihi   fecistis^.   Enfin  on  y  gagne  los  grâces 

*  spéciales  qu'obliemient  les  prières  des  enfants  pour  celui  qui  les 

*  instruit. 

*  «  Chers  enfants,  disait  le  pieux  Gerson,  venez  à  moi  ;  nous  nous 

*  «  communiquerons   mutuellement    les  biens  spirituels;  je  vous 

*  «  donnerai  le  lait  de  la  doctrine,  et  vous,  vous  m'ouvrirez  le  ciel 

*  «  par  vos  prières,  vous  intéresserez  en  ma  faveur  vos  bons  anges, 

*  «  qui  voient  toujours  la  face  du  Père  céleste  ;  vous  me  gagnerez  le 

*  «  cœur  de  Jésus-Clirist,  qui  aime  tant  les  petits  enfants  et  ceux  qui 

*  «  en  prennent  soin.  »  Les  espérances  du  fervent  catéchiste  ne  fu- 

*  rent  point  trompées  ;  et  ce  fut  un  touchant  spectacle  de  voir,  pendant 

*  sa  dernière  maladie,  les  enfants  se  rendre  dans  l'église  où  il  leur 

*  avait  fait  tous  les  jours  le  catéchisme,  et  là,  à  genoux  devant  le 

*  saint  sacrement,  redire  plusieurs  fois  la  prière  qu'il  leur  avait  re- 

*  commandée  :  Mo7i  Dieu,  mon  Créateur,  ayez  pitié  de  voire  pauvre 

*  serviteur  Jean  Gerson. 

ARTICLE  3. 

DES   QUALITÉS  REQUISES   POUR   BIEN   FAIRE  LE  CATÉCHISME. 

C'est  un  fait  d'expérience  que  tel  est  le  catéchiste,  tels  sont  les 
enfants  :  s'il  est  mou  et  lent,  tout  est  endormi  ;  s'il  est  ferme  et  vi- 
gilant, tout  est  attentif  et  sur  ses  gardes  ;  s'il  est  vif  et  actif,  tout  est 
riant;  s'il  est  négligent,  tout  est  désordre  ;  s'il  ne  se  montre  pas  le 
maître,  les  enfants  le  gouvernent  ;  s'il  est  impérieux,  ils  le  raillent. 
Aussi  est-il  moins  facile  qu'on  le  pense  ordinairement  de  bien  faire 
le  catéchisme  ;  c'est  là  un  talent  rare,  peut-être  même  plus  rare  que 
celui  delà  prédication,  et  on  ne  saurait  trop  le  demander  à  Dieu,  qui 
seul  peut  le  donner.  11  faut  pour  cela  cinq  choses,  science,  piété, 
douceur,  zèle  et  prudence  :  ces  différentes  qualités  du  bon  caté- 
chiste feront  ia  sujet  des  développements  suivants. 

*  8  4". 

De  la  science  requise  pour  bien  faire  le  catéchisme. 

*  Sans  doute,    il  n'est  pas  nécessaire  qu'un  catéchiste   ait  la 

*  science  profonde  d'un  habile  théologien  ;  mais  il  doit  avoir  une 

*  instruction  solide,  des  idées  claires,  sûres  et  exactes  sur  les  parties 

*  Matth.,  XXV,  40. 


DU  CATECHISME.  427 

*  essentielles  du  dogme  et  de  la  morale,  c'est-à-dire  sur  le  symbole, 

*  les  sacrements,  les  commandements  de  Dieu  et  de  l'Église,  les  vi- 

*  ces.  et  les  vertus.  Car  son  ministère  lui  impose  le  devoir  d'expli- 

*  quer  toutes  ces  matières  avec   ordre,  justesse  et  précision,  de 

*  proportionner  ses  explications  à  la  capacité  des  enfants  et  des 

*  simples  et  de  varier  ses  expressions  et  ses  tournures  sans  altérer 

*  ou  obscurcir  le  fond  de  la  doctrine.  Or  ceci  demande  plus  que  des 

*  connaissances  superficielles,  et  celui-là  seul  en  est  capable  qui  a 

*  fait  une  étude  suivie  et  sérieuse  de  la  religion,  acquis  un  fond  solide 
*de  théologie  dogmatique  et  morale,  joint  à  l'habitude  de  la  jus- 

*  tesse  et  de  la  netteté  dans  les  idées.  Encore  faut-il  de  plus  qu'il  se 

*  rende  actuellement  ces  matières  présentes  et  familières,  tant  par 

*  de  mûres  réflexions  sur  les  vérités  à  expliquer  que  par  la  lecture 

*  des  ouvrages  où  elles  sont  le  mieux  traitées  ;  qu'il  sache  s'énoncer 

*  avec  aisance  et  clarté,  et  qu'il  possède  même  assez  de  connaissan- 

*  ces  variées  pour  pouvoir  intéresser  les  enfants  par  des  histoires  et 

*  des  comparaisons,  des  rapprochements  et  des  exemples.  Le  caté- 

*  chiste  qui  n'a  pas  cette  mesure  de  science  fera   nécessairement 

*  de  très- grandes  fautes.  11  enseignera  des  erreurs  et  des  hérésies 

*  sans  même  s'en  douter  ;  il  altérera  le  dépôt  de  la  foi  et  donnera 

*  aux  enfants  des  idées  fausses  qu'ils  conserveront  peut-être  jusqu'à 

*  la  mort.  Lors  même  qu'il  ne  leur  enseignerait  pas  d'erreurs,  ses 

*  explications  inexactes  ou  tout  à  fait  insuffisantes  donneront  lieu  à 

*  des  doutes  qui  ébranleront  ou  détruiront  peut-être  entièrement  leur 

*  foi.  Les  inconvénients  que  nous  signalons  pour  le  dogme  se  repro- 

*  duiront  pour  la  morale.  Ses  décisions  hasardées,  tantôt  trop  sévères, 

*  tantôt  trop  relâchées,  fausseront  les  consciences,  et  seront  cause 

*  d'un  nomijre  incalculable  de  péchés  mortels.  Puis,  ne  sach<ant  pas 

*  discerner  les  points  sur  lesquels  il  faut  insister,  il  perdra  un  temps 

*  précieux  à  des  questions  inutiles  ou  ridicules,  il  ne  saura  pas  pré- 

*  senter  la  religion  de  manière  à  en  doinier  une  idée  grande  et  éle- 

*  vée,  à  en  inspirer  l'estime  et  l'amour;  il  n'aura  ni  ces  vues  neltes 

*  que  l'esprit  saisit  avec  facilité  et  retient  avec  plaisir,  parce  qu'elles 

*  sont  paifaitement  claires,  ni  ces  mots  propres,  ces  expressions 

*  justes  qui  les  rendent  avec  précision,  ni  cet  ordre  qui  suit  la  pro- 

*  grcssion  naturelle  des  idées,  et  classe  chaque  chose  à  sa  place;  de 

*  sorte  qu'on  ne  remportera  de  son  catéchisme  que  des  notions  im- 

*  parfaites  ou  confuses,  peu  de  connaissances  solides  et  diu'ables; 

*  et  il  ne  formera  qu'une  génération    mal  instruite  et  peut-être 
■*  sans  religion.  Ces  courtes  considérations  sont  sans  doute  plus  que 


4^8  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  ï^uffisanlcs  poiu'  l'aire  sentir  la  nécessité  de  la  science  dans  le  caté- 

*  chisme. 

*  §  2. 

*  De  la  piélé  requise  pour  bien  faire  le  calccliisme. 

*  Si  la  science  peut  former  des  enfants  instruits,  à  la  piété  seule 

*  il  appartient  de  les  rendre  vertueux  ;  seule  elle  en  connaît  le  secret 

*  et  sait  l'employer.  Que  faut-il,  en  effet,  pour  arracher  l'homme  à 

*  ses  penchants  et  lui  faire   emhrasser  la  vertu  pour  laquelle  il  a 

*  naturellement  peu  de  goût?  il  faut  autre  chose  que  la  parole  hu- 

*  maine  ;  il  faut  la  grâce  de  Dieu,  qui,  seul,  tenant  les  cœurs  dans  sa 

*  main,  sait  les  façonner  à  son  gré,  leur  donnerdes  penchants  vertueux 

*  et  le  goût  de  la  piélé.  Or,  cette  grâce,  si  nécessaire,  on  ne  l'ohtient 

*  qu'autant  qu'on  la  demande  par  une  prière  fervente,  et  que,  se 

*  flépouillant  de  son  propre  esprit,  on  s'unit  à  l'esprit  de  Dieu  pour 

*  être  animé  et  dirigé  par  lui  ;  toutes  choses  que  ne  fait  point  le  caté- 

*  chiste  qui  n'est  pas  pieux.  N'attendant  rien  que  de  lui-même,  il  ne 

*  prie  pas  ou  il  prie  mal  pour  le  succès  de  son  ministère,  il  remplit  sa 

*  céleste  fonction  d'une  manière  tout  humaine  et  fait  son  catéchisme 

*  comme  un  professeur  fait  sa  classe,  sans  union  avec  Dieu,  sans  vue 

*  de  Dieu.  Le  catéchiste  pieux,  au  contraire,  n'attendant  rien  que 

*  de  la  grâce,  prie  avec  zèle  et  persévérance.  Il  prie  pour  lui,  afin 

*  d'ohtenir  les  lumières,  la  charité,  le  zèle,  la  patience,  toutes  les 
"*  vertus  que  requiert  sa  fonction  ;  et  il  prie  pour  ceux  qu'il  caté- 

*  chise,  afin  de  leur  ohtenir  un  esprit  et  un  cœur  dociles,  c'est-à- 

*  dire  ratlenlion  et  l'intelligence,  la  honne  volonté  et  le  courage 

*  de  la  vertu.  Avant  le  catéchisme,  il  va  se  prosterner  devant   le 

*  saint-sacrement,  et  là,  se  confessant  incapable  autant  qu'indigne 

*  de  remplir  dignement  un  si  grand  ministère,  il  implore  le  secours 

*  de  Dieu,  se  met  entre  ses  mains  comme  un  organe,  un  instrument, 

*  pour  ne  rien  dire  et  ne  rien  faire  que  par  son  mouvement  et  sa 

*  conduite  ;  il  se  recommande  à  la  sainte  Vierge,  aux  patrons  et  aux 

*  anges  gardiens  des  enfants,  et  récite  avec  piété  le  Veni  Sancte  et  VAve 

*  Maria.  De  là,  se  rendant  au  lieu  du  catéchisme,  il  salue,  dès  l'en- 

*  trée,  avec  un  grand  respect  intérieur,  l'ange  gardien  de  chaque 

*  enfant  et  commence  avec  joie  sa  belle  et  aimable  fonction.  Pen- 

*  dant  le  catéchisme,  il  envisage  tous  les  enfants,  tanqiiàm  Christum 

*  membratim  divisiim,  selon  la  touchante  pensée  de  saint  Âugus- 

*  tin;  et  son  cœur  s'élève  souvent  vers  le  ciel  par  de  courtes  aspi- 


DU  CATECHISME.  J-iO 

*  rations,  pour  appeler  l'esprit  de  Dîeu  à  son  aide  et  s'unir  à  lui.  Il 

*  prie  de  même  après  le  catéchisme,  fait  prier  les  âmes  ferventes; 

*  et  par  tous  ces  moyens  il  attire  les  bénédictions   célestes  sur  ses 

*  travaux  :  première  raison  qui  démontre  la  nécessité  de  la  piété 

*  dans  le  catéchiste. 

*  Une  autre  raison  non  moins  décisive,  c'est  que  le  catéchiste  qui 

*  n'est  pas  pieux  n'a  pas  grâce  pour  toucher  les  cœurs  ;  il  parle  de 

*  Dieu  et  de  nos  mystères  d'une  manière  sèche  et  froide,  comme  de 

*  choses  indifférenles  ;  il  a  beau  crier  et  s'agiter,  tous  les  enfants 

*  n'en  reconnaissent  pas  moins  qu'il  n'est  point  touché,  et  dès  lors 

*  impossible  qu'il  touche.  C'est  bien  pire  encore  lorsqu'il  donne  des 

*  signes  d'ennui  et  de  dégoût,  s'impatiente  et  se  met  eu  colère, 

*  laisse  échapper  des  mots  et  des  gestes  peu  édifiants,  peu  dignes 

*  de  son  caractère.  Rien  de  tout  cela  n'échappe  à  l'oeil  extrêmement 

*  perçant  des  enfants;  ils  prononcent  par  instinct  que  c'est  mal,  et 

*  dès  lors  leur  cœur  se  ferme  à  l'action  de  sa  parole.  Il  en  est  bien 

*  autrement  du  catéchiste  pieux  ;  il  ne  parle  qu'après  s'être  bien  pé- 
*nétré  aux  pieds  du  crucifix  ou  dans  la  ferveur  de  l'oraison;  tout  ce 

*  qu'il  dit  est  accompagné  d'une  onction  céleste  qui  indique  l'homme 

*  de  Dieu  ;  et  de  son  âme  brûlante  s'échappent  des  paroles  de  feu 

*  qui  pénètrent  et  échauffent  les  âmes.  Tout  en  lui  fait  impression, 

*  tout  émeut,  son  ton,  son  geste,  son  maintien,  son  regard,  son  style, 

*  qui  part  du  cœur  et  va  droit  au  cœur.  Point  d'enfant  qui  ne  com- 

*  prenne  ce  langage.    Profitant  de  l'empire  que  sa  piété  lui  donne 

*  sur  les  cœurs,  il  les  forme  à  la  vertu  par  des  pratiques  propres  â 

*  leur  en  inculquer  l'estime  et  l'amour;  troisième  raison  qui  établit 

*  la  nécessité  de  la  piété  dans  le  caléchisle.  C'est  un  fait  d'expérience 

*  que  les  pratiques  extérieures  sont  nécessaires  à  l'homme,   plus 

*  encore  à  l'enfant,  pour  faire  naître  dans  son  âme,  y  développer  et 

*  entretenir  le  sentiment  de  la  vertu  ;  elles  fixent  la  mobilité  de  ses 

*  pensées,  donnent  un  aliment  à  ses  affections,  et  lui  inspirent  des 

*  dispositions  auxquelles  il  n'aurait  pas  même  songé.  Mais  ces  prali- 

*  ques,  le  catéchiste  pieux  peut  seul  les  lui  incuhpier.  Lui  seul  sait 

*  par  expérience  celles  qui  peuvent  le   mieux  foiiner  et  nourrir  la 

*  piété.  Lui  seul  a  le  tact,  l'iiidusliie,  la  nianiêie  intéressante  et  ai. 

*  niable  propres  à  les  faire  goût(!r  aux  enlanls  et  à  les  leur  l'aire 

*  accepter  avec  un  cmpiessemenL  saintement  joyeux!   Voyez-le,   le 

*  catéchiste  pieux  :  avec  «piel  ait  il   s'empare  de  ces  âmes  neuves, 

*  de   ces  cœurs,      qui  à  un  âge  au^si  tendre,  sont  encoïc,  ci»iiiiiie 

*  la  cire  molle,  susceptibles  de  prendre   toutes  les   iinuii'ssio.is    1 


430  TRAITÉ  DE  L.\  TRÈDICATION. 

*  Comme  il  les  façonne  à  la  modestie  et  à  l'obéissance,  leur  inspire 

*  l'amour  de  Dieu  et  de  la  Irès-sainte  Vierge,  leur  en  suggère  les 

*  pratiques  les  plus  propres  à  leur  âge  !  Tantôt  c'est  à  la  vue  de  la 

*  croix  un  acte  d'amour  de  Dieu  ou  de  détestation  du  péché,  de 

*  désir  du  paradis  à  la  vue  du  ciel,  d'adoration  en  passant  devant 

*  une  église,  d'offrande  de  son  cœur  à  Dieu  au  son  de  l'horloge,  de 
"*  contrilion  avant  de  s'endormir,  tantôt  ce  sont  différentes  pratiques 

*  à  l'époque  des  fêtes  pour  honorer  les  mystères  ou  les  saints;  et  à 
■*  l'aide  de  ces  exercices,  petits  si  l'on  veut  aux  yeux  du  monde. 

*  mais  grands  par  leurs  résultats,  il  forme  et  nourrit  dans  les  cœurs 

*  l'esprit  de  prière,  l'amour  de  Notre-Seigneur  et  delà  sainte  Vierge, 

*  les  vertus  chrétiennes  et  la  vraie  dévotion.  Voilà  le  bien  que  fait  le 

*  catéchiste  pieux  ;  mais  celui  qui  ne  l'est  pas  ne  fera  rien  de  toutes 

*  ces  choses  ou  les  tentera  sans  succès  :  la  piété  seule  en  inspire  le 

*  goût  et  donne  le  tact  nécessaire  pour  y  réussir. 

*  De  ces  observations  nous  pouvons  conclure  combien  la  piété  est 

*  essentielle  au  catéchiste  ;  elle  peut  suppléer  le  talent,  mais  le  ta- 

*  lent  ne  peut  la  suppléer.  On  se  demande  quelquefois  d'où  vient 

*  qu'en  certains  catéchismes,  malgré  les  qualités  brillantes  et  les 

*  soins  de  celui  qui  les  dirige,  tout  languit,  ce  n'est  que  froideur  et 

*  dissipation  ;  tandis  que  dans  d'autres,  sous  un  catéchiste  à  talents 
■*  très  médiocres,  tout  réussit  et  prospère.  La  raison  de  cette  diffé- 

*  rence  n'est  autre,  pour  l'ordinaire,  que  le  défaut  de  piété  :  on  ne 

*  touche  pas,  parce  qu'on  n'est  pas  touché  ;  on  n'embrase  pas, 

*  parce  qu'on  n'est  pas  embrasé;  on  ne  convertit  pas,  parce  qu'on 

*  ne  prie  pas  ;  dans  les  saints  tout  le  contraire  arrive. 

*  De  la  douceur  requise  pour  bien  faire  le  calécliisme. 

*  Saint  Paul  recommande  d'instruire  le  prochain  dans  un  esprit  de 

*  douceur  :  Instruite  in  spiritu  Ienitatis\  et  lui-même  traitait  les 

*  fidèles  avec  la  douceur  d'une  nourrice  pour  son  enfant,  tanqufim 

*  si  mitrix  foveat  jiUos  suos^.  Le  cœur  humain  veut  être  traité  ainsi; 

*  on  n'en  peut  rien  faire  qu'en  le  maniant  doucement  et  cordiale- 

*  ment.  Saint  Augustin  nous  apprend  qu'il  n'a  été  attiré  lui-même  à 

*  la  rehgion  que  par  là,  et  qu'il  dut  le  principe  de  sa  conversion  aux 

*  bontés  de  saint  Ambroise  à  son  égard  :  Cœpi  amare  hominem, 

»  Galat.,  VI,  1  —  2  I  Thess.,  n,  7. 


DU  CATÉCHISME.  431 

*  dit-il.  non  7it  doctorem  veritatis ,  seduthenevolumin  me^.  Mais  si  les 
"*  hommes  faits  ne  se  gagnent  que  par  douceur,  à  plus  forte  raison 

*  les  enfants.  Aussi  Notre-Seigneur  a-t-il  voulu  nous  donner  l'exemple 

*  en  ceci  comme  en  tout  le  reste  :  Et  complexans  evs  et  ijnponens 

*  mamis  super  ilios,  benedicebat  eis^.  Sur  quoi  Gerson  s'écrie  :  «  0 

*  «  bon  Jésus  !  quand  je  vous  vois  étendre  vos  bras  pour  serrer  avec 

*  «  tant  de  tendresse  sur  votre  poitrine  ces  petits  enfants,  je  me  sens 

*  «  ému  jusqu'au  fond  de  l'âme.  Oh  !  je  veux  aimer  ceux  que  vous 

*  «  aimez  tant,  je  veux  imiter  votre  bonté,  et,  comme  vous,  avoir 

*  «  pour  eux  des  entrailles  maternelles.  »  Tel  est,  en  effet,  le  seul 

*  moyen  de  réussir  ;  il  faut  commencer  par  gagner  le  cœur  des  en- 

*  fnnts  et  s'en  faire  aimer.  Si  l'on  se  borne  à  se  faire  craindre,  ils  ne 

*  viendront  qu'avec  répugnance  au  catéchisme,  comme  à  un  exer- 

*  cice  odieux,  s'en  absenteront  le  plus  souvent  qu'ils  pourront,  et 

*  quand  ils  ne  le  pourront  pas,  ils  écouleront  sans  intérêt,  unique- 

*  ment  pour  ne  pas  être  punis  ;  ils  useront  de  dissimulation  et  le 
"*  cœur  ne  se  laissera  point  manier,  toucher  et  changer.  Il  est  donc 

*  essentiel  de  se  faire  aimer.  Or,  on  ne  parvient  à  être  aiuié  qu'en  ai- 

*  mant  soi-même  d'un  amour  plein  de  douceur.  La  douceur  de  la 

*  charité  est  la  clef  des  cœurs,  c'est  elle  qui  les  ouvre,  elle  en  est 

*  l'aimant,  c'est  elle  qui  vous  les  attache.  La  rigueur  les  intimide  et 

*  les  trouble,  la  dureté  les  rebute;  le  ton  sévère,  Fatr  sombre,  les 

*  manières  brusques,  l'humeur  qui  s'emporte,  les  expressions  dures, 

*  les  termes  injurieux  ou  ironiques,  et  plus  encore  les  mauvais  trai- 

*  tements,  les  aigrissent  et  leur  font  perdre  toute  confiance,  sans 

*  compter  que  les  parents  s'en  offensent  et  que  les  paroissiens  s'en 

*  scandalisent.  On  perd  donc  tout  dés  qu'on  manque  à  la  douceur, 

*  et  si  Ton  prétend  se  faire  respecter  en  coinmandant  avec  empire, 

*  en  reprenant  avec  aigreur,  en  se  fâchant  à  tout  propos,   on  se 

*  trompe  ;  on  se  lait  seulement  haïr.  Si  l'on  veut  imposer  aux  enfants 

*  ce  doit   être  par  l'ascendant  de  son  ministère,  de   ses  vertus  et 

*  d'une  fermeté  sans  humeur,  dont  encore  il  ne  faut  faire  usage  que 

*  lorsqu'elle  est  nécessaire  ;  car  on  ne  doit  emf)loyer  l'autorité  qui 

*  intimide  que  rarement,  avec  discrétion  et  seulement  comme   un 

*  moyen  pour  passer  de  là  à  l'amonr  qui  gagne  les  cœurs:  Discile, 

*  disait  saint  Bernard,  matres  esse,  non  dominos,  omrxm  ostendentes 

*  inansuetudinem  ad  ornnes^.  Nemini  vis  adhlbeuda,  disait  dans  le 

*  même  sens  saint  François  Xavier,  nisiamoris  ctcarUalis,  nec  is  sit 

*  (catechiita)  qui  timeri  magis  quant  aman  velit. 

*  Confess.,  lib.  V.  —  »  Marc,  x.  IG.  —  »  Scrm.  ii,  iu  &iit. 


i32  TI'.AITE  DE  LA  PREDICATION, 

*  Mais,  d'un  autre  côté,  il  ne  faut  pas  faire  consister  la  douceur  dans 

*  une  molle  eondescendance  qui  flatte  les  défauts  des  enfants  au  lieu 

*  de  les  corriger,  qui  leur  accorde  tout  ce  qu'ils  demandent,  leur 

*  permette  tout  ce  qui  leur  plaît,  et  les  laisse  se  familiariser  avec  ce- 

*  lui  qu'ils  devraient  respecter;  car  de  là  il  résulte  que,  n'étant  plus 

*  contenus  par  la  crainte,  ils  se  dissipent,  ils  se  relâchent,  ilsman- 

*  quent  d'égards  et  en  viennent  souvent  jusqu'au  mépris,  fruit  trop 

*  ordinaire  de  la  familiarité.  Il  ne  faut  pas  confondre  non  plus  ladou- 

*  ceur  avec  cette  tendresse  de  cœur,  cette  affection  tout  humaine 

*  pour  ceux  que  distinguent  un  extérieur  agréable,  la  naissance,  la 

*  fortune,  l'esprit,  la  sympathie  d'humeur  et  de  caractère.  Le  caté- 

*  chiste  ne  saurait  trop  se  tenir  en  garde  contre  un  tel  sentiment  où  la 

*  nature  a  beaucoup  plus  de  part  que  la  grâce,  ni  trop  éviter  toute 

*  liberté,  toute  caresse  ou  manifestation  d'un  attachement  trop  hu- 

*  main. 

*  La  vraie  douceur  a  des  caractères  bien  différents  des  deux  défauts 

*  que  nous  venons  de  signaler  :  pleine  du  souvenir  de  Jésus-Christ, 

*  si  tendre  envers  les  enfants,  et  touchée  uniquement  des  vues  delà 

*  foi,  elle  s'annonce  au  dehors  par  la  sérénité  du  visage,  une  affabi- 

*  lité  noble,  une  certaine  suavité  dans  la  voix  et  les  manières  qui 

*  gagnent  le  cœur;  elle  parle  le  langage  de  la  bonté,  se  rapetisse 

*  avec  les  petits  et  dépose  tout  air  de  hauteur  et  de  majesté,  con- 

*  vaincue  de  la  vérité  de  cette  parole  du  poêle  : 

Non  benè  conveniimt  nec  eûdem  sede  moranlur 
Majeslas  et  amor 

*  Elle  s'intéresse  comme  une  mère  à  tout  ce  qui  regarde  ses  en- 

*  fants  bien-aimés,  compatit  à  toutes  leurs  peines,  tâche  d'adoucir 

*  les  sujets  d'amertume  qu'ils  rencontrent  et  leur  dit  à  propos  des 

*  paroles  de  consolation  et  d'encouragement.  Après  avoir  ainsi  ga- 

*  gnè  leur  cœur,  elle  profite  de  cet  état  d'aisance  où  elle  les  a  mis 

*  pour  exercer  leur  intelligence  par  des  questions  sur  le  catéchisme, 

*  leur  inspirer  le  désir  de  savoir,  et  les  stimuler  par  les  moyens  d'é- 

*  mulation  dont  nous  parlerons  plus  bas.  Pour  y  mieux  réussir, 

*  elle  s'abstient    soigneusement  de    tout  ce  qui  pourrait  leur  être 

*  désagréable,   comme    de   leur  donner  des  sobriquets,  de    leur 

*  demander  plus  ipi'ils  ne  peuvent  savoir,  de  les  couvrir  de  confu- 

*  sion  pour  leur  ignorance  ou  leur  incapacité,  de  les  reprendre  pu- 

*  bliquement  quand  la  laule  n'est  pas  publique  ;  et,  alln  d'avoir  à  les 

*  punir  le  moins  possible,  elle  s'attache  à  prévenir  les  fautes  par 


DU  CATÉCHISME.  433 

*  toutes  les  précautions  que  la  charité  inspire,  par  un  regard  jeté  à 

*  propos,  un  avis  bien  placé,  un  mot  d'encouragement,  etc..  Si  mal- 

*  gré  tout  cela,  les  enfants  ne  sont  pas  sages,  elle  est  indulgente  au- 

*  tant  qu'elle  le  peut  sans  inconvénient,   corrige   d'un  ton  ferme 
"*  quand  il  le  faut,  mais  sans  aigreur  et  sans  dureté  ;  punit  au  besoin, 

*  mais  sans  jamais  frapper,  toujours  avec  modération  et  sang-froid, 

*  en  laissant  espérer  au  coupable  d'être  encore  aimé  s'il  devient  plus 

*  sage,  et  faisant  agir  sur  tous  la  religion  et  les  sentiments,  bien  plus 

*  que  la  terreur  et  les  menaces. 

*  §4. 

*  Du  zèle  requis  pour  bien  faire  le  catéchisme. 

*  On  entend  par  zélé  un  désir  ardent  de  faire  connaître  et  aimer    ^ 


*  l>ieu  par  les  enfants,  et  de  sauver  leur  âme,  quoi  qu'il  en  doive 

*  coûter .)Si  cette  flamme  sacrée  de  la  charité  ne  brûle  pas  au  fond 
■*  (lu  cœur,  le  peu  d'éclat  qui  accompagne  la  fonction  de  catéchiste, 

*  l'ennui  attaché  à  la  répétition  continuelle  des  mèîues  choses,  la  lé- 

*  gèreté,  l'indocihté,  souvent  même  la  grossièreté  des  enfants,  fe- 

*  l'ont  prendre  leur  instruction  à  dégoût,  et  l'on  ne  s'y  prêtera  plus 

*  qu'avec  répugnance,  sans  intérêt,  sans  préparation,  comme  un 

*  homme  rebuté.  De  là  on  entrera  facilement,  et  pour  la  moindre 

*  contradiction,  en  mauvaise  humeur  ;  on  perdra  l'esprit  de  dou- 

*  ceur,  si  nécessaire  à  ce  ministère,  et  l'on  ne  fera  de  catéchismes 

*  que  le  moins  qu'on  pourra,  s'en  déchargeant  sur  d'autres,  s'il  est 

*  p'ossible,  dussent-ils  s'en  acquitter  mal.  Mais,  au  contraire,  si  une 

*  loi  vive,  si  une  charité  ardente  allume  dans  le  cœur  un  grand  désir 

*  de  sauver  ces   chers  enfants,  de   leur  faire  connaître   et   aimer 

*  Jésus-Christ,  celte  disposition  de  zèle  soutiendra  le  courage  parmi 

*  les  difficultés  et  les  contradictions,  triomphera,  par  la  patience, 

*  des  ennuis  et  des  dégoûts,  portera  à  préparer  avec  grand  soin  clia- 

*  que  catéchisme,  à  ne  rien  négliger  pour  y  donner  cet  intéiét  qui 

*  tient  les  esprits  toujours  attentifs;  et,  si  quelques-uns  ont  besoin 

*  de  leçons  particulières,  on  ne  craindra  pas  d'ajouter,  par  un  gé- 

*  néreux  dévouement,  de  nouveaux  travaux  aux  hçons  [)ubliques. 

*  Ce  zèle  embrassera  tous  les  enfants  sans  exception  ni  distiuc- 

*  tion,  parce  qu'aux  yeux  de  la  foi  les  âmes  valent  toutes  le  même 

*  prix;  ce  qui  n'empêchera  pas  cependant  la  tendresse  et  la  snllici- 
■*  lude  du  catéchiste  d'entourer  d'un  intérêt  tout  spécial  trois  classes 

*  particulières  du  petit  troupeau  confié  à  ses  soins,  savoir  :  l°los 

28 


JJC^".-!^^ 


^.-.«-^ 


434  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

*  enfants  encore  innocents,  sanctuaire  de  la  divinité  qu'il  est  si  inté- 

*  ressaut  de  conserver  purs;  2°  les  pauvres,  qui  sont  si  cliers  au 

*  cœur  de  Notre-Seignour,  et  dont  il  est  juste  d'honorer  la  condition 

*  si  sublime  aux  yeux  de  la  foi,  sans  cependant  négliger  les  riches 

*  et  encore  moins  les  choquer;  3"  les  enfants  qui  ont  eu  le  malheur 

*  de  naître  de  parents  sans  mœurs  et  sans  foi,  d'être  élevés  dans 

*  une  ignorance  profonde  de  la  religion,  de  sucer,  avec  le  lait,  l'ha- 

*  bitude  du  vice,  de  ne  voir  que  mal  autour  d'eux,  de  n'entendre 

*  que  blasphèmes  ou  railleries  sur  la  piété  et  nos  mystères.  Ne  dût- 

*  on  sauver  qu'un  seul  de  ces  pauvres  enfants  dont  la  position  est  si 

*  à  plaindre,  on  devrait  estimer  bien  employé  tout  le  temps  qu'on 

*  leur  consacre;  et  dussent-ils  résister  à  tous  les  efforts  du  zèle,  il 

*  faudrait  encore  les  leur  prodiguer  par  l'espoir  qu'après  avoir  tra- 

*  versé  l'âge  des  passions,  ils  se  rappelleront  les  leçons  de  l'enfance 

*  et  reviendront  à  Dieu,   surtout  s'ils  ont   le  bonheur  d'éprouver 

*  quelque  grand  revers. 


*  De  la  prudence  requise  pour  bien  faire  le  caléchisme. 

*  En  vain  on  aurait  du  zèle,  si  la  prudence  ne  l'accompagne  :  loin 

*  d'être  utile  au  bien,  il  serait  la  source  de  ])eaucoup  de  maux;  et 

*  pour  le  concevoir,  il  suffit  de  parcourir  les  divers  objets  sur  lesquels 

*  doit  s'exercer  la  prudence. 

*  1°  Il  faut  une  grande  prudence  pour  se  modérer,  se  régler  et  se 

*  gouverner  soi-même.  Si  on  se  laisse  dominer  par  son  imagination, 
*par  un  zèle  impérieux,  roide  et  opiniâtre,  qui  prend  toutes  ses 

*  pensées  pour  des  volontés  du  ciel,  on  perdra  tout;  plus  d'une  fois 

*  une  seule  saillie  de  ce  faux  zèle  a  suffi  pour  aliéner  des  enfants 

*  sans  retour.  Le  zèle  prudent  n'agit  jamais  dans  un  premier  mouve- 

*  ment,  ou  dans  un  moment  d'émotion  ;  il  attend  qu'on  soit  calme 

*  et  qu'on  se  possède;  il  réfléchit,  prie  et  consulte  avant  de  se  dèter- 

*  miner,  calcule  les  conséquence  de  telle  mesure  avant  de  la  prendre, 

*  ou  de  telle  parole  avant  de  la  dire,  et  ne  se  laisse  jamais  emporter 

*  par  l'empressement  naturel  ou  par  le  caractère. 

*  2°  La  prudence  n'est  pas  moins  nécessaire  pour  varier  sa  conduite 

*  selon  les  personnes.  11  est  des  caractères  qu'il  faut  attendre,  d'au- 

*  très  qu'il  faut  presser,  des  circonstances  où  il  faut  être  doux,  con- 

*  soler  et  encourager,  d'autres  où  il  faut  être  sévère,  menacer  et 

*  corriger.  Dans  les  rappoi  ts  avec  les  garçons,  il  faut  ôlre  ferme 


DU  CATECHISME.  455 

*  quand  on  leur  parle  à  tous  en  général,  doux  et  tendre  quand  on 

*  leur  parle  en  particulier.  C'est  le  contraire  pour  les  personnes  du 
*sexe;  il  faut  un  grand  fond  de  douceur  quand  on  leur  parle  en 

*  général,  et  une  grande  réserve  dans  les  rapports  privés.  On  voitpar 

*  ces  courtes  indfcations  comment  l'esprit  de  discrétion  et  de  pru- 

*  dence  varie  ses  moyens  :  c'est  là  une  affaire  de  tact  dans  laquelle 

*  le  bon  sens  devine  plus  que  les  régies  ne  peuvent  prescrire. 

*  ô"  11  faut  la  prudence  pour  ne  laisser  soupçonner  aux   enfants 

*  aucune  acception  de  personnes.  Si  l'on  témoigne  plus  d'affection 

*  à  l'un  d'entre  eux  qui  est  bien  vêtu  qu'à  un  autre  qui  est  pauvre,  si 

*  on  lui  parle  souvent,  d'un  ton  plus  honnête,  et  qu'on  le  loue  ou 

*  qu'on  le  récompense  davantage,  ils  l'auront  bientôt  remarqué,  et, 

*  dés  lors,  se  croyant  méprisés,  ils  regarderont  le  catéchiste  comme 

*  un  homme  injuste,  lui  retireront  à  la  fois  leur  respect  et  leur  con- 

*  fiance;  et  leurs  parents,  partageant  les  mêmes  sentiments,  écla- 

*  teront  en  murniures  contre  une  manière  de  faire  qui  les  humilie. 

*  Pour  prévenir  de  tels  inconvénients,  il  faut  traiter  si  également  les 

*  uns  et  les  autres,  que  personne  n'ait  sujet  de  se  plaindre;  et  après 

*  avoir  loué  ou  récompensé  un  enfant  riche,  il  faut  louer  ou  récom- 

*  penser  quelque  enfant  pauvre  qui  le  mérite  ;  après  avoir  parlé  à 

*  celui-ci,  parler  à  celui-là  ;  et  que  les  règles  de  bienséance  envers 

*  les  riches  soient  compensées  par  les  égards  de  bonté  envers  les 

*  pauvres. 

*  4°  llne  grande  prudence  est  nécessaire  pour  discerner  la  portée 

*  d'esprit,  le  caractère  et  le  cœur  de  chaque  enfant,  et  jutrcr  d'après 

*  cela  ce  qu'on  doit  lui  dire,  et  la  manière  de  le  dire.  Car  on  doit 

*  varier,  selon  les  circonstances,  ses  discours  et  son  genre;  il  ne  faut 

*  pas  entrer  dans  les  mêmes  développements  avec  les  enfants  de  huit 

*  à  dix  ans  qu'avec  ceux  de  douze  à  quinze;  il  ne  faut  pas  parler  à  un 

*  enfant  tinnde  comme  à  un  enfant  vain  et  présomptueux;  on  peut 

*  même  dire  que  chaque  catéchisme,  comme  chaque  enfant,  a  sa 

*  nuance  particulière  qu'il  faut  observer  en  parlant,  si   on  veut  être 

*  compris  et  goûté. 

*  5°  Il  faut  surtout  une  prudence  céleste  pour  traiter  ce  qui  a 

*  rapport  à  la  sainte  et  aimable  vertu.  On  ne  peut  point  passer  sous 

*  silence  le  sixième  précepte  ouïe  troisième  péché  ca[)ital,  parce  que 

*  les  enfants  demanderaient  raison  de  celte  omission  ;  et  d'un  autre 

*  côté,  quand  on  en  parle,  il  faut  en  dire  assez  peu  pour  que  ceux 

*  qui  ignorent  le  mal  ne  rappreinient  ni  ne  le  ^-oupçonm-nt,  et  que 

*  ceux  qui  le  savent  n'en  aient  pas  limaginalion  blessée;   et  toute- 


436  TRAITÉ  DE  LA  PnÉDICATION. 

*  fois  il  faut  en  dire  assez  pour  inspirer  à  tous  l'horreur  de  l'impu- 

*  relé,  pour  en  retirer  ceux  qui  y  sont  tombés,  pour  en  préserver  ceux 

*  qui  sont  innocents  sans  leur  laisser  soupçonner  qu'il  y  a  quelque 

*  chose  de  plus  à  savoir  là-dessus;  ce  qui  exciterait  leur  curiosité  à 

*  des  recherches  et  à  des  questions  dangereuses.  Nous  indiquerons 

*  phis  tard  la  manière  de  procéder  à  ce  sujet  ;  mais  quoi  que  nous 
"*  puissions  dire,  il  restera  toujours  une  part  immense,  uniquement 

*  du  ressort  de  la  prudence,  ne  fût-ce  que  pour  répondre  aux  inter- 

*  rogations  que  font  par  simplicité  ou  curiosité  certains  enfants  sur 

*  cette  matière,  demandant  par  exemple  ce  que  c'est  que  la  pureté, 

*  la  luxure,  l'œuvre  de  la  chair,  etc..  On  conseille  dans  ces  cas,  ou 

*  de  ne  pas  paraître  entendre,  ou  de  mépriser  la  question  comme 

*  peu  importante,  et  de  parler  d'autre  chose,  ou  de  répondre  en 

*  termes  vagues  par  exemple,  que  la  pureté  consiste  à  être  sage,  la 

*  luxure  à  n'être  pas  sage,  sans  affecter  un  air  de  mystère  qui,  irri- 

*  tant  la  curiosité,  provoquerait  de  nouvelles  questions.  Si  l'on  savait 

*  que  l'interrogation  est  faite  par  malice,  il  faudrait  répondre  par  un 

*  regard  foudroyant,  par  un  mot  d'indignation,  par  exemple,  ce  «'est 

*  pas  de  cela  qu'il  s  agit,  et  reprendre  aussitôt  son  sang-froid  ordi- 

*  naire,  pour  qu'on  n'aperçoive  que  le  moins  possible  la  portée  de  la 

*  question. 

ARTICLE  4. 

DE   CE   qu'il  faut    ENSEIGNER   AD  CATÉCHISME. 

Tout  ce  que  nous  avons  dit  dans  le  troisième  chapitre  du  premier 
livre  sur  la  matière  de  la  prédication,  s'applique  ici  en  très-grande 
partie,  de  sorte  que  nous  nous  bornerons  à  quelques  courtes  obser- 
vations. 

l"  On  doit  ne  traiter  au  catéchisme  que  ce  qui  regarde  la  foi  et  les 
mœurs,  s'abstenir  des  questions  subtiles  ou  de  pure  curiosité  qui  ne 
sont  point  essentielles  au  salut,  des  opinions  problématiques  qu'il 
importe  fort  peu  aux  enfants  de  connaître,  et  des  objections  contre  la 
religion,  à  moins  que  ce  ne  soient  des  objections  vulgaires  et  con- 
nues de  tous. 

2°  Il  faut  enseigner  avec  un  soin  particulier  les  premières  vérités 

et  surtout  les  trois  principaux  mystères,  les  répéter  souvent  pour 

les  imprimer  d'une  manière  durable  dans  l'esprit  des  enfants,  et  leur 

faire  produire  non  moins  souvent  les  actes  de  foi,  d'espérance  et  de 

harité,  avecl'ènoncé  bien  clair  et  bien  compris  du  motif  de  chaque 


DU  CATECHISME.  437 

acte.  Par  exemple,  après  qu'un  enfant  a  dit  :  Je  crois  tout  ce  que 
Dieu  a  révélé  à  son  Église,  il  faut  lui  demander  pourquoi  il  le  croit 
et  lui  faire  répondre  que  c'est  parce  que  Dieu  est  la  vérité  môme  qui 
ne  peut  ni  se  tromper  ni  nous  tromper.  Après  qu'il  a  dit  :  J'espère 
la  vie  éternelle  et  la  possession  de  Dieu  dans  le  ciel,  il  faut  lui  faire 
dire  qu'il  l'espère  parce  que  Dieu  lui  en  a  promis  les  moyens,  et  que 
Dieu  ne  peut  manquer  à  sa  promesse.  Après  qu'il  a  dit  :  J'aime  Dieu 
de  tout  mon  cœur,  il  faut  lui  faire  dire  qu'il  l'aime,  parce  que  Dieu 
est  en  lui-même  infiniment  aimable,  infiniment  bon  :  sans  ces  motifs 
compris  par  l'esprit  et  sentis  par  le  cœur,  il  n'y  a  point  d'actes  des 
vertus  théologales. 

5"  11  faut  expliquer  toutes  les  vérités  dont  la  connaissance  est  de 
nécessité  de  précepte,  comme  les  sacrements,  les  commandements 
de  Dieu  et  de  l'Église,  la  manière  de  baptiser,  les  obligations  du 
chrétien  en  faisant  remarquer  combien  elles  sont  raisonnables,  fa- 
ciles et  avantageuses,  même  pour  la  vie  présente,  les  péchés  inté- 
rieurs qui  se  commettent  par  pensées,  par  désirs,  par  résolutions, 
par  intentions,  par  dispositions  du  cœur,  en  agissant  contre  sa 
conscience  ;  et  pour  prévenir  les  illusions  si  communes  sur  tous  ces 
points,  il  est  essentiel  de  faire  bien  comprendre  que  souvent  on 
pèche  quoiqu'il  n'y  ait  aucun  acte  extérieur,  que  l'acte  extérieur  lui- 
même  est  plus  ou  moins  grave  en  raison  des  dispositions  intérieures 
avec  lesquelles  on  le  fait,  et  qu'en  conséquence  ils  doivent  se  de- 
mander souvent  :  quel  est  le  motif  qui  me  fait  désirer,  dire  ou  faire 
telle  chose  ?  D'où  vient  le  plaisir  que  j'ai  à  penser  à  ceci,  ou  à  dire 
cela? 

4"  11  faut  bien  expliquer  en  quoi  consistent  les  vertus  chrétiennes: 
rien  n'est  moins  connu  dans  le  monde,  même  parmi  les  personnes 
qui  font  profession  de  piété.  On  croit  que  tout  consiste  à  éviter  le 
péché  ;  et  les  vertus  chrétiennes,  ces  vertus  si  belles,  l'iiormeur  du 
christianisme,  l'ornement  de  l'Église,  ces  vertus  qu'un  Dieu  est  venu 
nous  enseigner  par  ses  exemples  et  ses  leçons,  on  les  ignore,  on  ne 
sait  pas  en  quoi  elles  consistent  ;  qu'on  juge  de  là  où  en  est  la  pra- 
tique. C'est  ainsi  que  la  religion  est  privée  d'une  de  ses  gloires,  les 
âmes  d'une  des  connaissances  les  plus  précieuses  :  et  quelle  en  est 
la  cause,  sinon  le  prêtre  qui  n'a  pas  instruit  l'enfance  sur  un  sujet  si 
utile  au  salut?  Qu'on  interroge  les  enfants  qui  ont  le  mieux  suivi  tout 
le  cours  des  catéchismes  :  en  est-il  un  (jui  sache  ce  que  c'est  que 
l'humilité,  l'abnégation,  l'esprit  de  foi,  le  recueillement,  etc.?  Il 
a  obligation  rigoureuse  de  ne  plus  laisser  une  pareille  lacune  dans 


438  TRAITÉ  DE  LA  TRÉDICATION 

l'enseignement  de  la  religion,  et  de  se  rappeler  que  la  morale  chré- 
tienne a  deux  parties  :  Déclina  à  malo  et  fac  bonum. 

5°  Il  faut  se  faire  une  loi  d'une  exactitude  parfaite  dans  la  doc- 
trine, sans  jamais  se  permettre  la  moindre  exagération.  C'est  un  zèle 
fort  mal  entendu  de  présenter  comme  péché  mortel  ce  qui  ne  l'est 
pas,  afin  d'en  inspirer  plus  d'horreur  aux  enfants  :  le  désir  du  bien 
fait  souvent  donner  dans  cet  excès  sans  en  calculer  les  conséquences; 
par  exemple  lorsqu'on  présente  comme  quelque  chose  d'énorme  le 
mensonge,  la  gourmandise,  la  désobéissance,  la  non-assistance  à  Vêpres 
ou  à  une  classe.  Par  ces  exagérations,  on  est  cause  que  les  enfants  se 
formant  une  fausse  conscience,  pèchent  mortellement  là  où  il  n'y  a 
en  soi  que  péché  véniel.  D'un  autre  côté  cependant  il  faut  prendre 
garde  de  les  enhardir  au  mal  par  une  manière  maladroite  de  leur 
exposer  la  vraie  doctrine,  comme  ferait  celui  qui  leur  dirait  en  riant 
ou  d'un  air  indifférent  qu'il  n'y  a  pas  grand  mal  à  cela,  que  ce  n'est 
que  péché  véniel.  La  prudence  veut  qu'on  ne  parle  de  ces  fautes  que 
d'une  manière  grave  et  propre  à  leur  en  inspirer  de  l'éloignement, 
qu'on  les  en  détourne,  non  pas,  doit-on  leur  dire  ,  qu'elles  soient 
péché  mortel,  mais  parce  quelles  déplaisent  à  Dieu,  elles  l'offensent, 
il  les  punira  sévèrement  dans  le  purgatoire,  et  quoique  vénielles, 
elles  disposent  au  péché  mortel  et  mettent  le  salirt  en  péril. 

ARTICLE  5. 

DE    LA   PRÉPARATION   QU'eXIGE  LE    CATECHISME. 

Le  catéchisme,  pour  être  utile,  demande  une  préparation  sérieuse, 
beaucoup  plus  soignée  qu'on  ne  le  pense  ordinairement  ;  et  qui- 
conque méditera  la  manière  de  le  bien  faire,  telle  que  nous  l'expo- 
serons ci-après,  comprendra  que  ce  n'est  pas  là  un  exercice  qui 
s'improvise.  On  peut  même  dire  que  celui  qui  habituellement  ne  le 
prépare  pas,  on  ne  le  prépare  que  par  manière  d'acquit,  n'est  pas 
exempt  de  faute  grave  :  car  c'est  un  fait  d.'e\périence  qu'alors  il  y  a 
dans  l'instruction  des  inutilités  et  des  redites,  des  omissions  et  des 
inexactitudes,  des  décisions  hasardées,  des  choses  vagues,  des  di- 
gressions déplacées  :  on  parle  beaucoup  et  on  instruit  peu.  Alors  ij 
y  a  obscurité  dans  la  manière  de  présenter  les  choses;  il  est  impos- 
sible d'avoir  l'idée  nette  et  l'expression  juste  quand  auparavant  on 
ne  s'est  pas  rendu  compte  à  soi-même  de  ce  qu'on  doit  dire  et  de  la 
manière  de  le  dire  ;  on  parle  au  hasard,  on  est  long,  diffus  ou  trop 
relevé;  et  n'eût-on  pas  tous  ces  défauts,  on  aurait  au  moins  celui  de 


DU  CATÉCHISME.  439 

ne  point  se  faire  comprendre  :  car  les  enfants,  et  on  en  peut  dire 
autant  des  esprits  bornés,  ont  leur  manière  à  eux  de  concevoir  les 
choses  et  de  rendre  leurs  conceptions  ;  et  ce  qui  est  clair  pour  le 
commun  des  hommes  ne  l'est  nullement  pour  eux.  Si  l'on  veut  en 
être  compris,  il  faut,  dans  une  préparation  sérieuse,  étudier  le 
petit  cercle  de  leurs  connaissances,  prendre  là  le  point  de  départ, 
la  règle  de  ses  explications  et  la  manière  de  les  conduire  pas  à  pas 
avec  ordre  et  méthode,  à  magis  noto  ad  minm  notiim;  il  faut  réflé- 
chir sur  le  sens  qu'ils  attachent  aux  mots,  sur  la  manière  dont  ils 
expriment  leurs  pensées  dans  le  langage  ordinaire,  et  d'après  ces 
diverses  données,  se  tracer  son  plan  d'instruction  et  en  combiner 
tout  le  détail  ;  autant  de  choses  qui  demandent  une  forte  prépara- 
tion. Mais  ce  n'est  pas  tout:  lorsqu'on  a  négligé  de  se  préparer,  on 
ne  rend  pas  le  catéchisme  agréable  et  intéressant,  et  les  enfants,  dé- 
goûtés, sont  distraits  et  inaltentifs  ;  on  n'y  porte  pas  soi-même  d'in- 
térêt, parce  qu'on  sent  au  fond  de  sa  conscience  qu'on  s'acquitte 
mal  de  son  devoir,  et  surtout  parce  qu'on  ne  possède  pas  son  sujet, 
faute  de  s'en  être  bien  rempli  auparavant:  quand  on  n'est  pas  maître 
de  sa  matière,  on  est  froid,  languissant,  incertain  de  ce  qu'on  va 
dire,  et  gêné  dans  sa  marche.  On  s'aperçoit  que  les  enfants  ne  com- 
prennent point,  mais  on  ne  sait  pas  s'énoncer  autrement  :  l'occasion 
se  présente  de  dire  des  choses  très-utiles  relatives  au  sujet,  mais  on 
est  incapable  de  les  dire  ;  les  enfants  adressent  des  questions  impré- 
vues, et  l'on  est  embarrassé  pour  y  répondre. 

Il  faut  donc  se  préparer  avec  soin  ;  et  voici  en  quoi  consiste  celte 
préparation  : 

1°  Il  faut  bien  étudier  la  lettre  ou  le  texte  du  catéchisme,  afin 
d'être  en  état  d'en  expliquer  clairement  tous  les  mots,  et  de  déter- 
miner les  points  sur  lequels  il  faudra  insister  et  ceux  qu'il  suffira 
d'exposer. 

2°  Il  faut  lire  les  meilleurs  auteurs  sur  la  leçon  à  expliquer,  par 
exemple,  le  Catéchisme  du  concile  de  Trente,  les  Catéchismes  de 
Constance  (4  vol.),  de  Montpellier  (édition  de  Charency,  0  vol.),  de 
Couturier  (4  vol.),  de  Bourges,  par  M.  de  la  Chétardic  (2  vol.),  do 
CoUot,  (1  vol.),  de  Fleury  (1  vol.),  de  Nantes  (l  vol.);  le  Catéchisme 
de  Bellarmin,  que  Clément  XI,  Benoit  XIV  et  plusieurs  autres  papes 
ont  si  vivement  recommandé,  en  exprimant  le  désir  qu'il  fût  le  soûl 
enseigné  dans  toute  l'Kglise  catholique  ;  l'Explication  du  catéchisme 
de  Genève,  par  Duclot  (7  vol.);  la  Science  pratique  du  catéchiste,  par 
M.  Cossart  (1  vol.  in-8');  le  Catéchisme  expliqué  par  400  tiailsd'his- 


440  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION.  ^^'^\,..^. 

toire,  par  M.  Guillois,  ancien  curé  du  Mans  ;  mais  surtout  le  Caté- 
chisme de  la  foi  et  des  mœurs,  par  M.  de  Lantages,  réimprimé  au  Puy 
en  1845  (1  vol.),  et  enfin  les  auteurs  même  de  théologie.  En  faisant 
ces  lectures,  on  extrait,  sur  un  cahier  à  part,  ce  qu'on  trouve  de 
plus  utile  ;  on  le  résume  ensuite,  on  le  met  en  ordre  en  se  rappro- 
chant le  plus  possihle  de  la  leçon  à  expliquer,  et  on  tâche  de  s'en 
bien  pénéirer. 

5°  Après  qu'on  a  ainsi  préparé  ce  qu'on  doit  dire,  il  faut  préparer 
la  manière  de  le  dire,  en  recherchant  les  moyens  de  rendre  ses  pen- 
sées assez  clairement  pour  instruire,  assez  pieusement  pour  toucher, 
assez  agréablement  pour  intéresser,  et  choisissant  d'avance  les  com- 
paraisons, les  exemples,  les  histoires  propres  à  ce  triple  but,  quel- 
quefois même  jusqu'aux  expressions  et  aux  tournures  qu'on  em- 
ploiera pour  se  mettre  à  la  portée  des  enfants. 

4"  Avant,  pendant  et  après  celte  préparation,  il  faut  demander  par 
des  prières  ferventes  la  grâce  de  remplir  dignement  un  si  saint  mi- 
nistère, se  pénéirer  d'un  vif  désir  d'y  procurer  le  bien  des  âmes  et 
la  plus  grande  gloire  de  Dieu,  et  tenir  son  intention  dirigée  imique- 
ment  vers  cette  noble  fin.  Cela  fait,  on  pourra  aller  avec  confiance 
faire  le  catéchisme  ;  Dieu  le  bénira. 

ARTICLE  6. 

DK   LA   MANIÈRE  DE   FAIRE    LE    CATECHISME. 

Nous  abordons  ici  une  matière  sur  laquelle  l'expérience  seule 
peut  donner  des  leçons  utiles  ;  toutes  les  théoiies  seraient  suspectes 
et  nous  pardonneiions  de  n'y  avoir  pas  confiance.  Aussi,  est-ce  de 
l'expérience  seule  que  nous  avons  pris  conseil  pour  traiter  tout  cet 
article  :  nous  n'y  disons  rien  qui  n'ait  été  mis  en  pratique  pendant 
près  de  deux  siècles  dans  les  catéchismes  si  justement  célèbres  de 
Saint-Sulpice  de  Paris,  et  qui  ne  s'observe  encore  maintenant,  non- 
seulement  dans  cette  paroisse,  mais  dans  un  grand  nombre  de  pa- 
roisses de  France.  Toutes  les  règles  que  nous  donnons  ont  été 
prouvées  bonnes  et  utiles  parles  résultats,  et  d'éclatants  succès  en 
garantissent  la  sagesse  :  nous  avons  donc  droit  à  être  cru  dans  l'ex- 
posé que  nous  allons  donner  de  la  manière  de  faire  le  catéchisme. 

Pour  remplir  dignement  ce  saint  ministère,  trois  choses  sont 
essentielles.  11  faut  :  1"  établir  dans  le  catéchisme  une  discipline 
exacte  ;  2°  bien  instruire  les  enfants  ;  3"  travailler  à  leur  sanctifi- 
cation, 


DU  CATÉCHISME.  i'A 


Des  moyens  d'établir  une  discipline  exacte  dans  le  catéchisme. 

La  première  condition  pour  bien  faire  le  catéchisme,  c'est  de  savoir 
maîtriser  les  enfants,  et  les  tenir  dans  le  silence  et  le  recueillement. 
Souvent  ils  sont  pétulants  et  volages,  ne  pensent  qu'à  s'amuser,  ne 
sentent  point  le  prix  de  l'instruction,  et  n'assistent  au  catéchisme 
qu'à  contre-cœur.  Si  on  ne  sait  pas  les  contenir,  ils  mettent  le 
trouble,  n'écoutent  pas  et  empêchent  les  autres  d'écouter  :  on  passe 
soi-même  la  moitié  du  temps  en  avertissements  et  en  réprimandes; 
on  interrompt  à  chaque  instant  le  fil  de  l'instruction  pour  gronder 
celui-ci,  châtier  celui-là  ;  on  crie  beaucoup  et  l'on  fait  peu  de  fruit. 
Plusieurs  moyens  concourent  à  maintenir  l'ordre  et  la  disciphne 
dans  le  catéchisme.  Ces  moyens  sont  :  1°  un  local  convenable  et  un 
placement  bien  fait  ;  2°  un  bon  règlement  à  l'observation  duquel  on 
tienne  la  main  ;  5"  une  manière  d'interroger  et  de  parler  qui  inté- 
resse les  enfants  et  les  tienne  toujours  en  haleine;  -4°  l'émulation 
ex'citée  et  les  récompenses  données  à  propos  ;  5°  les  punitions  infli- 
gées avec  discrétion;  6°  quelques  exercices  ou  cérémonies  extraor- 
dinaires sagement  ménagés  ;  7°  la  bonne  tenue  des  registres  du  caté- 
chisme. 

SECTION   l". 

Du  local  et  du  placement 

1°  La  nef  de  l'église,  à  moins  qu'elle  ne  soit  petite,  ne  convient 
pas  pour  le  catéchisme,  soit  parce  qu'on  ne  pouirait,  sans  se  fati- 
guer beaucoup,  s'y  faire  entendre  assez  et  soutenir  le  ton  de  voix 
facile  et  naturel  qui  convient,  soit  parce  que  les  enfants  y  seraient 
distrails  pardes  allants  et  venants  et  tout  ce  qui  se  passe  dans  l'église, 
soit  enfin  parce  que  les  étrangers  qui  entreraient  pouriaient  les  inti- 
mider et  nuire  à  celte  aisance  dont  ils  ont  besoin  pour  bien  s'expli- 
quer. 11  faut  donc,  si  la  cliose  est  possible,  choisir  une  chapelle 
retirée  et  disposée  de  manière  (lu'ils  puissent  s'enlendre  les  uns  et 
les  autres  quand  ils  répondront,  et  (ju'on  puisse  surtout  soi-même 
se  faire  enteiuire  lacilemeiit  de  tous,  les  avoir  Ions  sous  les  yeux  et 
les  surveiller  sans  (changer  de  position. 

2°  En  face  des  enfants,  il  doit  y  avoir,  autant  (|ue  possible,  ni.  ar.tei 
avec  une  statue  ou  un  tableau  propre  à  les  édifier,  à  fixer  Iciu*  légè. 


442  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

reté  et  à  recueillir  leur  esprit  dans  la  prière.  A  côté  de  l'autel  doit 
être  une  chaire  pour  le  catéchiste,  parce  que  de  là  il  surveille  mieux 
et  est  écouté  avec  plus  de  respect  et  d'attention.  Au  défaut  de  chaire, 
il  faut  au  moins  une  estrade  un  peu  élevée,  d'où  il  domine  tous  les 
enfants,  afin  de  contenir  continuellement  tout  Tandiloire  par  son 
regard.  Enlin,  s'il  ne  peut  avoir  d'estrade,  il  doit  au  moins  éviter 
de  parler  en  marchant  et  de  changer  trop  facilement  de  place. 

3°  Les  chaises  ne  conviennent  pas  pour  faire  asseoir  les  enfants; 
un  siège  si  mobile  rendrait  trop  difficiles  l'ordre,  le  calme  et  le 
silence  :  il  faut  des  bancs  qui  soient  sans  dossier,  pour  ne  gêner  ni 
la  circulation  ni  la  surveillance,  et  d'une  hauteur  proportionnelle  à 
la  taille  des  enfants,  afin  que,  quand  ils  seront  assis,  ils  n'aient  les 
pieds  ni  suspendus  en  l'air  ni  étendus  sous  le  siège  de  leurs  voisins. 
Ces  bancs  doivent  être  établis  parallèlement  les  uns  aux  autres,  et  à 
une  distance  réciproque  telle,  que  les  enfants  puissent  sortir  hbre- 
ment  de  leurs  places.  Si  le  catéchisme  est  nombreux,  il  est  bon  de 
le  diviser  en  quartiers,  et  de  laisser  entre  chaque  quartier  un  passage 
pour  la  circulation. 

4°  Le  local  ainsi  préparé,  il  ne  reste  plus  qu'à  y  attirer  et  à  y  placer 
convenablement  les  enfants.  Pour  cela  il  faut  annoncer  au  prône, 
quinze  jours  d'avance,  l'ouverture  des  catéchismes,  et  pendant  ces 
quinze  jours  s'informer  avec  soin  des  enfants  en  état  d'y  venir,  s'en- 
tendre avec  leurs  parents  ou  leurs  maîtres  pour  qu'ils  les  y  envoient, 
leur  parler  à  eux-mêmes  avec  une  bonté  paternelle,  et  leur  faire  pro- 
mettre de  s'y  rendre.  A  la  première  réunion,  ils  se  placent  dans 
l'ordre  où  ils  entrent,  le  visage  tourné  vers  l'autel,  les  garçons  d'un 
côté  ou  par  devant,  les  filles  de  l'autre  ou  par  derrière,  à  moins  qu'on 
ne  pût  faire  un  catéchisme  séparé  pour  les  garçons  et  pour  les  filles, 
ce  qui  serait  incomparablement  mieux.  A  la  fin  de  cette  première 
réunion,  on  inscrit  exactement  sur  un  registre  les  noms  et  prénoms 
des  enfants,  leur  domicile,  leur  âge,  leur  mesure  d'instruction  ou  le 
temps  depuis  lequel  ils  fréquentent  le  catéchisme  ;  mais  on  ne  fait 
encore  aucun  placement  définitif;  on  le  réserve  pour  le  catéchisme 
suivant,  afin  d'avoir  le  temps  de  prendre  des  renseignements  sur 
chaque  enfant.  Dans  ce  placement,  duquel  dépend  en  grande  partie 
le  bon  ordre,  il  faut  :  1°  séparer  ceux  qui  savent  lire  et  ceux  qui  ne 
le  savent  pas,  ceux  qui  ont  l'âge  de  se  préparer  à  la  pi^emière  com- 
munion et  ceux  qui  ne  l'ont  pas  ;  2°  placer  bien  en  vue  les  plus  dis- 
sipés et  les  plus  volages,  en  ayant  soin  cependant  de  les  entremêler 
avec  ceux  sur  la  sagesse  desquels  on  peut  le  mieux  compter  ;  3"  ne 


DU  CATÉCHISME.  4i3 

pas  placer  un  enfant  riche  à  côté  d'un  enfant  en  haillons,  ce  qui 
pourrait  fâcher  l'amour-propre  des  parents,  mais  mettre  ceux  d'une 
condilion  aisée  à  côté  de  la  classe  moyenne  et  ceux-ci  à  côté  des  plus 
indigents,  en  variant  de  telle  sorte  sur  chaque  banc  le  placement 
de  ces  trois  conditions,  que  cela  ne  puisse  pas  être  trop  remarqué. 
Après  cette  opération,  il  faut  recommander  aux  enfants  d^  ne  pas 
changer  de  place  et  y  tenir  la  main. 

SECTION   2. 
Du  règlement  du  catéchisme. 

Il  est  très-utile  de  faire  et  même  dinscriresurune  pancarte  propre 
et  décorée  un  règlement  de  catéchisme  qu'on  explique  au  commen 
cément  et  au  milieu  de  l'année,  et  qui  demeure  afliché  dans  l'endroit 
où  se  fait  le  catéchisme,  si  cet  endroit  est  une  chapelle  particulière. 
Cette  pratique  inspire  aux  enfants  plus  de  respect  pour  les  prescrip- 
tions qu'on  a  à  leur  faire,  et  empêche  qu'ils  ne  les  attribuent  au 
caprice.  On  pourrait  même,  pour  les  confirmer  encore  dans  ce  sen- 
timent, faire  signer  ce  règlement  par  l'évêque  ou  un  grand  vicaire, 
et  y  faire  apposer  le  sceau  de  l'évêché.  Voici  les  principaux  articles 
de  ce  règlement,  avec  leurs  commentaires  qui  expliquent  la  manière 
de  les  faire  observer. 

Art.  1".  —  Tous  les  enfants  devront  être  arrivés  à  V heure  précise 
pour  l'ouverture  du  catéchisme. 

Pour  obtenir  cette  exactitude,  il  faut  d'alîord  en  donner  l'exemple 
en  commençant  toujours  à  la  môme  heure,  n'y  eùt-il  qu'un  petit 
nombre  d'enfants  arrivés;  il  faut  leur  en  expliquer  les  avantages, 
qui  sont  de  faire  tous  ensemble  la  prière  en  commun,  de  ne  pas  dis- 
traire et  troubler  les  autres,  comme  cela  a  lieu  quand  on  arrive  tard, 
de  ne  pas  se  faire  une  réputation  de  paresseux,  mais  au  contraire 
d'édifier  tout  le  monde  par  son  empressement  à  venir  entendre  la 
parole  de  Dieu;  enfin,  il  faut  exiger  que  les  enfants  viennent  s'ex_ 
cuscr  quand  ils  n'arrivent  pas  à  temps,  et  leur  faire  sentir  ensuite 
leur  faute  dans  le  cours  du  catéchisme,  en  disant  par  exemple  à  un 
enfant  retardataire  qu'on  voit  attentif  :  «  Paul,  vous  écoutez  bien,  je 
«  suis  content  de  vous;  si  vous  étiez  venu  à  r heure,  je  vous  aurais  donné 
a  un  bon  point;  vous  auriez  eu  telle  récompense,  telle  charge,  etc.,. 


4ii  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

«  Je  demanderais  telle  réponse  à  Pierre,  mais  il  est  arrivé  tard.  » 
—  Il  est  surtout  nécessaire  de  prévenir  les  absences  totales, 
et,  pour  cela,  il  faut  montrer  avec  énergie  aux  enfants  le  tort  quel- 
quefois irréparable  qu'ils  se  font  en  manquant  un  catéchisme,  per- 
dant l'instruction  qui  s'y  donne  et  les  grâces  que  Dieu  y  attache.  Si, 
malgré  ces  remontrances,  quelques-uns  s'absentent,  il  faut  les  me- 
nacer de  ne  point  leur  donner  de  récompenses,  de  les  remettre  à 
une  autre  année  pour  la  première  communion,  etc.  Si  ces  moyens 
sont  sans  effet  et  qu'ils  s'absentent  encore,  on  les  place  sur  un  banc 
à  part  qu'on  appelle  banc  d'ignominie,  d'où  ils  ne  peuvent  plus 
sortir  qu'après  avoir  réparé  leur  faute  par  une  ponctualité  parfaite 
au  moins  dans  cinq  catéchismes  consécutifs. 

Akt.  2.  —  A  un  signal  donné,  tous  les  enfants  entreront  dans  la  cha- 
pelle du  catéchisme,  les  garçons  les  premiers  et  les  filles  ensuite, 
et  se  rendront  deux  à  deux,  avec  modestie,  chacun  à  sa  place,  sans 
précipitation  et  sans  passer  par-dessus  les  bancs.  Au  signal  donné^ 
on  se  mettra  à  genoux  sans  bruit  :  on  suivra  la  prière  avec  piété ^ 
et  on  attendra  de  nouveau  le  signal  pour  se  relever. 

Cette  entrée  du  catéchisme  est  de  la  plus  grande  importance, 
parce  que,  si  elle  se  fait  d'une  manière  tumultueuse  et  dissipée,  on 
ne  pourra  plus  ramener  les  enfants  au  recueillement.  Il  serait  même 
à.  désirer  qu'on  pût  leur  assigner  un  certain  endroit  de  l'égUse  oii 
ils  attendraient  en  silence  et  en  prières  l'ouverture  du  catéchisme. 
Pendant  l'entrée  générale,  on  doit  exercer  la  plus  grande  vigilance 
pour  maintenir  l'ordre,  prévenir  la  dissipation;  et,  quand  les  enfants 
sont  assis  à  leur  place,  il  faut,  après  avoir  rappelé  par  quelques 
mots,  le  respect  avec  lequel  se  doit  faire  la  prière,  leur  donner  un 
premier  signal  pour  se  lever,  un  autre  pour  saluer  l'autel,  un  troi- 
sième pour  se  mettre  à  genoux,  faire  ensuite  réciter  par  l'un  d'eux, 
posément  et  ti  haute  voix  :  Notre  Père,  Je  vous  salue,  Je  crois  en  Dieu, 
Je  me  confesse,  les  commandements  de  Dieu  et  de  l'Église;  et  lors- 
qu'à un  nouveau  signal  ils  se  sont  relevés  et  assis,  on  entonne  ou 
l'on  fait  entonner  un  cantique,  après  lequel  on  interroge  sur  la 
ieçon  assignée. 


DU  CATÉCHISME.  445 

Art.  3.  —  On  observera,  pendant  toute  la  durée  du  catéchisme, 
la  modestie  et  le  silence. 

Cette  modestie  consiste  à  rester  tranquille  à  sa  place,  sans  tour- 
ner la  tète  de  côté  et  d'autre  et  sans  déranger  ses  voisins;  à  avoir 
les  yeux  fixés  sur  celui  qui  parle,  à  tenir  les  bras  croisés  si  ce  sont 
les  garçons  et  les  mains  jointes  si  ce  sont  les  filles,  excepté  les  mo- 
ments où  il  leur  est  permis,  soit  d'avoir  un  livre  entre  les  mains 
pour  chanter  un  cantique  ou  marquer  la  leçon,  soit  d'écrire  pour 
prendre  des  notes  sur  l'instruction.  Le  silence  consiste  à  s'interdire 
toute  parole,  même  dite  à  voix  basse,  et  toute  espèce  de  signe.  C'est 
là  l'article  essentiel  ;  et  pour  l'obtenir  des  enfants,  il  faut  leur  dé- 
clarer d'un  ton  ferme  et  qui  annonce  une  volonté  forte,  qu'on  veut 
un  silence  parfait  et  leur  en  dire  la  raison;  il  faut  leur  en  donner 
l'exemple  en  s'abstenant  de  parler  toutes  les  fois  qu'un  signe  ou  un 
regard  peut  rendre  la  pensée,  en  faisant  faire  tous  les  mouvements 
et  toutes  les  évolutions  au  signal  d'un  livre  ou  d'un  claquoir,  en  par- 
lant le  plus  bas  possible  quand  il  y  a  nécessité  de  le  faire,  et  souf- 
frant même  quelquefois  un  petit  désordre  plutôt  que  de  rompre  le 
silence  pour  y  remédier  ;  il  faut  enfin  éviter  de  reprendre  souvent, 
de  crier  et  d'éclater  en  reproclies  quand  un  enfant  cause  et  se  dis- 
sipe, mais  parler  peu,  à  propos,  et  surtout  parler  le  langage  de  la 
religion  et  du  sentiment.  Une  première  fois  on  se  contente  de  re- 
garder cet  enfant  en  continuant  le  catéchisme;  une  seconde  fois  on 
s'interrompt  en  l'envisageant  d'un  œil  fixe,  mais  sans  rien  dire;  une 
troisième  fois  on  dit  :  J'aperçois  un  enfant  qui  n'écoute  pas  ;  s'il  re- 
commence, il  aura  l'affront  d'être  nommé  devant  tout  le  monde.  Une 
quatrième  enfin  :  Pierre,  il  faut  donc  vous  faire  connaître  à  tous 
comme  un  enfant  désobéissant  !  Ou  bien  :  Pierre  a  envie  de  parler,  à 
ce  qu'il  paraît;  eh  bien,  faisons-le  parler,  et  on  lui  fait  plusieurs  ques- 
tions. Une  autn;  fois:  Dieu  vous  voit,  mon  enfant;  ne  craignez-vous 
donc  pas  de  l'offenser?  Ou  bien  :  Vous  avez  déjà  oublié;  je  vous  au- 
rais cru  plus  docile.  Ou  bien  encore  :  Pierre,  de  quoi  vient  on  de  par- 
ler ?  et  s'il  ne  répond  rien  ou  s'il  répond  mal  :  Voilà  ce  que  c'est  que 
de  ne  pas  écouter.  Voyons  Jean,  il  écoute  bien;  je  suis  sûr  qu'il  ré- 
pondra à  merveille.  D'autres  fois  on  fait  semblant  de  n'avoir  i)as  vu; 
et  ensuite  en  particulier  on  avertit  l'enfant  en  ajoutant  que;,  pai-  at- 
tachement pour  lui,  on  lui  a  épargné  la  honte  d'être  repiis  publi- 
quement, qu'on  attend  de  son  bon  cœur  qu'il  ne  vous  fei  a  plus  celle 


446  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

peine,  qu'autrement,  on  serait  obligé  d'en  venir  à  des  châtiments 
sévères.  Par  tous  ces  petits  moyens  on  ol)tient  le  silence  des  enfants, 
sans  recourir  presque  jamais  aux  punitions,  pourvu  qu'on  sache  leur 
témoigner  de  l'intérêt  et  entremêler  à  propos  la  douceur  et  la  fer- 
meté. 

Art.  4.  —  On  saura  toujours  parfaitement  sa  leçon,  et  si  on  ne  la 
sait  pas,  on  en  préviendra  avant  le  catéchisme  et  l'on  en  dira  la 
raison. 

Chaque  enfant  doit  savoir  si  parfaitement  sa  leçon  avant  d'entrer 
au  catéchisme,  qu'il  n'ait  plus  besoin  de  regarder  dans  son  livre. 
C'est  pourquoi  il  est  prescrit  de  tenir  son  livre  fermé  pendant  tout  le 
temps,  excepté  le  moment  où  il  faut  marquer  la  leçon  pour  la  fois 
suivante.  Sans  cette  précaution,  on  verrait  les  paresseux  s'occuper 
à  apprendre  au  heu  d'écouter  les  explications. 

Art.  5.  —  Lorsqu'on  sera  appelé  pour  réciter  le  catéchisme,  on  com- 
mencera et  on  finira  par  le  signe  de  croix;  et  l'on  répondra  à 
voix  haute  et  posée,  de  manière  à  être  entendu  distinctement  de 
tous. 

Le  catéchiste  examinera  comment  on  fait  le  signe  de  croix  et 
tiendra  la  main  à  ce  que  tous  les  enfants  le  fassent  comme  il  faut.  Il 
veillera  aussi  à  ce  que  tous  se  fassent  bien  entendre  :  cela  est  impor- 
tant pour  soutenir  l'attention  générale  ;  et  lui-même  doit  en  donner 
l'exemple  en  parlant  toujours  si  posément  et  si  distinctement,  qu'on 
ne  puisse  rien  perdre  de  ce  qu'il  dit. 

Art.  6.  —  On  écoutera  avec  attention  tous  ceux  qui  répondront,  et  on 
ne  se  moquera  point  des  fautes  qui  pourraient  leur  échapper. 

Le  catéchiste  doit  encore  ici  donner  l'exemple,  ne  pas  rire  ou  se 
moquer  de  ce  qu'un  enfant  pourrait  dire  de  ridicule  ou  d'absurde, 
et  éviter  même  de  l'humilier,  à  moins  que  son  ignorance  ne  vienne 
de  paresse  ou  de  dissipation,  et  qu'on  ne  soit  fondé  à  croire  que  cette 
humiliation  lui  sera  utile. 

Art.  7.—  Bans  le  chant  des  cantiques  qui  aura  lieu  au  commen- 
cement^ au  milieu  et  à  la  fin  du  catéchisme,  on  s'appliquera  à 


DU  CATECHISME.  447 

prendre  Vair  qui  sera  donné  et  à  suivre  le  ton  gcnéral  sans  aller 
plus  ou  moins  vite,  sans  crier  plus  ou  moins  fort. 

Ce  chant  des  cantiques  est  très-important  :  1°  pour  en  introduire 
l'usage  dans  les  familles,  les  ateliers  et  réunions,  à  la  place  des 
•chansons  licencieuses  qui  s'y  chantent  trop  souvent;  2"  pour  délasser 
les  enfants,  qui  ont  besoin  de  variété  et  ne  sont  pas  capables  d'un 
sérieux  trop  continu  ;  5°  pour  les  instruire  agréablement  et  les  édi- 
fier par  les  pensées  pieuses  ou  les  bons  sentiments  dont  ces  cantiques 
sont  remplis;  i°  pour  cacher  ou  couvrir  le  bruit  qui  se  fait  inévita- 
blement, soit  dans  le  passage  d'un  exercice  à  un  autre,  soit  au  mo- 
ment du  départ,  et  éviter  par  là  aux  enfants  qui  croient  que  le  caté- 
chisme est  toujours  calme  et  recueilli,  la  tentation  de  se  dissiper. — 
Mais  pour  obtenir  ces  résultats,  il  faut  que  le  catéchiste  forme  par 
lui-même  ou  par  d'autres  un  chœur  d'enfants  qui  aient  du  goût  et 
de  la  voix;  que  ceux-ci  chantent  d'abord  seuls  pour  enseigner  l'air 
aux  autres,  puis  alternativement  avec  le  catéchisme  quand  la  majorité 
des  enfants  sait  assez  l'air  pour  qu'il  n'y  ait  plus  de  cacophonie  à 
craindre;  il  faut  ensuite  que  ces  chanteurs  connaissent  et  aient  mar- 
qué d'avance  les  cantiques  qu'ils  doivent  chanter,  afin  qu'au  moment 
même  oîi  le  catéchiste  le  dit,  ils  entonnent  sans  aucun  retard.  Le 
temps  qu'ils  mettraient  à  chercher  le  cantique  dans  leur  livre  ferait 
une  lacune  pendant  laquelle  les  enfants  se  dissiperaient.  Enfin,  il 
faut  que  les  paroles  du  chant  soient  à  la  portée  des  enfants,  sans 
toutefois  avoir  rien  de  bas  et  de  trivial;  que  les  airs  soient  faciles  à 
retenir  qu'on  chante  posément,  avec  ensemble,  peu  à  la  lois  :  trois 
ou  quatre  strophes  au  plus  suffisent  pour  délasser  les  enfants  et  re- 
nouveler leur  courage.  Il  est  à  désirer  que  le  cantique  ait  quelque 
rapport  avec  la  matière  du  catéchisme  ou  avec  la  fête  du  jour.  Quant 
au  cantiqui'  de  l'ouverture  et  au  cantique  de  la  fin,  ils  peuvent  être 
habituellement  les  mômes  et  doivent  être  fort  courts. 

Art.  8.  —  On  terminera  le  catéchisme  par  la  prière  suivie  du  chant 
d'un  cantique  pendant  lequel  on  se  retirera  en  ordre  et  en  silence. 

Le  catécliisme  fini,  on  donne  le  signal  pour  que  les  enfants  se  met- 
tent à  genoux,  et  on  appelle  successivement  quatre  d'entre  eux,  dési- 
gnés au  catéchisme  précédent,  pour  réciter  les  actes  de  foi,  d'espé- 
rance, de  charité  et  de  contrition  :  ils  prononcent  de  leur  place 
chacun  un  acte  ù  haute  voix  et  sans  précipitation.  Après  la  prière, 


4i8  TR.MTÈ  DE  LA  PRÉDICATION. 

on  fait  asseoir  It'seiiroiils,  le  chœur  entonne  le  cantique,  et,  après  la 
première  strophe,  on  doinie  le  signal  pour  le  premier  banc,  qui  se 
lève  et  (lèfile  en  ordre  ;  innnédiatement  après,  et  sans  laisser  de 
lacune,  le  signal  pour  le  second  banc,  et  ainsi  de  suite,  veillant  à  ce 
que  les  enfants  s'abstiennent  de  courir,  de  se  précipiter  ou  de  passer 
par-dessus  les  bancs. 

Art.  9.  —  Les  en  finit  s  qui  scfrépareniù  la  ■première  communion  se 
confesseront  tous  les  mois,  et  les  autres  au  plus  tard  tous  les  deux 
mois. 

Nous  dirons  plus  tard  les  avantages  de  cette  pratique.  Si  on  ne 
confesse  pas  les  enfants  soi-même,  il  faut  e.xiger  un  billet  de  confes- 
sion, pour  s'assurer  que  tous  sont  exacts. 

SECTION  3. 

De  la  mnnière  d'interroger  et  de  tenir  toujours  les  enfants  en  haleine  pendant 
le  catéchisme. 

Après  que  les  enfants  ont  chanté  deux  ou  trois  strophes  du  canti- 
que indiqué  pour  le  commencement,  on  donne,  à  Tinslant  même 
011  ils  achèvent  la  dernière  strophe,  quelques  petits  coups  de  claquoir 
jiour  indiquer  que  c'est  la  fin  du  chant,  et  aussitôt,  sans  aucune 
lacune,  commence  l'interrogation  ou  la  récitation  de  la  lettre  du 
catéchisme.  Pour  cela,  on  appelle  l'enfant  par  son  nom  et  son  pré- 
nom, en  évitant  de  défigurer  le  nom,  ce  qui  dissiperait  l'auditoire  et 
humilierait  l'enfant;  et  si  le  nom  par  lui-même  était  ridicule,  il  fau- 
drait s'abstenir  de  le  prononcer  publiquement,  mais  interroger  le 
voisin  et  dire  ensuite  :  Voyons  le  suivant.  Si  l'enfant  est  timide,  il 
faut  l'encourager,  l'aider  au  besoin  en  lui  disant  le  premier  mot  de 
la  réponse  ;  lui  faire,  s'il  le  faut,  une  demande  très-simple  à  laquelle 
il  n'ait  à  répondre  que  oui  ou  non,  ou  à  laquelle  aient  déjà  répondu 
deux  ou  trois  des  plus  savants,  et  louer  modérément  sa  réponse  en 
faisant  valoir  le  peu  qu'il  a  dit.  Si,  au  contraire,  il  est  vain  et  pré- 
somptueux, orgueilleux  et  dissipé,  il  faut,  s'il  répond  mal,  le  repren. 
dre  un  peu  sévèrement  ou  s'adresser  à  un  autre  qui  soit  en  état  de 
mieux  répondre  et  qui  l'humilie  par  le  contraste  :  s'il  répond  bien, 
il  est  bon  de  temps  en  temps  de  lui  faire  sur-le-champ  une  question 
à  laquelle  il  ne  puisse  pas  répondre,  et  de  lui  dire  ensuite  qu'il  y  a 


DU  CATECHISME.  443 

bien  des  choses  qu'il  ne  sait  pas  encore  et  qu'il  pourra  apprendre 
s'il  est  attentif  et  appliqué. 

Quant  au  commun  des  enfants  qui  ne  sont  remarquables  ni  par 
leur  timidité  ni  par  leur  présomption,  on  leur  rendra  l'interrogation 
pleine  d'intérêt,  et  on  les  tiendra  toujours  en  haleine,  en  observant 
les  six  avis  suivants  :  1°  Il  ne  faut  suivre,  en  interrogeant,  ni  l'ordre 
alphabétique  ni  l'ordre  des  placements,  mais  passer  subitement  d'un 
quartier  à  un  autre,  d'un  banc  à  un  autre,  de  sorte  que  chaque 
enfant  s'attende,  à  tout  moment,  à  être  interrogé,  même  celui  qui 
l'a  été  au  dernier  catéchisme.  2<*  L'interrogation  doit  être  vive, 
rapide,  animée;  il  faut  qu'il  y  ait  toujours  quelqu'un  qui  parle,  soit 
le  catéchiste  qui  interroge,  soit  l'enfant  qui  répond;  et  pour  cela  le 
catéchiste  doit  savoir  les  demandes  par  cœur  et  prévoir,  pendant  les 
réponses,  le  nom  qu'il  va  appeler  ensuite.  Si  l'enfant  ne  répond  i  ;^s, 
on  passe  promptement  à  un  autre  sans  répéter  la  demande,  en  mar- 
quant d'une  mauvaise  note  celui  qui  n'a  pas  su,  et  ne  souffrant  pas 
qu'il  s'excuse  ou  qu'il  réplique.  5°  On  ne  dojt  mêler  à  l'interrogation 
ni  réflexions  sur  le  catéchisme,  ni  commentaires  :  cela  ferait  langui-r 
la  récitation  et  par  suite  l'attention.  4°  Il  faut  viser  à  interroger  le 
plus  grand  nombre  possible  d'enfants,  et  pour  cela  ne  pas  faire  plus 
de  deux  ou  trois  demandes  à  chacun,  ni  interroger  trop  souvent  les 
mêmes,  à  moins  qu'on  n'ait  à  proposer  aux  plus  habiles  quelques 
demandes  difficiles  afin  d'engager  les  autres,  par  cette  distinction,  à 
se  rendre  dignes  du  même  honneur.  5°  On  inscrit  sur  le  registre  du 
catéchisme,  à  côté  du  nom  de  chaque  enfant,  une  note  indiquant  la 
manière  dont  il  a  répondu,  savoir  :  le  n°  5  à  celui  qui  a  récité  par- 
faitement, 4  à  celui  qui  récite  bien,  quoique  d'une  manière  moins 
remarquable  que  le  premier,  5  à  celui  qui  récite  médiocrement,  2  à 
celui  qui  récite  mal,  1  à  celui  qui  récite  très-mal,  et  zéro  à  celui  qui 
ne  sait  pas  du  tout.  On  n'accorde  le  n"  5  que  très-rarement  et  pouz' 
des  réponses  longues  et  difficiles  ;  on  le  fait  beaucoup  valoir  aupara- 
vant, et,  lorsqu'on  l'a  donné,  on  en  parle  avec  empha.se,  de  manière 
que  les  enfants  regardent  comme  un  triomphe  d'en  avoir  obtenu 
un.  Qiielqu(,'fois,  cependant,  on  en  peut  gratifier,  par  indulgence,  un 
enfant  qui  a  besoin  d'être  encouiagé  ou  ménagé,  pourvu  que  les 
autres  ne  puissent  pas  soupçonner  la  faveur.  G"  Il  est  Irès-ulile,  pour 
provoquer  plus  fortement  l'intérêt,  d'entremêler  dans  l'inleri  ogation 
des  à-propes  courts,  vifs  et  pi(iuants;  par  exemple:  C'est  bien,  Ijmiv 
mais  Jacques  va  mieux  savoir  encore.  —  Voilà  un  enfaiihini  fait 
honneur  à  ses  parents,  à  sa  classe,  à  sa  pension.  —S'il  ne  sait  pas,  il 

29 


«0  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

paraît  que  cet  enfant  ne  veut  pas  faire  sa  première  communion.  — 
Il  a  mal  fait  son  signe  de  croix,  il  n'est  pas  étonnant  qu'il  ne  sache 
pas,  etc.  D'autres  fois,  ces  à-propos  peuvent  avoir  pour  objet  d'éta- 
blir une  rivalité  entre  les  garçons  et  les  filles,  entre  les  enfants  de 
différents  quartiers,  et  de  faire  des  défis  à  qui  répondra  le  mieux. 

Après  que  la  lettre  du  catéchisme  a  été  ainsi  récitée,  on  indique  la 
leçon  pour  le  catéchisme  suivant,  et,  afin  que  persoinie  ne  prétexte 
ignoraiice,  on  demande  successivement  à  deux  enfants  quelle  est  la 
leçon  qu'on  vient  de  donner,  et  on  les  oblige  à  parler  assez  haut  pour 
que  tous  entendent. 

Coia  fait,  on  passe  à  un  autre  genre  d'interrogation  qui  a  pour 
obj^'t  de  rappeler  les  explications  données  aux  catéchismes  précé- 
dents, afin  de  les  graver  dans  la  mémoire  des  enfants  et  de  les  lier 
avec  ce  qu'on  va  dire.  Pour  cela,  le  catéchiste  doit  avoir  analysé 
^J'avance  ces  explications  et  les  avoir  réduites  sous  la  forme  d'une 
série  de  questions  claires,  précises,  enchaînées  l'une  à  l'autre*  Il  les 
propose  ensuite  successivement  d'une  manière  .vive,  animée  et  par 
une  sorte  de  défi,  à  l'un  des  enfants  qui  ont  mérhé  le  n°  4  ou  5  : 
cette  espèce  de  combat  entre  l'interrogateur  et  l'enfant  savant  excite 
l'intérêt  des  auditeurs,  qui  prennent  parti,  redoublent  d'attention  et 
sont  comme  en  suspens  dans  l'incertitude  de  la  victoire.  Le  prix  de 
la  victoire  est  un  bon  point  S  et  trois  bons  points  valent  une  gravure. 
D'autres  fois,  pour  mettre  de  la  variété  et  accroître  l'intérêt,  on  éta- 
blit la  lutte  entre  plusieurs  enfants  :  ainsi,  après  avoir  interrogé  un 
des  forts  et  obtenu  une  bonne  réponse,  on  réitère  la  même  question 
à  un  plus  faible,  comme  si  le  fort  avait  mal  répondu  ;  on  demande 
ensuite  à  un  troisième  lequel  des  deux  a  raison,  et,  après  qu'il  a 
répondu  que  c'est  le  premier,  on  leur  propose  à  eux  deux,  alterna- 
tivement, des  questions  jusqu'à  ce  que  l'un  d'eux  vienne  à  répondre 
mal  :  et  la  victoire  et  le  bon  point  demeurent  à  celui  qui  a  toujours 
bien  répondu.  Par  ce  moyen  on  fait  redire  sans  dégoût  plusieurs  fois 
les  mêmes  choses,  et  on  les  grave  ainsi  dans  la  mémoire.  Mais,  pour 
bien  réussir  dans  cet  exercice,  il  est  plusieurs  règles  à  observer  : 
1°  11  faut  bien  se  posséder  et  avoir  une  grande  liberté  d'esprit,  soit 
pour  tourner  ses  demandes  d'une  manière  piquante  en  rapport 
avec  les  réponses,  soit  pour  pousser  les  enfants,  soit  pour  apprécier 
ce  qu'ils  disent  de  bon  et  le  faire  valoir,  ou  pour  suppléer  adroite- 
ment à  ce  qui  manque  à  leurs  réponses,  de  sorte  qu'ils  soient  con- 

•  Nous  dirons  plus  bas  ce  qu'il  faut  entendre  par  un  bon  point. 


DU  CATÉCHISME.  451 

tenls.  2°  Il  ne  faut  demander  aux  enfants  que  ce  qui  leur  a  été  dit, 
répété  et  clairement  expliqué  dans  le  catéchisme  précédent,  de  ma- 
nière que  ce  soient  les  mêmes  définitions,  les  mêmes  preuves  et 
presque  toujours  les  mêmes  mots.  Par  là  ils  s'habituent  au  langage 
doctrinal,  et  répondent  avec  facilité,  hardiesse  et  plaisir;  au  lieu  que 
si  l'on  varie  les  définitions,  les  preuves  et  la  manière  de  rendre  la 
même  pensée,  leurs  idées  se  troublent,  leur  mémoire  s'embrouille, 
ils  ne  savent  plus  à  quoi  s'en  tenir,  se  chagrinent  de  ne  pas  paraître 
savants  et  de  ne  pouvoir  comprendre  ce  qu'on  exige  d'eux,  o"  Il  faut 
éviter  les  questions  vagues  ou  trop  générales,  obscures  ou  embarras- 
santes, subtiles  ou  trop  relevées,  et  ne  faire  jamais  aux  enfants  que 
des  demandes  qui  soient  à  leur  portée,  de  telle  sorte  que,  s'ils  ne 
savent  pas,  ce  soit  leur  faute.  En  agir  autrement,  c'es!  les  décourager 
et  les  dégoûter.  Ainsi,  après  avoir  interrogé  un  enfant  sur  hi  pre- 
mière qualité  de  la  contrition,  je  ne  demanderai  pas  un  autre  : 
Quelle  est  la  seconde?  mais  bien  :  Quelle  est  la  seconde  qualité  de  la 
contrition'^  Et  si  je  veux  interroger  Pierre  sur  la  même  qucï-tion  que 
je  viens  de  proposer  à  Philippe,  je  ne  dirai  pas  :  Et  vous,  Merre? 
mais  je  reprendrai  la  question  en  entier.  4"  Pour  s'assurer  qu'on 
comprend  et  inculquer  fortement  les  vérités  importantes,  il  est  utile 
de  reproduire  certaines  questions  sous  différentes  formes  :  par 
exemple,  un  enfant  vient  de  dire  que  le  baptême  nous  fait  enfants 
de  Dieu  et  de  lÉglise;  demandez  à  un  autre  :  Quel  est  le  sacrement 
qui  nous  fait  enfants  de  Dieu  et  de  V Église?  il  répondra  :  C'est  le 
baftéme.  Ajoutez  :  Ava}it  le  baiitéîne,  sommes-nous  enfants  de  Dieu 
et  de  l' Église?  il  répondra:  Non.  Demandez:  Par  quel  sacrement 
devenons-nous  enfants  de  Dieu  et  de  l'Église?  —  Autre  exemple  :  un 
enfant  a  répondu  que  la  contrition  doit  être  intérieure,  c'est-à-dire 
dans  le  cœur  ;  demandez-lui  :  Ne  suffit-il  pas  de  lire  l'acte  de  contri- 
tion qui  est  dans  le  catêciiisme  ?  Pourquoi  la  contrition  doit-elle  être 
dans  le  cœur  et  non  pus  seulement  sur  les  lèvres  ?  C'est,  mes  enfants^ 
que  c'est  le  cœur  gui  a  péché;  c'est  donc  le  cœur  qui  doit  se  repentir. 
La  contrition  est  le  remède  du  péché  ;  si  le  péché  est  dans  le  cœur,  elle 
doit  donc  y  être  aussi  ;  le  remède  pour  une  blessxire  faite  au  pied 
s'applique  au  pied  et  non  pas  à  la  main.  Kn  reproduisant  ainsi  les 
questions,  on  les  grave  dans  l'esprit  des  enfants,  h"  Lorsque  les  en- 
fants sont  partagés  de  sentiments  sur  une  réponse,  il  ne  faut  pas  se 
hâter  de  donner  la  solution  ;  il  vaut  mieux  les  tenir  quil((ne  temps 
en  suspens;  ils  Pôcontent  ensuite  avec  plus  d'intéiét  et  la  retiennent 
mieux.  G"  11  faut  faire  parler  beaucoup  les  enfants,  et  parler  peu  soi- 


4;.2  TIlAlTK  DE  I.A  l'HÉDICATION. 

iiiriii?  :  ils  s'i'-coiilcnl,  volontiers  lt\s  uns  les  mitres  mais,  si  le  caté- 
cliiste  lenr  parle  trop,  ils  s'ennuient  el  ne  sonj^ent  plus  (pi'à  s'amuser 
et  se  (lis^-ip(M".  Leur  cerveau,  dit  rénelou,  est  connue  une  bougie 
allumée  au  vent  :  sa  lumière  vacille  toujours.  L'eul';int  voit  une 
inouclie,  il  suit  sa  marclie,  ses  mouvenienls,  sou  vol,  et  n'écoute 
plus.  11  faut  donc  le  tenir  en  haleine  en  lui  faisant  craindre  d'être 
interrogé  à  chaque  nionieut,  eu  réveillant  sou  attention  et  pi(iuanl 
sa  curiosité  par  le  désir  d'entendre  ce  que  disent  ses  camarades. 

Après  ces  diverses  interrogations,  on  rend  compte,  comme  nous  le 
dirons  à  la  section  suivante,  des  analyses  ou  résumés  écrits  de 
I  instiuction  précédente,  quand  on  peut  en  obtenir  ;  et,  après  ce 
coui|)te  rendu,  on  indi(iue  un  cantique  que  les  chanteurs  entonnent 
aussitôt.  Ce  cantique  iini,  on  fait  l'inslructiou,  c'est-à-dire  qu'on 
explique  la  K'çon  de  catéchisme  qui  a  été  récitée  :  c'est  là  l'exercice 
priiieip.d,  essentiel  et  londamenlal.  Connue  nous  en  ti  ailerons  dans  un 
paragi-iiphe  .'  paît,  nous  observerons  seulement  ici  que,  pourcaptiver 
l'attention  des  enfants  et  maintenir  une  exacte  disci[)line,  il  faut  leur 
montrer  un  visage  ouvert  et  aisé,  éviter  le  ton  et  le  style  suivi  du 
prédicateur,  prendre  au  contraire  le  langage  de  la  conversation  à 
phrases  courtes  et  très-coupées,  interroger  fréquemment  el  varier 
les  formules  d'interrogation,  surprendre  et  récréer  par  des  tournures 
pi(|uaiiles,  des  saillies  modestes,  des  reparties  inattendues  et  des 
mots  pour  rire,  proposer  de  [lelits  cas  de  conscience  dans  la  solution 
desquels  on  se  trompe  à  dessein  pour  se  faire  redresser  par  les  en- 
fants. 

Celte  instruction  finie,  on  fait  réciter  l'évangile  du  jour  à  ceux 
(pii  l'ont  apitris,  et  qui  ont  dû  en  avertir  par  un  billet  remis  en  en- 
trant au  catéchisme,  et  on  leur  marque,  sur  un  registre  ad  hoc,  un 
bon  numéro  s'ils  l'ont  bien  su.  Le  devoir  du  catéchiste  est  d'encou- 
rager celte  récitation  le  plus  possible,  en  louant  beaucoup  ceux  qui 
y  sont  fidèles,  en  promettant  un  prix  à  la  fm  de  l'année;  et  si,  mal- 
gré ces  exhortations,  personne  ne  récite  l'Évangile,  il  le  lit  lui-même. 
I/évaufrile  récité  ou  lu,  il  y  ajoute  une  homélie  de  six  à  sept  minutes, 
qui  doit  être  claire,  forte,  pressante  et  touchante.  Nous  dirons  plus 
lard  connrieiit  la  faire. 

Après  1  homélie,  on  nomme  trois  ou  quatre  enfants  qui  se  sont  fait 
remarquer  par  leur  modestie  et  leur  application,  el  on  leur  donne  à 
chaci;n  un  bon  point.  Viennent  ensuite  les  avis  qui  consistent  à  rap- 
peler les  articles  du  règlement  sur  lestjuels  on  se  relâche,  à  parler 
aux  enfants  de  leur  assiduité  ou  de  leurs  absences,  de  leurs  progrès 


DU  CATÉCHISME.  453 

€l  de  la  consolation  qu'ils  donnent  ;  à  leur  annoncer  le  jour  et  Tlieure 
du  catéchisme  suivant,  les  fêtes  de  la  semaine,  les  jours  d'abstinence 
el  de  jeûne,  etc..  Et,  après  cet  avis,  on  termine  comme  il  a  été  dit  à 
l'article  8  du  règlement. 

Nous  observerons  seulement  en  finissant  que,  toutes  les  fois  qu'on 
parle  aux  enfants,  il  faut  toujours  prononcer  posément,  distinctement, 
en  appuyant  sur  les  mots  et  prenant  le  ton,  l'air,  le  maintien  qui 
conviennent  aux  circonstances. 

SECTION  4. 

Des  moyens  d'exciter  l'émulation. 

Rien  de  plus  important  que  d'intéresser  les  enfants  au  catéchisme 
par  des  moyens  d'émulation  et  d'encouragement.  Gf's  moyens  sont 
nécessaires  comme  contre-poids  à  la  légèreté  du  jeune  âge,  à  l'éloi- 
gnement  naturel  qu'on  éprouve  alors  pour  l'étude,  l'applicalion  et  le 
sérieux  de  la  réflexion;  et  en  même  temps  ils  ont  l'avantage  de  hâter 
les  progrès  dans  la  science  et  la  piété,  sui  tout  de  faire  aimer  le  ca- 
téchisme, chose  de  la  plus  grande  importance  :  car  si  cet  exercice 
est  pour  les  enfants  comme  une  partie  de  plaisir,  ils  y  viendront 
volontiers,  écouteront  avec  intérêt  et  aimeront  la  religion  qui  leur 
procure  des  jouissances  si  pures  et  si  douces;  si,  au  contraire,  cet 
exercice  n'a  rien  qui  les  flatte,  qui  les  intéresse  et  les  amuse  ;  s'il 
leur  est  triste  et  désagréable  ;  si  le  temps  qu'on  y  passe,  au  lieu  d'êli^e 
compté  parmi  les  moments  heureux  de  la  vie,  est  pour  eux  un  mo- 
ment de  contrainte  et  d'ennui,  ils  concevront,  peut-être  pour  tou- 
jours, un  préjugé  fâcheux  contre  le  catéchisme,  et  par  contre-coup, 
contre  la  religion,  qui  ne  leur  apparaîtra  plus  que  comme  quelque 
chose  de  dur  et  d'ennuyeux,  contre  la  vertu  même,  dont  ils  se  se- 
ront fait  dès  lors  une  idée  triste  et  sombre^ 

L'expérience  a  démontré  l'utilité  des  moyens  suivants  pour  exciter 
l'émulation  et  l'encouragement,  savoir  :  i"  les  louanges;  2°  les  dis- 
tinctions honorificpies  ;  3°  les  bonnes  notes  et  les  bons  points;  i"  la 
classification  des  enfants  en  plusieurs  divisions,  selon  le  mérite  ; 
5"  les  rivalités  et  provocations;  6°  l'usage  des  analyses;  7"  les  récom- 
penses. Nous  allons  expliijuer  les  avantages  de  ces  divers  moyens,  et 
la  manière  de  les  employer. 

*  Voyez  le  (lêveloppeineiit  do  celte  vérité  dans  le  Catccliisme  Iiistori(itic  de 
rieury,  discours  préliniiiiaircs,  el  dans  i-éiiolon,  Education  des  lillts,  c.  v. 


454  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

1"  MOYEN.  —  Les  louanges. 

Parmi  les  motifs  propres  à  loucher  une  âme  raisomiable,  il  n'y  en 
a  guère  de  plus  efficaces  que  l'honneur  et  la  honte  ;  et  quand  on 
sait  y  rendre  les  enfants  sensibles,  on  peut  tout  obtenir  d'eux.  Avec 
une  louange  donnée  à  propos,  on  les  élecliise,  on  les  remplit  d'ar- 
deur, on  les  rend  sages  et  studieux.  Il  faut  donc  intéresser  leur 
amour-propre  au  succès,  les  louer  du  peu  qu'ils  font  afin  d'en  ob- 
tenir davantage,  et  joindre  même  aux  éloges,  si  on  le  croit  utile, 
quelques  témoignages  extérieurs  d'estime  et  de  confiance,  quoique 
toujours  avec  la  réserve  voulue.  Si  on  nous  objectait  que  les  louanges 
sont  dangereuses  pour  la  vanité,  nous  répondrions  que  saint  Paul  et 
tous  les  saints  ne  se  sont  pas  fait  scrupule  de  les  employer  pour  en- 
courager les  faibles  et  leur  faire  mieux  goûter  ce  qu'ils  avaient  à  leur 
dire,  qu'à  plus  forte  raison  on  peut  se  les  permettre  à  Tégard  des 
enfants;  que  d'ailleurs  il  y  a  un  moyen  d'obvier,  au  moins  en  partie, 
au  péril  :  c'est  de  leur  bien  faire  comprendre  que  toute  gloire  doit 
être  rapportée  à  Dieu  seul  comme  source  unique  de  tout  bien;  et  ce 
sera  là  une  leçon  utile  pour  toute  la  vie, 

2'=  îioYEN.  —  Les  distinctions  honorifiques. 

Nous  nous  bornerons  ici  à  en  indiquer  deux,  qui  peuvent  être 
établies  partout  :  la  première,  c'est  le  titre  de  dignitaires  du  caté- 
chisme, titre  en  vertu  duquel  on  est  placé  sur  un  banc  particulier, 
qu'on  appelle  le  hanc  d'honneur.  On  fixe  certaines  conditions  pour  y 
être  admis,  par  exemple  d'avoir  toujours  parfaitement  répondu  et  été 
parfaitement  sage  pendant  deux  mois;  et  si  on  ne  persévère  pas,  on 
passe  aux  bancs  ordinaires.  La  deuxième  distinction  honorifique, 
c'est  d'être  le  premier  de  son  banc  :  cet  honneur  s'accorde  au  con- 
cours parmi  ceux  du  même  banc,  sauf  les  premières  fois,  où  l'on 
n'occupe  la  place  que  provisoirement. 

On  ne  saurait  dire  combien  ces  distinctions  inspirent  d'intérêt 
pour  le  cîitéchisme  aux  parents,  qui  sont  flattés  de  la  distinction  ac- 
cordée à  leurs  enfants,  et  combien  elles  sont  utiles  aux  enfants  eux- 
mêmes  :  elles  leur  font  aimer  le  catéchisme,  elles  excitent  leur 
émulation,  elles  les  encouragent  à  la  piété  et  à  la  science. 


DU  CATÉCHISME.  455 

o^  MOYEN.  — Les  bonnes  notes  et  les  bons  points. 

Les  notes  consistent  dans  les  chiffres  5,  4,  5,  2,  d,  0,  qui  se  tra- 
duisent par  très-bien,  bien,  médiocre,  mal,  très-mal,  nul.  On  les 
proclame  tous  les  mois,  et  les  deux  qui  ont  eu  le  plus  de  bonnes 
noies  ont  un  prix  à  la  fni  de  l'année.  La  chose  se  décide  par  laddi^ 
tion  de  tous  les  chiffres  obtenus,  et  c'est  le  total  le  jilus  élevé  qui 
l'emporte;  d'où  l'on  peut  conclure  le  tort  que  font  les  mauvaises 
notes  à  celui  qui  en  aurait  eu  de  très-bonnes. 

Les  bons  points  consistent  en  une  petite  carte  ou  feuille  de  papier 
sur  laquelle  on  empreint,  avec  un  cachet,  un  chiffre  quelconque,  ou 
sur  laquelle  on  éciit  tout  simplement  le  mot  Bon  point.  Les  enfants 
qui  en  ont  gagné  trois  et  les  dignitaires  qui  en  ont  gagné  deux  ont 
droit  à  une  gravure  que  le  catéchiste  leur  donue  en  échange. 

4*  MOYEN.  —  La  classification  des  enfants  en  'plusieurs  divisions  selon 

le  mérite. 

Ce  moyen  est  très-simple  ;  il  consiste  à  ériger  dans  le  catéchisme 
trois  ou  quatre  divisions,  selon  le  nomljre  des  enfants.  On  annonce, 
un  mois  d'avance,  que  la  manière  dont  ils  se  conduiront  et  dont  ils 
répondront  pendant  ce  mois  décidera  à  quelle  division  ils  appar- 
tiendront. La  classification  une  fois  faite,  on  avertit  les  enfants  qui 
sont  dans  une  division  inférieure  qu'il  dépend  d'eux  de  monter  à  la 
division  supérieure  :  ils  n'ont  qu'à  s'en  rendre  dignes  par  leur  appli- 
cation et  leur  bonne  conduite  ;  comme  aussi  ceux  qui  sont  dans  une 
division  supérieure  passeront  à  la  division  inférieure,  si  leur  science 
et  leur  piété  ne  satisfont  pleinement.  Au  premier  catéchisme  de 
chaque  mois,  on  accomplit  ces  promesses  ou  ces  menaces,  et  on  fait 
monter  ou  descendre  selon  le  mérite.  Ce  moyen  a  une  vertu  merveil- 
leuse pour  réveiller  le  zèle  et  l'ardeur  des  enfants. 

5®  MOYF.N.  —  Les  rivalités  et  provocations. 

Cela  peut  se  faire  de  deux  manières  :  1"  quand  on  veut  interroger 
un  enfant,  on  en  charge  un  autre  d'être  son  émule,  c'est-à-dire  de 
répondie  à  sa  place  toutes  les  fois  qu'il  ne  saura  pas  répondre,  ou  de 
le  reprendre  quand  il  répondra  mal.  Si  l'émule  réussit,  il  gagne  une 
bonne  note  ou  un  bon  point  auxdépens  de  l'autre  qui  le  perd;  et  s'il 


4o6  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

lie  sail  pns  répondre  ou  reprendre,  on  s'adresse  à  un  troisième,  à  un 
qualriènie,  jusqu'à  ce  qu'on  ait  obtenu  la  vraie  réponse,  et  celui  qui 
la  donne  g:a<^ne  autant  de  bonnes  notes  qu'il  y  en  a  eu  qui  n'ont  pas 
pu  répondre.  2°  On  peut  diviser  les  enfants  en  deux  partis,  sous 
deux  cbt'is  eboisis  parmi  les  plus  babiles,  et  cbacun  a  son  émule 
dans  le  parti  opposé.  A  certains  jours,  les  deux  partis  se  projiosent 
réc'proquement  un  même  nombre  de  questions,  soit  sur  la  lettre, 
soit  sur  l'explication  des  catécbismes  précédents;  et  on  donne  pour 
récompense  aux  vainqueurs  des  bons  points  ou  une  gi  avure, 

G*  MOYEN.  —  Les  analyses. 

Les  analyses  conçistent  à  rédiger  l'instruction  donnée  par  le  cafè- 
cbiste.  C'est  là  un  des  plus  puissants  moyens  d'intéresser  les  enfants  à 
ce  que  l'on  dit  et  d'obtenir  d'eux  une  sagesse  parfaite.  Jaloux  de  bien 
rpire  leur  rédaction,  ils  sont  silencieux,  attentifs,  tout  occupés  à  pren- 
dre des  notes  sur  l'instruction  et  à  la  graver  dans  leur  mémoire  pour 
la  reproduire  sur  le  papier.  De  plus,  liors  du  catéchisme,  ce  travail 
les  occupe  utilement,  les  force  à  se  rappeler  ce  qu'on  leur  a  dit  et 
à  s'en  rendre  un  compte  détaillé,  nourrit  en  eux  les  Sciintes  pensées, 
l'amour  de  la  vertu,  et  diminue  l'affection  au  péché  ;  puis  cela  les 
habitue  non-seulement  à  saisir,  mais  à  retenir  les  divisions  et  les 
plans  (ie^  discours  qu'ils  entendent.  Enfin,  ces  analyses  se  lisent  dans 
les  familles  et  y  répandent  la  connaissance  et  l'amour  de  la  religion  ; 
on  les  relit  soi-même  avec  plaisir  à  un  âge  plus  avancé,  et  ces  sou- 
venirs produisent  des  impressions  de  vertu. 

On  ne  saurait  donc  trop  encourager  les  enfants  qui  en  sont  capa- 
bles à  faire  ces  analyses  ;  et  pour  les  y  exciter,  il  faut  leur  promettre 
en  récompense  les  plus  beaux  prix  à  la  fin  de  l'année,  louer  beau- 
eoup,  en  se  p'aignanl  du  petit  nombre,  le  zèle  de  ceux  qui  en  font, 
lire  avec  soin  en  son  particulier  et  corriger  chaque  analyse,  lui  don- 
ner une  noie  proporlionnée  à  son  mérite,  choisir  la  meilleure,  à  la- 
quelle on  donne  le  numéro  6  et  dont  on  se  fait  remettre  une  copie 
pour  relier  ensemble,  à  la  fin  de  l'année,  tous  ces  petits  chefs-d'œu- 
vre; enfin,  il  faut  rendre  compte  publiquement  de  ce  qu'il  y  a  de 
mieux  dans  ces  rédactions,  lisant  même  quelquefois  les  passages  les 
plus  saillants  et  reprenant  en  peu  de  mots  ce  qui  a  été  présenté  d'une 
manière  inexacte.  11  esta  propos  de  commencer  ces  comptes  rendus 
par  les  plus  faibles  qu'on  encourage,  et  de  faire  croître  l'intérêt  et 


DU  CATECHISME.  457 

l'altention  à  mesure  qu'on  approche  du  n°  6.  Si  un  enfant  avait  copié 
dans  un  livre,  il  ne  faudrait  ni  le  nommer  ni  lui  donner  de  note, 
mais  l'avertir  en  particulier. 

Ces  analyses  doivent  toujours  se  terminer  par  une  résolution  et 
une  prière;  mais  quand  on  en  rend  compte,  on  ne  nomme  jamais 
les  enfants. 

Si  on  ne  peut  pas  obtenir  d'analyse,  il  faut  au  moins  engager 
les  parents  ou  autres  pieux  laïques  à  interroger  les  enfants  pen- 
dant la  semaine  sur  ce  qu'ils  ont  entendu  au  catéchisme.  Cet  usage 
grave  les  vérités  dans  l'esprit  des  enfants  et  les  rappelle  à  la  mémoire 
des  parents  :  c'est  une  sorte  d'apostolat  exercé  dans  la  famille. 

1^  MOYEN.  —  Les  récompenses. 

Les  récompenses  gagnent  le  cœur  des  enfants,  les  excitent  à  bien 
faire,  leur  font  aimer  le  catéchisme  et  le  travail.  Aussi  saint  Fran- 
çois de  Sales  S  le  cardinal  Bellarmin*,  César  de  Bus,  dom  Mabillon% 
Clément  XI  et  autres  saints  et  grands  personnages  illustres  par  leur 
zélé  pour  les  catéchismes,  tenaient  à  distribuer  des  récompenses 
aux  enfants;  les  conciles  eux-mêmes  recommandent  cette  pratique* 
et  disent  que,  comme  l'argent  est  le  nerf  de  la  guerre,  les  récom- 
penses sont  le  nerf  du  catéchisme  *,  qu'on  ne  peut  mieux  employer 
qu'à  cette  dépense  ses  propres  revenus  ou  l'argent  des  fabriques*; 
et  que  si  ces  deux  ressources  ne  suffisent  pas,  il  faut  faire  le  Di- 
manche dans  l'église  des  quêtes  à  cette  intention.  On  peut  donner 
pour  récompense  des  médailles  ou  des  chapelets;  mais  ce  que  les 


*  «  Toutrs  fnis  et  quantos,  dit  Auguste  de  Sales,  que  les  enfanis  répondaient 
«  bien,  il  leur  donnait  des  images,  des  médailles  bénites,  des  cliapelets,  de 
«  petits  livres  de  prières,  et  autres  choses  qu'il  portait  toujours  avec  soi  pour 
«  les  récompenser.  »  (Vie  de  saint  François  de  Sales.) 

-  Voyez  sa  vie.  par  >"icolas  Frizon,  p.  205. 

'  Vie  de  Jlabillon,   par  dom  lUiinart. 

■»  Synod.  Drixicns.,  an.  ICOl,  p.  5J7  MunuscuUs  juvcntutis  stud'ia  excilare 
nîlaniur.  Constit.  Synodal  diœc.  Constantien.,  an.  lOOi),  p.  188.  Fidei  riidi- 
menla,  udhibitis  eliain  mnnuscidis  Iradant.  Synod.  Antuerp.,  an.  OlO.  Eman- 
tur  prxmia  ad  piieros  exciiandos. 

'■>  Const.  did'c.  Sedunens.,  an.  1G2G,  p.  Ô75.  Sicut  nervus  bdli  est  pccunia,  ilà 
eliam  cati'clti.smi  .sttnt  mimusculn. 

6  Con.^t  Synodal,  diœc.  Con^t.  ubi  siiprà  Dans  l'éiat  actuel,  on  ne  pourrait 
guére,  sans  inconvénient,  employer  aux  prix  l'arpnt  de  la  lalirique  :  en  tout 
ca.-,  on  ne  pinurait  le  l'aire  (|u'auiant  que  celte  dépense  aurait  été  volée  dans 
le  budget  et  ap[/rouvée  par  l'évêque. 


458  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

enfants  aiment  le  mieux,  ce  sont  des  images  ou  des  livres.  La  distri- 
bution des  images  se  fait  tous  les  mois  et  celle  des  livres  à  la  fin  de 
l'année.  Chacune  a  ses  règles  propres. 

1°  DE  LA  DISTRIBUTION  DES   IMAGES. 

La  distribution  ne  s'en  fait  qu'à  la  fin  du  mois,  après  le  caté- 
chisme. Au  jour  fixé,  on  en  distribue  à  chaque  enfant,  en  propor- 
tion dt's  bons  points  qu'il  a  obtenus  pendant  le  mois.  11  y  a  deux 
manières  de  faire  cette  cérémonie  :  la  première  est  d'écrire  sur  une 
grande  feuille  un  programme  dont  le  titre  est  plus  ou  moins  solen- 
nel, par  exemple  :  Fête  du  catéchisme  de  la  parois>^e  de***,  présidée 
far  M.  ***  Témoignages  d'Iionneur  accordés  aux  enfants  qui  se  sont 
distingués  par  leur  zèle,  leur  piété,  leur  modestie  et  leur  constante 
application.  Ou  plus  simplement  :  Distribution  de  gravures  présidée 

par  M.   ***,  le du  mois  de Première  nomination:  Pierre, 

Louis,  Jacques,  etc On  en  nomme  cinq  ou  six,  et  aussitôt  on 

chante  une  slrophe  de  cantique  pendant  laquelle  les  enfants  vien- 
nent chercher  leurs  gravures.  Deuxième  nomination  :  Patd,  Phi- 
lippe, etc...,  et  on  continue  ainsi  jusqu'à  la  fin,  en  obligeant  les 
enfants,  de  retour  à  leur  place,  à  tenir  leur  image  sur  la  poitrine, 
de  sorte  qu'on  n'en  voie  que  l'envers.  —  La  deuxième  manière  con- 
siste à  hive  une  sorte  de  loterie  :  on  inscrit  le  nom  de  chaque  en- 
fant sur  un  billet  à  part  contenant  l'énoncé  de  la  récompense  ou  du 
reproche  qu'il  a  mérité,  et  tous  ces  billets  étant  mêlés  ensemble,  on 
appelle  un  enfant  :  Tirez  un  billet  et  lisez  à  haute  voix.  Il  tire,  il  lit  : 
A  Pierre  une  gravure  de  la  sainte  Vierge,  et  retourne  à  sa  place. 
Pierre  se  présente  :  Tene%,  Pierre,  baisez-la  chaque  jour.  A  vous  de 
tirer  un  billet  II  tire,  il  lit  :  A  Paul  une  gravure  de  saint  Joseph, 
et  retourne  à  sa  place.  Paul  arrive  :  Très-bien,  Paul;  à  voire  tour, 
tirez  et  lisez.  Il  tire,  et  lit  :  A  Rodolphe,  rien.  Hé  bien,  mon  pauvre 
Rodolphe,  reprend  le  catéchiste,  je  vous  avais  averti,  vous  ne  voulez 
donc  pas  de  récompense  ;  allons,  mettez-vous-y,  ce  sera  pour  la  pro- 
chaine fois.  Le  même  tire  encore  :  A  Jacques,  reproche  de  dissipa- 
tion et  de  légèreté,  etc... 

2°  DISTRIBUTION  DES   PRIX. 

Cette  cérémonie  se  fait  pour  la  clôture  des  catéchismes,  et  c'est 
un  des  stimulants  les  plus  puissants  sur  l'esprit  des  enfants  :  avec 


DU  CATÉCHISME.  459 

l'espérance  d'un  prix  on  les  tient  en  haleine  pendant  l'année  en- 
tière :  et  il  est  peu  de  prêtres  qui  ne  puissent  faire  face  à  cette 
dépense  ;  car  la  chose  est  très-peu  coûteuse.  La  bibliothèque  catho- 
lique de  Lille,  fondée  par  M.  Lefort,  se  compose  de  plus  de  oOO  vo- 
lumes, à  30  centimes  le  volume,  et  de  50  autres  volumes  coûtant  en- 
semble 2  fr.  40  c,  tous  bons  ouvrages  faits  dans  le  meilleur  esprit. 

Pour  que  celte  distribulion  produise  plus  d'effet,  il  faut  lui  don- 
ner toute  la  pompe  possible,  décorer  le  heu  où  elle  doit  se  faire, 
entourer  les  livres  d'un  ruban,  les  placer  sur  une  table  drapée,  lire 
le  programme  et  la  liste  sur  le  ton  le  plus  sofnnel,  à  la  suite  d'un 
petit  discours  de  circonstance,  entre  chaque  prix  faire  chanter  une 
strophe  de  cantique. 

On  peut  distinguer  les  prix  en  prix  d'honneur,  qui  est  le  premier 
de  tous,  prix  de  sagesse,  prix  de  science,  prix  d'analyses  et  prix  d'é- 
vangiles. On  peut  donner  des  seconds  prix  et  des  accessits,  mais 
rarement  donner  deux  prix  à  un  même  enfant,  afm  d'en  récompenser 
un  plus  grand  nombre. 

SECTION     5. 
Des  punitions. 

Nous  avons  ici  deux  questions  à  traiter  :  dans  la  première,  nous 
traiterons  des  précautions  à  prendre  pour  rendre  les  punitions 
utiles;  dans  la  seconde,  nous  traiterons  des  punitions  elles-mêmes. 

1"  QUESTION.  —  Des  précautions  à  prendre  pour  rendre  les 
punitions  utiles 

i"  Les  punitions,  pour  être  utiles,  doivent  être  rares  ;  trop  fré- 
quentes, elles  ne  feraient  plus  d'impression  ou  habitueraient  les  en- 
fants à  ne  se  conduire  que  par  crainte,  ce  qui  serait  un  Irès-gtand 
mal  ;  il  faut  au  contraire  que  la  confiance  et  la  joie  soient  leur  état 
habituel;  autrement,  dit  Fénelon,  on  obscurcit  leur  esprit,  on  abat 
leur  courage.  S  ils  sont  vifs,  on  les  irrite;  sils  sont  mous,  on  les 
rend  slupides.  «  Il  faut  beaucoup  soulirir  des  enfants  lorsqu'ils 
«  sont  en  bas  âge,  disait  saint  François  de  Sales,  et,  bien  que  quel- 
«  quefois  ils  mordent  le  sein  qui  les  nourrit,  il  ne  faut  par  pourtant 
«  le  leur  ôler.   » 

2°  On  n'en  doit  venir  aux  punitions  qu'à  regret,  et  le  faire  remar- 


400  TRAITE  DE  LA  PRKDT CATION. 

quoi"  aux  tMifanîs,  tifm  de  les  rendre  plus  sensibles  à  celles  qu'on 
est  obligé  de  leur  iuiposer.  Il  faul  toujours  éviler  les  punitions  gè- 
)iêrales  qui  lonibenl  sur  les  innocents  comme  sur  les  coupables, 
fiiire  semblant  quelquefois  de  n'avoir  pas  vu  la  faute,  sauf  à  montrer 
en  pailiculier  à  Teufant  qu'on  l'a  aperçue,  ou  à  faire  sentir,  quand 
on  pun't  publiiiueinent  la  récidive,  que  rien  n'écbappe  et  qu'on 
avait  déjà  auparavant  remarqué  le  coupable,  quoiqu'on  n'en  ait 
rien  dit.  La  justice  veut  qu'on  use  d'indulgence  pour  les  fautes  d'é- 
tourderie  ou  de  vivacité  et  qu'on  ne  les  confonde  pas  avec  les  fautes 
réfléchies. 

7)"  Il  faut  savoir  prendre  son  temps  pour  punir  utilement.  Si  l'en- 
fant est  en  colère  et  ne  paraît  pas  disposé  à  obéir,  il  faut  remettre 
la  punition  à  un  autre  moment  où  il  ait  l'esprit  assez  libre  pour 
avouer  sa  faute  et  sentir  la  justice  de  la  peine  ;  et  en  attendant  on 
se  borne  à  lui  dire  d'un  ton  sévère  :  Pierre,  vous  aurez  à  faire  à  moi 
plus  tard.  La  correction  donnée  à  contre-temps  ne  lui  serait  pas  pro- 
fitable, et  de  plus  l'incerlilude  du  châtiment  qui  lui  est  réservé  de- 
vient souvent  elle  seule  un  premier  chcàliment.  Si  l'on  est  ému  soi- 
même,  il  faut  encore  différer  l'imposition  de  la  pénitence;  on  ne  la 
fixerait  pas  avec  sagesse  dans  le  moment  de  l'émotion ,  l'enfant 
lui-même  reconnaîtrait  qu'on  agit  par  humeur  et  passion  et  non  par 
raison  et  amitié,  et  dès  lors  on  perdrait  sur  lui  toute  autorité:  il 
faut,  par  sa  patience,  lui  montrer  toujours  qu'on  se  possède. 

4°  Avant  de  punir  ou  de  reprendre  publiquement  un  enfant,  il  faut 
l'averlir  ou  le  faire  avertir  en  particulier,  afin  qu'il  soit  bien  con- 
vaincu qu'on  a  à  cœur  de  lui  éviter  la  honte  d'une  réprimande  pu- 
bhque,  et  que  si  on  en  vient  là,  ce  sera  à  grand  regret.  Si,  nonobstant 
cet  avis,  il  donne  lieu  de  le  punir  ou  de  le  reprendre  publiquement, 
il  faut  le  faire  d'un  ton  de  voix  (pii  n'annonce  pas  l'humeur,  lui  dire, 
apiès  le  catéchisme,  quelques  paroles  de  bonté  pour  lui  prouver 
<|u'on  ne  lui  en  veut  pas,  et  ne  point  le  laisser  dans  le  chagrin  et  le 
découragement.  Si  la  faute  est  scandaleuse  et  exige  une  réprimande 
prompte  et  sévère,  il  faut  reprendre  le  coupable  sur-le-champ  par 
un  mot  ferme  et  laconique,  un  regard  menaçant,  un  ton  de  voix 
austère,  puis  continuer  le  catéchisme  sans  témoigner  d'autre  sensi- 
bilité que  celle  de  l'offense  de  Dieu. 

5"  Si  l'enfant  paraît  se  moquer  ou  ricaner  en  subissant  sa  péni- 
tence ou  en  recevant  la  correction,  il  ne  faut  pas  entreprendre  de  le 
réduire  à  la  raison  en  plein  catéchisme.  Il  en  résulterait  une  lutte 
plus  scandaleuse  que  la  faute  et  qui  pourrait  faire  perdre  toute  auto- 


DU  CATÉCHISME.  46Î 

rite  au  catéchisle.  Il  faut  donc  dissimuler,  interrompre  la  pénitence 
et  lui  dire  qu'on  se  réserve  de  le  punir  plus  tard  ;  puis,  après  le  caté- 
chisme, le  prendre  en  particulier,  lui  témoignei'  de  l'amitié,  lui  faire 
sentir  la  grandeur  de  sa  faute.  S'il  se  montre  touché,  s'il  pleure,  on 
l'embrasse  en  lui  disant  qu'on  oublie  le  passé,  à  condition  qu'il  le 
réparera.  S'il  écoute  froidement  et  impatiemment  la  remontrance, 
on  lui  fait  envisager  les  suites  de  sa  conduite,  son  expulsion  du  caté- 
chisme, la  honte  publique,  point  de  première  communion,  son  saluî 
éternel  compromis  ;  et  on  lui  dit,  on  le  traitant  toujours  avec  amitié, 
qu'on  espère  qu'il  ne  retombera  plus.  S'il  ne  se  rend  pas  à  tout  cela, 
on  revient  à  la  charge  quelques  jours  après,  en  le  traitant  toujours 
avec  bonté  et  mêlant  aux  marques  d'affection  la  crainte  des  châti- 
ments de  Dieu  et  de  sa  réprobation  future. 

6''  Quand  on  a  déclaré  que  pour  telle  faute  il  y  aurait  telle  peine, 
on  doit,  le  cas  échéant,  tenir  parole,  au  moins  pour  l'ordinaire  ; 
mais  il  faut  prendre  garde  de  s'exposer  à  avoir  le  des>ous  dans  les 
pénitences  qu'on  inflige.  Si,  par  exemple,  on  dirait  à  Piiul  qu'il  res- 
tera à  genoux  jusqu'à  ce  qu'il  ait  fait  telle  chose,  et  qu'il  aimât 
mieux,  par  entêtement,  rester  à  genoux  que  de  faire  la  chose,  le  ca- 
téchisle verrait  son  autorité  compromise  par  suite  d'une  parole 
avancée  imprudemment. 

2^  QUESTION.  —  Des  pimitions  à  imposer. 

1°  Les  punitions  doivent  être  légères  en  elles-mêmes,  mais  ac- 
compagnées de  circonstances  propres  h  inspirer  aux  onltuits  la 
honte  et  le  remords.  Jamais  on  ne  doit  les  frapper,  même  lé^i^è- 
rement. 

2"  Les  punitions  les  plus  usitées  sont:  \'  les  mauvais  points; 
après  trois  mauvais  points,  on  est  renvoyé  du  catéchisme  ;  mais 
quand  on  se  corrige  et  qu'on  se  conduit  bien,  on  obtient  la  grâce 
d'en  faire  effacer  un  ou  deux  ;  2"  le  tal)lcau  d'ignominie  :  c'est  un  ta- 
bleau noir  dont  on  fait  une  grande  frayeur  aux  enfants  ;  on  y  inscrit 
sur  une  feuille  de  papier,  en  gros  caractères,  le  nom  de  l'enfant  qui 
mérite  celte  flétrissure,  et  on  le  laisse  suspendu  à  la  vue  di;  tout  le 
catéchisme  ;  3°  l'obligation  de  se  tenir  à  genoux  ou  debout,  d'èciirc 
ou  de  rapprendre  les  leçons  mal  sues  ;  4°  le  renvoi  du  catéchisme  ; 
mais  il  n'en  faut  venir  là  qu'à  la  dernière  extrémité  et  après  avoir 
épuisé  en  vain  tous  les  autres  moyens.  Si,  la  chose  bien  pesée  de- 
vant Dieu,  on  croit  devoir  le  faire,  voici  la  manière  de  procéder: 


462  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

i^si  ce  sont  des  enfants  qu'on  sait  ne  devoir  pas  résister,  on  les 
renvoie  pul)liqucment  pour  intimider  les  autres  ;  2°  si  l'on  doute  de 
la  docilité  du  coupable,  on  l'appelle  au  milieu  du  catéchisme,  et  là 
on  lui  dit  d'un  !on  ferme  :  Jusqu'à  présent  on  vous  a  souffert  dans  ce 
catéchisme,  malgré  votre  dissipation  ;  vous  ne  méritez-  pas  d'y  être 
souffert  plus  longtemps  :  sortez  et  ne  paraissez' plus  ;  et  alors  l'en- 
fant, se  voyant  seul,  humilié  en  présence  de  tous,  sera  interdit  et  se 
retirera;  5"  si  ce  sont  de  grandes  filles  ou  de  grands  garçons,  il  faut 
leur  dire  eh  particulier  qu'on  est  obligé  de  les  exclure,  mais  ne  pas 
les  renvoyer  publiquement  ;  cela  les  déshonorerait  trop,  les  aigrirait 
et  irriterait  peut-être  jusqu'à  leurs  parents  ;  4°  si  ce  sont  des  enfants 
hautains  et  insolents,  qui  résisteraient  et  s'obstineraient  à  ne  pas 
ï^ortir,  il  faut  les  faire  rester  après  le  catéchisme,  sous  prétexte  qu'on 
a  quelque  chose  à  leur  dire,  et  là  leur  signifier  l'arrêt  d'expulsion. 
S'ils  se  présentaient  de  nouveau,  il  faudrait,  immédiatement  avant 
le  cantique  de  départ,  proclamer  l'arrêt  d'expulsion,  et  s'ils  reve- 
naient encore,  les  menacer  du  suisse  ou  du  bedeau,  et  enfin,  au  be- 
soin, y  recourir  pour  les  expulser  de  vive  force,  mais  jamais  ne  s'en 
mêler  soi-même.  —  L'enfant  ainsi  renvoyé  ne  doit  plus  être  reçu  au 
catéchisme  qu  à  la  condition  que  ses  parents  viendront  solliciter  sa 
grâce,  en  promettant  une  obéissance  parfaite,  et  qu'il  se  placera 
sur  un  banc  isolé,  soit  pour  éprouver  la  sincérité  de  son  change- 
ment, soit  pour  réparer  aux  yeux  de  tous  le  scandale  de  sa  con- 
duite passée  et  porter,  par  cette  pénitence,  tous  les  autres  à  la 
sagesse. 

SECTION    6. 

Des  cérémonies  et  exercices  propres  à  inlétesser  les  enfants  au  caléchisme. 

Comme  les  enfants  ir aiment  rien  tant  que  ce  qui  est  extraordi- 
naire et  que  la  monotonie  finit  par  les  ennuyer,  il  est  bon  d'avoir  à 
offrir  de  temps  en  temps  à  leur  curiosité  certains  exercices  propres 
à  les  intéresser  ;  nous  en  signalerons  cinq  dont  l'expérience  a  dé- 
montré les  heureux  effets:  ce  sont  les  fêtes,  les  dialogues,  les  con- 
férences, les  processions  et  la  récitation  des  billets. 

1°  Des  fêtes  de  catéchisme. 

On  fe-n  peut  établir  quatre  ou  cinq  pour  toute  l'année,  par  exemple 
une  fête  de  la  sainte  Vierge,  une  de  saint  Louis  de  Gonzague,  une 

de  saint  Stanislas  Kobtka,  une  de  sainte  Philomèle,  etc On  fait 

désirer  cette  fête  longtemps  d'avance  comme  une  chose  qui  sera 


DU  CATECHISME.  463 

magnifique,  sans  dire  cependant  tout  ce  qui  aura  lieu  ;  on  y  prépare 
les  esprits  en  leur  racontant  quelques  traits  édifiants  propres  à  leur 
inspirer  de  la  piété  pour  cette  fête;  et,  le  jour  arrivé,  on  pare  le 
mieux  possible  la  chapelle  du  catéchisme  avec  tentures,  guirlandes, 
vases  de  fleurs,  arbustes ,  grand  nombre  de  bougies  ;  on  y  fait 
quelques  dialogues  ou  conférences,  processions  ou  récitations  de 
billets  ;  puis  une  distribution  de  gravures  avec  le  plus  de  solennité 
possible. 

2°  Des  dialogues. 

On  entend  par  ces  dialogues  une  sorte  de  conversation  en  public 
sur  un  sujet  de  piété,  de  dogme  ou  de  morale  entre  deux  enfants 
dont  l'un  joue  le  rôle  d'enfant  sage,  et  l'autre  celui  d'enfant  dissipé. 
Le  catéchiste  fait  quelque  temps  d'avance  cette  petite  composition 
sur  la  matière  qu'il  juge  la  plus  utile,  y  mettant  le  plus  de  naturel 
et  de  simplicité  qu'il  peut,  l'assaisonnant  d'histoires  édifiantes,  de 
reparties  vives,  de  traits  d'esprit  sagement  ménagés  pour  piquer  la 
curiosité;  en  un  mot,  tâchant  d'en  faire  une  conversation  aimable, 
spirituelle  et  intércijsarite.  Son  dialogue  fini,  il  choisit  pour  le  pro- 
noncer deux  enfants  d'une  mémoire  heureuse,  qui  sachent  se  pré- 
senter avec  une  assurance  modeste,  débiter  d'une  manière  jiaturelle, 
et  faire  des  gestes  en  rapport  avec  ce  qu'ils  disent  ;  il  le  leur  fait  ap- 
prendre très-parfailement,  les  exerce  au  débit  plusieurs  jours  d'a- 
vance ;  et  le  jour  venu,  il  les  place  dans  le  catéchisme  de  manière 
que  tous  les  enfants  puissent  les  voir  sans  regarder  en  arrière,  l'un 
vis-à-vis  de  l'autre,  mais  cependant  à  une  certaine  distance,  celui 
qui  remplit  le  personnage  d'enfïmt  sage  et  vertueux  au  lieu  le  plus 
apparent,  et  tous  \vs  deux  ayant  à  leur  côté  un  sounieur  intelligent 
et  exercé  qu'on  cache  aux  regards  le  plus  possible. 

Rien  n'intéresse  autant  que  ces  petits  dialogues  quand  ils  sont 
bien  faits  et  bien  débités  ;  les  deux  interlocuteurs  sont  ravis  de  paraî- 
tre en  public,  les  parents  Irés-flattés,  les  enfants  et  tous  les  assistants 
joyeux  de  ce  spectacle,  plus  joyeux  encore  de  ce  que  leur  offrent 
d'amusant  le  débit  et  les  choses  débitées. 

3°  Des  conférences. 

Los  conférences,  autre  exercice  qui  plaît  singulièrement,  sont  un 
dialogue  non  plus  entre  les  enfants,  mais  entre  le  caléchi-le  et  un 
iiitei locuteur.   Nous   en  avons   exposé  les  régies  aillours^  et  il  ne 

*  Liv.  H,  partie  II,  ch.  ti. 


464  TliAlTÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

nous  reste  rien  à  y  ajouter,  sinon  qu'il  faut,  plus  encore  devant 
les  enfants  que  devant  le  peuple,  s'abstenir  des  questions  subtiles, 
s'interdire  les  objections  difficiles,  et  quant  à  celles  qu'on  croit 
utile  de  traiter,  ne  les  présenter  jamais  sur  le  ton  affirmatif, 
mais  uniquement  comme  une  difficulté  dont  on  demande  Texpli- 
tion. 

4°  Des  processions. 

Un  autre  moyen  d'exciter  rémulation  des  enfants,  c'est  l'honneur 
de  faire  partie  des  processions  de  la  Fête-Dieu  ou  autres,  en  usage 
dans  la  paroisse,  et  de  marcher  sous  une  bannière  particulière.  C'est 
là  une  dislinction  qu'on  fait  envier  et  qu'on  propose  comme  la  ré- 
compense de  ceux  qui  auront  le  mieux  su  leur  catéchisme  pendant 
un  temps  fixé,  et  qui  se  seront  conduits  le  plus  sagement.  Ce  temps 
écoulé,  on  fait  le  choix,  en  avertissant  les  élus  que,  s'ils  se  négli- 
geaient, on  serait  obligé  de  les  éliminer,  et  les  autres,  que,  s'ils  se 
conduisent  bien,  ils  pourront  être  admis  au  même  honneur.  On  as- 
signe ensuite  à  chacun  son  rang  dans  la  procession,  et  l'on  nomme 
chaque  fois  ceux  qui  doivent  porter  la  bannière  et  en  tenir  les  cor- 
dons, afin  qu'ils  puissent  tour  à  tour  participera  ce  privilège.  Tous 
chantent  des  cantiques  qu'on  a  également  déterminés  à  l'avance,  en 
choisissant  de  préférence  ceux  qui  ont  des  refrains. 

5°  De  la  récitation  des  billets. 

On  entend  par  billets  des  réflexions  courtes  sur  la  fête  du  jour, 
écrites  d'un  style  clair,  simple,  facile  et  pieux  ;  ils  ne  doivent  jamais 
avoir  plus  d'une  demi-page  de  longueur,  ni  répondre  à  plus  d'une 
question.  Par  exemple,  pour  la  fête  de  Noël,  un  billet  portera  : 
Quelle  fête  célèbre- t-on  aiijoiird'lud  dansée  catéchisme?  l'enfant  ré- 
^po^^d^a  :  Monsieur,  nous  célébrons  aujourd'hui,  etc..  et  là  il  fera 
l'histoire  ou  l'e.xposé  dumystére;  un  autre  billet  portera  :  Quelexem- 
ple  d'humilité  notis  donne  Jésus-Christ  dans  ce  mystère?  Un  autre  : 
Quel  exemple  de  délacliement?  Un  autre  :  Quel  exemple  d'obéis- 
sance^? etc..  Le  catéchiste,  après  avoir  composé  ces  billets,  s'occupe 
du  choix  des  enfants  qui  doivent  les  réciter;  il  fait  envisager  à  tout 
le  catéchisme  comme  une  grande  récompense  l'honneur  d'être  choisi 
pour  cette  fonction,  et  les  excite  par  là  à  bien  apprendre  et  à  bien 
se  conduire.  Toutefois,  dans  son  choix,  il  a  soin  de  ne  prendre  que 

'  M,  Giiillois,  curé  du  Mans,  auteur  dn  Catéchisme  expliqué  par  quatre  cent» 
traits  (l'histoire,  a  fait  imprimer  un  recueil  de  dialogues,  conférences  et  bil- 
lets pour  les  calécliisnies. 


DU  CATÉCIlISMh.  4G3 

fies  enfants  qui  ne  se  laissent  pas  intimider,  qu»  puissent  se  bien 
faire  entendre,  et  qui  récitent  d'un  ton  naturel  et  pieux,  sans  affec- 
tation. 11  leur  remet  une  copie  de  ces  billets,  et,  quand  ils  les  savent 
imperturbablement,  il  leur  fait  une  répétition  avant  la  céiénio." 
pour  les  former  à  bien  débiter.  On  invite,  si  l'on  peut,  un  ecclésii;;;- 
tique  étranger  à  présider  celte  rccit;ition,  et  on  lui  donne,  (|uelque 
temps  auparavant,  une  copie  des  billets,  pour  qu'il  les  médite  et 
prépare  les  réflexions  qu'il  est  à  propos  d'y  ajouter.  Arrivé  au  caté- 
chisme, il  fait  la  demande  indiquée  sur  le  billet  ;  aussitôt  l'enfant  se 
lève  et  répond  :  Monsieur,  etc..  Et,  quand  il  a  fmi,  l'ecclésiastique 
reprend  la  réponse,  la  développe  brièvement,  et  en  tire  des  conclu- 
sions morales  et  des  résolutions  pratiques. 

Voilà  en  quoi  consiste  la  récitation  des  billets.  Cet  exercice  inté- 
resse beaucoup  les  enfants,  et  leur  fait  connaître  lliistoire,  l'esprit 
et  le  fruit  de  chaque  fête,  d'une  manière  aussi  instructive,  aussi 
pieuse  qu'agréable.  Il  ne  doit  jamais  y  avoir  plus  de  six  billets  dans 
un  même  jour,  et  l'explication  en  doit  être  courte;  autrement  on 
lasserait  et  on  dégoûterait  les  enfants. 

SECTION    7. 
De  la  tenue  des  registres  du  catéchisme. 

La  tenue  des  registres  est  de  la  plus  haute  importance.  Si  on  ne 
lient  pas  un  compte  exact  des  bons  points  et  autres  litres  aux  récom- 
penses ou  aux  éloges,  les  enfants  crieront  à  l'injustice,  s'exaspére- 
ront et  quitteront  peut-être  entièrement  le  catéchisme  :  pareille 
chose  arrivera  si,  par  négligence  dans  la  tenue  de  ces  registres,  on 
leur  impute  des  fautes  qu'ils  n'ont  pas  commises,  ou  si  on  attribue  à 
l'un  les  torts  de  l'autre.  De  même,  si  on  ne  tient  pas  un  compte 
cxiict  des  absences,  des  mauvais  points  ou  des  châtiments  encourus, 
ils  s'en  feront  un  jeu,  et,  (juaiul  on  voudra  les  leur  imputer,  ils  sou- 
tiendront qu'on  se  trompe.  Enfin,  il  ne  faut  souvent  qu'une  erreur 
légère  en  soi  pour  occasionner  dans  le  catéchisme  beaucoup  d'em- 
barras, de  confusion  et  de  désordre.  11  est  donc  important  d'entrer 
dans  les  plus  petits  déluils,  de  tenir  tout  en  oi'dre,  de  marquer  tout 
avec  la  dernière  précision,  sans  craindre  la  peine  qu'il  faut  si>  don- 
ner pour  faire  et  refaire  des  listes. 

On  peut  avoir  plusieurs  registres  ou  n'en  avoir  qu'un  seul.  Si  on 
n'en  a  (pi'un,  il  doit  renfermer  dix  colonnes,  suivant  le  modèle  ci- 
après. 

50 


466 


TRAITE  DE  LA  PRÉDICATION. 


KOMS 

ET   PRÉNOMS. 


DATE 

DE  l'entrée 
AU    CaTCCUISME. 


AGE 

DE    l'eNFAM 

ET    SACREMENTS 

nECUS. 


AOM 

DD    CONFESSEUR. 


liILLLTS 

DE   CONFESSION 

POUR 
CIIAOLE    MOIS. 


DU  CATÉCHISME. 


467 


DEMEURE 

DES   ENFAMS. 


ABSENCES 

DD   CATÉCHISME. 


OBSERVATIONS. 


EVANGILES 


ANALYSES. 


468  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

A  la  i'^*  colonne,  il  faut  avoir  soin  do  bien  orthographier  les  noms 
des  enfants;  à  la  2%  marquer  le  jour,  le  mois  et  Tannée  ;  à  la  3% 
constaler  si  l'enfant  a  été  baptisé,  et  marquer  dans  les  catéchismes 
de  persévérance  s'il  s'est  approché  de  la  sainte  Table  depuis  sa  pre- 
mière communion,  et  s'il  a  été  confirmé. 

A  la  4'',  5'',  6''  et  7%  rien  à  observer.  A  la  8*,  on  doit  marquer  les 
bons  points',  afin  de  ne  pas  les  donner  toujours  aux  mêmes,  les 
billets  ou  dialogues  récités,  les  charges  exercées,  les  récompenses 
obtenues  ou  les  peines  encourues. 

A  la  9°  et  la  lO",  ajouter  la  note  qu'on  a  méritée. 

Tels  sont  les  moyens  divers  par  lesquels  un  zèle  industrieux  a 
réussi  à  mettre  dans  les  catéchismes  le  bon  ordre  et  une  exacte  dis- 
cipline, l'intérêt  et  l'émulation.  Nous  convenons  qu'il  est  des  pa- 
roisses où  quelques-uns  de  ces  moyens  seraient  peu  praticables;  où, 
par  exemple,  on  obtiendrait  difficilement  des  analyses,  des  billets 
et  des  dialogues,  des  récitations  d'évangile,  des  directeurs  de  chant 
et  des  secrétaires;  mais,  à  ces  exceptions  près,  qu'on  peut  laisser 
aux  catéchismes  des  villes  et  des  campagnes  plus  instruites,  est-il 
une  seule  paroisse  où  l'on  ne  puisse  employer  tous  les  autres  moyens, 
faire  les  placements  comme  nous  l'avons  dit,  établir  le  règlement  que 
nous  avons  tracé,  créer  des  titres  honorifiques  d'intendant  et  d'inten- 
dante, d'assistants,  d'aspirants  et  de  premiers  de  banc,  partager  le 
catéchisme  en  trois  ou  quatre  divisions,  et  faire  envisager  comme  un 
grand  honneur  d'être  dans  les  premières  ;  introduire  des  rivalités  ou 
provocations,  assigner  dans  certaines  processions,  comme  celles  de 
la  Fête-Dieu,  une  place  distinguée  aux  enfants  les  plus  sages,  enfin 
leur  donner  des  bons  points,  de  bonnes  notes,  des  images  chaque 
mois  et  quelques  petits  livres  à  la  fin  de  l'année?  Ce  n'est  pas  que 
nous  voulions  qu'on  établisse  tout  cela  à  la  fois  et  dès  le  premier 
jou"  «a  précipitation  gâte  les  meilleures  choses,  et  le  bien  solide  ne 
se  fait  pas  si  vite.  Nous  voulons  au  contraire  que  le  catéchiste,  après 
avoir  posé  en  principe  qu'il  lui  faut  à  tout  prix  faire  régner  parmi 
les  enfiints  l'ordre  et  la  discipline,  l'intérêt  et  l'émulation,  essaye 
d'abord  un  moyen  d'atteindre  ce  but,  puis  un  autre  quand  il  verra 
les  esprits  disposés  à  en  profiler,  et  qu'ainsi  peu  à  peu  il  amène  Te 
bien  à  sa  perfection.  En  suivant  celte  marche  et  ne  précipitant  rien, 
il  ira  très-loin,  et  peut-être,  à  force  d'industrie  et  de  zèle,  obtiendra- 
t-il,  même  au  fond  des  campagnes,  ce  qui  ne  semblait,  au  premier 

"î  Voyez  dernier  alinéa  de  la  page  452. 


DU  CATÉCHISME.  4G> 

abord,  que  du  ressort  des  villes  Si  donc  on  veut  se  décider  à  faire 
des  essais,  nous  espérons  tout;  l'expéiience  du  passé  nous  garantit 
l'avenir.  Ce  que  nous  redoutons,  c'est  la  routine  qui  ne  veut  point 
sortir  de  son  ornière,  qui,  toujours  stationnaire,  ne  veut  croire  à  la 
possibilité  d'aucun  prourès  ni  d'aucune  amélioration,  qui,  faisant 
depuis  longtemps  un  catéchisme  sec  et  ennuyeux  pour  l'enfance,  ne 
veut  pas  essayer  une  autre  voie,  par  la  raison  seule  que  telle  est  sa 
manière;  ce  que  nous  redoutons,  c  est  le  découragement  qui,  après 
avoir  lu  l'exposé  que  nous  venons  de  faire  des  moyens  de  rendre  le 
catéchisme  intéressant,  fermerait  ici  le  livre  en  se  disant  :  Tout  cela 
n'est  pas  praticable  dans  ma  paroisse,  par  conséquent  ce  livre  n'est 
pas  fait  pour  moi  et  je  n'ai  aucun  profit  à  en  tirer.  Déplorable  so- 
phisme, assez  semblable  à  celui  d'un  homme  qui  se  voyant  devant 
une  table  chargée  de  mets,  se  dirait  :  Je  ne  puis  manger  tous  ces 
mets,  par  conséquent  je  n'en  puis  goûter  aucun.  Vous  ne  pouvez, 
catéchistes  de  la  jeunesse,  mettre  en  usage  quelques-uns  des  moyens 
indiqués;  eh  bien!  laissez-les  décote,  on  ne  vous  en  fait  pas  un 
crime;  mais  au  moins  essayez  ceux  qui  sont  possibles  :  ceux-là  ne 
perdent  rien  de  leur  mérite  pour  se  trouver  dans  la  compagnie  des 
moyens  qui  ne  sont  praticables  que  dans  les  paroisses  plus  cultivées 
ou  moins  arriérées.  Si  vous  les  négligez,  vous  demeurerez  responsa- 
bles devant  Dieu  du  peu  d'intérêt  que  les  enfants  apporteront  au 
catéchisme  et  du  peu  de  progrés  qu'ils  y  feront^  Vous  en  porterez 
la  peine  dès  cette  vie  même,  par  la  privation  d'une  des  plus  douces 
jouissances  du  ministère  pastoral,  celle  qu'offre  à  un  bon  prêtre  un 
catéchisme  bien  dirigé. 

§2. 

De  la  manière  de  faire  l'instruction. 

Nous  parlerons  :  i"  des  qualités  de  l'instruction;  2°  des  diverses 
manières  de  la  proposer  aux  enfants. 

SECTION    1'*. 
Des  qualités  de  Tinstruclion. 

L'instruction  du  catéchisme  doit  être  courte,  claire,  solide,  entre- 
mêlée de  comparaisons,  de  paraboles,  d'exemples  et  d'histoires. 

«  Voyez  la  Méthode  générale  du  catéchisme,  par  M.  Dupanlou]),  t.   II,  p.  Tjî) 
et  GO. 


470  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

i'^  QUALITÉ  DE  l'insïructiojs.  —  La  brièveté. 

Il  faut  dire  peu  de  choses  à  la  fois  aux  enfants,  si  l'on  veut  qu'ils 
le  retiennent.  Il  en  est  de  leur  esprit,  dit  Quinlilien*,  comme  d'un 
vase  dont  l'ouverture  est  étroite,  où  rien  n'entre  si  on  y  verse  la 
liqueur  avec  précipitation  et  en  grande  abondance,  mais  qu'on  rem- 
plit peu  à  peu  si  l'on  y  verse  celte  même  liqueur  doucement  et  goutte 
à  goutte.  Plus  on  est  long,  moins  ils  retiennent,  et  plus  on  est  court, 
plus  ils  profitent.  C'est  ici  surtout  que  s'applique  le  mot  déjà  cité  de 
saint  François  de  Sales,  qu'on  éteint  les  lampes  quand  on  y  met  trop 
d'huile,  qu'on  suffoque  les  plantes  en  les  arrosant  trop,  et  que, 
quan.d  la  vigne  produit  beaucoup  de  bois,  c'est  alors  qu'elle  porte 
moins  de  fruits^.  «Il faut  écrire  dans  la  tête  des  enfants, dit  Fénelon^, 
«  non  beaucoup  de  choses,  car  un  réservoir  si  petit  et  si  précieux 
«  n'en  pont  contenir  qu'un  petit  nombre,  mais  des  choses  exquises  : 
«  on  ne  doit,  à  cet  âge,  veiser  dans  les  esprits  que  ce  qu'on  souhaite 
«  qui  y  demeure  toute  la  vie.  »  Mais  pour  atteindre  cette  brièveté  si 
désirable,  pour  élaguer  tout  ce  qui  n'est  pas  nécessaire,  il  faut,  avant 
de  parler,  avoir  bien  médité  sa  matière,  bien  pesé  ce  qu'il  faut  dire 
et  ce  qu'il  faut  taire  ;  autrement,  si  l'on  parle  sans  préparation,  on 
s'étendra  au  delà  des  bornes,  on  omettra  des  points  essentiels  et  l'on 
en  traitera  de  superflus;  on  sera  vague  et  dilfus;  on  parlera  beau- 
coup et  on  dira  très-peu  de  choses. 

2^^  QUALITÉ  DE  l'instruction.  —  La  clarté. 

Le  catéchiste  ne  doit  rien  négliger  pour  arriver  à  la  plus  grande 
clarié  possible  :  les  enfants  ne  savent  point  s'appliquei',  et  ils  ne 
comprennent  qu'autant  que  les  choses  apparaissent  d'elles-mêmes 
à  leur  intelligence  sans  réflexion  et  sans  effort,  comme  le  soleil  ap- 
paraît en  plein  midi  aux  regards  qui  ne  le  recherchent  pas.  Il  faut 
donc  que  le  caléchiste  se  proportiomie  à  leur  faiblesse,  qu'il  des- 
cende jusiîu'à  eux,  puisqu'ils  sont  incapables  de  s'élever  jusqu'à 
lui,  qu'il  articule  bien  toutes  ses  syllabes  sans  en  précipiter  aucune, 
qu'il  parie  peu  et  fasse  beaucoup  parler,  quil  répète  ce  qu'il  a  déjà 
dit  et  le  répète  dans  les  mêmes  termes,  auL  1  qu'il  le  faut  pour  que 
tous  saisissent,  quil  s'assure  par  des  interrogations  s'il  a  été  com- 
pris, qu'il  supporte  avec  une  grande  patience,  qu'il  aide  avec  une 

1  Lib.  I,  c.  m,  de  publicis  Scholis.  —  «  Le  Guide  de  ceux  qui  annoncent  la 
parole  de  Dieu,  p.  81.  —  s  De  l'!:ducat.ion  des  lilies. 


LU  CATECillSllE.  471 

miséricordieuse  compassion  ceux  qui  ont  l'intelligence  lente  et  tar- 
dive :  Nimis  tardus  misericorditer  succurrendus  est,  dit  saint  Au- 
gustin'. 11  faut  surtout,  de  sa  part,  clarté  dans  la  pensée,  clarté  dans 
l'expression,  clarté  dans  la  méthode. 

4°  Clarté  dans  la  pensée.  Rien  n'est  si  commun  que  les  gens  à 
idées  obscures,  embrouillées  et  sans  précision;  et  de  là  le  défaut  de 
clarté  dans  tout  ce  qu'ils  disent.  Ceux-là  seuls  sont  clairs  qui  se  ren- 
dent bien  compte  à  eux-mêmes  de  ce  qu'ils  veulent  dire,  qui  s'en 
forment  une  idée  nette,  précise,  exacte,  et  qui  ensuite,  se  mettant 
à  la  place  de  l'auditeur,  se  représentant  sa  manière  de  concevoir  en 
raison  de  son  âge,  de  son  éducation,  de  son  instruction,  s'attachent 
à  présenter  chaque  pensée  dételle  manière,  qu'elle  soit  saisie  comme 
forcément  par  son  esprit. 

2'^  A  la  clarté  dans  la  pensée  doit  se  joindre  la  clarté  dans  l'ex- 
pression ;  car  en  vain  la  pensée  serait  claire,  si  la  parole  qui  l'exprime 
n'était  pas  proportionnée  à  la  portée  des  enfants.  C'est  pourquoi  il 
faut,  1"  éviter  les  expressions  figurées,  comme  la  lumière  de  la  foi, 
l'édifice  de  la  perfection,  l'ivresse  des  passions,  etc.  ;  les  expressions 
propres  au  langage  de  l'école,  comme  principe,  essence,  etc.  ;  enfin 
toute  expression  qui  ne  réveille  pas  un  sens  net  et  précis  dans  l'esprit 
de  l'enfance,  comme  intentions,  distractions,  pensées,  désirs,  donner 
son  cœur  à  Dieu,  faire  tout  pour  Dieu,  etc.  Oii  doit  n'employer  ces 
mots  qu'après  les  avoir  expliqués  et  s'être  assuré  que  les  enfants  les 
comprennent  ;  et  en  attendant  on  doit  user  des  circonlocutions  qui 
en  expliquent  clairement  le  sens.  On  ne  doit  pas  craindre  d'employer 
les  expi  essions  populaires,  celles  môme  que  la  pureté  de  la  langue 
désavoue,  quand  elles  sont  plus  propres  à  donner  aux  enfants  l'in- 
telligence des  choses.  Mais  il  faut  s'abstenir  des  périphrases  comme 
de  dire  le  prince  des  apôtres,  pour  désigner  saint  Pierre;  l'apôtre  des 
nations,  pour  signifier  saint  Paul  ;  des  pronoms  il,  elle  ;  on  est  mieux 
compris  en  redisant  le  nom  de  la  chose  ;  plus  encore,  des  phrases 
longues  ou  composées  dont  on  ne  peut  avoir  le  sens  complet  qu'en 
soutenant  son  atlention  pour  en  lier  ensemble  tontes  les  parties; 
l'esprit  des  enfants  n'est  [loint  capable  de  celle  application  :  il  leur 
faut  des  phrases  coupées,  dont  le  sens  se  saisisse  en  un  instant  et 
sans  effort.  2"  Il  faut  tonjours  faire  répétiT  la  demande  dans  la  ré- 
ponse!, parce  que  l'esprit  des  enfants  ne  saurait  suppléer  les  mots 
sous-entendus.  Ainsi,  à  la  demande  :  Combien  y  a-l-il  de  personnes 

*  De  Caicchis   Rudibus   c  x 


472  TRAITÉ  DE  LA  PREDICATION. 

^n  Dieu  ?  il  ne  faut  pas  l'airo  répondro  :  //  y  en  n  trois,  mais  bien  : 
Il  y  a  trois  personnes  en  Dieu.  A  la  demande  :  Pourquoi  Dieu  nous 
a-t-il  créés  ?  il  ne  i'aul  pas  l'aire  répondre  :  Pour  le  connaître,  Vaimer 
et  le  servir,  mais  bien  :  Dieu  nous  a  créés  pour  le  connaître,  V aimer 
et  le  servir.  5"  Enfin,  il  faut  éludii'r  le  langage  des  enfants,  la  ma- 
nière dont  ils  rendent  leurs  idées,  le  sons  cpi'ils  attachent  à  certains 
mois,  et  partir  de  ce  sens  une  fois  conim  pour  expliquer  les  termes 
qu'ds  ne  conipiennent  pas,  en  évilant  toutefois  les  expressions  qui 
auraient  quelque  chose  de  choquant  et  d'ignoble,  de  bas  et  de  ra- 
valé ;  car  on  doit  toujours  conserver  à  la  religion  sa  majesté,  à  la 
parole  de  Dieu  sa  dignité.  Il  serait  même  mieux  de  faire  paitir  son 
explicalion,  autant  que  possible,  d'un  fait  sensible  et  public,  parce 
qu'alors  on  est  entièrement  sûr  que  le  point  d'où  l'on  paît  est  com- 
pris. Ainsi,  je  veux  expliquer  aux  enfants  ce  que  c'est  que  le  salut  ; 
je  prends  pour  point  fie  départ  les  morts  qu'ils  voient  souvent  porter 
au  cimetière  et  je  demande  :  Ces  morts  sont-ils  dans  le  tombeau? 
Oui.  —  Aucun  d'eux  n'est  donc  en  Paradis?  Pardonnez-moi,  les  bons 
sont  en  paradis.  —  Comment  sont-ils  dans  le  tombeau  et  dans  le  pa- 
radis en  même  temps?  Leur  âme  est  en  paradis  et  leur  corps  en 
terre.  —  Leur  âme  n'est  donc  pas  morte?  Non,  elle  vivra  toujours 
dn)is  le  ciel.  — lis  sont  donc  sauvés  ?  Oui.  —  Qu'est-ce  que  se  sauver? 
C'est  que  lame  va  en  paradis  quand  on  est  mort.  —  Et  la  mort, 
qu'eirt-ce?  Cest  que  l'ûme  quitte  le  corps  et  le  corps  s'en  va  en  pous- 
sière, (jn  sent  combien  cette  marche  est  plus  propre  que  des  défini- 
tions à  faire  comprendre  les  choses  aux  enfants. 

5"  (Jiianil  la  clarté  règne  dans  la  pensée  et  l'expression,  il  ne  reste 
plus  qu'à  l'introduire  dans  la  méthode.  Une  instruction  qui  n'est  pas 
mélhodique  ne  laisse  que  confusion  dans  l'esprit,  quelques  beautés 
qu'elle  renferme  d'ailleurs,  et  l'analyse  en  est  presque  impossible  ; 
tandis  qu'une  instruction  méthodique  se  comprend  sans  peine,  se 
retient  facilement  et  fait  toujours  plaisir.  Le  moyen  d  atteindre  ce 
mérite  est  de  commencer  toujours  par  récapituler  en  peu  de  mots 
l'instruction  précédente,  pour  la  liei'  aux  questions  qu'on  va  trailei"; 
puis  on  énonce  son  sujet,  on  le  divise  en  termes  clairs,  précis  et  aisés 
à  retenir;  on  fait  répètei'  sa  di\isioii  à  un  ou  deux  enfants  pour  s'as- 
surer qu'elle  a  été  saisie,  et,  entrant  ensuite  dans  le  corps  de  l'in- 
struction, ou  procède  const.imment  à  mnqis  noto  ad  minus  notum^ 
pailant  toujours  de  choses  pnr.'ailement  (  onnnes  des  enfants,  et  de 
là  leur  lai-ant  tii'er  à  (nx-inèini's  les  c(tn^è(|UtMices  ipii  doivent  les 
ine:i;".'  à  c:- iju'ils   ne  comiai^seiil  pas.    (','i>>-î  là  me  M'i^ie  tondee  su»* 


DU  CATEniISME  473 

le  bon  sens  et  par  conséquent  admise  de  tout  le  monde  ;  mais  tous 
ne  l'appliquent  pas  de  la  même  manière  :  les  uns  commencent  par 
définir  et  expliquent  ensuite  les  termes  de  la  détinition  à  l'aide  de  la 
règle  indiquée;  les  autres,  prenant  cette  règle  dans  toute  sa  rigueur, 
commencent  par  expliquer  tout  ce  qui  doit  entrer  dans  la  dèfniition 
et  ne  présentent  celle-ci  qu'à  la  fin,  comme  conséquence  et  résumé 
de  tout  ce  qui  a  été  dit.  Ainsi,  je  veux  enseigner  à  un  enfant  la  ré- 
ponse à  cette  question  :  Qu'est-ce  que  Dieu?  Suivant  la  première 
méthode,  je  donnerai  aus^itôt  la  définition  de  Dieu  :  Dieu  est  un 
esprit  immense^  très-parfait,  créateur  tt  maître  de  toutes  choses, 
et  j'en  expliquerai  ensuite  tous  les  mots.  Suivant  la  seconde  méthode, 
je  commencerai  par  demander  à  l'enfant  :  «  Louis,  cette  maison 
«  s'est-elle  bâtie  toute  seule  et  les  pierres  se  sont-elles  taillées,  por- 
«  tées,  placées  là  où  vous  les  voyez? —  Non,  monsieur,  répondra-t-il 
«  surpris  de^la  question,  ce  sont  les  maçons  qui  Vont  bâtie.  —  Et 
«  voire  habit,  s'est-il  fait  tout  seul?  —  Non,  monsieur,  c'est  le  tail- 
«  leur  qui  l'a  fait.  —  Mais  le  ciel,  la  terre,  le  monde  entier,  est-ce 
(f  quelque  chose  de  mieux  fait  et  de  plus  difficile  à  faire  que  cette 
«  maison,  que  votre  habit?  —  Oh  !  oui,  monsieur.  —  Mais  si  celte 
«  maison,  si  votre  habit  n'ont  pu  se  faire  tout  seuls,  le  ciel,  la  terre, 
«  le  monde  entier,  qui  sont  quelque  chose  de  mieux  fait  et  de  plus 
«  difficile  à  faire,  comme  vous  l'avez  très-bien  dit,  ne  se  sont  donc 
«  pas  faits  seuls?  il  y  a  dcnc  quelqu'un  qui  les  a  faits.  —  Oui.  cest 
«  Dieu  qui  a  fait  tout  ce  qui  existe. —  Mais  avec  quoi  l'a-t-il  fait  ?»  — 
Si  l'enfant  embarrassé  ne  peut  répondre,  on  lui  dira  qu  il  l'a  fait  avec 
rien,  puisque  auparavant  rien  n'existait  que  Dieu,  et  que  pour  cela 
on  l'appelle  Créateur.  «  Les  hommes,  mes  enfants,  ne  font  rien  avec 
«  rien.  11  faut  de  l'étoffe  à  un  tailleur  pour  faire  un  habit,  et  il  en  est 
«  de  même  de  tous  les  autres  ouvrages  des  hommes.  C'est  pour  cela 
«  qu'ils  ne  sont  pas  créateurs  :  ils  ne  font  qu'arranger  ce  qui  existe. 
«  Dieu  seul  donne  l'existence  à  ce  qui  n'est  p.is.  Il  n'y  a  donc  que 
«  lui  qai  soit  créateur.  Ainsi,  retenez-le  bien,  mes  enfants,  créer, 
«  c'est  faire  quelque  chose  avec  rien.  »  On  leur  fait  encore  répéter 
ceci,  et  de  là  on  conclut  que  Dieu  est  créateur  de  tout  ce  qui  existe. 
—  «  Muis  si  Dieu  a  tuut  fait  [lar  lui-même,  tout  lui  appartient  donc, 
«  il  est  donc  le  maître  de  tout  ce  qui  e.xiste  ï  —  Oui,  monsieur.  — 
tt  Mais  ce  Dieu,  crcaleur  et  maîlieduciel  et  delà  terre,  a-t-il  un  corps 
«  comme  nous,  une  bouche,  des  yeux,  des  mains?  mange- l-il,  hnit-il 
«  comme  nous?  Non,  mes  entants,  c'est  pour  cela  qu'on  dil  qu'il  est 
«  un  esprit.  Un  esprit,  c'est  ce  qui  n'a  point  de  coi  ps.  Par  exemple. 


474  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

«  ceux  qui  meurent  laissent  ici-bas  leur  corps  qu'on  met  en  terre  ; 
«  mais  leur  esprit,  leur  âme,  va  recevoir  dans  l'autre  vie  la  récora- 
«  pense  de  leurs  vertus  ou  la  peine  de  leurs  péchés  ;  ils  sont  alors, 
«  comme  Dieu,  de  purs  esprits.  Voyons,  Pierre,  qu'esl-ce  qu'un 
'(  esprit?  —  Cest  ce  qui  n'a  point  de.  corps.  —  Dieu  est-il  un  esprit? 
«  —  Oui,  monsieur,  parce  qiiil  n'a  point  de  corps. — Mais  cet  esprit, 
«  oij  esl-il?  est-il  au  ciel?  est-il  par  toute  la  tnrre ?—Oîu',  il  estpar- 
«  tout.  —  Être  partout,  comment  cela s'appelle^-il?  »  L'enfant  hésite, 
il  ne  sait  pas.  «  Être  partout,  mes  enfants,  retenez-le  bien,  c'est  ce 
«  qu'on  appelle  être  immense.  Ainsi,  être  immense,  ou  être  partout 
«  c'est  la  même  chose.  Voyons,  Philippe,  avez-vous  bien  compris? 
«  Qu'est-ce  qu'être  immense? —  Cest  être  partout.  — Êles-vous 
ft  immense,  vous?  — Non,  parce  que  je  ne  suis  pas  partout,  je  ne 
«  suis  qu'en  un  endroit  à  la  fois.  —  Mais  ce  Dieu  qui  esl  partout, 
«  sait-il  tout?  y  a-t-il  des  choses  qu'il  ro  connaisse  pas? — Norif 
«  Dieu  connaît  tout.  —  Est-il  tout-puissant?  y  a-t-il  des  choses  qu'il 
«  ne  puisse  pas  faire?  ~  Non,  Dieu  peut  tout.  —  Dieu  est-il  juste? 
«  esl-il  bon,  est-il  saint?  y  a-t-il  quelques  défauts  en  lui?  — Non,  il 
«  n'y  a  aucun  défaut  en  Dieu.  —  iNon,  mes  enfants,  il  n'y  a  aucun 
«  défaut  en  Dieu  ;  il  sait  tout  jusqu'à  nos  plus  secrètes  pensées  ;  il  est 
«  tout-puissant,  il  est  juste,  il  est  bon,  il  est  saint,  c'est-à-dire  pour 
«  tout  renfermer  en  un  seul  mot,  remarquez-le  bien,  Dieu  est  très- 
«  parfait.  Maintenant,  Louis,  pourriez-vous  me  dire  ce  que  c'est  que 
«  Dieu  ;  faites  bien  attention.  Dieu  est-il  un  esprit?  —  Oui,  Dieu  est 
«un  esprit.  —  Dieu  est-il  immense?  —  Oui,  Dieu  est  immense.  — 
«  Est-il  très-parfait?  —  Oui,  Dieu  est  très-parfait.  —  Est-il  ciéateur 
«  et  maître  de  toutes  choses  ?  —  0/«,  Dieu  est  créateur  et  maître  de 
«  toutes  choses, —  Qu'est-ce  donc  que  Dieu?»  L'enfant  répond  sans 
hésiter  :  Dieu  est  un  esprit  immense.,  très-parfait,  créAiteur  et  maître 
de  toutes  choses,  et  il  sera  glorieux  d'avoir  su  réunir  tous  ces  mots 
pour  en  composer  la  définition  de  Dieu  ;  en  la  composant,  il  l'aura 
comprise,  son  esprit  sera  éclairé  et  souvent  son  cœur  touché.  Cette 
méthode  semble  donc  bien  préférable  à  la  première,  et  le  catéchiste 
fera  sagement  de  l'employer  le  plus  souvent  qu'il  pourra. 

5*  QUALITÉ  DE  L'iNSTr.ucTio.N.  —  La  soUdité. 

Ce  serait  une  grande  erreur  de  croire  que  fout  est  bon  pour  les 
QJifants,  et  qu'il  importe  peu  que  ce  qu'on  leur  dit  soit  rigoureuse- 


DU  CATÉCHISME.  iîS 

lïjent  vrai,  oxîict  et  solide  :  le  catéchisme  est  la  parole  de  Dieu  ;  c'est 
assez  pour  que  le  prêtre  ue  doive  rien  s'y  permettre  qui  ne  soit  vrai 
et  qui  même  ne  puisse  se  soutenir  devant  les  hommes  les  plus  savants 
et  les  plus  sensés.  Il  se  fait  en  public  et  à  la  face  des  autels  ;  en  faut- 
il  davantage  pour  prouver  qu'on  n'y  doit  rien  dire  qui  ne  soit  digne 
de  la  majesté  de  la  religion?  Mais  indépendamment  de  ces  raisons,  si 
les  enseignements  du  catéchisme  ne  sont  pas  exacts  et  solides,  les 
enfants  devenus  hommes  les  mépriseront,  parce  qu'ils  en  verront  la 
fausseté;  et  ils  comprendront  peut-être  dans  ce  mépris  la  religion 
tout  entière;  du  moins  leur  foi  ne  tiendra  pas  contre  les  doutes  que 
le  développement  de  leur  raison,  les  suggestions  du  démon  et  les 
discours  du  monde  pourront  plus  tard  faire  naître  dans  leur  esprit. 
Aujourd'hui  ils  croient  sur  la  parole  du  catéchiste  ;  mais  il  viendra 
un  temps  où  cette  parole  perdra  pour  eux  son  autorité  ;  où,  par  con- 
séquent, leur  foi  chancellera,  si  l'on  ne  leur  a  fait  apprécier  de  bonne 
heure  hs  fondements  inébranlables  sur  lesquels  elle  repose,  si,  par 
des  instructions  solides,  on  ne  leur  a  appris  à  croire,  non  plus  sur  la 
parole  d'un  homme,  mais  sur  des  preuves  irréfragables,  à  la  parole 
même  de  Dieu,  et  de  l'Église  son  infaillible  interpréîe. 

Il  est  donc  essentiel  de  ne  donner  au  catéchisme  qu'un  enseigne- 
ment solide,  conforme  aux  règles  de  cette  rigoureuse  logique  qui 
n'admet  que  des  définitions  exactes,  des  divisions  justes,  des  raison- 
nements invincibles.  Tout  bon  catéchiste  doit  donc  être  bon  logicien; 
car  celui  qui  ne  l'est  pas  est  défectueux  dans'  ses  définitions  comme 
dans  ses  divisions,  et  plus  encore  dans  ses  raisonnements;  il  ne  sait 
pas  lier  les  conséquences  avec  les  principes,  et  donne  pour  preuve, 
tantôt  la  chose  même  à  prouver,  énoncée  en  d'autres  termes,  tantôt 
des  raisons  qui  n'ont  aucune  solidité  :  ce  seront  des  sens  mystiques 
de  l'Écriiure  qu'il  présentera  comme  des  preuves  incontestables  ;  des 
passages  des  Pérès  dont  il  n'aura  examiné  ni  les  antécédents  ni  les 
conséquents,  et  qu'il  alléguera  au  hasard. 

Pour  établir  solidement  la  doctrine  dans  l'esprit  des  enfants,  il 
faut  être  très-sobre  des  passages  de  l'Écriture  et  des  Pères,  n'en  citer 
que  certains  textes  frappants  et  d'une  grande  importauce,  comme 
celui-ci  :  Ta  es  Pierre,  et  sur  cette  pierre,  etc..  On  comme  ces  sen- 
tences courtes  et  fortes  de  saint  Augustin  :  Dieu  qui  vous  a  fuit  sans 
vous,  ne  vous  sauvera  pas  sans  vous;  Dieu  promet  le  pardon,  mais 
non  pas  le  lendemain,  au  pécheur  qui  veut  se  repentir.  Les  prtuivcs 
de  raison  sont  les  principales  que  doive  employer  le  catéchiste;  en- 
core doit-ii  éviter  les  longs  raisonnements  ;  les  enfants  en  sont  inca- 


476  TRAITÉ  DE  LA  Pr.ÉDICATION. 

pablos  ;  il  ne  leur  faut  que  des  itiisons  saillantes,  qui  en'.èvent  la 
convietion  par  le  simple  exposé,  dds  raisons  tirées  siirlont  de  com- 
paraisons, d'exemples  et  de  faits  sensibles  :  de  là,  la  nécessité  de  la 
quatrième  qualité  de  l'instruction. 

4^  QUALITÉ  DE  l'instruction.  —  Elle  doit  être  entremêlée  de 
comparaisons,  de  paraboles,  d'exemples  et  d'histoires. 

i'    DES    COMPARAISONS. 

Les  comparaisons  tirées  du  petit  cercle  d'idées  qu'ont  déjà  les 
enfants,  ou  des  objets  sensibles  qui  les  ont  frappés,  sont  un  des 
moyens  les  plus  assurés  de  se  faire  écouter  et  comprendre.  L'objet 
pris  pour  point  de  comparaison  excite  leur  intérêt,  parle  à  leur  ima- 
gination, arrête  la  mobilité  de  leur  esprit,  et  l'usage  qu'on  veut  en 
faire  pique  la  curiosité  si  naturelle  à  leur  âge;  de  sorte  que,  quand 
on  vient  à  aiiplication,  l'émotion  qui  éclate  sur  tous  les  visages  fait 
connaître  leur  surprise  et  leur  joie.  Aussi  voyons-nous  que  Jésus- 
Christ,  évangélisant  les  pauvres  dont  l'esprit  inculte  a  souvent  beau- 
coup de  I  apport  avec  celui  des  enfants,  ne  disait  presque  rien  sans 
l'expliquer  par  quelque  comparaison  familière  tirée  des  choses  les 
plus  communes,  tantôt  d'un  père  de  famille,  d'un  fds,  d'un  serviteur  ; 
tantôt  d'un  repas,  d'un  peu  de  farine,  d'un  flambeau,  d'un  champ, 
d'un  arbre,  d'une  fleur,  d'un  passereau.  L'historien  de  saint  François 
de  Sales  rapporte  également  que  lorsque  ce  saint  prélat  exposait  aux 
enfants  les  éléments  de  la  foi,  les  riches  comparaisons  lui  naissaient 
à  tout  propos  dans  la  bouche,  et  ainsi  ont  fait  les  bons  catéchistes 
de  tous  les  temps. 

Toutefois  il  faut  prendre  garde  de  trop  les  multiplier  ou  de  les  pré- 
senter comme  objet  principal,  ce  qui  ne  ferait  que  distraire  l'esprit 
de  la  vérité  qu'on  veut  expliquer.  Il  faut  de  plus  n'employer  que  des 
comparaisons  tirées  d'objets  bien  connus  des  enfants,  et  qui  aient 
un  rapport  manifeste  avec  la  chose  à  éclaircir  ;  et  en  les  présentant, 
le  catéchiste  doit  observer  deux  règles,  la  première  de  les  proposer 
brièvement,  sans  toutefois  celte  concision  qui  les  rendrait  obscures; 
la  seconde,  de  varier  ses  tours  de  phrase,  employant  tantût  lespar- 
iicu]es,  comme,  de  même  que;  tantôt  ces  façons  déparier  :  Figurez- 
vous,  représentez-voîLs ,  c'est  ce  que  nous  voyons  dans,  etc.;... 
d'autres  fois  cette  interrogation  :  Qui  ne  sait  pas,  qui  ne  voit 
pas?  etc.. 


DU  CATECHISME.  477 

2°   DES   PARABOLES. 

Les  paraboles  sont  des  comparaisons  qu'on  déguise  sous  la  forme 
d'une  fiction  historique  pour  éclaircir  une  vérité  morale  :  c'était  la 
pratique  de  Jé&us-Christ,  eltout  le  monde  connaît  les  touchantes  pa- 
raboles de  l'Enfant  prodigue,  du  bon  Pasteur,  etc..  A  l'exemple  du 
divin  Maître,  les  Pérès  ont  (juelquefois  employé  ce  mode  d'instruire: 
saint  Bernard,  voulant  faire  comprendre  l'ingratitude  des  hommes  en- 
vers la  passion  du  Sauveur,  fait  celle  parabole  :  '(  Un  homme  avait  été 
«  condamné  à  mort  pour  ses  crnnes  :  le  fils  du  roi  l'apprend  et  obtient 
«  de  son  père  de  mourir  pour  le  coupable  :  le  coupable  est  relâché 
«  et  s'en  va  jouer  sur  la  place  publique.  Pendant  qu'il  s'amuse,  on 
«  lui  annonce  que  le  fils  du  prince  est  conduit  au  supplice  ;  et  il  ne 
1  s'en  émeut  pas,  il  ne  veut  pas  même  y  penser,  et  il  continue  son 
«  jeu.  Quelle  ingratitude,  quelle  monstruosité  dans  ce  coupable?  Eh  ! 
«  mes  fiéies,  savez-vous  quel  U  est  ce  grand  coupable?  C'est  vous  : 
«  Jésus-Christ,  le  Fils  du  Pioi  des  rois,  meurt  à  votre  place,  et  vous  y 
«  êtes  insensibles,  et  vous  n'y  pensez  pas.,..  »  On  sent  combien  une 
telle  parabole  est  propre  à  toucher. 

La  parabole  est  encore  souvent  très-utile  pour  faire  comprendre 
les  définitions,  qui  sont  ordinairement  ce  que  les  enfants  saisissent  le 
moins  :  par  exemple,  on  pourrait  faire  comprendre  aux  enfants  les 
moins  intelligents  la  différence  entre  la  contrition  parfaite,  la  contri- 
tion imparfaite  et  la  crainte  purement  servile,  par  la  parabole  sui- 
vante :  «  Un  père  avait  trois  enfants  auxquels  il  avait  confié  la  garde 
«  de  trois  petits  agneaux  qui  paissaient  dans  une  prairie  :  un  jour  ils 
<(  s'endormirent,  et  pendant  leur  sommeil ,  des  loups  sortirent  de  la 
«  forêt  voisine  et  emportèrent  le  petit  troupeau.  Les  enfants  éveillés 
«  par  les  bêlements  plaintifs  de  Lurs  agneaux,  voyant  au  loin  les 
«  loups  qui  les  emportaient,  se  mirent  à  pleurer.  Hélas!  disait  le 
a  plus  âgé,  mon  père  va  me  battre  pour  avoir  laissé  emporter  mon 
«  agneau.  Le  second  disait  :  Pour  moi,  je  pb  ure,  non  pas  scMlement 
«  à  cause  des  pénitences  qu'il  va  me  donner,  mais  aussi  à  cause  du 
a  chagrin  que  cela  va  lui  causer.  Le  plus  jeune,  qui  pleurait  plus 
(T  amèrement  que  les  autres,  disait  :  Ah!  pour  moi,  je  ne  m'inqiuèle 
«  pas  des  pénitences,  je  ne  pense  qu'à  la  peine  (jue  mon  bon  pèie  va 
I  en  éprouver  :  oui,  j'aimerais  mieux  demeurer  toute  ma  vie  en  pé- 
«  nitence  que  de  lui  avoir  causé  un  tel  chagrin.  »  On  fera  ensuite 
l'application  de  celle  parabole  au  sujet  indiqué,  et  ou  sent  qu'on 


478  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

sera  aisément  compris  des  enTaiits.  Si  on  désire  s'épargner  la  peine 
de  composer  soi-même  des  paraboles,  on  en  trouvera  pour  toutes 
sortes  de  sujets  dans  le  Catéchisme  de  Constance  et  dans  le  petit  ou- 
vrage intitulé  les  Paraboles  du  P.  Donaventure  Giraudeau^ , 


3     DES    EXEMPLES. 

Les  exemples,  dans  le  sens  que  nous  attachons  ici  à  ce  mot,  sont 
des  cas  de  'conscience  qui  se  résolvent  par  l'application  des  prin- 
cipes exposés  dans  l'instruction.  On  propose  le  cas  aux  enfants,  on 
leur  en  demande  la  décision  ;  et  par  cette  pratique  sagement  em- 
ployée on  vient  à  bout  de  leur  donner  une  parfaite  intelligence  des 
règles  do  la  morale,  et  surtout  de  leur  faire  comprendre  en  quoi 
consistent  les  péchés  de  pensée,  de  désir,  de  volonté,  de  complai- 
sance ou  délectation  morose.  En  voici  un  exemple.  Je  suppose  que 
je  leur  aie  exposé  biièvement  et  clairement  la  doctrine  sur  les  pé- 
chés intérieurs  ;  j'ajoute:  «  Peut-être,  mes  enfants,  vous  ne  saisissez 
«  pas  parfaitement  ce  que  je  vous  dis  ;  mais  un  exemple  vous  le  fera 
«  comprendre:  Pierre  entre  chez  Jacques,  son  voisin,  pour  lui  sou- 
«  haiter  le  bonsoir;  il  ne  l'y  trouve  pas,  et  se  voyant  seul,  il  conçoit 
«  le  dessein  de  prendre  la  montre  de  Jacques  :  Personne  ne  m'a  vu 
«  entrer,  se  dit-il,  on  ne  saura  pas  que  c'est  moi.  Déjà  il  s'approche 
«  pour  la  saisir  ;  mais  tout  à  coup  le  voisin  Jacques  rentre.  Pierre 
«  ne  fait  semblant  de  rien,  salue  Jacques,  cause  avec  lui  et  s'en  re- 
«  tourne  fâché  d'avoir  manqué  son  coup.  Eh  bien  !  répondez-moi, 
«  Philippe,  Pierre  a-t-il  péché?  Oui.  Pourquoi  cela  :  il  n'a  rien  volé. 
«  Il  a  ]  éch(%  parce  qiiil  a  eu  la  volonté  de  voler.  Vous  dites  bien , 
((  c'en  est  assez  pour  être  coupable  devant  Dieu.  Mais  si  Pierre  s'était 
«  contenté  de  dire:  Oh!  si  je  pouvais  prendre  cette  montre  !  mais 
«  je  ne  veux  pas,  on  me  découvrirait  et  on  me  mettrait  en  prison, 
«  aurait-il  péché?  Oui.  Pourquoi?  Parce  qu'il  aurait  eu  le  désir  de 
«  voler.  Oui,  mon  enfant,  on  pèche  sans  faire  la  mauvaise  action,  si 
«  on  a  seulement  le  désir  de  la  faire.  Mais  £4  Pierre,  au  premier  mo- 
«  ment  qu'il  a  eu  la  pensée  de  voler,  s'était  dit  à  lui-même  :  Non,  je 
«tie  le  ferai  pas.  Dieu  me  le  défend;  aurait-il  péché?  Non.  Et  si 
(i  cette  pensée  lui  était  resiée  longfemps  dans  l'esprit,  quoique  tou- 
«  jours  il  la  renvoyât,  aurait-il  péché?  Non.  On  ne  pèche  par  pensée 
«  que  lorsqu'il  y  a  ou  volonté  ou  désir  de  faire  le  mal,  ou  plaisir  à 

*  Chez  René,  à  Paris,  édition  de  18i5- 


DU  CATÉCHISME.  479 

«  y  penser.  »  —  Qui  ne  voit  combien  des  cas  de  conscience  présentés 
à  peu  près  en  cette  sorte  sont  plus  propres  que  toutes  les  explications 
à  faire  saisir  les  choses  ? 

4'  DES  HISTOIRES. 

Les  histoires  édifiantes  réunissent  au  plus  haut  point  les  avan- 
tages de  la  comparaison,  de  la  parabole  et  de  l'exemple;  elles 
rendent  le  catéchisme  agréable  aux  enfants,  révei'lent  leur  atten- 
tion, et  les  ramènent  au  recueillement  ;  elles  se  gravent  dans  leur 
mémoire,  touchent  leur  cœur  et  y  laissent  des  impressions  durables 
de  vertu.  Souvent  même  la  promesse  de  leur  raconter  une  histoire 
curieuse  s'ils  sont  sages,  suffit  pour  les  contenir  pendant  tout  le  ca- 
téchisîîie. 

Il  est  certaines  règles  à  observer  dans  le  choix  et  le  récit  de  ces 
histoires  :  1°  l'histoire  citée  doit  être  vraie  ;  nous  en  avons  dit  la 
raison  plus  haut,  p.  218.  2°  L'histoire  doit  être  grave  :  si  elle  n'a- 
vait pour  but  que  de  faire  rire,  ello  dissiperait  les  enfants  et  leur 
ferait  perdre  le  respect  pour  la  parole  de  Dieu.    5°  Elle  doit  être  re- 
marquable ou  par  le  fond  des  choses,  ou  parce  qu'elle  s'est  passée 
dans  le  pays  même,  ou  parce  que  les  personnages  qu'on  donne 
comme  modèles  n'ont  trouvé,  ni  dans  leur  condition  ni  dans  leur 
sexe,  l'énergie  de  la  vertu  que  nous  admirons  en  eux,  et  souvent  ils 
n'ont  pas  eu  les  mêmes  grâces  que  nous.  4°  Il  faut,  en  la  racontant, 
rep.dre  les  faits  sensibles  par  la  représentation  vive  de  leurs  circon- 
stances et  de  la  manière  dont  les  choses  se  sont  passées,  faire  parler 
les  personnes  en  leur  prêtant  des  colloques  courts,  au  moins  très- 
vraisemblables,  si  ce  ne  sont  pas  les  discours  mômes  rapportés  eu 
substance  par  les  historiens,  et  faire  en  sorte  que  les  enfants  cioient 
les  voir  et  les  entendre.  5»  Il  faut  fixer  sur  le  point  principal  l'atten- 
tion des  enfants  qui  souvent  se  porte  sur  des  détails  accessoires,  et 
ne  pas  couper  son  récit  en  leur  adressant  des  questions.  0"  Il  faut  ne 
citer  qu'avec  beaucoup  de  réserve  les  exemples  de  l'histoire  profane, 
s'altaclier  à  donner  aux  enfants  plus.de  goût  pour  les  histoires  saintes 
que  pour  les  autres,  et,  en  conséquence,  leur  raconter  le  plus  pos- 
sible les  traits  frappants  des  vies  des  saiiits,  mais  surtout  les  histoires 
tirées  de  l'Écriture  sainte  ^  Celles-ci  ont  l'avantage  non-seulement 
d'intéresser  la  curiosité  des  enfants  par  ce  qu'elles  ont  de  singulier 

*  Voyez  Fihielon,  Educathn  des  fiHcs,  c.  vi. 


480  TRAITÉ  DE  LA  rRÉDIGATION. 

de  mervcilloux  et  de  louchant,  mais  encore  de  leur  faire  comprendra 
la  religion,  de  leur  en  découvrir  l'origine,  les  fondements  et  la  sub- 
stance. Car  la  religion  est  tout  historique  ;  c'est  par  un  tissu  de 
faits  merveilleux  que  se  prouve  son  établissement,  sa  perpétuité  el 
tout  ce  qui  doit  nous  la  faire  pratiquer  et  croire.  Dieu  l'a  voulu  amsi, 
afin  qu'elle  fût  accessible  aux  petits  et  aux  simples  par  les  faits  po- 
pulaires sur  lesquels  elle  repose,  et  qu'on  pût  par  là  leur  faire  con- 
cevoir et  retenir  les  mystères. 

Qu'on  parie  à  des  enfants  des  mots  Mystères,  Trinité,  IncarrM- 
tion.  Rédemption,  Nature,  Personne,  Pédié  originel  et  autres  sem- 
blables, et  qu'on  les  leur  explique  par  une  définition,  ils  en  saisiront 
très-difficilement  le  sens,  ou  plutôt  ils  ne  les  comprendront  aucune- 
ment; mais  qu'on  emploie  la  méthode  historique,  et  tous  ces  mots 
s'éclairciroiit  dans  leur  esprit.  Par  exemple,  qu'on  commence  par 
les  entretenir  de  la  beauté  du  ciel,  du  soleil,  des  astres,  de  la  terre, 
et  qu'on  ajoute  :  «  Il  a  fallu  un  bien  grand  esprit  pour  faire  de  si 
«  belles  choses;  il  n'y  a  qu'un  Dieu  qui  ait  pu  faire  tant  de  mer- 
«  veilles  ;  c'est  le  Dieu  unique,  et  il  ne  peut  y  en  avoir  plusieurs,  m 
Qu'on  passe  de  là  à  Thisloire  de  la  création  de  l'homme,  en  faisant 
remarquer  que  le  corps  vient  de  la  terre  et  l'âme  du  ciel.  «  L'homme 
«  devait  être  heureux,  etc.  Mais,  Adam  ayant  désobéi  à  Dieu  et 
«  voulu  se  lendre  égal  à  lui,  Dieu  le  chassa  du  paradis  et  le  con- 
«  damna,  avec  tous  ses  descendants,  à  être  malheureux  sur  la  tern 
a  et  réprouvé  dans  l'enfer,  comme  un  roi  chasse  de  son  royaume  ur 
«  sujet  rebelle  avec  tous  ses  enfants.  C'en  était  fait  de  nous  tous,  s: 
«  Dieu  le  Fils,  égal  à  son  Père,  n'eût  pris  un  corps  et  une  âme 
«  comme  nous  et  ne  fût  mort  pour  nous  sauver.  »  Ici  on  raconte 
l'hisloire  de  Jésus-Christ,  en  faisant  remarquer  les  miracles  qui  prou- 
vent sa  divinité  ;  puis  la  descente  du  Saint-Esprit  au  jour  de  la  Pen- 
tecôte, en  faisant  observer  tous  les  miracles  que  cet  Esprit  divir 
opéra  par  les  apôtres,  d'où  l'on  conclut  également  qu'il  est  Dieu;  el 
comme  l'enfant  sait  d'ailleurs  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu,  il  saisira 
sans  peine  la  distinction  des  trois  personnes  en  une  seule  nature;  el 
si  l'on  ajoute  que  ce  Dieu  en  trois  personnes  ou  ces  trois  personnes 
en  un  seul  Dieu  sont  ce  qu'on  appelle  la  sainte  Trinité,  il  compren- 
dra tout  le  sens  de  ce  mot,  autant  qu'il  est  donné  à  l'homme  de  le 
comprendre.  Qu'on  lui  demande  ensuite  s'il  comprend  comment  ces 
trois  personnes  ne  font  qu'un  seul  Dieu,  il  répondra  que  non.  «  Je 
«  ne  le  comprends  pas  non  plus,  reprendra  le  catéchiste,  et  voilà 
«  pourquoi  nous  l'appelons  le  mystère  de  la  sainte  Trinité.  Car  un 


DU  CATECHISME.  481 

<s  mystère,  c'est  une  vérité  qu'on  no  pont  comprendre.  »  Il  sera  fa- 
cile d'extraire  également  de  l'histoire  précédente  le  sens  des  mots 
incarnation,  rédemption,  nature,  personne,  péché  oiiginel  ;  et,  cette 
explication  terminée,  on  demandera  aux  enfants  comment  se  sou- 
venir de  tout  ce  qu'on  leur  a  raconté  :  ne  serait-il  pas  bon  d'en  avoir 
un  petit  abrégé  qu'on  apprendrait  par  cœur?  a  Mes  enfants,  peut-on 
«  leur  dire  alors,  cet  abrégé  est  fait  depuis  longtemps  et  par  des 
«  hommes  bien  savants,  puisque  le  Saint-Esfirit  lui-même  les  avait 
«  instruits  :  savez-vous  où  il  est?  C'est  le  Symbole  des  apôtres.  »  On 
le  récite  aussitôt  en  leur  faisant  remarquer,  article  par  article,  que 
tout  ce  qu'on  leur  a  dit  s'y  trouve  :  on  leur  fait  de  même  repasser 
les  chapitres  du  catéchisme  relatifs  au  Symbole,  et  on  leur  fait  ob- 
server le  rapport  de  chaque  réponse  à  chaque  partie  de  l'histoire  de 
la  religion  qu'on  leur  a  racontée. 

Fleury  estimait  cette  méthode  si  propre  à  enseigner  la  religion 
aux  enfants,  qu'il  a  composé  dans  cette  vue  son  Catéchisme  histo- 
rique ;  Fénelon  et  RoUin  la  recommandent  comme  la  meilleure  de 
toutes,  et  même  comme  la  seule  bonne;  un  grand  nombre  de  pas, 
teurs  en  ont  fait  l'expérience  et  proclamé  l'excellence  ;  enfin  Bos- 
suet  lui-même,  dans  son  Catéchisme,  indique  en  tète  de  chaque 
chapitre  une  histoire  par  où  il  veut  qu'on  commence.  On  doit  tou- 
tefois observer  que  cette  méthode  ne  s'applique  guère  qu'au  Sym- 
bole, et  est  peu  praticable  pour  les  sacrements,  les  commandements 
de  Dieu  et  de  l'Église,  les  péchés,  les  vertus  théologales,  la  grâce, 
la  prière,  le  culte  des  saints,  etc..  Il  faut,  pour  ces  matières,  avoir 
recours  aux  histoires  des  saints,  aux  comparaisons,  aux  exemples, 
aux  paraboles,  etc. 

SECTION  2. 

Des  diverses  manières  de  présenter  Pinslruction  aux  enfants. 

Il  y  a  trois  manières  de  présenter  l'instruction  aux  enfants  :  la  pre- 
mière est  de  procéder  par  voie  de  discours  suivi  ;  mais  cette  méthode 
est  peu  propre  à  soutenir  l'attention  et  l'intérêt  d'un  âge  aussi  lé- 
ger. La  seconde  est  de  faire  répéter  aux  enfants  ciiaque  explication 
et  chaque  preuve  aussitôt  après  qu'on  l'a  exposée.  Cette  méthode 
les  force  à  être  attentifs  et  leur  fait  entendre  deux  fois  l'instruction 
sans  qu'ils  s'en  doutent  ;  mais  il  faut  avoir  soin  de  rendre  la  répéti- 
tion vive  et  intéressante,  sans  quoi  le  catéchisme  languirait.  La 
troisièjne  manière,  qui  paraît  préférable,  est  de  réduire  les  preuves 

31 


482  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

en  questions  et  de  les  faire  donner  aux  enfants  eux-mêmes  parles  de- 
mandes qu'on  leur  adresse,  en  rectifant  ensuite  et  développant 
leurs  réponses.  Ce  moyen  est  celui  qui  les  oblige  le  plus  à  écouter, 
qui  fait  le  mieux  voir  s'ils  comprennent,  qui  excite  davantage  leur 
émulation  et  met  dans  un  plus  grand  jour  leur  intelligence  et  leurs 
progrès. 

Dans  cttc  instruction  par  questions,  il  faut.  i°  observer  la  plu- 
part des  règles  que  nous  avons  données  au  paragraphe  précédent, 
sur  la  manière  de  faire  rendre  compte  aux  enfants  des  instructions 
qu'ils  ont  entendues. 

1°  il  faut  s'abstenir  des  questions  oiseuses,  aussi  bien  que  de  celles 
qui  pourraient  foire  naître  dans  l'esprit  des  enfants  des  idées  dan- 
gereuses ou  peu  dignes  des  choses  saintes,  comme  si,  après  que  l'en- 
fant a  répondu  que  Dieu  est  partout,  on  lui  demandait  s'il  est  dans 
sa  poche. 

5°  Il  faut  varier  la  manière  de  proposer  les  questions  ;  autrement 
on  ennuie,  et  le  catéchisme  perd  son  intérêt  :  Identitas  est  mater 
txdii.  Il  faut  de  même  couper  les  questions  en  autant  de  portions 
que  possible,  pour  faire  remarquer  la  portée  de  tous  les  mots  de  la 
réponse;  ainsi,  après  qu'un  enfant  a  dit  pourquoi  Dieu  nous  a  créés 
et  mis  au  monde,  il  faut  lui  faire  dire  pour  combien  de  raisons  Dieu 
nous  a  créés,  quelle  est  la  première,  quelle  est  la  seconde,  la  troi- 
sième, la  quatrième  raison. 

4'  11  fau!  encourager  les  enfants  à  chercher  eux-mêmes  les  ré- 
ponses, en  prenant  l'air  d'un  homme  qui  veut  s'instruire,  paraissant 
vouloir  apprendre  d'eux  ce  qu'on  veut  leur  enseigner,  ne  leur  de- 
mandant rien  au-dessus  de  leur  portée,  leur  disant  que  la  réponse 
est  facile,  la  leur  insinuant,  les  mettant  sur  la  voie  et  y  applaudis- 
sant lorsqu'elle  est  passable.  Alors,  animés  par  ces  petits  succès,  et 
se  croyant  capables  de  résoudre  les  questions  qu'on  leur  propose, 
ils  s'appliquent  à  réfléchir,  à  exercer  leur  intelligence,  et  font  tra- 
vailler leur  jugement  pour  trouver  la  solution  des  difficultés  ;  tandis 
que  si  les  questions  sont  mal  présentées  ou  au-dessus  de  leur  portée, 
ils  se  dégoûtent,  se  découragent  et  ne  s'appliquent  plus.  Cette  règle 
souffre  cependant  quelques  exceptions  ;  on  peut,  pour  les  rendre  at- 
tentifs à  une  explication  importante,  leur  proposer  de  temps  en 
temps  des  questions  auquelles  on  sait  qu'ils  ne  répondront  pas,  et 
aussitôt  on  ajoute  qu'il  n'est  pas  étonnant  qu'ils  ne  sachent  pas  une 
chose  si  difficile,  mais  qu'en  écoutant  bien  ils  la  sauront  désormais. 
On  peut  même  quelquefois,  dans  ce  cas,  leur  adresser  une  sorte  de 


DU  CATECHISME.  483 

défi  :  «  Voyons  qui  d'entre  vous  pourra  saisir  la  réponse  à  celte  dif- 
«  ficulté.  »  On  se  propose  ensuite  à  soi-même  ia  question,  on  y  fait 
les  réponses  les  plus  claires  qu'il  est  possible,  à  l'aide  de  compa- 
raisons et  d'exemples,  puis  on  interroge  les  enfants  pour  voir  s'ils 
ont  saisi. 

5"  Il  faut  bien  observer,  à  chaque  question,  si  les  enfants  com- 
prennent et  si  ce  qu'on  dit  leur  fait  impression.  On  le  connaîtra  faci- 
lement au  ton,  à  l'air,  aux  traits  du  visage,  à  l'attitude.  Si  l'on  voit 
qu'ils  ont  compris,  il  faut  passer  outre  pour  ne  pas  les  ennuyer;  et, 
s'ils  n'ont  pas  compris,  il  faut  reprendre  ce  qu'on  a  dit  et  iàcher  de 
le  redire  plus  clairement  et  plus  simplement. 

6°  Lorsqu'on  raconte  des  faits  ou  qu'on  veut  exciter  l'admiration 
par  un  récit  dont  l'effet  dépend  de  l'ensemble,  il  faut  y  entremêler 
très-peu  de  questions;  et,  quand  on  en  fait  rendre  compte  aux 
enfants,  on  doit  toujours  les  rappeler  à  l'ensemble,  les  ramener  à 
l'idée  principale,  à  l'objet  essentiel  pour  empêcher  qu'ils  ne  s'atta- 
chent  à  l'accessoire,  comme  cela  leur  arrive  souvent.  Si  l'on  aperçoit 
que  la  manière  imparfaite  dont  ils  rendent  ce  qu'on  leur  a  dit  affai- 
blit l'impression  qu'on  avait  produite  en  parlant,  on  y  supplée  en 
relevant  leur  réponse  et  la  comnîentant  de  manière  à  renouveler 
l'impression. 

7"  Dans  les  explications  ou  interrogations,  on  ne  doit  se  régler  ni 
sur  les  plus  inteUigents  ni  sur  les  plus  bornés,  mais  se  proportionner 
à  la  majorité  du  catéchisme.  C'est  elle  qui  doit  faire  loi,  et  c'est 
d'après  sa  portée  que  le  catéchiste  doit  graduer  son  langage  et  ses 
développements.  S'il  y  a  une  réponse  difficile  à  demander,  il  ne  faut 
pas  la  faire  donner  tout  à  coup  par  les  plus  forts,  parce  que  las 
esprils,  n'y  étant  point  préparés,  ne  la  saisiraient  pas  ou  en  sei'aient 
moins  frappés;  mais  il  faut  faire  des  questions  préliminaires  qui 
conduisent  l'intelligence  à  cotte  vérité  comme  pas  à  pas  et  par  degrés; 
on  la  comprendra  et  on  la  retiendra  beaucoup  mieux. 

8°  En  traitant  les  questions  de  morale,  on  ne  doit  pas  se  borner  à 
énoncer  la  doctrine,  il  faut  encore  l'expliquer  pratiquement,  c'est-à- 
dire  montrer  et  mettre  sous  les  yeux  la  manière  dont  oji  doit  y  con- 
former sa  conduite.  Par  exemple,  si  je  veux  apprendre  aux  enfauîs 
à  s'e.xamiiier  pour  se  confesser,  je  leur  dirai  :  «  Voici,  mes  enfants, 
«  connnent  il  faut  faire  :  d'abord,  je  me  retirerais  dans  un  endroit 
«  où  je  serais  tranquille  et  seul;  là,  je  me  mettrais  à  genoux  et  je 
«  dirais  de  tout  mou  cœur  »  {Ici  le  cnlcchi^te prend  le  maintien  d'un 
homme  qui  prie  avec  allenliun  et  ferveur.,  les  mains  jointes,  les  yeux 


484  TRAITÉ  DE  LA  PREDICATION. 

bais.sés)  :  «  Mon  Dieu,  je  voudrais  bien  connaître  mes  péchés,  mais 
«  vous  savez  que  souvent  je  ne  me  rappelle  pas  le  soir  ce  que  j'ai 
«  fait  le  matin;  aidez-moi  donc,  mon  Dieu,  je  vous  en  prie,  je  vous 
«  en  conjure,  à  connaître  le  mal  que  j'ai  fait.  —  Eh  bien!  Pierre, 
«  fais-je  bien?  puis-je  espérer  que  le  bon  Dieu  me  fera  connaître  mes 
«  péchés? —  Alors  je  commencerais  mon  examen...  »  {Là  le  caté- 
chiste continuant  le  jjersonnage  d'un  homme  qui  se  prépare  comme  il 
faut,  parcourt  le  premier  commandement,  en  y  observant  les  fautes 
ordinaires  aux  enfants.)  «  Je  ferais  de  même  pour  les  autres  com- 
«  mandements,  pour  les  sept  péchés  capitaux,  pour  mes  devoirs 
«  d'écolier  ou  de  fils  obéissant  :  puis  je  ferais  un  bon  acte  de  contri- 
«  tion.  »  {Le  faire  pieusement  et  avec  ferveur.)  Le  catéchiste  dit 
ensuite  comment  il  se  conduirait  en  allant  à  l'église,  comment  il  se 
tiendrait  et  s'occuperait  en  attendant  le  moment  de  se  confesser, 
comment  et  avec  quels  sentiments  il  approcherait  du  saint  tribunal, 
et  comment  il  se  conduirait  après  la  confession.  Il  pourrait  entre- 
couper cette  représentation  par  des  questions  fort  courtes  ou  par 
des  interpellations  aux  enfants  sur  les  fautes  qu'ils  commettent.  Par 
exemple  :  «  Que  diriez-vous,  Jacques,  si  je  faisais  un  acte  de  contri- 
«  tion  de  celte  manière  {le  faire  machinalement,  froidement),  ou  si, 
«  en  attendant  mon  tour  au  confessionnal,  je  faisais,  comme  on  fait 
«  quelquefois  {regarder  de  côté  et  d'autre,  avoir  l'air  de  ne  -penser  à 
«  rien.)  »  On  sent  combien  cette  explication  pratique  sera  mieux 
comprise  des  enfants  que  si  Ton  se  bornait  à  leur  dire  :  Il  faut  faire 
telle  ou  telle  chose, 

9"  Si  l'on  à  exphquer  le  sixième  précepte,  il  faut  se  rappeler  ce 
que  nous  avons  dit  en  traitant  de  la  prudence  du  catéchiste,  et 
commencer,  sans  avoir  l'air  mystérieux  ni  embarrassé,  par  citer  le 
sixième  et  le  neuvième  commandement,  en  faisant  remarquer  qu'on 
va  les  expliquer  ensemble,  parce  qu'ils  sont  sur  le  même  sujet.  On 
ajoute  que  ces  commandements  regardent  tout  le  monde,  grands  et 
petits  :  «  Us  vous  ordonnent,  mes  enfants,  peut-on  leur  dire,  de 
«  conserver  vos  corps  toujours  purs  et  toujours  saints,  de  les  res- 
«  pecter  comme  les  membres  vivants  de  Jésus-Christ  et  les  temples 
«  du  Saint-Esprit,  de  les  tenir,  par  cette  raison,  dons  l'innocence, 
«  l'honnêteté  et  la  modestie,  vous  souvenant  que  partout  les  regards 
«  de  Dieu  sont  fixés  sur  vous  et  vous  observent,  seuls  comme  en 
«  public,  la  nuit  comme  le  jour.  Nos  corps,  mes  enfants,  sont  saints 
«  comme  les  vases  sacrés,  puisque,  comme  eux,  ils  sont  destinés  à 
«  recevoir  le  corps  de  Jésus-Christ  et  le  reçoivent  en  effet  par  la 


DU  CATÉCHISME.  «.SS 

«  sainte  communion.  Il  faut  donc  les  traiter  saintement;  eî,  conr.'.ie 
fi  il  est  défendu  de  découvrir  et  de  toucher  sans  raison  le  sail^t 
«  ciboire,  ainsi,  sous  certains  rapports,  il  nous  est  défendu  de 
«  découvrir  et  de  toucher  nos  corps  sans  raison  :  le  faire  seul  ou 
«  devant  ses  parents  même  serait  mal;  le  faire  devant  d'autres  serait 
«  encore  un  plus  grand  péché.  Ces  commandements  vous  défendent 
«  en  outre  de  penser,  de  dire  ou  de  faire  des  choses  qui  neconvien- 
«  nent  pas  à  des  enfants  sages,  et  qui  indiqueraient  des  enfants  sans 
«  crainte  de  Dieu, des  enfants  mal  élevés,  de  petWspolissons.  Lorsqu'on 
«  a  fait,  dit  ou  regardé  de  ces  polissonneries,  de  ces  choses  malhon- 
«  nêtes,  ou  qu'on  a  seulement  pensé  à  de  vilaines  choses,  comme 
«  font  des  enfants  mal  élevés,  il  faut  avoir  soin  de  le  dire  à  confesse. 
«  Le  démon  cherche  à  faire  croire  qu'il  n'y  a  point  de  mal  et  engage 
«  à  n'en  point  parler  ;  mais  il  faut  lui  répondre  :  S'il  n'y  a  point  de 
«  péché,  pourquoi  aurais-je  honte  de  le  déclarer?  s'il  n'y  a  point  de 
«  mal,  mon  confesseur  me  le  dira,  et  j'aurai  la  conscience  tranquille. 
«  Si,  au  contraire,  je  ne  le  disais  pas,  je  serais  toujours  inquiet  et 
«  m'exposerais  à  commettre  un  nouveau  péché,  celui  de  ne  pas 
«  déclarer  une  faute  qui  devait  être  accusée.  Mes  enfants,  peut-on 
«  leur  dire,  il  n'y  a  que  les  imbéciles  qui  cachent  leurs  péchés  à 
«  confesse,  et  il  faut  n'avoir  pas  d'esprit  pour  cela  :  car,  si  on  ne  les 
i(  déclare  pas,  on  perd  son  temps  et  sa  peine  à  se  confesser.  Les 
«  péchés  ne  seront  point  pardonnes,  la  confession  sera  un  sacrilège 
«  de  plus  ;  au  jugement  dernier,  on  sera  confondu  devant  tout  l'uni- 
«  vers  qui  le  saura,  et  toute  l'éternité  on  brûlera  dans  l'enfer,  lllaut 
«  donc  n'avoir  point  d'esprit  pour  cacher  ses  péchés  à  confesse.  » 
Voilà  à  peu  près  le  fond  de  l'instruction  à  faire  sur  celte  matière 
délicate,  et  il  faudra  bien  se  garder  de  faire  rendre  compte  aux 
enfants  de  l'explication  donnée,  excepté  ce  qui  regarde  l'obligation 
de  tout  déclarer  à  confesse. 

De  la  sanctification  des  enfants  '. 

Le  catéchiste  qui  se  bornerait  à  instruire  les  enfants  sans  s'occuper 
à  les  rendre  meilleurs  ne  remplirait  que  la  moitié  de  son  devoir.  En 
môme  temps  qti'il  éclaire  l'esfjrit,  il  doit  travailler  à  convertir  le  cœur 
et  à  le  former  au  bien  :  car  c'est  une  chose  à  la  fois  triste  et  bien  digne 

'  MêtliodrMlc  I5osaiiçori,  t.  II,  c.  m,  art.    'i. 


486  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

de  remarque  que  l'enfant,  dès  îcs  premières  lueurs  de  sa  raison, 
est  rempli  de  vices  naissants.  On  trouve  en  lui  :  i°  l'orgueil  :  il  rap- 
porte tout  à  soi;  il  veut  que  rien  ne  résiste  à  ses  volontés;  le  moindre 
refus  ou  délai  l'irrite  et  le  fait  pleurer;  il  s'excuse  par  des  mensonges 
qu'il  soutient  quelquefois  avec  obstination;  il  rejette  ses  fautes  sur 
d'autres  ;  il  reclierclie  les  applaudissements  et  les  caresses  ;  2"  l'ava 
rice  :  il  lienl  à  ce  qui  lui  plail  et  n'entend  pas  en  être  privé  ;  5° l'envie . 
il  veut  tout  ce  qu'il  voit  de  beau  chez  les  autres  ;  4"  la  gourmandise  : 
il  mange  sans  mesure  et  sans  discrétion,  dérobe  pour  satisfaire  ses 
appétits  déréglés,  dévore  des  yeux  tout  ce  qu'il  voit  sur  une  table, 
pleure  si  on  lui  refuse  ce  qui  lui  ferait  mal,  et,  rassasié,  il  dit  qu'il  a 
encore  faim  pour  obtenir  ce  qu'il  convoite;  5°  la  colère  :  il  se  fâche 
facilement,  rend  les  coups  qu'il  reçoit  ou  en  donne  le  premier,  et 
est  content  quand  il  croit  avoir  blessé;  6°  la  paresse  :  il  ne  veut  se 
gêner  en  rien,  ne  conisaît  d'autres  règles  que  la  légèreté,  l'incon- 
stance, le  caprice,  l'humeur,  l'enlêtement,  la  curiosité,  et  use  de 
combinaisons,  de  détours  et  d'artifices  pour  s'épargner  la  gêne,  la 
contradiction,  la  douleur,  et  satisfaire  ses  petites  passions.  Or  où 
seraient  le  zèle  et  la  charité  du  catéchiste  si,  voyant  le  cœur  de  ces 
enfants  si  malade,  il  ne  travaillait  à  le  guérir? 

Sa  négligence,  en  ce  point,  serait  d'autant  plus  coupable,  que  plus 
tard  le  mal  deviendrait  presque  incurable.  On  ariache  facilement  un 
jeune  arbrisseau,  mais,  lorsqu'il  est  devenu  un  gros  arbre,  qui  envoie 
au  loin  sous  terre  les  racines  qui  l'attachent  au  sol,  des  milliers  de 
bras  ne  l'ébranleraient  pas.  De  même,  si  l'on  ne  s'oppose  de  bonne 
heure  au  développement  de  ces  vices  naissants,  ils  se  fortifient,  s'en- 
racinent, se  changent  en  habitude,  deviennent  comme  une  seconde 
nature,  et,  à  moins  d'un  miracle  de  la  grâce,  on  ne  peut  plus  les 
arracher  du  cœur  où  ils  ont  fixé  leur  empire.  De  là  les  désordres  de 
la  jeunesse,  l'absence  de  tout  sentiment  honnête  et  vertueux,  l'amour 
du  vice  jusque  dans  l'âge  viril,  l'endurcissement  et  l'impénitence 
finale  dans  la  vieillesse  :  Adcô  à  teneris  assnescere  malum  est! 

L'enfant,  sans  doute,  devrait  résister  par  lui-même  aux  atteintes 
des  passions  ;  mais  il  est,  par  son  âge,  si  léger,  si  faible,  si  irréfléchi 
que,  s'il  n'est  aidé  dans  cette  guerre  contre  son  propre  cœur,  s'il 
n'est  dii'igé  et  encouragé,  il  n'en  viendra  jamais  à  bout  ;  il  pé- 
chera d'abord  par  faiblesse  parce  qu'on  ne  lui  a  pas  appris  à  se 
vaincre;  puis,  bientôt,  il  deviendra  passionné  pour  le  mal,  et  on  ne 
pourra  plus  le  faire  passer  des  mauvaises  mœurs  aux  actes  généreux 
des  vertus. 


DU  CATÉCHISME  487 

Il  faut  donc  venir  au  secours  de  ces  pauvres  enfants  si  diirnes  de 
compassion  :  le  catéchiste  qui  aura  le  zèle  de  cette  bonne  œuvre 
auia  la  consolation  de  les  trouver,  au  moins  pour  la  plupart  suscep- 
tibles de  toutes  les  bonnes  et  saintes  impressions;  il  sèmera  dans 
leur  âme  le  germe  de  la  vertu,  qui  croîtra,  se  développera,  produira 
des  fruits  et  étouffera  le  germe  contraire  du  vice.  L'habitude  du 
bien,  une  fois  contraclée,  leur  rendra,  par  la  suite,  la  vertu  aisée; 
le  sentiment  delà  pudeur,  fortement  enraciné,  leur  donnera  de  l'a- 
version pour  tout  ce  qui  est  mal  ;  ils  n'auront  qu'à  suivre  la  pente  des 
premières  impressions  reçues,  à  faire  par  choix,  par  principe  de  foi, 
ce  qu'auparavant  ils  faisaient  par  coutume,  et  ainsi  le  salut  leur  sera 
facile  ;  le  catéchiste  en  aura  déposé  dans  leur  âme  la  plus  forte 
comme  la  plus  douce  garantie. 

Mais  quels  moyens  employer  pour  procurer  la  sanctification  de 
ces  enfants?  C'tst  ce  qu'il  s'agit  maintenant  d'exposer. 

Il  faut,  avant  tout,  être  un  saint  soi-même,  et  surtout  posséder, 
dans  un  haut  dearé,  le  zèle,  la  piété,  la  douceur;  sans  cela,  on  tra- 
vaillerait en  pure  perte,  11  faut  ensuite  édifier  les  enfants  par  la  ma- 
nière dont  on  leur  parle  de  la  rehgion,  et  se  montrer  si  vivement 
pénétré  de  ce  qu'on  leur  enseigne,  qu'ils  demeurent  tous  persuadés 
qu'on  ne  h'iir  dit  rien  dont  on  n'ait  une  foi  intime,  une  conviction 
profonde.  Cet  extérieur  pieux  les  rend  pieux  eux-mêmes,  parce  qu'à 
cet  âge  surtout  où  l'on  n'a  point  d'habitude  qui  rende  l'imitation 
difficile,  on  se  plaît  naturellement  à  imiter  ce  qu'on  voit  faire  aux 
autres.  Ces  dehors  de  sainteté  les  rendent  dociles  à  tout  ce  qu'on 
leur  dit,  parce  que  les  paroles  d'un  catéchiste  édifiant  leur  semblent 
des  oracles.  Comprenant  fort  bien  qu'ils  sont  incapables  déjuger 
par  eux-mêmes  du  fond  des  choses,  les  enfants  jugent  plus  par  ce 
qu'ils  voient  faire  que  par  ce  qu'ils  entendent  dire.  Si  le  catéchiste 
leurpaile  de  nos  mystères  sèchement  et  froidement,  comme  on 
parle  de  choses  indifférentes  ou  ennuyeuses  ;  si  le  ton  de  la  voix,  les 
traits  du  visage,  les  gestes  ou  les  paroles  décèlent  quelque  chose 
qui  s'accorde  mal  avec  ce  qu'il  dit  ou  avec  la  sainteté  de  son  carac- 
tère ;  s'il  se  permet  certaines  railleries  peu  convenables  sur  des  pra- 
tiques pieuses,  sur  la  dévotion  de  quelques  esprits  simples,  les 
enfants  l'ain^ont  bientôt  remarqué,  et  ne  veiTont  plus  peut-être  dans 
la  religion  qu'une  cérémonie,  qu'une  affaire  où  il  ne  faut  pas  pren- 
dre tout  au  sérieux;  du  moins  certainement  ne  seront-ils  pas  tou- 
chés de  ce  qui  touche  si  peu  celui  qui  leur  parle.  Si,  au  contraire,  le 
catéchiste  paraît  fortement  pénétré  de  ce  qu'il  enseigne,  si  les  en- 


488  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

fanls  ne  l'enlendent  jamais  parler  de  Dieu,  de  sa  grandeur  adorable, 
de  toutes  ses  perfections  et  de  toutes  ses  œuvres  qu'avec  une 
grande  vivacité  de  foi  et  le  profond  respect  qui  en  est  la  consé- 
quence, ils  partageront  ce  religieux  sentiment.  Il  en  sera  de  même 
pour  l'espérance,  si,  quand  il  leur  en  parle,  levant  les  yeux  et  les 
mains  au  cie!,  il  paraît  pénétré  du  désir  du  paradis  et  en  raconte 
avec  âme  le  bonheur  et  la  gloire  ;  de  même  pour  la  charité,  s'ils  le 
voient  peindre  avec  intérêt  les  amabilités  infinies  de  Dieu  et  dé- 
crire avec  attendrissemeut  ce  que  l'amour  a  fait  faire  ou  souffrir  à 
Jésus-Christ  pour  nous.  En  un  mot,  que  le  catéchiste  soit  touché,  il 
touchera;  le  moyen  est  infaillible. 

A  l'édification  il  faut  joindre  le  pieux  usage  de  tirer  de  tous  les 
sujets  qu'on  traite  des  réflexions  morales  qui  tendent  à  rendre 
riiomme  meilleur.  Ces  réflexions  frappent  les  enfants,  leur  tou- 
chent le  cœur,  les  habituent  à  ne  pas  se  contenter  d'une  croyance 
spéculative  ;  et  comme  elles  sont  liées  aux  vérités  qu'on  leur  en- 
seigne, l'impression  s'en  renouvelle  toutes  les  fois  que  celles-ci  se 
représentent  à  l'esprit.  Pour  que  ces  réflexions  morales  produisent 
les  effets  de  grâce  et  de  vertu  qu'on  a  droit  d'en  attendre,  il  faut 
qu'elles  soient  préparées  au  pied  du  crucifix,  qu'elles  soient  clai- 
res, à  la  portée  des  enfants,  vi\es  et  courtes;  si  elles  étaient  trop 
longues,  les  enfants  ne  les  suivraient  pas.  En  voici  quelques  exem- 
ples, qui  pourront  diriger  le  catéchiste  pour  les  autres  cas. 

l^"*  Exemple.  —  Je  suppose  que  j'ai  expliqué  les  effets  déplora- 
bles du  péché;  je  demande  à  un  enfant  :  «  Quel  mal  devons-nous 
«  craindre  sur  la  terre?  »  Il  lêpondra  :  Cest  le  péché.  «  Mais,  ajou- 
«  terai-je,  recevoir  un  coup  de  poignard,  être  empoisonné,  ne  sont- 
«  ce  pas  là  des  choses  plus  à  craindre  que  le  péché?  »  11  répondra  : 
Non.  Pourquoi  cela?  et  on  lui  fait  répondre  :  Parce  que  le  poignard 
ou  le  poison  ne  fait  mourir  que  le  corps,  et  que  le  péché  domine  la 
mort  à  lame,  et  précipite  le  corps  et  l'âme  dans  l'enfer, 

2*  Exemple.  —  Je  suppose  que  j'ai  expliqué  le  commandement  : 
Tes  père  et  mère  honoreras,  etc.,  j'ajouterai  :  <(  Un  enfant  doit  donc 
«  à  ses  père  et  mère,  maîtres  et  supérieurs,  l'obéissance  et  l'amour, 
«  le  respect  et  les  services;  et  voilà,  mes  enfants,  un  grand  sujet 
<{  d'examen  pour  chacun  de  vous  ;  que  chacun  se  dise,  en  ce  mo- 
«  ment,  à  lui-môme  :  Comment  ai-je  rempli,  jusqu'à  ce  jour,  les 
«  devoirs  que  m'impose  ce  commandement?  Ai-je  obéi  prompte- 
«  ment,  de  bonne  grâce  et  sans  murmurer?  N'a-t-il  pas  fallu  me 
«  réitérer  l'ordre  plusieurs  fois?  N'ai-je  pas  fait  fâcher  contre  moi 


DU  CATECHISME.  489 

«  mes  parents  ou  mes  maîtres  par  ma  lenteur  à  obéir?  N'ai-je  pas 
«  excité  mes  frères  et  sœurs  à  la  même  indocilité  ?  Voilà  bien  des 
«  manquements  à  me  reprocher;  eh  bien!  je  veux  les  réparer  au 
«  plus  tôt,  m'en  repentir  devant  Dieu,  m'en  accuser  dans  une  bonne 
«  confession,  donner  désormais  à  mes  frères  et  sœurs  l'exemple 
«  d'une  parfaite  obéissance.  »  Il  est  aisé  de  voir  toute  l'utilité  d'un 
tel  examen. 

5®  Exemple,  qui  montre  quel  parti  on  peut  tirer  pour  la  piété  des 
diverses  leçons  de  la  doctrine  chrélie^ine.  —  Je  suppose  que  j'aie 
expliqué  aux  enfants  le  péché  originel,  j'en  infère  aussitôt  :  «  Voyez, 
«  mes  enfants,  combien  nous  devons  remercier  Dieu  d'avoir  établi 
«  le  sacrement  de  baptême  pour  laver  en  nous  la  tache  de  ce  péché, 
«  pour  nous  rendre  nos  droits  au  ciel  et  nous  faire  ses  enfants. 
«  Mais  n'oublions  pas  que  si  nous  devons  imiter  Adam  et  Eve  dans 
«  leur  espérance  du  bonheur  éternel,  nous  devons  les  imiter  aussi 
«  dans  leur  pénifence.  »  Je  suppose  que  j'aie  expliqué  le  mystère  de 
la  Rédemption,  je  dirai  :  «  Toutes  les  fois,  mes  enfants,  que  vous 
«  verrez  une  croix  dans  votre  maison  ou  ailleurs,  souvenez-vous 
«  que  le  Fils  de  Dieu  est  mort  pour  vous  racheter,  et  dites-lui  du 
«  fond  du  cœur  :  Mon  Dieu,  je  vous  remercie  d'être  mort  pour  mon 
«  salut;  ne  permettez  pas  que  je  me  rende  inutiles  les  mérites  de 
«  votre  sainte  passion,  h  Si  j'ai  expliqué  le  dogme  de  la  présence 
réelle,  je  donnerai  pour  pratique  de  dire  en  passant  devant  une 
église:  «  Soyez  béni,  mon  Dieu,  qui  voulez  bien  demeurer  avec 
«  nous.  »  A  la  suite  de  la  leçon  sur  le  paradis,  je  conseillerai  de  se 
dire  souvent  en  voyant  le  ciel  :  «  Beau  ciel,  quand  te  posséde- 
«  rai-je?  »  Après  la  leçon  sur  l'enfer,  je  proposerai  de  dire  intérieu- 
rement à  la  vue  du  feu  :  «  0  Dieu  !  préservez-moi  du  péché  qui 
«  conduit  les  âmes  à  l'enfer.  »  Je  ferai  de  même  pour  toutes  les  au- 
tres parties  du  catéchisme,  saisissant  toutes  les  occasions  d'accou- 
tumer les  enfants  à  ne  jamais  prononcer  le  nom  de  Dieu  qu'avec  une 
profonde  vénération,  à  ne  jamais  parler  des  sacrements  ou  des 
mystères  qu'avec  beaucoup  de  respect,  et  des  fins  dernières  qu'avec 
une  sainte  frayeur;  m'appliquant  plus  encore  à  leur  faire  goûter  et 
aimer  la  religion,  à  écarter  tout  ce  qui  leur  en  donnerait  une  idée 
triste  et  sombre,  et  à  la  leur  montrer  sous  un  jour  si  beau  qu'elle 
leur  paralyse  digne  de  tout  leur  amour  comme  de  tout  leur  res- 
pect; et  pour  une  parole  qui  leur  fasse  craindre  la  justice  de  Dieu, 
j'en  dirai  mille  qui  leur  fassent  adorer  sa  grandeur,  aimer  sa  bonté, 
bénir  ses  uiiséricordes  :  je  les  formerai  surtout  à  regarder  la  vie  de 


490  TRAITE  DE  LA  PRÉDICATION. 

Jésus-Chrisl  comme  le  modèle  sur  lequel  ils  doivent  répler  leiu* 
conduite,  à  se  rappeler  ses  travaux  journaliers  à  i\^izarelh,Morsque 
le  travail  les  fatigue  ou  les  rebute,  sa  douceur  quand  ils  sont  ten- 
tés de  se  fâcher,  sa  modestie  et  son  recueillement  lorsqu'ils  se 
laissent  emporter  à  la  dissipation  et  à  la  légèreté,  sa  prière  pour  ses 
bourreaux  lorsfiu'ils  sont  portés  à  l'aigreur  ou  au  ressentiment 
contre  ceux  dont  ils  croient  avoir  à  se  plaindre,  ses  souffrances 
lorsqu'ils  éprouvent  quelque  douleur,  ou  que  la  passion  les  entraîne 
à  la  recheiclie  du  plaiïir,  les  opprobres  du  Calvaire  dans  les  tenta- 
tions de  vanité  ou  d'orgueil.  Je  les  babituerai  enfin  à  se  demander 
souvent  ce  que  Jésus-Christ  penserait  et  dirait  de  leurs  conversa- 
tions, de  leurs  amusements,  de  leurs  occupations  les  plus  sérieuses, 
s'il  apparaissait  au  milieu  d'eux.  —  Avec  ces  pratiques  et  autres 
semblables,  on  est  sûr  de  former  les  enfants  à  une  vraie  et  solide 
piété  ;  mais  il  faut  avoir  soin  de  ne  leur  donner  qu'une  pratique  à  la 
fois,  de  la  proposer  à  la  fin  de  chaque  catéchisme  comme  fruit 
de  rinslruclioii,  de  la  faire  répéter  pour  la  fixer  dans  leur  mémoire, 
et  de  leur  recommander  d'être  fidèles  à  l'observer,  à  se  la  rappe- 
ler souvent  jusqu'au  caiècbisme  suivant,  où  on  la  fera  redire  encore 
pour  s'assui'er  qu'ils  ne  l'ont  point  oubliée.  Le  moyen  qu'ils  s'en 
souviennent,  c'est  de  ne  leur  donner  que  des  praticjues  faciles,  dé- 
duites naturellement  du  sujet  traité,  et  fixées  à  certains  lemî*s,  à 
certains  objets  ou  signes  sensibles  propres  à  en  rappeler  le  souvenir 
et  à  en  faciliter  l'usage. 

Toutefois,  quelque  excellentes  que  soient  ces  prati(}ues,  le  caté- 
chiste ne  doit  pas  se  borner  là.  11  doit  inspirer  aux  enfants  l'estime 
et  l'amour  des  saints  exercices  qui  seront  plus  tard  les  soutiens  de 
leur  persévérance  et  leur  en  faire  sentir  la  nécessité.  Ces  exercices 
sont  :  1°  chaque  matin  la  prière  bien  faite,  suivie  de  l'examen  de 
prévoyance  dans  lei|uel  on  règle  la  manière  de  faire  saiutement  les 
actions  de  la  journée,  et  d'éviter  les  occasions  de  péché  qu'on  est 
exposé  à  rencontrer;  2°  chaque  jour  une  lecture  réfléchie  accom- 
pagnée de  résolutions  pratiques  ;  3"  la  prière  du  soir  avec  l'examen 
de  conscience  et  l'acte  de  contrition;  4"  l'assistance  à  la  sainte 
messe,  le  plus  souvent  qu'on  le  peut  ;  5'^  la  comnmnion  aux  prin- 
cipales fêtes,  ou  même  une  fois  le  muis  ;  6"  l'assiduité  au  catéchisme 
de  persévérance  et  à  l'association  de  ceux  ou  celles  qui  ont  fait  la 
première  communion.  Il  faut  recommander  aux  enfants  de  faire 
exactement  dès  maintenant  ceux  de  ces  exercices  qui  leur  sort  pos- 
sibles, et  d'avoir  une  volonté  ferme  de  les  faire  tous  dans  le  suite. 


DU  CATÉCHISME.  401 

Mais  surtout  il  faut  leur  taire  sentir  l'importance  de  se  confesser  au 
plus  tard  tous  les  mois,  et  plus  souvent  si  l'état  de  leur  conscience 
l'exige.  De  tous  les  moyens  de  sanctification ,  celui-ci  est  le  plus 
efficace  et  souvent  le  plus  nécessaire  :  c'est  la  confession  qui  apprend 
aux  enfants  à  connaitre  leur  défaut  dominant,  à  prévenir  et  à  éviter 
les  occasions  dangereuses;  c'est  elle  qui  les  affermil  dans  la  vertu  ou 
qui,  les  retirant  de  l'état  du  péché,  empêche  le  mal  de  se  tourner  en 
habitude,  les  vices  naissants  de  s'enraciner  dans  leur  cœur.  Rien 
donc  de  plus  essentiel  que  de  leur  redire  souvent  les  avantages  de  la 
confession  fréquente  et  de  les  presser  d'y  être  fidèles  :  cela  est  d'au- 
tant plus  nécessaire,  qu'il  y  a  obUgation  grave  pour  ceux  d'entre  eux 
qui  ont  commis  quelque  faute  mortelle  de  se  mettre  en  état  de  rece- 
voir l'absolution  dans  l'année,  et  pour  le  confesseur  de  les  y  disposer 
partons  les  moyens  possibles,  puis  de  les  absoudre  dès  qu'il  voit  en 
eux  les  dispositions  strictement  suffisantes.  Afin  de  prévenir  toute 
négligence  dans  une  matière  si  importante,  le  catéchiste  doit  exiger 
des  billets  de  confession  tous  les  mois  pour  les  enfants  ordinaires,  et 
tous  les  deux  mois  pour  les  plus  petits,  tenir  note  exacte  de  ces 
billets,  avertir  les  retardataires  tantôt  en  général,  tantôt  nommé- 
ment, quelquefois  en  public,  d'autres  fois  en  particulier,  et  au  besoin 
les  punir  par  la  privation  d'une  gravure  ou  d'une  récompense  à  la- 
quelle ils  auraient  droit,  ou  les  menacer  même  de  les  renvoyer  du 
catéchisme  s'ils  n'apportent  un  billet  de  confession. 

A  tous  les  moyens  de  sanctifu^ation  que  nous  venons  d'exposer  il 
faut  ajouter  encore  des  avis  selon  les  temps  et  selon  les  circon- 
stances. Ces  avis  doivent  être  tantôt  généraux,  tanlôt  particuliers  : 
les  avis  généraux  ont  pour  objet  de  corriger  les  abus  qui  tendent  à 
s'introduire,  d'exhorter  à  bien  célébrer  une  fête,  à  ne  pas  fréquenter 
de  mauvaises  compagnies,  à  être  exacts  au  catéchisme,  etc..  On  les 
donne  ordinairement  à  la  fin  du  calèchisme,  mais  on  peut  choisir  un 
autre  moment,  selon  qu'on  le  juge  plus  convenable;  par  exemple, 
après  un  cantique,  avant  ou  après  l'instruction,  à  propos  de  quelque 
accident  imprévu  arrivé  au  catéchisme.  Mais  comme  ces  avis  géné- 
raux ne  peuvent  être  proportionnés  aux  besoins  personnels  de 
chacun,  il  est  nécessaire  d'en  donner  de  particuliers  à  certains  en- 
fants qui  ont  besoin  d'être  les  uns  repris,  les  autres  encourngés, 
d'autres  dirigés  ou  avertis.  Le  catéchiste  ne  doit  point  regretter  le 
temps  (ju  il  met  à  donner  ces  avis  :  il  ne  peut  l'employer  plus  utile- 
ment. Quand  on  a  la  confiance  des  enfants,  c'est  le  nioyeii  de  faire 
un  bien  immense. 


492  TRAITÉ  DE  LA  PREDICATION. 

Mais  pour  que  ces  avis  soient  goûtés,  on  doit  :  1°  les  donner  avec 
une  grande  bonté,  sans  avoir  jamais  l'air  mécontent,  froid  ou  af- 
fairé; 2°  les  accommoder  à  la  position  des  enfants,  tantôt  gâtés  par 
une  molle  indulgence,  tantôt  témoins  de  mauvais  exemples  ou  de 
mauvais  discours  ;  mais  cependant  ne  jamais  compromettre  les  pa- 
rents dans  leur  esprit  ;  5°  les  proportionner  aux  tempéraments  :  il 
faut  exciter  par  les  vérités  aimables  et  attrayantes  les  tempéraments 
flegmaliqucs  dont  le  caractère  est  d'être  tièdes  et  sans  énergie,  et 
ne  point  se  lasser  de  leur  répéter  les  mêmes  avis  ;  il  faut  convaincre 
par  des  raisons  claires  les  tempéraments  mélancoliques  dont  le  ca- 
ractère est  d'être  soupçonneux  et  entêtés,  mais  attentifs,  retenus  et 
constants;  il  faut  traiter  avec  beaucoup  de  douceur,  former  à  la  mo- 
dération et  à  la  réflexion  les  tempéraments  bilieux,  lesquels  sont 
ordinairement  durs,  colères,  orgueilleux  et  précipités,  mais  géné- 
reux et  ardents;  enfm,  il  faut  exciter  par  l'émulation,  par  la  louange 
et  les  paroles  d'encouragement,  les  tempéraments  sanguins,  dont  le 
caractère  est  d'être  vifs,  emportés,  sensuels,  querelleurs,  mais  en 
général  d'avoir  bon  courage  et  bon  cœur. 

Enfin,  il  est  un  dernier  moyen  de  procurer  la  sanctification  des 
enfants,  c'est  l'homélie  sur  l'Évangile  :  sorte  d'exhortation  dans  la- 
quelle on  les  presse,  par  tout  ce  que  la  piété  a  de  plus  touchant, 
d'éviter  le  péché,  de  surmonter  les  défauts  ou  penchants  vicieux  de 
leur  âge,  et  d'embrasser  la  vertu.  Si  l'on  veut  bien  réussir  dans  cette 
homélie  ,  il  faut,  i°se  tracer  un  plan  pour  toute  l'année,  soit  afin  de 
ne  pas  se  répéter,  soit  afin  de  n'omettre  aucun  des  devoirs  essen- 
tiels qu'il  importe  d'inculquer  aux  enfants.  II  faut,  2'  énoncer  claire- 
ment son  sujet,  l'appuyer  de  raisons  évidentes,  exprimées  briève- 
ment, mais  fortement  et  vigoureusement,  en  faire  l'application  aux 
enfants  par  des  détails  où  ils  voient,  comme  dans  un  miroir,  et  leurs 
fautes  et  leurs  penchants,  et  leurs  pensées  et  leur  désirs  déréglés,  enfin 
les  toucher  et  les  enflammer  par  des  paroles  brûlantes.  11  faut,  3°  pro- 
noncer cette  homélie  avec  beaucoup  de  naturel,  d'onction  et  de  piété. 

AUTIGLE  7. 

DES   DIFFÉRENTES   ESPÈCES   DE    CATÉCHISMES. 

On  peut  distinguer  sept  espèces  de  catéchismes  :  1°  le  catéchisme 
des  petits  ;  2°  le  catéchisme  de  la  première  communion  ;  3°  le  caté- 
chisme de  persévérance;  4°  le  catéchisme  du  peuple;  5°  le  caté- 
chisme des  écoles  ;  6°  le  catéchisme  des  adultes  ignorants  ;  7°  le 


DU  CATECHISME.  493 

catéchisme  de  ceux  qui  ne  peuvent  pas  apprendre  la  lettre  du  caté- 
chisme. Quoique  la  phipart  des  règles  données  jusqu'à  présent  con- 
viennent à  tous  ces  catéchismes,  il  nous  reste  des  observations  parti- 
culières à  faire  sur  chacun. 

8  1^'' 

Du  catéchisme  des  petits. 

Une  des  institutions  les  plus  utiles  que  puisse  faire  un  pasteur 
dans  sa  paroisse,  c'est  d'établir  un  catéchisme  < pour  les  petits 
enfants  qui  sont  loin  encore  de  l'âge  de  la  première  communion. 
Les  parents  y  consentiront  volontiers,  puisqu'à  cet  âge  ils  n'en 
peuvent  attendre  aucun  service;  et,  d'un  autre  côlé,  on  fera  par  là 
contracter  de  bonne  heure  aux  enfants  le  goût  de  la  piété,  l'amour 
de  la  religion,  l'éloignement  du  vice.  Leur  cœur,  tourné  ainsi 
vers  Dieu,  dès  les  premiers  moments  où  il  est  capable  d'aimer, 
aura  bien  plus  de  dispositions  pour  la  vertu  et  perdra  difficilement 
des  iuipressions  de  grâce  qui  auront  commencé  avec  la  raison.  Par 
là  aussi  on  les  mettra  en  état  de  faire  la  première  communion 
dans  un  état  d'innocence  parfaite  et  avant  l'âge  des  passions,  ce  qui 
est  un  avantage  inappréciable.  Sans  ce  petit  catéchisme,  au  con- 
traire, les  enfants,  n'ayant  point  pris  dès  le  bas  âge  le  goût  de 
l'instruction  religieuse ,  ne  s'y  appliqueront  plus  tard  qu'avec  ré- 
pugnance; la  religion,  ne  se  présentant  qu'après  le  monde  pour 
prendre  possession  de  leur  esprit  et  de  leur  cœur,  n'y  sera  point 
la  bienvenue  :  et  la  légèreté,  la  dissipation,  peut-être  même  déjà 
les  passions,  les  rendront  ou  inattentifs  ou  mdociles  à  des  leçons 
trop  tardives. 

Pour  bien  faire  ce  petit  catéchisme,  il  faut,  1°  y  mettre  beaucoup 
de  bouté,  d'aménité,  de  douceur,  de  gaieté  même,  en  la  tempérant 
cependant  toujours  par  la  modestie  et  la  décence  sacerdotale  :  c'est 
là  qu'il  faut  être  éminemment  une  mère  par  la  charité  :  Tanqxiùm  si 
niitrix  foveat  filios  suos.  Car  un  tel  catè(;liisme  ne  peut  être  utile  ni 
môme  se  soutenir  qu'autant  que  les  enfants  y  viennent  avec  joie,  s'y 
plaisent  et  s'en  retournent  contents  avec  le  désir  d'y  revenir  encore. 
Or,  si  on  ne  les  traite  avec  une  tendresse  de  mère,  si  on  ne  les  met 
tout  à  fait  à  l'aise,  le  catécliisme  n'anra  pour  eux  ni  attrait  ni  pl.ii.sir^ 
et  dés  lors  ils  n'y  viendront  pas  ou  ils  n'y  vieiulront  qu'avec  dégoût, 
et  n'y  prendront  aucun  inlérêt. 

•^o  11  faut  abaisser  son  langage  à  leur  portée  et  leur  parler  leur 


494  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

propre  langue,  (|ui  est  beaucoup  plus  bornée  qu'on  ne  le  croit  coni- 
mi.iiément.  Ainsi,  par  exemple,  à  la  demande  :  Qu'est-ce  que  Dieu  ?  il 
ne  faut  pas  répondre  que  Dieu  est  un  èlre  éternel,  immense,  infini  : 
ce  langage  serait  incompréhensible  pour  eux,  mais  il  faut  répondre 
que  Dieu  est  celui  qui  a  fait  ce  beau  ciel  qui  est  an-dessus  de  nous, 
le  soleil,  la  terre,  enfin  toutes  choses.  Et  cette  mt;thode  doit  s'appli- 
quer à  toutes  les  autres  réponses  du  catéchisme  ;  partout  on  doit 
s'étudier  à  apporter  la  même  simplicité  de  langage  et  à  ne  pas  dire 
un  mot  que  l'enfinit  ne  comprenne;  partout  on  doit  faire  les  deman- 
des et  les  réponses  aussi  courtes  que  possible,  afin  qu'elles  soient 
plus  faciles  à  retenir,  les  énoncer  lentement  en  prononçant  distincte- 
ment chaque  mot,  chaque  syllabe,  et  conserver  avec  soin  les  mêmes 
termes  et  l'ordre  même  des  termes  chaque  fois  qu'on  répète  la  de- 
mande ou  la  réponse.  Ce  n'est  que  quand  les  enfants  possèdent 
parfaitement  la  lettre  des  réponses,  qu'on  peut  et  qu'on  doit  chan- 
ger la  tournure  ou  la  forme  des  questions  :  ainsi,  par  exemple, 
quand  ils  sauront  bien  répondre  à  ces  questions  :  Où  est  Dieu  ^i  Dieu 
voit-il  tout  ?  on  pourra  les  interroger  d'une  autre  façon  :  Dieu  est-il 
dans  les  champs,  dans  les  forets,  dans  votre  maison?  Dieu  voit-il 
pendant  la  nuit'i  Quand  on  pense  à  quelque  chose  de  mal.  Dieu  le 
voit-il?  Dieu  est  donc  aussi  en  nous?  etc.. 

3°  11  faut  commencer  par  exposer  en  peu  de  mots  les  principales 
questions  qu'on  va  traiter,  en  relever  l'importance,  dire  aux  enfants 
comme  il  sera  beau  de  savoir,  à  leur  âge,  répondre  à  tout  cela,  et 
intéresser  ainsi  la  curiosité  et  l'amour-propre  qui  leur  sont  si  natu- 
rels. On  reprend  ensuite  les  questions  l'une  après  l'autre,  en  y  joi- 
gnant la  réponse  qu'on  répète  deux  ou  trois  fois  et  dont  ensuite  on 
explique  les  termes  autant  qu'il  faut  et  pas  plus  qu  il  ne  faut  pour  en 
bien  faire  comprendre  le  sens.  Après  ces  explications,  on  répète  en- 
core la  réponse,  puis  l'on  assure  par  des  interrogations  s'ils  ont 
bien  saisi  et  bien  retenu.  On  passe  ensuite  aux  demandes  suivantes; 
et  quand  tout  est  fini,  on  revient  sur  toutes  les  questions  et  on  fait 
répéter  toutes  les  réponses.  Au  catéchisme  suivant  on  les  fait  redire 
encore,  et  c'est  toujours  par  là  qu'il  faut  commencer. 

4"  On  sent  que  la  méthode  historique,  l'usage  des  paraboles  et  des 
exemples,  convient  surtout  à  cette  classe  d'auditeurs.  Un  pelit  en- 
fant est  si  curieux  d'entendre  raconter  une  histoire  ;  il  faut  profiler 
de  cette  disposition  pour  lui  enseigner  la  religion. 

5"  Enfin,  il  faut  moins  tendre  à  multiplier  les  connaissances  de 
ces  petits  enfants  qu'à  graver  en  traits  ineffaçables,  dans  leur  esprit 


DU  CATÉCHISME.  485 

et  dans  leur  cœur,  les  points  de  croyance  les  plus  nécessaires  au  sa- 
lut et  les  principaux  devoirs  de  la  vie  chrétieinie. 

§2. 

Du  catéchisme  de  la  première  communion  *. 

Autre  doit  être  l'instruction  des  petits  enfants,  autre  l'instruction 
de  ceux  qui  ont  déjà  quelque  connaissance  do  la  religion  et  qu'on 
prépare  prochainement  à  la  première  communion.  Si  l'on  confon- 
dait ces  deux  classes  d'enfants  dans  un  seul  catécliisine,  on  ennuie- 
rait les  uns  par  des  explications  au-dessus  de  leur  portée,  et  les 
autres  par  des  répélilions  inutiles  de  ce  qu'ils  savent  déjà.  D'ailleurs 
le  catéchisme  de  la  première  communion  demande  un  intérêt  tout 
spécial,  un  ensemble  de  soins  tout  particuliers,  puisqu'il  s'agit  de 
préparer  prochainement  à  la  réception  de  l'Eucharistie  ceux  qui  le 
composent,  et  que  de  la  manière  dont  ils  feront  cette  grande  action 
dépend  en  grande  partie  tout  leur  avenir,  pour  le  temps  et  pour  l'é- 
ternité. Il  ne  suffit  pas,  pour  ceux-là  comme  pour  les  petits,  d'ap- 
prendre les  points  principaux  de  la  religion,  mais  il  faut  qu'ils 
sachent  et  comprennent  tout  le  catéchisme  de  manière  à  rendre 
compte  et  à  prouver  qu'ils  l'entendent;  il  faut  surtout  qu'ils  soient 
spécialement  instruits  sur  la  Pénitence  et  l'Kuchari.'-tie,  le  Baptême 
et  la  Confirmation,  qu'ils  connaissent  les  dispositions  qu'exigent  ces 
sacrements,  les  fruits  qu'ils  produisent  et  les  obligations  qu'ils  im- 
posent. 11  faut  donc  un  catéchisme  particulier  pour  la  première 
communion.  Le  bonheur  d'en  faire  partie  doit  être  proposé  de  loin 
aux  enfants  comme  la  récompense  de  leur  bonne  conduite  et  de 
leur  assiduité  au  petit  catéchisme.  Le  bonheur  plus  grand  encore  de 
la  première  communion  doit  leur  être  moniré  dès  le  plus  bas  âge 
comme  la  jouissance  la  plus  grande  que  le  cœur  de  l'homme  puisse 
goûter  après  les  joies  du  ciel,  et  l'honneur  le  plus  insigne  qu'il 
puisse  recevoir;  c'est  de  là  qu'il  faut  déduire  pour  eux  l'obligation 
d'être  sages,  pieux,  obéissants,  d'édifier  l'église  parleur  modestie  et 
leur  exactitude,  de  corriger  tous  leurs  défauts,  de  se  confesser  sou- 
vent et  de  bien  apprendre  leurs  leçons. 

On  admet  à  ce  catéchisme  les  enfants  de  dix  à  onze  ans,  dont  il  y  a 
lieu  d'esi)érer  qu'ils  pourront  faire  la  première  communion  dans 
Tannée  :  on  ne  saurait  trop  tôt  faire  participer  à  une  grâce  si  pré- 

1  JléUiode  de  Besançon,  t.  II,  c.  m,  art.  i,  §  3. 


496  TUAITi:  DE  LA  IT.KDICATION. 

cicii?c  los  enfants  qu'on  y  penl  prôpai  er.  C'est  parmi  les  prémices 
(le  foi  et  (l'amour  de  ces  eœiu's  innocents  que  Jésus-Christ  se  fait  le 
mieux  sentir  et  j::oûter  dans  son  sacrement;  et,  d  un  autre  C(Jté,  il  y 
ain-ait  un  inconvénient  grave  à  trop  différer  la  communion,  à  la  re- 
mettre, par  exemple,  au  delà  de  quatorze  ans,  parce  qu'à  cet  âge 
rinuocen(;e  connnence  à  se  flétrir  ausoulfle  des  passions  ;  des  ha- 
bitudes déjà  formées  peuvent  mettre  obstacle  à  l'approche  de  la  table 
sainte,  et  oljliger  d'attendre  un  temps  indéfini  :  cependant  les  années 
s'avancent,  on  rougit  de  demeurer  encore  au  rang  des  enfants,  on 
renonce  à  faire  la  première  communion,  et  dès  ce  moment  c'en  est 
à  peu  prés  fait  pour  toujours  ;  il  est  très-probable  que  toute  la  vie 
se  passera  dans  l'éloignement  des  sacrements. 

Ce  catéchisme  se  conmience  ordinairement  six  mois  avant  la  pre- 
mière communion  :  dés  les  premières  réunions,  on  tâche  d'inspirer 
aux  enfants  une  haute  idée  de  la  grande  action  à  laquelle  ils  se  pré- 
parent, en  faisant  ressoitir  :  1°  la  grandeur  et  la  majesté  de  Celui 
qu'ils  doivent  recevoir  :  Opus  grande  est  ;  neque  enim  homini  prx- 
IKiratiir  Iinhiialio,  scdDeo^,  2"  les  admirables  effets  d'une  commu- 
nion bien  laite  :  In  me  manet,  et  ego  in  eo...  Qui  manducut  me,  et  ipse 
vivet  proptev  me...  Et  ego  resuscitabo  eum  in  novissimo  die^  ;  5°  le 
mallieui'  d'une  première  comnnmion  mal  faite  :  Judas  fit  mal  sa 
première  connnunion  ;  depuis  près  de  deux  mille  ans  il  est  dans  les 
enfers  ;  jamais  il  n'eu  sortira  :  Bonum  eral  ei  si  natus  noji  fuisset 
homo  ille''.  Ici  on  pourrait  expliquer  les  fins  dernières,  en  montrant 
qu'elles  dépendent  souvent  de  la  manière  dont  on  fait  la  première 
communion,  et  consacrer  à  cette  explication  les  premiers  catéchis- 
mes :  par  là  on  pénétrerait  profondément  les  enfants  de  l'importance 
de  se  bien  préparer  ;  et,  une  fois  qu'on  les  en  verrait  bien  pénétrés, 
on  leur  enseignerait  ensuite  la  manière  de  le  faire  :  elle  consiste  : 
\"  à  venir  régulièrement  au  catéchisme,  à  bien  apprendre  ses  leçons, 
à  écouter  attentivement  et  mettre  en  pratique  les  conseils  qu'on  re- 
çoit. Klle  consiste  :  2"  à  remplir  fidèlement  tous  les  devoirs  de  sa 
position  envers  Dieu,  envers  ses  père  et  mère,  maîtres  ou  maîtresses; 
5"  à  quitter  le  péché  si  l'on  a  le  malheur  d'y  être  tombé.  «  Oui,  mes 
((  enfants,  faut-il  leur  redire  souvent,  la  grande  disposition  à  la 
((  communion,  celle  sans  laquelle  toutes  les  autres  seraient  insuffi- 
((  sautes,  c'est  le  renoncement  au  péché,  c'est  la  pureté  du  cœur, 
«  c'est  la  sainteté...  Connnencez  donc  dès  aujourd'hui  à  vous  cor- 

1  1  i'aral.,  xxi\.  —  -  Joaiiii.,  vi.  —  ^  Mattli.,  xxvi 


DU  CATECHISME.  497 

«  riger  de  vos  mauvaises  habitudes,  et  travaillez-y  tous  les  jours  : 
<(  corrigez  même  celles  qui,  né'tant  pas  mortelles,  vous  privent  ce- 
«  pendant  de  beaucoup  de  grâces  et  peuvent  vous  conduire  au  péché 
«  mortel.  » 

Pour  aider  les  enfants  dans  cette  grande  entreprise,  il  est  essen- 
tiel de  leur  faire  commencer  leurs  confessions  peu  après  l'ouverture 
des  catéchismes  :  par  là  on  pourra  connaître,  assez  à  temps  pour  y 
remédier,  l'état  de  leur  âme,  leur  faire  sentir  le  danger  de  leurs 
plaies,  en  poursuivre  la  complète  guérison,  et  former  leurs  cœurs  à 
la  piété,  à  la  pratique  des  vertus.  Après  ces  premières  confessions, 
il  suffira  de  tenir  la  mahi  à  ce  qu'ils  se  confessent  au  plus  tard  une 
fois  par  mois. 

Cependant  le  catéchiste,  de  son  côté,  devra  étudier  leurs  disposi- 
tions, leurs  habitudes,  la  manière  dont  ils  se  tiennent  dans  leurs 
prières,  à  l'église,  au  catéchisme,  leurs  discours,  leur  conduite,  leur 
caractère,  en  un  mot,  tout  l'ensemble  de  leur  vie;  il  devra  en  con- 
verser avec  les  parents,  les  maîtres  ou  maîtresses,  combiner  ces  ren- 
seignements avec  ses  propres  observations,  et  d'après  cela  dresser, 
un  mois  d'avance,  la  liste  définitive  de  ceux  qui  feront  leur  première 
communion  et  prononcer  l'exclusion  des  autres.  Dans  un  choix  aussi 
important,  il  devra  tenir  un  juste  milieu  entre  l'indulgence  et  la 
sévérité,  et  se  contenter  de  l'essentiel,  sans  vouloir  qu'un  enfant  soit 
parfait,  et  lorsqu'il  verra  un  vrai  désir  de  se  corriger,  des  efforts 
réels  qui  prouvent  qu'on  sent  la  grandeur  de  l'action,  fermer  les 
yeux  sur  un  peu  de  paresse  ou  de  dissipation,  de  pétulance  ou  d'en- 
têtement qui  sont  l'effet  du  tempérament,  du  caractère,  de  la  légèreté 
de  l'âge.  En  voulant  être  trop  sévère,  il  s'exiioserait  à  décourager 
les  enfants  et  les  parents,  et  à  faire  manquer  peut-être  pour  toujours 
la  première  commujiion. 

La  liste  ainsi  faite,  il  s'assurera  si  tous  ont  été  baptisés  ;  puis  il  leur 
fera  commencer,  sans  aucun  retard,  la  confession  générale.  Pen- 
dant les  jours  destinés  à  cette  action  si  importante,  il  leur  adressera 
les  instructions  les  plus  véhémentes  sur  les  confessions  sacrilèges, 
sur  la  contrition,  sur  la  nécessité  de  tout  avouer  à  son  confesseur, 
de  renoncer  aux  habitudes  pour  toujours  et  de  ne  pas  se  contenter 
de  les  interrompre  pour  les  jours  qui  précèdent  la  communion.  A 
mesure  (pa'approchera  le  moment  solennel,  il  redoublera  do  zèle, 
rendra  les  instructions  plus  fréquentes  et  [ilus  forles,  mais  surtout  il 
aura  soin  de  faire  passer  en  retraite  les  trois  jours  qui  précédent. 
Les  exercices  de  cette  reliaite  consisteront  d'abord  dans  la  prière  du 


498  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION 

malin,  suivie  d'une  méditation  courte  et  pieuse,  le  chant  des  canti- 
ques, l'assistance  à  la  sainte  messe  ;  puis,  vers  l'après-midi,  la  réci- 
tation du  chapelet,  la  visite  au  Saint-Sacrement,  qu'il  fera  lui-même 
à  haute  voix,  et  enfin  deux  sermons  chaque  jour. 

La  veille  de  la  retraite,  il  parlera  sur  l'importance  de  la  première 
communion  et  de  la  retraite  qui  y  prépare  ;  le  premier  jour  au 
malin,  sur  la  communion  sacrilège,  au  soir,  sur  le  jugement  dernier; 
le  second  jour  au  matin,  sur  l'enfer,  au  soir,  sur  l'amour  de  Jésus- 
Christ  dans  l'Eucharistie  :  le  troisième  jour  au  matin,  sur  les  disposi- 
tions à  la  communion,  et  il  les  exercera  ensuite  aux  cérémonies  du 
lendemain  ;  le  soir,  il  leur  fera  une  exhorlalion  vive  et  pathétique  sur 
les  motifs  de  contrition  ;  et,  aussitôt  après,  les  enfants  iront  se  con- 
fesser pour  recevoir  l'absolution.  11  est  des  paroisses  où  l'on  expose 
sur  les  degrés  du  grand  autel  pour  les  garçons,  et  sur  les  degrés  de 
l'aulel  de  la  sainte  Vierge  pour  les  filles,  un  crucifix  étendu  sur  un 
coussin  :  les  enfants  viennent  à  genoux  successivement  y  prier  deux 
à  deux  ;  les  deux  premiers,  après  avoir  baisé  les  plaies  de  Jésus  mou- 
rant pour  leurs  péchés,  vont  de  là  au  confessionnal  pour  en  recevoir 
l'absolution.  Pendant  qu'ils  se  confessent,  les  deux  suivants  vont  se 
prosterner  à  leur  tour  devant  le  crucifix  et  le  baisent  de  temps  en 
temps  avec  amour,  en  faisant  des  actes  de  contrition,  jusqu'au  mo- 
ment d'aller  se  confesser.  Tous  les  autres  viennent  également  à  leur 
rang  et  font  de  même.  Cette  pratique  produit  un  très-bon  effet. 

Le  jour  de  la  première  communion  on  ne  conseille  pas  de  faire 
réciter  des  actes  aux  enfants,  parce  que  cela  les  préoccupe  et  les 
distrait  ;  le  prêtre  doit  les  leur  suggérer  lui-même,  dans  une  allocu- 
tion brûlante  avant  et  après  la  communion.  Le  soir,  aux  vêpres,  on 
fait  un  discours  sur  les  promesses  du  baptême  et  on  les  leur  fait 
renouveler  solennellement,  chacun  à  son  tour,  la  main  sur  le  saint 
Evangile  placé  avec  honneur  aux  marches  du  sanctuaire,  sur  une 
table  richement  drapée  ;  de  là,  on  se  rend  en  procession  à  l'autel  de 
la  sainte  Vierge,  on  y  prononce  l'acte  de  consécration  de  tous  les 
cœurs  à  l'auguste  Mère  de  Dieu.  Le  lendemain  matin,  tous  les  enfants 
viennent  entendre  la  messe  d'actions  de  grâces  ;  on  y  fait  une  in- 
struction sur  les  moyens  de  conserver  la  grâce  qu'ils  ont  reçue;  on 
les  presse  d'assister  tous  au  catéchisme  de  persévérance  et  de  s'as- 
socier aux  congrégations  instituées  pour  les  soutenir  dans  leurs 
bonnes  dispositions. 


DU  CATÉCHISME  499 


Du  catéchisme  de  persévérance. 


L'expérience  démontre  que  les  enfants  abandonnés  à  eux  seuls 
après  la  première  communion  ne  se  soutiennent  pas  et  se  laissent 
promptement  entraîner  par  les  mauvaises  corapai^nies ,  par  le 
monde  et  par  leurs  propi-es  passions.  L'institution  d'un  catéchisme 
de  persévérance,  auquel  on  tâche  de  donner  Kout  l'intérêt  pos- 
sible pour  les  y  attirer ,  est  l'unique  moyen  de  les  conserver 
dans  la  piété.  On  y  observe  à  peu  près  les  mêmes  régies  que  dans 
les  catéchismes  ordinaires  ;  voici  seulement  ce  qu'il  y  a  de  parti- 
culier. 

1°  Comme  ces  catéchismes  sont  volontaires,  on  doit  traiter  les  en- 
fants avec  beaucoup  d'égards  et  de  ménagements,  sans  cenendaut 
laisser  enfreindre  les  règles  ;  on  les  félicite  de  leur  assiduité,  on 
leur  en  fait  honneur  en  les  encourageant  à  continuer. 

2°  On  fait  des  instructions  plus  fortes  et  plus  nourries,  afin  que 
les  enfants,  même  les  mieux  instruits,  aient  le  plaisir  d'y  apprendre 
toujours  quelque  chose  ;  et  en  même  temps  on  s'applique  à  inté- 
resser l'auditoire  par  la  clarté  de  l'expression  et  de  la  méihode,  par 
des  traits  piquants,  des  comparaisons  et  des  histoires,  de  sorte  que 
les  enfants  s'en  retournent  toujours  contents  d'avoir  appris  de  si 
belles  choses.  On  y  traite  les  objections  qu'ils  sont  exposés  à  en- 
tendre dans  le  monde,  en  ayant  la  sage  précaution  de  ne  les  propo- 
ser qu'après  qu'on  a  donné,  comme  preuve  en  faveur  de  sa  thèse,  le 
principe  de  solution,  de  sorte  que  la  réponse  s'offre  à  l'esprit  au 
même  instant  où  l'objection  s'y  présente.  Telles  doivent  être  les  in- 
structions du  catéchisme  de  persévérance  ;  il  faut,  du  reste,  y  éviter 
les  arguments  théologiques,  les  preuves  trop  scientifiques  ou  trop 
raisoimécs,  les  choses  trop  difficiles  et  trop  relevées  qui  seraient 
plus  propres  à  cmbariasser  ou  à  dégoûter  hs  enfants  qu'à  les  inté- 
resser. On  trouve  des  modèles  de  ce  genre  d'instruction  d  ins  un 
ouvrage  périodique  qui  a  pour  litre  :  Association  de  persévn-ance  an 
grand  Séminaire  de  Langres,  et  auciuel  on  peut  souscrire  moyennant 
six  francs  par  an,  en  s'adressant  à  M.  le  directeur  de  l'Association. 
Cet  ouvrage  contient  des  conférences  sur  l'iiistoire  sainte,  avec  des 
billets  sur  le  dogme,  la  morale  et  In  liturgie. 

5°  La  communion  gênérah!  chaque  mois  est  une  belle  pratique  du 
catéchisme  de   persévérance  ;   elle  a  de  grands  avantages  ;  mais 


500  TRAITE  DE  LA  PREDICATION. 

aussi,  si  on  ne  prend  des  précautions,  elle  aurait  les  plus  graves 
inconvénients.  Il  faut  qu'on  persuade  bien  aux  enfants  que  cette 
communion  est  pleinement  libre,  qu'on  n'estime  pas  moins  ceux 
qui  ne  communient  pas  que  ceux  qui  communient  ;  et,  pour  qu'au- 
cun amour-propre  n'ait  à  souffrir,  il  faut  faire  en  sorte,  autant  que 
possible,  qu'il  y  en  ait  toujours  un  certain  nombre  qui  ne  commu- 
nient pas. 

4°  Lorsque  les  enfants  ont  fréquenté  deux  ans  le  catéchisme  de 
persévérance,  il  *st  bon  de  les  faire  passer  à  une  association  qui 
prend  le  titre  de  Saint-Sacrement  ou  de  la  sainte  Vierge,  suivant 
qu'on  le  juge  plus  à  propos,  afin  d'épargner  l'amour-propre  que  le 
mot  de  catéchisme  pourrait  faire  souffrir.  On  les  réunit  une  fois  le 
mois,  et  là  on  leur  confie  différentes  bonnes  œuvres  :  l'instruction 
des  ignorants ,  la  visite  de  quelques  malades,  la  surveillance  de 
quelques  enfants  dont  on  les  constitue  comme  les  anges  gardiens,  le 
soin  des  pauvres,  etc..  On  peut  y  établir  des  dignitaires  ;  par 
exemple,  une  présidente  qui  veille  sur  l'association  des  assistantes 
qui  aident  la  présidente,  une  surveillante  qui  visite  les  malades,  leur 
porte  les  consolations  de  la  religion  et  a  soin  qu'ils  ne  meurent  pas 
sans  recevoir  les  sacrements;  une  zélatrice  qui  est  chargée  de  faire 
instruire  ou  d'instruire  par  elle-même  les  filles  les  moins  avancées  ; 
une  secrétaire  qui  rédige  le  procès-verbal  de  chaque  assemblée  et 
tient  toutes  les  écritures  relatives  à  l'association;  une  trésorière 
qui  recueille  les  aumônes  pour  les  pauvres  ;  une  bibliothécaire  pour 
l'œuvre  des  bons  livres,  et  une  sacristine  pour  la  décoration  de 
l'autel. 

Telles  sont  les  principales  précautions  à  prendre  pour  conserver 
les  enfants  après  la  première  communion;  et  si  quelqu'un  trouvait 
que  c'est  trop  d'embarras  et  de  sollicitudes,  qu'après  la  communion 
on  peut  abandonner  chaque  enfant  à  sa  propre  faiblesse,  nous  le 
prierons  de  méditer  ces  paroles  de  saint  Charles  dans  son  troisième 
discours  à  son  clergé  :  Proh  dolor!  quàmmulti  parochi  pariunt  in 
nonnullis  Christum  et  statim  eorum  curam  omittunt!  et  qux  hxc 
impietas  est!  nec  bestix  hoc  faciunt,  quxpartus  suos  lactant,  fovent, 
nutriunt  et  ah  adversis  quibuscumque  tutantur...  et  tu  tenelhim  sic 
deseris!  quandà  magis  itisiidasse  oportiierat,  otio  tepescis  l ...  magna 
culpa,  fratres,  et  hxc  magna  segnities,  imà  magna  sxvities...  non 
dormit^  fratres,  non  dormit  dxmon ,  sed  insidiatur  continua... 
Ideo  nos  continua  sollicitudine  angi  debemus  et  quod  peperimus 
custodire. 


DU  CATÉCHISME  501 

Du  catéchisme  du  peuple. 

11  est  beaucoup  de  paroisses  où,  comme  nous  lavons  observé 
ailleurs,  non-seulement  le  peuple,  mais  encore  les  personnes  au- 
dessus  du  commun,  même  les  hommes  lettrés  et  habiles  dans  les 
sciences  n'ont  que  des  connaissances  très-imparfaites  ou  des  idées 
fausses  sur  les  vérités  élémentaires  de  la  religion  et  sur  nos  prin- 
cipaux mystères  ;  à  ce  point  que,  par  le  fait  seul  de  celte  ignorance, 
ils  sont  hors  de  la  voie  du  salut  ;  paroisses  malheureuses,  dont  les 
habitants  ou  n'ont  jamais  su  ces  vérités  comme  il  faut,  ou  les  ont 
oubliées.  C'est  là  surtout  que  trouvent  leur  application  ces  paroles  de 
Benoît  XIV,  si  dignes  de  la  méditation  de  tous  les  pasteurs  des  âmes  : 
Affcrmamus  magnam  eoriim  partem  qui  xternis  suppliciis  danman- 
tur  eam  calamitatem  perpétua  subire  ob  ignorantiam  mysteriorum 
fidei  qux  scire  et  credere  necessarià  debejit  :  mulli  enim  laborant 
ignoranliâ  crassà  articulorum  fidei  quos  explicité  scire  et  credere 
ienentur  seqnè  ac  sacramentorum.  Or  que  peut  faire  le  pasteur 
préposé  à  une  telle  paroisse  et  qui  est  responsable  devant  Dieu  du 
salut  de  tous  ses  habitants?  Il  peut  bien,  sans  doute,  selon  l'avis  du 
même  pape  Benoit  XIV  *,  recommander  aux  parents  d'accompagner 
leurs  enfants  au  catéchisme,  essayer  toutes  les  industries  du  zèle 
pour  y  attirer  les  grandes  personnes,  au  moins  le  dimanche,  ou 
même  leur  imposer  cette  assistance  comme  pénitence  sacramentelle; 
mais  cela  suffira-t-il  ?  il  est  difficile  de  le  croire.  Ce  ne  sera  jamais 
qu'un  très-petit  nombre  qui  voudra  s'associer  aux  enfants  ou  paraître 
avoir  besoin  de  la  même  instruction  ;  et  la  majorité  des  paroissiens 
demeurera,  par  son  ignorance,  en  voie  de  damnation.  11  faut  donc 
que  le  pasteur  fasse  quelque  chose  de  plus,  c'c^^t-à-dire  (ju'il  fasse 
le  catéchisme  tous  les  dimanches  à  la  messe  de  paroisse,  ou  du 
moins  à  vêpres,  supposé  que  le  peuple  y  assiste.  C'était  l'avis  de 
Bossuet  :  «  Il  faut  faire  le  catéchisme  non-soub-ment  aux  enfants, 
«  mais  principalement  aux  pères  de  familles,  »  dit-il  dans  la  préface 
de  son  catéchisme. 

11  y  a  dilférontes  manières  de  faire  ce  catéchisme  du  pciiidc:  la 
première,  qui  est  la  plus  simple  et  (pj'on  peut  employer  (juaiul  on 
n'a  point  à  craindre  que  l'amour-propredes  paroissiens  s'en  offense, 

'  liiSt.  IX,  et  Encyclique  de  1742. 


002  Tr.AlTi:  I)K  LA  IM'.KmCATlON. 

c'cs-l  de  prendre  en  iriain  son  caléchisnie,  de  lire  la  demande  et  de 
dovelo['per  la  réponse  selon  les  règles  exposées  plus  liant,  puis  d'in- 
terroûM'i'  quchpies  enliuils  des  plus  instruits  qui  soient  en  état  de 
bien  l'épondre.  Ce  (pi'ils  diront  sera  écouté  avec  intérêt,  mieux  re- 
tenu que  la  parole  uiénie  du  [tasteur,  à  laquelle  on  est  habitué  ;  et 
ces  interrogations  donneront  lieu  de  l'aire  entendre  plusieurs  fois  les 
mêmes  choses  sans  ennui.  Il  est  même  des  paroisses  simples  et  do- 
ciles on  le  pasteur  pourrait  se  permettre  d'interroger  les  grandes 
personnes  sans  distinctioi!,  en  commençant  par  les  âmes  pieuses  et 
instruites  ({u'un  sentiment  de  zélé  aurait  fait  consentir  à  répondre 
afm  d'enbardir  les  autres. 

La  seconde  manière  qu'il  faut  employer  là  où  les  paroissiens  s'of- 
fenserait'ut  d'être  catéchisés  comme  des  enfants,  c'est  de  l'etrancher 
les  demandes  et  d'expliquer  le  catéchisme  sous  forme  d'instruction 
ordinaire  en  présentant  la  chose  comme  explication  du  symbole,  des 
connnandements,  des  sacrements,  des  actes,  etc. 

La  troisième  manière  est  d'avoir  recours  aux  conférences,  en  char- 
geant un  interlocuteur  de  faire  le  personnage  d  un  lidéle  qui  a  eu  le 
niallu'Ui' (le  ne  pas  recevoir  d'instruction  religieuse  liansson  enfance 
ou  de  l'avoir  oitbliéc,  et  qui  maintenant  délire  connailie  et  rem- 
plir les  d'voirs  du  christianisme. 

Entin,  une  quatiiémemanière,  c'est  de  faire  immédiatement,  avant 
et  après  les  vêpres,  un  catéchisme  plus  court  qu'à  l'ordinaire,  où 
l'on  conjure  tout  le  monde  d'assister,  et  sur  le([U''l  on  s'étudie  à 
répandi'e  un  intérêt  qui  picpie  la  curiosité,  captive  Tattention  géné- 
rale et  prévient  tout  ennui  ou  dégoût  :  par  là  on  instruit  tous  les  âges 
en  insliuisant  l'enfance. 

..iais,  quel  <]ue  soit  le  mode  qu'on  emploie,  il  faut  exhorter  forte- 
ment les  auditeurs  à  repasser  en  eux-mêmes,  pendant,  la  semaine, 
les  vérités  qu'où  leur  a  expliquées,  à  se  les  redii'e  entre  eux,  à  ren- 
dre compte  de  l'uisti  uction  à  ceux  de  leur  famille  qui  n'ont  pu  y 
assister,  à  leur  rapporter  les  traits  d'histoire  qu'on  a  racontés  et  à 
leur  couniiuni({uer  la  pieuse  pratique  qu'on  a  indiquée  en  tcrmmant 
le  catéchisme. 

§  5. 

Du  caléchisme  des  écoles  '. 

Le  pasteur  de  charpie  paroisse  étant,  d'après  la  loi  civile,  membre 
du  comité  d'instruction  primaire,  a  par  cela  même  droit  de  visiter  les 
*  .M<'tljoiie  (lo  licsaiiçoii,  t.  11,  c.  m,  art.  T), 


DU  C.VTÉCnlSME.  503 

écoles  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  et  de  s'assurer  si  les  maîtres  et  maî- 
tresses y  observent  les  règlements  qui  les  concernent.  Entie  ces 
règlements,  il  en  est  un  qui  doit  fixer  son  attention  :  c'est  celui  qui 
oblige  les  maîtres  et  les  maîtresses  à  faire  apprendre  le  catéchisme 
aux  enfants.  Le  pnsteur  manquerait  à  son  devoir  s'il  n'usait  avec  zèle 
du  droil  que  la  loi  lui  reconnaît  à  ce  sujet;  et  voici  les  règles  qu'il 
doit  suivre  dans  l'exercice  de  ce  droit. 

1°  Il  doit  veiller  à  ce  que  le  maître  ou  la  maîtresse  d'école  fasse 
réciter  par  cœur,  plusieurs  fois  chaque  semaine,  le  texte  du  caté- 
chisme, et  s'assurer  lui-même,  par  des  interrogations,  de  ce  que  les 
enfants  ont  appris.  Si  l'on  répond  d'une  manière  satisfaisante,  il  doit 
féliciter  le  maître  et  les  enfants,  et  même  de  temps  en  temps  donner 
à  ceux-ci  quelque  petite  récompense  :  si  au  contraire  on  répond  mal, 
il  témoignera  son  mécontentement  et  son  espoir  qu'on  répondra 
mieux  la  prochaine  fois  qu'il  reviendra.  Si,  à  une  seconde  visite,  on 
ne  répond  pas  mieux,  il  se  plaindra  en  particulier  au  maître  de 
l'école,  l'exhortera,  par  tous  les  moyens  de  douceur  etd'insinua'ion, 
à  bien  faire  apprendre  le  catéchisme,  et  lui  fera  entrevoir  qu'il  y 
va  de  sa  réputation,  de  son  intérêt...  Â  une  troisième  visite  aussi  peu 
satisfaisante  que  les  deux  premières,  il  lui  dira,  mais  toujours  en  par- 
ticulier, que,  s'il  ne  remplit  pas  mieux  son  devoir,  on  sera  obligé 
de  le  dénoncer  au  comité;  et,  si  une  quatrième  visite  démontre  qu'il 
ne  profite  point  de  cet  avis,  il  faudra  le  dénoncer  en  effet. 

2°  On  ne  doit  point  lui  permettre  d'expliquer  la  doctrine  du  caté- 
chi.sme,  de  peur  qu'il  n'enseigne  des  erreurs  ou  des  inexactitudes, 
faute  d'instruction  suffisante;  il  doit  se  borner  tout  au  plus  à  expli- 
quer le  sens  des  mots  quand  les  enfants  l'interrogent. 

5°  Après  avoir  fait  réciter  aux  enfants  quelques  parties  du  caté- 
chisme, le  pasteur  doit  ajouter  des  explications  courtes  sur  les 
choses  qu'il  voit  n'être  pas  compiises,  et  ternn'ner  sa  visite  par  quel- 
ques maximes  fondamentales  de  la  piété  chrétienne,  qu'il  leur  recom- 
mandera de  bien  graver  dans  leur  esprit;  et  à  la  visite  suivante  il 
s'en  Çvr,\  rendre  compte  :  c'est  un  excellent  moyen  de  les  imprimer 
dans  l'àme  des  enfants. 

'è  6- 

Du  cat('T,liisinc  ilcs  afliiltes  ignorants. 

Tous  les  différents  catéchismes  dt)nl  nous  avons  parlé  ne  suffisent 
pas  encore  pour  acquitter  la  conscience  d'un  pasteur  des  ànics.  Dans 


504  TRAITÉ  DE  LA  PRÉDICATION. 

la  plupart  des  paroisses,  il  est  une  classe  de  malheureux  de  toute 
profession  arrivés  à  un  âge  avancé  sans  aucune  instruction  religieuse, 
souvent  même  sans  avoir  encore  fait  la  première  communion  ;  et 
ces  infortunés  ne  peuvent  tirer  aucune  lumière  des  prédications 
publiques  les  plus  simples  et  les  plus  catécliistiques,  soit  parce  qu'ils 
ne  peuvent  y  assister,  soit  surtout  parce  que  leur  ignorance  est  s* 
profonde,  leur  esprit  si  grossier  pour  tout  ce  qui  tient  aux  idées 
spirituelles,  qu'ils  n'y  peuvent  rien  comprendre.  L'unique  ressource 
de  salut  qui  lui  reste  est  donc  dans  la  charité  du  bon  prêtre  qui  ira 
les  chercher,  qui  les  attirera  à  lui  par  sa  douceur  6t  son  aménité, 
qui  s'accommodera  à  leurs  heures  et  leur  donnera  en  parliculier,  au 
presbytère,  l'instruction  dont  ils  sont  dépourvus,  en  accompagnant 
ses  leçons  de  tout  ce  qui  peut  les  intéresser,  et  surtout  d'une  palience 
invincible  qui  ne  laisse  jamais  entrevoir  le  moindre  mécontentement 
de  leur  lenteur  à  comprendre. 

Si  ce  sont  des  ouvriers  ou  des  marins  qui,  absorbés  tout  le  jour 
par  leurs  travaux,  n'ont  de  moments  libres  que  le  temps  de  la  nuit, 
on  les  invite  à  venir  au  presbytère  passer  les  heures  de  la  veillée  ;  on 
leur  procure,  s'il  le  faut,  pour  les  y  attirer,  quelque  jeu  ou  récréation 
innocente,  on  les  catéchise  ensuite  pendant  une  heure,  et  on  les  ren- 
voie après  leur  avoir  fait  la  prière  du  soir. 

Si  ce  sont  des  bergers  qui  ne  peuvent  quitter  leurs  troupeaux,  on 
tâche  de  les  réunir  par  bandes  et  on  les  catéchise  au  milieu  de  leurs 
bergeries. 

Enfin,  si  ce  sont  des  mendiants  ou  des  pauvres  dans  le  besoin,  on 
les  réunit  facilement  par  l'appât  d'une  aumône  ;  ou,  si  la  chose  ne 
leur  est  pas  trop  pénible,  on  exige  d'eux  qu'ils  assistent  au  caté- 
chisme. On  peut  encore,  chaque  fois  qu'on  leur  fait  l'aumône,  leur 
expliquer  avec  bonté  quelques  parties  du  catéchisme,  et  s'assurer 
par  des  demandes  de  la  mesure  de  leur  science. 

Lorsque  par  toutes  les  industries  du  zèle  on  a  catéchisé  un  certain 
nombre  d'adultes,  et  qu'ils  savent  assez  la  religion  pour  être  admis  à 
la  sainte  table,  il  faut,  après  les  avoir  également  préparés  par  la  con- 
fession, les  réunir  un  même  jour  dans  le  plus  grand  nombre  possible 
pour  la  communion.  Cette  cérémonie  touchante  aura  un  double  avan- 
tage, le  premier  d'édifier  les  paroissiens  et  d'éveiller  peut-être  le  re- 
mords ou  le  sentiment  de  la  foi  dans  quelques  âmes  endormies  du 
sommeil  de  l'indifférence  ou  des  passions  ;  le  second  de  diminuer  la 
tentation  du  respect  humain,  de  soutenir  les  pieux  communiants 
l'un   par  l'autre  et  de  donner  à  leur  relour  à  Dieu  quelque  chose 


DU  CATÉCHISME.  505 

de  solennel,  de  frappant,  qui  en  rende  l'impression  plus  durable. 

Du  catéchisme  de  ceux  qui  ne  peuvent  pas  apprendre  la  lettre  du  catécliisme. 

Il  est  des  personnes  qui  ont  si  peu  de  mémoire,  qu'elles  semblent 
incapables  de  rien  retenir,  si  peu  d'intelligence  pour  les  choses  de  la 
religion,  que,  quand  même  on  réussirait  à  leur  faire  apprendre  le 
catéchisme,  elles  ne  sauraient  que  des  mots  qui  n'offriraient  aucun 
sens  à  leur  esprit,  el  il  serait  presque  impossible  de  les  leur  faire 
comprendre.  Après  qu'on  leur  a  dit  cent  fois  qu'il  n'y  a  qu'un  Dieu, 
si  on  leur  demande  ensuite  combien  il  y  en  a,  on  en  reçoit  pour  ré- 
ponse qu'il  y  en  a  trois  :  il  en  est  de  même  pour  tout  le  reste,  de 
sorte  qu'on  ne  sait  à  quoi  se  résoudre  quand  il  s'agit  de  leur  admi- 
nistrer les  sacrements.  Il  est  évident  qu'il  faut  encore  pour  ces  gens- 
là  un  catéchisme  tout  parliculier,  et  le  curé  de  la  paroisse  le  leur  doit 
comme  l'unique  moyen  de  salut  qu'il  y  ait  pour  eux.  Voici  les  règles 
de  ce  catéchisme  spécial^  : 

1°  On  ne  doit  essayer  de  leur  apprendre  que  ce  qui  est  absolument 
nécessaire  pour  le  salut  :  vouloir  chai^ger  d'autres  choses  leur  mé- 
moire et  leur  intelligence,  ce  serait  les  écraser,  et  on  n'en  obtien- 
drait rien. 

2*  Il  ne  faut  point  les  instruire  par  demandes  et  par  réponses, 
mais  uniquement  par  voie  d'acquiescement;  par  exemple,  on  leur 
dit:  «  Mon  enfant,  ne  croyez-vous  pas  bien  qu'il  n'y  a  qu'un  Dieu? 
«  —  Oui,  monsieur.  —  Ne  croyez-vous  pas  qu'il  y  a  trois  personnes 
«  en  un  seul  Dieu?  —  Oui,  monsieur,  je  suis  prêt  à  donner  ma  vie 
«  pour  soutenir  cette  vérité.  —  N'êtes-vous  pas  bien  fâché  d'avoir 
«  offensé  Dieu  parce  qu'il  est  bon?  —  Oui,  monsieur,  et  de  tout  mon 
«  cœur  je  voudrais  ne  l'avoir  point  offensé,  parce  qu'il  est  bon.  »  On 
fait  de  même  acquiescer  aux  autres  vérités  de  la  foi,  et  on  n'exige 
pas  que  ces  gens  répondent  d'une  manière  suivie,  puisqu'ils  n'en 
sont  pas  capables. 

3*  Pour  leur  faire  comprendre  les  vérités  de  la  religion  autant  qu'il 
est  possible,  on  peut  essayer  quatre  moyens  :  le  premier  de  lem* 
parler  d'objets  matériels  qu'ils  connaissent,  de  l'église,  d'un  enter- 
rement, d'un  confessionnal,  de  la  table  de  communion,  des  fonfls 
baptismaux,  du  crucifix,  de  leur  en  expliquer  l'usage;  et  cette  e\[)li- 
cation  devient  l'explication  même  des  dogmes  principaux  de  la  reli- 
gion. Le  second  moyen  est  de  leur  montrer  des  imageâ  ou  des  ta- 

'  Yoy»ï  la  Mélliodc  générale  du  caléchisnip,  par  M.  Diipanloui),  t.  Il,  p.  &'J. 


S06  TRAITÉ  DE  U  rRÉDICATION. 

bleaux  qui  représentent  la  mort,  le  jugement,  l'enfer,  le  paradis,  les 
circonstances  principales  de  la  vie  de  Noire-Seigneur,  et  de  déduire 
de  là  l'explication  de  la  doc^trine.  Ce  mode  d'instruclion,  se  rattachant 
à  des  choses  sensibles  qu'ils  ont  sous  les  yeux,  fera  mieux  comprendre, 
mieux  retenir,  et  excitera  leur  intérêt.  Bossuet,  Fénelon,  Fleury  et 
beaucoup  d'autres,  regardent  ce  moyen  d'enseigner  la  religion  au 
peuple  comme  le  plus  efficace,  et  c'est  la  même  opinion  qui  a  inspiré 
au  moyen  âge  les  peintures  des  vitraux  de  nos  vieilles  églises.  Le 
troisième  moyen,  c'est  de  parcourir  les  fêtes  de  l'année,  dont  les 
plus  grossiers  connaissent  au  moins  le  nom,  de  leur  en  expliquer  le 
sens  ;  et  celte  explication  devient  encore  l'explication  même  de  toute 
la  religion.  Enfin,  le  quatrième  moyen  est  de  tirer  de  la  profession  de 
chacun,  et  des  positions  où  il  s'est  trouvé,  les  explications  et  les 
preuves  des  vérités  de  la  religion.  Tels  sont  les  quatre  moyens 
qu'emploie  monseigneur  Dévie,  évêque  de  Belley,  dans  la  méthode 
qu'il  a  mise  au  jour  sur  la  manière  d'enseigner  le  catéchisme  aux 
esprits  bornés  et  sans  intelligence. 

4°  Avant  de  traiter  les  mystères,  il  faut  faire  ressortir,  par  les  mi- 
racles de  la  vie  et  delà  mort  de  Jésus-Christ,  l'autorité  de  la  révéla- 
lion  qu'il  nous  en  a  faite  ;  et,  en  les  traitant,  il  faut  faire  remarquer 
avec  soin  tout  ce  qu'ils  renferment  de  propre  à  exciter  la  recon- 
naissance et  l'amour.  Les  miracles  disposent  à  croire  et  l'amour 
ouvre  rinlelligence  des  plus  bornés  ;  et  ce  que  le  cœur  goûle,  l'esprit 
le  saisit  et  le  relient  mieux. 

5°  Quoique  ces  hommes  grossiers  soient  incapables  de  s'exprimer, 
on  n'en  doit  pas  conclure  qu'ils  soient  incapables  d'apprendre  :  il  y 
en  a  certainement  plusieurs  parmi  eux  qui,  dans  leur  entendement, 
conçoivent  fort  bien  ce  qu'on  leur  dit,  et  qui  cependant  répondent 
faux  quand  on  les  interroge.  On  peut  s'en  convaincre  par  leurs 
affaires  temporelles,  qu'ils  entendent  souvent  fort  bien,  et  sur  les- 
quelles ils  s'expliquent  fort  mal  et  à  contre-sens.  On  ne  doit  donc 
point  conclure  de  leurs  mauvaises  réponses  qu'ils  sont  indignes  des 
sacrements;  mais,  après  qu'on  leur  a  expliqué  et  répété  plusieurs 
fois  les  vérités  essentielles,  après  qu'on  leur  a  fait  donner  leur  acquies- 
cement à  ces  vérités,  il  faut  abandonner  la  chose  à  la  miséricorde  de 
Dieu,  et  les  admettre  aux  sacrements,  au  moins  à  Pâques  et  à  la 
mort. 

FIN. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Avant-propos v 

Nécessité  d'un  cours  de  prédication  dans  les  séminaires v 

Kécessilé  d'un  livre  ad  hoc '^'i 

Qualités  que  doit  avoir  ce  livre ^'" 

Exercices  pour   la  classe ^'"i 

Indication  des  auteurs  à  consulter 'x 

TRAITÉ  DE  LA  PREDICATION. 

Définition  de  la  prédication l 

Obligation  d'en  étudier  les  règles '^ 

Gravité  de  cette  obligation 't 

lilTRE  PRE3IIER.  —  De  la  prédication  en  général. 

Division  de  ce  livre 7 

Pkemièue  PAUTiE.  —  Quelle  idée  il  l'aut  se  faire  du  ministère  de  la  prédi- 
cation        9 

Chap.  I.  —  De  son  excellence 10 

On  la  démontre  :  1»  Par  la  sublimité  de  la  mission  du  prédicateur.  .   .  11 

1°  Par  la  majesté  de  sa  parole 12 

5°  Par  la  grandeur  des  sujets  qu'il  a  à  raiter 14 

4°  Par  la  Un  de  la  prédication 15 

5"*  Par  ses  elfeis 16 

6°  Par  les  avantages  qu'en  retire  la  société 49 

>  Par  le  bien  qui  en  revient  au  prédicateur '20 

Chap.  II.  —  De  sa  nécessité 22 

Art.  -j .  Obligation  de  prêcher  imposée  à  tout  pasteur  des  âmes 22 

Obligation  plus  pressante  aujourd'hui  que  jamais 2S 

Art.  2.  Etendue  de  celte  obligation 50 

Art.  3.  Rélutalion  des  prétextes  allégués  pour  s'en  dispenser 55 

\o  Pré  ex  les  piis  du  côté  du  peuple 56 

^"Prétexte.  Les  prédications  ne  produisent  pas  de  fruit 56 

2°  Prétexte.  On  vient  jieu  les  entendre 57 

5°  Prétexte.  Cela  ennuie  ei  dégoûte  le  peuple 38 

2"  Prélexles  pris  du  côté  du  pasteur 59 

l"  Prétexte.    On  n'a  pas  le  temps  de  se  pr'^parer 59 

2"  Prétexte.  On  ne  se  sent  pas  capable  de  bien  prêcher 40 

j"  Prétexte.  Ou  est  trop  âgé 45 

i«  Prétexte.  On  fait  des  lectures 43 

3""  pré.exies  pris  du  côté  des  supérieurs  ou  des  confrères 4i 

l"  Prétexte.  Les  supérieurs  laissent  en  place  des  pasteurs  qui  ne  pré- 

clieni  pas 4i 

2*  Prétexte.  Des  pasteurs  estimables  ne  se  croient  pas  obligés  à  prc- 

ciiir  si  souvent 45 

Art.  4.  Ju-cpj'à  quel  point  les  prêtres  qui  n'ont  [las  cliurgc  d'àiues  sont 

tenus  de    prêciier 45 

CflAp.  III.  —  Des  matières  de  la  prédication 47 

Art.  1.  Ce  qu'il  laut  traiter  en  tiiaire 48 

1°  Les  vérités  fondamentales 48 

2»  Les  fins  dernières 50 

T»"  Les  faits  de  la  religion 51 

4°  Le  dogme 52 

5°  La  m. .raie 55 

6"  Los  cf'réinonios,  prières  et  pratiques  pieuses 5t 

Art.  2.  Ce  dont  il   faut  s'alistenir  eu  chaiie 5ft 

1»  Des  inexactitudes  de  doctrine 50 


508  TABLE  DES  MATIÈRES. 

2"  De  la  discussion  des  objections  inconnues  aux  auditeurs ,  58 

5°  Des  questions  douteuses  et  controversées 58 

4°  Des  nouveautés 60 

5°  Des  questions  relevées  et  subtiles 61 

C°  De  tout  ce  qui  n'a   ]  as  rapport  au  salut 62 

CiiAp.  IV.  Des  qualités  de  la  prédication 6."i 

Art.  1.  Elle  doit  être  adaptée  au  prédicateur 64 

Art.  'l.  Elle  doit  être  appropriée  aux  auditeurs 68 

§  1.  Elle  doit  être  mise  à  leur  portée 69 

1°  Combien  est  couiiable  le  prédicateur  qui  ne  parle  pas  de  manièi^e 

à  se  faire  comprendre  de  son  auditoire 69 

2°  Comment  se  l'aire  comprendre 70 

Choix   du  genre  et  du  sujet 77 

Disposition  du  discours 78 

Nécessité  d'une  clarté  parfaite 78 

Po'jr  l'niteindre,  règles  concernant  l'emploi  des  mots 79 

—  —           rèii les  concernant  la  tournure  des  phrases 80 

—  —           règles  concernant  la  marche  générale  du  discours.  .  82 
^          —           règles  à  obsei'ver  avant,  pendant  et  après  la  com- 
position.   83 

§  2.  La  prédication  doit  être  appropriée  aux  besoins  des  auiiieurs.  .  84 

1"  Combien  cela  est  essentiel 84 

2»  Manière  de  le  faire 86 

Il  faut  ci>nnaitre  son  auditoire 86 

11  faut  embras^er  les  besoins  des  diverses  classes  d'auditeurs 89 

Il  faut  attaquer  les  passions  dominantes,  les  abus  principaux  de  la  pa- 
roisse   90 

Règles  à  observer  en  attaquant  les  désordres 91 

Règles  à  observer  en  décrivant  les  vices 92 

Éviter  les  peisonnalités 95 

§  3.  La  prédication  doit  être  adaptée  aux  dispositions  des  auditeurs.  .  94 

1°  Combien  cela  est  nécessaire 94 

2°  Manière  de  le  faire ~  .  96 

Des  bienséances  oratoires 97 

Des  précautions  oratuires 99 

l'iègles  qu'il  y  faut  observer 100 

Ari.  5.  La  préd!c;ition  doit  être  instructive 107 

§  1.  Nécessité  d'instruire 107 

Cela  est  nécessaire  sous  le  rapport  même  oratoire  et  sous  le  rapport 

de  la  foi 108 

§  2.  Manière  d'instruire 112 

—  d'expliquer  la  doctrine  chrétienne 113 

—  de  prouver 114 

—  de  réluer 118 

Art.  4.  La  prédit  ation  doit  plaire 123 

g  1.  Nécessité  de  plaire 123 

1°  Les  trois  sens  du  mot  plaire;  combien  dans  les  deux  premiers 

sens  cela  est  nécessaire 123 

2"  Quant  au  troisième  sens,  on  ne  doit  point  chercher  à  plaire  par 

le  bel  esprit  et  l'élégance  afiectée 125 

3°  iNi  par  le  romantisme 131 

4°  On  doit  chercher  à  jilaire  par  la  vraie  et  solide  éloquence.  .  .   .  136 

Réfutation  des  oljections  qu'on  oppose  à  cette  doctrine 141 

§  2.  Comment  plaire  par  ses  mœurs 142 

—  —      par  le  fond  des  choses  que  l'on  dit 145 

—  —      par  la  manière  de  les  dire 143 

Règles  pour  les  mois 144 

—  pour  la  consiruction  des  phrases 144 

—  pour  l'éloculion 148 

—  pour  le  style loi 

—  pour  la  manière  de  présenter  le  sujet 152 

Art.  5.  La  prédication  doit  toucher 154 

§  1.  Nécessité  de  toucher 154 

Ce  (pi'il  faut  entendre  ici  par  toucher 154 

Combien  ce  caractère  est  essentiel  à  la  prédication 156 


TABLE  DES  MATIÈRES.  509 

§  2.  De  la  manière  de  toucher 158 

1°  Conditions  requises  pour  produire  les  mouvements  oratoires.   .   .  159 

Prier  et  édilier 159 

Etudier  les  dispositions  des  auviiteurs 159 

Etre  touché  soi-même 159 

D'où  il  suit  combien  la  sensibilité  est  nécessaire  pour  être  bon  orateur.  161 

Bien  peindre  les  émotions  qu'on  éprouve ■ lfj'2 

A  l'aide  de  l'imafrination I'i2 

—  de  la  rhétorique. 163 

—  du  f;oût 1(34 

2"  Manière  de  diriger  les  mouvements  oratoires 164 

Six  règles  à  ce  sujet.  . 164 

Observations  sur  les  trois  articles  précédents 107 

Art.  6.  La  prédicaii.  n  doit  être  conforme  au  principe  d'unité 109 

§  1.  Combien  cela  est  nécessaire 109 

1°  Détinition  de  l'unité 109 

2°  Preuves  de  sa  nécessité IK) 

§  2.  Manière  de  donner  de  l'unité  à  la  prédication 171 

11  faut  se  prop  ser  une  fin  bien  précise -   .    .  171 

—  se  tracer  un   plan  propre  à  l'atteindre 172 

—  tantôt  négliger  la  métiiode  de  la  division,  tantôt  l'employer.  .  175 

Règles  de  la  division 174 

Qualités  du  plan  sans  division 176 

Le  plan  une  fois  tracé,  il  faut  y  diriger  clairement  toutes  ses  pensées.  177 

—  les  coordonner  entre  elles 178 

—  les  lier  ensemble  par  des  transitions 179 

Chap.  V.  —  Des  qualités  du  prédicateur 179 

Art.  1.  De  la  mission   légitime 180 

Art.  2.  De  la  pureté  d'intention 181 

Sa  nécessité 181 

Les  moyens  de  l'obtenir 187 

Art.  3.  De  la  vie  sainte  et  exemplaire 188 

Sa  nécessité 188 

Conséquence  qu'il  en  faut  déduire 195 

.\rt.  4.  Du  zèle. 193 

Sa  nécessité 195 

Moyens  de  l'acquérir 196 

Art.  5.  De  l'esprit  d'oraison 197 

Sa  nécessité 197 

Sa  pratique 199 

Art.  6.  Du  talent  de  la  chaire 202 

Quel  en  est  le  caractère  dominant 202 

Nécessité  de  le  cultiver 215 

Art.  7.  De  la  science 205 

Nécessi:é  de  Tacquérir  avant  de  se  lancer  dans  la  carrière 204 

§  1.  Des  sciences  profanes  nécessaires  au  prédicateur 205 

§.  2  Des  sciences  sacrées 208 

1°  De  l'Ecriture  sainte 209 

Manière  de  s'en  servir 212 

2»  Des  saints  Pères 215 

Manière  de  s'en  servir 216 

3o  De  l'histoire  ecclésiastique 217 

■4»  De   la   théologie 219 

5»  De  la  science  de  la  vie  spirituelle 220 

Idée  du  parfait  pri'dicateur  réalisée  au  plus  haut  degré  dans  S.  Paul.  221 
Dedxième  PARTIE.  —  Dc  la  préparation  que  demande  le  ministère  de  la  pré- 
dication   233 

CiiAP.  I.  —  De  la  préparation  éloignée 254 

Art.  1.  Des  lecuires 25i 

Hègles  pour  lire  avec  fruit  et  se  fermer  le  goût 2."pi 

Art.  2.  Des  recueils.  .       257 

Leur   néces.<!ité 257 

La  manière  de  les  faire 258 

Art.  3.  Des  essais  de  composition 2"'9 

Divers  modes  d'essais • 2i0 


510  TAP.I-E  DES  MATIÈllES. 

Chat.  II.  —  Do  la  préparation  pi-m-Iiaiiie 2i2 

Art.  1.  De  la   préparation  procliaino   en   gi'nrral,  et  do  ses  diflérenles 

espèces '2i2 

§  1.  01)1  galion  (le  jjréiiarer  ses  instructions '2i2 

g '2.  Dos  ditiérenles  nianièros  de  se  préparer '2i6 

1"  Faut-il  écrire  ses  serinons? '2i7 

'2°  Faut-il  les  déiuler  selon  le   mot-à-mot  du   manuscrit?  ....  248 

5°  l'eut -on  se  coiUeriter  de  les  écrire  sommairement? '2ôO 

4°  Penl-iiu  se  contenter  d'écrire  un  simple  canevas  ? 252 

5»  Peut-on    se   lontenter  de   réilécliir  (juolijues   instants  avant  de 

monter  en  ciiaire? 252 

6°  Oue  p'-nsor  d(>  crnix  qui  prêchent  les  sermons  d'autrui?  .    .        .  2r)3 

Art.  2.  De  la  manière  dr  composer 255 

S5  1.  Du  choix  (lu  sujet 255 

^  2.  De  la  nié<lilalioii  du  sujet. 257 

liè^îles  à  oiiservrr  ihms  cette  méditation 258 

§  5.  Du  dévol:>p]ienieut  du  sujrt 2t)0 

r.èç,des  pour  dr>vcloi>per 2t)5 

g  i.  De  la  rédaction 26ti 

ii  5.  De  la  nAisiou  du  discours 208 

Art.  3.  Delà  m'^cessitè  et  de  la  manière  d'apprendre  ses  instructions.   .  271 

Tr.oiMÈJir  PAnxii:.  —  De  la  manière  de  prècber  ou  de  l'action  oiatoire.   .    ,  275 

CiiAi'.  I.  —  De  l'aclioii  en  g'éné'ral 276 

Ari.  1.  De  son  importance 276 

Art.  2.  De  ses  qualités 27'J 

Elle  doit  être  naturelle 270 

—  —       édiliaute 2X1 

—  —      variée 282 

—  —       expressive 2<Si> 

—  —      appro|)riée  au   sujet 284 

—  —      a|>pro"riée  aux  auditeurs 284 

Art.  :>.  De  ses  ohsiarles 285 

Chai'.  II. —  Des  ditréi'eiitos  parties  dont  l'action  se  compose 286 

Art.  1.   De  la   prononciation 28(:! 

t:;!.  Ses  qualités 227 

Elle  doit  être  clare  et  distincte 287 

—  —      p'ii'.'  ri  correcte 287 

—  —      biensé'nnte 2.S8 

—  —      apjn'opriée  an\  pensées  et  aux  senlimeuls 288 

§  2.  De  la  manière  de  réyler  la  voix 289 

lièiiles  pour  les  diverses  parties  du  discours 289 

—  poui-  les  divers  sujets 290 

—  jiour  les  appuis 292 

—  pour   les   rejios 295 

g  5.  De  la  manière;  d'améliorer  et  de  conserver  sa  voix 297 

An.  2.  De  la  contenance  du  corps 298 

Art.  3.  Du  jiestcdes  inauis 299 

Art.  4.  Du   mouvement   d^s   yeux , .'')0I 

.Art.  5.  Des  traits  du   vi.-auc 302 

Art.  6.   !)(,■  la   position    de 'la  léle ri03 

Ce  que  doit  taire    le  pi'édicaleur  après  son  discours 503 

I..aVKHO  SK4®:%B».  —  EJes  UiSfércnl.^  ^senrc*  tl'in.striiclion. 

PnKMn";nF.  partie.  —  Des  divers  sujets  qu'on  peut   traiter  dans  les  chaires 

chrétiennes 507 

Ciî.u'.  I.  —  De  hi  manière  de   traiter  les  vérités  chrétiennes 507 

Deux  points  de  viir  sous  lesipuds  on  peut  les  traiter 507 

Art.  1.  l'>èf,'lcs  à  suivre  dans  l'exposé  doj;iiiatique  des  vérités  chrétiennes.  5l  9 

Art.  2.  P.èiiles  à  suivre  dans  l'exposé  moral  de  ces  mêmes  vérités.  .    .    .  514 

g  1.  De  la  prédication  sur  Dieu  et  ses  perfections 514 

S:;  2.  De  la  prédication  sur  les  bicnlaiis  de  Dieu ^•16 

g  3.  Delà  prédication  sur  les  lins  dernières 518 

—            sur  lo   snluL. 519 


TADLE  DES  MATIERES.  511 

De  la  prédication  sur  la  mort 520 

—  —           sur   le  jugement 32  2 

—  —           sur  l'enfer 523 

—  —           sur  le  ciel 5"-!5 

Chap.  II.  —  De  la  manière  de  traiter  les  mystères .525 

Art.  \.  De  la  manière  de  les  faire  connaître 527 

Art.  2.  De  la  manière  de  les  faire  honorer »j530 

Art.  5.  De  la  manière  de    faire  participer  les    fidèles  à  la  grâce   des' 

mysières 530 

Art.  4.  De  la  division  ou'du  plan  des  instructions  sur  les  mystères.  .   .  531 

Chap.  III.  —  De  la   manière  de  prêcher  sur  les  vertus  et  les  vices.   .   .    .  552 
Art.  1.  Comment  expliquer  en  quoi  consiste  la  vertu  ou  le  vice  dont  on 

purle 555 

Art.  2.  Des  motifs  d'embrasser  la  vertu  ou  de  fuir  le  vice 555 

Art.  5.  Des  moyens  d'acquérir  la  vertu  ou  de  corriger  le  vice 357 

Art.  4.  Comment  diviser  les  instructions  sur  les  vertus  et  les  vices.  .  558 

Chap.  IS.  —  Delà  manière  de  prêcher  sur  les  sacrements 3i2 

Art.  1.  Considératicms  générales  qu'on  peut  faire  sur  les  sacrements.  542 

§  1.  En  démontrer  l'excellence. 542 

§  2.  En  di'montier  la  nécessité 5i5 

§  3.  En  dém mtrer  les  avantages 544 

§  4.  Hxplii|uer  les  dispositions  (ju'ils  exigent 545 

§  5.  Expliquer  h'S  obligations  qu'ils  imposent 546 

§  6.  E\[ilii|uer  les  cérémonies  par  lesquelles  ils  se  confèrent.  .    .    .  '546 

Art.  2.  Forme  à  donner  aux  instructions  sur  ces  sujets 547 

§  1.  Des  instructions  pulliques  sur  les  sacrements.   .    .   , 547 

§  2.  Des  iiistruciions  aux  particuliers ,  548 

Dans  ladininistration  du  baptême. 3i9 

—  du  mariage 559 

—  de  la  pénitence 550 

A  une  première  communion , 550 

En  administrant  le  viatique 550 

En  administrant  l'extrême-onction 550 

Chap.  V.  —  De  la  manière  de  prêcher  sur  la  prière 551 

Art.  1.  De  la  prière  en  général 552 

§  1.  Ses  motifs 552 

§  2.  Son  obj.t 553 

§  3.  Ses  conditions 3ô5 

Art.  2.  Des  prières  particulières 554 

Chap.  VI.  —  Des  (lanégyriques  des  saints 554 

Art.  1.  Sources  d  où  se  tire  l'éioge  des  saints .  55() 

Art.  2.  Do  la  manièr'e  de  présenter  ces  sortes  de  sujets 559 

Art.  3.  Des  oriumouis  que  comporte  ce  genre   de  discours 5(j2 

Chap.  VU.  —  Des  discours  pour  vôtures  et  professions  religieuses.  .   .   .  5(35 

Chap.  VUI.  —  Des  oraisons  funèbres 5tl5 

DEuxiÈMii  PAiiTiE.  —  Des  divers  genres  de  prédication 567 

Chap.  I.  —  Du  la  prédication  solennelle 567 

Art.  1.  r.ègles  [iropi'cs  au  sermon 568 

§  1.  Du  texte 568 

g.  2.  I)  •   l'exorde 5i)9 

Ses  qualdés 569 

Il  doit  être  court 369 

—  —     siinpli.' 5'îO 

—  —     clair. 571 

—  —     exact 571 

—  —     adapté  aux  dispositions  des  auditeurs 571 

—  —     adapté  au  sujet 372 

Manière  de  le  présenter  et  de  le   conduire 373 

De  VAve  Maria. 573 

Des  conijiiiments  qui  se  font  quelquefois  à  la  fin  de  l'exordo 573 

Deux   evcmples  d'exorde 574 

g  5.  Du  coi[)s  du  discours 578 

tj  ■'(.   De  la  prr(irai-;on 5/9 

♦es  dii:(h-('iiis  pai'tics 580 

Art.  2.  Est-il  expédient  de  prêcher  souvent  des  sermons? 383 


512  TAr.LE  DES  MATIERES. 

CiiAp  II.  —  Du  cours  suivi  d'insiructions  sur  la  doctrine  chrétienne.  .   .  .  ô'-î.i 

Art.   1.  De  i'imporlancc  de  ce  cours 5.S;> 

Art.  2.  De  la  manière  de  le  faire 088 

Chap.  III.  —  De  l'homélie ô89 

CiiAP.  IV.  —  Du  prône 395 

Chap.     V.  —  Des  avis 595 

Chap.    VI.  —  Des  conférences , Ti'lS 

Chap.  Vil.  —  Des  allocutions 401 

Chap.VIII. —  Des  lectures  publiques 405 

Chap.  IX.  —  Des  missions  et  retraites 404 

Leiu-  nécessité 405 

La  manière  de  les  prêcher 407 

Chap.  X.  —  Du  catéchisme 4u9 

Art.  1.  De  sa  délinilion 410 

.\rt.  2.  De  son  imporiance  .   .   .  * 412 

§  1.  De  son  excellence 412 

g  2.  De  sa  nécessité 41t> 

^  5.  De  ses  avantages 420 

Art.  5.  Des  qualités  requises  pour  le  Lien  faire 42G 

§  1.  De  la  science 426 

§  2.  De  la  piété.      428 

g  5.  De  la  douceur ....  430 

§  4    Du  zèle 433 

§  5.  De  la  prudence 43  i 

Art.  4.  De  ce  qu'il  faut  enseigner  au  catéchisme i'-d 

Art.  5.  De  la  préparation  qu'il   exige 458 

Art.  G.  Ue  la  manière  de  le  faire 440 

§  1    Ue  la  discipline  à  y  établir 441 

1"  Du  local  et  du  placement 4il 

2°  Du   règlement 4't3 

3°  De  la  manière  d'interroger  et  de  parler 448 

4°  De  l'émulation  et  des  récompenses 453 

5°  Des  punitions 451) 

6°  De  quelques  exercices  ou  cérémonies 462 

7°  Da  la  tenue  des  registres 465 

§  2.  De  la  manière  de  faire  l'instruction 469 

1°  Des  qualités  de  l'instruction 469 

Elle  doit  être  courte 470 

—  —      clnire 470 

—  —      solide. 474 

—  —      accompagnée  de  comparaisons 476 

—  —  —  de  paraboles 477 

—  —  —  d'exemples 478 

—  —  —  d'histoires 479 

2°  Des  diverses  manières  de  la  présenter  aux  enfants 481 

§  3.  De  la  sanctification  des  enfants 485 

iion   importance 4><6 

Ses  moyens 487 

Art.  7.  Des  différentes  espèces  de  catéchisme 492 

§  1.  Du  catéchisme  des  petits 495 

§  2.  Du  catéchisme  de  la  première    communion 495 

J5  5.  Du  catéchisme  de  persévérance 499 

g  4.  Du  catéchisme  du  peuple 506 

§  5.  Du  catéchisme  des  écoles 502 

g  6.  Du  catéchisme  des  adultes  ignorants 503 

§  7.  Du  catéchisme  de  ceux  qui  ne  peuvent  pas  apprendre  la  lettre  du 

catéchisme 505 

Fl:4    I)B    LA    TAULE    DES    MATIÈRES 


F.    AUKEAU.  — '  IMI'UI.MKKIE    DE    LAGNY 


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Hamon,  André  Jean 
Marie,  1795-1874. 
Traite  de^la 

prédication  à  l'usage 

des  séminaires 


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