This is a digital copy of a book that was preserved for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's books discoverable online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that 's often difficult to discover.
Marks, notations and other marginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book' s long journey from the
publisher to a library and finally to y ou.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prevent abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automated querying.
We also ask that y ou:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain from automated querying Do not send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a large amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attribution The Google "watermark" you see on each file is essential for informing people about this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are responsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can't offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
any where in the world. Copyright infringement liability can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps readers
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full text of this book on the web
at |http : //books . google . corn/
':a.
kT'^
èr
••'
^rS^^
J<
^
LIBRARY
University of Caufornia.
©IFT OF
aass
^/y\Jkm^
w -^ . f w-^
r ■- • <-
■^V'"
:c
■^^
^^■
•r^
■^r^y
Digitized by VjOOQIC
/"/
^f
TRAITE
DE
LA VIGNE
ET DE SES PRODUITS
yt/-^
y^é^m^U.. /^ /rr^
Digitized by
Google
* • V "» f .
V .
H
^
CORBEIL. — IMPRiJdERIE D. RENAUDET
Digitized by
Google
TRAITÉ '^
DE
LA VIGNE
ET DE SES PRODUITS
comprenant :
l'histoire de la vigne et du vln dans tous les temps et dans tous les pays ;
l'étude botanique et pratique des différents cépages;
les facteurs du. vin; le vin au point db vue chimique;
SES altérations; ses falsifications et la manière de les reconnaître;
LKs eaux-de-vie; les vinaigres; etc.
LES ennemis de LA VIGNE ET LES MOYENS DB LES COMBATTRE ;
LA VITICULTURE PRATIQUE; ETC.
PAR MM.
L. PORTES
Chimiste expert de la Chambre syndicale
du commerce des vms en gros de Paris,
Pharmacien en chef de Lourcine,
Membre de la Société botanique de
France, etc.
F. RUYSSEN
Chroniqueur scientifique,
Propriétaire viticulteur.
PRÉCÉDÉ D'UNE PRÉFACE
DE M. A. CHATIN
Membre de l'Institut,
Directeur de l'École Supérieure de Pharmacie de Paris.
,-^.^ TOME PREMIER
Of T^- AVEC 41 FIGURES DANS LE TEXTE
^' M y r H ^ . . ,
PARIS
OCTAVE DOiN, ÉDITEUR
8, PLACE DE L'ODÉON, 8
1886
Digitized by
Google
r-.
Digitized by
Google
ûL.!.
\
PRÉFACE
Le Traité de la Vigne, par MM. Portes et Ruyssen, est une
monographie encyclopédique de la vigne ; aucun point de
Thistoire de ce végétal, précieux entre tous pour la France,
nonobstant les terribles maladies que déchaîne sur lui, depuis
quarante ans, le nouveau monde, n'est laissé sans examen.
Les auteurs « à la fois naturalistes, chimistes et familiarisés
avec les pratiques de pays divers par leurs études et de nom-
breux voyages, étaient tout naturellement appelés à écrire, au
moment où la vigne, attaquée par de multiples ennemis, lutte
pour l'existence, un livre où ce n'est pas trop des enseignements
de la science unis aux meilleures pratiques pour préserver ce
qui reste de nos vignobles.
Le livre s'ouvre par des aperçus historiques, travail de grande
érudition présenté sous une agréable forme littéraire; déjà on y
reconnaît qu'un ardent patriotisme, sans doute réchauffé au
souvenir des vins d'Alsace destinés à reprendre rang dans les
vins de France, se fera jour en plus d'une occasion au travers
les détails techniques.
L'histoire de la vigne est suivie dans tous les pays du
globe. En ce qui concerne plus spécialement les Gaules, son
introduction date-t-elle de l'empereur Probus, comme on nous
Ta appris ? Non, sans doute, puisque le savant géologue
Lemoine de Reims vient de la découvrir à l'état fossile dans des
terrains antérieurs à l'existence de l'homme Probus en favorisa
la culture, peut-être aussi introduisit-il quelques cépages.
I []:^ y 1 <^ Digitizedby Google
II PRÉFACE
Quoique récente, la culture de la vigne en Algérie y progresse
à pas de géant, et déjà Ton aperçoit là, à défaut de grenier,
une succursale des caves de France, laquelle nous affranchira
des tributs que nous portons à l'Ilalie et à FEspagne. Quant à
notre Tunisie, le nord-ouest, inhospitalier au dattier, pourra
recevoir des vignobles.
La botanique delà vigne est traitée en détail. Les caractères
des deux types : européen et américain, sont mis en pleine
lumière, grâce surtout à cette observation des auteurs, que
les prolongements basilaires, ou oreilles des feuillets, diffèrent
complètement dans les deux groupes par leur direction.
A la classification botanique fera suite une classification des
cépages par époque de maturité des raisins ; c'est à celle-ci
que les vignerons devront de pouvoir choisir, sans tâtonnement,
les cépages appropriés au climat de leur région.
Conduits à envisager, dans leur ensemble, 1^9^ facteurs du vin,
MM. Portes et Ruyssen apprécient, avec la qualité des cépages,
le climat, le terrain, les engrais.
L'influence prépondérante du cépage est mise en pleine
lumière. Qui ne sait que le Pinot noir, cépage des grands
vins de Bourgogne, donne un bon vin partout où il peut mûrir,
tandis que le Gamay (l'infâme Gamay proscrit par les ducs de
Bourgogne) ne donne qu'un vin plus que médiocre. Quant au
Morillon hâtif, n'en déplaise au comte Odart, dontle nom est jus-
tement vénéré, qui en parle ainsi : « pas meilleur pour la cuve
que pour la table », nous estimons que le raisin qui fait, pour
la table du peuple, l'objet de cultures chaque jour plus étendues
dans le rayon de Paris d'où il tend à chasser, non seulement le
Gamay, ce qui ne serait pas un grand mal, mais l'excellent et
fertile Meunier, sorte de Pinot qui justifierait encore le renom
des vins d'Argenteuil, doit être tenu en plus grande estime.
L'anathème d'Odart sur le Morillon hâtif n'est pas plus juste
quant à la cuve, et nous n'hésitons pas à le tenir, par expé-
rience faite, pour le meilleur cépage à cuve des régions du
Nord (où seul il mûrit toujours) à la seule condition de lui
donner, parle coupage avec des vins de Gamay, l'acidité, et par
la superposition au marc de la cuvée d'un radeau de bûches de
chêne, le tannin ; acidité et tannin étant les éléments qui man-
quent seuls à son jus d'une grande richesse saccharine.
Digitized by
Google
PRÉFACE m
Grande aussi est Finfluence du climat, une quantité donnée
de chaleur, variable d'ailleurs avec la nature des cépages, élant
nécessaire pour la maturation. C'est ainsi qu'en France, la
culture de la vigne s'arrête vers la latitude de Paris, même à
une altitude inférieure à 100 mètres *, tandis qu'en Provence
cette culture est possible sur le Ventoux jusqu'à une hauleur de
700 à 800 mètres.
Mais la vigne est arrêtée par un climat trop chaud comme
par un climat trop froid. « Sa culture, » dit Arago, « cesse là
où la datte mûrit. »
L'exposition est un facteur important. Vers les limites
septentrionales de la culture de la vigne, les coteaux exposés
au midi devront seuls recevoir celle-ci, qui ne prospérera au
contraire qu'à l'exposition nord dans la région du dattier.
Le terrain est, par sa nature, l'un des facteurs du vin. Sans
doute celui-ci peut être bon sur tous les sols, sur le granité à
THermitage, sur les schistes en Anjou et à la Côte-Rôtie, et sur
le calcaire à Saumur et dans la Bourgogne, etc., mais, d'une
façon générale, c'est le calcaire — ce point est bien mis en
lumière — qui surtout donne le sucre, et partant l'alcool. Ce
terrain développe aussi des bouquets d'une grande force,
comme ceux des Bourgognes, mais ayant peut-être moins de
finesse que ceux des vins provenant des formations siliceuses.
De plus les sols calcaires hâtent la végétation et la matu-
ration, ce qui aurait pu se déduire de cette observation des
botanistes, que les flores alpines montrent toujours leurs fleurs,
à altitudes égales, plus tôt sur les calcaires que sur les granités,
schistes et autres formations siliceuses ; de là cette conséquence
que c'est sur le calcaire qu'il faudra, de préférence, créer les
vignobles vers les limites, en lalitude ou en altitude, de la cul-
ture de la vigne.
L'influence favorable des sols colorés soit par l'oxyde de
fer, élément non moins utile aux plantes qu'aux animaux, soit
par l'humus, est bien appréciée par les auteurs du Traité delà
vigne.
Quant à la question des engrais, elle est traitée avec la com-
1. 11 s*agit ici des plateaux ; contre les pentes sud, le Pinot peut s'élever à
470 mètres, et le Mourillou hâtif mûrissant partout.
Digitized by
Google
IV PRÉFACE
pélence de chimistes autorisés. Faut-il, oui ou non funoier, la
vigne, et si oui, quels sont les meilleurs engrais ?
Les anciens proscrivaient la fumure, les modernes la pra-
tiquent avec succès, même avec le fumier des rues, accusé de
parfumeries vins de la zone de Paris. La seule précaution à
prendre, et elle est prise, consiste à enfouir Tengraisen hiver,
le raisin ayant une certaine aptitude à s'imprégner des odeurs
ambiantes.
Du reste,abas le de Fengrais des vignes, la dominante, est
la potasse, dont sont riches les cendres qui entrent pour une
grande part dans les gadoues (fumiers des rues), les fumiers
et urines des vaches, tous les détritus de la vigne elle-même,
sarments, feuilles, rafles et marcs. Trois fois mauvaise est
la pratique des vignerons, qui cueillent en automne les
feuilles pour les vaches ou les chèvres, brûlent les sarments
et portent les marcs sur les terres à céréales.
La culture proprement dile est, il n'est pas besoin de le
dire, ce qu'on peut appeler la dominante des facteurs de la
production du vin. Tout le monde le comprend, même les per-
sonnes qui paraissent devoir être les plus étrangères au sujet.
Ainsi s'explique cette déclaration, faite par Voltaire dans un
moment de bonne humeur auquel, dit-on, les vins du Jura
et de Bourgogne n'étaient pas étrangers : « Il n'y a de sérieux
ici-bas, » écrit-il à d'Alembert, » que la culture de la vigne. »
Ayant été choisis les cépages les plus convenables au sol et
au climat, il s'agit de les amener à la plus sûre, à la plus
grande et à la meilleure production, avec le moins de frais
possible.
MM. Portes et Ruyssen font la lumière sur ce sujet en passant
en revue les pratiques des divers pays et les soumettant à
une savante critique.
La plantation doit-elle être établie par boutures ou par mar-
cottes? quelle est la valeur du provignage, proscrit par Jules
Guyot, et cependant le principal mode d'entretien de vignobles
aussi anciens que renommés ? quelle est la taille à approprier
à tel ou tel cépage, tant au point de vue de l'abondance de la
production qu'à celui de la maturation généralement retardée
sur les longs bois? Les labours doivent-ils être profonds ou
superficiels, quelles sont les meilleures dispositions à adopter
Digitized by
Google
PRÉFACE V
dans la plantation pour susbliluerlachEurue, plus économique,
à la houe et à la pioche ? Faut-il échalasser et par quels
modes? Comment mettre sûrement et assez économiquement les
jeunes pousses à Tabri des gelées printanières? A quel point de
la maturation faut-il procéder à la vendange et quels sont les
vases les plus commodes, les plus avantageux pour transporter
celle-ci de la vigne au cellier, etc. Autant de questions que les
auteurs abordent et traitent avec détails, en passant en revue
les pratiques admises dans les principaux vignobles.
La greffe de la vigne fait essentiellement partie, aujourd'hui,
de sa culture dans les départements du midi de la France.
A peu près inconnu jusqu'à Finvasion du phylloxéra, le
greffage de la vigne est devenu Tune des méthodes sur
lesquelles on compte le plus pour sauver la production
vinicole.
Par la greffe de cépages français sur des sujets amé-
ricains, on obtient ce résultat de récolter du vin de France
sur des porte-greffes qui ne donnent directement qu'un
vin médiocre, mais qui, en raison de la vigueur de leur système
radiculaire, résistent au phylloxéra qui vient à les envahir,
ïo utefois le greffage présente deux points noirs : d'une part,
il ne réussit que difficilement ; d'autre part, beaucoup de
cépages américains n'ont plus la faculté de résistance à
laquelle on avait cru d'abord.
Les maladies de la vigne, aujourd'hui si nombreuses et si
graves, ont été l'objet d'études approfondies. Le soufre, spéci-
lîque de l'oïdium, assure depuis longtemps contre lui les
récoltes ; il apparaît que les préparations du cuivre vont nous
préserver du mildew ; mais le phylloxéra etl'anthrachnose ont-
ils un remède à la fois sûr, applicable partout, et surtout éco-
nomique.
A ce point de vue les races américaines, qui semblaient
d'abord toutes défier le phylloxéra, ne vont-elles pas successi-
vement perdre le renom de résistance auquel on s'était hâté
de se rattacher, ce qui, la greffe aidant, eût permis de con-
server nos bons cépages d'Europe? Il y a là encore un point noir
dont les yeux ne sauraient se détourner.
Les maladies de la vigne ne sont pas les seules à redouter
du vigneron. Il y a encore les maladies (acidification, vin
Digitized by
Google
VI PRÉFACE
amer, vin tourné, vin gras, elc.) du vin lui-même contre les-
quelles il faut se tenir en garde, d'abord pour s'en préserver,
ensuite pour les guérir.
Les tonneaux eux-mêmes, oîi le vin doit être conservé, peu-
vent causer sa perte, par suite de maladies qui doivent, à leur
tour, êlre prévenues ou guéries.
C'est faute de soins convenables donnés aux tonneaux que,
dans des conditions d'ailleurs identiques, tel propriétaire n'a
jamais de bon vin tandis que son voisin est réputé pour sa
bonne cave. Ne pas confondre la bonne cave due aux soins
donnés au vin et aux tonneaux, avec la bonne cave donnée par
une température fixe, une bonne aération, Téloignement des
causes de trépidation, elc.
Il était intéressant de suivre, par l'analyse successivement
faite des raisins aux diverses péiîodes de leur développement,
les changements chimico-physiologiques qui s'y produisent
depuis leur première formation jusqu'à leur maturité. On voit
ainsi que les acides, d'abord dominants, diminuent pour faire
place aux matières sucrées. Les matières colorantes, qui appa-
raissent sur le tard, se présentent, — à de rares exceptions
près, offertes par quelques cépages dits teinturiers, — localisées
dans l'enveloppe du grain, d'où elles seront extraites dans les
cuvées par l'acool qui se produit, par transformation du sucre
dans la fermentation.
A quel moment de la maturité du raisin doit-on procéder à
la vendange? Sans doute, il faut, en thèse générale, que cette
maturité soit complète. Mais faut-il qu'elle soit atteinte dans
les années humides qui amènent la pourriture ? Et ne peut-on
utilement, comme dans les grands crus de raisins blancs
l'Anjou, attendre que les feuilles tombent et que la pellicule
des grains se fendille ou se détache ? Ce sont là questions
d'espèce qui ne sauraient prévaloir contre les règles com-
munes.
Capitale aussi est l'œuvre de la vinification ou fabrication du
vin. Cela ne servirait à rien d'avoir fait choix des bons cépages,
d'être ftivorisé par les climats, de ne rien avoir négligé dans
le choix du sol, les cultures et pour l'opération des vendanges
si les meilleures pratiques ne sont pas mises en œuvre pour la
confection du vin. Soit que l'on fasse des vins sans que le
Digitized by
Google
PRÉFACE Vn
marc passe à la cuve, ce qui constituera les vins blancs (dont
les plus fins pourront, comme en Champagne, provenir des
raisins noirs), soit que Ton procède à la fermentation avec le
marc, des règles, que les auteurs tracent avec détails, sont à
observer, sous peine de n'obtenir que des vins repoussés par
la consommation ; les peines, les dépenses, le travail intelligent
de toute Tannée se trouvant ainsi perdus au moment même où
ils devaient trouver leur rémunération.
La composition des vins est exposée par les auteurs avec
Fautorité de chimistes consommés. Après l'indication de
la composition normale et des procédés analytiques les plus
pratiques pour la constater, viennent les falsifications, d'autant
plus difficiles parfois ''à constater que la chimie elle-même
se fait l'aide des fraudeurs. On sait qu'aux premiers âges de
l'imitation artificielle des vins, un marchand condamné sur
l'analyse du célèbre Vauquelin qui n'avait pas retrouvé la
proportion voulue de crème de tartre dans le vin fraudé dit,
en sortant du tribunal : « C'est bon, une autre fois on en
mettra. »
Ainsi fait-on aujourd'hui pour l'extrait, la glycérine,
l'alcool, etc.
L'extraction des eaux-de-vie du vin est, en certains pays,
le but essentiel de la culture de la vigne. En tel lieu où
le vin serait médiocre on a tout avantage à en extraire les
eaux-de-vie. C'est ainsi que l'on procède en beaucoup de
lieux de l'Hérault et contrées voisines, dans les Charentes,
qui donnent les eaux-de-vie réputées d'Angoulême, d'Ar-
magnac, et surtout les fine Champagne^ dont la qualité paraît
tenir à la nature calcaire des îlots sur lesquels on en récolte
le raisin.
Puis viennent les eaux-de-vie dites de marcs, exposées à
contracter au feu un goût d'empyreume qui ne déplaît pas
à tous. Certains marcs retiennent, et par conséquent peuvent
fournir plus de 2 p. 100 de leur poids d'alcool.
Entre le moment de la maturation du vin, très variable
suivant les crus, le Bourgogne, par exemple, mûrissknt vite
et le Bordeaux beaucoup plus tard, et celui de la consomma-
tion, laquelle peut se prolonger, utilement, en général
d'autant plus longtemps que la maturation a été plus lente à
Digitized by
Google
vin PRÉFACE
s'eflfecluer, se place la période de la conservalion, conserva-
tion toujours plus longue quand le vin arrive plus tard à sa
maturation, mais cependant soumise à certaines conditions,
à certaines règles, soit que le vin soit laissé en fûtB ou mis en
bouteilles. L'époque oh le vin doit quitter le fût pour la
bouteille n'est pas, d'ailleurs, indififérente, ni au point du
développement du bouquet, ni à celui de la maturation et de
la conservation des qualités acquises.
On peut voir, par les points du Traùé de la Vigne auxquels
nous venons de toucher, que ce livre est une œuvre considé-
rable, n'ayant laissé sans examen aucune des questions impor-
tantes de la culture générale de la vigne, qu'il s'agisse de faits
pratiques ou d'applications de la science. Reconnaissons aussi,
à l'honneur des auteurs, que leur livre donne heu, en maints
endroits, à des échappées d'un patriotisme jaloux, trop
justifié par une culture qui est, et doit rester, grâce à la
variété de nos cépages, de nos terrains, de nos climats,
aux pratiques intelligentes de nos vignerons essentiellement
française.
A. CHATIN
{de l'Institut).
Digitized by
Google
(^.iv;'v •• r-
INTRODUCTION
Ce livre est à la fois un plaidoyer et ua cri d'alarme : un plai-
doyer pour lapauvre Ariane végétale qui, pendant des siècles, nous
&t riches et heureux, et que nous laissons, comme les filles du roi
Lear pour leur vieux père, ingratement mourir dans l'abandon ;
un cri d'alarme en faveur de notre industrie et de nos finances,
car s'il serait exagéré de dire que la France sombre dans le gouffre
du déficit, il n'en est pas moins vrai que nous traversons une
crise à la fois industrielle et financière des plus redoutables dont
l'abandon de la vigne n'est la cause ni la moins certaine ni la
moins directe.
Un tiers de milliard, telestle tribut que nouspayons chaque année,
comme on le verra, moins encore à l'étranger qu'à notre incurie.
Croit-on que, rendue à notre industrie, qui en profitait autrefois,
une telle prébende ne suffirait pas à rallumer ses fourneaux, à
faire ronfler ses bobines, à ramener enfin, autour de ses usines
languissantes, l'activité joyeuse et le salubre travail, père de la
consommation, mère de l'impôt?
D'où vient que, pourarrêtercette ruine, on ne tente, sinon rien, au
moins rien de suffisant? Est-ce impuissance ? Si nous le croyions,
nous nous garderions bien de le dire, et, gémissant en secret sur
un mal qui nous paraîtrait incurable, nous étendrions pieusement
le manteau de Cbam sur cette infirmité de notre génie. Mais il n'en
est rien, et, en voyant — pour ne rien dire des autres pays — , la
Suisse confiner depuis douze ans, avec le sulfure de carbone de
Paul Théhardet le sulfocarbonate de potasse de Dumas, le phyl-
Digitized by
Google
X INTRODUCTION
loxéra dans les limites de trois communes, alors que, pendant la
même période, il s'est étendu chez nous, comme une tache d'huile
des bords de la Méditerranée à ceux de la Marne, comment pour-
rions-nous nous empêcher de nous rappeler cette pensée dont
notre grand historien national, Henri Martin, a fait en quelque
sorte la synthèse et la conclusion de ses longues annales : « Que le
malheur de la France à travers les temps a été bien moins de man-
quer d'hommes que d'en avoir, et de ne pas savoir s'en servir »?
« Aimer l'agriculture, » disait récemment au concours agricole
de Montpellier le ministre Hervé Mangon, « c'est aimer la France
et la République. » Si on ajoute que « l'aimer, c'est l'éclairer, »
on aura ainsi formulé en trois mots tout le programme de notre
relèvement agricole, gage et prélude les plus assurés de ...
l'autre.
« Le secrétaire de Florence (Machiavel), » a écrit quelque part
Voltaire, « apprit à l'Europe l'art de la guerre. On la faisait
depuis longtemps, mais on ne la savait pas. »
Telle est, en trois mots aussi, toute l'histoire de notre viticul-
ture. Aussi longtemps qu*autour de nous on n'en a pas su plus
long que nous, l'empirisme viticole a pu nous suffire. Il n'en
saurait plus être de même aujourd'hui, que, de toutes parts, la
viticulture sort des limbes de la routine pour devenir un véritable
art. L'empirisme, d'ailleurs, se trouve maintenant en face de maux
qu^il n'a pu prévoir et devant lesquels il demeure désarmé, ou
plutôt, risum teneatis, en faveur desquels il demeure armé. Nul
n'ignore, en effet, qu'un des principaux obstacles dans la lutte
contre le phylloxéra a consisté dans la résistance du paysan ignare,
laquelle est, parfois, allée jusqu'à une véritable levée de fourches
et d'espingoles, alors qu'ailleurs, éclairé par l'enseignement
viticole, absent chez nous, il était le meilleur auxiliaire de la
défense. Avant de vaincre le phylloxéra, il faut donc commencer
par vaincre le vigneron, par le vaincre comme dans la Fable, à
la manière du soleil qui fait tomber le manteau... par la lumière.
Gomme Rome après les guerres Puniques, la viticulture est chez
nous « une tête sans corps. » Elle a des généraux, des généraux par-
fois illustres, et pas de soldats. C'est cette milice qu'il s'agît de con-
Digitized by
Google
INTRODUCTION XI
stituer à bref délai et d'emprunter à la source même de notre vie
nationale, à l'école primaire en y faisant figurer l'enseignement
viticole ailleurs que sur les programmes. Là est le remède, là
est le salut.
En somme, la nation attend aujourd'hui deux Messies :
celui qui, — par une voie, d'ailleurs quelconque, — nous rendra
l'Alsace-Lorraine, ou plutôt, qui rendra la France et l' Alsace-Lor-
raine l'une à l'autre ;
Celui qui rendra la France à la vigne.
Le premier, ce sera nous tous, collectivement. Pour le second,
un ministre de bonne volonté et de compétence; un homme de
métier, comme celui que l'agriculture a en ce moment la rare
chance d'avoir à sa tète, peut suffire. Il y a là de quoi tenter un
homme de bien.
Pour Tune et Tautre mission, le procédé est d'ailleurs le
même, celui de Newton... et de Gambetta: « Y penser toujours »,
et ajoutons, — nous, — ne s'en laisser distraire par aucun mirage.
(( Con lavoro e perseveranza, riprenderemo il posto primo, che
« tenevano i padri nostri. »
Qui parle ainsi? Est-ce un général victorieux, ou un diplomate
madré, habitué à faire battre les autres, et à soutirer à son profit,
par la ruse tout le fruit de leurs sacrifices et de leurs efforts? Rien
de tout cela : c'est un professeur, très éminent, il est vrai, de
viticulture, qui donne cet apophthegme comme épigraphe à son
cours (i). Ainsi, c'est par l'extension et le perfectionnement de
la viticulture, que l'Italie espère atteindre le rang qu'elle ambi-
tionne et auquel, selon Pline, la vigne n'avait pas, autrefois,
moins contribué que les armes (2). Gardons que l'abandon de la
viticulture ne nous fasse perdre le nôtre!
Il nous reste une dette de reconnaissance bien douce à ac-
quitter. Sans parler des personnes que nous aurons occasion
de remercier dans le courant de l'ouvrage, nous avons reçu
(1) PoUacci, la Teoria e la Pratica délia VUiadtura e délia Enologia.
(2) Pline, Histoire naturelle, trad. Littré, libr. XIV, § ii.
Digitized by
Google
XU INTRODUCTION
de précieux renseigaemenls, documents et conseils de MM.
Ghatin et Nauoin (de rinslitut), directeurs, le premier, de FÉcoIe supérieure
de pharmacie de Paris, le second, du Laboratoire des hautes éludes de la
villa Thuret à Antibes;
Planchon, membre correspondant de T Académie des sciences, directeur du
Jardin des Plantes de Montpellier;
Dbhérain, professeur de Physiologie végétale au Muséun et à Grignon ;
B. Renault, professeur de Paléontologie végétale au Muséum ;
Tisserand, directeur général, et Mamelle, chef de bureau au Ministère de
Tagriculture ;
JoBLN et Malvoisel, bibliothécaires adjoints du Muséum ;
Garuel, directeur de ÏOrto botanico et du Museo de Florence ;
Emmanuel Arago, ambassadeur de France à Berne;
Thibouvillb, consul de France à Messine ;
R^É Gérard, professeur agrégé à Técole de pharmacie de Paris ;
Alexis Jordan, l'illustre botaniste de Lyon ;
Weber, directeur du Jardin botanique de Dijon ;
Revbuère, naturaliste à Porto-Vecchio (Corse) ;
Constant, naturaliste au Golfe Juan (Alpes-Maritimes);
Docteur Sagot, professeur d'histoire naturelle à Melun ;
GiEiEUD, inspecteur des Contributions indirectes à Melun ;
Regel, directeur du Jardin botanique de Saint-Pétersbourg ;
Lestblle, inspecteur des Postes et télégraphes à Périgueux ;
L. N. Renault, viticulteur à Egg Harbor City (New Jersey) ;
L'helléniste Nicot, pharmacien à Paris;
Baqué, chef d'institution à Luchon ;
Bonnet^ l'haibile et savant dessinateur des travaux pratiques de l'École de
Pharmacie de Paris ;
Gontamain, ingénieur en chef du matériel à la Compagnie du Nord, professeur
à l'École Centrale ;
Darce, directeur des Contributions indirectes à Tours ;
Eugène Seingubrlet, directeur de la Revue Alsacienne:
Gustave Duclaud, ampélonome à la Bretonnière (Indre-et-Loire) ;
Vassilibre, professeur d'agriculture à Bordeaux ;
Charron, agronome à Ambarès (Gironde) ;
RoBOAM, gérant des grands crus du Médoc;
DuBoscQ, maître de chaix à Yquem (Gironde) ;
Marc, gérant du cru de Suduirault (Gironde) ;
Cazenave, ampélonome et auteur d'an Manuel de Taille à la Réole (Gironde) ;
Docteur Sabatier, maire de Béziers ;
A. Cabanes et A, Pascal, viticulteurs à Gruissan (Aude) ;
Delaude, avocat, et Rossignol, viticulteurs à Cuxac (Aude) ;
Et enûn de nos préparateurs dévoués MM. Cannepin et Stanchi.
Si, suivant le mot du grand magister du Parnasse :
La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne,
que ne doit-on pas à ceux dont Tobligeance sait, d'une main si
gracieuse, prodiguer à la fois le fonds et la forme?
LES AUTEURS.
14 octobre 1885.
Digitized by
Google
TRAITÉ DE LA VIGNE
ET DE SES PRODUITS
CHAPITRE PREMIER
HISTOIRE DE LA VIGNE
Error commums facit jus. Ce vieil adage juridique n'a jamais
trouvé de meilleure application qu'en ce qui concerne l'origine
de la vigne. C'a été longtemps un « cliché », comme on dirait
aujourd'hui, une sorte de dogme contre lequel il y avait quelque
irrévérence à s'inscrire, que la vigne nous venait des Phéniciens,
et nous venait uniquement d'eux.
C'est, pour ne parler que des naturalistes les plus illustres, la
doctrine de Lamarck dans la Continuation de P Encyclopédie j et
de Boscq dans le Nouveau Dictionnaire d^ histoire naturelle, édité
en 1819. Depuis, des notions nouvelles ont surgi : à côté de l'his*
toire et des légendes humaines, la nature nous a ouvert ses
annales, et, dans une antiquité dont l'immensité n'a de compa-
rable que celle des distances sidérales, nous y avons vu appa-
raître l'empreinte, nous pourrions dire la signature de la vigne.
Des millions d'années avant que vous eussiez fait votre entrée
sur la scène cosmique, semble-t-elle nous dire, j'étais là, sur ce
sol que vous habitez; j'y étais à peu près telle que vous m'y
trouvez aujourd'hui.
Tels sont les enseignements de la paléontologie végétale o«
paléophytographie, ainsi qu'ils résultent des merveilleux travaux
des Brongniart, des Schimper, des Heer, des Unger, des Ludwig,
des Braun, des Gœppert, des Saporta, des Renault et des Grand'-
Enry. Telles sont les données de la paléophytotomie, qui, née
française de la main de l'illustre Brongniart, est revenue, après
TRAITÉ DB LA VIGNE. — I i
Digitized by
Google
2 HISTOIRE DE LA VIGNE
une trop longue émigration en Allemagne, à sa patrie d'origine,
à ce Muséum, où Tidée même en a été conçue, et où M. Renault
en continue aujourd'hui si glorieusement, la tradition.
LES PRÉCURSEURS DE LA VIGNE
S'il est une idée que l'inventaire déjà immense, quoique à peine
ébauché, des faunes et des flores des temps préhistoriques, — on
serait presque tenté de dire, comme les Allemands, prémondaux
[vorweltig), — fasse ressortir avec Fimpériosité de l'évidence,
c'est celle-ci : que l'être est fonction du milieu. Y a-t-il, suivant
la conception platonicienne, dans les profondeurs du contingent,
des types qui n'attendent, pour revêtir la matérialité, que la pro-
duction d'un milieu adéquat à leurs conditions d'existence? C'est
ce qu'évidenunent nous ne saurions dire, mais toujours est-il que,
pour employer le langage de Newton, .< les choses se passent
comme s'il en étêdt ainsi » et comme si, de plus, ces types procé-
daient l'un de l'autre par une filiation lente, méthodique et suc-
cessive. Chaque fois que le milieu change, l'être change,
modifiant sa forme ou sa substance suivant les besoins nouveaux
d'alimentation et de défense que comporte la modification du
milieu, disparaissant lorsque le milieu lui devient décidément
trop hostile. Les modifications de milieu ne s'opérant que dans
des conditions de temps telles que les siècles y représentent à
peine des heures, les degrés de transition, dont beaucoup nous
manquent évidemment, sont, d'ailleurs, presque insensibles; ceux
qui demeurent l'attestent de la façon la plus manifeste. C'est ce
que le professeur Albert Gaudry appelle « les enchaînements du
monde organique ».
Le monde tout entier parait avoir joui pendant les périodes pri-
mitives d'une température uniforme en toutes ses parties, pôle,
équateur ou régions intermédiaires. La flore houillère est la
même, par exemple, à la baie du Roi, au Spitzberg, par 80 de-
grés de latitude nord, en Espagne, en Grèce, en Nouvelle-Zélande,
en Belgique, dans la France centrale et méridionale (1). Des
(1) Nous ne parlons pas des houilles récemment signalées au Tonkin par
l'ingénieur Fuchs, et qui sont d'origine triasique.
Digitized by
Google
^
LES PRÉCURSEURS DE LA VIGNE 3
végétaux de grande taille, — ou disparus depuis, comme les
Sigillana, les Lepidodendron, les AsterophylliteSj les Calamo
dendrées (1), les Cordaîtes (2), — ou confinés aujourd'hui dans les
régions tropicales, comme les Cycadées et les Fougères arbores-
centes ^ — ou considérablement réduits de taille, comme les Prêles
et les Gnétacées, tel était l'ensemble à la fois puissant et triste de
la flore houillère. Une atmosphère en même temps épaisse et
lourde, chargée de brumes fréquemment condensées en précipi-
tations abondantes; point de « verdure » proprement dite, puis-
que point de feuilles caduques aux nuances tendres, multiples et
changeantes, point d'animaux terrestres et point de fleurs. Des
formes symétriques, comme seraient celles d'une forêt d'asperges
arborescentes (3), où tout était pour ainsi dire ligneux, même
les frondes rudes et coriaces, une végétation serrée, une crois-
sance rapide; tout donné au fond, rien à la forme, comme si, en
mère prévoyante et sans nul souci de coquetterie, la nature se
hâtait de constituer, en vue de l'homme encore à naître, et, der-
nier terme de son évolution, im immense réservoir de matière utile.
Lq permien, le trias se forment, puis, le jurassique^ qu'un émî-
nent paléophytographe a si bien dénommé le « moyen âge de
l'histoire du globe (4) » ;
Le matin n'est plus, le soir pas encore ;
les types houillers proprement dits, les genres sans représentation
actuelle, ont déjà disparu; les conifères se sont franchement cons-
titués sur leur» débris. Ce sont des Taxinées [Boiera), des Arau-
cariées à feuilles imbriquées sur la branche comme des écailles
de poisson, et dont notre Araucaria imbricata reproduit parfaite-
ment la physionomie. Ce sont desBrachyphyllum,des Pachyphyl-
lum, espèces éteintes, mais dont les genres subsistent. Les Cyca-
dées abondent, et, avec elles, les fougères aux frondes dures et
coriaces, CtenopteriSy CycadopieriSyLomatopteris, Scleropteris^eic.
C'est l'heure où apparaissent les grands sauriens complexes, semi-
poissons (Ichthyosaures), semi-ophidiens {Plésiosaures) ^ semi-
oiseaux {DinosatwienSy Bhamphorhynchus, Archxoptefnx), l'heure,
(i) Ces sub-conifères, suiTant l'expressive terminologie de Grand'Enry.
(2) Type si curieux, tenant des Cycadées, des Gnétacées et des Taxinées, et
constituant, selon toute apparence, un stade de transition vers les Angio-
spermes.
(3) Voir Botanique Cryptogamique du D' L. Marchand, pi. I, Doin, éditeur.
Paris.
(4) De Saporta, le Monde des plantes^ p. 137. Paris, Masson, éditeur, 1879.
Digitized by
Google
4 HISTOIRE DE LA VIGNE
en un mot, où s'accomplit le passage du poisson au reptile, et du
reptile à l'oiseau (1).
Les conditions cosmiques ont évidemment changé : le climat
est, vraisemblablement, devenu moins brumeux, tout en demeurant
fort chaud; mais, ce qui n'a point changé, c'est l'uniformité de
ces conditions pour toute la planète. « L'égalité climatériquo
devient alors manifeste ; les reptiles, dont la classe dominait à
cette époque, réclam^ent une grande chaleur extérieure : elle
seule, à défaut de leur sang, qui en est privé, communique de
l'énergie à leurs mouvements, et favorise l'éclosion de leurs œufs.
Les végétaux jurasSques recueillis dans Tlnde anglaise, en Sibé-
rie et au Spitzberg, ainsi qu'en Europe, font voir, de leur côté,
que rien ne distinguait, à ce moment, la flore des pays voisins
de la ligne de celle de nos pays et de l'extrême nord, et que les
différences, lorsqu'elles existent, portent sur des détails secon-
daires, et non pas sur le fond (2). »
C'est avec la craie inférieure que, contrairement à ce qu'on
avait pensé tout d'abord, la différenciation des latitudes commence
h s'accentuer végétalement. « Une flore de cet âge a été observée
à Kone, dans le golfe d'Omerak, par 70*" 40' de latitude nord. Les
espèces recueillies sont en grande partie les mêmes que dans
Viirgonien^ un des étages inférieurs de la craie dans le centre de
l'Europe. Cependant, une feuille de peuplier et quelques sapins
du groupe des Tsuga se trouvent associés, dans certains gise-
ments, aux Cycadées et aux Fougères gleichéniées, qui dominent
l'ensemble. Ce mélange, assurément fort remarquable, peut-il
être considéré comme le premier indice du refroidissement po-
laire? C'est fort possible et même probable (3). » Les nouvelles
déterminations de Heer (4) sur la craie inférieure d'Atanekerdluk,
latitude = 70**, ont grandement accentué ces différences et, par
cela même, justifié ces conclusions en quelque sorte instinctives.
Quoi qu'il en soit, saluons au passage la première apparition des
Angiospermes. Timidement encore, discrètement, humblement
presque, elles prennent possession de la vie, que bientôt elles
vont enva^hir. Ce sont des Amentacées, végétaux sans fleurs, non
(1) On sait que, par un grand nombre de particularités anatomiques,
comme par le développement de leurs œufs, les oiseaux se rattachent aux
reptiles, et notamment aux sauriens, ce qui les a fait réunir par les natura-
listes les plus éminents, Huxlej entre autres, en un groupe commun, sous la
dénomination de Sauropsidés.
(2) Saporta, le Monde des plantes, p. i 37.
(3) \d.,ibid,y p. 136. Paris, Masson, 1879.
(4) Heor, Die fossile Flora der Polànder. Zurich, 1882.
Digitized by
Google
LES PRÉCURSEURS DE LA VIGNE 5
seulement peupliers, mais chênes, platanes, noyers, liquidam-
bars, dont les chatons mâles offrent encore tant d'analogie avec
cçux des Conifères; des figuiers (1), alliés si intimes des Amen-
tacées, des Laurinées de toutes sortes, canneliers et sassafras à
fleurs obscures et sans pétales ; d'autres dicotylédones à faciès
méridional, qui ne doivent traverser l'existence que comme une
étape vers des types plus stables, les Credneria^ ces aïeuls des
Sterculiées, les Williamsonia, ces précurseurs des Eucalyp-
tus^ etc., etc., des Aralîacées, dont un ]ieTre,YHed€raprîmordîalis,
enfin, des magnolias et liriodendron, les premiers végétaux à
fleurs^ dans l'acception décorative du mot.
Avec la craie cénomannienne y cette flore polaire se développe,
et déborde sur le continent actuel. Déjà ont apparu au pôle les
CissuSj ces ancêtres encore vivants de notre vigne, tandis que,
sur le continent, on n'en est encore qu'au Cissistes (2) insignis,
l'évolution va donc très manifestement du nord au sud. Abon-
dantes dans l'Allemagne cénomannienne, de la Bohême à la Silé-
sie, c'est-à-dire du 51* au 49** de latitude, les Dicotylédones sont,
au contraire, rares à Toulon, où prédominent encore les Conifères
et les fougères coriaces, où la végétation a gardé, en un mot,
une physionomie jurassique. Signalons, pourtant, en Bohême
comme en Provence, la présence des palmiers, qui, par un mou-
vement inverse, analogue à celui des vents alises, et qui s'accen-
tuera encore dans Véocène, semblent remonter vers le nord, à
mesure que les Dicotylédones descendent vers le midi, mais qui
ne doivent jamais dépasser la Baltique.
Des platanes, des chênes, des hêtres, des peupliers, des Amen-
tacées, en un mot, dont les genres, sinon les espèces, semblent
dès lors franchement constitués; avec cela des Magnoliacées, des
Laurinées, des Mimosées, sans parler des palmiers, cycadées
et fougères; des Ampélidées naissantes, enfin, tel est le
synopsis déjà complexe du règne végétal à la veille du ter-
tiaire.
Pourtant, point encore de Gamopétales. La soudure des pièces
isolées en un tout plus solidaire et plus résistant semble avoir
été, en ce qui concerne les enveloppes florales, non seulement
une étape progressive, mais le dernier terme de l'évolution ; aussi
(i) Fictu atavina. Ficus crassipes, etc.
(2) En paléontologie, la teraiinaison Ueis indique des végétaux analogues,
mais non identiques, une forme de transition, conduisant à ceux indiqués par
le radical : palmacites, végétal analogue au palmier, cissites au ciâsus, etc.
Voir pour cela, comme pour la nomenclature, Schimper, Traité de paléorUo-
logie végétale^ passim.
Digitized by
Google
6 HISTOIRE DE LA VIGNE
les Gamopétales n'apparaissent-elles qu'à une période tout à fait
moderne et quasi contemporaine de Thomme (1).
Au point de vue restreint, mais important pour nous, des Am-
pélidées, le progrès, au lieu de porter sur les enveloppes (2), d'ail-
leurs très ténues et très caduques, s'est manifesté sur les organes
foliacés, et c'est ainsi que, des feuilles digitées des Cissus, des
Ampélopsis, nous passons aux feuilles simples de la vigne (3).
Cela est tellement vrai que, chez les vignes spontanées du type
vinifera^ qui semble être lui-même un type ultime de perfection-
nement, l'état sauvage ou le retour à l'état inculte (verwildert
des Allemands) se traduit souvent par une échancrure beau-
coup plus grande des lobes, allant pi'esque, lorsqu'elle n'y
atteint pas tout à fait, jusqu^à la digitation. Dans son excel-
lent Questionnaire sur la manière de cultiver la vigne, P.
Renard signale ce fait révélé par la pratique qu' « un cépage à
feuille pleine et ronde est généralement meilleur que celui à
feuille laciniée » (4).
Bien longtemps avant lui, Columelle avait fait la même
remarque à propos des vignes Nomentanes et des trois vignes
gauloises dites Belvenaques, offrant de part et d'autre cette
particularité que leur variété la meilleure et la plus féconde était
celle dont la feuille était le moins laciniée (5).
Mais, ce n'est pas tout. La vigne cultivée dégénère, parfois,
soit en partie, soit en totalité. « Il arrive fréquemment qu'un
même cep, par suite d'une sorte de dégénérescence ou de
dimorphisme, donne des raisins de qualité, de forme, et, souvent
même, de couleur très différentes. Ainsi, nous avons vu fré-
quemment, sur un pied de très beau chasselas, une partie qui,
chaque année, donnait des raisins guère plus gros que du petit
plomb. Le chasselas dit gros coulard est le produit d'un accident
fréquent sur des pieds de chasselas ordinaires. Sur un pied de
(1) Voir Schimper, loc, cit. Par des considéralions d'un autre ordre, mais
qui conspirent ayec la conception de Schimper, Ghatin conclut, également, à la
suprématie des Ck>rolIiflores.
(2) Il y a, du reste, dans le pérlanlhe, un commencement de coalescence.
Seulement, c'est par en haut que, dans le genre Vitis, les pétales, libres chez
les Cissus, contractent adhérence, pour tomber ensuite tout d'une pièce.
(3) Les intermédiaires existent encore : sans parier des yignes du Soudan et
des Ampelo-cissus de Planchon, ce sont le Vitis incisa du Texas, Nuit, à inflo-
rescence de Cissus et à feuilles entières en bas et lobées en haut, et le Vitis
ineonstans du Japon et de l'Himalaya, Miq. (Voir Regel, Conspectus specierum...
Pétersbourg, 1873.)
(4) P. 117. Paris, chez'l'auteur, 54, rue des Martyrs.
(5) Columelle, De re rustica. Collection Nisard, p. 2^6-227.
Digitized by
Google
LES PRÉCURSEURS DE LA VIGNE 7
muscat noir, nous avons remarqué des parties qui donnaient des
raisins muscat blanc » (1).
Cazalis Al lut a consigné dans le Sud -Est de 1862 (p. 665
et 666), des faits analogues «... un cep de terret produit chez moi
depuis plusieurs années des raisins noirs sur les coursons d'un
bras, et gris sur ceux d'un autre bras... J'ai un cep d'aspiran,
gris taillé en chaîne d'environ 12 mètres de longueur, dont les
six premiers ont constamment des raisins gris, et le reste des
raisins blancs... Je possède, dans un enclos, unaspiran noir à plu-
sieurs bras, dont un donne des raisins deux fois plus gros que
ceux des autres bras. »
Celles de ces modifications qui impliquent dégénérescence
(appauvrissement du fruit en quantité ou en grosseur) sont mar-
quées par une laciniation plus grande des feuilles. « Ainsi, on a
remarqué que, toutes les fois que les feuilles sont très divisées
ou qu'elles le sont plus qu'elles ne doivent Fêtre pour la variété
à laquelle elles appartiennent y que les échancrures sont pro-
fondes et les divisions aîgiies, les ceps qui présentent ces carac-
tères sont très peu productifs, et ne donnent que de très petites
grappes. En général, les individus qui présentent ces caractères
sont très vigoureux.... Les ceps qui sont /ranc5, au contraire, ont
les feuilles bien nourries, et leurs divisions, peu nombreuses,
sont aussi peu profondes. Même chez les espèces normalement
divisées, on reconnaîtra des différences tellement sensibles, toutes
proportions gardées, qu'on s'y trompera rarement » (2).
Cornu, autre praticien, vigneron de profession, comme Renard,
et dont on ne saurait soupçonner les observations d'être ins-
pirées par des théories préconçues, atteste, également, que « les
variétés défectueuses poussent beaucoup plus vigoureusement
que les autres, et se distinguent par une grande profondeur
des lobes des feuilles » (3).
La laciniation pourra aller plus loin, jusqu'à transformer
une feuille entière en feuille pinnatiséquée, ainsi que cela résulte
du très curieux passage suivant que nous empruntons au grand
ouvrage du D' Guyot. Le cep devient alors absolument stérile.
« Au milieu des vignes de mescle (pulsart), les vignerons me
font remarquer des faits qui leur sont familiers, et qui sont d'une
haute importance en physiologie végétale. Le mescle est un raisin
à longues grappes, à grains clairs et ovales : ses feuilles sont
(1) Carrière, la Vigne, p. 49-50.
(2)Id., tfctd., p. 260et261.
(3) Cornu, Culture de la vigne dans la Càie-d'Or^ p. 67.
Digitized by
Google
8 fflSTOIRE DE LA VIGNE
profondément lobées, à 5 divisions en général : mais quelques
ceps sont à feuilles peu lobées, et à limbes bien garnis de mem-
brane, tandis que d'autres sont à feuilles déchiquetées, et n'offrant
de chaque côté de leurs nervures principales que peu ou point
de surface membraneuse. » (On dirait, en effet, une feuille de
potentille, on, slussî, de vigne vierge (Ampélopsis) j (orme primitive.)
« Les premières feuilles, a (fig. 1) indiquent un cep très fertile;
Fig. 1. -~ 6. Feuilles de mescle stérile, a. Feuilles de mescle fertile,
d'après le D'. Guyot.
fes secondes b (fig. 1), un cep absolument et éternellement stérile.
Les vignerons appellent ces ceps, « plants craputs ».
« Les plants craputs sont vigoureux en bois, et « ne se mettent
jamais à fruit : leurs boutures partagent leur sténlité.
« Existe-t-il un rapport entre le limbe des feuilles et la fécondité
de l'arbrisseau? Les vignerons affirment qu'entre les plants par-
faits et les plants craputs, il y a des degrés de laciniation des
feuilles, correspondant au degré de fécondité du cep. Tous m'ont
désigné à la feuille, à distance, la quantité de fruits relative qui se
trouverait sur tel ou tel plant, et ils ne se sont jamais trompés :
plus la feuille était pleine, plus il y avait de raisin à la souche.
En serait-il ainsi pour toutes les variétés de cépages? Je le crois :
car, dans les serres, tous les ceps à feuilles laciniées sont à peu
près stériles (1). »
Ces notions n'ont point, comme on pourrait être tenté de le
croire au premier abord, qu'un intérêt de théorie. Elles ont, au
contraire, une très grande importance pratique. En leur absence,
on serait naturellement tenté, pour renouveler une vigne, de s'a-
(1) D' Guyot, tiude des vignobles de France, t. II, p. 362-363.
Digitized by
Google
LA YIGNB AUX TEMPS GÉOLOGIQUES 9
dresser aux ceps les plus vigoureux, et on arriverait ainsi à ne
récolter que du bois. En observant préalablement la forme des
feuilles, on évitera ce péril.
Les dégénérescences partielles, comme aussi, d'ailleurs, les
qualités et les singulaiîlés partielles, se reproduiront par la bou-
ture, commelesdégénérescences totales. En bouturant des branches
plus précoces, puis, successivement, les branches plus précoces
de ces boutures, un jardinier de Montreuil-sous-Boîs, M. Lahaye,
est arrivé à constituer une variété de raisin rouge mûrissant dans
la première quinzaine de septembre, et qui a reçu, pour cela, le
nom de Précoce de Montreuil (1).
Suivant Carrière, le raisin précoce dit MadelevWj Précoce de
Juillet, Morillo7i hâtifs ne serait, de même, qu'un « accident » du
Afewnier, perpétué par le bouturage. « Le Corinthe blanc, sans
pépins, est également un fait de dimorphisme d'une variété dont
les grains beaucoup plus gros contiennent des pépins. Nous Tavons
constaté plusieurs fois sur des grappes où quelques grains
s'étaient développés outre mesure et contenaient des pépins (2). »
En botanique, au moins, la tératologie n'est, parfois, ainsi,
qu'une régression vers des stades disparus, un bout du fil
d'Ariane qui relie les formes actuelles aux formes et aux âges
ataviques.
II
LA VIGNE AUX TEMPS GÉOLOGIQUES
Avec le paléocène, apparaît la première vigne, non le Vitis vint-
fera, mais un vitis (3) de physionomie américaine, non point ana-
logue, cène serait pas assez dire, mais identique au Vitis rotundifolia
de Michaux, vulpina de \ÀxiXiè{Scupernongj Southern fox grape des
Américains). Que le lecteur en juge comme nous par la confron-
tation de l'empreinte paléocène trouvée à Sézanne (Marne) [fig. 2]
et du calque, pris, sur nature, dans l'herbier Michaux, et réduit par
la photographie (Bg. 3). Cette identité n'a, d'ailleurs, rien de cho-
(1) Renseignement dû à notre très compétent ami L. Yauvel, directeur
fondateur du Journal d'horticulture,
(2) Carrière, Prodttction et fixation des variétés dans les végétaux, p. 56.
Librairie de la Maison rustique. Nous ne saurions trop recommander à nos
lecteurs cette curieuse et intéressante brochure.
(3) Vitis Sezannensis Sap.
Digitized by
Google
10 HISTOIRE DE LA. VIGNE
quant; les feuilles en question ayant été trouvées, en compagnie
de feuilles de noyers, de laurinées, de tiliacées, de magnoliacées,
de symplocées, d'anacardiacées, d'artocarpées, il n'y a là rien qui
doive sensiblement différer du cortège végétal habituel au Vitis
rotundifolitty espèce essentiellement méridionale, ne dépassant
pas le Potomac, c'est-à-dire le 39' degré de latitude.
Marquée par l'invasion de la mer nummulitique (sorte de Médi-
terrannée beaucoup plus étendue que celle d'aujourd'hui, noyant,
Fig. 2. — Vitis sezannensis (vigne fossile).
Fig. 3. — Vitis rotundifolia.
le nord de l'Afrique, l'Italie, une grande partie de l'Allemagne,
l'Espagne occidentale, la France méridionale, et découpant le
reste du continent européen, ainsi que l'Asie, en une foule de frag-
ments), la période éocène semble avoir été accompagnée d'un
accroissement de chaleur qui peuple notre continent d'espèces
indo-africaines. C'est l'époque où se constitue le calcaire grossier
du bassin de Paris, celle où s'y déposent à profusion ces fruits
de Nipa qu'on rencontrait récemment dans les couches du Tro-
cadéro, et dont il faut maintenant aller chercher les analogues
jusqu'au Gange. Point de traces de vignes dans les dépôts éocènes
trouvés jusqu'ici, ce qui ne signifie point, d'ailleurs, qu'elle ait
alors disparu, car d^autres investigations peuvent la révéler
demain, mais qu'elle s'était, peut-être, retirée dans des régions
élevées, et trop éloignées des bassins qui nous ont conservé, dans
leurs sédiments, les empreintes des végétaux contemporains, pour
que ses débris aient pu arriver jusqu'à eux.
Digitized by
Google
LA VIGNE AUX TEMPS GÉOLOGIQUES 11
Avec V oligocène ou toiigrien^ les continents se soudent peu à peu
à Taide d'émersions partielles, et la mer découvre petit à petit les
reliefs, alors très faibles, des Alpes, qu'elle avait occupés jusque-là.
Des lacs salés, cuialogues à la Caspienne, y demeurent encore,
puis, finissent par se dessécher, laissant derrière eux, comme té-
moins de leur passage, les flysch, ou schistes à fucoïdes. Moins
importante que la mer éocène, la mer tongrienne échancre notre
continent dans une direction tout opposée, nord occidentale, em-
brassant le bassin de Paris, — où elle dépose les grès de Fontaine-
bleau, — la Belgique dTpres à Maëstricht, laWestphalie,et, après
avoir contourné le Harz, TAlsace jusqu'au Jura.
Pendant cette période essentiellement lacustre, où l'Auvergne,
encore dépourvue de montagnes, la Provence, l'Italie du nord,
la Styrie, la Carinthie, la Dalmatie, se couvrent de vastes nappes
d'eaux dormantes, les Conifères américains et asiatiques, tels que les
Séquoia, LibocedruSj ChamaBcy paris, Taxodiiim, Glyptostrobus,
descendent sur le continent, du pdle où ils existaient déjà
depuis la craie inférieure. En même temps, les Laurinées, les éra-
bles, les charmes, les ormes, les chênes, s'y multiplient, accom-
pagnés de magnifiques Nymphéacées ; accusant ainsi un climat
moins sec que dans l'éocène. Pourtant, les palmiers, représentés
par leurs plus élégantes variétés, telles que le Sabal major, ce
proche parent du Sabal umbraculifera, le roi de la végétation tro-
picale, continuent et continueront encore bien longtemps à pros-
pérer en compagnie des Dragonniers, qui ne disparaîtront guère,
avec eux, qu'après le soulèvement des Alpes occidentales, vers la
période sub-apennine.
Les deux sous-périodes aquitannienne et mollassique, qui cons-
tituent le miocène, la première plutôt lacustre, la seconde mari-
time, paraissent avoir été marquées, cette dernière surtout, par
l'extrême douceur d'un climat que Heer croit pouvoir comparer à
celui de Madère, et par une apogée de splendeur végétale que
notre continent ne devait plus revoir. Plantes aujourd'hui euro-
péennes, sinon identiques, au moins représentées par des variétés
ancestrales très rapprochées ; plantes tropicales, canneliers, avo-
catiers, palmiers flabelliformes et pinnatiformes, mimosées et
caesalpiniées de toutes sortes, y compris les élégants Podogoniums.
aujourd'hui disparus ; flore maintenant américaine ou asiatique
{Séquoias, Taxodiums, Liriodendrons, Glyptostrobus, Ginkos, etc.);
tout cela se confondait en un ensemble d'une opulence harmo-
nieuse, véritable caravansérail végétal, dont les hôtes hétérogènes
allaient, après une trop courte fête, se séparer pour toujours.
Digitized by
Google
12 HISTOIRE DE L\ VIGNE
Au milieu de cette nature en joie, de « ces forêts primitives,
d*où la vie ne disparaissait jamais entièrement, mais se renouvelait
en répandant à profusion ses richesses et réalisant en Europe le
tableau des zones bénies où, de nos jours, la végétation ne perd
jamais son activité (1), » la vigne n'avait point été la dernière au
rendez-vous, et, comme aujourd'hui, dans les forêts du Texas et
de la Louisiane, de la vallée de Kashmyr (2), de Tlmérétie et de
la Mingrélie (3), elle enroulait de ses rameaux variés, autant que
luxuriants, les chênes, les peupliers et les Séquoias miocènes, et
projetait de l'un à l'autre ses gracieux arceaux.
Variés, disons-nous, car nous n'en sommes plus à l'unique
vigne (actuellement connue), du paléocène. Comme chez les chênes
et les peupliers, le genre, une fois apparu, a pris un rapide essor.
Il s'est diversifié en nombre de variétés, toutes déjà plus ou
moins rapprochées des variétés actuelles, et il constitue, dès à
présent, à lui tout seul, un groupe modeste encore (4), mais bientôt
suffisant pour qu'à la fin du pliocène nous puissions dresser une
Ampélographie du tertiaire, et tâcher de relier les types fossiles
aux diverses espèces encore vivantes.
L'aire de diffusion de la vigne tertiaire est fort étendue, puis-
qu'elle va depuis Tlslande, le Groenland et l'Alaska (Amérique
russe) jusqu'en Italie et en Eubée (gisement de Coumi, aquitanien).
Sans insister sur ce point, et pour faire saisir nettement la filia-
tion que nous allons essayer d'établir, telle que l'étude des
faits nous Ta révélée, il est nécessaire de bien s'entendre sur les
caractères ampélognostiques qui différencient les types de vignes
américaines ou asiatiques du type vbiifera même asiatique ou
africain.
En premier lieu, les types américains, eux-mêmes, peuvent, au
point de vue de la phyllographie, se diviser en deux classes : les
types à dents suraiguës, subulées, tels que les riparia et cordUolia,
— ces types sont ordinairement glabres ; — les types à dents obtuses
ordinairement couverts à la face inférieure d'un duvet, soit blanc,
soit d'un brun chamois. Les premiers sont, généralement, à feuilles
(1) Heer, IHe Urwelt der Schweiz.
(2) Carrière, Revue horticole, 1880.
(3) Parrol, Annales des sciences naturelles, 1833.
(4) Les formes américaines y prédominent encore : les types européens,
ceux du Vilis vinifora, n'apparaîtront que dans la période suivante, celle du
pliocène, où, petit à petit, par une action très lente, s'opère la sélection spon-
tanée des espèces destinées aux diverses latitudes et leur émigration vers leur
habitat déûnilif, où, en un mot, à la veille du quaternaire, la scène cosmique
se constitue déÂnitivement telle que Thonmie va la trouver.
Digitized by
Google
LA VIGNE AUX TEMPS GÉOLOGIQUES
13
plus longues que larges, de telle sorte que, si on les inscrit dans
un parallélogramme tangent aux points d'extrême développement,
on a un rectangle à grand axe vertical (fig. 4) ; les seconds au
Fig. *. — Vitis riparia.
Fig. 5. — Vitis monticola.
contraire, à faciès écrasé, qui rappelle la tortue, généralement
plus larges que longs, de telle sorte que leur rectangle inscripteur
est à grand axe horizontal (fig. 5).
Le labntsca et le vinifera se ressemblent en ce qu'ils sont à
Fig. 6. — Vitis labrusca.
Fig. 7. — Vitis vinifera.
peu près aussi larges que longs et que leur rectangle inscripteur
tend, s'il n'est adéquat, au carré. Mais là n'est point entre les
deux grands types la différence la plus notable (fig. 6 et 7).
Digitized by
Google
14
HISTOIRE DE LA VIGNE
Chez les vignes du type viniferay la feuille, au lieu de s'arrêter
à son point d'attache, ou à peu de distance de son point d'attache
avec le pétiole, se développe inférieurement en deux lobes à
échancrure conchoïdale dont la cavité est tournée vers le pétiole
et que, pour aider à la facilité de la démonstration, nous deman-
derons la permission d'appeler le tablier.
Parfois les deux lobes du tabliez' se rejoignent et chevauchent
Tun sur l'autre avant de prendre leur direction vers l'extérieur,
de telle sorte que le pétiole apparaît, un instant, comme à travers
une lucarne, disparait, puis reparaît, après une assez longue
occultation (1) (fig. 8).
Ou bien (fig. 7), dans leur incurvation convergente, les deux
lobes du tablier ne rejoignent le pétiole qu'au moment de prendre
Fig. 8. — VitU vinifera.
Fig. 9. — Vttis vinifera.
leur direction divergente vers l'extérieur, et le pétiole traverse,
en lebiséquant, l'espace évidé par les deux arcalures.
Ou bien encore (fig. 9), les deux courbes laissent entre elles et
le pétiole un léger espace inoccupé. De toute façon, l'échancrure
du tablier forme, au-dessous du point d'insertion du pétiole, deux
courbes interséquées à convexité axipète : l'échancrure est donc
irUroflexe.
Chez les espèces autres que le vinifera^ au contraire, ou le ta-
blier n'existe pas, comme il arrive fréquemment chez les riparia
(fig. 10), et, alors, le contour inférieur de la feuille prend, avant de
se recourber vers le haut, une direction horizontale, de telle sorte
(!) Cette disposition est, notamment, 1res marquée chez le Gorinlhe.
Digitized by
Google.
LA VIGNE AUX TEMPS GÉOLOGIQUES 15
qu'il forme un angle de 90' avec le pétiole ; ou bien, dès le point
d'insertion au pétiole, les deux lobes divergent, en faisant avec
lui, de chaque côté, un angle d'environ iS** (fig. 6); ou bien, les
deux formes ci-dessus se combinent (fig. 11) de telle sorte que le
contour du limbe s'éloigne d'abord horizontalement du pétiole, et
ne prend que plus loin une direction descendante, dont l'obliquité
ne peut être mesurée qu'à l'aide d'une parallèle au pétiole, et,
non à l'aide du pétiole lui-même.
De toute façon, et, dans tous les cas où le tablier existe, l'échan-
crure est donc axifuge ou extroflexe.
Une autre condition, qui ne contribue pas moins à donner aux
Vitisvinifera, par rapport à toutes les autres espèces, cette physio-
nomie particulière, qui les fera toujours reconnaître comme ins-
Fig. 10. — Vitis riparia.
Fig. H. — Vitis xsiivalis.
linctivement, au premier coup d'œil, ce sont les longueurs respec-
tives du limbe total et du tablier. Chez les Vitis vimfera^ le rapport
des deux dimensions varie entre 24 et 40 p. 100 (en moyenne, il
peut être évalué à 27 p. 100 (1) ).
Dans les autres types, le tablier, ou n'existe pas, ou n'a qu'une
proportion beaucoup moindre ; le rapport à la dimension totale du
limbe varie de zéro à 18, ou 19 p. 100, longueur extrême: (en
moyenne 16 p. 100).
En somme, les caractères phyllognostiques des deux groupes
peuvent être ainsi déterminés :
Type vinifera: échancrure du tablier introflexe; rapport de la
(1) Nous avons vérifié celte moyenne sur les feuilles de plus de deux cents
variétés de vignes.
Digitized by
Google
16 HISTOIRE DE LA VIGNE
dimension du tablier à celle du limbe toial, jamais moindre de 20
p. 100 (1).
Types asiatiques et américains : échancrure du tablier extroflexe;
rapport de la dimension du tablier à celle du limbe totale nul ou
moindre de 20 p. 100.
Cela bien établi, passons maintenant à l'ampélographie du ter-
tiaire.
Le cercle polaire a fourni à Heer, qui les a déterminés sur les
échantillons prélevés par Nordenskiôld, trois types d*Ampéli-
dées(2), savoir :
!• Vitis Islandica, trouvé à Brjamslak (Islande), et en tout point
(1) Chargé par une commission internationale d^ampélographie comparée
de résumer en un livre les résultats de cinq ans de travaux et d'observations,
Hermann Goethe a, dans son Uandbuch der Ampelographie, subdivisé les feuilles
de Vilis vinifera en six types,'qu'il a représentés dans une planche spéciale.
Or, très différents par le contour, en ce sens qu'ils sont entiers ou lobés, à
bords unis ou dentés, à dents mousses ou subulées, à sinus plus ou moins pro-
fonds, les six types s'accordent en ce qu'ils sont :
Tous six inscriptibles dans un carré ;
Tous six à tablier >► 20 0/0 du limbe total ;
Tous six inlroflexes.
H. Goethe a, comme nous, remarqué Téchancrure conchoîdale du limbe
autour du pétiole, à laquelle il a même donné un nom court, bien que com-
posé (Siielbuchtf anse pétiolaire), d'un emploi commode, et, que l'ampélo-
graphie française ferait bien de retenir. Nous sommes heureux de nous être
si complètement rencontré avec le savant directeur de l'École pomoœnolo-
gique de Gratz, dont le travail, publié en Styrie, ne nous a été communiqué
que tout récemment. Les nombreuses figures de l'Atlas ampélographique de
Kemer s'accordent, également, avec notre définition.
Ajoutons enfin qu'un cépage dit américain, le Jacque?, ou Cigar-Box Grape,
à feuilles très polymorphes, en présente fréquemment de conformes au type
vinifera. Nous avons donc lu sans élonnement dans : les Vignes américaines de
Planchon, cette mention : « Origine inconnue ; on dit qu'on l'aurait apporté
en 4805, de Gibraltar à Oakland (Alabama). » Les travaux de la Commission
supérieure du Phylloxéra ont, depuis, éclairé cette question, en établissant que,
lorsqu'on sème du Jacquez, on obtient à la fois : !<> du Jacquez ; 2** de Vœsti-
valis; 3<» du Vinifera,
Évidemment le « Cigar-Box » est un hybride des deux derniers cépages,
ainsi que l'admet d'ailleurs G. Foëx dans son Manuel pratique pour la reconsti-
tution des vignobles méridionaux, p. 64.
L'exception confirme ainsi la règle. Au reste, la vigne américaine, a été,
depuis une soixantaine d'années, tellement remaniée par l'hybridation, que les
innombrables « seedlings » qui la représentent dans le commerce n'ont plus
gardé qu'un rapport éloigné avec les types primitifs. Pour retrouver ces types
autochtones, il faut recourir aux herbiers des Boscq, des Elias Durand, des
Michaux, etc., constitués, au commencement du siècle, avec des documents re-
cueillis à l'état sauvage, et non dans les pépinières. Pour ces espèces natu-
relles, les seules qu'il y ait lieu de considérer ici, nos caractères discriminatifs
sont absolument exacts.
(2) Heer, Die fossile Flora der Polarlàndei\
Digitized by
Google
LA VIGNE AUX TEMPS GÉOLOGIQUES 17
semblable au Vitis teuionica^ à' Al. Braun, dont nous parlerons plus
loin.
2** Vitis olrikiy dont nous donnons la figure (fig. 12) et que, n'é-
taient les pépins trouvés à côté des feuilles, on serait tenté de
Fig. 12. — Vitis olriki (vigne fossile).
prendre pour une feuille de tilleul. Il rappelle, du reste, parfaite-
ment une vigne américaine, le Vitis œstivalis (var. cinerea), aussi
bien que le Vitis tiliœfolia de la Nouvelle-Grenade. Il a été trouvé
k Atenekerdluk (miocène).
3** Vitis arctica, La feuille, trouvée également à Atenekerdluk,
avec des feuilles de Platanus aceroïdes et à' Acer rostratum, est
incomplète, et, dès lors, quelque immense autorité qui s'attache
aux arrêts de l'illustre professeur de Zurich, peut prêter à con-
testation. Heer l'assimile au Vitis cordifolia de Michaux (1).
Passons.
Une des trop rares épaves de la précieuse collection réunie
à Alaska par le bourgmestre Hjalmar Furnejelm, d'Helsingfors,
et qui fil naufrage, au retour, sur la côte du Mexique, le Vitis cre-
nata ressemble en tout point au Vitis olriki. La seule différence,
selon Heer, ce sont des dents un peu plus obtuses (2).
(1) Heer, Die fossile Flora der Polaridnder.
(2) Heer, Flora fossUis alashana. KonglI-Svenska Veteaskassa.
TRAITÉ DB LA VIGNE. — I 2
Digitized by
Google
18
HISTOIRE DE LÀ VIGNE
Les lignites aquitaniens de Bovey Tracey, dans le Devonshîre,
ont fourni à l'infatigable déterminateur deux autres types dont il
n'a trouvé que les rafles et les | pépins, savoir : le Vitis ffookeri, à
pépins acuminés, à dos convexe, à tubercule chalazique rond et
accusé ; le Vitis Britannicaj à pépins ovales, elliptiques, à dos plein
et à tubercule effacé (1).
Peu de sujets ont été traités avec plus de détails, et, on pourrait
presque dire avec plus de passion que le Vitis Teutonica, Trouvée
dans les lignites wétéra viens de Salzhausen, par A. Braun, qui
Ta ainsi dénommée, à Œningen et à Kesselstein par Hcer, à Lan-
genaubach, dans le Westerwald, par C. Koch, cette vigne a été
figurée et décrite :
Par Al. Braun, dans le Leonhard und Braun's neues Jahrbuch
fur Minéralogie^ Geognosie, etc., 1844 ; par Unger, dans son Syl-
loge plantarum fossilium; par Ettingshausen, dans ses Beitrage
zu tert. FI. v. Steierm; par Heer dans la Tertiàre Flora der
Schweiz ; et, surtout, avec des détails qui sont un véritable tour
de force de patience et de précision, par Ludwig, dans le magni-
fique Paleontographica de Dunker et Meyer, t. V et VIII.
Les échantillons recueillis se composent non seulement, de
Fig. 13. — yUis teutonica (vigne fossile). Fîg. i4. — Vitis Hparia ix^ra).
feuilles et de pépins, mais de rafles et de grains de raisins, munis
de leurs pédicelles. Ludwig insiste beaucoup sur l'irrégularité de la
feuille, sur l'inégalité de ses lobes, sur son obliquité, et il la com-
pare au cordifolia de Michaux ; l'assimilation se justifierait infini-
ment mieux, selon nous, avec le Vitis riparia du même auteur, et,
(1) Hcer, Onthe fossil fioraof Bovey Tracey (FhUosophieal Tramaetionif 4862).
Digitized by
Google
LA VIGNE AUX TEMPS GÉOLOGIQUES 19
principalement, avec la variété rubra^ où se retrouvent les mêmes
formes obliques et scalènes (fig. 13 et 14). Quant aux pépins af-
finés inférieurement en bec d'oiseau (5cAna6e/ar/ty), ce sont, aussi,
à en juger par les figures du D' Engelmann, insérées dans Bush
et Meissner (1), les riparia, qui, de tous les cépages américains,
se rapprochent le plus de cette forme, assez commune dans les cé-
pages méridionaux du type vint fera (2).
Quoi qu'il en soit, le Vitn Teutonica (3), qui parait constituer
une espèce bien définie, abonde dans Icslignites moUassiques. U
a été trouvé, également, à Schessnitz (en Silésie^(4), etc.
Le Vitis Ludwigii, trouvé par Ludwig dans les ligniles de
Dorheim (Wetléravie), et qu'Ai. Braun, qui l'a ainsi dénommé
en l'honneur de son savant collègue de Cassel, considère comme
constituant un genre différent du Vitis Teutonica de Salzhauseo,
(1) Bush et Meissner, les Vignes américaines^ traduit par Bazille ; annoté par
Ë. Planchon.
(2) Voir au Muséum, herbier Sagot, les pépins de vignes recueillis dans toute
TEspagne par M. E. Gotteau. Voir, notamment, les pépins de Salamanque, de
Gordoue et de Mérida, près de Badajoz.
(3) Au nombre des feuilles représentées par Ludwig, il en est une qui affecte
un caractère tout particulier, et sur lequel il nous parait absolument.indispen-
able d'insister. Le sommet en oifre les formes suraiguës et dissymétriques du
Fig. 15. — Vitis teutonica (vigne fossile.)
F. riparia^ ou, si Ton veut, du V. Teutonica^ et le tablier en est tout euro-
péen (ûg. 15). Au point de vue morphologique des Ampélidées, il y a là un de
ces stades mixtes entre un type déjà en pleine possession de la vie et un type
encore à naître, entre Tètre et le devenir, analogue à ce que sont, pour on
autre règne, ces sauriens à pattes d'oiseau dont nous avons déjà parlé.
(4) Heer, Die tettiàrt Flora der Sehweiz.
Digitized by
Google
20
HISTOIRE DE U VIGNE
est représenté seulement par des graines. Ces pépins, qu'on
trouve accolés par groupes de quatre, sont très schnabelartig
par en bas, et, sur la face dorsale, la chalaze, assez longue,
est entourée de 4 à 7 sulcatures rayonnantes qui lui donnent
un caractère très élégant(l). Al. Braun n'a retrouvé ce caractère,
parmi les espèces vivantes, que chez une vigne d*Abyssinie dont
les pépins sont, d'ailleurs, semi-sphériques. D'après les figures
d'Engelmann, il se retrouverait aussi chez les riparia^ variété
Clinton (2).
Le Vitis Braunii, ainsi dénommé, par un courtois échange de
bons procédés scientifiques, par Ludwig, en l'honneur de Braun,
n'est, au contraire, caractérisé que par des feuilles trouvées à
Fig. 16. — Vitis Braunii (vigne fossile.) Fig. 17. — Vitis Braumï (vigne fossile).
Salzhausen et à Rockenberg. Leurs formes sont beaucoup moins
aiguës, et beaucoup moins scalènes que celles du F. TeiUonica^
Ce type vraiment autonome a des affinités avec le V. labrusca
(Mich.), et même le V. viniferay et, peut-être, est-ce une forme
de transition entre les deux (fig. 16 et 17).
Cette transition semble s'accuser mieux encore dans le Vitis^
bien dénommé sous ce rapport, prxvinifera^ et trouvé dans la
station mollassique de Montcharray (Ârdèche). Que les lobes
inférieurs se prolongent au-dessous du point d'attache et s'in-
curvent vers le pétiole, que le lobe médian se redresse et s'é-
largisse, et nous voilà en plein chasselas ou en plein gamai,
en un mot, en pleine Europe (3) (fig. 18).
Le Vitis Tokayensis n'est point pour démentir cette progression
(1) Al. Braun, Pro(ofco// derApril Sitztmg^dergeoLGeseL Berlin, 1857; Dunker
und Meyer, Paleontographicay t. V, pi. XX.
(2) Bush et Meissner, loe, cit.
(3) Saporla, le Monde des plantes.
Digitized by
Google
LA VIGNE AUX TEMPS GÉOLOGIQUES 21
vers le type vinifera. Le lobe inférieur s'est allongé, comme nous
le désirions tout à Theure ; il ne lui reste plus, pour atteindre
Fîg. 18. — Vitis prmvinifera (vigne
fossile).
Fig. 19. — Vitis Tokayensis (vigne
fossile).
la complète normalité, qu'à s'incurver en double conque autour
du pétiole (1) (fig. 19).
Pourtant, nous l'avons dit, les types américains et asiatiques
persistent encore, et n'émigreront qu'à la fin du pliocène, après le
soulèvement des Alpes, qui a donné à l'orographie de la planète
sa physionomie actuelle. Tel le Vitis subintegra^ encore parent
^C7\.
Fig. 20. — VHU subintegra
(vigne fossile).
Fig. 21. — Vitis vinifera (vigne
fossile).
des corrfi/o/îa, que nous montrentlescinérites duGantal(2)(fig. 20).
Tel le Vitis Ausoniœ, type encore plus affine que le Vitis Braunii
aux labrusca et aux vinifera^ trouvé par Gaudin dans les
travertins supérieurs du val d'Era (3) (Toscane), en même temps
(1) JahTbvch der K. K. geol. Beichanstalt, XVIII, pi. V, fig. 1 et p. 191.
(2) Saporta, loc, eit.^ p. 343.
(3) Gaudin, Feuilles fossiles de la Toscane, p. 38.
Digitized by
Google
22 HISTOIRE DE LA VIGNE
qu'un Vtiis vinifera (l) non douteux (fig. 2J). Avant Tarrivée de
rhomme, et comme pour lui faire fête, le type est donc dé-
finitivement constitué. Leur suppléance achevée, et, comme si
leur rôle sur ce continent était terminé, les Viiis antérieurs ou
disparaissent, ou émigrent vers l'Asie et l'Amérique, entraînant,
soit dans leur dispaiîtion, soit dans leur exode, les Cissus, leurs
prédécesseurs et leurs ancêtres, qui abondent aux divers étages
tertiaires (2), et dont pas un seul n'est demeuré européen.
Le moment nous parait venu de dire un mot de la conception
de Regel (3), qu'il a on ne peut plus brièvement condensée dans
cette formule mathématique :
Vitis vinifera L. = V. vulpina x labrusca.
Suivant Téminent directeur du Jardiu botanique de Saint-Pé-
tersbourg, « le Vitis vinifera, pas .plus, d'ailleurs, que les autres
« plantes utiles cultivées, ne serait une espèce originale : il serait
« le produit de la culture du V. vulpitia L. et du V. labrusca (4)
« L. et de leurs variétés, comme du mélange des deux espèces par
« Bastardiffung ». Les plantes dont la culture nous a récemment
« dotés, telles que nos fraisiers à gros fruits, pétunias, verveines,
« pensées, fuchsias, gesnériacées, prouvent avec quelle rapidité
«< l'hybridation (Bastardigung) efface les caractères primitifs, en
« constituant un tel mélange de formes qu'on ne saurait auquel
« des types originaux on doit rapporter les hybrides... On ne
« doit donc s'étonner que d'une chose : c'est que la vigne, après
« des milliers d'années de culture, se rapproche encore tellement
« des types primitifs (Urtypen), Labrusca et Vulpina, qu'on peut
« rattacher les variétés feutrées (filzigen) au premier, et les moins
« velues au second. »
(1) Saporta, loe. cit., p. 347. •
(2) Schimper (Traité de paléonlologie végétale) mentionne les espèces sui-
vantes : Paléocène : C, primœva, C, ampelopsides, Eocène : C. insignis, C.
lobato crenata, C. Digoci, C. Heerii, C. Nimrodi, C, Styriaca, C. rhamnifolia. Mio-
cène : C. lacerata, C, Ungeri, C. atluntica, C. radobojensU, C. oxycocca, C, tri--
euspidalay C. fagifolia, C, celtidifolia, C. tdmifolia^ C. platanifolia, C. jatro-
phœfolia,
(3) Regel, Conspectus spederttm generis Vitis regiones Americœ borealis, Chinœ
borealis, etc. habitantium. Petropol., 1873.
(4) Il y a lien d'ajouter que, pour Regel, les termes de vulpina et de labrusca
représentent moins des types nettement déflnis que des groupes embrassant,
le premier, les Vt^ rotundifolia, cordifolia, parvifolia, riparia, amurensiSy
c'est-à-dire les espèces glabres ; le second, les Vitis labrusca proprement dits
de Linné, caribxa, lobata, œstivalis, lanata, etc., en un mot, les espèces k
tomentum blanc ou chamois (albido vel ferrugineo).
Digitized by
Google
LA VIGNE AUX TEMPS GÉOLOGIQUES 23
Regel appuie son opinion sur ce que :
« 1* La vigne n'est connue qu'à l'état « sauvage » [verwildert)^
« et non à Tétat sauvage [tvild) ;
« 2"* Le V. vulpina et le V, labrusca, les deux espèces souches,
« sont, sous de nombreuses formes, indigènes en Asie, (Toù la
« culture de la vigne est origiiiaire;
« 3* La culture du V. vinifera n'a jamais aussi bien réussi dans
« l'Amérique du Nord que celle des types indigènes de Vulpina
« et de labrusca, »
Il y a, tout d'abord, lieu de faire abstraction de cette dernière
considération dont Riley et Planchon ne nous ont, depuis le
travail de Regel, que trop bien expliqué la cause (1).
Quant aux vignes nées sans culture, et dont nous ne pré-
jugeons pas, pour l'instant, l'origine, elles ne sauraient être
traitées incidemment, et comportent une étude spéciale.
La filiation spontanément imaginée par Regel, en dehors de
toute preuve expérimentale, se justifie, nous l'avons vu, par
les témoignages de la géologie, sinon absolument, du moins
en ce sens que les formes asiatico-américaines ont certainement
précédé la forme vinifera qui en dérive, soit par hybridation
entre ces diverses espèces, soit «par des modifications dont le
mode de production nous échappe encore, mais dont nous avons
pu saisir quelques degrés au passage ; seulement la culture n'y a
été pour rien, puisqu'il n'y a point de culture sans cultivateur
et que l'homme, comme nous l'avons vu, a trouvé à son arrivée
sur la planète le Vitis vinifera tout constitué. Il n'y en a pas
moins là une conception remarquable, très digne d'être signalée,
et qui fait honneur au profond instinct botanique du célèbre
créateur du Gartenflora. En somme, répétons avec Heer, même
en restreignant l'expression au type vinifera, que « la vigne
est un archivieil habitant de l'Europe », plus vieux que l'homme
lui-même, et qu'il n'y aurait aucun anachronisme, à nous repré-
senter Adam couronné de pampres, de pampres introflexeSy
comme Silène ou comme Noé.
(1) Endémisme du phylloxéra dans TAmérique du Nord, à Vest des montagnes
Rocheuses. Les vignobles séculairement prospères de la Californie, situés à
l^ouesl de cette cordillère, sont tous d'origine européenne. Le phylloxéra ne
leur a été qu'assez récemment inoculé, et, cela, comme en France, par l'im-
portation des cépages Anglo -Américains.
Digitized by
Google
24 HISTOIRE DE LA VIGNE
III
LA VIGNE AVANT l'hISTOIRE
L'homme a-t-il apparu dès le commencement des temps qua-
ternaires? A-t-il assisté à la période glaciaire et au diluvitim
qui Ta suivie? A-t-il eu à défendre son existence contre Yelephas
primigenius ou mammouth, contre Tours des cavernes, le felis
spelœa^ le cervus megaceros, dont le bois colossal décore si bien
le musée de Saint-Germain, contre le rhinocéros tichorinus^
enfin contre une foule de mammifères armés de dents cruelles, de
cornes formidables et de noms grecs? Dans l'affirmative et « quoi
qu'en puisse souffrir notre orgueil, il est certain que, dans
ces temps primitifs, il ne dut pas se distinguer beaucoup de la
brute. Le souci de ses besoins naturels l'absorbait en entier ;
tous ses efi'orts convergeaient vers un but unique : assurer
sa subsistance quotidienne. Il* ne put se nourrir d'abord que
de fruits et de racines, car il n'avait encore inventé aucune arme
pour terrasser les animaux sauvages; s'il parvenait à en tuer
quelques-uns de petite taille, il les dévorait tout saignants encore
et se couvrait de leur peau
« Combien de temps dura cet état misérable ? Nul ne saurait le
dire. L'homme est perfectible, le progrès indéfini est sa loi
mais combien ses premiers pas durent être chancelants, et que
d'efforts dut lui coûter la première création de son esprit, la
première œuvre de ses mains (1)! »
Ce n'est pas dans de telles conditions que l'homme a pu,
évidemment, songer à modifier la flore locale par l'introduction
d'espèces empruntées à des contrées lointaines. Possibles à
l'extrême rigueur, sur les rivages d'un même bassin, à l'aide
d'embarcations rudimentaires, de tels échanges sont-ils admis-
sibles entre des régions séparées par des espaces continentaux
immenses, couverts de forêts inextricables et de montagnes
inaccessibles? Or, les temps quaternaires postérieurs aux boule-
versements glaciaires et aux érosions diluviennes, ont conservé,
dans les environs de Paris, l'empreinte de la vigne associée au
(\) L. Figuier, l'Homme primitif,
Digitized by VjOOQIC
LA VIGNE AVANT L'HISTOIRE 25
figuier el au laurier des Canaries (1). La vigne avait donc traversé
sans dommages ces grands cataclysmes.
Plus tard, le laurus canartensts émigra jusqu'au 27" ou 28*
parallèle ; mais le figuier s'arrêta beaucoup plus haut, et demeura
indigène, tout au moins au sud des Cévennes, et dans les lignes,
en même temps isothères et isochimènes (2), comprenant Agen,
Toulouse, Montauban, Nîmes, Avignon, etc., car le figuier exige,
pour mûrir réellement son fruit, une grande chaleur estivale et, à
raison de la minceur de son étui médullaire et du grand dé-
veloppement de son parenchyme, redoute les hivers rigoureux,
qui gèlent son bois. Plus fortement armée par son tissu serré, par
ses vaisseaux entourés d'un manchon de parenchyme ligneux (3)
et blindés, même en dedans, d'une cuirasse de cellules intravascu-
laires ou thylles (4), par le cloisonnement de ses fibres (5) libé-
riennes, la vigne, qui a traversé sans dommages l'hiver hyperbo-
réendel879-80, se préoccupe assez peu que les hivers soient froids,
si les étés lui fournissent une dose de chaleur suffisante pour
la maturation de ses fruits. Ce sont donc les lignes isothères qui
ont déterminé les limites de son exode, et c'est en les suivant,
qu'on la retrouve encore indigène, sous la forme de variétés
diverses, dans les vallées de la Vienne, delà Saône et du Rhin (6).
Les tufs de Montpellier (7) et ceux de Meyrargues (Bouches-du-
Rh6ne) (8) offrent, également, mais pour une époque bien pos-
térieure, des empreintes de Vitis vinifera. Dans l'intervalle, le
climat, et, d'une manière plus générale, les conditions cosmiques
semblent être devenus, à fort peu de chose près, sinon iden-
tiquement, les mêmes qu'aujourd'hui. Les végétaux associés à la
vigne dans ces stations géologiques, en effet, ou appartiennent
à la flore locale actuelle, ou, s'ils ont disparu depuis, comme
le frêne à manne [Fraxinus omus), le buisson ardent [CrcUœgus
pyracantha)^ VAcer napolitatium, vivent, prospèrent dans la con-
trée lorsqu'on les y ramène, s'y comportent, absolument en
un mot, comme des plantes indigènes.
Tout porte à penser que ces empreintes doivent correspondre à
(1) Ch. Vélain, Cours de géologie stratigraphique. Saporla, les Temps qua-
ternaires,
(2) Voir, dans rexcellent atlas manuel récemment publié par la maison
Hachette, la carte n« 15, intitulée France physique et hypsométrique,
(3) Duchatre, Botanique, p. 209.
(4) Id., ibid., p. 70.
(5) Id., ihid., p. 214.
(6) Bronner, Die Wilde Trauben der Rheintkaler, mit Tafeln. Heidelberg, 1857.
(7) G. PlanchoD, Études sur les tufs de Montpellier.
(8) Saporta, Flore des tufs qucUemaires de Provence, 1867, p. 17-27.
Digitized by
Google
26 HISTOIRE DE LA VIGNE
la période dite de la pierre polie. L'homme existait donc depuis
longtemps, et avait même acquis un certain degré de civilisation
et d'habileté manuelle. Avait-il utilisé, d^ores et déjà, pour son
alimentation, les fruits de la vigne qui s'offraient à lui? Bien qu'il
soit raisonnable de le supposer, on ne peut rien affirmer jusqu'à
l'époque pour laquelle Thomme a laissé les premières traces
matérielles d'une véritable organisation domestique : nous vou-
lons parler des cités lacustres ou palafittes^ découvertes et si bien
étudiées dans ces dernières années. C'est Y âge du bronze; déjà,
l'homme a trouvé le feu, Yagni (1) divin adoré des Aryas, ravi
à l'Olympe, selon les Grecs, par une main audacieuse (2), et devenu
Tun des quatre éléments de leurs philosophes. Élément précieux,
en effet, de tout progrès, à l'aide duquel il a déjà su dégager
de leurs sels ou de leurs oxydes le cuivre et l'étain, et les
combiner ensemble : il s'est tissé des étoffes, fabriqué des po-
teries, construit de véritables forteresses de bois, qui, assises sur
pilotis et reliées seulement au rivage par des ponts mobiles,
le mettent à l'abri des bêtes féroces et de son semblable, souvent
plus féroce, sinon plus bête que les bêtes fauves :
Immanis pecudis custos, tmmanior ipse.
Il avait cultivé le blé, dont les restes carbonisés sont par-
faitement reconnaissables; le lin, qu'il avait trouvé spontané dans
notre midi (3) et dont il composait ses tissus; la vigne enfin,
s'il faut en croire Heer (4), qui a cru pouvoir distinguer dans
les restes des palafittes à la fois des pépins de vignes cultivées
et des pépins de vignes sauvages. Quoi qu'il en soit, ce qui
est certain, c'est que le raisin figurait, avec les fruits du cor-
nouiller, les pommes, les glands, les noisettes, dans le menu des
tables lacustres. Les restes trouvés à Castione, près de Parme, à
Bex, à Wangen(5), à Varese (6), en font également foi.
Nous avons vu, depuis le miocène tout au moins, la vigne nous
faire constamment cortège à travers les âges ; nous l'avons vue
débuter par deux formes se rattachant aux deux grands types
autour desquels évoluent toutes les vignes américaines, les types
(i) Michelet, la Bible de C humanité.
(2) Aadax Jipeti geaos
Igneiii, fraude maU, gentibus intuUt.
Post ignem «therea domo
Sobdnctttm...
(HoBAca, 0d«M, lU.)
(3) Lemaout et Decaisne, Traité général de botanique, p. 356.
(4) Heer, Die Pflanzen der Pfahlbauten.
(5) Id., ibid.
(6) Ragazzoni, Rivista arckeologica di Como^ 1880, fasc. 17, p. 30.
Digitized by
Google
LA VIGNE AVANT L'BISTOIRE 27
aigus OU riparia, les types larges ou labrtisca. Nous avons vu ces
deux grands types, représentés d'une part par les F. Tetitonicaj
qu'on pourrait appeler RipariteSj et de l'autre par le Vùis Braunii,
qu'on pourrait appeler LabrusciteSy converger l'un et l'autre vers
le type vinifera et arriver, ainsi, aux mains de l'homme, de
l'homme d'Europe.
Dans l'intervalle, l'homme lui-même s'est socialement trans-
formé. A l'être isolé a succédé la famille, à la famille le clan,
au clan la peuplade, sinon le peuple, chasseur d'abord, puis
agriculteur. La tradition est née, s'agrémentant de génération en
génération, d'une alluvion de merveilleux, d'une véritable luxu-
riance de légende, mais contenant en somme une parcelle ori-
ginaire de vérité, que la critique, devenue aujourd'hui adulte, a
pour mission de dégager de cette végétation parasite. La satis-
faction de ses premiers besoins assurée, Thomme a pris conscience
de son rôle d'être successif, se transmettant de génération en
génération, suivant la belle image de Lucrèce (1), « le flambeau
de la vie » et, avec lui, le dépôt toujours grossissant des notions
acquises et des souvenirs héroïques.
L'histoire s'ouvre. Après avoir interrogé les pierres, laissons la
parole à l'homme.
IV
LA VIGNE SELON l'hISTOIRE.
La philologie comparée, qui est une sorte de géologie de l'his-
toire, n'est pas moins affirmative que la géologie proprement dite
quant à l'ancienneté de la vigne et quant à sa large diffusion au
moment où les divers idiomes humains ont pris naissance.
Dans la plus ancienne des langues, le sanscrit, la vigne a un
nom draskay et le raisin aussi, râsâ ou rasâlâ (2), nom qui, sui-
vant de CandoUe, aurait donné naissance au fdÇ (grain de raisin),
des Grecs, d'où racemus, puis raisin. Dans l'ancien égyptien ou
cophte, elp ou erp (3), signifie vin. Dans le Celtique (4), la vigne
{i)Et, quan cursores, vitSB sibi lampada tradunt. (Lucrèce, de Nalttrâ remm,)
(2) Ad. Pictet, Origines Indo- Européennes, t. I, p. 25i-53.
(3) Pickering, Chronological history of plants, p. 36.
(4) Chez les Celtes du Nord, où la vigne n*a jamais poussé, le nom de raisin
Reasaid (irlandais), Raesin (armoricain), Rbixym (cymr.) est d'importation
latine, voire française» tandis que chez les Celtes du Midi il existait un terme
autochtone, ce qui tendrait grandement à prouver que chez nos ancêtres la
Digitized by
Google
28 HISTOIRE DE LA VIGNE
était nommée gwinien (1) ou ffwid et ce dernier nom s'appliquait
aussi, paratt-il, au vin, (2). En chinois, vin se dit tchou, et raisin,
poû-taô-tzé. En arabe vulgaire, vigne se dit kemij raisin, euneb,
vin, nelid. En arménien, vigne, aïki, raisin, khaghoghe, vin,
ffutni; en persan ancien, vigne, rez, raisin, angourf vin, met ou
budé; en turc, vigne, bagh, raisin, tchaouch; en hébreu, vigne,
gephen, Y\n, jairiy vitis \imfeTB.f gephen hagaîn, \\gne sauvage,
gephen sadeh. En langue basque, nous trouvons mahastiaj vigne ;
mahatsa^ raisin, amoa^ vin (3). La vigne, le vin et le raisin avaient
donc des appellations différentes dans les dialectes d'Asie et d'Eu-
rope, qui peuvent être considérés comme autochtones ; et rien
n'empêche de leur supposer une cohabitation primitive fort étendue.
Mais la géologie et la philologie ne doivent pas être seules
invoquées, les légendes, l'histoire, vont nous fournir, aussi, les
mêmes conclusions.
« Il n'y a aucun doute que la vigne a été créée directement par
Dieu dans la première fournée de végétaux, puis le vin par sa puis-
sance. L'expression des raisins était primitivement inconnue, et
ce fut Noé qui, sous l'impulsion de la nature humaine, l'imagina,
de même que l'usage alimenlaire de la chair (4). »
D'après un commentateur, Ezler (5), l'idée de planter la vigne
et d'en exprimer le fruit fut inspirée à Noé, par un bouc qu'il lâ-
cha à Coricum, montagne de Cilicie, et qui, ayant mangé du fruit
de vigne sauvage (labrusca), se trouva enivré, et se mit à atta-
quer les autres animaux à coups de cornes. Ce que voyant, Noé
fut ainsi instruit des propriétés de la lambrusque. Il la planta en
l'arrosant de sang de lion « pour la réconforter en esprit » et de
sang d'agneau mystique, pour lui faire dépouiller sa nature sau-
vage ; et, depuis, elle donna d'excellent raisin qu'il vendangea.
D'autres commentateurs, tels que Quistorp (6) infèrent, du lan-
gage même des textes sacrés, l'existence prédiluvienne du vin,
d'autant plus que le Sauveur lui-même dit des hommes primitifs
que le déluge était destiné à châtier, « qu'ils mangeaient, bu-
vigne et ses produits étaient indigènes, ou indigènes tout au moins, arant la
conquête romaine.
(1) Cameron, The Gaelic names of plants.
(2) L. Besnon, Flore de la Manc e. Goutances, i88i.
(3) Renseignements communiqués pour partie, par nos excellents amis
Gazay, consul de France, à Constantinople, et Lagrange, receveur principal
des contributions indirectes à Saint-Gaudens (Haute-Garonne).
(4) Vallesius, PhUosophia sacra, Lugd., 1596, et Sacbs, Ampdographia.
Leipzig, 1663, p. 16.
(5) Aug. Ezler, Isagoge phisieo magico médicale (G. 4, p. 92, Aug. 1630).
(6) Quistorpius, In Genesim, p. 9-20. Rostoch, 1646.
Digitized by
Google
LA VIGNE AVANT L'HISTOIRE 29
valent, » c'esl-à-dire s'enivraient (Math., 17-28), et que Noé avait
tout au moins réduit cet abus (1).
Sans prendre parti dans cette question, notons que la fable du
bouc n'est pas particulière aux traditions hébraïques. D'après
Cornar (2), qui ne voit là qu'une adaptation grecque de la légende
juive, un pasteur étolien, du nom de Staphylos, au service d'un
maître nommé Oinos, observa qu'une de ses chèvres s'écartait
habituellement du troupeau, puis rentrait à Tétable plus tard que
les autres. L'ayant clandestinement suivie, il vit qu'elle mangeait
sur une souche écartée un fruit à lui inconnu, et qui n'était autre
que le raisin. Il en prit, et l'apporta à Oinos qui, l'ayant exprimé
et s'étant aperçu que son suc s'adoucissait par l'àgc, en offrit à
Liber le Père, devenu son hôte. En échange de ce bon procédé,
Liber montra à Oinos la viticulture, donna son nom au vin et, à,
la vigne, celui de son berger (STacpù).^)).
D'après Hécatée de Milet (3), ce ne serait pas à un bouc, mais
à une chienne également nommée Oinos, que serait due la culture
de la vigne. Cette chienne, qui appartenait à Oristée, fils de Deu-
calion, mit bas une souche au lieu d'un petit chien. Oristée fit
enterrer ce morceau de bois, et il en sortit un cep, qui se couvrit
de raisin. Ajoutons tout de suite, pour en finir avec la zoologie
des légendes, que ce fut, d'après Pausanias (m Corinih.), un àne
qui, en broutant la vigne, donna aux Naup liens l'idée de la tail-
ler (4). Si la gravité du sujet n'interdisait un jeu de mots, on
pourrait vraiment dire que ce fut là 1' ((Ane (Tor ».
D'après Rhodigin (5), la vigne avait été trouvée en premier
lieu dans la ville de Plinthine ; d'autres disent qu'elle fut d'abord
trouvée en Étolie, que les anciens appelaient Oîvav (6). Suivant une
légende plus répandue, Bacchus, ou plutôt Dionysios, enseigna la
culture de la vigne aux Indiens, qu'il conquit avec une armée
d'hommes et de femmes armés, en guise de javelots, de thyrses
(1) « Sachs, loc. cU,, p. 17. La Bible dit littéralement ceci : qu'après le
déluge «Noé commença à devenir un homme des champs, planta la vigne, bat
du vin et s*enivra » (Genèse, ch. ir, vers. 20, 21). Rien dans ce texte n'autorise
à supposer que vigne et vin apparaissent ici pour la première fois.
(2) Jean Cornar, Theologia vitis viniferae, I. I, c. m. Heidelb.,i6i4, et Sachs,
loCi citf p. 18.
(3) Athénée, Banquet des savants, 1. 1, p. 128. Voir, aussi Polydore Virgile,
de Rerum inventioney III, p. 205. Fr., 1699.
(4) Natalis, Comitis Mythologiay 1. V,ch. m, p. 493. Hanovre, 1609, et Sachs,
loc. cit. y p. 21. Ovide attribue la môme révélation à un bouc {les Fastes).
(5) Cael. Lud. Rhodoginus, Lectiones antiquas, 16, ÂL. 3. Bas. — Sachs, loc.
dt.^ p. 19.
(6) Sachs, loc. cit. p. 19.
Digitized by
Google
30 HISTOIRE DE LA VIGNE
chargés de raisins. Ce fut lui aussi qui, par rintermédiaire de
Deucalion son hôte, Tapprit aux Grecs qui, depuis, en firent un
dieu (1). « De même, il instruisit les Égyptiens (2) dans cet art
sous le nom d'Osiris : c'est ainsi, en effet, qu'il est désigné parles
Égyptiens, tandis qu'il est nommé Liber par les Romains, Diony-
sios par les Indiens, Adonis par les Arabes, ainsi qu'en témoigne
Ausone {épig. 29). »
D'après Théopompe, cité par Athénée (3), les habitants de
Chio auraient les premiers planté et cultivé la vigne et « fait du
vin noir. » Us auraient été initiés à cette culture par un fils de
Bacchus, nommé Œnopion, et Théopompe ajoute que ce furent
ces insulaires qui la communiquèrent aux autres hommes.
Selon Diodore de Sicile (4), ce serait Icare, fils d'Œdale, roi
de Lacédémone, et père de Pénélope, qui, hôte de Bacchus, aurait
reçu de lui le secret de la viticulture, cadeau funeste qui le per-
dit. Les premiers auxquels il distribua la liqueur nouvelle furent
des laboureurs, dont quelques-uns s'enivrèrent, et dont les autres,
se croyant empoisonnés, regorgèrent. Son chien resta auprès du
cadavre et appela par ses hurlements Érigone, fille dlcare, qui
se pendit de douleur. Maître, fille et chien furent transportés au
Ciel et devinrent, le premier le Bouvier, la seconde la Vierge et le
troisième Sirius (5). Mais précédemment, et dès son plus jeune
âge, Dionysios avait appris aux habitants de Nyso, non point,
comme on Ta dit, à planter la vigne, mais « portant la terre de
son propre naturel les vignes, à tirer et exprimer ledit vin d'icelles
vignes »(6). C'est un point que Diodore prend à trois ou quatre re-
prises grand soin de spécifier.
Saturne introduisit les premières vignes en Crète, et enseigna,
dans le Latium, cette culture à Janus son hôte, d'où l'Italie fut
dite Œnotria, et Janus, Œnotrius.
(i) Tibulle, 2-3-67, Et lu, Bacc?ie tenery jucundœ consUor uvœ..,
(2) Sachs, loc. cit., p. 19.
(3) Athénée, IHpno$apkis,Libri: cum comment, Dalechamp, Lugd., 1612,1,20.
Sachs, loc. cit. y p. 20.
(4) Diodore de Sicile, Hist.^ IV ; Dan. Heinsius, Not. ad. Hym.Bacchify, 403
et suiv.
(5) Tibulle, 4, 1 :
Et cunctis Biccho jucundior hospei
Ictrai : ut poro tettantor lidera cœlo
Frigoneque, ciniaque
Properce, 2, 33, 29 :
Icare cecropiis in«rito jngulate colonis,
Piunpineas Dosti quam sit imanis odor.
(6) Diodore de Sicile, Traduetion de Jacques Aimyot. Paris, 1635, p. 343-
348.
Digitized by
Google
LA VIGNE AVANT L'HISTOIRE 31
Géryon, enfin, avait introduit la vigne en Espagne, etc., etc. (1).
Quelle ou quelles conclusions comportent ces diverses légen-
des? Tout d'abord celle-ci: que, chez les peuples qui ont laissé soit
des traditions ésotériques ou écrites, soit des traces figurées de
leur passage, la vigne, et avec elle le vin, apparaissent en même
temps que Thistoire. En second lieu, qu'ils ont été Tun et l'autre,
dès le principe, appréciés à leur juste valeur.
La divinisation dans les divers pays des initiateurs vrais ou
supposés de la vinification nous dispense d'insister sur cette der-
nière proposition. Il est certain que, partout, ceux qui ont doté
leurs semblables de l'auxiliaire peut-être le plus utile de la vie,
après le feu, ont été regardés comme des êtres surnaturels, issus
de la Divinité ou envoyés d'elle.
Ad. Pictet (2) croit que les Aryas ont connu le vin et l'ont intro-
duit à leur suite dans l'Inde, en Europe et en Egypte. Ce qu'il y
a de certain, c'est que la culture de la vigne était en honneur dans
ce dernier pays dans des temps bien antérieurs à toute trace con-
statée de civilisation en Europe. Delchevalerie (3) mentionne des
scènes de vendange ou de vinification comme représentées sur le
tombeau de Phtah-Hotep, qui vivait à Memphis 4,000 ans avant
notre ère. Pickering (4) reproduit des réprésentations glyptiques
de même nature, et datant de la troisième dynastie: il ajoute que
des vignobles et les détails complets {full détails) de la vinification
sont figurés sous les IV% XVII* et XVUP dynasties, mais, qu'au-
jourd'hui, en Egypte, les raisins ne sont plus usités que pour la
table. Mais, combien de temps avait-on exercé ces usages absolu-
ment conformes à ceux d'aujourd'hui, avant d'avoir d'abord été
apte, puis d'avoir songé à les reproduire par le pinceau ou par le
burin?
L'ingénieur Pietro Selleh dit, dans son excellent Trattato dt
viticuUura e di vinificazione (5), que lart et l'usage du vin sont
d'introduction pélasgique, et vinrent à l'Europe par les Samnites,
tradition assez conforme aux inductions d'Ad. Pictet, car ces Pé-
(!) Quelques commentaleurs tels que Jean Gornar (loc. cit., L I, c. rv)
[Hisioria Scholastica, Lubeck, 163, 6),et Georges Stœmpel ont essayé, dit Sachs
{loc. cit., p. 17), de fondre en une seule toutes ces légendes, de telle sorte que
les fables de Prométhée, de Saturne, de Tivrogne Silène, risée des enfants,
de Liber, de Janus bifrons, ne seraient, sous divers masques ethniques, que
Thistoire de Noé. Janus, par exemple, viendrait de Jain, qui, en hébreu,
signifie vin.
(2) Ad. Pictet, Origines Indo-Européennes, p. 298-320.
(3) Illustration horticole, 1881, p. 28.
(4) Pickering, Chronological history of plants, p. 36.
(5) Milan, chez Giocondo Messagi, 1877, p. 288.
Digitized by
Google
32 HISTOIRE DE LA VIGNE
lasges, qui vinrent du fond de TOrient peupler la Grèce et lltalie,
qu'était-ce autre chose que des Aryas ?
' Osum dit que la Crète fut le berceau de la viticulture.
La vigne en Chine. — En Chine, suivant une vieille tradi-
tion, ce serait vers Tan 2000 avant notre ère qu'un certain Yu
aurait introduit le vin. L'empereur, en ayant goûté, exila Yu et
prohiba le nouveau breuvage, prédisant qu'il serait la ruine des-
nations qui l'adopteraient (i). Un document plus certain (2), le
Tcheou-ly, œuvre de Tchéou-Kong, frère de l'empereur You-Mang,
monté sur le trône 1122 ans avant Jésus-Christ, parait attester, à ce
moment, la présence de la vigne en Chine, car c'est à la vigne
qu'on s'accorde à attribuer certaines instructions de ce livre aux
mandarins chargés des jardins de l'empereur.
« Quoi qu'il en soit de ce point, et des vers de Chi-Kong, qui
paraissent aussi regarder la vigne, il est hors de doute qu'il y a
eu des vignes dans le Chan-si et le Chen-si bien des siècles avant
l'ère chrétienne ; on en vint même à en planter assez pour faire
beaucoup de vin. Se-Ma-Tsien dit d'un particulier qu'il en avait
fait 10,000 mesures (3). »
En somme, il fut un moment où on planta assez de vignes dans
les provinces de Chan-si, Chen-si, Pe-tche-ly, Chan-kong, Hio-
nan et Hou-kosueng, pour que le vin de raisin (qu'on conservait
dans des urnes, et dont les procédés de fabrication se rapprochaient
grandement de ceux des Grecs et des Romains), y devînt très
commun et y causât de graves désordres. Les chansons qui res-
tent de toutes lesdynasties, depuis lesYuen jusqu'aux Han, attestent
le goût très vif des Chinois pour le vin (4), il y en a même, de
l'empereur Ouen-Ty, que l'ouvrage cité par nous déclare dignes
d'Horace et d'Anacréon.
Le Kou-kin-tou-chiriy ou Grande Botanique, consacre, (liv. 1 33),
au vin de raisin un article à part, et constate que c'était le vin
d'honneur que les villes offraient aux gouverneurs,aux vice-rois et
même aux empereurs. En 1373, Tai-Issou, fondateur de la der-
nière dynastie, accepta, pour la dernière fois, celui de Tuon-suen
de Chan-si, et défendit qu'on lui en présentât désormais. « Je
(1) Alexandre Bonaconi, la Chine et les Chinois, Paris, (847.
(2) Mémoires sur l'histoire^ les sciences, les arts^ etc., des Chinois par les mis-
sionnaires de Pékin. Paris, 1780.
(3) Ibid.. t. V, p. 481.
(4) « On ne voit point sur sa table le vin parfumé des rives du Riang, mais
celui qu'il huit flatte son palais, et il n'y craint point de poison. »
« Celui qui arrive le dernier trouve encore du vin, et il y augmente la joie.
On se sépare en se promettant de se revoir. >i (Le Laboureur, King-ting-tsi-tching.)
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 33
bois peu de vin, » dit-il, « et je ne veux pas que ce que j'en bois,
cause le moindre embarras à mon peuple. »
D'après les historiens, la vigne aurait été exposée en Chine à
bien des vicissitudes; la destruction en fut plusieurs fois ordonnée,
et, sous certains règnes, elle fut poussée si loin, qu'on perdit tota-
lement le souvenir de la plante, et que, lors de sa réintroduction,
les contemporains se crurent en présence d'un végétal nouveau.
Cest ce qui a fait avancer à quelques modernes que la vigne n'a--
caii été connue en Chine que très tard, et qu'elle y avait été portée
de r Occident.
De Tsin-Chi-Koang-Ti, l'édificateur de la Grande Muraille^ qui
régna de 247 à 202 av. Jésus-Christ, jusqu'à la dynastie actuelle,
les Annales constatent Tintroduction de plants venant de Samar-
kande, de Perse, du Thibet, de Cachgar, de Tourfou, de Ha-
mi, etc.
En ce qui concerne tout au moins ce dernier pays, Imtroduc-
tion primitive remontait beaucoup plus loin. Plus de 1800 ans
avant notre ère une loi avait décidé que, chaque année, les
princes tributaires de la Chine enverraient à leur suzerain ce que
leur pays produisait de plus précieux. Or, dès cette époque, les
gens de Ha-mi envoyaient en tribut deux espèces de raisins secs
encore aujourd'hui fort estimés, et du vin porté dans des outres
à dos de chameaux. Tai-Asong, second empereur de la djoiastie
des Yan réunit momentanément le Ha-mi à la province de Chen-
si, et, dit rhistoire, « il se fit apporter des plants de l'espèce ma-
« you, et les fit planter dans son jardin : en outre, il voulut avoir
« la manière de faire le vin, dont il usa à son profit et à son désa-
« vantage. »
Au siècle dernier, les empereurs Kang-IIi, Yong-Tching, etKiu-
Long, ont fait venir beaucoup de nouveaux plants des pays étran-
gers, principalement dans les provinces de Chan-tong, de Hi-nan,
de Chan-si et de Pe-tche-ly. Dans cette dernière « de tout temps
célèbre par ses vignes, » on comptait en 1780 jusqu'à 14 districts
renommés pour leurs raisins, qu'on conservait bien avant dans
Tété, et qu'on vendait très bon marché dans les rues de Pékin.
Les deux grandes villes de Tai-Yuen et de Ping-Hung-(Chan-si)
étaient renommées, aussi, dans tout l'empire, pour la grande quan-
tité de raisins secs qu'elles livraient au commerce, pour la phar-
macie et la table.
La table ou la pharmacie, tels paraissent être, encore aujour-
d'hui, en Chine, les principaux usages du raisin. Au vin qu'ils
en pourraient tirer, les Chinois préfèrent généralement, soit des
TRAITÉ DE L\ VIGNE. — I 3
Digitized by
Google
34 HISTOIRE DE LA VIGNE
crus étrangers, soit du vin de riz, sorte de liqueur fermentée
dont rhistoire ne saurait trouver place ici.
Ajoutons, ce qui s'accorde parfaitement avec les « Mémoires »
que nous venons d'analyser, que d'après Pickering (1), Royle a
vu la vigne cultivée (w;irf^r ctdtivation Abxïs le nord de la Chine, et
que Bunge assure qu'elle se cultive sur une vaste échelle près de
Pékin, et, au midi, jusqu'à Gouan-gou.
La rareté de nos connaissances, en ce qui concerne l'Asie cen-
trale, ne nous permet pas d'y préciser les limites actuelles de la
vigne. Nous savons seulement qu'on y observe des vignobles
épars çà et là, où se sont formés des centres de population,
comme à Kampl, lat. 45°, long. 92° (petite Boukharie) et àHélassa,
dans le Thibet chinois, lat. 20° 41, (2).
Ce qu'il y a de non moins certain, c'est que la vigne croit spon-
tanément dans le nord de la Chine, où l'explorateur Armand
David vient d'en découvrir deux espèces fort intéressantes : le Spi-
novitis Davidi elle FfVi5/îomaw^/t,toutesdeux aptes à donner du vin.
M. Romanet du Caillaud (3) en a fait une remarquable étude
d'où, comme des échantillons qu il a bien voulu nous com-
muniquer, il ressort clairement, qu'avec des caractères particu-
liers, ces deux vignes extroflexes se rattachent au type labrusca.
Particularité curieuse: la Chine est, à Theure présente, avec la
Hollande, le seul pays où le vin soit complètement exempt de
droits d'importation (4). On n'est pas plus « barbare ».
La vigme au Japon. — De très bonne heure, aussi, le vin
paraît avoir été connu au Japon, où, comme en Chine, les excès
qu'il amena le firent interdire. Il y a cinq ou six siècles, un mi-
kado ordonna l'arrachement de toutes les vignes, et ne permit
d'en conserver qu'un pied par habitation (5).
Dans une mission ampélographique toute récente au Japon
(1883), Henri Degron a trouvé dans un petit village appelé
* Dijourakou, et tout voisin de Kioto (l'ancienne Myako du temps
de la féodalité), un Vith virdfera dont la culture, d'après les
habitants du pays, remonterait à plusieurs siècles. Selon la
chronique, cette culture était autrefois en grande faveur, et d im-
menses terrahis y étaient affectés^ mais, petit à petit, les vignobles
durent faire place aux palais et aux maisons de campagne
U) Pickering, lac, cU.y p. 36 et 37.
(2) Arcangeli, La Botanica del VinOy p. 2i9.
(3) Revue horticole, 1881-i883.
(4) Cogneltis de Martis. // commercio del Vino, p. 200.
{ô) Bulletin de h Société d'acclimatation^ ie59, p. 57.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L^HISTOIRE 35
des Kouguës (princes de la famille impériale), et des Daimios,
princes à peu près souverains dans leurs provinces, mais qui, de
temps à autre, étaient tenus de venir rendre hommage au Mikado.
Aujourd'hui, ces vignobles ne se trouvent plus qu'à Dijourakou
même, « et, à vrai dire, en triste état. » Un préjugé ampélopo-
nique, dont nous ne sommes peut-être point tout à fait exempts, a
convaincu les Japonais que la qualité du ïruit est en raison de
Tàge de la vigne. Aussi, faute d'un renouvellement suffisant, les
souches surannées de Dijourakou, encombrées, en outre, de
cultures parasites (mûriers, légumes, etc.), aboutissent à une
quasi stérilité. Résultat d'autant plus fâcheux que le raisin do ces
vignes, — absolument localisées à Dijourakou, — est excellent et
<c pourrait donner du vin analogue aux crus du Portugal ». Il y en
a du blanc et du rouge, l'un et l'autre très sucrés; il se vend à
Kioto 3 sous la grappe (1).
L'Ldit viticido est, sans doute, depuis longtemps tombé en désué-
tude et oublié, mais il a créé au Japon des habitudes nouvelles et,
de fait, amené, lui-même, l'oubli du vin. Ce qu'on y boit, c'est le
sakiy sorte de bière de riz, et surtout du thé, beaucoup de thé.
Pourtant, selon Julien, qui écrivait vers 1825, la vigne y est
cultivée dans diverses provinces, mais uniquement pour son
fruit (2). La province de Ko-hiou (Kaï) en particulier y pro-
(i) Travaux du service du phylloxéra y au. 1883. p. 410-411.
(2) Julien, Topographie de tous les vignobles connus^ p. 480. — Voir aussi
Voyage (le Beauvoir au Japon, passim.
On sait qu'après une claustration jalouse qui l'isola, pendant de longs siècles,
de tout contact x\n peu direct avec l'étranger, Taimable et sympathique peuple
japonais, dont l'accueil a laissé à Beauvoir des impressions si charmantes
(Voyage autour du monde, passim) a subitement ouvert, il y a quelques années,
toutes ses barrières à la civilisation européenne, qu'il s'est assimilée avec une
rapidité presque merveilleuse. La viticulture n'est point un des derniers bien-
faits qu'il nous ait empruntés, et il paraît en apprécier le prix mieux que
nous-mêmes, car aucun effort, aucun sacrifice ne lui coûtent pour la propager,
tandis que, par nous ne savons quel fatal parti pris d'inertie, nous laissons la
nôtre tomber en ruines. En 1880,1e gouvernement japonais a établi à In-mansi-
moura, à 9 lieues de Kohé, port oriental de l'Ile de Nippon, lat = 34* 41,
un champ d'expériences pour l'essai des vignes étrangères, où on a planté
jusqu'à 30,000 piedi de cépages de France, d'Italie, d'Espagne, de Hongrie et
d'Allemagne. A Nagoya, département d'Aïtchi, autre essai similaire, dont le
préfet M. Nomoura (heureux Japon!) s'occupe avec beaucoup de sollicitude, et,
par conséquent, de succès. A Soppora (Ile de Hokkaido, ancienne Yeso\ c'est
par trente mille non plus pieds, mais hectares, qu'on a planté des cépages
américains, malheureusement choisis parmi ceux à goût foxé. Bien que
cet essai, rendu frustratoire par la mauvaise foi des vendeurs américains,
n'ait pas coûté moins de 300,000 yen, (1,200,000 francs), le gouvernement
japonais, celte fois mieux éclairé, s'apprête à le recommencer avec de
meilleurs cépages.
Digitized by
Google
36 HISTOIRE DE LA VIGNE
duit un raisin apprécié par les gourmets malgré sa peau un peu
épaisse (1). Est-il produit par la vigne kadzoura, la seule, suivant
le docteur Vidal, qui soit cultivée au Japon, et« qui est un chasselas
très semblable à celui de Fontainebleau » (2)? C'est ce qu*il nous
serait difficile de déterminer faute de renseignements plus précis,
mais ce qui n'offre rien d'invraisemblable. Henri Degron, a, en
effet, reconnu dans le raisin de Koshiou un véritable chasselas
rose, et il en a tiré un petit vin blanc sans force, tel que le donne
ce genre de cépage. Ce qui paraît établi, c'est qu'une vigne intro-
Hexe dite Kochu (est-ce la même?) étroitement attachée au type
vinifera et le Yama Bouto, également propre à donner du vin,
croissent au Japon spontanément, et que, d'après Pickering,
Kàmpfer et Thumberg y auraient trouvé le Yama Bouto à l'état
de culture (3). Ce qui n'a, d'ailleurs, nullement lieu de surprendre,
car ses petits grains noirs, serrés, sont d'une saveur fort agréable
quoiqu'un peu acide, quand le fruit est à maturité, et se vendent
fort bien sur les marchés (4). Elle est dioïque, et, fleurit toute
l'année, jusqu'aux gelées. Le suc de son raisin est extrê-
mement coloré et fournit une magnifique encre rouge (5). Sou-
mis à la fermentation, il a donné dans notre Midi, où on a
essayé la culture du Yama-Bouto un vin ainsi composé :
Alcool 8 3
Extrait 30 15
Acide 4 75
Cendres 4 4
Les particuliers rivalisent, à cet égard, d'initiative et d'ardeur avec le gouver-
nement. A Kossougaya, à 13 lieues de Nagoya, M. Morita a converti, au prix
de frais énormes, d'immenses plateaux voisins de la mer en vignobles où
s'entre-mêlent les cépages de France et ceux des États-Unis. Puissent-ils ne
point se nuire mutuellement!
Autant en font dans le Nord de Ttle de Nippon, à Hirosaki (ken d'Awomori),
MM. Fousila, Tougari, Kikouki, et le préfet prend tant d'intérêt à ces planta-
tions, qu'il a conduit, lui-même, notre compatriote les visiter.
Fait digue de remarque, MM. Morita et Fousila sont, l'un et l'autre,
d'importants fabricants de saki, et, Tun et l'autre, plus préoccupés de Tin-
térêt public que de leur propre intérêt, n*aspirent qu'à remplacer cette boisson,
source de leur fortune, par une autre, qu'ils reconnaissent plus bienfaisante et
plus saine. Nul doute qu'ils n'y réussissent, et que, grâce à tant de soins
éclairés, il ne nous faille bientôt inscrire, — ou réinscrire — le Japon, au
nombre des pays vignobles.
M. Degron n'eût-il fait que rapporter à notre incurie tant de bons exemples qu'il
n'aurait pas perdu son voyage. Resterait, seulement, à les acclimater chez nous.
(i) BvlUHn de la SociéU d'acclimatation, 1866, 1. 111, p. 91.
(2) D' Vidal, Animaux et plantes utiles du Jtqton.
(3) Revue horticole, 1880, p. 210.
(4) Pickering, loc, cit., p. 37.
(5) D' Vidal, loc. cit.
Digitized by
Google
LA V)GNE SELON L'HISTOIRE 37
Les vignes extroflexes^ de types asiatico-américain abondent
aussi au Japon, dans les terres incultes et dans les bois. Telles
sont les Vitis labrusca, flextiosaj heierophylla (1).
En attendant que le Caucase soit, ampélographiquement, mieux
connu, c'est, donc, au Japon et en Chine, que semble être le point
de confluence et de cohabitation des deux grands types, qu'aux
temps géologiques, en un mot, semble s'être arrêté l'exode
extroflexe.
Pourquoi les Chinois et les Japonais n'auraient-ils pas utilisé,
dësle principe, ces doubles matériaux qu'ils avaient sur place(2), et
pourquoi le même fait ne se serait-il pas produit, sinon^partout, au
moins sur un certain nombre de points où la vigne pousse sans
culture? Le même hasard : du raisin, exprimé, volontairement ou
par mégarde, puis retrouvé, après une fermentation qui a converti
re jus en une liqueur spiritueuse : eiïets physiologiques inatten-
dus et réconfortants; de la généralisation tâtonnante, puis, gra-
duellement méthodique, d'un procédé fortuit, il n'en faut pas plus
pour expliquer, partout où la vigne s'est rencontrée sous les pas
de l'homme, l'origine du vin. Que le même fait se soit produit à
la fois, ou à peu près, ce qui n'a rien d'étonnant, en Chine, au
Japon, dans l'Inde, au mont Ararat, en Egypte, à Chio, en Étolie,
en Sicile, en Espagne, et toutes ces légendes, en apparence con-
tradictoires, sont ainsi mises d'accord.
Dans l'Inde, à Kachmyr tout au moins (3), croissent à l'étal
sauvage, et pêle-mêle avec tous nos arbres fruitiers, cerisiers,
abricotiers, pêchers, framboisiers, poiriers, etc., trois espèces de
vignes, YOpiman (4), le Kawaury, et le Katchébourié. Ces vignes
(I) Frarcher et Savalier, Enumeralio plantarum Japonicamm. — Bulletin de
U Société d*acclimatation^ J875, p. 37 et suiv., t. Il, p. 506. — Regel, loc. cit.
Est-ce une de celles-là qu'Henri Degrou a trouvées tout le long du cours de
risbikari (ile Hokkaido), a entourant et recouvrant en entier des arbres de
plus de 150 pieds », el, dont le diamètre, à six pieds du sol, atteint parfois
jusqu'à 33 centimètres ? Nous ne savons. Eu égard à ses énormes dimensions,
notre compatriote Ta baptisée du nom de Vitis gigantea, et il lui a reconnu
— sans déÛoition plus précise, — quelques caractères communs avec ceux des
labrusca. Il Ta retrouvée, d'ailleurs, dans l'Ile de Sada et dans tout le nord de
nie de Nippon, mais décroissant de taille à mesure qu'elle s'avance vers le
sud, bien que « toujours très rustique, et donnant de petits fruits comestibles.»
Elle di:$paralt vers lé 35* degré.
Les nombreuses boutures rapportées à Montpellier par notre compatriote
nous permettront sans doute, à bref délai, de nous édiûer sur la véritable
nalnre, comme sur les vertus antipbjlloxériques de ce Vitis {Travcuix du phyl-
kaéra, an. 1883, p. 408-424).
(2) Le Ma-jou, du Ha-mi, n'est, en somme, autre chose qu'un plant chinois.
(3) Revue horticole^ p. 485.
(4) D'après les travaux du professeur Foex, VOpimixn n'est autre que le Schi-
Digitized by
Google
38 HISTOIRE DE LA VIGNE
s'élancent comme des lianes à la cime des plus grands arbres, et
donnent de grandes quantités de raisins, d'autant meilleurs qu'ils
sont plus insolés. Avec le raisin de l'Opiman, le jardinier du ma-
haradjah, M. Ermens, qui asignalé l'existence des trois vignes, a
fait un vin rouge agréable, avec le Katchebourié un vin blanc
qu'il compare au chablis, et, avec le Kawaury, seulement un vin
inférieur. Ces vignes sont-elles réellement sauvages ou devenues
telles à la suite d'abandon d*anciennes cultures? Il est permis do
se poser cette question, car en 1822 encore, au témoignage de
Julien (1), (( la vigne était cultivée avec succès dans la vallée de
« Cachemjv, où elle fournissait non seulement du vin, rcssem-
a blant à celui de Madère, mais de Teau-de-vie par la distillation
« de ce vin. » En tout cas, rien n'autorise à penser que ces vignes
ne soient pas indigènes.
Chardin raconte que, lorsqu'il visitait le Caucase en 1672,
il vit des vignes s'élever si haut qu'il est parfois impossible d'aller
chercher les raisins. Il dit qu'il en est de même en Géorgie et
dans l'Hyrcanie orientale, où la vigne croît sans culture sur
les arbres de haute futaie, et, porte des raisins excellents, avec
lesquels on fait «le meilleur vin quise trouve.» Cent cinquante ans
après. Gamba trouva, dans les mêmes contrées, les vignes dans
le même état.
Dans une communication faite, en 1846, à l'Académie des
sciences de Moscou, Kolénati expose qu'en parcourant (2), en
1845, les rives du Terek, il vit des vignes sauvages ou re-
devenues telles, « wild oder verwildert », grimper autour des
arbres et des buissons, et dont les formes le frappèrent. Ces
formes constituaient deux grands types, comprenant chacun un
grand nombre de variétés ou sous-espèces, dont Kolénati a
essayé de donner une classification. Les premières, plus nom-
breuses, caractérisées par des mérithalles courts, et par des poils
cellulaires [Zellhaaren)^ dont les intervalles sont remplis de poils
laciniés, dits poils protecteurs (5cAû/5Aaarew), les secondes, moins
abondantes, n'ont que des poils protecteurs, d'où, pour les deux
tribus, les qualifications génériques de Flauenblatirige ou
Ptilophylles (à feuiUes duvetées) et de Nackblàttrige ou Gymno-
phylles (à feuilles nues). Quant aux subdivisions, elles portent sur
radumli « qu'on avait cru jusqu'ici originaire de Perse » (Commission supé-
rieure du Phylloxéra, 1881, p. 98). Et voilà comment Tampélographie récèle,
vraisembliiblement, le dernier mot des origines.
(1) Julien, Topographie de tous les vignobles connue, p. 475.
(2) Bulletin de P Académie des sciences de Moscou, 4846.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 39
la couleur (verle, rouge, jaune), des nervures foliaires et des
pépins, sur la longueur du lobe médian, etc., etc.
Kolenati a retrouvé ces vignes dans Tlniérétie, dans le Schirvan
àSleki,Somchezien, Gambaki, Elisabelhopol, Karabagh,et, dans
une partie de la haute Arménie, jusqu'à Alexandropol : elles
y poussent à l'état sauvage : il les a vues au mont Ararat, où,
même la tradition ne peut assigner aucune trace de culture, et,
aussi, dans des endroits où toute culture était impossible. Karl
Koch, qui a fait deux fois, dans le but spécial de s'éclairer
sur l'origine de la vigne, le tour de la Transcaucasie, de l'Asie
Mineure, du Kurdistan et de la Perse, a écrit sur ce sujet les
lignes suivantes que nous croyons devoir placer in extenso sous
les yeux de nos lecteurs (1).
«' La vigne, aussi loin qu'atteigne l'histoire des hommes, se
montre déjà à l'état de culture, comme nos céréales. Nulle parton
ne trotive de trace certaine de son commencement. Après que Hum-
boldt, informé que j'avais trouvé la vigne sauvage, eut, dans ses
Apparences de la nature, aiguisé ma perspicacité scientifique, j'ap-
pris, par des recherches ultérieures plus approfondies que je n'a-
vais eu affaire dans cescontrées qu'à des vignes devenues sauvages.
« La vigne croît, encore maintenant, au plus profond des
forêts de l'ancienne Colchide, pays de surantique {uralten) cul-
ture : elle y croît en pleine liberté, et attache aux plus hauts
sommets, principalement des hêtres rouges, ses sarments souvent
chargés de raisins. Ou bien, elle occupe, au pays des Lazes,
de grands espaces sous les formes d'une espèce colchidiennc
qui forme des haies le long des cours d'eau, des montagnes,
et dont les baies sont presque dépourvues de pulpe. Examine-
l-on de plus près le premier cas, on constate que la vigne se
trouve dans les bois nullement à l'état d'arbuste, mais, souvent, à
celui de véritable arbre, et, si on relève, en forme de plan, les
emplacements de ces arbres, on les trouve disposés en quinconces,
genre de plantations que les anciens affectionnaient pour les vignes.
« Les indigènes cueillent, dans les bois, à la saison, ce qu'il leur
faut de raisins pour leur usage. Pour préparer le vin, ils font dans la
mollasse, facile à travailler, des trous en forme de vase étrusque,
appelés kuptschin, et y laissent couler le jus obtenu par foulure.
« On couvre l'ouverture du vase d'une table d'ardoise, qu'on
soulève en temps opportun pour donner issue à l'acide carbonique.
On répand, ensuite, sur Tardoise, de la terre qu'on y laisse jusqu'à
i) Die Baume und Str'àucher des altcn Giiechlands, p. 24-7-248, Berlin. 1884,
.^^ ' Digitizedby VjOOQIC
40 HISTOIRE DE LA VIGNE
ce que le vin soit buvable, c'est-à-dire jusqu'à NocM. On le liiv
ensuite dans des outres de peaux d'animaux, jusqu'à ce que
le kuptschin soit vide. C'est ainsi qu'on préparait le vin dans
l'ancienne Colchide lorsque j'y suis allé, et qu on devait le pré-
parer dès le temps de l'enchanteresse Médée. »
Si nous nous sommes si longuement étendu sur ce sujet, c'est
qu'il y a aussi comme une espèce de mot d'ordre, de regarder les
régions transcaucasiques, circumcaspiennes et circumpontiques,
comme le pays d'origine de la vigne, d'où elle aurait rayonné sur
le monde entier, transportée par la main des navigateurs. S'il en
est ainsi, et s'il faut croire, comme l'école du grand botaniste,
Alexis Jordan, à la pérennité et à l'immutabilité des espèces, on
devrait retrouver dans ces régions, comme dans une sorte de
pépinière modèle, les types des vignes cultivées des divers
pays (1). Ce serait là une recherche intéressante et qui pourrait
être utilement confiée aux Écoles de vignes^ lorsque, à l'exemple
de la Russie, de l'Autriche, de l'Italie, on se sera décidé à
introduire chez nous cette institution féconde.
La vign^e en Italie. — La longévité presque illimitée de la
vigne, surtout lorsqu'on ne la tourmente pas parla taille courte,
a été de tout temps pour les naturalistes, depuis Pline jusqu'à
Carrière (2), un véritable article de foi. « A Populonium (Piom-
bino), dit Pline (3), nous voyons une statue de Jupiter faite avec
un seul cep et les siècles ne Font point endommagée. »
Plante essentiellement grimpante, ce qui Ta fait classer avec
raison par Spach dans la famille Ae^ Sarmetitacées (4), la vigne, là
surtout où elle trouve des appuis pour la soutenir, couvre ra-
pidement des espaces considérables; aussi, n'est-on point étonné
(1) Faire par ses yeux et sur place, c'est-à-dire dans les régioos Caucasique
et Nabathéenne, cette confrontation eût été le desideratum favori du grand
ampéiographe français Odart, jet comme le couronnement de son excellente
Ampélographie Universelle (*). Son grand âge seul (il avait alors 86 ans) Tem-
pécha de résoudre, ainsi, par Texpéiience ce point important de controverse
scientifique. Nous aussi, la solution de ce problème nous avait tenté. Avec
une gracieuseté que nous ne saurons oublier et à laquelle nous sommes heu-
reux de rendre hommage, M. Gazay, consul de France à Gonstanlinople, nous
a envoyé quelques-uns des matériaux qui plus tard nous permettront peut-
être d'élucider cette question, mais les échautillons n'étaient ni assez
nombreux ni, malheureusement, assez bien conservés pour nous autoriser
à conclure en suffisante connaissance de cause. Nous préférons, donc attendre,
pour cela, de nouveaux envois.
(2) La Vigne, passim.
(3) Histoire naturelle, traduction Littré. Paris, Firmin-Didot, p. 521.
(4) Chez les anciens botanistes, Tidée de liane était si bien attachée à celle
(•) Tours, 1878. Voir Introduction, p. llî.
Digitized by VjOOQIC
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 41
de lire dans Pline qu'à Rome, un seul pied de vigne, dans
les portiques de Livie, ombrageait une promenade publique, et
fournissait douze amphores (233 litres de vin).
Porret rapporte (1) qu'un muscat blanc, planté en 1720 à
Besançon par un menuisier nommé Billot, couvrait en 1731,
c'est-à-dire onze ans après, non seulement son mur et son toit,
mais les toits des maisons voisines, et produisait 4206 grappes
de raisin. Enfin, Rivière a vu en 1871, dans une visite à la ferme
Barrot , à Philippe ville , une vigne arabe dont les milliers de rameaux ,
s'entrelaçant ensemble et se marcottant naturellement, avaient fini
par former une véritable forêt, dont la somme des ramifications,
en n'y comprenant que celles inférieures à S centimètres de
diamètre, présentait un développement de 424 mètres. La souche
avait 0",93de circonférence (2).
Autant le développement superficiel est rapide, autant, et par
celamème, est lent fépaississement diamétral delà tige (3), lorsque,
surtout, comme ici, la sève n'est point artificiellement refoulée par
la taille. Quelle immense série d'années ne représente donc point
le développement de cette sarmentacée jusqu'au point de pouvoir
fournir une bille apte à être transformée en statue? Si on ajoute
à cela, qu'au témoignage même de Pline, la statue de Piombino
était en place depuis des siècles, c'est-à-dire, vraisemblablement,
depuis l'époque de splendeur des Étrusques (4) bien antérieure à
de Tigne qa*ils donnaient ce dernier nom à toutes les plantes grimpantes, sur-
tout lorsque, comme les Gucurbitacées, elles étaient munies de vrilles. Ainsi
pour Dioscoride et pour Matthiole, le Momordica elateriwn était la vUiceUa;
pour Pline la bryone était la yigne blanche ; récriture (L. Regum, IV), donne
à la coloquinte le nom de vigne quasi sylvestre; Dioscoride appelait YUis nigra
une sorte de smilax, com mun, assure Sachs, en Toscane et dans le comté de Gorilz ;
Matthiole appelle VUis sylvestris la douce-amère; enûn, Guil.Pison,dan8 son
Hùtoire naturelle du Brésil, parue à Amsterdam en 1640, donne le nom de
VUis arbustiva aune sarmentacée qui croît sur les orangers qu'elle étoulfe, et
qui «< pousse spontanément de la fiente des oiseaux appelés Tityns par les Por-
tugais. » 11 ajoute que, des racines et des ramuscules de cette plante, on pré-
pare un remède efUcace contre Tentlure des pieds et celle du ventre.
De nos jours môme, la botanique devenue adulte a conservé à la clématite,
à titre d'épithëte, son ancien nom de vitalba.
({) Oistoire des Plantes, t. Vil, p. 221.
(2) Bulletin de la Société dAceUnMlationy 1871 (2* série), p. 48. Voir, aussi,
ce que nous disons plus loin de la vigne en Algérie.
(3) La treille du Musée Plantin, à Anvers, dont nous parlons également plus
loin, et qui compte, actuellement, 367 ans d'existence authentique, n*a guère
plus de 6 à 7 centimètres de diamètre maximum.
(4) Voir au musée Gampana les délicates merveilles de Tart étrusque, que,
même après la conquête de la Grèce et rhellénisation de Rome, le goût romain
n'atleifsnit jamais. A la Renaissance seule il était réserré de les faire refleurir,
sur cette même terre d'Étrurie.
Digitized by
Google
42 HISTOIRE DE LA VIGNE
la fondation de Rome, on en arrive à accueillir d'un esprit moins
étonné les inductions de Uumboldt et de Koch, et à ne point
protester trop vivement lorsqu'ils nous représentent les vignes ac-
tuelles du Caucase comme les contemporaines possibles de Médée.
Indépendamment du Jupiter de Populonium, Pline parle d'une
coupe en bois de vigne qu'on montrait de son temps à Marseille,
d'un temple de Junon soutenu, àMetaponte, par des colonnes du
même bois, et il ajoute : « Encore aujourd'hui, on monte sur
le toit du temple de Diane, à Éphèse, par un escalier fait d'un seul
cep de vigne de Chypre. » Strabon parle de troncs de vigne de
Margyane (Khorassan) et de Mauritanie, d'une dimension telle que
deux hommes avaient peine à les embrasser de leurs bras tendus.
Selletti (1) rappelle que les portes de la cathédrale de Ravenne,
de Saint-André à Verceil, et de Sainte-Sophie de Constantinople,
sont également construites en bois de vigne, et que les ais de
celle de Ravenne mesurent plus de 4 mètres de haut sur 0",40
de large. Les panneaux en bois de vigne de la salle du chapitre au
couvent de Saluées n'ont pas moins de 0"',23 de côté, et Selletti a
personnellement observé à Pic di Molera, à la sortie de la vallée
Anzasca,un tronc de vigne de O'^jTTde circonférence. Schulz en a
vu à Beitschin près de Plolémaïs un de 0",45 de diamètre.
D'accord avec les données géologiques, de tels faits font évidem-
ment remonter, pour les paysdontil s'agit, l'existence de la vigne
aune antiquité antérieure à toute histoire. Varron dit, au reste,
que Mézence, roi d'Élrurie, secourut lesRutules contre les Latins
à condition qu'ils lui donneraient le vin alors existant dans les
limites du Latium. A l'époque fabuleuse où bataillaient les héros
de roman de V Enéide, Vushge du vin était donc, déjà, familier dans
VŒnoiria tellus. Ce vin était-il fourni par ces vignes sauvages, à
petits grains, dont au xvn** siècle (2), on faisait du vin en Sar-
daigne et dans la Lomelline, et dont on en fait encore en Camar-
gue (3) ? Était-il dû à ces vignes à raisins plus gros dont
Pline (4) nous énumère les trois genres principaux, savoir, les
Aminéennes à gros bois, les Nomentanes à bois rouge et les
Apianes ou muscats qu'il déclare originaires d'Italie, et, ces
dernières plus particulièrement d'Étrurie ? Ces Variétés étaient-
elles filles des vignes « sylvestres », commensales du même
sol, ou leurs congéniales ? C'est une question que, dans l'état
{{) Pielro Selletti, loc. cU,, p. 286.
(2) Sachs, Ampelographia, p. 4.
(3) Henry Mares, la Ferme, 4865, p. 209.
(4) Pline, loc. ci/., p. 523.
L
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L^fllSTOlRE 43
actuel de Tampélographie, on ne peut, encore, que poser.
Dans son traité intitulé : « Lequel est le plus utile du feu ou de
Feau » ? Plutarque avance, il est vrai, que la vigne fut apportée
en Italie par les Grecs, « dans les premiers temps de Rome. »
Mais, cette affirmation est en contradiction formelle, non seulement
avec le traité de Mézence, dont l'exactitude pourrait peut-être pa-
raître sujette à contestation, mais avec un ensemble de faits,
rapportés par divers historiens, et qui démontrent l'existence, et du
vin et de la vigne, en Italie, au temps même de Romulus. Romulus
lui-même buvait du vin à l'ordinaire. Il en buvait, il est vrai,
modérément, non point qu'il en fût privé, mais, par sobriété natu-
relle, vertu sur laquelle,' en ce qui concerne au moins le sexe
aimable, il parait n'avoir pas entendu raillerie (1). C'est ainsi
qu'Égnatius Metellusfitpérirsa femme à coups de bâton pour avoir
bii du vin au tonneau [e dolio), et qu'il fut absous de ce meurtre
par Romulus (2). Le même fait est, aussi, rapporté par Valère
Maxime (3). Il y avait donc, déjà, non seulement du vin, mais du
vin en tonneau chez les particuliers, pour leur provision domes-
tique. Toutefois, ce vin était encore rare, et, dès les premiers mo-
ments, les gouvernants de Rome se préoccupèrent d'en restreindre
l'usage aux proportions de la production actuelle, en attendant
qu'ils en eussent augmenté et amélioré la production future. C'est
dans ce triple but, sans doute, que Romulus faisait les libations
avec du lait au lieu du vin, et que la loi Postumia de Numadit for-
mellement : « N'arrosez pas le bûcher avec du vin », et interdit les
libations aux dieux avec <c du vin provenant d'une vigne non
taillée {imputata). » C'était, observe fort judicieusement Pline,
« pour obliger à la taille de la vigne un peuple laboureur peu en-
vieux de s'exposer sur les ai'bres qui la portent. » La vigne avait
donc, dès ce moment, acquis des dimensions peu conciliablesavec
une introduction récente. Le péril redouté par les laboureurs n'avait
d'ailleurs rien de chimérique, car Pline nous dit, ailleurs, que les
vignerons de laCampanie,oùla vigne était aussi mariée aux arbres,
stipulaient, avant la cueillette, le prix du bûcher et du tombeau(4).
(1) « On rapporte qu'invité à un repas, Romulus prit fort peu de vin, parce
qu'il avait le lendemain une affaire à traiter. On lui dit :« Romulus, si tout le
monde faisait comme vous, le vin se vendrait moins cher ! — Au contraire, dit-
il, il serait plus cher si chacun en buvait selon son désir, car c'est ainM que
j'en ai bo moi-même. » (Annales de L. Pison Frugi, citées par Aulu-Geile, les
NuUs aUiques, 1. XI, ch. xiv. Paris, Garnier, t. Il, p. 78.)
(2) Pline, loc. ciL, p. 533.
(3) Valère Maxime, trad. Binet, t. II, p. 40.
(4) Pline, /oc. ci(., p. 52J.
Digitized by
Google
44 HISTOIRE DE LA VIGNK
Il y avait, donc, du vin et des vignes en Italie, dès la fondation de
Rome. Mais, il est possible que, dès ce moment, et même aupara-
vant, par la « Grande-Grèce », les Grecs aient importé dans Tlta-
lie tyrrhéno-latine, ces autres plants que Pline^ après avoir énu-
méré les cépages indigènes, déclare y avoir été transportés de
ChioetdeThasos(l).
Malgré ce renfort, on parait avoir été longtemps très économe
du vin à Rome. Tout d'abord, soit par économie, soit par crainte
d'excès dangereux pour la sécurité des maris, défense aux femmes
d'enboire sous les peines les plus rigoureuses, ainsique le prouvent
non seulement l'histoire d'Égnalius Metellus, mais d'autres
exemples analogues. Fabius Pictor, qui vivait trois siècles avant
notre ère, rapporte l'histoire d'une dame que ses parents firent
mourir de faim pour avoir descellé le coffre contenant les clefs du
cellier. Le juge G. Domitius condamna une femme pour avoir bu,
à Tinsu de son mari, a plus de vin que n'en exigeait sa santé (2). »
Caton dit, enfin, que les parents embrassaient les femmes pour
s'assurer si elles sentaient le tementum (c'était alors le nom du
vin, d'où temulenta^ ivresse).
Pourtant, comme, avec le ciel, il a toujours été des accommode-
ments, rinterdiction, d'absolue ne tarda point à devenir relative^
et Polybe nous apprend qu'il fut ultérieurement permis aux
femmes de boire du vin cuit, fait avec du raisin cuit (3J. D'après
un passage des Fastes d'Ovide^ Spire Blondel croit pouvoir faire
remonter cet adoucissement à l'époque de Tarquin le Su-
perbe (4).
En même temps, et sans doute avec la diflusion croissante
du vin, son emploi était devenu moins limitatif. La loi des
Douze Tables en 303, n'interdisait plus pour les funérailles que^
(1) Pline, /oc. cit., p. 521.
(2) Id.,i6td., p. 533.
(3) Voici le curieux paragraphe de Polybe qui se réfère à ces usages et con-
lirme celui de Caton : chez les Homains, Tusage du vin est interdit aux femmes
mais il leur est permis de boire du vin cuit. On le fait avec du raisin cuit; il
est semblable pour le goût au vin léger d'Athènes ou de Crète. Mais, si Tune
d'elles a bu du vin, elle ne peut cacher ce fait : d^abord parce que la femme
n'a pas à sa disposition le cellier à vin ; ensuite parce qu'il faut qu'elle baise
sur la bouche ses parents et ceux de son mari, jusqu'aux Ûls de ses cousins,
et cela tous les Jours, et aussitôt qu'elles les aperçoit. Ainsi, ne sachant pas
qui doit lui parler, ou qui elle doit rencontrer, elle se tient sur ses gardes. En
effet, si elle avait seulement goûté à du vin, il n'y aurait pas besoin d'autres
indices pour la faire découvrir. (Polybe, Fragment du livre VI recueilli par
Schweighauser.)
(4) Spire Blondel, Les grands vins de V antiquité (Aeuue Britannique, 1883,
p. 427.)
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 45
remploi du vin « myrrhe». Ce sont celles-là que Cicéroo, dans ses
Loisy qualifie de somptueuses : « ne sumptuosa respersio su. » Ces
mêmes lois fixèrent définitivement la saison des vendanges &
l'automne , c'est-à-dire au temps où « les feuilles commencent à
tomber des vignes (1). » C'était à la même époque que L. Papi-
rius Imperator vouait à Jupiter, en cas de victoire contre les Sam-
nites, une coupe de vin (2). Peut-être, d'ailleurs, une telle offrande
procédait-elle autant de la simplicité des mœurs que de la rareté
de la « purée septembrale », car c'était aussi l'époque où, à un
triomphateur revenu d'une campagne glorieuse, on offrait pour
récompense nationale une couronne de gazon.
Quoiqu'il en soit, au temps du premier Caton, c'est-à-dire deux
siècles avant notre ère, le vin était devenu assez commun pour
qu'il fût d'usage d'en donner aux domestiques et ouvriers des
fermes. Caton (3) fixe ces rations comme suit :
Pendant trois mois après la vendange, piquette {lora) ;
Quatrième mois, une hémine de vin par jour, c'est-à-dire deux
coupes et demi (7\70) par mois ;
Cinquième, sixième, septième et huitième mois, un setier par
jour, c'est-à-dire cinq congés par mois (15\40) ;
Neuvième, dixième et onzième mois, trois hémines par jour,
c'est-à dire une amphore par mois (23*, 10);
Plus une congé pour chaque homme (3\24) à l'occasion des
Saturnales et des Compitales.
Notons encore, dans ce curieux répertoire, parmi une foule de
procédés que la viticulture rationnelle n'a point désavoués, l'idée (4),
pour la première fois exprimée chez les Romains, mais déjà
familière à Carlhage, ainsi que l'attestent les œuvres de
Magon (5), et aujourd'hui reconnue si utile, d'employer le
marc de raisin à la fumure des vignes, une méthode pom*
communiquer aux vins à l'aide de la racine d'iris (5) ce goût
de violetle si recherché aujourd'hui dans les vins de Bor-
deaux, enfin, un procédé d'analyse pour reconnaître les vins arti-
ficiellement mouillés, et qui serait bien précieux, si l'imagination
ou la crédulité n'y avait eu, vraisemblablement, plus de part que
l'expérience (6). 11 consisterait à emplir du vin suspect une coupe
(1) Spire Blondel, loc. cU,, p. 424.
(2) Plîoe, hc. cit., p. 833.
(3) Caton, de Re rM«tico, trad. Nisard, p. 22.
(4)ld.,I6i<i., p. 15.
(5) Id., I6i(i., p. 31.
(6) CalOD, loc. cit.^ p. 3i.
Digitized by
Google
4i» HISTOIRE DE LA VIGNE
en bois de lierre, lequel aurait la propriété de retenir Teau et de
laisser passer le vin. On sait que, par une propriété dialytique
inverse, la baudruche exsude Teau mélangée à Talcool, ce qui
permet de l'employer à la concentralion de ce liquide.
Pourtant, soit mauvaises méthodes de culture et de taille, soit
procédés vicieux ou barbares de vinification, les vins indigènes
n'étaient que peu prisés en Italie (1). Cela se comprend de reste,
s'ils étaient tous semblables à ce vind'Aricie, qu'on servit à Ci-
néas, l'ambassadeur de Pyrrhus, et dont il disait, en faisant allu-
sion à la hauteur des raisins provenant des vignes qu'on laissait
croître librement sur les arbres : « que c'était justice d'avoir atta-
ché la mère d'un tel vin à une croix aussi élevée (2) » Quant
aux vins grecs, ils constituaient pour les Romains de cette époque
une véritable friandise, dont la rareté, et aussi l'engouement
pour l'inconnu et le lointain, ne contribuaient point peu, sans nul
doute, à augmenter la faveur.
«LucuUus enfant,» dit Varron, cité par Pline (3), «ne vît jamais,
chez son père, un repas, même d'apparat, où on servît plus d'une
fois du vin grec. » A son retour triomphal d'Asie, il en fit distribuer
en largesse au peuple cent mille cadus, c'est-à-dire 38,000 hecto-
litres, quantité phénoménale, dont, malgré le faste proverbial du
personnage, il y a, sans doute, à rabattre un peu. « C. Sextius,
que nous avons vu préteur, » ajoute Varron, « disait que le vin de
Cbio n'était pas entré dans sa maison, avant que le médecin ne
lui en eût ordonné pour la maladie cardiaque. »
A mesure, cependant, que, lassée de victoires et cédant à l'as-
cendant d'une civilisation supérieure, Rome devenait l'élève et la
captive morale de la Grèce vaincue (4), son agriculture s'helléni-
sait, sans doute, comme ses mœurs, et des mains grecques ensei-
gnaient vraisemblablement aux maîtres du monde à faire, avec des
méthodes grecques et des cépages grecs, des vins grecs en Ralie
même. Ce n'est, en effet, qu'après la conquête de la Grèce, qu'ap-
paraissent pour la première fois,le Cécube,leMamertin,le Faleme,
dont les noms sont parvenus jusqu'à nous sur les ailes gracieuses
des odes à Lycé, à Lydie, à Lalagé, et dont notre mémoire clas-
sique est encore toute parfumée. Us font, d'abord, concurrence aux
vins grecs. Dans ses divers triomphes. César distribue au peuple par
(1) Nous disons en Italie, car, s*il faut en croire Plutarque, ils étaient fort ap-
préciés des Gaulois, dont les premières invasions avaient eu sui-toul pour but
de s'en procurer. Voir Plutarque, Vie de Camille , passim.
(2) Plutarque, Vie de Pyrrhus,
(3) Pline, loc. cit., p. 534.
(4) Grœcia capta ferum victorem ccpit.,. (Horace.)
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'BISTOIRE 47
paris à peuprës égales du Chio et du Falerae : « nommé épulion,
(prêtre chargé de fixer les repas des dieux), lors de son troisième
consulat, il distribue du Chio, du Falerne, du Lesbos et du Ma-
mertin. C'est la première fois, » remarque Pline (1), «qu'on ait
servi quatre espèces de vins. » Toujours partage égal de crus de
Grèce et d'Italie. Un siècle plus tard, dans la carte que, par la
main de Pétrone, Trimalcyon offre à ses convives, ne figurent plus
que des vins latins, et principalement du Falerne centenaire :
Falemum opimianum annorura centiim.
C'est aussi de Falerne que Quarlilla régule Giton et son compa-
gnon d'aventures.
Trimalcyon, c'était Néron, selon toute apparence. En tous cas,
c'était l'empire. Ballottée aux mains abjectes d'anibubaïes, de gla-
diateurs et decorybantes, Rome, par le spectacle de sa dégradation
et de ses vices, vengeait le monde vaincu:
sœvior armis
Luxuria incubuit, victumque ulciscilur orbem.
L'ivrognerie n'était plus un vice, c'était une mode, et il n'était
sortes d'artifices, même les plus dangereux, auxquels on ne re-
courût pour augmenter sa capacité poculative. « On imagina des
moyens d'augmenter sa soif : on prépara des poisons pour se
créer une cause de boire ; et les hommes prennent de la ciguë afin
que la crainte de la mort les force à avaler du vin. D'autres pren-
nent de la pierre ponce, et des choses que j'aurais honte d'ensei-
gner en les relatant D'autres n'attendent pas le lit (de la table),
que dis-je, ils n'attendent pas même leur tunique, mais; nus et
haletants, saisissent des vases énormes et se les entonnent pour
vomir aussitôt et recommencer cela deux ou trois fois (2)- » De
telles pratiques, pour ne rien dire de plus, étaient souvent le
chemin des honneurs. C'est ainsi que Novellus Torquatus de Mi-
lan, qui fut préteur et proconsul, gagnala faveur de Tibère etlenom
de Triconge en vidant d'un trait sous les yeux de cet empereur
trois congés (9*,72) de vin. C'est pour avoir continué à boire
sans interruption deux jours et deux nuits, queL. Pison fut, sous
le même règne, préposé à la garde de Rome.
Quant aux femmes, qui ne les voit d'ici, sablant le Falerne^
(le vin latin, toujours) à pleines congés, engloutissant des huîtres
(i) Pline, loc. ciX, p. 510-511.
(2) Id., lUd,
Digitized by
Google
48 UISTOIRE DE LA VIGNE
monstrueuses et, dans la diplopie de l'ivresse, voyant les lu-
mières doubler de nombre et les toits tourner autour d'elles :
Quid enim Venus ebria curel ?
Grandia quœ mediis jam noctibus ostrea mordet
Quum perfusa mero spumanl unguenta Falemo,
Quum bibilur coucha, quum j£un verligine leclum
Ambulat, et gcininis exsurgil mensa lucernis (1).
Qui ne les voit aux fêtes de la bonne Déesse (2) courant nues les
unes après les autres sous le fouet cinglant de Juvénal, et as-
pergeant mutuellement de vin, leurs corps lassés de luxure,
comme pour éteindre, sous ce liquide brûlant comme elles, leurs
ardeurs inassouvies:
quantum tune illis mentibus ardor
Goncubitus ! quœ yox, saliente libidine ! quantus
Ille meri yeteris per crura madentia lorrens!
Les lois de tempérance étaient bien loin, et pourtant, comme
par une sorte de dérision, la vérification osculaire de l'ivresse par
les parents continuait à avoir force de loi, ce qui rendait souvent
les vérifications et les parentés plus nombreuses que de raison.
On connaît les vers par lesquels la jalousie de Properce se plaint
auprès de Cynthie de ces parentés apocryphes :
Quia etiam, falsos fingis tibi sœpe propinquos,
Oscula ne desint qui tibi jure ferant.
Dans la Grandeur et Décadence des Bomaitis, Montesquieu
a exprimé cette pensée qu*une des causes profondes de la grande
fortime de ce petit peuple, simple poignée d'aventuriers à son
début, fut qu'il sut toujours prendre aux nations vaincues et s'assi-
miler ce qu'elles avaient de bon. C'est cette politique qu'ils prati-
quèrent, îorsqu'après la prise et le sac de cette Carlhage, contre
laquelle ils avaient déployé tant de rage aveugle, ils recueillirent,
on pourrait presque dire « pieusement », au milieu des ruines,
les ouvrages agricoles de Magon, et en firent multiplier les
traductions, qui devinrent, en quelque sorte, le Manuel de leur
propre agriculture. Très fréquemment, en effet, Magon est
invoqué par les agronomes latins tels que Pline, Columelle,
Palladius, comme une autorité dont le nom seul tranchait tout
(1) Juvénal, Satire 6.
(2) Id., Ibid.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L*HISTOiaE 4»
débat. Telle dut être, à plus forte raison, leur manière d'opérer en
Grèce, pour laquelle, loin de ressentir, comme pour Carthage, une
exécration séculaire, ils éprouvaient plutôt une admiration en-
fantine. Moins d'un siècle après la prise simultanée de Carthage
et de Corinthe, (614 de Rome), la langue, les mœurs, les cou-
tumes, la philosophie grecques avaient pris pleine possession
des classes lettrées dltalie, à qui certainement Hésiode, Théo-
phraste, Aristote et l'innombrable kyrielle d'autres naturalistes et
agronomes cités par Varron, et aujourd'hui perdus, étaient de-
venus aussi familiers qu'aux natifs de l'Asie Mineure et de
la Hellade.
Peut-être est-ce de ces inconnus d'aujourd'hui que, dans son
de Be rustica, Palladius veut parler, et dont il s'inspire, lorsque
revient, comme un refrain, son « ut Grseci dixerunt^u Quoi qu'il en
soit, il est fort remarquable que c'est dans le siècle qui suit
la conquête de Carthage et de la Grèce, que s'accomplit la révolu-
tion œnologique dont nous avons parlé, c'est-à-dire la production
des crus italiens et leur substitution graduelle, dans la con-
sommation indigène aux vins grecs. Vers l'an 700 de Rome,
suivant Pline, l'évolution est arrivée à son terme (1).
D'expériences faites, il y a sept ou huit ans, à la station ceno-
logique de Gattinara, il résultait que les vins italiens présentent
une moyenne de 7 pour 100 d'acide, qui n'est approchée que par
les vins d'Autriche (6,46), cette moyenne variant, pour tous les
autres vins, de à 5,50. L'ingénieur Selletti, dont nous avons
eu déjà et dont nous aurons encore l'occasion de citer fré-
quemment l'excellent traité, n'hésite pas à attribuer en majeure
partie ce résultat à la culture à vigne haute, qui nuit à la
maturation des raisins. Résultat parfaitement d'accord avec
le mot de Cinéas.
Pour remédier à cet excès d'acidité, qui rend les vins italiens
âpres, désagréables et « ruvidi », Selletti propose la substitution
des vignes basses aux péniche^ aux festoni^ aux pergolatiy l'a-
bandon des cépages tardifs, la réduction des plants conservés
à un petit nombre, enfin une cueillette aussd tardive que pos-
sible, afin de donner à la grappe le maximum possible d'inso-
lation.
La lecture des agronomes latins ne laisse aucun doute que,
sans avoir une notion aussi adéquate de la nature des choses que
les œnologues d'aujourd'hui, la réforme viticole, qui aboutit à la
({) Pline, loc. cit,, p. 534.
(2) Selletti, loc. «(., p. 16 et 17.
TBAITÉ DE LA MGNK. — 1 4
Digitized by
Google
50 HISTOIRE DB LA VIGNE
création des grands crus d'Italie, ne se soit inspirée des mêmes
principes.
Tout d'abord, en ce qui concerne la conduite de la vigne,
Varron nous parle pour la première fois de vignes rampantes,
« htimileSj comme on en rencontre en Espagne. Cette espèce
est, aussi, commune dans certains cantons de l'Asie où les
renards et les souris vendangent autant que les hommes, à moins
qu'on n'ait le soin de multiplier les pièges, comme cela se pratique
dans l'île Pandataire (1). » Pour éviter ces inconvénients, on peut
surélever les bourgeons à fruits au-dessus du sol, à l'aide de
petites fourches {furcillœ) (2) de deux pieds, qu'on rentre après la
vendange. « La plus grande partie du monde, » a fait observer Pline,
mieux ou plus complètement informé, « vendange des grappes
ainsi couchées sur le sol ; car cet usage prévaut en Afrique, en
Egypte, en Syrie, dans l'Asie entièrCj et dans plusieurs contrées
de l'Europe. »
Indépendamment de ces « vignes courantes », qu'il comprend
déjà parmi les modes de culture italiens, Pline en énumèro
quatre autres, qui sont :
l*Les vignes basses sans échalas;
2'' Les vignes écbalassécs sans perches transversales;
3* Les vignes échalassées et portées sur une perche trans-
versale (Jugum);
4* Celles qui sont échalassées et portées sur quatre perches
transversales.
De ces méthodes, Pline donne sans hésitation la préférence à la
troisième, échalas à « joug » simple, qu'il appelle « canterium » et
qui n'est point sans analogie avec le système auquel, de nos jours,
le docteur Guyota donné son nom. «Elle est la meilleure pour le
vin, car, de cette manière, la vigne ne se fait pas d'ombre, elle est
mûrie continuellement par le soleil, elle ressent mieux l'action du
vent, et la rosée en est plus promptement chassée ; c*est, aussi,
celle qu'on effeuille, qu'on bêche, qu'on travaille avec le plus de
facilité ; surtout, elle coule moins en défleurissant (3). »
Pourtant c'est le second système, celui de Téchalas sans
traverse, qui a conservé en Italie le nom de vigna latina, ou de
« vigna ad alberello », et qui y passe pour indigène. Dans son
excellent traité de viticulture, que nous ne saurions trop re-
(1) Varron, Rerum rusticarum de agrkuUitray p. 71. (Trad. Nisard.)
(2) Ce sont les vignes en « chaintres », qu*on nous donne aujourd'hui pour
une nouveauté.
(3) Pline, loc, cit., p. 634
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 51
commander à nos compatriotes, Arnoldo Strucchî (1) dit que
« celle mélhode peut à bon droit revendiquer la qualification
à'italiewie, ayant été largement appliquée en Sicile, dès les temps
primitifs, où la vigne fut cultivée dans cette région privilégiée
de la nature. »
Au reste, c*étaient le second système [alberello) et, plus encore
le premier (sans échalas), que préconisait Columelle, homme plus
pratique et observateur plus direct que Pline. « De toutes les
vignes que j'ai connues par moi-même y il n'y en a pas que
j'approuve plus que celles qui, semblables à de petits arbrisseaux,
ont la jambe courte et se tiennent toutes seules et sans appuis, et
après elles, celles que les paysans appellent canteriatœy et qui
sont soutenues sur des appuis séparés (2). )>
De toute façon, vigne sans échalas, à échalas simple ou à
échalas en équerre, c'est toujours de la vigne à taille relative-
ment basse. Columelle fixe, en effet, à 7 pieds (2'',065) la hauteur
maxima, à 4 pieds (l^^ySS) la hauteur minima, et à 5 pieds (l'',475)
la hauteur moyenne (3) des ceps, et Palladius,qui, à l'exemple de
Columelle, déclare que rien ne vaut les ceps « qui se tiennent sur
tige très courte, comme de petits arbres», estime que leur hauteur
ne doit pas dépasser un pied et demi (0°^,442). Il y a loin de là à
ces vignes folles d'Aricie, dont on ne pouvait hasarder la cueil-
lette sans s'être préalablement assuré un tombeau. Pas plus loin,
cependant, que de la recommandation de Palladius au précepte
de Calon (4) : « quam altissimam vineam facito , » Ce sont là en
quelque sorte les deux pôles de* l'évolution viticole que nous
avons signalée.
Au temps de Pline, la méthode qui consiste à porter au besoin
même jusqu'à l'excès la maturation du raisin était déjà appli-
quée dans la Gaule méridionale, à peu près comme (5) elle
l'est encore à Montbazillac (Dordogne). « Il y a aussi une espèce
àiAigleucos naturel, qui est nommé doux par les habitants de
la province Narbonnaise, et spécialement par les Vocontiens...
on conserve longtemps le raisin sur pied, en tordant le pédicule de
la grappe... d'autres font sécher le raisin sur des tuiles : il n'y a
que la vigne helvénaque qui soit employée à cet usage. Quelques-
(i) Arnaldo Strucchî, Eslendiamo e miglioriamo la coltirazione délia vi<c:avec
48 gavures et 2 planches, p. 65, — Milan, chez Carlo Brigola.
(2) Columelle, loc, cit., p. 287.
(3) fd., ibid., p. 263.
(4) Calon, loc. cit., p. ^5.
(^) Pline, loc, cit., p. 532.
Digitized by
Google
52 HISTOIRE DE LA VIGNE
uns ajoutent à la lisle de ces vins doux, ce qu'on nomme dia-
chyton : on le fait en séchant les raisins dans un lieu clos
pendant sept jours sur des claies, à sept pieds du sol, à Tabri,
la nuit, de la rosée, et en le foulant le huitième jour: celte prépa-
ration donne un vin d'un goût et d'une odeur excellents. »
Columelle et Palladius, qui n'a fait, en cela, que le copier ser-
vilement, recommandent au vignerom de n'employer qu'un petit
nombre de cépages préalablement éprouvés au point de vue du
climat, du sol et du mode de culture y car, un changement dans
ces conditions ou parfois seulement dans Tune d'elles, peut ame-
ner la dégénérescence du plant. Columelle évalue à 4 espèces
la composition moyenne d'un vignoble. Espèces, non complé-
mentaires mais supplémentaires les unes des autres, en ce sens
qu'armées par leur constitution spéciale contre des ennemis
divers, elles auront, respectivement et alternativement, chance de
sauver leur récolte d'une intempérie ou d'un ennemi mortels à
celle de leur voisine. De toute façon, Columelle, Palladius, Var-
ron, s'accordent à recommander la répartition de ces divers cépages
en carrés séparés, qui en facilite la récolle, et, en cas où la matu-
ration n'en serait que successive, la cueillette, successive aussi
des divers carrés, en commençant, pour chacun d'eux, par le-
côté directement opposé au soleil.
Tels sont les procédés qui, en moins d'un siècle, avaient fait
passer la viticulture italienne d'un état rudimentaire, sinon bar-
bare, à une perfection que beaucoup de pays modernes pourraient
lui envier. Jamais le monde ne fut témoin d'une évolution éco-
nomique à la fois plus féconde et plus rapide, et on ne peut
guère se défendre de s'associer à l'élan de lyrisme auquel l'esprit
d'ordinaire plus rassis du grand naturaliste romain s'abandonne
à la constatation de ce résultat :
« Elle (la vigne) donne à l'Italie une supériorité si spéciale,
« que, par ce seul trésor, on peut le dire, elle l'emporte sur les
« écrins végétaux de tous les pays (1). »
Pourtant, si elle avait perdu sa prédominance, sinon sa domi-
nation exclusive, dans les régions purement latines, s'entend, la
culture à haute tige n'avait point complètement disparu. Loin
de là : elle comportait, même, des modes assez divers. Tout d'a-
bord, il y avait la vigne « mariée » aux arbres : peupliers, ormeaux,
oliviers, mûriers, érables, etc. C'est ce que Virgile appelle :....
Ulmis adjungere viles,
(\) Pline, toc. ct7., p. H2<.
Digitized by VjOOQIC
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 53
H Dans certaines contrées d'Italie, on taille, » dit Pline, « de ma-
« uière que, les sarments de la vigne étant étendus le long des ra-
« nieaux de Farbre, Tarbre se trouve tout revêtu de pampre et les
- sarments de raisins ; » ailleurs, « le long de la voieEmilienne, de
« manière que la vigne enlace le tronc, mais en fuit le feuillage. »
C'est le « hautain » tel qu'il se pratique encore dans nos Pyré-
nées, où il ne fournit guère autre chose qu'une sorte de piquette.
Un troisième procédé consistait à faire courir au-devant Tun
de l'autre les sarments de deux vignes respectivement « ma-
riées » à des arbres placés à des distances de 20 à 40 pieds. Chose
singulière, cette disposition que Pline et Columelle (1) donnent
comme exclusivement gauloise a disparu de notre pays et, par
contre, est très usitée en Italie, dans les plaines de Yénétie, de
Toscane, de Romagne et des Marches (2), où elle porte le nom
de méthode a festoni. Rien de plus gracieux que cette écharpe
de verdure jetée d'un arbre à l'autre, et qui a certainement ins-
piré la décoration de lierre et de platanes de la fontaine Médicis :
par malheur, le résultat œnologique est loin de répondre à Teflet
décoratif.
Enfin, nous avons vu que Pline parle de vignes reliées par
quatre hauts piquets transversaux entre et sur lesquels elles
forment à la fois une muraille et un toit de pampres. Ce système
est encore usité en Ligurie (3) sous la dénomination de méthode
c pergolatOy et Amaldo Strucchï cite à Albissola, chez la famille
Gavotti, de ces portiques de verdure qui n'ont pas moins de
600 m. de long. Chose bizarre, les perçolati se trouvent sporadi-
quement localisés en France aux confins de la Charente et des
Deux-Sèvres, dans les arrondissements de Ruffec et de Melle. Ils
y sont plantés de « Balzac » (Mourvèdre), et les produits, unique-
ment consommés en famille par les cultivateurs, sous le nom de
« boisson », pourraient, au point de vue de l'exécrabilité, rendre
des points au fils de la vigne de Gnéas.
Aussi, tous les vins d'Italie n'étaient-ils point du Falerne. Tout
le monde a dans la mémoire les plaintes du pauvre parasite con-
damné à boire du vin à peine bon à dégraisser la laine,
Vinum quod succida nolU
Lana pati (4)
(l)PliDe, loc, cit., p. 642. — Columelle, hc, cit,, p. 298.
(2) Arnaldo Stracchi, loc. cit., p. 75 et 76, fig. 25.
(3) Id., ibid., p. 85 et 86 et pi. 1.
(4) Juvénal, Sat.,\.
Digitized by
Google
64 HISTOIRE DE LA VIGNE
pendant que son hôte s'enivre à son nez et à sa barbe de vins
d'Albe et de Setines, dont la vétusté a rongé réliquelte(l):
Albanis aliquid de montibus aut de
SeteniSy cujus patriam titulumque senectus
Delevit muUa veteris fuligine testae.
Supplice cruel, digne d'être décrit par Brillât-Savarin, et dont les
riches Romains, ces parvenus mal appris de la victoire, n'étaient
point chiches envers leurs convives.
« Il y avait, » dit Pline le Jeune, «trois sortes de vins dans de
« petites bouteilles diiïérentes, non pas pour en laisser le choix,
« mais pour l'ôter. Le premier était pour le maître de maison et
« pour nous qui étions aux premières places, le second pour les
« amis de deuxième rang, (car il aime par étage), le dernier pour
« ses affranchis et pour les nôtres. » Pline, pourtant, blâme ce
procédé comme peu généreux, et, pour donner une leçon à ce
mauvais riche, sert à tout le monde, y compris lui-même... du vin
d'affranchi. Le père Grandet n'eût pas trouvé mieux.
Le vin de Sorrente était recommandé par les médecins pour
les convalescents à raison de sa légèreté. Pourtant, au dire de
Tibère, ce n'était qu'un bon vinaigre (2), et selon Catigula, qu'une
piquette renommée. Le vin trouble de Véies était encore moins
estimé : « Tu me sers du vin de Véies, » dit Martial, « et tu bois du
« Massique. J'aime mieux flairer ta coupe que vider la mienne. »
U en était de même du vin du Vatican et du vin de Sabine,
que le vaniteux Cotta offrait à ses invités dans une coupe d'or.
« Qui voudrait boire dans l'or, » lui reproche Martial, «du vin plus
« vil que le plomb? » Quant au vin des coteaux de Ligurie (per-
golati) et au vin de Pelignum, « ce liquide trouble et empoisonné
« que le Corse verse dans ses tonneaux, ils étaient bons pour les
« affranchis, qui se régalaient également avec le moôt enfumé
« de Marseille, dont le poète de Biblis s'est spirituellement
« moqué (3). »
Le vin de Signia, enfin, était tellement astringent qu'il n'était
employé que comme médicament contre les diarrhées rebelles, à
la manière du ratanhia. On voit que l'Argenteuil, qu'il faut, sui-
vant le dicton populaire, « se mettre à quatre pour boire », était
encore dépassé.
En somme, bons ou mauvais, italiens ou exotiques, les vins
(i) Juvénal, Sat,^ iv.
(2) Pline, loc. cit., p. 529.
(3) Spire Blondel, Revue Entannique, nov. 1883, p. 46.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE d5
connus et catalogués, ne comprenaient pas, au temps de Pline,
moins de 195 espèces, dont 80 regardées comme supérieures :
les deux tiers de ces dernières étaient fournis par Tltalie (1).
C'était là pour la Péninsule une grande source d'abondance
et de richesse, dont les Romains eux-mêmes ne pouvaient s'em-
pêcher de s'émerveiller.... Quel vin, dit Varron (2), est compa-
rable au Falerne? « Est-elle plus peuplée de vignes que l'Italie,
celte Phygie d|Mrc^d€<i<ia (viticole), comme l'appelle Homère? Dans
quel pays du monde un arpent produit-il 10, et même 15 culei
de vin, comme certaines contrées de l'Italie (2 à 300 hectolitres,
soit 86 à 129 fûts « Bordelais » actuels par hectare) (3) ?
Ces chiffres sont vraisemblablement empreints d'une certaine
exagération, et, peut-être est-ce le cas de se rappeler ce mot de
Peignot (4), que « les anciens nous ont laissé beaucoup de faits
« qui résistent à la crédulité la plus aveugle ». Columelle nous
semble plus raisonnable, lorsqu'il déclare que ceux qui joignent
lattention aux connaissances « doivent récolter, je ne dis pas 40
« ou 30 amphores par jugerum^ bien que Je le pense y mais 20
« suivant les calculs de Graecinus, qui va, néanmoins, au rabais (5) »
(19 hectolitres 88 lilres, soit 8. 5 Bordelaises par hectare.)
Et plus bas, il donne formellement, au vigneron qui ne récolte
pas 3 culei ^H,v jugemm (59 h. 38 1. ou 26 Bordelaises par hectare)
le conseil d*arracher sa vigne, à moins qu*il ne joigne h la fabri-
cation du vin le commerce des boutures. Pline (6) cite l'exemple
du grammairien Rbemnius Palémon, le codificateur des poids et
mesures, dont nous parlions tout à l'heure, et qui, après avoir
acheté à Nomcnta, au prix de 600,000 sesterces (126,000 fr.), un
domaine à peu près en friche, vendait, huit ans après,Ja vendange
sur piedf 400,000 sesterces (80,000 fr.). Deux ans plus tard, Sé-
nèque achetait à son tour ce même bien, avec une surenchère de
300 p. 100. C'était, ajoute Pline, une habileté digne d'être appli-
{{) Pline, loc. cit., p. 529.
(2) Varron, loc, cit., p. 63.
(3) Noas évaluons ici d*après la mesure officielle de Rome. L*amphore, dont
un étalon élail déposé au Capitole sous le nom d'Amphora capitolina, avait un
pied romain en tous sens, et contenait 2 urnes, ou 8 congés, ou 42 setiers,
soit 25^89. On rappelait aussi quadrantal. Le culeus, la plus grande des
mesures romaines de capacité, contenait 20 amphores, soit 517 lit. en chiffres
ronds. Le jugerum valait 26 ares. — V. Rhemnius Palcemon, de Pond, et
Mens. Leyde, 1587.
(4) Peignot, Des comestibles et des vins de Grèce et d'Italie en usage chez les
R'/mains. Dijon, 1822, cilé par Spire Blondel.
(5) Cobaroelle, loc.cit., p. 231.
(6) Pline, /ivr. d^, p. 527.
Digitized by
Google
56 HISTOIRE DE U VIGNE
quéc aux territoires de Cécube et de Sestia, qui ont, depuis,
rendu souvent 7 culei ^ds jugerum (139 hectol. par hectare).
11 est permis de penser, toutefois, que, même à les supposer
exacts, ces chiffres ne représentaient que des maxima rarement
atteints. Autrement, comment se rendre compte des plaintes de
Columelle sur le délaissement de l'agriculture, autrefois exercée
par les premiers personnages de la République, et maintenant
abandonnée à Tincurie de mains mercenaires ou serviles ?
« Tant que subsista cet usage de cultiver soi-même les terres,
« les Sabins Quirites et les Romains nos ancêtres récoltèrent à
« travers le fer et le feu, de plus riches moissons que nous,
« malgré tous les perfectionnements que nous a permis une
« longue paix dans le Latium, cette terre de Saturne où
« les dieux mêmes nous ont appris Tagriculturc, nous en sommes
« réduits, pour éviter la famine, à tirer le blé de l'Afrique, le
« vin des Cyclades, de la Bétique et de la Gaule (1) »
Malgré tout, et grâce, sans doute, à cet apport des provinces,
les prix semblent, d'après les documents qui nous restent, avoir
été fort abordables. En l'an 565 de Rome, c'est-à-dire 185 ans
avant notre ère, les censeurs interdirent de vendre les vins grecs
et amminéens plus de 8 deniers l'ampbore, c'est-à-dire 28 c. le
litre. A ce même moment, Polybe nous apprend que, dans la
Gaule Cisalpine (Italie du Nord), le vin s'échangeait, volume pour
volume, contre l'orge (2). « Lamétrëte de vin s'y donne pour une
égale mesure d'orge la médimne d'orge s'y donnait alors
pour 2 oboles. »
L'année 633 de Rome parait avoir été moins renommée dans
l'antiquité à raison de la mort de C. Gracchus que par l'abondance
et l'excellence tout à fait exceptionnelles du vin qu'elle fournit,
et qui garda, du consul alors en exercice, le nom de « vin opi-
mien ». D'après Pline, ce vin opimien n'avait valu au moment
de sa récolte que iOO sesterces (20 fr.) l'amphore (25 ^), et, de son
temps, il citait, comme une extravagance digne de mémoire, l'acte
de « débauchés prodigues » payant 1000 sesterces (200 fr.) une
amphore de vin de 20 ans (8 fr. le lit.) (3). « Les Viennois seuls, »
ajoute le grand naturaliste, « ont vendu plus cher leurs vins pois-
sés, mais cela entre eux, et sans doute par amour-propre
national. »
Plus de deux siècles après, sous Dioclétien, et malgré les incur-
({) Ck)tumelle, loc, cit.y p. 172.
(2) Polybe, Histoire, liv. H, ch. m, p. 407.
(3) Pline, loc. cU., p. 528.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 57
sions incessantes des barbares, qui devaient, évidemment, jeter
une grande perturbation dans la culture, les prix étaient encore
fort abordables, à en juger par la fameuse inscription trouvée à
Stratonicée en Carie, et, ainsi traduite en prix modernes par
Dureau-Delamalle :
Vin de Piccnum, Tibur, Sabine, Ainininée, Sorrenle, Fa-
lerne, le litre i fr. 50
Vieux ordinaire i fr. 50
Commun fr. W)
Dans rintervalle, pourtant, la vigne avait été menacée d'une
sottise économique, fléau souvent pire, et plus irrémédiable
qu'une invasion. L*an 92 de notre ère, « où le vin fut d'une
extrême abondance, tandis qu'il y avait disette de pain, Domitien,
persuadé que la passion des vignes faisait négliger les champs,
défendit d'en planter de nouvelles en Italie, et ordonna qu'on ne
laissât subsister en province que la moitié au plus des anciens
plants (1). « Cet édit, » ajoute le chroniqueur romain, « n'eut
aucune suite (nec exsequi rem perseveravit.) » Il est singulier que
de tous les ampélologues qui ont, chez nous, fait l'histoire,
de la vigne, aucun, à l'exception de Spire Blondel n'ait tenu
compte de ce correctif. Cependant, comme pour le mieux graver
dans la mémoire, Suétone y revient par deux fois, et il explique
que l'heureuse inexécution de ce décret funeste fut due au sou-
lèvement d'opinion qu'il provoqua, et dont Texpression arriva
jusqu'au despote tremblant, sous la forme d'un distique grec
iainsi traduit par Laharpe (2) :
Vouloir m'anéanlir, c'est travailler eu vain,
Lorsque, par ton trépas, respirera le monde,
Pour inonder ton corps, de ma tige féconde
Ruisselleront toujours assez de flots de vin.
Par des mesures plus maladroites encore peut-être, d'autres
empereurs de la décadence, tels que Valentinien et Gratien,
lâchèrent d'interdire l'achat du vin aux barbares, qui de toutes
parts pressaient les frontières de Tempire agonisant. Mais ce
ne leur fut là qu'un aiguillon de plus, comme autrefois aux Gau-
lois (3), pour forcer la porte branlante de TÉden où coulait la
liqueur divine. « Si le vin ne put aller chez eux, ce furent eux
(1) Suétone, trad. Laharpe. — Garnier, Paris, 1862, p. 447.
(2) Suétone, trad. Laharpe. — Garnier, Paris, loc. cit., p. 1S5.
(3) Voir plus loin.
Digitized by
Google
58 HISTOIRE DE LA VIGiNE
qni vinrent le boire chez nous, et qui en voulurent du meilleur :
Cassiodore, ministre de Théodoric, écrivait au Canonicat de
Venise que la cave du roi avait besoin d'être fournie comme l'exi-
geait l'étiquette royale : qu'on achetât, donc, de Vacinaticum
(ancêtre du Val Policella) aux propriétaires du Véronais, et qu'on
en envoyât à la cave royale qui en manquait. Et il ajoute que
Théodoric préférait les vins italiens aux vins grecs, manipulés,
avec des arômes et de l'eau de mer (1) »
Pendant le moyen âge, les vins Italiens en faveur furent
surtout ceux des Marches, et les vins calabrais de Tropea et
de Cotrone, et « on estimait beaucoup aussi la Vernaccia, si
chère au pape Martin IV, qui y faisait cuire à l'étoulTée des
anguilles de Bolène. » L'Italie continuait toutefois à importer des
vins grecs, principalement de Roumélie, de Crète, et de Chypre.
Les prix étaient on ne peut plus doux : un baril de vin grec
s'achetait en Italie, au quatorzième siècle, pour une livre flo-
rentine (1 fr. 40). L'exportation des vins italiens portait surtout
sur la Vernaccia, et c'était elle qui supportait les droits les plus
élevés d'entrée et de sortie. A part quelques escales excep-
tionnelles, telles qu'Alexandrie où ils étaient de 10, et Tunis de H
pour 100 ad valorem, ces droits étaient généralement assez
modérés (1 à S pour 100); encore les Génois et les Vénitiens
furent-ils privilégiés à cet égard, pendant tout le moyen âge, sur
toutes les autres nations, dans les échelles du Levant (2).
C'est justement au quatorzième siècle qu'apparaît Crescenzio,
le premier ampélologue italien depuis Palladius (3). D'après cet
auteur, on élevait en Lombardie, non des « pergolati » comme
au temps de Pline, mais des vignes isolées à 4 pieds de distance
dans les terres fortes et à trois pieds dans les terrains maigres, et
il décrit 37 cépages à lui connus. Venise et Triesle envoyaient du
vin dans les cours d'Allemagne, et en échangeaient avec les Po-
lonais contre des peaux.
Crescenzio conseille de ne labourer qu'à 5 pieds de la vigne, et
il a inventé un instrument pour cet objet, de faire des boutures en
octobre, de travailler les vignes après l'hiver dans les terrains hu-
mides, et avant dans les terrains secs, de tenir les caves bien pro-
pres, de laver et d'éponger les tonneaux avec de Teau salée, de
faire fermenter les raisins bien foulés de huit à dix jours, de faire
(1) Gognetti de Martis, Il commercio del vino, p. 185.
(2. Id., loc, dt, p. i85-186.
(3) Les détails qui suivent sur la viticulture en Italie, sont textuellement
empruntés au savant traité de Tingénieur Selletti (loc. cit., p. 292-293).
Digitized by
Google
LA VIGNK SELON L'BISTOmK 59
bouillir une partie du vin faible, d'ajouter de Teauau vin fort, de
prévenir son altération par laddition de plâtre, d'enlever l'odeur de
moisi à l'aide de la clématite verte, de clarifier avec de l'albumine,
du miel et des cerises aigres, de guérir le vin de l'acétosité en y
plongeant du lard, de le défendre du contact de l'air au moyen do
l'huile, enfin, il donne le procédé pour la fabrication du vinaigre.
En 1513, l'Espagnol Herrera dit que le procédé usité en Valte-
line, en Allemagne et en Hongrie, et qui consiste à transvaser le
moût au bout de quatre, cinq, ou, au plus, six jours, a été imité par
le duché de Savoie, par le Piémont, par Saluées et par le Mont-
f errât.
Tatti, de Lucques, fait connaître qu'en Romagne et en Lom-
bardie il y avait, de trois en trois pieds, une vigne soutenue par un
pieu, à Ancône plusieurs pieux à chaque vigne, à Plaisance
pas de pieux, à Modène des « pergolati » plus hauts d'un côté
que des autres, à Milan des vignes adossées à des arbres (on voit
qu'on y était revenu à la vigne haute comme au temps de Pline),
à Crémone des vignes sur les frênes. Gratarolo dit que dans
la vallée de Salo prévalaient les vins des cépages dits Vemacce,
Trebbiani, Groppelli, Marzannini, etc., et les vignes étaient
appuyées partie sur des arbres, partie sur des pieux.
A la même époque, la Toscane, où la viticulture a toujours été
florissante, eut Sodérini et Davanzati : le premier dit, que, dans
les pays rhénans, on met des pierres sous les racines des vignes, et
qu'on y tient la vigne sans appuis, mais, qu'en Toscane, on
l'appuie à des pieux et à des cannes [arundo donax) pendant
huit ans, ce qui la rend plus productive, mais moins durable;
que les vins vieux d'Espagne se mettent dans des vases de terre
cuite vernis, qu'à la naissance d'une fille on les bouche avec de la
poix, pour les déboucher lors de son mariage; qu'il faut planter
les crosse ttes dans la direction qu'avait la plante mère, pré-
férant celle de pergola (treille) pour les pergolati y celles de
brancone (vigne) pour les branconi; qu'il faut creuser de trois
longueurs de bras la fosse dans les coteaux, et n'y rejeter la terre
que petit à petit, en trois années : qu'il faut pratiquer des rigoles
pour égoutter l'eau; pour les crossetles, prendre le second
sarment sans laisser perdre la sève ; mettre des lupins cuits autour
des crossettes; les rangées extérieures des vignes donnent tou-
jours du vin inférieur ou périssent plus vite; déchausser les
vignes qui laissent sécher leurs grappes et les amender avec de la
terre mêlée de vinaigre : aux vignes généreuses, et aussi à celles
qui laissent pourrir leur fruit, mettre des cendres et du sable ;
Digitized by
Google
€0 HISTOIRE DE LA VIGNE
laisser trois jours les fruits à Tair; ceux qui sont trop murs
donnent du vin trouble.
Dans la Terre de Labour, il y avait une vigne qui se taillait tous
les cinq ans, et donnait cinq à six barils de raisin grec.
A Porlico, dans les Romagnes, une vigne mesurait mille
brassées, à Palerme un tronc de vigne avait la grosseur d'un
homme. A Citta di Castello on avait imaginé de remplir le
tonneau de grains de raisin, de bien boucher, puis, de tirer jour
par jour au bout d*un mois et demi, de remplir avec du vin vierge,
puis de remettre en perce au bout de quinze jours. Davanzati dit
que la vigne basse grossit, retient le suc, prend de la force,
et, que telle est la vigne, tel sera le vin (1); ne point planter
d*arbres dans le vignoble, ne point laisser de gourmands ; con-
server la vigne importe plus que planter; les raisins de treille ne
doivent servir que pour la table ; rincer les fûts avec du moût,
soutirer et entonner le vin un peu jeune, introduire dans les fûts
des raisins secs pour clarifier et cuire le vin ; le meilleur est celui
fourni par les grappes voisines de la tige, et non par celles
des extrémités; laisser les vins communs et faibles au vent de
rhiver, qui les concentre dans les tonneaux (2); on préserve
les vins du « gras » en employant des vignes acerbes, en ven-
<iangeant de bonne heure, et en entonnant le vin jeune.
Donagno conseille de soutirer après quatre jours, pour avoir
du vin clairet; préférer les vignes du pays, bêcher en août.
Stefano dit de repalisser et de rebècher en août. Qui désire
beaucoup de moût doit avoir sans cesse la bêche à la main ; dans
les sols arides amender avec du fumier de bœuf et de cheval,
terre vraie et grasse (3).
En 1600, Olivier dit que le génie de la vigne est dans le cé-
page, dont le goût et la productivité changent avec le climat
€t avec le terrain; ne pas se fier à un seul cépage pour
composer un vignoble (4): tenir celui-ci exempt d'arbres, préférer
les vignes basses aux pergolati et anii hautains; taille large,
engrais avec plâtras et fumier de volaille; les pergolati donnent
davantage en quantité, les palissades de châtaigniers sont les
meilleures; tordre le pédoncule de la grappe au moment de
(1) L^expérience, on Ta vu, a pleinement justifié celle conclusion.
(2) Un procédé analogue est de nos jours usité en Bourgogne. On y expose
le yin à la gelée, puis on jette la glace ainsi formée, et qui n'intéresse que la
partie purement aqueuse du vin, à l'exclusion de Talcool et de l'éther œnan-
Ihique. *
(3) C'est à peu près ce que nous appelons aujourd'hui du « compo&t ».
(4) Columelle, plus haut, nous a dit pourquoi.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIHE 61
la malurilé; aux vignes faibles donner pour engrais des résidus
de vignes ; tailler de bonne heure la vigne grêlée ; préférer, pour
loger le vin, les vases qui ont déjà servi.
Trinci de Modène décrit 31 cépages ; Fabbroni dît qu'on
clarifie le vin au moyen de la chaux, et décrit la méthode do
Lancy pour l'incision annulaire, parle de la taille, automnale
ou printanière selon le climat, et fait connaître pour la première
fois l'effet du ferment.
En 1786, abolition, en Toscane, de ce vieux reste de barbarie
qui s'appelle ou qui plutôt. Dieu merci, s'appelait, il n'y a pas
encore bien longtemps, le « ban » des vendanges.
Dans l'Italie du sud, c'est-à-dire au delà du Volturne, le vin
n'avait point tardé aussi longtemps à devenir abondant, si abon-
dant, qu'à Tarente, colonie pourtant de la sobre Sparte, il n'était
pas rare de voir, un jour de bacchanales, la population tout
entière en état d'ivresse (1). Cela plus d'un siècle avant l'époque
oùPapirius Cursor, le conquérant romain de cette même Tarente,
dédiait, dans la guerre des Samnites, aux dieux prolecteurs
de ses armes, une simple coupe de vin.
Nous avons mentionné plus haut le nom d'Œnotria donné
à lltalie. Cène fut que par extension, et à mesure, sans doute, que
se généralisait la viticulture, que ce nom futlui-mème généralisé,
car il ne s'appliquait en premier lieu qu'à la Basilicate ou
province de Potenza, puis, aux trois provinces calabraises com-
posant l'antique Brutium. Il y a lieu de remarquer que le mot
d'ŒnôtroSy d'où Œnotria, désignait le petit pieu qui sert d'appui
à la vigne, ce qui prouve que, conformément à Tassertion (2), plus
haut mentionnée, d'Arnaldo Strucchi, l'usage de la vigne à taille
basse et à échalas, ad alberello^ en un mot, dans les provinces
méridionales de l'Italie doit remonter à des temps anti^rieurs à
toute mémoire humaine, antérieurs, même à leur « découverte »,
et à leur colonisation par les Grecs.
En fait, jusqu'aux quatrième et troisième siècles avant notre
ère, l'histoire de ces provinces n'estqu'un chapitre détachédeThis-
toire de Grèce. Elle nous fournit donc une transition tonte na-
turelle pour en arriver à l'histoire de la vigne chez cette nation.
La vigne en Grèce. — Dans le sixième livre des Lois, « l'Athé-
nien », qui n'est autre que Platon lui-même, demande au Cretois
Glinias : « Ajouterons-nous aussi foi à ce qu'on dit, qu'il y eut
(0 Platon, les Lois. Trad. de Grou. — Paris, Charpentier, 4852, p. 24.
(2) Cognetti de Marlis, loc, ci7., p. 276-277.
Digitized by
Google
62 HISTOIRE DE LA VIGNE
un temps où la vigne, jusqu'alors inconnue, a commencé
d'être (1)? » La suite du dialogue prouve que Platon n'en croit
rien et que, dans son opinion, et pour des temps auxquels il était
impossible d'assigner aucune limite, la vigne avait toujours
existé dans les pays qu'il avait parcourus ou habités, c'est-à-dire
en Sicile, en Egypte et dans la Grèce insulaire et continentale. A
défaut de la vigne, les Grecs tenaient-ils des Phéniciens la viti-
culture? Rien ne le prouve, car ces navigateurs avaient plutôt
porté leur activité vers les côtes d'Afrique et vers la Sicile, où ils
avaient fondé des comptoirs, tels que Carthage, Utique, Hippone,
Gadès, Panorme (Palerme), Lilybée, etc., etc., que vers la Grèce
proprement dite. Il est donc probable que, conformément d'ail-
leurs à leurs légendes nationales, leg Grecs avaient trouvé sur
leur propre sol :
La nourrice de 5000 ans
Qui, pour endormir ses enfants,
Leur donne à téter dans un verre (2),
et les éleveurs pour la dresser à son rôle bienfaisant. — Quoi qu'il
en soit, les premières voix qui s'élèvent dans
Ce langage sonore, aux douceurs souveraines (3),
Le plus beau qui soit né sur des lèvres humaines,
alternent entre des hymnes à la vigne et des préceptes pour la
cultiver. Dans les Travaux et les Jours, ce modèle des futures
Géorgiques, Hésiode, que le vin de Montbazillac peut ainsi re-
connaître pour père, nous engage à porter les raisins à la maison
quant Orion et Sirius sont au milieu du ciel, et qu'Arcturus se lève,
et à les exposer dix jours ao soleil, puis sept à Fombre avant
de les fouler. C'est une vigne, qu'Homère place, coinme le plus
noble des emblèmes, sur le bouclier de son principal héros,
l'irascible Qls de Pelée, non un piedy mais un champ de vigne
avec une description complète de sa culture en ces temps reculé :
« Vulcain y avait représenté une belle vigne, dont les rameaux
d'or plient sous le faix des grappes de raisins pourprés ; des pieux
d'argent bien alignés la soutiennent, un fossé d'émail et une haie
d'étain Tentourent; un seul sentier la traverse pour les porteurs
au temps de la vendange: des vierges et des jeunes gens aux fraî-
ches pensées recueillent dans des corbeilles tressées le fruit
délectable. »
(4) Platon, loc, cit., p. 182.
(2) Pierre Dupont, la Vigne,
(3) André Ghénier, Poèmes,
Digitized by
Google
L\ VIGNE SELON L^HISTOmB 63
On reconnaît immédiatement là la culture ad alberello, ou à
échalas simples de la Sicile, de la Basilicate... et de la Touraine.
Le vin coule à flots dans V Iliade et dans V Odyssée Mécxxhd offre
à Hector^ de retour du combat, « le vin qui augmente les forces do
« rhomme qu'épuisent les travaux de la guerre. » Après la
bataille, on festoie de part et d'autre, dans Troie assiégée et dans
le camp grec, où un « grand nombre de vaisseaux chargés de vin
sont amenés de Lemnos. Eurée, fils de Jason, le pasteur des
peuples, en a envoyé secrètement mille mesures à Agamemnon et
à Ménélas ; le reste est acheté par les Grecs, qui donnent, en
échange, de l'airain, du fer, des peaux, des bœufs et des esclaves. »
S'agit-il de désarmer le courroux du fils de Pelée irrité du rapt
de Briséis, les chefs s'assemblent et Nestor dit à Agamemnon, le
« roi des rois » : « Te^ celliers sont remplis d'un vin délicieux ;
chaque jour, nos vaisseaux, traversant la plaine liquide, l'ap-
portent des campagnes de Thrace )> Faut-il voir dans ce vin
de Thrace ce même « vin précieux » donné plus tard à Ulysse par
« Maron, fils d*Euhanlée, prêtre d'Apollon, divinité tutélaire de
la ville d'Ismare », et qui servit au prudent fils de Laërte à
«griser » Polyphème, et à se tirer ainsi de ses mains? Est-ce en un
mot c*^ même vin dont Homère dit : « Maron versait vingt
cratères d'eau sur un de ce vin, et cependant un parfum
délicieux s'exhalait du cratère ainsi préparé (1). » Les commenta-
teurs le croient : quoi qu'il en soit, de longs siècles après, le vin
d'Ismare, devenue Maronée du nom de son grand prêtre, avait
conservé, selon Pline, toutes ses qualités, et « était toujours aussi
indomptable (2) ; » il était noir, parfumé, et devenait gras en
vieillissant. Pour apaiser Achille, on lui envoie des messagers
chargés de lui proposer en mariage une des filles d'Agamemnon,
dotée de la ville de Pédasos « dont le vignoble est abondant».
Le premier soin d'Achille est de leur offrir des coupes d'un « vin
exquis » dont « ils boivent », suivant une formule souvent em-
ployée dans Homère, « autant que le désir les y convie ». Plus
lard, c'est Achille qui envoie, à son tour, Patrocle en députaiion
chez Nestor, Là, nouveau « lunch », servi par la belle captive
Hécamède, «fille du magnanime Arcinous. Des oignons propres
a exciter la soif, un miel exquis, de la farine du plus pur froment »,
tel est le menu. Une coupe est sur la lable, « ornée de clous d'or
et de quatre anses représentant des colombes d'or, qui semblent
(I) Homère, Uiade et Odyssée^ passim.
f2) Pline, loe, cit., p. 528.
Digitized by
Google
61 UISTOIRB DE LA VIGNE
cueillir Tberbe des prés fleuris ; au-dessous, deux autres colombes
de même métal et de même beauté. Pleine de vin, la coupe est si
pesante qu'un homme d^une force ordinaire la soulève avec
peine. » Pour donner le bon* exemple à son convive, Nestor
commence par la vider d'un seul trait, comme plus tard Bassom-
pierre devait vider sa grande botte à entonnoir à la santé des
treize cantons. Puis, Hécamède « emplit cette coupe d*un vin de
Pramnc, y mêle du fromage de chèvre qu'elle a râpé avec un
instrument d'airain, et de la farine du plus pur froment. » C'est
avec ce « breuvage délicieux » que les deux héros étanchent, en
devisant des affaires publiques, la soif qui les tourmente. Près de
cinq siècles après Homère, les vins de Pramne et de Maronée
n'avaient, s'il en faut croire Aristophane, rien perdu de leurs pro-
priétés essentielles ; «jeunes, ils faisaient froncer le sourcil, » mais,
parvenus à leur maturité, ils étaient généreux, forts, pleins de
sève et de bouquet; cependant, les Athéniens ne les aimaient pas,
ajoute l'auteur des Nuées, les accusant d'obstruer les organes
digestifs. Pline nous apprend que de son temps « ce vin de
Pramne qu'Homère a vanté, est encore en honneur, et, qu'il vient
à Smjnme, autour du temple de la Mère des Dieux (1). »
Plus loin, Sarpédon, dans sa conversation avec Glaucus, nous
apprend que la Lycie son pays est « fertile en vins comme en
blés ». C'est avec du vin versé à flots qu'on éteint les cendres des
bûchers de Patrocle, puis d'Hector, lorsqu'Achille a bien voulu
rendre aux supplications du vieux Priam les restes de son fils
immolé, puis, traîné tout autour de Troie.
En quelque lieu que le porte sa vagabonde fortune, Ulysse, seul
survivant de ses compagnons tués, dévorés, naufragés, endure
bien des privations et des épreuves, mais il ne manque jamais
de vin. Sa première étape est Ismare, patrie, justement, de ce
« vin indomptable » dont parle Pline. Après avoir « pillé cette ville
ennemie et fait de ses habitants un grand carnage, les Gi*ecs se
laissent à leur tour dompter par ce vin fameux », ce qui permet
aux « Ciconéens » un retour offensif, dans lequel périssent six
compagnons du fils de Laërte. Battus ensuite, pendant neuf jours,
par les vents et les vagues, les Ilhaciens sont rejetés sur la terre
des Cyclopes (Sicile), où « la vigne croît d'elle-même et se charge
de grappes énormes. » Échappé aux mains, ou plutôt aux dents
des cyclopes, Ulysse est jeté à Mbl (Monte-Citello près de Terra-
cine), demeure de Circé. C'est avec du vin de Pramne additionné
(1) Pline, loc. cil,, p. 528.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 65
de poisons, que Gircé change ses compagnons en pourceaux.
Rendus à leur forme naturelle, ils passent une année entière « au
sein des voluptés », et le vin leur manque si peu que, dans un
accès d'ivresse, Tun d^eux, Elpenor, se laisse choir du haut du
palais de Tenchanteresse, et se tue.
Après des traverses sans nombre, Ulysse aborde à Ogygie, dans
le golfe de Squillace, habitée par l'hospitalière Calypso. « Une
jeune vigne, dont les grappes pendantes annoncent la fertilité,
couvre de ses rameaux la grotte » qui sert d'appartement à cette
aimable déesse, et où elle offre à Mercure, lorsqu'il vient lui
intimer l'ordre de se séparer de son hôte, « l'ambroisie et le
nectar ». Lorsqu'il lui faut, bien à contre-cœur, céder à la volonté
de « l'assembleur de nuées », elle en prend bravement son parti,
et ne songe plus qu'à pourvoir pour son retour, de toutes les
douceurs de la route, le bien-aimé échappé de ses bras. « Je te
couvrirai de riches vêtements, je te procurerai un vent frais, je
placerai moi-même, dans ton .navire, des vases remplis d'eau
douce, des pains pétris de la farine de pur froment, des vins
exquis, provisions nécessaires et agréables. »
Jeté nu, après le naufrage de son navire, sur les côtes de l'Ile des
Phéaciens (Corcjrre), Ulysse y rencontre la belle Nausicaa, « fille
du magnanime Alcinos, » roi de ce peuple. Venue là avec ses com-
pagnes pour laver les vêtements de son père, elle ne s'est point
mise en route sans s'être précautionnée d'une « urne remplie de
vivres et d'une outre pleine de vin. » Elle accueille avec bonté
le naufragé, le fait participer au double viatique qu'elle a apporté,
lui fait donner des vêtements par ses suivantes, et l'amène au
palais paternel, a entouré de vignes fertiles. » — « Les grappes des .
unes sèchent au soleil, dans un espace découvert, tandis qu'on
vendange les autres ; on foule celles-ci lorsque celles-là commen-
cent à se développer, que d'autres sont en fleurs, mûrissent et
noircissent. » Là, nouvelles agapes, où le vin ne fait point défaut.
Ulysse raconte ses malheurs, et son hôte, touché de tant d'infor-
tunes, équipe un navire pour le renvoyer dans sa patrie, comblé
de présents de toutes sortes, sans oublier les vivres et le vin.
A Ithaque, Ulysse est d'abord obligé de se cacher chez un gardien
de pourceaux, le fidèle Eumée, qui lui offre du vin « dans une
urne de bois. » D trouve son père Laërte retiré dans une cabane,
« au milieu des vignes, » pour ne pas assister au spectacle de sa
maison occupée, de ses troupeaux décimés, de ses « vins vieux,
breuvage pur et divin », mis au pillage par les « prétendants à
l'hymen de la reine ». Notons, en passant, qu'Homère nousrepré-
TRAITÉ DK LA VIGNE. — I. * 5
Digitized by
Google
66 HISTOIRE DE LA VIGNE
sente ces vins « rangés en ordre dans des tonneaux, contre le
mur du vaste et haut cellier. » Tonneaux de terre cuite, vraisem-
blablement,, analogues à ces immenses amphores qu*on emploie
encore en Espagne sous le nom de tinajas; analogues aussi au
fameux tonneau du Cynique dont, au rapport de Diogène Laerce,
les Athéniens firent réparer la fracture, faite par un jeune « gom-
meux » du temps. C'est sous la forme d'une de ces jarres, que le-
dit « tonneau » est représenté sur un bas-relief découvert à la villa
Âlbani; il en est de même du tonneau non moins fameux des
Dan£udes, dans une peinture grecque du musée Pio-Clémentin (1).
Notons, aussi, que Télémaque s'embarquant pour Pylos, à la
recherche d'Ulysse, n'entend pas, moins bien que son prudent père,
l'article des approvisionnements, et, qu'il se munit de douze
amphores de vin, fermées avec soin au moyen de couvercles ou
de bouchons (pâmasi).
Avec l'aide de Minerve, Ulysse se débarrasse, en un clin d'œil, de
la bande de parasites qui tiennent Pénélope captive de leurs assi-
duités dispendieuses, et, c'est encore la coupe à la main, qu'il rend
grâce aux dieux, avec sa fidèle épouse, de leur heureuse réunion.
Selon Pausanias, tous les peuples de Grèce revendiquaient pour
eux le berceau de Bacchus, comme ils devaient plus tard reven-
diquer celui dllomère. Qu'ils eussent tort ou raison, son culte
est, dès l'origine de Thisloire, célébré chez chacun d'eux avec une
égale ardeur.
Que, selon le dire d'Hérodote, ils provinssent d'Egypte où ils
étaient usités de temps immémorial en l'honneur d'Osiris, ou
qu'ils fussent indigènes, ces mystères étaient annuels. Ils avaient
pour mythe Bacchus, tué par les Titans, descendant aux enfers,
puis ressuscitant à la lumière du divin soleil. Sur la statue d'un
éphèbe de cire, on jetait des fleurs, puis, les femmes le pleuraient
jusqu'à l'heure de la résurrection. Alors, c'étaient des transports
de joie vertigineuse, qui, éperonnés encore par les « vins indompta-
bles », ne tardaient pas à dégénérer en excès, qui ont fait du mot
« bacchanale » le synonyme d'orgie.
Le vin, nous l'avons vu, ne manquait nulle part pour les
célébrer. On se fatiguerait, en effet, à compter les crus de la Grèce
antique. Outre les vins de Thrace, de Lemnos, de Corcyre,
d'Ithaque, de Pylos, dont parle Homère, et abstraction faite du
Pramnien smyrniote, il y avait, sur le continent, les vins de
Sicyone (golfe de Corinthe), ceux de Mende et de Schione (^pénia-
(1) Spire Blondel, loc, cit. y p. 412.
Digitized by VjOOQIC
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 67
sde de Cassandrie, entre les golfes Thermaïque et Toronaïque), le
vin d'Amminée, en Thessalie, vanté par Virgile :
Àmminece viles, firmissima vina,
le vin d'HéracIée, qu'on « coupait » avantageusement avec celui
d'Erythrée, colonie Cretoise de l'Asie Mineure.
Le Mende était un vin blanc fort estimé, et qui, suivant l'ancien
comique Gratinus, « portait bien Teau. » Il est compris dans le
« catalogue » des meilleurs vins que le prêtre Hermippus fait
dérouler au fils de Latone. « J'ai commandé, » écrit Gorgias dans
les Lettres grecques du rhéteur Alciphron, « un souper délicieux,
une matelotte de beaux poissons, et quantité de flacons du meil-
leur Mende » (1).
Quant aux îles, il n'en était guère qui ne pussent figurer sur la
carte d'Hermippus. Lemnos, qui fournissait, nous l'avons vu, aux
copieuses libations des assiégeants de Troie; Lesbos, Chypre,
Rhodes, Naxos, dont Archiloque comparait le vin au nectar (2),
la Crète, Cos,ricarie, Chio, Thasos, Zacinthe, Leucade, rivalisaient
pour la qualité de leurs crus. Eustathe, toutefois, regardait les
deux derniers comme nuisibles à la santé, à raison du plâtre qu'on
y introduisait, comme cela ne se pratique que trop aujourd'hui
dans notre Midi. Mais, en Grèce même, nul cru ne paraît avoir
joui de plus de faveur que le Thasos. « Rien de plus merveilleux
que ce vin, » dit Aristophane dans les Chevaliers, « Quand on en
boit, on est riche, on fait des affaires, on gagne des procès, on est
bienfaisant. » — « Versez-moi du Thasos comme antidote, » dit
rEpylichus d'Athénée, « dès que j'en bois, mon cœur, de quelque
chagrin qu'il soit rongé, renaît à la vie. » Xe médecin Apollodore
avait, aussi, composé pour son royal client, Ptolémée, une carte
des vins qu'il devait boire. C'étaient le Naspercénite du Pont,
rOrétîque, l'Œnéate, leLeucadien, TAmbraciote , et , préférable-
ment à tous, celui de Pépharète (mer Egée), dont le seul désavan-
tage est de ne devenir agréable qu'au bout de six ans. « Heureux
le peuple d'Athènes, » dit la servante dans V Assemblée des Femmes y
« heureuse ma maîtresse, et moi aussi, simple servante, qui ai
parfumé ma chevelure d'essences précieuses! Mais, le parfum
des amphores de Thasos est plus exquis encore; le bouquet
s'en conserve longtemps, tout autre se flétrit et s'évanouit
(i) Spire Blondel, loc, cil, y p. 415.
(2) Selon Plioe, liv. lY, Naxos avait été primitivement appelée Dionjsiade
à caase de l'abondance de ses vignobles. C'est à Naxos qu'Ariane, abandonnée
par Thésée, est recueillie et épousée par Bacchus, puis, divinisée, pour s'y être
consacrée à la culture de la vign'*.
Digitized by
Google
69 HISTOIRE DE LA VIGNE
bientôt. Oui, grands dieux, le parfum des amphores est bien
préférable (1). Versez- moi du Thasos pur! Il inspire la gaieté
toute la nuily. quand on a su choisir celui qui aie meilleur bou-
quet. » C'est ce même vin dont, au témoignage de Plutarque,
Démétrius Poliorcète prenait de fréquentes plénitudes, qu il
appelait ses « fluxions ». Cependant, Hermippus lui préférait le vin
de Chio, de première qualité, goût qui parait avoir été partagé
par les Romains, puisque c'était, comme nous l'avons vu, ce vin
dont les généraux les plus prodigues faisaient largesse dans leurs
triomphes. A une époque où il était encore fort rare en Italie,
Hortensius, selon Varron , cité par Pline, en avait laissé
10,000 cadus à ses héritiers (2). Au troisième acte de son Pauvre
Carthaginois^ Plante exalte aussi le vin vieux de Chio, mais en lui
associant le vieux Thasos, le vieux Leucade et le vieux Lesbos,
vin parfumé, qui avait eu déjà les préférences d'Aristote.
« Les prix, naturellement, variaient selon la qualité, mais, en
général, ils étaient plutôt bas. Par exemple, au cinquième siècle
avant l'ère vulgaire , les concitoyens de Socrate payaient
2 fr. 36 le litre de vieux Chio, qui était ce qu'il y avait de plus
cher ; au quatrième siècle, un litre de Mende valait i fr. 86, et
Polybe assure que de son temps (premier siècle avant Jésus-
Christ), on pouvait avoir en Lusitanie (Portugal) un litre de vin
grec commun pour 2 centimes 1/3 (3). »
De telles conditions offraient à l'ivrognerie de grandes facilités,
et il était à craindre, qu'à moins d'une réaction énergique de la
part du législateur, elle ne devînt rapidement endémique. Comme
il est arrivé en divers pays, notamment au Japon et en Chine, la
réaction pouvait même parfois dépasser la mesure, et aller jusqu'à
supprimer l'usage utile, pour atteindre l'excès nuisible. C'est
ainsi que, suivant Diogène Laërce, Zaleucus, roi des Locriens,
réservant la consommation du vin aux seuls malades, l'interdit à
ses autres sujets sous peine de mort. AMitylène,Pittacus, un des
sept sages, formula, dit Athénée, une loi qui, loin de faire comme
chez nous de l'ivresse, une circonstance atténuante, punissait
doublement les fautes qui en provenaient, une première fois pour le
délit incriminé, la seconde pour l'ivresse elle-même. A Sparte, où
on buvait le vin pur, onavait eu longtemps recours, pour dégoûter
({) C'est à peu près le langage de la vieille buveuse dans le CurctUio de
Plaute :
Nanif omnium odor prœ ttw nauteus est.
(2) Pline, loc. cU,, p. 534.
(3) Cognetli de Marlis, // commercio del Vino, p. 175.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 69
les jeunes gens de Fébriété, au fameux spectacle de lllole ivre.
Trouvant que le procédé n'agissait pas suffisamment à son gré,
Lycurgue, « le policeur de Sparte », comme dit la Boëlie,
fit arracher toutes les vignes. Sur quoi, dans son traité : « Corn-
ment il faut lire les poètes », Plutarque observe avec raison
qu'il eût mieux fait d'interdire l'usage du vin pur (1). C'était ce
qu'on avait fait de très bonne heure à Athènes, dont le troisième
roi, Amphictyon, ordonna, suivant Strabon, « qu'on mêlerait de
Teau au vin ». — « On ne boira pas de vin pur dans les festins » dit
le poète Esopus. D'après Athénée, il était seulement permis de
prendre, à la fin du repas, un peu de vin pur en l'honneur des
dieux. Selon prescrivit aussi l'addition au vin de plusieurs
parties d'eau. A cette occasion, le comique Alexis remarque
plaisamment que, de toutes ses lois, celle-là, grâce aux mar-
chands de vin^ fut peut-être la mieux observée (2). Pour prévenir
ces fraudes, comme pour assurer l'application des édits de tem*
pérance, on avait créé des inspecteurs des vins ou œnoptes^ qui,
entre autres instructions, devaient mettre à l'amende les échan-
sons qui versaient du vin pur dans lea banquets. Ils ne semblent
guère avoir mieux réussi dans l'une que dans l'autre de ces
deux missions, car, suivant les Géoponiques, publiées sous
Constantin Porphjrrogénète, ou buvait à Athènes beaucoup devin
falsifié, et, même, de vin sans raisin. On voit que nous n'avons
rien innové. Quant aux banquets, la tempérance semble avoir
été leur moindre défaut. En tous cas, s'ils y étaient tenus à
quelque contrainte, les Athéniens, et même les Athéniennes,
savaient très bien se rattraper dans le privé. A preuve l'apo-
strophe de Praxagora à sa lampe dans Y Assemblée des Femmes :
« Seule', tu éclaires nos plus secrets appas, en brûlant leur duvet
florissant ; lorsque nous ouvrons furtivement les celliers pleins
de fruits et de la liqueur de Bacchus, c'est toi qui nous assistes,
et, quoique notre complice, jamais tu ne révèles rien aux voisins.»
A Sparte, les prohibitions de Lycurgue semblent lui avoir long-
temps survécu dans toute leur rigueur. « Dans les campagnes et
les villes dépendantes de Sparte, » dit, dans les Lois de Platon, le
(1) Pourtant le même Plularque nous apprend, dans la vie du môme Lycur-
gue, que les femmes de Sparte lavaient leurs enfants dans le vin, pour expéri»
menter leur force, persuadées que ces bains augmentaient la vigueur des
enfants robustes et rinflrmité des enfants débiles. En rappelant cet usage,
Corrado Coiradino {Il Vino nei costumi dei popoli, p. 75), observe qu'il existe
encore dans les Marches, où on croit que les enfants ainsi baignés se forti*
fient, particulièrement dans les genoux.
(2) Spire Blondel, loc. cit., p. 416-417.
Digitized by
Google
70 HISTOIRE DE LA VIGNE
Lacédémonien Mézille, « lu ne verras ni banquets ni rien de ce
qui les accompagne, et excite en nous le sentiment de toutes
sortes de plaisirs. Il n'est personne qui, rencontrant un citoyen
qui eût poussé le divertissement jusqu*à Tivresse, ne le châtiât
sur-le-champ très sévèrement; il aurait beau alléguer pour excuse
les fêtes de Bacchus, cela ne lui servirait de rien. Ce n'est pas
comme chez vous, où j'en ai vu, ces jours-là, dans des charrettes:
il ne se passe rien de semblable chez nous. »
Esprit essentiellement tempéré, et de solutions mitoyennes,
véritable Montaigne de l'antiquité, Platon s'élevait contre ces
interdictions excessives. Il tient, surtout, à conserver l'usage du
banquet, qui, bien réglé, et soumis à la direction d'hommes
graves, et âgés de plus de soixante ans, lui parait être un moyen
efficace d'éducation civique. «Ce point, » répond-il à Mézille, «est
de grande importance, et le bien régler n'est point le fait d'un
législateur ordinaire ; je ne parle point ici de l'usage du vin pré-
cisément, ou s'il vaut mieux en boire que de s'en abstenir : je
parle de l'excès en ce genre, et je demande s'il est plus à propos
d'en user à cet égard comme les Scythes, les Perses, les Cartha-
ginois, les Celtes^ les Ibères, et les Thraces, toutes nations belli-
queuses, ou comme vous. Chez vous, on s'en abstient entière-
ment, à ce que tu dis ; au contraire, les Scythes et les Thraces
boivent toujours pur, eux et leurs femmes ; ils vont jusqu'à ré-
pandre le vin sur leurs habits, persuadés que cet usage n'a rien
que d'honnête, et, qu'en cela consiste le bonheur de la vie. Les
Perses, quoique plus modérés, ont aussi leurs raffinements que
vous rejetez (1). »
En somme, et, comme moyen terme de conciliation, Platon
propose (2) :
1* « D'interdire par une loi aux enfants Tusage du vin jusqu'à
dix-huit ans, leur faisant entendre qu'il ne faut point verser un
nouveau feu sur le feu qui dévore leur corps et leur âme....
« Permettre ensuite d'en boire modérément jusqu'à trente ans,
avec ordre de s'abstenir de toute débauche et de tout excès. Ce
ne sera que lorsqu'ils toucheront à quarante ans, qu'ils pourront se
livrer à la joie des banquets, et inviter Bacchus à venir avec les
autres dieux prendre part à leurs fêtes et à leurs orgies, apportant
avec lui cette divine liqueur, dont il a fait présent aux hommes,
comme d'un remède pour adoucir l'austérité de la vieillesse, lui
rendre la vivacité de ses premiers ans, dissiper ses chagrins,
(1) Platon, Les Lois, Hv. I.
(2) Id., ibid.y liv. II.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 71
amollir la dureté de ses mœurs comme le feu amollit le fer, et lui
donner je ne sais quoi de plus souple et de plus flexible. Échauffés
par cette liqueur, nos vieillards ne se porteront-ils pas avec plus
dallégresse et moins de répugnance à chanter? Il faut que
ceux qui ne peuvent se gouverner eux-mêmes se soumettent à la
direction de ces chefs, et qu'il y ait un égal, ou même un plus
grand déshonneur à désobéir aux commandants du dieu Bac-
chus, qui seront des vieillards plus ou moins sexagénaires, qu'à
désobéir aux commandements du dieu Mars... » On voit que,
pas plus que Luther (1), Platon ne saurait être classé parmi les
ennemis de la vigne. Ajoutons que ses « Lois », conçues pour une
république idéale, paraissent n'avoir jamais eu qu'une application
toute platonique.
Malgré l'abondance, la multiplicité et l'ubiquité des vins grecs,
on est tout surpris de leurs effets ébriolants, lorsqu'on réfléchit à
leur mode de fabrication. Ds étaient généralement cuits au feu,
jusqu'à consistance de sirop, ce qui devait nécessairement entraî-
ner la majeure partie de leur alcool, et, de plus, additionnés d'eau
de mer et d'aromates. Beaucoup de ces sortes de confitures
étaient employées à frauder le miel, ce qui peut donner une
idée de leur état de concrétion. Ce n'était que par un délayage
préalable dans une quantité d'eau déterminée, qu'on les accom-
modait à l'usage de la table. Suivant Âristote, on portait même,
en Arcadie, la cuisson si loin, qu'en vieillissant, les vins se ré-
duisaient strictement à un extrait pâteux, qu'il fallait enlever
comme une mélasse, en raclant les parois des outres avec des
spatules ou des couteaux. D'après Galien, à Rome on allait
encore plus loin, et il parle d'un vin d'Albe qu'on suspendait au
coin des cheminées, dans de grandes amphores, où il se con-
centrait au point de passer à Tétat d'extrait sec, à la manière
du gambir ou du kino. Ce mode d'évaporation avait même reçu
l'appellation particulière de fumarium. Pour tirer parti de ces
résidus, force était de les délayer avec de l'eau chaude, puis, soit
de les filtrer, soit de les décanter après repos. Baccius dit que,
par ce dernier procédé, ils acquéraient la couleur, la transparence
et la richesse des meilleurs vins muscats. Ils pouvaient être
limpides et d'un très bon goût, observe très justement Julien,
(1) Tout le monde connaît le fameux distique du réformateur de Wittemberg :
Wer liebt nicht Wein, Weib und Gesang,
Der ist ein JVarr, sein Lebenlang.
« Qui n'aime pas le vin, la femme et le chant, doit être tenu pour un fou
loule sa vie. »
Digitized by
Google
72 HISTOIRE DE LA VIGNE
« mais la dessiccation du moût s'opposait à la formation de Tal-
cool et, exposée à l'air, la liqueur délayée devait perdre le peu de
spiritueux qu'elle pouvait retenir (1). »
Généralement, l'usage était de mêler au vin 3, 5, ou un autre
nombre impair de parties d'eau, ce qui s'appelait kerasadai, d'où
kratêr, urne de grande capacité, contenant le mélange d'eau et
de vin. On la plaçait soit à terre, soit sur un pied, dans la salle
à manger, et, l'échanson {pincerna,poczliator)j ionisait dedans avec
une cuiller, et remplissait les coupes qu'il passait aux convives.
On buvait donc rarement du vin pur. Les parasites regardaient
même, comme un jeu cruel, qu'on les contraignît à en boire. «Les
usages des riches Péloponésiens, » dit, dans les Lettres grecques
d'Alciphron, le parasite Lemocidès, « sont aussi ridicules qu'in-
commodes. Ils nous forcent de boire en sautant sur un pied, et
nous versent de copieuses rasades d'un vin violent, sans nous
permettre de le tempérer avec de l'eau. »
Au temps du poète Alcméon, c'est-à-dire 600 ans avant notre
ère, il n'y avait, dans toute la Laconie, qu'un seul dème où on
fabriquât des vins apyres^ c'est-à-dire non réduits par la cuisson.
Athénée dit qu'on mêlait, en assez grande quantité, l'eau de mer
aux vins de Cos et de Rhodes. « Les vins de Mindus et d'Hali-
carnasse, auxquels cette eau est mêlée avec le plus de soin, rafraî-
chissent, et facilitent la digestion. »
Appréciant assez peu, sans doute, cette innocuité, le c)niique Mé-
nippe appelait les habitants de Mindus « buveurs d'eau de mer (2) ».
Ce n'était pas seulement de l'eau de mer que les Grecs ajou-
taient à leurs vins, mais du gypse, de la chaux, de la poix, de la
résine, du marbre, des coquilles pulvérisées, ce qui pouvait bien,
éventuellement, corriger un excès d'acidité ou paralyser du fer-
ment, mais, ce qui devait les affliger d'un goût détestable.
D'autres fois, selon Théophraste, ils adoucissaient l'àpreté des
vins trop acides en jetant dans la cuve en fermentation de la
farine pétrie de miel, ou bien, comme dit Aristote dans ses Pro-
blèmes ^ de l'origan, des aromates, des fruits et des fleurs. Philip-
pîde, poète comique, mentionne, aussi, cette fabrication, dont le
produit s'appelait myrr hittites. Selon Hermippus, cité par Athé-
née, quand on ouvrait le tonneau, il s'en dégageait une odeur de
violettes et de roses, qui embaumait tout le cellier. Ce goût des
vins parfumés est encore attesté par les plaintes du parasite de
Lucien, qui, à l'exemple de ceux de Martial et de Juvénal, vou-
{{) Julien, Topographie de tous les vignobles connus, p. 27.
(2) Spire Blondel, loc. cit.
Digitized by
Google
LA VIGNK SELON L'HISTOIRE 73
drait bien qu'on servît du même vin à tous les convives : « car
dans quelle loi est-il dit que le maître doit s'enivrer avec des vins
parfumés, quand j'aurai les entrailles déchirées par le vin nou-
veau? » {Lettres saturnales.)
Des procédés aussi artificiels rendaient les imitations des vins
grecs on ne peut plus faciles, surtout dans les pays doués d'une
flore et d'un climat analogues à ceux de la Grèce. Aussi, vendait-
on couramment à Rome des vins grecs, et plus particulièrement
du vin de Cos, fabriqués de toutes pièces, comme, au temps deFiel-
ding, on fabriquait, et comme vraisemblablement on fabrique
encore, dans le Worcestershire, du Champagne avec du poiré (1).
El, l'on fais«^it si peu mystère du mode opératoire de cette fraude,
que Caton en a donné la formule, savoir :
(c Verser 20 quadrantals de moût dans une chaudière d'airain
ou de plomb, mettre sur le feu : éteindre au premier bouillon.
Après refroidissement, transvaser dans un fût de 40 setiers.
Faire dissoudre, dans un vase à part, un boisseau de sel dans un
quadrantal d'eau douce, et, introduire dans le tonneau. Broyer
dans un mortier du souchet odorant et du calamuSy et en intro-
duire un setier dans le liquide, pour l'aromatiser. Trente jours
après, placer la bonde, et, au printemps, mettre dans des am-
phores. Laisser deux ans au soleil, puis, mettre à couvert. Ce vin
rivalisera avec le Cos (2). »
A moins d'avoir, comme le disait spirituellement Victor Jac-
quemont en parlant des Anglais, « des gosiers de salaman-
dres » (3), de telles thériaques devaient paraître assez peu appé-
tissantes, et justifiaient' plus que parfaitement les répugnances de
Théodoric. Pourtant, c'est un fait avéré que, dans l'antiquité, lés
vins grecs jouirent d'une grande vogue, tant à l'étranger qu'en
Grèce même. « Des marchands en gros [oinemporoî) faisaient
l'exportation, tandis que des débitants {oinocapeloï)^ détaillaient
sur place. Le transport par mer se faisait à l'aide de navires spé-
(1) Fielding, History of a foundling. Sans avoir besoin de passer le détroit,
ni de remonter au siècle dernier, nous tenons de très bonne source ce détail
piquant qu*à la fameuse revue de Satory, qui servit de préface au coup d'État,
les «Prétoriens en débauche, » comme disait Ghangarnier, auraient été abreuvés
sous couleur de Champagne, de poiré, provenant de la ferme de Rouvray,
commune de Mormant (Seine-et-Marne), et mis en bouteilles avant la
complète fermentation. Procédé à la hauteur du but... et de Thomme.
(2) Caton, De re rustica^ ch. ciiii, p. 405. Édition Nisard.
(3) Le rapprochement est peut être moins forcé qu'on ne le croirait au pre-
mier abord. Le Portmne et le Sherry que, sous les qualifications de vins de
Porto et Xérès, on fabrique à destination des Anglais, sont des composés tout
aussi artificiels que les myrrhinites et les vins de Cos (procédé Caton).
Digitized by
Google
74 HISTOIRE DE LA VIGNE
cialement affectés à cet usage {oinagogon plion), en majeure
partie dans des outres de peau de chèvre, et, quelquefois, dans
des amphores poissées. Pour TÉgypte seulement, les expéditions
se faisaient dans des bi'ocs, ce qui témoigne, à notre avis, en
faveur du bon goût égyptien (1). »
Il est vrai qu'il y avait,^sans doute, des vins exempts d'eau de
mer, et fabriqués sans Tintervention du fourneau. Témoin celui
dont parle Hérodote, témoin, aussi, le « bios, le diachyton, le
protrope » et les vins de Cilicie dont parle Pline (2),
Mais, s'ils n'étaient pas soumis à l'action du feu, et, ainsi, privés
de la majeure partie de leur alcool, ces vins n'en étaient pas moins
« cuits », dans l'acception actuelle du mot : cuits par un soleil
torride, soit comme nos vins de liqueur dans la grappe même,
qu'on laissait réduire de près de moitié, soit, dans l'amphore que,
comme pour le protrope, par exemple, on exposait pendant qua-
rante jours aux ardeurs de la canicule.
De même nature, sans doute, étaient, aussi, les vins de Crète,
s'il faut en croire Julien, qui s'exprime ainsi: « Quand les raisins
étaient bien mûrs, on les saupoudrait avec du plâtre, pour donner
plus de consistance à leur jus. » Si là se bornait le traitement,
c'étaient, à tout prendre, de véritables vins, de liqueur probable-
ment. « Les meilleurs vins de cette île, » ajoute Julien, « étaient
estimés à raison de leur parfum, qui égalait celui des fleurs les
plus suaves. — Ceux de Leucade et de Zacinthe étaient préparés
de la même manière et contenaient beaucoup de spiritueux. » (3)
Cette dernière condition semble exclure, ipso factOy toute idée
de cuisson ignée.
C'était vraisemblablement avec ces sortes de vins que les Grecs
s'enivraient, bien que, par leur nature sirupeuse, ils dussent con-
duire plutôt encore à la satiété qu'à l'ivresse. Ce qui tendrait à
confirmer cette opinion, c'est celle qu'Athénée prête àPraxagoras,
lorsqu'il dit que les « vins doux montent à la tête, les rouges sont
nourrissants, les blancs apéritifs, les clairets secs, et favorables à
la digestion »
Ne quittons point cette matière, sans dire que les Grecs con-
naissaient parfaitement cette méthode du vieillissement des vins,
qui a passé, il y a quelque quarante ans, pour une découverte, et
qui consiste à les faire voyager, plus particulièrement par mer.
Pline Taffirme par deux fois, et dit en propres termes: « On fait
(1) Cognetti de Martis, loc, cit., p. 476.
(2) Pline, loc, cit,, p. 531 et suiv.
(3) Julien, loc, cit., p. 37.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 75
le ikalassite en jetant à la mer les pièces pleines de vin nouveau ;
cela le vieillit avant le temps, »
Si, du vin, nous revenons à la culture de la vigne, nous appre-
nons de Xénophon, dans ses Dits mémorables^ que la culture
par échalas, ad alberelloy telle qu'elle est représentée sur
le bouclier du roi de Phthie, et telle que nous l'avons vue en
Sicile, n'avait pas cessé, de son temps, d'être d'usage général. Il
ajoute, il est vrai, que la vigne sur les arbres est saine, parce que
l'ombre la défend de l'excès de chaleur solaire. Après lui, Théo-
phraste, qui fut l'élève des disciples de Socrate, dit, chose très
curieuse, qu'en se reproduisant par semis, elle se modifie au gré
des climats et des sols, et donne ainsi de nombreuses varié-
tés (1); il ajoute que les vignes préfèrent les terrains pas trop
arides, il conseille d'établir la pépinière dans un lieu humide, de
placer les crossettes dans un lieu froid, afin qu'elles émettent de
solides et amples racines. On peut associer la vigne à l'orge, mais
mieux vaut la tenir seule (2) ; renouveler la terre aux racines
tous les dix ans ; tailler de bonne heure en sol chaud et sec, tard
en terrain humide et froid, pour permettre à la vigne d'évacuer,
en pleurant, l'excès d'humidité; nettoyer et sarcler la vigne quand
apparaît le fruit, cesser quand le soleil est brûlant, et que les
sarments ne croissent plus; rogner au moment de la véraison,
alors, ne pas arracher les mauvaises herbes. Ailleurs, il conseille
de tailler la vigne chaque année, afin de la rendre plus vigoureuse,
plus féconde et plus durable. {Causes des plantes,)
Ailleurs encore, et, précurseur, aussi, en cela, il parle de l'incision
annulaire, dont beaucoup se croient les inventeurs aujourd'hui.
(4) A cet éfjard Théophraste est un précurseur. A vingt-deux siècles de dis-
tance Alb. Barbier, stagiaire agricole à Clos Grellet, (Kouba), près d'Alger, pré-
cise les notions dont Théophraste n*avait énoncé que le principe, et qui, jus-
qu'ici, ou contestées ou afQrmées, n*ont jamais été définies.
Tout d'abord, dil-il, il y a lieu de noter que ces modifications sont si cer-
taines, que les vignerons du Midi ne reconnaissent plus en Algérie les cépages
au milieu desquels ils sont habitués à vivre de Tautre côté du lac méditerra-
néen : le bois devient plus dur, la teinte en devient plus claire, le port plus
érigé, la feuille plus découpée et de couleur moins foncée, la texture du raisin
est plus dense, on ne rencontre point d'aramon gris et juteux comme on le
voit en Languedoc, la pellicule est résistante, la chair est plus ferme, la cou-
leur plus intense, la saveur fortement atténuée, le degré gleucométrique est
plus élevé, il y a moins de tannin et moins d'acide; aussi, le cuvage doit-il être
plus prolongé. La végétation se produit en môme temps que dans le midi de
ia France et la maturation plus lard.
(Rapport inédit adressé au ministre de TAgriculture, 4883.)
(2) Celte opinion est absolument celle que l'expérience a dictée au D' Guyot :
Voir ses nombreux pasages sur les vignes en « jouelles ». (Étude sur les vi-
gnobles de France^ passim.)
Digitized by
Google
76 HISTOIRE DE LA VIGNE
Enfin, il traite des procédés usités pour obtenir des raisins
sans pépins, et des raisins de couleur différente sur le même
cep Palladius indique pour le premier objectif, d'après les
auteurs grecs, le procédé suivant dont, bien entendu, nous ne
nous faisons point juges. Fendre sur un courson la partie qui
doit être enterrée, retirer la moelle de cette partie, puis rappro-
cher les bords de la fente, à Faide d'une ligature solide.
Planter profondément le courson, préalablement enfoncé dans
un oignon de scille, puis, verser dans le trou de la liqueur que
les Grecs appelaient épos cyrenàikos (suc de Cyrène), après Tavoir
détrempée jusqu'à ce qu'elle ait acquis la consistance du vin cuit
à évaporation des 3/4; recommencer tous les huit jours...
Quant au second procédé, c'était un artifice assez enfantin, qui
consistait dans la greffe par approche de deux sarments appartenant
à des pieds différents (1). Indépendamment du rognage, Théo-
phraste conseille Tépamprage en mai, et, le dit, même,/)/w5 néces-
saire que la taille; toutefois, indispensable dans la terre humide et
trop riche, il doit être beaucoup plus réservé dans les terrains
maigres et secs ; il parle, aussi, des cépages et des expositions.
« De telles pratiques » ajoute Selletti,àquinous empruntons ce
résumé, « devaient venir de l'Egypte, à laquelle les Grecs deman-
daient leurs maîtres de taille » (2).
Varron évalue à plus de cinquante (qu'il nomme, du reste), le
nombre des auteurs grecs qui, à sa connaissance et de son
temps, avaient traité de l'agriculture. Il avoue modestement que
son œuvre n'est qu'un résumé de ces auteurs, fondus avec le
Carthaginois Magon, « le meilleur de tous ». De ces auteurs, à
part Hésiode et Théophraste, aucun ne nous est parvenu, mais,
d'après ce préambule, nous pouvons estimer comme les leurs les
idées de Varron, qu'au point de vue ampélographique nous
avons eu lieu de mentionner. Viennent ensuite, au iv" siècle,
les Géoponiques, de Cassianus Bassus. Préoccupés, avant tout,
comme Montaigne, de faire « un livre de bonne foy », nous devons
avouer que nous n'en parlons que d'après le remarquable travail
de Spire Blondel, que la présente étude nous a déjà si souvent
donné occasion de citer.
Vingt livres des Géoponiques sont consacrés à la seule culture
de la vigne.
Comme Caton, comme Columelle, et connue chez nous Odart,
(1) Palladius, loc, cit,^ p. 376.
(2) Selletli, /oc. cit., p. 288.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 77
Cassianus Bassus est un praticien, instruit par sa propre expé-
rience. « J'ai planté, » dit-il, « un grand nombre de vignes dans
« mon domaine de Maratonyme, en Bithynie, et dans d'autres
« champs qui m'appartiennent. J'ai planté en automne, et m'en
« suis très bien trouvé. Aussi, mes voisins, encouragés par ce
« succès, ont-ils renoncé à la vieille routine de ne planter qu'au
(c printemps. »
Cassianus Bassus décrit les pratiques viticoles usitées en
Asie Mineure, et, plus particulièrement en Bithynie. On voit que la
vigne en était la principale culture, y croissait avec vigueur, et y
donnait des vins estimés.
Quant aux procédés pour la conservation des vins, ils paraissent
empruntés à l'antiquité, car, Diophanès de Nicée, traducteur, ou
plutôt abréviateur de Magon, donne, pour permettre aux vins de
voyager sans s'altérer, une recette qui se retrouve dans Cassianus.
« Cette recette, » ajoute Spire Blondel, « devait être très appréciée
<c à Carthage, dont le commerce maritime trouvait une grande
« alimentation dans l'exportation des vins. »
L'enthousiasme viticole de Cassianus ne lui était point parti-
culier. Il avait fini par gagner jusqu'aux pouvoirs publics, chez
lesquels les idées avaient changé du tout au tout. Aux Romains,
se plaignant de la rareté et de la cherté du vin, Auguste répon-
dait d'un ton peu aimable « qu'en établissant plusieurs cours
d'eau, «Agrippa, son gendre, avait pourvu à ce que personne n'eût
soif », et, il interdisait l'usage du vin à sa fille exilée (1). Au
m" siècle Aiu'élien aurait voulu, suivant Vopiscus, « afin
que le peuple pût boire plus facilement pour dissiper ses chagrins,
faire distribuer du vin gratuitement à tous les Romains. » C'était,
on le voit, l'antipode du vœu de Néron. Ne pouvant réaliser ce
généreux désir, Aurélien fit, du moins, vendre à bas prix, dans le
temple du Soleil, du vin venu de ses domaines (fiscatiavina). Précé-
demment, Pescennius Niger, le compétiteur malheureux d'A-'
lexandre Sévère, en avait fait quotidiennement distribuer de fortes
rations à toute son armée, se rappelant, peut-être, cette cure de
l'armée malade et épuisée de César, par les vins de Thessalie,
dont il est question dans Plutarque (2).
A Domitien, l'arracheur de vignes, avait, à longs inter-
valles, succédé Probus, qui les faisait planter par ses légions, en
échange de quoi elles l'assassinèrent, irritées, sans doute, d'être
(1) Suétone, Les Douze Césars. Traduction Labarpe. Paris, Garnier frères,
p. «01 et 118.
(2) Plularque, Vie de César.
Digitized by
Google
78 HISTOIRE DE LA VIGNE j
employées à quelque chose d'utile (1), puis, Justinien, dont les I
lois édictaient Jes peines ci-après, relevées par Camerarius dans i
son chapitre intitulé : Leyes rei rusticœ (2). i
A qui a pillé une vigne, le fouet et la confiscation de ses i
vêtements : i
A qui a coupé des arbres, et plus particulièrement des vignes, i
même traitement qu'aux voleurs ; ;
A ceux qui auront mis le feu à la clôture d'une vigne, le fouet, i
la main marquée au fer rouge, et une indemnité double du préju-
dice occasionné ; j
A qui a coupé les vignes de sa partie adverse avant le jugement
de son procès, la main coupée.
Puisque nous nous sommes laissés conduire en Bithynie par
l'auteur des GéoponiqueSy disons tout de suite que la réputation
viticole qu'il lui prête n'avait rien d'exagéré. Déjà, Xénophon,
Strabon et Pline nous avaient appris que ce pays avait beaucoup
de vignes dont on tirait des vins de plusieurs espèces, notamment
le vin deLampsaque,sur lequel Arlaxerxès avait assigné la provi-
sion deThémistocle, réfugié en Perse, àla suite de son ostracisme.
Florentinus cite les vins fournis par le cépage appelé JUescùeSy
Galien les vins de Tibenum, d'Arsynicus, de Titucasenum, les
deux premiers rouges ,et non liquoreux, le deiiiier doux et peu
coloré. Comme nos vins de Bar et de Beaujolais, ils vieillissaient
promptement, plus promptement que tous leurs congénères d'Asie
Mineure. Galien parle, aussi, d'un vin blanc de Bithynie, qui, lors-
qu'il était vieux, se vendait couramment à Rome pour du Cécube
et qui, cependant, était alors amer et peu agréable. Enfin, il existe
une lettre de l'empereur Julien, à peu près contemporain de
Cassianus, par laquelle il fait don à un personnage demeuré in-
connu d'une terre de Bithynie, et où se trouve le passage suivant :
« J'y ai fait plusieurs voyages en bonne et savante compagnie.
« Je m'y suis même occupé d'agriculture, témoin la petite vigne
que j'y ai plantée. Le vin est d'un goût! Il n'a pas besoin d'être
vieuxpour être parfait La grappe encore au cep et dans le pres-
soir exhale un parfum délicieux. La liqueur est à peine dans les
tonneaux que c'est déjà du nectar, pour parler le langage
d'Homère (3). »
L'Asie Mineure, à peu près tout entière, avait, comme la Bi-
(1) Cest à lui notamment, que la Pannonie, son pays, doit ses premières
vignes, mères du généreux Tokay.
(2) Joach. Camerarius, Dere rusticay Norib. (Nuremberg), 1596.
(3) Histoire de Vempereur Jovien et traduction de quelques ouvrages de t em-
pereur Julien, Irad. Lablelterie. Paris, 1748, t. U, p. 353.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 79
thynie, ses vignobles, dont quelques-uns renommés. Dans sa
partie orientale, voisine de la Cappadoce,]a Phrygie produisait le
catacécomèTiej originaire de la plaine volcanique de ce nom. La
Cappadoce avait, elle-même, de beaux vignobles, du côté de
TEuphrate. Il faut, sans doute, reléguer au nombre de ces fables,
dont les anciens se payaient trop facilement, ce fait cité par
Varron que les vignes de Smyrne donnent deux récoltes par an.
Ce qui est certain, et moins sujet à contestation, c'est que laLydie
seule figure pour sept ou huit noms, dans la chrestomathie œnolo-
gique de Pline. Sans parler du vin de Smyrne, le pramnien
d'Homère, il cite les vins de Clazomène, de Telmesse, d'Apamée,
ceux d'Erythrée, qu'on coupait, comme nous l'avons vu, avec les
vins d'Héraclée, ceux du mont Tmolus, vins doux qui ne servaient
aussi qu'au coupage, pour adoucir les autres vins et pour les
vieillir. Galien vante les vins épais et liquoreux de Scybolus en
Pamphylie. Abatis, en Cilicie, produisait un vin rouge liquoreux.
La Caramanie (golfe Persique) fournissait des raisins de taille
énorme, dont on tirait de bons vins (1).
lia vigrne en Pepse. — En Perse, la vigne n'était pas
en moins grand honneur, puisqu'on en avait fait l'attribut de
la puissance. Suivant Philippe Camerarius (2), on conservait
toujours dans le retrait le plus intime du roi des Perses, 5000
talents d'or cachés sous le chevet, et 3000 d'argent au pied
du lit royal, et, dans la chambre à coucher, une vigne d'or
couvrant le lit de ses rameaux, et dont les grappes étaient
faites des gemmes les plus précieuses. Cette décoration n'était
autre chose qu'une commémoration emblématique du songe
d'Astyage,roi des Mèdes, dans lequel, il vit, suivant Hérodote, une
vigne sortir du sein [genitalibus) de sa fille Mandane, et couvrir
toute l'Asie. Cyrus, en effet, réalisa par ses conquêtes le rêve de
son grand-père. La vigne, toutefois, ne porta point bonheur à
sa dynastie, car, s'il en faut croire Platon (3), « la mauvaise
éducation, et, surtout, l'excès du vin » précipitèrent la ruine de
son fils Cambyse « qui fut dépouillé de ses États par les Mèdes
et par l'ennuque, ainsi qu'on l'appelait, auquel il était devenu
un objet de mépris par ses extravagances. » On sait à quels excès
similaires la même passion entraîna Alexandre, devenu, à son
(1) Julien, loc. cit., p. 39. Chardin, nous allons le voir, a retrouvé en Perse,
à près de vingt siècles de dislance, ces gros raisins, et leurs délicieux
produits si appréciés d'Abbas 11.
(2) Philippe Camerarius, Horse succiswœ. Norib., 1591, t. I, ch. XX.
(3) Platon, les IxnSy liv. 111, p. 87.
Digitized by VjOOQIC
80 HISTOIRE DE LA VIGNE
tour, maître de la Perse, jusqu'à lui faire tuer son ami Clitus, et
mettre le feu à Persépoli8,pour donner, à une hétmre ivre comme
lui, le spectacle de ce royal incendie. Ce sont là jeux de princes.
Des traditions beaucoup plus anciennes^ recueillies par Fer-
doucy dans son Chah Nameh {Histoire des rois de Perse), et par
Mirkhond dans son Rouzat al safa (Jardin de Pureté) y font de
Samschid, le héros épique de Ferdoucy, à la fois l'instituteur de la
civilisation et l'inventeur du vin, (1) quelque chose comme le
Bacchus des Grecs et TOsiris des Égyptiens. En fait, pour les
Persans, comme pour les Grecs et les Latins, le vin est contempo-
rain de leurs plus anciens souvenirs. Au temps des Romains, le
Khoraçan, et, plus particulièrement, l'Aria, devenus aujourd'hui
déserts parles ravages des Tartares, produiscjent d'excellents vins
« qu'on pouvait conserver jusqu'à la troisième génération (2). »La
Caramanie fournissait les mêmes fruits que la Perside, et notam-
ment des raisins. « On sait, »t ajoute Strabon (3), « que la vigne
connue parmi nous sous le nom de Caramanienne porte souvent
des grappes longues de deux coudées, avec une graine bien
grosse et bien serrée. U est possible que, dans son pays natal,
cette vigne doit produire des fruits plus beaux encore. » Suivant
le même auteur, enfin, ce seraient les Macédoniens qui auraient
introduit dans la Suside et la Babylonie la vigne inconnue jus-
qu'à eux. « Pour la planter, ils ne faisaient point de fosses, mais
ils enfonçaient dans la terre des pieux ferrés par le bout, puis, en
les retirant, ils mettaient à leur place les sarments (4). »
En dépit de l'Islamisme et du « Chyisme », les traditions ana-
eréontiques du temps d'Alexandre ne seraient point perdues en
Perse, s'il en faut croire Chardin et Tavernier, d'après lesquels
le shah Abbas II s'enivrait avec ses courtisans comme un simple
« Moumiy^j et possédait dans ses caves ou, plutôt, dans un
pavillon spécial, caché dans des massifs, et dont Chardin nous a
laissé une description digne des Mille et une Nuits (5j, un abon-
(1) A. Graf., la Leggenda del Vino, p. 10.
(2) Strabon, Géographie, t. IV, p. 278.
(3) Id. ibid.uy, p. iiO.
(4) Id. ibid. t. V, p. U5. C'est le système actaellement usité dans
les Deux-Sèvres, où, chose singulière, nous avons déjà eu occasion de relever
d'autres procédés vilicoles conformes, sinon empruntés à ceux de Tantiquité.
On y appelle cela « barrer la vigne ». (D» Guyot, Étude sur tes vignobles de
Prance,i. II, p. 519.)
(5) « Le milieu de la salle est orné d'un grand bassin d'eau à bords
de porphyre. Les murailles sont revêtues de tables de jaspe... et de dessus
jusqu'au centre de la voûte, on ne voit de toutes parts que niches de mille
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'BISTOIRE 8t
dani assortiment des meilleurs vins de la Géorgie, de la Caramanie,
et de Schiras, conservés dans des bouteilles de cristal de Venise.
lUirait aussi des vins de l'Espagne, de TAllemagne et de la France,
mais il préférait ceux de Perse, et en buvait rarement d'autres.
Préférence qui n'a, d'ailleurs, rien de surprenant, s'il en faut
croire Chardin, qui nous a laissé des détails du plus haut intérêt
^ar les raisins, les vins et la vinification de ce pays, qui, pour
ses contemporains, ressemblait beaucoup aux antipodes : <( Après
les melons, les fruits excellents de Perse sont le raisin et les
datles. Il y a plusieurs raisins, jusqu'à 12 ou 14, du violet, du
rouge et du fwir. Les grains en sont si gros qu'un seul fait une
bouchée .
« Celui dont ils font le vin à Ispahan s'appelle Kichmich, petit
raisin blanc meilleur que nos .mziscatSj mais, il prend à la gorge
et échauffe, si on en a mangé atec excès. Il est rond et sans
pépins : au moins, on n'en aperçoit pas en le mangeant, mais
quand le vin cuve, on voit les grains jQotter dessus comme des
petits filaments déliés presque comme la pointe d'une épine, et
fort tendres.
« On garde en Perse les raisins tout l!hiver, les laissant la
moitié de l'hiver attachés à la vigne, et enfermés dans un sac de
toile pour les préserver des oiseaux. On les cueille à ùiesure
qu'on veut les manger. C'est l'avantage de l'air, qui est sec, et
qui conserve tout. — Ils font le raisin sec en pendant les grappes
au plancher, d'où les grains tombent un à un. Au pays du Kour-
distan, et vers Sultanie, où il y a beaucoup de violettes, on en
mêle avec le raisin sec, et l'on dit que cela tient le ventre en bon,
état : le raisin en a assurément meilleur goût. Le meilleur rai-
sin des environs d'Ispahan est celui que les Guèbres ou an-
ciens païens persans cultivent, particulièrement celui de Nège-*
fabad, qui est un gros bourg à quatre lieues d'Ispahan, où il
n'y a que des guèbres... (1).
u On fait du vin par toute la Perse, hormis les lieux où il
n'y a personne à qui il soit permis d'en boire, c'est-à-dire ni chré-
tiens, ni guèbres... L'usage en est interdit par la loi mahomé-
sortes de figures, remplies de vases de toutes les façons qu'on saurait ima-
giner et le plancher est couvert de tapis d'or et de soie.
« U n'y a nen de plus riant et de plus gai que cette infinité de vases, de
coupes, de bouteilles, de toutes sortes de formes, de façons et de matières,
comme de cristal, de cornaline, d'agate, d'onjx, de jaspe, d'émail, de corail,
de porcelfidne, de pierres fiaes, d'or, d'argent, d'émail, etc., » (Chardin,
Voyage en Perse, et autres lieux de VOrient» t. VIII, p. 75.)
(1) Chardin, loc. cit., t. IV, p. 53.
TRATTi DB LA VIGNE — 1. 6
Digitized by
Google
82 HISTOIRE DE L.\ VIGNE
lane : la tolérance qu'on a là dessus dépend de Thumeur du
souverain et du caprice ou de l'avarice des gouverneurs, et
c'est ce qui empêche qu'on apprenne à bien faire le vin et qu'on
ait des instruments propres.
« Le meilleur vin se fait en Géorgie, en Arménie, en Médie,
à Chiras, à Tesd, capitale de la Caramanie. Le vin d'Ispahan
était le pire de tous avant que les Européens délicats s'en mêlas-
sent. On le faisait de ce petit raisin qui n'a point de pépins, et,
il était très fumeux, rude à boire et froid à l'estomac, disait-on.
Les Arméniens imitent les Francs, et le mêlent avec du gros rai-
sin ; ils font du fort bon vin et qui porte bien l'eau. Ils ne le
gardent pas dans des tonneaux, comme nous, cela ne vaudrait
rien en Perse. La sécheresse de Tair les ouvrirait, et le vin en
sortirait, mais, en des jarres ou pitarres, vases hauts de 4 pieds,
qui ont la figure ovale comme un œuf et qui tiennent, communé-
ment, 250 à 300 pintes : il s'en trouve d'un muid. Les unes sont
vernissées en dedans, les autres toutes unies, mais ointes de
graisse de mouton purifiée pour empêcher la terre de boire le
vin. On garde ces jarres à la cave, et même on enterre jusqu'en
haut celles qu'on veut boire les dernières. J'ai oiu dire qu'on a
en France, dans la province du Poitou, de ces jarres ou pitarres
qu'on appelle pones (1). Les persans les appellent kouirSy qui
veut dire vin, et vient d'un verbe qui signifie mêler, parce que
le vin mêle et confond l'entendement (2).
« .... A Chiras, le meilleur fruit est le raisin, dont il y a trois
sortes, le Kichmich^ petit raisin doux et sucré, sans pépins sen-
sibles ; le gros raisin blanc ; le gros raisin qu'on appelle Damas
dont la couleur est rouge, et dont on voit des grappes pesant
douze et treize livres. C'est de cette troisième sorte seulement
que se fait le vin de Chiras, qui, pour la beauté de sa couleur
et la bonté de son goût, est estimé le meilleur de la Perse et de
tout l'Orient. Ce n'est pas un de ces vins de liqueur qui plaisent
d'abord à la bouche; au contraire, il me parut rude la premièra
fois que j'en bus. mais lorsqu'on en a bu quelques fois, on le
préfère à tout autre, et, à la longue, on ne peut plus goûter d'au-
tres vins (3). »
« Maintenant, » ajoute Julien après avoir rappelé l'histoire
({) Le fait est exact. Ces pones servent à faire la lessive. Mais, TEspagne
méridionale, qui tient encore tant des Arabes, sans s'en douter, et qui en tient,
notamment, ce qu'elle a de meilleur, leur a conservé leur usage vinaire
sous le nom de tinajas.
(2) Chardin, loc. cU., t. IX, p. 200.
(3) Id., ibid,, l. IX, p. 186.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L*HISTOIRE 83
d'Àbbas n, les gens riches de ce pays consomment beaucoup
de vin, mais en secret et, pour accroître encore ses propriétées
enivrantes, « ils l'additionnent de noix vomique, de chaux et
de chénevis (1). » Au reste, s*il faut toujours en croire Chardin,
rivresse serait chez certaines nations asiatiques considérée comme
une vertu, et, par exemple, un Géorgien qui, à Pâques et à No(î1,
serait rencontré en état de... tempérance, serait excommunié
comme mauvais chrétien.
L'Atropatène ou petite Médie et la Perside, principaux centres
vinicoles de Perse dans Tantiquité, n'ont rien perdu de ce privi-
lège. Dans FAderbijan (ancienne Atropatène), on cultive encore
aujourd'hui, suivant Julien, 65 variétés de raisins, dont on fait
beaucoup de vin et de raisins secs. Quant au Farsistan (ancienne
Perside), c'est lui qui donne le fameux vin de Schiras, continuateur
direct, probablement, du vin de Persépolis, qui fut si fatal à sa ville
mère.
Dans l'Érivan, où, d'après la tradition, Noé aurait planté les
premiers ceps (2), la viticulture est, en efiFet, fort ancienne, et, la
production excellente. Pourtant, la rigueur des hivers y est telle,
qu'on y croit prudent d'enterrer la vigne aux premiers froids, pour
ne la découvrir qu'au printemps. On l'arrose pendant l'été (3).
lia vigrne en Palestine, en 'Syrie et en Pliénicie. —
Si les Perses plaçaient le cep sur le trône, les Hébreux, plus
amateurs sans doute encore de « la dive », faisaient mieux, ils le
plaçaient sur l'autel. Pompée, en effet, fit figurer dans im de ses
triomphes une vigne d'or provenant du temple de Jérusalem, et
qu'il y avait prise, suivant Tacite, ou qui lui avajt>é^é donnée par
Aristobule, d'après Josèphe. Ce dernier historien affirme que cette
vigne d'or avait reçu le nom de Terpolê^ c'est-à-dire délices, et
qu'elle fut consacrée à Jupiter Capitolin.
(l)JulieD,too.,ctt.,p. 474. Getusage est, déjà, signalépar Chardin, qui ajoute ces
curieuses réflexions : « La troisième remarque est sur ce que les Persans aiment
tant à boire du vin, surtout la cour et les gens d'épée. Quand nous leur demandons
comment il se fait qu'ils aiment tant le vin» que leur religion interdit si fort, ils
répondent que cela se fait comme chez nous Tivrognerie et la paillardise.
« Votre religion disent-ils, les défend et les aborrhe comme de grands péchés ;
cependant nous entendons dire à des gens de ce pays, qui trafiquent en
Europe, qu*en divers endroits, vos gens font gloire, les uns de séduire les ûlles
ei les femmes, et les autres de boire excessivement. » ( Voyage en Perse et autres
Ueux de fOrtent, t. .IV, p. 200 et t. VU, p. 108.)
(2) Les Arméniens tiennent par tradition que « Noé planta la vigne tout
proche d'Érivan, et il y en a même qui marquent Tendroit, et qui le montrent
à une petite lieue de la ville. » (Chardin, Voyage en Perse et autres lietUBj t. II,
p. 222. Amsterdam, 1711).
(3) Elisée Reclus, Géographie universelle, t. VI, p. 259.
Digitized by
Google
84 HISTOIRE DE LA VIGNE
Comme V Iliade et comme V Odyssée, les livres sacrés des Hébreux
sont tout imprégnés des fumets du pressoir, et attestent quelle
immense place la vigne avait, dès l'origine des temps, prise dans
leur agriculture, dans leurs goûts, dans leurs habitudes et dans
leurs mœurs. Leurs métaphores, leurs paraboles, leur éthique, tout
s'inspire de la vigne, Jéhovah lui-même compare maintes fois son
église à une vigne, où les bons sont semblables aux grappes savou-
reuses de la vigne cultivée, et les méchants aux baies acerbes de
laLambrusque(l). Ce qui prouve, par parenthèse, qu'à peu près en
tous temps et par tous pays la vigne sauvage et la vigne cultivée
ont toujours coexisté côte à côte. Est-il content de son peuple ?
Ce qu'il lui annonce comme la plus précieuse des récompenses^
c'est une culture productive du bienfaisant arbustre (2). A-t-il au
contraire à se plaindre dlsraël, il le menace de la désolation des
vignes (3). David (Ps. cxxviii, 3) compare la femme féconde à une
vigne qui étend de toutes parts ses sarments. Dans les Juges, la
vigne répond aux autres arbres qui lui demandent de dominer
sur eux : « Puis-je délaisser mon vin, qui réjouit Dieu et les.
hommes, et être élevée entre tous les autres arbres ? » Preuve
assez vraisemblable qu'en Palestine, comme en Syrie, on culti-
vait à vigne basse.
Lie Deuteronome assimile la mauvaise doctrine à la vigne
amëre de Sodome (xxxn, 32), et Hosa (m, 1) au marc de raisin.
On ferait, et, on a, effectivement, écrit des volumes avec le»
passages des livres saints qui se réfèrent à la vigne. Nous en avons
assez cité pour prouver notre dire, et nous renverrons ceux de nos
lecteurs que bes .extraits ne satisferaient point à l'ouvrage en 12
volumes publié en 1596 à Francfort par Levin Lemnius sous ce
titre : De arboribus et plantis biblicis, à moins qu'ils ne préfèrent
recouiir au traité plus spécial publié à Heideiberg en 1614 par
Jean Comarius, sous le titre de Theologia vtiis viniferse, et qui
ne comprend que 8 volumes (4). Nous en passons, bien entendu.
En dépit des objurgations des prophètes, les Hébreux étaient
assez excusables d'aimer leurs vins, fort bons, paraît-il, et parmi
lesquels ceux d'Israël, du Carmel, du Liban, d'Ëngaddi, d'Elealeh,
(1) Ésaîe, c. v; Psalra. lxxx, xvetxvi; Ésale, iii,iy;Jérém.,xii;Luc, xx, ix;
Haro, xn, i.
(2) Levit., xxvi,iv,i; Reg.,4,25,— 18,3i;Proyerb.,iii,ix;Ezech., xxxnr,xxvi;
Zach., vm, xii; Esaïe, xxxvi, xvi; Jerem., v, cxxvii;Hos., n, xxii; Joël, ii, xxii;
Mich., IV, IV.
(3) Jer., IV, XIII, xxxviii, xlii ; Psalin.,cv, xxxiii; Deut, xxviii, xvin ;Joel, i, v;
Amos, IV, IX.
(4) Voir aussi Sachs, loc, cit., p. 42, 13.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 85
d'Ascalon, de Sorek, d'Hesbron étaient particulièrement re-
nommés. Ils en récoltaient plus que leur consommation, quelque
large qu'elle fût, ne le comportait, et leur trop-plein s'écoulait
par la Phénicie, qtii en faisait l'exportation. Aujourd'hui, la
Palestine n'a conservé que quelques vignobles, mais « ils sont mal
entretenus et leurs produits n'entrent plus dans le commerce.
Les environs de Jérusalem fournissent cependant un vin blanc
très fort, mais affecté d'un goût de soufre désagréable (1). »
Gomme sa voisine, la Syrie a eu de très bonne heure d'excel-
lents vins, appréciés même des prophètes. C'est ainsi que six siècles
avant notre ère, Ézéchiel vantait le vin de Chelbon, qui se ven-
dait aux foires de Tyr. Il n'avait rien perdu de ses qualités à
l'époque de Strabon, ni même à celle de Plutarque, qui le nomment
calebonium vinum; il se récoltait près de Damas (2). On n'y pro-
duit plus guère aujourd'hui que des raisins secs, d'ailleurs fort
estimés, et à peu près exempts de pépins, comme le Kischmich
du golfe Persique. Laodicée, et plus tard Alep, qui est de cons-
truction romaine, tenaient, au point de vue œnopoiétique, le pre-
mier rang après Damas. La première surtout, devenue Latakieh,
est demeurée vignoble. On y récolte des vins blancs et rouges,
et, pour en augmenter la consistance, on fait bouillir le moût,
usage qui rappelle, on le sait, les procédés antiques. « Cependant,
<c on ne fait pas bouillir le plus estimé de ceux du mont Liban
« qu'on nomme vin (ToVy dont la couleur, conforme au nom, est
« brillante et dorée (3). »
La Phénicie enseigna-t-elle, comme on l'a dit, la viticulture
aux Égyptiens ? Les Égyptiens eux-mêmes n'en croyaient rien,
puisqu'ils attribuaient cette institution à Osiris, dieu essentielle-
ment indigène (4), et nous sommes bien près de partager leur incré-
dulité, en réfléchissant que les traces figurées de viticulture
frouvées en Egypte remontent à une antiquité aussi reculée que
peut l'être la civilisation phénicienne elle-même. Quoi qu'il en
^it, les Phéniciens étaient demeurés les fournisseurs de vin de ce
(I) Julien, loc. cit., p. 460.
(2Jld., ibid,, p. 39.
(3) Id-, ibid., p. 4o9.
(it) Tïbuhe, I, vu, xxxur, dit, en parlant d'Osiris :
Uic docuit teDertm palis adjangere Titem,
Hic viridem darA cœdere falce comam.
lUi jucundos primum natura sapores
Eipreua incultis ava dédit pedibus.
nie liquor docuit voces inflectere cantu..».
Selon le poète latin, qui tout au moins n'y contredit point, Osiris serait donc, non
«eulement Tinstituteur de la viticulture en général, mais, plus spécialement,
rinvenleur de Téchalas et de la « taille verte. »
Digitized by
Google
86 HISTOIRE DE LA VIGNE
grand pays, non seulement à l'aide de leurs vins renommés de
Tripoli, de Béryte et de Tyr, dont il est question dans Pline, mais,
comme intermédiaires de la Syrie et de la Palestine. Deux fois
par an, les caravanes transportaient de Tyr à Memphis de grandes
charges de vin, en suivant la route de Gaza et la rive orientale du
Delta du Nil. Les gourmets égyptiens buvaient de préférence le
vin de Tyr et celui de Laodicée. La Babylonie, non contente du
vin qu'elle tirait de la haute Mésopotamie, l'Assyrie où les tradi-
tions bachiques de Sardanapale n'étaient point éteintes, et où on
buvait fortement, l'Arabie, la Perse et l'Inde lointaine étaient,
sur le continent asiatique, des pays de demande plus ou
moins abondante et active. Avec le temps, une notable expor-
tation se dirigea aussi vers les pays occidentaux d'Europe et
d* Afrique, où abordèrent des navires phéniciens et s'établirent
des comptoirs.
Les bénéfices, dans cette branche du trafic phénicien, devaient
être énormes, si on pense aux facilités respectives d'achat dans le
pays de production, et d'écoulement dans ceux de consommation,
depuis les contrées limitrophes jusqu'aux échelles les plus
reculées de la Méditerranée, de la mer Noire, de l'Atlantique,
voire même jusqu'au détroit d'Iéni-Kalé et à la mer d'Azoff,
dont les riverains, les barbares Cimmériens, recevaient, comme
premiers dons de la civilisation, des outres pleines de vin, et se
jetaient sur l'agréable breuvage avec la même avidité que celle
des modernes Indiens d'Amérique et des indigènes d'Australie
pour l'alcool. En échange de ces vins, les Phéniciens rapportaient,
à Tyr et à Sidon, des peaux, des minéraux précieux, etc. (1).
Le fleuve Adonis, chanté par Mil ton, a encore, suivant
l'expression du grand poète Anglais, ses « belles vallées vêtues
de vignes (2). » Le pays des Maronites et celui des Dru ses four-
nissent également des vins blancs et rouges de bonne qualité.
Mais Saïde, l'ancienne Sidon, exporte surtout des raisins secs
qu'on vend sous le nom de raisins de Damas (3).
L.a vigne dans Flnde. — Notre voie la plus naturelle serait
peut être de suivre les caravanes vinifëres jusqu'en Egypte, si
nous ne préférions, pour n'avoir point à revenir en Asie, faire
un crochet jusque dans l'Inde.
Ici, nous sommes absolument de l'avis d'Arcangeli : « Les noms
(1) Cognelti de Marlis, loc, cit., p. 172-173.
(2) The beautxful walleys clad with vines.
(3) Julien, loc, cit., p. 459. — Voir aussi Gubernatis, Pivcola Enciclopedia^
1877, p. 87-88.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 87
sanscrits de drahska, amritaphala, amritarasà, qui désignaient
la vigne, et ceux de rasa et de rasala appliqués au fruit, indiquent
que la viticulture remonte dans l'Inde à une antiquité immense,
et probablement antérieure à celle de Bacchus et d'Osiris... et
nous ajouterons, nous, des Phéniciens. Cette culture se limitait
aux régions septentrionales de Tlnde, le Penjab, le Kashmyr, et
au Gambaye (1).
Dans rinde aussi, la vigne et le raisin sont donc congénères
des premiers âges. En a-t-il été de même du vin? C'est plus
douteux. A défaut d'histoire, consultons la tradition :
<c Dans les plus anciens livres de l'Inde, il est question d'une
liqueur enivrante, antrita^ soma^ douée de propriétés merveil-
leuses, dispensatrice de vie et d'immortalité, objet de vénération
parmi les hommes, de guerre et d'envie parmi les dieux. La poésie
desYédasen est tout imprégnée et toute parfumée. De ses origines
célestes et terrestres, on raconte des merveilles, qui grandissent
à mesure que le thème glorieux émigré des livres sacrés dans les
vastes épopées. Écoutez ce qu'en dit le Ramayâna :
« Les enfants de Diti et d'Aditi désiraient l'immortalité. Pour
l'obtenir, ils résolvent de fouetter l'Océan ; les eaux fouettées
donneront Vamrita, Ils se mettent à l'œuvre, renversent dans les
flots le mont Mandara, enroulent autour le serpent Vasuki en
guise de corde, et le tirent par la queue à tour de bras. La corde
vivante se développe, la montagne tourne sur elle-même comme
une toupie, et baratte TOcéan comme on fait du lait qu'on veut
écrémer. Aubout de mille ans, le serpent, fatigué decejeu,semot
à cracher un venin qui consume le monde ; le dieu Siva vient au
secours en avalant la bave venimeuse. Au bout de mille autres
années, sortent des flots les portenteux précurseurs de la méta-
morphose si ardemment désirée : le médecin Dhan van tari, les
nymphes Apsarasa, Surâ et Varuni, la déesse du vin et de
l'ivresse, le cheval Uccaihcravas, le diamant Kaustubha, le dieu
Soma, la déesse Çn. Après un troisième barattage, les eaux
coagulées donnent Yamrita : les enfants de Diti et d'Aditi, c'est-
à-dire les démons Asuri combattent avec les dieux pour sa posses-
sion. En dernier lieu, les dieux triomphent des démons (2). »
Qu'était-ce que cet amrita, que ce soma? Était-ce, comme le
veut Corrado Corradino (3), le suc fermenté de YAsclepiadea
acida ou Sarcostemma viminalis ? Était-ce le « chong » qu'on retire
(i) Arcangeli, la Botanica del Vino, p. 212-213.
(2) A. Graf., laLeggenda del Vino^ p. 6 et 17.
(3) Corrado Corradino, Il Vino net costumi dei popoHy p. 75 .
Digitized by
Google
fis HISTOIRE DE LA VIGNE
au Thibet du Cacalia saracenica ? Était-ce de ce vin de dattes
qui, au temps de Pline (1), se fabriquait chez les « Indiens, chez
les Parthes et dans tout l'Orient ? » Était-ce, enfin, du vin de
raisin ? 11 est difficile de se prononcer sur ce sujet. Les Indiens,
en tous cas, consommaient tiu vin, tout au moins dans les sacri-
fices, et si, suivant Strabon, ils n'en devaient consommer que là,
nous savons que c'est surtout avec les lois qui contrarient un
penchant légime de la nature, qu'il est et qu'il a toujours été des
accommodements.
S'il enfant croire les récits amusants, mais un peu sujets à cau-
tion de Quinte-Curce, ce Walter Scott de l'antiquité, lorsqu'il prit
fantaisie à Alexandre, vainqueur et maître de la Perse, de pousser
ses conquêtes jusque dans l'Inde, son expédition, qui commença
par Nysa dans le Paropamisus (Hindou-Kouch), et qui se termina
aux bouches de l'Indus, ne fut qu'une longue bacchanale, où le
vin ne fit point défaut. Tout d'abord à Nysa (Afghanistan actuel),
dont les habitants attribuaient la fondation à Bacchus, et qui était
située au pied d'une montagne portant le nom très significatif de
Meros, Alexandre fit porter des vivres au faîte de cette montagne,
et monta jusqu'au sommet avec toute son armée. « U la trouva
couverte de vignes et de lierre, et abondamment pourvue de
fruits de toutes espèces, très agréables et très salubres. U prit
fantaisie à des soldats de se couvrir de lierre et de se couronner
de ceps de vigne, de pai*courir tous ces lieux, et d'y former des
danses à la manière des bacchantes. L'idée devint contagieuse, et
tous les soldats en firent autant. Ils chantaient par milliers les
louanges du dieu, qu'on adorait sur ce mont fortuné. Ils se cou-
chaient sur des lits de verdure, et se livraient aux plaisirs comme
au milieu de la paix. Le roi, que cette gaieté amusait, leur fournis-
sait en abondance de quoi l'entretenir. U tint ainsi pendant dix
jours les soldats désarmés, dévoués au culte de Bacchus. Qui peut
douter que les héros qui ont conquis beaucoup de gloire ne
doivent aussi beaucoup à la fortune? Aucun ennemi n'osa attaquer
ces ivrognes au milieu de leur joie tumultueuse. Les cris qu'ils
adressaient au dieu de la treille étaient redoutés des naturels du
pays comme des cris de combattants. Ils ne furent pas moins
heureux, quand ils revinrent de l'Océan, ivres et repus (temulentos
tommessantesque) (2). »
A Taxila, la moderne Atak, c'est-à-dire au sommet de l'angle
(1) Pline, loc, cit., p. 435.
(2) Quinti Curlii Rufi, De Rcbus gestis Alexandri, lib. VIÏI, t. II, p. 307-308.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 89
formé par le Pendjab entre le Kashmyr et l'Afghanistan , banquets
dans lesquels le conquérant se livre sans retenue à ses habitudes
bachiques, et est sur le point de faire subir le sort de Clitus à
Méléagre qui, dans les fumées de Tivresse, ose harceler de ses
lazzis ce maître terrible. Enfin, dans le. pays des Oxydraques, à
Outch (Bhavalpour), au confluent du Trinab et du Ghara, nou*
velles scènes d'orgie, querelle et combat singulier provoqués par
rivresse entre un soldat macédonien et un athlète athénien favori
d'Alexandre (1).
Si les récits de Quinte-Curce étaient, nous le répétons, moins
suspects, il serait donc démontré que, de son temps, vigne et vin
abondaient, au moins au nord de l'Inde, car, il n'est guère
admissible qu'une armée engagée à l'aventure dans un pays
inconnu, et vraisemblablement sans chemins tracés, eût emporté
avec elle de quoi suffire à de telles « beuveries ». Mais, même en
décrétant tout cela de fable, il est certain que si l'Inde n'a pas
eu de vin, de vin indigène, ce n'a point été par impossibilité d'en
faire. Royle y a vu la vigne cultivée dans le Kashmyr et dans
rindoustan du Nord, et Graham, cité par Pickering, assure qu'elle
est cultivée avec succès, « successfuUy » , même dans le Dekkan(2) ;
Victor Jacquemont, enfin, en parcourant le Kashmyr vers 1832, y a
remarqué des vignes dont le tronc mesurait 0",63 de circonférence.
Plus récemment, Julien assurait, nous l'avons vu, qu'on fait dans
cette province des vins, « qui ressemblent à ceux de Madère et
acquièrent une qualité supérieure quand on les conserve avec
soin. »
Dans la province de Lahore, on fait aussi, suivant le même
auteur, « des vins fort estimés (3). » Non seulement, notre com-
patriote Emens a fait d'excellents vins avec les vignes trouvées
par lui dans les forêts de Kashmyr (4), et qui ne sont peut-être,
comme celles de la Colchide suivant les vues de Koch et de
Hamboldt, que les restes d'anciennes cultures (5), mais, des
plants de Màcon, de Margaux et de Sauterne introduits par lui
en 1877 dans cette province y ont donné, en 1880, une récolte
considérable. Quelques ceps avaient jusqu^à 85 grappes (6).
Les vignes n'ont point disparu dans le Kaboulistan depuis
Bacchus, et depuis Alexandre. Les raisins, ceux de Serkar surtout,
(1) Quinti CurliiRufl, loc. ciL, lib. IX, p. 412.
(2) Pickering, Chronohgical History of plants, p. 36-37.
(3) Julien, loc. cU., p. 475, édil. de 1865.
(4) Voir plus haut, p. 37.
(5)I6id.,p.39.
(6) Revue horticoky 1880, p. 401.
Digitized by
Google
90 HISTOIRE DE LA VIGNE
y sont excellents (i). Les grains en sont blancs et jaunâtres, et
ont un goût très prononcé de chasselas. Les plus petites grappes
pèsent au moins un kilogramme (2).
L.a vigne en Égrypte. — S'il fallait aussi prendre à la lettre
Hérodote (3), qui, il est. vrai, semble se contredire sur d'autres
points, les Égyptiens, chez qui étaient en grand honneur les
libations avant d'immoler la victime, ne permettaient l'usage
habituel du vin qu'aux prêtres.
Bien que le corps sacerdotal fût très nombreux en Egypte et
y constituât, suivant une expression moderne, un véritable « État
dans l'État », nous ne pensons pas qu'il pût suffire à consommer
à la fois les vins tirés de l'Asie, et ceux fournis par les vignes
indigènes. L'Egypte, au temps des Lagides, au moins, ne manquait
point de crus estimés, et nous savons par Pline qu'on y cultivait
à vigne rampante, comme en Syrie et en Asie Mineure, où cette
méthode fournissait des vins excellents. Une épigramme de
Martial dit, il est vrai, que, malgré la chaleur du climat, tous les
vins de TÉgypte péchaient par la qualité. Mais, c'était là simple-
ment, ou une boutade de poète, ou un goût particulier, car Lucain
comparait au Faleme le vin de Méroé, que Cléopâtre fit servir à
César, lequel y fit honneur sans répugnance. Le vin d'Antilla, près
d'Alexandrie, était le seul qui eût de la réputation parmi ceux
des nombreux vignobles qui ornaient les bords du Nil (4). Pline
vante le vin de Sebennytum (Delta), qui se fabriquait avec trois
raisins, le thasien (5), Vœthale et le peucé (6). Le vin dit tœnia-
tique (7), du nom de la bande de terre qui le produisait, avait une
couleur verdâtre, beaucoup de corps et un arôme très prononcé ;
il avait en même temps de la fermeté. Athénée cite, enfin, comme
n'ayant pas de rivaux en excellence, le vin du lac Maréotis. Ce
goût paraît avoir été partagé par Antoine et par Cléopâtre, pour
qui le vin en question fut véritablement, pour parler le langage d'A-
ristophane, « le lait de Vénus et des Amours ». Ce fut très vrai-
semblablement celui qui figura dans la scène oubliée par Shakes-
peare et digne de Gérome, que nous empruntons à Pline.
({) Julien, loc. cit.
(2) Bulletin de la Société d'acclimatation,
(3) Hérodote, liv. II, passim.
(4) Julien, loc, ct^, p. 49.
(5) Dans un autre passage (p. 573), Pline nous dit que : « les Ég}'p tiens donnent
le nom de thasien à un raisin qui est très doux chez eux, et qui relâche le
ventre, et celui d'ecbolas à un autre raisin, qui provoque les avortements. »
(6) Pline, /oc. c«., p. 531.
(7) Julien, loc, d<., p. 49.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 91
Les anciens avaient, on le sait, l'habitude de « couronner »
avec des fleurs de diverses sortes les coupes qu'ils vidaient dans
les festins, et plus généralement avec des roses. Progressivement,
et malgré les traités spéciaux des médecins Mnésithée et Calli-
maque, qui leur en démontraient le danger, ils en vinrent à se
couronner eux-mêmes la tête et même les pieds (1), et plus tard
encore, dans le paroxysme de Tébriété, à effeuiller les couronnes
dans les coupes, et àboire cet œnolé de pétales. « Lors des apprêts
de la guerre d'Actium, » nous dit Pline (2), « Antoine redoutait
jusqu'aux présents de Cléopàtre, et ne prenait d'aliments qu'après
les avoir fait déguster; on rapporte que, voulant se jouer de ses
craintes, elle enduisit de poison les fleurs d'une couronne. Ayant
cette couronne sur sa tête, et la gaieté faisant des progrès, elle
invite Antoine à boire les couronnes. Qui dans cette circonstance
aurait redouté des embûches? La couronne est effeuillée, jetée
dans une coupe... Antoine va boire : elle l'arrête de la main :
« C'est donc contre moi, Marc- Antoine, que vous prenez laprécau-
« tion nouvelle des dégustations? Et voyez, si je pouvais vivre sans
« vous, comment les occasions ou les moyens me manqueraient... »
Elle fit venir de la prison un homme qui but et expira aussitôt. »
Ce sont là jeux de... femme.
De nos jours, assure Julien, il y a encore de nombreux vignobles
dans le Fayoum, et surtout aux environs du lac Mœris et de
Medineh. Les chrétiens y font du vin, mais, il ne vaut pas celui
que fabriquaient les anciens Égyptiens dans le nome Arsinoîte.
Dgeddé, sur la rive occidentale du Nil, à peu de distance d'Abou-
Mandour, est entouré de beaucoup de vignes : c'est de là que se
tirent les raisins pour Rosette et Alexandrie. A Denderah, près
des ruines de Tentirys, à Kous, à Farschout et dans plusieurs
autres cantons de la Haute-Egypte, on récolte aussi des raisins
excellents, mais qui se mangent en nature (3).
Au sud-est de l'Egypte, Forskal et Pickering ont vu la vigne
cultivée dans l'Yemen. Ce témoignage est confirmé par Julien (4).
tt Dans le canton de Sahan, on rencontre plus de vingt espèces de
vignes; comme les raisins ne mûrissent pas tous en même temps,
on peut en manger pendant plusieurs mois (5). Les Juifs de
(i) Pline, loc. cit. y li?. 21, passim,
(2) Id., ibid,, t. II, p. 44.
(3) Julien, loc. cit., p. 482.
(4) Id., tôid., p. 470.
(5) Nous ayons vu, précédemment, le même fait relaté dans Homère. Voir
plus haut, p. 65.
Digitized by
Google
92 HISTOIRE DE LA VIGNE
Sana (capitale de rYemen, 800 kil. S. de la Mecque), font de bon
vin, qu'ils conservent dans des cruches de grès; ils distillent de
Teau-de-vie en assez grande quantité pour en vendre. »
Dans ces dernières années, on a essayé d'acclimater le
long du canal de Suez nos cépages de France. D'après le Bulletin
de la Société d acclimatation (1), cette expérience aurait donné
des résultats satisfaisants pour le pinot de Bourgogne et le
chasselas de Fontainebleau.
Ajoutons que, d'après Julien (p. 462), c'est principalement
dans les sables qu'on plante la vigne en Egypte, et qu'elle y
atteint des dimensions colossales. Le phylloxéra, s'il lui prend
fantaisie de s'égarer jusque-là, y aura, donc, peu de prise sur
elle (2).
En Ethiopie, dont Thistoire se lie intimement à celle de
l'Egypte, la vigne a laissé des traditions plus récentes, sinon
plus précises que chez sa voisine, ne fût-ce que ce passage du
Mémoire que le docteur Poucet envoyé en ambassade, par
Louis XIV, en 1678, près du Négus d'Abyssinie a consacré
à cette mission :
« J'arrivai à Emfras (non loin du lac Tzana) dans le temps
des vendanges, qu'on ne fait pas en automne comme en Europe,
mais au mois de février (3). J'y vis des grappes de raisin qui
pesaient plus de huit livres et dont tous les grains étaient gros
comme de grosses noix : il y en a de toutes les couleurs. Les
raisins blancs, quoique de très bon goût, n'y sont pas estimés.
J'en demandai la raison et je conjecturai par la réponse qu'on
me fit que c'était parce qu'ils étaient de la couleur des Por-
tugais. Les religieux d'Ethiopie inspirent au peuple une si
grande aversion contre les Européens qui sont blancs par
rapport à eux, qu'ils leur font mépriser et même htur tout ce
qui est blanc. »
Un explorateur français, Paul Soleillet, a fait récemment
un séjour de deux années au Choa, et il a essayé d'introduire
chez nous ces vignes qui avaient excité chez son prédécesseur
une admiration qui n'a guère d'égale que celle de Chardin pour
les vignes de la Perse. Malheureusement les boutures adressées
(1) Année 1870, p.65.
(2) Voir plus loin les expériences très démonstraii?es faites en Hongrie sur
rimmunité, au point de vue du phylloxéra, des vignes plantées dans les sables.
(3) « Le climat de TAbyssinie est beaucoup moins chaud que celui d'Egypte
et de Nubie. Les montagnes qui coupent la contrée y entretiennent la fraîcheur
de Tair. L'hiver conunenceen juin, et finit en septembre. » Dufour et Th. Du-
volenay, Atloi historique et universel de Géographie, pi. xxxv.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 93
à l'École d'Agriculture de Montpellier y sont arrivées dans un
état de dessiccation qui n'a pas permis d'en tirer parti. Une
tentative nouvelle va être faite pour cette introduction par un
ami de M. Soleillet, M. Léon Chefneux. Espérons qu'elle sera
plus heureuse que la première.
Dans une lettre écrite à cette occasion au président de la
société languedocienne de géographie, à Montpellier, Paul
Soleillet s'exprime comme il suit :
« Vous n'ignorez pas que l'Ethiopie fut un centre important
de viticulture. Les Éthiopiens donnent à leur plateau, dont
Taltitude varie de 1,800 & 2,400 mètres, le nom significatif de
otmâdjây plateau à vigne. Lors de l'invasion de l'Ethiopie par
les musulmans, les vignobles, aussi bien que les sanctuaires,
furent détruits.
« Depuis lors, les guerres intestines qui ont désolé ce beau
pays n'ont point permis le rétablissement de cette culture, dont
les besoins se font du reste de moins en moins sentir, l'hydromel
et la bière ayant partout, en Ethiopie, remplacé le vin. Seuls,
aujourd'hui, les moines, pour les besoins du culte, cultivent
dans les jardins de leurs monastères, quelques pieds de vigne.
« Ayant fait un séjour de près de deux années dans le
royaume de Choa, j'ai été à même de constater que la vigne
éthiopienne est de très bonne qualité, donne un fruit beau et
bon, et que sa rusticité est telle qu'elle pourrait aussi bien
que la vigne américaine résister au phylloxéra : et elle aurait sur
celle d'Am'érique Tavantage d'être de même espèce que la nôtre,
de donner du vin de bonne qualité et de pouvoir, en consé-
quence, être cultivée en France sans avoir recours au greffage. »
(Je crois que sur ces derniers points M. Soleillet est en plein
dans l'hypothèse et dans l'illusion (1).)
Comme en Ethiopie et comme en Egypte, la viticulture, avant
Mahomet était aussi très florissante en Libye, où Anatole nous
q)prend qu'on creuse le sol tout autour de la vigne, qu'on la laisse
ainsi tout l'hiver, exempt de gelées dans ce climat, et qu'on étendait
loin des radicelles l'engrais, fait, de préférence, d'urine hiunaine.
La vl^ne en Tunisie. — On lit dans le deuxième livre des
lots de Platon (2), à propos de Carthage, ces lignes très curieuses :
« je préférerais à ce qui se pratique en Crète et à Lacé-
démone la loi établie chez les Carthaginois, qui interdit le vin à
(1) E. Planchon, la Vigne Américaine. Janvier, 1885, p. 25.
(2) Platon, loc. ciUj p. 63.
Digitized by
Google
94 HISTOIRE DE LA VIGNE
tous ceux qui portent les armes et les oblige à ne boire que de
Teau pendant tout le temps de la guerre; qui, dans Tenceinte des
murs, enjoint la même chose aux esclaves de Tun et de Tautre
sexe, aux magistrats pendant Tannée qu'ils sont en charge, aux
pilotes et aux juges dans Texercice de leurs fonctions, et à tous
ceux qui doivent assister à une assemblée pour y délibérer sur
quelque objet important; faisant en outre la même défense à
tous d'en boire pendant le jour, si ce n'est à raison de maladie,
ou pour réparer leurs forces, et, pendant la nuit, aux gens mariés,
lorsqu'ils auront dessein de faire des enfants. Sur ce pied-là, il
faudrait très peu de vignobles à une cité, quelque grande qu'on
la suppose, et, dans la distribution des terres pour la culture, la
plus petite portion serait celle qu'on destinerait aux vignes »>
Il est probable que, si ces lois ont véritablement existé, elles
n'ont jamais eu une application bien rigoureuse. Les Carthagi-
nois ont été, en effet, dans l'antiquité, les véritables codificateurs
delà viticulture, et s'il en faut juger par l'admiration unanime
que lui ont vouée tous les écrivains spéciaux qui se sont occupés
de la matière, comme par le témoignage encore plus solennel
qui lui fut donné par le sénat de Rome décrétant la traduction de
ses vingt-huit volumes, rien n'a égalé à cet égard les œuvres et
la compétence de Magon. On trouve, même dans les extraits qui
ne nous en sont parvenus que de seconde ou troisième main, des
traits d'une observation raffinée, tels que ce précepte qui consiste
à tailler la vigne non transversalement, parce que l'eau, séjournant
sur la section horizontale, arriverait à pourrir le bois, mais obli-
quement et en dirigeant l'obliquité en sens inverse du bourgeon le
plus voisin, pour que la pluie ne se déverse point de son côté. Ses
recommandations sur l'aération des racines, sur l'emploi de
l'urine et de la cendre pour le traitement des vignes malades,
sont professées aujourd'hui par nos viticulteurs les plus pratiques
en même temps que les plus étrangers à toute littérature. Hom-
mage plus éloquent encore, peut-être, que celui du sénat romain.
Une notion, si profonde, si adéquate du sujet, se concilierait mal,
il faut l'avouer, avec une culture purement accessoire et sans
importance (1).
Au reste, s'ils n'étaient, ce qui est possible, que des médio-
cres buveurs, les Carthaginois, fils des Phéniciens, furent tou-
(1) C'est aussi à Magon qu'est dû remploi, comme engrais, du marc de rai-
sins. Prescription tout à fait conforme aux données les plus récentes de la
chimie agricole, qui recommande de rendre à chaque terrain les éléments
minéraux que les plantes alimentées par lui lui ont enlevés.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 95
joarsy comme eux, des navigateurs intrépides et des exportateurs
actifs. Ils purent donc cultiver la vigne pour d'autres usages que
pour le leur. Nous savons notamment qu'ils échangeaient le vin
contre le Sylphium {Asa fœtida)^ avec leurs voisins de Cirta (1).
Au temps de Strabon, Carthage, devenue ville romaine, trônait
comme telle sur toute l'Afrique, au milieu de champs de blés iné-
puisables, de frais vergers et de riches vignobles. Au témoignage
du grand géographe, ces vignes avaient des troncs d'une épaisseur
telle que deux hommes suffisaient à peine à les embrasser, et les
grappes étaient longues d'une coudée. Pline confirme ce témoi-
gnage, en parlant de grappes d'Afrique, « grosses commele corps
d'un enfant. » Strabon dit, de plus, que les vins qu'on en tirait
avaient une certaine àpreté, qu'on corrigeait avec du plâtre, ce
qui tenait, vraisemblablement, à la culture en hautains. Il est
difficile d'admettre que ces vignes ne remontassent pas jusqu'à la
domination punique.
A Carthage devenue Tunis, Tislamisme n'a point fait dispa-
raître, sinon l'usage du vin, au moins la culture de la vigne,
ainsi que l'atteste la communication suivante d'un témoin oculaire
des plus compétents :
« Dans les oasis de Gabës, deMétonia, de M'torech, à TarfelMa
Roudaire, j'ai vu la vigne prendre un développement extraordinaire.
L'Arabe la laisse pousser en treilles gigantesques, qui courent d'un
palmier à un autre, à quinze et vingt mètres de distance. Toutes
les variétés qu'on y cultive nous sont parfaitement connues ;
j ai retrouvé notre Majorquin du Var ou Plant de Marseille, appelé
dans les oasis Farani ;
« La Panse rose [Bzoul Kradem) ;
« Le Pizutello {Bzoul Kelba) ;
« Le Sultanieh [Sultanï) ;
« Le Muscat d'Alexandrie [Muski Bedbt),
« Danslesoasis, la vigne est plantée isolément, tantôt au pied
d'un palmier autour duquel elle s'enroule, tantôt au pied d'un abri-
cotier, qu'elle couvre de ses pampres; toujours taillée à long bois
et un peu à la diable, elle ne reçoit pas de cultures spéciales, et
ne profite que de celles données aux autres plantes qui l'en-
tourent.
« Au nord de la Régence, depuis le cap Serrât jusqu'au cap
Bon, elle occupe des surfaces régulières de un dixième à un
quart dliectare, jamais plus.
(1) Gognetti de Marlis, loc, cit., p. 173.
Digitized by VjOOQIC
9C HISTOIRE DE LA VIGNE
Plantée en quinconce (i), à la distance de deux mètres environ,
elle reçoit des cultures sérieuses que ne renierait pas un viticul-
teur français ; elle est déchaussée profondément et bien fumée (2),
taillée avec la serpe sur cinq ou six coursons à deux yeux : on
ajoute quelquefois un long bois de O^'^SO, quand la variété est
paresseuse ; aussi donne-t-elle d'assez jolies récoltes, et surtout
de beaux raisins (3). »
Outre les vignes cultivées qu'on a pu rattacher à nos cépages,
la Tunisie a aussi, comme TAlgérie, des vignes sauvages, types
indigènes répandus surtout dans la presqu'île du cap Bon et
dans le nord-ouest de la Régence » (4).
A Mehdia, ancienne station carthaginoise, formant presqu'île
sur la côte orientale, à la pointe du cap Afrika, on « produit un
vin riche en alcool, mais seulement en quantité suffisante pour
les besoins locaux. Plus étendue, » — et, nous ajouterons
mieux guidée, — « la culture de la vigne procurerait, croyons-
nous, des bénéfices considérables (5). » La plaine de la Medjer-
dah, qui « fournit en abondance du blé, de l'orge et du sorgho,
parait aussi indiquée pour cette culture, qui, réussirait au
moins aussi bien qu'en Algérie, et qui dans peu d'années, au-
rait doublé le revenu de ces contrées (6). » D'accord, mais, là,
comme en Algérie, — et hélas comme en France, — à condition
de guider les viticulteurs. Au reste, si nous en croyons les infor-
mations de bonne source qui sont parvenues jusqu'à nous, cette
nécessité serait beaucoup mieux comprise, où elle peut l'être uti-
lement, à Tunis qu'à Alger.
La vigpae en Algrérie. — Polybe nous apprend (7) que
Massinissa « fit voir que la Numidie, qui, avant lui, passait
pour ne pouvoir rien produire, était aussi propre à fournir toutes
sortes de fruits qu'aucune autre contrée. On ne peut exprimer
dans combien de terres il fit planter des arbres qui lui rap-
portaient des fruits de toute espèce, » U est probable que parmi
(1) Procédé antique, toujours, et sans doute traditionnel. Voir plus haut
p. 39, ce que dil Koch, des vignes de la Golchide.
(2) On reconnaît là les procédés signalés par Anatole, et qui se sont perpé-
tués sans modifications à travers les bouleversements humains et les âges,
Voir plus haut, p. 93.
(3) André Pellicot, Lettre à V. Pultiaty in (la Vigne américaine, 1882
p. 39-40).
(4) E. Cusson, Mission botanique du Nord de la Tunisie,
(5) Bulletin consulaire Français^ 1883. E. Crétin, agent consulaire à Mehdia,
p. 666.
(6) Gabriel Charmes, la Tunisie et la Tripolitaine, p. 305.
(7) Polybe, liv. xxxvni, iv.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'UISTOIRE 97
ces fruits de toute espèce^ la vigne ne fut point oubliée, d'au-
tant plus probable que, d'après nombre d'auteurs, Ja vigne
croit spontanément dans toute l'Afrique septentrionale, et y
donne sans culture des fruits agréables. Ce qui ne peut faire de
doute, c'est qu'il y avait des vignes en Afrique, au temps de Pline
et de Golumelle. Ce dernier ne dit qu'un mot de la vigne Numi-
dique (1), dont le fruit se conserve très bien dans des pots pour
l'asage de la table. Pline en parle plus longuement. Nous savons
par lui qu'en Afrique, comme dans la Narbonnaise, on tenait la
vigne basse et que ses grappes, nous l'avons vu, « dépassaient la
grosseur d'un corps d'enfant. » Il ajoute : « Aucun raisin n'est plus
agréable pour sa fermeté. C'est peut-être de là que lui vient ce
nom de duracine qu'il porte (2). » Il paraît, de plus, que, depuis
et à aucune époque, les indigènes n'ont cessé de cultiver la vigne
u dans les endroits où ils avaient des demeures fixes, tels que
Médéah, Milianab, Cherchell, Mostaganem, et surtout la Kabylie,
qui exporte encore par Delhys de fortes quantités de raisins de
table d'arrière-saison (3). »
En recherchant l'origine de la vigne cultivée par rapport à la
vigne sauvage, Lirtk(f/rtoe//), en arrive à conclure que la pre-
mière procède de variétés combinées de la seconde, et il ajoute :
« Peut-être la vigne de l'Afrique septentrionale a-t-elle été la pre-
mière cultivée y parce que sans culture elle donne d'excellents fruits. »
Dans sa Flore d'Algérie publiée en 1847, c'est-à-dire dans les
premières années de l'occupation française, et avant qu'elle eût
eu le temps de modifier en quoi que ce fût l'état antérieur, Mumby
s'exprime à peu près de la même manière :
« Les vieilles vignes qui restent dans les campagnes des Maures,
sont composées de souches de toute nature : raisins blancs, gris,
noirs, à courts et à longs sarments, le tout mêlé. La vigne vient
sauvage dans les haies, et ses raisins sont très bons. »
Et ailleurs, dans le Catalogue des plantes indigènes : « Vitis,
commune dans les haies, surtout à Blidah et dans les marais de
la Maison Carrée. Mai. — En arabe Euneb (raisin). Raisin de
vigne sauvage assez gros et d'un très bon goût. »
Enfin, en 1883, la Bévue horticole (4), publiait une lettre d'un
colon de Rouached près Milah, nommé Chabas, et contenant les
renseignements suivants :
(1) Golumelle, loc. cU.^ p. 224.
(2) Pline, loc. cit., p. 522.
(3) Albert Barbier, Mémoire inédit, voir plus loin, p. 97 et suiv.
(i) p. 287.
BISTOIRR DE L.\ VIGNE - 1. '
Digitized by
Google
98 HISTOIRE DE LA VIGNE
La vigne arabe est d'une vigueur incomparable, elle vit à Tétai
sauvage dans les ravins humides et incultes, dans les fissures des
rochers, calcaires principalement. Elle grimpe sur les arbres et s'y
couvre de fruits que les Arabes ramassent et vendent aux
colons, qui en font un vin foncé assez alcoolique et de bon goût.
Une de ces espèces, notamment, appelée par les Arabes fTo^^eroum,
ressemble au teinturier, donne, comme lui, un vin noir, foncé,
alcoolique, d'un goût franc, et « susceptible de rivaliser avec nos
meilleurs vins du Midi.,» La fertilité de ce cépage serait, en outre,
prodigieuse. Il n est pas rare qu'un pied donne 150 kilog. de
raisins, et l'auteur de la communication a vu un propriétaire
récolter sur un de ces ceps 320 kilog. de raisins, qui, soumis au
pressoir, ont fourni 2 hect. d'excellent vin. Il est vrai que le pied
en question mesurait 50 cent, de circonférence et, de mémoire
d'homme, avait toujours été vu delà même grosseur (1).
UUûsseroum n'est ni le seul cépage indigène, ni le seul de ces
cépages dont il y aurait moyen de tirer parti. Le nombre de ces
variétés est, au contraire, considérable, mais toutes, comme les
vignes américaines, sont reliées entre elles par des caractères
communs qui sont comme leur cachet de congénérescence et d'in-
digénat. Ces caractères sont ainsi définis par le stagiaire Albert
Barbier, de Kouba, près d'Alger,indigène lui-même, de laKabylie,
et qui parait posséder à fond tout ce qui se rattache à l'ampélo-
grahie algérienne. (2)
Cépages très tardifs, demandant la taille longue, végétation exu-
bérante, port étalé, feuille peu ou point duveteuse (différence essen-
tielle avec les cépages caucasiques définis par Kolenati)(3), grains
marqués d'un point opposé au pédicelle, pépins triangulaires à
bec très allongé [schnabelartig). Très sujets aux cryptogames.
Voici, d'après le même ampélographe, la liste des espèces
kabyles qui lui ont paru le plus dignes d'attention, avec les
caractères qui les recommandent.
(1) A Oran, on a trouvé une vigne qui s'étendait sur 120 m. q., et qui don-
nait plus de iOOO kil. de raisins par an. (Romuald Dejernon, La Vigne en
France, Paris, 1868.)
Un ancien sous-officier des premières guerres d'Afrique, notre ami M.Siméon
Delagarde, aujourd'hui retiré à Confolons (Charente), nous a raconté à nous-
mêmes que, lorsque les Français pénétrèrent pour la première foisà Al-Koleab,
ils y trouvèrent une vigne de même genre, à l'abri de laquelle son bataillon,
après s'ôlre amplement abreuvé de raisin, campa fort commodément. Qui pour-
rait assurer qu'un tel pied ne remonte pas jusqu'à la domination romaine?
(2) Rapport inédit, communiqué par le Ministère de l'Agriculture.
(3) Voir plus haut (p. 38).
Digitized by
Google
ï
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 99
Hasseroum blanc: grappe lâche, pédiccUes longs, grains ronds,
couleur légèrement verte ;
Hasseroum noir: grains aussi petits, mais plus serrés, très foncés ;
Karam : (1) grosseur moyenne, ronds, dorés, rappelant la
clcàrette ;
Anebel Mrerbi : raisins accidentellement blancs et noirs, remar-
quables par leur grosseur ;
Souaba el adjat {Doigt de la Chrétienne): grappe longue, grains
jaune d'or, forme très allongée : d'où le nom;
Amar bou amar {Rougey père du rouge) ; le plus remarquable
des rensins kabyles par sa grappe allongée et volumineuse; grain
très allongé, couleur rouge-carmin;
Gelb el fareudi {Cœur de poussin) : grain gros et rosé, présentant
une fente qui lui donne la forme d'un cœur;
Gelb el Their {Cœur de F oiseau): grain de même forme, mais plus
petit et jaune doré ;
Ain Kelb {Œil de chien)? bourgeonnement doré. Sarments
bronzés quand ils sont jeunes ; jaunes aux mérithalles et rouges
aux nœuds quand ils sont aoûtés. Feuille quinquélobée, tour-
mentée comme celle du Carignane ; grappes trilobées, grains
ronds, blancs, légèrement dorés, parcourus par des veines plus
claires, et présentant un point noir opposé au pédicelle (2).
Les colons et les marchands font en Kabylie d'excellents vins
de table avec ces cépages, qui, au clos GreUet, ont donné par la
fumure, la taille longue et le pincement, un rendement moyen de
60 hectolitres à l'hectare. On y a aussi obtenu avec F Aïn-Kelb un vin
blanc doux et sec, comparable à nos meilleurs crus métropolitains.
Indépendamment des vins, ces cépages fournissent, surtout le
(I) D'après Chardin {Voyage en Perse), les Arabes, (de Perse) donnent à la
tigoe en général le nom de « karam, c'est-à-dire libéral, parce que le jus qui
en sort porte à la libéralité et aux belles actions. » En Kabylie on appelle la
rigne dahlia. Dans le Sud on lui donne improprement aussi le nom de farana,
qui est celui d'un palmier souvent utilisé comme support par la vigne indi-
gène. (Alb. Barbier, loc. cit.) Nous venons de voir que les Arabes de Tunisfe
appellent Fcwani le majorquin du Var.
[ï) Ajoutons à ces cépages le « Grilla », très connu dans les environs de
Constantine, et qui donne un vin presque équivalent aumourvèdre...«]l suffi-
rait peut-être, d'une prime, pour décider les Arabes à planter ces cépages qui
font d'excellents vins ordinaires, très appréciés dans la région de Deihys. Ces
plantations seraient un appoint précieux pour la vinification, et nous .
donneraient de nombreuses et excellentes boutures dans un temps prochain. »
Gaillardon, Étude sur les vignes et les vins de l* Algérie. Idée à laquelle nous
ne saurions trop applaudir, et qui a fait dans des conditions absolument
similaires de colonie naissante, la fortune de l'Australie.
Digitized by
Google
100 IllSTOIHE DE L\ VIGNE
Mrerbi ot le Karam, d'excellents raisins de table, tardifs et de
très bonne garde. Nous avons vu, il n*y a qu'un instant, que
c'était exactement ce que Columelle disait de la « Vigne Numi-
dique ». Comme raisins de conserve, et surtout à eau-de-vie,
quelques-uns, tels que VAmarbouamarj le Souaba eladjat, leGelb
el Their, le Gelb el Fareudi, mériteraient d'être plus connus (1).
Nos colons ont-ils su tirer suffisamment parti de ces éléments
précieux, qu^indépendamment d'un climat plein de caresses, et
d'un sol, où, un maître en la matière, R. Dejernon, « n'a pas
trouvé un lopin qui ne fût propre à la viticulture » (2) la
nature mettait à leur disposition? Les chiffres ci-après, toujours
empruntés au remarquable mémoire que nous analysons vont
nous permettre d'en juger.
Pendant les vingt premières années de l'occupation française,
les essais de viticulture ont été à peu près insignifiants. L'abon-
dance des vins français et le bas prix auquel les colons pouvaient
se les procurer pendant cette période expliqueraient suffisamment
cette incurie, mais, ce que rien ne saurait expliquer, si Tabîme de
la bêtise humaine n'était insondable, c'est qu'il se soit trouvé, dans
la colonie même, quelqu'un pour proposer d'entraver par des
moyens fiscaux cette culture déjà si languissante. Ne voulant
assurer à cet imbécile pas même la notoriété du ridicule, nous
laissons, à ceux qui désireront connaître son nom, le soin de l'aller
chercher au mémoire original.
En menaçant, comme aujourd'hui le phylloxéra, tous les
vignobles européens d'une destruction totale, et en amenant un
énorme et subit renchérissement des vins, l'oïdium eut, localement,
cet heureux effet, de réveiller en Algérie l'apathie des colons.
Par suite, en 1854, le tableau de la viticulture dans la colonie^était
devenu celui-ci :
Hectares Hectol. de vin Kilog. de BAiâiN
Alger 1001 4.926 3.540
Oran 1020 6.646 10.930
Gonstantluc . . . 285 156 3.445
Total 2.306 11.728 17.91
o
C'était bien peu de chose, si on ne considérait que le point de
départ était à peu près zéro.
Jusqu'à 186S, l'élan se continue ; la surface quintuple à peu
près, elle passe à 10,490 hectares pour 77,337 hectolitres de viu.
(1) Albert Barbier, lov, ciL
[2) noiiiualti Dojeinon, — La vigw^ en Algérie. 1878, p. 7.
Digitized by
Google
r
LA VIGNE SELON LniSTOlRK 101
C'est le moment où survient le phylloxéra. Il semblerait qu'il '
va imprimer à la plantation une progression au moins égale à
celle qui lui avait été communiquée par Toïdium. Il n'en est
rien. Où elle avait quintuplé en 9 ans (56-65), c'est à peine si elle
triple en 16 ans (65-81). On a en 81 : 30,482 hectares de Alignes
dont 3,144 appartenant à des indigènes et produisant uniquement
du raisin de consommation. La répartition est celle-ci :
Hectares Hectares Hectolitres
(vignea à tin) (vipnos à raisin) (vin récolté)
Alger 7.972 1.905 170.843
Oran 11.913 451 78.923
Constanline ... 7 . 4r)3 788 27 . 437
Total 27.338 3.144 286.203
Un tel rendement, s'il était normal, serait absolument
misérable, car il représente 22 hectolitres à Thectare pour
Alger, 6 hect. 6 pour Oran, et 3 hecl. 6 seulement pour
Constantîne. D'après Albert Barbier, le rendement moyen serait
32 hectolitres pour Alger, 11 hectolitres pour Oran, et 10 hecto-
litres, 5 pour Constantine (1).
A parler sans réticence, de tels résultats sont aussi loin de
(I) Le relevé ci-après, fait au gouvernement général après la récolte de 1883,
hectares HRCTOLrTRKS MOYENNE
(par hectare)
Alger 14.365 339.000 23
Oran 17.385 320.000 17
Constanline . . . 9.350 174.000 18
Total 41 .600 833.000 M»yeiiie gé>éra|p : 20 hetH\Hm.
à Oran et à Constantine, au moins, marque un progrès sensible ; mais que
nous sommes encore loin des 64 ou 65 hectolitres de moyenne accusée pour
l'Hérault, par exemple, ^ar V Extrait du Bulletin de statistique y p. 11. Comme
qaantité, c^est à peu près le vingtième de oe qu'il faudrait pour suppléer au
déûcit de notre exportation. On aurait donc bien tort de chanter victoire, et
de s*endormîr sur ces résultais, faits seulement pour nous encourager à des
progrès plus sérieux et, surtout, ce qui est tout un, plus méthodiques (*).
(*) Les résaltats de 1884, que les jourunux nous apportent an dernier moment ;
Prwince d'Alger 431,880 hectolitreii.
— d'Oran 360,769
— de Constantine 103,842
TOTAl 89fl,î91
ae modifient point l'ensemble de la situation, La répartition seule a changée, an détriment ed
Ciia«lantin«>.
Google
Coattantine.
Digitized by
102 niSTOHlE DE LA VIGNE
répondre aux conditions presque merveilleuses du climat et du
sol qu'au bon vouloir et à Tinlelligence des vignerons. Ds sont
purement pitoyables. Mais d'où vient le mal? Il n'y a là-rdessus
qu'une voix. Comme en France l'ampéliatrique, en Algérie l'am-
péloponique « manque de guides ». (1)
« Population intelligente, sans préjugés, sans traditions, toulo
prête à accepter les enseignements, partout les colons sont remplis
du désir d'améliorer leurs produits, et partout avides d'en con-
naître les moyens. Il faut bien avouer que tout leur manqua de ce
côté : les hommes les plus intelligents sont le plus souvent égarés
dans la voie des essais, des tâtonnements, ou trompés par des
empiriques, qui leur ont apporté toutes les mauvaises pra-
tiques du Gard et de l'Hérault (mouillage, plâtrage, etc. (2) »
De là, des pertes de temps, des essais infructueux, des décou-
ragements et des dégoûts. Déjà on a été obligé de renoncer aux
Gamais et auxPineaux de la Bourgogne et du Jura, (3) sans doute
comme improductifs, pour les remplacer par d'autres, peut-être
aussi peu appropriés au climat ou au sol. Une véritable anarchie
règne dans les cépages, souvent plantés dans un sol hostile qui
les rend inféconds, comme le Balzac et l'Aramon dans Talu-
mine(4), ou mal associés, soit pour lesespèces, soit pour les propor-
tions respectives (5). La taille est trop courte, autre cause de
(i) R. Dejernon, la Vigne en Algéne, p. 11.
(2) Gaillardon, Rapport sur les vins (T Algérie^ à la Chambre Syndicale des
marchands de vins en gros de Paris.
(3) Alb. Barbier, locdt. La faveur parait aujourd'hui leurrevenirun peu, mais
seulement pour les haulsplateaux. Toutefois, même là, on conseille de ne pas en
user dans une proportion supérieure à 1/10 ou 1/5 au plus... Employés seuls, ils
n'ont donné, dans d'excellents terrains de laprovincedeConstantine où ils ontélé
propagés, que a des vins maigres, sans consistance, sans caractère particulier.»
On reproche, en outre à leurs produits, de « vieillir trop vite, » ce qui est,
paraU-il,« un défaut capital en Algérie, où les vins les plus solides sont, déjà, d'une
conservation difficile. » (Gaillardon, Études sur les vignes et les vins de l'Algérie,)
(4) Gaillardon, loc. cit. Suivant le môme auteur (Études sur les vignes et les
vins de C Algérie), le Balzac ou Mourvèdre serait cependant — à la seule
condition d*ôtre plus judicieusement employé, — le cépage providence de
TAlgérie. Isolément, « il donne un vin corsé, nerveux, coloré, solide,
d'un transport facile et d'une conservation assurée. » Il n'a, à cet égard, de
rival que le Morastel, qui est le Mourvèdre de l'argile, et qui fournit, dans
les schistes et les granits, « un vin très coloré, frais, sec, alcoolique, nerveux
et brillant. » Il se marie avantageusement au Garignan, qui se complaît dans
les mêmes terrains, et auquel il sert en quelque sorte de condiment, car, « le
Garignan seul ne donne qu'un vin doucereux, susceptible de fermenter et, qui
se pique facilement. » Le Morastel produit « de 40 à 60 hectolitres à Thectare. »
Cest à peu près, aussi, la production du Grenache, hôte, aussi, des sols grani-
tiques, mais, « qu'il vaut mieux réserver pour les vins de liqueur, que l'Algérie
peut produire aussi bien, sinon mieux, que notre Midi et que l'Espagne. »
(>2 Souvent trop d'Aramon d'où platitude et instabilité du vin. Tachet. Rap-
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 103
stérilité (4). Les cuvaiso ns se font à air libre, et durent trop long-
leinps,robturalion des fûts est trop impârfario(2), les ouillages sont
farop rare s, et les soutirages trop tardifs (3) : d'où acescence des
vins (4). Les vases vi naires sont t ro p pr anda: d'oïï^ dépérisse-
ment précipité (5T ^
Les terrains, bien souvent, sont pris à contre-sens comme les
cépages. Au Hamma (Constantine), on irrigue dans un sol argileux,
qui demanderait plutôt à être drainé (6). D'autres poussent les
irrigations jusqu'à Tabsurde. D'où, en dépit de bons cépages,
produits plats et altérables.
Par-ci, par-là et sporadiquement, quelques viticulteurs ou plus
éclairés (7), ou plus soigneux, ou mieux inspirés par le hasard, font
de bons vins de qualités diverses (8), assez- pour prouver ce qu'on
pourrait demander à l'Algérie, mais point assez, actuellement,
port sur les vins d'Algérie au concours de 1883 à Alger. Journal de la vigne
du 16 février 1884.
(1) DejernoD, loc, cit., p. 18 et suiv. G*est à cette cause qu'il faudrait notam-
ment atlribuer le discrédit des Pineaux et leur dégénérescence dans la pro-
vince de Conslanline. A taille longue et principalement en « chaintres », ils
donneraient de meilleurs produits. (Gaillardon, Étude, etc.)
(2) Gaillardon, But. du comice agricole de Médéa, nov. 1 884, p. 294 et Étude, etc .
L'auteur recommande pour cet usage des bondons garnis de linge,
(3) Gaillardon, {Étude^ etc) recommande de faire le premier en décembre et
le second en mars. Au reste, on éviterait selon lui beaucoup d'inconvénients
et de dangers d'altération, en achetant des vins d'Algérie en décembre, et les
soignant, ensuite en France.
(4) Gaillardon, passim, Dejernon, passim,
(5) Gaillardon, loc, cU, On sait que les vins ont, comme les hommes, leurs
périodes de verdeur, d'âge mûr et de décrépitude. Par des raisons qui trouve-
ront mieux leur développement au chapitre de la vinifîcation, ces phases s'ac-
complissent et se succèdent beaucoup plus vite dans les gr^trnis^êçîpîeulâ^
gîie dansées petits. Aussi, toutes chOâes "ïïgales, Tés premiers conviennent-ils
mieux aux vins corsés et aux climats froids ; les seconds aux vins flous et aux
climats chauds. Gastellet {ViticuUura y Enologia EspanolaSf p. 155-156), fait
un rapprochement assez ingénieux entre la vie du vin dans les grands fûts, et
celte de l'homme dans les grandes villes, où elle s'use plus rapidement.
(6) Gaillardon, Étude, etc.
(7) 4^'Pis > entre Philippeville et Saint-Charles, on trouve une installation
vinicole digne de servir de modèle à toute ta colonie, « avec caves, foudres,
distillerie; bientôt, oh y produira 10,000 hectoUlres de vin... » (Gaillardon,
Étude, etc )
(8) On cite les vins de Tlemcen (au pressoir), « splendides en primeur et
généralement déclassés au bout d'un an, » de Mascara, de Médea, de
Miliana, du Sahel, de Philippeville, du Souk-Arrhas. Ces vins ont une ten-
dance assez générale à se rapprocher de nos vins des côtes du Rhône. Le
Sahel donne aussi des vins blancs analogues aux Lunel et aux Frontignan,
et, comme eux, « certainement supérieurs aux Moscatel. » Résultat fort
encourageant pour ceux de nos colons qui auraient l'heureuse inspiration de
reconstituer sur le littoral africain nos muscats languedociens, dont le phyl-
loxéra n'a plus laissé que le souvenir. Le momentne saurai» <\lrepliis propice
Digitized by
Google
104
HISTOIRE DE LA VIGNE
pour lui constituer une richesse, el pour en faire ce que la nature
des choses l'appelle à être, ce que sous peine de mort économique pour
nous, elle doit nous être à bref délai, c'est-à-dire la suppléante, la
suppléante perfectionnée de nos vignobles agonisants.
C'est par là, qu'en acquérant pour elle-même population et
richesse, elle contribuera puissamment au relèvement de la mère
patrie. Puisse-t-on le comprendre, .....et l'y aider!!
Les vins d'Algérie ont du corps, beaucoup de corps (1), du
sucre, de l'alcool: une combinaison rationnelle de cépages, de
terrain, d'exposition, d'altitude, suffirait sans doute à leur donner
les bouquets recherchés, et aussi, ce qui fait la véritable valeur
commerciale des vins, le type déterminé, constant, %ib% concors
qui caractérise nos Bordeaux, nos Bourgogne, nos Roussillon, en
un mot les produits de nos diverses régions vinicoles.
Nous parlons ici des vins des hauts plateaux et des coteaux en
général, car les vins de plaine sont pour la plupart assez plats, et ne
s'élèvent guère au-dessus de ces vins de la Camargue, dont on
faisait autrefois les « vins de chaudière ». Suivant Gaillardon,
c'est surtout, sinon uniquement, dans le développement des pre-
(1) Sur 13 vins prélevés au concours d'Alger en 1883 et analysés par Fleury,
pharmacien principal de l'armée, 5 seulement ont moins de 30 d'extrait, les
autres varient de 32 à 45. La moyenne alcoolique est de 11. 5. Un seul a
moins de 10 (9.9). L'autre extrême est de 17.8. (Journal de la vigne.) Appelés,
nous-mêmes, à exprimenter, pour le compte de la Chambre syndicale des
marchands de vins en gros de Paris, toute une collection de vins d'Algérie,
nous avons obtenu les résultats suivants, dont les données nous porteraient à
penser que, dans les vins analysés par Fletiry, il y avait, comme dans beau*
coup de vins de l'Algérie, une notable proportion de glucose non décomposé
(fermentation incomplète).
NOMENCLATURE
DBS vms
Mostaganem
St-Cloud
St-Cloud
El-Ançor
Cran
Oran
Oran
Lamur Rouge
Lamur Blanc
Reghaïa
St-Paul
Roulba
Philippeville(pet. vin),
10.4
41.6
li.5
10.4
12.25
11.9
12.5
9.5
11.2
10.8
10.5
li.6
10.4
H
2.808
2.572
2.30
2.496
2.736
2.68
2.84
2.20
1.92
2.084
2.20
2.72
2.08
0.568
0.232
0.27
0.52
0.545
0.48
0.488
0.32
0.32
0.232
0.22
0.i65
0.352
.355
.077
.Ui
.050
.094
.111
.lie
.035
.135
.111
.074
.113
.0379
0.52
0.049
0.10
0.450
0.44
0.441
0.35
0.066
0.074
0.044
0.035
0.068
0.185
- o o
0.187
0.212
0.200
0.200
0.200
0.237
0.235
0.14
0.106
0.187
0.300
0.312
0.17
0.387
0.443
0.392
0.379
0.348
0.498
0.454
0.443
0.400
0.415
0.387
0.373
0.415
002
998
9075
000
999
9992
9992
998
996
9975
998
998
998
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 105
miers, que l'Algérie devrait chercher sa voie. Sa destination
naturelle est, en effet:
i"^ De suppléer au déficit de nos exportations, en nous fournis-
sant des vins fins, et de types constants et variés, qui puissent,
sans solécisme de goùl, et sans détriment pour l'acheteur, se
marier respectivement aux crus classiques que l'étranger est
habitué à nous demander;
2* De fournir à notre consommation intérieure des vins moins
délicats peut-être et d'un parfum moins exquis, mais qui, géné-
reux encore et « corsés », puissent, en mélange avec les vins
maigres et froids du nord et du centre, constituer un bon vin de
table moyen, de consommation courante ;
S"" Enfin, et accessoirement, de nous donner l'équivalent du Mal-
voisie des îles Lipari, du Lacryma du Vésuve, du Malaga, et de
nos Lunel perdus.
Toutes les pratiques vicieuses seraient bientôt abolies, et tous
\e^ desiderata bien vite réalisés, si le viticulteur algérien trouvait
enfin sous sa main les instruments, les conseils, les directions
pratiques qui lui font depuis si longtemps défaut. C'est à ce besoin
que la Société climatologique d'Alger a cru répondre en mettant
récemment au concours la composition d'un Guide du viticulteur
en Algérie (1). Pensée excellente en effet, mais insuffisante. Ce
n'est pas seulement un guide écrit qu'il lui faut, conseil sourd
sinon muet, et qui, ne pouvant évidemment tout prévoir, laisse né-
cessairement la porte souvent ouverte à bien des incertitudes ; ce
sont, comme en Italie, des centres d'information, d'expérimentation
pratique et d'application, des écoles, en un mot, munies d'un per-
sonnel de moniteurs toujours prêts à se porter partout où leur
concours serait récla,mé. A côté de la' pépinière de vignes, la
pépinière de viticulteurs.
Dunod, et après lui Chaptal, nous ont fait un tableau presque
délirant de la joie et de l'activité fébriles qui saisirent les popula-
tions Gallo-Romaines, lorsque Probus mit à leur disposition ses
légions pour la reconstitution et la diffusion des vignobles. En
deux ou trois ans, les Gaules entières en furent couvertes. Un
pareil élan se manifesterait certainement en Algérie, si on y sentait
les pouvoirs publics décidés, comme ils devraient l'être, à tout
tenter pour reconstituer sur ce terrain privilégié la source de
richesse qu'on a laissée tarir chez nous. Est-ce avec les 266, ou
si Ton veut avec les 300, 400 voire même 800,000 hectolitres de vins
rudimentaires de l'Algérie actuelle qu'on espère remplacer les mil-
(1) Gaillardon, loc, cit.
Digitized by
Google
106 HISTOIRE DE LA VIGNE
lions d*hectoliires que nous étions habitués à verser chaque année
dans la consommation de l'univers (1)? D'exportateurs devenus
importateurs, nous voyons d'un œil apathique nos capitaux, ce véri-
table sang de l'industrie, s'en aller par un drainage continu vers
l'étranger, puis, sans avoir rien fait, sans vouloir rien faire pour
arrêter ce courant, pour ne pas dire ce torrent funeste, nous nous
étonnons ensuite des crises économiques. Sommes-nous donc frap-
pés de cécité ou de folie ?
Un grand péril pèse sur nous, auquel doit correspondre un
grand effort national. Doit-on, comme en Australie, offrir des
primes à ceux qui auront dans un temps donné planté la plus
grande quantité de vignes et, de plus, à ceux qui auront produit
les meilleurs vins? Doit-on, comme au temps de Probus, mettre
nos « légions », qui vraisemblablement ne demanderaient pas
mieux, au service des planteurs ? Doit-on leur faire trans-
former en vignobles les terres, la plupart improductives, du « do-
maine algérien (2) » ? Doit-on, comme les Russes l'ont fait avec
tant de succès dans leurs provinces méridionales, installer en
Algérie des colonies exclusivement viticoles, munies des appareils
des plus perfectionnés de viticulture et de vinification, et com-
posées d'hommes d'avance dressés à s'en bien servir (3) ? C'est ce
(i) D*autant plus que les vins d'Algérie sont loin de venir tous en France
(nous en avons eu en 1883 juste le dixième). Voici dans quelle mesure ils ont,
depuis une vingtaine d'années, contribué à notre importation.
ANNEES
IMPORTATION
totale
1865
86.843
1869
378.144
1872
518.228
1874
680.732
1876
675.695
1878
1.602.881
1880
7.289.574
1881
7.538.807
1882
7.537.139
1883
8.978.707
IMPORTATION
QUOTITE
algérienne
273
1/312
728
1/519
3.217
1/162
4.430.
1/133
3.710
1/102
1.164
1/137
17.061
1/423
10.834
1/659
9.510
1/79^
83.341
1/107
11 y a progrès, sans doute, mais, à ce train-là, pour arriver au pair, nous
en avons encore pour un demi-siècle.
(2) Citons bien vite, pour y applaudir, un excellent exemple, qui sera vrai-
semblablement une excellente spéculation, donné par la compagnie Bône-
Guelma, qui, sur tout son parcours, s*est réservé une zone de terrain qu'elle a
lait planter en vignes. On ne devrait plus, jusqu'à nouvel ordre, concéder en
Algérie une ligne de fer, qui ne fût tenue d'en faire autant. N'est-il pas inté-
ressant de faire ce curieux rapprochement, que le seul effort sérieux tenté en
France contre le phylloxéra, l'a été par la compagnie P. L. M. ?
(3) Passe encore d'être en retard sur Collumelle, mais sur Pierre-le-Grand
For shameV.l
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 107
que nous n'avons ni autorité ni qualité pour décider, mais, ce
qu'il y a de certain, c'est qu'il faut prendre un parti et l'appliquer
sans retard.
Le mal est là qui nous presse. Le remède est dans notre
main. Nous laisserons-nous périr faute de la mouvoir ? N'y a-t-il
donc plus en France, ni hommes de prévoyance, ni hommes
d'initiative, ni hommes de bien (1)?
lia vig^ne au Maroc. — Les conditions naturelles de l'Algérie,
que nous avons t&ché de définir, lui sont communes avec le
Maroc (2), où, au temps de Julien, on trouvait encore à Tanger
et à Mogador de beaux vignobles, affectés surtout à l'exportation
de raisins secs. Tan'odant et Ouadnoum, qui en est éloigné de
trois jours de marche, avaient dans leur voisinage beaucoup
de vignes cultivées en berceaux élevés de 3 pieds, et produisant
de très beaux raisins d'un excellent goût (3).
AuMaroc comme dans la généralité des pays islamites, de ceux au
moins, qui sont demeurés exempts d'immigration européenne, la
vigne est surtout cultivée par les Juifs, mais elle l'est, en outre,
dans la province de Demnate par la population mulsumane, à
qui, en raison de son origine berbère, l'usage du vin est toléré,
en dépit duKoran.
La vigne pousse à l'état sauvage (4) partout où se rencontre de
l'eau. Dans les jardins, elle grimpe à la cime des arbres, et, elle
dépasse souvent 50 centimètres de diamètre au pied.
t( Sa culture varie suivant la nature et la situation des terrains.
Sur les hauts plateaux exposés à la sécheresse, on plante les
ceps à trois mètres d'intervalle : on taille à trois yeux, et à une
hauteur de 20 à 30 centimètres au-dessus du sol, de façon à ce
que les rameaux croissent et se développent en rampant sur la
lerre', dont ils retiennent l'humidité. » Ne reconnaît^on pas là
tout de suite les vignes rampantes de la Syrie et de toute l'Asie
Mineure dont nous a parlé Varron?
(1) 11 y en a, du moins en Algérie môme, ne fût-ce que le raodesle propriétaire
qui, aux Ruines Romaines (Constantin e), a su, à ses frais, et comme autrefois
Odart à la Dorée, sans rien demander à personne, constituer une collection de
300. espèces de yignes, toutes dénommées et soumises à des tailles compara-
tives, collection qui, nous ne saurions trop le répéter et le déplorer, manque
encore à Paris (voir plus loin). Il y a là, pour quand on aura, en France,
le temps de penser à la vigne, un embryon d*école tout trouvé, et fait pour
rendre les plus grands services, (Gaillardon Étude sur les vins et les vignobles
de FAlgérie).
(2) Voir Bail, Florœ Marocanx spicilegium, p. 192.
(3) Julien, loc, cit. y p. 484.
(4) Pour ne pas dire à l'état de « mauvaise herbe », selon Theureuse expres-
sion de notre ami Constant, le docte naturalliste du golfe Juan.
Digitized by
Google
108 HISTOIRE DE lA VIGNE
Dans les terrains arrosables, les pieds de vigne sont espacés à
4 et 5 mètres les uns des autres, et élevés en treilles, qu'on arrose
dans le courant de Tété.
« Les vignes rampantes et les treilles fournissent, les unes
comme les autres, de bons raisins de table, quoique de qualités
différentes. Les fruits des premières ont la peau et la chair très
fermes » (la Duracine ou raisin Numidique de Pline?), « et sont
pour ainsi dire croquants : plus délicats, à peau plus fine, ceux
cueillis aux treilles sont peut-être meilleurs à la main, et, en tous
cas, plus juteux. Sous un même volume, ils contiennent 20 p. 100
de liquide de plus que les grappes des vignes rampantes.
« La grosseur des raisins est essentiellement variable : à côté
d'une grappe d'une livre, on en trouvera une autre pesant DIX
LIVRES et PLUS (1).» (Ne se croirait-on pas en Chanaan?) —
« n en est de même des grains : il y en a de longs, d'ovales, de
ronds, suivant les espèces qu'on cultive dans ces contrées, et dont
les principales sont les « œufs de coq^ » les « dents de loup »,
les « clairettes », les « glacières », les « muscats^ » (2), etc.
Dans la province de Chaouia (32 à 33° de lat.), limitrophe de
l'Océan, la vigne est cultivée en plaine. Les pieds sont coupés chaque
année à un mètre du sol. Les grappes sont enterrées dans le sable,
où elles prennent des proportions colossales. Les raisins sont
généralement ronds, blancs et à peau fine, ils alimentent les
marchés du Maroc.
C'est surtout à Salé et à Rabat, ports de l'Atlantique, qu'on trouve
le raisin appelé (^ Musca » par les Arabes, et dont le grain atteint
presque la grosseur d'un œuf de pigeon. On le croit importé
d'Espagne.
A Fez, la vigne occupe plusieurs hectares sur les coteaux voi-
sins de la ville. C'est là qu'elle est le mieux taillée. A Demnate
enfin, région située à 100 kilomètres à l'ouest de l'Atlas, elle pousse
sur les rampes inférieures du grand Atlas.
Les vins fabriqués soit par les Juifs, soit à Demnate, sont
généralement très foncés, très liquoreux, quelquefois très bons
comme vins de dessert.
« Le petit et le gros Aminéen, » dit Varron, «ainsi que le raisin
dit apidus^ se gardent très bien dans des pots de terre, mais on
(1) En assimilant, pour les dimensions, les grappes d^Afrique à un corps
d^enfant (voir plus haut), Pline n'a donc, rien exagéré.
(2) Renseignements dûs à l'obligeance de M. Jacquéty, agent consulaire à
Mogador, par l'intermédiaire de notre ami Erckmann. Nos meilleurs remer-
dments h Tua et à Tautre.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L^niSTOIRE 109
les conserve également, ou dans du vin cuit jusqu'à diminu-
tion des 2/3, ou tout simplement dans du vin doux (1). »
« Voici, » dit Columelle, « la méthode que Magon prescrit pour
faire d'excellent vin avec le raisin séché au soleil : procédé que
j'ai, moi-même, suivi. Il faut cueillir du raisin hâtif très mûr, et
en séparer les grains desséchés ou endommagés, puis enfoncer en
terre, à la distance de 4 pieds en tous sens, des fourches et des
pieux, et les assembler avec des perches, afin qu'ils puissent
soutenir des roseaux. Ces roseaux posés dessus, on y étendra
les grappes au soleil, et la nuit on les couvrira de la rosée. Une
fois séchées, elles seront égrappées, et on jettera les grains dans
une futaille ou dans une cruche, dans laquelle on versera d'excel-
lent moût, de façon que les grains en soient entièrement recouverts.
Au sixième jour, on mettra dans un cabas ces grains bien imbibés
de moût, et on les fera passer au pressoir. Le vin tiré, on versera
sur le marc du moût très nouvellement fait avec du raisin séché
au soleil pendant trois jours, et on foulera ce marc. Bien mêlé
dans ce moût, il sera pressé, et on enfermera aussitôt le vin
résultant de ces raisins secs dans des vases bien bouchés, de
peur qu'il ne devienne trop dur. Enfin, au bout de vingt ou
trente jours, lorsqu'il aura cessé de bouillir, on le survidera
dans d'autres vases, dont on enduira aussitôt les couvercles de
plâtre, et qu'on recouvrira d'une peau. Si on veut faire du vin
avec du muscat séché au soleil, on cueillera des grappes de ce
raisin qui ne soient point endommagées, et on les nettoiera des
grains pourris, puis, on les suspendra en Tair sur des perches,
qui devront être toujours au soleil. On égrappera les grappes
quand elles seront suffisamment flétries, et on jettera dans une
futaille les grains qu'on foulera aux pieds. Quand on aura fait un
lit en les foulant, on arrosera ce lit de vieux vin ; puis, on les
foulera de nouveau, et on les arrosera encore de vin On les foulera
de même une troisième fois, et on versera du vin par dessus
jusqu'à ce qu'ils surnagent; après quoi on les laissera dans ce vin
pendant cinq jours : ensuite, on les foulera aux pieds, et on les
pressurera dans un cabas neuf (2) » .
On lit, enfin, dans Palladius : « On fera à présent (8 octobre),
avant la vendange, le passum, qu'on a partout en Afrique le
secret de rendre si moelleux et si agréable, et qui, employé en
guise de miel pourconfirc, devient un préservatif contre les vents.
(1) Varron, toc. cil,, p. 97.
(2) Columelle, loc. cit., p. 475.
Digitized by
Google
110 HISTOIRE DE LA VIGNE
On cueillera, donc, une très grande quantité de grappes de raisin,
qu*on fera sécher au soleil, et, après les avoir renfermées dans
des petits paniers de jonc à claires voies, on commencera par les
fouetter vigoureusement avec des verges. Ensuite, lorsque tous
les grains seront amollis par les coups, on soumettra le panier
à Taclion du pressoir. Le jus qui s'en exprimera sera le passum^
qu'on renfermera dans un petit vase pour le conserver comme
du miel (1). »
Voilà comment les choses se passaient en Afrique avant
Magon, puisqu'il n'a fait qu'enregistrer des coutumes déjà sécu-
laires avant lui, selon toute apparence. Voici, comment, d'après
notre ami le commandant Erckmann. ancien chef de mission au
Maroc, elles se passent actuellement dans cette régence chez les
Juifs de Mektrieh :
« Les vendanges se font à la fin d'août. Les grappes sont
séchées huit jours sur des nattes et ensuite pressées à la main.
Ce jus est recueilli dans des pots en terre, espèces de bonbonnes,
d'une quinzaine de litres. Le marc sert à fabriquer une espèce
d'eau-de-vie appelée makia.
« Une certaine quantité de raisins secs sont réduits à moitié sur
un feu lent, et jetés dans les terrines contenant le jus. On bouche
ensuite hermétiquement les pots, et on les laisse reposer sept à
huit mois; après quoi, on soutire le vin. »
A Demnate le vin n'est pas seulement fabriqué par les Ber-
bères, il l'est, aussi, par les Juifs comme dans le reste du Maroc.
Les procédés sont similaires, mais non identiques. Les voici
l'un et l'autre tels que les décrit M. Jacquéty.
Le procédé des Juifs de Demnate ne diffère que très peu de celui
de leurs coreligionnaires de M. Eirieh : « La cueillette faite, on choi-
sit les grappes saines, en éliminant des autres les grains pourris
ou restés verts. On triture sous les pieds, et on recueille le moût
obtenu sans pressurer dans de grands réservoirs. Sims désempa-
rer, on prend 60 p. 100 de vin nouveau pour le faire cuire sur un
feu doux pendant 12 heures, en le remuant sans cesse à l'aide
d'une spatule. On ne le retire qu'après réduction aux cinq
dixièmes, soit à 2S 1. sur 60 1.
(( Une fois refroidi et congélatiné, le vin cuit est mélangé et
délayé petit à petit dans les 40 p. 100 de moût resté cru. Le
mélange est versé dans des jarres ou réservoirs qu'il faut écumer
au bout de trois jours. Un mois après, le liquide est devenu
potable, mais, généralement, on le soutire.
(1) Palladius, loc. cit., p. 628.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L*niST01RE lit
« Les jarres appelées habta, sont en terre légèrement poreuse : il
est probable que Tair y circule.
« Lie procédé arabe est le même pour le choix, la trituration des
raisins, etc., que le procédé juif. Seulement, on porte les jarres
une fois remplies dans de grands tas de fumier où on les laisse,
d'abord trois jours : après quoi on les en retire pour les écrémer, re-
faireleplein, les boucher hermétiquement etles remettre denouveau
daxïsla zebbala^ où onles laisse, cette foi^, une période de 60 jours.
« On obtient, ainsi, au lieu d'une liqueur, une espèce de gelée,
dont les Arabes font usage à la dose d'une cuillerée dans un verre
d'eau. » Ne se croirait-on pas dans un banquet grec(l)?
Aristote ne nous est revenu au moyen-âge qu'à travers dee
traductions arabes. Il parait en avoir été des procédés œnolo-
giques des Grecs, qui leur furent, du reste, communs avec Car-
Ihage, comme de leui*s chefs-d'œuvre littéraires.
Notre ami Erckmann, pas plus que M. Jacquéty,n'imaginentguère
qu'ilsencourentlereproched'avoirtraduitColumelle,elpar ricochet,
Magon, pas plus que les braves sujets de Muley-Hassan ne vou-
draient croire, sans doute, que leurs méthodes vinaires étaient
de pratique courante chez leurs ancêtres, des vingt ou trente siècles
avant leur hégire. A défaut d'autres démonstrations, ce parallèle
entre le présent et le passé suffirait à prouver combien sont j^uran-
tiques la plupart des pratiques relatives à la vigne, aussi bien
que la vigne elle-même. Partout où elle n'a pas d'histoire, c'est,
sans doute, que l'homme Ta trouvée installée à côté de lui en
prenant possession de la terre, et qu'il n'a pas eu, dès lors, à en
relater l'apparition.
Outre le vin, on fabrique au Maroc de l'eau-de-vie de dattes^
de figues et de miel.
lia vig^e en Espag^ne. — La nature n'a pas moins bien dis-
posé l'Espagne que sa voisine de l'autre colonne d'Hercule, pour
la culture de la vigne, si nous en croyons le tableau digne de
Théocrite, tracé par Simon Roxas Clémente, de VAlffoidaAe San
Lucar de Barrameda :
<c C'est là que la vigne sauvage forme des forêts impénétrables,
des cabinets magnifiques, des pavillons gracieux, des grottes, des
places, des chemins couverts, des sentiers tortueux, des labyrin-
thes, des murailles, des arcs, des colonnes, et mille autres ca-
prices originaux, qu'il est impossible de décrire (2). »
(i) Voirplushaut, p. 71-72.
(2) Simon Roxas Glemenle, Ensayo sobre las variedades de la vid comûriy
p. i89.
Digitized by
Google
112 HISTOIRE DE LA VIGNE
La tradition attribue à Géryon, personnage fabuleux venu on
ne sait d'où et on ne sait quand, la plantation de la vigne en
Espagne. C'est dire que la question est absolument ignorée, et
que l'Espagne ne doit vraisemblablement le divin cep qu'à elle-
même.
Dans ce qui nous reste des langues autochtones, dans le basque
où escaldunac, le vin, la vigne, le raisin, sont désignés, nous
l'avons vu, par des vocables qui ne se rattachent à aucun dialecte
connu, et qui ne s'éloignent en rien de l'esprit général de l'idiome
auquel ils appartiennent. 11 y a donc toute apparence qu'ils sont
nés sur place d'objets trouvés sur place, et comme eux-mêmes
enfants du sol.
Quelle que fût la provenance originelle de leurs plantes mères,
les vins espagnols étaient abondants et estimés au temps de
Pline. « Les vignobles Lalétans (Barcelone) sont renommés par
leur fécondité, ceux de Tarragone et du Lauron par la qualité
de leurs vins, ceux des Baléares sont comparés aux meilleurs vins
de l'Italie. » Martial et Silius Italiens confirment ces témoignages
en ce qui concerne au moins le Tarragone, égal selon eux aux
meilleurs vins de Toscane, et à peine inférieur à ceux de Gam-
panie. Et on sait si Martial avait le goût exercé !
Quant à la Bétique, Golumelle qui en était originaire, nous a
dit plus haut qile ses vins fournissaient à l'insuffisance des récoltes
italiennes un utile appoint.
Précédemment, du reste, Strabon nous avait fait connaître qu'on
exporte delà Turdétanie beaucoup de blé, d'huile et de vin (1).
Plus loin, le grand géographe grec ajoute : « Pour l'olivier, le
figuier, la vigne et autres arbres de cette espèce, on en trouve en
grande abondance sur la côte qui borde la Méditerranée ainsi que
sur une bonne partie de l'Océan, mais la côte septentrionale en
est dépourvue, en partie à cause du froid, et en partie par la négli-
gence des habitants (2). » Aujourd'hui il y a des vins en Biscaye,
mais « la négligence des habitants » n'a pas su encore en faire de
bons vins.
Au septième siècle, Isidore de Séville {Etymolog.^ lib. XVII,
ch. v) s'occupe surtout de l'origine du nom latin de vingt-trois des
variétés de la vigne et de dix de ses parties. Quant à ses descrip-
tions, elles n'ajoutent rien à celles de ses prédécesseurs la-
tins (3).
(1) Strabon, loc. dt., 1. 1, p. 409.
(2) Id., ibid., t. I, p. 480.
(3) Simon Roxas Clemenle, /oc. cil.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 113
Quien no ha visto Sevilla,
No ha visto maravilla ;
Quien no ha visto Granada,
No ha visto nada,
dit un adage espagnol, et il dit vrai. Qui n'a pas vu la Mez-
quita de Cordoue, bâtie par Abdérame sur le modèle d'une forêt
de palmiers, qui n'a pas vu la Giralda, rAlcazar et les jardins de
SéviUe, justes « délices des rois maures », quin'apas vuTAlham-
bra, ce Parthénon maure, avec ses cours de marbre, ses murs
damasquinés d*arabesques d'or flamboyant comme des langues
de flamme dans l'outremer et le carmin, qui n'a pas vu ces eaux
fraîches et jaillissantes sous un soleil de feu et un ciel d'azurite,
qui ne s'est pas, au sortir de ces éblouissements, engagé dans ces
petits couloirs noirs, mystérieux, pleins de terreur, aboutissant à
•des rotondes discrètes, à plafond de mélèze sculpté, à divans
<ûrculaires, à tapis qui étouffent le bruit des pas, où tamise à tra-
vers les moucharabys découpés une lumière ambrée, voluptueuse
<^omme une caresse, qui n'a pas vu cela n'a pas vu ce que la com-
binaison de l'imagination la plus débordante de la patience et de
la grâce peut enfanter de plus prestigieux. Qui l'a vu, en demeure
l'esprit ensoleillé, et comme enivré pour toute sa vie.
Mais les Maures n'avaient pas seulement par leur architecture,
parleurs écoles où on traduisait Aristote, où on continuait Platon, où
on produisait Maimonide, Tophaïl, Averrhoès, etc., fait de l'Espagne
une nouvelle Attique : par leurs irrigations, par leurs endigue-
ments, par leur agriculture (i), en un mot, comme parleur indus-
trie (2), ils en avaient fait un nouvel Éden. La « vega » de Gre-
nade, la « huer ta » de Valence ,fertilisées par eux, sont demeurées
célèbres, et la fraîcheur qu'elles présentent encore par rapport à
TEspagne crayeuse, poudreuse, déserte et rasée de toute verdure
est (3) comme le témoignage vivant de ce que ce peuple a perdu
(1) Voir Prosper Mérimée, Histoire de Don Pédrey passim.
(2) A Tolède, il y avait au temps des Maures, sur le Tage, sept digues, toutes
«orrespondaal à des usines de diverses sortes. Il en reste une afférente, sur la
rive gauche, à la fameuse manufacture d'armes réduite à peu près à zéro, et
sur la rive droite, à une pauvre petite fabrique de « renaissance » occupant
deux ou trois ouvriers, et qui était exploitée il y a une quinzaine d'années par
uo Français fort aimable, M« Delar.
(3) En Espagne, on a ce singulier préjugé que les arbres attirent les oiseaux
et que les oiseaux mangent les récoltes. De là un parti pris de dénudation
absolue, qui fait ressembler l'Espagne, depuis Victoria jusqu'à l'entrée de la
Sierra Morena, surtout lorsque le soleil d'août a rôti (asf05^ado) jusqu'au der-
nier brin d*herbe de ses plaines blanches murées par des falaises blanches,
â une immense carrière à plâtre.
HISTOIRE DB LA VIGNE. — I. 8
Digitized by
Google
114 HISTOIRE DE Lk VIGNE
en tombant de la domination brillante, éclairée, humaine et che-
valeresque des Maures, aux mains sottes, féroces et pneumatiques
du Saint-Office.
Chose à peine croyable, tandis qu en France la culture de la
vigne, arrêtée dans son mouvement, y restait stationnaire, TEspa-
gne au contraire, sous la domination des Maures^ voyait ses plan-
tations s'agrandir et se perfectionner. Le docteur arabe Hu-alb-
awam, qui vivait au douzième siècle, nous donne relativement
à la vigne, danjj un livre sur Tagriculture nabathéenne, des ren-
seignements précieux, qui prouvent l'importance que sa culture
avait acquise à son époque chez ses compatriotes (4).
Le réveil de la viticulture et de l'œnologie espagnoles ne fut
vraiment sonné qu'en 1513 par Alonzo Herrera, que Simon
Roxas Clémente décore du litre de «prince de l'agriculture», titre
qu'il aurait pu sans présomption se réserver pour lui-même. Dans
son Agriculture générale, Herrera nous dit qu'en Espagne la vigne
s'élève sans soutiens comme un petit arbre, et que les cépages
espagnolsdifTerentdescepagesitaliens.il établit ses sections sur les
couleurs des raisins et fait intervenir quinze caractères distinctifs,
peu différents de ceux formulés par Pierre de Crescentiis (2).
Notons toutefois, à titre de singularité, qu'il comprend dans ces
caractères la persécution que les raisins éprouvent de la part des
abeilles. Il recommande de tailler en automne en climat chaud,
au printemps en climat froid, de traiter les vignes tardives à la
cendre de vigne, à la vieille urine et au vinaigre, et les vignes
vigoureuses et peu productives par le sable de rivière ; après
la vendange, conduire les porcs dans les vignes pour y détruire
les herbes, les taupes, les fourmis ; employer la paille de lupin
en automne. Il loue les caves creusées dans le roc. Il prescrit de
calmer le vin qui fermente au soleil en le mettant dans une cave
froide. U remarque qu'avec les raisins trop mûrs on a des vins
sapides et moins résistants ; il recommande de vendanger à mé-
diocre maturité, en séparant les raisins sains, les acerbes et les
pourris ; pour le vin fin, mêler deux qualités de raisins de choix;
pour le vin de ménage, prendre des raisins communs, les tenir
trois jours à terre et trois jours dans les cuves avant de les fouler.
On ne trouve guère à citer jusqu'au dernier siècle que Fuente
Dueûa, (3) dont le grand ampélographc espagnol fait peu de cas.
(1) G. Foëx, Histoire et géographie de la vigne {Bulletin de la Sociélé d'agri-
culture de rHérault, 1873, t. LX;.
(2) Voir plus haut, p. 58.
(3) Traité des vignes et de leur culture, in. Mémoires instrutifs et curieux de
Don Michel Jérôme Suarez, t. V, p. 289.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 115
« Des vingt variétés qu'il décrit, onze sont empruntées à Herrera,
dans les autres il met de côté quelques caractères reconnus par ce
prince de l'agriculture; aussi, ses descriptions sont elles incom-
plètes et incompréhensibles (1). »
En 1791, Vâlcarcel, dans son Agriculture générale (t. VUI), cil<?
cent seize cépages, tant espagnols qu'étrangers ; il fait connaître
aussi, d'après Juan de Vao, trente-trois variétés de Mamin (village
près de Valence). Ses descriptions de ces trente-trois variétés sont
superficielles, et presque toujours limitées aux caractères des
grains. Toutefois, ajoute Roxas Clémente, il est le premier qui
ait fait cas du nombre des grapilles.
En 1792, Cecilio Garcia de laLuna (2) décrit les trente-trois va-
riétés qu'il suppose les plus connues à Malaga. Là, aussi, les
caractères ne sontguères tirés que du raisin et du grain.
Dans le tome X VIII de V Hebdomadaire d agriculture (p. 156 à
160),Esteban Boutelon décrit quinze cépages, avec des caractères
qae Simon Roxas juge « beaucoup meilleurs que ceux d'aucun
auteur antérieur, »
Arrive enfin (1814), Simon Roxas Clémente, le véritable créa-
teur de l'Ampélographie. Le premier, il a adopté des caractères
méthodiques généraux d'abord, puis graduellement plus spéciaux^
et permettant, comme dans nos flores modernes, de descendre par
degrés dichotomiques du genre à l'espèce, et de l'espèce à l'in-
dividu.
Selon Roxas Clémente, le nombre des cépages cultivés en Es-
pagne dépasse cinq cents ; il en décrit cent vingt espèces observées
dans les seuls royaumes d'Andalousie et de Grenade, parmi lesquels
les plus usités sont ; le tintilla, qui donne le fameux vin de Rota,
le iempranillOy Valbillo castillariy le mollarnoir (un tiers des vi-
gnes de Xerez),le perruno noir y le moscatel, etc. pour les raisins
rouges ; pour les raisins gris et blancs le lis tan commun, le perruno
commun, le cotgadera^ le moscatel om muscat, le /fl^n blanc, surtout
employé pour l'eau-de-vie, le doradillo^ le mantuo perruno, Valmu-
necar, le perruno duro, le mantuo de pilas et le vigiriega commun,
ces quatre derniers plus particulièrement aiïectés à la préparation
des raisins secs, enfin le Ximenez-Zumbron et le Ximenez propre-
ment dit, ce roi des raisins d'Espagne. Roxas Clémente, d'après
Volcar, le dit originaire des Canaries et de Madère, d'où il aurait
été d'abord transplanté aux bords du Rhin et de la Moselle, et de
(i) Simon Roxas Clémente, loc. cit,
(2) Dissertation en recommandation et défense du fameux vin de Malaga
Pedro Ximenes.
Digitized by
Google
116 HISTOIRE DE LA VIGNE
là apporté à Malaga par le cardinal Pedro Ximenez. Julien rappelle
à celte occasion que tous les auteurs s'accordent à dire que les
plants « de Madère et des Canaries ont été tirés de Malvoisie, ville
de laMorée, » d'où il conclut non sans vraisemblance que le Xime-
nez est originaire de ce dernier pays. En tous cas, c*est lui qui
forme (1) le fonds des vins renonuuésde Pedro Ximenez, de Xerez,
de San Lucar et de Paxarete.
Voici les points sur lesquels portent les caractères distinctifs
adoptés par Roxas Clémente :
Cep: tronc, tête, écorce, épi derme, gerçures de Tépiderme,
bourgeonnement.
Sarments : nombre, entre-nœuds, nœuds, aspect, couleur, cali-
bre du bois, calibre de la moelle, grapillons et sous-grapillons,
vrilles.
Feuilles : grandeur, lobes, sinus latéraux, sinus de la base,
dents, cotonneuses, nues, presque lisses, luisantes, couleur, ner-
vures, pétiole.
Fleurs : corolle, étamines, nombre, durée, disque.
Raisins: nombre, grosseur, grappes, verjus, petits grains,
pédoncules, longueur, verrues, bourrelets.
Grains : grosseur, couleur, stigmate, peau, maturité, anneaux,
graines.
A Tépoque (1852-1860) où Toïdium sévissait sur nos vignobles
avec une intensité qui n'a eu d'égale depuis que celle du phyl-
loxéra, l'Angleterre fit faire par ses divers consuls des enquêtes
sur la situation œnologique de leurs stations respectives, enquêtes
dont les résultats furent communiqués aux autres puissances. On
trouve dans les rapports venus d'Espagne, sur l'abondance du
vin dans ce pays, des renseignements qu'il nous a paru curieux
de relever.
Dans la province de Huesca (Aragon) (c'est le consul anglais
qui parle), un propriétaire m'a assuré qu'une de ces dernières
années, la sécheresse, d'une part, et l'abondance de vin d'un
autre côté, avaient été si grandes, qu'il était plus facile d'arroser
avec du vin qu'avec de l'eau. Ayant besoin de place dans son
cellier pour loger le vin nouveau^ il avait offert de vendre son
vin de l'année précédente fr. 50 les 18 litres, mais, n'ayant pas
même pu en obtenir fr. 26 (un réal), il l'avait Jeté pour avoir
ses tonneaux libres.
A Aranda del Duero (Vieille Castille), on a vu faire du mor-
(i) Julien, loc. cxL, p. 405-406.
Digitized by VjOOQIC
Lk VIGNE SELON L'HISTOIRE HT
lier avec du vin. L' « ayiintamiento » de Tore, dans la même
province, a été bàli ainsi (1).
Les mêmes consuls nous apprennent que les vins rouges du
Nord de l'Espagne sont expédiés à Bordeaux d'où, baptisés d'un
liers d'eau et d'un tiers de vin blanc, et aromatisés d'iris, ils
sont réexpédiés dans leur patrie comme fin Médoc (2). Il doit bien
en rester un peu dans la nôtre.
Les Baléares sur lesquelles régna jadis le fameux Géryon, qui
nourrissait ses bœufs de chair humaine, et qui planta la vigne
en Espagne, ne sauraient être sans injustice oubliées dans cette
revue. Elles n'ont point démérité de la réputation que Pline leur
avait faite, et produisent encore de bons vins, tels que les vins
rouges de Benesalem, les vins blancs de Palma, VAlbaflor de Ba*
nalbusa, les Malvoisie de Pollenzia, etc...
Quelque sommaire que soit nécessairement cet aperçu, il nous
est aussi impossible d'aborder la question de la vigne en Espagne
sans parler des vins et des raisins de Malaga que de passer sous
silence le Tokay en Hongrie et le Clos-Vougeot en Bourgogne.
B y a là pour nos vaillants et sympathiques voisins un juste sujet
d'orgueil, et une précieuse source de richesse qu'il ne tiendrait
qu'à nos Algériens de leur emprunter. C'est à destination de ces
derniers que nous demandons la permission d'entrer dans quel*
ques détails (3).
Les différents vins débités à Malaga, sont fabriqués dans cette
ville. Ce sont : le vin blanc sec, le blanc doux, le Lagrima, le
Pajarete, le Moscatel, le Malaga color^ plus les contrefaçons de
Xerez, et celles de Porto et de Madère, dont nous aurons occa-
sion de reparler au sujet du Portugal.
Comme au temps de Roxas Qémente, ces différents vins «ont
principalement faits de Pedro XimeneZj quelquefois mélangé de
doradilloj sorte de chasselas indigène, donnant « de délicieux
ndsin de table à peau fine ».
Les Pedro Ximenez sont plantés sur les coteaux et montagnes
tourmentées, généralement schisto-ferrugineuses qui environnent
(0 Bulletin de la Société d'agriculture de rHéraulty 1861. — Au reste, Martial
rapporte sur Ravenne (Italie) des faits à peu près semblables. Il préférerait,
dit-il, y avoir une citerne qu'une Tigne, car il y vendrait Teau plus cher que
le Tui. « Dernièrement, » se plaint-il dans une de ses épigrammes, « un caba-
reù'er de Ravenne a trompé ma confiance : quand je lui demandais du vin
trempé, il m'en a donné du pur. »
(i) Bulletin de la Société d'agriculture de VEérault^ toc. cit.
/ (3) Nous empruntons les renseignements qui suivent à une très intéressante
' élude intitulée la Vigne à Mulaga, et publiée dans le Bulletin de la Société
d^AcclimaicUion par le consul français de Mulago, 3« série, 2, 1875.
Digitized by
Google
118 HISTOIRE DE LA VIGNE
Malaga. Le Moscatel se partage la plaine avec la canne à sucre,
pour laquelle on réserve toute Teau des irrigations.
« Un fait frappant des vignes de Malaga, c'est le petit nombre
de leurs feuilles et leur couleur rousse : d*un peu loin, ces plan-
tations ont l'air de terrains absolument arides : les fruits sont,
au contraire, abondants. » L'épamprage ne nuit donc point à la
récolte, comme on a bien voulu le dire. C'est, en passant, une
remarque bonne à retenir.
Les souches sont plantées à intervalles mutuels de 2°',50, et
taillées tous les ans à deux yeux, fin octobre, ou commencement
de novembre. C'eût été pour nos colons le moment de se fournir
de plants, si ces vignes n'étaient pas phylloxérées. Mais, ils trou-
veront sans doute, facilement, sans sortir de la colonie, des plants
similaires introduits avant l'infection.
Deux labours, soit à la charrue! dans la plaine, soit à la pioche
dans la montagne ; le premier, immédiatement après la taille, le
second fin avril ou commencement de mai. La vigne est ensuite
abandonnée à elle-même jusqu'aux vendanges, qui ont générale-
ment lieu vers la mi-août.
Les raisins sont foulés immédiatement après la cueillette, non
dans des cuves, ce qui vaudrait mieux, — mais dans des espèces
de chambres maçonnées, déclives, formées de murs de 30 à 40 c.
de haut seulement, percés à la partie inférieure de trous qui
déversent le liquide dans d'autres récipients également en ma-
çonnerie (ce sont à peu près là les « palmenti » (1) de Sicile). La
couche de raisins pressés n'est pas, on le voit, très épaisse, mais,
de toute façon, on sépare immédiatement le jus du marc (orujo),
avec lequel on ne le laisse Jamais fermenter j après quoi, on trans-
porte immédiatement ce jus à Malaga, dans des tonnelets placés
deux à deux en manière de bât sur des ânes, et dont la bonde est
surmontée de deux entonnoirs accolés par leur large base, de
manière à retenir les projections occasionnées par la fermen-
tation.
Arrivé chez les fabricants de vins, le moût est déposé dans de
grandes cuves en bois, et, de là, transvasé dans des tonneaux
épais placés dans des étuves, et dont on laisse la bonde ouverte
pendant un mois et demi. Le jus est, alors, additionné de 5 p. 100
d'alcool. Castellet recommande très expressément de n'employer
à cet usage que de l'alcool de vin (2), mais ce n'est pas sans
doute tout à fait exclusivement à destination de la France que
{{) Voir la figure dans Pollacci, loc. cit. p. 282.
(2j Castellet, ViticuUura y Enologia Espanolas, p. 233-234.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 119
TEspagne reçoit chaque année 3 ou 4 millions d'hectolitres de
« pétroles ))(!) prussiens. Passons...
Au bout de trois mois, le vin est de nouveau transvasé, et
on s'assure s'il y a été mis suffisamment d'alcool au goût des
fabricants, puis, on le change de fût de trois en trois mois, ou
même d'année en année, si on n'en a pas le placement.
Le Malaga sec est plus « viné (2) que le Malaga doux et le Lagrima »
ainsi nommé de ce qu'il proviendrait, selon les fabricants, soit
des grappes les plus mûres, soit du jus, des espèces de larmes
qui s'écoulent spontanément des grains avant qu'on les foule.
Mais, ce qui contribue plus que tout le reste à modifier l'arôme
des dififérents vins, Lagrima, Pajarete, faux Madère, etc. , c'est l'ad-
dition en proportions diverses de « vino tierno » et de « vino
maestro ».
Pour préparer le premier (vin tendre), on prend 100 kil.,
par exemple, de Pedro XimeneZy préalablement desséché au soleil
comme du raisin de caisse. On écrase ces 100 kil. de manière à
former une pâte exempte de liquide, et à laquelle on incorpore,
en la mêlant bien, un peu plus d'un tiers de son poids d'eau,
puis on introduit le mélange dans des sacs, qu'on soumet à l'ac-
tion d'une forte presse. On obtient, ainsi, une quantité de liquide
égale au tiers environ du poids total, ou à la moitié du poids du
raisin. On laisse reposer, on additionne d'un soixantième d'alcool,
et on conserve jusqu'à emploi.
Le vino maestro^ qui re/nplace le plus souvent le vino tierno ,
se prépare en versant dans le moût, au début de la fermentation,
17 p. 100 d'alcool, qui l'arrêtent brusquement, laissant le liquide
sirupeux, ejl fortement parfumé. C'est ce que Castellet appelle aussi,
(1) C'est le nom qu'on donne en Alsace-Lorraine au « snap$ » de grains
dont les Prussiens inondent cette infortunée province, et trouvent moyen de
faire pour elle un nouveau fléau.
(2) Les fabricants prétendent que Talcool est nécessaire à la conservation de
res vins . Nécessité fâcheuse, si elle est réelle, ce qui est à la rigueur possible ;
mais, la cause n'en serait-elle pas dans le procédé qui consiste à faire
fermenter le jus en dehors de la grappe, des pellicules et des pépins ? Dépour-
vus, par suite, de tannin, les vins contractent ainsi une tendance à tourner à
la « graisse », et, cela est si vrai qu'une addition artificielle de tannin suffit
à corriger ce défaut Castellet, tout en étant partisan de Tégrappage, « des-
palUkLdo)^ s'élève beaucoup contre la séparation des pépins et pellicules qui,
suivant lui, préjudicie beaucoup au a bouquet )> proprement dit, et indé-
pendant de Farome particulier au cépage. La pellicule contient, en effet, des
huiles essentielles, et les pépins une huile grasse, dont les acides gras for-
ment avec l'alcool les élhers œnanthique, pélargonique, etc., dont ledit bou-
quet se compose. Par suite, selon le même auteur, les vins de macération sont
infiniment supérieurs aux vins de fermentation simple... (Castellet, VitictUtura
y Enologia Espa:fiolas, p. 178 et suiv.)
Digitized by
Google
120 HISTOIRE DE hk VIGNE
calabre (1). Quelle que soit la dénomination qu'on lui applique,
il ne paraît jamais dans le commerce, pas plus que son congénère
le tiemo. Chaque fabricant prépare le sien, et le verse dans les vin&
de Pedro Ximenez au bout d'un an, lorsqu'ils sont entièrement
faits. C'est lui qui leur donne cet onctueux et cet arôme, dont
l'ensemble constitue ce qu'on appelle à Malaga rembocado.
On l'emploie, également, plus ou moins mélangé d'alcool, pour
les contrefaçons de Madère, de Xerez, de Porto, etc.
Là ne s'arrête point la fabrication pour le Malaga color, c'est-à-
dire pour Je liquide couleur brou de noix qui est à peu près le
seul que nous connaissions en France, et qui n'est autre que le
vin sec ou doux de Pedro Ximenez, additionné de deux autres
préparations vineuses appelées Varrope et le color.
On prépare Varrope en mettant par exemple 50 arrobes (80O
litres) de Malaga blanc doux, dans une chaudière de cuivre ,
chauffant vivement avec du fagot -pouv amener une prompte ébul-
lition, puis modérant le feu en ne l'alimentant plus qu'avec des
bûches. L'ébuUition se prolonge ainsi vingt-deux heures: remplis-
sage et le vidage de la chaudière prennent, en outre, environ
deux heures. L'opération terminée, le vin doit être réduit d'un
tiers. « L'arrope a la couleur, et à peu près la saveur du bon
raisiné de Bourgogne, avec une nuance d'fimertume en plus. En
fait, il a presque le goût de brûlé, et la densité d'un sirop un peu
liquide. » On ajoute 8 p. 100 d'arrope dans les vins blancs dont on
veut faire du Malaga brun, et l'auteur du mémoire croit aussi, sans
pouvoir l'affirmer, qu'on en ajoute également dans le Pajarete.
C'est avec le color qu'on donne au produit la dernière main.
C'est de l'arrope dont on verse 80 litres dans une chaudière d'une
capacité de 2 h. 40, et qu'on fait bouillir sur un feu de fagots pen-
dant 4 à S heures, en évitant avec soin que le contenu ne brûle.
Après réduction aux deux cinquièmes, on retire le feu, et on ajoute
brusquement, en ayant soin de brasser sans cesse, une demi-
arrobe (8 1.) d'eau chaude, puis 24 I. de moût nouvellement tiré,
ce qui reconstitue le volume primitif.
Le color est, àlafois, plus fluide et beaucoup plus foncé que Var-
rope, il est franchement amer, d'une densité de vin doux, et, « il
laisse sur la cuiller d'argent une belle teinte caramel. »
Il y a, du reste, du color de contrebande qui n'est, en effet,^
qu'un caramel véritable fait avec de la mélasse de canne à sucre
traitée comme nous l'avons indiqué pour Varrope.
Vrai ou faux, le color s'ajoute au vin déjà « arropé » jusqu'à
(1) Castellet, loc. cit,, p. 143.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'fflSTOIRE 121
ce que le mélange ait pris la couleur qui nous est ici familière.
Ce n'est qu'après un certain repos, que le résultat de ces
diverses manipulations gréco-arabes (1) est livré au commerce.
L'âge l'améliore grandement, et sa longévité est extrême. Du
Halaga de 100 ans n*est point une rareté, et il y a, paralt-il, dans
les chaix, des réserves de tous les âges, dont le prix, bien entendu,
augmente avec les années. Au besoin, d'ailleurs, on supplée
aux échelons qui manquent avec des moyennes. Ainsi, il est
admis que moitié de vin de 30 ans, par exemple, et moitié de
vin de Bans forment du vin de 18 ans ; que trois quarts de vin de
24 ans et un quart de vin de 8 ans donnent un vin de 20 ans, etc.
« On prétend que les vins ne souffrent point de ces mélanges,
qui sont, en tous cas, de pratique courante. »
On conserve ces vins dans des fûts épais, mais on ne les
exporte guère qu'en petits barils d'une ou deux arrobes (16 ou
32 1.), ou, encore, en bouteilles d'une forme particulière, et à
fond très résistant. La transvasion s'opère avec un extrême soin :
les bouteilles sont rincées à trois reprises successives, et bou-
chées à la mécanique, après quoi, des ouvrières dressées à Ce tra-
vail les enveloppent de papier et en entourent de paille la partie
supérieure jusqu'aux trois quarts, « le fond ayant, par suite du
mode d'emballage, la force nécessaire pour résister aux chocs »»
Les vins blancs, les vins apyres de Malaga, le sec surtout, s'ex-
pédient à peu près exclusivement dans l'Amérique du Sud. L'Eu-
rope, septentrionale principalement, et plus particulièrement la
France, comme nous Tavons dit, ne connaissent que le color.
Le Moscatel fournit un vin muscat qui, contrairement au pro-
duit du Ximenez, ne vit guère que ce que vivent les roses.... « Au
bout d'un an, cette liqueur est à son apogée : elle perd ensuite
graduellement son arôme particulier, dont il ne lui reste plus
rien au bout de trois ans : elle est bien inférieure, selon moi, à nos
muscats de Frontigntfn et de Roussillon. (2) » Peut-être ne faut-ilvoir
là qu'une confirmation de l'arrêt de Castellet, attribuant la supé-
riorité aux vins de macération sur ceux de fermentation simple :
peut-être aussi faut-il tenir compte de ce que les viticulteurs de
la vega n'emploient à la fabrication du Moscatel que « les grappes
crevées par des pluies intempestives, ou qui ne sont pas dans
de bonnes conditions pour être séchées. » La vente des raisins
secs est, en effet, paralt-il, infiniment plus profitable à Malaga
(i) Voir plus haut, p. 71-72 et p. 108.
(2) Nous ayons yu plus haut (p. 103), que telle est, aussi, Topinion de Gail-
lardon.
Digitized by
Google
J
122 HISTOIRE DE L\ VIGNE
que celle des vins. On nous excusera, donc, d'en dire également
un mot à l'adresse de nos chers Algériens.
Les posas ou raisins secs sont, nous l'avons dit, fabriqués avec
le Moscatel, qui se cultive exclusivement dans la plaine, et dont
les grains gros et charnus, à épicarpe épais comme un parche-
min, semblent faits exprès pour résister à tous les agents d'al*
tération. Les grappes cueillies avec grand soin, et expurgées
de leurs grains défectueux, sont exposées sur les i<paseras »,
grands rectangles d'au moins 20 m. de long et de largeur plus
grande, orientés en plein midi, entourés d'une bordure en maçon-
nerie de 20 à 30 centimètres de haut, et remplis de sable noir, —
ordinairement de pulvérin d'ardoise — afin d'augmenter l'absor-
ption de la chaleur solaire : de 3 en 3 mètres, à peu près, ces
rectangles sont divisés, dans le sens delà largeur, par des sentiers
remontant en ligne droite, et destinés à la circulation des « pose-
ros ». Les grappes sont retournées avec des pinces à mesure
qu'elles se confisent au soleil, et débarrassées, au moyen de
ciseaux, des grains altérés qui ont pu échapper au premier
triage, ou de ceux qui se sont altérés depuis. Devenus secs, les
raisins sont transportés dans des magasins où des ouvrières les
mettent en caisses. Les gi*appes les plus belles sont étendues sur
des feuilles de papier qui séparent les couches. Les caisses valent,
suivant les années, de 4 à 2S fr.
De même qu'il y a fagots et fagots, color et color^ etc., il y a
aussi posas et posas. Les pasas de Malaga sont dits posas de sol
pour indiquer que le soleil a été leur seul confiseur, maisà Alicante,
où le soleil, le soleil d'automne surtout, est moins igné qu'à
Malaga, on supplée à son défaut d'énergie en passant les grappes
au four, après les avoir préalablement trempées dans une lessive
d'huile et de cendres, immersion qui facilite leur dessiccation.
Ces passerilles, nommées, par opposition avec les premières,
pasas de lejia (lessive), n'en peuvent guère être considérées que
comme une contrefaçon, car elles n'en ont ni la finesse d'arôme,
ni la stabilité.
L'Amérique du Nord consomme d' « énormes quantités » de
posas de sol. Il en est de même des pays septentrionaux de
FEurope. De larges débouchés sont donc d'avance assurés aux
colons algériens, qui voudront acclimater chez eux cette fabri-
cation lucrative.
lia vig^e en Poptug^al. — A part le passage de Polybe que
nous avons cité plus haut (voir p. 68), les anciens ne nous ont
rien laissé, même de fabuleux, sur l'histoire de la vigne en Por-
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 123
lugal. Là comme dans bien d'autres pays elle est donc anté-
rieure à toute tradition, et on s'y est, pendant de longs siècles,
contenté de boire du vin et, comme le prouve la mercuriale de
Polybe, d'y en boire à bon marché, sans en parler. On paraît n'y
en avoir aussi produit que pour les besoins locaux, car, ce n'est
qu'au quatorzième siècle, sous le règne de Ferdinand P' (1367-
1383), qu'on y entend pour la première fois parler d'exportation
par les chroniqueurs. Encore, le fait n'est-il rien moins qu'avéré.
« Ce fut à l'occasion d'une grande stérilité en Italie, que
quelques négociants vinrent chercher les vins noirs et alcooliques
des rives du Douro, près de Lamego : des factoreries anglaises
furent successivement établies à Porto, et le vin qu'elles ache-
taient était expédié en Angleterre (1). »
Une fois signalés à l'attention publique par cette espèce de
hasard, les vins de Porto et de Lisbonne ne tardèrent pas à
prendre faveur. L'exportation s'en étendit jusque dans les pays
Scandinaves : d'autre part, ils trouvèrent des débouchés dans les
possessions portugaises, et notàniment au Brésil, qui en faisait
alors partie. Toutefois l'importance de cette exportation était
encore assez restreinte, « car en 1678, première année où sur les
registres de la douane de Porto, il est question de nos vins,
l'exportation fut à peine de 240 hectolitres. Et, dans les dix
années suivantes, jusqu'à 1687, sa moyenne annuelle n'atteignit
pas 3,000 hectolitres (2). »
C'était l'Angleterre qui absorbait la majeure partie de ce vin,
auquel elle ne tarda point à prendre goût, et à fournir un large
débouché. Avec la consommation, la production se développa, si
bien qu'en 1693, l'exportation n'était pas moindre de 66,000
hectolitres (3).
Survint, en 1703, le traité de Methuen, qui a fait du Portugal,
commercialement parlant, ce qu'il est demeuré depuis, une
colonie anglaise, et qui a anéanti ses fameuses fabriques de
lainages de Portalegre et de Covilhâ. En échange d'une entière
liberté pour l'importation des lainages anglais, il concédait
aux vins de Portugal en Angleterre la remise d'un tiers sur les
droits d'entrée imposés aux vins d'autres provenances.
(4) Rodrigo de Moraes Soares, Mémoire sur les vins de Portugal^ rédigé à
Toccasioa de TExposition de 1878. Notre exposé est en grande partie emprunté
à ce remarquable travail.
(2) Villa Mayor, Douro Ulustrado, Porto, Magalhaez e Moniz, editores, p. 16
et 19.
. (3) Id., iWd., p. 16et 19.
Digitized by
Google
124 HISTOIRE DE LA VIGNE
Ce privilège ne paraît point avoir, dès l'abord du moins,
produit un accroissement sensible dans Timportation en Angle-
terre, car, il faut pousser jusqu'à 1716, c'est-à-dire 13 années
après le traité, pour trouver une exportation supérieure à celle de
1693. Elle fut, cette année-là, de 70,000 hectolitres (1).
Après des vicissitudes diverses, et des périodes de discrédit
dues aux adultérations des planteurs, et qui firent un moment
descendre les prix à 10,000 reis (55 fr. 55 c.) la pipe de 500
litres (2), la moyenne de l'exportation avait fini par s'établir à
81,000 hectolitres (3). Mais bientôt les exactions des facteurs
anglais qui, maîtres du marché, imposaient leurs prix à la culture
et, surtout, leurs fraudes, qui en discréditaient complètement les
produits, ne tardèrent pas à faire perdre au Portugal, et plus parti-
culièrement à la région duDouro, le seul bénéfice du traité. « Dans
leur âpre convoitise, ils adultéraient les vins estimés du haut
Douro en y mélangeant les vins verts, faibles, sans couleur,
de mauvaise qualité, de Yal de Besteiros, San Miguel de Outeîro,
Anadia, etc., et en cherchant à suppléer aux défauts de ces
boissons par l'addition de baies de sureau, de poivre, de sucre et
autres ingrédients qui, au lieu de les améliorer, leur enlevaient
toute saveur, toute force, toute couleur à leur arrivée dans le
Nord, et les discréditaient complètement. Par suite, ces vins qui
avaient eu jusque-là toutes les préférences grâce à leur goût, tom-
bèrent au point que non seulement tout autre vin, mais toute
autre boisson prit faveur sur eux. ♦>
Ce fut pour mettre un frein à ces pirateries qu'en 1756, le
fameux Pombal créa une Compagnie générale de F Agriculture
des vignes du haut Douro, En mars et en avril, les vins nouveaux
étaient apportés au marché de Regoa, et goûtés par quatre gour-
mets, dont deux choisis par la compagnie, et deux par les munici-
palités de Villa Real et de Lamego. C'étaient ces dégustateurs qui
fixaient le prix du vin qu'ils répartissaient en trois classes, à peu près
comme font nos agents de culture pour les tabacs des planteurs.
De ces produits, que la compagnie monopolisait, ceux de première
catégorie étaient seuls admis à l'exportation ; la compagnie
exploitait elle-même les autres dans les cabarets de Porto et des
environs. Comme aujourd'hui, d'ailleurs, les exportations portaient
presque exclusivement sur les vins « de Porto », qui, fournis par
les trois régions dites du haut Douro, du bas Douro et du Douro
(i) Villa Mayor, loc,^ dt.^ p. 19.
(2) Id., ibid., p. 20.
(3) Moraes Soares, loc, cit., p. 27.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 125
inférieur, poussent, en effet, tout le long de ce fleuve et de ses
affluents, le Corgo, le Tanha, le Baroza, le Tavora, le Torlo, le
Pinhâo, le Tua, etc.
Fondée, selon la formule du § 10 des InstituiçôeSy pour
u soutenir la culture des vignes et la réputation des vins, protéger
le commerce de ces vins en les fixant à un prix régulier, qui
assurerait les bénéfices du fabricant et ceux du négociant... » la
compagnie du haut Douro ne tarda point, comme la plupart des
monopoles, à dégénérer en «bataillon d'abuz », plus criants peut-
être que ceux qu'elle avait pour but de prévenir. Elle ne s'établit
point d'ailleurs sans opposition. La confiscation, à son profit, du
droit de vente des vins et eaux-de-vie au détail souleva, surtout à
Porto, des résistances d'une énergie telle que « des ruisseaux de
sang coulèrent, et que le monopole ne put être établi qu'au prix
de nombreuses exécutions capitales (1). » Ainsi imposé par la
terreur, il se perpétua par accoutumance bien longtemps encore
après que les inconvénients en eurent apparu à tous les yeux, et
ne fut supprimé qu'en 1866, par une loi des Certes (2).
En attendant, mieux encore que tous les traités et que toutes
les compagnies, les guerres maritimes de la Révolution et de
TEmpire, et le blocus continental avaient assuré aux vins de
Portugal le monopole du marché britannique. De 1789 à 181S,
l'exportation en Angleterre s'élève moyennement à 210,000 hecto-
litres, pour redescendre, ensuite, à la moitié environ de ce
chiffre.
En 1832, suppression de tout privilège, et rentrée du Portugal
dans le droit commun, droit exorbitant, presque prohibitif. Mais,
là ne fut point encore le principal obstacle au développement de
l'importation en Angleterre, et, de l'arrêt qu'elle a subi, les
vignerons portugais ne peuvent se prendre qu'à eux-mêmes.
« La natura fa Fuva, e l'arte fa il vino, » a dit PoUacci (3). En
Portugal l'art est employé, non à faire le vin, mais à le défaire.
Le régime draconien si durement imposé par Pombal pour
l'exploitation des vins du Douro a disparu, avons-nous dit,
après 110 ans d'exercice. Mais, les subdivisions et les habitudes
qu'il avait créées lui ont, en partie au moins, survécu. On fait
encore trois espèces de vin de Douro. La première qualité se récolte
surtout dans le Douro supérieur et dans le haut Douro. La
(1) Villa Mayor, loc. cU., p. 23.
(2) Id., iôtd., p. 23.
(3) Pollacci, La teoria et la pratica délia vitkullura e délia enologia, p. 2 19.
Milano, Fratelli Oumolard, 1883.
Digitized by
Google
126 HISTOIRE DE LK VIGNE
moyenne en est évaluée à 100,000 hectolitres, et, c'est encore
TAngleterre qui en est le principal acheteur. La seconde qualité,
fournie en majeure partie par le Douro inférieur, n'est pas bien
facile à distinguer de la première, dont elle est souvent la digne
rivale. Production moyenne 150,000 hectolitres. Une certaine
quantité de ces vins est, d'ailleurs, mélangée à ceux de première
catégorie. Le reste va au Brésil.
La troisième qualité est constituée par les vins des endroits les
plus élevés de la région, c'est-à-dire de ceux où le raisin mûrit
le moins bien. La production moyenne est, aussi, évaluée
à loO,OQO hectolitres. Comme au temps de la Compagnie, ces
vins sont, en partie, consommés dans les cabarets du pays, et en
partie convertis en eau-de-vie^ qui est employée à la préparation
des vins supérieurs (1). Par suite de ce système, qui n'est malheu-
reusement pas limité aux seuls « Porto », les vins portugais sont
à rheure actuelle les plus alcooliques du monde, ainsi qu'en
témoigne le tableau ci-après, résumant les résultats de 15,490 ana-
lyses faites à la station œnologique de Gattinara.
Alcool 0/0 Température moyenne
des pays.
Afrique 18.87 lô»
Australie 13 .46 »
Asie Mineure 15.50 12®
Grèce 13.83 12©
Italie 12.73 12o
France 10.34 10»
Russie 12.54 9o9
Autriche 11.70 IQo
Amérique du Nord 11.12 icfo
Allemagne 11 .03 10©
Suisse 9 10»
Espagne 14.92 14o
Portugal J9.06 14o (2).
On voit que les vins de Portugal sont plus alcooliques, même
que les vins d'Afrique, et, que leur alcoolicité dépasse d'un tiers
celle de leurs congénères d'Espagne, produits dans des conditions
absolument parallèles de climat et de sol, de l'Espagne où on
« vine » pourtant, mais d'une façon moins extravagante (3). Cela ne
(1) Moraes Soares, loc, cit. y p. 13.
(2) Selletti, loc. cit,, p. 16.
(3) Il y a quelque trente ans, TAngleterre, voulant s*édifler une fois pour
toutes sur la question du « vinage », envoya, pour la renseigner de visu et de
gustatu, un commissaire spécial dans chaque région de production. Celui qui
fut chargé de visitera petites journées TEspagne et le Portugal, ne put trouver
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 127
répond ni à la moyenne de la température estivale qui est le grand
facteur de ralcoolicité, ni, encore moins, à la réalité des choses,
car, de tous les moûts passés en revue par Villa Mayor, tant dans
son Manualde viticultura pratica que dans son Douro illusirado,
un seul, celui du bastardo^ atteint non pas 19, non pas 18,
mais 14,6 : tous les autres varient entre 8,8 {Codega ou Malvasia
grossa do Douro) (1) et 13,4 {AlvarelhâOj Tinta carvalha) (2).
Véritable moyenne, 12.
Qu*ont gagné les Portugais, et aussi les Espagnols, nous ne
dirons pas à ces sophistications, car nous admettons que c'est de
bonne foi qu'ils empoisonnent leurs vins pour les mieux conserver,
mais à ces pratiques vicieuses? Uniquement ceci. Elles ont trans-
formé leurs produits en espèces de grogs dans lesquels le goût
aimable, suave et velouté du vin de bonne qualité disparaît sous
la sensation brutale et corrosive de Talcool qui racle et qui brûle,
et comme le remarque très bien Cognetti de Martis (3), elles
affectent leurs vins d'un défaut capital au point de vue du com-
merce, l'inconstance dans le bouquet^ le corps et la chaleur (4).
Ce sont les vins ou, comme disent si bien les Espagnols, les
M caldos » incendiaires de Porto qui ont fait aux Anglais ces
« gosiers de salamandre » dont parle Victor Jacquemont, et qui
ne sont plus accessibles qu'aux impressions combiu*antes et pimen-
tées (5). Or, abyssus abysmm invocat. Si cette maxime a jamais
dansées deux pays un litre de yin qui ne fût empoisonné d'alcool. Un exem-
plaire de cette enquête, ainsi que sa traduction de notre main, doivent
encore exister au Ministère des Finances.
(1) Villa Mayor, Manual de viticultura pratica, p. 499.
(2) Id. itnd.yy p. 522 et 556 : Voici, au reste, ces déterminations :
Codega 8.8 Alvarelhâo 13.4 Tinta carvalha.. 13.4
Diagalves 9.4 Bastardo 14.6 Tinta francisca. . 12 . 5
Mourisco branco. 12 Gasculho 9 Tinta pinheira. . 9.4
Rabagato 12 Mourisco tinto... 10.5 Touriga 12
Verdelho 11.3 Sousao.. 12.5
(3) Cognetti de Martis, loc. cU,, p. 190-194-195.
(4) En Espagne, par exemple, le vin qu'on sert dans les mesas redondas,
ou tables d'hôte, est absolument impotable, corrosif si on le boit pur, plat si
on y met de Teau.
(5) Nous avons été nous-mêmes témoins du fait suivant dans un hôtel de
Boulogne-sur-Mer. Une famille anglaise demande une bouteille de Bordeaux.
On lui apporte un vieux Saint-Emilion, fleurant mieux que benjoin, tolu et
civette. Il est renvoyé comme ne valant rien. « Ah ! je sais, » dit le maître
d'hôtel sans se déconcerter; et, introduisant dans la bouteille réprouvée un
demi-verre à Bordeaux d'excellent cognac, il la renvoie rebouchée aux consom-
mateurs. Elle fut trouvée délicieuse.
Digitized by
Google
128 fflSTOIRE DE LA VIGNE
trouvé son application, c'est bien, surtout, en matière d'alcool. Tel
commence par une goutte d'absintbe dans un litre d'eau qui finit
par l'absinthe pure à 72% quand ce n'est pas par l'acooî à 90.
Pour le consommateur qui a tété avec du Porto de 19, voire même
de 20 et de 25 degrés (car 19 n'est qu'une moyenne), le meilleur
breuvage sera toujours celui qui raclera et qui brûlera le plus. Et
c*est ainsi qu'en Angleterre au Xerez et au Porto se substituent
peu à peu le Sherry et le Portwine^ produits indigènes, auxquels
la vigne n'a que peu ou point de part à réclamer, produits absolu-
ment artificiels, mais, par cela même, mieux appropriés à des
goûts émoussésy et, que les consommateurs ont fini par préférer
même aux légitimes enfants du Guadalquivir et du Douro (1). La
même chose s'élait produite à Rome, où les vins très drogués
de Grèce avaient fini par céder la place à une contrefaçon
dont Gaton (2) nous a laissé la formule (3), et qu'on avait fini
aussi, par préférer à une nature... qui n'avait rien de na-
turel (4).
Et c'est ainsi qu'alors que l'Angleterre est censée ne boire que
du Porto, la véritable exportation des vins de Portugal, en grande
partie fabriqués par des Anglais, (5) va se dirigeant vers le
Brésil... (6) et vers la France.
Quant aux consommateurs dont le palais est moins mégissé, ils
achètent en Hongrie, selon Villa Mayor, quantité de vins rouges
de table, entièrement semblables à ceux qui se préparent dans
maintes localités d'Estramadure, de Beira et de Traz os Montes,
et qui sont encore inconnus hors de leurs contrées d'ori-
gine (7).
Villa Mayor en gémit. Mais, ce que Téminent recteur de Coïmbre
(1) Cognetti de Martis, loc. dJt.
(2) Porcius Cato, De re rustica, ch. CXII.
(3) En attendant que quelque Gaton Britannique nous livre le secret des
contrefaçons anglaises, voici d'après Castellet, Viticultura y Enologia Es-
pafîolas, p. 304) le procédé couramment usité en Espagne pour Timitation
du Porto. A Faide d'un appareil tubulaire, plein de charbon ardent et
immergé dans du vin rouge pur, porter ce liquide à une température de 30
à 40° et Ty maintenir jusqu'à ce qu'il ail pris une teinte jaunâtre foncé.
Ajouter, alors, par hectolitre, 4 litres d'alcool à 80«, et 2 litres de teinture
alcoolique de très jeunes cerneaux. Laisser un an en fût dans une cave
exposée au midi, puis, mettre en bouteilles ou expédier en barriques sembla-
bles à celles de Porto. L'auteur assure que les plus uns gourmets ne sauraient
reconnaître la contrefaçon.
(4) Voir plus haut p. 73.
(5) L'enquête dont nous parlons un peu plus haut établit, en effet, que nombre
de vignobles estimés du Portugal appartiennent à des propriétaires anglais.
(6) Cognetti de Martis. loc. cit., p. 195.
(7) Villa Mayor. Manual de viticultura pratica, p. 12.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON t'HISTOIRE 12»
omet d'ajouter, c'est que les vins de Hongrie ne sont point vinés.
Or, les moûts de Beira ont 10.5 d'alcoolicité moyenne et les
vins 14.7, les moûts de Traz os Montes 11.2 et les vins 13.7, les
moûts d'Estramadure 11 et les vins 15.8, pas bien loin de moitié
en plus (1). Si les vignerons de Portugal veulent que nous
buvions leurs vins en nature, qu'ils commencent par nous les
rendre abordables!
Le Portugal n'est pour ainsi dire qu'un grand vignoble : on en
jugera par ce fait presque incroyable, s'il n'était attesté par le
Directeur général du Commerce et de l'Industrie, que, dans tout
l'État, il n'existe qu'une seule commune où la vigne ne soit pas
cultivée, celle de Montalegre^ dans la province de Traz os Montes^
Pour n'avoir pas à revenir à la région du Douro, disons tout de
suite qu'indépendamment des « Porto », elle produit des vins de
liqueur, dénommés, du nom du cépage qui les fournit. Muscat^
Malvasta^ BastardOy AlvarelhàOj et des Geropigas ou vins doux
d'un goût exquis, et susceptibles d'être compris dans le même
groupe.
Bien différents de ces nectars sont les vins de Minho^ régioa
septentrionale du Portugal, où les vignes sont cultivées en hau-
tains, ce qui a fait donner aux vins du cru la qualification de
mhos de enforcddo (de enforcado^ pendu), parce que leurs mères
grappes sont suspendues entre les branches de l'arbre qui sert de
n juçum ». Cette dénomination rappelle la fameuse vigne de
Cinéas (2), dont les vignes de Minhp se rapprochent, d'ailleurs^
aussi, par l'àpreté de leurs vins. Us sont, par cela même,
appréciés, comme rafraîchissants, pendant les fortes chaleurs. Ce
sont, pour tout dire, les Argenteuil du Portugal.
Ce sont là les deux extrêmes, mais, en dehors d'eux, le Portugal
possède quelques vins assez estimés tels que ceux de Torres
VedraSf qui, selon Jullien,ne seraient pas sans analogie avec nos
(1) Moraes Soares. Mémoire sur les vins du Portugal. Voici, d'après le même
documeal, le parallèle pour toutes les provinces :
Moût. Vin.
DouTo 12 21 .4
Traz os Montes 11.2 13.7
Minho (vin de hautain) 8.8 10.1
Beira alta et baixa 10.5 44.7
Estramadure 11 15.5
Alemtejo 10.8 15.1
Alganre 11.7 15.4
lie de ( Funchal 11.8
Madère I Camara de Lobos 10.7
(2) Voir plus haut p. 46.
HISTOIRE DE LK VIGNE. — I. ^
Digitized by
Google
130 HISTOIRE DE LA VIGNE
Hermiiage (1), les vins blancs, tant secs que de liqueur, de Setubal
en Eslramadure, le vin de Faro\ dans les Algarves (2), etc. En
outre, un stock considérable de vins ordinaires, et qui n'auraient
souvent besoin, pour figurer dans les vins fins, que d'une fabri-
cation moins défectueuse. Comme nous venons de le dire, et
comme le reconnaît d'ailleurs l'intéressant mémoire qui nous
sert de guide (3), ils sont tous atrocement « vinés », ce qui leur
interdit absolument, au moins chez nous, le rôle de vins de table,
et les confine dans les « coupages ». C'est sous cette forme, sans
doute, et sous la dénomination élastique de vins de Bordeaux, que
nous avons dû consommer les 250 à 260,000 hectolitres qui
représentent la moyenne de notre importation depuis trois
années (310,000 en 1883), sans que personne se soit douté chez
nous qu'il buvait du vin de Portugal à son ordinaire (4). Nous
n'insisterons pas sur ces chiffres douloureux pour nous, dont
nous aurons lieu de retrouver les analogues en Espagne, en
Italie, en Grèce, et jusqu'en Asie Mineure. Mais, si nous ne pou-
vons, ou si nous ne voulons pas pouvoir nous suffire, nous ne
saurions, en tous cas, mieux placer notre clientèle que chez un
peuple essentiellement droit, honnête, courtois, pour qui semble
avoir été fait le mot de Vauvenargues : « La politesse vient du
cœur, » et avec qui la cordialité de nos relations n'a jamais
traversé l'ombre d'un nuage.
Les vins du Portugal sont, d'ailleurs, d'un prix très abordable.
Les Douro (Porto) de première qualité coûtent en moyenne
278 fr. les 500 litres, ce qui les met à 56 centimes le litre ; la
deuxième qualité revient à 40 centimes, la troisième à 22 cen-
times 5, le tout en rade de Porto. Les autres sont tous moins
chers, et varient de 45 centimes (première qualité de l'Estrama-
dure), à 11 centimes 25 (troisième qualité de Beira Alta et de
Beira baixa). Les vins mêmes des Algarves, l'Andalousie Portu-
gaise, entièrement analogues aux Madère, aux Xerze et aux
Malaga, ne varient guère qu'entre 34 et 17 centimes (5). Us mérite-
raient d'être plus achalandés.
Le Portugal a quelques cépages communs avec nous. Le Teta
{{) Julien, loc. cit., p. 428.
(â) Id. ihid.
(3) Moraes Soares, loc. c^^, p. 13 et 35.
(4) Nos renseignements statistiques sont dus à la gracieuse obligeance de
M. George de Mello, directeur général du Commerce, de l'Industrie etdeTAgri-
eulture, par T intermédiaire de notre excellent ami Francisco de Cosla-Lobo.
Qu'ils reçoivent ici, Vun et Tautre, l'expression de notre plus sincère gratitude.
(5) Moraes Soares, loc. cit., pissim.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 131
de cabra^ cultivé principalement dans File Saint-Miguel, serait,
selon Villa Mayor, notre « Pis de chèvre (i) », le Tinta miisguenta
notre Meunier (2). Le Bastardo, a été longtemps pris pour notre
Noirien de Bourgogne, mais Rebelle da Fonseca a fait ressortir
entre les deux cépages des différences essentielles. Outre ses
qualités œnologiques, le Bastardo aravantage d'être trèsprécoce. D
mûrit au commencement de juillet, ce qui lui permettrait Taccès
des régions septentrionales. Après l'avoir introduit à la Dorée,
Odart a cru reconnaître en lui le Trousseau du Jura (3).
Si l'origine bourguignonne du Bastardo est sujette à contesta-
tion, il n'en est pas de même, paraît- il, du Tinta /rancisca, dont le
nom même est un certificat d'origine, et qui, d'après des docu-
ments authentiques encore existants, aurait été apporté de la
Côte-d'Or à Roriz par Archibold, fondateur de cette « quinta »
(Douro). L'émigration ne paraît point lui avoir nui, car il donne
dans le' Douro de fort bons vins d'une force de 12° au pres-
soir, bien entendu. C'est à peu près le degré des Clos-Vou-
geot(4).
La Bourgogne n'a pas seule fourni son contingent à la viti-
culture portugaise. Sa jumelle la Gironde a voulu être de la
partie. Le Touriga, selon Villa Mayor, serait notre Cabemet (5).
Villa Mayor, enfin, a de bonnes raisons de croire que le Tinta pin-
heira (6) est le Pinot negret^ ou Pinot dru d'Odart. Le Sousào aurait
été rapporté de Lima. C'était faire un bien long détour, pour un
cépage évidemment parti d'Espagne après la conquête du Pérou (7).
La viticulture a passé, depuis une trentaine d'années, en Portu-
gal, par de très cruelles épreuves. L'oïdium l'avait, pendant une
longue période, presque anéantie. Les vignobles de Chamusca^
qui donnent un vin cher aux Lisbonnais, ceux de CarcavelloSj dont
nous avons déjà parlé, ceux de l'Algarve, avaient disparu, et il vint
un moment où la production qui variait, de 1852 à 1854, entre 2
et 3 millions d'hectolitres, était tombée à 600,000, et même, au
dessous d'un demi-million (423,085 en 1857). Pendant la période
décennale 1860-70, elle n'a pas dépassé 1,700,000; en 1873, et
malgré le phylloxéra, qui paraît être là-bas plus discret, quoique
guère plus combattu que chez nous, elle est remontée à 2 millions.
(1) Villa Mayor, Manml, p. 518.
(2)Id.,i6td.,p. 561.
(3)Id., ibidAj 527-530.
(4)Id.,t6id. p. 558-559,
(5) Id., ibid. p. 564-566.
(6) Id., ibid. p. 567.
(7) Id., ibid, p. 553.
Digitized by
Google
132 HISTOIRE DE LA VIGNE
En 1882 elle était de 2,874,000, chiflFre assez voisin de son an-
cienne moyenne. En compensation de tant de ravages, Toïdium
eut cependant un avantage pour les Portugais : il leur fit décou-
vrir TAlemtejo, vaste région vinicole, comprenant les districts de
Bega, d'Evoraet de Portalègre, comme cheznous,jadis, Alexandre
Dumas découvrait Marseille. C'était un cliché en Portugal que
FAlemtejo était une « contrée de mauvais pain et de mauvais vin. »
Par un heureux privilège, les vignes de TAlemtejo échappèrent
au terrible érysiphe. On s'avisa, alors, de goûter ce vin qu'on
jugeait, de tout temps, si mauvais sur lafoldes proverbes, et on le
trouva fort bon, si bon qu'on le multiplia, à tel point que la pro-
duction, qui variait de 1852 à 1856 entre 50 et 60, et au maximum
90,000 hectolitres, a dépassé 184,000 en 1882.
On avait cru im instant que le phylloxéra avait eu, aussi, sa
compensation en révélant l'indemnité d'un cep européen, qu'il n'y
aurait plus eu, pour se préserver, qu'à substituer, ensuite,- à tous
les autres. Le « Mourisco preto » était cet oiseau bleu. Malheureu-
sement, on s'était trop hâté de chanter victoire. Le Mourisco prêta
n'est pas plus invulnérable aux attaques du terrible aphidien que
ses congénères d'Europe ; seulement, il résiste plus longtemps à
ses blessures, et, en cas de traitement, il les guérit plus vite, ce
qui ne laisse point que d'être un avantage assez appréciable (1).
C'est le Traminer du Midi (2).
La France est devenue aujourd'hui, nous l'avons dit, la meil-
leure cliente du Portugal, meilleure même que le Brésil, qui la
suit de très près, deux fois meilleure que l'Angleterre, qui n'im-
porte que 150,000 hectolitres, venant, il eêt vrai, à peu près
exclusivement de Porto (4 à 5,000 hectolitres de vins communs
et 7 à 8,000 de Madère).
Ces relations ne pourront que s'étendre si, comme tout permet
de Tespérer, la frabrication des vins portugais s'améliore. Les-
œnologistes éminents ne manquent point en effet en Portugal. Il*
suffit de citer Villa Mayor, le Guyot Lusitanien, auteur du Doura
illustrado^ de l'excellent Manual de viticultura pratica auquel
nous avons fait de si nombreux emprunts, etc. (3) ; Ferreira Lapa^
{{) Travaux du service du phylloxéra. Année 1882. Rapport du consul de Lis-
bonne, p. 528.
(2) Cépage européen qui d'après le livre de Planchon sur les Vignes améri-
caines aurait le plus longtemps tenu, de l'autre côté de TAtlantique, aux atta-
ques du phylloxéra. Voir plus loin.
(3) Mort depuis la composition de ce travail, après une existence de 73 ans,
entièrement consacrée à la science ampel-œnologique. Outre les ouvrages men-
tionnés plu» haut, Villa Mayor a publié une Ampélographie Portugaise, avec
Digitized by
Google
Lk VIGNE SELON L'HISTOIRE 133
auteur d'une Technologie rurale^ où la viticulture et l'œnologie
tiennent une large place ; Auguste d'Aguiar, modificateur de la cuve
Mimard, enfin, le ministre homme debien Joâo de Andrade Corvo qui
a su, chose rare, se servir de ces hommes utiles. Ils ont analysé tant
isolément qu'en mélange lesmoûtsde leurs différents raisins, dressé
Tampélographie de leurs cépages, établi à Coïmbre un jardin viti-
cole que Paris en est encore, nous verrons bientôt pourquoi (1), —
«D est toujours, hélas I on se demande pourquoi, — à lui envier.
n n'est pas douteux que des travaux si sagement encouragés
ne finissent par entrer dans la pratique. En attendant, courage
•et toutes nos sympathies, à ces pionniers du progrès !
lia vig^ne en Gaule. — « La vigne est fille de France, puis-
qu'elle est indigène sur les bords du Rhône, dans le Midi, dans une
partie du sud-ouest et qu'elle croît vigoureusemeat dans tous les
bois, dans toutes les haies et sur tous les cours d'eau de ces con-
trées, et les Celtes la connaissaient et la cultivèrent alors qu'ils
ignoraient encore qu'il exist&t des Grecs et des Romains. La vigne
est fille de France, et la preuve en est dans cette loi qui fait naître
-chaque fruit sous le climat qui doit lui donner ses qualités les plus
•élevées, comme dans sa vitalité, qui résiste sans dégénérescence
h la culture à laquelle elle est soumise depuis des siècles. »
Ainsi s'exprime l'auteur du remarquable traité de la Vigne en
France^ que nous avons eu et que nous aurons encore fréquem-
ment occasion de citer (2).
Henri Mares (3), le docteur Baumes (4), le docteur Lavalle (S),
les professeurs Planchon (6)etFoëx (7) ; en un mot les hommes les
{)lus éminents, les plus compétents, les plus autorisés dans la
question, émettent une opinion analogue, au moins en ce qui
concerne l'indigénat de la vigne dans notre pays.
A cet égard les données de l'histoire sont confuses et incohé-
rentes, parfois contradictoires. Tâchons, en les interrogeant, d'en
démêler le fil conducteur.
Nous avons vu Platon, né quatre siècles et demi avant notre ère,
et qui vivait bien loin de iious, nous parler des habitudes ba-
i]gures en couleur, et un Traité de Vinification, Nous nous associons, de tout
notre cœur, aux justes et universels regrets laissés par cet homme de bien.
(1) Voir plus loin.
(2) Romuald Dejemon, loc, cU., p. 57.
(3) La Ferme, 1865, t. Il, p. 269.
(4) Mémoire sur la culture de la vigne indigène sur les bords du Rhône, Nimes .
(5) HisUnre des vignes et des vins de la Côle-d'Or, Dijon.
(6) Les Tufs de Montpellier,
<7) Bulletin de la Société d'agriculture de VHérault, 1874, t. LX.
Digitized by
Google
134 fflSTOIRE DE Lk VIGNE
chiques des Celtes, qu'il comparait à celles des Scythes. Elles
étaient donc dès ce temps-là bien notoires : ce qui se concilierait
assez mal avec une introduction toute récente de la vigne en
Gaule.
Athénée a consigné dans ses espèces de Mémoires, la tradition
suivante :
Euxénon, marchand phocéen , se trouvait sur les côtes de Pro-
vence au moment de fêtes préparées pour le prochain mariage de
Petta, fille du roi des Salyens. L'usage était qu'à la fin d'un
banquet organisé ad hoc^ la jeune fille à pourvoir entrât dans la
salle, munie d'une coupe d'eau et de vin, et la présentât à l'époux
de son choix. Soit hasard, soit préférence réelle, ce fut Euxénon,
hôte fortuit du festin, qui reçut la coupe, et, le père, voyant dans
ce fait, avec la superstition familière aux anciens, un avertisse-
ment des dieux, consentit au mariage. Euxénon oublia sa patrie,
vécut en ces lieux avec sa nouvelle épouse à laquelle il donna le
nom d'Arisloxène, et dont il eut un fils appelé Protis. Au temps
d'Athénée, les descendants de ce dernier portaient encore à Mar-
seille le nom de « Protiades ».
Justin, un peu antérieur à Athénée, rapporte, d'après Trogue-
Pompée, dont il n'est que Tabréviateur, la même tradition d'une
manière un peu différente :
Deux pirates phocéens, Simon et Protis, furent jetés par les
hasards de leur aventureuse profession sur les bords lointains du
Rhône. Séduits parla beauté du lieu, ils résolurent de fonder une
ville sur les frontières de Nannon, roi des Ségobriges, et vinrent
lui demander son amitié.
Il préparait alors les noces de sa fille Gyptis. Invitation des
Grecs au banquet, puis, même cérémonial et même issue que
dans Athénée. Gyptis choisit pour époux Protis, qui, devenu
gendre du roi, reçoit de lui le terrain nécessaire à la fondation
d'une ville. La seule différence, capitale il est vrai, à notre point
de vue, c'est qu'au lieu d'une coupe d'eau et de vin, c'est une
coupe d'eau pure que Protis offre au Phocéen. Seulement, l'au-
teur latin ajoute : « ... Ces Phocéens adoucirent la barbarie des
Gaulois en leur enseignant une vie plus douce ; ils leur apprirent
à cultiver la terre, à fortifier la cité, k planter l'olivier et à tailler
la vigne. Et, tels furent alors les progrès des hommes et des
choses qu'il semblait non que la Grèce eût passé en Gaule, mais
que la Gaule elle-même se fût transportée dans la Grèce. »
De ces deux traditions, qui remontent l'une et l'autre au temps
de Tarquin, la première établirait que, plus de 600 ans avant notre
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 135
ère, le vin existait tout au moins à l'état de produit d'importa-
tion dans notre Midi; quant à la seconde, elle démontre peu* la
distinction évidemment voulue entre l'olivier que Protis nous
apprit à />/an/^r, c'est-à-dire qu'il nous apporta, et la vigne dont
il nous apprit à tirer meilleur parti par la taille, elle nous
démontre, disons-nous, que Protis trouva sous sa main ce végétal
tout porté.
Pline (1) nous apprend, d'autre part, que « les Gaulois séparés
de l'Italie par les Alpes, boulevard alors infranchissable, eurent
pour premier motif d'inonder l'Italie, la vue de figues sèches,
d'huile, de raisins et de vin de choix rapportés par Hélicon^
citoyen heLvétien qui avait séjourné à Rome en qualité d'artisan, n
Selon Plutarque (2) et Tite-Live, ce serait un Toscan nommé
Âruns qui, pour se venger de son pupille Lucumon, devenu le
séducteur de sa femme, aurait apporté du vin aux Gaulois
qui, épris de cette liqueur nouvelle, auraient, sur les pas du
chef étrasque, envahi cette « Œnotrie » qui la produisait,
« Cela, « ajoute Plutarque, » se passait longtemps avant l'exil de
Camille. »
Ce qui ressort de plus clair de ces divers faits, c'est que dès bien
longtemps avant la conquête romaine, le vin était répandu et la
viticulture était en pleine activité, tout au moins dans les provinces
méridionales de la Gaule.
Même dans la Gaule septentrionale, non seulement on buvait du
vin, mais on en buvait avidement, ainsi que cela résulte de ce
passage de Diodore de Sicile (3) : « Il y fait du vent » (dans la
Gaule) (4), «des ouragans. Il faut ajouter à ces inconvénients du
climat l'excès du froid qui altère assez la température de l'air pour
que la terre ne puisse donner ni vin ni huile. Privés de ces deux pro-
ductions, les Gaulois se fabriquent une b.oisson qu'ils tirent de l'orge
et que l'on nomme zuthos (bière) ou font usage d'un mélange de
miel délayé et d'eau (hydromel). Ds sont, néanmoins, très passion-
(1) Pline, loc. cit, t. I, p. 476.
(2) Plutarque, Vie de Camille,
(3) Le commentateur dit que ceci ne s'applique qu'à la Gaule septentrionale
ce qui va de soi, car la contradiction serait trop formelle avec Cicéron (plai-
doyer pour Fonteius), contemporain... pour son malheur de César et d'Au-
guste, ou plutôt d'Octave, comme Diodore. La contradiction ne serait pas moins
tlagrante avecSlrabon, avec les conditions d'existence assignées à la vigne par
Golumelle (voir plus loin, p. 135-136), mais elle le serait plus encore avec le
bon sens. Représenter, non seulement la Narbonnaise, mais l'Aquitaine, mais
le Dauphiné, comme des Sibéries où le raisin ne peut mûrir I Cela ne se discute
pas. C'est d'ailleurs un fait reconnu, que Diodore manque de critique.
(4) Bibliothègue histmnque, t. II, p. 360.
Digitized by
Google
136 mSTOlRE DE LA YIGNE
Dés pour le vin, boivent tout pur et avec excès celui que le com-
merce leur apporte, et se livrent si avidement à cette boisson,
qu'ils s'enivrent et tombent ensuite dans le sommeil, ou dans des
accès de fureur. Plusieurs marchands italiens, qui aiment beau-
coup l'argent, regai'dent le goût des Gaulois pour le vin, comme
une source continuelle de profits, et ils leur en apportent, soit
sur des barques qui montent et descendent les fleuves, soit sur
des charriots qui les conduisent à travers les campagnes, et ils le
vendent un prix si élevé qu'on a de la peine à le croire. Souvent,
pour une tonne de vin, ils reçoivent en payement un enfant
m&Ie, et échangent ainsi une liqueur contre un esclave, qui les
servira à table. »
Non seulement on trouvait en Gaule la vigne et le vin, mais,
la plupart des droits, tant locaux que généraux, qui les grèvent
aujourd'hui, et que beaucoup de gens croient relativement récents,
y étaient déjà en vigueur. Ils sont, donc, plus anciens que l^re
nouvelle.
D'après la plaidoirie de Cicéron (1) pour Fonteius, Titurius
avait exigé quatre deniers d'entrée par amphore pour le vin intro-
duit à Toulouse. Porceus et Numius faisaient payer trois victorias
à Crodune, et Servius en demandait trois à Vulchalon. (Entrée
et octroi.) Dans cette même province, on avait imposé une taxe
à ceux qui transportaient du vin de Cobiamaque (bourg entre
Toulouse et Narbonne) sans passer par Toulouse (droit de circula-
tion) ; enfin Élésiode avait même institué un droit de sortie- de
six deniers, droit fort minime bien que le vin exporté fût destiné à
l'ennemi. (L'ennemi à ce moment, c'était l'Espagne de Sertorius.)
« Tout cela, » dit fort judicieusement le docteur Lavalle (2), « ne
prouve-t-il pas une culture importante, et un commerce très
étendu, et, partant, n'est-il pas en contradiction avec la supposi-
tion d'une introduction datant seulement de quelques années? On
peut donc regarder comme incontestable que la vigne n'a pas été
importée en Gaule par les Romains. »
César dit, en parlant des Gaulois,que « le voisinage àe\BLprovif%ce{'i)
(Gaule Narbonnaise), et l'usage des objets de commerce maritime
leur ont procuré Tabondance et les j ouissances du luxe (4). « Ailleurs ,
il dit, à propos des Nerves(Cambrésis) (5), que, chez eux, tout accès
(i) Cicéron, Bibliothèque latine- française. Pankouke, t. IV, p. 395-396.
(2) Histoire des vignes et des vins de la Côte-d'Or.
(3) Celle expression suffirait à elle seule, s'il enétait besoin,pour légitimer la
festriction formulée par le commentateur deDiodore (V. plushaut, p. 135,note 1).
(4) J. Cœsar, Commentarii de belle GallicOy lib. VI,24.
(5)Id.t6ûi.,Ub. 11,15.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 137
est interdit aux marchands étrangers, et qu'ils proscrivent (m7jt>a//)
rasage du vin et autres douceurs de la vie, « comme propres à
énerver leurs âmes et à amollir leurs courages. » Plus loin enfin,
il fait la même remarque, et presque dans les mêmes termes, rela-
vement aux Suèves (1).
Ce n'étaient là évidemment, pour César, que des singularités et
des exceptions dignes de remarque, puisqu'il prenait la peine de
les noter. Non seulement, à son époque, le vin était donc connu
en Gaule, car on ne proscrit point l'inconnu, et on ne proscrit le
connu qu'après en avoir essayé, mais il était d'usage général, et
vraisemblablement moins cher que Diodore ne veut bien le dire.
Ce vin, lui venait- il exclusivement d'Italie, ou lui était-il loisible
de le tirer de son propre sol? Pour ce qui est de la Province ou
Gaule Narbonnaise, la seconde alternative n'est point douteuse,
car voici ce qu'en dit Strabon : « Leur pays (des Marseillais) produit
des oliviers et des vignes en abondance , mais la rudesse du terroir
fait que le blé y est rare (2). » Cette abondance avait même été
assez grande pour amener des abus, et motiver, dans la république
marseillaise, imeloi qui interdisait, comme danslaRome primitive,
l'usage du vin aux femmes. Comme à Rome, la loi tomba graduel-
lement en désuétude; on commença par fixer à trente ans pour Tun
et l'autre sexe le droit de boire du vin, puis on laissa chacun en user
à son gré (3). « La Narbonnaise entière, » dit ailleurs Strabon,
« donne les mêmes fruits que l'Italie. Cependant, à mesure qu'on
avance vers le Nord et les Cévennes, l'olivier et le figuier disparais-
sent, quoique tout le reste y croisse; la, \\gne réussit moins dans la
partie septentrionale de la Gaule; tout le reste produit beaucoup de
blé, de millet, de glands, et abonde en bétail de toute espèce. Aucun
terrain n'y est en friche, si ce n'est les parties occupées par des
marais ou des bois. Encore, ces lieux mêmes sont-ils habités (4). »
« Il y a des choses, » a écrit Montesquieu, « que tout le monde
dit parce qu'eUes ont été dites une fois (5). » H en est un peu de
même, croyons-nous, de cet autre cliché analogue au cliché phé-
nicien, accepté, comme lui, sans contrôle, et qui veut que la vigne
ne se soit étendue en Gaule qu'après et que par les Romains, et en
remontant vers le Nord en deux directions divergentes, par les
vallées du Rhàne et de la Garonne.
(i) Commentarii de bello Gallico, iib. IV, 2.
(2) Strabon, Géographie, liv. IV, l. Il, p. 11.
(Z) Rozier, Dictionnaire universel (V agriculture y t. X, article Vigne,
(4) Strabon, BéographiCy liv. IV, t. Il, p. 5.
(5) Grandeur et Décadence des Ramains, ch. iv.
Digitized by
Google
138 HISTOIRE DE LA VIGNE
Le passage de Strabon que nous avons rappelé ne prouve
nullement que la viticulture fût bornée à la Narbonnaise. Si elle
réussissait moins bien dans la partie septentrionale de la Gaule,
c'est qu'elle y donnait sans doute, comme aujourd'hui, des
produits moins corsés et moins abondants, mais c'est qu'elle y
réussissait encore dans une certaine mesure ; c'est, en tous cas,
qu'elle y avait été essayée, et, il n'y avait eu aucune raison de
cesser ces essais là où ils avaient réussi. Et puis, que faut-il
entendre par Gaule septentrionale ? Peut-être rien autre chose que
la France septentrionale actuelle, ce qui laisserait dans la zone
viticole, tout au moins l'Aquitaine et le Dauphiné (1).
Columelle (2), qui écrivait moins d'un* demi-siècle après Strabon,
donne la préférence, sur toutes les autres plantes, à la vigne, à
cause de la facilité avec laquelle elle répond aux soins de l'homme,
dans presque toutes les contrées et sous tous les climats du monde,
si on en excepte les climats glacés ouhrulemis elle est surtout
la seule plante, qui réussisse sous diverses températures, soit
sous un pâle froid, soit sous un pôle chaud ou sujet aux
tempêtes. Avec ses moyens les plus perfectionnés, railways,
paquebots, télégraphes, et ses explorateurs intrépides jusqu'à la
mort, la géographie la plus raffinée de nos jours ne trouverait
pas un iôta à retrancher ou à ajouter à cette définition.
On voit que Columelle était loin de regarder la vigne comme
bornée à la région de l'olivier, et, la netteté de ses formules
indique bien qu'il s'agit pour lui non de faits nouveaux ayant
besoin d'être démontrés, mais, de vérités acquises et hors de
toute contestation.
Ailleurs, Columelle parle de cépages spécialement appropriés
aux climats froids « il (le cultivateur) mettra sous un cli-
mat froid ou nébuleux deux espèces de vigne, ou les hâtives
dont les fruits préviendront l'hiver par leur maturité (3), ou
celles, dont le grain sera ferme et dur, parce qu'elles défleuriront
au milieu des brouillards, et que leur fruit mûrira ensuite aux
gelées et aux frimas, comme les autres mûrissent aux chaleurs. »
La Gaule semblait même avoir des variétés propres à son sol et
(1) D'autant que le figuier, caractéristique pour Strabon des régions
chaudes, est loin de disparaître avec l'olivier. Nous l'avons nous-mêmes observé
à Yétat sauvage sur les falaises calcaires et ruiniformes, qui bordent, comme
des murailles, la rive droite de la Dordogne à l'approche de son confluent avec
la Vézère, entre Mauzac et Limeuil.
(2) Columelle, loc. cit., liv. 111, ch. I, p. 223.
(3) On ne parlerait pas autrement aujourd'hui des Morillon s noirs et des
Meuniers d'Argenteuil.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 139
baptisées d'après lui; telles les Allobrog€s{l), qui « donnent un vin
bien inférieur lorsqu'on les change de pays ; « les Bituriques, « qui
supportent très bravement les tempêtes et les pluies, rendent
beaucoup de vin et ne dégénèrent point dans un terrain maigre,
qui souflfrent plutôt le froid que l'eau, et l'eau que la sécheressCy
sans cependant que les chaleurs les incommodent ; » telles les trois
Eelvenaciae (Vivarais), dont les deux plus grandes sont regardées
comme pareilles entre elles, parce que leur vin n'est ni de moindre
qualité ni moins abondant dans l'une que dans l'autre. L'une des
deux que les habitants des Gaules appellent emarcum^ ne rend
qu'un vin médiocre, et l'autre, qu'ils appellent longue ou avare,
donne du gros vin, et non pas aussi abondamment que semble
le promettre le nombre de ses grappes, quand elles commencent à
paraître. La plus petite, qui est en même temps la meilleure de ces
trois vignes, se distingue très bien à sa feuille, plus ronde (2) que
celle des deux autres ; elle a son mérite, tant parce qu'elle sup-
porte très bien la sécheresse ainsi que le froid, pourvu qu'il ne soit
pas accompagné de pluie, que parce que son vin se conserve
jusqu'à la vétusté et principalement parce qu'elle est la seule qui
fasse honneur au terroir, même le plus maigre, par sa fertilité. »
Les Bituricx étaient très productives, à tel point qtie les
Romains avaient cru devoir les introduire chez eux. « Us ne les
connaissaient que depuis peu de temps « (Columelle écrivait vers
l'an 40 de notre ère), » et les avaient incontestablement tirées des
proviriceséloignées(3). ))Enfin,nous avons vu que, suivantle même
auteur, la Gaule partageait avec la Bétique le privilège de fournir
en Italie même, à l'insuffisance des vignobles italiens (4). Comment
la Narbonnaise eût elle sufQ seule à cette exportation, en même
(4) H n'y aurait rien de surprenant à ce que ces vignes Allobrogiques ne
fussent autre chose que la Mondeuse, encore aujourd'hui presque localisée
dans Tancien pays des Allobroges (Ain, Isère, et les deux Savoies).
(2) Nous avons eu déjà occasion d'appeler l'attention du lecteur sur ce
passage à propos de l'origine générale de la vigne.
(3) Reparlant de ces vignes Bituriques au commencement du septième siècle,
Isidore de Séville {Originum, LXVII, chap. v), dit positivement qu'elles tirent
leur nom du pays où on les cultive. Ainsi que nous aurons occasion de le
voir plus loin, Yinet a cru reconnaître ces vignes Bituriques dans le grand
cépage du Bordelais, le Gabernet, en patois Bldure. L'analogie phonétique
est, effectivement, tout à fait frappante. Ajoutons que, dans son savant traité
de la Vigne dans le Bordelais, Petit-Lafitte émet l'opinion que cette variété,
inconnue, ou tout au moins inusitée, dans la région méditerranéenne, est ori-
ginaire de la Gironde, aussi bien que le Verdot, cépage des « Palus » qui
« n'a jamais été signalé sous un nom quelconque dans aucune autre contrée
vinicole de la France ni de l'étranger (p. 147-161). »
(4) Columelle, loc. cU,, liv. 1, préface, p. 172.
Digitized by VjOOQIC
140 HISTOIRE DE LA \1GNE
temps qu'à alimenter le reste de la Gaule, surtout s'il est vrai,
comme Pline, contemporain de Columelle(l), nous l'assure, que le
vin de Béziers n'était point apprécié [atictoritas) au delà des Graules?
Avec les vignes Helvénaques, les Gaulois faisaient des provins
qu'ils appelaient condosocci, qu'ils redressaient contre un roseau,
et qu'ils coupaient après la récolte. C'était là une pratique toute
locale, que Columelle blâme (2), estimant qu'il vaut mieux,
comme en Italie, conserver le provin comme marcotte. Dans un
autre passage (3), Columelle nous dit qu'il y a en usage dans la
Gaule une espèce de plant d'arbres mariés aux vignes, qu'on
appelle rampotimum et qu'il croit être Vopulus ('sorte d'érablej. Ce
mode de culture est encore en usage dans le Dauphiné, en Savoie
et du côté de Luchon et de Saint-Gaudens, mais, c« n'était point
celui de la Narbonnaise proprement dite, où en raison du vent,
encore aujourd'hui propriétaire despotique de cette région, les
vignes « empêchées de croître au delà des premiers bourgeons,
et toujours semblables aux plantes que l'on travaille avec le
boyau, rampaient sur le sol comme des herbes et pompaient par
leurs grappes le suc de la terre f4). » Là, non plus, il n'y a rien
de changé.
On 'se fatiguerait, et on fatiguerait inutilement le lecteur à
reproduire tous les passages de Pline relatifs aux vignes et aux
vins de Gaule. Ne citons donc que les plus saillants.
Les Romains, avons-nous vu, tenaient en grande estime le vin
de Vienne (Isère), jusqu'à le payer à prix d'or. Cela tenait à une
saveur de poix qui plaisait à leurs palais blasés, et qu'il avait
naturellement. Martial, le Brillât- Savarin de la poésie, consacre
un distique au vin poissé, « produit des fameuses vignes de
Vienne. »
« Ces territoires des Arvernes, des Séquanes et des Helves s'en
(de la vigne qui le produit) sont enrichis récemment elle n'était
pas connue au temps de Virgile, mort il y a 90 ans (19 ans avant
notre ère). » Inconnue en Italie, bien entendu, mais non en Gaule,
non à Vienne tout au moins, où elle parait avoir été indigène, à
Vienne déjà passablement lointaine de la Narbonnaise et des
oliviers.
Pline (5) confirme aussi ce que dit Columelle des vignes Allobro-
giques qui « aiment les lieux froids^ mûrissent par la gelée et
(i) Pline, loc. cit., liv. XIV, p. 590.
(2) Columelle, loc. cit., li?. V, p. 291.
(3) Id., i6td., p. 298.
(4) Pline, loc. cit., liv. XIV, 3, p. 522.
(5) Id., ibid.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 141
ont les fruits noirs. Célèbres dans leur patrie^ ailleurs, elles ne
sont pas reconnaissables. »
Nos cépages paraissent avoir été appréciés en Italie, où on les
introduisait en échange des cépages italiens, qu'on nous envoyait,
a En Italie, on aime la vigne des Gaules; celles de Picenum au
delà des Alpes. »
La Narbonnaise était une des régions où Ton faisait « de Yai-
gleucos naturel », c'est-à-dire du vin cuit au soleil, comme le
Hontbazillac. C'étaient les vignes Helvénaques qui donnaient ce
produit, mais à Alps même, capitale des Helviens(i4/ôa Belviu-
rum)j on avait trouvé au temps de Pline « une vigne dont
la floraison passe en un jour, ce qui la met grandement à l'abri
des accidents. On la nomme Narbonnique ; Hu]ourd'hm toute la
Province enfait des plants (1). »
Indépendamment des vins de Béziers, qui se consommaient en
Gaule, Pline cite dans la « province » les vins de Mai'seille : « il
y en avait deux, « l'un plus épais, et, comme on dit, succulent,
servant à préparer les autres (vin de coupage).... Quant aux autres
que produit le Narbonnais, on ne peut rien en dire. Les vignerons
de ce pays ont établi des fabriques de cette denrée, et ils fument
leurs vins. Et plût à Dieu qu'ils n'y introduisissent pas des
herbes et des ingrédients malfaisants! N'achètent-ils pas de
l'aloés, avec lequel ils en altèrent le goût et la couleur ? »
La fumigation des vins avait pour objet de les vieillir artifi-
ciellement. Cet usage est, croyons-nous,abandonné. On les chauffe
seulement, suivant le procédé Pasteur, pour les débarrasser des
a microbes ». L'aloès aussi, croyons-nous, est passé de mode.
Quant aux autres ingrédients.... ?? Nil sub sole novum (2).
n y avait donc des vignes indigènes en Gaule, soit par suite de
semis, soit, pour parler comme le traducteur de Diodore de Sicile,
« portant icelles vignes la terre de son propre naturel. » Il y en
avait en Yivarais et en Dauphiné au moment de la conquête
romaine : y en avait-il plus haut, dans le Bordelais, dans l'Age-
nois et en Bourgogne, par exemple ? Ce point est resté obscur, car,
le silence des auteurs après Pline prouve, non pas qu'il n'y
avait plus de vignes, mais qu'il n'y avait plus de naturalistes, voilà
tout. L'Empire, selon sa nature, avait tout éteint.
(i) Pline, loc, ciL, liv. XIV, 5, p. 526.
(2) L'habileté des {^ens de Cette pour les contrefaçons de tous les vins, est
passée en proverbe. Il y a une vingtaine d'années, au moins, que Madère a
substitué à ses vignes des cannes à sucre, ce qui n'empêche pas qu*il se boive
toi^ours autant de Madère, de Madère venant de Madère ; seulement, il y a été
envoyé de Cette.
Digitized by
Google
142 HISTOIRE DE LA VIGNE
A défaut de témoignages écrits, le docteur Lavalle (1), deman-
dant ses informations à la nature elle-même, s'exprime ainsi :
« Jamais la vigne qui prospère dans nos climats n'a été cultivée
en grand ni en Provence ni en Asie Mineure. Jamais, dans les
zones du figuier et de Tolivier , les plants particuliers de la Côte-d'Or
n'ont pu donner de résultats industriels de quelque importance. Les
auteurs de tous les temps constatent tous que nos plants trans-
plantés à Marseille ou en Italie végètent avec peine, et ne donnent
aucun produit. Comment admettre que ces plants nous auraient
été fournis par des contrées où les circonstances climatériques
s'opposent à leur complet développement ?
« Si la vigne a été importée dans nos contrées, on est
forcé d'admettre que les variétés particulières qui y ont été culti-
vées dans tous les temps n'ont pas été directement cultivées par les
peuples delà Gaule Narbonnaise, chez qui elles ont été inconnues,
et que, partant, elles sont le résultat de semis particuliers faits
dans le pays.
« Avant la conquête, tous les peuples qui habitaient ces
contrées connaissaient l'usage du vin, et certaines parties de ce
pays, notamment la Franche-Comté, et très probablement les
points actuellement occupés par nos vignobles, possédaient des
variétés spéciales, qui paraissent très^analogues, sinon identiques,
à celles qui existent aujourd'hui. »
Se non è vero avouons que de tels arguments sont fort
plausibles. Pline, lorsqu'il parle de l'introduction des yignes
Viennoises chez les Arvernes et les Séquanes, ne dit nullement
qu'ils ne possédassent point, avant, d'autres variétés. Ajoutons
qu'on trouve dans le Limousin, et notamment à Confolens, enclave
limousine de la Charente, un plant dit Bretonneau, indiqué dans
l'Ampélographie du docteur Guyot comme n'existant que là et qui,
des 10 ou 12 cépages cultivés dans la région est celui qui offre
la plus parfaite ressemblance avec la vigne sauvage du pays (2).
Comment ce plant nous serait-il venu de la Narbonnaise où il n'a
jamais été signalé (3) ? Directement transplantés dans lés régions
plus septentrionales, les Aramons (4), les Carignanes, les Gre-
(i) Histoire des vigms et des vins de la Côle-d'Or, •
(2) C'est aussi, avec la Folle, celui qui y résiste le mieux aux divers accidents
météoriques, et, dont la fertilité y est plus constante.
(3) Môme remarque en ce qui concerne le Verdot, cépage inconnu hors du
Bordelais et, dans le Bordelais même, hors des « Palus ». (Voir plus haut,
p. 140.
(4) Les Aramons ne mûrissent même pas à Agen. {Bull, de la Commission
supérieure du phylloxéra, année 1881, p. 187.)
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON ^HISTOIRE 143
naches, etc. qui forment le fonds de la viticulture provençale, n'y
donneraient, d'ailleurs, que du verjus.
Les cépages septentrionaux de la France ne lui sont donc pas
venus de la France méridionale, où ils n'existent pas. Us no
paraissent pas lui être venus davantage de lltalie, dont le climat
est absolument analogue à celui de la Narbonnaise. Si on ne veut
admettre qu'ils soient nés sur place, il faut avouer qu'il y a là pour
la critique historique, ou plutôt pour l'ampélographie, qui seule
peut donner le dernier mot de la question, une grande inconnue
à dégager (1).
Quoi qu'il en soit, l'an 71 ou 72 de notre ère, époque justement
où écrivait Pline (2), le vin était assez abondant, nous ne disons
pas seulement en Gaule, mais au nord de la Belgique, pour que
les Bataves révoltés sous les ordres de Civilis, et assiégeant les
légions romaines devant Vetera (aujourd'hui Xanten), pussent
s'exciter par de larges libations de cette liqueur à l'assaut des
retranchements (3).
Un autre passage de Tacite nous prouve que, ce vin, les Ger-
mains le tiraient des provinces limitrophes de la Gaule, ce qui,
s'il ne prouve pas absolument, permet du moins de supposer
qu'elle en produisait. Ce passage est ainsi conçu :
« Leur (des Germains) boisson est une liqueur faite d'orge ou
de blé fermenté, qui leur fait une espèce de vin. Les plus voisins
de la firontière achètent du vin. Que si, là-dessus, vous leur
fournissiez tout ce qu'ils demandent, la soif les détruira plus faci-
lement que la guerre » (4).
Tacite écrivait ce passage en 98, sous le consulat de Cocceius
Néron, Aug. pour la quatrième fois, et de Ulpius Trajan, César pour
(1) Julien {loc, cit., p. 29) dit que « les anciennes chroniques nous appren-
nent que la vigne était connue dans TAuxerrois, quand les Romains pénétrè-
rent dans les Gaules. » S'il en était ainsi, le débat se trouverait tout tranché.
Malheureusement, Julien néglige de citer la chronique qu'il invoque, et dont
Tautorité, dès lors, ne peut être contrôlée. Romuald Dejernon dit aussi (loc,
cit. y p. 87) que « des Chartres authentiques établissent qu'en 680, la vigne
était cultivée à Auxerre, et les meilleurs vins déjà en renom depuis plusieurs
siècles. » Mais, quelle chartre et depuis combien de siècles, tkat's the question.
Notons enfin ce très curieux passage de Pline (liv. XVII, 4) ; « Les Éduens et les
Pictons ont rendu leurs champs très fertiles avec la chaux, qui, en fait, se
trouve très utile aux oliviers et aux vignes. » Assurément, il n*y a jamais eu
d'oliviers ni à Poitiers ni à Alesia, mais s'il n'y avait point de vignes, pour-
quoi cette association d'idées chez le grand naturaliste romain, enlre les noms
de ces deux régions et les bons effets de la chaux sur la culture du précieux
arbuste ?
(2) La révolte de Civilis dura de 70 à 72. — Pline écrivait en 71 .
(3) Tacite, Histoires, liv. FV, p. 29.
(4) Tacite, La Germanie, 23.
Digitized by
Google
144 HISTOIRE DE LA VIGNE
la deuxième fois (1), c'est-à-dire deux ans après la mort de Demi-
tien, et six ans après Tédit de ce despote, qui prescrivait l'arra-
chage de la moitié des vignes dans toutes les provinces, et inter-
disait d'en planter de nouvelles en Italie. Ces lignes sembleraient
donner raison à Suétone lorsqu'il dit que Tédit n'eut point de
suite, puisque, six ans après, la Gaule Sequano-Rhénane avait
encore du vin non seulement pour elle, mais pour les Germains.
Tout au moins n'eut-il pas les suites rigoureuses, absolues, que
certains de nos auteurs modernes se sont complu à lui prêter.
Ce qui paraît plus probable et mieux établi, c'est que, se plaçant
au point de vue exclusif et mesquinement entendu de Imtérét
italiote, Tadministration romaine n'encouragea point, dans les pre-
miers siècles, en Gaule, la propagation de la vigne. Il fallut un
empereur né au delà des Alpes, comme Probus, qui était Pan-
nonien, et dès lors étranger aux étroits préjugés quiritaires,
pour rétablir à cet égard le droit commun, non seulement entre
toutes les provinces, mais entre tous les citoyens, car, dans l'inter-
valle, l'administration romaine semble surtout avoir fait de la
culture de la vigne le privilège de ses protégés.
« Ainsi comme Annibal avait autrefois peuplé toute l'Afrique
d'oliviers, de peur que ses soldats oisifs ne se portassent à des
séditions, de même Probus employa les siens à planter des vignes
sur les collines des Gaules, de la Pannonie, de la Mésie, particu-
lièrement sur le mont Aima, près de Sirmium, et sur le mont d'Or
dans la haute Mésie, et il donna ensuite ces vignes à ceux du
pays pour les cultiver. Il permit généralement aux Gaulois, aux
Pannoniens, aux Bretons et aux Espagnols d'avoir des vignes
autant qu'ils voudraient, au lieu que, depuis Domitien, la per-
mission nen était pas donnée à tout le monde (2). « Vospiscus (3)
s'exprime à peu près dans les mêmes termes.
JjWk vig^ne en Angrleterre. — En ce qui concerne les Bretons,
la permission, au premier abord, paraîtra bien superflue. Et, pour-
tant, l'histoire atteste qu'elle fut utilisée. « Au dire de Joseph Strutt,
auteur d'un ouvrage sur lesmœurs et usages des anciens Bre tons ^ ona,
en effet, » trouvé en Angleterre des pressoirs et autres vestiges d'in-
struments de vinification datant de l'époque romaine (4). » Quel-
ques auteurs ont même cru pouvoir faire remonter cette introduc-
(1) Tacite. Paris, Garnier, p. 337.
(2) Histoire des Empereurs par le D* D. T. justifiée par les extraits des auteurs
originaux, chez Charles Robertet. — Paris, 1691, t. III, p. 576.
(3) FI. Vopiscus, Vie de Probus, Bibliothèque latine française, t. II, p. 408.
(4) G. Foëx, lac. cit.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'BISTOIRE 145
lion bien au delà, vers les premiers temps de la conquête,
vers l'an iO de notre ère, époque où « les Romains, déjà
possesseurs d'une grande partie de la Grande-Bretagne, y ac-
climataient les habitudes de luxe de l'Italie » (1). Cette cul-
iore ne disparut même point avec la domination latine, car,
on la trouve mentionnée dans les ouvrages de Bède, qui écri-
vait en 731, et, plus tard, dans le grand cadastre qui fut
dressé après la conquête normande [Doomsday Book). Les Nor-
mands appelèrent même l'île d'Ely, île des vignes, parce que,
peu après leur occupation, Tévêque d'Ely reçut, à titre de dîme,
du vin récolté dans son diocèse (2). D'après la chronique de
William de Malmesbury, la viticulture était très répandue en
Angleterre au douzième siècle, et la vallée de Gloustershire était
celle qui produisait les meilleurs vins, les meilleurs vins de l'An-
gleterre, bien entendu. Aujourd'hui même, il en resterait encore
des traces à Tortworth. Au siècle suivant, sous Henri III, paraît
en Angleterre un ouvrage spécial sur la vigne (3). Il y avait dans
le parc de Windsor une vigne qui a existé jusqu'à Richard U, qui
en payait la dîme à l'abbé de Waltham, et il est avéré que le pre-
mier comte de Salisbury planta à Hattield une vigne qui y exis-
tait encore au moment où Charles P' y fut fait prisonnier (4). On
a conservé le souvenir de l'existence de vignes dans diverses
parties du Surrey (5), et l'une d'elles, qui a également laissé des
traces, florissait jadis à Burg-Saint-Edmunds. En somme, la cul-
ture de la vigne s'établit dans toute l'Angleterre, et Stow rapporte
qu'en 1377 le vin indigène était servi sur la table du roi, et même
vendu. Ce fait a lieu de surprendre devant la déclaration de
Froissart, qui nous dit qu'en 1372, 200 voiles anglaises arrivèrent
à Bordeaux, et repartirent chargées des vins de Guyenne, et
devant les révélations d'un livre de comptes retrouvé par Ben-
tham, et mentionnant l'envoi, sous Edouard II, de 899 tonnes de
vin de France en Irlande ; mais, ce qui est incontestable, c'est
qu'avant Henri VIII, chaque abbaye, chaque monastère avait sa
vigne, exposée au midi sur des terrains légers et sablonneux, et
que ces corporations recevaient aussi des quantités considérables
de raisins en redevance (6). La suppression des fiefs monastiques
semble avoir du même coup, sinon anéanti, tout au moins sensi-
(1) Archibald F. Barron, Vines and vine culture» London, 1883.
(2) Id., ibid.
(3) Id., Und,
(4) Id., ibid.
(5) Id., ibid.
(6) Romaald Dejernon, toc, citf p. 53, 54.
TRAITÉ DK LA VIGNB. — I 10
Digitized by
Google
146 HISTOIRE DE LA VIGNE
blement amoindri la viticulture anglaise. Les mémoires du temps
nous disent, en effet, que Gridell, évêque de Londres, envoyait
chaque année de Fulham à la reine Elisabeth des raisins dont
elle était très friande ; d'où on peut conclure qu'ils étaient
devenus une sorte d'objet de luxe. Ces raisins devaient être cul-
tivés en plein air, car on ne se servit guère de serres chaudes en
Angleterre qu'après le commencement du siècle dernier, c'est-à-
dire quand on eut substitué dans les constructions le verre aux
lames de mica, ou «verre de Moscovie »(1), qu'on y avait employées
jusque-là. Speechly parle d'une treille qui poussait en plein air à
Northallerton (Yorkshire), en 1789, et couvrait 132 yards carrés
(120 m., q.). On lui attribuait une existence de 150 ans.
Pendant le dernier siècle,- la culture du raisin semble être
devenue assez générale en Angleterre, et il en reste encore à
l'état de vie quelques spécimens des plus remarquables, tels que
cette treille de « Black Hamburg » (Frankenthal), de Valentine's
Ilford (Essex), dont Gilpin dit dans sa Forest Scenery qu'elle a
été plantée en 1758. Il est établi que c'est le cep le plus vieux de
l'Angleterre, et qu'elle est mère du cep encore plus célèbre de
Hampton Court, qui a été planté en 1769, et couvre actuellement
220 yards carrés {deux hectares) (2). Cet exemple n'est point
isolé, et parmi les treilles plus modernes, il en est qui ne le cèdent
en rien à leurs aînées. A Cumberland Lodge (Windsor), il en
existe une qui produit annuellement 2000 livres de raisin : une
autre à Sillwood Park est également fort renommée,
r Les Anglais ont acquis une grande perfection dans la culture
des raisins en serres et sous châssis (ground viiienes)^ ils en ont
en toutes saisons, plus beaux, souvent, qu'on ne les récolte dans
les régions les plus favorisées de la nature, et c'est ainsi que
Meredith a pu faire primer à Rome des échantillons cultivés à
Liverpool. Ils ont enrichi l'ampélographie d'un grand nombre de
<i seedlifigs )> estimés, dus à des hybridations méthodiques, et c'est
encore chez eux que nos praticiens vont apprendre les secrets de
ces cultures «forcées», dont les admirables spécimens ont valu la
décoration à l'horticulteur Margotin, leur élève, à la suite de
TExposition de mai 1883. Lord Bute, le descendant de ce fameux
favori de George III, dont les procédés autoritaires faillirent
(1) Cette substance est encore employée en guise de verre à vitres par les
paysans russes. — Delafosse, Cours de Minéralogie.
(2) Les détails relatifs à la viticulture anglaise sont à peu près textuelle-
ment empruntés à Archibald Barron. Voir p. 189 de son ouvrage la planche
représentant la treille, en serre, de Hamplon Court.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 147
mellre,ily aqucique 120 ans,!' Angle terre en combustion, a même,-
à Caslle-Coch-Cardiff, un véritable vignoble sous verre {a vine-
yard of a somewhat extensive scale). La proximité et le bon mar-
ché de la houille peuvent seuls expliquer de tels tours de force.
En tous cas, ce n'est pas à ce peuple qu'on pourra reprocher,
comme à nous, de ne pas apprécier le prix de la vigne.
La Tig^ne en France. — Si nous revenons chez nous, nous
entendons, pour la première fois, au quatrième siècle, parler par
le poète Ausoae, des vins du Bordelais et de ceux de la Moselle.
Il est probable que ces vins n'avaient point surgi tout à coup du
sol. Mais, remontaient-ils à la grande impulsion viticole que
Probus avait, depuis un peu moins d'un siècle, donnée à la Gaule?
Elaient-ils antérieurs? C'est ce qu'on ne saurait actuellement
affirmer, mais c'est ce que, pour les derniers tout au moins, le pas-
sage susmentionné de Tacite sur les Germains ne laisse pas que
de rendre vraisemblable (1).
C'est à la. même époque, à peu près, que l'empereur Julien, par-
lant de « sa chère Lutèce », nous apprend que ses habitants ont
« de bonnes vignes et des figuiers même, depuis qu'on prend soin
de les revêtir de paille et de ce qui peut garantir les arbres des
injures de l'air. »
Pas plus que l'Italie, la Gaule ne fut sauvée par la fameuse loi
ad Barbaricunij qui interdisait d'envoyer du vin ou de l'huile aux
barbares, même pour en goûter, et qui ne fit qu'appliquer à leurs
appétits Taiguillon du fruit défendu.
Une fois en possession des terres qu'ils convoitaient, les bar-
bares s'y comportèrent à l'égard de la vigne d'une façon plus
intelligente, que ne l'avaient fait et que ne devaient le faire
encore certains « maîtres du monde ». Loin de la détruire, ils ne
négligèrent rien pour la protéger et la propager. La loi Salique
et celles des Visigoths frappaient d'amendes sévères ceux qui-
arracheraient un cep ou voleraient un raisin. Cette protec-
tion, cette sollicitude ne tardèrent pas à faire regarder la vigne
comme un objet sacré. Aussi, pour avoir taxé chaque pos-
sesseur de vignes à lui fournir annuellement une amphore
(1) G. Foëx (loc. dt.) fait remonter les plantations de ces derniers vignobles
à la première période de la conquête, mais sans indiquer sur quel témoi-
gnage. Le même écrivain nous apprend qu'on a découvert, il y a quelques
années, à TErrailage, une cave souterraine, avec quatre amphores contenant de
la lie desséchée. Cette découverte permet de supposer que la vigne y était
déjà cultivée, bien que les auteurs latins n'en fassent aucune mention, et que
son introduction sur ce point soit censée dater du treizième siècle, et ait dû être
précédée d'un défrichement comme dans un sol vierge. Peut-être quelque décou-
verte du même genre viendra-t-elle aussi, sur ce point, éclairer nos conjectures.
Digitized by
Google
148 HISTOIRE DE LA VIGNE
de viu pour sa table, Chilpéric encourui-il à la fois une
révolte en Limousin où Tofficier chargé de la perception de « ce
tribut odieux » fut tué, et les malédictions de Thistoire (1). « Et
c'est une remarque dont les buveurs surtout doivent triompher, »
s*écrie Grégoire de Tours, « que les deux princes, Chilpéric et
Domitien, qui proscrivirent les vignes en Gaule aient été deux
des plus abominables tyrans qui aient affligé le monde. »
Malgré tout, cette période fut par excellence, on peut le dire,
celle de la diffusion de là vigne. Non seulement elle s'étendit
sur la plupart de ses emplacements actuels, mais elle en occupa
beaucoup d'autres qui, aujourd'hui, lui paraissent absolument
réfractaires, tels que la Picardie, la Normandie, la Bretagne.
« On est tellement convaincu maintenant de l'impossibilité d'ob-
tenir du vin passable dans ces territoires, que beaucoup de per-
sonnes doutent qu'elle y ait été cultivée en grand. Mais les
témoignages de l'histoire ne sont point équivoques sur ce point,
ils sont même assez multiples. Les environs de Rennes, de Dol,
de Dinan, de Montfort et de Savigné ont eu leurs vignobles. L'his-
torien D. Morice en fait mention, et dit qu'ils sont plus propres
à fournir du bois, du gland et du charbon que du vin (2). »
Témoin ce mot de François I", qui rappelle assez bien celui
de Cinéas, à unBreton nommé Dulattai qui lui disait qu' « il y avait
en Bretagne trois choses qui n'avaient pas leur équivalent dans
le reste de la France : les chiens, le vin et les hommes. » — « Pour
les hommes et les chiens, » repntle châtelain deChambord, « il en
est peut-être quelque chose, mais, pour les vins, je ne puis en
convenir, étant les plus verts et les plus âpres de mon royaume (3). »
Dix siècles avant, en 587, les Bas-Bretons en guerre contre
Nantes et contre Rennes, s'en emparent à l'automne et vendan-
gent les vignobles de ces contrées (4).
11 est de tradition en Normandie et en Picardie que les vignes
y ont été arrachées au quatorzième siècle par les Anglais, dans
le but de supprimer une concurrence pourtant peu dangereuse,
ce nous semble, à leur fief de Guienne (5). La vérité est que la
(1) Rozier, loc, cit., Chilpéric établit en outre sur la vigne une taxe en ar-
gent évaluée au dixième de la récolte moyenne, gw'i/ y eût ou non récolte.
Clause ni plus barbare ni plus révoltante que celle qui fait payer de nos jours
les droits de mutation sur un héritage parfois négatif, sans tenir compte des
dettes.
(2) Rozier, loc, cit,
(3) Id., ibid.
(4) Romuald Dejernon, loc, cit. y p. 59.
(5) Id., ibid,, p. 59.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE iVJ
(race de la vigne se retrouve dans ces provinces bien longtemps
après comme bien longtemps avant leur domination, avant même
la domination normande. Ainsi, le chroniqueur deFontenelle (1)
nous dépeint son monastère comme entouré de tous côtés, sauf à
l'est, de coteaux « Bacchi fertilissimis »> et plantés par un reclus au
septième siècle (2). Il mentionne aussi des vignes à Givemi sur la
Seine, dans le Vexin (3). Le biographe de saint Philibert célèbre
avec un lyrisme digne des Géorgiques les grappes turgescentes
qui donnent le « Falerne » rutilant de Jumièges (4). Les vigno-
bles du monastère de Saint-Leufroi ne paraissent pas moins
admirables aux contemporains (5). Grégoire de Tours, enfin,
rapporte que Tévèque de Lisieux donna un petit vignoble de
son diocèse à un clerc originaire du Mans (6).
Voilà pour la période pré-normande, qu'on pourrait dire neus-
trienne. Jusque-là, partie intégrante de la monarchie française,
la Neustrie avait pu librement en recevoir les produits et se
poun'oir de vins soit dans llle-de-France voisine, soit en Guienne,
par la voie du cabotage. Séparée, avec RoUon, à partir de 912,
elle avait un intérêt évident à ne point abandonner au caprice
d un voisin souvent hostile ses approvisionnements en une den-
rée qui lui était chère, d'autant plus que le cidre ne paraît guère y
avoir été connu que vers la fin du douzième siècle (7), et y être de-
venu boisson populaire que vers le commencement du seizième (8).
Par suite, ce qui n'avait été peut-être qu'une exception tendit
à devenir une règle, et la culture de la vigne s'étendit rapide-
ment, principalement sur les rives de la Seine, de TEpte, de
l'Eure, de l'Iton, de la Risle, de la Dive, de l'Andelle, de l'Orne,
de la Sée.
(\) Chron, Fontan., c. i, n. 6, dans SpiciL, éd. de 1687, t. TU, p. 190 : aussi
dans Léopold Delisle, Conditions de la classe agricole en Normandie au moyen
(k;e, p. 418.
(2) Vîtes vineœ quas ipse etiam plantavUy et, dnm ibi philosopharety excoluU.
C. IV, p. 200.
(3)/6id.,C. X, p. 211.
(4^ Uinc vinearum abondant butriones, qui in turgentibus gemmis luccntes
rutilant inFalemis. (Vita Filiberti dans Acta Sanctorum mensis, Augusti^i. IV,
p. 76.)
(5) Neustria pia, p. 348.
(6) HistoiHa Francorum, édit. de la Soc. de I^Hist, de France, t. II, p. 476.
(7) Léopold Delisle, loc, cit,, p. 472. Un poème de Baudri de Bourgueil
indique la bière comme boisson de cette époque à Lisieux :
Si vcro quœras quo gaudeat incola polu,
Potu plus gaudet quem cocta propinat avena.
Collection Dochesne, vol. XLIX.
(8) TraUé du vin et du sidre, Caen, 1529, in-8« f., 36 r.
Digitized by
Google
150 HISTOIRE DE LA VIGNE
Les dixième, onzième et douzième siècles peuvent être consi-
dérés comme Tapogée de la viticulture en Normandie.
Les environs de Vernon portaient alors le nom de Longue-
ville, et semblent n'avoir été qu'un grand vignoble, si on en juge
par rénorme quantité de contrats, d'échanges, de donations rele-
vés à l'égard de celte contrée dans les cartulaires du temps (1).
C'est Richard qui, à la fin du dixième siècle, donne à l'abbaye
de Fécamp 12 arpents de vignes à Longueville (2) ; Rozier dit
qu'il lui donna le bourg d'Argentan, qui avait la réputation de pro-
duire de très bons vins (3). Peut-être ces deux donations font-elles
double emploi. Osmond de Longueville, surnommé la Bête, donne
3 arpents du vignoble de Longueville aux moines de la Trinité
de Rouen (4) qui, en 1030, en reçoivent encore de Goscelin 10
nouveaux arpents. Au onzième siècle, sous Guillaume le Conqué-
rant, l'abbaye de Montivillers en achète 5 (5). Au douzième siècle,
les comtes d'Évreux « possédaient à Longueville des revenus
considérables de vin, dont ils aumônèrent plusieurs muids aux
moines de Saint-Évroul et aux Bons-Hommes de Gaillon (6) . »
En 1131, Mathieu de Vernon est condamné à payer à l'échiquier
d'Angleterre cent muids de vin pour contravention dans un duel
judiciaire (7). Ces vins, d'ailleurs, comme le prouve ce dernier
fait, ne se consommaient point uniquement sur place. Non
seulement les moines de Fécamp, mais ceux de Vaux-Cernay, de
Montebourg, près Valognes, et jusqu'à ceux de Sainte-Geneviève
de Paris, figuraient parmi les propriétaires de ce « cru ». Ceux
de Montebourg faisaient apporter par eau leur récolte jusqu'à
Quénéville d'où leurs tenanciers la charriaient à l'abbaye (8). Le
roi, lui-même, une fois la Normandie reconquise, ne dédaignait
point les vins de Longueville.
En 1227, on y recueille pour lui 16 muids 11 setiers, mesure
de Paris (9), et, en 1301, Philippe le Bel rachète pour 100 livres
tournois la sergenterie de la bouteillerie de Vernon (10).
Nous ne parlerons que pour mémoire des vallées de l'Itou et de
l'Eure, méridionales, en somme, par rapport à la Seine nor-
(1) Léopold Delisle, loc. ciL, p. 421-425.
(2) Neustria pia^ p. 217.
(3) Rozier, loc. cit.
(4) Chartul. S. Trin. Rot., n. XIII, p. 429.
(5^ Gallia ChHsL, t. XI, inslr. c. 329.
(6) Léopold Delisle, loc. cit., Chartul. S. Êhrulfi, t. I, § LXXXIT, r.
(7)P.;p.314, 1, p.4.
(8) Terrier primitif de Montebourg, f. XIV, V.
(9) Archives ncU.,i, 1035, n. 25.
(10) Trésor des chartes, Vernon, n. 33, 216.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 151
naande, et même en partie par rapport à la Seine parisienne, d'où
la vigne n'a pas encore complètement disparu, et où, dès lors, sa
présence ne saurait surprendre (1). Mais, peut-être, sera-t-on plus
étonné d'apprendre que Rouen, que Bouteille près Dieppe, que
Pierrecourt sous Foucarmont, (2) que Neuchâtel, Forges, etc., le
pays de Caux, en un mot, ont eu leurs vignobles.
En ce qui concerne Rouen, les documents abondent. Dans la
seconde moitié du dixième siècle, Richard II donne aux religieux
de Saint-Ouen, une manse avec un pré et une vigne au-dessus
de son vivier de Sahurs, localité voisine de Rouen (canton do
Grand-Couronne) (3). Vers 1020, Adèle gratifie ces mêmes moines
delà vigne de Saint-Vivien, dont Léopold Delisle croit reconnaître
l'emplacement dans un faubourg même de cette ville (4). Vers le
même temps, Goscelin donne à Saint-Amand une vigne près
Rouen {juœta Rothoniagnm) appelée Pocéron (5), et Ansfroi, fils
d'Osbern, vicomte d'Eu, promet aux moines de Sainte-Calherine
une vigne dans le faubourg de Rouen, pour en jouir après son
décès (6). Au douzième siècle, nous voyons reparaître la vigne de
Sahurs, dont Galeran, comte de Meulan, son propriétaire d'alors,
concède la dîme aux lépreux de Saint-Gilles de Pont-Audemer (7)
ainsi que celle de son clos de la Croix.
En H 95, Johannes de Sancto Leodegario rend compte de
XI solidis de vin de sa vigne de Saint-Saens, près Neuchâtel (8).
En 1276, le vicomte de Gisors « aumône » aux religieuses du
Trésor une vigne située à Forges.
Trois siècles plus tard, la vigne n'avait point encore disparu de
cette contrée. « Parles détails de la journée dite V Erreur d'Aumaley
« on voit qu'Henri IV y perdit 200 arquebusiers à cheval qui furent
faits prisonniers parce que les échalas des vignes de la plaine
d'en bas, voisine de Neuchâtel, les avaient retardés dans leur
retraite (9). »
C'est en 1152 que, par suite du mariage d'Éléonore d'Aquitaine
H) Il y avait dans l'Eure, arpents de vignes : En 1788, 1973 ; en 1816, 1800 ;
en 1819, 1107; en 1852,1136; en 1860, 713; en 1870, 554 ; en 1880, 480. Voir
Julien, loc. cit., p. 530. — D' Guyol, loc, cit., p. 536. — Extrait du Bulletin de
statistique, 1881-82, p. 14.
(2) Rozier, bc. cil.
(3) Pommerayo, Hist, de Vabbaye de Saint-Ouen, p. 405.
(4) Léop. Delisle, loc. cit., p. 429, Orig. Arch. de la Seine-lnf., Saint-Ouen.
(5) Ten^am vinee nostre que vocalur Poceron, juxta Rothomagum. (Chartul. de
St'Amand, n. 14.)
(6) Chartul. S. Trin. Roth., n. XLIX, p. 447.
(7) De vineameade Sahus, etdeclausomeodr Cruce. (Cartul. deSt-Gilles, f. 52, r.)
(8) Léop. Delisle, loc. cit., p. 431, Roth. scacc, t. I, p. 132.
(9) Rozier, loc. cit.
Digitized by
Google
152 HISTOIRE DE LA VIGNE
avec Henri II Plantagenet, non seulement la Guienne, mais
TAgénois, la Touraine, le Poitou, FAnjou, etc., c'est-à-dire les
pays les plus vignobles de France, se trouvèrent réunis avec la
Normandie dans une même main Cette union cessa 48 ans plus
tard en 1204, lors de la « recouvrance » de la Normandie par
Philippe Auguste. Les facilités nouvelles données aux approvi-
sionnements auraient pu suffire à elles seules pour déterminer la
disparition des vignes normandes. Or, les contrats qui les concer-
nèrent ne sont guère moins nombreux, au treizième siècle sur-
tout, qu'aux onzième et douzième. Leur suppression par voie
d'autorité par les Anglais peut donc être regardée comme une
véritable fable.
La région de Gaen, de Lisieux et de Pont-Audemer, non seule-
ment a eu, elle aussi, ses vignes, mais elle les a conservées en
partie au moins, jusqu'à nos jours.
Les religieuses de Saint-Désir de Lisieux reçoivent de Guil-
laume le Bâtard un clos de vignes à Lisieux (1). En 1402, un
cartulaire de l'évêché de Lisieux (f . IX"X r. c. I) constate le droit
acquis à l'évêque de prendre, dans la forêt de Touque, des bois
pour échalasser ses vignes du manoir épiscopal de Touque. Don par
Guillaume le Conquérant à Saint-Étienne de Gaen d'une vigne
située à Bavent, avec la maison du vigneron (2). Même largesse
par Henri H, aux religieux de Sainte-Barbe, de vignes situées à
Mézidon (3). Vers 1100, la collégiale de Saint-Évroul de Mortain
est dotée à l'aide d'une dîme sur les vignes de Saint-Samson en
Auge (4). En 1236, Guillaume de Cesny aumône aux moines de
Saint-Ouen, les 2/3 de ses vignes de Cesny qui, pour convaincre en
quelque sorte les incrédules de l'avenir, a gardé le nom de Cesny
aux Vignes {^).
Mais, le^ vignobles les plus renommés et les plus abondants
de la Normandie étaient satis contredit ceux d'Airan et d'Ar-
gences, situés dans la vallée de la Muance, affluent de la Dive.
Guillaume de Malmesbury, après avoir dit que toute la contrée
(1) Neusiria pia^ p. 585.
(2) Ibid., p. 627.
(3) Apud Mansum Odonis, tam in terris quam in vineis. (Arch. du Calvados,
S. Barbe, n. 11.)
(4) Trésor des Chartes, reg. LXVI, n. Xj% IVIIj.
(5) La viticulture était si bien considérée comme une chose normale que les
chroniques administratives ou particulières notent régulièrement l'état, la con-
sistance, etc., de la récolte et les accidents qui lui surviennent. Le 27 décem-
bre 1218 la vigne gèle en pleine vendange (G. le Breton, t. XVI, p. 112), en
1253, 1254, 1259, 1275, 1290, 1365, disette de vin. Au contraire en 1289,
récolte abondante, en 1385, excellent vin, etc.
Digitized by
Google
L\ VIGNE SELON L'HISTOIRE 153
est fertile en exellents vins (1), raconte que le duc Richard I"
essaya une nuit de forcer Tentrée de Téglise de Fécamp, et fut
bâionné d'importance par le moine qui était de garde. Loin de lui
en garder rancune, et pour le récompenser de sa vigilance, il
attacha à l'office de sacristain de l'abbaye tout le domaine d'Ar-
gences, qui avait été jusque-là la propriété des ducs de Normandie.
Quoiqu'on puisse penser de cette anecdote, qui rappelle un peu
celle du Petit Caporal^ l'optimisme gastronomique de Malmesbury
n'était point accepté sans conteste sur le continent, et, dans sa
fameuse Bataille des vinSy dont nous aurons occasion de reparler,
Henry d'Andelys fait fuir le vin d'Argences à la première passe,
en compagnie de ses dignes congénères de Bretagne :
Vin d'Argenches, Chambeli, Renés,
S'enfuirent, tournant lor resnes,
Quar, se li prestres le vist,
Je croi bien qu'il les occist.
Néanmoins, le vignoble d'Argences s'est perpétué sans inter-
rnption jusqu'à des temps très voisins du nôtre. « Au dix-septième
siècle, on citait encore le vin Rigaut d'Argences, et, en 1619,
l'abbé de Saint-Étienne de Caen devait deux pots de vin Huet
d'Argences rendu à la croix de devant l'abbaye à ceux qui criaient
le gablage pour le prévôt (2). » On lit, enfin, dans le dictionnaire
de Rozier, publié au commencement du siècle (1800): « Huet parle
des vignobles voisins de Caen, et il en existe deux de nos jours dans
la même contrée, Colombel et Argences. Le vin est un verjus
acerbe. » La Géographie Botanique de De Candolle témoigne que
le vignoble d'Argences subsistait en 1811 , et la statistique officielle
accusait encore en 1849 un hectare de vignes dans le Calvados.
Elle n'en fait plus actuellement aucune mention.
Ajoutons que Troarn (3), Saint-Pair (4), Janville (5), Bures (6),
Uérouville (7), Bayeux, même, ont eu leurs vignobles. Aux qua-
torzième et quinzième siècles, les évêques en possédaient aux
portes mêmes de la ville (8). Il y en avait un à Andrieu, localité
très voisine.
(1) De gestis regum AngL Collection Saville, éd. de 1596, p, 70.
(2) Delarue, Essais sur la ville de Caen^ l. I, p. 367.
(3) Liber rubeiis Troami, Collection Léchaudé, f . 1 9 r. , 41 r. 44 v. , 46 p. 49 v. , etc.
(4) Charlul. Troam,,L XXXllIj. r.
(5) Lib. rub, Troarn. ^ L 86 r. En 1381 vente de vigne à Janville. Registre des
tabellions de Caen, 1381, 1383, f. 58 r.
(6) Lib, rub, Troarn, y f. 74 r.
(7) Léop. Delisle, loc, cit., p. 140-141. Pr. 40. Barre, Formulaire des Eleus,
3« édition, p. 467.
(S) Bonnechose, Mém. de la société de Bayeux, t. U, p. 220.
Digitized by
Google
154 HISTOIRE DE L\ VIGNE
Enfin, il n'est pas jusqu'au Cotentin et à TAvranchin , qui n'aient
voulu avoir leur part de ce grand paradoxe viticole de sept ou huit
sièclçs. En 1233, on voit Amauri de Craon doter pour partie sa
fille, fiancée à Raoul de Fougères, avec ses vignes d'Agon près
Coutances (1). Dans son récit de la mort de Geoffroy d'Harcourl,
en 1356, Froissart parle d'un « vignoble enclos de haies, où tout
sagement et tout bellement» se retranchèrent les compagnons du
guerrier occis entre Coutances et Saint-Sauveur. A Coutances
même, l'évêque Geoffroy avait planté « un verger et une vigne
considérables (2). »
En 4082, Robert, comte de Mortain, donne à la collégiale de
Saint-Évroul la dîme de ses vignes de Mortain et du Teilleul (3).
En 1320, les moines du Mont Saint-Michel « fieffent » une vigne
à Ardevon (4).
Quant au vignoble d'Avranches, tour à tour possédé par des
princes, par des couvents et par des évêques, les innombrables
contrats, donations, échanges, etc., dont il est l'objet nous con-
duisent jusqu'au dix-septième siècle, où, suivant le précepte de
Boileau, il iinit par un trait de satire :
Le vin Tranche-boyau d'Avranches
Et Rompt-ceinture de Laval,
A écrit à Rigaut d'Argences
Que Golihou aura le gai (5).
Comment s'étonner, après tout, de trouver la vigne en Norman-
die, lorsqu'on a pu, encore, de mémoire d'homme, en voir d'im-
portantes cultures en Picardie.
Là aussi, cette culture avait commencé de très bonne heure, car
une charte de Clolaire III autorise les moines de Saint-Berlin,
près d'Amiens, à échanger, entre autres terrains, un domaine com-
planté en vignes. D'après une autre charte du septième siècle, il n'é-
tait pas jusqu'au petit village de Térouennequi ne fît aussi du vin.
Au commencement du siècle suivant, dit le dictionnaire de Rozier,
le territoire de Cagnyprès d'Amiens « niétait pour ainsi dire qu'un
vignoble (6). » Suivant la Flore de Paugny, la vigne était encore cul-
(i) Ménage, Hist, de Sablé, p. 218.
(2) Léopold Delisle, loc, cit., p. 450, Gallia chnsl.y t. XI, irilr., c. 219 B.
(3) Trésor des Chartes, reg. LXVI, mXjc.
(4) Registrum pUanciarie Montis Sancti Michaelis, f. LXXV, V.
(5) Pr. La Barre, Formulaire des Elus, 3« édit., p. 513 ; Conihou est une dépen-
dance de ce cru de Jumièges, que le biographe de saint Philibert taxait de
Falerne. Voir plus haut, p. 149.
^ (6) Rozier, loc. cit.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIBE 155
livée « en grand » à Montdidier en 1834, et, la Flore de la Somme
de 1883 en indique encore des restes à Guerbigny.
Enfin, il est non moins certain qu'il y a eu des vignes même
à Abbeville, notamment « hors de la porte Marcadé, du côté de
Domencheconrt vers le chemin qui conduit à Nouvion, et sur
la petite colline proche des Chartreux (1). » Dès 1311, des vignes
existaient aussi à Épagne, et il devait y en avoir de même sur la
côte de la Justice, où les chartreux de Thyson en ont cultivé
ultérieurement (2). En 1537, don au chapitre de Saint-Vulfran,
par Nicolas Postel, seigneur de Bellefontaine, de divers terrains
«appropriés à'usage de vignes » et situés, aussi hors de la porte
Marcadé, « d'un côté à Saquotin, d'autre côté à Bouvagne, au
chemin de laBouvagne, etc. «Enfin, dans les comptes de N.-Dde la
Chapelle, de 1764 et 1763, il est encore question de terres situées
M aux vignes », d'autres tenant « au soyon des vignes », etc. (3).
Le défaut de routes, l'indigence des moyens de transport , Tin-
sécurité de la circulation résultant du régime féodal, l'absence
consécutive d'éléments de comparaison étaient pour beaucoup dans
ces cultures locales, chaque pays, sauf sur le littoral où les
échanges étaient plus faciles, étant à peu près condamné à pro-
duire ce qu'il lui fallait ou à s'en passer. Ces vins acerbes n'étaient
peut-être pas, d'ailleurs, de beaucoup inférieurs aux piquettes
dont les gens, même aisés, de la campagne se contentent aujour-
d'hui pour leur ordinaire, même dans les régions les plus favo-
risées du soleil. Un verre de bon vin réservé pour les jours à' extra
n'en paraissait que meilleur.
A peu près identique partout, l'état social de l'Europe y avait
produit partout les mêmes résultats et les mêmes besoins. Il n'y
avait pas de vignes qu'en Normandie et en Angleterre. Au
douzième siècle, la géographie d'Ëdrin (traduite de l'arabe par
Jaubert) signale de nombreux vignobles à Paris, Laon, Bruges
et Utrecht (4). Au dix-septième siècle, il y en avait encore
àLouvain, s'il faut en croire le Belgium de Guicciardini, publié
à Amsterdam en 1635, et Sachs, qui le cite en 1661, sans noter
aucun changement dans l'intervalle. Ces vignobles étaient même
assez productifs, au dire de l'auteur, qui ajoute : « le vin qu'ils
(\) Histoire ecclésiastique cC Abbeville par le P. Igoace, carme déchaussé.
1 vol. in-40, Paris, i646, p. 60.
\2) Topographie historique et archéologique (T Abbeville. Paris, Dumoulin,
1880, p. 472.
(3) Renseignements communiqués par notre excellent ami Poisson, le docte
naturaliste du Muséum.
(4) Grisebach, Végétation du Globe. Traduction de TschilatchefT.
Digitized by
Google
156 HISTOIRE DE L\ VIGNE
rendent, bien que faible et âprelet [subausterum)^ pourrait être
amélioré par les soins des colons, ce que plusieurs ont essayé
avec un louable succès à Bruxelles, Diefheim (?) [Diefhemn)^ et
Anvers [l)^ d'autant mieux qu'à Cologne, où les froids ne sont point
plus cléments, le vin se récolte en abondance (2). »
En présence de tels moxas liquides, les vins si décriés aujour-
d'hui de la grande banlieue parisienne devaient apparaître
comme des nectars relatifs. Aussi, ne doit-on pas être étonné de
les voir servir sur des tables royales, voire même sur des tables
abbatiales, pas plus que de voir leur plante mère cultivée jusque
dans les jardins royaux. C'est ainsi que la femme de Childebert,
reine des Francs, donnait tous ses soins à un jardin qu'elle avait
à Paris, et qui était planté de vignes alternant avec des arbres
fruitiers et des roses (3).
Plus tard, sous Louis le Jeune, le Louvre a sa vigne, sur le pro-
duit de laquelle le roi assigne en 1160, au curé de Saint-Nicolas
des Champs, une renie de six muids ou seize hectolitres de vin,
et, la même année, il fait don au chapelain de la Sainte-Chapelle, éga-
lement de six muids récoltés dans l'île des Treilles (4). De même,
les vignes de Lutèce étaient grevées d'une contribution en nature
au profit de l'abbé de Saint-Denis (5). A la même époque, diveY's
ordres religieux possédaient dans l'enceinte de Paris des vigno-
bles renommés, qu'ils cultivaient « con amore ».
Philippe Auguste, suivant un compte de ses revenus pour
Tan 1200 rapporté par Bussel, possédait des vignes à Bourges,
Soissons, Compiègne, Laon, Beauvais, Auxerre, Corbeil, Bethisy
Orléans, Moret, Poissy, Gien, Anet, Verberie, Fontainebleau,
Ruvecourt, Milly, Boiscommun. Le même compte fait mention
de vins achetés pour le roi à Choisy, Montargis, Saint-Césaire et
Meulan (6). Sous Philippe le Bel un bourgois lègue aux Chartreux
de Paris un de ces clos intramuraux, ce qui lui vaut d'être en-
terré en grande pompe dans le grand cloître.
Dans sa Galliœ politico-medicalis descriptio, publiée à Nurem-
(i) r^otous, en passant, qu'à Anvers, s'observe un des cas les plus curieux
et les mieux établis de longévité de la vigne. Une treille, plantée en 1517,
occupe tout un côté de la cour du Musée Planlin (ancienne imprimerie fondée
en 1512), revêtant la paroi de deux étages d'un véritable capitonnage de
verdure, à travers lequel s'ouvre gracieusement une double rangée de
féneslrelles, comme dans un tableau de Metzu.
(2) Guicciardini, BelgirnUy p. 12.
(3) R. Dejernon, loc, cit,^ p. 59.
(4) Id., i6td., p. 82.
(5) Rozier, loc. cit.
(6) Id., ibid.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 157
bergen 1620, Strobelbèrg parle des vins de Meudon, de Rueil et
d'Argenteuil comme de vins généreux, ayant besoin d'un amphytrion
qui y ajoute de Teau [indigentqne amphytrione qui aquam ad-
misceai).
D y a lieu de penser que cet éloge est tant soit peu ironique,
car, à propos de la prohibition des vins d'Orléans sur les tables
royales, le même auteur explique que c'est parce qu'ils sont trop
capiteux, et il leur attribue une générosité, un bouquet suave
analogue à celui de la framboise, et des propriétés stomachiques,
toutes choses qui rappellent un peu trop ce courtisan de Voltaire,
chargé de louer chaque matin son maître des vertus qu'il n'avait
pas. L'éloge de Frambesar qui déclare les vins de Paris propres
aux étudiants parce qu'ils leur laissent la tête et le ventre libres,
parait beaucoup mieux adapté à leurs qualités réelles, et inspiré
sans doute par une notion plus directe, plus personnelle, du sujet.
Enfin, en 1669, Patin célébrant le pain de Gonesse et les grands
vins de France, y fait figurer le vin de Paris (1)! Degustibus...
Entre temps, la vigne continuait à être vue d'un œil bienveil-
lant. En 630, Dagobert édicté, en dehors des dommages-intérêts,
une amende contre le vigneron qui aura nui à la vigne du voisin.
Mais la protection la plus efficace lui fut encore donnée par
Charlemagne, homme extraordinaire pour le temps, à qui le soin
des grandes affaires et la conduite de ses continuelles campagnes
ne firent jamais perdre de vue les plus intimes détails d'adminis-
tration. Les Capitulaires témoignent qu'il y avait dans chacun
des palais qu'il habitait, y compris ceux de Lutèce, de la Cité et
des Thermes, des vignobles, des pressoirs, et tous les instruments
nécessaires à la vinification (2). En 800, il charge les juges de ses
terres de bien pourvoir ses châteaux de vin et de lui faire connaî-
tre les quantités de vin vieux et de vin nouveau existant dans ses
celliers.C'estlui qui fit planter les vignobles de Zurich et du canton
de Vaud.
C'est trois ans après la mort de ce grand homme, en 817, que
le concile d'Aix-la-Chapelle régla que chaque moine recevrait
par jour cinq livres pesant de vin, et chaque chanoinesse trois
livres, « ce qui fait en moyenne une quantité telle qu'il suffirait
de 4,000,000 de buveurs comme ceux autorisés par le Concile,
pour absorber toute la récolte d'aujourd'hui » (3).
Sous le même règne de Louis le Débonnaire, en 871, une
(1) R. Dejernon, toc. cit., p. 6.
(2) Rozier, loc. cU,
(3) R. Dejernon, /oc. d(., p. 62.
Digitized by
Google
J
158 HISTOIRE DE L\ VIGNE
chartre fait donation annuelle de 2,000 muids à 120 moines du
monastère de Saint-Germain.
De telles prodigalités (1) prouvent que les encouragemenls
donnés à la viticulture avaient porté fruit, et que le vin était
devenu fort commun.
Moins qu'aucune région, la Bourgogne, où, s'il faut en croire
l'ancienne chronique citée par Dejernon (2), et d'après la-
quelle, dès 680, la vigne était cultivée à Auxerre et les meilleurs
crus de la contrée étaient en renom depuis plusieurs siècles^
moins qu'aucune région, disons-nous, la Bourgogne était restée
rebelle à ces progrès. Les Burgundes, les plus doux, et les plus
cultivés des barbares (3), s'établirent dans la Séquanaise par une
libre concession de Jovien, plutôt en colons qu'en envahisseurs, et
sans ces fureurs aveugles, sans cette rage d'immolation et de
destruction, qui marquent généralement les exécrables traces de
la « conquête ».
Dès le sixième siècle, Grégoire de Tours nous informe qu'à
l'occident de Dijon sont des « montagnes très fertiles, couvertes
de vignes qui fournissent aux habitants du vin aussi noble que
le Faleme. » Les rois, les ducs de Bourgogne firent faire beau-
coup de plantations pour leur compte (4), tout fiers de pouvoir
s'intituler, comme ils le firent à un certain moment dans leurs
ordonnances, « seigneurs immédiats des meilleurs vins de la
chrétienté, à cause de leur bon pays de Bourgogne, plus famé et
renommé que tout autre où croît le vin (5). » Ce titre ne leur
était point contesté, car en 1234 le Pomard est vanté par Paradin,
qui ajoute que les rois de l'Europe appellent le duc de Bour-
gogne « le prince des bons vins ». Après le schisme d'Avignon,
en 1308, la table des pages, des cardinaux et officiers pontificaux
fut toujours fournie de vins aux dépens du monastère de Cluny,
et, onprésume que c'était de Beaune, parce que Pétrarque, écrivant
au pape Urbain V pour réfuter les raisons invoquées par les car-
dinaux pour rester au delà des monts, prétend leur avoir entendu
alléguer « qu'il n'y avait point de vin de Beaune en Italie (6). »
(i) R. Dejernon, loc. cit., p. 62.
(2) Id., ibid.y p. 62, Voip pius haut, p. 140.
(3) En 363, ils occupèrent d'abord une partie de l'Alsace, de la Suisse et de
la Franche-Comté, et ce ne fut que 50 ou 60 ans après, que Gondicaire, leur
roi, y réunit la Bourgogne proprement dite. Mais, dans l'intervalle, ils avaient
eu le temps de se latiniser complètement.
(4) Us avaient notamment des clos à Vosne, à Pomard, à Volney. G. Foëx,
loc, cit.
(5) Rozier, loc, cU,
(6) Id., ibid.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 159
Lorsque Grégoire XI rétablit à Rome le siège pontifical, les
cardinaux durent faire venir de la Bourgogne un vin « plus
géaéreux et plus agréable que les boissons épaisses et crues
des vignes romaines. » Au dix-septième siècle, dans sa curieuse
nomenclature des vins de TEurope, Sachs cite encore le Beaune
comme le premier des vins de Bourgogne {Ampélog.. p. 449), et,
dans son Regimen sanitatiSy Frambesar le conseille comme moins
capiteux que ses congénères, en un latin de mirliton qui rappelle
l'École de Salerne : « Viîitim Belnense ante omnia recense, » Le
Vougeot, le plus célèbre clos de la Bourgogne, a été créé par
Tordre des Bernardins de Cîteaux, qui eurent, en le plantant, Tam-
bition de faire le premier vin du monde. C'est la même ambition
sans doute qui„dans une autre région, poussait les Bénédictins à
créer le Johannisberg (1), et, de part et d'autre, elle fut satis-
faite (2).
On transportait à Reims du vin de Bourgogne pour la cérémonie
du sacre. Lors du couronnement de Philippe de Valois, en 1328,
le vin de Beaune y fut vendu 56 francs la « queue » (424 litres),
somme considérable pour le temps (3).
En 1327, le vin d'Auxcrre était considéré comme le meilleur
d'Europe. En 1370, Charles V en faisait son ordinaire, exemple
qui fut suivi par Charles VI, Louis XI, Henri IV, Louis XIV et
Louis XV, qui le préférait à tous les autres vins(4). Dansses voya-
ges, Philippe le Bon se faisait toujours suivre par une provision
de vin de son pays. Enfin, « les évêques d'Auxerre qui possé-
daient un clos de 4 hectares sur le fameux coteau de MigrainCy
si prisé de Rabelais, envoyaient quelquefois de leurs vins en
Angleterre et constamment en Italie (5). »
Après, si ce n'est avant le Bourgogne (6), il n'est pas de vin
plus essentiellement français que le Champagne, c'est-à-dire,
(\) R. Dejernon, loc. cit., p. 85, 87.
(2) Ces deux grands vins ne sont pas les seules créations de nature ampélo-
graphique des ordres monastiques. « C'est encore à leur initiative que nous
sommes redevables de la plupart des grands vignobles qui ont jeté tant
d'éclat sur la France viticole, des meilleurs vins de Bourgogne, de Cham-
pagne et des bords du Rhin. » R. Dejernon, loc. cit. y p. 85.
(3) Rozier, loc. cit.
(4) R. Dejernon, loc. cit., p. 87.
(5) Julien, loc. cit. y p. H9.
(6) A la suite d'une longue querelle entre médecins, rappelant un peu celle
des gros boutiais et des petits boutienSy comme celle du LutriUy et qui flt éclore
maint in-folio, intervint en 1778 un arrêt de la Faculté de Paris qui adjugea
majestueusement et doctoralement la préférence au Champagne en raison de
sa vertu diurétique : quia habet virtutem diureiicam. Molière I (R. Dejer-
non, /oc. cit.y p. 90-91.)
Digitized by
Google
160 HISTOIRE DE LA VIGNE
léger, vif, sémillant, piquanl, mais au fond sans rancune, en ce
sens qu'il ne laisse derrière lui ni embarras gastriques, ni névroses,
ni céphalalgies, comme son faux frère et trop souvent usurpateur
de son masque, le Saumur. Le plus ancien monument historique
qui se réfère au vignoble Champenois est le testament de saint
Remy, de la fin du cinquième siècle, par lequel il lègue à son
neveu et au clergé de Reims le vignoble qu'il a fait planter auprès
de cette ville. D'après un autre document, un évèque de Laon,
au dixième siècle, buvait des vins de la Champagne et les donnait
comme très favorables à la santé (1). Nous disons à dessein du vin
de la Champagne et non du « Champagne », car, le produit si
connu sous ce dernier nom, sans être ce qu'on peut appeler falsifié,
est l'œuvre de l'art autant que dé la nature, et . sa fabrication,
selon Selletti, daterait seulement de 1730 (2). En 1397, Wenceslas,
roi de Bohême et empereur d'Allemagne, grand ami de «ladive »,
comme on sait, vint en France pour négocier un traité. Reçu à
Reims, il prit si bien goût au vin du pays, qu'il fit traîner autant
qu'il put, pour s'en séparer le plus tard possible, les négociations
en longueur, et finit par signer tout ce qu'on voulut (3). Léon X
avait en Champagne un agent qui lui expédiait les meilleurs vins
de chaque récolte. Mais les souverains étrangers n'étaient point
seuls à apprécier ces crus aimables. Les nôtres n'en étaient pas
moins friands, et ils ne se croyaient nullement tenus d'en faire
mystère, à preuve Henri IV, qui s'intitulait gaiement Sire d'Ay.
Par contre, le Sillery a longtemps porté le nom de vin de
la Maréchale^ en souvenir des améliorations appliquées à sa
fabrication par la maréchale d'Estrées. Au sacre de Louis XIY,
ce fut, non plus du Beaune comme au temps des anciens rois,
mais du vin de Reims qui fit les frais de la fête, et les courtisans,
en y prenant goût comme Wenceslas, donnèrent une nouvelle
impulsion à sa vogue un peu languissante. C'est avec « du bon
vin de Champagne » que dans le Joueur, le Légataire uni-
versely etc., les beaux fils de l'époque alimentent cette vis comica
qui caractérise tout particulièrement le théâtre de Regnard, dont
les inspirations furent elles-mêmes, s'il en faut croire la chronique,
souvent tributaires des coteaux rémois. Aussi ne doit-on point
s'étonner de voir ces vins devenir des objets de munificence entre
tètes couronnées, comme il arrive en 1666 où, selon une lettre
(1) R. Dejemon, /oc. cU,^ p. 89.
(2) Selletti, loc. cit., p. 294.
(3) Charles Grad, Coup d'cHl sur le développement de la viticulture en Aile-
magne, p. 9.
Digitized by
Google
LA VIGNB SELON L'HISTOIRE 161
de Patin, « le roi fait cadeau au roi d'Angleterre de 200 muids de
très bon vin de Champagne, de Bourgogne et de TErmitage. »
Le « Champagne», désormais créé, fut par excellence le breuvage
des soupers philosophiques du dix-huitième siècle, et l'on sait que
Fontenelle Tavait pris sous sa protection spéciale contre les
partisans du Bourgogne. Pendant ce siècle, cependant, on estime
que le commerce de ces vins dut surtout son développement à
Tabbé Godinot, dont la ville de Reims a donné le nom à une de
ses fontaines (1). On raconte que lors de l'invasion des alliés,
en 1815, la veuve Cliquot, devenue depuis célèbre, répondit aux
ouvriers qui lui annonçaient tout effarés le pillage de ses caves,
ce mot peut-être inconsciemment renouvelé de Mazarin : « qu'ils
boivent, ils payeront I » Et, en effet, les pillards d'un jour devint
rent pour leur vie, puis dans la personne de leurs héritiers, les
clients et les tributaires à perpétuité des vaincus de la Cham-
pagne.
On se figurerait difficilement, si on l'avait vu autrement que
par ses yeux, quel flot d'opulence, — car richesse ne serait point
assez dire, — la vigne a épanché sm^le sol ingrat et maigre de cette
contrée dont elle a fait un « Camp du drap dor ». Aussi, est-elle,
comme pour les sportsmen ces chevaux de course, qu'on nourrit
au Bordeaux, qu'on habille chez Dusautoy, et dont une engelure
pourrait compromettre la fortune de leurs maîtres, l'objet d'un
véritable culte, et y a-t-on pour elle des attentions de mère.
Le docteur Guyot a consacré de longues pages au système du
paillassonnage (2) à toutes fins qu'il a introduit dans la Marne
pour en garantir les vignes du froid, du chaud, de la pluie, du
brouillard, de la sécheresse, etc., et dont il ne paraît point avoir
été le seul applicateur. Il y a quelques années, on pouvait remar-
quer du côté de Châlons, du haut des portières du chemin de fer,
de longues files de vignobles abritées par de véritables toitures
de toile ou de laine, ce qui faisait dire à nous ne savons plus quel
voyageur que, comme les crocodiles du Muséum, les vignes de
Champagne avaient des « gilets de flanelle ».
Pour tant d'amour, la vigne n'est point ingrate, et ces toitures
fragiles qu'on lui prête contre la glace, elle les restitue en lam-
bris dorés. Comme autrefois à Venise, à Gènes et à Florence, les
négociants habitent, en Champagne, des palais étourdissants de
richesse, et, il est tel de ces- grands-ducs du bouchon ficelé qui
(i) R. Dejemon, loc, ciLy p. 89.
(2) Docteur Guyot, Culture de la Vigne et vinification^ p. 88-107, et Études
sur les vignobles de France, t. III, p, 419-427.
HISTOIRE DE LA YIGIIC. — I 11
Digitized by
Google
162 * HISTOIRE DE LA VIGNE
possède dans ses caves, autres palais souterrains, la valeur d'une
principauté.
Comme les grottes d'Éléphanta et .d'EUora, et comme les
« syringes » de Biban el Molouk (1), ces hypogées vinaires
valent le voyage. Elles occupent parfois deux et trois étages, sur
des profondeurs de 20 et 30 mètres, et avec des dégagements si
faciles qu'il en est, par exemple, comme chez les Moët, à Épemay,
où on peut descendre en voiture. Le docteur Guyot cite une
de ces catacombes qu'il fut chargé d'éclairer à la lumière solaire
à l'aide de réflecteurs, et dont le développement n'était pas
moindre de six kilomètres (2).
A ces antres cyclopéens correspondent des récipients de dimen-
sion non moins colossale, et rappelant la fameuse tonne de la
brasserie Barclay et Perkins, et celle de l'Exposition hongroise
de 1878. Et ne vous étonnez point trop si vous venez à apprendre
que le troglodyte, — pardon, que le sommelier, — qui vous a fait,
le bougeoir à la main, moyennant un modeste pourboire, les hon-
neurs de ces cavernes hospitalières, et qui ne connaît d'autre
lumière que celle de sa chandelle, n'en possède pas moins
2, à 300,000 fir. de bien au soleil. Pareil phénomène n'était point
rare, non plus, à Cognac, avant qu'on y eût si sottement laissé
périr la magicienne prodigue qui sait, seule, changer en or tout
ce qu'elle touche.
Toutefois, si la culture de la vigne et des industries acces-
soires qui servent de satellites à la fabrication du Champagne
entretiennent l'aisance dans toute la contrée, cette fabrication
elle-même, à raison, non seulement des immenses locaux, mais
aussi de l'outillage dispendieux et des manipulations compliquées
qu'elle exige, est nécessairement concentrée en un nombre
restreint de mains.
Faire du « Champagne wn'est point du tout, en effet, une chose
simple et, suivant le précepte de Pollacci, l'art, nous l'avons dit, —
un art légitime d'ailleurs, puisqu'il n'emploie que des substances
de premier choix, et à doses — même maximœ — très modérées, —
l'art a dans cette préparation autant, sinon plus de part que la
nature. Nos lecteurs en pourront juger d après le compte rendu
de la visite faite, en 1880, par les membres du Congrès de l'As-
sociation française pour l'avancement des sciences dans les
caves de madame Pommery, à Reims (3).
(1) Voir Champolion le jeune, Lettres sur l'Egypte^ p. 223.
(2) Docteur Guyot, Étude des Vignobles de France, t. llï, p. 408.
(3) Annales agronomiques^ i880, t. VI, p. 402-403.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 163
Ces caves, « dont retendue dépasse tout ce qu'onpourrait imaginer^
sont disposées dans d'anciennes carrières : on y descend par un
immense escalier d'une centaine de marches.
« Dans les profondeurs et méandres de cet immense établisse-
ment souterrain, règne une température uniforme de 10 à H® .La
fabrication du Champagne exige impérieusement que la fermen-
tation qui doit se continuer dans les bouteilles ne soit pas tumul-
tueuse, et ne produise pas rapidement une trop grande quantité de
gaz, dont la pression ferait sauter les bouchons, et, même,
casserait les bouteilles, ce qui arrive fatalement si cette pression
estirrégulièrement excitée par de brusques changements de tem-
pérature.
« Il faut, d'abord, bien choisir les cuvées, assortir les moûts,
d'après les qualités qui les distinguent : aussitôt que la fermenta-
tion s'est déclarée dans les cuves, on soutire, pour que le vin ne
se colore pas, on conserve le vin en fût pendant quelques mois,
puis, on le met en bouteilles où il reste six mois encore. La
fermentation s'y développe de nouveau et il devient mousseux ;
mais, pendant cette fermentation nouvelle, il s'est troublé et la
séparatioTi du dépôt est une des opérations les plus délicates de
la fabrication. Ce dépôt est, en effet, parfois, adhérent aux
parois de la bouteille, d'où il est difficile de le détacher : on y
réussit en frappant régulièrement la bouteille à l'aide de petits
marteaux mis en mouvement par une ingénieuse machine. Le
dépôt détaché, il faut le rassembler contre le bouchon ; à quoi on
réussit en maintenant plusieurs mois la bouteille très obliquement
le goulot en bas. Quand le dépôt est rassemblé sur le bouchon,
on enîève brusquement celui-ci : la diminution de la pression
intérieure détermine un vif dégagement de gaz qui chasse de la
bouteille un peu de liquide, et, en même temps, tout le dépôt : on
rebouche la bouteille sans la remplir. Le remplissage a lieu, en
effet, non plus avec du vin, mais très habituellement avec de la
liqueur. On désigne ainsi une dissolution de sucre pur dans
l'alcool : la dose de sucre et celle de l'alcool varient avec la
qualité des vins qu'on veut obtenir, et suivant la destination. »
De là, pour l'opération elle-même la dénomination de « dosage ».
« Tandis que les Anglais et les Américains du Nord réclament des
Champagnes secs, c'est-à-dire ne renfermant que de faibles quan-
tités de sucre, les Russes, au contraire, demandent des vins
très sucrés, qui ne sont agréables qu'après avoir été amenés à une
basse température,
a Un très ingénieux appareil permet de faire arriver dans la
Digitized by
Google
164 HISTOIRE DE LA VIGNE
bouteille, avec Texactitude d'une analyse chimique, les doses de
liqueur nécessaires pour obtenir telle ou telle variété de vins.
Les bouteilles sont, enfin, rebouchées de nouveau avec un
appareil qui, comprimant le liège, opère une fermeture iiermé-
tîque ; on met le fil de fer et les feuilles métalliques, et les bouteilles
restent encore en cave jusqu'au moment de Fexpédition. »
L'Ermitage, dont les hasards de l'histoire amèneront tout à
l'heure le nom sous notre plume, aurait pu revendiquer la dénomi-
nation de «vin théologique » qu'on donnait autrefois au Vougeot,
au Johannisberger, et autres crus, créés par les moines. « Un habi-
tant de Condrieu dans im désespoir d'amour se fit ermite ; il fit
choix d'une montagne aride et abandonnée, et entoura son
humble réduit de ceps apportés de sa ville natale. Ils réussirent à
merveille sur cette terre désolée, et l'excellence des produits qu'il
en obtint lui créa bien vite des imitateurs » (1). Nous avons vu
plus haut qu'il ne faisait que restaurer inconsciemment un ancien
vignoble abandonné.
S'il en faut croire un vieil auteur, Probus ne se serait pas borné
à permettre aux Lyonnais comme aux autres Gaulois la culture
de la vigne, il leur aurait fourni lui-même leurs cépages, et les
aurait fait planter sous ses yeux :
«... et, outre ce que j'ai dit que ce terroir est abondant en vins,
j'ajouterai qu'ils sont des plus délicieux, comme chacun sait quels
sont les vins de Sainte-Foy, de Millery et autres endroits (P autant
que les plants ont été expressément portés de Dalmace par le soin
de l'empereur Aurélien Probus, et selon aucuns Probatus... Or,
d'autant que du temps de l'empereur Probus, un nommé Pro-
culus, chef de la garnison de Lyon, s'était révolté contre lirî et se
voulait emparer de cette ville et se rendre souverain du pays ; les
Lyonnais se saisirent de sa personne et le livrèrent entre les mains
de l'empereur lequel, reconnaissant, leur permit de planter des
vignes en telle quantité que bon leur semblerait : lui-même com-
mença le premier qui fit apporter le plant. D'où faut savoir que
par bon rencontre, au pays de Dalmace (qui est en la Pannonie),
y a une ville nommée ViminacicuSy de laquelle était natif ledit
empereur Aurélius, et vis-à-vis d'icelle, y a une montagne très
plantureuse et très fertile laquelle produit les meilleurs vins du
monde et, pour ce, est nommée Mons AureuSy et d'autant que
cet empereur avait choisi pour sa demeure la ville de Lyon,
auprès de laquelle y a une montagne en même position et étendue
(1) R. DejemoD, ibid., p. 92.
Digitized by VjOOQIC
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 165
que la susdite en Dalmatie, et de laquelle ayant reconnu le
^acieux aspect du soleil, jugeant, par là, qu'elle pourrait être
propre pour les vignes et bons vins, il fit apporter des meilleurs
plants de vignes de son pays, et les fit planter par ses soldats en
cette montagne, laquelle il voulait aussi faire nommer le Mont
d'Or, et, à Topposite d'icelui, de l'autre côté de la Saône, il fit
édifier une petite ville qu'il nomma Yiminacicus, qui est aujour-
d'hui Yimy, en mémoire de la ville de sa naissance, et puis il
donna le tout au peuple du pays, comme le récite Eusëbe parlant
de cet empereur. Sur ce nouveau privilège les Lyonnais envoyè-
rent de toutes parts pour avoir les meilleurs plants de vigne,
et, entre autres, voyant que les Romains faisaient tant d'état des
vins de l'île de Coho, en Italie, ils mirent peine d'en avoir, et
nommèrent l'envoi du Mont d'Or où ils le plantèrent le vignoble
de Coho, dont par corruption du patois lui est demeuré le nom
de Couzon, et, le vin qui y croissait était si exquis, que chacun
désirait y avoir quelque possession, d'où était le commun pro-
verbe : (c D n'est pas bourgeois de Lyon qui n'a de vignes à
Couzon » (1).
Couzon, « Couzon au Mont d'Or », existe encore comme
vignoble , mais il parait valoir davantage aujourd'hui par
l'abondance que par la finesse de ses produits (2). Il en est
de même des autres vins du canton de Neuville, dont ceux du
clos Gamier, à Curis, paraissent seuls dépasser le bon ordi-
naire (3).
Les « Beaujolais » de l'arrondissement de Villefranche qu'on
vend généralement sous le nom de « Màcon » sont plus estimés.
Us offrent cette double particularité, l'une et l'autre très intéres-
santes, qu'ils sont produits par r« infâme gamai », si décrié en
Bourgogne, et que, « récoltés sur un filon de porphyre granitoïde
qui traverse le Rhône dans la direction nord-ouest, ils ont un
cachet particulier de finesse et de bouquet qui n'existe point dans
les vignes voisines du terroir carbonifère » (4).
Le Sainte-Foy et le Millery, et pour ce dernier les vins parti-
culiers des clos de la Galée et de la Muladtère, n'ont rien perdu
depuis Fodéré. Toutefois, le roi des vins de cette contrée est
(i) Fodéré Narration historique et topographique des couvents de l'ordre de
Samt-Fronçois. Lyon, 1619, p. 228-230.
(2) n serait plus jaste de dire, <c il paraissait »,car ce vignoble est un de ceux
qui ont payé le plus rude tribut au phylloxéra; il est aujourd'hui presque
anéanti.
(3) Julien, loc. cit., p. 189.
(4) A. Ebray, Bulletin de géologie, cité par Grisebach, loc, cit.
Digitized by
Google
166 HISTOIRE DE LA VIGNE
encore le fameux Côte-Rotie, malheureusement bien menacé,
parait-il, lui aussi, par le phylloxéra.
Peut-être, pendant que nous sonmies en Dauphiné, ou bien peu
s'en faut, ne sera-t-on pas fâché de savoir ce que sont devenues
ces « fameuses vignes de Vienne », comme disait Martial, et qui
donnaient ce non moins fameux « vin poissé », si apprécié des
gourmets de Rome (1). On aurait d'autant plus de chances de les
retrouver inaltérées que, d'après Julien, la culture en hautains sur
« opulus » prévaut encore dîms ce pays comme au temps de
Rome, alternant cependant avec des espaliers hauts et des vignes
basses. Les cépages qui donnent les vins les plus estimés sont
connus dans le pays sous les noms de Serine et de Vionmer. A
Vienne, ils produisent un vin blanc qui n'a rien de remarquable, et
deux vins rouges, dont l'un Aii Porte duLyon^ qui a, selon Julien,
du corps, du spiritueux et un bon goût. Enfin, les vins de Reventin
et de Seyssuel (banlieue de Vienne) présentent, avec les mêmes
propriétés, wn goût de violettes qui rappelle le Bordeaux (2).
A propos de ce dernier vin, nous avons dit que la, première men-
tion en est faite au quatrième siècle par Ausone, mais comme d'un
produit connu, coté, de consommation courante, et non comme
d'une chose nouvelle. Il nous apprend que les Bituriges Vtbisci,
qui habitaient le Bordelais actuel, récoltaient dans le Médoc des
vins estimés à Rome. N'est-ce point à eux plutôt qu'aux Berri-
chons que devaient leur nom les fameuses vignes « Bituriques » (3)
dont, plus de trois siècles avant Ausone, il est si souvent question
dans Pline et Columelle ? Bien que l'hypothèse offre de grandes
vraisemblances, les vins, aujourd'hui si justement estimés,
du sud-ouest ont fait on ne peut plus discrètement leur entrée
dans la vie, et il faut croire qu'après, comme avant Ausone,
on s'est bien longtemps contenté, comme pour les vins du
Portugal, d'en boire sans en parler, chose en somme peu sur-
(1) Marlial croyait ces vignes bien anciennes, puisqu'il disait plaisamment
que leur vin lui avait élé envoyé par Romulus :
Haec de vUiferâ venisse picata Viennd :
Ne dubites : misit Romulus ipse mihU
(2) Est-ce là ce que les Romains appelaient goût poissé ? Ou bien ce goût ne
tenait-il, — ce qui serait en somme possible, — qu'à un genre d'engrais main-
tenant ai>andonné? Ou bien enfin, le cépage a-t-il disparu ? Autant de ques-
tions auxquelles il parait difficile d'espérer jamais une solution.
(3) Vinet, qui écrivait au siècle dernier, croit, nous l'avons vu(p. 137), à l'iden-
tité de ces vignes Bt^wri^rues avec le Cabemet gui est le grand cépage des « gra-
ves », et qui a conservé dans le patois bordelais le nom de Bidure, Voir aussi
Petit-Lafitte, la Vigne dans le Bordelais, p. 146.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 167
prenante, car le « Bordeaux » est un bon bourgeois de vin, très
hygiénique, très placide, et peu apte, par cela même, à pousser
les Muses vers le trépied sacré (1). Aussi, faisait-il si peu de
bruit qu'il était à peine connu en France même, où il n'a guère
été « découvert » que par Louis XIV. Les basards de la féoda-
lité, qui, au douzième siècle, détacbèrent par les mains d'un
Angevin et d'une Gasconne à tête folle l'Aquitaine du territoire
national au profit des Anglais, y furent bien aussi pour quelque
chose. En fait, les vins d'Aquitaine étaient devenus un objet
d'exportation dont l'Angleterre était à peu près Tunique dé-
bouché. Aussi, dans son Historia major Angliw écrite dans la
première moitié du treizième siècle, Mathieu Paris mention-
nant le mécontentement des Gascons dit-il qu'ils auraient depuis
longtemps secoué le joug de l'Angleterre, s'ils n'avaient eu besoin
d'elle pour l'écoulement de leurs vins. « On voit dans le Cata-
logue des rôles Gascons comme dans plusieurs arrêts du Parle-
ment de Bordeaux qu'Edouard II et Edouard UI ne buvaient que
des vins du Bordelais, et notamment des vins deSaint-Émiliou,
et que le prix de ces vins était si élevé que le tonneau se ven-
dait 2400 francs au sortir du pressoir » (2). Pourtant, à défaut des
Français, les Anglais dès le seizième siècle, au moins, n'étaient
plus seuls à apprécier ces excellents vins. Dans son traité De la
Réptiblique^ publié en 1598 (1. VI, ch, n), Bodin assure que
Bordeaux seul en exportait chaque année environ 100,000 ton-
neaux. Si nous voulons savoir où allaient ces tonneaux, nous
n'avons qu'à consulter Jodoc Sincerus, qui, dans la préface de son
Itinerarium Gallim^ publié 19 ans après, à Strasbourg, en 1617,
nous dit qu'il est presque impossible de s'imaginer quelle quantité
de vin, la Garonne, la Charente et la Loire charriaient à destina-
tion des Anglais, des Belges et des Allemands du Nord. Le même
auteur fait déjà un pompeux éloge du celebratissimum vin de
« Grave ».Et Sachs, qui écrivait vers 1660, cite un marchand de
Cambrai qui, à lui seul, exportait par voie de terre 33,000 modii
(36,300 hect.) de vin du Bordelais en Belgique {Ampelographia,
p. 448-9).
Le Saint-Émilion, si apprécié des Plantagenets, fut aussi le vin
qui fixa l'attention de Louis XIV qui, de passage àLiboume, y en
(1) Claudien a dil :
Jam furor humanos nostro de pectore sensus
Expulit, et iolxm splrant prmordia Bacchum.
(2) DejernoD, /oc. cil., p. 86.
Digitized by VjOOQIC
188 HISTOIRE DE L\ VIGNE
goûta, et déclara que « c'était du nectar ». Un tel mot était un
arrêt, dans ce siècle où la chienne de la maîtresse du « grand
Dauphin» avait ses fournisseurs attitrés (1) parmi les maréchaux,
et où il se trouvait des courtisans pour déclarer que « la pluie
de Marly ne mouillait pas » (2). Le succès fut complété par Jliche-
lieu, Faimable cynique qui remplit le dix-huitième siècle du
triple bruit de ses victoires, de ses bons mots et de ses bonnes
fortunes. Nommé gouverneur de la Guienne vers le milieu du
siècle dernier, il en embellit la capitale dont la configuration
actuelle date en grande partie de lui, et en popularisa à Tintérieur
les bienfaisants produits. Aujourd'hui, le Bordeaux n'a plus à
chercher de protecteurs. Il n*en est malheureusement pas de
même de la vigne, qui aurait grand besoin de défenseurs contre
l'hôte involontaire et bien peu reconnaissant de M. Laliman.
S'il enfant croire Froissart (année 1327 des Chroniques), les
Anglais, maîtres de la Gascogne, aimaient et recherchaient à l'égal
des vins de cette province, ceux de l'Alsace (3) où on ne cultivait
que des « plants gentils ». C'est le nom qu'on donnait au RiesUngy
par opposition aux raisins communs, désignés dans le pays sous
la dénomination de Burger,
(1) Voir Saint-Simon, histoire de mademoiselle Ghonin, m aUresse de « Mon-
seigneur», et du maréchal d'Huxelies. Voir aussi, dans les mêmes Mémoires
riiistoire d'Albéroni si admirée de Stendhal.
(2) Voir Saint-Simon. •
(3) Ceux qui ont visité la grande Exposition universelle de 1855 peuvent se
rappeler avec quel serrement de cœur et avec quelle sourde colère les Fran-
çais y virent les produits de Milan, de Padoue et de Venise exhibés sous des
étiquettes allemandes. Quand cesserait cet outrage au bon sens et à la nature
des choses? C'est ce que nul n'aurait su dire, mais, il n'était non plus per-
sonne qui n'en pressentit la un, rien ne pouvant s'éterniser dans un siècle
éclairé comme le nôtre, de ce qui révolte ainsi la conscience des peuples.
Comme autrefois en Italie, le droit subit actuellement en Alsace-Lorraine une
éclipse momentanée, mais qui ne peut pas plus l'empêcher d'être Française
que l'éclipsé de 1815 n'empêcha l'Italie, la « simple expression géogra-
phique » du vieux Metternich, d'être et de redevenir Italienne. « Une
sombre date, » a dit dans sa touchante préface, l'auteur de V Ancienne Alsace
à table, « a bien pu porter les poteaux allemands au delà des Vosges, mais elle
est impuissante à retrancher les cœurs alsaciens de la patrie française. » Et
nous, nous dirons : <c que de Ûunkerque à Toulon et de Nantes à Belfort on
prenne le dernier matelot disputant son pain et sa vie aux lames furieuses, le
dernier mineur englouti à mille pieds sous terre au milieu du grisou, le der-
nier bûcheron perché comme un chamois au sommet des Alpes, le dernier
laboureur perdu au fond des combes profondes, et qu'on leur ouvre le cœur,
on y trouvera ce mot: Alsace. » Cet accord bien scellé une fois pour toutes, bien
arrêté, bien compris, on peut attendre : Fata viam inventent. On nous excusera
donc, en présence du droit éternel, immuable, indestructible comme l'airain,
et sans tenir compte d'une contingence passagère, d'avoir traité l'Alsace pour
ce qu'elle veut être, pour ce qu'elle était hier et ce qu'elle sera demain.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'BISTOÏRE 16»
f( Bons vins de Gascogne, d'Ausay, et du Rhin à très bon mar-
ché. i> Rapprochement moins discordant qu'on ne serait tenté de
le supposer au premier ahord, s'il en faut croire, comme on le peut
assurément sans scrupules, des ampélographes aussi éminents à
la fois et aussi compétents que Stoltz et Bosc, d'après lesquels le
Kesling ne serait autre chose que le Sauvignon blanc, qui donne
dans les « Graves » du Bordelais Tinappréciable vin de Sauteme.
De même, V Enrageât de la Gironde {Folle blanche de Cognac)
serait le même que le Petit mielleux ou Ortlieber d'Alsace, ainsi
désigné du nom d'Ortlieb qui l'y a introduit (1).
« Au bon vieux temps », c'est-à-dire avant 89, le Riesling était
en Alsace un cépage théocratique et seigneurial qu'on ne rencon-
trait qu'autour des monastères et des châteaux, comme par
exemple dans le clos de Rangenberg près de Thann, qui était la
propriété du chapitre, et dans celui de Sonnenberg près Riquewihr^
qui appartenait aux princes de Wurtemberg (2). La Révolution
la démocratisé comme elle a démocratisé toutes choses,
Sur kt vieUle (erre française.
De Kléber, delà Marseillaise (3),
en un mot, sur le sol essentiellement républicain de notre chère
Alsace.
On ne parait savoir rien de bien précis sur l'époque où la vigne
a fait son entrée sur cette terre généreuse. « Notre vignoble, »
a dit l'auteur de V Ancienne Alsace à table, « remonte certai-
nement à l'Empire romain : le sage Probus n'a pu voir avec
indifférence ces riants gradins disposés le long des Vosges et qui
semblaient demander de toute éternité à se couronner de pampres
joyeux » (4).
Ce n'est là qu'une présomption, mais il faut avouer qu'elle est
assez plausible. Sachs la donne comme une certitude sur la foi
d'Eutrope {Bréviaire historique, 1. IX) et de la Chronique de Spire
de Lehman, 1. I, c.xxiv(5). Selon Charles Grad (6), les Romains
n'auraient même point attendu Probus pour utiliser en Alsace les
heureuses conditions ampélophiles du sol, et, « dès le premier
(i) Petil-Lafllte, la Vigne dans le B&rdelais, Stoltz, Ampélographie Rhénaney
wissim.
(2) Stoltz, loc, cit.
(3) Erekmann-Ghatrian. « Dis-moi quel est ton pays », Chant Alsacien.
(4) Ch. Gérard, l'Ancienne Alsace à table, p. 312, Paris, Berger-Levrault.
(5) Sachs, loc. dt., p. 454.
(6)Charles Grad, Coup d'osil sur le développement de la viticulture en Alsace.
Mulhouse, y Bader et C»% p. 3.
Digitized by
Google
170 HISTOraE DE LA VIGNE
siècle, » c'est-à-dire dès leur arrivée en Gaule, ils auraient « in-
troduit la vigne sur les bords du Rhin, d'où elle se serait
successivement répandue dans les vallées latérales du grand
fleuve. »
Quoi qu'il en soit, la vigoureuse impulsion donnée par Charle-
magne à la viticulture, dut évidemment se faire sentir aussi bien
là que sur le Léman ; mais, les vignes y existaient certainement
avant lui, car « les vieilles chroniques montrent les vins d'Alsace
« sur les tables des rois mérovingiens aux palais de Marlenheim, » (1)
et « un grand nombre de nos communes alsaciennes sont men-
tionnées, dans les Chartres et les donations des septième et hui-
tième siècles, comme en cultivant. Quand les fils de Charle-
magne se partagèrent l'empire en 843 par le traité de Verdun,
Louis le Germanique obtint l'Alsace dans son lot, pour avoir des
vignobles dans ses domaines (2). » Dans le même siècle (neuvième)
le moine de Saint-Gall vante le vindeSigolsheim, « en décrivant
l'influence galante du Sigillarius sur le cœur fragile d'un évêque
franc de ce temps là » (3).
Mais l'Angleterre n'était point seule à apprécier les vins d'Al-
sace, et plus équitable envers eux qu'envers les Bordeaux,
la notoriété ne leur fit point faire aussi longtemps anti-
chambre.
Dès ce moment, les Frisons, qui furent les premiers caboteurs
du Rhin, charriaient sur le fleuve les vins d'Alsace en compagnie
des vins bourguignons, qu'eux non plus la vogue ne fit point trop
attendre, et les amenaient à Cologne, leur entrepôt pour le
Nord (4).
Félix Fabri, moine d'Ulm, disait que le vin d'Alsace était
si renommé partout qu'on l'envoyait large lateque (5). En
France, tout d'abord, il jouissait d'une notoriété telle et si hono-
rable qu'au douzième siècle Fauteur du fabliau de la Bataille des
vins, fait figurer au premier rang les
Vins d'Ausay et de la Moselle
parmi ces concurrents à bouquet de basme et à^ambre sur
lesquels allait être appelé à prononcer le chapelain de Philippe
(1) Charles Grad, loc, cit., p. 8-9.
(2) Ch. Gérard, loc. cit., p. 313.
(3) Id., ibid., p, 318, et Monach. S. Gall, 1. LXI, ch. xxii.
(4) Grandidier, Histoire de Véglise de Strasbourg , t. Il, p. 132.
(5) Schiller, Script, rerum germante.^ t. lï, p. 25.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 171
Auguste (1). « Les vins si généreux qui mûrissent sur les coteaux
escarpés des Vosges, « dit plus tard Gebwiller (2), » sont conduits
avec beaucoup de peine et à grands frais, soit par bateaux, soit
par charrois, cbez les Souabes, les Bataves,les Bavarois, les An-
glais et les Espagnols qui les payent à haut prix, » Sébastien
Munster assure même que de son temps, c'est-à-dire dans la pre-
mière moitié du seizième siècle, ils pénétraient jusqu'en Suède (3).
lien était encore de même à la fin du dix-septième siècle, où l'in-
tendant Lagrange écrivait à la date de 1697 : « On envoie une
quantité considérable de vin de la haute Alsace en Hollande, d'où
il se transporte en Suède et au Danemark, et se débite pour vin du
Rhin. L'on a remarqué qu'au lieu de s'affaiblir en demeurant
longtemps sur l'eau (4), il augmentait en bonté : le soufre qu'il tire
du terroir y contribue, et c'est ce qui lui donne une force extraor
dinaire, qui se modère par un long transport » (5).
Quand les bandes anglaises, puis celles des Armagnacs rava-
gèrent le pays aux quatorzième et quinzième siècles, le bon goût
du vin d'Alsace leur fit prolonger leur séjour beaucoup plus,
apparemment, que les habitants ne l'auraient souhaité (6). Les ama-
teurs difficiles le mettaient sur la même ligne que le RivogUo
d'Istrie; « beaucoup de gens dédaignent de boire le mauvais
vin ; il leur faut du Reynfal^ de V Alsacien (7). » — « Oh ! que j'ai en
ce moment de délicieux et renommé vin d'Alsace, » dit Hans
Sachs (8). « Quand bien même le bon Dieu et Monsieur Saint-Jean-
Baptiste son précurseur devraient le boire à eux seuls, je saurais
pourtant combien il a été bon, et combien il a dû réjouir leurs
sentiments. » Le Gargantua de Fischart ne pouvait évidem-
ment le mettre en oubli. « Il vient une époque qui s'appelle le
Carnaval, et dans laquelle règne en souverain un maître nommé
l'Alsacien. Plus d'un en a souvent la bourse allégée et la tête
(1) Et comme les vins estincelaient
Si que la graot sale et la Chambre
Sembloit pleines de bosme et d'ambre,
Ce sembloit paradis terrestre.
(Henri d'Andelys, la Bataille des vins.)
(2) GebwiUer, Faneg. Carolina, p. i4, in Gh. Gérard, loc. cit,^ p. 313.
(3) Munster, Cosmographia^ p. 807.
(4) Aulre rapprochement avec les Bordeaux « retour de l'Inde ».
(5) Lagrange, Mémoire sur rAlsacCy ms p. 219, cité par Gh. Gérard, loc. cW.,
p. 315. Nous empruntons entièrement et à peu près textuellement ce qui suit
à Texcellente monographie de ce dernier, r Ancienne Alsace à table , p. 315 et
suiy.
(6) Chronique des Dominicains de GuebunlleTj p. 62.
(7) Brant, Narrenschiff^ ch. liiii, p. 185.
(8) Hans Sachs Werke, U III, p. 93.
Digitized by
Google
172 HISTOIRE DE LA VIGNE
alourdie (1). » Chose facile à comprendre, la seconde surtout^
puisque c'est un Allemand, c'est-à-dire un vasum vinarium (2)
qui parle, surtout s'il s'agissait du perfide Kitterlé (3), surnommé
casse-mollets (Wadenbrecher), et à qui Stœber a facétieusement
donné pour armoiries deux mollets en croix. Érasme seul paraît
avoir introduit dans ce concert de dithyrambes une note maussade,
et avoir calomnié l'honnête vin d'Alsace. Il lui attribuait les
douleurs néphrétiques dont il était tourmenté alors que ce vin se
recommando justement comme diurétique (4). « Les vins d'Alsace,
en général, et tout particulièrement VOlwer, des environs de
Guebwiller, et le Wolxheim^ développent l'excrétion rénale. A
l'hôpital de Strasbourg, les opérations de la taille sont très
rares (5). »
Plus justes étaient les chansons populaires dont Gérard
cite la suivante : « N'oublions pas les voituriers grands et petits
qui mènent leurs charriots en Alsace et en rapportent les bon&
vins du Rhin ! Ne leur épargnons pas nos louanges reconnais-
santes : que Dieu et la vierge Marie daignent les conduire et les
protéger tous! » Plus justes les médecins qui, tels qu'Elisée
Rœsslin (6), vantaient la force et la fougue si estimées de ces
vins. Plus justes les géographes tels que Duval, portant d'eux ce
témoignage : « Le vin d'Alsace est fort agréable à boire, et l'on
en recueille une telle quantité qu'on en transporte en Suisse, en
Souabe, en Bavière, en Lorraine, en Flandre, en Franche-Comté ^
et même en Angleterre (7). »
La quantité répondait donc à la qualité. Sur ce point les témoi-
gnages sont unanimes. En 1776, la seule ville de Lucerne acheta
(1) Fischart, Gargantua, ch. iv.
(2) Pogge Florentin (Poggio Bracciolini) appelle les Allemands : « Vasa vina-
<c ria ad pastum et somnium nata, » C'est à peu près, d'ailleurs, la définition
de Tacite : « dediti somno ciboque, »
(3) Ce nom est venu au vin de celui du vigneron qui a planté le vignoble.
Il s'appelait Kutter et était de petite taille, d'où le diminutif Kitterlé (petit
Kutter).
(4) Dans les Cratonis ConsUia, parus à Francfort en 1598, il est déjà indiqué
comme tel aux calculeux. Greg. Horstius, dans ses Observât. ConsiL et Epist.
Med, parusà Ulm en 1641, le vante comme antiscori)utique,et U fait, en outre^
celte curieuse remarque que, bien que diurétique, il n'en est pas moins ali-
mentaire, ce dont il prend à témoin l'embonpoint ordinaire de ses manipula-
teurs (cmopolarum istitts vini) . Selon le D' Guyot {Étude sur les vignobles de
France, t. III, p. 242), les propriétés diurétiques des vins d'Alsace, et princi-
palement de ceux de Guebwiller, seraient surtout dues au raisin dit Olwer.
(5) Revue A/saciennc, 1884, p. 115.
(6) Rœsslin, Dos Wasgauiche Gebirg, p, 1.
(7) Duval, Acquisitions de la France, 1679, p. 1.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 173
pour plus d'un million de oes vins (1). Doppelmayer appelait
l'Alsace « la cave à vin des pays environnants » (2).
La vigne parait avoir dès le principe, ou à peu près, occupé
en Alsace la majeure partie de l'espace , que la nature semblait
avoir modelé pour elle. Depuis la Révolution tout au moins,
dont l'influence fécondatrice est ici manifeste, la superficie viti-
cole n'y varie d'une période à l'autre que dans des limites très
restreintes. Elle est, en 1788 de 21,016 hectares, de 2!^, 591 en
1829, de 24,456 en 1849, de 23,615 en 1860, de 26,152 en 1875 (3).
« Actuellement, elle y occupe la lisière de coteaux qui va le
long des pentes orientales des Vosges, de Thann à Wasselonne. Il
y a bien quelques vignes dans le Sundgau, il y en a, aussi, au
Kochersberg et sur les limites du Bas-Rhin jusqu'à Wissem-
bourg ; il y en a même dans les plaines de TOchsenfeld, autour
de Cernay et dans la plaine de Otel, aux environs de Colmar et
de Strasbourg, mais, sans former la culture dominante ni la prin-
cipale ressource de ces cantons. En fait, la vigne trouve son vrai
domaine sur les collines de l'Alsace moyenne, au sud et au nord
de RibeauviUé. Dans cette région elle revêt de ses pampres pré-
cieux les flancs des coteaux, en même temps qu'elle monte sur
les premiers gradins des montagnes et qu'elle empiète sur la
plaine, disputant les sillons aux céréales, refoulant les bois sur
les rochers arides. Sur toute cette étendue, pas un coin de terre,
pas une anfractuosité, pas une exposition propice n'échappe à la
vigne, qui les conquiert tous au prix de travaux énormes. Une
vallée vient-elle à s'ouvrir, la vigne y pénètre pour s'avancer à
son intérieur sur ime longueur de plusieurs lieues aux exposi-
lions méridionales. Quels tableaux riants présente alors le débou-
ché de nos vallées alsaciennes I Quelle magnifique perspective on
découvre du haut des coteaux altérés de soleil I Au pied des
vignobles, un torrent, changé par l'été en ruisseau paisible, mur-
mure et glisse directement entre des bouquets de saules, de peu-
pliers et d'ormes, à travers les prés en fleurs. Vers le fond, la
vallée se ferme par des rangées de montagnes plus hautes, mais
arrondies mollement avec leurs forêts baignées de tièdes vapeurs
et dans un calme solennel, tandis que plus près, au-dessus de la
voie ferrée où la locomotive emporte des trains rapides, des sen-
(1) Billing, Beschreibimg des ElsasseSy p. 4.
(2) Doppellmeyer, Besehreibimg des ElsasseSf p. 7.
(3) Renseignements dus à la gracieuse obligeance de notre très honoré
orrespondant M. Charles Grad, Fémiaent, érudit, et patriotique député de
Colmar.
Digitized by
Google
174 HISTOIRE DE LA VIGNE
tiers pittoresques montent à travers les vignes aux pampres ver-
doyants jusqu'au rocher que domine une vieille tour féodale
comme un souvenir du passé, de laquelle le regard embrasse la
riche plaine d'Alsace, avec ses moissons, comme une espérance
pour l'avenir (1). »
Quanta la production totale, elleétait, pourlapériodede 1852-60,
de 934,281 hectolitres, de 1863 à 1869 de 1,250,000 hectolitres, de
1874 à 1878 de 1.416,000 hectolitres. Depuis 1878, cette produc-
tion a diminué, mais on n'en évalue pas moins encore la con-
sommation indigène à 94 litres de vin par habitant.
Il y a donc ainsi progrès constant. « Si les vignobles de la plaine
se rétrécissent sous l'influence des fortes gelées qui ont détruit
en 1830 et 1854 tous les ceps de la plaine, tandis que la vigne
résista parfaitement sur les collines entre 200 et 400 mètres d'al-
titude, les collines où le vin acquiert un bouquet spécial 'très
recherché, loin de voir diminuer l'étendue du sol planté de
vignes, se sont au contraire couvertes de nouveaux pampres.
C'est par 80 et 100 hectolitres que s'y compte le rendement d'un
hectare, avec une moyenne générale de 45 au plus bas (2), c'est
de 1000 à 1500 francs que s'en évalue le produit brut, laissant
8 pour 100 d'intérêt pour le capital engagé dans l'exploitation,
malgré une main-d'œuvre beaucoup plus coûteuse en Alsace
que dans les départements méridionaux, et le haut prix des
terres qui valent de 8,000 à 20,000 francs. Le nombre des familles
vivant des produits du vignoble s'élève de 20,000 à 25,000, soù un
quart de la population agricole du pays. Inutile d'ajouter
que la culture de la vigne nécessite aussi l'entretien d'une quan-
tité de bétail assez considérable, en même temps qu'une partie
du sol est aussi consacrée au blé et surtout à la pomme de
terre (3). »
L'Alsace est donc, contrairement à ce qu'on croit généralement
(1) Charles Grad, loc, cit,
(2) Le docteur Guyot {Étude sur les vignobles de Francey i. III) confirme ce
magnifique rendement dû à la taille riche de TAIsace, qu'il appelle taille en
quenouille. Nous aurons occasion d'y revenir.
(3) Charles Grad., loc. a7.,p. 7,8. Il y a plus d'un siècle, Montesquieu, qui fut
aussi bien qu'un gourmet de lettres, un gourmet de vins et un excellent
vigneron, avait déjà parfaitement noté cette influence populalive de la vigne.
Il dit (Esprit des /oi5, t. XXIII, ch. xiv.) : « Les pays de pâturages sont peu
« peuplés, parce que peu de gens y trouvent de l'occupation ; les terres à blé
« occupent plus d'hommes, et les vignobles infiniment davantage. » Il n'y a
donc pas de meilleur agent de colonisation que la viticulture, et, si on sait,
comme tout nous y invite, seconder et activer suffisamment son implan-
tation en Afrique, la crise qui nous frappe aura presque été un bonheur.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 175
en France^ beaucoup plus un pays de vin qu'un pays de bière.
V N'y sent-on pas d'ailleurs, » comme le dit très bien la Revue
Alsactennej « dans le caractère dévoué et chevaleresque de
nos compatriotes alsaciens la générosité native du Tokay et du
Riesling ^l)? »
Le Tokay, disons-nous. Nom de pure fantaisie appliqué à un
cépage qui n'a sans doute que cela de commun avec son congé-
nère de la Theiss, et aussi de fournir, au témoignage du spirituel
« Yigneran » de la Mevue, le meilleur vin du pays où il croît. Le
«Tokay » alsacien est la variété grise du Klàvner, qui n'est autre
que le Pineau de Bourgogne. Le noir est généralement aban-
donné. « On ne le cultive sur une grande échelle qu'à Roderen,
Ottrott, Marlenheim, Lampertsioch (2). Il donne un vin léger et
agréable, qui n'a, toutefois, ni la générosité du Bourgogne, ni le
bouquet du Bordeaux. Aussi ne s'en occupe-t-on plus guère.
Tiirckheim, qui produisait il y a 30 ou 40 ans un vin rouge assez
estimé, n'en récolte plus que quelques hectolitres (3). » La langue
populaire avait donné à ce vin le nom de Tûrkenblut (sang de
Turc).
Pourtant, au seizième siècle, Lazare de Schwendi, revenant
des guerres de Hongrie, avait apporté à Kientzheim de vrai
Tokay (4), qui ne semble point y avoir fait autrement fortune. Le
vin de Kientzheim n'a en effet rien de supérieur, ou même de
notable. Il n'est cité ni dans la Bataille des vins alsaciens dont
nous parlons plus loin, ni dans les énumérations rimées de Stœ-
ber (5) et d'Arnold (6). Julien, comme nous le verrons tout à
rheure, lui assigne tout au plus une place parmi les bons ordi-
naires de Bourgogne, ce qui exclut, ipso factOy tout rapproche-
ment avec le Tokay.
Le Traminer fait aussi partie des « plants gentils », comme l'in-
dique, d'ailleurs, son autre nom à!Edler ou noble. C'est le Nature
(1) Julien, loc, cit. passim. Revue Alsacienne^ loe, cit, passim.
(2) C'est à Lampertsioch qu'ont eu Heu, comme nous aurons occasion de le
Toir dans un autre chapitre, les mémorables expériences de notre glorieux
compatriote Boussiugault, expériences qui ont été le point de départ de Tappli-
cation des engrais u chimiques » à la vigne.
(3) Revue Alsacienney loc, cit., p. 114. Le D' Guyot, loc. cit., a parfaitement
prophétisé, il y a une vingtaine d années, la disparition graduelle des vins
rouges en Alsace.
(4) Musée pittoresque d'Alsace, Kientzheim, p. 59 et Gh. Gérard, loc. cit.,
p. 318.
(5) Ehr. Stœber, Daniel. Strasbourg, 1825, in 8% p. 29.
(6) Arnold, Pfingsmontog, 1816, p. 177. Voir aussi Gh. Gérard, loc. cit. y
p. 322.
Digitized by
Google
176 HISTOIRE DE Lk VIGNE
de Bourgogne ou savagrdn; c'est aussi celui qui, dans le Jura,
donne le vin d'Arbois (1).
« D est surtout cultivé du côté de Heiligenstein, où il produit
un vin clair et aussi agréable au goût qu'à la vue (2), » toujours
comme son frère d'Arbois. C'est Ehrhard Wantz qui l'a introduit à
Heiligenstein, et ce service a paru avec raison si important que
les habitants ont cru devoir en conserver la mémoire par une
plaque de marbre, apposée sur la façade de la mairie en l'hon-
neur de leur bienfaiteur (3).
Il est curieux de noter, en passant, que dans son voyage ampé-
logrfi^phique à l'Ile Kelley (lac Ohio), le professeur Planchon a
constaté que, de vingt variétés européennes introduites par
Ch. Carpenter, dans ce centre phylloxéré, le Traminer seul avait
survécu au bout de quelques années (4).
Le Muscat donne aussi, en Alsace, un vin qui, semblable en
cela au vin blanc de Bergerac, est d'un goût doux et agréable,
mais de peu de garde. Gomme son symétrique périgourdin, H
est, à la veillée, le compagnon presque classique |des marrons
grillés.
Proche parent du Muscat par sa saveur aromatique est le Chas-
selas musqué, dont les produits, uniquement consacrés à la table,
laissent en arrière même le chasselas si renommé de Fontaine-
bleau et de Thomery.
Le Gutedel, ou Chasselas français donne également un [excel-
lent raisin de table, mais on le cultive aussi en Alsace, comme
(1) P. Renard, loc, cit. y p. 101.
(2) Revue Alsacienne, loc. cit., p. 114.
(3) Id., ibid, — Exemple excellent et trop peu suivi. « Je regarde, » disait
le président Henrion de Pansey, « la découverte d'un mets nouveau, qui
« soutient notre appétit et prolonge nos jouissances, comme un événement
« bien plus intéressant que la découverte d'une étoile. On en voit toujours
« assez. » N'en pourrait-on dire autant de la découverte ou de l'inlroduction
d'un nouveau cépage, et, d'une manière générale, pourquoi l'huma-
nité ne réserverait-elle pas pour ceux qui lui adoucissent les conditions si
rudes de la vie les hommages qu'elle n'accorde d'habitude qu'à ses bourreaux?
Napoléon, qui promena la mort et la ruine sur tout un continent pendant
15 années, au bout desquelles il laissa son pays exsangue et mutilé, a eu chez
nous des autels pendant soixante ans, et c'est à peine si, en dehors de quel-
ques érudits, on y sait les noms de Soubeyran et de Simpson qui, l'un en
inventant le chloroforme, et l'autre en découvrant ses propriétés anesthésiques
ont épargné à leurs semblables plus de douleurs que le premier n'en a causé.
Lorsque, comme le héros vieilU deMurger, revenu de ses illusions, l'humanité,
comme lui, n'aimera plus que ce qui est bon, et n'estimera plus que ce qui est
utile, les modestes philosophes, les « sa^es» inconscients de Heiligenstein pour-
ront revendiquer le titre de précurseurs de cette grande révolution morale.
(4) J.-E. Planchon, les Vignes américaines^ p. 84-85.
i
L
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 177
raisin de vigne. U fournit un bon vin ordinaire. Très répandu, il
constitue à Hunawihr le fonds du vignoble.
Le Kniperléy nommé aussi YOrtlieber, domine dans maintes
communes. Petit-Lafitte (1) et Stoltz nous ont appris qu'il n'est
autre que le Damery^ ou Folle Blanche y ou Enrageât j ces derniers
noms venant probablement de son extrême rusticité qui le rend
propre à tous les terrains, et de sa phénoménale fertilité qui ne
conncdt point de chômage. C'est le raisin des « Graves ». En
Alsace où il porte, encore, le troisième nom de Petit Mielleux^
(Stoltz), comme en Gironde, il donne beaucoup et bon, de bon ordi-
naire, s'entend. On reproche seulement à ses vins d'être sujets à
la « graisse », inconvénient qu'on combat par le tannin, et, auquel
on parerait mieux encore « soit par une fermentation des raisins
(( blancs pendant quelques heures, soit par l'addition de pellicules
« au jus mis en tonneaux (2). » Le Sylvaner^ remarquable par sa
coloration verte, fournit beaucoup dans les terres fortes. Le grosser
Rieschling est aussi productif, mais le vin en est inférieur, car nous
voilà rendus aux cépages communs, aux burger^ à la « vile mul-
titude » ampélographique. Le type de ces plants vulgaires l'f/d/in^
on Biirger proprement dit était jadis la variété dominante, il
tend petit à petit à céder la place au Chasselas et au Kniperlé.
h'Olwer est un bon raisin tardif. Nous avons vu qu'il produit un
vin diurétique (3).
Les vins alsaciens sont principalement des vins blancs. Le
Haut-Rhin cependant produit quelques vins rouges assez esti-
més, et qui ont, suivant Julien, de l'analogie avec les bons ordi-
naires de Bourgogne (4). Ce sont les vins de Riquewihr, de
Ribeauvillé, d'Ammerschwihr, de Kienzheim, de Kaysersberg,
d'Olwiller, de Valrach. Le Neuwiller et le Wolxheim rouge (il y
en a un blanc), sont cependant estimés.
Blancs et rouges, la liste des vins alsaciens, même simple-
ment de ceux dignes d'estime, serait, s'il nous fallait tout citer,
fort longue. Cependant, il en est qu'un historiographe de la vigne
ne peut passer sous silence. Tels, VAlteiiberg et le Rott de Wolx-
heim, « les premiers vins du Bas-Rhin pour leur velouté et lem*s
qualités bienfaisantes » (5), et qui surent fixer Tattention de
Napoléon 1" qui en faisait grand cas, tels le Tempelhoff^i le Can-
(\) Petit-Laffitte, la Vigne dans le Bordelais, p. 174. Stolz, Awpélographie
rhénane, p. 133.
(2) D' Guyol, Éiiuies sur les vignobles de France, t. III, p. 244.
(3) Revue AUsLcienne, loc, cit,, p. 113 et suiy. ; ip, 242. D' Guyol, loc. cit.
(4) Julien, loc. cit., p. 87, 88.
(5) Ch. Gérard, loc. cit., p. 317.
TRiLITÉ DB lA YIGNB. — I. 12
Digitized by
Google
178 HISTOIRE DE LA VIGNE
zelberg de Bergheim. « Dans tous les villages, depuis Bergheim
jusqu'à Cernay, les propriétaires riches vendent du bon Riesling
et du non moins bon Tokay. » — « Après cinq ans de séjour en
tonneau, le vin fin est propre à être mis en bouteilles. Un vin fin
bien soigné dépose peu dans ces conditions, et se conserve indé-
finiment (1). » — « Et comment ne pas saluer, au passage, Hunawihr
et son ifî2A//ûr5^, Ribeauvillé avec ses Rieslings vigoureux, meil-
leurs que ceux du Palatinat, son Tokay, son Geisberger, un délice,
son Trottacker, une suavité, son Zahnacker pour lequel les gour-
mets s'inscrivent à Tavance, et Riquewihr, le Clos-Vougeot de
TAlsace, qui offre son vin gris [Eschgriesler), son Gentil qui em-
baume tout un appartement, son Schœnbergery si mielleux à la
bouche, mais trop capiteux, son Spom, son Sormenbergj son
lÀppelsberger^ le vin favori de Jean de Munterscheid (2), et dont
Fischart disait :
Katzenthaler und Lùppelsperger von Rekfienweyerf
Wie halten euch tneine Lippen so iheuer !
« Katzenthaler et Lippelsberger de Riquewihr, que vous êtes
chers à mes lèvres ! (3). »
Mais le vin, sinon le meilleur, bien que les amateurs ne lui
manquent point, au moins le plus capiteux de l'Alsace, est le
(1) Revue Alsacienne, loc. ciL^ p. HO.
(2) Jean de Munterscheid, évêque bon compagnon de Strasbourg au sei-
zième siècle, sorte de Jean des Entomeures alsacien, a laissé dans les
fastes poculatifs de son époque des souvenirs vraiment homériques. Ayant
convoqué à son palais de Saverne les députés de la ville de Strasbourg pour
leur prêter son serment d'allégeance, il leur donna une fête gastronomique qui
dura quatre jours sans interruption. « Les vins les plus exquis étaient servis à
profusion. Jean de Munterscheid était un rude lutteur, un des plus preux
buveurs de l'Empire, un véritable paladin de la table ; sa gaieté était histo-
rique, sa bonhomie fine, expansive et inépuisable, son pantagruélisme entraî-
nant. Ses pages et ses échansons entrèrent ce soir-là si libéralement dans la
pensée du maître, que quatre députés succombèrent avant qu'on fût au bout
de la bataille : Tammeister Lorcher et le docteur Botzheim, l'avocat général
restèrent seuls en état de tenir tête au prélat et aux dignitaires éprouvés de sa
maison, encore eurent-ils besoin du secours de deux pages pour gagner leur
chambre... Cette campagne gastronomique eut les plus heureuses consé-
quences. Pendant le reste del'épiscopat de Munterscheid, la meilleure harmonie
ne cessa de régner entre le prélat catholique et la république luthérienne.
C'est le même prélat qui avait institué au Hoh-Barr, près de Saverne, l'Aca-
démie poculative dite de la Corne parce que « celui-là, seul, était proclamé
membre du vénérable corps qui vidait d'un seul trait une vaste corne remplie
de deux pots (4 litres) de Lippelsberger, de Wolxheim doré ou de vin du Rhin. »
Les faibles et les infirmes qui succombaient à l'épreuve étaient repoussés. —
Charles Géreu'd, V Ancienne Alsace à table, passim.
(3)Ch. Gérard, loc. cit., p. 320-321.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 179
Rangwein de Thann. « Que le Rang te heurte I » est une formule
de malédiction usitée en Alsace. Quand les Bourguignons de
Charles le Téméraire vinrent à Thann en 1468, ils y trouvèrent,
dilDieboldt-Schilling, « du Rangwein le plus exguis, surtout dans
la maison du sire de Reinach, et dans plusieurs autres : ce bon
vin leur monta vigoureusement les courages (1). » Mais les Bour-
guignons sont de terribles « humeurs de piot », dont leur vin de
feu a dès Tenfance aguerri le pharynx contre tous les incendies,
et qui trouveraient moyen de se désaltérer avec la lave du Phlé-
géthon. Ils ont donc, à cet égard, des grâces particulières, aussi
Ichtersheim défie-t-il tout autre qu'un Bourguignon de boire
un pot de Rangwein ohne bodenwerfenden Sauschy c'est-à-dire
sans rouler sous la table, bien qu'il s'insinue dans le corps aussi
doucement que le lait, n daer dock wie Milch einschleichet (2) ».
K Que celui qui en abuse se garde de Tair et de la promenade, » dit
le Franciscain de Thann, « il vaut mieux le croire que d'en faire
l'expérience, bien que ceux qui l'ont faite en puissent porter le
plus s&r témoignage (3). »
Introduit en Autriche sous Marie-Thérèse, il y excita un tel
engouement qu'on y en buvait plus que Thann n'en fabriquait.
L'Alsace a elle aussi sa Bataille des vins^
Zu Thanny im Rangeriy
Zu Gehwiller in der WanneUf
Zu Tûrckheim im Brand
Wàchst der beste Wein im Land
(à Thann dans le Rang, à Guebwiller dans la Wanne, à
Tûrckheim dans le Brand, croissent les meilleurs vins du pays),
dit une strophe, mais les prétendants trouvent à qui parler,
Aber gegenHeichenweihrer Sporen,
Haben sie aile dos Spiel verlohren
(mais, devant le Sporen de Riquewihr, ils baissent tous pavil-
lon (4).
Ne nous reconnaissant point qualité suffisante, nous laisse-
rons au lecteur le soin de départager les contendants. Toute-
fois, nous ne croirions point notre tâche accomplie si nous
ne disions un mot du véritable nectar de l'Alsace, le vin de paille.
{{) Dieboldt-Schilling, Burgundischer Krieg, p. 20.
(2) Ichtersheim, Topographie des Misasses, t. II, p. 41.
(3) Kleine Thanner Chronick, 1765, p. 78.
(4) Ch. Gérard, loc. d(., p. 3i5 et suiv.
Digitized by
Google
180 HISTOIRE DE LA VIGNE
« Quand dans un de nos villages une maltresse de maison invite
ses amies pour le jour de sa fête, elle sert religieusement un pâté
de viande, un kougelhof et du vin de paille. Pour obtenir ce
vin, on prend les raisins les plus mûrs, de préférence le Chasselas,
et on les étend sur la paille dans la chambre à fruits que possède
tout vigneron. Chaque semaine on passe une inspection, et on
coupe les grains pourris. On pressure au mois d'avril, et on laisse
le vin deux ans en tonneau. On ne tire en bouteilles qu'au bout
de huit ou dix ans. Ainsi fabriqué, le vin de paille est un vin de
liqueur incomparable : il ranimerait un mort, dit-on dans cer-
tains villages, son goût est exquis, et sa couleur d'un magnifique
îaune foncé réjouit la vue. Les femmelettes des grandes villes^
débilitées par l'anémie, trouveraient dans le vin de paille un
meilleur remède que dans le vin de quinquina (1). » Tel est aussi
l'avis de Julien qui n'hésite pas à le classer « parmi les meilleurs
vins de liqueur de France (2). »
De l'Alsace à la Franche-Comté, il n'y a qu'un pas physique-
ment et moralement, car, par l'ouverture, la franchise et la pro-
bité des caractères, par la rondeur des façons, par la bonhomie^
par les mœurs hospitalières, comme aussi par la chaleur du
patriotisme, il n'y a pas au monde doux races plus affines et plus
semblables que le Comtois et l'Alsacien.
L'analogie s'étend jusqu'aux produits du terrain. En Franche-
Comté comme en Alsace on trouve le vin de paille, fils, il est vrai,,
de celui de Colmar (3); le caractère général des vins y est comme
en Alsace la vivacité, la spirituosité et le bouquet; comme les
Riquewihr,les Kaysersberg, les Ribeauvillé, les vins des Arsures>
de Salins, d'Aiglepierre, etc., auraient une légère tendance à se
rapprocher des Bourgogne.
En nous informant, sans autre restriction, que les vignes de
Vienne viennent d'être introduites en Auvergne et en Séquanie
(Comté actuelle), Pline nous permet de supposer que d'autres
variétés de vignes y existaient déjà précédemment. François Che-
valier (4) exprime l'opinion que la culture de la vigne a dû être
(1) Revue Alsaciennef loc, cit,^ p. 118.
(2) Julien, loc, cit., p. 90. M. Théodore Roth, propriétaire à Andlau, possède,
paralt-il, une œnothèque spéciale de « vins de paille », comprenant des
échantillons de toutes les bonnes années depuis le commencement du siècle.
Renseignement communiqué par notre ami Eugène Seinguerlet, Téminent
directeur-fondateur de Tattique et patriotique Revue Alsacienne.
(3) Le vin de paille a été introduit à Poligny vers 1764 par Dagar qui avait
été major à Colmar. (Fr. Chevalier, Œnologie^ p. 68.)
(4) Œnologie ou discours sur le vignoble et les vins de Poligny..., année 1774,
par Messire François Félix Chevalier, de Poligny. — Poligny.
Digitized by
Google
LA VIGNB SELON L'HISTOIRB 181
eommnniquéB aux Insubres Gaulois de Séquanie par leurs congé-
nères transalpins passés à la suite de Bellovèse dans Tltalie
septentrionale, où ils contribuèrent avec d'autres tribus gauloises
à la fondation de Milan. Une comparaison entre les cépages de la
Comté et ceux de Lombardo-Vénétie pourrait peut-être jeter
quelque jour sur cette question. Quoi qu'il en soit, les vignes
séquanaises étaient déjà si vieilles au temps de Constantin, c'est-
à-dire au commencement du quatrième siècle, que celles du Pa^t^
Arebrignus rendaient à peine la taille. C'est du moins ce que
nous apprend, dans ses Panégyriques^ Euménius qui avait été en
Gaule directeur des Écoles. Quant aux vins séquanais, il parait
certain qu'ils ont devancé dans leur réputation ceux de la
Bourgogne, et qu'ils ont été, ensuite, longtemps estimés à l'égal
de ces redoutables rivaux. Béguillet, de Dijon, Bourguignon par
conséquent, dit, dans son Œno/o^>, qu'après la grande impulsion
donnée par « Probe » à la viticulture, les vins des Gaules acquirent
de la réputation, et que c'étaient principalement ceux de la province
Séquanaise qui eurent de la célébrité comme étant les meilleurs.
(c Les chartes et les titres que j'ai fait insérer dans mes
mémoires historiques sur Poligny, » dit François Chevalier (1),
« montrent que, dès longtemps et des siècles très reculés (2), nos
souverains avaient leurs vignobles et leurs celliers à Poligny,
d'où ils tiraient les vins pour leur table ; que, de là, ils en faisaient
conduire dans les divers châteaux de la province où ils allaient
passer quelque temps, et que c'était des vins de Poligny tirés de
leurs caves en cette ville dont ils faisaient des cadeaux aux rois
et aux princes. »
En preuve de ces coutumes, François Chevalier cite encore les
faits suivants : d'après les archives des comptes de Franche-
Comté (cote B 382 et autres), le roi Jean vint en 1356, l'année
même de la bataille de Poitiers, en Bourgogne pour y pacifier
des troubles, et, à cette occasion, on fournit tous les châteaux où
il devait séjourner de vins de Poligny, tirés en partie de ses
celliers de la ville et en partie achetés des particuliers. Ces vins
furent conduits notamment à Rouvre, à Argilly, à Salans, etc.,
sous l'inspection d'un officier délégué ad hoc. En 1374, la reine
de France fait cadeau au duc de Bourgogne « étant en ost devant
Bois Juhan, » de deux muids de vin de Poligny, également
empruntés aux celliers royaux de la ville.
(1) Fr. Chevalier, (EnologiCy p. 15.
(2) Une de ces chartes remonte à 965, c'est-à-dire à Lothaire, rayant-dernier
€arlovingien.
Digitized by
Google
182 HISTOIRE DE L^ VIGNE
Au seizième siècle, « le magistrat » de Poligny envoie en
Flandre au cardinal Perrenol de Granvelle, ministre de
Philippe n, et bourreau des Pays-Bas, plusieurs pièces de vin
clairet j cadeau qui, à en juger par la chaleur de ses remerct-
ments, paraît lui avoir été fort agréable (1). Dans sa Cosmogra-
phia ffeneralis, publiée à Leyde en 1605, Merula traite les vins de
Poligny de Vina laudatissima (2). Jean Chevalier enchérit encore
sur cet éloge,îet parle non seulement de leur qualité, mais de leur
notoriété : Vinum suavisstmum, totâ Galliâ Germaniâque lauda-
tissimum (3). Gallut, dans ses Mémoires (p. 16), dit que « les vins
de Poligny mis en présence de ceux de Beaune, d'Italie,
d'Espagne et de Grèce, pour faire une boisson ordinaire, saine et
agréable, emporteront la victoire, ou du moins la contesteront. »
Même témoignage leur est rendu par Gilbert Cousin [Descriptio
Biirgiindids supertoris), par Fodéré {Description topographique des
Monastères de^Saint-François), par Dunod {Histoire de f Église de
Besançon).
Ici, comme ailleurs, l'histoire des monastères se liait de très
près à celle de la vigne, et la Franche-Comté avait, elle aussi, ses
« vins théologiques », dont la plupart, il faut bien le dire, n'ont
point soutenu leur réputation. « Les abbés de plusieurs grandes
abbayes et leurs religieux, non moins friands de bons vins que
les grands, marquèrent leur empressement pour jouir des vignes.
Telles furent les abbayes de Beaune, Luxeu, Lure, Mont-
Benoît, Babeme, Rozière et le prieuré de Vaux. La plupart de
ces abbayes y avaient des bâtiments et leurs celliers (4). »
Mais le plus célèbre de ces « vins théologiques » était encore
le vin blanc de Château-Chalon, qui, « après vingt ans de garde,
pouvait se comparer aux plus renommés. Le coteau qui le four-
nissait appartenait au chapitre de Château-Chalon ; l'abbesse
faisait garder les vignes, et le raisin restaitfsur le cep jusqu'au
mois de décembre. Cette propriété a été vendue en détail à des
particuliers, qui, n'ayant plus l'unité d'intention et les moyens de
conservation d'un grand propriétaire, sont obligés de vendanger
avec la masse, et font des vins bien inférieurs à ceux d'au-
trefois (5). » •
(i) Fr. Chevalier, Œnologie, p. 64.
(2) Merula, Cosmographia generalis et geographia particulariSf^aTi. Il, li?. lU,
•hap. xLv.
(3) Joann. Chevalier, Polyhym. in Scholiis, p. 3^.
(4) Fr. Chevalier, lac, cit., p. 16.
(5) Julien, loc, cit,, p. 455.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 183
La décadence commençait déjà au temps de François Chevalier,
qui, en dépit de son engouement bien naturel pour tout ce qui
touche à son pays, en convient avec désespoir, et éclate en
imprécations contre les « vignerons meurtriers (1) »,
ces peléSj ces galeuXy d'où nous vient tout le mal.
Avant « les guerres et les pestes qui marquèrent en Franche-
Comté la fin du grand siècle, » et qui y réduisirent la population
d'un cinquième, on y cultivait seulement 4 cépages : le Noirin
ou Franc Pineau, le Sauvignon, lePelossard (2), et le Béclan.Les
Savoyards et les Vaudois qui vinrent remplir les vides de la
population introduisirent à leur suite des plants médiocres, tels
que les Tresseaux et Moulans, mais ce furent les indigènes eux-
mêmes qui mirent le comble à leur propre mal par Tintroduction
du MatidoUj du Farineux et du Foirard, « mauvais plants qu'il
faut proscrire, et dont la police devrait arrêter la provignure et
la plantation Je ne peux revenir de mon étonnement que
les bourgeois de Poligny, soit par ignorance, paresse ou inatten-
tion, soit faiblesse envers leurs vignerons, tolèrent qu'on détruise
un plant aussi excellent et avantageux que le Noirin pour y
substituer les Margillins, Maudoux, Enfarinés et Foirards, plants
aussi désagréables que leurs noms (3). » Ils nous paraissent, en
effet, avoir fait un mauvais calcul.
Malgré tout, s'ils ont cessé d'être des vins supérieurs, les vins
d'Arbois, de Gray, de Poligny, sont encore de bons, d'agréables
vins d'ordinaire, et le goût de nos ancêtres ne nous paraît, en ce
qui les concerne, avoir eu rien, de dénaturé. Il n'en est point
de même pour les verjus de l'Orléanais, et il nous serait impos-
sible d'admettre qu'ils aient figuré dans les menus royaux et
qu'ils se soient échangés entre souverains sur le même pied que
le vin de Beaune, si les témoignages historiques les plus concor-
dants et les plus précis ne nous interdisaient d'en douter. C'est ainsi
que Louis le Jeune, écrivant de la Palestine à Suger, et au comte de
Vermandois, régents du royaume, leur enjoint, « de donner à
son cher et intime ami Arnoult, évêque de Lisieux, soixante
mesures de son très bon vin d'Orléans. » Les chroniques nous
apprennent aussi que quelques vins de la Loire, alors fort estimés,
(i) Fr. Chevalier, Œnologie, p. 20.
(2) Le nom de Pelossard vient de pelosse, nom populaire local d*une petite
prune, et fait allusion à la grosseur du raisin, ce qui donne à penser à Che-
valier que c'est le même qu'Olivier de Serres nomme Prunelas.
(3) Fr. Chevalier, loc, cit., p. 23.
Digitized by
Google
184 HISTOIRE DE LA VIGNE
étaient la boisson ordinaire des Plantagenets d'Angleterre, en
compagnie des meilleurs vins de France. C'étaient là des temps
un peu barbares où les goûts étaient encore peu raffinés mais ;
n'est-il pas étonnant de voir cet engouement, ou plutôt cette aber-
ration, persister encore à l'aurore de la Renaissance, et, par
exemple, en 1510, la reine Anne faire porter à Blois, « trois
barrils de vin vieil de Beaune et d Orléans, » pour en faire cadeau
aux ambassadeurs de Maximilien en route pour rejoindre le roi,
alors à Tours? Pourtant, à un moment donné, la raison vint,
puisque Gaulthier de Rohanne cite une ordonnance à laquelle le
grand maître de la maison du roi très chrétien jurait de se con-
former, et qui interdisait de servir des vins d'Orléans sur la table
de Sa Majesté.
Dans sa fameuse satire du déjeuner, Boileaua, depuis, généra-
lisé l'arrêt, en l'étendant à toute table qui se respecte (1).
Les vins d'Anjou sont de beaucoup préférables. Il y en a de
rouges assez estimés comme le Champigny, comprenant sous une
dénomination commune les vins de Dampierre, de Verrains,
Qiassé, Saint-Cyr en Bourg, etc. Mais, les plus renommés sont
les vins blancs de Saumur, qui ont, comme ceux de Thann, l'in-
convénient d'occasionner d'abominables céphalalgies. Ds servent
surtout à la contrefaçon du champagne,*dans les vastes carrières
de Saint-Hilaire, Saint-Florent. On ne sait pas grand'chose de
leur histoire, sinon ce qu'en dit en 1600 Olivier, qu'en Anjou on
faisait d'excellents vins avec des fermentations tumultueuses de
deux ou trois jours seulement, tandis qu'à Paris on laissait la
rafle séjourner sept jours dans la cuve.
En ce qui concerne les vins rouges de la Touraine, et plus
généralement des bords de la Loire, dont plusieurs sont classés
par Julien dans les ordinaires « de première qualité (2), :> nous
avons — bonne fortune bien rare en ces matières, — une indica-
tion précise sur la nature et sur la date d'introduction du cépage
qui les produit. Ce cépage n'est autre que le Cabemet du Bordelais,
peut-être la vigne Biturique de Pline et de Columelle. (3) « Lors-
que la terre de Richelieu fut érigée en duché-pairie, le cardinal,
(i) Un laquais effronté m*appor(e un rouge bord
D'un AuTemat furoeux, qui, mêlé de Lignage,
Se vendait chez Crenet, pour vin de rHtrmitagef ^
Et qui, rouge et Termeil, mais fade et doucereux,
N'avait rien qu'un godt plat et qu'un déboire affireux.
Les commentateurs, Renaudot et Valincour ajoutent en note : L'Auvernat ou
Auvernatsetle Lignage, vins peu eslimés, qui croissent aux environs d^Orléans.
(2) Julien, loc. cit. y p. 104.
(3) Voir plus haut, p. 137 et 163.
Digitized by
Google
U V16NB SELON L'HISTOIRE 185
qui se trouvait en Guyenne, envoya plusieurs milliers de plants
de la vigne la plus estimée dans le Bordelais, à son intendant,
qui était un ecclésiastique, nommé Tabbé Breton. Ce fut lui qui fit
planter ces vignes, et qui plus tard en répandit les plants... (1) »
D'où le nom de Breton attribué à ce cépage, dans toute la région
de la Loire. Bs est à remarquer que Bourguei "iî fournit le cru
le plus renommé de toute la contrée, est fort vl Richelieu
et appartient comme lui à Tarrondissement de Chi.
n semble, du reste, que nulle part, si ce n'est, pe -être, dans
Saône-et-Loire, la culture de la vigne ne soit plus éclairée qu'en
Touraine, oti « elle est aussi ancienne que l'existence histo-
rique de cette province (2), » et que, nulle part, l'éclectisme
ampélographique n'ait été plus judicieusement pratiqué, et
n'ait mieux su prendre à chaque région ce qu'elle avait de meil-
leur. Si, avec les Cabemets du Médoc déguisés en « Bretons », la
patrie de Rabelais a su faire ses Bourgueil à goût de framboise,
bien longtemps avant, sans doute, elle avait emprunté à la
Bourgogne son Franc Noirien, qui, sous le pseudonyme fallacieux
de « Noble d'Orléans », lui donne ses « vins, nobles », Ceux aussi,
de Joué, que Julien assimile aux « bonnes cuvées de la côte
d*Auxerre, » mais, « avec plus de fermeté et de couleur (3). »
C'est, enfin, avec les l^ineaux blancs de Cbablis, débarrassés
de leur sobriquet bourguignon de Chardenet, qu'elle fait ses
Vouvray, qui tiennent à la fois du vin de liqueur et du vin
sec, et sont si justement appréciés des Hollandais et des Belges
qui accaparent généralement avant la récolte cette « gloire
vitlcole de la Touraine », comme les Anglais font de certains
« grands vins » du Médoc (4).
Indépendamment de ces crus spéciaux, la Touraine produit
une grande quantité de vins connus dans le commerce sous la
dénomination de « vins du Cher », et fort recherchés pour les
coupages. Ils ont, en effet, « une couleur foncée », due au « Tein-
turier », si commun dans toutes les vignes de l'Ouest, « un
c( bon goût, beaucoup de corps, du spiritueux, et un mordant qui
« les rendent très propres à donner de la couleur et de la qualité
« aux vins faibles, et à rétablir ceux qui sont très vieux (5). »
Par une marche lentement mais incessamment graduelle,
(i) Odart, Ampélograpkie universelle.
(2) Or Guyot, Étude des vignobles de France, t. II, 648.
(3) Julien, toc. cit., p. iOi.
(4) Voiry-Mardelle, Classement des vignobles d Indre-et-Loire. Tours, Arrault,
1883, p. 16.
(5) Julien, loe. cit., p. 102.
Digitized by
Google
^86 HISTOIRE DE LA VIGNE
la superficie viticole n'a cessé de s'étendre en Touraine
depuis 50 ans. En 1832, Julien Tévaluait à 36,185 hectares,
le docteur Guyot à 40,000 vers 1860; en 1878, elle était, d'après
le Bulletiji de statistique^ de 50,000 ; le Syndicat vinicole et
commercial d'Indre-et-Loire estime qu'actuellement, elle touche
à 60,000 (1). Quant à la production moyenne, elle est de
1,100,000 hectolitres, chiffre qui a été doublé en 1875 (2), et
dont les 63/100 sont exportés hors du département. C'est 25
à 30,000,000 par an (3), que la vigne, comme dans la fable de
Danaé, déverse sur cette riche contrée.
Le phylloxéra va-t-il arrêter soudain cette pluie d'or et,
comme dans les Charcutes, souffler sur toute cette prospérité
pour la changer en misère? Espérons que non, car là, du moins,
on a le bon esprit de se défendre. Sur l'initiative, et sous la
présidence d'un homme de première valeur et de grande activité,
M. Voiry-Mardelle, un syndicat vinicole et commercial, recruté
parmi les principaux négociants et viticulteurs du pays, s'est
constitué dans le but, non seulement de défendre les vignobles
envahis, mais de les accroître et de les féconder par l'intro-
duction des méthodes de culture et des instruments les plus
perfectionnés, et, éventuellement, de nouveaux cépages. Ses
premiers efforts contre l'ennemi national du dedans, — pour ne
pas dire du dessous, — paraissent avoir été heureux, puisqu'ils
lui permettent de nous offrir le « témoignage absolu » que
« l'efficacité du sulfure de carbone est démontrée pour tous ceux
qui ont assisté aux travaux du syndicat (4). » D'un autre côté,
d'après les assurances que M. Voiry-Mardelle lui-même a bien
voulu nous donner, on se préoccuperait dans Indre-et-Loire
d'y reconstituer une collection, une École de Vignes (5) semblable
à celle qu'Odart avait jadis établie à la Dorée, et dont l'analogue,
— nous ne nous lasserons point de le répéter à satiété, jusqu'à
ce qu'on nous entende, — manque depuis vingt ans à Paris.
En somme, au point de vue de Tampéloponique comme de
l'ampélorcétique, le vignoble Tu rono- Angevin peut être actuelle-
(1) Voiry-Mardelle, Classement des vins d'Indre-et-Loirej p. 7.
(2) Extrait du BulL de statintique^ p. 47.
(3) Voiry-Mardelle, loc. cit.y p. 8.
(4) Travaux du service du philloxéra, an 1883, p. 283.
(5) Déjà, il existe en Touraine une ferme-école dite des Hubaudières où la
viticulture parait occuper une assez large place. C*est là, notamment, que,
sous rhabile direction de M. Nanquctte, a été instituée une des meilleures et
des plus convaincantes applications de la vigne en « chaintres ». Heuzé,
Bulletin des séances de la Soc, Nat, d'Agriculture de France, 1876, t. XXX VU^
p. ÎÎ48-50.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 187
ment considéré comme un petit modèle, modèle dont nous allons
avoir, hélas I à aborder la contre-partie.
n nous reste, en effet, à raconter une douloureuse histoire, celle
du martyrologe de la vigne, pour ne pas dire celle de notre sottise,
car, alors que, partout à l'étranger, les pouvoirs publics faisaient les
plus constants et, souvent, les plus heureux efforts pour propager,
pour améliorer, pour perfectionner par la science cet élément de
richesse, qu'on appelle la viticulture, ils n'ont, à quelques rares
exceptions près, fait chez nousque paralyser par leur inertie, quand
ce n'était pas détruire par des prohibitions issues d'une bêtise
poussée jusqu'au crime, tout l'essor de l'iniatitive individuelle.
Nous avons parlé de Domitien, le Néron chauve (Calvus Nero)
de Juvénal, et de Chilpéric, le Néron des Francs de Grégoire de
Tours. Nous ne reviendrons pas sur ces deux malfaiteurs, qu'il
vaubmieux abandonner à ce bagne du mépris public où l'histoire
lésa si justement relégués en compagnie de leur prototype com-
mun. Malheureusement les épreuves de la vigne n'ont point été
finies chez nous avec l'époux maltraité de Frédégonde, et son
calvaire y a eu presque autant d'étapes que celui du malheureux
pigeon de La Fontaine.
Doit-on classer dans les persécutions de la vigne l'édit par
lequel, en 1395, Philippe le Hardi ordonnait la destruction dans
toute la Bourgogne de « l'infâme gamai », prescription qui fut
plusieurs fois renouvelée ? Les avis sont partagés puisque Julien,
qui n'a rien d'un méchant homme, exprime le regret que cette
ordonnance, dont il grève faussement la mémoire déjà bien assez
chargée de Charles IX, ne soit pas renouvelée pour les vignes à
vins fins (1). C'est à peu près le vœu que nous avons vu expri-
mer à Chevalier, également un fort brave homme, à l'égard des
<c Enfarinés » et des « Foirards » de la Comté. Il serait dommage,
en effet, que par une avidité mal entendue, la Bourgogne, comme
sa voisine, échangeât l'ambroisie rare, peut-être, mais nulle-
ment marchandée de ses Pineaux contre la piquette banale de ses
Gamais, dont l'abondance ne saurait compenser le discrédit. En
somme, quoique trop absolue, puisqu'il y a place dans un
pays pour les vins fins où la qualité seule doit être visée, et pour
les vins communs où. on n'a à se préoccuper que du rendement
en nature, la mesure tendant à prévenir cet avilissement ne sau-
rait être interprétée comme une pensée hostile à la vigne.
On n'en saurait dire autant de l'ordonnance renouvelée de
(i) Julien, loc. cit., p. 118.
Digitized by VjOOQIC
188 HISTOIRE DE LA VIGNE
Domitien, par laquelle, en 1566, le roUrès chrétien Charles IK pré-
luda à ses aimables arquebusades du 24 août 1572 sur ses
féaux et amés sujets par une St-Barkhélemy de vignes. Cet édit,
mieux exécuté que celui de Domitien, ordonnait comme lui
Farrachage d'une partie des vignobles et, comme lui, interdisait
d'en planter de nouveaux. Le motif ou le prétexte, comme on
voudra, était le même que celui de Domitien : une disette de
crains ; comme si c'étaient les mêmes terrains dont s'accommodent
les vignes et les céréales 1
Comme si ce n'était pas assez, l'autre fils de la Florentine (1)
Henri III, émettait onze ans plus tard, en 1577, une nouvelle
ordonnance par laquelle interdiction était faite à tout propriétaire
d'avoir plus du tiers de son domaine en prés et en vignes.
Ce n'est pas, comme on serait naturellement porté à le croire,
«ous les rigueurs du climat qu'a péri le vignoble normand, 'dont
nous avons plus haut ébauché l'histoire, mais sous les exactions
du fisc monarchique. Écoutezplutôt Bois-Guillebert(2). «Les aides
ou droits sur le vin ont dépassé le prix de la marchandise, et
Ton a vu la mesure de vin monter de quatre sols à dix ; car il faut
payer le douxième ou le huitième du prix réel, puis le quart en
sus, puis le droit de jauge, et, à la porte des villes et lieux clos,
les droits d'entrée pour le roi, les hôpitaux et les villes, sans
•compter les amendes, que s'adjugent les commis des fermiers,
pour les contraventions, dans lesquelles ils s'ingénient à foire
tomber le contribuable. Les difficultés pour la circulation, l'obli-
gation de prendre des permissions à un certain bureau, et à
l'entrée des villes, les lenteurs affectées des commis, qui se font
attendre des journées entières, ont rendu cette circulation oné-
reuse aux particuliers ; les commis des fermiers, en accaparant
pour eux-mêmes le soin de fournir la marchandise aux débitants
ont interdit à tout autre ce genre de commerce, et, se sont assuré
le pouvoir de fixer les prix à leur gré; enfin, la nécessité de sur-
veiller les débitants pour empêcher la fraude des droits a fait que
les fermiers ne laissent subsister de cabarets que dans les villes
«t gros lieux; la consommation est, dès lors, bannie des cam-
pagnes, et, excepté dans la direction des grandes routes, il faut
(i) Catherine,
Florentine
Est de France la mine ;
Catherine de Florence
Est la mine de France,
ilisent les mémoires du temps.
(2) Bois-GuiUeberl, cité par GailJardin, Histoire du règne de Louis J/7,t. V,
p. 421-423.
Digitized by
Google
l\ VIGNE SELON ^HISTOIRE 18^
faire sept ou huit lieues de chemin pour trouver une maison où
Ton vende du vin les vignes ont subi une non-valeur con-
sidérable; c'a été, en quantité d'endroits, un très bon ménage que
de le? arracher. En Normandie même, où le peu de vin qui crois-
sait dans les parties intérieures trouvait autrefois à s'écouler du
côté de la mer, on voit entièrement abandonnés des vignobles qui
se vendaient mille livres Varpent, le terrain caillouteux n'étant
bon à aucune autre production, il y a de Mantes à Pont-de-
TArche plus de vingt mille arpents complètement en friche. »
Ce n'est pas non plus la nature, mais, sous le même règne, la
révocation de FÉdit de Nantes, qui a fait un désert de la Sologne,
auparavant « très peuplée et très vignoble (1) ». Ce vignoble, rien
ne serait sans doute plus facile que de le reconstituer, avec d'autant
plus de raison et d'avantage que l'immunité des sables pour le
phylloxéra paraît de plus en plus démontrée (2).
« En administration comme en politique, » a dit avec raison
on moraliste homme d'État, « toutes les sottises sont mères (3). »
Enfin, le 5 juin 1731, sous Louis XV, et sur le rapport d'un
contrôleur des finances répondant au nom d'Ory, nouvelle ordon-
nance viticide interdisant toute future plantation, et enjoignant la
destruction de tout vignoble demeuré deux ans sans culture, le
tout sous peine de 3000 livres d'amende ou d'une punition plus
forte. Deux cents livres d amende au syndic de chaque paroisse
pour chaque infraction qu^il n'aura pas dénoncée. C'est la vigne
traitée en ennemi public, traquée comme une béte fauve, la chasse
à la vigne, comme dans de tristes moments de réaction politique
on a pu voir en France la chasse à l'homme.
Comment avec de tels gouvernements un peuple ne s'achemi^
nerait-il pas vers la ruine et même vers la mort, s'il n'avait à un
moment donné, comme nos ancêtres, le courage de briser d'un
seul coup toutes ces Bastilles politiques, administratives, profes-
sionnelles, économiques, qui enserrent l'individu — pardon l'admi-
nistré, — comme les bandelettes d'une momie ou d'un magot chi-
nois, et lui interdisent de devenir homme, — et d'en jeter les
débris par-dessus sa frontière aux nations encore asservies,
comme un encouragement à l'imitation et comme un symbole de
la foi nouvelle. Car l'air du despotisme ambiant est toujours
malsain pour un peuple libre.
Que de bons vouloirs, que de courages, que de talents de pre-
(1) D' Guyot, Étude sur les vignobles de 'Prance^ t. II, p. 684.
(2) Voir plus loin, la Vigne en Hongrie p. 224.
(3) Lévis, Maximes et Réflexions, De Timpriinerie deDidotTalDé, 1810, p. 238,
Digitized by
Google
190 HISTOIRE DE L^ VIGNE
mier ordre se sont usés dans une lutte ingrate contre cette bêtise
d^État qui semble, — pardon , qui semblait — avoir pris pour devise
la formule paraphrasée de Descaries : « J'empêche, donc je suis. »
« Que d'hommes depuis 1760 ont brisé les carrières qu'ils avaient
exercées avec honneur et distinction, ou renoncé à un avenir
brillant et assuré, pour aider au progrès de cette branche de l'in-
dustrie nationale (Viticulture), qui a recueilli cette phalange si
distinguée que pleuraient la littérature, les arts, la guerre, la
magistrature, l'administration ; et parmi eux Rozier, Bosc et
Chaptal ne doivent-ils pas être mentionnés en première ligne (1)? »
Virgile estimait que de son temps on eût eu plutôt fait de
compter les sables de la Libye ou les flots de la mer Ionienne, que
les cépages alors existants (2).
On pense si, depuis près de 2000 ans, par suite des découvertes
de continents nouveaux, des échanges, des importations, des
hybridations et des semis, ces sables sont devenus montagne.
Réunir sur un seul point ces variétés innombrables, les classer,
les cataloguer, en établir la synonymie, même encore aujourd'hui
si complexe et si confuse, les étudier, au point de vue de la cul-
ture dans leurs rapports avec les divers climats et les divers sols,
et au point de vue de la vinification dans leurs rapports mutuels,
substituer en un mot dans la viticulture et dans l'œnologie la
méthode expérimentale, nière de tout progrès sérieux à l'empi-
risme, telle fut l'idée que Rozier conçut et formula le premier, que
dix générations depuis lui ont à peine ébauchée et qu'il osa
tenter de réaliser da se y avec les seules forces de sa patience et de
son génie. Il y eût réussi s'il n'eût eu à compter qu'avec l'un et
avec l'autre, car, « il avait pressenti que l'avenir de la France
était dans ses vins, et il voulait jeter les bases d'une science dont
l'étude devait conduire au bonheur et à la grandeur de sa patrie. »
Un tel objectif, un tel espoir centuplaient les forces de cet honune
de bien. « Déjà il avait jeté les fondements de cet établissement
utile, lorsque des dégoûts de toute sorte, des attaques insensées,
des ennuis, surtout des jalousies inexplicables, le forcèrent à
abandonner le pays qu'il voulait enrichir, et doter de l'honneur
d'avoir montré à la France le chemin certain d'une immense
prospérité.
(1) R. Dejernon, loc, cU„ p. 68.
(2) Virgile, Georg., II, 105.
Quem qui scire velit, Lihyci velit mquorU idem
Diteere quant multx Zephiro turbentwr arenm;
Aut, ubi navigii* violentior incidit Euruty
Notte quot lonii veniant ad liitora fiuctui.
L
Digitized by
Google
L\ VIGNE SELON L'HISTOIRE 191
<c Après Rozier, Dupré Saint-Maur tente à Bordeaux un établis-
sement de même nature. Mais, là comme à Beziers, les mêmes
causes en chassent l'initiateur du pays qu'il veut féconder (1). »
Devenu, à la suite de son consulat aux États-Unis, par la gr&ce
éclairée et compétente du ministre Chaptal, inspecteur des pépi-
nières, puis professeur de culture au Jardin des Plantes, Bosc
avait commencé dans la fameuse pépinière du Luxembourg une
collection de vignes oh toutes les variétés connues devaient se
trouver réunies. Encouragée plus tard par le ministre Decazes,
mais surtout épousée avec passion par un praticien amoureux,
pour ne pas dire fanatique de son art, et à qui ni peines, ni
démarches ni sacrifices d'aucune sorte n'avaient coûté pour la
conduire à bien, l'idée avait pleinement réussi. Quatorze cents
variétés de vignes, appartenant aux régions les plus diverses
avaient été ainsi réunies, et, non seulement par des cours publics,
mais par ses consultations, et ses démonstrations pratiques qu'il ne
refusait à personne, leur heureux conservateur M. Hardy ne
négligeait rien pour transformer cette magnifique collection en
réflecteur de lumière et en instrument de richesse.
Malheureusement on nageait alors en plein gaspillage, et la
pépinière du Luxembourg se trouvait gêner les plans d'ali-
gnement doublés de spéculation que l'Empire aux abois prétendait
imposer à la rive gauche. En vain Paris s'émut, en vain de toutes
parts des pétitions signées de tout ce qui avait un nom dans l'art
et dans la science se produisirent, en vain les vignes elles-mêmes,
dit-on, pleurèrent en s'écriant comme dans Ronsard :
Écouste, buscheron, arreste un peu le bras :
Ce ne sont pas des bois que lu jettes à bas.
Ne vois-lu pas le sang, lequel découle à force,
Des nymphes qui vivoient dessoubs la dure écorce?
Mais que peuvent les nymphes contre les cuistres? Rien n'y fit,
et la précieuse collection des Chaptal, des Bosc et des Hardy, le
fruit de soixante ans de travaux et d'études fut livré à la pioche
inconsciente.
Rien n'était plus simple assurément, puisqu'on avait juré la
mort du Luxembourg, que de recueillir les vignes proscrites au
Muséum, cette chrestomathie animale et végétale que le gigan-
tesque cerveau de la Convention avait conçue comme le temple
même de la Nature. Cela, pour tout dire, semblait indiqué y d'au-
(\) R. Dejemon, toc. ctt., p. 257.
Digitized by VjOOQIC
192 HISTOIRE DE LA VIGNE
tant que la pépinière du Muséum avait alors pour chef un éminent
praticien, très connu, très apprécié de tous les agriculteurs, fonda-
teur de la/îet;w^5or/tVofc, et, justement, auteur, entre autres œuvres
mémorables, d'une des meilleures monographies sur la Viffne
qui ait peut-être été publiée (1). Nommer Carrière, le Regel fran-
çais, c'est tout dire, et il est certain qu'il eût veillé avec des yeux
de père sur un trésor dont nul mieux que lui n'était fait pour
apprécier le prix. Malheureusement, Carrière avait lui-même un
chef, un empereur au petit pied, plus préoccupé de pourchasser
du Muséum les esprits indépendants et les hommes utiles que d'en
enrichir les collections. On ne pensa même pas à cette ambulance.
On croit rêver, lorsque, dans notre France républicaine rede-
venue libre et fière au prix de tant de malheurs, on lit au Cata-
logue du Jardin d* Acclimatation dressé par Quyhou, que l'Empereur
« donna à M. Drouyn de Lhuys » la collection si laborieusement
rassemblée pour nous par le vénéré « père Hardy ». Par une
munificence non moins étrange, M. Drouyn repassa alors notre
bien au Jardin d'Acclimatation, qui a peut-être tiré fort bon parti
pour ses iniérèls privés de cette richesse publique y mais qui l'a,
en tous cas, absolument supprimée pour la science et pour le
public, commettant ainsi un véritable acte de lèse-nation (2).
Cette collection n'est point la seule sur laquelle se soit exercée
l'influence pneumatique de l'Empire. A Alger, on avait, dès les
premiers temps de l'occupation, songé à constituer un Jardin
d'Acclimation pour y expérimenter les plantes dont l'introduction
dans la colonie pourrait être signalée comme avantageuse. Cinq
cent soixante espèces de vignes y avaient été réunies, et le jardin
avait été, en outre, pourvu d'un laboratoire œnologique avec des
instruments spéciaux permettant d'apprécier les qualités compa-
ratives des divers cépages et de doser, notamment, la richesse
saccharine et alcoolique de leurs produits. Par les soins du direc-
teur, M. A. Hardy, qui, par une singulière coïncidence, portait,
sans aucun lien de parenté, le même nom que son. collègue du
Luxembourg, cent quatre-vingt-quatre de ces variétés avaient été
(1) La yiflrne, par E.-A. Carrière, à la Maison Rustique, 26, R. Jacob. Auteur
aussi d*un excellent Traité des Conifères, malheureusement épuisé; sans
compter les travaux que d'autres ont signés pour lui. On connaît le jugement
d'Almaviva : « L'homme d'esprit y mettra son talent, le Grand y mettra son
nom. » Ajoutons que, mieux inspirée, la Société Nationale d'Agriculture décer-
nait récemment à ce modeste grand homme sa grande médaille d'or. (Bulletin
des séances de la Soc. Nat. d'Ag. de France, 1883, p. 77.)
(2) Nul doute que le nouveau professeur de culture du Muséum, M. Maxime
Cornu, tiendra à honneur d'attacher son nom à l'indispensable reconstitution
de cet asrarium végétal. Mais, qu'attend donc, pour cela, notre jeune maître?
Digitized by
Google
U VIGNE SELON L'HISTOIRE 193
soumises à des analyses méthodiques, (c lorsque le gouverneur
général, S. Ex. le maréchal Mac-Mahon, duc de Magenta, eut la
regrettable idée d'ahandonner à la convoitise des représentants
de la Compagnie financière algérienne, le Jardin d'Acclimatation
et ses dépendances, pour en jouir en toute propriété pendant
49 ans, et en faire ce que bon leur semblerait, sans aucune espèce
de contrôle. Malgré l'opinion publique nettement exprimée et
les protestations qui se produisirent alors, le sacrifice de CQt éta-
blissement d'utilité publique ne fut pas moins consommé.
u Les instruments de précision composant le laboratoire œnolo-
gique furent dispersés aux quatre vents du ciel. Ainsi furent
sacrifiées les précieuses collections de végétaux utiles vivantes,
réunies à grand peine pendant de longues années de tous les
points du globe, formant un assemblage imique au monde, qui
révélait la force de production multiple et variée du climat algé-
rien, qui intéressait à la fois les savants, les curieux, les culti-
vateurs et les gens de loisir.
(( Ceci est un nouvel exemple du danger extrême qu'il y a à
abandonner les destinées d'un pays entre les mains d'un seul
individu, investi de tous les pouvoirs (1). »
Assurément, ce n'est point nous qui contredirons à de telles
conclusions.
Les collections particulières de vignes ne paraissent guère
avoir eu chez nous meilleur destin que les collections publiques.
Arrivé au terme de sa longue carrière entièrement consacrée à la
viticulture, Odart ne pouvait retenir un cri de douleur à la •
pensée que sa collection, fruit de soixante ans de travaux et de
recherches, serait perdue pour l'avenir. L'avenir, en effet, n'a,
croyons-nous, que trop bien justifié ces craintes. André Leroy, le
grand pépiniériste, dont il est impossible de se rappeler sans
(1) Mémoire sur la production comparative cie 184 variétés de \)tgnes, par
Â. Hardy, ancien directeur du Jardin d'Acclimatation. Alger, 1871, chez
Aillaud, 19, rue des Trois-Couleurs. L'Empire, dont la main néfaste se
retrouve partout où il y a eu un souvenir de béotisme à laisser et une
lumière à éteindre, n'en voulait pas qu'à la vigne. Un de ses premiers actes
fat de supprimer, en 1852, en môme temps que l'École d'Administration, créée
par le digne ûls du grand Garnot, l'Institut Agronomique de Versailles,
fondé en 1850, et où professaient, entre autres gloires scientifiques, des
hommes tels que Wurtz. « Et l'agriculture dut attendre vingt-cinq ans,
posr voir renaître cet établissement de haute science agricole, si nécessaire à
son développement » (Charles Priedel (de l'Institut), La vie et les travaux de
Wurtt^ in Remte des cours scierUifiques du 24 janvier 1885.) Quels services un
tel établissement, qui en eût, bien certainement enfanté d'autres, et eût
fait l'éducation agricole de la nation, n'eût-il pas rendus notamment lors de la
crise phylloxérique ?
TRAITÉ DB u VI6NB. — 13
Digitized by
Google
194 HISTOIRE DE LA VIGNE
admiration la prodigieuse exposition de conifères de 1878, avait
aussi réuni une collection de près de 2000 espèces de vignes. Se
sentant vieillir, et ne voulant point qu'un tel trésor fût perdu, il
Toffre à la ville d'Angers. Refus. Il s'adresse alors à la Société
d'Horticulture dont il était le président, et sur laquelle son nom
jetait un éclat qu'elle ne retrouvera plus. Autre refus, et, de plus.
Tannée suivante, André Leroy est éliminé de la présidence.
Enfin, en désespoir de cause, il cède à la Faculté Catholique,
alors en construction dans son voisinage, sa collection sans
refuge, sous condition, dit-on, qu'elle sera conservée. Un an
après, il n'y en avait plus un seul pied (1).
Que faire, sinon, comme Figaro, se hâter de rire de tant de
bêtise, pour n'être pas obligés d'en pleurer?
A notre connaissance au moins, il n'existe actuellement en
France qu'une seule collection de vignes véritablement impor-
tante, et en tout temps ouverte au public. C'est celle du Jardin
Public de Saumur, constituée par le docteur Bury, « homme char-
mant et grand connaisseur », dans laquelle Courtillier, « viticul-
teur saumurois de haute valeur », a par des semis et des hybri-
dations méthodiquement pratiqués pendant de longues années,
enrichi la viticulture (2) de nombreuses variétés, dont un Chasselas
qui porte son nom. Depuis la mort de Courtillier, cette collection
est aux mains du jardinier Bidault, qui en fait les honneurs avec
autant de bonne grâce que de compétence. Malheureusement,
l'excentricité de sa situation lui permet difficilement de rendre, au
• point de vue de l'étude, des services proportionnés à sa valeur
intrinsèque.
Tout cela est d'autant plus lamentable que nous ne sommes pas
seuls au monde, et que, ces richesses que nous laissons perdre avec
une si souveraine incurie, ou que nous sacrifions d'une main si
légère, les autres peuples ne négligent rien pour se les pro-
curer... et pour s'en servir. Un exemple fera mieux saisir que tous
(1) La « très belle collection d'un grand nombre de cépages divers »
signalée à la ferme-école de la Saulsaye (Ain), dans le grand ouvrage du
docteur Guyot, a également disparu et, d'après des informations toutes
récentes, il en serait malheureusement de même de la ferme des Hubaudières.
(2) P. Renard, Questionnaire sur la manière de cultiver la vigne, p. 441»
Paris, chez Tauteur, 54, rue des Martyrs. On lira avec le plus grand intérêt^
et, nous croyons pouvoir ajouter, avec le plus grand plaish», cet excellent caté-
chisme du vigneron, écrit sans aucune préoccupation d'effet littéraire, mais
avec une franchise toute danubienne, ou, si on préfère, avec cette a rusUcque
liberté » aimée de d'Âubigné, avec esprit, avec bonhomie, avec une bonne
humeur saine et commuoicative. Un vrai livre français, quoi t ou, pour mettre
les choses au superlatif, un vrai livre bourguignon.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 195
les raisonnements ce que nous y perdons et ce qu'ils y gagnent,
li'Enseif^ement ampel-cenologriqiie en Italie. — Vers
1872 ou 1873^ sur Finitiative prise par la municipalité de Gat-
tinara (province de Novarre), le ministère de rAgricullure et
du Commerce italien établissait dans cette commune une « station
œnologique expérimentale » qui avait pour mission, « sans parler
des analyses chimiques des raisins pour connaître leur degré de ma-
turité et leur qualité, de celle des moûts, vins, engrais, terrains, etc. ,
de mettre à Tépreuve, dans une vigne annexe ou ferme expé-
rimentale, les méthodes et les matériaux employés là et ailleurs,
pour en faire la thèse de recherches et d'études, enfin, d'établir
un dépôt permanent de tous les outils et machines ayant trait à
ce genre de culture. » (1) C'était tout le programme conçu par
Rozier pour la France, et réalisé cent vingt ans après lui... en
Italie : c'était, àpeu près aussi, celui d'Alger, arrêté par nos sottes
mains en pleine réalisation. Confié à un homme, non seulement
de la plus haute valeur, mais doué des qualités spéciales d'entre-
gent et do persuasion qu'il comportait, l'essai réussit au delà de
toute espérance. « Par son activité, sa science et son élégante
faconde, l'ingénieur Cerletti sut, tant par ses consultations
privées que par ses conférences publiques, transfuser à la majeure
partie des producteurs de Gattinara les plus importants principes
et notions scientifiques, ce dont on ressent déjà les effets hienfai-
sants (2), en ce pays où la culture de la vigne et la fabrication du
vin commencent à être traitées par des systèmes rationnels et
logiques, abandon fait peu à peu de toutes les vieilles habitudes,
de tous les vieux usages non moins absurdes que surannés, et
cela, malgré quil y ait toujours chez les paysans comme wie
opposition systématique à tout ce qui a un caractère de nouveauté
ou qui les fait seulement un peu dévier de ce que faisaient leurs
aïeux. »
Voilà des choses qui ne sont point vraies qu'à Gattinara. Chez
nous aussi, la routine obstinée du paysan qui ne sait pas ^ et qu'on
abandonne de parti pris à son ignorance, déconfite d'ailleurs par
des fléaux que la routine n'a pu prévoir, cette routine, cette
ignorance sont des empêchements dirimants à tout progrès. Non
seulement à tout progrès, mais à toute défensive sérieuse contre
l'implacable ennemi qui menace nos vignobles et avec eux la
{{) Pielro Selletti, loc. ciL, p. 13.
(2) ïd., ibid,y p. 14. Ces effets se ressentent bien autrement aujourd'hui.
Quelle leçon!!
Digitized by
Google
196 HISTOIRE DE L\ VIGNE
richesse publique d'une entière destruction. Déjà, les deux Cha-
rentes, Vaucluse (1), une partie de la Dordogne ont péri sans se
défendre. Ainsi périront sans doute sous peu et de proche en proche
la Vienne, Tlndre, le Cher, le Loir-et-Cher, le Loiret, Seine-et-
Marne (2), aujourd'hui attaqués, en attendant la Champagne, où
on parait, il est vrai, s'organiser pour la lutte, mais qu'il serait
plus sûr de préserver, pendant qu'il en est temps encore (3).
De heaux messieurs, des « viticulteurs en chambre », comme
dit sans prendre de gants notre ami Renard (4), publient, il est
vrai, sur beau papier interligné de beaux rapports, qui s'en
vont chaque année à côté de leurs aînés, dormir paisiblement sur
les beaux rayons de palissandre des préfectures, mais le paysan
ne lit point toutes ces merveilles, qui ne sont, d'ailleurs, point
faites pour lui.
Quant aux Cerletti, allant trouver le paysan chez lui, lui faisant
leur conférence sur le champ même, la pelle, la pioche ou la ser-
pette à la main, lui expliquant par le menu quel avantage il trou-
verait à substituer tel cépage, tel mode de taille, telle disposition,
tel engrais à tel autre, lui démontrant expérimentalement qu'il
n'est point, avec de la volonté et du savoir, de fléau contre lequel
on ne puisse se défendre, lui enseignant l'ébourgeonnement,
l'épamprement, le rognage, etc.; quant à l'école pratique où le
paysan peut aller sans grands frais et, par suite d'un accord avec
les compagnies, à prix réduits si c'est un peu loin, vérifier Teffet
matériel de ces prescriptions et s'assurer de visu qu'on ne s'est
point moqué de lui, tout cela, où le paysan le trouvera-t-il ?
C'est à cela que tient cependant le relèvement de notre viticul-
ture. On pourrait presque dire la création, car, à part certains
points comme le Médoc ou la Champagne, où le haut prix des
produits a déterminé des efforts particuliers, elle est demeurée
chez nous à l'état larvaire , et une bonne moitié au moins des
terrains y affectés, sans compter ceux susceptibles de l'être, peut
être considérée commeperdue. Encore, bien entendu, ne parlons-
nous point ici du phylloxéra, dont notre ignorance et notre
incurie font toute la force.
Contre tout cela il est dommage qu'il nous faille aller chercher
le remède... àGattinara.
(1) Commisiion supérieure du Phylloxéra. Session 1881, p. 158-184.
(2) Dans Indre-el-Loire et dans Maine-et-Loire, on parait par extraordinaire,
comme nous l'avons vu ou comme nous le verrons, décidé à se défendre.
(3) Gastine, in Trav. du serv. du PhylL, an. 1883, p. 48.
(4) P. Renard, loc. cit., p. 206.
Digitized by
Google
L.V VI^NE SELON L'HISTOIRE 197
Notons, cependant, une louable, une très louable initiative
prise récemment par le Comité central d'études et de vigilance
du Lot-et-Garonne. Serait-ce le commencement du réveil?
Par les soins de ce comité,des échantillons des vignes américaines
dont on veut étudier la résistance ont été distribuées dans les
diverses écoles primaires du département, oh elles seront culti-
vées sous les yeux et avec le concours des élèves. De plus, deux
hectares de terre sur les cinq hectares clos de murs qui entourent
rÉcole normale des instituteurs, ont été convertis en pépinières
desdites vignes (1). Les élèves instituteurs se familiariseront,
ainsi, avec les notions d'ampélographie et de viticulture (taille,
greffage, conduite, multiplication, etc.), qu'ils auront ensuite à
propager parmi les futurs applicateurs. Du même coup, l'adapta-
tion des cépages respectifs aux divers terrains que comporte tou-
jours un département se trouvera résolue. Pour que la réforme
soit complète, il ne faudra qu'ajouter aux cépages américains les
cépages français dont on voudra expérimenter Inadaptation à des
sols donnés. Ainsi se trouvera réalisé le vœu par lequel notre ami
Renard proposait en 1881 au ministre de l'Agriculture l'enseigne-
ment pratique de la viticulture dans les diverses écoles (2). Non
moins menacée que la patrie, la vigne a, en effet, tout intérêt à
constituer, comme elle, ses bataillons scolaires.
Nous accusera-t-on de pessimisme et d'admiration aveugle pour
l'étranger? Ace reproche nous pourrons répondre, comme Selletti,
« que c'est faire œuvre pie que d'avoir le courage de signaler
nos maux et les causes réelles de notre pauvreté, et que rien ne
sert de bercer notre esprit du souvenir de nos gloires et de nos
grandeurs passées, car les autres nations, mettant à profit les
notions et les découvertes de la science, nous laisseront au dernier
rang, tant dans l'œnologie que dans beaucoup d'autres branches
industrielles ; et c'est faire œuvre de bon citoyen et de sincère
patriote que de savoir indiquer des moyens efficaces de relever
non seulement notre juste ambition, mais nos finances épuisées,
qui concourent si fortement à cimenter notre liberté... (3) » Cela
non plus n'est point vrai qu'en Italie.
La voix de Selletti a été entendue, et, à peine la station œnolo-
(1) Trav. du PhylL, an. 1884, p. 484-185,
(2) P. Renard, loc. cit., p. 207.
(3) Pietro Selletti, loc. cit., p. 45. Sdletti écrivait ces lignes en 1877. Quel chan-
gement, pour ne pas dire quelle révolution depuis ce temps-là I Et qui oserait
dire aujourd'hui que le patriote italien n'a pas été hiep inspiré en Jetant,
comme nous essayons de le faire aujourd'hui chez nous, — le cri d'alarme ?
Digitized by
Google
198 fflSTOffiE DE LA VIGNE
gique de Gattinara a-t-elle eu fait ses preuves, ce qui, nous Tavons
vu, n'a point été bien long, que son émineQt organisateur était
chargé dlnstituer à Conegliano (Vénétie), une école spéciale de
viticulture et d'œnologie, dont il était nommé directeur. Là, aussi,
le nouvel institut répondit si bien et si vite au but proposé que
chaque province voulut avoir le sien, et, qu'en trois ans il en a été
créé trois nouveaux, savoir :
L'école d'Avellino (Fouille), ouverte en 1880, sous la direction
du docteur Michel Carlucci ;
L'école d'Alba (Piémont), inaugurée en 1881 , sous la direction du
docteur Domizio Cavazza ;
L'école de Catane (Sicile), instituée en 1882, et confiée au doc-
teur F. Segapeli(l).
Nous devons à l'obligeante main de M. Le Vasseur, con-
sul de la République française à Rome, les renseignements qui
suivent, et qui complètent et corroborent à la fois notre exposé,
uniquement emprunté à des documents italiens. Que notre éminent
compatriote veuille bien recevoir ici nos remercîments pour son
utile et courtois concours. Nous laissons parler M. Le Yasseur :
« Des écoles énumérées ci-dessus, celle de Conegliano est
demeurée jusqu'ici la plus importante : « elle a, de plus que les
deux autres, un cours supérieur. Elle est la plus ancienne, et elle
est fréquentée par un plus grand nombre d'élèves.
« Une cinquième école va être, en outre, créée à Cagliari.
« De plus, il existe, à Asti, une station œnologique qui, quoique
n'ayant pas le caractère d'une véritable école, a pour but de
répandre dans le pays la connaissance des meilleures méthodes
de fabrication des vins et de viticulture. » C'est le pendant de
Gattinara.
« Dans le même but, on a créé les Cantine expérimentales de
Loreto et de Barletta, qui reçoivent du gouvernement un subside
annuel. Les directeurs de ces deux Cantine font, chaque année, un
cours sur la viticulture et l'œnotechnie aux élèves des écoles tech-
niques et élémentaires, qui désirent apprendre la viticulture. »
Tout cela, sans compter, bien entendu, les sociétés œnotechni-
ques, comme à Trévise, œnologiques comme à Reggio, les
autres stations œnologiques analogues à celles de Gattinara, la
« Cave expérimentale » de Casai, etc., toutes institutions dont le
nombre est à l'infini, et qui prouvent que l'Italie a fait, avec
raison, de la vigne et du vin sa grande préocccupation nationale,
(i) Arnaldo Strucchi, loc. cU,, p. 154.
Digitized by VjOOQIC
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 199
comme ils sont, en effet, son grand instrument de richesse (1)
Résultats (2) : ^
(1) Qu'on ne se méprenne point sur notre pensée ! Nous ne sommes inspirés ici
par aucune considération de jalousie mesquine envers Tltalie, dont nous rap-
prochent à la fois nos traditions historiques, notre langue, nos mœurs, notre
caractère, nos habitudes, et ce qui est notre caractère exclusif, à nous autres,
Latins, notion, goût et sentiment commun des choses exquises. U y a ample-
ment place pour les deux nations au grand soleil de la civilisation et des
échanges économiques, et rien de ce qui intéresse la prospérité de l'Italie
ne saurait nous porter ombrage. Notre seul regret est de nous voir distancer
de si loin par elle dans la voie du progrès, qu'elle nous trace, et où elle nous
appelle.
(2) Voir page suivante.
Digitized by
Google
200
HISTOIRE DE LA VIGNE
i
m
4;
I
9
m
V
fl
a,
£
fl<
S
fl
C
•0
fl
9
0)
•0
m
fl
«
I
!
fl<
M
0)
tt
«
•0
fl<
a
s
^^
Hf
=^
^™
^
^^
•«^
a<9
r-
00
OO
OO
o>
r-
00
i
oo
CO
a>
•«•
00
o>
art
^*
99
•^l
IVIOl
f^*
•4<
Oi
91
o
.^
t-
91
00
o
JS
O
<N
Si
CO
Oi
OO
-•*
o
O
•^i
CO
t^
•*
art
CO
•«1
<N
00
CO
CO
CO
91
99
99
99
99
>4<
o»
<N
^4
i
art
CO
o>
OO
a»
O*
m
ao
"♦
^
»^
CO
S
sAVd sauiay
1
n
G4
O
CO
<o
OO
»o
91
x:
o
OD
O
o>
o
O
CO*
art'
r-*
ÇO
CO
•*
CO
o
CO
•<•
-•*
art
00
o
an
Î2
<o
C4
CO
Si
s
00
91
CO
r-
6a8Ivi)IIYH J 8HIM0100
S
•4*
■H
OO*
00
91
CO
o
cô
00
z
S
A
€0
•H
91
eo
CO
•w*
o
CO
Q
eu
V
"«-•
00
91
O
•♦
o
O
CO
eo
CO
1
94
<o
^
o
r-
OO
aiH^OlY
r-
o>
O
t-*
art*
o*
^
co'
î£
>4«
s;
t^
•<•
00
00
CO
•<}•
CO
91
CO
91
91
91
^K
OO
o>
to
r-
OS
r-
CO
00
O)
CO
•o»a *'0|9'noa9j
ao
00
o
««^
CO
CO
a>
2?
Mnqo 'iw^a
1
(N
CO
^
»^
CO
*p<
•*
tf*
o
a>
-NOiora^n aaOïH^Hv
.•^
S
00*
?
^4
o
•♦
K
§0
CO
Oi
eo
^»^
iO
r*
CO
O)
CO
art
o
M»«
•«
CO
Oi
aaOKaii
1
an
»-
91
^^
o
art
•♦
^
-«•
st
x:
ss
O)
CO
^4
ao
OO
91
s
g?
g
e«3
G4
an
,«
91
CO
CO
^-1
O
f-
1
S
m
91
•^
>«•
Od
•4<
-♦
o
1
CO
•^
CO
CO
99
O
o
00
8iNa-8iyx9
J^
r^
•*
00*
91
o*
O
art
art'
99
CO
ao
l^
^^
00
OO
o
O
O
94
91
91
^-
^-1
^-
O
«O
eo
CO
art
r-
o
o»
00
art
o
o
CO
CO
art
aidAoy
î
a
Ci
O
o
art
•♦
o>
00
o
CO
O
ao
•-
^-
art'
art
Si;
^^
an
OO
^
•*
Mj"
CO
91
91
•M
^
00
•*j«
M-
S9ia0l03 \9
1
CO
r—
^
00
CO
aMOVdsa
r-
1-'
ft
*
^*
e
X
fi
»
^*
^^
oo
(N
91
■H
£o
00
-*
•*»"
t^
•♦
CO
CO
CO
1^
91
amOuai
1
fi
ao
t-
t^
CO
r-
art
»*
»
A
<N
CO
•♦
CO
^
00
r-
o>
M
eo
91
CO
CO
^
CO
«*
r-
CO
ï-
O
art
r-
Oi
a>
O
ao
OC
O)
00
r-
o
assms
O
co'
.*
o
r^
^-
o
r-
a>
r-
co
CO
C9
CO
**
ao
r-
art
eo
CO
eo
CO
•^
•41
•4<
•4*
o
r-
CO
o
r™
fH
art
«O
r-
o
91
aiivu
1
CO
aa
CO
CO
00
CO
•^i
art
ja
^H
i^
00
l^
•*
art
CO
ïrt
«*
o>
CO
CO
«N
^^
■H
-K
^4
tr*
r-
00
-♦
Si
00
art
«)
o
00
art
•«14
3
«M*
f—
saiaoïOQ 1»
■ ^
O
»^
OO
OO
■H
CO
o
^^
l^
auvaiaiONV
.^
ta
CO
o
.^
00
CO
CO
p
O
,
0^
>4«
■»<
CO
CO
eo
•*
eo
•*
«*
CO
eo
?^
00
oô
CO
91
l'-
f-
^^
o>
CO
CO
OO
Od
art
art
r-
«O
r-
aaOïoiaa
an
^-
t^
•^l
99
o
art
CD
o>
*4«^
'
<N
r-
^'
CO*
CO
00*
art*
art*
r-
s
ss
^4
91
^
««1
91
^
S^
m
S3
<H
o
^.
art
Oi
O
^M
f-
art
3
r~
r~
00
o*
•**
91
O)
saiaoïoa %9
ë
^
00
CO
o>
•*
art
^4
CO
CO
OO
O
8Va-SAVd
ar)
2
05
05
^4
•*
91
o
Vf
an
00
00
00
91
r-
o
^^
^^
CO
00
a^
3
^
ss
S
U
O)
s
3
"8
o
^4
CO
00
^*
r-
CO
CO
atiDYnaiiY
JS
eo
GM
CO
00*
CO
CO
00
r-
91
lO
91
00
-*
•4f
1—
CO
00
c^
CO
-*
•*
•4<
CO
91
9«
eo
<N
r-
r-
«.
^^
«O
<N
CO
•♦
CO
vo
CO
00
art
oi
aavKaMva
%
00
OO
tf*
o
r-
91
99
00.
99
«1
•♦
a>
CO
00
^
art
o>
91
■H
^4
^^
O)
a>
eo
•^
00
^
CO
r-
aofiVLHON'aaças
1
s
•*
s
•w4
•4<
r-
^4
00
^.
•4<
CO
•
n
00
CO
o
•H
OO
o
r-'
CO*
art
CO
CO
aS
o
-♦
00
•*
99
•*
OO
05
CO
91
o>
CO
-♦
an
aissûH
1
ao
o>
CO
r-
•*
CO
^*
o>
CO
1^
.e
ao
o
:s
3
art
•4<
art
art
00
eo
CO
r-
CO
»*
CO
CO
90
a
M
«*
«
00
00
^
09
n
sa^iiiNv
^
^
S
S
s
CO
00
S
S
L
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE
201
I
V
e
■
:
I
I
g
a
«
u
il
fil
î
1
3'
a
8
s
s
eo
3:
04
Ui
•*
r-
o>
r-
î
f2
o>
00
f-
o
€9
o
i
oo
^^
C4
•♦
00
ao
00
•V4
»-
1
s
fS
00
^4
S
a-O
e
S
§§
s;
00
H
eo
lO
<o
«O
CD
04
00
ao
o>
x:
^
t^
r-
»^
00
00
1
•—
^
o
eo
00
00
O
•^
o>
CD
o
<§
«^l
00
o
o
-K
f-
CD
O
52
r*
<o
•H
Ol
>4i
ao
o
•^
l^
eo
G4
•♦
o>
^«
M
•4"
•*
CD
fi
i
r^
o
o
3
■H
•♦
CO
04
to
00
^«
CO
eo
•41
r-
(N
**
t^
^^
o
00
ao
CO
■<
1
<N
co
•♦
eo*
r-*
o
O»
S
a
1
a»
t—
<N
«4
ao
CD
o>
1
04
g
^
ss
s
S
S
s
ÎS
"^
»
co
00
1
t
S
s
1
1
OO
co
04
r-
04
os
CD
00
•*
00
X
s
•41
s
r-
00
05
g
1
•♦
S
ao
ao
^
«
M
1
•41
^^
o
o
Ci
ao
•<•
O
•4"
i
S
S5
o
o
ao
eo
g
-♦
•*
S
s •
1
•♦
S
00
**
ao
00
co
S
â
1
CO
<M
eo
fl4
o>
<N
04
Oi
^
O»
M
ao
S
g
SS
S
04
cS
co
r-
13
«o
04*
00*
,.
•*••
•4<
CD
00*
•4*
É
1
tf*
s
CD
s
o
CD
^
«
■H
1
r-
oo
-*
04
00
ao
t*
00
s
OO
O
eo
00
a>
00
00
-♦
00
■Ci
^4
-H
t^
•*
^4
•^
<o
eo
Oi
00
04
<<
1
<o
00
o»
^^
ao
r-
04
1^
04
ao
8
ao
eo
00
s§
00
04
S5
ao
ao
CD*
CD*
M
i
04
r-
r-
-»•
ao
•♦
eo
ao
r-
S
^-
CD
o>
ao
eo
•
s
Jt
eo
1
o>
o
VN
o»
oo
o
o
CO
04
•H
^^
^^
<
•=
*3
•<
• i
co
c^
1.0
^'
*M
00
^
•4*
CD
ao
O
O)
•♦
o
04
ao
04
CD
i2
««•
o
»
ao
r-
o>
00
•*
ov
OO
OK
5
^
•4I
&
lO
eo
M
00
r-
2
1
<N
r-
co
^
^
?3
i -ils
S
00
o
1^
eo
o
ao
r-
<N
»^
o
i:
eo
13
co
eo
O
co
Od
00
c i -^ s
o*
<o
1-
•4<
00
00
a>
^<
^.
i il'i
«
o
00
•^
o>
eo*
^
©4*
o
o>
^-
tr*
^4
tf*
5 £ 8
■=^
M
1
1
^<
o
o
^4
ao
**
O
^
o>
o
s
s;
o
O
O
00
o
•4"
^
r2
o
s
1
•*
o
•^l
ao
t^
o
04
CD
o>
O)
<
<N
•w*
-K
■^
S
«
A
M
^
«
00
e
^
M
m
1
«
»*
feo
l*
»•
CO
s
00
-
00
«
00
00
*
co
00
Digitized by
Google
202
HISTOIRB DE LA VIGNB
i
I
•9
fi
•<
1
1
.a
-• o>««r (N^.«« ;o<Noco5i«>doo^r-ocoo
00 00 os o ^ «o r- <N « »^ « •* «^ » -^ »». 00 •- r;
co ^'co ao 00 «o r^ 00 co* o ^* ao r- <N 00 o 00 •— 00
oooooosr-M «♦^^îoooosr-oocoçicocor-
C^COCO^ ^aOCOcOMCOt-cOOi&looaoOS
^ «^* r- i^ i^ 00
GQ
s
M
09
1
!
31.206
34.993
37.753
45.450
27.974
36.441
M
48.534
46.190
61.821
109.693
TINS COMMUNS
en cercles
1
SSSS^^ s s 3 s
«OOS04COCOC0 (M CO ao ««I
aeoo*r-^c4oô^ a»ô aaô aao aaô a a a a
aocoaocoo»-«^ o s •♦ §
iw4C0C0 "V4 <0 9i «o 00
ei*
!
sisssssssssssssisss
S
i ,
1
•^wo>coçoaocoo^-*«oooor*»*^«oco^
s ÎS s s s s 2 SS s s" g i s s s 5 ?2 2 S
o»iaooooooco-*o><Mt^co«r*r-o«raoço«*
oî co* oi ci co' e«i co* co* co cô co' co* cô 04 co* o>î (n* g^ oi
CO
f
s
1
1
282.857
240.996
261.750
272.746
313.424
408.499
391.806
. 378.305
364.058
352.849
M
»
VmS COMMUNS
en cercles
1
1
»
2.991.045
2.350.173
2.544.663
2.593.259
3.005.832
»
3.572.932
2.840.678
3.352.567
2.737.580
2.693.888
»
1
>
SeeSSSSeècèSS&eoSèSSSS SS
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 203
Ces chiffres pourraient se passer de commentaires, car ils
constituent contre notre incurie le plus terrible, le plus écrasant des
réquisitoires. Peut-être, cependant, pour en faire mieux saisir
l'effrayante progression, n'est-il pas mauvais de les résumer.
Pendant la période quinquennale 1865-1869, notre exportation moyenne
est de : 2 778 788
Importation 229 168
Différence en notre faveur 2 549 620
De 187i à 187S, notre importation double, mais, comme notre
exportation s'accrottde 90 0/0,
soit 3 538 802
pour : importation 458 470
la balance continue à monter en notre faveur 3 080 338
De 1879 à 1883, la situation est devenue celle-ci :
Exportation 2 637 058
Importation 5 902 668
Différence en faveur de Pimportation 3 265 610
Ainsi, c'est, pour ne parler seulement que d*i] y a dix ans, une moyenne,
toujours croissante, de 5,454,198 hect. que nous importons de plus chaque
année, soit à 35 fr. Thectolitre (en chifi^s ronds) 190 897 000
D*un autre côté nous exportons en moins 895,744 hect. et
comme notre exportation ne porte guère que sur des vins fins
Bordeaux, Bourgogne, Champagne, etc., etc.), nous pouvons
sans arbitraire les évaluer à fr. 150 rhect.(l fir.50 le /itre), soit. 134 362 000
Total , 325 259 000
de perte annuelle, soit un milliard en trois ans.
Et, notons que, pour s'être un peu ralentie, la progression ne
s'est nullement arrêtée, et que nous n'avons même pas l'espoir
d'en rester là. Si ce ne sont plus, comme en 1880, par exemple,
des sauts de Leucade de quatre millions et demi d'hectolitres
en une année, c*est toujours une marche rapidement ascendante.
En 1883, par exemple, l'augmentation est d'un million et demi.
En même temps, notre exportation diminuait graduellement dans
les derniers cinq ans de 600,000 hectolitres sur 3,000,000,
c'est-à-dire de 1/5. Où finira cette double dégringolade?
C'est ce qui ne semble préoccuper qu'assez médiocrement,
il faut bien le dire, nos défenseurs attitrés. Pendant qu'en
Russie, comme nous allons le voir, on mobilise contre le
phylloxéra un corps d'armée avec ambulances et tous les appa-
reils de campagne, et qu'on parvient, ainsi, à s'en débarrasser.
Digitized by
Google
204 HISTOIRE DE LA VIGNE
pendant qu'en Italie, en Suisse, en Allemagne, on « échappe
au fléau en appliquant avec une rigueur draconienne les
prescriptions qu'avait proposées V Académie des sciences en
France » (1), en France même, comme si on n'avait à coeur
de faire de la préservation que pour l'étranger, on laisse au
terrible ennemi libre carrière, et on recule même devant la
pensée téméraire de le combattre par un vœu (2). La commission
de défense se change en commission de contemplation. .
Suave man magno... L'homme de Lucrèce trouvait char-
mant d'assister, les pieds chauds, du haut du rivage, au supplice
de malheureux naufragés. Nous, c'est notre propre ruine et notre
propre naufrage que nous contemplons en dilettanti. Au besoin,
comme les Espagnols des corridas^ nous crierions « Bravo torol »
Il faut avouer qu'en présence d'une résistance aussi pla-
tonique, le phylloxéra serait bien bon de se gêner. Aussi, ne se
gêne-t-il guère : 64,500 hectares, telle a été sa ration pour 1883, à
ajouter, bien entendu, aux 1,500,000 hectares déjà dévorés
sans aucun obstacle (3). Le voilà qui, par la Côte-d'Or d'une
part, et de l'autre, par Seine-et-Marne (4), frappe aux portes
de la Champagne, notre dernière richesse. Justement alarmé
de cette invasion, le Conseil général de la Marne émet le vœu
que la législation défensive de l'Algérie soit rendue applicable
à ce département, vœu auquel fait écho le Conseil général de
Maine-et-Loire pour le précieux vignoble de Saumur et de
Champigny. La commission antiphylloxérique refuse de s'asso-
cier à ce desideratum, par le motif que « le Parlement ne
consentirait probablement pas à édicter une législation spéciale
pour une portion restreinte du territoire français (5). »
C'est, il ne servirait de rien de se le dissimuler, le « Frère ^
il faut mourir y » prononcé sur nos aimables crus de la Cham-
pagne. L'idée si gratuitement prêtée au Parlement d'en faire
d'avance son deuil est, peut-être, quelque peu aventurée. En
tous cas, et même si la présomption est fondée, la Commission
nous eût semblé mieux inspirée en laissant au Parlement la
responsabilité de cet acte d'insouciance pour nos intérêts vi-
ticoles qu'en la gardant pour elle-même.
Il reste, il est vrai, aux députés des deux départements la
(i) Travaux du service du phylloxéray an. 1883. Bapport de M, Tisserandy p. 26.
(2) l(i.,t6id.,p. 26.
(3) Discours de M. Maurel député du Var, à la Commission du Budget,
Moniteur Vinicole du 9 décembre 1884.
(4) Moniteur Vinicole du 2 décembre 1884.
(5) Travaux du service du phylloxéra^ an. 1883. p. 9.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 205
ressource de reproduire comme législateurs le vœu auquel
nombre d'entre eux se sont, sans doute, associés comme con-
seillers généraux.
Les députés dlndre-ët-Loire et delà Côte-d*Or feraient éga-
lement bien de reprendre collectivement à la chambre le vœu,
également décliné par la commission (1), et formulé par leurs
conseils généraux, dans le but de contraindre les propriétaires
des départements infectés, soit à s'organiser en syndicats dé-
fensifs contre le phylloxéra, soit à arracher leurs vignes malades.
Us pourraient, au besoin, rappeler que le même desideratum était
libellé, dès 1882, par les sjmdicats de Savigny-lez-Beaune (Côte-
d'Or), de Miélan et de Miredoux (Gers), car, sur les points les
plus opposés, la vérité semble, enfin, se faire jour dans tous les
esprits (2).
11 n'est guère plus facile, en effet, de remplir le tonneau des
Danaïdes avec du sulfure de carbone qu'avec de l'eau. Or, c'est à
peu près la tâche à laquelle on s'appliquera tant qu'il dépendra
d'un être grincheux, malfaisant ou paradoxal de neutraliser
par son inertie les efforts de toute une région (3). Il n'est heu-
reusement point permis de conserver chez soi un chien hydro-
phobe ou un cheval morveux. Pourquoi le serait-il davantage
d'y entretenir un foyer d'infection végétale toujours en action,
et rejetant chaque jour chez le voisin des légions nouvelles
de l'ennemi dont il vient de se débarrasser à grands frais?
Aucune défense sérieuse n'est possible dans ces conditions.
Une ofi'ensive vigoureuse, simultanée et concordante dans tous
les milieux phylloxérés peut seule conduire au but comme elle Fa
fait partout autour de nous, chez, des populations préparées
d'avance, il est vrai, aux sacrifices et aux efforts nécessaires
par l'enseignement viticole absent chez nous. Même chez nous,
l'expérience prouve que, lorsqu'on y veut bien apporter l'énergie,
la célérité (4) et l'ensemble nécessaires, la suppression du
(i) Travaux du service du phylloxéra, an, 1883, p. 8.
(2) Ibid., an. 1882, p. 383, 397, 400.
(3) Gomme cela s'est passé notamment en 1883, dans Indre-et-Loire, où
quelques rares propriétaires se sont refusés « non seulement à entrer dans des
syndicats de défense, mais môme à laisser traiter leurs vignes aux frais de ces
syndicats. » {Travaux du service du phylloxéra^ an. 1883. Happort de M, Tisse-
rand, p. 19. (De tels obstructionnistes devraient être purement et simplement
traités en empoisonneurs.
(4) En Italie, le service antiphylloxérique est organisé de telle sorte qu*on a
pu, par exemple, « à Messine, arracher dans l'après-midi des ceps dont Finfec-
tioQ avait été constatée le matin même ou la veille au soir I « Rapport du
Consul de France à Jlfe5$me,cité dans les Travattx du service duphUloxéra, p. 29.
Digitized by
Google
206 fflSTOIRE DE LA VIGNE
fléau n^est point au-dessus de nos efforts. Témoin la tache
de Beaumont en Gatinais, à laquelle, en 1883, « un traitement
« d'extinction a été appliqué avec plein succès (1) ; » témoin
le succès plus relatif, mais néanmoins' encourageant, obtenu
dans Maine-et-Loire, où « le préfet et le conseil général ont
prêté leur concours le plus actif aux propriétaires et où les
traitements administratifs ont été entrepris immédiatement (2). »
Notons, pour la première fois, Temploi, comme en Russie méri-
dionale, de l'armée représentée parles pontonniers d'Angers, contre
un ennemi plus désastreux peut-être que tous ceux que nous avons
affrontés jusqu'ici sur les champs de bataille (3). Comme au temps
de Probus, Tessai a été heureux. Puisse-t-il être généralisé (4) !
(( Nous ne sommes point inférieurs à nos concurrents, »
disait récemment, à l'inauguration de 1 École centrale, M. le mi-
nistre du Commerce ; « nous pouvons faire aussi bien qu'eux
M et même mieux encore. Sachons ce que nous voulons!!
« Travaillons, étudions et réformons, s'il le faut »
C'est le Laboremus de Marc-Aurèle traduit en bon français,
et il doit être la devise de notre relèvement aussi bien viticole
que national, étroitement, d'ailleurs, reliés l'un à l'autre ; seu-
lement, pas plus que les Algériens, nous ne saurions travailler,
et, à plus forte raison, réformer, sans guides. Que de régions
où, pour commencer sérieusement la lutte, on n'attend que
des encouragements et des conseils! En attendant, en attendant...
sous l'orme, les vignes meurent. Sont-ce les ressources qui man-
quent? Comment expliquer alors, que, non seulement on n'en
demande pas de nouvelles, mais qu'on repousse même celles
qui s'offrent (5) ? Que sont quelques centaines de mille francs,
(i) Traxiaux du service duphylloxéray an. 1883. Rapport de M. Ti$serand,p, iS,
(2) Id., ibid., p. 18.
(3) Ibid., an, 1883. Rapport de M. Couanon, p. 57.
(4) A Mezel (Puy-de-Dôme), le préfet a également envoyé contre le
phylloxéra « des escouades de soldats mis à sa disposition par Tautorité mi-
litaire. » {Serv. duphylL, an. 1883, p. 40.) Bien qu'elle ait été paralysée par
les résistances de viticulteurs imbéciles, une telle initiative ne saurait être ni
trop louée ni trop imitée. In hoc signo,..
(5) A la commission du budget, une proposition de M. Louis Million, ten-
dant à porter de 1,250,000 fr. à 3,000,000 le crédit relatif au phylloxéra, a été
écartée sur Favis du conseil de défense qui trouve les crédits actuels suffisants.
(Moniteur Vinicole du 9 décembre 1884.) Suffisants pour ce qu'on fait, c'est-à-
dire pour laisser manger 60 ou 80,000 hectares par an, assurément, mais
sufQsants pour ce que, comme dit très bien M. le ministre du Commerce, on
pourrait^ et, nous ajouterons, on devrait faire y c'est autre chose. Ou bien, alors,
si on se sent suffisamment armé contre Tennemi, pourquoi lui laisse-t-on
carte blanche?
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L^HISTOIRE 207
auprès d'un intérêt qui se chiffre annuellement, nous lavons vu,
par un tiers de milliard (1)?
(i) Quelque chose de plus douloureux encore, s'il est possible, que le spec-
tacle de notre ruine, c'est Tabenation où elle semble avoir jeté les meilleurs
esprits. Ne youlant blesser, ni même désobliger personne, nous ne pronon-
cerons ici aucun nom, mais, n'est-il pas affligeant de lire, par exemple, dans
la correspondance du Moniteur Vinicole, et, cela sous la signature d'un
homme dont la compétence etlaconspicuité ampel-œnologiques sont également
de marque, celte proposition renversante, que « ce serait une grave erreur que
d'attribuer au phylloxéra, la crise actuelle, » dont la responsabilité n'est impu-
table qu'à — nous le donnerions en mille — qu'à la Régie. Ainsi, c'est la Régie
qui, de sa main malfaisante, a détruit depuis 20 ans 1,500,000 hectares de
vignes, car nous ne supposons pas qu'on aille jusqu'à prétendre que cette
destruction soit, elle aussi, étrangère à la crise ! Il n'y avait donc pas de Régie,
alors qu'en 1866, par exemple, notre importation était inférieure à 100,000 hec-
tolitres (81,892), et notre exportation supérieure à 3 millions (3,273,902). H
n'y en avait donc pas de 1871 à 1877, alors que la moyenne de l'exportation
l'emportait encore de 3 millions net sur l'importation? Pardon, seulement ses
tarifs étaient, non pas inférieurs, mais supérieurs d'un tiers aux tarifs actuels.
En quoi, d'ailleurs, la Régie peut-elle nuire à l'exportation, sur laquelle elle
ne perçoit aucun tribut?
Cela ne se discute pas, n'est-ce pas, cela se cite, et ne vaudrait pas la peine
d'être relevé si, égarée par aventure sous la plume d'un homme sérieux, une
telle doctrine ne conduisait logiquement à cette double conclusion : qu'il faut
supprimer l'impôt sur le vin, — sur le vin étranger, hélas, puisque nous n'en
bavons plus guère d'autre, — au moment où nos nécessités budgétaires sont
le plus impérieuses, et laisser, comme on ne l'a que trop fait jusqu'ici, libre
carrière au phylloxéra, alors qu'une offensive énergique, désespérée contre
l'exécrable insecte peut seule nous préserver d'une ruine irrémédiable. L'au-
teur du travail, d'ailleurs remarqusible , que nous citons , nous parait
infiniment mieux inspiré lorsqu'il se plaint, plus loin, que : t< tandis que tous
les gouvernements étrangers favorisent avec raison le développement du
commerce extérieur et y réussissent très bien par tous les encouragements et
toutes les facilités qu'ils donnent, il semble qu'en France nous soyons frappés
d'aveuglement... » 11 est certain que, commercialement parlant, nous ne
sommes nullement représentés à l'étranger, et que, de ce côté, notre édu-
cation nationale est entièrement à refaire. Les beaux Messieurs de Bois Doré
de nos chancelleries croiraient certainement déroger si on leur demandait de
« faire l'article » pour nos produits. Les Italiens, pour qui, selon l'heureuse
expression de Machiavel, le commerce a toujours été « l'estomac de la cité »,
les Anglais chez qui, tout missionnaire, comme les Pritchard et les Shaw, est
inévitablement doublé d'un tradesman très « roublard » et très raffiné, n'ont
point de ces scrupules : aussi, nous supplantent-ils sans difficulté, pour les
produits similaires, sur tous les marchés étrangers. C'est ainsi que nous ne
sommes nullement étonnés, par exemple, de lire dans le Moniteur Vinicole du
25 novembre 1884, sous la signature G. Boudeville, les lignes suivantes :
u La Suisse, cette année, accuse une demande bien plus réduite encore que
celle de l'an passé. L'Italie, de ce côté, nous attaque vigoureusement. Sous
l'impulsion de son gouvernement^ elle cherche à créer dans la petite République
des marchés spéciaux pour ses vins, et elle suppose ainsi pouvoir nous
détrôner bientôt complètement. Déjà nous voyons les résultats de cette concwr-
rencey tâchons de prendre nos précautions et notre revanche. »
i( Vigilantibus jura subveniunt, non dormieniibus, » dit un vieil adage de droit
romain. Il n'est guère moins vrai en économie commerciale qu'en jurispru-
Digitized by
Google
208 HISTOIRE DB LA VIGNE
IjB. vi^ne en Russie. — L'Italie avait, suivant le titre du livre
d'Arnaldo Strucchi, à étendre et à perfectionner la culture de la
vigne (1); la Russie, avec un sol et un climat beaucoup moins
propices, même dans ses parties les plus favorisées, avait à la
créer de toutes pièces. La rapidité, la perfection avec lesquelles
elle y a réussi sont la meilleure preuve de ce que peuvent pour
le bien public Tintelligence unie à la persévérance et à la volonté.
Dans riméréthie, qui s'est volontairement donnée à elle en
1804, dans la Géorgie qui lui est échue à peu près de la même
manière en 1822, dans le Daghestan et le Ghirvan qui lui ont été
cédés par la Perse en 1812 et 1813, dans l'Arménie conquise par
Paskewitch en 1828, la Russie a trouvé la vigne tout installée, et
n'a pas eu grand'chose à changer. Ge sont ces provinces, inscrites
dans le trapèze irrégulier limité au sud par le cours de l'Araxe, à
l'ouest parla mer Noire, à l'est par la mer Gaspienne et au nord
partie par le cours du Terek et partie par le Gaucase, où beaucoup
de botanistes ont placé l'origine de la vigne, qui y croît naturelle-
ment, en effet, avec une grande vigueur. Ge sont ces contrées
comprenant entre autres le mont Ararat et l'ancienne Golcbide,
que Koch (2) a explorées, et où il a cru reconnaître, conformé-
ment, d'ailleurs, à l'opinion de Humboldt, dans les vignes qui
enlacent aujourd'hui les arbres des forêts, des cépages autrefois
cultivés, mêlés aux espèces sauvages. H- est certain que, dans la
Mingrélie, qui correspond justement à la patrie de Médée, « il y
a des ceps d'une grosseur si prodigieuse qu'un homme peut à
à peine les embrasser (3), » et dont l'antiquité est évidemment
dence. La concurrence italienne n'a ici rien de commun avec les pirateries
allemandes, qui consistent à contrefaire nos marques, et à écouler sous ces
estampilles dolosives les camelottes les plus immondes ; cette concurrence est
loyale, c'est la lutte de Tactivité contre Finertie, de la veille contre le som-
meil, et elle constitue pour nous, si nous savons le mettre à profit, un
exemple, un stimulant, plus encore qu'un danger. Si nos vins sont délaissés
au profit des vins italiens, ce n'est point qu'ils soient inférieurs, mais unique-
ment parce qu'ils sont moins offerts. On verra plus loin (chapitre Cépages), les
habiles mesures prises parle ministre du Commerce, Berti, pour le placement
à l'étranger, non seulement des vins, mais des raisins de table italiens. Que ne
l'imitons-nous ? Si l'éducation de notre corps diplomatique est absolument
réfractaire aux services commerciaux qu'on pourrait lui demander, que ne
constitue-t-on à côté de lui une réprésentation commerciale, en faisant, au
besoin, appel ad concours pécuniaire des Chambres Syndicales, des « Ghildes »
des diverses professions, lesquelles ne refuseraient assurément point, pour
une œuvre si utile, une aide qui leur serait rendue au centuple ? Cela aurait
certainement un grand tort, celui de sortir de la sacrosainte routine, mais,
(i ) Estendiamo e miglioriamo la coltivazione délia vite.
(2) Vide supra, p. 39.
(3) Julien, loc. cit,, p. 442.
Digitized by
Google
LA VIGNB SELON L'HISTOIRE 209
iacalculable. « On les taille tous les quatre ans, et on leur donne
rarement d'autres soins. Elles donnent un vin qui a de la force,
da corps et un goût agréable, quoique fait sans aucune précau-
tion. Les Mingréliens boivent leur vin pur, et en font une con-
sommaiion plus considérable qu'aucun autre peuple (1), » ce qui
n*est pas peu dire, car, ailleurs, Julien nous apprend qu'à Tiflis,
chef-Ueu de la Géorgie, « la ration ordinaire de chaque habitant,
depuis l'artisan jusqu'au prince, est évaluée à une touque (4 1., 50)
par jour. »
Les vignes sauvages, ou réputées telles, ont un grand inconvé-
nient. Leur firuit, en majeure partie, leur fruit le meilleur,
d'ailleui*s, parce qu'il est le mieux insolé (2), croit au sommet
des arbres qui leur servent de support, c'est-à-dire à une hauteur
telle qu'on est le plus souvent obligé de le laisser perdre. Aussi,
à côté de ces vignes à façons de lianes, les Géorgiens ont-ils
planté un grand nombre de vignobles qu'on arrose, suivant un
usage pratiqué à Astrakhan, et qui donnent d'abondantes ré coites
Il existe aussi des vignobles considérables à Derbent sur la Cas-
pienne, dans le Daghestan, et à Shamaka, dans le Chirvan. On en
trouve également à Kislar, à l'embouchure du Terek, sur les
bords du Kouma, qui sépare le gouvernement du Caucase de celuj
d'Astrakhan, à Pokoinoi, etc. Une partie des raisins de Kislar est
emballée dans de* fa graine de lin, et envoyée ainsi à Moscou et à
Saint-Pétersbourg, où elle arrive en bon état, malgré les 500 lieues
de trajet. Enfin, les Arméniens ont déterminé quelques peuplades
du Caucase, et particulièrement les Tatars du Daghestan, à planter
M. Bouvier, homme jeune, encore animé de Tesprit d'initiative, et arrivé, dit-
on, au nom des idées de progrès, n'en est point sans doute, pour attacher, lui
aussi, son nom à une œuvre de relèvement national, à trembler devant Texcom-
munication majeure de M. Prudhomme. Il a là une excellente occasionde tra-
duire en fait ses conseils de réforme. Nous ne serons pas des derniers à l'applaudir.
N'est-il pas, enfin, aussi navrant que paradoxal de voir nos vignerons
réduits & solliciter u l'intervention du gouvernement près des compagnies
de chemins de fer pour que le traitement de faveur dont jouissent les vins étran-
gers soit accordé aux vins français ? » (G. Foëx, directeur de l'École d'Agri-
culture de Montpellier, Rapport sur les réunions viticoles qui ont eu lieu les 10,
11 et 12 mars 1884, in Trav. du serv, phyL, an. 1883, p. 100.) C'est sur les
lignes étrangères, sans doute, que nos commerçants demandent à être aussi
bien traités que les étrangers? Point, c'est sur nos lignes françaises I! « Ruis-
selant d'inouisme, » n'est-ce pas, comme disait Nestor Roqueplan. Voilà,
monsieur X., un bien autre mal que la Régie. Quand donc cesserons-nous, à
la fois, de conspirer contre nous-mêmes et de nous payer de rengaines et de
chimères? Quand serons-nous un peuple sérieux?
(1) Julien, loc. cU,, p. 442.
(2) Vide siq>ra, Vignes de Kachemyr, p. 37.
TRAITÉ DR LA VIGNE. — I 14
Digitized by
Google
210 HISTOIRE DE LA VIGNE
dans leurs montagnes, de la vigne dont ils achètent et distillent
les vins. Les environs de Kotaïs (Iméréthie) fournissent aussi des
vins très spiritueux qu'on distille. Enfin, les vins de Mokozange
et de Tchenéekaly (Iméréthie) ont été comparés aux Médoc, et
ceux de Schirvan à nos meilleurs Bordeaux, dont ils ont toutes
les qualités et le parfum (1). »
S'il en faut croire Julien, c'est en 161S, c'est-à-dire sous le
premier RomanofF, Michel III, que le gouvernement russe a pro-
cédé aux essais initiaux de viticulture dans ses provinces méri-
dionales. Les premiers vignobles furent plantés près d'Astrakhan
avec des cépages tirés de Perse ; depuis, on y a joint des cépages em-
pruntés aux vignobles les plus renommés d'Europe. Ces tentatives
ont bien réussi, et on compte actuellement, dans cette province,
vingt variétés dont deux à gros raisins, et une, très répandue, le
Kischmich de Perse exempt de pépins. A Astrakhan la vigne est
ordinairement plantée en espaliers. Les vendanges terminées, on
la taille et on couche les ceps jusqu'au printemps, en les couvrant
de terre et de foin. Les raisins une fois formés, on les garantit
du soleil pour éviter qu'ils ne se tachent, et on arrose fréquemment
les vignes. « Ces soins donnent aux grappes une superbe apparence,
mais, il faudrait leur en prodiguer de tout à fait contraires pour
obtenir de bons vins (2). »
C'est, qu'en effet, la qualité comestible du raisin est, ici, seule
visée... et atteinte. « Nulle part, dit Humboldt, « même en
Italie, à Madère ou aux îles Canaries, je n'ai vu mûrir de plus
belles grappes de raisin qu'à Astrakhan. » Les vignobles appar-
tenant au czar sont surtout renommés, pour la grosseur tout à
fait extraordinaire de leurs raisins.
Soigneusement emballés dans des pots, les raisins d'Astrakhan
sont envoyés non seulement à Saint-Pétersbourg, mais dans toutes
les Russies et même à l'étranger. Le commerce en est si lucratif
que les propriétaires regardent la production du vin comme tout
à fait accessoire. En fait, par suite des arrosements excessifs,
leur vin est faible et n'est pa^ de garde. Avec un autre système,
pourtant, on en produirait facilement de meilleur. A preuve le
vin obtenu par le général Bekelof, et que Julien compare aux
bons vins de la Moselle. Pallas cite aussi un certain Jacob
Oftscharkin, qui était parvenu à faire du vin rouge imitant le
Lacryma Christi du Vésuve, et un négociant appelé Popoff, qui
préparait des vins mousseux rappelant le Champagne. Dans la
(1) Julien, loc. cit,, p. 440 443.
(2)Id.,t5i(i.,p.436.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON yHISTOIRE 211
colonie de Galka, gouvernement de Saratoff, sur les rives du
Volga, Pallas avait trouvé un colon qui, de 3,000 ceps qu'il avait
plantés, avait retiré 20 pouds (327 k. 60) de raisin. Cette quantité
ne nous semble avoir rien d'extraordinaire, puisqu'elle représente
seulement 109 grammes par cep, mais, ce qui est plus important,
c'est que ces vignes, bien que situées sur un sol assez sec, n'étaient
point arrosées, et qu'elles donnaient un raisin infiniment moind
beau, infiniment moins bon, infiniment moins gros que celui
d'Astrakban, mais dont le vin, assimilable au vin ordinaire de
France, était relativement du nectar.
A Sarepta, dans l'angle formé par le Volga et le Don, Pallas
a trouvé aussi de bons vins rouges et de bons vins blancs, mais
en quantité peu importante. Les plants y avaient été tirés surtout
de Hongrie.
Nous avons parlé tout à l'heure de la « colonie » de Galka.
C'est, en effet, non seulement en faisant venir de l'étranger des
cépages choisis et des moniteurs experts en viticulture et en œno-
logie, mais à partir de Pierre le Grand, en implantant sur les
terrains à utiliser de véritables colonies de viticulteurs éprouvés,
pourvues de tous les outils, instruments, récipients, etc., néces-
saires, que la Russie s'est appliquée à devenir (1) un pays viti-
cole.
Mais, c'est surtout à partir des premières années de notre
siècle que l'impulsion a été poussée avec le plus de méthode et
d'activité. La Crimée, cédée à Catherine II par les Turcs en 1791,
offrait à de tels projets un champ admirablement préparé par la
nature. La vigne y est, en effet indigène. Elle y a été signalée
par Strabon, et on y trouve encore, comme dans la Transcauca-
sie (2), des ceps dont T&ge ne peut être, même approximative-
ment, évalué.
Elle paraît y constituer une ou plutôt plusieurs espèces à part,
car Pallas en décritvingt-quatre et en nomme douze autres, qui lui
ont été signalées, indépendamment des vignes sauvages (3).Tout au
moins, elle se distingue des vignes européennes par une vigueur
extraordinaire, qui la rend très résistante, non seulement au phyl-
loxéra, mais aux agents destructifs employés dans les procédés
d extinction. Ainsi, à Tepoli, on a pu compter jusqu'à 16 grappes sur
(1) Selletti, loc. cit., p. 308.
(2) Julien, loc. cit., p. 433.
(3) Selon Pallas, il en est, dans le nombre, qui pourraient être comparées aux
meilleurs cépages connus, tels que le SapUlier, le RieslinÇy leMuscat^ le Char-
denet, le Lagkr de Hongrie, le Chasselas rouge, etc.
Digitized by
Google
212 HISTOIRE DE LA VIGNE
un pied dont les racines étaient entièrement couvertes de phyllo-
xéras ; et, au grand étonnement des ouvriers français et suisses
qui ont collaboré à la désinfection, la dose extinctive de sulfure
de carbone a dû être portée à 660 grammes, plus que triple do
celle qui suffit chez nous. Gomme chez les vignes arabes (1) le
développement radiculaire des vignes criméennes est énorme.
« Dans les vignobles d'Abilbalth, on a déterré une racine, qui,
d'abord perdendiculaire sur une hauteur de 1",1S, s'infléchissait
ensuite obliquement, et, mesurait, en tout, 8 sagënes {dix-sept
mètres). (2). »
Les montagnes de la Tauride forment un demi-cercle qui la
préserve des vents froids et la transforment ainsi, en une espèce
d'immense espalier naturel. C'est sur l'étroite et longue bande de
terrains qui s'étend entre la mer et ces montagnes, et c'est aussi
sur leurs premiers versants, que croissent ces vignes si plantu-
reuses. Elles disparaissent sur le plateau élevé dont ces montagnes
sont les assises (3).
L'administration russe s'est bien gardé de méconnaître ce qu'on
pourrait appeler ces avances de la nature. Dès 1805, les premiers
essais de viticulture étaient tentés dans la presqu'île, et six ans
seulement après, en 1811, on installait à Nikita une sorte de
jardin d'acclimatation destiné à la propagation des fruits de
toute espèce, et analogue à celui que l'Empire a détruit à Alger.
Cela, en pleine guerre universelle. C'était bien, vraiment, le cas
de répéter le fameux vers que Voltaire adressait à Catherine :
C'est du Nord, aujourd'hui, que nous vient la lumière.
En outre, là, comme à Astrakhan, on ne négligea point les colo-
nies viticoles.
Les résultats ne firent point défaut aux prévisions de l'intelli-
gent et généreux fondateur, cet Alexandre P' dont les sympathies
toutes françaises nous sauvèrent en 1815, dans la mesure du
possible, de la rapacité et de la grossièreté prussiennes, déjà
acharnées à notre anéantissement. Moins de 40 ans après, en
1846, d'après la Gazette russe ^'Économie rurale, la production
avait passé de néant, ou à peu près, à 634,000 vedros (241,000 h.),
et on estimait à plus de 35,000,000 les ceps plantés par les colons,
(1) Vide supra, p. 41.
(2) Korf, commissaire général, nommé pour la destruction du phylloxéra en
Crimée. Rapport sur sa mission,p. 33-34 in, Sert>ice des travaux du phylloxéra,
an. 1883, p. 396-399.
(3) Selskoié Khozaistro, Bulletin du Ministère des domaines de mars 1882, in
Trav. du Serv. duPhylL, an 1883, p. 400.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 213
qui en avaient primitivement apporté 5,000,000 aveceux (1). Pour
1859, Neideck évalue la production de la Crimée à 380,000 hecto-
litres (2).
De tels résultats étaient trop encourageants pour qu'on s'en
tint là. On institua à Majaratch non plus un simple jardin d'ac-
climatation avec accessoires, mais un établissement modèle, « où
on enseigne tout ce qui a trait à la vigne et à la vinification, et
où on distribue des chapons et des chevelées aux propriétaires
viticulteurs (3). »
Hais ces utiles institutions n'ont pas profité qu'à la Grimée.
La Bessarabie, que la Russie possède seulement depuis 1812, et
le gouvernement du Don, limitrophe de la mer d'Azofif, en ont fait
aussi leur profit. Les Cosaques qui habitent ce dernier pays se
sont beaucoup adonnés à la culture de la vigne, et l'ont, non
seulement augmentée, mais perfectionnée. Cet arbuste prospère
sur les côtes bien exposées de la rive du Don, depuis Tcherkask
jusqu'à Patisbanskajo-Stanitza. Les vins, blancs de Rosdorof et
rouges de Zymslan8k,se vendent très cher à Moscou. Robert Ker-
Poter dit avoir bu chez le général Platoff, à Tcherkask, des vins
du cru, dont le blanc leur parut peu inférieur au Champagne, et le
rouge aussi bon que les meilleurs du Bordelais (4).
Odessa donne aussi, en abondance, d'excellents vins. Les vins,
rouges de Eoos, et blancs de Sudagh, de Théodosie et Arfiney en
Crimée, sont de véritables vins fins (5).
En somme, en 1876, Selletti (6) estimait la production viticole
de la Russie à plus de 4,000,000 d'hectolitres.
Ce chiffre serait exagéré, s'il en faut croire la statistique
officielle pour 1883, résumée au tableau ci après :
Nombre Nombre Rendement moyen
Rigfonf Tîticoles de deesiatines de ^edros Vedro« Hectol.
cultiTées récoltés par par
en vignes dessiatine hectare
Bessarabie 29 000 3 000 000 i03 42
Crimée 4 706 611 000 129 14,5
Prov. du Don 1 505 ?
Gouy. d'Astrakhan ? 1 500
Caucase 86 137 10 546 600 122 13,8
Total 121 348 14 159 100
= 132,523 hectares = 1,740,150 hectol.
(IjSelletti, toc. ctï., p. 308.
(2) Bulletin de la Société d'Acclimatation, 1857, t. I, p. 540.
(3) Selletti, loc. cit., p. 308.
(4) Travels in Qeorgia, Persia, etc., 1817 à 1820.
(5) Julien, loc, cit., p. 432 et suiy.
(6) Selletti, loc, cit., p. 308-309.
Digitized by
Google
214 HISTOIRE DE U VIGNE
soit, en suppléant à la lacune du Don par une moyenne, 1 mil-
lion, 760 mille 130 hectolitres: rendement moyen, 13 hectolitres
3 par hectare. On voit qu'en moins d'un quart de siècle (1859-83),
cette production a fait plus que quadrupler : aussi, ne doit-on
pas s'étonner que, loin de se laisser affoler et hypnotiser comme
nous par l'apparition du phylloxéra, contre lequel elle a réagi
avec une énergie sans égale, l'Administration russe « se propose
« précisément de développer la viticulture par tous les moyens
(( possibles sur le littoral sud de la péninsule taurique pour
« profiter de la décadence de cette industrie dans l'Europe occi"
« dentale (1)/ » Déjà, du reste, ainsi qu'en témoigne le tableau
général que nous avons donné plus haut, les régions circum-
pontiques fournissent leur contingent à notre importation.
Ajoutons que la fabrication ne semble pas avoir été l'objet de
moins de soins que la viticulture, et que, dans les dernières
expositions de Paris et de Londres, plusieurs de ces vins ont
fixé l'attention des œnologistes. Il y a là, nous le répétons, un
exemple qui ne saurait être trop médité, et trop suivi.
Mais, ce n'est pas le seul que la Russie nous ait donné.
L'intelligence , l'activité , * l'énergie qui avaient présidé à la
constitution de son vignoble, elle les a retrouvées lorsqu'ils
s'est agi de le défendre. Un moment s'est produit, en effet, en
1872, où le phylloxéra est venu aussi frapper à sa porte, expédié
d'Allemagne chez M. Boïerski, à Tesseli (Crimée). L'extrême
vigueur des vignes criméennes rendit ses progrès à la fois
plus lents et moins appréciables que chez nous, et, ce ne fut
qu'au bout de 18 ans, le 24 octobre 1880, que sa présence fut
officiellement constatée sur le lieu même d'importation par
M. Danilevski, directeur de ce jardin botanique de Nikita qui
a été, dans ce pays, le séminaire du progrès agricole. Grand
fut l'émoi, comme bien on pense, à cette nouvelle, mais, plus
grandes encore, furent la vigueur et lapromptitude avec lesquelles
on prit le fléau corps à corps. Un mois à peu près, jour pour jour,
après la découverte de l'insecte, le 23 novembre, l'aide de
camp général Eorf était expédié en Crimée en qualité de com-
missaire extraordinaire, et avec les pouvoirs les plus étendus.
C'est à son rapport, traduit par notre consul de Saint-Péters-
bourg, que nous laissons le soin d*exposer son veni^ vidi, vici.
« Les difficultés de trouver de bons ouvriers civils, la nécessité
« de ne procéder aux opérations qu'avec le soin le plus minutieux
(i) Korf, loc. eitf in Serv. des travaux du phylloxéra^ an. 1883, p. 396 et 400.
Digitized by VjOOQIC
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 215
« et d*ayoir toujours sous la main des hommes sévèrement
K disciplinés, le décidèrent à requérir le concours de Tautorité
K militaire. La IG** division d'infanterie et la division de Crimée
« lui fournirent des travailleurs dont le prix s'est élevé à 75 ko-
« peks (3 fr.) par jour, en gages, suppléments de vivres, four-
ce nitures de vêtements, non compris les frais de baraquement.
« Leur nombre a varié de 650 à 850.
« Ces forces, sous les ordres d'un major, furent divisées en
u compagnies de 60 à 100 hommes, commandées par des officiers,
(( et se subdivisant, elles-mêmes, en escouades de 10 à 12 ou-
« vriers, avec sous-officiers à leur tête : enfin, chaque escouade
« se partageait en équipes de trois individus travaillant en-
(( semble. Un intendant, un médecin et une ambulance furent
« attachés à la colonne organisée^ on le voit, comme un corps
« darmée en campagne. D'autre part, on répartit les différents
« districts viticoles en sections, dont chacune fut placée sous la
« direction d'un contrôleur élu par les zemstros (1), et chargé
« des mesures préventives les plus urgentes. Les routes abou-
(c tissant aux vignobles infectés étaient gardées par des piquets
f( chargés d'empêcher l'entrée ou la sortie de ceps, sarments,
(( feuilles de vigne, raisins et plantes quelconques, de tremper
« dans une dissolution de sulfocarbonate de potassium les
« chaussures et outils des travailleurs, d'en frotter les roues
(( des voitures et sabots des chevaux, de désinfecter aussi, au
« sulfure de carbone, les vêtements des ouvriers et visiteurs
« à leur départ du vignoble. »
Un inspecteur français emprunté au service de la Compagnie
P. L. M., M. Chiry, et un autre venant de Genève M. Jager,
furent adjoints aux ouvriers, propriétaires, élèves des écoles agri-
coles, etc., pour les initier au discernement des ceps phylloxérés
et au maniement du pal.
Avec leurs concours, « on visita dans toute la Crimée^ 1 pied
« sur 100, et dans les endroits suspects 2, 3 et même 4 sur 100
u(10 et 15 à Magaratch). Cela fait, les examinateurs se par-
ce tagèrent en trois brigades pour inspecter minutieusement les
(1) Sorte de conseil général avec des attributions administratives très éten-
dues. Il y en a un par « gouvernement » (en russe gouhemic^, ce qui corres-
pond à peu près à l'idée de province. Toutefois, les régions peu russes ou
peu civilisées, telles que la Sibérie, etô., en sont privées jusqu'ici. Le mot a pour
racine Zemlia terre, allusion sans doute au caractère territorial de cette
institution. (Renseignement dû à notre éminent ami M. Legrelle, auteur du
Dmt de guerre et de pa^x, de JMuis JIY et Strasbourg, etc., enfln, d'une foule
d'excellents travaux, où le patriotisme le dispute à l'érudition.)
Digitized by
Google
216 HISTOIRE DB LA VIGNE
« vignobles contaminés. Danscertains endroits, ils visitërentl pied
« sur 100 ; ailleurs, 1 sur 50 ; ailleurs encore 1 sur 13; à Âbilbakh
« enfin, chaque pied. Ce travail se termina le 22 juillet 1881 :
« 210,000 ceps avaient été passés en revue. Les examinateurs,
« originaires de la Bessarabie et du Caucase, furent envoyés
« chez eux pour entamer des recherches dans leurs pays res-
« pectifs : ceux du Caucase découvrirent aussitôt le phylloxéra
« dans un vignoble du Soukoum-Kalé.
« En définitive, on avait pu constater que la maladie se trou-
ce vait circonscrite dans une étroite région fermée de tous côtés
« par des frontières naturelles : la chaîne d'Yaïla, les hauteurs
« de Laspi et d'Aï-Youri et la mer. Dans ce bassin renfermant
« 38 dessiatines et 1 ,545 sagënes carrées de vignobles, on comp-
« tait 17 dessiatines 839 sagënes entièrement infectées et déjà
« détruites, 9 dessiatines 696 sagënes à demi contaminées, et
« environ 12 dessiatines saines. )>
Aussitôt, muni de sulfure de carbone qu'on fit venir de Mar-
seille, c'est-à-dire le 29 mars 1881, on se mit à l'œuvre. « Par
« six trous pratiqués autour de chaque cep, on injectait
« 180 grammes de sulfure de carbone » — (quantité que l'expé-
rience apprit peu après à doubler et qu'il faut même tripler, pour
en assurer l'efficacité) — : quelques jours plus tard, le vignoble
était retourné à la bêche, « on arrachait soigneusement les plantes
avec toutes leurs ramifications souterraines, et on les brAlait,
puis, on versait dans des sillons ménagés ad hoc 80 grammes
de sulfure de carbone par quart de sagëne carrée (1"^, 1380) :
cette dernière opération était répétée au bout d'un certain temps,
quand la terre s'était tassée. »
A Mchatka, on détruisit, ainsi, radicalement tout le vi-
gnoble ; à Aî-Youri, où le mal était sans doute moins grand,
on se décida à épargner quelques ceps : et « sans arracher les
pieds, on les coupa à la profondeur d'une demi-archine », au-
dessous de laquelle le phylloxéra parait ne pas pénétrer, « et on
brûla les parties scindées pour anéantir les œufs du phylloxéra,
s'il s'en trouvait par hasard.
« Détail à noter. Le phylloxéra s'était attaqué à la vigne
sauvage tout aussi bien qu'à la vigne cultivée. On la détruisit
comme la seconde (1). »
Cette campagne parait avoir produit les meilleurs effets. Le
coût en est évalué à 193,000 roubles, c'est-à-dire à 4 ou 500,000 fr.
(1) Korf, loc. cU.f in Travaux du service du phylloxéra, an. 1883, p. 39^420.
Digitized by VjOOQIC
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 217
N eûl-elle réussi^ sinon à anéantir, comme on l'espère, Finsecte
exterminateur, tout au moins qu'à l'immobiliser dans ses progrès,
que ce serait encore de l'argent fort bien placé.
La viorne en Autriehe. — En Autriche, le progrès à suivi la
même voie qu*en Italie. La simple station œnologique de EUoster-
neubourg, près de Vienne, après avoir fait ses preuves, comme
celle de Gattinara, a été élevée au rang d'École Supérieure
d'Œnologie, que l'État a prise à sa charge et qu'il a dotée, sans
compter, de tous les moyens d*étude et d'expérimentation né-
cessaires. Cette école a non seulement rendu les plus grands
services à l'Autriche elle-même, mais elle forme déjeunes élèves
qui sont recherchés de tous les pays viticoles, même en Turquie
et en Ég3^te, pour y fonder ou y diriger de grandes exploitations
ampélographiques (1). Elle est devenue célèbre dans toute
l'Europe, et on en pourrait dire autant de l'École de pomo-œno-
logie de Graetz, en Styrie, dirigée par l'illustre ampélographe
Hermann Gœthe, secrétaire de la commission internationale
d'Ampélographie universelle, et auteur du Bandbuch der Ampeio-
graphie que nous avons eu déjà occasion de citer.
Il existe en outre une école spéciale de viticulture à Marburg (2)
pour la Stjrrie, et à San-Michele (Tyrol), une station agricole où la
viticulture est, sinon spécialement, au moins accessoirement, traitée
avec soin. C'est là, notamment, qu'ont eu lieu les importantes
recherches, — dont nous aurons à parler — , du professeur
Mach sur la maturation des raisins. Mais, la partie la mieux
dotée à cet égard de l'agglomération Austro-Hongroise, est
encore, de beaucoup, la Hongrie. Comme cette question est assez
importante, nous aurons, tout à l'heure, tout naturellement sujet
d'y revenir.
De sol, de climat, de langue, de culture et de sympathies,
rktrie, est une province purement italienne et dont l'histoire
ampélographique se rattache entièrement à celle de lltalie. Là,
comme dans YŒnotriay l'origine de la vigne s'y perd dans la nuit
des légendes. H en existe même une qui indique Noé comme
ayant, là, et en Illyrie, planté les premiers ceps avant le déluge (3).
C'est dire que la vigne y a existé de tout temps. Comme l'Italie,
ristrie abonde en bons vins, le Prosecco, l'Antignana, le vin
même de Trieste : « on en fait de rouges et de blancs ; ils pétil-
(l)SelletU, /oc. cit., p. i5.
(2) Renseignemeot dû à Tobligeance de M. Tisserand, Directeur général
ao ministère de TAgricuIture.
(3) Julien, loc. cU.y p. 365.
Digitized jpy
Google
218 HISTOIRE DE LA VIGNE
lent de feu, ont un goût agréable et sont très salubres (1), » tels
vins, tels hommes. Il n'y a rien d'allemand là dedans.
Llstrie fait aussi des vins de liqueur comme l'Italie méridio-
nale. « Les meilleurs sont le San Petronio, le Ricoli, le Petit
Tokay, le Saint-Thomas, qu'on prépare à Capo distria, à Pirano,
à CittaNuova. Le vin de Pola, à 8 kilomètres de Capo distria, est
1res agréable, mais très capiteux (2). »
La Dalmatie, tout égrenée en îles comme l'archipel grec, se
rattache aussi, ampélographiquement parlant, au massif italien,
et donne des vins italiens. A Sebenico se fabrique le maraschina^
bon vin qu'il ne faut point confondre avec l'exquise liqueur dite
maraschiiiOy qui se confectionne à Zara. La vigne abonde aussi
dans les lies. Agosta, Meleda, Giupana, Lopud, Galamota, Lissa,
Gherso, Viglia, Lésinas, produisent beaucoup de vins. Galamota,
entre autres bons crus, donne un Malvoisie qui ne le cède en rien
à celui de Grèce et à celui de Pollenzia, dans les Baléares.
lia vigrne en Hongrrie. — Race vive, fière, vaillante, fran-
che, généreuse, élégante, indomesticable, enthousiaste et artiste,
toute de premier mouvement comme nous, les Hongrois n'ont,
eux non plus, rien de commun avec les Allemands. G'est, Yopiscus
nous l'a dit, un brave homme de chez eux, Probus, qui a planté
leurs vignes et les nôtres, et c'est un homme de notre race, Louis
d'Anjou, qui, en 1330, transporta chez eux deForli, en Italie, le
Furmint qui donne les fameux vins blancs de Tokay (3). Nous
sommes frères par la bouteille.... et par le cœur, et il viendra bien
un jour où, en dépit des distances, nous nous retrouverons côte à
côte et la main dans la main, le jour où, lasse de servitude, l'Eu-
rope brisera le carcan germanique actuellement passé autour de
son cou.
Le nombre des cépages cultivés en Hongrie s*est aujourd'hui
considérablement accru. Dès 1803, Zirmay de Zirma (4) en citait
35 dans le seul comté de Zemplin, parmi lesquels le Furmint et
le Hars levelu fournissent l'excellent vin de liqueur connu sous
le nom A'essetice de Tokay, que l'on récolte sur les montagnes
qui terminent de ce côté l'immense chaîne des Earpathes. Zir-
may compte dans le seul comté de Zemplin trente-quatre de ces
montagnes, toutes couvertes d'excellents vignobles et qu'il divise
en trois classes dans l'ordre de leur fertilité. Première classe :
(\) Julien, loc. cî<., p. 365-366.
(2) Id., iUd.
(3) Bulletin de la Société d'acclimatatioriy 1866, t. III, 2« série, p. 27.
(4) Notitia topographica politica inclyti comitatis Zempliniensis. Bude, 1803,
Digitized by
Google
U VIGNE SELON L'HISTOIRE 21»
TallyCy Oud, Ratka, Mada, Tokay, Bodrog-Kerectur (1), etc.;
deuxième classe : Monok, Szerencs, Nagy-Toronia^ Lagmocz, etc. ;
troisième classe : GcUSzechy KryvosiyaUf Barko.
« Tokay, qui donne son nom à l'ambroisie hongroise, est un
gros bourg du canton de Zemplin, à 150 kilomètres nord-est
de Bude et à 60 kilomètres sud de Gracovie. C'est dans ce canton^
sur le mont Tokay, situé entre ce bourg et celui de Tarczal, que
croit le plus estimé des vins dits de Tokay, regardé avec
raison comme le premier vin de liqueur du monde. La côte qui
le produit a environ 9,000 pas de longueur ; mais la partie expo-
sée au midi qu'on nomme Mèzes M aie (rayon de miel), qui four-
nit le meilleur, n'a guère que 600 pas. Les premiers ceps, plantés
par Probus en 680, venaient de Grèce, mais, ce n'est qu'au dix-
septième siècle que le Tokay a conquis sa haute réputation, par
suite des perfectionnements apportés à sa fabrication. Ce vin a
toutes les qualités requises par Horace (2) ; doux, et en même
temps généreux, délicat et parfumé, il rafraîchit la bouche,
enlève le goût de tous les mets qui l'ont précédé, et ne laisse que
sa saveur délectable. Le cru de Mèzes Malé dépend du village de
Tarczal; il fournit les vins les plus estimés pour leur douceur;
ceux de Tokay etdeMadasont de même espèce, et dififèrent peu en
qualité. Ceux de Tallya ont plus de corps, et ceux de Zombor
plus de force, les vins de Szeghy et de Szadamy un bouquet plus
prononcé ; enfin, ceux de Toleswa et d'Erdo-Benye se conservent
mieux et supportent plus facilement le transport par mer. Ceux
de toutes les autres montagnes, quoique fort bons^ leur sont infé-
rieurs. On cite ceux de Gal-Szech, de Eryvostyan, et de Barko,
comme étant plus clairs et plus capiteux que les autres.
« Dans les montagnes deZemplin, les vendanges ne se font qu'à
la fin d'octobre ou au commencement de novembre, moment où
les gelées de nuit arrêtent la végétation, et où les feuilles tom-
bées permettent au soleil d'atteindre directement les raisins et de
compléter ainsi l'élaboration de leurs sucs. Peu à peu la sura-
bondance d'humidité s'échappe, les grains se dessèchent et
acquièrent une couleur brune caractéristique. On choisit alors les
meiUeurs raisins et, ablation faite des verts et des pourris, on les
place sur des tables à rebords, à milieu creux et percé d'un
(i) Tokay est situé au confluent de la Theiss et du Bodrog.
(2) ... generosum et Une reqyxro
Quod curas abigat, quod cttm spe divUe manet
In venas animitmque meum, quod verba ministret,
Quod me Lucamœ juvenem commendcU amicœ.
Digitized by
Google
220 HISTOIRE DE LA VIGNE
orifice, par où le jus s'écoule après une légère pression, et
recueilli dans des vases de terre, forme ce qu'on appelle Vessence
(mère-goutte des Latins). On mouille ensuite le marc avec du
moût provenant des raisins non desséchés qu'on a pressés dans
des sacs avec les pieds. On répète cette opération, et on obtient
ainsi le « Maszlas », ou second vin de raisin cuit au soleil. Quel-
ques propriétaires séparent Vessence et la conservent dans de
petits vases; mais la plupart la mêlent avec le vin pressé, et
avec celui qui provient des raisins non desséchés. Ces mélanges
se font en diverses proportions. Le vin dit Ausbruch se compose
de 61 parties d'essence et de 84 de vin, tandis que le Maszlas
contie'nt 169 parties de vin pour 61 d'essence. On ne colle pas le
Tokay de peur de nuire à sa qualité ; il se clarifie par le repos
sans jamais devenir limpide, et il forme toujours dans les bou-
teilles un dépôt visqueux, qui se mêle rarement dans la liqueur
transvasée.
« Le vin de Mèzes-Malé n'entre pas dans le commerce. Il est
destiné en totalité pour les caves de l'Empereur et de quelques
magnats qui y possèdent des vignes; mais, ceux de même espèce
que l'on fait à Tokay, Mada, Tallya, Zombor, Szeghi, Szadamy,
Toleswa et Erdo-Benye diffèrent peu en qualité ; ils se conservent
très longtemps à toute température et acquièrent, en vieillissant,
le plus haut degré de perfection. Ces vins sont très recherchés
en Pologne et dans plusieurs contrées du Nord. Il s'en fait un
grand commerce à Cracovie, sur la Vistule, dans la Galicie occi-
dentale. On en trouve qui ont jusqu'à cent ans: ils se vendent 4, 6,
et quelquefois 8 ducats (92 fr. 80) la bouteille. Le vin qu'on débite
le plus ordinairement sous le nom de Tokay, même en Hongrie,
n'est que ce qu'on appelle Ausbruch et Mazslas; il s'en prépare
dans presque tous les vignobles du comté de Zemplin, et dans
plusieurs de ceux des deux autres parties de la Hongrie. On cite
avec éloge les vins de cette espèce que l'on fait à Saint-Georges,
à Œdenbourg, à Ratchdorf (1). »
En 1687, les vignes furentdétruitesàMohatz, où,— comme quatre
ans avant, les Polonais deSobieski sous les murs de Vienne, — les
Hongrois eurent la glorieuse sottise de se battre et de vaincre
pour les Allemands ; ce dont on les paya les uns et les autres en
monnaie allemande, c'est-à-dire par l'ingratitude et par l'asser-
vissement.
Depuis, les vignes ont repoussé, et l'Allemagne aussi, malheu*
(i) Julien, /oe. ci^., p. 360 et suiv.
Digitized by VjOOQIC
LA. VIGNE SELON L'HISTOIRE 221
reosement, et elles donnent, comme auparavant, un vin rouge,
corsé, spiritueux, et d'un agréable bouquet.
Si nous avons aussi longuement insisté sur le Tokay, c'est
d'abord parce qu'on s'oublie volontiers dans la société de nos
amis les Hongrois, ces Français du Danube — leur Seine, — et de
la Theis, — leur Garonne ; — en second lieu, parce que, sauf erreur,
nos compatriotes, les Français de France, ne seront point fâchés de
savoir au juste ce que c'est que ce Tokay fameux qui leur appa-
raît de loin, à travers un rêve de féerie, comme un breuvage
mystique, nectar ou soma moderne, versé par de belles damoi-
selles de missel, dans des coupes de topaze à des écuyers de
l'hippogrifTe, en route pour les hautes régions de
... ce pays étrange, absurde, inhabitable
Et qui, pour valoir mieux que le seul vraisemblable,
N'a, pas même un instant, eu- besoin d'exister.
Eh bien non, il existe vraiment, ce fabuleux dictame, et il se
vend non à l'amphore ou au cratère, mais à l'antal, qui vaut
25 1. 1/4, au baril, qui vaut deux antals, et à l'cimer qui vaut 73 à
76 litres dans la haute Hongrie, et 57 dans la basse. On en trouve
à Presbourg, à Bude, à Œdenbourg et à Eperies. Avis aux
amateurs !
Comment les poètes n'auraient-ils pas brodé sur les vignes mères
de cette quinte et mirifique « essence » toutes les arabesques de
la fantaisie, quand ce sont les naturalistes et les docteurs, hommes
graves, saturnins, traduisant pesamment l'allemand balourd en
latin de Molière, qui leur en ont fourni la trame d'or. Alex, ab
Alexandro (1), Merula, (2) Mizald (3), Porta (4), parlent de vignes du
Danube qui portent des vrilles et des feuilles d'or. Sachs (5), qui les
cite, et qui avait eu l'irrévérence grande de ne point s'en fier à leur
témoignage, a voulu en avoir le cœur net : il a écrit à son très
sincère ami Henri de Frankenstein, naturaliste à Eperies (Hongrie
supérieure) lequel, non seulement a confirmé l'autorité d'A-
lexandre, mais y a ajouté son propre témoignage. Il y a deux
ans, que, pour la rareté du fait, on lui a apporté des raisins à
peau granulée d'or. Du reste, à Tokay, et à l'endroit qui produit
le meilleur vin, il n'est point rare {non raro) de voir une sorte de
(1) Alex, ab Alexandro. Lihri génial, dier, cum Comm. Tiraqvell. Francfort,
1594, 4, 9.
(2) Merula, Cosmographia, 10, 27.
(3) Misaldi, Memorabilia. Cologne, 1672 ,2, 1.
(4) Porlx, Phytognomica. Fr. 1561, 2, 6.
(o) Sachs, loc. cU.y p. 41 et suiv.
Digitized by
Google
222 HISTOIRE DE LA VIGNE
cordon d'or (funiculus) pousser en même temps que la vigne et
Tenrouler comme un liseron, ainsi que Frankenstein Ta vu de ses
yeux. Frankenstein rapporte plusieurs autres exemples d'après
la relation amicale de Procope de Bonn, médecin, camérier,etc.,
qui les a consignés dans son livre De admirandis rebiis Bungariœ^
composé aux frais de Tarchevèque palatin de Hongrie et du
comte Nadasti, et dans le moment sous presse. Récemment,
Mathieu Held, successivement médecin de Ragotzi, prince de Tran-
sylvanie, etduducdeLithuanie, Radziwill, ndX\XTh\x&ierneritissiinus^
a verbalement rapporté qu'en 1651, étant au château d'Arak,
près de Tokay, à la table du prince, en compagnie de Georgia
Ragotzy, mère dudit prince, de Sigismond Ragotzy son frère, et de
la femme de ce dernier, fille de Frédéric, prince palatin du Rhin,
il vit apporter des raisins jetant l'éclat d*atomes d'or compact,
comme si la pellicule eût été couverte d'or, et que non seulement
il les toucha, mais qu'il fut appelé à exprimer son opinion sur
le fait (1).
Cette opinion du meritissimus doctor... qui tara bene parlât y
Sachs ne nous la fait pas connaître, et c'est grand dommage,
mais, dorés ou non, les raisins de Tokay valurent de For pour
François Ragotzy, celui qui, de 1701 à 1711, fit connaître à la
Hongrie dix ans de liberté entre deux servages. Ayant besoin de
l'alliance du premier roi de Prusse, Frédéric IH, et sachant bien
par quel bout il faut prendre cette race d'assoiffés, il ne crut, et avec
raison, pouvoir mieux atteindre son but qu'en envoyant à cet
électeur décrassé 150 bouteilles du Faleme hongrois, non moins
apprécié, s'il en faut croire un célèbre calembour du pape Pie IV,
sur les tables sacrées que sur les tables royales.
C'était à la fin, c'est-à-dire à la vingt-huitième année du concile
de Trente. Pour clore dignement cette longue session fertile en
agapes. Pie IV avait rassemblé ses cardinaux et leur avait servi
du meilleur, comme bien on pense... ou plutôt comme bien il
pensait. Quand eurent successivement défilé sur la table les vins
les plus renommés de la chrétienté, le cardinal hongrois Drasco-
vitch s'approcha directement du Saint-Père, et lui présenta un
llacon de vin qu'il avait clandestinement apporté. A peine le pape
Teut-il goûté que, le déclarant supérieur à tous les autres, il en
demanda la patrie. — « Tallya, » dit le cardinal. — « Sacrum ponti-
ficem talia vina décent j » repartit le pape (2). Le mot était char-
(1)... hoiros apportâtes 'fuisse, quorum acini compactis auri atomis mrè
splenduerint. Sachs, loc. cit., p. 43.
(2, et 1 de la p. suiv.) Dejeraon, loc, cit.y p. 55 et 80.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 223
maûl. D'adoption sinon d'origine, le Tokay peut donc revendiquer,
loi aussi, ses grandes lettres de « vin théologique )>.
On comprend que la nativité d'un tel élixir, d'un tel « géné-
rateur de gaieté sereine » ne puisse être trop fêtée. Aussi n'est-ce
dans toute la Hongrie, d'un bout à l'autre des vendanges, qu'un
gaudissemenl général. «Vers la fin d'octobre, chacun abandonne
la ville pour aller camper dans les vignes des coteaux ; alors com-
mencent à Mady, à Tokay, dans cent endroits des danses tradi-
tionnelles, pour toutes les classes, qui ne s'arrêtent qu'alors que le
dernier pampre est dépareillé de son fruit, lorsque le dernier grain
est pressé (1). » Absolument comme au temps d'flomëre on ven-
dangeait au son de la flûte le Maronée et le Pramnien.
Si le Tokay dépasse tous ses congénères
Quantum lenta soient inter vibuma cupressi^
il est bien loin d'être, pour cela, le seul bon vin de la Hongrie. Ses
crus sont nombreux et offrent avec les nôtres une consanguinité
physique égale à notre consanguinité morale avec leurs produc-
teurs. Le Presbourg, le Neytra, le Modem, le Saint-Georges,
surtout, sont les frères de nos Bourgogne, ceux de Zschelhoe, de
Ssoetoesch, de Kos-Rad, de Devetscher, sont plus voisins de nos
Bordeaux. Ceux de Temeswar, notamment le Wersitz et le
Weisskirchen, rappellent, dit Julien, sans spécialiser davantage,
nos meilleurs vins de France. Le vin blanc nommé Schiracker^
qu'on fait dans le comté de Nagyongter rivaliserait enfin, dit-on,
avec notre Champagne (2).
Si la vigne fait à la fois la richesse et le juste orgueil de la
Hongrie, il n'est pas non plus, non seulement dans la région
danubienne, mais dans l'Europe entière, sans en excepter
peut-être l'Italie, de pays où ses services soient plus appréciés, et
où l'importance de son étude soit mieux reconnue. La Hongrie
possède, à elle seule, sept écoles de viticulture, savoir :
1^ à Aibe-Royale, 2** à Weisskirchen (comitat de Temer), à
Istvantelek (banlieue de Budapesth), à Kœskemet (même comi-
tat), à Farkasd (comitat de Pest-Pilis), à Szendrô (comitat de
Borsod) (2), enfin à Tokay (Tisza) (3), en plein nectar national.
(1) Julien, loc. cit., p. 362-363.
(2) Communication du Ministre de V Agriculture^ du Commerce et de Vïndustrie
de Hongrie au consul de France à Budapest, la Travaux du service du phylloxéra,
an. 1883, p. 328-329.
(3) Renseignement dû à la gracieuseté de M* Tisserand, Directeur général
au ministère de TAgriculture.
Digitized by
Google
224 HISTOIRE DE LA VIGNE
C'est dans une de ces écoles, à Farkasd, qu'ont été faites
les expériences, jusqu'ici les plus démonstratives, sur l'immunité
des sables de toutes sortes en matière de phylloxéra. Le 4 août
1883, quatre boutures enracinées, dont les racines étaient litté-
ralement couvertes de phylloxéras et de leurs œufs, furent
plantées dans des vases pleins de sable fin. Le 22 aoùt,^es plants
ont été déracinés et examinés. L'examen a donné ce résultat
surprenant, que le parasite avait disparu des racines de toutes
les quatre boutures, et, ce n'est qu'après de scrupuleuses re-
cherches, qu'il a été possible de trouver, sur une jeune bouture,
un jeune phylloxéra caché dans la bifurcation d'une racine.
Cet imique échantillon s'est développé, sans doute, d'un œuf
pondu au début de l'expérience, et, aurait péri assurément à
bref délai (1). »
Cette constatation permettra, sans doute, d'affecter utilement
à la viticulture une immense plaine, sorte de Sologne hongroise
qui s'étend du pied des Carpathes à la frontière serbe, vers le
midi, et qui ne fournit actuellement qu'un maigre p&lurage,
où le sable mouvant est le jouet de toutes les brises. Ces plan-
tations ont d'autant plus de chance de succès que, d'après l'art. 10
du questionnaire soumis aux viticulteurs et savants de Hongrie,
par le ministre de l'Agriculture, en 1882, etdevenu, depuis, partie
intégrante de la « Loi XYII de 1883 » , ces plantations sont
dégrevées de l'impôt foncier pour six ans, qu'elles seront se-
condées par les ingénieurs agricoles de TÉtat, et que, de plus,
« pour dissiper les préjugés du public contre les vins récoltés
dans les sables, le meilleur et le plm avantageux système de
vinification y doit être étudié et propagé. » Toutes mesures
excellentes dont la dernière rappelle les Cantine sperimentali
d'Italie, et qu'on aurait tout intérêt à acclimater, aussi, chez nous.
(\) "Rapport de la station phylloxérique de Farhasd, in Travaux du service du
phylloxéra, an. i883, p. 343. Les observations recueillies chez nous par
MM. Couvert et Degrally confirment absolument ces résultats. « Ils se sont
assuré que l'immunité contre les attaques du phylloxéra ne dépendait ni de
Torigine du sol dans lequel on cultivait la vigne, ni même de sa composition
chimique ; elle semble due exclusivement à la structure des particules ter-
reuses et à leur mobilité. Les sables de l'intérieur, provenant des alluvions
de rivières, des dépôts marins ou de la décomposition des roches de natures
diverses, présentent les mêmes avantages que les sables des dunes calcaires-
siliceuses du littoral méditerranéen. Les plantations du Rochet des Mazes
près de Montpellier, celle de Servian, près de Béziers, en sont une preuve
manifeste. » {Trav. du serv. du phyll. Rapport de M. Foéx, an. i883, p. 95.)
L^ensablemenl artificiel des vignes parait même avoir donné d'excellents
résultats dans la Gironde. (Trav, du serv. du phyll. Rappùrt du président du
Syndicat de Cissacy de Vertheuil et de Saint-Estèphe, an. 1882, p. 408.)
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 225
La Hongrie n'a pas borné, comme l'Italie et comme la Suisse,
sa défense contre le phylloxéra aux procédés d'extinction. Une
lé^lation assez compliquée permet d'associer à ces procédés
les procédés dits « culturaux », et, aussi, la séquestration des
vignes malades. Pour faire à la fois obstacle au phylloxéra et
aux charlatans qu'il traîne à sa suite, et qui le secondent si
bien, le gouvernement s'est chargé de fournir lui-même aux
viticulteurs désireux de replanter ou d'améliorer leurs vignes,
les moyens de se procurer des ceps moins vulnérables. C'est à
cet effet spécial qu'à été créée l'école de Kœskemet, d'une
étendue de 200 joehs (130 hectares), « destinée à recevoir des
ceps hongrois de la meilleure qualité, et des ceps étrangers,
afin que les viticulteurs puissent se les procurer sans crainte. »
Les autres mesures employées consistent à guider les viti-
culteurs dans l'emploi des insecticides. Le gouvernement tient
à leur disposition de grandes quantités de sulfure de car-
bone et les instruments dits injecteurs. Les propriétaires qui
veulent tenter ces essais reçoivent gratis les quantités de sulfure
de carboney et des experts désignés par le gouvernement
dirigent les travaux. Pour empêcher la contagion, et, dans le
but de surveiller les localités infectées, le gouvernement a
nommé des experts et des inspecteurs de districts, dont le rôle
consiste à visiter les vignes suspectes (1). » D'autre part, « une
instruction a été publiée sur l'emploi des engrais chimiques^
faute d'engrais naturels capables d'assurer le fumage des terrains
soumis aux traitements sulfureux (2). » Enfin, « on a fait venir
d'Amérique une grande quantité de pépins américains, qui ont
été distribués aux viticulteurs, soit par le ministre même, soit
par l'entremise des autorités municipales, et avec des instructions
relatives aux semis des vignes américaines (3). »
En un mot, rien n'est épargné pour protéger, encourager,
éclairer et guider les viticulteurs. Que ne sommes-nous en
Hongrie ! !
La idgrne en Aalrlche. — C'est en 1248 (4), c'est-à-dire sous
le règne d'un homme de leur race, Ottokar P', que nos amis les
Tchèques de Bohême (5) furent initiés à la culture de la vigne. Ils
(1) Cimm^mvMllifm du ministre de l'Agriculture de Hongrie, in Travaux du
service du phylloxéra, 1883, p. 328.
(2) Rapport publié par le même ministre en 1882, in Travaux du service du
phyUoxéray p. 331.
(3) Id. in ibid., p. 332.
(4) G. Foéx, loc. cit.
(5) On sait que le mot de Bohême vient des jBoti, nos ancêtres, qui occupé-
TRAITÉ DB LÀ VIQNE. — I 15
Digitized by
Google
226 mSTOIRK DE L\ VIGNE
ne »ont donc point redevables même de cela aux Allemands k qui
ils n*ont dû, eux aussi, qu'étranglement, que spoliation et que
servitude, car il est digne de remarque qu'il n'est guère en Europe
un peuple qui n'ait contre ces rapaces néfastes un patrimoine à
reconquérir ou une injure à venger (1).
La vigne a bien réussi en Bohême où elle produisait en 1857,
d'après Julien (2), 320,000 hectolitres de vin. Les meilleurs sont
ceux de Brunn et de Poleschowitz (Moravie), de Leitmeritz, de
Bunslau, d'Aussig et de Melnick, dans le cercle de Bunslau. Ces
derniers proviennent de ceps importés de Bourgogne.
En Styrie on estime les vins de Lutternberg, d'Amfels, de
Windisch-Feistritz, de Gonowitz, de Kirschenberg, de Petters-
burg, de Wissel, etc. L'Esclavonie, où eurent lieu, en 276, les
premières plantations de Probus, a encore aujourd'hui ses princi-
rent cette contrée en 587 avant Jésus-Christ sous la conduite de Sigovèse. Ils en
furent chassés sous Auguste par les Marcomans, qui furent, à leur tour, fort
heureusement, expulsés au vii^ siècle par les Slaves actuels.
(1) Au xv« siècle, la Bohême malgré Fexiguïté, de son territoire, occu-
pait dans réchiquier politique du temps une très grande place, et TUni-
versité de Prague était le plus grand et le plus brillant centre intellectuel de
l'Europe. La grande révolution hussite, dont Tépopée n'a rien de comparable,
pas même notre Révolution française, et dans laquelle une poignée de héros
tint victorieusement tête pendant dix-neuf ans à tous les despotismes monar-
chiques et sacerdotaux de l'Europe conjurés contre elle, et, plus de cent ans
avant Luther, sut leur imposer la liberté de conscience, y commença au cri de
u Mort aux allemands ! » Malheureusement, au bout d'un siècle, après la bataille
de la montagne Blanche (1620), ce vaillant et généreux peuple se laissa ressaisir
par ces bourreaux détestés. « Ce fut le point de départ d'une réaction savam-
ment calculée pour anéantir la Bohème. Des confiscations immenses firent
passer la plus grande partie du sol aux jésuites et au reste du clergé, aux
étrangers, allemands surtout. Quant à la religion, Ferdinand d'Autriche ne
proscrivit d'abord que les calvinistes et les taboristes, mais les autres dissi-
dents eurent leur tour, dès que l'empereur crut pouvoir sans péril déférer
aux instances ardentes de la cour de Rome et violer les engagements pris
envers sgn aHié, le chef des luthériens, rélecteur de Saxe. Les églises luthé-
riennes et calixtines furent fermées en 4622, la communion utraquiste sup-
primée, les symboles égalitaires des hussites proscrits, tous les dissidents
ecclésiastiques bannis, et les maisons des laïques réfractaires à la conversion
occupées militfidrement, aÛn que, suivant les expressions du nonce, « ceux
qui ne cédaient point aux exhortations spirituelles cédassent, du moins, aux
vexations qui châtiaient leur endurcissement. » A la suite de l'armée
impériale, une armée de moines s'était abattue sur ce pays d'où était parti
jadis le signal de la grande guerre contre les moines ; les rivaux des moines,
ces pieux Frères Moraves qui vivaient en communauté, sans s'enchaîner par
des vœux de célibat, furent chassés par milliers de leur patrie, et le règne des
jésuites s'enracina, dans la terre de Huss et de Ziska. » (Henri Martin, Histoire
(ie France, t. H» p. 166-167.) Tel est l'abêtissant régime sous lequel agonise,
depuis plus de deux siècles, comme l'Espagne, ce peuple généreux. On dit
pourtant que l'un et l'autre se réveillent. Attendons !... (Lire la belle étude
d'Ernest Denis, intitulée Jean Huss et les Hussites,)
(2) Julien, loc. cit. y p. 356.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 227
paux vignobles près de Sirmium, mais, c'est à Posega que se
récoltent ses meilleurs vins.
Dans rarchîduché d'Autriche, on récolte surtout des vins blancs
de nuance verdâtre, et plus forts que les vins du Rhin. Les vi-
gnobles les plus estimés sont sur le mont Calenberg, dont la
chaîne s'étend jusqu'en Styrie. Le meilleur vin rouge, celui de
Pfaffstaeten provient de plants tirés de Bourgogne.
A en juger par ses relations avec nous, pays éloigné avec qui
la nature des choses ne la porte qu'exceptionnellement aux
échanges, l'Autriche a, comme l'Italie, tiré grand profit des soins
intelligents qu'elle a prodigués à la viticulture.
L'importation des vins français en Autriche, qui représentait
en 1867 une valeur de 100,000 francs, a constamment oscillé
depuis cette époque jusqu'en 1881 entre 100 et 200,000 francs.
Négative jusqu'en 1878, où elle a commencé par 300,000 francs,
l'importation des vins autrichiens en France s'élevait deux ans
après, en 1880, h' douze millions (1). Nous plaindrions les hommes
d'État assez aveugles pour que de tels chiffres ne pussent leur
ouvrir les yeux!
La vigrne en AUemag^ne. — De tous les pays d'Europe,
l'Allemagne est vraiment celui qui a donné le plus de soins
au développement de son agriculture. Nous venons de fonder
récemment un Institut Agronomique, où l'enseignement de la
viticulture va prochainement être organisé. Outre l'École royale
agronomique supérieure de Berlin, l'Allemagne possède depuis
longtemps ci?iq instituts similaires, ceux de Leipzig, de Halle,
de Clèves, de Breslau et de Pappelsdorff(2), où l'enseignement
est au complet. Sans compter une foule de fermes-écoles,
écoles pratiques, stations agronomiques, et autres centres
plus modestes de pédagogie agricole à peu près partout placés
sous la main des cultivateurs. Dans les régions viticoles.
l'instituteur de chaque village est tenu d'aller passer, à l'époque
des vacances, dix jours dans l'institut, ferme-école, station, etc.,
en un mot, dans le centre d'enseignement agricole le plus
rapproché, et, là, il apprend les notions pratiques de taille, de
greffe, etc., qu'il aura ensuite à propager parmi ses élèves.
Excellente coutume, dont l'imitation ne saurait être trop conseillée.
Mais, ce qu'il nous faut plus encore envier, et surtout prendre
sans retard auxAllemands, c'est l'institution des Wanderer-Lehrer j
{{) Annales du commerce extérieur. Paris, 1883, p. 272-273.
(2) Renseignements dus à Tobligeance de M. Tisserand, directeur au ministère
de rAgricnlture.
Digitized by
Google
228 fflSTOIRE DE LA VIGNE
OU maîtres ambulants, allant, sur place^ dans le champ même où
elles doivent être appliquée^, porter au paysan les notions d'agri-
culture rationnelle et de pratique scientifique qu'il ne se dérangera
certainement jamais pour aller chercher.
La vignej nous Tavons vu, a surtout besoin d'étés chauds, sans
se préoccuper beaucoup des hivers, à condition, cependant, qu'ils
ne soient pas par ti'op excessifs (1). Ce qu'il lui faut, c'est pour la
période de végétation une certaine quantité de chaleur, qu'on
évalue, <( en observant le plus fréquemment possible dans la
journée avec un thermomètre ordinaire ou électrique placé à un
mètre au-dessus du sol loin de toutabri, c'est-à-dire dans la même
situation, pour une région donnée qu'un végétal exposé à la ra-
diation solaire (2), » puis en faisant la somme des jours respective-
ment multipliés par la moyenne des températures observées pen-
dant leur cours. D'après Gasparin, les températures ainsi relevées
auraient donné pour Paris une somme de 2677 et, pour Bruxelles,
une somme * de 2333 degrés de chaleur. Cette différence de
144 degrés, pour une saison, suffirait donc, à partir de 2533 de-
grés, pour décider de la maturation du raisin de vigne (3). Beau-
coup de causes tellos que l'altitude, le voisinage des montagnes
qui refroidit la température, la proximité de la mer qui donne à
la fois des hivers doux et des étés mous et nébuleux, l'exposition,
la nature calcaire ou siliceuse du sol, etc., contribuent à fournir
la dose thermique nécessaire ou. à en empêcher la production.
A mesure qu'on s'éloigne de l'Océan et de la mer du Nord,
la ligne viticole suit une direction obliquement nordipète de
l'embouchure de la Loire, à Landsberg, du 49*25 parallèle aux
confins du 53**. Cette ligne n'est, d'ailleurs, ni directe ni con-
tinue (4). Elle passe par la Mayenne, par les Andelys dans
l'Eure, par Compiègne, par Laon, puis en Belgique, par Ar-
gentean sur la Meuse, entre Liège et Maestricht (5), c'est-à-dire
par 50''45 de latitude. Sur le Rhin on trouve de beaux vignobles
(1) C'est ainsi qu'à ÉriTan (Arménie russe) et à Bokhara (Asie centrale) la
vigne mûrit ses fruits avec une égale perfection, bien que, à Érivan, la
moyenne hivernale soit de — 7, i et que le thermomètre y descende souvent
à — 30, tandis qu*à Bokhara, la moyenne est de — 4, et que le thermomètre
n*y est jamais descendu au-dessous de — 23. (Gnsebach traduit par Tsehila-
chelT, Végétation du globe, I, p. 162-63.) Au reste, même quand les hivers
sont excessifs, on tourne la difficulté en enterrant la vigne en automne,
comme en Chine et sur le Volga. {Vide supra, p. 209.)
(2) Becquerel, in Bulletin de la Société d'Acclimatation, 4859, t. VI, p. 235.
(3) Id., Ibid.
(4) De CB,ndo\le,Géographie botanique.
(5) Morren, Annales de Gand, octobre 1845, p. 388.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 229
aussi longtemps que le fleuve est entouré de coteaux, mais, au-
dessous de Bonn, cette condition cesse, et la vigne va se raréfiant
jusqu'à Dusseldorff, où elle s'arrête définitivement (1).
D autre part, « la ligne descend la Saale, jusqu'à Naumbourg,
point à peu près parallèle à Dusseldorff, mais, après avoir reculé
vers le sud entre ces deux points, pour laisser ses postes les plus
avancés du côté du nord à Rathenow, dans le Brandebourg, à
Landsberg et Altkarle, dans le district de la Wartha. Revenant
ensuite encore au sud, cette limite passe par la vallée de la
Bartsch à la haute Oder, non sans laisser quelques plantations
de vigne en dehors, près Skubarczaewo, cercle de Mogilvo, dans
le duché de Posen, et près Olschowa, cercle de Grass-Strelitz,
dans la Silésie supérieure, points sur lesquels le raisin ne peut
cependant plus être pressuré. Plus au nord, on ne voit plus
que des treilles à Tabri des maisons, en Poméranie, près Stettin,
et dans le district de Weichselwerdern. A Weichselwerdem,
le raisin mûrit seulement de deux à quatre fois en dix ans; à
Stettin une année sur deux (2). » Potsdam (52''21') et même,
d'après Meyer (3), Berlin (52'*31') sont les points extrêmes.
tt Notre vin est assurément acide, » avoue l'auteur, et il
ajoute : « On cultive la vigne dans les jardins et on fait du vin
autour de Dantzig, de Kœnigsberg et de Memel(près du 56'),
jusqu'à une lieue des frontières russes. » Mais, ce ne sont là que
des fantaisies de riches propriétaires, de même que les ceps des
jardins de Sans-Souci, dont De CandoUe avait entendu parler par
des Berlinois. La culture réelle, normale ne commence qu'à
Potsdam sur les pentes bien exposées des coteaux. Du côté de la
Saxe, les vignobles sont plus nombreux; par exemple à Weissen-
fels et à Mcissen la production moyenne y est évaluée à 60,000
hectol. pour 1706 hectares, soit à 5 hectol. à l'hectare. D'après
des statistiques officielles, il existe dans la province prus-
sienne dite de Saxe 3241 morgen, soit 815 hectares de vignes,
dans celle de Brandebourg 4181, soit 1045 hectares, dans
celle de Silésie 4935, soit 1248 hectares et dans celle de Posen
76 hectares (4).
({) Meyer, Grund Pflanz, Geog,, p. 436.
(2) Charles Grad, Coup d'asil sur le développement de la viticulture en Alle-
magne, p. 4.
(3) Meyer, Grund Pflanz. Geog., p. 436.
(4) De CandoUe, lac. cit,; Grisebach, loc. cit. Ces chiffres datent d*une qua-
rantaine d^années. Voici ceux que Charles Grad (Coup dosU sur le développement
de la viticulture en Allemagne, p. 13-14), a relevés pour 1875 : Saxe, 865 hec-
tares. Brandebourg, 828 hectares. Silésie, 1,532 hectares. Posnanie, 160 hectares.
Digitized by
Google
2 30 HISTOIRE DE LA VIGNE
En somme, « il est à remarquer que les meilleurs vins de l'Al-
lemagne se récoltent sous une zone plus septentrionale que celle
que nous reconnaissons en France comme propre à l'établisse-
ment des vignobles (1). » A quelle époque la vigne a-t-elle été
introduite en Allemagne? Les documents précis manquent à cet
égard, mais ce qu'il y a de certain, c'est que la notion du vin y est
fort ancienne, puisqu'elle remonte au moins à la formation des
mythes germano-scandinaves. U est vrai qu'il y demeure un objet
de luxe, puisque, d'après l'Edda, il est réservé dans le Walhalla
pour le seul Odin à qui le versent les belles Walkyries, tandis que
les héros morts dans les batailles n'ont droit qu'à la bière à
discrétion.
« Iln'y apas de doute, » dit Julien, « que la vigne a étéintroduite
en Allemagne par les Romains, mais, l'opinion assez générale-
ment répandue que les vignobles de la MoseUe et du Rhin doivent
leur établissement à Probus n'est pas bien constatée : car Vopiscus,
Aurélius Victor et Eutrope ne comprennent pas les Germains
dans la liste des peuples que l'empereur autorise à planter la
vigne après le licenciement de son armée à Cologne (2). » Julien
n'oublie qu'une chose, c'est que la rive gauche du Rhin, tout au
moins, et le cours entier de la Moselle étaient alors gallo-romains,
ainsi qu'en témoignent les noms des villes riveraines, Magontia-
cum, fondée parDrusus (Mayence), Colonia Agrippina (Cologne),
Confluentes (Coblence), etc., et qu'elles suivaient entièrement le
sort de la Gaule. Maintenant, ces provinces ont-elles eu comme
leur voisine la Séquanie, des vignes au temps de Pline (3)? En ont-
elles eu avant, comme, pour cette dernière, il y a quelque vrai-
semblance à le supposer? N'en ont-elles eu que sous ou qu'après
Probus? La seule chose certaine, c'est qu'au témoignage d'Ausone,
les bords delà Moselle avaient, de son temps, de très beaux vignobles
dont les produits rappelaient par la délicatesse de leur bouquet les
vins contemporains de l'Italie. Maître d'une grande moitié de l'Eu-
rope, Charlemagne donna dans ses vastes États une grande impul-
sion à la viticulture que nous avons vue se propager jusque sur les
bords du lac de Zurich et du Léman ; l'Allemagne profita comme
nous de cette bienfaisante initiative (4).
A part un léger progrès pour la Silésie, la moins septentrionale de ces
provinces, la situation est donc demeurée à peu près la même.
(1) Julien, loc, cit., p. 334.
(2) Id., ibid.
(3) Nous avons vu que, dans l'opinion de Charles Grad, les vignobles des
bords du Rhin dateraient du premier siècle de notre ère.
(4) SelIeUi, loc, cit., p. 305.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 2 31
n eût été fort étonnant qu'une fois introduite en Allemagne, la
vigne nV eût pas pris immédiatement tout le développement dont
elle y est susceptible, car nos épais voisins ont joui de temps
immémorial d'une force et d'une capacité poculatives que
Fischart attribue à l'ardeur de leur foie, « qui attire et
aspire le vin comme le soleil pompe l'eau (1). » « Des barbes
sèches qui attirent les choppes à quinze pas, » nous disait à
Strasbourg un de nos meilleurs amis, de ces héroïques vaincus
dont les vainqueurs armés jusqu'aux dents se mettent quatre pour
soutenir le regard, comme leurs ascendants se mettaient quatre, au
temps de Rivarol, pour comprendre un bon mot, et qui ne se doutait
vraisemblablement guère qu'il ne faisait que traduire Fischart.
Tacite (2) nous les a représentés passant les jom's et les nuits à
boire et n'abordant entre eux les affaires que lorsque leur com-
mune ivresse les garantit contre leur mutuelle duplicité. Les
canons et les capitulaires ont vainement épuisé leurs munitions
contre cette bestialité endémique, contre cette gulositatem et ces
animas vino additoSj comme disaient les Lombards dans les
reproches qu'au onzième siècle ils adressaient aux Teutons (3). Us
n'avaient point changé au temps de Poggio Bracciolini, qui, au
commencement du quinzième siècle, les taxait, nousTavons vu, de
sacs à vin, « vasa vinaria ad pastum et somnium nata. » Ce que,
un siècle et demi après, Montaigne traduisait, lui aussi sans s'en
douter, en disant : « Les Allemands boivent quasi également de
tout vin avecque plaisir ; leur fin c'est l'avaller plus que le
goûter. »
L'ivrognerie n'était point d'ailleurs le propre exclusif de la
« vile multitude ». Les beaux seigneurs, sous ce rapport, ne lui
en cédaient guère, à preuve ces deux vers du poète Gaspard
Bruschius :
Illic nobilitaSy œtemo nomine digna,
Êxhaurire cados^ siccareque pocula long a.
A preuve, aussi , ce distique alsacien du temps , rapporté par
l'auteur de Y Ancienne Alsace à table :
Kleid auSf kkid an, essen, trin'ien, schlafen gan,
ht die ArbeU so die Deutschen Henen gan.
{{) Fischart, Gargantua, livre IV. 1607.
(2) Tacite, Germania, § 22.
(3) Mediolani hist., t. II, p. 22, extrait de la chronique de Landulff Tancien.
Charles Gérard, loc, cit., p. 327.
Digitized by
Google
J
232 HISTOIRE DE LA VIGNE
« Se déshabiller^ s'habiller^ manger, boire et dormir, tel est
r uni que travail de messieurs les chevaliers teutons (1). »
Quant aux majestés, aux empereurs, s'il vous plaît, le pape ne
les couronnait qu'à la condition de prêter préalablement un ser-
ment de sobriété: Vis sobrietatem, cumûeiauxilio, custodire (2)?
Ce que le pape y gagnait nous l'ignorons, mais le diable n'y per-
dait pas grand' chose, car ce n'est point ce serment qui a empêché,
par exemple, Wenceslas, le Wenceslas de Reims, de mériter de
l'histoire le surnom d'ivrogne.
Pour que rien ne manque à la galerie, Gœthe nous a conservé
ce bien amusant sermon d'un évêque de Mayence à ses parois-
siens: « Que celui qui, au troisième ou au quatrième pot, sent sa
raison se troubler, au point de ne plus reconnaître sa femme, ses
enfants, ses amis, et de les maltraiter, s'en tienne à ses deux
pots, s'il ne veut offenser Dieu et se faire mépriser du prochain ;
mais que celui qui, après en avoir bu quatre, cinq ou six, reste en
état de faire son travail et de se conformer au commandement de
ses supérieurs ecclésiastiques et séculiers, que celui-là absorbe
humblement et avec reconnaissance la part que Dieu lui a per-
mis de prendre. Qu'il se garde bien, cependant, de passer la limite
des six mesures, car il est rare que la bonté infinie du Seigneur
accorde à un de ses enfants la faveur qu'il a bien voulu me faire
à moi, son serviteur indigne. Je bois huit pots de vin par jour, et
personne de nous ne peut dire qu'il m'ait jamais vu livré à une
injuste colère, injurier mes parents ou mes connaissances... Que
chacun de vous, mes frères, se fortifie donc le corps et se réjouisse
l'esprit avec la quantité de vin que la bonté divine a voulu lui
permettre d'absorber (3). » Ce bon pantagfuéliste de la chaire
s'appelait Jean de Lyne.
Ceux qui, retenus par une cause quelconque à Nancy ou à
Versailles pendant les âpres jours du siège, ont eu le triste plaisir
d'y voir dodeliner les excellences, tituber les gnàdigsterherr, et
barytonner les altesses, savent si, depuis Tacite, et depuis Wen-
ceslas, il y a en Allemagne rien de changé !
De Bâle à Mayence, le Rhin parcourt une plaine peu propre
à la culture de la vigne. C'est seulement à partir de Mayence
et jusqu'à Coblence, que l'escarpement des bords offre à cette
culture des expositions vraiment favorables. Aussi les deux
(\) Charles Gérard, loc, cit., p. 327.
(2) Id., ibid.
(3) Gœthe, Mémoires, Voyage sur le Rhin,
Digitized by
Google
f
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 23a
rives sonl-eUes couvertes de vignobles, dont on tire une grande
quantité de vins excellents.
<( Les plus renommés occupent le Rhingau (Nassau), sur les
pentes méridionales du Taunus (1), » c'est-à-dire sur la rive
droite. Ceux de la rive gauche ont moins de corps, mais sont
peut-être plus fins; les uns et les autres sont diurétiques et
peu ci4)iteux, même quand on en boit avec excès.
Le Rhin n'a pas seul, d'ailleurs, le privilège de couler, comme
le Douro, entre deux haies de vignes; il le partage, en amont
de Coblence, avec ses affluents et les affluents de ses affluents.
« n y a de riches cultures qui remontent, à partir du
Rhingau, la vallée de la Nahe. D'autres se succèdent, à courts
intervalles, au delà de la plaine du Rhin moyen jusqu'au-dessous^
de Ronn, à Roisdorf et à Sechten sur la rive gauche, à Siegburg
et à Hennef sur la rive droite. Dans les vallées tributaires du Rhin,
nous retrouvons les vignes sur les bords de la Lahn, de TAhr, de^
la Moselle, puis, de la Sarre et de FOrne, régions dans lesquelles
la température moyenne dépasse 8 à 9"" centigrades » (2).
L'Allemagne a donc ses vins et, en premier lieu, les vins du
Rhin, dont la production et la fabrication présentent, comme celles
du Tokay, d'intéressantes particularités dont nous empruntons
la description à l'excellent ouvrage de Selletti.
Le cépage le plus cultivé est le Riesling (le Gentil aromatique
d'Alsace), rouge et blanc, principalement blanc; il sert pour
les terrains déclives et montagneux; le Kleingenherger est cultivé
dans les régions basses. Le premier produit peu, mais excellent,
le second produit beaucoup, mais de qualité médiocre. C'est absolu-
ment l'histoire de la Bourgogne avec ses Pineaux et avec ses
Gamays.
La vendange dans le bassin du Rhin se fait quand le raisin est
archimûr. On le laisse le plus longtemps possible sur le cep, où
il commence à pourrir sous l'action des pluies, ce qu'on appelle la
putréfaction noble, et, encore en partie, sans mûrir. On recueille
celui qui est mûr, et on laisse arriver le reste à parfaite maturité.
Si la pluie amène une putréfaction générale, alors on récolte tout
de suite. La règle est de laisser le raisin sur la vigne jusqu'à ce
qu'il se fronce et se détache de la grappe au moindre mouvement;
à cet eflFet, les vendangeurs sont munis de larges cuillers avec
lesquelles ils recueillent le raisin s'il tombe sur le sol. La valeur
du vin compense ces peines et ces frais, puisque, selon Metzger, on
(1) Charles Grad, hc. ct^, p. 5.
(2) Id., ibid., p. 5.
Digitized by
Google
234 HISTOIRE DE LA VIGNE
a vendu une tonne de 1,100 litres de vin du Rhin jusqu'à 4,800
florins.
Les raisins se foulent et se pressent par la méthode ordinaire ;
le moût se place dans les Stûckfass (tonneaux de H à 1200 litres),
dont on laisse la dixième partie vide, et qu'on couvre légèrement
jusqu'à la fin de la fermentation tumultueuse. Les années froides,
on favorise la fermentation à l'aide de calorifères. Les bonnes
années, ces vins marquent 12 à 14 au pèse-moût, et les années
faibles de 11 à 12. H y en a qui appliquent sur les tonneaux une
valvule qui ne laisse passer que l'acide carbonique, le vin demeu-
rant ainsi privé du contact de l'air. La fermentation tumultueuse
terminée, on ouille les tonneaux tous les quinze jours jusqu'au
mois de mars, où on pratique le premier soutirage.
On soustrait ainsi le vin au contact des fèces, et on le remet
dans des tonneaux bien nettoyés et sulfurés, et cette opération se
répète deux autres fois la première année, et seulement deux la
seconde, c'est-à-dire en mai et en octobre. Après cinq ou six ans, le
vin est formé et peut se mettre en bouteilles, bien qu'il puisse
aussi se conserver en barils, à condition qu'ils soient bien clos
et bien pleins.
Les plus célèbres de ces vins, et l'illustrissime entre tous, le
Johannisberger, se récoltent dans une petite portion du Rhingau^
dont la partie appartenant à la rive droite du Rhin depuis
Wallauf, un peu au-dessous de Mayence, jusqu'à Rudesheim,
occupe un espace d'environ 15 kilomètres de long sur 8 de large.
Il y a, cependant, en amont de Mayence, quelques vignobles fort
estimés, particulièrement à Hochheim, sur les bords du Mehi.
Dans le Rhingau, comme nous l'avons dit, et un peu au-des-
sous de Mayence, situé sur la montagne du même nom, Tancien
château de Johannisberg est entouré de vignobles qui produisent
son inclyte vin. « Yin théologique » aussi, celui-là, puisque les
vignobles qui le produisent ont été plantés par les religieux d'une
abbaye, et appartinrent, jusqu'à la sécularisation des biens ecclé-
siastiques, àl'évêque de Fulda. Acquis alors par le prince d'Orange,
ils furent ultérieurement (1816) cédés, après avoir passé par la main
de Kellermann (1807), aux Mettemich qui les possèdent encore (1).
Le Johannisberger est également fait avec àxx Riesling y qu'on ven-
(1) Pendant les guerres de la Révolution, le châleau de Johannisberg, et,
avec lui, le coteau vilifère furent menacés de destruction. Il entrait dans les
plans stratégiques de Hoche de les faire sauter, mais il s'arrêta devant les
instances des habitants. Procédé bien digne du pacificateur de la Vendée, et
qui tranche singulièrement avec les incendies de Bazeilles, de Ghâteaudun, etc.,
et surtout avec celui de Saint-Cloud, allumé de sang froid après l'armistice.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 235
dange 15 jours plus tard que dans les autres vignobles ; on ne
soutire ce vin de dessus sa grosse lie qu'au bout d'un an, tandis que,
comme nous l'avons vu, les autres crus sont soutirés trois fois la
première année. Le Johannisberger est surtout estimé pour son
bouquet, sa sève et l'absence du piquant qui affecte les autres vins
du Rhin: On en récolte annuellement, d'après les évaluations de
Julien, 32 à 33,000 bouteilles, dont le prix a été de 4 florins ou
8 fr. 60, en 1809. Les vins particulièrement renommés de 1779,
1788, 1803, 1811, ont atteint le prix de 12 florins ou 23 fr. 80,
la bouteille. Même à ces prix, assurément rémunérateurs, il est
difficile de s'en procurer; on ne trouve guère dans le commerce,
au prix de 2 à 6 florins la bouteille, que des vins tirés des vignes du
bas de la montagne, supérieurs, d'ailleurs, à la plupart des
autres vins du Rhin.
Le Johannisberger n'est pas le seul « vin théologique » duRhin-
gau. Le Steinberger, le plus fort de tous les vins du Rhin, et le
plus estimé après le Johannisberger, et le Grattenberger sont un
legs des moines d'Ëberbacher. Le Hochheimer,dontnous avons déjà
parlé, appartenait autrefois au doyen de Mentz.
Comme le Steinberger et parallèlement à lui , le Rudesheimer
occupe, parmi les excellents vins du Rhingau, la première place
après le Johannisberger. Les vignobles qui entourent le village ont
été plantés sous Charlemagne, et garnis de cépages tirés de la
Bourgogne et de l'Orléanais, ainsi qu'en témoignent les noms
de Burgunder et à'Orleaner qui leur sont demeurés. Un ancien titre
trouvé à l'archevêché de Mayence prouve, toutefois, que les
coteaux du voisinage ne furent plantés qu'en 1074.
Par son corps, son moelleux et son bouquet, le vin de Worms,
à 32 kil. de Spire (rive gauche), a mérité le surnom expressif de
Uebfratiermiilch (lait de Notre-Dame). Le Markobninner deKidrich,
près de Hochheim, est également très recherché.
Ces vins s'expédient en grande quantité en Angleterre, en
Suède, en Danemark, en Russie, et, au dix-septième siècle, ils
pénétraient jusqu'en Espagne et en Portugal où on en faisait
grand cas, s'il en faut croire ce dicton péninsulaire cité par Frei-
lag : Vinum Rhenense decus est et gloria mensx (1). Ils sont
presque inconnus en France. N'étant point sujets à la graisse,
fléau des vins blancs, ils se conservent très longtemps et leur prix
augmente avec l'âge.
Le Rhingau donne aussi quelques vins rouges assez esti-
(1) Freitag, Noctes medicse. Francfort, 1614, c. xx, p. 102.
Digitized by VjOOQIC
236 HISTOIRE DE LA VIGNE
mes, tels querAsmanshausener etringelheimer, mais en qusgitité
relativement faible.
Les vignobles de cette région (Hesse-Nassau) comprennent
3,330 hectares. La production en est extrêmement variable,
et oscille, par exemple, entre 2,700 hectolitres (69 litres à Thec-
lare) (1830), et 130,140 hectolitres (33 hectolitres à l'hectare
(1868) (1).
La Hesse proprement dite ne produit pas que ce Liebfrauen-'
milch^ ou, plutôt, le vin de Worms n'est pas le seul produit
de ses vignes digne de cette qualification. Les vignobles voisins
du Palatinat donnent, jusqu'à Oppenheim, des vins analogues
à ceux de cette province ; « à partir de Nierstein, les vins de Hesse
présentent plus d'analogie avec ceux du Rhingau. Sans parler
du Liebfrauenmilch, on connaît partout le vin rouge de Gun-
dersheim. Parmi les autres crus réputés, rappelons encore ceux
d'Oppenheim, de Gundersblum, et de Nierstein dans le cercle
d'Oppenheim, ceux de Laubenheim et d'Ingelheim dans le cercle
de Mayence, de Heidesheim et de Budesheim dans le cercle de
Bingen. L'ensemble des vignobles de la Hesse occupe 9,480 hec-
tares dont 8,842 pour la Hesse Rhénane, 620 pour le district
de Starkenburg, et, sur les bords du Rhin et du Neckar, 18
enfin, pour la Hesse supérieure, dans le cercle de Budingen.
La récolte totale du pays s'est élevée, en 1868, à 434,000 hec-
tolitres (46 hectolitres à l'hectare), en 1869, à 306,000 (32 hec-
tolitres), en 1870 à 224,000 (23 hectolitres — moyenne générale
33 hectolitres à l'hectare) (2). »
Dans le Wurtemberg, les ceps ont été tirés des meilleurs
vignobles de France, de la Valteline et de la Hongrie, voire même
de Chypre et de Perse. Ces derniers réussissent très bien dans plu-
sieurs cantons.
Les vallées de la Rems, du bas Neckar, de Sulm, de la Tauber,
les environs de Heilbronn, de Weinberg, d'Eslingen sur le Neckar
fournissent de bons vins, principalement renommés dans le pays^
mais dont une partie, cependant, s'expédie en Angleterre, où elle
se vend sous le nom de vins du Neckar (3).
(i) Charles Grad, /oc. ct«., p. 14. \
(2) Id., ibid, p. 13.
(3) Au dix-septième siècle, les vins du Necker étaient surtout renommés pour
leur abondance, à preuve ce proverbe français cité par Thom. Lansius {Ora-
tiones de principatu Europse), et qui, bien que formulé dans notre langue, avait
alors cours en Allemagne :
S'oo ne cueilloit de Stuttgard le Raisin,
La Tille irait se noyer dans le rin.
Gomme les vins alsaciens, ils passaient pour diurétiques (CraUmis consU. lU),
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 237
Les plus estimés sont ceux de FAltenberg à Unterturckheim,
le Làmmler à Fellbach, le Zuckerberger à Cannstadt, le Kriegs-
berger à Stuttgart, le Schallsteiner à Besigleine. Ce dernier est «un
vin rose qui a du spiritueux et un bouquet très suave (1). »
11 est enfant du Klâwner, ou Pineau gris de Bourgogne (2),
qui fournit aussi, en Alsace, comme nous Tavons vu, les
meilleurs vins des régions où il croit (3). Au reste, parmi les
vins monostaphyles (d'un seul cépage) du pays, le Klàwner occupe
le premier rang, ainsi qu'en témoigne le tableau suivant
des prix obtenus, en 1874, par l'Association viticole du Nec-
karsulm.
Porlugieser 78 fr. l'hectol.
Riesling noir, 2* qualité 62 —
Id., !'• qualité 87 —
Rieslinp blanc, 1" qualité 115 —
Klàwner blanc, !'• qualité 120 — (4)
A l'heure actuelle, « les plus beaux vignobles du pays sont
encore ceux de la vallée du Neckar et de ses affluents. Leur
étendue n'est pas moindre de 8,217 hectares, s'élevant parfois
à une altitude de 450 mètres. » Au lac de Constance, il n'y a
que 266 hectares de vignes, mais, là aussi, elle s'élève jusqu'à
4 ou 500 mètres. Au nord du Neckar, elle ne dépasse pas
300 mètres, altitude encore bien supérieure à celle qui lui est
accessible aux latitudes correspondantes de France, et même à
des latitudes bien inférieures, comme, par exemple, en Bour-
gogne.
Les crus les plus renommés des autres vallées sont le Hausler
à Neustadt, pour la vallée de la Rems, le Halder et le Mônchberger
à Rosswag, pour celle de l'Enz, le Schmecker et le Karlsberger à
Weitsheîm, puis, àMarkolsheim, le Tauberberger, pour la vallée
de la Tauber.
Sans justifier absolument les dictons hyperboliques de l'avant-
dernier siècle, la production moyenne totale du Wurtemberg est
fort raisonnable. Julien l'évaluait, il y aune quarantaine d'années,
à 444,752 hectolitres pour 104,633 morgen^ soit 22 hectolitres
à l'hectare (5). Elle serait, aujourd'hui, de 493,000 hectolitres
pour 18,019 hectares (soit 27 hectolitres à l'hectare) (6), ce
(1) Julien, loc. cif., p. 351.
(2) Charles Grad., Communication particulière.
(3) Voir plus haut, p. 175.
(4) Charles Grad, loc. ciU, p. 12.
(5) Julien, loc. ct(., p. 352.
(6) Charles Grâd, loc. cit., p. il .
Digitized by
Google
238 HISTOIRE DE LA VIGNE
qui marquerait à la fois une diminution de superficie dans les
terrains affectés à la vigne, et une augmentation dans sa pro-
duction : en somme, progrès très réel.
« Les vignes de Wurtemberg n'ont jamais été, non pas
atteintes, mais ravagées par le phylloxéra : « quelques ceps
importés d'Amérique ont été, il est vrai, attaqués, mais ils
ont été arrachés immédiatement, et, le mal n'a pu s'étendre (1). »
D n'y a guère qu'en France qu'on trouve bon de vivre en quelque
sorte maritalement avec le terrible insecte.
Le duché de Bade a aussi de bons vins, même de bons vins
rouges, qu'on récolte sur les bords du Neckar; tels que, par
exemple, l'Affenthaler et le Zeller, « que quelques personnes
comparent aux bons crus « du Bordelais » (2). Son vignoble
occupe les collines au pied de la forêt Noire, et pénètre à
l'intérieur des vallées, comme le long des Vosges, jusqu'en
Alsace. Ses vins, ses vins blancs surtout, se distinguent par une
douceur exceptionnelle. Les plus renommés sont le Markgràffer ;
qui croit de Mulhen jusqu'à Grenzach, aux environs de Baden,
le Durlacher, le Klengelberger (3), le Badenweiler, le Fe-
nerbacher, ces deux derniers à quelques lieues de Fribourg,
Mersebourg, Uberlingen, aux environs du lac de Constance,
et, l'île même de Reichenau, au milieu du lac, donnent aussi
des vins de bon renom : il en est de même de la vallée de la
Tauber, au nord-est. « Sur onze cercles dont se compose le pays,
un seul, celui de Billingen, dans la forêt Noire, ne possède
point de vignes. C'est aux environs de Fribourg que le vignoble
badois atteint son plus grand développement. Une bonne année,
1868 entre autres, donna sur 19,972 hectares une récolte de
983,000 hectolitres dont 658,000 hectolitres de vin blanc, 121,000
hectolitres de vin rouge, 176,000 hectolitres de clairet. Cela
équivaut à 50 hectolitres en moyenne par hectare, quantité
supérieure au produit des années ordinaires. On a récolté autour
de Lœrrach 31 à 32 hectolitres par arpent, soit 87 hectolitres par
hectare (4). »
Inutile, sans doute, de rappeler ici la légende un peu enfantine
du grand tonneau de Heidelberg, « entouré de cercles de cuivre,
contenant 240 fuder = 2192 hectolitres de vin, que le gardien
(1) Tta-oaux du serdcedu phylloxéra an. 1883. Rapport du consul de France à
Stuttgart, p. 324.
(2) Julien, loc. cit., p. 332.
(3) Charles Grad, loc, cit,, p. 10. — Julien, loc, cU,, p. 352.
(4) Charles Grad, loc, cit,, p. 10, Julien, p. 332.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE Î39
ne manquait pas de faire goûter aux étrangers, avec beaucoup
de cérémonie et moyennant un fort trinkgeld, dans une belle
coupe nommée wiederkomm^ en leur annonçant qu'il a cent vingt
ans (1). » A peu près comme jadis à Ferney, le gardien cédait
aussi, en échange*d'un fort pourboire, à chacun des 30 voyageurs
qui se succédaient dans une journée, Tunique canne de Voltaire.
Dans les cercles dits des Haut- et Bas-Rhin (duché de Bade),
existent plus de 15 cépages, mais, là comme dans toute la région
rhénane, les vins supérieurs sont les enfants à\x Riesling. Pour la
fabrication des vins ordinaires, on laisse le raisin amoncelé 3 ou
4 jours, on le foule et on met toute la masse liquide dans la cuve,
où on l'abandonne jusqu'à ce que commence la fermentation tumul-
tueuse ; à ce moment, on soutire le moût et on le transporte dans
des tonneaux, où il termine sa fermentation sans rafles. En mars,
on le transvase dans des tonneaux sulfurés. Pendant deux ou
trois ans, il conserve Fâpreté tannique, après quoi il devient un
vin très agréable et très tonique (2).
En 1806, la Bavière possédait un duc. Il prit fantaisie à Na-
poléon de le changer en roi d'un coup de sa baguette, et de faire
épouser à son filsadoptif, a le prince Eugène », la fille de cette
majesté toute fraîche. En conséquence, dès que la fortune sur-
menée devint rétive au « Corse à cheveux plats », ladite majesté
n'eut rien de plus pressé que de se tourner du « côté du manche »,
et d'aider à en assommer son bienfaiteur. C'est à ce procédé
essentiellement allemand, que la Bavière doit d'être devenue un
pays vignoble. Sa défection lui fut, en effet, payée, en 1814, du
duché de Wiirtzbourg, où croissent les vins de très bonne qua-
lité connus sous la dénomination de vins de Franconie. Les
environs de Wiirtzbourg en fournissent beaucoup, distribués
en quatre vignes qui portent les dénominations de Leist^ Stein^
Harfen (Harpe, à cause de sa forme), et Gressen, La première,
située sur la rive gauche du Mein, en face de la ville, appartient
à l'hôpital du Saint-Esprit, et donne un vin sec, spiritueux, et
d'un bouquet agréable. La seconde, située au pied de la citadelle,
produit un vin de même espèce, mais plus spiritueux, plus
échaufiant, et plus capiteux. Ces deux vins sont rangés parmi
les meilleurs vins de l'Allemagne. La meilleure et la majeure
partie du vignoble de Stein appartient au roi de Bavière, Je reste
à rhôpital du Saint-Esprit, qui vend le vin en bouteilles à
un très haut prix; en 1811, il s'est payé jusqu'à 12 fr. 50
(i) Julien, loc, cit., p. 353.
(2) Selletli, hc. dï.,p. 306.
Digitized by
Google
240 HISTOIRE DE LA VIGNE
la bouteille. La vigne de la Harpe {Harfen) fait suite à celle de
Leist «ur la rive gauche ; celle de Gressen, ainsi nommée parce
qu'elle est disposée en terrasse, est, comme la ville elle-même,
sur la rive droite. Les vins de Salecker d'Esohendorg,de Wolkach,
de Sommerach, de Schalksberg et de Schweinfurt ne sont guère
moins estimés que ceux des quatre fameuses vignes.
Au dix-septiëme siècle, on mettait sur le même pied que
le vin de Wiirtzbourg celui de Klingenberg, d'où le proverbe :
Kleingenberger am Mayn und Wûrtzenberçer am Stein, Klin-
genberg sur le Mein et Wiirtzbourg sur le caillou. (Zeiler,
//m. Germ.y xiv, p. 321). Sachs ajoute qu'il y avait aussi deux
variétés, tenant aux deux collines sur lesquelles il était récolté :
celle de Herbipolenz et celle de Wertheim. Il se vendait cou^
ramment comme vin du Rhin (p. 488). Tous les vins de Franconie,
cependant, ne valaient point ceux-là. Témoin cet autre proverbe
qui résume l'opinion des Allemands de ce temps-là sur leurs
propres vins :
Franken Wein : Kranker Wein ;
Neckar Wein: Schlechter Wein;
Rhein Wein : Fdn Wein ;
Vin de Franconie : vin malade ;
Vin da Neckar : mauvais vin ;
Vin du Rhin : vin fin (1).
La Bavière Rhénane (ancien Palatinat, ancien département
du Mpnt-Tonnerre), a également de bons vignobles : de Landau
à Neustadt, les collines en sont couvertes. Les vins de Roth,
de Landau, de Deidesheim, de Durkheim, de Harxheim, de
Ruppersberg, de Forst, de Wachenheim, sont tout particu-
lièrement estimés ; on en a vu vendre, au bout de quelques
années, jusqu'à 3,500 fr. le Stûckfass de 1050 litres. On distingue
surtout à Roth l'excellent vin du cru de Tramhie. Le nature de
Bourgogne porte en allemand, nous l'avons vu, le nom de Tra-
miner (2).
En Prusse, les cultures se répartissent ainsi : province du
Rhin; 12,633 hectares; Hesse-Nassau, 3,925 hectares; Saxe,
1,863; Silésie, 1,532; Brandebourg, 828; Posnanie, 160; en-
semble 12,633 hectares (3).
« Les vignobles des bords du Rhin sont sans contredit les
(1) Sachs, loc. dt,, p. 469.
(2) Voir plus haut, p. 175-6.
(3) Charles Grad, loc. cit,^ p. 14.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 241
meilleurs de rAllemagne. Leur sol consiste surtout en schiste
argileux, puis, sur une moindre étendue, en trachyte décomposé
sur les versants du Siebengebirge, ou eu dépôts tertiaires comme
près de Godesberg. Une partie notable des vignobles de la Prusse
rhénane, environ 5,720 hectares, se trouvent sur les bords de la
Moselle, entre Trêves et Coblence, avec des crus réputés de Pies-
port, le Thiergàrtner, le Neuberger, TOhligsberger, le Joseph-
hôfer. Une autre partie appartient au bassin de la Sâar, avec une
surface de 683 hectares, dont les meilleurs produits viennent du
Scharzberg, près Oberemmel. La vallée de FAhr a 996 hectares,
surtout en cépages rouges, dont les plus estimés sont ceux
d'Ahrweiler. Les cultures de la vallée de la Nahe ont 2,078 bec*
tares, où les produits de Menzingen et de Kreuznach tiennent le
premier rang. Sur les bords mêmes du Rhin, il y a seulement
3,058 hectares, non compris, 350 hectares pour la Hesse-Nassau
ou le Rhingau, dont nous avons déjà parlé. Pour toute la
Prusse, la production moyenne peut être fixée à 378,000 hec-
tolitres, pas tout à fait 30 hectolitres par hectare (1). »
Quant aux vignobles de rAllemagne centrale, a ils égalent
en étendue, mais non en valeur, ceux de la vallée du Rhin. Leur
aire va du Thjiringerwald jusqu'au delà de TOder. Ds embrassent
des parties de la Thuringe et de la Saxe, ils occupent les bords
de la Saale, de TËlbe et de l'Oder, pour finir aux points que nous
avons signalés dans le Brandebourg, la Silésie et la Posnanie.
Dans cette zone, la température moyenne s'élève sur quelques
points seulement au-dessus de 8''5, sur quelques points seulement,
aussi, l'altitude de la vigne y atteint 200 mètres. On exploite la vigne
dans le bassin de la Saale, de léna à Halle, surtout près Naum-
burg à l'embouchure de l'Unstrat. Dans la région de l'Elbe,
les cultures vont de Dresde à Wittemberg. Le point extrême
avec des pressoirs à vin se trouve ici à Interbog, car les
plantations assez importantes de Havel et de Potsdam ne four-
nissent que des raisins de table. Les meilleures vignes du pays
de Posen se trouvent autour de Bomet, celles de la Silésie
prussienne autour de Grunberg, celles de Brandebourg à Guben
et à Zullichau. En somme, l'Allemagne avec 91,580 hectares
de vignes produit, année moyenne^ 2,550,000 hectolitres de vin,
à savoir : la Prusse, 19,993 hectares et 378,000 hectolitres ; la
Bavière, 22,122 hectares et 612,000 hectolitres ; le Wurtemberg,
180,000 hectares et 800,000 hectolitres; laHesse, 9,480 hectares
(1) Charles Grad, loc. cit., p. 14.
HISTOIRE DE LA VIGNB. — I. it
Digitized by
Google
242 ' HISTOIRE DE LA VIGNE
et 322,000 hectolitres; les autres pays de TEmpire environ 1800
hectares et 20,000 hectolitres (11 hectolitres par hectare) (1). »
D*après Charles Grad, les vignobles du Palatinat datent de
l'occupation romaine, vers la fin du troisième siècle. L'étendue
totale des vignobles en Bavière est de 22,122 hectares, dont
10,728 pour la basse Franconie, 10,160 pour le Palatinat, 150
pour le bassin du Danube, 220 pour les bords du lac de
Constance. Dans la basse Franconie, la production du vin prend
de l'importance à partir de Schweinfurt, sur le Mein, et atteint son
maximum de développement et de qualité tout à la fois près
de Wiirzbourg. La vigne occupe aussi 760 hectares dans la vallée
de la Saale (2). Coïncidence curieuse, ce sont deux anciennes
capitales de principautés ecclésiastiques qui sont, en quelque
sorte, les deux capitales viticoles de l'Allemagne et l'entrepôt
commercial de ses deux grandes variétés de vins : Wiirzbourg
pour les vins de Franconie, Mayence pour les vins « du Rhin ».
Les grands rendements des pays rhénans sont dus, non
seulement aux « tailles généreuses », telles que, par exemple,
la taille en « Kammerbau », si bien décrite par le docteur
Guyot (3), mais à de fortes fumures, 60,000 kil. de fumier par
hectare tous les trois ans, ou 20,000 kil. par an (4). Ce qui prouve,
par parenthèse, que, contrairement aux préjugés que notre illustre
compatriote le docteur Guyot a combattus toute sa vie, ni la
longue taille ni la fumure, n'empêchent, même aux limites
extrêmes de la viticulture, de lui demander de bons produits.
Malgré tout, la production indigène est loin de répondre aux
besoins de la consommation, et l'importation étrangère a, là,
un vaste champ ouvert à son activité. C'est ce que les Italiens
ont fort bien compris, et grâce aux débouchés qu'ont su
leur ménager les sages mesures de leurs hommes d'État (5),
ils expédient en Allemagne par le Gothard, au moment des
vendanges, des wagons entiers de raisins qu'on y transforme
ensuite en vins. On élude ainsi ce droit extravagant de 70 fr. par
hectolitre, dont la Prusse a affligé l'Allemagne, afin de lui
imposer la consommation homicide de ses « pétroles » (6).
En 1881, le phylloxéra était, pour la première fois, découvert
[\) Charles Grad, loc. cit. y p. 6.
(2) Id., ibid., p. 12.
(3) D' Guyot, loc. cit., 1. 111, p. 274 et suiv.
(4) Paul Muller, Journal d' Agriculture pratique , 1880, t. IV.
(5) Voir plus loin, article Cépages.
(6) Voir plus haut, p. 120.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 243
en Prusse, sur la rive gauche de TAhr, apporté, à ce qu'on
suppose, par des cépages venus de Kloster-Neubourg. La tache,
qui couvrait les pentes méridionales de la Landskrone. occupait
1 hectare 50 ares.
Sans hésiter, et sans s'arrêter à des demi-mesures, on établit
autour de la zone infestée un cordon de sûreté, afin qu'on n'en
pût rien faire sortir, puis, on fit arracher, arroser de pétrole et
incinérer les ceps malades ainsi que leurs échalas. Le terrain
fut ensuite imbibé de sulfure de carbone à raison de 200 grammes
par mètre carré, et arrosé de pétrole. Une zone de sûreté, large
de 100 mètres, fut, en outre, labourée à 1 mètre de profondeur,
et traitée de la même manière que le terrain infesté. Enfin, dans
ces derniers terrains, la circulation demeura interdite jusqu'en
février 1882, où on y renouvela une fois encore le traitement
ci-dessus décrit (1).
En 1882, nul symptôme appréciable ne révéla plus la présence
du vitivore, et on s'en crut absolument débarrassé, lorsque,
fin juillet 1883, apparurent trois petites taches nouvelles. Dès
les premiers jours d'août, les travaux de destruction et de dé-
fense étaient commencés, et conduits avec la même énergie et
la même décision que la première fois. « Et tous les rapports
constatent que les vignerons^ loin de gêner rintervention active des
membres du comité permanent , des experts et des agents de t admi-
nistration^ les ont activement secondés dans leur tâche. » Effet
précieux de l'enseignement viticole, qu'il faudra bien finir par
instituer aussi chez nous.
Voici, d'après un témoignage, vraisemblablement oculaire,
comment on a procédé :
« Tout autour du centre d'infection et jusqu'à une distance de
30 mètres en moyenne des pieds attaqués, une ligne d'isolement
a été tracée, embrassant, avec les piaules malades, la zone sus-
ceptible d'avoir été visitée par les insectes ailés; alors même que
les racines et les feuilles ne trahissaient rien de suspect sur toute
celte surface, les ceps ont été arrachés et mis en tas par des
équipes d'ouvriers' qui se déplaçaient d'un mouvement concen-
trique. U est de règle, qu'avant de sortir de l'enceinte d'iso-
lement, toutes les personnes employées secouent, brossent leurs
vêtements, et lavent leurs chaussures dans un baquet de pétrole.
« Une fois les ceps arrachés, on a percé à l'aide de pics en fer, sur
chaque mètre carré, deux trous, l'un profond d'un mètre, l'autre
(0 Travaxtx du servke du phylloxéray an. 1881, Rapport du consul de France
à Du3$eldorffy p. 325.
Digitized by
Google
244 HISTOIRE DE LA YIGI«E
seulement de moitié, entre lesquels on a réparti 250 grammes de
sulfure de carbone. Ces trous ont été immédiatement bouchés
avec de la terre qui a été mouillée et damée de manière à former
une sorte de croûte pouvant ralentir Tévaporation du liquide
insecticide. Puis, on a arrosé partout au pétrole avec une pompe
aspirante et foulante, à raison d'un tonneau de ISO kilogrammes
pour 7S mètres carrés. Les ceps et échalas, également aspergés de
pétrole, ont été brûlés sur place. L'hiver venu, on défoncera le sol
et désinfectera de nouveau. Le terrain est, en attendant, soigneuse-
ment gardé, et il est interdit à qui que ce soit d^ mettre les pieds.
« En ce moment (août 83), neuf experts, aidés d'ouvriers, pro-
cèdent à l'examen des vignes avoisinantes. D'abord, tous les ceps
sont examinés un à un ; un peu plus loin, on en prend seulement
un sur deux, puis un sur trois et ainsi de suite avec des intervalles
de plus en plus grands, à mesure qu'on s'éloigne du foyer central.
(( Cet examen n'intéresse pas seulement les parties extérieures,^
mais aussi les racines, qu'il faut pour cela mettre au jour. Ce
travail mené activement exigera encore quelques semaines (1). »
Nul doute que des procédés aussi radicaux ne conduisent
même, éventuellement au prix d'une troisième bataille, à la
complète extinction du fléau. Licet ab hoste deceri.
Lia Tigne aux États-Unis (Est des Rocheuses). — Nous
avons vu la vigne extroflexe qui avait à partir du paléocène
et surtout pendant le miocène, occupé notre continent en com-
pagnie des SéquaioSj des Gingkos, des Liriodendrons, etc.,
disparaître avec eux et, avec eux, se réfugier en suivant deux
directions divergentes, vers l'Amérique et vers l'Asie.
Dans la première de ces régions, l'histoire la perd de vue
jusqu'au commencement du onzième siècle. « Christian Rafn,
archéologue danois, qui a recueilli un grand nombre de docu-
ments sur les voyages des Scandinaves dans l'Amérique du
Nord du dixième au quatorzième siècle, raconte qu'en l'an 1000^
Hleif, fils d'Éric le Rouge, partit du Groenland avec 35»hommes
pour aller explorer plus complètement les terres visitées par
Biarne en 986 ; ils s*arrètèrent dans le Massachussets, et un
Allemand nommé Tyrker y découvrit des raisins dont ils rem-
plirent leur chaloupe. Depuis lors, plusieurs voyages furent
entrepris pour venir en chercher. Hleif appela le pays Vinland (2).
C'était la traduction d'Œnotria en Scandinave.
(1) Travaux du service du phylloxéra^ an. 1883, Rapp(yridu consul de Fraiwe
à Dusseldorfff p. 318-320.
(2) G. Foëx, loc. cit.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 245
Adam de Brème, qui vivait au douzième siècle, affirme éga-
lement que la vigne croit en Amérique, il le sait non par des
conjectures, mais par des récits authentiques des Danois. Il cite
comme autorité le roi danois Svein Etridson, neveu de Canut
le Grand H).
De longs siècles se passent. Les Européens, non plus seule-
ment du Nord, mais de tous les pays, devenus, non plus les
simples visiteurs, mais les colons stables de FAmérique, essayent
de mettre en œuvre ses richesses naturelles, et, en 1564, ils font
du vin avec les raisins indigènes de la Floride. En 1769, nos
compatriotes établis dans une région beaucoup moins méridionale
à Kaskaskia (Illinois), font, avec des raisins de vigne sauvage,
« cent dix barriques devin corsé ». Mais, ni la qualité du vin, ni le
prix obtenu ne parurent assez encourageants pour déterminer
le renouvellement de cet essai (2).
Le Vitis vinifera^ la vigne introflexe d'Europe, qui avait fait
ses preuves, fut dès lors considérée comme la seule apte à
fournir du vin, et on renonça momentanément aux plantes in-
digènes. Malheureusement, la vigne européenne ne répondit
point aux espérances bien naturelles que les Européens émigrés
avaient fondées sur elle. En 1620, la compagnie^ de Londres fait
planter en Virginie des cépages européens et y envoie, en 1630,
des vignerons français. Plusieurs essais similaires tentés dans
la Pensylvanie par le fondateur William Penn aidé de colons
français, suisses et allemands, « n'aboutit qu'à des décep-
tions (3). » En 1690, des vignerons suisses du Léman essayent la
culture de la vigne européenne dans le comté de Jessamîne
(Kentucky) et y consacrent la somme considérable pour le temps
de 50,000 livres. Efforts perdus. Ce ne fut qu'en cultivant une
vigne indigène et qu'ils croyaient originaire du Cap, qu'ils
aboutirent à un meilleur succès (4).
Vers la fin du siècle dernier, un vigneron lorrain, Pierre
Legaud tente aussi sans succès, près de Philadelphie, la cul-
ture des cépages français, espagnols et portugais (5). » Deux
insuccès analogues sont demeurés célèbres, celui de nos com-
patriotes du Champ d'Asile, et celui de Lakanal. Chassés du
Texas où ils s'étaient d'abord établis, les premiers, vieux soldats
(1) G. Foëx, loc. cit.
(2) Robert Buchanan, Culture of the grape. Cincinnati, 1865.
(3) Strong, Culture ofthe grape, p. 11-12.
(4) Bush et Meissner, loc, dt,
(5) Rozier. Cours complet cP Agriculture, an IX. Paris, t. X, p. 202.
Digitized by
Google
246 HISTOIRE DE LA VIGNE
de TEmpire, essayèrent vainement de cultivelr la vigne d'Europe
dans le district de Marengo (Alabama). Quant au célèbre con-
ventionnel, dont le nom reste glorieusement attaché à la fon-
dation] du Muséum et de Flnstitut, il a fait connaître lui-même
dans les Comptes rendus de r Académie des sciences (^1846, t. III,
p. 471-472) ses essais malheureux dans TOhio, le Kentucky, le
Tennessee, TAlabama, c'est-à-dire du lac Érié au golfe du
Mexique (t). »
Dans sa Culture of the grape, Buchanan cite ce passsge de
Longworth « le vrai fondateur de la culture de la vigne en grand
en Amérique » (2) :
« Pendanttrenteans j'ai essayé la culture des vignes étrangères,,
soit pour la table, soit pour le vin. Je ne crois pas à l'acclima-
tation des plantes, car le Vitis swet water (Chasselas royal)
réussit moins bien aujourd'hui chez moi qu'il y a trente ans. Il y
a de longues années j'obtins de M. Loubat des pieds de vignes
françaises très variées venant des environs de Paris et de Bor-
deaux. De Madère, j'obtins 6,000 pieds des meilleures variétés.
Pas un ne se trouva digne d'être cultivé sous cette latitude
(à Cincinnati, SS^'lat. N.), et je dus lesarracher. Comme dernière
expérience, j'introduisis 7,000 vignes de Salins (Jura), point où
s'arrête la région de la vigne en altitude, et beaucoup de ces-
ceps étaient cultivés sur le côté nord de la montagne où le sol
est couvert en hiver de trois à quatre pieds de neige. Presque
tous vécurent, et, dans le nombre, au moins vingt variétés^
des plus célèbres vignes à vin de France. Mais, après un essai
de cinq ans, tous les ceps ont été rejetés. »
Même échec relaté dans le Gardener's Monthly de Philadelphie
par Schmidt, grand propriétaire de vignes à Avalon (Maryland)»
L'essai a porté sur des cépages de l'Alsace et du Bordelais.
Ces insuccès étaient généralement attribués au climat, et
cependant, à côté des vignes mourantes, prospéraient leurs sa-
tellites végétaux les plus ordinaires, tels que poiriers, pêchers^
pruniers, abricotiers, etc. On recourut au semis. On a gagné
ainsi plusieurs espèces qui ont eu un moment de vogue, telles
que le Brinkle et YEmily, obtenus par Peters Roube, de Phila-
delphie, le Brandy Wine né près de Wilmington (Delaware).
le Katurka, le Montgomery ou MesniFs Seedling, gagnés par
le docteur N.-A. Roy, de Newburg (New York), ces derniers se ratta-
chant aux Claret. N. Greiss, près d'Hermann (Ohio), a cultivé
(1) J.-E. Planchon, Us Vignes américaines, Montpellier, 1875, p. 86.
(2) Id., ihid., p. 25.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 247
pendant ces dernières années des centaines de vignes provenant
de graines de Riesling importées. La plupart furent stériles;
Tune d'elles y cependant, se trouva assez fertile et exempte de
maladies pour permettre de faire, en 1874, un peu de vin, dont la
qualité, et le bouquet sont égaux à ceux du meilleur Riesling
des bords du Rhin (1).
En 1825, il y avait à Vevey (Ohio), une colonie de vignerons
suisses qui avait garni les coteaux avoisinants de plants tirés
d'Europe et de Madère. Ces plants vivaient, mais ne donnaient
que de mauvais vin. A la même époque, à Philadelphie, des
plants tirés du Médoc donnaient en faible quantité, il est vrai,
du vin rappelant nos Bordeaux communs (2).
Ces succès très restreints, et vraisemblablement éphémères,
ne sauraient, en somme, infirmer cette règle générale formulée
par Downing : a que l'impossibilité d'introduire la vigne euro-
péenne anx États-Unis pour la culture en grand doit être con-
sidérée comme acquise (3). »
Forcés d'en prendre leur parti, les Américains, gens essen-
tiellement actifs et industrieux, se sont adressés aux cépages
indigènes, et par des semis, par des hybridations tant entre
américains des divers genres qu'entre américains et européens,
par la culture, etc, ils sont arrivés à les varier presque à l'infini.
Les raisins d'Amérique sont pour la plupart affectés d'un goût
très prononcé de cassis que les Américains appelent goût de
renard {foxy taste). C'est ce qui avait fait donner par Linnée au
Scuppemohg {Vitis rotu7idifolta, de Michaux) le nom de Vitis
vulpina. En anglais, ce cépage indigène a conservé aussi le
nom de Southern fox grape^ tandis que Labrusca est le Northern
fox grape. Il parait qu'on se fait cependant à ce goût, comme au
« goût de terroir » de nombre de nos vins. Le professeur J.-E.
Pianchon, qui a eu fréquemment occasion de goûter des vins
de vignes extroflexes pendant son mémorable voyage aux Etats-
Unis, les a trouvés « très agréables ». Il cite notamment les vins
blancs de Delaware (on désigne en Amérique le vin par le nom
du cépage) et de Catawba, le vin rouge à!Ive's Seedling, fabriqués
par notre compatriote alsacien Werk, colon à Cincinnati. Le jury de
l'Exposition de 1867 parait en avoir fait également cas, puisqu'il
a décerné une première mention honorable à la maison Werk (4).
(i) Bush et Meissner, loc, cil.
(2) Julien, p. 501-502.
(3) Uorticulturistf janvier 1851.
(4) J.-E. Pianchon, loc, cit., passim.
Digitized by
Google
248 HISTOIRE DE L\ VIGNE
d'est à Cincinnati, qu'il y a soixante am (1823), Nathaniel
Longworth tenta le premier sur uQe échelle un peu considérable
la culture des cépages indigènes pour la fabrication du vin. Le cé-
page choisi -pdLrlnifixilQCatawbajdu groupe des Labrusca, dont on
fait à la fois un vin blanc calme {Still Catawba,) et un vin blano
mousseux suivant les procédés champenois {Sparkling Catawba).
Appliqué avec intelligence et persévérance, l'essai eut un plein
succès. Non seulement la maison de Longworth existe encore,
mais elle a enfanté nombre d'imitateurs, dont les plus renommés
sont les Kelley, qui ont donné leur nom à une île du lac
Érié, occupée tout entière par leurs vignobles plantés en Ca--
tawba, en Delaware^ en Norton's VirgùitOy en Clinton^ en
Concord, en Isabelle (1), en Herbemonty etc...
I^a Ti§rne au Canada. — En remontant au nord, la vigne
extroflexe ne s'arrête d'ailleurs nullement au lac Érié, ni même
au Michigan, à FOntario et à l'Huron. L'île d'Orléans, située
dans le Saint-Laurent, en face de Québec, en était autrefois telle-
ment couverte qu'elle avait reçu des premiers émigrants français,
les compagnons de Champlain, les colonisateurs de la Nouvelle-
France (2), le nom d'île de Bacchus. Cette vigne est gracieuse
et chargée de grappes dont les grains ont un goût plutôt
agréable. On en a même extrait du vin de qualité passable (3).
De toutes les vignes américaines, la vigne canadienne a
été la première connue en Europe. Elle est mentionnée en 1661
(1) Ce dernier cépage, dont il existe un très bel échantillon au jardin public de
Saumur, est depuis longtemps connu et apprécié en Europe. Ses longues
. grappes lâches, très fournies de gros raisins noirs très savoureux quoique
foxés, rappellent nos plants les plus abondants du Midi. Depuis rinvasion de
Toîdium, c'est-à-dire depuis une trentaine d'années, on Ta substitué aux
cépages indigènes sur les bords du lac Majeur, à raison de sa résistance à
cette maladie. (J.-E. Planchon.) La même raison Ta fait adopter dans les
districts du Douro, en Portugal, pour remplacer les ceps tués par cet érysiphe.
(Bulletin de la Société d'Acclimatation, 1859, t. VI, p. 922.) Il est très répandu
en Italie, où on le connaît sous le nom d' « uva fragola, » et, à Florence la
famille Ridolfl le cultive par hectares, et en vend le vin presque aussi bien
que celui des cépages ordinaires de Toscane. (J.-E. Pknchon, loccit,^ p. i42.)
Dans le Bordelais, enfin, on la cultive depuis quarante ans en assez forte
proportion. En mélange avec du raisin du pays, son arôme profiterait, plutôt
qu'il ne nuirait au « bouquet « des vins. {Bulletin des séances dé la Soc. Nat.
d'Agr. de France, 1875, t. XXXV, p» 59, et J, Daurel, les Vignes Américaines dans
le sud-ouest. Bordeaux, Feret et fils, p. 37.)
(2) Les Espagnols avaient les premiers exploré cette terre, mais uniquement
attirés par le mirage des mines d'or. N'y ayant rien trouvé, ils exprimèrent
leur déconvenue par ces mots aquinada: ici rien. Tranformés par les natu-
rels en celui-ci acanada, et ainsi répétés par eux aux Français, ils fuirent pris par
ces derniers pour le nom indigène de la terre qu'ils occupaient.
(3) Bulletin de la Société d'Acclimatation, 1863, t. X, p. 285.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELOiN L'HISTOIRE 249
SOUS le nom de Vitis canctdensis americana par Sachs comme exis-
tant dans les jardins médicinaux de Leyde, de Paris, de Mont-
pellier et de Leipzig (1).
Dès 1635, elle figure sous le nom de Vithedera dans la
quatrième édition delà Canadiensium Plantarum iTw/ona publiée
à Paris par Jacobus Comutus, Parisiensù.
Ajoutons qu'à l'Exposition de 1878 figuraient des vins cana-
diens. « L'association des viticulteurs du Canada », à Toronto
(rive orientale de TOhio), dont le titre n'a évidemment rien d'é-
quivoque, expose des « vins et eaux-de-vie ». Y. Casci, également
à Toronto, expose six variétés de vins. Hamilton Dunlop and C
à Brandford sont plus explicites. Les trois variétés qu'ils
exhibent se composent de Clarets, de Catawba et à! Isabelle.
Enfin Joy and C à Tilsonbourg exposent trois crus dénommés
Norwichy Denham et Canada. Ce sont là très vraisemblablement
pour deux, et certainement pour le troisième, des plants cana^
dîens. Us n'ont donc pas paru si méprisables, puisqu'on n a
pas craint de faire affronter à leurs produits le grand jour
d'une exposition universelle (â).
I#a viirne en C^alifernie. — Lorsqu'il formulait, en 1851, la
règle que nous rappelions tout à l'heure, Downing n'entendait
point, sans doute, y comprendre la Californie (3), alors tout ré-
cemment rattachée à l'Union (1848), et qui n'attirait guère
l'attention que par ses mines d'or. La vigne européenne réussit,
^en effet, très bien en Californie, où elle a été « plantée il y a
^ 350 ans par les missionnaires dans la partie méridionale et où
elle a fourni, depuis, un nombre considérable de variétés nou-
velles, entre autres le « Zinfandel », regardé comme supérieur
au cépage originaire dit delà Mission (4). » Il y existe pourtant des
vignes sauvages, dont l'explorateur Savignon a signalé cinq va-
riétés à dissemblances bien tranchées, et dont il résume ainsi
les caractères communs : « Végétation luxuriante (les plants
montent dans les arbres de 10 à 20 mètres de hauteur et les
garnissent complètement) ; fructification très abondante (255 li-
vres par pied), vin très coloré, riche en tannin et en tartre, cinq
nervures aux feuilles (5). »
Riche en tannin et en tartre, cela veut dire âpre et styptique,
(i) Sachs, loc. cit. y p. 8.
(2) Manuel et catalogue officiel de la section Canadienne, p. 169.
(3) L'exception est expressément formulée par Bush et Meissner.
(4) Revue Horticole , 1881.
(5) Id., ibld.
Digitized by
Google
250 HISTOIRE DE LA VIGNE
partant fort peu agréable. Telle fut bien Timpression qu'éprou-
vèrent les premiers occupants de la Californie du Nord, lorsqu'en
1769 ils firent du vin avec les cépages indigènes. C'est ce qui
les décida à recourir aux vignes de leur pays (Espagne).
Les principaux vignobles sont situés le long de la côte au sud
et au nord de Monterey, et principalement dans le comté de
Los Angeles. Les. produits en sont estimés: aussi cette culture
se développe- t-elle très rapidement. En deux années, par
exemple, de 1870 à 1872, la production, qui était de 140,000 hec-
tolitres, a doublé. Et, cependant, beaucoup de raisin reste perdu
sur la vigne à cause de Téloignement des marchés. En 1880
la Californie a exporté 117,000 hectolitres devin (1).
Dans la Sierra Nevada, les plantations de vignobles sont
aujourd'hui en faveur, mais, dans les plus importants, les ceps
de la Mission (européens), et les Isabelles (2) et Catawbas qu'on
avait un moment essayés, se remplacent par le Muscat blanc (3).
D'où vient que la vigne introflexe prospère aussi bien sur
les points parallèles et en tout similaires d'un même continent,
et qu'elle échoue absolument ou à fort peu près sur les autres?
En 1863, à Roquemaure (Gard), les vignerons observèrent
des vignes à végétation pauvre et rabougrie, à feuilles maigres,
jaunes et recroquevillées, à fructification nulle ou misérable,
et n'arrivant point à maturité. Le mal s'étendait concentri-
quement à la manière d'une goutte d'huile, et il marchait si
rapidement qu'en quelques années il réduisait des neuf dixièmes
la production vinicole des départements du Gard et de Vau-
cluse (4). Mandé dans ce dernier département, le professeur
J.-E. Planchon,de Montpellier, reconnut que les vignes malades
étaient attaquées dans leurs organes souterrains par des
colonies d'aphidiens microscopiques qui en désorganisaient
par succion tout le chevelu,- et plaçaient ainsi la plante dans
(1) Revm Horticoky i881.
(2) Ces derniers n*ont eu d'autre effet que d'apporter avec eux le phyl-
loxéra, dont la présence est maintenant signalée en Californie. Builetùi de la
Soc. d^AccL Voir plus loin, p. 251 et suiv. ,
(3) Bulletin de la Société d' Acclimatation^ 1875, 3« série, t. II, p. 77.
(4) De 1865 à 1871, après Tapparition du phylloxéra, mais pendant sa
période d'incubation encore latente, la production oscille, dans le Gard, entre
2,400,000 et 1,800,000 hectolitres. Subitement elle tombe de 2,400,000 à
1,400,000 pour ne plus se relever, et de 1876 à 1882, elle oscille entre 290 et
124,000.
Dans le Vajucluse, pas d'oscillation. Diminution graduelle de 556 à 245,000 de
1865 à 1870, puis chute brusque à 182,000^ de 1876 à 1882, oscillation entre
46 et 63,000 hectolitres. (Voir Extrait du Bulletin de statistique y 1881-8Î, passim.)
L
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 251
rimpossibilité de puiser dans le sol ses éléments de réparation.
D dénomma cet insecticule Phylloxéra vastatrix. D'un autre
côté, Fitch avait remarqué depuis assez longtemps sur les feuilles
des vignes américaines et notamment du Clinton les nombreuses
« galles » d'un insecte, puceron aussi, qu'il avait qualifié
Pemphigtis vitifoliœ. Venu en France en 1871, l'entomologiste
américain Riley n'eut aucune peine à reconnaître que le Pem-
phigus et le Phylloxéra n'étaient qu'un seul et même parasite,
et il s'en convainquit mieux encore en le retrouvant lors de
son retour en Amérique, non plus seulement sur les feuilles,
mais sur les racines des vignes extroflexes. Il fit connaître
ces observations dans un article du Rural New Yorker^ que le
professeur Planchon traduisit dans le numéro du 10 dé-
cembre 1871 du Messager Agricole (1).
Le fléau s'était propagé dans l'ouest, rayonnant autour d'une
vigne oil M. Laliman avait planté des cépages de Géorgie (2), et
détruisant en quelques années les vignes de la Dordogne, du Lot-
et-Garonne et des Deux-Cbarentes. En 1867, il se déclarait à
Annaberg (Prusse) dans une propriété de l'État, à la suite d'un
envoi de vignes américaines faites de Washington au ministère de
TAgriculture, en 1868 dans l'école de viticulture de Klostemeu-
bourg (Autriche), à la suite de deux envois similaires, faits à cet
institut, et provenant, le premier de Zell (Hanovre), le second du
duché de Bade (3).
Nul doute n'est donc possible aujourd'hui. Le phylloxéra nous
est venu d'Amérique, et c'est lui qui y a implacablement détruit
toutes les vignes introflexes qu'on a tenté d'y introduire, comme
il les détruit en ce moment dans leur propre patrie, où on l'a si
malencontreusement naturalisé. .
Sorte de prolongement des Andes dans l'Amérique septentrio-
nale, et orientées conmne elles dans la direction N.-S., les Rocky
Mountains, ou montagnes Rocheuses, divisent, comme une immense
coulisse, les États-Unis en deux compartiments parfaitement
(1) Voir J.-E. Planchon, loc. cit,, passim. SelleUi, loc. cU.f pa$$im,
(2) Selletti, loc, cit., p. 109. Si le désastre n'a pas été aussi grand dans la
Gironde même, c'est que le haut prix du vin y a permis des sacrifices interdits
ailleurs. On y a soigné la vigne malade par la submersion et par les insec-
ticides, on a, non seulement remplacé les vignobles détruits, mais augmenté
la superficie cultivée en vignes, de 10,000 hectares, selon l'Extrait du Bulletin de
statistique, et de 21,000 suivant le Bulletin de la Ccmmission supérieure du
Phylloxéra, deux oracles qui sont rarement d'accord.
(3) Selletti, loc. cit., p. 110. J. E. Planchon, in Annales agronomiques, 1865»
t. II, p. 80-81, et art. Ueber das Auftretender Phylloxéra in Kloêtemeubourg, in
journal die Weinlaube, du 15 août 1874.
Digitized by
Google
252 HISTOIRE DE LK YIGNE
isolés. Dans le premier, qui va de rAtlantique au 110* de longi-
tude environ, le phylloxéra est de temps immémorial, ou tout au
moins de temps inconnu, endémique. Les vignes indigènes, les
vignes extroflexes s'en accommodent tant bien que mal, les unes
complètement respectées de lui, d'autres attaquées sans dommage,
d'autres enfin en train de disparaître comme les nôtres. Quant
au second compartiment, compris entre les Rocheuses et le Paci-
fique, il avait été parfaitement préservé jusqu'à ces derniers temps
du terrible puceron par son épaisse cuirasse de pierre.
En 1875, encore, au moment où Planchon écrivait son livre,
le phylloxéra, s'il n'y était pas absolument inconnu, y avait fait,
du moins, assez peu de bruit pour que sa présence dans ce pays
eût échappé à l'éminent écrivain, qui n^en fait aucune mention. Il
y avait deux ans, cependant (1873), que ses premières traces y
avaient été signalées, mais, seulement, comme on l'a reconnu
depuis, après une incubation latente de 20 à 25 ans.
L'histoire du phylloxéra en Californie est absolument la même
que chez nous, à cette exception près, qu'on n'y a pas eu la peine
-de le faire venir de si loin. Ce sont les Californiens eux-mêmes qui
lui ont ouvert la précieuse barrière dont la nature les avait dotés,
comme c'est nous qui, à travers tout un océan, l'avons, en grande
cérémonie, amené de New York à Bordeaux. Après quoi, comme
dans la Lice et sa Compagne, il n'a pas tardé, des deux parts, à
devenir maître chez ses hôtes inconsidérés.
« Avant 1860, les pépiniéristes et quelques promoteurs enthou-
mstes de la viticulture introduisirent en Californie et répandirent
dans les pépinières plusieurs centaines de variétés de planta de
vigne provenant des pépinières de New York, du Massachusetts,
de l'Ohio et d'autres états de l'Union situés à l'est des montagnes
Rocheuses, aussi bien que d'Angleterre, de France et d'Alle-
magne. C'est de ces pépinières que furent simultanément répan-
dus à travers l'État les plants américains et européens.
« Après avoir attentivement examiné l'extension de la maladie
«t la direction générale de ses progrès, on est arrivé à conclure
qu'à l'exception de quelques cas isolés, les pépinières créées au
début ont été le centre d'où est sorti le fléau et autour duquel
s'est produite la plus grande destruction (1). »
N'est-ce pas à se croire en France?
L'invasion, pourtant, a été moins rapide en Californie que chez
nous, partie en raison de l'isolement des vignobles et de leur
{i) Travaux du service du phylloxéray an. 1882. Rapport du Consul de France
à San Francisco f p. 514.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 253
dispersion sur de vastes espaces, partie à raison de la nature des
terrains, dont ceux a glaiseux, profonds et friables, et ceux d'argile
firiable et légère reposant sur un sous- sol calcaire et marneux,
paraissent lui faire obstacle, ces derniers, sans doute, parce
qu'ils permettent aux racines de pénétrer au delà des atteintes
de rinsecte. » Ce qui tendrait à justifier cette conclusion, c'est
que, par contre, le progrès se précipite « dans les régions argi-
leuses, ainsi que dans les autres terrains légers et superficiels, où
le sous-sol n'admet pas les racines profondes (1). »
On a, en outre, remarqué que les vents d'été, qui sont le grand
véhicule habituel du phylloxéra, ne le propagent en Californie
que de l'ouest à Test (2).
Pour le moment, le fléau se trouve à peu près localisé au nord
de San Francisco, dans un demi- cercle de 150 milles ouest-est,
sur 75 nord-sud, comprenant, comme principaux sièges d'infec-
tion les comtés de Soiîora, de Napa, de Solano, de Yolo. A
Stockton, au sud du Sacramento, dans la vallée de San Joaquin,
on a également trouvé l'année dernière, à l'un des coins d'un
vignoble des plus florissants, cinq ceps infectés et^ chose remar-
quable^ ces ceps se trouvaient dans le voisinage immédiat d'an
endroit où le propriétaire avait F habitude de dépaqueter des
caisses contenant des boutures de provenance étrangère. Toutefois,
ce petit endroit a été vigoureusement traité à l'aide d'insecticides, et
les inspections récentes auxquelles on l'a soumis tendent à démon-
trer que la maladie en a été ou en sera entièrement extirpée (3). »
Enfin, au sud de la baie de San-Francisco, dans le comté de
Santa-Clara, on a signalé un ancien vignoble de peu d'étendue
qui, il y a vingt ou vingt-cinq ans, servait de pépinière pour l'élève
des vignes importées. De l'autre côté de la route, on a relevé des
sujets malades et, à l'est, toujours dans la direction des vents de
tété y deux vignobles sont contaminés. Heureusement pour ce pays-
ci, presque tous les développements de la viticulture se portent à
l'ouest de la ligne infestée. Les habitants de la vallée ont reçu
réveil, et feront, dit-on, tous leurs efforts pour extirper cette peste
avant qu'elle puisse se développer davantage (4) . »
Plus heureux que sages, plus heureux que nous surtout, les
Californiens ont trouvé, sur place, le remède à côté du mal
qu*ils avaient importé.
(1) Trav. du serv. du phyllox., an. 1882. Rap. du Consul de France à San Fran-
cisco, p. 545.
(2) Id., i6id., p. 545.
(3)I(l.,i6id., p. 448.
(4) Travaux du service du phylloxéra, loc. cit., p. 548-549.
Digitized by
Google
254 HISTOIRE DE LA VIGNE
« Dans le district infesté de Sonora, le long des ravins et des
cours d'eau, se rencontrent fréquemment dans les vignes des
plants sauvages {Vitis Californica) dont les racines s'étendent sou-
vent jusque dans le sol où les plants européens ont été détruits
par le phylloxéra ; mais on n'a jamais remarqué nulle part que
les vignes sauvages aient, comme celles de Crimée, souffert des
attaques de l'insecte (1). »
Le Vitis Californica est une de ces vignes sauvages étudiées
par Savignon, aussi bien que le Vitis Arizonica, qui parait par-
tager cette immunité. Un autre de nos compatriotes, Ad. Fla-
mant, qui dirige dans le Napa-county, un des plus grands vigno-
bles de Californie, a eu l'heureuse idée d'essayer le premier
ces plants indigènes comme porte-greffe, en compagnie d'autres
cépages américains réputés résistants, notamment des Elvira et
des Riparia. Il a greffé, simultanément et parallèlement, sur les
trois espèces des Zinfandels et des Gamays, et, à la suite de ces
essais, il a pu faire connaître à la Convention viticole de San
Francisco que « le meilleur porte-greffe est le Californica^ qui,
doué d'une force de végétation extraordinaire, a donné plusieurs
jappes bien mûres dès la première année (2). »
L'expérience n'aurait point démenti cette affirmation, si nous
en croyons la correspondance ci-après, d'un viticulteur de Santa-
Helena, que nous empruntons au Moniteur vinicole :
« Voilà six ans qu'on expérimente en Californie avec un succès
croissant le Vitis Californica^ dont la résistance au phylloxéra ne
s'est jamais démentie. L'étonnante vigueur du cep, lorsqu'il sort
d'un semisj justifie la prédilection que lui accordent de plus en
plus les cultivateurs américains. Cette vigne, qui semble avoir
encore la vigueur d'une plante sauvage, riche de toute sa fécon-
dité primitive, produit dans un terrain favorable, même lors-
qu'elle n'est pas greffée, autant de raisin qu'un plant européen.
C'est encore un Français, M. Mottier, possesseur d'un beau
vignoble dans le Lake-county, qui a le premier usé des Califor-
nica. Il en a fait des semis considérables, et devant les résultats
qu'il a ainsi obtenus, il s'accorde, avec Ad. Flamant, à affirmer la
valeur du cépage en question, et à en conseiller l'emploi à nos
compatriotes de l'ancien monde (3). »
Cet essai a eu lieu. Sans démentir les propriétés antiphyUoxé-
riques des deux plants californiens, il ne paraît pas très encoura-
(i) Trav. du serv. du phylL^ loc, cit., p. 546.
(2) Moniteur Vinicole du 7 norembre 1884.
(3) Id., ibid.y du 9 décembre 1884.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 255
géant. A Montpellier, « le Vùis Califormca se montre sujet à la
chlorose et au peronospora, qui lui font perdre ses feuilles de
bonne heure. Le Vitis Arizonica végète sainement, mais sans
prendre un développement notable (1). » ""
Selon Fauteur de la communication, ce demi-échec serait dû à
rhumidité du climat, même du climat de Montpellier.
M Que nos vignerons nous permettent de leur rappeler que le
cl'unat de la Californie est beaucoup plus sec que celui de notre pays.
On ne peut donc guère essayer le Califormca que dans les régions
méridionales. C'est avant tout sur les hauteurs des Bouches-du-
Rhône et du Gard, aujourd'hui dénudées par le phylloxéra, que le
Vitis Califomica nous parait devoir trouver les éléments néces-
saires à son développement. Que nos courageux agriculteurs du
Midi ne se lassent donc point démultiplier leurs tentatives, qu'ils
essayent les Califomica à la fois comme producteurs direcis et
comme porte-greffes. Nous leur souhaitons que le roi des cépages
américains fasse bientôt admirer son feuillage exubérant et ses
raisins sur tous les coteaux du Midi (3). »
On aurait tort, en effet, de s'en tenir à un premier essai aussi
restreint. Mais, il nous semble que dans les conditions mêmes
spécifiées par le correspondant du Moniteur vinicolcy la place des
deax Vitis californiens serait plutôt dans notre Corse, en Sicile,
en Espagne et en Portugal, que leur latitude et leur séche-
resse rapprochent plus encore que notre midi continental de
la région mère de ce cépage. Avis aux intéressés.
Ce serait, du reste, bien mal connaître les Américains, que
de les croire gens à se décourager pour si peu, car l'Amé-
rique est, par excellence, le pays de la maxime
Tuy ne cède malis, $ed, conirày audentior ito.
« A San José, extrémité sud de la baie de San Francisco, un pro-
priétaire vient de faire construire un pressoir géant à deux étages,
mesurant 126 pieds de long sur 52 pieds de large. Ce bâtiment ren-
ferme en outre 28 cuves de fermentation contenant 1,200 hecto-
litres de vin que Ton peut renouveler trois fois pendant la
saison, soit 10,000 hectolitres de vin. Notre Yankee se propose
(1) Travaux du service du phylloxéra, an. 1883. G. Foëx, 'Rapport sur les
expériences de viticulture faites à VÊcole d'Agricultture 'de Montpellier en
1883, p. 88.
(2) Jules Desclozeauz, Moniteur Vinicole du 9 décembre 1884.
Digitized by
Google
256 HISTOIRE DE LA VIGNE
de quadrupler encore cette production et d'arriver à 40,000
hectolitres (1). »
Go ahead !
Situé, comme' la Catifomie, en dedans de la Cordillère, le
Nouveau Mexique jouit d'un climat analogue à celui de l'Anda-
lousie, et, comme elle, a de beaux vignobles introflexes, qui
donnent d'excellents vins de ligueurs : tel, par exemple, le vin de
Paso del Norte. Les voyageurs qui se dirigent vers Santa Fé,
capitale de cet État, ne manquent point de s'en munir (2).
L<a vig:ne auMexique. — ^Le Mexique lui-même, le vrai, dontle
« Nouveau-Mexique » n'est qu'un fragment détaché en 1848, paraît
être demeuré jusqu'ici indemne du petit Attila souterrain ; aussi pro-
duit-il de non moins bons vins que son ancienne province-mëre,
notamment les vins de Parras dans l'État de Durango, ou Nouvelle-
Biscaye , et ceux de San Luis de la Paz et de Zelaya dans le Mechoa-
can. Pourtant la boisson la plus répandue y est encore le pulque.
Au moment où V Agave americana (vulgairement aloès) a formé son
inflorescence, mais avant qu'il ait développé sa longue hampe
florale, on écime cette inflorescence prête à s'élancer, et l'on
recueille dans la plaie le suc longuement élaboré par la plante en
vue de ce développement. C'est ce suc fermenté qui fournit le
pulque, sorte de vin blanc dont les indigènes sont très friands,
et qui, paraît- iJ, ne déplaisait point trop à nos soldats. Il existe
au Mexique des plantations régulières d'agave destinées à cet
usage, de véritables vignes à pulque (3). On y consomme aussi
du vin de palmier fabriqué avec le suc de l'arenga, recueilli
dans une cicatrice pratiquée au-dessous de l'inflorescence (4).
Peu de gens savent en France que, comme plus lard l'Italie (5),
le Mexique dut la liberté à son vin (6), ainsi du reste qu'un
(1) Jules Desclozeaux, Monittur Vinicole du 7 novembre 1884.
(2) Julien, loc. cit.y p. 506.
(3) Dans ses humoristiques autant que substantielles conférences des Arts
et Métiers, Boussingault rsfbontait que les Indiens surpris à Mexico en flagrant
délit d'ivresse de pulque sont conduits au poste, et condamnés, pour toute
pénalité, à balayer les rues le lendemain. « Jamais», ajoutait l'illustre profes-
seur, M Mexico n*a manqué de balayeurs. »
(4)11 existe, au Muséum (Galerie de Botanique), des squelettes de ces palmiers-
vignes, portant autour de la tige une série d' « encoches », correspondant à cha-
que u vendange » annuelle.
(5) Cognetti de Martis, Il commercio del vino, p. 470. « En Italie, il s'en est
peu fallu que la guerre nationale de 48 n'éclatât deux ans plus tôt, à raison des
barrières fiscales que l'Autriche imposait aux vins piémontais dans les pro-
vinces lombardes. Le magnanime Charles-Albert fit une ouverte et noble
résistance à la chancellerie de Vienne, et le commerce du vin conduisit le
Piémont au premier choc contre l'Autriche. »
(6) Les Espagnols paraissent avoir d'abord méconnu la fertilité viticoie
Digitized by
Google
U VIGNE SELON L'HISTOIRE 257
demi-siècle avant, TAmérique Anglaise l'avait due à ses
chapeaux (1).
Par un étroit esprit d'égoïsme métropolitain, TEspagne avait
interdit à ses colons du Mexique, pourtant si propice à la culture
de la vigne, la plantation de cet arbuste autrement que dans les
jardins. « Mais, les appels de la nature furent plus puissants que
toutes les prohibitions gouvernementales. Le curé d'une petite
ville de l'intendance de Guadanaxuato, don Michel Hidalgo couvrit
de vignobles les flancs des coteaux suburbains. Vint de la capitale
Tordre de les arracher et de k» détruire, ordre qu'on eût exécuté,
si le prêtre indigné ne se fût révolté, n'eût jeté tout haut le cri
d'insurrection, et si la défense des vignes n'eût ainsi donné nais-
sance à la guerre acharnée qui aboutit à l'indépendance du
Mexique (2). •>
La vigrne dans l' Amérique da Sad. — Pickering, qui ne
parait guère avoir laissé un coin du globe inexploré, dit qu'en
général dans les tropiques il n'a trouvé que du raisin de qualité
inférieure, et n'a pas vu un seul exemple de fabrication réussie de
vin (3). Il faut croire que cette double règle comporte des excep-
tions ou tout au moins des restrictions. Ainsi, la vigne réussit bien,
parait-il, dans le Venezuela, compris à peu près entre 8** et
iO" latitude Nord. Il est vrai qu'elle n'y réussit qu'entre 600 et
2,100 mètres (4).
La vigne réussit également au Brésil, elle y réussit même au
point d'y donner trois récoltes par an, en mars, mai et septembre,
s'il faut en croire Julien, qui ajoute : « cet arbuste n'est cultivé que
« pour en manger le fruit. Il n'y a aucun vignoble important, et on
n y fait point de vin (5). » En 1842, Lacordaire nous informe que,
« sur les plateaux de l'intérieur, les arbres à fruit d'Europe, y
compris la vigne, réussissent très bien : » toutefois^ il ne parle
du Mexique, et c'est ainsi qu'on est étonné de lire dans Joseph Acosta(llv. III,
ch. xxn, et liv. IV, ch. xxxii de son Histoire iiaitirelie et morale des Indes, Séville,
1359, in 4<») que le raisin n'y mûrit pas. 11 est vrai qu'Acosta, provincial des jé-
suites au Pérou, ne connaissait vraisemblablement le Mexique que par ouï-dire.
(1) Les Anglais ne voulaient pas permettre aux Américains de fabriquer
leurs propres chapeaux avec les peaux des animaux tués en Amérique. Il
fallait que ces peaux fissent le voyage d'Ajigleterre et en revinssent en Amé-
rique à l'état de produit fabriqué. Les colons résistèrent, la querelle s'enve-
nima et, on sait le reste. (Voir Edouard Laboulaye, Histoire de la Conslilulion
des États-Unis. Paris, Charpentier, 3 vol.)
(2) Cognetli de Martis, loc. cit., p. 170.
(3) Chronological history of plants, p. 37.
(4) Bulletin de la Société d' Acclimatation^ 1859, l. VI, p. 397
(5) Julien, loc. cit., p. 513.
TRAITÉ DE LA VIGNB. — I ! 7
Digitized by
Google
258 HISTOIRE DE LA VIGNE
point, non plus, de vignobles (1). Mais, depuis 40 à 50 ans que ces
passages sont écrits, les choses ont grandement changé. La vigne
se cultive aujourd'hui sur une assez large échelle au Brésil, non
seulement pour le raisin, mais pour le vin, dont il s'est même
constitué un type national, le « Pao », qui, si les producteurs le
soignent et si les industriels ne le gâtent pas, pourra acquérir une
place honorable dans le commerce (2). »
Les principaux centres de viticulture sont situés dans les pro-
vinces méridionales de Saô Paiilo et de Rio Grande do SuL
Vignes européennes et américaines intro et extroflexes s'y cou-
doient, et, contrairement à ce que nous avons pu voir partout
ailleurs,, paraissent y faire assez bon ménage. En i868, Fran-
çois Albuquerque écrivait que Tincroyable fécondité de Tlsabelle
(il avait vu des boutures émettre 2 à 3 sarments de 2 mètres de
long avec 3 à 4 grappes chacun), tendait à faire délaisser les
quelques bonnes espèces que Ton avait (3).
En 1870, 193 variétés sont envoyées à Rio Grande de la pépi-
nière du Bois de Boulogne. On apprend plus tard que 130 ont
réussi, et que, notamment un plan de Piquepoul à 3 nœuds a
donné 70 boutures, une Roussanne 76, un Pineau gros grains 93.
Il serait difficile de dire qu'un tel milieu est hostile à notre vigne.
Pourtant, jusqu'ici, la vigne américaine paraît conserver les pré-
férences dans le Sud. Mais à Saint-Paul le nombre des variétés
tant introflexes qu'extroflexes est « considérable » (4).
Le Paraguay ne paraît pas avoir de vignobles proprement dits,
au moins d'une certaine importance, mais, on y signale l'existence
d'une vigne fort singulière découverte sur les rives du Rio Apa
(frontière du Brésil), où elle couvre les plus grands arbres des
forêts vierges.
« Cette espèce diffère de toutes celles qu'on connaît par ses
feuilles lisses d'un vert foncé, ses fruits sessiles, et son pépin
unique et aplati comme une graine de courge. Les sarments
sont couverts d'une écorce brune, le bois est blanc, spongieux, et
couvert d'une couronne de vaisseaux noir-bleu ; les racines sont
fortes, et renflées de distance en distance. Disposés en spirale
autour de l'axe, les grains sont gros comme des noisettes, et résis-
tent très bien aux ouragans si fréquents dans ces parages. La
chair en est ferme, incolore, avec une légère teinte verdâtre,et leur
(1) Lacordaire. Encyclopédie nouvelle ^ i842. Art. Brésil,
(2) Cognetti de Martis, loc. cit. y p. i9o.
(3) Bulletin de la SociéU d' Acclimatation^ 1868, t. V, p. 622.
(4) /(/., 187i. 2° série, p. 390» et 1873, p. 88k
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 259
goût rappelle le meilleur Chasselas ; leur couleur est rose violacé
comme celle du Tokay. La plante est vigoureuse, et donne deux
énormes récoltes par an, Tune au printemps et l'autre en automne.
Pour en réserver la primeur à la France, le D' Sacc, qui Ta
découverte, en a envoyé des graines à Ch. Iluber et C*% à Hyères,
et il estime que, si notre climat lui interdit la grande culture,
elle pourra, tout au moins, rendre de grands services aux
horticulteurs munis de serres à raison de cette double fructifica-
tion. (1).»
« A.UX Antilles, » dit Julien, « la vigne croit naturellement dans
plusieurs îles, et elle prospère dans toutes celles^ où on a essayé des
plantations (2). » Pourtant, on -est là en plein tropique. « Les jar-
dins des villes et ceux des habitations ont des berceaux couverts
de Chasselas, de Muscats et de plusieurs autres sortes de raisins
qui donnent deux récoltes, lorsqu'on taille la vigne quinze jours
ou trois semaines après la première. Les fruits sont de bonne qua-
lité. A Haïti, le littoral et les montagnes sont couverts de plants
de vignes qu'on nomme RaisinierSj et qui produisent des grappes
de 0", 417 de longueur sur 0°, 167 de diamètre (3), à grains rouge
foncé, gros comme de petits œufs de pigeon. Dans les forêts on
trouve aussi des ceps qui s'élancent jusqu'au sommet des arbres.
n y a même eu autrefois des vignobles très productifs, notam-
ment à Saint-Martin près de Port-au-Prince et à V « habitation »
des Gra7ids Bots, où on récoltait 23 barriques de vin. Il y a encore
plusieurs plantations de vignes au mâle Saint-Nicolas et dans
quelques autres cantons (4). »
A défaut de vin, les boissons fermentées ne manquent point à
Haïti. Vouycou préparé avec des cassaves, des patates, des
cannes à sucre et des bananes ; le maby avec des patates, du sirop
de sucre et des oranges aigres; le vin fait avec le jus d'ananas,
sont, paraît-il, sains et agréables.
Sur le versant oriental des Andes, la république Argentine a
des vignobles non dépués d'importance et fait « d'excellents
(i) D' SsLCC, Bulletin delà Société d'Acclimatation, 1880, t. VIT, p. 394, etBw/-
ktin des séances de la Soc, Nat, d'Agr, de France^ 1800, t. XL, p. 341-2.
(2) Julien, loc. cit,f p. 508.
(3) On ne parait guère mieux avoir été renseigné en Europe au sei-
zième siècle sur « Espagnola » (Haïti) que sur la « Nouvelle- Espagne »
(Mexique) . C'est ainsi que dans le dernier chapitre du liv. IV de son
Histoire d* Amérique, Benzo affirmait que les vignes plantées à Espagnola ne
donnaient que de petits raisins d'un goût à peine agréable (non admodum
jucundi)y et dont la vendange se faisait en février et mars.
(4) Julien, loc, cit., p. 508.
Digitized by
Google
260 HISTOIRE DE LA VIGNE
vins ». A citer plus particulièrement, Tucuman, San-Juan
Mendoza, Rioja(l).
Le Pérou et la Bolivie ont été avec le Chili les premières terres
américaines où la vigne ait été introduite par les Espagnols. Au
seizième siècle, Diego deTorres écrivait qu'au Pérou, elle y avait
atteint un tel développement qu'une grappe de raisin péruvien
fournissait plus de vin que trois grappes du même cépage en
Europe ; queses fruits avaient un goiH des plus suaves, et que ceux
dlca notamment se transportaient soit par mer, soit à dos de
mouton dans tout le Pérou (2).
Ces heureuses dispositions ont été, on ne peut mieux utilisées,
car, le Pérou et la Bolivie sont, on peut le dire, pavés de
vignobles, sur Tun et l'autre versant des Andes, mais principale-
ment sur le versant occidental. Sur le versant oriental, la pro-
vince bolivienne de Charcas, située dans un contrefort transversal
delà Grande Cordillère, fournit une grande quantité de vins, dont
une partie est convertie en eau-de-vie. Ceux de Sicasica sont par-
ticulièrement estimés.
Les provinces de Guamanga et de Cuzco, également situées
dans un contrefort oriental des Andes entre le 12** et le 15" lati-
tude sud, tirent de la vigne (vins et eaux-de-vie) leur principale
richesse.
Quant au versai^t occidental, ce n'est pour ainsi dire qu*uu
grapd vignoble. Les provinces de Lima, de Truxillo, d'Arequipa,
qui composent cette longue lanière de terre, rivalisent pour la
bonté et l'importance de leurs produits (vins et eaux-de-vie), dont
une grande partie s'exporte en Colombie, à Panama, etc. Les
vins de Zana (Truxillo), de Lucomba, du Lac, de Pisco (Lima), de
Saumba (Arequipa) sont les plus renommés (3). .
Le Chili paraît être aussi une terre de promission pour la vigne,
qui y est cultivée en beaucoup d'endroits, et y parvient à des
dimensions colossales. On assure que les ceps atteignent quelque-
fois jusqu'à 0",333 de diamètre (4), et que les grappes sont à l'ave-
nant. Le cru le plus estimé est le vin de la Concepcion, mais,
presque toutes les provinces ont d'importants vignobles, dont les
'produits sont en grande partie exportés à Buenos Ayres, Monte-
video, et au Paraguay, où on ne boit guère d'autres vins (S).
(1) Arcangeii, la Botanica del vino^ p. 218.
(2) Diego de Tories, de Beb, Peruvianis, Anvers, 1604, p. m. 6.
(3) Julien, loc, cit., p. 511-512.
(4) Id., i6îd.,p. 514.
(5) Îd.,i6id., p. 515.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 261
Iia\i§rne en Australie. — Lorsqu'en i770, Cook visita le
continent australien, il fut si frappé de Tétrangeté, de l'abon-
dance et de la grâce de la flore locale {hoveas, ckorozemas,
seaforthiaSj kennedyaSy brachichyions^ metrosideros^ coi^yphas^
grevilleas^ acacias et eucalyptus de toutes sortes, etc.), qu'il donna
à la baie où il avait mouillé le nom, célèbre depuis, de Botany
Bay. Pourtant, chose bien singulière, c'était à peine s'il y avait dans
cette immense galerie végétale un arbre à fruit comestible (1),
de même que dans la faune, non moins variée et non moins
étrange, il n'y avait guère un animal véritablement approprié aux
divers besoins de l'homme. C'est donc avec raison que Vlllustrated
Sydney News y distribué aux visiteurs de l'Exposition de 1878,
disait qu'c< en fait, toute l'histoire de l'Australie consiste dans
l'histoire de l'introduction et de l'acclimatation successive des
animaux et des plantes utiles dans ce pays. » Et, certainement,
en présence des résultats acquis et de leur phénoménale rapidité,
nul ne refusera de s'associer à l'hommage que, dans ce même
journal, les colons rendaient à leur propre esprit d'entreprise,
à leur propre persévérance et à leur propre énergie (2).
Ce futenl813 ou 1814 qu'un propriétaire entreprenant, Grégory,
fit en Australie, quelques essais restreints de viticulture. Jls réus-
sirent. Encouragé par cet exemple, James Bushy fait, en 1830,
en Espagne et en France un voyage d'où il rapporte les cépages
les plus estimés de ces deux pays. Il en plante à Cambden (Nou-
velle-Galles du Sud), un vignoble dont, en 1833, la superficie
comprend 5 acres (2 hectares) (3). En d837, une petite colonie de
vignerons allemands (5 ou 6 familles) vient s'adjoindre aux
hôtes de Cambden. L'exemple gagne. On diversifie les cépages.
Le Riesling, le Verdeilho de Madère, l'Amaro des Landes, la Folle
de Cognac, le Cabernet, le Malbeck, le Verdot du Bordelais, le
Syrah de Perse se font australiens (4), et contractent sur ce sol
nouveau des qualités nouvelles. En 1855, les vins d'Australie
font solennellement leur entrée en Europe à l'Exposition univer-
selle de Paris. Ils y font très bonne figure, si bonne figure, qu'ils
(1) Il y a quelques années, des explorateurs qui avaient entrepris de tra-
verser le continent australien se virent, sur la (in de leur voyage, à bout de
vivres et ne trouvèrent, pour se sustenter, d'autre viatique que les spores,
aussi dures que microscopiques, d'une Marsiléacée. De là le nom qu'ils don-
nèrent à cette Rhizocarpée, de Marsilea salvairix, [Cours inédit de Crypto-
game de Maxime Cornu au Muséum.)
(2) The Ulustrated Sydney News du 16 mars 1878.
(3) Ce vignoble existe encore ; il est représenté dans le numéro spécimen
cité plus haut. 11 était, en 1878, aux mains de Sir Williap Macarthur.
(4) Julien, loc, n7./p. 516.
Digitized by
Google
262 HISTOIRE DE L\ VIGNE
sont primés, mais on remarque que les produits de tels ou tels
cépages donnés ne rappellent que de très loin leurs similaires
de notre hémisphère. A Londres, en 1862, même succès et même
remarque. Mais, déjà, la superficie viticole s'est considérablement
étendue et a pris pied dans deux nouvelles provinces, South
Australia et Victoria. Que s'était-il passé dans l'intervalle?
Un fait bien simple. Plus heureuse que Diogène, l'Australie
avait trouvé cet oiseau bleu qu'on appelle « un homme ».
Fait moins rare en terre anglo-saxonne que partout ailleurs,
parce que c'est là que, moins comprimé dès le berceau par les
bandelettes administratives, l'individu acquiert son maximum de
développement, d'énergie et de productivité, uniquement parce
que c'est là qu'il est le plus libre.
Située entre le cours du Murray au nord et l'océan Pacifique
sur ses trois autres limites, de latitude égale à peu près à celle de
TAlgérie, défendue des vents austraux par la Tasmanie ou terre de
Van Diemen, la province de Victoria jouit d'un climat tout à fait
méditerranéen. Le sol en est, de plus, formé de détritus de roches
très meubles et très fertiles, toutes conditions éminemment pro-
pices à la culture de la vigne.
Pourtant, tous ces avantages, on pourrait presque dire toutes
ces invites de la nature semblent avoir passé longtemps ina-
perçus. Avant la découverte de l'or (1851), c'est tout au plus si
quelques acres étaient complantés en vignes, cultivées surtout
en vue des fruits : la fabrication du vin n'était que l'exception.
Quelques Suisses et Allemands se livraient à cette culture, les
premiers dans le voisinage de Melbourne, les seconds au pôle
opposé de la colonie, sur les rives du Murray.
Lors de l'affluence des émigrants, ces quelques arpents de
vignes valurent mieux pour leurs propriétaires que les filons d'or
qu*elles avoisinaient. On cite une vigne de 4 ou 5 ans, et de la
contenance d'un acre (0 hect. 40) qui aurait donné à ses deux pro-
priétaires plus de 2000 livres sterling (30,000 fr.).
Les choses en étaient là, quand, en 1856 (1), Ed. Wilson, pro-
priétaire du journal r Argus de Melbourne, eut occasion de venir
visiter par lui-même les mines dont il enregistrait chaque jour
Jes opérations. Émerveillé: « Comment trouvez- vous la colonie?»
demanda-t-il à un étranger qu'il avait rencontré dans cette
visite. « Elle est bien riche, » lui fut-il répondu. « N'est-ce pas
(1) A ce moment, d'après le Bulletin de la Société d' Acclimatation ^ la super-
ficie cultivée en vignobles dans toute V Australie n'est guère que de 5CK) hectares
(1856, 1'" série, t. III, p. 59).
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 263
que nos miûes sont bien riches? » — « Ce n'est pas de vos mines
« que je parle : les richesses que j'ai en vue ne sont point
« sous terre, mais à la surface. Ce sont le sol et le soleil qui les
« offrent à qui les voudra. Il n'y a pas ici un pouce de terre où la
« vigne ne puisse réussir, et elle donnera dans tels et tels points
« des produits considérables. »
Cette conversation fut pour Ed. Wilson un trait de lumière. Intel-
h'gence vive, caractère décidé et esprit pratique, il comprit que
le mot de Montesquieu, « que la vigne peut être comparée à cette
matière avec laquelle les alchimistes faisaient de Tor, (1) » n'était
pas moins vrai à Melbourne qu'à Bordeaux, qu'elle était la vraie
mine d'or, plus inépuisable que celles du quartz, et surtout d'une
extraction physiquement et moralement bien plus saine ; et, cette
conviction, faite, il se mit immédiatement à l'œuvre. Il commença
par reproduire dans V Argus la conversation de Castlemaine, puis
les comptes rendus de l'Exposition de Paris qui arrivaient juste-
ment à ce moment, et qui, par les primes qu'ils mentionnaient
pour les vins de New South Wales, l'aidèrent puissamment à
mettre le feu aux esprits. Cela fait, il part pour l'Europe, visite
successivement les centres vinicoles d'Italie, de France, d'Alle-
magne, de Hongrie, etc., envoie en Australie des cépages et des
instructions, et, avant même d'y être de retour, fait offrir dans
V Argus une prime de 1000 livres sterling (23,000 francs)au colon
qui aura planté le plus de vignes dans l'année suivante.
Le mouvement était lancé, et six ans ne s'étaient pas écoulés
que Victoria était devenue un centre de production vinicole plus
important que New South Wales.
En 1862, l'ensemble des plantations pour les trois colonies viti-
coles s'élevait déjà à 4,800 hectares ainsi répartis :
South Auslralia 40 0/0
Victoria 33 0/0
New South Wales 27 0/0(1).
En 1876, d'après les documents fournis par les colons eux-
mêmes lor3 de l'Exposition de 1878, la production était devenue
celle-ci (3) :
(1) Mot cité par Petil-Lafitte, in la Vigne dans le Bordelais.
(2) Bulletin de la Société d'Acclimatation, 4862, p. 948. — Dans son Voyage
autour du Monde, Beauvoir évalue à 1,400 hectares pour 1864, la superficie
vilicole de Victoria. D'après les chiffres du Bulletin de la Société d'Ace Irma tation^
cette évaluation serait un peu inférieure à la vérilé.
(3) Voir Catalogue of the South Australian Court., p. 13 et Carte mim-ralo-
giqtie de la Nouvelle-Galles du Sud.
Digitized by
Google }
264 HISTOIRE DE LA VIGNE
South Australia, 2,000 hectares, pour 33,778 hectohtres de vin.
New South Wales, 1804 hectares, pour 36,331 hectolitres devin, 135 hect.
eaux-de-vie, 933 tonneaux de raisin consommé en fruit.
Les renseignements nous font défaut pour Victoria, mais si,
comme au minimum probable y la proportion de 1862 s'est main-
tenue, cela représenterait pour Victoria, en chiffres ronds, 1700
hectares pour 28,000 hectolitres.
Comme moyenne production cela équivaut à 15 hectol. par
hectare pour South Australia et 26 pour New South Wales.
En France, la quotité comparée est de :
Pour le Jura, 26 hectolitres.
Pour la Charente (quand il y avait une Charente), 20 hectolitres.
Pour la région méditerranéenne, 60 hectolitres.
Quant au vin de Victoria, tout le monde peut se rappeler le débit
considérable qui en fut fait, en 1878, au pavillon de dégustation
installé au Trocadéro par cette colonie. Ces vins ont du ton, de
la chaleur, une consistance générale analogue à celle du Bour-
gogne, avec un goût de pierre à fusil qu'on n'est guère habitué à
rencontrer que chez les vins bl|5tncs. On n'en saurait être étonné
en pensant qu'ils croissent sur la gangue de quartz pur qui enroule
le minerai d'or.
Bien qu'il y ait en Australie un peu des cépages de toute sorte,
et que leurs produits aient une tendance à se rapprocher, dans
le nord, des types espagnols et portugais, et dans le sud des
types français et allemai^ds, il parait s'y être constitué un type
dominant dit VerdeilhOy sans doute du cépage de ce nom, et
les hardis pionniers de ce nouveau monde « hâtent de leurs
vœux et de leurs efforts le jour prochain où leur terre rivalisera
avec les contrés vinicoles les plus renommées d'Europe (1). »
L<a vigne au Cap. — Si, tournant le dos à l'Amérique occi-
dentale, au Far west^ nous revenons en Europe par l'Océan, nous
rencontrons d'abord la colonie essentiellement viticole du Cap.
C'est en 1630, 164 ans après la découverte du cap de Bonne-
Espérance que les Hollandais s'établirent à la pointe de l'Afrique
méridionale. Us n'y trouvèrent que d'immenses bruyères,
quelques arbustes « et l'espèce de racine appelée pain des Hot-
tentots (2). » Pourtant, il existe aujourd'hui de la vigne sauvage
sur le versant de quelques montagnes, aux environs de Cape
(1) Cognetti de Martis, // commercio del vino, p. 200.
(2) Julien, loc. cit. y p. 485. Le pain des Holtentots est vraisemblablement le
Colocasia esculeniay de la famille des Aroîdées.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L^HISTOIRE 265
Towu, au milieu dos bois, en pleine exposition du soleil, dans des
terrains tout à fait vierges, mi-partie rocheux et mi-partie chargés
d un humus des plus riches. Celte vigne, qui est d'une magni-
fique exubérance, produit du raisin, mais par grains générale-
ments séparés ; ce raisin est vert, acre, presque sans jus et pourvu
d'un seul pépin par grain. Le consul Hermitte, qui signale ces
faits, propose de greffer sur ces souches vigoureuses la vigne
ordinaire affaiblie par roïdium(l).
Cette vigne sauvage est-elle spontanée, et a-t-elle passé ina-
perçue des premiers colons? ou bien, n'est-elle qu'un rejeton
dégénéré, verwildert^ des vignes introduites? C'est ce que, pour
ce pays comme pour ailleurs, une expérience méthodique pourra
seule déterminer. En tous cas, il y existe aussi à l'état spontané
une autre Âmpelidée que les Européens n'y ont point apportée
de chez eux, puisque les Cissus ont disparu d'Europe depuis les
temps géologiques ; c'est le Cissm Capensis, qui donne de grosses
grappes dont on fait d'excellentes conserves (2), et dont il n'y a
aucune raison pour qu'on ne puisse faire aussi du vin.
Quoi qu'il en soit, la vigne introflexe n'y a point fait défaut à
l'espoir des colons qui eurent, dès les premiers moments de leur
séjour, ridée de l'y transporter. Elle y a prospéré partout où
elle été plantée, et, comme partout ailleurs, y a donné des pro-
duits en rapport avec les diverses expositions, les divers sols, les
divers modes de culture, etc.
Les cépages les plus usités sont le Greene Druyf, très fertile,
ot qui donne les vins nommés « Madère du Cap », le Steen Drinjf,
moins productif, et dont les vins rappellent ceux du Rhin, le
Lacryma Christi, le PontaCy le Frontignan et le Muscatel^ enfin le
Baenopop qui, apporté de Shiraz (Perse), produit do très bon vin
de liqueur.
C'est ce dernier cépage qui donne, notamment, à la partie infé-
rieure du versant oriental de « la Table », montagne située à 8 ki-
lomètres du Cap, le fameux vin de Constance. Le nectar austral
a, comme le Tokay, une douceur agréable, de la finesse, du
spiritueux et un bouquet suave : le blanc, quoique moins liquo-
reux et moins corsé, se vend le même prix que le rouge. La
récolte du clos de Constance n'était évaluée qu'à 900 hectolitres
dans les bonnes années, mais on a, depuis, étendu les plan-
Ci) Bulletin de la Société iV Acclimatation, p. 1887, 2« série, t. IV, p. 102.
Le même volume du Bulletin, p. 166, cite un exemple de vigne étiolée, à
laquelle un greffage par approche sur vigne sauvage a rendu toute sa vigueur.
(2) BulUl. de la Soc, d'Accl. 1874, 3« ^rie, 1. 1, p. 317.
Digitized by
Google
266 HISTOIRE DE LA VIGNE
talions jusqu'à la ferme de Willeboom, établie sur le même
terrain, et qui a toute chance de donner des produits similaires.
Comme pour les grands clos du Bordelais et de la Touraine,
le Constance est toujours retenu avant la récolte; aussi ce qu'on
trouve sous ce nom dans le commerce est-il du « Muscat » récolté
entre la baie Falso et la baie de la Table, très bon d'ailleurs,
quoique de beaucoup inférieur au Constance. Le plus estimé
provient des clos de Becker et de Hendrick.
Le « vin du Rhin du Cap » se récolte dans les cantons de la
Perle j de Dragestein et de Stellenbosch, Il est sec et de bon goût.
On y fait aussi des vins rouges spiritueux, nourris et parfumés,
qu'on nomme « vins de Rota du Cap »,à raison de leur ressem-
blance avec le vin andalou du même nom (1).
La vig^ne dans les lies d'AfpIciiie. — A Madagascar, à
Maurice, à la Réunion, il y a des vignes, et l'essai tenté par
Christien et par Yorn dans cette dernière île prouve qu'on y pour-
rait faire de bon vin. Julien a bu, en effet, des vins récoltés au
quartier Saint-Paul et au cap Saint-Bernard en 1819, 1820,
1823, et qui, selon lui, rappelaient les vins du Rhin. Ces essais
toutefois paraissent avoir été abandonnés (2).
Du côté atlantique de l'Afrique, la vigne est cultivée au cap
Vert, à Saint-Thomas (3), aux Canaries, à Madère, à Porto
Santo, aux Açores (4), etc., c'est-à-dire à peu près dans toutes les
îles semées autour de ce continent. D y a même de la vigne à
Sainte-Hélène, mais cultivée uniquement pour le fruit.
Les vins du cap Vert sont consommés sur place. Un seul cru,
le Brava, analogue aux vins de^ Canaries, auxquels il se rattache
étroitement.
Les Canaries forment un groupe de sept îles : LancerottCy For-
taventuraj Canarie, GomèrCy Palma, Fer et Ténériffe, qu'à rai-
son de l'extrême douceur de leur climat, les anciens appelaient
îles Fortunées, La vigne y est partout cultivée, mais ses produits
ne sont point partout également estimés. Les meilleurs vins sont
ceux de Ténériffe et de Palma. Gardés trois ou quatre ans, ces
derniers ont un bouquet singulier, rappelant la pomme de pin
bien mûre. Us perdent à être transportés dans les pays froids, où
ils aigrissent facilement.
A Ténériffe, la récolte annuelle est estimée à 120,000 hectolitres,
(1) Julien, loc, cU,, p. 485 à 487.
(2) Id., ibid., p. 488.
(3) Bulletin de la Société d' Acclimatationy 1862, l. IX.
(4) Julien, loc. cU., p, 489. ^
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 267
dont 60,000 sont exportés. On y fait aussi beaucoup d'eau-de-vie,
qui se consomme en majeure partie à la Havane et dans TAmé-
rique du Sud. On y cultive les mêmes cépages qu'à Madère,
savoir :
l*' Trois de raisins noirs, le Bâtard (avec lequel pourtant on
ne fait que des vins blancs), le Tinto ou Negramol (ainsi nommé
parce qu'il est mou au toucher), qui fermente avec la grappe et
sert à la coloration des autres vins, le Ferrai à grappes très
grandes, à grains de la dimension d'un œuf de pigeon, et qui ser-
vent uniquement pour la table.
2** Six de raisins blancs : le Malvoisie^ venant de Candie, le
Vidogne analogue à notre Chasselas, qui est le plus cultivé et donne
le meilleur vin sec, le Bagoual^ plus productif que le Vidogne^ et
dont le vin est plus doux et moins spiritueux, le Sercial ou Esga-
nacaoj le Muscatel, dont on fait rarement du muscat, VAlicantej
comme le Ferrai, uniquement destiné à la table.
Laguna, Orotava, Tacaronte, Guimar, Tagamana, Icod, etc.,
cette dernière exclusivement cultivée en Malvoisie, sont les prin-
cipaux vignobles de l'île. Les vins récoltés sont, en majeure
partie, du Fîrfo^n^, vin sec, analogue, quoique inférieur au Madère
type ; on y produit aussi du Malvoisie, liquoreux et parfumé,
mais inférieur lui aussi à son congénère et homonyme de
Madère (1).
Nous avons dit, ailleurs, que le Portugal n'était qu'un grand
vignoble (2). Ajoutons, puisque l'occasion s'en présente, que la
vigne ne règne pas seulement, gracieuse souveraine, sur le
Portugal continental, mais aussi, sur cette ceinture d' « ilhas
adjacentes », qui lui forment, comme autrefois à « Vénus Astarté,
fille de l'onde amère, » une sorte de collier de perles marines,
collier dont Madère est le Kohi-Noor.
Dans cette dernière île, les premiers plants de vignes ont été,
dit-on, apportés de Chypre par ordre du prince Henri, sous les
auspices de qui, la première colonie porluguaise s'établit en
1421 (3). Sol essentiellement volcanique, les pentes escarpées
de ses coteaux, qu'on terrasse pour retenir les terres, sont comme
les flancs de l'Etna et du Vésuve, dont elles partagent le climat,
le véritable idéal de la viticulture. Aussi, la vigne, surtout dans
(1) Julien, loc. cit., p. 491 .
(2) Voir plus haut, p. 126.
(3-) Ou plutôt en 1428, car on sali que nie n*était alors qu'une immense
forêt (d*où son nom de Madeira, bois), à laquelle on mit le feu, et dont l'in-
cendie dura sept ans.
Digitized by
Google
268 HISTOIRE DE LA VIGNE
la partie méridionale, y atteint-elle des dimensions tout à fait
inusitées, et telles qu'il n'est pas rare de trouver des ceps que
trois hommes ont peine à embrasser. Pour soutenir les tiges, on
plante des pieux, et on forme des berceaux plats, élevés d'envi-
ron 3 pieds au-dessus du sol ; le raisin reçoit ainsi simultanément
les rayons directs du soleil et d'autres rayons réfléchis par les
cailloux au milieu desquels la vigne est plantée. U atteint, de
cette façon, une parfaite maturité ; la récolte, d'ailleurs, se fait
à plusieurs reprises, du 15 au 30 août, en ne cueillant, chaque fois,
que les raisins reconnus bien mûrs (1).
Les cépages cultivés à Madère sont les mêmes qu'à TénériflFe ;
nous n'avons donc point à revenir sur la nomenclature que nous
avons établie à propos de cette dernière île... Mais, quelqu3
influence reconnue et incontestée qu'exerce la nature du cépage
sur la qualité du vin, elle ne saurait suffire à elle seule, même
dans les conditions les plus mirifiquement favorables, et, s'il
fallait, comme au temps de Cinéas, une preuve nouvelle, qu'un
mauvais système détaille peut, comme une mauvaise fée, annuler
tous les dons de la nature, on la trouverait à Madère.
Plantés en hautains au pied de citronniers, d'orangers, de
grenadiers, de châtaigniers, de noyers, tous fort élevés, les
vignobles du nord de l'île ne fournissent en dehors des côtes,
qu'un vin détestable, qui ne peut servir que pour la chaudière.
Ombragés, par les feuilles, les raisins mûrissent très mal, bien
qu'on ne les vendange qu'en novembre. Sur les bords de la mer,
au contraire, où il n'y a pas d'arbres, et où on cultive comme
sur la côte méridionale, ils mûrissent fort bien et donnent des vins
estimés, notamment à Porto da Cruz, Seycal do Norte, Porto-
moniz^ Ponte delgada^ etc. (2).
A Madère on fait avec le tinto ou negramol nu vin rouge, corsé,
spiritueux, d'un bouquet agréable; mais dont il serait dangereux
de faire abus. C'est un astringent très énergique, usité comme
un spécifique contre la dyssenterie (3). Il relève donc, à vrai dire,
plutôt de la pharmacologie que de l'œnologie dans son sens épu-
laire, et ce n'est point à lui, mais à ses congénères blancs, et plus
particulièrement à son congénère sec que leur patrie commune a
dû son renom..
Le Malvoisie de Madère, ainsi nommé du plant qui le pro-
{i) Julien, loc. cit,y p. 490.
(2) Id., ibid., p. 496.
(3) Nous avons vu plus haut, p. 54 que le Tinlo a eu, aux temps antiques,
dans le vin de Signia, un véritable sosie.
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 269
duit (1), est estimé comme le meilleur de tous les Malvoisies qu'on
fiabrique un peu partout où le climat, où Texposition le permet.
Doux et fin y son arôme spiritueux embaume la bouche sans y
laisser la moindre âpreté (2). » Ces qualités lui sont, on le voit,
communes avec le fameux Tokay, mais, là ne se borne point
lanalogie qui se retrouve aussi à un haut degré dans le mode de
fabrication. Comme pour le nectar hongrois, on choisit les raisins
les plus mûrs, et on presse en plusieurs fois. Après la première
pressée, on enlève la grappe et on n'exprime plus que le raisin
proprement dit. D'habitude, on réunit les liqueurs successives,
mais nombre de propriétaires les recueillent à part. La première
est le pingo : c'est, on le voit, V essence du Tokay. Il est parfaite-
ment limpide, fin et délicat. Le reste est le mostOj plus corsé.
C'est, on le voit, l'équivalent de l' « ausbruch ».
Privés, pendant le premier Empire, de toute communication avec
la France où se consommait presque exclusivement leur Malvoisie,
les Madérans ont arrraché en partie les vignes qui le produisaient.
Aussi est-il devenu r«^re; en France il n'est plus guère connu,
même de nom.
Par contre, son congénère sec y jouit d'une immense noto-
riété... nominale, car, il n'y est guère représenté^ comme le
Tokay, que par des sosies fort peu ressemblants. Voici son signa-
lement d'après nature, par un expert émérite qui avait eu l'invrai-
semblable bonne fortune d'en goûter de vrai :
« Fait avec le Sercial sans mélange d'autre raisin, jeune, il est
vert et âpre, mais après plusieurs années de garde (3), il a un
goût de noisette fort agréable, un peu d'amertume et beaucoup de
corps. Riche en spiritueux, en parfum et en sève, il réunit toutes
les qualités qui caractérisent un vin parfait de cette espèce. Il est
beaucoup plus sec que nos vins blancs de Bourgogne, mais il n'a
pas le piquant des vins du Rhin. Sa couleur est ambrée, mais
beaucoup moins que celle du Marsala. » Le lecteur peut juger
si cette ambroisie a rien de commun avec cette teinture de pru-
neaux, de coquilles d'amandes rôties et de girofle qu'on nous sert
couramment sous son nom profané et qui exigerait elle aussi des
«gosiers de salamandre » (4). — « La récolte de ce vin de première
(1) Le plant lui-môme a reçu son nom du vignoble de Maivasia (Morée) d'où
on l'a répandu un peu partout.
(2) Il doit être gardé huit ou dix ans en tonneaux, et n'acquiert son maximum
de qualité qu'après un nouveau séjour de vingt-cinq à trente ans dans les bou-
teilles.
(3) Julien, loc, dt,^ p. 495.
(4) Voici, selon Castellet (ViticuUina y Enologia Espaûvlas,p* 303 et 304), la
Digitized by
Google
J
270 HISTOIRE DE LA VIGNE
qualité, » ajoute Julien, « n'excède pas 40 ou 50 pipes chaque
année (1), » c'est-à-dire pas même peut-être ce qui se consomme
de sa caricature en un mois dans nos caboulots de barrière (2).
Il est vrai qu'indépendamment de cette fine fleur de nectar, on
fabrique avec tous les cépages réunis, mais plus particulièrement
avec le Vidogne, un vin moins empyréen, mais encore très corsé,
très chaleureux et très suave, et tout aussi éloigné que son « supé-
rieur » des toxiques accrédités de nos restaurants. Du reste, même
de celui-là, la fabrication est fort limitée. H y a une vingtaine
d'années, les Madérans avaient arraché la plupart de leurs vignes
pour leur substituer de la canne à sucre, dont la culture leur
paraissait plus avantageuse (3). Il y aune dizaine d'années, d'après
les témoignages indigènes qu'il nous a été donné de recueillir
au Muséum, ces vignes n'avaient point été replantées. Nous igno-
rons si elles l'ont été depuis.
Quoiqu'il en soit, la fabrication des «Madères secs» est la même
que celle des Malvoisies, à cette diff'érence près qu'on n'égrappe
pas après la première pressée.
Nous avons vu que le Madère exige, pour devenir tout à fait
adulte, une incubation, soit en fûts, soit en bouteilles, de près d'un
demi-siècle.. Mais, il existe des procédés pour hâter ou pour
simuler sa vieillesse, des procédés qui rappellent ceux des anciens
à propos des vins de Marseille. On le fait séjourner dans des
étuves maintenues à un haut degré de chaleur, ou bien on
eafouit les bouteilles solidement bouchées et enveloppées d'une
formule du Madère artificiel, cuisiné en Espagne, à destination de la France :
Vin sec de raisin blanc i heclolilre
Alcool à 90<» 4 litres
Alcoolat de coquilles d'amandes amères 1 once.
Abandonner deux ans à Tair sans fût verni... Nos fabricants, qui sont des
u malins », doivent avoir trouvé, pour la préparation de leurs poisons, des
procédés plus expédilifs.
(1) Julien, loc, cit., p. 495.
(2) En 1872, on a importé de Madère en France iO hectolitres; 11 en 1874;
4 en 1873 : jusqu'à 1881, il est bien rare que l'importation ait dépassé
100 hectolitres. Dans ces trois dernières années, la moyenne s'est, subitement,
élevée à 1712 hectolitres, mais, il est problableque l'excédent a porté, non sur
le « Madère » proprement dit, dans son sens épulaire, mais, sur de gros vins
rouges de l'île, des vins de coupage, analogues aux 3, ou 400,000 hectolitres
de vins portugais continentaux que nous avons consommés sans le savoir. En
Angleterre, la moyenne de l'importation de Madère se maintient à peu près
invariablement entre 5, 6, et 7,000 hectolitres. (Renseignements communiqués
par la Secçào de Estatstica do conselho gérai dos alfandegas.)
(3) De 1863 à 1871, l'exportation totale a été très faible (3 à 4000 hectolitres
en moyenne. Elle s'est élevée, dans les sept dernières années, à une moyenne
de 12,000 hectolitres. (Renseignement fourni par la Secçào de Estalistica),
Digitized by
Google
LA VIGNE SELON L'HISTOIRE 271
vessie dans du fumier de cheval, où on les laisse séjourner six
mois ou un an (1); ou bien encore, comme pour les Bordeaux, on
leur fait faire le voyage des Grandes Indes. Dans ce dernier cas
on appelle le vin à son retour vinho de roda. Mais, tous ces procédés
ne simulent qu'imparfaitement le vin vieilli sans artifice. « Lors-
qu'il a été conservée pendant 30 ou 40 ans, il forme une croûte
très épaisse contre les parois des bouteilles ; il est doux et limpide
comme de Teau, son parfum est si pénétrant quand on débouche
les bouteilles que les personnes à nerfs délicats en sont parfois
incommodées. On en rencontre rarement d'aussi vieux, et il se
vend 24 francs la bouteille, pris à Madère (2). » En tous cas, ceux
qu'on nous sert ici ne risquent guère de nous occasionner de
pareilles syncopes.
Le canton de la Fago de Pereira est le véritable bon coin, le
Médoc du vignoble madéran. C'est de là qu'on tire les meilleurs
Malvoisies, les Madères secs de Sercial et de Vidogne et le Tinta
rouge. En seconde ligne viennent les vignobles de Calheta,
Arco da Calheta, Pont a do Sol, Ribeira-Brava, Cama de Lobos,
Estreto de Cama de Lobos, Santo Mariinho et Santo Antonio.
Volcaniques comme Madère et comme les Canaries, les Açores
sont, comme ces dernières, si on peut s'exprimer ainsi, de véritables
mines à vin, et à très bon vin. L'île du Pic, qui a les meilleures
crus, en fournit à elle seule, annuellement, de 100 à ISO, 000 hec-
tolitres; Terceire davantage encore.
A El Pico, il y a deux crus qui rappellent les deux variétés de
Madère, le vinho pasado, qui est un Malvoisie, et le vinho seco.
L'Angleterre et la Hollande d'une part, les États-Unis et le Brésil
de l'autre, sont les meilleurs clients des Açores (3).
(i) Voir plus haut, p. 109, les procédés vinaires usités au Maroc.
(2) Julien, /oc. ci/., p. 497.
(3) Julien, loc, cit., p. ^9S'9. Bulletin de la Société dAcclimatation, 1867, 2« série,
l. IV, p. 693.
Digitized by
Google
CHAPITRE n
AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
Dans le chapitre précédent, nous avons parlé de la vigne
comme si ses organes, ses espèces, ses variétés, sa culture et ses
produits étaient familiers à tous nos lecteurs.
Pour démontrer qu'elle était un vieil habitant de TEurope, plus
vieux que Thomme lui-même, et que partout oh les conditions
climatériques lui avaient permis de se présenter à lui dès sou
apparition, il avait dû la trouver à peu près telle qu elle est aujour-
d'hui, nous avons dû rassembler une foule de documents. En
les résumant, nous avons employé des termes, des locutions,
qu'il nous a fallu supposer connus, dans l'impossibilité de les
expliquer au fur et à mesure, et surtout dans l'intention d'abréger
autant que possible un chapitre sans importance immédiate au
point de vue pratique. Mais, par cela même que nous avons pour
objectif de produire un livre utile aux viticulteurs, et intéressant
même pour ceux que la question vinicole n'atteint pas dans
leurs intérêts, nous ne pouvons nous dispenser de revenir sur ce
que nous avons préjugé connu, et, de reprendre la vigne ab ovo,
pour la suivre dans son développement, ses affinités et ses
variations.
Autrefois, alors que la vigne couvrait la majeure partie des
régions tempérées de l'Europe, alors que nul ennemi ne la
menaçait, ou qu'aussitôt attaquée, elle était défendue avec
succès par ses heureux possesseurs, nul besoin ne se faisait
sentir de la comparer aux vignes exotiques, et de mettre tous les
Vitis en parallèle avec \q9 Ampélopsis et les Cissus dont on aurait pu
résumer tous les caractères alors essentiels en cette définition :/rmV5
non comestibles. Mais, aujourd'hui qu'un ennemi implacable menace
de faire disparaître la seule espèce que nos ancêtres nous aient
Digitized by
Google
FAMILLE DBS AMPÉLIDÉES 273
léguée, l'étude comparée de ces genres infâmes doit être sérieu-
sement abordée (1) et la famille des Ampélidées ne peut plus être
considérée comme ne renfermant que la vigne d^Europe, ainsi
que pendant longtemps on aurait pu l'enseigner, sans crainte de
porter un sérieux pi^éjudice à la viticulture.
FAMUXE DES AMPÉLIDÉES.
Les Ampélidées appartiennent à la grande classe des plantes
dicotylédones. D'abord appelées FtVe^par A.-L. de Jussieu(2), elles
reçurent plus tard, de ce même botaniste la qualification de Ftm-
/?rcs. Ventenat (3) en fit les SarmentacéeSy par allusion à leurs
tiges ordinairement sarmenteuses, et, ce fut Kunth (4) qui, du
mot grec Ampelos (vigne), tira leur dénomination actuelle à! Am-
pélidées.
Les plantes de cette famille sont des arbrisseaux à tiges sar-
menteuses et grimpantes; elles ne brillent guère par leurs
fleurs, mais leur végétation vigoureuse, leur feuillage ou leurs
fruits les rendent souvent pittoresques. Leurs tiges se cram-
ponnent aux tiges qui les avoisinent, recouvrent de nombreux
sarments les cimes des arbres les plus élevés ; et beaucoup des
lianes qui rendent les forêts vierges des régions intertropicales,
impénétrables aux voyageurs, appartiennent à la famille des
Ampélidées. Les feuilles pétiolées, composées ou simples, mais
alors ordiniûrement lobées, affectent des positions différentes,
suivant la hauteur qu'elles occupent sur la tige; toujours sti-
pulées, elles sont opposées entre elles dans le bas, tandis que plus
haut elles sont opposées aux inflorescences qui avortent souvent
et se changent en vrilles.
(1) M. le Professeur J.-E. Planchon étudie depuis plusieurs amiées cette
importante question, et sous peu, a-t-il bien voulu nous dire, il publiera une
étude botanique complète de la famille des Ampélidées.
(2) À.-L. de Jussieu, Gênera plantcarumy ordo XII, p. 267. Parisiis apud viduam
Hérissant, 1789.
(3) E. P. Ventenat, Tableau du règne végétal, t. III, p. 166. Paris, impressit
J. Poisounier, an VIL
(4) G. S. Kunth, in Humboldt, Nova gênera et species plantarum, t. V, p. 223*
Lutetix Parisiorumy aptid N. Maze, 1821.
HISTOIRE DE LA VIGNE — I. ' i8
Digitized by
Google
274 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
Les fleurs, hermaphrodites, dioïques, ou polygames par avorte-
ment, sont régulières, petites, verdâtres ; leurs inflorescences sont
connues vulgairement sous le nom de grappes, mais le plus
souvent elles ne répondent pas à la définition botanique de ce
nom ; ce sont des thyrses, ou fréquemment dés cymes.
Le calice, non adhérent, est très court, à 4 ou 5 dents peu
marquées.
Le disque, le plus souvent peu apparent, est hypogyne, annu-
laire, lobé sur son contour.
La corolle est formée de 4 ou S pétales valvaires insérés au
bord extérieur du disque, caducs, sessiles, libres par leur base,
souvent cohérents ou infléchis au sommet.
Les étamines, au nombre de 4 ou 5 opposées aux pétales, ont
leurs filets libres ou légèrement monadelphes par la base, et
leurs anthères ovales, incombantes, mobiles, biloculaires ont
une déhiscence longitudinale introrse.
Le pistil se compose d'un ovaire subglobuleux, appliqué sur le
disque, à 4, ou le plus souvent à 2 loges, qui contiennent chacune
deux ovules dressés, anatropes ; le style est simple, très court
ou nul, et terminé par un stigmate en tète.
Le fruit est une baie succulente, ordinairement uniloculaire
par avortement.
Les graines, en nombre très variable, quelquefois 4, quelquefois
3, quelquefois 1, le plus souvent 2, sont dressées et renferment
un embryon droit, 2 fois plus court que le périsperme. Elles
sont couvertes d'un épiderme membraneux, d'un testa osseux,
et, à l'intérieur, d'un troisième tégument rugueux ; de plus,
extérieurement, elles présentent des caractères très utiles pour la
classification.
Les affinités de cette famille sont assez obscures (1). Les
Ampélidées se rapprochent des Araliacées, et surtout du genre
Lierre, par la tige grimpante, les feuilles palmatilobées, les pétales
à préfloraison valvaire, les anthères dorsifixes, incombantes, le
fruit baccien et l'embryon petit à albumen souvent ruminé; mais
la difl'érence de disposition des étamines, qui chez les Araliacés
alternent avec les pétales, l'inversion de l'ovule suffisent pour les
séparer. Aux Ampélidées se rattachent aussi les Rhamnées, par
la tige ligneuse, souvent grimpante au moyen de vrilles, par les
feuilles alternes ou opposées et stipulées, la préfloraison val-
vaire, l'isostémonie des pétales, et leur insertion sur un disque
(1) Lemaout et Decaisne, Traité génêfol de Botanique, p. 237.
Digitized by VjOOQIC
FAMILLE DES AMPÉLIDÉES 275
périgyne, par les étamines opposées aux pétales, Fovaire sou-
vent plongé dans le disque, à loges 1-2-ovulées et par les ovules
dressés; mais les feuilles penninervées, aussi bien que leur albumen
nul ou peu abondant les en différencient nettement.
La famille des Ampélidées a été divisée en deux tribus (1) :
I. Tribu des Sarmentacées ou Vinifères. — Caractères : Pétales
distincts à la base ; filets ordinairement libres ; ovaire à 2 loges bio-
vulées. — Plantes grimpantes, à pédoncules souvent changés en
vrilles. Genres : Cissus L. Pterisanthes Blum., Ampélopsis
Micb., VùisL.
n. Tribu des Léeacées. — Caractères : Pétales soudées à la base.
Tube staminal à 5 lobes stériles alternant avec les 5 filets anthé-
rifères (qui sont opposés aux divisions de la corolle), ovaire à
Sloges 1-ovulées. Pas de tiges sarmenteuses ni de vrilles. Genre:
Leea.
De ces cinq genres, trois seulement nous intéressent, ce sont,
nous l'avons déjà dit, les genres Cissus^ Ampélopsis et Vitis.
— Spach (2) en donne la description suivante :
Ctenre Cissus : Calice à 4 dents minimes. Pétales 4, libres,
réfléchis. Étamines 4, ovaire 4-loculaire. Baie 4-loculaire et
4-sperme, ou plus souvent 3-1-loculaire, 3-1-sperme.
Arbustes sarmenteux. Feuilles simples, ou diversement com-
posées, ou décomposées. Fleurs petites, vertes ou rouges, ou
roses.
Ce genre, nommé vulgairement Achity renferme plus de cent
espèces, dont la plupart appartiennent aux contrées intertropi-
cales. Aucune n'est indigène en Europe.
Genre Ampélopsis : Calice non denté, presque cupuliforme.
Pétales 5, caducs, libres, réfléchie. Étamines 5, ovaire non
enfoncé dans le disque, 2-4-ovulé. Style court. Stigmate capitellé.
Baie 2-4-sperme.
Feuilles simples ou diversement composées. Fleurs rougeâ-
tres, ou jaunâtres, ou verdàtres. Inflorescence en panicules dicho-
tomes, divariquées, cymeuses.Ce genre renferme neuf espèces.
Genre Vitis : Calice petit, 5-denté. Corolle calyptriforme,
caduque : pétales 5, cohérents au sommet. Étamines 5, ovaire
2-5-loculaire ovale-conique, aminci en un style très court. Stig-
mate capitellé, disque à S squamules. Baie par avortement 1-
loculaire, 1-5-sperme, graines piriformes.
Arbustes sarmenteux, cirrifères. Feuilles simples palmati-
(\) D'Orbigny, Diclionnaire d'histoire naturelle, 1. 1, p. 371.
(2) Suite à siijfon. Histoire naturelle des végétaux, t. III, p. 208.
Digitized by
Google
276 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
nervées, plus ou moins lobées. Inflorescence thyrsiforme, ou en
ombelle, ou en corymbe. Fleurs petites, verdâtres, odorantes,
dioïques ou polygames-dioïques.
Outre les innombrables variétés de la vigne cultivée, ce genre
renferme une trentaine d'espèces réparties entre les zones tem-
pérées et équatoriales des deux continents, et qui, en général,
produisent aussi de bons fruits. Ce genre peut être subdivisé en
2 grands groupes : 1^ espèces à fleurs hermaphrodites ou poly-
games-dioïques ; 2® espèces à fleurs dioïques par avortement.
Tel était l'état de la question il y a quelques années, quand la
découverte des vignes du Soudan par Lécard (1), suivie bientôt
de la description d'autres vignes tuberculeuses, éveilla Tatten-
tion du monde savant et des viticulteurs.
L'éminent botaniste J.-Ë. Planchon les étudia d'une façon toute
spéciale, et ses recherches l'amenèrent à proposer la création d'un
nouveau genre ou plutôt d'un nouveau sous-genre, les Ampélo-
Cissus.
Sous-genre Ampélo-Cissus (2). « ... Le caractère commun
des Ampélidées de feu Lécard, c'est de tenir une place à beaucoup
d'égards intermédiaire entre les Gissus à quatre pétales étalés
en croix, les Ampélopsis à cinq pétales ouverts en étoile, et
les Vitis par excellence, dont la corolle pentamère se détache
tout d'une pièce sous forme de capuchon.
« Le nombre des pétales y est variable, cinq chez les Vitis
Durandii^ Chantinii et Hardyij quatre chez les fleurs du Vitis
Lecardii que j'ai pu examiner. Mais ce nombre de pétales
pourrait bien difl'érer dans la même espèce, et la cohérence
par le sommet des mêmes organes s y présente çà et là comme
caractère accidentel.
« Les graines de toutes les espèces ont des traits qui les
distinguent nettement de celles des vrais Yitis. Elles sont
grosses, aplaties avec une carène saillante portant la partie
verticale du raphé ; ce dernier se prolonge sur le dos de la graine
en une dépression chalazique allongée en spatule et non pas
arrondie comme celle des vignes proprement dites. Les bords
de ces graines portent des sillons transversaux séparés Fun de
l'autre par des tubercules irréguliers. Des caractères analogues
sont attribués par M. Lawson (in Bookeri Flora of British
India, I, p. 632), au Vitis latifolia Roxb., c'est-à-dire à l'une
{\) 3 juin 1880, in Revue Horticole ^ 1881.
(2) Planchon, journal,' to Vigne américaine , inin 1881, p. 173.
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DU VITIS VÎNIFERA 277
des Âmpélldées qui semblent se rapprocher le plus des espèces
de Lécard.
«Si ce n'était chose un peu prématurée de donner à ces
vignes du Soudan et à leurs analogues de Tlnde un nom qui
les réunisse en sous-genre dans le grand genre Vitis, je pro-
poserais de les appeler Ampélo-Cissus. Avec le facîes et les
feuilles des vignes d'Europe, elles ont un mode d'inflorescence
qui tient du thyrse et de la cyme; les fleurs y sont comme fasci-
culées aux extrémités des divisions de Tinflorescence, qui sou-
vent, plusieurs fois bifurquée, passe à la cyme des vrais Cissus. »
Le genre Cissus, avons-nous dit, renferme une centaine
d'espèces, et le genre Ampélopsis une dizaine. On connaît dans
le genre Vitis une vingtaine d'espèces, indigènes dans l'ancien
continent et environ une quinzaine (1) dioïques ou polygames
habitant le nouveau monde. Énumérer simplement toutes ces
espèces serait fastidieux, les décrire serait trop long: nous
nous en tiendrons donc aux seules espèces du genre VitiSy nous
réservant toutefois de comparer éventuellement les diverses es-
pèces non décrites, avec celles sur lesquelles nous croyons devoir
insister, à propos notamment de l'étude toute spéciale de l'espèce
type Vitis vinifera.
II
HISTOIRE BOTANIQUE DU VFHS VINIFERA.
Toute graine de dicotylédone placée dans des conditions aptes
à la faire germer, ne tarde pas à développer la plante qu'elle ren-
fermait en miniature, et dans laquelle on constate de prime abord
l'existence de trois parties fort distinctes :1* un axe s'enfonçant dans
le sol (racine); 2** une continuation de cet axe s'élevant hors du
sol (tige) et portant un minuscule bouquet de feuilles ; 3"* deux
expansions insérées en face l'une de l'autre, mais placées plus ou
moins haut sur la tigelle (cotylédons). La vigne nous montrera
donc, si nous la reproduisons par semis, une radicule, une tige
feuillée et deux cotylédons.
Racine. — A peine sortie de la graine, la racine de la vigne
prend un merveilleux développement; aussi, sa longueur dépasse-
t-elle de beaucoup celle de la jeune tige. Alors que celle-ci me-
(I) De Candolle, Frodromef vol. I, p. 627.
Digitized by VjOOQIC
J
278 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
sure 2 centimètres, celle-là en a déjà 10 ou 12. D'homogènes qu'ils
étaientprimitivement dans leur structure, ses tissus commencent à
se différencier; un épiderme léger et tendre, composé de cellules
allongées et à parois d'autant plus ténues qu'elles sont plus voisines
de l'extrémité, porte des poils radicaux, et ces derniers de forme
ordinaire sont mous et de faible consistance (1).
Cet épiderme E,(fig,22)ne se rencontre que dans les très jeunes
racines ou radicelles; sa présence indique les points par lesquels se
fait l'absorption. Sa durée est courte, et il est remplacé de bonne
heure par l'assise sous-jacente s'organisant en une membrane
Fig. 22. — Raciiie de la vigne à Tâge primaire. E, épiderme ; Me, membrane êpi-
dermoldale ; P*, parenchyme cortical primaire; r, raphides ; En, endoderme ;
Pc, péricycle ou péricambium ; BS bois primaire ; L* liber primaire ; M,
moelle.
cylindroïde, de nature subéreuse, à laquelle on a donné le nom
de membrane épidermoïdale Me, ou d assise subéreuse.
Uniquement cellulaire et de con texture homogène, semé de
quelques groupes de raphides, le parenchyme cortical P*, occupe
une épaisseur considérable. U est séparé du corps central par sa
couche la plus interne qui se distingue aisément des éléments
plus profonds. Les cellules de cette dernière assise forment En,
un cercle parfait ; chacune d'elles, sur ses parois radiales,
porte un cadre de plissement, sorte d'engrenage, qui donne une
grande résistance à cette membrane, et ce plissement, sur une
coupe transversale, se projette en un petit point noir. Elle con-
stitue une sorte d'épiderme interne, d'où lui est venu le nom
à' endoderme. On l'a appelée aussi gaine protectrice.
(1) Otto Penzig, Anatomia e morphologia délia vite {Vitis vinifera). Milauo,
1881, p. 6.
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DU VITIS VINIFERA 279
Le cylindre central, qui commence au-dessous de l'endoderme,
débute par une ou plusieurs assises de cellules Pe, alternes avec
celles de la zone protectrice ; leur ensemble constitue la couche
rhizoffène ou péricycle, ou péricambium. Plus intérieurement et
appliqués contre ce péricambium, se présentent en alternance
et disposés comme les heures sur un cadran d'horloge :
1® Deux, trois ou cinq, quelquefois huit faisceaux B*, entièrement
yasculaires, cunéiformes, à pointe tournée vers l'extérieur, qui
tantôt s'unissent au centre formant une sorte d'étoile, tantôt
laissent une moelle fort exiguë ;
2"^ Un nombre égal de faisceaux libériens Ls constitués surtout
par des vaisseaux grillagés ;
3"" Du tissu cellulaire dans lequel sont immergés les éléments
F!g. 23. — Début de la période secouduire. Desquamation du parenchyme cortical
primaire. L*, liber seeondaire; Bs, bois secondaire ; c, cambium ; Rm, rayons mé-
daUaires, (les autres lettres comme flg. 22).
libériens et ligneux, tissu qui forme la moelle M, quand elle existe.
Les radicelles prennent toujours naissance dans la couche
rhizogène en face des faisceaux ligneux primaires, et l'anatomie
indique d'une façon précise le nombre de rangées de radicelles
que portera la racme mise en expérience. Il y en aura autant que
de faisceaux ligneux.
Plus tard la lignification se produit: il se développe d'abord,
(fig. 23), à la face interne des faisceaux libériens primaires, une zone
génératrice c (fig. 23), qui s'avance vers les faisceaux ligneux et les
contourne extérieurement pour former un cercle continu, puis ce
Digitized by
Google
280 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
cambium donne naissance à du bois secondaire B* vers rinlérieur, à
du liber secondaire L*, vers Texlérieur et çàet là, surtout en face
des faisceaux ligneux primaires, à des rayons médullaires.
La racine ayant ainsi augmenté de volume et le parenchyme
cortical primaire ne se prêtant pas à l'accroissement, ce dernier
devrait fatalement se déchirer, se rompre, si de nouvelles modifi-
cations n'entraînaient sa chute complète. A cet effet, en même
temps que le bois secondaire et le liber secondaire prennent
Fig. 24. —Racine de la vigne après la desquamation. S, saber; Pe, péricambium ;
P>, parenchyme cortical secondaire ; r, raphides ; L^, liber primaire; L^, liber
secondaire ; c, cambium; B^ bois primaire ; B'ybois secondaire ; M, mœlle ;Rm,
rayons médullaires.
naissance, le péricambium Pe, subit des transformations impor-
tantes. Il produit en se cloisonnant tangentiellement : 1"* vers l'in-
térieur un parenchyme corticul secondaire P*, assez puissant, et,
2**, vers l'extérieur, une lame subéreuse qui amène la desquama-
tion de toutce quiest au-dessus d'elle, de sorte que l'écorce primitive
tout entière étant frappée de mort et exfoliée, le suber S, devient
désormais la partie extérieure de la nouvelle écorce (fig. 24).
« Dans cette transformation, » dit Cornu (1), « la radicelle
subit une modification profonde, puisque plus de la moitié de ses
tissus se trouvent frappés de mort. C'est donc à un haut degré
(1) Maxime Cornu, p. 97. Étude sur le phylloxéra vastaMx.
Digitized by
Google
fflSTOIRE BOTANIQUE DU VÏTÏS VINIFERA 281
un inslant critique dans son existence; on conçoit que le moindre
trouble apporté dans la structure de la radicelle rendra pé-
rilleuse pour Forgane cette transformation si compliquée de
ses tissus.
« L'organisation générale de la radicelle est désormais chan-
gée ; » nous sommes arrivés à la racine ((ig.24). « On sait (1) que les
racines de la vigne présentent la constitution suivante : au centre
se trouve une moelle plus ou moins volumineuse ; autour d'elle,
un cylindre de tissu ligneux; le bois y est formé de fibres et
de larges vaisseaux, il est parcouru par des rayons médullaires,
de longueurs diverses.
« A la périphérie, Técorce forme un cylindre concentrique ; pro-
tégée à l'extérieur par la couche subéreuse, elle présente à sa
partie interne la zone génératrice, qui produit d'un côté les
éléments ligneux et de l'autre les éléments corticaux. Les rayons
médullaires du bois et de l'écorce se correspondent exactement ».
Les mêmes modifications anatomiques, sont communes à
la racine principale de la vigne et à ses ramifications, et sur
une seule racine ou sur une seule radicelle, on peut, suivant
que le point examiné est plus ou moins voisin de l'extrémité,
observer tousles degrés delà lignification. Quand celle-ci est com-
plète, le bois de la racine a beaucoup d'analogie, pour ne pas
dire de similitude, avec celui de la tige. Mais, toutes les racines
des diverses espèces de Yitis ont-elles la même structure, la même
composition ? A cette question, d'un intérêt tout nouveau, Foëx
n'hésite pas à répondre nettement non (2).
« Les effets différents produits par le phylloxéra sur les racines
de divers cépages américains et indigènes, pourraient
peut-être être expliqués, » dit-il, « par la plus grande épaisseur de
la couche subéreuse et par la structure des rayons médullaires,
qui sont larges et remplis d'un tissu lâche et transparent dans
les racines des vignes indigènes, tandis qu'ils sont très étroits et
formés par un tissu serré opaque dans les variétés améri-
caines, » et par « un développement proportionnellement
très grand du système vasculaire des diverses espèces de cette
origine. »
« J'avais cru, en outre, » dit encore Foëx, dans une seconde
note, « à la suite de nombreuses observations micrographiques,
pouvoir attribuer ces différences à un état de lignification plus
(1) Maxime Cornu, /oc. cit., p. 94.
(2) Foëx, Effets produits par le phylloxéra sur les racines de divers cépages
américains et indigènes (Comptes rendus Acad. des Sciences).
Digitized by
Google
Poidf
Cendre»
Poids des cendres 0/0
incinéré.
obtenues..
. 10
. 388
3 88
. 10
374
3 74
. 5
177
3 54
. 5
155
3 10
. 10
284
2 84
. 10
271
2 70
. 5
119
2 38
282 AMPÉLOGRàPHIB GÉNÉRALE
parfait des racines des vignes américaines ; des expériences que
j'ai exécutées depuis me paraissent confirmer cette opinion. Me
basant en premier lieu sur le fait que les tissus végétaux ren-
ferment d'autant moins de matières minérales qu'ils sont dans
un état de lignification plus ayancé, j'ai choisi un moyen de
contrôle dans l'incinération. Les racines soumises à l'expérience
ont été prises dans les pépinières de l'École d'agriculture de
Montpellier, c'est-à-dire dans le même sol, sur des couches de
même âge et choisies parmi celles de même diamètre etde même
aspect extérieur; elles ont produit les quantités de cendre
suivantes :
Grenache (V. vinifera).
Grenache (V. vinifera).
Grenache (V. vinifera).
Goncord (V. labnisca) .
Alvey (V. œstivalis). .
Herbemont (V. sestivalis)
Taylor (V. cordifolia) .
c< Ainsi qu'il est facile de s'en assurer par l'examen de ces
résultats^ les racines du Grenache et du Goncord ont donné des
nombres sensiblement plus élevés que celles des autres cépages se
rattachant aux groupes iËstivalis et Gordifolia, ce qui semblerait
indiquer chez eux un état de lignification moins parfait.
« M'appuyant enfin sur les remarquables travaux de M. Frémy
sur la constitution des tissus végétaux, j'ai trouvé une nouvelle
base de démonstration dans la recherche de ces corps épi-
angiotiques dont le savant chimiste a révélé la présence dans
les tissus lignifiés, et qui en sont comme caractéristiques.
• « Lorsqu'on soumet, » dit-il, «les cellules des rayons médullaires
à l'action de l'acide sulfurique concentré, on reconnaît qu'une
partie du tissu se dissout immédiatement dans le réactif à la
manière des substances cellulosiques, tandis qu'il reste une
membrane conservant exactement l'aspect du premier tissu or-
ganique, qui est insoluble dans le réactif employé et qui, sous
son influence, prend une coloration brune. On a donné le nom de
corps épiangiotiqtics à cette partie des rayons médullaires qui ne
se dissout pas dans l'acide sulfurique concentré.
« Des sections de racines de Jacquez, de Rulander, de Black
July, d'Herbemont, de Mustang, et du \itis Solonis, d'une
part, puis de Grenache et d'Aramon, d'autre part, ont été
traitées sous le microscope par l'acide sulfurique concentré. Sous
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DU VITIS VINIFER\ 283
son influence, les rayons médullaires des racines des vignes
mentionnées en premier lieu ont pris promptement une teinte
brune et sont demeurés relativement opaques; la matière qui
constitucdt les rayons des autres s'est, au contraire, promptement
dissoute sans coloration et en ne conservant même pas trace
d organisation dans la partie médiane des rayons; les bords
seuls ont légèrement bruni.
c< Soumis au contraire à Faction de Tacide azotique, qui jouit de
la propriété de dissoudre les corps épiangiotiques, les rayons
médullaires de toutes les variétés expérimentées sont devenus
aussi également transparents que les densités variées de leurs
tissus le permettaient; tous offraient, du moins sensiblement, la
même teinte. H semble donc légitime de conclure de ce qui
précède que les rayons médullaires du Grenache et de TAramon
possèdent fort peu de ces corps épiangiotiques que Ton rencontre
seulement dans les tissus ligneux, et que, par suite, ils sont
moins bien lignifiés que ceux des cépages précédents.
c< Ce &it, en confirmant les faits de mes observations micro-
graphiques, pourrait ajouter quelque poids à Thypothèse que
j'avais précédemment formulée, que l'état de lignification plus
parfait de certains cépages américains paraît être l'une des
causes de la résistance relative qu'ils opposent aux attaques
du Phylloxéra. »
Tige. — Comme la racine, la tige, uniquement cellulaire dans
l'embryon, ne tarde pas, sitôt son élongation commencée, à diffé-
rencier ses tissus, et à se montrer composée d'un épiderme cuticu-
larisé muni de stomates, entourant une écorce mince, laquelle, à
son tour, enveloppe un large cylindre central. L'existence d'un épi-
derme cuticularisé et les proportions inverses de l'écorce et du
cylindre central distinguent déjà la tige de la racine.
L'épiderme, sur lequel on observe des stomates clairsemés, est
constitué par des cellules courtes, polygonales et oblongues, dis-
posées en rangées longitudinales.
L'écorce est un parenchyme formé de 3 ou 4 rangées de cellules
dont l'assise interne, sans être aussi distincte que la zone protec-
Irice ou endoderme, son analogue dans la racine, n'en offre pas
moins tous les mêmes caractères.
Le cylindre central commence par une assise de cellules
alternes avec celles de l'endoderme; c'est l'assise périphérique
de ce cylindre ou péricycle. Contre cette assise sont adossés
4 faisceaux fibrovasculaires, à section ovale, disposés l'un en
face de l'autre en forme de croix, séparés latéralement par un
Digitized by
Google
284 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
parenchyme qui remplit aussi toute la région centrale et dont
l'assise périphérique n'est, en somme, que la rangée la plus ex-
terne. La région centrale de ce parenchyme, limitée en dehors
par la circonférence tangente aux bords internes des faisceaux et
où les cellules sont plus larges, est la moelle.
Dans une tige plus âgée, la structure, plus compliquée, est fort
instructive au point de vue de la comparaison entre les divers
genres et les diverses espèces et décèle la raison de certaines in-
compatibilités mal expliquées jusqu'ici (1), concernant le greffage
des Vitis vint fera sur les Cissus, sur les Ampélopsis, et même sur
certains Vitis. Qu'il nous soit donc permis d'insister d'une façon
toute particulière sur ce parallèle.
Chez les Cissus (fig. 27), et les Ampélopsis (fig, 30), on voit, au-
dessous de l'épiderme, une couche continue de coUenchyme coly qui
chez les Vitis est souvent discontinue ; puis, vient le parenchyme
herbacé plus ou moins développé, riche en cristaux d'oxalate de
chaux. Certains auteurs ont cru que ces cristaux manquaient dans les
vignes ; en réalité ils y existent, et abondamment, mais localisés dans
des cellules spéciales plus grandes que les voisines. Les cristaux
d'oxalate de chaux se présentent dans les vignes sous trois aspects
différents : 1"^ aiguilles isolées ou réunies en faisceaux (raphides) ;
2* groupes étoiles {mâcles radiées) ; 3** cristaux isolés. Chacune de
ces formes correspond à des régions et à des points spéciaux.
Les raphide${ûg. 26), d'après OttoPenzig(2), sont dispersées dans
les cellules du parenchyme cortical, des rayons médullaires et de la
moelle elle-même, ou bien elles sont réunies en faisceaux dans
des cellules plus grandes des tissus sus-mentionnés. Au contraire,
(1) « Étant admise la résistance de certains cépages américains à l'action
destructive du phylloxéra, étant reconnue la faiblesse qu'offrent à cet égard nos
cépages indigènes, on a songé naturellement à faire des vignes résistantes
les nourrices des vignes non résistantes, en insérant sur le système radiculaire
des premières le système aérien, végétatif et fructifère des secondes. Avant même
de songer à cet égard aux vignes américaines, l'attention de quelques cher-
cheurs (de M. Gaston Bazille, par exemple), s'était portée sur une des plantes
de la famille des vignes : la vigne vierge ou Ampélopsis kederacxay que l'on
supposait devoir échapper plus ou moins au phylloxéra, et pouvoir porter des
greffes de vignes d'Europe : ces deux points ne sont encore nettement établis
ni pour la vigne vierge ordinaire (d'Amérique), ni pour une autre vigne
vierge du Japon , Y Ampélopsis tricuspidata , Sieb. et Zncc. {Ampélopsis
Veitchii des jardins), que mon ami M. Eug. Mazel d'Anduze a soumise à des
essais de greffage par nos vignes cultivées. Les essais faits par G. Briant,
jardinier en chef de TÉcole normale de Cluny, du greffage du Scuppemong sur
la vigne vierge commune, n'ont pas donné de résultats décisifs : les greffes,
après une apparente réussite, ont fini par se dessécher. » (Planchon, les Vignes
ûméricaineSf 1875. Montpellier, G. Goulet, éditeur, p. 220.)
(2) Otto Penzig, loc. cit., p. 14.
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DU VITIS VINIFERA 285
les cristaux isolés affectent la forme d'enveloppe de lettre et sont
particulières à cette seule zone de tissu parenchymateux où les
rayons médullaires se réunissent au tissu cortical dans le voisi-
nage des couches extérieures du liber pr (fig. 26) ; enfin, les
Jrlg. 25. — Vigne jeune (première année). Vue d'ensemble. B*, bois primaire ; B*,
bois secondaire ; M, moelle (les autres lettres comme ci-dessous).
groupes étoiles m^ se présentent sous un aspect spécial, et
occupent de longues séries de très petites cellules cubiques qui se
trouvent dans le liber mou (fig. 26).
Les cristaux du parenchyme cortical de la vigne, cause de
Hg. 26. — Vigne jeune (première année). Anatomie de l'écorce. E, épiderme; p,
parenchyme cortical; Col, collenchyme ; r, raptiides; Fn, endoderme ; Pe, péri-
cycle; hg, liber grillagé; ,L^ fibres libériennes; c, cambium; m, màcles; Kni,
rayons médullaires ; pr, prismes rhomboldaux.
cette digression, sont donc des raphides r (fig. 26, 28 et 29). Ce
sont aussi des raphides dans TAmpelopsis r (fig. 30), mais dans
les Gissus ils semblent remplacés par des mâcles octaédriques
m (fig. 27).
L'endoderme En, qui limite le parenchyme cortical, est plus
caractérisé en face des faisceaux que dans les autres points : il
contient souvent de Tamidon.
Le cylindre central est large, et présente à la périphérie un très
Digitized by
Google
286 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
grand nombre de faisceaux lîbéro-ligneux fort rapprochés, séparés
par des rayons médullaires de plusieurs rangées de cellules. Ces
rayons médullaires ne semblent jamais se combler par des élé-
ments libéro-ligneux secondaires, et, dans les Vitis, les cellules de
ces rayons qui bordent les faisceaux libériens contiennent, ainsi
que nous l'avons dit plus haut, de gros cristaux d'oxalate de chaux
en prismes rhomboédriques pr (fig. 26 et 28).
Le cylindre central est limité extérieurement par le péricycle Pc
Fig. 27. — Écorce du Cissus Orientais, (Pour la signification des lettres, voir fig. 25
et fig. 26.)
(fig. 28, 26, 28 et 31), qui donne naissance à un massif fibreux en
face de chaque faisceau; il reste parencbymateux dans les espaces
intermédiaires et y est utilisé lors de la formation des racines
adventives.
Le liber La ime constitution variable suivant les genres; dans
les vignes il se compose de lames tangentielles de vaisseaux gril-
lagés L^, larges, alternant avec des lames de fibres aplaties L/
(fig.25,26, 28 et29); chaque année ilse forme deux assises de lames
Tarrèt grilla géesL^ et deuxlames défibres L/'(fig. 28 et 29). Pendant
Tarrèt de la végétation, ces vaisseaux grillagés se comblent par
un cal des plus évidents. Chez les Ampélopsis et les CissuSy le
péricycle existe, mais les fibres libériennes manquent complètement ;
le liber Lg est entièrement mou (fig. 27 et 30).
Dans les trois genres, le bois secondaire B* est formé en grande
partie de larges vaisseaux ponctués devenant parfois rayés scala-
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DU VITIS VINIFERA 287
riformes, qui dans les vignes âgées renferment des thylles, de
fibres et de quelques cellules parenchymateuses localisées surtout
autour des vaisseaux; avec Tàge on voit apparaître dans le liber et
le bois secondaire de nouveaux rayons médullaires Rm'.
Fig. 28. — Tige de Vitis vimfera (2«e année). Étude détaillée de l'écorce au moment
de la desquamation. E, épiderme ; P, parenchyme cortical ; Pe, péricycle ;S, suber;
Lgr, liber grillagé ; Lf, libeK. fibreux ; pr, prismes rhombotdaux ; Rm, rayons
médullaires.
Le bois primaire B* (fig. 25 et 31) présente des trachées en files
radiales plongées au milieu d'un parenchyme ligneux à parois
légèrement épaissies et proémine en dôme dans la moelle.
La moelle M est formée de grandes cellules à parois minces
Fig. 29. — Tige de Vitis Lahrusca (3»« année). Écorce après la desquamation. S»,
suber; Rm», rayons médullaires primaires ; Rm», rayons médullaires secondaires
(pour les autres lettres, voir fig. 28). (La vue d'ensemble de ces deux états est
représentée fig. 25, 31 et 32.)
légèrement ponctuées ; les cellules les plus extérieures contien-
nent de Tamidon comme aussi celles des rayons médullaires.
Dans les Ampélopsis les cellules de la moelle Csc (fig. 32), qui
bordent le bois primaire, plus petites que les autres, se sclérifient
et forment ainsi un anneau denté et résistant au pourtour de la
moelle. Les Cissusn'offrentpas cette particularité et se rapprochent
davantage en cela, des vignes dont la moelle présente çà et là des
raphides à la vérité peu nombreuses ; la moelle des Cissus présente
Digitized by
Google
288
AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉR/ILE
au contraire des màcles assez nombreuses et réunies en petits
massifs.
La production du suber (S) est différente selon les genres. Dans
les Cissus (fig. 27) et les Ampélopsis (fig. 30), le liège est sous-
épidermique. Dans les Vitis il se développe dans le péricycle à la
Fig. 30. — Tiges d'Ampélopsis hederacea. Csc, cellules scléreuses (pour les autre
lettres, voir fig. 25 et fig. 26).
face interne des faisceaux fibreux(fig. 28) S ; de sorte que le cylindre
cortical est permanent dans les Ampélopsis et les Cissus, tandis
qu'il est caduc la seconde année en même temps que le péricycle
chez les Vitis (1) (fig. 31).
Mais, chez les Vitis, la première assise pbellogèno n'est point
Fig. 31. —Tige de vigne (VUisvinifera) (2e année). — Vue d'ensemble dans laquelle
le parenchyme cortical et le péricycle tombent par suite du développement de la
couche subéreuse.
persistante, il se développe successivement dans le liber grillagé
des lames de liège S* de plus en plus profondes qui amènent Fex-
foliation du liber (fig. 29) ; aussi peut-on dire que la vigne exfolie
chaque année le liber de Tannée précédente en conservant cepen-
dant la dernière lame grillagée Lgr (fig. 29 et fig. 32).
{{) La persistance du péricycle chez les Cissus et les Ampélopsis peut
rendre compte du manque de ûbres dans le liber de ces végétaux.
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DU VITIS VINIFERX 289
Une espèce de Vitis, le vitis rotundifolia Mich., fait exception à
la règle. Nous avons vu dans le chapitre précédent, à propos de la
oigne aux temps géologiques^ que cette espèce, dont on pourrait, jus-
Rg. 32. — Tige de vigne (Vitis Labrmca) (3« année). — Vue d'ensemble dans
laquelle le parenchyme cortical et le péricycle ont disparu. Le liber de la seconde
année va tomber sous l'influence d'une seconde zone de suber S^ Rm^ rayons
médullaires primaires ; Rm', rayons médullaires secondaires (pour les autres
lettres, voir fig. 25 et fig. 26).
qu à un certain point, presque faire un genre ou tout au moins
un sous-genre, paraît avoir grandement devancé dans le temps
fl(U-fc__^— ..
Fig. 33. — Anatomie de l'écorce et du bois de la tige du Vitis rotundifolia Mich.
(mêmes lettres que fig. 25 et fig. 26).
toutes ses congénères et avoir été le premier terme du passage
entre les Cissus et les Yitis. Morphologiquement, aussi bien que
chronologiquement, elle a gardé des stigmates certains et précis de
cette origine. Elle ne s'exfolie pas, elle développe son suber dans le
parenchyme cortical et, aussi bien comme structure que comme
HISTOIRE Dl LA VIGNE. — - I. 19
Digitized by VjOOQIC
290 AMPÉL06RAPHIB GÉNÉRALE
mode de fructification, elle se rapproche plutôt des Cissus que des
vraies vignes. Marquant ainsi la transition entre le présent et le
passé, elle s'en distingue toutefois par le développement, comme
dans les Yitis, de fibres libériennes au voisinage des rayons mé-
dullaires; seulement chez le Vitis rotundifoliay ce développement
est radial et par conséquent parallèle aux rayons (fig. 33), tandis
que dans les « Euvites », il leur est perpendiculaire et leur sert
de trait d'union (L/fig. 28 et 29.)
Feuilles. — Sur la jeune tige, on trouve, avons-nous dit, unpetit
bouquet de feuilles et deux cotylédons. Ceux-ci tombent après
avoir pris un développement plus ou moins considérable suivant
les espèces, et comme, somme toute, leurs caractères anatomiques
sont absolument identiques à ceux des feuilles, ce que nous dirons
delà feuille ordinaire nous dispensera d'insister sur les cotylédons.
Notons cependant qu'ils sont glabres et que, s'ils contiennent une
faible quantité d'amidon, et peu de tannin, ils renferment par
contre beaucoup de raphides (1).
Les feuilles de la jeune tige sont petites relativement à celles
qui pousseront sur les rameaux. Comme celles-ci, elles sont
alternes ; mais la fraction qui correspond à leur disposition en spirale
diffère; disposées, en eflet, sur la jeune tige, selon une spire repré-
sentée par 2/3 ou 3/7, elles le seront sur les rameaux, sui-
vant deux lignes opposées et seront représentées par la frac-
tion i/2. Chacune de ces feuilles est pétiolée, munie d'un limbe
plus ou moins découpé, et, à la base du pétiole, on observe un
bourgeon et deux stipules épais, entiers, de forme ovale ou qua-
drangulaire à angles arrondis, qui, très développés, servent, dans
le jeune Age, d*enveloppe protectrice aux très jeunes feuilles du
bourgeon.
Normalement, les feuilles des Vitis doivent être quinquélobées.
Quelquefois ces lobes existent égaux ou inégaux, d'autres fois il n'y
en a que trois de visibles ; souvent les feuilles paraissent presque
entières, mais, même alors, les divisions du pétiole indiquent la dis-
position ci;dessus. Outre la nervure médiane, le pétiole donne tou-
jours en effet, partant de son point d'insertion avec le limbe, quatre
autres nervures divergentes. A la nervure médiane correspond le
premier lobe, aux deux immédiatement au-dessous se rattachent les
deuxlobes latéraux supérieurs, aux deux inférieurs les deux lobesde
la base. Les feuilles des Cissus et des Ampélopsis montrent aussi
cette quinquélobation ; dans quelques espèces de ces genres, les cinq
(1) Ollo Penzig, toc. d(., p. 20.
Digitized by VjOOQIC
HISTOIRE BOTANIQUE DU VITIS VINIFBRA 291
lobes sont remplacés par cinq folioles (1), el entre la feuille entière
de certains Vitis et de certains Cissus et la feuille composée de
quelques Cissus et de quelques Ampélopsis, il y a tous les inter-
médiaires possibles de découpures.
De la nervure médiane, la plus robuste entre toutes, partent
des nervures secondaires sous un angle d'environ i^"* ; des quatre
autres il en émerge aussi. Toutes ces ramifications, saillantes à la
face inférieure, déprimées à la face supérieure, se dirigent vers le
milieu des dentelures de la feuille; entre chacune de ces nervures
s'établissent de nombreuses anastomoses de nervures tertiaires,
quaternaires, etc., et ainsi nous arrivons à la nervation palmée et
réticulée.
Dans le chapitre précédent nous avons assez longuement parlé
du mode respectif d'insertion du limbe et du pétiole ; nous nous
sommes suffisamment étendus sur la valeur de Yanse pétiolaire
pour établir la notion de Yintroflexion et de Vextrofleocion et sur
les dimensions de la feuille, caractères qui nous ont permis de
séparer le Vitis vinifera des Vitis américains ; nous avons parlé
aussi des divers modes de revêtement pileux des feuilles : il ne
nous reste donc plus qu'à en aborder l'anatomie; ensuite, nous en
étudierons les fonctions.
Les feuilles des Vitis, des Cissus et des Ampélopsis sont anato-
miquement constituées comme toutes les feuilles des dicotylé-
dones. Une coupe transversale, pratiquée à un niveau quelconque
du limbe, nous montre donc toujours ces trois choses : l'épi-
derme,le parenchyme et les faisceaux libéro-ligneux (2).
L'épiderme à cellules polygonales légèrement aplaties, plus
petites à la face inférieure de la feuille, où se montrent de nom-
breux stomates, qu'à la face supérieure, où l'on n'en observe
aucun, est muni sur ces deux faces d'une cuticule assez épaisse qui
recouvre les poils dans toute leur longueur. Ces poils sont de deux
sortes: 1"* coniques, rigides, pluricellulaires et relativement courts ;
2'' allongés, déliés, flexibles et diversement contournés. Ce sont
ceux-ci qui constituent le duvet, ce sont ceux-là qui, alors même
que les feuilles paraissent absolument glabres, existent cepen-
dant sur les nervures et surtout sur la nervure médiane de la face
inférieure (3). Entre les deux épidermes se trouve le parenchyme.
(1) Quelquefois les cinq folioles ne partent pas tous du môme point.
(2) D'après Otto Penzig, loc, cU.^ p. 20, les stipules des Vitis n'auraient pas
de faisceaux fibro-vasculaires ; dans le genre Cissus seulement on obvenrerait
une nervure médiane.
3) Voir p. 38 les distinctions établies à ce siiyet par Kolénati.
Digitized by
Google
292 AMPÉL06RAPHIB GÉNÉRALE
Le parenchyme ne présente rien de bien particulier. Sous Tépi-
derme supérieur il existe en effet une seule couche de cellules en
palissade contenant comme d'habitude de la chlorophylle, puis
viennent plusieurs couches de cellules polyédriques ii angles
arrondis, laissant entre elles de vastes méats intercellulaires, et
enfin Tépiderme inférieur.
Fort intéressants, au contraire, les faisceaux libéro-ligneux
doivent être étudiés dans le pétiole et dans les nervures.
Le pétiole de la vigne, qu'un examen superficiel pourrait faire
croire sphérique, présente ordinairement une cannelure sur la face
supérieure, et des côtes plus ou moins saillantes. Comme dans la
jeune lige on y constate une cuticule, un épiderme muni de sto-
mates et de poils, du collenchyme le long de chaque côte, un
parenchyme herbacé, des faisceaux libéro-ligncux, des rayons
médullaires et une moelle ; mais le nombre et la disposition des
faisceaux sont différents.
Tout d'abord deux faisceaux libéro-ligneux immergés dans le
parenchyme herbacé et correspondant aux deux côtés de la can-
nelure médiane et supérieure ne se rencontrent pas dans la tige ;
ensuite les différents autres faisceaux disposés suivant une ellipse
unpeu déprimée ne sont pas d'égale dimension et ceux qui correspon-
dent aux angles du pétiole sont de beaucoup les plus forts. Le
nombre des faisceaux est de 12 environ ; vers l'extrémité du
pétiole ils se divisent en cinq groupes et chacun de ces groupes
pénétrant dans le limbe contribue à former une des cinq nervures
primaires de la feuille. Quant aux autres nervures, suivant leur
ordre, elles n'ont qu'un seul faisceau ; celui-ci s'amincit de plus
en plus à mesure qu'il se ramifie parce que ses éléments devien-
nent à la fois de moins en moins nombreux et de plus en plus
étroits, et finalement, de tous les éléments du faisceau libéro-
ligneux après disparition des tubes criblés, il ne reste plus que
quelques vaisseaux directement accolés ou entremêlés de quelques
cellules, longues et à parois minces, derniers vestiges du liber.
Cela bien établi : respirer comme le font toutes les cellules
vivantes; conduire, par les vaisseaux du bois situés dans chaque
nervure, depuis l'insertion du pétiole jusque dans les profondeurs
du parenchyme du limbe, le liquide venu du sol et qui a traversé
de même la racine et la tige ; transformer ce liquide d'abord par la
transpiration qui lui fait perdre beaucoup d'eau, puis par Tassimi-
lation du carbone, qui y introduit divers composés ternaires, et
l'amener ainsi à l'état de sève élaborée ; ramener enfin par les
tubes criblés qui occupent la moitié inférieure de chaque nervure
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DU VITIS VINIFERA 298
celte sève élaborée depuis le parenchyme, où elle a pris nais-
sance, jusqu'à la tige, qui la distribue ensuite au lieu d'utilisation
ou de mise en réserve : telles sont les principales fonctions des
feuilles en général. Telles sont, aussi, les causes de la présence
dans celles des Ampélidées en particulier de corps fort intéres-
sants au point de vue de la constitution des moàts et que nous
aurons plus loin l'occasion d'étudier avec plus de détails. Qu'il
nous suffise de dire ici avec notre regretté ami Macagno (1) :
c< Les feuilles sont le laboratoire de production de glucose ; les
rameaux verts, les conducteurs de ce précieux élément constitu-
tif du moût. »
Vrilles. — Tout le monde sait que les Yitis, les Gissus et les Am-
pélopsis s'accrochent aux objets le long desquels ils grimpent par
des filaments simples ou rameux, enroulés en spirales (vrilles)
qui naissent des rameaux juste en face du point où sont insérées
les feuilles (2), et un court examen d'un rameau de vigne montre
que ces vrilles se composent d'un pédoncule portant deux
branches qui divergent également, dont l'une munie d'une écaille
à sa base, plus longue que l'autre se bifurque souvent, tandis
que l'autre porte quelquefois des boutons de fleurs et constitue la
véritable vrille (3). Quels organes sont ces vrilles ?
« Depuis longtemps on avait répondu : ce sont des inflores-
cences, ce sont des grappes de raisin dont les pédoncules ont pris
un très grand développement ; la preuve en est dans la situation
des vrilles, qui est la même que celle des grappes, et dans la pro-
priété qu'elles ont de porter souvent quelques grains de raisin :
et Ton s'était contenté de cette explication, sans songer qu'une
inflorescence est un rameau ou une tige, et qu'en admettant une
inflorescence oppositifoliée, on laissait sans solution la partie la
plus délicate du problème, la relation qui existe entre la vrille ou
la grappe et la tige qui les porte (4). »
Aug. Saint-Hilaire, Rœper, Turpin, puis Adrien de Jussieu ont
les premiers essayé d'en donner une explication. Rœper, après avoir
montré qu'on ne saurait admettre, pour expliquer la disposition
oppositifoliée des vrilles et des grappes de la vigne, ni qu'il y ait
une feuille qui avorte toujours au-d,essous de Finflorescence, ni
que celle-ci soit un rameau axillaire soudé à Taxe dans toute la
(i) Macagno, Recherches sur les fonctions des feuUles de la vigne (Comptes
rendus de V Académie des sciences, 1879).
(2) Il n'y a pas de vrilles sur Taxe primaire. (Otto Penzig, loc. cit.f p. 23.)
(3) Darwin, Plantes grimpanteSy famille des Vitaceœ.
(4) Prilleax, Sur les vrilles de la vigne (Bulletin de la Société botanique de
France, t. III, 185Û, p. 645.)
Digitized by
Google
294 AMPÉL06RAPHIB GÉNÉRALE
longueur do Tentre-nœud au-dessus duquel elle est insérée, con-
sidéra la vrille et les raisins comme une inflorescence terminale
rendue latérale, en apparence seulement, par suite de l'évolution
précoce du rameau né dans faisselle de la feuille qui lui est
opposée, lequel rameau, tout à fait semblable à la tige, se termine
à son tour au premier ou au second nœud par une inflorescence
ou une vrille comme le précédent. Ainsi un rameau de vigne est
formé d'autant d'axes divers qu'on compte de vrilles ou d'inflo-
rescences. Turpin et Jussieu reproduisirent, sans la modifier, cette
explication. Est-elle cependant acceptable?
Quand on observe un rameau de vigne, on voit, avons-nous
dit, que le/r feuilles y sont alternes, que chacune d'elles est séparée
de celle d'au-dessus par une distance égale à la moitié de la circon-
férence du rameau, et qu'à partir de la seconde ou de la troisième
feuille du bas, qui n'ofi&ent pas de vrilles, toutes les vignes,
sauf le Vitis Labruscahinn., et le Vitis rotundifolia Wch., qui ont
des vrilles continues (1), présentent une alternance régulière de
deux feuilles, ayant chacune une vrille opposée, avec une troi-
sième feuille sans vrille (2), c'est-à-dire un arrangement qu'on
pourrait nommer vrilles intermittentes.
Eh bien, dans un cas comme dans l'autre, à l'aisselle de cha-
cune des feuilles se trouve un bourgeon (3), bourgeon axillaire.
Pour que la théorie de Rœper, Turpin, Ad. de Jussieu fût accep-
table, il faudrait donc admettre la présence de deux bourgeons
situés l'un au-dessus de l'autre dans l'aisselle de la feuille.
Il y a des faits analogues sans contredit, mais comment expli-
quer alors que, là où il n y a pas de vrilles opposées, on ne
trouve qu'un seul bourgeon et non deux dans l'aisselle de la
feuille? Comment concilier aussi la situation de toutes les feuilles
de la vigne dans un même plan passant par tous leurs points d'in-
sertion avec ce fait établi par Prilleux que si l'on fait passer un
plan par le dos de toutes les feuilles du rameau et un plan sem-
blable au travers des écailles du bourgeon, ce dernier doit croiser
le premier à angle droit? « Si l'entre- nœud supérieur, dit-il (4),
(J) Planchon, les Vignes américaines, p. 37.
(2) Sous cette loi sont placées également quelques espèces de Cissus et
d'Ampélopsis, d'autres font exception et portent une vrille sur chaque nœud
du rameau.
(3) Sur les côtés de ce bourgeon axillaire il y a assez souvent deux et trois
bourgeons, bourgeons stipulaires, mais ils ne sont pas de même ordre que
celui-ci, tandis que le bourgeon axillaire naît à l'aisselle de la feuille, les bour-
geons stipulaires se forment à l'aisselle des écailles inférieures du bourgeon.
(4) Prilleux, loc. cU.
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DU YITIS VINIFERA 295
est on rameau de Tinférieur, il doit, d'après ce que nous avons
observé sur tous les rameaux axillaires de la vigne, porter des
feuilles dont la direction croise celle des feuilles de l'entre-nœud
inférieur. Or il n'en est pas du tout ainsi. Les feuilles sur toute
la tige alternent sur deux lignes opposées. » L'explication de
Rœper, Turpin et Ad. de Jussieu n'est donc pas acceptable, et il
en est de même de celle d'Al. Braun qui se range à la théorie de
Rœper en admettant que toutes les feuilles ne portent qu'un
bourgeon (ce sont celles qui sont opposées aux vrilles), que tantôt
elles en portent deux, etc.
Pour nous, l'idée émise par Prilleux est la seule en harmonie
avec les faits observés ; vu son importance, nous la donnons en
entier :
«c II y a une hypothèse plus simple que celles que l'on a faites...
elle consiste à considérer la vrille comme une partition de l'axe.
Je suppose que l'axe au niveau de la feuille se bifurque de façon
à donner naissance à la vrille et à l'entre-nœud supérieur, lesquels
sont tous deux de même ordre... La vrille et l'entre-nœud supé-
rieur continuant également l'un et l'autre la tige portent la pre-
mière feuille également tous les deux dans la même direction, et
dans une situation telle que l'exige l'ordre alterne distique qui
préside à la disposition des feuilles sur les tiges de vigne... Ce
n'est pas tout. On peut peut-être trouver dans la partition une
explication de la disposition bizarre suivant laquelle les vrilles se
succèdent sur la tige.
« Toute division, dit M. Aug. Saint-Hilaire, indique un plus
grand degré d'énergie, et telle est probablement la cause de la
partition ». « Admettons cette assertion. Il est avéré qu'au bas
de chaque pousse la végétation est faible ; les fouilles n'y
atteignent pas tout leur développement, les entre-nœuds y restent
courts. Nous ne devons pas voir dans cette région de partition de
la tige ; nous ne devons pas y trouver de vrilles : c'est en effet ce
que l'observation nous a constamment montré. Plus haut la vie
du végétal se manifeste plus active, plus puissante ; c'est alors
que la tige est dans des conditions convenables pour se diviser ;
c*est là qu'apparaissent les vrilles. Mais cette production d'une
tige accessoire, qui manifeste une grande activité vitale, doit en
même temps en épuiser la puissance. Qu'y a-t-il alors de surpre-
nant à voir qu'après s'être à deux reprises partagée, la tige, mo-
mentanément affaiblie, demeure un instant sans former de tiges
accessoires ; puis qu'après un moment de repos, retrouvant ses
forces, elle recommence à en produire de nouvelles ?
Digitized by
Google
296 AMPÉLOGRAPBIB GÉNÉRALE
« Parfois, au lieu où normalement devait se produire une
vrille ou une grappe, se montre une tige feuillée! Dans ce cas,
la partition apparaît en toute évidenee,la tige se bifurque et les
deux tiges qui la continuent prennent un même développement,
de telle sorte qu'elles représentent toutes deux Taxe dont elles
sont également chacune le prolongement. »
Cette théorie si ingénieuse suscitée par la simple observation
des faits, Prilleux Ta vérifiée en étudiant Torganogénie de la
vrille et, reconnue par lui absolument exacte, elle a été aus-
sitôt admise par beaucoup de savants qui lui ont prêté
Tappui de leur haute autorité. Malgré cela cependant, Lestiboudois
en 1857 (1), puis W. Velten (2) en 1863, dans son mémoire sur
la morphologie de la vigne et de TAmpelopsis, ont émis une autre
opinion, que, dans ces dernières années, le D' 0. Penzig (3), après
avoir soumis à la plus scrupuleuse investigation l'extrémité de
la tige des Vitis vinifera Sieboldij odorata, Laôruscaj lad-
niata. celle des Ampélopsis hederacea^ Veitchii, et celle des
Cissus orientalis^ et heterophyllus, a essayé de faire revivre. Avec
Lestiboudois et Welten, il regarde les vrilles comme des bour-
geons secondaires venus latéralement sur l'extrémité de la tige
sans accompagnement de feuilles ; « deux espèces de bourgeons
latéraux doivent être, dit-il (4), distingués dans la ramification
de la vigne : les premiers sont axillaires et portent les feuilles
vertes; les autres vrilles manquent de feuilles d'appui et naissent
opposées aux feuilles près du sommet de la tige. » Il se base,
pour expliquer cette situation anormale de la vrille, sur l'organo-
génie ; mais ce qui nous empêche d'accorder à cette théorie toute
l'autorité que le nombre d'espèces examinées pourrait lui valoir,
c'est que l'auteur ne mentionne aucunement les travaux de ses
prédécesseurs. Peut-être que, s'il les eût connus, ses conclusions
n'eussent pas été les mêmes. Quoi qu'il en soit, il importe de
noter avec Darwin, que, tandis que dans les Vitis on trouve tous
les passages eatre les vrilles et les inflorescences, on ne trouve
point de passage entre ces deux, états dans les Cissus, « de sorte
que si le genre Vitis avait été inconnu, le partisan le plus
convaincu de la modification des espèces n'aurait jamais supposé
que le même individu, à la même période de développement, peut
(1> Lesliboudois, Bulletin de la Société botanique de France, t. IV, 1857,
p. 809-816.
(2) W. Welten, Vitis vinifera und Ampélopsis hederacea, eine morphologiscke
Sludie (Annakn der Œnologie, Bd Hl, K. 1, 1863).
(3) 0. Penzig, loc. cit., p. 21-28.
(4) Id., ibid.y p. 34.
Digitized by
Google
niSTOIRE BOTANIQUE DU VITIS VINIFERA 297
présenter tous les passages entre les pédoncules Qoraux ordi-
naires, destinés à supporter des fleurs et des fruits, et les vrilles
utilisées uniquement pour grimper. Mais la vigne nous en offre
une preuve évidente qui me paraît être un exemple de transition
aussi frappant et aussi curieux qu'on puisse l'imaginer (1). »
Ainsi différentes des vrilles des Cissus,|qui de plus sont souvent
simples, les vrilles des Yitis le sont aussi de celles des Ampé-
lopsis. Gomme celles de la vigne, celles-ci sont des branches
ramifiées et capables de s*enrouler, mais ce n'est pas là leur rôle
principal : elles se fixent de préférence aux murs, aux rochers,
aux arbres avec lesquels elles arrivent en contact, et pour cela la
nature les munit alors d'organes spéciaux, d'espèces de pelotes
Fig. 34. — Gonpe transversale de la vrille du VUts vinifera, — E, épiderme ; Col,
eoUenefayme ; P, parenchyme cortical ; Pe, péricycle ; L, liber; c, cambium; BS
bois primaire ; B^^ bois secondaire ; M, moelle.
adhésives, qui, avant que la vrille ne vienne au contact du point
d'appui, sont aussi rudimentaires que les organes analogues que
l'on trouve, mais toujours dans cet état, à l'extrémité des vrilles
des Yitis. Quant à la constitution anatomique de la vrille, elle
est à de faibles différences près celle de la jeune tige (fig. 34).
Inflorescence. — La vrille étant un rameau florifëre avorté, sui-
vant qu'on adopte telle ou telle théorie concernant sa genèse, la
même théorie s'appliquera à l'inflorescence et celle-ci devra être
considérée soit comme terminale, soit comme latérale. Dans
celle de Prilleux, que nous croyons être la vraie, elle est termi-
nale, mais elle parait latérale et oppositifoliée par suite du rejet
sur le côté de la portion de l'axe qui la constitue et qui est, nous
le savons, de même ordre que l'entre-nœud supérieur.
Cette inflorescence se compose, à l'origine, d'une série de
bractées qui naissent sur cette partition de l'axe principal et se
recouvrent comme les feuilles d'un bourgeon. A l'aisselle de cha-
(1) Darwin, hc. cU,, p. 179.
Digitized by VjOOQIC
298 AMPÉLOGRAPHIB GÉNÉRALE
cune de ces bractées natt une fleur qui est accompagnée de doux
paires de bractées secondaires fertiles, c'est-à-dire à Taisselle
desquelles nait une fleur qui est accompagnée, elle aussi, d'une ou
deux paires de bractées, qui sont par conséquent de troisième
génération. Toutes ces bractées de troisième génération sont
souvent à leur tour fertiles, et ainsi de suite. Le tout constitue
une grappe composé thyrsiforme, c'est-à-dire indéfinie.
Fleur. — La fleur des Vitis comprend un calice, une corolle, et
les organes de la reproduction proprement dits : androcée et pistil.
Le calice a cinq sépales naissant successivement dans Tordre
quinconcial. Ces sépales sont soudés à leur base et forment une
cupule à cinq dents alternes avec les cinq pétales qui constituent
la corolle. « D'abord entièrement recouverts par le calice, les
pétales le dépassent promptement et se disposent dans le bouton
en préfloraison valvaire. A l'époque de l'épanouissement, libres
à leur base, ils sont tellement adhérents entre eux à leur partie
supérieure, qu'ils ne peuvent s'étaler comme dans les autres
plantes, et forment une calotte (1) qui se détache par sa base du
réceptacle et tombe tout d'une pièce (2). »
Les étamines au nombre de cinq, à filets étroits, subulés,
à anthères petites et biloculaires, s'ouvranl par des fentes laté-
rales, sont opposées aux pétales, tandis que normalement elles
devraient être alternes avec elles. D'où vient cette anomalie?
Doit-on supposer qu'il y a deux verticilles de* cinq étamines
chacun, l'un extérieur alterne, l'autre intérieur opposé aux
pétales, et que le verticille extérieur alterne avorte toujours?
Peut-on plutôt admettre que le verlicille alterne existe et qu'il
est représenté par les cinq glandes nectarifères alternant avec
les étamines réelles et insérées sur le réceptacle au-dessous du
pistil? L'étude faite par le savant botaniste E. Planchon sur des
fleurs doubles par transformation des étamines et des glandes (3)
(1) Dans certaines fleurs anormales stériles étudiées d'abord par Mares, puis
par Planchon {Ânnaies des sciences naturelles, 1866), nommées fleurs avalido-
vires f la corolle est à cinq pétales libres étalés en étoile ou en roue et persiste
longtemps.
(2) J.-B. Payer, Traité d'organogénie comparée de la fieuTy p. 158.
(3) « La nature des glandes hypogynes des fleurs de la yigne semble se
révéler par leur transformation en staminodes. On peut croire, conformément
à ' la théorie de Duval, que ces glandes remplacent un verticille interne de
Tandrocée. Mais ce n'est vrai que dans Tensemble. Si Ton regarde de plus
près, on verra que la glande ne disparaît pas entièrement par sa transforma-
tion en staminode. Elle persiste au contraire très souvent à la base de cet
organe. C'est que la glande n'est, à notre avis, que la base même, le piédestal
de Torgane staminoldal ; elle le représente tout entier dans les fleurs nor-
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIOUK DU VITIS VINIFERA 299
en staminodes pélaloïdes tendrait à le faire supposer, mais ce ne
serait guère une solution puisque ce verticille alterne serait
intérieur, et que la règle générale en voudrait un extérieur.
Jusqu'ici la tératologie n'a présenté aucun cas assez net pour
trancher la question : le docteur 0. Penzig (1) dit cependant
que Welten dans une fleur de vigne a vu cinq étamines alternant
avec les pétales, et qu'on pourrait supposer que le cercle extérieur,
aulieu d'avorter comme d'habitude, s'est développé, tandis que le
cercle interne normal d'ordinaire a avorté. En admettant cette
explication et celle de Planchon, la vigne aurait donc quinze
étamines : 5 extérieures alternes ne se développant presque
jamais, S extérieures opposées se développant normalement, et 3
glandes nectarifères alternes tout à fait intérieures et se trans-
formant quelquefois en étamines pétaloïdes; mais les 5 étamines
de Welten ne représentent-elles pas les glandes seules, le verticille
normal ayant avorté? toute la question est là, et, jusqu'à ce que
des recherches nouvelles aient tranché la difficulté, elle reste abso-
lument entière.
Le pistil est constitué par deux, ou très rarement Crois feuilles
carpellaires : l'ovaire est ordinairement biloculaire sessile à loges
biovulées ; le style est court et le stigmate présente d'habitude
deux lobes peu marqués.
Dans les vignes d'Europe et dans presque toutes celles de
l'ancien continent, c'est-à-dire dans l'espèce cultivée Vitis vini-
ferUy les étamines et les pistils existent dans toutes les fleurs
normales et y remplissent leur rôle réciproque ; les fleurs sont
hermaphrodites. Dans les vignes américaines il n'en est pas
ainsi et ce caractère a servi, nous l'avons vu, pour les classer
dans un groupe à part, le groupe des vignes à fleurs polygames
oadioïques. Cette distinction est-elle juste?
Pour répondre à cette question, nous ne pouvons mieux faire
que de citer le passage suivant, remarquable surtout en ce qu'il
en ressort clairement un rapprochement de plus entre les vignes
d'Europe et les vignes d'Amérique, et un enseignement sur ce
que peut produire la culture. « Les véritables vignes améri-
caines portent toutes des fleurs fertiles sur un pied et des fleurs
stériles sur un autre pied séparé, et sont, par suite, appelées
polygames ou assez improprement dioîques. Les plantes stériles
maies ; elle en est Taccessoire, parfois eflfacé, chez les fleurs doubles. »
(E. Planchon, Sur les fleurs anormales de la vigne cultivée. Annales des sciences
naturelles^ 1866.)
(i) Otto Penzig', loc, cit., p. 29.
Digitized by
Google
300 AMPÉLOGR^PHIE GÉNÉRALE
portent des fleurs mâles dont les pistils ont avorté, en sorte que
si elles ne produisent jamais de fruits elles-mêmes, elles peuvent
servir à féconder les autres. Toutefois, les fleurs fertiles sont
réellement hermaphrodites, puisqu'elles possèdent les deux
organes et qu'elles sont capables de mûrir leur fruit sans le
secours des plantes m&les.
« On ne parait avoir jamais observé de véritables fleurs femelles
dépourvues d'étamines. Les deux formes, la forme m&le et la
forme hermaphrodite, ou, si Ton préfère, celles à fleurs stériles et
celles à fleurs complètes, se trouvent mélangées dans les localités
natives des plantes sauvages ; mais on n'a choisi pour la culture
que les plantes fertiles, et voilà pourquoi l'agriculture ne con-
naît qu'elles, et comme la vigne de l'ancien monde est cultivée
depuis des milliers d'années, il en est résulté qu'on a pris à tort
ce caractère hermaphrodite des fleurs pour une particularité
botanique, par laquelle on croyait qu'il fallait la distinguer, non
seulement de nos vignes américaines, mais aussi des vignes sau-
vages de l'ancien monde. Mais les plantes obtenues des graines
de la vigne d'Europe, aussi bien que de toute autre vigne véritable,
donnent généralement autant de sujets fertiles que de sujets
stériles, tandis que celles qu^on obtient de marcottes ou de bou-
tures ne reproduisent, comme il faut s'y attendre, que le caractère
individuel de la plante mère (1). »
Les ovules qui par la fécondation deviendront graines, tandis
que l'ovaire constituera le fruit, sont au nombre de deux dans
chaque loge, alors que l'ovaire n'a pas encore été fécondé; plus
tard un ou deux de ces ovules avortent, et le nombre réel n'est
guère que de deux ou trois dans le grain de raisin.
« Collatéraux, d'abord horizontaux et à micropyle tourné en bas
et en dehors, ils deviennent bientôt ascendants et anatropes.
Leur nucelle est rapidement recouvert par le tégument
interne, alors que l'externe est encore à l'état de cupule
à la base de l'ovule ; mais peu de temps après, ces enveloppes
se rejoignent toutes deux, et si, à ce moment, on fait une
section transversale de l'ovule, on constate qu'il est composé de
la façon suivante : l"" un nucelle formé d'éléments délicats et por-
tant à son centre la trace du sac embryonnaire ; 2"" un tégument
interne formé d'abord de deux rangs de cellules, mais auxquels
viendra bientôt s'en adjoindre un troisième par suite de dédouble-
ment cellulaire; 3* un tégument externe dont les cellules sont
(1) Les vignes proprement dites des États-Unis par le D. Engelmann {in les
Vignes Américaines de Bush et Meissner,p. 11).
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DU VITIS VINIFERA 801
un peu plus grandes que les voisines, mais Tensemble des élé-
ments ne diffère pas alors de ce qu'on observe pour le tégument
interne.
Peu de temps après Fépanouissement de la fleur, il ne se pro^
duit guère de changement dans le nucelle, si ce n'est que les
cellules de la périphérie restent moins grandes que les autres, et
leur forme se modifie bientôt sensiblement par suite du dédou-
blement dans le sens du rayon. On y trouve préalablement un
plasma granuleux qui s'accorde bien avec les fonctions de multi-
plication de ces cellules.
Quant au tégument interne, il restera avec ses trois rangs de
cellules ; celles de Tépiderme interne ont augmenté en nombre,
mais restent stationnaires ; les intermédiaires sont distendues.
Les cellules épidermiques externes paraissent aussi avoir aug-
menté en nombre, et ont épaissi sensiblement leurs parois ; mais
là se borne le rôle du tégument interne.
Au contraire, le tégument externe s'est beaucoup accru. Il ne
compte pas moins de dix à douze assises de cellules en épaisseur.
C'est alors que les cellules de l'épiderme interne de ce tégument se
développent considérablement dans le sens du rayon et vont
bientôt, à elles seules, former la portion testacée de la graine. Ces
cellules s'allongent sans épaissir de bonne heure leurs parois ;
mais des cloisons transversales se forment bientôt pour leur ser-
vir d'étais (1). C'est seulement alors que l'épaississement com-
mence ; il est simultané et laisse de nombreuses ponctuations sur
toute la surface de ces cellules solidifiées, sauf vers l'extrémité
qui touche le tégument interne où la paroi reste mince. On remar-
que ça et ]à quelques-unes de ces cellules qui ne se sont pas
cloisonnées comme leurs voisines. A l'état adulte on constate que
c'est l'épaississement celhilûre, légèrement brunâtre de ces
cellules de l'épiderme interne, qui seul concourt à la teinte de la
graine du raisin.
Pendant que ces modifications histologiques se sont produites,
lovule, pour devenir graine, a subi des changements de forme
remarquables.
Peu de temps après la floraison, Tovule présente une coupe
transversale légèrement elliptique, qui indique déjà que la jeune
(1) Il est à remarquer que, lorsque des cellules de la sorte se distendent
beaucoup dans une direction déterminée, de deux choses Tune : ou leur paroi
se consolide rapidement par la formation d'un épaississement, et alors il n'y
a pas de cloisonnement; ou Tépaississement est tardif, et alors le cloisonnement
devient nécessaire et précède la période d'épaississement. Ce fait est rationnel
d'ailleurs et a dû être obsenré par tous les anatomistes.
Digitized by
Google
302 AMPÉLOGRÀPfflB GÉNÉRALE
graine se développera en largeur, comme si une sorte de com-
pression lui était imprimée d'avant en arrière ; et ce qu'il y a de
particulier, c'est que la moitié de la graine seule, celle qui est du
côté de la chalaze, subit manifestement ce développement latéral;
c'est ce qui fait que, vu de face, un pépin de raisin rappelle
assez bien la forme d'une poire renversée et brusquement étran-
glée.
Le développement en largeur est bientôt suivi d'une inflexion
en dedans, c'est-à-dire du côté de l'axe, des deux portions laté-
rales de la jeune graine. Il en résulte sur la coupe transversale
de cette graine deux parties rentrantes internes, et qui sont d'au-
tant plus évidentes que la partie qui est située en face du faisceau
du raphé semble s'avancer comme un cap vers ce raphé. Aussi
une section pratiquée sur des graines de divers âges explique très
bien la figure claviforme que fournira la même section sur la
graine mûre(l).»
Fruit. — Le fruits de forme diverse, tantôt sphérique, tantôt oli-
voïde, tantôt ellipsoïdal, etc., est une baie plus ou moins succulente
dont le jus fermenté constitue le vin, qui, rouge, ne peut provenir
que de raisins de cette couleur, mais qui, blanc, peut être obtenu
soit avec des raisins blancs, soit avec des raisins rouges, à la
seule condition de ne pas laisser le jus fermenter en présence de
la peau de ces derniers. C'est donc dans cette peau que réside la
matiëi*e colorante, et puisque, sauf de très rares exceptions
(raisins teinturiers, YamaBouto, etc.), l'expression des grains ne
donne qu'un liquide incolore, c'est aussi qu'une cause quelcon-
que empêche la matière colorante de s'échapper des cellules qui
la contiennent.
Al'effet de s'en rendre un compte exact, Ch. Morren d'abord,
Prilleux ensuite, se sont livrés à un examen attentif du contenu
de ces ceUules.
« La peau des raisins, » dit Prilleux (2), « la seule portion du
grain qui contienne des matières colorantes dans la plupart des
variétés, est formée de deux parties : de la pellicule qui enveloppe
la chair, ou l'épicarpe, et d'une portion de la chair elle-même,
ou, en d'autres termes, du sarcocarpe, qui demeure adhérente à
l'épicarpe.
« L'épicarpe est formé d'une couche de cellules dans lesquelles
on observe un liquide d'un rouge incarnat qui ne se mêle pas
(i) J. Poisson Extrait du compte rendu sténographique du congrès interna-
tional de botanique et d'horticulture. 1878.
(2) Prilleux Comptes rendus de V Académie des sciences, p. 752-55,
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DU VITÏS VINIFERA 303
avec la liqueur incolore que contiennent aussi les cellules et au
milieu de laquelle il nage sous forme de larges gouttes probable-
ment contenues chacune dans une vésicule dont les parois sont
d'une extrême ténuité.
« Quand on place dans Teau un lambeau d'épicarpe, on voit cette
matière colorante subir des altérations notables. Dans les cellules
déchirées où Teau a un libre accès, le liquide rouge est remplacé
par un dépôt de fins granules violets. Dans les cellules intactes
Faltération ne se produit que peu à peu, à mesure que l'eau y
pénètre par endosmose. Au bout d'un temps plus ou moins long,
la goutte rouge disparaît ( probablement par suite de la rupture
de la vésicule qui la contenait) ; la liqueur qui la formait se mêle
à la liqueur incolore que contenait aussi la cellule, et produit un
liquide lilas au milieu duquel apparaissent des granules de matière
solide d'un rouge violet foncé. »
D'après Prilleux, la matière colorante serait donc contenue
dans une vésicule, ou dans des vésicules immergées dans le liquide
incolore delacellule,etreau,les acides et les bases, dédoubleraient
la substance colorante, en granulations insolubles et en substance
soluble.
Écrite en 1866, alors que la cellule et son contenu n'étaient
pas aussi bien connus qu'aujourd'hui, cette description, réel-
lement remarquable, dénotait une observation très attentive
et paraissait ne laisser prise à aucune critique; les connaissances
actuelles permettent cependant de donner une explication un peu
différente.
Toute cellule végétale, jeune et en pleine activité, est constituée
d'une membrane de cellulose entourant un protoplasma, présentant
de nombreuses granulations, et dans lequel on trouve un noyau. Ce
protoplasma remplit toute la cavité de la cellule, mais, à mesure
qu'elle vieillit, il laisse des vides, circonscrits entièrement par des
lames protoplasmiques, et remplis de liquides de différente nature
portant le nom de suc cellulaire. Entre ce suc et les lames pro-
toplasmiques contenant, comme le prostoplasma primitif, de nom-
breuses granulations, un examen superficiel ne montre aucune
séparation; il en existe cependant, et, à l'aide de forts grossisse-
ments, il est aisé de constater qu'une mince couche de proto-
plasma, incolore et sans granulations, limite intérieurement
toutes les lames protoplasmiques qui concourent à former les
vacuoles remplies de suc cellulaire; et protège le protoplasma
contre l'action de celui-ci :
C'est le sac ainsi formé par ce protoplasma hyalin qui a fait
Digitized by
Google
304 AMPÉLOGRAPHIB GÉNÉRALE
admettre, parle botaniste Prilleux, Texistenco de vésiciiles dans
rintérieur des cellules de Tépiderme du grain de raisin, et ce sont
les granulations du protoplasma qui paraissent incolores tant
qu'elles n'ont pas fixé une matière colorante, qui Tout amené Ji
dire que, sous l'influence de l'eau, le liquide rouge contenu dans
les vésicules supposées se résolvait en granulations d'un beau rouge
violet.
En réalité, comme l'a observé Prilleux, lorsqu'on met une
goutte d'eau sur une coupe de l'épiderme, deux cas peuvent se
prés^ter: ou les cellules de Ic^ coupe ont été laissées intactes
par le rasoir, ou elles ont été ouvertes. Intactes, elles ne sontpé-
nétrables à l'eau que par endosmose ; ouvertes, elles l'admettent
immédiatement. Mais dans l'un et l'autre cas les résultats diffèrent.
Dans la cellule ouverte, par suite de la rupture de la mem-
brane hyaline, le suc cellulaire rouge entre sans délai en contact
avec le protoplasma, se fixe sur lui, et met en évidence les gra-
nulations.
L'action de Teau est très lente, au contraire, dans la cellule
fermée, dont la végétation se prolonge quelque temps encore nor-
malement dans le liquide adventice. Elle ne se ftdt sentir qu'après la
mort du protoplasma, et alors seulement la matière colorante rouge
se fixe sur les granules. Mais auparavant cette matière colorante
s'était étendue dans l'eau qui avait pénétré par osmose; aussi,
avant la mort du protoplosma, ne voyait-on qu'un suc d'un
rouge un peu moins foncé et un peu plus abondant que celui des
cellules non traitées par l'eau.
Le protoplasma tué, les granulations paraissent nager dans le
liquide et en provenir; en réalité, elles font toujours partie du
protoplasma.
Au lieu d'eau, faisons agir un acide énergique ou une base
faible, la destruction de la lame hyaline devra théoriquement
se faire beaucoup plus vite et nous devrons retomber dans l'ordre
de phénomènes présenté par Teau agissant sur les cellules ou-
vertes. C'est ce que démontre l'expérience. Seulement tandis que
l'acide avive seulement la teinte, les alcalis la font passer au
bleu, et, s'ils sont trop concentrés, la font même disparaître.
« La matière colorante contenue dans la partie du sarcocarpe qui
forme avec l'épicarpe la peau du raisin, se présente sous deux
formes : non seulement les cellules contiennent un liquide rouge
pâle, mais on y observe aussi une substance solide qui forme des
amas relativement assez considérables d'une couleur violette ou
rouge foncé, couleur qui varie selon le degré d'acidité du liquide
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DU VITIS VINIFERA 305
•dans lequel on les observe. Dans l'eau pure ils sont d'un beau
violet.
« Ce sont ces amas de matière colorante que Morren a con-
sidérés comme de petits organes glanduleux, appliqués sur la
face externe des cellules, et qu'il a nommés des corêses. Ds ont
la forme de disques ou de lentilles, et sont certainement contenus
à rintérieur des cellules. Leur surface est assez irrégulière ; je n'y
ai jamais pu reconnaître une véritable organisation ; parfois ils
■contiennent quelques granules, mais ce sont simplement des
grains de chlorophylle qui se sont trouvés englobés dans le dépôt
de matière violette. La complète opacité de ces corps rend, il est
vrai, difficile l'examen de leur structure ; mais quand on les traite
par l'alcool sous le microscope, on les voit devenir plus trans-
parents, et c'est alors qu'on aperçoit souvent dans leur masse
quelques granules. Si on laisse continuer l'action dissolvante de
l'alcool, on ne voit bientôt plus à leur place qu'un nuage violet
qui disparait lui-même, et il ne reste enfin plus rien, ou seulement
quelques granules.
« La matière colorante déposée ainsi en amas relativement con-
sidérables dans les cellules du sarcocarpe me parait du reste iden-
tique avec celle que nous avons vue se déposer sous forme
de fins granules dans les cellules de l'épicarpe, sous l'influence
de certains agents.
« Les observations qui précèdent permettent, ce me semble, de
se rendre maintenant aisément compte des opérations que prati-
quent les vignerons pour avoir un vin coloré.
« Quand on presse le raisin, le jus qui s'écoule est très fai-
blement coloré; en effet, la presque totalité de la matière
<ïoiorante est solide et insoluble dans l'eau, elle doit rester
•déposée sur les parois des cellules. Insoluble dans l'eau, la
matière colorante est soluble dans l'alcool; dans la cuve, quand
le jus fermente, il se forme de l'alcool, et alors seulement la
matière colorante solide se dissout et le vin se colore (1). >»
Ici encore nos observations ne concordent pas exactement avec
celles du savant professeur de l'Institut agronomique : la locali-
sation de la matière colorante dans les cellules du sarcocarpe est
exactement la même que celle décrite par nous dans les
cellules de l'épicarpe, ainsi que le prouve l'examen de cellules
parfaitement closes. Les eorèses de Morren ne sont que du suc
ceUulaire coloré et si, lors de la fabrication du vin, le liquide
(1) PriUeux, Comptes rendus de fAc. des sciences^ loc. cit., p. 752-755.
tràhê db la vigne. — I 20
Digitized by
Google
306 ÂMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
obtenu par le foulage n'est point coloré, c'est que, lors de ce
foulage, très peu de cellules sont déchirées; et, dans celles qui le
sont, la matière colorante se fixant immédiatement sur le pro-
toplasma ne peut passer dans le jus. Ainsi s'explique la
fabrication du vin blanc avec des raisins rouges.
Ce ne sera que plus tard, lorsque l'alcool aura pris naissance,
qu'on observera la coloration, car cet alcool ayant plus d'affinité
pour la matière colorante que le protoplasma s'en chargera
abondamment.
Graine. — Les ^atn^5, variables en nombre, le sont aussi comme
forme, suivant la pression qu'elles ont exercée les unes sur les .
autres, mais elles présentent toujours, surtout dans les espèces
différentes, des caractères assez tranchés pour que leur étude offire
un intérêt considérable au point de vue de la classification. Si l'on
observe attentivement la disposition des graines du Vilis vinifera
dans un grain de raisin, on constate que chacune d'elles est en
rapport avec le support du grain par un faisceau nourricier, et
que toujours les dîfférentes parties à considérer dans la graine
occupent les mêmes positions.
La graine du raisin nous montre tournée vers l'intérieur du
grain une face plus ou moins aplatie, face ventrale^ et tournée
vers ^extérieur une face dite dorsale, bombée d'abord, puis se
déprimant peu à peu brusquement et contribuant à former à la
base du grain, c'est-à-dire en se rapprochant du pédoncule, un
bout plus ou itioins effilé [bec) opposé au sommet de la graine, qui
est arrondi ou plus ou moins profondément entaillé. Sur la partie
interne se trouvent deux dépressions longitudinales, et entre ces
deux dépressions est un bourrelet plus ou moins prolongé, le
long duquel court le raphé. Ce raphé qui, on le sait, n'est autre
chose que la continuation du faisceau nourricier, part du bile
situé à l'extrémité du bec, passe au sommet de la graine el
vient s'épanouir sur la face extérieure en un point ovale ou
circulaire, la chalaze. Derrière la graine, le raphé est entièrement
indistinct ou à peine perceptible, ou plus ou moins saillant ; au
sommet il est le plus souvent indistinct, et au lieu d'une saillie
on a une échancrure. Ce sont le bec, l'échancrure du sommet, le
plus ou moins de saillie du raphé, la' forme de la chalaze, qui
constituent les caractères différentiels des divers Yitis. Sans
figures, il est assez difficile de s'en rendre compte, aussi renver-
rons-nous le lecteur désireux d'approfondir cette question au
livre de Bush et Meissner, (p. 15), et à la remarquable planche de
Y Ampélographie Américaine de Foëx et Viala. Cependant et
Digitized by
Google
HISTOIRB BOTANIQUE DBS VITIS AUTRBS QUE LE VHIS VINIFERA 307
comme nous Tavons fait pressentir en parlant de Torigine de la
vigne, on peut différencier nettement le Vitis vinifera de tous les
autres par le bec qui est plus étroit et plus long, par le raphé
indistinct, et par la cbalaze grande, quoique pas très saillante,
qui se trouve vers le quart supérieur, au lieu d'occuper la partie
médiane de la graine.
m
HISTOIRE BOTANIQUE DES VITlS AUTRES QUE LE VlTîS VINIFERA.
Notre intention était d'abord de borner nos descriptions
aux seuls Vitis réputés utiles, c'est-à-dire aux quatre espèces
mentionnées par Planchon, dans son livre : les Vignes Américaines j
comme entrées dans la grande culture. Mais c'eût été escompter
l'avenir et exposer notre ouvrage à être justement taxé d'incom-
plet, le jour, qu'il faut prévoir, où des travaux nouveaux ou des
expériences peut-être actuellement en cours auront élargi le
cadre des espèces utiles; aussi, sans trop nous appesantir sur les
espèces non américaines, peu étudiées au point de vue pratique,
allons-nous décrire: l** d'après De Candolle(l),Spacb(2),Blume(3),
Roth (4), Hooker (5), V Ampélographie américaine^ et les travaux
récents de Planchon (6), Lunaret (7), Romanet du Caillaud (8),
etc., les vignes de l'ancien continent; 2"" d'après Engelmann (9),
Rush et Meissner (10), Elias Durand (11), Planchon (12), Millar-
det (13),Foëx et Viala, etc., les vignes polygames ou dioïques qui
constituent le grand groupe des vignes américaines.
(1) De CandoUe, loc, ciL, p. 627-639.
(2) Spach, Suite à Buffon, loc, cit., p. 208.
(3) C. L. Blume, Bijdrajen tôt deFbra van Nederlandsck Indiê, 1. 1, p, 194-195.
(4) k. G. Rotb, Novae plantarum species, 1821, p. 156-158.
(5) J. D. Hooker, C. B., The flora ofBritish India, vol. I, p. 644-663.
(6) J.-E. Planchon, journal : la Vigne Américaine,
(7) Lunaret, in Revue Horticole, 1880-81-82.
(8) Romanet du Caillaud, in Revue Horticole, 1881.
(9) Engelmann, in Bush et Meissner,
(10) Bush et Meissner, loc. cit.
(11) Elias Durand, les Vignes et les vins des États-Unis (Bulletin delà Société
zoologique d'acclimatation, 1862, t. IX).
(12) J.-E. Planchon, les Vignes américaines, loc. cit.
(13) A. Millardet, Histoire des principales variétés et espèces de Vignes amé-
ricaines. Paris, G. Masson, éditeur.
Digitized by
Google
^08 AMPÉLOGRAPHIB GÉNÉRALE
A. VTGNES INDIGÈNES DE L* ANCIEN CONTINENT
1** Vigne flext^tise — Vitis flexuosa Thunb. {Act., soc, y
lirm. , II, p. 332). —Vitis indica Thunb. {FI. Jap, , p. 103, non
Linn.).
D'après Planchon (1), « cette espèce, qui croît au Japon et
qui n'est peut-être pas introduite en Europe, est remarquable par
ses feuilles alternes, petites, de 10 centimètres au plus de lon-
gueur, mais le plus souvent de 5 à 6 centimètres, de forme orbi-
eulaire deltoïde, généralement indivises, çà et là légèrement
trilobées, à sinus pétiolaire tellement ouvert qu'elles semblent
parfois tronquées à la base, à contour muni de dents courtes,
triangulaires, aiguës et mucronées, à sommet plus ou moins
euspidé. Leur consistance est membraneuse; elles ont cinq ner-
vures principales, portant en dessous quelques poils simples,
serrés sur la feuille naissante, très rares sur la feuille adulte. Les
ramuscules, flexueux, portent quelques flocons de duvet roux
aranéeux. Les vrilles sont à type discontinu. Les grappes de fleurs,
eourtement pédonculées, ne dépassent pas la longueur des
feuilles, mais sont deux ou trois fois plus longues que les pétioles.
Elles sont allongées, un peu ramifiées dans le bas. Les fleurs, tout
à fait conformes à celles des vrais Vitis, ont des pédicelles grêles et
glabres. L'ovaire chez les fleurs hermaphrodites est ovoïde avec
tin style presque aussi long que lui. » Le fruit n'a pas encore été
décrit.
2*» Vigne de Walich —Vitis Walichii De Cand. (Prodr.). — Vitis
parvifolia Roxb.
Très voisine de l'espèce précédente, mais en différant cepen-
dant par ses feuilles plus petites, à contour triangulaire, à aspect
plus luisant et presque absolument glabres même à l'état naissant,
la vigne de Walich, qui croît au Népaul, a ses feuilles subcordi-
formes, acuminées, tronquées à la base, deux ou trois fois plus
petites que celles de la vigne commune, lisses sur les deux faces,
bordées de dentelures pointues; et ses inflorescences, thyrses
facémiformes, sont plus courtes que les feuilles. Les pétales sont
cohérents; le style est très court, le fruit est rond, noir, de la
grosseur d'un pois. Les graines ressemblent à celles du F; £fey-
neana.
0) J.-E. Planchon, journal : la Vigne américaine^ 1883, p. 181-187.
Digitized by VjOOQIC
HISTOIRE BOTANIQUE DES VITIS AUTRES QUE LE YITIS VINIFERA 309
3' Vigne de Java — Vîtis sylvestris Blum. [Bydr.^ p. 794).
Plusieurs auteurs, dit Planchon (1), rapportent comme syr
nonyme, au Vitis flexuosa le Vitis sylvestris de Blum. [Vitis
flexiiosa var. Malayana Miquel), plante de Java qui en est
pourtant bien distincte par ses feuilles enduites dans leur jeu-
nesse d'un épais duvet ferrugineux et surtout par ses grappes
plus grandes, ramifiées, dont les axes sont couverts d'un duvet
roux. C'est aussi ce qui ressort de la description suivante de
Spach (2) : Feuilles arrondies, profondément cordiformes, acu^
minées, denticulées, aranéeuses en •dessous. Vrilles paniculées.
Ramules jeunes et pétioles légèrement velus. Panicules lâches,
allongées. Baie d'un bleu noirâtre et de la grosseur d'un pois.
4** Vigne à fevilles tronquées — Vitis truncata Blum, (/. c.^
page 195).
Feuilles ovales, acuminées, tronquées à la base, bordées de
dentelures obtuses et glanduleuses; veines de la face inférieure
pubescentes. Panicules opposées aux feuilles et de leur longueur.
Cette espèce "habite la province de Tjandjor, principauté de la
partie occidentale de Tîle de Java, au S. de Batavia et à l'E. de la
baie Zandbogt. Elle y fleurit en décembre.
5* Vigile cymetise — Vitis cymosa Blum. {loc. ctV.,p. 195).
Feuilles cordiformes, acuminées, cotonneuses en dessous,
Cymes pédonculées trifides, plus courtes que les feuilles.
Cette vigne croît aux Moluques.
6* Vigne hétérophylle — Vitis heterophylla Thunb. [Flor^
Jap.). Blum. (/. c).
Classée par Spach dans les vraies vignes, cette espèce est com^
prise par Regel (3) dans son premier groupe caractérisé par: ïn-
florescentia cymosa. Petala sub-anthesipatentitty nondecidua, et en
effet la corolle n'est pas en capuchon, et n'est pas soulevée par
les étamines, au moment de l'anthèse, caractère essentiel des
vraies vignes; inutile donc d'insister davantage.
V Yama-bouto — Vitis ficifolia Bunge {Enum., p. 12). — Vitis
Thunbergii, Lieb. et Zuccari. — Vitis Sieboldii Hortul. ;
Vitis Labrusca, C. Ficifolia Regel ; Vitis Labrusca Fran^
(1) J.-E. Planchon, journal : la Vigne américaine, 1883, p. 181-187.
(2) Spach, Suiie à Buffon^ loc. cit.
(3) E. Regel, Conspectus specierum gêner is Vitis regionum Americx borealiSfeic
Digitized by
Google
310 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
chet et Savai; Viiis flexuosa Hort. Burdigal. non Thunb. ;
Yamai-boto Hort. Lunaret (1).
Cette vigne est dioïque ; les individus m&les se couvrent de
fleurs de la base au sommet, et cette floraison n'est arrêtée que
par les gelées d'automne; les sujets femelles se couvrent égale-
ment de fruits aux grains noirs, petits et arrondis, serrés le
long des ramifications d'une petite grappe dont les fleurs semblent
plongées dans le duvet cotonneux qui couvre les axes et les
pédicelles.
Elle paraît occuper dans les régions tempérées et froides de
l'Asie Orientale une aire géographique très étendue. On la trouve
surtout au Japon. Malheureusement elle ne résiste pas au phyl-
loxéra.
8* Vitis Coignetix Pulliat (in litteris). — Vitis rugoda
Naudin. — Vitis Labrusca Thunb.
Confondue parla plupart des auteurs avec l'espèce précédente,
celle-ci, dit Planchon (2), s'en distingue aisément par son feuil-
lage plus ample, le duvet de ses feuilles moins épais et surtout
par ses grappes beaucoup plus grandes, moins serrées, à grains
beaucoup plus gros et qui, au lieu de rappeler des groseilles, ont,
à l'état sec, presque 10 millimètres de diamètre. En voici, toujours
d*après le savant botaniste J.-E. Planchon, la description com-
plète : « Sarments de l'année précédente striés, non anguleux,
glabres, à moelle assez large, ceux de l'année couverts d'un duvet
roux, floconneux-aranéeux, assez dense sur les parties jeunes,
disparaissant plus ou moins sur les inférieures plus âgées. Pas
de poils glandulifères. Feuilles longuement pétiolées (10-42 cent.),
orbiculaires, anguleuses à trois lobes peu marqués, fortement
dentées, à dents inégales, triangulaires, aiguës, subcuspidées ou
mucronées. Sinus basilaire largement ouvert, consistance mem-
braneuse assez ferme (plus épaisse dans les échantillons cultivés).
Face supérieure glabrescente, l'inférieure, recouverte d'un épais
duvet formant une couche dense de couleur fauve. Cinq nervures
principales dont les deux basilaires peu marquées et ne répondant
presque jamais à un lobe. Veines très marquées, denticulées, cir-
conscrivant des surfaces un peu huileuses. Vrilles discontinues ;
quelquefois quatre de suite, quelquefois deux seulement. Feuilles
des extrémités des sarments étalées de bonne heure. Grappes
longuement pédonculées, souvent munies d'une vrille, plus
(1) J.-E. Planchon, journal : la Vigne américaine^ 1883, p. 181-187.
(2) Id., ibid.
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DES VITIS AUTRES QUE LE YITIS VINIFERA 311
courte que la feuille correspondante. Corolle en capuchon, glabre
Fleurs mâles à pédicelles grêles, glabres. Étamines longues.
Fleurs hermaphrodites sur un pied différent, à pédicelles un peu
courts, à étamines à peu près de la longueur de Tovaire. Celui-
ci ovoïde, prolongé en un style à peine plus court que lui.
Grappes fructifères à grains peu nombreux (dans l'échantillon du
Muséum 5 dans une grappe, 9 dans l'autre), espacés, globuleux,
d'environ 0", 10 de diamètre, couleur inconnue, pépins au nombre
de 2 à 3 dans chaque fruit, ovoïdes, à bec court, à base légère-
ment échancrée, à 2 fossettes ventrales, raphé filiforme, disque
chalazique arrondi, saillant, entouré d'un sillon circulaire. Sur-
face de la graine lisse ; couleur fauve foncé. »
Cette vigne a été trouvée à l'état spontané par le docteur Albrecht
ei par Maximowicz en 1864 à Hadokate (lie Yesso).
9* Vigne glabrescente — Vitis glabrata Heyne (in Eotb. Nov.
Spec, 156); De Can(J. {Prodr., I, 634). —V. Kleinii) Wall.
Ca/., 6008 C and? h).— y. indicsi {Wall. Cat. S993?C).— V.
Zeylanica {Russell Wall. Cat. 5993 ? C. — Rheede Hort. Mal.
VII, 13, t. 7).— V. Latifolia Roxb. {FI. Ind. I. 661) (1).
La plante entière est presque glabre ; les feuilles sont franche-
ment cordées à 3-7 lobes ; les pédoncules assez courts portent une
mince vrille fourchue, les pétales sont distincts et les fleurs rouge
brunâtre sont petites. (Roxb., FI. Ind., 1,661.)
Tiges faibles, creuses, très grimpantes, striées, généralement
presque glabres. Feuilles luisantes de 6-8 pouces. Fleurs très
petites en cymes, thyrsoïdes, petites et un peu compactes. Pédon-
cules portant une longue vrille filiforme un peu au-dessous de la
cyme. Style 0. Fruit de la taille d'une groseille, noir, à deux
graines. Graines de 1/3 sur 1/4 de pouce, elliptiques, avec un
tubercule linéaire sur le dos, et à bords transversalement rugueux,
obtusément cannelées sur la face ventrale.
Habit. : Nord de l'Inde occidentale; KumaônetMoradab, Assam,
Silhet, et la péninsule occidentale de Coucan et de la côte de
Coromandel en allant vers le Sud. (Hooker, loc. cit., p. 652.)
10** Vigne de Heyne — Vitis Heyneana Rœm et Schult.
{Syst.) ; De Cand. {Prodr.). — Vitis Cordifolia Roth (non
Michaux). — Vitis Indica(£rô. Ham. ; Wall. Cat. 5994 ?E.
— ^Vitis rugosa ( Wall. Cat. 5994 a,b,Cf and d in part.) — Vitis
Labrusca Linn. var. Regel. — Cissus vitiginea, Roxb {FL
(i) Dans un travail récent de J.-E. Planchon, cette espèce est décrite sous le
nom d'Ampelocissus latifolia.
Digitized by
Google
312 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
Ind.j I, 406 {note of Linnœus). — Alima? cristatum {WalL
Cat. 4994).— Vitis lanata, Roxb. [FL Ind., I. 660).
Branches, pétioles et cymes plus ou moins pubescentes ou-
tomenteuses. Feuilles cordiformes courtement acuminées, mem-
braneuses. Pédoncules portant une vrille simple ou fourchue.
Pétales cohérents au sommet. (Roxb., FL Ind., I. 660).
Plante très variable quant à la taille, à la forme et au revête-
ment des feuilles ; habituellement elles ont 3-6 sur 1 3/4 à 3
pouces, quelquefois elles sont plus larges, ordinairement légère-
ment pubescentes, d'autres fois elles sont feutrées en-dessous ou
presque glabres. Fleurs petites, vertes, formant une cyme thyrsoïdo-
paniculée. Pétales cohérents au sommet, rarement séparés. Fruit
de la taille d'un gros pois, rond, pourpre, à 4 graines. Graines de-
1/6 sur 1/8 de pouce, ob triangulaires, submarginées, arrondies et
lisses sur le dos avec un petit tubercule spatule, à face ventrale
cunéiforme avec une dépression peu profonde linéaire de chaque
côté de la crête.
Habit. : Himalaya tropical, de Kashmir et Jamu^ ait. 1 à 400O
pieds et Kumaon, ait. 6 à 7000 pieds, à Sikkim, ait. 15,000 pieds;
Assam, les monts Khasia, Chiltagong, Birma et les Circars.
On peut distinguer les variétés ci-après :
Var. I. Rugosa: feuilles ovales ou cordées-ovales très grandes,
revêtues en dessous d'un tomentum dense comme tressé, tiges
plus épaisses que dans le type, avec une écorce foncée et cadu-
que. Habit. : Himalaya et Tenassarim.
Var. h. Glabra: feuilles presque tout à fait glabres, tiges plus
minces que dans le type se rapprochant du V parvifolia. Habit. :
Garawal et monts Khasia. (Hooker, loc, cit., p. 651).
H'» Vigne trifide —Vitis trifidaRoth. (/.c.);De Cand. (Prorfr.).
Feuilles cordiformes orbiculaires, trifides au sommet, pubes-
centes-grises en dessus, cotonneuses-ferrugineuses en dessous,,
sinuolées-dentées. Corymbes bifides, densiflores.
Cette vigne habite Flnde.
12** Vigne trilobée — Vitis triloba Roth (/. c.) ; De Cand.
{Prodr,).
Feuilles cordiformes-trilobées, pubescentes en dessus, coton-
neuses-ferrugineuses en dessous, incisées, dentées, acuminées;
lobes presque égaux. Grappes ovales, cotonneuses.
Cette espèce croît dans l'Inde.
13** Vigne cotomieiise — Vitis tomentosa Roth. (/. c).
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DES VITIS AUTRES QUE LE VITIS VINIFERA 31 a
Feuilles cordiformes trilobées , cotonneuses, dentelées, lobe
terminal ovale ; lobes latéraux semi-lunés. Grappes ovales,,
denses, cotonneuses.
Cette espèce croit dans Flnde.
14® Vigne barbue — Vilis barbata Wall, (m Roxb,, FI. Ind.
ed, Carey,ll, 478).— Vitis latifoliaHb. Ham.; Wall. {Cat.
5994? G.).— V.lanataHb. Roxb. ; Wall. (C«/. 5995, c,rf)(l).
Branches, pétioles et pédoncules couverts de nombreux poils^
capités, longs, étalés, glandulaires ; feuilles cordées-ovales,
membraneuses; pédoncule aplati de 4 à 8 pouces de long por-
tant, au-dessus de la partie moyenne, une longue vrille mince
fourchue ; cymes régulièrement paniculées aussi longues que le
pédoncule. (Wall, in Roxb., FL Ind. éd. Carey, II, 478).
Branches assez fortes, creuses, brun foncé ou presque noires.
Feuilles de 8 pouces à 1 pied ou plus, franchement cordées-
ovales, sinuées, dentées, quelquefois sous-lobées, glabres au-
dessus, pubescentes ou densement tomenteuses en-dessous.
Fleurs sessiles en cymes ovales, larges, lâchement paniculées.
Fruit de la taille d'une grosse groseille, noir, courtement pédi-
cellé. Graines, de 2/5 sur 1/4 de pouce, elliptiques, à dos aplati
superficiellement sillonné, à face ventrale à crête saillante pres-
que mousse.
Espèce très distincte, connue surtout pour ses longs poils
étalés. Walich décrit la fleur comme étant tétramère, mais bien
qu'ilen puisse être ainsi quelquefois, il est certain qu'elle est géné^
paiement pentamère.
Habit. : Monts Khasia, ait. de à 3,000 pieds; Assam, Silhet,.
Pegtt et Tenasserim. (Hooker, loc. cit. y p. 651.)
15** Vigne du fleuve Amour — Viiis Amurensis Maximowicz. —
Vitis vinifera Lin., var. Amurensis Regel.
Voici les caractères qu'en AonneY Ampélographie américaine {2):
(c plante médiocrement vigoureuse (dans les collections de l'école
d'agriculture de Montpellier). Saurments à vrilles discontinues.
Bourgeonnement très précoce. Feuilles le plus souvent trilobées,
avec deux lobules basilaires, quelquefois entières et arrondies,^
avec le sinus de la base légèrement ouvert ; un peu gaufrées entre
les toervures ; nervures et sous-nervures rougeâtres. Pieds mâles
(1) Dans un trayail récent de J.-E. Planchon, cette espèce est décrite sous le
nom à* Ampelocissus tarbata.
(2) Ampélographie américaine de Foëx et Viala , loc. cit., p. 14.
Digitized by
Google
314 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
nombreux; chez les individus fertiles les grappes sont petites, et
les grains petits, noirs, avec une pulpe peu abondante, renfer-
mant deux ou trois graines à bec court et pointu, échancrées à Tex*
trémité supérieure avec un raphé saillant et étroit.
« Le V. Amurensis existe à l'état sauvage dans la Mongolie
orientale et dans la vallée du fleuve Amour. Sa non-résistance au
phylloxéra a été constatée. »
16** Vigne de Fabbé David — Spinovitis Davidi. Rom.
Cette espèce et la suivante, introduites en France par Ro-
manet du Caillaud, ont été découvertes par le savant missionnaire
lazariste Tabbé David dans la province chinoise de Ghen-si, sur le
versant septentrional et sur le versant méridional de la chaîne du
Tsing-Ling, vaste massif montagneux gui sépare les bassins des
deux grands fleuves de la Chine, le Hoang-Ho et TYang-Tsé-
Kiang.
Le Spinovitis Davidt appartient au versant septentrional; il
croit à une altitude de 1100 à 1200 mètres environ par Si"" latitude
nord et 106* longitude est, aux environs du village d*Inhiajco,
dans la vallée du Lao-Yu, l'un des contreforts du Tsing-Ling ; la
pente rocheuse qu'il couvre de ses lianes impénétrables est exposée
au midi. Le sol est un terrain primitif, analogue à celui du
Limousin et de la Bretagne (1).
Cette espèce présente les caractères suivants: « Tige grêle,
recouverte dans ses parties herbacées et sur les nœuds de poils
glanduleux, rouges, épais, rigides, serrés vers les extrémités ;
vrilles discontinues bifurquées avec quelques poils raides.
Feuilles assez petites, entières, cordiformes ou orbiculaires,
dents atténuées, deux dents plus accusées marquent la place des
lobes latéraux inférieurs; sinus pétiolaire assez échancré; face
supérieure glabre, d'un vert terne ou bronzé chez les feuilles
adultes, blanchâtre et légèrement tomenteuse, avec quelques
poils rouges, raides chez les jeunes feuilles ; face inférieure à
nervures et sous-nervures très saillantes, à poils épineux assez
nombreux, blanche, recouverte sur toute la surface d'un duvet
tomenteux, court et très serré; pétiole lavé de pourpre avec des
traces aranéeuses et des poils très nombreux faisant un angle
obtus avec la feuille. Raisins noirs ou blancs, à grains petits de la
dimension d'un gros cassis. Graine (S ""* à 6 """" X 4 """, 5), glo-
buleuse, légèrement échancrée à la partie supérieure. Ghalaze
peu apparente, généralement circulaire, avec un raphé presque
(I) Romanet du Caillaud, Hevue horlicole, 1883, p. 53.
L
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DES VITIS AUTRES QUE LE VITIS VINIFERA 315
toujours rudimentaire qui se perd dans le sillon médian (1). »
D'après Romanet du Gaillaud, les chrétiens de la montagne
du Lao-Yu fabriquent avec le raisin du Spinovitis Davidi, un vin
rouge, doux et acide en même temps, d'un goût aromatique
spécial, rappelant la framboise ; ce vin est très bon, dit-il, mais
&ible ea alcool.
— 17* Vigrie de Romanet — Vitis Romaneti.
Son habitat se trouve sur le versant méridional du Tsing-Ling
où, comme sur le versant septentrional, le sol est aussi exclusi-
vement granitique. L'abbé David l'y a rencontrée près du village
de Ho-Chen-Miao, dont l'altitude est de 1390 mètres. La
latitude de ce point est d'environ 33"* N. et sa longitude
vers lOo" E.
Suivant Romanet du Caillaud (2), les feuilles du Vitis Roma-
neti sont plus lancéolées et plus régulières que celles du Spino-
vitis Davidi dont le feuillage est polymorphe (3), car sur un pied
il n'est pas rare de trouver des feuilles à deux, trois ou quatre
échancrures très accentuées et d'autres en forme de cœur ; et il
semble que le V. Romaneti comprenne deux variétés : l'une aurait
le feuillage couleur vert-bouteille et glabre, l'autre vert-pomme
clair et légèrement tomenteux. Le fruit du Vitis Romaneti n'a pas
encore été étudié, mais de ce que les pépins sont moins gros que
ceux du Spinovitis Davidi on peut, dit Romanet du Caillaud,
présumer qu'il est un peu plus charnu. « Les graines (4""*, 5X J""", 5)
sont globuleuses; leur chalaze peu saillante, allongée, se confond
avec le raphé qui se perd promptement dans le sillon médian (4). »
B. VIGNES AMÉRICAINES.
J.-E. Planchon (5) les divise en deux sections :
1° MUSCADINIA.
2*" EuvTTES ou Vignes proprement dites, subdivisées elles-
mêmes en deux séries :
a. Raisins à gros grains ;
b. Raisins à petits grains.
i^ Section. Muscadinia. — Séparée des Euvites à raison de ses
{{) Ampélographie américaine, loc. cit., p. 14.
(2) Romanet du Caillaud, Eeme horticole, 1883, p. 53 et suiv.
'3) V Ampélographie américaine ne mentionne pas cette particularité.
(4) Ampélographie américaine, loc. cit., p. 14.
(5) J.-E. Planchon , les Vignes américames, loc. cit., p. 101. ^
Digitized by
Google
316 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
caractères de végétation et de fructification, cette section ne com-
prend qu'une espèce, le Vùis rotundifolia Mich.
l** Vitis rotundifolia Michaux {Flor, bor. amer. y H, p. 231) ;
De Cand. {Prodr,, I, p. 635); Durand). — Vitis vulpina (en
parlie). Torrey et Gray. Ëngelmann et la plupart des auteurs
américains.
Vulgairement : Miiscadine^ Bullace^ Bullet Grape (raisin à
balles), Southern fox Grape.
Espèce vigoureuse, luxuriante, dont les tiges flexibles et
élancées grimpent au sommet des plus grands arbres ; différant
de toutes les autres vignes par le bois, le feuillage, le fruit et le
mode de culture. L'écorce est claire, unie, jamais fendillée, et ne
se détache point en lambeaux, comme chez notre vigne d'Europe
et chez toutes les autres vignes d'Amérique. Les feuilles petites,
arrondies, cordiformes avec de grosses dentelures triangulaires,
sont glabres sur les deux faces et plus luisantes en dessous qu'en
dessus. Les vrilles toujours simples sont opposées une à une à
chaque feuille, sauf là où des grappes en tiennent place. Les
grappes à fleurs sont petites ; les fleurs mâles sont portées sur
des pieds distincts de ceux des femelles, et chaque grappe fruc-
tifiée n'a qu'un petit nombre de grains de trois à neuf. Les
grains sont gros, de couleur purpurine ou ambrée, d'un goût
et d'un parfum particuliers, durs comme des balles ; ils se dé-
tachent un à un à mesure qu'ils mûrissent. Les graines, au
nombre de 2 ou 4 dans chaque baie, sont luisantes, de couleur
fauve olivâtre clair, et d'après Planchon présentent les carac-
tères suivants : forme générale ellipsoïdo-ovoïde-subpyriforme ;
face ventrale un peu carénée; dos un peu convexe, offrant vers
le milieu de la ligne médiane une dépression (région chala-
zique) d'où partent, en rayonnant, quelques rayons superfi-
ciels.
Très répandue dans les États du Sud des États-Unis, cette espèce
y est strictement confinée, puisqu'au delà du Potomac elle parait
devenir stérile; aussi, malgré sa parfaite immunité (1) contre le
phylloxéra, immunité due à un goût astringent et acre de ses
racines, n'est-elle chez nous, accessible à la culture que dans la
région méditerranéenne. Et encore sa non-valeur comme porte-
greffe, l'impossibilité presque absolue d'en obtenir des boutures
et la nécessité de ne point la tailler, jointes à la difficulté d'en
(1) Cette espèce et ses variétés sont aussi à l'abri du roi et du mildew.
Digitized by VjOOQIC
HISTOIRE BOTANIQUE DE8 VITIS AUTRES QUE LE VITIS YINIFERA 817
récolter les fruits, rendent-ils le succès pratique de pareilles plan-
tations peu probable (1).
2* Section. Euvites. — 1'** Série. — Raisim à gros grains.
2** Vitis Labrusca Linné. — Vulgairement : Fox Grape,
Northern Fox Grape, Vigne ferrugineuse.
Vigne grimpant souvent au sommet des plus grands arbres.
Les tiges ont une écorce lâche fendillée. Les feuilles amples,
cordées, denticulées sur leurs bords, entières ou à trois lobes peu
profonds, sont revêtues d'une laine ou d'un duvet épais, rouilleux
ou quelquefois blanchâtre et présentent vis-à-vis de chacune
d'elles, partout où il n'y a pas d'inflorescence, une vrille bran-
chue. Les grappes fertiles, courtes, portent de gros fruits généra-
lement d'un bleu foncé à pulpe peu fondante, d'un gouttant soit
peu âpre et ressemblant à celui du cassis (goût foxé), dont ils ont
aussi l'odeur. Chacun des grains contient deux, trois, quatre
graines. Ces graines sont grandes, entaillées, et on ne voit point
de raphé dans la rainure qui s'étend de la chalaze à l'entaille.
D'après Engelmann, cette espèce s'étend de la Nouvelle-Angle-
terre à la Caroline du Sud, y compris les monts Alleghanys, mais
elle est étrangère au Mississipi.
3** Vitis Lincecumii Buckley (spec. nova, inédit.) ; Du-
rand (in Bull, Soc. (Facclimat.y t. IX 1862), vulgairement:
Post'Oak'Grape, Pine-wood-Grape.
Cette vigne, très commune au Texas, dans la Louisiane occi-
dentale et dans l'Arkansas, dans les terrains sablonneux où crois-
sent le pin et le chêne appelé Post-oak (Qtœrcus obtusifolia)^
y forme d'épais buissons, et ses rameaux longs de 1 "", 20
à 1 "", 50 sont rarement grimpants. Elle ressemble par son feuil-
lage à certaines formes de Labrusca^ avec lesquelles on l'avait con-
fondue jusqu'à ce que Buckley l'ait distinguée comme espèce :
<( Les feuilles sont cordées (2), très grandes, plus larges que longues
et de deux formes différentes : les unes entières et dentées, les
autres principalement sur les branches fertiles, à cinq lobes pro-
fonds et arrondis à leur extrémité ; la face supérieure est parsemée
(i) Le dernier chapitre du tome II sera consacré à Tutilisation des vignes
américaines et à leur résistance aux divers ennemis de la vigne. Nous aurons
donc alors Toccasiont^ute naturelle de revenir avec plus de détails sur ce sujet,
et de modifier, d'ici là, saivaRt l'enseignement éventuel de Texpérience, les
appréciations, que nous alim émettre sur les vignes américaines.
(2) Elias Durand, lœ. dt.^ p, 485.
Digitized by
Google
318 AMPÉL06RAPHIE GÉNÉRALE
de touffes de poils arachnoïdes de couleur fauve (1), et l'inférieure
est couverte d'un épais tomentum de même couleur; les rameaux,
les pétioles et les nervures sont également couverts d'un épais
duvet de couleur rougeâtre. » Les grappes plus courtes que les
feuilles portent des grains gros, noir-pourpre, d'un goût très
agréable et d'une bdeur très suave; par malheur, à peine le
raisin est-il mûr qu'il s'égrappe et tombe.
4® Vitis candiccais Engelmann ; — Vitis mustangensts
Buckley ; — Vitis Caribxa var. coriacea Chapm. (d'après
Planch.), vulgairement: ift/s^on^-Gra/?^, c'est-à-dire, vigne
de cheval sauvage.
Plante grimpante ; ses feuilles cordées, entières ou profondé-
ment lobées, presque sans dents, glabres, excepté sur les nervures
qui portent des poils blancs allongés, et d*un vert foncé sur la
face supérieure, sont recouvertes à la face inférieure d'un duvet
blanc compact. Les grappes sont petites, irrégulières; les grains
sont gros et serrés, et leur goûl est acre et brûlant à raison du suc
rouge vif que contient la peau ; celle-ci enlevée, la pulpe devient
d'une saveur très agréable. Les graines se rapprochent de celles
du V. Labrusca; elles sont plus larges, ont un bec plus court et
sont moins distinctement entaillées.
Cette espèce croit au Texas, dans la partie orientale du Nou*
veau-Mexique et dans l'Arkansas ; elle est d'une vigueur extraor-
dinaire et sa fertilité est si grande que le professeur Buckley dit
avoir retiré d'un seul pied de cette plante 193 litres de moût.
Ajoutons cependant que ce moût a besoin d'être sucré au
moment de la fermentation.
5** Vitis monticola Buckley.
Cette espèce qu'Engelmann dit n'être qu'une variété du itis
sBstivalis et qui, lorsqu'elle se trouve dans les bois ombragés,
prend une forme se rapprochant du Vitis] cordifolia, est ainsi
décrite par Elias Durand (2) : « On rencontre cette vigne dans la
partie septentrionale du Texas et plus au nord. Elle est étalée
sur la terre et sur les buissons, ses sarments ont rarement plus
de cinq à six pieds de long. Ses feuilles sont presque glabres,
cordiformes avec une échancrure profonde et étroite ; elles sont
dentées sur les bords et quelquefois à trois lobes peu saillants.
(1) Diaprés VAm^élogrtxphie amériaine, de Foex et de Viala, les feuillet
adultes du V. Lincecumii seraient glabres à la face supérieure.
(2) Elias Durand, loc. cit., p. 484.
L
Digitized by
Google
HISTOIRE BOTANIQUE DES VITIS AUTRES QUE LE VITIS VINIFERA 319
Les rameaux, les pétioles et les nervures des feuilles sont
recouverts d'un duvet arachnoïde ; les grappes sont fortes, com-
posées ; le grain, de moyenne grosseur blanc ou ambré, est le plus
agréable de tous les raisins américains. »
2* Série. Raisins à petits grains.
6* Vitis Berlandieri Plandion {Vitis monticola Seedling
Onderdouk ; Vitis cordifolia coriacea D. Davin), vulgairement :
Surret mountain (incorrectement pour Sweet mountain).
Espèce nouvelle, créée par J.-E. Planchon, que Millardet
donne comme synonyme du Vitis monticola de Buckley. Or, dans
le Vitis monticola les grains sont blancs, de grosseur moyenne
ou grands, très agréables au goût, tandis que dans l'espèce Ber-
landieri les grains sont petits, noirs et d'un goût assez médiocre :
il n'est donc pas possible de les assimiler.
« Le nom de Berlandieri, que je propose d'attacher à cette
espèce, est celui du botaniste voyageur suisse qui, le premier, la
recueillit au Nouveau-Mexique ou au Texas en 1834. Cette vigne
est remarquable par ses rameaux très nettement anguleux (pen-
tagonaux sur Taxe primaire), caractère qu'on retrouve chez le
Mustang {Vitis candicans), le Post-oak ( FiVw Lincecumit), le Vitis
cinerea, mais qui manque chez les vrais œstivalis. Le duvet qui
en occupe les feuilles adultes, les pétioles, les tiges, tantôt
sen'é en couche grisâtre, tantôt clairsemé sur les nervures, se
résout en petits flocons ramassés et non étirés en fils aranéens
comme ceux du Labrusca. Les vrilles sont discontinues; les
feuilles des extrémités des jeunes pousses, au lieu d'être long-
temps pliées en gouttière au-dessus des feuilles suivantes,
comme chez les riparia, sont étalées de bonne heure en lame
plate et souvent teintée de rose. Par là, notre espèce rappelle
les œstivalis dont elle diffère nettement par ses rameaux angu*
leux. Les grappes de ses pieds fertiles sont pédonculées; les
grains (baies), petits (comme un grain de poivre), noir violacé
avec une légère fleur pruineuse; pulpe fondante, peu abondante,
acidulé et un peu âpre, peut-être par défaut de maturité (ils ne
sont pas même en véraison en ce moment, 24 août 1880 à l'Ecole
d'agriculture); graines (d'après l'échantillon de Wright), au
nombre de deux, très largement ovoïdes, aplaties à leur face,
très convexes sur le dos, à bec très court et très obtus, échan-
crées à l'extrémité; raphé peu saillant en avant, très enfoncé,
dans le sillon qui aboutit à la fossette chalazique (dans l'échan-
Digitized by
Google
320 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
tillon n** 2412 de Berlandier, une graine unique par avortement
a sa face renflée, non aplatie, l'ensemble des caractères res-
tant le même).
« Cultivé à souche basse, sans support, le VitisBerlanâieri
•étend en tous sens sur le sol un fouillis de rameaux grêles,
garnis de feuilles de grandeur moyenne ou petites, orbiculaires
ou cordiformes, entières ou trilobées, avec les lobes latéraux
souvent peu marqués ; sinus pétiolaire très ouvert, dents du pour-
tour largement triangulaires, courtes, mucronées ; consistance
épaisse, rigide; couleur vert intense jen dessus, plus pâle en
dessous, mais avec un luisant particulier, presque de vernis,
chez les formes glabrescentes ; duvet grisâtre chez les formes
tomenteuses.
«Insignifiante ou nulle pour la production directe, cette vigne
sera probablement un porte-greffe de premier ordre en tant que
résistance au phylloxéra (1). »
6** Vitis œstivalis Michaux. Vulgairement, Summergrape.
Espèce répandue dans les bois, les taillis, les fourrés de presque
tous les États de TAmérique du Nord : elle peut grimper au
sommet des arbres, mais le plus souvent elle est rampante sur
la terre et sur les broussailles. Ses feuilles sont plus minces que
celles du Labrusca, plus fortement dentées, plus accentuées et à
lobes plus allongés; dans le jeune âge, elles sont toujours très
laineuses et cotonneuses, le plus souvent rouge clair ou rouillées,
plus tard elles sont plus ou moins glabrescentes en dessus, et
portent en dessous, sur les nervures et les veines, un duvet
floconneux ou clairsemé. La grappe est longue et composée ; les
grains sont petits, presque toujours couverts d'une fleur et ren-
ferment 2 à 3 graines. La maturité est assez tardive, malgré le
nom de raisin d'été. Les graines ont le raphé très proéminent et
la chalaze, plus ou moins circulaire, est fortement développée.
V Vitis cinerea Engelmann.
Le Vitis cinerea se rencontre dans les bas-fonds et sur les bords
des lacs dans le Missouri, dans les riches alluvions de la vallée du
Mississipi, du centre de TlUinois, jusqu'à la Louisiane et au
Texas ; on le trouve non moins abondamment dans certaines loca-
lités voisines de Saint-Louis.
Ses caractères permettent de le considérer comme voisin du
V. Berlandieri et du V. ssstivalis.
(i) J.-E. Planchon, journal : la Vigne amériame, p. 188.
Digitized by
Google
BISTOIRE BOTANIQUE DES VITIS AUTRES QUE LE VITIS VINIFERA 32i
S'^Vitis Caribœa De Candolle {Prodr.,L, p. 634); — Vùis
indica Humb., Bonpl. et Kunth.
Cette espèce, qui n'a fouraî aucune variété cultivée et dont le
raisin noir peu juteux et très acide ne se mange pas, ressemble
assez par ses feuilles très duveteuses en dessous au VitisLabrusca;
mais, d'après Planchon, elle s'en distingue par ses grappes beau«-
coup plus longues, et par le duvet qui se détache de ses rameaux
et de ses pétioles en lambeaux irrégnliers, le plus souvent
allongés comme des mèches cotonneuses.
On ne la trouve aux États-Unis que dans la Floride. Elle est
très commune le long des côtes du Mexique, aux Antilles, dans la
Nouvelle-Grenade, etc.
9« Vitis Califomica Benth. ; — Vitis Caribœa Hook et Avu.
C'est une vigne très vigoureuse et très commune dans la
Californie, la Sonora et la partie occidentale du Nouveau-Mexique,
qui n'a encore fourni aucune variété utile ; le fruit a pourtant un
goût assez agréable. Ses feuilles sont arrondies, petites, cordées^
d'un vert lustré à la face supérieure, d'un vert plus clair et
portant des bouquets de poils raides sur les nervures et les sous-
nervures à la face inférieure. Les fruits sont gros; les grains
petits et noirs. Les graines, presque globuleuses, présentent une
chalaze saillante, allongée, se confondant avec le raphé qui se
perd dans le sillon ou se continue jusque sur la face ventrale.
40* FeVi5 iîrizomca Engelmann.
Espèce douteuse, se rapprochant beaucoup de la précédente
d'après Engelmann, et plutôt du Vitis cordifolia Mich. suivant
Planchon (1).
11* Vitis rupestris Scheele.
Cette vigne nous vient des montagnes Rocheuses où, comme son
nom l'indique, elle se rencontre sui*tout dans les rochers, les
plateaux rocailleux et les terrains les plus secs. C'est un petit
arbuste très buissonneux, souvent dépourvu de vrilles, quelque-
fois légèrement grimpant ; les feuilles réniformes ou cordées, à
dents inégales et parfois à trois lobes assez prononcés, sont
très luisantes et glabres des deux côtés, excepté sur les nervures
les plus jeunes ; elles restent indéfiniment pliées en gouttière. Les
raisins noir-bleu et d'un goût douceâtre, d'où le nom vulgaire
(1) Voir plus haut (p. 254) ce aue nous disions de ces deux derniers
cépages à propos de la Yigne en Cakfomie.
TRAITÉ DE LA VIGNE. — ï 21
Digitized by
Google
322 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
qu'on lui donne de Sugar-Grape, sont nombreux, très petits, courts
et clairs. Les grains sont aussi petits, mais les pépins sont gros
et nombreux.
12** Vitis cordifolia Michaux.
Il y a peu de temps, les auteurs n'étaient pas d'accord sur l'im-
portance qu'il fallait attribuer à cette espèce. Tandis qu'Engel-
mann la restreignait au Vitis cordifolia de Michaux et lui assignait
les noms vulgaires de Winter-Grape, Frost-Grape, Chicken-GrapCy
et que Gray et Durand lui adjoignaient l'espèce Riparia et lui
donnaient ainsi une extension énorme, Planchon allait plus loin :
dans les Vignes américaines, il la considérait en efifet comme
formée de trois variétés : deux sauvages, 1* var. a, genuina;
2** var. A, riparia; une cultivée, var. c, Solonis. Actuellement,
comme l'avait indiqué Millardet, le Solonis est regardé comme
une variété dn Riparia, et le Cordifolia est complètement distinct
de cette dernière espèce.
Le Vitis cordifolia, ainsi restreint, présente les caractères sui-
vants : « Plante de vigueur moyenne. Sarments grêles, à mérî-
thalles plus courts que ceux du Vitis riparia, à écorce lisse et
adhérente, grimpants ou étalés ; vrilles discontinues; feuilles
étalées dès l'origine, ce qui les différencie du Vitis riparia, qui
a ses jeunes feuilles restant un certain temps pliées en gouttière;
feuilles adultes plus épaisses, plus luisantes que celles de cette
dernière espèce, à dents obtuses, glabres sur les deux faces.
Grappe allongée, le plus souvent lâche, à grains petits, d'un
violet noir mat, non pruineux, d'une saveur un peu acide et
désagréable, renfermant habituellement une, quelquefois deux et
rarement trois graines, lesquelles sont caractérisées de la manière
suivante : chalaze arrondie ; raphé saillant et proéminent comme
chez les œstivalis, mais plus épais et logé dans une cavité plus
profonde (1). » Habitat : États-Unis, sous toutes les latitudes entre
l'Océan et les montagnes Rocheuses.
13° Vitis ri)9«ria (Michaux- Torrey et Gray-Durand). -^Syno-
nymie (d'après Planchon) : V. Canadensis aceris folio
(G. Ray); — V. Vulpina dicta Virginiana nigra (Pluken);
— V. Virginiana (Hort. Par. Poiret) ; V. incisa (Jacq.
Hort. Schœnbr). Vulgairement : Vigne des Battures,
River-Grappe (vigne des rivières), Sweet seented Grape
(vigne odorante).
Cette espèce présente le» cerfib^es suivants : Sarments longs,
(1) Ampélographie américaine, loc, cil.j p. 11.
Digitized by
Google
VARIÉTÉS DES DIVERS* VITIS 323
le plus souvent grêles, à mérilhalles allongés. Feuilles plus ou
moins profondément tri-ou quinquélobées, irrégulièrement inci-
sées-dentéeSy glabres des deux côtés ou avec quelques poils
raides et clairsemés sur les nervures, seulement en dessous.
Grappe ordinairemeïit volumineuse ; baies plus petites que celles
du Vùis cordifolia, presque toujours pruinées et d'un goût parti-
culier, mais moins accentué que chez le Vitis Labrusca, Graines
petites à chalaze peu saillante et à raphé se perdant bientôt dans
la dépression médiane. — Habitat : plus étendu que celui de l'espèce
précédente. Aussi répandu vers le sud et l'ouest, le Vitis riparia
s'avance plus au nord. C'est la seule vigne que l'on trouve dans
le bas Canada (1).
IV
VARIÉTÉS DES DIVERS VlTlS.
On constituerait un ouvrage avec les noms des différents auteurs
qui se sont occupés de l'étude des variétés des vignes, surtout si
on voulait essayer de résumer les diverses opinions, qui ont été
émises à ce sujet toujours ouvert à la controverse. Quel que soit
l'intérêt qui puisse s'attacher à cette revue rétrospective, nous ne
l'entreprendrons pas. Mais, nous croirions faire acte, à la fois de
lèse-savoir et d'improbité, si, au frontispice même de notre lon-
gue galerie descriptive, nous ne nous hâtions d'apposer les noms,
pour ne pas dire les bustes des hommes éminents qui ont créé de
toutes pièces la science ampélographique, et dont les laborieuses
et consciencieuses recherches nous ont fourni les matériaux de
notre travail.
iJ Essai sur les variétés de la vigne qui végètent en Andalousie y
de Simon. Roxas Clémente (2), Y Ampélographie universelle ou
Traité des cépages les plus estimés dans tous les vignobles
de quelque valeur d'Odart (3) ; V Ampélographie française de
Victor Rendu (4); les Vignes Américaines et les [diverses notes
insérées dans le journal la Vigne Américaine de J.-E. Plan-
chon (5); les Vignes du Midi, publiées dans le livre de la Ferme
(1) Voir plus haut (p. 248). La Vigne au Canada.
(2) Abréviation : Sim. Rox.
(3) Abréviation : Od.
(4) Abréviation : Rend.
(5) Abréviation : PI.
Digitized by
Google
724 AMPÉLoGRAPHIE GÉNÉRALB
de Mares (1); la Description et synonymie de mille variétés de
vignes cultivées dans la collection de M. V. Pulliat à Càiroubles, de-
Pulliat (2); le Vignoble ou Histoire , culture et description avec plan--
ches coloriées des vignes à raisins de table et à raisins de cuve let
plus généralement connus^ de Mas et Puiliat (3) ; le Saggio-
di una Ampelografia universale, de G. de Rovasenda (4); le
Bandbuch der Ampelographie, etc., de H. Gœthe (S) ; le Doura
illustré et le Manuel de viticulture de Villa Mayor (6) ; les^
Vignes américaines^ de Bush et Messner (7) ; et quelques^
œuvres en cours de publication : Ampélograpkie Américaine de
Foëxèt Viala{%)^ Bolletino Ampélografico (9), Histoire des prin-
cipales espèces et variétés de vignes américaines résistant au phyllo-
xéra^ de Millardet (10), etc.
Tels sont les monuments à Faide desquels, comme les Barberinî:
de Rome, construisant leurs hôtels avec des débris du Colisée^
nous avons pu dresser la modeste collection que nous ouvrons
ci-dessous au public.
Si le lecteur y trouve quelque intérêt, c'est donc, nous nous
hâtons de le déclarer, aux observateurs en question qu'il en devra
à peu près exclusivement savoir gré. Nous voulons bien butiner
à la manière de Tabeille, mais non à celle du frelon.
J^RINCIPALES VARIÉTÉS DU VITIS VINIFERA
Abbondanza, Italie (Sienne). — Cépage présentant d'après le BuU^
Amp, (fasc. XIV, p. 28) les caractères suivants : Feuilles vert clair à la face
supérieure, aranéeuses et par suite vert blanchâtre à la face inférieure, pétiole
court, légèrement teinté de roux. Grappe allongée, pyramidale, ailée, peu
garnie. Grains blanc pâle, saveur simple. Fructification sûre et abondante. —
Raisin de cuve.
Abdone, Italie (Alexandrie). Syn. : Balochina, Moradellone (Alexandrie)
(1) Abréviation : Mar.
(2) Abréviation : Pull.
(3) Abréviation : M. P. ou Vign. ou M et P.
(4) Abréviation : G. de R.
(5) Abréviation : H. G.
(6) Abréviation : V. M.
(7) Abréviation : B. et M.
(8) Abréviation : Amp. Am.
(9) Abréviation : Bull. Amp., ou B. A.
(10) Abréviation : Mill.
Digitized by
Google.
PRINCIPALES VARIÉTÉS DU VITIS VINIFERA 32S
{Bull. Amp.f fasc. XVlII,p. 120). —FeuiUes quînquélobées, profondément décou-
pées, rudes, vert sombre, duveteuses à la face inférieure. Grappe moyenne-
longue. Grains^ ronds, gris cendré bleuté, cbamus (Dem aeia et Léardi, in. H. G.) .
Ab^era, Espagne Sm. Roxas. — Sarments un peu droits, tendres, très
rameuz. Feuilles grandes, vertes. Grains très serrés, presque ovales, verts, très
«occulents, veines apparentes.
Abrahimof, Perse G. de R. — Raisin rouge.
Abrostine, Italie (Toscane) G. de R. — Raisiq noir.
A€»ai, Hongrie. Syn. : Acsai feher. — Feuilles à trois lobes, face supé-
deore rugueuse, face inférieure duveteuse. Grappe assez grosse, serrée, ailée ;
:grains ronds, moyens, vert jaunâtre (H. G.).
Aetonihia Aspra (lies Ioniennes). Syn. : Pizzutello bianco^ G. de R.
— D'après Od. (2» édit., p. 460), ce plant, cultivé dans les lies Ioniennes,
«'est autre que celui qui fournit le raisin cornichon des livres de jardinage.
Ses raisins ne sont pas propres à la vinification, ils sont même peu agréables
pour la table, mais la forme des grains est assez curieuse. Le nom, qu'on peut
(traduire par serres d'aigle^ en découle.
AiQeme Miskett (Tauride, Grimée). Syn.: Muscat de Syrie ^Od, — D'après
•cet auteur (p. 450), ce raisin de table a une saveur très fine et très agréable,
mais contrairement à son nom ne possède pas celle des muscats. M. Bouscbet
<G. DE R., p. 2) dit aussi que ce n'est pas un muscat, et qu'il ressemble à la
Clairette du Midi.
Affenthaler Blanep, Allemagne (Wurtemberg). Syn. : Affenthaler Sauer-
Ucher. — Les ampélographesne sont pas d'accord sur la synonymie de ce cépage ;
les uns l'identifient avec le Pinot noir, d'autres avec le Frankenthal, aussi
4onnons-nous diaprés H. G. la description de ses caractères. FeutZ/es moyennes,
^rt clair à la face supérieure avec des petits points noirs, la face inférieure
^u?eteuse d'un vert gris avec des points jaunâtres. Grappe, moyenne, assez
longue, très rameuse. Grams moyens, noir bleuté, doux, acidulés.
AgUanlco, Italie (Lecce). Syn. : Agnanico di Castellaneta, Uva Castella-
Mta^ Uva de eani (B. A.). — Feuilles petites presque entières, tout d'abord de
•couleur verl-pré et en automne de couleur tabac, lisses à leur face supé-
rieure, à la face inférieure velues. Grappe conique, simple, longue et de gros-
^ur moyenne. Grains ronds, moyens, de couleur noir bleuté, pruiné, saveur
simple et âpre. A la cuve on en tire un bon vin. {B. A., fasc. XV, p. 3.)
Agostenga, Italie (Piémont). Syn. : Vert précoce de Madère^ Prié blanc,
Madeleine verte Od. ; Lugliatica verde, Vert de Madère, Early Green Madeira
itn M. P.). — Ces derniers auteurs dans le Vign, (t. I, p. 3), font remarquer que
Ton ne doit pas confondre cette variété avec le Verdelho de Madère. C'est,
disent-ils, un cépage donnant un bon raisin de table, et aus^i très précieux
•comme variété de pressoir pour les localités élevées. Il faut autant que possible
le cultiver sur un sol en pente se réchauffant facilement aux rayons du
«oleil, abrité du vent du nord et de Fouest, car il est très sujet à la rouille ou
carie dans les sols f^aiset humides. Ils en donnent les caractères suivants :
« Bourgeonnement portant un léger duvet blanc. Sarments peu épais, d'un
jaune clair, longs, de moyenne force et à entre-nœuds un peu longs. Feuilles
petites ou à peine moyennes, aussi longues que larges, d'un vert foncé,
glabres à leur page supérieure, portant un léger duvet à leur page inférieure ;
sinus supérieurs assez profonds ; sinus secondaires bien marqués ; sinus péiio-
laire ouvert, dents assez larges, peu allongées et un peu obtuses; pétioles
Digitized by
Google
326 AMPÉLOGRAPUIE GÉNÉRALE
assez longs et un peu grêles. Grappe moyenne, le plus souvent conique, un peu
ailée et peu compacte ; pédoncule assez long et un peu grêle. Grains moyens
ou sur-moyens, presque ellipsoïdes, pédicelles un peu longs et de moyenne
force; peau fine, translucide et résistant bien à la pourriture, restant Terte
jusqu*à la maturité, qui est de première précocité, et passant quelquefois au
jaune clair, lorsque le fruit est bien exposé au soleil; chair molle, bien juteuse,
sucrée et relevée, d'une saveur fine et agréable. »
Agracera noire, Espagne (Andalousie). — Feuilles vert foncé, grains
très gros, noirs. (Sim. Roxas, p. 215.)
Agndet noir, France (Tarn-et-Garonne). — Od. (p. 501) le cite comme
cépage méritant l'attention. Son vin est spiritueux et d*un bon goût.
Pulliat (p. 8) en donne les caractères suivants : Feuilles, sous-moyennes,
duveteuses, bien sinuées. Grappe, sous-moyenne, cylindro-conique, grains
plus qu'oblongs. Mûrit douze ou quinze jours plus tard que le Chasselas, il y a
aussi une variété blanche, qui est d*un goût très fin.
AgnzeUe, France (Isère). Syn. : Prinsan, Prinsens, Beccu, Beccuette, Etris^
Petit Becquet, Persan,^ Pressan, Eiraire, BâtardCf Guzelle, Bâtarde longue, Cul-de-
poule, Siranèze pointue, Pousse-de-cfièvre, Bégu M. P. — Ces derniers auteurs dans
le Vign. (t. II, p. 13), étudient ce cépage sous le nom de Persan et en donnent
les détails suivants : c'est par excellence celui de nos hauts treillages : il a pour
lui la vigueur, la fertilité et la qualité. Son vin, un peu dur, est alcoolique et
se conserve. VAguzelle est vigoureux, rustique et bien fertile ; il s'accommode
de toutes les tailles et de tous les sols tant soit peu convenables à la vigne.
Assez vigoureux pour prospérer dans les sols maigres et secs des coteaux, il
demande une taille généreuse dans les sols riches et profonds ou bien un
grand développement sur cordon. Description : « Bourgeonnement d'un gris
roussàtre, fortement duveté, passant au vert jaunâtre. Sarments de moyenne
force, finement striés ; entre-nœuds de moyenne longueur . Feuilles sur-
moyennes, aussi larges que longues, d'un vert herbacé, lisses et glabres à leur
page supérieure, parsemées à leur page inférieure, surtout le long des ner-
vures, d'un duvet aranéeux peu abondant ; sinus supérieurs peu marqués,
sinus secondaires presque nuls ou très peu marqués; sinus pétiolaire large-
ment ouvert ; pétiole un peu long, peu fort et souvent teinté de rouge ; dents
peu profondes, obtuses ou arrondies. Grappe moyenne, cylindro-conique,
courtement ailée, un peu compacte; pédoncule court, fort et ligneux. Grains
moyens, olivoïdes ; pédicelles forts, un peu longs. Chair peu ferme, juteuse,
âpre et astringente, peu sucrée ; saveur simple. Peau fine, mince et cependant
résistante, d'un beau noir légèrement pruiné à la maturité, qui est de deuxième
époque. »
Ahomtraube bianca, Autriche (Styrie et lllyrie). Syn. : Wipbacher
ahomblàtteriger, Lciska belina, Podbeuz ou Podbelec, Drobna lipovscina; Debela
lipovina{en Croatie) H. G. —Cet auteur en donne la description suivante:
Feuilles quinquélobées, sinus bien marqués, vert sombre, face inférieure coton-
neuse. Grappe, moyenne, ressemblant à celle de l'Ebliing weisser. Grains
ronds, vert jaunâtre, peu serrés; on emploie ce raisin pour la v.'finification et
pour la table.
Aibally-isimn, Crimée. — Ce cépage, dontle nom vient d'Aibatly, bour-
gade près de Soudak, produit d'excellents raisins de table. Pull. (Cat.) en
donne les caractères ci-après : Feuilles grandes, un peu duveteuses. Grappe,
longue, grosse, ailée. Grains, gros, olivoïdes, 3<> époque de maturité.
Digitized by
Google
PRINCIPALES VARIÉTÉS DU VITIS VINIFERA 327
AUonicJil, Grèce. — Raisin noir de lable.
Alamis, Espagne. — Raisin blanc (Cat. du Jardin de Saumur).
Ain kelb (CEil de chien), Algérie (voir p. 99).
Alantermo blanc, Hongrie. — Raisin de cuye. Description: Souche robuste
el fertile. Feuilles bi ou trilobées, face inférieure duveteuse. Grappe grande,
ailée, serrée. Grains moyens, ronds, blanc verdàtre, bien juteux (m. H. G.).
All»an real, Espagne. — Sarments un peu dxin. Feuilles vertes, très peu
velues. GrainSt gros, très ronds, blancs, savoureux. (Sim. Roxas, p. 221.)
Albana blanca, Italie (Bologne). Syn. : Uva bianca (?), Balsamina
bianca Çt)rGreco Manco (?), Uva Morbidella (?), Bianckelto (?), Pesaro (?) ; —
Aibano, Albana di Forli et di Cesanaj Albana a longo grappolo de Faenza et
de Pesaro, Biancame (?), De Jesi, Grecco (?), A longo grappolo {in. M. et P.) ;
Albana di Rimini, Albana gentile bianca, Grecco d'Ancone (B. A., fasc. XVI,
p. 195). — Mas et PuUiat (Vt^n., t. I,p. 91), citent une description de ce cépage
faite par Pierre Grescenzio à la fin du treizième siècle. D'après cet ancien
auteur : VAlbana pousse tardivement et donne un raisin assez gros, long et
serré. G*est une variété moyennement fertile, à feuilles moyennement sinuées
et dont les sarments (tant est grande la rigidité de leur bois) ne plient pas sous
e poids des feuilles et des raisins. Les grains ont une saveur douce et une peau
âpre et un peu amère, aussi vaut-il mieux ne pas laisser le moût fermenter
trop longtemps avec les peaux et les r&Ûes. Le vin est alors alcoolique, d'une
noble saveur et de bonne conservation. La taille la plus convenable pour
VAlbana bianca serait la taille courte, et toujours d'après M. P. Y Albana Nero
qui parait être synonyme de VAlbana Rosse di Forli, diffère autrement que par
la couleur, de la variété blanche.
LeBulL Amp. (fasc. XVI, p. 195) distingue, à Forli, trois variétés d* Albana,
deux blanches : VAlbana gentile qui est celle que nous venons de décrire, et
Vklbana délia forcella ; une rouge, VAlbana rossa. Dans le fascicule XIV, p. 48,
de ce même B, A, VAlbana délia Forcella a comme synonyme : VAlbanella
gentile et VAlbanella di Forli.
Albanello, Italie (Syracuse). — Produit sous ce nom, en Sicile, des vins
très renommés. (Pull.)
Albarola, Italie (Gênes). Syn. : Trebbiana (Sarzanna e Garrara) B. A ;
Uva Albarola, Bianchetta Genovezé, Cqlcatella (Sezzane) Od. — Descrip-
tion d'après le B. A. (fasc. XV, p. 87) : Feuilles entières presque rondes,
couleur vert clair à leur face supérieure, un peu tomenteuses et rugueuses à
leur face inférieure. Grappe petite, serrée ; pédoncule court. Grains très serrés,
à peau mince, d'un blanc luisant. Ge raisin donne abondamment un vin
très estimé.
Albillo Caatellano, Espagne (Sni. RoxA«,p. 204 et 266>.— La saveur, ie
poids du moût de cette variété et les expériences de plusieurs propriétaires
démontrent qu'elle est très précieuse pour faire des vins, dont le moût est
très sucré et presque pur. Ses caractères sont les suivants : pédoncule ligneux ;
grains très serrés, presque ovales, verts, très juteux.
Albillo de Granatla, Espagne. — Raisin de table. Sim. Roxas (p. 205)
donne les caractères suivants de cette variété : Sarments cassants. Feuilles
moyennes, vertes, cotonneuses. Grains très serrés, moyens, un peu oblongs,
blancs.
Albillo de hnebla, Espagne. —Sim. Roxas (p. 279) :« Vigne beaucoup
cultivée à Trébugena et à port Santa Maria. Elle a les grappes longues, corn-
Digitized by
Google
^28 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
pactes et les grains semi-ronds, vert jaunâtre, brans à la partie exposée au
soleil, succulents, très doux et de saveur aromatique. »
Albourlah, Crimée. Syn. lAlburlala, Muscat rouge-corail H. G. -^ Ce c^>age
qui donne un raisin de table, est peut-être le plus estimé de tous ceux que
nous avons reçus de Grimée, du moins pour les borticulteurs. Description :
Grappe bien garaie de grains un peu oblongs, croquants sans être trop charnus,
d'un goût lin peu musqué. Feuilles amples, bien dentelées, lisses, se distinguant
par la teinte rouge des nervures principales et secondaires. (Odart, p. 451.)
l^uU. range cette variété dans celles mûrissant dans la deuxième époque.
Aleatico, Italie (Toscane et Piémont). Syn. : TJva Liatica, Aglianico?
Moscatelle Livatiche Od. ; Alealico Firenze, Aleaiico nero, Agliano, Liaiico^
Leatico, Alealico nero délia Toseana^ Lacrima Ckristi M. P. ; Lacrima di Na-
poli H. G. — Il existe deux variétés : une blanche et une noire. La variété
blanche est peu estimée, mais la noire, celle que nous décrivons, rangée par
Od. dans la catégorie des muscats, est très recherchée soit comme
raisin de table soit pour la vinification. Elle est la source du meilleur vin de
nqueur de la Toscane. Le Bull. Amp. (fasc. XVI, p. 205 et fasc. XVIU, p. 249)
donne la description des caractères, ainsi qu'il suit : Feuilles moyennes,
trilobées, face supérieure d'un beau vert clair, face inférieure d'un vert plus
pâle sans aucun duvet. Grappe serrée, conique, ailée. Grain» inégaux, ronds,
peau tendre d'un rouge foncé, pulpe sucrée dont Tarome se rapproche de celui
de notre muscat.
AMÏcBnte Bouschet, obtenu en 1855. — Hybride du Grenache et du Petit
Bouschet, comme :
L'Alic^ante Bouschet à feuilles découpées ;
VAUcauie Bouschet à sarments érigés;
L'Alicsante Bouschet précoce ;
L'Alicante Bouschet tardif.
Vigne à jus rouge, extrêmement coloré, vin de bonne qualité. Variétés très
fertiles {in G. de R.).
Alîgotéy France (Gôte-d'Or). Syn. : Giboulot blanc (Gûte-d'Or) ; Purion
(eûtes de la Saône) Od. ; Alligotay, {Côtes de Nuits), Plant gris, M. P.;
Carcairone blanc (vallée de Suse) G. de R. — Suivant le Vign. (t. II, p. 3), ce
cépage est d'une bonne et belle végétation, si l'on sait le conduire et le
cultiver. Il lui faut une taille courte, un ébourgeonnement sévère, qui ne laisse
sur la souche que les pousses des deux yeux de taille de chaque courson.
L'Aligoté est très sujet à être atteint par les gelées printanières, mais donne
de belles récoltes lorsqu'il échappe à ce fléau. Description ; Feuilles sur-
l!noyennes, plus larges que longues, un peu duveteuses, un peu sinuées. Grappe,
moyenne, conique, un peu ailée, compacte. Grains petits, presque sphériques ;
peau assez mince d'un vert clair un peu doré à la maturité; chair bien sucrée,
tineuse.
Alionza biàn<sa, Italie ^Bologne). — D'après les renseignements fournis
par Bianconcini à G. de Rovasenda, ce cépage serait une des meil-
leures espèces pour le vin. Mas et Pulliat, qui ont tiré leurs renseignements de
la même source, le décrivent d'une manière complète (Vign.^ t. III, p. 167) et
Te signalent comme donnant un vin sec, corsé, distingué, ne manquant pas
d'un certain arôme, et gagnant beaucoup en vieillissant. D'après ces auteurs
ht taille la plus convenable pour ce cépage serait la taille longue.
Almunecap, Espagne. Syn. : Po^a Larga (Almunecar), Largo (Malaga),
Digitized by
Google
PRINCIPALES VARIÉTÉS DU YITIS VINIFERA 329
Uva de Posa (Sm. Roxas). — D'après cel aaleur cette variété est très estimée
par le cojnmerce poar la fabrication des raisins secs, ou passas, La grappe
est déliée, très claire, les grains^ oblongs, sont blancs.
Altesse blanche de Chypre, France (Savoie). Syn. : Roussette haute ^
in G. DE R.
Altesse verte, France (Savoie). Syn. : Anet (Isère), Marelou (Rhône,
côte Rôtie), Plant d'Altesse, Prin blanc, Vionnier blanc, (Rhône, Loire), Arin,
Maçonnais, Fusette Od., Pull., M. P.-^«Ce cépage fait le fond du vignoble de
Oondrieu dont les vins, suivant Julien, ont du corps, du spiritueux, de la sève
et un bouquet très suave. Ce plant est également en majorité dans le vignoble
de Château-Grille, commune de Saint-Michel (Loire), et dont le vin ne le cède
en rien à son voisin, si ce n'est en réputation. Ce raisin est meilleur à
manger que le Chasselas, (Od;, p. 227.) mais sa grande qualité vineuse le
fait réserver pour le pressoir. >> On connaît plusieurs sortes de Vionniers qui
ne sont que des modifications dues à la culture : le petit Vionnier, le Vionnier
jaune, le Vionnier blanc.
Nous trouvons dans Mas et Pull. {Vign., t. lïl, p. i08) la description
suivante de VAUesse verte : Souche de bonne vigueur, assez rustique. Feuilles
d'un vert "foncé, glabres supérieurement, garnies inférieurement d'un duvet
aranéeux sur les nervures secondaires ; peu sinuées. Grappe moyenne cylin-
dro-conique, ailée ou souvent ailée. Grains sous-moyens, ellipsoïdes; peau
épaisse, jaune roussàtre à chaude exposition ; chair juteuse, bien sucrée,
agréable, à saveur simple.
Alvarell&Ao ou AlvarilhAo, Portugal.^ Od., dans sa cinquième édition,
se demande si ÏAlvarelhâo est identique au Plant de Porto (des envi-
rons de Marseille) ou flrùh Portugieser des Allemands ; nous ne trouvons nulle
part de quoi justifier TidenUté de ces différents cépages. Un maître en la
matière pour ce qui regarde Tampélographie portugaise, Villa-Mayor
décrit dans le] Dowro Ulustré (p. 468) TAlvarelhâo ainsi qu'il suit: «Cette
espèce semble originaire du haut Douro, c'est du moins dans la partie de la
contrée qui se trouve au-dessous du Corgo qu'elle se trouve le plus répandue.
Elle forme avec le Bastardo la base des vins de ces endroits. Dans le Minho et
principalement dans la région de Rasto, on retrouve VAlvarelhâo, sous le nom
de locata. On connaît au moins deux variétés de l'AIvarelhào, celle que l'on
nomme pé roxo (pied riolet) (mpé de perdiz (pied de perdrix) qui est la meil-
leure, el celle que l'on désigne sous le nom de pé bianco (pied blanc) ou verde
(vert) qui est inférieure. Quelques observateurs veulent qu'il y en ait une
troisième variété qu'ils désignent sous le nom dep^ preto (pied noir) et qui est
identique à la première, avec cette différence que la teinte du pied est plus
foncée.
VAlvarelMo pé de perdiz est incontestablement une des meilleures espèces
que l'on cultive en Portugal, grâce aux qualités qu'il donne au vin ; c'est
pourquoi on devrait la répandre beaucoup plus qu'on ne l'a fait jusqu'à ce
jour. Les caractères de ces espèces sont : Cep mince, écorce grosse, adhérente
et non crevassée. Bourgeonne en temps régulier, vers la fin de mars. Sarment i
en petit nombre, moyens, presque dressés ; entre-nœuds moyens, minces,
presque arrondis, presque lisses ; couleur des sarments gris rouge&tre ou can-
nelle, uniformes, cannelés, durs et contenant peu de moelle. Bfmrgeons obtus,
poilus. Feuilles, moyennes, inégales, pointues, à cinq lobes, les sinus latéraux
arrondis et celui de la base cordiforme. Face supérieure peu rugueuse, vert
Digitized by
Google
330 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
clair, la face postérieure intumescente, avec duvet peu adhérent, couleur
blanchâtre ; Grappes nombreuses, moyennes, composées, rameuses avec beau-
coup de grapillons; pédoncule moyen. GrainSy séparés, moyens, presque
égaux, ovales, noir peu foncé, peu de pulpe, doux avec un goût acide fort
agréable. »
Amarot, France (Landes). — Beau raisin noir de table, in G. de R.
Amar bou Amar (Rouge, père du Rouge), Algérie. (Voir p. 99.)
Anadasouli noir ou Anadasaouli du Caucase (Pull.), ou Anada-
saoupi M. P. Syn. : Oklaouri (Perse) Od. — La maturité tardive de ce cépage
rend sa culture impossible ou peu profitable ailleurs que sous le climat de
Tolivier. V Anadasouli blanc pousse très vigoureusement dans un sol léger et
maigre. Conduit à la taille courte, le cépage caucasien s'emporte un peu en
bois et fructifie modérément ; le mode de conduite qui lui convient le mieux
est la taille en cordon horizontal et à courson (M. P. in Vign.t t. Ui, p. 123).
En somme un raisin de peu de mérite et qui ne convient pas à nos cultures.
Anatollsche, Grèce. Syn. lAnatoliai feher (Hongrie) H. G. — Raisin blanc
de table.
Anebel Mperbi, Algérie. (Voir p. 99.)
Angelico, France (Gironde). Syn. : Musquette, Mtiscadet dotix, Raisi-
noUe (Gironde), Muscade (Sauternes), Muscat fou (vignobles de Bergerac),
Guilhan-Muscat (vignobles du Lot, du Tarn, et de Tarn-et- Garonne), Sauvignon
de la Corrèze ou Sauvignon à gros grains Od. ; Muscadelle du Bordelais; Bou-
çanelle (Lot-et-Garonne) Pull.; Cadillac, Blanc Cadillac (Gironde), Blanche
Douce (Dordogne) M. et P. ; Bordelais blanc à longue queue G. de R. — Cette
variété est classée par Od. (p. 135) dans les cépages à raisins blancs
les plus estimés dans les vignobles de Sauternes, Barsac et autre lieux circon-
voisins. Le Vignoble (p. 96, t. 1) en donne la description suivante : « Bour-
geonnement légèrement teinté de rouge-grenat et couvert d'un duvet d'un gris
roussâtre. Sarments forts, à entre-nœuds de moyenne longueur. Feuilles
grandes, un peu plus larges que longues, glabres à leur page supérieure,
garnies à leur page inférieure d'un léger duvet disposé en réseaju ; sinus supé-
rieurs bien marqués ; sinus secondaires presque nuls ; sinus pétiolaire large-
ment ouvert; dents larges, longues et bien aiguès; pétiole un peu court et
fort. Grappe sur-moyenne, ailée, un peu courte et un peu compacte; pédoncule
de moyenne longueur, et un peu fort. Grains moyens, presque sphériques ;
pédicelles courts et de moyenne force. PeaUj fine, sujette à la pourriture,
d'abord d'un vert clair, puis passant au jaune doré du côté du soleil à la
maturité, qui est de seconde époque. Chair un peu croquante, abondante en
jus sucré et agréablement relevé d'un léger parfum qui n'est pas celui du
Muscat et qui aurait plus de rapport avec celui du Sauvignon, »
Angiolablanca, Italie (Bologne). — Un des meilleurs raisins de table et
pour conserver l'hiver. (G. de R.)
Angnur Ali Derecy (ou raisin Ali Derecy), Perse (environs d'Ispahan).
— « La grappe de ce raisin délicieux a 4 à 5 décimètres de long et ses grains
noirs sont gros comme des prunes de Damas. » (Od., p. 606.)
Angruur Asji (ou raisin d'Achy), Perse (environs d'Ispahan). — Kempfer,
dit Odart (p. 606), compare son vin à celui de l'Ermitage. Raisin noir.
An§-uupAskery (ou raisin Askery), Perse (environs d'Ispahan). — Raisin
blanc et dont, suivant Od. (p. 607), les grains sont très petits et de saveur très
douce.
Digitized by
Google
PRINCIPALES VARIÉTÉS DU VITIS VINIFERA 331
Angnnr Atabeky, Perse (enYirons dlspahan). — Raisin blanc très estimé
pour la cuve. (0 . p. 606.)
Angrunr Chahamy, Perse (environs d'l8pahan).— « On fait avec ce raisin
noir du vin de très bonne qualité. » (Od., p. 606.)
AngrnarHalIaggraeh, Perse (environs dlspahan). — « Ce raisin est remar.
qaable par la longueur et la grosseur de ses grains généralement sans pépins. »
(Od., p. 606.)
Angraup Maderpelcheh, Perse (environs d'Ispahan). — Raisin blanc.
La grappe, suivant Od. (p. 607), est généralement composée de grains petits et
gros entremêlés.
Angranr rieh baba, Perse (environs d*Ispahan). — «Ce nom dit le savant
voyageur Pallas, est tiré de la forme cylindrique et comme étranglée de ses
grains blancs très gros. 11 est cultivé en Crimée sous ce même nom. Ce gros
raisin blanc n'a pas de pépins ; il est très sucré et d'un goût très agréable . »
(Od., p. 606.)
Angruur Samarkandy, Perse (environs d'Ispahan). — Raisin noir. Il sert
à la fabrication du vin de Schiras. (Od., p. 606.)
Angnar tebrizy, Perse (environs d'Ispahan). — Raisin dont les grains
sont longs et souvent sans pépins, se gardent tout l'hiver. (Od., p. 606.)
Ansonica blanca, Ile d'Elbe. — Cette variété est très cultivée dans cette
lie. (G. DB R.)
Anzolica IVera, Italie (Campanie). Syn. : Prête. H. G. — Feuilles bien
sinuées et bien duveteuses. Grappe petite avec des grains moyens, serrés, noir
pruiné.
Apesorgia blanca, Italie (Sardaigne). Syn. : Regina, Laxissima G. de R.
— Ce dernier croit aussi que cette variété est identique à la Bermestia Bianca,
D'après Pull. (Cat.), voici les caractères de YApesorgia bianca : « Feuilles sur-
moyennes, glabres. Grappe, grosse, rameuse, courtement ailée* Grains très
gros, ellipsoïdes, blanc jaunâtre.
Aramon, France méridionale . Syn. : Pissevin (Hyères), Bevalaire
(Haute-Garoune), Plant riche (Hérault), Aramon (Aude, Gard, Pyrénées-Orien-
tales), Ugni noir (Var, Rouches-du-Rhône) Mares ; Uni noir (Provence), Uni
Negré (Provence), Buchardfs Prince, Arramont, Okorszem Kek (Hongrie),
M. P. — Cépage très ancien dont le nom est tiré d'Âramon, petite ville du
département du Gard, sur le Rhône. D'après Mares {Livre de la Ferme^ t. Il,
p. 283), c'est le plus important de la région méridionale, son surnom de Pisse-
vin en dit assez la raison ; sans exagération aucune on peut estimer à 5 ou
6 litres de moût le rendement moyen de chaque souche. Mais à côté de cette
fertilité incroyable il présente plusieurs inconvénients qui empêcheront sa
propagation en dehors des régions méridionales. D'abord, comme il pousse
de très bonne heure et précède la plupart des autres cépages d'une quinzaine
de jours, il est exposé à être sérieusement atteint par les gelées blanches, par
l'anlhracnose, par les différents insectes ennemis de la vigne; ensuite, là où il
est d'une grande fertilité, il donne un vin rouge clair sans force. Son vin n'est
bon que dans les garrigues (coteaux rocailleux) et alors le rendement est de
3 à 6 fois inférieur à celui qu'il peut présenter dans les vignes de plaine.
Caractères : « Souche forte, de très longue durée. Sarments rampants, gros,
longs et vigoureux dans les terrains riches, plus courts dans les terrains secs,
beaucoup de moelle, bois tendre, nœuds assez espacés, bien renflés, espacés
dans les terrains secs et lorsque la souche est vieille, d'une couleur rouge
Digitized by
Google
L
332 AMPËLOGRAPHIfi GÉNÉRALE
clair, passant aa gris en hiver. FeuiUes, moyennes, dentelées, trilobées, peu
découpées, moyennement lisses, un peu cotonneuses sur leur revers, couleur
vert jaunâtre, portées par un pétiole rouge clair; le plus souvent elles ne fout
que jaunir à Tarrière-saison, quelquefois elles rougissent sur les bords et par
places, certains rameaux rougissent même en entier. Grappe volumineuse,
longue, presque cylindrique, « supportée par un long pédoncule plus herbacé
que] ligneux (Ooart). » Grains^ ronds, gros, et très juteux, très doux et
sucrés, d*un goût relevé, assez agréables à manger, couleur rouge-noir,
comme veloutée, dans les terrains de coteaux, rouge clair dans les terrains
riches, le côté qui ne voit pas le soleil d'une couleur verte quoique le suc en
devienne doux* » (Mares.)
Arfoonne, Fraaoe (Aube et Haute-Marne) . Syn. : Arbanne blanche
G. DE R. ; Meslier, MaiUé^ Mayé^ Arbois ou OrboU M. P.— On doit considérer ce
cépage {Vignoble, 1. 1, p. 191) comme le plus précoce de tous les raisins à vin
blanc de grande culture. VArbonne produit un vin distingué, agréablement
parfumé, mais ne donne jamais en grande abondance. C'est problablement à
cela qu'il faut attribuer son absence dans les vignobles où Ton vise à la
grande production. Il convient de planter ce cépage pour en obtenir de bons
produits et une longue durée, dans un sol riche ou bien amendé; de préfé-
rence argilo-calcaire. Il s'accommode très bien d'une taille mi-longue qui lui
permet de produire convenablement, sans s'épuiser. D'après M. et P.
on peut en donner la description suivante : Sarments^ grêles, traînants,
un peu court noués. Feuilles complètes, à peine moyennes ou petites, d'un
vert foncé, glabres à la face supérieure, un peu duveteuses à leur face infé-
rieure ; bien sinuées ; denture large. Grappe petite, cylindrique du cylindro-
•conîque, peu serrée. Grains sous-moyens, très légèrement ellipsoïdes, blanc
verdâtre passant au vert jaun&tre piqueté /de petits points, la chair en est
juteuse, sucrée, sa saveur rappelle celle du Sauvignon bordelais. Maturité
précoce devançant*un peu celle du Pinot noir. Le Catalogue du Luxembourg
mentionne un Arbois twir cultivé dans le département de la Haute-Saône
(France).
Arbst, Allemagne (Bade). — Cette variété, que divers ampélographes ont
donnée comme synonyme de Pinot en France, se rapproche effectivement
beaucoup de ce cépage, mais en diffère cependant par ses feuilles qui sont,
d'après H. G., presque rondes, moins découpées et plus plates, la grappe est
aussi de maturité plus tardive. C'est V Arbst mélangé avec le Pinot noir qui
donne les vins renommés à'Àffenthaler (Bade) qui portent ce nom.
Arbamanna ou Albamanna ou Arbamanii, Italie (Sardaigne).
Syn. : Robusta, — ^ Un des meilleurs raisins blancs de table.
Arganty France (Jura). Syn. : Gros Margillien (Arbois), Noireau ou Bru-
meau (Haute-Loire) M. P. — Ce cépage se fait toujours facilement reconnaître
par son développement que l'on pourrait appeler gigantesque, sa végétation
puissante et vigoureuse, ses longs et forts sarments. C'est un plant robuste et
d'une longue durée; il résiste aussi bien que possible aux plus durs hivers.
L'Argant donne un vin peu délicat et sans finesse, mais très coloré, ne man-
quant pas de feu et pouvant se garder.
Les terrains en pente se réchauffant facilement conviennent particulière-
ment à cette variété, surtout dans les vignobles du Centre. On conduit ordi-
rement cette vigne à taille longue (Vign,, t. II, p. 35). Pull. (Cat.) en donne les
caractères suivants : u Feuilles grandes, glabres, sinueuses. Grappe sur-
Digitized by
Google
PRINCIPALES VARIÉTÉS DU VITIS VINIFERA 33J
mojeniie, conique, ailée, peu serrée. Grains : moyens, noirs. Maturité de
deuxiôme époque. »
Amopolo, Italie (province Napolitaine). Sjn. : Gralluopolo, Ropolat in
H. G. — Raisin noir de cuve.
Arrobal, Espagne — Sim. Rox., p. 218. Raisin de grosseur moyenne, à
grains rouges.
Arrino nero, Italie ^Cosenza]. Syn. : Magliocco dolcej Lagrima B. A. —
Cette variété est très importante et suivant le B. A. (fasc, XV, p. 163) ses rai-
sins forment la base des vins de la province de Cosenza. Caractères : Feuilles
grandes, de couleur vert sombre ; tomenteuses et aranéeuses, à la face supé-
rieure qui est vert blancbàtre. Grappe : conique, ailée, serrée, peu longue,
grains moyens, sphériques, de couleur noir-violet pruiné.
Askari rouge, régions Caucasiques. — Cette variété donne des raisin»
bons à manger et très aptes à faire du vin. (H. G.)
Aspiran blanc, France méridionale. — Ce cépage produit d'excel-
lents raisins de table. Ses caractères botaniques diffèrent peu de ceux de
VAspiran gris et de VAspiran noir.
Aspiran gris, France (Languedoc). — Les caractères de ce cépage sont
absolument semblables à ceux du suivant, sauf la couleur du grain.
Aspiran noir, France méridionale. Syn. : Epiran (Hérault), Verdal
(Hérault), Spiran^ Piran (Gard), Riveyrenc (Aude) Marbs ; Verdai M. P. —
Ce cépage dont le nom est tiré d'Aspiran, village du déparlement de THérault,.
est un des plus importants dans les départements de TAude, de THérault et
du Gard; il est aussi apprécié dans les régions voisines, mais il n*y acquiert
pas toutes ses excellentes qualités; comme raisin de table on en fait moins de
cas. Son vin de couleur rouge clair, un, délicat, légèrement parfumé, mérite
une certaine attention, mais actuellement tout le Midi cherchant à lutter
contre l'Espagne et préférant la couleur, le corps, à la finesse, on n'en fait que
de faibles quantités et on préfère le mêler avec d*autres raisins tels que : le
Grenacbe,la Carignane, le Terret noir, etc., c'est-à-dire le noyer dans des-
raisins produisant les gros vins du commerce. D'après Mares (p. 290) VAspiran
noir devrait, comme le Cinsaut et VCEillade, entrer dans la composition des
vins fins de la région méridionale. On trouve d'ailleurs ces trois cépages dans
les anciennes vignes de Saint-Georges, près Montpellier, dont le vin jouit d'une
juste réputation. Suivant cet auteur les caractères de VAspiran noir sont les
suivants : ^
Souche : assez forte, très fertile, d'une grande longévité. Sarments : demi-
érigés, fins, assez forts, de couleur rouge clair. Feuilles : assez grandes,
minces, quinquélobées, sinus très prononcés, bien dentelés, d'un vert jau-
nâtre, face inférieure non duveteuse. Grappe: moyenne, un peu lobée, à petites
ailes, très jolie. Grains : plus ou moins serrés selon l'année, de grosseur
moyenne, légèrement oblongs, violets, très pruinés, à peau fine, très juteux,
croquants, délicieux à manger. Maturité précoce. Résiste bien aux intempéries,
ainsi qu'aux maladies de la vigne.
Asprino, Italie (province de Lecce). Syn. : Ragusano, Olivese, in. G. dk R.
— Suivant le B. A, (fasc. XV, p. 136) les Feuilles sont grandes, de couleur vert
obscur passant au rouge à l'automne, la face supérieure est lisse, la face infé-
rieure duveteuse et de couleur vert cendré ; la grappe est moyenne, pyrami-
dale, allongée, un peu ailée, et porte des grains verts, moyens, ovales, à peau
mince transparente de couleur jaune tendre ou verdâtre. Important pour la
vinification.
Digitized by
Google
334 AMPÉL06RAPHIE GÉNÉRALE
Ataabiy Espagne (Grenade). Syn. : Uva de Ragol Siu, Rotas. — D*après
cet auteur cette variété donne toujours beaucoup de fruits, mais dans certaines
années ils sont si déchus, qu'ils viennent tous en grappillons. On la cultive
beaucoup dans les treilles de Grenade et un peu dans celles de Sorbas. La
grappe porte des grains très gros, verts.
Aubin blancy France (Moselle). — Odart (p. 264) cite cette variété comme
faisant partie du vignoble de Magny, Tun des plus estimés de ce département.
La souche est vigoureuse ; les feuilles très rugueuses, tourmentées, et un peu
duveteuses à la face inférieure; la grappe est de maturité précoce, elle est très
sucrée et excellenle à manger, ses grains sont ronds et dorés.
Aubin vert, France (Moselle). — Ne pas confondre cette variété avec la
précédente, elle est plus productive, mais de qualité inférieure, ajoute Odart
(p. 264).
Avanasy Italie (Suse, Pignerol). Syn. : Avanato, Avana pkcolOf Cagnino
B, A, Suivant G. de R. le vin produit par cette variété présente une particu-
larité assez curieuse, il enlève Tusage des jambes avant de porter à la tète à
ceux qui en abusent. Le B, A. (fasc. XIV, p. 10) confirme ce dire, et en donne
les caractères suivants : Feuilles complètes, moyennes, vertes, glabres à la face
supérieure, présentant, à la face inférieure, un tomentum floconneux blanc
verdâtre . Grappe , moyenne , cylindrique . Grains moyen s-subovales , de
couleur rouge violacé, pruinés.
Avarengo, Italie (Pignerol, Saluées). Syn. : Avarengo commune neroy Avà-
rengo Bamabessa M. P. — Cette variété vigoureuse, rustique et d'un bon rende-
ment donne des produits excellents pour la table et pour la cuve, en Italie.
Son vin y est surtout employé pour en couper d'autres, auxquels il commu-
nique un parfum agréable.
En France d'après M. et P. (Vign.j t. H, p. 187) ce cépage n'a jamais
donné que des produits très ordinaires ; mais, ajoutent-ils, à cause de sa grande
vigueur, il pourrait être recherché pour les terrains secs et arides des coteaux,
où il se plaît beaucoup .
Suivant le B. A, (fasc. XIV, p. 11) les caractères principaux de VAveurengo
sont : Feuilles moyennes, glabres et vert jaunâtre à la face supérieure, tomen-
teuses et vert blanchâtre à la face inférieure, à cinq lobes réguliers unissant
en pointe peu allongée. Grippe, moyenne, conique, ailée, semi-serrée. Grains
moyens, sphériques, la pellicule quelquefois tendre, quelquefois dure, a une
couleur violet azuré, pruiné. Toujours d'après le B, A. c'est le raisin le plus
estimé pour la table dans l'arrondissement de Pignerol, son suc est très léger
à l'estomac, et est de beaucoup le meilleur pour la médication dite « cure
de raisins ».
Axinang^elus ou Axina de Ang^inlns, Italie (Sardaigne). Syn. :
Serotina. — G. de Rov. croit cette variété identique au Crujidero et à TOlivetle
de Gadenet (voir Crujidero) .
Azolatranbe, Autriche (Croatie). Syn. : Grussele Brome^ Modra Azu-
lovka, in H. G. — Feuilles rondes, épaisses, trilobées, peu découpées, vert
pâle à la face supérieure, cotonneuses et blanchâtres à la face inférieure.
Grappe, moyenne, simple, serrée, Grains ronds, inégaux, noir-bleu, jus assez
doux et coloré. Raisin de table et de cuve.
Bachsia ou Fodacha, Crimée. — Hartwiss identifie ce cépage avec
celui nommé Bosa Bevelliotti ou Aima Isioum; Od. (p. 601) ne croit pas
devoir partager cette opinion. Suivant cet auteur, la grappe du Bachsia
Digitized by
Google
PRINCIPALES VARIÉTÉS DU VITI5 VINIFERA 335
est de moyenne grosseur et garnie de petits grainsj ronds, peu serrés, cou-
verts d'une peau mince rose vif, sa maturité est précoce ; tandis que le Rosa
Revelliotti eât d*une grande fertilité, sa grappe est grosse et de maturité
tardive.
Baclan, France (Jura). Syn. : Petit Baclan, Gros Baclan, Béclan (Jura),
Durau ou Duret (Jura) Od. ; Becclan ou Bacclany Petit Bureau M. P. — D'après
Od. (p. 276), le petit Baclan donne de meilleur vin que le gros, de plus la
récolte de ce dernier n*est pas constamment sûre ; aussi quoique plus produc-
tif, les années où il donne, le gros Baclan est-il moins estimé que son petit frère
dont la vendange fait partie des meilleures cuvées devin rouge. Ses principaux
caractères sont iFeuUles assez grandes, glabres, sinuées, couleur vert foncé, rou-
gissant sur les bords dans le mois de juillet. GrappCy moyenne, cylindrique,
très serrée. Grains, moyens, sphériques, noirs. Les raisins, dit Dauphin,
auteur estimé d'un mémoire sur les vignes du Jura (cité par Od.), « mûris-
sent bien, donnent un vin très coloré et de bonne qualité, qui prend, en
vieillissant, un léger parfum de framboise. »
Baguai, Ue de Madère. — Un des meilleurs cépages de cette Ile. 11 est
productif. Son vin est doux. On trouve aussi cette variété à Ténériffe (Cana-
ries) où d'ailleurs on cultive, nous le savons, les mêmes plants qu'à Madère.
Bakator roage^ Hongrie. Syn. : Alfody (dans le pays d'au delà de la
Theiss), Bahator grenat, Granat tzin Bakator Od. ; Bakator Piros, Piros
Bakor, Bakar (Siebenburgen), Crvena Bakatorka (Croatie) M. P. — Le
Bakator rouge est très estimé en Hongrie. D'après John Paget, cité dans le
Vignoble (t. II, p. 291), ce raisin est un peu sujet à la coulure, mais il pro-
duit un grand vin, ayant du corps, de la force, du bouquet, de la finesse. Mas
et PuUiat ne pensent pas que ce raisin soit jamais cultivé eu France pour la
vinification, il est trop tardif pour nos vignobles du Nord et du Centre; dans
nos vignobles du Midi, où l'on vise surtout à l'abondance, son raisin à peine
moyen ne pourrait être qu'un objet d'indifférence; c'est pourquoi nous jugeons
inutile de donner la description de ce cépage.
Balafant, Hongrie. Syn. : Pikolit weisser (lUyrie), Weisser Blaustingl,
Keknyelii, Weisser Ranfûl, Piccoleto bianco (Vénétie) in H. G. — Ce cépage
rigoureux donne de gros raisins dont les grains de couleur jaune sont à la
maturité si transparents qu'on peut compter les pépins. C'est un raisin de table
et de cuve. (On., p. 325.) (Voir pins loin Piccolito Bianco).
Balaran, Italie (Piémont). Syn. : Balaran grosso e piccolo (arrondisse-
ment d'Asti) G. DE R. ; Barbaran,Balan,in H. G. -Ce cépage produit un vin
très coloré. D'après G. de R. la grappe est pyramidale, ailée; les grains sphé-
riques, noirs.
Balint, Hongrie. Syn. : Kleinweiss, Aprofekér, Aprafer, Zôldfehér, in H. G.
— Raisin blanc de cuve.
Balsamea nera, Italie (Piémont). Syn. : Uva rara (haute Italie), Balsa-
mina, Bonarda à grandes groupes, Bonarda di Cavaglia et di Gattinara M.
P. — Nous donnons ces deux derniers synonymes, contrairement à Od.
(p. 560) qui n'en n'admet pas l'identité, car G. de R. et M. et P. (in
Vign. t. II, p. 189) les disent comme semblables au Balsamea nera. Toute-
fois Od. leur accorde une qualité commune : de donner des raisins d'un
goût agréable et abondants en matière colorante.
Balaamina bianca, Italie (arrondissement de Fermo). — D'après le B.
A. (fasc. XIV, p. 45) le raisin de cette variété servirait surtout à fabriquer des
Digitized by
Google
336 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
Tins fins. Caractères : Feuilles cordiformes, moyeunes, quinqaélobées, lisses et
de couleur yerle à la face supérieure, lanugineuses et vert pâle à la face infé-
rieure. GrappSf presque conique, longue de 12 à i5 cenl., ailée, peu serrée.
Grains sphériques de couleur jaunâtre ; pellicule épaisse et coriace.
Balastre, France (Charente : vignobles de Cognac et de Saint-4ean d'An-
gelj). Syn. : Cognac (vignobles de la Rochelle). — Cépage donnant des raisin»
blancs à grains très allongés d'où très probablement son nom de Balustre.
Bambino bianco, Italie (provinces méridionales). Syn. : BombinOj Bon
Vino, Co/atom&tirro. —Suivant G. de R. ce cépage donnerait abondamment, mai»
des produits de second choix.
Barat-tzin-SzœUo, Hongrie (Raisin couleur de Robe de Moine). — Va-
riété du Bakator.
Barbaroesa, Italie (Piémont). Syn. : Uva Barbarossa (Piémont), Rossea
(comté de Nice), Brizzola (vignobles de la Ligurie) Oo. ; Uva Regina M. et P-
— Gallesio ainsi que M. P. (in Vign., t. I, p. 163), tout en faisant un
grand éloge de ce raisin à cause de ses qualités pour la table ainsi que
pour sa très longue conservation, sont d'un avis contraire à Od. (p. 568) lorsque
celui-ci dit que la Barbarossa est très estimée et largement cultivée dans le
midi de la France. Son raisin ne pourrait entrer que dans la confection des
vias blancs, car, comme raisin à vin rouge, la couleur lui ferait défaut. Quoi-
que ce cépage ne soit pas d'un grand intérêt pour nos vignobles, nous en
donnons une description succincte d'après le Vign,, pour en marquer la diffé-
rence avec le suivant, la Barbarossa à feuilles découpées. FeuiUeSy assez
grandes, rugueuses à leur page supérieure, cotonneuses à leur page infé-
rieure, ordinairement entières, peu sinuées, dents étroites et aigûes. Grappe^
cylindrique, ailée, plutôt lâche que compacte. Chrains moyens ou sur-moyens^
ovoïdes ; couleur : d*abord d'un blanc pointé de noir, puis passant au beau
rouge vif pruiné à la maturité. Saveur délicate, pas trop sucrée.
Barbarossa à feaiUes découpées, Italie. Syn. : Barbarossa du Pié-
mont, Barbarossa di Comegliano M. P. — Ce cépage se cultive principale-
ment dans le Piémont et surtout dans les environs de Turin, où, à partir de
l'automne et pendant tout Fhiver, il s'en vend de grandes quantités comme
raisin de table. Pulliat (Cat.) décrit les caractères ainsi qu'il suit : c< Feuilles
moyennes, duveteuses, très sinuées, planes. Grappe, moyenne, cylindrique,
ailée, peu serrée. Grains rouges, moyens, sphériques.
Barbera, Italie (Piémont). Syn. : Barbera vera, Barbora d'Asti Od. ; Bar-
bera nera (Lng. P. Selletti) ; Barbera forte, Barbera grossa, Barberone, Bar-
bera mercantile, Barbera dolee, Barbera fina. Barbera riccia, Barbera rossa
M. et P. — Cépage très productif, donnant du vin très coloré et très corsé. Sa
maturité est un peu tardive. Son produit forme une des bases principales des
vins d'Asti et du bas Montferrat. — Du B. A.(fasc. XV, p. 6 et fasc. XVIll,
p. 298), découle la description suivante : Feuilles sur^moyennes, quinquélobées,
lisses et de couleur vert clair à la face supérieure, cotonneuses et blanchâtres
en dessous : dans quelques feuilles, la couleur verte de la face supérieure
brunit vers la un de juin et passe au rouge foncé, par suite peut-être de
l'abondance des sucs tanniques. Dans d'autres, à l'automne, la couleur devient
vert jaunâtre, et enfin dans quelques autres les bords seuls rougissent. La
grappe sur-moyenne est pyramidale ou quasi-cylindrique, peu serrée. Les
grains sont sur-moyens, elliptiques, d'un noir bleuté pruiné.
Barbezino, Italie (Pavie) . Syn . : Monferina (?), Grignolino (?) . — • En donnant
Digitized by
Google
PRIiNaPALES VARIÉTÉS DU VITIS VINIFERA 337
ces deux synonymes sous toutes réserves, nous ne faisons que suivre la voie
indiquée par le dernier fasc. du B. A. (XVIII, p. 284) qui termine un très
long article, consacré à ces trois cépages, en disant que ce que Ton sait sur
eux, n'est pas assez clair pour autoriser à conclure. Il décrit les caractères
ainsi qu'il suit : Le Barbezino présente des feuilles moyennes, lisses ou très
peu velues sur les deux faces, une grappe moyenne, cylindrique avec des
grains ovoïdes ou ronds, petits, de grosseur inégale.
Bargine ou Plant de Hongrie, France (Jura). Syn. : Bargène M.P.—
11 n*y a que Mas et Pull, (in Vign., t. 111, p. 39) qui donnent une description
détaillée de cette variété. Ce serait un cépage presque inédit, d assortiment
surtout, et on affirme qu'il communique un bouquet particulier aux vins re-
nommés qui se fabriquent dans les régions ou aux alentours des régions où
on le cultive. La souche est vigoureuse, et sa grappe à grains blancs est de
maturité assez précoce.
Bariadorgia, Italie (Sardaigne). Syn. : Verzolina bianca (Sardaigne) ,
Praecoa? G. db R. ; Fragrante^ Barriadorza M. P. — En Sardaigne cette variété
donne un raisin également bon pour la table et pour la cuve. En France,
d'après M. P. (Vign.y t. II, p. 161), cette vigne est vigoureuse et fertile, son
fruit arrive bien à maturité. Ces auteurs comprennent son fruit parmi nos
bons raisins de table de deuxième époque de maturité. Nous résumons ainsi
qu il suit la description qu'ils en donnent. Feuilles moyennes, duveteuses, très
sinuées. Grappe sur-moyenne, ailée, portant des grains un peu gros, sphé-
riques, d'un blanc verdâtre au jaune clair
Barmak, Crimée (Tauride). Syn. : Frauenfinger (Doigt de Dame) H. G.
— Raisin blanc de cuve.
BaxH>lo, Italie (Piémont). — Od. (p. 221), qui écrit Barrolo, donne comme
synonymes de cette variété : Gamai blanc ou Feuille ronde (Doubs, Saône-et-
Loire), Melon [Yonne), Lyonnaise blanche (XUier), G. deR. nie cette assimilation:
pour lui Jamais le Barolo ne fut un Gamai. Quoi qu'il en soit, ce cépsige donne
un vin fort connu, mais assez commun. (Voir Gamay feuille ronde.)
Baatardo, Portugal (lie de Madère). Syn. : Bâtard* — Ce cépage, très
commun à File de Madère et en Portugal, donne des raisins à grains spbéri-
ques, noirs suivant PuUiat, rouge bleuâtre peu foncé ou violet clair suivant Od.
Ils fournissent un vin léger, peu coloré, et assez riche en bouquet, mais le plus
souvent ils ne sont employés que pour donner du vin blanc — c*est ainsi qu'à
Madère ils ne sont utilisés que pour cet usage.
Villa-Mayor (Douro illustré, p. 169) décrit ainsi qu'il suit le Bastardo :
« Cep gros, d'aspect régulier ; écorce grosse, peu adhérente, crevassée. Bour-
geonne de bonne heure. Sarments, en assez grand nombre, dressés, courts,
avec des entre-nœuds courts de 0™,04, les nœuds minces et arrondis, durs,
ayant peu dé moelle, de couleur grise, uniformes. Vrilles rares et simples.
Bourgeons en petit nombre. Feuilles, petites, égales, régulières, avec cinq
lobes peu aigus, ayant les sinus latéraux peu profonds, cordiformes et
ouverts; le sinus pétiolaire ouvert, cordiforme. Les dentures en deux séries,
peu aiguës. La face supérieure presque lisse, de couleur vert sombre ; la face
inférieure j>eu duveteuse, de couleur plus claire, à nervures minces, mais sail-
lantes. Pétiole court, lisse, rougeâtre. Grappes en assez grand nombre, géné-
ralement petites, cylindriques ou cylindro-coniques, très compactes, presque
toujours simples ; pédoncule court, dur, vert grisâtFe ; pedicelles peu verru-
queux à petit bourrelet. Grains, moyens, égaux, ovo-coniques de 0"^,0i4 à
TRAITÉ DB LA VIGNE. I. — 22
Digitized by
Google
338 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
0»,013, « entièrement noirs », assez sombres, très unis; durs, peau peu grosse,
très sucrés, mûrissent fort lot, très sujets à sécher ; ont généralement deux ou
trois pépins réguliers et gris. — 100 de raisin donnent 51,8 de moût, fin légè-
rement rosé, ayant une densité de 1,140, contenant en 100 parties 29,285 de
sucre et 0,235 d'acide. »
Baude, France (Drôme). — D'après Mas et PulJ. (in Vign., t. II, p. 1 15), ce
serait peut-être le Flourion noir de quelques collections. Cette vigne est remar-
quable par sa belle production et par la beauté de sa grappe, de maturité
facile. On cultive surtout ce raisin pour la table, car il est peu propre à la
vinification. Il se recommande surtout, de ce qu'il mûrit à une époque où il
est le seul gros raisin noir bon à manger. — La Baude s'accommode de tous
les sols, pourvu qu'ils ne soient pas trop frais ou trop humides. Il faut la tailler
à taille courte si l'on ne veut pas épuiser la souche et nuire à la beauté et à
la qualité du fruit.
Pull. (Cat.) la décrit ainsi : Feuilles sur-moyennes, sinuées, duveteuses, gla-
bres. Grappe grande, cylindro-conique, peu serrée. Grains gros, ellipsoïdes,
noirs, de maturité moyenne.
Beba ou Beva, Espagne Sim. Rox. L. (p. 208). — Sarments tendres ; feuilles
grandes, les inférieures très grandes, avec des ampoules. Grains un peu serrés,
très gros, oblongs, blancs. Raisin de table.
Belissas, Italie (Piémont). Syn. : Belisse. — Raisin blanc de table.
BelUno, Italie (Piémont). Syn. : Impérial, Impérial noir M. P. — Ce cépage
donne d'excellents raisins de table, dont Rovasenda n'hésite pas à déclarer
qu'ils surpassent en mérite tous les raisins noirs qu'il connaît. Le Vign. (t. 1,
p. 1 59) donne la description du Bellino, que nous résumons ainsi : Feuilles^
très grandes, lisses, cependant un peu rudes au toucher. Grappe grosse, coni-
que, ailée, assez serrée ; Grains^ gros, presque sphériques, d'un beau noir
pruiné ; la chair en est croquante, très juteuse, relevée d'une saveur fine et
agréable.
Béni Salem, Espagne (Majorque). — Cépage donnant de fort bons et
fort jolis raisins de table, à grains ellipsoïdes, rouge clair, d'une saveur sucrée
et relevée. Suivant Od., sa maturité est un peu tardive dans le centre de la
France.
Bermestia bianca, Italie (Piémont). Syn. : Brumestia, Brumestra, Pu-
mestra, Bnmestre, Bromestre, Bermestia bianca del PiemorUey Belmestia BUmca,
Bramesione Bianco M. P. ; Bourdclas ou Verjus (de la région centrale de la
France) ; Poumestré ou Aygras (ancienne Provence) ; Bumasta (de Pline et Vir-
gile) Od. — Ce cépage est de maturité tardive. On n'emploie pas son raisin pour
faire du vin ; il est surtout utilisé pour la table et pour confire à l'eau-de-vie.
Bemaglina, Italie. Syn. : Barsaglina^ Massjrela (Carrarcsc). — Feuilles
grandes de couleur vert vif, minces et légèrement ondulées, devenant rouges
à l'automne, blanchâtres et un peu lanugineuses à la face inférieure. Grappe
pyramidale, moyennement serrée. Grains subovales, noir-violet pruiné, don-
nant abondamment un vin assez estimé. (£. A., fasc. XV, p. 88.)
Bertollno, Italie (Piémont). Syn. : Carico Vasino, Uva omta G. db R. ;
Barbera bianca H. G. — Raisin blanc jaunâtre à grains ovales, bon à maDger»
mais employé le plus souvent pour faire du vin.
Bettlertraube, Styrie. — Syn. : Grossblau, Grosskolner^ Plava Goris^iiCf
( rninaVelka, in H. G.— Les feuilles sont allongées, minces, trilobées, médio*
crement découpées^ face supérieure lisse, luisante, vert sombre ; la face infé*
Digitized by
Google
PRINCIPALES VARIÉTÉS DU VITIS VINIFEHA 339
heure rarement cotonueuse. La grappe est grande, pyramidale, lâche. Les
grains sont ronds, noir pruiné, chair juteuse. Raisin de table et de cuve.
Bla blanc, France (Isère). — Ce cépage donne des raisins blancs très
doux un peu musqués, excellents pour la cuye. Mas. et Pull. {Vign,, t. II,
p. 145) qui donnent des renseignements détaillés sur cette variété ne sont pas
de Tavis d'Od. qui recommande la culture en hautain pour ce cépage. Pour
en obtenir, diaprés eux, un bon rendement et une bonne durée, on devra
le cultiver sur couche basse, dans un sol riche et profond, à mi-côte ou en
coteaux. Toujours diaprés ces auteurs, voici la description succincte des carac-
tères : Feuilles à peine moyennes, aussi larges que longues, glabres et à peu
près lisses supérieurement, duveteuses en dessous; bien sinuées, denture bien
prononcée. Grappe sous-moyenne ou moyenne, peu serrée, cylindro-conique.
Grains moyens ou sous-moyens, ellipsoïdes ; peau épaisse astringente, jaune
doré à la maturité ; saveur assez sucrée, agréable.
Blancazita, Italie (prov. Napolitaines). Syn. : Palenghina,, in H. G. —
Excellente variété à raisins blancs, pour la viniûcation.
Bianclietto di Verzaolo, Italie (Piémont). — « Feuilles grandes, bour-
souflées, duveteuses, peu sinuées. Grappe moyenne, peu serrée, cylindrique,
ailée. Grains sous-moyons, blancs. » (Pull.) Raisin de cuve et de table.
Bibiola, Italie (Piémont). — Raisin noir de cuve.
Bicane ou Bicaine, France (Indre-et-Loire). Syn. : Panse jaune (à la
Dorée), Ockivi (Gard), Raisin des Dames (Vaucluse) Oo. ; Chasselas Napoléon
•Pull. ; Chasselas d'Alger^ Olivette jaune, Raisin de Notre-Dame, Marsi Rous-
seau (Vaucluse) M. P. ; Frankental bianco G. de R. — Ce cépage fournit des
raisins d*une belle couleur jaune à très gros grains ellipsoïdes, mais comme
goût il laisse un peu à désirer ; de plus, dit Od. (p. 373), il ne donne pas tous
les ans ; ses belles grappes sont souvent mal garnies par Tavortement des
4/5 des grains. En somme, le Bicane est inférieur aux autres raisins de table,
mais la beauté de sa grappe fait qu'il a sa place marquée dans les jardins
fruitiers, où on devra lui donner Tespalier. 11 ne réussit pas du tout dans les
terrains pauvres à cause de sa grande tendance à la coulure. D'après le Vign,
(t. I, p. 184) ses feuilles sont petites, plus longues que larges, glabres, très
sinuées ; la grappe est grosse, rameuse, conique, ailée, plus ou moins lâche ;
les grains sont très gros, ellipsoïdes, de couleur jaune ambré à la maturité,
sujets à la pourriture : leur saveur est un peu sucrée, peu relevée.
Bigasse Kokoup, Crimée. — Syn.: Bigessc KokierOo. (p. 601). — Cette
variété est bien productive, mais peu agréable au goût, elle est tardive à
mûrir. Elle remplace la qualité par la quantité.
Blgnonia, Italie (Piémont). — Raisin noir do cuvt\
Biona, Italie (Piémont). — Raisin noir de cuve.
Blanc aigre, France (Ardèche). — Ne pas con'o.idre cjtlc .ariété avec
le Blanc aigre (Savoie) qui est synonyme de Mondeuse blanche.
Blanc Anba, France (Gironde). — M. de Secondât cite ce cépage comme
produisant le vin justement estimé de Sainte-Croix du Mont. Dcsciiption :
Bois châtain rougeàtre, rayé de raies longitudinales. Feuilles amples d*un vert
pâle, d'une forme allongée, profondément découpées eu cinq lobes bien distincts
et laineux en dessous, les bords sont peu dentelés et les dentelures peu aiguës.
Qrains ronds, blancs, marqués d'un point noir au sommet, devenant uu peu
rouges lorsqu'ils mûrissent (in Petit Laffitte (1), p. 188).
(I) Petit^Ufltte, la Vigm dans le Bordelais, J. Rothschild, cdi(:ur, Paris, i8U8.
Digitized by VjOOQIC
340 AMPÉLOGRAPUIE GÉNÉRALE
Blanc-Bnm, France (Salins-Jura). — Mas et Pull, le donnent comme syno-
nyme de Savagnin blanc. Od. (p. 281) considère ce cépage comme une variété
du Savagnin vert, lequel est très répandu dans le vignoble de Salins. Diaprés
M. Machard de Besançon, le Blanc-Brun serait plus productif que le vrai
Savagnin vert, sa grappe serait plus volumineuse et mieui garnie, il foufnit
les remarquables vins de Gbâteau-Ghinon, d'Arbois, etc.
Blanc Copi, France (Lot-et-Garonne). — 11 n'y a que Mas et Pull, (in Vign.,
t. II, p. 439) qui fassent mention de ce cépage. C'est un bon raisin de table,
qui se conserve très tard, mais il est de peu de mérite pour la cuve.
Blanc Cardon, France (Lot-et-Garonne). Syn. : Blanaardon, Mauzat
blanc M. et P. — Ce cépage n*est presque exclusivement cultivé que dans le
département du Lot-et-Garonne, où il donne en quantité de bons vins d'ordi-
naires ; il ne peut être recommandé que pour cet usage. Le raisin est sujet à
la pourriture. (M. et P., Vign,^ t. III, p. 82.) Pull. (Cat.) en donne les caractères
suivants : « Feuilles grandes, peu duveteuses, peu boursouûées. Grappe
moyenne, cylindrique, serrée. Grains^ ellipsoïdes, moyens, blanc jaunâtre. >»
Blanc de Zante^, lies Ioniennes. _ G. de R. le croit identique à la
Malvasia Toscana. Pull, en donne la description suivante : Feuilles grandes,
duveteuses, planes, très sinuées. Grappe longue, cylindrique, ailée. Grains
moyens, sphériques, blanc verdâtre. Maturité 3« époque ; cependant le comte
Od. (p. 593) dit que ce raisin n*a jamais mûri dans ses collections (centre de
la France).
Blanc donx ou Douce blanche, France (Dordogne, Gironde). — Od.'
(p. 136) en parle à la fin de son article sur les cépages à raisins blancs les plus
estimés dans les vignobles de Sauternes, Barsac et autres lieux circonvoisins. Il
cite ce cépage, comme s*associaut très bien avec la Musquette, le Sauvignon et
le Colombar, les trois cépages les plus estimés dans ces vignobles^ et comme con-
tribuant aussi à la bonne qualité de leurs vins. — PuUiat donne la « Douce
blancbe » comme synonyme de Sauvignon jaune. Description : Bois gris,
devenant en hiver d'un rouge assez vif. Feuilles vertes et sans découpures
sensibles. Grappes de taille moyenne assez allongées. Grains ronds et couverts
de taches brunes. (PErrr-LAFFiTE, p. 187.)
Blanck Blaner, Styrie. Syn. : Bleda Zerna, Abendroth, Plagnerf Blauev
Bosszagler, Schildery Modrina^ Pelesovna, Bleda, Cema, Pelés Crljendk H. G. —
Raisin noir de cuve. Caractères : Feuilles grandes, quinquélobées, très dé-
coupées, face inférieure duveteuse. Grappe très grande de forme pyramidale,
rameuse. Grains inégaux, le plus souvent ronds. Maturité tardive.
Blaner Poptngrlescp, Autriche. Syn. : Arruya Villa Mayor ; Blauer
OportOy Blauer Franchischer, Veste di Monica^ Frûh PortugiescTy Mureto Pull.
— Ce cépage robuste et précoce est très répandu en Autriche et en Allemagne,
où il donne un bon vin d'ordinaire, mais sans grande valeur. Il est connu au
Portugal sous le nom de Mureto, il est cultivé dans le Douro, le Bairrada, etc.,
dit Villa Mayor (Douro illustré, p. 177). Suivant cet auteur, c'est un cépage
productif donnant un bon vin ; presque tous les terrains lui conviennent,
cependant il préfère les terres fortes. En France Mas et Pull, (in Vign., t. I,
p. 77), croient que, dans les sols maigres et légers, le Blauer Portugieser sera
préférable au Gamay. Introduit en Champagne aux environs d'Epernay où il
est appelé Plant de Porto, il y a donné un vin très rouge et très solide.
D'après ces derniers auteurs on peut en donner la description suivante :
Feuilles assez grandes, aussi larges que longues, très peu duveteuses à la
Digitized by
Google
PRINCIPALES VARIÉTÉS DU VITiS VINIFERA 341
face inférieure, lisses à la face supérieure, peu sinuées. Qrappe moyenne ou
sur-moyenne, un peu ailée, un peu compacte et cylindrique. Grains moyens,
sphériques, d'un beau noir bleu, un peu pruinés à la maturité, qui est pt>écoce.
Blaufrankische blan. ^- Cette variété précoce et fertile se trouve en
Hongrie, en Croatie et dans quelques parties de TÂllemagne. Dans le Wur-
temberg, elle est connue sous le nom de Limberger, elle est assez répandue
dans ce dernier pays. Le Blaufrankische est connu en France sous le nom de
Fwtugieser Leroux,
Le vin produit par ce cépage se rapproche de celui du Portugieser ; sa saveur
est douce et agréable. H. fc., qui a décrit cette variété, en donne les caractères
botaniques suivants :
Feuilles f grandes, épaisses, parcheminées, presque rondes, peu découpées,
face supérieure vert sombre, Usse, luisante ; les feuilles un peu avancées sont
quelque peu boursouflées, et la face inférieure est duveteuse. Grappe^
moyenne, plus rameuse et plus boursouflée que celle du Portugieser. GrainSy
moyens, ronds, noir foncé, veloutés, leur jus est un peu plus acide que celui
da Portugieser et leur maturité est aussi plus tardive de huit jours.
Boà ou Booà bianco, Italie (Gênes). Syn. : Bella (Polavere). — Donné
par ring. Selletli comme étant un raisin très estimé pour la viniflcation.
Bolana, Italie (Piémont). — C'est un très beau raisin de table, de maturité
tardive. Les feuilles sont moyennes, sinuées, duveteuses. Grappe longue,
rameuse, ailée, cylindrique, peu serrée. Grains sur-moyens, ellipsoïdes, blanc-
jaune. (POLL.)
Bonarda nera, Italie ^Piémont). Syn. : ])riola fBorgamanero) in H. G. —
Cépage donnant très régulièrement et abondamment un excellent vin. Ses
raisins, dit G. de R., sont noirs avec des grains sphériques à peau fine, mais
résistante, à pulpe succulente et sucrée. D'après Pull, les feuilles sont sur-
moyennes, peu duvetées, et peu sinuées.
Bonifaclenco, France (Corse). Syn. : Carcagiola (Corse) Od. — Ce cépage,
très recherché par ceux qui tiennent à faire du bon vin, a vraisemblablement
été tiré de la Sardaigne et a sans doute été introduit tout d'abord dans les
vignobles de Bonifacio, d'où son nom. Il est très facile à reconnaître, dit
Odart (p. 575) : « Ses bourgeons sont courts et érigés. Ses feuilles, très coton-
neuses en dessous. Ses raisins sont peu volumineux. Les grains ôblongs et de
médiocre grosseur, d'un noir très fleuri et d'un goût propre à cette espèce. »
Bor^one nero, Italie (Toscane). Syn. : Inganna cane^ S. Gioveto forte
(Acerbi). — G. de Rov. n'admet pas la synonymie de Borgione nero et d'in-
ganna cane, que d'autres auteurs italiens ont cependant donnée. Le Borgione
nero donne un raisin propre à la viniflcation.
Borg^ogna, Italie (Alexandrie), in H. G. -— Raisin noir de cuve.
Boro0, Hongrie. Syn. : Boros feher (Hongrie), Boros VehonyhejUy Dunnscha-
lige, Vinase (Transylvanie) H. G. — D'après l'auteur, cette variété, très ré-
pandue en Transylvanie, donne un vin blanc léger. Caractères ; Feuilles très
mandes, épaisses, quinquélobées, denture grande et large, face supérieure
ridée, face inférieure velue. Grappe assez grande, peu serrée. Grains, moyens,
ponds ; peau mince, vert jaunâtre ; chair juteuse. Maturité assez précoce.
BcMco bianco, Italie (Gênes). Syn. : Uva Bosco Ing. P. Sellbtti. — C'est
un cépage productif.
Boton de Oallo {Bianco et Negro), Espagne. Syn. : Verdejo Sm. Rox.
— Sarments longs ; raisins petits à grains serrés, très doux.
Digitized by
Google
342 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
Boudalès, France (Pyrénées). Syn. : Cinsaut, Cinq Saou (Hérault), Bout-
dalès (Pyrénées-Orientales), Moutardier (Vaucluse) Mares ; Bourdelas (Hautes-
Pyrénées^ Picardan noir (Var), Plant d'Arles, Espagnen (Vaucluse), UUiaou,
Passerille, Papadou (Ardéche), Milhau (Àrdèche et Drôme), Poupe de Crabe,
Prunella, Calabre (Gers), Marocain (Ariège, Gers), Mwterille (Haute-Garonne),
Prunellas (Lot-et-Garonne), Petairé (Aveyron), Salerne (Nice), Malaga (Lot
M. P. — Od. donnait aussi TUlliade noire comme synonymedeBoudalès.M.etP.
n'admetlent pas la synonymie de ces deux cépages. En regardant la description
respective de ces deux plants, on est tenté de donner raison à ces derniers
auteurs, aussi nous réservons-nous de traiter à part, dans un autre article,
J'Uliiadc noire comme un cépage différent du Boudalès.
D'après le Vignoble (t. H, p. 185), le Boudalès produit un vin fin, liquoreux,
d'une saveur très une, très fraîche et agréable, lorsque le fruit est bien mûr.
C'est un raisin des régions chaudes; au-dessus du 46^ de latitude, il n'est plus
cultivé que comme raisin de table, de qualité supérieure. Les coteaux secs,
pierreux, à chaude exposition, doivent être recherchés pour ce cépage. Henri
Mares {Liv, de la Ferme, t. Il, p. 290) donne les caraclères suivants, comme
distinguant le Boudalès : « Souche : de force moyenne, très fertile. Sarments :
minces, uns, de longueu|r moyenne, couleur rouge assez foncé, nœuds espacés,
de grosseur moyenne. Feuilles : plus petites que celles de l'Œillade, plus
profondément découpées, d'un vert moins foncé et plus jaune, un peu moins
rugueuses sur leur face supérieure et cotonneuses à leur face inférieure.
Grappe : grosse et belle comme celle de l'Œillade, à pédoncule tendre; grains
oblongs, un peu plus gros que ceux de TŒillade et comme eux d'un beau
noir violet fleuri, même saveur, charnus et croquants. Maturité un peu plus
précoce que celle de l'Œillade, du 15 au 30 août. »
Bouillenc du Tarn, France.— Od. (p. 256) en cite trois variétés : le blanc,
le rouge et le noir, comme cultivés dans les vignobles du Tarn et comme
méritant d'être sérieusement étudiés.
Bouillenc rose, France (Tarn-et-Garonne). Syn. : Guillemot rose
(Landes), Feldlinger (Bas-Rhin) Od. — Cépage productif, mais de peu de
mérite.
Bourboulency France (Vaucluse). Syn. : Bourboulenque. — Rendu {Amp.
Française) le cite comme faisant partie des cépages du vignoble de Vaudieu,
un des quatre les plus importants et les plus en renom de Châteauneuf-le-
Pape. En voici d'après lui les caractères : Sarments : droits, noués courts.
Feuilles : grandes, épaisses, à cinq lobes, dents larges, inégales, presque
mousses, face supérieure d'un vert clair. Grappe : moyenne, en pyramide
ramassée, munie d'ailes pendantes. Grains : lâches, assez développés, ovoïdes,
d'une couleur ambre doré, très pruinés, peau épaisse, chair juteuse.
Braccinola blanca, Italie (Ligurie). Syn. : Rappalunga (Carrara), Bruc-
ciuola (Ligurie). — Ce cépage que npus décrivons d'après le B, A. (fasc. XV,
p. 86) donne un raisin à saveur douce, mais non aromatique ; on l'emploie
pour la vinification. Les feuilles sont légèrement trilobées, non duveteuses, de
couleur vert clair, avec nervures saillantes; la grappe est très longue et ailée ;
les grains sont blanc clair, ronds, non serrés.
Brachello nero, Italie (Piémont). — Ce cépage diffère du Brachetto de
Nice et donne un raisin à saveur musquée, tandis que le Brachetto de Nice,
synonyme du Pécoui-Thouar, a des raisins à saveur simple.
Breggiola, Italie (Piémont). Syn. : Briziola (haut Novarais) ; Valewuma
Digitized by
Google
PRINCIPALES VARIÉTÉS DU VITIS VlNl. K.1A 343
ou Valenzasca H. G. — G. de R. le dit robuste et d'après lui sor) raisin es
plutôt employé pour la table que pour la cuve .
Bregin ou Rong^in, France (Jura). — Vigne, à raisins noirs, peu méritante
d*aprè8 PuUial. Cependant nous trouvons dans le Vign, (t. III, p. 44) une appré-
ciation de M. Vaissier très flatteuse pour ce cépage : « A sa franche et cons-
tante fertilité qui n'exclut pas une belle tenue sous la forme la plus restreinte,
il faut ajouter la résistance de son bois aux mauvais hivers, celle de son feuillage
protecteur, un des derniers à tomber, enfin celle de sa magnifique grappe qui,
une fois la fleur bien passée, ne cesse de prospérer jusqu'à la vendange, en
bravajit mieux que tout autre les intempéries mêmes tardives. »
En résumé, le Brégin est apprécié comme ra'sin de garde, comme supportant
très bien le transport, et comme donnant un vin coloré qui n'est pas sans
valeur.
Bretonnean, France (Haute- Vienne, et partie granitique de la Charente).
— Ce petit raisin noir est estimé dans le pays, quoiqu'on réalité de peu de
valeur.
Biindisina, Italie (Lecce;. — Ce cépage a une certaine importance
comme raisin de table, il est d'ailleurs exclusivement réservé à cet usage. Carac-
tères : FeitUles: petites, vertes, prenant une couleur rosée à l'automne, glabres.
Grappe moyenne, conique, simple, serrée; Grains : moyens, légèrement ovales,
de couleur rose pâle.
Bnuft-fonrca, France (Var, Bouches-du-Rhône, Hérault, Gard). Syn. :
Famous (Bouches-du-Rhône), Moulan, Mowraslel flourat, Morrastel flourcU,
Moureau (Hérault) Marès ; Moulard (Gard), Caula nofi' (Vaucluse) Od. ;
Morastel'flouron Pull. ; Brun cCAuriol M. P. — Ce cépage si estimé, que
d'après Od. il entrait pour un quart dans la composition des meilleures
vignes de l'ancienne Provence, le Mourvèdre formant les trois autres quarts,
ne répond pas toujours à celte haute appréciation. Si dans les terrains pro-
fonds et bien ressuyésj en terre franche un peu graveleuse il est d'une fer-
tilité remarquable et dure longtemps, sa fertilité et sa durée se réduisent
beaucoup dans les terrains rocailleux ou dans les terrains pauvres; il a besoin
alors de beaucoup d'engrais et de beaucoup de travail. De plus, ses fruits
s'égrènent facilement et pourrissent très vite. A côté de ces iiiconvénien ts, il a
cependant de grands avantages : débourrant tard, il redoute peu la gelée et ne
coule pas, il peut être vendangé de bonne heure.
Marès (Livre de la Fei^me, t. II, p. 294) en donne les caractères suivants :
cf Soucfie : moyenne, assez vigoureuse, fertile dans les terrains où elle
se plaît. SarmetUs : érigés, forts, d'un rouge grisâtre poussière, très lisses,
longs, entre-nœuds longs, nœuds assez forts. Feuilles : moyennes, plutôt
petites, lisses sur les deux faces, luisantes, un peu recoquillées en dessous,
d un beau vert pendant la végétation ; teintées en rouge, en entier ou seule-,
ment sur les bords pendant Tarrière-saison : de forme arrondie, presque
entière, à cinq lobes peu accusés, à dentelures grosses et sans profondeur.
Grappe: ligneuse, grosse, longue, ailée; à gros grains oblongs, noirs, très
fleuris ou pruinés, charnus, de saveur sucrée et acidulé, s'égrenant facilement
lorsqu'ils sont mûrs. » — Vin de belle couleur, d'une limpidité remarquable.
Bmneauy France (Lot). — Variété du Teinturier, dit Pulliat, estimé
pour le produit et la qualité.
BmsUano biancoy France (Corse). — D'après Ottavi cité par G. de R., il
ne faut pas confondre cette variété avec le Vermentino duquel il se rapproche
Digitized by
Google
344 AMPÉLOGRAPHIE GÉNÉRALE
Le Brustiano est de maturité tardive. Il est très cultivé pour fournir des rai-
sins de table, lesquels, suivant Od. (p. 442), ont un goût sucré et un peu âpre,
mais très agréable. Les grains sont elliptiques, jaune verdàtre.
Babla, Italie (Piémont). — Excellent raisin noir de table et de cuve,
d'une parfaite conservation pour l'hiver, dit G. de R. Pull, en donne les
caractères suivants : « Feuilles sur-moyennes, peu sinuées, duveteuses.
Grappe grosse, conique, cylindrique, un peu serrée. Grains sphériques,
ellipsoïdes, charnus, d'un noir rougeâtre. »
Buckland Sweet HTater. — Cépage d'origine anglaise. Raisin blanc
de table.
Bud^ Fejer, Hongrie. Syn. : Weiss Honigler Traube (vignoble de Bude),
Bêla Okrugla ranka (duché de Sirmie), Frùh weiss Magdalenen (Allemagne) Od. ;
Honigler blanc de Bude, Honigler Traube G. de R. ; Mèzes blanc ou Mèzes
Feher M. P. ; Ezerjo, Korpani (Tothfalu, Bodgany), Szatohi (Penzs) ; Kolntrei-
fier, Scheinkem, Tausendfachgute in H. G. — Raisin blanc jaunâtre dont le
vin est très suave et très aromatique. « Les feuilles sont moyennes, bien
duveteuses, bien sinuées, un peu tourmentées; la grappe est moyenne, cylin-
dro-conique, un peu serrée. Grains moyens, sphériques. » (Poll.)
Buonamicso nero, Italie (Toscane). •— D'après G. de R. ce serait un cépage
de second ordre, pour la vinification. Le B. .A (fasc. XVÏ, p. i84) en donne
les caractères suivants : Feuilles moyennes, trilobées, de couleur vert foncé
sur la face supérieure, blanchâtres sur la face inférieure. Grappe cylindrique,
longue. Grains ronds, d'un beau noir pruiné.
Bargep blanc, France (Alsace). Syn. : Elbling, Allemand, Facun Od.;
Kleinberger^ Klammer (vallée de la Moselle), Weissebling, Elbling weisser,
(dans les montagnes du Hardt), Sussgroler (sur le Mein), Bheinelbe, Sylvaner
blanc (dans le duché de Bade) ; Peshek^ Blesez, Morawka, Kurstingel (Styrie)
M. P. ; Biela Zre6mna (Croatie), Elben feher (Hongrie), Tarant Bily (Hongrie);
... Vert doux, Gouai blanc. Bourgeois, Mouillet (Alsace) in H. G. — C'est un
cépage très cultivé par les petits propriétaires des deux rives du Rhin, ainsi
que dans Test de la France, en Allemagne, en Autriche, dans la Hongrie, en
Croatie, etc.. Le Burger blanc ou l'Elbling des Allemands doit être originaire
de ce dernier pays, et, tout en ne produisant que des vins communs, mais
d'un grand rendement, il y est fort cultivé ainsi qu'en Hongrie et en Alsace.
Son vin est peu alcoolique, sans bouquet et sujet à la graisse. Ses raisins
pourrissent très facilement aux premières pluies.
Cette vigne, dit H. Gœthe, se cultive surtout dans les vignobles où l'on vise
à la quantité plutôt qu'à la qualité. Elle vient dans presque tous les terrains
et s'accommode de presque toutes les tailles, c'est problablement une des
principales causes de la préférence que lui accordent les vignerons allemands
et alsaciens.
Mas et Pulliat {Vign,, t. II, p. 153), à qui nous empruntons ces renseigne-
ments en donnent la description suivante : « Bourgeonnement : duveteux,
blanc, légèrement violacé, passant au vert jaunâtre sur les jeunes feuilles.
Sarments : de moyenne force, mi-érigés. Souche : assez vigoureuse, mais
s'épuisant assez vite. Feuilles : assez grandes, d'un beau vert ; sinus peu
profonds; denture obtuse et inégale, peu profonde; nervures un peu teintées
de rouge; pétiole un peu court, assez fort. Grappe: moyenne, un peu courte,
peu ailée, le plus souvent cylindrique, serrée, portée par un pédoncule court
et fort. Grains : moyens, globuleux ; pédicelles courts, assez forts. Peau : d'un
Digitized by
Google
PRINCIPALES VARIÉTÉS DU VITIS VINIFERA 345
Tert jaunâtre, mince, un peu pruinée à la maturilé,qui est de deuxième époque
tardive. Chair : juteuse, un peu acidulée, à saveur simple. >>
Caberael franc, Carmenet ou Carbenet, France (Bordelais). Syn. :
Petite Vuidure, Petite Vigne dure (Gironde), Cabei-net gris (Àrapélographie
Française), ^e^on (Indre-et-Loire, Vienne), TVronaw (arrondissement de Sau-
raor), Veron (Nièvre et Deux-Sèvres) Od. ; Bouchet (Saint-Emilion), Petit Fer
(Libourne) Pull,; Fer-Servadou (Tarn-et-Garonne), Scarcit (Bordelais), Négril-
lon^ Graput^ Arrouya M. et P . \ Maccafero nero (province de Pavie) {B. A,,
fasc. XVin, p. 308). — G^est le cépage qui prédomine dans les crus les plus
renommés du Bordelais. Il est très hâlif et, si ce n'était Texposition excellente
qu*il possède sur les croupes du Médoc, il serait souvent atteint j^ar les gelées
printanières. D'après un propriétaire cité, mais non nommé par Od. (p. 12i) :
« le Gabemet est un véritable protée suivant le sol qui le nourrit; par
exemple dans la petite circonscription de Ghampigny-le-Sec, où le vignoble
est sur la pierre calcaire, le vin est hors ligne, et se vend très cher. Dans les
sables graveleux superposés à un fond d'argile il donne un vin riche en cou-
leur et de bonne garde ; dans les sables maigres, sur les bords de la Loire et
de la Vienne, son vin est léger, mais froid et d'une durée très bornée. »
Outre rinconvénient de nécessiter un sol convenable, ce cépage produit
relativement peu, aussi n'est-il guère répandu dans le Midi, mieux situé, mais
où on préfère la quantité à la qualité.
Suivant Pullial, le Cabernet a des feuilles, moyennes, dentelées, « glabres », un
peu cotonneuses sur leur envers, dit Odart; une grappe moyenne, cylindrique,
ailée, dont les grains sont moyens, ronds et serrés, à peau épaisse, noir pruiné.
Description : « Tronc: menu, faible, droit. Sarments : droits, fermes, ronds;
écorce luisante; couleur marron clair d'abord, puis foncée et presque rouge ;
nœuds moyennement gros, entre-nœuds ou mérithalles moyennement longs ;
étui médulaire relativement petit ; boutons pointus, blancs fauves. Feuilles ;
rosées à leur épanouissement ; minces, unies, vert foncé, profondément
découpées en cinq lobes, le lobe terminal assez large pour déborder sur
les autres, chaque lobe muni de dents larges, obtuses et surmonté d'une
pointe assez aiguë ; nervures saillantes en dessous. Duvet rare. Pétiole cylin-
drique, mince, rougeàtre. Raisins: grosseur moyenne, ramassés, cylindriques,
pointus et formant une sorte de cône. Crrains: moyens, ronds, peau épaisse et
dure, croquants, noir-violet, recouverts d'une poussière ou fleur souvent
assez abondante pour leur donner un reflet blanchâtre. Suc épais, visqueux ;
saveur douce, franche, énergique, agréable. Pédoncules longs, brun^rouge;
-pédicelles plus clairs. » (PETiT-LAPFm, p. 151.)
Cabemel SanTlgnon, France (Médoc). Syn. : Viudure Sauvignanne,
Petit Carbemet Od. ; Boitcket ou Bouché (Libourne) , Navarre M. et P. — Le
Gabemet Sauvignon produit un vin fort délicat^ ayant beaucoup de bouquet
et de parfum.
Ge cépage diffère du Gabemet franc par des caractères assez tranchés, mais
qui ne portent guère que sur les feuilles et la grosseur des grains. Les feuilles,
sont plus minces, plus luisantes, plus découpées. Les grains sont plus petits,
la grappe est aussi un peu plus allongée.
C^bplel, Espagne. Syn. : Terralbo (Madrid), Teta de negra Sim. Rox. —
Sarments blanchâtres, rayés longitudinalement de rouge, tendres ; feuilles
courtes ; grains noirs.
Ca^novali ou Gagnorali noir, Italie (Sardaigne). . — Raisin de cuve
Digitized by
Google
346 AMPÉLOGRAPIUE GÉNÉRALE
cultivé surlout à Gagliari et à Sassari. G. de R. dit que le plant qu*il a eu entre
les mains, lui parait identique au Morastel.
CaUbpese blanca ou Calabrlan raisin, Italie (Sardaigne). Syn. :
Raisin de Calahre. — G. de R. le croit identique à Tlnsolia bianca de la Sicile,
cependant diaprés les descriptions succinctes que PuUiat donne des deux, il y
aurait une différence. Le Raisin de Galabre a des grains sur-moyens, sphéri-
ques, fermes, croquants, Tlnsolia a les gains olivoldes; le Raisin de Calabre
mûrit aussi un peu plus tôt.
Calabrese di L.eoiifopte, Italie (Galtanissetta). — Cépage très impor-
tant pour la vinification. Caractères : Feuilles : moyennes, glabres et rudes,
de couleur vert sombre, la face inférieure est munie d'un tomentum presque
cotonneux. Grappe : grosse, cylindrique, ailée, semi-serrée. Grains : moyens
ronds, noir pruiné. (B. A., fasc. XVI, p. 278.)
Calilop blanc, France (Gard). Syn. : Bouteillan à grains blancs^ Fouirai
blanc Marès. — Donne un vin un peu plus potable que le Calitor noir, auquel
il est semblable par ses caractères, sauf la couleur des grains.
Calitopgris, France (Midi). Syn. : Saoûle-Bouvier. — Variété du Calitor
noir, produit un bon vin, mais ne se cultive qu'accessoirement. (Marès.)
Calltop noip, France méridionale (Gard). Syn. : Bracquet ou Brachet
(Nice) Pull. ; Charge-Mulet, Fouirai (Hérault), Mouillas (Aude), Cargomuou^
Bouteillan, Pecoui Touar (Bouches-du-Rhône, Var) Marès; NcRuds courts,
(Var), CaM«eron (Gard), Picpouille Sorbier (Dordogne), Bouteillan à gros grains,
CayaUf Sigolier (Hautes- et Basses-Mpes, Bouches-du-Rhône) Od. ; Foirard,
FùuirassaUy Saure^ Touar (Draguignan), Ginoux d'Agasso (Provence), Bra-
cftetto, Baoubounesse (Alpes-Maritimes) M. et P. — Ce cépage très répandu
autrefois dans tout le midi de la France est de plus en plus abandonné. Ses
raisins ont un goût très sucré. Son vin, quoique assez abondant, a un goût
acerbe. Marès dans le Livre de la Ferme (t. Il, p. 296) donne la description
suivante des caractères du Calitor noir :
« Souche : forte, très vigoureuse, fertile, de longue durée. Sarments : demi-
érigés, forts, noués court, couleur rouge clair, rayés. Feuilles : moyennes, vert
foncé, à cinq lobes très découpés, à dentelures profondes et aiguès, à sinus
inférieurs moins profonds que les supérieurs, un peu rugueuses dessus, à
revers blanchâtre et cotonneux. Grrappe : assez forte, cylindrique, couleur
rouge-violet clair, à grains assez gros, ronds, juteux, à suc très doux et fade,
à peau fine ; sujets à pourrir. Maturité vers la fin de septembre. »
Calona, Espagne S. Roxas Cleh. -^ On cultive cette variété surtout à San
Lucar. Ses caractères botaniques sont : Feuilles : grandes, les inférieures très
grandes. Grains : un peu serrés, moyens, quasi ronds, blancs.
Camapaou, France (Hautes- et Basses-Pyrénées). Syn. : Camarau. —
Cépage à raisins blancs, mûrissant très tard, donnant des vins blancs dont
Guyot (p. 352), fait un grand éloge. Cette variété est très reconnaissable à ses
feuilles dentelées, tourmentées et duveteuses.
Cani^olo bianco ou Cani^uolo, Italie (Toscane). Syn. : Caccio bianeo,
Cacciohe, Cacciume, Ccc^cttima, EmpibottCy GonfiaJboite^ Sfondahotte, Sfasciaca-
nele, Pagadebitiy Uva vacca^ Zinna di Vacca^ BoUoto^ BoterOy BoUara, BoUor-
nonCy BotHrone^ Uva meta, Uva Délia Madonna, Ghiolto, Moslosa^ Bellone,
Zinna di Vacca^ etc. Nous donnons tous ces synonymes d*après Mas et Pullial
qui consacrent fin Vign., t. III, p. 189), un long article à ce cépage.
C'est un raisin très répandu dans diverses régions de Tltalie, où il est d'une
Digitized by
Google
PRINCIPALES VARIÉTÉS DU VITIS VINIFRRA 347
très grande fertilité. Son vin est en général classé dans les vins communs»
mais lorsque les vignes sont en coteaux, bien exposées au soleil, il n'est pas
sans qualité.
Canalola nera, Italie (Toscane). Syn. : Canajolo nero piccolo G. de R.
— C'est le principal cépage des vignobles toscans. Suivant Gallesio cité
par Od. (p. 581), « il est fécond, mais son vin n'est pas de durée. La
grappe porte des grains ronds, noirs, dont la pulpe est douce et le vin
agréable ; sa vendange s*allie bien avec celle du San Gioveto, dont Taustérité
est ainsi tempérée par la douceur du suc de la Ganajola, aussi est-ce avec la
vendange de ces deux cépages que se font les meilleurs vins de Toscane. Celle
de la Ganajola particulièrement entre pour 1/3 dans le vin de Monte- Pul-
ciano. Ses feuilles sont blanches en dessous, par le coton fin dont elles sont
tapissées. »
Canari noir, France (Ariège). Syn. : Carcasses Od. — Raisin de lable.
Canina, Italie (Toscane). Syn. : Canajolo Rosso (?), Acerbi M. et P. — Ces
derniers auteurs (in Vign,y t. If, p. 61) ne donnent comme synonyme de
Canina, Canajolo Rosso, que dubitativement, car d'après G. de R. ces deux
cépages seraient différents.
Le Canina donne un vin de coupage : il communique aux autres crus la
couleur et l'alcool qui leur manquent.
Cannono, Italie (Sardaigne). Syn. : Cannonau ou Cannonaddu, Canonao,
PrsBStans G. de R. ; Giro Niedda, Giro Calaritanu M. et P. — On ne peut donner
avec certitude la synonymie de ces divers cépages. Mas et PuUiat, qui décrivent
cette variété sous le nom de Giro Niedda (Vign,, t. H, p. 67), n'affirment pas
que ce dernier soit identique au Giro Calaritanu et au Canonao. Aussi, comme
les caractères qui les différencient ne sont pas très apparents, et que, pour
nos vignobles, ces cépages n'ont pas grande importance, nous nous abstien-
drons d'insister davantage.
Carignane, Franoe méridionale; Syn. : Carignane^ Crignane, CaH-
gnany Bois dur^ Plant d'Espagne (Hérault, Aude, Gard, Pyrénées- Orientales),
Catalan (Marseillan, Hérault), Mares. — Ce plant nommé aussi, mais à tort,
Mataro à Saint-Gilles (Gard), Monestel dans le Var, puisque le vrai Mataro
est le Mourvèdre et que le vrai Monestel est le Morrastel ou MourrasteU est
un des cépages les plus répandus dans le midi de la France. Dans le dépar-
lement de l'Aude il constitue à lui seul des vignobles entiers. Et cependant
combien grands' sont ses défauts ! Aucun cépage n*est aussi sujet que lui à
Toldium et à la coulure. Aucun ne demande davantage à être préservé de l'an-
thracnose; une matinée un peu chaude et humide suffit à l'éclosiondu terrible
champignon et à l'anéantissement de toute la récolte des vignes plantées en
Carignane, tandis que bien d'autres plants du même pays laissent au cultiva-
teur le temps d'intervenir. Mais si les défauts sont grands, grandes sont aussi
les qualités : il débourre tard, donc pas de craintes pour les gelées précoces ;
il est peu sujet aux ravages des insectes, il est très fertile et donne un vin
coloré, spiritueux, corsé et de bonne tenue.
D'après Mares (p. 287), la Carignane est d'origine espagnole. Son nom lui
vient de Cariâena en Aragon ; à Carinena on la désigne sous le nom de Tinto.
Ses caractères sont les suivants : « Souche : forte, élevée, de durée moyenne,
très fertile. Sarments: érigés, rouge clair, durs et cassants, forts, très vigoureux,
longs; entre-nœuds serrés à la base, mais longs sur le reste des sarments,
nœuds colorés et assez gros. Feuilles : grandes, larges, fortes, tourmentéeS| ù
Digitized by
Google
348 AMPÉL06RAPHIE GÉNÉRALE
cinq lobes, profondément diyisées, dentelées, d*un vert moyen, assez coton-
neuses en dessous, un peu rugueuses par-dessus ; pétioles rouges ; elles sont
frappées de rouge vineux à Tarrière-saison sur les bords, et assez souvent sur
la feuille entière et même sur les rameaux entiers. Grappe : grosse et forte,
ligneuse, divisée en plusieurs lobes, sans ailes régulières. Grains : assez gros,
ronds, noirs, juteux, fermes, égaux, peu agréables à manger. Maturité fin
septembre. »
Carmenère, France (Bordelais). Syn. : Carmenêrey Carmenelle, Carbonet.
Grand Carmenetf Grande Viudure Od. — Ce plant, nommé aussi Vigne dure,
doit ce nom à la dureté de ses sarments, il diffère peu du Garmenet ou Gaber-
net. La différence porte sur la grosseur et la couleur du bois des sarments,
sur les découpures des feuilles et la forme des grains, ceux-ci ainsi que la
grappe ne présentent pas une différence très sensible.
Carola, Italie. Syn. : CarolinùyCalorina, Calora^ Caleura, Careula B. A. —
Ce cépage, qui a quelque analogie avec notre « Bracqnet », possède d'après le
B. A, (fasc. XVIIT, p. 332) des feuilles complètes, moyennes, de forme pres-
que ronde, granuleuses et épaisses; la face supérieure est lisse, de couleur
vert clair, la face inférieure légèrement cotonneuse ; la grappe est cylindrique
ou conique, serrée, simple ; les grains moyens, ronds ou légèrement oblongs,
de grosseur uniforme,ont une pellicule épaisse et de couleur rouge clair pruiné.
Catalan noir, France (Provence). — Sous ce nom on désigne deux et
peut-être trois plants différents. Catalan à Marseillan (Hérault) s'applique a
la Garignane (Mares). Catalan dans le Var est synonyme de Mourvèdre (A.. Pel-
LicoT, in Cat. de Pull.). Enfin dans le magnifique ouvrage d'Od., le cépage
nommé ainsi différerait du Mourvèdre.
CatalaneAca, Italie (Lecce). — Cépage fournissant de bons raisins de
table. Caractères : feuilles: moyennes, de couleur vert sombre, prenant à
l'automne une teinte tabac, glabres sur les deux faces, et ayant la face infé-
rieure de couleur vert clair. Grappe: grosse, longue, pyramidale allongée,
simple et serrée, (hains : moyens, ovales ; munis d'une peau luisante, épaisse
et coriace, tachetée; de couleur rouge-grenat foncé. (B. A. fasc. XV, p. 154.)
CUitaratto nero, Italie (arrondissement de Piazza). — Ce cépage, d'une
grande importance pour la vinification dans cet arrondissement, a d'après le
B. A. (fasc. XVI, p. 272) les caractères botaniques suivants : Feuilles : moyennes,
vert clair à la face supérieure et se teignant en jaune obscur, à l'automne,
de couleur blanchâtre à la face inférieure qui est un peu tomenteuse. Grappe :
longue et grosse, pyramidale, allongée, serrée. Grains : moyens, ronds, à
peau épaisse de couleur noir rougeâtro.
Catharatta, CUitaratto ou Catarrattn a la porta, Italie (Sicile).
Syn. : Caricantey Nocera hianca in G. de R.; CatarattUy Catarattedu^ Catarattu
nmmantiddatu, Ange Nicolosi M. P. — Ce cépage est cultivé de temps immé-
morial en Sicile. C'est à lui qu'est due la renommée des vins de Marsala.
Canny, France (Gironde). — Od. (p. 130) cite ce cépage comme très
vigoureux, mais peu fertile. Il donne des raisins très doux.
Cenerina, Italie (Piémont). — Ce cépage, d'après le B. A. (fasc. XVIII,
p. 168), se rapprocherait du Pinot cendré d'Odart (p. 182). Son raisin, propre
pour la cuve, a les grains recouverts d'une pruine très abondante.
Cenerola bianca, Italie (Piémont). — « Feuilles sous-moyennes, sinuées,
très duveteuses. 6frappe grosse, conique, cylindrique, un peu serrée; grains
sous-moyens, sphériques, blanc jaunâtre. » (Pull).
Digitized by
Google
PRINCIPALES VARIÉTÉS DU VITIS VINIFERA 349
Cepa Canasta, Espagne (Paraxète). — Cette variété se rapproche beau-
coup de TAlbillo. Caractères : Sarments rampa