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TRAITÉ
DE
PHILOSOPHIE
TOME DEUXIÈME
MORALE — ESTHÉTIQUE — MÉTAPHYSIQUE
VOCABULAIRE PHILOSOPHIQUE
L'auteur et V éditeur réservent tous droits de traduction et de reproduction.
Ce Tome deuxième, conformément à la loi, a été déposé en août 1924.
Nihil obstat,
J. BouiN.
Imprimatur,
(i. Lefebvre.
vir. gen.
Parisiis, die iiona-Junii 19?!
TRAITÉ
DB
PHILOSOPHIE
PAR
GASTON SORTAIS, S. J.
ANCIEN PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE
TOME DEUXIÈME
MORALE — ESTHÉTIQUE — MÉTAPHYSIQUE
VOCABULAIRE PHILOSOPHIQUE
Cinquième Édition revue et augmentée
(du 13e au 15e miUe)
PARIS
P. LETHIELLEUX, Libraire-Éditeur
10, RUE CASSETTE, 10
1924
TABLE SYNTHÉTIQUE DU SECOND VOLUME
SCIENCES PSYCHOLOGIQUES NORMATIVES
(Suite)
II
MORALE
Préliminaires.
A' os ' Pages
1. Définition et objet de la Morale 1
2. .Science et Art 2
3. Division et Méthode de la Morale 3
4. Utilité de la Science de la Morale 3
5. Rapports de la Morale avec la Psychologie et la Logique . . 5
6. La Morale et la Métaphysique 7
Complément bibhographique 12
LIVRE I. — MORALE FORMELLE OU GÉNÉRALE
7. Division de la Morale formelle 15
CHAPITRE I. — LA CONSCIENCE MORALE
8. Conscience psychologique et Conscience morale 15
9. Analyse de la Conscience morale 16
, I. — Sens moral 18
10. Nature de la Conscience : : II. — Résultat de V expérience. 21
' III. -j- Forme de la raison .... 25
11. Valeur de la Conscience morale 26
1 2. Universalité de la" Conscience morale 27
13. Conditions ou Éléments de la Moralité 30
14. L'Intention morale 31
15. Degrés, Éducation et Règles de la Conscience morale 33
CHAPITRE II. — LE DEVOIR ET LA LOI MORALE
1(). Le Devoir et l'Obligation morale 37
17. De la Loi 37
M TABLE SYNTHÉTIQUE DU SECOND VOLUME
Nos l'as^s
18. Ordre hiérarchique des Lois ^^
19. Existence de la Loi morale et du Devoir 42
20 . Caractères de la Loi morale et du Devoir 44
CHAPITRE IIL — LE SOUVERAIN BIEN
21 . Les Motifs des Actions humaines 46
ARTICLE I. — Morales égoïstes ou utilitaires
§ A. — Morale du Plaisir
22 . L'Hédonisme (Aristippe) 48
23. La Satisfaction morale (J.-J. Rousseau) 49
§ B. — Morale de l'Intérêt
24 . La Morale de l'Intérêt (Épicure) 50
25. La Morale utilitaire (Bentham) 51
26. Utilitarisme rectifié (S. Mill) 53
27 . Morale évolutionniste (H. Spencer) 58
28. Morale sociologique (Ém. Durkheim) 60
29. Morale de la Solidarité (L. Bourgeois) 70
30. Rôle du Plaisir en Morale 76
31 . Rôle de l'Intérêt en Morale 77
32. Le Plaisir et l'Intérêt 80
ARTICLE II. — Morales altruistes ou sentimentales
33 . L'Altruisme (A. Comte) 81
34 . La Bienveillance (Hutcheson) 81
35 . La Sympathie (A. Smith) 82
36. Le Sentiment de l'Honneur 84
37 . Rôle du Sentiment en Morale 86
38. L'Intérêt et le Sentiment 88
ARTICLE III. — Morales rationnelles
39. Idéal cslliétique (Platon) 89
40. Eudémoni.sme rationnel (Aristote) 91
41 . Suivre la Raison (Zenon) 93
42 . Morale formelle (Kant) 96
43. Morale du Bien rationnel (S. Thomas) 101
k'\ . ( )ri''ine de l'Idée du Bien 102
TABLE SYNTHETIQUE DU SECOND VOLUME VII
Nos Pages
45. Nature de l'Idée du Bien 103
46. Fondement de l'Obligation 107
CHAPITRE IV. — CONSÉQUENCES DE LA MORALITÉ
47 . La Responsabilité morale 114
48. Le Mérite et le Démérite 118
49 . Les Sanctions morales 119
50. La Vertu et le Vice ' 124
CHAPITRE V. — LE DROIT
51 . Définition et Caractères du Droit 131
52. Principe et Fondement du Droit 132
53 . Rapports du Droit et du Devoir 135
54. Origine et Caractères de l'Idée du Droit 139
55 . Formes particulières du Droit 139
56. Préceptes primaires et secondaires du Droit naturel 141
57. Conflit des Droits 142
Complément bibliographique 143
LIVRE n. — MORALE MATÉRIELLE OU PARTICULIÈRE
58 . Division des Devoirs 148
59 . Devoirs envers les Animaux ? 150
60. Conflit des Devoirs 150
Complément bibliographique 151
CHAPITRE I. — MORALE PERSONNELLE
61 . Existence et Fondement des Devoirs personnels 153
62 . Devoirs relatifs au Corps 156
63 . Devoirs relatifs à l'Ame 158
Complément bibliographique. 159
CHAPITRE II. — MORALE SOCIALE
04 . Division des Devoirs envers autrui 161
Section I. — Morale humanitaire.
65 . Justice et Charité 161
§ I. — Devoirs de Justice
66. Devoirs relatifs à la Vie d'autrui 166
VIII TABLE SYNTHÉTIQUE DU SECOND VOLUME
Nos Pages
G7. Devoirs relatifs à TAme d'autrui :
§ I. — Devoirs relatifs à la Sensibilité 168
§ II. — Devoirs relatifs à V Intelligence :
Véracité et Mensonge 168
§ III. — Devoirs relatifs à la Volonté libre :
A. — L'Esclavage 17(i
B. — Le Servage 181
C. — Liberté individuelle :
1°) Liberté de Conscience 183
20) Liberté de Pensée 183
3°) Liberté de la Profession et de la Vocation .... 186
40) Liberté du Travail 187
68. Respect des Biens matériels : le Droit de Propriété 188
69. Objections contre le Droit de Propriété 194
70. Conséquences et Attributs du Droit de Propriété 197
71. Liberté de tester 197
A. — Communisme 199
B. — Collectivisme. 200
72. Socialisme : [ C. — Réformisme, Syndicalisme, Goopéra-
tisme 202
D. — Société et Socialisme 205
73. Respect des Biens spirituels : l'Honneur 206
§ 11. — Devoirs de Charité.
1\. Les Œuvres fie Charité 207
Complément bibliographique 207
Section IL — Morale domestique.
75. La Famille 208
76. Le .Mariage 209
77. Le Célibat 211
78. Devoirs des Époux 211
79. Le Féminisme 212
80. Devoirs des Parents " 216
81. Devoirs des Enfants ^ 216
82. Devoirs des Maîtres et des Serviteurs 217
83. Devoirs des Patrons et des Ouvriers 217
Comjjlémeiil bibliographique 218
TABLE SYNTHÉTIQUE DU SECOND VOLUME IX
Section III. — Morale civique.
Nos ' Pages
84. La Société 219
85. Origine de la Société 220
86. Origine du Pouvoir 223
87. Gouvernements de fait 230
88. Formes diverses de Gouvernement 232
89. Infériorité des Formes à l'état pur 233
90. Supériorité des Formes à l'état mixte 235
91. La Démocratie. 239
92. Stabilité et Transmission de l'Autorité 247
93. Fonctions de l'État : | tt t • •* 1 r- • •* ••■■■'■■
/ IL — ■ Limites et Empiétements.. ioO
/ I. — Enseignement 252
94. Exemples d'intervention : | IL — Bienfaisance 263
f III. — Travail 265
95. Devoirs et Droits des Gouvernants 265
96. Séparation des Pouvoirs 266
97. Pouvoir législatif 266
no r> ■ j- ■ ■ (A. — En général 267
98. Pouvoir ludiciaire : t^ t-w -x j ■ ncn
■• ( B. — Droit de punir 267
nn D • ' 4.-* i A. — En général 269
99. Pouvoir executii : i r, rx -x j o/-n
' B. — Droit de guerre 269
100. Devoirs et Droits des Gouvernés. .....'.... 274
101. L'Obéissance aux Lois 274
102. Le Service militaire 276
103. L'Impôt 277
104. Les Droits de Vote et d'Éligibilité 281
105. Le Droit d'Association et l'Etat 285
106. Insurrection et Résistance 287
107. La Liberté politique et la Liberté civile 291
108. Le Libéralisme 292
109. Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen 294
Complément bibliographique 301
Section IV. — Morale internationale.
110. Le Droit international 311
111. Essais d'Organisation juridique internationale 315
112. Principe des Nationalités 322
113. La Morale et la Politique 325
X TABLE SYNTHÉTIQUE DU SECOND VOLUME
Nos Page s
1 14. La Civilisation 325
115. Le Progrès 327
Complément, bibliographique 328
CHAPITRE III. — MORALE RELIGIEUSE
Section I. — Religion naturelle.
116. Existence des Devoirs envers Dieu 331
117. Le Culte 332
Section U. — L'Eglise et l'Etat.
118. Rôle de l'Église 334
119. Constitution de l'Église 335
[ A. — Asservissement . 337
120. Rapports de l'Église et de l'État : | B. — Séparation 337
( C. — Union 339
121. La Thèse et l'Hypothèse. 340
122. Pouvoir direct ou indirect ? 343
123. L'Intolérance 344
124. L'Immunité ecclésiastique 347
125. L'Éghse et la Révolution .• 348
Complément bibliographique 351
LIVRE m. — LA MORALE ET L'ÉCONOMIE POLITIQUE
CHAPITRE I. — NOTIONS SOMMAIRES
D'ÉCONOMIE POLITIQUE
126. Production de la Richesse 353
127. Circulation de la Richesse 335
128. Répartition de la Richesse 356
129. Consommation de la Richesse 360
Complément bibliographique 361
CHAPITRE II. — RAPPORTS DE LA MORALE
' ET DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE
I.'iO. Hai)i)orts généraux 363
I.M. Rapports particuliers 363
l I. — Causes 365
l.!2. La Question sociale : II. — Nature 368
' III. — Solutions 368
Complément bibliographique 374
TABLE SYNTHÉTIQUE DU SECOND VOLUME XI
Nos Pages
CHAPITRE III. — L'ALCOOLISME
133 . Effets et Remèdes 375
ESTHÉTIQUE
CHAPITRE I. — LE BEAU
1 . Effets du Beau 378
2. Nature du Beau 381
3 . Division du Beau 384
4 . Le Vrai, le Bien, le Beau 384
5 . Le Beau, l'Utile, l'Agréable 387
6. Le Beau, le Gracieux, le Joli 388
7 . Le Beau, le Sublime 389
8. Le Joli, le Beau, le Sublime 390
9. Le Ridicule, le Laid, l'Horrible 390
10. Le Rire, le Ridicule, le Risible 392
Complément bibliographique 392
CHAPITRE IL — L'ART
11 . Double Élément de l'Art 394
12 . L'Idéal : Formation et Origine 395
13. L'Idéal : ses Effets et son Rôle 396
14. Imitation, Fiction, Idéalisation 397
15 . Grandes Lois de l'Art 401
16 . Valeur des Lois artistiques 404
17 . Esprit, Talent, Génie 405
18. Le Goût 406
19 . La Science et l'Art 408
20 . Classification des Arts 408
21 . L'Art et la Morale 410
22. L'Idéal chrétien 412
Complément bibliographique 413
MÉTAPHYSIQUE
• Introduction.
1 . Nature et Objet de la Métaphysique 419
2 . La Question préalable 419
XII TABLE SYNTHÉTIQUE DU SECOND VOLUME
Section I. — Légitimité de la Métaphysique et Valeur de la Connaissance.
ARTICLE I. — Le Scepticisme
Nos Pages
3 . Scepticisme absolu ou Pyrrhonisme 421
4 . Scepticisme relatif ou Probabilisme 425
ARTICLE II. — Le Relativisme
5. § I. — Le Phénoménisme (Hume) 426
6. § II. — Le Criticisme (Kant) 430
7. § III. — Le Néo-Criticisme (Renouvier) 438
8. § IV. -r- L'Idéalisme métaphysique (Lachelier,Bergson) 442
9. § V. — Le Positivisme (Comte) 446
ARTICLE III. — Le Dogmatisme
10. Arguments indirects 450
11 . La Vérité illuminatrice (S. Augustin) 452
Section II. — Importance et Division de la Métaphysique.
12 . Importance de la Métaphysique 456
13. Division et Plan de la Métaphysique 456
Complément biblioirraphique 457
LIVRE I. — MÉTAPHYSIQUE GÉNÉRALE OU ONTOLOGIE
14. Définition et Division 460
CHAPITRE I. — L'ÊTRE EN GÉNÉRAL
15. L'Être et le Non-Être 460
16. Analogie de TEtre • 461
17. Possible et Impossible 463
18. Acte et Puissance 464
1 9 . Essence et Existence 465
20. Distinction entre l'Essence et l'Existence 467
CHAPITRE II.
PROPRIÉTÉS TRANSCENDANTALES DE L'ÊTRE
21 . L'Unité 471
22. [>istincti(»n : réelle, logique; 472
TABLE SYNTHETIQUE DU SECOND VOLUME • XIII
Nos Pages
23 . Principe d'Individuation 474
24 . Le Vrai et le Faux 475
25 . Le Bien et le Mal 476
CHAPITRE IIL
LES DIVISIONS DE L'ÊTRE EN CATÉGORIES
26 . La Substance et l'Accident 479
27. La Quantité 481
28. La Qualité 483
29. La Relation. 484
30. L'Action et la Passion: 485
31 . La Situation, l'Habitus 486
CHAPITRE IV. — LES CAUSES DES ÊTRES
32 . Généralités et Division 487
33. Causes matérielle, formelle, efficiente 488
34. Cause finale 488
35 . Cause exemplaire 490
Complément bibliographique 490
LIVRE n. — MÉTAPHYSIQUE SPÉCIALE
CHAPITRE I. — COSMOLOGIE
ARTICLE l. — Existence du Monde extérieur
/ Immatérialiste (Berkeley) 497
36 Idéalisme • 5 ^^''^'^"^ (^^•^^'f) ^98
) Absolu (Fichte) 498
( Phénoméniste (Hume, Stuart Mill) 499
37. Preuves de l'Existence du Monde extérieur 500
ARTICLE IL — L'Espace et le Temps
38. Nature de l'Espace et du Temps 501
39 . Origine de ces Notions 504
ARTICLE III. — Essence de la Matière
I. — Physique (Épicure, Gassendi). 507
40. Le Mécanisme : ! ,\\- " Géométrique (Descartes). . . . . 508
111. — Atomisme dynamique
(Tongiorgi) 510
XIV TABLE SYNTHETIQUE DU SECOND VOLUME
Xos Pages
41 . Le Dynamisme interne (Leibniz) 511
42. L'Hyiémorphisme (Scolastiques) 513
i L — BoscHOvicH 518
43 . Le Dynamisme externe : , j j _ p^lmieri 520
ARTICLE IV. — La Vie
44 . Caractères distinctifs du vivant 523
45 . Le Mécanisme (Descartes) 524
46. L'Organicisme. (Cabanis) 525
47 . Le Vitalisme (Barthez) 526
48. L'Animisme (Aristote) 527
Complément bibliographique 529
CHAPITRE IL — PSYCHOLOGIE RATIONNELLE
ARTICLE I. — Distinction de l'Ame et du Corps
§ A. — Preuves apportées par le Spiritualisme
49 . Argument général 536
50. Argument tiré de l'identité de la personne. 536
51 . Argument tiré de l'unité de la pensée .537
52. Argument tiré de la liberté 539
§ B. — Réfutation du Matérialisme
5.3 . Arguments et Réponses ! . . . 540
ARTICLE II. — Union de l'Ame et du Corps
54. Existence et Caractères de cette Union 543
55. Le Médiateur plastique 545
56. Les Esprits animaux (Descartes) 545
57. Les Causes occasionnelles (Malebranche) 546
58. L'Harmonie préétablie (Leibniz) 547
59. L'Influx physique (Eiler) 548
60. Conclusion 548
ARTICLE III. — Destinée de l'homme : Immortalité
• il . Preuve métaphysique 549
62 . Preuve morale 550
63. Preuve psychologique 551
64 . Résurrection des corps ^ 552
Com(»lémcnt bibliographique 553
TABLE SYNTHETIQUE DU SECOND VOLUME XV
CHAPITRE III. — THÉOLOGIE RATIONNELLE OU THÉODICÉE
ARTICLE l. — Existence de Dieu
Nos Pages
65. Nécessité et Possibilité d'une Démonstration 555
66. Classification des Preuves de l'Existence de Dieu 556
Section I. — Preuves a posteriori.
67 . La Contingence du Monde 557
68. Le Mouvement de la Matière 560
69 . Les Causes finales , 561
70. Le Consentement universel 563
71 . Les Aspirations de l'Ame 565
72. Les Idées de Parfait et d'Infini 566
73 . Les Vérités éternelles 567
74. L'Existence du Devoir et la Nécessité d'une Sanction. . . . 568
Section II. — Preuve a priori.
75 . Preuve ontologique 569
76. L'Être nécessaire est parfait 572
77 . Valeur des Preuves rationnelles 574
ARTICLE II. — Nature et Attributs de Dieu
78. Des Attributs divins en général 576
79 . Attributs métaphysiques 577
80 . Attributs moraux 580
81 . § A) Science et Sagesse 581
82. Connaissance des futurs conditionnels 584
83. § B) Amour, Bonté, Véracité 595
84. § C) Toute-Puissance et Liberté 597
85 . La Personnalité divine ■ 598
ARTICLE III. — Rapports de Dieu et du Monde
Section I. — Origine du Monde.
86 . L' Atomisme 600
87 . Le Dualisme 601
. A. — Formes diverses du Panthéisme . 601
88. Le Panthéisme : B. — Réfutation du Panthéisme 607
' C. — Objections des Panthéistes 610
XVI TABLE SYNTHÉTIQUE DU SECOND VOLUME
Nos Fsiges
I. — Le Lamarckisme 612
IL — Le Darwinisme 613
-^ ^ _ , . , IIL — Critique du Transformisme. 617
89. Le Transformisme : ( ^y _ Comment se pose aujour-
d'hui la question du
Transformisme ? 623
^^ ,,^ , ,. . i A. — Exposé du Svstème de Spencer 626
90. L Évolutionnisme : ( g _ Critique de i'Évolutionnisme. . 629
91 . Le Créationnisme : } g! - Objections et Réponses ::::::: 634
Section IL — La Providence.
92 . — -La Conservation 637
93 . — Le Concours divin 638
94 . — Le Gouvernement divin 639
95 . — Le Miracle 640
i I. Mal métaphysique . . 643
96. Objections contre la Providence : , IL Mal physique 644
' III. Mal moral 644
Section IIL — La Valeur du Monde.
f.- , ,A^ . • • \ absolu 646
9/. LOptimisme: , ^^j^^^^ g^^
no T n • • i absolu 648
98. Le Pessimisme : , ^-f ^,r>
' relatif 649
99. La Valeur véritable du Monde / ., 649
Complément bibliographique 651
Sujets de Dissertations relatifs à la Morale, à V Esthétique
et à la Métaphysique 657
Synthèse historique des principales doctrines philoso-
phiques 681
Index des Auteurs cités 697
Table analytique des deux volumes et Vocabulaire philo-
sophique 733
SCIENCES PSYCHOLOGIQUES NORMATIVES
(SUITE)
] 1
MORALE
Il importe de connaître les conditions de la science ; nous l'avons
vu en Logique ; mais il importe plus encore de connaître les conditions
de la moralité, parce que, s'il est utile de savoir, il est indispensable
de bien faire. La science est le privilège d'une élite ; la moralité est le
devoir de tous.
PRÉLIMINAIRES
1. — DÉFINITION ET OBJET DE LA MORALE
I. — Définition : la Morale ou Éthique est la science des
mœurs telles qu'elles doivent être. C'est la science du bien obligatoire.
\\. — Objet : la morale a donc pour objet le bien, en tant qu'il
doit être pratiqué par la volonté, c'est-à-dire le devoir, et conséquemment
les lois que la volonté doit suivre pour faire le bien. C'est pourquoi la
morale n'indique pas ce qui se fait ; elle prescrit ce qui doit se faire.
Ce n'est donc pas une science du réel, mais de V idéal. Elle n'est pas
pour cela a priori., car les lois qu'elle formule ne sont pas des construc-
tions arbitraires de l'esprit ; mais l'esprit les dégage de l'analyse des
jugements et des sentiments moraux, qui sont des faits relatifs à la
conscience morale. La morale rappelle sur ce point la physiologie, qui
enseigne comment les organes doivent normalement fonctionner plutôt
qu'elle ne décrit leur fonctionnement réel (^).
(M Ouvrages généraux sur la Morale : Aristote, Ethique à Nicomaque. — Cicéron,
De officiis ; De legibus ; De finibus bonorum et malorum. — Saxnt Thomas, Commenlari»
in X Libros Ethicorum. Summa theologica, I" II»«. Contra Genliles, L. III. — Suarez, De
Legibus. — • Taparelli, Essai théorique de Droit naturel. — Malebranche, Traité de
Morale. — Kant, Critique de la raison pratique ; Fondements de la métaphysique dot mœurs.
— Renouvier, La Science morale. — P. Janet, La Morale. — ■ J. Simon, Le devoir. —
E. Beaussire, Les Principes de la Morale. — Jouffroy, Cours de droit naturel. —
V. Cathrein, Philosophia moralis. — J. Costa-Rossetti, Philosophia moralis. — •
TRAITÉ DE philosophie. T. II. 1.
SCIENCE ET ART (2)
2. — SCIENCE ET ART
La morale est à la volonté ce que la logique est à l'intelligence.
Comme la lno;iquo, elle est à la fois une science et un art.
I. — Science : en tant qu'elle recherche les principes et les conditions
île la moralité, c'est-à-dire les lois de la volonté dans ses rapports avec
le bien. Mais c'est une science pratique, la science pratique du bien,
comme la logique est la science pratique du vrai. Et c'est ainsi qu'elle
devient un art.
II. — Art : en tant que les lois qu'elle établit sont des règles de
<onduite pour diriger la volonté vers le bien : elle enseigne Vart de bien
•.'ivre. Mais c'est un art qui a des caractères tout particuliers :
a) Il est universel, car il embrasse et règle toutes les manifestations
de l'activité humaine, consciente et libre, tandis que les autres arts
sont spéciaux^ c'est-à-dire destinés à diriger telle catégorie d'actions ;
vg. la médecine, l'architecture.
h) Il est obligatoire pour tous. Ce n'est pas, comme les autres, un
art facultatif ou un art d'agrément et de luxe. C'est un art indispensable
pour gouverner la vie.
Conclusion : mais il ne faut pas forcer la distinction établie entre
la murale coDime science et la morale comme art, car ni cette science
n'est purement spéculative, ni cet art n'est exclusivement pratique. En effet,
d'un côté, toute science morale est nécessairement pratique, même quand
elle fait des considérations spéculatives sur le bien et le devoir, car
c'est une science de l'action qui enseigne ce qui doit être fait. D'autre
part, la morale, en tant qu'art, ne peut faire abstraction des principes
ni se réduire à des règles empiriques. Dans les autres arts le résultat
matériel ini])orte seul, quels que soient d'ailleurs le principe et les
A. Fehetti, InslitHlioncs philosophise moralis. — L. Jouin, Elemenia philosophiœ moralis.
— J. Mendive, Instilutionca philosophiœ scolasticee : Ethica. — Cii. Mbyeï{, Instilutiones
juris naturalis. — S. Schiffini, Philosophia moralis. — Zigliara, Summa phîlosophiai,
T. III. — E. Blanc, Traité de philosophie scolastique, T. III. — de Pascal, Philosophie
morale. — Feriiaz, Philosophie du devoir. — Guyaij, La Morale anglaise contemporaine.
— Koi;iLLÉE, Critique des systèmes de morale contemporains. — M. d'Hulst, Conférences
de .\()tre-l)ami', tH9l ;\ 1806. — Fn. Bouillier, Eludes familières de psychologie et de
morale, .\ouvplles éludes familières. — Ravaisson, La Philosophie en France au XI X^ siècle,
J 3/i. — Inslitules du droit naturel, par M. B. — Wiaht, Des Principes de la Morale envi-
mgée comme science. — Cii. Ciiauaux, La Méthode morale. — L. Dugas, Cours de morale
Ihénrifiue cl pratique. — L. LÉvv-Bitum,, La Morale et la Science des mœurs. — Rauh,
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/'ter» et le mal.
l
(3-4) DIVISION ET MÉTHODE DE LA. MORALE 3
motifs qui ont dirigé l'artiste. En morale, au contraire, un acte n'est
bon qu'autant qu'il est inspiré par une intention pure et par un principe
vrai, c'est-à-dire par le devoir et non par le plaisir ou l'intérêt.
3. — DIVISION ET MÉTHODE DE LA MORALE
A) Division : il y a dans la loi morale deux choses à considérer :
10 le devoir envisage en lui-même et dans ses conséquences nécessaires,
lequel reste immuable ; — 2^ les actes divers commandés par le devoir.
11 y a donc dans la loi morale une forme immuable et une matière variable.
De là deux grandes divisions dans la morale :
I. — Morale formelle ou générale : elle recherche quel est pour
l'homme le bien universel, absolu, obligatoire : c'est la science du devoir
et de ses conséquences.
II. — Morale matérielle, particulière ou appliquée : elle détermine,
pour tout le domaine des actions morales, ce qui, dans les cas parti-
culiers, est le vrai bien de l'homme, conformément au bien absolu
préalablement établi : c'est la science des devoirs, c'est le détail de ce
qu'il faut faire.
Remarques : I. — D'autres divisent la morale en morale théorique ou
spéculative et en morale pratique. C'est là une division erronée,, car la
science morale est une science pratique ou de l'ordre idéal., puisqu'elle a
pour but prochain de déterminer ce qui doit être, c'est-à-dire les lois
idéales qu'elle impose ensuite pour règles à l'activité humaine (Lo-
gique, 89). La morale théorique ou science du réel, c'est l'Ethologie :
science des lois réelles de l'activité morale. C'est une science descriptive
qui fait des emprunts à la Psychologie et à l'Histoire ; c'est une sorte
de physique des mœurs, de psychologie morale, qui sert de base à la
Morale pratique, formelle et matérielle. Aristote dans la jMorale à
Nicotnaque, Descartes dans le Traité des passions, Spinoza dans V Éthique
en ont donné des spécimens.
II. — L'application des lois établies par la morale générale et parti-
culière aux détails de la vie réelle constitue la Pédagogie morale ou
Science de Véducation de soi-même et des autres, qui enseigne Yart de
résoudre les cas de conscience, au moyen de préceptes casuistiques.
15) Méthode de la morale (Cf. Logique, 109).
4. — UTILITÉ DE LA SCIENCE DE LA MORALE
A) Objection : l'égarement de rintelligence mène à l'erreur ; Técart
de la volonté conduit au mal. 11 est donc important pour l'homme d'être
dirigé dans ses actes libres aussi bien que dans ses actes intellectuels.
4 ITILITÉ DE LA SCIENCE DE LA MORALE (4)
On a pourtant contesté l'utilité de la morale comme science. A quoi bon,
«lit-on, exposer théoriquement les principes de la morale ? Possède-t-on
la morale parce qu'on en sait les principes ? Ce n'est pas la théorie qui
rend les hommes vertueux, c'est la pratique. L'homme de bien n'est
pas nécessairement celui qui est le mieux instruit de ses devoirs, car on
rencontre même des moralistes qui agissent mal, mais celui qui agit
toujours d'après les inspirations de sa conscience.
B) Réponse : sans doute rien ne remplace pratiquement l'influence
de la religion, de l'éducation, de l'effort personnel, de l'exemple pour
développer la vertu. Cependant la science de la morale est utile :
I. — Connaître le devoir c'est déjà être mieux disposé à l'accomplir,
car l'idée de toute action est une force qui tend à se réaliser. Penser
fortement à l'honnête, c'est en commencer la réalisation.
II. — Sans doute Socrate et Platon exagéraient en faisant de la
vertu la science du bien (50) ; mais la science du bien est la condition
nécessaire de la pratique du bien, car Nihil volitum nisi prsecognitum
(Ps. 195). « Toute la dignité de l'homme, dit Pascal avec quelque exagé-
ration, est en la pensée (^). » Une étude réfléchie des principes moraux
leur donne une plus grande fixité dans l'esprit et leur communique par
là même une efficacité plus décisive sur les résolutions pratiques de la
vie. La conduite y gagne en vigueur et en unité. Ce sont les principes
fermes qui font les caractères décidés.
III. — Parfois les passions et les préjugés peuvent .obscurcir la notion
du devoir. Il est aussi des cas compliqués où, même pour un esprit
cultivé, il est plus difficile de savoir où est le devoir que de l'accomplir.
Alors les lumières d'une conscience naturellement droite ne suffisent
plus. Une connaissance nette des principes moraux et de leurs consé-
quences plus ou moins éloignées est nécessaire pour mettre fin au conflit
apparent des devoirs (57).
IV. — La science morale, en nous apprenant à réfléchir sur les
motifs de nos actions, nous aide à les mieux diriger, et par conséquent
à en augmenter le mérite, car l'intention morale est l'élément principal
de la moralité (14).
Conclusion : nous avons vu que rien ne peut suppléer la logique
naturelle, mais qu'elle est insuffisante pour les questions complexes :
de là l'utilité des règles de la logique pour bien raisonner (LoG. 137,
§ C). De même, pour bien agir, il faut avant tout la rectitude naturelle
de la conscience morale et la droiture d'intention, qui se rencontrent
chez l'ignorant. Mais cette connaissance rudimentaire des règles morales
ne suffit plus pour résoudre les cas de conscience délicats. La science de
(M l'Asr.Ai,, Penaéee, art. XXIV, n. 53. Les références se rapportent à l'Edition
Havet, Paris, 18CG».
(5) RAPPORTS DE LA MORALE AVEC LA PSYCHOLOGIE 5
la morale est ici non seulement utile, mais nécessaire. La science morale
est donc la première des sciences : « La science des choses extérieures
ne me consolera pas de l'ignorance de la morale au temps d'affliction ;
mais la science des mœurs me consolera toujours de l'ignorance des
sciences extérieures (^). »
5.— RAPPORTS DE LA MORALE
§ I. — AVEC LA PSYCHOLOGIE
A) Différences : 1<^ La psychologie étudie ce que nous sommes
en fait ; la morale détermine ce que nous devons être. La psychologie
établit des lois réelles ; la morale trace des lois idéales qui sont des règles
obligatoires ; c'est pourquoi elle est une science normative, comme la
logique et l'esthétique.
20 La psychologie a pour domaine l'esprit tout entier ; elle observe
indifféremment tous les phénomènes de l'âme. La morale ne s'occupe
que de la volonté et des faits relatifs à l'ordre moral.
3° Dans l'étude même de la volonté elles diffèrent : la psychologie
en analyse les opérations ; la morale lui fixe la règle à laquelle elle doit
se conformer pour être bonne.
B) Relartions : I. — De la Morale avec la Psychologie : a) La
morale a son point de départ dans certains faits psychologiques : les
jugements et les sentiments moraux, la liberté, l'habitude, les pas-
sions, etc. De ces faits la raison dégage les notions de bien, de devoir,
de personnalité, de responsabilité, de mérite et de démérite, de vertu.
b) Pour construire l'idéal moral, que l'homme doit s'efforcer de
réaliser, le moraliste doit étudier la nature humaine. C'est seulement
de la nature humaine telle qu'elle est qu'il peut s'élever à la détermi-
nation de la nature humaine telle qu'elle doit être. Autrement, on court
risque de proposer à nos efforts la réalisation d'un idéal chimérique
comme l'idéal des Stoïciens qui exigent l'extinction de toute passion
ou comme celui de Kant qui bannit toute vue d'intérêt. Socrate avait
sagement fondé la morale sur la connaissance de l'homme.
c) La morale particulière suppose aussi la psychologie : vg. dans
la morale indii>idaelle, comment déterminer les devoirs relatifs à la
sensibilité, à l'intelligence et à la volonté, si on ne connaît pas ces facultés?
De même dans la morale domestique, comment déterminer les devoirs de
l'éducation, etc. ?
(') Pascal, Pensées, art. VI, n. 41.
6 RAPPORTS DE LA MORALE AVEC LA LOGIQUE (5)
n. — De la Psychologie avec la Morale : pour bien connaître
l'homme, le psychologue ne doit pas se contenter d'étudier les types
inférieurs, comme les sauvages, les gens vicieux ; il doit encore et surtout
observer ceux qui ont le mieux pratiqué l'idéal moral, car ce sont ceux-là
qui ont le plus pleinement réalisé l'essence de l'homme. Un être est ce
qu'il doit être quand il obéit à la loi qui constitue son essence. Or l'homme
a été fait pour pratiquer le bien ; c'est sa loi essentielle ; en s'y soumet-
tant librement il réalise donc sa fin et atteint à la perfection dont il
est capable.
§ II. — AVEC LA LOGIQUE
A) — Ressemblances : 1° La logique et la morale sont toutes deux
à la fois science et art. Ce sont des sciences pratiques, normatives : elles
ont même marche et même méthode.
2° Toutes deux présupposent l'étude de la Psychologie, car elles
ont besoin de connaître les facultés qu'elles doivent diriger.
30 Elles ont mêmes divisions : a) c'est d'abord une partie formelle,
où la logique étudie les lois de la pensée en général, sans se préoccuper
de son contenu, et la morale, les conditions et les conséquences du devoir
en général, sans tenir compte de sa matière ; — b) ensuite une partie
matérielle, où la logique adapte aux divers groupes de sciences les lois
de la pensée, de manière à constituer leurs méthodes particulières. De
même la morale applique les principes préalablement établis aux diverses
catégories de devoirs.
B) — Différences : 1° Les conclusions logiques s'imposent à
l'esprit par Vévidence : ce sont des vérités à énoncer ; les conclusions
morales s'imposent de même à l'intelligence par leur clarté, mais aussi
à la volonté par leur autorité impérative : ce sont des préceptes à pra-
tiquer. C'est qu'en effet l'art enseigné par la morale n'est pas facultatif
comme l'étude des sciences dont s'occupe la logique.
2° L'intelligence étant une faculté fatale et la volonté une faculté
libre, il en résulte que la logique et la morale abordent des questions
d'un caractère tout opposé.
C) — Services mutuels : l» La volonté, étant une faculté d'un
être intelligent, a besoin de la logique, car, pour marcher droit vers le
bien, vers le but, la première condition c'est de le voir clairement
(Ps. 195).
2° La morale est, en revanche, d'un grand secours pour la logique,
car la ])riiicipale cause d'erreurs, quoique indirecte, c'est la volonté
influencée par les passions (Log. 124, § C). C'est pourquoi l'on peut
dire avec Bacon : llluminationis puritas et arbitrii lihertas simul incœ-
(6) LA MORALE ET LA MÉTAPHYSIQUE 7
perunt, simul corruerunt. Neqiie datur in universitate rerum tant intima
sympathia quant illa veri et boni (^).
6. — LA MORALE ET LA MÉTAPHYSIQUE ( ^)
La difficile question des rapports de la morale et de la métaphysique
a reçu trois réponses :
!« La morale est le fondement de la métaphysique : c'est la doctrine
de Kant.
2° La morale n'a aucune relation avec la métaphysique : c'est
l'opinion des moralistes indépendants.
30 La morale a d'étroits rapports avec la métaphysique : c'est la
doctrine des principaux philosophes jusqu'à Kant.
§ I. — MÉTAPHYSIQUE FONDÉE SUR LA MORALE
Dans la Critique de la raison pure Kant a cherché à établir que
l'intelligence est incapable d'atteindre l'être en soi, le noumène, l'absolu.
Par suite, toute métaphysique est impossible. Mais, dans la Critique de
la raison pratique, il s'efforce de montrer que la notion du devoir s'impose
comme nécessaire et évidente. Or cette notion morale implique trois
postulats métaphysiques : la liberté et la spiritualité de l'agent moral
— l'immortalité comme sanction — et l'existence d'un Dieu rémuné-
rateur. C'est ainsi que la métaphysique, déclarée impossible par la
raison théorique, reparait fondée sur la morale dont la raison pratique
établit scientifiquement la notion fondamentale : le devoir (Log. 120,
§ II, B. — MÉTAPHYS., 6, § B. C.) (3).
§ IL — MORALE INDÉPENDANTE DE LA MÉTAPHYSIQUE
A) — Exposé : cette thèse est soutenue par Proudhon (*),
jVime G, Goignet ( ^), Guyau ( ^), etc. Proudhon l'a condensée en deux
lignes : « Ne relevant que d'elle-même, la moralité doit désormais
( M Bacon, De Augmentis, L. V, C. i.
( -) Rauh, Fondement métaplmsique de la morale. — J.-J. Gourd, Morale et Mêla-
physique. Revue phil., 1891, T. II, p. 148-174.
C) T. Pesch, Kant et la science moderne, Ch. vi.
( *) Proudhon, De la justice dans la Révolution et dans l'Église.
(S) jyjme CoiGNET, La morale indépendante.
{') Guyau, Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction.
8 LA MORALE ET LA MÉTAPHYSIQUE (6)
répudier toute solidarité avec une religion et une philosophie quel-
conques. )) Le principe de la morale ne doit pas être tiré de la réalité
extérieure ou demandé à un être transcendant. Il faut le chercher dans
un fait d'expérience que la conscience révèle à chaque individu. Ce fait
intérieur, c'est le sentiment spontané que tout homme a de sa dignité
personnelle et de l'inviolabilité de sa nature. Considérant que ses sem-
blables ont une nature identique à la sienne, chacun comprend qu'ils
ont droit au même respect et à la même inviolabilité. « Respecte la
dignité d'homme en toi-même et dans les autres », voilà le devoir,
voilà le fondement véritable de la morale. Il est donc inutile de sortir
de soi et de remonter plus haut. La morale ne doit plus chercher son
principe dans les dogmes religieux ou les notions métaphysiques : « Le
système de Y immanence doit remplacer l'ancien système de la transcen-
dance. «
La dignité personnelle étant posée comme le principe de la morale,
on en peut tirer :
lo Le critérium du bien et du mal : « Le bien, c'est ce qui maintient
le respect de la personne humaine ; le mal, tout ce qui porte atteinte
à ce même respect. >»
2» L'obligation morale : c'est l'adhésion que l'esprit est contraint
de donner au respect de la personne humaine en soi et dans les autres.
3° La sanction : c'est cette paix ou ce trouble de la conscience qui
suit infailliblement l'observation ou la violation de la loi du respect.
D'après Proudhon les autres sanctions sont immorales, parce qu'elles
rendent la vertu intéressée.
Pour mieux établir leur système, les moralistes indépendants vantent
les avantages qui doivent résulter de cette séparation. La morale, disent-
ils, ne peut devenir une vraie science qu'à la condition de secouer toute
dépendance par rapport à toute religion et à toute métaphysique ;
sans cela elle restera, comme autrefois la philosophie et les autres
sciences, asservie à la théologie : Ancilla theologiœ.
Ils ajoutent que c'est le moyen de la soustraire aux variétés et incer-
titudes des systèmes philosophiques et religieux qui ont introduit dans
la morale « tant d'erreurs, tant d'absurdités, tant de monstruosités... ».
« Il est donc légitime et même nécessaire de proclamer l'indépendance,
l'autonomif d<! la morale ».
B) — Critique {^). I. — La morale peut et doit être une science
fJisltnctc, mais elle n'est pas pour cela indépendante de la métaphysique
et de la religion. C'est ainsi qu'elle ne leur emprunte pas son point de
(•) Caho, Problèmes de momie sociale, Ch. ii, m, iv.— L'Année philosophique, i868,
p. 209 et sq. — Secrétan, La Philosophie de lu liberté. — P. de Broglie, La Morale sans
Dieu, La Morale indépendante.
(6) LA MORALE ET LA MÉTAPHYSIQUE 9
départ ; elle le trouve dans la conscience, à savoir le sentiment de Vohli-
gation (9, 19).
IL — En fait, avant de connaître la démonstration de l'existence
de Dieu et de l'immortalité, on se sent obligé de tendre à une certaine
perfection, on se sent soumis à une loi. On peut donc, à la rigueur,
aborder l'étude de la morale, sans allusion à Dieu et à la vie future.
Mais c'est là une abstraction forcément provisoire (^). Les sciences de
l'étendue et des corps se constituent et progressent ('-), sans s'occuper
des notions métaphysiques impliquées dans leurs principes : vg. la géo-
métrie ne traite pas de la nature de l'espace, quoiqu'elle repose sur la
notion d'espace ; la physique n'aborde pas la question de l'essence de
la matière, bien qu'elle recherche les lois des phénomènes matériels.
Mais il en va autrement de la morale qui est une science philosophique :
elle ne peut se séparer du reste de la philosophie. On peut donc aborder
l'étude de la morale en laissant de côté la métaphysique ; mais on ne
saurait l'achever sans elle.
En eiïet, il ne suffit pas d'affirmer l'existence et la nécessité impo-
rative du devoir ; il faut bien finir par se demander quels en sont le
fondement et la valeur, car tout homme a besoin de savoir si la loi
morale, qui impose de tout sacrifier au devoir : plaisir, intérêt, sentiment,
vie même, est une réalité ou une illusion. Or, en posant le principe du
devoir, en admettant qu'il y a un idéal de perfection obligatoire, on
résout nécessairement certains problèmes métaphysiques, dans un sens
déterminé, qui exclut toute autre solution. C'est ainsi que, pour nous,
l'analyse du devoir implique trois vérités, fondement de toute religion
et de toute métaphysique spiritualiste : la liberté et la spiritualité de
V agent moral ; — V existence d^un être supérieur à V homme comme source
de V obligation ; — V immortalité de F âme comme sanction du devoir.
Il est facile de l'établir :
1° Le devoir suppose le pouvoir ; qui doit, peut, car à l'impossible
nul n'est tenu (Ps. 203, § C). — Si l'agent moral est libre, on doit en
conclure qu'il est distinct de la matière, qu'il est spirituel puisque la
matière est régie par des lois fatales. (Métaphysique, 52).
2° Où trouver le principe de l'obligation ? Au-dessus de la volonté,
ou bien au-dessous de la volonté, ou enfin dans la volonté même. Ce n'est
pas au-dessous d'elle ; on prouvera que le plaisir, l'intérêt, le sentiment
(M S. Thomas, Summa (heologica, I», II»S Q. 71, art. 2, 6. — Suarez, De aclibu^i
humanis, Disput. VII, Sect. I, n. 8 sqq. — De Lugo, De Mysterio Incamalionis, Disp. V,
Sect. V.
( *) Ce n'est vrai cependant que dans une certaine mesure même pour ces sciences, car,
depuis quelques années, les mathématiciens se sont beaucoup occupés de la notion de
l'espace, et ces études n'ont pas été sans influence sur le progrès des mathématiques.
10 LA MORALE ET LA MÉTAPHYSIQUE (6)
ne peuvent être la source de Tobligation (CIi. m). — Le placera-t-on,
avec Kant, dans la volonté même, qui devient aul^onome ? Mais notre
volonté, étant essentiellement changeante, ne peut promulguer une loi
immuable. Si lavolonté est principe de l'obligation, elle peut la modifier
à son gré : toutes conséquences incompatibles avec les caractères de la
loi morale (20). — Il faut donc sortir de soi et chercher l'origine de
l'obligation en dehors et au-dessus de l'homme, dans un être absolument,
parfait (46, § B).
30 Les moralistes indépendants reconnaissent eux-mêmes la nécessité
d'une sanction. Or toutes les sanctions terrestres sont insuffisantes (49),
y compris la sanction de la conscience qu'ils mettent en avant. En effet,
le résultat du désordre c'est d'endurcir la conscience, et la pratique de
la vertu émousse le sentiment de la satisfaction morale, comme fait
l'habitude pour tout sentiment. Même le juste idéal, rêvé par Platon,
ne pourrait aucunement jouir de l'approbation de sa conscience au
milieu des atroces supplices qu'il endure. Reste donc la sanction de la
vie future. — Sans doute on peut prouver directement la liberté (^),
l'existence de Dieu ( ^) et l'immortalité de l'âme ( ^). Mais il n'en demeure
pas moins que, quand même on ne pourrait établir autrement ces vérités "
métaphysiques, toute une métaphysique dérive logiquement de la
notion du devoir. Pour Kant, ces trois vérités sont des postulats de
la raison pratique : le devoir est pour lui objet de science, tandis que
7es trois vérités ne sont objet que de croyance, car elles sont admises
comme conditions du devoir. Pour nous, elles sont objet de science, au
même titre que le devoir, car elles en sont des déductions rigoureuses.
On dira sans doute que nous faisons un cercle vicieux en déduisant
de la notion du devoir une preuve de l'existence de Dieu et en donnant
Dieu romme le principe du devoir. On peut répondre d'abord qu'il y a
d'autres preuves de l'existence de Dieu (Cf. Théodicée). Il faut remar-
quer ensuite que le fait du sentiment de l'obligation morale attesté
par la conscience peut être une des raisons qui nous font connaître Dieu,
sans que Dieu cesse d'être le fondement de l'existence du devoir, le prin-
cipe réel de l'obligation . Dans le premier cas, nous sommes dans l'ordre
!«»i:i(|ue ; le second appartient à l'ordre ontologique.
•IL — Les partisans de la morale indépendante ne peuvent justifier
leur morale sans recourir à la métaphysique. Pourquoi suis-je obligé
de respecter la dignité humaine en moi et dans les autres ? Qu'est-ce
qui a droit ])r()prement au respect dans la personnalité ? Les derniers
représentants de la morale indépendante répondent que c'est la liberté.
( ') Cf. Psvciioi,ooiK, 203.
(M Cf. Tn^:oi)i(:ÉE, Article I.
( ») Cf. Psychologie rationnelle, Article HI.
(6) LA MORALE ET LA MÉTAPHYSIQUE 11
— Mais pourquoi la liberté est-elle respectable plutôt que tel ou tel
élément de la nature humaine ? Ils ne savent répondre que par une
nouvelle affirmation de leur thèse : « La liberté est obligée de se respecter,
car si elle ne le fait pas, elle se met en contradiction avec elle-même ;
elle se détruit, elle s'anéantit, elle se suicide elle-même, ce qui est
absurde. « Mais puisque la liberté est maîtresse de ses déterminations,
pourquoi ne pourrait-elle se contredire, se détrijire ? Ainsi, ne voulant
pas sortir du domaine des faits, ils ne peuvent expliquer l'obligation.
Ils disent que l'obligation est un sentiment, un phénomène psycho-
logique. Soit ; mais comment expliquer ce sentiment ? comment justifier
son caractère impératif ? Il faut de toute nécessité recourir à la méta-
physique. ■ — D'autres disent qu'on est obligé de respecter la dignité
et la liberté en soi et dans les autres, parce qu'elles constituent la person-
nalité et que la personnalité a une valeur absolue, est une fin en soi.
— - Soit ; mais n'est-ce pas là une notion métaphysique ?
IV. — Non seulement la morale est inexplicable sans la métaphysique,
mais elle est, de plus, impraticable.
Pour juger de l'inefficacité pratique de la morale indépendante,
il faut se demander, étant donnée cette morale, non pas comment tel
ou tel individu, exceptionnellement, mais comment la généralité des
hommes se conduirait habituellement.
Or 1° celui qui accepte sans répugnance cette idée que son âme
est un composé matériel, sera peu porté à donner à la personne humaine
une valeur absolue et conséquemment peu disposé à la respecter en soi
et dans les autres.
20 La pensée que Dieu est le législateur suprême et le juge souverain ;
la conviction qu'il nous voit et qu'il nous aime ; la certitude que dans
sa justice et dans sa bonté il ne nous impose pas de fardeaux au-dessus
de nos forces, sont autant de stimulants énergiques pour faire le bien,
tandis que, dans les moments critiques, on sera fortement tenté de rejeter
une obligation appuyée sur un sentiment personnel.
3*^ Enfin l'espoir de l'immortalité nous console dans l'épreuve et
nous fortifie dans la lutte. Mais les moralistes indépendants prétendent
que cette sanction est immorale, parce qu'elle rend la vertu intéressée.
Contentons-nous de répondre ici par un argument ad hominem. Eux-
mêmes admettent une sanction : le bonheur qui résulte du devoir
accompli. De deux hypothèses l'une : ou le désintéressement est compa-
tible avec une sanction, et alors il l'est, quelle que soit la sanction,
satisfaction de la conscience ou bonheur de la vie future ; ou il est incom-
patible, et alors toute sanction, y compris celle mise en avant par les
moralistes indépendants, est immorale.
Remarque : Rapports de la Théodicée avec la Morale. De son côté
la Théodicée est aussi redevable à la Morale :
12 COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : GÉNÉRALITÉS (6)
10 Si l'on retranchait de la science de Dieu toute idée morale (vg. no-
tions de personnalité, de bien, de justice, de bonté, d'amour) Dieu ne
serait plus que l'être impersonnel des panthéistes, substance universelle
d'où tout sort et où tout rentre ; — ou bien qu'une intelligence et une
volonté toutes-puissantes, mais indifférentes au bien et au mal, au vice
et à la vertu. Un être sans justice, sans bonté, sans amour n'est pas un
Dieu.
20 L'obligation morale fournit une excellente preuve de l'existence
de Dieu (Cf. Théodicée, Art. I, 74).
Complément bibliographique
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LIVRE PREMIER
MORALE FORMELLE OU GÉNÉRALE
7. — DIVISION
La morale formelle étant la science du devoir, c'est-à-dire de l'obli-
gation d'agir selon la loi du bien, il est naturel de l'ordonner en lui
donnant pour centre l'idée du devoir. D'abord elle étudiera la faculté
qui nous manifeste le devoir, la Conscience morale. Puis, elle dégagera
de cette étude la notion du Devoir, qui exprime la nécessité d'obéir à la
loi, et la notion de la Loi morale, qui est la règle de nos actions et la
formule de nos obligations. Ensuite, la loi morale étant la loi qui pose
le bien comme fm absolue de toute volonté, il faut rechercher en quoi
consiste ce Souverain Bien imposé comme fin à notre activité. Lequel
de ces biens : le plaisir, l'intérêt, le sentiment, l'honnête, peut être le
principe de la loi morale, peut servir de fin à nos actes, peut être donné
comme fondement au devoir ? La nature de la moralité étant établie,
il faut en déterminer les conséquences : la Responsabilité et la Sanction.
Enfin, comme le Droit est corrélatif du devoir, il convient de terminer
par la théorie du droit. Telles sont les grandes questions que traite la
morale générale : 1° La Conscience morale : — 2° le Devoir et la Loi
morale; — 3° le Bien; — 4^ la Responsabilité et la Sanction; —r 5° le Droit.
CHAPITRE PREMIER
LA CONSCIENCE MORALE
8. — CONSCIENCE PSYCHOLOGIQUE ET CONSCIENCE
MORALE (1)
La conscience morale est la faculté de juger du bien et du mal :
c'est la raison pratique. Elle diffère de la conscience psychologique :
1° La Conscience psychologique spontanée est la connaissance
immédiate de tout ce qui se passe en notre âme, non seulement de nos
( M Fn. BouiLLiEH, Ue la conscience en psychologie el en morale.
16 ANALYSE DE LA CONSCIENCE MORALE (9)
volitions, mais de nos émotions et de nos pensées. — La Conscience
morale apprécie nos actes et les actes d'autrui.
2° La Conscience psychologique est un témoin. — La Conscience
morale est à la fois un guide qui nous trace la voie à suivre et un juge
qui nous condamne ou nous acquitte, nous punit ou nous récompense.
30 La Conscience psychologique spontanée nous est commune avec
les animaux ; elle commence avec la vie et est toujours en acte. — La
Conscience morale est le propre de l'homme, elle n'apparaît pas dès
l'origine et n'est pas toujours en exercice. Il en est de même de la
Conscience psychologique réfléchie, parce qu'elle ne peut exister, comme
la Conscience morale, que chez un être raisonnable.
Remarque : la Conscience religieuse n'est que la conscienfce morale
appliquée aux choses de la religion.
9. — ANALYSE DE LA CONSCIENCE MORALE
L'analyse de la conscience morale fait découvrir en elle : 1° des
phénomènes intellectuels ou jugements moraux ; — 2° des phénomènes
affectifs ou sentiments moraux (^).
§ L — JUGEMENTS MORAUX
Ils constituent l'élément essentiel de la conscience ; ils précèdent
ou suivent l'action :
A) Avant l'action : on juge qu'elle est bonne ou maui>aise, qu'il
est bien ou mal de la faire, et par conséquent, si elle est en notre pouvoir,
que nous devons l'accomplir ou l'omettre. Ici, la conscience fait l'office
d'un héraut qui promulgue la loi. Trois notions sont impliquées dans
ce jugement :
1» Bien en soi : c'est l'idéal moral auquel l'action est conforme ou
contraire.
2» Devoir : nécessité morale de faire le bien.
30 Droit : pouvoir moral d'exiger les moyens d'accomplir le devoir.
li) Après l'action : on juge que l'action a été bonne ou mauvaise,
c'est-à-dire (oiiloiiiie ou contraire au bien en soi, et par conséquent
qu'elle entraine mérite ou démérite, récompense ou châtiment. Ici, la
conscience fait fonction (ie juge. — Ce second jugement implique aussi
trois notions :
(M p. Jankt, Lamorale.'L. III, Ch. i. — J. Simon, Le devoir, IV« P., Ch. i.- E. Charles,
f'IlémentR de philosophie, Ch. LXii. — Fn. Bouillier, La vraie conscience. — Waddington,
r>ieu el la conscience.
(9) ANALYSE DE LA CONSCIENCE MORALE 17
10 Bien moral : c'est le bien accompli.
2° Responsabilité morale ou mérite et démérite : si nous avons bien
agi, nous croyons avoir acquis une certaine perfection et excellence.
Si nous avons mal agi, nous avons conscience d'une certaine déchéance
et dégradation.
3° Récompense ou châtiment : le mérite nous paraît exiger un certain
bonheur comme prix de nos eiïorts, et le démérite, une certaine souf-
france comme réparation de nos défaillances. Malgré les démentis de
l'expérience, la raison voit un rapport nécessaire entre la vertu et le
bonheur, entre le vice et le malheur.
Ces divers jugements nous les portons aussi sur les actions des autres.
Comparaison : a) Le bien en soi est la règle de nos actions : c'est un
principe extérieur à l'agent, principe éternel et invariable.
h) Le bien moral, c'est une qualité inhérente à nos actions, quand
elles sont conformes à leur règle suprême ; il dépend surtout de V inten-
tion ; il est notre œuvre, il est en nous.
§ IL — SENTIMENTS MORAUX
Les jugements moraux sont accompagnés d'un certain nombre de
sentiments, qui sont relatifs soit :
A) A nos propres actions : 1° Le premier et le principal sentiment
qui précède l'action, c'est le respect pour le bien et l'aversion pour le
mal. D'après Kant (^), le respect est le sentiment moral par excellence,
celui auquel on reconnaît la' présence de la loi morale. Le respect est un
composé d'amour et de crainte. Nous ne pouvons concevoir le bien sans
éprouver une attraction, parce que c'est un idéal conforme à notre nature
raisonnable. Mais, par un autre côté, il nous repousse et nous tient à
distance, car sa grandeur nous domine et son autorité exerce sur no8
penchants inférieurs une contrainte redoutée. De là ce mélange indéfi-
nissable de crainte et d'amour qui compose le respect. Il se distingue
de l'inclination qui s'adresse aux personnes et aux choses. Le respect
ne se rapporte qu'aux personnes. Ce qui lui ressemble le plus, c'est
y admiration ; mais on peut admirer quelqu'un : vg. à cause de la supé-
riorité de son talent, sans le respecter, si la moralité n'est pas à la hauteur
du talent. Le respect s'adresse d'abord à la loi morale ; puis nous reten-
dons aux personnes qui par leur conduite se mettent d'accord avec
cette loi, dont elles sont comme des exemplaires vivants.
2o Les sentiments, qui suivent l'action, sont :
a) La satisfaction morale : elle est faite d'une certaine fierté de
( M Kant, Crilique de la raison pratique, L. I, Ch. m.
18 >-ATrRE ET ORIGINE DE LA CONSCIENCE MORALE (10)
soi-même : on sent qu'on a grandi en perfection ; — et d'un espoir
joyeux : on sent qu'on mérite une récompense.
b) Le remords, douleur qui torture l'âme après un acte coupable.
Il se compose d'abord d'un sentiment d'humiliation et de honte : on se
sent déchu, diminué, avili ; et ensuite d'une inquiétude, qui devient
parfois de la terreur : on se sent digne de châtiment (^).
c) Le repentir n'est pas une douleur subie comme le remords ; c'est
une tristesse voulue, qui comprend le regret d'avoir fait le mal et la
résolution de ne plus le commettre. C'est un commencement d'expiation,
c'est le retour au bien, que la langue chrétienne appelle XsiConversion.
B) Aux actions d'autrui : c'est selon le degré du mérite ou du
démérite, la sympathie, le respect, radmiration, l'enthousiasme; —
l'antipathie, le mépris, l'indignation, l'horreur (2).
Telles sont les principales idées et les principaux sentiments de la
conscience morale. Comment les expliquer ?
10. — NATURE ET ORIGINE DE LA CONSCIENCE MORALE
On peut réduire à trois groupes les explications proposées : 1° La
conscience est un sens ou un instinct ; — • 2° c'est un produit de l'expé-
rience ; — 30 c'est une forme de la raison.
%\. — LE SENS MORAL
A) Exposé : la doctrine du sens moral a pour auteur Shaftes-
BURY (1671-1713). Ce sens a pour fonction de percevoir dans les actions
le bien et le mal, comme la vue distingue dans les pbjets le blanc du
noir (3). Hltcheson (1694-1747), fondateur de l'École écossaise, reprit
et développa les idées de Shaftesbury : il admet deux sens internes spé-
ciaux, qui perçoivent immédiatement le bien et le beau. Le sens moral
n'est pour lui que l'instinct de la bienveillance (34). D'après cette doc-
trine, l'homme jugerait du bien comme du beau, non par raison, mais
par le sentiment immédiat qu'il en éprouve. Le bien serait tout ce qui
plaii au sens moral ; le mal tout ce qui lui déplaît (■*).
( ') Chateaubriand, Le Génie du Christianisme, L. VI, Ch. u : « Le tigre déchire sa
jinile et florl ; l'homiiie dcvicnl homicide et veille. »
( ») On connaît l'apostroplic de Rousseau. « Conscience! conscience 1 instinct divin,
iiiiinortclle et ci'-lcste voix ; mùûe assuré d'un être ignorant et borné, mais intelligent et
libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l'homme semblable à Dieu 1 C'est toi
qui fais l'excellence de sa nature et la moralité de ses actions. » (Emile, Livre IV, Édition
de P. -H. Auduis, T. II, p. 19G-I97, Paris, 1824.)
(•) .SnAirEsiiiHY, Recherches sur la vertu, dans Caractéristiques.
( *) HrriiiiKsoN, Recherches sur les idées de beauté et de vertu. Système de philosophie
mornli:
(10) NATURE ET ORIGINE DE LA CONSCIENCE MORALE 19
B) Critique : i° On a souvent le tort de prêter cette théorie à l'École
écossaise sans distinction. On doit distinguer un double courant dans
l'École écossaise. La tendance morale est représentée par Hutcheson,
A. Smith, etc., qui réagissent contre la morale de l'intérêt et de l'égoïsme.
La tendance psychologique a pour interprètes Reid, D. Stewart^ Ha-
milton^ etc., qui luttent contre l'empirisme de Locke et le phénoménisme
de Hume ( ^). Or Reid et Stewart, tout en conservant le mot de sens morale
comprennent différemment son rôle. (Cf. injra^ Remarque).
2° Pour réfuter cette théorie on dit parfois que tout sens suppose
un objet extérieur et un organe matériel. Mais c'est là une mauvaise
chicane, car la conscience spontanée est justement appelée sens intime.,
et cependant elle n'a pas d'organe et son objet est tout intérieur.
3° La doctrine du sens moral., si on la restreint, comme le veut
Hutcheson, à une sorte d'instinct et de sentiment, doit être repoussée,
car elle ne peut rendre compte, en bannissant tout élément rationnel.,
du caractère d'obligation qui s'attache aux idées morales que nous révèle
la conscience : un sentiment, même instinctif, est un fait empirique.,
dans lequel la raison ne reconnaît aucune nécessité morale.
4^ Voici ce que l'on peut, ce semble, admettre. Pourquoi ne pas
distinguer, comme on fait pour la conscience psychologique, deux
modes ou degrés ? On aurait la conscience morale spontanée et la con-
science morale réfléchie ou raison pratique. La première est primitive ;
c'est moins une connaissance qu'un sentiment. Son existence semble
incontestable : est-ce que l'enfant n'éprouve pas une répugnance ou
un attrait instinctif pour certaines actions ? Mais cette connaissance
imparfaite a besoin d'être développée par l'éducation : la conscience
morale, avec le progrès de la raison, devient réfléchie. « Dieu a donné
à l'homme des instincts qui portent d'abord et sans raisonnement à
quelque chose de ce que la raison ordonne ( ^). » Il est donc parfaitement
légitime, comme le remarque Paul Janet (^), de conserver le nom de
« sens moral ».
5° On objecte encore que, ce point concédé, il faudrait aussi accepter
les expressions : le sens du vrai., le sens du beau. Assurément, et rien ne
s'y oppose pourvu qu'on entende par là une connaissance confuse, qui
est plutôt un sentiment qu'une perception (*). N'est-ce pas de la sorte
{ ') Hume (Recherches sur les principes de la morale) ramène aussi la conscience à un
instinct : c'est le sentiment qui nous porte à aimer le bien de tous les hommes.
( *) Leibniz, Nouveaux essais..., L. I, Ch. ii, § 9. — « ...Il ne faut pas confondre l'instinct
moral avec l'idée morale qui, plus tard, vient s'y joindre, s'y incorporer, de manière à
constituer par cette union ce que l'on nomme proprement la conscience humaine et la
loi morale » (Cournot, Traité de l'enchaînement des idées fondamentaUs..., n. 423).
(') Traité élémentaire de philosophie, n. 542.
( ♦) Newman, An Essay in aid of a Grammar of Assent. Cf. Logique, 120, § II, E-
20 KATURE ET ORIGINE DE LA CONSCIENCE MORALE (10)
que les ignorants saisissent les notions courantes de temps, d'espace,
de mouvement, qu'ils seraient bien empêchés de définir ? De même
le peuple connaît -le beau d'instinct. Mais la culture intellectuelle et
artistique a pour effet d'affiner ces sens du vrai et du beau, c'est-à-dire,
en dernière analyse, la raison spontanée appliquée aux choses de la
métaphysique et de l'art ; comme l'éducation épure le sens du bien,
c'est-à-dire la raison spontanée appliquée aux choses de la morale ;
et alors on les appelle la raison théorique^ la raison pratique et la raison
esthétique (Ps. 156).
Remarque : Système de Reid et de D. Stewait.
a) Exposé : « Entre notre faculté morale et les sens extérieurs,
il y a cette analogie frappante que les sens ne nous donnent pas seu-
lement les notions primitives des diverses qualités des corps, mais qu'ils
nous inspirent encore tous les jugements primitifs que nous portons
sur les propriétés de tel ou tel corps déterminé, et que pareillement la
faculté morale ne nous donne pas seulement les idées primitives du juste
et de l'injuste, du mérite et du démérite, mais qu'elle nous suggère
encore tous les jugements particuliers que nous portons sur la justice
et l'injustice de telle action, sur le mérite ou le démérite de tel ou tel
caractère. Le témoignage de notre faculté morale, comme celui de nos
sens externes, est le témoignage de la nature, et nous avons les mêmes
motifs de nous confier à l'un et à l'autre (^). »
Dugald Stewart, qui accepte également l'expression de sens moral,
dit de son côté : « Nos émotions et nos perceptions morales se composent
d'un jugement porté par l'esprit et d'un sentiment du cœur {^). »
h) Critique : 1° On voit, par cet exposé tiré des auteurs eux-mêmes,
que leur système n'a pas la physionomie qu'on lui prête en le confondant
avec la doctrine de Hutcheson.
D'après Reid [^) et Stewart (^) le sentiment moral est, au contraire,
postérieur au jugement. Pour eux la distinction du bien et du mal résulte
d'une perception (jui est accompagnée d'émotions agréables ou désa-
gréables.
2° Reid et Stewart regardent les sens comme des facultés non
seulement de sentir, mais de percei>oir l'existence et les qualités des
choses. Cette théorie de la perception externe est contestable (Ps. 93)
et conséquemment l'assimilation qu'ils font de la conscience aux sens.
(,') Reid, Essai sur les facultés actives de l'homme, Essai m, Partie m, Ch. vi, p. 154.
Cf. Ch. VIII. Edition JouiFhoY, T. VI.
(') DuoALi) Stewaht, Philosophie des facultés actives et morales de l'homme, L. II,
Ch. V, p. 247 (T. I. (le la traduction de L. Simon). Cf. Ibidem, Ch. vu.
(') Reid, Opère cit.. Ibidem, Ch. vu.
( *) DuoALi) .Stewart, Opère cit.. Ibidem, Ch. v. Section II. Des émotions agréables
cl désagréables qui naissent de la perception de ce qui est juste et injuste.
à
(10) NATLIRE ET ORIGINE DE LA' CONSCIENCE MORALE 21
§ II. — THÉORIES EMPIRIQUES
La solution, qui fait dériver la conscience de V expérience^ a été
présentée sous trois formes principales : l'éducation et la coutume ;
— l'association et Thabitude ; — l'évolution.
A. — Éducation et Coutume
D'après Hobbes (^), Helvétius {^), d'HoLBACH (3), si nous distin-
guons le bien du mal, c'est que nous avons appris à le faire, c'est que
nous obéissons à un usage reçu :
I. — Éducation : sans doute ,elle a une grande influence sur la
formation de la conscience morale. Mais :
a) Si elle peut développer la conscience, elle ne saurait la produire.
Elle échouerait misérablement si elle ne trouvait dans l'homme le germe
qu'elle doit cultiver. Comme on ne peut apprendre la morale à un animal,
ni donner l'idée de couleur à un aveugle, ainsi l'éducation n'habituerait
jamais à discerner le bien du mal, si l'enfant n'avait en lui au préalable
les facultés de les discerner. L'éducation excite la conscience morale,
elle ne la crée pas.
h) L'éducation présente une grande diversité selon les siècles, nations,
familles, tandis que les notions premières fournies par la conscience
morale sont universelles (12).
c) Si les premières vérités morales n'étaient qu'un dépôt transmis,
nous les tiendrions de nos parents et de nos maîtres, ceux-ci les tien-
draient de leurs aïeux, et on remonterait ainsi jusqu'aux premiers
hommes. Mais ces premiers hommes, où les auraient-ils puisées? Concluons
donc avec Pascal : c On n'apprend pas aux hommes à être honnêtes
hommes (*). »
II. — Coutume : elle ne saurait non plus expliquer la conscience
morale, car :
a) La coutume est locale, variable, tandis que les notions premières
de la morale sont universelles, immuables.
h) Nous distinguons entre les coutumes bonnes et les iniques ; mais
ce principe de discernement nous le prenons hors de la coutume ; c'est
la conscience qui nous le fournit.
( M Hobbes, De Cive.
{ *) Helvétius, De l'esprit.
( ') d'Holbach, Système de la nature. Système social.
{*) Pascal, Pensé'is, Art. VI, n. 32.
22 NATURE ET ORIGINE DE LA CONSCIENCE MORALE (10)
B. — Association et Habitude
I. — Exposé : d'après S. Mill et T École associationniste, la
conscience morale résulte, par le moyen de V association des idées et de
Yhabitiide, de l'expérience fondée sur les caractères et les effets sociaux
de nos actions ( ^). Voici comment : dans toute société, familiale ou civile,
il y a une autorité qui prescrit ou défend, loue ou blâme, récompense
ou punit certaines actions, qu'elle juge utiles ou funestes à l'intérêt
général (^). A l'idée de certaines actions s'associent donc peu à peu les
idées d'ordre ou de défense, ^obligation et de devoir. Ces idées elles-
mêmes sont accompagnées d'un sentiment de désir ou de crainte, de
respect, ou de mépris, selon que ces actions sont récompensées ou punies,
louées ou blâmées. Uhabitude rend ces associations d'idées indissolubles.
Nous n'agissons d'abord ou ne nous abstenons d'agir que par intérêt.
Mais (et c'est là l'un des effets de l'habitude), par suite de sa continuité.
l'idée du même but intéressé finit par disparaître de la conscience,
tandis que la conscience de nos actions subsiste, entretenue par leur
variété même. Dès lors ces actions ne nous apparaissent plus comme subor-
données à une fin extérieure : l'habitude nous en dérobe l'origine, contem-
poraine de la première enfance ; leur caractère obligatoire ne nous paraît
plus dépendre de considérations utilitaires et de prescriptions légis-
latives. Nous croyons avoir affaire à des actions bonnes ou mauvaises
en elles-mêmes, indépendamment de toute autorité, et par conséquent
ayant un caractère d'obligation absolue. Ce n'est qu'une illusion.
II. — Critique : i^ S. Mill invoque des associations rendues indis-
solubles par l'habitude. Mais l'habitude ne crée rien, elle développe ce
qui est. Si l'homme agit d'abord par égoïsme, l'habitude ne fera que
renforcer ces tendances intéressées. Pour agir d'une façon désintéressée
il faudra qu'il renonce à sa tendance égoïste, et il n'y renoncera qu'en
concevant un mode d'action supérieur et en le mettant consciemment
en pratique (Ps. 50, § II).
2^ L'association explique l'origine de la conscience morale par
l'existence d'une autorité sociale qui commande et défend. Mais l'exercice
même de cette autorité implique les idées qu'on veut lui faire engendrer.
En fait, l'autorité dans les sociétés humaines se réclame toujours
du droit et du devoir et souvent elle fait appel à des principes de justice
et de dignité, qu'elle suppose déjà présents dans la conscience de ses
sujets.
(M s. Mill, L'utilitarisme. — Guyau, La morale anglaise contemporaine. — Caiuj,
Problèmes de morale sociale, Ch. vi, vu.
( •) Le sophiste GorKias disait déjà : T ô Si'xatov xat xo alir/pôv où ceuoet, àÀÀà vo'txo).
— A. Fouillée, Revue des Deux Mondes, i" oct. 1905, p. 519 sqq.
(10) NATURE ET ORIGINE D E LA CONSCIENCE MORALE 23
3° Comment l'individu pourrait-il apprécier la valeur morale des
décisions de l'autorité, si sa conscience, au lieu d'être le reflet de cette
autorité, ne concevait pas un idéal de justice et de moralité, antérieur
et supérieur aux lois et aux institutions sociales ? C'est précisément la
confrontation incessante avec cet idéal qui permet d'améliorer les lois
et les institutions.
C. — Évolution et Hérédité.
I. — Exposé : voici quelle est d'après Darwin {^) et Spencer (-)
la « genèse » des idées morales. Cette théorie prétend constituer une
morale scientifique. D'après Darwin le « sens moral » existe déjà, à l'état
rudimentaire, chez l'animal. Il a son origine dans les aptitudes sociales
de certaines espèces. Cet instinct de sociabilité, cette sympathie plus
ou moins confuse leur fait trouver plaisir et avantage dans la compagnie
de leurs pareils ; de là vient la tendance à se rendre de mutuels services.
Cette tendance altruiste et spécifique s'est accrue peu à peu et s'est
opposée à la tendance égoïste et individuelle. C'est une conséquence
particulière de la loi générale de l'adaptation de l'être à son milieu, car
ces espèces animales, faites pour vivre en société, ne peuvent être heu-
reuses qu'à la condition de s'adapter de mieux en mieux au milieu
social. L'homme, descendant de ces animaux, en a reçu cet instinct
moral, encore rudimentaire et grossier. Il a été perfectionné à travers les
générations successives et transmis par hérédité. Voici comment.
Chez l'animal cette tendance altruiste n'était l'effet que de la recherche
du plaisir et de l'activité spontanée. L'activité réfléchie de Thomme va la
transformer en recherche voulue du plus grand bonheur possible, non
seulement en vue d'un bien propre, mais aussi en vue du bien des autres
qui en est inséparable. Elle se transformera même en amour de la vertu,
du bien voulu pour lui-même. Cette métamorphose s'explique comme le
sentiment de l'avarice. La passion de l'or est d'abord la passion du
plaisir qu'il peut procurer. L'or est aimé comme un moyen pour atteindre
une fin. Mais peu à peu les idées de moyen et de fin se confondent ; ce
qui était désiré comme moyen finit par être désiré comme but. On en
vient à aimer l'or pour lui-même, sans se souvenir de sa destination :
c'est l'avarice. Ainsi en est-il de la vertu : c'est d'abord un moyen pour
arriver au bonheur, puis, peu à peu, on perd de vue cette considération
intéressée, et on finit par rechercher la vertu pour elle-même, sans plus
songer à son côté utilitaire. Cette transformation, qui s'opère lentement
( M Darwin, La descendance de l'homme.
( ') Spencer, Les bases de la morale évolulionniste.
24 NATURE ET ORIGINE DE LA CONSCIENCE MORALE (10)
et insensiblement, est favorisée par les louanges et les récompenses
que toute société accorde à ceux qui agissent dans l'intérêt du bien public.
C'est ce qui rend de plus en plus profonde la croyance que le bonheur des
autres est une condition nécessaire du nôtre, qu'il y a étroite solidarité
entre le bien individuel et le bien général. C'est pourquoi il vient un
moment où les tendances altruistes l'emportent sur les sentiments
égoïstes. Arrivé là, l'homme croit qu'il s'oublie et se dévoue aux autres ;
mais en réalité c'est de l'égoïsme latent.
Le devoir consiste à faire triompher les tendances altruistes et spéci-
fiques. La conscience morale est la conscience de cette tendance, que
nous finissons par prendre pour l'impératif catégorique, oublieux que
nous sommes de son origine. Au fond, ce n'est qu'une acquisition lente
de l'espèce, que l'habitude a fixée et que l'hérédité transmet : actuelle-
ment c'est un sens ou un instinct héréditaire. La satisfaction ou la non-
satisfaction de cette tendance naturelle constitue les plaisirs ou les peines
de la conscience. L'individu s'adaptera de mieux en mieux à son milieu
et à l'organisme social ; l'altruisme deviendra de plus en plus puissant.
Aussi, un jour, le premier terme de la formule du devoir, que nous dicte
la conscience : « Vis pour toi et pour les autres », disparaîtra pour faire
place à l'altruisme pur, but suprême de l'évolution. Ce sera le triomphe
des tendances de l'espèce sur les tendances de l'individu : « Vis pour
les autres ».
II. — Critique (^) : 1° Les arguments contre l'évolution en général
valent contre l'évolution morale (Cf. Métaphysique, L. II, Ch. m.
Art. III, Sect. I, 89).
2° Pour ce qui regarde l'évolution morale en particulier, il faudrait
pour l'admettre, accepter quantité de suppositions inacceptables ;
il faudrait : a) croire qu'il y a eu un moment où les hommes vivaient
isolés, sans aucune notion morale, puisque, au dire des évolutionnistes,
la société est impossible sans moralité ; — b) admettre que les sentiments
moraux sont une transformation de l'égoïsme (Ps. 50, § II) ; — c) adopter
leurs définitions du devoir, du bien et de la conscience, qui sont en
contradiction avec l'observation ; — d) ériger en principe moral la
croyance (dont personne n'est convaincu) que le bien individuel est
toujours solidaire du bien général. C'est vraiment, pour une doctrine qui
.se donne comme scientifique, mettre à sa base trop d'hypothèses gratuites.
3° En accordant môme que cette doctrine fût conforme à la réalité
historique, elle aboutirait à cette constatation que la conscience en fait
parle ainsi. Mais de quel droit ?
4" En définitive le deç>oir est la conséquence du triomphe remporté
( ') Caro, Problèmes de morale sociale, Ch. vu. — L. Carrau, Etudes sur la théorie de
l'évolution, "V« Étude. — d'Hulst, Conférences de Notre-Dame, 1891, II<^ C.
(10) NATURE ET ORIGINE DE LA CONSCIENCE MORALE 25
par les tendances spécifiques en conflit avec les tendances individuelles.
Nous sommes donc les vaincus et les dupes de la concurrence. Comment
la volonté ne tenterait-elle pas de briser ce joug pour obéir à ses incli-
nations intéressées ? Pourquoi accepterait-elle toujours le sacrifice de
l'égoïsme à l'altruisme ? Pour cela il lui faudrait admettre, comme un
principe rationnel^ que l'altruisme est supérieur à l'égoïsme. Mais l'ad-
mettre c'est sortir de l'empirisme.
Conclusion générale : les doctrines empiriques ont la prétention
de construire une morale scientifique ; or le résultat c'est la destruction
de toute morale, car, d'après les doctrines de Mill, de Darwin, de Spencer,
la conscience n'est plus qu'une force plus ou moins aveugle et arbi-
traire, qui perd tout droit à l'obéissance et au respect (26, 27, 28).
§ III. — SOLUTION RATIONALISTE
La réfutation des théories précédentes a prouvé que la conscience
n'est pas un simple instinct moral, ni un produit de l'expérience. Elle
implique donc la raison. C'est la raison appliquée à la conduite de la
vie, c'est, comme dit Kant, la raison pratique. Mais on peut se demander*
est-ce une raison spéciale^ irréductible à la raison théorique ? est-ce
une forme, une jonction de la même faculté, la raison ? — On apporte
en faveur de l'irréductibilité deux arguments principaux :
I. — Argument de Kant : d'après lui, la raison pratique est spéci-
fiquement distincte de la raison spéculative. La moralité, l'action a des
principes indépendants de ceux de la science, de la théorie ; la raison
pratique est donc différente de la raison théorique. En effet la notion
du devoir est une notion sui generis, qui est en opposition avec les
catégories de la raison spéculative.
Réponse : — a) Les notions premières de la conscience morale sont
foncièrement identiques aux catégories de la raison théorique. La notion
du bien en soi c'est la notion d'une fin absolue ; celle du devoir, la notion
d'une loi universelle (9, 20, 21). Or fin, loi, absolu, universel sont les
notions mêmes de la raison spéculative (Ps. L. II, Sect. iv, Ch. i, m).
b) Les vérités premières de l'ordre moral : vg. Il faut faire le bien,
éviter le mal, etc. ont les mêmes caractères que les premiers principes
de l'ordre spéculatif : elles sont, comme eux, universelles, nécessaires,
évidentes. Elles jouent à l'égard de la conduite et de Faction le même
rôle que les principes spéculatifs relativement à l'expérience et à la science.
IL — Indépendance de la raison et de la conscience morale :
l'opinion de Ivant semble trouver un point d'appui dans l'expérience.
On rencontre des enfants, des hommes fort intelligents, pour lesquels
les mots : bien, devoir, vertu, n'ont pas de sens. Il leur manque l'intel-
ligence des choses morales.
26 VALEUR DE LA CONSCIENCE MORALE (11)
Réponse : a) Ce n'est parfois qu'un cas pathologique, un cas ([''idiotie
morale. On en trouve une image lointaine, même dans la vie ordinaire,
quand la voix de la raison est étouffée par la tyrannie de quelque violente
passion. Est-ce que l'homme normal lui-même ne semble pas alors
dénué de conscience ?
b) Ce qui fait défaut habituellement, ce sont les tendances et les
sentiments moraux., complémentaires de là raison : une action est bien
jugée comme illégitime ; mais elle n'inspire aucun sentiment de répul-
sion. Cette indépendance de la raison et de la conscience morale n'est
donc qu'apparente, comme le montre une observation plus attentive
des faits. L'intelligence de la moralité n'est pas absente chez ces êtres
dégradés, mais elle est pervertie ou paralysée, car il suffit ordinairement
de réprimer les tendances mauvaises, qui l'empêchaient de se mani-
fester, pour la voir apparaître : elle existe, mais elle n'est pas éveillée.
c) Il peut se faire que l'accumulation des fautes amène une per-
version complète de la conscience. Ceux qui en arrivent là sont des
monstres dans l'ordre moral. Il ne faut pas juger les personnes et les
choses par les exceptions et les anomalies.
Conclusion : la conscience morale n'est qu'une forme de la raison.
C'est la raison pratique. Mais, en reconnaissant que c'est une faculté
essentiellement rationnelle, il faut ajouter que le sentiment en est le
complément nécessaire. Il ne suffit pas de connaître le devoir ; il faut
eQ,core l'aimer. L'idée morale resterait inerte sans l'émotion qui l'accom-
pagne, car, comme dit Aristote, le rationnel nous laisse* froids : To
XoytîTixov où xtvei. La conscience n'a donc toute sa force que si elle est
jointe à la sensibilité morale et développée par l'éducation et la réflexion
personnelle.
La raison étant vraiment une, la raison spéculative et la raison
pratique ne diffèrent que par leur fonction et leur objet. La conscience
morale, c'est la raison montrant l'ordre à établir dans la vie humaine.
La raison spéculative ou scientifique cherche à découvrir l'ordre dans
l'expérience et la pensée. La vérité des choses est déjà réalisée dans la
nature, et la raison théorique n'a qu'à la dégager et à la formuler, tandis
que la vérité de la vie humaine ou de Vordre moral n'est réalisée que par
le libre effort de notre volonté, guidée par la conscience.
11. — VALEUR DE LA CONSCIENCE MORALE
jj'fiutorité et la valeur qu'on accorde à la conscience varient avec
l'origine qu'on lui suppose. Trois opinions principales :
1. — Infaillibilité. C'est la conséquence logique de ceux qui font
do la conscience un .sens, un instinct moral ; la conscience rend des
(12) UNIVERSALITÉ DE LA CONSCIENCE MORALE 27
oracles qui correspondent touj ours ala vérité . — Cette opinion est réfutée par
les faits^ la conscience est souvent ignorante, perplexe, erronée, contredite.
II. ^ — Sans valeur : si on explique la conscience tout entière par
la coutume, Véducation, Vévolution et Vhérédité, elle est sans valeur,
car tous ces éléments sont variables et particuliers : telle est l'opinion
des sophistes et des sceptiques. Ce devrait être aussi celle des associa-
tionnistes et des évolutionnistes, car la conscience n'est pour eux, en
dernière analyse, qu'une habitude, acquise par l'individu ou par l'espèce.
Malgré cela, ils veulent conserver à la conscience son autorité : c'est
une honnête inconséquence. Mais sachant que la conscience n'est que
le produit d'associations contingentes, l'esprit ne doit voir qu'une illusion
dans l'obligation qu'elle impose.
III. — Valeur de la raison : c'est conséquence logique, puisque
la conscience est, selon nous, une forme de la raison. Ses jugements
primitifs et les déductions immédiates qu'elle en tire sont infaillibles.
Mais, comme l'exercice de la raison dépend de Fexpérience, de la cou-
tume, de la sensibilité, il arrive que, sous ces influences, les déductions
médiates et les applications plus ou moins éloignées des vérités pre-
mières de l'ordre moral sont souvent erronées (Log. 124). La conscience
morale a une valeur absolue en soi. Elle ne peut se tromper quand elle
prescrit le devoir ; elle peut n'avoir qu'une valeur relative en tant qu'elle
prescrit certains devoirs particuliers, car elle est exposée à subir dans
ce cas les influences perturbatrices indiquées plus haut. C'est ainsi que
la raison spéculative est infaillible quand elle affirme que Tout ce qui
arrive a une cause, mais elle peut se tromper quand elle dit que Tel effet
vient de telle cause. De même donc que les erreurs et les contradictions
des savants dans la connaissance de la nature n'infirment' en rien la
valeur absolue du principe de causalité et de la raison théorique, ainsi
les erreurs et les contradictions de l'homme en morale n'enlèvent pas
leur valeur absolue aux notions du devoir et de la conscience morale.
Remarque ; Kant a prétendu que la raison pratique avait une valeur
supérieure à la raison théorique. C'est inadmissible, étant donné que
c'est la même raison. La raison théorique a même l'avantage de voir
confirmées par l'expérience ses plus importantes affirmations, vg. prin-
cipe de causalité. La raison pratique ne reçoit pas de l'expérience une
confirmation aussi parfaite, parce que la loi morale peut être librement
violée, tandis que la loi physique est fatalement obéie.
12. — UNIVERSALITÉ DE LA CONSCIENCE MORALE
Les notions morales sont-elles communes à toute l'humanité ? Leur
.'universalité n'est-elle pas apparente, i)uisque, selon les pays et les
époques, les mêmes mots désignent des choses diverses et même contra-
28 UNIVERSALITÉ DE LA CONSCIENCE MORALE (12)
dictoires ? Tel est le doute soulevé par le scepticisme moral, qu'il
s'agit de réfuter (^).
§ A. — OBJECTION
L'objection, tirée des variations de la conscience, avait déjà été
formulée dans l'antiquité par Carnéade. Montaigne l'a exposée à son
tour : « Telle chose est icy abominable, qui apporte recommandation
ailleurs, comme en Lacédémone la subtilité de desrober (2). » Pascal,
dans une boutade fameuse, a aussi exploité cette thèse pour réprimer
la « superbe de la raison » : « ...On ne voit presque rien de juste ou
d'injuste qui ne change de qualité en changeant de climat. Trois degrés
d'élévation du pôle renversent toute la jurisprudence. Un méridien décide
de la vérité... Le droit a ses époques. L'entrée de Saturne au Lion nous
montre l'origine d'un tel crime. Plaisante justice qu'une rivière borne !
Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au delà (^). » P. Janet résume en
ces deux propositions l'objection des sceptiques : « Chez les peuples
sauvages, point de moralité ; chez les peuples civilisés, moralité contra-
dictoire (*). )) Faut-il donc conclure de ces affirmations, appuyées sur
des faits, que la conscience est « la plus changeante des règles » (Vauve-
nargues) ?
§ B. — RÉPONSE
I. — On exagère les divergences : on juge de la diversité des idées
par la diversité des actions. Ce n'est pas un critérium sûr, car chacun
sait qu'il y a toujours un certain écart entre les principes et la conduite,
entre l'idéal et la réalité. Tel qui s'adonne au vice se condamne inté-
rieurement.
IL — La divergence n'est pas universelle (^) : elle ne va jamais
jusqu'à l'absence totale d'idées et de sentiments moraux. Les notions
et les vérités fondamsntales de la morale sont universelles et invariables.
Tous les hommes distinguent un bien et un mal et savent qu'il faut faire
le premier et éviter le second. Ce qui varie c'est l'application de ces:
( ') p. Janet, La morale, L. III, Ch. iv. — A. Garnier, Traité des facultés de l'âme,
L. VI, Sect. II, Ch. m, §| 8 et 9. — Ferraz, La philosophie du devoir, L. III, Ch. vi, vu.
— Malebranche, Traité de morale.
(•) Mo.NTAioNE, Essais, L. II, Ch. xii.
(•) Pascal, Pensées, Art. III, n. 8.
(♦) P. Janet, La Morale, L. III, Ch. iv, p. 396, Paris, 1874.
(') S. Thomas, Summa theologica, I», II", Quaest. XCIV, Art. IV. — Cf. F. Nicoi.ay,
Histoire des croyances, superstitions, mœurs, usages et coutumes (selon le plan du Décalogue),
3 vol., Paris, 1902. — V. Cathrei.n, DieEinheiMes sitllichen Bewu^stseins der Mcnschheit,
3 vol.,Fribourg-en-Brisgau, 1914.
(12) UNIVERSALITÉ DE LA CONSCIENCE MORALE 29
notions et de ces principes premiers aux cas particuliers, plus ou moins
compliqués, de la vie quotidienne. Tous ne placent pas le bien et le mal
dans les mêmes actions. Les sauvages par exemple admettent ce prin-
cipe : il faut honorer ses parents ; mais ils l'appliquent mal en tuant les
vieillards pour les débarrasser des peines de la vie. Les sacrifices humains
sont chose abominable, sans doute ; ceux qui les ont commis reconnais-
saient l'obligation d'apaiser la justice divine, mais ils l'ont mal pratiquée.
Les veuves des Indiens sont brûlées vives sur le bûcher de leurs époux ;
elles admettent le devoir de l'amour conjugal, mais elles en comprennent
mal l'application, etc. — Nous avons déjà répondu à l'objection tirée
de l'absence de conscience morale chez certains individus (10, § III).
III. — Cette divergence va en s'atténuant : les notions morales,
momentanément obscurcies ou faussées par certaines influences pertur-
batrices, se dégagent peu à peu des scories qui les souillaient. C'est ainsi
qu'on voit disparaître ou diminuer l'anthropophagie, les sacrifices
humains, la polygamie, l'infanticide, l'esclavage. Est-ce que cet accord
progressif ne suppose pas un idéal commun, une même constitution
morale (^) ?
§ C. — CAUSES PERTURBATRICES
Les causes, qui expliquent les erreurs et les contradictions de la
raison appliquée à la spéculation, expliquent également les variations do
la raison appliquée aux vérités morales (Log. 124). Voici les principales :
I. ■ — Passion et intérêt : c'est surtout dans le domaine des choses
morales que leur influence est puissante. « Si la Géométrie s'opposoit
autant à nos passions et à nos interests présens que 1^ morale, nous ne
la contesterions et ne la violerions gueres moins, malgré toutes les
démonstrations d'Euclide et d'Archimede, qu'on traiteroit de rêveries
et croiroit pleines de paralogismes {^). »
IL — Habitude : les fautes souvent répétées finissent par sembler
naturelles ; alors la conscience s'émousse et s'altère.
III. — Contagion de l'exemple : ce qui est pratiqué par un grand
nombre semble d'abord excusable, puis légitime.
IV. — • Les lois : comme elles ont une certaine autorité, les prescrip
tions immorales qu'elles prescrivent paraissent à la longue fondées en
raison ; vg. l'esclavage ; la mort des enfants mal faits prescrite par la
législation de Lycurgue.
( ') L'objection suppose toujours pour accordé que la diversité actuelle est l'état normal
originel. Cette supposition n'est rien moins que fondée. Les sauvages, qu'on nous oppose,
ne sont pas le type de l'homme primitif : ce sont des dégénérés (Mgr. 85, § B, VI).
( ') Leibniz, Nouveaux essais..., L. I, Ch. ii, § 12.
30 CONDITIOîsS OU ÉLÉMENTS DE LA MORALITÉ (13)
V. — L'ignorance : le prêt à intérêt a été longtemps condamné
comme usuraire, parce qu'on croyait à tort que, toujours, l'argent est
stérile. « Les dariques, disait Aristote, ne font pas d'autres dariques. »
Cette erreur provenait de l'analyse insuffisante des faits économiques.
Les anciens le proscrivaient au nom de ce principe : Nul ne doit s'enrichir
au détriment d'autrui. Les modernes l'autorisent en vertu du même
principe, car le prêt gratuit, quand on peut faire fructifier son argent,
serait l'enrichissement de l'emprunteur aux dépens du prêteur (128).
Conclusion : le scepticisme moral n'est pas plus recevable que le
scepticisme tliéorique. Donc la loi morale existe. Est igitur hsec non
scripta, sed nata lex (^), dit Cicéron. Saint Paul lui fait écho : Opus legis
scriptum in cordihiis (-). Montaigne s'est donné la réplique lui-même,
car il dit ailleurs : « La justice en soy, naturelle et universelle, est autre-
ment reiglée et plus noblement que n'est cette autre justice spéciale,
nationale, contrainte au besoing de nos polices (^). » Pascal a également
limité son accusation, car il ajoute dans le même passage qu'on oublie
généralement de citer en entier : vc II y a sans doute des lois naturelles ;
mais cette belle raison corrompue a tout corrompu. »
Remarque : on objecte aussi la diversité et les contradictions des
doctrines philosophiques. Il y a les partisans de la morale utilitaire, de
la morale sentimentale, de la morale rationnelle. — Sans doute les
philosophes discutent sur le fondement métaphysique des devoirs,
mais ils s'accordent à reconnaître la néceissité de pratiquer le bien.
13. — CONDITIONS OU ÉLÉMENTS DE LA MORALITÉ ( * )
•
La moralité est la propriété qu'ont les actes humains d'être bons
ou mauvais ; elle dépend :
L — De l'objet de l'acte : l'objet est ce que l'on fait en posant
un acte. Il doit être bon en soi, conforme à la nature raisonnable, ou
au moins indifférent en soi. Un acte est indifférent en soi quand il n'a
pas de rapport spécial de convenance ou de disconvenance avec cette
nature raisonnable : vg. se promener, s'asseoir.
IL — De l'intention : l'acte libre consiste essentiellement dans
la détermination de la volonté, qui décide quelle est, entre plusieurs
fins, celle que nous voulons réaliser. L'exécution ne dépend pas toujours
( ') CicÉnoN, Pro Milone, IV.
( ') H. l'Avr-, Kpist. ad Romnnos, II, 15.
(') Montaigne, l'^ssuis, L. III, (Jli. i.
( *) L. .InuiN, Elemeniu philosophias nwrnlis, Part. Il, L. II, Ch. ii, Propositio IX,
New-York, 189G». — Instilutes du droit naturel, par B. B., L. III, Paris, 1866.
(14) l'intention morale 31
de nous ; ce qui en dépend, c'est la position de la fin, la résolution
volontaire (Ps. 193). Or poser des fins, c'est avoir des intentions ; avoir
bonne volonté, c'est avoir des intentions droites. C'est par conséquent
de l'intention que résulte principalement la valeur morale des actions,
et même à'eïle seule quand l'acte est indifférent en soi (14). L'intention
est bonne quand elle est d'accord avec la loi morale, mauvaise quand
est en désaccord.
Remarque : la moralité dépend secondairement des circonstances.^
Ce sont des déterminations accidentelles, qui influent sur l'acte pour
Vaggraver ou Vatténuer. Les Scolastiques les ont résumées dans ce vers :
Quis, quid, ubi, quihus auxiliis, car, quomodo, quando.
Exemple : vol avec ou sans e (Traction.
14. — L'INTENTION MORALE (M
§ A. — SON ROLE ET SON IMPORTANCE
I. — La valeur morale des actes croît avec l'élévation et l'étendue
de l'intention. C'est ainsi qu'un enfant, qui travaille par affection pour
ses parents, fait une action, louable ; mais s'il travaille pour obéir au
devoir, l'acte est bien plus parfait, parce qu'il est conforme à l'ordre
universel, à la volonté de Dieu. Le motif le plus vaste des actes humains
c'est donc l'amour de Dieu, parce que ce motif embrasse l'amour de
l'ordre universel et l'amour de son auteur, du Bien suprême, de Dieu.
Et ainsi la vie extérieure la plus humble peut surpasser en valeur morale
les plus brillantes, si elle est dirigée par des intentions pures et élevées.
C'est pourquoi une action, extérieurement la même, change du tout
au tout, suivant qu'elle a des motifs différents {-). On peut la faire :
a) parce qu'elle est agréable ; — b) parce qu'elle Jious est utile ; — c) parce
qu'elle est utile à des parents, à des amis, à la patrie, à Vhumanité ; —
d) parce qu'on la juge conforme au bon sens ; — • e) parce qu'elle semble
demandée par V ordre général ; — /) parce qu'elle est imposée par V auteur
de Vunivers ; — g) par amour pour Dieu. Cette série de motifs est une
échelle ascendante, qui va depuis zéro jusqu'au degré le plus élevé.
La valeur de l'action déterminée par ces motifs monte ou s'abaisse
dans la même proportion.
II. — Une action bonne en soi devient mauvaise si on la fait avec une
intention déréglée : vg. secourir les malheureux par ostentation.
III. — Une action indifférente en soi ou amorale (vg. promenade)
( M Vallieh, L'inlenlion morale.
( -) J. DE BoNNiOT, Le problème du mal, L. II, Ch. vi
32 l'intention morale (14)
devient, bonne si elle est faite dans un but légitime : vg. pour réparer
ses forces. Cf. S. Thomas, Summa theol, IMpe, Q. XVIII, a. 8 et 9.
IV. — Une action mauvaise en soi devient bonne si son auteur ignore
im'inciblement qu'elle est mauvaise et a l'intention de bien faire : vg. les
sauvages tuant leurs grands-parents poiir les délivrer des souffrances
de la vieillesse. -, e ■
V. — L'intention, au point de vue moral, est réputée pour le tait.
Aussi « ce qui importe, ce n'est pas le succès, mais l'effort » (Jouffroy),
^car nous sommes obligés de vouloir le bien, non de réussir à le faire
triompher autour de nous. C'est pour cela qu'il y a « des défaites triom-
phantes à l'envi des victoires ».
YI, L'absence d'intention enlève à un acte tout mérite ou démé-
rite : ce n'est plus un acte moral, mais physique. Un fait matériellement
criminel ne l'est pas moralement, si l'auteur l'a accompli sans le vouloir
et sans imprudence : vg. un cavalier ne peut retenir son cheval emballé et,
en passant, écrase une personne. —Au point de vue juridique, l'intention
ne suffit pas, il faut qu'elle soit manifestée par l'exécution (47,^ § VI).
La perfection de la vie morale dépend donc surtout de l'art de
diriger ses intentions vers les fins les plus élevées et les plus universelles.
§ B. — OBJECTIONS
On a fait deux objections principales à la doctrine des directions
d'intention. Elle aboutirait :
L — A la légitimation de cette maxime machiavélique : La fin justifie
les moyens.
Réponse : cette maxime est évidemment abominable, puisqu'elle
signifie qu'on peut user de tous les moyens, fût-ce le vol, l'homicide, etc.,
pour réaliser une fin bonne en soi. C'était déjà la calomnie lancée par
le paganisme contre les chrétiens et repoussée par S. Paul : Et non
{sicut blasphemamur, et sicut aiunt quidam nos diceré) faciamus mala
ut veniant bona {^). Elle a été ressassée depuis, surtout par les jansé-
nistes (2), à l'adresse des Jésuites. 11 est pourtant manifeste que c'est
une doctrine de tout point condamnable, car :
a) La volonté ne peut changer la nature des choses : si le moyen
est connu comme mauvais, quoi qu'on dise ou qu'on fasse, il restera
toujours mauvais. La fin juste ne peut légitimer des moyens injustes ;
sans ((uoi la justice se contredirait elle-même : elle serait à la fois juste
et injuste.
( M s. Paul, Episl. ad Roman. Ch. m, v. 8.
(•) PA3CAL, Les Provinciales, VII" Lettre. — On peut voir dans rédition de Maynard
les injustices de Pascal qui a cité plusieurs textes tronqués. Cf. Maynard, Pascal, II'' P.
Ch. II.
(15) . DEGRÉS, ÉDUCATION ET RÈGLES DE LA CONSCIENCE 33
b) La volonté en employant des moyens mauvais est mauvaise,
parce qu'elle n'évite pas, comme elle y est obligée, le mal, c'est-à-dire
l'emploi de moyens injustes.
II. — A des appréciations d'une scandaleuse indulgence. Réponse :
si celui qu'on doit juger n'a pas voulu mal faire, même en agissant mal,
on ne peut dire qu'il a mauvaise volonté. Son acte n'est donc mauvais
que matériellement. Sans doute, au for extérieur, la société doit surtout
tenir compte des actions, parce qu'elle ne peut atteindre directement
les intentions et qu'elle doit exciter les citoyens à veiller sur leur conduite.
Un chasseur, voulant tuer un lièvre, tue un homme. La morale l'absout,
puisque l'intention mauvaise fait défaut, mais la loi peut le condamner
pour homicide par imprudence.
Conclusion : la moralité est avant tout conditionnée par l'intention ;
mais elle dépend aussi de son objet qui doit être bon en soi ou du moins
être indifférent (13), et enfin, secondairement, des circonstances qui
l'accompagnent. Pour qu'un acte soit moralement bon, il faut donc
que son but, sa matière, ses circonstances, tout en lui soit bon ; il est
mauvais dès qu'un seul de ces éléments fait défaut, et plus ou moins,
selon l'importance de l'élément absent. C'est le sens de la maxime :
Bonum ex intégra causa, malum ex quociimque defectu.
Remarque : l'intention est : a) Actuelle, quand elle existe au moment
de l'action.
b) Virtuelle, quand, sans exister actuellement, elle continue dans
les effets dus à son influence: vg. l'intention du voyageur qui veut arriver
à telle ville et dont chaque pas est posé en ç>ertii de cette- intention
première, bien qu'il n'y songe plus.
c) Habituelle : quand, après avoir été interrompue (elle ne continue
donc ni en elle-même, ni dans ses effets), elle n'a pas été révoquée.
15. — DEGRÉS, ÉDUCATION ET RÈGLES DE LA CONSCIENCE
A) Degrés (^) : notre devoir ne va pas au delà de notre savoir.
Chacun de nous n'est obligé à faire que le bien qu'il connaît comme
obligatoire. Or la conscience peut être, vis-à-vis de son objet, le bien,
dans tous les états où peut se trouver la raison théorique vis-à-vis du
vrai spéculatif (Log. 114). Elle peut être droite ou erronée, certaine,
douteuse ou probable. La conscience morale est :
I. — Droite : quand son jugement est d'accord avec la loi morale.
II. — Erronée, quand elle nous représente des actes autrement
qu'ils ne sont d'après la loi morale, c'est-à-dire comme bons et permis,
quand ils sont mauvais et défendus ; comme illégitimes, quand ils sont
licites. L'erreur peut être soit : a) invincible : vg. conscience de l'enfant ,
(M Inslilutes du droit naturel par M. B., Livre V.
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. — T. II. — 2
34 DEGRÉS, ÉDUCATION ET RÈGLES DE LA CONSCIENCE (15)
du sauvage : dans ce cas, étant inévitable, elle est involontaire, donc
exempte de faute ; — b) vincible : étant évitable, elle est coupable.
in. — Certaine, quand elle juge de la légitimité ou de l'illégitimité
d'une action sans crainte raisonnable d'erreur.
IV. — Douteuse, quand elle hésite entre plusieurs devoirs, parce
qu'elle voit des raisons pour et contre qui s'équilibrent ; mais ce doute
absolu est rare.
V. — Probable, quand elle penche d'un côté plutôt que de F autre.
B) Éducation : puisque la conscience est faillible et sujette au
doute, c'est un devoir pour chacun de l'éclairer et de la perfectionner.
Cette éducation est sans doute l'œuvre de l'intelligence, mais plus
encore de la volonté et des bonnes habitudes, parce que ce sont le-
passions qui obscurcissent la notion du devoir. (Log. 124, § C).
C). Règles de conduite. Voici les principales :
I. — Il y a obligation de suivre non seulement une conscience droite,
mais aussi, dans le cas d'ignorance invincible, une conscience erronée,
parce que nous devons toujours faire ce que nous croyons bon et éviter
ce que nous croyons mauvais.
II. — On ne doit pas agir d'après une conscience vincihlement erronée,
car, de même que l'erreur volontaire est coupable, les conséquences de
l'erreur le sont aussi. Alors on est tenu d'éviter l'erreur et de redresser
ainsi sa conscience.
III. — On ne peut agir avec une conscience douteuse. Celui qui
accomplit ou omet une action, bien qu'il doute s'il est légitime ou non
de l'accomplir ou de l'omettre, s'expose volontairement au danger de
mal faire. Cette disposition est évidemment mauvaise, puisqu'elle
implique l'acceptation d'un mal possible. Que faire alors ? Ou ne pas
agir si on le peut ; ou sortir du doute. — Comment ? En prenant conseil,
si c'est possible. Si le conseil est impossible et s'il y a nécessité d'agir,
il faut sortir du doute et se former une conscience pratiquement certaine.
Comment ? Au moyen du Prohahilisme.
D) Probabilisme. — La conscience, d'abord perplexe en présence
d'une obligation probable (c'est-à-dire dont l'existence n'est pas démon-
trée), acquiert la certitude pratique en vertu de ce principe qu'une loi
douteuse n'oblige pas : Lex duhia non obligat. Telle est la doctrine
morale du Probabilisme.
Les moralistes catholiques sont unanimes à admettre Je principe
sur lequel est fondé le Probabilisme. Il est manifeste en effet qu'une
loi, qui n'est pas suffisamment promulguée, n'oblige pas. Or une loi,
dont l'existence est révoquée en doute par des raisons d'une sérieuse
probabilité, n'est pas suffisamment promulguée (^).
(I) ( f. SUAKEZ, Ue Bonitale et Malilia humanorum Actuum, Dispul. xii, Sect. v et vi.
(15) DEGRÉS, ÉDUCATION ET RÈGLES DE LA CONSCIENCE 35
Mais l'accord cesse quand il s'agit de déterminer quel degré d'incer-
titude dans l'existence ou l'application de la loi esjb nécessaire pour qu'on
puisse regarder l'obligation comme moralement douteuse et, consé-
quemment, laisser à l'homme sa liberté d'action : vg. accepter ou refuser
un legs sur la foi d'un testament dont la validité est probable. Voici
les solutions diverses :
§ A. ^ — Solutions extrêmes et insoutenables :
1° TuTiORiSME (de Tiitior, plus sûr)-: on doit toujours suivre l'opinion
plus sûre, c'est-à-dire celle qui favorise la loi, à moins que l'opinion
opposée ne soit certaine.
2o Laxisme (de Laxus, large) : on peut suivre l'opinion moins sûre,
pourvu qu'elle ait quelque probabilité.
Ces deux opinions ont été condamnées, la première, par
Alexandre VIII, parce qu'elle est d'un rigorisme outré ; la seconde,
par Innocent XI, parce qu'elle favorise la licence.
§ B. — Solutions modérées et soutenables : elles diffèrent dans la
mesure dont elles jugent bon d'appliquer le principe fondamental :
10 Probabiliorisme : on doit suivre le parti plus sûr, c'est-à-dire
favorable à la loi, à moins que le parti moins sûr, c'est-à-dire favorable
à la liberté, ne soit plus probable.
2° Équiprobabilisme : on doit suivre le parti plus sûr, à moins
que le parti favorable à la liberté ne soit d'une probabilité égale.
30 Probabilisme : on n'est pas tenu de suivre le parti plus sûr,
quand le parti favorable à la liberté est vraiment et solidement probable.
Nous adoptons cette troisième opinion, parce que seule elle applique
logiquement le principe fondamental. En effet, aucun des deux partis
en présence n'étant certain, il n'y a pas, même dans la probabilité la
plus haute, une raison suffisante pour constituer une obligation de
conscience, car c'est à la certitude seule que l'obligation est attachée :
autrement l'incertain produirait le certain, ce qui répugne, puisque,
dans ce cas, la conclusion dépasserait les prémisses. Reste donc qu'on
peut, pour agir, se contenter d'une probabilité sérteuse, et conséquemment
qu'on n'est pas tenu de recourir au Probabiliorisme, ni à V Équipro-
babilisme.
Remarques : I. — On peut donc agir d'après l'opinion moins pro-
bable, mais il est mieux de suivre l'opinion plus probable : ce n'est
pas une question d'obligation, mais de perfection, parce que l'opinion
plus probable est plus sûre, étant plus favorable à la.loi.
II. — Il est des cas où le Probabilisme n'est pas de mise, c'est-à-dire
où l'on doit suivre le parti le plus probable : c'est quand il s'agit d'une
fin qu'on est obligé d'atteindre ou quand la loi ordonne de prendre les
moyens les plus sûrs pour arriver au but : vg. entre deux bons remèdes
le médecin est tenu de prescrire le meilleur, parce que le malade a un
36 DEGRÉS, ÉDUCATION ET RÈGLES DE LA CONSCIENCE (15)
droit certain à être traité de la façon la plus efficace pour obtenir la
guérison.
III. — On ne peut, dans le même acte, user de deux opinions probables
contradictoires, car alors il est certain que l'un des deux partis simul-
tanément pris violerait la loi. Exemple : Je ne puis accepter un héritage
sur la foi d'un testament probablement valide, et en même temps me
dérober aux charges qu'il impose, pour ce motif que sa validité n'est
pas certaine (^).
Cl .lANET, La morale, L. III, Cli. m. — U. Maynard, Pascal, II» P., Ch. ii, § 9. —
J. BniTRAND, Biaise Pascal, p. 199 et sq. — Le Bachelet, La question liguorienne : Proba-
bUieme el Equiprobabilisme. — Lehmkuhl, Theologia moralis, T. I, Theologia moralis spe-
cialis, Traclatu II. Sect. II, C. ii, Art. II, p. 98, § 156 sqq. Fribourg-en-Brisgau, 1910".
— J. BnuCKEn. dansÉTUDES, 1902, T. II, p. 831 sqq. ; 1903, T. IV, p. 561 sqq. — Ballerini
et Palmieri, Opue Iheologicum morale, T. I, p. 159 sqq., § 71 sqq., Rome, 1889.
CHAPITRE II
LE DEVOIR ET LA LOI MORALE
16. — LE DEVOIR ET L'OBLIGATION MORALE
On confond souvent ces trois choses : le devoir, V obligation et la
loi morale. La précision exige qu'on les distingue.
I. — Devoir et loi morale : la loi est une règle d'action ; le devoir est
l'obligation de faire le bien. La loi est l'expression, la formule impé-
rative de cette obligation ; le devoir est la nécessité imposée par la
loi.
II. — Devoir et obligation morale : le devoir implique une idée
purement rationnelle : c'est l'idée de ce qui doit être fait, l'idée d'une
fin meilleure que toutes les autres, non seulement pour nous, mais en
soi, l'idée d'un bien obligatoire. — L'obligation est le sentiment de
contrainte respectueuse qui accompagne l'idée du devoir. C'est une
contrainte morale et non physique (20) exercée par l'idée du devoir sur
notre volonté et les penchants de la sensibilité. Mais pratiquement on
emploie ces deux mots devoir, obligation l'un pour l'autre.
17. —LA LOI (1)
§ I. — DÉFINITION GÉNÉRALE
La loi, en général, c'est une règle constante, d'après laquelle s'accom-
plit ou doit s'accomplir un ordre de choses. C'est l'acte d'une autorité
qui domine ; c'est la volonté d'un supérieur naturel qui s'impose à son
inférieur pour le maintenir dans des conditions déterminées et lui imprime
une nécessité, qui est une fatalité inévitable pour les êtres inintelligents,
(M S. Thomas, Summa theologica, I», II»"', Quaest. XC-XCVII. — Suarez, De Legibua.
— InstiiiUes du droit naturel, par M. B., T. I, L. IV. — Bautain, Philosophie des lois. —
R. CuMBERLAND, Traité philosophique des lois naturelles. Traduction de Barbeyrac, Ams-
terdam, 1744.
38 DE LA LOI (17)
une obligation pour les êtres libres. *< Les lois, dans la signification la
plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature
des choses : et dans ce sens tous les êtres ont leurs lois (^). «
§ n. — DIVISION
A) La loi physique et la loi morale : I. — Les lois physiques
(lois des phénomènes astronomiques, physiques, chimiques, biologiques)
DU lois de la nature {^) sont les rapports constants et généraux qui
lient entre eux les phénomènes naturels ; c'est la façon constante dont
s'accomplit un ordre de choses : vg. lois de l'attraction, de la pesanteur,
de la chaleur.
a) Ces lois sont indicatives et non impératives ; ce sont des formules
et non des commandements ; elles énoncent non ce qui doit se faire,
mais ce qui se fait nécessairement : bref, elles sont fatales, parce qu'elles
s'appliquent aux êtres matériels et inintelligents.
b) Leur nécessité n'est pas absolue, mais relative ( ^), conditionnelle ;
elles n'ont qu'une nécessité de fait. En droit, elles sont contingentes {*)
car elles ont une valeur relative à la nature de notre monde : on conçoit
comme possible l'existence d'un monde régi par d'autres lois. En outre,
leur application est toujours conditionnelle : si les circonstances restent
les mêmes, telle cause produira tel effet : elles sont donc hypothétiques,
non catégoriques (Ps. 164).
c) Ne s'adressant à des êtres ni intelligents, ni libres, elles n'ont
pas besoin d'être connues ni consenties pour être observées ; elles le
sont de fait partout et toujours, quand les circonstances requises sont
réalisées.
d) Les lois physiques se découvrent par la raison théorique au
moyen de l'observation, de l'expérimentation et de l'induction (Log.
L. II, Ch. IV).
e) Elles servent à expliquer, à prévoir, à susciter les phénomènes
et conséquemment à maîtriser la nature. (Log. 73, § II).
/) De leur observation résulte l'ordre et l'harmonie de l'univers.
IL — La loi morale s'applique aux êtres intelligents et* libres :'
c'est la règle à laquelle l'être raisonnable doit conformer sa conduite.
(') Montesquieu, De l'espril des lois, L. I, Ch. i.
( M É. BouTHOUx, De l'idée de la loi nalurelle dans la science et la philosophie contempo-
raines, Paris, 1895.
( ') La d(''nnitiun donnée par Monlesquieu : « Les lois sont les rapports nécessaires qui
dérivent de la nature des choses », doit s'entendre d'une nécessité relative quand on l'applique
aux lois de la nature ou lois physiques ; d'une nécessité absolue, s'il s'agit de la loi naturelle
ou loi morale.
( ') É. BoiTnorx, De lu contingence des lois de la nature, Paris, 1874 ; 1913'.
(17) DE LA LOI 39
a) Elle n'est pas seulement indicative, mais impérative ; c'est une
loi pratique, un commandement, non une simple formule. Elle oblige
absolument, mais l'obligation est une contrainte morale et non physique.
b) Sa nécessité est absolue, inconditionnelle. Son commandement
est un impératif catégorique (20). C'est une nécessité de droit, indépen-
dante de toute hypothèse, valable pour tous les êtres raisonnables qui
doivent l'observer.
c) Mais s'adressant à des êtres intelligents et libres, elle peut être
et elle est, en fait, transgressée.
d) La loi morale est connue par la conscience ou raison pratique.
e) Elle sert à régler la vie morale de l'humanité.
/) Elle a pour conséquences le mérite ou le démérite, la vertu ou le
vice, la récompense ou le châtiment (Ch. iv). L'ordre et l'harmonie
du monde moral résultent de son observation ; c'est le bon ou mauvais
usage de la liberté qui contribue à rendre ce monde plus ou moins
parfait. (Cf. Métaphys., L. II, Ch. m, Art. III, Sect. III).
B) Loi éternelle ou loi morale : son fondement est en Dieu;
l'ordre essentiel des choses n'est qu'une imitation plus ou moins
parfaite de ses perfections (18 ; 46). Dieu ne peut pas ne pas vouloir
l'observation de cet ordre essentiel, car ce serait se renier lui-même.
Cette volonté éclairée de Dieu, ordonnant la conservation de l'ordre
naturel des choses et défendant de le troubler, c'est la loi éternelle :
en tant qu'elle se manifeste à nous par la conscience, on l'appelle loi
naturelle (^) ou loi morale.
C) Lois positives : lois qui dépetident de la volonté du législateur
soit divin, soit humain et par conséquent exigent son intervention
positive. Les prescriptions de la loi naturelle, qui nous sont manifestées
par la conscience, ont besoin d'être complétées, précisées, appliquées
aux cas particuliers. Ce complément peut être donné soit par Dieu
lui-même, s'il lui plait de révéler ses intentions à ce sujet d'une façon
explicite (nous, chrétiens, nous savons qu'il l'a fait ; vg. par la promul-
gation du Décalogue et par son Fils Notre-Seigneur Jésus-Christ dans
l'Évangile) ; soit par une autorité qu'il délègue ; cette autorité peut être
celle de la Société religieuse (l'Église) ou celle de la Société civile. C'est
ainsi que la loi positive peut être divine : loi primitive, patriarcale,
mosaïque, chrétienne, ou humaine : loi ecclésiastique, loi civile, loi politique.
D) Lois civiles : lois qui émanent de l'autorité sociale en vue
(•) CicÉRùN, De Legibus, L. II, § IV. — Il a tracé de la loi naturelle une magniQque
description dans le Pro Milone, § IV : Est igitur hsec non scripta, sed nata lex ; quant non
didicimus, nccepimus, legimus, verum ex natura ipsa arripuimus. hausinrius, expressimu^ :
' ad quam non docli, sed facli, non insiituti, sed imbuti sumus. — S. Thoma?. Summa théologien,
I», II-'S Quaest. XCI, XCIII, XCIV.
40 DE LA LOI (17)
d'assurer aux citoyens la jouissance de leurs droits naturels. Saint Thomas
la définit : Quœdam rationis ordinatio ad bonum commune, et ab eo,
qui curam communitatis habet, promulgata {^). C'est une ordonnance
conforme à la raison, faite en vue du bien commun et promulguée par
celui qui est chargé du gouvernement de la société. Les qualités d'une
loi obligatoire sont :
I. — La justice ou équité : la loi civile doit être dictée par la raison,
être conforme à la loi naturelle, à l'ordre essentiel des choses. Une loi
n'est donc légitime qu'autant qu'elle s'accorde avec la loi morale, avec
la justice éternelle. Les Anciens l'avaient bien compris quand ils parlent
de « lois immuables et non écrites, portées par la divinité ; lois qui ne
sont ni d'aujourd'hui ni d'hier, mais éternelles » {^).
Les Légistes ont mis en honneur un autre principe emprunté aux
jurisconsultes romains : Quidquid principi plaçait legis habet vigorem.
« Si veut le roi, si veut la loi ». Comme depuis la Révolution le souverain
c'est le peuple, on a défini la loi : « L'expression de la volonté générale » ( ').
C'est ce que l'on nomme l'esprit de légalité. C'est la loi, donc c'est juste,
donc c'est obligatoire. C'est là une maxime tyrannique et immorale :
que la loi émane du bon plaisir d'un roi ou de la volonté d'un peuple,
elle n'est légitime que si elle est en harmonie avec la loi naturelle, la loi
morale, antérieure et supérieure (*) à toutes les lois positives.
II. — La conformité avec le bien public : si elle favorise un intérêt
particulier au détriment du bien général, il est clair que c'est un désordre
et une injustice, car toute la raison d'être de la loi est de procurer le
bien com.mun de la société. Cela ne veut pas dire que tout privilège soit
illégitime, parce qu'il peut se faire qu'une faveur accordée à certaines
catégories de citoyens contribue au bien général : vg. loi qui dispensait
du service militaire ceux qui s'engageaient à enseigner pendant dix ans,
III — Notification authentique : pour être obligatoire une loi doit
être connue ; pour être connue elle doit être promulguée par l'autorité
compétente (47, § C).
Loi naturelle et lois civiles : bien que les lois civiles doivent
être conformes à la loi naturelle, elles en diffèrent cependant. La loi
morale est immuable, universelle, absolue. — Les lois civiles, tout en ayant
une certaine stabilité; sont variables, plus ou moins générales, relatives.
(') s. Thomas, iiumma theologica, I», II»', Q. XC, .\rt. 4. Cf. Q. XCV, XCVI, XCVII
( ») Sophocle, Antigone, v. AbQ sqq.
( •) Déclaration des droits de l'homme, Art. 6.
( *) Montesquieu le reconnaît : » Dire qu'il n'y a rien de juste ni d'injuste que ce qu'or-'^
donnent ou dt'îfendent les lois positives, c'est dire qu'avant qu'on eût tracé de cercle, tous
les rayons n'f^laient pas égaux » {Esprit des Lois, L. I, ch. i). — Aristote, Morale à Nico-
mnque, L. V, Cil. vu. Cf. L. V, Ch. i. — A. Coquille, Les Légistes et leur influence. Le
'isariame. — Bardoux, Les Légistes.
1
(18) ORDRE HIÉRARCHIQUE DES LOIS 41
C'est que : a) elles sont faites par des hommes. Elles dépendent donc
de la volonté plus ou moins changeante, faillible, tyrannique, de celui
qui les porte. Étant des œuvres humaines, elles sont toujours, malgré
\ les meilleures intentions, plus ou moins artificielles et imparfaites.
'' h) Elles sont faites pour des hommes ; elles doivent donc varier avec
les circonstances de temps, de lieux et de personnes. — La loi naturelle
a au contraire Dieu pour auteur et, bien que faite pour les hommes,
elle convient à tous les temps et à tous les peuples.
E) Lois politiques : lois qui déterminent la forme du pouvoir
social et la participation des citoyens au gouvernement. Elles doivent
garantir aux citoyens la jouissance de leurs droits, et avoir les mêmes
qualités que les lois civiles (107).
18. — ORDRE HIERARCHIQUE DES LOIS
f I, — Ordre essentiel des choses : en remontant aussi haut que
possible dans la série logique des choses, nous trouvons, avant tout.
Vessence de Dieu, Dieu lui-même. — Après l'essence de Dieu viennent
les essences des êtres possibles hors de Dieu. Leur possibilité se fonde sur
leurs rapports de similitude avec l'essence divine, dont ils ne sont que
des imitations plus ou moins parfaites. — Après les essences des êtres
' distincts de Dieu, on conçoit leurs relations invariables découlant de
leurs essences mêmes. L'ensemble de ces relations, dérivant de l'essence
même des êtres, constitue Vordre essentiel, l'ordre fondé sur la nature
des choses, comme la nature des choses est fondée sur la nature même
de Dieu.
II. — Loi éternelle : cet ordre essentiel. Dieu le voit, car il est
; vrai ; Dieu le veut, car il est bon. En tant que vu et voulu par Dieu,
j en tant qu'imposé à tout être, cet ordre devient loi : c'est la loi éternelle.
: éternelle comme la pensée, le vouloir et l'essence même de Dieu. Saint
j Augustin la définit : Ratio divina vel voluntas Dei ordinem naturalem
conservari jubens et perturbari vetans (^). C'est la raison ou la volonté
divine prescrivant de suivre l'ordre naturel et défendant de le troubler.
III. — Loi naturelle : cet ordre essentiel des choses, cette loi
éternelle, en tant qu'ils se manifestent et s'imposent à la conscience
morale, constituent la loi naturelle ou loi morale. On voit donc que la
loi morale a pour fondement immédiat la nature raisonnable de l'homme,
et pour fondement dernier la nature même de Dieu sur laquelle reposent,
en définitive, toutes les essences (46, § B).
(M S. Augustin, Contra Faustum, L. XXII, C.xxvit. Cf. De Libero Arbitrio.L. I,C.vi.
42 EXISTENCE DE LA LOI MORALE ET DU DEVOIR (19)
JV — Loi positive : toute autre loi, rffVme, ecclésiastique, civile
ou politique, n'est qaune application autorisée de la loi éternelle de
l'ordre essentiel, une application fondée sur les relations normales des
êtres. Ces relations à leur tour reposent sur l'essence des êtres et 1 essence
des êtres a pour type et raison suprême l'essence même de Dieu. Amsi
toute loi positive, en dernière analyse, est fondée sur la nature des choses
et par elle sur la nature même de Dieu.
Remarque : la loi éternelle et la loi naturelle ou morale ne sont pas
des lois différentes. C'est une seule et même loi, qui s'appelle loi éternelle
en tant qu'elle existe dans l'intelligence divine ;^ loi naturelle en tant
qu'elle est connue par la conscience morale de l'homme.
19. — EXISTENCE DE LA LOI MORALE ET DU DEVOIR
Elle peut être prouvée a priori et a posteriori.
§ I. — PREUVE A PRIORI OU RATIONNELLE
La loi morale est exigée par la liberté : il doit y avoir une loi morale,
une loi régissant les volontés et les actes libres, imposant l'observation
d'un ordre constant d'après lequel ces actes doivent être accomplis.
En effet, tous les êtres de l'univers sont soumis à des lois conformes
à leur nature : la matière a des lois mécaniques, la plante et l'animal
ont des lois organiques. Par ces lois, qui dérivent de leur essence, les
êtres réalisent la fm que Dieu leur a assignée. Ne serait-il pas étrange
de supposer que les créatures intelligentes et libres demeurassent seules
en deliors de toute loi ? que la force la plus noble du monde, la volonté,
n'eût pas de fm à réaliser ? Il est donc impossible que Dieu ait créé
l'homme avec la liberté sans lui donner une fin conforme à sa nature
et sans lui imposer une loi qui l'y conduise. Autrement, à quoi bon la
liberté ? Ce serait une force inutile et sans objet. C'est pourquoi Mon-
tesquieu a pu dire : « Tous les êtres ont leurs lois ; la divinité a ses lois,
le monde matériel a ses lois, les intelligences supérieures à l'homme
ont leurs lois, les bêtes ont leurs lois, l'homme a ses lois {^). > Seulement,
tandis que les êtres inférieurs à l'homme sont régis par des lois contrai-
gnantes, la loi qui gouverne la liberté est simplement obligatoire.
§ II. — PREUVE A POSTERIORI OU EXPÉRIMENTALE
A) Par la conscience individuelle : l'existence de la loi morale
et du devoir ressort en clfct de l'analyse des jugements et des sentiments
moraux (0) :
( ') Montesquieu, De l'espril des lois, L. I, Ch. i.
(19) EXISTENCE DE LA LOI MORALE ET DU DEVOIR 43
I. — En face de toute action mauvaise, contraire à notre nature
raisonnable, nous nous sentons obligés de l'éviter, de même qu'en
présence de certaines actions bonnes nous nous reconnaissons
obligés à les faire, de telle sorte que la simple abstention serait un
mal.
II. — Cette loi de la conscience, dans les cas importants et clairs,
est tellement impérative que ni les passions, ni les sophismes ne peuvent
l'obscurcir.
III. — Pour nous prononcer sur une obligation, nous ne faisons aucune
attention aux conséquences heureuses ou malheureuses que l'action
peut entraîner ; nous nous disons : Fais ce que dois, advienne que pourra.
IV. — Après l'action, si elle a été mauvaise, nait le remords ; si elle
a été bonne, la satisfaction morale.
V. — Chacun croit au mérite de toute bonne action et au démérite
de toute action coupable.
VI. — Ceux-mêmes qui, dans leurs paroles ou écrits, traitent la
moralité de préjugé, ne laissent pas de montrer qu'au fond ils y croient,
car il y a des vices dont ils se défendent et des vertus dont ils se font
un mérite. — ■ Or tous ces faits incontestables n'auraient pas de sens si
la loi morale et le devoir n'existaient pas : ce serait des effets sans
cause.
B) Par la conscience universelle : le setis commun moral confirme
le témoignage de la conscience individuelle. Partout et toujours on a
distingué le bien du mal, on a admis que les hommes doivent faire
certaines choses et qu'ils doivent en éviter d'autres, c'est-à-dire qu'on
a cru que la volonté ne relève pas de ses caprices, mais qu'elle est gou-
vernée par une loi. Tout le prouve : les langues qui ont des mots diffé-
rents pour exprimer le bien et le mal, le vice et la vertu : — les écrits des
littérateurs, des historiens, des philosophes qui supposent l'existence
d'une loi supérieure, d'après laquelle on doit juger de l'usage que l'homme
fait de sa liberté ; — les lois civiles, les tribunaux, les institutions qui
supposent également une loi morale (12).
Or cette conviction n'a pu provenir ni de l'influence des passions
intéressées à supprimer la loi morale ; — ni de l'ignorance, car cette
conviction est plus précise chez les peuples cultivés ; — ni de l'influence
des législateurs, parce qu'ils seraient impuissants à imposer un joug
aussi gênant pour les passions et parce que l'on juge de la valeur de leurs
lois par comparaison avec la loi morale ; — ni de l'éducation ou des
préjugés, car ils varient avec les temps, lieux et personnes, tandis que
la nature de la loi morale est universelle et absolue. Cette conviction
doit donc avoir sa raison d^ètre dans l'évidence même de l'existence de
la loi morale, manifestée par la conscience ; autrement, ce serait un
phénomène sans cause.
44 CARACTÈRES DE LA LOI MORALE ET DU DEVOIR (20)
20. — CARACTÈRES DE LA LOI MORALE ET DU DEVOIR
L'existence de la loi morale nous a été manifestée par un ensemble
d'idées et de sentiments qui constituent la conscience morale. Si ces
idées et ces sentiments sont la conséquence nécessaire de la loi morale,
cette loi doit avoir des caractères tels qu'ils expliquent ces idées et ces
sentiments. Comme l'union entre la loi morale et le devoir est très étroite,
on pourra appliquer au devoir les caractères qui conviennent à la loi
morale. — La loi morale est :
L — Obligatoire : la loi de la volonté libre doit tout à la fois res-
pecter la liberté et lui commander. Elle ne doit donc pas imposer une
nécessité physique, comme les lois du monde matériel, aux phéno-
mènes qu'elles déterminent, mais une nécessité ou contrainte morale.
On a toujours le pouvoir de l'enfreindre, mais, en l'enfreignant,- on recon-
naît qu'on n'en avait pas le droit. Ce caractère, qui tient le milieu entre
la nécessité inéluctable des lois physiques et l'autorité négligeable d'un
conseil, s'appelle l'obligation, ou, comme dit Kant, un impératif {^).
On est tenu, mais on n'est pas forcé d'obéir.
IL — Absolue, se suffisant à elle-même, indépendante de toute
condition; c'est-à-dire qu'elle doit être une « fin en soi » (Kant), une
fin dernière. La loi morale doit en effet être la règle dernière et suprême
de notre activité raisonnable, car si elle n'était qu'un moyen pour obtenir
un autre bien, c'est cet autre bien qui serait la règle véritable et par
conséquent la loi morale elle-même. Kant exprime la même idée en
disant que la loi morale est un impératif catégorique et non un impé-
ratif hypothétique. L'impératif hypothétique est un commandement
conditionnel ; mais l'accomplissement de la condition est facultatif,
vg. telles sont les règles de l'intérêt personnel. L'Économie politique
dit : Fais ceci si tu veux devenir riche. Cet impératif n'exprime que la
nécessité relative de prendre les moyens si l'on veut la fin. Pour s'y
soustraire, il suffit de renoncer à la fin : Je ne veux pas m'enrichir. —
L'impératif catégorique, c'est un commandement inconditionnel. 11
exprime une nécessité absolue, indépendante de toute condition. On n'a
donc pas le droit de s'en affranchir ; tel est le caractère de la loi morale.
La loi morale vaut par elle-même. Kant en a déduit cette définition du
devoir : c'est la nécessité morale d'obéir à la loi par respect pour la loi
elle-même. 11 faut donc exclure de la notion du devoir toute idée étran-
gère à la loi morale.
( ') Kant, Critique de la raison pratique. Fondements de la métaphysique des mœurs.
(20) CARACTÈRES DE LA LOI MORALE ET DU DEVOIR 45
III. — Universelle, c'est-à-dire la même pour tous les hommes,
dans tous les temps et dans tous les lieux. Cette universalité, fondée
sur l'identité de la nature humaine, est un corollaire du caractère précé-
dent : si la loi morale est absolue, inconditionnelle, elle est par là même
indépendante de toute condition de personnes, de temps et de lieux.
— Kant a déduit de l'universalité, qu'il regarde comme le caractère
constitutif de la loi morale, cette règle comme critérium du bien et
du mal : « Agis toujours de telle sorte que tu puisses vouloir que la
maxime de ton action devienne une loi universelle. » En efîet, dit-il,
la volonté du mal ne peut s'universaliser : le voleur veut bien voler les
autres, mais il ne veut pas l'être. On peut, au contraire, vouloir le bien
partout et toujours, pour soi et pour les autres. C'est le fond des deux
maximes évangéliques : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez
pas qu'on vous fit à vous-même. Faites à autrui ce que vous voudriez
qu'on vous fît à vous-même. » (42).
IV. — Claire : sa clarté est une conséquence de son universalité.
Étant faite pour tous, elle doit être à la portée de tous, dans ses premiers
principes et leurs applications immédiates.
V. — Praticable : sa possibilité est une conséquence de l'obligation,
car à l'impossible nul n'est tenu.
Conclusion : tels sont les caractères essentiels de la loi morale.
Mais, parmi les motifs divers qui inspirent nos actions, lequel réunit
ces caractères et mérite conséquemment d'être érigé en règle suprême
de notre activité ? Le chapitre suivant donnera la réponse à cette
question.
CHAPITRE III
LE SOUVERAIN BIEN (')
21. — LES MOTIFS DES ACTIONS HUMAINES
La fin de l'activité humaine, le motif de nos actions, c'est le bien.
Mais le bien se présente sous des formes variées. Chacun poursuit le
bien qu'il croit être le meilleur, ce qui est pour lui le souverain bien,
Tc'Ào; i- âecjv, finis bonorum {^). De là vient qu'il y a autant de systèmes
de morale qu'il y a eu de conceptions diverses du souverain bien. Or nous
avons constaté en Psychologie que nos inclinations tendent à une triple
fin : les inclinations personnelles tendent au bien individuel ; les incli-
nations sociales^ au bien altruiste ; les inclinations supérieures, au bien
rationnel. D'où trois grands systèmes de morale : 1^ Morale égoïste
ou utilitaire ; — 2» Morale altruiste ou sentimentale ; — ?fi Morale
rationnelle.
Le bien personnel se manifeste sous la forme du plaisir ou de l'intérêt.
Le plaisir, c'est la satisfaction momentanée d'une de nos inclinations.
L'intérêt c'est encore le plaisir, non le plaisir actuel, sans distinction,
mais le plaisir réfléchi, calculé, réparti sur toute la vie : c'est la recherche
du bonheur personnel. Et le bonheur personnel c'est la satisfaction
de l'ensemble de nos inclinations. • — A côté des inclinations personnelles,
iJ y a les inclinations qui nous portent vers autrui : de là les sentiments
de bienveillance, de sympathie, d'amour de l'humanité. — Enfin nous
éprouvons l'amour du bien imiversel sous dilTérentes formes, le respect
de la loi morale, le bonheur rationnel, l'amour de l'ordre et l'amour de
Dieu. C'est ainsi que tous les motifs des actions humaines se ramènent
à quatre : au plaisir, à l'intérêt, au sentiment, au bien rationnel. Mais,
en dernière analyse," ces divers motifs ne sont que des formes du bien :
le plaisir et l'intérêt, formes du bien personnel ; le sentiment désintéressé,
forme du bien altruiste ; enfin le bien rationnel, forme du bien universel.
II s'agit de déterminer lequel de ces biens est le souverain bien et par
conséquent doit servir de principe à la loi morale et de fin à l'activité
(') AmsTOTE, Morale à Nicomaque, L. I. — Cicéron, De finibus bonorum et malorum.
— SÉNÈQUE, De vila beata. — L. Lessius, De Summo Bono. — Cousin, Du vrai, du beau
et du bien. — P. Janet, La Morale, L. I. — J. Second, L'essence de la morale, Annales
de Philos, chrâl. mars 1895. — Taparelli d'Azeglio, Essai théorique de Droit naturel,
n. 1 sqq. Traduction française, Paris, 1857, T. I, p. 7 sqq.
( ') Ou, connue dit Aristote, la fin en soi, la fin suprême, ro TeXsto'xaTOv {Morale
à Nicomaque, L. I, Cli. vu, n. 3).
n
(21)
TABLEAU DES DIVERS SYSTEMES DE MORALE
47
humaine. Car, de même que dans l'ordre intellectuel, en remontant de
raison en raison, on arrive enfin à un principe premier, évident par
lui-même et qui éclaire toutes les autres vérités ; ainsi, dans l'ordre
moral, en remontant de motif en motif, on parvient nécessairement
à un motif suprême, à un bien absolu, voulu pour lui-même, qui fait la
bonté de tous les actes qu'il inspire.
TABLEAU DES DIVERS SYSTÈMES DE MORALE
PRINCIPES NOMS
O
pq
ci
pq
03
a;
>
O
M
1) Plaisir quelconque :
Aristippe, Fourier.
2) Plaisir de la con-
science : Rousseau,
Jacobi
3) Intérêt personnel :
Épicure . . . .
4) Intérêt bien entendu :
Bentham . . . .
5) Bonheur de Vhuma-
nité : S. Mill.
6) Bien de V individu et
de Vespèce : Spencer.
7) Amour de la société :
DURKHEIM.
8) Entr^aide : h. Bour-
geois
1) Altruisme. A. Comte.
2) Bienveillance : Hut-
CHESON ....
3) Sympathie : A. Smith.
4) Sentiment de V hon-
neur
1) Idéal esthétique : Pla-
ton
2) Bonheur raisonnable :
Aristote ....
3) Obéissance à la na-
ture : Zénon .
4) Respect de la loi :
Kant
5) Bien rationnel : Saint
Thomas
Hédonisme.
Satisfaction morale.
Morale du bonheur.
Utilitarisme.
Utilitarisme rectifié.
Ego-altruisme.
Morale Sociologique.
Morale de la Solidarité.
Morales sentimentales.
Esthétisme.
Eudémonisme rationnel.
Stoïcisme.
Morale formelle.
Morale de l'ordre.
48 l'hédonisme (22)
ARTICLE PREMIER
MORALES égoïstes OU UTILITAIRES
§ I. — MORALE DU PLAISIR
22. — L'HÉDONISME (i)
A) Exposé : c'est la formule la plus grossière de l'utilitarisme.
Au premier rang des défenseurs de la morale du plaisir (ft^ôy-r^ se
placent les sophistes Gorgias et Calliclès, mais surtout Aristippe de
Cyrène, infidèle à la doctrine socratique. Ils mettent le souverain bien
dans la recherche du plaisir immédiat sans regarder aux conséquences ;
ils pensent que la fin de la vie humaine est atteinte quand la sensibilité
est satisfaite. Jouir du plaisir du moment, telle est la loi ; il n'y a qu'à
suivre l'instinct qui nous y pousse.
Cette doctrine a été reprise au xviii^ siècle par d'Holbach, Hel-
vétius, Saint-Lambert ; au xix^ (par les Saint-Simoniens et les Fourié-
ristes. Fourier (-) voulait qu'on laissât les passions se développer sans
entrave, prétendant que ce développement se ferait d'une façon modérée
et harmonique.
B) Critique : I. — La morale du plaisir est fausse dans son principe :
1° Sans doute le plaisir est un bien, mais c'est le bien sensible^
inférieur. 11 n'est pas le souverain bien pour l'homme, parce que la
nature humaine n'est pas réduite à la sensibilité : l'homme a une raison
et une volonté qui demandent aussi leur bien. Faire du plaisir la loi de
notre activité, c'est mutiler la nature humaine et ravaler ses facultés
supérieures.
2° Le plaisir n'est pas une fin, mais un moyen, c'est un résultat et
non un principe. La fin, et par conséquent le bien de l'activité, c'est de
conserver et de développer l'être, en la déployant conformément aux
tendances de sa nature. Le plaisir résulte de l'activité normalement
dépensée, de l'inclination satisfaite. C'est un moyen destiné à stimuler
l'activité, à faciliter à chaque être l'accomplissement de sa destinée.
( ') Platon, Philèbe. — Janet, La Morale, L. I, Ch. i.
(») FouBiER : I Le devoir vient des hommes ; la passion vient de Dieu. » Cf. Théorie
de l'unité universelle.
(23) LA SATISFACTION MORALE : ROUSSEAU, JACOBI 49
L'assigner comme but à l'activité humaine, c'est renverser l'ordre
essentiel des choses, c'est transformer un moyen en fin, c'est mettre Veffet
avant la cause. (Ps. 20, § II, B ; 64, § A).
II. — Le plaisir n'a pas les caractères de la loi morale, car le
plaisir ne peut pas être érigé en règle :
1" Obligatoire : il nous attire, mais ne nous commande pas. Personne
ne se croit tenu, sous peine d'être coupable, de chercher le plaisir.
20 Absolue : il dépend d'une foule de circonstances relatives.
3° Universelle : car il est personnel et variable. Le plaisir de l'un
n'est pas le plaisir de l'autre : Trahit sua quemque voluptas.
40 Claire et pratique : a) quel plaisir chercher, le plaisir calme
ou violent ? de l'esprit ou des sens ? qui jugera ?
h) Le plaisir suppose un ensemble de conditions (santé, loisir,
richesse) souvent difficile ou même impossible à réunir. La règle que
cette doctrine propose n'est donc pas une règle, mais l'absence de toute
règle, puisque le plaisir ne dépend pas de nous.
m. — La morale du plaisir est funeste dans ses conséquences : cette
doctrine, qui se donne comme conforme à la nature, est au contraire
en opposition avec elle, car aucun être n'est fait pour jouir à satiété.
La poursuite aveugle du plaisir, comme le note Platon dans le Philèbe,
conduit à la douleur, au dégoût, au désenchantement, à la folie, au
désespoir. Aussi, Hégésias, disciple d'Aristippe, surnommé « l'orateur de
la mort », avait-il tiré la conséquence logique de la doctrine du plaisir en
prêchant la mort volontaire.
23. — LA SATISFACTION MORALE
A) Exposé : J.-J. Rousseau (^), M™e de Staël, Herder, Jacobi (-)
s'adressent à la sensibilité morale pour déterminer le bien et le mal :'
Est bon tout ce qui plaît à la conscience ; est mauvais tout ce qui lui déplaît.
B) Critique : on appelle cette doctrine la morale du sentiment; ce
n'est au fond que la doctrine du plaisir sous une forme plus élevée,
mais toujours égoïste, la doctrine du plaisir moral.
I. — Le plaisir moral ne fait qu'accompagner ou suivre le jugement
de la conscience. Rousseau prend l'effet pour la cause, les conséquences
de l'observation ou de la violation de la loi morale pour le principe de
la loi : on est content parce qu'on a bien agi, mais on n'a pas bien agi
parce qu'on est content.
(M J.-J. lloussEAU, Emile, L. IV.
( -) Lévy-Bruhl, La philosophie de Jacobi.
50 MORALE DE l'iNTÉRÊT DANS ÉPICURE (24)
II. — Le plaisir moral ne peut servir de règle d'action :
1° Pris en soi il ne diffère pas des autres plaisirs ; il n'y a donc aucune
raison pour le préférer. Plaisir pour plaisir, chacun peut suivre son
attrait : plaisir sensible ou plaisir moral. Il faut chercher au-dessus du
plaisir un motif d'action.
2° Il varie avec les individus : la même action, qui agrée à la sensi-
bilité morale des uns, déplaît à celle des autres. Qui décidera ?
30 Parfois même il fait défaut. Que faire pour convaincre ceux qui
ne l'éprouvent pas ? Son contraire, le remords^ s'émousse aussi dans
les âmes perverties.
§ II. — MORALE DE VINTÉRÊTOU DU BONHEUR PERSONNEL
La morale du plaisir immédiat, accepté aveuglément à la façon
de l'animal, s'est transformée en morale utilitaire. L'homme qui recherche
son intérêt, se propose encore le plaisir, non le plaisir brut, actuel,
mais le plaisir calculé pour assurer le bonheur de toute la vie. L'expé-
rience apprend que certaines jouissances sont funestes et entraînent
parfois des douleurs durables ; qu'au contraire centaines peines sont la
condition de certains plaisirs. Il ne s'agit donc pas de saisir au passage
tous les plaisirs qui s'offrent, sous couleur qu'ils sont des biens, ni de
fuir toutes les douleurs qui menacent, sous prétexte qu'elles sont des
maux ; il faut les considérer par rapport à leurs conséquences utiles ou
nuisibles en vue de l'avenir. Ce qui peut faire le bonheur de toute notre
vie, voilà le critérium du bien et du mal. Épicure est le fondateur de
V utilitarisme. Dans les temps modernes, l'école anglaise professe la
doctrine utilitaire : Hobres (^), Bentham, S. Mill et H. Spencer
en sont les représentants.
24. — MORALE DE L INTÉRÊT DANS ÉPICURE ( 2)
A) — Exposé : Épicure (341-270) admet que le plaisir est le bien
suprême. Mais, tous les plaisirs n'ayant pas la même valeur, il faut
faire un choix entre eux : de là la morale ou art de vivre. Épicure dis-
tingue deux sortes de plaisirs : 1» le plaisir en mouvement (Iv xtv/iaet) :
c'est celui des sens; il est vif, mais fugitif et mêlé de douleur ; — 2° le
( ') IIoBBES, Leviathan. De cive. — Cf. Jouffroy, Cours de droit naturel. Leçons XI,
XII.
( ») Cf. CicÉRON, De ânibus bonorum et malorum, I, 9. — Diogène Laërce, Vies des
philosophes, L. X. — Gvyau, La morale d'Epicure et ses rapports avec les doctrines contem.'
poraines. — E. Joyav, Epicure.
(25) MORALE UTILITAIRE DE BENTHAM 51
plaisir en repos (Iv aTacrst) : c'est celui de V esprit; il est calme, stable,
pur, c'est-à-dire sans mélange de peine ou d'effort. C'est le plaisir de
l'esprit qu'il faut préférer, parce qu'il rapproche le sage de l'idéal de
la vie, qui est l'ataraxie, l'exemption de trouble^ d'inquiétude, de souf-
france : ne pas souffrir, l'indolentia, c'est la volupté suprême. Les dieux
seuls atteignent cet idéal ; le sage doit y tendre et pour cela il doit régler
ses désirs de façon à diminuer ses besoins ; par là même il tarit la source
de ses troubles.
Épicure distingue trois sortes de désirs : l*' naturels et nécessaires :
vg. manger et boire. Il faut les satisfaire et c'est aisé, car « avec un
pain d'orge et de l'eau, le sage rivalise de béatitude avec Jupiter » ;
— 2^ naturels et non nécessaires : vg. désirs de mets recherchés, de riches
parures, affections de la famille. Il faut les surveiller; — 3^ ni naturels,
ni nécessaires : vg. désirs des richesses et des honneurs. Il faut s'en abs-
tenir. La vertu n'a pas de valeur par elle-même ; cependant le sage la
pratiquera, non pour elle-même^ mais à cause du plaisir qu'elle procure (^).
B) Critique : la doctrine d'Épicure est supérieure à celle d'Aris-
tippe, parce qu'elle ne se contente pas de l'instinct pour nous diriger vers
le bonheur, mais qu'elle y ajoute la raison. Elle est fausse pourtant, car :
1° Le plaisir a sa cause dans l' activité normalement déployée, et non dans
l'absence de trouble qui est quelque chose de négatif. (Ps. 20, § II, A).
2° Les plaisirs intellectuels, par exemple, sont le résultat d'un
grand déploiement d'activité.
3° Le plaisir choisi, calculé, l'intérêt en un mot, n'a pas les carac-
tères d'une règle morale (25, B, III).
40 Cette doctrine, austère avec Épicure, retourna, avec ses disciples,
à la morale cyrénaïque (22). C'est logique ; car, en dernière analyse,
l'intérêt se ramène au plaisir. Or si le plaisir est le bien véritable, chacun
le prend où bon lui semble : de quel droit Épicure imposerait-il les
plaisirs calmes ?
25. — MORALE UTILITAIRE DE BENTHAM
A) Exposé : J. Bentham (1748-1832) regarde l'utilité et le bonheur
comme les premiers principes du devoir {^). Le bonheur est pour lui
la plus grande somme de plaisirs diminuée de la plus grande somme de
(M Plutarque, Adversus Coloten, § XXX.
( 2) Bentham, Introduction aux principes de la morale et de la législation. Déontologie.
— CL DuMONT DE Genève, Traité de In législation civile et pénale. — Jouffroy, Cours dt
droit naturel. Leçons XIII, XIV. — E. Halévy, Le Radicalisme philosophique : I. La
jeunesse de Bentham. II. L'évolution de la doctrine utilitaire de 1789 à 1815. — Carrau,
La morale utilitaire. — Raffalovich, Bentham.
52 MORALE UTILITAIRE DE BENTHAM (25)
douleurs. Une action est utile quand la somme de ses conséquences
agréables l'emporte sur celle de ses conséquences pénibles. La vertu
consiste à « maximiser les plaisirs et à minimiser les peines «. La morale
est donc le calcul de Futilité des actes humains et devient une arithmé-
tique des plaisirs. Dans ce calcul il faut tenir compte de la valeur du
plaisir qui dépend de ses caractères. Bentham en énumère sept :
10 Intensité ; — 2° Durée ; — 3° Proximité ; — 4^ Certitude ; —
— 50 Pureté (= plaisir net de toute peine) ; — 6» Fécondité (= plaisir
suivi de beaucoup d'autres) ; — 7^ Étendue (= plaisir susceptible
d'être goûté par un plus grand nombre) (^). Ces caractères sont extrin-
sèques au plaisir, c'est-à-dire font abstraction de la qualité. Pour
Bentham, tous les plaisirs sont homogènes, de même espèce ; leur diffé-
rence vient de la quantité (l^r et 2^ caractères) ou des circonstances
extérieures (5 derniers caractères).
Bentham est loin de négliger la considération du bien social ; ce
n'est pas dans un but désintéressé, mais parce qu'il croit que l'intérêt
personnel et l'intérêt général sont inséparables. En effet, dit-il, en dehors
de la société, l'individu ne peut se procurer ce qui lui est nécessaire
pour vivre ; son bonheur dépend du bonheur des autres. « En travaillant
pour la ruche, l'abeille travaille pour elle-même. » De plus, l'homme
étant un être sociable, ses plaisirs les plus vifs ont leur source dans le
plaisir des autres, soit qu'il le leur procure, soit qu'il en jouisse par
sympathie. La doctrine de Bentham se résume en cette formule : « Le
plus grand bonheur pour le plus grand nombre. » Autrement on fait
un mauvais calcul. L'homme vertueux est « un économe prudent qui
rentre dans ses avances et accumule les intérêts ».
B) Critique : I. — Le calcul de Bentham est impossible : on ne peut
opérer sur des plaisirs comme sur des chifîres ; le plaisir n'est pas mesu-
rable et le nombre par lequel on le représente n'est qu'une abstraction
vide de sens. Voici deux plaisirs qui vous sollicitent : faire une partie
de chasse, assister un ami malade. Essayez de les comparer sous les
aspects dont parle Bentham et vous verrez que le calcul est chimérique.
Toute mesure implique une unité.. Où la prendre ? Elle suppose encore
des choses fixes et invariables. Quoi de plus mobile que les plaisirs et
leurs caractères ? Qui déterminera le coefficient propre à chaque carac-
tère ?
IL — L'intérêt inspire souvent les actions humaines ; mais il n'est
(>) Bentham fait la somme des plaisirs et des peines que produit l'ivresse. Le calcul des
lonséquences qu'elle entraîne montre que c'est une mauvaise affaire. Cf. Déontologie.
Trad. de B. I-aroche, Paris, 1834, T. II, Ch. n. Prudence personnelle, p. 145-146.
(26) UTILITARISME RECTIFIÉ DE S. MILL 53
pas l'unique mobile de notre activité. Nous avons établi en psycho-
logie (50, § I), contre La Rochefoucauld, l'existence d'inclinations
désintéressées.
III. — Supposons que l'intérêt bien entendu obtienne pratiquement
les mêmes résultats que le devoir, il ne pourrait cependant être le prin-
cipe de la loi morale. Notre intérêt, dit Bentham, est d'être laborieux,
sobres, justes ; soit. En suivant cette maxime on pourra être habile,
mais non pas vertueux. C'est le cas de répéter ce que Fonteneller disait
d'un voleur conduit en prison : « C'est un homme qui a mal calculé. >■
C'est que l'intérêt n'est pas :
1<^ Obligatoire, comme la loi morale. On n'est pas tenu d'être habile,
mais honnête homme. « La maxime de l'amour de soi conseille, dit
Kant, la loi de la moralité commande (^). »
2° Absolu : il est relatif aux personnes, aux situations et aux cir-
constances, car l'intérêt c'est l'utile, et l'utile est essentiellement condi-
tionnel.
3° Universel : les intérêts sont souvent opposés et contradictoires.
IV. ■ — Il n'est pas vrai d'ailleurs que l'intérêt et le devoir coïncident
toujours. Il n'est pas vrai que l'honnêteté est, dans tous les cas, la
meilleure des .politiques. Il y a des exceptions. Ordinairement l'intérêt
me conseille de ne pas voler, mais si le besoin est urgent, si la somme
est considérable, si le vol doit passer inaperçu, mon intérêt n'est-il pas
de prendre l'argent ? Toute règle utilitaire n'est donc qu'un impératif
hjpothétique, chacun restant juge en dernier ressort s'il doit lui obéir
ou passer outre.
Cependant, si par intérêt on entend non l'intérêt immédiat, mais
l'intérêt définitif où les sanctions de la vie future entrent en ligne de
compte, l'intérêt véritable consistera toujours à faire son devoir. Dans
ce cas, intérêt et devoir coïncident en fait matériellement. Mais, formel-
lement, l'intérêt reste distinct du devoir comme motif d'action. C'est
le devoir qui doit inspirer nos actes ; le bonheur sera la conséquence
du devoir accompli (40).
26. — UTILITARISME RECTIFIÉ DE S. MILL ( 2)
Stuart Mill (1806-1873) a reproché à la morale de l'intérêt bien
entendu de Bentham d'être : 1» grossière, parce qu'elle ne fait attention
dans le plaisir qu'à la quantité ; — 2" égoïste, parce qu'elle rapporte
( ') Kant, Critique de la raison pratique, L. I, Cli. I, § 8. Traduction Picavet, p. 61,
Paris, 1906'.
( ^) Mill, Utilitarianism. — Cf. Taine, Le Positivisme anglais. Etude sur S. Mill. —
GuYAU, La Morale anglaise contemporaine. — Fouillée, CriliqUe des systèmes de Morale
contemporains. — Caro, Problèmes de Morale sociale, Ch. vi.
54 UTILITARISME RECTIFIÉ DE S. Mll.T, (26)
tout à l'intérêt individuel, même l'intérêt général. S. Mill a essayé de
la rectifier sur ces doux points.
A) H faut tenir compte de la qualité : Bentham, faisant consis-
ter l'utilité et le bonheur uniquement dans la quantité de plaisir,
n'excluait aucune jouissance, pas même les plus grossières. Pour purifier
cette morale « digne seulement de pourceaux », S. Mill introduit un
nouvel élément dans l'évaluation des plaisirs : la qualité. Certains
plaisirs ont une valeur intrinsèque qui les rend préférables à d'autres
plaisirs plus nombreux et plus étendus : telles sont les jouissances de
l'esprit et du cœur comparées à celles des sens. « Il est incontestable
que l'être, dont les capacités pour la jouissance sont basses, est celui
qui a le plus de chances de les satisfaire pleiTiement, et qu'un être doué
de hautes facultés sent toujours qu'il ne peut atteindre qu'à un bonheur
imparfait. Mais mieux vaut être un homme mécontent qu'un pourceau
satisfait ; mieux vaut être un Socrate mécontent qu'un imbécile satis-
fait (1). »
Critique : c'est fort bien dit ; mais un utilitaire n'a pas le droit
de parler ainsi, sans sortir de son système empirique. Il convient, dit-on,
de donner la préférence aux plaisirs délicats et nobles qui donnent
satisfaction aux facultés supérieures. Mais, dans ce cas, ce n'est pas le
plaisir en tant que plaisir, qui est le vrai bien ; c'est ce qu'il y a de délicat
et de noble dans le plaisir et dans les facultés élevées. Les choses différent
donc en excellence et en valeur intrinsèque indépendamment du plaisir
qu'elles produisent. Il y a par conséquent dans les choses un bien anté-
rieur au plaisir, qui nous permet d'établir une hiérarchie entre les plaisirs.
Ce critérium, c'est l'idée de perfection ou d'excellence qui se rapporte
à la raison.
Réponse de Mill : pour parer à cette difficulté, Mill s'est efforcé
de trouver un critérium purement empirique de la qualité des plaisirs.
Il fait appel à un tribunal compétent, composé de ceux^qui ont fait
l'expérience des deux sortes de plaisirs, entre lesquels il faut choisir.
Réplique à Mill : mais un tel tribunal est impossible à constituer,
(^ui le composerait ? Ce ne sont pas les gens toujours vicieux ou constam-
ment vertueux, car les premiers sont incompétents relativement aux
|ilaisirs des facultés supérieures, et les seconds par rapport aux plaisirs
des sens. Il faudra également exclure ceux qui passent d'un genre de
plaisir à l'autre, parce que l'expérience, n'étant pas faite dans les mêmes
conditions, n'est pas concluante. — Quand même on réussirait à trouver
un pareil tribunal, son jugement serait toujours récusable comme entaché
de partialité, parce qu'il est purement empirique et personnel.
Conclusion : donc ou bien l'utilitarisme doit renoncer à son point
(') .s. .Mii.i,, riaHiiritmism, Ch. ii, p. 14, Londres, 1871.
(26) UTILITARISME RECTIFIÉ DE S. MILL 55
de vue empirique et sensible pour recourir au critérium du bien rationnel,
ou se contenter du critérium de la quantité et, par conséquent, se rési-
gner à n'être qu'une morale « grossière ».
B) Bonheur de l'humanité : par intérêt général, on n'entend
évidemment ni l'intérêt de la famille, ni l'intérêt d'une ville ou d'une
province, pas même l'intérêt de la patrie, car ce serait de l'égoïsme
national. Travailler au bonheur des autres, c'est donc travailler au
bonheur de l'humanité. Bentham avait déjà mis en avant le bonheur
de Vhumanité comme règle de la vie morale. Mill a voulu la purifier du
reproche mérité d'égoïsme. Dans la théorie de Bentham l'agent cherchait
son propre bonheur en travaillant pour le bien général. Pour Mill « le
critérium utilitaire ne consiste pas dans le plus grand bonheur de l'agent,
mais dans la plus grande somme de bonheur général, et l'utilitarisme
exige que, placé entre son bien et celui des autres, l'agent se montre
aussi strictement impartial que le serait un spectateur bienveillant et
désintéressé » (^). Il s'approprie, pour résumer sa doctrine, la maxime
évangélique : « Aimez votre prochain comme vous-même. »
Critique : I. — Cette morale est plus élevée et plus pure que celle
de Bentham, car elle exige le sacrifice et le désintéressement. En cela
elle s'accorde avec la morale vraie ; mais la question est de savoir si
l'utilitarisme, confiné dans l'empirisme et la sensibilité, trouve en lui-
même un principe capable d'imposer à l'humanité ce qu'il ordonne.
Or il n'en est rien, car l'intérêt d'autrui n'est pas obligatoire par lui-
même. Pour le rendre obligatoire il faut invoquer un principe supérieur
à l'intérêt. U" utilitarisme humanitaire donne le bonheur comme le bien
suprême de l'homme. Comment peut-il alors me commander de sacrifier,
en cas de conflit, mon bonheur personnel au bonheur général ? C'est
poser d'un côté le bonheur comme la seule chose bonne et désirable,
comme la fin unique et la raison d'être de toute l'activité ; c'est, d'autre
part, exiger qu'on soit toujours prêt, le cas échéant, à sacrifier son
bonheur au bonheur des autres. C'est au nom de mon bonheur me com-
mander de sacrifier mon bonheur. Il y a là une contradiction formelle,
qui montre qu'en s'enfermant dans les considérations de l'intérêt on
ne peut justifier l'obligation morale de sacrifier son bonheur personnel
au bonheur des autres. Il faut donc, de toute nécessité, recourir à un
principe étranger et supérieur à l'intérêt même général.
Réponse de Mill : Mill a vu la difficulté. Il reconnaît, à rencontre
de Bentham, que l'intérêt particulier et l'intérêt général sont loin de
coïncider toujours en fait : vg. l'intérêt public exige que les soldats
se fassent tuer pour défendre la patrie envahie, mais est-ce l'intérêt
personnel de ceux qui se feront tuer ? L'identité des intérêts est un idéal
(•) s. Mill, TJiiliiarianism, Ch. Ii, p. '24, § / miisl.
56 UTILITARISME RECTIFIÉ DE S. MILL (26)
qui n'est pas encore réalisé. Afin de se rapprocher le plus près possible
de cet idéal, il faut qu'une nouvelle organisation sociale harmonise
l'intérêt général et l'intérêt privé et que l'éducation et l'opinion unissent
leurs efforts pour « associer dans l'esprit de chaque individu son bonheur
au bien de tous ».
Réplique : la pratique de la morale utilitaire exige, de l'aveu de Mill,
cette merveilleuse transformation des sociétés. Or un pareil changement
est une utopie irréalisable ; la morale utilitaire est donc impraticable
et chimérique.
IL — L'intérêt général ne peut constituer une règle claire : il est
déjà assez difficile à chacun de calculer ce qui lui est vraiment utile.
Combien plus de déterminer ce qui l'est au bien commun de l'huma-
nité ?
III. — La morale utilitaire est incomplète : elle omet les devoirs
envers Dieu. Quant aux devoirs personnels, elle en fait un simple corol-
laire des devoirs envers la société : il ne faut pas se dégrader, parce qu'un
citoyen dégradé est nuisible à la société. La conséquence logique, mais
inadmissible, serait que les hommes isolés, comme Robinson, ou inutiles
comme tant .d'incurables ou de malades, n'auraient pas de devoirs.
Il est manifeste au contraire que les devoirs envers Dieu et les devoirs
de dignité personnelle sont indépendants de tout rapport avec l'intérêt
général.
I\'. — La morale utilitaire propose un idéal inaccessible à la plupart
des citoyens : le bonheur de l'humanité. Il n'y a en effet que les puissants
et les favorisés de la richesse, les savants, qui peuvent songer à procurer
le bien général de l'humanité. Le commun des mortels sera donc
condamné, au nom de la morale, à vivre sans idéal moral et sans vertu.
— En admettant même que les efforts des petits et des humbles contri-
buent à F avènement du bonheur général de l'humanité, il resterait
néanmoins que la morale assignerait à l'effort de l'homme un but irréa-
lisable. Le bonheur n'est pas de ce monde. L'espérance d'un âge d'or
où la souffrance serait bannie est une chimère. D'ailleurs les générations
présentes auront-elles le courage de se sacrifier complètement pour
préparer l'amélioration lentement progressive de l'état futur de l'huma-
nité ? Ce qui rend les misères de la vie actuelle supportables à l'humanité,
c'est que chacun de ceux qui la composent espère, dans un monde meil-
leur, une compensation à la douleur présente. Mais donner pour fin
unique à l'existence de travailler au bonheur terrestre de l'humanité
actuelle et surtout future, sans autre consolation que d'y contribuer
pour une part infinitésimale, c'est trop présumer des forces humaines :
la masse des hommes est incapable de s'éprendre pour un idéal aussi
décevant et une récompense aussi creuse. C'est pourquoi une pareille
théorie mènerait infailliblement à l'inertie, quand elle n'aboutirait pas
(26) UTILITARISME RECTIFIÉ DE S. MILL 57
au désespoir. L'histoire atteste que nulle doctrine n'a fait plus de déses-
pérés et n'a provoqué plus de suicides que celles des Hédonistes et des
Épicuriens, qui donnaient comme but à la vie le plaisir et le bonheur
en ce monde.
V. — Elle conduit à la violation des droits individuels : comme, prati-
quement, l'intérêt particulier et l'intérêt général sont souvent en désac-
cord, que faire en attendant qu'une nouvelle organisation sociale réalise
cet accord ? On se contentera de rechercher l'intérêt de la majorité^
auquel on sacrifiera impitoyablement les droits de la minorité. Que de
crimes ont été commis ou proposés au nom du salut public !
VI. — L'intérêt général peut être contraire au bien : vg. la motion
de Thémistocle, proposant aux Athéniens de brûler la flotte de leurs
alliés, était une injustice favorable aux intérêts immédiats des Athé-
niens.
VIL — La morale utilitaire aboutit finalement à l'égoïsme : supposons,
en effet, qu'un jour l'harmonie rêvée entre l'intérêt général et l'intérêt
particulier soit pleinement réalisée par suite de la réorganisation sociale,
alors l'intérêt général, se confondant avec l'intérêt particulier, deviendra
notre premier et unique intérêt. La morale de l'utilitarisme humanitaire
retombe donc dans la recherche de l'intérêt personnel, puisque, à cause
de la coïncidence parfaite des deux intérêts, nous n'aurons rien à sacrifier
au bonheur des autres.
Remarque : « On peut dire de tous les philosophes et moralistes,
qui tirent la règle de notre conduite de nos sentiments naturels, qu'ils
suivent, en morale, la méthode des sciences physiques. Ils cherchent
dans l'observation de notre nature psychique la loi qui régit, en fait, les
actions humaines, et ils érigent cette loi de faiten maxime de conduite... »
La morale utilitaire de Stuart Mill est présentée comme le type
accompli de la morale traitée par la méthode des sciences physiques.
Mais, en réalité, cette prétention n'est pas justifiée. En effet, « l'obser-
vation scientifique porte sur ce qui est, sur les phénomènes observables
et sur les relations données entre ces phénomènes. Et cette observation
se fait par les sens. Le savant marche ainsi à l'aveugle, poussé par les
faits vers des conclusions qu'il ne prévoit pas. Le moraliste utilitaire, lui,
observe au dedans de soi les mouvements de l'âme. Or les données de
l'observation intérieure ne sont ni précises, ni primitives. Comment
distinguer, dans ces sentiments, ces opinions, ces habitudes, ces phéno-
mènes infiniment complexes que nous trouvons en nous, ce qui appar-
tient proprement à la nature humaine, ce qui est primitif et fonda-
mental, de ce qui est variable, accidentel, dérivé, contingent peut-être
et voulu au début par une volonté libre ?...
« Ainsi, dans le système utilitaire, d'une part, la morale a perdu sa
grandeur : elle ne peut, sans vice de raisonnement, maintenir les parties
58 MORALE ÉVOLUTIONNISTE DE SPENCER (27)
élevées du code des mœurs ; d'autre part, la méthode scientifique n'a
pas été rigoureusement appliquée (^). »
Il nous reste à parler de deux essais de Morale scientifique, qui font
appel, le premier, à la méthode des sciences naturelles, et le second,
à la méthode de la science sociale.
27. — MORALE EVOLUTIONNISTE DE SPENCER
A) Morale dite scientifique. — Les partisans de cette conception
estiment qu'il ne faut pas établir des règles d'action en dehors de la
constatation des faits et des données de la science. La Morale doit donc
être l'application technique des lois inflexibles que la Psychologie et
la Sociologie ont déterminées. A ce prix, elle sera scientifique. « On n'ira
pas, disent les partisans de la Morale scientifique, chercher dans les
traditions morales, dans les préjugés, des solutions imposées d'avance
aux recherches scientifiques ; on n'érigera pas en maximes impératives
les données confuses et suspectes de la conscience individuelle : on obser-
vera, du dehors, les lois générales du monde et de la vie ; et de ces lois
on déduira celles qui, à leur escient ou à leur insu, régissent nécessai-
rement la conduite des hommes. Herbert Spencer et Darwin nous offrent
ce dernier type de morale. C'est la morale traitée suivant la méthode
des sciences naturelles (^). » Durkheim nous présentera un autre type
de Morale scientifique.
B) Morale Évolutionniste de Spencer ( ^) :
I. — Exposé : pour identifier l'intérêt particulier et l'intérêt général,
S. Mill recourt à l'influence combinée de .lléducation et de l'opinion,
qui doivent associer ces deux idées dans l'esprit et les rendre indisso-
lubles. Spencer, trouvant ce moyen inefficace, invoque pour opérer
cette conciliation une loi de la nature. C'est, d'après lui, une loi nécessaire
et naturelle de l'évolution que les sentiments altruistes sortent peu à peu
de l'égoïsme et finissent par prédominer. L'élément primordial de la
moralité c'est la poursuite instinctive du plaisir ; mais l'expérience
montre à l'homme que le plaisir immédiat est souvent désavantageux ;
il diffère alors sa jouissance pour la rendre plus sûre et plus durable.
L'homme d'ailleurs est fait pour vivre en société ; afin de s'adapter
au milieu social et pour en bénéficier, il doit sacrifier certaines jouis
(') Km. Bouthoux, Questions de Morale et d'Educalion, pp. 41, 42-43, Paris, 1895
( •) Em. BoqTROUx, Questions ..., p. 44.
(*) H. SpENCF-n, Les bases de la Morale évolutionniste. — Carrau, Etudes sur la théorie
de l'évolution, V» Étude. — Cako, Problèmes de morale sociale, Ch. vi, vu. — Fouillée,
Critique des Systèmes de Morale contemporains, L. I.
I
(27) MORALE ÉVOLUTIONNISTE DE SPENCER 59
sances personnelles. Il recherche d'abord le bonheur d'autrui, l'intérêt
général pour les avantages qu'il lui procure. Peu à peu l'habitude finit
par rendre inconsciente cette fin intéressée ; alors l'homme poursuit le
bonheur d'autrui sans retour égoïste : telle est l'origine des sentiments
altruistes. Ils se consolident progressivement et sont transmis hérédi-
tairement. Aujourd'hui, il y a encore conflit entre les instincts égoïstes
et les tendances altruistes. La formule de la loi morale est présentement :
« Vis pour toi et pour les autres. » C'est Yégoaltruisme. Alais, en vertu
même de la loi nécessaire de l'évolution individuelle et sociale, un jour
viendra où les tendances altruistes subsisteront seules ; alors tout conflit
entre l'intérêt particulier et l'intérêt général aura disparu : ce sera le
triomphe complet de l'altruisme, et la formule définitive sera : « Vis
pour les autres. »
II. — Critique : 1^ La nature, d'après Spencer, est égoïste ; s'il
en est ainsi, il est impossible que, soumise à la loi fatale de l'évolution,
elle devienne jamais désintéressée. En nous les tendances égoïstes
luttent contre les tendances altruistes. Les unes et les autres se valent
puisqu'elles sont également le résultat de la nécessité : alors pourquoi
sacrifierait-on l'égoïsme à l'altruisme ? Pour arracher l'homme à l'égoïsme
^'t faire prévaloir l'altruisme, il faut un principe en dehors et au-dessus
de l'intérêt général : il faut que la raison me montre qne le bonheur
général l'emporte sur le bonheur particulier. Mais ce point de vue
rationnel est interdit à l'utilitarisme, qui ne se place qu'au point de vue
de la sensibilité.
2o On ne peut faire sortir l'altruisme de l'égoïsme (Ps. 50, § II).
Aussi les morales de l'intérêt général restent-elles au fond égoïstes.
3° « Si le dernier mot de la morale scientifique ne se rencontre
pas encore dans le darwinisme proprement dit, nous le trouvons enfin
dans nombre de travaux récents où l'évolutionnisme et le darwinisme
sont développés dans un sens scrupuleusement naturaliste. La vraie
morale n'est, à la lettre, que l'histoire naturelle de la moralité, sans aucun
mélange d'hypothèses érigées en règle impérative. Les sciences natu-
relles recherchent les lois qui régissent la formation et les changements
des divers êtres de la nature. Elles nous font voir, sans aucune idée
préconçue, par quelles phases successives ils ont passé pour parvenir
à leur état actuel. On applique purement et simplement cette méthode
de recherche à l'étude de l'être moral. On montre comment nos senti-
ments moraux, qui nous apparaissent comme simples et innés, sont,
en réalité, dérivés et complexes ; et, tant par synthèse que par analyse,
on cherche à les relier aux causes mécaniques de Tunivers.
« Dès lors, la méthode est absolument scientifique, et la morale
comme science est véritablement fondée. Mais le résultat auquel on
arrive est évident, et il est proclamé par le naturalisme lui-même : il n'y
60 MORALE SOCIOLOGIQUE : REPROCHES AUX MORALES THÉORIQUES (28)
a plus de morale. Déjà mutilée dans les systèmes construits d'après la
méthode des sciences physiques, la morale s'évanouit dans ceux qui la
traitent suivant la méthode des sciences naturelles... » (^).
Par exemple, « la charité, comment la défendre ? Elle est absurde
dans un système où la destruction des faibles par les forts est la seule
loi sociale que connaisse la nature, et le seul principe de ce que nous
appelons le progrès. Pratiquer la bienfaisance, c'est-à-dire s'intéresser
aux déshérités, aux infirmes, aux malheureux, c'est travailler à leur
faire une place au soleil, c'est, par ignorance et superstition, tenter de
contrarier la marche fatale de la nature : œuvre insensée et stérile » {^).
(65, §B, III).
28. - MORALE SOCIOLOGIQUE
Ce type particulier de Morale, dite scientifique, a été proposé par
Emile Durkheim {^) sous une forme systématique. Initié à la Sociologie
par des précurseurs français (Comte, Espinas) et par des maîtres
allemands (Wagner, Schmoller, Schaeffle, Simmel), ce philosophe,
rompant avec la méthode et les doctrines du droit naturel, opposa la
science des mœurs aux Morales théoriques, de quelque nom ou patro-
nage qu'elles se parent (*). MM. Lévy-Bruhl (^j, Albert Bayet (*) et
d'autres lui firent écho.
A) REPROCHES AUX MORALES THÉORIQUES
Durkheim et ses partisans leur adressent les reproches suivants :
l"' Les moralistes antérieurs revendiquent pour la morale le titre
et le rôle de « science normative ». Cette prétention n'est pas justifiée,
car il ne peut y avoir de science théorique de la morale. La science,
en effet, est la connaissance de ce qui est : elle recherche les lois qui
régissent les phénomènes. Ses investigations sont spéculatives et désin-
(')(') Ém. Boutroux, Questions..., p. 46-47.
(») Durkheim (1858-1917) : Les règles de la Méthode sociologique, Paris, 1912*. — De
la division du travail social, 1893 ; 1911". — Le suicide, 1912 ^ — Les formes élémentaires
de la rne religieuse. Le système totémique en Australie, 1912. — La Science positive de la
Morale en Allemagne. — Il a fondé, en 1896, la revue L'Année Sociologique. — Cf. G. Davy,
Emile Durkheim, I. L'homme, dans Revue de Métaphysique et de Morale, 1919,
p. 181 -198. II. La doctrine, Ibidem, 1920. — M. Halbwachs, La doctrine d'Emile Durkheim,
dans Revue philosophique, 1918, T. I, p. 353-411.
( •) S. Deploige, Le conflit de la Morale et de la Sociologie, Louvain-Paris, 1911, Ch. v,
p.1122-151.
(*) L. Lilvy-Bruhl, La Morale et la Science des mœurs, Paris, 1903 ; 1913'.
( *) Albert Bayet, La Morale scientifique. Essai sur les applications morales des Sciences
sociologiques, Paris, 1905; 1907'.
(28) MORALE SOCIOLOGIQUE : EXPOSÉ 61
téressées. Or les morales théoriques recherchent les fins que l'homme
doit poursuivre et édictent les règles qu'il doit observer pour les atteindre :
elles sont par essence législatrices. Le concept de « science normative »
est donc contradictoire, puisque science dit seulement connaissance de ce
qui est, tandis que normatif implique l'idée de ce qui doit être (^).
2» Les moralistes déduisent de leur théorie les règles de la conduite
pratique. Mais d'aucune théorie on ne peut déduire tous les préceptes
moraux. Cette insuffisance des théories tient à la méthode employée
par les Moralistes. Ils s'inspirent de conceptions subjectives fondées sur
des inspections superficielles et aboutissent à des théories trop peu
conipréhensives pour faire face à la complexité des applications. La
déduction n'est efficace que dans les cas simples. Mais « pour peu que
les circonstances se compliquent, le raisonnement sera trop maigre au
regard des faits et l'adaptation théorique risquera fort de n'être pas
la meilleure. » (^)
3° Les morales théoriques reposent sur deux postulats inadmis-
sibles : l'identité de la nature humaine et l'homogénéité de la conscience
morale. (^)
Ainsi ces Sociologues critiquent tour à tour la définition, la méthode
et les postulats de la Philosophie morale. C'est pourquoi ils ont assumé
la tâche de substituer une morale scientifique aux morales théoriques,
toutes plus ou moins insuffisantes et entachées d'arbitraire.
B) EXPOSÉ DE LA MORALE SOCIOLOGIQUE {^)
Le fait moral a deux caractères principaux : il est obligatoire et il
est désirable. v< S'il est vrai que le contenu de l'acte nous attire, cependant
il est dans sa nature de ne pouvoir être accompli sans effort, sans une
contrainte sur soi... C'est ce désirable sui generis que l'on appelle cou-
ramment le bien. » (^) Le bien et le devoir sont donc les deux carac-
téristiques du fait moral.
Il faut expliquer ces caractéristiques, c'est-à-dire faire comprendre
d'où vient qu'il existe des préceptes auxquels nous devons obéir, parce
qu'ils commandent, et qui réclament de nous des actes désirables. Or si
(') Lévy-Bhùhl, La Morale..., Gb. i, p. 10-14. Les références se rapportent à l'édition
de 1904.
( *) DuRKHEiM, La science positive de la Morale en Allemagne, p. 277.
(') Lévy-Bruhl, La Morale..., Ch. m, p. 67 sqq.
( *) Durkheim a donné une vue d'ensemble de son système dans une communication
très étudiée, faite à la Société française de Philosophie (Cf. le Bulletin de cette Société,
1906, p. 113-138) sous ce titre : Détermination du fait moral. A cet exposé sont jointes les
Lettres reçues par Durkheim (p. 139-168) et la Discussion générale qui a suivi (p. 169-212).
(') Durkheim, DéterminaHon..., Bulletin, p. 114. — Cf. p. 117-126.
62 MORALE SOCIOLOGIQUE : EXPOSÉ (28)
l'on interroge la conscience morale, on arrive à déterminer les points
suivants :
« 1° Jamais, en fait, la qualification de moral n'a été appliquée
à un acte qui n'a pour objet que l'intérêt de l'individu, ou la perfection
de l'individu entendue d'une façon purement égoïste. 2» Si l'individu
que je suis ne constitue pas une fin ayant par elle-même un caractère
moral, il en est nécessairement de même des individus qui sont mes
semblables et qui ne différent de moi qu'en degrés soit en plus, soit en
moins. 3° D'où l'on conclura que, s'il y a une morale, elle ne peut avoir
pour objectif que le groupe formé par une pluralité d'individus associés,
c'est-à-dire la société, sous condition toutefois que la société puisse être
considérée comme une personnalité qualitativement différente des person-
nalités individuelles qui la composent. La morale commence donc là où
commence l'attachement à un groupe quel qu'il soit {}). »
Cela posé, on peut expliquer les caractéristiques du fait moral :
l*' La société est bonne et désirable pour l'individu qui ne peut
exister en dehors d'elle. Cependant comme elle est supérieure à l'individu,
celui-ci ne peut la désirer sans faire quelque violence à ses tendances
individualistes.
2° Elle est une autorité morale qui communique à certains préceptes
leur caractère obligatoire (2). « Une autorité morale, c'est une réalité
psychique, une conscience, mais plus haute et plus riche que la nôtre
et dont nous sentons que la nôtre dépend. >^ Or « la société présente ce
caractère, parce qu'elle est la source et le lieu de tous les biens intel-
lectuels qui constituent la civilisation » {^). Ainsi considérée la société
est autre chose que la simple somme des individualités qui la composent ;
"elle est transcendante par rapport aux individus. En effet, « s'il existe
une morale, un système de devoirs et d'obligations, il faut que la société
soit une personne morale qualitativement distincte des personnes indi-
viduelles qu'elle comprend et de la synthèse desquels elle résulte.
On remarquera l'analogie qu'il y a entre ce raisonnement et celui
par lequel Kant démontre Dieu. Kant postule Dieu, parce que, sans
.cette hypothèse, la morale est inintelligible. Nous postulons une société
spécifiquement distincte des individus, parce que, autrement, la morale
est sans objet, le devoir sans point d'attache... Toute cette argumen-
tation peut, en définitive, se ramener à quelques termes très simples.
Elle revient à admettre que, au regard de l'opinion commune, la morale
ne commence que quand commence le désintéressement, le dévouement.
Mais le désintéressement n'a de sens que si le sujet auquel nous nous
subordonnons a une valeur plus haute que nous, individus. Or, dans le
(') ( ') DunKiiEiM, Détermina lin n..., Ibidem, p. 115, — Cf. p. 126-136.
(•) DuRKHEiM, Discussion, Ibidem, p. 192. — Cf. Dë<ermtna<ion..., Jbidem/p. 132-133.
(28) MORALE SOCIOLOGIQUE : EXPOSÉ 63
monde de l'expérience, je ne connais qu'un sujet qui possède une réalité
morale plus riche, plus complexe que la nôtre, c'est la collectivité. Je me
trompe, il en est un autre qui pourrait jouer le même rôle : c'est la
divinité. Entre Dieu et la société, il faut choisir. Je n'examinerai pas
ici les raisons, qui peuvent militer en faveur de l'une ou de l'autre
solution qui sont toutes deux cohérentes. J'ajoute qu'à mon point de
vue, ce choix me laisse assez indifférent, car je ne vois dans la divinité
que la société transfigurée et pensée symboliquement » (^). En consé-
quence, « les règles morales ne sont effectivement obligatoires que quand
elles sont reconnues comme telles par l'opinion commune. Aucune
démonstration théorique ne peut leur conférer ce caractère, qui ne peut*
leur venir que des sentiments conformes de tous » (^).
On a objecté à Durkheim que cette manière de concevoir la morale,
excluant la possibilité de la juger, asservit l'esprit à l'opinion régnante.
En effet, si la morale est le produit de la collectivité, elle s'impose néces-
sairement à l'individu qui n'a qu'à l'accepter aveuglément, sans avoir
le droit de s'insurger contre elle.
Voici, en substance, la réponse donnée à cette objection.
La science des mœurs nous fournit les moyens de juger l'opinion
morale et de la redresser. Car la société, que la morale nous prescrit
de vouloir, ce n'est pas la société telle qu'elle s'apparaît à elle-même
dans la conscience collective, mais la société telle qu'elle est réellement
ou tend réellement à être. Or la conscience, que la société prend d'elle-
même dans et par l'opinion, peut être inadéquate à la réalité sous-
jacente, à la véritable réalité sociale. Il peut arriver en effet, par suite
d'un trouble passager, que l'un ou l'autre des principes fondamentaux
de la morale s'éclipse pour un temps de la conscience publique. Mais la
science des mœurs est là, pour en appeler de cette conscience momenta-
nément troublée à ce qu'elle était antérieurement d'une façon perma-
nente, opposer cette permanence à la crise passagère où le principe en
cause a sombré, et, faisant ressortir l'harmonie de ce principe avec
telle condition essentielle de l'organisation sociale actuelle, prouver que
sa méconnaissance prolongée compromettrait l'existence de la société.
Il peut arriver aussi qu'à côté de la morale consacrée par la tradition
surgissent des tendances divergentes. La science des mœurs permet de
juger ces morales opposées : elle montrera, par exemple, que la morale
traditionnelle est une survivance accidentelle qui ne correspond plus à
l'état présent de la société, tandis que les aspirations nouvelles s'harmo-
nisent au contraire avec les changements survenus.
Il est donc des cas où il est loisible de juger l'opinion morale couranle
( ^) Durkheim, Détermination..., Ibidem, p. 128-1-29.
( ') Durkheim, Discussion, Ibidem, p. 177.
64 MORALE SOCIOLOGIQUE : CRITIQUE (28)
et même où l'on peut se croire obligé de la combattre, non seulement
par des paroles, mais par des actes, c'est-à-dire en n'y conformant plus
sa conduite.
Mais on doit maintenir que jamais il ne peut être voulu d'autre morale
que celle qui est réclamée par l'état social du temps. Vouloir une autre
morale que celle qui est impliquée dans la nature de la société, c'est
nier celle-ci et, par suite, se nier soi-même. Or nous avons raison de
vouloir vivre (^).
C) CRITIQUE DE LA MORALE SOCIOLOGIQUE
I. — Ses partisans croient discréditer la Morale en la qualifiant de
Métamorale, parce qu'elle s'appuie sur l'existence de Dieu, l'immor-
talité de l'âme et les sanctions d'une vie future. Nous verrons en méta-
physique que ce ne sont pas là de vaines hypothèses, mais des vérités
solidement établies. (Métaphysique spéciale, Ch. ii et m.)
II. — Le fait moral ne saurait se réduire au fait social. En effet,
certains de nos actes ne se réfèrent pas à une fin sociale. Il y a des
« devoirs d'homme à homme, des devoirs humains (devoirs de justice,
de pitié) que la conscience considère comme extra-sociaux ; il y a des
devoirs individuels de l'individu à l'égard de lui-même (honneur, dignité
personnelle) et des devoirs qui lient directement l'individu à l'individu,
comme tel et non comme membre de la collectivité (amitié, amour).
Dans tous ces cas la conscience admet des obligations extra-sociales,
qui peuvent sans doute être déterminées et modifiées par la vie collec-
tive, mais pour lesquelles la vie collective n'est qu'un milieu d'action,
un point de départ, une base » {^). — Il y a aussi les devoirs personnels
envers Dieu qui ne trouvent aucune place dans le système de Durkheim.
De la doctrine posée résulterait cette conséquence monstrueuse qu'un
individu vivant en dehors de la société n'aurait aucune morale, ne
serait astreint à aucun devoir.
III. — Durkheim reconnaît que le principe d'obligation doit être
supérieur à ceux qu'il oblige. Entre les deux principes qu'il indique.
Dieu, la société, son choix s'est porté sur le second.
Or il est manifeste que la société ne saurait être un principe d'obli-
gation qui s'impose avec une autorité dont les titres sont incontestables,
car, en définitive, elle n'est que la somme des éléments individuels qui
la composent. En effet, les individus humains qui forment une société,
étant égaux par nature, sont essentiellement semblables, et par consé-
quent, ne peuvent, par le fait de leur association, devenir un principe
( •) Durkheim, Détermination..., Ibidem, p. 116; 136-137 ; 116.
(') F. Rauh, Discussion, Ibidem, p. 202. Cf. p. 166, 1".
(38) MORALE SOCIOLOGIQUE : CRITIQUE 65
supérieur, source d'obligation, parce qu'ils n'ont pas changé de nature
en s'associant. C'est donc en dehors et au-dessus de la société, c'est
en Dieu qu'il faut chercher le principe de l'obligation.
Pour répondre à cette difficulté capitale, Durkheim n'a rien trouvé
qui vaille. Qu'on en juge : « La société est une grande personne morale.
Elle nous dépasse non pas seulement physiquement, mais matériel-
lement et moralement. La civilisation est due à la coopération des
hommes associés et des générations successives ; elle est donc une œuvre
essentiellement sociale. C'est la société qui l'a faite, c'est la société qui
en a la garde et qui la transmet aux individus. C'est d'elle que nous la
recevons. Or la civilisation c'est l'ensemble de tous les biens auxquels nous
attachons le plus de prix ; c'est l'ensemble des plus hautes valeurs
humaines. Parce que la société est à la fois la source et la gardienne de
la civilisation, parce qu'elle est le canal par lequel la civilisation parvient
jusqu'à nous, elle nous apparaît donc comme une réalité infiniment
plus riche que la nôtre... » (^). Et après ? C'est un bon argument pour
prouver que l'homme est fait pour la société, où il trouve les ressources
nécessaires au plein développement de ses facultés. Mais du fait que la
société est « source de la civilisation », de quel droit conclure qu'elle
est source de l'obligation ? La civilisation ne confère pas à la société
une transcendance qui s'impose nécessairement aux membres associés,
car la civilisation est quelque chose de changeant, de relatif, par consé-
quent de discutable. L'autorité sociale est représentée par l'opinion
morale commune. Quelle efficacité, surtout quand le devoir exige des
sacrifices pénibles, peut-elle avoir pour décider des volontés hésitantes ?
l^a voix de la conscience collective sera-t-elle assez puissante pour
romprimer les réclamations pressantes de l'intérêt personnel immé-
diat ?
C'est pourquoi la conclusion que Durkheim propose, après avoir
rappelé les bienfaits que nous devons à la société, dénote une candeur
qui étonne de la part d'un savant se disant positiviste : » N'est-il pas
naturel dès lors que nous nous la représentions [la société] comme un
être psychique supérieur à celui que nous sommes et d'où ce dernier
émane ? Par suite, on s'explique que, quand elle réclame de nous des
sacrifices petits ou grands qui forment la trame de la vie morale, nous
nous inclinions devant elle avec déférence (^). »
Un peu plus haut Durkheim avait dit : « C'est de la société que nous
vient tout l'essentiel de notre vie mentale », et il se permet de faire ce
rapprochement impertinent : « Le croyant s'incline devant Dieu, parce
que c'est de Dieu qu'il croit tenir l'être, et particulièrement son être
(M Durkheim, Délemiination..., Ibidem, p. 131.
{ ') Durkheim, Discussion..., Ibidem, p. 19'2.
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. T. II. — 2.
Q(j MORALE SOCIOLOGIQUE : CRITIQUE (28)
mental, son àme. Nous avons les mêmes raisons d'éprouver ce sentiment
pour la collectivité (^). »
De bonne foi, est-ce par déférence pour la société, est-ce pour recon-
naître notre dette à son égard que nous accomplissons nos devoirs
quotidiens, « petits ou grands », spécialement ceux qui sont extra-
sociaux ? Qui donc y songe en vérité ?
IV. ■ — Durkheim a beau dire que la morale commence où commence
le désintéressement, sa doctrine, en fin de compte, doit être rangée
parmi les doctrines utilitaires. Il écrit en effet : « En même temps qu'elle
[la société] nous dépasse, elle nous est intérieure, puisqu'elle ne peut
vivre qu'en nous et par nous. Ou plutôt elle est nous-même, en un sens,
et la meilleure partie de nous-même, puisque l'homme n'est un homme
que dans la mesure où il est civilisé... Ainsi vouloir la société, c'est,
d'une part, vouloir quelque chose qui nous dépasse ; mais c'est en même
temps, nous vouloir nous-même (^). » La morale sociologique n'est donc,
dans son fond, qu'une variante de l'utilitarisme.
V. — Le système renferme une contradiction interne qui le ruine.
La source de la morale c'est, nous dit-on, la conscience collective. Mais
Durkheim reconnaît, nous l'avons vu, que cette conscience peut être
erronée et, dans ce cas, qu'il est légitime de la redresser. Supposons que
tel ou tel s'emploie à ce travail de redressement. Il s'en suivra qu'un
jugement individuel a conféré à certains actes un caractère moral qui a
réformé le jugement de la conscience collective. Alors la moralité ne
dérive plus de la société, mais de l'effort d'un particulier, ce qui est la
négation même du système (^).
A cette objection foncière Durkheim n'a trouvé que cette réponse
qui repose sur une distinction équivoque : La seule raison qui ait « le
droit d'intervenir et de s'élever au-dessus de la réalité morale histo-
rique en vue de la réformer, ce n'est pas ma raison ni la vôtre : c'est la
raison humaine, impersonnelle, qui ne se réalise vraiment que dans la
science... Ce n'est pas l'individu qui parle ici en tant qu'individu, au
nom de ses aspirations personnelles. C'est le savant, l'homme qui parti-
cipe de cette chose impersonnelle qu'est la science (*). »
Pour dégonfler ces grands mots : « raison impersonnelle, science
impersonnelle « et les ramener à leur juste proportion, une simple
remarque suffira. Quiconque cherche loyalement la vérité, qu'il s'agisse,
comme ici, d'un problème moral, ou qu'il s'agisse d'un problème phy-
(') DvnKHZxy, Discussion..., /bidem, p. 192.
( ') DunKHEiM, Détermination..., Ibidem, p. 131 ; 132.
(») A. D.*nLu a poussé vigoureusement cette objection. Cf. Discussion, Ibidem, p. 173-
176.
( •) DuBKHEiM, Discussion, Ibidem, p. 174 ; 175.
(28) MORALE SOCIOLOGIQUE : CRITIQUE 67
sique, doit s'affranchir de tout ce qui peut troubler la rectitude native
de son intelligence : préjugés, amour-propre, suggestions de la sensi-
bilité, etc. A ce prix, il a chance d'arriver à une conclusion, qu'on peut
appeler impersonnelle, si l'on veut, parce qu'elle est vraiment objective.
Mais cette conclusion n'en reste pas moins l'œuvre d'une raison person-
nelle, particulière, et le jugement qu'elle formule reste individuel, quand
même, ce qui n'est pas toujours le cas, il serait le fruit de recherches
scientifiques. Ce n'est pas cette affirmation de Durkheim : « la science
n'est pas la chose d'un individu, c'est une chose sociale, impersonnelle
au premier chef » (^), qui peut changer la nature de cette conclusion
et de ce jugement.
Prenons l'un des cas présentés par lui-même. Un principe fonda-
mental de la morale est rejeté par la conscience publique. On suppose
que quelqu'un, s'appuyant sur la science des mœurs, s'efforce de restaurer
le principe abandonné.
Le voici en présence de deux opinions contradictoires de la conscience
collective : le même principe successivement affirmé et nié. Quel crité-
rium adoptera-t-il pour trancher le différend ? Il ne peut recourir au
jugement collectif de l'opinion, puisque cette opinion s'est formellement
déjugée et contredite elle-même. Force lui est donc, au moyen de sa
raison personnelle, de chercher, en dehors et au-dessus de la société,
un critérium du bien et du mal, du juste et de l'injuste, qui lui permette
de trancher la question, c'est-à-dire qu'il lui faut renoncer au système
lui-même qui est établi sur cette assise fondamentale : la conscience
collective est la source de la moralité et de l'obligation.
Durkheim essaie en vain d'échapper à cette conclusion en disant :
« C'est à la nature vraie de la société » que l'individu réformateur « se
conforme quand il se révolte contre la morale traditionnelle » (^).
Je demande : comment saura-t-il quelle est la nature vraie de la société?
La réalité sociale est la suivante : la conscience collective nie aujourd'hui
ce qu'elle a affirmé hier. Or, comme elle est la source de la morale, son
verdict doit avoir, dans les deux hypothèses, la même valeur obligatoire :
elle a jugé successivement que l'une et l'autre décision sont conformes
« à la vraie nature » de la société. Le jugement collectif étant contra-
dictoire, notre réformateur ne peut en invoquer l'autorité pour clôturer
le débat. Il serait donc, comme tout à l'heure, obligé de recourir aux
lumières de sa raison individuelle, en l'entourant des précautions néces-
saires pour en garantir l'objectivité.
VI. — Ce système, fût-il légitime, serait dans la pratique d'une utilité
(') DuRKHEtM, Déierminaiion..., Ibidem, p. 136-137. Cf. p. 174.
{'') Durkheim, Discussion, Ibidem, p. 174.
68 MORALE SOCIOLOGIQI'E : RÉPONSE AUX REPROCHES (28)
très limitée. Sur ce point les aveux de Durkheim sont très explicites :
(( C'est de la société et non du moi que dépend la morale. Et sans doute
il arrive très souvent que nous sommes obligés de prendre un parti sur
ces questions [de morale] sans attendre que la science soit assez avancée
pour nous guider : les nécessités de l'action nous font souvent une néces-
sité de devancer la science. Nous faisons alors comme nous pouvons,
remplaçant la science méthodique, qui est impossible, par une sommaire,
hâtive, complétée par les inspirations de la sensibilité {^). « Voilà donc
où aboutit tout cet effort scientifique : à une morale de mandarins intel-
lectuels ! Cette élite elle-même est souvent dans l'embarras et, pour en
sortir, elle est réduite à se fier aux suggestions trompeuses de la sensi-
bilité Durkheim est loin du but poursuivi : « Tous mes efforts tendent
précisément à tirer la morale du subjectivisme sentimental où elle
s'attarde, et qui est une forme ou d'empirisme ou de mysticisme, deux
manières de penser étroitement parentes {^). »
D'après les promoteurs eux-mêmes de la Morale scientifique, l'huma-
nité devra attendre longtemps encore avant qu'elle soit constituée.
Mais, pour la faire patienter, on lui promet des merveilles : « Dans un
avenir qu'il nous est à peine permis d'entrevoir, ces sciences [les sciences
sociologiques] seront assez avancées pour rendre possibles des appli-
cations. Des arts rationnels apparaîtront, donnant à l'homme un pouvoir
sur la nature « sociale )^ analogue, sinon égal, à celui qu'il exerce déjà
sur la nature « physique ». Nous en voyons quelques commencements,
encore faibles, en pédagogie, par exemple, et en économie sociale. Dans
l'intervalle, notre société continuera de vivre avec la morale qui lui
est propre (^). »
D) RÉPONSE AUX REPROCHES FAITS AUX MORALES
THÉORIQUES
1» Au premier : d'après M. Lévy-Bruhl,il ne peut y avoir de science
théorique de la Morale, parce que la science recherche, d'une façon
spéculative et désintéressée, les lois qui régissent les phénomènes.
Or cette définition de la science ne convient pas à la Morale, dont la
lonction est de prescrire, c'est-à-dire de déterminer les fins que l'homme
doit jioursuivre, et les moyens à employer pour les atteindre.
( ') Dlrkiieim, Détermination... pp. 137-138 Cf. Discussion, 176-177.
( ") Durkheim, Discussion, p. 176.
(') LÉvy-BnuiiL, La Morale..., p. 290.
I
(28) MORALE SOCIOLOGIQUE : RÉPONSE AUX REPROCHES 69
Il existe, avant l'apparition de toute théorie philosophique, une
morale spontanée (^). « Une société a déjà atteint un certain degré de
civilisation quand la science s'y organise ; mais elle n'a pu, à aucun
moment de son évolution, se passer de règles morales et juridiques.
Avant que ces règles devinssent un objet d'étude, elles s'imposaient
déjà aux hommes dans le milieu où elles se trouvent admises. La tâche
du théoricien de la morale n'est donc pas nécessairement de prescrire
ou de légiférer ; pour édicter des préceptes, il arrive même trop tard :
c'est déjà fait {^). »
Rien n'empêche cependant d'appeler la morale une « science nor-
mative », puisqu'elle détermine les principes et les lois idéales qui doivent
guider la conduite, et trace ensuite les règles [normse) pratiques de
l'action (3, A, Remarque I). La critique du concept de « science nor-
mative » n'a de sens et de valeur que si l'on restreint arbitrairement
le champ de la science aux objets de pure expérience, en tant qu'ils
tombent directement sous l'expérience. Mais la morale en formulant
« ce qui doit être », enseigne « ce qui est », c'est-à-dire la réalité du .
devoir. Or cette réalité est objet à& science par le fait même qu'elle
est une réalité
2'^ Au second : il est dirigé contre ces philosophes qui « se sont
constamment efforcés de faire de la morale une science déductive à
l'image des mathématiques... » (^). Ce reproche vaut, par exemple,
contre J.-J. Rousseau et l'École éclectique de Cousin (^) ; mais il ne
porte pas contre saint Thomas qui recommande de donner pour base
aux études morales l'expérience et la coutume (■^). C'est à l'observation
des faits moraux, d'ordre individuel et d'ordre collectif, que le moraliste
doit demander les documents dont il a besoin. Ce souci du fait concret,
déjà réel chez les Scolastiques anciens, a grandi de nos jours avec les
jirogrès de la méthode expérimentale.
3° Au troisième : nous lui avons déjà répondu en montrant que
les notions et vérités fondamentales de la morale sont universelles et
( ') M. Llivy-Brùlil le reconnaît lui-même : « Sans doute, partout où existent des grou-
pements humains, existent aussi entre leurs membres des relations que l'on peut qualifier
de morales, c'est-à-dire qu'il s'y présente des actes permis ou défendus, en dehors de ceux
(eu petit nombre) qui sont indifférents, et qu'il s'y présente aussi des sentiments de blftme,
il'admiration, de réprobation, d'estime, pour les auteurs de ces actes. Mais il y a fort loin de
CCS faits à la connaissance consciente et réiléchie de « vérités morales », et surtout de
vérités comparables à celles qui jouent un si grand rôle dans les sociétés civilisées. > {La
Morale..., p. 215).
( =) Deploige, Le Conflit..., p. 2SA.
(') liÉVY-BnÛHL, La Morale..., p. 90.
(*) Deploige, Le Conflit..., p. 275-276, 289.,
( ') S. Thomas, Commentar. in Eihic. Aristoteli!^, I, 3, 11. Cf. Deploige, Le Conflit..
286 ; 346-351.
70 LA SOLIDARITÉ : DIVISION (29)
invariables (12) (^). Les variations dans les applications s'expliquent,
d'après saint Thomas, par l'influence des passions, l'inégal dévelop-
pement de la raison et la diversité des milieux {^).
29. — MORALE DE LA SOLIDARITÉ
Le mot solidarité, à parler en général, signifie l'interdépendance qui
existe entre un tout et ses diverses parties, de sorte qu'on ne peut agir
sur l'une d'elles, sans modifier les autres et le tout lui-même.
La solidarité est une loi universelle : elle régit le monde physique
(vg. loi de l'attraction), économique (vg. solidarité entre la production
et la consommation, l'offre et la demande, etc.), physiologique (■') :
Kant définit l'être organisé, l'être où tout est réciproquement fin et
moyen. On la retrouve aussi dans la vie intellectuelle et morale des
individus et des sociétés. Nous insisterons particulièrement sur la soli-
darité morale {*).
§ A. — DIVISION DE LA SOLIDARITÉ
La solidarité exprime la dépendance mutuelle, qui rattache la vie
des hommes, soit à leurs actions antérieures, soit aux actions des per-
sonnes avec lesquelles ils sont ou ont été en relation. De là deux aspects
de la solidarité : elle est individuelle ou sociale.
I. — Solidarité individuelle : la solidarité s'applique à tous
les phénomènes de l'activité psychologique. Nous avons vu que sans
doute il faut distinguer entre eux les faits sensibles, les faits intellectuels
et les faits volontaires ; mais nous avons constaté aussi qu'ils dépendent
les uns des autres, qu'ils ne constituent qu'une seule vie psychologique
où ils sont intimement associés (Psych. 10).
Il y a aussi, dans chaque individu, une solidarité psycho-physio-
logique, parce que, comme dit Bossuet, l'homme est un « tout naturel » (^).
C'est pourquoi, à cause des étroits rapports qui unissent le physique
(') Pour les faits sur lesquels repose cette assertion, voir : V. Cathrein, Die Einheit
des !<ittlichen Bewusslseins der Menschheil, 3 vol., Fribourg-en-Brisgau, 1914.
l'i Dkploige, Le Cimflil..., p. 321 sqq.
(») La fable, Les membres et l'estomac, est un exemple de solidarité organique.
( *) A. D.^.nn', L. Bourgeois, F. Havu, etc., Essai d'une philosophie delà Solidarité. —
rir. OïDK. L'idée de Solidarité. — H. Marion', De la Solidarité morale. — Brunetière,
Discours de combat, 2"^ série ; l'Idée de Solidarité. — Despine, La contagion morale. —
FoynKGRW'E, Solidarité, pitié, charité. — C. Bouglé, Solidarisme et Libéralisme. — P. Budin,
Ch. Gide, etc. Les applications sociales de la Solidarité. — Ch. Brunot, La Solidarité sociale
comme principe des lois. — E. d'Eiciithal, La Solidarité sociale, ses nouvelles formides.
(') Bossi'ET, De la connaissance de Dieu et de soi-même, Ch. m, § 20.
(29) LA SOLIDARITÉ : DIVISION 71
au moral, le corps est solidaire de Tàme, et l'âme est solidaire du corps.
Sans doute l'appareil cérébral n'est pas la cause de la vie mentale,
mais il en est la condition nécessaire, étant donnée l'union actuelle de
l'âme et du corps (Psych. 238-239).
La solidarité est encore manifeste dans Tordre moral : chacun subit
plus ou moins les conséquences bonnes ou mauvaises de ses actes précé-
dents. L'ensemble de nos actions forme une série, non pas infrangible,
puisque l'homme est libre, mais où tout se tient et s'appelle : notre présent
est le fruit de notre passé et il contient en germe notre avenir. Le grand
ouvrier de la solidarité individuelle c'est Vhahitude : tout acte accompli
persiste dans ses conséquences, parce qu'il laisse dans l'âme une facilité
plus grande pour le reproduire (Psych. 218).
IL — Solidarité sociale : elle comprend cet ensemble complexe
d'influences de toutes sortes que les hommes vivant en société exercent
les uns sur les autres.
La sympathie est l'agent le plus efficace de la solidarité sociale :
inclinant chacun à sentir, à penser et à vouloir comme ceux qui l'envi-
ronnent, c'est elle qui rapproche les individus et les maintient à l'unisson.
La solidarité sociale variera avec les diverses formes que peut prendre
la société. On peut distinguer :
A). — La Solidarité familiale ou domestique : elle est constituée
par les influences réciproques des parents et des enfants. Par Vhérédité
l'enfant reçoit de ses ascendants tout un ensemble de tendances et de
dispositions particulières, d'où résultent son tempérament physique
et sa constitution morale. Cependant chacun peut modifier, dans un sens
ou dans un autre, ses tendances et aptitudes héréditaires, par sa libre
initiative, h' éducation est encore, aux mains de la famille, un puissant
moyen de transmettre aux descendants ses principes et ses traditions.
Les enfants exercent à leur tour une action très grande sur leurs parents ;
le sentiment de la paternité et de la maternité développe les plus belles
qualités : prévoyance, ardeur au travail, épargne, dévouement et géné-
rosité. Les enfants ne sont-ils pas entre les père et mère le meilleur
trait d'union ? La solidarité familiale s'étend aussi aux rapports des
enfants entre eux et crée entre frères et sœurs des liens très doux et
très forts. Chaque famille en se perpétuant constitue une personnalité
morale solidairement responsable : les descendants portent plus ou
moins le poids des fautes de leurs ascendants, comme ils bénéficient
de leurs vertus et mérites. C'est ainsi qu'un héritage d'honneur ou de
déshonneur passe d'une génération à l'autre.
B). — Solidarité nationale et patriotique : la patrie est l'agrandis-
sement de la famille. C'est pourquoi la solidarité nationale provient de
rauses semblables, mais leurs actions et réactions sont beaucoup plus
complexes et étendues. En étudiant la notion de patrie (Psych. 45),
72 LA SOLIDARITÉ : DIVISIOK (29)
nous avons énuméré les principaux éléments qui concourent à sa for-
mation : unité de territoire, de race, de langue, de gouvernement, de
croyances religieuses. Chacun d'eux contribue dans une proportion
variable selon les circonstances à constituer l'unité nationale. Mais ce
qui fait surtout la patrie, c'est la communauté de sentiments, d'idées
et de volontés. La solidarité, qui résulte des relations sociales entre
compatriotes, s'applique non seulement au présent, mais encore au
passé, car la patrie est aussi une personne morale dont le patrimoine,
fait de souvenirs, est légué fidèlement par ceux qui disparaissent à ceux
cjui les remplacent (^).
Celui qui entre en société jouit de tous les progrès qui ont été
accomplis, par de longs efforts antérieurs, dans les sciences, le com-
merce, l'agriculture, l'industrie, les arts, etc. C'est un héritage dont
il profite immédiatement. Il est bien juste qu'à son tour, pour acquitter
sa dette de reconnaissance, il s'efforce d'améliorer de tout son pouvoir
l'état social auquel il est si grandement redevable. Chacun d'ailleurs
est dépendant de l'association entière, car personne ne peut se suffire
complètement à lui-même. Il faut que les autres nous procurent ce que
nous ne pouvons produire nous-mêmes. Pour avoir une idée de la dépen-
dance étroite qui nous lie les uns aux autres, il suffit de se rappeler quel
concours nombreux de causes exige la production d'une simple bouchée
de pain (-). On abuse beaucoup actuellement de l'assimilation qu'on
établit entre une nation et un organisme. La solidarité sociale n'a pas
la rigidité ni la fatalité qu'on remarque dans le monde organisé des
végétaux et des animaux ; mais il faut reconnaître cependant que sa
nature justifie par certains côtés la comparaison employée. De même que,
dans un corps vivant, chaque organe réclame le concours de tous les
autres pour le bon fonctionnement de l'ensemble et de ses parties,
ainsi, dans ce vaste et complexe organisme qu'est une société, chaque
individu a besoin de l'aide et de la coopération de ses semblables. De
même encore on peut, dans une certaine mesure, déterminer des lois de
statique et de dynamique sociales (Logique, 104, § 1).
C), — Solidarité humaine : à travers l'espace et le temps, les diverses
nations sont plus ou moins soHdaires les unes des autres, selon l'influence
plus ou moins rayonnante que leur action exerce autour d'elles. Cette
sdlidarité est aujourd'liui i)lus étroite que jamais, à cause de la facilité
et i\(' la rapidité des communications entre les cinq parties du monde,
que les progrès de la science ont développées.
(M Itnr.NETiÈrtn:, Discours de combat, !"• st^rie : l'Iilée de pulrie, p. 121 Sini-. Paris,
lOOG".
(') .r. DE BoNMOT, Le problhne du tnni, L. IV. (11. m, p. 152-153. 2" Éd.
(29^ LA SOLIDARITÉ : PRINCIPE DE LA MORALE 73
§ B. — LA SOLIDARITÉ, PRINCIPE DE LA MORALE
Étant frappés de la place considérable qu'occupe la solidarité dans
le monde, quelques philosophes contemporains (^) veulent la donner
pour base à la morale sociale. En effet, disent-ils :
I. — La solidarité est une loi fondamentale qui régit l'humanité
entière ; or le devoir nous oblige à obéir aux lois ; il faut donc regarder
les autres hommes comme les parties d'un même tout ; il faut faire tous
nos efforts pour les aider, comme il arrive dans un corps bien constitué,
où chaque organe concourt au bien de l'ensemble et des divers éléments
qui le composent. « Tout pour chacun ; chacun pour tous. » Voilà la
règle de la solidarité sociale.
Critique : 1<* Sans doute, la solidarité est une loi naturelle et fatale,
mais ce n'est pas une loi morale. Les solidaristes ont érigé un fait uni-
versel en règle obligatoire pour la volonté, prétendant fonder une
morale scientifique sur une donnée positive. De quel droit ? C'est par
le progrès que l'homme se dégage des conditions imparfaites d'existence
auxquelles il est assujetti par la nature. « Nous étions liés à la terre,
attachés au sol par la pesanteur, et nous avons construit des ballons
qui, demain peut-être, nous permettront de franchir à volonté l'espace
à travers les airs, etc. {^). » L'homme ne se sent donc aucunement
obligé par cela même qu'il se sent dépendant d'une loi naturelle, puisque
tout l'effort de la science consiste à l'affranchir des sujétions incom-
modes de la nature, et que la conscience applaudit à tout succès dans
ce sens. L'existence d'une loi naturelle de solidarité ne peut donc suffire
à fonder nos devoirs envers les autres.
20 Elle le peut d'autant moins qu'il y a une solidarité dans le mal
comme dans le bien : « Les vices des parents forment le milieu moral
où grandit l'enfant, aussi bien que leurs vertus {^). » « Il s'en faut que
tous les effets de la solidarité naturelle soient également bons, salutaires
et justes. C'est la solidarité naturelle qui engendre les maladies et les
vices héréditaires, l'élimination des faibles et la survivance des forts,
abstraction faite de leur valeur morale... (^) » La solidarité n'a donc pas
par elle-même un caractère de moralité et de justice. Il est même des
cas où l'on doit réagir contre les conséquences fâcheuses de la solidarité
( M Cf. Essai d'une Philosophie de la Solidarité, Conférences et Diseussions présidées
par L. Bourgeois et A. CnoisEx, Paris, 190-2.
(=) G. FoNSEGRiVE, Solidarité, pitié, charité, p. 15. Paris, 1904'.
( ') Darlu, Solidarité et Morale personnelle, dans l'Essai d'une Philosophie de la Soli-
darité, p. 125.
( ') ÉM. BouTROux, Rôle de l'idée de Solidarité, dans l'Essai d'une philosophie de la
Solidarité, p. 277.
74 LA SOLIDARITÉ : PRINCIPE DE LA MORALE (39)
naturelle, parce que le legs reçu des ancêtres n'est pas toujours ni de
tout point acceptable.
II. — Les solidaristes insistent et font intervenir, comme tondement
de l'obligation, l'idée d'une dette résultant d'un quasi-contrat : L'homme,
vivant dans la société et ne pouvant vivre sans elle, est à toute heure
un débiteur envers elle. Là est la base de ses devoirs, la charge de sa
liberté (^). Par le fait seul que nous entrons dans la vie, que nous l'accep-
tons avec ses avantages, nous en acceptons aussi les charges et nous
consentons, vis-à-vis de tout le reste de la race humaine, une sorte de
contrat. Le Code civil reconnaît lui-même des obligations de cette nature,
qu'il appelle des quasi- contrais.
Critique : 1° « Nous avons reçu ; nous devons rendre », tel est.
a-t-on dit d'abord, tout le fondement de la morale sociale. Mais les
solidaristes ont bientôt compris que le seul fait d'avoir reçu ne suffit
pas par lui-même à créer une obligation de conscience. Quelle obligation
avons-nous par rapport à l'air que nous respirons, à la terre qui nous
porte, à la plante et à l'animal qui nous sustentent ? — Mais à l'égard
des hommes, insistent-ils, est-ce que nous n'avons pas des obligations ?
— Assurément ; mais ce n'est pas par le simple fait de la solidarité, qui ne
saurait justifier le lien moral unissant les hommes. Aussi les solidaristes
ont-ils finalement recours à une autre considération : ils font intervenir
un quasi-contrat. L'homme vivant en société ne peut profiter des bien-
faits qu'elle lui procure, sans la payer de retour, car la justice condamne
une attitude égoïste. — Fort bien, mais c'est là sortir du pur fait de la
solidarité, c'est recourir à un principe moral qui la dépasse, et partant
reconnaître sa radicale insuffisance. L'exemple du quasi-contrat est
d'ailleurs mal venu : il s'applique, d'après le Code, non pas à des néces-
sités naturelles, mais à « des faits purement volontaires » {^). La soU-
darité, au contraire, repose sur des nécessités naturelles : les solidaristes
en imaginant un quasi-contrat à la base de la dette de chaque individu
envers la société, en supposant un consentement de volontés réciproque,
émettent donc une hypothèse en contradiction avec l'origine de la soli-
darité qui découle de certaines exigences impérieuses de la nature.
20 Une dette d'ailleurs n'impose un devoir strict de restitution
qu'autant que le prêteur est bien nettement déterminé et qu'il a eu
l'intention d'obliger. Or, dans la doctrine des solidaristes, le prêteur,
c'est tout le monde et ce n'est personne. A qui rendre ? Où sont, par
exemple, u les héritiers de Gutenberg et les ayants droit de Stephenson ?
(') L. Bourgeois, L'Idée de Solidurilé et ses conséquences sociales, dans Essai d'ime
J'hxloMphie de la Solidarité, p. 30-31 ; 40-41 ; 45 sqq. ; 78 sqq.
( '■) " Los fniasi-contrals sont les faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte
nii t;iit,'aKciiiciil quelronaue envers un tiers, et quelquefois un engagement ;'éciproque
(Milre (l'Mix parties. ■ (Article 1371 du Code civil.)
(29) LA SOLIDARITÉ : CONSÉQUENCES PRATIQUES 75
Car, à leur défaut, lequel d'entre nous a le droit de recouvrer leur créance
ou d'en opérer la liquidation ? ;■ (^) — De plus, ce qui fait la valeur
morale d'une action c'est surtout l'intention qui l'inspire. Sans doute
nous bénéficions des efforts et des peines de nos devanciers. Mais ont-ils
travaillé, en général, dans le dessein d'être utiles à l'humanité ? N'ont-
ils pas d'abord et même exclusivement songé à eux-mêmes et à leur
propre descendance ?
3^ Cette morale aboutit à un vulgaire utilitarisme, car, en fin de
compte, c'est parce que les autres hommes, mes contemporains, me sont
utiles, que je dois moi-même leur rendre service. Nous voilà revenus à la
formule égoïste : Do ut des. Mais si je constate que le travail de tel ou
tel de mes concitoyens ne m'est point profitable, suis-je donc dégagé
de toute dette à leur endroit ? Aussi on a justement reproché à cette
doctrine de ne pas faire la part du sacrifice et du dévouement (^).
Conclusion : il résulte de tout ce qui précède que le fait seul de la
solidarité ne peut donner à la dette sociale son caractère obligatoire.
C'est pourquoi nombre de solidaristes n'imposent la solidarité qu'au
nom d'un principe supérieur, au nom d'un idéal de justice. Très bien ;
mais à la condition d'ajouter que cet idéal n'est vraiment impératif
que s'il nous apparaît comme l'expression d'une volonté souveraine
indiscutable, la volonté de Dieu qui a établi entre les hommes une étroite
solidarité, afin qu'ils s'aiment et s'aident comme les enfants d'une même
famille.
§ C. — CONSÉQUENCES PRATIQUES
Si la solidarité ne saurait être regardée comme le principe de la morale,
le fait de son existence et sa portée universelle auront du moins l'avan-
tage de nous éclairer sur l'étendue de nos devoirs et de notre responsa-
bilité :
1. — La constatation de cette solidarité est d'abord une leçon de
modestie pour nous et d'indulgence pour les autres. Si nous avons
quelque valeur, comment ne pas reconnaître qu'une part en revient à la
famille et au milieu social dans lesquels nous avons grandi ? — Quand
nous serons témoins des défaillances des autres ou que nous découvrirons
des tares dans certains individus, ne soyons pas trop sévères envers
eux. Leur responsabilité personnelle est peut-être atténuée : qui sait
s'ils n'ont pas hérité de leurs ascendants des tendances pernicieuses et
(') Brunetière, Discours de œmbat, 2» série : l'Idée de solidarité, § II, p. 67,
Paris 1907".
(') Darlu, Solidarité et Morale personnelle, dans l'Essai d'une philosophie de la soli-
darité, p. 127.
/G
ROLE DU PLAISIR EN MORALE (30)
des tempéraments viciés qui excusent ces misères et ces hontes ? Il faut
les plaindre et concourir à leur relèvement.
II. Vne vue plus approfondie des rapports du physique et du
moral et une connaissance plus complète des conséquences où conduit
la solidarité psycho-physiologique, peuvent aider à prévenir les excès
et intempérances qui, en ruinant les forces du corps, ont un contre-coup
funeste sur l'exercice des facultés de l'àme : Me?is sana in cor pore sano.
III. Il y a longtemps que la sagesse populah'e a dit : Bon chien
chasse de race. Sans, doute, on a mis sur le compte de l'hérédité beaucoup
de résultats qui s'expHquent par l'éducation, les exemples et l'initiative
personnelle. Reste vrai cependant que les parents transmettent à leurs
enfants certaines qualités et certains défauts, une constitution saine
ou débilitée (Psycii. 212, p. 407, Remarque). La statistique montre par
exemple que les alcooliques font souche de dégénérés, d'épileptiques,
d'aliénés. Le souvenir de cette responsabilité qu'on encourt vis-à-vis
de ses descendants est un efficace stimulant à la vertu.
IV: — D'une manière générale, si l'on a une claire notion de la loi
de solidarité universelle, si l'on se rappelle que la moindre action dans
le monde moral, comme dans le monde physique le plus petit mouvement,
a sa répercussion dans l'ensemble, si l'on songe que chacun des actes
que nous posons prolonge ses effets bons ou mauvais, de proche en
proche, par une diffusion inévitable, dans le temps et dans l'espace,
la conséquence nécessaire sera un redoublement de vigilance pour
éviter le mal et d'énergie pour pratiquer le bien.
Conclusion : puisque la solidarité a des résultats d'une portée
incalculable qui accroît notre responsabilité, puisqu'en agissant nous
engageons non seulement notre avenir, mais celui des autres, ce nous
est une raison très puissante de travailler avec ardeur à notre perfec-
tionnement moral. Sans doute les solidaristes, en voulant donner la
solidarité pour principe à la morale sociale, sont tombés dans une grande
erreur ; mais du moins, en faisant ressortir les bienfaits de la société
pour l'individu, ils ont contribué pour une part à l'heureuse réaction
qui s'opère contre les excès de l'individualisme tant prôné par la Révo-
lution.
30. — ROLE DU PLAISIR EN MORALE
Nous avons montré que le i)laisir ne pouvait être le fondement du
devoir (22, 23). Il a cependant un rôle dans la vie morale ; c'est le rôle
(V auxiliaire, car c'est un stimulant énergique de l'activité ; la satis-
faction morale du devoir accompli nous engage à pratiquer la vertu.
Si la vertu était toujours sans charmes, le courage faillirait à la tâche.
(31) ROLE DE l'intérêt EN MORALE 77
C'est un fait d'expérience qu'on ne remplit jamais son devoir avec plus
d'entrain que lorsqu'il nous est agréable. L'homme vertueux n'est-il
pas « celui qui prend plaisir à faire des actes de vertu » ? C'est donc,
dans le dessein de Dieu, un moyen d'intéresser l'être à sa destinée. Il ne
faut pas rechercher le plaisir moral comme une fm, effet et récompense
du bien accompli, il faut s'en servir comme d'un moyen (^) pour mieux
faire à l'avenir.
31. — ROLE DE L'INTÉRÊT EN MORALE
L'intérêt est, selon le mot de Cousin, « ce ressort qui nous pousse
à rechercher en toutes choses notre plaisir et notre bonheur » {^). Le
bonheur c'est la satisfaction harmonique et durable de toutes nos incli-
nations, mais principalement de nos inclinations personnelles. Nous
avons vu que l'intérêt ne pouvait être le principe de la vie morale
(25, B, III) ; mais il ne s'ensuit pas qu'il en doive être complètement
exclu et qu'il n'y joue aucun rôle.
§ A. — CEST UN AUXILIAIRE
I. — Il est légitime de rechercher ce qui est utile, car la raison veut
que nous conservions notre être et que nous le développions. Or le grand
moteur du progrès individuel et social, c'est l'intérêt. C'est lui qui pousse
sans cesse l'homme à améliorer sa position sur la terre (^).
II. — Ordinairement la vertu est avantageuse, dès ici-bas, à celui
qui la pratique, parce que la morale ne prescrit rien à l'homme qui
ne soit d'accord avec son intérêt bien entendu : Qiiidquid honestum est
idem utile videtur, nec utile quicquam, quod non honestum (^). C'est là
un auxiliaire précieux pour la vie morale.
III. — Il n'est pas toujours vrai que le devoir coïncide avec nos inté-
rêts immédiats ; mais, si l'on fait entrer en compte les sanctions de la
vie future, il est certain que, définitivement, il y a accord parfait entre
la vertu et le bonheur, entre l'honnête et Futile. On a tiré de là une
objection contre la vertu.
( ') Platon, Gorgias : Twv àyaOwv apa e'vexa $el /.ai xaXXa xai Ta Yj^Éa TipatTeiv,
àXA'où TayaOà rtov -^loscov. « C'est en vue du bien que tout doit être fait, même ce qui
est agréable, mais ce n'est pas en vue de l'agréable, que le bien doit être fait. »
{') Cousin, Du vrai, du beau et du bien, III'? P., XII"^ Leçon.
(') Ferraz, Philosophie du devoir, L. III, Ch. i, p. 120 et sq.
(♦) CicÉRON, De officiis, L. III, § IV, ti la lin. Cf. § VIII, § XXX, à la fin.
ROLE DE l'intérêt EN MORALE " (31]
§ B. — OBJECTION CONTRE LA VERTU 0)
I. • — Exposé : certains moralistes comme les Stoïciens, les Quiétistes,
Kant et autres repoussent tout point de vue intéressé dans l'observation
de la loi morale, surtout l'espérance d'un bo^lleu^ éternel ou la crainte
d'un malheur éternel, fondée sur la croyance à l'immortalité de l'âme.
D'après Kant, l'action, considérée en elle-même, dans sa matière, n'a
pas de caractère moral. Ce caractère lui vient de sa forme, de V inten-
tion dans laquelle elle a été faite. Or l'intention est toujours mauvaise,
quand elle est intéressée : alors elle peut être légale, matériellement
conforme à la loi ; elle n'est pas morale. Une action n'est morale que
>i elle est accomplie uniquement par respect pour la loi, par amour du
devoir.
II. — Réponse : A) Cette objection est mal fondée. En principe,
agir par l'unique motif du devoir, préférer la vertu au vice, alors même
que, par impossible, elle ne serait suivie d'aucune récompense, c'est la
perfection. — Agir au contraire par l'unique motif du bonheur, en
excluant formellement l'amour du devoir, dans la disposition intérieure
de violer la loi s'il n'y avait pas de châtiment, c'est faire un acte cou-
pable, car c'est exclure l'idée du bien. — Mais l'espérance du bonheur
final, motif intéressé, peut se surajouter à l'amour du bien en soi :
elle n'est, dans ce cas, ni l'unique, ni même le principal motif. Je puis
faire mon devoir d'abord et surtout parce que cela est bien, et ensuite
parce que j'en serai récompensé. C'est agir d'abord par le motif du devoir,
s'exciter ensuite à l'accomplir par l'espoir de la récompense ou la crainte
du châtiment : où est le mal, étant donné que l'intérêt est subordonné
au bien ? — Bien plus, un acte fait d'abord en vue de la récompense,
sans exclure positivement l'amour du devoir, est bon moralement ;
mais il est moins parfait, parce que le motif intéressé est prédominant.
La raison en est que le bonheur poursuivi est un bonheur digne de
l'homme. C'est un bonheur qui résulte de la satisfaction de ses tendances
raisonnables ; il exige le sacrifice de plaisirs immédiats et de tendances
agi-éables, mais opposées à la raison. Le bonheur et le bien ici se confon-
dent ; poursuivre son bonheur, c'est travailler à sa perfection morale,
car, comme dit Descartes : « La vraie félicité est la satisfaction qui suit
( ') Kant, Critique de la raison pratique, I" P., L. I, Ch. i, m. Fondements de la méta-
physique des mœurs, II« Section. Doctrine de la vertu, Introd., Art. 5. — L. Roure, Doctrines
et problèmes, Ch. vu, Vertu kantienne et vertu chrétienne. — Ch. Daniel, La morale philo-
>iophique avant et après l'Evangile, dans les Etrides, 1856, T. I. — Sur le Quiétisme,
Cf. O. LoNGHAYE, Histoire de la littérature française au XVII' siècle, T. III, L, VI, Ch. m,
p. 347-365.
I
(31) ROLE DE l'intérêt EN MORALE 79
l'acquisition de la perfection. » Les adversaires de cette doctrine oublient
que le bonheur final auquel nous aspirons et le bien en tant qu'il com-
mande nos actes libres sont en réalité un seul et même objet, sous deux
aspects différents. Cet objet, c'est l'Être infini, absolu, c'est Dieu même.
Il est sans doute plus parfait de pratiquer la vertu par amour du bien,
en faisant abstraction de la récompense ; c'est l'idéal de la perfection,
réservé à l'élite. Mais il est légitime de pratiquer la vertu en recherchant
le bonheur qui y est attaché, car ce bonheur se confond avec notre per-
fection morale, avec le bien : c'est l'idéal proportionné à la commune
faiblesse. Celui que Kant propose est chimérique ; il se condamne
d'ailleurs lui-même en disant que peut-être aucun acte de vertu n'a été
encore fait (^).
B) Cette doctrine entraîne une mutilation de la nature humaine.
que la morale ne peut commander. — L'homme est tout ensemble
sensible et raisonnable. Pourquoi donc exclure des motifs d'action le
motif du bonheur, quand il est conforme ou subordonné au devoir ?
Imposer le sacrifice du bonheur, c'est imposer le sacrifice de la sensi-
bilité (^). C'est d'abord sacrifier les inclinations personnelles, dont
le bonheur est la satisfaction. C'est, par contre-coup, sacrifier aussi les
inclinations altruistes, car comment celui, qui se désintéresserait tota-
lement de sa destinée, pourrait-il s'intéresser à celle des autres ? Cette
théorie va donc à mutiler l'âme humaine. De quel droit ? N'est-ce pas
avec « l'âme tout entière « qu'il faut aller au devoir ? Ce serait d'ailleurs
une obligation impraticable. Comment arracher du cœur de l'humanité
l'instinct du bonheur ? < Tous les hommes désirent être heureux ; cela
est universel et sans exception » (Pascal).
Conclusion : 1° Le devoir seul en vue en faisant abstraction de
la récompense.
2» Le devoir d'abord en vue, puis la récompense.
30 La récompense d'abord en vue, puis le devoir.
40 La récompense en vue, sans exclure le devoir.
50 La récompense seule en vue, en excluant le devoir.
Telle est la hiérarchie de la perfection morale : partout où la récom-
pense et le devoir coïncident, l'acte est bon moralement ; là où il y a
exclusion du devoir, l'acte est mauvais. L'acte est plus ou moins parfait
selon que l'idée du devoir brille seule ou au premier rang.
(M Fondements de la métaphysique des mœurs : « Peut-être il n'y a pas eu sur ia terre
un seul acte de véritable vertu, un seul acte fait par respect de la loi ■ (Trad. Barni, p. 36).
( ') On connaît l'épigramme de Schiller : « J'ai du plaisir à faire du bien à mon voisin,
cela m'inquiète : je sens que je ne suis pas tout à fait vertueux 1 «
80 COMPARAISON ENTRE LE PLAISIR ET l'iNTÉRÊT (32)
32. — COMPARAISON ENTRE LE PLAISIR ET LINTÉRÊT
Le plaisir c'est la satisfaction passagère d'une de nos inclinations.
L'intérêt c'est la satisfaction durable et ordonnée de toutes nos incli-
nations, surtout des inclinations personnelles.
Les différences qui séparent la morale du plaisir et la morale de
l'intérêt découlent de ces définitions :
L — La morale du plaisir ne fait appel qu'à Yinstincl, qu'aux impul-
sions de la sensibilité. La morale de l'intérêt fait une part à V intelligence
et à la volonté. S'il veut bien servir ses véritables intérêts, l'homme doit
user de toute son intelligence pour discerner ce qui lui est réellement
utile, pour calculer et combiner ses moyens d'action de manière à
obtenir la plus grande somme possible de bonheur. Il doit recourir
aussi à la volonté pour tenir en bride les passions qui préfèrent leur
satisfaction immédiate et partielle au lieu d'attendre de l'avenir une
satisfaction plus complète.
IL — Le principe de i'intérêt imprime à la conduite et à la vie plus
de suite et d'unité. L'homme de plaisir, sous l'impulsion changeante
de ses désirs, mène au contraire une vie irrégulière et capricieuse.
m. — Le principe de l'intérêt est le plus grand ressort du progrès
individuel et social : il pousse l'homme au travail et à l'épargne pour
acquérir aisance et fortune. La poursuite de la jouissance prochaine
est incompatible avec le travail qui exige un efïort et aA^ec l'épargne
qui est une privation. L'homme de plaisir ne veut pas difîérer sa jouis-
sance, même avec la perspective très probable de l'accroître et de la
rendre durable, car il a pour règle de conduite cette maxime :
Un tiens, ce dit-on, vaut mieux que deux tu F auras ;
L'un est sûr, Vautre ne Vest pas.
IV. — Sur nombre de points l'intérêt est d'accord avec le devoir et
coïncide matériellement avec lui ; il ne peut cependant être le principe
suprême de la morale, car il est égoïste et se résout finalement en plaisir,
puisqu'il n'est au fond que la recherche méthodique d'un plaisir durable.
ARTICLE II
MORALES ALTRUISTES OU SENTIMENTALES
S. Mill et Spencer ont vainement essayé de rendre la théorie utilitaire
altruiste en la présentant sous forme de morale de l'intérêt général :
au fond, elle reste égoïste. D'autres philosophes, comme A. Comte,
(33-34) MORALE DE LA BIENVEILLANCE DE HUTCHESON 81
Hutcheson, A. Smith, ont cherché le principe de la loi morale dans
des sentiments désintéressés comme ramour des autres, la bienveillance,
la sympathie, etc. (^).
33. — L'ALTRUISME DE COMTE
A) Exposé : d'après Comte (1798-1857) {^) l'humanité est faite pour
vivre en société ; la société est impossible sans le dévouement et le sacri-
fice. L'altruisme est donc une conséquence obligatoire de cette tendance
naturelle à vivre en société. L'individu ne vit qu'en elle et par elle ;
il doit conséquemment ne vivre que pour elle. La formule de la loi
morale sera donc : « Vis pour les autres », « Dévoue-toi à l'humanité ».
B) Critique : 1^ Sans doute l'individu doit faire des sacrifices au
bien commun, mais l'individu a aussi des dj-oits personnels, qu'il ne
peut pas toujours sacrifier à ses semblables. Or le système de Comte
a pour conséquence logique de supprimer tout droit individuel et de
méconnaître complètement la valeur de la personne humaine. Pour
lui <i nul ne possède plus d'autre droit que celui de toujours faire son
devoir » (^).
2» La maxime du sacrifice universel aboutit à une contradiction.
Si tous les hommes doivent se sacrifier complètement aux autres, per-
sonne ne doit vouloir accepter le sacrifice d'autrui. Ualtriiisme (le mot
est de Comte lui-même), ainsi compris, est impraticable.
3° Pour Comte, V Humanité est un être' transcendant, « le Grand
Être », comme il dit, auquel les individus doivent se sacrifier. Inutile
de discuter une conception si manifestement extravagante.
34. — MORALE DE LA BIENVEILLANCE DE HUTCHESON
A) Exposé : les hommes ayant une inclination naturelle à vouloir
du bien à leurs semblables, tout ce qui satisfait ce sentiment est bon,
d'après Hutcheson (1694-1747), philosophe écossais ; tout ce qui le
contrarie est mauvais. Le devoir qui résume tous les autres, c'est l'amour
des hommes, le dévouement (*). L'instinct de la bienveillance est donc
le principe de la morale.
(M Cousin, Du vrai, du beau et du bien, Xlll' Leçon.
( ') A. Comte, Cours de philosophie positive. Système de philosophie positive. — Thamin,
Education et Positivisme. — H. Gruber, Auguste Comte.
(') Système de Politique positive : Conclusion générale du Discours préliminaire, T. I,
p. 361, Paris, 1890.
( *) Hutcheson, Système de philosophie morale. Recherches sur les idées de beauté et de
vertu. Hutcheson avait été précédé dans cette tentative de réaction contre la morale égoïste
de HoBBES, par Shaftesbury (Recherches sur la vertu). — Cf. Jouferoy, Cours de droit
naturel, XI X« Leçon.
r
82 MORALE DE LA SYMPATHIE d'aDAM SMITH (351
B) Critique : la morale de la bienveillance est incomplète, car :
10 Elle omet les devoirs de l'homme envers soi et envers Dieu.
2» Tous les devoirs envers autrui ne sont pas réductibles à la bien-
veillance : vg. les devoirs de justice. Quand on doit de l'argent à quelqu'un,
on ne fait pas un acte de charité en le lui rendant.
30 Elle ne peut fonder aucun devoir, pas même ceux de charité,
car la bienveillance n'est qu'un sentiment ; or le sentiment ne se com-
mande pas. On ne peut obliger les hommes à éprouver de la bienveil-
lance ou à l'éprouver plus fortement qu'un sentiment intéressé, si en
fait ils ne l'éprouvent pas ou l'éprouvent peu.
35. — MORALE DE LA SYMPATfflE D'ADAM SMITH
§ 1. — EXPOSÉ
On peut envisager la sympathie au point de vue :
A) Psychologique : c'est d'après Adam Smith (1723-1790), écono-
miste et philosophe écossais, « un instinct qui nous porte à nous mettre
en harmonie d'impression avec nos semblables » (^). La sympathie ainsi
entendue n'est donc pas un sentiment particulier ; c'est la propriété
qu'ont tous les sentiments de se propager d'une âme à une autre (Ps. 42,
§11).
B) Moral : partant de ce fait que l'homme est sympathique à
l'homme, c'est-à-dire que l'homme souffre des souffrances de ses sem-
blables et qu'il se réjouit de leurs joies, Smith en conclut que toute
action qui excite la sympathie est bonne et que toute action qui excite
l'antipathie est mauvaise. C'est qu'au fond la souffrance est un signe
de l'amoindrissement de l'être et la joie un signe de son développement.
On éprouve du plaisir à partager les sentiments d'autrui et surtout à voir
ses propres sentiments partagés. L'absence de sympathie est pénible.
On désire la sympathie des autres.
Par là s'expliquent les faits moraux comme :
a) L'approbation : approuver les actions d'autrui ou les désap-
prouver c'est reconnaître que nous sympathisons ou ne sympathisons
pas avec elles ; car nous ne les jugeons convenables ou inconvenantes
que dans la mesure où nous sympathisons avec elles.
b) L'obligation : c'est le sentiment de contrainte pénible que nous
ressentons à la pensée d'une action dont le motif exciterait l'antipathie
des spectateurs.
( ") A. Smith, Théorie des sentiments moraux. — ■ Cf. Jouffroy, Cours de droit naturel.
Leçons XVI, XVII, XVIII.
(35) MORALE DE LA SYMPATHIE d'aDAM SMITH 83
c) Le mérite et le démérite : quand nous voyons un homme l'aire
du bien à un autre, notre sympathie est double : nous sympathisons
avec le bienfaiteur et avec l'obligé. Le sentiment de l'obligé c'est le désir
de rendre le bien pour le bien. Avec l'obligé nous souhaitons du bien
au bienfaiteur : nous jugeons qu'il mérite une récompense. — Quand
nous voyons un homme faire du mal à un autre, notre sympathie va
à l'ofîensé et nous souhaitons avec lui que le mal soit rendu à l'offenseur ;
nous jugeons donc qu'il est digne d'un châtiment, qu'il démérite.
La sympathie pour être morale doit être : 1^ Pure : il n'y a d'action
absolument bonne que celle qui excite une sympathie sans réserve.
2» Universelle : l'action vraiment bonne mérite l'admiration de
tous. « La bonté d'une action, dit Jouffroy résumant la théorie de Smith,
est en raison directe de l'assentiment qu'elle excite dans les autres
hommes, et les actions les meilleures sont celles qui sont de nature à
obtenir la sympathie la plus pure et la plus universelle possible, c'est-
à-dire une sympathie sans mélange d'antipathie, et qui soit accordée,
non par quelques hommes seulement, par l'humanité tout entière (^). »
Smith déduit de là cette règle de conduite : « Agis toujours de façon à
provoquer la plus grande sympathie chez le plus grand nombre de spectateurs. >^
Mais Smith constate que la sympathie du plus grand nombre n'est
pas toujours un critérium sûr du bien et du mal. De plus nous ne pou-
vons pas toujours avoir les autres pour témoins de nos actions. Que
faire ? Nous sommes à la fois acteurs et spectateurs de nos actes ; étant
pour ainsi dire dédoublés par la réflexion, nous pouvons sympathiser
avec nos propres sentiments comme avec ceux des autres ; que chacun
devienne pour lui-même un spectateur impartial, et alors l'assentiment
que nous donnerons à nos actes équivaudra à celui de nos semblables.
La règle définitive de la morale est donc la suivante : « Agis toujours
de telle sorte que tu excites la sympathie d'un spectateur impartial et désin-
téressé. »
§ IL — CRITIQUE
Ce que Smith nous prescrit de rechercher c'est la sympathie des
autres, leur approbation, leur estime ; la règle qu'il propose, c'est en
définitive le respect humain. Mais :
L — Cette règle est variable, capricieuse, comme la sensibilité d'où
elle procède. Dans un entourage sain, le souci de l'estime d'autrui, le
sentiment de l'honneur pourra empêcher bien des fautes. Mais, dans un
milieu malsain, les actions flétries par la conscience provoquent seules
la sympathie ; faudra-t-il nous mettre à l'unisson ?
( M Jouffroy, Droit naiurel, XVI'' Lev'Oii, T. I, p. 500, Paris, 1843'.
84 MORALE DE l'hONNEUR (36;
II. — Une action ne saurait être obligatoire par le fait même qu'elle
est sympathique : la sympathie est un phénomène de sensibilité, qui
dépend de conditions variées : elle est relative, elle ne saurait donc-
être un impératif catégorique.
m, — La sympathie et l'antipathie constituent si peu un principe
d'action morale, que nous devons en faire souvent abstraction pour juger
et agir honnêtement. Et après l'action la conscience morale proteste
contre les applaudissements du dehors, si l'action a été mauvaise,
comme elle méprise les condamnations antipathiques de la foule, si
elle a été bonne. Ainsi fit Socrate et il fît bien.
IV. ■ — La sympathie, loin de fonder le jugement d'approbation,
le suppose et en découle. La conscience nous atteste en efîet que c'est
un jugement antérieur sur la valeur morale des actes, qui provoque la
sympathie ou l'antipathie.
• V. — D'après Smith, nous ne nous jugeons nous-mêmes qu'après
avoir jugé les autres ; la conscience d'autrui devient pour nous un
miroir où nous apprenons à voir la moralité de nos actes. C'est là une
assertion fausse :
a) Psychologiquement, car nous ne connaissons l'àme de nos sem-
blables que par la nôtre (Log. 93, § B).
b) Moralement, car il s'ensuivrait que l'homme, vivant en dehors
de la société, n'aurait aucune notion du bien et du mal, ni conséquemment
aucun devoir, puisque tout cela résulte de la sympathie qui est un
sentiment altruiste.
Conclusion : la morale de la sympathie aboutit à une contra-
diction. Après nous avoir recommandé de suivre les mouvements de
la sympathie, Smith finit par nous dire de nous en défier et de contrôler
ses tendances par l'avis d'un spectateur impartial. Cette impartialité
implique précisément l'absence de toute sympathie et de toute anti-
pathie. Faire appel au spectateur impartial, c'est donc récuser la valeur
de la sensibilité en matière de moralité, et recourir par un biais au juge-
ment de la conscience morale, à la raison pratique.
36. — SENTIMENT DE L'HONNEUR
Avant d'examiner quelle relation le sentiment de l'honneur peut
avoir avec la loi morale, il faut l'envisager au point de vue psycholo-
gique, c'est-à-dire en constater l'origine et en faire l'analyse.
L — Point de vue psychologique : ce sentiment s'est épanoui
surtout au moyen âge, dans une société guerrière. Après avoir été la loi
du chevalier, il est devenu l'idéal du gentilhomme. Dans des sociétés!
restreintes, dont les membres se regardent comme solidaires, il s'est
(36) MORALE DE l'hONNEUR 85
formé un code qui a pour sanction l'estime ou le mépris de ses pairs.
Peu à peu ce sentiment s'est étendu : ce n'est plus l'apanage d'une caste,
mais un sentiment individuel. Dans ce sens plus large on peut le définir :
le sentiment qui nous porte à rechercher F estime des autres et à la mériter
par le respect de la dignité personnelle. C'est un sentiment complexe
et mêlé ; il y entre avec une part d'amour-propre raffiné et la préoccu-
pation du qu'en dira-t-on, l'amour des autres sous forme de sympathie,
et l'amour d'un certain idéal de perfection sous forme de dignité per-
sonnelle.
II. — Point de vue moral : sans doute le sentiment de l'honneur
peut être un auxiliaire puissant pour l'accomplissement du devoir.
Il peut même le suppléer, quelque temps, chez certaines personnes {^).
Mais c'est là un fait d'exception. Il ne s'ensuit pas qu'on ait le droit de
les confondre ni surtout de les substituer l'un à l'autre. On peut distin-
guer deux cas : le devoir et l'honneur sont en conflit ou sont d'accord.
A) Conflit du devoir et de l'honneur : il arrive parfois que le code de
l'honneur parle d'une façon et la règle du devoir d'une autre : vg. on
reconnaît que le duel est condamné par la morale ; mais on rougira de
ne pas répondre à un outrage par un cartel. On sacrifiera en conséquence
la loi morale, la loi naturelle à la loi artificielle de sa coterie, au préjugé
de l'opinion. Il est clair qu'en pareil cas le sentiment de l'honneur ne
peut remplacer l'idée du devoir. « Toute persone d'honeur, dit Montaigne,
choisit de perdre son honeur plus tost que de perdre sa consciance {^). »
Mais, dira-t-on avec raison, dans ce cas et autres analogues, il ne s'agit
que de faux points d'honneur. Parlons donc de l'honneur véritable qui
concorde avec le devoir.
B) Accord du devoir et de l'honneur : même alors on ne peut les
confondre. Le sentiment de l'honneur ne peut prendre la place et jouer
le rôle du devoir, car :
10 On reconnaît qu'il y a un vrai et un faux honneur : il faut donc
choisir. Qui le fera, sinon la conscience morale à la lumière de l'idée du
devoir ?
2° Le devoir s'impose au nom d'un principe supérieur à l'homme,
au nom de Dieu qui doit nous demander un jour compte de tous nos
actes. — Le sentiment de l'honneur ne commande qu'avec l'autorité,
après tout récusable, de la société à laquelle nous sommes fiers d'appar-
tenir. Quand on est seul, sans autre témoin que Dieu et sa conscience,
la voix de l'honneur, loin du regard de nos pairs, sera-t-elle bien efficace ?
(M C'est la thèse développée par G. Feuillet clans Monsieur de Camors.
( °) Montaigne, Essais, L. II, Ch. xvi, à la fin. — II. Savatier, De l'honneur. —
Champdevaux, L'honneur considéré en lui-même et relativement au duel. — A. Gay, L'hon-
neur : sa place dans lu Morale.
86 ROLE DU SENTIMENT EN MORALE (37)
(' Dofiez-vous de l'honneur humain, dit J.-J. Rousseau, c'est bien peu
de chose quand le soleil est couché. )^
30 Le devoir est universel et immuable (20). — L'honneur varie
avec les pays et les époques.
40 Le devoir est synonyme de désintéressement et de sacrifice de
soi-même. — L'honneur est un amour-propre habilement déguisé, qui
souvent n'est au l'ond que le souci de notre réputation et l'intérêt de
notre orgueil.
Conclusion : l'hoTmeur même véritable ne saurait être la règle
suprême et le motif dernier de nos actions. Cette règle et ce motif ne
sauraient être que le devoir, parce qu'il peut être recherché pour lui-
même (20).
37. — ROLE DU SENTIMENT EN MORALE
A. — IL NE PEUT ÊTRE LE PRINCIPE DE LA MORALE
Le sentiment, même désintéressé, altruiste, sous quelque forme
qu'il se présente, ne saurait être le fondement de la morale, car :
I. — Le sentiment a toujours pour condition antécédente une
idée, il implique certains jugements, dont il n'est que la manifestation
sensible. Hutcheson dit : « Telle action excite ma bienveillance. » Il faut
dire : « Telle action excite ma bienveillance parce qu'elle est bonne. »
Et ainsi des autres sentiments moraux. Sous la sympathie, sous l'al-
truisme, sous le sentiment de l'honneur, il y a une idée, un principe
moral plus ou moins voilé par le sentiment, mais que l'analyse fait appa-
raître ; et c'est sur cette idée, sur ce principe qu'est fondée la moralité
du sentiment.
IL — Le sentiment n'a pas les caractères de la loi morale. Il n'est
pas :
a) Obligatoire : il attire, il entraine la volonté ; il ne commande-
pas. De cette proposition : « Les hommes tendent naturellement à agir
ainsi », on ne fera jamais sortir cette conclusion impérative : « Donc
ils doivent agir ainsi ». Bien plus, on est parfois obligé de combattre le
sentiment.
h) Absolu et universel : il participe à la mobilité de la sensibilité et
est relatif aux individus et aux circonstances.
(■) Clair et pratique : il dégénère en passion qui aveugle et il ne dépend
pas de nous.
III. — La morale du sentiment serait dangereuse, car elle tendrait
à absoudre les vices aimables qui plaisent et à proscrire les vertus
austères (jui n'agréent pas.
(37) ROLE DU SENTIMENT EN MORALE 87
§ B. — CEST UN AUXILIAIRE PRÉCIEUX^
I. — C'est un fait d'expérience qu'on remplit mieux son devoir quand
on l'aime ou quand on aime les personnes envers lesquelles il oblige (^).
II. — L'idée n'agit pas directement sur la volonté ; il faut qu'elle
se fasse en quelque sorte sentiment pour mouvoir la volonté, qui, sans
cela, resterait inerte. Aussi Dieu a-t-il mis en nous, pour correspondre
à chacun de nos devoirs, une inclination qui aide à l'accomplir, car l'incli-
nation agit directement sur la volonté par mode d'' impulsion. Autant le
sentiment est périlleux quand il est laissé à lui-même, autant il est
efficace quand il est dirigé par la raison et mis par elle au service du
devoir. Il excite la raison et la rend ingénieuse à découvrir de nouvelles
formes du bien ; il réchauffe la volonté et lui communique de généreux
élans. C'est un fait qu'on ne fait rien de grand sans passion.
III. — Le sentiment n'est pas seulement l'auxiliaire du devoir,
il en est encore la parure et la récompense. Une vertu aimable, comme
celle d'un saint François de Sales ou d'un saint Vincent de Paul, n'est
que plus attrayante et plus parfaite.
§ C. — OBJECTION
A) Exposé : les Stoïciens et Kant proscrivent le sentiment.
Pour les Stoïciens vivre conformément à la nature c'est vivre confor-
mément à la raison : la nature et la raison sont identiques, parce que
les lois naturelles sont les manifestations de la raison universelle qui
anime le monde. Nous ne devons nous occuper que de ce qui dépend
de nous (xà Icp'rjy.tv, comme dit Épictète), c'est-à-dire que nous devons
tâcher de réaliser en nous l'ordre et l'unité comme dans l'univers. Le
«âge doit donc mépriser tout ce qui ne dépend pas de lui et peut le trou-
bler : le plaisir, le sentiment, la passion ; il doit se rendre indifférent à
toutes les affections même les plus naturelles.
Kant a encore exagéré ce caractère 7-ationnel de la morale stoïcienne.
La bonne volonté, l'obéissance par respect pour la loi, l'intention ont
seules une valeur morale. Non seulement les mouvements de la sensi-
bilité, qui nous facilitent l'accomplissement du devoir, n'ajoutent rien
à la moralité, mais ils la gâtent, car plus le devoir a été fait avec peine,
plus grande est la valeur morale de l'acte ; plus il a exigé le sacrifice
•le nos inclinations, plus son mérite est considérable. 11 faut donc nous
dégager des bons sentiments, parce qu'en rendant la vertu moins pénible,
ils constituent un désavantage moral. Même, au besoin, on développera
(M J. ANGor DES RoTOURS, La morale du cœur.
gg l'intérêt et le sentiment (38)
en soi les mauvais instincts, afin d'offrir à la vertu des obstacles plus
grands à vaincre (^).
Réponse : I. — L'homme doit tout mettre en œuvre pour procurer
le triomphe de la loi morale en lui ; or les sentiments généreux sont au
nombre des conditions qui assurent le succès. Refouler les nobles pas-
sions, surtout cultiver les mauvais instincts, c'est s'exposer à un échec ;
c'est donc déjà faire le mal, car c'est s'exposer de gaieté de cœur au péril
de violer la loi.
II. — La véritable vertu ne consiste pas dans cet effort pénible dont
parle Kant : c'est prendre pour la vertu ce qui n'est qu'un indice de son
imperfection. L'idéal c'est que la vertu devienne pour nous une seconde
nature ; que nous la pratiquions avec facilité et joie. Aristote a été plus
clairvoyant que Kant, lorsqu'il a défini la vertu « l'habitude de faire le
bien ». Or l'un des fruits de l'habitude c'est de faciliter les actes. Aussi
ajoutait-il : « L'homme vertueux est celui qui trouve du plaisir à faire
des actes de vertu. » Cette facilité acquise ou plutôt conquise au prix
de l'effort est le signe d'une vertu parfaite. « C'est aussi le plus haut
degré du mérite, et c'est la plus haute liberté ( ^). » (Ps. 223.)
III. — L'idéal rêvé par les Stoïciens et Kant est chimérique, impra-
ticable, contre-nature. Il ne faut pas amputer ainsi la nature humaine.
h' intelligence montre le but à atteindre : le bien ; c'est à la volonté d'y
tendre ; mais elle a besoin d'être stimulée et poussée par la sensibilité,
qui fournit la force impulsive. C'est avec toute l'âme, chaque faculté
gardant son rang, qu'il faut aller au bien, car, comme dit Platon, la
vraie perfection de Fàme, c'est l'harmonie.
38 — L'INTÉRÊT ET LE SENTIMENT
A) Ressemblance : les systèmes de morale utilitaire et les systèmes
de morale sentimentale ont ceci de commun qu'ils empruntent la règle
de nos actions à la sensibilité, puisque les premiers la placent dans le
désir du plaisir et du bonheur personnels, et les seconds dans diverses
inclinations altruistes.
B) Différence : l'utilitarisme ne fait appel qu'à un seul penchant,
le désir du bonheur personnel," même quand il prescrit de travailler à
l'intérêt général, car le grand motif mis en avant pour nous entraîner
c'est de nous faire croire que l'intérêt public coïncide avec notre intérêt
privé. La morale sentimentale s'adresse au contraire à plusieurs pen-
chants, comme la bienveillance, la sympathie, l'honneur, etc.
(M Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, p. 19 et sq. (Iraduct. Barni).
(*) H. Maiuon, De la Solidarité morale, P. I, Ch. m, p. 115, Paris, 1890'.
(39) IDÉAL ESTHÉTIQUE : PLATON 89
C) Supériorité de la morale sentimentale :
l""^ Le système utilitaire, ne voyant que le désir du bonheur, mutile
la sensibilité. Dans le système sentimental, on retrouve, au contraire,
la sensibilité tout entière.
2'* Le système utilitaire reste égoïste même dans la recherche de
r intérêt général. Avec la morale sentimentale apparaît l'un des éléments
constitutifs de la vertu, le désintéressement.
D) Infériorité commune : dans les deux systèmes, la part de la
raison n'est pas faite. Or, nous Talions voir, c'est à l'élément rationnel
qu'il faut demander le principe de la morale.
ARTICLE III
MORALES RATIONNELLES
Puisque le principe de la morale ne peut être ni le plaisir, ni l'intérêt,
ni le sentiment, qui sont des formes variées du bien sensible, il faut voir
s'il ne consisterait pas dans le bien rationnel, et partant universel, le bien
on soi. De là plusieurs systèmes selon la façon de comprendre l'élément
rationnel du devoir.
39. — IDÉAL ESTHÉTIQUE
A) Exposé : pour Platon (^) le Bien absolu c'est Dieu lui-même,
conçu comme un idéal de perfection et de beauté. Le devoir consiste à
nous en rapprocher le plus possible et la vertu n'est que la ressemblance
à Dieu, 'iliJ.rj'Mm; To) Hsw {^). Pour réaliseT cette imitation, le sage
doit mettre de l'harmonie entre les trois parties de l'àme : le désir ou
appétit physique : c'est l'àme inférieure, dont la vertu propre est la
tempérance (iw-foofjuv/i) ; — le courage ou appétit supérieur : c'est l'àme
moyenne, principe des passions nobles, dont la vertu est la force (àvîçeta) ;
— la raison : c'est l'àme supérieure qui doit commander. Principe des
idées, seule elle est immortelle et sa vertu propre c'est la sagesse (^o'^îa)
(Ps. il, 1). Chacune de ces âmes doit être subordonnée à celle qui lui
est supérieure, sous la direction de la sagesse (^). Ainsi la subordination
( ') Fouillée, Philosophie de Platon, T. II, L. IX.
( -) Platon, Théétète. Édition Didot, T. I, p. 135, ligne 33.
(') CiCKRO.x, Qusest. Tuscul., I, 10 : Plalo IripUcem linxil animum, cujusprincipatum,
iil est rolionem, in capile sicut in arce posuit et duas parles ei parère voluit, iram et cupidi-
l'ilt-m, fiufis locis discliml : iram in pectore, cupiditatem subter praecordia locavil.
90 IDÉAL ESTHÉTIQUE : PLATON (39)
du désir à la passion généreuse produit la tempérance ; la subordination
de la passion à la raison produit la force. L'harmonie qui résulte de cet
accord parfait constitue la justice (euTroaa'a) qui est la perfection de
l'âme. Mais l'individu doit aussi s'harmoniser avec ses semblables et
avec l'univers, car, pour Platon, le sage est un musicien qui met de
l'harmonie dans sa vie (^). — Cette doctrine a été plus ou moins renou-
velée dans les temps modernes par Herbart, Wieland et, de nos jours,
par F. Ravaisson {^) et Ruskin. La morale a pour fondement l'amour
du beau. Le souverain bien consiste dans la beauté de la vie, dans
l'harmonie de l'âme tendant vers un idéal calme, noble, généreux.
B) Critique : L — Cette doctrine n'est pas en contradiction avec
la moralité : la vie d'un sage est belle. Les Grecs aimaient à identifier
le bien et le beau : xaXoxàyaôdv (^). Ils différent cependant (Cf. Esthé-
tique, 4). Tout acte vertueux est digne d'estime, mais ne mérite pas
l'admiration. Un riche donne quelques sous à un pauvre : c'est une bonne
œuvre ; ce n'est pas une belle action, car il lui manque ce degré de splen-
deur, cette perfection au-dessus de la moyenne, qu'exige la beauté.
La beauté est un degré supérieur de bonté. C'est pour cela que la beauté
ne peut être le principe de la morale, car son idéal est trop élevé pour
être obligatoire : l'héroïsme et le dévouement ne peuvent être l'objet
d'un vouloir universel.
II. - — Outre cette critique générale, la morale platonicienne, malgré
ses côtés élevés, mérite des crititjues particulières :
a) Platon fausse les relations entre l'âme et le corps ; au lieu de voir
dans le corps un instrument et un secours, il le regarde comme un pur
obstacle. Toutes les maladies de l'âme, l'ignorance et le vice, ont leur
source dans l'union de l'âme avec le corps où elle aurait été enfermée,
comme dans une prison, en punition d'une faute commise dans une vie
préexistante. Or l'union de l'âme et du corps est naturelle (Cf. Psychol.
Rationnelle, Article II, 54.)
b) Platon a le tort d'identifier la vertu avec la science. Les actions
humaines sont soumises à un déterminisme rationnel. Aussi la volonté
libre est-elle absente de cette doctrine ; mais alors comment la morale
peut-elle y trouver place ? (50, I.)
(M Platon, République, IX, l'Idiiion L^idot, T. IJ, p. ITti, c-d.
{ ') HAVAIS30N, Discours prononcé à Louis-le- Grand, aoûl, 1873. — Fouillée, Critiques
des systènicH de morale contemporains, L. VII. — Roupsel-Despierres, L'idéal esthétique.
(') IlSv 5r, TO «YaOov xaXov, zo oÈ xaÀov oOx à,u.eTûOv... «Tout ce qui est bon est
beau, et liiii n'est beau sans harmonie... » (Platon, Timée. Didot, T. II, p. 245-246).
(40) EUDÉMONISME RATIONNEL : ARISTOTË
40. — EUDEMONISME RATIONNEL
§ I. - DU BONHEUR EN GÉNÉRAL
On peut envisager le bonheur au point de vue :
A) Psychologique : le plaisir est un élément du bonheur ; mais
un seul plaisir ne fait pas le bonheur ; il exige une succession de plaisirs
variés. Le bonheur c'est la synthèse de cette série de jouissances ; c'est,
comme dit Bentham, la plus grande somme de plaisirs diminuée de la
plus grande somme de douleurs (^). Socrate distinguait deux sortes de
bonheur : l'un qui vient des circonstances (eùtu/îa) ; l'autre qui nous
vient de nous-mêmes (sÙTTpaçt'a). Ce dernier est la vraie forme du bonheur,
car il dépend de nous et résulte de notre activité normalement déployée
(Ps. 21). Notre activité a des inclinations et par conséquent des fins
qui l'attirent. C'est dans la poursuite et l'obtention de chacune de ces
fins qu'elle trouve le bien-être, tô £o, comme dit Aristote. Le plaisir
est donc la satisfaction momentanée d'une de nos inclinations ; le bonheur,
la satisfaction collective de toutes nos tendances ou du moins des prin-
cipales. De même que le plaisir est un « surcroît qui s'ajoute à l'acte
comme à la jeunesse sa fleur )\ ainsi le bonheur est un épiphénomène ;
il est comme l'épanouissement de tout l'être, auquel il est donné de
réaliser ensemble ses fins préférées.
B) Moral : il suit de cette analyse du bonheur en général qu'il ne
peut être le fondement de la loi morale. En eiïet :
I. — Le bonheur est chose relative et variable avec les individus.
IL — ■ Il est en grande partie subjectif, car il dépend de notre imagi-
nation et de notre volonté.
III. — Il est toujours plus ou moins incomplet, car nos tendances
sont souvent opposées ; on ne peut contenter les unes qu'aux dépens
des autres.
IV. — Il n'est pas directement accessible : pour l'atteindre, il faut
viser un autre but dont il puisse dériver. Descartes l'avait noté : « Le
bonheur n'est pas le blanc où il faut tirer ; il est le prix remporté par
ceux qui y touchent. « C'est comme le plaisir, un moyen et non une
fin ; il ne saurait être le but de l'activité, mais il est la conséquence du
but atteint (Ps. 58, § I, b°). Pour toutes ces raisons, il est clair que le
bonheur, qui n'est qu'une collection de plaisirs, ne saurait être le fon-
dement du devoir.
( ') Leibniz définit le boalieur» un plaisir durable ». Nouveaux essais..., L. II, Cb. xxi,
§ 4Î. — P. .Ta.NET, Philosophie du bonheur.
92 EUDÉMOMSME RATIONNEL : ARISTOTE (40)
§ II. — LE BONHEUR RATIONNEL {^)
A) Exposé : ces objections, dira-t-on sans doute, sont valables
contre le bonheur qui a sa source dans la satisfaction des inclinations
personnelles, dans le bonheur sensible. Mais il y a, au-dessus, un bonheur
plus parfait : aux yeux de la raison il consiste dans la satisfaction har-
monieuse de nos tendances élevées ; c'est un bonheur qui résulte de
l'activité proprement humaine {-o avôswTrcvov Ipyov) (^), de l'activité
raisonnable, où la sensibilité est subordonnée à l'intelligence et à la
volonté. C'est la théorie d'Aristote qu'on appelle l'eudémoiiisme
(sù'îa'.uovîa, bonheur) rationnel et qu'on peut formuler ainsi : Sois raison-
nable et tu seras heureux. Cette formule n'est égoïste qu'en apparence,
car la raison nous montre que nous devons parfois sacrifier nos fins
personnelles et particulières aux fins générales, parce que nous sommes
membres d'un tout plus important que nous-mêmes. Ainsi cette morale
se confond, au point de vue de la matière, avec la morale du bien en soi,
puisqu'elle prescrit à l'homme d'estimer, dans la poursuite du bonheur,
la valeur des biens suivant les lumières de la raison et non d'après les
attraits de la sensibilité.
B) Critique : 1^ La morale du bonheur ainsi entendu se confond,
il est vrai, matériellement, avec la morale de l'ordre et du bien ; la morale
du devoir est ainsi conciliée avec celle de l'intérêt. Mais le bonheur et
le bien diffèrent au point de vue formel. Le bien c'est ce qui perfectionne
la nature raisonnable, ce qui lui est conforme; le bonheur c'est la
conscience du bien possédé, la perfection réalisée. Le bien, par consé-
quent, demeure la seule fin absolue et suprême de la volonté, le bonheur
en est une simple conséquence. Notre bonheur, même raisonnable, ne
peut donc être la fin dernière de nos actions et le principe de la morale,
car il rendrait la vertu intéressée.
2» On objecte que le bonheur est le terme nécessaire de toute ten-
dance, l'unique ou du moins la principale raison de vouloir et d'agir.
— On doit répondre que l'amour de soi et le désir du bonheur sont sans
( ') Leibniz, Von der Gluchseligheit. — P. Janet, La morale, L. I, Ch. iv. — Ollé-
Laprune, Essai sur la morale d'Aristote, Ch. iv-viii. ^ — Boutroux, Aristote, dans Études
d'Histoire de la Philosophie, p. 95-209, Paris, 1897.
(') Être vertueux, pour Aristote, c'est bien faire son métier d'homme, être vraiment
homme : (xvOpoJTrE'JeTOîzt, c'est-à-dire déployer son activité d'une façon puissante et
réglée, d'où résulte le bonheur. {Ethique à Nicomaque, L. X, Ch. viiii, § 6. Didot, T. II,
p. 126). — AitisTOTE emploie constamment le mot xaXo'v pour signifier le bien. Le bien
c'est le beau moral, parce qu'il résulte de l'activité puissante et ordonnée. Or )a grandeur
et l'ordre sont les deux caractères du beau d'après Aristote. Nous avons vu (39, B) que
cependant on ne doit pas idcntincr toujours le bien et le beau. Les mots latins honeslum,
décorum impliquent aussi une idée de beauté. — Cf. Ollé-Laprune, Essai sur la morale
d'Aristote, Ch. m.
(41) L.V MORALE STOÏCIENNE 93
doute le premier mobile, le principe spontané de toutes nos actions :
« Tous les hommes recherchent d'être heureux ; cela est sans exception. »
(Pascal). Mais ils n'en sont pas nécessairement le motif et la raison.
La preuve c'est que si personne ne peut renoncer explicitement au
bonheur, on peut en faire abstraction, agir sans y penser, sans le recher-
cher. Le bonheur est encore moins la mesure de la moralité, puisque la
valeur morale d'un acte est proportionnée à son désintéressement. Plus
un acte est désintéressé, plus il est parfait. Il reste vrai cependant que,
si le bonheur raisonnable, qui se confond avec notre perfection, ne
peut être la fin dernière de la vie morale, il peut néanmoins être recherché
en même temps que le bien : il est en effet la conséquence et la récompense
du bien accompli, de la perfection réalisée. Cette récompense est une
sanction de la loi morale ; elle fait donc partie intégrante de la loi morale ;
la vouloir, la rechercher en même temps que le bien, ce n'est donc pas
sortir de la loi morale.
41. — LA MORALE STOÏCIENNE (i)
§ A. — EXPOSÉ
L — Souverain bien : la vertu. — La morale stoïcienne a subi
bien des métamorphoses depuis Zenon, Cléanthe, Chrysippe (m® siècle
avant Jésus-Christ) jusqu'à Sénèque, Épictète et Marc-Aurèle. L'idée
qui persiste à travers ces changements et domine tout le Stoïcisme,
c'est que le souverain bien, l'unique bien, c'est la vertu elle-même.
De là, plusieurs conséquences qu'on a nommées les paradoxes stoï-
ciens (2) :
1° La vertu étant l'unique bien, en dehors d'elle, tout est indifférent :
plaisir, douleur, richesse, réputation, santé, vie, mort.
20 La vertu étant un absolu, un extrême, il n'y a pas de milieu
entre le bien et le mal. Toutes les fautes sont égales comme tous les
actes bons : le vice et la vertu n'admettent pas de degré.
3° La vertu est elle à elle-même sa propre récompense : Tirtutis
prœmium ipsa virtus (Sénèque).
(') Ed. Zeller, Die Philosophie der Griechen, III» volume, I" P. — F. Ravaisson,
Essai sur le Stoïcisme. — F. Ogereau, Essai sur le système philosophique des Stoïciens,
Ch. VII, VIII. — ScnopENH.\UER, Le monde comme volonté et comme représentation, L. I,
§ 16. — R. Th.vmin, l'n problème moral dans l'antiquité. — C. Martha, Les moralistes sous
l'empire romain. — Fonsegrive, Essai sur le libre arbitre, l" P., L. I, Ch. v. — J.-A. Chollet,
La morale stoïcienne.
( ') CicÉROx, Parado.xa.
94 LA MORALE STOÏCIEfîNE (41)
II. — Essence de là vertu : la vertu consiste à vivre confor-
mément à la nature ; /r,v ôaoÀoyoutjLsvo); tt- cpû^si. C'est là une formule
équivoque, car les Stoïciens donnent des sens différents au mot nature.
Aussi a-t-elle donné lieu à des interprétations diverses de la part de
Zenon, de Cléantlie et de Ghrysippe (^).
La nature d'un être dépend essentiellement de ce qui lui est propre ;
or la caractéristique de l'homme, c'est la raison. C'est pourquoi pour
l'homme, vivre conformément à la nature, ce n'est pas suivre la sensi-
bilité, mais la raison : Zrjv ôaoÀoyoKac'vo); rw Xô-'w. Comme la raison n'existe
pas seulement en nous, mais encore chez les autres hommes et dans
tout l'univers, dont Dieu est l'âme, vivre conformément à la raison :
a) C'est d'abord mettre l'ordre et la logique dans sa vie (ôaoXovia) ;
c'est être d'accord avec soi-même. Le sage doit « vouloir par raison,
pour l'ordre et la beauté qui y régnent, ce que la nature poursuit par
instinct ». Le souverain bien c'est donc la force de la volonté tendue à
travers toute la vie pour faire de toutes les pensées, paroles et actions
un tout harmonieux. Summum honum vita sihi concors.
b) C'est ensuite vivre en harmonie avec nos semblables. La raison
étant identique chez tous les hommes, ils sont égaux, ils sont frères :
Homo res sacra homini. Ils doivent donc s'entr'aimer. Aussi l'esclavage
est-il blâmable.
c) C'est enfin vivre en harmonie avec tout l'univers. Le sage doit
se soumettre aux lois immuables de la nature, se résigner au destin
qui la gouverne ; car l'âme qui anime et régit le monde, c'est Dieu,
c'est la raison divine. Le sage ne connaît pas les distinctions de famille,
de cité, de patrie : il est citoyen de V univers.
III. — Obstacle à la vertu : c'est la passion. La passion est pour
eux un mouvement contraire à la raison et à la nature. "AXoyoç xal
r.'xÇoL '^,J7tv 'W/ri^ yJ.^Yt'Ji; ("). La première condition de la vertu c'est
d'étouffer la passion pour arriver à l'impassibilité (àTràOsia). De là cette
maxime d'Épictète : 'Avé/ou xai a::é/ou. Supporte et abstiens-toi. Supporte,
c'est-à-dire sois fort contre le plaisir, sois courageux contre les pas-
sions ; reste calme dans l'adversité comme dans le bonheur. Abstiens-toi,
c'est-à^ire ne recherche pas ce qui ne dépend pas de toi. Tout se fait
d'après les lois d'une intelligente nécessité. Laisse donc faire la Pro-
vidence immanente à la nature, car il est inutile et sacrilège de vouloir
résister à la force des choses, comme dit Sénèque le tragique :
Durunt volentem fata, nolentem trahunt.
Et ainsi tu arriveras à la véritable sagesse, à l'insensibilité.
( ') Stobée, Edogse physicse et elhicœ, L. II, C. vu.
( *) UiooÈNF. Laërck. Vies dea philosophes, L. VII, 110. — Cf. Cicéron, Qusest. iuscuL.,
IV, <i.
(41) LA MORALE STOÏCIENNE 9&
§ B. - CRITIQUE
Cette morale a des côtés élevés et elle a exercé dans l'antiquité une
bienfaisante influence : le Stoïcisme a été, surtout à l'époque des empe-
reurs romains, une école de courage et de caractère. Les Stoïciens
combattirent l'omnipotence de l'État, préconisée par Platon et par
Aristote, en revendiquant les droits de l'individu. Ils entrevirent l'ini-
quité de l'esclavage et montrèrent que les hommes, ayant même raison,
devaient être traités également. Mais après les qualités, voici les défauts :
I. — La vertu ne peut être le souverain bien, parce que, à toute
tendance, à la volonté, par conséquent, il faut une fin distincte d'elle-
même. La volonté n'est bonne et vertueuse qu'autant qu'elle se conforme
au bien en soi, au bien absolu. La vertu, qui est le bien, morale n'est que
la conséquence de la conformité de l'activité volontaire au bien en soi :
elle ne saurait donc être la fin de cette activité.
IL — Le Stoïcisme nie la liberté, puisqu'il la réduit à comprendre
et à accepter la nécessité inévitable des événements réglés par Dieu
qui est l'âme du monde : Parère Deo libertas est (Sénèque). Or une morale
sans liberté n'est pas une morale.
III. — Cette morale aboutit à des conséquences paradoxales que
rejette le sens commun, car : a) Le plaisir, la douleur ne sont pas chose
indifférente. — b) Il y a des degrés dans le vice et dans la vertu. — c) La
vertu n'est pas à elle-même sa récompense, puisque le sage n'est pas
nécessairement heureux ici-bas ; l'immortalité de l'âme est donc une
sanction nécessaire de la morale.
IV. — Cette doctrine est inhumaine et impraticable, car elle demande
d'étouffer la sensibilité et les passions au lieu de les diriger et de les
faire servir au bien rationnel comme force impulsive.
V. — La maxime d'Épictète est :
a) Incomplète : elle ne comprend pas les devoirs de justice et de
charité envers les autres. C'est un idéal de morale personnelle, et, même
à ce point de vue, elle pèche par défaut, car elle est muette sur les devoirs
positifs de perfectionnement moral.
b) Dangereuse : le précepte abstine mène au fatalisme, à l'inertie,
à l'abdication de la volonté.
!
96 LA MORALE FORMELLE DE KAKT : EXPOSÉ (42)
42. — LA MORALE FORMELLE DE KANT C)
§ A. — EXPOSÉ
On peut ramener à quatre points principaux ce qu'il y a d'essentiel
dans la morale de Kant : 1° Existence d'une loi morale pour l'homme
et ses conséquences. 2° Nature du devoir. ?fi Condition de la moralité.
40 Formules de la loi morale.
I. — Existence d'une loi morale et ses conséquences : Kant
fait reposer la morale sur un « fait de raison », une donnée primitive :
l'existence du devoir. Nous avons conscience du devoir, -c'est-à-dire
d'une loi qui commande ce qui doit être, sans égard à ce qui a été, est
ou sera. Aucun fait ne pourrait prévaloir contre cette idée qui nous
commande. Son commandement est catégorique. Seule l'idée du devoir
a une valeur objective absolue. Or l'idée du devoir implique trois autres
vérités qui en sont les conditions : la liberté, V immortalité de Vàme.
Vexistence d'un Dieu rémunérateur (Cf. Métaphysique, Introduction, 6,
§B, C).
II. — Nature du devoir : en quoi consiste le devoir ? Pour le
savoir on peut procéder de deux manières. Ou bien on déterminera le
devoir d'après la nature d'un bien antérieurement conçu, qui lui servira
de fondement. Ce bien en soi, ce bien absolu est la fin dernière de l'homme
et le principe de la morale. Alors la valeur morale des actions dépend
de leur conformité à ce bien souverain ; elle dépend donc de leur objet,
do leur matière. C'est la voie suivie par les moralistes qui ont précédé
Kant. Ou bien on partira de la forme, c'est-à-dire du commandement
considéré en lui-même, indépendamment de tout bien en soi qui en
serait la matière et le contenu. C'est la méthode adoptée par Kant.
D'après Kant, le devoir est un absolu qui ne suppose rien au-dessus de
lui ; lui donner le bien pour fondement, ce serait en faire un impératif
relatif et hyi)()thétique, et dire à l'homme : fais ceci si tu veux obtenir
ce bien et réaliser cet idéal. Le devoir a en lui-même sa raison suffisante ;
il n'y a donc pas de bien en soi antérieur au devoir. C'est pourquoi le
devoir doit se définir : « la nécessité d'obéir à la loi par respect pour la
(') Kant, Critique de la raison pratique. Fondements de la mélajihysique des 7nœur$,
— Cf. BouTKOux, La morale de Kant. dans la Revue des Cours et Conférences, n° du
21 Fév. 1901 et n"' sqq. — Th. Desdouits, La philosophie de Kant, I" P.. Il'Sect. ; 11'= P.,
11 •• Sect. — SCHOPENHAUER, Fondement de la morale, Ch. II. Le monde comme volonté et
comme représentation, L. I, § IG. — Th. Ruyssen, Kant. — Th. Pesch, Le Kantisme e\
ses erreurs. — A. Cresson, La morale de Kant. — Jouffuoy, Cours de droit naturel. Leçons
XXVI, XXVII. — Fouillée, Critique des systèmes de morale contemporains, L. IV. Le
moralisme de Kant et Vamoralisyne contemporain. — V. Delbos, La Morale de Kant, en tête
(lo la traduction des Fondements de la Métaphi/sique des mœurs, p. 21-00.
\
(43) LA MORALE FORMELLE DE KANT : EXPOSÉ' 97
loi », et non pas la nécessité morale de faire le bien. Aussi une action
n'est pas obligatoire parce qu'elle est bonne ; elle est bonne parce qu'elle
est obligatoire. Tel est le formalisme moral de Kant.
III. — Condition de la moralité : la bonne volonté. De la
notion du devoir ainsi comprise découle la manière de le remplir. Tout
dépend de l'intention qui fait la valeur morale des actes : c'est la bonne
volonté. Il faut étudier ce que Kant entend par là :
a) Sa nature : soit un ordre à accomplir, qui se présente à ma
conscience comme catégorique. J'exécuterai cet ordre, ou bien pour
obtenir l'avantage qui en résulte, ou bien uniquement pour obéir à la
loi. Dans les deux cas la matière de l'acte est la même ; mais leur valeur
est bien différente. Dans le premier, l'action n'est pas bonne moralement,
elle n'est pas mauvaise non plus : elle est légale, c'est-à-dire matériel-
lement conforme à la loi. Dans le second, elle est morale. La bonne
volonté, c'est donc la volonté de faire le devoir parce que c'est le devoir,
d'obéir à la loi par respect pour la loi.
b) Sentiment de respect qui l'accompagne : obéir à la loi par amour
pour la loi, ce ne serait pas, selon Kant, agir moralement, car ce serait
attendre quelque satisfaction de son obéissance. C'est pourquoi Kant
bannit tous les bons sentiments qui pourraient nous aider à pratiquer
le devoir, parce que ce serait rendre son observation intéressée (37, § G).
Un seul sentiment a trouvé grâce devant lui : c'est le sentiment de
respect, parce que le respect n'est pas un sentiment agréable, il exerce
une certaine contrainte sur nos penchants inférieurs. (9, § II).
c) Son autonomie : qu'est en elle-même la bonne volonté ? Elle
est autonome, elle porte en elle-même la loi à laquelle elle obéit ; elle la
pose et se l'impose. La volonté est à elle même sa propre fin, c'est une
fin en soi. Si la loi morale nous était imposée du dehors par un Dieu
tout-puissant, la volonté ne pourrait s'y soumettre que par crainte,
amour ou intérêt : or l'obéissance due à de tels motifs n'est pas morale.
De plus, toute doctrine qui fait dépendre la volonté d'une fin autre que
la volonté même, est une doctrine d'esclavage, une hétéronomie.
d) Sa valeur : « Il n'y a qu'une seule chose qu'on puisse tenir pour
bonne sans restriction, c'est une bonne volonté », c'est-à-dire la volonté
raisonnable et libre. Elle « ne tire pas sa bonté de ses effets ou de ses
résultats, ni de son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, mais
seulement du vouloir, c'est-à-dire d'elle-même... Quand ses plus grands
efforts n'aboutiraient à rien..., elle brillerait de son propre éclat, comme
une pierre précieuse, car elle tire d'elle-même toute sa valeur. L'utilité
ou l'inutilité ne peut rien ajouter ni rien ôter à cette valeur (^). » C'est
L
( ') Kant, Fondements de la Métaphysique des mœurs, Sect. I, p. 13 (trad. Barxi).
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. T. H. — 4.
98 LA MORALE FORMELLE DE KANT : CRITIQUE (42)
que la volonté, étant libre, ne doit rien qu'à elle-même. Tel est le bien
absolu : il n'est pas distinct de la personne elle-même ; il résulte de
l'intention pure d'obéir à la loi. Tout le reste n'a qu'une valeur relative,
qui dépend du bon ou du mauvais usage qu'on en fait.
IV. — Formules de la loi morale. Nous devons donc agir par
devoir. Il faut en outre connaître les actes que le devoir impose. Pour
éclaircir les cas embarrassants, Kant a formulé quatre grandes règles : ( ^)
10 >, Agis de telle sorte que tu traites toujours la volonté libre et
raisonnable, c'est-à-dire l'humanité, en toi et en autrui, comme une
fin et non comme un moyen. » La volonté raisonnable et libre, la per-
sonne humaine, est donc l'objet même de la loi, en même temps qu'elle
en est l'auteur et le sujet. L'être raisonnable est une fin absolue, c'est-
à-dire qu'il ne doit jamais se regarder comme un moyen, mais toujours
comme une fin. Quand l'homme obéit aux inclinations de la sensibilité
au détriment de la raison, il se dégrade, car il se sert de lui-même comme
d'un moyen. Les autres hommes étant nos égaux en nature, nous devons
respecter leur personnalité ; il est donc illégitime de les traiter comme
des moyens, c'est-à-dire de s'en servir pour en tirer un avantage. C'est
pour cela que l'esclavage est odieux, La personnalité est inviolable et
sacrée. Le respect absolu de la personne est donc le fondement du droit
comme du devoir.
2» « Agis comme si tu étais législateur en même temps que sujet
dans la république des volontés libres et raisonnables. » L'idéal que
poursuit la morale, c'est la réalisation d'une république des volontés
libres et raisonnables, dans laquelle chacune serait pour les autres une
fin. Ce serait la conséquence de la mise en pratique de la première
formule, car si les volontés se prenaient réciproquement comme fin,
elles réaliseraient cette cité libre et unie où chacun serait à la fois légis-
lateur et sujet : ce serait la « république des fins ».
3° « Agis toujours de telle sorte que la raison de ton action puisse
être érigée en loi universelle. » U universalisation d'un acte, tel est le
critérium donné par Kant pour distinguer, pratiquement, quelles
actions sont conformes ou contraires à l'idéal indiqué plus haut (20, III).
40 « Agis extérieurement de telle sorte que ta liberté puisse s'accorder
avec la liberté de chacun suivant une loi générale de liberté pour tous. »
C'est le principe régulateur des droits.
§ B. — CRITIQUE
Kant a clairement indiqué les caractères de la loi morale, son obli-
gation absolue et son universalité. Il a nettement dégagé l'idée du devoir
( ') Kant, Fondements de la Métaphysique des mœurs, Sect. II.
(42) LA MORALE FORMELLE DE KANT : CRITIQUE 99
des motifs égoïstes et il a bien réfuté les systèmes empiriques et utilitaires.
Il a mis en relief la dignité et l'inviolabilité de la personne humaine.
La grandeur du devoir lui a inspiré de beaux accents : « Devoir, nom
sublime et grand, toi qui ne renfermes rien en toi d'agréable, rien qui
implique insinuation... Quelle origine est digne de toi et où trouve-t-on
la racine de ta noble tige, qui repousse fièrement toute parenté avec les
penchants ?... (^) »
Il dit encore : « Deux choses remplissent le cœur d'une admiration
et d'une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure
que la réflexion s'y attache et s'y applique : le ciel étoile au-dessus de
moi et la loi morale en moi {^). » — Mais la morale kantienne mérite plus
de reproches que d'éloges. Pour s'en convaincre il suffit d'examiner
l'un après l'autre les quatre points, auxquels nous avons ramené sa
doctrine :
I. — Kant ne prouve pas l'existence universelle du devoir ;
il affirme que le devoir est donné dans toute conscience humaine. Il ne
l'établit ni a priori, ni a posteriori.
a) L'existence du devoir n'implique pas la croyance à la liberté
telle que Kant la conçoit. En effet Kant distingue V homme- phénomène,
c'est-à-dire tel qu'il s^apparait à lui-même et apparaît aux autres ;
et V homme-noamène, l'homme en soi, considéré dans son essence qui est
inconnaissable (^). Les actions de l'homme-phénomène, étant dans le
temps et étant régies par le principe subjectif de causalité, sont soumises
à la loi du déterminisme. Mais nous n'avons pas le droit de dire de
l'homme-noumène qu'il n'est pas libre. Il se peut que la liberté noumé-
nale existe. Telle est la conclusion de la raison pure. Mais la raisoii pra-
tique montre que cette liberté est nécessaire, parce qu'elle est impliquée
par le devoir. Kant aboutit à une contradiction. Ou le devoir s'applique
au monde nouménal, et alors il n'a pas d'influence sur le monde phéno-
ménal qui est régi par la fatalité ; ou bien le devoir s'applique au monde
phénoménal, le seul dont nous ayons conscience d'après Kant et par
conséquent le seul qui nous importe, et alors l'homme-phénomène qui
y est soumis doit être libre pour pouvoir l'observer. Or Kant nie la liberté
phénoménale.
b) Les deux autres postulats {immortalité et existence d'un Dieu
rémunérateur) reposent sur une affirmation qui est en contradiction
avec la doctrine kantienne sur d'autres points. L'homme doit, dit-il,
chercher à réaliser le souverain bien, c'est-à-dire Vaccord du bonheur et
de la vertu ; or cet accord, dont la raison voit la nécessité, n'est pas
(M Kant, Critique de la raison pratique. Trad. Pic.vvet, p. 155.
(^) Ibidem, p. 291.
( ') Kant, Eléments métaphysiques de la doctrine de la vertu, l" P., L. I, Introd.i 3.
100 LA MORALE FORMELLE DE KA>T : CRITIQUE (42)
réalisable en ce monde ; donc il doit y avoir une autre vie. C'est bien
raisonné en soi ; mais Kant s'est interdit cette façon de raisonner, car
un des éléments fondamentaux de sa doctrine c'est que la pratique
de la vertu est incompatible avec la poursuite du bonheur (31, § B).
Pour éviter cette contradiction, Kant se contente ordinairement de
dire qu'il faut par la vertu se rendre digne du bonheur sans le rechercher.
Quand il parle ainsi, il n'est plus en opposition avec ses principes, mais
il enlève toute base à son argumentation : il n'a plus le droit d'affirmer
l'obligation de croire à l'immortalité de l'âme et à l'existence de Dieu,
puisque le fondement de cette croyance : la nécessité de l'accord du
bonheur et de la certii, a disparu.
II. — La thèse de Fantériorité du devoir sur le bien :
10 Est en contradiction avec la nature humaine. — L'homme est
un être raisonnable ; or un être raisonnable ne saurait, sans aller contre
sa nature, obéir à une loi dont il ne connaît aucune raison qui la motive.
L'obéissance à la loi morale doit donc être une soumission éclairée et
non l'exécution aveugle d'un commandement que rien ne justifie.
Or ce qui justifie la loi morale c'est sa conformité au bien en soi. Le devoir,
tel que le présente Kant, ressemble à une consigne inintelligible et
brutale, qui s'impose sans qu'il soit permis d'en chercher les motifs.
On l'a comparé à la discipline des armées allemandes. La logique des
choses a contraint Kant à être inconséquent avec son système ; lui
aussi rattache, quoi qu'il en dise, le devoir à un bien antérieur, et ce
bien antérieur c'est pour lui Y universalité rationnelle de l'action (20,
§ni).
2° Rend la morale impraticable en bannissant tout autre sentiment
que le respect (37, § C).
III. — La doctrine de l'autonomie de la volonté :
10 Ruine l'autorité de la loi morale. — Comment la volonté, étant
essentiellement changeante, pourrait-elle édicter une loi immuable ?
Comment un être, qui s'impose d'agir de telle ou telle façon, serait-il
lié par cet ordre émané de lui ? Après cet ordre, ou il n'est plus libre,
et alors il n'y a plus de moralité ; ou il le demeure ; il peut par conséquent
prendre une décision contraire et se délier de sa première obligation ;
alors que devient le caractère absolu, catégorique du devoir ? Il faut
donc que l'oiiligation ait un principe extérieur et supérieur à la volonté.
20 Compromet l'universalité de la loi morale. — Si chaque volonté
est autonome, pourquoi la loi morale serait-elle identique pour tous
les hommes ? Une loi, qui dépend de la volonté libre, peut changer
avec chaque volonté. On dira peut-être que Kant entend assigner
comme fondement du devoir la volonté en tant qu'elle est la même
chez tous les liommcs. Soit. Mais la volonté a précisément chez tous
les hommes ceci de commun qu'elle est libre. Dans ce cas, il faut convenir
(43) MORALE DU BIEN RATIONNEL 101
que c'est la raison, faculté fatale, partout la même, cfui montre à chaque
volonté humaine la règle du devoir. Mais c'est chercher le fondement
de l'obhgation en dehors de la volonté et par conséquent sortir du sys-
tème de Kant.
IV. — La première formule n'est que partiellement vraie. Il faut
dire avec Kant que l'homme ne peut être pour l'homme un simple
moyen. Mais on ne peut lui accorder que la personne humaine est une
fin en soi, une fin absolue. Elle n'est qu'une fin relative, car l'homme
est subordonné à Dieu, seule fin dernière et suprême.
La deuxième formule n'ajoute rien d'essentiel à la première en ce
qui concerne la détermination des devoirs ; inutile de s'y arrêter.
La troisième formule est vraie ; mais elle n'appartient pas en
propre à la morale kantienne. De plus, elle est inconciliable avec le
formalisme de Kant. En effet, pour savoir quelles actions peuvent être
érigées en lois universelles, Kant fait entrer en ligne de compte l'intérêt
général ou particulier et alors, comme le lui reproche Schopenhauer,
il raisonne comme un vulgaire utilitaire. — Ensuite, comme nous
l'avons noté, prendre V universalité rationnelle comme critérium moral,
c'est sortir de la considération de la forme pure pour envisager un bien
antérieur au devoir.
La quatrième formule n'est pas spéciale à la morale kantienne.
Conclusion : on peut donc dire que la morale kantienne « pèche
par la façon dont Kant tire ses conséquences de ses principes. Elle pèche
encore, elle pèche surtout par ses principes eux-mêmes » (^).
43. — MORALE DU BIEN RATIONNEL
Nous avons prouvé que ni le plaisir, ni l'intérêt, ni le sentiment,
ni l'idéal esthétique, ni le bonheur rationnel, ni l'obéissance à la nature,
ni le respect de la loi ne peuvent être le principe de la loi morale. Le
motif du bien en soi, du bien rationnel, c'est-à-dire de ce qui est conforme
à la nature raisonnable de l'homme, étant le dernier motif de nos actions
constaté par l'observation psychologique, il s'ensuit que lui seul peut
être le principe de la loi morale. Mais on peut l'établir directement
par l'analyse de l'idée du bien en soi. Cette idée a tous les caractères
qui conviennent à la loi morale (-). L'idée du bien est :
I. — Obligatoire : c'est par là qu'elle se distingue des autres
idées de la raison. Quand je dis : c'est un mal de mentir, c'est un bien
(') A. Cresson, La Morale de Kant, Cli. m, § IV, p. 159, Paris, 1897. — V. Delbos,
La philosophie pratique de Kant.
( *) P. Janet, La morale, L. II, Ch. ii. — Mgr d'Hvlst, Conférences de Notre-Dame,
1891, 3= et 4« C. — Beaussire, Les principes de la morale.
I
102 ORIGINE DE l'idée DU BIEN (44)
d'honorer ses parents ; ces jugements ne sont pas seulement spéculatifs
comme des vérités scientifiques, ils sont pratiques : j'affirme que je suis
tenu de ne pas mentir et d'honorer mes parents.
II. — Absolue : elle s'impose à la raison sans condition. La conscience
ordonne, au nom du bien, indépendamment du plaisir, de l'intérêt et
du sentiment. Le bien en soi n'est en somme que notre nature idéalisée.
Or l'idéal de notre nature étant le terme dernier de notre tendance,
au delà duquel nous ne saurions aller, la raison voit en lui une fin en
soi qui doit être voulue pour elle-même. Il serait absurde de la vouloir
conditionnellement, car alors elle ne serait plus une fin dernière, mais
une fin relative, c'est-à-dire un moyen d'arriver à un autre bien.
III. — Universelle : c'est un fait que tout homme a l'idée du bien
et qu'il distingue le bien du mal. Les erreurs ne portent pas sur les
principes fondamentaux de la morale (12). — C'est un fait aussi que la
conscience ne confond pas le bien avec le plaisir, l'intérêt, ou les senti-
ments divers qui accompagnent notre activité. Cela se comprend :
puisque le bien est fondé sur la nature humaine, il doit être universel
et immuable comme elle.
IV. — Claire et pratique : tous entendent les préceptes généraux
de la loi morale et s'attribuent la faute de leur violation. — De plus.
Dieu ne pourrait, sans aller contre sa justice et sa sagesse, nous imposer
le joug d'une loi impraticable. Or le bien en soi est admirablement
adapté aux exigences de nos facultés, puisqu'il est, par définition, ce
qui est conforme à notre nature raisonnable.
Conclusion : le bien rationnel, qu'on nomme d'un mot l'honnête,
étant une règle obligatoire, absolue, universelle, claire et pratique, est
donc le souverain bien, la fin suprême de l'activité humaine et le prin-
cipe de la morale.
44. — ORIGINE DE L'IDÉE DU BIEN
A) Systèmes empiriques : ils dérivent l'idée du bien de Vexpé-
rience et la ramènent soit au plaisir, soit à l'intérêt, soit au sentiment.
Réponse : il est impossible d'identifier le bien en soi avec le plaisir,
l'intérêt et le sentiment, parce que ces objets, n'étant pas obligatoires,
sont relatifs, particuliers, variables, tandis que le bien est obligatoire
absolu, universel, immuable (43).
\^) Systèmes rationnels : l'idée du bien nous est fournie, comme
toute nritioii première, par la raison s' appuyant sur Vexpériencc. C'est
la conscience morale ou raison pratique qui la dégage de l'analyse des
jugements et des sentiments moraux (0).
I
(45) NATURE DE l'iDÉE DU BIEN RATIONNEL 103
On voit pourquoi et comment on peut ramener tous les systèmes
de morale à deux grandes catégories :
I. — Les uns empruntent la règle de nos actions à la sensibilité.
Ce sont les morales empiriques qu'on subdivise en deux groupes :
A) Morales utilitaires, intéressées : plaisir, satisfaction morale, intérêt,
B) Morales sentimentales, désintéressées : altruisme, bienveillance,
sympathie, sentiment de l'honneur.
II. — Les autres empruntent la règle morale à la raison.
Ce sont les morales rationnelles : idéal esthétique, eudémonisme
rationnel, morale formelle, bien rationnel.
45. — NATURE DE L'IDÉE DU BIE)î RATIONNEL
§ A. — EXPOSÉ
Qu'est-ce que le bien ? Quelle est sa nature ? Les uns considèrent
cette idée comme simple et irréductible. D'autres la regardent comme
complexe et ont essayé d'en déterminer la compréhension. C'est ainsi
que l'idée de bien a été ramenée à l'idée :
I. — De fin, par Aristote (^) et Jouffroy (1796-1842). Le bien
est la cause finale, ce que tous les êtres désirent. « Le bien est la coordi-
nation de toutes les fins », c'est la fin universelle, suprême. Faire le
bien, c'est tendre à sa fin ; mal faire, c'est s'en écarter.
Critique : sans doute la fin d'un être c'est son bien. Mais il vaut mieux
définir la fin par le bien que le bien par la fin. De ces deux idées, l'idée
de bien est la première. C'est parce que nous jugeons un objet meilleur
que celui dont nous jouissons, que nous tendons vers lui comme à une
fin. — De plus, Jouffroy a eu tort de ne pas déterminer en quoi consistait
cette fin universelle et suprême (^).
IL — Du vrai par Wollaston (1659-1723) (^), philosophe anglais.
Agir c'est affirmer : le bien n'est donc que le vrai exprimé dans nos
actions. Une action est bonne quand elle est conforme au vrai, mauvaise
quand elle est en contradiction avec lui : vg. manquer à la piété filiale
est mal, parce que c'est affirmer que l'on ne doit rien à ses parents.
Haïr Dieu c'est un mal, parce que c'est nier sa bonté.
Critique : métaphysiquement le vrai et le bien s'identifient dans
l'être absolu, en Dieu. Mais ils sont distincts par rapport à nous et à
( M Aiustote, Morale à Nicomaque, L. I, Ch. i, § 1 : « Le bien c'est ce qui est recherché
par tout être. » TayaOèv oO Tiav-' fiisTat.
( -) Jouffroy, Cours de droit nalurel, Leçons XXVIII-XXXII.
(') WoLLASTON, Esquisse de la relifjion naturelle. — Cf. Jouffroy, Cours de droil
naturel, XXIV^ Ijeçon.
104 NATURE i)E l'idée DU BIEN RATIONNEL (45)
nos actions. Sans doute, toute bonne action est la réduction en pratique
d'une vérité. Cependant l'idée du vrai s'étend plus loin que l'idée du
bien : tout ce qui est bien est vrai, mais tout ce qui est vrai n'est pas
fl^cessairement bien moralement : « Donner de l'arsenic pour empoi-
sonner, dit Jouffroy, c'est respecter la vérité chimique.» Il y a nombre
de vérités qu'on peut affirmer sans être pour cela vertueux, car les
vérités morales formenl un ordre à part, elles ne sont pas seulement
vraies pour la raison, mais obligatoires pour la volonté.
m. — De l'ordre par Montesquieu (1689-1755). « Faire le bien,
c'est respecter les rapports essentiels qui dérivent de la nature des
choses ; les violer c'est faire mal (^). » L'ensemble de ces rapports constitue
les lois, l'ordre. Le bien c'est donc, en définitive, le respect de l'ordre.
Critique : cette formule a le tort d'être imprécise. De quel ordre
s'agit-il ? Outre l'ordre moral, il y a l'ordre logique, l'ordre mathéma-
tique, l'ordre physique, etc. Nous ne sommes pas tenus de respecter
n'importe quel ordre. En fait, nombre de lois et de rapports n'inté-
ressent en rien la moralité. — Bien plus, les actes coupables peuvent
exister sans se conformer à un certain ordre logique, physique, etc. —
Nous nous soumettons aux lois de la nature, non comme à une nécessité
morale qui nous oblige, mais comme à une contrainte inévitable, parfois
odieuse,
IV. — D'universalité par Kant (1724-1804) (2). — L'idée d'univer-
salité est en effet l'un des caractères du bien rationnel ; mais ce n'est
pas là le bien tout entier. L'universalité est une pure forme, qui réclame
un contenu. Or ce contenu ne peut être que la satisfaction ou Vexcellence
des rapports qui unissent les êtres entre eux (Cf. V). C'est ce caractère
de perfection qui permet à la raison de distinguer les fins universalisahles
de celles qui ne le sont pas, assignables par conséquent à tout être rai-
sonnable. Kant d'ailleurs a dû en venir à ce critérium de la perfection.
Faire de la personne humaine la fin en soi, la fin absolue, n'est-ce pas
reconnaître implicitement que la personnalité est la perfection même ?
V. — De perfection par Malebranche (1638-1715). De même
qu'il y a des rap])orts de grandeur qui sont l'objet des mathématiques,
il y a des rapports de perfection qui sont l'objet de la morale. Une bête
est plus estimable qu'une pierre et moins estimable qu'un homme,
parce qu'il y a un plus grand rapport de perfection de la bête à la pierre
que de la pierre à la bête, et qu'il y a un moindre rapport de perfection
entre la bête comparée à l'homme, qu'entre l'homme comparé à la bête.
C'est un ordre immuable que les esprits soient plus nobles que les corps,
comme c'est une vérité nécessaire que deux fois deux soient quatre
(M .Md.NTEsyijiEU, De l'esprit des lois, L. I, Ch. i.
( ') Cf. supra, 4-2, § A, IV, 3°.
(45) NATURE DE l'idÉE DU BIEN RATIONNEL 105
OU que deux fois deux ne fassent pas cinq. Dieu aime et veut les choses
à proportion de leur perfection, c'est-à-dire à proportion qu'elles lui
ressemblent (^).
Critique : cette doctrine nous semble vraie. L'idée de bien, l'idéal
moral se ramène à l'idée de perfection. Il faut noter cependant qu'il ne
s'agit pas de la perfection en général, mais de la perfection en harmonie
avec notre nature, de la perfection humaine. C'est en réalisant la perfec-
tion proportionnée à sa nature et à ses forces que l'homme imitera Dieu
et réalisera la définition de la vertu donnée par Platon : La vertu consiste
à se rendre autant que possible semblable à Dieu.
§ B. — ANALYSE DE L'IDÉE DE PERFECTION
On peut aller plus loin en faisant l'analyse de l'idée de perfection
relative à l'homme. D'après Leibniz (2), l'idée de perfection se résout
en deux autres : l'idée d'être, c'est-à-dire d'activité aussi grande que
possible, puisque être c'est agir ; — l'idée d'ordre, d'harmonie. Essayons
de le montrer en l'appliquant à l'homme et à ses facultés.
Toute faculté est une tendance vers un bien déterminé pour lequel
elle est faite et qui lui manque. Si la nature humaine se réduisait à une
seule faculté, son bien absolu s'identifierait avec le bien de cette faculté ;
en tendant vers ce bien elle réaliserait le maximum de développement
de son être et le maximum de bonheur qui en est la conséquence néces-
saire. Mais la nature humaine est complexe : elle comprend tout un
ensemble de facultés et ces facultés sont de valeur inégale. Son bien
absolu, sa perfection, résultera d'abord du déploiement de toutes ses
facultés : c'est l'élément de puissance et d'intégrité. Il résultera ensuite
d'un déploiement harmonieux, c'est-à-dire proportionné à la valeur de
chaqu3 faculté : c'est l'élément d'ordre.
La nature humaine est un tout, dont les divers éléments constituent
un système de tendances unies et ordonnées hiérarchiquement, qui
concourent aux fins de l'ensemble. La perfection de l'homme, son sou-
verain bien, consistera donc dans un développement iiarmonieux de
toutes ses facultés se déployant en concours et en ordre. Cette harmonie
découle de la subordination des fonctions inférieures de la vie végétative
(M Cf. Malebranche, Traité de morale. Partie I, Ch. i.
(*) Leibniz, Von der Glûckseligkeil (De la béatitude). « La perfection est plénitude,
force et aussi ordre... La perfection est une sorte d'élévation, d'exhaussement de l'être ;
en d'autres termes, c'est un degré éminent de l'être ou de la force ; perfection ou excellence
c'est tout un. Et plus haute est l'activité ou plus grande la force, plus haut et plus libre est
l'être. Mais puisque la force est d'autant plus grande qu'une plus grande pluralité sort de
l'unité ou s'y ramène, étant régie par elle ou trouvant en elle son principe intime, et que
cette unité dans la pluralité c'est l'harmonie, voilà que la perfection est harmonie, et l'har-
monie produit la beauté, laquelle engendre l'amour. ■> (Cité pat Ollé-Laprune, Essai sur
la morale d'Aristote, Ch. vu, p. 210, Paris, 1881).
106 NATURE DE l'iDÉE DU BIEN RATIONNEL (45)
et sensitive aux fonctions supérieures de la vie spirituelle, de la vie
raisonnable et libre (^). Mais l'homme ne vit pas isolé. Il faut encore
que le développement de notre personnalité se fasse, non pas au détri-
ment, mais à l'avantage des autres personnalités dont la valeur est
égale à la nôtre. Le souverain bien de l'homme, sa perfection, consiste
donc, en dernière analyse, dans l'épanouissement intégral et ordonné
de toutes ses facultés, qui n'a de limite que le respect des autres person-
nalités. C'est en réalisant cette fin que notre activité atteindra la per-
fection dont elle est capable : la vertu ou habitude de faire le bien, qui
est l'accroissement de notre être moral, et le bonheur ou satisfaction
complète et harmonieuse de toutes nos tendances, qui est la conséquence
et la récompense du bien pratiqué.
Conclusion : bref, la perfection de l'homme consiste dans le déve-
loppement complet et harmonieux de toutes ses facultés, subordonné
à la faculté caractéristique de l'homme, à la raison. C'est pourquoi ces
formules : Obéir à la raison. Suivre V ordre. Ressembler à Dieu. Aimer
Dieu, qui prescrit cette obéissance et cette observation (46, § B), sont
au fond des formules équivalentes de la loi morale (-).
§ C. — CRITÉRIUM DU BIEN ET DU MAL
I. — Vrai fondement de la distinction du bien et du mal (^) :
le devoir c'est Fobligatiun de faire le bien. Le bien, c'est ce qui convient
à la nature d'un être, ce qui, par conséquent, le perfectionne. Si l'on
considère le bien en soi ou idéal moral par rapport à l'homme, on l'appelle
Fhonnête et on le définit : Ce qui convient à la nature raisonnable, ce qui
perfectionne Vhomme. Le mal, c'est ce qui ne convient pas à la nature
raisonnable de l'homme ; c'est le manque d'une perfection qui devrait
( ') On demandera sans doute quel est le critérium qui nous permet de mesurer la perfec-
tion relative des diverses facultés. Ce critérium, nous l'empruntonsàsaint Thomas et à Leib-
niz. La valeur se ii|esure à la quantité d'être, au degré d'activité exercée : In tanlum est
(lulem per/eclum unumquodque, in quantum est in actu (S. Thomas, Summa theologica, I" P.,
0- V, Art. 1.— Cf. Leibniz, Opère cit.). Ainsi la plante qui vit vaut mieux que la pierre,
qui ne vit pas.; l'animal qui vit et sent vaut mieux que la pierre qui ne vit pas et que la
plante qui ne sent pas ; l'homme leur est supérieur parce qu'il vit, sent et raisonne. Dieu
est au sommet de la perfection parce qu'il a la plénitude de l'ôtre (Ps. 13). Même gradation
entre les diverses qualités d'un même être. Dans l'homme l'intelligence et la volonté l'em-
portent sur les facultés sensibles, parce qu'elles représentent plus d'être ; leur activité est
moins mélangée de passivité (Ps. 14). Les fonctions des facultés sensibles étant moins
importantes, ces facultés se rapportent aux facultés spirituelles (raison et volonté) comme
des moyens à leur nn ; c'est pour cela qu'on les appelle inférieures et subordonnées.
( ') P. Janet emploie le mot excellence comme synonyme de perfection (La morale,
L. I, Ch. m.)
( *) JouFFROY, Mélanges philosophiques : Du bien et du mal. — S. Thomas, Summa
Iheol., I» P., Q. V. — Suakez, Disputationes Metaphy^icae, Disp. X. — Pallavicini, Del
bene. — Palmieiu, Ontologia, Thés. xi.
I
(46) FONDEMENT DE l'oBLIGATION 107
être présente : Carentia perjeclionis débitée. Toute action conforme à la
nature raisonnable de l'homme est bonne ; toute action, qui lui est
contraire, est mauvaise. La convenance ou la disconvenance avec la
nature raisontiable, tel est donc le principe de la distinction du bien et
du mal. C'est là le fondement i'mmérfm/; mais le fondement dernier, c'est
Vessence même de Dieu, sur laquelle repose l'ordre essentiel des choses (18).
II. — Fondement faux : Volonté arbitraire de Dieu. — Duns
ScoT, Guillaume d'Occam, Descartes, Crusius faisant dépendre
l'essence des choses de la volonté arbitraire de Dieu, ont fait logiquement
dépendre de cette même volonté la nature du bien et du mal. Le bien
est bien parce que Dieu le veut ; il aurait pu, s'il l'avait voulu, faire
que ce qui est bien fût mal et que ce qui est mal fût bien. Dieu ne com-
mande donc pas une chose parce qu'elle est bonne en soi ; mais elle est
bonne parce que Dieu la commande.
Réponse : s'il n'existe aucun bien en soi, logiquement antérieur
à la volonté divine et lui servant de règle, cette volonté est dépourvue
de raison, arbitraire et par suite contraire à la sagesse même de Dieu.
A moins donc de supprimer la sagesse divine, il faut reconnaître que,
si Dieu commande ou défend une action, ce commandement ou cette
défense ont leur raison d'être dans la bonté ou la malice intrinsèque
de l'acte, dans l'essence des choses, que l'intelligence de Dieu conçoit,
mais qui ne dépend pas de sa volonté, parce que l'essence des choses
est une imitation plus ou moins parfaite de l'essence de Dieu qui est
immuable. Il existe donc un bien en soi, antérieur à la volonté divine.
Remarque : s'il s'agit non de choses intrinsèquement bonnes ou
mauvaises, mais de choses indifférentes en soi, c'est-à-dire sans rapport
essentiel avec le souverain bien, il est vrai alors de dire que tel acte
sera bon parce que Dieu le commande, mauvais parce qu'il le défend.
Cette remarque vaut également pour les lois positives humaines : Bonum
quia imperatum ; malum quia prohibitum.
ï
46. — FONDEMENT DE L'OBLIGATION (i)
Nous avons défini le devoir : le bien en tant qu'obligatoire. Pour
expliquer la nature du devoir, deux questions sont à résoudre :
1° En quoi consiste le bien, qui est la matière du devoir ? Nous
venons de montrer que le bien se ramène à l'idée de perfection, laquelle
:se compose de deux éléments : V intégrité et ï ordre. ,
20 D'où vient ce caractère obligatoire, qui est la forme du devoir? C'est
la seconde question à éclaircir. Ilfautd' abord écarter les solutions erronées.
(M Beaussire, Les principes de la morale, L. IV, Ch. ii. — G. Fulliquet, Essai sur
l'obligation morale. — G. Lefèvre, Obligation morale et Idéalisme.
108 FONDEMENT DE l'oBLIGATION : SYSTÈMES ERRONÉS (46)
§ A. — FONDEMENTS RUINEUX
I. La Sanction : on a prétendu que notre bonheur était néces-
sairement attaché à la pratique du bien ; nous nous sentons obhgés de
faire celui-ci parce que nous ne pouvons pas ne pas désirer celui-là.
Ainsi l'homme serait tenu de faire le bien et d'éviter le mal, à cause des
récompenses et des châtiments qui en sont la conséquence nécessaire.
Réponse : A) La sanction, étant une suite de l'obligation, n'en saurait
être le principe : on ne peut être récompensé ou puni qu'autant qu'on a
préalablement observé ou violé un devoir connu.
B) Fonder l'obligation sur la sanction, c'est réduire la morale à
l'intérêt.
n. • — Les lois humaines : ce sont les législateurs qui auraient établi
la distinction du bien et du mal et donné au bien sa force obligatoire.
Réponse : A) Les lois humaines tirent leur autorité de la loi morale.
C'est à la lumière de la loi morale que les hommes jugent de la légitimité
ou de l'illégitimité des lois civiles, selon qu'elles sont conformes ou -non
à l'ordre essentiel des choses, au droit naturel.
B) Le devoir est universel et absolu ; comment a-t-il pu tirer ces carac-
tères des volontés humaines, essentiellement particulières et changeantes?
C) Les lois humaines sont loin d'embrasser tout le domaine de la
moralité ; elles n'atteignent pas : les actes qui se passent dans le for
intérieur, vg. pensées et désirs ; — les actions qui ne sortent pas du
foyer domestique : vg. désobéissance des enfants ; — les fautes qui ne
menacent pas matériellement l'prdre extérieur, bien qu'elles soient
réprouvées par la conscience pubHque : vg. égoïsme, ingratitude.
D) Cette théorie aboutit à des conséquences désastreuses pour
l'individu et la société : si l'on ne distingue pas entre la légalité, c'est-
à-dire ce qui est conforme à la loi humaine, et la Justice, c'est-à-dire
ce qui est conforme à la loi morale, le pouvoir législatif peut imposer
toutes les tyrannies et toutes Içs injustices (17, § II, D).
III. — L'autonomie de la volonté : c'est la thèse de Kant, qui
a été déjà exposée et réfutée {^^i'I, § A, III ; § B, III).
IV. — La nature humaine raisonnable : c'est l'opinion de
Vazquez (^) et de plusieurs Scolastiques. D'après eux le fondement
de l'obligation, c'est la nature raisonnable de l'honîme, considérée en
elle-même, sans relation avec la loi éternelle. De ce que certains actes
sont conformes à cette nature raisonnable, et d'autres en désaccord
avec elle {eo solum tilulo qnod iionnullcc actiones eain deceant, aliœ vero
dedeceant), ils concluent que l'homme est obligé d'accomplir 1^ uns
(M G. VAzyuEZ, Commenlar. in primam secundœ S. Thomse, Disputalione 107, C. v,
et Disput. 144.
(46) FONDEMENT DE l'obLIGATION : SYSTÈMES ERRONÉS 109
et d'éviter les autres, antécédemment à tout ordre émané de la sagesse
et de la volonté de Dieu.
Il ne faut pas confondre cette opinion avec celle de Kant, car une
différence radicale les sépare. Vazquez et ses tenants, à l'opposé de Kant
et de se^ partisans, reconnaissent le souverain domaine du Créateur et
l'absolue dépendance des créatures. Si, à leurs yeux, la loi naturelle
n'est pas une participation de la loi éternelle, si par conséquent Dieu
n'est pas l'auteur immédiat de l'obligation, cependant il la veut, il
l'approuve, il la corrobore par des sanctions.
Critique : si l'obligation est constituée sans recours à la loi éter-
nelle, si la nature humaine raisonnable en est le fondement, il suit que
cette nature a par soi le pouvoir de se lier et délier. Par ce côté l'opi-
nion de Vazquez rejoint celle de Kant et est sujette aux mêmes objec-
tions. (42, § B, III.)
De cette doctrine suivrait aussi cette conséquence inadmissible
qu'on pourrait pécher gravement tout en ignorant la Majesté divine.
(Cf. m/ra. Remarque II).
La convenance ou la disconvenance avec la nature raisonnable est
le fondement prochain de la distinction du bien et du mal (45, § C).
Le tort de Vazquez a été d'aller plus loin et de prétendre qu'elle
est aussi le fondement de l'obligation. C'était oublier que, pour imposer
une obligation, il faut avoir le droit de commander, et par conséquent,
qu'il faut être supérieur à ceux qui sont obligés. On ne saurait donc
s'obliger soi-même.
V. — L'idée du bien, abstraction îaite de la volonté de Dieu :
c'est la thèse de la morale indépendante. Le bien est obligatoire parce
qu'il est le bien ; il s'impose à la volonté par le fait même qu'il est
connu et il ne tient son autorité que de lui-même. La question posée
est celle-ci : le bien et le devoir sont-ils tellement liés l'un à l'autre que
notre esprit ne puisse concevoir le bien sans le concevoir comme obli-
gatoire ou faut-il un autre principe pour opérer cette liaison ?
Réponse : le bien n'est pas obligatoire par lui-même, car :
A) Ce serait confondre le motif de la loi avec la loi elle-même ; autre
«hose est le hien^ autre chose est le précepte de faire le bien. La preuve
en est que le bien est plus étendu que le devoir ; l'héroïsme c'est le bien
au degré supérieur, et cependant l'héroïsme n'est pas obligatoire. La loi
morale, s' adressant à la masse de l'humanité, ne peut imposer que cette
mesure moyenne de bien qui est à la portée de tous : autrement, elle
serait impraticable.
B) La raison, étant une faculté de connaître, peut nous imposer
une nécessité de penser, c'est-à-dire l'adhésion à l'évidence, mais non
une nécessité d'agir, c'est-à-dire une obligation. La raison nous montrant
le bien est une lumière qui éclaire notre route ; ce n'est pas une force
110 FONDEMETST DE l'oBLIGATION : VOLONTÉ DE DIEU (46)
qui nous oblige à la suivre. Le bien, la perfection qu'elle nous présente
est un idéal qui, par sa beauté et sa grandeur, peut solliciter, attirer,
émouvoir toutes les puissances de notre être ; ce n'est pas une loi qui
s'impose.
C) Une idée conçue par la raison ne peut, par elle seule, obliger, car
il n'y a pas de loi sans législateur, ni d'ordre sans une volonté qui l'im-
pose. Or cette volonté ne peut être la volonté humaine, comme nous
l'avons établi contre Kant, parce que la loi morale perdrait toute auto-
rité (42, § B, III). Reste la volonté divine.
VI. — Décret libre de Dieu : Puffendorf ne va pas jusqu'à dire
avec Occam et Descartes (45, § C, II) que la distinction du bien et du mal
dépend du bon plaisir divin. Non, le bien est par nature distinct du mal ;
mais le bien n'est obligatoire et le mal n'est défendu qu'en vertu d'un
décret libre de la volonté divine.
Critique : si l'obligation du bien résulte d'un décret arbitraire de
Dieu, la relation qui unit l'obligation au bien est purement contingente.
Alors Dieu aurait pu rendre obligatoire le mensonge, le blasphème, etc.
§ B. — VÉRITABLE FONDEMENT (i)
Volonté infiniment sage de Dieu : une volonté arbitraire séparée
de la raison serait en Dieu la suprême imperfection. Le vrai fondement
du devoir, c'est la volonté divine éclairée par la raison infinie. Mais,
en Dieu, toutes les perfections sont unies et par conséquent la volonté
ne fait qu'un avec sa sagesse. L'accomplissement de cette volonté
constitue le bien moral et son habitude constitue la certii. C'est la magni-
fique définition donnée par Pythagore et Platon : La vertu consiste
à ressembler à Dieu par l'imitation : "il^oloiGic; Ô£w (^). Dans l'intelli-
gence divine, tous les êtres et leurs rapports sont représentés avec leur
degré de perfection, et Dieu aime les êtres dans la mesure de la perfection
qu'il leur a donnée et qu'il connaît. C'est pourquoi, si l'homme propor-
tionne son amour envers les êtres à leur perfection relative, il s'établit
entre la volonté humaine et la volonté divine une conformité qui est
l'ordre. L'homme aime ce que Dieu aime et il l'aime dans la mesure
où Dieu l'aime. Enfin, s'il aime Dieu par-dessus toutes choses, l'homme
est pleinement dans l'ordre ; il fait le bien. Le bien moral c'est donc
l'ordre dans V amour, ordo amoris, selon la belle définition de saint Augustin
adoptée par Malebranche.
Dieu connaît son essence infinie et voit les essences de tous les pos-
( ') Nous supposons rli^'inontrée l'existence de Dieu et de ses attributs. L'obligation,
considérée comme fait psychologique, fournit l'une des preuves de l'existence de Dieu
(Théodic^:e, Ch. m, Art. I, Sect. I, 74).
(') Platon, Théélèle, Didot, T. I, p. 135, ligne 33.
(46) FONDEMENT DE l'oBLIGATION : VOLONTÉ DE DIEU 111
sibles, c'est-à-dire les diverses façons dont la perfection de son être est
imitable. Il voit en même temps les relations invariables qui découlent
des différentes essences de ces êtres. L'ensemble de ces relations néces-
saires constitue l'ordre essentiel des choses, la hiérarchie des fins qui
relient les êtres entre eux et à l'absolu. Cet ordre essentiel connu par
Dieu est bon, puisqu'il repose sur son essence même. Étant bon. Dieu
infiniment saint doit l'aimer. Quand Dieu crée, quand il fait passer
une partie des possibles à l'existence, Dieu veut nécessairement que
l'ordre essentiel, conçu et aimé par Lui, soit respecté par toute créature.
Il fait prévaloir cette volonté par la contrainte physique dans les créa-
tures dénuées de liberté ; il l'impose comme une obligation, comme
une nécessité morale, à l'être raisonnable et libre, à l'homme. C'est
ainsi que la volonté divine, commandant de respecter et défendant
de troubler l'ordre essentiel des choses que lui montre la raison divine,
est le principe de la loi morale, le fondement du devoir. Ratio divina
i>el voluntas Dei ordinem naturalem conservari jubens, perturbari vetans (^).
La raison éternelle conçoit l'ordre essentiel comme devant être observé,
le vouloir divin en impose l'observation à tout être créé (18).
Par là même s'expliquent tous les caractères du bien : il est absolu,
immuable, souverain, beau, puisqu'il est la perfection infinie. Il est enfipi
obligatoire, parce que cette perfection infinie est une volonté toute sage
et toute puissante qui ordonne à notre volonté de la prendre comme
idéal et de la reproduire dans ses actes. On comprend dès lors cette
prescription sublime de l'Évangile : « Soyez parfaits comme votre
Père céleste est parfait (^). » Et c'est ainsi qu'en dernière analyse l'amour
du bien, l'amour de l'ordre, l'amour du devoir ne sont que les noms
abstraits de l'amour de Dieu et de sa volonté sainte. Aussi pour le phi-
losophe spiritualiste le motif du devoir n'a pas la froideur d'une abstrac-
tion philosophique, puisqu'il se confond avec l'amour de la volonté du
Dieu vivant et personnel, de notre Père qui est aux cieux : Fiat voluntas
tua !
Conclusion : le bien en soi, c'est ce qui perfectionne la nature
humaine, c'est ce qui est conforme à la nature raisonnable. L'obligation
a pour fondement la volonté infiniment sage de Dieu. On voit donc que
le devoir repose tout ensemble et sur la nature de l'homme et sur la
volonté de Dieu. La nature raisonnable en fournit la matière qui est
le bien, et la volonté divine en fournit la forme en rendant le bien obli-
gatoire.
Mais il est un autre bien, qui est la conséquence de l'accomplissement
du devoir : c'est le bien moral. On peut le définir : l'observation du
(') s. Augustin, Contra Fauslum, L. XXII, C. xxvii
{') S. Matthieu, v, 48.
112 PRÉCEPTE ET CONSEIL (46)
devoir, c'est-à-dire la réalisation dans les actes de l'idéal de perfection
qui s'impose à toute volonté humaine.
Remarques : I. — Précepte et Conseil : on a établi (46, § A, V) que
tout bien n'était pas formellement obligatoire par lui-même ; autrement,
l'héroïsme serait obligatoire pour tous. Il y a donc place, entre ce qui
est strictement ordonné et ce qui est rigoureusement défendu, pour ce
qui est simplement permis. Il faut donc distinguer entre le bien obli-
gatoire et le bien surérogatoire, entre le précepte et le conseil. Par consé-
quent, l'idée du devoir n'est pas formellement coextensive à l'idée du
bien. Le bien a un domaine plus étendu que le devoir strict. On objectera
peut-être que cette doctrine est en contradiction avec ce que nous
avons exposé plus haut : l'idée du bien est obligatoire. — La contra-
diction n'est qu'apparente, car nous parlions là d'une façon générale ;
or on peut dire en général que le bien est obligatoire, quitte à spécifier
ensuite. Tout bien n'est pas formellement et actuellement obligatoire :
vg. l'héroïsme. Mais tout bien est virtuellement obligatoire, et il le devient
formellement et actuellement, sans intervention nouvelle de la volonté
divine, dès que la raison le perçoit comme nécessaire pour observer la
loi morale et atteindre la fin dernière. C'est ainsi que les actes héroïques,
auxquels nul n'est tenu en règle générale, deviennent strictement obli-
gatoires : vg. pour le prêtre et le médecin en temps d'épidémie, pour le
soldat en temps de guerre, etc.
II. — Péché philosophique : on a appelé péché philosophique un
désordre moral grave qui serait une faute contre la raison et ne serait
pas une offense de Dieu, parce qu'on suppose que l'agent ignore Dieu
invinciblement.
La notion de péché philosophique répugne comme contradictoire
dans les termes.
En effet : a) Ou bien l'agent a le plein usage de sa raison, ce qui
suppose la conscience réfléchie de la loi morale, et alors il pèche non
seulement contre le dictamen de la raison, mais aussi contre la volonté
de Dieu, car une telle conscience ne peut exister sans une connaissance
au moins confuse de Dieu. La loi morale, étant absolue et immuable,
exige un législateur absolu et immuable comme elle, c'est-à-dire Dieu.
(Théodicée, Ch. III, Art. I, Sect. I, 74).
b) Ou bien l'agent n'a pas le plein usage de la raison, et alors il ne
pèche pas contre le dictamen de la raison, ni conséquemment contre
Dieu.
Il n'y a donc pas place pour le péché philosophique {}). Ce qui est
vrai, c'est qu'on peut considérer l'acte du péché sous un double aspect :
(') Cf. L. Billot, dans Études, T. 164, p. 400-403.
(46) LE PÉCHÉ PHILOSOPHIQUE 113
« Le péché est envisagé par les théologiens, principalement en tant qu'il
offense Dieu, et par le philosophe moraliste, en tant qu'il est contraire
à la raison » (^). Mais ces deux aspects sont toujours inséparables dans
la réalité, c'est-à-dire que tout acte contraire au dictamen de la raison
est en même temps contraire à la loi divine, et réciproquement tout acte
contraire à la loi divine est aussi contraire au dictamen de la raison.
1^
( ') Dicendura quod a theologis consideratur peccatum prœcipue secundum quod est
otTensa contra Deum ; a Philosopho autem morali, secundum quod contrariatur rationi.
(S. Thomas, Summa theologica, I», II»», Quaest. LXXI, Art. VI, ad S»"»).
CHAPITRE IV
GONSÉQUENGES DE LA MORALITÉ (')
L'homme est un être moral parce qu'il est raisonnable et libre.
Les principales conséquences de la moralité sont la personnalité (Ps. 200)
et la responsabilité, le mérite et le démérite, la sanction, la vertu.
47. — RESPONSABILITÉ MORALE
§ A. — NATURE
La responsabilité est le caractère des personnes qui peuvent et doivent
rendre compte de leurs actions, c'est-à-dire s'en reconnaître les auteurs
et en supporter les conséquences. Pour qu'un agent soit responsable
d'une action, il faut qu'il puisse expliquer quelles sont les causes efficiente
et finale de cette action. Or le seul être capable de répondre à ces questions
est celui qui, étant raisonnable et libre, a posé la cause finale de l'action
et en a été la cause efficiente. La responsabilité est donc fondée sur la
loi de causalité, qui fait de l'effet un attribut de la cause. C'est pourquoi
l'agent peut être substitué à l'action qu'il a produite. — Au terme
responsable, qui se dit des personnes, correspond le terme imputable,
qui se dit des actions. L'imputabilité est la propriété qu'a l'action d'un
agent libre de lui être attribuée.
§ B. — CONDITIONS DE LA RESPONSABILITÉ
La responsabilité morale suppose comme conditions :
I. — Le libre arbitre : c'est la condition fondamentale, qui est
comme le principe de la responsabilité. On ne peut être responsable
( ') Platon, Gorgias. — Caro, Les problèmes de morale sociale. — P. Janet, La morale,
L. TII, Ch. VIII, XI. — E. Beaussire, Les principes de la morale. — H. Marion, De la
Solidarité morale. — Piat, La personne humaine. — Tarde, La philosophie pénale. — Proal,
Le crime el la peine. — LftvY-BRiiHL, L'idée de responsabilité. — Fonsegrive, Essai sur
le libre arbitre, II« P. — M. d'Hulst, La morale et la sanction (Conférences de Notre-Dame,
1891, V C.).' — P. ScHWALM, Individualisme et Solidarité, Revue Thomiste, mars 1898.
— BiNET, La responsabilité morale, Rev. philos., 1888, T. II, p. 217-231. — Paulhan,
La sanction morale, Rev. philos., 1894, T. I, p. 267-286 ; 395-419. — J. Forbes, Les bases
de la morale, dans les Etudes, 1888, T. XLV, p. 237-253.
(47) RESPONSABILITÉ MORALE 115
que des actions qu'on a voulues librement, c'est-à-dire dont on a eu
'initiative ou auxquelles on a coopéré. C'est pourquoi on n'est pas res-
ponsable de sa laideur. Les choses et les animaux, étant dénués de liberté,
sdiit irresponsables.
II. — La connaissance du bien et du mal, sans laquelle il n'y
aurait pas de libre arbitre, car agir librement c'est agir en connaissance
de cause. Autrement on agit par instinct (Ps. 195, 198). Si l'une ou l'autre
de ces conditions fait complètement défaut, la responsabilité disparait
en même temps.
§ C. — VARIATIONS DE LA RESPONSABILITÉ
Elle varie dans la même proportion que la liberté et la connaissance
du bien et du mal qui la conditionnent. D'où il suit que les causes, qui
suppriment^ augmentent ou diminuent cette liberté ou cette connaissance,
suppriment^ augmentent ou diminuent du même coup et dans la même
proportion la responsabilité. Ces causes peuvent se ramener aux sui-
vantes :
I. — Ignorance et erreur : quand la loi civile a été promulguée,
elle n'admet pas, afin de contraindre les citoyens à la connaître, l'excuse
trop commode de l'ignorance. Après un certain délai, variant avec les
distances, « nul n'est censé ignorer la loi » . — Dans l'ordre moral,
il n'en peut être ainsi : nul n'est coupable sans le savoir. Aussi ce qui
diminue, augmente ou enlève la connaissance de la loi morale, fait
varier la responsabilité dans la même mesure. L'erreur et V ignorance
invincibles sont celles qui n'ont pu être dissipées par tous les moyens
que suggère la sagesse humaine : vg. les sauvages qui tuent leurs vieux
parents, les femmes indiennes qui se jettent sur le bûcher de leurs maris
sont dans une ignorance invincible. Elles rendent l'homme irrespon-
sable, parce qu'elles sont involontaires. U ignorance et V erreur vincibles
sont celles qui peuvent être dissipées par les moyens qu'emploie commu-
nément la sagesse humaine : vg. un médecin qui donne un remède mortel
ou dangereux, faute de science suffisante, est dans une erreur vincible.
Elles rendent coupable parce qu'elles sont plus ou moins volontaires.
La folie et le délire supprimant la connaissance, la responsabilité s'éva-
nouit.
Le sommeil, le somnambulisme rendent généralement irrespon-
sable, parce qu'ils ne laissent pas ordinairement une connaissance suffi-
sante pour discerner le bien du mal. — En somme, on peut dire que plus
on est éclairé, plus on est responsable, parce qu'on a mieux aperçu les
conséquences lointaines de ses actes. Il ne faut pas en conclure que
l'instruction augmente nécessairement la vertu, car l'instruction accroît
:1a responsabilité en bien comme en mal.
115 RESPONSABILITÉ MORALE (47)
II. — Contrainte : on distingue la contrainte :
10 Physique : une action imposée par une violence extérieure, mais
qu'on désavoue intérieurement, n'est pas imputable à celui qui la
subit. L'auteur de la violence est seul responsable.
2° 3Iorale : dans ce cas l'action n'est pas tout à fait involontaire,
parce que la volonté peut toujours résister à la menace. La liberté est
seulement amoindrie et conséquemment la responsabilité atténuée.
IIL — Habitude, passion : les habitudes et les passions, bonnes
ou mauvaises, diminuent la connaissance et le libre arbitre. Elles dimi-
nuent la connaissance, parce que les actes habituels et passionnels
sont faits avec moins d'attention ; elles diminuent le libre arbitre,
parce que la répétition des actes les rend de plus en plus nécessaires
(Ps. 218). II peut même arriver que la passion soit violente au point de
troubler la raison ou soit devenue une nécessité physique. Les actes
accomplis, sous l'empire de la passion et de l'habitude, considérés en
eux-mêmes sont donc moins libres ou, dans les cas extrêmes, ne le sont
pas ; mais ils le restent toujours dans leur cause, et par conséquent
l'homme en est toujours responsable, au moins indirectement. Cette
cause, c'est la volonté, qui a posé, avec connaissance et liberté, les
premiers actes dont la répétition consentie a déterminé le développement
de la bonne ou de la mauvaise habitude. Il s'ensuit que la responsa-
bilité, pour le bien comme pour le mal, augmente dans la mesure où
l'intelligence a prévu et la volonté accepté les conséquences de l'habi-
tude grandissante. C'est justice, puisque la tendance tyrannique à faire
mal et la facilité de plus en plus douce à bien faire sont toutes deux des
fruits de la volonté libre. (Ps. 60 ; 223).
§ D. — RESPONSABILITÉ DANS LES ACTIONS D' AUTRUI
I. — On est responsable, dans une certaine mesure, de la conduite
de ceux qui nous sont soumis : vg. les parents de celle de leurs enfants,
les maîtres de celle de leurs serviteurs.
II. — Comme les exemples sont des enseignements, on est plus ou
moins responsable de leur influence sur les actions d'autrui.
III. — On est responsable du mal qu'on aurait dû et pu empêcher.
IV. — On est responsable des actes auxquels on coopère. Dans une
action faite en coopération on distingue les causes :
a) rrincipalc : celle qui est la vraie cause efficiente : vg. le chef d'un
complot.
h) Suballorne : celle qui concourt immédiatement à l'action, mais
sous la dépendance de la cause principale : vg. les sicaires qui exécutent
le complot.
(47) RESPONSABILITÉ MORALE 117
c) Collatérale ou indirecte : celle qui concourt à l'action, mais sans
'exécuter immédiatement : vg. ceux qui fournissent de l'argent pour
payer le complot. La responsabilité de la cause principale est plus grande
que celle des causes subalternes et collatérales.
§ E. — LA SOLIDARITÉ
La coopération de l'homme au bien et au mal de ses semblables
est une preuve de la loi universelle de solidarité (29, §. A) qui régit :
L — L'individu : l'homme « est un tout naturel » : le corps est
solidaire de l'âme et l'âme est solidaire du corps (Ps. 238, 239). Le présent
dépend du passé et l'avenir du présent.
IL — La famille : chaque famille a une sorte de personnalité morale,
une existence continue. Les enfants sont solidaires de leurs parents,
qui l'étaient de leurs ascendants. Les enfants portent le poids des fautes
de leurs pères ou bénéficient de leurs vertus. Les parents sont punis
ou récompensés dans leurs enfants (^).
III. — La nation : une certaine communauté de mérite ou de démé-
rite, de gloire ou de honte, etc., relie les citoyens entre eux : c'est la
résultante des actions et réactions innombrables qui composent l'his-
toire de chaque peuple.
IV. — L'humanité : la communauté d'origine, de nature et de des-
tinée forme entre tous les hommes un lien d'unité qui les rapproche
entre eux, sans porter atteinte aux groupements particuliers des diverses
nations. Les peuples ne peuvent être fondus dans un cosmopolitisme
universel. Ils doivent rester distincts et être unis, par conséquent
s'entr'aider pour le bien commun de l'humanité. C'est pourquoi le
principe de non-intervention, est immoral (110).
§ F. — RESPONSABILITÉ MORALE
ET RESPONSABILITÉ LÉGALE
La responsabilité morale est l'obligation de répondre de ses actes
libres devant Dieu. La responsabilité légale ou sociale est l'obligation
de répondre devant les tribunaux des infractions aux lois. Voici leurs
différences :
( ') Le génie d'Edgar Poë fut ravagé par sa passion de l'alcool : « C'était un malade...
Il paya les fautes de ses pères. Ne dites pas que la responsabilité humaine en est diminuée ;
elle en est au contraire élargie, étendue en dehors de nous, au delà de nous, avec une force
et une évidence qui accablent. Nos pères répondent de nous ;*ous répondons de ceux qui
sortent de nous. Voilà ce que l'on ne saurait trop se répéter, trop faire entrer dans l'esprit
des jeunes gens, afin qu'ils soient maintenus par la pensée des comptes formidables que
leur demanderont un jour leurs enfants.» (Auvède B.\rine, Névrosés, p. iGS-^Gi, Paris,
1898.)
118 MÉRITE ET DÉMÉRITE (48)
I. — La responsabilité morale est intérieure, a rapport à la conscience.
La responsabilité légale est extérieure, a rapport à la société.
IL — La première réside surtout dans Y intention ; la seconde, surtout
dans V exécution (Ps. 193, Morale, 14).
IIL — La première exige le libre arbitre; l'autre pourrait subsiste!
dans l'hypothèse du déterminisme : alors la sanction ne serait pas juste
mais utile (Ps. 203, § D).
lY, — La première s'étend à toute notre conduite ; l'autre seulemenj
aux actes interdits par les lois civiles.
V. — La première n'existe que pour celui qui connaît la loi morale:
l'autre n'est pas incompatible avec V ignorance de la loi sociale (Cf. supn
§ C).
VL — La première n'a pas de sanction effective ici-bas ; l'autre
au contraire (49).
48. — MÉRITE ET DÉMÉRITE
La responsabilité a pour conséquences le mérite et le démérite, les
sanctions présentes et futures.
§ A. — DÉFINITION DU MÉRITE ET DU DÉMÉRITE
On peut envisager le mérite ou le démérite :
L ^ — En eux-mêmes, et alors on en définit la nature : le mérite,
c'est l'accroissement volontaire de notre valeur morale ; le démérite,
c'est la diminution volontaire de cette valeur. Tous les êtres ont été
créés dans un état de perfection relative. Mais l'homme a le privilège
d'être perfectible : il peut, par l'eiïort de sa volonté libre, ou bien s''élei>er
au-dessus de la perfection qu'il a reçue et s'approcher de plus en plus
de l'idéal moral ; ou bien descendre au-dessous. Notre valeur morale
est donc susceptible de hausse ou de baisse.
II. — Dans leurs conséquences, leurs rapports avec la sanction :
alors le mérite ("fst le droit au bonheur ; le démérite c'est le droit au
malheur. Avant l'action, la conscience affirme que le bien est distinct
du mal, qu'il faut faire le bien, que nous pouvons exiger les moyens
d'accomplir le devoir. Après l'action, elle affirme que l'action bonne est
digne de récompense, que l'action mauvaise est digne de châtiment (9).
Ce dernier jugement moral est, comme les premiers :
a) Nécessaire : la vertu sans récompense et le vice impuni consti-
tuent aux yeux de la raison un désordre : cela est, mais ne doit pas être.
b) Absolu : nous le portons indépendamment des résultats ; non
souiomont quand la vertu est honorée et le vice flétri, mais encore et
surtout, quand la vertu est persécutée et le vice triomphant.
(49) LES SANCTIONS MORALES : DÉFINITION 119
c) Universel : il s'impose à la conscience droite partout et toujours ;
c'est pourquoi le vice prend les dehors de l'honnêteté.
§ B. — MESURE ET DEGRÉ
On a soutenu que le mérite était en raison inverse de l'obligation :
c'est opposer entre eux le mérite et l'obligation. C'est une doctrine
fausse, car, comme le devoir est toujours obligatoire, il en résulterait
qu'il n'y aurait pas ou qu'il y aurait peu de mérite à l'accomplir. Or il
y a des actions strictement obligatoires, vg. obligations de justice, et
qui sont très méritoires : vg. dévouement du prêtre et du médecin en
temps d'épidémie. D'autres actions, à peine obligatoires, sont peu méri-
toires : vg. suivre un régime peu gênant pour fortifier sa santé.
Quelle est donc la vraie mesure ?
I . — Le mérite est en raison composée :
1° De rimportance du devoir : vg. il y a peu de mérite à se reposer
à temps pour mieux travailler ; beaucoup à sacrifier sa vie pour la
patrie en danger.
2» De la difficulté du devoir ou de l'effort qu'il exige : vg. il y en
a peu à ne pas voler, à aimer ses amis ; beaucoup à restituer une forte
somme, à aimer ses ennemis.
30 Surtout de la pureté d'intention de l'agent : vg. faire l'aumône
par une certaine générosité naturelle est moins méritoire que de la faire
par amour des malheureux et surtout par amour de Dieu.
II. — Le démérite est en raison composée :
1^ De la gravité du devoir : vg. il est grave de tuer quelqu'un ; il ne
l'est pas de le bousculer un peu.
.2° De la facilité à l'accomplir : il est facile d'aimer ses parents ;
^e pas le faire est une honte. Haïr ceux qui nous font du mal est une
action seulement blâmable.
30 De la malice de l'intention : mancjuer à son devoir par respect
humain est une lâcheté ; y manquer par haine de la vertu, c'est abomi-
nable.
On comprend, à voir la complexité de leurs éléments, combien il est
difficile à l'homme d'apprécier exactement le mérite et le démérite.
49. — LES SANCTIONS MORALES
§ I. — DÉFINITION ET NATURE
En morale, on entend par sanction l'ensemble des récompenses et
des peines attachées à l'observation ou à la violation de la loi. Il faut
définir un certain nombre de termes plus ou moins analogues :
120 LES SANCTIONS MORALES : FONDEMENT ET NÉCESSITÉ (49|
A) Récompense : bonheur rigoureusement exigé par le mérite.
Faveur : bien reçu par pur don de la bienveillance d' autrui et indé
pendamment de tout mérite.
Salaire : prix payé pour une action utile en tant que telle.
B) Peine ou châtiment : souffrance nécessairement due au démérite;
La disgrâce et le dommage au contraire ne sont pas mérités.
La sanction véritable est celle qui découle, comme une conséquence
du mérite et du démérite ; c'est pourquoi toute jouissance n'est par
une récompense et toute souffrance n'est pas un châtiment. La récom
pense est une jouissance méritée, comme le châtiment est une souffrant
méritée.
§ II. — FONDEMENT DE LA SANCTION
Le fondement de la sanction c'est donc la justice. C'est une dette
de justice puisqu'elle est due au mérite et au démérite : à chacun selon
ses 'œuvres. Il en est de même dans l'ordre civil ; c'est donc une erreur
de donner pour unique base à la pénahté civile l'intérêt particulier ou
général. Si le citoyen que la société punit a transgressé une loi injuste,
elle lui impose une souffrance imméritée. N'étant pas coupable, il subit
une violence et non une peine : c'est une victime. Or l'intérêt, même
général, ne peut légitimer une violence.
§ III. — NÉCESSITÉ DE LA SANCTION
I. __ Le bien sans récompense, le mal sans châtiment sont pour
la conscience une contradiction. En même temps que je juge une action
bonne ou mauvaise, je porte cet autre jugement, qui me parait aussi
nécessaire que le premier, que l'auteur de cette action a droit à un»
récompense ou à un châtiment et qu'ils doivent être proportionnés à la
bonté ou à la malice de l'action. Tous les hommes portent ce même
jugement. Et c'est lorsque les faits le contredisent que la conscience
l'affirme avec plus de force.
Les législations humaines confirment ces exigences de la conscience :
chez tous les peuples, on trouve des récompenses attachées à l'obser-
vation de la loi et surtout des peines attachées à sa violation.
IL — Cette nécessité de la sanction est fondée sur la nature des
choses et sur la nature de Dieu. La vertu suppose le sacrifice, la souf-
france endurée pour le bien. Le vice suppose la poursuite d'une jouis-
sance contraire au bien. Or Dieu, étant infiniment sage, saint et juste,
veut que l'ordre essentiel des choses soit respecté et défend de le violer ;
il doit vouloir conséquemment que les sacrifices, entraînés par l'obser-
vation de la loi morale, soient compensés par le bonheur et que l'ordre
II
(49) LES SANCTIONS MORALES : BUT 121
troublé, efîet d'une jouissance coupable, soit rétabli par la douleur.
C'est ainsi que la sanction de la loi morale nous conduit logiquement,
comme l'obligation, à l'idée de Dieu : « Sans l'idée de Dieu, dit Guizot,
la loi morale ressemble à un fleuve sans source et sans issue. »
§ IV. — BUT DE LA SANCTION
La sanction n'ajoute rien au caractère obligatoire ni à la valeur
intrinsèque de la loi morale ; elle est cependant nécessaire pour procurer
le triomphe de la loi. Elle le procure comme moyen :
A) D'intimidation qui prévient le mal et d'encouragement qui
aide au bien : c'est là le but prochain de la sanction. Le devoir ne s'adresse
î directement qu'à la raison et à la volonté, aux côtés spirituels de l'homme.
iMais l'homme est encore sensibilité. Il faut donc, pour contrebalancer
l'influence des passions mauvaises et l'entraînement des plaisirs défendus,
que l'attrait des récompenses et la crainte des châtiments interviennent
et excitent l'homme à l'observation de la loi morale. La sanction est
par conséquent un auxiliaire indispensable de la moralité.
Objection : les Stoïciens et Kant ont soutenu que l'idée d'une rému-
nération avilit la morale en faisant de la vertu un calcul et une 'spécu-
lation. Il faut faire son devoir par devoir, guidé par la considération
purement intellectuelle de la majesté de l'obligation, sans se laisser aller
au désir et à l'espérance du bonheur, sans s'abandonner à la crainte
du châtiment.
Réponse : cette doctrine, nous l'avons vu (31, § B ; 32), est :
10 Impraticable en fait, car elle supprime tout désir, toute sensi-
bilité ; or il n'y a pas de volonté sans désir.
2° Injuste en droit : la sanction fait partie intégrante de la loi ;
exiger de l'homme qu'il ne pense pas à la sanction, c'est lui imposer
l'obligation de considérer la loi comme mutilée. Est-ce là respecter la
loi ? Sans doute, dans l'observation de la loi, faire abstraction de la sanc-
tion., c'est le plus pur désintéressement. Mais, s'il est moins parfait, il
est encore très raisonnable d'obéir à la loi en voulant à la fois la loi et
la sanction dans leur rapport naturel : dans ce cas l'homme veut la
sanction comme une conséquence de l'observation de la loi. Enfin, il est
encore légitime d'obéir à la loi par crainte du châtiment et par espoir
de la récompense. En effet l'agent ne sort pas de la loi, puisque la récom-
pense et le châtiment sont contenus dans la loi même. La sanction ne
se substitue pas au devoir, elle s'y surajoute. Elle est voulue non comme
une fin dernière, mais comme un moyen de faciliter la pratique du bien.
Elle vient au secours des volontés défaillantes et leur fournit un nouveau
motif d'être fidèles au devoir. C'est un motif légitime, mais moins relevé
que les motifs précédents. Plus l'homme s'oublie dans l'effort vertueux,
122 LES SANCTIONS MORALES : BUT (49|
plus parfaite est son action et plus grande sera sa récompense. I;a mesure
du désintéressement sera la mesure même de la récompense. Cette morale
est admirablement appropriée à la grandeur et à la faiblesse de l'homme.
« L'homme n'est ni ange ni bête ; et le malheur veut que qui veut faire
l'ange fait la bête (^). » A la grandeur de l'homme répondent les exigences
austères du devoir accompli par amour du devoir : les âmes d'élite sont
celles qui s'élèvent souvent à cette hauteur morale. Mais il est impos-
sible de s'y maintenir constamment : à cette faiblesse de l'homme répon-
dent les promesses et les menaces, qui l'aident à rester dans le devoir
parce qu'elles font équilibre aux entraînements de la sensibilité. A ce
point de vue, la sanction est une excitation à faire le bien et à éviter le
mal.
B) De compensation, de réparation et d'expiation : l'ordre
veut que le bonheur soit le prix de la vertu et que le malheur soit le
salaire du vice. Or c'est la sanction qui établit cette harmonie :
I. — La vertu entraînant le sacrifice au Bien suprême des plaisirs
immédiats qui en arrêtent la poursuite, il est juste que ce sacrifice soit
compensé par une jouissance, qui dédommage l'homme vertueux de sa
peine : c'est une créance sur la justice divine. Celui qui fait le bien res-
pecte l'ordre ; ce serait un désordre qu'il ne fût pas récompensé par une
sanction compensatrice.
II. — Celui qui fait le mal trouble l'ordre, car il recherche un bien
interdit, une jouissance illicite. Il faut donc, pour que l'ordre soit rétabli,
que le coupable soit empêché d'obtenir le bien qu'il lui est défendu de
rechercher, ou que, s'il a réussi à l'atteindre, il soit privé de ce bien illé-
gitimement acquis. Cette contrariété apportée à ses désirs ou cette
privation d'un bien défendu, c'est une souffrance ; of cette souffrance
est la conséquence légitime de la faute, parce qu'elle répare l'ordre
troublé. « La peine est dans l'ordre, dit Bossuet, parce qu'elle ramène
à l'ordre celui qui s'en est écarté. »
III. — Lorsque le coupable se repent de son péché et accepte libre-
ment la peine, la peine devient une expiation. L'ordre n'est pas seulement
rétabli au dehors, il l'est dans l'âme du coupable, qui se réhabilite en
expiant sa faute. Aussi Platon a-t-il dit avec profondeur : « L'injustice
n'est que le second mal pour la grandeur ; mais l'injustice impunie
est le premier et le plus grand des maux. » AcuTspov ap" £7x1 xôjv xaxôiv
(/.sYÉOei To dotxeTvTO o à^txouvxa ij.-)) otodvat Stxr;V Travroiv ijLi'ytGTOv re xai Trpôixov
xaxôjv TTï'juxev ( 2).
(M Pascal, Pensées, Art. VII, 13.
(») Platon, Gorgias, Didot, T. I, p. 350, lignes 44-46.
(49) LES SANCTIONS DE LA VIE PRÉSENTE I2i.
§ V. — SANCTIONS DE LA VIE PRÉSENTE
J. — Espèces : on les ramène aux quatre suivantes :
1° Sanction naturelle : ce sont les conséquences mêmes de nos
actions. Santé, aisance, succès sont les suites normales de la tempé-
rance, du travail et de l'énergie, tandis que des infirmités physiques
et mentales sont le résultat naturel du vice.
2° Sanction légale : ce sont les récompenses et les châtiments édictés
par les lois humaines.
3° Sanction sociale : c'est l'opinion publique ; c'est la bonne ou
mauvaise réputation.
40 Sanction morale : ce sont les satisfactions et les remords de la
conscience.
II. — Leur insuffisance : une sanction, pour être juste, doit
être :
10 Universelle : ne laisser aucune bonne action sans récompense,
i aucune mauvaise sans châtiment.
2° Proportionnelle : la récompense et la punition doivent être en
rapport exact avec le mérite et le démérite de l'agent.
Or les sanctions terrestres ne remplissent pas ces conditions :
a) Sanction naturelle : il y a des hommes vertueux qui se portent
mal et des gens malhonnêtes qui se portent bien. Le travail, l'énergie,
n'amènent pas toujours l'aisance ou le succès.
b) Sanction légale : les lois humaines sont presque exclusivement
pénales. Elles n'atteignent que les actes publics et extérieurs ; elles ne
s'inquiètent pas des fautes ou vertus privées. — ■ Elles ne punissent pas
tous les coupables et parfois frappent des innocents. — Leur application
est souvent disproportionnée, car les intentions, d'où dépend surtout la
moralité, leur échappent.
c) Sanction sociale : l'opinion publique s'égare souvent, est mobile
et capricieuse. — Que de fautes dissimulées, que de vertus cachées !
Ici encore les intentions échappent.
d) Sanction morale : c'est une loi psychologique que l'habitude
émousse la sensibilité. Ainsi l'habitude du mal affaiblit chez le coupable
le remords et finit même par Fétouiïer ; au contraire, l'habitude du bien
rend l'âme moins sensible à la satisfaction morale et de plus en plus
exigeante avec elle-même. L'habitude produit donc, chez l'homme
vertueux, la délicatesse de conscience, et chez le vicieux, l'endurcisse-
ment : de là vient qu'un grand criminel souffre moins d'une grande faute
qu'un cœur droit d'une simple imperfection.
124 LA VERTU : SOCRATE (50)
§ YI. _ NÉCESSITÉ D'UNE SANCTIOX DELA VIE FUTURE
I. — Ces quatre sanctions, les seules de la vie présente, sont insuf-
fisantes ; il faut donc ou bien renoncer à la justice ou bien admettre
une vie future, où l'ordre sera rétabli, où l'harmonie entre le bien et
le bonheur, le mal et le malheur sera réalisée, où il sera rendu à chacun
selon ses œuvres. C'est ainsi que la loi morale /^o^iw/e l'immortalité de l'âme.
II. — De plus, pour que la justice soit rendue, il faut que toutes
les actions, bonnes ou mauvaises, soient connues dans leurs causes et
dans leurs conséquences par une intelligence capable de tout savoir ;
il faut en outre que cette intelligence soit la justice même pour propor-
tionner exactement la récompense ou la peine à chaque acte bon ou
mauvais ; il faut enfin que cette intelligence soit toute-puissante, dispose
à son gré des conditions du bonheur et du malheur. La loi morale postule
donc l'existence d'un Être souverainement intelligent, juste et puissant,
de Dieu. Il faut admettre l'immortalité de l'àme et l'existence de Dieu,
ou renoncer à la morale et à la justice. C'est ainsi que Dieu se trouve à
l'origine et au terme de la morale : il est le souverain Législateur et le
Juge suprême.
50. — LA VERTU
§ A. — DÉFINITIONS
La théorie de la vertu et du vice est le complément de la théorie di
mérite et du démérite, car, pour le sens commun, la vertu c'est le mérit
durable^ qui résulte d'un grand nombre d'actes conformes à la loi moi aie
— le vice, c'est le démérite durable, qui résulte d'un grand nombre d'acteii
contraires au devoir. Les philosophes en ont donné des définition^
variées, dont voici les principales :
I. — SOCRATE
A) Définition : la vertu, c'est la science du bien ; le vice en est
l'Ignorance. Celui qui connaît le bien -ne peut pas ne pas le faire, parce
que chacun cherche le bonheur et que le bonheur est inséparable du
bien. L'homme ne fait le mal que parce qu'il ignore que c'est le mal,
car personne ne préfère son malheur à son bonheur. « Nul n'est méchant
volontairement. » Kaxo; uÈv vàp l/.wv o'j<Σ{; (i). Descartes semble
(') l'LATOx, Timée. Didot, T. II, p. 245, 1. 26-27. Cf. Apologie dé Socrate, § XXVII.
Ibidem, T. I, p. 29. — Cf. Ém. Boutroux, Etudes d'hisloirc de la philosophie : Socrate fon-
dateur de la science morale, p. 69 et sqq.
(50) LA VERTU : PLATON 125
admettre cette doctrine quand il dit : « Il suffit de bien juger pour
bien faire et de juger le mieux qu'on puisse pour faire aussi tout son
mieux (^). »
B) Critique : I. ^ — Part de vrai : 1" Souvent le mal a sa cause dans
l'ignorance ; il suffit parfois d'éclairer l'intelligence pour redresser la
volonté. Certaines coutumes ont été en honneur chez les barbares,
vg. sacrifices humains, parce qu'ils n'en voyaient pas la malice.
2° La connaissance du bien et du mal est une condition essentielle
de la moralité et par conséquent de la vertu. Il n'y a vertu qu'autant
que la conscience de l'agent est éclairée et qu'il connaît la valeur morale
de ses actes. Mieux on comprend l'importance et la beauté du devoir,
plus on est porté à l'accomplir ; plus on mesure les conséquences de ses
actes, plus la responsabilité et, par conséquent, le mérite et le démérite
augmentent.
IL — Part d'erreur : 1° Socrate ne dit pas seulement que la science
du bien est une condition nécessaire de la vertu, mais une condition
suffisante ; il identifie la science et la vertu. Il ne suffit pas de connaître
son devoir pour le faire, il faut encore Vaimer et surtout le vouloir.
C'est un fait d'expérience que l'homme pèche en sachant qu'il commet le
mal. Souvent l'homme est tiraillé entre, les biens sensibles et le bien
rationnel ; il voit clairement que celui-ci doit être préféré et cependant
il se laisse entraîner par les impulsions de la sensibilité. (Psych., 209,
§11).
2^ Si la volonté est déterminée nécessairement par la connaissance,
que deviennent la liberté eit la responsabilité ? Cette doctrine aboutit
donc au déterminisme rationnel (^).
IL -- PLATON
Platon a donné plusieurs définitions de la vertu :
I. — C'est la ressemblance avec Dieu, l'imitation de Dieu : « Nous
devons tâcher de fuir au plus vite de ce séjour à l'autre. Or cette fuite,
c'est la ressemblance avec Dieu (ô;/.oiWtç tw Bsw), autant qu'il
dépend de nous, et on ressemble à Dieu par la justice, la sainteté et la
sagesse (^). » Imiter Dieu, c'est fuir le monde sensible et prendre son vol
vers le monde intelligible, le monde des idées (Psych., 173). L'homme
vertueux est un artiste ; la matière qu'il façonne, c'est l'âme ; le modèle
(M DESC4.IITES, Discours de la Méthode, III" P.
( ') Voir en Psychologie (211) dans quel sens on peut entendre raisonnablement le
mot de Socrate : » Nul n'est méchant volontairement. » K^
( ^) Platon, Théétète. Didot, T. I, p. 135, lignes 32-35. — Cf. République, L. X. Didot.
T. II, p. 189, I. 45-46.
126 LA VERTU : ARISTOTE (50)
qu'il s'efforce de reproduire, c'est Dieu. Cela revient à dire que la vertu,
cette fuite {-jûrr,) vers les régions éternelles, consiste dans le détachement
des sens et le développement de la raison. Donc, pour ressembler à Dieu,
l'homme doit perfectionner sa nature. Telle est la définition pratique de
la vertu donnée par Platon : 'H àper»! TEXsidrr,; IçtI tvîç ixâçTou '^weco;.
C'est ainsi que l'âme sera conforme aux Idées, sera belle moralement,
c'est-à-dire vertueuse.
II. — C'est une harmonie. Dieu est l'Un; l'Idée du Bien, c'est
l'unité parfaite. La vertu ou imitation de Dieu sera donc une participation
à l'unité divine. Mais l'homme ne saurait être parfaitement un, puisqu'il
est composé d'un corps aux éléments multiples et d'une âme aux facultés
diverses. Il réalisera l'unité dont il est capable en soumettant le corps
à l'âme et les facultés inférieures de l'âme à la raison : l'sTriOuaia au
6uu.oç, le Ou|jLo; au voOç (39). Ce sera l'unité dans la variété, ce sera l'har-
monie. L'âme est vertueuse quand toutes ses facultés rendent leur
note dans un accord parfait. C'est pourquoi Platon parle souvent de
l'harmonie de l'âme (^), définit «la vertu une harmonie » (^) et appelle
l'homme sage un musicien (^).
Critique : ces deux définitions, dont l'une est la conséquence de
l'autre, indiquent plutôt les effets de la vertu que sa nature.
III. — ARISTOTE
A) Exposé : Aristote définit la vertu d'une manière générale, « une
habitude ou manière d'être», â';^ (*). Mais il a soin de préciser la nature
de cette habitude ; elle consiste à garder une juste mesuie entre l'excès
et le défaut, dans les passions et dans les actes : IVIe-joTï)? Ttç apa iaxh
h àpsTr^ (^). Enfin, réunissant les divers éléments, Aristote donne cette
définition détaillée : « La vertu est une habitude qui dépend de notre
volonté, consistant dans ce milieu qui est relatif à nous, et qui est réglé
par la raison comme le réglerait l'homme vraiment sage (^). "licTtv aoa v)
àpsTV) £;-.; -poatCET'.xr^, £v asTOTriTt oO^îa xr) TTpo; v];^5t;, wptaixÉv/) Aoyw xat (o; àv ô
'ipovty.o; ôiicstsv.
Voici les trois conditions requises pour la vertu :
1° La connaissance de ce que l'on fait. En cela, Aristote est d'accord
avec Platon.
( M Platon, Phédon, Édition Didot, T. I, p. 67 c au bas ; 72 d au haut, etc. ; 73 c-e.
( •) Platon, Phédon, Ibidem, p. 73 e : àperri àpu-Ovi'a.
(•) Platon, République, L. I.X, Éd. Didot, T. II, p. 176, c-d.
< *) AniSTOTE, Morale à Nicomaque, L. II, Ch. vi, § 11.
(') -A^tBTOTE, Morale à Nicommque, L. II, Ch. vi, § 13.
( *) Aristote, Morale à Nicomaque, L. II. Ch. vi, § 15. Traduction de Barthélémy
Saint-Hilaire.
(50) LA VERTU : ARISTOTE 127
20 Le libre choix. La liberté, supprimée par Platon, reparaît.
30 La résolution ferme et inébranlable de ne jamais faire autrement.
11 ne suffit pas de connaître la vertu pour la pratiquer ; il faut l'acquérir
par l'exercice : « On ne conquiert les vertus que par la constante répé-
tition des actes de justice, de tempérance, etc. (^). » Un acte bon ne fait
pas la vertu, « pas plus qu'une seule hirondelle ne fait le printemps,
ni un seul jour l'année » (^). La vertu a besoin de temps pour s'établir,
car elle est une habitude qui exige des efforts répétés.
Pour prouver que l'habitude du bien consiste dans un juste milieu,
Aristote fait appel à l'expérience et apporte des exemples {^) : vg. la
témérité est un excès, la lâcheté un défaut de courage ; le vrai courage
tient le milieu entre ces deux extrêmes ; l'économie est un milieu entre
l'avarice et la prodigalité, etc. Le trop et le trop peu, sont nuisibles par-
tout, dans l'ordre moral, comme dans l'ordre physique. De là les adages :
Mr,S£v à'vav, Ne quid nimis. Horace dit également : Virtus est médium
vitiorum et utrimque reductum (^).
B) Critique : 1° Parlant en général on peut dire qu'il est sage
d'éviter les extrêmes. Cette maxime a son utilité comme règle de sagesse
pratique ; mais elle n'a pas la précision que réclame une définition
philosophique, car la notion de milieu, empruntée à la quantité., s'applique
mal aux qualités morales.
2° Cette règle du juste milieu est variable et élastique, puisque,
de l'aveu d'Aristote, la mesure convenable change avec les personnes
et les circonstances (^). Aristote ajoute que c'est à l'homme sage de la
déterminer. Mais quel est ce sage sinon l'homme vertueux ? Et ainsi
« on définit l'homme sage par la vertu, et la vertu par l'homme sage »
(Bossuet).
3° Cette règle n'est pas universelle. Elle convient aux vertus qui
relèvent de la tempérance, car la tempérance est la vertu propre de la
sensibilité. Or la loi des désirs et des passions c'est la mesure (Ps. 21).
Mais cette maxime du juste milieu, prise à la lettre, est incompatible
avec les vertus les plus hautes, avec l'héroïsme ; elle conduit directement
à la médiocrité, à « vivoter dans la région moyenne », comme dit
Montaigne. Mais ce n'est pas ainsi qu' Aristote l'entend, car il fait suivre
(M Aristote, Ibidem, L. II, Ch. iv, § 3.
(') Aristote, Ibidem, L. I, Ch. vu, § 16.
(') Aristote, Ibidem, L. II, Ch. vu, viii.
(*) Horace, Epist. L. I, Ep. 18, v. 9. — Horace exprime encore la môme pensée
quand il dit :
Est modus in rébus ; sunl cerli denique fines
Quos xdtra citraque nequil consisterè rectum.
Satir. L. I, Sat. 1. v. 106-107.
{'■) Aristote, Morale à Nicomaque, L. II, Ch. vi, § 7.
128
LA VERTU : MALEBRANCHE
(50)
sa définition de ces mots : « Relativement à la perfection et au bien,
la vertu est un sommet. » Kaià aï ro apiaiov ■/ y\ ~ô zu a xçoTr,;. (^).
En unissant les deux points de vue, la théorie d'Aristote peut se
justifier. Toute vertu doit suivre la direction qui la conduit à sa fin :
elle doit donc éviter toute déviation, n'aller ni à droite, ni à
'AxpoT
A
gauche ; à droite, c'est vg. la témérité; à gauche, c'est la lâcheté; entre
les deux, au milieu, c'est la vertu de courage. Donc, en ce sens, in medio
virtus, car tout écart éloigne du but. Mais tant qu'on marchera en suivant
la ligne droite, la ligne du vrai courage, si haut qu'on puisse monter,
on suit toujours la direction qui rapproche de plus en plus de la per-
fection idéale, on fait, par le bon chemin, l'ascension de ce sonwiel
qui s'appelle la vertu. L'excès n'est donc pas à craindre, puisqu'on ne
dévie ni à droite ni à gauche, et que le sommet est inaccessible, c'est-
à-dire que l'idéal recule sans cesse.
IV
MALEBRANCHE
Il définit la vertu, s'inspirant de saint Augustin : « un amour habituel,
libre et dominant de l'ordre immuable » ( ^). Cette définition est accep-
table, pourvu que par amour on n'entende pas seulement le sentiment,
( M Aristote, Morale à Nicomaque, L. II, Ch. vi, § 17. Il dit la même chose en parlant
de la magnanimité (L. IV, Ch. m, § 8) : "Eario^ ô asvaXo-J/u/oç TÔi aèv uevéOet dtxpo;,
T(|) Oî tiji; ov. ixcao;. — Aguieee lD'),Devirlulibuselvitiisdisputaliones ethicse.
(') MALEBRANCHE, Traité de morale, L. I, Ch. m, § XX, à la Hn.
I
(50) LA VERTU : DÉFINITION ET DIVISION 129
mais encore et surtout la volonté énergique de se conformer à l'ordre ;
il faut aussi la comprendre dans le sens d'un amour éclairé par la raison
qui montre l'ordre.
V. — KANT
La vertu c'est la jorce morale que montre la volonté d'un homme dans
V accomplissement de son devoir (^). Kant a tort d'exclure l'amour (37, § B.).
VI. - DÉFINITION PROPOSÉE
On peut définir la vertu d'une façon générale : l'habitude du devoir {^).
Mais pour indiquer explicitement les conditions qu'exige cette habi-
tude, on peut adopter la définition suivante : La vertu c'est Vhabitude
dohéir ad devoir avec intelligence^ amour et liberté.
Conditions. — I^"® : Connaissance du bien : car, sans cela, pas de
liberté, ni de responsabilité, donc pas de vertu ; c'est de l'instinct
(Ps. 195).
II« : Amour du bien : pour faire le bien, surtout avec persévérance,
il faut l'aimer. L'attrait du bien donne une impulsion vigoureuse à la
volonté, qui, autrement, resterait inerte (Ps. 10).
II I^ : Effort libre : pour faire le bien, il ne suffit pas de le connaître
et de l'aimer, il faut surtout le vouloir. Il faut que la volonté fasse effort
pour refouler les mauvaises inclinations qui l'attirent vers le mal.
IV^ : Habitude : quelques actes isolés ne suffisent pas ; il faut, pour
être vertueux, conformer habituellement sa conduite au devoir. L'habi-
tude, par la répétition des actes, accroît la facilité et la tendance à les
reproduire. La pratique du bien finit par devenir un besoin : « L'homme
vertueux, dit Aristote, est celui qui trouve du plaisir à faire des actes
de vertu. » L'idéal de la vertu c'est la sainteté, état d'une volonté si
pleinement identifiée avec la loi morale qu'elle lui obéit sans effort et
sans défaillance.
§ B. — DIVISION
I. — Ancienne : les anciens distinguaient quatre vertus, dites
cardinales (^), parce qu'elles sont les gonds, sur lesquels roulent les
autres :
(M Kant, Doclrine de la verlu. Introduction. § XIV.
(') SuAREz définit ainsi la vertu : Virtus est habitus perflciens rationalem poteatiam
et inclinans ad bonum (De Passionibus et Ilabitibus, Disputât. III, Sect. I, § I).
{') CicÉRON, De Officiis, L. I, § V sqg.
TRAITE DE PHILOSOPHIE.
130
LA VERTU : DIVISION (50)
10 Sagesse ou Prudence : vertu qui dispose rintelligence à discerner
ce qu'on doit faire et éviter dans la conduite de la vie {prudentia = pro-
i'identia). i ,. • ,1
20 Tempérance : vertu qui maintient dans les limites de la raison
l'usage de tout ce qui flatte les sens.
30 Courage ou Force : disposition constante de l'àme à surmonter
les difficultés que présente la pratique du bien et à supporter les épreuves
de la vie.
40 Justice : disposition qui porte à rendre à chacun son dû.
Critique : cette division semble remonter à Socrate ; on la retrouve
expressément dans Platon, dans toutes les écoles morales de l'anti-
((uité, dans la philosophie scolastique. On a reproché à cette classification
d'être incomplète. Si on prend la justice dans le sens strict que lui donnent
les modernes : respect du droit, cette division est incomplète, car elle
ne comprend pas la charité. Mais si on la définit au sens large avec les
anciens : la vertu qui rend à chacun son dû, elle comprend : a) la justice
proprement dite : car nous devons à nos égaux le respect de leurs droits ;
-_ h) la charité, car nous devons à nos inférieurs (faibles, pauvres, etc.)
les services dont ils ont besoin ; — c) la piété, car nous devons à nos
supérieurs (Dieu, parents, maîtres) les témoignages de notre vénération.
II. — Moderne : on distingue les vertus :
10 Privées ou individuelles : celles qui répondent à nos devoirs
envers nous-mêmes : vg. sagesse, tempérance, courage.
20 Sociales ou publiques : celles qui répondent à nos^devoirs envers
nos semblables ; vg. justice, cliarité, piété filiale.
30 Religieuses : celles qui répondent à nos devoirs envers Dieu ;
yo. piété, religion.
BIBLIOGRAPHIE
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A. Sabatier, La doctrine de Vexpiation et son évolution historique.
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de la criminalité.
A. Delvincourt, La liitic contre la criminalité dans les temps
modernes.
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II. JoLY, Le crime. La France criminelle. Le combat contre le crime.
L'enfance coupable. La Belgique criminelle.
PiuiM. fji criminalité politique.
CHAPITRE V
LE DROIT
Le droit étant habituellement corrélatif du devoir, il convient d'en
parler après avoir traité du devoir.
51. — DÉFINITION ET CARACTÈRES DU DROIT
§ A. — DÉFINITION
Leibniz a dit : « Le droit est un pouvoir moral, comme le devoir
est une nécessité morale. « I^e devoir est la nécessité morale d'obéir
à la loi, de faire le bien. On ne saurait être tenu à faire que ce que l'on
peut. Par le fait même que nous devons réaliser une fm, nous devons
donc aussi le pouvoir^ c'est-à-dire avoir à notre disposition les moyens
de la réaliser. Ainsi tout d'abord le droit est le pouvoir de réaliser
librement une fin déterminée ; c'est pour cela que droit et liberté sont
fréqliemment employés l'un pour l'autre. Mais c'est un pouvoir moral,
idéal, rationnel et non physique. De même que le devoir est une nécessité
qui s'impose toujours, mais qui parfois n'est pas obéie, ainsi le droit,
quoique inviolable, n'est pas toujours respecté en fait. On peut le définir :
le pouvoir moral inviolable de faire, (Tomettre ou d'exiger quelque chose.
§ B. — CARACTÈRES
Le droit a pour caractères d'être :
I. — Inviolable : en fait il est souvent violé ; mais notre raison
proteste et affirme qu'il ne doit pas l'être. Le fait ne prévaut pas contre
le droit.
IL — Absolu : de môme que le devoir est un impératif qui com-
mande sans condition, ainsi le droit est respectable pour lui-même et
en toute hypothèse.
III. — Universel : commun à tous les liommes. Sans doute il y a
des droits particuliers. Mais il s'agit ici du droit fondamental, principe
des autres : le droit de s'appartenir, de faire son devoir. Toute personne
humaine doit pouvoir accomplir sa tâche et poursuivre sa destinée.
132 PRINCIPE ET FONDEMENT DU DROIT (52)
Le droit, pris en soi, étant universel, est donc nécessairement égal chez
tous les hommes. Le droit étant égal chez tous les hommes, les devoirs
de justice sont essentiellement réciproques : ce que j'ai le droit de faire,
VO-. aller et venir en liberté, les autres ont le droit de le faire aussi ; donc
je dois respecter leur liberté.
IV. — Inaliénable : nul ne peut renoncer à ce droit fondamental,
car ce serait aller contre sa nature raisonnable et renoncer à sa fin.
V. _ Imprescriptible : le droit naturel, étant fondé sur l'essence
des choses, est immuable, éternel comme elle : « Il n'y a pas, dit Bossuet,
de droit contre le droit. " C'est la condamnation de la maxime : La force
prime le droit, et de la théorie de la légitimité des faits accomplis.
VI. — Exigible : on peut en exiger le respect par la force. Je puis
contraindre celui qui me doit de l'argent à me payer. C'est le droit de
légitime défense, ou de contrainte physique. Dans l'état social, ce droit
est exercé par la société au moyen des juges et des agents de la justice.
En dehors des cas où le pouvoir social ne peut intervenir, nul ne doit
se faire justice à soi-même, parce que : a) l'individu serait à la fois juge
et partie dans sa propre cause. La proportion entre le dommage subi
et la réparation exigée ferait souvent défaut ; — b) la force ne serait pas
nécessairement du côté du droit.
52. _ PRINCIPE ET FONDEMENT DU DROIT (i)
Les solutions sont analogues à celles relatives au devoir. •
I. — Force : d'après Hobbes (1588-1679), Proudhon, le droit c'est
la force. On a le droit de faire tout ce qu'on peut faire {^).
Critique : 1° Le droit est un pouvoir moral; la force, un pouvoir
physique. Dire que la force engendre le droit, c'est dire que ce qui est
doit être : vg. un voleur s'empare de mon bien et le garde. La force peut
opprimer le droit, mais ne saurait le primer, parce que le droit est
imprescriptible (51).
2° La vraie force, c'est la force morale, c'est le droit, puisque souvent
il s'oppose à la puissance brutale et l'arrête : vg. voici un enfant au
berceau ; j'ai un marteau à la main. Physiquement, c'est la faiblesse
(') Kant, Principes métaphysiques du droit. — Renouvier, La science de la morale.
Janet, La morale. — E. Beaussire, Les principes du droit, L. I. — Fouillée, L'idée
moderne du droit. — Caro, Problèmes de morale sociale. — Jouffroy, Cours de droit naturel.
Dk Vareilles Sûmmières, Les principes fondamentaux du droit. — L. Tanon, L'évo-
luHon du droit et la conscience sociale. — Lerminieb, Philosophie du droit.
(«) Hobbes, De cive, C. i, § 6. Leviathan, C. xiii. Cf. G. Sortais, La Philosophie.
moderne depuis Bacon jusqu'à Leibniz, T. II, p. 369-372. Paris, 1922.
(52) PRINCIPE ET FONDEMENT DU DROIT 133
même. Quelle est la force qui s'oppose à ce que je lui brise le crâne ?
C'est le droit qu'il a de vivre.
3° Accepter cette doctrine c'est justifier toutes les oppressions et
tous les crimes. Et cependant pour la conscience humaine le droit n'est
jamais plus évident que lorsqu'il est opprimé par la force victorieuse.
Est-ce qu'il n'y a pas des défaites triomphantes à l'envi des victoires ?
4° La force est limitée, variable, passagère, aveugle : elle n'a donc
pas les caractères du droit (51).
II. — Besoin (^) ; Destutt de Tracy (1753-1836). C'est une modi-
fication analogue à celle qu'Épicure apporta à la morale cyrénaïque,
en substituant l'intérêt au plaisir. Le désir est passager, plus ou moins
factice, individuel ; le besoin est permanent, naturel, identique chez
tous les hommes. Tout homme a besoin : vg. de propriété, etc. ; donc la
propriété est un droit.
CritiQue : 1° Comment fixer la limite entre le désir et le besoin ?
Les progrès de la civilisation changent en besoins ce qui n'était aupa-
ravant que désirs.
2^ Quand deux individus ont en même temps besoin du même bien,
comment déterminer le droit de chacun ? Par la vivacité du besoin ?
Gomment la mesurer ? Il faudra, ici encore, en revenir à la jorce.
III. — Intérêt personnel : on a, de nos jours, une tendance à
confondre le droit et l'intérêt. On définit le droit : la faculté de faire
tout ce qui nous est commandé par notre intérêt personnel, ou tout ce
qui n'est pas contraire aux intérêts d'autrui.
Critique : ramener le droit à l'intérêt individuel, c'est, en définitive,
le ramener au désir, au besoin et par conséquent à la force.
IV. — Utilité sociale : S. Mill fonde le droit, non sur l'intérêt
individuel, mais sur l'intérêt général : « Avoir un droit, c'est avoir
quelque chose dont la société doit me garantir la possession. Si l'on me
demande pourquoi la société doit me le garantir, je n'ai pas de meilleure
raison à donner que celle de V utilité générale (^). » Aussi définit-il le
droit : « Un pouvoir que la société est intéressée à donner aux indi-
vidus. » L'homme vit naturellement en société et retire de grands
avantages de l'état social. Pour que la société subsiste, il faut que les
individus qui la composent soient protégés dans leur vie, leur famille,
leur propriété, etc. Sans cette protection efficace la société disparaîtrait
et, avec elle, les avantages qui en découlent. Il faut donc, pour le bon
état de la société même, que les individus soient garantis dans la jouis-
(') Destutt de Tracy, Commentaires sur l' « Esprit des lois » de Montesquieu, Paris,
1817.
( -) S. Mii,L, L'utilitarisme, Ch. v. Traduction Le Monnier, p. 111, Paris, 1883.
134 PRINCIPE ET FONDEMENT DU DROIT (52)
sance paisible de ce qu'ils possèdent. Les droits individuels dérivent
donc de Tutilité sociale {^).
Critique : A. — Si la société octroie elle-même les droits, elle pourra
les reprendre ou les modifier si bon lui semble. Le droit serait donc quelque
chose d'essentiellement instable et précaire.
B. — La société pourrait sacrifier les droits individuels les plus
manifestes : vg. faire périr un innocent et sanctionner les institutions
les plus révoltantes : vg. l'esclavage, au nom de l'intérêt général : Saliis
popuU suprema lex esto. Qui pourrait l'accuser d'injustice, puisque
futilité sociale, dont elle est juge, est la mesure du juste et de f injuste ?
C'est évidemment ouvrir la porte à toutes les tyrannies.
C, — Cette doctrine suppose que ce qui est utile à la société est néces-
sairement juste et que tout ce qui est juste est nécessairement utile à la
société. Cette identité n'existe pas toujours : vg. motion de Thémistocle
proposant d'incendier la flotte des alliés d'Athènes.
£). — L'individu qui serait étranger à la société, n'aurait aucun
droit : par conséquent contre lui toutes les vexations seraient permises.
E. — « Sans doute on peut dire en un sens que le droit de chaque
individu se confond avec son intérêt, car chacun est intéressé à ce
qu'on respecte son droit : d'où il suit que le respect du droit de tous
est un intérêt social de premier ordre. Il y a bien en efïet une harmonie
essentielle entre le droit d'une part, et l'intérêt individuel et social
d'autre part, mais à la condition de poser d'abord le droit comme prin-
cipe distinct de l'intérêt {'-). » Car ce n'est pas en tant qu'être sociable,
mais en tant qu'être moral que l'homme possède des droits. L'individu
est logiquement et réellement antérieur à la société et par conséquent
aussi ses droits naturels et primitifs, qui sont fondés sur sa nature de
personne morale. La société ne les crée pas, elle ne fait que les recon-
naîtra et les protéger.
V. — Liberté : Cousin. — « Le devoir et le droit, dit-il, sont frères.
Leui' mère commune est la liberté {^). » L'homme est une^ personne
morale, parce qu'il est libre. Or fessence de la liberté c'est d'être invio-
lable. Le droit n'est donc autre chose que l'exercice de la liberté.
Critiaue : la liberté est la condition plutôt que le fondement du
droit. La liberté pure et simple, abstraction faite de la loi morale et de
( ', HoBBES, tout en disant qu'il n'y a pas d'autre droit que la force et que chacun a
droit de faire tout ce qu'il peut, reconnaît qu'une pareille liberté est incompatible avec
l'ordri' social. Aussi la société a dû, dans l'intérêt de tous, la limiter ; de là vient que le droit
n'est plus ;;iijourd'hui que cette part de liberté que la société laisse et garantit à chaque
citoyt-n i-ii vue de VulilUé commune.
'(-) K. BoiRAC, La dissertation philosophique, n" 351, p. 341-342, Paris, 1890.
(M Cousin, Du vrai, du beau et du bien, XII" Leçon, 4».
(53) RAPPORTS DU DROIT ET DU DEVOIR 135
ridée du bien en -soi, ne peut engendrer le droit. Prise en soi la liberté
n'est plus qu'une force ; elle est sans doute différente des autres forces
• de la nature ; mais, par elle-même, pourquoi serait-elle sacrée ? Uhi non
est justitia, dit saint Augustin, ibi non potest esse jus. Si la liberté nous
apparaît, au contraire, comme liée à la loi morale et au devoir, nous
comprenons qu'elle doit être, comme eux, inviolable. Ce n'est donc pas
la liberté seule, mais jointe au bien et au devoir, qui est le véritable
principe du droit. L'homme a une fin à atteindre : le bien idéal ; personne
ne peut l'en détourner. Il a donc le pouvoir d'exiger les moyens d'atteindre
sa fin : c'est le droit.
VI. — Le bien : étant donné l'idéal du bien comme fin à atteindre,
il s'ensuit ; 1° qu'il doit être réalisé ; cette première conséquence, c'est
le devoir ; — 2° qu'il doit être réalisé libretnent, sans entrave ; et cette
seconde conséquence c'est le droit. De ce que nous sommes obligés,
il résulte en effet que nous devons avoir la possibilité d'accomplir notre
devoir. Le droit c'est donc le pouvoir de faire son devoir, comme il
doit être fait pour être méritoire, c'est-à-dire librement, sans en être
empêché et sans y être contraint.
Conclusion : le droit et le devoir ont donc le même fondement :
le bien, Vhonnête, c'est-à-dire ce qui est conforme à la nature raison-
nable et à l'ordre essentiel des choses (43, 45), et tous deux supposent
comme condition la liberté. Le droit et le devoir ont par conséquent
la même origine, le bien, qui est leur principe commun. Mais comme, en
dernière analyse, le bien n'est que l'ordre essentiel conçu et voulu par
Dieu, il faut dire que, pour le droit comme pour le devoir, le principe
suprême c'est la volonté divine ordonnant la conservation de l'ordre
essentiel et défendant de le troubler (46, § B).
53. - RAPPORTS DU DROIT ET DU DEVOIR
§ A. — ORDRE DE FILIATION
.Quelle est la génération logique du droit et du devoir ? Est-ce le
droit qui naît du devoir ou le devoir qui nait du droit ? Lequel est anté-
rieur à l'autre ? La réponse à cette question diffère, selon que le droit
et le devoir sont considérés relativement à Dieu ou relativement à
l'homme :
A) Relativement à Dieu : il faut dire alors que le devoir suppose
le droit. On ne peut concevoir un être obligé sans concevoir un principe
d'obligation supérieur et antérieur. Tout devoir en effet découle du
droit absolu que Dieu a sur tout être créé. Dieu est la cause première et
la fin dernière de toute créature : à ce double titre, il a sur la création
136 RAPPORTS DU DROIT ET DU DEVOIR (53)
un droit essentiel et primordial. Bien souverain, il a droit d'être recherché
comme fin suprême ; c'est de ce droit que résulte tout devoir.
B) Relativement à l'homme : alors il faut distinguer deux cas :
I, — Dans la même personne : le devoir est ici la raison d'être du
droit. L'homme a des devoirs avant d'avoir des droits. En effet, le droit
essentiel de l'homme c'est de tendre librement à sa fin. Or ce droit naît
de l'obligation rigoureuse, qui lui est imposée par Dieu, d'atteindre
cette fin. L'homme conçoit l'idéal moral comme devant être réalisé
par lui : c'est le devoir. Mais, pour qu'il puisse le réaliser, il faut qu'il
en ait les moyens et qu'il ne soit pas empêché de les mettre en œuvre :
cette liberté nécessaire au devoir, c'est le droit. Le devoir est donc logi-
quement antérieur au droit.
II. — Entre personnes différentes : ici, au contraire, c'est le droit
qui engendre le devoir. « Qu'est-ce que le devoir sinon l'obligation de
respecter le droit d'autrui ? (^) « Parce que telle personne m'a prêté
de l'argent, elle a droit à être remboursée et j'ai le devoir de le faire.
Cette corrélation ne vaut que pour les devoirs de justice (Cf. injra.,
§ B, II).
C) Théorie contraire : le droit est l'origine et le fondement du
devoir. Elle a été présentée sous deux formes :
I. — Kant (^) : il distingue, dans l'individu, Vhomme-noumène,
c'est-à-dire sa propre personnalité, qui a droit au respect non seulement
des autres, mais encore de lui-même, et V homme-phénomène, sujet du
devoir. Ainsi c'est Vhomme-noumène, qui oblige V homme- phénomène
(61, § B).
Critique : 1° Dédoubler l'individu pour expliquer les devoirs per-
sonnels, c'est un artifice verbal, car en quel sens l'individu pourrait-il
exiger son propre respect ? en quel sens pourrait-on parler d'un droit
à la culture qu'il aurait vis-à-vis de lui-même ? Dire de quelqu'un qu'il
n'a pas le droit de laisser son intelligence inculte, revient à dire qu'il
a le devoir de cultiver son intelligence.
2o Qu'est-ce qui rend la personne respectable et sacrée? C'est qu'elle
a un idéal moral à atteindre et par conséquent un devoir à remplir.
Le droit au respect, l'inviolabilité dérive donc du devoir.
II. — Proudhon {^) : « Le droit, dit Proudhon, c'est la liberté se saluant
de personne à personne. « Chaque personne possède la liberté. Tant que
cette liberté reste isolée, elle se développe de plein droit, à son gré, mais
dés qu'elle entre en contact avec une autre, les droits des deux libertés
C) J. Simon, Le devoir, III« P., Ch. i, p. 253, Paris, 1854'.
( ') Kant, Doctrine de la vertu, I' P., L. I, Introd. § 3. — Critique de la raison pure
n. 645 sqq.
(') Proudhon, La iuslice dans la démocratie, Part. I, L. I, Ch. i, § I.
(53) RAPPORTS DU DROIT ET DU DEVOIR 137
se heurtent, et c'est alors que le devoir commence : chacun des deux
droits doit respecter l'autre. Ils sont donc amenés à composer, à régler
par une convention les conditions de leur exercice. Cet engagement
réciproque constitue la loi et s'impose à la conscience des contractants.
S'ils ne peuvent s'accorder, ils choisissent un arbitre, qui fait la loi à
leur place et la leur impose ensuite par délégation ; de la sorte, ils n'obéi-
ront qu'aux lois qu'ils auront établies, soit par eux-mêmes, soit par
leurs représentants. Le contrat mutuel est la source de tout devoir et
de toute société. C'est pourquoi la volonté populaire est l'origine de
toute obligation et le pouvoir n'est que l'exercice d'une délégation
toujours révocable.
Critique : cette théorie supprime :
1^ Les devoirs de l'homme envers lui-même : en effet, le devoir
provenant de la rencontre des droits, il en résulte que l'homme isolé
n'a pas de devoirs. C'est la suppression de la morale personnelle.
2° Le droit lui-même : si, au moment du conflit entre les droits,
on prétend leur imposer une transaction, parce que c'est la seule solution
raisonnable^ on reconnaît que l'obéissance à la raison est un devoir
supérieur aux droits, puisqu'elle en conditionne l'exercice ; mais, alors,
on fait reposer le droit sur le devoir et c'est la négation de la thèse. —
Si, pour échapper à cette contradiction, on accorde au droit le pouvoir
de résister à la raison, chacun des ayants droib pourra se conduire à sa
guise, transiger ou s'opposer à l'usage du droit contraire. Alors, ou
bien les deux droits, comme des forces égales mais adverses, s'immobi-
liseront mutuellement : c'est la négation de Vexercice dû droit ; ou bien
en cas d'inégalité, le plus fort l'emportera : c'est la négation du droit
lui-même^ puisque le dernier mot est à la jorce, même si l'on recourt
à un arbitre, car, en dehors de la raison et du devoir, qui peut obliger
les intéressés à accepter la décision arbitrale ?
3° La justice : d'après cette doctrine, toute loi acceptée par la
volonté commune des contractants est bonne par le fait même qu'elle
est consentie ; c'est dire qu'il ne peut y avoir d'injustice là où il y a
consentement à l'injustice, comme si le juste et l'injuste dépendaient
de la volonté capricieuse de l'homme.
40 La liberté : dans le cas où les ayants droit remettent leur cause
au jugement d'un arbitre, ils abdiquent leur liberté, car ils doivent se
soumettre à la sentence arbitrale d'un homme, duquel ils tiendront
• leurs droits au lieu de les tenir du devoir et de la raison. Dans la société,
cet arbitre, unique appréciateur des droits, sera l'État impersonnel qui
les absorbera tous. Les citoyens, au lieu d'avoir des droits et des devoirs
fondés sur leur nature raisonnable et par conséquent inviolables comme
cette nature même, les attendront du bon plaisir de l'État. Ce prétendu
système de liberté aboutit donc au plus affreux despotisme, ou, si les
^38 RAPPORTS DU DROIT ET DU DEVOIR (53)
Citoyens ne veulent pas accepter les décisions de l'État-arbitre, à une
anarchie sans frein.
§ B. - CORRÉLATION ENTRE LE DROIT ET LE DEVOIR
T _ Dans la même persoime il y a corrélation étroite entre le
droi't et le devoir : vg. j'ai le devoir de vivre, de développer mon intell,-
aence et ma volonté ; j'ai conséquemment le droit de faire ce qui est
nécessaire à la conservation de ma vie physique et au développement
de ma vie intellectuelle et morale. Le droit du père sur ses enfants est
la conséquence du devoir d'éducation qui lui incombe ; il a le devoir
de les élever • il a par conséquent droit d'employer les moyens néces-
saires : les réprimandes, les corrections, etc. De même aux devoirs du
mari des gouvernants, etc. correspondent autant de droits : vg. le
aouvernement a le devoir d'assurer la sécurité publique ; il a conséquem-
ment droit aux movens indispensables : subsides, forces militaires, etc.
IL — Entre personnes différentes : ici il faut faire une dis-
tinction entre les devoirs de justice et ceux de charité :
\) Justice : il y a réciprocité entre les droits et les devoirs fondes
sur la justice. Les devoirs de justice sont ceux auxquels correspond un
droit strict chez les autres ; vg. j'ai l'obligation de payer mes dettes, et
mon créancier a un droit rigoureux à être soldé.
B) Charité : il n'v a pas réciprocité. Les devoirs de chante sont ceux
auxquels ne correspond aucun droit chez autrui. Si mon créancier
tombe dans la misère, une fois que je suis quitte envers lui au point
de vue de la justice, il n'a aucun droit à être secouru par moi. La chante
m'oblige cependant à le secourir dans la mesure du possible. Dans le
cas précédent, il pouvait me citer devant les tribunaux et exiger par
la force le paiement de sa créance ; ici, il n'a aucun recours en justice
contre moi : n'ayant pas de droit, il ne peut rien exiger.
§ C. — ÉTENDUE DU DROIT ET DU DEVOIR
Il ressort de ce qui précède que : _
10 Dans la même personne le droit et le devoir ont même étendue.
2» \ prendre les choses dans leur ensemble, le domaine du devoir
est plus vaste que celui du droit. Le droit ne concerne que les rapports
des hummes entre eux, il a trait à la vie sociale. Le devoir domine toute
la vio morale ; nous avons des devoirs envers nous-mêmes et envers
Dieu ; mais nous n'avons pas de droits vis-à-vis de Dieu ; et les droits
corrélatifs aux devoirs personnels ne se conçoivent que par rapport
à nos semblables, qui ne doivent pas entraver le libre accomplissement
de ces devoirs.
4
(54-55) FORMES PARTICULIÈRES DU DROIT 139
Conclusion. — Comparaison entre le droit et le devoir :
A) Différences : 1° Le droit est un pouvoir ; le devoir, une nécessité.
2° Le droit est la condition générale de Faccomplissement du devoir
dans la société. Le devoir règle la vie morale tout entière.
3° Les devoirs auxquels correspondent des droits en autrui, les
devoirs de justice^ sont seuls exigibles.
B) Ressemblances : tous deux appartiennent à la catégorie des
choses idéales, rationnelles ; aussi :
1^ Tous deux sont supérieurs aux jaits qu'ils dominent.
2° Tous deux sont absolus, universels, immuables. Au fond, ils ne
sont, l'un et l'autre, que la loi morale envisagée sous deux aspects diffé-
rents : le devoir, c'est la loi en tant qu'elle lie la liberté ; le droit,
c'est la loi en tant qu'elle protège la liberté.
54. — ORIGINE ET CARACTÈRES DE L'IDÉE DU DROIT
Jusqu'ici l'on a considéré le droit objectivement^ en lui-même; si on
le considère subjectivement, c'est-à-dire si l'on étudie l'idée du droit,
il faut déterminer :
1° Son origine : comme toute notion première, elle nous est fournie
par le concours de la raison et de l'expérience ; c'est la conscience morale
qui la dégage de l'analyse des jugements et des sentiments moraux (9).
20 Ses caractères : comme toute notion première elle est :
a) Nécessaire. — b) Universelle. — c) Évidente par elle-même
(Ps. 163).
55. — FORMES PARTICULIÈRES DU DROIT
§ A. - DROIT NATUREL
C'est le droit tel qu'il résulte de la nature de l'homme, de Tordre
essentiel des choses. Étant fondé sur la nature qui est immuable, il est
le même pour tous les pays et pour tous les temps ; il est par conséquent
égal, universel, absolu. Le droit de tendre à sa destinée et de faire tout
ce qui est nécessaire pour la remplir, voilà le droit essentiel, source de
tous les autres. Toutes les conditions, qui sont indispensables pour que
la personne s'appartienne et puisse réaliser librement l'idéal moral,
constituent autant de droits naturels distincts. Voici les principaux :
1° Droit de conserver sa vie : d'où droit de se procurer ce qui est
nécessaire à cette conservation ; droit de la défendre.
20 Droit d'obéir à sa conscience.
140 FORMES PARTICULIÈRES DU DROIT (55)
30 Droit d'exercer licitement ses facultés : de là viennent le droit
d'aller et venir à son gré ; le droit d'association ; le droit de choisir et
d'exercer toute profession honnête ; le droit de fonder une famille et
pour le père de la diriger (éducation, instruction) ; le droit de
propriété, etc. Le droit naturel de l'individu et de la famille est par
conséquent antérieur au droit social et au droit des gens. 11 est la source
de tous les droits et la mesure de leur légitimité. Comme il est fondé
sur l'ordre naturel des choses, qui repose lui-même sur l'essence divine,
il est foncièrement divin ; et, comme le droit positif découle du droit
naturel, on doit dire, en regardant la source, que tout droit est divin (18).
§ B. — DROIT POSITIF
C'est le droit qui est défini par l'intervention des législateurs. Il varie
avec les pays ; il est spécial et compliqué, en ce sens qu'il s'efforce de
régler les cas particuliers ; il précise les points que le droit naturel a
laissés dans l'indétermination ; vg. l'âge de la majorité, de l'éligibilité.
11 doit, pour être légitime, se conformer au droit naturel ; vg. une loi
établissant l'esclavage serait injuste. On le divise en :
I. — Droit social ou public : l'individu n'a pas seul des droits ;
la société en a aussi, mais elle n'a que ceux qui lui sont nécessaires
pour se conserver elle-même et pour garantir aux citoyens la jouissance
de leurs droits naturels et primordiaux. La société ne doit limiter les
droits des particuliers que dans la mesure où le requiert le bien commun
de l'ensemble (93, § II).
On subdivise le droit social en droits :
1» Civil : celui qui a pour but de sauvegarder les droits naturels
des citoyens en les mettant sous la protection des lois : vg. lois garan-
tissant les ventes, les donations, etc.
2" Politique : qui consacre les droits qu'un citoyen peut exercer pour
participer au gouvernement de son pays : vg. vote. Les institutions
politiques doivent servir de garantie aux droits civils ; c'est une seconde
circonvallation autour des droits naturels.
II. — International : il règle les rapports des nations entre elles.
Les nations n'ont des droits les unes vis-à-vis des autres qu'autant
qu'il est nécessaire pour maintenir leur existence indépendante et pour
protéger l'ejisemble des individus qui les composent. Le droit naturel
et individuel est donc le fondement du droit social et du droit des gens.
Remarque : on parle quelquefois de droit nouveau ; c'est un non-
sens. Le droit n'est ni ancien ni nouveau ; il est éternel, parce qu'il ,est
fondé sur V ordre essentiel ; le droit nouveau serait un changement dans
Yessenrc du droit, ce qui est absurde. Des droits nouveaux sont possibles,
c'est-à-dire dos applications nouvelles du droit éternel et immuable.
(56) PRÉCEPTES PRIMAIRES ET SECONDAIRES DU DROIT NATUREL 141
56. — PRÉCEPTES PRIMAIRES ET SECONDAIRES
DU DROIT NATUREL
Nous avons distingué dans l'ordre spéculatif (Ps. 163) deux sortes
de vérités :
10 Les vérités premières. — Elles sont : a) absolument nécessaires;
b) universelles; c) évidentes par elles-mêmes : vg. ce qui est, est; tout
a sa raison d'être ; les vérités mathématiques.
2» Les vérités ou lois scientifiques. — Elles sont : a) relativement
nécessaires; b) générales; c) non immédiatement évidentes; vg. les lois
physiques (Ps. 164).
Dans l'ordre moral ou pratique, il faut établir une distinction ana-
logue. C'est ainsi que les moralistes distinguent dans le droit naturel
deux sortes de préceptes :
I. — Préceptes primaires. Ils sont : A) d'une nécessité absolue,
indépendants de toute condition et de toute hypothèse.
B) Universels, s'appliquant à tous les temps et à tous les lieux;
aucune exception n'est possible.
C) Évidents par eux-mêmes. Exemples : Ne blasphème pas. Ne nie
pas Dieu. Ne trompe pas. Les actions opposées à ces préceptes primaires
sont intrinsèquement mauvaises ; elles le restent quelque hypothèse
qu'on imagine : dans aucun cas Dieu ne peut les autoriser et il n'aurait
pu créer un monde où elles fussent permises.
II. — Préceptes secondaires. Ils sont : A) d'une nécessité relative.
Ils pourraient être autrement, si les conditions de notre existence actuelle
étaient changées.
B) Généraux : Dieu peut en dispenser dans certains cas ; ils compor-
tent des exceptions.
C) D'une évidence médiate : il faut en prouver l'existence. Exemples :
lois relatives au mariage, à l'homicide, au vol, à la charité. Si notre
nature physique était diiïérente, si Dieu avait choisi d'autres moyens
que ceux qui président à la conservation de l'espèce humaine, à l'exis-
tence individuelle et sociale de l'homme, les préceptes secondaires
énumérés ci-dessus pourraient être autres. De plus, Dieu peut en dis-
penser dans certains cas, parce que la violation de ces préceptes, n'étant
pas absolument contraire à l'ordre essentiel des choses, n'empêche pas
complètement l'homme d'atteindre sa fin. C'est ainsi que la loi naturelle
prescrit l'unité et l'indissolubilité du lien conjugal. Cependant la poly-
gamie et le divorce ne sont pas absolument opposés au droit naturel ;
en effet, la fin du mariage, qui est la perpétuité, la stabUité et l'har-
monie des familles, bien que rendue par là beaucoup plus difficile à
réaliser, n'est pas cependant entièrement entravée. Dieu peut donc,
142 CONFLIT DES DROITS (57)
pour des raisons supérieures, tolérer la polygamie et le divorce. — En
outre, ayant droit de vie et de mort, étant propriétaire de toute la créa-
tion. Dieu peut ordonner de tuer telle personne ou de prendre le bien
d'autrui. Nous en avons des exemples dans l'histoire du peuple d'Israël.
Dans ce cas, en vertu de son domaine souverain, il dispense de l'obser-
vation des préceptes secondaires, tandis que, dans aucune hypothèse,
il ne peut permettre à qui que ce soit de transgresser les préceptes pri-
maires en tolérant vg. le blasphème.
Les préceptes secondaires sont fondés cependant sur l'essence des
choses, telle qu'elle découle de l'ordre établi par Dieu : ils sont donc
naturels, mais comme cet ordre aurait pu être différent, Dieu peut y
déroger, mais lui seul. Aussi pour s'y soustraire, l'homme a-t-il besoin
d'une manifestation particulière du vouloir divin, l'autorisant à ne pas
observer tel précepte secondaire.
On le voit, le parallélisme est parfait entre les vérités de Tordre
spéculatif et celles de l'ordre pratique. Dieu ne peut faire que ce qui
commence d'être n'ait pas de cause ou que 2+2=5; mais il peut,
par une intervention immédiate, suspendre telle ou telle loi astro-
nomique ou chimique ; c'est le miracle physique. De même, il ne peut
faire que le mensonge soit légitime ; mais il peut permettre de tuer
quelqu'un : dans ce cas ce n'est plus un meurtre. Mais il faut une auto-
risation expresse, par révélation : c'est le miracle moral.
57. — CONFLIT DES DROITS
Par cela même que les droits sont divers (55), il se présente des cas
où ils paraissent être en opposition. Le conflit n'est qu'apparent : le
droit ne peut contredire le droit ; l'honnête ne peut être opposé à l'hon-
nête. Les droits ne sont pas opposés, mais subordonnés.
Voici quelques règles pour discerner celui qui doit prédominer :
L — Le droit, dont l'objet est plus important et plus étroitement
lié à la fin dernière, prévaut : vg. le droit à la vie est préférable au droit
ih' propriété.
II. — Le droit, dont l'extension est plus grande, l'emporte : vg. lo
droit social doit passer avant le droit particulier : le soldat sacrifie son
droit à la vie au bien général.
III. — Les droits, dont les titres sont plus évidents, doivent primer
les autres : vg. deux hommes sont en péril égal ; je ne puis porter secours
qu'à l'un d'eux ; mais l'un d'eux est mon père, c'est lui que je dois
secourir.
I
(57) COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : MORALE GÉNÉRALE 143
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
MORALE GÉNÉRALE
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LIVRE II
MORALE MATÉRIELLE OU PARTICULIÈRE
La Morale générale est la science du devoir. La morale particulière
est la science des devoirs, car elle applique aux cas particuliers, matière
de la loi morale, les principes établis dans la morale formelle.
58. — DIVISION DES DEVOIRS (i)
§ A. — DIVISION D'APRÈS LEUR FORME
D'après la façon dont ils sont formulés, on divise les devoirs en
positifs et négatifs [^).
I. — Positifs : ceux qui commandent d'agir. Exemples pris dans
la Morale : 1) individuelle : Développe tes forces physiques, instruis-toi,
sois courageux ; — 2) sociale : Paie tes dettes, rends service aux autres ;
— 3) religieuse : Prie, adore Dieu.
IL — Négatifs : ceux qui défendent d'agir. Exemples tirés de la
Morale : 1) individuelle : Ne te tue pas ; ne mens pas ; ne t'emporte
pas ; — 2) sociale : Ne tue pas ; ne vole pas ; ne calomnie pas ; ne médis
pas ; — n) religieuse : Ne blasphème pas.
Comparaison : A) les devoirs négatifs énoncent les conditions élé-
mentaires de la moralité. Ils obligent toujours et à chaque instant. —
Il y a peu de mérite, en général, à les remplir, parce qu'ils consistent
plutôt à s'abstenir de faire le mal qu'à faire le bien ; il y a beaucoup de
démérite à les transgresser, parce que leur transgression est une violation
de la dignité personnelle et des droits d'autrui. Kant les appelle devoirs
de justice.
Les devoirs positifs énoncent les conditions supérieures de la moralité,
un idéal de perfection morale. — Ils obligent toujours, mais pas à chaque
( M p. Janet, La morale, L. II, Ch. v, p. 292 sqq.
( M II ne faut pas trop presser cette distinction, car certains devoirs s'expriment indifTô-
reniment sous forme négative ou sous forme positive : vg. la justice, qui dit de ne faire
tort à personne {neminem Isede), prescrit par là même de rendre à chacun son dû [suiim
cuique) .
I
(68) DIVISION DES DEVOIRS 149
instant. — Ils sont plus relevés que les devoirs négatifs et ils sont plus
méritoires^ parce qu'ils exigent un effort plus ou moins considérable et
se rapportent au perfectionnement moral et à la charité. Kant les
appelle devoirs de vertu.
B) Certains moralistes appellent les devoirs négatifs : stricts ou
parfaits, et les devoirs positifs : larges ou imparfaits. Si l'on entend
par là que les premiers sont seuls obligatoires et que les seconds sont
facultatifs, c'est inadmissible, parce que, où il n'y a pas obligation
rigoureuse, il n'y a pas devoir, mais simple convenance morale. Si l'on
entend par là que les devoirs négatifs sont déterminés et les positifs
indéterminés, on est dans le vrai. En effet, les devoirs négatifs, consistant
à s'abstenir, sont très précis : vg. ne tue pas. Les devoirs positifs au
contraire revêtent des formes sans nombre d'après les circonstances de
temps, de lieux et de personnes. L'obligation qu'ils imposent est théo-
riquement indéterminée ; chacun doit la déterminer pratiquement :
vg. fais l'aumône ; mais à qui, quand, dans quelle mesure ?
Remarque : les devoirs ne sont pas tous égaux., pas plus que les
fautes, comme l'ont soutenu les Stoïciens (41). Toutes les obligations
sont absolues, doivent être exécutées ; mais elles n'ont pas toutes la
même gravité. Cette gravité dépend de l'importance de la matière.
Une obligation est plus ou moins grave selon que l'objet, qu'il est interdit
de rechercher ou qu'il est commandé de poursuivre, a un rapport plus
ou moins direct avec la fin dernière de l'homme, l'éloigné ou le rapproche
davantage de la perfection.
§ B. — DIVISION D'APRÈS LEUR MATIÈRE
D'après les objets auxquels ils se rapportent, les divisions sont
multiples. On peut considérer :
L — Les objets des devoirs en eux-mêmes : on a alors les devoirs :
10 envers soi-même, qui constituent la Morale personnelle ; — 2» envers
les autres, qui constituent la Morale sociale ; — 3° envers Dieu, qui
constituent la Morale religieuse.
II. — L'étendue de leurs objets : on a alors les devoirs envers :
10 soi-même ; — 2o la famille ; — oo la patrie ; — 4° l'humanité.
III. — L'excellence de leurs objets : on a dans ce cas les devoirs
relatifs aux biens : lo extérieurs (richesses, honneur, réputation) ; —
20 du corps (santé, force, vie) ; — 3o de l'âme (vérité, justice, dignité
personnelle, etc.)
150 DEVOIRS E>VERS LES ANIMAUX ? (59-60)
59. — DEVOIRS ENVERS LES ANIMAUX ?
Certains philosophes, comme Damiron (^), Paul Janet (2), ajoutent
aux devoirs précédents les devoirs envers les animaux et envers les
choses. Cette addition :
I. ■ — Est sans fondement : les animaux ne sont pas des personnes,
mais des choses (Fs. 200). qui doivent servir au bien de l'homme. N'ayant
ni raison, ni liberté, ils n'ont aucun droit ; et par conséquent ils ne
peuvent être l'objet d'aucun devoir, car le droit suppose un devoir
corrélatif (53, § B).
II. — Est funeste dans ses conséquences : s'il est vrai que les
animaux ont des droits, ils ne peuvent être traités comme des moyens;
ils doivent être assimilés aux personnes. Il devient par là même illicite
de se nourrir de leur chair, de se vêtir de leurs dépouilles.
III. — Est inutile : nous ne devons pas abuser de la nature ina-
nimée et encore moins des animaux ; mais le principe de cette obli-
gation n'est pas dans les choses ni dans les animaux ; il est dans le
bien, dans la loi naturelle, qui exige que nous agissions en tout comme
des êtres raisonnables. Les animaux sont faits pour l'utilité et l'agrément
de l'homme ; c'est ce qui ressort de leur nature, inférieure à la nôtre
et par conséquent subordonnée. Nous pouvons donc nous en servir,
pourvu que l'usage soit conforme à la raison, c'est-à-dire nous soit
profitable ou agréable, dans la mesure où la recherche de l'utilité et de
l'agrément est permise (30, 31). Ainsi nous n'avons pas, à proprement
parler, de devoirs envers les animaux, nous en avons envers nous-
mêmes à l'égard des animaux : nous nous devons à nous-mêmes de ne
pas en mésuser (^). C'est ainsi que Dieu n'a pas de devoirs envers ses
créatures, mais il se doit à lui-même, à ses perfections, de leur accorder
tel ou tel bienfait.
60. — CONFLIT DES DEVOIRS
Les devoirs étant divers, il y a des cas où ils semblent se contredire.
Mais, comme pour les droits, cette collision n'est qu'apparente. Elle
tient à notre ignorance et non à la nature des choses, lians un cas donné.
(') Pu. Damiron, Cours de Philosophie : Partie I, Psychologie, T. II, L. Il, Sect. I,
("h. II. p. 217-218, Paris, 1837. — Partie II, Morale, Ch. ii, Sect. II, p. 112-124, Paîi.s, 1842».
( ') J.\.VET, Traité élémentaire de philosophie, n. 489.
( ') J.vNET le recnnnalt lui-même quand il dit : « Tout en adijiettant la réalité de ces
devoirs..., accordon.s, si l'on veut, que cette partie de la morale rentre soit dans la morale
personnelle, etc. » (La morale, L. II, Ch. v, p. 297).
I
(60) CONFLIT DES DEVOIRS 151
il n'y a pas deux devoirs opposés, également obligatoires et pourtant
exclusifs l'un de l'autre ; il n'y a qu'une seule chose à faire et partant
qu'une seule obligation. Une intelligence parfaite verrait immédia-
tement où est le devoir. La casuistique a précisément pour but de démêler
ces cas de conscience embrouillés. Après avoir distingué : l^' l'ordre des
biens, c'est-à-dire l'échelle des devoirs rangés d'après Vexcellence crois-
sante de leur objet ; — 2» l'ordre des devoirs, c'est-à-dire l'échelle des
devoirs rangés d'après Vétendue croissante de leur objet (58, § B), Paul
Janet (^) a proposé trois principes directeurs, selon que le conflit entre
deux devoirs a lieu par rapport :
I. — A l'excellence, l'étendue étant identique par hypothèse : le devoir
le plus excellent l'emporte ; vg. je dois préférer la vie à la richesse, la
justice à la vie.
II. — A l'étendue, Vexcellence étant identique : le plus étendu l'em-
porte ; vg. je dois préférer mes amis à moi-même, ma famille à mes amis,
ma patrie à ma famille, l'humanité à ma patrie.
III. — A l'excellence et à l'étendue : le point de vue de l'excellence
prime celui de l'étendue, l'ordre des biens l'emporte sur celui des devoirs ;
vg. il faudra subordonner l'intérêt de ma famille ou de ma patrie à mon
honneur ou à ma dignité morale : les premiers devoirs sont plus étendus ;
les seconds sont plus excellents. C'est ainsi que je ne dois pas me désho-
norer, ni mentir pour enrichir les miens.
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I
CHAPITRE PREMIER
MORALE PERSONNELLE ( )
61. — EXISTENCE ET FONDEMENT DES DEVOIRS PERSONNELS
Que l'homme ait des devoirs envers ses semblables et envers Dieu,
c'est ce que l'on accorde aisément ; mais qu'il en ait envers lui-même,
on l'a parfois nié. C'est donc une question préalable à résoudre. On a
objecté le mot de Sénèque : Nemo sihi débet. On peut l'entendre en disant
que personne n'a d'obligations à remplir envers soi-même ou que per-
sonne n'est le principe des obligations envers soi-même. Le premier sens
est faux, le second est vrai.
§ A. — EXISTENCE DES DEVOIRS PERSONNELS
L'homme a des devoirs envers soi-même. En effet :
I. — Admettre des devoirs envers les autres, c'est admettre du
même coup qu'on a des devoirs envers soi. Ces deux sortes de devoirs
sont logiquement inséparables. Il nous est impossible d'être justes et
charitables à l'égard des autres, si nous sommes avares, emportés,
paresseux, violents, intempérants, etc. ; car si nous ne savons pas maî-
triser les tendances inférieures de notre nature, nous serons amenés,
pour les satisfaire, à mépriser les droits de nos semblables.
II. — L'homme vit en société ; pour que celle-ci soit aussi prospère
que possible, chaque citoyen doit faire effort pour se perfectionner.
Celui qui ne travaille pas à son perfectionnement manque donc à ses
devoirs envers la société. Sans doute il cherche à s'excuser en disant
qu'il ne fait de tort qu'à lui-même. C'est une illusion : la solidarité qui
unit les membres du corps social est si étroite que le bien et le mal
faits par les uns rejaillissent sur les autres.
III. — D'ailleurs, quand même l'homme vivrait isolé, il n'en aurait
( ') Cf. C. Martha, Les moralistes sous l'empire romain. — Fr. Bouillier, Questions de
morale pratique. — John Stuart Blackie, L'éducation de soi-même. — Épictète, Entre-
tiens. Manuel. — Marc-Aurèle, Pensées. — L'imitation de Jésus-Christ. — Ed.-R. Clay,
L'alternative, L. IV. — Nicole, Essais de morale. — M. B. Institutes du droit naturel, L. VI.
154 EXISTENCE ET FONDEMENT DES DEVOIRS PERSONNELS (61)
pas moins des devoirs à remplir envers lui-même, car il est obligé de
respecter sa dignité et de perfectionner sa nature.
Les devoirs personnels existent donc. Comment les divise-t-on ?
— En devoirs relatifs au corps et en devoirs relatifs à l'âme.
§ B. — FONDEMENT DES DEVOIRS PERSONNELS
On a diversement répondu à cette seconde question :
A) Kant considère le principe de la dignité personnelle ; « Agis
do telle sorte que tu traites toujours l'humanité, en toi et dans les autres,
non comme un moyen, mais comme une fin, » comme runique fondement
de la morale individuelle et même de toute la morale.
D'autres lui assignent un double fondement :
1° La dignité de la personne humaine, que nous devons respecter
on nous-mêmes et dans les autres. De là se déduisent les devoirs négatifs
envers soi-même, qui correspondent aux devoirs de justice envers les
autres : vg. ne te tue pas ; ne tue pas.
2° La perfectibilité de la nature humaine, que nous devons développer
en nous-mêmes et pour le bien social : de la les devoirs positifs envers
soi-même, qui correspondent aux devoirs de charité envers autrui :
vg. soigne ta santé ; sois charitable.
Avec Kant on peut ramener le second principe au premier, en sou-
tenant que la perfectibilité de la nature humaine n'est qu'un aspect de
sa dignité. Par cela môme que l'homme possède la raison, il s'élève
au-dessus des autres êtres de la création. La personne humaine possède
une dignité supérieure à tout, puisqu'il est impossible de trouver un
bien qui lui soit préférable et auquel il faille la subordonner. Qui accep-
terait toutes les richesses et tous les plaisirs imaginables à la condition
de perdre la raison ? L'homme ne peut donc rien mettre au-dessus de
sa 'personnalité ; mais il doit lui sacrifier tout le reste. S'il veut rester
dans l'ordre, il lui est interdit de la considérer comme un simple moyen ;
il faut qu'il la prenne sans cesse pour but et la traite toujours comme
une fin. La maxime de Kant : « Agis, etc. » revient à dire à l'homme :
« Etre raisonnable, sois toujours raisonnable. » Celui qui met le bien
sensible au-dessus du bien rationnel et sacrifie sa personnalité à quelque
satisfaction matériello, abdique sa dignité d'homme, déchoit au rang
des êtres inférieurs et se fait simple chose. Le bien n'est donc pas distinct
de nous ; c'est ce qui est conforme à notre nature raisonnable, c'est le
développement de la personnalité ; ou plutôt c'est la personnaUté même.
Ne rien faire qui compromette en nous la dignité de la personne, nous
efforcer d'autre ])art de l'accroître en devenant chaque jour plus raison-
nables ; voilà le principe de tous nos devoirs personnels.
(61) EXISTENCE ET FONDEMENT DES DEVOIRS PERSONNELS 155
On objecte à cette théorie que personne ne peut s'obliger soi-même.
Kant répond par une distinction (Ps. 207, § B, III). Ildédouble la person-
nalité : il y a d'un côté la personne de l'homme-phénomène, la personne
empirique, imparfaite, soumise aux entraînements de la sensibilité et à
la tyrannie des passions qui troublent la raison ; d'autre part, il y a la
personne de l'homme-noumène, la personne intelligible, parfaite, afîran-
chie de tout esclavage et guidée par une raison toujours droite. C'est la
personne empirique qui est liée envers la personne parfaite : chacun de
nous, personne imparfaite, doit tendre à la personnalité idéale en devenant
de plus en plus libre et raisonnable.
B) D'autres philosophes soutiennent avec raison que le principe
de la dignité humaine n'est que le fondement prochain des devoirs de
l'homme envers lui-même. Le fondement dernier et véritable ce sont les
droits souverains de Dieu sur l'homme. L'homme est obligé de respecter
et de développer sa nature, sa personnalité, parce que Dieu en commande
le respect et en veut le perfectionnement (46, B) ; et Dieu impose à
l'homme cette obligation, parce qu'elle est conforme à l'ordre essentiel des
choses (^). De la sorte tout s'éclaire : l'homme ne s'oblige pas lui-même,
mais c'est Dieu qui l'oblige. Nous ne sommes plus en présence d'une
abstraction, comme dans la théorie précédente, où c'est la personne idéale
qui oblige la personne empirique; nous sommes en face d'un supérieur
vivant, de l'Etre infiniment parfait. Si l'on prend pour base unique
de la morale personnelle la dignité humaine, en excluant l'intervention
de Dieu, on ne saurait établir aucun devoir, mais de simples règles de
convenance. La loi de l'honneur et de la dignité, abstraction faite de
l'autorité divine, revient à dire : Si l'homme veut pratiquer le bien,
il doit agir comme il convient à sa nature raisonnable. Mais ce n'est là
(ju'un impératif hypothétique. 11 ne peut y avoir d'impératif catégorique
qu'en face d'une autorité supérieure qui, de par son droit souverain
et indiscutable, impose sa volonté. On ne saurait être obligé par ses
l'gaux, ni par soi-même, parce qu'on n'est pas supérieur à soi-même ;
on ne saurait l'être davantage par un idéal abstrait, parce que l'homme
est une réalité vivante. Dieu seul a donc l'autorité suffisante pour imposer
une obligation absolue. En dehors de Lui, la morale indépendante en est
réduite à des règles de convenance et aboutit à des maximes immorales
comme celle-ci : « Une belle pensée, dit Renan, vaut une belle action...;
une vie de science vaut une vie de vertu (-). »
(M E. Beaussire, Les principesi de la morale, L. IV, Cli. ii.
(-) Renan, L'avenir de la science, § I, p. 11, Paris, 1890'.
156 DEVOIRS RELATIFS AU CORPS (62)
62. — DEVOIRS RELATIFS AU CORPS
A cause de l'union de l'àme et du corps, la vie et la santé sont pour
l'àme des conditions nécessaires à l'accomplissement de ses fins. De
cette nécessité résultent les devoirs relatifs au corps.
§ A. — DEVOIRS POSITIFS
L'homme doit conserver et entretenir sa santé.
La santé du corps est une des conditions de la santé de l'âme : Mens
sana in cor pore sano. Mais ce soin ne doit pas dégénérer en mollesse et
en délicatesse, car il ne faut s'occuper de son corps que pour en faire
un meilleur instrument au service de l'âme. A ce point de vue élevé,
Vhygiène, la propreté, \ exercice rentrent dans la morale. — Pour conserver
la santé, il faut éviter tout excès : gourmandise, abus des boissons,
luxure, qui ruinent les forces physiques et amènent des maladies.
§ B. — DEVOIRS NÉGATIFS
On peut tout résumer en disant : ne pas attenter à sa vie ; ne pas
se mutiler.
Le suicide est une atteinte directe et volontaire à sa propre vie.
Les Épicuriens y voyaient un remède extrême contre la douleur. Les
Stoïciens l'exaltaient' comme un acte de courage : le sage peut sortir
tranquillement de la vie « comme on sort d'une chambre remplie de
fumée ». Le suicide est réprouvé par une saine morale. Il serait contra-
dictoire d'admettre que l'homme a des devoirs à remplir et de lui per-
mettre le suicide. En effet la vie est la condition nécessaire de l'accom-
plissement des devoirs. Si l'homme a le droit de s'ôter la vie, il peut par
là même s'exempter lui-même de tout devoir. Ne pas détruire son exis-
tence est donc le premier devoir, puisque c'est la condition de tous les
autres (^).
A) Le suicide est un crime : I. — Contre Dieu : c'est une violation
de ses droits. C'est lui qui donne là vie, à lui de la reprendre. La vie a
été accordée à l'homme comme un temps d'épreuve et de combat pour
atteindre sa fin. L'abréger de sa propre autorité, c'est s'ériger en arbitre
de ses mérites et de sa destinée, c'est clore une lutte dont Dieu seul doit
(') É.M. DuRKiiEiM, Le suicide, élude de sociologie. — Proal, Le suicide el le crime pas-
sionnels. — L. RouHE, Doctrines et problèmes, Ch. xi. La question du suicide. — Sénèque,
De Providenlia, VI. Epist., 58, 70, 77. — Tissot, Iif ta mayiie du suicide et de l'esprit de
révolte.
I
(62) DEVOIRS RELATIFS AU CORPS 157
marquer le terme ; c'est abandonner le poste confié. Le suicide est
donc une désertion morale, car « l'homme fuit ainsi, sans la permission
divine, le poste qui nous a été assigné dans ce monde » (^).
II, • — Contre la société : c'est la priver du concours qu'elle a droit
d'attendre de chacun de ses membres, en retour des services qu'elle
leur rend. C'est ensuite donner un pernicieux exemple.
III. — Contre soi-même ; c'est la violation du respect qu'on se doit,
car attenter à ses jours c'est disposer de soi comme d'un moyen pour
une fin arbitraire'.
B) Essais de justification : on a fait valoir en faveur du suicide les
raisons suivantes :
I. — Cest un acte de courage. — Réponse : il faut une certaine exal-
tation, une certaine énergie pour se suicider ; mais, au fond, c'est une
lâcheté, sous une apparence de courage, car on s'arrache la vie parce
qu'on n'a pas la force de supporter l'épreuve :
Rehus in adversis facile est contemnere vitam ;
Fortius ille facit gui miser esse potest (Martial).
II. — Quand on est déshonoré^ le suicide est un^Iroit et même u?i devoir.
■ — Réponse : ou ce déshonneur est immérité, et alors il est immoral de
sacrifier sa vie à un préjugé injuste ; ou il est mérité, et alors le devoir
commande, au lieu de fuir l'expiation, de l'afïronter courageusement
pour réparer la faute commise.
III. — La vie du malheureux qui se tue ne peut qu'être nuisible à ses
semblables; sa mort est un bon débarras pour la société. — Réponse :
il ne s'ensuit pas qu'il ait le droit d'attenter à ses jours, mais qu'il a
l'obligation de se corriger et de compenser par l'exemple d'une vie
honnête et utile le mal fait à la société.
IV. — Celui qui se suicide ne fait tort qu''à lui-même; or on n^est obligé
à rien envers soi. — Réponse : 1^ cette excuse n'est pas recevable, car
nous avons vu qu'on fait tort à la société en ne remplissant pas ses
devoirs personnels ; — 2° l'homme a des devoirs envers soi-même (61, A).
Remarques : 1° Sacrifice volontaire de sa vie : il ne faut pas le
confondre avec le suicide, car il peut être obligatoire ou être inspiré
])ar un motif héroïque de charité. Par position on peut être tenu à ce
sacrifice, comme le soldat, le médecin, le prêtre, dans certaines cir-
constances. Tous doivent préférer la perte de la vie à la perte de la vertu.
Ce serait, dit Juvénal, un crime de sacrifier à l'amour de cette vie péris-
sable les seules raisons de vivre
- Summum crede nef as animam prœferre pudori
Et propter vitam vivendi perdere causas (^).
( ') Kant, Principes métaphysiques de la morale, p. '214 de la traduction TissoT.
( °-) Juvénal, Satires, Vlll, 83-84.
9
158 DEVOIRS RELATIFS A l'aME (63)
2° La pénitence et les macérations ascétiques : elles sont blâmées
par certains philosophes. C'est à tort, car la mortification de la sensi-
bilité est nécessaire pour pratiquer la vertu. C'est, en effet, le moyen
d'assurer Tempire de la raison et de la volonté sur les facultés inférieures
toujours prêtes à se mutiner. La pénitence ne se borne pas, comme la
tempérance, à retrancher au corps le superflu ; elle le prive de certaines
satisfactions permises. Ces privations afîaiblissent les exigences désor-
données des sens et fortifient la puissance des facultés supérieures.
Comme elles ont pour but d'expier les fautes passées et de mater les
révoltes de la chair contre l'esprit, il en résulte que cette loi de la péni-
tence, qui s'impose à tous, doit être appliquée dans une mesure qui
varie avec les besoins particuliers et aussi avec les forces physiques et
morales de chaque personne. L'usage en sera réglé de manière à ne pas
compromettre la santé. A première vue, les macérations des saints
paraissent excessives. Il faut se rappeler que, les saints étant conduits
par des voies extraordinaires, elles sont inspirées par Dieu. C'est admi-
rable, mais ce n'est pas imitable (M.
63. — DEVOIRS RELATIFS A L'AME
La pratique des devoirs relatifs à l'âme donne naissance, selon les
anciens, à trois vertus, correspondant aux trois facultés :
I. — Tempérance : devoir relatif à la sensibilité. La sensibilité est
faite pour le bien sensible, le plaisir. Il ne faut pas la détruire, comme le
voulaient les Stoïciens, mais la régler : pour cela on doit déraciner les
mauvaises inclinations et développer les bonnes (Ps. 59). C'est ainsi
qu'on parviendra à subordonner la sensibilité à la raison et à pratiquer
la tempérance.
II. — Sagesse : devoir relatif à l'intelligence. L'intelligence est
faite jtour la vérité. L'homme ne doit donc pas amoindrir son intelli-
gence par V ignorance et V erreur, ni la dégrader par le mensonge soit
intérieur où l'on se trompe soi-même, soit extérieur où l'on trompe les
autres : par Vhypocrisie et le respect humain, qui sont des mensonges en
action. — II doit la perfectionner par la recherche de la vérité : pour
cela il faut se connaître soi-même et acquérir les connaissances reli-
gieuses et morales qui se rapportent à l'accomplissement de notre
destinée, à nos devoirs. C'est ainsi que l'homme s'élèvera à la sagesse.
Rousseau a prétendu que la culture des sciences est une cause néces-
saire de corruption : c'est un sophisme. Tout dépend de l'usage qu'on
fait des sciences et de l'intention dans laquelle on les étudie. Sans doute
( ') L. RoL-RE, Doctrines et Problèmes, Cli. vin, Ascétisme et Philosophie.
1
(63) COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : MORALE PERSONNELLE 159
« Science sans conscience, comme dit Rabelais, est la ruine de l'àme » ;
mais on peut aussi faire servir ses connaissances à son perfectionnement
moral.
III. — Courage : devoir relatif à la volonté. La volonté est faite
pour le bien rationnel ; c'est la faculté principale de l'homme, car c'est
par elle qu'il est maître de lui-même et réalise sa destinée, par elle qu'il
est un être moral. L'homme ne doit pas abdiquer sa liberté en se laissant
dominer par ses passions, l'avarice, la volupté, l'ambition, etc., mais il
doit la fortifier par des efforts généreux et répétés. L'examen de conscience
par lequel on arrive à la connaissance de soi-même, et le travail, qui
écarte l'oisiveté « mère de tous les vices », sont des moyens efficaces,
avec la lutte contre soi-même, pour tremper la volonté et devenir un
homme de caractère. C'est ainsi que l'on acquiert la force d'àme, le
courage (').
COMPLEMENT BIBLIOGRAPHIQUE
MORALE PERSONNELLE
Proal (L.), Le crime et le suicide passionnels, Paris, 1900,
FouRNiÈRE (E.), Essai sur r individualisme, Paris, 1901, 1908^.
Feuchtersleben (E. de). Hygiène de Vâme, Paris, 1904.
DoRNER (A.), Indiçiduelle und soziale Ethik, Berlin, 1906.
Eymieu (A.), Le gouvernement de soi-même, l""^ série, Paris, 1906.
Marchese de Luna (A.), Il suicidio nel diritto e nella vita sociale,
Rome, 1907.
Proal (L.), V éducation et le suicide des enfants, Paris, 1907.
Crémieu (L.), La justice privée, Paris, 1908.
Radulescu-Motru (C), Puterea sufleteasca {La force morale),
Bucarest, 1908.
Mélin (G.), U organisation de la vie privée, Paris, 1910.
Jacob (B.), Devoirs. Conférences de Morale individuelle et de Morale
sociale, Paris, 1910^.
^^ GiLLET (M. S.), Devoir et conscience, Vdivi^, 1910.
JËs' GuiBERT (J.), La pureté, Paris, 1910.
Antoine (Ch.), Égoïsme, dans Dictionnaire de Théologie catho-
lique (Vacant-Mangenot), Paris, 1911, T. IV, col. 2224-2230.
( ') a. Metz-Noblat, La Peur.
160 COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : MORALE PERSONNELLE (63)
Cantecor (G.), Le suicide, dans Revue de Métaphysique et de
Morale, 1913. p. 436-450. — Cf. A. Leclère, A propos de Varticle de
M. Cantecor : Deux idées de F. Ëgger, Ibidem, p. 576-584.
HoNOT (L.) et Voivenel (P.), Le courage, Paris, 1917.
Heath (A. -G.), The moral and social significance of the conception
of Personality, Oxford, 1921.
Bayet (Alb.), Le suicide et la morale, Paris, 1922.
Laumonier (G.), La Thérapeutique des péchés capitaux, Paris, 1922.
Payen (G.), Déontologie médicale d'après le droit naturel, Paris, 1922.
I
CHAPITRE II
MORALE SOCIALE ( )
64. ^ DIVISION DES DEVOIRS ENVERS AUTRUI
L'homme n'est pas un être isolé, mais social. Aussi la société devient-
elle pour lui une source de devoirs. L'ensemble des devoirs de l'homme
envers ses semblables constitue la Morale sociale. On peut répartir
ces devoirs sociaux de la façon suivante :
L — Devoirs généraux envers nos semblables, qui constituent la
Morale humanitaire.
IL — Devoirs envers la famille, qui constituent la Morale domes-
tique.
III. — Devoirs réciproques des gouvernants et des gouvernés, qui
-constituent la Morale civique.
IV. — Devoirs envers les autres nations, qui constituent la Morale
internationale. De là quatre sections dans le présent chapitre.
pe SECTION
MORALE HUMANITAIRE
On divise les devoirs généraux de l'homme envers ses semblables
en devoirs de Justice et en devoirs de Charité.
65. — JUSTICE ET CHARITÉ (2)
§ A. — L^ JUSTICE
A) Sa nature : c'est le respect des droits d' autrui. Chaque homme,
ayant le devoir de poursuivre sa fin, a le droit de ne pas être entravé
(M M. d'Hdlst, Conférences de Notre-Dame, 1896.
( ') Cousin, Justice et charité. — J. Hamon, La justice, dans l'Association catholique.
Bée. 1891, Fév. et Mars 1892. — S. Thomas, Summa theologica, I» II", Q. 61, A. 3 ; II» II",
Q. 58. — Lessius, De Justitia et Jure. — Taparelli d'Azeolio, Essai théorique de droit
naturel, n"' 177, 287, 353-358, 589. — Ch. Antoine, Cours d'économie sociale, I'" P., Ch. v.
— Fouillée, La morale socialiste, Revue des Deux Mondes, 1901, T. IV, p. 377 sqq.
TRAITÉ DE philosophie. — T. II. — >').
\Q2 LA JUSTICE
(65)
dans cette poursuite. De là les devoirs de justice correspondants aux
droits de nos semblables (53, § B), devoirs presque tous négatifs, dont
la formule générale est : « Ne fais "pas à autrui ce que tu ne voudrais
pas qu'on te fit à toi-même. » Pour Cicéron la justice consiste « à ne
nuire à personne et à concourir 4 Futilité publiciue » {^). D'après le
jurisconsulte Ulpien, . c'est « une volonté constante et perpétuelle
d'accorder à chacun son droit «. Constans et perpétua volunias suum
jus cuique trihuendi. La justice a donc pour fondement le droit. (51),
l'égalité des personnes devant la loi morale. Tout homme, étant tenu
de^r observer, a droit aux moyens nécessaires pour cela; il est donc
juste qu'il ne soit pas empêché d'user de ces moyens.
B) Espèces et variétés ('-) : Aristote distingue la justice :
I . — Commutative, qui se rapporte au droit strict. Elle régit les
rapports des citoyens entre eux et a pour règle FégaUté entre la chose
reçue et la chose donnée en compensation : vg. dans une vente. Quand
il V a égalité rigoureuse, la justice est stricte. Quand la compensation
n'égale pas complètement le bien reçu, c'est la justice imparfaite,
que* S. Thomas ramène à ces trois formes : religion envers Dieu; piéte
filiale envers les parents ; vénération pour les supérieurs. Il est impos-
sible de rendre à Dieu, aux parents et aux supérieurs une compensation
strictement égale à leurs bienfaits.
IL — Distributive, qui se rapporte au mérite. Elle regarde 1 équi-
table répartition du bien commun et a pour règle la proportionnalité :
à chacun selon son mérite. Ce doit être la vertu du gouvernement
dans la distribution des fonctions, du magistrat, du père de famille,
du maître, etc.
On a donné des noms spéciaux à certaines formes particulières de
la justice. C'est ainsi qu'on peut encore envisager :
"^ 10 La probité : forme de la justice qui consiste à respecter le bien
d' autrui.
20 La loyauté : forme de la justice qui consiste à respecter les
contrats expressément ou tacitement consentis.
IIL — La justice pénale. 11 faut distinguer, ici, avec Aristote :
10 La justice stricte, qui applique la loi sans tenir compte de la
diversité des personnes et des circonstances : c'est une règle de fer.
20 L'équité, qui tient compte, dans l'application de la loi, des per-
sonnes et des circonstances : c'est une règle de plomb {^). C'est de la
(M Priinum ut ne cui nocealur, ileindc ut oominuni utilitati serviatur {De Offldis
' {'"-j^ARi-STOTE, Morale à Nicomaqne, L. V, Cli. ii sqq. — S. Thomas, Summa theolo-
gica, II» II", Q- 61. ,„ . ^ /
(') Aristote, Morale à Nicomaque, L. V, Cn. x, è 7.
(65) LA CHARITÉ 163
justice sans équité qu'on dit : Summum jus, summa injuria. « Une
justice extrême est une extrême injustice » ; c'est-à-dire que le droit
poussé à l'excès devient une injustice (^).
Cette m.axime s'applique : a) D'abord et surtout au droit positif.
Les lois sociales, formulées en termes généraux, édictent ce qui est
juste dans la moyenne des cas. Par là même il peut arriver que, dans
un cas déterminé, la lettre de la loi soit en opposition avec son esprit ;
appliquer alors le droit rigoureusement, c'est tomber dans l'injustice.
Il faut juger les choses, non d'après le droit strict, mais d'après l'équité,
car « la lettre tue, tandis que l'esprit vivifie ».
b) Au droit naturel : il faut, dans la revendication de ses droits,
éviter de les porter à l'extrême, parce qu'il est facile d'en dépasser la
limite. — De plus, la lettre de la justice, c'est de ne rien faire de contraire
aux droits d'autrui ; Vesprit, c'est de traiter les autres avec le respect
dû à leur personnalité ; par conséquent il faut savoir parfois relâcher
quelque chose de ses droits. N'agirait pas aihsi celui qui, laissant pourrir
ses moissons, ferait condamner des malheureux qui en auraient dérobé
quelques gerbes.
§ B. — LA CHARITÉ
I. — Sa nature : elle consiste à vouloir et à faire du bien aux autres.
Elle a son origine psychologique dans la sympathie et les inclinations
sociales qui en dérivent (Ps. 42), Elle est fondée sur l'idée de notre
communauté d'origine, de nature et de destinée. Elle consiste à traiter
les autres comme d'autres « soi-même », comme des frères ; aussi la
nomme-t-on bienfaisance ou fraternité. Les devoirs de charité sont
presque tous positifs et ont pour formule générale : « Fais à autrui ce
que tu voudrais qu'on te fît à toi-même. » La charité chrétienne ajoute
un stimulant nouveau : elle fait aimer Dieu dans les hommes en faisant
aimer en eux l'image divine C^).
IL — • Formes : la charité s'appelle : a) bienveillance, quand elle
se borne à vouloir du bien aux autres ; — b) bienfaisance, quand elle
se traduit par des actes ; — c) pitié, quand elle a pour cause les souf-
frances d'autrui ; — d) dévouement, quand elle se manifeste par de^
sacrifices généreux et constants ; — ■ e) héroïsme, quand elle s'élève aux
plus grands sacrifices {^).
III. — Objection : Spencer et autres philosophes voudraient
bannir la charité, comme étant une fausse vertu, inutile et funeste.
(M CicÉRON, De Officiis, L. I, § X.
( ') S. Paul, /" Epître aux Corinthiens, Ch. xin. v. 1-7.
C) M. DU Camp, La charité à Paris. — Hadssonville (d'). Misères et remèdes.
164 LA CHARITÉ (65)
La nature, disent-ils, travaille au progrès des espèces animales en
éliminant les individus trop faibles pour vaincre dans la lutte pour la
vie. De même, dans riiumanité, les êtres chétifs ou vicieux doivent
disparaître pour céder la place à des individus plus sains. Or la charité
entrave cette sélection naturelle en dépensant, pour prolonger l'exis-
tence d'individus qui ne méritent pas de vivre, des ressources dignes
d'un meilleur emploi. Elle fait ainsi obstacle au progrès de l'humanité.
Réponse : 1^ La charité doit être faite avec intelligence et prudence ;
elle ne doit pas être une prime au vice et à la paresse. Il faut encou-
rager Vassistance par le travail, parce qu'elle aide le malheureux à se
relever lui-même. C'est la seule part de vrai à dégager de la barbare
doctrine de Spencer.
2» Il ne faut pas borner la charité à V aumône ; ce n'est là qu'un
moyen pour s'élever plus haut ; pour atteindre l'âme du malheureux,
il faut chercher à le consoler et à le fortifier moralement ; la charité
c'est le développement de la fraternité humaine, c'est l'effort mutuel
pour s'entr' aider.
30 Les ennemis de la charité ne sont pas conséquents avec leur doc-
trine. 11 est interdit, selon eux, de contrarier la sélection naturelle. Mais
pourquoi ne serait-il pas permis de l'aider et d'accélérer ainsi le pro-
grès de l'humanité ? Pourquoi ne pas tuer les infirmes, les incurables,
les vicieux incorrigibles ? C'est la morale Spartiate, préconisée par
Platon dans sa République, qui prescrit de détruire les enfants mat
conformés.
40 Est-ce qu'un corps chétif ne peut pas receler une grande âme ?
A ce compte combien d'hommes de génie, combien de Saints auraient
été sacrifiés (^) ?
50. La loi morale ne doit pas se modeler sur les lois de la nature.
Les lois de la nature se ramènent à la force et à la fatalité ; la loi
morale, c'est le droit, la justice, la fraternité. D'ailleurs, ni la famille
ni la société ne pourraient subsister sans dévouement. Une humanité,
composée d'individus sains et robustes, uniquement mus par l'intérêt,
serait une collection de « beaux animaux » (^), mais constituerait une
humanité moralement dégradée. Mieux vaut une humanité physique-
ment moins parfaite, mais où rayonnent la charité et le dévouement ;
c'est la vraie perfection, c'est la beauté supérieure.
( M Entre beaucoup d'exemples on peut citer celui de Newman. Cf. Thuiieau-Dangin,
La Renaissance calhoUque en Angleterre, Part. I, Ch. i, § IV, p. 30-31. Paris, 1899.
(») Taine, Voyage en Italie, T. I, p. 65 : « Deux idées ont gouverné cette civilisation
anlifiiie, la première, qui est celle de l'homme... : faire un bel animal, dispos, sobre,
brave, endurant, complet, et cela par l'exercice corporel et le choix des bonnes races. »
(65) JUSTICE ET CHARITÉ : COMPARAISON 165
§ C. — COMPARAISON
I. — Différences : 1° La justice repose sur YégaUté morale des
personnes, la charité sur la communauté de nature.
2'^ La justice consiste dans le respect des droits, la charité dans
ïamour des autres. Ce qui nous frappe surtout dans la pratique de la
justice, c'est l'inviolabilité de nos semblables : les droits de leur per-
sonne s'offrent à nous comme une limite infranchissable à notre liberté.
Dans la pratique de la charité, nous voyons dans les autres d'autres
nous-mêmes ; par elle nous sortons de notre égoïsme et nous travaillons
à rendre les autres meilleurs. C'est ce don libre et gratuit de soi qui
fait la beauté de la charité (^).
3° Les devoirs de justice sont pour la plupart négatifs et déterminés ;
ils obligent partout et toujours. Les devoirs de charité sont presque
tous positifs et indéterminés ; ils n'obligent pas à chaque instant.
40) Les devoirs de justice sont exigibles par la force, parce que des
droits stricts leur correspondent dans autrui. — Les devoirs de charité
ne sont pas exigibles (53, § B) ; ce n'est pas le droit des malheureux
qui nous oblige à les secourir, car ce droit n'existe pas ; c'est le droit
de Dieu sur tous les biens créés qui oblige ceux qui les possèdent à en
faire part aux nécessiteux (68, § E).
IL — Rapports : ce sont deux vertus qui se complètent admira-
blement :
10 11 n'y a pas de vraie Justice sans charité : comment respecter
ceux qu'on n'aime pas ? Celui qui condamne sans pitié tout écart hors
de la voie du bien, celui qui va impérieusement fusqu'au bout de son
droit, n'est pas le juste tel que la conscience le conçoit. La justice
stricte doit être tempérée par V équité ; autrement, elle devient prati-
quement l'injustice (Cf. supra, § A).
2° Il n'y a pas non plus de véritable charité sans justice :
a) Avant d'être charitable, il faut être juste. Que dire de celui qui
volerait pour faire l'aumône ?
b) L'exercice de la charité, pour être équitable, exige une certaine
justice : il doit y avoir une hiérarchie entre les devoirs de charité. Il
faut faire passer d'abord sa famille, car c'est ce que nous avons de plus
proche, puis ses amis, ensuite ses concitoyens, enfin les étrangers.
c) Si les autres n'ont pas le droit d'exiger de moi la charité, je n'ai
pas non plus le droit d'imposer ma charité aux autres. La charité doit
s'exercer et être reçue librement : autrement, on pratiquerait la charité
aux dépens de la justice.
(M Cousin, Du vrai, du beau et du bien, XV» Leçon, p. 386-387, Paris, 1867".
166 DEVOIRS RELATIFS A LA -VIE d'aUTRUI (66)
DEVOIRS DE JUSTICE
Les autres ont droit au respect de leur vie, de leur âme, de leurs
biens.
66. — DEVOIRS RELATIFS A LA VIE D'AUTRUI {^)
l. — Homicide : tu ne tueras pas. Le respect de la vie des autres
est le plus impérieux des devoirs de justice, parce que l'homicide met
Fâme dans l'impossibilité d'accomplir sa destinée, et il prive la société
d'un de ses membres.
IL — Assassinat politique : on a essayé de légitimer le meurtre
d'un tyran, au nom du bien commun de la société.
Réponse : A) La fin ne justifie pas les moyens (14).
B) On ne peut assimiler l'assassinat politique à la peine de mort,
car, dans la peine de mort, le tribunal, qui applique la loi, ne la fait
pas ; dans l'assassinat politique le même homme est auteur et exécu-
teur de la loi.
C) Personne ne peut se substituer sans mandat à la société pour
se constituer son justicier. C'est à la société qu'il appartient de se
défaire, par les moyens légaux, de son oppresseur (106, § B).
II L • — Droit de légitime défense, : au droit que tout homme a
de vivre on peut rattacher les questions suivantes : droit de légitime
défense ; — duel. Quand il s'agit de défendre sa vie, l'intégrité de ses
membres, sa pudeur, sa liberté, ses biens, on peut repousser la force
par la force : Vim vi repellere oinnia jura permiltunt. Mais :
A) Ce droit n'existe que dans le cas d'une agression actuelle et
injuste (2).
B) Il ne faut l'exercer que dans la mesure nécessaire à la défense,
cwn debito moderamine inculpatœ tutelœ. Ce que je dois avoir en vue,
ce n'est pas le mal de mon agresseur, c'est mon bien. Si je puis atteindre
ce résultat sans frapper l'homme, je dois l'épargner ; s'il suffit de le
blesser, je n'ai pas le droit de le tuer.
I
(') M. D'IIuLST, Conférences de Noire-Dame, 1896, 3" Conférence. — L. Jouin, Ele-
menin philosophiœ, P. III, L. III, Ch. iv.
( '■) « ...Si un nialfailcur aUcnte ;\ ma vie ou à ma propriété par surprise, la protection
Bociale arriverait trop lard pour me nieltre en .sûreté ; je suis donc en droit de m'y mettre
moi-môme. V'ous le voyez : la rai.son décisive (jui justifie, dans ce cas, la violence défensive,
c'est le rctarrl inévitable de la vindicte i)Ublique ». (M. d'Hulst, Conférences de Notre-
Dame, 1896, III« C. p. 91!).
(66) DEVOIRS RELATIFS A LA VIE d'aUTRUI 167
IV. — Duel (^) : on distingue le duel : 1» Public : celui que l'auto-
rité ordonne pour terminer une guerre ; il est licite comme la guerre
elle-même.
2° Judiciaire : épreuve (vg. du fer chaud) usitée sous le nom de juge-
ment de Dieu. Il reposait sur une conception fausse et superstitieuse
de la Providence (^).
3^ Privé : combat dangereux entre deux hommes, qui, de leur
autorité privée, conviennent du temps, du lieu et des armes. C'est le
seul usité aujourd'hui. Il dérive du duel judiciaire, coutume barbare
importée en Gaule par les Germains. Le duel est un acte :
A) Contraire à la loi naturelle, parce qu'il contient la double
malice de l'homicide et du suicide. Le duelliste s'expose sans nécessité
au danger, toujours possible (même dans le duel au premier sang et
dans le duel avec prévôts parant les coups dangereux), de perdre la
vie ou de donner la mort. « Le duel est un homicide conditionnel, subor-
donné à un suicide manqué. »
B) Contraire à la raison, car c'est un moyen absolument inapte
à la fin proposée : réparation d'honneur. L'honneur véritable consiste
dans la dignité et la valeur morale, que le duel, moyen physique, ne
peut ni donner, ni restituer. Si par honneur, on entend l'estime des
autres, il faut distinguer entre l'appréciation des hommes éclairés et
honnêtes, la seule qui compte, et le verdict de l'opinion frivole. L'estime
des premiers ira à celui qui aura le courage de refuser le duel ; l'appro-
bation de la seconde lui fera défaut ; mais il peut s'en passer, parce
qu'elle est méprisable, et il le doit, parce qu'il faudrait l'acheter au prix
du devoir, qui l'oblige au respect (h- la vie en lui-même et dans les
autres.
C) Contraire au droit social : il suppose licite l'exercice de la
vindicte privée. Mais, si le droit de vengeance appartient aux parti-
culiers, c'en est fait de l'ordre social, car d'un côté on est mauvais juge
dans sa propre cause, et, de l'autre, l'exercice de ce droit est injuste,
puisque la victoire revient au plus fort et au plus habile.
T)) Contraire à la justice : les duellistes s'exposent à recevoir
ou à inlliger la peine de mort pour une offense qui ne la mérite pas,
souvent même pour des motifs futiles, un préjugé, le point d'honneur (^).
11 y a d'autres manières, légitimes, de se faire rendre justice ou de
(') s. ScHiFFiM, Disputationes phiiosophias moraJis, T. II, n. 290 et sqq., Turin, 1891.
— Taparelli, Essai théorique de droit naturel, n. 393 et sqq.
{-) De Smedt, Le duel judiciaire et l'Eglise, dans les Etudes, Janv. 1895, p. 35 sqq.
( ') « Deux hommes du peuple, dit J. de M.\istre, qui se battent à coups de couteau
sont des coquins ; mais allongez les armes, faites-en des épées, voilà ce qu'on appelle une
affaire d'honneur i >>
168 DEVOIRS RELATIFS A l'aME d'aUTRUI ' (67)
prouver sa bravoure : « Le duelliste, disait Napoléon, est à l'épée du
soldat ce que le bavard est à la parole du sage ( ^). »
67. — DEVOIRS RELATIFS A L'AME D'AUTRUI
§ I. — DEVOIRS RELATIFS A LA SENSIBILITÉ
Nous devons respecter les autres dans leur sensibilité, éviter ce qui
peut les faire souffrir : mauvais traitements, outrages, paroles bles-
santes. Il ne faut pas exciter les mauvaises inclinations ; on doit, en
particulier, ne pas commettre le scandale, qui entraine les autres au
mal par la parole et par l'exemple.
§ II. —DEVOIRS RELATIFS A L'INTELLIGENCE
L'intelligence a droit à la vérité. C'est pourquoi :
A) Le père de famille doit donner à ses enfants une instruction
convenable à leur rang ; le maître doit laisser à ses serviteurs le temps
d'acquérir les connaissances essentielles ; le gouvernement doit favo-
riser l'instruction dans une large mesure (94, § I).
B) On ne doit pas enseigner l'erreur.
C) On ne doit pas tromper ses semblables. Pour comprendre la portée
de ce précepte, il faut expliquer en quoi consistent la véracité et le men-
songe.
VÉRACITÉ ET MENSONGE
Tout le monde admet qu'on doit éviter le mensonge, c'est-à-dire
respecter la vérité dans l'intelligence des autres, en pratiquant îa véra-
cité. Le mensonge est donc interdit sous toutes ses formes : réticences
injustifiées, dissimulation en action, équivoque et fausseté dans le lan-
gage. Mais l'accord cesse quand il est question de définir la nature du
mensonge et de fixer les limites de la véracité. Trois théories princi-
pales ont été mises en avant :
§ I. — Théorie de Kant
A) Exposé. — - Kapit considère le mensonge comme « la plus grande
transgression du devoir de l'homme envers lui-même comme être
1
( ') " Cette démence ne produit pas un seul bon effet, pas même celui derendre le soldat
brave dans la mêlée. " (FnÉDÉnic le Grand, Tactique prussienne). — On sait que Wel-
lington a fait supprimer le duel dans l'armée anglaise.
1
(67) VÉRACITÉ ET MENSONGE 169
moral » (^). « C'est l'avilissement et comme l'anéantissement de la
dignité humaine. Un homme qui ne croit pas lui-même ce qu'il dit à
un autre (fût-ce à une personne idéale) a encore moins de valeur que
n'en a une simple chose {^). » On n'a pas à tenir compte, quand on
veut en déterminer la nature, « du tort que le mensonge peut causer
aux autres, puisque ce n'est pas là ce qui fait le caractère propre de ce
vice (autrement il ne serait autre chose que la violation d'un devoir
envers autrui »). Ce qui constitue, en effet, la malice essentielle du
mensonge, c'est que le menteur « se propose une fin qui va directement
contre la destination naturelle de la faculté de communiquer ses
pensées » et « abdique sa personnalité » ( ^). C'est pourquoi la loi morale
qui le défend ne comporte ni tempérament ni exception. Ainsi, répondre
négativement à des assassins qui vous demanderaient si votre ami
qu'ils poursuivent n'est pas réfugié dans votre maison, serait un crime ( *).
B) Critique. — La théorie de Kant, qui aboutit à des conséquences
d'une rigidité extrême, est logique. Mais elle repose sur une supposition
erronée : à savoir que le désaccord entre la pensée et le signe qui l'exprime
est, de lui-même, un désordre moral. C'est un défaut psychologique qui
ne revêt, comme nous le verrons, un caractère moral que par la fin sociale
à laquelle la parole est naturellement ordonnée.
§ II. — Théorie ancienne
A) Exposé. — La doctrine de S. Augustin ( ^) a été reprise et exposée
méthodiquement par S. Thomas. Pour qu'il y ait mensonge, trois
conditions sont requises : énoncé d'une fausseté, volonté d'énoncer
une fausseté, intention de tromper. Mais la dernière condition : l'in-
tention de tromper, n'appartient pas à l'essence du mensonge ; c'est
un complément qui le « parfait » (^). Tout mensonge est un mal en lui-
même. En effet, la parole étant faite pour exprimer la pensée, il est
( '- --^) Kant, Eléments métaphysiques de la Doctrine de la vertu, I" P., L. I, Division I,
Ch. II, Art. I. Traduction de J. Barni, p. 87, 88, 87-88. Paris, 1855.
( ') C'est ce que Kant reconnaît dans un opuscule intitulé : D'un prétendu droit de
mentir par humanité, où il cherche à réfuter Benjamin Constant. Cf. Traduction de Barni,
Ibidem, p. 251.
(') Cf. ses Opuscules De Mendacio et Contra Mendacium, dans Migne, P. L. T. XL,
col. 487-518 ; 518-548.
( •) Si ergo ista tria concurrant, scilicet quod faJsum sit id quod enuntiatur, et quod
adsit voluntas falsum enuntiandi, et iterum intentio fallendi, tune est falsitas materialiter,
quia falsum dicitur ; et formaliter propter voluntatem falsum dicendi ; et effective propter
voluntatem falsitatem imprimendi... Quod autem aliquis intendat falsitatem in opiniono
alterius constituere, fallendo ipsuin, non pertinet ad speciem mendacil, sed ad quamdam
perfectionem ipsius... [Summa theologica, II" II"», Q. CX, A. I).
j^70 VÉRACITÉ ET MENSONGE (6'^)
contraire à l'ordre de la nature de s'en servir pour signifier ce qu'on
n'a pas dans l'esprit (1).
Mais comme toute vérité n'est pas bonne à dire et que certains
secrets doivent être gardés, les moralistes ont cherché les moyens de
tempérer la rigueur de la doctrine précédente. S'inspirant de cette
parole de S. Thomas résumant une pensée de S. Augustin : c II est
cependant permis de cacher prudemment la vérité sous quelque dissi-
mulation » (2), ils ont eu recours à VÉqiiivoque et à la Restriction men-
Une parole et un signe sont équivoques quand, d'après leur nature
et l'usage courant, ils sont aptes à signifier plusieurs choses. Exemple :
Notre Seigneur dit à ses apôtres : « Notre ami Lazare dort. » Cette
phrase pouvait s'entendre du sommeil naturel ou du sommeil de la
mort.
La restriction mentale consiste à déterminer mentalement le sens
qu'on attache aux mots.
Les morahstes distinguent la restriction :
10 Strictement mentale .- elle consiste à donner aux mots d'une phrase
un sens qu'ils ne peuvent avoir par eux-mêmes, ni emprunter aux cir-
constances dans lesquelles ils sont prononcés. Exemple : Je demande
à un étranger : « Avez-vous vu Paris ? >> 11 n'y a pas été et me répond
cependant : « Oui, je l'ai vu », ajoutant mentalement : « dans les photo-
graphies qui le représentent. » Cette sorte de restriction ne diffère pas
du mensonge et, comme lui, est illicite.
2» Largement mentale : elle existe quand le sens des paroles, sans
être obvie, est néanmoins intelligible dans une certaine mesure. Ce qui
arrive lorsque les paroles reçoivent du contexte ou des circonstances
de temps et de personnes un sens différent du sens ordinaire. Exemple :
quelqu'un, tenu au secret professionnel, est indiscrètement interrogé sur
un fait et répond : « Je l'ignore », voulant dire : « Je ne le sais pas de
science communicable. »
Pour que l'usage de Véquivoque et de la restriction mentale large soit
légitime, il faut : 1^ que le vrai sens puisse être découvert par un
homme prudent ; — 2o qu'il y ait, pour s"en servir, une bonne raison,
c'est-à-dire proportionnée à l'importance du cas. Car, la tromperie
( M Mcndacium autem est malum ex génère : est enim actus cadens super indcbitam
maleriaii). Cum enim voces naturaliter sint signa intellectuum, innaturale est et indebitum
quod aliquis voce signiHcet id quod non habet in mente. {Summa Iheologica, Ibidem,
Art. III).
( ') Licet tamen veritalem occultare prudenter sub aliqua dissimulaUone (S. Thomas,
Ibidem, Art. III, ad 4""').
(67) VÉRACITÉ ET MENSONGE 171
étant un mal, il n'est pas permis, sans raison suffisante, de fournir à
quelqu'un l'occasion de se tromper (^).
B) Critique. — l*' Le principe, sur lequel repose cette théorie, à
savoir que le désaccord voulu entre le langage et la pensée constitue
toujours un désordre moral, est discutable, comme on le montrera
(§ ni).
2"^ Cette théorie n'est pas cohérente, parce qu'elle ne peut, sans
renier son principe, soutenir que l'emploi de l'équivoque et de la res-
triction mentale est légitime. En effet :
« Les paroles ambiguës et les restrictions mentales ont ceci de
commun qu'elles présentent deux sens, l'un conforme à la pensée de
celui qui parle, l'autre, en désaccord avec elle, et l'effet naturel du sens
faux est de tromper le prochain. Il est permis, dites-vous, pour des
raisons graves, de poser une cause bonne ou indifférente à double effet,
l'un bon, l'autre mauvais. C'est la théorie connue en morale sous le
nom de théorie du volontaire indirect ou implicite.
« Oui, mais à condition : 1° qu'il y ait une cause proportionnelle-
ment grave de permettre le mauvais effet ; 2° que l'agent se propose
immédiatement le bon effet... » Or la seconde condition n'est pas réalisée
dans l'usage de l'équivoque ou de la restriction mentale. « Il est très
vrai qu'on n'est pas tenu moralement d'empêcher la déception du pro-
chain, effet d'une parole ambiguë ou d'une équivoque accompagnée
de restriction mentale, quand celui qui interroge n'a aucun droit à
connaître la vérité (c'est précisément la thèse que nous défendons) ;
mais l'intention immédiate ne peut porter sur cet effet si, comme nos
adversaires, on le croit intrinsèquement mauvais. Or il est évident
que l'intention de celui qui emploie des paroles à double sens, parce
qu'il veut dissimuler sa pensée, vise immédiatement le sens en désac-
cord avec sa pensée et par suite la déception du prochain. Car, s'il
n'espérait tromper, il se servirait de paroles simples et franches et
n'userait pas d'artifices. Donc le motif immédiat pour lequel il se sert
de paroles ambiguës, c'est la probabilité ou môme la certitude que le
prochain sera trompé. Mais, d'après les tenants de ro|i;nion que nous
combattons, la mahce essentielle du mensonge réside' dans ce désac-
cord volontaire de la pensée et du langage dont l'effet naturel est de
tromper. Donc, d'après ce principe, l'emploi des paroles ambiguës et
( M Pascal, dans la IX^ Provinciale, a présenté sous un faux jour la doctrine des res-
trictions mentales, en ne tenant pas compte des distinctions nécessaires. D'ailleurs, elle
n'était pas particulière aux Jésuites, comme il le dit, mais « elle était commune dans les
Écoles, deux siècles avant eux. Elle avait été professée par les plus fameux Thomistes, »...
(Abbé U. Maynard, Les Provinciales et leur réfutation, Paris, 1851, T. I, p. 420, n. 1.).
j^72 VÉRACITÉ ET MENSONGE (67)
des restrictions mentales est toujours immoral et il faut y renoncer
ou sacrifier le principe lui-même {^). »
§111. — Théorie RÉCENTE
A) Exposé. — Pour remédier aux inconvénients de la doctrine
précédente, plusieurs théologiens et philosophes protestants {^) ont
proposé une autre théorie du mensonge. Des théologiens et philosophes
cathohques {^) l'ont adoptée en la perfectionnant.
La doctrine ancienne peut se résumer ainsi : Mentir, c'est parler
contre sa pensée avec l'intention de dire une tromperie. La doctrine
récente dit : Mentir, c'est parler contre sa pensée avec l'intention injuste
de tromper. Pour la première, la malice intrinsèque du mensonge se
tire principalement de la difformité qui résulte du désaccord entre le
langage et la pensée, secondairement du tort fait au prochain trompé.
Pour la seconde, la mahce vient principalement du tort fait au pro-
chain trompé, secondairement de la difformité du désaccord entre le
langage et la pensée. Aussi le mensonge doit-il être défini : le
refus d'une vérité due. Negatio veritatis debitœ. Mentir c'est donc
refuser la vérité à quelqu'un qui y a droit. Par exemple, la vérité est
due aux Juges et aux Supérieurs qui interrogent légitimement ; elle
est, pareillement, obligatoire en matière de pactes .et de contrats.
(M Abbé F. Dubois, Une théorie du Mensonge, dans La Science catholique, 1896-
1897, p. 894-895.
(') Par exemple : H. Grotius, De Jure belli ac pacis, L. III, C. i, § 10-21. — S. Pu-
FENDORF, De Jure Na(urœef Gen/iumLibrioc«o, L. IV, Ci, §7-21.— Benjamin Constant,
€ Le principe moral que dire la vérité est un devoir, s'il étoit pris d'une manière absolue
et isolée, rendroit toute société impossible. Nous en avons la preuve dansles conséquences,
très directes qu'a tirées de ce principe un philosophe allemand (Kant).i> Cf. supra, p. 169.
Voici comment B. Constant réfute ce principe : « Dire la véritéestun devoir. Qu'est-ce
qu'un devoir ? L'idée du devoir est inséparable de celle de droits : un devoir est ce qui,
dans un être, correspond aux droits d'un autre. Là ou il n'y a pas de droits, il n'y a pas de
devoirs. Dire la venté n'est donc un devoir qu'envers ceux qui ont droit à la vérité. Or
nul homme n'a droit à la vérité qui nuit à autrui. « (Des réactions politiques, Ch. viii,
p. 74 et 7.5, An V, sans indication de lieu). C'est cette opinion que Kant a tenté de réfuter
dans rOpuscule cité p. 169, n. 4.
{') BoLGENi, /tpossesso, C. XLViii, dans MÉLANGES THKOLOGiyuES DE LiÉOE, IV» Série,
1850-1851, p. 406-413. — ■ F. Dubois, Une Théorie du Mensonge, dans La Science catiio-
LIOUE, 1896-1897, p. 886-905. Cf. Le droit à la vérité, dans Revue du Clekgé français,
1900, T. XXIII, p. 366-374. — Fr. Bouillier, Questions de Morale pratique, Paris, 1889,
p. 2*49-359'. —'Kirchenlexicon, T. viii, p. 260. Fribourg-en-Brisgau, 1893. — G. Fonsk-
orive, Eléments de Philosophie, Morale, XV' Leçon, § V, T. II, p. 475 (4« édition). —
Du Mensonge proprement dit et du droit à la vérité, par un professeur de Théologie (Père
Lessebteur) Paris, 1905*. — Ad. Tanquerey, P. S. S., Synopsis theologiœ Moralis et'
Pastoratis, T.' III, P. I, C. 11, Art. III, § IV, n. 404, sqq., Paris, 1901 *, p. 175 sqq. —
Ch. Lahr et G. Picard, Cours de Philosophie, Morale, Livre II, Part. II, Sect. I, Ch. 11,
Art. VI, T. II, p. 185-187, Paris, 1920.
(67) VÉRACITÉ ET MENSONGE 173
Le principe, sur lequel repose la doctrine précédente (§ II), à savoir :
le désaccord entre le langage et la pensée est en soi, par conséquent
toujours, un désordre moral, nous semble erroné. Le langage, en eflet,
a une double fin : l'une, prochaine, qui est d'exprimer la pensée ; l'autre,
ultérieure, qui est de servir d'instrument pour les relations sociales et
de concourir ainsi au bien des associés. Or la première n'est qu'un
moyen par rapport à la seconde. Par conséquent, la conformité du
langage et de la pensée est subordonnée à l'utilité de la société. C'est
donc de la fin sociale que cette conformité tire sa valeur et sa moralité.
Pourquoi est-il bon que le langage soit conforme à la pensée ? Parce que,
sans cette conformité habituelle, la confiance mutuelle ne saurait
exister entre les associés et, conséquemment, la société deviendrait
impossible.
La bonté morale de l'accord entre le langage et la pensée ne dérive
donc pas de cet accord considéré en lui-même, mais de ce qu'il est un
moyen subordonné à une fin supérieure : l'utilité sociale. Car il est
manifeste que le langage est fait pour entrer en rapport avec les autres (^).
L'opinion, que nous réfutons, dit : L'ordre naturel exige que le signe
(le langage) corresponde à la chose signifiée (la pensée). Nous avons
montré que cette formule est incomplète, donc inexacte. Il faut dire :
L'ordre naturel exige que le signe corresponde à la chose signifiée, parce
que, d'une façon générale, les associés ont droit à la vérité, d'où résulte
la sécurité des relations sociales. Mais, dans les cas exceptionnels, où
cet accord entre la pensée et le langage serait nuisible, il n'a plus sa
raison d'être, perdant la bonté qu'il tenait de sa fin sociale, et cesse
par là même d'être obligatoire. La malice du mensonge réside donc
dans la violation du droit d'autrui à la vérité. Là où ce droit n'existe
plus, il n'y a pas injustice {^).
En pratique, il n'est pas permis de recourir à la dissimulation de la
vérité, sans une raison suffisante : éviter un dommage, spirituel ou
temporel, sérieux. Ajoutons que si le silence suffit pour écarter le dom-
mage, il faut s'en contenter. Mais souvent le silence ne l'est pas, parce
qu'il équivaut à un aveu implicite. Il est nécessaire d'imposer ces
limites, parce que, l'erreur étant un mal de l'intelligence, on n'a pas
le droit d'y induire le prochain si l'on n'a pas de motif proportionnel-
lement grave et si l'on dispose d'un autre moyen sûr d'atteindre son
but.
(M La vertu de véracité « est ad alterum ». (S. Thomas, Summa theologica, 2* •2»'',
Q. CIX, A. III).
(') Il faut noter que le droit à la vérité ne relève pas de la justice commutalive, mais
de la justice sociale ; « Veritas sive veracitas » (S. Thomas, Ibidem, A. I) « est pars justitiae
in quantum annectitur ei sicut virtus secundaria principali. (Ibidem, A. III, à la fin). »
174 VÉRACITÉ ET MENSONGE (67)
Donnons quelques exemples. Ceux qui sont tenus au secret profes-
sionnel, comme le prêtre, l'avocat, le médecin, non seulement peuvent,
mais doivent dissimuler la vérité, parce que le droit d'un tiers y est
intéressé. Si l'intérêt personnel est seul en jeu, on peut, pour le sau-
vegarder, user de dissimulation, mais on est libre de le sacrifier.
Les parents ou les maîtres, interrogés par des enfants sur des matières
scabreuses, ne doivent pas les mettre au courant, parce que, dans
l'espèce, le droit des enfants à la vérité est suspendu par un droit supé-
rieur, d'ordre moral : on doit avant tout protéger leur innocence.
Un serviteur, auquel un fâcheux demande si son maître est à la maison,
peut lui répondre négativement.
De même, pour me débarrasser d'un indiscret que je rencontre
sur ma route, et qui, sans motif, gaspillerait mon temps, je puis pré-
texter une affaire pressée. Autrement on ne pourrait se défendre contre
les importuns, et la vie sociale deviendrait un obstacle au lieu d'être
un moyen de perfectionnement et une aide (^)v
Dans ces cas et autres analogues, la doctrine ancienne est obligée
de se servir de la restriction mentale, et cela en dérogeant, on l'a vu,
à son principe fondamental.
La théorie récente n'est qu'une application légitime de la doctrine
du volontaire indirect rappelée plus haut. Lorsqu'on répond faussement
à quelqu'un qui n'a pas droit à la vérité, deux effets sont à considérer :
la sauvegarde de nos intérêts ou des intérêts d' autrui et la déception
du prochain. On ne vise pas, en agissant, la déception de l'interlo-
cuteur, mais le bon effet qui suit de l'acte. Or il est licite de permettre
le mauvais effet en vue de se protéger soi-même ou les autres. L'inter-
locuteur n'a (c'est l'hypothèse d'où l'on part) aucun droit à connaître
la vérité, et l'erreur accidentelle, qui est produite dans son esprit-, est
un mal moindre que la révélation de la vérité. Il, n'a, d'ailleurs, qu'à
s'en prendre à lui-même.
Le cas qui nous occupe est analogue à celui de l'agresseur injuste.
Tout le monde admet que, si quelqu'un cherche à attenter à notre vie,
il est légitime, pour se préserver de la mort, de blesser ou même de tuer
l'agresseur si c'est nécessaire. On vise le bon effet, sa propre sécurité,
et l'on permet le mauvais, la blessure ou la mort de l'adversaire.
Dans ce conflit entre le droit personnel à la vie et le droit à la vie de
l'agresseur, c'est le premier qui l'emporte. Le cas de refus de la vérité
à un questionneur injuste est aussi un cas de légitime défense.
La théorie récente offre de grands avantages : l» elle indique quel
est le vrai critérium moral du devoir de la véracité : l'ordre et la sécurité
{') Cf. L. Dubois, Le Droit à la vérilé, Loco cilaio, p. 369.
(67) VÉRACITÉ ET MENSONGE 175
des relations sociales. De là découlent une notion claire et précise du
mensonge ainsi qu'une règle de conduite facile à pratiquer.
20 Elle rend inutiles les restrictions mentales. Ces restrictions sont
un expédient, dont l'allure louche répugne aux esprits droits. De plus,
elles sont souvent d'un emploi difficile : il y faut de la prudence et de
la subtilité, et, quand on est pris à Fimproviste, beaucoup de sang-
froid et d'à-propos. C'est assez dire que, d'un maniement délicat-même
pour des intelligences cultivées, elles ne sont pas habituellement à la
portée du commun des hommes. Voilà donc, d'après la théorie ancienne
qui les autorise comme l'unique ressource pour se tirer d'embarras,
une multitude d'honnêtes gens frustrés de tout moyen de sauvegarder
leurs droits et le.urs intérêts les plus légitimes.
Renfermé dans les limites imposées par les théologiens (Cf. supra^
p. 170), l'usage des restrictions mentales n'a en soi rien que de légitime,
«Mais elles ont engendré tant de subtilités et de contradictions qu'elles
ont rendu le distinguo odieux et ridicule. Elles ont déconsidéré — ■ à
tort — Escobar et jeté le discrédit sur la morale théologique. Gomme
d'ailleurs elles n'atteignent nullement le but pour lequel on les a créées,
personne ne se plaindra qu'on débarrasse la morale de ce poids
mort (^).))
Conclusion. — Au devoir que l'homme a de dire la vérité corres-
pond chez l'auditeur un certain droit à l'entendre. C'est pourquoi la
théorie récente a été nommée « Théorie du droit à la vérité ». 11 faut
noter, en terminant, qu'elle n'a rien d'inquiétant pour les relations
sociales.
« Cet accord entre la parole et le jugement interne, qu'on appelle
la véracité, n'a pas de valeur absolue. La parole, en effet, est un signe,
et l'accord du signe et de la chose signifiée n'a de valeur que comme
moyen de représentation. Si la vérité, dont le signe est le véhicule,
est bienfaisante et utile, l'accord de la parole et de la pensée participe
à cette bonté comme le moyen, indifférent en lui-même, participe à la
bonté de la fin. Si, au contraire, la vérité « n'est plus bonne à dire »,
l'accord entre la parole et la pensée devient lui-même malfaisant. Comme
le dernier cas est après tout l'exception, la véracité est habituellement
un Revoir social, tant qu'un intérêt, un bien supérieur, soit d'ordre
social, soit d'ordre individuel, n'entre pas en conflit avec lui ('''). »
On peut donc poser ce principe : « Le droit à la véracité et le devoir
corrélatif disparaissent quand la véracité n'est plus un bien. Et la
véracité n'est plus un bien, lorsqu'elle empêche un bien supérieur,
(M F. Dubois, Le Droit à la vérité, Loco citato, p. 373.
( •) F. Dubois, Le Droit à la vérité, Loco citato, p. 367-368.
I
176 DEVOIRS RELATIFS A LA VOLONTÉ LIBRE {67}
soit d'ordre social, soit d'ordre individuel » (^), comme on l'a vu par les
exemples apportés ci-dessus (2).
§ III. — DEVOIRS RELATIFS A LA VOLONTÉ LIBRE
Nous devons respecter la liberté dans toutes ses manifestations
légitimes. L'Esclavage et le Servage sont contraires à la liberté.
A. — L'Esclavage (^)
10 Elégitimité de l'esclavage. — L'esclavage répugne au droit naturel,
parce que l'esclave, qui est une personne morale inviolable, devient
la chose d'autrui (^). Sa liberté physique, sa vie, ses droits d'époux, de
père, toutes ces choses sacrées sont à la merci d'un caprice du maître-
Rien ne peut légitimer une pareille usurpation, car chacun, ayant le
droit de vivre pour Dieu et pour soi, ne peut être pris par les autres
comme un simple moyen pour arriver à leurs fins. La servitude est
en outre la négation de Végalité essentielle de tous les hommes devant
la loi morale : tous ont le devoir rigoureux de tendre à leur fin et par
conséquent tous ont le même droit de ne pas être entravés dans l'accom-
plissement de ce devoir.
2» Opinions des philosophes anciens. ^ — Socrate se contente derecom-
mander aux maîtres de bien traiter leurs esclaves. Platon estime
« qu'il n'y a rien de sain ni d'entier dans l'esprit des esclaves » {^) et
il approuve ce vers « du plus sage des poètes » : « Zeus prive de la moitié
de leur intelhgence ceux qui tombent dans l'esclavage (^). » Dans sa
République, où il a tracé le plan de la Cité idéale qu'il rêve, il n'y a pas
de place pour l'esclavage et il en nie la légitimité ('). Dans les Lois^
il parle en homme d'État et se place sur le terrain des faits. L'escla-
vage lui apparaît comme une nécessité, il en pèse les avantages et les
( *) F. Dubois, Le Droit à la vérité, Loc. cit., p. 368.
(») Voir supra, p. 174. — Cf. Dubois, Ibidem, p. 369-372.
(») Wallon, Histoire de l'esclavage dans l'antiquité. — Fr. de Champagny, De la
charité chrétienne dans les premiers siècles de l'Eglise, II» P., Ch. ii, § 3. Les Antonins,
L. III, Ch. V, § 1. — MoHLER, Christianisme et Esclavage. De l'abolition de l'esclavage par
le Christianisme. — A. Cochin, L'abolition de l'esclavage. — P. Allard, Les esclaves chré-
tiens... — Balmès, Protestantisme comparé au Catholicisme, Ch. xv-xix. — Taparelli,
Essai théorique de droit naturel, n" 1511-1512.
( ♦) Dans le droit romain l'esclave n'était pas une personne : Ntdlum caput habuit
( Inslitutiones Justiniani. L. I, Titulo XVI, § 4).
(•) Platon, Lois, L. VI, Édit. Didot, T. II, p. 367, ligne 48.
{•) Odyssée, XVII, 322.
(') Platon, République, L. II.
(67) l'esclavage : philosophes anciens 177
inconvénients et il conclut qu'il faut traiter les esclaves de façon qu'ils
soient utiles sans devenir dangereux. Pour prévenir les troubles et les
révoltes il ne voit que deux expédients : « le premier, de n'avoir point
d'esclaves d'une seule et même nation, mais, autant qu'il est possible,
qui parlent entre eux différentes langues, si l'on veut qu'ils portent
aisément le poids de la servitude ; le second, de les bien traiter, non seu-
lement pour eux-mêmes, mais encore plus pour ses intérêts » {^).
Aristote est plus radical : il soutient que l'esclavage est néces-
saire et naturel. Dés le début de sa Politique, il fait cette déclaration
de principe : « C'est la nature qui, par des vues de conservation, a
créé certains êtres pour commander et d'autres pour obéir. C'est elle
qui a voulu que l'être doué de raison et de prévoyance commandât
en maître ; de même encore que la nature a voulu que l'être, capable
par ses facultés corporelles d'exécuter les ordres, obéît en esclave ;
et c'est par là que l'intérêt du maître et celui de l'esclave se
confondent {^). u
Aristote sent le besoin de justifier cette déclaration, car, de son
temps, il y avait des protestations contre l'esclavage : « D'autres, au
contraire, prétendent que le pouvoir du maître est contre nature ;
que la loi seule fait des bommes libres et des esclaves, mais que la
nature ne met aucune différence entre eux ; et que même par suite
l'esclavage est inique, puisque la violence l'a produit {^). » Mais les
preuves qu'il apporte ne sont que de simples affirmations ou de purs
sophismes.
La première est tirée des nécessités de l'économie domestique :
«...Comme les autres arts, chacun dans sa sphère, ont besoin pour accom-
plir leur œuvre d'instruments spéciaux, la science domestique doit
avoir également les siens. Or, parmi les instruments, les uns sont ina-
nimés, les autres vivants... L'esclave est une propriété vivante {xir^ixé.
Tt iwW/py) » et c'est le premier des instruments. « Si chaque instru-
ment pouvait, sur un ordre reçu, ou même deviné, travailler de lui-
même... ; si les navettes tissaient toutes seules ; si l'archet jouait tout
seul de la cithare, les entrepreneurs se passeraient d'ouvriers, et les
maîtres, d'esclaves (*). »
Donc l'esclavage est nécessaire et, partant, naturel, parce que,
(■) Platon, Lois, L VI, Edit. Didot, T. II, p. 367-368. Traduct. Cousin, T. VII,
p. 358. — Cf. H. Wallon, Histoire de l'esclavage dans l'anliquilé, L. I, Ch. XI, § II
T. I. p. 363-372, Paris, 1879^
(«) Aristote, Politique, L. I, Ch. i, § 4 (Edit. Didot, T. I, p. 482). — La traduction
est empruntée à J. Barthélemy-Saint-Hilaire, Paris, 1848*.
{ ') Aristote, Politique, L. I, Ch. ii, § 3, Ibidem, p. 484.
(*) Aristote, Politique, L. I, Ch. ir, § 4-5, Ibidem, p. 484-485.
178 l'esclavage : philosophes anciens (67)
pour le supprimer, il faudraitbouleverser les lois de la nature physique.
Pour légitimer la relation d'esclave à maître, Aristoïe fait aussi
appel à un argument analogique emprunté aux rapports du corps et
de l'àme. « L'être vivant est composé d'une àme et d'un corps, faits
naturellement l'une pour commander, l'autre pour obéir.... C'est là
aussi la loi générale qui doit nécessairement régner entre les hommes.
Quand on est inférieur à ses semblables autant que le corps l'est à l'âme,
la brute à l'homme (et c'est la condition de tous ceux chez qui l'em-
ploi des forces corporelles est le seul et le meilleur parti à tirer de leur
être), on est esclave par nature.... L'utilité des animaux privés et
celle des esclaves sont à peu près les mêmes : les uns comme les autres
nous aident, par le secours de leurs forces corporelles, à satisfaire
les besoins de l'existence. La nature même le veut, puisqu'elle fait
les corps des hommes libres différents de ceux des esclaves, donnant à
ceux-ci la vigueur nécessaire dans les gros ouvrages de la société, ren-
dant au contraire ceux-là incapables de courber leur droite stature
à ces rudes labeurs, et les destinant seulement aux fonctions de la vie
civile, qui se partage pour eux entre les occupations de la guerre et
«elles de la paix (^). »
Traitant de l'amitié dans sa Morale à Nicomaque^ Aristote enseigne
qu'elle ne peut exister >< entre nous et les choses inanimées, ni même
entre nous et le cheval ou le bœuf ou l'esclave en tant qu'esclave, parce
qu'il n'y a rien de commun entre le maître et l'esclave. L'esclave, en
efïet, n'est qu'un instrument animé, de même que l'instrument n'est
qu'un esclave inanimé ('O yàp ^oZXo^ £a'|u/ov o^-faw^^ to -î'opyavov a'l»u/o;
"îoviXoç). Il n'y a quelque amitié qu'en tant qu'il est homme (^). »
Devant, les misères de l'esclavage, « les Écoles d'Épicure et de
Zenon s'enfermaient l'une dans son égoïsme, l'autre dans son indif-
férence : impitoyables également, la première par amour, la seconde
par mépris pour le bien-être et le plaisir » {^).
Les doctrines stoïciennes n'étaient pas faites pour amener la dis-
parition de l'esclavage. Bien au contraire. Car, dans l'homme, il y a
un double principe : l'âme, principe de liberté, et le corps, principe
d'asservissement. Aussi la vie, qui résulte do l'union de l'âme et du corps,
serait une véritable servitude, si chacun n'avait le pouvoir de s'en
affranchir, à son gré, par le suicide. C'est pourquoi est vraiment esclave
celui qui s'abandonne à l'empire du corps, aux exigences des passions
mauvaises ; est vraiment libre celui qui sait les dominer, restant maître
I
(') Aristote, Polilique, L. I, Ch. ii, §§ 10, 13 et 14, Ibidem, p. 485-486. — Cf. Wallon,
Histoire..., Ibidem, § III, p. 372-392.
(") Aristote, Ethique à Nicomaque, L. VIII, Cli. xi, § G-7. Édit. Didot, T. II, p. 100.
( *) Wallon, Histoire..., Ibidem, p. 392.
\ (67) l'esclavage : philosophes anciens 179
-'de sa volonté. Par là même les classes sociales disparaissent : l'homme
libre devient esclave, s'il se soumet au joug des désirs corporels ; et
l'esclave devient libre si son âme repousse toute sujétion.
Ces enseignements du pur Stoïcisme sont familiers à Sénèque qui
s'en est fait l'écho fidèle. Mais il ne s'en est pas tenu là : on trouve
chez lui des sentences qui vont à nier la légitimité de l'esclavage. Il
proclame, par exemple, l'identité de tous les hommes : « La nature
nous a créés parents, puisqu'elle nous a formés des mêmes éléments
et pour les mêmes destinées ; elle nous a inspiré un mutuel amour et
nous a faits sociables.... Que ce vers soit et dans le cœur et dans la
bouche :
« Je suis homme et rien d'humain ne m.'est étranger (^). »
Il écrit à Lucilius, dans une lettre où il le félicite de la manière
dont il traite ses esclaves : « J'ai été bien aise d'apprendre, par ceux
qui viennent de ta part, dans quelle familiarité tu vis avec tes esclaves.
Cela est digne de ta sagesse et de ton instruction. Sont-ce des esclaves ?
Non, mais des hommes. Des esclaves ? Non, mais des compagnons
de vie. Des esclaves ? Non, mais d'humbles amis. Des esclaves ? Non,
tu diras plutôt des frères de servitude, si tu considères que la fortune
a le même empire sur eux et sur toi (^). »
La lettre est remplie des meilleurs conseils : « Vis avec ton infé-
rieur comme tu voudrais que ton supérieur vécût avec toi... Vis dou-
cement avec ton esclave, parle, confère et mange avec lui.... Fais que
tes esclaves t'honorent plus qu'ils ne te craignent (*). »
« ...Cette lettre, qui se rapporte à la dernière période de sa vie,
est irréprochable d'un bout à l'autre pour la doctrine. Mais, quand
on prend l'ensemble de ses ouvrages, on y trouve, en plus d'un lieu,
le fond de ces opinions stoïciennes qui relevaient les esclaves en théorie
et les méprisaient souvent en réalité {"). »
( M Nalum nos cogiiatos edidit, quum ex iisdem et in eadem gigneret. Haec nobis
amorem indidit mutuum et sociales fecit... Iste versus et in pectore et in ore sit :
Homo suni, hiunani nihil a me alienuiu puto (Sénèque, Epistolae ad Lucilium, Epist.
XCV, Édit. NisARD, Paris, 1850, p. 779).
( ^) Libenter ex his, qui a te veniunt, cognovi familiariter te cum servis tuis vivere :
hoc prudentiam tuam, hoc eruditionem decet. Servi sunt ? immo homines. Servi sunt ?
immo contubernales. Servi sunt ? immo humiles amici. Servi sunt ? immo conservi, si
cogitaveris tantumdeiu in utrosque licere fortunae. (Sénèque, Epist. XLVII, p. 601).
( =) Sic cum inferinre vivas, quemadmodum tecum superiorem velles vivere... Vive cum
servo clementer, comilem quoque et in sermonem illum admitte, et in consiliura et in
convictum... Colant potius te quam timeant. (Sénèque, Epist. XLVII, p. 603, 604).
(•) Wallon, Histoire..., L. III, Ch. i, T. III, p. 29. — Sur l'attitude du Stoïcisme en
face de l'esclavage, cf. Ibidem, L. I, Ch. xi, T. I, p. 392-393. — L. III, Ch. i, § II et III,
T. III, p. 18-43.
180 l'esclavage : attitude du christianisme (67)
Esclave lui-même pendant un temps, ce souvenir n'a suggéré à
Épictète aucune commisération. Lui, il revient au pur Stoïcisme et
s'enferme dans la plus hautaine impassibilité, professant une doctrine
inaccessible à la masse.
Le corps ne compte pas ; seule l'âme est en cause. « Est esclave
celui dont le corps est libre, mais l'âme enchaînée. Est libre celui dont
le corps est enchaîné, mais l'âme sans entraves (^). » Les distinctions
sociales, qui résultent de la liberté et de la servitude légales, sont donc
sans importance, parce qu'elles sont extérieures.
Les conclusions pratiques qui se dégagent de cette doctrine sonL j
d'une simplicité parfaitement logique. L'esclave, qui veut devenir J
libre, n'a pas besoin de changer d'état : qu'il change ses sentiments (-).
Le maître n'a pas à s'occuper davantage de la question de la servitude,
car l'esclave qui comprend sa position n'a que faire de pitié ; celui
qui la supporte mal, n'en est pas digne. Épictète cependant recommande
d'user de modération dans le traitement des esclaves. Mais cette recom.-
mandation ne lui est pas inspirée par compassion pour les injustes^
rigueurs de l'esclavage. C"est une conséquence de sa manière de com-
prendre le rôle de l'homme libre : il ne doit pas être esclave de sa colère.]
« Ainsi la liberté et l'esclavage du monde sont des chimères ; lai
vraie manière d'être libre, qu'on soit libre ou esclave selon les hommes,|
est un art dont Épictète prétend avoir le secret ; mais les esclaves
ne viennent pas le lui demander, et le philosophe croirait se dégrader
en allant le leur offrir lui-même, comme ces médecins qui, de son temps,
à Rome, allaient chercher les malades, au lieu de les attendre (^). »
3° Attitude du Christianisme. — Seul le Christianisme a combattu
efficacement l'esclavage. Mais on lui a reproché de ne pas avoir
employé la violence et de n'avoir pas prêché la révolte afin de hâter
l'affranchissement des esclaves.
« Les Apôtres n'ont pas prêché la révolte aux esclaves. Ils auraient
eu beaucoup moins de chances de réussir que Spartacus qui a suc-
combé : ils eussent rempli le monde de sang et de ruines et laissé fina-
lement les chaînes de l'esclavage plus étroitement rivées aux mains
des vaincus (*). » « Le Christianisme a fait une œuvre plus morale ot
surtout plus efficace en parlant d'abord à la conscience des maîtres
aw;xa oeoeaî'vo;, r^v Bz •j'U/viv À£Àu;/£vo;, IXîûOîpo;. (Epictète:, Fragments, IX)
{') Épictète, Fragments, .XLIV.
( ') Wallon, Histoire..., L. III, Ch. i, § III, T. III, p. 41. — « Cette impassibilité stoï-
cienne, qu'on trouve dans l'ancien esclave Épictète, se reproduit dans l'empereur Marc-
Aurèle, son disciple. » (Ibidem, p. 42-43).
( •) M. D'HuLST, Conférences de Notre-Dame, 1894, Note 23, p. 442.
^67) LE SERVAGE 181
et à celle des esclaves ; il a révélé aux uns et aux autres ce que les uns
et les autres avaient oublié : l'égalité des âmes devant Dieu et leur
dignité inviolable. « Vous n'avez qu'un maître, vous êtes tous des
frères », cette parole du Christ, redite par les Apôtres, propagée par
toute la terre, a fait plus et mieux qu'opposer une digue au torrent
du despotisme qui débordait sur le monde, elle en a tari la source. Les
maîtres chrétiens ont appris à respecter les esclaves ; les esclaves chré-
tiens ont appris à se respecter eux-mêmes. L'Église a fait pour eux
des choses surprenantes qui ont jeté la stupeur dans le monde antique
et que l'accoutumance seule peut nous empêcher d'admirer. Elle a
relevé les esclaves en les appelant par le baptême au rang d'enfants
de Dieu ; par le sacrement de mariage, au rang d'époux et de pères ;
par l'ordination, à la dignité de Pontifes ; par la profession monastique,
à l'honneur d'une vie consacrée.... Voilà ce qu'a fait pour l'émanci-
pation des hommes une religion persécutée. » Une fois délivrée de la
persécution, elle a achevé le grand ouvrage commencé : « Elle a pré-
conisé la liberté dans ses lois canoniques, poursuivi l'esclavage dans
les derniers refuges que lui offraient les lois impériales, conseillé
l'affranchissement aux maîtres laïques, pratiqué largement l'affranchis-
sement par le ministère de ses clercs, rendu la servitude incompatible
avec la profession sacerdotale ou religieuse (^). »
B. — Le Servage.
Le servage féodal dérive du colonat romain et des conditions qui
étaient imposées aux esclaves qu'on affranchissait. Les colons formaient,
dans les derniers temps de l'Empire, une classe intermédiaire entre
les esclaves et les hommes libres. L'état social devint, au iv^ siècle,
si intolérable qu'on ne trouvait plus de propriétaires ruraux ni de
cultivateurs. Pour remédier au mal, les colons furent attachés à la glèbe
et devinrent les serfs de la terre, comme les curiales étaient attachés
aux municipes {^).
Le servage servit de transition entre l'esclavage antique et la domes-
ticité moderne. « Le trait le plus caractéristique » de la société rurale
à cette époque, « c'est que l'immense majorité de ceux qui la com-
(') M. D'HULST, Conférences de Notre-Dame, 1894, 6« Conf., p. 180-182. — Pour la
preuve des faits allégués et de bien d'autres, comme la doctrine des Pères de l'Église, l'inter-
vention des Conciles, voir H. Wallon, Histoire..., L. III, Ch. i, § I; Ch. viii, ix, x, T. III,
p. 1-14 ; 296-443. — Augustin Cochin, L'abolilion de l'esclavage, III» Partie, L. X, T. II,
p. 349-470, Paris, 1861.
(.') B. Terrât, Le colonat. — L. Veuillot, Le droit du seigneur. — P. Allard, De
l'origine du servage en France, Paris, 1913.
182 LE SERVAGE (67)
posent est soumise à la condition servile. Il est vrai que le servage
comporte des nuances dont il faut tenir compte. Le serf, appelé coUi-
bert^ très répandu surtout dans nos provinces de POuest et sur les bords
de la Loire moyenne et inférieure, échappait à quelques-unes des obli-
gations communes aux hommes de sa classe. Les serfs du roi et ceux
des églises jouissaient de certains privilèges. En général, le serf agri-
culteur n'était pas aussi malheureux que le serf domestique, attaché
au service personnel d'un maître, mais il n'en subissait pas moins la
plus dure, la plus intolérable de toutes les sujétions. Il ne peut ni
se déplacer à sa guise, ni se marier hors de la seigneurie. Il n'a pas
droit de disposer de son avoir en faveur d'une autre personne que son
héritier direct, encore cette transmission est-elle taxée. 11 peut être
vendu, engagé, donné par son seigneur. Il est considéré comme inca-
pable de comparaître et de témoigner en justice, au moins contre des
personnes libres. Pour lui, les protections juridiques n'existent pas.
Sa personne même, en cas de délit non amendé, peut être livrée à la
brutalité du maître ou de ses agents. Ses enfants peuvent être partagés
et dispersés entre les mains de propriétaires différents... (^). Si malhea-
reuse que soit sa condition, le serf du xi^ siècle paraît moins à plaindre
que ne l'étaient ses pareils au temps de l'esclavage antique. Attaché à
la terre qu'il cultive, il est devenu, d'objet mobilier, un immeuble.
Il a gagné en stabilité, si l'on n'ose pas dire en dignité. Il est moms
emprisonné dans sa caste. On voit déjà quelques serfs exercer, dans
les seigneuries, des fonctions de réelle importance. La rigueur des
charges serviles tend quelque. peu à s'adoucir. S'il faut en croire les
économistes, un cheval valait en moyenne, au xi^ siècle, cent sous,
un mulet cent douze et un serf trente-huit. Faut-il en conclure que
l'opinion ravalait l'espèce humaine au-dessous de la brute ? Le prix
inférieur du serf prouve au contraire que la condition servile se rele-
vait. Si le serf valait pour son propriétaire deux tiers de moins qu'une
bête de somme, c'est que les services qu'il était obligé de lui rendre
commençaient à être limités (^). »
Certains historiens estiment qu'en fait ce régime, intermédiaire
entre la servitude stricte et l'autonomie complète, a été amené par
les circonstances comme une transition nécessaire. Mais, en soi, il
constitue une violation de plusieurs droits essentiels à la personne
humaine, vg. le droit de choisir sa profession et sa résidence, de tra-
vailler pour soi et pour les siens, de s'associer, de se marier où l'on veut,
d'ester en justice. Il faut donc repousser le servage forcé comme illé-
( '- *) A. LuciiAiHE, Les premiers Capétiens, L. I, Ch. i. § IV, dans Histoire de Franr:
depuis les Origines jusqu'à la Révolution, sous la direction d'E. Lavisse, T. II, Partie II
p. 24-20 ; 20-27, Paris, 1901.
(67) LIBERTÉ DE CONSCIENCE 183
gitime, au même titre que l'esclavage, bien qu'à un degré moindre.
Louis XVI abolit le servage dans les domaines royaux par Fédit du
8 août 1779. Il a persisté en Russie jusqu'en 1861.
Que dire d'un engagement par lequel quelqu'un louerait ses services
à un autre pour la vie ? Il est légitime en soi, car si on a le droit d'en-
gager ses services pour un temps, rien n'empêche de le faire pour tou-
jours, pourvu que ce soit un acte libre et personnel. Ce l'ut d'ailleurs
l'une des sources du servage l'éodal. Il arriva, en effet,- que des hommes
libres renoncèrent volontairement à certains droits pour obtenir en
échange secours et protection. Ils le pouvaient, parce que les droits
qu'ils abdiquaient n'étaient pas inaliénables de leur nature.
C. — Liberté individuelle.
C'est le droit qu'a tout individu d'exercer ses facultés naturelles,
sans entraves, dans les limites de la justice et de la charité. Examinons
les principales manifestations de ce droit :
I. — Liberté de conscience (^) : on entend par là l'exemption de
toute contrainte, venant d'un simple particulier ou de la loi, qui empê-
cherait quelqu'un d'agir, soit dans sa vie privée, soit dans sa vie publique,
conformément au dictamen certain de sa conscience. C'est un droit
naturel inaliénable qui appartient à chacun, car chacun a le droit de
tendre à sa fin d'après les lumières d'une conscience droite, chacun a
le droit de n'être pas entravé dans l'accomplissement de la loi divine.
L'intolérance, qui consiste à forcer les autres à agir contrairement à
leur conscience, est donc condamnable.
Cette liberté cependant ne saurait être illimitée, car elle peut venir
en conflit avec les droits supérieurs des autres, naturels ou positifs.
Il appartient en conséquence à l'autorité publique d'en limiter l'exer-
cice en prenant, pour mesure des restrictions à apporter, les exigences
du bien commun de la société.
II. — Liberté de pensée {^) : cette expression prise à la lettre n'a
pas de sens, parce que l'intelligence est une faculté fatale. Si une- chose
me parait évidente, je ne puis penser qu'elle ne l'est point ; si elle me
parait douteuse, je ne puis la tenir, ni pour vraie, ni pour fausse, mais
( M Jeanjacquot, La liberté de œnscience.
( ') LÉON XIII, Encycliques Libertas prœstanlissimum, Immortale Dei. — E. Kelleh,
L'Encyclique du 8 décembre 1864 el les principes de 89. — Cardinal Pie, Instructions
morales sur les principales erreurs du temps présent. Œuvres, T. V. — M. d'Hulst, Le droit
chrétien et le droit moderne. — H. Hello, Les libertés modernes d'après les Encycliques. —
Parisis, Cas de conscience. — G. Sortais, La crise du libéralisme el la liberté d'enseignement,
Ch. viii et IX.
1
184 LIBERTÉ DE PENSÉE (67)
je la regarde comme douteuse. On ne peut donc entendre par là que la
liberté de manifester sa pensée. Or toute pensée a-t-elle droit à être
manifestée ? La réponse à cette question dépend de la réponse à cette
question préalable : Y a-t-il des pensées coupables ?
La pensée peut être envisagée dans une triple phase :
1» Comme spontanément conçue par V esprit : elle n'est alors formel-
lement ni coupable, ni innocente, car l'intelligence est une faculté
nécessaire ; pas de liberté, donc pas de responsabilité. Ainsi les plus
graves erreurs, les projets les plus monstrueux peuvent traverser*
l'esprit, sans faute de notre part. '
2° Comme acceptée par la volonté : elle devient formellement inno-
cente ou coupable, c'est-à-dire qu'il y a innocence ou culpabilité dans
l'acte de volonté qui l'adopte ; vg. la pensée de tuer quelqu'un me passe
par l'esprit ; jusqu'ici rien de mal. J'approuve cette idée, je l'accepte
par un acte libre ; je veux tuer un tel. La pensée est devenue coupable.
3° Comme publiquement manifestée par la parole, la plume ou le
dessin : le délit déjà constitué par l'acceptation intérieure est aggravé
par la manifestation verbale ou écrite. Il est donc évident que toute
pensée ne peut prétendre au droit d'être exprimée. Cette expression,
ayant une influence morale bonne ou mauvaise, selon que la pensée
manifestée est honnête ou déshonnête, vraie ou fausse, sera légitime
ou illégitime dans la mesure même de cette influence. Comme
l'expression des idées a tôt ou tard son contre-coup dans les faits, toute
société, qui veut vivre et prospérer, devra empêcher la manifestation
des pensées subversives des fondements de l'ordre social, qui sont la
religion, la famille et la propriété. La liberté illimitée d'exprimer sa
pensée est donc un abus ; c'est de la licence. Or les libertés de la presse {^),
de la discussion, de l'enseignement sont les manières principales de mani-
fester la pensée. 11 s'ensuit donc qu'elles doivent être limitées dans une
mesure qui varie avec les circonstances.
Cette mesure dépend de la plus ou moins grande unité doctrinale
qui règne dans un pays. Toute nation a besoin d'être, dans son ensemble,
d'accord au moins sur les principes fondamentaux de l'ordre social.
C'est pour elle une question de vie ou de mort.
Aussi l'État a-t-il le devoir et le droit de protéger les fondements
de la société et de réprimer toute attaque qui tend à les ébranler. L'into-
lérance est une loi vitale pour tout être, individuel ou collectif ; c'est
(') Fouillée ne craint pas de limiter la liberté de la presse : « La complète liberté»
politique, scientillque et religieuse de la presse ne saurait entraîner ni le droit de diffamation,
ni le droit d'excitation aux crimes ou délits punis par la loi, ni le droit de publications
pornographiques ». {Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1897, p. 442).
I
(67) LIBERTÉ DE PENSÉE 185
le droit de résister à quiconque s'oppose au développement normal
de la vie privée ou sociale. En maintenant l'unité et l'indissolubilité
du mariage contre la polygamie et le divorce, la propriété individuelle
et transmissible contre les systèmes socialistes, l'unité de patrie contre
l'internationalisme, le gouvernement remplit sa mission protectrice :
il défend la société contre les attaques subversives provenant d'une
infime minorité ; il assure la prédominance d'idées qui répondent
pleinement à la conscience collective de la nation (123).
Il est clair que la zone de cette défense s'étendra ou se rétrécira,
selon que l'accord doctrinal des citoyens sera plus ou moins complet.
C'est pourquoi, dans les sociétés où la croyance catholique rencontrait
l'unanimité morale à l'égard des idées fondamentales de patrie, de
famille, de propriété, l'État avait le devoir et le droit de protéger la
religion catholique à l'exclusion de toute autre. Sans doute nul ne devait
être contraint par la force à embrasser la foi, car l'homme, dit S. Au-
gustin (^), ne peut croire que de son plein gré, ou comme parle Ter-
TûLLiEN (^) : Nec religionis est cogère religionem, quœ sponte siiscipi
deheat, non vi. Mais autre chose est cette liberté intérieure qui est invio-
lable et sacrée, autre chose est la liberté de manifester, de publier, de
propager sa pensée et sa croyance. Cette seconde liberté est le prolon-
gement de la première, mais elle ne doit être respectée dans son exer-
cice qu'autant qu'elle ne nuit pas à la collectivité. C'est ainsi qu'au
temps de concorde religieuse l'État réprimait la propagande hérétique,
comme actuellement il a le droit de réprimer la propagande de l'inter-
nationalisme, de la polygamie, du communisme, qui sont des hérésies
sociales (^).
On objecte la bonne foi de ceux qui répandent ces doctrines mal-
saines. La bonne foi étant supposée, il s'ensuit seulement que la pensée
n'est que matériellement coupable ; mais cela ne l'empêche pas d'être
dangereuse et partant digne de répression. Un fou furieux est de bonne
foi ; on est cependant obligé de le lier de peur qu'il ne nuise aux gens
paisibles (*).
La liberté illimitée de la presse, de l'enseignement, de la discussion
est donc illégitime. Aucun gouvernement ne pourrait d'ailleurs y
(') s. Augustin, Traclalus XXVI inEvangelium S. Joannis, § 2 ; Quisquam... crederi'
non potest nolens.
( *) Tertullien, Liber ad Scapulam, C. ii, Migne, Palrologia latina, T. I, col. 699. —
Cf. G. Sortais, L'intolérance de l'Eglise, dans Etudes philosophiques et sociales, p. 8-11,
Paris, 1906.
(') Cf. M. d'Hulst, Conférences de Notre-Dame, 1895, 5« Conférence, p. 130-135.
( *) Cf. G. Sortais, Les Catholiques en face de la Démocratie et du Droit commun, p. 125-
159, Paris, 1914.
186 LIBERTÉ DE LA PROFESSION ET DE LA VOCATION (67)
résister longtemps ; aussi ceux qui l'admettent en théorie sont obligés,
arrivés au pouvoir, de la limiter plus ou moins en pratique. C'est une
inconséquence, mais qui prouve du moins que la doctrine de la liberté
absolue est inadmissible.
Remarque : le rétablissement d'une religion d'État ne serait pos-
sible que si la nation revenait, par une libre persuasion, à l'unité de
croyances. Jusque-là il est nécessaire de tolérer les cultes dissidents.
Avant d'arriver à cet accord parfait, il y a un terrain d'entente commun,
c'est le Décalogue. Le Play a prouvé, dans une série de monographies,
que les peuples sont prospères en raison directe de l'observation du
Décalogue (121).
III. — Liberté de la profession et de la vocation. — Chacun a le droit
de vivre avant tout pour Dieu et pour soi. Or le respect de ce droit
exige que personne ne soit contraint à embrasser un genre de vie qui
lui semble incompatible avec la poursuite de sa fin dernière et même
avec le degré de perfection qu'il veut réaliser pour atteindre plus
sûrement et plus pleinement cette fin. La série des devoirs plus ou moins
lourds, en face desquels se trouvera l'intéressé, découlera du parti
adopté. Comme c'est lui qui en portera la responsabilité devant Dieu
et devant les hommes, il est juste qu'il puisse choisir librement, parmi
les genres de vie conformes à sa condition et à ses goûts, celui qui lui
paraît s'adapter le mieux à sa fm. Le principe général de la liberté
de la profession repose donc sur le droit naturel qu'a tout homme de
tendre à sa fin.
Le devoir, à la fois rigoureuk et délicat, des parents est de mettre
leurs enfants en état de bien choisir leur carrière et de ne pas entraver
leur liberté dans ce choix. Sans doute, ils peuvent et doivent guider
leurs enfants dans l'examen de cette grave question d'où dépend l'avenir.
Mais leur direction doit s'inspirer du bien réel des adolescents qui les
consultent, et non de motifs personnels dictés par l'intérêt et l'ambi-
tion. Qu'ils n'oublient pas que c'est à l'enfant de choisir, et, quand
ce choix est sage et raisonnable, ils n'ont qu'à l'approuver.
Ces considérations s'appliquent aussi, et a fortiori, lorsqu'il s'agit
de ce que le langage chrétien nomme des vocations, c'est-à-dire des
appels que Dieu fait à certaines âmes pour les attirer à une vie plus
parfaite, à la vie sacerdotale ou religieuse. Les parents, qui contrarient
les vocations reconnues sérieuses par les directeurs spirituels de leurs
enfants, sont très gravement coupables, parce qu'ils s'opposent à un
dessein providentiel et par là même s'exposent, pour obtenir un avan-
tage temporel, à compromettre l'avenir éternel de ceux qui leur sont
confiés. Qu'ils se souviennent que les enfants, avant d'appartenir aux
parents, appartiennent à Dieu, notre Père (jui est aux deux.
(67) LIBERTÉ DU TRAVAIL 187
IV. — Liberté du trin^ail (^) : on entend par là « un régime dans
lequel chaque citoyen choisit librement sa profession, en établit le
siège dans le lieu qui lui convient et emploie les procédés de fabrication
qu'il iugft le plus avantageux ) (-).
La liberté du travail est le corollaire naturel de la liberté de pro-
fession, car chaque genre de vie implique un mode particulier d'occu-
pation. Mais la liberté du travail peut également se déduire de l'obli-
gation qu'a tout homme de travailler. Le travail est à la fois un devoir
personnel et un devoir social.
Le devoir personnel du travail ne dérive pas de la nécessité où
chacun se trouve de subvenir à l'entretien de sa vie ; autrement, ceux
qui seraient suffisamment pourvus, seraient par là même dispensés
de travailler. Dans les intentions de la Providence le besoin de se pro-
curer les subsistances nécessaires n'est qu'un stimulant de l'activité
et conséquemment un moyen de nous faciliter l'obéissance à la loi
pénible du travail.
Mais cette loi a une visée plus haute. Le devoir de travailler a d'abord
pour but d'exercer et de développer nos facultés par des actes honnêtes
c'est-à-dire conformes à notre fin. A ce devoir personnel répond un
di'oit personnel : celui de prendre les moyens propres à atteindre cotte
fin. Or l'un de ces moyens consiste précisément dans la liberté de choisir
le genre d'occupations qui cadre le mieux avec la santé, les goûts et
les aptitudes de chacun.
Le travail est aussi, mais secondairement, un devoir social, qui
résulte de l'obligation qui incombe à chaque citoyen de se rendre utile
à la société dont il est membre. C'est une dette que négligent trop
souvent de payer ceux qui profitent de leur fortune pour vivre dans
une oisiveté stérile et malfaisante. Tous bénéficiant des services innom-
brables que rend la société, doivent concourir au bien commun et à
la prospérité générale. Ici encore reparaît la liberté du travail, car le
concours que chacun est tenu d'apporter doit être en harmonie avec ses
aptitudes et ses moyens. Pour les uns il prendra la forme du travail
manuel ; pour d'autres, celle d'une carrière libérale où l'on cultive
les sciences, les lettres et les arts. Ceux qui sont sans profession ont la
ressource de pouvoir collaborer aux œuvres sociales ou charitables.
L'Assemblée Constituante proclama la liberté du travail dans
l'article 7 du Décret du 2-17 mars 1791. Jusque-là cette liberté avait
(M Ch. Antoine, Cours d'économie sociale, Ch. xv, art. 3. — • A. Bkcuaux, Le droit
et les faits économiques, L. II, Cli. i. — H. Blanc, Les corporations de métiers. — Dunoyer,
La liberté du travail.
( ^) Claudio Jannet, Socialisme d'Etal, p. 9, Paris, 1890 -.
188 RESPECT DES BIENS D'AUTRUI : DROIT DE PROPRIÉTÉ (68)
été limitée par les Corporations qui ont été en butte à des attaques
excessives, faute de distinguer les circonstances et les époques.
« Sous le régime de la Corporation appuyée sur la Confrérie, la
dignité du travailleur était relevée ; il bénéficiait de la distinction des
classes et avait sa part de privilèges. L'organisation corporative pré-
h;entait à l'époque de son développement régulier, c'est-à-dire du xiii^ au
xvi^ siècle, de réels avantages. Elle répondait aux nécessités du temps,
en groupant dans des organisations fortement établies les hommes
libres appartenant aux diverses industries, et qui n'auraient su ni pu
86 défendre contre les violences de l'époque et les dangers de la libre
concurrence. Les ouvriers, aux prises avec cette nécessité fondamen-
tale de subvenir aux besoins de chaque jour, assurèrent leur sécurité
dans des associations professionnelles fortement constituées. Le trait
caractéristique des anciennes Corporations, c'est la sécurité profession-
nelle, matérielle ou morale {}). Cependant il faut convenir qu'à partir
de la fin du xvi^ siècle, les Corporations présentaient des abus réels,
qui augmentèrent surtout au xviii® siècle : réglementation du travail
excessive, fiscalité, corruption [^). «
Il aurait fallu corriger ces abus et transformer les corporations pour
les adapter aux exigences nouvelles du monde économique. Malheu-
reusement la Constituante ne se borna pas à décréter la liberté du
travail : poussant la réaction à l'extrême, elle proscrivit d'un trait de
plume (articles 1 et 2 de la loi du 14 et 17 juin 1791) les associations.
C'est alors que se développa cette tendance funeste, fruit amer de la
Révolution, qu'on a appelé V individualisme (93, § II, II, 2").
L'acte de la Constituante était un attentat contre le droit naturel
qu'a tout homme, et par conséquent tout travailleur, de s'unir pour
la sauvegarde de ses intérêts. Mais on ne violente pas impunément
la nature. Aussi a-t-on vu s'engager, au xix^ siècle, une lutte ardente
pour reconquérir le droit d'association qui a fini par triompher (105).
68. — RESPECT DES BIENS D'AUTRUI' :
DROIT DE PROPRIÉTÉ (3)
Les biens d'autrui sont matériels ou spirituels. Étudions d'abord les
devoirs relatifs aux biens matériels.
( M Cf. A. BÉCHAUX, Le droit el les faits économiques, p. 202.
{') Ch. Antoine, Cours d'économie sociale, Partie II, Ch. xv, Art. III, p. 485-486
Paris, 1908*.
(*) M. DE WOlf, Le droit de propriété, d'après saint Thomas. — V. Cathrein, MoraX^
philosojihie. Band II, Abteilung I, B. IV. — Cepeda, Eléments de droit naturel (Trad
Gnclaih, Leçons 30 sqq.). — Pascal (de). Philosophie sociale, L. IV, Ch. ii. — S. Schiffini
I
(68) RESPECT DES BIENS d'aUTRUI : DROIT DE PROPRIÉTÉ 189
§ A. - DÉFINITION DE LA PROPRIÉTÉ
Le Droit romain définit le droit de propriété : Potestas utendi
(vg. habiter sa maison), fruendi (la louer) et abutendi (la vendre ou la
démolir). — Le Code civil : « Droit de jouir et de disposer des choses
de la manière la plus absolue. » (Art. 544). La propriété se distingue
de la possession. Celle-ci n'est qu'un fait : la détention actuelle ; je puis
posséder quelque chose qui ne m'appartient pas. La propriété est un
droit : celui d'exclure les autres de l'usage d'un bien, quand même on
ne le posséderait pas actuellement. On peut la définir encore : « la pleine
faculté de disposer des biens matériels, à moins de prohibition légale. »
Ces derniers mots indiquent que la loi peut limiter le droit de pro-
priété dans une certaine mesure (Cf. injra § E.)
§ B. — NATURE DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
Le droit de disposer est un droit réel et direct sur la chose, objet
du droit : jus in re ; ce n'est pas seulement le droit personnel et indirect
de créance, qui ne confère qu'un droit à la chose : jus ad rem^ mais permet
de contraindre la personne du débiteur à payer sa dette. Le droit de
propriété, tel qu'il est pratiqué généralement, confère le domaine
partait, c'est-à-dire le domaine direct et le domaine indirect ou utile.
Le domaine direct n'affecte que la substance de la chose : c'est la nue
propriété. Le domaine indirect ne concerne que l'usage : c'est l'usufruit.
— Le droit de propriété est un droit naturel^ parce qu'il est fondé sur
la nature des choses et sur la nature de l'homme.
§ C. — FONDEMENTS VÉRITABLES
Le droit de propriété peut être considéré soit comme un droit :
1" Abstrait : c'est la faculté naturelle qu'a tout homme d'acquérir
nispulaliones philosophise moraiis, T. II, Disput. II, n° 309 et s. — Taparelli, Essai
ihi'orique de droit naturel, n" 398 et s. — Thiers, De la propriété. — Proudhon, Qu'est-ce
'jiie la propriété ? — Laveleye (Ém. de), La propriété et ses formes primitives. Cf. pour la
' ritique de la thèse historique de Lavelï:ye : J. Rioult de Neuville, dans la Revue des
Question.'^ historiques, 1891, T. L, p. 214-227. — Fustel de Coulanges, Recherches sur
quelques problèmes d'histoire, et Revue des Questions historiques, 1889, T. LV, p. 349-439. —
Fouillée, La propriété sociale et la démocratie. — Th. Calmes, La propriété. — P. Valet,
La propriété. — J. Grave, La société future. L'individu et la société. — F. Bastiat, Propriété
et loi. Justice et fraternité. — F. Engels, De l'origine de la famille, de la propriété privée et
de l'Etat. — R. Henry, La petite propriété rurale en France. — A. Posada, Théories modernes
sur les origines de la famille, de la société et de l'Etat. — Fr. Walter, Das Eingenthum nach
der Lehre des hl. Thomas von Aquin und der Socialismus. — P. Boilley, Les trois socialismes.
— L. WiNTERER, Le socialisme international. — A. Landry, L'utilité sociale de la propriété
individuelle. — Tu. Meyer. De Jure proprietalis, dans Instiluiiones Juris naturalis. Part. II
Sect. II, L. II.
190 RESPECT DES BIENS d'aUTRUI : DROIT DE PROPRIÉTÉ (68)
des biens extérieurs. C'est un droit indéterminé, qui a besoin d'un fait
concret pour conférer la propriété actuelle d'un objet particulier.
2» Concret : c'est le droit qui se rapporte à un objet déterminé.
Le premier est le droit d'acquérir les biens extérieurs en général ;
le second est le droit de posséder tel bien en particulier. Tous les hommes
ont le premier, c'est-à-dire peuvent devenir propriétaires ; pour jouir
du second, c'est-à-dire pour être en fait propriétaires, ils doivent poser
certaines conditions. — Le premier est plutôt le droit à la propriété ;
le second, le droit de propriété. Nous avons donc deux questions à
trancher : a) Quel est le fondement du droit abstrait ? — b) Quels sont
les faits juridiques qui déterminent le droit de propriété, le font passer
de l'ordre abstrait à l'ordre concret ?
A) Fondement du droit abstrait de propriété : le droit d'acquérir
des biens extérieurs est un droit naturel, parce qu'il résulte de la
nature même de l'homme. En effet :
1^ L'homme a le devoir de conserver sa vie ; il a par conséquent
le droit de se procurer les objets de conBommation nécessaires à sa subsis-
tance
20 Les besoins à satisfaire pour sa conservation étant habituels,
l'homme a droit d'y pourvoir en acquérant des biens productifs per-
manents : vg. fonds de terre. A des besoins stables doivent en effet
correspondre des ressources stables.
3° L'homme est exposé à la maladie, aux accidents, à la vieillesse ;
pour y remédier, il doit amasser au delà du nécessaire.
4° L'homme est perfectible dans l'ordre intellectuel et moral ; or,
pour développer ses facultés, il lui faut une certaine indépendance
à l'égard des moyens d'existence ; le droit de propriété s'étend donc
du nécessaire à Vaisance.
5° L'homme est fait pour fonder une famille. La nature lui inspire
de nourrir et d'élever ses enfants, de se préoccuper de leur avenir en
leur créant un patrimoine, parce qu'ils sont un prolongement de la
personne du père.
Le fondement du droit abstrait de propriété, c'est donc le devoir
de vivre, de conserver, de développer la vie et de la transmettre dans
de bonnes conditions à ses enfants.
B) Fondement et origine du droit concret de propriété : il a pour
londemeni et ])()ur ori'^inc deux jaits juridiques :
I. • — L'occupation : c'est la mise en pratique du droit d'acquérir
la propriété. Appliquée à des objets qui n'ont pas de maître, qui sont
.res nullius, elle ne blesse le droit de personne. 11 faut que cette prise
de possession soit manifestée par des indices clairs. C'est le droit du
premier occupant.
II. — Le travail : mais c'est le travail qui peut rendre déHnitive
(68) RESPECT DES BIENS d'aUTRUI : DROIT DE PROPRIÉTÉ 191
cette appropriation. L'occupation a pour but d'élaborer et de rendre
utile la chose occupée. Pour acquérir une terre qui n'appartiendrait
à personne, il ne suffirait donc pas de dire : elle est à moi, ni même
de l'entourer d'une clôture ; il faut l'améliorer par le travail. L'homme
qui, par son intelligence et ses peines, donne une valeur nouvelle à
une matière première dont il s'est justement emparé, doit être considéré
comme le légitime propriétaire de cette valeur et de la matière qu'il a
améliorée par son industrie. La conséquence est manifeste pour la valeur,
parce qu'elle est un effet et que l'effet appartient à la cause. Quant
à la matière^ c'est manifeste aussi, parce que l'homme, obligé au tra-
vail pour vivre, a besoin, puisqu'il ne crée rien, d'une matière préexis-
tante pour travailler. Or cette appropriation de la substance de la chose
pour le travail : vg. pierres qui serviront à bâtir une maison ou sol
d'où sera tirée une récolte, est légitime, parce que le premier occupant
ne viole pas les droits d'autrui, la chose étant nullius, et qu'il exerce
un droit inhérent à la personne sur la chose, qui efet faite pour être
possédée. Mais c'est la modification accidentelle, l'amélioration apportée
à la substance de la chose par le travail, qui donne droit à conserver
la chose elle-même, car il en résulte un effet en tout ou en partie insé-
parable de la chose. C'est évident pour la maison : détruire l'arrangement
des pierres, c'est la détruire elle-même. Ce qui rend un champ meil-
leur s'incorpore au sol et se confond tellement avec lui qu'il serait en
grande partie impossible de l'en séparer. Enlever le sol à celui qui
le cultive ce serait le priver du fruit même de son labeur qui l'a trans-
formé.
L'objet approprié et élaboré est donc, pour ainsi dire, marqué au
sceau de la personne ; il devient respectable comme elle, car l'occupa-
tion et le travail sont l'expression de sa volonté et l'empreinte de son
activité libre. La propriété est donc comme un prolongement de la per-
sonnalité.
§ D. — FONDEMENTS ERRONÉS
L — Instinct, désir naturel qu'a l'homme de posséder.
Critique : le droit ne peut avoir pour origine un instinct, un désir.
En effet, si deux ou plusieurs hommes désirent en même temps le
même objet, comment déterminer le droit de chacun ? Par la vivacité
du désir ? Mais comment mesurer cette vivacité ? Sans doute par le
succès final du plus fort. Cette théorie revient donc à la théorie inac-
icptable de la force (52, I). Car tous les hommes ont les mêmes droits
puisqu'ils peuvent avoir les mêmes désirs ; voilà donc des droits qui
se combattent réciproquement. C'est là guerre de tous contre tous ;
dans une telle guerre qui fera le partage sinon la force ?
192 RESPECT DES BIENS d'aUTRII : DROIT DE PROPRIÉTÉ (68)
II. — Contrat : Grotius (^), Pufendorf {^), Heineccius (3),
Rousseau (*). Les biens étaient primitivement indivis. Mais cette indi-
vision ayant entraîné des inconvénients, les hommes y remédièrent
en adoptant par une convention mutuelle la division des biens.
Critique : A) Cette communauté primitive des biens et ce contrat
sont des hypothèses gratuites.
B) Cette théorie ne résout pas la question de Torigine du droit de
propriété. Un contrat suppose des droits antérieurs chez les contrac-
tants : pourquoi les hommes pouvaient-ils légitimement briser l'indi-
vision et acquérir la propriété individuelle ?
III. — Loi civile : Hobbes (5), Bentham ( ), Montesquieu C),
Fichte (^). « La propriété et la loi, dit Bentham, sont nées ensemble
et mourront ensemble. Avant les lois, point de propriété. Otez les lois,
toute propriété cesse. »
Critique : A) Le droit de propriété, de par la nature, appartient à
l'individu et à la famille ; il est donc antérieur à la société et par consé-
quent à la loi.
B) Ou bien la loi est l'expression d'un droit naturel, et alors le droit
de propriété a pour fondement ce droit naturel et non la loi ; ou bien
la loi n'est que la formule de la volonté arbitraire du législateur ; mais
le droit ne saurait être fondé sur la volonté humaine, parce qu'elle
peut être la source de l'injuste comme du juste. Le droit implique une
nécessité morale inviolable, que l'homme, égal en nature à ses semblables,
ne peut leur imposer.
C) La loi est faite seulement pour déterminer et protéger le droit
de propriété (Cf. § E, II).
§ E. — LIMITES ET DEVOIRS
Il n'y a qu'un droit absolu pour l'homme, celui de tendre à sa fin
dernière ; aussi le droit de propriété est-il soumis à des restrictions
morales et légales.
I. — Limites morales : A) L'homme doit user des choses maté-
rielles conformément aux devoirs que lui impose sa nature d'être rai-
( ') Grotius, De Jure belli et pacis, L. II, C. ii, § i, n" 5.
( ») PuFENDORF, De Jure Natures et Gentium. Libri octo, h. IV, C. iv, § 4.
{') Heineccius, Elementa Juris naturae et gentium, L. I, § 234, 235.
( *) Rousseau, Le contrat social, L. I, Ch. ix.
( ') Hobbes, Leviathan, C. xxiv.
( •) Bentham, Traité de la législation civile et pénale, T. II, Principes du Code civil.
Pari. I, Ch. VIII, p. 35. Publié en français par Et. Dumont, Paris, An X = 1802.
(') .Montesquieu, Del'esprit des lois, L. XXVI, Ch. xv.
( ') Fichte, Grundlage des Naturrechts : Déduction des Urrechts, § 12, i-vi.
I
((68) RESPECT DES BIENS d'AUTRUI : DROIT DE PROPRIÉTÉ 193
sonnable. C'est pourquoi l'avarice et la cupidité d'une part, la prodi-
galité de l'autre, sont blâmables.
B) La fin prochaine du droit de propriété c'est de procurer à
l'homme, individu ou famille, les moyens de développer sa vie physique
et morale. Mais il a aussi une fin éloignée, c'est de subvenir aux besoins
des nécessiteux ; en ce sens la propriété a une jonction sociale. La pro-
priété des biens est personnelle, exclusive, mais l'usage en doit être
commun : « Sous ce rapport, l'homme ne doit pas tenir les choses
extérieures pour privées, mais bien pour communes, de telle sorte qu'il
en fasse part facilement aux autres dans leurs nécessités(^).»S. Thomas
dit encore : « Le superflu des uns revient, de 'droit naturel, au soutien
des pauvres (^). » De là deux corollaires :
!« Dans les cas d'extrême nécessité, le malheureux a le droit de
prendre, partout où il le trouve, ce qui est indispensable à l'entretien
de sa vie, car le devoir de conserver son existence a pour corrélatif
le droit de s'en procurer les moyens, droit qui l'emporte sur celui du
propriétaire dont il prend le bien (^).
2° Les biens matériels étant faits pour l'usage commun de l'huma-
nité, il en résulte le devoir de l'aumône, qui, sauf le cas d'extrême
nécessité, est un devoir de charité et non de justice (53, § B) et (94,
§ II, 20).
II. — ^ Limites légales : le droit de propriété étant naturel n'émane
pas de la loi civile. Mais il appartient à l'État :
1^ De le protéger contre le vol, etc..
2° D^en régler V usage en vue du bien commun : ce droit de l'État
n'est pas un droit de domaine éminent sur la propriété individuelle ;
c'est un pouvoir indirect de juridiction exercé en vue du bien social.
C'est donc à l'État de fixer les conditions juridiques (impôts, forma-
lités, etc.) auxquelles les citoyens pourront acquérir et transmettre
la propriété ; mais il doit se conformer au droit naturel et ne restreindre
l'exercice du droit de propriété que dans la mesure où le bien commun
l'exige. De là le régime légal de la propriété qui organise les ventes,
les donations, les successions, etc.. (87, § A, I, B, 2*^, b.)
C) De limiter le droit d'acquisition : « L'autorité civile, en ce qui
regarde l'acquisition de la propriété, est en possession de droits étendus...
C'est une conséquence de la destination des biens terrestres, qui est
de subvenir à l'existence de l'homme, et de la fin assignée à l'autorité
publique, qui est de maintenir l'ordre et d'empêcher l'oppression.
0 s. Thomas, Summa Iheologica, II» II»% Q. LXVI, Art. 2. Texte cité par Léon XIII,
dans l'Encyclique Rerum novarum.
C) S. Thomas, Summa theolog., II» II»», Q. LXVI, Art. 7. El ideo tes, quas aliqui
Ëuperabundanter habent, ex naturali jure debenlur paitperum suslentationi.
( ') S. Thomas, Ibidem, § Si tamen.
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. — T. II. 7.
194 OBJECTIONS CONTRE LE DROIT DE PROPRIÉTÉ (69)
L'autorité civile a donc le droit, en vue du bien général, de porter des
lois qui préviennent l'accumulation exorbitante de la propriété privée
dans les mêmes mains, l'occupation exclusive de trop grandes étendues
de terres (^). »
§ F. — VIOLATION DU DROIT DE PROPRIÉTÉ (2)
On peut attenter au droit de propriété :
I. — En s'appropriant le bien d'autrui : c'est le vol.
II. — En causant à autrui un dommage.
Le premier attentat doit être réparé par la restitution de la chose
usurpée ; le second, par une indemnité.
69. — OBJECTIONS CONTRE LE DROIT DE PROPRIÉTÉ
I. — La propriété a pour origine la conquête et la spoliation : « La
propriété, a dit Proudhon, c'est le vol ( ^). »
Réponse : dans sa généralité, cette affirmation ■ est non seulement
fausse, mais contradictoire, car, si personne n'est légitime possesseur,
personne, n'est volé.
IL — La terre est un patrimoine commun ; c'est la propriété collec-
tive de l'humanité.
Réponse : si Dieu a donné la terre au genre humain tout entier,
cela ne veut pas dire qu'il ait voulu que tout restât en commun. Il
n'a assigné de part à aucun homme en particulier, parce qu'il entend
laisser la délimitation des propriétés à l'initiative individuelle et aux
institutions sociales. La division même du sol contribue à l'utilité com-
mune, parce qu'elle le rend plus fertile (Cf. itifra, V, B).
III. — La propriété amène et consacre l'inégalité ; or la nature
veut que tous soient égaux.
Réponse : l'inégalité est chose naturelle. En effet, il y a des tempé-
raments débiles, des esprits actifs et des intelligences engourdies ; il
y a des laborieux et des fainéants, des prévoyants et des sans-souci,
des économes et des prodigues. Des différences aussi tranchées entre
( ') WiLMERS, Précis de la doctrine cathclique, n° 259, Tours, 1896, p. 518. — Cf. Cardinal
ToLEDO, In Summam S. Thomas Enarratio, II» II»', Q. LXVI, Art. II, Tertia et quarta
conclusio. — Cardinal de Lugo, De JustHia et Jure, Dlsput. "VI, Sect. I, § 5.
(•) M. D'HuLST, Conférences de Notre-Dame, 1896, Ch. v, p. 135 et sq.
( •) A la première page du livre intitulé ; Qu'est-ce que la propriété ? Recherches sur
le principe du droit et du gouvernement, Paris, 1840. Mais il n'est pas l'auteur de cette formule
retentissante ; elle est du girondin Brissot. — Cf. A. Des.iardins, P.-J. Proudhon. Sa vie,
ses œuvres, sa doctrine. Ch. m, Paris 1896 -, T. I, p .42.
(69) OBJECTIONS CONTRE LE DROIT DE PROPRIÉTÉ 195
les producteurs de la richesse ne peuvent aboutir à l'égalité dans les
produits. L'autorité, d'après le Socialisme, devrait rétablir par l'action
de la loi l'égalité détruite par la nature. C'est là une prétention chimé-
rique, car la société, organisme vivant, exige, pour fonctionner, la diver-
sité et la hiérarchie des conditions, comme l'activité corporelle suppose
la différence et la subordination des organes.
IV. — La propriété privée entraîne des abus énormes ; elle est la
cause de toutes les oppressions.
Réponse : l'usage du droit de propriété, comme de tout droit, est
l'occasion de certains abus ; il faut remédier aux abus et non supprimer
le droit. Cette suppression de la propriété individuelle, que proposent
les socialistes, serait un remède pire que le mal.
V. — La valeur que le travail a créée est liée à une matière que le
travail n'a pas produite et sans laquelle le travail ne pourrait pas
exister (vg. sol, bloc de marbre). Toute propriété renferme donc une
part qui est indépendante de l'activité de l'homme et sur laquelle
l'homme n'a par conséquent aucun droit, puisque cette part n'est pas
un effet de son activité. La valeur utile qu'il a créée lui revient au
contraire de plein droit, parce que l'effet est l'attribut de la cause.
Cette objection est dirigée surtout contre la propriété du sol indéfi-
niment transmissihle par héritage.
Réponse : il faut distinguer deux cas très différents :
A) S'il s'agit de la quantité de terre nécessaire à l'entretien d'un
individu et de sa famille, calculée largement de manière à pourvoir
aux accidents, aux maladies, à la vieillesse et à l'établissement des
enfants, on doit dire que l'occupation et le travail sont des titres suffi-
sants pour légitimer le droit de propriété individuelle. Sans doute
le travail ne produit pas la terre, mais l'homme, ayant le devoir de tra-
vailler pour vivre et pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille,
a droit à une matière sur laquelle il puisse exercer son activité, sans
quoi son travail serait impossible. Le devoir de vivre et de travailler
emporte donc conséquemment le droit à la propriété du sol indisso-
lublement lié au travail lui-même.
B) Mais s'il s'agit de légitimer la possession et la transmission indé-
finie de la propriété, dont la valeur est de beaucoup supérieure aux
besoins, et aux agréments des possesseurs, il faut ajouter, aux fonde-
ments de l'occupation et du travail, celui de la nécessité et de l'utilité
sociales. La forme de la propriété privée et héréditaire n'est pas la
seule possible et légitime. Le Play a démontré qu'il y avait une relation
naturelle entre les différents modes de possession et le genre de vie
adoplé. On retrouve, partout et toujours, la propriété individuelle,
mais sous forme plus ou moins étendue. Il y a encore des peuples chas-
196 OBJECTIONS CONTRE LE DROIT DE PROPRIÉTÉ (69)
seurs ; pour eux la forêt est commune ; ce qui est propre à l'individu
ce sont ses flèches, son arc, l'animal qu'il a tué, sa pirogue, sa hutte.
— Il y a encore des peuples pasteurs ; pour eux la prairie est commune ;
(■e qui est propre à chacun, ce sont les animaux dont il mange ta viande,
dont il boit le lait, dont il utilise la laine. Les peuples chasseurs et pas-
teurs sont plus ou moins nomades ; quand la forêt ou la prairie ne
suffit plus à leurs besoins, ils vont chercher fortune ailleurs. — Il y a
encore des peuples agriculteurs, qui se fixent au sol. La propriété fon-
cière naît avec l'agriculture. Peu à peu la terre, quoique considérée
comme appartenant à la société, est partagée également entre les
chefs de famille, pour une année, puis pour un temps plus long, dans
l'intérêt même de la culture. Ce régime du partage périodique existait
dans la marke des anciens Germains et a été adopté dans le mir russe.
— Ces partages périodiques tombent en désuétude quand ceux qui ont
bien cultivé leur part ne se prêtent pas au dépouillement du produit
de leur travail au profit de la communauté : dans ce cas, la propriété
familiale se constitue, chaque famille restant propriétaire de son lot.
Ce régime" s'est établi chez les Zadrugas de la Bulgarie et de la Croatie.
— Un dernier progrès de l'individualisme a lieu quand le chef de famille
peut disposer de la propriété pendant sa vie et à sa mort. C'est le type
de la propriété foncière actuelle, qui est individuelle et héréditaire.
Voilà ce qui ressort des faits. Il ne faut pas croire que partout le
régime de la propriété a régulièrement évolué dans cet ordre. Ici ou
là, telle phase antérieure ou intermédiaire n'a pas existé; ici ou là, l'évo-
lution s'est arrêtée en chemin. Mais toutes ces formes de propriétés
foncières, collectives ou individuelles, diversement dosées, sont légi-
times. Ce qui ressort clairement des études de Le Play, c'est que là
où l'agriculture est devenue le fondement de la propriété, là où le pro-
grès de la culture a donné naissance au commerce et à l'industrie, la
nécessité de rendre la propriété individuelle est devenue de plus en plus
impérieuse. Son meilleur titre c'est « qu'elle résulte du développement
historique de l'humanité, en quête d'une vie plus large, plus affranchie
et plus heureuse » (^). L'expérience a prouvé que la propriété, privée
et héréditaire, était plus productive et par conséquent socialement
plus avantageuse que la propriété collective. « Seuls », en effet, « le
stimulant de l'intérêt individuel, l'espoir de transmettre à des êtres
qui nous tiennent de plus près et continuent notre personne les fruits
accumulés de nos labeurs, donneront à l'effort cette intensité, aux
méthodes de travail ces perfectionnements, à l'épargne cet accroisse-
ment fait de sacrifices, de prévoyance et de tendresse pour autrui,
qui permettront à une province comme la Flandre de nourrir une popu-
(') M. D'HuLST, Conférences de Notre-Dame, 1896, IV« C. p. 111.
I
(70-71) LIBERTÉ DE TESTER 197
lation dont les besoins, sous un régime plus élémentaire, épuiseraient
les produits de la France entière (^). » Or l'intérêt de tous est que la
production soit aussi abondante que possible. Le pouvoir a donc le
droit, dans un but d'utilité et même de nécessité sociales (autrement la
société ne pourrait se développer), de protéger légalement le régime
de propriété individuelle et indéfiniment transmissible, selon certaines
règles et moyennant certains impôts.
Conclusion : les biens matériels, la terre en particulier, sont faits
pour l'utilité commune de l'humanité. Pour que cette utilité soit mieux
procurée, une certaine division des biens est nécessaire, car l'état
d'indivision aurait pour effet des querelles sans fin et une production
insuffisante. Mais la nature n'a rien déterminé en particulier. Cette
division et cette appropriation a reçu, selon les circonstances, des formes
variées qui correspondent au genre de vie des peuples et à leurs besoins
divers. Le fait universel de l'institution de la propriété privée chez
toutes les nations civilisées est un signe manifeste qu'elle s'harmonise
mieux avec les exigences communes de la nature humaine.
70. — CONSÉQUENCES ET ATTRIBUTS DU DROIT
DE PROPRIÉTÉ
L — Le propriétaire peut disposer de sa chose à titre onéreux
par vente, location ou prêt, ou la faire valoir par des ouvriers
salariés.
IL — Il peut en disposer à titre gratuit par don ou par legs.
Les biens étant destinés à l'usage commun, il faut que ceux qui en ont
la propriété, après avoir satisfait convenablement aux nécessités de
leurs familles, en fassent bénéficier les œuvres charitables et utiles.
III. — Certaines richesses, comme la terre, ont une durée natu-
rellement perpétuelle ; d'autres, comme les capitaux, en ont une arti-
ficielle. Or, le droit devant durer autant que l'objet sur lequel il porte,
il en résulte un droit perpétuel sur ces sortes de biens, et, par conséquent,
la faculté de les transmettre par succession aux héritiers qui continuent
la personne du propriétaire.
71. — LIBERTÉ DE TESTER
La liberté testamentaire est donc la conséquence légitime du
droit de propriété. Vivant, le père peut donner ses biens à ses enfants
ou à des étrangers, comment ne le pourrait-il pas au moment de mourir ?
(») M. d'Hulst, Conférences de Notre-Dame, 1896, IV C, p. 111.
j^gg LIBERTÉ DE TESTER (♦■*■)
Mais une question ultérieure se pose : faut-il admettre la liberté illi-
mitée ? ou, sinon, dans quelle mesure la limiter ^ .'> Pour que a famille
remplisse son but moral et son rôle social, elle doit être stable G est
pourquoi il faut tenir le milieu entre une liberté sans limites et une
liberté trop restreinte. Donc en vue de la stabilité du foyer domestique :
I _ La loi doit restreindre la faculté de disposer, par donation
et par testament, en faveur des étrangers, particulièrement en ce qui
regarde les immeubles et les biens patrimoniaux. .... , .
n — D'autre part, la liberté concédée par le Code civil est trop
limitée. Il édicté ce qu'on appelle le partage forcé : la quotité disponible
peut s'élever à la moitié s'il v a un enfant ; à un tiers s'il y a deux entants ;
à un quart s'il y a trois enfants ou plus (Art. 913). Dans ces étroites
limites, la stabilité et la prospérité des familles ne sont pas sauve-
gardées (2). Voici en elïet quelques-uns des inconvénients de ce partage
forcé *
lo" Le patrimoine des ancêtres et l'entreprise (vg. manufacture)
traditionnelle ne peuvent être conservés ; au bout de quelques géné-
rations, il faut les vendre ou les diviser.
20 Ce partage forcé sape par la base l'autorité du père de lamille,
qui n'a plus dans le testament un moyen efficace de récompenser ou
^ 30 ^ Dans les classes riches, les enfants, se fondant sur leiirs droits
de naissance, prétendent jouir dès leur entrée dans la vie de la richesse
créée par leurs aïeux et ne sont pas stimulés à s'en montrer dignes par
le travail et la vertu. . , .
40 Le partage forcé est l'occasion d'une quantité de procès qui
troublent les fam'illes et de frais qui les ruinent. j . ,
111. — Voici ce qui semble raisonnable : a) Etendre, dans tous les
cas, la quotité disponible des biens. ^ , , . ,,„
h) Réserver aux enfants une part obligatoire. En dehors de cette
réserve, le père pourrait partager sa fortune à son gré entre ses enfants,
de manière à sauvegarder la stabilité du domaine patrimonial ou de
l'entreprise traditionnelle. . .
Remarqne : pour conserver le foyer de famille et maintenir la pro-
priété, il serait bon : ,.,/••„„
jo D'introduire en France le régime du Homestead américain, en
( M Le Play La réforme sociale en France, Ch. xxi. — T. Rothe, Traité de droit naturel,
IV« P Ch. VII, Sect. IX. — De Moreau d'Andoy, Le testament selon la pratique des familles
niables et prospères. — Deneus, De la réserve héréditaire des enfants.
(») Cf. V. BORET, Pour et par la terre, Paris, 1921. — F. Auburtin, La Natalité, Pans,
1921.
J
(72) , LE SOCIALISME : COMMUNISME 199
vertu duquel tout propriétaire, cultivant sa terre, peut faire déclarer
insaisissables sa maison et une certaine étendue de terre, jusqu'à concur-
rence d'une valeur maximale de 10.000 francs.
2° D'exonérer des frais de succession la petite propriété rurale et
urbaine (^). Ce sont là d'excellentes mesures contre l'envahissement
du Socialisme.
73. — LE SOCIALISME (2)
« C'est un terme générique, dit P. Leroy-Beaulieu, qui exprime
certains modes d'ingérence de l'État dans les relations entre producteurs,
ou entre producteurs et consommateurs {^). » Le socialisme se présente
sous deux formes : A) Communisme. — B) Collectivisme.
§ A. — LE COMMUNISME
I. — Partisans : Platon dans sa République ; — Fénelon dans
Télémaque (République de Salente) ; — G. Babeuf ; — Owen ;
— Cabet, dans VIcarie. — Fourier n'était communiste qu'en ce
qui regarde la production et la consommation et non pour la répartition
des biens. — Actuellement, il n'y a plus que les Anarchistes à sou-
tenir le communisme.
( M P. Bureau, Le Homestead ou l'insaisissabilité de la petite propriété foncière, Paris,
( *) Ém. de Laveleye, Le socialisme contemporain. — V. Cathrein, Der Socialismus.
. — J.-G. Bouctot, Histoire du comiyiunisme et du socialisme. — P. Janet, Les origines du
socialisme contemporain. — S. Nicotra, Le socialisme. — L. Winterer, Le socialisme
contemporain. — R -T. Ely, The Labor Movement in America. — Th. de Wyzewa, Le
mouvement socialiste en Europe. — A. Schœffle, Quinlesseyice du socialisme. — M. Ferraz,
Socialisme, Naturalisme et Positivisme. — B. Malon, Le socialisme intégral. — L. Say,
Le socialisme d'Etat. — P. Leroy-Beaulieu, Le collectivisme. — Anat. Leroy-Beauheu,
La Papauté, le Socialisme et la Démocratie. — E. Maisonabe, La doctrine socialiste. —
E. d'Eichïhal, Socialisme et problèmes sociaux. — A. Brasseur, La question sociale,
étude sur les bases du collectivisme. — F. Sagot, Le communisme au Nouveau Monde. —
Cl. Jannet, Le socialisme d'Etat. — V. Steccanella, Del comunismo. — C. van Overbergh,
Caractères généraux du socialisme scientifique. — G. Richard, Le socialisme et la science
sociale. — G. Renard, Le régime socialiste. — A. Castelein, Le socialisme et le droit de
propriété. — G. Goyau, Autour du catholicisme social. — M. Turmann, Le développement
du catholicisme social. — L. Stein, La question sociale au point de vue philosophique. —
E. Fournière, L'idéalisme social. Essai sur l'individualisme. — A. Métin, Le socialisme
sans doctrines. Le socialisme en Angleterre. — Donoso Cortës, Essai sur le catholicisme,
le libéralisme et le socialisme. — E. Méric, Les erreurs sociales du temps présent. — F. Sarda
Y Salvany, Le mal social. — Fouillée, La morale socialiste. Revue des deux Mondes, 1901,
t. IV, p. STÏ-'iOS. — J. Bourdeau, Socialistes et sociologues. L'évolution du socialisme. —
E. Fournière, Les théories socialistes au XIX" siècle, de Babeuf à Proudhon. — Ed.
Demolins, Le sociaiisme devant la science sociale. — J. Félix, Le socialisme devant la société.
(') P. Leroy-Beaulieu, Le Collectivisme. Examen critique du nouveau Socialisme,
L. I, Ch. I, Paris, 1885', p. 6
200 LE SOCIALISME : COLLECTIVISME (72)
II. — Exposé et réfutation : A) Le Communisme supprime
complètement la propriété individuelle et met tous les biens en com-
mun.
B) Ce n'est pas là une organisation absolument chimérique, puis-
qu'elle existe dans les Congrégations religieuses et dans certaines asso-
ciations aux États-Unis (i). Mais le système communiste pour réussir
exige : 1° de très petites sociétés, parce qu'à mesure que le nombre des
associés grandit, l'intérêt que chacun porte au succès de l'association
diminue ; — 2° des sociétés soumises à une rigoureuse discipline, qui
pousse chaque associé au travail et l'oblige à se contenter de sa part.
§ B. — LE COLLECTIVISME
I. ■ — Nature : c'est un communisme mitigé. Dans ce système la pro-
priété collective est substituée à la propriété privée pour les moyens
de production, c'est-à-dire la terre et les capitaux, et un gouvernement
purement économique répartit les produits du travail d'après certaines
règles. On distingue le :
1° Socialisme partiel, qui ne met en propriété collective que les
terres et parfois aussi les immeubles : c'est le socialisme agraire, qui
réclame la « nationalisation du sol « : vg. H. George (2), de Lave-
LEYE (3).
2'3 Socialisme total, qui étend la propriété collective à tous les ins-
truments de production, admettant à peine une exception pour les
outils l'udimentaires, comme l'aiguille.
Le socialisme eut pour théoriciens en Allemagne, Lassalle ( *) et
surtout Karl Marx (^).
En France le parti socialiste est divisé en deux branches :
1" Les Marxistes : J. Guesde, P. Lafargue.
20 Les PossiMlistes : Benoit Malon (^), Brousse, Allemane.
La différence fondamentale entre le Collectivisme et le Commu-
nisme, c'est que le Collectivisme prétend conserver la propriété indi-
viduelle des objets de consommation, tandis que le Communisme met
tout en commun, et les objets de production et les objets de consom-
mation. Cette distinction est arbitraire, car nombre de richesses, à
( M NoRDHOFF, Comrministic socieiies. — F. Sagot, Le communisme au Nouveau Monde.
— On peut citer les réductions établies par les Jésuites au Paraguay. — M.-B. Schwalm.
Le communisme évangélique, Correspondant, 1906, T. CCXXIII, p. 489 sqq.
») H. George, Progress and Poverty.
:») ÉM. DE Laveleye, De la propriété et de ses formes primitives.
;♦) F. Lassalle, Capital et Travail. Cf. Seillière, Elude sur F. Lassalle.
») K. Marx, Le Capital. — Andler, La décomposition du Marxisme.
[*) B. Malon, Précis du socialisme. Le socialisme intégral.
(72) LE SOCIALISME : COLLECTIVISME 201
raison de leurs propriétés diverses, peuvent aussi bien figurer parmi
les instruments de production que parmi les matières de consommation.
Tout objet de consommation peut devenir capital, par cela seul qu'on
lui donne un emploi productif : vg. je puis consommer les fruits de mon
jardin ou les vendre.
II. — Réfutation (^) : l'établissement d'une vaste société col-
lectiviste est impossible, comme institution stable et viable, étant
donnés les penchants impérieux de l'humanité. En eiïet :
A) D'après le Collectivisme, les biens de production seront « socia-
lisés » (2), les biens do consommation laissés à la disposition des citoyens.
— Mais comment, en pratique, établir la distinction entre ces deux sortes
de biens ?
B) L'État économique devra déterminer, après enquête, la quantité
et la quotité des objets à produire ; c'est le seul moyen de mettre fin
à V anarchie de la production. — Mais cette détermination est pratiquement
impossible.
C) Supposons ces difficultés surmontées, il faut organiser le travail.
Pour cela l'Office du travail devra :
1° Recenser exactement la main- d' œuvre disponible: comment répartir
en effet le travail sans connaître le nombre des ouvriers valides par
commune ? Si l'on impose le domicile forcé, c'est un servage ; si l'on
accorde la libre circulation, l'organisation du travail est irréalisable.
2° Distribuer les emplois : si on laisse le choix de la profession, qui
se chargera des travaux répugnants ? Si l'État économique procède
d'autorité à cette distribution, que deviennent la liberté et l'égalité ?
D) En admettant qu'on puisse vaincre les obstacles précédents,
reste à résoudre cette question : comment l'État économique répar-
tira-t-il le produit net du travail collectif ? Ici on se heurte à des diffi-
( ') V. Cathrein, Der Socialîsmus. Das Privateigenthum. — P. Leroy-Beaulieu, Le
collectivisme. — E. Richter, Où mène le socialisme ? — J. Rae, Il socialismo conlempo-
raneo. — Dawson, German Socialism. — R. Meyer et G. Ardant, La question agraire.
Le mouvement agraire... — S. Webb, Socialism in England. — G. Weill, Histoire du mou-
vement social en France (1852-1902). — G. Renard, Socialisme intégral et Marxisme. —
Ch. Antoine, Cours d'Economie sociale, Ch. ix.
(") « On dit généralement, et même parfois dans les livres, que « socialiser » c'est tout
reniettre entre les mains de l'État et que, par conséquent, sous le régime collectiviste
l'État gérerait toutes les industries et commerces comme il fait actuellement des manu-
factures ou bureaux de tabac, et exploiterait les terres comme il fait actuellement des
forêts. Mais les collectivistes protestent contre cette façon de présenter leur programme :
ils déclarent que leur but n'est point d'étendre indéfiniment les fonctions de l'État, mais
de les supprimer successivement... L'État, tel qu'il existe aujourd'hui, le Gouvernement,
comme on l'appelle, représentant de la classe possédante ou bourgeoise, sera remplacé par
un gouvernement purement économique, semblable au conseil d'administration des Fédé-
rations coopératives de consommation et qui ne sera que l'organe central des travailleurs
organisés. » (Ch. Gide, Cours d'Economie politique, Part. I, L. III, Ch. ii, § III, T. II,
p. 181, Paris, 1920"). — Cf. Vanpervelde, Le Socialisme contre l'Etat.
202 LE SOCIALISME : SYNDICALISME (72)
cultes inextricables. On a proposé diverses formules de partage {^) :
A chacun : a) part égale ; — b) selon ses besoins ;— c) selon sa capacité ;
— d) selon le temps de travail ; — e) selon la quantité de travail effectué ;
— f) selon le soin dépensé. Ces règles sont ou injustes ou impraticables.
E) Le Collectivisme étoufferait par la réglementation l'initiative
individuelle ; les citoyens ne seraient plus que des rouages de la grande
machine sociale. Ce serait la négation de l'autonomie et de la liberté (2).
§ C — AUTRES FORMES DE SOCIALISME
I. L'Ecole réformiste. — Elle respecte la propriété privée avec tous
les droits qui y sont inhérents, mais elle vise à en prévenir les abus en
v apportant certaines restrictions : vg. limitation du taux de l'intérêt
et des fermages, fixation d'un minimum des salaires, attribution, à
titre gratuit, aux ouvriers dans les sociétés par actions d'une part du
capital social, imposition de certaines conditions pour la direction des
usines et l'exploitation des terres, mines, etc
Ce n'est pas là du Socialisme proprement dit ; c'est du Socialisme
d'État.
IL Le Syndicalisme. — Voici ses caractères distinctifs :
10 C'est un socialisme exclusivement ouvrier.
20 Le Syndicat est le fondement de tout le système, parce que le
syndicat, étant une association professionnelle qui n'admet que des
travailleurs de même profession, exclut par là même les éléments bour-
geois. La direction du mouvement social appartient à la Confédération
générale de tous les Syndicats ou Bourses du travail (la C. G. T.).
30 II ne demanderas la réalisation de ses fins à la loi, àl'actionpar-
Icmentaire, à des concessions faites par les classes possédantes, mais
à Vaction directe, signifiant par là que les ouvriers doivent faire triompher
leur programme par leurs propres moyens. Ces moyens sont la propa-
gande, la grève et même, d'après certains, le sabotage. « S'agit-il de
réduction de la journée de travail, ou d'augmentation de salaire ? il
ne faut pas demander, il faut prendre. Et, en cas de résistance, il faut
user de l'arme qui est la grève, en user non p^as, comme le syndica-
(') Ch. Gide, Cours d'Economie politique, Part. I, L. III, Ch. ii, § I.
( •) Certains auteurs parlent de socialisme chrétien ou catholique (vg. Fr. S. Nitti, n
socialismo catlolico. — H. Joly, Le socialisme chrétien) ; mais ce sont là deux mots qu on
ne saurait juxtaposer, car le catholicisme et le socialisme ont des doctrmes irréductibles.
Cf. Ch. Antoine, Cours d'Economie sociale, Ch. ix, Art. Vil, p. 251-252. Ch. x, Art. III.
p. 275-276, Paris, 1908*. — Saint-Simon avait adopté comme formule de réparUtmn :
« A chacun selon sa capacité, à chaque capacité selon ses besoins. » Cf. Weill, L Ecole
Saint-Simonienne. — V. Pareto, Les systèmes socialistes contemporains. — G. Le Bon,
Psychologie du socialisme. — Gibon, La participation des ouvriers aux bénéfices et les diOf
cultes présentes. Des divers modes de rémunération du travail. — Ant. Menoer, L Etat
sodaliate.
(72) LE SOCIALISME : GOOPÉR.VTISME - 203
lisme réformiste, avec prudence et seulement quand on croit être sûr
du succès, mais s'en servir sans considération des résultats immédiats,
comme un mode d'entraînement de la classe ouvrière et d'usure de la
classe capitaliste. Et, lorsque l'heure de la Révolution sera venue,
c'est par la grève générale qu'elle se fera... Cette méthode de l'action
directe et cette haine de l'État rapprochent le Syndicalisme de l'Anar-
chisme. Elles le distinguent, au contraire, du Collectivisme, car, quoique
celui-ci vise aussi à l'élimination de l'État, cependant il a pour tac-
tique d'abord de le conquérir en participant à la vie politique et parle-
mentaire, et en s'efforçant d'y devenir la majorité (^). »
Critique : « Ce programme se fonde sur ce postulat, que la classe
ouvrière est tout, parce que c'est elle qui, par son travail, produit
toute la richesse. Or ce fondement n'est solide que si la théorie de la
valeur-travail est reconnue exacte ; mais, si l'on croit, au contraire —
et telle est l'opinion aujourd'hui de la plupart des économistes — qu'elle
est inexacte ou, en tout cas, incomplète et ne contenant qu'une part
de vérité, alors le Syndicalisme se fait illusion sur sa toute-puissance,
et ne peut résoudre à lui seul la question sociale (^). »
Il est superflu d'insister sur la nature immorale des moyens
employés par le Syndicalisme révolutionnaire : action directe, lutte
des classes, grève au sens expliqué ci-dessus, voire môme sabotage.
III. — Le Coopératisme. — • Tandis que le Collectivisme et le Syndi-
calisme sont dominés par le souci de la production, c'est du côté des
consommateurs que se tourne la Coopératisme. Les sociétés coopé-
ratives veulent supprimer les intermédiaires inutiles, qui absorbent
une part des profits, en faisant directement leurs achats aux produc-
teurs, ou même en fabriquant elles-mêmes tout ce qui est nécessaire
à leurs associés. Elles ne font pas la guerre au capital.
« Beaucoup de sociétés s'interdisent par leurs statuts de faire aucun
profit ou le versent au fonds de réserve ; et celles mêmes qui en font
le restituent à leurs membres au prorata de leurs achats (ou de leur
travail, s'il s'agit d'une coopérative de production), mais jamais au
prorata de leurs actions, c'est-à-dire du capital apporté par eux. Le
service du capital-actions, comme celui du capital emprunté, est géné-
ralement payé, il est vrai, mais seulement par un intérêt modique,
jamais par un dividende ; et même certaines sociétés n'allouent aucun
intérêt au capital » ( ^). Le Coopératisme ne cherche donc pas à supprimer
le capital, mais à enlever au capital « son rôle dirigeant dans la produc-
('"2) Ch. Gide, Cours d'Economie politique, Loco cilalo, § IV, T. II, p. 190.
( ') Ch. Gide, Cours d'Economie politique, Loco cilato, § V, T. II, p. 193. — « Ces
sociétés sont en train de créer, au-dessus de la propriété individuelle, une propriété collective
sous forme de fonds impersonnel employé au développement de la société et à des œuvres
d'utilité sociale. » {Ibidem, p. 192, note 1).
2Q4 LE SOCIALISME : COOPÉRVTISME TO
tion et, en même temps, à lui retirer la part qu'il prélève, précisément
à titre de pouvoir dirigeant, sous forme de profit » ( ).
^Fédération nationale des Coopératives de consommation est née,
en 1913 de la fusion des Coopératives socialistes et de la Ligue des
Coopéraiives, présidée par M. Charles Gide, le grand promoteur du
Coopé a ismè. <o Si l'on suppose la société coopérative étendue jus-
que absorber toute la nation, alors l'abolition du profit entraînerai
2ne modification radicale dans la distribution des richesses car le profit
est S)us le régime actuel, le seul moyen de s'enrichir et, s'il disparais-
sait c'est avec lui la source des grosses fortunes qui tarirait (-). »
Pour en arriver là il faut admettre que les Coopératives locales
fédérées en Unions parviennent à englober tout le commerce et en
outre ce qui est plus difficile, arrivent non seulement a concentrer tous
les achats, mais à se faire productrices, à monter des usines a conduire
des fermes etc. Alors, dans le domaine du commerce, de l'industrie et de
la production, le capital serait réduit à la portion congrue d un faible
intérêt fixe, el la propriété individuelle, chassée de ses divers domaines
^ar Tes envahissements de la propriété collective, finirait par ne plus
^'"^ ftitiaue'^- 1°' Cette conception ne mérite pas le reproche, adressé
au Syndicalisme, d'employer des moyens révolutionnaires : ac ion
directe, grève, lutte des classes. Elle laisse une certaine place au capital
Elle confine Cependant au Socialisme en tant qu'elle a pour but de
constituer une vaste fédération de propriétés collectives.
20 Maintenues dans certaines limites, les Coopératives de consom-
mation ont rendu et rendent encore des services Mais la Prétention
d'absorber un jour tout le commerce est une ^1"^^^^' ^*;^^^', ^^^ .f
Coopératisme, l'intérêt personnel, qui est le grand moteur de 1 acti-
vité, a un rôle trop restreint pour être un st.mulant efficace Si ce Sys-
tem; arrivait, par impossible, à s'établir, il ne parviendrait pas a se
maintenir, faute de ce stimulant indispensable.
30 Les Coopératives « se trouveraient en face des questions qui
divisent aujourd'hui le capital et le travail. Quand il s -g^^a de passer,
d'une façon générale, de la consommation a la production elles se heur-
teront de plus en plus sans doute aux difficultés du problème de 1 orga-
nisation du travail, telles qu'elles se présentent actuellement diffi-
cultés qui resteraient entières alors que le propriétaire d une usine
ou d'une ferme serait remplacé par une société de consommateurs ( ). «
,.-») CH. GIDE. Cours d'Economie poHaaueLocod^^^^^
(«> r,H Antoine Cours d économie sociale, Ch. xn. An. o, p. ^oi ne
T. II, Part. IV, Ch. xviii, Paris, 1905*.
(72) SOCIÉTÉ ET SOCIALISME 205
§ D. — SOCIÉTÉ ET SOCIALISME
Les conceptions du Droit naturel et du Socialisme, relatives aux
divers éléments qui entrent dans la composition de la Cité, sont en
flagrante opposition. Il est instructif de les comparer :
I. — Conception normale. — Les droits de l'individu, qui fait partie
d'une Société civile et politique, sont sans doute limités par les droits
concurrents des autres associés et par les intérêts supérieurs du bien
commun ; mais, en dehors de ces exigences, ils doivent être respectés
et protégés par l'État.
La Famille, qui constitue la cellule sociale, est antérieure à l'État :
elle a par conséquent des droits propres que l'État doit sauvegarder.
Ainsi, les enfants appartiennent aux parents qui sont chargés de leur
éducation. La stabilité et la prospérité de la famille exigent l'unité et
l'indissolubilité du lien matrimonial.
Tout pouvoir, donc le pouvoir politique, vient de Dieu. Sans doute,
le peuple a le droit de déterminer la forme de gouvernement qui lui
convient ; mais il n'est pas la source de l'autorité.
La propriété individuelle et héréditaire est légitime. Mais le droit
de propriété comporte des limites morales et légales (68, § E).
La liberté du travail est un droit naturel. Les individus et les asso-
ciations particulières peuvent donc l'organiser à leur convenance, à
la condition de respecter les droits d'autrui et les lois générales du pays.
La forme normale des rapports de l'Église et de l'État c'est l'union,
en vue de procurer, selon leur fin propre et à leur manière, le bien com-
mun. Quand, par suite de la diversité des croyances religieuses et de
certaines circonstances politiques, la séparation devient nécessaire en
fait, cette séparation doit être pratiquée loyalement, comme, par exemple,
actuellement aux États-Unis, c'est-à-dire que l'État doit laisser à
l'Église toute liberté d'agir dans les limites du Droit commun.
II. Conception socialiste. — L'individu est plus ou moins absorbé
par la collectivité, ce qui l'expose à la tyrannie du nombre. Il n'a pas
la sauvegarde du Droit naturel, dont le Socialisme ne reconnaît pas
la valeur.
Le Socialisme réclame l'égalité complète de l'homme et de la femme.
Il est favorable à l'union libre et au divorce. — « Les socialistes des
partis ouvriers sont tous partisans de l'émancipation de la femme,
de l'entretien et de l'éducation des enfants par la commune ou par
l'État' (1). »
( •) Benoît Malon, Le Socialisme intégral, T. I, Ch. vu, § VII, p. 352, Paris, 1890.
206 RESPECT DES BIENS SPIRITUELS : l'hONNEUR (73)
Le peuple est la source immédiate du pouvoir et de l'autorité :
c'est le souverain.
Le Socialisme « tend à remplacer le droit de propriété individuelle
par un mode d'appropriation plus ou moins collectif » (^).,
L'organisation socialiste aboutit à la suppression de la liberté du
travail.
« Pour le socialiste démocrate, la vie humaine est renfermée tout
entière dans les limites du monde terrestre. Pour lui, l'au-delà n'existe
pas. Cette affirmation, souvent explicite et formelle dans la bouche
des chefs du socialisme, est cachée dans le programme collectiviste
officiel (2). » Le Socialisme met la fin dernière dans les jouissances de
cette vie ; il remplace le Décalogue par les droits de l'homme, et la
souveraineté de Dieu par celle du peuple.
Il ressort de cette comparaison que le Socialisme est la négation de
la Société et que son triomphe en serait la ruine.
Conclusion. — 11 ne faudrait pas croire que toutes les critiques,
dirigées par l'École socialiste contre les abus du régime économique
en vigueur, soient dénuées de fondement, ni que tous les remèdes pro-
posés par elle soient injustes ou chimériques. « Lorsqu'on réclamait
la protection des femmes et des enfants, la réglementation du travail
de nuit, la réglementation de la spéculation, des monopoles et acca-
parements, la législation du travail, etc., nous ne pouvions qu'approuver
ces mesures, et plusieurs sont, depuis cette époque, heureusement
passées dans notre code {^). » Albert de ^Iun a justement remarqué
que plusieurs des idées par lesquelles les socialistes ont « conquis dans le
pays une si large place », ils les avaient « dérobées » à l'École sociale
catholique (*).
Pour combattre efficacement le SociaUsme, il ne suffit pas d'en
faire la critique, il faut opposer des réformes pratiques et justes aux
utopies et aux injustices que renferme pon programme.
73. — RESPECT DES BIENS SPIRITUELS : L'HONNEUR
L'honneur ou réputation, bien supérieur aux biens matériels,
est la condition de nombreux avantages sociaux. C'est une injustice
de blesser l'honneur d'autrui par des paroles injurieuses ou de le dif-
famer par la calomnie et la médisance. On est obligé de restituer au pro-
chain l'honneur enlevé. Le calomniateXir doit rétracter son mensonge ;
(M Ch. Gide, Cours d'Économie politique, Loco citalo, § I, T. II, p. 167.
("-') Ch. Antoine, Cours d'Économie sociale, Ch.ix, Art. 2, p. 226. Art. 7, p.254(6«Ed.)J
( *) A. DE MuN, Discours au Congrès de Besançon, 1903.
I
(74) LES ŒUVRES DE CHARITÉ 207
le médisant est tenu de compenser le mal fait, en disant du bien de celui
dont il a médit. — Tout homme a droit à notre estime, non seulement
dans nos paroles, mais même dans nos pensées ; il faut donc éviter les
Jugements téméraires.
§ II. — DEVOIRS DE CHARITÉ
74. — LES ŒUVRES DE CHARITÉ
I. — Précepte général : c'est d'aimer tous les hommes, même
nos ennemis : « Aimer, c'est trouver son bonheur dans le bonheur d'au-
trui » (Leibniz). « Aimer, dit S. Thomas, c'est proprement vouloir
du bien à quelqu'un (^). » Mais il s'agit d'une volonté non seulement
affective^ qui souhaite du bien aux autres, mais effective, qui leur en fasse.
— Aux devoirs de justice correspondent autant de devoirs de charité ;
vg. la justice nous défend d'attenter à la vie de notre prochain ; la cha-
rité nous enjoint de la secourir et de la protéger.
II. — Œuvres : 1<^ Les unes sont d'ordre temporel, relatives au
corps : vg. secourir les pauvres par l'aumône, assister les malades,
défendre la vie menacée de nos semblables.
2° Les autres sont d'ordre spirituel, relatives à l'âme : vg. éclairer
l'intelligence d'autrui par l'instruction et les bons conseils ; porter les
autres au bien par nos paroles et nos exemples, fortifier leur volonté
contre les passions, les consoler dans leurs peines, etc.
III. — Qualités : la charité doit être faite avec :
10 Délicatesse; — 2» Désintéressement; — 3» Intelligence {^) (65,
§ B, III, 10).
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
MORALE HUMANITAIRE
{Devoirs envers nos semblables)
PoTTiER (A.), De jure et justitia, Liège, 1900.
Faguet (Ém.), Le Libéralisme, Paris, 1902.
Jankelevitch (S.), Quelques arguments philosophiques en faveur de
( ') Amare enim proprie est velle alicui bonum (S. Thomas, Comment, in Joannem,
C. III, Lect. III, § 1).
(•) Haussonville (d'), Comment faire la charité ? Revue des Deux Mondes, 1894,
T. III, p. 383-413. — Fr. de Champagny, De la charité chrétienne dans les premiers siècles de
l'Église. — M» de Witt, née Guizot, La charité en France, à travers les siècles. — L. Lal-
LEMANT, Histoire de la charité.
208 ' LA FAMILLE (75)
la liberté de renseignement, dans Revue de Philosophie, 1903,
p. 560-581.
Sanchet (E.), Liberté du travail et Solidarité vitale, Paris, 1903.
Petrucci (R.), Les Origines naturelles de la Propriété. Essai de
Sociologie comparée. Tirage à part des Notes et Mémoires des Instituts
Solvay, Bruxelles, 1905.
Reinach (Ad.), Ueber der ursachen Begriff in geltenden Strafrecht,
Leipzig, 1905.
Lanza (V.), UUmanesimo nel diritto pénale, Palerme, 1906.
Petersen (.!.), Willensfreiheit moral und Strafrecht, Munich, 1906.
ZiNO ZiNi, Giustizia, Turin, 1907.
Lallemand (L.). Histoire de la Charité, T. IV, Paris, 1910.
FouRKERET (P.), Ducl, dans Dictionnaire de Théologie catho-
lique, de Vacant-Mangenot, 1911, T. IV, col. 1845-1856.
Rivet (L.). Duel, dans Dictionnaire Apologétique, de d'Alès,
1911, T. I, col. 1196-1220.
Benett (W.), Justice and Happiness, Oxford, 1911 .
lime SECTION
MORALE DOMESTIQUE
75. — LA FAMILLE (*)
C'est une société formée par les parents et les enfants. Elle est
naturelle, c'est-à-dire fondée sur la nature de l'homme, et elle a Dieu
pour auteur immédiat. Elle est nécessaire à la protection des droits
de la femme et à l'éducation physique et morale des enfants. La famille
est un fait universel, mais elle n'atteint sa perfection que dans les pays
chrétiens. — Ce n'est pas l'individu, mais la famille qui constitue la
( ') LÉON XIII, Encyclique Inscrutabile. — P. Janet, La famille. — Le Play, L'organi-
sation de la famille. La réforme sociale, L. III. — J. Félix. Conférences de Noire-Dame,
1860. — MONSABRÉ, Conférences sur la famille. — M. d'Hulst, Conférences de Noire-Dame,^
1894. — A. DE Margerie, De la famille. — J. Simon, La femme du XX' siècle. — E. Lamy,
La femme de demain. — S. Schiffini, Dispulaliones philosophiœ moralis, T. II, Disput. III*.
— Taparelli, Traité théorique de droit naturel, L. VII, Ch. ii. — T. Rothe, Traité de droit
naturel, Part. IV, Ch. vi-viii.— V. Devas, Studies of familylif e.— Ch. Jan net, La consdluïton
de la famille dans le passé et dans le présent, dans la Réforme sociale, 1886, T. II, p. 65-76.
— E. Beaussire, Les principes du droit, L. ÏII, — J. Cauvière, De la condition d': la femme.
— A. Beuel, La femme dans le passé, le présent et l'avenir. — J. Lourbet, La femme devanll
In science contemporaine. — Ribbe (Ch. de), La vie domestique, ses modèles et ses règles. ^
A. Gemelli, L'origine délia Famiglia.
(76) LE MARIAGE 209
véritable unité sociale. La famille donne naissance à des devoirs parti-
culiers, découlant des rapports qui existent entre les différents membres
qui la composent. — Elle a pour fin immédiate le perfectionnement
matériel, intellectuel et moral de ses membres, ordonné à la fin dernière
de l'homme : le souverain Bien. La famille a pour fondement le mariage.
76. — LE MARIAGE
§ L — AU POINT DE VUE DU DROIT NATUREL
C'est un contrat par lequel l'homme et la femme s'unissent volon-
tairement pour fonder une famille, c'est-à-dire pour avoir des enfants
et les bien élever, pour vivre en commun et s'assister mutuellement.
Le contrat matrimonial, étant fondé sur la constitution de la nature
humaine et ayant pour but principal la perpétuité de l'espèce, est de
droit naturel. Il est donc antérieur et supérieur au droit civil et poli-
tique. Par conséquent l'État n'a aucune autorité pour légiférer sur le
contrat conjugal envisagé dans ses conditions essentielles, parce qu'il
n'en a pas sur le droit primordial qu'on nomme droit naturel (55). Il
peut seulement, en vue du bien commun, statuer sur les conséquences
civiles du contrat matrimonial (vg. les biens, les héritages, les ventes, etc.
mais il ne peut atteindre le lien conjugal. Ne pouvant former le lien,
l'État ne peut le rompre ; il ne peut davantage constituer des empê-
chements dirimants, mais seulement appuyer de sa sanction ceux que
le droit naturel établit.
lll.- AU POINT DE VUE DU DROIT CHRÉTIEN (i)
A) Entre baptisés, le mariage est un sacrement, non par l'addition
d'un caractère surnaturel au contrat naturel préexistant, mais par
l'élévation de ce contrat lui-même à un ordre supérieur. Ainsi, ce qui
constitue le sacrement de mariage, ce n'est pas la bénédiction du prêtre,
c'est l'engagement mutuel des époux, lesquels sont les ministres du
sacrement. La présence du curé ou de son délégué n'est qu'une condi-
tion essentielle de la validité du marigige entre chrétiens, condition
imposée par le Concile de Trente.
.B) Le sacrement et le contrat, étant identiques, sont inséparables.
(M LÉox XIII, Encyclique Arcanum divinm sapienlix consilium, 10 février 1880. —
Cf. PaLmieri, De malrimonio christiano. — M. d'Hulst, Conférences de Noire-Dame,
1894, Conférences, I, II. — Ch. Daniel, Le mariage chrétien el le Code Napoléon, dans les
Études, 1869. — de Bréda, Considérations siLr le mariage au point de vue des lois. — T. Rothe,
Traité de Droit naturel, Part. IV, Ch. vi, Sect. III.
210 LE MARIAGE (76)
Donc point de sacrement sans le contrat : si le contrat est nul par suite
d'une circonstance qui peut l'annuler en droit naturel : vg, défaut de
consentement, par là même pas de sacrement. Donc point de contrat
sans le sacrement : le mariage civil ne crée aucune obligation de conscience
et ne donne aucun droit. C'est un acte nul ; la législation qui le recon-
naît ne fait que légaliser le désordre : il n'y a pas mariage, mais « concu-
binage légal » (^).
C) Le mariage entre baptisés étant totalement un objet sacré, spi-
rituel, la législation en appartient totalement à l'Église en ce qui regarde
la validité et la licéité, c'est-à-dire l'établissement des empêchements
dirimants et prohibants.
D) Les tribunaux ecclésiastiques de Rome, quand ils rendent une
sentence matrimoniale, ne dissolvent pas le lien conjugal, ils déclarent
simplement sa nullité ou son invalidité.
§ in. — CARACTÈRES DU LIEN MATRIMONIAL
A) Liberté : le lien matrimonial dépend du libre engagement de
deux personnes ; il ne peut donc être contraint par aucune autorité.
B) Unité : la polygamie est contraire au bien de la famille, parce
qu'elle l'empêche d'atteindre pleinement sa fin. En effet :
10 Le mariage est une société qui demande l'affectueuse et intime
communication des sentiments. Or cette intimité exige la monogamie ;
car elle ne peut être totale et réciproque là où le mari a plusieurs femmes,
20 La polygamie est contraire à la perfection de la justice ; la femme
se donne tout entière au mari ; il faut donc, pour maintenir l'égalité,
que le mari se donne aussi tout entier à la femme.
3° De cette inégalité résulte la déchéance de la femme ; elle n'est
plus traitée en compagne, mais en esclave par le mari.
4° Les familles, où règne la polygamie, sont troublées par les que-
relles et les jalousies. La consolation et l'assistance mutuelles, que les
époux doivent tirer du mariage, sont compromises et l'éducation des
enfants est négligée. Les faits confirment la vérité de ces assertions.
C) Indissolubilité : le divorce est illicite, parce qu'il est contraire :
1» Au bien des enfants : la possibilité de la dissolution du lien
conjugal diminue l'affection et le soin pour les enfants. Leur éducation
est par conséquent plus ou moins manquée. Après le divorce, ils sont
séparés de l'un ou de l'autre de leurs parents, partagés et contrariés
(M Pie IX, Lettre à Victor -Emmanuel, 19 septembre 1852. — J. Cauvière, Le lien
conjugal et le divorce. — G. Fonsegrive, Mariage et union libre. — R. Lemairb, Le mariage
civil.
(^M
(77-78) DEVOIRS DES ÉPOUX 211
dans leurs sentiments. La vue des mésintelligences de leurs parents
est une triste école de moralité.
2° A l'union des familles : la perspective de pouvoir, sous certaines
conditions, briser le lien matrimonial, affaiblit la confiance et l'affection
mutuelles, rend intraitable envers les moindres défauts, favorise les
passions coupables et provoque d'incessantes discordes.
3° Aux intérêts de la société elle-même, caries désordres et les divi-
sions des familles qui la composent, ont, dans son sein, leurs contre-
coups nécessaires. Ici, encore, l'histoire confirme le bien-fondé de ce&
affirmations.
Remarques : I. — La séparation de corps et de biens est le remède
aux cas extrêmes où la vie mutuelle est devenue intolérable.
II. ■ — Dieu peut, mais lui seul, permettre exceptionnellement la poly-
gamie ou le divorce. Il le peut^ parce que la polygamie et le divorce,
n'empêchant pas le mariage d'atteindre complètement sa fin, ne sont
pas absolument contraires au droit naturel (56, II). — lui seul, parce
que seul il est maître du corps et de l'àme.
77. — LE CÉLIBAT
Le célibat est l'état de ceux qui vivent hors mariage. Le célibat est :
I. — Obligatoire, quand on est atteint d'une maladie grave et
héréditaire, à moins d'avoir prévenu l'intéressé.
IL — Méritoire, quand on le garde pour mieux vaquer à son
perfectionnement moral ou à des œuvres qui intéressent l'humanité.
IIL — En soi facultatif : sans doute le mariage est nécessaire
pour assurer la perpétuité de la race ; mais, comme la grande majorité
des hommes choisiront l'état conjugal, il n'a pas été nécessaire d'en
imposer l'obligation à tous.
78. — DEVOIRS DES ÉPOUX (i)
A) Avant le mariage : les futurs époux doivent :
1° Garder leur cœur intact pour celui ou pour celle qui aura le droit
de le posséder.
2o Se rappeler qu'ils auront charge d'âmes et que leurs enfants
seront plus ou moins solidaires de leurs vertus et de leurs vices.
3° Se guider dans leur choix d'après la raison et l'inclination. Ils
tM M. D'IIuLST, Conférences de Notre-Dame, II« et III^ Conférences, 1894.
212 LE FÉMINISME (79)
doivent mettre au-dessus de tout les qualités intellectuelles et morales,
c'est-à-dire la beauté de l'âme. La raison doit contrôler l'inclination.
B) Pendant le mariage : ils se doivent fidélité ; ils doivent res-
pecter les fins du mariage qui sont la perpétuité de la race humaine,
l'éducation des enfants et l'assistance mutuelle. Le mari est le chef
de la famille ; il ne doit pas exercer son autorité despotiquement, mais ,
par persuasion et par amitié. La femme est non sa servante, mais sa.
compagne et son amie ; elle lui doit obéissance. Au mari de protéger la,
famille et de travailler pour elle ; à la femme les soins intérieurs (79).;
79. — LE FÉMINISME ( i)
On entend par Féminisme la doctrine qui réclame l'extension des
droits de la femme. Sous sa forme extrême, elle va jusqu'à demander
la pleine émancipation de la femme et sa complète égalité avec l'homme.
Tel est le programme formulé par Bebel {^) et accepté par beaucoup
de socialistes. Mais il est des revendications plus modérées qui méritent
d'être bien accueillies.
Gomme la question est complexe, il importe de l'envisager succes-
sivement sous ses divers aspects : familial, économique et social, enfin
politique.
I. — Point de vue familial. — Sous peine d'anarchie et de ruine,
il faut, en toute société, une autorité qui commande. Dans la famille
ce rôle revient manifestement à l'homme, d'après les indications mêmes
de la nature, car c'est lui que la nature a fait le plus apte à le remplir.
L'homme, en effet, si l'on parle en général, l'emporte sur la femme
par la maturité et la fermeté du jugement, l'énergie du caractère, l'apti-
tude aux affaires et la vigueur corporelle, toutes qualités qui conviennent
à un chef.
La révélation confirme et complète, au nom de Dieu, ces données
fournies par l'expérience et la raison : « Que les femmes soient soumises
à leurs maris comme au Seigneur, car le mari est le chef de la femme,
comme le Christ est le chef de l'Éghsc.... ))(3). LéoN XIII, dans l'Encycli-
que Rerum novarum, s'exprime ainsi : « Aussi bien que la société civile,
{') M"« L. Zanta, Psychologie du Féminisme, Paris, 1922.
( ') Die voile Emanzipation (1er Frau und ihre Gleichstellung mit dem Mann ist da^
schlieszliche Zicl unserer Kulturenlwicklung {Die Frau, 29° Édit., p. 435).
( ') Mulieres viris suis subdilae sint, sicut Domino, quoniam vir est caput mulieris, sicut
Christus est caput Ecclesiae... (S. Paul, Ep. aux Éphésiens, Ch. v, v. 22-23).
(79) LE FÉMINISME 213
la famille est une société proprement dite avec son autorité propre,
l'autorité et le gouvernement paternels (^). »
On ne saurait donc approuver, à aucun titre, la demande de ceux
qui revendiquent la pleine émancipation de la femme et sa complète
égalité avec l'homme : ce serait la ruine de la famille et, partant, de la
société, puisque la famille constitue la cellule sociale.
Sans doute la femme est l'égale de son mari par rapport aux droits
qui sont inhérents à la nature humaine (55, § A). Mais quand l'homme
et la femme s'unissent pour contracter mariage, l'inégalité apparaît.
La famille, en effet, n'est pas une société d'égaux : les enfants doivent
obéissance aux parents, et la femme à son mari. Mais cette obéissance
n'a rien de dégradant pour la femme, car celle-ci «doit obéir à son mari,
non comme une servante, mais comme une compagne » {^). Pour être
différent de celui de l'homme, le rôle de la femme n'est pas moins beau
dans son genre. Si l'homme est la tête de la famille, la femme en est le
cœur. Sa fonction providentielle est de faire l'éducation morale et reli-
gieuse des enfants ; c'est aussi de rendre le home agréable et la vie
intérieure chère aux membres de la famille, en les charmant par sa
bonne grâce et ses prévenances, en veillant à l'ordre, à la propreté et
à l'économie du ménage. Ses qualités de tendresse et de dévouement,
ses aptitudes de ménagère la prédestinent à bien remplir cette double
fonction. La vraie place de la femme est donc au foyer domestique,
où ses capacités naturelles trouvent leur bienfaisant emploi.
Quant au régime des biens, la loi naturelle et la loi chrétienne ne
prescrivent rien (^). La femme est libre, par conséquent, au regard de
la conscience, de choisir le mode qui lui paraîtra le meilleur : commu-
nauté de biens entre époux ou séparation.
II. — Points de vue économique et social. — • Les nouvelles conditions
économiques, notamment les progrès de la grande industrie, ont modifié
profondément le régime du travail. Autrefois la femme, jeune fille ou
épouse, pouvait travailler à la maison, sous la direction du chef de
famille. Comme le gain du mari est souvent incapable de suffire à l'en-
( M Qu^madmodum civitas, eodem modo familia veri nominis societas est, quae potestate
propria, hoc est paterna regitur. (Encycl. Rerum novarum, 16 mai 1891. Lettres aposto-
liques de Léon XIII, Édition de la Bonne Presse, T. III, p. 26).
(^) Vir est familiae princeps et caput mulieris, quae tamen... subjiciatur pareatque
viro in morem non ancillae, sed sociae. (Léon XIII, Encyclique Arcanum, 10 février 1880.
Même édition, T. I, p. 84).
(*) Le Code civil est trop restrictif. » ... On peut approuver les lois qui, depuis trente
ans, ont élargi sensiblement les pouvoirs de la femme mariée en matière d'épargne », et
« l'on peut souhaiter une augmentation de ses droits dans la direction intérieure du ménage
6t l'administration des produits de son travail personnel... » (H. T.vudière, Famille, dans
Dictionnaire apologétique de la. Foi catholique, de A. d'Alès, T. I, col. 1895,
Paris, 1916).
214 LE FÉMINISME (79)
tietien des siens, la femme ne pouvant plus travailler à domicile est
obligée d'aller à l'usine ou à la fabrique, pour gagner un supplément
de ressources. C'est un pis-aller (^). Il faut donc viser à introduire un
état économique qui permette à la mère de famille de rester au foyer,
où sa présence est nécessaire au bon ordre et à la prospérité domes-
tiques, et laisse à la jeune fille le temps de s'initier au rôle de ménagère.
Avec le temps, bien des professions sont devenues accessibles à la
femme. Les portes de beaucoup d'administrations lui ont été ouvertes.
Ses qualités naturelles la rendent particulièrement propre à l'éducation
de la jeunesse, au soin des malades, aux œuvres d'assistance et de cha-
rité, etc. L'exercice de la médecine à l'égard des femmes et des enfants
lui convient également. Elle peut déjà, être témoin, tutrice, faire partie
des conseils d'administration des sociétés, des associations, des syndi-
cats, des comités des pupilles de la nation.
IIL Point de vue politique. — C'est sur le terrain de la politique que
les revendications féminines ont été les plus ardentes. Dès 1791, dans
la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne qu'elle opposait
à la Déclaration des droits de Vhomme et du citoyen^ une ancêtre du
féminisme. Olympe de Gouges, écrivait : « La femme a le droit de monter
sur l'échafaud ; elle doit également avoir celui de monter à la tribune {^). »
Les Saint-Simoniens, Pierre Leroux et Fourier, les écoles socia-
listes, des publicistes éminents (^), ont réclamé pour la femme l'octroi
des droits politiques. La résistance de l'opinion et des gouvernements
a été longue et tenace. Mais les femmes ont fini par obtenir plus ou
moins gain de cause dans nombre de pays. En fait, le suffrage féminin
existe, en tout ou partiellement, en Australie, dans l'Afrique du Sud,
la Nouvelle-Zélande, aux États-Unis, en Danemark, Finlande, Autriche,
Allemagne, Angleterre, Hollande, Norvège, Suède, Tchéco-Slovaquie,
Ukraine, Belgique, Irlande. En Finance, la Chambre des Députés a
accordé aux femmes le droit de vote et l'éligibilité (mai 1919) (*).
Cette extension des droits politiques de la femme soulève des cri-
tiques qui nous semblent justifiées.
On fait remarquer que la place providentielle de la femme est,
( ') ■< C'est un fait, pour beaucoup, hélas 1 une dure nécessité ; mais pour la famille,
c'est un mal ; car là où le mari et la femme travaillent hors de la maison, il n'y a plus de
foyer, et, partant, plus d'éducation familiale, plus d'économie domestique ». (J. Guiraud,
Un danger pour la famille, dans La Croix, 24 février 1922, p. 3, col. 5).
( •) L. Lacour, Les origines du Féminisme contemporain . Trois femmes de la Révolulion.
Olympe de Gouges, Théroigne de Méricourt, Rose Lacombe, Paris, 1900. — L. Abensour,
Le Féminisme sous le règne de Lo\ds- Philippe et en 184S, Paris, 1913.
( ') Par exemple, Éd. de Laboulaye, Recherches sur la condition civile et politique des
femme», Paris, 1843. — St. Mill, The subjeclion of \<omen, Londres, 1869.
( *) Le Séi.at s'est prononcé contre (21 novembre 1922).
J
(79) LE FÉMINISME 215
comme nous l'avons vu, au foyer domestique. Car c'est là qu'elle utilise
ses qualités précieuses en remplissant la mission pour laquelle Dieu l'a
faite, préparer dans ses enfants des hommes dévoués à la patrie et à
la religion. C'est le meilleur service qu'elle puisse rendre à la société.
Si ses qualités ne la prédisposent pas à la vie politique, on peut dire que
ses déficits invitent à l'en éloigner : inférieure à l'homme en forces cor-
porelles, elle est moins constante que lui, moins apte à la réflexion et
au raisonnement, moins capable par là même de manier les affaires
délicates ou complexes.
Bref, comme le dit, dans un excellent article, M. J. Guiraud :
« En donnant aux époux des natures différentes. Dieu leur a assigné
dans leur communauté des rôles différents qui doivent se compléter en
une heureuse harmonie. Or sa nature même, ses aptitudes propres, sa
maternité font de la femme le ministre de l'intérieur de l'État familial....
A l'homme la vie extérieure, avec le soin de procurer aux siens tout ce
qui est nécessaire à l'existence et à la vie spirituelle et morale (^). »
De plus, accorder le droit de vote à la femme, c'est jeter dans la
famille une semence féconde en discordes, à cause des vives discussions
que ne peuvent manquer de susciter les questions brûlantes de la poli-
tique. « Nul ne le conteste : le plus actif dissolvant de tout groupement
c'est la politique {^). » Or la paix et l'union sont le premier bien de
toute société, surtout de la société familiale, dont les membres vivent
dans un perpétuel tête-à-tête.
Les dangers signalés sont réels. Mais, comme le suffrage féminin
n'est point chose mauvaise en soi, la doctrine catholique, tout en met-
tant en garde contre ses périls, ne le condamne pas. Il est même un cas
où ce droit de vote s'impose, celui de la femme veuve qui est devenue,
par la mort de son mari, chef de la famille et le représentant naturel
de ses intérêts.
Il est possible, d'ailleurs, que le suffrage féminin apporte certains
avantages. En tout cas, une fois établi, « il ne faut pas que les vail-
lantes se récusent et laissent le champ libre aux hardiesses et aux fan-
taisies des rnoins dignes. Les électrices pourraient beaucoup notamment
pour faire aboutir enfin un texte efficace contre l'alcoolisme, pour faire
dresser ces règlements d'hygiène sociale que les velléités masculines
ont toujours ajournés. Elles pourraient encore se faire une spécialité
des questions familiales, établir le cahier des revendications domes-
ti(jues. Alors elles seraient les bienvenues autour des scrutins et ne seraient
( ') J. Guiraud, article cité. Ibidem, col. 5.
( ') J. Guiraud, article cité, Ibidem, col. 4.
216 DEVOIRS DES ENFANTS (80-81)
finalement sorties de leur foyer que pour mieux en surveiller et protéger
les abords » (^).
80. — DEVOIRS DES PARENTS (2)
Les parents doivent à leurs enfants :
I. ■ — Une aSection raisonnable et sans faiblesse.
II. — L'éducation : a) Physique : avoir soin de leur vie et di
leur santé ;
b) Intellectuelle : leur donner une instruction en rapport avec 1;
condition et les ressources de la famille ;
c) 3IoraIe et religieuse : former leur volonté et leur caractère pj
les exemples, les conseils, les corrections.
Autorité paternelle (^) : I. — Son fondement : elle a pour fon-
dement les devoirs mêmes des parents. C'est parce qu'ils ont le devoij
d'élever leurs enfants qu'ils ont le droit de faire tout ce qui concoui
à cette fin. ^
II. — Ses bornes : elle est limitée par ces devoirs mêmes. Les parents
ne doivent pas traiter leurs enfants comme une chose ; ils n'ont pas
sur eux droit de vie et de mort ; ils ne peuvent les vendre comme esclaves ;
ils ne doivent pas les traiter avec brutalité, les corrompre, les déshériter,
à moins qu'ils n'aient manqué gravement aux devoirs de la piété filiale,
car le bien familial doit naturellement revenir aux continuateurs de la
famille ; les violenter dans le choix qui regarde leur mariage ou leur
carrière.
81. — DEVOIRS DES ENFANTS (*)
I. — Envers leurs parents : ces devoirs se ramènent à la piété
filiale qu i comprend :
A) L'affection, la reconnaissance et le respect.
( •) Ch. Antoine, Cours d'Économie sociale, Part. I, Ch. iv, art. I, p. 105-106 de la 6» édi-
tion mise à jour par H. du Passage, Paris, 1921. Le texte cité a été ajouté par ce dernier.
Du même auteur voir, dans les Éludes, 1919, T. CLIX, p. 733-739, un article intitulé :
Le vole des femmes. — Joseph Barthélémy, Le vote des femmes. — H. Reverdy, Le vote
des femmes, dans La Croix, 24 février 1922, p. 3, col. 1. — J. Donat, Ethica specialis, n. 542-
548, Inspruck, 1921 '. — J. Le Coulteux du Molay, Les Droits politiques de la femme,
Paris, 1913. — L. Abensour, Histoire générale du Féminisme, des origines à nos jours,
Paris, 1921.
( ») M. d'Hulst, Conférences de Notre-Dame, 1894, IV« Conférence. — Rochard, Nos
fils et nos filles.
( ') J. DU Plessis de Grenedan, Histoire de l'autorité paternelle et de la société familiale
en France avant 1789. — A. Matignon, La paternité chrétienne. — Legouvé, Les pères et
les enfants. — F. NicoLAT, Les enfants mal élevés. — G. Bonjean, Enfants révoltés et parents
coupables.
( *) M. d'Hulst, Conférences de Notre-Dame, 1894, V» Conférence.
I
(82-83) DEVOIRS DES PATRONS ET DES OUVRIERS 217
B) L'obéissance, excepté le cas où les ordres seraient contraires
à la loi morale. Les enfants doivent consulter leurs parents pour le
choix de leur futur conjoint ou de leur carrière. L'opposition des parents
au mariage de leurs enfants ne constitue, d'après le droit naturel et le
droit canonique, un empêchement ni dirimant ni prohibant. Le Code
civil (article 148) exige au contraire le consentement des parents, pour
les fils jusqu'à vingt-cinq ans et pour les filles jusqu'à vingt et un ans
accomplis. Ce désaccord est regrettable.
Les enfants ont le droit de suivre leur vocation, que les parents
peuvent éprouver avec sagesse, mais qu'ils doivent respecter (67,
§ III, C, 3° ). ' — La loi d'obéissance n'a pas la même force quand l'enfant
est devenu majeur, mais toute la vie il doit amour et déférence.
C) Assistance en cas de besoin,
IL — Entre eux : ils doivent s'aimer et rester unis, s'entr'aider :
Frater qui adjuvatur a jratre quasi civitas firma (^).
82. — DEVOIRS DES MAITRES ET DES SERVITEURS (2)
L'ensemble des rapports entre maîtres et serviteurs constitue la
société hérile {herus, maître) et donne naissance à des devoirs réciproques :
I. — Devoirs des maîtres : ils doivent choisir des serviteurs
honnêtes, veiller à leur moralité, remplir fidèlement^les engagements pris,
les traiter avec bonté, comme faisant partie de la famille [domestici).
IL — Devoirs des serviteurs: ils doivent à leurs maîtres respect, fidélité
et dévouement à remplir les conditions de leurs contrats de service.
83. - DEVOIRS DES PATRONS ET DES OUVRIERS e)
1. — Patrons : 1^ lis doivent respecter dans l'ouvrier la dignité
de la personne humaine.
2» Ils ne doivent pas l'assujettir à un travail excédant la limite de
ses forces.
P> (*) Livre des Proverbes, XVIII, 19.
'^ ( ') BouRDALOUE, Scrmon sur les devoirs des maîtres el des domestiques. — M. d'Hulst,
Conférences de Noire-Dame, 1894, VI'' Conférence.
( ') Ch. Périn, Le patron.- L. Harmel, Manuel d'une corporation chrétienne. — H. Brice.
Les institutions patronales, leur état actuel, leur avenir. — Le Play, La réforme sociale.
L. IV. L'organisation du travail. Les ouvriers européens, T. I. — Cl. Jannet, Le Socialisme
d'État. — Discours de Mgr Fre^pel, Association catholique, 15 nov. 1886, T. XXII, 525-534,
— R. Lavollée, Classes ouvrières en Europe. — A. Fougerousse, Patrons et ouvriers deParis,
— Ch. Antoine, Cours d'Économie sociale, Ch. xii, art. IV. — Léon XIII, Encycl. De
conditione opifîcum.
218 COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : MORALE DOMESTIQUE (83)
3° Ils doivent lui accorder le repos nécessaire pour remplir ses devoirs
religieux.
4° Ils doivent lui payer un salaire capable de subvenir aux besoins
d'un travailleur sobre et honnête (128, § B).
II. — Ouvriers : 1° Ils doivent accomplir consciencieusement le
travail auquel ils se sont engagés.
2° Ils ne doivent léser leur patron ni dans ses biens ni dans sa per-
sonne.
3^ Ils ne doivent pas employer la violence pour faire valoir leurs
revendications.
Tels sont les principaux devoirs qui résultent, pour le patron et pour
l'ouvrier, du simple contrat de travail. Des rapports entre le patron
et l'ouvrier naît la société patronale. De là découlent d'autres devoirs :
vg. le patron doit donner le bon exemple à ses ouvriers, veiller sur eux,
les assister dans leurs besoins ; l'ouvrier doit au patron reconnaissance
et déférence, etc.
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
MORALE DOMESTIQUE
Lamy (Et.), La femme de demain^ Paris, 1901.
FoNSEGRiVE (G.), Mariage et union libre, Paris, 1904.
Sortais (G.), La crise du libéralisme et la liberté d^ enseignement^
Paris, 1904.
Lemaire (R.), Le mariage civil, Paris, 1905.
RoGUENANT (A.), Patrons et ouvriers, Paris, 1907.
Sertillanges (A.-D.), Féminisme et Christianisme, Paris, 1907.
Pennacchio (P.), La legge sul divorzio in Italia nelle sue molteplici
questioni religiose, etiche, giuridiche, storiche, fisiologiche, sociale, Rome,
1908.
Duprat (G.-L.), La criminalité dans V adolescence, Paris, 1909.
Feydeau (Fr. de). L'émancipation de la femme mariée dans la Légis-
lation contemporaine, Paris, 1909.
Richard (G.), La Femme dans Vhistoire, Paris, 1909.
Villien (A.), Divorce, dans Diction.naire de Théologie catho-
lique, de Vacant-Mangenot, 1911, T. IV, col. 1455-1478.
Taudière (H.), Famille, dans Dictionnaire d'Apologétique,
de d'Alès, 1911, T. I, col. 1871-1897.
Sortais (G.), Ulnslruclion : Rôles de la Famille, de VÉglise et de
VEtat dans V instruction ci réducation de Venfant, dans Dictionnaire
d'Apologétique, de d'Alès, 1911, T. I, col. 917-930.
(84) LA SOCIÉTÉ 219
III'"*^ SECTION
MORALE CIVIQUE
84. — LA SOCIÉTÉ (M
I. — Définitions : 1° Société en général : c'est une union de per-
sonnes qui tendent à une même fin par des moyens communs.
2° Société civile ou politique : c'est une union de personnes constituée
en vue du bien commun, c'est-à-dire en vue d'obtenir la prospérité
temporelle, sous la direction d'une autorité reconnue.
II. — Éléments : la société contient un double élément :
i° Matériel : ce sont les membres de la société, la multitude.
2° Formel : c'est la coordination des volontés pour un bien commun.
— Outre cet élément idéal et abstrait, il y a un second principe formel
concret qui dirige efficacement les volontés vers le bien commun : l'auto-
rité, qui est un principe d'unité et d'action.
III. — Fin : elle consiste dans la poursuite du bien temporel public,
c'est-à-dire la réalisation des conditions nécessaires pour que les citoyens
aient la possibilité d'atteindre leur vrai bonheur temporel (^).
IV. — Termes analogues : !« État : c'est un mot équivoque, qui
signifie tantôt : a) la société tout entière, multitude et autorité, gouver-
nants et gouvernés ; b) le pouvoir, Vautorité, le gouvernement.
{ M AuiSTOTE, Politique. — S. Thomas, De Regimine Principum. — Tapahrlli, Traité
de Droit naturel, L. II sqq. — L. JouiN, Elementa philosophise moralis, P. IV, Sect. II. —
S. SCHiFFiNi, Disputationes philosophise moralis. T. II, Disput. IV», V"^. — J. Rickaby
Moral Philosophy, L. II. — Cii. Périn, Les lois de la société chrétienne. — R. de Cepada
Éléments de droit naturel, Leçons XLIV sqq. — Pascal (de), Philosophie sociale, L. III,
Sect. III«. — Caro, Problèmes de morale sociale. — Fabreguettes (L.), Société, État,
Patrie. — R. Worms, Organisme et société. — J.-Cr. Bluntschli, Histoire du droit public
E. Beaussire, Les principes du droit, L. II. — Spinoza, Tractatus theologico-politicus. —
BONALD (DE), La législation prim.itive. — Proudhon, L'Église et la Révolution. — A. Comte,
Cours de philosophie positive. Leçons LVI et LVII. Système de Politique positive, T. II,
Ch. V. — H. Spencer, Introduction à l'étude de la sociologie. Principes de Sociologie. —
SCH^FFLE (Alb.), Vie et structure du Corps social. — Fouillée, La Science sociale conlem
poraine. — P. Janet, Histoire de la Science j^oHlique dans ses rapports avec la morale. —
Le Play, La Réforme sociale, L. VII. — H. Michel, L'idée de l'État. — Patten, The
Iheory of social forces. — Ch. Antoine, Cours d'économie sociale, I" P., I" Sect., Ch. i-ni.
— LÉON XIII, Encycliques Diuturnum. Immortale Dei. — A. Castelein, Droit naturel, V.
— Ch. Benoist, L'organisation du travail. — Belot, Bernés, etc.,. Voraie sociale. — G. Jel-
LiNEK, L'État moderne et son droit. (Trad. G. Fardis).
( ') Cf. Ch. Antoine, Cours d'Économie sociale. Ch. i. Art. 3.
220 ORIGINE DE LA SOCIÉTÉ (85)
20 Nation : c'est une société fondée sur une communauté d'origine,
de territoire, de mœurs et de sentiments.
3° Patrie : c'est la nation considérée comme attachée à un certain
sol (patria telliis) et comme subsistant à travers les siècles en vertu de
cette communauté d'origine, etc. (Ps. 45).
85. — ORIGINE DE LA SOCIÉTÉ
^ A. ~ LA SOCIÉTÉ EST UN ÉTAT CONTRE NATURE
HoBBES (1) et Rousseau (^) ont prétendu que la société n'est pas
un état naturel à l'homme. Pour Hobbes, l'état naturel, c'est l'état de
guerre : Beïliim omnium in omnes. Pour y mettre fin, les hommes se
sont unis et rapprochés au moyen d'une convention. Mais ce n'est là
qu'un rapprochement accidentel né de la crainte. Rousseau a imaginé
une double hypothèse :
10 La bonté originelle de l'homme : « L'homme naît bon ; la société
le déprave « ; elle n'est donc pas naturelle.
2° L'état de nature : primitivement l'homme vivait heureux, indé-
pendant, en dehors de toute société. L'inégalité des aptitudes amena
l'inégalité des conditions ; de là débordement des passions et conflits
perpétuels. Pour ne pas périr, mais échapper à cet état violent, les
hommes se décidèrent à conclure un pacte social, à former une société
qui protégeât par la force commune la personne et les biens de chacun.
Les citoyens associés, c'est-à-dire le peuple, aliènent leurs droits au profit
de la communauté et investissent du pouvoir de leur commander ceux
qu'ils choisissent pour mandataires. C'est la théorie du peuple souverain :
tout pouvoir émane de lui directement ou indirectement. Cette souve-
raineté est essentiellement inaliénable ; les gouvernants sont les commis
du peuple, toujours révocables à son gré. Si les mandataires refusent de
résilier leurs fonctions, le peuple peut les contraindre par la force armée.
La conséquence c'est donc l'anarchie toujours en perspective.
Cette théorie suppose l'unanimité des citoyens ; mais comme cette
unanimité est irréalisable, on se contentera de la majorité. C'est la sou-
veraineté du nombre ; c'est la majorité qui exercera le pouvoir par elle-
même ou ses représentants. La majorité ne connaît pas plus de limites
( M Hobbes, De Cive, C. i ; Levialhan, C. xiii. — Cf. G. Sortais, La Philosophie
moderne depuis Bacon jusqu'à Leibniz, T. II, p. 368-372.
( ') J.-J. Rousseau, Du contrat social, L. I. —J. F. Nourrisson, Rousseau et le Rousseau-
isme. — G.-F. Berthier, Observations sur le Contrat social de J.-J. Rousseau. — F. Atoer,
Essai sur l'histoire des doctrines du Contrat social.
(85) ORIGINE DE LA SOCIÉTÉ 221
à son pouvoir que l'unanimité : la loi, obligatoire et légitime, sera l'ex-
pression de la volonté générale. Elle devient la source de tous les droits ;
c'est ainsi que chaque citoyen ne tiendra plus que de la communauté
les droits qu'il lui a cédés. La majorité devient seule interprète du contrat
social et peut traiter à sa guise la minorité. La théorie aboutit donc
d'autre part à l'organisation d'une tyrannie, d'autant plus effroyable
que ses excès sont répartis sur une multitude anonyme. Telle est la
doctrine du droit nouveau : la société est un fait humain, plus ou moins
artificiel ; le peuple est la source du droit, du pouvoir, du juste et de
l'injuste. C'est la souveraineté du nombre, du peuple, de l'homme, substi-
tuée à la souveraineté de Dieu.
§ B. — LA SOCIÉTÉ EST UN ÉTAT NATUREL (i)
L — Le prétendu état de nature imaginé par Hobbes et Rousseau
est un état contre nature. « Gomment ! l'homme est partout en société,
dit Montesquieu, et l'on demande s'il est né pour la société ? Qu'est-ce
qu'un fait qui se reproduit dans toutes les vicissitudes de la vie humaine,
sinon une loi de l'humanité ? » La société est un fait universel ; elle ne
peut donc avoir pour fondement que la nature même de l'homme.
IL — Pour établir que la sociabilité est naturelle à l'homme, il suffit
d'analyser ses tendances et ses besoins :
A) L'enfant est incapable de subsister et de pourvoir à son éducation
physique, intellectuelle et morale pendant une longue période de sa
vie. De ce chef, une société élémentaire, la famille au moins, est néces-
saire.
B) L'instinct de sympathie pour ses semblables et la faculté de
parler sont des preuves manifestes de la sociabilité de l'homme (Ps. 42).
C) L'homme est porté à constituer une société plus vaste que la
famille par une double tendance, naturelle et irrésistible, l'instinct
de conserver son être et l'instinct de le développer le plus possible. C'est
le besoin de sécurité pour l'exercice de ses droits et le besoin de progrès
matériel, intellectuel et moral qui poussent à entrer en société. C'est
en effet sous l'empire de ces nécessités pressantes que les familles s'asso-
cient. Plusieurs familles, associées pour cette œuvre commune de
défense et de perfectionnement, forment une tribu. Celle-ci grandit,
travaille, prospère : elle devient un peuple. Voilà ce qu'attestent les
faits et l'étude psychologique de l'homme. La société est donc bien
(M Vareilles-Sommières (de), Les principes fondamentaux du droit, XII-XVII.
I Pascal (de). Philosophie sociale, L. III, Sect. III», Ch. in.
222 ORIGINE DE LA SOCIÉTÉ (85)
un état naturel, puisqu'elle est conforme à la nature de l'homme ; elle
est conséquemment d'origine divine, puisque Dieu est l'auteur de
l'homme et de ses tendances. Aristote avait vu plus juste que Rousseau
quand il disait : « L'homme est un animal politique. » "AvOpwTroç oucr£t|
TTOX'.TIXOV ÎIÔJOV ( ).
III. — Il n'y a pas trace historique du prétendu contrat social.
IV. — La théorie du contrat social aboutit à des conséquences
désastreuses : l'anarchie ou le despotisme ((^ § A).
V. - — Cette théorie repose sur la supposition que l'homme ne peut
être obligé qu'avec son consentement. Cette supposition est fausse :
l'homme, par le fait même de sa naissance, n'a-t-il pas des obligations
envers Dieu, ses parents, ses semblables ? L'homme peut donc être lié
moralement, en dehors de son consentement, parce que certaines obli-
gations sont fondées sur la nature des choses.
VI. — Elle a pour base une hypothèse : la sauvagerie primitive de
l'homme. Si par ce mot l'on veut dire que les premiers hommes ne
jouissaient pas des bienfaits et des inconvénients de la civilisation,
c'est vrai, car elle est l'œuvre des siècles ; mais, si par là on entend des
hommes d'une intelligence grossière, malpropres, cruels, tels que les
sauvages actuels qu'on représente comme les types de l'homme primitif,
c'est faux. En effet :
A) La tradition place au berceau du monde un âge d'or.
B) Certains anthropologistes rejettent cette hypothèse.
C) Le sauvage actuel n'est pas l'homme primitif arrêté dans son
évolution, mais un être dégradé. On allègue sa cruauté et son immo-
ralité ; mais, au milieu des nations les plus civilisées, il existe des hommes,
véritables brutes par leurs instincts cruels et dépravés ; témoins les
horreurs de la Révolution française et du Bolchevisme en Russie. Chez
les sauvages les plus dégénérés comme les Fuégiens, on trouve des indices
de leur ancienne civilisation : un de leurs dialectes est riche de trente
mille mots. D'autres, comme les Mincopies, ont des conceptions reli-
gieuses supérieures à celles des Grecs et des Romains {^).
Conclusion : !« Le fait universel de l'existence de la société a sa
cause dans les exigences de la nature (conservation et développement
des facultés) et dans l'insuffisance de l'individu et de la famille à les
satisfaire pleinement : la société vient de la Providence par V intermédiaire
de la nature. C'est un fait nécessaire, universel, qui s'applique à l'immense
(') Aristote, PolUique, L. I, Ch. i, § 9. Édit. Didot, T. I, p. 483.
( ') F. ViGOUROUX, Les Livres saints et la critique rationaliste, T. IV, L. I, Soct.
Ch. VI.— Nadaillac (de), Les Séris, Correspondant, Î901, T. II, p. 1106-1124. — J. Guibem
Les origines, Ch. vu.
(86) ORIGINE DU POUVOIR 223
majorité des hommes ; la vie érémitique sera toujours une exception
minime.
2° Le fait de la formation individuelle et concrète de chaque société
avec ses caractères distinctifs, position géographique, nombre, forme
politique, etc., vient d'une série d'actes humains. C'est un fait libre
et variable : il vient de la Providence par l'intermédiaire de la liberté.
L'homme n'est pas créé nécessairement pour telle patrie ou tel régime
politique, mais pour vivre en société.
86. — ORIGINE DU POUVOIR (i)
Comme pour l'origine de la société, il faut distinguer deux questions :
1» Uorigine de V autorité en général. — 2° L origine de telle autorité
en particulier.
I. — Origine de l'autorité en général, c'est-à-dire du pouvoir
de commander et de gouverner. L'autorité, étant un élément essentiel
à toute société, dérive comme elle de la nature des choses et par là de
Dieu. C'est pourquoi saint Paul a dit : « t'eut pouvoir vient de Dieu. »
Non est enim potestas nisi a Deo {^).
La raison en est que nul homme n'a en soi de quoi lier la volonté
de ses semblables, parce que tous sont égaux en nature. Les différences
accidentelles qui les séparent, d'où naît l'inégalité des conditions, ne
peuvent fonder le droit de commander et le devoir d'obéir, parce qu'elles
sont relatives et variables, tandis que le devoir et le droit sont absolus
et immuables. Le fondement de l'autorité est donc dans la volonté de
Dieu, qui exige que l'ordre social soit respecté. Aussi tout pouvoir
légitime, quelle que soit sa forme : monarcJiique ou démocratique, est
( •) s. Thomas, De regimine principum. — Suarez, Defensio Fidei calholicse et apos-
tolicse adrersus angUcanse sectse errores, L. III, C. n, in, iv. De legibus, L. III, C. m, iv.
— Bellarmin, Dispulationes de Controversiis Fidei, Controvers. V, L. III, De Laids,
C. VI. — BossuET, Politique tirée de l'Écriture Sainte, L. II. — J. Costa-Rossetti,
Philosophia moralis, P. IV, C. i, Sect. II. — L. Jouin, Elementa philosophise moralis,
P. IV, Sect. II, L. I, C. I, II. — S. SCHiFFiNi, Dispulationes philos, moralis, T. II, Disp. IV,
Sect. V, VI, VII, VIII. — M. B., Inslilutes de Droit naturel. L. IX, Ch. iv. — Tapahelli,
Essai théorique de droit naturel, L. II, Ch. v-vin. Examen critique des Gouvernements
représentatifs dans les Sociétés modernes, T. I, Partie III. Traduction Pichot. —
R. DE Cepeda, Éléments de droit naturel. Leçons 60 et 61. — J.-J. Burlamaqui, Principes
de droit politique. Partie I, Ch. yi. — J.-H. Bœhmer, Introductio in jus publicum univer-
sale... — Vareilles-Sommières (de), Les principes fondamentaux du droit, §§ XX XVI et
suiv. — M. d'IIulst, Conférences de Notre-Dame, 1895, U« Conf. — J. Ventura, Essai
sur le pouvoir public. Ch. vi, vu. — Balmès, Le protestantisme comparé au catholicisme,
Ch. XLix, L. — F. Engels, Les origines de la société. — A. Ferretti, Institutiones Philo-
sophise moralis. Part. Il, C. m, Art. IV, § IV.
( ') S. Paul, Ep. ad Romanos, XIII, 1.
224 ORIGINE DU POUVOIR (86)
de droit divin. On voit donc que cette doctrine, dont on a fait un épou-
vantai!, n'a rien de commun avec la théocratie, forme de gouvernement
dans laquelle Dieu intervient directement pour désigner le sujet du pou-
voir, comme il a fait exceptionnellement pour Moïse, Saiil, David.
II. — Origine de l'autorité concrète : quelle est la cause effi-
ciente prochaine qui constitue la société et détermine le sujet du pouvoir?
D'après Suarez, Bellarmin, Lessius et généralement d'après les Scolas-
tiques (^), cette cause prochaine c'est le consentement commun explicite
ou implicite donné par l'ensemble de ceux qui composent le corps social.
Vivre en société étant naturel à l'homme et la société étant impossible
sans autorité, Dieu, qui veut la société , veut en même temps son élément
indispensable, l'autorité. Aussi Dieu communique-t-il immédiatement
le pouvoir à la communauté qui désire s'établir en société, parce qu'il
n'y a pas de raison, tous les membres de la communauté étant égaux en
nature, pour qu'on suppose le pouvoir inhérent à l'un plus qu'à l'autre {^).
Mais, comme ce pouvoir ne saurait être exercé par la communauté tout
entière, parce que tous ne peuvent gouverner, il est nécessaire et naturel
que la communauté détermine la forme spéciale de gouvernement qui
lui convient et désigne celui ou ceux qui seront les sujets où résidera
l'autorité sociale. Elle le fait en adhérant, par un consentement exphcite
ou implicite, à tel ou tel régime politique, selon ses préférences : monar-
chie, oligarchie, démocratie et systèmes mixtes, où chacun de ces trois
éléments entre pour une dose plus ou moins grande. Sous une forme ou
sous une autre, ceux qui ont le pouvoir le tiennent de Dieu, mais par
l'intermédiaire du peuple qui les choisit. Les faits, qui servent ^'occasion
à cette détermination concrète du pouvoir, varient suivant les circon-
stances : c'est vg. la supériorité du génie, les services rendus, le pouvoir
patriarcal bien exercé, la conquête, etc.
III. — Critique : le système de Suarez et de Bellarmin à rallié la
grande majorité des théologiens et philosophes scolastiques {^) jusque
(■) Vareilles-Sommières (de), Les principes fondamenlaux du droit, § 38-39. —
E. Crahay, La politique de S. Thomas d'Aquin.
(») Secundo nota banc potestatem immédiate esse, tanquam in subjecto, in tota mulli-
tudine ; nam baec potestas est de jure divine. At jus divinum nulli homini particulari dédit
hanc potestatem ; ergo dedil multiludini. Praeterca, sublato jure divino, non est major
ratio cur ex multis œqualibus unus potius quam alius dominetur. Igitur potestas est totius
multiludinis. (Bellarmin, Disputationes de Controversiis Fidci, Controversia generalis V,
L. III, C. VI). — Cf. Suarez, Defensio Fidei..., L. III, C. ii, § 5 sqq. — R. de Scorraille,
François Suarez, L. IV, Ch. iv, § 5, T. II, p. 178-182, Paris, 1913). — Vareilles-Sommières
(i)E), Les principes fondamentaux du Droit, § XXXVIII, Paris, 1889.
C) On trouvera la liste des principaux dans : Les Catholiques en face de la Démocratie
et du Droit commun, par G. Sortais, Paris, 1914, p. 234-239.
I
(86) ORIGINE DU POUVOIR 225
vers le milieu du xix^ siècle (^). 11 ne jouit pas aujourd'hui de la même
faveur {^).
Sans doute, ce système ne s'impose pas, mais il reste parfaitement
admissible (^), même pris dans son ensemble. Cependant il nous paraît
naturel d'y distinguer deux assertions, qui sont, de leur nature, sépa-
rables et n'ont pas une égale solidité. Il est donc loisible de rejeter la
première, en conservant la seconde.
Le « Docteur éminent » soutient d'abord qu'à l'origine de toute
société politique, partout et toujours, le peuple est le premier sujet de
l'autorité qui lui vient immédiatement de Dieu. Cette assertion, malgré
les raisons apportées par Suarez pour l'appuyer, nous semble contes-
table. Voici, à rencontre, un argument entre plusieurs autres. On ne
voit pas qu'il y ait une nécessité impérieuse de supposer que la multi-
tude, qui n'est pas encore constituée en corps politique, mais se dispose
à le faire, soit d'ores et déjà nantie de l'autorité. Car, de l'aveu même
de Suarez (*),le peuple est habituellement contraint par les circonstances
de se dessaisir du pouvoir, en totalité ou en partie, pour le confier à un
seul ou à une élite, c'est-à-dire pour établir une monarchie ou une aris-
tocratie qu'il peut tempérer à son gré. Assurément, le peuple a le droit
de garder pour lui seul l'autorité reçue de Dieu, c'est-à-dire de se consti-
tuer en démocratie. Mais les patrons de cette thèse sont les premiers
à reconnaître que les conditions, qui rendent le régime purement démo-
cratique viable, sont rarement réalisées. De là, pour la multitude,
l'obligation pratique de se dépouiller elle-même du pouvoir en le trans-
mettant totalement ou partiellement à un monarque ou à une oligarchie.
Or n'est-il pas étrange, pour ne pas dire contradictoire, que Dieu ait
conféré au peuple un pouvoir aussi précaire et une prérogative dont
l'usage plénier est le plus souvent impraticable ? (^)
La première assertion du système nous semble donc illusoire et
partant caduque. La seconde, au contraire, est solide et amplement
justifiée : le consentement de la multitude est nécessaire pour déter-
( M Jusqu'à, l'apparition de l'ouvrage de L. Taparelli d'Azeglio, Saggio teorMico di
Diritto naturale appoggialo sul falto, L. II, C. v-ix, Naples, 1846. La traduction française
(Essai théorique de Droit naturel basé sur les faits) est de 1857, Paris et Tournai.
( *) Cf Th. Meyer, Inslitutiones Juris naturalis. Part. II. Jus naturale spéciale, T.
II, n» 395 sqq., Fribourg-en-Brisgau, 1900.
( ') On a vainement essayé de montrer que le système de Suarez a été désapprouvé
implicitement par Léon XIII dans l'Encyclique Diuturnum illud. Cf. G. Sortais, Les Catho-
liques en face..., L. III, Sect. I, Quest. III, p. 199-240. — F. Gavallera, Suarez et la doctrine
catholique sur l'origine du pouvoir, dans Bulletin de Littérature ecclésiastique,
Toulouse, 1912, p. 97-119.
(•) Suarez, De Legibus, L. III, C. iv, § 1, 8. — Cf. Bellarmin, Controv. V, L. III,
C. VI, § Tertio.
(°) Vareilles-So.mmières (de). Les Principes iondamentau.x du Droit, § XXIX.
traité de philosophie. — t. II. — 8.
226 ORIGINE DU POUVOIR . (86)
miner la forme du gouvernement ou pour légitimer un pouvoir de
fait {^). Dans ce cas, le peuple n'est plus, comme tout à l'heure, le pos-
sesseur primitif de l'autorité. Mais, de même que tout particulier est
libre de choisir le genre spécial de vie qui lui agrée, ainsi chaque peuple
peut choisir la forme de gouvernement qui est à sa convenance et qu'il
juge la meilleure pour la sauvegarde de ses droits et de ses intérêts.
D'autant que les gouvernements sont pour les peuples, et non les peuples
pour les gouvernements {^). Le rôle de la multitude consiste à indiquer
quels seront les sujets du pouvoir ; mais c'est Dieu qui investit de l'auto-
rité les sujets ainsi désignés.
Cette désignation est, selon les circonstances variables de temps,
de lieux et de personnes, explicite ou implicite.
Elle est explicite quand le peuple se réunit pour constituer une
société politique et déterminer par un choix direct le sujet de l'autorité.
Elle est implicite et indirecte, et c'est sans doute le mode le plus
ordinaire, quand le peuple accepte tacitement la souveraineté d'un
seul ou de plusieurs.
IV. — Conûrmation historique : l'histoire montre, en effet,
que ;( tout gouvernement légitime se réduit, généralement parlant, en
dernier titre, à un consentement ou acquiescement exprès ou tacite
des peuples » {^).
L'origine des sociétés a revêtu des formes variées. Ce fut d'abord
la forme patriarcale qui se changea en société politique. Ce changement
fut la conséquence de la multiplication des familles provenant d'une
même souche. Le passage de la société domestique à la société poli
tique s'est fait insensiblement par le consentement tacite des familles
particulières qui se sont soumises aux actes d'autorité sociale d
patriarche ou de celui qui lui avait succédé.
Mais ce n'est pas la seule façon dont les sociétés prirent naissance
( M Le cardinal L. Billot résume très bien la question ainsi : « In hoc tandem summa
rei reponitur, quod gubcrnii forniic, et tituli exercendœ potestatis, et potestas ipsa prout
in determinatis subjectis exsistens, non sunt a Deo immédiate, sed solum mediante consens»
humano, consensu communitatis, et ex dictis apparet sententiam ad hos terminos reductan
solidissimis niti fundamentis (Tractaivs de Ecclcsia ChrisH..., T. I, Quaest. XII, § I, n. III
p. 503, Prato, 1909*). Toute la question est magistralement traitée, p. 498-511.
( ') " Pour que la justice préside toujours à l'exercice du pouvoir il importe avant tou'
que les cbcfs des États comprennent bien que la puissance politique n'est faite pour servi
l'intérêt privé de personne et que les fonctions publiques doivent être remplies pour l'avan
tape, non de ceux qui gouvernent, mais de ceux qui sont gouvernés. » (Léon XIII, Encv^cl
Diutumum illud, 29 juin 1881, § Ut autem justilia).
(') Cardinal Gerdil, Du Souverain, de la Souiwrainelé et des Sujets, dans Analect.
JuBis PoNTiFicH, 1855, !'• Série, col. 36. — Cf. A. Matignon, La société civile d'apri
Suarez, dans les Études, 1866, T. XI, p. 6. — R. de Cepeda, Éléments de Droit naturel
Leçon LXI, p. 53'».
(S6) ORIGINE DU POUVOIR ' 227
Tantôt les descendants d'un patriarche, ayant le droit de se soustraire
à son autorité, ont formé une société distincte sur un autre territoire,
vg. dans Fantiquité, fondation des colonies méditerranéennes. —
Tantôt des tribus indépendantes, mues par le besoin d'assistance
mutuelle, se sont fondues en une société plus vaste : vg. fondation de
Rome, de l'Empire germanique. — Tantôt les vaincus reconnurent
le joug des vainqueurs et fusionnèrent avec eux : vg. en Angleterre,
après la conquête normande. — Tantôt un contingent de familles,
fuyant la persécution, est allé constituer une société nouvelle dans un
coin inoccupé : vg. royaume des Asturies, émigration des puritains
d'Angleterre en Amérique (origine des États-Unis). — Tantôt l'en-
semble des citoyens d'un pays accepta la tutelle d'un gouvernement
usurpateur qui s'était établi par la force brutale d'un coup d'État, mais
avait fini par s'implanter et se faire pardonner son usurpation grâce
à une administration équitable et bienfaisante (87, II).
L'adhésion populaire ne joue pas, dans la constitution du pouvoir,
le rôle de cause efficiente, mais seulement celui de condition. Quand le
consentement est acquis, Dieu confère l'autorité à celui ou à ceux que
le peuple a désignés.
V. — Remarques : A) Que la collation de l'autorité soit faite immé-
diatement par Dieu lui-même, ou qu'elle le soit par l'intermédiaire de
la multitude, cette controverse a surtout un intérêt spéculatif. Dans la
pratique, le résultat est le même. Balmès, partisan du système suarézien,
l'a remarqué depuis longtemps : « Soit que l'on embrasse l'opinion de
la communication immédiate, aoit qu'on embrasse l'opinion contraire,
les droits suprêmes des monarques héréditaires, des monarques électifs,
et, en général, de toutes les puissances suprêmes, quelles que soient
les formes de gouvernement, n'en seront pas moins sacrés, moins scellés
d'une autorité divine (^). »
Il importe de remarquer que Bossuet, dont les idées en matière
politique ont été si souvent travesties (2), reconnaît qu'il y a « deux
manières d'établir les rois », à savoir, « ou par le consentement des
peuples, ou par les armes » (^). Bien plus, à ses yeux, comme pour
Suarez, le fait des conquêtes iniques n'est légitimé que « par le consen-
tement des peuples » (**), et même le droit des « conquêtes légitimes »
se ramène finalement au consentement populaire : « Ainsi on voit que
(M Balm];;s, Le Proteslanlis^ne comparé au Catholicisme dans ses rapports avec la civi-
lisation européenne, trad. française, Ch. li, T. III, p. 108, Paris, 1844.
( -) Bossuet, Avertissements aux Protestants sur les Lettres du ministre Jurieu, V",
§§ XXXVI-XLIX. Politique tirée des propres paroles de l'Écriture sainte, L. II, Art. I,
Proposition I. L. III, Art. II, Propos I. — Cf. René de l.v Broise, Bossuet et la Bible,
Ch. VIII, § 2, p. 226-2-27, Paris, 1890.
(»-*) Bossuet, Politique..., L. II, Art. I, Proposition IV, au début et à la fin.
228 ORIGINE DU POUVOIR (86)
ce droit de conquête, qui commence par la force, se réduit, pour ainsi
dire, au droit commun et naturel, du consentement des peuples et par
la possession paisible. Et l'on présuppose que la conquête a été suivie
d'un acquiescement tacite des peuples soumis, qu'on avait accoutumés
à l'obéissance par un traitement honnête, ou qu'il était intervenu quelque
accord.... (^) »
B) La doctrine de Suarez diffère complètement de la théorie de
Rousseau :
1° D'après Suarez, la société est naturelle à l'homme ; Dieu est la
source du pouvoir, le peuple n'en est que le canal. — D'après Rousseau,
la société est artificielle (^), le peuple est la source du pouvoir.
2° D'après Rousseau, le peuple est le détenteur permanent de l'auto-
rité, et ses représentants sont des délégués révocables ad nutum, car
ils sont ses « commissionnaires » (^). — D'après Suarez, hors le cas où
il se constitue en démocratie et garde conséquemment le pouvoir pour
lui-même, le peuple ne reste plus le maître de l'autorité, une fois qu'il
l'a transférée à un monarque ou à une élite. En effet, ■( si le peuple a cédé
son pouvoir à un roi qui l'a accepté, par le fait même le roi a acquis
la souveraineté. Donc, quoique le roi tienne cette souveraineté du
peuple par donation ou par contrat, il ne sera point pour cela permis au
peuple d'enlever au roi cette souveraineté et de reprendre sa liberté» (^).
Cela doit s'entendre dans l'hypothèse où « le roi a reçu du peuple le
pouvoir pleinement et absolument » (^).
Il en irait autrement dans l'hypothèse d'un contrat limitatif passé
entre le roi et le peuple, ou en cas de tyrannie. « Ce que Bellarmin a dit,
à la suite de Navarrus (^), à savoir que le peuple ne transfère jamais
sa puissance à un prince tellement qu'il ne la retienne pas par manière
d'habitude, afin de pouvoir s'en servir en certains cas, n'est point
contraire à notre opinion et ne fournit pas aux peuples un motif fondé
de recouvrer la liberté selon leur caprice. Car Bellarmin n'a pas dit
simplement que le peuple conserve le pouvoir par manière d'habitude
pour accomplir n'' importe quels actes selon son caprice et chaque fois qu''il
le veut, mais, avec beaucoup de circonspection, Bellarmin a limité
son dire à certains cas. On doit comprendre ces cas, soit d'après les
conditions stipulées dans un contrat antérieur, soit selon les exigences
') BossuET, Politique..., L. Il, Art. II, Pr. II à la fin.
;*) Rousseau, Du Contrat social, L. I, Ch. v, vi, viii.
; ') Rousseau, Du Contrat social, L. III, Ch. xv, xvii.
♦) Suarez, Defensio Fidei..., L. III, C. m, § 2.
;») Suarez, Deiensio Fidei..., L. III, C. m, § 4.
: •) Il s'agit de Martin de Azpilcueta, surnommé Navarrus, à cause de sa province
d'origine. Il enseigna avec éclat le Droit canonique à l'Université de Coïmbre. Le passage,
auquel Suarez fait allusion, se trouve dans Relectio in cap. Novit. de Judiciis, § 119, 120.
(86) ORIGINE DU POUVOIR 229
de la justice naturelle, parce que les pactes et les conventions justes
doivent être observés. C'est pourquoi, si le peuple a transféré son
pouvoir à un prince en se réservant de l'exercer pour quelques causes
ou affaires graves, il peut s'en servir licitement dans ces cas et conserver
son droit. Mais il faudra que des documents anciens et certains ou une
coutume immémoriale attestent suffisamment l'existence d'un tel droit.
Pareillement, si un roi tourne sa puissance juste en tyrannie, on abusant
au préjudice manifeste de la société, le peuple peut user pour sa défense
du droit qu'il tient de la nature, car il ne s'en est jamais dépouillé.
En dehors de ces cas et autres semblables, il n'est jamais permis au
peuple, s'appuyant sur son pouvoir, de manquer à la fidélité due à un
roi légitime. De la sorte disparaît le fondement ou occasion de toute
sédition... » (^)
C) Le Droit divin : la doctrine du Droit divin a été prise en deux
sens différents. Dans le premier sens, on entend simplement par là
que le pouvoir politique ou autorité vient de Dieu, quelle que soit la
forme concrète (monarchie, aristocratie ou démocratie) qu'il revête
dans la réalité. La chose est évidente pour qui admet que l'autorité,
étant nécessaire à toute société, est de droit naturel. Or tout ce qui est
de droit naturel vient de Dieu comme auteur de la nature. C'est la doc-
trine exposée ci-dessus (§ I).
Dans le second sens, ce n'est pas seulement la souveraineté en
général qui a sa source en Dieu. Le souverain lui-même est donné par
Dieu : ce n'est pas un choix humain, c'est un choix divin qui détermine
à l'origine dans chaque État la forme du gouvernement et le sujet du
pouvoir (2). Cette opinion, n'ayant d'appui ni dans l'histoire, ni dans
la raison, ni dans la révélation, n'a aucune probabilité. Car il est mani-
feste que, si l'auteur de la nature a fait l'homme pour la société, il ne
lui a imposé aucune forme de gouvernement en particulier et, sauf
le cas extraordinaire de la théocratie juive, il ne choisit pas lui-même
les souverains. Aussi une pareille thèse n'a pu trouver de défenseurs
que parmi les partisans des droits régaliens, juristes ou théologiens.
Depuis la défection de Luther, elle fut très en faveur à la cour des rois,
parce qu'elle les proclame indépendants non seulement de l'autorité
du Pape, mais de toute autorité terrestre : lieutenants de Dieu, qui
les a investis de leur pouvoir, les Princes ne relèvent que de Dieu et
(M SuAREZ, Defensio Fidei..., L. III, C. iir, § 3.
( ') Beaucoup s'imaginent à tort que Bossuet patronne cette fausse théorie du Droit
divin. II est sans doute partisan de la monarchie bcTéditaire et absolue qu'il regarde comme
le meilleur des gouvernements {Polilique..., L. II ); sans doute, encore, il ne croit pas,
comme Bellarmin et Suarez, que la souveraineté réside d'abord dans le peuple {Cinquième
avertissement aux Protestants, § XLIX) ; mais, avec eux, il admet, comme on l'a vii.
l'intervention du consentement populaire.
230 LES GOUVERKEMENTS DE FAIT (87)
n'ont de compte à rendre qu'à Lui seul. Cette absence de responsabilité
en ce monde favorisait singulièrement le despotisme.
Jacques P'", roi d'Angleterre, s'était fait, dans ses écrits (^), le cham-
pion décidé de la thèse régalienne. Il exigeait de ses sujets catholiques
un serment de fidélité qui impliquait la négation de la primauté du
Souverain Pontife et de son droit d'excommunier les rois. Deux Brefs
de Paul V condamnèrent ce serment. Jacques I^^ en prit la défense {^).
Successivement Bellarmin et Suarez réfutèrent les prétentions du
monarque anglais. La réponse de Bellarmin (^) est un opuscule de tout
point remarquable. Celle de Suarez est une œuvre monumentale, où
le Docteur cminent fait preuve d'une vaste érudition et d'une grande
vigueur de raisonnement (*). Les ouvrages de Bellarmin et de Suarez
furent brûlés publiquement à Londres par l'ordre de la Cour (^).
87. — LES GOUVERNEMENTS DE FAIT
L — Attitude : quelle est la conduite à tenir à l'égard de l'usur-
pateur d'un pouvoir légitimée, à l'égard d'un gouvernement de fait ?
Le souverain légitime ayant seul droit à l'autorité, il est permis au
peuple de chercher à renverser l'usurpateur, pourvu que la tentative
ait des chances sérieuses de réussir. Mais supposons l'usurpateur soli-
dement établi, voici les droits et devoirs réciproques :
(') Basilicon Doron, L. I, p. 137, dans les Opéra omnia de Jacques I«', Londres, 1619,
2' édition, en latin. — Jus Liberse Monarchise, Ibidem, p. 181 sqq. — Cf. G. Sortais, La
Philosophie moderne depuis Bacon jusqu'à Leibniz, T. I, p. 122-123, 167-169. — Avant
Jacques I", les princes allemands, au temps de Louis de Bavière, soutenaient la même
doctrine.
( ») Triplici nodo triplex cuneus site Apologia pro juramenio ftdelitatis, dans ses Opéra
omnia, p. 237 sqq. — Cf. G. Sortais, Les Catholiques en face de la Démocratie..., p. 17 et
note 2.
(•) Apologia Roberli S. R. E. Cardinalis Bellarmini pro Responsione sua ad librum
Jacobi, Magnœ Britanniœ Regix..., Rome, 1609. — Cf. lintéressanl ouvrage de J. de la
Servière, De Jacoho I Anglisr rege cum Cardinali Roberio Bellanyiino S. J. super potestate
cum regia Itim ponlificia disputante (1607-1009), Paris et Poitiers. 1900.
( •) Defensio Fidei Calholicie et Apostolicae adversus Anglicanœ sectse errores, cum Res-
ponsione ad Apologiam pro juramento fidelilatis et Preefationem monitoriam Serenissimi
Jacobi Angliœ Régis... Ad Screnissimos tolius Christinyii Orbis Catholicoa Reges et Prin-
cipes. In fol., 780 pp. Coïmbrc, 1613. Souvent réimprimé. — ■ Dans l'édition des Opéra
de Suarez par Vives, la De/ensio remplit le tome XXIV, Paris, 1859. — Cf. R. de Scorraille,
François Suarez, L. IV, Ch. iv : « Defensio Fidei », T. II, p. 165-221.
( ') Cf. G. SoRTAi.«, La Philosophie moderne..., T. I, p. 144-147. — Il faut noter que
Bellarmin et Suarez n'ont pas imaginé le système de la collation immédiate de l'autorité
au peuple pour faire échec à la thèse de Jacques I"' et des juristes régaliens. Suarez a bien
soin de faire rciiiarriuer que la doctrine «lu'il soutient est depuis longtemps reçue dans
l'École : Fst antiqua recepta (Defensio Fidei..., L. III, C. ii, § 2). Cf. G. Sortais, Les
Catholiques..., Loco cHato, p. 239-240.
(87) LES GOUVERNEMENTS DE FAIT 231
A) De l'usurpateur : 1° Il a l'obligation de restituer le pouvoir au
souverain dépossédé.
2o II a le devoir de pourvoir au bien commun.
30 II a le droit d'employer la force, si elle est nécessaire, pour pro-
téger les intérêts de la société, mais non pour défendre la possession
de son autorité.
B) Des sujets : l*' Ils ont le droit d'exiger de l'usurpateur qu'il pour-
voie au bien de la société, parce qu'elle ne peut pas vivre sans autorité.
2o Ils ont le devoir d'obéir à l'usurpateur et de lui prêter concours
dans tout ce qui est nécessaire au bien commun des citoyens, au maintien
de Yordre cUnl.
3° Ils ne peuvent lui prêter concours dans Vordre politique^ dans ce
qui pourrait confirmer son autorité usurpée.
C) Du souverain dépossédé : 1» Comme de fait il ne possède pas
l'autorité sociale, il ne peut légiférer, administrer la justice, bref, exercer
les fonctions de l'autorité civile, parce que ce conflit jetterait le trouble
dans la société.
2° Mais, comme il retient le droit à posséder l'autorité, il peut, pour
la recouvrer, exiger l'aide de ses sujets, pourvu que cette tentative
soit réalisable et n'entraîne pas, pour la société, de plus graves dom-
mages que l'abstention, car le droit social et l'intérêt général l'emportent
sur le droit et l'intérêt particuliers du souverain.
II. — Légitimation de l'autorité usurpée : quand il ne reste
plus au souverain dépouillé aucun espoir solide de recouvrer ses droits,
l'obligation de fidélité cesse par le fait même chez les sujets. Le peuple
peut alors reconnaître, soit explicitement, soit implicitement, le sou-
verain de fait ; le prince légitime ne peut en effet vouloir, pour conserver
ses droits, le malheur de la société ; c'est pourquoi celle-ci est déliée
de toute obligation envers lui. Cette doctrine n'est que le corollaire de
ce principe évident : la raison d'être du pouvoir politique est le bien de
la société ; les princes sont pour les peuples et non les peuples pour les
princes.
Si le peuple ne reconnaît pas l'usurpateur, alors celui-ci n'exerce
qu'un pouvoir de fait. Mais, avec le temps, ses successeurs pourront
acquérir la légitimité. Il est impossible de dire combien de temps est
nécessaire à cette prescription ; c'est une question d'appréciation, qui
dépend des circonstances : il s'agit de savoir si le régime nouveau est
conforme ou non au bien général du pays. Si oui, il faut le conserver ;
— si non, ou bien, le pouvoir déchu est encore restaurable et alors on
doit travailler à sa restauration ; ou bien il ne l'est pas, et alors on doit
travailler à améliorer le régime nouveau, parce que l'intérêt de la patrie
prime l'intérêt des partis. Si ce nouveau pouvoir « s'acquitte heureu-
sement de sa fonction protectrice, si l'assentiment populaire se prononce
232 FORMES DIVERSES DE GOUVERNEMENT (88)
en sa faveur, le temps viendra où son existence de fait recevra la consé-
cration du droit, car rien n'est éternel de ce qui est humain et la vacance
de l'autorité légitime ne saurait durer toujours (^). » Que cette pres-
cription doive avoir lieu, la société l'exige impérieusement pour vivre,
car, tant que l'autorité n'est qu'une autorité de fait, la société est dans
un état anormal et violent. Cette prescription n'a pas sa source dans
l'injustice commise par l'usurpateur, mais dans le besoin essentiel de
paix et de sécurité, qu'a toute société pour vivre.
88. — FORMES DIVERSES DE GOUVERNEMENT (2)
I.e mot Gouvernement signifie :
1° La partie du corps social qui exerce les fonctions du pouvoir.
Le mot État s'emploie aussi dans ce sens.
2^ La forme spéciale que revêt l'autorité sociale. C'est en ce sens
que le mot est pris ici.
I. — Formes de Gouvernement : on distingua trois formes, selon
que le sujet du pouvoir est la multitude elle-même, une élite de citoyens
ou un seul homme. Le gouvernement constitué par la multitude s'appelle
Démocratie ; celui constitué par une élite, Aristocratie ; enfin celui
constitué par un seul. Monarchie^ Royauté ou Empire. Ces trois formes
se rencontrent soit à Vétat pur, soit à Vétat mixte :
1° Formes à l'état pur. — La Démocratie à Vétat pur, c'est le gouver-
nement où, dans l'ordre social, rien ne se fait que par la volonté du
peuple. 'U Arislocralie à Vétat pur, c'est le gouvernement où, dans l'ordre
social, rien ne se fait que par la volonté d'une élite. Enfin la Monarchie
à Vétat pur, c'est le gouvernement où, dans l'ordre social, rien ne se fait
que par la volonté d'un seul. Dans ces trois sortes de régimes politiques
le pouvoir souverain vient de Dieu : tous les trois sont également de
droit divin et également légitimes en soi.
2° Formes à l'état mixte : ce sont les formes dans lesquelles les
éléments monarchique, aristocratique et démocratique s'unissent et se
tempèrent dans des proportions diverses. I^'une de ces formes s'appelle
la monarcliio constitutionnelle et représentative. Cette sorte de monarchie
(') M. d'Hulst, Conférences de Notre-Dame, 1895, II« C, p. 36.
( *) Aristote, Politique, L. III, Ch. iv, v. — Taparelli, Examen critique des gouver-
nements représentatifs... Essai théorique de Droit naturel..., L. II, Ch. ix. — Vareille-Som-
MiÈRES (DE), Les Principes fondamentaux..., XXVIII. — M. B., Insiitutes..., L. IX, Ch. vi
Th.Meyer, Instilutiones Juris naturalis. Part. II, Sect. III, L. I, C. il. Art. 3, n. 431 sqq.
— A. Castelein, Droit naturel, V, Thèse 21. — R. de Cepeda, Éléments de Droit naturel.
Leçons 63-65.
É
(89) INFÉRIORITÉ DES FORMES A l'ÉTAT PUR 233
n'est, au lund, sauf l'étiquette, qu'une démocratie tempérée. En effet,
dans ce système, le roi règne et ne gouverne pas. La puissance executive
est aux mains des ministres responsables, qui la conservent tant qu'ils
obtiennent une majorité suffisante auprès des représentants du peuple.
Le ministère renversé, le roi doit en composer un nouveau, qui puisse
tenir devant les Chambres. Sans doute, il peut user du droit de disso-
lution., mais c'est un moyen périlleux et facilement usé. et du droit
de y-'eto ; mais, pratiquement, il en est presque toujours réduit à signer
les lois votées par les Chambres.
Il ne faut pas confondre cette forme avec la Monarchie tempérée :
dans celle-ci la puissance executive et la puissance législative appar-
tiennent au roi ; mais son pouvoir est limité par des institutions variant
avec les divers pays : vg. par des États généraux qui votent des subsides
et font des remontrances, par des Cours de justice qui peuvent s'opposer
à l'enregistrement des édits royaux, etc.
IL — Forme la meilleure ? De toutes ces formes, légitimes en soi,
quelle est la meilleure ?
1» Pratiquement : celle qui, au moment où l'on parle, est la mieux
adaptée au caractère, aux traditions et aux besoins d'un pays, et par
conséquent est la plus apte à procurer le bien social. Il faut se rappeler
d'ailleurs le mot de J. de Maistre : « Les peuples ont le gouvernement
qu'ils méritent. »
2o Théoriquement : les avis sont très partagés. Platon {^) se prononce
pour l'Aristocratie des sages ou Sophocratie ; Aristote (2), pour une
République composée de deux classes de citoyens ; Montesquieu {^)
montre une grande sympathie pour la Monarchie constitutionnelle de
l'Angleterre ; Rousseau (*), pour une Démocratie pure et simple. Nous
allons rechercher quelle est l'opinion de saint Thomas.
89. — INFÉRIORITÉ DES FORMES A L'ÉTAT PUR
Comparant entre elles les trois formes à l'état pur, saint Thomas
arrive aux conclusions suivantes :
L — Si l'on se place au point de vue le plus important, celui du
principe (ï unité qui doit entretenir l'union des citoyens entre eux et
avec le souverain, c'est le régime monarchique qui l'emporte. « La
( M Pi,ATON, Râpublique, L. VI.
{-) AiusTOTE, Politique, L. VII, Ch. viii.
( ') Montesquieu, De l'Esprit des Lois, L. XI, Ch. v, vi.
( ^) Rousseau, Du Contrat social. 1,. III.
234 I>JFÉRIORITÉ DES FORMES Al'ÉTAT PUR (89)
meilleure ordonnance d'une cité ou d'un peuple quelconque, c'est d'y
être gouverné par un roi ; car la royauté reproduit le mieux le gouver-
nement divin, en vertu duquel un seul Dieu régit le monde depuis le
commencement {^). y Le principe d'unité, étant naturel au régime monar-
chique, s'y exerce plus efficacement pour le bien commun. Vient ensuite
le régime aristocratique, parce que l'unité de direction y est plus diffi-
cilement réalisée. Vient enfin le régime démocratique, parce que cette
unité y est très difficilement réalisable (^).
II. _ Si l'on considère, du point de vue social, les inconvénients
et ahiis d'autorité, l'ordre précédent doit être renversé.
Sans doute, « la royauté est le meilleur régime pour un peuple, si
elle ne se corrompt pas'. Mais, à cause de la grande puissance concédée
au roi, la royauté dégénère facilement en tyrannie, à moins que ne soit
parfaite la vertu de celui auquel une telle puissance est concédée...
Mais la vertu parfaite se trouve chez peu de personnes... (3) ». Or une
royauté tyrannique est le pire des régimes politiques. Car, « sous le
régime injuste, plus il y a d'unité dans le pouvoir, plus le régime est
malfaisant. La tyrannie royale est donc plus malfaisante que la tyrannie
oligarchique, et la tyrannie oligarchique que la tyrannie démocra-
tique (*). »
Après ces raisons, saint Thomas conclut : « Donc de tous les régimes
qui tournent à l'injustice, le plus tolérable c'est la démocratie, le pire,
c'est la royauté devenue tyrannique (^). »
IIL — Si l'on demande enfin dans laquelle de ces trois formes.
les citoyens s' intéressent davantage au bien commun, saint Thomas répond
( M Sed optima ordinatio civitatis vel populi cujuscumque est ut gubernetur per regem,
quia hujusmodi regnum maxime reprœsentat divinum regimen, (juo unus Deus mundum
gubernat a principio. (S. Thomas, Summa théologien. I" II^S Quacst. CV, Art. I, Object. -z").
( -) S. Thomas, De Regimine Principum, L. I, C m. Le texte latin sera cité à la note 4.
— On sait que des quatre Livres qui composent cet opuscule, saint Thomas n'a rédigé lui-
même que le 1^' et le 2"^^ jusqu'au milieu du Chapitre iv : Opporiunum est igitur. Le reste
est l'œuvre d'un disciple, Ptolkmée de Lucques. Cf. de Ruheis, Dissertationes critica:'
in Sanclum Thomam, Dissertât. XXII, C. i, § 3. — P. Mandonnet, Bibliographie thomiste,
p. XX, Le Saulchoir, Kain (Belgique), 1921.
(») ...Regnum est optimum regimen populi si non corrumpatur. Sed, propter magnaiu
potestatem quae régi conceditur, de facili regnum dégénérât in tyrannidem, nisi sit perfecta
virtus ejus cui talis potestas conceditur... Perfecta autcm virtus in pauçis invenitur...
(S. Thomas, Summa theologica, Ibidem, ad 2"">).
(«) Sicut igitur in regimine justo, quanto regens est magis unum, tanto est utilius
regimen, ut regnum melius sit quam aristocratia, aristocratia vcro quam politia ; ita, e
converso erit et in injuste regimine, ut videlicet, quanto regens est magis unum, tanto
magis sit nocivum. Magis igitur est nociva tyrannis quam oligarchia, oligarchia autem
quam democratia. (S. Thomas, De Regimine. ., L. I, C. m. Cf. un autre argument. Ibidem,
SAniplius.)
(') Quodsi in injustitiam déclinât regimen, expedit magis quod sit multorum, ut sit
debilius et se invicem impediant. Intcr injusta igitur regimina tolerabilius est democratia,
pessimum vero tyrannis. (S. Thomas, De Regimine..., L. I, C. m).
(90) SUPÉRIORITÉ DES FORMES A l'ÉTAT MIXTE . 235
que, sous ce rapport, l'aristocratie et la démocratie remportent sur
la monarchie : « La plupart du temps il arrive que les hommes vivant
sous la domination d'un roi travaillent mollement pour le bien commun,
persuadés d'avance que tout ce qu'ils font dans l'intérêt général ne
leur profite pas, mais à un autre, à celui qui a sous sa dépendance les
avantages communs. Au contraire, quand ils voient que le bien commun
ne dépend pas d'un seul, chacun le considère, non plus comme le bien
d'un autre, mais comme le sien propre (^). »
Conclusion : il résulte de ce qui précède que les trois formes de gou-
vernement à l'état pur ont chacune de graves déficits, que l'on peut
résumer ainsi : la Monarchie dégénère facilement en tyrannie, l'Aristo-
cratie, en oligarchie et la Démocratie, en démagogie. Il en résulte ensuite
qu'aux yeux du Docteur -Angélique, chacun de ces régimes politiques
est légitime, malgré les inconvénients auxquels il est exposé.
90. — SUPÉRIORITÉ DES FORMES A L'ÉTAT MIXTE
I. — Raison de cette supériorité : elle ressort de ce qui vient d'être
dit (89). La Monarchie, l'Aristocratie et la Démocratie considérées
absolument, sans emprunts réciproques pour remédier à leurs défauts
propres, exigent, pour être viables et bienfaisantes, un ensemble de
conditions qui se trouvent très difficilement réunies. Aussi ces trois
formes de gouvernement ont-elles très rarement existé à l'état pur.
La force même des choses a fait généralement prévaloir le régime mixte,
où les éléments monarchique, aristocratique et démocratique sont mêlés
dans des proportions diverses.
Sans doute, en cette matière contingente, dont la détermination
est subordonnée à mille circonstances variables de temps, de lieux
et de personnes, l'Église n'impose aucune manière de voir et de faire (^).
La forme du gouvernement est laissée au libre choix, implicite ou expli-
cite (86, III), du peuple qui décide à ses risques et périls. Mais il est inté-
ressant de noter que les philosophes et théologiens catholiques s'accor-
(') Pleruinque aaïuque contingit ut hoinines sub rege viventes sesnius ad bonum
commune nitaiitur, utpole aestimantes id quod ad bonum commune impendunt, non sibi
ipsis conferre, sed alteri sub cujus potestate vident esse bona communia. Cum vero bonum
commune non vident esse in potestate unius, non attendunt bonum commune quasi a(!
id quod est alterius, sed quilibet attendit ad illud quasi suuin. (S. Thomas, De Regimine...
L. I, C. IV).
( ^) " Dans cet ordre d'idées spéculatif, les catholiques, comme tout citoyen, ont pleine
liberté de préférer une forme de gouvernement à l'autre, précisément en vertu de ce qu'au-
cune de ces formes socialesne s'oppose, par elle-même, aux données de la saine raison, n;
236 SUPÉRIORITÉ DES FORMES A l'ÉTAT MIXTE (90)
dent avec saint Thomas pour dire que la forme mixte est en soi la meil-
leure forme de gouvernement.
Parmi les diverses combinaisons auxquelles le mélange des éléments
démocratique, aristocratique et monarchique peut donner naissance,
examinons celle qui a obtenu les préférences du Docteur angélique.
II. — Forme mixte préférée par saint Thomas : il commence
par formuler les deux principes qui vont diriger son choix : « Pour la
bonne ordonnance de ceux qui commandent dans une cité ou dans
une nation, il faut considérer deux choses. La première est que tous
aient quelque part au principat ou commandement. De la sorte se
conserve la paix du peuple, et tous aiment l'ordre ainsi établi et s'en
font les gardiens, comme dit Aristote {Politique^ L. II, C. vi, § 15).
La seconde, est de considérer la forme du régime ou ordonnance des
pouvoirs (^). »
Ces principes directeurs étant posés, saint Thomas en déduit la
combinaison suivante : « Par suite, la meilleure ordonnance de ceux
qui commandent dans une cité ou dans un royaume est celle où un
seul préposé selon la vertu (^) peut présider à tout, et où, sous lui,
quelques-uns sont établis chefs selon la vertu. Cependant ce principat
appartient à tous, soit parce que ceux qui l'exercent peuvent être élus
du milieu de tous, soit parce qu'ils sont élus par tous. Telle se présente
toute constitution politique harmonieusement composée de royauté,
en tant qu'un seul est à la tête ; d'aristocratie, en tant que beaucoup
commandent selon la vertu, et de démocratie, c'est-à-dire le pouvoir
du peuple, en tant que ceux qui commandent sont éligibles du milieu
du peuple et qu'au peuple appartient l'élection de ceux qui commandent.
C'est là ce qui fut institué par la loi divine, car Moïse, etc.. (^). »
aux maximes de la doctrine clirélienne. » (ÎjÉon XIII, Lettre au Clergé de France, 10 février .]
189'2). — « Nous avons déjà rappelé que l'Église a toujours laissé aux nations le souci de
se donner le gouvernement qu'elles estiment le plus avantageux pour leurs intérêts. ••
fPiE X, Lettre sur le Sillon, § D'ubordson catholicisme. — Cf. G. Sortais, Les Catholiques...,
L. I. § II. p. 13-14).
(M Circa bonam ordinationem principum in aliqua civitate vel gente, duo sunt atten-
denda : quorum unum est ut omiies aliquam partem habeant in principatu ; per hoc cnim,
conservatur pax populi et omnes taiem ordinationem amant et custodiunt, ut dicitur
(Politic, L. II. C. VI). Aliud est quod attenditur secimdum speciem regiminis vel ordina-
tionis principatuum... (S. Thomas, Summa iheologica, I» 11"% Q. CV, Art. I).
(2) Voir plus bas le sens de celle expression : § Il faut... p. 236.
(') Unde optima ordinatio principum est in aliqua civitate vel regno, in quo unus
prœlicitur secundum virlutem, qui omnibus proesit, et sub ipso sunt aliqui principautés
secundum virtutem ; et tamen talis principatus ad omnes pertinel, tum quia ex omnibus
eligi po.ssunt, tum quia ab oninibus eliguntnr. Talis vero est omnis politia benc commixta
ex regno, in quantum unum prrcesl, ex aristocratia, in (luantum multi principantur secun-
dum virlutem, et ex democratia, id est potestate i)opuli, in (juantum ex popularibus
possunt eligi principes, et ad populum pertinet eleclio principum. P^t hoc fuit institutum
secundum legem divinam, nain Moyses... (S. Thomas, Summa iheologica, Ibidem).
(90) SUPÉRIORITÉ DES FORMES A l'ÉTAT MIXTE 237
Si l'on soumet à l'analyse cette forme mixte de gouvernement,
il est facile d'en dégager le caractère et les éléments essentiels.
Il faut d'abord un chef qui possède seul le pouvoir souverain. Or le
pouvoir souverain consiste, d'après saint Thomas, dansNla faculté de
faire la loi. Aussi le chef est-il établi pour gouverner selon la vertu,
<-'. c'est-à-dire selon que, dans sa sagesse, il juge bon de régler souverai-
nement toutes choses, n'étant lié ou limité par rien, dans son action,
sinon par les lois de la raison, de la sagesse et de la vertu » (^). Saint
Thomas évite à dessein de dire selon la loi, car un pouvoir, qui est soumis
à une loi dont il n'est pas l'auteur ou qu'il n'a pas le droit d'abolir,
n'est pas un pouvoir souverain, mais dépendant et subordonné. Le
pouvoir souverain est celui qui fait la loi. Il est clair que saint Thomas
n'est point partisan d'une monarchie parlementaire, dans laquelle le
roi, simple chef de l'exécutif, est sous la dépendance d'une majorité
changeante qui lui impose ses volontés.
Mais saint Thomas ne veut pas non plus une monarchie absolue,
dans laquelle le roi détient tous les pouvoirs sans contrepoids modé-
rateur. Aussi place-t-il, immédiatement au-dessous du monarque, une
élite, qui, elle aussi, doit exercer l'autorité selon la vertu. Ses membres
seront des chefs subalternes. Subalternes, parce qu'ils sont sous la
dépendance du Chef suprême qui porte les lois d'intérêt général. Chefs,
cependant, parce qu'ils jouissent d'une souveraineté relative pouvant
faire la loi dans les limites qui leur sont assignées.
Saint Thomas accorde, enfin, une part assez large à l'élément démo-
cratique : ceux qui font la loi et commandent sont élus par le peuple
et peuvent être choisis dans ses rangs. Mais le peuple n'est pas souverain,
puisqu'il n'a pas le pouvoir législatif ; il contribue seulement à déter-
miner le souverain en désignant le ou les sujets en qui résidera le pouvoir
de légiférer. Celui ou ceux que le peuple a désignés ne sont pas ses
mandataires, et n'ont pas de comptes à lui rendre, car il ne leur a conféré
aucun pouvoir.
III. — Nature du suffrage universel admis par saint Thomas : il
accorde à tous les citoyens ou membres politiques du corps social le
suffrage actif, c'est-à-dire le droit de voter, et le suffrage passif, c'est-
à-dire le droit d'être élus. Saint Thomas affirmant que les femmes
n'appartiennent pas proprement au corps social {^), leur dénie par là même
le droit de vote et l'éligibilité.
Il convient de noter que saint Thomas étend l'éligibilité au Chef
(') Th. -M. PÈGUE3, La théorie du, pouvoir dans saint Thomas, dans Revue Thomiste,
1911, p. 611.
{-) ...Mulieies, quitus non competit simpliciter esse cives. (S. Thomas, Summa Iheolo-
gica, I» II»% Q. CV, ArL. III, ad 2"'", à la fin. Cf. ad 3""').
238 SUPÉRIORITÉ DES FORMES A l'ÉTAT MIXTE (90)
suprême, mais sans déterminer si le peuple doit choisir un chef héré-
ditaire ou un chef électif dont le pouvoir soit simplement viager. « Saint
Thomas dissocie donc là le principe monarchique du principe dynas-
tique : le principe monarchique est sauf pour lui, du moment que repré-
senté par un individu qui gouverne vraiment en chef, bien qu'assisté
de conseils et contrôlé (M. )'
Si le peuple use mal du droit de suffrage, c'est-à-dire s'il en use au
détriment du bien public, « au point de n'avoir plus qu'un suffrage
vénal et de confier le pouvoir à des hommes vicieux et scélérats, c'est
justice d'enlever à ce peuple le pouvoir de conférer les honneurs, et
de le remettre aux mains d'un petit nombre d'hommes bons » (2).
Mais c'est là une mesure exceptionnelle motivée par un abus grave
et criant, car le désir formel du Docteur angélique est que le peuple
joue aussi un rôle politique : « que tous aient quelque part dans le gou-
vernement. »
Conclusion. — Telle est la constitution politique esquissée par
saint Thomas : ses préférences sont pour une monarchie tempérée.
Comme il estime avec raison que l'autorité, si elle est divisée entre
plusieurs, manque d'efficacité et d'esprit de suite, il la confie à un seul
qui prend les décisions. Mais, sachant que l'intelligence de l'homme
est bornée et que son cœur est sujet aux égarements, il a grand soin,
pour que le pouvoir du Chef suprême ne devienne pas tyrannique,
de l'entourer de collaborateurs, pris dans l'élite, dont le rôle est d'éclairer
et de modérer son action. Enfin, par le système électif, le peuple a
participé à la constitution du souverain. Si, malgré ces précautions, le
souverain gouverne en tyran, saint Thomas ne laisse pas le peuple
sans défense contre lui. (106, § C).
En traçant cette esquisse, saint Thomas s'est renfermé dans les lignes
générales : il s'est abstenu à dessein de descendre aux traits particuliers,
parce que leur détermination dépend des circonstances qui varient avec
les temps et les pays.
Plusieurs théologiens ou philosophes catholiques, en traitant cette
question après le Docteur angélique, ont opté (comme c'était leur droit)
pour une combinaison différente. Mais ils s'accordent très généralement
avec lui pour professer qu'en soi la meilleure forme de gouvernement
est la forme mixte, c'est-à-dire celle où les éléments démocratique,
aristocratique et monarchique se tempèrent mutuellement. On voit
(M B. ScuWALM, Démocralie, dans Inctionnaire de rhéologie catholique (V-A-CANT-
Mangenot), t. IV, col 282.
{') Citation de S. Augustin (De Libero Arbilrio, C. vi) rapportée et approuvée par
S. Thomas, Summa iheologica, I' II»^ Q- XCVII, Art. I.
(91) LA DÉMOCRATIE : POINT DE VUE SOCIAL 239
€ombien est mal fondée l'accusation, portée quelquefois contre l'Église,
de favoriser l'absolutisme politique {^).
91. - LA DÉMOCRATIE {')
On peut envisager la démocratie du point de vue social ou du point
de vue politique :
§ A. ~- LA DÉMOCRATIE AU POINT DE VUE SOCIAL
C'est « une organisation de la société, dans laquelle toutes les forces
sociales, juridiques et économiques, en possession de leur plein déve-
loppement hiérarchique et dans la proportion propre à chacune d'elles,
coopèrent de telle sorte au bien commun que le dernier résultat de leur
action tourne à l'avantage plus particulier des classes inférieures {^). »
Ainsi entendue là démocratie se confond avec l'ordre social lui-même,
parce qu'elle a pour fin générale, comme toute société, le bien commun,
et pour fin spéciale, d'une façon particulière, le bien du peuple qui a
plus besoin de secours que les autres catégories de citoyens. Une société
sera organisée démocratiquement si toutes les forces sociales convergent
à la protection et à l'élévation de la classe populaire.
Pour défendre et réaliser cette conception, il s'est formé une École
qui a pris le nom de Démocratie chrétienne. Elle compte quelques dis-*
ciples qui sont tombés dans l'exagération et l'erreur : ce sont les enfants
terribles du groupe.
Nous emprunterons le résumé de ce qui est certainement accep-
table dans cette doctrine à M. Toniolo (*), professeur de sociologie
à l'Université de Pise. Il en a formulé les points fondamentaux sous
forme de propositions :
Première proposition : « Il y a une démocratie chrétienne qui, dans
son concept essentiel, s'identifie avec la notion même de l'ordre social
fondé sur le devoir. Elle est caractérisée par la double fin à laquelle
( M Pour plus de détails sur l'opinion de S. Thomas, voir le remarquable article du
P. PÈGUES, cité plus haut (p. 237, n. 1 ), et G. Sortais, Les Catholiques..., L. III, Quest. II,
p. 172-198.
( =) G. GOYAU, Autour du Catholicisme social. — M. Turmann, Le développement du
Catholicisme social depuis l'Encyclique Rerum novarum. — G. Fonsegrive, Catholicisme
et Démocratie. La Crise sociale. — Ch. Antoine, Cours d'Économie sociale, Ch. x, Art. IV.
— Toniolo, La notion chrétienne de la Démocratie. — M. Sangnier, L'esprit démocratique.
— Gayraud, Les démocrates chrétiens. — ■ J.-E. Fidao, Le droit des humbles. — G. de La-
MARZELLE, Démocratie sociale, politique, chrétienne.
(') Ch. Antoine, Cours d'Économie sociale, Ch. x. Art. IV, p. 279-280, Paris 1908*.
{*) G. Toniolo, La Notion de la Démocratie, Paris, Maison de la Bonne Presse, 1898.
240 LA DÉMOCRATIE : POINT DE VUE POLITIQUE (91)
elle tend : i° Le bien proportionnel de toutes les plasses sans exception.
— 2° Et, parla même, un soin spécial du bien des multitudes qui ont
plus besoin de tutelle et de secours de la part de la société. Le moyen
normal d'atteindre ce second but est l'organisation hiérarchique de la
société. »
Deuxième proposition : « En ce qu'elle a d'essentiel, la démocratie
ne se confond avec aucune forme de gouvernement ou de régime poli-
tique. Au point de vue social, le gouvernement le plus démocratique,
quelle que soit sa forme politique, monarchie, oligarchie ou république,
sera celui qui, en prenant soin des intérêts de tous, fera davantage pour
le peuple. »
Troisième proposition : « Au point de vue strictement social, la
démocratie chrétienne n'exclut, ni ne diminue, ni ne bouleverse en
aucune façon la hiérarchie naturelle et historique des classes ; elle
n'engendre entre celles-ci ni scission, ni opposition. «
La raison en est que la démocratie chrétienne requiert le concours
effectif de tous pour r-éaliser le bien commun, dans la mesure des apti-
.tudes et des ressources de chacun. Elle maintient donc la distinction
et la hiérarchie des classes, parce que cette distinction et cette hiérarchie
sont fondées sur la nature des choses ; mais, d'autre part, en prenant
un soin tout particulier des petits, elle facilite leur ascension aux classes
supérieures, sans heurt et sans révolution. Cette façon d'aller au peuple
«et d'entendre la démocratie chrétienne a été approuvée par Léon XIII (^)
et Pie X (2) : « L'action démocratique chrétienne étant basée sur la justice
et la charité évangéliques a un champ tellement vaste, que, comprise
et pratiquée suivant la lettre et l'esprit du Saint-Siège, elle répond
aux plus généreuses activités des catholiques et renferme, toute pro-
portion gardée, l'action même de l'Église parmi le peuple (^). «
^B. — LA DÉMOCRATIE AU POINT DE VUE POLITIQUE {«)
C'est le régime où chaque citoyen, étant investi de droits politiques,
participe à la confection des lois et au gouvernement de son pays.
(M LÉON XIII, Encyclique Graves de communi, 18 janv. 1901.
( ') Pie X, Molu proprio du 18 déc. 1903. Cf. Roure, dans la revue les Éludes, T. XCI,
p. 298 sqq.
( ') Instruction de la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires, 21 janv.
1902.
( *) Prins (Ad.), La Démocratie et leRégime parlementaire. — Ussel (d'), La Démocratie
et ses conditions morales. — E. Lavisse, A. Croiset, etc., L'Éducation de ta Démocratie. —
Appell, Boitel, etc., Enseignement et Démocratie. — E. d'Eichthal, Souveraineté du
peuple et Gouvemonent. — J. Valmor, Conditions et limites du gouvernement par la majorité.
— G. DE Lamarzelle, Démocratie et Égalité, dans le Correspondant, juin et juillet 1906. —
C. BouGLÉ, Les idées égalitaires. La démocratie devant la science. — G. Deschamps, Le
I
(91) LA DÉMOCRATIE : POINT DE VUE POLITIQUE 241
Mais, dans un pays un peu étendu, le gouvernement direct du peuple
par le peuple est impraticable. On est obligé de recourir à la forme
indirecte ou représentative : le peuple se gouverne par les représertants
qu'il a clhoisis.
I. — Avantages du régime démocratique :
1° Il donne aux citoyens toute la liberté compatible avec l'ordre
public.
2^ Il stimule dans les gouvernés le sentiment de la dignité person-
nelle et de la responsabilité, en augmentant la participation de chacun
au gouvernement.
3° Il favorise le développement de l'activité, de l'efîort, de l'ini-
tiative individuelle, en faisant profession de ne reconnaître d'autre
supériorité que celle des services, du mérite et du talent, en ouvrant
à tous l'entrée des plus hautes charges.
4° Il offre, en soi, une garantie plus efficace des droits de chacun,
parce que chacun est admis à les faire valoir.
b° Il permet de prévenir ou de réprimer plus facilement certains
abus, parce que, dans une démocratie, une part plus large est faite à
la liberté de discussion et au contrôle qu'exercent l'opinion et la rivalité
implacable des partis.
n. — Inconvénients du régime démocratique :
1» Les moyens répressifs, d'une part, étant plus limités, la liberté
accordée au déploiement des forces individuelles, d'autre part, étant
plus grande, le vice et le désordre trouvent dans une société démocra-
tique un terrain propice à leur expansion.
20 La facilité d'admission à toutes les fonctions publiques et la
grande diffusion d'une instruction superficielle ouvrent la porte aux
ambitions les moins raisonnables et provoquent une concurrence
effrénée.
3° Dans son engouement pour l'égalité sous toutes les formes, la
tendance démocratique est l'ennemie de toute supériorité, si bien qu'on
malaise de la Démocratie. — E. Vacherot, La Démocratie libérale. — • Summer Maine,
On popular government. — E. Naville, La Démocratie représentative. Mémoire lu à l'Aca-
démie des Sciences morales et politiques les 20 et 27 novembre 1880. Tir6 à part. Genève, 1881 .
— F. -T. Perrens, De la Démocratie en France au Moyen Age. — - E. de Laveleve, Le
gouvernement dans la Démocratie. — Thomas-Erskine May, La Démocratie en Euroije. —
J. Barni, La Morale dans la Démocratie. — V. Maumus, L'Église et la Démocratie. — An.
Leroy-Beaulieu, La Papauté, le Socialisme et la Démocratie. Christianisme et Démocratie.
— B. Gaudeau, La fausse Démocratie et le Droit naturel.
242 LA DÉMOCRATIE : ATTITUDES EXTRÊMES (91)
a pu dire, sans proférer un paradoxe, que la démocratie est le « règne
des médiocrités ».
4° Le régime étant fondé sur le suffrage universel, une importance
excessive est accordée à la loi brutale du nombre : la démocratie favorise
la tyrannie des majorités.
5° L'extrême mobilité de l'opinion et la grande impressionnabilité
du suffrage populaire conduisent aisément à l'anarchie, ou du moins
à des changements perpétuels qui empêchent toute réforme durable
à l'intérieur et tout esprit de suite à l'extérieur.
§ C. — ATTITUDES EXTRÊMES
A U ÉGARD DE LA DÉMOCRATIE
Dans le paragraphe précédent l'on s'est efforcé de garder la juste
mesure dans le jugement qu'on doit porter sur le gouvernement démo-
cratique. A l'opposé, il faut signaler deux attitudes extrêmes :
I. — Le tort de certains démocrates chrétiens a été de prétendre
que le gouvernement démocratique est impliqué dans les enseignements
de l'Évangile et se présente comme leur conclusion naturelle. C'est
le cas de M. Marc Sangnier et des Sillonnistes : « D'abord, son catho-
licisme (du Sillon) ne s'accommode que de la forme du gouvernement
démocratique, qu'il estime être la plus favorable à l'Église et se confondre
pour ainsi dire avec elle ; il inféode donc sa religion à un parti poli-
tique (^). »
Léon XIII avait déjà condamné cette erreur quand il écrivait :
« Les préceptes de la nature et de l'Évangile étant, par leur autorité'
propre, au-dessus des vicissitudes humaines, il est nécessaire qu'ils
ne dépendent d'aucune forme de gouvernement civil ; ils peuvent
cependant s'accommoder de n'importe laquelle de ces formes, pourvu
qu'elle ne répugne ni à l'honnêteté, ni à la justice (^). »
IL — On rencontre aussi l'excès en sens contraire.
Peu d'écrivains, je crois, souscriraient à cette phrase de M. Gustave
Théry : « Pour ma part, je n'hésite pas à la dire [la démocratie] intrin-
sèquement mauvaise {^). « Une pareille affirmation est deux fois
insoutenable, car, nous l'avons vu (86, V, C), d'après la raison et l'ensei-
( M Pie X, Lettre sur le Sillon, 5 D'abord son catholicisme.
C) LÉON XIII, Encyclique Graves de communi, 18 Janvier 1901, § Ne/as aulem.
( ') G. Théry, L'État démocratique moderne, dans Revue catholique des Institutions
ET DU Droit, 1912, T. II, p. 488. — M. Charles Maurras se laisse classer parmi « ceux
qui professent que la démocratie c'est le mal et la mort. » Cf. La Politique religieuse, dans
La Démocratie religieuse, p. 284, § II, Paris, 1921.
(91) LA DÉMOCRATIE : ATTITUDES EXTRÊMES 243
gnement catholique, la forme démocratique est aussi légitime que les
autres formes de gouvernement.
D'autres critiques, moins radicaux, prétendent que le régime démo-
cratique « constitue nécessairement un cercle vicieux « (^) et implique
une « flagrante contradiction » (^). Comment, dit-on, le même peuple
peut-il à la fois commander et obéir ?
Les objections contre la possibilité du régime démocratique sup-
posent que le mot démocratie doit toujours être pris, pratiquement, dans
son sens strict le plus rigoureux. C'est là une supposition gratuite,
car jamais les sociologues ne l'ont compris de la sorte, pas même Rous-
seau. « A prendre le terme dans la rigueur de l'acception, déclare-t-il,
il n'a jamais existé de véritable démocratie, et il n'en existera jamais....
On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour
vaquer aux affaires publiques (^). »
Au lieu de s'en tenir à de vagues généralités et de raisonner sur des
abstractions, il faut constater que, dans la réalité concrète, l'on trouve
une grande variété de gouvernements qualifiés démocratiques. Comme
les autres formes, la forme démocratique est réalisable à des degrés
divers. Pour faire court et clair, signalons trois cas : degré maximum,
degré moyen, degré minimum. Il ne faut pas perdre de vue cette remarque
d'Etienne Lamy : « Le régime est démocratique, si multiples y soient
les inégalités, tant qu'elles ont pour origine une volonté générale, et
que cette volonté générale garde le droit de les modifier » (*).
Degré minimum : il existe le jour où l'introduction du suffrage
universel confère à tous les citoyens majeurs d'un pays le droit d'élire
les représentants du peuple et de participer par leur intermédiaire à
l'exercice du pouvoir législatif et à l'élection du chef de l'État. C'est
le cas aux États-Unis, en France, etc.
Degré maximum : le peuple exerce lui-même le pouvoir dans une
assemblée générale et souveraine. C'est, depuis plusieurs siècles, le cas
de certains cantons suisses, ceux d'Uri, de Glaris, des deux Unterwal-
den, etc. Là, en effet, l'Assemblée générale des citoyens {Landsgemeinde)
élit un pouvoir exécutif et les officiers de justice, nomme un grand
Conseil pour préparer les lois, vote ou rejette directement ces projets
de lois élaborés par ses mandataires et contrôle leur gestion financière (^)..
(') L. Lefur, Démocratie et Catholicisme, dans La Foi catholique, 1913, T. XI, p. 252.
( -) G. DE Lamauzelle, Démocratie politique. Démocratie sociale. Démocratie chrétienne,
1-3, Paris, s. d.
( ') Rousseau, Du contrat social, L. III, Ch. iv.
( *) Et. Lamy, L'Action française et le Correspondant, dans le Correspondant. 1907.
III, p. 1001.
( ') R. Pinot, La Démocratie actuelle en Suisse, dans La Science sociale, 1891, T. XI,
183 sqq.
244 LA DÉMOCRATIE : ATTITUDES EXTRÊMES (91)
« Dans le train quotidien de la vie, chacun retourne à ses affaires, il
redevient simple citoyen pour obéir aux magistrats, payer les taxes,
observer les lois. Nous ne trouvons là aucune trace de la « flagrante
contradiction « alléguée tout à l'heure : les citoyens ne sont pas gou-
vernants et gouvernés dans le même instant, sous le même rapport,
pour le même objet (^). «
Mais, pour fonctionner convenablement, ce gouvernement direct
par le peuple exige la réunion de certaines conditions. Il faut : 1° Un
étroit territoire et une population peu nombreuse. — 2° L'égale possibilité
pour les citoyens de se prononcer en connaissance de cause survies
candidats, les projets de lois et les comptes : possibilité qui n'existe
que dans un état social peu compliqué, pour des affaires simples. Voilà
pourquoi la démocratie directe est, de temps immémorial, le régime des
cantons forestiers, pastoraux, dont les vallées renferment peu d'indus-
trie, pas de grand commerce, avec une population de paysans sensi-
blement égaux entre eux... « La vraie démocratie surgit partout de la
nature des hommes et des choses (2) ». — 3° Un sérieux amour du bien
commun (^).
Degré moyen : le peuple élit un gouvernement qui le représente, et I
le contrôle par le référendum. Quand la population est plus nombreuse
que dans l'hypothèse précédente, le commerce plus développé, les inté-
rêts plus complexes, il est nécessaire de restreindre l'intervention du
peuple : au gouvernement direct on doit substituer le gouvernement
représentatif dont les lois ne sont valables que si elles sont ratifiées
par une consultation nationale qu'on nomme référendum. C'est donc le
peuple qui, en dernier ressort, les accepte ou les rejette par son vote.
Les choses se passent ainsi dans certains cantons helvétiques, comme
ceux de Berne, Fribourg, Genève, Baie, Zurich. Si l'on considère la
Suisse dans l'ensemble de ses 22 cantons, toute modification à la
Constitution doit être approuvée par le peuple, et la Constitution
de 1874 proclame le droit de demander que les lois fédérales et les
arrêtés fédéraux d'une portée générale soient soumis à l'adoption ou
au rejet du peuple.
( M B. ScHWALM, Démocratie, dans Diction.vaire de Théologie catholique (Vacant
Mangenot), t. IV, col. 274-275.
( ') Le Play, La Réforme sociale en France, T. III, Ch. lxii, § XII, p. 308, Tours, 1887.
( ') Citation condensée d'un passage de B. Scuwalm, Loco citato, col. 275. — Il faut noter
que la troisième condition indiquée n'est pas seulement nécessaire au bon fonctionnement
de la démocratie directe, mais à celui de toat régime politique.
(91) LA DÉMOCRATIE : SON AVÈNEMENT • 245
§ D. — U AVÈNEMENT DE LA DÉMOCRATIE
Le régime démocratique suppose dans le peuple un niveau supérieur
d'intelligence et de moralité, parce que :
1° La liberté laissée aux citoyens étant plus grande et la contrainte
légale moins étendue, il faut que l'honnêteté de chacun fasse contrepoids
pour prévenir les excès de l'indépendance et suppléer à ce qui manque
du côté de la coaction gouvernementale.
2° La confection des lois étant à la merci du nombre, il faut que
chaque citoyen ait assez d'intelligence pour discerner le bien général,
et assez de générosité pour le préférer à ses intérêts immédiats et parti-
culiers. Aussi Montesquieu notait-il que « dans un État populaire,
il faut un ressort de plus qui est la vertu » (^).
Or il n'est pas aisé pour un peuple d'atteindre ce degré nécessaire de
moralité intelligente et dévouée à la chose publique. C'est pourquoi,
quand un peuple n'est pas suffisamment mûr pour pratiquer un régime
qui requiert une moyenne si élevée de vertu dans la masse, quand il
s'y engage prématurément, ce régime, au lieu de porter des fruits excel-
lents, est plus fécond qu'un autre en abus et en mécomptes.
On ne peut nier le risque et les dangers qui s'attachent à la réali-
sation de l'idéal démocratique. Cependant '< si l'on veut bien jeter un
coup d'œil général sur l'histoire des temps chrétiens, on reconnaîtra,
à n'en pas douter, que la marche progressive de la civilisation est tou-
jours dans le sens de la démocratie ; elle tend à rendre le peuple de plus
en plus maître de lui-même, maître de son gouvernement. Nous voyons
les classes maintenues dans l'esclavage, puis dans la condition de serf
et dans celle de vilain, successivement élevées à la liberté civile et poli-
tique. Le mouvement pour la paix de Dieu et le mouvement communal
au moyen âge nous montrent les peuples arrivant à l'exercice du pouvoir
et constituant des cités démocratiques, dont plusieurs sont des modèles.
Ensuite est venu le mouvement qui tend à transporter les formes démo-
cratiques du gouvernement municipal au gouvernement de l'État.
L'évolution,, d'ailleurs, est liée à un ensemble de conditions d'ordre
{ ■) Montesquieu. De l'Esprii des lois, L. III, Ch. m. Voici le contexte : t II ne faut
pas beaucoup de probité pour qu'un gouvernement nionarcbique ou un gouvernement
despotique se maintiennent ou se soutiennent. La force des lois dans Tun, le liras du prince
/ toujours levé dans l'autre, règlent ou contiennent tout. Mais, dans un État populaire, il
faut un ressort de plus, qui est la vertu. '> Montesquieu s'est e.xpliqué lui-même dans V Aver-
tissement : « Ce que j'appelle la vertu dans la république est l'amour de la patrie, c'est-
à-dire l'amour de l'égalité. Ce n'est point une vertu morale ni une vertu chrétienne, c'est
la vertu politique ; et celle-ci est le ressort qui fait mouvoir le gouvernement républicain,
comme l'honneur est le ressort qui fait mouvoir la monarchie. »
246 LA DÉMOCRATIE : SON AVÈNEMENT (91)
moral et d'ordre économique, qui, à travers des vicissitudes, indiquent
une constante ascension populaire (^). »
'< Ce que je sais d'histoire me donne lieu de croire que la démocratie
est le terme naturel du progrès politique et que Dieu y mène le monde ;
mais j'avoue qu'il l'y mène par de rudes chemins, et que, si je crois à la
démocratie, c'est malgré des excès qui seraient capables d'en dégoûter
les gens de bien {^). »
Citons enfin le témoignage très autorisé de Mgr d'Hulst : « N'en
déplaise aux esprits chagrins, tout n'est pas à condamner dans les
nouveautés que révèle notre état social. Sans donner gain de cause aux
calomniateurs du passé, il ne me paraît pas douteux que sur plus d'un
point notre âge soit en progrès. L'humanité tend vers le nivellement
intellectuel, moral, économique. C'est l'évolution démocratique. Comme
disciple de l'Évangile, je n'ai aucune raison de m'affîiger ; je dois même
saluer, dans ce que cette tendance a de légitime, un triomphe tardif de
la pensée chrétienne. Toutefois, comme sociologue, j'aperçois le danger :
c'est que les convoitises prennent trop d'avance sur les satisfactions
possibles et fassent violence à la société- pour obtenir d'elle plus qu'elle
ne peut donner (^). »
Depuis la Révolution française, le mouvement démocratique s'est
singulièrement accéléré ; actuellement la démocratie est en train de
pénétrer jusque dans l'Extrême Orient. Cette ascension du qua-
trième état, qu'on s'en réjouisse ou qu'on s'en inquiète, parait irrésis-
tible. Le terme seul de démocratie suffit pour efl'aroucher les esprits
craintifs. Au lieu de se laisser envahir par la peur du mot, n'est-il pas
plus brave de se mettre en face de la chose ? Au lieu de maudire ou de
bouder, n'est-il pas plus sage de travailler avec entrain à l'amélioration
morale et matérielle du peuple, pour le rendre plus digne du grand rôle
(jue semble lui réserver l'avenir ? Au lieu de pleurer inutilement sur les
ruines d'un passé à jamais disparu, n'est-il pas plus patriotique de
mettre courageusement la main à l'œuvre et d'apporter sa pierre à la
construction de la cité future ? Les catholiques devraient avoir toujours
présente à la mémoire cette forte parole du cardinal Mermillod : « Le
peuple sera, finalement, à ceux qui l'auront le plus aimé et le mieux
servi (*). »
I ') Ch. AxToiNii, Cours d'h'conomie sociale, Cb. x, Art. IV, p. 287, Paris, 1908*.
{') Fr. Ozanam, Lettre du 11 mars 1849, Lellres, T. II, p. 236.
( ') Cité par Mgi- Baudrillart, dans la Vie de Mgr d'Hulst, T. I, Introduction, p. 14-15,
Paris, 1912.
( *) Cf. G. Sortais, Les Catholiques en face de la Démocratie..., L. I, Cli. v, p. 79-92.
Cf. La Crise du Lihi-ralisme..., Ch. v, p. 79-82.
I
(92-93) STABILITÉ ET TRANSMISSION DE l' AUTORITÉ 247
92. — STABILITÉ ET TRANSMISSION DE L'AUTORITÉ
I. — Stabilité : le peuple ne peut changer à son gré, selon son
caprice, une l'orme de gouvernement légitimement introduite. En effet ;
A) Ce serait une injustice, contre ceux qui exercent le pouvoir,
de le leur enlever sans raison proportionnellement grave. A l'origine,
en choisissant tacitement ou expressément sa forme de gouvernement
et en confiant à tel homme ou à telle catégorie de citoyens l'autorité
sociale, le peuple a pu entourer cette concession de limites plus ou moins
étroites ; mais une fois la concession faite et le pacte conclu, il ne peut,
sans motif, reprendre le pouvoir à celui ou à ceux qui continuent à
l'exercer d'après la constitution fondamentale acceptée de part et d'autre,
qu'elle soit écrite ou verbale, explicite ou implicite. La raison c.'est que
les gouvernants n'ont pas démérité, puisque, par hypothèse, ils usent
de leur pouvoir pour le bien commun.
B) Cette stabilité est commandée par l'intérêt général ; s'il était
loisible de renverser capricieusement le gouvernement, on ouvrirait
la porte à l'anarchie ou au césarisme ; la société, faite pour assurer la
jouissance paisible de tous les droits et favoriser tous les progrès, n'at-
teindrait pas ce double but, car avant tout il exige, comme conditions
de sa poursuite, l'ordre et la paix. Les citoyens doivent user des moyens
légaux pour remédier aux excès du pouvoir. Nous verrons ce qui leur
est permis, en cas d'abus graves et habituels, en fait de résistance passive
et active (106).
IL — Transmission (^) : comme la société ne peut subsister sans
autorité, l'autorité ne peut périr par la mort ou l'abdication de celui
qui l'exerce. Aussi, dans toute société, des lois ou coutumes pourvoient-
elles à la transmission du pouvoir. Deux moyens surtout sont en usage :
A) Hérédité, quand la constitution du pays le règle ainsi.
B) Élection : ce mode varie avec les nations. Tantôt ceux qui élisent
le successeur n'ont que le droit de le désigner ; tantôt ils possèdent
momentanément le pouvoir ; alors ils peuvent, toujours en vue du
bien public, modifier la constitution, limiter plus ou moins ou étendre
le pouvoir de celui ou de ceux qu'ils choisissent.
93. ROLE ET FONCTIONS DE L'ÉTAT (2)
Après avoir établi l'origine du pouvoir do l'État, il faut déterminer
la nature et l'étendue de ses fonctions.
(M L. JouiN, Elementa philosophiae moralis, P. IV, Sect. II, L. I, (^. iv, vu.
{^) G. Sortais, Les fonctions de l État moderne, dans Études philosophiques et sociales,
Ch. II, p. 41-71. — Taparelli, Essai théorique de droit naturel, L. II, Ch. v, vu, vm. —
248 ROLE ET FON'CTIONS DE l'ÉTAT : PROTECTION (93}
§ I. — NATURE DES FONCTIONS DE UÉTAT
L'homme entre en société pour donner satisfaction à un double
besoin : besoin de sécurité et besoin de progrès, pour jouir en paix de
l'exercice de ses droits et pour développer plus pleinement ses facultés,
c'est-à-dire pour obtenir un bonheur temporel que l'isolement ne pourrait
lui procurer. Comment la société réalise-t-elle cette fin ? Le grand moyen
dont elle dispose, c'est l'autorité sociale, l'État. L'État aura donc pour
rôle de pourvoir à ce double besoin. Il satisfera au besoin de sécurité
eu protégeant les droits des associés ; au besoin de progrès en aidant
les citoyens à se perfectionner. Telle est sa double fonction : i» Pro-
tection : c'est la fonction de justice dont il est le gardien : Custos justi ;
c'est sa mission tutélaire. — 2'^ Assistance : c'est la fonction d'utilité
publique ; c'est sa mission civilisatrice .
A — FONCTION DE PROTECTION
L'État doit d'abord garantir à chacun ses droits. Il remplit ce
devoir en maintenant :
A) La sécurité extérieui'e, au moyen de la diplomatie, de l'armée
et de la marine.
B) La sécurité intérieure : 1° Il doit assurer la sécurité matérielle
qui peut être menacée par :
a) Les hommes : à l'État de défendre la vie et les biens des citoyens
contre les voleurs et les assassins (police, etc.).
b) Les éléments : à l'État de défendre la société contre les inonda-
tions^ sécheresses, épidémies, etc.
2° Il doit assurer la sécurité morale : ici son rôle se résume dans
un tri})le devoir :
a) Faire respecter les droits de^acun par une bonne administration
de la jiislice.
V.. Beaussiue, Les principes du droit, L. II, Ch fin et sqq. — P. Leroy-Beaulieu, L'État
moderne et ses /onctions. — R. de Cepeda, Éléments du droit naturel, LI" Leçon. — Pascal
(DE), Philosophie sociale, L. III, Sept. III, Ch. ii. — J.-B. Bluntschli, Théorie générale
de l État. — H. Michel, L'idée de l'Étal. — Th. Funck-Brentano, La Politique, Ch. ii, m.
— I2d. Villey, Du rôle de l'État. — Spencer, L'individu contre l'État. — Ch. Beudant,
Le droit individuel et l'État. — P. Cauwès, Précis d'Économie politique, T. I. — Cu. Antoine,
<;oi(rs d'Économie sociale, I'" P., Ch. m. — M. d'Hulst, Conférences de Notre-Dame, 1895.
11"^ Conf. — A. Coquille, Du césarisme dans l'antiquité et dans les temps modernes. —
VjD. Lauoulaye, L'État et ses limites. — G. de Humboldt, Essai sur les limites de l'action
de l'État (trad. H. Chrétien). — D. Berardi, Le funzioni del Governo nella econoynia
sjciale.
(93) ROLE ET FONCTIONS DE l'ÉTAT : ASSISTANCE 249
b) Interpréter et préciser les droits, en cas d'indétermination, par
une sage législation. Les droits du père de famille, de propriété, d'asso-
ciation, etc., sont des droits naturels ; mais l'État doit en régler l'exercice
d'après le principe suivant : procurer le maximum de sécurité avec le
minimum d'entraves, en vue du bien commun ; telle est la règle du pouvoir
législatif, car on n'entre pas en société pour perdre ses droits, mais pour
en assurer l'exercice. On ne consent à en sacrifier quelque chose que
dans la mesure où ce sacrifice est nécessaire au bon fonctionnement
de la société. Si des parents manquent gravement aux devoirs d'élever
leurs enfants, en les brutalisant ou en les corrompant, la loi les prive
de la puissance paternelle. Le pouvoir législatif intervient encore pour
régler l'exercice des droits de propriété : achats, ventes, donations,
successions, 'parce que la nature les a laissés dans un état plus ou moins
grand d'indétermination. Le pouvoir de l'État en pareille matière s'étend
jusqu'à V expropriation pour cause d'utilité publique ; mais les restric-
tions, qu'il apporte au droit de propriété, doivent toujours avoir pour
principe modérateur le bien commun et se réduire au strict nécessaire.
c) Faire respecter la morale et la religion.
B. — FONCTION D'ASSISTANCE
L'État doit ensuite favoriser les intérêts de tous. Mais il ne
faut pas verser dans l'erreur socialiste et faire do l'Etat le pourvoyeur
attitré des citoyens : il n'est pas chargé de les élever, nourrir, soigner,
enrichir. C'est la théorie de l' État-providence. Il ne faut pas aller non
plus à l'autre extrême et borner son rôle à faire respecter la justice :
c'est la théorie de l' État-gendarme. La vérité est dans ce juste tempé-
rament : « La règle de l'État n'est pas de laisser faire, comme le sou-
tiennent les économistes absolus ; mais elle n'est pas davantage de
faire dans le sens complet du mot ; elle est, suivant une formule excel-
lente de M. Baudrillart, d'aider faire (^). » L'État n'est pas l'agent
général du progrès, mais il en doit être l'auxiliaire et le promoteur.
Son rôle consiste à placer les citoyens dans des conditions favorables
à leur plein développement, en leur préparant un milieu social propice
au :
1° Perfectionnement physique : il aidera au progrès des intérêts
matériels, en facilitant la circulation de la richesse par la construction
de routes, le creusement de ports et de canaux, l'établissement de postes
et de télégraphes ; — en encourageant l'agriculture, le commerce et
(') E. Beaussire, Les principes du droit, L. II, Ch. i, § X, p. 100-101, Paris, Il
250 ROLE ET FONCTIONS DE l'ÉTAT : LIMITES ET EMPIÉTEMENTS (93)
i
l'industrie par des concours régionaux, des expositions ; — en ouvrant
des débouchés par la fondation de colonies, etc.
2° Perfectionnement intellectuel et moral : l'État y contribuera en ^
favorisant, dans de sages limites, l'instruction publique ; — en ouvrant
des bibliothèques et des musées ; — en subventionnant les œuvres
moralisatrices et charitables ; — en déclarant d'utilité publique cer
taines associations bienfaisantes, scientifiques, etc.
Telle est la seconde fonction de l'État : aider à la prospérité natio-
nale ; c'est un rôle supplétif. L'État n'a donc, ni en principe ni en fait,
à intervenir là où l'initiative privée (c'est-à-dire soit individuelle, soit
collective d'un ou plusieurs groupes), est assez efficace pour atteindre
le but. Là où l'initiative privée est : languissante, il doit la stimuler ;
— insuffisante, la compléter ; — impuissante, la remplacer, mais en se
considérant comme un « substitut provisoire » ; — suffisante, V encou-
rager.
Comparaison : ces deux fonctions de l'État sont toutes deux essen-
tielles. La fonction de protection est la fonction primaire, car on entre
avant tout en société pour jouir en paix de ses droits ; elle est plus
rigide, moins variable que l'autre. La fonction d'assistance est secon-
daire et beaucoup plus élastique, car elle dépend de l'état de l'activité
privée ; ici l'intervention du pouvoir est subordonnée aux circonstances
changeantes des milieux historiques (^).
§ II. — LIMITES ET EMPIÉTEMENTS DE UÉTAT
I. — Limites du pouvoir de l'État : A) 11 ne doit s'occuper direc-
tement que des choses nécessaires au bien commun de la société : armée,
tribunaux, police, diplomatie, certains travaux ou services d'utilité
générale.
B) Il n'a aucun pouvoir direct sur les droits, biens, besoins, activités
des particuliers : individus, familles, associations. Il ne s'occupe des
particuliers {]u'en tant qu'ils sont membres du corps social et quand
cette immixtion est nécessaire au bien public. Son autorité a donc pour
bornes les droits naturels et antérieurs des citoyens associés, et les
restrictions qu'elle imj)ose doivent avoir pour principe régulateur le
bien social.
C) Il n'a pas le droit de tout l'aire par lui-même ; mais il doit a'efïacer
devant rinitiativ(> [trivée, quand elle est .suffisante.
II. — Empiétements : l'État moderne a la tendance trop naturelle
( ') Cf. G. SoHT.vi.i, Les fondions de l'Klat, dans Études philosophiques, p. 66-71.
(93) ROLE ET FONCTIONS DE l'ÉTAT : LIMITES ET EMPIÉTEMENTS 251
à élargir ses attributions aux dépens de la liberté individuelle, sous
le prétexte de mieux réaliser V unité, élément de beauté et de force
sociales.
Critique : par ce moyen on n'aboutit pas à l'unité, mais à Vuni-
formité et à un nivellement égalitaire. Or la loi de l'État, comme de tout
le reste, c'est l'unité dans la variété. Les moyens employés pour satisfaire
cette tendance absorbante sont (^) :
1» La Réglementation poussée à outrance, qui enserre la liberté dans
un réseau de prescriptions minutieuses.
2» La Centralisation : il faut distinguer la centralisation :
a) Politique, qui concentre dans les mains de l'autorité centrale
les intérêts généraux ; elle est nécessaire à la société.
h) Administrative, qui rattache les affaires d'intérêt local au pouvoir
central. Cette tendance centralisatrice, qui s'accuse sous l'ancien régime
avec Richelieu, a été renforcée par la Révolution et pleinement orga-
nisée par Napoléon I^^. La centralisation est le plus souple instrument
du despotisme ; elle a été acceptée, depuis 1789, par tous les régimes.
C'est une situation anormale dans l'organisme social. Elle entraîne
l'hypertrophie au centre et la paralysie aux extrémités : développement
monstrueux de la tête et mort de toute initiative dans les particuliers.
Entre l'État qui veut tout faire et les individus qui se déchargent sur
lui de toute besogne gênante, il n'y a plus les organes intermédiaires,
les associations corporatives, ayant droit d'acquérir, de posséder et
d'ester en justice : c'est la plaie de l'individualisme {^).
30 Le Fonctionnarisme et la Bureaucratie, conséquences forcées
d'une centralisation excessive. Le fonctionnarisme c'est l'ensemble
du personnel actif de l'administration centralisée. Vivant du budget,
les fonctionnaires sont dans une dépendance absolue de l'État et portés
au servilisme. La bureaucratie, c'est le pouvoir des bureaux ou groupes
d'agents administratifs, qui expédient le détail matériel des affaires.
L'administration de l'État est une machine très compliquée, aux rouages
multipliés à l'excès, qui entravent la bonne et prompte expédition des
affaires ; lourde, lente, coûteuse, routinière, impersonnelle, elle manque
de souplesse et d'initiative. Elle est funeste aux gouvernés, qu'elle
tyrannise et qu'elle supplante, sans avoir comme eux le stimulant de
(M A. Leroy-Beauliku, Revue des Deux Mondes, 1892, T. II, p. 'J9. — Le Play, La
réforme sociale, Ch. lxiii.
( ') L.- Aucoc, Les Controverses sur la Décentralisation administrative. Études historiques,
(ians Mémoires de l'Académie des Sciences morales et poliiifiues, Sept. 1895, T. 144, p. 309-
376. — LuçAY (DE), La Décentralisation, Bulletin de l'Institut catholique de Paris,
1895. — P. Leroy-Beaulieu, L'État moderne et ses fonctions, L. II, Ch. ii, à la fin. — .
G. Sortais, Etudes philosophiques et sociales : III. Décentralisation administr.vtive,
p. 79 sqq.
252 EXEMPLES d'intervention de l'état : l'enseignement (94)
l'intérêt personnel, — et aux gouvernants, qu'elle paralyse par sa
routine ou compromet en leur imposant, irresponsable elle-même, la
responsabilité de ses agissements. Aussi de tous côtés réclame-t-on la
décentralisation pour limiter l'omnipotence de l'État.
94. — EXEMPLES D'INTERVENTION DE L'ETAT
Pour concréter la doctrine contenue dans le § 93 sur les Fonctions
de l'État, montrons dans quelle mesure il peut intervenir dans V Ensei-
gnement^ la Bienfaisance et le Travail.
§ 1. — L'ENSEIGNEMENT (i).
Trois sociétés font valoir des titres à diriger l'instruction et l'édu-
cation de l'enfant : la société domestique, la société religieuse et la société
civile. Examinons la part qui, dans cette tâche, revient normalement
à chacun des prétendants :
A) La famille et l'enfant. — Les parents sont les auteurs de
l'enfant : « Le fils est par nature quelque chose du père. Filius enim
natiiraliter est aliquid patris (^) ». « Il est en quelque sorte un prolon-
gement de sa personne (^) ». Le droit des parents, leur autorité {jus
aiidoritatis) a donc, comme l'étymologie elle-même l'indique [auctoritaSy
de auctor, qui donne accroissement), le fondement le plus solide : « il
prend sa source là où la vie prend la sienne (*) ». Or n'est-ce pas im
principe évident que l'effet dépend de la cause qui le produit, puisqu'il
tient d'elle son existence ? Conséquemment, si l'effet ne reçoit pas, de
prime abord, toute sa perfection, c'est à celui qui donne l'être qu'in-
(>) MoNTALEMBERT, Liberté d'enseignement. — E. Lavisse, Questions d'enseignement
national. — Brunetière, Éducation et Instruction, dans Questions actuelles. — J. Rocafort,
L'éducation morale au Lycée. L'unité morale et l'Université. — F.-X. Godts, Les droits en
matière d'éducation. — J. Burnichon, La liberté d'enseignement : Cinquante ans après.
L'État et ses rivaux dans l'enseignement secondaire. — G. Lebon, Psychologie de l'éducation,
L. I et III. — L. Taparelli, Examen critique des Gouvernements représentatifs..., Trad.
PiCHOT, T. II, Ch. III. — A.-D. Sertillanges, La Famille et l'État dans l'éducation. —
G. Compayré, L'éducation intellectuelle et morale. — B. Gaudeau, Critique philosophique
et théologique de la neutralité scolaire. — Mgr Baudrillart, L'enseignement catholique dans
la France contemporaine. — Mgr Chollet, Nos enfants. — P. Vigne, Le droit naturel et
le droit chrétien dans l'éducation. — Les Écoles. Documents du Saint-Siège. (Texte et Tra-
duction publiés par Mgr Nègre). — A. Mascarel, Les Questions scolaires. Principes et
Solutions. — A. Bessières, Pour la justice scolaire. II. P. S.
( =) S. Thomas, Summa theologica, II» II»", Q. X, Art. XII, in corp., § Alia vero.
(*■*) LÉON XIII, Encycl. Rerum novarum, § Vellc igitur et § Jure vero, dans Lettres
apostoliques de S. S. Léon Xlll, Édit. de la Bonne Presse, T. III, p. 28 et p. 26.
(94) EXEMPLES d'intervention DE l'état : l'enseignement 253
combe l'obligation de le perfectionner. Les parents ont donc le devoir
strict de développer la vie imparfaite qu'ils ont communiquée à l'enfant.
Autrement, la fin principale du mariage, qui est la propagation de
l'espèce, ne pourrait être atteinte. Sans doute, pour achever la tâche
commencée, surtout pour compléter l'instruction, les loisirs et la science
manquent à la plupart des parents. D'où la nécessité d'écoles et de
maîtres auxquels les parents puissent, en toute sécurité, déléguer leur
autorité. De là aussi le droit absolu des parents de contrôler un ensei-
gnement qui est donné en leur nom et à leur place.
B) L'Église et l'enfant. — L'Église catholique est, dans l'ordre
surnaturel, ce que la Famille est dans l'ordre naturel. L'Église aussi est
mère : elle enfante les âmes à la vie de la grâce par le baptême ; elle a donc
autorité sur tous les baptisés. A elle, par conséquent, revient la charge
de leur éducation religieuse : ce sont ses enfants. Voilà le titre indis-
cutable de ses droits :
1° L'Église a un pouvoir direct sur la formation surnaturelle des
baptisés. C'est la mission que son divin Fondateur lui a donnée : « Allez
donc, dit-il à ses Apôtres et, en leur personne, à leurs successeurs, et
enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils
et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tous les préceptes que je
vous ai donnés ; et voici que je suis avec vous, tous les jours, jusqu'à
la consommation des siècles (^). » n
2° U Église a un pouvoir indirect sur la formation naturelle des
baptisés. En chargeant l'Église d'instruire toutes les nations, Jésus-Christ
lui a imposé de conserver intact le dépôt doctrinal qu'il lui a confié,
et conséquemment de le défendre contre toutes les attaques et défor-
mations. De là dérivent pour l'ÉgHse le devoir et le droit de surveiller
l'enseignement tout entier, afin d'en bannir ce qui serait de nature à
blesser la pureté de la foi ou des mœurs. Ce droit de surveillance est
d'ailleurs indirect, car il ne concerne que les questions mixtes, c'est-à-dire
celles où l'élément religieux et l'élément profane se trouvent mêlés.
Si l'objet formel de ce droit est restreint aux points précis où la religion
est engagée, son extension est, au contraire, très ample relativement
à l'objet matériel, car, si l'on excepte les mathématiques pures, est-il
une science qui, par quelque côté, ne touche à la religion ?
Du double pouvoir qu'a l'Église de donner l'instruction et de sur-
veiller l'enseignement à tous les degrés, résulte le droit de réclamer des
écoles confessionnelles, c'est-à-dire propres à chaque confession religieuse.
C'est évidemment le moyen le plus apte à préserver la foi et la moralité
(') s. Matthieu, xxviir, 19-20.
254 EXEMPLES d'intervention de l'état : l'enseignement (94)
de la jeunesse catholique. Aussi l'Église a-t-elle souvent condamné
les écoles neutres (^).
Il faut soigneusement distinguer entre la neutralité scolaire absolue
et la neutralité scolaire relative. Dans aucune hypothèse l'Église ne
peut accepter ni même tolérer la première, parce qu'elle consiste à
exclure de l'école tout enseignement religieux, même d'ordre naturel,
ce qui, pratiquement, est méconnaître et supprimer Dieu. Une pareille
attitude est absolument immorale et injurieuse à Dieu. L'Église ne
peut donc admettre la neutralité absolue, ou, comme l'on dit actuel-
lement, areligieuse, puisqu'elle est une violation outrageante des droits
divins et la méconnaissance scandaleuse du devoir qu'a toute société
d'honorer Dieu publiquement {^).
Mais il est des circonstances où l'Église peut tolérer la neutralité
scolaire relative. C'est le cas dans un pays profondément divisé au point
de vue des croyances. Ainsi, en France, dans les communes, oîi, à défaut
d'écoles libres, les écoles officielles sont fréquentées par des enfants
appartenant à des cultes différents, la neutralité confessionnelle s'impose,
c'est-à-dire que les maîtres doivent s'abstenir sur les points de doctrine
qui opposent entre elles deux ou plusieurs confessions. Mais un temps:
convenable doit être réservé à l'instruction religieuse, et les ministres
des différents cultes doivent avoir libre accès à l'école publique pour y^
faire à leurs fidèles un cours de religion approprié. En outre, l'ensei-
gnement commun donné par le maître doit être conforme aux principes
de la religion naturelle et de la philosophie spiritualiste qui sont la base
indispensable de l'édifice social. Ces principes fondamentaux sont
l'existence d'un Dieu personnel, infiniment parfait, la liberté et l'immor-
talité de l'âme, les sanctions de la vie future.
C) L'État et l'enfant. — L'État peut avoir trois attitudes à
l'égard de l'enseignement : il enseigne seul : c'est le monopole ; il n'en-
seigne pas, c'est V abstention ; il enseigne en même temps que les parti-
culiers, c'est la concurrence. De ces trois attitudes, la première est illé-
gitime ; la seconde est légitime ; la troisième peut être légitimée à raison
des circonstances.
1° Illégitimité du monopole. — a) L'État ne peut, comme la Famille
et l'Église, exhiber un titre indiscutable au rôle d'éducateur, celui
d'auteur de la vie de l'enfant.
I
( ') Voir, par exemple, Lettres Encycliques de Léon XIII : aux évêques français, Nobi-
lissima Gallorum gens (8 févr. 1884); aux évêques bavarois, Officio sanclissimo (22 déc. 1887);
aux évoques polonais. Le témoignage particulier (19 mars 1894) ; aux évoques canadiens,]
Affari nos (8 déc. 1897).
(*) M. D'IIuLST, Conférences de Notre-Dame, 1895, 3« Confér., p. 74-75.
(94) EXEMPLES d'intervention DE l'état : l'enseignement 255
b) La famille est, logiquement et en fait, antérieure à la société
civile et politique, puisque celle-ci n'est, en définitive, qu'une réunion
de familles associées pour la sauvegarde de leurs droits naturels. L'enfant
appartient donc à la famille et non à l'État, comme le veut la doctrine
révolutionnaire de Danton, renouvelée du paganisme. C'est pourquoi
le monopole serait la confiscation du droit naturel qu'ont les parents
d'élever leurs enfants.
Objection : l'État est l'auteur de la vie sociale et, comme tel, il a des
revendications à faire valoir comme la Famille et l'Église. — Cette
objection repose sur une équivoque. La vie sociale et l'État, qui est
l'un de ses organes, sont l'œuvre de la communauté qui leur est anté-
rieure, puisqu'ils résultent de la ratification, le plus souvent implicite,
de telle ou telle forme de gouvernement par des groupes de familles,
que des traditions antécédentes ou des circonstances imprévues ont
rapprochées. Ce qui est vrai, c'est que l'enfant étant un citoyen futur,
l'État est intéressé à sa formation. On verra tout à l'heure la part
d'influence qui, à ce titre, revient légitimement à l'État (§ D).
c) La mission d'instruire et d'élever la jeunesse ne rentre pas dans
les attributions normales de l'État. Nous l'avons montré (93, § I),
son rôle essentiel et primaire consiste à garantir, au besoin par la force,
la sécurité des citoyens, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, afin qu'ils
puissent exercer en paix tous leurs droits. Son rôle, essentiel aussi,
mais secondaire et variable dans ses applications d'après les circon-
stances changeantes de temps et de pays, c'est de promouvoir la pros-
périté publique, non pas directement par lui-même, mais en mettant
les familles et les associations dans des conditions qui facilitent leur
progrès physique, intellectuel et moral. En remplissant cette double
fonction, l'État poursuit la fin qui lui est propre, une fin sociale, qui vise
le bien commun des associés. L'éducation, au contraire, ayant pour
but la formation des individus, tend à leur procurer un bien personnel.
Or l'État n'est pas chargé de procurer à ses sujets ce qui est leur bien
particulier. — L'État, d'ailleurs, n'étant pas une autorité doctrinale,
comment pourrait-il revendiquer pour lui une mission enseignante ? (^)
d) Enfin, des arguments de fait militent aussi contre le monopole
de l'État. En matière d'instruction, plus encore que dans les autres
branches de l'administration, le système centralisateur est détestable
(M.':!, § II, II, 20). Privé du stimulant énergique de l'émulation, l'État
enseignant tombe dans la somnolence ; puis, quand le vice du système
apparaît trop criant, il se met, pour y remédier, à bouleverser brus-
(M Cf. (i. Sortais, Les droits de l'enfant, dans La Crise du Libéralisme et la Liberté
d'Enseignement, Ch. vi, p Q'j-QS.
256 EXEMPLES d'i>tervention de l'état : l'enseignement (94)
quement méthodes et programmes, ce qui achève de compromettre
le progrès des études. Aussi a-t-on pu dire, l'histoire en main, qu'il
oscille « entre la routine prolongée des méthodes et leur soudain et
radical changement » (^). Les expériences lamentables auxquelles,
depuis cinquante ans, l'enseignement officiel s'est livré en France, ont
surabondamment prouvé l'incompétence pédagogique de l'État {^).
Concluons donc avec Emile Faguet que l'État ne doit pas se mêler des
choses d'enseignement, « parce qu'il n'est ni un professeur, ni un philo-
sophe, ni un père de famille », et aussi « parce que, quand il s'en mêle,
il est le plus souvent très maladroit et assez souvent ridicule » (^).
2° Légitimité de l'abstention. — L'État doit s'abstenir d'enseigner :
voilà l'attitude normale. C'est la conchision logique de ce qui précède.
Les parents commencent l'éducation de leurs enfants ; mais, faute de
temps et de compétence, la plupart ne peuvent la conduire à terme.
Alors ils délèguent leur autorité à des personnes ayant leur confiance,
afin qu'elles achèvent l'oeuvre ébauchée piar eux. Quelques-uns sont
assez riches pour avoir un précepteur à domicile ; les autres sont contraints
de recourir à des maîtres du dehors. L'État n'étant pas fait pour ensei-
gner, il appartient à l'initiative privée de pourvoir à ce service. C'est
donc aux particuliers et aux associations, soit laïques, soit ecclésiastiques,
formées librement, que revient la charge d'offrir aux familles leurs
écoles, collèges et universités, c'est-à-dire l'enseignement à tous les
degrés, primaire, secondaire et supérieur, sous la garantie de leur hono-
rabilité, dont ils auront fourni des gages, et sous la surveillance des
pouvoirs publics, dont nous déterminerons plus loin l'étendue (D).
Cette situation comporte naturellement la liberté des programmes
et des méthodes, ainsi que la faculté, pour le directeur de chaque éta-
blissement, de recruter, sous sa responsabilité personnelle, des auxi-
liaires appropriés. Enfin, les divers établissements ont le droit de faire
passer les examens et de délivrer des certificats ou des diplômes en
rapport avec leur propre enseignement. Les maisons concurrentes
seraient les premières intéressées à fournir une instruction solide et
à conférer des grades mérités, car promptement, à l'expérience, une
sélection s'opérerait entre les universités, collèges et écoles en rivalité.
(M P. Leroy-Beauliku, L'Étal moderne el ses fonctions, L. V, Ch. m, p. 271-272,
Paris, 1891 «.
(') Cf. G. Sortais, Les Droits de l'enfant, Loco citaio, p. 99-104. — G. de Lamarzelle,
La crise universitaire, d'après l'enquête de la Chambre des Députés, Paris, 1900. On a procédé
alors à une complète refonte de l'enseignement secondaire. A l'usage, cette réforme a donné
des résultats déplorables. Aussi le ministre actuel (1922) de l'Instruction publique, M. Léon
BÉRARD, élabore un nouveau projet, de réforme.
(') Em . Faguet, Le Libéralisme, Ch, xi, p. 161-162.
J
(94) EXEMPLES d'intervention DE l'état : l'enseignement 257
et la confiance des familles, qui, d'ordinaire, ne se place qu'à bon escient,
irait aux établissements ayant fait leurs preuves.
30 Légitimation de la concurrence. — La troisième et dernière hypo-
thèse est celle de l'État qui enseigne concurremment avec les parti-
cuhers. En soi, cette attitude est anormale, puisque, on vient de le voir,
l'État doit s'abstenir. Mais il est des circonstances où l'intervention
de l'État peut devenir nécessaire. C'est un pis-aller provisoire. Là où
l'initiative privée (individuelle ou collective) est impuissante, l'État
doit la remplacer ; là où elle se montre insuffisante, il doit la compléter.
Partout où cette initiative suffit à la tâche, l'État n'a point à s'en mêler,
car l'homme n'entre en société que pour assurer l'exercice de ses droits
naturels, et il ne doit consentir à leur limitation que dans la mesure où
ce sacrifice est réclamé pour le bon fonctionnement de la société, dont
profitent tous ses membres. Le rôle de l'État par rapport au bien à faire
est donc supplétif. Il n'est pas, par destination, l'agent direct du pro-
grès, mais seulement son auxiliaire. Cependant son intervention directe
devient légitime, quand ceux qui doivent remplir un service néces-
saire en sont incapables ou empêchés. Alors, par la force même des
choses, l'État est substitué à l'agent naturel : l'individu, la famille ou
les associations. Il devient agent accidentel, « substitut provisoire »,
qui devra donner sa démission, dès que les circonstances nécessitant
son immixtion passagère auront disparu. Ce qui faisait dire à Jules
Simon, parlant au Congrès des sciences sociales à Gand : '( L'État
enseignant doit préparer son abdication. »
Si donc il arrive que, dans un pays, les particuliers et les associations
soient dans l'impossibilité d'assurer le service scolaire, le gouvernement
peut et doit procurer aux citoyens les ressources qui leur manquent
pour l'instruction de leurs enfants.
Ces écoles officielles, fondées pour combler les lacunes de l'initiative
privée, ne doivent pas être avantagées, mais traitées sur le pied des
écoles libres. La justice distributive exige, en effet, que les subventions,
alimentées par l'argent des contribuables, soient équitablement répar-
ties, entre les divers établissements, d'après le nombre des élèves qui
les fréquentent. Autrement les citoyens, dont les préférences sont pour
l'enseignement libre, seraient injustement grevés d'une charge onéreuse,
payant deux fois, d'abord pour faire élever leurs enfants à leur gré,
ensuite pour l'instruction de ceux qui vont aux écoles de l'État. « C'est
comme si de Paris à Bordeaux, il y avait deux chemins de fer, l'un
par Chartres, l'autre par Orléans, exploités par deux Compagnies
différentes, et que j'eusse le droit de me rendre à Bordeaux par Orléans,
mais à la condition de payer ma place à la Compagnie d'Orléans et
aussi à la Compagnie de Chartres. Dans ce cas, la Compagnie de Chartres
ne ferait pas autre chose que lever sur moi un impôt, sans aucune espèce
I
TRAITE DE PHILOSOPHIE. — T. II. 9.
258 EXEMPLES d'interventiok de l'état : l'enseignement (94)
de droit et de raison {^). '■> En faisant payer ses professeurs par les parents
qui en payent déjà d'autres qu'ils ont le droit de préférer, comme il
leur est loisible d'aller à Bordeaux par Orléans ou par Chartres, l'Etat
commet donc une flagrante injustice.
D) Droits de l'État. — Us sont limités par la nature même de
sa mission qui doit se borner, on l'a établi (93, § I), à sauvegarder la
justice et à aider les particuliers dans la poursuite du progrès. En
d'autres termes, il est d'abord le protecteur du droit ; ensuite, non pas
l'agent direct, mais l'auxiliaire du progrés. C'est pourquoi, sans lui
accorder le pouvoir d'inspecter l'enseignement des écoles libres, 'qui par
le fait même cesseraient de l'être, il faut lui reconnaître, là comme
ailleurs, le droit de haute police : que les lois constitutionnelles ne soient
pas attaquées par les maîtres, que la morale publique ne soit pas outragée,
que l'ordre social ne soit pas troublé, que les règles essentielles de l'hy-
giène ne soient pas transgressées, l'État a le droit de veiller à tout cela.
Mais, avant de pénétrer dans les établissements libres, comme avant
de forcer la clôture de la vie privée, le gouvernement doit avoir, non de
simples présomptions, mais un commencement de preuve, car c'est
un principe fondamental du droit naturel, consacré par les législationsj
civiles, que « personne n'est présumé mauvais >-. Nemo prœsumitur
malus.
S'il est vrai que l'autorité paternelle ne doit pas être absorbée par
le pouvoir civil, il est certain aussi qu'elle n'est pas absolue. L'enfant
n'est pas la chose des parents ; c'est une personne morale en puissance,
qu'il s'agit de faire passer en acte. L'enfant a droit à l'éducation.
Les parents sont donc coupables s'ils maltraitent leurs enfants,
s'ils les élèvent mal ou ne les élèvent pas du tout, parce qu'ils ont le
devoir d'entretenir leur vie physique et de les corriger, quand c'est
nécessaire, avec fermeté, sans doute, mais une fermeté dont la bonté
ne soit jamais absente. Aussi, en cas de mauvais traitements et de
sévices, présumés sur des indices sûrs, la police doit enquêter et, si les
faits sont avérés, la magistrature doit punir les délinquants ; elle peut
même, s'ils se sont montrés cruels, les déclarer déchus de la puissance
paternelle ou maternelle.
Ensuite, les parents sont tenus de développer la vie intellectuelle
et morale de leurs enfants, en leur procurant une éducation propor-
tionnée aux ressources et à la condition de la famille. C'est pourquoi,
s'ils faillissent gravement à leur tâche, l'État, tuteur civil, doit inter-
venir pour ramener au devoir ces tuteurs naturels de l'enfance et leur
subroger, au besoin, dans leur fonction éducatrice, un autre membre
1
(') ÉM. Faguet, Le Libéralisme, Ch. xi, p. 134.
(94) EXEMPLES d'intervention DE l'état : l'enseignement 259
de la famille. Mais, ici encore, pour préserver le foyer domestique d'in-
trusions policières intempestives, faut-il que le délit soit notoire ou
prudemment présumable (^). Bref, si des parents dénaturés sont assez
durs pour refuser le nécessaire à leurs enfants, le pouvoir civil doit
intervenir {^).
E) Critique de la formule : Instruction gratuite, laïque et obligatoire ;
i^ Gratuite : chose bonne en soi, d'invention chrétienne, pratiquée
par l'Église dans ses Écoles des cathédrales et des monastères, dans ses
Universités. Mais il faut la pratiquer avec intelligence et impartialité,
ne pas donner l'instruction gratuite à ceux qui peuvent la payer.
2» Laïque : d'après le commentaire que les faits ont donné à ce mot,
il veut dire que l'instruction doit bannir systématiquement la pensée
et la connaissance de Dieu. On couvre cette abstention du masque de
la neutralité. Vis-à-vis de Dieu, la neutralité prescrite par l'État est déjà
un crime de lèse-majesté divine. C'est d'ailleurs un nom hypocrite,
car la neutralité n'est pas tenable en pareille matière (^) ; aussi a-t-elle
souvent dégénéré en hostilité ou athéisme (^).
3° Obligatoire : ici se pose une question délicate : l'instruction
primaire rentre-t-elle dans ce nécessaire dont les parents ne peuvent
priver leurs descendants ?
II peut exister des époques où l'instruction primaire ne soit pas, pour
telle catégorie d'enfants, un viatique indispensable pour faire, comme
on dit, convenablement leur chemin. Dans cette hypothèse, il n'y a
pas de motif de rendre l'instruction obligatoire, au moins d'une façon
générale.
Mais, de nos jours, la réponse doit être affirmative, car celui qui n'a
pas reçu une instruction élémentaire, se trouve, vis-à-vis des autres,
dans une infériorité manifeste qui le rend incapable de soutenir avan-
tageusement la lutte pour la vie. Dans ces conditions, l'État a le droit
de décréter l'instruction obligatoire, pourvu, évidemment, que la
(') Cf. Taparelli, Essai théorique de Droit naturel, L. IV, Ch. iv, n. 919.
( -) « S'il existe quelque part un foyer domestique qui soit le théâtre de graves violations
de droits mutuels, que le pouvoir public y rende son droit à chacun. " (Léon XIII, Encycl.
Rerum 7iouarum, S Velle igilur. Edit. cilata, T. IV, p. 28).
(') Voir des témoignages non suspects dans Dictionnaire apologétique, T. I, col. 925-
926, et La Crise du Libéralisme..., Ch. vi, p. 96 et note 1.
( *) « On peut donc affirmer sans exagération que, depuis 1882, l'école laïque publique
est, à peu de chose près, l'école sans Dieu. » (E. Devinât, directeur de l'École normale
du Rhône, membre du Conseil supérieur de l'Instruction publique, dans Revue de l'Ensei-
gnement PRIMAIRE, 25 oct. 1894, p. 26). Cf. Et. Lamy, La Femme de demain, P. III, § v,
p. 250-254, Paris, 1903».
260 EXEMPLES d'intervention DE l'état : l'enseignement (94)
laïcité ne le soit pas, mais que les parents aient toute liberté pour le
choix des maîtres (^).
Fondement de ce droit. — Les partisans de l'obligation soutiennent
communément que l'État a droit d'imposer l'instruction à tous, parce
que, d'une part, les enfants étant de futurs citoyens, et, d'autre part,
étant donnée la diffusion actuelle des connaissances élémentaires, il a
intérêt à ce que ces futurs membres de la cité y entrent suffisamment
instruits.
A cette assertion, il faut répondre que l'intérêt même général n'est
pas plus la source du droit qu'il ne l'est du devoir (25, B, III). Toutes
les injustices et toutes les tyrannies se sont abritées derrière cette
maxime de l'utilité publique. En s'appuyant sur une formule aussi
équivoque, quelles intrusions tyranniques ne pourrait-on justifier?
Par exemple, la prospérité d'un pays est singulièrement intéressée à
ce que la race se maintienne saine et robuste. Dès lors, l'État aurait le
droit d'édicter des règlements pour obtenir, par voie de sélection entre
les époux, une descendance robuste et nombreuse ; il pourrait prescrire
certaines mesures relatives à la nourriture, etc. Sur tous ces points,
des conseils sont de mise ; mais qui voudrait subir des lois matrimo-
niales et somptuaires ? Un très grand nombre de citoyens sont inté-
ressés à une répartition plus égale de la richesse. L'État serait, en consé-
quence, autorisé à établir le collectivisme ou même le communisme.
On voit où mène le principe invoqué.
La légitimité de la loi, qui rend l'instruction obligatoire, ne vient
donc pas de l'utilité que la société en peut retirer. Non ; mais, comme
actuellement l'instruction primaire rentre manifestement dans le néces-
saire que les parents doivent fournir à leurs enfants, l'État prenant
acte de cette obligation naturelle, y surajoute une prescription légale
et, en cas de négligence coupable de la part des familles, en urge l'accom-
plissement (^).
Remarque : on commence à reconnaître que la loi sur l'instruction
gratuite, laïque et cbligatoire a porté de mauvais fruits. La morale
sans Dieu a augmenté le nombre des gens sans conscience (accroissement
des crimes et des suicides chez les adolescents) ; — la diffusion inconsi-
dérée de l'instruction a dégoûté du travail manuel et augmenté les
déclassés qui, ne pouvant trouver de places, sont prêts à toutes les révo-
lutions. Les connaissances répandues par l'enseignement primaire
r') Cf. A. Castei.ein, Droit naluvel, V, Thôse 19, p. 719 sqq., Paris, 1903 -- T. Rothe,
Traité de Droit naturel, T. III, n° 578.
(») Sur cette (rueslion de l'enseignement, cf. G. Sortais, Les Droitsde l'Enfant, dans
La Crise du Libéralisme, Cir. VI, p. 83-117, ou dans le Dictionnaire Apologétique...,
d'Alès, Instruction de la Jeunesse, T. I, col. 917 sqq.
(94) EXEMPLES d'intervention DE l'état : l'enseignement 261
ne sont pas proportionnées aux besoins de ceux qui les reçoivent (^) : à Ja
fois trop nombreuses et superficielles, elles produisent une instruction
frelatée, qui « n'est, selon le mot de J.-J. Weiss, qu'une courbature de
cerveau » {^).
F) L'École unique (^). — On parle beaucoup depuis quelque
temps de l'École unique. C'est un terme équivoque, qui est pris dans
des sens bien différents. Il importe de les définir :
1» L'unification de l'enseignement doit s'étendre, au delà des fron-
tières politiques, par la communauté des programmes et des méthodes (*).
Ses partisans réclament l'école internationale.
Ce projet a rencontré peu de sympathie, sans doute parce qu'il est
chimérique, oubliant que chaque pays a sa mentalité, ses aspirations,
ses traditions propres, qui sont plus ou moins irréductibles.
2» Pour d'autres, l'École unique c'est la fusion, dans le cycle de
l'enseignement primaire, de l'école publique et de l'école privée. Ses
partisans prétendent résoudre le conflit scolaire en imposant le mono-
pole universitaire. Comme compensation à la suppression de l'école
libre, ils demandent que le prêtre ait la faculté de rentrer dans l'école
publique pour y enseigner le catéchisme.
Ce projet viole un droit naturel, la liberté d'enseignement.
3° Certains veulent qu'avant d'être admis dans l'enseignement
secondaire tous les enfants de France, sans distinction de fortune ou
d'éducation, soient réunis sur les mêmes bancs de l'école primaire,
et instruits par des maîtres formés de la même façon. L'école primaire
pourrait d'ailleurs être officielle ou libre. Cette conception de l'École
unique suppose une triple unité : unité de la fréquentation scolaire qui
produirait l'unification des classes sociales, unité de l'enseignement
proprement dit, unité de formation du personnel enseignant.
Ce projet respecte la liberté d'enseignement pour le choix de l'école ;
mais il a de graves inconvénients au point de vue pédagogique. Car,
dans cette École unique, ayant même maître, donnant même culture.
( M Taine, Le Régime moderne, T. II, L. VI, L'École. — Fouillée, Les Jeunes criminels.
Revue DES Deux Mon des, 1897, T. I", p. 4 17-449. -Fontaine de Resbecq {B. de), L'Ame de
l'École neutre. — A. Guillot, Paris qui souffre. — G. Goyau, L'École d'aujourd'hxd. —
Farget, La marche de la criminalité et les progrès de l'instruction depuis soixante ans. —
BouzoN, Le crime cl l'école. — M. Turmann, Au sortir de l'école. — A. de Mun, La Loi
des suspects. — L.Lescceur, Dieu et la liberté dans l'enseignement officiel à propos de deux
congrès récents, dans Bulletin de la Société générale d'éducation et d'enseignement, 15 sept.
1901, p. 543-558. — R. Lavollée, L'Étal, le père et l'enfant.
( ^) J.-J. Weiss Pages inconnues, dans Revue de Paris, 1897. p. 92.
( ') Cf. Fr. Datin, L'École unique et la Réforme démocratique de l'Enseignement. La
discussion devant la Chambre, dans Études, 5 juin 1922. T. CLXXI, p. 548-566. — Quatre
excellents articles de J. Guiraud, La Réforme de l'Enseignement : L'École unique, dans
La Croix, 16, 20, 23, 29 juin 1922.
( *) Cf. Revue de l'Enseignement primaire, 26 sept. 1920, article : Préparons demain.
262 EXEMPLES d'intervention de l'état : l'enseignement (94)
suivant même programme, les élèves les mieux doués seraient iorcément
négligés. Devant s'en tenir à un niveau moyen, elle aboutirait à l'égalité
dans la médiocrité, préparant l'avènement de ce qu'on a nommé la
« médiocratie ». De plus, les études des premières années ne doivent pas
être absolument les mêmes, ni surtout dirigées dans le même sens pour
ceux qui doivent se contenter d'un enseignement primaire et pour ceux
qui aspirent à recevoir l'enseignement secondaire.
4° On peut donner enfin à l'École unique un sens beaucoup plus
étendu que les précédents. Elle signifie alors une éducation complète,
embrassant les trois ordres de l'enseignement, primaire, secondaire,
supérieur, à laquelle doivent être appelés tous les enfants de France.
Renouvelée des « grands ancêtres » de la Révolution (^), cette doctrine
a été présentée à la Chambre des députés par MM. Ferdinand Buisson,
Bracke et Herriot. Pour eux et leurs amis, de la Ligue radicale-socialiste
de la République, École unique et Instruction universelle et intégrale sont
termes à peu près équivalents.
Les partisans de ce système en tirent logiquement les conséquences.
Ils demandent donc que la nation, c'est-à-dire l'État qui la personnifie,
« prenne en charge l'enfant complètement » {^) et comble, par des allo-
cations aux parents, « la lacune que représentera, dans la vie familiale,
le fait que, pendant un certain temps, l'enfant sera préparé à être utile
à tous » (^) et ne rapportera rien à la famille.
Ce projet, d'inspiration socialiste, est vraiment monstrueux. D'abord,
il viole effrontément les droits primordiaux de la famille (§ I, A), en
matière d'éducation, au profit de l'État. Car l'État fera passer toute la
jeun^se, depuis la prime enfance, par une série d'études plus ou moins
prolongées, selon la capacité des élèves. Des examens officiels opéreront
entre eux une sélection. C'est l'État qui décidera de l'avenir de tous
les enfants de France, car ils seront dirigés par lui, d'après leurs apti-
tudes, plus ou moins mal pressenties, vers la culture scientifique ou
littéraire ou bien vers la formation technique et professionnelle. On voit
tout ce que cet étatisme scolaire a de tyrannique et d'arbitraire.
En outre, l'enseignement serait gratuit pour tous à tous les degrés.
La gratuité ainsi généralisée est chose immorale. Qu'on vienne en aide
aux parents hors d'état de payer l'éducation de leurs enfants, rien de
mieux. Mais il n'est pas dans l'ordre d'exonérer en principe la famille
des charges de l'éducation qui lui incombent naturellement. La gratuité
générale aurait encore pour conséquence cette criante injustice « que
( ') Voir sur ce sujet deux articles bien documeiités de J. Guiraud dans Bulletin de
la Société Générale d'Éducation et d'Enseignement, janv. et février 1920.
(») Bracke, Journal officiel, 13 juin 1922, 1" séance, p. 1762, col. 2
( ') Bracke, Journal officiel, Loco citato.
I
(94) EXEMPLES d'intervention DE l'ÉTAT : BIENFAISANCE 263
les pauvres payeraient l'instruction des riches » (^), puisque, pour en
couvrir les frais immenses, il faudrait prélever de lourds impôts sur
tous les contribuables.
Envisagée du point de vue financier, l'exécution de ce projet entraî-
nerait des dépenses fantastiques. Le budget actuel de l'Instruction
publique s'élève à 1 milliard 100 millions. Or « on ne saurait évaluer
à moins de 50 milliards les frais annuels d'une pareille réforme [l'École
unique] et à la même somme ses frais de premier établissement » (^).
C'est évidemment une chimère irréalisable, une conception incompa-
tible avec un ordre social régulier. « L'École unique, pour se réaliser,
demanderait la socialisation de toutes les fortunes, c'est-à-dire la substi-
tution du communisme à la propriété privée (^). »
Bref, ce projet détruit deux fondements essentiels de la société, la
famille et la propriété.
§ IL — BIENFAISANCE
L'État doit: 1» Soutenir et encourager les institutions de bienfai-
sance dues aux particuliers ou à l'Église ; il doit laisser toute facilité
aux citoyens de leur faire des dons et des legs ; favoriser la naissance
des associations charitables, en leur accordant le droit de posséder, ou
même en les exonérant de certains impôts.
2° Suppléer à l'insuffisance de la charité privée (*).
Le devoir de bienfaisance est inséparable du droit de propriété
(68, § E). Les biens de la terre sont destinés à l'entretien de la vie
humaine (^). Mais il n'est pas nécessaire pour cela que la terre reste en
commun. Au contraire la terre atteint mieux son but quand elle est
partagée, parce que la propriété privée est plus productive, à cause
du stimulant de l'intérêt. Cependant il faut que nul ne soit exclu de la
jouissance des fruits de la terre ; or ce résultat est obtenu par la bien-
faisance du riche qui donne au pauvre son superflu. Le superflu est chose
relative : c'est ce qui reste, quand on a pourvu au nécessaire pour l'entre-
tien de l'existence, au décorum en rapport avec la position sociale, à
l'épargne pour les jours mauvais et à la constitution d'un patrimoine
(M J. llEYREAUD, agrégé de l'Université, La Démocralie, 10 février 1922.
(^-') J. GuiRAUD, L'Ecole unique, dans La Croix, 20 juin 1922.
( *) M. LiBERATORE, Principes d'Économie politique (Trad. S. de Sacy), P. II, C. IV,
Art. IV.
C) S. Thomas, Summa théologien, II» 11"% Q. LXVI, Art. 7. « Suivant l'ordre naturel
établi par la divine Providence, les choses iiialérielles inférieures sont destinées à subvenir
aux nécessités de l'homme... Aussi le supcrQu de quelques-uns revient, de droit naturel,
au soutien des pauvres. « Cf. Bourdaloue, Sermon sur l'Aumône.
264 EXEMPLES d'intervention de l'état : BIENFAISANCE (94)
convenable pour assurer la stabilité de la famille. L'obligation qu'a le
riche de distribuer son superflu au pauvre, ne donne pas à celui-ci le
droit de s'approprier ce superflu, sauf en cas d'extrême nécessité (68.
§ E). Le droit de l'indigent au superflu du riche est un droit imparfait
et indéterminé. Le superflu appartient aux pauvres en général et non à tel
ou tel en particulier. Or comme le superflu de chaque riche ne peut
subvenir aux besoins de tous, c'est au possesseur de déterminer ceux
qu'il doit secourir.
Mais, quand la charité privée ne remplit pas sa tâche ou n'y suffit pas.
l'État a le devoir d'en combler les lacunes, en ouvrant des hôpitaux,
des asiles, des dépôts de mendicité, en distribuant des secours, surtout
dans les calamités extraordinaires. Dans ce but il peut établir des
impôts. Il remplit alors légitimement son rôle d'Assistance publique (^),
qu'il faut distinguer de V Assistance légale.
L'Assistance publique est celle qui est distribuée par l'État, les dépar-
tements ou les communes, sans que l'indigent puisse l'exiger comme
un droit. Elle est légitime dans la mesure où elle est nécessaire pour
suppléer à l'impuissance de l'assistance privée ; mais c'est un pis-aller,
parce que la charité administrative est purement matérielle et gaspille
une partie des ressources. L'Assistance légale est perçue comme un impôt
par les pouvoirs publics, de sorte que l'indigent a un droit strict aux
secours de l'État. Elle comprend la taxe des pauvres, le domicile d'assis-
tance et, comme conséquence, elle entraîne l'interdiction de la mendi-
cité. Elle se pratique ainsi vg. en Angleterre. C'est le monopole de la
charité dévolu à l'État ; il faut repousser ce système parce que :
a) L'État sort de son rôle qui n'est que supplétif (93, § I, B).
b) L'effet naturel de la charité légale c'est de refroidir ou d'éteindre
la charité privée et d'enlever toute spontanéité aux sacrifices qu'elle
impose.
c) Le pauvre ainsi secouru reçoit l'aumône comme chose due : on
perd sur lui toute influence morale.
d) Le pauj)érisme est augmenté par la charité légale, parce que,
étant un droit, elle devient un encouragement à la paresse et aux mau-
vaises habitudes.
e) La froideur officielle de la charité légale la rend incapable de
guérir ou de panser les plaies morales {^).
I
C) Haussonville (d'), Assislance publique el assistance privée. Revue des Deux
Mondes, 1900, T VI, pp. 773 et sq.
(•) Haussonville (d"), Misères el remèdes. Socialisme et Charité. La Misère à Paris. —
F.-L.-M. Naville, La Charité légale. — A. Baron, Le Paupérisme, ses causes et ses remèdes.
— P. Cauwès, Cours d'économie politique, P. II, L. V, Sect. V, Ch. I, T. III, n. 1092
sqq., 1893 '. — Ch. Antoine, Cours d'économie sociale, Ch. XX. — Ch. Pékin, La Richesse
dans les sociétés chrétiennes, L. VI, VII. — P. Strauss, Assistance sociale.
i
(96) DEVOIRS ET DROITS DES GOUVERNANTS 265
§ III. — RÉGLEMENTATION DU TRAVAIL (i)
On admet généralement une certaine intervention de l'État, vg. pour
imposer le repos hebdomadaire dominical, interdire le travail de nuit
aux femmes et limiter le travail pour les enfants. On l'admet parce que
dans ce cas l'État défend évidemment les droits des faibles : ouvriers,
femmes et enfants, dont la santé pourrait être compromise par un labeur
trop prolongé, au grand dommage de la société elle-même. Alors l'État
ne fait que rendre juridique un devoir moral des patrons.
Mais convient-il d'aller plus loin, de demander aux pouvoirs publics
vg. d'étendre cette limitation des heures aux adultes, de fixer un minimum
de salaire, d'établir des assurances obligatoires contre les accidents et
les maladies, d'imposer des caisses de retraite pour la vieillesse, de pro-
voquer les divers gouvernements à une entente internationale ? {^)
Ici, la réponse ne saurait être absolue ; elle est relatwe aux circon-
stances qui varient avec les temps, les pays, les intérêts divers de l'agri-
culture, du commerce et de l'industrie. On peut dire d'une façon générale
que cette intervention sera légitime : 1"^ S'il y a dans le régime écono-
mique des abus graves et urgents à redresser ; — 2» Si l'on ne peut y
remédier par l'initiative privée des intéressés, individus ou associa-
tions; — 30 Si cette ingérence est temporaire, c'est-à-dire dure seulement
tant que l'initiative privée restera insuffisante (^).
95. — DEVOIRS ET DROITS DES GOUVERNANTS '
A) Devoirs : 1° Respecter la Constitution et les lois fondamentales.
2» Servir l'intérêt général de la nation et non l'intérêt des partis.
3" Respecter les droits des individus et des familles, qui sont entrés
en société non pour que leurs droits soient violés, mais protégés.
(') A. Desjardins, Le Code civil el les Ouvriers, Rkvue des Dkux Mondes, 1888, T.
II, p. 350 et sq. — Ch. B. Dupont-Wiiite, L'Individu el l'État. — S. Mill, Principes
d'économie politique, T. II, L. V, Ch. XI, § 12. — P. Ca.uwès, Cours d'Économie poliliune,
P. II, L. V, Sect. I, Ch. III, § 3, T. III n. 834 sqq. — R. Jay, L'Évolution du régime
légal du travail. — J. Simon, L'Ouvrière. — G. d'Avenel, La Journée de huit heures.
Revue des Dkux Mondes, 1891, T. II, p. 553 sqq. — P. Boilley, La Législation inter-
nationale du travail. — G. Descurtins, Question de la protection ouvrière internationale —
A. BÉCHAUX, Les Revendications ouvrières. La Réglementation du Travail. Le Droit et les
Faits économiques, L. II, Ch. I. — Ch. Antoine, Cours d'Économie sociale, Çh. XV,
Art. 4. — Le Play, L'Organisation du Travail. — Ch. Benoist, La Crise de l'Étal mo-
derne : l'Organisation du Travail.
( *) Cf. G. Sortais, La Réglementation du Travail, dans Études philosophiques el sociales,
III, p. 71-76.
(') Max Turmann, Les Origines et les étapes de la Législation internationale du Travail
jusqu'à la Conférence de la Paix, dans Correspondant, 1919, T. I, p. 808-826.
266 SÉPARATION DES POUVOIRS (96-97)
40 Favoriser le progrès matériel, int ellectuel et moral.
50 Le pouvoir législatif doit faire des lois justes et utiles.
6» Le pouvoir judiciaire doit appliquerles lois avec justice et équité.
70 Le pouvoir exécutif doit veiller à la sûreté générale, promulguer
les lois et les faire exécuter sans brutalité, mais sans faiblesse.
80 Aucun de ces trois pouvoirs ne doit empiéter sur le terrain des
autres.
B) Droits : 1° Légiférer, juger, exécuter les lois.
2° Être respecté et obéi en ce qui n'est pas manifestement injuste.
30 Imposer le service militaire, des contrihiitions, dans la mesure
où ces choses sont nécessaires à la sécurité et à la prospérité du pays.
40 Pimir les coupables et les délinquants.
50 Être traité par les autres nations d'après les règles du droit des
gens.
96. — SÉPARATION DES POUVOIRS (V)
La souveraineté comprend trois pouvoirs essentiels :
10 Pouvoir législatif, qui fait les lois.
2» Pouvoir judiciaire, qui applique les lois.
30 Pouvoir exécutif, qui assure l'exécution des lois même par la
. force.
Le principe de la séparation des pouvoirs consiste à les répartir
entre différentes mains, parce que leur réunion dans les mêmes mams
peut aisément entraîner de graves abus. Dans la monarchie, l'exécution
et l'initiative des lois sont des prérogatives royales ; mais si la monarchie
est tempérée, cette concentration a des limites dans le refus de concours
que peuvent apporter les États généraux et les Parlements. Dans tout
système de gouvernement il faut au moins que le pouvoir judiciaire
reste indépendant du pouvoir central, qui, autrement, lui ferait rendre
des services agréables et non des arrêts justes. Les moyens principaux
pour sauvegarder cette indépendance de la magistrature semblent être
un concours au seuil de la carrière et l'inamovibilité.
97. — LE POUVOIR LÉGISLATIF
Le pouvoir législatif est celui qui confectionne les lois. C'est en lui
surtout que réside la souveraineté (90, II).
La loi civile est une ordonnance conforme à la raison, faite en vue
(M Montesquieu, De VEsprit des Lois, L. XI, ch. VI/ Cf. J. Dedieu, Montesquieii,
Ch III § 4 p. l'<2 sqq., Paris, 1913. — Locke, Essai sur le Gouvernement ctvil, Où. A
gqq., _! TAPARELti D'AZEGLIO, E-xamen critique des Gouvernements représentatifs... (Trad.
PiCHOT), T. I, Ch. VI. Essai théorique de Droit naturel, L. V, Ch. II à VII.
I
(98) POUVOIR JUDICIAIRE 267
du bien commun et promulguée par celui qui a la charge de la société.
Conditions d'une bonne loi civile. Elle doit être :
1° Juste ;
2° Conforme au bien public (17, § II, D) ;
3° Praticable : c'est-à-dire appropriée au génie de la nation, à ses
habitudes, à ses forces morales et à ses besoins actuels. Les lois les meil-
leures ne sont pas celles qui sont les plus pari'aites en soi, mais celles
que le peuple, pris dans son ensemble, est en état d'observer. Leur
perfection ne peut être que relative.
40 Suffisamment notifiée (47, § G, I).
98. — POUVOIR JUDICIAIRE (i)
I. — Généralités : il ne suffit pas de promulguer les lois ; il faut
encore les appliquer aux cas particuliers, soit pour réprimer les crimes
ou délits (c'est l'objet de la justice pénale)^ soit pour régler les litiges
entre les citoyens (c'est l'objet de la justice civile). Or cette application
ne va pas sans difficultés, provenant de la loi elle-même qui a des points
obscurs à éclaircir, de la complexité des faits qu'il faut débrouiller,
des responsabilités encourues qu'il s'agit de déterminer. L'autorité
supérieure doit donc être munie du pouvoir d'interpréter la loi, d'appré-
cier la valeur des faits rapportés, de mesurer la culpabilité des prévenus,
de terminer les différends entre particuliers, afin d'édicter des peines
justes, efficaces, proportionnées aux crimes et aux délits, exemplaires,
c'est-à-dire aptes à retenir par la crainte ceux qui seraient tentés de
commettre les mêmes méfaits, rassurantes pour les bons en ramenant
la confiance et la sécurité dans les esprits que le crime aurait troublés,
médicinales enfin, c'est-à-dire propres, autant que possible, à procurer
l'amendement des coupables.
L'ensemble de ces attributions constitue précisément ce qu'on
nomme le pouvoir judiciaire. Sans doute, il empiéterait sur le pouvoir
législatif en modifiant la loi qu'il a seulement mission d'appliquer ;
mais, comme la loi ne peut prévoir chaque cas concret, il lui appartient
de tempérer ce qu'une application littérale du texte aurait, dans telle
ou telle circonstance, de trop brutal et même d'injuste.
IL — Droit de punir : ses limites, ses fondements. Peine de mort : {^)
{ *) Tapahelli, Essai théorique... L. V, Ch. VI, Art. IV. — Ch. Benoist, Du Pouvoir
judiciaire dans la Démocratie, Revue des Deux Mondes, 1899, T. V, p. 905-923.
( ') Taparelli, Essai..., L. IV, Ch. III, Art. 3. — T. Rothe, Traité de Droit naturel,
IV» Partie, Ch. V, Sect. X, art. I^ § 3. — L. Proal, Le Crime et la Peine, Ch. XXI. —
R. Saleilles, L'Individualisation de la Peine, Ch. II. — ■ Ch. Périn, Lois de la Société
chrétienne. L. II. Ch. II. — J. de Bonniot. Le Criminel, dans les Éludes, 1889, T. II,
268 POUVOIR JUDICIAIRE (98)
A) L'autorité civile ne peut, comme le demande Platon, punir toutes
les fautes, d'après ce principe général, mal appliqué, que tout acte mau-
vais doit être châtié. La protection des droits et le maintien de l'ordre
extérieur, qui constituent la fin essentielle de la société, tracent les limites
de son droit de punir. Le pouvoir de répression ne s'étend donc qu'aux
actes du for externe qui compromettent l'ordre public et violent les
droits que la société a pour fonction de faire respecter. Aussi les man-
quements aux devoirs individuels, aux devoirs de charité, aux devoirs
religieux échappent à la répression légale.
Le droit de punir, surtout de punir de mort, étant l'attribution la
plus contestée du pouvoir judiciaire, il convient d'en justifier les fonde-
ments.
B) Toute société organisée a le droit de punir, parce qu'elle a le
devoir de maintenir l'ordre, ce qui serait impossible si elle était désarmée.
Mais ce droit va-t-il jusqu'à la peine de mort ? La réponse dépend de
l'idée qu'on se fait des fondements de la vindicte publique. Le droit
pénal a un triple fondement ; le châtiment est un moyen :
1» De préservation pour la Société : a) en mettant le coupable hors
d'état de nuire ; — b) en intimidant ceux qui seraient tentés de l'imiter.
2° D'amendement pour le coupable.
30 De réparation de la justice et de l'ordre violés.
Ces raisons valent aussi pour la peine de mort.
Objections : Les partisans de l'abolition de la peine de mort pré-
tendent : a) qu'il suffirait d'emprisonner le scélérat à perpétuité pour
le rendre inoffensif ; — b) que cette peine rend son amendement impos-
sible.
Réponse : 1« L'emprisonnement même perpétuel serait une sanction
inefficace, parce que cette peine ne serait pas suffisamment exemplaire :
elle n'intimiderait pas assez efficacement ceux qui seraient tentés d'imiter
les assassins, etc. Il est bon d'être miséricordieux, mais il ne faut pas,
par une impunité relative, encourager l'homicide : les honnêtes gens
ont droit aussi à la pitié.
2» Ce motif de préservation sociale n'est pas le principal fondement,
du droit d'infliger la peine capitale. Le but du châtiment est encore
et surtout de rétablir l'équilibre moral que le criminel a troublé par
son forfait : il est sorti de l'ordre absolu par sa révolte, il faut qu'il y
p. 202-234. Balmès, Protestantisme comparé au Catholicisme, Ch. L. — C. Beccaria,
Des Délits et des Peines. — A. Franck, Philosophie du Droit pénal. — E. Mouton, Le
Devoir de punir. — IsiD. Maus, La Justice pénale. — H. Joly, Le Crime. — E. Beaussire,
Les Principes du droit, L. II, Ch. III. — G. Fonsegrive, Essai sur le libre arbitre, II« P.,
L III Ch IV — Caro, Problèmes de moral(i sociale, Ch. IX, X. — P. de Broglie, Le
droit de punir. — G. Tarde, Études pénales et sociales : La Philosophie du Droit pénal.
(99) POUVOIR EXÉCUTIF 269
rentre en subissant une peine qui sera une réparation et, s'il l'accepte
comme telle, une expiation (49, § IV, B). Or l'homicide est le crime
qui s'oppose le plus directement aux fins de la société : celle-ci est faite
pour protéger et perfectionner la vie humaine ; l'homicide la détruit.
A ce forfait hors de pair, il faut un châtiment à part. L'ordre essentiel
ayant reçu ici la plus grave atteinte, la peine doit être portée à son
maximum de rigueur.
On prétend que la peine est destinée à la correction du coupable ;
or la peine capitale lui enlève le moyen de s'amender. - — Ce n'est pas
là le but essentiel du châtiment ; son but premier est la réparation de
la justice, le rétablissement de l'ordre absolu ; la préservation sociale
vient ensuite. L'intérêt du coupable ne vient qu'en troisième lieu, parce
que l'ordre essentiel des choses et l'intérêt général l'emportent sur l'intérêt
particulier. La peine capitale ne laisse pas sans doute au coupable le
temps de recommencer une vie nouvelle, mais celui de se repentir et
d'accepter la mort comme une expiation de son crime : cette acceptation
le réhabilite et le réintègre dans l'ordre moral qu'il avait troublé par sa
faute. En punissant les grands coupables de mort, la société agit en vertu
d'une délégation naturelle d'un pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu,
auteur et maître de la vie et de la destinée.
99. — POUVOIR EXÉCUTIF
§ A. — LE POUVOIR EXÉCUTIF EN GÉNÉRAL
Reste le pouvoir exécutif, qui découle des deux précédents. Il est,
comme eux, un droit essentiel de la souveraineté : il consiste à assurer
l'exécution des lois.
Cette fonction étendue implique le droit de faire exécuter les lois
édictées par le pouvoir législatif, et les arrêts rendus par le pouvoir
judiciaire ; le droit de lever les impôts, d'accomplir les travaux utiles
à la prospérité générale, de maintenir l'ordre public au dedans et de
protéger la société contre les ennemis du dehors, etc. Les dispositions
prises par le pouvoir exécutif pour remplir sa tâche ne sont pas des lois,
mais des décrets ou ordonnances.
§ B. — Lfî DROIT DE GUERRE
De tous les droits appartenant au pouvoir exécutif le plus redou-
table est le droit de faire la guerre.
I. — Nature de la guerre : la guerre n'est pas la source du droit,
la condition de la vie des États, le facteur le plus efficace du progrès
270 POUVOIR EXÉCUTIF : LE DROIT DE GUERRE (99)
national, le moyen providentiel d'élimination des peuples faibles ou des
races dégénérées, comme le soutient l'École allemande, depuis Fichte
et Hegel jusqu'à Nietzsche et Bernhardi {^).
Par contre, le recours à la guerre n'est pas nécessairement immoral,
comme le prétendent, vg. J.-.J Rousseau, l'abbé de Saint-Pierre, Victor
Hugo, Tolstoï, les humanitaires et les « pacifistes ». H peut y avoir des
guerres justes.
La guerre n'est ni un bien ni un mal en soi : c'est un moyen doulou-
reux et extrême auquel il faut parfois recourir. Sans doute, elle est
accompagnée d'affreuses calamités. Dieu les permet, comme il permet
ici-bas le mal (Théodicée, Art. III, Sect. II) {^), à titre d'épreuve
miséricordieuse et salutaire, en vue d'un bien supérieur. Qu'il suffise
de le rappeler ici : la guerre est l'occasion des plus héroïques vertus et
des plus beaux sacrifices, qui réconfortent et retrempent les âmes ; les
souffrances qu'elle entraine ont une valeur exceptionnelle pour expier
les fautes commises par un peuple et peuvent devenir pour lui des
semences fécondes de régénération sociale.
IL — Conditions de sa légitimité : pour qu'une guerre soit faite
honnêtement, il faut qu'elle soit déclarée par une puissance légitime,
qu'elle ait une cause juste et que l'équité y soit observée, du commen-
cement à la fin et, après la victoire, lors de la paix qui met fin à la lutte (^).
Les conditions d'une guerre honnête se ramènent donc à trois : Juste
déclaration^ Juste cause, Justes moyens.
1° Juste déclaration : il faut que la guerre soit déclarée, non par de
simples particuliers ou par quelque autorité secondaire (*), mais par
l'autorité du Souverain, c'est-à-dire par l'autorité, quel qu'en soit le
détenteur, qui a dans l'État le pouvoir suprême.
« Pleine juridiction est requise, car il y va de la vie et des biens des
sujets. Il y faut aussi une juridiction ultime, indépendante à l'égard
de toute autre juridiction ; cette conséquence suit de la façon dont la
raison parvient à se démontrer la légitimité de la guerre en certains cas.
Les particuliers ont recours aux tribunaux pour trancher leurs diffé-
rends ; l'État, faute de juges, n'a que le recours aux armes pour soutenir
et revendiquer son droit. Mais seul le Souverain parfaitement indépen-
(•) Cf. L. Le Fur, Guerre juste et juste Paix, Ch. i, § II, p. 11 sqq., Paris, 1920.
( •) A. Eymieu, La Providence et la Guerre, Paris, 1917.
(') Ut bellum lioneste fiât nonnulla; conditiones sunt observandae, quae ad tria capita
revocantur. Primum, ut sit a légitima potestate. Secundum, ut sit justa causa et titulus,
Tertium, ut servetur debitus modus et aequalitas in illius initio, prosecutione et Victoria...
(Fr. Sdarez, De Virtulibus theologicis, Tract. III, De Caritate, Disp. XIII, De Bello, Sect. I.
Concl. 4). Cf. De Legibus, L. II, C xix et xx.
( *) Ceci regarde particulièrement les guerres privées de l'époque féodale.
(99) POUVOIR EXÉCUTIF : LE DROIT DE GUERRE 271
dant manque de juges, à qui il puisse recourir. Il est donc le seul qui
puisse déclarer la guerre et conclure la paix (^). ?
S'il existe une Cour internationale de justice dotée du droit d'arbi-
trage obligatoire et disposant de sanctions appropriées, c'est devant
elle que doit être porté le conflit, car, dans cette hypothèse, les Souve-
rains des pays en litige ont des juges auxquels ils doivent s'adresser
(111, E, F ). C'est seulement en l'absence d'une autorité dont les États
ennemis relèvent, que le chef de la nation injustement provoquée a le
droit de déclarer la guerre à la nation provocatrice, qui, à raison de son
délit contre le droit d'autrui, ratione delicti, devient justiciable de la
puissance lésée.
2" Juste cause : il faut que la guerre soit entreprise pour de justes
motifs. Ils reviennent à un seul (^) : la violation d'un droit intéressant
la société. Deux cas peuvent se présenter :
a) Empêcher par la force une injustice graine de se commettre : c'est
le cas de la guerre défensive. De l'injuste attaque naît pour l'État envahi
le droit de se défendre. Sur ce droit se grefïe pour les autres nations
le droit d' intervention (110, E). Dans ce cas, la guerre est l'application
aux sociétés du droit de légitime défense reconnu aux particuliers par
tous les juristes : Vim vi repellere omnia jura permittunt.
b) Obtenir par la force réparation dhme grave injustice commise.
C'est le cas de la guerre offensive. Pour être légitime, il faut qu'il n'y ait
pas moyen d'obtenir autrement réparation. C'est dire que la guerre doit
être nécessaire. Avant de l'engager, le souverain de la nation lésée doit
épuiser tous les moyens de conciliation : négociations directes, médiation
d'un tiers, arbitrage international.
Le seul intérêt, les désirs de conquête, le Besoin de s'agrandir ou
de s'ouvrir des débouchés, le sentiment de la vengeance, la crainte
d'un voisin redoutable {^) ne sont donc pas des motifs légitimes de
faire la guerre.
(M M. Chossat, La Guerre et la Paix, Ch. iv, § i, p. 118, Paris, 1918. Cf. S. Thomas,
Summa Iheologica, 2*° 2»°, Q. XL, Respondeo... Primo.
( ') Causa justa belli suscipiendi nulla alia esse potest nisi injuria (Grotiu.s, De Jure
Belli et Pacis Libri très, L. II, C. i, § 4). — Cf. Victoria : Unica est et sola causa justa
inferendi bellum injuria accepta. {Relecliones theologicse XII, Relect. IV De Indis insutanis
et De Jure Belli, P. II, § 13).
{^) C'est sur cette crainte que Kant a fondé le droit de guerre préventive, dont il s'efforce
vainement de prouver la légitimité : « Outre l'attaque effective (la première agression,
qu'il faut distinguer de la première hostilité), il y a la menace. Il faut y rattacher ces prépa-
ralifs par lesquels un État prend les devants et sur lesquels se fonde le droit de prévention
{jus prmvenlionis) , et même le simple accroissement d'une puissance qui se rend redoutable
ipotenlia tremenda) par l'agrandissement de son territoire. Cet accroissement est, par le
fait môme et antérieurement à tout autre acte de l'État qui augmente ainsi sa puissance,
une lésion faite aux États moins puissants ; et, dans l'état de nature, l'attaque est tout
à fait juste. » (Kant, Eléments métaphysiques de la Doctrine du Droit, II» Partie, II" Sect.,
§ LVI. Traduct. Barni, Paris, 1853, p. 221).
272 POUVOIR EXÉCUTIF : LE DROIT DE GUERRE (99)
Le but que doivent se proposer les belligérants, c'est le rétablis-
sement de la paix dans la justice. Ce n'est donc pas d'écraser l'adver-
saire ou de le supprimer, mais de le contraindre à réparer l'injustice,
dont il est responsable, et de le réduire à l'impuissance de nuire.
30 Justes moyens : il faut conduire la guerre et conclure la paix
en s'inspirant de la justice :
a) Celui qui « a juste guerre » peut recourir aux moyens habituels
de violence pour vaincre son adversaire. Mais ce droit ne saurait être
illimité. Le degré de violence doit être proportionné à la fm qu'on se
propose légitimement d'atteindre. Le droit des gens réprouve l'emploi
de certains moyens barbares : vg. armes empoisonnées, massacre des
prisonniers, incendie ou bombardement des villes ouvertes, empoison-
nement des fontaines publiques, sévices contre la population non com-
battante, destruction des édifices, des arbres qui n'est pas rigoureu-
sement exigée par les opérations militaires.
La mesure des choses permises ou défendues dans la conduite de
la guerre a varié selon l'état de la civilisation. Elle a été fixée de notre
temps par décision contractuelle. Presque tous les États ont signé les
conventions internationales de La Haye (1907), qui ont réglé dans le
détail quels moyens de nuire à l'ennemi, dans la guerre sur terre et sur
mer, sont licites ou illicites.
b) Dans la conclusion de la paix le vainqueur doit se conformer
aux principes de la justice : il a le droit de reprendre tout ce que l'ennemi
a usurpé, d'imposer des réparations matérielles pour les destructions
accomplies, d'exiger la punition des crimes commis, de fixer une contri-
bution financière comme indemnité dès dépenses de la guerre, de confis-
quer certains territoires et certaines forteresses à titre de châtiment
pour l'injustice commise ou pour se garantir contre de nouvelles entre-
prises belliqueuses.
Ces sanctions sont parfaitement légitimes. En effet, « le belligérant
coupable et vaincu subira, par autorité de justice, des contraintes
pénales plus ou moins analogues à celles que subirait un particulier
justement condamné par les tribunaux pour lésion grave du droit d'au-
trui. De même que le particulier serait légitimement privé, par sentence
du juge, de quelque chose de sa fortune ou de ses droits individuels,
de même le belligérant coupable et vaincu sera légitimement puni
d'amende et, par quelque aliénation de territoire, subira une légitime
atteinte à son « droit (nornial) de disposer de lui-même » (^).
On voit ce qu'il faut penser du principe, mis en avant par les socia-
( ') Y. DE L\ Bhière, Paix el Guerre, dans Dictioyinaire npologclique de la Foi catho-
Uque,[sous la direction de A. d'Alès, T. III, col. 1268, Paris 1916.
(99) POUVOIR EXÉCUTIF : LE DROIT DE GUERRE 273
listes russes et les « pacifistes », que toute guerre doit se régler selon
cette formule : « Ni indemnités, ni annexions. » Ce serait un encou-
ragement donné à la violence et à l'injustice aux dépens du droit.
La paix doit être une œuvre de justice et non une œuvre de ven-
geance. La charité ne perd jamais ses droits (^). Il lui appartient de
tempérer les rigueurs de la justice, en prescrivant la modération dans
l'usage de la victoire. Le vainqueur ne réclamera que ce qui est suffisant,
au point de vue politique et économique, pour le rétablissement de l'ordre
et du droit, renonçant aux exigences excessives qui deviendraient une
source de haines inextinguibles et la cause de nouvelles guerres.
IIL — Responsabilité dans la guerre : la déclaration de guerre
impose aux chefs d'État, aux législateurs et aux conseillers des Sou-
verains les plus graves obligations morales : ne jamais provoquer la
guerre, ne pas la déclarer avant d'avoir acquis, après examen conscien-
cieux, la conviction que l'adversaire s'est rendu coupable d'une violation
grave et certaine du droit, et que, les moyens d'accommodement étant
épuisés, la guerre reste l'unique moyen d'obtenir réparation. C'est la
disposition que saint Thomas exige sous le nom à''intention droite (2).
La situation des officiers et des soldats est moins délicate. Ils peuvent
raisonnablement supposer que leurs gouvernements obéissent à des
motifs justes et impérieux, que, vu les circonstances critiques, l'autorité
supérieure ne peut divulguer à ses inférieurs. Leur devoir est donc de
combattre courageusement en vue de procurer le bien commun. Seuls
des cas rares d'évidente injustice dans la déclaration ou la conduite de
la guerre enlèvent aux combattants le bénéfice de leur bonne foi sub-
jective. Si, par exemple, des actes de cruauté, d'immoralité, de vol sont
commandés, au cours des opérations militaires, en violation manifeste des
préceptes de la Morale, des Lois de la guerre, du Droit international, la
bonne foi devient impossible: officiers et soldats doivent refuser d'obéir (^).
( ») On connaît, en sens contraire, les passages où Nietzsche exprime brutalement une
idée commune à nombre d'Allemands et déjà, énoncée par beaucoup de ses compatriotes :
« Vous aimerez la paix comme un moyen de guerres nouvelles. Et la courte paix plus que la
longue. Je ne vous conseille pas le travail, mais la lutte. Je ne vous conseille pas la
paix, mais la victoire.... Une bonne cause, dites-vous, sanctifie même la guerre ? Mais,
moi, je vous dis : C'est la bonne guerre qui sanctifie toute cause.... Voici la nouvelle loi,
ô mes frères, que je promulgue pour vous : Devenez durs. « {Ainsi parlait Zarathustra,
I'« Partie, § De la Guerre et des Guerriers. III^ Partie, § Des vieilles et des nouvelles Tables.
Cf. Werke, t. VI, p. 67 ; 312, Leipzig, 1895).
( ') Tertio requiritur ut sit intentio bellantium recta. (S. Thom.^s, Summa theologica,
2» 2". Quaest. XL, Art. I).
(') Indiquons quelques publications récentes sur la guerre : A. Vanderpol, Le Droit
de Guerre d'après les Théologiens et les Canonistes du Moyen Age, Paris, 1911. La Guerre
devant le Christianisme, s. d. (1912). La Doctrine scolastique du Droit de Guerre, 1919. —
Ad. Tanquerey, Synthèse de la Doctrine Ihéologique du Droit de Guerre, dans L'Eglise et
la Guerre, Paris, 191.3. — Y. de la Buiêre, La Guerre et la Doctrine catholique, dans les
ÉTUDES, 5 oct. et 5 nov. 1914 et dans Luttes de l'Eglise et Luttes de la Patrie, p. 1-59, Paris,
274 DEVOIRS ET DROITS DES GOUVERNÉS (100-101)
100. — DEVOIRS ET DROITS DES GOUVERNÉS
A) Devoirs : 1° Dévouement à la patrie.
2° Obéissance aux lois, à moins qu'elles ne soient manifestement
injustes ou tyranniques.
3° Respect des magistrats.
4*3 Éducation des enfants : en faire de bons citoyens.
5° Participation aux charges de l'État par : a) le Service militaire ;
— b) le paiement de V Impôt.
B) Droits : 1° Les gouvernés conservent leurs Droits naturels,
que l'État a pour fonction de protéger ; ils ont droit à être respectés
dans leur vie, leur honneur et leurs biens (66, 68, 73).
2° Ils acquièrent des Droits civils, relatifs à leurs rapports avec leurs
concitoyens : vg. vente, donation, etc. Les lois sociales doivent préci-
sément assurer le libre exercice des droits naturels qu'elles interprètent
et protègent (93, § A, I, B, 2o).
30 Ils acquièrent des Droits politiques, relatifs à leurs rapports
avec le gouvernement : vg. vote, éligibilité (104).
Il convient d'insister sur quelques-uns de ces Devoirs et de ces
Droits à cause de leur particulière importance ou complexité.
101. — L'OBÉISSANCE AUX LOIS
A) Soumission aux lois justes. — Le premier devoir des gouvernés
c'est d'obéir à la loi et à ceux qui commandent en son nom. Cette obéis-
sance ne doit pas seulement être inspirée par la crainte des sanctions
pénales, mais encore par le respect dû au devoir. Toute violation des
lois civiles est faite au détriment de la société (puisque toute loi juste
est portée en faveur du bien commun (17, § II, D) et, par suite, se
trouve en opposition avec un précepte divin, car, suivant la parole de
saint Paul : « Celui qui résiste à l'autorité, résiste à l'ordre que Dieu a
établi (1). »
1916. — P. Batiffol, Les Lots chrétiennes de la Guerre, dans le Correspondant, 25 cet.
1914. — J. Chiaudano, La Guerrn e l' Insegnamento délia Scuola cattolica, dans la Civilta ,
CATTOLiCA, 3 avril 1915. — B. Gaudeau, Les lois chrétiennes de la Guerre, dans La Guerre i
allemande et le Catholicisme, p. 1-30, Paris, s. d. (19151. — M. -A. Janvier, Droits et Devoirs]
des Belligérants, dans L'Allemagne et les Alliés devant la Conscience chrétienne, p. 125-173,;
Paris, 8. d. (1916). Cf. Conférences de Notre-Dame, 1916, Sixième Conférence, p. 135-156.
— Th. Pègues, Saint Thomas, et la Guerre, Paris, 1917. — ■ M. Chossat, La Guerre et la]
Paix d'après le Droit naturel chrétien, Paris, 1918. — A. Michel, Questions théologiques dw\
temps présent : I. Questions de Guerre, Paris, 1918. — J. Bittremieux, Lessius et le Droiti
de Guerre, Bruxelles, 1920.
( ') Qui resistit poteslati, Dei ordinationi resistil (S. Paul, Ep. ad Romanos, XIII, 2).
I
(101) l'obéissance aux lois 275
Cependant, les lois humaines n'étant point parfaites, il est loisible
à tout citoyen de travailler à leur amendement, pourvu qu'il s'en tienne,
pour y arriver, aux moyens légaux.
B) Résistance passive aux lois injustes (^). — Une loi civile
peut être injuste de deux façons : elle peut être contraire soit aux droits
de Dieu, soit aux droits des citoyens.
1° Dans le premier cas, la loi impose une action ou une omission
intrinsèquement mauvaises, qui sont contraires à la loi divine et réprou-
vées par la conscience : vg. la Constituante prescrit aux prêtres le serment
à la Constitution civile du Clergé.
Alors la loi commande le mal. Le devoir est ne pas lui obéir, parce
que « l'on doit obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes » (^). C'est un prin-
cipe évident qu'un chef subordonné ne peut donner un commandement
contraire à la volonté certaine d'un supérieur, surtout quand ce supé-
rieur est l'Être souverain, infiniment sage et puissant, Dieu lui-même (').
2° Dans le second cas, la loi ne commande pas le mal, mais elle
commande à tort, injustement : telle une loi qui violerait le droit de
propriété ou d'association, ou imposerait sans raison une surcharge
d'impôts à une catégorie de citoyens. Comme ici la loi ne prescrit pas
une action intrinsèquement mauvaise, on n'est pas tenu à lui désobéir.
Cependant, comme elle commet une injustice, ceux qui en sont victimes
ont le droit de résister passivement, « si ce n'est peut-être pour éviter
le scandale ou le trouble » (*). Il faut expliquer cette restriction. En
certains cas, on doit se soumettre à une loi injuste. Ce n'est pas qu'elle
oblige par elle-même, puisque, n'étant pas juste, elle n'est pas une
vraie loi : sa valeur en soi est donc nulle. Mais il peut se rencontrer des
circonstances extrinsèques qui imposent cette obligation. Exemple :
si mon refus de payer une taxe inique doit provoquer des troubles san-
glants, je me soumettrai pour empêcher un plus grand mal.
Par contre, il peut arriver que les circonstances me conseillent d'user
de mon droit de résistance passive. Exemple : si des soumissions anté-
rieures n'ont fait qu'encourager les législateurs à commettre de nou-
(') Cf. A. Bélanger, Une loi injuste oblige-l-elle en conscience ? dans la Collection
Science et Religion, n° 238, Paris, 1903. — H. Gayraud, La Loi devant laraison, Paris, 1906.
( ') Obedire oportet Dec magis quam hominibus [Act. Apost., V, 29).
( ') ' L'obéissance est due à chacun selon son degré ; et il ne faut point obéir au gou-
verneur, au préjudice des ordres du prince. Au-dessus de tous les empires est l'empire de
Dieu. C'est ;\ vrai dire le seul empire absolument souverain, dont tous les autres relèvent,
et c'est de lui que viennent toutes les puissances. Mais, par la même raison, comme on ne
doit pas obéir au gouverneur contre les ordres du prince, on doit encore moins obéir au roi
contre les ordres de Dieu » (Bossuet, Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture Sainte,
L. VI, Art. II, Prop. II). — Cf. Suarez, De Legibus, L. I, C. ix, § 4.
( *) Unde taies leges (injustae] non obligant in foro conscientiae, nisi forte propter vitan-
dum scandalum val turbationem ; propter quod etiam homo juri suo débet cedere... (S. Tho-
mas, Summa theologica, 1» 2", Q. XCVI, Art. IV. Cf. Ibidem, Ad tertium).
276 LE SERVICE MILITAIRE (102)
velles injustices, c'est une raison qui m'autorise à passer par-dessus]
« le scandale et le trouble » et m'engage à résister.
Il est évident, enfin, que la résistance passive n'est légitime qu'à.]
deux conditions :
a) Si l'injustice commise est grai>e. Autrement, la société serait!
sous la menace de perturbations continuelles, car il est inévitable que]
des erreur^ légères échappent même aux meilleurs législateurs dans
l'œuvre compliquée de la confection des lois. Reste toujours aux parti-
culiers lésés le droit de réclamer la modification de la loi dont ils ont à
se plaindre.
b) Si l'injustice commise est moralement certaine, car, en cas de
doute, la présomption est en faveur du législateur, dont le droit est
plus élevé et qui est en possession (^).
C) Résistance active aux lois injustes. — Cf. infra (106, C) :
Résistance à la tyrannie.
102. — LE SERVICE MILITAIRE
Outre le devoir général d'obéir aux lois et de respecter les magistrats^
le citoyen a encore des devoirs particuliers, vg. payer l'impôt du sanj
et l'impôt de l'argent. C'est par le service militaire qu'on s'acquitte du
premier.
A) Fondement de ce devoir. — La société a le droit d'atteindre
paisiblement sa fin et, conséquemment, de se défendre contre ses ennemis
du dedans et du dehors. Pour réprimer les troubles intérieurs et faire
face aux guerres extérieures, elle ne dispose que des citoyens qui la
composent. C'est donc pour eux un devoir strict, une dette sacrée de
défendre, au péril même de leur vie, cette société dont ils sont membres
et à laquelle ils sont redevables de tant d'avantages. Mais, pour remplir
efficacement ce rôle de défenseurs de la patrie au moment du danger,
il faut qu'ils s'y préparent avec soin en temps de paix. D'où la nécessité
d'une éducation militaire et des armées permanentes.
B) Mode et étendue du Recrutement. — ^ Il y a deux manières
de recruter ces armées : l'engagement volontaire ou la conscription
obligatoire. Ce second système a généralement prévalu, à cause des
inconvénients qu'entraîne le premier : vg. dépenses considérables pour
solder les volontaires, insuffisance dans le nombre des recrues.
La quantité de soldats à enrôler et la durée de la formation militaire
dépendent des circonstances. Comme le service militaire universel est
une charge financière très lourde et qu'il entrave plus ou moins longtemps
{') Cf. Su.iREZ, De Legibus, L. I, C. ix, § II.
(103) l'impôt 277
les carrières de la jeunesse de tout le pays, il faut limiter le plus possible
ce 'nombre et cette durée. On devra les mesurer sur les nécessités de la
défense nationale. Cette mesure est donc forcément variable comme
ces nécessités mêmes.
A cet esprit d'équitable modération s'oppose le Militarisme qui, en
vue d'agrandissements futurs, subordonne tout à la préparation d'une
guerre de domination. Pour réaliser ces projets de conquête, certains
États, l'Empire allemand en particulier, pour qui la guerre était devenue
« une industrie nationale », ont organisé de formidables armées perma-
nentes, ce qui a obligé les autres puissances à augmenter leur armement.
Avant 1914, l'Europe était transformée en un vaste camp retranché.
Ces accroissements sont un véritable fléau pour les peuples. La tendance
actuelle est au désarmement, qui doit être aussi général que possible,
mais ne saurait être complet, car les nations auront toujours besoin
d'entretenir des troupes capables de les défendre contre les attaques
injustifiées.
C) Obligation personnelle. — Longtemps les États ont considéré
le service militaire comme une obligation réelle, mais non personnelle.
Alors il était permis de se substituer un remplaçant qu'on indemnisait
à prix d'argent. Aujourd'hui, le service militaire est communément
regardé comme une obligation personnelle. En principe, tous y sont
astreints. Celui qui cherche à s'y dérober par la fuite ou par une muti-
lation volontaire qui le rend impotent, manque gravement au devoir
patriotique, car il viole la justice légale. En pratique, force est bien
d'admettre des dispenses : vg. en faveur des infirmes, de ceux qui sont
absolument nécessaires au soutien de leur famille. De plus, afin de
pourvoir à des services importants incompatibles avec le métier des
armes, on est obligé d'exempter ceux qui sont plus aptes à les remplir.
Ainsi, durant la guerre de 1914, un grand nombre d'ouvriers ont été
employés, loin du front, à fabriquer dans les usines des engins de combat.
Il n'y a rien là de contraire à la véritable égalité, car elle n'exige pas
l'uniformité, mais l'équivalence des services. La diversité harmonieuse
des fonctions est une condition d'existence et de vitalité pour tout être
organisé, qu'il soit individuel comme le corps humain, ou collectif
comme le corps social.
103. — L'IMPOT (1)
I. — Nécessité : l'État aie devoir de subvenir aux besoins communs,
de s'acquitter des services publics (administration générale, armée, etc.) ;
{ ») T. ROTHE, Traité de Droit naturel, T. I, P. IV, Cli. v, Sect. XX. — A. Vermëersch,
Qusesliones de Justifia. .-, Quaest. III, C. II. — R. Stourm, Systi^mes généraux d'impôts.
278 l'impôt (103)
•
il a donc droit aux moyens nécessaires ; or V impôt est l'un de ces moyens.
II. — Nature et Fondement : la société politique et ses exigences
s'imposent à tous les habitants du même pays. Chacun d'eux doit
contribuer, selon ses ressources et dans la mesure des besoins publics,
à la réalisation du bien commun. L'impôt est l'un des moyens néces-
saires pour atteindre ce but. Chaque citoyen est donc tenu de le payer.
L'impôt direct est par conséquent une charge personnelle, c'est-à-dire
qui tombe directement sur la personne des citoyens, et non une charge
réelle, c'est-à-dire qui frappe directement les biens. On peut le définir une
contribution aux charges publiques imposée par l'État aux particuliers.
III. — Obligation de payer l'impôt : « Le citoyen qui refuse l'impôt
se met en état de rébellion, puisqu'il refuse à l'État le moyen indispen-
sable de remplir sa mission ; il rend, autant qu'il dépend de lui, la société "
impossible. Celui qui fraude sur l'impôt commet la même faute, quoique
dans une moindre mesure. L'un et l'autre se rendent coupables, en
outre, d'une injustice envers leurs concitoyens, puisque l'impôt qu'ils
ne paient pas retombe sur les autres. En principe donc, la loi fiscale
oblige en conscience. Mais, chez nous (i), l'habitude de frauder le fisc
est tellement invétérée que le législateur n'a pas voulu urger l'obligation
de conscience, de peur qu'elle ne créât un préjudice aux seuls honnêtes
gens. Néanmoins les fraudes, qui dépasseraient notablement les tolé-
rances généralement admises,. ne semblent pas mériter d'excuse. Il est
à espérer que, peu à peu, l'esprit public s'élèvera à une conception plus
saine du devoir fiscal {^). »
IV. — Espèces : A) Direct : il s'adresse immédiatement aux personnes
en vertu des rôles nominatifs arrêtés chaque année : cote personnelle,
impôt foncier, impôts sur les maisons, sur les portes et fenêtres, sur
l'exercice des professions (licence ou patente), sur les transmissions
à titre gratuit ou onéreux, sur le revenu ; impôt de l'enregistrement,
prestations en nature.
B) Indirect : il atteint les objets de consommation : matières pre-
mières, aliments, vêtements, objets de luxe. On l'appelle ainsi parce
qu'il n'est d'ordinaire qu'une avance remboursée par le consommateur
p. Leroy-Beaulieu, Traité de la Science des Finances. T. I, L. II. — L. Say, Diclion-
naire des Finances. Contre l'impôt sur le revenu. — II. Denis, L'impôt. — J. Roche,
Contre l'impôt sur le retenu. — - N. -G. Pierson, Les revenus de l'Etat. Trad. du hollandais,
par L. Suret. — Edw R. A. Seligman, Essais sur l'impôt. Traduit de l'anglais par
L. Suret. L'Impôt progressif en théorie et en pratique. Trad. par A. Marcaggi. —
J. Ingenbleek, La Justice dans l'impôt.
( ') L'auteur parle de la Belgique ; mais sa remarque vaut aussi pour d'autres pays,
vg. la France
( ») V. Fallon, Principes d'Economie sociale, P. IV, Sect II, Ch. i. Art. 2, p. 344, n. 1.
Louvain .1921.
(103) l'impôt 279
à celui qui le paie, ou parce qu'il n'atteint les personnes que par l'inter-
médiaire des choses. On en distingue trois sortes : 1^ Contributions
indirectes ou droits réunis (^) ; — 2^ Douanes ; — 3° Régies.
V. — Qualités : l'État doit établir l'impôt en se conformant aux
règles de la justice distributive. D'après ces règles, voici les qualités
principales d'un impôt juste : il doit être :
A) Nécessaire, c'est-à-dire exigé par le bien commun ; autrement
il est injuste.
B) Général, c'est-à-dire atteignant tous ceux qui sont en état de
le payer. Cette règle admet des exceptions : la loi peut exempter ceux
qui ont rendu des services exceptionnels au pays, car ces services com-
pensent la contril)ution pécuniaire due à la société.
C) Equitablement réparti, c'est-à-dire être proportionné aux forces
économiques de cliacun. Il doit frapper d'abord le superflu, puis le conve-
nable, et respecter le nécessaire. Dans l'appréciation des facultés contri-
butives, l'État doit tenir grand compte des charges de famille. Le céli-
bataire peut supporter des impôts plus lourds que le père de famille
qui, avec le même revenu, doit pourvoir à l'entretien de sa femme et
de ses enfants. Les ménagements du fisc pour les familles nombreuses
sont d'autant plus justifiés que, ces familles devenant plus rares, le
fléau de la dépopulation est plus menaçant. L'État doit aussi tenir
compte de l'origine des revenus : nous allons voir qu'il faut distinguer
deux sortes de revenus (VI).
VI. — Base : l'impôt doit, en général, être prélevé sur le revenu et
non sur le capital. En efîet, l'impôt doit être en rapport avec les res-
sources du pays et ne pas faire obstacle à sa prospérité. Or imposer le
capital c'est diminuer pour l'avenir une des sources de la production
et réduire la matière imposable. Un particulier qui mange son capital
va à la faillite ; un État qui entame le capital de ses sujets les mène
à la ruine et y aboutit lui-même. Il faut se rappeler le mot de J.-B. Say :
seuls les revenus « renaissent incessamment ».
L'impôt sur le capital ne se conçoit que pour les rares richesses qui ne
produisent pas de revenus : vg. objets d'art, diamants, successions.
Les taxes successorales doivent être peu élevées : autrement, elles
amoindriraient trop le capital. Si elles sont faibles, cet inconvénient
est évitable, parce que, comme elles ne sont exigibles que de loin en
loin, elles peuvent être réparties sur le revenu de plusieurs années, sans
qu'il soit nécessaire d'entamer le capital.
( >) L'impôt fies contributions indirectes pèse plus sur les pauvres que sur les riches,
car celui qui a 20.000 francs de rente ne consomme pas 10 fois plus de sel, de sucre ou de
vin que quelqu'un qui gagne 2.000 francs par an. De là vient la défaveur où il est tombé
en certains pays.
280 l'impôt (103)
On distingue deux sortes de revenus : les revenus du capital, c'est-
à-dire de tout instrument apte à produire la richesse, et les revenus du
travail. Ils doivent être taxés l'un et l'autre, mais inégalement.
Il serait injuste, en effet, de ne frapper que les revenus du capital,
parce que nombre de citoyens sans capitaux peuvent se procurer de
beaux revenus par leur travail : vg. médecins, avocats, etc.
Mais les revenus du capital doivent être taxés à un taux plus élevé
que ceux du travail. C'est une conséquence logique du principe que nous
avons posé, à savoir qu'il faut proportionner l'impôt aux facultés contri-
butives de chaque citoyen. Or le rentier qui jouit d'un revenu de
15.000 francs est plus en état de contribuer aux charges publiques que le
travailleur auquel son travail rapporte la même somme. Car le rentier
peut ajouter à sa rente fixe le revenu supplémentaire de quelque entreprise
lucrative. Il faudrait, dans l'établissement de la taxe, avoir égard aux
conditions d'âge et de capacité de travail où se trouve le rentier, aiu'si
qu'à la quantité de son revenu.
VII. — Mode d'estimation d'un revenu : il est très difficile de
l'estimer exactement. Si l'on s'en remet à la déclaration des contri-
buables, il est à craindre que les honnêtes gens paient pour les fraudeurs ;
si l'État recherche d'office la fortune de chacun, il pénétrera dans la
vie privée ; cette inquisition peut devenir vexatoire et provoquer l'émi-
gration des capitaux à l'étranger. Au lieu de calculer le revenu direc-
tement, il faudrait trouver un moyen de l'évaluer indirectement, par
un signe extérieur de la richesse. C'est ainsi qu'on le fait déjà pour
l'impôt personnel et mobilier : on le calcule d'après le prix du loyer ou
la valeur locative probable pour ceux qui habitent leur propre maison.
Mais la difficulté est de trouver un signe extérieur vraiment équivalent.
VIII. • — Quotité de l'impôt : la justice distributive demande que
l'impôt soit proportionné aux facultés contributives des citoyens. Cette
règle est admise par tous. Mais, sur la manière de l'appliquer, c'est-
à-dire sur le meilleur moyen de réaliser une équitable répartition de
l'impôt selon la capacité contributive de chacun, les auteurs se divisent.
L'impôt équitable est-ce l'impôt proportionnel ou l'impôt progressif ?]
L'impôt proportionnel est celui qui prend un même tantième de'
tous les revenus ; la proportion reste constante : vg. si 100 francs de revenu
paient 10 francs, 1.000 en paieront 100, 10.000 en paieront 1.000, etc.,
c'est-à-dire toujours le 10® du revenu. Cette sorte d'impôt n'est pas
conforme à la justice distributive, car la privation qu'il fait subir au-
contribuable est plus lourde pour le pauvre que pour le riche : pour celui
qui a 100.000 franes de rente, un impôt de 10 % (— 10.000 francs)
est pris sur son superflu, tandis que pour celui qui n'a que 1.000 francs
de revenu, un impôt de 10 % ( = 100 francs) est pris sur son nécessaire.
L'impôt doit donc être progressif dans une certaine mesure.
(104) LE DROIT DE VOTE ET D'ÉLIGIBILITÉ 281
L'impôt progressif est celui dont la proportion varie et croît avec
l'augmentation du revenu : si la taxe est de 10 % jusqu'à 1.000 francs
de revenu, elle sera, vg. de 12 % sur un revenu de 1.000 à 10.000 francs,
de 15 % sur un revenu de 10.000 à 100.000 francs, et ainsi de
suite.
L'impôt progressif doit être sagement limité, sous peine d'aboutir
à des conséquences désastreuses. Si l'on établit un impôt à progression
rapide et forte, il absorbera une telle part du revenu des classes riches
qu'il découragera l'esprit d'entreprise et poussera à l'émigration des
capitaux en pays étrangers, à la diminution de l'épargne. La progression
doit donc être modérée. Si la progression est indéfinie, l'impôt abou-
tira alors à une véritable confiscation. « Supposons en effet un impôt
progressif dont le taux débuterait par 2 pour mille et augmenterait
de 2 pour chaque mille en plus. Le revenu de 500.000 francs serait
complètement absorbé par l'impôt. Si l'on poussait à bout l'application
du principe, son absurdité apparaîtrait dans ce fait que le contribuable
dont le revenu serait d'un million devrait payer deux millions d'impôt {^).n
Il faut donc limiter la progression pour empêcher les gros revenus de
disparaître entièrement. Deux moyens se présentent d'obvier à cet
inconvénient : fixer un taux maximum qui ne doit pas être dépassé,
ou bien, dans les couches supérieures des gros revenus, se contenter
d'un taux proportionnel.
D'autre part, il faut empêcher l'impôt de dévorer les petites fortunes,
car c'est un principe certain que l'impôt doit épargner le nécessaire.
On doit donc exempter de l'imposition le minimum de revenu regardé
comme nécessaire. Pour déterminer ce minimum on prendra une moyenne
qui variera avec les circonstances (^).
104. — LES DROITS DE VOTE ET D'ÉLIGIBILITÉ
A) Devoirs de l'électeur et de l'élu : dans les États modernes,
tout citoyen réunissant certaines conditions d'âge, de domicile et d'hono-
rabilité déterminées par la constitution de chaque pays, a le droit de
vote ou de suffrage et celui d'éligibilité.
Là où le vote est un droit, c'est aussi un devoir, un devoir grave, qui
( ') V. Fallon^, Principes d'Economie sociale, Loco. cil., p. 348.
( -) « Des écrivains d'une grande autorité soutiennent la légitimité de l'impôt progressif :
Taparelii, Liberatore, Stuart Mill, J. Garnier, Devas, J.-B. Say, Rossi, L. Faucher, Courcelle-
Seneuil, Wagner, Schaeffle, Helfericli. D'autres, en grand nombre, le rejettent comme
injuste et nuisible : Thiers, H. Passy, Woloswki, Leroy-Beaulieu, Léon Say, Cauwès. »
(Ch. Antoine, Cours d'Economie sociale, P. I, S. I, Ch. v. Art. 2, p. 135, Paris, 1921*).
Cf. R. Stourm, Systèmes généraux d'impôts, p. 218-241. Paris, 1893.
282 LE DROIT DE VOTE ET D'ÉLIGIBILITÉ (104)
doit être rempli avec intelligence, fidélité et indépendance. Chaque
citoyen en effet est tenu d'élire ceux qu'il juge en conscience être lesj
plus aptes à bien gérer les affaires publiques. De son côté, tout citoyen
élu, s'il acquiert de nouveaux droits politiques (droit de discuter et dej
voter les lois, droit d'interpellation et de contrôle, etc.), contracte aussi'
de nouveaux devoirs (obligation d'accomplir son mandat au mieux des
intérêts généraux', qui doivent passer avant tout, sans négliger les inté-
rêts légitimes de ses électeurs, etc.).
B) Espèces de suffrage : on distingue le suffrage :
10 Restreint : qui n'est concédé qu'à une catégorie de citoyens ;
vg. à ceux qui paient telle quantité d'impôts. On a appelé ces électeurs
censitaires.
2° Universel : qui appartient à tous les citoyens remplissant les
conditions exigées par la loi. Il peut être :
a) Direct : quand* tout citoyen concourt à élire non des électeurs,
mais les législateurs eux-mêmes, députés ou sénateurs.
b) Indirect ou à plusieurs degrés : quand on élit des délégués qui
choisissent eux-mêmes les représentants. En France, les sénateurs sont
élus par des électeurs qui ont été choisis dans chaque commune.
C) Critique du suffrage universel : le suffrage direct n'est vraiment
à sa place que quand il s'agit des intérêts municipaux., car alors chaque
électeur a la compétence suffisante, parce qu'il peut facilement, et il y
est intéressé, se mettre au courant des besoins réels de sa commune.
L'horizon communal ne dépasse la portée intellectuelle de personne.
Il en est tout autrement quand il s'agit des intérêts généraux du pays,
qui soulèvent des questions délicates et compliquées.
Le suffrage universel est une conséquence inévitable de l'évolution
démocratique (}) : il existe à peu prés partout. Vouloir le supprimer
serait une tentative chimérique. Tel qu'il fonctionne généralement,
vg. en France, il est inorganique. Aussi a-t-il provoqué de graves cri-
tiques, dont voici les principales : les abstentions sont nombreuses,
l'égalité des voix est un système brutal, les minorités sont exclues
de la participation aux affaires publiques, enfin le pays n'est pas réel-
lement représenté. Pour obvier à ces défauts on a proposé divers remèdes,
qui ne soiit pas exclusifs les uns des autres : le suffrage doit être obli-
gatoire., plural^ /jrofiortiointel, projessionnel.
D) Organisation du suffrage universel (^) : il doit être :
10 Obligatoire : autrement il n'exprime pas l'opinion vraie du pays.
( ') Cf. G. Sortais, Les Catholiques en face de la Démocratie et du droit commun, L. I,
Ch. I, p. 2. L. III, p. 182.
( ') J. Barthélémy, L'Organimtion du suffrage universel et l'expérience belge..., Paris,
1912.
(104) LE DROIT DE VOTE ET D'ÉLIGIBILITÉ 283
Pour remédier efficacement au mal des abstentions, l'obligation de
voter doit être munie de sanctions.
2° Plural : donner le même nombre de voix à tous les citoyens,
c'est mettre sur le même pied les gens instruits et les ignorants, ceux
qui portent des responsabilités et ceux qui n'en ont pas, les compétents
et les incompétents. Cette égalité absolue est, en réalité, une criante
inégalité et l'on peut lui appliquer le mot de Cicéron : ^quitus ini-
quissima. Il faudrait proportionner le nombre des suffrages à la qualité
et au mérite des électeurs. La difficulté est de trouver un moyen de
discerner le mérite et la qualité. On peut recourir, comme on l'a fait,
à des titres extérieurs : services éclatants rendus au pays, grades univer-
sitaires, professions supposant un certain acquis intellectuel et moral, etc.
Mais il faut reconnaître que ces distinctions, qui établissent des classes
entre les électeurs, quoique justes en soi, sont, en pratique, très diffi-
ciles, sinon impossibles, à faire accepter, parce que l'amour de l'égalité
niveleuse est tout-puissant dans le monde moderne.
Mais il est un suffrage plural qui doit rallier les sympathies de tous
les patriotes, c'est le suffrage familial, qui serait une faveur décernée
aux familles nombreuses. Les pères de famille auraient des voix supplé-
mentaires, proportionnées au nombre de leurs enfants ou calculées
d'après une échelle graduée.
3*^ Proportionnel {^) : il permet la représentation des minorités au
prorata des voix obtenues. C'est une réaction contre le système injuste
de la majorité pure et simple, d'après lequel la moitié des voix plus une
donne tout, et la moi-tié des voix moins une ne donne rien. Il peut
arriver que, sur vg. 8 millions de votants, la majorité élue le soit par
4 milhons 100 mille voix ; voilà donc une minorité de 3 millions 900 mille
voix qui n'est pas représentée, c'est-à-dire presque la moitié du pays.
Le gouvernement ne sera alors que le représentant d'un parti : il sera
forcément partial et deviendra facilement tyrannique.
4° Professionnel : il faut grouper les électeurs d'après les diverses
professions d'un pays et accorder à chaque groupement un nombre de
sièges aux assemblées législatives proportionné à son importance numé-
rique (2). Pour le classement des professions on peut utiliser la classifi-
( •) La Représentation proportionnelle. Etudes de Législation et de Statistique comparées,
publiées sous les auspices de la Société pour l'étude de la Représentation proportionnelle,
Paris, 1888. — Goblet d'Alviella, La Représentation proportionnelle et le Régime parle-
mentaire, (ia.ns Revue des Deux Mondes, 1900, T. I, p. 37 sqq. -— J.-P. Laffitte, Le
Paradoxe de l'égalité et la Représentation proportionnelle. Deux essais de Philosophie positive,
Paris, 1910 ^ — A. Béchaux, Le Scrutin de liste proportionnel, Paris, 1883.
( ') Ch. Benoist a très bien expliqué et soutenu le système de la Représentation profes-
sionnelle dans son livre : La Crise de l'Etat moderne : De l'Organisation du suffrage universel,
Ch. IV, V, VI. Paris, s. d. (1897). — E. Duthoit, Le Suffrage de demain, Paris, 1901.
284 LE DROIT DE VOTE ET D'ÉLIGIBILITÉ (104)
cation employée dans les Statistiques, parce que l'expérience a prouvé
qu'elle atteint à une exactitude suffisante. Elle comprend huit groupes :
Agriculture, Industrie, Transports, Commerce, Force publique, Admi-
nistration publique. Professions libérales. Propriétaires et Rentiers.
Ce système procurerait une représentation réelle du pays, parce qu'elle
refléterait ses divers besoins et renfermerait des compétences en tout
genre. Autrement, les élections aboutissent à une représentation factice
et stérile où les politiciens dominent (^).
E) Référendum : c'est le recours aux électeurs pour les consulter
sur une mesure à prendre ou pour soumettre à leur jugement une mesure
déjà prise.
Certains Conseils municipaux en France ont pris l'initiative, tolérée
par le Gouvernement, de soumettre aux électeurs de leurs Communes
tel ou tel projet : vg. taxe nouvelle à établir, travaux à entreprendre, etc.
On s'est bien trouvé de cette consultation directe des intéressés. Aussi
plusieurs sociologues ont-ils proposé d'étendre cet essai de référendum
communal aux départements et au pays tout entier. Ils s'autorisent
de l'exeniple de la Suisse, où le référendum a été introduit, en 1874,
dans la Constitution fédérale. Aucune revision totale ou partielle de
la Constitution n'a force de loi avant d'être acceptée par la majorité
des électeurs et par la majorité des cantons qui forment la Confédération.
Pour les lois ou arrêts fédéraux qui ne modifient pas la Constitution,
ils ne sont sujets au référendum populaire que si demande en est faite
par trente mille électeurs ou par huit cantons.
Le référendum peut prendre deux formes :
a) Référendum de ratification ou Référendum post Irgcm, par lequel
on soumet à l'examen des électeurs une loi déjà votée par les Chambres.
L'acceptation ou le refus des électeurs déterminent l'entrée en vigueur
ou le rejet de la loi.
b) Référendum de consultation ou Référendum ante legem, par lequel
les Chambres, hésitantes sur une réforme discutable, en appellent à la
décision des électeurs.
Il conviendrait de ne soumettre à ce Référendum législatif que les
lois concernant la Constitution ou les lois d'un intérêt général majeur :
vg. la liberté d'enseignement. Le référendum doit être appliqué à des
questions positives et précises dont la solution se ramène à une affir-
mation de principe par oui ou par non. Des questions techniques et
compliquées ne sont pas de son ressort.
(') Voir Bknoist, Ibidem, Appendice XIV, p. 446-447, les graphiques très suggestifs
qui représentent : 1° Réparliiion de la population française par groupes professionnels. —
2" Composition de la Chambre actuelle (année 1893). — 3° Composition d'une Chambre qui
serait la représentation réelle du pays.
(105) LE DROIT d'association ET l'ÉTAT 285
Les autorités chargées de décider s'il y a lieu ou non à référendum,
devraient être désignées par la Constitution. Le Président de la Répu-
blique semble tout indiqué pour remplir cet office. Il serait bon aussi
d'accorder cette prérogative aux Assemblées législatives : vg. une
motion, émanant du tiers des membres des deux Chambres, rendrait
le référendum obligatoire. Excellent moyen pour sauvegarder les droits
des minorités importantes (^).
105. — LE DROrr D'ASSOCIATION ET L'ÉTAT (')
L — Fondement : A) Le droit d'association c'est le droit qu'a tout
homme d'unir ses forces à celles de ses semblables, d'une façon constante,
pour réaliser une fin commune, utile et honnête. L'homme, être sociable,
ne trouve pas le moyen de satisfaire tous ses besoins par la famille et
la société civile ; il lui faut des groupements intermédiaires. La tendance
de l'homme à s'améliorer exige donc ces sortes de groupements. Il faut
en conclure que le droit d'association est un droit naturel, puisqu'il
découle d'une tendance incompressible de la nature humaine. Par
conséquent, la loi civile ne peut avoir la prétention de conférer le droit
d'association, car la loi naturelle est antérieure à la loi civile.
B) De plus, le droit d'association est le complément nécessaire de
toutes les autres libertés ; à quoi servirait la liberté de l'enseignement,
du commerce, de la charité, etc., s'il n'est pas loisible de se réunir et
de se grouper ? L'homme isolé est impuissant.
Les associations n'ont pas seulement le droit de naître, mais encore
de vivre et de se développer ; elles ont donc droit aux moyens néces-
saires à cette vie et à ce développement : vg. droit de s'agréger des
membres en nombre illimité, droit de posséder des biens, meubles et
immeubles, droit d'ester en justice. Or, en France, la Révolution a sup-
primé les corps organisés et réduit la société à un individualisme néfaste
(93, § B, II, 2°). L'article 291 du Code pénal était la négation du droit
d'association. C'est une prohibition contre nature ; aussi, malgré le
Code, des associations diverses ont surgi de toutes parts. La loi du
( •) Sur le Référendum, on consultera avec fruit : Eugène Duthoit, Le Suffrage de
demain, Ch. ii, Le passé el l'avenir du Référendum en France, p. 63-120, Paris, 1901.
(') Revue catholique des institutions et du droit, 1880, T. II, p. 463-556. — II. Prélot,
L'État, le Droit naturel et l'Église en matière d'association, dans les Études, tnars-août
1893. — H. Martin, La Désorganisation sociale et l' Individualisme, Ibidem, juillet 1889.
— S. ScHiFFiNi, Dispiitaliones philosophise moralis, T. II, Disp. V. Sect. VII. — Van den
Heuvel, Les associations au point de vue légal. — T. Rot)ie, Traité de droit naturel, T. I,
1V« P., Cil. V, Secl. XVI. — G.-D. WeiL, Le droit d'association et le droit de réunion devant
les Chambres et les Tribunaux. — Comte de Paris, Une liberté nécessaire : le droit d'asso-
ciation. — G. FoNSEGRiVE, Le Fondement du Droit d'association, dans la Quinzaine,
1898, T. I, p. 360-384.
286 LE DROIT d'association ET l'état (105)
1er juillet 1901, réglant le droit d'association, est encore tout imprégnée
de cet esprit de défiance, legs de la Révolution, contre les droits naturels
des citoyens. Elle rétablit des catégories de suspects : le droit des Congré-
gations religieuses à l'existence est méconnu (^).
IL — L'État : 1° Il doit donc laisser se former librement toute asso-
ciation qui poursuit un but utile et honnête ; par conséquent aucune asso-
ciation n'a besoin d'autorisation spéciale pour naître.
2o II a sur les associations, comme sur le reste, un droit de haute
police ; il doit donc interdire les associations nuisibles à la religion, aux
bonnes mœurs, à la sécurité publique.
3° Il ne doit imposer aux associations que les restrictions abso-
lument nécessaires pour sauvegarder le bien commun et non pas s'arroger
un droit de tutelle et les traiter comme des mineurs.
4° Il peut accorder certains privilèges à des établissements déclarés
d'utilité publique, parce qu'ils poursuivent un but d'intérêt général :
vg. Banque de France.
50 L'Église peut fonder des Congrégations religieuses, puisque la
faculté de pratiquer les conseils évangéliques fait partie intégrante de
ses droits. L'État a le devoir de respecter l'exercice de cette faculté (-),
III. — Les biens de mainmorte [Manus mortua) : on a fait contre
les Congrégations religieuses une objection tirée des biens dits de
mainmorte.
A) Droit féodal de mainmorte : droit en vertu duquel les seigneurs
recueillaient les biens des serfs, lesquels n'en pouvaient disposer par
testament. Ceux qui étaient frappés de cette incapacité avaient pour
ainsi dire la main morte : de là ce nom de maniis mortua et le sens de
possession précaire donné alors à cette expression. Dès le xiii^ siècle,
des atténuations furent apportées à l'exercice de ce droit abusif.
B) Gens de mainmorte : ce terme désignait, dans l'ancien droit,
les communautés et associations qui ne meurent pas à cause du renou-
vellement continu de leurs membres, et dont les biens, par suite, ne
sont pas soumis aux charges qui grèvent les mutations de propriété
à la mort du propriétaire. Mais, souvent, les seigneurs n'autorisèrent
les églises, abbayes, hospices et autres personnes morales à acquérir
des terres, qui devenaient biens de mainmorte, qu'à la condition de
leur verser une somme compensatrice des droits de mutation, dont elles
étaient exemptes. C'est ce que l'on appela V ainortissement.
(') p. Nourrisson, Histoire de la Liberté d'Association en France depuis 17S9, 2 vol.,
Paris, 19'20. — A. de Mun, La loi des suspects, Paris, 1900.
( ») H. Prélot, a propos des Lois d'association. Le Religieux prêtre, dans Études,
T. 86, p. 154 sqq. ; 338 sqq. — La Loi Waldech- Rousseau et le Droit d'association. Ibidem,
T. 87, p. 457 sqq.
(106) INSURRECTION ET RÉSISTANCE 287
G) Droit actuel : pour remplacer les droits de succession, une taxe,
dite des « biens de mainmorte » (Loi du 25 fév. 1849), fut imposée aux
personnes morales, départements, communes, hospices, fabriques,
congrégations religieuses, etc., bref « à tous les établissements publics
légalement autorisés ». La loi du 30 mars 1872 a élevé cette taxe, de
60 centimes et demi à 70 centimes par franc du principal de la contri-
bution foncière. Une aggravation nouvelle a atteint les Congrégations
religieuses et les Sociétés civiles, dont la perpétuité est assurée par le
renouvellement de leurs membres et dont les statuts portent que la
part, revenant à l'associé sortant, sera réversible à ses coassociés :
outre la taxe de mainmorte, elles durent payer un droit à'' accroissement
(Lois du 28 déc. 1880, art. 4, et du 29 déc. 1884, art. 9). Enfin, à ce droit
d'accroissement a été substituée la perception d'une taxe annuelle,
dont l'assiette est établie sur la valeur brute, c'est-à-dire vénale, des
biens meubles et immeubles possédés. Cette législation fiscale contient
des dispositions qui blessent gravement la justice distributive (^).
Aujourd'hui, par conséquent, l'accusation que les biens de main-
morte appauvrissent l'État, n'a pas même l'apparence d'un fondement.
En effet : 1" Pour les communautés reconnues par l'État, les droits de
succession ont été remplacés par des taxes exorbitantes, qui sont bien
supérieures à l'impôt versé par les particuliers. — 2° Quant aux Com-
munautés non autorisées, elles orit payé les droits communs de succes-
sion, par la raison que leurs biens reposent sur la tête de particuliers,
qui meurent comme les autres. Ce n'est donc là qu'un épouvantail agité
par la mauvaise foi.
106. — INSURRECTION ET RÉSISTANCE
A) Théorie révolutionnaire : le droit à la révolte : le droit
à la révolte est une conséquence que la démocratie révolutionnaire a
logiquement déduite du principe de la souveraineté absolue du peuple.
Rousseau avait amorcé cette conclusion en déclarant que les députés
du peuple ne sont pas ses représentants, mais ses « commissionnaires »,
que « les dépositaires de la puissance executive ne sont point les maîtres
du peuple, mais ses officiers, qu'il peut les établir et les destituer quand
(M H. Prélot, Une Consultation sur les biens des Congrégations, dans Études, T. 86,
p. 762 sqq. — La Persécution fiscale, dans Études, T. 61, p. 369-388 ; T. 62, p. 239-272.
— S. Rivet, Élude théorique et pratique sur la taxe d'abonnement et les lois fiscales sur les
Congrégations, Lyon, 1895. — J. Burnichon, La persécution des Religieux et les Droits
de l'homme. Études, T. 56, p. 18A-209. — A. Bélanger, Les Méconnus. Ce que sont les
Religieux, Paris, 1901.
288 INSURRECTION ET RÉSISTANCE (106)
il lui plaît )' (^). Si ces simples commis refusent de résilier leurs fonctions,
le peuple peut les y contraindre, au besoin, par la force. La seconde
Déclaration des Droits de Vhomme et du citoyen s'est chargée de donner
à ces idées, un peu flottantes dans le Contrat social, une formule bruta-
lement expressive : « L'insurrection est pour le peuple et pour chaque
portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des
devoirs {^) j-
Cette maxime anarchique, qui est réprouvée non seulement par
la morale chrétienne, mais par l'éthique naturelle, ouvre la porte toute
grande aux injustices et aux violences : elle dépose, au sein même de
l'ordre social, un germé de dissolution qui doit le détruire infailli-
blement.
B) Résistance permise : sans doute, on l'a vu (86, I), le pouvoir
politique est immuablement divin dans son origine ; mais la person-
nification de l'autorité dans telle ou telle forme de gouvernement est
chose humaine, donc variable et changeante. « La puissance royale,
dit le cardinal Bellarmin, n'étant pas d'institution immédiatement
divine, mais humaine, les hommes peuvent changer le régime monar-
chique en d'autres formes politiques (^). « De nos jours, Mgr d'Hulst,
traitant de la légitimation des Gouvernements de fait, a nettement
signalé la nature amissible des pouvoirs politiques (^).
L'Église peut seule revendiquer pour son pouvoir le privilège de
l'inamissibilité, parce que seule elle a été directement fondée par Dieu
et qu'elle en a reçu des promesses de stabilité jusqu'à la consommation
des siècles. Tel est l'enseignement traditionnel, magistralement résumé
par Léon XIII : « Cependant, il faut soigneusement le remarquer ici,
quelle que soit la forme des pouvoirs civils dans une nation, on ne peut
la considérer comme tellement définitive qu'elle doive demeurer
immuable, fût-ce l'intention de ceux qui, à l'origine, l'ont déterminée.
Seule l'Église de Jésus-Christ a pu conserver et conservera sûre-
ment jusqu'à la consommation des temps sa forme de gouverne-
ment {^). »
Certains théologiens protestants, Mélanchthon notamment, admet-
tent au contraire comme un dogme l'inviolabilité du pouvoir royal.
Les théologiens gallicans professent la même doctrine servile par la
( ') J.-J. Rousseau, Du Contrat social, L. III, Cli. xv, xvin.
(') Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1793, Art. XXV.
(') Regna*non sunt immédiate a Deo instilula, sed ab hominibus, et ideo ab hominibus
mutari possunt in alias regiminis formas. (Bellarmin, Controversia V, L. I, De Clericis,
C. XX VIII. Cf. De Laicis, L. m, C. vi, Apologia, C. viii).
(*) Cf. la citation de Mgr d'Hulst au § 87, p. 231-232.
C) LÉON XIII, Lettre au Clergé de France, 16 février 1892 (Lettres apostoliques de
Léon XIII, Edit. de la Bonne Presse, T. III, p. 117, § Cependant).
(106) INSURRECTION ET RÉSISTANCE 289
bouche de Bossu et, leur interprète : « Les sujets n'ont à opposer à la
violence des princes que des remontrances respectueuses, sans mutinerie
et sans murmure, et des prières pour leur conversion... Les remontrances
pleines d'aigreur et de murmure sont un commencement de sédition
qui ne doit pas être souffert (^). » Il est pénible de constater que Bossuet
se rencontre ici avec l'hérétique Jacques I^r^ roi d'Angleterre, de triste
mémoire. Celui-ci, parlant de « ce fléau de Dieu qu'est un mauvais
roi », écrit : « ...C'est par la prière, la patience, l'amendement de la vie,
seuls moyens concédés aux sujets par le droit divin, que nous devons
obtenir de Dieu qu'il daigne lui-même, de sa main, écarter cette peste
de son peuple ( ^). »
Tout autre est la doctrine du Droit naturel, telle qu'elle a été exposée
et défendue par les philosophes et les théologiens catholiques.
Elle autorise : 1° La résistance passwe qui consiste à ne pas obéir
aux lois injustes (101, B).
2° La résistance active^ mais sans violence, qui consiste à poursuivre,
par tous les moyens légaux, l'abrogation ou la modification des lois iniques.
3^ La résistance active^ à main armée^ qui consiste à empêcher par
la force l'exécution des lois certainement et gravement contraires aux
droits des citoyens (vg. inventaire des biens d'Église en 1906), et même
à jeter bas un gouvernement tyrannique.
C) Résistance à la tyrannie : le tyran est celui qui, d'une manière
habituelle, confisque à son profit l'exercice du pouvoir, dont il est investi
en vue de l'utilité générale. Ce qui donne à la tyrannie un caractère
d'injustice énorme, c'est qu'elle est le renversement de l'ordre social.
Le gouvernement, en effet, est un moyen destiné à procurer le bien de
la société : voilà sa mission et sa fin. Or un gouvernement tyrannique,
qu'il soit monarchique, aristocratique ou démocratique, se prend lui-
même comme fin et dispose, pour lui seul et ses partisans, des ressources
et des avantages qu'il devrait répartir équitablement entre tous les
citoyens. Ce monstrueux abus de pouvoir, qui va directement à l'encontre
du bien commun, amènerait la ruine de la société. C'est pourquoi celui
ou ceux qui le commettent sont par le fait même déchus de leur autorité,
car, détournée de sa destination essentielle qui est toute sa raison d'être,
l'autorité cesse d'appartenir à ceux qui en avaient reçu le dépôt et l'ont
outrageusement violée. Aussi les gouvernés, qui prennent l'offensive
contre les tyrans, ne sont pas des rebelles. On est rebelle si l'on s'attaque
aux gouvernements légitimes qui s'acquittent suffisamment de leurs
s
(') Bossuet, Politique..., L. VI, Art. II, Propos. 6.
( -) ...Patientia igitur et prece et emendatione vitae, quae sola nostrarum partium esse
ex jure divino satis ostendi, agendum est cum Deo, ut ipse sua manu pestem hanc e populo «
dignetur submovere (Jus Liberœ Monarchise, dans Jacobi I Opéra, p. 192, Londres, 1619).
TRAITÉ DE l'IULÛSOPHlE. — T. II. — 10.
290 INSURRECTION ET RÉSISTANCE (106)
fonctions ; on ne l'est pas si l'on résiste aux empiétements d'un pouvoir
despotique, parce que ses injustices et ses violences lui enlèvent la consé-
cration du droit qui le rendait respectable et intangible.
Saint Thomas a condensé toute cette doctrine en quelques lignes
lumineuses : « Le gouvernement tyrannique n'est pas juste, parce qu'il
n'est pas ordonné au bien commun, mais au bien particulier de celui
qui gouverne... Aussi le renversement de ce régime n'a pas le caractère
d'une sédition, sauf peut-être dans le cas où le renversement se ferait
avec tant de désordre qu'il entraînerait pour les sujets plus de dommages
que la tyrannie même. Mais c'est bien plutôt le tyran qui est séditieux
en entretenant des discordes et des séditions dans le peuple qui lui est
soumis afin de pouvoir plus sûrement le dominer (^). »
Sauf quelques rares exceptions, les grands philosophes et théologiens
antérieurs au xix^ siècle n'ont pas craint de faire écho à l'enseignement
du Docteur angélique : Gerson (2), Bellarmin {^), Suarez (*),
Lessius (^) ; et, s'il fallait citer les auteurs du xix® siècle, depuis
Balmès (^) jusqu'au cardinal Zigliara ('), la liste en serait inter-
minable (^). ^,
Voici l'une des raisons qui déterminent leur assentiment : « De même
que tout individu a le droit inné de pourvoir à sa conservation et, par
conséquent, de se défendre à main armée contre la violence d'une
injuste agression, sans toutefois dépasser la mesure que légitiment les
besoins de la défense, ainsi un peuple, que son unité sociale constitue
en personne morale^ doit nécessairement être muni par la nature du
même droit essentiel. Le droit naturel de défense s'étend en effet à
toute créature raisonnable et par suite, a pari ou a fortiori^ à une person-
nalité humaine collective (^). «
Bref, la société est dans un cas de légitime défense : « Si un roi, dit
Suarez, changeait en tyrannie sa puissance juste, en abusant au préju-
{>) s. Thomas, Summa theologica, 2» 2«», Q. XLII, Art. II, ad 3»"'.
( ') J. Gerson, Decem Considerationes Principibus et Dominis utilissimae, Consider. VII,
Opéra omnia, Paris, 1606, P. IV, col. 827-828.
( •) Bellarmin, Apologia... pro Responsione sua ad Librum Jacobi, Magnse Britannise
Régis..., C. xiii. — Dtsputationes de Controversiis Fidei : Controversia V, de Membris
Ecclesise Miliiantis, L. Ill, De Laids, C. vi.
( ♦) Suarez, Defensio Fidei Catholicœ et Apostolicx adversus Anglicanx secte errores...,
L. m, C. m, § 3.
( ') Lessius, De Perfectionibus Moribusque Divinis Libri XIV, L. X, C. ii, n» 9. —
Cf. De Jtistitia et Jure, Sect. Il, C. ix, Dub. 8.
( •) Balmès, Le Protestantisme comparé au Catholicisme, Ch. liv-lvi.
C) Zigliara, Summa Philosophica, T. III, Philosophia Moralis, L. II, C. ii. Art. VII,
5 7 sqq.
{ •) Cf. Attitude des Catholiques en face de la violence légale, par un Professeur de Théo-
logie (M. DE LA Taille), Paris, 1906, 1907 '. Ce travail a été publié aussi dans les Études
(1906), T. CIX, p. 670 sqq.
(*) Th. Meyeb, Insiitutiones Juris Naturalis, Part II, n*" 533,Fribourg-en-Brisgau, 1900.
I
(107) LIBERTÉ CIVILE ET LIRERTÉ POLITIQUE 291
dice manifeste de la société, le peuple pourrait user pour sa défense du
pouvoir qu'il tient de la nature, car il ne s'en est jamais dépouillé (^). »
Mais, comme le droit individuel de repousser la force par la force
demande à être exercé avec la modération convenable selon la maxime
des moralistes {cum debito moderamine inculpatœ tiitelœ), ainsi, pour
ne pas dégénérer en rébellion, l'usage du droit de défense sociale est
soumis à des règles qui le maintiennent dans les limites de la raison et
de la justice. Voici les principales :
1° La tyrannie, pour annuler le titre du pouvoir reçu, doit être
passée en habitude et non transitive.
2° La tyrannie doit avoir un caractère de gravité telle que, si on la
laisse faire, elle mettra en danger de ruine les biens essentiels de la
nation, parmi lesquels la Religion tient le premier rang.
3^ Cette gravité de la situation doit, de l'aveu général des honnêtes
gens, être manifeste.
40 Avant de recourir au moyen extrême de la force, il faut avoir
vainement essayé les autres moyens de résistance.
5° D'après les prévisions des esprits sages, les chances de succès
doivent être sérieusement probables, et la chute du tyran ne pas entraîner
des conséquences plus désastreuses que son maintien. Autrement, le
remède serait pire que le mal.
Entourée de ces garanties, que dicte l'intérêt même de la société
et qu'impose la Morale naturelle, la résistance par la force n'a rien de
commun avec la révolte et l'agitation révolutionnaire. Menace perma-
nente contre les tyrans, elle reste, entre des mains résolues, une arme
légitime et redoutable.
107. — LIBERTÉ CIVILE ET LIBERTÉ POLITIQUE {-)
« L'essentiel de la liberté, a dit É. Ollivier, n'est pas la liberté poli-
tique, simple garantie, le plus souvent nécessaire, parfois inutile ou
dangereuse ; c'est la liberté sociale et civile dont aucun parti ne paraît
avoir souci. » La liberté cwile c'est la somme des libertés qui garan-
tissent l'exercice sans entraves des facultés ou droits naturels de l'indi-
vidu : religion, famille, propriété, commerce, culture de l'esprit, asso-
ciation dans ces différents buts. La liberté politique, c'est la participation
(») ...Si rex justam suam potestatem in tyrannidem verteret, illa in manifestam civi'
tatis perniciem abutendo, posset popuius naturali potestate ad se defendendum uti ; hac
enim nunquam se privavit. (Suarez, Defensio Fidei..., L. III. C. ni, § 3.)
( ») J. Simon, La liberté politique, La liberté civile. — Alaux, Philosophie morale et
politique. — Ch. Benoist, La politique. Sophismes politiques de ce temps. — A. Dbsjardins,
De la liberté politique de l'État moderne.
292 LE LIBÉRALISME (108)
des gouvernés au gouvernement, soit par eux-mêmes, soit par leurs
mandataires. La liberté politique vaut surtout comme garantie de la
liberté civile. Ce n'est pas une garantie :
a) Indispensable., car la liberté civile peut exister sous un gouver-
nement absolu : vg. du temps de saint Louis.
b) Ififaillible, car la liberté civile peut être confisquée malgré la
liberté politique. C'est ainsi qu'en France les libéraux se plaignent avec
raison que nous ayons la liberté politique sans une suffisante liberté
civile : vg. le droit d'association est entravé ; le droit d'enseigner est
mutilé ; la centralisation est excessive. C'est un des fruits de la Révo-
lution, un des « faux dogmes de 89 », comme parle Le Play : sous le
couvert de concessions politiques l'État a pu confisquer plus ou moins
la vraie liberté, la liberté civile. La société a lâché la proie pour l'ombre.
Le gouvernement a le devoir de respecter avant tout les « libertés
nécessaires », et les gouvernés ont le droit d'en exiger le respect {'^).
108. — LE LIBÉRALISME
Ce mot équivoque est pris en sens divers qu'il faut préciser :
A) Sens général : doctrine favorable à la liberté.
B) Sens politique : système qui tend à faire prévaloir les libertés
civiles et politiques (107) contre l'absolutisme de l'État.
C) Sens social-religieux : on peut, à ce point de vue, distinguer
trois sortes de Libéralisme :
L — Libéralisme absolu : il proclame l'indépendance souveraine
de l'homme qu'il prétend affranchir de Dieu, et travaille à organiser
la société d'après ce principe impie {^).
II. — Libéralisme modéré : il accorde au vrai et au faux, au bien et
au mal une égale liberté d'expansion et de propagande (^). Il repose
sur une double erreur :
a) Erreur théorique : il accepte Vlndifférentisme ou plutôt le Nihi-
lisme doctrinal, qui consiste à mettre, sur le même pied, le vrai et le
faux, le bien et le mal.
b) Erreur pratique : il suppose à tort que la libre discussion des idées
n'a pas un contre-coup nécessaire dans les faits et demeure inoffen-
sive (67, § III, C 20).
( ') On consultera avec profit le Programme de la Corporation des Publicistes chrétiens,
intitulé : Réformes nécessaires, où les principales revendications des Catholiques sont
énumérées et motivées. Paris, au Bureau Catholique de Presse, 23. rue Vineuse, XVI'.
( *) Cf. Proudhon, De la Justice dans la Révolution ci dans l'Église, Paris, 1858.
( ') Cf. DoNoso Cortès, Essai sur le Catholicisme, le Libéralisme et le Socialisme,
Œuvres, trad. française, T. III.
(108) LE LIBÉRALISME 293
III. — Le Libéralisme catholiijue : il se présente sous deux i'ormes :
1° Forme radicale : La Mennais et ses collaborateurs du journal
YAi^enir (1830-1832) (i) soutinrent que l'indifférence de l'État en
matière religieuse est un progrès. « Ils oublièrent que le seul état normal
des sociétés catholiques est celui où le Christianisme les pénètre, les
domine, les soutient à titre de loi fondamentale. Ils oublièrent que les
pouvoirs civils n'ont fait que la moitié de leur devoir, quand ils ont
laissé l'Église exercer sans entraves une ïiction individuelle sur les
âmes, et qu'il leur reste, dans la mesure de ce qui est possible et sage,
à être eux-mêmes chrétiens comme pouvoirs.... Ils en vinrent à consi-
dérer comme une évolution légitime et régulière ce qui était une véri-
table déviation, et bientôt comme un progrès ce qui était une déca-
dence (2). » Leur point de départ était légitime : au lendemain de la
Révolution de Juillet, l'Église cessa d'être la Religion officielle du pays
et d'être, en conséquence, protégée par l'État. Ils devaient tenir compte
du fait accompli : d'où la nécessité de défendre l'Église sur le terrain
du droit commun où elle se trouvait désormais placée. Ils auraient dû,
tout en acceptant loyalement la situation anormale faite à la Religion,
maintenir la notion juste des rapports de l'Église et de l'État (120, C),
comme un idéal, lointain sans doute, mais souhaitable. Au lieu de
cela, ils érigèrent en principe ce qui n'était qu'une nécessité de cir-
constance, présentant comme normale et même comme préférable la
neutralité de l'État en matière religieuse. L'École Mennaisienne fut
condamnée par l'Encyclique Mirari vos de Grégoire XVI (1832).
2'^ Forme adoucie : (^) la nouvelle École libérale, dirigée par Monta-
lembert, admet en théorie la thèse catholique. Mais, dans la pratique,
victimes d'une généreuse illusion, les tenants de cette École la mécon-
nurent. De leurs tendances plus ou moins conscientes, on peut dégager
cette formule qui résume leur erreur : La neutralité de l'État en matière
religieuse est le seul régime désormais possible et utile à la religion (*).
( M et. P. Thureau-Dangin, L'Église et l'Élat sous la Monarchie de Juillet. — Et. Lamy,
Henry de Lacombe, dans le Correspondant, 25 janv. 1908, p. 381-383. — Lecanuet,
Monlaleynbcrt, T. I, Ch. vi sqq. Cf. G. Longhaye, Quinze ans de la vie de Monlalembert
(1835-1850), dansÉTUDEs, T. 78, p. 145 ; 210 sqq. Les dernières années (1850-1870), Ibidem,
T. 92, p. 577 ; 780 sqq.
( ') Amédée de Mahgerie, Article Inslaurare omnia in Christo, dans le Contemporain,
1" juin 1875.
(») Cf. Cardinal Pie, Œuvres, T. V, p. 171 sqq.; T. VII, p. 197 sqq. — Mgr Baunard,
Histoire du Cardinal Pie, T. II, L. III, Ch. vu et viii. — G.-D. Weil, Histoire du Catho-
licisme libéral en France (1828-1908), Paris, 1909. — G. Sortais, Les Catholiques en face
de la Démocratie et du Droit commun, L. II, p. 93-159.
(«)« Tout l'ensemhle, en un mot, de leurs tendances allait plus loin qu'un simple conseil
pratique visant le temps présent. L'état d'esprit qu'ils entretenaient chez leurs adeptes
ne semblait pas exempt d'une erreur qu'on pourrait formuler ainsi : Il n'est jamais bon que
l'État prête sa force coercitive à la vérité révélée. » (Mgr d'Hulst, Conférences de Notre-
Dame, 1895. Note 24, p. 380).
294 LA DÉCLARATION DES DROITS DE l'hOMME ET DU CITOYEN (109)
Au fond, sous cette forme atténuée, le Libéralisme catholique a sacrifié
aussi la thèse à Vhypothèse, c'est-à-dire la doctrine légitime sur les rapports
de l'Église et de l'État (120, § C) à une nécessité de circonstance (121,
III). Conséquemment, ces catholiques libéraux laissèrent timidement
dans l'ombre la question des droits inaliénables de l'Église, au lieu de
faire effort pour éclairer l'opinion et pour rétablir, par la voie pacifique
de la persuasion, les rapports normaux entre l'Église et l'État (^).
L'erreur des libéraux catholiques, fort bien intentionnés d'ailleurs,
a sa source dans cette illusion fondamentale : le vrai et le bien, librement
proposés aux intelligences et aux volontés, l'emporteront nécessai-
rement par leur valeur intrinsèque sur le faux et le mal. Comme psycho-
logues, ils oublient, d'une part, la force de séduction que le faux et le
mal empruntent aux passions ; de l'autre, la faiblesse de la volonté aux
prises avec la fascination de l'orgueil et les impulsions de la sensibilité.
Comme catholiques, ils oublient l'influence néfaste du péché originel.
109. — LA DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME
ET DU CITOYEN (2)
A) Texte. — L'Assemblée constituante de 1789 plaça en tête de
la Constitution qu'elle venait d'élaborer cette solennelle Déclaration :
u Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée
nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits
de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corrup-
tion des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration
solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme :
Art. I. — Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en
I
i ') L'Encyclique Quanta cura et le Syllabus (8 déc. 1864) de Pie IX condamnèreat de
nouveau le Libéralisme catholique. — « J'étais à Rome quand elle [l'Encyclique de 1864]
parut : j'achevais mes études théologiques, et je n'oublierai jamais la surprise, l'émotion,
linfiuiéiude où me jeta la lecture de ce document doctrinal. Je vis clairement qu'il y avait
quelque chose à changer dans ma conception de la société. Le premier moment de stupeur
passé, je relus l'Encyclique Mirari vos, si profondément oubliée depuis quinze ans ; je la
rapprochai de celle de Pie IX ; il n'y avait pas de doute possible : la tradition catholique
était incompatible avec la théorie impliquée dans le libéralisme ; pour demeurer Adèle
il la première, il fallait réformer profondément la seconde. Le souvenir de cette évolution
intérieure sera ineffaçable. Commencée dans la tristesse et le trouble, elle s'acheva dans
la joie et dans la paix. » (Mgr d'Hulst, Le Droit chrétien et le Droit moderne, p. xiv-xv,
Paris, 1886).
( ') Codrcelle-Seneuil, Étude critique sur la Déclaration des Droits de l'hopime, dans
Séances et Travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques, 1890, T. II, p. 391-413.
— G. Jkllinek, La Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen. Traduction G. Pardis,
Paris, 1902. — Eue. Blum, La Déclaration des Droits de l'homme et du citouen. Texte authen-
tique et Commentaire, Paris, 1909*. — V. Marc.vggi, Le^ origines de la Déclaration des
Droits de l'homme de 17S9, Paris. 1912 «.
(109) LA DÉCLARATION DES DROITS DE l'hOMME ET DU CITOYEN 295
droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité
commune.
Art. II. — Le but de toute association politique est la conservation
des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont :
la liberté, la propriété et la résistance à l'oppression.
Art. III. — Le principe de toute souveraineté réside essentiellement
dans la nation. Nul corps, nul individu ne peuvent exercer d'autorité
qui n'en émane expressément.
Art. IV, — La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit
pas à autrui. Ainsi l'exercice des droits naturels à chaque homme n'a
de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la
jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées
que par la loi.
Art. V, — La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles
à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être em-
pêché ; et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pgis.
Art. VI. — La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les
citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs repré-
sentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle
protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux,
sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics,
et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.
Art. VII. — Nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que
dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites.
Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres
arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen, appelé ou saisi en
vertu de la loi, doit obéir à l'instant. I) se rend coupable par la résis-
tance.
Art. VIII. — La loi ne doit établir que des peines strictement et
évidemment nécessaires ; et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi
établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée.
Art. IX. — Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il
ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute
rigueur, qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne, doit
être sévèrement réprimée par la loi.
Art. X. — Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même reli-
gieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre établi par
la loi.
Art. XI. — La libre communication des pensées et des opinions est
un des droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc
parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette
liberté dans les cas déterminés par la loi.
Art. XII. — La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite
296 LA DÉCLARATIOIS' DES DROITS DE l'hOMME ET DU CITOYEN (109)
une force publique. Cette force est donc instituée pour l'avantage de
tous, et non pour Tutilité particulière de ceux à qui elle est confiée.
Art. XIII. — Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses
d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle
doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs
facultés.
Art. XIV. — Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-
mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique,
de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la
quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.
Art. XV. — La société a le droit de demander compte à tout agent
public de son administration.
Art. XVI. — Toute société, dans laquelle la garantie des droits n'est
pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de
constitution.
Art. XVII. — La propriété est un droit inviolable et sacré ; nul ne
peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement
constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et
préalable indemnité.
B) Critique : L — Jugement d'un théologien : le Père Ramière. —
« Il est plus que douteux que les malheurs publics n'aient d'autres
causes que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme.
Une dure expérience nous a mis dans l'impossibilité de partager l'illu-
sion des législateurs de 1789. Ils ne paraissent pas douter que, pour
ramener l'union et le bonheur parmi les hommes, il suffise de leur rappeler
leurs droits ; pour nous, nous savons que la société n'a jamais été plus
profondément divisée et plus douloureusement déchirée que depuis
cette Déclaration fameuse. Ce sont les droits et les préceptes de Dieu
qu'il faut rappeler à l'homme, si on veut le déterminer à remplir ses
devoirs envers ses semblables.
Mais il est inutile d'insister sur un simple préambule ; arrivons au
corps même de la Déclaration.
Sur les dix-sept articles dont elle se compose, il en est plusieurs qui
peuvent être immédiatement écartés du débat, attendu qu'ils ne peuvent
évidemment être, entre l'Église et la Société, l'objet d'aucun dissen-
timent.
Tel est l'article 7^ qui garantit ia liberté des citoyens contre toute
accusation ou arrestation arbitraire ; l'article 8^, qui réduit les peines
infligées aux criminels, à la mesure de la stricte nécessité ; l'article 9^,
qui borne les rigueurs préventives à s'assurer de la personne de l'accusé ;
les articles 12® et 13®, qui sanctionnent la création d'une force publique,
pour l'avantage commun, et l'établissement de contributions équita-
blomcnt réparties ; enfin l'article 17®, qui déclare la propriété inviolable.
(109) LA DÉCLARATION DES DROITS DE l'iIOMiME ET DU CITOYEN 297
Il est d'autres articles qu'une saine philosophie répugnerait peut-
être à accepter comme des principes absolus, mais que rien n'empêche
d'admettre comme des vérités relatives ou même comme des progrès
réels : tel est l'article 1^^', qui consacre Finaliénabilité de la liberté per-
sonnelle et l'égalité des citoyens devant la loi ; l'article 14^, qui accorde
à tous les membres de la société le droit de concourir à la fixation de
l'impôt et d'en surveiller le recouvrement ; l'article 15^, qui établit la
responsabilité de tous les agents publics à l'égard de la société ; et
l'article 16<^, qui pose la séparation des pouvoirs comme la condition
essentielle d'une bonne constitution sociale (^). »
Les articles 10^ et 11^, qui ont rapport à la liberté de conscience
et à la communication des pensées et des opinions, ne peuvent être
admis, sans les réserves que nous avons indiquées ailleurs, parce que la
liberté illimitée de penser est subversive de l'ordre social (67, § III,
C, 1°, 2°).
« Que reste-t-il ? Les articles 2^, 3®, 4^, 5^ et 6^, qui renferment la
théorie des fondements de la société, à savoir, de la souveraineté qui
donne à la société son unité et son existence, de la loi par laquelle cette
souveraineté s'exerce, et des droits sociaux dont la loi est destinée à
fixer les limites.
Que dire de ces articles ? Devons-nous y reconnaître les bases essen-
tielles de l'ordre public, les vrais principes de l'autorité sociale, les
garanties de tout le progrès à venir de l'humanité ?
Faut-il y voir au contraire le renversement de tous les droits, le
principe de tous les désordres, la source de tous les maux présents de
la société et de tous les dangers qui la menacent dans l'avenir ?
La réponse à ces questions dépend de l'interprétation qu'on donne
à ces articles.
Il y a en effet deux interprétations, non seulement différentes, mais
opposées.
Suivant la première interprétation, le législateur de 1789 n a eu en
vue que l'origine immédiate des droits sociaux. Il a si peu prétendu
nier la souveraineté de Dieu, qu'il a placé cette Déclaration sous ses
auspices. Quand donc il a proclamé que toute souveraineté réside dans
la nation, il a entendu seulement affirmer que le consentement général
de la société a été nécessaire à l'origine pour donner au pouvoir son
existence et pour en déterminer la forme, le sujet et les limites.
D'après cette même interprétation, la loi est l'expression de la
volonté générale, en ce sens que la société entière doit concourir direc-
(') H. Ramiêre, s. J., Les Espérances de l'Église, 1I<' P., ch. i, art. XII, p. 357-362.
Paris, 1867. Édition précédée d'une lettre écrite au nom de Pie IX.
298 LA DÉCLARATION DES DROITS DE l'hOMME ET DU CITOYEN (109)
tement ou indirectement à sa confection ; mais cela n'empêche pas que,
pour devenir obligatoire, cette loi, faite par les hommes, doive recevoir
sa sanction de l'autorité suprême de Dieu. Cette loi, il est vrai, ne garantit
aux citoyens que les droits naturels, attendu que la garantie de ces
droits est l'unique but de la société civile; mais elle ne renverse en
aucune manière les droits et les devoirs qui appartiennent a 1 ordre
religieux et qui sont de la compétence d'une autre autorité.
Ceux qui soutiennent cette interprétation font remarquer que cette
doctrine, quant à sa substance, est parfaitement d'accord avec 'ensei-
gnement des plus illustres Docteurs de l'Ecole cathohque. Elle na
guère contre elle que l'École gallicane, qui fait dériver immédiatement
de Dieu le pouvoir des princes. Les théologiens ultramont ains, au
contraire, professent ouvertement le principe de la souveraineté du
peuple dans le sens qui vient d'être expliqué. Loin d'exiger que tous les
pouvoirs soient réunis sur une seule tête, ils ne cachent pas leurs prete-
rences pour la monarchie tempérée, et, quand on lit leurs ouvrages, on
est étonné de les trouver incomparablement plus favorables aux droits
des peuples et plus disposés à mettre des limites aux pouvoirs des
princes que la plupart des publicistes modernes, qui se parent le plus
fastueusement du titre de libéraux. Mais, s'il en est amsi, on a, ce
semble, le droit de conclure que, lorsqu'en 1789 la société a voulu,
par un acte solennel, protester contre les excès de la monarchie absolue,
elle s'est rapprochée de la vraie politique chrétienne (86).
Telle est la première interprétation des principes de 1/89. Evi-
demment nous n'avons aucun motif pour la repousser ; nous ne pouvons
au contraire que faire des vœux pour qu'elle soit authentiquement
admise... , , ,
Malheureusement, il est une autre interprétation tout opposée a la
première et d'après laquelle les principes de 1789 ne seraient autre
chose que la négation radicale de la doctrine de l'Evangile, relativement
aux droits et devoirs sociaux... Au sens des révolutionnaires, les articles
de la Déclaration indiqués plus haut sont le résumé du Contrat social
de Jean-Jacques Rousseau... ,
Entre la théorie du Contrat social et la doctrine exprimée dans la
Déclaration des droits de Vhomme, il est impossible de ne pas voir une
grande analogie. Dans cette Déclaration, comme dans 1 œuvre de
Rousseau, le nom de Dieu est prononcé, mais il n'est aucunement
question de ses droits et de sa souveraineté. Au contraire, U est dit,
en termes exprès, que le principe de toute souveraineté réside essen-
tiellement dans la nation; que nul corps, nul individu ^^ Peuvent
exercer d'autorité qui n'en émane pas expressément {Art. III). Donc
tout pouvoir, qui n'émane pas expressément de la délégation nationale
ou qui dépasse les limites marquées par cette délégation, est un pouvoir
(109) LA DÉCLARATION DES DROITS DE l'hOMME ET DU CITOYEN 299
Oppresseur, et comme la résistance à l'oppression est, d'après V Article II,
un droit imprescriptible de l'homme, l'insurrection contre un pouvoir
semblable devient un devoir sacré. — D'après les auteurs de cette Décla-
ration, comme d'après Rousseau, la loi n'est autre chose que l'expres-
sion de la volonté générale {Art. VI) ; et, comme nul ne peut être
empêché de faire ce que la loi ne défend pas {Art. y), il est évident
qu'il n'y a d'autres devoirs que ceux dont la volonté générale est la
source. — Seule aussi la loi détermine souverainement les limites des
droits {Art. IV) ; seule, par conséquent, elle constitue la moralité des
actes de l'homme ; seule, elle fournit à la société tous les éléments de
son existence (^). »
Cette interprétation est à la fois :
a) Impie : parce qu'elle nie l'autorité souveraine de Dieu et lui
substitue la souveraineté du peuple : c'est la déification de l'homme.
h) Immorale : parce que, plaçant l'origine de l'obligation dans la
volonté de l'homme, elle détruit le fondement même de la moralité.
c) Tijrannique : parce qu'elle assujettit la conscience à la plus dure
des tyrannies, à celle d'une majorité numérique, souvent aveugle,
toujours changeante (85).
Or on est forcé de reconnaître que cette seconde interprétation de
la Déclaration est celle qui prévaut dans le monde officiel.
IL — Jugement d'un sociologue : Le Play : — « Le contraste, qui
se prononce de plus en plus entre les désastres de la France révolution-
naire et les succès des peuples de tradition, condamnera prochainement
sans appel l'œuvre de 1789.
Quant à l'explication de nos avortements politiques, elle est indiquée
en traits éclatants par les idées qui ont préparé la Révolution et par
les deux Déclarations (^) qui ont tracé les voies suivies par ses adeptes.
Elle a pour point de départ la négation de l'intervention de Dieu dans
les affaires humaines, d'où découle logiquement la croyance aux trois
faux dogmes [de la Révolution]. En effet, si le règne du bien ne provenait
pas de la haute direction que Dieu donne au libre arbitre de l'homme,
il aurait sa source dans la « perfection originelle », en vertu de laquelle
chaque homme serait naturellement porté à éviter le mal. Si la tendance
au bien est universelle dans l'humanité régie par la loi naturelle, « V égalité
providentielle » des hommes devient la base de toute bonne organisation
sociale. Ces deux erreurs réunies engendrent, par une déduction logique,
le troisième faux dogme. Depuis les premiers âges de l'humanité, les
constitutions les plus admirées, celles qui ont le mieux fondé le bonheur
(') Ramière, Op. cit., p. 363-368.
(') La Convention nt à son tour, en 1793, une Déclaration en 35 articles.
300 LA DÉCLARATIO>- DES DROITS DE l'hOMME ET DU CITOYEN (109)
des hommes sur la paix, ont toujours présenté les mêmes caractères :
elles ont fermement réprimé les tendances innées de la jeunesse et les
écarts de l'âge mûr au moyen d'une puissante hiérarchie ; en d'autres
termes : elles ont violé les deux premiers dogmes. La contradiction,
qui existe entre les doctrines de la Révolution et les faits de l'histoire,
impHque donc « le droit de récolte » contre les plus légitimes traditions
du genre humain. Beaucoup d'honnêtes gens égarés ont cru de bonne foi
aux deux premières erreurs, sans apercevoir cette terrible conclusion ;
mais celle-ci s'est bientôt imposée aux esprits. Les gouvernements
qu'ils ont fondés ont tous eu le même sort : impuissants sous l'autorité
des fondateurs, ils ont été promptement envahis par les hommes de
proie et de violence ; ils sont alors devenus impossibles, puis ils ont
disparu au milieu d'inévitables catastrophes.
Nos lettrés révolutionnaires ont en vain tenté de nous montrer
de vrais principes dans les nouveautés de 1789. Celles-ci, en effet, ne
comprennent que les trois faux dogmes et plusieurs erreurs qui en
émanent. L'analyse des 52 articles des deux Déclarations démontre
l'exactitude de ce jugement. Certaines vérités traditionnelles forment
le fond de ces documents ; mais les plus importantes y sont, soit déna-
turées par les faux dogmes, soit faussées par diverses erreurs {^). »
III. — Jugement d'un historien : Taine. — « ... Dans la Déclaration
de l'Assemblée nationale, la plupart des articles ne sont que des dogmes
abstraits, des définitions métaphysiques, des axiomes plus ou moins
littéraires, c'est-à-dire plus ou moins faux, tantôt vagues et tantôt
contradictoires, susceptibles de plusieurs sens et susceptibles de sens
opposés, bons pour une harangue d'apparat et non pour un usage effectif,
simple décor, sorte d'enseigne pompeuse, inutile et pesante, qui, guindée
sur la devanture de la maison constitutionnelle et secouée tous les jours
par des mains violentes, ne peut manquer de tomber bientôt sur la
tête des passants. On n'a rien fait pour parer à ce danger visible. Rien
de semblable ici à cette Cour suprême qui, aux États-Unis, est la gar-
dienne de la Constitution... On a proclamé des droits indéfinis et discor-
dants, sans pourvoir à leur interprétation, à leur application, à leur
sanction... Tous les articles de la Déclaration sont des poignards dirigés
contre la société humaine, et il n'y a qu'à pousser le manche pour faire
entrer la lame. Parmi « ces droits naturels et imprescriptibles », le légis-
lateur a mis « la résistance à l'oppression ». Nous sommes opprimés,
résistons et levons-nous en armes. — Selon le législateur, « la société a le
( M F. Le Play, La Réforme sociale en France, h. VII, Cb. lxiv, § 3, T. IV, p. 128-1304
Tours, Maine, 1878*.
1
(109) COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : MORALE CIVIQUE 301
droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
Allons, à l'hôtel de ville, interrogeons nos magistrats tièdes ou sus-
pects, etc. (^). »
COMPLEMENT BIBLIOGRAPHIQUE
RELATIF A LA MORALE CIVIQUE
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302 COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : MORALE CIVIQUE (109)
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IVe SECTION
f MORALE INTERNATIONALE
Dans ce Chapitre, consacré à la Morale sociale, nous avons jusqu'ici
traité de la Morale humanitaire, de la Morale domestique et de la Morale
civique. Reste à parler de la Morale internationale. Puis nous aborderons
quelques sujets qui intéressent toutes les nations : le Principe des
Nationalités, la Morale et la Politique, la Civilisation, le Progrès.
110. — LE DROIT INTERNATIONAL (i)
A) Définition : on entend, aujourd'hui, par Droit international,
l'ensemble des droits et des devoirs qui déterminent les relations des
peuples entre eux. On l'appelle aussi Droit des gens {Jus Gentium). Mais
comme le terme Droit des Gens a été pris dans des sens différents, nous
dirons, pour éviter toute équivoque : Droit international.
Par Droit des Gens, les Jurisconsultes romains entendaient le Droit
qui est commun aux citoyens et aux étrangers {^). Le Droit civil ne
concernait que les citoyens romains.
S'inspirant des Jurisconsultes de Rome, S. Thomas appelle Droit
des gens cette partie du Droit positif qui contient les conclusions décou-
lant nécessairement du Droit naturel et est reconnu par tous les peuples.
Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, sont des préceptes du Droit des gens
ainsi défini (^). Ces préceptes sont obligatoires en vertu même de la loi
naturelle.
Depuis le xvii« siècle, les Scolastiques (*) comprennent, sous le nom
de Droit des Gens, les lois positives qui, sans être des conclusions néces-
saires de la loi naturelle, lui touchent de si près qu'on les trouve chez
( M H. Grotius, De Jure belli et pacis. — S. Pufendorf, De Jure naturee et gentium.
— J-G. Heineccius, Elementa Juris nalurœ et gentium. — Taparelli, Essai..., L. VI.
— S. SCHiFFiNi, Disputât, philos, moralis, T. II, Disput. VI. — L. Jouin, Elementa philo-
sophix moralis, P. IV, Sect. III. — M. B., /ns(i(u<es de droit naturel, L. XI. — Ch. Périn
L'Ordre international. — Nys, Les théories politiques et le droit international. - E. Cheysso.v,
L' Internationalisme dans les questions sociales. — G. Audisio, Juris naturx et gentium
publici et privati fundamenta. — T. Rothe, Traité de Droit naturel, T. I, Part IV, Ch. iv.
( •) Gaius, Institutionum Commentarii quatuor, I, § I — Cf. Cicéron, De OfHciis,
L. III, 5 XVII.
(•) Cf. S. TH0MA3, Summa theologica, 1» 2»% Q. XCV, A. 4. — 2» 2'", Q. LVII, A. 3.
— Comment, in V Ethic, L. XII. — V. Cathrein, P/iifosop/iia Moralis, P. I, C. vin, Art. V,
n. 307-308, p. 224-226, Fribourg-en-Brisgau, 1911 (7* Edit.).
( ♦) Cf. vg. SOAREZ, De Legibue, L. II, C. xvii-xx.
312 LE DROIT INTERNATIONAL (110)
tous les peuples. Les lois positives, ne dérivant pas nécessairement de
la loi naturelle, ont besoin, pour devenir obligatoires, de l'intervention
du législateur qui détermine et précise la loi naturelle, dont il dégage
les conséquences secondaires. D'après les Scoiastiques antérieurs au
xvii^ siècle, ces lois positives appartiennent au contraire au Droit civil.
B) Division du Droit international. — On le divise en : 1° Droit
international naturel et positif. — 2° Droit international public et prii'é :
I. — Droit international naturel : il comprend les devoirs et les
droits qui, en vertu de la seule loi naturelle, existent chez les diverses
nations : vg. Devoir d'observer les traités. Droit de conserver son
territoire.
Droit international positif : il comprend les devoirs et les droits qui
ont pour origine une coutume ou une convention librement consentie.
On peut le subdiviser en :
a) Droit positif universel : quand il est en vigueur chez tous les
peuples civilisés ; vg. Convention de Genève relative aux blessés et
prisonniers de guerre.
b) Droit positif particulier : quand il n'est en vigueur que chez un
certain nombre de peuples ; vg. Conventions relatives à l'unité moné-
taire, à l'union postale.
II. — Droit international public : c'est le Droit international pro-
prement dit, soit naturel, soit positif, considéré en tant qu'il règle les
rapports des nations entre elles. Il a pour sujet les nations elles-mêmes,
et non leurs Gouvernements. Les actions juridiques sont cependant exer-
cées, au nom des nations, par leurs Gouvernements qui les représentent.
Droit international privé ; il règle les relations que les citoyens des
diverses nations ont entre eux sur tel ou tel point ; vg. Convention
relative à la propriété littéraire.
C) Existence du Droit international naturel, soit privé, soit public.
I. — Droit privé : A chacun le sien est un précepte naturel évident,
qui oblige absolument tous les hommes. Or chacun de nous, en vertu
même de sa nature, peut revendiquer comme siennes beaucoup de.
choses. Tous les hommes par conséquent sont tenus de les respecter,
c'est-à-dire de les laisser intactes, et, en cas de dommage ou de rapt, de
réparer le tort causé ou de rendre l'objet enlevé. Exemple : tout homme
a droit à la vie ; il faut donc respecter la vie non seulement de ses conci-
toyens, mais de tout être humain.
II. — Droit public : le principe : A chacun le sien, étant absolument
universel, concerne non seulement les individus, mais les sociétés.
Or chaque société peut appeler siennes, indépendamment du consen-
tement des autres nations, beaucoup de choses : vg. son territoire,
sa forme de gouvernement, son indépendance, etc.
Chaque nation en effet constitue une personne morale ayant, comme
(110) LE DROIT INTERNATIONAL 313
l'individu, le droit de conserver sa vie et de travailler à son perfection-
nement matériel, intellectuel et moral. Les autres nations ont donc le
devoir de la respecter. Par conséquent les principes, qui règlent la
conduite des individus entre eux, s'appliquent aux peuples dans leurs
rapports mutuels : les peuples sont liés les uns envers les autres par des
devoirs de justice et de charité.
D) Devoirs de justice : toutes les sociétés civiles ont même essence,
même fin, même pouvoir. Elles ont donc, en vertu même de leur consti-
tution naturelle, les mêmes devoirs et les mêmes droits vis-à-vis les
unes des autres.
En matière de justice, droits et devoirs sont corrélatifs (54, § B, II).
Voici les principales obligations internationales :
1» Respect de l'indépendance, de la nationalité, des droits des
autres nations. Il n'est donc pas permis de conquérir un pays étranger,
sous couleur de lui porter la civilisation, d'y implanter la vraie religion,
ou d'y faire respecter la loi morale, à moins que ses excès ne nuisent
aux autres pays.
2o Fidélité aux conventions internationales, aux traités de paix.
3° Ne faire la guerre que pour une cause juste et après avoir épuisé
tous les moyens de conciliation (99, § B, II, 2°).
E) Devoirs de charité : les hommes pris individuellement sont
tenus à l'amour mutuel. Les sociétés, étant composées d'hommes, y sont
tenues pareillement, car ce qui convient aux individus en vertu de leur
essence, n'est pas supprimé par le fait de leur union sociale. Gonséquem-
ment ces préceptes : A^e fais pas aux autres ^e que tu ne veux pas qu'on te
fasse. Fais aux autres ee que tu désires qu'on te fasse, s'appliquent éga-
lement aux rapports des sociétés entre elles. Une différence est cependant
à noter. Il est loisible à un particulier de sacrifier, par amour pour
autrui, un bien temporel dont il a la libre disposition. Mais un Gouver-
nement doit préférer le bien social dont il a la charge au bien d'une
société étrangère.
Les peuples ont le devoir de s'entr'aider à accomplir la justice et
à promouvoir la civilisation.
Si un peuple est attaqué injustement par un ennemi, la charité
demande que les autres nations, qui le peuvent sans grave dommage
pour elles-mêmes, viennent à son secours.
F) Principe de non-intervention : sans doute il n'est pas permis
d'intervenir par la force dans les affaires intérieures d'une autre nation
sans son consentement, à moins qu'elle ne soit tombée dans une complète
anarchie ou qu'elle ne cherche à propager au dehors des doctrines sub-
versives. Quand un pays est agité par des troubles civils, on n'a pas le
droit d'empêcher une autre nation de porter secours, dans ce pays,
soit au peuple, soit à l'autorité, dont les droits sont violés, si ce secours
314 LE DROIT INTERNATIONAL (HO)
est réclamé. Autrement, ce serait encourager les rebelles. Il faut donc
repousser le principe de non-intervention entendu sans restriction. Dès
1831, Metternich le remarquait finement : « ...Qu'est-ce que le principe
de non-intervention, sinon l'intervention la plus délétère et la plus
active en faveur de l'anarchie {^). »
G) Nature et valeur des Traités : les Traités sont des contrats
passés entre nations. Le droit de les passer appartient à celui ou à ceux
qui exercent le pouvoir suprême dans la société, car personne ne peut
lier une société si ce n'est elle-même ou ceux qui la représentent. C'est
pourquoi les traités conclus par des intermédiaires : ministres, ambas-
sadeurs, ne deviennent obligatoires qu'après avoir été ratifiés par
l'autorité suprême de la nation intéressée.
Les conditions requises pour la licéité et la validité des contrats
particuliers sont applicables aux traités. Ainsi, les personnes, qui prennent
part à un contrat, doivent être aptes à le faire, c'est-à-dire qu'elles
doivent avoir le plein usage de leur raison et la libre disposition de leurs
droits : vg. un fou ou un mineur sont incapables de contracter. —
La matière du contrat doit être licite : vg. un contrat qui viole les droits
d'un tiers est nul de plein droit. — Le consentement doit être libre.
Trois causes : l'erreur, la violence, la crainte peuvent vicier le consen-
tement. U erreur doit être substantielle, c'est-à-dire porter sur la substance
ou la nature du contrat : vg. un marchand au lieu de vin a vendu du
vinaigre ; l'un des contractants a voulu acheter et l'autre seulement
prêter, La violence extérieure : vg. forcer quelqu'un à signer le contrat.
La crainte, si elle n'enlève pas la liberté, n'annule pas le contrat.
Il est facile d'appliquer ces conditions aux traités. Donnons un
exemple : un traité qui imposerait au vaincu de subjuguer une autre
nation ou de fomenter chez elle des troubles, serait nul, parce que la
matière est illicite.
L'obligation d'observer les traités et les contrats repose en dernière
analyse sur la loi morale (17, § II, A, II et B). En dehors de là tout
fondement est ruineux. Ceux qui rejettent ce fondement solide en
viennent logiquement à professer, comme Edouard de Hartmann et
beaucoup d'autres, que les traités n'obligent qu'autant qu'ils sont
profitables. Mais, on l'a vu, l'intérêt et l'utilité ne peuvent servir de
base au devoir. (25, B, III). S'inspirant de la doctrine utilitaire de
Hartmann, le Chancelier de l'Empire allemand, M. de Bethmann-
HoUweg, déclara, en 1914, à l'ambassadeur d'Angleterre, que les traités
sont des « chiffons de papier », qu'on déchire quand ils sont devenus
gênants.
M Metternich (Prince de), Mémoires, T. V, p. 128, Paris, 1882.
(111) ESSAIS d'organisation JURIDIQUE INTERNATIONALE 315
111. — ESSAIS D'ORGANISATION JURIDIQUE
INTERNATIONALE {^)
Pour la solution pacifique des conflits qui surgissent entre les diffé-
rents peuples, il serait de la plus haute importance d'organiser juridi-
quement les rapports internationaux. Qu'a-t-on tenté jusqu'ici pour
résoudre ce difficile problème ? La connaissance de ces essais et des
raisons de leur insuffisance aidera à trouver une solution équitable et
efficace.
A) Chrétienté du Moyen Age ('^). — L'Empire romain avait réussi
à créer une organisation juridique qui soumettait les peuples du monde
alors connu à un seul gouvernement et à une même législation. L'invasion
des Barbares mit fin à cette majestueuse Paix romaine. Sur les débris*
de l'Empire, des nations indépendantes se constituèrent peu à peu,
plus ou moins ennemies ou rivales. L'Europe du Moyen Age s'efTorça,
surtout aux xii^ et xiii^ siècles, d'établir, pour la sauvegarde de la
paix, une organisation juridique fondée sur les principes du Droit
chrétien.
Le système reposait sur l'union étroite de la puissance temporelle
et de la puissance spirituelle, l'Église catholique et l'Europe féodale.
La puissance ecclésiastique exercée par le Pape et les Évêques, et la
puissance séculière exercée par l'Empire, les Royautés, les Seigneuries
et les Cités, tout en restant distinctes et maîtresses dans leur domaine
propre, collaborent à la même œuvre. L'unité de croyances religieuses
et d'obédience ecclésiastique, aussi bien que la situation politique, faci-
litèrent cette collaboration : les hauts dignitaires ecclésiastiques sont
en même temps seigneurs féodaux et jouissent en conséquence des
prérogatives de la suzeraineté séculière ; les princes et les seigneurs
laïcs, d'autre part, sont admis à délibérer sur des sujets concernant les
affaires de l'Église. De plus, privée par le schisme byzantin de l'Europe
orientale, la Chrétienté se borne à l'Europe centrale et occidentale.
Cette étendue restreinte rend l'entente plus facile.
La Papauté possède un double pouvoir : l'un direct sur les matières
religieuses ; l'autre indirect, sur les matières mixtes, c'est-à-dire les
questions civiles où la conscience est engagée. L'exercice de ce pouvoir
indirect ayant^été accepté par le Droit public des sociétés composant
(M D'aprt^s le livre d'Y. de la Brière : La « Société des Nations » ? (Paris. 1918)
et son article : Paix et Guerre, § III, dans le Dictionnaire apologétique (sous la direction
d'A. d'Alès), 1920, T. III, col. 1272-1301.
(«) Fr. Duval, La Chrétienté du Moyen Age, dans L'Église et la Guerre, Paris, 1913.
316 ESSAIS d'organisation juridique internationale (111)
la Chrétienté, le Saint-Siège devint l'arbitre suprême de ce que l'on a
appelé la Respublica Christiana.
Les décrets des Papes et des Conciles introduisirent, dans le Droit
public des Cités et des Royaumes, des règles qui peu à peu modifièrent
les relations internationales dans le sens de plus de justice et d'équité.
L'arbitrage du Saint-Siège ou des hauts dignitaires ecclésiastiques
empêcha ou abrégea nombre de conflits sanglants. L'idéal chrétien de
la Chevalerie contribua aussi à rendre la guerre plus humaine (^).
« La proclamation du principe de la Paix de Dieu, puis l'institution
(beaucoup plus réelle et efficace) de la Trêve de Dieu, la réglementation
du droit d'asile et des immunités ecclésiastiques parviendront indubi-
tablement à restreindre les calamités de la guerre, à en exempter certains
temps, certains lieux, certaines catégories de personnes et de biens,
au nom de la législation commune qui s'impose à toutes les puissances
de la Chrétienté (^). »
Cette belle organisation n'eut qu'une efficacité partielle et relative,
car elle fut tenue en échec par l'action des passions mauvaises. Trop
souvent l'intervention de l'Église fut impuissante. Cependant l'histoire
n'offre pas d'exemple d'une tentative de ce genre qui ait donné des
résultats comparables. Ils justifient « la profonde admiration dont
l'ensemble de mes méditations philosophiques », déclare loyalement
Auguste Comte, « m'a depuis longtemps pénétré envers cette économie
générale du système catholique au moyen âge, que l'on devra concevoir
de plus en plus comme formant jusqu'ici le chef-d'œuvre politique de
la sagesse humaine » (^).
B) Équilibre des Puissances. — Quand la constitution des grands
États modernes eut brisé l'organisation politico-religieuse de la Chré-
tienté au Moyen Age, et que la Réforme protestante eut rompu l'unité
de croyances religieuses et d'obédience ecclésiastique, une nouvelle
formule politique se dégagea peu à peu comme règle des relations inter-
nationales : ce fut le principe de Y Equilibre des Puissances.
Le principe de l'Équilibre européen fait son apparition officielle
dans les traités de Westphalie (1648), Les Puissances catholiques et
protestantes, liguées contre les Habsbourgs, avaient pour but commun
de détruire la suprématie de la Maison d'Autriclie-Espagne, qui était
une menace permanente pour la tranquiUité de l'Europe. La coalition,
après sa victoire, avisa au moyen de contenir cette Puissance domi-
(') Cf. L. Gaittier, La Chevalerie, Ch. i.
( ') Y. DE LA Brière, Article cité, Ibidem, col. 1271.
(') A. Comte, Cours de Philosophie positive, T. V, Leçon LIV, Paris, 1869', p. 2.31,
au bas.
(111) ESSAIS b'oRGAMSATION JURIDIQUE INTERNATIONALE 317
natrice. Pour sauvegarder Findépendance et la sécurité de chaque
peuple, les diplomates s'efforcent d'organiser l'Europe de telle façon
que les principaux États, par eux-mêmes ou par leurs alliances, s'équi-
librent et se fassent contrepoids, de manière à conserver aussi exac-
tement que possible la proportion des forces respectives. Telle est la
conception qui domina le Droit international pendant les xvii^ et
XYiii^ siècles, et qui, au xix^, se retrouvera sous des étiquettes diffé-
rentes.
Cette politique d'équilibre, qui est appliquée d'abord en faveur de
la France et de ses alliés contre la prépondérance de la Maison d'Au-
triche, s'exerça ensuite contre la suprématie française sous le règne
de Louis XIV. Elle inspira les coalitions dirigées contre la Révolution
et contre Napoléon I^r. Elle présida au dépècement de la Pologne et,
de notre temps, à certains démembrements de l'Empire ottoman.
Avant 1914, on avait opposé à la Triple AlHance le contrepoids de la
Triple Entente.
Considéré comme procédé ou recette, le système d'équilibre a reftdu
et peut rendre encore de véritables services. Mais il faut se garder
d'ériger ce procédé utile en doctrine juridique, sous le nom de principe
de l'équilibre, comme s'il avait la valeur d'un principe se suffisant à
lui-même. Les règles absolues du droit et de la justice doivent présider
à ses applications. Sinon il peut servir de prétexte aux réglementations
les plus injustes. « Dans chacun des Congrès tenus depuis trois siècles
par les Puissances européennes, il serait facile de relever les innom-
brables échanges, trocs, marchandages de provinces et de populations,
accomplis, en contradiction avec le bon sens ou avec la morale et le
droit, pour appliquer le principe sacro-saint de l'équilibre politique de
l'Europe et du monde. Le caractère immoral du principe d'équilibre,
considéré comme règle suprême du droit des gens, apparaît à ce résultat
constant que les frais des opérations compensatoires décrétées par
les diplomates des grands États sont inévitablement supportés par les
Puissances les plus faibles... Le principe d'équilibre portera donc toutes
les mêmes tares indélébiles que les diverses morales de Vintérét (^). '>
(24 sqq.).
C) Directoire européen. — On appela ainsi le statut qui fut pré-
paré dans les délibérations du Congrès de Vienne. Le dernier traité de
1815, celui du 20 novembre, stipula que les quatre confédérés de l'Al-
liance de Chaumont, l'Angleterre, l'Autriche, la Prusse et la Russie,
resteront unis pour maintenir la paix de l'Europe. La France fut admise
en 1818 dans le Directoire européen.
C) Y. DE LA Brière, Art. cité. Ibidem, col. 1277.
318 ESSAIS d'organisation juridique internationale (111)
Le Directoire adopta pour principe celui de la légitimité, c'est-à-dire
le respect des Gouvernements consacrés par la tradition historique de
chaque pays. Il eut une courte durée (1815-1830). C'était fatal. Une
fois passé le danger commun que l'ambition conquérante de Napoléon I^""
avait fait courir à l'Europe, le trait d'union manqua. Au lieu d'examiner
les questions pendantes en se plaçant au point de vue du bien collectif,
chaque puissance les envisagea d'une façon égoïste, préoccupée de ses
intérêts immédiats et particuliers. Le Directoire européen se trouva
impuissant devant la Révolution de Juillet en France, la proclamation
' de l'indépendance de la Belgique, le soulèvement de la Pologne. Chaque
État s'efforça de pourvoir lui-même à ses propres besoins.
D) Concert européen (^). — Après 1830, les principales Puissances
de l'Europe se concertèrent, dans les circonstances critiques, pour
prendre en commun et les imposer à autrui certaines décisions collec-
tives, qui peu à peu furent acceptées comme les formules successives
du Droit international. Leur ensemble peu cohérent a formé ce qu'on
est convenu d'appeler le Concert européen (1830-1914).
Le Directoire européen avait admis comme principe de Droit public
la politique d'intervention pour maintenir la légitimité. Le Concert
européen vise à maintenir l'équilibre et la paix entre les États ; mais,
pour diriger son action, il ne suit aucune règle permanente. Ses préfé-
rences sont pour les solutions empiriques et les compromis qui varient
avec les circonstances. Tantôt il encourage ou tolère l'application du
principe des nationalités (112) ; tantôt il comprime l'élan des nations
renaissantes en s'inspirant uniquement de considérations utilitaires
tirées de l'équilibre européen. Parfois il laisse dormir le principe d'inter-
vention : l'unité italienne et l'unité allemande s'accomplissent, comme
s'il n'existait pas. Le plus souvent il intervient : affaires ottomanes,
balkaniques, africaines, asiatiques.
Sans doute, le Concert européen a rendu des services appréciables.
Mais n'ayant, pour éclairer ses décisions, aucun principe ^supérieur qui
soit la formule objective du Droit, il n'offrait pas une garantie efficace
pour l'ordre juridique. Sa composition même est vicieuse. C'est un syn-
dicat formé par les grandes Puissances qui, trop souvent, ont fait bon
marché des intérêts des petits États réduits à subir leurs exigences,
quel que soit le déni de justice dont ils sont victimes.
E) Conférences de La Haye (1899 et 1907) (2). — La rapidité
des moyens de transport et d'information, la facilité des échanges ont
( ') Ch. Dupuis, Le Principe d'équilibre et le Concert européen, Paris, 1909-
( •) Cf. L. Renault, Les deux Conférences de la Paix de 1899 et de 1907, Paris, 1909.
(111) ESSAIS d'organisation JURIDIQUE INTERNATIONALE 319
insensiblement introduit, chez les divers peuples du monde, une uni-
formité croissante dans la manière de vivre et une étroite solidarité
commerciale, industrielle et agricole. Ces conditions nouvelles du monde
contemporain ont eu leur contre-coup dans le Droit international
privé ou public, qui s'est notablement perfectionné. Les articles 282 à
295 du Traité de Versailles (28 juin 1919)énumèrent un très grand nombre
de conventions internationales réglant les droits des particuliers et
signées par 10, 20, 30 Puissances.
A ce mouvement de transformation se rattache, dans le domaine
du Droit international public, l'œuvre des Conférences de La Haye.
La Conférence de 1899 élabora une convention pour le règlement
pacifique des conflits internationaux. Une Cour permanente d'arbi-
trage, composée des représentants de toutes les Puissances contrac-
tantes, a pour mission de juger les litiges qui lui sont déférés. L'arbi-
trage en question est limité à certains cas et facultatif, c'est-à-dire
abandonné au libre choix des contractants. Entre 1899 et 1914, cette
Cour a réussi à donner à une douzaine d'afîaires épineuses une solution
pacifique et équitable.
Il est clair que, s'il n'est pas reconnu comme obligatoire par toutes
les Puissances contractantes, l'arbitrage international ne sera qu'un
remède platonique, quand s.urgiront les questions brûlantes qui surex-
citent l'amour-propre ou l'ambition de peuples rivaux. Les plus forts
n'auront cure de l'arbitrage facultatif. Aussi la Conférence de 1907
prépara-t-elle un projet établissant l'arbitrage obligatoire. Il fut accepté
par 33 Puissances et rejeté par 8 autres. Une adhésion unanime eût été
nécessaire.
Excellent dans ses intentions, ce projet avait une lacune très grave :
l'absence de sanctions pour urger l'exécution de la sentence rendue.
L'arbitrage, même obligatoire, dénué de sanctions serait d'une médiocre
efficacité. Car toute sentence, qui impose une contrainte onéreuse, a
bien des chances d'être éludée tôt ou tard par les intéressés, si l'on ne
met pas la force au service du droit.
Ce sont les terribles calamités de la guerre de 1914-1918 qui ont mis
en pleine lumière la nécessité de l'arbitrage obligatoire muni de sanctions
internationales efficaces. Le Message du l^'" août 1917, où Benoît XV
offre sa médiation aux belligérants, réclame cette transformation du
Droit international : « Le point fondamental doit être qu'à la force maté-
rielle des armes soit substituée la force morale du droit ; d'où un juste
accord de tous pour la réduction simultanée et réciproque des arme-
ments, selon des règles et des garanties à établir, dans la mesure néces-
saire et suffisante au maintien de l'ordre public dans chaque État ;
puis, en substitution des armées, l'institution de l'arbitrage, avec sa
haute fonction pacificatrice, selon des normes à concerter et des sanctions
1
320 ESSAIS d'organisation juridique internationale (111)
à déterminer contre l'État qui refuserait, soit de soumettre les ques-
tions internationales à l'arbitrage, soit d'en accepter les décisions. »
On peut ramener à trois les sanctions internationales :
a) Sanctions morales : flétrissure publique que la Cour suprême
d'arbitrage infligerait à tout État qui aurait gravement enfreint les
obligations du Droit international, et, notamment, qui aurait recouru
aux armes, au lieu de s'adresser à la justice arbitrale pour trancher le
litige, ou aurait refusé de se soumettre à la sentence d'arbitrage.
b) Sanctions éconoîniques : rupture aussi complète que possible des
relations commerciales avec la Puissance violatrice du droit. Un blocus
sévère serait une sanction très énergique, parce qu'il met le pays bloqué
dans une situation qui finit par devenir intolérable.
c) Sanctions militaires : la Cour suprême aurait le droit de requérir
l'intervention armée de certains États contre la Puissance prévari-
catrice.
Cette réquisition ne serait pas, en fait, aussi lourde pour les Puis-
sances obligées d'intervenir qu'elle semble à première vue. Car le fonc-
tionnement de l'arbitrage obligatoire doit avoir pour préface « la réduc-
tion simultanée et réciproque des armements ».
Cependant il ne faudrait pas nourrir l'illusion qu'une ère de paix
perpétuelle se lèverait sur le monde, si tous les États avaient consenti
au désarmement et accepté cet ensemble de sanctions. Car, étant données
les passions qui sont inhérentes à la nature humaine, il surviendrait des
cas où les sanctions ne seraient pas appliquées ou le seraient d'une
façon insuffisante. Si l'on n'arrive pas à donner aux sanctions toute
l'ampleur et la force désirables, ce sera déjà beaucoup de leur assurer
une efficacité relative et partielle. C'est pourquoi les efforts tentés pour
améliorer le Droit international sont dignes d'encouragement.
F) Société des Nations. — Les vingt-six premiers articles du
Traité de Versailles codifient « le pacte qui institue la Société des
Nations ».
Cette Société a pour membres originaires les trente-deux États qui
se déclarèrent contre l'Autriche et l'Allemagne. Les treize États, restés
neutres pendant la guerre, sont invités à entrer immédiatement dans
la Société. Pour l'admission de l'Allemagne et de ses alliés la majorité
des deux tiers de ces quarante-cinq Puissances sera nécessaire.
Trois organes essentiels doivent assurer le fonctionnement de la
Société : une Assemblée générale, un Conseil exécutif, un Secrétariat
permanent.
Dans l'Assemblée, chaque Puissance ne disposera que d'une seule
voix et ne pourra avoir que trois représentants. La date de ses réunions
n'est pas prévue.
Le Conseil se réunit au moins une fois par an. 11 doit comprendre
(111) ESSAIS d'organisation JURIDIQUE INTERNATIONALE 321
normalement neuf membres. Cinq d'entre eux sont, de droit, les délégués
des « principales Puissances alliées et associées » : États-Unis, Empire
britannique, France, Italie, Japon. Les quatre autres seront désignés
par l'Assemblée générale. Provisoirement, c'est la Belgique, le Brésil,
l'Espagne et la Grèce qui envoient des délégués. Sauf en matière de pro-
cédure, les décisions de l'Assemblée et du Conseil doivent être prises
à l'unanimité.
Le Secrétariat est établi au siège de la Société, à Genève. Toutes les
institutions officielles d'ordre international, déjà en exercice, sont doré-
navant rattachées à cette nouvelle organisation.
Les représentants et agents de la Société jouissent des privilèges
€t immunités diplomatiques.
La Société des Nations, telle que l'a organisée le Traité de Versailles,
mérite et des éloges et des critiques.
« C'est une tentative utile et méritoire d'organisation juridique
internationale. Elle marque un progrès sur l'œuvre des Conférences de
La Haye... Elle édicté (en principe) la réduction générale et propor-
tionnelle des armements. Elle rend obligatoire, en cas de conflits inter-
nationaux, le recours aux solutions pacificatrices. Elle établit un système
juridique de sanctions internationales contre les violateurs de la paix et
du droit parmi les peuples. Les règles du bon sens n'ont pas été enfreintes.
« Par contre, la rédaction du pacte de 1919 est défectueuse et
confuse... Si l'on veut aller au fond des choses, on devra constater que
la procédure de règlement pacifique des conflits internationaux est
étrangement compliquée, peu conforme aux exigences de la psychologie
des peuples qui, dans l'exaspération de leurs passions nationales, ont
envie de recourir aux violences guerrières. Aucune mesure pratique
n'est prescrite ni même suggérée pour accomplir sans tarder la réduction
générale et proportionnelle des armements : on se contente d'annoncer
que des commissions internationales vont étudier les voies et moyens.
La formule des sanctions économiques est tellement sommaire et absolue
qu'elle dit trop pour être praticable. La formule des sanctions militaires
dit, au contraire, beaucoup trop peu et ne fournit au maintien de l'ordre
international aucune assurance actuelle et consistante : le fait est d'une
telle évidence que, le jour même où fut signé le Traité de Versailles,
l'Angleterre et les États-Unis ont reconnu la nécessité de signer un
autre traité avec la France pour garantir celle-ci contre une agression
possible de la puissance allemande (^). »
G) Participation du Saint-Siège. — « Durant la grande guerre,
(') Y. DE LA Brière, Art. cité, Ibidem, col. 1293-1294.
TRAITÉ DE niILOSOPHIE. T. II. — 11.
322 PRI>"CIPE DES NATIONALITÉS (112)
Benoît XV a été l'apôtre infatigable et désintéressé de la paix, de la
justice et de la charité entre les peuples en armes. Il a réalisé avec un
incontestable succès un admirable effort pour atténuer partout les hor-
reurs de la catastrophe en faveur des blessés, des prisonniers, des détenus
civils, des populations envahies, des régions dévastées. Dans son Message
pacificateur du mois d'août 1917, il a solennellement formulé, (avec plus
de précision que ne l'avait encore fait le président Wilson) les principes
essentiels de l'organisation juridique internationale, notamment le
principe de l'arbitrage obligatoire, le principe des sanctions inter-
nationales, le principe de la réduction générale et proportionnelle des
armements : bref, chacun des articles fondamentaux que les négocia-
teurs du traité de Versailles devaient promulguer un peu plus tard dans
le Pacte (assez médiocrement libellé) de la Société des Nations.
« La collaboration effective de la Papauté romaine pourra donner
aux nouvelles institutions juridiques de l'organisation naissante (et
combien fragile !) quelque chose de l'autorité morale, du prestige et
de la solidité qui leur seront absolument nécessaires et que nulle autre
consécration ne suffirait à leur garantir (^). »
112. — PRINCIPE DES NATIONALITÉS ( ^ )
Le principe des nationalités a été un ferment de troubles et de
divisiont au cours du xix« siècle. Pour en apprécier la valeur, il faut
dissiper l'équivoque qui se cache sous les mots.
A) Sens des mots Nation, Nationalité. — On peut les prendre
au sens naturel ou au sens politique :
1^ Sens naturel : le mot Nation {Naiio^ nascor {naître), natus) signifie
alors un groupe d'hommes unis par la communauté d'origine (vg. les
Juifs) ou du moins par un même ensemble de caractères corporels et
psychiques, fruit d'une commune évolution historique (vg. les Français,
les Italiens). La communauté de langue est la propriété caractéristique
principale. Dans ce sens, une nation peut contenir des éléments d'origine
différente (vg. en France : Gaulois, Germain, Celte), mais qui avec le
temps se sont si bien mêlés qu'il est difficile, sinon impossible, de les
discerner. — Dans ce cas, Nation est à peu près synonyme de Patrie.
i
(M Y. DE LA Brière, Arl. cité. Ibidem, col. 1299.
(*) Taparelli. Essai théorique de Droit naturel. Tome IV, Note 140. — V. Cathrein,
Philosophia Moralis, P. II, L. II, C. iv. Art. IV, n. 747-748, Fribourg-en-Brisgau, 1911 '. ^
— J. DoNAT, Ethica specialis, Sect. III, C. ii. Art. I, Appendice, n. 249-254, Innsbruck,
1921 ».
(112) PRINCIPE DES NATIONALITÉS 323
2° Sens politique ou juridique : Nation signifie alors un corps social
séparé, complet, indépendant. Ici, le mot est synonyme à' État.
La même distinction s'applique au mot Nationalité., qui signifiera
tantôt unité d'origine ou de qualités naturelles, tantôt unité de gou-
vernement.
Les faits montrent le bien fondé de cette distinction. Une même
nation, au sens naturel, peut être en fait composée de plusieurs nations
au sens politique : vg. l'Allemagne. Inversement, une même nation,
au sens politique, peut englober plusieurs nations au sens naturel :
vg. l'Autriche jusqu'au Traité de Versailles (1919) ; les États-Unis.
B) Énoncé et Valeur du Principe des Nationalités :
I. — Enoncé : Tout groupe d'hommes formant une nation a le droit
de se constituer en État politique distinct et indépendant. Plus briè-
vement : La nationalité politique doit suivre partout la nationalité
naturelle. Ce principe a été l'âme de V Italianisme., qui a réalisé per fas
et nef as l'unité politique de l'Italie. Il inspire actuellement le Panger-
manisme, le Panslavisme, le Pantoiiranisme.
II. — Ce principe n'est pas démontré : les arguments apportés en sa
faveur montrent seulement qu'il y a dans les nations, au sens naturel,
la tendance à former des communautés politiques sui juris. Il est certain
que dans les pays qui bénéficient de l'unité naturelle et de l'unité poli-
tique, le trait d'union social est plus résistant et que le bien commun
est plus facile à procurer, parce que les causes de divisions sont moins
nombreuses. Mais ces arguments ne prouvent pas que la considération
de la nationalité doive seule entrer en ligne de compte ou l'emporte
tellement sur les autres qu'il en résulte un droit impérieux à l'unité
politique indépendante et qu'il faille lui sacrifier tout le reste : d'abord
la stabilité sociale, premier bien des États ; puis, les traditions histo-
riques, les exigences locales, les nécessités économiques, bref tous les
résultats accumulés par une longue suite d'eiïorts en commun.
III. — Ce principe doit être rejeté, car :
1° La nature pousse les hommes à entrer en société afin de garantir
la sécurité de tous et de promouvoir la prospérité publique. Or beaucoup
d'autres conditions sont requises pour obtenir cette fin sociale et y
contribuent plus efficacement que la nationalité : vg. étendue conve-
nable du territoire, sa productivité, libre accès à la mer, commodité
et sûreté des débouchés commerciaux par terre, communauté de moeurs
et d'institutions, surtout stabilité de l'ordre. La nature veut donc que,
dans la constitution des États, la première place soit donnée, non aux
considérations tirées de la nationalité, mais à celles qui se rapportent à
la prospérité du pays.
2° En fait, depuis les temps les plus reculés, on constate (le peuple
juif, isolé des autres et conduit par une Providence spéciale, est peut-
324 PRINCIPE DES NATIONALITÉS (H^if
être l'unique exception) que les États sont formés de la fusion de plu-
sieurs nationalités. Si le principe des nationalités était vrai, il faudrait
donc conclure que, jusqu'au xix^ siècle, tous les peuples de la terre ont
ignoré ou méconnu le fondement légitime de l'ordre social.
3° L'application de ce principe est le plus souvent impossible.
En effet, les membres de même nationalité sont tellement dispersés,
différents dans leurs habitudes et mêlés aux autres nations qu'on ne
peut d'ordinaire les en séparer pour former un État indépendant. Par
exemple, comment réunir en un corps social les restes de la race celtique
épars en France, en Angleterre, en Irlande ? Qui leur assignera un
territoire convenable ? Il est manifeste que pour appliquer pleinement
ce principe il faudrait bouleverser le monde de fond en comble. Ce serait
déchaîner des troubles et des guerres sans fin.
C) Conclusion. — Ce principe est donc inacceptable, parce qu'il
présente, comme de plein droit, le passage de la nationalité naturelle
à la nationalité politique. Sans doute, la nationalité naturelle est un
élément qui dispose et prépare l'établissement d'une nationalité poli-
tique ; c'est une raison de convenance éloignée et indéterminée qui ne
saurait constituer un droit strict, d'autant qu'elle est en concurrence
avec d'autres exigences sociales que nous avons rappelées. Pour que le
passage de la nationalité naturelle à la nationalité politique s'opère
légitimement, il faut qu'il s'effectue sans léser les droits d'autrui. Un
concours de circonstances exceptionnelles, rarement réunies, est néces-
saire. C'est ainsi qu'à la suite de la grande guerre de 1914-1918, plusieurs
groupes de la race slave ont pu se constituer en États autonomes :
Pologne, Tchéco- Slovaquie, Yougo-Slavie.
D) Remarque. — A l'occasion de la guerre de 1914, un autre prin-
cipe, d'une portée plus étendue, a été mis en avant : Droit des peuples
à disposer d^ eux-mêmes. Il en est de ce principe, comme du principe
des nationalités : son application est subordonnée à certaines conditions.
S'agit-il de citoyens, libres de tout engagement, qui veulent se
constituer en société ? Il leur est loisible de disposer d'eux-mêmes en
choisissant la forme de gouvernement qui leur convient le mieux (86).
S'agit-il, au contraire, de peuples faisant déjà partie d'une société
établie ? Pour que ce principe soit applicable, il faut que ces peuples
puissent s'en servir sans blesser les droits de personne et sans manquer
aux engagements qui les lient à la société à laquelle ils appartiennent.
Or à la suite de certains événements, de grandes commotions sociales,.
par exemple, il peut arriver que des peuples se trouvent, par la force
des choses, dégagés des liens qui les attachaient les uns aux autres :
c'a été le cas des nations que renfermait l'empire composite d'Autriche.
Dans son appel aux belligérants (28 juillet 1915), Benoît XV leur
disait : « Pourquoi ne pas peser, dès maintenant, avec une sereine
I
(113-114) LA MORALE ET LA POLITIQUE 325
conscience, les droits et les justes 'aspirations des peuples ? » Et dans le
Message (l^^ août 1917) où il leur offrait sa médiation : « Pour ce qui
regarde les questions territoriales, comme par exemple, celles qui sont
débattues entre l'Italie et l'Autriche, entre l'Allemagne et la France,
il y a lieu d'espérer qu'en considération des avantages immenses d'une
paix durable avec désarmement, les parties en conflit voudront bien
les examiner avec des dispositions conciliantes, tenant compte^ dans la
mesure du juste et du possible, ainsi que nous l'avons dit autrefois, des
aspirations des peuples, et, à l'occasion, coordonnant les intérêts parti-
culiers au bien général de la grande société humaine. Le même esprit
d'équité et de justice devra diriger l'examen des autres questions terri-
toriales et politiques, et notamment celles relatives à l'Arménie, aux
États balkaniques et aux territoires faisant partie de l'ancien royaume
de Pologne, auquel, en particulier, ses nobles traditions historiques et les
souffrances endurées, spécialement pendant la guerre actuelle, doivent
justement concilier les sympathies des nations. »
113. — LA MORALE ET LA POLITIQUE
Il ne faut pas identifier la morale et la politique, comme fait Platon,
puisque la politique a pour but de diriger l'activité de l'homme vers
la prospérité temporelle, tandis que la morale a pour objet de le diriger
vers Vhonnête, c'est-à-dire vers la fin dernière, le souverain bien. Mais
elles ne sont pas non plus séparées, comme le soutiennent les disciples
de Machiavel, car toute activité raisonnable doit être subordonnée au
bien, à la fin dernière, donc à la morale. L'État n'a pas pour mission de
forcer les citoyens à pratiquer la vertu, mais il doit faire respecter la
loi morale dans ses rapports avec l'ordre social.
C'est d'ailleurs l'intérêt de la société, car les nations sont respon-
sables, comme les individus, de l'usage de leur liberté ; mais, n'ayant
pas l'immortalité de l'autre vie, elles sont punies ou récompensées dès
ce monde. Cette sanction consiste dans le progrès ou la décadence,
la civilisation ou la barbarie. Elles ne sont point vouées, étant libres,
à une loi fatale de progrès, de déchéance et de dissolution finale ; mais
elles peuvent se relever par la pratique des vertus sociales.
114. — LA CIVILISATION (i)
C'est un état social de perfection et de bonheur, résultant de la
rencontre harmonieuse de divers éléments. Ces éléments sont multiples :
( M Balmês, Le Protestantisme comparé au Catholicisme, T. I, Ch. xin sqq. — Léon XIII,
Instructions sur l'Église et la Civilisation. — M. d'Hulst, Conférences de Notre-Dame,
326 LA CIVILISVTÏON (114)
1° Arts industriels : agriculture, commerce, industrie. — 2'' Beaux- Arts
et Sciences. — 3° Institutions civiles, morales, religieuses. Lesquels,
entre ces éléments divers, l'emportent en dignité et en puissance, et
par conséquent déterminent le degré de civilisation ? Le bonheur et la
perfection de l'homme individuel et social consistent dans la satis-
faction des tendances légitimes de la nature humaine. Or cette satis-
faction se trouve dans le développement simultané, mais coordonné
de tout l'homme, c'est-à-dire de sa triple vie, i^ie physique, vie intellec-
tuelle, vie morale. Comme ces trois vies sont inégales en valeur, ainsi
seront inégaux les éléments du bonheur individuel et social, les éléments
de la civilisation qui s'y rapportent. Dès lors il faut ranger :
L — Au plus bas degré, les Arts industriels, qui, par eux-mêmes,
ne servent qu'à la vie physique.
IL — Au degré intermédiaire, les Arts, les Lettres et les Sciences qui
alimentent la vie de l'esprit. Comme cette vie est inférieure à la vie
morale, la civilisation ne réside pas surtout dans la splendeur de la
culture scientifique et artistique.
III. — Au. sommet, les Mœurs qui sont la vie morale même. Les
Institutions civiles sont des moyens pour entretenir les bonnes mœurs ;
mais c'est surtout la Religion qui est la sauvegarde efficace de la moralité.
La religion, même mêlée de faux, est plus favorable aux mœurs que
l'irréligion. Mais c'est la vraie Religion, le Christianisme, qui est le
meilleur instrument de civilisation. L'idéal, pour la société comme pour
l'individu, c'est le développement complet, mais subordonné des trois
vies matérielle, intellectuelle et morale, dont l'union harmonieuse
produit la fleur de la civilisation. Or cet équilibre est difficile à réaliser
d'ordinaire, quand les éléments inférieurs sont en progrès, les éléments
supérieurs sont en baisse : accroissement de richesse, diminution de
moralité. Pour maintenir haut le niveau moral, malgré toutes les séduc-
tions du progrès matériel, il ne faut rien moins que l'intervention surna-
turelle de la grâce. On ne doit pas repousser le progrès matériel, mais il
faut le christianiser ; c'est le réactif nécessaire.
IV. — Objection : le détachement de la vie présente prêché par le
Christianisme est un obstacle au progrès matériel. — Ce détachement,
en modérant les convoitises et en maîtrisant les passions, contribue au
bonheur social. L'objection vaudrait si le Christianisme refusait toute
valeur au progrès matériel, mais il lui accorde une valeur relative.
1895, VI' Conf. — H. Ramièbe, L'Église et la Civilisation moderne. — H. Pesch, L'Eglise
et la civilisaiiort, dans les Stimmen aus Maria Laach, 1895, p. 1 ; 178 sqq. — Guizot,
Histoire générale du la Civilisation en Europe. Histoire de la Civilisation en France. —
Bhooks Adams, La Loi de la civilisation et de la décadence. — Cii. Richet, Qu'est-ce que
la Civilisalion ? dans Revue des Deux Mondes, 1923, T. II, p. 391-411.
(115) LE PROGRÈS 327
V. — Remarque : S. Mill (^) ramène aux suivantes les conditions de
la civilisation : Densité de la population^ Activité productrice de la richesse^
Esprit d' association ^ Respect de Tordre. Cette énumération ne vise que
les éléments économiques et sociaux ; elle oublie les éléments intel-
lectuels et moraux : Religion^ Sciences, Beaux- Arts.
115. — LE PROGRÈS
I. — Le Progrès en général : ses éléments constitutifs sont les mêmes
que ceux de la civilisation (^). Le progrès c'est la marche en avant vers
la réalisation de la perfection. La perfection est le plein développement
des puissances d'un être dans le sens de sa fm (114).
Mais on peut se poser une question nouvelle. L'humanité est-elle
indéfiniment perfectible ? La perfectibilité de V individu est indéfinie
quant au degré possible d'imitation de l'idéal, en ce sens que, si de fait
chacun s'arrête à un degré fini de perfection, il lui serait toujours possible
de monter plus haut. La perfectibilité de Yhumanité est-elle aussi indé-
finie ? Étant composée d'individus indéfiniment perfectibles, elle peut
se perfectionner de plus en plus. Mais le progrès sera-t-il en fait indéfini ?
On ne saurait répondre d'une façon absolue. La loi du progrès n'est pas
fatale, puisque les individus composant la collectivité sont libres. Sans
doute çà et là il y a recul et décadence, mais il semble que l'humanité,
prise dans son ensemble, progresse (^). Cette conception n'a rien de
commun avec celle de Hegel et de P. Leroux, qui rêvent pour l'humanité
une perfection sans terme assignable, par un progrès fatal et continu :
pour eux l'humanité c'est Dieu même en train de se faire.
IL — Le Progrès moral : le progrès matériel, économique, scienti-
fique est manifeste. Le progrès moral est beaucoup moins évident,
non seulement à cause de la complexité de la question, mais parce que
( ') s. Mill, Dissertations and Discussions polUical..., T. I, p. 160 sqq. Londres, 1859.
( *) CoNDORCET, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain. —
J. FÉLIX, Le Progrès par le Christianisme. — Fn. Bouillie n. Morale et Progrès. — Spencer,
Essais sur le Progrès — G. de Greef, Le transformisme social. — J. Pioger, La vie sociale,
la morale et le progrès. — W. Bagehot, Lois scientifiques du développement des nations. —
Frederici, Les Lois du Progrès. — Matteuzzi, Les fadeurs de l'évolution des peuples. —
Martinet, De la perfectibilité humaine. — C.-S. Devas, L'Église et le Progrès du Monde.
Trad. de l'anglais par Folghera. — P. -F. Thomas, Pierre Leroux, sa vie, son œuvre, «a
doctrine.
( ') » La Providence humaine, qui conduit admirablement toutes choses, gouverne la
suite des générations humaines, depuis Adam jusqu'à la fin des siècles, comme un seul
homme, qui, de l'enfance i\ la vieillesse, fournit sa carrière dans le temps en passant par
tous les âges. » Saint Augustin, cité par Em. Faguet, Cf. Revue des Cours et Conférences,
8 déc. 1898, p. 149.
328 C0MPLÉME3SÎT BIBLIOGRAPHIQUE : DROIT INTERNATIONAL (115)
l'un de ses éléments reste inaccessible : à savoir les intentions. On ne
peut nier cependant qu'il y a un progrès réel :
1» Dans la Connaissance des idées morales. — L'ensemble de l'huma-
nité est mieux instruite de ses devoirs. On réprouve aujourd'hui com-
munément l'esclavage, les vengeances exercées par autorité privée, les
raifînements dans les tortures, la mise à la question pour arracher des
aveux. Il y a un sentiment plus vif des droits de l'équité, un souci plus
grand de la justice distributive, une tendance de plus en plus accentuée
à tempérer, par des institutions de bienfaisance et des mutualités, les
conséquences pénibles de l'inégalité des conditions. Les rapports inter-
nationaux se sont adoucis : le pillage, le massacre des prisonniers, l'emploi
d'armes empoisonnées, etc., sont prohibés par les nations civilisées.
Le recours à l'arbitrage pour régler les conflits entre peuples commence
à entrer dans les mœurs.
2° Dans le Respect extérieur de V ordre. — La sécurité est plus grande,
les droits de chacun sont mieux protégés que dans les siècles passés.
Mais tout cela ne prouve pas qu'il y a plus de véritable vertu, parce
que ce progrés de l'ordre extérieur peut provenir, moins de l'énergie
morale des individus, que d'une contrainte plus efficacement exercée
par les lois et l'opinion. Il faut convenir d'autre part que le progrès
constaté dans la connaissance des idées morales ne peut manquer
d'avoir un contre-coup heureux sur la moralité proprement dite. Cepen-
dant, comme la mesure de la vertu dépend surtout de la rectitude des
intentions et que les intentions, inspiratrices des actions extérieures,
nous échappent complètement, on doit nécessairement conclure qu'il
est impossible de décider avec certitude si l'humanité progresse ou recule
sous le rapport du bien moral strictement dit.
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
RELATIF AU DROIT INTERNATIONAL
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I
CHAPITRE ÏIÎ
MORALE RELIGIEUSE Ç)
SECTION I
RELIGION NATURELLE (')
116. — EXISTENCE DES DEVOIRS ENVERS DIEU
A) Objection : certains philosophes ont nié l'existence des devoirs
envers Dieu, sous prétexte qu'il y a une trop grande disproportion entre
Dieu et la nature humaine, et que Dieu n'a pas besoin d'hommages,
qui ne peuvent rien ajouter à sa perfection et à son bonheur.
B) Réponse : 1° Malgré la distance qui sépare Dieu de l'homme,
il existe entre eux des rapports de Créateur à créature, d'où découlent
pour l'homme des devoirs.
2° Sans doute, nos hommages ne peuvent accroître la perfection
et le bonheur de Dieu, puisqu'il est l'Etre infiniment parfait et heureux.
Mais les devoirs n'ont pas pour origine et mesure les avantages de ceux
qui en sont l'objet : vg. un historien ne peut calomnier les morts sous
couleur que la diffamation ne leur nuit pas.
3° Les devoirs de l'homme envers Dieu découlent nécessairement de
la nature de Dieu et de la nature de l'homme ; étant admis que Dieu
est créateur, il s'ensuit que la créature raisonnable est essentiellement
dépendante de son créateur. La Religion naturelle est précisément
l'ensemble de ces rapports nécessaires qui rattachent l'homme à Dieu.
( •) Comme nous avons placé la Morale avant la Théodicôe (T. I, Intkoduction, 7, D)
nous étudierons, ici, les Devoirs envers Dieu pour ne pas morceler le Traité des devoirs.
( ') Malebranche, Traité de Morale. — S. Clarke, Discours sur la Religion naturelle.
— Kant, La Religion dans les limites de la raison. — S. Mill, Essais sur la Religion. —
J. Simon, La Religion naturelle. Dieu, Patrie, Liberté. — G. Mohnari, La Religion. —
FÉNELON, Lettres sur divers sujets de Métaphysique et de Religion. — A.Gratrv, La Connais-
sance de Dieu. — Cousin, Du vrai, du beau et du bien, XIII» L. — M. d'Hulst, Conférences
de Notre-Dame, 1892, 1893. — W. Wilmers, Précis de la Doctrine catholique, n. 241 et suiv.
— Taparelli, Essai..., L. I, Ch. ix. — R. de la Grasserie, Psychologie des religions. —
W. James, L'expérience religieuse. — L. Ahréat, Le Sentiment religieux en France,
332 LE CULTE (117)
117. — LE CULTE
Le culte c'est la pratique des devoirs envers Dieu. On distingue
le culte intérieur^ le culte extérieur et le culte public :
A) Culte intérieur, quand les actes de religion sont renfermés dans
l'âme. Ses actes essentiels sont la prière et Vamour.
I. — Prière : c'est l'élévation de l'âme vers Dieu pour :
10 Uadorer : l'adoration est un sentiment de profond respect et de
soumission absolue qui n'est dû qu'à Dieu, à cause de l'excellence infinie
de sa nature et de son domaine souverain sur nous.
2° Le remercier des bienfaits reçus.
3° Lui demander pardon des fautes commises.
4° Implorer son secours pour nos besoins physiques et moraux.
Objections : la prière en tant que demande est, dit-on :
a) Superflue^ parce que Dieu sait tout ce dont nous avons besoin.
« J'adore Dieu, disait Rousseau, mais je ne lui demande rien, ce serait
douter de sa Providence et de sa bonté. » — Réponse : nous devons
prier, non pas pour faire connaître à Dieu nos besoins, mais pour mani-
fester notre dépendance vis-à-vis de lui.
h) Inefficace : Dieu est immuable, la prière ne pourra donc modifier
les décrets éternels de Dieu. — Réponse : les prières de l'homme, prévues
de toute éternité, rentrent dans le plan divin : « Nous ne prions pas, dit
saint Thomas, pour changer le plan divin, mais pour obtenir ce dont
l'accomplissement a été, dans ce plan, subordonné à la prière i}). "
Le savant Euler dit aussi : « Quand donc un fidèle adresse à Dieu une
prière digne d'être exaucée, il ne faut pas s'imaginer que cette prière
ne parvienne qu'à présent à la connaissance de Dieu. Il a déjà entendu
cette prière depuis toute éternité et si ce père miséricordieux l'a jugée
digne d'être exaucée, il a arrangé exprès le monde en faveur de cette
prière, en sorte que l'accomplissement fût une suite du cours naturel des
évéîieinents (^). »
c) Déprimante : celui qui prie devient inerte et se croise les bras en
attendant le succès de sa demande. ■ — Réponse : c'est un faux supposé.
La prière bien faite implique la coopération de l'homme : Aide-toi,
le ciel t'aidera. Autrement elle serait présomptueuse.
( ') s. Thomas, Summa theologica, 2», 2»«, Q. LXXXIII, Art. 2 : Non enim propter
hoc oramus ut divinam dispositionem immutemus, sed ut id impetremus quod Deus
disposait per oraliones esse implendum. Sur la prière, voir toute cette question LXXXIII.
{ ') Euler, Lettres à une princesse d'Allemagne, Lettre XC, 3 janvier 1761. — Sur la
prière voir une note remarquable dans Taparelli, Essai théorique de droit naturel, note
XCVIII, p. 206 du T. IV., ■— Cf. J.-M.-L. Monsaiiré, La Prière. Philosophie et Théologie
de la Prifre.
(117) LE CULTE 333
IL — Amour : Dieu n'est pas seulement la puissance infinie, il est
encore la souveraine bonté et la beauté suprême ; nous devons donc
l'aimer par-dessus toute chose. Il n'est pas seulement le Maître absolu,
il est encore le Père infiniment bon. Le Pater Noster est la plus belle
des prières.
B) Culte extérieur : c'est la manifestation du culte intérieur par
des signes sensibles : paroles, gestes, attitudes. Il est nécessaire. En
effet :
10 L'homme tout entier, le corps aussi, par conséquent, est dépen-
dant de Dieu ; il doit donc lui rendre hommage par ses facultés phy-
siques.
2° Il résulte de la nature même de l'homme qui est un composé
d'âme et de corps ; à cause de cette intime union, tout sentiment un peu
vif se manifeste au dehors.
3° Il entretient le culte intérieur. Le sentiment religieux finirait
par s'afîaiblir, comme tout autre sentiment, s'il n'était jamais exprimé.
Jusqu'ici nous avons parlé du culte privé, sous sa double forme
intérieure et extérieure.
C) Culte public : c'est celui qui est rendu à Dieu au nom de la
société. Il est nécessaire. En effet :
1° L'homme naturellement sociable est dépendant de Dieu aussi
bien comme membre d'une société que comme individu. Dieu est l'auteur
de l'ordre social et le dirige par sa Providence.
2° Les sociétés ont besoin, comme les particuliers, du secours divin.
3° Les actes du culte public entretiennent les sentiments de fra-
ternité et d'égalité. Les gouvernants ont donc le devoir de concourir au
culte social. Une nation, qui n'a pas de culte public, se rend coupable
d'apostasie sociale (^).
(') Cf. G. Sortais, Les Calholiqueè en face de la Démocratie et du Droit commun. L. II,
Ch. III, § II, p. 144 sqq.
SECTION II
L'ÉGLISE ET L'ÉTAT C)
Vivant en pays chrétien, il nous faut compléter notre étude en parlant
des Kapports de l'Église et de l'État.
Pour bien les établir, on doit connaître les deux termes ; nous savons
ce qu'est l'État ; reste à résumer le rôle et la constitution de f Église.
118. — ROLE DE L'ÉGLISE
A) Sa mission : 1° Dieu connu, aimé, possédé surnaturellement est
Vunique fin et bonheur de l'homme.
2° Jésus-Christ est Y unique voie qui mène à cette fin bienheureuse.
3" L'Église est Vunique dépositaire de la doctrine de Jésus-Christ.
Par elle seule on va à Jésus-Christ, comme par Jésus-Christ seul on
va à Dieu. L'Église, comme dépositaire unique de la doctrine intégrale
de Jésus-Christ, doit conserver intact ce dépôt sacré, sans y rien ajouter,
sans en rien retrancher.
B) Sa puissance et ses droits : ils sont proportionnés à sa mission :
1° La garantie de son autorité enseignante et gouvernante, c'est
Vinjaillibilité.
2° Cette infaillibilité est une assistance divine qui empêche l'Église
de se séparer jamais de Jésus-Christ.
( ') LiBERATORE, La CMesa e lo Stato. Traité du Droit public de l'Église. — F.- J. Moulart
L'Église et l'État. — Cardinal Pie, Instructions synodales sur les principales erreurs du
temps présent. Œuvres, T. II, p. 346; T. III, p. 128, T. V, p. 29 et suiv. — At, Le vrai et le
faux en matière d'autorité et de liberté. - Fr. Chesnel, Les Droits de Dieu et Je.? idées modernes.
— G. AuDisio, Droit public de l'Église et des nations chrétiennes. — Cardinal Hergen-
hOther, L'Église catholique et l'État chrétien. — P. Ch.-M. Le Droit social de l'Église. —
Phillips, Droit ecclésiastique dans ses principes généraux. — F. Cavagnis, Notions de Droit
naturel et ecclésiastique. — Cardinal Tarquini, Instiiutiones Juris publici ecclesiastici.
— M. MiNGHETTi, Stato e Chiesa. — Em. Ollivier, L'Église et l'État au Concile du Vatican.
Le Concordat et la Séparation de l'Église et de l'État. — J. Albertus, Die Sozialpolilik
der Kirche. — J.-V. de Decker, L'Église et l'ordre social chrétien. — Cii. Périn, Les Lots
de la Société chrétienne. — M d'Hulst, Conférences de Notre-Dame, 1895, IV" et V C.
L'Église et l'État. — Taparelli, Essai... L. VII, Ch. i. — L. Jouin, Elemenla philos,
moralis, P. IV, sect. IV. — S. Schiffini, Disputationes philos, mor., Disp. VI, SecL. VI. —
M. B. Institutes de Droit naturel, L. X. — A. Franck, Des Rapports de la Religion et de
l'État. — L. BouRGAlN, L'Église de France et l'État au XI X^ siècle. — Rubichon, De l'Action
du Clergé dans les Sociétés modernes — Em. Keller, Les Syllabus de Pie IX et de Pie X
et les Principes de 1789 ou l'Église, l'État et la Liberté, -l' Èdit. en 1909.
1
(Il9) CONSTITUTION DE l'ÉGLISE 335
30 L'objet direct de cette autorité c'est la doctrine de Jésus-Christ
qui est contenue dans l'Écriture Sainte et dans la Tradition orale des
Pasteurs. L'Église est chargée d'expliquer cette doctrine : de là les
définitions dogmatiques qui ne font qu'en préciser le sens.
40 -Son objet indirect s' étend aux erreurs opposées à la doctrine de
Jésus-Christ : erreurs théologiques (hérésies), philosophiques, histo-
riques, scientifiques. Dépositaire d'une vérité qui touche à tous les
ordres de connaissances, l'Église doit exercer sur tous ces ordres une
surveillance active, pour empêcher l'erreur, d'où qu'elle vienne, de
corrompre la doctrine de Jésus-Christ.
50 L'émiettement doctrinal du Protestantisme et les contradictions
du Rationalisme montrent la nécessité bienfaisante d'une autorité
infaillible.
6° L'infaillibilité s'applique à la foi et aux mœurs. L'Église n'en
peut dépasser les limites, car ce serait faillir, ce qui est impossible.
70 U obéissance du catholique ne s'arrête pas aux décisions doctri-
nales ; elle s'applique aussi aux directions données par le Pape. Le Pape
en eiïet n'est pas seulement Docteur ; il est en outre Pasteur.
119. — CONSTITUTION DE L'ÉGLISE (i)
L'Église est une société surnaturelle, nécessaire, visible, hiérarchique,
monarchique, parfaite, indépendante.
l. — Surnaturelle : a) dans sa fin, qui est la béatitude des hommes
par la vision intuitive de Dieu ; — b) dans ses moyens : la grâce, les
sacrements ; — c) dans sa forme, ses droits, sa constitution, qu'elle tient
de Jésus-Christ seul.
IL — Nécessaire : tous ont l'obligation d'y entrer, dès qu'ils la
connaissent. Tout baptisé est sujet de l'Église ; le catholique sujet fidèle ;
l'hérétique sujet rebelle. Les non-baptisés sont des étrangers à conquérir
par la persuasion.
IIL — Visible : pour être obhgé d'y entrer, il faut pouvoir la recon*
naître. Or Dieu l'a faite reconnaissable à quatre marques ou ?iotes prin-
cipales : I'apostoucité, I'unité, la catholicité, la sainteté. Cependant
tout n'est pas nécessairement visible. Le corps de l'Église le sera, c'est-
( ') J.-B. Franzelin, De Ecclesia Christi. — Bellarmin, De Romano Pontifice. —■
D. Palmieri, De Romano Ponlifice. — P. Jeanjacquot, L'Église. — DoM A. Gréa, De
l'Église et de sa divine Conslilulion. — Mgr Besson, Conférences sur l'Église. — J. Fontaine,
L'Église. — R. Planeix, Constitution de l'Église. — A.-D. Sertillanges, L'Église. —
M. d'Hkbrigny, Theologica de Ecclesia, 2 vol. Paris, 1921-1922.
336 CONSTITUTION DE l'ÉGLISE (119)
à-dire la pratique extérieure du même culte, la profession extérieure de la
même foi, la soumission extérieure à la même autorité. L'âme, c'est-à-dire
la grâce sanctifiante, la sainteté, restera habituellemejit invisible. Mais la
sainteté, étant un signe de l'Église, doit se manifester çà et là au dehors
d'une façon merveilleuse. On peut être du corps sans être de l'âme (vg. un
catholique en péché mortel) ; on peut être de l'âme sans être du corps, sans
même soupçonner l'existence de l'Église (vg. hérétique, infidèle, si la
sonne foi et la bonne vie les maintiennent en grâce avec Dieu). Ainsi
l'explique la maxime : Hors de V Église point de salut. Dans certaines
conditions de bonne foi et de bonne vie pure, il suffit pour être sauvé
de faire partie de l'âme de l'Église.
IV. — Hiérarchique : l'Église est divisée en deux catégories : 1° le
peuple fidèle (>ao;), les laïques ; — 2° la part spécialement choisie de
Dieu (xX^coç), le clergé. C'est le groupe des gouvernants, qui est gradué
en hiérarchie.
La hiérarchie ecclésiastique possède un double pouvoir : 1^ à'' Ordre,
c'est le pouvoir de faire le Sacrement, d'attacher la grâce au signe sen-
sible ; — 2° de Juridiction, c'est le pouvoir de gouverner le peuple
fidèle en l'enseignant et en lui imposant des lois. Ces deux pouvoirs
peuvent exister l'un sans l'autre.
Il y a deux degrés dans le pouvoir d'Ordre : 1° V Épiscopat ; 2° le
Sacerdoce; et deux degrés dans le pouvoir de Juridiction : 1° IjQ Pontife
suprême a juridiction sur l'Église universelle ; — 2° Chaque Évéque ne
l'a que sur son diocèse. La juridiction vient au Pape de Dieu ; à l'évêque,
de Dieu par le Pape. Les pouvoirs d'ordre et de juridiction, étant spi-
rituels et surnaturels, ne peuvent venir que de Dieu.
V. — Monarchique : le Pape est le centre nécessaire de l'Église,
évoquant toute cause ecclésiastique à son tribunal suprême, jugeant
toute controverse sans qu'on puisse en appeler, même au Concile, portant,
en matière de foi et de mœurs, des décrets qui ont pleine vigueur indé-
pendamment du consentement de l'Église. Monarchie d'ailleurs admi-
rablement tempérée d'Aristocratie hiérarchisée.
YI. — Parfaite : elle se suffit à elle-même dans la poursuite de sa
fin, car elle possède : a) en acte, c'est-à-dire en elle-même, ce qui lui est
nécessaire ; — b) virtuellement le reste, c'est-à-dire qu'elle a droit d'exiger
le concours de la société civile, quand elle en a besoin. Étant société
parfaite, elle a par là même le triple pouvoir législatif, judiciaire, coercitif.
VII. — Indépendante : cela résulte de ce qu'elle est parfaite. On est
indépendant quand on n'a besoin de personne, ou quand au besoin
est annexé un droit strict d'en exiger la satisfaction. C'est ainsi que
l'Église a le droit d'exiger de la société civile qu'elle lui prête son concours
dans certaines circonstances : c'est ce qu'on nomme le concours du
bras séculier.
(120) RAPPORTS DE l'ÉGLISE ET DE l'ÉTAT 337
120. — RAPPORTS DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT
L'État peut prendre vis-à-vis de l'Église trois attitudes : Absorption^
Séparation, Union.
§ A — ASSERVISSEMENT DE UÉGLISE PAR UÉTAT
C'ekt la persécution mitigée ; on ne veut pas détruire l'Église, mais
en faiïe un instrument de règne. Elle existe, mais dans l'État, comme
un de ses rouages, assez puissante pour le servir, assez bridée pour ne
le gêné" jamais. Ce régime comporte deux degrés :
1° Entraves croissantes mises au nom de l'État à la liberté de
l'Églisj, mais non pas jusqu'à rompre l'unité essentielle : vg. le Galli-
CANISjIe, le JOSÉPHISME.
2° Christianisme politique : il aboutit à des Églises nationales, hors
de l'uiité catholique voulue par Jésus-Christ, asservies aux pouvoirs
humaiis et par là même dégradées : vg. Église russe, Églises protes-
tantes. Cette absorption est : a) une erreur, car c'est confondre deux
sociétés qui ont des fins distinctes ; — b) un crime, car c'est une usur-
pation commise par la société inférieure.
C'st N.-S. J.-C. qui a établi la distinction des deux pouvoirs, le
spiritiBl et le temporel. Il y a donc deux domaines : celui de l'àme qui
ne reltve que de Dieu ; celui des intérêts matériels qui relève de César.
C'est lune des grandes nouveautés apportées par l'Évangile. Elle a pour
fondejient cette idée, nouvelle aussi, d'une Religion unique pour tous
les pftiples. Autrefois la religion était exclusivement nationale. La
confuaon du sacerdoce et de l'empire dans les mêmes mains était une
cause d'oppression pour les âmes. Leur distinction a fondé la liberté.
Pour a maintenir l'Église a fourni des martyrs par milliers, qui ont
préféiî, au prix de leur sang, obéir à leur conscience plutôt que de
sacrifÉr à César (i).
\B — SÉPARATION DE U ÉGLISE ET DE UÉTAT
Olgine : invoquée par les catholiques libéraux de l'école de LaMen-
NAis 108, C, III, 1°) pour mettre l'Église au-dessus des partis poli-
tique^ la séparation est aujourd'hui le mot d'ordre des ennemis de
l'Églie (2). — Que serait-elle si elle était honnêtement pratiquée ?
(MFr. de Champagny, Les Césars. — Fustel de Coulanges, La Cité antique.
( «)Lecanuet, Montalembert, T. I. — P. Thureau-Dangin, L'Église et l'État sous
la Mdarchie de Juillet.
338 RAPPORTS DE l'ÉGLISE ET DE l'ÉTAT (180)
Officiellement l'État ne connaîtrait pas l'Église ; elle serait pour lui
comme n'étant pas et réciproquement.
II. — Valeur : A) En droit : cette séparation est essentiellement
contraire :
1° Au devoir de l'État : il ne peut affecter d'ignorer la société sur-
naturelle, à laquelle il doit se subordonner, car il doit se subordonner à la
fin suprême représentée par l'Église.
20 Au droit de l'Église, société visible, parfaite, indépendante, que
Jésus-Christ n'a pas établie pour qu'on n'en tienne pas compte, mais
pour qu'elle occupe le premier rang dans les choses humaines.
B) En fait : cette séparation est à la fois funeste :
lo A l'État, car l'État chrétien ne peut atteindre convenab ement
sa fin propre, le bonheur temporel, qu'en la subordonnant à la fn der-
nière surnaturelle. 11 a donc un besoin absolu de l'Église. C'est 3e que
tous les politiques avisés redisaient en 1803, après la Révolutioi, avec
Portails : « Il est temps d'appeler la religion au secours de la société. »
2° A l'Église : la constitution intime de l'Église étant spiritielle et
surnaturelle, l'Église ne doit rien à l'État et n'a nul besoin de hi sous
ce rapport. Mais elle est à la fois humaine et divine comme son fonda-
teur. Composée d'hommes, usant de procédés humains pour transnettre
son action surnaturelle, elle a par là même des besoins temporels :
besoins de propriété, de liberté, de publicité. Or l'Église a drot à la
satisfaction de ces besoins, puisque ce sont pour elle des moyens néces-
saires à la poursuite de sa fin. D'autre part, l'action individuele des
fidèles ne suffit pas à les satisfaire complètement. L'aide de l'Élat est
donc indispensable à l'Église, non essentiellement et pour tout exercice
de sa puissance (autrement elle ne serait plus société parfaite) mais
pour l'exercice facile, complet, normal. Si l'État refuse son corcours,
il ne détruit pas l'Église, mais il l'entrave et nuit gravement ai bien
des âmes et conséquemment aux intérêts de la société.
Conclusion : la séparation totale n'est pas possible, du moim long-
temps. L'Église et l'État se rencontrent inévitablement sur un terrain
commun, V individu, à la fois citoyen et fidèle, n'ayant qu'une consience
pour satisfaire à cette double obligation. Dans les pays où l'Étit est
plus ou moins anti-religieux, il ignorerait l'Église tant qu'il ne s'girait
que de lui prêter appui : il la connaîtrait dès qu'il s'agirait de la sur/eiller
et de l'entraver (^). La séparation n'est donc qu'un pis-aller, \ix\expé-
dient que peuvent rendre nécessaire certaines circonstances histoiques.
Jusqu'ici, les États-Unis ont appliqué le système séparatiste avec
largeur et bienveillance. Mais les conflits sont toujours ù craindn, car
(') F. Bdtel, Le Péril de la Séparation d« l'Èglite et de l'Élat.
Il
a^o)
RAPPORTS DE L EGLISE ET DE L ETAT
il y a des contacts inévitables que peut seul adoucir le régime de l'union
sincèrement pratiquée.
§ C. — UNION DE U ÉGLISE ET DE UÉTAT
I. — Nécessité et base : c'est la seule forme légitime de leurs
relations. Cela ressort de l'exclusion des autres systèmes. L'ordre a
pour fondement la vérité ; l'union, qui est l'ordre, se fondera donc sur
la nature vraie des deux sociétés. Cette nature sera déterminée par
leurs Uns respectives.
ni — Mode de cette union : 1» Il faudra traiter en faisant des
sacrifices réciproques : en ce sens que l'État doit y mettre la déférence
d'un fils et l'Église la condescendance d'une mère. Mais l'Église ne
peut lien céder du dépôt qu'elle a reçu de Jésus-Christ, et l'État n'a
besoin d'abdiquer aucun droit réel.
2° Il faudra traiter de puissance à puissance, mais de puissance
supérieure à puissance subordonnée, non d'égal à égal. C'est la consé-
quence nécessaire de la nature des deux sociétés et de leurs fins. La fin
immédiate de l'État est d'assurer l'ordre et la prospérité temporels ;
la fin immédiate de l'Église est de procurer le salut éternel. Il est évident
que là fin de l'Église, n'étant autre que la fin suprême et dernière de
l'homime, dépasse la fin de l'État, puisque la première est surnaturelle
et spirituelle, tandis que la seconde est naturelle et temporelle. Donc,
dans jl'union des deux sociétés, il n'y aura équité que si l'on maintient
Vinémlité qui résulte de leur essence.
3J En cas de conflit le pouvoir spirituel doit V emporter sur le temporel :
c'est à l'Église qu'il appartient de déterminer la limite entre les deux
pouvoirs et de décider en dernier ressort les questions mixtes, puisque
seuld elle a mission pour connaître le spirituel, chose supra-rationnelle
et révélée.
dn nomme questions mixtes celles où l'élément religieux est mêlé
à l'élément politique. Mais alors, dira-t-on, l'Église est juge et partie.
— Oui, comme Dieu môme qu'elle représente, et il n'y a aucun empié-
tement à craindre, puisqu'elle est infaillible.
lïl. — Clauses essentielles de l'alliance : tout découle de
cette vérité fondamentale : les deux fins et les deux sociétés sont distinctes,
mais subordonnées.
A) Les fins étant distinctes : 1° L'Église n'a aucun droit direct sur
la fin spéciale de l'État ; l'État reste indépendant dans sa sphère propre
(le tjien temporel). Toutefois l'Église, étant la gardienne infaillible de
la niorale publique et politique aussi bien que de la morale privée et
domestique, a le droit et le devoir d'avertir les gouvernants baptisés
qui, comme tels, sont ses sujets, dans toutes les questions où la moralité
340 LA THÈSE ET l'hYPOTHÈSE ^ (121)
est engagée. Les gouvernants ont le droit et le devoir de déférer à ses
avis.
2° L'État n'a aucun droit, ni direct, ni indirect, sur la fin propre de
l'Église, aucun droit à entraver l'exercice de ses pouvoirs spirituels, de
son organisme social : vg. c'est un abus que de s'opposer à la publi-
cation des Bulles pontificales et des Mandements épiscopaux, que de
les déférer au Conseil d'État, etc.; car c'est s'immiscer dans le spirituel.
B) La fin de V État étant subordonnée à celle de V Église :
10 L'Église a le droit de réclamer de l'État chrétien le concours
temporel qu'elle juge moralement nécessaire à l'accomplissement de
sa fin propre.
2° L'État a le devoir d'aider l'Église positivement et activement,
de donner aux choses saintes, comme dit Leibniz, curam et auxilium.
11 est, selon le mot de Constantin, « l'évêque du dehors ». C'est ainsi
que les pouvoirs chrétiens ont fait lois de l'État les lois canoniques de
l'Église ; le bras séculier a réprimé les hérétiques publics et scandaleux.
En agissant ainsi ils songeaient à la prospérité et à la défense de la
société, convaincus que la religion est le plus solide fondement des
empires et que l'unité doctrinale est le meilleur rempart de l'unité natio-
nale. Il faut se rappeler aussi que les hérétiques avérés étaient des sujets
révoltés contre l'Église et contre l'État, qui troublaient la paix des
consciences et la foi commune (123, I, B, 2°, 3°).
Les clauses de l'alliance s,e ramènent donc aux suivantes : 1° Dis-
tinction des deux puissances, souveraines chacune dans sa sphère piopre ;
— 2o Concours .• on s'allie pour s'aider ; — 3° Subordination de l'État
à l'Église dans les questions mixtes (^).
121. — LA THÈSE ET L'HYPOTHÈSE
On entend par : a) Thèse, la formule absolue des rapports de l'Sglise
et de l'État, telle qu'on l'a établie (120, § C). C'est ce qui doit être,
c'est l'idéal. — b) Hypothèse, les formules relatives, c'est-à-dire ce qui
peut être, eu égard aux circonstances de temps et de lieux ; c'est l'appli-
cation plus ou moins parfaite de la thèse. La thèse n'a presque jamais
été appliquée dans toute son étendue, car elle suppose V unité de croijances
qui est plus ou moins grande, selon les époques. Dès qu'on passe des
principes aux faits, la faiblesse humaine ap^)araît avec ses imperfec-
tions inévitables. Aucune des formes d'union que présente l'histoire
{;( M L. BounoAiN, L'Église de France et l'Élat au XIX' siècle. — G. Sortais, Les Catho'
liques en face de la Démocratie et du Droit commun, L. II, p. 93 sqq.
(121) LA THÈSE ET l'HYPOTHÈSE 341
n'est pure de tout alliage : même au temps de l'alliance intime, l'Église
a eu à lutter. L'histoire nous montre trois formes d'alliance :
I. — Forme normale : c'est celle qui résulte de la subordination
de la fm de l'État à celle de l'Église. Elle consiste essentiellement en ce
que la loi de l'Église est sanctionnée comme loi de l'État : l'État met
sa force au service des lois de l'Église.
II. — Forme privilégiée : outre les conséquences rigoureuses de la
subordination essentielle, la libre et fdiale déférence de l'État donne
à l'Église certains droits temporels surérogatoires : tel fut le droit
public chrétien au Moyen Age. Les puissances protestantes et schisma-
tiques, l'Allemagne, l'Angleterre, la Russie ont une Église établie qui
a d'énormes privilèges.
III. — Forme concordataire : l'Église ne pouvant, vu la rupture
de l'unité religieuse dans un État, obtenir la forme normale qui résulte
de l'unité de croyances, relâche librement quelque chose de ses droits
et stipule avec l'État des Concordats. Ces traités, étant bilatéraux, ne
peuvent être détruits ou modifiés que par le concours des deux parties
contractantes. L'Église fait des concessions : la thèse est moins rigou-
reusement appliquée. Nous avons vécu en France, sous cette troisième
forme, jusqu'en 1905 : l'Église avait une préséance d'honneur sur les
autres cultes ; le Concordat donnait force de loi à certaines règles éma-
nant de l'autorité ecclésiastique : vg. l'évêque exerçait en France une
magistrature reconnue par l'État. La loi de 1850 sur l'enseignement
rendait obligatoire l'instruction religieuse dans, les écoles de l'État ;
les pouvoirs assistaient officiellement aux prières publiques, etc. De son
côté l'Église n'a pas demandé à être religion d'État ; elle a consenti,
à cause de la divergence des croyances, à la tolérance des autres cultes.
L'Église, étant seule en possession de la vérité, ne peut approuver les
autres religions qui sont erronées. Mais elle admet une tolérance de fait
à leur égard ; elle les souiïre, dans l'intérêt supérieur de la vérité, pour
éviter des troubles funestes, car l'erreur et le mal n'ont droit à rien.
Cette tolérance existe aussi pour ceux qui n'acceptent que la religion
naturelle ou même rejettent toute religion, comme les positivistes.
Mais les pouvoirs publics ne doivent pas, à cause de ces êtres d'exception,
omettre de payer officiellement, au nom de la nation, le tribut d'ado-
ration dû à la Divinité. Les positivistes, etc. ne peuvent pas s'en plaindre,
pas plus que les collectivistes n'ont le droit de reprocher à l'État de
maintenir à la base des institutions la propriété individuelle. Aussi
l'Angleterre et l'Amérique, nations libérales cependant, ont-elles un
culte social. En France, on pratique l'athéisme officiel, sous couleur de
respecter la conscience de quelques dissidents. C'est imposer au grand
nombre l'impiété de quelques-uns et sacrifier les droits de la majorité.
Conclusion : « Là où la thèse n'est pas rigoureusement applicable,
342 LA THÈSE ET l'hYPOTHÈSE (121)
— et elle ne l'est presque jamais, - — il faut s'en inspirer dans la mise
en œuvre de Vhypothèse et faire passer dans la pratique tout ce que les
circonstances permettent d'en appliquer, sans aller au delà^ sans rester
en deçà (^) '>. L'erreur libérale ne consiste pas à aimer la liberté, mais
à la dénaturer en faisant d'elle, non plus un moyen, mais une fin en soi,
un bien absolu. La liberté extérieure, en matière de manifestations
religieuses, n'est pas plus un principe inviolable qu'en matière de mani-
festations morales, politiques ou sociales. Le père de famille a le droit de
réprimer les vices naissants de son enfant. l'État de punir une propa-
gande subversive de l'ordre social. Pourquoi ri' aurait-il pas le droit
de refouler des erreurs dangereuses pour la religion ? Aux libéraux qui
interdisent à l'État de sanctionner par sa puissance coercitive aucune
doctrine religieuse, les socialistes répondent logiquement en lui défen-
dant de sanctionner la propriété, la stabilité du lien conjugal, l'idée
de patrie. L'État doit donc aller aussi loin que possible dans le patronage
du bien : rester- en deçà, ce serait déserter son devoir, car l'intérêt social
lui-même exige qu'il soutienne ce qui subsiste de vérités communes à la
nation. Cependant « l'opinion doit être consultée, non comme une maî-
tresse qui décide ce qui est permis, mais comme un témoin qui indique
ce qui peut être supporté (^) » : aller au delà serait une violence inutile
et même funeste, car elle déchaînerait la haine contre l'Église. C'est par
la persuasion et l'exemple qu'il faut ramener l'unité dans les esprits.
Alors l'intervention de l'État sera bienfaisante, parce qu'elle sera
acceptée de tous. Pour préparer cette restauration du règne social de
Jésus-Christ, il faut d'abord, comme transition, travailler à l'entente
sur le terrain du Décalogue, selon le vœu de Le Play (^).
Remarque : les quatre Articles. Les gouvernements unis à l'Église
ont souvent cherché à restreindre l'alliance à leur profit : vg. Louis XIV
par les quatre Articles de 1682. « On y parle beaucoup des libertés de
V Église gallicane ; en réalité ce qu'on affranchit par le premier des
quatre articles, c'est seulement le pouAoir royal ; ce qu'on asservit dans
toute la suite de ce document, c'est l'Église de France, puisqu'on subor-
donne au plaisir du monarque temporel les communications de cette
Église particulière avec le centre de l'unité, puisqu'on limite jusqu'au
pouvoir doctrinal du Saint-Siège, jusqu'à l'exercice du droit d'appel au
pape qui appartient à tout catholique. Liberté à l'égard de Rome jusqu'à
la révolte inclusivement, soumission à l'égard du roi jusqu'à la servitude,
tel est le fond de cette tradition détestable que notre siècle a vu revivre
(M M. B'HuLST, Conférences de Notre-Dame, 1895, Note 24, p. 381.
( *) M. D'Hui-ST, Conférences de Noire-Dame, 1895, V« Conf. p. 139.
( •) G. SoRTAia, Les Catholiques en face de la Démocratie..., L. II, Ch. m, § I, p. 124-135.
(122) POUVOIR DIRECT OU INDIRECT 343
dans les Articles organiques ou lois du 18 germinal an X, frauduleu-
sement annexées au Concordat de 1801, et maintenues depuis cent ans
par tous les gouvernements, en dépit des protestations du Saint-
Siège (^). »
122. — POUVOIR DIRECT OU INDIRECT ?
La théorie du pouvoir direct du Pape n'a jamais été communément
admise. D'après elle, le Pape aurait une suprématie de droit divin sur
toutes les puissances de ce monde, motivée par la primauté qui appartient
au spirituel sur le temporel ; il pourrait donc commander aux souverains
comme tels et non pas seulement en tant que fidèles. La doctrine reçue
est celle du pouvoir indirect (^) : le Pape peut tout directement sur le
spirituel, rien directement sur le temporel, parce que les choses terrestres
ne sont pas l'objet propre de sa juridiction. Mais l'Église les atteint
indirectement, c'est-à-dire à travers le spirituel, auquel elles se trouvent
unies, parce que les affaires temporelles influent en bien -ou en mal
sur les intérêts spirituels. C'est ainsi que, dans les questions politico-
religieuses, le Pape peut intervenir et prescrire aux souverains et aux
peuples ce qu'exige le bien de la religion, qui prime tout le reste. Sans
doute, en ces matières mixtes, l'intervention du Pape n'est pas infail-
lible ; mais l'obéissance est cependant due aux prescriptions et même
aux directions pontificales, car le Pape n'est pas seulement constitué
Docteur de l'Église, il est encore chargé de la gouverner. Tout pouvoir
légitime, le pouvoir paternel, le pouvoir civil, a fortiori celui du Pape,
a droit à l'obéissance, à moins qu'il ne sorte de ses attributions ou qu'il
ne prescrive des choses évidemment mauvaises. Or les questions mixtes
rentrent dans les attributions du Pape et ses décisions ont la garantie
spéciale d'une assistance de Dieu. Il serait donc téméraire de les blâmer
intérieurement, à moins qu'on n'ait l'évidence qu'elles sont erronées ;
et même alors on serait tenu au silence respectueux, c'est-à-dire qu'on
devrait s'abstenir de toute critique.
(») M. d'Hulst, Conférences de Notre-Dame, 1895, Note 24", pp. 362-363.
( ') Bellarmin, Responsio ad libriim inscriplum « Triplici nodo triplex cuneua ».
Apologia pro responsione sua ad librum Jacobi, Magnœ Britannise Régis... De Romano
Pontifice. — Suarez, Defensio fidei catholicoe et aposlolicce adversus anglicans sectœ errores...
Cf. J. DE LA Servière, De Jacobo I Anglix rege cum cardinali Roberlo Bellarmino S. J. super
potestate cum regia tum pontificia disputante. — J. de Maistre, Du Pape. — J.-Ed. Gosshlin,
Pouvoir du Pape au Moyen Age.
344 l'intolérance (123)
123. — L'INTOLÉRANCE (M
On peut distinguer trois sortes d'intolérance :
I. — Intolérance brutale : c'est l'emploi de la force et même
du glaive pour :
A) Établir une religion : vg. le Corati de Mahomet. Les peuples ont
eu à choisir entre lui et le cimeterre : Crois ou meurs. L'Évangile, bien
qu'imposé comme une obligation à la conscience, est proposé de fait
à la liberté : Qiiisquam... credere non potest nolens (^). L'établissement du
Christianisme ne coûta de sang qu'aux chrétiens. Si parfois, dans la
suite, quelques princes ont tenté d'imposer la religion, ils ont été au
delà de leurs droits et des intentions de l'Église qui les a blâmés : vg.
conquête du Nouveau Monde.
B) Maintenir une religion : ce mode d'intolérance a été accepté par
l'Église : c'est le cas de V Inquisition.
La solution de la question exige diverses observations :
1° Les deux hypothèses sont absolument distinctes : éiaô/ir une religion
par la force c'est faire une conquête sur des infidèles. Or ces infidèles
sont étrangers à la juridiction de l'Église. Ici l'emploi de la force est
donc illégitime. Le maintien suppose des tentatives de rébellion parmi
des sujets, car tout baptisé est un sujet de l'Église. Il peut s'excom-
munier lui-même et aller chercher ailleurs la liberté de l'apostasie.
Mais tant qu'il habite une contrée où l'Église est établie, il doit, comme
tout sujet, se soumettre aux lois de la société dont il est membre, sous
peine d'encourir les châtiments édictés contre les transgresseurs.
2^ Les faits : l'Église n'a point porté ni exécuté de sentences capi-
tales. Elle a décrété des peines temporelles : vg. amende, jeûne, prison,
exil. C'est l'État qui a édicté la peine de mort contre l'hérétique,
mais obstiné, public, s^ efforçant de rompre V unité religieuse.
3^ Les droits : a) I'État a le droit d'cdicter la peine de mort contre
le prédicant hérétique. On reconnaît à l'État le droit de punir de mort
ceux qui tentent de rompre l'unité nationale. Or l'État chrétien estime
avec raison que l'unité religieuse est le principal élément de l'unité
nationale et sa meilleure sauvegarde.
( M G. Sortais, Études philosophiques et sociales : § I. L'Intolérance. — Taparelli,
Essai théorique..., Note XCIII, p. 180 du T. IV. — J. de Maistre, Lettres sur l'inquisition
espagnole. — Balmès, Protestantisme comparé au Catholicisme, Cli. xxxvi, xxxvii. — F.-J.
MouLART, L'Église et l'État, L. II, Ch. iv. Art. II. — U. Devivier, Cours d'Apologétique
chrétienne, II" P., Ch. iv.
( •) « Que uul ne soit contraint par la force à embrasser la foi, car saint Augustin a
eu raison de dire : L'homme ne peut croire que de son plein gré.» (Léon XIII, Encyclique
Immortale Dei.)
(123) l'intolérance 345
b) L'Église a le droit de coopérer à cette législation de l'État en
livrant l'hérétique au bras séculier ; ce droit est certain puisque cette
législation est juste en elle-même.
On peut se demander en outre si elle peut décréter, de son autorité
propre, des peines afîlictives. L'État possède le droit de frapperd'amende,
d'emprisonner, de bannir ou de mettre à mort celui qui viole les lois,
insulte le gouvernement, trouble l'ordre public ou compromet l'unité
nationale. Et l'Église, société parfaite, n'aurait pas les mêmes droits
contre ceux qui osent outrager son autorité, bouleverser la paix reli-
gieuse, briser l'unité doctrinale ? Il faut donc reconnaître à l'Église le
pouvoir coercitif.
Qu'on ii'ohjecie pas qu'une peine temporelle ne peut être appliquée
à un délit spirituel, car :
a) Le délit, considéré au point de vue de l'État, n'est pas purement
spirituel ; il a des conséquences temporelles.
h) L'objection méconnaît l'unité du composé humain et la soli-
darité des deux éléments qui le constituent. Elle aboutit logiquement
à la suppression de toute peine corporelle, puisque c'est toujours l'âme
seule qui est coupable.
II. — Intolérance civile : elle consiste à refuser aux dissidents
religieux la jouissance des droits civils ou à la restreindre. Elle comporte
bien des degrés ; elle commence en fait dès que l'État favorise une
religion au détriment des autres.
C'est une conséquence logique de la religion d'État : le législateur,
étant convaincu de la vérité d'une religion et sachant par expérience
le bienfait social de l'unité religieuse, est nécessairement amené à inter-
dire la dissidence publique sous peine d'excommunication civile.
C'est une conséquence légitime, car cette intolérance découlant logi-
quement de l'alliance de l'Église et de l'État, est légitime comme elle.
C'est l'ordre, l'idéal, parce qu'aucun droit ne peut s'attacher à Verreur
comme telle. La prudence doit modérer l'exercice de cette intolérance ;
les circonstances ou des conventions positives {Concordats) peuvent
donner aux errants une situation légale d'où dérivent des droits réels.
Cependant cette concession n'est pas faite à l'erreur elle-même, mais en
vue de l'intérêt de la vérité, que l'intolérance pourrait compro-
mettre.
Remarque : pour comprendre l'application de ces doctrines dans le
passé, il faut se rappeler d'abord qu'elle suppose l'unité dans les croyances
et conséquemment son acceptation comme un bienfait. Il s'est glissé
des abus ; mais ils ne découlent pas des doctrines elles-mêmes. L'excès
a consisté à ne pas tenir compte des circonstances qui devaient tempérer
l'application des principes absolus, à ne pas faire dans la thèse elle-
même la part de l'hypothèse. Il faiit donc se garder, pour juger équita-
346 l'intolérance (123)
blement le passé, de le voir à travers nos préoccupations et tendances
actuelles.
III. — Intolérance doctrinale : A) En général : elle consiste à
rejeter comme faux ce qui contredit la vérité certaine : vg. je tiens
absolument pour faux que la partie soit plus grande que le tout. La
tolérance doctrinale suppose V incertitude de la vérité sur un point parti-
culier, ou un scepticisme universel^ qui met en doute l'existence de toute
vérité.
B) En religion : elle consiste à estimer fausse toute religion hormis
celle qu'on professe. C'est logique, car on ne peut admettre deux reli-
gions comme également vraies et bonnes. L'intolérance doctrinale est
une marque, non pas suffisante, mais nécessaire de divinité. Une religion
doctrinalement tolérante prouve par là même qu'elle ne vient pas
de Dieu. Or le Catholicisme a toujours professé l'intolérance doc-
trinale.
La tolérance doctrinale est au contraire à l'ordre du jour : plus de
principes, mais des opinions, et légitimité de toutes les opinions ; plus de
délits de pensée, mais souveraineté de l'opinion. Voilà ce qui tend à
passer en axiome et repose sur l'égalité supposée du vrai et du faux.
La conséquence pratique est la suivante : comportons-nous comme si
toute vérité était douteuse et toute opinion respectable. C'est l'anarchie
intellectuelle, le nihilisme doctrinal.
Conclusion : tous les pouvoirs, païens, catholiques, hérétiques,
irréligieux, ont été plus ou moins intolérants. Ce fait universel est-il
purement brutal ou révèle-t-il l'existence d'un droit ? — Il faut répondre
que l'intolérance est une loi fondamentale, vitale, pour tout être, individuel
ou collectif. Ni peuple, ni particulier ne peuvent vivre et prospérer s'ils
n'ont le droit et la puissance de résister à ceux qui font obstacle à leur
développement normal. C'est une question de vie ou de mort : c'est la
lutte pour l'existence. On retrouve l'application de cette loi dans l'ordre
moral aussi bien que dans l'ordre physique. Notre force vitale, d'instinct,
oppose une résistance impitoyable aux attaques de ces mille petits
ennemis, invisible légion de microbes, qui l'assaillent de toutes parts.
A son tour l'ordre social n'est-il pas fondé sur l'intolérance, puisqu'il
repose sur un ensemble de lois coercitives, et que ces lois sont des freins
vigoureux mft à la liberté du mal et de l'erreur ? Pour la force vitale
comme pour l'autorité sociale, il y a un minimum de résistance ou d'into-
lérance (c'est tout un) ; en deçà c'est pour l'individu la mort, c'est pour
un pays la décomposition sociale. La société religieuse ne saurait échapper
aux exigences de cette loi : comment se soustraire à l'essence des choses ?
Tout pouvoir qui veut vivre doit pratiquer cette maxime de Garcia
Moreno, président de la République de l'Equateur : « La liberté pour
tout et pour tous sauf pour le mal et pour les malfaiteurs. »
(124) l'immunité ecclésiastique 347
124. — L'IMMUNITÉ ECCLÉSIASTIQUE (M
I. — Étendue : les pouvoirs chrétiens ont reconnu pendant des
siècles cette immunité qu'on peut formuler ainsi : Tout ce qui appartient
à l'Église (lieux, objets ou personnes) est exempt de la juridiction de
l'État. Cette immunité enveloppe l'exemption :
A) De la Juridiction civile : on a souvent ressassé contre cette
exemption l'objection suivante : les gens d'Église deviennent alors
sujets d'un souverain étranger.
Réponse : 1° le Pape n'est étranger nulle part : la souveraineté, qu'il
exerce sur les clercs, n'est point la souveraineté temporelle d'un Roi,
mais la souveraineté spirituelle du Pontife.
2*^ Le clerc ne cesse pas plus que tout autre citoyen d'être soumis
aux lois de son pays, mais seulement aux tribunaux laïcs, même pour les
délits de droit commun. Coupable envers l'État, il ne reste pas impuni ;
seulement il est jugé par ses pairs, par des tribunaux ecclésiastiques.
Mais, dit-on, c'est contraire au principe de l'égalité devant la loi. —
Non, car si ce principe rejette tout privilège d'impunité, il n'impose pas
Vunicité de juridiction. Par conséquent la juridiction ecclésiastique
spéciale ne le viole pas plus que les tribunaux militaires constitués pour
les soldats.
B) De l'impôt, c'est-à-dire de toute contribution fixée et prélevée
par l'État sur la propriété ecclésiastique. On objecte que cette exemp-
tion soustrait cette propriété au service du bien public.
Réponse : 1° les revenus de cette propriété contribuaient à l'entretien
du culte, au soutien des pauvres, à la diffusion de l'instruction, etc.
Cette participation volontaire aux charges sociales dégrevait d'autant
l'État.
2° Les Assemblées du clergé contribuaient encore aux dépenses
publiques par des impôts spontanément votés.
C) Du service militaire : on objecte que cette exemption décharge
toute une catégorie de citoyens du service le plus onéreux et le plus
honorable.
Réponse : 1^ Quelques années passées sous les drapeaux ne sont pas
un fardeau plus lourd qu'une vie sacerdotale tout entière.
2° Le service social du prêtre n'est ni moins honorable, ni moins
nécessaire que celui du soldat. — Le motif vrai de la suppression de
cette immunité a été de tarir les vocations sacerdotales et de rendre
très difficile le recrutement du clergé.
( M Bellarmin, Disputationes de Controversiis Fidei, ControT. V, L. I, De Clericis.
348 l'église et la révolutioî^ (125)
Ces diiïérents privilèges ne sont point injustes, parce qu'ils sont
abondamment compensés par les services que le clergé rend à la société,
comme l'a montré Taine dans VAticien Régime.
II. — Légitimité : 1° l'immunité ecclésiastique n'est pas due à une
concession gracieuse des souverains, car elle a un fondement de droit
divin. Elle est en effet une conséquence implicite de l'institution du
Sacerdoce^ qui fait aux clercs une place à part en les appelant à un service
social d'un ordre exceptionnel, supérieur à tout autre, incompatible
avec plusieurs.
2° Elle provient ensuite de la législation organique de l'Église, seule
juge de ce qui lui convient.
Aujourd'hui cette immunité n'est plus guère reconnue par les gou-
vernements. Comme elle n'est pas absolument nécessaire à l'existence de
l'Église, mais seulement à son bien-être, non ad esse, sed ad melius esse,
l'Église, par condescendance, pour éviter des conflits troublant la paix,
peut renoncer à Vexercice actuel de certains droits faisant partie de
l'immunité. Mais elle ne peut dire qu'elle les a perdus, car elle n'y renonce
'Das ; elle évite seulement d'en urger l'application. C'est une situation
qu'elle subit, mais qu'elle n'accepte pas.
125. — L'ÉGLISE ET LA RÉVOLUTION
Que penser de ce que l'on appelle les principes de 89, le Droit nou-
veau ? On les trouve surtout formulés dans la Déclaration des droits
de Vhomme. Cette déclaration est un amalgame de faux et de vrai, de
bien et de mal (109). Nous prendrons, pour guide de nos appréciations,
Le Play (i).
I. — Le Principe, qui domine la Révolution et lui a valu de la part
de J. de Maistre, le reproche d'avoir l'esprit « satanique », c'est la souve-
raineté absolue de la raison et de la volonté humaines collectives (= l'opinion
et la volonté générales) ; conséquemment tout droit émane non de
Dieu, mais de l'homme. C'est la déification pratique de l'humanité, dont
J.-J. Rousseau a été l'ardent apôtre. On objecte :
1° Rousseau reconnaît Dieu, et la Constituante le nomme dans sa
Déclaration.
Réponse : Théoriquement, c'est vrai ; mais, pratiquement, toute leur
œuvre tend à l'annihiler en éliminant son action. Les promoteurs de la
(') Le Play, La Réforme sociale, T. IV, L. VII, Ch. lxiv, § III. — Fr. Chesnel, Les
Droits de Dieu et les idées modernes. — Em. Keller, Les Syllabus de Pie IX et de Pie X
ei les Principes de 1789. — J. E. Courtenay Bodley, La France. Essai sur l'histoire et le
fonctionnement des institutions politiques.
(125) l'église et la révolution 349
Révolution de 1789 prétendaient que « Dieu n'intervenait pas dans la
direction des sociétés et que l'iiomme avait en lui-même tous les éléments
de la prospérité. Cette présomptueuse conviction resta, il est vrai, à
l'état latent, au sein de l'Assemblée nationale ; mais elle se fit jour dans
les modifications apportées par la Convention à la Déclaration des
droits. En cette occasion, les auteurs des lois révolutionnaires, qui
continuent à perdre notre race, firent encore mention de VÊtre suprême^
mais ils s'accordèrent à penser qu'ils pouvaient se passer de lui » (^).
Ce n'était qu'une étiquette décorative.
20 Beaucoup de partisans de la Révolution n'acceptent pas le
principe.
Réponse : ce rejet théorique n'en balance pas l'admission pratique,
car la plupart de leurs actes supposent ce principe et s'en inspirent.
On peut trouver des indices de cette tendance dans l'adoration de la
loi, du suffrage universel, du fait accompli, dans cette susceptibilité
qui veut tout séculariser et laïciser, bannir toute ingérence de l'Église
dans les questions sociales et la confiner dans la sacristie.
II. — Conséquences : de la négation de l'intervention de Dieu
dans les affaires humaines, de la souveraineté de l'homme substituée
à la souveraineté de Dieu découlent certaines conséquences, que Le Play
appelle les « faux dogmes de la Révolution » :
A) Bonté originelle de Vliomme : les faits la démentent : les consti-
tutions, qui ont le plus contribué au bonheur des hommes, ont fermement
réprimé les mauvaises tendances.
B) Tout homme a des droits naturels nombreux, que l'organisation
sociale doit satisfaire. — L'homme n'a qu'un droit essentiel, immédiat,
naturel, commun à tous, celui de tendre librement à sa fin (51, § B, III).
Or ce droit naît du devoir impérieux d'atteindre cette fin. Ce devoir
dérive à son tour du droit absolu qu'a Dieu sur toute créature (53).
On voit combien il était peu logique de parler des droits de Vhomme.
Les droits particuliers de chaque individu sont pour lui autant de
moyens pour pratiquer ses devoirs. ^{:^^ f, ç-.
C) Les hommes sont égaux. C'est vrai, métaphysiquement parlant,
c'est-à-dire en considérant le degré essentiel de perfection spécifique.
Au point de vue moral et pratique, ils sont égaux dans le droit essentiel
de tendre à la fin dernière ; égaux devant la justice divine, qui rendra
à chacun selon ses œuvres. Hors de là l'égalité n'est pas dans la nature ;
elle serait la mort de tout progrès et la source de la médiocrité uni-
verselle.
(>) Le Play, Opère citalo, Ibidem, § II. — Simonet, L'avortement de 1789.
350 l'église et la révolution (125)
D) La liberté politique est la condition nécessaire et suffisante de la
liberté (107).
E) La nation est d'' autant plus parfaite qu'il n'y a entre V individu
et VÈtat aucun groupe intermédiaire. C'est un enthousiasme aveugle
pour la centralisation et la confiscation du droit naturel d'associa-
tion (105). La Révolution est logiquement socialiste, car elle déifie l'État
sans mesure et lui livre l'individu sans défense et sans réserve. Elle
colore ce servage réel d'une souveraineté illusoire. La réalité du servage
consiste dans les restrictions apportées à la vraie liberté, la liberté
civile : l'État, en fait, est presque tout. L'illusion de la souveraineté
consiste dans l'octroi d'une liberté politique, qui se réduit au droit de
vote, dont la valeur est infinitésimale, eu égard au nombre et à l'égalité
des sufïrages. C'est d'ailleurs un châtiment logique : qui repousse
l'autorité de Dieu doit subir le joug de l'homme.
F) Le « Droit de révolte « (106, A) : de là les révolutions et l'anarchie
qui nous secouent périodiquement. On a fondé le pouvoir sur le sable
mouvant de la volonté générale ; comment ne serait-il pas balayé par
les caprices de la tempête populaire ? Le principe révolutionnaire et
ses corollaires ont eu sur les institutions sociales des effets désastreux,
que Le Play et son École ont signalés, avec preuves à l'appui. — Ce n'est
pas à dire que tout soit mauvais dans la Déclaration des Droits (109) ;
elle a conservé certaines vérités traditionnelles, empruntées au Déca-
logue et à l'Évangile. C'est à cette source qu'il aurait fallu emprunter
des remèdes efficaces aux abus de l'ancien régime.
IIL — Progrès accomplis depuis la Révolution :
A) Dans Vordre politique : tendance qui nous porte à préférer aux
pouvoirs absolus les pouvoirs contrôlés.
B) Dans Vordre judiciaire : égalité devant la loi ; — séparation du
pouvoir judiciaire et du pouvoir politique. — En abolissant la torture,
reste de barbarie, notre temps achève une évolution morale dont le
principe est chrétien.
C) Dans Vordre civil et économique : une plus juste répartition de
l'impôt, l'émancipation progressive des classes laborieuses, la tendance
de plus en plus générale à atténuer, par des institutions de justice et
de pitié, les conséquences fatales de l'inégalité des conditions. « Tout
cela c'est du progrès moderne, si l'on veut, mais dont l'inspiration
remonte à l'Évangile » (^) et qui ne se développera pleinement que sous
son influence civilisatrice. En le séparant de ce contact modérateur,
on débridera dans les masses des appétits que rien ne pourra contenir.
C) M. D'HoL8T, Conférences de Noire-Dame, 1895, Note 26, p. 394-397.
(125) COMPLÉMENT BIBLIOGUAPHIQUE : l'ÉGLISE ET l'ÉTAT 351
Conclusion : on voit dans quel sens l'Église peut se réconcilier avec
l'esprit du siècle. Elle accepte tout ce qu'il y a de bon et de généreux,
rejette ce qu'il y a de faux et de dangereux ; dans les limites où les
concessions peuvent s'accorder sans sacrifier les principes, l'Église a eu
et aura toujours une condescendance maternelle, sachant doser exac-
tement ce que nos sociétés malades peuvent porter de vérité.
BIBLIOGRAPHIE
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A. Baudrillart, Quatre cents ans de concordat.
J. Félix, La Contre- Révolution.
H. Chantavoine, Les Principes de 1789.
Le Centenaire de 1789 {Éludes de Vœuvre des Cercles catholiques
d'ouvriers). — La Réforme sociale et le Centenaire de la Révolution (aux
bureaux de la Réforme sociale).
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A. Leroy-Beaulieu, La Papauté., le Socialisme et la Démocratie.
L. Grégoire, Le Pape, les catholiques et la question sociale.
G. GoYAU, Autour du catholicisme social.
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Chr. Pesch, Die christliche Staatslehre.
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Ém. Sévestre, L'histoire, le texte et la destinée du Concordat de 1801.
Mgr Freppel, La Révolution française.
Taine, Les Origines de la France contemporaine. 2^ Partie : La
Révolution. *
Vernon Bartlet, Christian Ethics : their distinctive quality and
présent roll, dans The Hibbert Journal, 1923, T. XXI, p. 565-578.
LIVRE IN
LA MORALE ET L'ÉCONOMIE POLITIQUE
Après avoir donné quelques notions sommaires d'Économie poli-
tique, nous établirons les rapports qui unissent cette science à la Morale,
et, en manière d'appendice, nous traiterons de l'Alcoolisme.
CHAPITRE I
NOTIONS SOMMAIRES
D'ÉCONOMIE POLITIQUE (^)
L'Économie politique est la science des lois qui régissent la pro-
duction, la circulation,, la. distribution, et la consommation de la richesse.
Elle a pour objet la richesse, c'est-à-dire tout ce qui, soit directement
par soi-même, soit indirectement par voie d'échange, peut servir à la
satisfaction des besoins de l'homme ; bref, c'est l'ensemble des choses
utiles.
Aristote, Sully, Colbert avaient entrevu quelques-unes de ses lois ;
mais c'est seulement au xyiii^ siècle qu'elle a été constituée comme
science.
( ') M. Block, Les progrès de la science économique depuis A. Smith. — A. Espinas,
Histoire des doctrines économiques. — J.-K. Ingram, Histoire de l'Économie politique. —
L. CossA, Introduzione allô studio delV Economia politica. — P. Leroy-Beaulieu, Traité
théorique et pratique d'Économie politique. — J. Cauwès, Cours d'Économie politique. —
Ch. Gide, Principes d'Économie politique. — Ch. Antoine, Cours d'Économie sociale. —
Ch. Périn, Premiers principes d'Économie politique. Doctrines économiques. — Th. Funck-
Bhentano, Nouveau Précis d'Économie politique. — P. Beauregard, Élérnents d'Économie
politique. — Ch.-S. Devas, Political Economy. — Ant. Ott, Traité d'Économie sociale.
— Fr. Bastiat, Sophismes économiques. Harmonies économiques. — G. de Molinari,
L'évolution économique du XIX' siicle. Les lois naturelles de l'Économie politique. —
M. LiBERATORE, PrincipH di Economia politica. — J. Garnier, Traité d'économie politique.
— A. Delaire, Précis d'Économie sociale. — Th. Ziegler, La Question sociale est une
question morale. — A. -A. Cournot, Principes de la théorie des richesses. — Alf. Jodrdan,
Rôle de l'État dans l'ordre économique. — V. Pareto, Cours d'Économie politique. — Alfh. db
FoviDtE, La richesse en France et à l'étranger. La France économique.
(126) PRODUCTION DE LA RICHESSE 353
Principaux représentants : a) au XVIII^ siècle : Quesnay, Turgot,
Adam Smith. — b) Au XIX^ siècle : J.-B. Say, Ricardo, Bâstiat,
Stuart Mill, Rossi, Baudrillart, Le Play, Léon Say, Owen,
K. Marx, Lassalle, H. George, Colins, Joseph Garnier, Fr. Passy,
P. Leroy-Beaulieu, g. de Molinari, etc.
126. — PRODUCTION DE LA RICHESSE
Produire de la richesse, c'est créer de l'utilité. Les principaux agents
de la production sont la nature, le travail et le capital.
%\. — LA NATURE
C'est l'ensemble des éléments préexistants du milieu où nous vivons.
Pour que l'homme puisse produire, il faut que la nature lui fournisse :
1° Un milieu propice (climat, configuration géographique, consti-
tution géologique du sol et du sous-sol).
2*^ Une étendue suffisante de terrain.
3° Une matière première utilisable.
40 Des forces motrices : vg. la force musculaire des animaux, vent
et cours d'eau, force expansive des gaz, électricité. C'est à l'aide des
machines que l'homme utilise ces forces naturelles.
§ IL — LE TRAVAIL (i)
C'est l'eiïort de nos facultés physiques, intellectuelles ou morales
pour produire quelque chose :
A) Classifications par rapport : 1° A la matière : il est extractif,
agricole, industriel, commercial, locomoteur.
20 A sa nature, on a le travail : a) d'invention (ingénieur) ; b) de
direction (entrepreneur) ; c) d'exécution (ouvrier).
3° Aux facultés : a) corporel ; b) intellectuel.
B) Conditions favorables à la fécondité du travail :
1° Liberté (67, § III, C, 4°).
2° Association : ici comme partout l'union est un multiplicateur
d'énergies (2).
(•) Manning, The rights and dignity of labour. — H. BAUDRiLLAr.T, La liberté du
travail, l'association et la démocratie. — Ch. Dunoyer, La Liberté du travail. — Cl. Jannet,
L'Organisation du travail. *
( «) H. Blanc, Les corporations de métiers, leur histoire, leur esprit; leur avenir. — W.Cook,
The corporation problem — E.-E. Fribouro, L'Association internationale des travailleur».
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. — T. II. 12.
354 PRODUCTION DE LA RICHESSE (126/
30 Division : c'est le fractionnement des tutelles pour une même
industrie. La division du travail : a) développe l'habileté profession-
nelle ; b) épargne du temps; c) diminue l'apprentissage; (^) facilite
l'emploi des machines ; e) fortifie la solidarité entre les ouvriers. Mais
elle a pour inconvénients de réduire le travail à une besogne tellement
simple et uniforme que, dispensé de toute réflexion, l'ouvrier n'est plus
qu'un rouage dans une immense machine ; donc pas d'initiative ni de
progrès.
§ ni. — LE CAPITAL
A) Nature : on entend par capital tout bien économique, réel,
applicable à la production. Le capital ne suppose pas nécessairement
Yépargne ; vg. une chute d'eau naturelle n'est-elle pas un capital ?
Les facteurs du capital sont les forces naturelles et le travail. L'épargne
n'est qu'une condition ; ce n'est pas elle qui constitue le capital, mais
celui-ci suppose souvent à son origine une certaine quantité de richesse
soustraite à la consommation pour servir à la production-
B) Espèces : 1° Capital fixe : celui qui reste après une production
pour servir à d'autres productions : vg. outils, constructions, machines,
ateliers, routes, canaux, améhorations de la terre, etc.
2° Capital circulant : celui qui est absorbé dans l'œuvre de la pro-
duction ; qui, par conséquent, ne sert qu'une fois : vg. approvisionne-
ments destinés à faire vivre le personnel producteur, les matières pre-
mières, la monnaie.
Conclusion : le principal agent de la production c'est le travail ;
la nature est le j acteur originaire de la production, en ce sens qu'elle
fournit au travail les éléments préexistants à transformer ; le capital
est un produit du travail et de la nature, c'est un instrument de pro-
duction ; mais c'est du travail de l'homme qu'il reçoit sa valeur pro-
ductive. Le capital est Y auxiliaire indispensable du travail : pour tra-
vailler, l'homme a besoin d'instruments appropriés ; il lui faut une
matière pour exercer son travail ; il doit payer son entretien avant de
réaliser le produit de son travail. L'homme est stimulé à capitaliser
pour subvenir aux besoins de l'avenir ; le capital a donc aussi pour
condition la prévoyance.
— H. Glotin, Étude historique, juridique, économique sur les Syndicats professionnels. — ■
P. Hubert-Valleroux, Les Associations coopératives en France et à l'Étranger. Les Corpo-
rations. — G. HowELL, Le passé et l'avenir des Trade-Unions. — Comte de Paris, Les
Associations ouvrières en Angleterre. — E. Reinaud, Les Syndicats professionnels. —
CoiÊTE DE RocQuiGNY, Les syndicats agricoles et le socialisme agraire. — A. Boissard,
Le syndicat mixte. — P. de Rousiers, Les industries monopolisées (Trusts) aux États-
Unis. Le Trade-L'nionisme en Angleterre. — Ch. Antoine, Cours d'Économie sociale,
Ch. XIV.
I
^
<127) CIRCULATION DE LA RICHESSE 355
127. — CIRCULATION DE LA RICHESSE
C'est le mouvement général des richesses passant de main en main.
Elle est nécessaire à la production ; pour être utilisées, les richesses
doivent être transportées partout où l'on en a besoin. Elle se fait par
Véchange, la monnaie et le crédit.
I. — Échange : c'est le don d'un objet pour un autre jugé équi-
valent. La valeur est la règle de l'échange ; mais la nature de la valeur
est très discutée. La définition de Bastiat : <> Rapport de deux services
échangés » n'est qu'une tautologie. La valeur est l'estimabilité de l'utilité
économique d'un bien approprié. Elle dépend plus ou moins d'une foule
de conditions : utilité, travail, temps, nature de l'objet, offre et demande.
D'où cette loi : La valeur est en raison directe de la demande et en raison
inverse de V offre {^).
La thèse du libre-échange absolu est fausse ; celle de la prohibition
complète est insoutenable. La vérité se trouve dans un sage tempérament
de protection et de liberté, dont la dose varie avec les circonstances de
pays et de temps i^).
IL — Monnaie (^) : si on devait échanger les objets en nature, les
transactions seraient très entravées. La monnaie facilite l'échange :
c'est une matière qui, servant d'équivalent à tous les produits, est un
intermédiaire universel d'échange et la commune mesure de toute
valeur. Pour remplir ce but, il faut d'abord qu'elle ait une valeur réelle,
stable, facile à constater ; il faut ensuite qu'elle soit inaltérable, aisé-
riient divisible et transportable. L'or et l'argent réunissent ces condi-
tions. Pour rendre l'échange encore plus facile, on a imaginé le papier-
monnaie : lettres de change ou traites, billets à ordre, billets de banque,
chèques. Ce papier n'est qu'un signe représentatif ; il n'a par lui-même
aucune valeur, mais il représente celle de la monnaie qu'en définitive
quelqu'un, État ou particulier, s'est engagé à livrer sur sa présentation.
III. — Crédit (^) : acte de confiance par lequel les détenteurs de
capitaux en font l'avance, sous promesse et garantie d'un rembour-
sement futur. Il comporte l'échange d'une réalité contre une promesse.
Les formes primitives furent la vente à terme et le prêt de consommation.
( ') Voir dans Gide {Principes d'Économie politique, L. II, Ch. i, § 'i) en quel sens il
faut entendre cette loi. — Poinsard, Libre échange et protection.
( ') Clément, Histoire du Système protecteur en France.
( ') W. Stanley Jevons, La inonnaie et le mécanisme de l'échange.
( ') Ch. Coqueun, Du crédit el des banques. — A. Del-Mar, Les systf'mes monétaire.*.
— A. Arnauné, La monnaie, le crédit et le change. — L. Durand, Le crédit agricole.
356 RÉPARTITION ET DISTRIBUTION DE LA RICHESSE (128)
Les principaux papiers de crédit sont : la lettre de change, le billet
à ordre, etc. Le crédit n'est pas directement productif, parce qu'il ne
crée aucun capital ; mains indirectement^ parce qu'il facilite et multiplie
V usage des capitaux existants. Il donne lieu à des opérations véreuses
ou à des spéculations hasardeuses, quand il n'y a pas capital disponible
chez le prêteur et travail productif chez l'emprunteur (^).
128. — RÉPARTITION ET DISTRIBUTION DE LA RICHESSE
Chacun a droit aux richesses à répartir, dans la mesure où il a contribué
à les produire. Le propriétaire a pour rémunération : la rente foncière ;
le capitaliste, Vintérét; le travailleur, le salaire; l'entrepreneur (celui
qui réunit les capitaux, le matériel, les ouvriers, dirige la production
et écoule les produits) : le profit, c'est-à-dire ce qui reste après le paiement
de la rente, de l'intérêt et du salaire {^).
§ A. — LÉGITIMITÉ DE.VINTÉRÊT (»)
On entend par choses fongibles celles qui se consomment, se détrui-
sent entièrement par l'usage : vg. les denrées. Par le contrat de mutuum
ou prêt de consommation^ le prêteur cède une chose fongible : vg. un kilo-
gramme de pain. Cette chose devient la propriété de l'emprunteur qui
est obligé de rendre, au bout du temps convenu, une chose équivalente
du même genre. Le prêt de consommation est essentiellement gratuit ;
en effet la chose prêtée passe avec son utilité à l'emprunteur ; mais,
étant fongible, elle n'a pas d'utilité distincte de sa propre substance
et de l'emploi qui la consomme ; l'emprunteur n'est donc tenu qu'à la
rendre in eodem génère. Si elle avait une utilité distincte de sa substance
et de l'usage qu'on en fait (vg. on me prête un cheval pour une course),
alors le propriétaire pourrait exiger une compensation de l'utilité dont
il se prive, car cette chose, étant un bien productif, peut être l'objet d'un
contrat de louage.
( •) Cl. Jannet, Le capital, la spéculation et la finance au XIX' siècle. — Thaller
Les Bourses. — Deville, Les opérations de bourse devant la conscience.
( ') RiCAHDO, Rentes, salaires et profits.
( ') P. Baugas, Le prêt à intérêt. — Ch. Périn, La richesse dans les sociétés chrétiennes,
T. II, L. V, Ch. V. — V. Cathrein, Moralphilosophie,Bund II, Buch V, K. II. — J. Rirkaby,
Moral Philosophy, P. III, Ch. v, Scct. V. — Cn. Antoine, Cours d'Économie sociale, Ch. xvii.
Art. 5, G. — EuG. VON Bœhm-Bawerk, Histoire critique des Théories de l'intérêt du capital.
Trad. fie rallemand par J. Bernard. — Lehmkuhl, Theologia Moralis, T. I, n. 1301 sqq.
FrIbourg-en-Brisgau, 1910".
(128) RÉPARTITION ET DISTRIBUTION DE LA RICHESSE 357
Appliquons cela à l'argent. La morale condamne comme usuraire
le prêt de l'argent avec intérêt, quand c'est un prêt de simple consom-
mation, c'est-à-dire dans les cas où l'argent est une chose fongible, n'a
pas d'utilité distincte de l'emploi qui le consomme. Mais elle le permet
quand l'argent a une utilité distincte de la consommation. Or ce caractère
d'utilité distincte dépend des circonstances.'
Avant le développement de l'industrie et du commerce, l'argent
n'avait pas de pouvoir productif. A mesure que les transactions sont
devenues plus actives, l'argent n'a plus été une simple monnaie, chose
fongible que l'usage détruit, mais il a joué le rôle de capital. On a compris
alors que, dans bien des circonstances, rendre simplement au prêteur
la somme empruntée, ce n'est pas lui rendre tout ce qu'on lui doit.
On a cherché quels pouvaient être les titres du prêt à intérêt, c'est-à-dire
les raisons extrinsèques au contrat de prêt qui pourraient légitimer la
perception d'une certaine somme en plus du capital prêté. Voici les
principaux.
L'intérêt sera légitime quand il sera perçu comme une compensation
pour :
1° La privation d'un bénéfice [lucrum cessans) que le prêteur
aurait pu faire par un usage lucratif de son argent.
2° Le préjudice {damnum emergens) causé au prêteur par l'absence
de cet argent, dont il peut avoir besoin : vg. pour entretenir son domaine.
3° Les risques {periculum sortis) que l'emprunteur fait courir au
capital prêté en l'exploitant.
Ces titres, avant le progrès de la spéculation au xix^ siècle, n'étaient
pas toujours réalisés. Mais dans l'ordre économique actuel, comme il
est devenu facile à tout le monde de donner à l'argent un emploi fruc-
tueux et licite, le titre lucrum cessans existe toujours et suffit à légitimer
l'intérêt. La raison en est qu'actuellement l'argent a une productivité
virtuelle générale. Sans doute l'argent ne produit pas par lui-même,
mais médiatement ; c'est un instrument aux mains de l'homme pour
développer la richesse ; il a donc un pouvoir virtuel de production. Or
celui qui prête une chose virtuellement productive, a droit de réclamer
à l'emprunteur une compensation pour le bénéfice moralement certain
dont il se prive pendant ce temps. Les décisions de l'Église sur ce point
ne sont donc pas contradictoires , elle a condamné et condamne toujours
le prêt à intérêt, quand il n'est qu'un prêt de consommation, parce
qu'alors il y a usure, perception d'un bénéfice injuste ; mais elle l'a
autorisé et l'autorise quand un titre le rend légitime, pourvu qu'il soit
modéré.
358 RÉPARTITION ET DISTRIBUTION DE LA RICHESSE (128)
§ B. — L£ JUSTE SALAIRE {^)
Le travail de l'ouvrier diffère d'une marchandise, de même que le
salaire diiïère du prix, car le travail de l'ouvrier procède de la liberté
et revêt par conséquent un caractère de mérite : il a droit à la récompense
ou salaire. C'est pourquoi il est beaucoup plus noble que la marchandise
et le prix qui s'obtiennent par le seul échange (^). Néanmoins, pour plus
de clarté, on Iç considère comme une sorte de marchandise, car il en a
le caractère si on l'envisage par le côté qui fait que la marchandise est
l'objet du prix.
A) Détermination du salaire. ■ — Le salaire est juste quand il
réalise l'égalité entre le travail fait et l'argent reçu. Gomment déterminer
cette équivalence, c'est-à-dire quelle somme d'argent doit être considérée
comme équivalente à une journée normale de travail ? Elle dépend de
deux facteurs :
1^ Besoins de l'ouvrier : le salaire, prix de son travail, est en effet
destiné à pourvoir aux besoins de l'ouvrier, afm qu'il puisse conserver
son existence. Il doit donc être en rapport avec les besoins non pas
factices que crée l'amour du luxe, mais réels et modérés d'un travailleur
sobre et rangé. Par conséquent le contrat de louage ne dépend pas seu-
lement de la volonté des contractants. « A côté de l'échange des volontés,
il y a le besoin à satisfaire ; et, ce besoin étant d'ordre naturel, le droit
naturel exige qu'il y soit pourvu par un salaire proportionné {^). » Si un
ouvrier se contente d'un salaire moindre, c'est son droit; mais s'il est
contraint, par la nécessité ou la crainte d'un plus grand mal, d'accepter
les conditions insuffisantes d'un patron cupide, le contrat de salaire
est injuste, car l'ouvrier a subi une contrainte morale : « Au-dessus de
la libre volonté du patron et de celle de l'ouvrier il est une loi de justice
(M P.-V. Beauregard, Essai sur la théorie du salaire. — Ed. Villey, La Question
des salaires. — E. Chevallier, Les Salaires au XIX'' siècle. — V. de Marolles, Le Salaire,
dans l'AssociATiON catholique, Dec. 1892, Févr. 1893. — M. Bodeux, Du Salaire. —
Aldo Contento, La Teoria del salaria nel concetto dei principali economisti. — M. Lambert,
Essai sur la protection des salaires. — M. Bondue, Essai sur le contrat de travail. — J.-H. von
Thunen, Le salaire naturel. — Ch. Périn, L'Économie politique d'après l'Encyclique. —
A. Verhaegen, Le minimum de salaire. - Ch. Antoine, Cours d'Èconom.ie sociale, Ch. xviii,
XIX. — M. D'HuLST, Conférences de Notre-Dame, 1896, n. 18, p. 393-433. — M. -Alex.
Mercier, Théorie du juste salaire, Revue Thomiste, juillet 1 896. — Nicotra, Le minimum
de salaire. — É. Stocquart, Le contrat de travail. — H. F.\wcett, Travail et salaires (Traduit
par Raffalovich). — Boeumert, La participation aux bénéfices. — M. Anciaux, Heures
de travail et salaires. — C. Betocchi, Il contralto di lavoro. — G. Théry, Exploiteurs et
salariés.
C) Cf. Ch. Antoine, Cours..., Ch. xviii, Art. I.
(') M. d'Hulst, Conférences de Notre-Dame, 1896, p. 174.
(128) RÉPARTITION ET DISTRIBUTION DE LA RICHESSE 359
naturelle plus élevée et plus ancienne, à savoir que le salaire doit être
suffisant à faire subsister l'ouvrier sobre et honnête (^). »
2» Qualité du travail, qui varie avec les personnes.
Le patron est donc tenu, d'après la justice commutative, à payer à
l'ouvrier un salaire minimal suffisant, c'est-à-dire capable de le faire
vivre et en rapport avec le travail exécuté, pourvu que les conditions
du régime économique soient normales. Ce minimum varie avec les
temps, lieux et industries.
B) Salaire ïamilial (2). — Le salaire, pour être juste, doit-il être
familial ? Le salaire de l'ouvrier doit-il être proportionné aux besoins
stricts d'un homme marié de sa condition ? A cette question : le salaire
doit-il être familial, en vertu de la justice commutative, deux réponses
opposées ont été données :
1° Les uns disent : non. Quand on a observé l'égalité entre le salaire
et le travail, on a satisfait aux exigences de la justice. Or le travail est
l'œuvre personnelle de l'ouvrier et non de sa famille. Donc, comme la
famille n'ajoute rien au travail, il n'est pas requis par la justice que
l'on doive ajouter au salaire mérité par le travail.
2» Les autres, plus logiquement, répondent : oui. En effet, la nature
impose au père de famille le devoir d'élever ses enfants, ce qui implique
le droit de se procurer les choses nécessaires à cet effet ; or la classe
ouvrière ne peut se les procurer que par le salaire de son travail. Donc
le salaire doit être suffisant à l'honnête subsistance de la famille. Le
fondement principal de l'étendue du salaire, ce sont les besoins de
l'ouvrier, qui a le devoir de conserver son existence et, par conséquent,
le droit d'exiger, en retour de son travail, l'équivalence de ses besoins.
Or l'ouvrier, comme tout homme en général, est destiné à fonder une
famille. Donc les besoins de l'ouvrier ne doivent pas s'entendre des
besoins de l'ouvrier-individu, mais de l'ouvrier-père de famille, soit en
puissance, soit en fait. Le patron n'a pas à s'informer si l'ouvrier est
marié ou non ; le salaire doit suffire pour permettre à un ouvrier adulte
de fonder et d'entretenir une famille normale. « Il faut donc reconnaître
que le travail n'est pas payé ce qu'il çTinY, quand il est inférieur aux
besoins minimum d'un homme à Vétat normal, c'est-à-dire d'un homme
marié (^). » La difficulté c'est de déterminer quelle somme d'argent
(M Encyclique Rernm novarum, Lettres apostoliques de Léon XIII, Edit. de la Bonne-
Presse, T. III, p. 54-57.
( ') Cf. Ch. Antoine, Cours..., Ch. xix, Art. 5. — V. F.\llon, Principes d'Économie
sociale, Part. II, Sect. III, Ch. ii.
{') M. d'Hulst, Conférences de Noire-Dame, 1896, p. 430. — Cf. dans Le Mouvement
social (15 mai 1912, p. 447-449) une note du P. Vermeersch sur une prétendue décision de
Léon XIII contraire au Salaire familial.
360 COMSOMMATION DE LA RICHESSE (129)
est équivalente à ces besoins. Il faut recourir à V estimation commune.
Quand le salaire établi par l'usage ne suffit pas, cela prouve que l'état
social et économique est anormal et a besoin de réformes ; c'est à la
charité d'adoucir les souffrances du moment, en attendant les réformes
nécessaires.
« En théorie pure, le législateur, qui est le gardien de la justice dans
les contrats, pourrait fixer un minimum de salaire {}). >> Mais, en pratique.,
il vaut mieux ordinairement, à cause des difficultés qu'entraîne l'inter-
vention de l'État, s'en remettre à l'arbitrage de syndicats mixtes qui
pourraient adapter le salaire, en connaissance de cause, aux circon-
stances locales qui le font varier.
Les Grèves (^) sont destinées à combattre l'avilissement des salaires ;
elles sont légitimes, quand les réclamations sont justes et que les moyens
de conciliation sont épuisés. En outre, les grévistes ne doivent pas
recourir à la violence contre les patrons ou contre les ouvriers qui veulent
continuer le travail (^).
129. — CONSOMMATION DE LA RICHESSE
La richesse est un moyen ; elle est faite pour servir au bien-être de
l'homme. On distingue les consommations :
10 Productires, qui ne détruisent un produit que pour en créer un
autre.
( ') Cl. Jannet, Le Socialisme d'État et la Reforme sociale, Cli. i, § XI, p. 'lO. Paris,
1890'.
( ') E. d'Eichtal, Coalitions des patrons et des ouvriers. — A. Gibon, La liberté du travail
et les grèves. — Ch. Renault, Histoire des grèves. — J. Cauwês, Cours d'Économie politiciue,
T. m, n. 847 et sq. — Ch Antoine, Cours d'Économie sociale, Ch. xv, Art. 6. — Ém. Olli-
viER, La loi des coalitions (1864), Revue des Deux Mondes, 1901, T. IV, p. 5 sqq. —
A. Crouzel, Étude sur les coalitions et les grèves. ■ — A. Béch\ux, Les revendications ouvrières
en France. — Lehmkuhl, Le contrat entre patrons et ouvriers et les grives. — L. de Seilhac,
Les Grèves.
(') La guerre aura, partout en Europe, détruit la grande propriété. En 1914, celle-ci
n'existait plus guère que dans quatre pays : Roumanie, Russie, Hongrie, Angleterre.
En Roumanie, dés la fin des liostilités, les terres furent partagées et la limite de propriété
fixée à un certain nombre d'hectares ; en Hongrie et en Russie, les terres ont été de même
partagées ; restait l'Angleterre qui, depuis des siècles, conservait la même forme de pro-
priété.
Mais un à un les grands domaines, témoin les annonces des journaux anglais, vont
s'ellritant aux ventes successives, qui partagent les plus grandes étendues ; et c'est la
conséquence des charges fiscales qui frappent trop durement les grosses propriétés.
Pratiquement, un tel événement a son hon côté : en multipliant la petite propriété,
l'Angleterre s'assure une stabilité politique qui n'est pas à dédaigner dans les circonstances
présentes, et que son régime quasi féodal d'hier était de nature à compromettre éventuel-
lement. La multiplication de la petite propriété est une barrière contre le Socialisme.
(129) COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : ÉCONOMIE POLITIQUE 361
2° Improductives, qui satisfont simplement un besoin.
Luxe: c'est l'usage des choses coûteuses ou qui dépassent la moyenne
de ce qu'une personne simplement aisée peut s'accorder. Sa nature
change avec les pays, temps et personnes. Le luxe auquel ne suffit
pas le revenu est condamnable. Celui que le revenu peut couvrir est
condamnable aussi quand il se manifeste en dépenses qui ne flattent
que la vanité ou la sensuahté. Mais s'il se manifeste en dépenses
conformes au rang, et si l'on prélève sur le revenu la part de la
charité, il a son utilité sociale.
Dépenses de l'État : il lui faut des ressources pour faire face aux
besoins sociaux ; il les obtient ordinairement par les impôts et extraordi-
nairement par les emprunts. Les emprunts d'État constituent la dette
publique qui est : a) consolidée, quand elle est inscrite sur le Grand-Livre ;
— b) flottante, quand l'emprunt doit être remboursé à courte échéance.
U amortissement de la dette, c'est le remboursement du capital
emprunté ; — la conversion de la rente, c'est l'ofîre faite au créancier
de reprendre son capital ou d'accepter une réduction d'intérêt ; — le
budget, c'est le tableau comparatif des recettes et des dépenses de l'État
pendant une période déterminée.
BIBLIOGRAPHIE
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A. Wagner, Les fondements de V Économie politique (Trad. Polack).
G. Schmoller, Politique sociale et Economie politique. Principes
d'' Économie politique (Trad. G. Platon).
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et pratique d' Economie politique.
G. DE MoLiNARi, Questions économiques à V ordre du jour.
G. CoLSON, Cours d' Économie politique.
R. Stourm, Le budget.
G. DE Grée F, La Sociologie économique.
J. Novicow, Les gaspillages des sociétés modernes. Les luttes entre
sociétés humaines. La justice et Vexpansion de la vie.
J.-L. Lannessan (de), La concurrence sociale et les devoirs sociaux.
La lutte pour Vexistence et l'évolution des sociétés.
362 COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : ÉCÔNÔMÎË PÔLÎÏIQtJË (l^^)
D, Berardi, Sul carattere e sul metodo délia Econottlia poUtica.
L. CossA, Introduzione allô studio delV Economia politicd.
Alex, de Metz-Noblat, Les Lois économiques.
J. Rambaud, Histoire des doctrines économiques. Eléments d' Economie
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A. EspiNAS, Histoire des doctrines économiques.
Cl. Jannet, Les grandes époques de Vhistoire économique jusqu'à la
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P. Kropotkime, La conquête du pain.
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C. SupiNO, // metodo induttivo neW economia politica.
C. DE Fromo>t du Bouaille, Conciliation et Arbitrage.
V. Pareto, Traité de Sociologie générale.
M.-B, ScHWALM, Leçons de Philosophie sociale.
G. Legrand, Précis d'' Economie sociale.
E. Chénon, Le rôle social de V Église.
H. Pesch, Lehrbuch der Nationalôkonomie.
N.-G. Pierson, Traité d^ Économie politique.
A. Vermeersch, Manuel social. Quaestiones de Justifia, ad usum
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Ch. Antoine, Cours d'Économie sociale.
V. Fallon, Principes d'' Économie sociale.
Gh. Gide et Ch. Rist, Histoire des Doctrines ■> économiques depuis
les Physiocrates jusqu'à nos jours, 4^ Édition.
Z. C. DicKiNSON, Economie Motives. A Study in the psychological
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Ch. et Ch.-H. Turgeon, La valeur d'après les Économistes français
et anglais, depuis Adam Smith et les Physiocrates jusqu'à nos jours.
G. Valois, L'Économie nouvelle. — Cf. P. Daulny, Économie
véritable et Économie nouvelle, Aux Bureaux delà Foi Catholique, Tours.
R. Gonnard, Histoire des Doctrines économiç^ues : T. I. De Platon
à Quesnay. \\. De Quesnay à Stuart Mill. III. Ecoles socialistes. Écoles
réalistes. Déclin de l'École libérale. •
AuG. Valensin, Le Juste Prix, dans Chronique sociale de
FRjfeNGE, 1922, p. 785-796. — 1923, p. 6-12.
Ern. Seillière, Vers le Socialisme rationnel. Aperçu d'une Philoso-
phie de l'Histoire moderne, Paris, 1923.
CHAPITRE II
RAPPORTS DE LA MORALE
ET DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE (')
Ces rapports, généraux ou particuliers, sont l'objet de la Morale
économique, qu'on peut définir : La science de la richesse dans ses rapports
avec la moralité.
130. — RAPPORTS GÉNÉRAUX
La Morale considère l'homme dans sa destinée et les moyens de
l'accomplir ; l'Économie politique l'envisage dans ses besoins et les
moyens de les satisfaire. La Morale a donc pour objet le bien ; l'Économie
politique, Vutile, ce qui directement ou par l'échange satisfait les besoins
de l'homme. C'est la loi morale qui doit régler notre activité et la satis-
faction de nos désirs. Les lois établies par l'Économie politique sont à
la fois économiques et morales ; cette science montre en effet que les
idées de droit, de devoir, de justice, de modération dans les désirs, etc.,
nécessaires à la vie morale des individus et des sociétés, le sont en même
temps à leur prospérité matérielle. L'intérêt bien entendu s'accorde
avec le devoir (31).
131. — RAPPORTS PARTICULIERS
L — Production : 1° Propriété : a) la Morale en prouve la légitimité
en montrant son fondement dans les droits naturels de la personne ;
^- b) l'Économie établit que la propriété privée est plus productive.-
(M E. Charles, Eléments de philosophie, Ch. lu. — H. Dameth, Le jusle et l'utile.
— A. Rondelet, Le spiritualisme en économie politique. — Ch. Périn, La richesse dans
Les sociétés chrétiennes. — E. Blanc, Y a-t-il une Écoiiomie politique chrétienne ? — G. de
MOLiNARi, La Morale économique. — 'H. Baudrillart, Des rapports de la Morale et de
l'Économie politique. — J. Forbes, La Philosophie et la Science économique, dans les Études,
mars 1897. — A. Naville, Économique et Morale, Revue philos., janvier 1897. — J. Félix,
L'Économie sociale devant le Christianisme. — G. de Molinari, Les problèmes du XX" siècle,
Ch II, m. — M. MiNGHETTi, Des rapports de l'Économie politique avec la Morale et le Droit.
£64 MORALE ET ÉCONOMIE POLITIQUE (131)
2° Travail : a) la Morale le prescrit comme un devoir personnel et
social, comme un élément de moralisation. Elle revendique la liberté
du travail au nom du droit naturel (67, § III, C, 4°) ; — b) l'Économie
le préconise comme le principal agent de la production. « La terre vaut
ce que vaut l'homme. »
3° Capital : a) il a pour conditions la prévoyance, le sacrifice, le
travail ; aussi la Morale demande qu'on le respecte au nom de la justice ;
— b) l'Économie le défend au nom de l'utilité sociale, parce qu'il est
un instrument de production. L'une et l'autre réclament l'union et la
solidarité du patron et de l'ouvrier, du capitaliste et du salarié, comme
condition de paix et de prospérité sociales.
II. — Circulation et Répartition : la Morale et l'Économie
s'unissent pour demander que la richesse, produite par la coopération
du travail, de la nature et du capital, circule et soit distribuée confor-
mément à la justice.
L'échange suppose la bonne foi ; le crédit suppose la confiance
mutuelle, qui n'a parfois d'autre garantie que l'honnêteté de l'emprun-
teur. Or la bonne foi et l'honnêteté sont des vertus morales.
La Morale et l'Économie condamnent l'usure et l'agiotage, comme
contraires à la justice et- à la sécurité des opérations commerciales.
III. — Consommation : a) l'Économie proscrit les excès du luxe
qui, accroissant le superflu de quelques-uns, n'augmentent pas le bien-
être général, mais gaspillent le capital, qui serait mieux employé à
favoriser la production des choses nécessaires ou utiles et à rémunérer
le travailleur ; — b) la Morale les flétrit, parce qu'ils ont pour causes
la sensualité et l'orgueil, pour conséquences la dissipation et le dérè-
glement.
Conclusion. — « Avec la Morale, dit Leroy-Beaulieu, l'Économie
politique s'entend sur tous les points. Bien loin de contredire la Morale
ou de la considérer comme indifférente, l'Économie politique proclame
qu'une société, animée de sentiments d'une haute moralité, présenterait
des avantages économiques considérables : elle produirait plus et mieux,
avec une régularité plus soutenue ; elle se laisserait moins entraîner
aux mouvements d'une spéculation désordonnée ; elle apporterait, dans
la répartition des richesses et la fixation des droits de chacun, un précieux
sentiment de modération et d'équité ; elle mettrait dans ses consomma-
tions plus de discernement ; elle compterait moins de prodigues et plus
d'hommes économes ; elle développerait, en même temps que la loyauté
dans les relations d'intérêt, l'habitude de l'association (^). « Le Play
( ') p. LEnoY-BEAUHEU, Précis d' l'économie politiqnc, Introduction, p. 5-6, Paris,
{889^
(132) LA QUESTIOiN SOCIALE 365
arrive à la même conclusion : < L'étude méthodique des sociétés euro-
péennes m'a appris que les conditions essentielles de la prospérité y sont
partout en rapport exact avec l'énergie et la pureté des mœurs. »
132. — LA QUESTION SOCIALE
Au sens large, la question sociale s'entend de toute question qui se
rapporte aux éléments essentiels de la société, abstraction faite de
l'organisation politique : vg. l'autorité, la famille, l'éducation, les
finances, etc. Au sens restreint, oîi ce mot est pris actuellement, la
question sociale a pour objet les maux dont souiïre la société dans l'ordre
économique, et les moyens propres à y remédier. C'est un fait général
et qui prend de plus en plus des proportions inquiétantes : une guerre
ouverte se poursuit entre le capital et le travail, les patrons et les ouvriers,
les riches et les prolétaires. Cet antagonisme antisocial date de loin
et n'a fait que s'accentuer avec le temps. Il faut tout d'abord en démêler
les causes diverses.
§ I. — CAUSES DE LA CRISE SOCIALE
A) Causes économiques (^). — Voici les principales :
1° Antagonisme du capital et du travail. — L'introduction des ma-
chines, qui ont une importance de plus en plus considérable dans la
production et la division de la richesse, a donné au capital une influence
prépondérante. Les petites industries ont été ruinées ou absorbées par
les grandes. Cette oppression de la petite industrie et la concentration
croissante du capital en un petit nombre de mains ont eu pour consé-
quences d'accentuer le contraste des classes, d'aggraver la dépendance
des ouvriers, de multiplier les conflits entre employeurs et employés.
Les rapports personnels entre le patron et l'ouvrier ont changé de
caractère : autrefois, c'était, d'un côté, la conscience du devoir et de la
responsabilité ; de l'autre, le sentiment de la soumission et de la fidélité.
L'esprit de solidarité inspirait l'entreprise commune. Aujourd'hui, ce
qui domine, c'est la solidarité de la classe, faite de défiance et d'envie.
2^ Inconvénients du régime des machines et des usines. — « Le séjour
prolongé dans une atmosphère chargée de poussières et de l'odeur
(M Cf. Ch. Antoine, Cours d'Économie sociale, Ch. vu, Art. II, p. 185-191, Paris,
1921 •.
366 LA QUESTION SOCIALE : CAUSES DE LA CRISE (132)
nauséabonde de l'huile et de la graisse ; la chaleur intense en été comme
en hiver (par suite de l'éclairage au gaz) ; le bruit des machines ; la durée
du travail souvent exagérée, tout cela rend insupportable le séjour à
l'usine, favorise l'alcoolisme, l'immoralité et .la débauche (^). »
Comme le maniement des machines requiert, d'ordinaire, plus d'agi-
lité que de force musculaire, les femmes, les jeunes filles et les enfants
ont été, dans beaucoup de cas, substitués aux hommes. Cette substi-
tution s'est faite au bénéfice des entrepreneurs, car le travail féminin
est moins cher, mais aussi au grave détriment de la famille, car les
femmes mariées sont arrachées au foyer domestique, les jeunes filles
se trouvent exposées à de grands périls, et les enfants prématurément
émancipés se soustraient à l'autorité des parents.
3° Superproduction. - — Avant le développement extraordinaire des
usines, le fabricant travaillait pour une clientèle restreinte et, ordinai-
rement, sur commande. Aujourd'hui, travaillant pour le marché national
ou même mondial, il lui est impossible de prévoir exactement les besoins
d'une clientèle aussi étendue. Dans cette incertitude, il est porté à fabri-
quer plus qu'il ne pourra vendre. De là surproduction ; de là les crises
industrielles et commerciales qu'elle entraîne. « Il est rare que ces crises
réduisent un grand nombre d'employeurs à l'indigence ; le plus souvent,
elles ne produisent d'autre résultat que de les forcer à restreindre leur
genre de vie ou à faire appel au crédit {^). )> Pour les ouvriers les consé-
quences en sont généralement beaucoup plus graves : c'est le chômage
forcé, tout au moins l'abaissement des salaires ou la diminution des
heures de travail, c'est-à-dire la souffrance et parfois la misère. Pour
les patrons ce n'est pas le nécessaire qui leur fait défaut, mais le conve-
nable ou le superflu.
4° Insécurité de la classe ouvrière. — La situation de l'ouvrier est
précaire. Trop souvent le salaire est insuffisant à l'entretien d'une famille,
de sorte que l'ouvrier, même sobre et honnête, ne peut s'assurer par
l'épargne des ressources en cas d'invalidité ou pour le temps de la
vieillesse.
B) Causes d'ordre philosophique, moral, religieux :
l'' Les principes faux de la liberté illimitée pour l'individu et de
l'égalité absolue de tous, appliqués à l'ordre économique, ont été, là
comme ailleurs, malfaisants. Leur fausseté philosophique, au point de
vue théorique, a déjà été plusieurs fois signalée (67, § III, C) ; les faits
(antagonisme des classes, révolutions, grèves violentes, etc.) ont prouvé
leur malfaisance pratique. Le monde du travail a été livré à une concur-
C) Ch. Antoine, Cours..., Ibidem, p. 188-189.
(') Ch. Antoine, Cours..., Ibidem, p. 190.
(132) LA QUESTION SOCIALE : CAUSES DE LA CRISE 367
rence sans frein et à une lutte sans merci pour l'existence et le bien-être,
où les plus forts oppriment les plus faibles.
2» L'oubli des devoirs envers Dieu, l'absence de toute pratique
religieuse, l'obscurcissement des notions de justice et de charité, fournies
par la raison naturelle, ont amené la perte ou l'engourdissement du sens
moral en beaucoup d'esprits. Privés de ce lest nécessaire à la bonne tra-
versée de la vie, nombre d'employeurs et d'employés mettent leur fin
dernière en ce monde et recherchent en conséquence, avec une insa-
tiable avidité et une âpreté inexorable, par tous les moyens possibles,
;sans s'inquiéter des règles de la Morale, les biens et les jouissances ter-
restres. Rien de plus logique, rien de plus urgent, si, comme le soutient
le naturalisme, le paradis est sur la terre et si tout finit avec la vie pré-
sente. Aussi les employeurs sans scrupule exploitent leurs employés
et, traités comme des instruments de rapport, les employés pris de
haine et d'envie ne visent qu'aux moyens, même violents, de supprimer
la classe des riches. Cette conspiration de la masse ouvrière a été singu-
lièrement favorisée par l'agglomération des travailleurs dans les grandes
villes.
Tout est résumé dans ce tableau saisissant de la crise sociale, tracé
par Léon XIII : « Les progrès incessants de l'industrie, les routes nou-
velles que les arts se sont ouvertes, l'altération des rapports entre les
ouvriers et les patrons, l'affluence des richesses dans les mains d'un petit
nombre, à côté de l'indigence de la multitude, enfin, l'opinion plus grande
que les ouvriers ont conçue d'eux-mêmes et leur union plus compacte,
tout cela, sans parler de la corruption des mœurs, a eu pour résultat
final un redoutable conflit... Nous sommes persuadé, et tout le monde
•en convient, qu'il faut, par des mesures promptes et efficaces, venir en
.aide aux hommes des classes inférieures, attendu qu'ils sont pour la
pJupart dans une situation d'infortune et de misère imméritée. Le dernier
-siècle a détruit, sans leur rien substituer, les corporations anciennes qui
•étaient pour eux une protection ; tout principe et tout sentiment reli-
gieux ont disparu des lois et des institutions publiques, et ainsi, peu
à peu, les travailleurs, isolés et sans défense, se sont vus, avec le temps,
livrés à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d'une concurrence
•effrénée. Une usure dévorante est venue encore accroître le mal... A tout
cela il faut ajouter le monopole du travail et des effets de commerce
•devenus le partage d'un petit nombre de riches et d'opulents, qui impo-
sent ainsi un joug presque servile à l'infinie multitude des prolé-
taires (M. »
(') LÉON XIII, Encyclique Rerum iiovarum, 16 mai 1891. — Cf. Lettres Apostoliquei
<de Léon XI H, Edit. de la Bonne-Presse, T. III, p. 18-21.
368 LA QUESTION SOCIALE : SA NATURE fl32)
§ II. — NATURE DE LA QUESTION SOCIALE
De tout ce qui précède, il résulte clairement que la question sociale
est une question tout ensemble économique et morale. Son objet direct
et immédiat se rapporte à l'économie sociale, car le problème à résoudre
est celui-ci : Comment obtenir une meilleure répartition de la richesse
et établir une paix durable entre les capitalistes et les travailleurs ?
Mais elle est en même temps et, avant tout, une question morale et
religieuse. Les remèdes d'ordre économique, en effet, qu'on a appliqués
ou qu'on appliquera, ont été et resteront d'une efficacité très limitée,
tant que la florale et la Religion n'auront pas changé les âmes, car les
causes principales des maux dont souffre et se meurt la société, sont
intérieures, d'ordre psychologique.
Cette vérité est si manifeste qu'elle s'est imposée à des penseurs
appartenant à des milieux bien différents. Brunetière, après avoir cité
Auguste Comte, mentionne, à notre époque, un professeur allemand, de
l'Université de Strasbourg, Théodore Ziegler, un publiciste anglais.
Benjamin Kidd, un pasteur américain, George Herron {^). Il pense
comme eux : « Scientifique, politique, économique donc, si l'on veut,
mais secondairement, accessoirement, ou de surcroît, la « question
sociale » est principalement et d'abord une « question morale ». Voilà
ce que Comte a parfaitement vu. Voilà ce qu'il a voulu dire quand il a
dit que « nul ae possédait d'autre droit que celui de faire toujours son
devoir » {^). Brunetière ajoute : « Les questions sociales » étant des
« questions morales », et les « questions morales » des « questions reli-
gieuses », les « questions sociales » sont donc, en dernière analyse, des
« questions religieuses » (^).
§ III. — SOLUTIONS DIVERSES
Les Écoles : libérale, socialiste, catholique, ont proposé diverses solu-
tions de la question sociale. L'École socialiste, estimant que l'orga-
nisation de la société actuelle est foncièrement mauvaise et qu'il faut
la changer radicalement, a arboré le programme suivant : la propriété
collective et nationale des instruments de travail doit être substituée
à la propriété privée, et l'administration des forces économiques doit
être confiée à l'État représentant la nation. Nous avons déjà exposé
et critiqué ce programme (72) (*). Reste donc à ex-aminer les solutions
de l'École libérale et de l'École catholique.
( ■) ( •) (') F. Brunetière, Sur les Chemins de la Croyance. L'Utilisation du Positi-
visme, P. III, p. 244-245 : § I, p. 264 ; § III, p. 30'.-305, Paris, 1905'.
(*) Cf. Ch, Antoine, Cours..., Ibidem, Ch. ix, p. 220-258.
\
(132) LA QUESTION SOCIALE : SOLUTION DE l'ÉCOLE LIBÉRALE 369'
A) Solution de l'École libérale (^) ;
10 Thèses fondamentales. — A rencontre des Socialistes, FÉcole
libérale prétend que l'organisation actuelle est bonne, parce qu'elle
repose sur le principe de la libre concurrence, source féconde de pros-
périté et sur le respect des lois naturelles qui produisent nécessairement
l'harmonie sociale.
A en croire l'École libérale, les lois économiques, telles que la loi de
l'offre et de la demande ou de la libre concurrence, sont aussi naturelles
et nécessaires que les lois qui régissent le monde physique ou biologique,
et par elles-mêmes elles sont bienfaisantes. 11 faut donc bien se garder
d'y toucher. Écoutons quelques-uns des chefs : « L'ordre et l'harmonie
régnent dans le monde du travail en vertu des lois et des
tendances naturelles... ('^). » « Notre évangile se résume en ces
quatre mots : Laisser faire, laisser passer {^). » D'autres libéraux, moins
intransigeants, vg. Paul Leroy-Beaulieu, admettent une intervention dis-
crète de l'État en certains cas : vg. pour protéger le travail des femmes
et des enfants. Mais ils regardent toujours la liberté comme une sorte
de panacée : le même écrivain affirme en effet que « la liberté et
le temps suffisent pour résoudre toutes les difficultés sociales qui sont
humainement résolubles » (*).
Pendant trop longtemps le libéralisme économique a régné sans
conteste à l'Institut, au Collège de France, dans les Écoles officielles^
de Droit. Aujourd'hui, il est vivement combattu par une « École sage-
ment éclectique, qui se prononce pour une action plus étendue de l'État
dans l'ordre économique » (^). La lourde part de responsabilité qui lui
revient dans la crise sociale arrivée à l'état aigu, a détaché de lui les
économistes de l'École libérale qui repoussent son intransigeance.
2o Critique. — a) Le libéralisme économique a eu en effet le tort
d'accepter comme un dogme irréfragable cette supposition : la liberté
individuelle, abandonnée à elle-même, sans frein, est à elle seule capable
de conduire sûrement la société à sa fin naturelle. Un pareil principe n'est
acceptable dans aucun domaine, pas plus en Économie sociale qu'en
Politique ou en Morale. Car la liberté est une force, très précieuse sans
doute, mais qui a besoin d'être protégée contre ses propres écarts toujours
(M Cf. Ch. Antoine, Cours..., Ibidem, Ch. vin, 198-219.
( *) J. Garnier, Traité d'Économie politique, n° 347, p. 245, Paris, 1868 «.
(') G. DE MOLINARI, Les Lois naturelles et l'Économie politique. Part. I, Ch. v, p. 31,
Paris, s, d. (1887).
( *) P. Lehoy-Beaulieu, Essai sur la Répartition des Richesses..., Conclusion, p. 562,
au bas, Paris, 1888».
( *) « Cette École a pour chefs deux économistes de haute valeur, Cauwès et Gide :
elle a pour organe la Revue d'Économie politique... » (Ch. Antoine, Cours..., Ibidem, Ch. viir.
Art. I, p. 207).
370 LA QUESTION SOCIALE : SOLUTION DE l'ÉCOLE CATHOLIQUE (132)
possibles : conséquemment elle doit être dirigée et contenue par la
loi divine d'abord et ensuite par les lois humaines.
b) Il y a sans doute un ordre économique, qui résulte de la nature
et de l'homme et du monde extérieur. Mais l'erreur de l'École libérale
consiste à professer que, les lois économiques se suffisant à elles-mêmes,
le concours de la religion, de la morale et de la législation ne leur est pas
nécessaire. C'est là une exclusive injustifiée et nuisible, car l'influence
combinée de ces trois forces sociales unies aux forces économiques n'est
pas de trop pour assurer l'harmonie dans nos sociétés si complexes et
si divisées. Les progrès matériels et scientifiques doivent être subor-
donnés au progrès moral de l'homme, et l'homme tout entier doit se
subordonner à sa fin dernière (i). Tel est l'ordre" essentiel des choses
voulu par Dieu, que l'École libérale a méconnu. Rien ne saurait prescrire
■contre lui. Les convulsions sociales, qui bouleversent le monde contem-
porain, attestent, avec une sinistre évidence, qu'on ne peut s'y sous-
traire impunément.
B) Solution de l'École Catholique (2) :
L — Tendances communes : l'École catholique soutient, à rencontre
du Libéralisme et du Socialisme, que le moyen de résoudre la question
sociale c'est de recourir à la liberté individuelle et à l'association profes-
■sionnelle, mais aidées par l'État et éclairées par les enseignements de
l'Église. L'Encyclique de Léon XIII Rerum novarum (16 mai 1891)
sur la Condition des ouvriers a été accueillie comme la charte du Droit
social chrétien.
L'École catholique estime que les principaux remèdes aux maux de
la Société doivent être demandés à la Morale et à la Religion. Elle est
unanime à combattre les erreurs du Socialisme et le sophisme du Libé-
ralisme préconisant la non-intervention absolue de l'État ; unanime
aussi à approuver et à promouvoir certaines mesures sociales, vg. la
nécessité des associations ouvrières, le patronage, l'épargne, la mutua-
Jité, l'obligation du repos dominical, etc.
II. — Les deux Groupes : parmi les catholiques sociaux se sont peu
à peu dessinées deux tendances distinctes qui ont donné naissance à
deux groupes :
10 Origine et Composition : le premier se rattache à l'École d'An-
gers, le second, à l'École de Liège, parce que c'est aux Congrès d'Angers
(M « Le souci des progrès de la science est grand chez nous ; mais la question morale
nous a paru planer au-dessus de tout. » (Emile Picard, Secrétaire de l'Académie des
Sciences, Allocution prononcée au banquet donné à Londres, le 11 octobre 1918, à l'occasion
de la Conférence interalliée des Académies, par le Gouvernement anglais et présidé par
Jjord Balfour.)
( ») Cf. Cii. Antoine, Cours..., Ibidem, Ch. x, p. 2.^9-294.
(132) LA QUESTION SOCIALE : SOLUTION DE l'ÉCOLE CATHOLIQUE 371
et de Liège qu'ont été formulés les principes dont s'inspirent les deux
groupes. L'un et l'autre regardent la liberté et l'autorité comme les
deux facteurs essentiels de l'ordre économique et social. Mais, pour
l'École d'Angers, la liberté est le facteur qui doit prédominer ; pour
l'École de Liège, c'est l'autorité.
L'École d'Angers a pour principaux représentants : Mgr Freppel,
Claudio Jannet, Charles Périn, le comte d'Haussonville, Emile Keller,
Gustave Théry, Augustin Béchaux, Paul Hubert-Valleroux, Alexis
Delaire, Joseph Rambaud, etc. (^).
L'École de Liège compte parmi ses partisans : en France, le cardinal
de Cabrières, Albert de Mun et les membres des Cercles catholiques,
Léon Harmel, le marquis de La Tour du Pin, l'abbé Winterer, le P. de
Pascal, les écrivains de V Action populaire (^), les Secrétariats sociaux,
les Semaines sociales ; en Angleterre, le cardinal Manning, l'économiste
Cil. -S. Devas, Lilly ; en Italie, Mgr Nicotra, l'économiste G. Toniolo,
le P. Liberatore, le P. Steccanella et la Civilià cattolica ; en Allemagne,
Mgr de Ketteler, G. Fr. de Hartling, les Pères Lehmkuhl, H. Pesch,
Cathrein, Meyer et les écrivains des Stiminen aus Maria-Laach
devenus les Stimmen der Zeit ; en Belgique, Mgr Doutreloux, l'abbé
Pottier, le Père Rutten, le P. Vermeersch, Arthur Verhaegen ; en Suisse,
G. Decurtins, le Père Weiss ; en Espagne, Mgr Sancha y Nervas, le
Père Vicent, R. de Cepeda, Orti y Lara ; en Irlande, le Lyceum ; en
Autriche, les Pères Costa- Rossetti, Kolb, Biederlack, le parti des
Chrétiens-sociaux, dont le prince Aloïs de Liechtenstein et Lueger
furent les membres les plus en vue. Son organe, en France, a été V Asso-
ciation caiJwlique, jusqu'en 1908 et, à partir «de 1909, Le Mouvement
social dirigé par les écrivains de V Action populaire, qui a cessé de paraître
en 1914.
2o DiFFÉKENGEs : pour connaître les différences qui séparent les
deux groupes, examinons ce qu'ils pensent du Rôle de V État et de la
Réforme sociale.
A. — Rôle de V État : a) Pour l'École d'Angers, l'État doit se borner
à protéger les droits et à réprimer les abus : « Que l'État intervienne dans
le monde du travail pour la protection des droits de chacun, pour la
répression des abus manifestement contraires à la loi divine et morale.
(M II faut signaler encore, comme se rattachant plus ou moins à l'Ecole d'Angers:
les ["nions de la Paix sociale, qui eurent Le Play pour fondateur et ont pour organe la
Réforme sociale, et V Association des Patrons du Nord. Cf. Cn. Antoine, Cours..., Ch. x.
Art. 2, p. 2G6-268.
( -) L'Action populaire (Rédaction ; 17, rue de Paris, Vanves (Seine) édite des ouvrages,
des tracts, notamment des Dossiers très précieux pour l'étude du mouvement social. Elle
publie aussi plusieurs Revues bien documentées : vg. Peuple de France, Les Archives du
Manuel social, La Pratique sociale, (.\dministralion ; " Éditions Spes », 17, rue Soufllot,
Paris, V«).
372 LA QUESTION SOCIALE : SOLUTION DE l'ÉCOLE CATHOLIQUE (132)
rien de mieux. Que l'État donne l'exemple de la réglementation du
travail dans les industries qui relèvent de lui, fort bien ; c'est son rôle,
sa fonction. Mais, pour le reste, dévouement et liberté, cela nous
suffit... » (^). L'École d'Angers trouve qu'on a abusé du travail des
femmes et des enfants et veut qu'il soit limité par l'État.
b) Pour l'École de Liège, protéger les droits et réprimer les abus
n'épuise pas les obligations de l'État. Il doit en outre promouvoir la
prospérité publique, non pas en accaparant toutes les entreprises comme
le demande le Socialisme, mais en mettant les citoyens dans des condi-
tions qui favorisent leur développement matériel, intellectuel et moral
(93, § II).
B, — La Réforme sociale : a) Pour la réaliser, l'Ecole d'Angers, ayant
limité, comme on l'a vu, l'intervention de l'État, n'a d'autre ressource
que de recourir à la liberté individuelle et à la liberté d'association.
Elle admet, conséquemment, la thèse de la libre concurrence.
h) Convaincue que l'ordre économique actuel, fondé sur l'indivi-
dualisme et sur la concurrence illimitée, est vicieux (2), l'École de
Liège, d'accord en cela avec l'École d'Angers, préconise l'Association
professionnelle ; mais elle pousse plus loin l'intervention de l'État,
estimant qu'il faut absolument l'aide de la législation, si l'on veut
accomplir une réforme qui soit sérieuse et durable (^).
Le comte A. de Mun a nettement exposé le programme de ce groupe,
dont il a été le chef éminent : « A mes yeux, l'ensemble de nos revendi-
cations doit tendre à assurer au peuple la jouissance de ses droits essen-
tiels, méconnus par le régime individualiste : la représentation légale
de ses intérêts et de ses besoins, au lieu d'une représentation purement
numérique ; la préservation du foyer et de la vie de famille ; la possi-
bilité pour chacun de vivre et de faire vivre les siens du produit de son
travail, avec une garantie contre l'insécurité résultant des accidents,
de la maladie, du chômage et de la vieillesse ; l'assurance contre la
misère inévitable ; la faculté pour l'ouvrier de participer aux bénéfices
et même, par la coopération, à la propriété des entreprises auxquelles
il concourt par son travail ; enfin la protection contre les agiotages et
les spéculations qui épuisent les épargnes du peuple et le condamnent
(M Mgr Freppel, Allocution prononcée à la vingtième Assemblée des Catholiques,' h-
29 avril 1891, Œuvres pastorales et oratoires, T. IX, p. 102-103, Paris, 1899=.
( ') « Je n'ai à apprendre à personne que je suis d'accord avec les socialistes, avec celui
qui tout à l'heure était à la tribune [M. Lafargue] sur la critique de l'ordre économique,
autant que sur un très grand nombre de réformes sociales qui sont journellement récla-
mées par les travailleurs. » (A. de Mun, Discours à la Chambre, Séance du 9 décembre
1891).
{') Cf. G. Sortais, Les Fonctions de l'Etal moderne, § III, dans Etudes philosophiques
et sociales, p. 71-76.
(132) LA QUESTION SOCIALE : SOLUTION DE l'ÉCOLE CATHOLIQUE 373
à l'indigence, pendant que, suivant les paroles de l'Encyclique, « une
fraction, maîtresse absolue de l'industrie et du commerce, détourne le
cours des richesses et en fait affluer vers elle toutes les sources ». Deux
forces doivent concourir à la réalisation de ce programme : l'organi-
^ sation professionnelle et la législation.
« L'organisation professionnelle, pour laquelle nous demandons la
liberté la plus large, donnera le moyen d'assurer la représentation
publique du travail dans les corps élus de la nation, de déterminer dans
chaque profession industrielle ou agricole le taux du juste salaire, de
garantir des indemnités aux victimes d'accidents, de maladies ou de
chômages, de créer une caisse de retraite pour la vieillesse, de prévenir
les conflits par l'établissement des Conseils permanents d'arbitrage,
d'organiser corporativement l'assistance contre la misère, enfin de
constituer entre les mains des travailleurs une certaine propriété collec-
tive à côté de la propriété individuelle, et sans lui porter atteinte.
« La législation protégera le foyer et la vie de famille par la restriction
'du travail des enfants et des femmes, l'interdiction du travail de nuit,
la limitation de la journée de travail, l'obligation du repos dominical ;
dans les campagnes, en rendant insaisissables la maison et le champ du
■cultivateur, les instruments et le bétail de première nécessité. Elle
facilitera la vie de l'ouvrier et du paysan par la diminution et la réforme
des charges fiscales, particulièrement des impôts qui frappent la subsis-
tance. Elle favorisera la participation aux bénéfices, la constitution
des sociétés coopératives de production ; dans les campagnes, l'asso-
ciation du métayage. Enlin, elle protégera la fortune nationale, l'épargne
populaire et la morale publique par des lois sur l'agiotage, sur le jeu
et les opérations de bourse, sur le fonctionnement des sociétés, sur
l'exclusion des étrangers de l'exploitation et de la direction des grands
services publics, sur l'interdiction, pour les fonctionnaires, les repré-
sentants de la nation et les agents du pouvoir, de participer aux spécu-
lations financières.
« Tels sont les principaux articles du programme social que je
■conseille aux catholiques d'adopter. Ils ne sont autre chose que l'ap-
plication des principes posés dans l'Encyclique sur la condition des
■ouvriers ( ^). »
Ce programme a reçu l'approbation expresse de Léon XIII, qui
écrivait au comte de Mun : « Et maintenant, cher fils, vous comprendrez
sans peine que, connaissant votre piété filiale et le zèle intelligent avec
lequel vous vous employez à seconder nos desseins, à rendre nos ensei-
gnements populaires et à les faire pénétrer dans la pratique de la vie
( ') Albert de Mun, Discours à la Ligue des Catholiques de Sainl-É tienne, le 18 décembre
1892, Discours et Écrits divers. Tome V, p. 270-271, Paris, 1895.
374 COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : ÉCONOMIE POLITIQUE (132)
sociale, la lecture de vos discours nous ait été souverainement agréable.
Tandis que nous vous donnons ces éloges justement mérités, nous vous
exhortons à poursuivre votre généreuse entreprise (^). »
BIBLIOGRAPHIE
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denrées et de tous les prix en général, de Fan 1200 jusqu'en Fan 1800.
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Cii. Antoine, Cours d' Économie sociale, Introduction, § IV.
Semaines sociales de France : XIV^ Session, Strasbourg, 1922. Le
Rôle économique de VEtat.
( >) LiioN XIII, Bref du 7 janvier 1893, Ibidem, p. 282. — On remarquera que le Brtf
n'est postérieur que de quelques jours au Discours du Comte de Mun à Saint-Étienne.
CHAPITRE III
L'ALGOÔLIiMjT (')
133. ÈÏ^ETS ET RÈÎfÈDES
L'alcoolisme est un état pat^lW^iogique du cufps et de l'e^^"'"*^' ,*jl"J ^
pour cause l'abus des boissons i>})iritueuses. Il constitue un j^"*^*"» /16S
plus graves pour les sociétés modernes, Ce fléau redoutable sévit su.'^^^*^
dans les rangs de la classe ouvrière. Il importe donc d'en décrire . ^^
effets désastreux et d'en signaler les remèdes.
§ A. — EFFETS DE U ALCOOLISME
I. — Santé : l'alcool est un poison. Son usage habituel trouble
profondément et incurablement toutes les fonctions de l'organisme.
« L'alcoolisme n'est qu'une vieillesse anticipée. » « Le buveur a perdu
toute résistance » (2).
II. — Intelligence et volonté : l'alcoolisme, en minant les forces
vdu corps, atteint par contre-coup les facultés de l'âme. Il conduit souvent
;à la folie, au suicide et au crime {^). Les statistiques confirment ces
observations du D^ Brouardel : « Depuis 1830, le nombre des aliénés
■criminels, des fous comme des suicidés, est en croissance parallèle avec
la consommation de l'alcool. » 11 éteint les sentiments les plus puissants
•de la nature : c'est souvent à lui qu'on doit de voir les parents devenir
les bourreaux de leurs enfants.
III. — Descendance : ses effets désastreux se transmettent par
( ') M. Vanlaer, L'dlcootisme et ses remèdes. — Mor Turinaz, Trois fléaux de la' Classe
ouvrière. — II. Triboulet et Mathieu, L'alcool et l'alcoolisme. — R. Rome, L'ulcooiisme
et la lutte contre l'alcool. — J.. Bertillon, L'alcoolisme et les moyens de le combattre jugés
par l'expérience.
( *) D'' Lannelongue, cité par M. Vanlaer, L'alcoolisme et ses remèdes, p. 28-29,- Pari»,
1897.
(») « Le greffier d'une des plus importantes prisons de la capitale, Sainte-Pêlà^ie,
a eu l'idée de rechercher com-bien de ses 2.950 prisonniers étaient signalés par les rensei-
gnements de police comme « s'adonnant ;l l'ivrognerie ». Il en a trouvé 2.124, ou pfésdes-
trois quarts . » (M. Vanlaer, opère cilato, p. 32.)
• !76 l'alcoolisme : effets et remèdes (133)
hérédité : « Un peuple, dit le D^ Legrain, un peuple qui s'alcoolise et
qui, par suite, fait souche de dégénérés, d'idiots, d'épileptiques, d'aliénés,
est un peuple qui s'étiole. Un peuple alcoolisé, en somme, est un peuple
en voie de disparaître (^). «
IV. — Richesse : l'alcoolisme, étant l'origine d'une foule de maladies,
diminue la capacité productive de l'alcoolique qui' devient impropre
à toute espèce de travail. Il est manifeste qu'un pareil fléau doit avoir
une influence désastreuse sur la richesse d'un pays, quand il y sévit
d'une façon intense. Le D^ Rochard évalue à plus d'un milliard et demi, le
budget annuel de l'alcoolisme en France. En voici le compte approximatif:
128.298.384 fr. : prix de l'alcool consommé.
1.340.147.500 fr. : journées de salaire perdues (à 2 francs la journée).
70.842.000 fr. : frais de chômage et de traitement médical.
8.894.500 fr. : frais de répression des crimes et délits.
4.922.000 fr. : pertes résultant des suicides ou morts accidentelles
causées par l'abus de l'alcool. Voilà ce que l'alcoolisme coûte à la France,
sans compter les pertes d'intelligence et d'énergie qu'on ne peut évaluer
en chiffres.
§ B. — REMÈDES A U ALCOOLISME
I. — Légaux : prohibition des liqueurs alcooliques ; répression de
l'ivrognerie ; diminution du nombre des cabarets.
II. — - Fiscaux : dégrèvement des boissons hygiéniques ; accrois-
sement des droits sur l'alcool.
III. — Moraux : ce sont les seuls vraiment efficaces :
a) Religion : elle enseigne à respecter la loi de Dieu, à se respecter
soi-même et elle donne la force nécessaire pour accomplir le devoir.
b) Éducation : elle doit faire contracter de bonne heure à l'enfant
des habitudes de tempérance.
c) Instruction : les maîtres doivent signaler les effets désastreux
de l'alcoolisme et en inspirer une salutaire horreur.
d) Sociétés de tempérance, qui ont déjà obtenu d'heureux résultats.
« Il y a, dans la question de la tempérance, un élément supérieur.
Il ne suffit pas de proscrire les poisons tels que l'absinthe, de combattra
les liqueurs perfides telles que l'eau-de-yie... Il faut encore, il faut surtout
réveiller chez l'homme le sentiment de la responsabilité morale, le respect
de lui-même, l'amour de la famille, l'idée de la patrie et la crainte de
Dieu (2). »
( *) Cf. D' Leobain, Dégénérescence sociale et Alcoolisme. — L'alcoolisme, ses causes,
ses effets. — Un fléau social : l'Alcoolisme.
( ') J.-B. Dumas, Discours prononcé à une séance solennelle de la Société française
de tempérance.
]]]
ESTHÉTIQUE
(1)
L'Esthétique est la science du beau. Ce nom (ataOâvoixat, sentir)
lui a été donné par Baumgarten (1714-1762), parce que le beau produit
un eiïet délicieux sur la sensibilité. Mais ce nom a le tort de n'impliquer
qu'un des éléments de la science du beau. Kant a, au contraire, réservé
le mot Esthétique à cette partie de la Critique de la raison pure qui traite
de la sensibilité, tandis qu'il renvoie la question du beau à la Critique du
jugement. Mais le terme introduit par Baumgarten a prévalu.
La science du beau comprend deux parties. La première étudie le
Beau dans ses effets et dans sa nature ; la seconde traite de V Art, c'est-
à dire de la réalisation du beau sous une forme sensible.
( M Ouvrages généraux sur le Beau et sur l'Art. — J.-.J Baumgarten, JEslhelica.
— Al. -G. Winckelmann, Histoire de l'art chez les anciens. Traité sur le sentiment du beau
dans les ouvrages de l'art. — Kant, Critique du Jugement. — Delbruck, Le Beau. —
Herder, Mêtacritique ou Critique de la Critique. — Schiller, Lettres sur l'Éducation
esthétique. — Fr. et W. de Schlegel, Athenœum. — W. de Schlegel, Leçons sur l'histoire
et la théorie des Beaux-Arts. — .Tean-Paul-Fr. Richter, Poétique ou Introduction à l'Esthé-
tique. — ScHELLiNG, Philosophie de l'Art. — Guerres, Aphorismes sur l'art. — Hegel,
Esthétique. — Th,. Vischer, Esthétique ou Science du beau en trois parties. — H. Lotze,
Sur l'Idée de la Beauté. Sur les conditions de la beauté artistique. Histoire de l'Esthétique
en Allemagne. — Schopenhauer, Le Monde comme volonté et représentation, L. III, § 3f) sqq.
Métaphysique et Esthétique. — ■ J. Jungmann, L'Esthétique. — J. Didiot, S. Thomas
d'Aquin, Ch. xvi. — Batteux, Les Beaux-Arts réduits à un même principe. — Cousin, Dri
vrai, du beau et du bien. — Jouffroy, Esthétique. — A. Ricardou, L'Idéal. — Ch. Blanc,
Grammaire des Arts du dessin. — A.-E. Chaignet, Les Principes de la Science du Beau.
— V. Cherbulliez, L'Art et la Nature. — M. Griveau, Les Éléments du Beau. — Em. IIen-
NEQUiN, La Critique scientifique. — La Mennais, De l'Art et du Beau. — V. Giorerti,
Essai sur le Beau. Trad. de l'italien par J. Bertinatti. — G. Séailles, Le Génie dans
l'Art. — Ch. LévêQue, La Science du Beau. Le Spiritualisme dans l'art. — G. Longh.aye,
Théorie des Belles- Lettres. — P. Vallet, L'Idée du Beau dans la Philosophie de S. Thomas.
— Sully-Prud homme, L'Expression dans les Beaux- Arts. — Ch. Clair, Le Beau et les
Beaux-Arts. — M.-J. Guyau, Les Problèmes de l'Esthétique contemporaine. L'Art au point
de vue sociologique. — P. Gaborit, Le Beau dans la Nature et dans les Arts. — Ch. Lacou-
ture, Esthétique fondamentale. — Tolstoï, Idées sur l'Art. — H. de Stein, Origine de
l'Esthétique moderne. — M. de l.a Sizeranne, La Religion de la Beauté. — Taparelli
d'AzegliOj Del Bello. — Ph. Gauckler, Le Beau et son Histoire. — Janmot, Opinion d'un
artiste sur l'Art. — E. Véron, L'Esthétique. — El. Rabier, Psychologie, Ch. xlv, xlvi.
CHAPITRE I
LE BEAU
On peut définir le beau, soit par les effets qu'il produit sur nous :
c'est la méthode subjectii'e, soit par ses éléments constitutifs dans les
choses mêmes où il réside : c'est la méthode objective.
1. — EFFETS DU BEAU
§ I. — ÉMOTION ET JUGEMENT
Le beau produit en nous une émotion et un jugement. De ces deux
phénomènes lequel est la cause de l'autre ?
A) Les uns prétendent que c'est le jugement qui provoque le sen-
timent. L'esprit juge de la beauté des choses d'après l'idéal qu'il porte
en lui-même, et le sentiment éprouvé est la conséquence de ce jugement.
Ils donnent pour raisons qu'on ne peut aimer et admirer ce qu'on ne
connaît pas et que le jugement porté sur la beauté des objets est indé-
pendant de l'émotion. L'objet beau est celui que nous jugeons conforme
à notre idéal.
B) Les autres soutiennent que c'est le sentiment qui détermine le
jugement. Si le jugement précédait le sentiment, il serait fondé sur la
connaissance expresse des éléments objectifs qui constituent la beauté.
Dès lors on pourrait toujours rendre compte de son jugement. Or la
plupart sont incapables d'expliquer pourquoi tel objet leur semble
beau.
— MÉRiT, Lettres sur le Beau. — J. Félix, Conférences de Noire-Dame, 18&1. — Tœpffer,
Réflexions et menus propos d'un peintre genevois. — A. F. Rio. L'Art chrétien. — E. Cartieb,
Études sur l'Art chrétien. — C. Bayeï, Précis d'Histoire de l'Art. — Mgr Landriot, Lr
Symbolisme. — Montalembert (de), Mélanges d'Art et de Littérature. — Th. de Bamvillk.
Traité de Versification française. — V. Delaporte, La Versification. — E. Brucke cl
Helmholtz, Principes scientifiques des Beaux-Arts. — M de Wulf, Sur l'Esthétique (/•
Saint Thomas d'Aquin. — M. Pilo, La Psychologie du Beau et de l'Art. — J.-M. Okhand,
Du Beau. — E. IIello, L'Homme. — J. Souben, L'Esthétique du Dogme. Les Manifesta-
tions du Beau dans la nature. — Ch. IjALO, L'Esthétique expérimentale contemporaine.
(1) MATURE DU PLAISIR DU BEAU 379
Cette seconde opinion paraît vraie. Les objets beaux produisent
une émotion d'un agrément siii generis, qui provoque un jugement
esthétique. Juger qu'un objet est beau c'est attribuer à cet objet la
capacité de produire en nous l'émotion esthétique, de même que juger
qu'un objet est lumineux, c'est lui attribuer la capacité de produire
en nous la sensation de lumière. Mais ce jugement esthétique est pour
ainsi dire instinctif ; il est dû à cette faculté qu'on pourrait appeler le
sens du beau, analogue au sens moral (Morale, 10, § I). C'est une connais-
sance spontanée^ qui tient le milieu entre la sensibilité et la raison.
Ce n'est que plus tard, après avoir comparé entre eux plusieurs objets
trouvés beaux, qu'on se forme peu à peu une idée de la beauté, un idéal.
Dans la suite, pour juger de la beauté d'une chose, on la rapprochera
de ce modèle idéal : alors on porte un jugement réfléchi.
§ II. _ NATURE DU PLAISIR DU BEAU (M
Le plaisir, d'après Aristote, est lié à l'exercice de l'activité (Ps. 20).
Chaque espèce de plaisir est l'effet d'une espèce d'acte particulier.
Quel est donc l'acte qui produit le plaisir du beau ? C'est la perception.
C'est ce qui fait dire à saint Thomas : Pulchrum autem respicit vim cogno-
scitivam ; piilchra enim dicuntur quœ visa placent. Tout plaisir résulte
de l'exercice normal de nos facultés, c'est-à-dire de leur exercice puissant
et ordonné. Tout plaisir suppose donc une certaine convenance entre
nos facultés et leur objet. Saint Thomas l'avait déjà remarqué, car il
ajoute : Unde pulchrum in débita proportione consistit^ quia sensus
delectatur in rébus débite proportionatis, sicut in sibi similibus (^). L'objet
doit donc favoriser l'exercice normal des facultés, produire en elles
un maximum d'' activité avec un minimum de fatigue.
Mais quelle différence sépare le plaisir esthétique des autres ? Pour
résoudre cette question El. Rabier (*), à la suite de Kant, de Schiller
et des esthéticiens anglais contemporains, distingue deux modes d'action
de nos facultés :
1° L'activité désintéressée ; c'est l'activité sérieuse, le travail, qui
poursuit un bien, un objet comme fin ; le plaisir résulte de la possession
de l'objet ;
2° L'activité esthétique; elle est intéressée dHntention, désintéressée
de fait : c'est l'activité de jeu. Elle ne se propose pas. d'atteindre une
(M Ch. Mouhre, Le Senlimenl esthétique, dans Annales de Philosophie chrétienne,
mai 1898, p. 214-220.
(=) Saint Thomas, Summa théologien, 1» P., Q. V, Art. IV, ad l""».
(^) Radier, Psychologie, Ch. xxxvi, Sect. III.
380 CARACTÈRES DU SENTIMENT ESTHÉTIQUE (1)
fm utile ou nécessaire ; elle se prend elle-même pour fin et a pour but
de jouir d'elle-même, de se sentir elle-même. Le point de départ est
donc intéressé ; mais cette activité n'atteint son but, la jouissance,
qu'autant qu'elle devient désintéressée en fait : pour s'amuser au jeu,
au théâtre, etc., il faut s'oublier soi-même, perdre de vue la recherche
du plaisir. L'activité esthétique doit imiter l'activité sérieuse, s'attacher
au jeu, au drame, etc. comme à un bien véritable. Le plaisir esthétique
résulte donc du sentiment de l'activité qui se déploie d'une manière
puissante et ordonnée. L'activité sérieuse, poursuivant la satisfaction
d'un besoin réel, ne peut être satisfaite que par la possession d'un objet
réel, existant. L'activité de jeu, voulant jouir d'elle-même, il lui importe
peu que l'objet soit réel ou imaginaire, pourvu qu'il l'excite norma-
lement. Si l'objet est réel, ce qui intéresse l'activité esthétique, ce n'est pas
sa réalité, mais son apparence, sa manière d'être, sa forme. « Le beau, dit
Kant, plaît par sa forme et non par sa matière. » Saint Thomas l'avait noté
avant lui : Pulchriim proprie pertinet ad rationem caiisae formalis (^).
Le plaisir du beau résulte donc du jeu désintéressé de nos facultés
cognitives (imagination, association, intelligence) : Piilchrum autem
respicit vint cognoscitivam {^). C'est là ce qui explique pourquoi la vue
et l'ouïe sont les sens esthétiques par excellence ; en eux l'élément repré-
sentatif l'emporte sur l'élément affectif {^). L'exercice des autres sens,
goût, odorat, tact, est beaucoup plus lié aux fonctions qui servent à la
vie corporelle (Ps. 28, § B) (4).
§ lU. — CARACTÈRES DU SENTIMENT ESTHÉTIQUE
Il est : A) Désintéressé : le beau n'excite pas le désir de la posses-
sion, mais V admiration ; il est lié à la seule contemplation de l'objet,
sans rapport avec notre utilité matérielle ou morale. C'est pour exprimer
ce caractère désintéressé que Kant a dit que : Le beau est une finalité
sans fin (^). Cela signifie que dans l'objet beau il y a une finalité intrin-
sèque, une idée d'ensemble qui en subordonne les parties, et que cet
objet, en tant que beau, n'a pas une fin extérieure à lui-même, n'est
pas utile : vg. telle une cariatide soutenant une corniche. Au point de
vue de la solidité, une poutre ferait aussi bien l'affaire.
(M ( -) S. Thomas, Ibidem, Loco citato.^
(') S. Thomas, Summa theologica, 1» 2»», Q. XXVII. Art. I, ad 3"'" : Undeet illi sensus
praecipue respiciunt pulchrum qui maxime cognoscitivi sunt, scilicet visus et auditus rationi
deservientes.
(*) M. J. GuYAu a essayé de réfuter cette théorie de l'activité de jeu. Cf. Problèmes
d'esthétique contemporaine, L. I, Ch. i.
( •) Kant, Critique du Jugement, § XVII, à la fin.
(2) LA NATURE DU BEAU 381
B) Universel : il n'est pas exclusif comme d'autres sentiments.
Quand nous l'éprouvons, nous désirons qu'il soit partagé par tous : de
là son caractère sociable, sympathique.
C) Nécessaire : nous jugeons que le sentiment esthétique doit
être partagé par tous, qu'il s'impose à l'admiration. Tels sont les carac-
tères ou lois du beau, qu'on peut résumer, d'après Kant, en disant :
Le beau est l'objet d'une satisfaction désintéressée, universelle et néces-
saire (^). Kant a déduit de ces caractères la définition suivante : « Le
beau c'est ce qui satisfait le libre jeu de l'imagination, sans être en
désaccord avec les lois de l'entendement. »
2. — LA NATURE DU BEAU
Il faut une cause objective au sentiment esthétique. Reste donc à
déterminer les éléments cojistitutifs du beau considéré dans les choses,
c'est-à-dire expliquer ses conditions objectives, sa nature. Parcourons les
principales définitions mises en avant :
L — L'unité dans la variété : Père André (2), Cousin (').
Critique : ce sont là deux éléments de la beauté ; mais ils ne suffisent
pas. Cette définition est trop vague et trop large ; elle ne convient pas
au sent défini .• il y a des machines qui ont une grande unité de but,
une grande variété de rouages, et qui pourtant ne sont pas belles (*).
IL — L'expression de l'idée parla matière: pour Jouffroy (S),
le beau c'' est. V invisible manifesté par le visible; — la « înanifestation
sensible de Vidée » (Hegel) (®).
Critique : 1° Cette définition ne s'applique qu'au beau expressif.
Or toute beauté n'est pas dans l'expression ; il y a de la beauté dans
les choses spirituelles et non pas seulement dans la manifestation des
choses spirituelles par les choses sensibles. — Les choses physiques peuvent
aussi avoir leur beauté propre, indépendamment de toute signification.
2o Dans certains cas, l'expression n'est pas belle : vg. l'expression
de l'envie, de la stupidité, de la cruauté.
3° L'expression est la condition de la connaissance du beau, plutôt
qu'un de ses éléments.
(M Kant, Critique du Jugement, § V, IX, XXII, à la fin.
(») André, Essai sur le beau. Premier Discours, Œuvres philosophiques, Édit. Cousin,
p. 7-12.
(') Cousin, Du vrai, du beau et du bien, VII*' Leçon.
( *) Cf. Jouffroy, Esthétique, Xlll" Leçon.
(') Jouffroy, Es/W/ique, XXXVIII" Leçon.
C) ...Bas sinnliche Scheinen der Idée (Hegel, Vorlesungen Uber die Aesthetik, Part. I,
C. I, § 3).
382 LA NATURE DU BEAU (2)
III. — La splendeur du vrai : cette définition a été attribuée
à Platon et à Plotin ; mais elle ne se trouve pas dans leurs œuvres.
Critique : 1° Elle est en désaccord avec l'idée maîtresse de la philo-
sophie platonicienne : l'idée du bien.
2o Elle n'est pas universelle : elle ne convient qu'au beau rationnel i
vg. à une série de déductions fortement enchaînées.
IV. — La grandeur et l'ordre. Tô -;àç xaXov Iv txsysOei xal -àlzi h-i.
(Aristote) (^). 11 faut analyser ces deux éléments :
A) Grandeur : on peut l'appeler puissance, plénitude, ampleur, selon
la diversité des objets où elle brille. Elle exige :
1° Intégrité : pour qu'un être soit beau, il faut qu'il ait tous ses
membres, tous ses éléments : vg. celui qui a un œil, une jambe, un bras
de moins n'est pas beau.
2° Plein développement : il faut que tous les éléments d'un être
se rapprochent de la perfection idéale du genre (physique, intellectuel
ou moral), auquel cet être appartient. C'est un fait que : a) les choses,
qui restent notablement au-dessous de la grandeur moyenne dont leur
espèce est susceptible, nous paraissent laides ; — b) celles qui atteignent
le degré moyen ou se maintiennent légèrement en deçà ou au delà, nous
semblent insignifiantes ; — c) celles qui s'élèvent notablement au-dessus
sont jugées par nous belles.
Exemples : supposons un homme tout petit, mais ayant tous ses
membres et bien proportionnés. Pour être un bel homme il lui manque
la grandeur. — Voici un plaidoyer aux preuves nombreuses, variées,
bien enchaînées, mais sèchement énumérées. Pour être un beau plai-
doyer il lui manque Vampleur des développements. — Un millionnaire
rencontre un pauvre en haillons et lui fait une mince aumône. C'est
une bonne œuvre ; ce n'est pas une belle action : il lui manque la géné-
rosité.
B) Ordre : c'est un fait d'expérience que tout ce qui est incohérent
et désordonné nous choque et nous déplaît. L'ordre c'est « la dispo-
sition harmonieuse de choses égales et inégales ». Parium dispariumque
rerum sua cuique loca tribuens dispositio (^). L'ordre suppose :
10 Unité : vg. un édifice formé d'un amas de bâtiments mal reliés
entre eux n'est pas beau ; de même un poème dont les diverses parties
sont mal assorties.
2° Variété : sinon l'unité dégénère en uniformité fastidieuse :
vg. répétition de la même gamme, couleur unique dans un tableau.
(M AniSTOTE, Poétique, C. vu, § 8, Édit. Didot, T. I, p. 463. Cf. Métaphysiiue, L. XII,
0. m, § U, Ibidem, T. II, p. 614.
(«) S. Augustin, De Civitate Dei, h. XIX, C. xiii, § 1.
(2) LA NATURE Î3L' BEAU 383
30 Proportion : c'est-à-dire le rapport harmonieux des parties
entre elles et avec le tout : vg. un homme ayant des bras inégaux, le
nez trop proéminent ; — un discours avec un exorde interminable et un
corps de preuves très fluet ; — un petit bâtiment central flanqué de
deux énormes tours, ne sont pas beaux.
Critique : certains philosophes ont voulu condenser ainsi la défi-
nition précédente : Le beau est la splendeur de Tordre. C'est un tort,
car la grandeur est un élément distinct de l'ordre et non moins néces-
saire que lui (^).
La définition d'Aristote nous paraît être la meilleure. Ce qui la
confirme encore c'est que, nous l'avons vu, les deux lois fondamentales-
du plaisir esthétique, sont les lois de quantité et de qualité. D'après la
première, l'àme demande à agir le plus possible ; d'après la seconde,
elle doit agir dans la direction de ses fins naturelles; c'est-à-dire que
l'activité esthétique doit être puissante et ordonnée. Or ce qui dans les
objets produira cet effet ne peut être que la puissance et Tordre., car
l'effet et la cause doivent être proportionnés. La beauté des êtres consiste
donc dans la propriété qu'ils ont de susciter le jeu puissant et harmo-
nieux de nos facultés représentatives. Mais comme être, c'est agir, le
beau objectif se ramène, en définitive, à une activité (force ou âme) qui
se déploie d'une manière puissante et ordonnée.
Cette définition permet de mesurer le degré de beauté de chaque
objet, car, si le beau est dans l'action puissante et ordonnée de la force
ou de l'âme, il s'ensuit qu'à un degré supérieur de puissance et d'ordre
correspond un degré supérieur de beauté. C'est ce qui explique pourquoi
l'activité du minéral est moins belle que celle de la plante : la vie qui
parait avec le végétal est une activité plus puissante et mieux ordonnée
que celle de l'être inanimé, parce que le vivant a, en lui-même, son prin-
cipe de mouvement. La beauté grandit avec les ascensions de la vie :
la vie sensitive l'emporte sur la vie végétative ; la vie rationnelle sur
les deux autres ; la vie spirituelle sur la rationnelle ; la vie divine sur
toutes, parce qu'elle est infiniment puissante et ordonnée (Ps. 18, III).
Conclusion : on j)eut réduire la définition du beau à cette courte
formule : c'est la splendeur de l'être. A quelles conditions l'être sera-t-il
splendidc ? s'il déploie une activité puissante et ordonnée {^).
Remarque : saint Thomas (^) ramène à trois les éléments consti-
(M On attribue souvent cette définition à saint Augustin ; mais on la cherche vai-
nement dans ses œuvres.
( ') Cf. G. Sortais, Du Beau d'après Sainl Augitslin, dans Excursions artistiques et
littéraires, f» Série, p. 3-28.
(') Summa iheologica, 1" P., Q. XXXIX, Art. VIII, § Secundum igitur primam consi-
derationem.
384 DIVISION DU BEAU (3-4)
tutifs du beau : Ad pulchritudinem tria requiruntur. Primo qiiidem
integritas seii perfectio ; qiiœ enim dirniniita siint hoc ipso tiirpia siint.
Et débita proportio sive consonantia. Et iteriim claritas ; unde quœ habent
colorem nitidum piilchra esse dicuntiir. Cette définition revient, en somme,
à la précédente, puisqu'elle se confond avec elle pour les deux éléments
essentiels : V intégrité et la proportion. Quant au troisième élément : colur
nitidiis (couleur brillante), il répond au mot splendeur que nous avons
employé.
3. — DIVISION DU BEAU
On peut diviser le beau d'après la nature de l'action déployée en :
I- — Physique : celui qui réside dans le monde inanimé : vg. beau
fleuve. 11 consiste en une activité puissante et ordonnée.
II. — Sensible : celui qui réside dans les règnes végétal et animal :
vg. belle fleur, beau lion. C'est une vie (végétative, sensitive) puissante
et ordonnée.
III. — Intellectuel : celui qui réside dans l'activité de l'âme raison-
nable. Il se manifeste dans les œuvres d'une imagination créatrice,
c'est-à-dire puissante et ordonnée (Ps. 124, § I) : vg. palais, statue,
peinture, musique, poème, discours.
IV. — Moral : celui qui réside dans l'activité libre : vg. belle action.
C'est l'œuvre d'une volonté puissante et ordonnée.
4. ~ LE VRAI, LE BIEN, LE BEAU
On peut comparer le vrai, le bien et le beau au point de vue :
I. — De leur essence : le vrai, le bien et le beau sont les trois aspects
d'une même chose : Vétre (^). Le vrai c'est l'être en tant que conforme
au concept de son essence, ou, comme disent .saint Augustin et Bossuet,
c'est ce qui est, par opposition à ce qui parait être. — Le bien, c'est l'être
en tant qu'il est parfait et peut perfectionner les autres. — Le beau,
c'est l'être en tant qu'il est puissant et ordonné.. Bref, le vrai, c'est la
conformité de l'être à son type ; le bien c'est la perfection de l'être ; le
beau c'est la splendeur de l'être.
Il est manifeste que : 1» Le vrai est distinct du beau : sans doute
le beau doit être vrai, car s'il ne l'était pas, il ne pourrait être perçu
par l'intelligence, mais il s'en distingue, parce que toute vérité n'est pas
belle, n'a pas cette splendeur qui caractérise le beau : vg. 2 -[- 2 = 4.
( ') s. Thomas, Summa Iheologica^ 1' P., Q. XVI^ Art. 3.
(4) LE VRAI, LE BIEN, LE BEAU 385
2° Le BIEN EST DISTINCT DU BEAU (^) : sans doute le beau doit être
bon (^) ; autrement il manquerait d'ordre et n'exciterait pas l'admi-
ration. Mais la bonté, que suppose le beau, n'est pas la perfection
extrinsèque de l'être, c'est-à-dire ce qui dans l'être peut améliorer les
autres^ ce qui le rend utile. C'est sa perfection intrinsèque, c'est-à-dire
la convenance de ses parties entre elles et avec le tout, la conformité
à sa loi, à sa fin, parce que le beau provoque une satisfaction désinté-
ressée. — Cependant il ne faut pas identifier le beau et le bien (c'est la
tendance des Grecs : xo xaXoxàyaOo'v), car :
a) Tout objet bon n'est pas beau : vg. toute fleur, qui réalise le type
de son espèce, est bonne en soi, mais n'est pas belle si elle n'atteint pas
un certain degré de splendeur. Moralement, bien des actes sont esti-
mables, sans être beaux.
b) Le bien apparaît comme obligatoire : la beauté n'emporte avec elle
aucun caractère d'obligation (Mgr., 39).
c) Certains ajoutent cette troisième diiïérence : On juge autrement
du beau et du bien. Tout jugement sur la bonté ou perfection intrinsèque
d'un être suppose au préalable la notion expresse de ce qu'il doit être,
de sa nature, de sa loi. Pour le beau, il n'en va pas ainsi : on juge, non
d'après un concept, un idéal antérieur, mais d'après le sentiment esthé-
tique qu'il nous fait éprouver. — D'autres rejettent cette différence
et, ce semble, avec raison. L'origine de Vidée du bien et de Vidée du beau
est semblable : V expérience interprétée par la raison. Des sentiments et
des jugements moraux spontanés l'esprit dégage par l'abstraction l'idée
du bien et la généralise. De même pour l'idée du beau, elle est dégagée
par la raison des sentiments et jugements esthétiques instinctijs. Donc,
dans les deux cas, on commence par juger du bien et du beau, d'après
le sentiment que les objets bons et beaux produisent en nous ; ce juge-
ment est spontané, instinctif, confus. C'est en élaborant cette matière
que la raison arrive à former l'idée abstraite et générale du bien ou du
beau ; quand cet idéal moral ou esthétique est nettement conçu, il sert
à contrôler les jugements spontanés, que provoque naturellement en
nous la vue du beau et du bien, et nous permet de les transformer en
jugements réjlécliis. On doit en dire autant de l'origine de Vidée du vrai.
L'erreur de ceux qui admettent cette troisième différence entre le bien
et le beau, vient d'une confusion entre les actes spontanés et les actes
réfléchis.
II. — Des facultés auxquelles ils se rapportent :
A) Le vrai se rapporte à V intelligence ; — le bien à la volonté et à la
(') Ahistote, Métaphysique, L. XII, C. ni, ii. 10. Édit. Didot, T. II, p. 614.
( ') La Fontaine a dit avec raison : « Le beau est le camarade du bien. »
TRAITÉ DK PHILOSOPHIE. — T. II. — 13.
386 LE VRAI, LE BIEN, LE BEAU (4)
sensibilité ; — le beau tout ensemble à V intelligence^ à la volonté et à la
sensibilité : de là vient la supériorité du plaisir esthétique : le beau met
en mouvement toute l'activité humaine.
B) Le vrai c'est l'être en tant qu'intelligible ; — le bien, en tant
que convenable, désirable ; — le beau en tant qn'' admirable.
C) Le vrai c'est ce qui, étant connu, est affirmé ou ajfirmable ;
le beau, c'est ce qui, étant connu, plait.
Le bien et le beau plaisent tous deux ; mais le bien plaît en tant
qu'il convient à celui qui l'aime, en tant qu'il peut le perfectionner, lui
être utile : le beau plait, en tant qu'il est connu. C'est la doctrine de
S. Thomas : Ad rationem pulchri pertinet quod in ejus aspectu seu cogni-
tione quietetur appetitus .... ; pulchrum addit supra bonum ordinem
quemdam ad vim cognoscitivam ; ita quod bonum dicatur id quod simpli-
citer complacet appetitui ; pulchrum autem dicatur id cujus ipsa apprehensio
placet {}).
IIL — De l'extension : tout être est vrai., car tout être est conforme
à l'intelligence divine qui l'a produit ; — tout être a la bonté essentielle.,
car il a la perfection qui convient à sa nature ; mais aucun être n'a sa
perfection complète et par conséquent n'est bon, avant d'avoir atteint
sa fin, car il lui manque des perfections accidentelles. Tout être a la
beauté essentielle, est beau en soi. Mais tout être ne nous semble
pas beau. Pour le paraître, il faut qu'il présente un certain
degré de splendeur qui nous frappe. Une belle vérité, ce ne sera
pas une vérité banale : 2 -]- 2 =4, mais une vérité saisissante : le
beau rationnel c'est la splendeur du vrai {^). Une belle action ce ne
sera pas une action quelconque, quoique bonne : vg. donner un sou
à un pauvre, mais une action éclatante : le beau moral, c'est la splendeur
du bien. Nous avons montré que les éléments constitutifs de cette
splendeur sont la puissance et Vordre (2, iv). Cf. Ontologie, Ch. ii,
p. 470.
IV. — Des effets qu'ils provoquent : l'amour du vrai est le
principe de la science ; l'amour du bien est le principe de la vertu ;
l'amour du beau est le principe de Vart (Ps. 49, II, III).
Conclusion : le vrai, le bien, le beau trouvent en Dieu leur fon-
dement et leur réalisation parfaite ; de là leur étroite connexité. Ce
(') s. TuoMAi?, Summa Iheologica, 1' ■2•^ Q. XXVII, A. I, ad ^m". Cf. I» P., Q. V,
Art. IV, ad l""i.
C) Bossuet parle de « beaux principes «, et, avec raison, car, pour une intelligence
pénétrante, qui saisit les nombreuses conséijuences qu'ils contiennent implicitement et
qui en découlent rigoureusement, les principes ont les deu\ caractt^res du beau : la puissance
ou ampleur à cause de l'étendue indéfinie de leurs applications: l'ordre, à cause de la rigueur
des déductions.
(6) LE BEAU, l'utile, l' AGRÉABLE 387
sont les trois aspects divers, sous lesquels notre intelligence conçoit
Dieu, Vérité, Bonté et Beauté absolues (^).
5. — LE BEAU, L'UTILE, L'AGRÉABLE
Nous avons défini le bien en général : ce qui convient à un être, ce
qui le perfectionne. Or une chose peut convenir à l'homme soit :
I. — Par elle-même : et cela de deux façons : l^ en tant qu'elle
perfectionne la nature de l'homme, et c'est le bien en soi, le bien honnête,
ce qui convient à la nature raisonnable ; — 2° en tant qu'elle plait,
et c'est Vagréable.
II. — En raison d'un autre bien qu'elle peut procurer à l'homme,
et c'est Vutile. Le bien se divise donc en bien : honnête, agréable, utile.
L'honnête et l'agréable peuvent être recherchés comme fins, parce qu'ils
sont aimables, désirables en eux-mêmes ; l'utile a le caractère de moyen.
A) Utile : 1° Tout ce qui est utile n'est pas beau : vg. quoi de plus
utile qu'une marmite, dit Platon dans VHippias, et quoi de moins
esthétique ?
2" Tout ce qui est beau n'est pas utile : à quoi peuvent servir un
tableau, une statue, un chant, un poème pour la vie pratique ? Ils ne
servent qu'à satisfaire le goût du beau.
30 Un même objet peut être beau et utile : vg. une coupe délica»
tement ciselée peut être à la fois commode et admirable. Sans doute,
mais sous des rapports différents : on ne goûte la beauté d'un objet qu'en
faisant abstraction de son utilité : vg. un bois sera beau pour le peintre
qui le contemple et veut le reproduire sur la toile ; il ne Test pas pour
le propriétaire qui en escompte déjà le bénéfice futur.
40 L'utile excite le désir de posséder l'objet pour en tirer avantage,
il entraine l'idée de recherche égoïste et d'intérêt personnel. Le beau
éveille un sentiment désintéressé. L'utilitaire est un calculateur ; l'esthète
est un contemplatif.
La raison de cette opposition, c'est que l'objet utile est un moyen
pour atteindre une fin distincte de lui-même, tandis que l'objet beau
a le caractère de fin : il vaut et plaît immédiatement par lui-même.
B) Agréable : on a outré la distinction entre le beau et Tagréable.
Le sentiment du beau est un plaisir : le beau c'est ce qui plaît en tant
que connu ; il est -donc agréable. Oui, mais ce n'est qu'une espèce du
genre agréable. Tout ce qui est beau plait ; mais tout ce qui plait n'est
pas beau : vg. tel fruit peut être délicieux au goût et désagréable à la
( ') Cousin, Du vrai, du beau et du bien, IV''. VII«, XVI'' Leçons.
I
388 LE BEAU, LE GRACIEUX, LE JOLI (6)
vue. Il faut donc déterminer quelle est, dans le genre agréable, la dij-
férence qui spécifie le plaisir du beau. Nous avons distingué deux sortes
d'activités (1, § II) : activité sérieuse (travail) ; activité esthétique (jeu).
Deux sortes de plaisirs y correspondent : à la première, les plaisirs qui
résultent de la réalisation des fins désirées, de la possession des objets-
utiles ou botis ; — à la seconde, les plaisirs qui résultent du déploiement
facile, puissant et harmonieux de nos facultés cognitives, mises en jeu
par des objets beaux. Le genre agréable comprend donc deux espèces
de plaisirs : 1» le plaisir lié à la satisfaction d'un besoin physique, intel-
lectuel ou moral : c'est le plaisir utilitaire ; — 2» le plaisir lié à la contem-
plation désintéressée des choses : c'est le plaisir du beau. C'est pourquoi
rutile et l'agréable utilitaire exigent la réalité de leur objet, condition
d'une consommation réelle ; le beau peut se contenter d'un objet ima-
ginaire : la forme, V apparence lui suffisent, parce qu'elles suffisent à
î'acte idéal de la contemplation. — On comprend aussi pourquoi on ne
dit pas de belles odeurs, de belles saveurs, mais de belles couleurs, de
beaux sons ; c'est que dans le premier cas l'élément représentatif est
presque nul, tandis que dans le second il est prédominant (Ps. 28, B).
6. —LE BEAU, LE GRACIEUX, LE JOLI
A) Gracieux (i) : la grâce appartient surtout aux mouvements et
au maintien qui, pour être gracieux, ne doivent avoir aucune raideur.
Il se distingue du beau, parce que la puissance en est absente ; la puis-
sance est remplacée par l'aisance, la souplesse, la facilité. La Fontaine
a dit de la grâce : La grâce plus belle que la beauté, voulant sans doute
dire que la grâce a un charme plus pénétrant. Elle se rapproche du joU.
B) Joli ou charmant : il a de commun, avec le beau, V ordre ; mais
il s'en distingue parce qu'il n'a pas la puissance complète, pleinement
développée. Un être joli est un être faible encore, en voie de formation,
mais se développant et tendant vers sa perfection relative, d'une façon
conforme à tout l'ordre de sa nature ; vg. l'enfant (2), le lionceau, le
bouton de rose, l'arbuste, par rapport à l'homme fait, au lion dans toute
sa force, à la rose épanouie, à l'arbre séculaire. C'est encore l'être de
petite dimension par rapport à d'autres êtres du même genre : vg. colline,
lac, rivière, comparativement à la montagne, à la mer, au fleuve. On ne
dira pas de l'Océan que c'est une jolie mer, du Mont-Blanc que c'est une
( M Schiller, De la Grâce et de la Dignité. — C. Martha, De la Délicatesse dans l'art.
— P. SouBiAU. L'Esthétique du Mouvement, III» P., Ch. i, § 3.
{') M. DE LA SizEHANNE, L'Esthétique de l'Enfance au PctU-Palais, Revue des Deux
Mondes, 1901, T. IV.^p. 160 et suiv.
(7) LE BEAU, LE SUBLIME 389
jolie montagne. Le joli c'est donc le beau moins l'ampleur, moins la
grandeur complète.
1. — LE BEAU, LE SUBLIME
Les uns prétendent qu'il y a entre le beau et le sublime une simple
dilîérence de plus ou de moins ; les autres une différence de nature.
•L — Différence de nature : Burke (i), Kaxt {^). Jusqu'à eux,
on admettait que le sublime n'est autre chose que le superlatif du beau.
On trouve sans doute dans le sublime certaines ressemblances avec
le beau ; il cause un plaisir désintéressé ; il s'impose universellement
à l'admiration. Mais voici, disent-ils, des différences essentielles :
i^ Le beau implique toujours que l'objet a une certaine forme, une
mesure déterminée. Le propre du sublime, c'est d'être illimité^ infini.
2° Le plaisir du beau est toujours tout entier charmant ; c'est celui
de l'admiration. Le plaisir du sublime est mêlé de quelque souffrance ;
l'âme en l'éprouvant se sent comme accablée par l'infini et troublée
par l'apparence du désordre : il y a du saisissement et de la stupeur ;
l'admiration est mêlée de tristesse.
30 Le beau implique un certain accord de l'imagination et de l'enten-
dement ; il paraît en proportion avec nos facultés, car il y a en lui équation
entre la puissance et l'ordre. Le sublime semble faire violence à notre
imagination et à notre raison ; il paraît discordant avec elles, parce
que l'équilibre est rompu entre la puissance et l'ordre, au profit de la
puissance qui prédomine.
II. — Différence de degré : Lévêque (^). Le sublime a pour
éléments :
1° La puissance, mais une puissance qui surpasse toute mesure des
sens ou de l'imagination et qui fait paraître petite toute force de même
espèce : vg. le ciel, l'océan, une chaîne de montagnes. Cette puissance,
qui paraît illimitée aux sens, n'est limitée que par une affirmation de
la raison.
20 L'ordre : la force, qui se déploie dans le sublime, agit selon un
ordre qui échappe aux sens, soit à cause de sa grandeur indéterminée
(vg. longue chaîne de montagnes), soit à cause du désordre apparent
(vg. Océan agité par la tempête), soit pour ces deux motifs (vg. immensité
du ciel étoile) ; cependant la raison affirme que l'ordre, un ordre réel, mais
caché, existe. Le sublime est une image de Dieu, dont l'infinitude déborde
toutes les déterminations et se dérobe à nos facultés.
( ') Ed. Burke, Recherche philosophique sur l'origine des idées du sublime et du beau.
{') Kant, Critique du jugemeni, § XXIII sqq. — Schiller, Du Sublime.
( ') Ch. Lévêque, La Science du Beau, l" P., Ch. vm.
390 LE RIDICULE, LE LAID, l'hORRIBLE (8-9)
On peut conclure avec Lévêque que le sublime est identique au beau
en tant qu'il possède ses deux éléments essentiels, la puissance et Tordre,
mais qu'il en diffère^ parce qu'il exige une puissance et un ordre plus
parfaits, au superlatif. En soi, il n'est que le beau très grand ; il n'est
sublime que par rapport à nos facultés qu'il dépasse.
Remarques : I. — Les notions du joli et du beau, du beau et du
sublime sont relatives, varient d'après le terme de comparaison. Ainsi,
l'enfant est le type du joli par rapport à l'homme, mais si on compare
des enfants entre eu.r, on pourra dire que tel enfant est plus beau que
tel autre, parce que la comparaison est relative au genre enfant. De
même, tel genre d'êtres est dit laid par rapport à tel autre genre : vg. l'âne
par rapport au cheval ; mais si la comparaison est établie entre les ânes,
on dira que tel âne est beau.
II. ■ — Kant distingue le sublime : a) mathématique, expression do
la grandeur infinie ; b) dynamique, expression de la puissance infinie.
8. — LE JOLI, LE BEAU, LE SUBLIME
Si on les compare, on arrive à la conclusion suivante : dans le beau,
il y a équation, équilibre harmonieux entre la puissance et l'ordre ; dans
le joli et dans le sublime l'équation n'existe plus, Véquilibre est rompu.
Dans le joli, c'est l'ordre qui prévaut. Dans le sublime, c'est la puissance
qui prédomine : l'ordre, tout réel qu'il est, échappe aux sens et n'apparaît
qu'à la réflexion. Prenons pour exemple un chêne. Arbuste, il est joli :
arbre séculaire, il est beau : résistant sans fléchir à l'assaut de l'ouragan,
il est sublime. Le joli est la miniature du beau, c'est le beau en petit ;
le sublime, c'est le beau en grand. Ce qui montre bien qu'il n'y a entre
eux qu'une différence de degré, c'est que, dans certains cas qu'on peut
appeler limitrophes, on les emploie l'un pour l'autre, ce qui serait impos-
sible, s'ils avaient des essences différentes. Ainsi on dira : d'une fleur,
qu'elle est jolie ou belle ; du spectacle de la mer, c'est beau, c'est sublime :
d'une mort héroïque, c'est une belle mort, c'est un dévouement sublime.
9. — LE RIDICULE, LE LAID, L'HORRIBLE
L'élément qui leur manque, et dont l'absence les distingue de leurs
contraires, le joli, le beau, le sublime, ce n'est pas la puissance, mais
V ordre (^).
I. — Laid : ce n'est pas la simple négation du beau, car le néant
(M Ch. Lkvêql'e, La Science du Beau, I" P., Ch. ix.
(9) • LE RIDICULE, LE LAID, l'hORRIBLE 391
n'est ni beau, ni laid, vu qu'il n'est pas. Le laid est une force agissant
avec une certaine puissance, mais désordonnée. Aucun être ne peut
agir dans un sens absolument contraire à sa loi ; ce serait sa destruction.
Toute activité suppose donc un certain ordre. Mais, quand cet ordre
est si imparfait, relativement à la loi de la force, qu'il constitue un
grave désordre, il y a laideur, car il y a une notable disproportion entre la
puissance déployée et le but à atteindre ; vg. le pécheur déploie une
grande activité à s'écarter de la loi morale qui est son but : d'où laideur
de ses actes. Le degré de laideur est déterminé par celui du désordre
avec lequel la force agit. Ainsi la laideur, c'est une force agissant dans
toute sa puissance, de façon à réaliser un grand désordre.
IL — Ridicule, le ridicule, c'est la force grande, moyenne ou
petite, dont l'action enfreint Vordre légèrement. C'est la miniature de
la laideur ; vg. un nez un peu trop long fait sourire ; qu'il s'allonge
démesurément, le visage devient laid.
III. — Horrible : dans ce cas, le désordre est énorme ; vg. un monstre
dans l'ordre physique ou moral ; vg. Néron faisant périr sa mère.
Dans le ridicule, ie désordre est léger ; dans le laid, il est grave ;
dans l'horrible, il est extraordinaire ; vg. mensonge joyeux, médisance
notable, calomnie atroce.
Objection : à ce compte, une œuvre immorale ne saurait être
belle ; or l'expérience prouve le contraire.
Réponse : dans l'expression des passions mauvaises : vg. la haine,
la vengeance, il faut distinguer trois choses :
1" L'art avec lequel l'auteur a plus ou moins bien rendu ces passions
On peut admirer ce beau de F expression : c'est rendre justice au talent
d'' exécution, au faire.
2° La beauté naturelle de l'être, ses facultés de sentir, de connaître
et d'aimer. Ce qui reste admirable, c'est la grandeur de leur dévelop-
pement et non leur mauvais usage. Dans toute activité désordonnée,
il y a deux éléments : une puissance et une déviation. La puissance,
même dévoyée, garde une part de sa beauté originelle.
o" L'absence de beauté morale : c'est le mauvais usage, la déviation
de ces facultés. L'œuvre immorale est belle par tous les éléments vrais
et bons qu'elle conserve nécessairement, car le faux et le mal absolus,
étant le néant, ne peuvent exister. Mais sa beauté s'amoindrit de tout
le faux et de tout le mal qui s'y trouvent mêlés. Donc, dans une œuvre
laide et mauvaise moralement, ce que nous admirons, c'est ce qui reste
de beau (déploiement des facultés) et l'art avec lequel l'auteur l'a rendu.
C'est ainsi que la Cléopâtre de Corneille a une grande force de volonté
(voilà le beau naturel), mais tournée vers le mal (voilà le laid moral).
Corneille a puissamment exprimé ce caractère (voilà le beau littéraire
ou d'' expression).
392 LE RIRE, I.E RIDICULE, LE RISIBLE (10)
10. — LE RIRE, LE RIDICULE, LE RISIBLE
I. — Le Rire (^) : c'est, d'après Aristote, l'émotion joyeuse, résultant
de la vue d'une disproportion qui n'a rien de funeste {^). La cause du rire
est donc la vue d'une disproportion.
A) Disproportion physique : vg. disproportion entre un visage et
le type humain ; entre un mouvement et le but à atteindre : vg. un tout
petit homme se baisse en passant sous une porte élevée.
B) Disproportion intellectuelle : disproportion entre la parole
échappée et la vérité qu'on saisit sous cette parole : vg. un niais, qui se
croit de l'esprit et qui essaie d'en faire sans succès, ne réussit qu'à mettre
en évidence la disproportion qui existe entre ses prétentions et son
talent.
C) Disproportion morale, qui résulte d'un travers de caractère. C'est
une disproportion entre la réalité et les prétentions de l'individu : vg. celui
qui se donne pour brave et qu'on voit trembler au moiiidre bruit.
Mais la disproportion ne doit avoir rien de funeste, n'être ni doulou-
reuse, ni dangereuse. C'est un fait d'expérience : dès qu'apparaissent
la douleur et le danger, le rire est glacé. Le plaisir du rire vient de la
découverte vive et facile par l'intelligence de la disproportion qui appa-
raît entre les prétentions, de l'être ridicule ou risible et son état réel.
IL — Le Ridicule : c'est surtout la disproportion morale, le travers
de caractère ; elle provient d'une volonté libre. C'est le vrai champ que
Tesprit doit exploiter ; c'est le domaine du rire fin, de la haute comédie
qui réclament la mise en scène des passions.
III. — Le Risible : c'est plutôt la disproportion fortuite et indé-
pendante de la volonté : vg. visage grotesque. C'est le domaine de la
comédie inférieure, de la farce.
BIBLIOGRAPHIE
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Tii. Daiimen, Die Théorie des Schonen.
{ M DuMONT, Les causes du rire. — L. Philbert, Le rire. — C. Mélinand, Pourquoi
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590. — Cii. LÉvÊQUE, Le rire, le comique et le risible dans l'esprit et dans l'art, Revue des
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(=) Ani.'jTOïE, Poétique, Ch. v, n" 2. Edit. Didot, T. I, p. 400.
(10) COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : LE BEAU ET l'aRT 393
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Tolstoï, Qu^ est-ce que V Art ?
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P. Maryllis, Les Harmonies naturelles. '
J.-H. Tufts, Genèse des catégories esthétiques, dans Philosophical
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L. Voss, Aesthetik des Schônen und der Kunst.
J. Adeline, Lexique des termes d^ Art.
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C.-A.-C. Herckenrath, Problèmes d'' Esthétique et de Morale.
P. Gaultier, Le rire et la caricature.
H.-Cn. Dehove, Le Fondement objectij de la' notion du Beau, dans
Revue des Sciences ECCLÉsiASTiquES, 1894, t. I, p. 310-321 ; 495-505.
CHAPITRE II
L'ART
L'art, en général, est un ensemble de moyens pratiques pour atteindre
un but : vg. l'art médical, Fart de la culture. Il cherche à établir non
des lois, mais des préceptes. Au sens strict, qui nous occupe ici, c'est la
représentation du beau, de l'idéal, sous une forme sensible : telle est la
définition objective. Au point de vue subjectif, c'est la manifestation
esthétique du génie de l'homme. Le but suprême de l'œuvre d'art,
■c'est la réalisation de V idéal.
11. — DOUBLE ÉLÉMENT DE L'ART
L — Élément invisible, signifié, idéal : c'est l'idée, le sentiment, la
sensation, la passion exprimés.
II. — Élément visible, significatif , sensible : c'est la forme expressive
•qui manifeste l'idée, le sentiment, etc. Ce sont, dans la nature, les
ebeaux-arts, les belles-lettres, vg. les lignes (architecture), formes (sculp-
ture), couleurs (peinture), mouvements (danse), sons (musique), mots
écrits ou parlés (poésie, éloquence).
Trois Écoles : on peut distinguer trois Écoles d'art, selon la part
et le rang donnés à l'un ou à l'autre des éléments artistiques :
A) École idéaliste, qui néglige la forme sensible pour s'attacher
Irop exclusivement à l'idée, au fond.
B) École réaliste, qui néglige l'idéal pour se borner à la copie de la
réalité. Ces deux écoles extrêmes sont dans le faux : la première mène
à la sécheresse, à la raideur, au conventionnel ; la seconde conduit au
■matérialisme dans l'art qui devient un corps sans âme. La première
-donne trop à la raison, la seconde trop aux sens.
C) École spiritualiste : l'art parle aux sens pour parler à l'esprit ;
il use de formes sensibles pour traduire la beauté suprasensible. De la
sorte, il est proportionné à la nature humaine. Comme l'homme, il est
esprit et corps : esprit j)ar la beauté qu'il traduit ; corps, par la forme
sensible dont il use pour la traduire. Chacun de ces deux éléments est
nécessaire à l'art humain : l'erreur. (|ui traite l'homme comme un pur
(13) l'idéal : FORMATION ET ORIGINE 395
esprit^ tue l'art en dédaignant ou en condamnant la forme sensible ;
l'erreur opposée, qui envisage l'homme comme une pure matière, tue
l'art en le réduisant à une forme vide. La vérité est dans V union de ces
deux éléments et dans la subordination du sensible à l'idéal ; de même
l'homme est composé d'esprit et de matière, et la matière doit être
soumise à l'esprit. C'est à la fois une règle morale et une loi artistique.
12. — L'IDÉAL : FORMATION ET ORIGINE {')
Au sens large^ l'idéal c'est ce qui existe dans Vidée; au sens strict,
c'est un type de beauté parfaite conçue par l'imagination créatrice.
L'idéal est plus beau que nature, plus beau que la réalité telle quelle.
Idéaliser, c'est donc élever à la beauté supérieure. C'est l'œuvre de
l'imagination créatrice (Ps. 122, 124).
A) Formation : supposons qu'on ait à se former l'idéal d'un beau
visage ou l'idéal du courage. L'artiste y arrive par trois opérations
successives :
I. — Choix ou abstraction : je fais appel à mes souvenirs ; je choisis,
parmi les traits de courage, les éléments constitutifs qui me paraissent
les plus saillants.
IL — Assemblat^e : je réunis ces traits épars et j'en compose un
caractère, un type de courage que je n'ai vu nulle part, plus beau que
la réalité.
III — Perfectionnement ou Transcendance : cette beauté déjà
idéale peut grandir encore. Par l'effort de la méditation personnelle,
l'artiste cherchera à se représenter sous des trait? de plus en plus parfaits^
de manière à dépasser [transcendere) le plus possible les vulgarités de la
réalité, ce type de courage qu'il contemple en esprit. Cet idéal, que
l'artiste forme ainsi par voie à.' abstraction, à' assemblage et de transcen-
dance, c'est, en définitive. Vidée aussi parfaite que possible qu'il se fait
d'un objet. Cet idéal est donc purement relatif à sa puissance de concep-
tion : une imagination plus puissante créerait un idéal supérieur.
L'idéal de cet objet existe aussi dans l'intelligence divine : c'en est
l'archétype, l'exemplaire inaccessible. Plus la conception de l'artiste
se rapprochera de l'idée divine, plus son idéal sera parfait (^). Tout ce
que les objets créés et l'idéal conçu par l'artiste ont de vérité, de bonté..
( ') G. LoNGiiAYE, Théorie des Belles-Letlres, L. II, Ch. m. — J. Pérès, L'art et le réeL
— A. RiCARDOU, L'Idéal. — Th. Ribot, Essai sur l'imagination créatrice. — E. Joyau,
De l'Invention dans les Arts et dans les Sciences. — P- Souriau, L' Imagination de l'Artiste.
La Suggestion dans l'Art.
( M M. LiBERATORE, De la Connaissance intellectuelle, Ch. viii. L'Exemplarisme divin.
396 l'idéal : ses effets et son rôle (13)
de beauté, se trouve en Dieu d'une façon suréminente. Dieu est l'idéal
absolu ( ^) de toute beauté ; et les choses ne sont belles que parce qu'elles
reflètent et dans la mesure où elles reflètent les perfections divines.
L'idéalisation est donc une ascension indéfinie de l'âme s'élevant des
êtres créés à l'Être parfait. L'idéal est par conséquent plus réel que la
réalité vulgaire, parce que, contenant plus de beauté, il contient par là
même plus de perfection, donc plus d'être, plus de vérité, de bonté,
donc plus de réalité.
B) Origine : la notion de l'idéal est donc due au concours de Vexpé-
rience et de la raison. La mémoire fournit les matériaux, fruit de l'expé-
rience, — et l'imagination créatrice, c'est-à-dire la raison esthétique,
les élabore, conçoit l'idéal par la triple opération indiquée. Le travail
créateur de l'artiste ne consiste pas seulement à mettre dans un ordre
nouveau des éléments choisis dans la réalité : à cette œuvre l'imagi-
nation combinatrice ordinaire suffit. Il consiste surtout dans 1' « inven-
tion )) d'une idée neuve ou d'un sentiment original qui préside à cette
combinaison. (Psych. 124, § I, B).
13. — L'IDÉAL : SES EFFETS ET SON ROLE
§ L — EFFETS DE U IDÉAL {^)
A) Sur la Sensibilité : Admiration. Le beau idéal entrevu produit
ce sentiment généreux et désintéressé qu'on nomme Vadmiration. Elle
renferme une part d' étonnement causée par Vapparition de quelque
chose de grand.
B) Sur l'Activité : I'^^ Degré : Inspiration. L'idéal mieux connu.
c'est-à-dire non pas seulement entrevu, mais contemplé, produit Vinspi-
ration ou enthousiasme, exaltation puissante et ordonnée des facultés
de l'âme. Tout homme, fortement ému au spectacle de l'idéal, exprime
son admiration par des paroles ou tout au moins par l'expression de sa
physionomie qui s'illumine et s'embellit. Voilà le premier degré de
l'activité esthétique : c'est Vexpression naturelle et spontanée de l'impres-
sion faite par Fidéal sur toute âme capable de le comprendre et de le
goûter. Cette activité n'aboutit pas, quand on n'est pas doué de facultés
esthétiques, à une œuvre artistique, mais à une élévation morale passa-
gère ; l'âme s'est un moment haussée au-dessus des préoccupations
vulgaires et égoïstes. Il en reste un souvenir délicieux et fortifiant,
11^ Degré : Création artistique : c'est Vexpression réfléchie du beau.
(') s. Denys, Les Xoms divins, Cli. iv, § 7 : llaYx.aÀov oiij.y. x«t uTtî'pxaXov,
( ') Ch. Lévêuue, La Science du Beau, V P., Cli. iv, v.
(14) IMITATION, FICTION, IDÉALISATION 397
Les âmes d'artistes ne se contentent pas de contempler un instant
l'idéal ; elles s'efforcent de le perfectionner sans cesse, de le préciser,
d'en faire une réalité vivante dans leur esprit. Pour cela, il faut que la
raison et la volonté gouvernent énergiquement l'exaltation des facultés
inférieures ; la puissance est au prix de cette exaltation ; l'ordre, au
prix de ce gouvernement. C'est la condition de la fécondité esthétique.
Sous rinfluence de cette inspiration puissante et contenue, celui qui
sait manier une langue artistique, lignes, formes, couleurs, sons ou
paroles, l'œil fixé sur l'idéal nettement conçu, l'exprime dans une
forme sensible. L'inspiration est devenue création : l'idéal a été réalisé
dans une œuvre visible. Mais le plus habile artiste n'égale jamais son
idéal : l'exécution reste au-dessous de la conception : « Nous ne pouvons
égaler notre pensée, dit Bossuet, tant Dieu a pris soin de marquer son
infinité. »
§ IL — ROLE DE UIDÉAL
A) Dans les Arts et les Lettres. L'idéal est :
io La raison d'être de l'art : si l'art consistait à copier exactement
le réel, il faudrait le supprimer, car le réel est supérieur à sa repro-
duction purement matérielle : vg. on préférera toujours le lys de la
vallée à un lys copié par un peintre (14, § A, 11, C).
20 Sa condition néces.saire : l'imitation pure et simple est impos-
sible ; bon gré, mal gré, l'artiste idéalise (14, § A, II, B).
B) Dans la vie : la réalité d'ordinaire, à cause de ses vulgarités
et de ses mesquineries, laisse l'âme à sa médiocrité habituelle ; l'idéal
l'élève et l'agrandit, car l'art, qui s'inspire de l'idéal, nous porte
à idéaliser notre caractère et notre vie. (Psych., 124, § III).
14. — IMITATION, FICTION, IDÉALISATION
L'art, dans sa recherche de la beauté, peut suivre trois voies : 1° Se
modeler sur la réalité : c'est V imitation pure et simple. — 2^ Gréer des
œuvres sans rapport avec la réalité ; c'est le procédé de la fiction. —
3° Transformer la réalité pour la rendre plus conforme aux exigences de
la raison et de la sensibilité : c'est V idéalisation.
§ A. — IMITATION ET IDÉALISATION
L'art doit-il reproduire le plus exactement possible la nature ? Le
réalisme ou naturalisme répond affirmativement : ne rien omettre, ne
398 IMITATION, FICTION, IDÉALISATION (14)
rien retrancher ; pas de choix, pas de modifications : voilà la théorie.
Pour réfuter cette théorie il faut établir les deux propositions suivantes :
1° L'art doit imiter la nature. — 2° L'art ne doit pas se borner à l'imi-
tation de la nature.
I. — L'Art doit imiter la nature. En effet :
1° L'art a commencé par l'imitation en tout pays.
20 L'art est toujours une imitation, car il emprunte à la nature :
a) Les éléments qu'il met en œuvre : lignes, formes, couleurs, sons, etc.
Il n'appartient qu'à Dieu de créer la matière et la forme ; l'artiste se
borne à modifier la matière préexistante (Psych,, 120, II). — b) Le fond
de ses sujets.
3° Autrement l'art n'aboutirait qu'à des abstractions pleines de
sécheresse ou à des fantaisies désordonnées.
Beauté de l'imitation : l'art qui vise avant tout à l'imitation de la
réalité n'est qu'un art inférieur, dont le principal mérite est celui de
la difficulté vaincue.
En admirant l'œuvre d'art, nous sympathisons avec le talent de
l'artiste qui rivalise d'habileté avec la nature. C'est le charme de certains
tableaux de genre des écoles flamande et hollandaise. Mais, dans bien
des cas, le plaisir produit par l'imitation est amoindri ou annulé : vg. si
l'objet reproduit est insignifiant, laid ou immoral, sa copie sera indiffé-
rente, hideuse ou répugnante. Par conséquent c'est à tort que Boileau
a dit : ^- — ^
Il n'est pas de serpent ni de monstre odieux,
Qui par l'art imité ne puisse plaire aux yeux.
L'artiste, qui vise à l'imitation scrupuleuse de la réalité, n'aboutit
donc qu'à provoquer une émotion esthétique d'un ordre peu relevé.
Une autre conséquence inacceptable de la théorie de l'imitation c'est
d'identifier Vart à la science^ car il n'y a pas de meilleur moyen pour
reproduire fidèlement la réalité que d'en avoir une connaissance exacte,
scientifique.
L'imitation plus ou moins servile de la nature ne produisant qu'un
art inférieur, et d'autre part l'imitation exclusive étant chimérique,
il reste que l'imitation n'est pas le dernier mot de l'art.
IL — L'Art ne doit pas se borner à l'imitation de la nature.
La reproduction stricte de la nature n'est ni réalisée ni réalisable par
aucun art ; le fùt-elle, elle ne serait pas désirable.
A) Elle n'est pas réalisée. En eft'et :
1° Dans certains arts l'imitation est presque complètement absenie :
\g.V architecture ne cherche pas à imiter fidèlement les lignes qu'elle
reproduit ; — la musique n'imite qu'accidentellement les bruits de la
nature ; — la poésie, quand elle emploie le vers, s'éloigne de la réalité.
2° Même dans les arts dits d'imitation (peinture, sculpture, théâtre),
(14) IMITATION, FICTION, IDÉALISATION 399
la convention a une large part ; vg. dans la peinture : différence des
dimensions, cadre ; — dans la sculpture : immobilité absolue, d'ordi-
naire uniformité de couleur, yeux sans prunelle ; — dans la poésie
dramatique : loin de copier servilement la conversation, elle l'altère
avec intention (vers, rimes, musique) ; l'Iphigénie de Gœthe en prose
est bien inférieure à son Iphigénie en vers. — Autres conventions pour
le temps, le lieu, le décor de la représentation.
30 Dans les arts imitatifs V imitation est un moyen et non une fin.
B) Elle n'est pas réalisable. En effet :
1° Rivaliser avec la nature, c'est pour l'art se condamner à une
infériorité inévitable : la nature est complexe, ondoyante, vivante.
Comment en reproduire les mille détails, les nuances variées à l'infini,
la puissance, le mouvement et la vie ? Surtout, comment l'égaler ?
L'art ne peut égaler l'éclat d'une fleur, comment égalerait-il l'éclat du
soleil ? L'art, forcément, simplifie et immobilise. Pour compenser son
infériorité l'art doit dépasser la nature en l'imitant : il ajoute à la réalité
le resplendissement de la vie idéale.
2° La nature ne nous apparaît qu'au travers de notre esprit : chacun
la voit d'après ses dispositions innées et acquises. Il s'ensuit qu'aucune
oeuvre d'art ne peut être la simple copie d'un objet ; elle est nécessai-
rement aussi V expression d'un état d'âme. Mettez vingt-cinq peintres
réalistes en face du même paysage : toutes les reproductions seront
différentes et cependant le modèle est unique (^). L'artiste idéalise
toujours plus ou moins : il fait plus beau ou plus laid que nature.
Tout le monde fait instinctivement de ^l'idéal, même dans la vie
familière, car nous faisons spontanément un triage parmi les réalités
que nous voyons. Que dix personnes soient témoins d'un naufrage, leur^
récit, identique quant au fond, variera pour les détails ; chacun ne
prend et ne retient du même spectacle que ce qui l'a frappé et dans la
mesure où il l'a frappé. Il en est ainsi a fortiori de l'artiste, àme vibrante :
il marquera les choses qu'il reproduit de son empreinte personnelle ;
c'est ce qui fait l'originalité des œuvres d'art.
C) Elle ne serait pas désirable, fût-elle réalisable. En effet :
1° Si l'art n'avait pour objet que l'imitation du réel, il n'aurait plus
de raison d'être : il ferait double emploi. La réalité sera toujours plus
( ') TiiPFFEn, Réflexions et menus propos d'un peintre genevois, L. IV, Ch. v. — On cite
■quelquefois à l'appui de cette doctrine le mot de Bacon : Ars, siée addilv^ rébus homo (De
Augmentis Scientiarum, L. II, C. 11). Mais ce n'est là qii'une extension de la pensée de
Bacon. En voici le sens direct. ïln rapprochant certains corps, l'homme leur permet d'agir
les uns sur les autres et fournit ainsi à la nature la possibilité de produire des corps nouveaux
L'art, c'est donc l'action de l'homme venant en aide à la nature. Cf. G. Sort.\is, La Philo-
sophie moderne depuis Bacon jusqu'à Leibniz, T. I, p. 315, Paris, 1920.
400 IMITATION, FICTION, IDÉALISATION (14)
vraie que la reproduction la plus réaliste. On préférera toujours la
violette des champs à l'imitation de ses formes par le pinceau.
2° Si rimitation était le tout de l'art, le chef-d'œuvre serait d'atteindre
à l'illusion complète ; ce serait le trompe-VœU (vg. raisins de Zeuxis).
Or la recherche trop exclusive de l'imitation empêche l'art d'arriver à
son but : l'émotion esthétique. En effet, un objet trop exactement
reproduit paraît être réel ; dès lors on le prend au sérieux, on le traite
comme une réalité ; il ne provoque pas l'activité de jeu : c'est pourquoi
il ne produit pas d'efîet esthétique, il n'est pas beau. Même si l'illusion
est trop complète, on est mécontent d'avoir été dupé. Bien plus, s'il
s'agit d'un drame, le sentiment esthétique disparaît pour faire place à
un sentiment pénible : « Si je croyais, dit Cousin, qu'Iphigénie est en
effet sur le point d'être immolée par son père à vingt pas de moi, je
sortirais de la salle en frémissant d'horreur. »
30 Si donner l'illusion du réel était le but de l'art, un beau moulage
l'emporterait sur une belle statue, la photographie sur la peinture.
Conclusion : l'artiste doit surpasser la nature en l'imitant. La réalité
doit être embellie, mais rester reconnaissable. Il faut donc idéaliser.
Comment ?
10 En choisissant parmi les éléments à reproduire ceux-là seulement
qui sont expressifs. Le beau, qu'offre la réalité, est en efTet mêlé à quantité
d'éléments insignifiants ou laids. L'art le dégage de ces entours compro-
mettants, qui l'empêchaient de ressortir.
2° En perfectionnant les éléments choisis.
30 En faisant tout converger à la manifestation du caractère dominant
qu'on veut mettre en relief (15, V) (^).
La puissance et la fécondité de l'art lui viennent de sa liberté d'allure :
étant affranchi des conditions qui entravent, dans la nature, la réali-
sation de la beauté, à savoir la réalité, la matérialité, les lois de l'espace
et du temps, les exigences de l'utile, « il lui est facile, dit Aristote, de
faire des choses que ne peut faire la nature ».
§ B. — FICTION ET IDÉAL
La fiction n'a pas de lois ; elle défigure la nature ; elle est en dehors
de la réalité. C'est une combinaison arbitraire et capricieuse d'éléments
empruntés à la nature : vg, un centaure. L'idéal est une beauté plus
parfaite que la réalité ; il est au-dessus de la nature, mais dans le même
sens qu'elle : c'est la nature dégagée de ses imperfections. Ils diffèrent
par :
(>) Cf. G. Sortais, L'Esthétique de Masaccio, dans Études philosophiques et sociales,
Ch. vui, p. 389-401.
(15) LES GRANDES LOIS DE l'aRT 401
I. — Leurs fins : la fiction s'adresse à V iinagination et aux sens pour
les amuser ou les éblouir. — Le but de l'idéal, c'est de procurer un plaisir
profond et durable, le plaisir de la sensibilité morale et celui de la raison
qui reconnaît dans l'idéal une image de son objet suprême, le vrai absolu
et parfait.
II. — Leurs causes : a) Fiction : elle est due à V imagination comhi-
natrice disposant à son gré les éléments que lui fournit le monde réel
(Ps. 122). La fantaisie, la caricature, le merveilleux sont les procédés
habituels de la fiction. On la trouve dans les féeries, les romans de cape
et d'épée, les comédies d'intrigues, etc.
b) Idéal : c'est l'œuvre de V imagination créatrice. Les procédés
d'idéalisation sont le choix^ V assemblage., la transcendance (12). On peut
citer comme exemples d'idéal : le Cid., Polyeucte, le çieil Horace de
Corneille ; VAndromaque de Racine ; V Avare, le Misanthrope de Molière.
III. — Leurs caractères : a) la Fiction peut être invraisemblable,
extravagante, contraire aux lois de la nature; — 1' Idéal est logique et
naturel, car l'idéal d'un être se compose des éléments essentiels qui le
constituent ; sa beauté lui vient de la grandeur et de Vordre de ses élé-
ments. Aussi, bien que plus parfait que le réel, il ne lui est pa-s opposé :
en somme, il est le réel lui-même, plus puissant et mieux ordonné.
b) L'Idéal élève l'esprit et échauffe le cœur, puisqu'il remue puis-
samment toutes les facultés de l'âme. — Souvent, rien n'est froid et
sec comme la Fiction, l'allégorie.
Conclusion : les arts ne peuvent se passer de l'imitation et de l'idéal ;
mais la fiction ne leur est point nécessaire. Elle peut même leur nuire,
surtout quand il s'agit de peindre la vie humaine, comme dans les
romans. L'idéal nous montre un but élevé, mais possible et raisonnable ;
la fiction peut jeter dans un monde de chimères, qui dégoûtent des
réalités austères du devoir, nous faisant oublier, selon le mot connu,
que nous « avons à cultiver notre jardin ».
15. — LES GRANDES LOIS DE L'ART
On peut ramener aux suivantes les lois qui président à la production
de l'œuvre d'art :
I. — Imitation : L'artiste doit imiter la nature (14, § A, l).
IL — Sélection : L'artiste fie doit pas tout imiter dans la nature.
Il doit choisir les caractères : a) puissants, c'est-à-dire essentiels ou prin-
cipaux, parce que ce sont les plus stables et les plus généraux ; par là
même ils sont d'un intérêt durable et universel ; — b) ordonnés, parce
que ce qui est grand, noble, parfait excite de plus vives sympathies.
C'est un fait que les œuvres artistiques les plus belles sont celles qui
402 LES GRANDES LOIS DE l'arT (15^
expriment les caractères les plus puissants et les mieux ordonnés (2, IV) (^).
III. — Simplification : L'artiste doit dégager le caractère, qu'il veut
faire ressortir, de tous les détails inexpressifs qui l'enveloppent dans la
réalité.
IV. — Sublimation ou Transcendance : L'artiste doit perfectionner
les éléments choisis et simplifiéf^, les porter au plus haut degré possible
de puissance et d'ordre (12, A).
V. — Concentration : L'artiste doit faire converger tous les éléments
choisis, simplifiés, perfectionnés au resplendissement des caractères qu'il
(^eut exprimer. Pour y parvenir l'artiste devra observer ces deux lois
fondamentales de la création artistique (^) : V Expansion, la Proportion.
VI. — Expansion : L'artiste doit déployer puissamment toutes ses
facultés esthétiques. L'œuvre d'art ne sera puissante que s'il atteint
avec force et à la fois toutes les facultés esthétiques de l'homme. Pour
cela l'artiste doit offrir à chacune l'élément qu'elle réclame : le vrai
lumineux et imagé à l'intelligence, le bien honnête à la volonté, des
émotions à la sensibilité. Mais comment l'artiste atteindra-t-il puissam-
ment et simultanément toutes les facultés d'autrui, si ce n'est par le
déploiement puissant et simultané de toutes les siennes ?
VII. — Proportion : L'artiste doit déployer toutes ses facultés esthé-
tiques, mais selon leur hiérarchie invariable et les exigences variables de
l'objet : toutes les facultés de l'artiste doivent concourir à l'œuvre d'art,
mais non à parts égales. La part de chacune doit être mesurée par une
double proportion : a) entre les facultés ; b) entre les facultés et l'objet
à exprimer :
§ A. — PROPORTION ENTRE LES FACULTÉS
Elle doit être réglée d'après la hiérarchie essentielle des facultés :
ainsi l'imagination ne devra jamais dominer la raison, c'est-à-dire
l'image, éclipser la pensée ou en tenir lieu ; — jamais la sensibilité ne
doit énerver le vouloir par des émotions trop molles ou trop violentes ;
— jamais l'éclat des couleurs, l'harmonie matérielle du rythme et de la
cadence, le nombre oratoire ne doivent distraire la pensée ni étouffer
le sentiment. L'art doit se conformer à l'ordre essentiel voulu- de Dieu :
c'est une loi tout ensemble esthétique et morale. La hiérarchie implique
la subordination : il faut donc que les facultés sensitives, comme l'ima-
gination reproductrice, la perception extérieure, la sensibilité intel-
lectuelle et morale, soient subordonnées aux facultés spirituelles : la
( ') Taine, Philosophie de l'Art, Partie I, Cli. i, § IV-V.
( •) L'exposé de ces deux lois est emprunté à la Théorie des DMes-LelIres de G. Lonohave,
1,. I. Ch. i-iii.
15) LES GRANDES LOIS DE l'aRT 403
raison et la volonté. L'imagination et la sensibilité doivent rester à leur
placé : ce sont les servantes et non les maîtresses du logis. La rupture
de cette hiérarchie, ce déclassement des facultés se montre dans le
romantisme, le fantaisisme, le naturalisme, etc.
Conséquences funestes de cette raptare :
1° Pour la raison et la volonté : la raison est amoindrie^ car où l'ima-
gination domine, la rectitude du jugement fléchit ; amusé par le jeu
brillant des images, l'esprit se dégoûte de la réflexion et répugne à tout
effort d'abstraction et de généralisation. — La volonté est énervée,
car la recherche des émotions molles ou vagues paralyse son élan, et
« l'habitude des émotions violentes la mène par l'exaltation à l'atonie^
comme on va à la prostration par la fièvre )>.
2» Pour l'imagination et la sensibilité : elle les use et les matérialise.
Les facultés purement s])irituelles (intelligence et volonté) ne' se fatiguent
jamais de leur objet : la lumière de l'évidence n'offusque pas la raison ;
Ja grandeur du bien n'énerve pas la volonté. Les facultés sensitives, au
contraire, étant conditionnées par l'organisme, si on leur prodigue leur
objet, l'organisme s'use, et, conséquemment, l'exercice des facultés
elles-mêmes est entravé. L'imagination et la sensibilité morale parti-
cipent de la commune infirmité des sens : vg. une lumière trop vive irrite
les yeux, un son trop intense blesse l'oreille ; les sens ont besoin d'im-
pressions modérées pour se déployer normalement et par conséquent
pour jouir, (Ps., 21). De même pour l'imagination : la prodigalité habi-
tuelle des couleurs la rend plus exigeante, plus lourde à soulever. Une
fois à ce régime surexcitant elle se déprave : le grand ne lui suffit plus ;
il lui faut le gigantesque, le démesuré. De même pour la sensibilité :
l'excès des émotions l'appesantit, l'endurcit aux impressions naturelles,
la blase sur les émotions mesurées : il lui faut alors de l'horrible pour la
remuer. « Le pathétique outré, dit Joubert, est pour les hommes une-
source funeste d'endurcissement. » C'est ce qui explique l'alliance de
la sensibilité exaltée à outrance et de la cruauté. Les Romains couraient
au cirque comme d'autres se plaisent aux exécutions capitales. De là
cette sensiblerie maladive du xviii^ siècle et de la Révolution.
-')" Pour le goût français : le romantisme, qui est la mise en système
et en pratique de cette rupture, en excitant un besoin de couleur voyante
et d'émotion excessive, a dégoûté l'esprit français de la beauté calme
et mesurée. Ce qui est d'un éclat tempéré parait terne, ce qui n'est pas-
violent semble morne. C'est le fruit naturel d'un dévelopi)ement anormal
et morbide de l'imagination et de la sensibilité.
§ B. — PROPORTION ENTRE LES FACULTÉS ET L'OBJET
V L'esprit de l'artiste doit se représenter les choses au vrai, c'est-à-dire
bien voir ce qu'elles ont de réel, d'imagé, d'émouvant. A ce prix chacune
404 VALEUR DES LOIS OU RÈGLES ARTISTIQUES (16)
des facultés esthétiques sera déployée dans une mesure proportionnée
à la nature des objets. Quand un artiste a reçu du dehors une impression
vraie et complète, il lui reste à exprimer cette impression dans son oeuvre.
L'expression devra être en parfait accord avec les caractères des objets :
elle sera délicate ou forte, brillante ou sévère, simple ou grandiose, diver-
sement colorée ou" chaleureuse, selon la nature des choses qu'elle veut
rendre. L'observation de ce second article de la loi de proportion aura
pour résultats deux grandes qualités artistiques :
1° La variété qui, selon Bossuet, est « tout le secret de plaire » :
en eiïet comme les objets sont variés et comme chaque objet a des
aspects divers, si on les reproduit fidèlement, il en sortira une œuvre
variée comme eux.
2° Le naturel, car les choses ont été représentées à leur vraie mesure,
selon leur nature (17).
Les deux barrières, que nous opposons aux fougues désordonnées
<le l'imagination et de la sensibilité, sont : 1^ la nature de l'homme
(= hiérarchie essentielle des facultés) ; 2° la nature des choses (= pro-
po7-tion des facultés aux objets). Ces règles, quoi qu'en disent V. Hugo
et les romantiques, n'ont rien d'humiliant pour le génie, puisqu'elles
reposent sur l'essence des choses ; elles n'enchaînent pas non plus son
essor, car la puissance complète est au prix du respect de l'ordre.
16. — VALEUR DES LOIS OU RÈGLES ARTISTIQUES {^)
Les lois ou règles sont la formule des moyens propres à rendre l'acti-
vité esthétique puissante et ordonnée :
L — ■ Fondement : elles reposent : 1» sur la nature humaine et sur
la nature des choses ; — 2» sur les chefs-d'œuvre des hommes de génie
qui, guidés par leurs dons naturels et la réflexion, ont su réaliser le
beau ; — 3° sur V autorité des critiques., qui ont constaté et formulé les
procédés dont les hommes de génie se sont constamment servis.
II. — Légitimité : car elles n'ont rien de factice ni d'arbitraire.
L'autorité des théoriciens de l'art ne vient qu'au troisième rang ;
au-dessus d'eux sont les génies créateurs, les modèles ; et au-dessus des
créateurs eux-mêmes, l'immuable nature dont ils se sont inspirés.
La légitimité des règles, établies par les théoriciens, dépend de la justesse
avec laquelle ils ont su découvrir les secrets des grands maîtres et les
.exigences de la nature.
( M (j. LoNGH.VYK, Théorie des Bellcs-Lellres, L. I, Ch. v. — Em. Hknnequin, La critique
scientifique. — B. Croce, La Critica letteraria : questioni teoriche. — Brunetière, L'Évo-
lulion des Genres lilléraires.
(17) ESPRIT, TALENT, GÉNIE 405
lil. — Permanence et universalité : la nature étant toujours
et partout la même, il s'ensuit que partout et toujours elle aura les mêmes
exigences ; donc les moyens pour y satisfaire seront aussi partout et
toujours les mêmes ; par conséquent mêmes formules pour les exprimer.
IV. — Utilité : elles ne créent pas, elles ne remplacent pas le talent,
encore moins le génie ; mais elles les dirigent et par là même les for-
tifient.
Conclusion : au sommet, l'immuable nature créée par Dieu ; —
ensuite les modèles qui la reflètent ; — enfin les critiques qui les inter-
prètent. Uautorité existe donc dans les questions d'art, comme dans
le reste ; les jugements d'un grand esprit sont une présomption. « Il y
aurait outrecuidance à les rejeter avant examen ; mais l'examen reste
un droit et un devoir... » ('M.
17. — ESPRIT, TALENT, GÉNIE C)
L'originalité vraie suppose deux éléments :
1» Une plus grande puissance que celle des esprits ordinaires pour
pénétrer les choses et saisir leurs rapports cachés. Voilà ce qui constitue
les esprits distingués et les sépare du vulgaire.
2° Le second élément différencie les natures d'élite : il consiste dans
un certain tour personnel (^), dans une certaine manière d'envisager
les choses. Cette originalité est à l'intelligence ce que le caractère est à
la volonté : elle constitue la physionomie intellectuelle. La masse des
esprits possède un grand nombre de vérités, trop confusément pour se
les formuler elle-même, mais assez clairement pour les reconnaître
quand on les lui exprime. Le triomphe de l'originalité, c'est par consé-
quent « d'éclairer, comme dit Montaigne, le fond obscur des esprits,
de les avertir d'eux-mêmes », de leur faire achever des conceptions,
images et sentiments qu'ils avaient en eux-mêmes à l'état d'ébauche.
L'originalité vraie n'est donc que le naturel à un degré éminent, car le
naturel consiste à concevoir, à imaginer, à sentir ( = impression) et à
rendre {= expression), mieux que le vulgaire, ce que le vulgaire conçoit,
imagine et sent (*). Elle s'appelle, suivant le degré, esprit, talent ou
GÉNIE.
(M G. LONGHAYE, Théorie des Belles- Lettres, L. I, Ch. v, p. 111 (2" Edil.).
{') G. LoNGHAYE, Théorie des Belles-Lettres, L. I. Ch. ni, § IV.
( ») a Les hoiiuues vi^ritableiiient originaux sont ceux qui donnent un tour particulier
€t personnel aux sentiments de tout le monde » (Sainï-Marc Giraruin", La Fontaine et les
Fabulistes, T. II, Leçon XIV, p. 12, Paris, 1887').
( «) a Quand un discours naturel peint une passion ou un effet, on trouve dans soi-
même la vérité de ce qu'on entend, laquelle on ne savait pas qu'elle y fût, en sorte qu'on
«st porté à aimer celui qui nous le fait sentir, car il ne nous a pas fait montre de son bien,
mais du nôtre. » (Pascal, Pensées, Éd. Havet, Art. VII, n. 26).
406 LE GOUT (18)
A) Esprit : c'est la vivacité du bon sens appliqué aux vérités fami-
lières. Au XVII® siècle, ce mot avait un sens plus large ; il était synonyme
de talent. L'esprit est piquant ; il aiguillonne l'attention par la justesse
et l'imprévu de ses découvertes, et il amène le sourire. L'esprit ne doit
point être apprêté, mais spontané, car selon le mot de Gresset : « L'esprit
qu'on veut avoir gâte celui qu'on a. » Il ne faut pas en faire trop de cas,
parce que s'il u sert à tout, il ne suffit à rien ^ (^).
B) Talent et Génie : I. — Définitions : le talent c'est la puissance
naturelle et acquise des facultés esthétiques se déployant dans l'ordre ;
— le génie c'est la puissance complète et ordonnée des facultés esthé-
tiques, dépassant de beaucoup la mesure commune du talent. Autrefois
ce mot signifiait talent ; aujourd'hui il désigne une puissance exception-
nelle d'esprit, qui est surtout un don naturel {ifigenium) (Psych, 124,
§ II, A, l»). Le génie artistique se manifeste par la réalisation de V idéal ;
le génie scientifique par la découverte d'une çérité importante. Tous deux
ont besoin de l'imagination cçéatrice, l'un pour concevoir l'idéal à réaliser
(Psych. 124, § I) ; l'autre pour trouver l'hypothèse qui lui servira d'idée
directrice (Log. 66). L'artiste, après avoir mûri son idéal, l'exprimera
dans une forme sensible : après la conception, c'est le travail de l'exé-
cution. Le savant, après avoir imaginé une hypothèse, la vérifiera par
le raisonnement expérimental (^).
IL — Différence : c'est une différence de degré et non de nature.
Le génie et le talent sont une même puissance plus ou moins parfaite
Le génie est le superlatif du talent, car :
1° S'il y avait entre eux une différence d'espèce, les esprits cultivés
pourraient distinguer à coup sûr le talent du génie. Or souvent il y a doute.
2o Les facultés concourantes sont de part et d'autre les mêmes :
imagination reproductrice, imagination créatrice, sensibilité, goût,
volonté qui dirige leur essor.
3° Le champ ouvert à leur activité est identique : Dieu, l'homme et
le monde. La différence ne peut donc venir que de la façon plus ou moins
parfaite d'exprimer leur objet commun.
18. — LE GOUT (3)
I. — Nature : l'imagination est la faculté de créer l'idéal, le goût
est la faculté d'apprécier le beau. La première est propre à l'artiste ;
(') DucLOS, Considérations sur les mœurs de ce siècle (1751).
( ') G. SoRTAKs, L'Art et la Science, dans Études philosophiques et sociales, Ch. vu,
§ IV, p. 345-350.
(•) iMoNTESQuiEU, Essai sur le Goût. — J.-G. Herder, Causes de la décadence du goût
chez les différents peuples. — Signorelli, Del Gusto e del Bello. — Marmontel, Éléments
de Littérature, Introduction -.Essai sur le Goût. — Al. -G. Winckelmann, De la capacité
de sentir le beau dans les arts et de son éducation.
(18) LE GOUT 407
la seconde est, dans une certaine mesure, commune à tous. Le goût se
montre, à des degrés divers, dans l'homme ordinaire, l'esprit cultivé,
le dilettante, le critique, l'artiste. Le goût est une faculté complext/ :
c'est un heureux mélange de raison et de sensibilité. Les créations de
l'imagination seraient des œuvres incohérentes si l'artiste ne savait
pas mesurer la convenance réciproque de leurs parties et leur rapport
à l'elïet total qu'il veut produire ; son bon goût lui fait discerner entre
les images et les idées évoquées celles qui s'adaptent le mieux à l'expres-
sion de son idéal. L'imagination créatrice implique donc le goût. D'autre
part, sans une certaine dose d'imagination, on ne peut sentir et goûter
les beautés de l'art, car pour cela il faut pouvoir sympathiser avec
l'artiste, être capable de participer à sa création, de la refaire en esprit.
C'est le seul moyen de comprendre les œuvres artistiques et de les inter-
préter.
II. — Unité : « Le goût considéré dans la foule, c'est la direction
générale des appréciations portées en matière d'art en un temps ou
un lieu déterminé « (^) : vg. goût français ; goût du xix^ siècle. Le rôle
du goût est de juger d'après les exigences de la nature humaine et les
règles qui en découlent nécessairement. Le goût est donc un, certain,
immuable, parce qu'il a pour base les exigences de la nature humaine,
qui sont invariables et partout les mêmes. La Bruyère a raison : « Il y
a un bon et un mauvais goût et l'on dispute des goûts avec fonde-
ment (2). »
III. — Objection : en fait, pourtant, les goûts diffèrent avec les
individus, les pays, les époques. Des goûts et des couleurs on Jie dispute
pas.
Réponse : il est cependant des points sur lesquels tout le monde
est d'accord ; il y a des beautés qui s'imposent à l'admiration univer-
selle ; vg. les chefs-d'œuvre d'Homère, de Démosthène, de Phidias,
de Michel-Ange, de Raphaël, de Bossuet, etc. L'unité dont nous parlons
s'applique aux lois fondamentales de l'art et à leurs conséquences
immédiates.
Les variations qu'on objecte proviennent de causes accidentelles,
qui gâtent la droiture du jugement : influence du climat et de l'édu-
cation ; préjugés de race, de secte et d'école ; orgueil, sensualisme.
Ces tendances mauvaises faussent la rectitude naturelle de l'esprit,
qui, laissé à lui-même, irait droit au vrai. Nous avons, à propos de la
conscience morale, réfuté une objection analogue tirée des variations
des jugements moraux (Mor.\i.e, 12).
( M G. LoNGHAYE, Théorie des Belles- Lettres, L. I, Ch. v, § III.
( ') La Bruyère, Les Caractères, Du goût.
408 LA SCIENCE ET l'aRT (19-20)
19. — LA SCIENCE ET L'ART (i)
La Science et l'Art diffèrent par leurs iins, leurs principes et leurs
procédés :
I. — Fins : la science a pour fin le i>rai ; l'art, le beau. ^lais tous deux
sont désintéressés : ils recherchent le vrai et le beau pour eux-mêmes.
II. — Principes : le principe de la science est Y intelligence ; cdui
de l'art, c'est V imagination créatrice excitée par la sensibilité et réglée
par le goiït.
III. — Procédés : les procédés de la science sont V expérience et le
raisonnement inductif ou déductif (Log. 71, Conclusion) ; ceux de l'art,
Vimitation de la nature, V idéalisation et Yexpression (13, 14).
20. — CLASSIFICATION DES ARTS
D'une façon générale on distingue les Arts en mécaniques et en
libéraux.
Les Arts mécaniques apprennent à se servir de la matière ; ils ont
pour fin Vutilité, la satisfaction de quelque besoin. C'est pourquoi on
les appelle aussi les arts utiles. Les Arts libéraux s'adressent à l'intelli-
gence et à la sensibilité ; ils ont pour but le plaisir désintéressé du beau ;
on les nomme encore beaux-arts. On peut classer les Beaux-Acts :
I. — D'après les sens auxquels ils s'adressent {^) : on distingue
alors :
A) Les Arts Plastiques, qui s'adressent à la vue. On les nomme ainsi
parce qu'ils emploient les formes comme moyens d'expression. Ce sont
Î'Architecture, la Sculpture, la Peinture (3), auxquels on ajoute
I'Art des jardins et la Pantomime. On les nomme aussi Arts du dessin,
lequel soutient la forme, et Arts de Vespace, parce que leurs oeuvres,
étant des ensembles composés de parties étendues et coexistantes, se
déploient dans l'espace.
B) Les Arts Phonétiques, qui s'adressent à l'ouïe. On les appelle
ainsi parce qu'ils emploient les sons : Musique (*), Poésie. On les
nomme encore Arts du temps, parce que les parties de leurs oeuvres sont
successives.
(M G. SoflTAis, L'Art et la Science, dans Éludes philosophiques et sociales, Ch. vu,
p. 287-367.
( ") M. GniVEAU, Part de chacun des cinq sens dans l'appréciation d'un beau site, Annales
DE PHILOS. CHRÉTIENNE, mars 1900, pp. 6 76-685. — A. Laugel, L'Optique et les Arts.
{') L. Arréat, Psychologie du Peintre. — N. RooD, Théorie scientifique des couleurs.
— E. Tardif, Les sons et les couleurs.
( *) P. Blaserna, Le Son et la Musique. — M. Kufferath, Musiciens et Philosophes...
— H. Berlioz, La Musique et les Musiciens.
(20) CLASSIFICATION DES ARTS 409
Entre les deux se développe, à la fois dans Vespace par le mouvement
et dans le temps par la mesure, la Danse qui s'adresse à la vue et à
l'ouïe.
II. — D'après le degré de beauté exprimée et la puissance d'expression :
A) Architecture : elle n'exprime nettement que la beauté physique,
la puissance ordonnée de la matière. Elle a comme moyens expressifs
les lignes et les formes géométriques.
B) Sculpture : elle peut exprimer la beauté organique de la plante,
de l'animal et de l'homme, et même la beauté morale. Mais ses moyens
d'expression sont imparfaits (absence de perspective ; absence de
couleur, ordinairement du moins). La Statuaire en est la forme la plus
élevée (^).
C) Peinture : elle exprime le même genre de beauté que la scul}»-
ture, la beauté sensible, intellectuelle et morale. A la différence de la
sculpture elle ne dispose que de deux dimensions ; mais, en revanche,
ses moyens expressifs sont plus riches et plus variés : perspective, cou-
leur (2).
D) Musique : elle exprime les passions et les sentiments d'une
manière plus puissante que la peinture ; c'est pour cela qu'elle est l'art
le plus populaire. Mais elle reste dans le vague ; il faut la poésie pour la
préciser (^).
E) Poésie : elle surpasse tous les arts, parce qu'elle peut tout expri-
mer : beauté physique, sensible, intellectuelle, morale, divine, et ensuite
parce qu'elle a, dans la parole, le moyen expressif le plus puissant et
le plus précis. Elle résume tous les arts inférieurs : grâce à l'imagination
elle bâtit, sculpte, peint ; par l'harmonie et la cadence des vers elle imite
le mouvement rythmé de la danse et de la musique. C'est ainsi que
« l'art s'élève et grandit, comme grandissent et s'élèvent les beautés
exprimées, et les signes qui expriment ces beautés » (*).
F) Éloquence : elle est à la fois un art et une science. Elle est science
par le fond, par la logique du discours ; elle se distingue de l'art, qui a
pour fin directe la manifestation du beau, par son but qui est la persua-
( ') R. DK LA SizERANNK, Les Salons de 1901 et le vêtement moderne dans la Slaluaire,
Revue des Deix Mondics, 1901, T. III, p. 554 et s.
( *) Lessing; Laocoon ou sur les Limites de la poésie et de la peinture. — G. Lansing-
Raymond, Puintiyig, Sculpture and Architecture. Rhythm and Harmany in Poetry and
Music.
{') F. DE IlAUSEGGER, La Musique comme e.xpression. — P. Schmid, L'Art de l'acenir
et son maître R. Wagner. — Houston Stewart Chamberlain, Le Drame \sagnérien. —
Ch. Gounod, Mémoires d'un Artiste. — Jaell, La musique et la psycho-physiologie. — ■
A. Regnard, La Renaissance du Drame lyrique, Étude d'Esthétique scientifique. — L. Dau-
RiAC, La Psychologie dans iOpéi'a français. — J. Combarieu, Les Rapports de la musique
et de la poésie.
(♦) Ch. Lévêque, La Science du Beau, Part. III, Ch. i, T. II, p. 14, Paris, 187v!«.
410 l'art et la morale (21)
sion du vrai et la pratique du bien. Elle est un art en tant qu'elle exprime
le vrai et le bien d'une manière lumineuse, agréable et émouvante :
Id agit ut verhis Veritas pateat, veritas placeat, veritas moveat (^).
G) Histoire : elle tient aussi de l'art et de la science (Log. 102, § A). Au
delà s'étend le domaine de la Science pure, qui a pour but la manifes-
tation du vrai. Mais la science même peut se servir d'une belle forme
pour exprimer ses découvertes.
21. — L'ART ET LA MORALE (2)
§ A. — LEURS RAPPORTS
I. — L'Art est distinct de la Morale : l'art a sa fin propre,
immédiate, qui est de produire l'émotion esthétique dans l'âme par
l'expression du beau. La fin propre de la morale, c'est la pratique du
bien. Or le bien et le beau quoique liés étroitement sont distincts (4).
II. ^ — L'Art n'est pas indépendant de la Morale. En efl"et :
La morale, représentant Tordre essentiel des choses, la fin dernière,
a un domaine universel : elle s'étend à l'art, comme à tout le reste.
D'ailleurs il n'y a pas deux consciences, celle de l'homme et celle de
l'artiste. L'art n'est donc ni étranger, ni supérieur à la morale ; il lui
est subordonné ; par conséquent l'art ne justifie pas et ne sanctifie pas
tout. C'est pourquoi la maxime Vart pour Vart (^) est fausse, si l'on
entend par là l'indépendance de l'art vis-à-vis de la morale, si Ton
prétend que l'artiste a pour but exclusif de plaire sans se soucier de la
moralité. Mais, si l'on veut dire que l'art a un objet propre, une fin
spéciale, et si l'on admet que cette fin spéciale doit être, comme toute
fin particulière de l'activité humaine, subordonnée à la fin dernière,
à la loi morale, cette maxime est acceptable, mais la formule en est
équivoque.
III. — L'Art doit respecter la Morale, ne pas lui nuire :
c'est son devoir négatif. Poui' cela il doit respecter la nature de l'homme,
conserver, dans le déploiement des facultés esthétiques. Tordre noi'mal.
(') .s. Augustin, De Doclrina Chrisliana, L. IV, C. xxviii.
f ') G. LoNGHAYE, Théorie des Belles-Lettres, L. I, Ch. iv. — Brtnetière, Discours
rie combat, 1" Série, L'Arl et la Morale. — C.-A.-C. Herckenrath, Esthétique et Morale.
— L. Arréat, La Morale dans le drame, l'épopée et le roman. — E. Fehbi, Les Criminels
dans l'Art et la Littérature. — J.-P. Durand de Gros, Nouvelles Recherches .'>ur l'Esthétique,
ft la Morale. — A.-D. Sertillanoep, L'Art et la Morale.
(■') A. -Ed. Chaignet, Les Principes de la Science du Beau, IP P., § 4. p. 340 sqq. —
Ch. Lévêque, La Science du Bea-n, III" P., Ch. i. — TCiPifer, HéPexions etme^tus propos
d'un peintre genevois, L. V, Ch. xxiv. — A. Cassagne, Théorie de l'Art pour l'Art en France
chez les derniers Romantiques et chez les premiers Réalistes.
(21) l'art et la morale 411
ne pas exalter les sens aux dépens de l'esprit, n'agir sur les sens que pour
atteindre l'esprit. En procédant autrement, l'art manque son but.
Faux et immoral, il ne produit pas l'émotion esthétique, car s'il franchit
les limites du vrai et du bien, il choque la raison et scandalise la conscience:
le plaisir artistique est par là même gâté. (15, Vil, § A).
IV. — L'Art ne peut se contenter d'une neutralité res-
pectueuse : aucune œuvre artistique ne peut se tenir dans une position
moyenne entre nuire à la morale ou lui profiter, parce que toute œuvre
d'art agit plus ou moins sur l'âme du spectateur ou de l'auditeur ;
or on ne peut agir sur l'àme des autres qu'en bien ou en mal, car aucun
acte libre n'est moralement indifférent. L'art ne peut donc s'en tenir
à la neutralité ; comme d'autre part il ne doit pas nuire à la morale
(§ III), reste à se demander s'il n'a pas un pas de plus à faire et à prendre
position.
V. — L'Art doit servir la Morale : la morale représentant la fin
dernière, l'art, comme tout le reste, ne peut être que moyen par rapport
à elle ; or la condition du moyen c'est de servir. L'art doit donc prêter
à la morale un concours positif, direct ou indirect, en perfectionnant la
nature humaine par le contact de la beauté véritable, qui attire et
transforme en elle-même (^).
§ B. — EFFETS MORALISATEURS DE U ART
1. — Il détache Vâme des préoccupations égoïstes, parce que l'émotion
esthétique est désintéressée (1, § III).
IL — // élève Vâme en lui communiquant les nobles sentiments et
les grandes idées qu'il exprime : admirer, c'est presque imiter. L'art
étant la manifestation d'une activité puissante et ordonnée, sa vue
provoque dans l'âme une activité semblable qui l'embellit. Parfois
même le corps prend une attitude pius digne. « Quand je suis en présence
d'un chef-d'œuvre, j'éprouve le besoin de mettre mon âme à l'unis-
son ( ^). »
III. — // nous fait monter du spectacle des beautés créées au Principe
(le toute beauté, à VIdéal suprême, à Dieu. L'artiste est une âme puis-
sante, mais ordonnée, « qui, en se montrant elle-même, en montrant à
travers elle-même les objets de sa pensée, nous mène par le vrai et le
beau jusqu'au bien, terme obligé de toute activité libre. Voilà le rôle
( M Pour atteindre ce but l'art dispose de trois moyens : la leçon directe, la thèse, l'im-
pression. Cf. LoNGHAYE, Théoi-ie.... L. I, Ch. iv, § 4.
( ') Ch. Blanc, Grammaire des Arts du dessin : Principes, § III, p. 16, Paris, 1888'.
— Sur le pouvoir assimilant du beau. Cf. Longhaye, Théorie des BeUes-Lettres, L. I, Ch. m,
§ V.
412 l'idéal chrétien (22)
que lui indique la raison et que Dieu lui impose : nous n'en savons pas
qui puisse lui faire plus d'honneur » (^). C'est alors surtout que sera
vérifiée la définition du beau donnée par Brizeux :
Le beau c'est vers le bien un sentier radieux.
22. — L'IDÉAL CHRÉTIEN
Dieu est Vobjet suprême de l'art ('-), car il est le beau absolu, mais
il n'en est pas Vobjet proportionné^ parce que n'ayant pas de forme sen-
sible, il échappe aux prises de l'artiste (^). Pour trouver cet objet propor-
tionné il faut descendre aux manifestations sensibles de Dieu : c'est avant
tout l'homme, image de Dieu ; puis la nature, simple vestige de Dieu (■*).
L'homme est donc par excellence l'objet de l'art, objet non pas sou-
verain, mais proportionné. Le plus grand service à rendre à l'art serait
par conséquent de lui montrer dans un seul être l'idéal absolu sous une
forme qui le laisse transparaître. Or l'Incarnation nous présente ce
modèle : Jésus-Christ est Dieu^ partant Vobjet souverain de l'art, la
beauté suprême. Jésus-Christ est homme, par conséquent, Vobjet propor-
tionfié de l'art, la beauté idéale rendue visible. C'est l'Idéal incarné (^).
C'est ainsi que le dogme chrétien donne à l'art : 1^ Un Idéal incompa-
rable, Notre-Seigneur Jésus-Christ. 2° Sa Règle fondamentale : VlncAT-
nation est le modèle achevé de V union du spirituel et du corporel, du
visible et de l'invisible, ainsi que de la subordination du corporel et du
visible au spirituel et à l'invisible. C'est ainsi que sont établies les vraies
relations de la chair et de l'esprit, des sens et de la raison, et conséquem-
ment du double élément de l'art, le visible et l'invisible, la forme sensible
et l'idéal (il).
« 0 mon cher Socrate, la véritable vie c'est le spectacle de la Beauté
éternelle... Que penser d'un mortel à qui il serait donné de contempler
(>) G. LoNGHAYE, Théorie..., L. I, Ch. iv, p. 104 (2^ Édit.).
{■) Un élève de Saint-Mary's Collège à Cantorbéry se mourait à la fleur de l'âge.
Le R. P. Recteur lui posa cette question : « Que dirai-je de votre part à vos camarades ? ■-
Le moribond se recueillit un instant : puis, ouvrant de grands yeux brillants de joie :
" Dites à mes camarades qu'il n'y a rien de plus beau que le bon Dieu 1 » La foi avait
inspiré à cet enfant de quatorze ans une réponse disne du génie de Platon. Ilrepose en paix,
.'i l'ombre des grands arbres du parc de Saint- Mary, dans un humble cimetière, presque
en face de l'antique cathédrale de Cantorbéry. On a gravé sur sa tombe la sublime pensée
qui avait jailli spontanément de son cœur chrétien. (S. du Lac, France, 3' Lettre, p. 137,
ti-^ Édit.).
( ') A. Cahour, Les Mystères de l'Art éclairés par l'Évangile, dans les Études, 1870-
\H-\, T. XXV, p. 641-662.
(*) Mgr Landriot, Le Sumbolisme. L. I, Ch. i.
( ') G. LoNGHAYE, Théorie des Belles-Lettres, L. II, Ch. vi, § 5. — J. Félix, Conférences
de Moire-Dame, 1867.
(22) l'idéal chrétien 413
la Beauté pure, simple, sans mélange, non revêtue de'cliair et de couleur
humaines et de toutes les autres vanités périssables, mais la Beauté
divine elle-même ! » (^). Nous pouvons nous élever encore plus haut que
Platon sur les ailes de la foi. Cette vision, ce face à face béatifique, rêvé
par lui, n'est pas de la terre, mais du ciel. Là seulement, notre regard,
fortifié par la lumière de gloire, sera capable de soutenir l'éclat de la
Divinité, une en sa nature, trine en ses personnes : Deus uniis et trinus.
Sans doute, le Père, le Verbe, l'Esprit sont la beauté même (^). Cependant
la beauté est l'attribut spécial du Verbe, car il est la « splendeur du
Père », (( l'expression adéquate de sa substance »(^) ; et Dieu, en créant,
considérait l'exemplaire parfait de chaque être en son Verbe, parce que
le Verbe est l'art du Père tout-puissant : Verbum perfectum, ciii non
desit aliquid, et ars quœdam omnipotentis et sapientis Dei plana omnium
rationum çii'entiutn incommiitabilium (*). Nous sommes plus favorisés
que Platon • dans la plénitude des temps, le Verbe s'est fait chair et
nous avons vu sa beauté infinie transparaître sous la forme humaine,
la plus accomplie qui fut jamais. C'est l'idéal réalisé. -Il rayonne, au
point culminant de l'histoire, comme l'indéfectible foyer du beau
physique, intellectuel et moral. Architecture, peinture, sculpture,
musique, poésie, éloquence, tous les arts subissent le charme de cette
radieuse apparition et la célèbrent à l'envi, chacun dans sa langue expres-
sive (^). Mais le plus glorieux hommage lui vient de la vertu : le dernier
des chrétiens est un grand artiste quand il fait passer dans ses actes
quelque reflet du divin Idéal : Chrisiianus alter Christus. Rappelez-vous
donc, chers jeunes gens à l'âme ardente, que vous avez un chef-d'œuvre
à produire, celui d'une belle vie, chef-d'œuvre qui éclipse tous les autres,
car « Rien au monde n'est beau comme une belle àme » !
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(') G. SoRT.vis, Parihénon et .\olre-Dame, dans lixcursions artisliq'tes et littéraires. § IV,
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I
MÉTAPHYSIQUE
INTRODUCTION
1. - NATURE ET OBJET DE LA MÉTAPHYSIQUE
I. — Définition : la Métaphysique, appelée par Aristote Philo-
sophie première (r, upcoTr, '^tXoTOîf.a) (^), est la Science des premiers principes
et des premières causes {^).
Le terme Métaphysique fut choisi par les compilateurs des ouvrages
d'Aristote pour désigner les livres qui, dans l'enseignement du Maître,
venaient après les livres de Physique {tj.txk tx cpuctxâ) et où il traitait des
sujets relatifs à la Philosophie "première.
II. — Objet : c'est de rechercher la nature des choses, l'être par
conséquent, ce qui est vraiment réel, xo ov, par opposition au phéno-
mène, To cpatvo'fxevov, ce qui paraît être, l'accidentel. Elle fait cette
recherche de la nature des choses en remontant à leurs premiers prin-
cipes et à leurs premières causes. L'objet de la Métaphysique (la nature
des choses) est donc évidemment rationnel et supra-sensible ; il dépasse
les données de l'expérience ; il ne peut être atteint que par la raison,
mais la raison doit s'appuyer sur les données expérimentales.
2. — LA QUESTION PRÉALABLE
Avant de montrer l'importance de la Métaphysique et d'indiquer
sa division, il nous faut résoudre une question préalable : la Métaphy-
( M Aristote, Métaphysique, L. V, C. i, § 8. Édit. Didot, T. II, p. 535. — Cf. Physique,
L. I, C. IX, § 5, Ibidem, p. 260. — De Coelo, L. I, C. viii, § 15, Ibidem, p. 380.
( -) — o'ii'a Tispi xà Tcpôixa aixia xal xJtç «p/_âç (Aristote, Métaphysique, L. I, C. i,
I 12. Kdit.' niDOT, T. II, p. 469).
420 LA QUESTION PRÉALABLE (")
sique est-elle légitime et la connaissance rationnelle à laquelle elle
prétend aboutir a-t-elle quelque valeur ? Certains philosophes répondent
à cette question par une négation plus ou moins radicale. La négation
de la possibilité de la Métaphysique se présente sous deux formes : le
Scepticisme et le Relativisme ou Idéalisme. A ces solutions négatives
nous opposerons la réponse affirmative du Dogmatisme ou Réalisme
métaphysique. , • i
En d'autres termes, le problème à résoudre est le suivant : la connais-
sance que nous avons des choses est-elle subjective ou bien objective f'
Connaissons-nous les choses telles qu'elles apparaissent à notre esprit
ou telles qu'elles sont en elles-mêmes ? Diverses solutions ont ete don-
nées à ce problème de la valeur de la connaissance : . , , .
I. _ Scepticisme : il répond que la vérité est inaccessible à l'esprit ;
c'est la négation de la certitude, le doute universel.
II. — Relativisme : un certain nombre de philosophes soutiennent
que toute connaissance étant relative, l'esprit humain ne peut dépasser
le phénomène pour atteindre l'être, la chose en soi, l'absolu ; des lors
la Métaphvsique est impossible. , , . ,,
ni. —'Dogmatisme : il dit qu'il y a des vérités indubitables et que
l'esprit humain peut les connaître, d'une connaissance à la fois certaine
et objective, sans être absolument relative.
SECTION I
Légitimité de la Métaphysique
et valeur de la Connaissance.
ARTICLE I. — LE SCEPTICISME
Le Scepticisme a revêtu deux formes : 1° Scepticisme absolu ou
Pyrrhonisme. — 2^ Scepticisme relatif ou Prohahilisme.
3. — SCEPTICISME ABSOLU OU PYRRHONISME
§ A. — NATURE DU PYRRHONISME
Le Scepticisme (de ax£7rT0|jLat, j'examine) prétend que nous ne
somrties certains de rien : toutes les opinions sont également incertaines.
D'après Pyrrhon, des raisons d'égale force peuvent être opposées à
toutes les opinions ou invoquées en leur faveur (llavTt Xo'yw Xo'yo;
àvTÎxetxat). Aussi le sage doit-il s'abstenir de toute affirmation ou
négation. La vraie sagesse consiste donc, au point de vue intel-
lectuel, à suspendre son jugement : c'est F 'K-rro/r,. L'idéal moral de
Pyrrhon, c'est l'apathie et l'indifférence absolues (à^îta-joûta).
Les Sceptiques ne contestent pas l'existence de la certitude comme
phénomène subjectif, mais sa valeur objective. Ils ne doutent donc pas
des apparences, mais ils ignorent si les choses §ont en elles-mêmes
telles qu'elles apparaissent. Dans la pratique, ils conforment leurs
actes aux apparences et reconnaissent une certitude qu'on peut appeler
empirique.
Bref, le Pyrrhonien doute de V aptitude de V esprit à connaître la vérité^
à pénétrer la nature des choses.
§ B. — APERÇU HISTORIQUE
Les Sophistes grecs, les Protagoras, les Gorgias, les Critias,
les HippiAS, etc., étaient des rhéteurs habiles, qui soutenaient indiffé-
remment le pour ou le contre sur chaque question, par intérêt ou par
dilettantisme. Cette indifférence à l'égard de la vérité favorisait le
doute : la Sophistique fraya le chemin au Scepticisme,
422 SCEPTICISME ABSOLU OU PYRRHONISME (3)
Les Sceptiques reconnaissent pour leur maître Pyrrhon (vers 365-
275 avant J.-C), né à Élis. Après lui, le Scepticisme eut pour principaux
représentants : tEnésidème (probablement du i^"^ siècle avant J.-C),
qui composa, entre autres ouvrages, les UuppoJveiot Xoyot {Discours
Pyrrhoniens) et ramena à dix les raisons de suspendre le jugement
(Aexa TcoTTot t^,ç Itzo/%^) ; — Agrippa (peut-être enseigna-t-il vers
la fin du i^'^ siècle après J.-C. et au commencement du second), qui les
réduisit à cinq ; — Sextus Empiricus (vers le milieu du m® siècle
après J.-C), médecin, qui écrivit notamment les riupptovsiot uttotutccWeiî
{Hypoty poses Pyrrhoniennes) et llpb; [xaO-oaaTtxou; {Contre les Mathéma-
ticiens) {^).
Le Scepticisme, inconnu au Moyen Age, reparaît, parmi les modernes,
avec Montaigne, dont le scepticisme est plutôt une boutade littéraire
qu'une doctrine réfléchie, Pierre Charron, La Mothe Le Vayer,
Bayle.
Pour Pascal, Huet, La Mennais, leur Scepticisme est plutôt une
arme de controverse et un moyen apologétique pour rabattre la « su-
perbe » de la raison humaine qu'ils veulent ramener à la foi.
De notre temps, le Scepticisme proprement dit n'a plus de partisans.
Les philosophes, qui rejettent la valeur de la raison humaine, ont adopté
une attitude plus spécieuse, dont VIdéalisme et le Relativisme sont
l'expression subtile.
§ C - ARGUMENTS DES SCEPTIQUES
I. — Faiblesse de l'esprit humain : toutes les choses soiit liées les
unes aux autres et soumises au déterminisme. Pour en connaître une,
il faudrait les connaître toutes, ce qui est impossible. Donc nous ne
pouvons rien connaître. Ainsi raisonnent certains Sceptiques.
Réponse ; a) Cet argument est contradictoire, car un pyrrhonien
n'a pas le droit de postuler le déterminisme universel, c'est-à-dire l'en-
chaînement et la liaison de toutes choses.
b) Dans l'ordre spéculatif, il n'est pas exact que tout soit néces-
sairement lié à tout. Les vérités les plus générales sont indépendantes
de celles qui le sont moins : vg. on peut apprendre les Mathématiques
sans savoir la Physique.
c) Dans l'ordre réel, il en est autrement : les êtres et les faits dépen-
dent les uns des autres. Cependant on n'a pas le droit d'en conclure
avec les Sceptiques que nous ne pouvons absolument rien connaître
d'aucune manière ; mais seulement qu'on ne peut rien connaître d'une
C) Cf. V. Bhochard, Les Sceptiques grecs, L. I, III, IV. Paris, 1887.
(3) SCEPTICISME ABSOLU OU PYRRHONISME 423
façon adéquate. De ce que nous ne savons le tout de rien, il ne s'ensuit
donc pas que nous ne savons rien du tout.
II. — Erreurs de l'esprit : l'esprit humain se trompe quelquefois ;
qui nous prouve qu'il ne se trompe pas toujours ?
Réponse : si l'on sait qu'il s'est trompé, c'est qu'on a vu que quelque-
fois aussi il ne s'est pas trompé. — Ici encore la conclusion dépasse les
prémisses : de ce que nous nous trompons som'ent, il ne suit pas que
nous nous trompons toujours.
III. — Contradictions de l'esprit : de siècle à siècle, de peuple
à peuple, d'école à école, d'individu à individu, on constate des contra-
dictions, dans l'ordre des connaissances spéculatives, comme dans l'ordre
des connaissances morales {Le Scepticisme moral. Cf. Morale, 12).
Réponse : la contradiction n'est ni absolue, ni universelle. L'esprit
humain a toujours admis certains principes généraux et nécessaires
qu'aucun homme en son bon sens n'a jamais niés : vg. Ce qui est, est ;
il faut faire le bien, etc. La diversité provient non de la raison elle-même,
mais de la variété des données sur lesquelles elle s'exerce, et des passions
dont elle subit l'influence. (Logique, Causes de Verreur, 124).
IV. — Diallèle (<?{' àXXT^Xojv, l'un par l'autre) : il est impossible
à la raison de démontrer sa véracité sans cercle vicieux, car toute
démonstration doit se faire à l'aide de preuves. Or qui montrera la
valeur de ces preuves, si ce n'est la raison elle-même ?
Réponse : cet argument est exact. Aussi le Dogmatisme prétend
que la valeur de la raison est, comme celle de la conscience, indémon-
trable, mais en même temps inattaquable, car on ne peut la révoquer
en doute sans la supposer. Toute discussion, en effet, est un exercice
de la raison dont on suppose préalablement la véracité.
§ D. — RÉFUTATION DU SCEPTICISME
I. — Réfutations inefficaces : pour réfuter le Scepticisme on a
souvent recours à des arguments incomplets ou insuffisants, par exemple :
a) C'est une vaine tentative de rappeler le sceptique au bon sens
vulgaire, car Pyrrhon et Sextus Empiricus déclarent que pour la conduite
pratique, ils l'acceptent comme le commun des hommes. On doit donc
rejeter Vargumentum baculinum que Duns Scot a formulé ainsi : ;< A qui
ne veut pas admettre l'existence des objets matériels, il faut donner
des coups ou de l'esprit, et le battre jusqu'à ce qu'il avoue qu'il y a
une différence entre être battu et ne pas l'être. »
b) L'accusation de contradictions formelles est également sans objet.
Pour mériter cette accusation, il est nécessaire d'affirmer ou de nier
quelque chose catégoriquement. Or le sceptique, on l'a vu, n'affirme
rien d'une façon catégorique, pas môme son doute.
424 SCEPTICISME ABSOLU OU PYRRHONISME (3)
II. — Réfutation véritable du Scepticisme :
a) Si le sceptique ne mérite pas le reproche de contradiction logique
formelle, il n'échappe pas à celui de contradiction pratique, car" sa
conduite est en désaccord permanent avec son doute théorique universel.
L'évidence des démonstrations mathématiques, de sa propre existence,
de la réalité du monde extérieur, de sa responsabilité morale s'impose
au sceptique comme au reste des hommes. Accepter pour la vie pratique
ces affirmations spontanées et les révoquer en doute pour la vie intel-
lectuelle, c'est vivre dans une contradiction perpétuelle, c'est mener
une vie contre nature, car ces affirmations spontanées sont le fruit
naturel de l'intelligence.
b) Tout homme, y compris le sceptique, par la conscience qu'il a
de lui-même, de ses actes et de ses états psychologiques, saisit son moi
com.me être réel et existant. L'être réel se montre donc à nous dans
une expérience qui rend le doute impossible, car cette expérience est
à la fois concrète, immédiate, intellectuelle (Psych. 68).
Saint Augustin opposait aussi au doute des Sceptiques cet argument
invincible de l'expérience intellectuelle (^). Descartes, de son côté,
montre que l'efficacité du Cogito, ergo suni contre « les plus extrava-
gantes suppositions des Sceptiques » vient du caractère immédiat et
spontané de cette vérité : « ...Quand nous apercevons que nous sommes
des choses qui pensent, c'est une première notion qui n'est tirée d'aucun
syllogisme ; et lorsque quelqu'un dit : Je pense, donc je suis ou j^ existe,
il ne conclut pas son existence de sa pensée comme par la force de
quelque syllogisme, mais comme une chose connue de soi ; il la voit
par une simple inspection de l'esprit : comme il paraît de ce que s'il la
déduisoit d'un syllogisme, il auroit dû auparavant connoître cette
majeure : Tout ce qui pense est ou existe.; mais au contraire elle lui est
enseignée de ce qu'il sent en lui-même qu'il ne se peut faire qu'il pense
s'il n'existe {^). »
c) Le vice radical du Scepticisme est de supposer que tout ce qui
ne peut se démontrer est incertain. C'est dire que toute certitude pro-
vient d'une démonstration, mais à tort, car toute démonstration a pour
base des principes indémontrables, évidents par eux-mêmes, des prin-
( ') Vivere se tamen, et meminisse, el intelligere, et velle, et cogitare, etscire, et judicare
quis dubitet ? Quandoquidem etiain si dubitat, vivit ; si dubitat unde dubitat, meminit ;
si dubitat, dubitare se intelligit ; si dubitat, cerlus esse vult ; si dubitat, cogitât; si dubitat,
scit se ncscire ; si dubitat, judicat non se temere consentire oporterc. Quisquis igitur aliunde
dubitat, de his omnibus dubitare non débet : quac si non essent, de nulla re dubitare non
posset. (S. Augustin, De Trinilate, L. X, C. x, § 14. Patrologia Latina, T. XLII, col. 981).
( ") Descartes, Réponses aux secondes objections. Traduct. de Clerselier, Œuvres
de Descaries, Édit. Cousin, T. I, p. 427. — Pour le texte latin de Descartes, voir Œuvres,
Édit. Adam, T. VIT, p. 140, ligne 18.
(4) SCEPTICISME RELATIF OU PROBABILISME 425
cipes premiers en un mot. Autrement il faudrait reculer à l'infini, ce
qui» répugne (Log. 37, § B).
4. — SCEPTICISME RELATIF OU PROBABILISME
A) Exposé. — C'est la doctrine de la Nouvelle Académie, École
fondée par les disciples de Platon, infidèles à leur maître. Elle eut pour
chefs Arcésilas (vers 315-240 avant J.-G.) et Garnéade (vers 219-129).
Cicéron, bien qu'éclectique dans sa philosophie, s'est en somme rallié
à cette École (^). D'après le Scepticisme absolu, le pour et le contre
se balancent ; ils sont également incertains. D'après le Probabilisme,
toute 'opinion est nécessairement incertaine ; mais il y a des degrés
dans l'incertitude. On peut préférer une opinion à une autre à cause
de sa plus ou moins grande probabilité. Comme on ne peut s'élever à
la certitude, il faut se conduire suivant la probabilité ; comme on ne
peut atteindre la vérité, il faut se contenter de la vraisemblance {^).
B) Réfutation : I. — Le probabiliste, qui n'admet aucune vérité,
doit rejeter également la vraisemblance, car c'est une image de la
vérité ; or, si on ne connaît pas la vérité, on ne peut savoir ce qui lui
ressemble. Qui n'a pas vu l'original est-il en droit de dire que le portrait
n'est pas ressemblant (^) ?
II. — La probabilité est une approximation de la certitude. Comment
donc estimer une chose probable si on ignore à quelles conditions elle
est certaine ? La probabilité est à la certitude ce que la vraisemblance
est à la vérité : elle la suppose.
III. — La probabilité implique elle-même la certitude. En effet
lorsque, de deux opinions opposées, nous affirmons que l'une est pro-
bable et que l'autre ne l'est pas, cette affirmation doit être regardée
comme certaine, car, si elle était douteuse, il n'y aurait même plus
de probabilité. Si le probabiliste prétend que cette affirmation n'est
elle-même que probable, il doit le dire encore avec certitude, ou bien
la probabilité reculera à l'infini, sans qu'on puisse jamais y parvenir.
C) Remarques : 1° Il faut d'ailleurs remarquer que le Probabilisme
contient une part de vérité. Il est des cas où nous ne pouvons arriver
qu'à des connaissances plus ou moins probables ; la raison exige alors
qu^n se contente d'affirmer dans la mesure où l'on voit, c'est-à-dire
de n'affirmer que la probabilité (Logique, 117). Le Scepticisme n'est
( ') Nos autein, ut ceteri alia certa, alia incerta esse clicunt, sic ab his dissentientes,
alia probabilia, contra alia, dicimus (Cickron, De 0//(cns, L. II, § II).
{■) V. Brochard, Les Sceptiques grecs. Livre II.
( ') Nihil luilii videtur absiirdivis dicere se verisiniile sequi cuiii qui vcruiii qiiid sit
ignoret (S. Augustin).
426 RELATIVISME : § I. — LE PHÉNOMÉNISME (4)
admissible, comme le reconnaît Descartes, que sous la forme du doute
provisoire et méthodique (Logique, 116, B). *
20 On ne doit pas confondre le Probabilisme spéculatif, dont il est
question ici, avec la théorie morale, qu'on nomme aussi Probabilisme.
Le Probabilisme spéculatif prétend que notre connaissance ne peut
dépasser le stade de Yopinion. Le Probabilisme moral, reposant sur
ce principe, spéculativement certain, qu'une loi douteuse n'oblige pas
{Lex dubia non obligat), comporte une certitude pratique. (Morale, 15, D).
ARTICLE II. — LE RELATIVISME
Certains philosophes prétendent que, toute connaissance étant essen-
tiellement relative au sujet connaissant, nous n'atteignons jamais les
choses telles qu'elles sont en elles-mêmes, mais seulement telles qu'elles
nous apparaissent. Nous ne connaissons rien absolument, mais tout rela-
tivement. C'est dire que notre connaissance ne peut aller au delà du
phénomène pour atteindre l'être et la substance, au delà du contingent
et du relatif pour s'élever jusqu'au nécessaire et à l'absolu. Le problème
métaphysique est donc hors des prises de l'esprit humain. Telle est la
prétention du Relativisme. On l'appelle aussi Idéalisme, parce que,
d'après ce svstème, nous ne connaissons que nos idées, et l'objet de notre
connaissance est uniquement l'objet pensé en tant que pensé. Tout l'être
se ramène donc à percevoir ou à être perçu. Esse est percipere aut percipi
(Berkeley. Cf. Métaphysique, 36, I).
Le Relativisme a pris plusieurs formes, dont voici les principales :
I, — Phénoménisme (Hume, Stuart Mill).
IL — Ciiticisme (Kant).
III. — Néo-Criticisme (Renouvier).
IV. _ Idéalisme métaphysique (Lachelier, Bergson).
V. — Positivisme (A. Comte, Taiine).
Ces divers systèmes, soutenant que toute connaissance est relative,
en concluent que la Métaphysique, qui prétend atteindre l'absolu, est
impossible. D'après les quatre premiers systèmes, cette impossibilité
provient du sujet connaissant, })arce que-, disent-ils, l'intelligence ne
peut rien connaître absolument. On peut donc les ranger sous le titre
commun de Relativisme subjectif. Pour le Positivisme cette impossi-
bilité a sa cause dans Vobjet à connaître : l'absolu est essentiellement
inconnaissable. C'est le Relativisme objectif.
5. _ § L — LE PHÉNOMÉNISME
L'Idéalisme, dont Hume est le fondateur, nie non seulement la
réalité objective des corps, mais celle de toute substance et de toute
cause.
(5) RELATIVISME : § I. — LE PIIÉNOMÉNISME 427
Hume a distingué plusieurs phases dans la connaissance :
a) Nous sommes pratiquement certains de la réalité des objets qui
nous environnent. Ce sont les données fournies par le bon sens, voix de
la nature {^).
b) On est naturellement porté à donner une valeur objective théo-
rique à ces données. Mais la réflexion philosophique nous montre que
ce sont de simples sensations qui ne représentent pas des choses. Hume
applique le principe de Berkeley : Esse est percipi. Mais ce nrincipe que
Berkeley restreignait aux sensations, Hume Tétend aux idées, parce que,
dit-il, toutes nos idées dérivent des impressions sensibles. Aussi, pour
lui, (i une pierre, un arbre, etc. sont des collections de sensations... Le
moi est un faisceau de différentes perceptions qui se succèdent. » C'est
pourquoi son système a reçu le nom de Phénoménisme.
La réflexion philosophique nous empêche d'affirmer théoriquement
les vérités de sens commun ; mais elle ne nous empêche pas d'y croire.
c) Tout ce qui concerne l'essence des choses et tout ce qui dépend
du principe de raison suffisante est hors de la portée de notre esprit. Ainsi
la notion de cause nous est inaccessible {^). Elle se réduit pour nous au
retour régulier des mêmes phénomènes (Psygh., 183, § A, III). C'esl
pourquoi les sciences de la nature ne sont que des généralisations d'expé-
riences sensibles, qui n'ont qu'une valeur empirique, parce que la
relation de cause à efl'et nous échappe.
En Mathématique cependant les généralisations ont un caractère
absolu, parce qu'elles n'appliquent aux données de l'expérience que
le principe de contradiction et qu'elles n'affirment pas l'existence de
leur objet.
Dans ces conditions, la Métaphysique est impossible, puisque l'esprit
ne peut atteindre la nature- des choses. Ceux qui s'y aventurent entrent
dans la « région des sophismes et des illusions ».
Ha-milton, Stuart Mill, Spencer, Bain, Lewes ont développé le
système de Hume. D'après eux, tout est relatif à nos sensations : les
corps, le moi, l'absolu ne sont que des représentations subjectives.
C) « Le scepticiue doit adhérer au principe de l'existence des corps, bien qu'il ne puisst",
par aucun argument philosophique, en maintenir la vérité. La nature ne nous a pas laisse
ici la liberté du choix, et elle a sans doute considéré que cette croyance était une affain^
de trop d'importance pour être confiée à la garde de nos spéculations et raisonnement.^
incertains. »
Thus ihe sceptic... mustassent lo the principlc concerning the existence ofbody, tho" lie
cannot prétend by any arguments of philosophy to mainlain its veracity. Nature has noi
left this to his choice and has doublless esteem'd it an affair of too great importance to be
trusted to our uncertain reasonings and spéculations.- (Humk, A Trealise of Humnn Nature.
L. I, Part IV, Sect. II, au début. Édition Gueen et Grose, T. I, p. 478, Londres, 189S).
(-) Hume, A Trealise of Human Nature, L. I, P. III, Sect. II, III, IV.
428 RELATIVISME : § I. — LE PHÉXOMÉNISME . (5)
Stuart Mill dit, par exemple : « Mon esprit n'est qu'une série de sen-
timents » ( ^). « La matière est une possibilité permanente de sensa-
tions » (^). C'est la théorie de la Relativité absolue delà connaissance
(PSYCH. 76).
B) Réfutation. — Cette théorie doit être rejetée, parce qu'elle a
le tort de nier :
I. — La réalité objective des corps : nous avons vu en Psychologie
(95, 96) que les qualités sensibles sont significatives des qualités existant
en dehors de nous. Si rien de semblable ne correspond dans les corps
à la perception que nous en avons, il ne s'ensuit pas que rien de réel
n'y corresponde : les qualités sensibles étant des effets réels supposent
une cause réelle. Cette cause n'est pas en nous, elle est donc hors de
nous. Mais, quoi qu'en dise Berkeley, ce ne peut être Dieu, car il serait
contraire à sa sagesse et à sa véracité de nous rendre dupes d'une illusion
invincible. Comment prêter à Dieu un pareil rôle ? (Métaph. 36, I).
II. — La réalité de l'esprit comme cause et substance. En effet cette
négation :
1^ Est contraire au témoignage de la conscience : car celle-ci :
a) Nous montre la permanence du moi opposée à la succession des
phénomènes, l'unité du moi et son identité opposées à la multiplicité
des phénomènes. La conscience nous fait donc connaître le moi comme
substance.
b) 'Nous montre aussi le moi comme produisant certains actes
(PSYCH. 71, I, B).
2° Est incompatible avec la mémoire, car la mémoire suppose un
sujet un, identique, pouvant envisager toute la série des événements
passés (Ps. 76, 107, ^ I, B). Une collection d'états de conscience n'est
j)as possible sans un principe collecteur.
C) Objections. — Les Relativistes font \ aloir contre la réfutation
précédente ces deux arguments :
I. — L'esprit humain ne peut rien connaître de ce qui existe en soi,
aucune cause, aucune substance, "car il n'a aucun moyen de connaissance
approprié à un objet absolu comme les substances et les causes. En effet
les sens et la conscience ne nous font connaître que des phénomènes
relatifs les uns aux autres.
Réponse : 1° Il y a une connaissance expérimentale autre que celle
des phénomènes : c'est la connaissance intuitive et immédiate que
l'esprit a de sa proj)re existence en tant qu'il est le sujet auquel se
rapportent tous les phénomènes. Quand l'esprit se saisit ainsi lui-même,
('-') s. Mill, La l'hilosophir de l,i.milion, ("li. xii, p. ■ii'.t, Cli. xi, p. JiO. TraUucl.
Cazki.li:-, Paris, 1869.
i
;{5) RELATIVISME : § I. — ■ LE PU ÉNU.MÉNISME 429
■il saisit quelque chose d'absolu, d'existant en soi, le principe même de
la pensée. Toute erreur est impossible, car il y a identité entre le sujet
•contiaissant et l'objet connu (Ps. 68).
2^ L'esprit atteint l'absolu non seulement par la conscience que nous
-avons de nous-mêmes, mais encore par la connaissance de certaines
vérités indépendantes des circonstances de temps, de lieux, de per-
sonnes : vg. les vérités arithmétiques, les principes premiers.
II. — L'esprit ne peut rien connaître absolument, c'est-à-dire rien
•de rigoureusement conforme à la réalité. En efîet, les choses nous étant
extérieures, nous ne pouvons les connaître que par l'intermédiaire des
impressions qu'elles produisent sur nous ; nous n'en connaissons donc
que les apparences. Or la conformité rigoureuse des apparences aux
choses est impossible à concevoir, car l'esprit est de moitié dans les
phénomènes qu'il perçoit, et sa nature s'y exprime autant que celle
des choses.
Réponse : nous concédons que la connaissance sensible est relative.
L'âme ne perçoit en effet les choses qu'au moyen des impressions qu'elle
reçoit : les sensations ne sont que les signes et non les images de la
réalité (Psych., 96). Mais, outre la connaissance sensible, il y a la
connaissance rationnelle. La raison, en interprétant la signification
des sensations, peut acquérir des choses une connaissance réelle et
absolue, c'est-à-dire les connaître telles qu'elles sont en elles-mêmes.
Conclusion. — Nous rejetons donc le système de la relatwité absolue
de la connaissance ; mais, nous admettons une certaine relativité relative.
Nous rejetons le relativisme absolu, car nous avons prouvé que l'esprit
peut connaître :
1» Quelque chose d'absolu : le moi, les vérités arithmétiques, les
principes premiers.
2° Quelque chose absolument, la réalité telle qu'elle est, au moyen
de la connaissance rationnelle.
Mais il faut reconnaître qu'il y a du relatif dans la connaissance
humaine. En effet on peut dire d'abord d'une façon générale, après
Aristote, que la connaissance, étant l'acte commun de l'objet connu
et du sujet connaissant, sera toujours dépendante de nos facultés de
connaître. Ainsi :
a) Lsl connaissance sensible est relative à nos sensations, comme
'On l'a expliqué ; elle ne naus montre pas les choses extérieures telles
qu'elles sont en elles-mêmes, mais à travers nos sensations.
b) La connaissance rationnelle nous fait bien connaître la réalité
telle qu'elle est ; mais elle est inadéquate ; on peut dire qu'elle est rela-
tive en ce sens que l'imperfection de nos idées est la conséquence néces-
saire de la nature bornée de notre intelligence. Mais qui dit incomplète
ne_^dit pas inexacte. Nous ne connaissons pas adéquatement l'essence
430 RELATIVISME : § II. — ■ LE CRITICISME DE KANT (6)
intime des choses ; mais nous en connaissons quelque chose vérita-
blement (^).
Notre connaissance, pour être inadéquate, n'en est pas moins réelle
et objective. Ce qui en chacun de nous est relatif se rapporte aux sens
et à l'imagination. De là vient que chaque homme a sa manière de
sentir et d'imaginer. ^lais la raison est identique et universelle : les
principes premiers sont les mêmes pour tous les hommes et les mêmes
pour toutes les choses, bref, sont absolus (Ps. 163).
6. — § IL — LE CRITICISME DE KANT (2)
§ A. — CRITIQUE DE LA RAISON PURE
But de Kant : avec Hume, l'Idéalisme avait dégénéré en scepti-
cisme : plus de cause ni de substance ; plus de loi, partant plus de
science ; tout se réduit à de pures liaisons habituelles de phénomènes.
Entre le Dogmatisme et le Scepticisme, Kant voulut fonder le Criti-
cisme : mais ce n'est en réalité qu'une nouvelle forme de l'Idéalisme.
Kant se propose de résoudre le problème de la possibilité de la Méta-
physique : nos connaissances ont-elles une valeur objective ? Pour le
savoir, il fait la critique de nos facultés intellectuelles et en examine
la valeur dans son livre : Critique de la raison pure (^).
Dans cette Critique, il distingue entre les choses telles qu'elles appa-
raissent : ce sont les phénomènes, et les choses telles qu'elles sont, les
choses en soi, inaccessibles à l'intelligence : ce sont les noumènes. Kant
veut faire, en philosophie, une révolution analogue à celle de Copernic,
en astronomie. Avant Copernic, on faisait tourner le soleil autour de
la terre. Copernic fait tourner la terre autour du soleil (*). Avant Kant.
i^) Cf. Tome I, Chapitre préliminaire, p. xxiii-xxviii.
(-) Th. Depdouit.*, La Philosophie de Kanl d'après les trois Critiques. — Schœbel,
Philosophie de la raison pvire. — T. Pesch, Kanl et la Science moderne. Le Kantisme et
ses erreurs. — H. Goujon, Kant et Kantistes. — Th. Ruyssen, Kant. — E. Caird, The
critical Philosophy of Kant. — A. P'ouillée, Le Moralisme de Kant et l' Immoralisme contem-
porain. — V. Delbos, La Philosophie pratique (le Kant. — Renouvier, Criitgue de fa
Doctrine de Kanl. — C. Sentroul, L'Objet de la Métaphysique selon Kanl et selon Aristote.
— A. Farges, Kantisme et Subjectiinifme. — J. Medicus, Kants Philosophie der Geschichte.
— G. .SoRTAi.-i, Eludes philosophiques et sociales : IV. Qrigine et valeur de la connaissance
théorique d'après Kant, p. 156-247. — P. Vallet, Kantisme et Positivisme.
(') D'apré.s Kant, la critique est dite transcendaiitale, quand « elle ne porte point sur
les objets, mais sur notre manière de les connaître, en tant que celle-ci est possible a priori".
— Le Criticisme est aussi appelé Relativisme subjectif. Ce Relativisme viendrait non pas,
comme dit le Posilivi«iie, des limites de la connaissance par rapport à ses objets, mais des
nécessités qui dérivent de la constitution même de la connaissance, par conséquent du
sujet.
{') Kaxt. Critique de la raison pure, Préface de la 2« édition, page 22 de la Traduct.
Treme.savgi i:.« et Pacaud, Paris, 1909'.
(6) RELATIVISME : § II. LE CRITICISME DE KANT 431
on enseigne que la raison doit se conformer aux choses. Comme cette
manière de voir, suivant lui, n'a mené à rien, il veut, dit-il, essayer de
Thypotlièse contraire, qui consiste à admettre que c'est notre pensée
qui régie les choses, car nous ne pouvons savoir ce qu'elles sont en
elles-mêmes.
Kant distingue deux éléments dans la connaissance :
1^ La Matière : sensations et autres états de conscience, multiples,
incohérents, épars. Cet élément est contingent et particulier.
2o La Forme : c'est l'élément nécessaire, universel, a priori. Nous
ne pensons qu'en mettant un certain ordre dans cette multitude de
sensations incohérentes, qu'en donnant une forme à cette matière,
car penser, c'est unir. Or les facultés, qui mettent de l'unité dans les
objets de nos connaissances, sont au nombre de trois : sensibilité ., enten-
dement, raison. Il faut en examiner successivement la valeur. De là trois
parties dans la Critique de la raison pure.
V^ Partie : Esthétique transcendantale : c'est la critique de
la Sensibilité. La sensibilité comprend : 1^ le sens intime (conscience) ;
2*^ les sens externes. Elle nous fournit des notions intérieures sensibles
et des notions extérieures : c'est la matière de la connaissance. Cette
matière a pour formes : Vespace et le temps.
A) Espace : toutes les fois que nous éprouvons une sensation tactile
ou visuelle, elle nous paraît étendue : elle est dans l'espace. Cette repré-
sentation spatiale est donc une condition a priori de nos sensations,
la forme des sens externes.
B) Temps : de même tous les phénomènes de conscience nous
paraissent se succéder les uns aux autres et constituer la série de l'avant
et de l'après : ils sont dans le temps. La notion de temps est donc une
condition a priori de nos phénomènes intérieurs, la forme du sens interne.
L'espace et le temps ne sont pas des concepts empiriques, dégagés
par abstraction des perceptions sensibles, puisque ces perceptions sont
impossibles sans eux : ce sont donc des éléments a priori, des intuitions
[primitives, des formes subjectives, idéales. Mais ces intuitions ne sont
pas constituées d'avance, ces formes ne sont pas des entités latentes
et mortes : ce sont des actes vivants que l'esprit produit et qui lui servent
à coordonner ses sensations.
Bref, la sensibilité est une sorte de raison intuitive, à la fois réceptive
et active. Dans chaque intuition, il y a deux éléments : un élément
a posteriori, venu du dehors, à savoir, les sensations qui constituent la
matière ; un élément pur ou a priori que la sensibilité tire de son propre
fonds, à savoir, Vespace et le temps, intuitions primitives, antérieures
à toute expérience, qui constituent la fornif.
U^ Partie : Analjrtique transcendantale : c'est la théorie
-critique de V Entendement ou faculté de juger. La sensibilité nous fournit
432 RELATIVISME : § II. LE CRITICISME DE KANT (6)'
ses notions sensibles, intérieures et extérieures. Le rôle de l'entendement
est d'unir les notions pour en composer des connaissances : il les ramène
à des jugements. Ces jugements ne se font que suivant certaines lois,
d'après lesquelles l'entendement unit un sujet à un attribut. Ces lois
sont appelées Catégories, parce qu'elles servent à classer nos connais-
sances ; ce sont des concepts, des jormes a priori de l'activité de l'esprit
quand il juge, comme l'espace et le temps sont des formes a priori de
l'esprit quand il sent. Ces catégories sont au nombre de quatre, lesquelles
se subdivisent en trois ; donc en tout douze catégories (Ps. 166).
i a) Vnité
I. — Quantité < h) Pluralité
l c) Totalité
( a) Réalité
II. — Qualité l h) Négation
( c) Limitation
i a) Substance et Inhérence
III. — Relation } h) Cause et Effet
( c) Action et Réaction
( a) Possibilité
IV. — Modalité < b) Actualité
( c) Nécessité
Kant appelle les jugements, formés d'après ces catégories, des
jugements synthétiques a priori : synthétiques, parce que le sujet ne
contient pas l'attribut ; a priori, parce qu'ils ne dérivent pas de l'expé-
rience : vg. 5-^-7=12. Tout ce qui arrive a une cause (Ps. 150). La fonc-
tion des catégories n'est pas de représenter les objets, mais d'imprimer
aux intuitions sensibles, matière éparpillée de la connaissance, une
forme (vg. causalité, substance, etc.) qui permet au moi de les unifier
dans la « synthèse transcendantale de l'aperception ». Les catégories
ont conséquemment une valeur objective, parce que leur application
aux données sensibles rend celles-ci objet de pensée.
Nos jugements peuvent donc s'organiser d'après ces catégories, lois
constitutives de notre esprit, que nous appliquons à tout ce que nous
connaissons. Par conséquent, la Science est possible, puisqu'elle est un
ensemble de connaissances coordonnées ; mais elle est tout entière
relative aux phénomènes ; elle n'atteint pas les choses en soi.
nie Partie : Dialectique transcendantale : c'est la théorie
critique de la Raison proprement dite. La raison unit les jugements
entre eux en les rapportant à des idées supérieures. La connaissance
ébauchée par la sensibilité, perfectionnée par l'entendement, s'achève
par la raison pure. L'esprit est poussé par son organisation à concevoir
(6) RELATIVISME : § II. LE CRITICISME DE KANT 433
trois idées transcendantales : le Monde, I'Ame et Dieu, qui lui permettent
d'unifier toutes ses représentations. Grâce à l'idée :
1° Du Monde, l'esprit unifie les jugements qui ont pour objet les
représentations spatiales.
2° Du Moi, l'esprit unifie les jugements qui ont pourobjet les phéno-
mènes de conscience, c'est-à-dire les représentations successives, tempo-
relles.
3° De Dieu, l'esprit unifie la totalité de ses jugements.
Ces idées servent comme de centre de ralliement à la synthèse de
nos jugements. Ce sont les lois ou formes a priori de la raison, les cadres
idéaux dans lesquels toutes nos connaissances viennent s'unifier.
Objectivité de ces idées : mais à ces idées transcendantales est-ce
(jue des existences réelles correspondent ? est-ce qu'à ces phénomènes
(le connaissance subjective correspondent des êtres, des réalités en soi,
en dehors de notre connaissance ? La Métaphysique dogmatique le
soutient. Pour résoudre la question, Kant examine successivement ces
trois idées :
lo Moi : nous avons l'idée du moi ; s'ensuit-il que l'àme existe ?
(^.ette idée est une, simple, identique ; s'ensuit-il que Vàme soit un être
un, simple, identique ? En le concluant, la Métaphysique fait un para-
logisme, car de l'idée elle passe à l'être, c'est-à-dire de l'ordre logique
à l'ordre ontologique, puisqu'elle donne à l'être les attributs de l'idée.
La Métaphysique est donc impuissante à déterminer le noumène Ame.
2° Monde : cette question de la nature du monde donne lieu à des
Antinomies, à des affirmations contradictoires qui peuvent également
se soutenir :
l'"^ Antinomie : a) Thèse : le monde a un commencement dans le
temps ; il est limité dans l'espace.
h) Antithèse : le monde est infini dans le temps et dans l'espace.
2^ Antinomie : a) Thèse : toute substance composée est composée
de parties simples.
h) Antithèse : nulle substance composée n'est composée de parties
simples.
3® Antinomie : a) Thèse : il doit exister dans le monde, outre les
causes nécessaires, une causalité libre.
b) Antithèse : il n'existe dans le monde que des causes nécessaires.
4^ Antinomie : a) Thèse : il existe dans le monde un Être néces-
saire.
b) Antithèse : il n'existe nulle part un Être nécessaire.
Le résultat de ce conflit de la raison avec elle-même est de prouver
qu'elle ne peut démontrer les thèses sous peine de contradiction, car
elle prouve aussi bien les antithèses. La Métaphysique est donc impuis-
sante à déterminer le noumène Monde.
434 RELATIVISME : § II. LE CRITICISME DE KANT (6)
3° Dieu : Kant fait la critique des preuves de l'existence de Dieu ;
il n'en trouve aucune convaincante. Il rejette notamment la preuve
dite de saint Anselme, tirée de l'idée de l'être aussi parfait que possible,
parce que, dit-il, elle renferme un paralogisme : elle passe de Vidée
d'être à son existence réelle. La Métaphysique est donc impuissante à
démontrer le noumène Dieu.
La critique de la raison théorique aboutit à cette conclusion que
seule l'existence des phénomènes est certaine et que leur connaissance,
réglée par les formes a priori et universelles de la pensée, suffit à consti-
tuer la science. La Métaphysique dogmatique n'est donc pas possible,
ni légitime, puisqu'elle ne peut fournir la démonstration de l'existence
de son triple objet, le monde, l'âme et Dieu.
§ B. — CRITIQUE DE LA RAISON PRATIQUE
L — But : elle a pour but de constituer la Morale comme science
et de fournir une base à la Métaphysique. Nous pouvons non pas avoir
une science métaphysique, mais des croyances métaphysiques fondées
sur la Morale. L'existence des noumènes est un objet non de science
(c'est-à-dire ne peut être démontrée) mais de foi : « Je dus donc abolir
le savoir afin d'obtenir une place pour la croyance (^). » La Morale est
donc le fondement de la Métaphysique et de la Théologie (Logique,
120, § II, B. Morale, 6).
II. — Exposé : la critique de la raison pratique commence par
constater dans l'àme l'existence du devoir, de l'impératif catégorique,
qui s'impose à toute volonté raisonnable. Nous avons en effet conscience
du devoir, c'est-à-dire d'une loi qui commande ce qui doit être, sans
égard à ce qui a été, est ou sera. Elle est par conséquent intemporelle,
La seule chose absolument et immédiatement certaine, c'est donc le
devoir. Le reste peut se discuter, est hypothétique, mais le devoir com-
mande sans réplique.
La volonté pose le devoir et se l'impose : elle est autonome. La
volonté est donc libre, car la conséquence du devoir, c'est le pouvoir :
Je dois, donc je peux. La liberté est ainsi un postulat de la raison pra-
tique : nous avons dans l'existence évidente du devoir une raison pour
sortir du doute, où nous avait laissés la croyance de la raison spécu-
lative.
Nous pouvons affirmer de même l'existence de l'âme et celle do
Dieu ; car la Morale exige que la justice soit accomplie, que le bonheur
(') Kant, Critique de la raison pure. Préface de la 2^ édit., page 29 de la Traduct.
Tremesaygues et Pacaud.
(6) RELATIVISME : § H. LE CRITICISME DE KANT 43&
s'accorde en définitive avec la bonne volonté. Or ce résultat ne peut
être obtenu que si l'on admet la survivance de l'âme et l'existence de
Dieu.
La liberté., V immortalité de Vâme et Vexistence de Dieu., que la Méta-
physique ne peut démontrer, reparaissent donc comme des postulats
de la loi morale, et c'est ainsi que la Critique de la raison pratique relève
ce que la Critique de la raison pure avait abattu (Morale, 10, § III ; 42).
§ C. — CRITIQUE DU CRITICISME
I. — On doit demander à Kant comment les sciences physiques
et naturelles pourraient nous rendre maîtres de la nature, nous faire
connaître ses lois, si la science était fondée sur des apparences subjec-
tives et sur les seules lois de notre esprit. En fait, nous n'avons pas
conscience de réduire nécessairement les phénomènes de la nature aux
formes de la raison.
II. — Pourquoi la liberté, l'immortalité de l'âme, l'existence de
Dieu, bannies par la raison théorique qui ne peut les démontrer, nous
sont-elles présentées comme des postulats de la raison pratique, alors
que la raison pratique et la théorique sont des fonctions diverses de la
même raison ? (^) {Morale, 10, § III). C'est que Kant a compris les
exigences de la moralité. Il a vu qu'il faut que la personne soit libre
pour obéir au devoir, immortelle pour accomplir pleinement 'sa destinée,
et que Dieu existe pour récompenser le mérite et punir le démérite.
Mais, à la lumière de quel principe a-t-il vu la liaison nécessaire de ces
trois vérités avec le devoir, sinon à la lumière du principe de raison
suffisante ? Or ce principe relève de la raison théorique. Il y a donc
au moins un principe auquel répond une réalité objective. Autrement,
comment Kant pourrait-il se fonder sur lui pour affirmer l'objectivité
des concepts moraux ? Il se voit donc contraint lui-même de rendre par
un détour à l'esprit la connaissance objective que sa critique lui avait
' contestée.
III. — Nos principes, et en particulier le principe de caua^iité, ne
sont pas seulement les lois de l'esprit en tant qu'il pense, mais en tant
qu'il est, car, si ces principes sont les lois de nos représentations subjec-
.tives, nos représentations sont liées à la réalité de notre être. Ces prin-
cipes sont donc des lois de Vétre, de la réalité, avant d'être des lois du
connaître, de la pensée ; ils sont à la fois des lois ontologiques et des
lois logiques. C'est parce que notre être est régi par ces lois que la pensée
( M •< Kant a fait deux hommes en lui : un qui croit nier nécessairement, pour la logique ;
un autre qui veut alTirmcr lilirement, pour la morale... La raison théorique et la raison
pratique contractent de leur séparation un vice égal. » (Renouvier, Essais de Criliquv
générale : Z^-Essai, t. II, p. 217 sqq. 2° édit.)
436 RELATIVISME : § II. LE CRITICISME DE KANT (6)
peut les découvrir et les formuler : la pensée n'est que le reflet de l'être.
IV. — Les arguments apportés par Kant ne sont pas concluants :
a) Il n'a pas prouvé que les antinoinies pouvaient être également
bien établies par la raison. »
b) Nous lui accordons que les preuves tirées de Vidée du moi ou
de Vidée de l'Être sont contestées (Théol., 75). Mais nous n'avons pas
recours à cet argument pour prouver l'existence du moi et l'existence
de Dieu. Nous partons du réel pour aboutir au réel. En effet :
1° La conscience saisit non seulement les phénomènes psycholo-
giques, mais en même temps Vétre qui les produit et les soutient (Ps.71, I).
2^ Pour démontrer l'existence de Dieu, nous prenons comme point
d'appui ce fait : vg. Il existe des êtres contingents (Métaph. 67).
V. — Th. Desdouits a très liien démasqué le sophisme sur lequel
repose la théorie kantienne de la connaissance : « Kant sépare partout
ce qui devi'ait être simplement distingué, et ensuite il conclut à l'impos-
sibilité de faire la synthèse des éléments que l'abstraction a seule pu
séparer. Il se demande si le sujet pensant pense quelque chose de réel,
€t comment l'on pourrait prouver la vérité de Vobjet pensé, comme si
ces deux termes, la pensée et son objet, ne s'impliquaient pas mutuel-
lement... Toujours par le même procédé d'abstraction, Kant considère
le phénomène comme séparable du noumène, la perception comme sépa-
rable de la pensée, comme si l'on pouvait percevoir sans penser, et qu'une
pensée pût exister sans constituer un degré quelconque de connais-
sance. Dans le sujet pensant lui-même, il regarde les modifications du
moi comme distinctes du moi et pouvant exister sans le moi ; d'où il
résulte que de la conscience de ma pensée je ne saurais conclure à mon
existence... Enfin il va jusqu'à séparer tout ce qu'il y a de plus insépa-
rable, à savoir V attribut et la substance, la perfection et Vêtre parfait ;
il admet, à titre de simple idéal de la raison pure, cette perfection qui
n'est ni réalisée ni réalisable ( ^). »
VI. — Aboutissement logique du Kantisme : l'Idéalisme subjectif :
dans la faculté de connaître, Ivant a distingué trois facultés particulières,
trois foîtnes de la raison : la sensibilité, qui est une sorte de raison .
intuitive, V entendement, qui est la raison judicative et discursive, enfin
la raison au sens strict.
La critique de la sensibilité et de l'entendement aboutit logiquement,
en dernière analyse, à Vidéalisme subjectif, « quoi qu'en dise Kant,
pour nous empêcher de le confondre avec Berkeley » (^).
( ') Tii. Desdouits, La Philosophie de Kant d'après les trois Critiques, pp. 337-338.
( *) .Sans doute Kant répète plusieurs fois qu'il admet l'existence des choses extérieures.
.Mais c'est là un postulat que son système lui interdit de formuler. Kant dit en effet, d'une
part, que les sensations sont déterminées par le monde sensible. Et, d'autre part, toujours
(6) RELATIVISME : § II. LE CRITICISME DE KANT 437
La sensibilité, en effet, ne voit les choses qu'à travers des lunettes
ayant des verres de couleur (le temps et l'espace) ; elle ne les voit donc
pas telles qu'elles sont en elles-mêmes, mais telles qu'elles lui appa-
raissent. Bref, ce que nous percevons, ce ne sont pas les choses, mais
uniquement les phénomènes. La matière première du phénomène est
fournie par le dehors, en ce sens que la sensation est déterminée par
un objet extérieur, un je ne sais quoi, un inconnu, que Kant nomme la
«hose en soi. Voilà seulement ce qui, dans le phénomène, est donné :
le reste est l'œuvre de la sensibilité, puisque c'est elle qui fait le temps
et l'espace, elle qui les applique aux sensations incohérentes, elle par
conséquent qui transforme celles-ci en phénomènes. C'est donc la raison,
en tant que faculté des intuitions sensibles, qui constitue le phénomène.
Aussi Kant a-t-il pu dire, dans son système, que « le phénomène est
un produit de la raison ». C'est ainsi que V Esthétique transcendantale
a entrebâillé la porte à l'idéalisme. U Analytique va la lui ouvrir toute
grande.
Non seulement c'est la raison, en sa qualité de faculté intuitive, qui
règle les phénomènes ; c'est encore elle, comme faculté discursive, qui
les coordonne en leur imposant les relations diverses de ses catégories ;
elle par conséquent qui dicte ses lois au monde sensible : « C'est donc
nous-mêmes qui introduisons l'ordre et la régularité dans les phéno-
mènes que nous appelons Nature, et nous ne pourrions les trouver s'ils
n'y avaient pas été mis originairement par nous ou par la nature de notre
esprit (^). »
Les catégories ont donc une valeur objective, mais uniquement en
ce sens que les phénomènes, étant unifiés par elles pour le sujet connais-
sant, deviennent par cette unification objets de pensée. Comme pour
former ces objets notre entendement en emprunte la matière aux intui-
tions de la sensibilité ; comme, en outre, ces intuitions ne nous donnent
pas les choses telles qu'elles sont, mais telles qu'elles nous apparaissent,
d'après lui, les choses en soi sont des objets transcendants, au sujet desquels la raison n'a le
droit de rien alTirmer, ni de rien nier. Mais alors de quel droit affiryne-l-il que les choses
«xtérieures sont des agents qui provoquent les sensations ? « L'objet tran.scendant de l'intui-
tion (la chose en soi) n'est ni dans l'espace, ni dans le temps. L'espace et le temps ne ren-
ferment que les phénomènes, c'est-à-dire ce qui paraît, et la chose en soi est ce qui ne parall
pas. Nous ne pouvons lui appliquer aucune des formes de l'entendement ; nous ne pouvons
la concevoir, Kant le dit expressément (Critique de ia raison ptn-e, édition Rosunkra.n/,
p. 234), ni comme grandeur, ni comme réalité, ni comme substance. Nous ne pouvons donc
pas la concevoir non plus comme cause de nos impressions, bien que Kant, par une contra-
diction flagrante, la regarde comme telle. Mais si la cfiose ne peut être conçue, ni comme
une grandeur, ni comme une cause, ni comme une réalité, elle ne petit pas Hre considérée
comme quelque chose, elle n'est rien o\i plutôt elle n'existe que dans le sujet pensani
coiniiie l'espace, le temps, les catégories, elle se confond, elle s'identifie avec le sujet qui
la conçoit. » (A. WEUiiii, Histoire de la l'hilosophie européenne, § 63, p. 4r)'2-'ir)3).
( ') Kant, Critique de la raison pure : Analytique des concepts, Ch. ii, i" Sect., p. 16:;.
438 RELATIVISME : § III. — LE NÉO-CRITICISME (7)
c'est-à-dire en fonction des exigences de notre sensibilité, il en résulte
que notre connaissance, même intellectuelle, ne peut saisir la cJiose en
soi. l'absolu, le noumène : elle reste donc enfermée dans le monde de
Texpérience phénoménale sans pouvoir en sortir ; elle est tout entière
relative aux conditions de notre nature d'êtres sensibles.
C'est pourquoi, emprisonnés dans le cercle étroit de nos intuitions
sensibles et de nos concepts a priori, nous ne connaissons, en définitive,
que des phénomènes, c'est-à-dire des rapports entre un objet extérieur,
totalement inaccessible en lui-même, et notre moi pensant que nous ne
connaissons pareillement que 'dans ses phénomènes. Le monde pour
nous n'est donc pas le monde en soi,, mais c'est le rapport entre deux
inconnues, que nous n'arriverons jamais à dégager.
Enfin la Dialectique transcendantale conclut que la raison proprement
dite est également impuissante à prouver soit l'existence, soit la non-
existence de l'âme et de Dieu : par conséquent, si elle n'aboutit pas à
l'athéisme et au matérialisme, elle ne conduit pas davantage au théisme
ni à la spiritualité de l'àme (^). Son dernier mot, c'est le doute, la sus-
pension du jugement dans le domaine suprasensible. La raison théo-
rique étant incompétente en dehors de la sphère de l'expérience, la
Métaphysique, comme science de l'absolu, est impossible. L'Idéalisme
subjectif est donc bien l'aboutissement logique des trois parties de la
Critique de la Raison pure : Estitctique, Anali/tique, Dialectique transcen-
dantales.
7. — § III. — LE NÉO-CRITICISME (2)
I. — Exposé : Renouvier a essayé d'enlever au Criticisme kantien
ce qui à ses yeux le vicie : il répudie les noumènes pour s'en tenir au
pur phénoménisme, et il donne à la science, que Kant présente sous les
traits de la nécessité, un caractère de liberté.
A) Nous ne connaissons que des représentations, qu'il s'agisse du
monde extérieur ou du moi. Les représentations étant seules données,
seules elles sont des choses. Par conséquent, les choses en soi, les nou-
mènes, n'existent pas. C'est le phénoménisme radical.
Hume admettait du moins la vérité idéale absolue du principe de
( ') Pour plus rie détails, Cf. G. Sortais, Origine et Valeur de la Connaissance théorique
auprès Kant, dans Études philosophiques et sociales. Paris, 1907, p. 156-247.
( ') Cf. sur la philosophie de Cii.\rles RENorviER (1815-1903) : G. J.\nssens, Le AVo-
Crilicisme de Ch. Renouvier. — G. Séailles, La Philosophie de Ch. Renouvier. — P. Vallet,
Les Fondements de lu connaissance et de la croyanre. — L. Dauriac, Les Moments de la
Philosophie de Ch. Renourier, dans le Bulletin de la Société française de Philosophie,
février 1904, p. 2.3-46. — Fn. Pillon, La Philosophie de Ch. Renouvier, dans la Revue
philosophique, 1906, T. I, p. 268-293.
(7) RELATIVISME : § III. — LE N KO-CRITICISiME 439
contradiction ; pour Renouvier, il n'a qu'une valeur purement pratique.
« Le principe de contradiction se ramène, dit-il, à la ferme volonté de
refuser son assentiment et le titre de vérité à toute proposition qui
renferme des éléments contradictoires entre eux. »
B) Au point de vue théorique^ le Scepticisme et le Dogmatisme
s'équivalent selon Renouvier, parce que les Sceptiques ont révoqué
en doute tous les principes, sans que les Dogmatistes aient pu les réfuter
d'une façon apodictique. Aucune vérité ne s'impose nécessairement à
l'esprit, car « l'évidence soi-disant objective n'a jamais une énergie
telle qu'on ne puisse, à force de le vouloir, lui résister victorieusement » (^).
C'est pourquoi « la certitude n'est que la limite préconçue et préadoptée
de la probabilité positive croissante ». Qui décidera donc entre le Dogma-
tisme et le Scepticisme ? {^) La pratique seule, car bon gré mal gré, il
faut agir, et, pour agir, il faut opter. « C'est une affirmation morale qu'il
nous faut . La raison pratique doit poser son propre fondement et celui
de toute raison réelle, car la raison ne se scinde pas » {^). Si nous croyons
à la valeur de nos facultés mentales, si nous adhérons à certaines propo-
sitions scientifiques et morales, c'est par un acte de volonté libre qui
a éliminé le doute. « C'est à la liberté qu'il appartient de poser le fon-
dement de la certitude (^). » Le libre arbitre devient ainsi le fondement
de la morale et de la science.
n. - — Dilemme de Lequier : comme Fonsegrive a fait de ce
point une étude spéciale, nous n'avons rien de mieux à faire que de lui
en demander l'exposé et la critique.
A) Exposé. — « Lequier avait cru prouver cette incessante inter-
vention du libre arbitre dans la science, par la recherche d'une première
vérité qui lui paraissait aboutir à la position du dilemme suivant, que
M. Renouvier a fait sien.
Puisqu'aucune proposition n'a pu trouver de preuve indiscutable,
ne considérons plus la matière, mais la forme seule des propositions,
leur forme psychologique, leur caractère de nécessité ou de liberté.
Voici deux hommes : l'un affirme la liberté, l'autre affirme la nécessité ;
ils ne peuvent avoir raison à la fois ; quel est celui qui a raison ? Exa-
minons.
L'affirmation de la nécessité peut être : nécessaire ou libre ; de même :
l'affirmation de la liberté peut être nécessaire ou libre.
L'affirmation nécessaire de la nécessité par l'un des deux adversaires
(M Cf. Dauiuac, Bulletin de la Société française de Philosophie, 1904, p. 31.
( ') Cf. Olt.k-Laprune, La Certitude morale, Ch. vi.
( ') Renouvieh, Estais de Critique générale : II" Essai, Traité de Psychologie rationnelle
d'après les Principes du Criticisme, 2"= Éd., t. II, p. 322.
( *) Renouvier, Ibidem, p. 151.
440 RELATIVISME : § III. — LE NÉO-CRITICISME (7)
lui fait croire que son adversaire affirme nécessairement la liberté.
Dès lors il doit voir que sa propre affirmation contient une contradiction,
car la nécessité qu'il affirme doit être aussi bien à ses yeux la cause
qui fait que son adversaire affirme la liberté. S'il réfléchit, il doit aban-
donner son dogmatisme et tomber dans le scepticisme.
L'affirmation nécessaire de la liberté ne peut pas être admise, car
elle aboutirait à la même contradiction, et de plus elle en enfermerait
une seconde, à savoir qu'elle affirmerait à la fois la nécessité et la liberté.
L'affirmation libre de la nécessité est de même une contradiction
évidente.
Reste enfin l'affirmation libre de la liberté. Il n'y a là aucune contra-
diction. De plus, la forme libre de l'affirmation nous permet de com-
prendre comment l'adversaire peut affirmer la nécessité : c'est par un
acte de son libre arbitre qu'il produit cette contradiction. Il n'y a plus
là rien qui puisse entraîner le scepticisme. Ainsi donc la liberté est le
fondement de la science et de la morale, du savoir comme du devoir.
« Nous faisons l'erreur et la vérité en nous. La formule de la science est :
faire, non pas devenir, et en faisant se faire (^). «
B) Critique. — « La valeur de ce raisonnement est très discutable.
En effet :
1° Lequier embrouille toute la question en donnant aux propo-
sitions un contenu matériel identique à la condition formelle de leur
position ; il eût été plus clair de prendre pour exemple : Nécessairement
fajftrme A. — Nécessairement f affirme non-A,\%c.
2° Les mots compléments directs nécessité et liberté sont ambigus,
La nécessité, en effet, peut être universelle ou particulière, et de même
la liberté. En réalité les partisans du libre arbitre n'ont jamais, sauf
jM. Renouvier et quelques autres, réclamé pour le libre arbitre un uni-
versel domaine. Seuls, les partisans de la nécessité ont bien voulu dire
que tous lés phénomènes du monde sont nécessaires. Il fallait donc,
avant toute chose, pour qu'il y eût dilemme, c'est-à-dire un certain
nombre limité d'alternatives, que Lequier définît les mots nécessité et
liberté de manière à nous faire savoir si par eux il entendait les propo-
sitions contraires : Rien n'est libre, Tout est libre, ou les propositions
contradictoires : Rien n'est libre. Quelque chose est libre. Ce n'est que si
(^n prend les mots nécessité et liberté dans ce dernier sens qu'il peut y
avoir véritablement dilemme, raisonnement disjonctif, parce qu'alors
seulement une des deux allornatives est fausse si l'autre est vraie. ,et
vraie si l'autre est fausse, sans milieu.
3" Enfin, Lequier n'examine pas toutes les alternatives possibles ;
(') Renouviek, Essais de critique générale : II" Essai, T. II, p. -422.
(7) RELATIVISME : § III. LE .N ÉO-CRITICISME 441
il omet en eiïet deux cas : a) celui où la nécessité serait affirmée néces-
sairement, tandis que la liberté serait affirmée librement ; — è) le cas
où la nécessité serait affirmée librement et la liberté nécessairement. «
C) Reconstitution du dilemme. — « Si maintenant on établit le
dilemme en la forme logique qu'il devrait avoir, on voit que quatre
alternatives sont possibles :
1° Nécessairement A affirme que rien nest libre.
Nécessairement B affirme que quelque chose est libre.
Dans cette première hypothèse, qui. est celle du dogmatisme déter-
ministe, le scepticisme est inévitable. En effet, d'une part, le dogmatisme
donne la nécessité comme le signe de la vérité objective ; d'autre part,
le déterminisme reconnaît que, tout étant nécessaire, les affirmations
simultanées de A et de B ne peuvent être que nécessaires. Ces deux
affirmations portent donc en elles le signe de la vérité objective ; mais
elles sont contradictoires ; la vérité objective le serait donc. Par suite,
on .«le peut plus avoir confiance dans l'esprit ; on doit donc être scep-
tique.
2° Librement A affirme que rien n'est libre.
Librement A affirme que quelque chose est libre.
Dans ce cas, les deux alternatives s'excluent et se. valent; aucune
des deux n'est fondée que sur des états subjectifs arbitraires et par
suite capricieux. Aucun homme de bon sens ne peut s'y fier.
3° Nécessairement A affirme que rien n'est libre.
Librement B affirme que quelque chose est libre.
Si cette hypothèse était vraie, il est clair que nous regarderions la
nécessité comme prouvée et la croyance à la liberté comme bien peu
solidement fondée. Mais en fait il n'en est pas ainsi, et la véritable
alternative des choses se trouve dans l'alternative suivante, malgré
le paradoxe apparent qu'elle contient à cause de l'exemple matériel
défectueux choisi par Lequier.
40 Nécessairement A affirme que quelque chose est libre.
Librement B affirme que rien n'est libre.
Nous dirons donc que la nécessité est la forme intellectuelle de la
vérité, tandis que la liberté ne peut être que la forme de l'erreur. Nous
faisons l'erreur, mais non la vérité en nous ( ^). »
ni. — Conclusion : le point de départ du Néo-Critiscime est faux.
Le Dogmatisme et le Scepticisme n'ont pas théoriquement la même
valeur, car le Scepticisme se contredit (3, § D, II), tandis queleDogma-
tisme reste cohérent et d'accord avec lui-même (10). — Le Phéno-
( ') Ci. FoNSEGRivE, Éléments de Philosophie, T. II, Métaphysique, VI' Leçon, p. 191 ■
195. Cf. Annales de la Faculté de Bordeaux, 1883.
442 RELATIVISME : § IV. — l'idéalisme métaphysique (8)
ménisme de Renouvier se réfute comme celui de Hume et de S. Mill (5).
— Il n'est pas vrai que tous les principes aient été révoqués en doute.
Les Positivistes anglais, d'après lesquels les axiomes des sciences phy-
siques seront peut-être démentis un jour par une expérience contraire,
n'osent cependant pas affirmer qu'il arrivera un jour où 2 —-2 pourront
faire 5. En définitive, prétendre avec Renouvier que la vérité et la science
dépendent de la volonté, c'est revenir, par un détour, au Scepticisme,
dont il a voulu se dégager.
8. — § I\ . — L'IDÉALISME MÉTAPHYSIQUE
A) Position de la question : l'Idéalisme critique de Renouvier
cherche à résoudre le problème de la connaissance par la suppression
de l'un de ses termes. Qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas un objet en soi,
le sujet ne l'atteint pas, il n'en saisit que l'apparence subjective. On ne
doit pas se mettre en peine d'une chose en soi qui corresponde à cette
apparence, car cette chose en soi, même s'il s'agit du moi se connaissant
lui-même, n'est pour nous qu'une simple apparence. Dans ce système,
comme dans toute solution phénoméniste, l'objet est sacrifié au sujet.
Cette suppression arbitraire de l'objet ne résout pas la vraie diffi-
culté du problème de la connaissance, qu'on peut formuler ainsi : dans
les cas mêmes où l'on ne suppose pas d'objet réel distinct du sujet (^),
la connaissance a pour caractéristique V opposition de deux termes logiques :
le sujet connaissant et l'objet connu. Car connaître, c'est connaître
quelque chose. La connaissance implique donc une dualité irréductible.
Par le fait même que la connaissance a pour terme inévitable un objet,
elle pose autre chose qu'elle-même, elle oppose Pêtre au connaître.
Cette dualité semble aux Idéalistes incompatible avec « le principe
si essentiel de l'unité de l'univers « (Dunan). Pour le maintenir, ils
prennent le Phénoménisme comme point de départ ; mais, poussant
plus loin, ils visent à identifier complètement Vêtre et le connaître.
B) Formes diverses de l'Idéalisme métaphysique :
I. — Monisme psychobiologique : un certain nombre de naturalistes :
vg. Wagneh, France, Pally, assimilent à la pensée l'activité de
tous les organismes vivants, par conséquent les opérations de la vie
végétative elle-même.
Les êtres dits inconscients, remarquent ces naturalistes, déploient
une activité merveilleusement finalisée qui exige évidemment l'inter-
( ') Quand le sujet .se connaît lui-même, il faut bien admettre que l'objet connu est réel.
(8) RELATIVISME : § IV. — l'idÉALISME MÉTAPHYSIQUE 443
vention de l'intelligence. Il faut donc admettre en eux une raison imma-
nente. C'est la Théorie de V intelligence organique.
Nous concédons à ces psychobiologistes que l'être vivant manifeste
une finalité évidente ; mais nous nions la conclusion qu'ils en tirent.
Assurément l'intervention de l'intelligence est nécessaire pour expliquer
l'admirable finalité des organismes vivants ; mais il n'est pas nécessaire
que cette intelligence soit immanente aux êtres qui atteignent sûrement
leur fin. De même qu'une machine bien construite réalise, sans le
connaître, le but que lui a fixé le constructeur, ainsi les organismes
vivants réalisent le plan tracé pap l'intelligence du Créateur, sans qu'il
soit besoin de supposer en eux aucune conscience ou connaissance se
rapportant à la fin qui leur est imposée et aux moyens de l'atteindre.
II. — Pampsychismc : certains philosophes, comme Wundt, Paulsen,
Lacïielier, Dunan, Hamelin, Ed. Le Roy, étendent à tout l'univers,
par conséquent même aux êtres inanimés, le psychisme que les psycho-
biologistes n'appliquent qu'aux êtres vivants. Apportons quelques
textes :
« L'Idéalisme ne consiste pas seulement à croire que les phénomènes
ne peuvent exister que dans une conscience : après l'Esthétique transcen-
dantale, cela ne fait plus question ; il consiste à croire que les phéno-
mènes ne sont donnés, même dans une conscience, qu'au moment et dans
la mesure où elle se les donne, qu'ils ne sont, en d'autres termes, que des
représentations actuelles et non des phénomènes en soi... » (^).
(( ...Si le grand Sirius, celui des astronomes, n'existe pas, où donc
est le Sirius qui existe ? Car il faut bien qu'il en existe un. Le Sirius qui
existe c'est celui de la représentation, le point qui brille là-bas à
150 mètres de l'observateur. Cela est étrange et même extravagant,
dira-t-on peut-être. Non, cela est rationnel et nécessaire à admettre.
(^)u'il faille rejeter la supposition d'une matière existant en soi en dehors
de toute conscience, c'est une vérité dont la démonstration n'est plus
à faire. Parmi les philosophes contemporains il en est bien peu qui
n'acceptent pleinement la formule de Berkeley : Esse est percipi. Nous
disons, nous : E?is est quod percipitur. L'audace n'est pas grande assu-
rément de présenter cette seconde formule à ceux qui ont déjà admis
la première, car elles sont rigoureusement et de tout point équivalentes. »
Nous disons, nous : « Oui, cela est étrange et même extravagant. »
Pour le voir, il suffit de lire les explications que l'auteur ajoute au texte
précédent : « Est-ce que, se demande-t-il, réduire Sirius à un point situé
à 150 mètres, et faire tenir toute la nature dans ce que je perçois actuel-
( M J. Lachelieh, Lettre à G. Smilles, dans La Philosophie de Luchelier, par G. Séailles,
p. 161-165, Paris, 1920. — Cf. Le Fondement de l'Induction.
444 . RELATIVISME : § IV. — l'idéalisme métaphysique (8)
lement et dans ce que je conçois imaginativement comme réel, ce n'est
pas lui faire une odieuse injure ? Pas du tout. Que donne-t-on à la
nature en lui donnant de la grandeur spatiale ? Rien. Plus de matière
brute inerte n'est pas un gain, parce que la matière brute et
inerte est zéro au point de vue qualitatif, le seul qui compte.
En perdant l'immensité de sa masse pour devenir un point lumineux
tout proche de nous, Sirius ne perd donc rien qui vaille quelque chose.
Mais il gagne infiniment du seul côté où il soit vraiment intéressant de
gagner ; car il pose l'autre Sirius, non plus comme une masse de matière
brute, mais comme une vérité scientifiquement intelligible ; et, du
même coup, il pose tout ce que cette vérité implique, tout ce qui nous
est nécessaire pour la découvrir, les mathématiques et la physique
entières, toute la science et tout l'esprit humain (^). « Après ces expli-
cations, d'une candeur philosophique déconcertante, qui donc pourrait
trouver raisonnable « cette solution du p~roblème » de la connaissance
« consistant à identifier tous les corps avec nos sensations » {^) ?
« Il faut concevoir la pensée comme une activité créatrice qui
produit à la fois l'objet, le sujet et leur synthèse ; plus exactement, car
il ne faut rien mettre sous la conscience, la pensée est ce processus
bilatéral lui-même, le développement d'une réalité qui est à la fois
sujet et objet, ou conscience... La représentation, contrairement à la
signification étymologique du mot, car il faut bien emprunter les mots
au sens commun, ne représente pas, ne reflète pas un objet ou un sujet
qui existeraient sans elle : elle est l'objet et le sujet, elle est la réalité
même. La représentation est l'être et l'être est la représentation (^). »
Les arguments apportés contre le Phénoménisme valent a fortiori
contre VIdéalisme métaphysique.
IIL — Intuition, qui aboutit à l'identification absolue de Vêtre et
du connaître. C'est chez Bergson que VIdéalisme métaphysique est le
plus radical. On peut le résumer dans les propositions suivantes (Cf.
PsYCH., 86, I) :
1° La connaissance est déjà dans les choses. — On a vu que la dualité
entre le sujet connaissant et l'objet connu est une nécessité inéluctable.
2° La représentation est moins que la simple existence. Elle n'est
qu'une coupe faite dans Vensemble des images, en vue de Faction.
(') Ch. Dunan. Lfis deux Idénlismes, Ch. i, § IV, p. 49-50, Paris, l'ail.
{') Ch. Dunan, Essais de Philosophie générale, n. 312, p. 542, Paris, 1902». — « Qui
nous^blige ;i faire des corps des objets pour la pensée ? Pourquoi le réel, au lieu d'être
(luelque chose d'autre que nos perceptions, et quelque cho_se que nos perceptions nous
feraient connaître, ne serait-il pas nos perceptions mêmes ? » (Ibidem, n. 311).
(l) O. Hamelin, Essai sur les Élénienls prinripaux de la représentation, Ch. v, § 2,
p. 343-344, Paris, 1907. La doctrine d'Ilamclin a une " étroite analogie » avec celle de
Bergson, comme il le dit lui même, Ibidem, p. 344, note 1.
(8) RELATIVISME : § IV. — l'iDÉALISME MÉTAPHYSIQUE 445'
a) Si la connaissance n'est pas déjà dans les choses, il faut dire-
que la représentation est plus que la simple existence, puisqu'elle y
est surajoutée.
b) Ce qui est vrai, dans la seconde assertion, c'est que souvent notre
connaissance néglige le côté théorique de la pensée pour s'adapter aux
exigences de l'action. Cependant, il est faux de prétendre que perceptions
et concepts n'ont jamais aucune valeur de connaissance, mais sont
toujours disposés en vue de l'action.
3°) Seule V intuition atteint le réel en identifiant le moi connaissant
et Vohjet connu. Toute connaissance, où se distinguent encore le sujet
et l'objet, n'est donc qu'une « coupe » faite dans la connaissance totale,
en vue de l'action. Ce n'est là qu'une connaissance à l'état imparfait.
La connaissance parfaite ne se réalise que dans cet acte privilégié que
Bergson appelle V intuition. Quand on est arrivé là, l'image moi, ne
faisant plus « écran » dans l'ensemble des images, coïncide avec le monde.
C'est la connaissance dans sa pureté absolue, parce que toute oppo-
sition entre la conscience et l'objet a disparu, toute dualité a cessé.
C'est V identification parfaite du connaître et de Vêtre.
L'intuition est aussi, selon nous, l'acte le plus parfait de la connais-
sance ; mais par intuition nous entendons une connaissance immédiate, où
\q ^\\]ei, conscient de lui-même, atteint, sans intermédiaire, l'objet réel tel
qu'il est. C'est de la sorte que le moi se saisit lui-même. (Psych. 68, 71).
ijintuition bergsonienne est, au contraire, la négation même de la
connaissance. En eiïet, tant que la conscience persiste, on s'approprie
la connaissance actuelle, on fait une coupure dans l'ensemble des
images ; il y a donc toujours opposition entre le sujet et l'objet. Or,
comme la connaissance parfaite ou intuition n'a lieu, d'après Bergson,
qu'au moment où le connaître s'identifie avec l'être, il s'ensuit que la
connaissance n'arrive à la perfection qu'en cessant d'être connais-
sance, c'est-à-dire en cessant d'être elle-même pour n'être plus que
l'être.
Conclusion. — C'est en vain que l'Idéalisme métaphysique, en
quête de l'unité parfaite, la cherchera parmi les êtres contingents et
finis, parce que le dualisme du sujet et de l'objet est une suite néces-
saire de leur imperfection essentielle. Même lorsque le sujet se connaît
lui-même, ce dualisme logique du connaissant et du connu persiste.
L'identification du connaîtra et de l'être ne peut trouver sa réalisation
que dans la simplicité de l'Être infiniment parfait. Mais « l'Intelligence
infinie elle-même, malgré la simplicité absolue de son être et de sa
connaissance, et bien qu'elle épuise toute l'intelligibilité des êtres finis
et n'y rencontre rien d'opaque, ni d'impénétrable pour elle, ne peut
cependant voir ces êtres que comme ils sont : Dieu les voit donc distincts
de Lui, dans la pauvreté, mais aussi dans la propriété de leur être
446 RELATIVISME : § V. — LE POSITIVISME (9)
participé. On le voit, la perfection absolue de la connaissance, si elle
exige la parfaite pénétration de l'objet par l'intelligence, ne réclame
pas le moins du monde l'absorption réelle de l'objet par le sujet. Dès lors,
il faut admettre que le dualisme du sujet et de l'objet n'est pas opposé
à la notion même la plus pure et la plus parfaite de la connaissance (^). »
9. — § V. — LE POSITIVISME OU RELATIVISME OBJECTIF
§ A. — VUE GÉNÉRALE DU SYSTÈME
L'École positiviste, fondée par Auguste Comte (1778-1857), a eu
pour principaux représentants : en France, Littré et Taine ; en Alle-
magne, C. VoGT, Blchner ; en Angleterre, Hamilton, Stuart Mill,
Spencer, Bain, Lewes {^).
Les Positivistes s'occupent seulement des faits et des lois, qui ne
sont que des faits généralisés. Car, d'après eux, l'esprit humain est
incapable de connaître les substances, les causes et les fins. Les questions
d'origine et d'essence lui sont étrangères, la connaissance de l'absolu
lui est impossible. Il doit se borner à la recherche des vérités d'ordre
expérimental ; le reste est pour lui « inconnaissable ». Le Positivisme
n'en nie pas l'existence, mais il en fait abstraction dans les recherches
scientifiques. « Ce qui, déclare Littré, est au delà [des faits et des lois],
soit, matériellement, le fond de l'espace sans borne, soit, intellectuel-
lement, l'enchaînement des causes sans terme, est absolument inacces-
sible à l'esprit humain. Mais inaccessible ne veut pas dire nul ou non
existant. L'immensité, tant matérielle qu'intellectuelle, tient par un
lien étroit à nos connaissances et devient par cette alliance une idée
positive et du même ordre ; je veux dire que, en les touchant et en les
bordant, cette immensité apparaît sous son double caractère, la réalité
et l'inaccessibilité. C'est un océan qui vient battre notre rive, et pour
lequel nous n'avons ni barque ni voile, mais dont la claire vision est
aussi salutaire que formidable (^). »
La Métaphysique, qui s'occupe de la nature intime des choses, de
l'âme, de Dieu, n'a donc pas de raison d'être. « L'idée-mère du Posi-
tivisme est que la science doit s'abstenir de toutes les recherches sur
les causes premières et sur l'essence des choses ; elle ne connaît que des
(') C'H. Laiih et G. Picard, Cours de Philosophie, T. Il, p. 339-3'iO.
( ') Le. Positivisme anglais de Hamilton, de S. Mill, etc., se plaçant à un point de vue
spécial, on lui a consacré un paragraphe à part (5).
( ') Èm Littré, Auguste Comte et la Philosophie positive, III" Partie, Ch. i, p. 519,
Paris 1864 =.
(9) RELATIVISME : § V. — LE POSITIVISME 447
enchaînements de phénomènes ; tout ce qui est au delà n'est que concep-
tion subjective de l'esprit, objet de sentiment et de foi personnelle,
non de science. » (Paul Janet). Le Positivisme, comme l'a dit Bersot, se
condamne lui-même à V abstinence de Métaphysique.
§ B. — ARGUMENTS ET RÉPONSES
I, — Pour légitimer la proscription de la Métaphysique, Comte en
appelle d'abord à l'histoire de l'évolution scientifique, qu'il résume
dans la Loi des trois états, dont l'idée est empruntée à Turgot. D'après
cette loi, l'esprit humain suit, dans son développement, une marche
progressive, dont voici les trois étapes :
a) État théologique (fétichisme, polythéisme, monothéisme) :
l'esprit humain explique les faits en les attribuant à des puissances
surnaturelles.
b) État métaphysique : l'esprit substitue, aux agents surna-
turels, des forces naturelles, occultes, sortes d'entités cachées sous
les phénomènes.
c) État positif : l'esprit renonce à la recherche des substances,
des causes et des fins, pour se borner à l'observation des faits et à la
découverte de leurs lois expérimentalement démontrées {^).
D'après Comte, les connaissances se répartissent en six sciences
fondamentales (Logique, 44, § III). Or chacune des branches du savoir
humain doit passer successivement par les trois états, et elle ne mérite
vraiment le nom de science que lorsqu'elle est parvenue au stade de
l'état positif.
Critique : « Pour ce qui est de la fameuse loi des trois états, qui
domine tout le système, elle n'est plus présentement défendable (-). »
On peut accorder à Comte qu'à telle ou telle époque certaines tendances,
théologiques, métaphysiques ou positives, sont plus ou moins prédo- '
minantes. On peut même dire qu'à prendre les choses en gros la loi se
vérifie : dans l'antiquité on est porté à expliquer les phénomènes par
des agents surnaturels ; au moyen âge, par des entités métaphysiques ;
dans les temps modernes, par la constatation de leurs lois. Mais ce n'est
là une évolution ni exclusive ni fatale. Est-ce que, par exemple,
Aristote n'a pas su allier l'esprit métaphysique et l'esprit d'observation,
dans un temps qui devait être, d'après 4a loi de Comte, asservi à l'esprit
théologique ? Est-ce qu'au moyen âge Roger Bacon n'a pas fait preuve
d'esprit scientifique ? Est-ce que les plus grands savants des trois der-
niers siècles, Kepler, Galilée, Descartes, Leibniz, Pascal, Newton,
(M A. CoMTK, Cours de Philosophie positii^e, l'" Leçon.
{■) ÉM. DuRC.KHEiM, Rerup bJeue (19 mai 1900 p. G12).
448 RELATIVISME : § V. LE POSITIVISME (9)
Ampère, Cauchy, Pasteur, etc., n'ont pas été tout ensemble savants
et croyants ? (^). Ces grands hommes donnaient droit de cité aux spécu-
lations métaphysiques et religieuses dans leur esprit éminemment
scientifique. L'antagonisme affirmé par Comte entre la religion, la méta-^
physique et la science n'existe donc pas. Toujours l'intelligence humainp
continuera à se poser les questions d'origine et de fin, d'essence et de
cause, qui sont du ressort de la religion et de la métaphysique. Les
sciences physiques et naturelles doivent se borner à étudier les lois,
c'est-à-dire les rapports constants de succession ou de coexistence
entre les phénomènes.
Les attaques des Positivistes ont eu pour résultat, non pas de sup-
primer la Métaphysique et la Théologie, mais de mieux circonscrire
le domaine où doit se renfermer la science. « La science expérimentale,
a dit Pasteur, est essentiellement positiviste, en ce sens que, dans ses
conceptions, elle ne fait jamais intervenir la considération de l'essence
des choses, de l'origine du monde et de ses destinées. « Berthelot ne
pense pas autrement : « La science positive ne poursuit ni les causes
premières, ni la fin des choses ; mais elle procède en établissant des
faits et en les rattachant les uns aux autres par des relations immé-
diates {^). )) Cette nette délimitation de frontières a un grand avantage.
Quand un savant émet une opinion sur l'essence des choses, lorsqu'il
donne une solution aux problèmes d'origine,- de cause et de destinée,
il ne parle plus en tant que savant, mais il s'élève au rôle de méta-
physicien ou de théologien. Ce départ une fois fait (et les savants sont
aujourd'hui les premiers à en reconnaître la légitimité), il devient mani-
feste qu'aucun conflit n'est possible entre "les Sciences positives d'une
part et la Métaphysique ou la Religion d'autre part, puisque leur champ
d'exploration est différent. Car pour qu'il y ait rencontre et heurt entre
plusieurs sciences, il faut qu'elles se développent sur le même terrain
et qu'elles aient des points de contact immédiat {^).
II. — D'après le Positivisme, nous n'avons aucune faculté appropriée
à la connaissance des substances, des causes, de l'absolu. Nous sommes
même incapables de recourir à l'observation interne (*) ou réflexion
(Logique, 93, § A).
Tous nos procédés d'investigation se réduisent à l'observation
(M Cf. E. N.wiLLE, La Physique moderne, 3" KUule, p. 133-210, Paris, 1890=. —
G. Sortais, La Providence el le Miracle devant la Science moderne, p. 6-42, Paris, 190.').
( *) M. Berthelot, La Science idéale el la Science positive.
( ') Cf. G. Sortais, Pourquoi les dogmes ne ineurent pas, 2'^ éd., p. 21-22. La Providence
et le Miracle devant la Science moderne, p. 90-92.
( ') Le Phénoménisme ou Positivisme anglais admet au contraire que l'observation
interne est la source unique de l'expérience.
(9) RELATIVISME : § V. — LE POSITIVISME 449
externe. Or l'expérience des sens n'atteint que les phénomènes : le reste
lui échappe complètement ; donc les substances, les causes, l'absolu
sont inconnaissables.
Critique. — A) Les Positivistes ont tort de vouloir ramener les données
expérimentales aux seules perceptions sensibles, car l'expérience com-
prend en outre les données de la conscience. L'expérience externe a pour
condition nécessaire l'expérience interne, dont nous avons établi la
possibilité en Logique (93, § A).
B) Les substances et les causes du monde physique sont assurément
en dehors de la portée des sens. Mais par la conscience je ne perçois pas
seulement mes phénomènes, je me perçois aussi dans mes phénomènes,
car je me saisis sentant, pensant et voulant. Voilà donc une substance
et une cause senties directement par la conscience.
C) L'expérience n'est pas l'origine unique de la connaissance. Nous
avons en outre la faculté de connaître le nécessaire, l'universel, l'absolu :
c'est la raison, faculté irréductible à l'expérience. -Sans doute, l'esprit
humain n'a pas, comme l'affirment les Ontologistes, l'intuition de l'être
absolu. Mais l'intelligence, au moyen de l'abstraction et de la générali-
sation, forme les notions premières de cause, de substance, de fin, etc. ;
— puis, la raison proprement dite, percevant entre ces notions premières
des ra])ports absolus, nécessaires, universels, s'élève aux principes de
causalité, de substance, etc. ; — enfin, par le raisonnement, elle démontre
l'existence de causes particulières, et la nécessité d'une cause première,
transcendante, absolue (Psych., 179 ; Métaph., 76).
IIL — Certains Positivistes font valoir l'objection de Hamilton, qui
prétend que l'absolu est inconcevable. Cette objection a déjà été exposée
et réfutée (Psych., 187, § A, III). .
§ C. — ABOUTISSEMENT LOGIQUE DU POSITIVISME
En posant comme principe essentiel que cela seul est certain qui a
été expérimenté, le Positivisme aboutit à l'empirisme et oublie le rôle
nécessaire et capital de l'idée a priori dans les découvertes scientifiques.
Or, comme l'enseigne Claude Bernard,» c'est l'idée qui constitue le point
de départ nu le primum moyens de tout raisonnement scientifique, et
c'est elle qui en est également le but dans l'aspiration de l'esprit vers
l'inconnu » (^).
Mais si l'induction, qui détermine les lois de la nature, n'a pas pour
•fondement un principe rationnel nécessaire, ces lois n'ont qu'une valeur
précaire. Les Positivistes anglais ne reculent pas devant cette consé-
( M Cl. Bernaud, Inlroduction à iéhide de la Médecine expérimentale, l" P., Ch. i,
§ 6, p. 47, Paris, 1865.
TRAITK DE PIIII-OSOPIIIE . — T. II. — 15.
450 LE DOGMATISME : ARGUMENTS INDIRECTS (10)
quence logique. Alors la science, qui va du particulier au général, devient
impossible : le savant n'est plus qu'un vulgaire empiriste qui dresse
des catalogues de faits individuels plus ou moins incomplets.
II. _ L'attitude du positiviste n'est pas logique : il a beau vouloir
se confiner dans Texpérience, on le prend en flagrant délit de Méta-
physique. Car, dans l'emploi de l'expérimentation, de l'induction et de
la déduction, il applique spontanément les principes premiers de la
raison. Le Positivisme est « un dogmatisme sans critique. Il pose des
thèses sans les établir, et ces thèses sont telles qu'il ne saurait en faire
la preuve sans les abandonner » (^).
IIL — Le positiviste a beau, quand on l'accuse de matérialisme et
d'athéisme, se récrier et faire valoir sa neutralité : en pareille matière,
la neutralité n'est pas tenable. En cherchant à expliquer les phénomènes
sans la substance, l'homme sans l'âme et la nature sans Dieu, il mène
logiquement au phénoménisme qui repousse la substance, au matéria-
lisme qui rejette l'àme, et à l'athéisme qui nie Dieu.
ARTICLE m. — LE DOGMATISME
Le Dogmatisme (de ^oy-y-aTi^w, j'affirme) ne peut se démontrer
directement sans pétition de' principe, car l'esprit ne peut démontrer
qu'il est capable de connaître la vérité sans présupposer cette capacité ;
mais, nous l'avons vu, toutes les vérités n'ont pas besoin de démonstra-
tion. Il en est (et la capacité de la raison est de celles-là) qui s'imposent
par leur évidence. Cependant, sans donner une démonstration impos-
sible, on peut apporter des raisons d'adhérer au Dogmatisme.
10. — ARGUMENTS INDIRECTS
I. — Fausseté des Systèmes opposés : le Scepticisme et le» Rela-
tivisme absolu étant démontrés faux, la thèse dogmatique reste seule
admissible.
II. — Accord avec les Sciences : seul le Dogmatisme explique la
valeur attribuée par la science à l'expérimentation. Si l'esprit est con-
( M L. LiARD, La Science positive et la Métaphysique, L. I, Ch. v, à la fin, p. 72, Paris,
1905'. — RENOUViEn est encore plus sévère : « Votre parti pris d'indifTérence ou de notation,
dit-il aux Positivistes, à l'égard de tout ce que vous estimez n'être pas Otabli scientiH-
quement, n'a rien à déniôler ni avec la .science ni avec la logique, ni surtout rien à apporter,
rien à prétendre dans une théorie de la certitude. » {Critique philosophique, 21 février 1878,
p. 53.)
(10) LE DOGMATISME : ARGUMENTS INDIRECTS 451
structeur de l'expérience, comme le soutient le Criticisme, pourquoi
n'y a-t-il d'expériences bien faites que celles où l'esprit de l'observateur
s'eiïace pour laisser parler les faits ? L'ensemble du raisonnement
expérimental suppose que la nature s'accorde avec la raison. Ce postulat
peut se formuler ainsi : '< Il y a une Logique de la nature, et la Logique
de la nature est identique à celle de l'esprit », c'est-à-dire qu'il y a une
harmonie préétablie entre la raison et la nature. Ainsi le postulat essentiel
de la science expérimentale est la thèse même que défend le Dogmatisme
métaphysique. Les savants et les dogmatistes persistent donc, d'accord
avec le bon sens universel, à dire que l'esprit ne crée pas Vobjet de la
connaissance, mais le constate.
« On conteste, dit Paul Janet, la possibilité d'une harmonie pri-
mordiale entre les lois de l'esprit et les lois des choses. Mais quelle
difficulté peut-on avoir à admettre que l'intelligence est en harmonie
avec l'univers, lorsqu'on voit que dans l'univers même tous les êtres
sont en harmonie les uns avec les autres ? Si tous les organes sont appro-
priés et accommodés au milieu, pourquoi n'en serait-il pas de même
du cerveau ? Et si le cerveau est approprié à sa fonction, c'est-à-
dire à la concentration des sensations dans l'ordre même imposé
par la nature extérieure, pourquoi la cause créatrice, qui a approprié
l'œil à la lumière et le cerveau aux conditions extérieures de l'uni-
vers, n'aurait-elle pas pu lier à ce cerveau une intelligence dont les
lois essentielles seraient précisément conformes aux lois mêmes de la
réalité ? »
III. — Témoignage irrécusable de la conscience : la valeur
objective de la raison et celle des notions et vérités premières ne peuvent
faire doute pour celui qui sait s'observer lui-même. Nous l'avons déjà
indiqué en Psychologie (68, 71) et en Logique (111, II). Il faut le rappeler
brièvement.
L'observation psychologique atteint à la fois la pensée et le sujet
pensant, le phénomène et Vêlre, d'une façon immédiate, par la conscience
dont la certitude est inattaquable à cause de V identité de Y être qui pense
et de Vêlre pensé. C'est par une abstraction qu'on peut distinguer deux
aspects dans cette réalité saisie par la conscience, l'être et sa manière
d'être, le moi et sa pensée intimement unis. Notre pensée porte donc
et perçoit en elle-même les lois nécessaires de l'être comme tel. C'est
pourquoi les deux grandes lois de l'être (à savoir le principe de contra-
diction et le principe de raison suffisante), que l'esprit dégage de cette
observation directe et concrète, sont tout ensemble des lois psycho-
logiques., puisqu'elles régissent la pensée de l'être, et des lois ontolo-
giques, puisqu'elles régissent en même temps Yêtre pensant. L'esprit
affirme ces lois, parce qu'il voit en elles, avec une évidence irrésistible, les
conditions nécessaires de la réalité dont il fait lui-même partie et qu'il ne
452 LA. VÉRITÉ ILLUMINATRICE (11)
pourrait nier sans se renier lui-même. Ces lois ont donc non seulement une
valeur subjective et psychologique, mais encore une valeur objective
et métaphysique.
11. — LA VÉRITÉ ILLUMINATRICE
A) Exposé. — De tous les systèmes, qui se sont efforcés de résoudre
le problème de l'origine des idées et de justifier la valeur objective de
la connaissance intellectuelle,"^ celui de saint Augustin nous parait le
plus satisfaisant. A cette question : Comment atteignons-nous la vérité
nécessaire et immuable ? Platon répond : par la réminiscence ; Aristote
et l'École, par l'abstraction et la vertu de l'intellect agent ; d'autres,
par Finnéité ; saint Augustin, par l'action illuminatrice de Dieu. Selon
lui, nous voyons la vérité immuable à la lumière divine. On a interprété
différemment cette expression.
10 D'après les Ontologistes, l'âme verrait l'Être divin lui-même et,
en Lui, les vérités éternelles qu'il contient. — Cette interprétation est
certainement fausse, car saint Augustin rejette formellement toute
vision en Dieu durant cette vie. Il avait d'abord semblé l'accorder par
exception à Moïse et à saint Paul ; mais il a même exclu cette faveur
exceptionnelle {^). De plus, il ne présente pas Dieu comme un objet
perçu, mais comme la cause produisant la lumière qui nous fait percevoir.
Voulant opposer son propre système à la réminiscence platonicienne,
saint Augustin s'exprime ainsi : « La nature de l'àme intellectuelle est
ainsi faite que, par une disposition du Créateur, elle est naturellement
unie aux choses intelligibles et ainsi les voit dans une lumière incorpo-
relle spéciale, comme l'œil charnel voit ce qui l'environne dans la
lumière corporelle, ayant été fait capable de recevoir cette lumière et
adapté à elle. » Il est manifeste que ce n'est pas en Dieu, soleil de l'âme,
que nous voyons la vérité, mais dans la lumière sui generis qu'il nous
envoie, comme notre œil ne voit pas dans le soleil les objets environ-
nants, mais dans les rayons lumineux qui viennent de son foyer {^),
( ') s. Augustin, De Trinilale, L. II, C. xvi, dans Patrologia Lalina, T. XLII, col. 862,
— In Joannis Evangelium, Tract. III, § 17, P. L., T. XXXV, col. 1403.
(2) ...Potius credendum est mentis intellectualis ita conditam esse naturani, ut rébus,
intellectualibus naturali ordine, disponenle Conditore. suhjuncta sic ista videat in quadam
luce sui generis incorporea, qucmadmodum oculus carnis vidct quae in liac corporea luce
circumadjacent. ciijus lucis cai)ax cique congnicns est crcalus. (S. Augustin, De Trinitate,
L. XII, C. XV, P. L., T. XLII, col. 10H). — Le P. Charles Boyeu, dans sa remarquable-
étude sur l'Idée de Vérilé dans la Philosophie de S. Augui^tin, n'entend pas ainsi la tbéorie de
la Vi'riir! illuminatrice. Pour lui « Dieu nous éclaire par le fait môme que notre propre
intelligence nous éclaire. Notre intelligence n'est en effet rien d'autre que la LumitM-e divine
tempérée selon l'inlirmité de notre être. » (Opère cilnto, p. 206). C'est l'interprétation
qu'ont généralement donnée les Scolastiques (cf. infra. 2»). Mais nous croyons avec
(11) LA VÉRITÉ ILLUMINATRICE 453
2^ D'après les Scolastiques, saint Augustin appellerait Dieu la
lumière de l'âme en tant qu'il a créé l'intelligence qui est le flambeau
de l'homme et que les idées divines sont l'exemplaire auquel la connais-
sance doit être conforme pour être vraie {^). — Cette interprétation
est incomplète, parce qu'elle constate simplement que Dieu est le
créateur de l'intelligence et la source de toute vérité, ce qui est certain.
Mais, à s'en tenir là, il faudrait dire que saint Augustin n'a pas même
abordé le problème de l'origine des idées, qui fut pourtant sa constante
préoccupation. Car le problème demeure entier : il s'agit de savoir
comment l'intelligence parvient à percevoir la vérité éternelle.
3^ La véritable théorie augustinienne est celle de V illumination de
l'intelligence par un acte immédiat de Dieu. D'elle-même la raison est
incapable de percevoir la vérité. Mais Dieu produit dans l'àme, à l'occa-
sion des perceptions sensibles, une représentation des vérités éternelles
qui la détermine à connaître. Cette influence divine agit selon les besoins
et les circonstances ; elle ne fournit donc pas une fois pour toutes à
l'intelligence des idées innées, qui de l'état virtuel passeraient en acte
sous l'impulsion de la connaissance sensible.
Cette interprétation paraît être seule exacte, car seule elle concorde
avec l'ensemble des textes augustiniens : « Tous s'expliquent et s'éclai-
rent : on comprend la transcription, V impression d'une image, les com-
paraisons du sceau, du soleil, du maître qui parle intérieurement, de
Vange quand il illumine les hommes {De Genesi ad litteram, L. XII,
§ 58), l'affirmation d'un secours nécessaire, nisi Deus intus adjuverit
(Epistola CXX ad Consentium, § 2, P. L., T. XXXIII, col. 453). Sur la
E. PoRTALiÉ qu'elle est erronée. La lumière, dont parle S. Augustin, nous semble être
une lumière particulière, distincte de notre intelligence. Pour le prouver, il suffira d'analyser
le texte cité plus haut. Nous le choisissons parce que, d'après le P. Boyer lui-même, c'est
'« un texte où il [S. Augustin] a dû s'exprimer avec exactitude, puisqu'il présentait son
propre système pour remplacer la réminiscence platonicienne ». (Ibidem, p. 199). Or de ce
texte il résuite avec évidence que pour S. Augustin la lumière divine en question n'est pas
notre intelligence, mais une lumière spéciale, une lumière créée qui s'en dislingue. La compa-
raison alléguée le montre clairement : de même que l'œil charnel est distinct de la lumière
corporelle, ainsi l'intelligence ne se confond pas avec la lumière incorporelle De plus,
S. Augustin les contradistinguc nettement, car il dit que l'intelligence voit dawi la lumière
incorporelle, et, pour qu'on ne puisse s'y méprendre, il ajoute dans une certaine lumière
spéciale (in quadam luce sut generis^. Pour plier le texte à son interprétation, le P. Boyer
en est réduit à violenter la construction de la phrase en rapportant à l'âme ces mots .sut
generi^ enclos dans l'incise relative à la lumière, et, ce qui est pire encore, à traduire ainsi :
"dans une certaine lumière incorporelle de môme nature qu'elle-même [l'Ame]. Orsui gejieris
est une expression consacrée, qu'on ne doit pas détourner de son sens naturel. Ce n'est donc
que, de vive force, qu'on peut ramener le texte augustinien à l'interprétation donnée par
les Scolastiques.
( M Cf. S. Thomas, Summa theolagica, P. I», Q. LX X XIV, Art. V. — Lux autem ista, qua
mens nostra intelligit, est intellectus agen.s {Quœstiones disputalœ : III. De Spiritualibus
Crealuri<i, Ait. X). — Th. M. Zioliaiia, Délia luce inlelletluale, T. I, C. xi-xiii, Rome, 1874.
— .1. B. Fkanzelin, De Deo uno, Thés. XI, § II et III, p. 140-148, Rome, 1870. — Alb.
Lepidi, De Oniologi^mo, p. 192-22.5, Louvain, 1874.
454 LA VÉRITÉ ILLUMINATRICE (11)
comparaison du soleil, voir Soliloguiorum L. I, C. viii, P. L., T. XXXII,
col. 877 )^ (1).
De plus et surtout cette interprétation s'appuie sur une théorie
similaire de la volonté. Selon saint Augustin, l'intelligence, pour atteindre
la vérité, a besoin de la lumière de Dieu, comme la volonté, pour pratiquer
la vertu, a besoin de sa grâce {^). Si donc la grâce s'exerce d'une façon
effective, il en sera de même de l'illumination intellectuelle.
B) Avantages. — Nous avons constaté en Psychologie (179, B)
que l'intelligence dégage, par l'abstraction et la généralisation, des
données fournies par l'expérience, les idées d'être, d'unité, de cause,
de fin, etc. Puis, analysant ces notions premières, elle perçoit des rapports
absolus, nécessaires, universels, et les formule en jugements : vg. com-
parant la notion psychologique de cause avec la notion d'effet,
elle saisit entre ces deux notions un rapport absolu, nécessaire,
universel et l'exprime en disant : Tout ce qui commence d'être a une
cause (PsYCH., 183, § fi, II, B).
On tranche fort bien de cette façon la question de l'origine psycho-
logique des notions et principes premiers ; mais la question métaphysique
de la valeur objective de ces notions et principes reste ouverte. La théorie
de la connaissance part de ce fait que nous percevons de l'être, de l'unité,
de la vérité, de la causalité, etc. Or ce fait implique que notre intelli-
gence est en relation avec l'Être en soi, l'Unité en soi, la Vérité en soi,
la Causalité en soi. Comment s'explique cette relation ?
La théorie de l'abstraction et de l'intellect agent ne paraît pas suffire
à résoudre cette question ultime. On se demande, en effet : comment
les êtres contingents et relatifs peuvent-ils servir de fondement pour
découvrir la vérité nécessaire et absolue ? Les Péripatéticiens répondent
que l'intelligence, considérant les êtres contingents, en faisant abstrac-
tion de leur existence et de leurs propriétés individuelles, perçoit leurs
essences et les rapports nécessaires et universels qui en découlent.
Soit. Mais tout ce travail n'aboutit qu'à des généralités et à des abstrac-
tions. Il faut quelque chose de plus pour justifier la valeur objective
des notions et principes premiers. Il faut montrer comment nous pou-
vons atteindre le vrai en soi, le bien en soi, le beau en soi, seul fondement
inébranlable de nos opérations intellectuelles. Or la théorie augusti-
nienne de l'illumination nous fournit la solution cherchée, puisque c'est
Dieu lui-même qui produit dans l'àme la représentation des vérités
(M E. PoRTALiÉ, Augustin (Saint), dans Dir.TiONNAinE de Th<^:ologie catholique
(Vacant-Manoenot), 1903, T. I, col. 2336, Voir, Ibidem, col. 2335, B, d'autres textes
de S. AuKustin.
{') S. Augustin, De Civitate, L. VIII, C. ix et x, § 2, P. L., T. XLI, col. 233-235. —
De Trinital", L. XIV, C. Xii, S 15, P. L., T. XLII, col. 1048.
(11) LA VÉRITÉ ILLUMINATRIGE 455
éternelles : IJ est tout ensemble la cause et la garantie de notre connais-
sance.
C'est ainsi qu'en songeant au principe premier de notre connais-
sance, il est permis de dire, dans un sens large, que nous voyons le vrai
en Dieu, Vérité immuable (^), comme l'on dira, selon la remarque de
saint Thomas, que nous voyons dans le soleil ce que nous voyons
par son moyen (^).
Les autres notions premières d'unité, de substance, de durée, de
cause et de fin nous sont données également, comme objectivement
réelles, dans V expérience, à la fois concrète et absolue, qu'est la conscience
de nous-mêmes et de notre activité (Psycii., 180-184; 187).
L'introspection nous fournit donc, d'une façon certaine, tous les
éléments dont se compose notre connaissance de l'absolu. Voilà le fon-
dement inébranlable de ce que l'on a appelé le Réalisme métaphysique,
c'est-à-dire de la valeur objective de la raison humaine et de la confiance
qu'elle mérite comme faculté d'atteindre le réel.
Conclusion. — C'est donc au Dogmatisme ou Réalisme métaphy-
sique qu'il faut donner raison contre les Systèmes qui rejettent la
certitude et la valeur objective de la connaissance. Il est exempt de
contradiction. Il est d'accord avec la croyance instinctive du genre
humain : les Sceptiques eux-mêmes, quand ils parlent en hommes et
non en philoso])hes, croient à l'objectivité de leurs idées. Il est
conforme à la conviction réfléchie des savants, qui l'acceptent comme
le postulat fondamental de toutes leurs investigations scientifiques.
Il s'appuie, en dernière analyse, sur le témoignage irrécusable de la
conscience.
C'est un Dogmatisme modéré, car si, d'une part, il affirme que nous
pouvons arriver sur certains pointa à une véritable certitude, il ne mécon-
naît pas, d'autre part, les limites de la raison, car il admet que souvent
le doute est la seule attitude légitime de l'esprit et que notre connais-
sance des choses ne leur est point adéquate^ là même où elle parvient à la
certitude.
( ') Si ainbo videmus verum esse quod dicis, et ambo videmus verum esse quod dico,
ubi, quaeso, id videmus ? Nec ego utique in te. nec tu in me ; sed ambo in ipsa, quae supra
mentes nostras est, incommutabili Veritate (S. Augustin, Confess. L. XII, C. xxv J 35,
P. L.. T. XXXII col. 846)
( ») Alio modo dicitur aliquid cognosci in ali(iuo sicut in cognitionis principio ; sicut
si dicamus quod in sole videntur ea qu;p videntur per solem ; et sic necesse est dicere quod
anima humana omnia cofïnoscat in ralionibus iplcrnis por quaruni participationem nmnia
cognoscimus (S. Thomas, Suimna tlieulogica, I" P., Q. LXXXIV, A. V. § Alio modo). Il nous
semble que nul n'a mieux expliqué que S. Augustin en quoi consiste « cette participation «
456 IMPORTANCE DE LA MÉTAPHYSIQUE (12-13)
SECTION II
Importance et Division
de la Métaphysique.
12. — IMPORTANCE DE LA MÉTAPHYSIQUE
La Métaphysique est une science, car elle a :
I. — Un objet propre : les autres. Sciences étudient l'être dans
ses diverses manifestations : vg. la Géométrie l'étudié en tant qu'étendue,
l'Arithmétique en tant que nombre, la Mécanique en tant que mou-
vement, la Physique en tant que pesant, etc..
La Métaphysique étudie l'être, non pas en tant qu'il est telle ou
telle chose, qu'il possède telle ou telle qualité de l'être, mais en tant
qu'il est. Elle a pour objet les principes premiers de Vêtre dont elle
recherche la nature, à savoir la matière, l'âme et Dieu ; — et les principes
premiers du connaître : principes d'identité, de contradiction, de raison,
de causalité, etc. Elle a donc un objet distinct de celui des autres
sciences.
IL — Une Méthode appropriée (Log., 111).
III, — Un ensemble de connaissances coordonnées : elle arrive
à lier nécessairement, en s'aidant de l'expérience et du raisonnement,
un certain nombre de propositions se rapportant à son objet propre.
Concluons donc en disant avec Claude Bernard : « La Métaphysique
tient à l'essence même de notre intelligence ; nous ne pouvons parler
que métaphysiquement. « Elle répond au besoin fondamental de l'esprit
humain : connaître la nature des choses et coordonner les idées. Elle
s'impose ainsi à ceux mêmes qui la nient, car la raison s'élève natu-
rellement à la recherche des principes et des causes. Kant, pour montrer
l'illégitimité de la Métaphysique, a composé la Critique de la Raison
pure et de la Raison pratique; mais cette Critique est elle-même une
sorte de Métaphysique : on en fait forcément et sans le savoir, comme
M. Jourdain, de la prose.
13. — DIVISION ET PLAN DE LA MÉTAPHYSIQUE
La Métaphysique ou Science des Premiers principes se subdi-
vise en deux groupes :
A) Métaphysique générale ou Ontologie, qui traite de Vêtre en général,
des premiers principes, d'une façon abstraite.
(13) COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : MÉTAPHYSIQUE 457
B) Métaphysique spéciale, qui traite des êtres et principes réels :
lo Le Monde (xoVjxo;), sujet des phénomènes matériels, dans la
Cosmologie rationnelle.
2° L'Ame (•^u/r,), principe des phénomènes psychologiques, dans
la Psychologie rationnelle.
30 Dieu (0£oç), Principe des principes et Cause des causes, dans
la Théologie rationnelle ou Théodicée.
Bibliographie.
Platon, Le Sophiste, la République, L. VI.
Aristote, Métaphysique. Cf. les Commentaires de S. Thomas.
SuAREZ, Disputationes Metaphysicce.
Kant, Critique de la raison pure. Prolégomènes à toute Métaphysique
future.
L. LiARD, La Science positive et la Métaphysique.
P. Janet, Principes de Métaphysique et de Psychologie.
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458 COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : MÉTAPHYSIQUE (13)
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G. MiLHAUD, Le rationnel. Essai sur les conditions et les limites de
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J. Maréchal, Le point de départ de la Métaphysique, Bruges-Paris,
1923.
LIVRE PREMIER
MÉTAPHYSIQUE GÉNÉRALE
OU ONTOLOGIE
14. — DEFINITION ET DIVISION
A) Définition. — V Ontologie (de wv, ovro;, étant ; Xdyo;,
discours) est la science qui a pour objet l'être commun à toute chose
et ses propriétés essentielles. Elle considère l'être réel, mais d'une
façon abstraite. Comme les notions dont s'occupe l'Ontologie sont
des notions suprêmes, on l'appelle Métaphysique Générale.
B) Division. — Nous étudierons successivement :
1^ h'Être en général. — 2° Les Propriétés communes ou transcen-
dantales de VÊtre. — 3° Les grandes Divisions de VÊtre ou Catégories.
— 40 Les Causes des êtres. De là quatre Chapitres.
La plupart de ces notions ont déjà été exposées çà et là, au cours
du Traité, quand le besoin s'en est fait sentir. Notre but, ici, est d'en
présenter la synthèse et d'examiner les points que nous n'avons pas
eu l'occasion d'aborder.
CHAPITRE PREMIER
L'ETRE EN GÉNÉRAL
15. — L'ÊTRE ET LE NON-ÊTRE
A) Idée d'être. — La définition d'une chose s'obtient en décom-
posant cette chose en ses éléments constitutifs. Or la compréhension
de l'idée d'être étant absolument simple, puisqu'elle se réduit à une
note unique, l'idée d'être est indéfinissable. Cette idée étant la [)lus
simple est par là même lu plus générale, puisque compréhension et
^16) ANALOGIE DE l'ÊTRE 461
-extension sont en raison inverse (Psych., 137). Elle s'applique à tout:
à l'Être infini et à l'être fini, à la substance, à l'accident, à l'essence.
B) Idée de non- être. — Le non-être ou néant est le contraire de
l'être. Le néant absolu est une absence totale d'être ; le néant relatif,
une absence partielle. Le néant relatif est appelé privatif, quand il indique,
dans un être, l'absence d'une chose qui devrait naturellement se trouver
en lui ; vg. l'idée de cécité implique non seulement l'absence, mais la
privation de la vue dans un sujet auquel elle convient : l'homme, l'animal.
Le néant relatif est appelé négatif, quand il indique la simple absence
Ki'une chose ; vg. la pierre ne voit pas.
C) Etre de raison. — On entend par là ce qui est conçu par la
raison sans avoir en lui-même aucune entité : c'est un être « qui n'est
que dans la pensée » (^), vg. montagne sans vallée, centaure.
D) Modifications diverses de l'être. — L'être n'est pas un
genre proprement dit ; il est au-dessus de tous les genres. Car, pour
former des espèces, il faut pouvoir ajouter au genre des différences
spécifiques qui soient en dehors de son essence. Or toutes les différences
possibles rentrent dans la notion d'être, puisque, en dehors de l'être,
il n'y a que le non-être, le néant. Mais si l'être ne saurait constituer
un genre, il peut être diversement modifié : différentes manières d'être
peuvent exister. Nous étudierons les principales modifications dont
la notion d'être est susceptible.
16. — ANALOGIE DE L'ÊTRE
A) Notions préliminaires. — Un terme (il faut en dire autant
•d'un concept) univoque est celui qui, appliqué à plusieurs, exprime chez
tous un objet formel tout à fait identique : vg. le mot homme appliqué
à Pierre, à Paul, etc., est univoque, parce qu'il signifie chez tous la
même nature humaine.
Un terme équivoque est celui qui, appliqué à plusieurs, exprime en
chacun un objet formel tout à fait différent ; vg. le mot taureau désigne
à la fois un animal et une constellation ; gallus en latin, signifie coq et
français. Ce sont des mots équivoques par hasard {œquivoca casu).
Un terme analogue est celui qui, appliqué à plusieurs, exprime un
objet formel qui n'est pas tout à fait différent, c'est-à-dire qui est en
partie le même, en partie divers. Les Scolastiques appellent aussi les
termes analogues équivoques à dessein (œquivoca consilio).
Il y a analogie d'attribution quand l'objet formel exprimé par le mot
convient à l'un des analogues principalement et absolument, aux autres
( ') BossuET, Logique, L. I, Ch. xiii. — Suarez, Disputationes Mi-lnphy^icop, Disp. MV,
Sect. I.
462 ANALOGIE DE l'ÈTRE (16)
imparfaitement et par suite de leur relation avec le premier qu'on
appelle analogum princeps.
Cette attribution est extrinsèque ou intrinsèque. Elle est :
l» Extrinsèque : quand le concept analogue n'est réalisé proprement
que dans un seul des objets qu'il désigne et ne convient aux autres
qu'improprement à cause de leur rapport avec le premier : vg. sain se
dit proprement de Vanimal, et improprement de la nourriture, de l'aiV,
d'une médecine, qui peuvent entretenir la santé de l'animal ou la lui
rendre.
2° Intrinsèque : quand le concept analogue est réalisé dans tous
les objets qu'il désigne, mais parfaitement dans l'un et imparfaitement,
par participation, dans les autres. C'est, disons-nous, le cas du concept
d'être appliqué à Dieu et aux créatures, à la substance et aux accidents.
B) Démonstration d'une Analogie par attribution intrinsèque :
Dieu est l'Être a se, c'est-à-dire indépendant de toute cause ;
la créature est l'être ab alio, c'est-à-dire dépendant d'une cause. La
substance est l'être qui est per se, c'est-à-dire indépendant d'un sujet
d'inhérence ; l'accident est l'être qui est in alio, c'est-à-dire dépendant
d'un sujet d'inhérence. (Psych., 182, § A, I).
Ces qualificatifs a se, ab alio, per se, in alio, indiquent les manières
dont la notion commune d'être s'applique à Dieu et à la créature, à la
substance et à l'accident. Or il est manifeste que ces manières ne sont
ni univoques, car a se et ab alio, per se et in alio impliquent des concepts
divers ; ni purement équivoques, car Dieu et la créature, la substance
et l'accident conviennent entre eux dans le concept de l'être considéré
d'une façon indéterminée : ils ont tous une essence {aliquid quod est),
et cette ressemblance quant à l'être est le fondement que le concept
universel d'être a dans la réalité. Le terme et le concept d'être sont
donc analogues. C'est une analogie d'atlributioti par dénomination
intrinsèque.
II y a analogie d'' attribution, quand le concept signifié par le mot,
convient à l'un des objets principalement et absolument, aux autres
par relation à Vanalogum princeps. Or la notion d'être convient à Dieu
principalement et absolument, mais aux créatures dépendamment de
Dieu ; elle convient à la substance principalement et absolument, mais
à l'accident dépendamment de la substance. Dieu est Vanalogum princeps
par rapport à tout ; la substance, par rapport à l'accident.
11 y a attribution par détermination intrinsèque, quand le concept
exprimé convient intrinsèquement à tous les analogues, quoique d'une
façon différente. Or le concept d'être se réalise, quoique diversement,
en Dieu et dans les créatures, dans la substance et dans les acci-
dents : esse a se diffère de esse ab alio ; esse per se diffère de esse in
alio.
(17) POSSIBLE ET IMPOSSIBLE 463
17. — POSSIBLE ET IMPOSSIBLE
A) Définition : le possible est ce qui ne répugne pas à l'existence.
^impossible est ce qui répugne à l'existence.
B) Division : I. — Le possible et l'impossible peuvent être consi-
dérés soit intrinsèquement ou absolument, c'est-à-dire dans la chose
elle-même, soit extrinsèquement ou relativement, c'est-à-dire par rapport
à leur cause :
1° Intrinsèquement : une chose, envisagée en soi, est absolument
possible ou impossible, selon que les notions de ses éléments constitutifs
se concilient ou s'excluent. Ex. : un triangle est possible ; un cercle
carré ne l'est pas. Tout ce qui est contradictoire est impossible.
2» Extrinsèquement : une chose est relativement possible ou impos-
sible, selon qu'on la rapporte à une cause capable ou incapable de la
produire. Ex. : la vision est possible pour l'œil, impossible pour l'oreille.
Une chose intrinsèquement impossible l'est aussi extrinsèquement,
même à Dieu, parce qu'elle implique contradiction et absurdité. Ex. : il
est impossible qu'une figure soit à la fois ronde et carrée, parce que
ces deux éléments sont la négation l'un de l'autre. — Mais une chose,
possible en soi, est extrinsèquement possible ou impossible selon qu'on
la considère par rapport à telle cause capable de la produire ou à telle
autre impuissante à la réaliser. Ex. : la guérison subite d'une maladie
mortelle est possible à Dieu, impossible à l'homme.
II. — On peut distinguer encore ce qui est possible :
a) Absolument : ce dont l'existence n'emporte pas de contradiction.
Ex. : la création d'un monde nouveau est absolument possible.
b) Naturellement : ce qui ne dépasse pas les forces de la nature.
Ex. : des remèdes peuvent guérir une maladie grave.
c) Moralen. "t : ce qui est proportionné aux forces d'un être intel-
ligent et libre. hH. : l'homme peut, par les seules lumières de la raison,
arriver à la connaissance de Dieu.
III. — A cette Jriple possibilité s'oppose une triple impossibilité :
a) absolue, b) naturelle, c) morale. Un mouvement sans vitesse est abso-
lument impossible. La résurrection d'un mort est naturellement impos-
sible ; mais ce qui est impossible à une cause naturelle, est possible à une
cause surnaturelle : Dieu peut ressusciter les morts. II est moralement
impossil)le que toutes les mères haïssent leurs enfants, bien qu'il y ait
quelques marâtres (LoGiquE, 118, § II, C, II).
C) Fondement des possibles : cause première et cause souveraine.
Dieu renferme dans son infinie simplicité toutes les perfections que l'on
peut concevoir. Les essences ne sont possibles que parce qu'elles imitent
à quelque degré l'essence divine, et leur perfection se mesure au degré
464 ACTE ET PUISSANCE (18)
de cette imitation. Leur existence dépend de la volonté libre de )a
puissance créatrice. Les possibles ont donc pour fondement l'Essence
divine en tant qu'elle contient éminemment toutes les perfections
concevables.
Contemplant cette essence infiniment parfaite, l'intellect divin voit
toutes les manières dont elle est indéfiniment imitable. Ces divers degrés
d'imitabilité, auxquels correspondent autant de degrés d'être, forment
l'ensemble des possibles. L'intellect divin, contemplant l'essence divine,
ne constitue donc pas la possibilité interne des choses, mais la découvre
et la saisit (i) (81, II, B).
18. — ACTE ET PUISSANCE (2)
A) Définition. — Chez les êtres créés, on entend par :
a) Acte, ce qui les perfectionne. — b) Puissance, le principe dont
l'acte est la perfection. Ex. : un bloc informe de pierre peut devenir
une statue ; c'est donc une statue en puissance ; quand un sculpteur
lui a donné une forme humaine, c'est une statue véritable, une statue
en acte.
B) Division. — !« La puissance est dite : a) logique, si elle indique
simplement quelque chose de possible (17, A), mais n'existant que dans
notre esprit ; — b) réelle, si on la considère, en dehors de notre esprit,
dans un être qui la possède. Ex. : un bloc de marbre est transformé en
statue dans l'imagination de l'artiste en vertu d'une puissance logique ;
ce bloc devient statue, sous l'action du sculpteur, en vertu d'une puis-
sance réelle.
2° La puissance réelle est ': a) actiçe : c'est la faculté de produire
quelque chose ; vg. l'homme a la faculté de connaître ; — b) passive :
c^est la faculté de recevoir ou subir (en latin pati) une modification ;
vg. un bloc de marbre peut devenir une statue, un tfi; nbeau, un autel.
— Autre exemple : le feu, en chaufTant de l'eau {(\\x\ est en puissance
passive par rapport à la chaleur), passe de la puissance active (c'est-à-dire
du pouvoir qu'il a de chauffer) à Vacle de cette puissance active qui est
V action de chauffer.
( ') Ipse IDeus] cssenLiaiii suam perfecte cognoscit ; unde cognoscit eamsecunduinonineni
inodum quo cognoscibilis est. Potest antem cognosci non soluin secunduni quod in se est,
sed secundum quod est participabilis . secunduni aliquein iiioduin siniilitudinis a creaturis.
IJnaquaeque a>item creatura habet pro[)riain specieni secundum (juod aliquo modo participât
divinyc essentiae similitudineni. Sic igitur in ((uanlum Deus cognoscit essentiain ut sic
iniitabilem a tali creatura, cognoscit eam ut propriam rationem et ideam hujus creaturae.
(S. Thomas, Summu Iheologico, I" P., Q. XV, Art. I, § Vnde plures ideœ.)
( ') Cf. S. ScjiiiFiNi, Principitt philosophica admenicm Aquinatis, Metaphysica Generalis^
Disp. IV.
(19) ESSENCE ET EXISTENCE 465
C) Conséquences. — 1° De la définition de l'acte et de la puissance,
il ressort que l'acte est un perfectionnement de la chose, puisqu'il fait
que la chose reçoit l'opération et l'acte pour lesquels elle est en puissance.
Par conséquent, un être est d'autant plus parfait qu'il est plus en acte ;
dès lors un être qui serait toujours en acte, c'est-à-dire n'ayant besoin
d'aucun perfectionnement, serait un acte pur, sans aucun mélange de
passivité, serait donc la perfection souveraine et absolue. Cet acte pur
ne se rencontre qu'en Dieu, il est Dieu même. Dans toute créature,
au contraire, il y a mélange de puissance et d'acte, il y a passage de
la puissance à l'acte. Dieu seul est ; tout être contingent change, devient,
se fait. La puissance est conçue comme limitant l'acte (20, p. 469).
2" Aucune puissance, comme telle, n'est capable de s'actuer elle-
même ; pour passer de la puissance à l'acte il lui faut l'aide d'un être
déjà actué : « Rien ne peut être réduit de la puissance à l'acte, si ce n'est
par quelque chose qui est en acte. »
3° L'acte précède la puissance. Gela est vrai : a) soit que l'on consi-
dère l'ensemble des choses contingentes, car cet ensemble, n'ayant pas
en soi sa raison d'être, n'a pu venir à l'acte, à l'existence que par l'inter-
vention d'un être qui fût lui-même en acte, qui fût un acte pur, qui
fût Dieu ; — b) soit que l'on considère un être contingent en particulier,
car Vactuation d'un être en puissance est un effet qui exige toujours
une cause en acte pour le produire.
4° L'activité est dans l'agent, mais le résultat de cette activité,
Vaction, la chose faite, n'est pas dans l'agent comme tel, mais dans le
patient. Ex. : le maître et le disciple. Le disciple est en puissance passive,
par rapport à la science à acquérir. Le résultat de l'enseignement du
maître sera de faire passer le disciple de la puissance passive à l'acte,
de la possibilité de savoir à la science.
19. — ESSENCE ET EXISTENCE
A) Définition. — U'essence est ce par quoi une chose est ce qu'elle
est, et, conséquemment, ce qui la différencie de tout ce qui n'est pas elle.
Elle répond à cette question : Qu'est cette chose ? Les êtres contingents,
qu'ils soient substantiels ou accidentels, forment des groupes qui se
distinguent les uns des autres par des caractères intimes possédés en
commun, qui sont génériques et spécifiques (Loc, 11, § A, II). Ces pro-
priétés génériques et spécifiques constituent Vessence ou nature des
êtres contingents. Ainsi l'essence de l'homme, qui est un animal doué
de raison, se distingue de l'essence de la bête, qui est un animal privé
(le raison.
466 ESSENCE ET EXISTENCE (19)
Les essences, étant plus ou moins générales, ne peuvent être perçues
par les sens qui ne saisissent que le singulier ; elles ne peuvent l'être
que par l'intelligence. Aussi les appelle-t-on intelligibles.
'U existence est l'actualité de l'essence, c'est-à-dire ce en vertu de quoi
une chose existe.
B) Comparaison. — L'essence dans les êtres contingents est indéter-
minée par rapport à l'existence ; elle peut la recevoir ou ne pas la
recevoir. L'existence lève cette indétermination en réduisant en acte
la capacité de l'essence à passer de l'état possible à l'état actuel. Il y a
donc, dans l'ordre logique, entre l'essence et l'existence la corrélation qu'il
y a entre la puissance et l'acte (20, p. 469, 2»).
En Dieu seul l'existence et l'essence ne se distinguent pas, parce que
Dieu est essentiellement existant : il est de l'essence de l'être parfait
d'exister nécessairement. Dans les êtres créés, au contraire, l'essence
n'implique pas l'existence, puisqu'étant contingents ils n'ont pas tou-
jours existé et qu'ils auraient pu ne pas exister. L'existence est chez eux
une addition accidentelle à l'essence. Pour exister, il a fallu que Dieu
réduisît leur possibilité en acte ; tandis que Dieu, étant l'Etre de soi,
l'Être nécessaire, ne peut pas avoir de cause, ne peut pas ne pas exister :
son essence et son être sont identiques.
Les créatures étant mélangées de puissance et d'acte, leurs opéra-
tions se distinguent de leur être. Dieu étant acte pur, son opération
et son être sont la même chose.
C) Caractères des essences. — Elles sont immuables et nécessai-
res :
10 En tant qu'elles existent dans l'Intelligence divine, parce qu'elles
sont une imitation, un reflet de l'essence de Dieu. Elles ne dépendent
pas de sa volonté ; autrement il faudrait dire que Dieu peut réaliser le
contradictoire et l'absurde, faire par exemple que le triangle, qui est
essentiellement composé de 3 angles, en ait 4. — Les choses ont été
créées par Dieu d'après les idées qu'il en a de toute éternité ; donc
les essences des choses, en tant que connues par l'intelligence divine,
sont éternelles.
2° En tant qu'elles existent dans la nature, si l'on considère les
principes prochains qui les constituent . Ex. : un triangle n'aura jamais
plus de trois côtés, quelle que soit la longueur de ses côtés, ou la matière
dont ils sont faits.
D) Propriétés de l'essence des choses. — 1° Les unes, constitutives
de l'essence, sont invariables, comme elle ; vg. dans l'âme humaine,
l'unité, la simplicité, la spiritualité, l'immortalité.
2° Les autres, relatives aux opérations, sont variables; vg. sensibilité,
intelligence, volonté ; ces différentes formes de l'activité de l'àme sont
sujettes aux variations.
(20) DISTINCTION ENTRE l'eSSENCE ET l'eXISTENCE 467
20. - DISTINCTION ENTRE L'ESSENCE ET L'EXISTENCE
A) Position de la question. — On admet sans difficulté qu'entre
l'essence seulement possible et son existence, c'est-à-dire son état de
réalisation, il y a une distinction réelle. Mais c'est une question, très
controversée parmi les Scolastiquos, de savoir si, dans l'être fini et
contingent, supposé existant, l'essence et l'existence sont réellement
distinctes ; ou s'il n'y a entre l'essence et l'existence qu'une distinction
virtuelle ou distinction de raison ayant un fondement dans la réalité
{distinctio rationis cum fundamento in re). Il faut entendre par là que
la chose elle-même fournit à l'esprit un motif pour établir une distinction
entre les concepts d'essence et d'existence, lesquels, en fait, ne consti-
tuent qu'une seule et même réalité.
B) Solutions. — L'École thomiste se prononce généralement pour
la distinctio?! réelle. L'École franciscaine, Suarez et ses disciples, nombre
d'autres Scolastiques (^) se contentent de la distinction virtuelle. Cette
seconde opinion nous semble beaucoup plus probable.
I. — Il faut rejeter la distinction réelle, car :
1° Cette opinion renferme une contradiction. Il est contradictoire^
en eiïet, de parler d'une essence réelle et d'une essence qui n'existe
pas par elle-même ; car, si elle est réelle, comme on le concède, elle est
hors du néant par sa propre réalité ; or si elle est hors du néant par sa
propre réalité, c'est dire qu'elle existe par elle-même.
20 L'existence, supposée réellement distincte de l'essence, est une
réalité ; elle a par conséquent une essence propre.
Ceci posé, de deux choses l'une : ou bien l'essence propre de l'exis-
tence existe par une autre existence réellement distincte, ou elle existe
par elle-même.
Si elle existe par une autre existence, cette autre existence a aussi
son essence propre, et ainsi à l'infini, ce qui répugne, de l'aveu même
des adversaires.
Si elle existe par elle-même, il y a donc au moins une essence finie
qui existe par elle-même. 11 faut en dire autant de toutes les essences
finies, car si les arguments, apportés pour prouver la nécessité de la
distinction réelle, ne valent pas pour l'essence de l'existence elle-même,
ils ne valent pas davantage pour les autres essences.
IL — La distinction réelle étant rejetée, reste la distinction virtuelle
ou distinction de raison inadéquate ayant un fondement dans la réalité.
(') Cette question controversée a été traitée à fond par le Père J. Piccirelli dans
l'ouvrase : Disqui/iitio metaphysica, theologica, critica de distinctione aciuatam inter essentiam
existenliamqtie creati entis intercedenle, ac prœcipue de mente Angelici Doctoris circa eamdem
qusestionem, Naples et Paris, 1906. — Cf. D. Palmieui, Onlologia, C. m.
468 DISTINCTION ENTRE l'eSSENCE ET l'eXISTENCE (20)
Il y a d'abord entre l'essence réelle et l'existence une distinction
de raison, parce que les concepts d'essence et d'existence sont différents.
Le concept d'essence signifie ce par quoi une chose est ce qu'elle est,
appartient à telle espèce. Le concept d'existence signifie ce par quoi une
chose est hors du néant.
C'est ensuite une distinction inadéquate. La distinction est adéquate
quand aucun des deux concepts ne renferme l'autre : vg. animal et
végétal. Elle est inadéquate, quand l'un des concepts renferme l'autre :
c'est le cas présentement, car si le concept d'essence ne renferme pas
l'existence, le concept d'existence renferme l'essence.
Cette distinction a enfin un jondement dans la réalité, c'est-à-dire que
la réahté fournit à l'esprit l'occasion de distinguer. Ici, le fondement
consiste en ce que l'essence finie est contingente, c'est-à-dire n'existe
pas nécessairement : de là vient que cette essence peut être conçue
indépendamment de l'existence.
C) Remarques : I. — La distinction virtuelle suffit pour diffé-
rencier Dieu et les créatures, parce que, en Dieu seul, le concept de
l'existence est essentiel : Il ne peut pas ne pas exister; c'est l'Etre
nécessaire. Dans les créatures, au contraire, le concept de l'existence
est accidentel : elles peuvent exister ou n'exister pas : ce sont des êtres
contingents. . .
Un thomiste éminent, Dominique Soto, a fait cette Judicieuse
remarque : « Admettre ou nier la distinction réelle entre l'essence et
l'existence n'a pas si grande importance, pourvu qu'on ne nie pas la
différence entre nous et Dieu, à savoir, que l'existence est essentielle
à Dieu, mais non aux créatures. De même, celui qui nierait la distinction
réelle entr§ la session et le siégeant ne nierait pas une chose importante,
pourvu qu'il n'admît pas que être assis est essentiel à l'homme. Les
anciens y voyaient une distinction et peut-être avec raison {^). «
Les adversaires cependant objectent :
10 Si l'essence et l'existence sont une seule et même réalité, l'être
de toute créature sera comme l'être de Dieu un esse irreceptum.
Réponse : l'existence de la créature n'est pas reçue dans un sujet qui
la limite, à savoir l'essence, je le concède. Elle n'est pas reçue d'un
autre, je le nie, parce que les créatures, étant l'œuvre de Dieu, reçoivent
l'existence de Lui. Leur esse n'est donc pas irreceptum.
( M Sed id solum addiderim quod non est res tanti momenti liane dislinclionem [esse ab
essentia], aut concodere, aut negare, dummodo non negetur dilïerentiani inler nos et Deum,
quod esse sit de essentia Dci et non sit de essentia crcaturarum ; sicut qui nega-
verit sessionem distingui realiter a sedente, nihil magnum negabit, dummodo non concédât
sessioncm esse de essentia hominis ; hanc enim anliqui appellabant distinctionem et forte
docte. (D. SoTO, In nialecticam Aristolelis Commentarii, Lib. Prœdicameniorum, C. v.
De Hubslantia, Quaîst. I, p. 46 verso, col. 1, vers le bas, Salamanque, 1554).
(20) DISTINCTION ENTRE l'eSSENCE ET l'eXISTENCE 469
2^ L'essence est à l'existence ce que la puissance est à l'acte. Or la
puissance se distingue réellement de l'acte. Donc l'essence se distingue
réellement de l'existence.
Réponse : dans l'ordre réel l'essence joue le rôle de puissance, je le
nie. Dans l'ordre logique, l'essence peut être considérée comme jouant
le rôle de puissance, c'est-à-dire comme limitant l'existence, je le concède.
Mais, dans cette considération, il n'y a place que pour une distinction
de raison.
II. — C'est un point obscur, très discuté, de savoir si S. Thomas
tient pour la distinction réelle ou pour la virtuelle. On cite, en effet,
des textes qui semblent favoriser les deux solutions. Ce qui explique
cette incertitude des commentateurs dans l'interprétation des textes
allégués, c'est que ces textes ne sont pas explicites (^), et que la distinction
virtuelle est appelée quelquefois réelle. Elle l'est en effet, non pas stric-
tement, mais au sens large, parce qu'elle procède de l'esprit déterminé
par la chose : c'est la chose elle-même qui lui fournit matière à distinction.
Voilà pourquoi certains interprètes de S. Thomas ont pu qualifier cette
distinction de réelle, sans qu'on ait le droit d'en conclure que, d'après
eux et d'après S. Thomas, l'essence et l'existence d'un être actuel difïè-
rent entre elles comme deux réalités distinctes.
( M Autrefois les Thomistes s'appuyaient sur ce texte trt^s explicite : ...A'ofa quod in
ivtaluris esse essentix et esse aclualis exislenliœ dif'erunl realiter, ut duse diverses res [Opuf:-
culum de Prsedicamenlis, C. ii, circa nnem). Si ce texte était authentique, il trancherait la
controverse. Mais on reconnaît aujourd'hui qu'il n'est pas de S. Thomas..
CHAPITRE II
PROPRIÉTÉS TRANSCENDANTALES DE L'ÊTRE
V Unité, la Vérité, la Botité, la Beauté, telles sont les propriétés
communes à tous les êtres, quelle que soit la catégorie à laquelle ils
appartiennent. Tout être est un, vrai, bon, beau. Ces propriétés sont
dites transcendantales, parce que, dépassant tdus les genres, elles convien-
nent à tous les êtres. Les propriétés catégoriques ne s'appliquent, au
contraire, qu'à tel ou tel genre d'êtres (cf. Ch. III).
L'unité se dit de l'être absolument, tandis que la vérité, la bonté
et la beauté impliquent une relation aux facultés de l'àme.
Les anciens Scolastiques ne mettaient pas la Beauté au nombre des
transcendantaux. Pour dissiper la surprise, que peut faire naître l'asser-
tion contraire, il suffira d'établir une distinction : tous les êtres, « tous,
du grain de sable à l'homme et à l'ange, sont diversement beaux en
rigueur métaphysique. Être, perfection, beauté, termes connexes
jusqu'à devenir inséparables. Tout ce qui est est beau par le fait même
et dans la mesure de son être. Dieu, l'Être pur et absolu, est la beauté
sans mélange. Toute créature, étant limitée dans son être, l'est à pro-
portion dans sa beauté ; mais elle ne perdrait toute sa beauté qu'en
cessant d'être. Tant qu'elle est, elle est belle par là même et dans la
même mesure. C'est que, par là même et dans la même mesure, elle
reflète nécessairement l'Être sans Hmites, la beauté infmie, l'exemplaire
universel, Dieu. Mais autre chose est la rigueur métaphysique, autre
chose la pratique, l'appréciation. Là nous n'appelons beau que l'être
où la beauté domine assez pour affecter notre âme, où la ressemblance
divine est assez claire pour saillir à nos yeux. C'est ici le domaine de
l'expérience rapportée à notre nature, et l'expérience nous dit très
certainement que tout n'est pas beau. » (^) (Sur le Beau, voir Esthé-
tique, Ch. I, notamment le § 4).
(•) G. LoNo.iAYE, rhéorie des Belles- Leltres, h. II, CU. m. § I, P- 180-181 (2' Édil.).
(21) l'unité 471
21. — L'UNITÉ
Après avoir examiné la notion d'unité nous étudierons quelques
notions voisines ou opposées : Division, iMiiltitude, Identité, Distinction.
A) Définition. — L'être un est celui qui est indivisé en soi. L'unité
ajoute à l'idée d'être une négation ; ce n'est pas cependant une idée
purement négative, parce qu'elle suppose l'idée d'être qui est positive,
et y surajoute Vabsence de division, ce qui indique une perfection, donc
quelque chose de positif.
Il ne faut pas confondre l'unité avec V unicité, car, outre la négation
de toute division, l'unicité dit négation de ressemblance dans un genre
donné. Ex. : le soleil est unique dans notre système planétaire.
B) Division. — On distingue l'unité à' indivisibilité et l'unité de
composition.
lo L'unité d'iNDivisiBiLiTÉ exclut, non seulement la division
actuelle, mais la possibilité même de la division ; vg. Dieu, l'âme.
2° L'unité de composition exclut, non pas la possibilité d'une
division, mais la division actuelle. Elle est de quatre sortes :
a) Naturelle : qui résulte de l'union de plusieurs éléments destinés
par la nature à composer un tout ; vg. l'homme : le corps et l'àme sont
ordonnés à constituer le composé humain ; — eau, composée d'hydro-
gène et d'oxygène.
b) Artificielle : qui résulte de l'union de plusieurs éléments agencés
par l'art humain de façon à former un tout ; vg. une maison, une machine,
un poème.
c) Morale : qui résulte de l'union de plusieurs personnes formant
une société ; vg. famille, cité, armée. Le lien qui les unit dépend de leur
nature d'êtres intelligents et libres.
d) Physique : qui résulte de la juxtaposition de plusieurs choses ;
vg. un monceau de sable, une masse d'eau. C'est un agrégat : de toutes
les formes d'unité, c'est la plus imparfaite, parce que le lien qui rapproche
les divers éléments leur est extrinsèque.
C) L'être et l'un sont convertibles. — Tout être est un, c'est-
à-dire n''est pas divisé en lui-même, mais est divisé de tous les autres :
Indivisum in se et divisum a quolibet alio. Il en doit être ainsi, car un
objet divisé en lui-même ne serait pas un être, mais un ensemble d'êtres,
et, d'autre part, des objets, qui ne seraient pas divisés les uns des autres,
ne constitueraient pas plusieurs êtres, mais formeraient un seul être
composé. Cette unité est, comme l'être lui-même, transcendantale et
analogue : aussi s'applique-t-elle à tous les êtres, mais plus ou moins
parfaitement (B). L'unité n'ajoute pas quelque réalité à l'être, mais
seulement une négation : l'absence de division. C'est pouiquoi on peut
472 DISTINCTION (22)
dire : Tout être est un, et tout un est être. Ens et unum convertuntur.
D) Multitude. — La notion de pluralité ou de multitude implique :
10 l'indivision intrinsèque des êtres compris dans la multitude ; 2» la
division extrinsèque, qui fait que chacun d'eux est mis à part des autres.
La multitude dit donc une pluralité d'êtres séparés ou du moins réel-
lement distincts entre eux, comme les habitants d'une ville, les cinq
doigts de la main.
Le nombre est une collection d'unités qui ont entre elles quelque
point commun. Ex. : cent arbres. On peut" le définir : Une multitude
mesurée par l'unité.
E) Identité. — L'identité, c'est la négation de la diversité. La
négation de la diversité individuelle ou numérique, c'est V identité pro-
prement dite : l'homme passe par l'enfance, la jeunesse, l'âge mûr et la
vieillesse, sans cesser d'être essentiellement conforme à lui-même,
— La négation de la diversité spécifique, c'est l'identité de nature.
Ex. : Pierre et Paul sont spécifiquement identiques. — La négation de
la diversité générique, c'est l'identité de genre. Ex. : l'homme et la bête
sont génériquement identiques. — La négation de la diversité qualitative,
c'est l'identité dans la qualité, c'est la ressemblance ou similitude.
Ex. : tous les hommes de race blanche se ressemblent sous le rapport
de la couleur. — La négation de la diversité quantitative, c'est l'identité
dans la quantité, c'est Yégalité. Ex. : cas d'égalité de deux triangles.
22. — DISTINCTION
Par distinction on entend l'absence d'unité.
La distinction peut être réelle ou logique :
I. — Distinction réelle : c'est l'absence d'unité entre plusieurs
choses. Elle est :
a) Adéquate : quand deux choses ne sont réellement identiques
dans aucun de leurs éléments ; vg. deux êtres existants, deux arbres,
deux pierres, etc., sont adéquatement distincts, parce que la réalité de
chacun est tout entière en dehors de la réalité de l'autre.
b) Inadéquate : quand deux choses ne sont que partiellement iden-
tiques. Ex. : le tout et ses parties, comme l'homme et l'àme, qui sont
inadéquatemenl distincts.
II. — Distinction logique ou de Raison : c'est l'absence d'unité
entre plusieurs concepts d'une même chose. Quand deux choses sont
réellement distinctes, leur distinction est Vœuvre de la nature et par
ronséquent existe indépendamment de notre pensée. Deux choses sont,
au contraire, logiquement distinctes, dans la mesure où leur distinction
est Vœuvre de la raison. D'après les Scolastiques, la Distinction de raison
est double ;
(22) DISTINCTION 473
A) Distinclio rationis ratiocinantis ou Distinctio sine jundamento
in re : elle existe quand la même chose est exprimée par des concepts
qui ne diffèrent formellement d'aucune manière {nullo modo jormaliler
diversi), c'est-à-dire par des concepts dont la définition est identique :
tels le concept d'homme et le concept d'animal raisonnable. Le second
n'est que le développement du premier.
B) Distinctio rationis ratiocinatse ou cum jundamento in re, qu'on
nomme aussi Distinctio virtualis : elle existe quand la même chose est
exprimée par des concepts qui diffèrent formellement de quelque manière
{aliquo modo formaliter diçersi), c'est-à-dire par des concepts qui n'ont
pas la même définition. C'est ainsi qu'on distingue dans l'homme,
qui est un animal raisonnable, les concepts ^animalité et de rationalité.
Ainsi, encore, les attributs divins {intelligence, volonté, toute-puis-
sance, etc.), bien qu'ils ne se distinguent pas réellement de Dieu, mais
constituent une seule et même réalité infiniment parfaite, peuvent
être distingués virtuellement, parce que leurs concepts diffèrent et mon-
trent la même réalité sous des aspects divers (78, C).
Les ScoLASTiQUES appellent la première distinction : rationis ratio-
cinantis ; ils mettent le verbe à V actif et ajoutent : sine jundamento
in re, pour signifier que le fondement de cette distinction est tout entier
dans les concepts, c'est-à-dire qu'elle est Vœuvre de la raison.
Les ScoLASTiQUES appellent la seconde : rationis ratiocinatse; ils
mettent le verbe au passif et ajoutent : cum fundamento in re, pour
signifier que l'esprit est déterminé par la cJwse même, par l'objet à faire
cette distinction. Le fondement de cette distinction virtuelle est la per-
fection même de l'objet : bien que cette perfection soit réellement une
(vg. Vanimalité et la rationalité dans Vhomme), elle équivaut cependant
à plusieurs, qui, selon leur formalité propre, peuvent exister séparément
(vg. l'animalité dans la bête et la rationalité dans Vhomme), ou qui,
tout en n'existant que dans un seul et même sujet (vg. V intelligence et
la volonté dans l'âme humaine), se font cependant connaître par des
manifestations diverses et répondent à des définitions différentes. Cette
distinction est précisément appelée virtuelle, parce que c'est en vertu
de sa perfection que l'objet est dit équivaloir à plusieurs {virtute dicitur
œquivalere pluribiis distinctis).
La distinction virtuelle tient le milieu entre la distinction strictement
réelle (distinctio ut res a re) et la distinction purement rationnelle
(distinctio rationis ratiocinantis). En effet, procédant de Vesprit déter-
miné par la chose, elle tient des deux ; elle est donc mitoyenne.
Remarq^ue. — Un indice certain de la distinction réelle entre les
choses, c'est leur mutuelle séparabilité, c'est-à-dire une séparabilité telle
que chacune puisse exister à part de l'autre : vg. la main par rapport
au reste du corps. Car rien ne peut se séparer de soi-même et exister en
474 PRINCIPE d'individuation (23)
dehors de soi. Si deux choses peuvent exister séparément, c'est donc
qu'avant leur séparation, celle-ci n'était pas celle-là, c'est-à-dire qu'elles
étaient déjà réellement distinctes. — Autre indice sûr : il y a distinction
réelle entre deux choses dont les concepts objectifs sont constitués par
des notes ou caractères qui répugnent à être ensemble dans le même
sujet. Une seule et même essence ne peut en effet être constituée par des
notes ou caractères qui s'excluent : vg. étendue, simplicité. C'est ainsi
que nous pouvons distinguer l'àme du corps (49).
23. — PRINCIPE D'INDIVIDUATION
Les Scolastiques entendent par principe d'individuation la raison
intrinsèque qui fait que chaque chose existante est singulière ou indivi-
duelle. Quelle est cette raison ? Un grand nombre, parmi les anciens
Scolastiques, établissent une distinction entre les êtres immatériels et
les. êtres matériels. Dans les premiers, l'essence et l'individualité sont
une seule et même chose. Dans les seconds, l'individualité diffère réel-
lement de l'essence, de sorte que l'individualité a certains éléments
propres qu'on ne trouve pas dans l'essence. Le principe de leur indivi-
duation c'est materia signala^ c'est-à-dire la matière affectée d'une
certaine quantité. Comme cette matière est, aux yeux de ces Scolastiques,
l'unique principe de multiplication des individus dans la même espèce, ils
soutiennent que dans les esprits purs, qui sont immatériels, il y a autant
d'espèces que d'individus (^).
Il faut admettre, au contraire, que toute chose existante est singu-
lière, non en vertu de quelque principe surajouté, mais par elle-même.
En effet : 1° Si ce qui rend singulière une nature existante, se dis-
tinguait réellement d'elle, il s'ensuivrait que cette nature, considérée
en elle-même, serait universelle. Or l'universel a parte rei répugne.
(PsYCH., 140.) Donc une nature existante est individualisée par elle-
même.
2o Ce principe d'individuation surajouté est singulier ou par lui-
même, ou par le moyen d'un autre principe. Si c'est par un autre, il faut
aller à l'infini, ce qui répugne. Si c'est par lui-même, il n'est donc pas
nécessaire, pour qu'une nature existante soit singulière, de recourir
à un autre déterminant qu'elle-même.
Cette maxime : La matière est principe d'individuation peut cepen-
dant avoir une signification légitime. Elle est vraie en ce sens :
a) Que, la matière étant sensible, c'est d'elle que nous tirons les
caractères qui nous servent à discerner les individus entre eux.
(') Cf. SuAREz, Dispuiationes Melaphysicse, Disp. V. — Cependant sur la fin de sa vie,
S, Thomas, dans l'Opuscule /)e unitate intdlechu', qui est de 1270, déclara que ceux qui
prétendenl démonlrer riinpossibililé pour Dieu de créer des esprits purs de la niénie
espèce, argumentent d'une façon tout à fait rudimentaire ; Valde ruditer argunientantur.
(24) LE VRAI ET LE FAUX 475
b) Qu'elle est le principe naturel intrinsèque de la multiplication
des individus dans la même espèce, puisque c'est par voie de génération
que les individus se reproduisent. Mais il faut y ajouter l'intervention
créatrice de Dieu.
24. — LE VRAI ET LE FAUX
L'Ontologie ne s'occupe que de la vérité et de la fausseté qu'on
appelle mêla physique, objective ou ontologique.
A) Définition générale de la Vérité : la vérité est la conformité
de la pensée et des choses. La vérité suppose donc trois éléments : l'' un
objet dont on affirme quelque chose ; 2" une intelligence qui affirme
quelque chose ; 3^ un rapport de conformité entre l'affirmation et l'objet.
D'après la nature de ce rapport on peut distinguer trois sortes de vérités.
B) Espèces : 1° Vérité logique ou subjective : c'est la conformité
de la pensée à son objet. Quand je dis : Il fait jour, je dis vrai si cette
affirmation concorde avec la réalité.
2" Vérité métaphysique, objective ou ontologique : c'est la
conformité des choses à la pensée qui les a produites. Un carré, une
maison ne seront un vrai carré, une vraie maison que s'ils sont conformes
à la pensée du géomètre et de l'architecte, aux lois géométriques et
architecturales.
3° Vérité morale ou Véracité : c'est la conformité de la parole à la
pensée. (Morale, 67).
C) Comparaison : cf. Logique, LI3.
D) L'être et le vrai sont convertibles : tout être est vrai méta-
physiquement, parce que tout être répond parfaitement à sa cause
exemplaire, à l'idée de Dieu. Dieu, en effet, ayant une puissance infinie,
réalise adéquatement sa pensée, avec le degré de perfection qu'il a déter-
miné. C'est pourquoi on peut, après saint Augustin et Bossuet, définir
la vérité objective : « Ce qui est ». C'est le sens de l'axiome scolastique :
Ens et verum convertuntur. « L'être et le vrai sont convertibles « : Tout
être est vrai. Tout vrai est être. (Logique, 113, III).
E) Fausseté ontologique : il n'y a pas, à proprement parler, de
faux objectif, car le faux c'est ce qui n''est pas ; or tout ce qui existe
est métaphysiquement vrai (D). Cependant on attribue la fausseté
aux choses non pas en considérant ce qu'elles sont, mais ce qu'elles ne
sont pas. Ainsi on appellera faux :
1° Ce qui, par sa ressemblance avec une autre chose, est apte à nous
apparaître ce qu'il n'est pas ; vg. une médaille en aluminium peut sembler
de l'argent.
2° Ce qui, dans les œuvres humaines, n'est pas conforme à l'idéal
physique, intellectuel ou moral ; vg. fausse éloquence, fausse vertu.
3° Ce qui est l'objet d'une énonciation erronée.
476 LE BIEN ET LE MAL (25)
On voit que la fausseté est attribuée aux choses à cause de leur
relation à V intelligence, soit parce que ces choses ont été une occasion
d'erreur (l»), soit parce qu'elles ne reproduisent pas fidèlement l'idée,
qui existe dans l'intelligence et qui est leur modèle {2o), soit enfin parce
que rintelligence peut émettre des propositions fausses (3°). Mais, objec-
tivement et en soi, toutes ces choses, dites fausses à raison de ce qui
leur manque, sont vraies, ont une certaine réalité ; ainsi une fausse
médaille d'argent est un vrai métal, est réellement de l'aluminium, etc.
C'est pourquoi le faux n'est pas une négation pure et simple, un non-
être. S'il s'agit de la fausseté ontologique, il est évident que ce qui est
appelé faux est une réalité à laquelle est jointe une négation. On dit que
cette médaille réelle n'est pas de l'aluminium ou que cette manière de
parler n'est pas de la vraie éloquence, etc.
F) Fausseté logique. Fausseté morale. Cf. Logique, 121, I, III.
25. — LE BIEN ET LE MAL
§ I. — L£ BIEN
A) Définition. — 1^ Le bien, en général, est ce qui convient à quel-
qu'un ou à quelque chose. La bonté implique l'idée de perfection, de
quelque chose capable de perfectionner. A cette idée de perfection, qui
en est la base, la bonté ajoute l'idée de relation à une autre chose qu'elle
peut perfectionner.
La perfection est une réalité quelconque convenant à un être. II y a
des degrés dans la perfection. Un être est relativement parfait, quand il
possède tout ce qu'il doit avoir sous un rapport déterminé, par exemple,
tout ce que requiert sa nature : tel homme qui a tous ses organes et
facultés en bon état. Un être est purement et simplement parfait, quand
il possède tout ce qu'exigent et sa nature et la fin pour laquelle il a été
fait. Les êtres libres naissent perfectibles : ils n'arrivent à la perfection
morale qu'ils doivent acquérir que le jour où ils ont atteint leur fin
dernière par un bon usage de leur liberté.
2° On peut définir encore le bien : Vétre en tant que désirable, « appé-
tible » (appetibile).
La première définition est tirée de Vessence même de la bonté, tandis
que la seconde est prise d'une propriété qui suit toujours le bien : pos-
sédant une certaine perfection il est nécessairement désirable, car tout
être désire naturellement ce qui le perfectionne.
B) Division. — On distingue le bien :
i^ Vrai : celui qui convient réellement à quelque chose ; vg. la santé
à l'homme. — Apparent : celui qui paraît convenir, mais ne convient
(25) LE BIEN ET LE MAL 477
pas en réalité ; vg. le pécheur recherche les biens créés, le plaisir, l'hon-
neur, etc.. au lieu de rechercher le Bien infini, Dieu.
2» Absolu ou Intrinsèque : c'est la bonté qui convient à un être
et le perfectionne lui-même ; vg. la vérité est le bien de l'intelligence. —
Relatif ou Extrinsèque : c'est la bonté d'un être qui convient aux
autres et les perfectionne ; vg. la médecine pour le malade.
3° Physique ou Corporel : c'est le bien qui perfectionne les corps,
la nature corporelle ; vg. la chaleur. — Moral ou Spirituel : c'est un
bien qui perfectionne l'esprit et les mœurs ; vg. la science est un bien
pour l'intelligence, et la vertu pour la volonté.
4*^ Honnête : celui qui convient à l'être raisonnable en tant que
raisonnable ; il est synonyme de bien moral ; vg. faire un acte de vertu,
comme donner de l'argent aux pauvres, soigner les malades.
50 Délectable ou Agréable : celui qui convient à l'être en tant
qu'il est doué de sensibilité ; vg. le sentiment de plaisir qui accompagne
un effort généreux pour accomplir le devoir.
6° Utile : celui qui ne convient pas par lui-même, mais en tant qu'il
sert à atteindre une fin ; vg. l'argent dont on use pour se procurer les
choses nécessaires à la vie. L'honnête est désiré pour lui-même et comme
une jin ; l'utile est désiré comme moyen pour parvenir à une fin.
C) Le vrai et le bien. — Le vrai et le bien ont un fond commun,
l'être ; mais à ce fond commun chacun ajoute ime relation différente,
le vrai à V intelligence, le bien à la volonté. En effet, le vrai c'est l'être en
tant que conforme au concept de son essence, l'être par conséquent en
tant qu'il est intelligible et affirmahle ; le bien c'est l'être en tant que
parfait et capable de perfectionner les autres, l'être par conséquent en
tant que désirable, digne d'être recherché [bonum appetibile).
D) L'être et le bien sont convertibles. — La bonté est une
propriété commune à toutes choses. Tout être est bon, puisque tout
être possède la perfection qui lui convient et qu'il peut dans une certaine
mesure perfectionner les autres. De même tout ce qui est bon est être,
puisqu'il possède une certaine perfection, et que toute perfection est
une certaine entité.
§ II. -^ LE MAL
A) Définition. — Le mal s'oppose au bien et à la perfection :
1° C'est la privation d^iine perfection qui convient à la nature d'un
être ; vg. la surdité est un mal i)our l'homme et non pour la pierre, car
la nature humaine exige la faculté d'entendre, tandis que la pierre ne
la requiert pas.
La notion de mal comprend deux choses : a) l'une négative : l'absence
d'une perfection due à l'être qui en est privé ; b) l'autre positive : l'être
478 LE BIEN ET LE MAL (25)
lui-même qui subit cette privation. Le mal comme tel, en tant que
privation, ne peut exister dans la nature, car il signifie un non-être ;
mais il existe dans un sujet auquel fait défaut telle qualité que comporte
sa nature. Ainsi l'erreur est un mal pour Tintelligence, parce qu'elle est
faite pour saisir le vrai. En adhérant à l'erreur l'intelligence se prive
d'une perfection que réclame sa nature.
2^ On peut définir encore le mal : Ce qui prive les autres d'une per-
fection qui leur est due : vg. un assassin enlève la vie à quelqu'un pour
le voler, un calomniateur cherche à dépouiller de sa réputation, qui est
un bien moral, quelqu'un dont il est jaloux.
Si le bien est désirable, parce qu'il convient à la nature, le mal doit
être fui, parce qu'il ne convient pas à la nature : au lieu de la perfec-
tionner comme le bien, il la déforme et l'amoindrit.
B) Division. — On distingue le mal :
1° Absolu ou Intrinsèque : l'être auquel manque une perfection
due ; vg. un homme aveugle, malade. — Relatif ou Extrinsèque :
l'être qui prive ou peut priver les autres d'une perfection due ; vg. le
loup est un mal pour la brebis.
2° Physique ou Corporel : c'est la privation d'un bien physique ;
vg. la cécité, la douleur. — Moral ou Spirituel : c'est la privation
d'un bien intellectuel ou moral ; vg. : l'ignorance, le vice.
C) Remarques : 1*' Le Mal métaphysique, dont parle Leibniz (9G),
n'est pas, à proprement parler, un mal. Il entend par là la limitation
qui est inhérente à toutes les choses créées, par le fait même qu'elles
sont créées, tirant de l'Être nécessaire toute leur réalité. Ce mal n'est
pas une privation, c'est-à-dire l'absence d'une perfection exigée par la
nature de tel être, mais la simple négation d'une perfection plus grande
se rencontrant en d'autres êtres. Le mal métaphysique n'est donc pas
un mal strict. Ainsi ce n'est pas un mal que la pierre ne voie ni ne sente,
parce que sa nature d'être inanimé n'appelle pas ce genre de perfection.
2» Le déshonnête s'oppose au bien Jionnête et se ramène au mal moral ;
vg. mentir.
CHAPITRE III
DIVISION DE L'ETRE OU CATÉGORIES
Les iranscendantaux sont les propriétés communes à tous les êtres ;
les catégories sont des manières d'être spéciales, ne convenant qu'à un
genre plus ou moins étendu d'êtres. -Ainsi tout être n'est pas substance,
accident, quantité, etc., tandis que tout être est un, vrai, bon, beau.
La Logique et l'Ontologie traitent des mêmes catégories, mais les
considèrent d'un point de vue différent. La Logique (6) les envisage
comme des genres suprêmes, dans lesquels viennent se ranger tous les
attributs qu'on peut donner aux choses, tout ce que l'on peut en dire.
L'Ontologie les étudie comme des genres suprêmes, dans lesquels vien-
nent se ranger toutes les réalités des choses.
Les Péripatéticiens et les Scolastiques comptent dix Catégories
qui rentrent toutes dans la Substance ou V Accident. La raison en est
que toute réalité ne peut être conçue et exister que comme substantielle
ou accidentelle. L'Accident se subdivise en neuf Catégories.
26. — LA SUBSTANCE ET L'ACCIDENT
§ I. — LA SUBSTANCE
A) Définition. — Le mot substance dérive de deux mots latins
[sub-stare) signifiant être sous, parce qu'on se la représente comme le
support des accidents qui la modifient. On la définit : Le sujet un et
permanent de phénomènes multiples et changeants ; vg. du marbre. Mais
cette définition ne convient qu'aux substances créées. On la définit
encore : Ce qui existe en soi. Cette seconde définition s'applique à Dieu
et aux créatures, parce qu'elle fait abstraction de toute relation à des
phénomènes ou modifications qui impliquent changement et par consé-
quent imperfection. Le mode ou accident en efïet a besoin, pour exister,
d'être dans un autre qu'il modifie, dont il devient une manière d'être
(§11).
Il ne faut pas confondre la substance et Vaccident avec Vessence.
L'essence indique les principes constitutifs d'une chose, puisqu'on la
définit : Ce par quoi une chose est ce qu'elle est. La substance signifie la
480 LA SUBSTANCE ET l'aCCIDENT (26)
façon dont une chose existe. La notion d'essence est d'ailleurs transcen-
dante comme l'être, car elle s'applique à la substance et à l'accident
qui ont chacun leur essence propre. (Psych., 182).
Le mot nature est, au contraire, souvent employé comme synonyme
à''essence. Cependant, chez les Scolastiques et même chez Descartes,
la nature signifie un principe d'activité. Ils considèrent la substance
comme le principe éloigné par lequel l'être agit, et les facultés (vg. intel-
ligence, volonté), comme les principes prochains par lesquels l'être agit.
Le mot personne signifie la substance individuelle dune nature raison-
nable et libre. Les trois éléments constitutifs de la personne sont donc
l'individualité, la conscience réfléchie et la liberté. Seuls les êtres raison-
nables sont des personnes. Les minéraux, les végétaux, les animaux
mêmes ne sont que des choses. Les Scolastiques donnent à ces substances,
tout entières en soi, mais privées de raison, le nom de suppôt (de suppo-
situm, ce qui est placé dessous). (Psych., 200).
B) Division. — On distingue la substance :
1^ Concrète, Individuelle ; vg. cet homme. — Abstraite, Géné-
rale ; vg. Vhomme. La substance concrète ne peut s'affirmer que d'elle-
même ; la substance de cet homme, par exemple de Pierre, est incom-
municable. La substance abstraite, représentant ce qu'il y a de commun
entre plusieurs individus, peut s'affirmer de chacun de ces individus :
l'humanité convient à tous les hommes, Pierre, Paul, etc.
2° Simple : c'est une substance indivisible ; vg. Dieu, l'âme iiumainc.
— Composée : c'est une substance qui résulte de l'association plus ou
moins intime de plusieurs substances ; vg. l'homme qui est un composé
de corps et d'âme ; la plante qui est composée d'éléments physico-
chimiques et d'un principe vital ou âme végétative.
3° Incomplète : substance qui existe en soi, mais non par soi :
vg. le corps humain est une substance incomplète, parce qu'il n'existo
que dépendamment de l'âme qui le vivifie. — Complète : substance qui
existe par soi et en soi ; vg. Dieu, l'âme humaine, laquelle, bien que
destinée à faire partie du composé humain, peut exister indépen-
damment du corps, parce qu'elle peut exercer sans lui ses opérations
spirituelles de comprendre et de vouloir.
L'acte, par lequel une substance est complète, s'appelle subsistance :
c'est la perfection qui achève et parfait une nature en la rendant incom-
municable et capable d'exister et d'agir par soi.
§ II. — U ACCIDENT
A) Définition. — IJ accident se définit, par opposition à la substance:
Ce qui existe dans un autre ; vg. blancheur de ce papier, idée de mon
intelligence, résolution de ma volonté. L'essence de l'accident consiste
dans cette exigence d'exister dans un sujet qui lui sert de support, de
(27) LA QUANTITÉ 481
telle sorte que, à moins d'un miracle, il ne puisse exister en dehors de
lui. L'accident n'est pas une partie du sujet dans lequel il existe, car la
partie est une substance, incomplète, il est vrai, mais une substance ;
elle existe, en effet, en soi, mais pas par soi, parce qu'elle dépend du tout
auquel elle est subordonnée ; vg. le bras dans l'organisme humain.
B) Division. — On distingue l'accident :
1° Logique ou Prédicable : tout ce qui s'ajoute d'une façon contin-
gente à l'essence et au propre ; vg. cet homme est vertueux. Être ver-
tueux est une qualité qui ne convient pas nécessairement à l'homme,
car il y a des gens vicieux.
2° Physique ou Catégorique : c'est de lui que l'on parle en Onto-
logie ; il est, par opposition à la substance : Ce qui existe dans un autre.
On le divise en :
a) Absolu-: ainsi appelé parce qu'il ne consiste pas, comme les autres,
dans une relation ; vg. la quantité. Les Scolastiques admettent entre
l'accident absolu et la substance une distinction réelle : son être étant
distinct de la substance, bien qu'il en dépende, en peut être séparé et
exister en dehors d'elle, pourvu qu'une cause supérieure supplée le rôle
de la substance. Ainsi en serait-il pour les espèces ou accidents eucha-
ristiques : séparées de la substance du pain et vin, les espèces sacra-
mentelles sont soutenues dans l'existence par la puissance divine (}).
h) Modal : c'est une modification contingente du sujet, une manière
d'être qui peut être absente ou présente selon les circonstances ; vg. la
rotondité d'un morceau de marbre qui pourrait recevoir la forme carrée ;
être en France. Ces accidents modaux ne sont pas réellement distincts
de la substance (^).
-27. — LA QUANTITÉ
A) Définition. — On nomme quantité ou extension ce qui est
divisible en ses éléments, de sorte que, la division faite , chacun puisse
(') Des Scolastiques récents n'admettent pas qu'il y ait distinction réelle entre la
substance et la quantité (Cf. Palmieri, Institutiones philosophiez, T. I, Ontologio, Th. xxiii,
p. 448-457. Cf. De Accident'', § VIT, p. 367-369). Ils disent, conséquemment. (ju'aprOs la
transsubstantiation il ne reste rien ni de la substance du pain et du vin, ni de leurs acci-
dents. Voici comment ils expliquent que, nonobstant cette disparition des accidents, nos
yeux voient le même phénomène objectif qu'avant la transsubstantiation : Fac igiturdesinere
omnem substantiam panis et vini Deumque efficere ut materia imponderabilis, quae illis
coijimixta erat, sensibiliter résistât in eodem spatio quemadmodum prius resislebat corpus :
habebis eadem phaenomena, et quidem objectiva, h. e. a causa existente a parte rei detcr-
minata, quae prius habebas. (Palmieri, Institutiones..., T. II, Cosmologia, Th. xxvi, p. 184,
au haut).
( ^) SuAREz {Dispulationes Metaphysicse, Disp. VII, Sect. I, n. 16) admet deux degrés
dans la distincti(m réelle : la distinction réelle majeure, et la mineure. Cette dernière s'appelle
proprement Distinction modale. On ne voit pas la raison d'être de celte nouvelle distinction ;
aussi est-elle généralement rejetée. — Cf. Palmieri, Institutiones..., T. I, Ontologia, Th. xvii,
p. 395-408.
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. — T. II. — 16.
482 LA QUANTITÉ (27)
exister séparément (^). Ex. : je peux diviser cette feuille de papier en
quatre, et chaque quart sera encore du papier, mais de dimensions plus
petites.
La catégorie de la quantité ne convient pas aux substances incorpo-
relles^ puisque, n'ayant point de parties, elles sont indivisibles. Mais on
peut la leur appliquer métaphoriquement, dans le sens de quantité
virtuelle ou intensité dans la perfection : ainsi l'on dira de quelqu'un
qu'il a une grande vertu.
B) Division. — On distingue la quantité :
1° Continue {^) : c'est la quantité dont les parties ne sont pas sépa-
rées, de sorte que la fin de l'une est le commencement de l'autre ; ex. : la
ligne mathématique. La quantité continue s'appelle grandeur : elle a
trois dimensions, la longueur, la largeur, la profondeur.
2o Discrète : c'est la quantité dont les parties sont séparées ;
ex. : un tas de sable ; cent arbres. La quantité discrète s'appelle multi-
tude ou nombre (21, D).
C) La Quantité est-elle infinie ?
La quantité, soit continue, soit discrète, ne peut être réellement
infinie^ c'est-à-dire infinie en acte, en fait. La quantité est seulement
infinie en puissance, c'est-à-dire indéfinie. Étant donnée n'importe quelle
étendue, nous concevons qu'on peut toujours y ajouter une nouvelle
portion d'étendue. Étant donné un nombre quelconque, nous concevons
qu'on peut toujours y ajouter de nouvelles unités. Mais, quelle que soit
la grandeur de l'étendue ou du nombre qu'on imagine actuellement,
ce nombre et cette étendue seront réellement finis, parce qu'on peut
sans cesse les concevoir plus grands : ils sont donc indéfinis.
L'infini en nombre ou en quantité est contradictoire. « En effet,
supposez qu'il existe et divisez-le en deux parties. Ces deux parties sont
finies ou infinies. Si elles sont finies, comment deux parties finies peuvent-
elles faire un tout infini ? Le fini, ajouté à du fini, quoi qu'en dise Locke,
ne peut donner que du fini. — Si elles sont infinies, l'infini est alors égal
à deux infinis, ce qui est contradictoire. — Veut-on qu'une partie soit
infinie et l'autre finie ? La contradiction reste, car l'infini serait alors
égal à l'infini -f une autre quantité (^). « Donc un nombre infini, un
espace infini, un temps infini n'existent pas et ne peuvent exister (67,
B, I, b).
(M AniSTOTE, Métaphysique, L. IV, C. xiii, Édit. Didot, T. II, p. 525.
(•) Ahistote, Physique, L. VI, Ci, § 1. Ibidem, p. 317.
(*) E. Durand, Psychologie, p. 221-222.
(28) . LA QUALITÉ 483
28. — LA QUALITÉ
Définition. — A) La qualité est, comme la quantité, un accident
absolu, parce que, elle aussi, afîecte immédiatement la substance. On la
définit : Un accident qui modifie, dispose la substance en elle-même, la
complète dans son existence et sa causalité ; vg. la vertu, la science, la
blancheur, la rotondité, etc., rendent le sujet vertueux, savant, blanc,
rond. La chaleur, en modifiant le fer, le rend capable de produire des
effets nouveaux.
A la différence de la quantité, qui ne convient qu'aux corps, la qualité
s'applique à tous les êtres contingents, corporels ou incorporels, car il y
a des qualités morales comme des qualités physiques.
La qualité n'est pas restreinte à sa catégorie, mais elle peut affecter
toutes les autres, car la' quantité, l'action, la passion, le temps, le lieu
peuvent avoir telle ou telle qualité ; vg. la quantité peut être longue ou
courte, l'action rapide ou lente.
B) Propriétés des qualités. — 1» Toute qualité a son contraire :
à chaque qualité en correspond une autre qui l'exclut dans le même
sujet ; vg. vertu et vice ; science et ignorance ; lumière et ténèbres ;
chaud et froid.
2o Toute qualité est susceptible d^ augmentation et de diminution ;
vg. il y a plus ou moins de vertu, de science, de lumière, de chaleur,
Z^ La qualité sert de fondement à la similitude ou ressemblance, et à la
dissemblance, c'est-à-dire que les choses sont dites semblables ou dissem-
blables selon qu'elles ont des qualités communes ou opposées ; vg. deux
lis se ressemblent par leur blancheur ; de deux personnes l'une est ver-
tueuse, l'aiitre est vicieuse.
C) Quantité et Qualité. — • Il y a entre elles une distinction, irré-
ductible, qui fait qu'elles ne peuvent avoir de commune mesure. Ainsi,
dire qu'on éprouve aujourd'hui une joie vingt fois plus grande qu'hier,
n'a pas de sens. Si l'intensité qualitative n'est pas une quantité pro-
prement dite, elle a cependant quelque analogie avec la quantité. Aussi
dire qu'on éprouve aujourd'hui une joie plus grande qu'hier est parfai-
tement intelligible. On doit donc rejeter l'opposition absolue que
Bergson établit entre l'ordre quantitatif et l'ordre qualificatif ; mais
il importe de maintenir la distinction entre les deux ordres. Autrement
on s'expose aux plus grandes méprises. Les concepts, en effet, dont
s'occupe la Métaphysique se rapportent généralement à la qualité.
On ne peut donc les traiter avec une rigueur mathématique, comme on
fait pour les abstractions quantitatives, en les comparant entre eux
comme des nombres. Car ces concepts abstraits séparent dans l'esprit
des caractères qui, étant inséparables dans la réalité, se compénètrent
et se modifient mutuellement.
484 LA RELATION . (29)
On a projeté une Algèbre métaphysique. Elle consisterait à raisonner
sur des signes abstraits, dont la valeur resterait invariable, et, le résultat
obtenu, à leur substituer les objets réels qu'ils signifient. C'est un projet
irréalisable, parce que ces signes ne peuvent demeurer invariables. En
effet, les concepts abstraits, représentant des caractères qui se pénè-
trent et se modifient les uns les autres dans l'ordre réel, il est nécessaire
de les comparer sans cesse avec la réalité et de tenir compte des change-
ments de valeur qui résultent continuellement pour eux des modifi-
cations que subissent les caractères qu'ils représentent.
29. — LA RELATION
A) Définition. — La relation est un accident en vertu duquel une
chose a tel ou tel rapport à une autre. Elle requiert trois éléments : un sujet,
un terme., un jondement; vg. relation entre le maître {sujet) et le dis-
ciple (terme) ; le fondement est l'enseignement donné par l'un, reçu par
l'autre.
La quantité et la qualité indiquent une manière d'être existant dans
une chose comme dans son sujet, tandis que la relation signifie une
manière d'être qui se réfère à un terme placé hors de la substance qui lui
sert de sujet. Ce rapport échappe aux sens et n'est perçu que par l'intel-
ligence.
B) Division. — On distingue la relation :
1° Réelle : une relation est réelle quand le sujet, le terme et le fon-
dement existent dans la nature indépendamment de notre esprit. Il y a
une relation réelle entre la cause et son effet ; vg. entre un poète et le
poème qu'il a composé.
2° Logique : une relation est logique quand l'un des trois éléments
n'est pas réel et que l'esprit y supplée, car alors la relation n'existe que
dépendamment de l'activité de l'intelligence ; vg. telle la relation entre
les signes conventionnels, comme l'olivier et la paix, le drapeau et la
patrie. Seule la relation réelle forme une catégorie ; la relation logique
est un être de raison, c'est-à-dire un être qui n'existe que dans la pensée.
3° Mutuelle : une relation est mutuelle quand le sujet et le terme
se rapportent l'un à l'autre de la même manière, c'est-à-dire quand la
relation est des deux côtés réelle ou logique ; vg. la relation entre les
parents et les enfants est réelle ; dans tout jugement la relation entre-
le sujet et l'attribut est logique.
40 Non-mutuelle ou Mixte : quand la relation est réelle d'un
côté, et logique de l'autre ; vg. la relation entre Dieu et les créatures.
Les créatures dépendent réellement de Dieu, dont elles ont besoin pour
être et persévérer dans leur être, tandis que Dieu, étant infiniment
parfait, n'a aucun besoin des êtres créés ; par conséquent Dieu ne se
(30) l'action et la passion 485
rapporte pas réellement aux créatures. Cependant nous concevons
entre Lui et elles une relation ; c'est donc une relation logique, puisqu'elle
provient de notre façon de concevoir les choses.
30. — L'ACTION ET LA PASSION
A) Définition. — U Action est V accident en vertu duquel la cause
est formellement telle, c'est-à-dire productrice de quelque chose. La Passion
est Vaccident en vertu duquel le patient est formellement tel, c'est-à-dire
reçoit quelque chose de la cause. Ces deux termes sont corrélatifs ; ils se
correspondent comme la cause et l'effet. Selon que la relation de cau-
salité est prise du côté de la cause ou de l'effet, elle s'appelle action ou
passion. Car par le fait même qu'un être agit sur un autre, ce dernier
reçoit l'action du premier, et cette modification reçue constitue la
passion. Ainsi un fer chaud produit une brûlure dans la chair qu'il
touche.
Le mot passion indique quelque chose de subi, mais n'implique
pas nécessairement douleur. Ce second sens est dérivé du premier, car
toute douleur est une modification subie, qui contrarie les tendances
naturelles d'un être. Nous avons indiqué un troisième sens du mot
passion : c'est une inclination vive, impétueuse, dominante (Psych., 57).
L'action s'oppose aussi à la réaction. Ce principe de la Mécanique
dynamique : « La réaction est égale à l'action » n'est qu'une application
de ce principe métaphysique plus général : « L'effet est proportionné
à la cause », car la réaction est un effet de l'action.
B) Division. — On distingue l'action :
1° Immanente : c'est l'action dont l'effet reste {manet in) dans
l'agent même qui le produit ; vg. la pensée, la volition. L'action imma-
nente a donc le même sujet pour principe et pour terme ; conséquemment
elle perfectionne le sujet lui-même qui la produit. Ainsi, quand nous
pensons à quelque chose, notre intelligence se perfectionne elle-même
et non pas l'objet qu'elle connaît.
2° Transitive : l'action transitive (de transire, passer à travers) est
celle dont l'effet est en dehors de l'agent ; vg. le mouvement par lequel
je déplace un objet. L'action transitive, passant de l'agent au dehors,
a donc pour principe et pour terme des sujets distincts ; conséquemment
elle perfectionne le sujet qui est distinct de l'agent. Ainsi le soleil, en
éclairant et échauffant les corps, les perfectionne sans acquérir lui-
même aucune perfection. C'est à l'action transitive que correspond la
passion strictement dite.
486 LA SITUATION, l'HABITUS (31)
31. — LA SITUATION, L'HABITUS
A) Situation : c'est un certain ordre ou disposition des différentes
parties dhin corps relativement au lieu qu'elles occupent; vg, être assis,
debout, à genoux, couché.
La position diffère de la situation, en ce qu'elle signifie l'ordre des
parties corporelles, non pas relativement au lieu, mais par rapport
à leur tout. Ainsi la place de la tête au haut du corps indique la position
et non la situation.
Les catégories de lieu et de situation ne doivent pas être confondues.
En effet, la situation peut changer, sans que le lieu change, et elle peut
demeurer identique, quoique le lieu change. Ainsi quelqu'un peut être
assis ou debout dans sa chambre ; ou bien il peut garder la même situa-
tion relativement à des lieux différents : rester debout dans sa chambre
et dans le jardin.
B) Habitus ou Revêtement : c'est Vaccident qui résulte de la super-
position de deux substances^ dont V une recouvre Vautre, soit pour la vêtir,
soit pour la défendre, soit pour Vorner ; vg. être coiffé d'un chapeau ;
navire cuirassé ; main parée d'une bague {^).
Remarque : il sera traité de V Espace, du Lieu et du Temps en Cos-
mologie (38, 39).
(•) Cf. s. Thomas, Sury\ma theologica, 1» 2»-. Q. XLIX, A. I, § Sed interea.
CHAPITRE IV
CAUSES DES ÊTRES
32. — GÉNÉRALITÉS ET DIVISION
A) Définition de la cause en général : c'est tout ce qui fait passer
un possible à Vacte, c'est-à-dire à V existence ; ou bien : c'est ce en vertu
de quoi une chose est ce qu''elle est. h'' effet est cette existence qui provient
de l'activité de la cause. Il ne faut pas confondre la notion de cause
avec les notions :
a) d'ANTÉcÉDENT même constant ; vg. le jour succède invaria-
blement à la nuit, et cependant la nuit n'est pas la cause du jour.
b) de Condition : la condition enlève l'obstacle à l'activité de la
cause ; vg. pour que le soleil éclaire une chambre, il faut que les volets
soient ouverts ; c'est la condition nécessaire pour que la lumière entre ;
mais la cause de la lumière c'est le soleil.
c) d'OccASiON : l'occasion facilite l'activité de la cause et la provoque
à l'action. Ce n'est donc qu'improprement qu'on parle de causes occa-
sionnelles.
L'idée de cause n'implique pas seulement une idée de succession,
mais de plus une idée de production. Le rapport de causalité n'est pas
un simple rapport de succession même constante, mais de production.
Pour qu'il y ait causalité il faut que l'effet ait sa raison d'être dans
l'activité de la cause.
Le principe est ce dont une chose tire son origine^ de quelque façon
que ce soit : à titre de production, de condition, etc., tandis que la cause
est ce dont une chose tient son existence. Le principe est plus général
que la cause ; la cause est une espèce du genre principe : c'est le principe
d'une nouvelle existence. Or une existence nouvelle procède de la cause
par voie de production, tandis que quelque chose peut provenir d'un
principe, non seulement par voie de production, mais encore à titre
conditionnel (Psych., 183).
lî) Division : Aristote distingue quatre sortes de causes : 1° Maté-
rielle. — 20 Formelle. — 3° Efficiente. — 4» Finale.
488 CAUSES MATÉRIELLE, FORMELLE, EFFICIENTE (33-34)
33. — CAUSES MATÉRIELLE, FORMELLE, EFFICIENTE
A) Cause matérielle ou Matière : c'est Vêlement indéterminé dont
une chose est faite. Le mot matière se prend dans un sens très large qui
s'applique et aux êtres corporels et aux êtres intelligibles ; vg. dans une
statue le marbre est la cause matérielle, car un bloc de marbre est indif-
férent à recevoir n'importe quelle forme, selon le mot de La Fontaine :
« Sera-t-il dieu, table ou cuvette ? » Dans une définition : L'homme est
un animal raisonnable, le genre se comporte comme cause matérielle,
en tant qu'il est l'élément indéterminé que la différence spécifique
détermine à signifier telle espèce.
B) Cause formelle ou Forme : c'est Vêlement qui détermine la
matière à être telle chose plutôt que telle autre ; vg. Michel- Ange fait d'un
bloc de marbre un personnage qui représente Moïse. Dans la définition
de l'homme, raisonnable détermine le genre animal à signifier l'espèce
humaine.
C) Cause efficiente ou Agent : c'est la cause qui par son activité
produit quelque chose ; vg. l'artiste qui fait un tableau ; notre intelli-
gence qui conçoit une pensée.
On distingue la cause efficiente en :
lo Cause PREMIÈRE : celle qui ne dépend d'aucune autre cause et
ne tient que d'elle-même son efficacité : c'est Dieu. — Causes secondes :
celles qui dépendent d'une autre cause dont elles reçoivent leur pouvoir :
les créatures.
2° Cause prochaine : celle qui produit son efTet sans intermédiaire ;
la volonté est la cause prochaine de nos déterminations. — Cause
éloignée : celle qui produit son effet par l'intermédiaire d'autres causes ;
les objets extérieurs sont causes éloignées des sensations, puisqu'ils ne
les produisent que par l'intermédiaire des organes des sens.
3° Cause principale ; vg. peintre. — Cause instrumentale ; vg.
pinceau. (Psycii., 183).
34. — CAUSE FINALE
A) Définition : la cause finale ou fin est ce pour quoi une chose est
faite. C'est le but que se propose la cause efficiente en agissant ; ou encore,
si l'on veut, c'est Vidée d'un fait futur, qui met en mouvement la cause
efficiente ; vg. l'ouvrier travaille pour gagner sa vie.
B) Espèces : on distingue : 1» La fin prochaine : celle que l'agent
se propose sans fin intermédiaire ; — éloignée : celle qu'il se propose
après une ou plusieurs fins intermédiaires ; — dernière : celle qu'il
88 propose comme terme extrême de son action ; elle l'est relativement,
quand elle est le terme d'une série d'actes ; vg. un élève étudie pour
(34) CAUSE FINALE 489
s'instruire (fin prochaine)^ pour acquérir un diplôme (fin éloignée)^ pour
remplir son devoir (fin dernière). Elle l'est absolument., quand elle est le
terme suprême de toute l'activité de la vie : cette fin absolument der-
nière à laquelle tend l'homme, c'est le bonheur parfait, qu'il ne trouvera
que dans la possession de Dieu. La fin d'un être est son bien propre ;
et un être est heureux quand il est parvenu à sa fin, car il a atteint toute
la perfection dont il est capable, il possède le bien pour lequel il est fait ;
il en jouit et s'y repose. Le bonheur, c'est le repos dans le bien assuré.
2o Finalité externe : c'est le rap.port d'une chose au but pour
lequel elle a été faite ; vg. une montre est faite pour marquer l'heure ;
cela revient à V utilité d'un être par rapport à un autre. — Interne : ce
sont les rapports réciproques des parties au tout ; c'est le rapport d'un
organe à sa fonction ; d'une faculté à son objet ; vg. l'œil est constitué
pour voir ; l'intelligence pour connaître.
3° Fin de l'œuvre : c'est la fin objective., celle à laquelle une œuvre
tend naturellement ; vg. l'aumône est, de sa nature, destinée au soula-
gement des pauvres. — Fin de l'ouvrier : c'est la fin subjective., celle
que se propose l'agent ; vg. on peut faire l'aumône pour soulager les
malheureux (car la fin de l'ouvrier peut être identique à celle de l'œuvre),
pour l'amour de Dieu ou par ostentation de générosité.
40 Pin principale : c'est la fin qui détermine l'action. — Fin
accessoire : c'est la fin qui la favorise ; vg. quelqu'un étudiera d'abord
et avant tout pour remplir son devoir, ensuite et secondairement pour
retirer profit ou plaisir de l'étude.
C) Moyen : on entend par moyen ce qui conduit à la fin. La fin est
recherchée pour elle-même., le moyen pour la fin : le malade veut la santé,
et, pour obtenir ce but, il emploie des remèdes même amers ; il aime ceux-
ci, non pour eux-mêmes, mais à cause de la santé qu'ils procurent.
D) Rapports de la cause finale avec la cause efficiente :
A) Subjectivement, dans l'ordre de Vintention : la cause finale
détermine la cause efficiente à agir. Elle est la première cause d'action,
puisque, sans elle, la cause efficiente ne se déterminerait pas à agir.
Aussi Aristote dit que la fin est « cause de la cause ».
B) Objectivement, dans l'ordre de Vexécution : la lin est Veffet
produit par la cause efficiente. On voit donc que ce qui est premier dans
l'intention est dernier dans l'exécution.
La fin est à la jois cause et effet ; cause dans l'ordre idéal : en tant
qu'idée elle excite l'être à agir ; — effet dans l'ordre réel. Il n'y a pas
contradiction, car le point de vue diffère. Ainsi on peut dire : les ailes
ont été données à l'oiseau pour voler, et l'oiseau vole parce qu'il a des
ailes. Le vol est tout ensemble la cause pour laquelle l'oiseau a des ailes,
et Veffet qui résulte de leur usage. Bref, la cause finale est un effet prévu
et voulu par un être intelligent. (Psych., 184).
490 LA CAUSE EXEMPLAIRE (35)
35. — LA CAUSE EXEMPLAIRE
Nous avons énuméré quatre sortes de causes : matérielle, formelle,
efficiente, finale. Il semble que cette énumération n'est pas complète.
Prenons comme exemple Michel- Ange sculptant son Moïse pour orner le
tombeau de Jules II. Le désir de faire un chef-d'œuvre est la cause
finale qui pousse l'artiste à sculpter ; Michel- Ange est la cause efficiente
principale, le ciseau dont il se sert est la cause efficiente instrumentale ;
le marbre est la cause matérielle ; le principe constitutif des propriétés
du marbre est la forme substantielle ; la représentation de Moïse est
la forme accidentelle. Est-ce tout ? Il semble que non. L'artiste ne sculpte
pas au hasard, son activité est dirigée par une idée, un type, qu'il veut
reproduire sous une forme sensible. Cette idée est une vraie cause, car
elle influe positivement sur l'exécution de la statue. On l'appelle cause
exemplaire (du mot latin exemplar, qui signifie modèle). Ne constitue-t-elle
pas une cinquième espèce de cause ? Non, car on peut la ramener à
l'une des quatre causes connues. Ce n'est pas 'à la cause finale, parce
que la fin est ce pour quoi l'agent produit quelque chose, tandis que la
cause exemplaire est ce à'après quoi l'artiste réalise une oeuvre d'art. ,
Ce n'est pas aux causes matérielle et formelle, parce que ces causes sont ii
intrinsèques à leur effet, tandis que la cause exemplaire, qui existe dans '
l'intelligence de l'artiste, est extrinsèque à l'œuvre produite par lui,
sous son influence. Reste la cause efficiente, à laquelle elle se rattache
comme son complément nécessaire, parce que, sans une idée directrice,
l'artiste ne saurait rien exécuter.
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
RELATIF A LA MÉTAPHYSIQUE GÉNÉRALE
(Critique de la Connaissance. — Ontologie).
Wartenberg (M.), Das Problcm des Wirkens und die monastich»
Weltanschauung, Leipzig, 1900.
Daurl\.c (L.), Essai sur les Catégories, dans Année philos., 1900,Ï^
p. 29-63. — Essai sur la Catégorie de Vétre, Ibidem, 1901, p. 58-84.
DiDiOT (J,), Contribution philosophique à Vétude des sciences, Lille,
1901.
Blondel (H.), Les approximations de la vérité, Paris, 1901.
(35) COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE : MÉTAPHYSIQUE GÉNÉRALE 491
Laurie (S. -S.), Metaphysica nova. Trad. de l'anglais par G. Remacle,
Paris, 1901.
Leclère (Alb.), Essai critique sur le droit d'affirmer, Paris, 1901.
Renouvier (Ch.), Dilemmes de la Métaphysique pure, Paris, 1901.
■ — Histoire et solution des problèmes métaphysiques, 1901. — Le Person-
I, nalisme, suivi d'une étude sur la perception externe et sur la force, 1903.
— Cf. Doute ou croyance, dans Année philosophique, 1895. — Les
catégories de la raison et la métapJtysique de Vabsolu, Ibidem, 1896. —
Vidée de Dieu, Ibidem, 1897. — Du principe de la relativité. Ibidem,
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1902.
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LIVRE II
MÉTAPHYSIQUE SPÉCIALE
CHAPITRE PREMIER
COSMOLOGIE RATIONNELLE (i>
C'est la partie de la Métaphysique qui étudie rationnellement la
nature des êtres et des phénomènes du monde extérieur. Voici les prin-
cipales questions traitées par la Cosmologie rationnelle :
I. — Existence du monde extérieur.
II. — Nature de l'espace et du temps.
III. — Essence de la matière.
IV. — Nature du principe vital.
( ') Aristote, Physique. Cf. le Commentaire de saint Thomas. — Suarez, Disputationes
metaphysicœ, L, LI. — Descartes, Les principes de la philosophie. — Hume, Traité de
la nature humaine. — S. Mill, Examen de la philosophie de Hamilton, Ch. x, xi, xiii. —
E. Navillk, La physique moderne. — J.-B. Stallo, La matière et la physique moderne. —
L. BiiCHNER, Force et matière. — L. Dauriac, Des notions de matière et de force dans les
sciences de la nature. — Kant, Histoire du ciel. Critique du jugement. — A. Laugel, Les
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(36) PRINCIPALES FORMES DE l'iDÉALISME 497
ARTICLE I. — EXISTENCE DU MONDE EXTÉRIEUR
36. — PRINCIPALES FORMES DE L'IDÉALISME (i)
Le mot Idéalisme est employé en plusieurs sens. Mais on entend
communément par là la doctrine qui nie l'existence objective du monde
extérieur. Indiquons-en les principales formes :
I. — Idéalisme immatérialiste de Berkeley : l'idéalisme de
Berkeley consiste dans la négation des réalités matérielles et des vérités
sensibles. Voici ses raisons. La substance matérielle, qui est censée
exister sous les qualités premières ou secondes de la matière, est incom-
préhensible et inconcevable, car :
a) Les qualités secondes de la matière, saveur, couleur, etc., ne sont
que des modifications de notre esprit.
h) Les qualités premières, l'étendue et la résistance, ne sont connues
que par l'intermédiaire des qualités secondes. Les corps ne sont donc
qu'une fiction métaphysique ; leur être consiste à être perçu : Esse est
percipi. Berkeley conclut que, nos impressions sensibles ne pouvant
venir du dehors, nous sont données par Dieu ; qu'il n'y a aucun être
corporel, mais seulement des esprits (Ps., 90). Voilà pourquoi on appelle
aussi son système V Immatérialisme.
acolastique, T. II. — M. d'Hulst, Mélanges philosophiques. — J. Kleutgen, La Philosophie
scolastique. Dissert. VII. — Ém. Blanchard, La vie. — M. Liberatore, Le composé
humain. — P. Vallet, La vie et l'hérédité. — J. Gardatr, Corps et âme. — Alb. Farges,
La vie et l'évolution. Mati(>re et Forme. — Yves Delage, La structure du protoplasme et
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p. 398-466. — O. DE Sanderval, De l'absolu : la loi de la vie. — P. Vignon, La notion de
force. — Saint-George Mivart, Le Monde et la Science {Trad. par F.. Second). —
Th. -H. Martin, La Philosophie spiritualiste de la nature. — P. Duhe.m, Les Théories de la
chaleur. Revue des Deux Mondes, 1895, T. CX.XIX, CXXX. Quelques réflexions nu sujet
des Théories phijsiques, dans la Revue des Questions scientifiques, 2" Série : T. I, 1892.
Physique et Métaphysique, Ibidem, T. IV, 1893. Quelques réflexions au sujet de la Physique
expérimentale, Ibidem, T. VI, 1894. L'évolution des Théories physiqiies du XVII" siècle
jusqu'à nos jours, Ibidem, T. .X, 1896. — A. Dastre, Les agents impondérables et l'éther,
Revue des Deux Mondes, 1''' oct. 1901, p. 649 et sq. La vie et la mort. — P. Duhem,
La Théorie physique, son objet et sa structure. — Alb. de Lapparent, La Science et l'Apolo-
gétique. — A. Rivaud, Le Problème du devenir et la notion de la matière dans la philosophie
grecque depuis les origines jusqu'à Théophraste. — D'' J. Grasset, Les litniles de la biologie,
— G. Rageot, Les résultats de la Psychophysiologie, Revue des Deux Mondes, 1'^' sept.
1906. — Renouvier et Prat, La nouvelle Monadologie. Le Personnalisme. — F. le Dantec.
Les limites du connaissable, L'unité dans l'être vivant. — L. De San, Inslilutiones Meta-
physicœ specialis. — A. Aliotta, La misura in psicologia sperimentale.
( ') A. Fouillée, Le mouvement idéaliste et la réaction contre la science positive. —
Ém. Boirac, L'idée du phénomène. — J.-J. Gourd, Le phénomène.
498 PRINCIPALES FORMES DE l'iDÉALISME (36)
Critique : nous avons vu en Psychologie (95, 96) que les qualités
sensibles sont significatwes des qualités existant en dehors de nous.
Si rien de semblable ne correspond dans les corps à la perception que
nous en avons, il ne s'ensuit pas que rien de réel n'y corresponde : les
qualités sensibles étant des effets réels supposent une cause réelle.
Cette cause n'est pas en nous, elle est donc hors de nous. Mais ce ne
peut être Dieu, car il serait contraire à sa sagesse et à sa véracité de
nous rendre dupes d'une illusion invincible. Gomment concevoir Dieu
s'abaissant au rôle de prestidigitateur ?
II, — Idéalisme critique (^) de Kant : la doctrine kantienne
fait une certaine part au réalisme : elle admet en effet, au delà des
sensations, l'existence de choses en soi, de noumènes, qui provoquent
les phénomènes et y correspondent. Mais la chose en soi demeure inacces-
sible à l'entendement, parce qu'il ne dispose pas d'intuitions intellec-
tuelles auxquelles il puisse appliquer les catégories de substance, de
cause, etc. Le seul objet de la connaissance ce sont les phénomènes
<6, § A).
Critique .• Kant n'est donc pas absolument idéaliste. C'est vrai. Mais
cet idéalisme partiel est illogique, parce que, comme on l'a déjà montré
(6, § C, VI), Kant ne peut pas, sans se contredire, supposer que les choses
en soi existent et qu'elles agissent sur nos sens. Dans son système, en
effet, le principe de causalité, comme le lui avaient déjà reproché Beck
et Jacobi, n'est pas applicable en dehors des limites de l'expérience :
le kantiste ignore par conséquent s'il convient aux noumènes.
III. — Idéalisme absolu de Fichte : celui-ci n'a fait que tirer les
conséquences virtuellement contenues dans la doctrine de Kant. D'après
le Kantisme, la matière de la connaissance (les intuitions sensibles)
vient du dehors, de la chose en soi ; l'esprit ne fournit que la forme qu'il
imprime à la matière et en fait ainsi un objet de sa pensée. Mais, objecte
Fichte, comment l'esprit peut-il sûrement imposer ses lois à une matière
dont l'origine lui est étrangère ? Pour que l'esprit impose sûrement sa
législation à la nature, il faut que tout ait sa source en lui, matière et
forme : de la sorte les sensations subiront docilement l'action de la
pensée. C'est pourquoi le rôle que Kant prête à la prétendue chose en
soi, il faut l'attribuer à l'esprit lui-même qui par son activité instinctive
produit ses propres sensations. Le véritable absolu c'est le moi ; le moi
est la seule réalité. Le monde n'est pas un obstacle extérieur que le moi
rencontre, comme dans les autres systèmes ; mais c'est une limitation
que le moi se donne et à laquelle il s'oppose par cela même qu'il se pose.
(M Dans la première édition de la Critique de la raison pure, Kant appelle son idéa-
lisme, iranscendantal ; c'est dans les Prolégomènes à taule métaphysique future..., qu'il le
nomma critique.
(36) PRINCIPALES FORMES DE l'iDÉALISME 499*
Le non-moi n'est donc rien autre chose que la limite du moi, le choc que
le moi subit dans le déplacement de son activité. Il n'y a plus en pré-
sence deux réalités hétérogènes et inaccessibles l'une à l'autre, mais une
seule : l'esprit, dont le monde extérieur est la création.
Critique : le moi que je suis (et chacun est dans le même cas) n'a
aucune conscience de cette activité créatrice du monde que Fichte
s'attribue. Sans doute Fichte entend parler d'un moi absolu, dont le
monde est la réalisation ; alors sa doctrine prend une forme panthéis-
tique, que nous réfuterons en son lieu (88). — Quant à l'apparition
du non-moi par un choc du moi, elle est inconcevable. « Comment le moi
peut-il se choquer, s'il est tout seul ? Tout choc suppose une résistance.
Le mouvement dans le vide n'est pas senti. Le moi aurait beau déve-
lopper son activité à l'infini, rien ne pourrait l'avertir des différents
moments ou degrés traversés par cette activité. Le non-moi doit donc-
avoir un fondement réel aussi bien que le moi. « (P. Janet).
IV. — Idéalisme phénoméniste de Hume et de S. Mill : si Hume
et S. Mill conservent les mots de substance et de cause, ils en vident le
coiitenu et rejettent la chose. Pour eux il n'y a que des phénomènes
groupés diversement d'après les lois de l'association. La notion de
substance représente une collection, et la notion de cause, une succession
de sensatl^ire. Ces notions ne sont pas applicables en dehors de la
conscience. Ce qu'ils appellent monde extérieur, c'est donc un ensemble
de sensations qui coexistent ou se succèdent d'une façon régulière.
Mais, quand les objets extérieurs ne sont plus représentés en nous
par aucune sensation ou groupe de sensations, nous croyons cependant
qu'ils existent : vg. je crois que Londres existe, même quand j'en suis
éloigné. Comment s'explique cette croyance ? — S. Mill répond que
l'ensemble des sensations qui constituent un objet restent possibles,
même quand nous ne les éprouvons pas. Croire à l'existence d'un objet,
en l'absence de sensations actuelles, c'est croire à des sensations possibles.
De sorte que, en dernière analyse, le monde extérieur ou la matière sont
ioiine possibilité permanente de sensation « (^). La croyance au monde
extérieur n'est donc au fond qu'une forme subjective que les lois de
l'association imposent à nos sensations. Notre esprit oublie que les possi-
bilités permanentes ont pour fondement ses sensations, il finit par les
détacher de lui-même et les objectiver comme des existences exté-
rieures.
Critique : a) Nous avons déjà prouvé que la substance n'est pas une
(M S. Mill, La Philosophie de Ilnmilton, Cli. xi, p. '2-20. — - « ...L'esprit et la niatitM-f
ne sont l'un et l'autre rien de plus que des possibilités permanentes de sentiment. " (Ibidem,
Ch. XII, p. 231).
500 PREUVES DE l'existence DU MONDE EXTÉRIEUR (37)
collection de sensations, et que la causalité n'est pas une simple suc-
cession de phénomènes (Psych., 76).
b) L'explication, que S. Mill a imaginée pour rendre compte de la
croyance au monde extérieur, est manifestement inadmissible. D'après
le philosophe anglais, la sensation actuelle a pour cause la sensation
antécédente. Mais, en l'absence de sensations actuelles, reste une possi-
bilité de sensation. Or une possibilité de sensation, qu'est-ce sinon une
sensation que je pourrais éprouver, mais qu'en fait je n'éprouve pas ?
C'est une sensation qui n'existe pas ; c'est, par rapport à l'ordre réel,
un zéro. Donc pour assigner sa cause à une sensation actuelle, il faut
admettre, en dehors de notre conscience, non pas une simple possibilité
de sensation, mais une réalité qui conditionne cette possibilité.
c) Dans l'idéalisme de S. Mill, l'illusion, qui nous fait croire à l'exis-
tence d'un monde extérieur, ne serait, en tout cas, possible qu'en pré-
sence des sensations actuelles, quelle qu'en puisse être la cause. Car que
sont les événements qui se passent en notre absence ou avant l'appa-
rition des êtres capables de sentir ? « Ce sont, répondrait S. Mill, les
séries de sensations que nous aurions pu avoir et que nous aurions
eues, si nous avions existé à cette époque. — Mais précisément nous ne
pouvions pas exister à cette époque, ni nous ni aucun être sentant, par
conséquent ces prétendues possibilités de sensations sont sTu fond des
sensations impossibles (^). »
37. — PREUVES DE L'EXISTENCE DU MONDE EXTÉRIEUR
La croyance philosophique à la réalité du monde sensible se fonde
sur le principe de causalité (Psycii., 95).
L — Tout fait a une cause. Or nous éprouvons des sensations dont
nous ne sommes pas la cause. Nous distinguons en efîet très nettement
les phénomènes psychologiques, que nous produisons, de ceux que nous
subissons. On vient d'ailleurs de démontrer contre Fichte (36, III) que
les sensations ne peuvent être l'œuvre du moi. La sensation, étant un
fait réel, exige une cause réelle. Cette cause n'étant pas le moi, il faut
la chercher en dehors du moi. Mais ce ne peut être l'esprit divin. Dieu,
comme l'imagine Berkeley (36, I). Reste que la cause cherchée est une
réalité extérieure au moi et distincte de Dieu. Cette conclusion est
d'ailleurs conforme à la croyance universelle du genre humain, y compris
les idéalistes qui, dans la pratique de la vie, se comportent comme
s'ils croyaient à l'existence du monde extérieur.
( ') Em. Roirac, Cours élémentaire de phiJosop/iic, L. IV, Métaphysique, Ch. ii, § I,
n. 7, p- 422, Paris, 1892».
(38) NATURE DE l'eSPACE ET DU TEMPS 501
II. — Ces sensations, dont nous ne sommes pas la cause, sont coor-
données. II y a entre elles un accord permanent : nous rapportons tou-
jours certaines sensations au môme objet : telle couleur, telle forme,
telle saveur, tel parfum à tel fruit, etc. Cet accord permanent des sen-
sations que nous attribuons à un même objet suppose une cause. Où la
trouver, sinon dans l'unité permanente de l'objet ?
III. — Il y a harmonie permanente non seulement entre les sensa-
tions d'un même individu, mais encore entre les sensations des diffé-
rents individus sains : tous attribuent certaines sensations aux mêmes
objets. Cette harmonie persistante et universelle exige une cause. Où la
découvrir, sinon dans l'unité persévérante d'un monde réel simulta-
nément représenté dans tous les esprits ?
IV. — Pour la réponse aux objections tirées des erreurs des sens,
des illusions des songes, des hallucinations, Cf. Psychologie, 102 ;
241 ; 245.
ARTICLE IL — L'ESPACE ET LE TEMPS
38. — NATURE DE L'ESPACE ET DU TEMPS
Les recherches sur la nature de l'espace et du temps ont abouti
à un grand nombre de systèmes, dont nous allons examiner les prin-
cipaux :
I. — Newton (^) et Clarke (^) : pour eux l'espace et le temps sont
nécessaires, éternels, infinis. Ils les distinguent de la substance divine,
mais ils en font des attributs divins. Dieu est partout et est toujours ;
« il constitue l'espace et le temps ». L'espace est l'étendue infinie de
Dieu ; le temps est sa durée infinie.
Critique : Leibniz a fort bien réfuté cette théorie ( ). Les attributs de
Dieu ne se distinguent pas de l'essence divine ; chaque attribut que
nous concevons en Dieu, c'est l'essence divine considérée sous un aspect
spécial ; il est donc simple et immuable comme elle.
1° Or l'espace est divisible puisqu'on peut y assigner des parties ;
en faire un attribut divin, c'est dire qu'il y a en Dieu multiplicité de
parties, ce qui répugne à sa parfaite simplicité, excluant jusqu'à la
possibilité même de toute division.
2o Le temps est aussi divisible et il implique une succession d'instants
à trois positions : passé, présent, avenir ; faire du temps un attribut
(M Newton, Principes mathématiques, Scholium générale, à la fin.
( ') S. Clarke, Traité de l'existence et des attributs de Dieu, Ch. v. — Correspondance
avec Leibniz (Cf. Œuvres philosophiques de Leibniz, Édit. Janet, T. I, p. 759, § 10.)
(') Correspondance avec Clarke (Cf. Œuvres de Leibniz, Édit. Janet, T. I, p. 779, § 50 :
p. 751, § 10.)
502 KATIRE DE l'eSPACE ET DU TEMPS (38)
divin, c'est introduire dans l'essence de Dieu, avec la divisibilité, la
siiccessio?i et le changement, ce qui répugne à sa simplicité et à son
immutabilité.
II. — Descartes (^) : l'espace s'identifie avec l'étendue des corps,
le temps avec la durée des événements ; ce sont des modes inséparables
des choses. Supprimez les corps ou les événements, vous supprimez
par là même l'espace et le temps.
Critique : la suppression des corps ou des événements n'entraî-
nerait la suppression que de l'espace et du temps réels, mais non de
l'espace et du temps absolus, qui sont, le premier, la possibilité indéfinie
de l'extension en longueur, largeur et profondeur ; le second, la possi-
bilité indéfinie de la succession dans le passé ou dans l'avenir.
III. — Gassendi (^) : l'espace et le temps sont des réalités indé-
pendantes des êtres qui sont dans l'espace et le temps. Il les considère
comme des êtres incréés, éternels, qui ne sont ni substance ni accident,
mais quelque chose d'intermédiaire.
Critique : le temps et l'espace, ainsi entendus, sont inconcevables,
à moins qu'ils ne soient Dieu lui-même, puisqu'ils sont incréés, indé-
pendants, éternels. Mais alors on retombe dans les contradictions de
la doctrine de Glarke. — Gassendi confond entre eux l'espace absolu et
l'espace réel, le temps absolu et le temps réel, et il suppose gratui-
tement qu'il y a une réalité intermédiaire entre la substance et l'accident,
IV. — Kant (^) : ce sont les formes a priori de la sensibilité. Si nous
nous représentons la coexistence des phénomènes extérieurs, c'est que
la sensibilité externe leur impose la forme d'espace qui existe en elle,
avant toute expérience, comme une loi constitutive de sa nature. — .
De même, si nous nous représentons la succession de nos phénornènes
intérieurs, c'est que la sensibilité interne leur impose la forme de temps,
qui est également a priori et est inhérente à sa nature même. Aussi,
comme ces idées d'espace et de temps sont en nous antérieurement
à la connaissance des phénomènes, elles n'ont aucune valeur objective :
ce sont des conditions subjectives de nos représentations (6).
Critique : a) Les idées d'espace et de temps ne sont pas des condi-
tions a priori de l'expérience, car elles en résultent, comme nous l'expli-
querons (39) ; elles ont donc par là même un fondement objectif.
b) Il est vrai, d'ailleurs, que notre esprit ne peut se représenter les
])hénomènes extérieurs que dans l'espace et les phénomènes intérieurs
(') Les Principes de la Philosophie, IP P., § 10 sqq.
( ') Synlngmn : Physica, Secl. I, L. II, C. i sriq. — Cf. G. Sortais, La Philosophie moderne
depuis Bacon jnsf/u'à Leibniz, T. II, p. 97-100.
( ') Critique de la raison pure : Esthétique iranscendanlale. — Cf. Garmeb, Traité des
Jacultés de Vâme, T. III, L. IX, Ch. v, S 6, 7, 8. — Ém. Boirac, L'Espace d'après Clarh-
et Kant, dans Revue philosophique, 1877, T. II, p. 185-188.
(88) NATURE DE l'eSPACE ET DU TEMPS 503
que dans le temps ; mais ces idées sont des types généraux que l'esprit
a dégagés des étendues et des durées concrètes et qu'il leur applique
ensuite, en toute occasion ; comme vg. les caractères de l'animalité,
tirés de l'analyse des divers individus réels, sont toujours applicables
à tel et tel animal.
Solution proposée : parmi les théories exposées jusqu'ici, les unes
(Newton et Clarke — Descartes — et, en dernière analyse, Gassendi)
soutiennent Vobjectwité absolue de l'espace ; les autres (Kant et aussi
les Associationnistes) (^) ne voient dans l'espace et le temps que des
conceptions toutes subjectives. Pour nous l'espace et le temps ne sont
ni des substances ou modes réels, ni des formes a priori ; ce sont des
relations ayant un jondetnent dans les choses. Cette théorie se tient à
égale distance de l'objectivité absolue et de la pure subjectivité. On en
trouve les données dans Leibniz. Elle nous semble admissible, pourvu
qu'on l'interprète dans un sens réaliste {^).
L'espace est un rapport de coexistence, le temps un rapport de suc-
cession ; ils sont donc des ordres, des systèmes de relations. L'espace,
c'est la relation qui résulte de la coexistence des corps : c'est l'ordre des
phénomènes coexistants., en tant qu'ils sont situables les uns par rapport
aux autres. Le temps c'est le rapport qui résulte de la succession des
choses : c'est l'ordre des phénomènes successifs (^). Spatium fit ordo
coexistentium phœnomenorum, ut tempus successivorum {*).
Temps et espaces réels : s'il s'agit de corps étendus ou de phéno-
mènes successifs existants., leurs rapports de coexistence et de succession
sont actuels ; alors l'espace et le temps sont réels, par conséquent
contingents, finis, relatifs.
Temps et espace absolus ou idéaux : si l'on considère les corps et les
phénomènes comme simplement possibles (^), leurs rapports également
(M S. MiLL, Examen de la philosophie de Hamillon, Ch. m, xi, xiii.
( *) Certains prétendent que Leibniz l'entend dans un sens idéalisle. Cf. A. Farges,
L'Idée du continu dans l'espace et le temps, p. 206, Paris, 1895. — D. Nys, La Noiiond'espace,
p. 121-125, Bruxelles, 1922. — Cl. Piat, Leibniz, Ch. V, § v, p. 218-220, Paris, 1915.
( ') « Pour moi j'ai marqué plus d'une fois que je tenais l'espace comme quelque chose
de purement relatif, comme le temps ; pour un ordre des coexistences, comme le temps est
un ordre des successions... L'espace n'est autre chose que cet ordre ou rapport, et n'est rien
du tout sans les corps, que la possibilité d'en mettre... » (Leibniz, Réponse à la seconde
réplique de M. Clarke, § 4-5, Édition Janet, T. I, p. 743).
(M Lettres de Leibniz au Père des Bosses, Lettre XX, Édit. Erdmann, p. 682, col. 2,
§ Explicationem.
( *) Lkibniz a nettement marqué ces deux aspects de la question : « Le temps et l'espace
sont de la nature des vérités éternelles qui regardent également le possible et l'existant. »
{Nouveaux essais sur l'entendement humain, L, II, Ch. xiv, § 26; et au Ch. xiii, S 17, il dit
de l'espace : « C'est un rapport, un ordre non seulement entre les existants, mais 'encore
entre les possibles comme s'ils existaient. Mais sa vérité et sa réalité est fondée en Dieu,
comme toutes les vérités éternelles. » — Spatium absolutum aliquld imaginarium est
et nihil reale ei inest quam distantia corporum {Lettre XXX au P. des Bosses. Ed. Erdmann,
p. 740, col. I).
504 ORIGINE DES NOTIO>^S d'eSPACE ET DE TEMPS (39)
ne sont que possibles ; alors l'espace et le temps sont absolus ou idéaux :
l'espace absolu, c'est la possibilité indéfinie de l'extension en longueur,
largeur et profondeur ; — le temps absolu, c'est la possibilité indéfinie
de la succession dans le passé ou dans l'avenir ; et, dans ce cas, ils ont
pour caractères d'être homogènes, continus, nécessaires, indéfinis. Aussi,
avant la création, comme il n'existait ni êtres étendus ni êtres successifs,
il n'y avait ni espace ni temps réels, mais simplement la possibilité
d'existence pour l'espace et le temps (^).
Bref, l'espace et le temps réels sont l'ordre des coexistences ou des
fiuccessions actuelles ; — l'espace et le temps absolus sont l'ordre des
coexistences ou des successions possibles (-).
39. — ORIGINE DES NOTIONS D'ESPACE ET DE TEMPS
Cette théorie explique bien l'origine et les caractères de ces notions.
Pour les former, le concours de l'expérience et de l'intelligence est
nécessaire. Il faut les abstraire par analyse des représentations où elles
sont impliquées et que nous fournit V expérience.
I. — Espace : la perception extérieure nous procure, par le moyen
du tact et de la vue, les données expérimentales de phénomènes étendus,
juxtaposés, coexistants. Faisant abstraction de la différence de ces phé-
nomènes et ne retenant que leurs rapports de juxtaposition et de coexis-
tence, l'intelligence se forme l'idée abstraite d'espace : la relation qui
résulte de la coexistence actuelle des corps.
Au delà de cet espace 7-éel constitué par l'ensemble des corps exis-
tants, la raison conçoit la possibilité de créations nouvelles indéfinies
et conséquemment la possibilité d'une extension sans fin. C'est l'espace
absolu. Nous le concevons comme : a) homogène car toutes ses parties
sont de même nature ; — b) nécessaire, car, par le fait même que nous
concevons des corps possibles, nous ne pouvons pas ne pas les concevoir
comme extérieurs les uns aux autres et coexistants ; — c) indéfini, car
l'esprit n'a aucune raison de limiter le nombre des coexistences possibles.
( M L'espace •> est un être de raison, car on ne trouve nulle part, réalisée dans la nature,
une triple diniension, qui soit une capacité pure, distincte et séparable des corps, immobile,
pénétrante, nécessaire, éternelle, indéfinie ; cette collection d'attributs est évidemmeni
de l'ordre idéal. Mais cet élément formel et subjectif, donné par l'intelligence, s'applique à
un élément matériel et objectif, fourni par la nature même des choses. Cette triple dimen-
sion idéale, réceptacle universel, est cahiuée sur la triple dimension des corps que nous
voyons emboîtés les uns dans les autres, de manière à se servir mutuellement de récep-
tacle : et cet espace possible a été découvert par l'intelliKence dans l'espace concret qui en
est la réalisation sensible, puisque le po.ssibie est dans le réel, le type nécessaire dans la
copie contingente (jui l'exprime à nos regards. » (A. Farges, L'idée de continu dans l'espace
et le temps..., III- Partie, § II, p. 220, Paris. i900«.)
( ') « ...L'espace... ne serait qu'idéal, si les corps n'y existaient point. ■> {Leibniz A
Uourguet, Hanovre, 2 juillet 1916), Œunes, Édit. Geriiaiidt, T. III, p. 505, § Mr. Clark).
(39) ORIGINE DES NOTIONS d'eSPACE ET DE TEMPS 505
— On l'appelle quelquefois imaginaire, parce qu'il n'existe pas dans
la réalité ; mais nous le concevons comme une étendue indéfinie.
II. — Temps : on peut envisager le temps à deux points de vue :
le temps proprement dit, celui qui passe, qui est composé d'instants suc-
cessifs ; — le temps qui dure, la durée, la permanence.
A) Temps proprement dit : la conscience nous fournit les données
expérimentales, à savoir les émotions, pensées et volitions qui se pro-
duisent et se succèdent dans notre âme. Faisant abstraction de la diffé-
rence de ces états et ne retenant que leur caractère successif et leurs
rapports de position, l'intelligence a l'idée abstraite du temps qui passe :
la relation qui résulte de la succession actuelle des phénomènes. Au delà
de ce temps réel la raison conçoit la possibilité indéfinie de successions
à trois positions : passé, présent, futur ; c'est le temps absolu.
B) Dm'ée : en ne considérant dans la vie psychologique que l'immo-
bilité et la persistance de son principe, du moi, l'esprit forme le concept
du temps qui dure, et qui relie entre elles les trois positions du temps
qui passe.
Le temps représente donc deux idées distinctes : les situations
successives du devenir ; — et la permanence du lien qui unit entre eux
les moments du devenir.
Les notions de l'espace et du temps sont mixtes, puisqu'elles contien-
nent un élément expérimental (la coexistence des corps, la succession
des phénomènes et la persistance du moi), et un élément rationnel
(la raison perçoit les rapports de coexistence et de succession, la possi-
bilité d'une coexistence, d'une succession et d'une persistance indé-
finies.) Elles réclament donc pour leur formation le concours de la raison
et de l'expérience Q-).
Remarques : I. — Il ne faut pas confondre entre elles les notions
d''espace, d'étendue, de çide, de lieu, de distance.
1) Espace : a) absolu ou imaginaire : c'est la possibilité d'une exten-
sion réelle indéfinie.
b) réel ou physique : c'est la relation actuelle qui résulte de la coexis-
tence des corps réels. C'est une relation réelle, puisqu'elle a pour fon-
dement la juxtaposition actuelle de corps existants.
2) Étendue : c'est le fondement de l'espace ; l'espace y ajoute la
notion de coexistence actuelle ou possible.
( ') Sur y Espace et le Temps : Aristote, Physique, L. III, IV. — Suarez, Dispulationes
Metaphysicœ, L, LI. — Balmès, Philosophie fondamenUde, L. III, VII. — J. Kletitoen,
La Philosophie scolaslique. Dissert. IV, Cli. iv. — D. Palmieri, Cosmologia, C. i, Art. II.
III. — J.-M. GUYAU, La genèse de l'idée du temps. — II. Poincaré, La mesure du te^nps,
dans Revue de Métaph. et de Morale, 1898, p. 113.— L. Tannery, /.a notion du temps,
dans RvEUE philosophique, 1883, T. II, p. 592-595. — Ch. Dunan, Théorie psych(^ogiquc
de l'espace. Essai sur les formes a priori de la sensibilité. — Lechalas, L'espace et le temps.
506 ORIGINE DES NOTIONS d'eSPACE ET DE TEMPS (39)
3) Vide : absence de corps dans une portion déterminée de l'espace
capable d'en recevoir.
4) Lieu : a) absolu ou intrinsèque : c'est une portion déterminée et
immobile de l'espace absolu.
b) relatif ou extrinsèque : c'est la surface du corps ambiant. C'est
ainsi que la surface intérieure du vase est le lieu de l'eau qu'il contient (^).
5) Distance : c'est la relation entre les limites d'un espace déterminé.
Elle implique la négation de contiguïté dans l'espace.
II. — II faut distinguer les notions de temps et de mouvement.
1) Mouvement proprement dit : c'est le passage du mobile d'une partie
de l'espace à une autre (^).
2) Temps proprement dit : c'est le nombre de successions de l'avant
et de l'après dans le mouvement (^). C'est une durée successive, où l'on
peut distinguer l'avant et l'après, le passé et le futur. Le présent, le
nunc temporis^ c'est la limite entre le passé et le futur. Telle est la notion
du temps intrinsèque à l'être dont l'existence est successive.
Le temps et le mouvement sont deux aspects différents de la même
réalité. Quand nous avons l'idée du mouvement, nous concevons d'abord
le passage du mobile d'un lieu à un autre ; quand nous formons l'idée
de temps, ce qui vient immédiatement à l'esprit c'est le nombre des
successions de l'avant et de l'après dans le mouvement.
Le temps extrinsèque c'est la durée constante et uniforme d'un mou-
vement choisi comme mesure des autres mouvements (*).
( ') Aristote (Physique, L. IV, C. iv, § 12, Édit. Didot, T. II, p. 290) : To TOU
TTspts/ovTOç TTspaç àxtV/)rov TTpwTOV, tout' £(7Ttv ô TO'TTo;. Palmieri montre très bien pour-
quoi à/Civr,TOV (immobile) doit être retranché de la définition du lieu extrinsèque. Cf. Cosmo-
logia, C. i. Th. VIII, p. 66, § Si vero corpus.
( -) La dénnition célèbre d'Aristote : Actus existenlis in potenlia, quatenus est taie.
H Tou i5'uvaa£t ovtoç IvreXé/stot, v] rotouTOv, xiV/]at'; iaTi (Physique, L. III, C. i, § 6,
Didot, T. II, p. 273) est très générale : elle convient ;\ toute espèce de changements et pas
seulement au mouvement, qui est le changement local. (Cf. P.vlmieri, Cosmologia, Th. XI,
p. 82 et seq.). — P. Duhem, Le mouvement absolu et le mowiement relatif, 16 articles dans
la Revue de Philcsophie, de 1907 à 1909, Tomes XI à XIV.
(') C'est la définition d'Aristote : O /po'voç àptO;ji.o'ç l(7TixiV7i(jeio;xaTàTO TTpOTepovxai
uTTEpov (Physique, L. IV, C. xi, § 12. Didot, T. II, p. 302. — Cf. Palmieri, Coswoiogia,
Th. XII, p. 93 et seq.).
( *) Nous nous bornerons à mentionner le livre d'EmsTEiN : La Théorie de la Relatirnté
restreinte et généralisée (Paris, 1921), où il soutient que l'espace et le temps sont des entités
essentiellement relatives. Cette théorie, en effet, est encore contestée du point de vue
scientinque. Beaucoup estiment en outre que la Philosophie n'y est pas intéres,séc. « ... Il est
vain d'emprunter aux théories d'Einstein des armes contre la métaphysique du temps et
de l'espace. Il ne s'agit pas des mêmes cho.ses. " C'est l'opinion de Lucien Fabhe, cité
par D. Nys, qui ajoute : « Tel est notre avis.» (La Ao/ion d'espace,^ 146, p. 323). — Voir,
dans un sens opposé, H. Heichendach, La signification philosophique de la théorie de la
Relativité, dans Revue philosophique, 1922, T. II, p. 5-61. — Cf. Ed. Goblot, Einstein
et la Métaphysique, Ibidem, p. 135-152. — Em. Richard-Foy, Le Temps et l'Espace du Sens
communet les Théories d'Einstein, Ibidem, p. 153-200. — H. Bergson, Durée et Simul-
tan^ité^^yropos de la Théorie d'Einstein, Paris, 1922 ; 1923».
(40) LE MÉCANISME 507
ARTICLE III — ESSENCE DE LA MA TIÈRE
On entend par : a) Esprit : toute substance douée d'intelligence et
de liberté.
b) Matière : la substance dont les corps sont composés. Descartes
n'admettait que deux sortes de substances : la substance étendue,
res extensa ; la substance pensante : res cogitans. Aussi ne voyait-il dans
les animaux que des machines. Mais il faut admettre en outre l'exis-
tence de substances simples, capables de sentir et de connaître dans une
certaine mesure, bien que dénuées de raison : telle est l'àme des ani-
maux (PscH., 249, 250).
Répondre à cette question : quelle est l'essence de la matière ? c'est
trouver quels sont les éléments constitutifs de la matière. Voici les
diverses solutions : Mécanisme, Dynamisme, Matière et Forme.
40. — LE MÉCANISME
Le Mécanisme fait consister l'essence de la matière dans Vétendue.
Ce système a pris plusieurs formes :
§ I. — MÉCANISME PHYSIQUE OU ATOMISME :
ÉPICURE, GASSENDI {^)
A) Atomisme de Démocrite, Épicure, Lucrèce : ils réduisent la
matière à une agrégation de corpuscules à la fois étendus et physiquement
insécables et que pour cette raison on appelle atomes (axouo;, insécable,
de d, Te'fxvw, couper). Ces atomes sont durs, pesants, en nombre infini,
et se meuvent dans le vide. Leur rencontre fortuite a formé les différents
corps.
Critique : 1° Démocrite et Épicure ne disent pas en quoi l'atome
consiste en lui-même ; la question posée n'est donc pas résolue.
2o L'atome par lui-même est inerte. Comment donc a-t-il pu entrer
en mouvement ?
30 N'étant doué d'aucun pouvoir d'action ou de réaction, comment
se fait-il qu'il soit dur et pesant ?
4" L'atome est à la fois étendu et indivisible. Cette assertion est
contradictoire, car ce qui est étendu est composé de parties, et consé-
quemment divisible.
B) Atomisme de Gassendi : il a grandement modifié l' atomisme
des Anciens. Comme eux, il admet l'existence du vide et reconnaît aux
( ') L. Mabilleau, Histoire de la Philosophie atomislique. — A. Mannequin, 1,'Hypo-
thèse des atomes dans la Science contemporaine. — F. Joyau, Epicure, Ch. v.
508 LE MÉCANISME (40)
atomes les propriétés suivantes : identité d'essence, solidité, impéné-
trabilité, indivisibilité.
Mais : a) pour Démocrite et Épicure, les atomes sont en outre éter-
nels. — Pour Gassendi, ils ont été créés par Dieu qui pourrait les
anéantir.
b) Épicure soutient que le mouvement est inhérent aux atomes et
éternel comme eux. Le mouvement naturel des atomes est une chute,
de haut en bas, dans le vide infini. Pour échapper au fatalisme, il leur
attribue le pouvoir de s'écarter légèrement de la ligne droite, en vertu
d'une activité spontanée. C'est le clinamen dont parle Lucrèce. — Pour
Gassendi le mouvement des atomes et la force interne qui le produit
viennent de Dieu. Sous l'impulsion de sa volonté les atomes évoluent
et réalisent le plan du Créateur. Gassendi se montre finaliste résolu et
n'a que faire du clinamen. Il a vu nettement la nécessité d'une loi interne
qui préside au développement des choses. Mais il a tort de supposer que
les atomes, une fois créés et dotés de leurs propriétés, forment, sans le
concours divin, les combinaisons diverses d'où résulte le monde ordonné
où nous vivons (^).
Les arguments, que Gassendi apportent pour prouver l'existence
des atomes, n'ont rien d'apodictique {^).
Ce qui caractérise l'Atomisme de Gassendi, c'est qu'il est un mélange
original de mécanisme et de djmamisme. « ...Le système de Gassendi
est un dynamisme, en ce sens, que chaque atome contient en lui-même
le principe de son mouvement et ne se contente pas d'en être le véhicule
inerte et indifférent, comme le veut Descartes... Le mécanisme, comme
nous devons l'entendre ici, c'est la liaison réglée., prévisible., nécessaire
de tous les mouvements qui se produisent dans cet ensemble de forces [que
forme l'ensemble des atomes] ; c'est la réduction de tous ces mouve-
ments à une loi immanente, initiale, essentielle, dont les formes variées
de l'évolution ne sont que de lointaines applications. En ce sens, Gassendi
est-il mécaniste ? Il l'est si bien qu'on peut soutenir qu'il fut le premier
à l'être non seulement sur tous les modernes, mais même sur tous les
anciens. C'est lui qui a imaginé de ramener la finalité à n'être qu'une
conséquence de la loi primordiale, et qui a ainsi trouvé le moyen de
concilier la téléologie et le déterminisme (^) ».
§ II. — MÉCANISME GÉOMÉTRIQUE : DESCARTES
A) Exposé : pour Descartes l'essence de la matière c'est Vétendue.
La nature du corps « consiste en cela seul qu'il est une substance qui a
( ') ( ') Cf. G. Sortais, La Philosophie moderne depuis Bacon jusqu'à Leibni:, T. II,
Art. II, Gassendi, p. 81-84 ; 103 ; 106-108 ; 108-112.
(•) L. Mabilleau, Histoire de la Philosophie alomistique, L. IV, Ch. i, § II, p. 422,
Paris, 1895.
(40) ' LE MÉCANISME 509
de l'extension » ( ^). Les autres qualités de la matière, couleur, odeur,
son, etc., n'existent pas en elle, mais dans ceux qui les perçoivent.
La matière est homogène, divisible à l'infini : l'atome n'est
qu'une fiction symbolique. Descartes, mettant l'essence des corps dans
la seule étendue, exclut le vide et admet le plein absolu. Cette étendue
continue est diiïérenciée par les tourbillons qui s'y produisent et la
découpent pour ainsi dire en morceaux de différentes grandeurs. Ces
découpures particulières sont les corps donnés dans l'expérience. C'est
Dieu qui imprime à l'étendue le mouvement dont la quantité se conserve
indestructible et dont la diversité suffit à expliquer la formation des
êtres inanimés et des êtres vivants. L'impulsion première, qui ^ient de
Dieu, avec les lois qui la régissent, permet de tout expliquer, même la
vie qui n'est qu'un phénomène mécanique ; les animaux ne sont que
des automates. D'où il suit que pour Descartes l'explication du monde
se ramène à un problème de mécanisme géométrique : « Omnia apud
me mathematice fiunt. »
B) Critique : !« L'étendue, telle que l'imagine Descartes, continue
et parfaitement homogène, ne diffère pas de l'espace géométrique : ce
n'est pas une réalité, mais une conception abstraite, idéale.
2° L'étendue cartésienne est tout ensemble actuelle et divisible
à l'infini. Or l'infini actuel en nombre ou en quantité est contradic-
toire (2). (PsYCH., 187, § A, 10. Cf. m/m, 67, B, I, b).
3° Le Mécanisme géométrique peut rendre compte de la juxta-
position des parties de la matière dans l'espace, mais il n'explique
pas les phénomènes d'impénétrabilité, de pesanteur, de résistance, de
chaleur, d'électricité, d'affinité, de cohésion, etc. qui supposent que la
substance corporelle est essentiellement active. Leibniz a bien démontré
que le Mécanisme ne rend pas raison de la résistance, qu'il ne suffit pas
à établir comment il se fait que, si un corps vient à en choquer un autre,
la vitesse. du premier en est ralentie ; comment un grand corps est plus
difficilement ébranlé qu'un petit ; comment un corps en mouvement ne
peut mouvoir avec soi un corps qui était immobile sans en être retardé,etc.
Car par elle-même l'étendue n'est ni dure, ni pesante. Il faut donc
admettre dans le corps choqué une résistance, une force, c'est-à-dire un
élément irréductible à l'étendue et inexplicable par la seule étendue (^).
40 Dans l'hypothèse du plein absolu, le mouvement devient impos-
sible, car pour remuer un corps, il faudrait pouvoir les remuer tous, ce
qui exigerait une force infinie. En effet, aucun corps ne peut être mû
(') Descartes, Les Principes de la Philosophie, II« Partie, § 4.
( =) Cf. Renouvier, Essais de Critique générale : Logique, T. I, Part. I, § VIII, p. 34-36,
Paris, 1912. — Cauchy, Sepl leçmis de Physique générale, p. 24-26, Paris, 1868.
( ') Leibniz, Cf. Lettre sur la question si l'essence du corps consiste dans l'étendue.
510 LE MÉCANISME (40)
qu'en prenant la place occupée par le voisin. Ce déplacement suppose
le vide que rejette Descartes. — D'ailleurs, l'étendue étant homogène,
ses diverses parties ont les mêmes propriétés ; dès lors le mouvement
serait indiscernable, parce que l'identique remplacerait aussitôt l'iden-
tique. Si, au contraire, pour permettre ce discernement, l'on conçoit
l'étendue comme douée de propriétés distinctives, l'homogénéité, que
Descartes attribue à l'étendue, s'évanouit. Le Mécanisme géométrique
aboutit donc à des difficultés inextricables.
§ III. — UATOMISME DYNAMIQUE : TONGIORGl
A) Exposé : ce système repose sur les trois principes suivants :
1<^ La matière est homogène.
2° Les atomes conservent leur être propre dans les diverses combi-
naisons où ils entrent. A ces deux principes, qui lui sont communs avec
le Mécanisme pur et simple, l'Atomisme dynamique en ajoute un troi-
sième :
3'^ Des forces exclusivement mécaniques suffisent à rendre compte
des phénomènes que présente la matière. — Le Mécanisme se contente
du mouvement local.
Sur le nombre des forces mises en jeu les Atomistes sont divisés.
Les plus généreux en admettent trois catégories : a) Les forces attractives
et répulsives. — h) La force d'' impulsion. — c) La force d' mérite.
Pour ToNGiORGi la force de résistance est la seule énergie vraiment
irréductible. Les autres forces en dérivent (^).
B) Critique : 1*^ Ce système ne résout pas la question proposée :
Quels sont les éléments constitutifs de l'essence des corps ? En effet,
l'Atomisme dynamique répond : ce sont des corpuscules qu'on nomme
atomes (2), et il s'en tient là. Mais il s'agit de savoir ce qui constitue
l'essence de n'importe quel corps, par conséquent de ces corpuscules
appelés atomes.
20 L'Atomisme dynamique reconnaît que les atomes sont étendus
et actifs ; mais il n'explique pas de quelle essence dérivent ces propriétés
accidentelles. De ce chef encore, il laisse sans solution le problème à
résoudre.
3° Ce système aboutit à cette conséquence inadmissible : les corps,
qui résultent des combinaisons chimiques, n'ont pas cette unité essen-
tielle que doivent avoir les corps naturels, c'est-à-dire ayant en eux-
(') s. ToNGiORGi, Instituliones philosophicw : T. II, Cosmologia, L. I, C m, A. II, § 98.
Bruxelles, 1862", p. 252. — Le Père Sauveur Tongiorgi, ik^ (1820) et mort (1865) à
Rome, enseigna avec grand succès la Philosophie au Collège romain.
( *) Atomi enim sunt corpuscula sallem mente divisibilia ; extensœ enim sunt (Ton-
giorgi, Opère cilato, § 96).
(41) LE DYNAMISME INTERNE : LEIBNIZ 51l
mêmes le principe de leur mouvement ('). Les synthèses atomiques
ne sont que des agrégats artificiels d'atomes de masse différente. En
effet, d'après ce système, « les atomes sont indestructibles ou mieux
intransformables ; les combinaisons chimiques n'en altérant jamais
que la surface, sauvegardent leur être individuel. Cela revient à dire
que l'unité essentielle est l'apanage exclusif des masses atomiques, qu'en
dehors des infiniment petits tout est agrégat. Les composés inorganiques,
le végétal, l'animal, l'homme lui-même sont donc de vraies colonies
d'atomes ou d'individualités enchaînées par des forces mécaniques.
Quelle que soit en effet la nature du principe qui les tient agglomérés,
les atomes intransformables doivent conserver leur être propre à travers
leurs multiples figurations. Or la science biologique aussi bien que la
métaphysique condamnent pareilles conclusions » (^).
41. — LE DYNAMISME INTERNE : LEIBNIZ
Le Dynamisme substitue à l'étendue inerte un principe d'activité.
On distingue le Dynamisme interne de Leibniz et le Dynamisme externe
de BoscoviCH et de Palmieri (^).
A) Exposé : le fond des choses est constitué par la monade (ty.ovaç,
unité). Leil)niz conçoit la monade comme une force, par analogie avec
l'activité de notre àme attestée par la conscience. C'est une réalité
spirituelle, inétendue, essentiellement active. Mais cette activité est
interne et immanente : « Les Monades n'ont point de fenêtres par
lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir (*). » Elles ne peuvent
par conséquent agir les unes sur les autres. Mais Dieu y supplée par
« l'harmonie préétablie « (58), en vertu de laquelle les monades s'asso-
cient, se combinent et produisent les phénomènes physiques.
Leur activité interne se traduit par la perception et Vappétitioji. Par
l'appétition, la monade fait sans cesse effort pour passer d'une perception
à une autre. Par la perception, la monade est comme un miroir qui
réflécliit et concentre en son unité la multiplicité de l'univers. La per-
ception est la représentation du multiple dans l'un : aussi qui connaîtrait
( ') Naturalia differunt a non naturalibus in quantum habent naturani. Sed non dlfferunt
a non naturalibus nisi in quantum habent principium motus in seipsis (S. Thomas, Comment
in L. Il Physicorum, Lect. I).
(2) D. Nys, Cosmologie ou Etude philosophique du Monde inorganique, L. III, n. 327,
p. 529-530, Louvain-Paris, 1903.
( ') Notons une autre forme du Dynamisme, VHylozo'isme (uXr,, -.(ocv, mntière vivante) :
c'est la doctrine stoïcienne, d'aprOs laquelle la vie est une propriété essentielle de la matière.
L'univers est comme un grand animal, dont Dieu est l'Ame, et la matière, le corps. C'est
une forme du panthéisme dont nous parlerons plus bas (88).
( ■*) Leiiîniz, Monadologie, §7.
512 - LE DYNAMISME INTERNE : LEIBNIZ (41)
adéquatement une monade connaîtrait toutes les autres, car la monade
est « un miroir vivant perpétuel de l'univers » (*).
L'ensemble des monades est supérieur à tout nombre assignable.
Elles diffèrent toutes les unes des autres par leurs qualités (autrement
elles seraient « indistinguables ») (^) ; et elles sont toutes plus ou moins,
analogues entre elles (d'où le principe de continuité). Les monades forment
une hiérarchie dont les degrés correspondent à la perfection plus ou
moins grande de leur activité représentative, et appétitive. Au plus
bas degré, les monades nues, dont les perceptions inconscientes et les
appétitions fatales ressemblent aux nôtres durant le sommeil (^). Ces
monades sont les éléments constitutifs des corps inorganiques. Au-dessus
viennent les monades sensitives dont la perception est accompagnée, de
mémoire sans s'élever jusqu'à la réflexion (*). Telles les âmes des bêtes :
un animal est un composé d'une infinité de monades nues gouvernées
par une monade sensitive. Enfin, au sommet, les monades raisonnables
ou esprits, qui sont « élevés aux actes réflexifs », et sont capables de
connaître les vérités nécessaires et universelles (^).
Un corps étant un agrégat de monades, comment en peut-il résulter
l'étendue ? De même, répond Leibniz, qu'un charbon ardent qu'on
fait tourner rapidement donne à l'œil l'impression d'une circonférence,
c'est-à-dire d'une ligne continue, quoiqu'en réalité il n'existe qu'en un
seul point à la fois, ainsi une somme de forces simples produit sur nous
une somme de résistances qui, suffisamment rapprochées, nous donne
la sensation de l'étendue. L'étendue n'est donc qu'un mode de mani-
festation de la force.
Dans ces conditions, disparaît le dualisme tranché que Descartes
avait imaginé entre l'esprit et le corps. Le dynamisme leibnizien ramène
toutes choses à l'unité de l'esprit : du minéral à la plante, de la plante
à l'animal, de l'animal à l'homme, de l'homme à Dieu qui est la Monade
infinie, on suit le développement progressif d'une activité immatérielle
de plus en plus parfaite.
B) CritiQue : 1° Leibniz ne voit partout que des forces et, par une
contradiction étrange, il n'admet pas que les monades puissent agir les
unes sur les autres : leur activité est toute immanente. Pour remplacer
l'action transitive, c'est-à-dire l'action qui commencée dans un être passe
( ') ( ') Leibniz, Monadologie, § 56, 8.
(') ( *) (') Leibniz, Monadologie, § 19-24; 25-26; 29-30. — Leibniz distingue « la
perception qui est l'état intérieur de la monade représentant les choses e.xternes, et Vapcr-
ceplinn qui est la conscience ou la connaissance réflexive de cet état intérieur, laquelle n'est
point donnée à toutes les âmes, ni toujours à la même âme. » (Principes de la Nature el de
la Grâce fondés en raison,^ ftr Œuvres, Édit. Janet, T. I, p. 725). Cotte distinction a permis
à Leibniz d'établir une di/7^rence sp(?ci/îque entre l'homme qui est capable de réfléchir d
l'animal qui ne l'est pas.
(42) l'hylémorphisme : les scolastiques 513
et s'achève dans un autre, il a imaginé le système arbitraire de Vhar-
tnonie préétablie, qui sera réfuté plus loin (58).
2° Leibniz attribue même aux monades nues, c'est-à-dire aux
êtres insensibles, des perceptions et des appétitions. Il mérite le reproche
de Kant qui i'accuse de spiritnaliser la matière.
3» II admet non seulement que la matière est « divisible à l'infini >>,
mais encore qu'elle est « sous-divisée actuellement sans fin, chaque
partie en parties, dont chacune a quelque mouvement propre... Par où
l'on voit qu'il y a un monde de créatures, de vivants, d'animaux,
d'entéléchies, d'âmes dans la moindre partie de la matière » (^). Il
accepte donc l'existence de multitudes actuellement infinies et s'engage
dans les difficultés inextricables du plein (^).
40 Comment expliquer Y étendue au moyen de monades inétendues ?
N'est-ce pas une contradiction dans les termes ? — Comme on fait
valoir cette objection contre toute sorte de Dynamisme, on y reviendra
à propos du Dynamisme externe (43, § II, B, 1°).
42. — L'HYLÉMORPfflSME ( LA MATIÈRE ET LA FORME ) :
LES SCOLASTIQUES ( ^)
A) Exposé : d'après Descartes, la matière est une étendue pas-
sive ; selon Leibniz, c'est une collection de forces simples. Au dire des
Péripatéticiens et des Scolastiques, elle est tout ensemble étendue
et force. Ces deux éléments ne constituent pas la substance même de la
matière, mais sont les deux propriétés essentielles qui nous la mani-
festent. La force implique l'unité, la simplicité, l'activité ; Vétendue
entraîne la pluralité, la divisibilité, la passivité. Ces deux propriétés
de la matière présentent des caractères non seulement opposés, mais
contradictoires ; il est donc impossible de les expliquer l'une par l'autre
ou de les réduire à un seul principe qui les concilie. D'où il suit que tout
( ') Lefbniz, Monadologie, § 6^-66. — « Le moindre corpuscule est actuellement sutnli-
visé k l'infini et contient un monde de nouvelles créatures... » (Leibniz, Correspondance
avec Clarhe, Œuvres, Édit. Janet, T. I, p. 756).
( ') « Tout est plein dans la nature > (Leiuniz, Principes de la Nature et de la Grârr,
§ 3, Ibidem, p. 724).
( ') Pour une exposition détaillée du système de la Matière et de la Forme, on peut voir :
M. LiBEn.^TORE. I nstitritiones philosophicee. T. Il, Cosmologia. C. ii. Art. XI. — Th. -M. Zi-
ai,i.\RA, Summa philosophica, T. II, Cosmologia, L. II, C. il. — .\. Faroe.-? et BARnEDETTE,
Philosophia scolastica, T. I, Cosmologia, L. Il, C. ii. — A. Farges, Matière et forme. —
J. Kleutge.n, La Philosophie scotastique, Diss. VII. — Sur les Théories modernes de la
i.onstitution de la matière, voir vfr. .1. Perhin, Les Atomes. Paris, 19t3. — Pacotte, Phy-
sique théorique moderne, Paris, 1921. Achalme, Les Atomes, Paris, 1921, Lu Molécule, 1922.
- Berthoud, La constitution des atomes, Paris, 1922. — P. Descoqs a confronté la concep-
tion métaphysique des corps selon la Scolastique avec les théories actuelles des savants,
("f. Hylt^morphisme et Science moderne, dans Revue de Philosophie, 1922, p. 393-410.
TRAITÉ de philosophie. — T. II — 17.
,514 l'hylémorphisme : les scolastiques (42)
corps doit être considéré comme étant composé de deux principes
distincts. L'un est le fondement de l'étendue, de la passivité, de l'inertie ;
bref, de toutes les propriétés géométriques des corps : on l'appelle
matière première. L'autre est le fondement de la qualité, de l'unité, de
l'activité ; bref, de toutes les propriétés dynamiques des corps : on
l'appelle forme substantielle. La matière première rappelle l'étendue
cartésienne, car elle est considérée comme une masse homogène, continue,
divisible à l'infini, indifférente à toutes les déterminations. La forme
substantielle représente, par certains côtés, la monade leibnizienne,
car elle est une, active, levant l'indétermination de la matière qu'elle
spécifie. Ces deux principes sont incomplets par eux-mêmes, puisque le
premier est indéterminé et le second déterminant. Ils se complètent
l'un par l'autre dans l'unité d'une même substance et, par leur union,
constituent les différents corps que l'École appelle matière seconde.
B) Preuve. — Les Scolastiques constatent, après Aristote,
qu'il y a, dans la nature, des changements non seulement accidentels,
mais substantiels : des corps nouveaux, résultant de la combinaison
des corps simples, ont des propriétés qui diffèrent spécifiquement des
propriétés des composants. Or ces changements n'impliquent ni créa-
tion ni anéantissement : ce sont des transformations substantielles ou
accidentelles. Il y a donc quelque chose, un sujet, qui, en passant d'une
forme à une autre, se maintient identique dans tous les êtres corporels.
Cet élément commun, ce sujet identique c'est ce que l'on nomme la
matière première. Mais cet élément commun se retrouve dans des êtres
spécifiquement différents : c'est la forme substantielle qui établit entre
les êtres corporels une différence essentielle. Les corps sont donc composés
de matière et de forme substantiellement unies.
Exemple : le pain se change en chair par l'influence d'agents naturels.
Le pain était en puissance de devenir chair ; or ces deux substances
diffèrent spécifiquement, parce que leurs propriétés sont diverses ou
même opposées. Nous constatons, d'une part, l'existence d'une trans-
jormation substantielle. De l'autre, nous remarquons que dans ce chan-
gement quelque chose de commun et d'indéterminé persiste, car ce
changement est une transformation et non une création. Cet élément
persistant, qui peut devenir pain ou chair, c'est la matière première.
« La science d'aujourd'hui n'admet plus les mutations substan-
tielles (^), donc les corps ne sont pas constitués par la matière et la
(') On trouvera sur ce point tous les renseignements nécessaires dans l'élude appro-
fondie que le Père P. Descoqs a publiée sous ce titre : La Théorie de In Matière et de la
Forme cl ses Fondements. (Série de 6 articles parus dans la Revuk de Philosophie, de
septembre 1921 à août 1922). Sur l'argument des mutations substantielles, voit ibidem,
1921, p. 488-518 ; 603-630. — Ces articles revus et complétés paraîtront en volume
sous ce titre : Essai critique sur l' H ylémorphisme (Paris, Beauchesne, 1924).
(42) l'hylémorphisme : les scolastiques 515
forme. Pour enlever sa force à un tel argument, il faut ou nier T anté-
cédent ou nier la conséquence, c'est-à-dire qu'il faut ou revendiquer la
réalité des mutations substantielles ou recourir à d'autres arguments
en faveur de l'hylémorphisme. Les philosoplies scolastiques à tendance
scientifique sont plutôt inclinés vers cette seconde solution » (^). Aussi
un certain nombre de néo-scolastiques, renonçant à la preuve tirée des
mutations substantielles, ont recours aux arguments d'ordre méta-
physique.
Voici l'indication de « celui qui nous semble le plus ferme, disons
mieux le seul ferme dans l'espèce » (^). Cet argument est fondé sur les
propriétés des êtres matériels.
« Or ces propriétés, selon qu'elles appartiennent à l'ordre statique
ou à l'ordre dynamique^ se rangent d'elles-mêmes en deux catégories,
très distinctes sans doute, mais tellement inséparables que l'être dont
elles sont la manifestation et comme l'émanation première, n'aura de
chance d'être compris d'une manière un peu profonde que s'il est envi-
sagé à la fois sous ces deux aspects : l'un de ces aspects achève l'autre,
mais aucun ne suffit par soi, aucun ne révèle l'être tout entier... (^).
« Le premier argument en faveur de la matière et de la forme
se tire de la continuité ou extension propre à l'être matériel. On y envi-
sage le corps en lui-même, à l'état statique et l'on en déduit la néces-
sité d'un double principe intrinsèque pour rendre compte de catte pro-
priété. Un second argument prend, comme point de départ, le corps non
plus seulement à l'état statique, mais aussi et en même temps à l'état
dynamique, c'est-à-dire en tant qu'il agit et qu'il pâtit, qu'il se meut
et qu'il est mû... Entre elle [cette seconde preuve] et la première, aucune
cloison étanche : tout ce que nous allons dire de l'être corporel considéré
dans l'ordre de l'activité et de la qualité par opposition à sa passivité
et à sa quantité ne laissera pas d'impliquer ses propriétés d'extension
et de divisibilité et le supposera toujours, en sorte qu'en définitive nous
n'aurons bien qu'un seul et unique argument tiré des diverses propriétés
des corps (*). »
C) Nature de la matière et de la forme :
1" La matière première est le sujet premier de tous les changements
corporels. C'est une réalité substantielle, mais incomplète (car elle ne
(M p. Geny, Metafisirn ed esperienza nella Cosmologia, dans Gregorianum, 1920
p. 100.
{') (') P. Descoqs, La Théorie..., Revue de Philosophie, 1922, p. 207 ; 260.
( ') On trouvera le développement ; de la première partie de la preuve, tirée du continn .
Ibidem, 1922, p. 26.1-290 ; de la seconde, Urée de l'inertie et de l'activité, p. .384-.39,'î.
516 l'hylémorphisme : les scolastiques (42)
peut exister seule, sans la forme) ; elle est essentiellement potentielle,
parce que, ne renfermant aucune actualité, elle est simplement en
puissance, c'est-à-dire apte à recevoir une forme substantielle quel-
conque.
2° La forme siihstanlielle est rude premier de la matière. C'est aussi
une réalité substantielle, mais incomplète (car elle suppose la matière) ;
elle est capable de réduire en acte la matière première. Celle-ci étant
un principe passif, indifîérent à constituer tel corps plutôt que tel autre,
il faut qu'elle soit déterminée à être plutôt ceci que cela par un principe
actif, qui est la forme substantielle. La forme substantielle fait que la
matière possède en acte la perfection pour laquelle elle n'est qu'en puis-
sance. La forme étant active est le principe de toutes les facultés, opé-
rations et modifications du composé.
La forme substantielle constitue la chose dans son essence, fait vg. que
ceci soit du pain et non de la chair ; la forme accidentelle modifie la
chose déjà constituée dans son espèce : la chaleur fait que ce pain soit
chaud et tendre.
30 La matière ,et la forme, qui prises séparément sont des réalités
substantielles incomplètes, constituent par leur union une substance
proprement dite, un composé substantiel. Ce composé est appelé matière
seconde. La forme, étant à la matière ce que l'acte est à la puissance,
joue le rôle de principe déterminant, spécificateur : si le cheval est spéci-
fiquement distinct du chien, ce n'est pas à cause de la matière première
qui est commune à tous les deux, mais à raison de leurs formes substan-
tiellement différentes. La matière et la forme se rapportent l'une à l'autre
et se complètent mutueUement dans l'unité d'une même substance qui
provient de leur union. D'un côté, la matière est déterminée par la
forme à être telle chose : de l'autre, la forme tient de la matière, qui la
limite, ses propriétés individuelles : unie à la matière elle ne représente
plus une nature spécifique, mais elle constitue un certain individu de
telle espèce. Dans Socrate, Vâme qui est la forme substantielle, détermine
la matière qui est en lui et en fait un être humain ; à son tour la matière
est le principe de délimitation pour Vâme, de manière que cette forme,
étant circonscrite en lui par telles conditions matérielles et non par
d'autres, au lieu de convenir à tous les hommes, est propre au seul
Socrate.
40 La forme substantielle est V unique principe premier intrinsèque
des diverses opérations du composé. Ex. : dans Vhomme, l'âme raison-
nable, qui est le principe de la vie intellectuelle, est aussi le principe de
la vie sensitive et de la vie végétative. Dans Vanimal, l'àme sensitive
est aussi le principe de la vie végétative. Dans la plante, l'àme végé-
tative agit sur les forces physiques et chimiques de la substance.
La raison en est que la forme la plus parfaite contient virtuel-
(42) l'hylémorphisme : les scolastiques 517
lement les perfections contenues dans les formes inférieures.
D) Éduction des formes. — La création est la production d'une
chose sortie tout entii're du néant : le monde est créé, parce qu'il tient
tout de Dieu, matière et forme. La génération substantielle est la pro-
duction d'une chose par le changement de la forme substantielle dans
la matière préexistante ; vg. étant donnés de l'oxygène et de l'hydro-
gène dans une certaine proportion (H^ 0), l'eau est engendrée sous
l'influence d'une étincelle électrique.
U anéantissement est la réduction complète d'une chose au néant.
La corruption est l'action par laquelle la forme se sépare de la matière.
Si Dieu cessait de soutenir le monde dans l'existence, le monde rentre-
rait tout entier dans le néant ; quand le bois enflammé se change en
cendre, il est détruit, corrompu.
La génération indique un changement de forme substantielle ; Valté-
ration signifie un changement de forme accidentelle. Si la cire se trans-
forme en fumée sous l'action du feu, il y a destruction et génération ;
si on lui imprime diverses formes, il y a altération.
Dans les générations substantielles, la matière demeure, restant
toujours en puissance de recevoir de nouvelles formes, quand celle qui
Factue disparait. Toute forme substantielle, une fois séparée de la
matière qu'elle informait, périt, si elle est incapable de subsister et
d'agir indépendamment de la matière : telles sont les formes chimiques,
végétatives, sensitives. Mais l'âme raisonnable, forme substantielle
du corps humain, pouvant exercer ses opérations propres, celles de
l'intelligence et de la volonté, sans le secours de la matière, ne périt
pas par le fait de sa séparation d'avec le corps : c'est une forme substan-
tielle subsistante.
Dans tout composé substantiel, la forme corporelle est tirée de la
matière par la vertu d'un agent extérieur qui réduit la matière en acte ;
vg. l'action du feu change la cire en fumée. Les formes peuvent être
produites dépendamment de la matière première, parce que la matière,
contenant toutes les formes en puissance, devient telle ou telle chose,
- quand une cause efficiente se trouve dans les conditions requises pour
■ faire passer en acte ce qui était en puissance.
Comme la matière et la forme ne peuvent exister séparément, la
matière ne peut perdre la forme substantielle qu'elle a sans en acquérir
une autre ; de là cet axiome : La destruction d'un composé est la formation
d'un autre, et inversement : La génération d'un composé est la destruction
d'un autre. La forme expulsée ne persiste plus que virtuellement, en
puissance dans la matière du nouveau composé.
Pour éclairer le mystère des transformations substantielles, il faut
s'aider des transformations accidentelles qui sont accessibles. Ainsi,
un bloc de marbre est en puissance de devenir n'importe quoi. Vienne
518 LE DYNAMISME EXTERNE : BOSCOVICH, PALMIERI (43)
un artiste : il en tirera une statue, en le déterminant à représenter tel
personnage (^).
43. — LE DYNAMISME EXTERNE : BOSCOVICH, PALMIERI
Dans le Dynamisme leibnizien le principe du mouvement est exté-
rieur aux Monades : dans le Dynamisme de Bosco vich et de Palmieri
les éléments simples constitutifs des corps ont le principe de leur mou-
vement en eux-mêmes.
§ I. — SYSTÈME DE BOSCOVICH (-)
A) Exposé : 1^ Les premiers éléments des corps sont des points
simples ou inétendus, absolument indivisibles et distants les uns des
autres (^).
20 Ces éléments sont doués d'une double force : a) attractive, par
laquelle s'attirent les éléments distants ; — b) répulsive, par laquelle
les éléments près de se toucher se repoussent.
La force attractive se change ainsi en force répulsive ; puis, à une
certaine distance, la force répulsive se change en attractive et ainsi
tour à tour (*). '
( M Pour les Objections, cf. S. Tongiorgi, InsiituHones philosophicse, T. II, Cosmologia,
L. I, C. Il, Art. I, p. 212-223, Bruxelles, 11' Édit. — D. Palmieri, Institutiones philoso-
phicae, T. II, Cosmologia, Th. xx, p. 140-159.
( •) - Roger Joseph Boscovich, né à Raguse, le 18 mai 1711, entra au noviciat des
Jésuites à Rome, le 31 octobre 1725. Il enseigna avec éclat la Philosophie et les Mathéma-
tiques au Collège romain et à l'Université de Pavie... Les .Souverains Pontifes, les États
de Lucques, l'empereur d'Autriche lui confièrent des missions scientifiques. Après 1773,
il fut nommé à Paris directeur [de l'optiquel de la Marine, avec 8.000 livres de pension :
mais les désagréments que lui suscitèrent d'Alembert et autres philosophes, le forcèrent
d'abandonner son poste. Il se retira à Milan, où il jouit de la considération que méritaient
ses talents, et mourut le 12 février 1787. Il était membre correspondant de l'Académie des
Sciences de Paris, et titulaire de celles de Lyon et de Metz. » (C. Sommervogel, Bibliothèque
de la Compagnie de Jésus, Part. I, T. I, col. 1828-29, Paris, 1890). — La Société royale de
Londres l'admit également parmi ses membres. — L'astronome Lal-^^nde a fait reloge de
BoscoviCH dans le Journal des Savants, février 1792, p. 411. — Dcgald Stewart, Essais
philosophiques sur les Systèmes de Loche..., Essai II, Ch. i, § II, Traduct. de Ch. Huret,
p. 157-171, Paris, 1878.
C) Prima elementa materiae mihi sunt puncta prorsus indivisibilia et inextensa, quae
in immenso vacuo Ita dispersa sunt, ut bina quaevis a se Invicem distent per allquod inter-
vallum, quod quidem indeflnite augerl potest et minui, sed penitus evanescere non potest
sine compenetratlone ipsorum punctorum : eorum enim contigultatem nullam admitto
possibilem (R.-J. Boscovich, Theoria Philosophiae Naturalis redacta ad unicam legem
virium in Natura existeniium, Part. I, § 7, p. 4, Venise, 1763 '. La 1"^ édition parut à Vienne,
en 1758, et la 2' en 1759). — A Theory o/ Natural Philosophy, Latin-English Edition with
A Short Life o/ Boscovich, Chicago et Londres, 1922.
(*) La loi qui régit ces forces est décrite, Opère citato. Ibidem, § 10, p. S-fi. — Cf. De
Coniinuitatis Lege et ejus consectariis pertinentibus ad prima materiœ elementn rorumque
vires, Rome, 1754.
(43) LE DYNAMISME EXTERNE : BOSCOVICH 519
3° Ces forces ne sont pas spécifiquement différentes, parce qu'elles
ne diffèrent l'une de l'autre que par la direction de leur mouvement (^).
4° Quoique la matière soit et reste homogène, la diversité des phéno-
mènes provient des façons variées, d'après lesquelles les forces attrac-
tives et répulsives se combinent et subissent l'influence des autres
corps (2). C'est par le nombre et l'agencement des forces associées et
par leurs rapports avec les forces qui les environnent, que les corps se
différencient.
B) Critique : sans doute le système de Boscovich est indemne de
plusieurs erreurs qu'on reproche à celui de Leibniz. Les éléments simples
ont une activité qui s'externe, existent en nombre fini, encore qu'incal-
culable, dans chaque corps, et sont dépourvus de toute perception et
appétition. Cependant son système n'est pas à l'abri de graves cri-
tiques :
1° Les corps, d'après Boscovich, sont composés de plusieurs points
simples, distants les uns des autres, puisqu'il réprouve toute contiguïté.
Les corps ne sont donc que des agrégats mécaniques sans unité essen-
tielle.
2° Boscovich n'a pu justifier le changement de la force attractive
en répulsive, et (^ice versa.
3° Comme l'intervalle vide, qui sépare les éléments simples, ne peut
jamais disparaître complètement, la conséquence évidente c'est que
l'action des uns sur les autres devrait se faire à distance (^). Mais l'action
à distance répugne : car un élément ne saurait agir là où il n'est pas,
parce que là où il n'est pas, il n'est rien. Boscovich reconnaît que l'action
à distance est impossible. Mais ses efforts pour prouver qu'elle n'existe
pas dans son système sont impuissants. Il semble en avoir conscience
lui-même, car, peu confiant dans la valeur de sa démonstration (*),
il présente, au choix, une autre solution : Dieu produit lui-même le
mouvement dans chaque point (^). Mais c'est revenir à l'harmonie
préétablie.
( M Utraque vis ad eamdein pertinet speciem, cum altéra respecta alterius negativa sit,
et negativa a positivis specie non différant. Alteram negativam esse respectu alterius,
patet inde quod tantummodo différant in directione, quae in altéra est prorsus opposita
directioni alterius... (Boscovich, Theoria..., P. I, § 108, p. 49).
( ') Distat autem [haec Theoria] a Leibniziana Theoria longissime..., tum quia homoge-
neitatem admittit in elementis, omni massarum discrimine a sola dispositione et diversa
combinatione derivato... (Boscovich, Theoria, P. I. § .3, p. 2).
(») Cf. P. Palmikri, Cosmologin, C. i. Th. I, p. 10, § Jam vero.
(*) Au § 102, p. 46, de la Theoria, Boscovich, se contente d'une simple affirmation,
renvoyant pour la preuve aux § 8 et 9, p. 4-5. Mais là l'on ne trouve aucune preuve concluante.
( ^) Quod autem pertinet ad actionem in distans, id abunde ibidem ( § 8 et 9) praevcnimus,
cum inde pateat fleri posse ut punctum quodvis in se ipsum agat et ad actionis directionem
ac energiam determinetur ab altero puncto, vel ut Deus, juxta liberam sibi legem a se in
Natura condenda stabilitam, motum progignat in utroque puncto. (Boscovich, Theoria..,
P. I, § 102, p. 46-47).
520 LE DYNAMISME EXTERNE : PALMIERI (43)
§ II. — SYSTÈME DE PALMIERI (i)
A) Exposé : « Avec la généralité des dynamistes le Père Palmieri
ne voit dans la matière inanimée que des forces simples, réellement
indivisibles et isolément subsistantes. Il s'écarte cependant des autres
opinions en deux points essentiels qui assurent à son système une place
spéciale dans l'histoire du Dynamisme et le mettent en même temps à
l'abri de plusieurs critiques fondamentales auxquelles les autres sys-
tèmes prêtent naturellement le flanc (^). »
10 Pour sauvegarder l'unité du composé chimique il n'est pas
nécessaire de recourir à la théorie de la matière et de la forme présentée
par les Scolastiques. L'unité des corps composés peut très bien se conci-
lier avec la persistance actuelle des éléments composants. Supposez
en eiïet qu'une union s'établisse entre deux êtres, impuissants à produire
séparément certains effets naturels. De leur union peut résulter un
pouvoir nouveau et indivis. Si elle s'accomplit entre les principes fon-
ciers d'activité, il en résultera une nature nouvelle (puisque la nature
est le principium remotiim inlrinsecum quo agit eus) et, conséquemment,
un être nouveau, celui du composé, où les diverses substances compo-
santes se conservent intactes (^).
2° Un être simple peut occuper un espace étendu, c'est-à-dire oîi
des parties sont désignables, exister tout entier dans l'espace total et
dans chacune de ses parties, et y déployer son activité. Grâce à sa force
de résistance, il rend impénétrable aux autres êtres simples la portion
d'espace qu'il occupe. De la sorte, les éléments simples peuvent être
contigus sans se confondre, et toute action peut se produire au contact (*).
Les éléments sont donc formellement inétendus (^) et virtuellement
étendus : formellement inétendus, parce que, étant simples, ils n'ont
pas en eux-mêmes de parties ; virtuellement étendus, parce que dans
l'espace qu'ils occupent on peut désigner des parties.
Dans ce système les éléments constitutifs de la matière sont des
substances simples, qui ont trois propriétés essentielles : l'extension
virtuelle, la force de résistance et la force constrictive.
( ') Dominique Palmieri, né à Plaisance, le 4 juillet 1829, entra au noviciat des Jésuites
à Rome, le 6 juin 1852. De 1863 à 1878, il enseigna avec éclat la Philosophie et la Théologie
au Collège romain. Il mourut à Rome, le 28 mai 1909. — Outre ses Institutiones philoso-
phicse (3 vol., Rome 1874-187(1), il a publié de remarquables ouvrages de Théologie dogma-
tique et morale. Son Commento délia Divina Commedia di Dante Alighieri (Prato, 3 vol.,
1898-1899) mérite aussi d'être signalé. On trouvera la liste de ses œuvres en tête du livre
posthume : Trw.lalus de Creatione et de prœcipiiis creaturis, p. xv-xvi, Prato, 1910.
(•) D. Nvs, Cosmologie, L. V, § 180, T I. p. .'tl7-3l8, Louvain-Paris, 1916'.
( ') D. Palmiebi, Institutiones philosophicae, T. II, Cosmologia, C. li. Th. XVI, p. 1 1 0 S(iti.
( ') D. Palmieri, Cosmologia, C i. Th. III. p. 31 Sfiq.
{ ") Palmif.hi donne ses raisons pour prouver lu répugnance du continu formel : Cosmo-
lotlin. Itiidinn. p. 'J.'i-riO — cl hi piissilillité du conlillU rirluet, Ibidem, p. 30-39.
(43) LE DYNAMISME EXTERNE : PALMIERI 521
B) Critique : 1° On a fait au Dynamisme, même ainsi corrigé,
cette objection fondamentale : il détruit la réalité de l'étendue. Comment
comprendre, dit-on, qu'en se groupant des éléments inétendus pro-
duisent l'étendue ? Autant vaut dire qu'on peut composer de zéros un
nombre positif.
Voioi la réponse des Dynamistes. Cette objection revient à celle-ci :
Le composé ne peut venir du simple. Si l'élément inétendu était à l'éten-
due ce que zéro est au nombre, le non-être à l'être, l'argument serait
irréfutable. Mais les éléments simples sont des substances réelles et
actives. Or l'étendue n'est que « la continuation, comme dit Leibniz,
de ces forces résistantes et impénétrables ». Elles ne constituent pas
une étendue formelle, mais une étendue virtuelle. Or cette étendue suffit
pour rendre compte des faits. Sans doute des éléments simples ne nous
donneront jamais le continu formel, géométrique, mais ils peuvent
nous donner la sensation de l'étendue. Or les sens ne nous fournissent
en réalité que la pluralité des résistances, c'est-à-dire l'étendue virtuelle.
Des adversaires déclarés du système dynamiste ont reconnu que
cette réponse ne manquait pas de valeur : « La théorie du Père Palmieri
et des Dynamistes qui avec lui souscrivent à Vétendue virtuelle, échappe
à la plupart des critiques émises jusqu'ici. Doué de cette sorte d'étendue,
l'atome, malgré son indivisibilité absolue, n'est plus une entité dépourvue
de tout volume réel [comme dans les systèmes de Leibniz et de lîos-
covich]. Il occupe un espace déterminé et dans chacune des parties de
cet espace il réside tout entier, défendant par sa force de résistance
l'inviolabilité de son département spatial. Or semblables atomes peuvent
se toucher sans se confondre, déterminer dans nos organes la perception
d'une étendue apparente, remplir en partie le rôle que nous assignons
au continu formel (^). »
2o (( Ce n'est point le moindre reproche que nous ayons à leur faire :
les Palmiéristes suppriment logiquement toute distinction essentielle
entre le monde des esprits et le monde de la matière en accordant à
tous les êtres un même mode d'existence. Tl n'y a plus de différence à
établir, en effet, au point de vue de la perfection subsistentielle entre
l'âme humaine et l'atome chimique, si l'une et l'autre ont la propriété
naturelle de s'approprier un espace déterminé et de résider dans
chacune de ses parties avec l'intégralité de leur substance... C'en serait
donc fait de la prérogative de la spiritualité que nous attribuons à l'âme...
Ou, tout au moins, nul ne comprendra pourquoi les corps seraient pri-
vés des manifestations de la vie intellective ou raisonnable, attendu que,
suivant l'adage Operalio sequitur esse, les mêmes natures se révèlent
par les mêmes activités {^). »
(M (■') D. Nys, Cosmologie, § 185, p. 3'23-3-24.
522 LE DYNAMISME EXTERNE : PALMIERI (43)
Réponse des Palmiéristes : « Pour que cet argument fût efficace, il
faudrait démontrer que par le fait même qu'un être est simple, il est
aussi sentant, intelligent, etc. ; ou, ce qui revient finalement au même,
il faudrait démontrer que par le fait même qu'un être existe, il possède
toutes les perfections que peut renfermer le genre être ; ce que, à moins
d'être panthéiste, on ne saurait admettre. Donc, de même que dans le
genre être il y a des degrés distincts par lesquels chaque espèce d'être
est constituée, ainsi ce degré d'être simple occupant l'espace et résistant
est possible (^). »
3°) Les corps ont une unité essentielle, parce que, quoique composés
de parties, ils sont une substance une. Or cette unité est impossible,
même dans le Dynamisme palmiériste, parce que les éléments composants
persistent dans le composé avec leur individualité substantielle.
Les Palmiéristes répondent que le principe de l'unité est la nature
nouvelle qui résulte de l'union des éléments simples. Ces éléments sont
complets in ratione siibstautiœ, mais incomplets in ratione natiirse.
Ce qui signifie : les éléments sont des substances proprement dites,
parce qu'ils existent en eux-mêmes. Si on les prend isolément, leur nature
n'est pas un principe suffisant pour produire tel ou tel effet ; mais de
leur union procède une nature complète subsistante, c'est-à-dire un
principe capable de produire l'effet en question (B, 1°) (-).
C) Antécédents historiques : on a parfois reproché à cette
opinion d'être une « nouveauté » dans la Philosophie scolastique. C'est
une grave erreur, s'il est vrai que « presque tous les Scolastiques, en
dehors de l'École thomiste, concèdent ou soutiennent que les corps
simples quant à l'essence sont possibles « (^).
Cette assertion est du Père Pierre Tedeschini, professeur à l'Uni-
versité grégorieiine ; il en a prouvé la vérité en relevant les opinions des
Scolastiques sur ce point (^).
Cet accord imposant de tant de Scolastiques fut sans doute une des
raisons qui motivèrent une intervention significative de Pie IX. Celui-ci,
par un bref en date du 23 juillet 1874, avait félicité le D^" Travaglini
d'avoir établi une Académie philosophico-médicale, où le système
thomiste de la matière et de la forme était enseigné. Certains ayant
abusé de ces félicitations, le Pape en limita la portée dans une lettre,
( ') D. Palmieri, Cosmologia, C. i, ïh. III, p. 3(), §L< lu aliquid.
( ') Dans ]e\Tractalus de Crealione et de preecipuis creaturis, publié après sa mort,
Palinieri déclare que cette explication ne lui paraît plus suffisante pour justifier l'union de
rame et du corps dans l'homme. C. xxix, § 7, p. 277.
(') .Si Schnlastici fere omnes, extra Thomistarum scholam, possibilitatem corporis
simplieis sccundum essentiam concedunt aut tuentur... (P. Tedeschini, Qu<eslio historica
de Corpnre simplici quoad essentiam, à la fin du 3= volume des Institutiones philosophiae
de Palmieri, p. 3?4, § Sicut).
( ') On trouvera les documents, Ibidem, p. 32,5-343.
(44)
CARACTERES DISTINCTIFS DU VIVANT
523
écrite en son nom, le 5 juin 1877, par Mgr Czacki à Mgr Hautcœur,
recteur de l'Université catholique de Lille. Voici la déclaration faite
par Pie IX :
Graviter abuti literis a Sancti-
tate Sua die 23 julii 1874 ad Doc-
torem Travaglini datis, quibus
opus ab eo susceptum commen-
datur, eos omnes qui exinde
contendunt Sanctitatem Suam vo-
luisse per eam commendationem
improbai^e systemata quidam
philosophica illi opposita, quod
de materia prima et substantiali
forma corporum idem Doctor ejus-
que socii adoptarunt ; si quidem
hœc alia systemata, non secus
atquo illud, non modo pluribus
catholicis doctisque viris proban-
tur, sed etiam in hac ipsa Urbe,
principe catholici orbis, in praeci-
puis AtheniBis pontificiis usu re-
cepta sunt {^).
Ils abusent gravement de la
Lettre adressée, le 23 juillet, par
Sa Sainteté au Docteur Travaglini
pour louer l'œuvre entreprise par
lui, tous ceux qui prétendent en
conclure que, par cet éloge, Sa
Sainteté désapprouve certains sys-
tèmes philosophiques opposés à
celui que ce Docteur et ses asso-
ciés ont adopté sur la matière pre-
mière et la forme substantielle des
corps ; car, non moins que ce der-
nier, ces autres systèmes sont
approuvés par plusieurs savants
catholiques, et même ils sont
suivis dans les principaux Insti-
tuts pontificaux de cette Ville,
capitale du monde catholique.
Parmi ces principaux Instituts figurait au premier rang la célèbre
Université Grégorienne ou Collège Romain. Avant l'apparition de cette
Lettre de Pie IX, le Père Dominique Palmieri, professeur à ladite
Université, avait publié, avec l'approbation du Maître du Sacré Palais,
le tome II de ses I nstitiiiiones philosopliicee (Rome, 1875), où il réfute
le système scolastique de la matière et de la forme et y substitue sa
théorie des éléments simples.
ARTICLE m.
LA VIE
44. — CARACTÈRES DISTINCTIFS DU VIVANT
Vita in motu, disaient les Anciens. L'activité et le mouvement sont
des signes de la vie, quand ils sont revêtus de certains caractères, car la
matière est, elle aussi, susceptible de mouvement. Le propre du mou-
vement vital est d'être spontané et immanent.
(M On trouvera le texte complet de la Lettre de Pie IX dans la Revue des Sciences
ecclésiastiques, 1877, T. II, p. 85-87 ou dans Zigliara, De Mente Concilii Viennensis...,
n. 251, p. 191-193, Rome, 1878.
524 LE MÉCANISME (45)
A) Spontanéité : l'activité de l'être inorganique lui vient du dehors,
car, de lui-même, il est inerte. Le mouvement vital au contraire a sa
source au dedans : motus ah intrinseco. L'être vivant se meut lui-même :
voilà pourquoi Platon et Aristoté l'appellent auTo>ci'vr,Toç, xivnats êauTr,v
xivo'JijLEvr,.
B) Immanence : le mouvement de l'être inorganique est transitif :
ayant son principe à l'extérieur il a aussi son terme au dehors. Ce mou-
vement mécanique traverse l'être sans le perfectionner. L'activité
vitale (vg. se nourrir) a pour but au contraire la conservation et le
progrès de l'être vivant ; elle demeure {ùrimanet) en lui. Le vivant est
à la fois le principe et le terme du mouvement vital. On peut donc définir
la vie : Vactivité immanente par laquelle un être organisé est capable de
se nourrir, de s'accroître et de se propager (Psych., 13, III).
Voilà le fait. Il faut en rechercher la cause. La question à résoudre
est celle-ci : Quelle est la cause de la vie ? Qu'est-ce que la force vitale ?
Le Mécanisme, TOrganicisme, le Titalisme et l'Animisme sont les diverses
réponses données à cette question.
45. — LE MÉCANISME
A) Exposé : 1° C'est l'opinion de Descartes et de Malebranche.
Elle est la conséquence logique de la théorie cartésienne sur l'essence
de l'àme et l'essence de la matière. L'àme, « dont la nature n'est que de
penser «, reste étrangère à la vie organique. La matière ne consiste que
dans l'étendue, modifiée par le mouvement. La matière organisée ne se
distingue par aucune propriété spéciale de la matière brute. Le vivant
diffère de l'être inorganique uniquement par la disposition des éléments
matériels qui le composent et par les mouvements qui en résultent.
Les phénomènes vitaux se ramènent donc à des phénomènes physico-
chimiques. La plante et l'animal sont des machines perfectionnées.
2» Cette théorie a été reprise et complétée par les évolutionnistes
modernes qui allèguent, en sa faveur, la composition de certaines
substances organiques : vg. la synthèse de l'urée par Wôhler, la reconsti-
tution des graisses par Berthelot.
3° On a aussi quelquefois invoqué en faveur de cette théorie les
ressemblances entre le fonctionnement de la machine à vapeur et les
fonctions de la vie animale.
B) Critique : 1^ En admettant que les forces physico-chimiques
soient suffisantes pour produire certains })hénomènes élémentaires qu'on
rencontre chez l'être vivant, vg. l'ascension de la sève, l'irritabilité des
tissus, elles sont incapables de produire certaines opérations plus com-
plexes, comme la formation des individus ; « ...11 est clair, dit Cl. Bernard,
que cette propriété évolutive de l'œuf qui pi-oduira un oiseau, un poisson
(46) l'organicisme * 525
ou un serpent, n'est ni de la physique, ni de la chimie (^). ■> Il y a là
l'action d'une force dirigeant le développement dans tel sens plutôt que
dans tel autre. C'est « l'idée directrice de l'évolution vitale » {^) ou « force
évolutive de l'être » (').
2o L'analyse chimique a démontré qu'il n'y a pas, dans la matière
organisée, d'autres éléments que ceux contenus dans la matière inorga-
nique. Comment se fait-il donc que la science, qui reconstitue les sub-
stances inorganiques, soit impuissante à produire de la matière vivante,
un tissu végétal, une cellule ? N'est-ce pas une preuve que la synthèse
vitale s'effectue sous l'action d'une force spéciale, distincte des forces
matérielles ? — On ne peut apporter comme argument la synthèse des
substances organiques opérée par les chimistes, car la chimie n'a jamais
pu reproduire le moindre vestige qV organisation, mais seulement les
matériaux de la synthèse vitale.
3° Ceux qui établissent un rapprochement entre l'animal et la
machine à vapeur font une comparaison très boiteuse, car ils oublient
qu'à la différence de la machine le vivant s'organise lui-même et répare
ses forces, dirige et coordonne ses mouvements sponte sua.
46. — L'ORGANICISME
A) Exposé : les propriétés physico-chimiques sont les conditions
nécessaires, mais non suffisantes de la, vie. L'organisation produit dans
chaque organe des propriétés spéciales en opposition permanente avec
les propriétés physico-chimiques. De là cette définition de la vie par
BicHAT : Cest Vensemble des forces qui résistent à la mort. Les Orga-
nicistes ajoutent que le principe vital n'est pas localisé en un point de
l'organisme, mais qu'il anime chaque cellule, de sorte que chaque être
organisé est moins un individu qu'une colonie de vivants. Cette doctrine,
qui remonte à Cabanis, à Broussais, à Bichat, est soutenue par tous
les matérialistes contemporains.
B) Critique : 1° A cette question : Quel est le principe des propriétés
vitales ? les Organicistes répondent : l'organisation. A cette seconde
question : Quel est le principe de l'organisation ? ils répondent qu'ils
se bornent à enregistrer les faits : « L'Organicisme s'appuie, dit le
Dr Rostan, sur cette raison péremptoire que l'on ne voit la vie nulle
autre part que là où il y a organisation. » C'est là un aveu d'impuis-
sance ; ce n'est plus une explication, mais une simple constatation.
(') Cl. Bernard, Déllnilion de la Vie. dans La Science expérimentale, Paris, 1911 ",
p. 210.
( -) ( ') Cl. Bernard, Introduction à l'Étude de la Médecine expérimentale, Pai'l. II,
Ch. II, § I, p. 162, Paris, 1865. — Définition de la Vie, Ibidem, p. 210.
526 LE VITALISME '' (47)
Il s'agit précisément de savoir à quelle cause est due cette corrélation
manifeste entre la vie et l'organisation.
2° Si la matière organisée est douée de vie, ce n'est pas parce qu'elle
est organisée, puisque, à ce titre, elle ne contient aucune substance
élémentaire qui n'existe dans la matière inorganique. Elle n'est donc
organisée qu'en vertu d'un principe supérieur à la matière, d'une force
distincte qui lui donne la vie. Ce n'est donc pas la vie qui est le résultat
de l'organisation ; c'est l'organisation qui est le résultat de la vie. Nulle
part on n'a vu la matière s'organiser et vivre spontanément ; on a au
contraire toujours vérifié la vérité de ce principe : Omne vivum ex vivo.
La vie n'apparaît que sous l'influence de la vie. Il est impossible de le
nier après la réfutation victorieuse que Pasteur a faite des générations
■spontanées.
3° D'après l'Organicisme, chaque cellule, chaque organe est doué de
propriétés dites « propriétés vitales », et la vie du tout n'est que la
résultante de toutes ces vies partielles. — Mais cette conception soulève
la grave question de savoir si c'est aux vies partielles qu'il faut demander
l'explication de la vie de l'ensemble, ou au contraire si ce n'est pas,
<?omme le dit Claude Bernard, la vie de l'ensemble qui explique la vie
des parties. Séparés du tout, chaque cellule, chaque organe ne vivent
plus : leur vie particulière est conditionnée par la vie de l'ensemble.
Mais, pour rendre compte de ce consensus harmonieux, il faut admettre
un principe unique qui dirige et ramène à l'unité toutes les vies par-
tielles et les fasse concourir au bien commun de l'organisme entier ;
il faut admettre ce que Cl. Bernard nomme une idée créatrice de la vie
■et directrice de révolution organique.
Conclusion. — L'Organicisme a une position intenable entre deux
systèmes contradictoires : le Mécanisme et le Vitalisme. De deux choses
l'une : ou bien l'on soutient que l'organisation est la conséquence des
forces de la matière, et alors l'Organicisme se réduit au Mécanisme que
nous avons réfuté ci-dessus ; ou bien l'on reconnaît que l'organisation
exige autre chose que le concours des forces matérielles, et alors il faut
recourir à un principe spécial, supérieur. Mais reste à résoudre une
question ultérieure : Ce principe distinct de la matière l'est-il également
de l'âme humaine ? Les Yitalistes l'affirment, les Animistes le nient.
47. — LE VITALISME
A) Exposé : le Vitalisme a été professé surtout par l'École de
médecine de Montpellier. Bakthez a été son principal interprète. Cette
doctrine admet dans tout être vivant, outre la matière douée de pro-
priétés physico-chimiques, une force vitale distincte de l'àme et présente
à tout l'organisme C'est une force analogue à l'àme, mais sans conscience
(48) l'animisme 527
et sans volonté. Le Vitalisme distingue donc dans l'homme deux prin-
cipes immatériels, la force vitale et l'âme pensante : d'où le nom de
Duodynamisme qui est parfois donné à ce système. Lordat, Giinther,
Baltzer, Jouiïroy ont adopté le Vitalisme.
B) Arguments : 1° Les caractères, qui distinguent entre elles les
tendances de la vie animale et les aspirations de la vie proprement
humaine, sont si opposés qu'ils exigent un double principe.
2^ De même, les diiïérences, qui séparent les phénomènes physio-
logiques et les phénomènes psychologiques (Psych., 4), supposent une
double cause.
3° Une force intelligente, dit Jouffroy, ne peut ignorer les effets
qu'elle produit ; or Fàme n'a pas conscience de produire la vie physio-
logique ; elle n'en est donc pas la cause.
4° La dignité de l'àme raisonnable s'oppose à ce qu'elle soit chargée
des fonctions matérielles de la vie organique.
G) Critique : 1» Ces arguments seront réfutés au numéro suivant
(48, B).
20 L'hypothèse de ce principe vital distinct de l'âme est une hypo-
thèse :
a) Gratuite : les Vitalistes n'ont pu donner aucune preuve de son
existence.
b) Inutile : il ne faut pas multiplier les êtres sans nécessité. Or l'àmo
humaine, conjointement avec les phénomènes physico-chimiques, suffit
à expliquer la vie (48). Les agents physiques produisent des phénomènes
d'un caractère spécial, quand ils sont soumis à l'influence de la force
vitale.
c) Encombrante : elle complique sans profit le problème de l'union
de l'âme et du corps, car il faudrait déterminer quels rapports ce prin-
cipe vital soutient non seulement avec le corps, mais avec l'âme.
48. — L'ANIMISME
A) Exposé : l'Animisme est la doctrine d'ARisTOTE, des Scolas-
TiQUES, d'un grand nombre de philosophes contemporains, comme
BouiLLiER ('). Le principe vital n'est pas distinct de l'âme elle-même ;
mais l'âme, outre les facultés de sentir, de connaître et de vouloir, a
encore le pouvoir de donner la vie et de l'entretenir. Les défenseurs de
cette doctrine n'enseignent donc pas, comme Stahl, médecin allemand
(1660-1734), que l'âme est le principe vital en tant qu'intellectuelle (^).
(M Fr. Bouillier, Du Principe vital et de l'Ame pensante, Paris, 1862 ; 1873'.
( ^) A. Lemoine, Le Vitdlisme et l'Animisme de Stahl, Paris, 1864.
528 l'ammisme (48)
B) Arguments indirects : ils consistent à réfuter ceux des Vita-
listes :
1» L'opposition signalée entre les tendances de la vie animale et les
aspirations de la vie humaine s'explique fort bien en observant que
notre àme, sollicitée par des biens différents, est capable de tendre vers
des fins contraires. En fait, est-ce que nous ne constatons pas qu'il
existe en nous une lutte, parfois très vive, entre le sentiment, la raison
et la volonté, et cependant ce sont là trois modes divers de l'activité
de la même âme (Psych., 9, § D).
2° Les différences objectées sont incontestables ; mais il faut seu-
lement en conclure que les faits physiologiques et les faits psycholo-
giques exigent des substances distinctes : le corps et l'âme. Elles ne prou-
vent pas <^u'une double cause est nécessaire pour produire ces phéno-
mènes divers. En efîet l'âme est un principe de force qui produit, de
l'aveu même des Vitalistes, des phénomènes sensitifs, intellectuels et
volitifs qui sont aussi, sous certains rapports, très opposés entre eux.
— De plus, rien n'empêche l'âme, dont l'activité psychologique est si
intense et si variée, de remplir les fonctions que les Vitalistes attribuent
à ce prétendu principe vital, car qui peut le plus peut le moins.
3» L'âme a conscience de l'effort vital en général, du vouloir vivre ;
elle a aussi la conscience confuse de l'effet produit, sous la forme d'unt
multitude de petites sensations de bien-être ou de malaise qui viennene
se fondre dans cette sensation complexe qu'on nomme sensation vitale
(Psych., 31). L'action de l'âme sur l'organisme ne va donc pas sans une
certaine conscience, ordinairement sourde à cause de sa continuité, mais
qui devient nette et distincte, quand survient quelque trouble dans
l'exercice d'une fonction. Il est vrai que l'âme n'a pas conscience de la
laçon dont elle produit les phénomènes vitaux. Mais l'âme ignore aussi
la manière dont elle f^it délibérément mouvoir les muscles et les nerfs
dans les mille opérations de la locomotion. Et cependant on ne nie pas
■q-u'elle soit, par sa volonté et son énergie motrice, cause de ces mouve-
ments.
Cette objection a une certaine valeur contre l'Animisme tel qu'il est
soutenu, à tort, par Stahl, parce que celui-ci affirme que l'âme organise
le corps et en dirige toutes les fonctions par des pensées et des volitions
•conscientes. Mais cette harmonie, qui règne dans les fonctions physio-
logiques, n'est pas l'effet d'un dessein délibéré de l'âme, comme le sup-
pose gratuitement Stahl, pas plus que la parfaite adaptation des moyens
à la fin n'est connue, ni voulue par l'instinct de l'animal. L'une et l'autre
sont la conséquence naturelle des lois biologiques établies par le Créa-
teur.
40 L'âme humaine, quoique douée de raison et de liberté, est incor-
porée à la matière et dépend de l'organisme dans l'exercice de ses facultés
(48) COMPLÉMENT BIBLIOGRAl'IIIQUE : COSMOLOGIE RATIONiNELLE 529
même ]es plus nobles. Par ses facultés supérieures elle se rapproche des
purs esprits ; mais, à cause de ses facultés inférieures liées au corps, elle
a des appétits et des penchants à satisfaire comme l'animai privé de
raison. Les fonctions de la vie végétative ne sont donc point indignes
d'elle.
C) Arguments directs : — 1° La souiïrance et le plaisir, que l'âme
éprouve selon le bon ou le mauvais état des organes, suivant le jeu
normal ou anormal de leurs fonctions, ne sont-ils pas un signe que
l'âme agit véritablement dans ces fonctions ? Pourquoi vg. une digestion
mauvaise, un embarras dans la circulation du sang produisent-ils une
douleur de l'âme, si ce n'est qu'alors l'activité qu'elle déploie dans ces
fonctions se trouve entravée ?
20 Cette doctrine seule explique bien l'union intime des vies orga-
nique et sensitive, la dépendance réciproque du physique et du moral.
30 Elle est en outre le fondement solide de notre identité personnelle,
puisque l'âme, dans ce système, est le principe unique de tous les actes
qui se passent en nous, intellectuels, volitifs, sensitifs et organiques.
Si l'homme tenait la vie et l'animalité d'une âme végétative et sensitive,
puis la vie intellectuelle d'une âme raisonnable, il ne se sentirait plus
un, mais double ; ce qui est contraire au témoignage du sens intime.
Conclusion : Aristote a eu raison de dire que l'âme « est l'acte pre-
mier d'un corps naturel organisé » (^), et saint Thomas, que « dans
l'homme il n'y a pas d'autre forme substantielle que l'âme intellec-
tive » (^).
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
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substanlialis est in homine nisi sola anima inlelleciiva, et quod ipsa sicul virlute continel
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sola qiddquid imperfecliores forma; in aliis faciunt. — Cf. M. Liberatoke, Le Compost'
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CHAPITRE II
PSYCHOLOGIE RATIONNELLE ^'^
La Psychologie rationnelle traite les questions suivantes :
I. — Distinction de l'âme et du corps.
II. — Union de l'âme et du corps.
III. — Destinée de l'homme.
ARTICLE PREMIER. — DISTINCTION DE VAME ET DU CORPS
L'âme a-t-elle une réalité indépendante de la réalité corporelle,
est-elle spirituelle ? C'est ce que soutient le spiritualisme. Est-elle au
contraire une l'onction du corps et de la matière ? C'est ce que prétend
le matérialisme.
(M Platon, Le Phédon. — Aristote, De Anima. Cf. le Commentaire de saint Thomas.
— BossuET, De la connaissance de Dieu et de soi-même. — Leibniz, Nouveaux essais sur
l'entendement humain, L. II, Ch. xxiii, xxvii. L. IV, Ch. m. Monadologie, § 1-36 ; 63-90.
— H. Taine, L'intelligence. — J. Lachelier, Psychologie et Métaphysique. ■ — Et. Vacherot,
Le nouveau spiritualisme. — Ch. Waddington, L'âme humaine. — A. Ghatry, Connais-
sance de l'âme. — A. Bain, L'esprit et le corps. — H. Spencer, Principes de Psychologie. —
Fr. Al. Lange, Histoire du Matérialisme. — P. Janet, Le Matérialisme contemporain.
Le cerveau et la pensée. — E. Caro, Le Matérialisme et la Science. — E. Naville, Le Libre
arbitre. — G. Fonsegrive, Essai sur le Libre arbitre. — F. Ravaisson, La Philosophie
en France au XIX" siècle, § 22, 23. — Ch. Jeanmaire, L'Idée de personnalité dans la Psycho-
logie moderne. — J. Gardair, Corps et Ame. — G. Surbled, Le cerveau. — M. Liberatore,
Le composé humain. — B. Boedder, Psychologia ralionalis. — J. Mendive, Instituliones
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T. I. — J.- J. Urraburu, Instituliones philosophicse, T. IV, V, VI. — M. Maher, Psychology,
— D. Mercier, Cours de Philosophie, T. III, Psychologie. — El. Blanc, Traité de Philo-
sophie scolaslique, T. II. — D. Palmieri, Instituliones philosophicx, T. II, Anihropologia.
— Fr. Paulhan, La physiologie de l'esprit. — V.-L. Bernies, Spiritualité et Immortalité.
— Th. -H. Martin, La vie future. — L. Ollé-Laprune, Le prix de la vie. — Cl. Piat,
La destinée de l'homme. La personne humaine. — A. Lauoel, Les problèmes de l'âme. —
L. RouRE, Pourquoi mourons-nous ? dans les Études, 1893, T. LIX, p. 65 sqq. — Ch. Huit,
L'immortalité de l'âme dans le monde païen, dans les Annales de philosophie chrét.,
mai, juin et juillet 1887. — L. Bossu, Réfutation du Matérialisme. — A. Nicolas, Éludes
philosophiques sur le Christianisme, 1" P., L. I, Ch. i, m. — H. Lotze, Psychologie physio-
logique. — J.-Ém. Alaux, Théorie de l'âyne humaine. — M. -Th. Coconnier, L'Ame humaine.
— P. RiBOT, Spiritualisme et Matérialisme. — N. Boulay, Principes d'Anthropologie
générale. — Saint-George Mivart, L'homme (Trad. par E. Segond). — P. Jousset,
Essai d'une doctrine spiritualiste en médecine. — A. Castelein, Matérialisme et Spiritualisme.
536 ARGUMENT GÉNÉRAL (49-50)
§ A. _ PREUVES APPORTÉES PAR LE SPIRITUALISME
49. — ARGUMENT GÉNÉRAL
Lorsque deux choses ont des propriétés et effets opposés, si bien que
ce que l'on affirme de l'une doit être nié de l'autre, ces deux choses
diffèrent en espèce et en nature. Or le corps et l'àme ont entre eux une
telle opposition. Ils sont donc de nature différente. Dans cet argument
il suffit de prouver la mineure.
Le corps est matière ; or la matière est étendue, composée de parties
placées les unes hors des autres ; au contraire, la pensée est simple,
non composée de parties. Les objets corporels de la pensée peuvent bien
être de grandeur et de volume inégaux ; mais la connaissance que j'en
ai ne se mesure pas à leurs dimensions. La pensée d'une montagne n'est
ni plus longue ni plus large que celle d'une fleur. Qui parle d'une idée
ayant tant de centimètres de longueur, de profondeur, etc. ?
La matière est figurée, elle a une forme et des couleurs. Or quelle
figure donnerons-nous à la pensée ? Sera-t-elle ronde, cubique, trian-
gulaire ? Quelle couleur ? rouge, jaune ?
Les phénomènes matériels se ramènent à des mouvements ; les phéno-
mènes psychologiques sont irréductibles à des mouvements (Psych., 4).
50. — ARGUMENT TIRÉ DE L'IDENTITÉ DE LA PERSONNE
Le principe de la pensée est identique à lui-même dans le temps.
« On ne définit pas, dit Paul Janet, l'identité personnelle ; mais on la
sent (^). » Chacun de nous sait bien qu'il demeure le même à chacun
des instants de la durée qui composent son existence (Psych., 71, I, A).
Or l'identité personnelle est incompatible avec la matière qui est
changeante.
L'identité personnelle ressort des faits suivants :
L — Raisonnement : tout raisonnement exige que le sujet qui pense
reste le même à des moments différents. En effet, tout raisonnement
est successif. Or supposons que je change aux divers instants de la durée.
■ — .T. DK BONMOT, L'âme el la physiologie. — A. Binet, L'âme et le corps. — L. BiiCHNER,
L'homme selon la science. — G. Dumesnil, Le Spiriliinlisme. — H. Bergson, Matière el
Mémoire. — E. Lubac, Esquisse d'un système de Psychologie rationnelle. — Roisel, L'idée
spirilualiste. — Coste, Dieu et l'âme. — Th. Fu.\ck Bremano, L'homme el sa destinée.
— HuLST (M. d'), Mélanges philosophiques, p. 99-211. — Alibert, La Psychologie thomiste
et les théories modernes, II" P. — - Kl. Méric, L'autre vie. — L. Lescœur, La vie future. —
Km. Charles, Éléments de Philosophie, T. II, Cli. liv et lix. — G. Fonsegrive, Éléments
.de Philosophie, T. II, Métaphysique, Leç. XVI. — .T. Kleutgen, La Philosophie scolastique,
Diss. VIII, Ch. m.
(•) P. Janet 'iraité élémentaire de Philosophie. Psychologie .Conclusion, Ch. i, n. 280.
(51) ARGUMENT TIRK DE l'uNITÉ DE LA PENSÉE 537
Si je raisonne, "je serai alors comme trois personnes dont l'une pense
la majeure, l'autre la mineure, la troisième la conclusion. Je ne pourrai
arriver à une démonstration, car il faut que les trois termes comparés
soient perçus par le même sujet. Il faut donc que le sujet qui pense la
conclusion soit identique au sujet qui a pensé les prémisses.
II. — Mémoire : Royer-Collard a dit avec raison : « Nous ne nous
souvenons que de nous-mêmes (^). » On ne pourrait pas se souvenir de
ce qu'un autre a fait, senti, pensé ou voulu. La mémoire suppose donc
qu'il y a continuité entre le moi du passé et le moi du présent, c'est-à-dire
l'identité personnelle (Psych., 107, § I, B).
III. — Responsabilité : on n'est responsable que de ses propres
actes, ou si on l'est quelquefois de ceux des autres, c'est dans la mesure
où on y a coopéré. Or comment concevoir la responsabilité des actes
personnels, si le moi change aux différents instants de la durée ? Dans
ce cas, le moi passé serait vraiment autrui, c'est-à-dire étranger pour
le moi présent ; mais le moi n'est responsable que de ses propres actes.
Il est donc impossible de comprendre la responsabilité sans l'identité
personnelle.
Ainsi le raisonnement, la mémoire, la responsabilité exigent impé-
rieusement l'identité personnelle, qui est un des traits caractéristiques
de ce que l'on appelle l'esprit. Or il y a dans le corps humain un fait
principal qui est le contraire du précédent : c'est ce qu'on nomme le
tourbillon vital, l'échange perpétuel de matière qui s'opère entre les
corps vivants et le monde extérieur. Comment concilier l'identité per-
sonnelle avec la mutabilité incessante du corps organisé ? Comment
l'identique peut-il résulter du changeant ? Il faut donc conclure que le
moi identique à lui-même, à tous les instants de la durée, est distinct
du corps qui change continuellement. L'esprit est donc immatériel et
simple, puisque le corps est matériel et composé.
51. — ARGUMENT TIRÉ DE L'UNITÉ DE LA PENSÉE
Aucune substance composée, étendue, divisible ne peut être le prin-
cipe, le sujet de la pensée ; or l'âme est le principe de la pensée ; elle est
donc une substance inétendue, simple, indivisible, c'est-à-dire immaté-
rielle. Dans cet argument, la majeure seule est à prouver ; on peut le
faire soit en considérant la pensée en général, soit en considérant une
forme particulièio de la pensée, comme la comparaison ou la réflexion.
I. — La pensée en général : elle est essentiellement une, simple,
indivisible, comme l'atteste la conscience. Qu'on prenne en effet un
acte intellectuel quelconque, il faut reconnaître qu'il consiste essentiel-
( ') Fragments, dans Œuvres de Reid, traduites par Jouffrov, T. IV, p. i^-i.
538
ARGUMENT TIRE DE L UNITE DE LA PENSEE
(51)
lement à ramener la pluralité à l'unité : penser, c'est unir, comme dit
Kant. Si vg. on juge, on réunit deux idées, le sujet et l'attribut, dans
une même affirmation. Ce point rappelé, admettons un instant que le
principe de la pensée soit composé. De trois hypothèses, l'une. Ou bien :
a) La pensée sera produite à la fois par toutes parties du principe
pensant prises collectivement. — Cette première hypothèse répugne,
car chaque partie produirait une partie de l'effet ; et l'effet total, la
pensée, ne serait que la somme divisible des effets partiels. La pensée
ne serait donc plus simple, ce qui est contraire au témoignage de la
conscience.
b) La pensée sera produite par chacune des parties prises séparément.
— Cette seconde hypothèse est aussi contraire au témoignage de la
conscience, car nous devrions avoir conscience d'autant de pensées
simultanées que de parties pensantes.
c) Reste une troisième supposition : la pensée sera produite par
une seule des parties qui serait simple et indivisible, les autres parties
ne concourant pas à la pensée. — C'est précisément cette partie simple
et indivisible, principe unique de la pensée, que nous appelons âme.
On peut représenter cette triple hypothèse graphiquement. Soit A = la
pensée totale ; a, b, c, d = les parties composant la pensée totale.
II
III
a
b
c
d
A A
A A
II. — La comparaison : au témoignage de la conscience, l'âme a le
pouvoir de comparer deux idées. Or ce pouvoir ne peut exister que dans
un esprit simple. Laromiguière le prouve ainsi : « Une substance ne peut
comparer qu'elle n'ait deux sentiments distincts ou deux idées à la fois.
Si la substance est étendue et composée de parties, ne fût-ce que de
deux, où placerez-vous les deux idées ? Seront-elles toutes deux dans
chaque partie ou l'une dans une partie, et l'autre dans l'autre ? Choi-
sissez ; il n'y a pas de milieu. Si les deux idées sont séparées, la compa-
raison est impossible. Si elles sont réunies dans chaque partie, il y a
deux comparaisons à la fois, et par conséquent deux substances, qui
comparent, deux âmes, deux moi, mille, si vous supposez l'âme com-
(52) ARGUMENT TIRÉ DE LA LIRERTÉ 539
posée de mille parties (^). » Toutes choses qui répugnent au témoignage
de la conscience.
III. — La réflexion : la conscience nous atteste que nous avons le
pouvoir de réfléchir, de nous replier sur nous-mêmes. Or une substance
composée en est absolument incapable. En effet une substance étendue
ne peut se replier sur elle-même que par superposition de certains
éléments sur les autres. Elle ne peut, pas rentrer totalement en elle-
même, de telle façon que tout l'être soit en présence de tout lui-même.
Notre âme a au contraire la faculté de revenir sur ses modifications
antérieures, de se mettre elle-même en présence d'elle-même par la
réflexion. Elle n'est donc pas une substance étendue.
52. — ARGUMENT TIRÉ DE LA LIBERTÉ
La liberté est le pouvoir de se déterminer, de se modifier soi-même
et par soi-même. De cet attribut fondamental de la nature humaine
résultent la personnalité et la responsabilité. Or rien n'est plus contraire
à l'essence de la matière, qu'elle soit organique ou inorganique. La
matière est par elle-même inerte, incapable de se déterminer, de modifier
son état; en repos, elle reste en repos;* en mouvement, elle reste en
mouvement, conservant la vitesse et la direction acquises sans y rien
changer. La Hberté ne peut donc s'expliquer par la matière, et cependant,
puisqu'elle existe, comme l'atteste la conscience (Psych., 203, § A),
il lui faut un principe. Ce principe ne peut ê^re le corps, puisqu'il est
matière ; c'est donc l'esprit.
Conclusion générale. — Ces différentes preuves établissent que
l'âme est simple, distincte du corps, de la matière ; elle est donc imma-
térielle. Ce n'est pas tout ; nous avons constaté, dans la Psychologie
expérimentale, que l'âme a la faculté de raisonner et de vouloir librement.
Elle est donc spirituelle au sens strict du mot. La simplicité, c'est-à-dire
l'absence de composition, de parties, est la condition et le fondement de
la spiritualité. La spiritualité ajoute à la simplicité la raison et la liberté ;
c'est pourquoi l'âme des bêtes, quoique simple, n'est pas spirituelle.
Remarque. — Caractères distinctifs de l'âme et du corps :
1» Leurs phénomènes : ceux du corps sont connus par les sens ;
ceux de l'âme par la conscience ; — ceux du corps sont localisés dans
fespace, étendus, réductibles à des mouvements ; ceux de l'âme sont
étrangers à l'espace, inétendus, irréductibles à des mouvements
(PsYcn. 4).
(M Laromiguière, Leçons de philosophie, T. II, Partie II, Leçon XII, p. 432-433.
Paris, 1820, 2'' Értit.
540 MATÉRIALISME : ARGUMENTS ET RÉPONSES (53)
2° Leurs qualités intrinsèques :
a) Ame : unité, identité, liberté.
h) Corps : composition, changement, fatalité.
3° Leurs destinations : le corps esr fait pour une existence finie, —
l'âme pour une vie immortelle.
§ B. — RÉFUTATION DU MATÉRLALISME
53. - ARGUMENTS ET RÉPONSES
C'est la doctrine qui nie toute autre substance que la matière. Elle
fut professée dans l'antiquité par l'École atomistique de Leucippe et
de Démocrite, par les Épicuriens et les Stoïciens. Dans les temps
modernes, les Sensualistes Locke et Condillac lui préparèrent les voies.
Elle a été soutenue au xvii^ siècle par Hobbes, au xviii^ par Helvétius,
d'Holbach, La Mettrie, etc., au xix^ par Cabanis, Broussais, Cari Vogt,
Bûchner, Moleschott, etc. Voici leurs principaux arguments avec les
réponses :
I. — Résultats de l'expérience : les méthodes expérimentales
nous font une loi de n'admettre que les choses positives, qui tombent
sous les sens ; or personne n'a jamais vu l'âme. Ce n'est donc qu'une
entité verbale,-une abstraction métaphysique : « Je ne crois pas à l'âme,
<lit l^roussais, car je ne l'ai jamais trouvée au bout de mon scalpel. »
Réponse : au nom de la méthode expérimentale, dont ils se réclament,
les matérialistes devraient admettre le témoignage de la conscience et
de l'observation interne, qui seules ont qualité pour nous faire connaître
les sentiments, pensées, volitions. Nier l'existence de l'âme, parce que
les sens n'en disent rien, est aussi déraisonnable que le serait la négation
de l'existence des corps, parce que la conscience ne les atteint ])as.
IL — Correspondance du physique et du moral : à quoi bon
supposer un principe vital, distinct du corps et des organes, quand ceux-
ci suffisent à tout expliquer dans l'homme ? L'expérience nous dit en
effet qu'il y a correspondance intime entre le physique et le moral.
En effet, ce n'est qu'à mesure que le corps se développe, que se déve-
loppent l'intelligence, la sensibilité et la volonté. Si le corps est en santé,
si les organes fonctionnent normalement, l'intelligence a toute sa puis-
sance, la sensibilité, toute sa délicatesse, la volonté, toute son énergie.
Au contraire, quand les organes fonctionnent mal, nous ne pouvons ni
penser aisément, ni vouloir librement. Une s mple lésion cérébrale
détermine la folie. Le tem|)érament, l'âge, le climat, le régime influent
sur nos pensées, nos sentiments, notre caractère.
Réponse : si l'influence du physique sur le moral est incontestable,
il ne faut pas l'exagérer, ni oublier ou supprimer nombre de faits qui
(53) MATÉRIALISME : ARGUMENTS ET RÉPONSES 541
contredisent cette influence prétendue déterminante. Combien d'intelli-
gences bornées et de caractères sans énergie dans les corps les plus sains
et les plus robustes ! Combien au contraire qui, avec des corps débiles,
conservent jusqu'à la fin toute la lucidité de leur esprit, toute la déli-
catesse de leurs sentiments, toute la vigueur de leur volonté ! On doit
aussi se rappeler que le moral influe sur le physique (Psych., 239).
Si nous raisonnions comme les matérialistes, nous pourrions conclure
que le physique n'est pas distinct du moral et que le corps n'existe pas.
Mais ce serait faire preuve d'exclusivisme et non de raison.
III — Fonction du cerveau : la science prouve que la pensée
ne peut être qu'une sécrétion du cerveau, car elle établit que :
1° Partout où l'on observe un cerveau, on trouve un être intelligent
à quelque degré.
2° Partout où manque le cerveau, l'intelligence manque également.
3° L'intelligence et le cerveau croissent et décroissent dans es mêmes
proportions. Donc la vie de l'homme, vie organique, intellectuelle et
morale, est la résultante des fonctions du corps organisé, notamment du
cerveau, comme dit Moleschott : « Le cerveau sécrète la pensée, comme
le foie sécrète la bile. »
Réponse : a) Avant de prétendre que les modifications de la pensée
sont proportionnelles à celles du cerveau, les matérialistes devraient
s'entendre pour dire à quoi au juste tient la pensée dans le cerveau.
D'après les uns, c'est le volume ; d'après les autres, c'est le poids ;
d'après ceux-ci, c'est la délicatesse des fibres nerveuses ; d'après ceux-là,
c'est une foule de conditions harmonieusement réunies qui décident
de la perfection de la pensée. Or qui nous prouve que l'une de ces condi-
tions n'est pas la force pensante elle-même, que nous appelons âme ?
b) Le cerveau, durant l'union de l'âme et du corps, est, il est vrai,
la condition de l'exercice des facultés intellectuelles. Tous admettent ce
fait ; mais les spiritualistes, appuyés sur les raisons qui montrent les
différences essentielles entre les phénomènes matériels et les opérations
intellectuelles (Psych. 4 et supra, 49), nient que le cerveau soit la condi-
tion suffisante des pensées et des actes libres. Un artiste a besoin d'un
instrument pour rendre ses conceptions ; s'il lui manque, il ne donnera
..aucune idée de son mérite ; s'il a un instrument défectueux, il révélera
imparfaitement son talent. L'instrument est donc la condition de la
manifestation du génie de Fartiste. Il en est de même de l'âme ; si elle
est unie à un cerveau mal conformé, elle ne pourra user ou usera mal de
ses facultés de sentir, de connaître et d'agir. Mais ce n'est pas du cerveau
qu'elle tient ces facultés, il n'en est pas le principe ; il est seulement
la condition de leur exercice.
c) La réponse générale, qui précède, suffit parfaitement à résoudre
l'objection. Mais on peut apporter une réponse plus radicale qui a déjà
542 MATÉRIALISME : ARGUMENTS ET RÉPONSES (53)
été indiquée en Psychologie. Bornons-nous à un simple rappel. Il faut
distinguer dans l'entendement les facultés qu'on nomme inférieures
et sensitives, et les facultés qu'on nomme supérieures et proprement
intellectuelles. L'action de l'organisme est directe sur les premières
(sens, mémoire, imagination), parce que leurs opérations sont liées aux
organes. Elle est indirecte sur les secondes {jugement, raisonnement), en
ce sens que celles-ci empruntent aux premières leurs matériaux et, par
cet intermédiaire, dépendent des organes. Mais ce n'est là que le
prélude de l'acte intellectuel. L'acte intellectuel pris en lui-même,
c'est-à-dire l'acte intuitif du jugement et du raisonnement, est intrin-
sèquement indépendant du corps et même se fait sans images (Cf.
PsYCH., 238, V). Notre àme, quoiqu'unie à un corps, est donc sous plu-
sieurs rapports indépendante de la matière ; par conséquent elle parti-
cipe à la condition de l'esprit pur, elle est spirituelle.
IV. — Les transformations du mouvement : d'après la science,
la chaleur se transforme en nîouvement et le mouvement en chaleur.
De même les mouvements du cerveau se transforment en sentiments,
en pensées, en volitions.
Réponse : la chaleur est, objectivement, un phénomène de mou-
vement. Quand on dit qu'elle se transforme en mouvement, il n'y a
aucun changement essentiel, car c'est un mouvement qui se transforme
en un autre mouvement. De même la chaleur ne se transforme nullement
en lumière ; mais un certain mouvement, qui se manifeste par une sen-
sation de chaleur, se transforme en un autre mouvement, qui se traduit
par une sensation de lumière. La transformation se fait donc d'un
mouvement à un autre par un changement de vitesse, de trajectoire ;
mais elle ne se fait pas d'un mouvement à une sensation. Cette théorie
n'est donc nullement applicable à la pensée, car la pensée n'est pas un
mouvement ; la pensée est un état essentiellement intérieur, le mou-
vement est circulaire, rectiligne, en spirale, etc. Or qu'est-ce qu'une
pensée circulaire, rectiligne, en spirale ? Il n'y a donc aucune parité
entre les deux cas : dans le premier, on se maintient dans le même genre
de phénomènes : le changement n'est qu'' accidentel. Dans le second,
il y aurait passage d'un genre à un autre, du mouvement à une sensation,
pensée ou volition (\u\ ne sont pas des mouvements : il y aurait chan-
gement essentiel.
V. — Ignorance (Objection de Locke) : nous ne connaissons
pas suffisamment les propriétés de la matière, pour affirmer qu'elle ne
peut ni sentir, ni penser, -ni vouloir (^).
Réponse : sans doute l'essence de la matière est encore une énigme
pour la science ; mais nous connaissons assez de propriétés des corps,
(') Locke, An /t.sscjj/ ronreming hunnin understanding, Livre IV, Cli. m, § 6.
(54) UNION DE l'aME ET DU CORPS : SON EXISTENCE 543
vg. étendue, figure, divisibilité, pour affirmer qu'elles sont incompa-
tibles avec les caractères de Ja sensation, de la pensée, de la volition,
qui sont inétendues, indivisibles, sans figure ; inconciliables avec funité
et l'identité du moi. Dieu, qui ne peut réaliser les contradictoires, ne
peut donc donner à la matière étendue, divisible, composée, la faculté
de penser et de sentir qui suppose la simplicité et l'indivisibilité.
ARTICLE H. — UNION DE UAME ET DU CORPS
54. — EXISTENCE ET CARACTÈRE DE CETTE UNION
Notre âme est distincte du corps, mais elle lui est étroitement unie
C'est un fait qui se constate par les rapports tout particuliers qu'elle
a avec lui et qu'elle n'a pas avec les autres corps de la nature. C'est ainsi
que mon âme [leut directement .mouvoir mon corps par un acte de
volonté, tandis qu'elle ne peut mouvoir les autres corps que par l'inter-
médiaire de celui auquel elle est jointe. De même mon âme éprouve
directement les vicissitudes de mon corps, tandis que les autres corps
de la nature ne peuvent agir sur elle que par l'intermédiaire de celui
auquel elle est unie. L'union de l'âme et du corps semble donc un fait
incontestable.
Mais cette union n'est pas accidentelle, comme le veut Platon, qui la
compare à la relation qui unit le navire au pilote, le cheval au cavalier,
l'instrument à l'ouvrier. Bossuet repousse avec raison cette assimilation
si on la prend dans un sens strict : « Ainsi, on ne se trompe pas quand
on dit que le corps est comme l'instrument de l'âme... 11 y a pourtant
une extrême différence entre les instruments ordinaires et le corps
humain. Qu'on brise le pinceau d'un peintre ou le ciseau d'un sculpteur,
ils ne sentent point les coups dont ils ont été frappés ; mais l'âme sent
tous ceux qui blessent le corps... Le corps n'est donc pas un simple
instrument appliqué par le dehors, ni un vaisseau que l'âme gouverne
à la manière d'un pilote. Il en serait ainsi, si elle n'était simplement
qu'intellectuelle ; mais, parce qu'elle est sensitive, elle est forcée de
s'intéresser d'une façon particulière à ce qui le touche et de le gouverner
non comme une chose étrangère, mais comme une chose naturelle et
intimement unie. En un mot, l'âme et le corps ne font ensemble qu'w/i
tout naturel (}). »
( ') Bossuet, De la connaissance de Dieu et de soi-même, Ch. m, § '20. Platon définit
l'homme : Une âme qui se sert d'un corps. Tô tw Tcôu-axt /pwuLEVOv {Premier Alcibiade.
§ XXV, Ed. DiDOï, T. I, p. 486). — La critique de Bossuet atteint aussi la définition de
l'homme donnée par de Bonald : « L'homme est une intelligence servie par des organes >.
544 u^^IO^• de l'ame et du corps : son existence (54)
En effet, c'est de l'âme que le corps reçoit son unité, son organisation,
sa vie ; c'est par son union avec elle qu'il devient un corps humain (48).
Aussi, dès qu'il en est séparé par la mort, il perd ses caractères spéci-
fiques.
Sans doute l'âme peut, sans le corps, vivre d'une vie proprement
intellectuelle (53, III, c) ; mais alors elle est incapable d'exercer ses
fonctions sensitives, parce que celles-ci exigent le concours direct de
l'organisme. C'est pourquoi l'on doit dire avec Bossuet que Vâme est
une substance intelligente née pour vivre dans un corps et lui être inti- J
mement unie ( ^). 1
Le corps et l'âme, considérés séparément, sont donc deux substances |
incomplètes. Unies, elles constituent une seule nature: la nature humaine
composée de deux substances ; elles forment un tout naturel (Bossuet),
un tout complet (cruvoXov, Aristote), dont le corps est la matière et
dont l'âme, est la forme (2). Leur union par conséquent n'est pas acci-
dentelle ni extrinsèque, mais naturelle et substantielle (^). à
Une question ultérieure se pose : quel est le mode de cette union ? .
Comment deux êtres si dissemblables, l'un étendu, l'autre simple,
peuvent-ils agir l'un sur l'autre, communiquer entre eux ? Voici les
diverses solutions.
{Recherches philosophiques sur les premiers objets des connaissances morales, Ch. V). Cette
définition méconnaît le caractère substantiel de l'union, ce que Leibniz nomme rinculum
substantiale : Et monades non constituant substantiam completam compositam, cum non
faciant unam per se, sed merum aggregatum, nisi aliquod substantiale vinculum accédât.
{Lettre XIX au P. des Bosses, Édit. Erdmann, p. 681, col. '2, § Si accidens).
(M Bossuet, De la connaissance de Dieu..., Ch. iv, § 1.
( M Aristote, De Anima, L. II, C. i, § 4 : 'Avayxaiov àpa zry 'W/r^'/ oùaîav sîvx'. w;
eT(îoç (7touaT0ç -mii-kou Suvotast îlov/)v e/ovto; • r, o' oO-ria evtsas'/.-'^- Necesse est
igitur aniniam substantiam esse perinde atque forinam corporis naturalis potentia vitam
habentis ; substantia vero actus est et pcrfectio. (Édit. Didot, T. III, p. 444). — Il est
surprenant qu'après avoir reconnu (lue l'Ame est la forme substantielle du corps, .Aristote,
peu après, hésite à rejeter la comparai.son du « pilote dans le navire ■•, laquelle semble
n'impliquer qu'une union accidentelle : 'Kxt o' àô-/iAov, eî outco; IvTeÀe'xetaTOÛffioa'XTOç-^
•Lu/r, focTteo ttÀoit/iû ■rtXoi'ou. (Aristote, De Anima, L. II, C. i, § 13, Éd. Didot, T. III.
p. 445). « En outre, nous ne savons pas encore clairement si l'âme est l'acte du corps comin'-
le pilote est celui du navire. « (Traduction de G. Rodier, Arislole. Traité de l'Ame, T. 1.
Texte et Traduction, p. 69-71. Voir au T. II, Notes, p. 187, 413 a., 8. Paris, 1900, les inter-
prétations diverses qu'ALEXANDRE u'-Apiirodise. Themistius et Simplicius donnent de
ce passage. — Plus loin, Aristote dit que l'ûme •< n'est pas le corps, mais quelque chose du
corps », ce qui indique une union substantielle, itoa'/ asv yàp oùx eGTi, iMaaro; ')£ t:
(Ibidem, C. ii, § 14, p. 447).
(') Descartes lui-même, qui a exagéré si fortement le dualisme entre l'âme et le corps,
a reconnu cependant l'existence de cette intime union : « La nature m'enseigne aussi par
ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc., que je ne suis pas seulement logé dans mon
corps ainsi qu'un pilote en son navire, mais, outre cela, que je luy suis conjoint très étroi-
tement et tellement confondu et mesié que je compose comme un seul tout avec luy. »
{M' Méditation, Édit. Adam, T. IX, p. 64).
(55-56) LES ESPRITS ANIMAUX 545
55. — LE MÉDIATEUR PLASTIQUE
A) Exposé : c'est un système qu'on attribue, sans raison, à Cud-
woRTH (1617-1788). Il suffira de le citer pour mémoire. — Le fnédiateur
plastique est une substance mixte, matérielle et spirituelle, qui servirait
d'intermédiaire entre l'âme et le corps.
B) Critique : ce système augmente la difficulté, loin de la résoudre.
Au lieu d'une union à expliquer, il y en a trois : l'union du corps avec
le médiateur plastique, l'union du médiateur plastique avec l'âme,
l'union de l'âme et du corps au moyen du médiateur plastique (^). —
Si, d'ailleurs, l'étendue et la pensée peuvent s'unir dans ce médiateur
de façon à ne former qu'une seule nature, pourquoi l'âme et le corps
ne pourraient-ils pas s'unir directement ?
56. — LES ESPRITS ANIMAUX
A) Exposé : d'après Descartes (2), les esprits animaux sont des
vapeurs issues du sang, très ténues, très subtiles, qui se portent au
cerveau et de là dans les nerfs et organes qu'ils mettent en mouvement.
L'âme, quoique jointe à tout le corps, a son siège principal dans la glande
pinéale au milieu du cerveau, « d'où elle rayonne en tout le reste du
corps par l'entremise des esprits, des nerfs et mesme du sang, qui parti-
cipant aux impressions des esprits, les peut porter par les artères en
tous les membres « (^). Quel est le rôle de l'âme ? Descartes répond :
« Toute l'action de l'ame consiste en ce que, par cela seul qu'elle veut
quelque chose, elle fait que la petite glande, à qui elle est estroitement
jointe, se meut en la façon qui est requise pour produire l'effect qui se
raporte à cette volonté (■*) ».
Critique : cette mécanique physiologique, délaissée aujourd'hui,
n'explique pas l'union de l'âme et du corps, puisque les esprits font
(M CuDWORTH est surtout connu par son livre intitulé : The true intellectual syslem
of the universe (Londres, 1678). Il parle de nature plastique (et non de médiateur), dont la
fonction est de produire l'organisation et la vie, et non d'expliquer l'union de l'âme et du
corps. L'erreur de cette attribution remonte à Laromiguière (Leçons de Philosophie, II" P.,
Leçon VIII, p. 252-253, Paris, 1820»). — P. Janet, Essai sur le Médiateur plastique d<>
Cudworth, Paris, 1860.
(•) Descartes, Les Passions de l'âme, I'" P., Art. 10. Il faut noter que Descartes
expose ici une théorie physiologique. Mais, ailleurs, quand il se place au point de vue
métaphysique, il parle nettement d'une union substantielle entre l'âme et le corps ; vg. :
« Dans la mesme sixième Méditation, où j'ay parlé de la distinction de l'esprit d'avec le corps
j'ay aussi montré qu'il luy est substantiellement uny » (.Réponse aux quatrièmes objections,
Édit. Adam, T. IX, p. 177).
( ') Descartes, Les Passions de l'âme, I" P., Art. 34.
(") Descartes, Les Passions..., 1" Part., Art. 41.
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. — T. II. 18.
546 LES CAUSES OCCASIONNELLES (57)
partie du corps : étant matériels, étendus, comment peuvent-ils agir
sur ce qui est simple, inétendu ?
57. — LES CAUSES OCCASIONNELLES
A) Exposé : Malebranche (^), ne voyant aucun lien possible entre
l'esprit, qu'à la suite de Descartes il fait consister dans la pensée, et la
matière à laquelle il donne pour essence l'étendue, a recours à l'inter-
vention divine pour résoudre la question de leur mode d'union. Dieu seul
est doué d'activité, seul il est cause efficiente de tout ce qui arrive. Les
créatures privées d'activité sont des causes occasionnelles^ c'est-à-dire
les occasions de l'action divine (^). Voici comment il applique cette
théorie à l'àme. A l'occasion des sentiments, pensées et volitions de
l'âme. Dieu produit des mouvements dans le corps ; à l'occasion des
mouvements du corps, Dieu produit des sentiments, pensées et volitions
dans l'âme.
B) Critique : I. — Ce système contredit le sens commun et le témoi-
gnage de la conscience en supprimant, de fait, l'union qu'il s'agit d'expli-
quer. L'union entre le corps et l'âme est une union intime qui se manifeste
à la conscience par l'influence réciproque de ces deux substances. Or dans
l'hypothèse occasionnaliste, on pourrait placer le corps à Paris et l'âme
au Rome, et il y aurait toujours union, puisque Dieu pourrait toujours,
à l'occasion, d'un mouvement du corps, produire une pensée dans l'âme
et réciproquement. Mais ne serait-ce pas là une union purement verbale,
puisqu'il n'y aurait aucune influence du corps sur l'âme ni de l'âme sur
le corps ? C'est donc détruire du même coup l'unité de l'homme.
IL — Ce système fait « intervenir Deus ex machina dans une chose
naturelle et ordinaire, où, selon la raison, il ne doit concourir que de la
manière qu'il concourt à toutes les autres choses naturelles (^) ».
IIL — Ce système enlève à l'homme la liberté et fait de Dieu l'auteur
du mal. En effet, si Dieu seul agit effectivement dans tous les mouve-
ments de l'âme et du corps et produit tout ce qui arrive, lui seul fait le
mal comme le bien. La liberté est donc une chimère et la morale une
illusion.
IV. — A quoi bon la disposition si harmonieuse et si compliquée
(') Malebranche, Recherche de la vérité, L. VI, II" P., Ch. m. Entretiens sur la Méta-
physique, VII".
(') « Il n'y a qu'une vraie cause, parce qu'il n'y a qu'un vrai Dieu ; toutes les causes
naturelles ne sont point de véritables causes, mais seulement des causes occasionnelles,
qui déterminent l'auteur de la nature k agir de telle et telle manière en telle et telle ren-
ntre. » {Recherche de la vérité, Loco citato).
{') Leibniz, Second éclaircissement du Systèyne de la communication des substances
( uvres, Édit. Janet, T. I, p. 654.
(58) l'harmonie préétablie 547
de l'organisme humain, si c'est Dieu seul qui agit dans le corps ? A quoi
servent les multiples pouvoirs de l'âme, dont nous avons conscience,
si Dieu seul est l'auteur de nos actes ?
58. — L'HARMONIE PRÉÉTABLIE
A) Exposé : Leibniz (^) n'accorde à ses monades que l'activité
interne (41) et leur refuse toute action les unes sur les autres. Dieu sup-
plée à ce manque d'activité par un décret éternel, en vertu duquel la
série des déterminations de chaque monade a été réglée d'avance,
préétablie. Tous les phénomènes, toutes les modifications des êtres se
produisent dans la suite des siècles conformément à ce décret et, comme
Dieu fait tout avec harmonie, ce déterminisme universel est bien nommé
harmonie préétablie. En conséquence Leibniz affirme que, dès l'instant
de leur existence, l'âme et le corps ont été disposés de telle sorte que
leur action se trouve toujours en accord parfait : « Figurez-vous deux
horloges ou montres qui s'accordent parfaitement C^). » Il donne aussi
la comparaison d'un orchestre de musiciens où chacun joue sa partie,
sans s'occuper de ses voisins, et pourtant s'accorde avec eux, parce que
l'artiste a pris soin, en composant chaque partie, d'avoir égard à toutes
les autres (^).
B) Critique : I. — Cette théorie supprime en réalité l'union qu'il
faudrait expliquer. En effet, dans l'hypothèse de l'harmonie préétablie
comme dans celle des causes occasionnelles, les deux substances pour-
raient être en harmonie, quelle que soit leur distance (57, B, I).
IL . — L'activité interne, soumise à l'activité divine, ressemble
beaucou]) à l'automatisme ; chaque monade est pour Leibniz comme
un '( automate incorporel » (*). Il n'y a plus alors de véritable activité.
— En tout cas, la liberté disparaît, car une volonté, qui ne se détermine
pas elle-même, mais qui est déterminée par un décret divin à agir, n'est
pas libre et Dieu devient l'auteur du mal, comme dans la théorie occa-
sionnaliste (Psycii., 209).
m. — Cette hypothèse supprime aussi l'activité externe des êtres
finis, puisqu'elle leur refuse toute action les uns sur les autres. Or l'expé-
rience montre dans les êtres créés une activité véritable qui se mani-
feste par l'attraction, l'affinité, etc.
( ') Leibniz, Système nouveau de la nature et de la communication des substances. Mona-
dologie, § 63-81.
( ') Leibniz, Second éclaircissement..., Œuvres, T. I, p. 654.
(») Lettre de Leibniz à Amauld, 30 avril 1687. Œuvres, T. I, p. 578, § Enfin.
( ') Leibniz, Monadologie, § 18. — « L'âme est une espèce d'automate spirituel. »
(Essais de Théodicée, I" Partie, I 52).
548 l'influx physique (59-60)
59. — L'INFLUX PHYSIQUE
A) Exposé : Euler (1707-1783), philosophe et mathématicien,
soutient le système qu'on a coutume d'appeler Vinflux physique (^).
L'âme agit sur le corps ; les actes de la volonté déterminent les mou-
vements du corps ; le corps de son côté agit sur l'âme, sur ses pensées,
ses sentiments ; les modifications organiques provoquent dans l'âme
les opérations de la sensibilité, de l'intelligence et de la volonté.
B) CritiQlue : ce système indique les effets sensibles qui résultent
de l'union de Tàme et du corps et montre leur influence réciproque ;
mais il n'explique pas la nature de cette union. Du reste, il semble
qu'Euler n'a pas prétendu formuler une théorie métaphysique, mais
simplement constater ce fait que le corps et l'âme exercent l'un sur
l'autre une action réelle et immédiate. Il se posait ainsi en adversaire
de l'École cartésienne.
60. — CONCLUSION
Aucun système ne donne une solution satisfaisante au problème.
Si l'on admet la théorie des éléments simples perfectionnée par Palmieri
(43), c'est-à-dire si l'on 'admet que l'âme est une force et que le corps
est un système de forces, la difficulté du problème est diminuée. En effet,
la question n'est plus de savoir comment deux choses, hétérogènes
comme l'étendue et la pensée, peuvent communiquer Tune avec l'autre.
Il s'agit seulement de découvrir comment s'unissent et communiquent
entre elles deux choses homogènes^ qui ne diffèrent l'une de l'autre que
par le degré de perfection : l'âme est simple, raisonnable et libre, tandis
que les éléments des corps sont simples, mais sans raison, ni hberté.
Si ce système des éléments simples permet de concevoir la possibilité
de l'union de l'âme et du corps, il n'explique pas cependant le comment
de leur union et de leur communication. On voit que ia chose ne répugne
pas en soi ; c'est déjà un point capital ; mais il faut conclure avec
Bossuet (2) qu'il est « difficile et peut-être impossible à l'esprit humain
de pénétrer le secret « et le mode de cette union. C'est le cas de se rap-
peler l'axiome : Ignorantia modi non tollit certitudinem facti.
Remarque : De la personnalité. Cf. Psychologie, 200.
(') Euler, Lettres à une princesse d'Allemagne, Lettres 81, 82, 94, T. I, p. 190, 192,
223, Bruxelles, 1839.
( ') Bossuet, De la connaissance..., Cli. m, § 2.
(61) PREUVE MÉTAPHYSIQUE DE l'iMMORTALITÉ 549
ARTICLE m. — DESTINÉE DE L'HOMME : IMMORTALITÉ
A la mort, il y a séparation des deux substances qui composent
l'homme. Sous l'action des forces physiques le corps se dissout en ses
éléments constitutifs. Tout est-il fini ou bien faut-il admettre par delà
la tombe l'existence immortelle de l'âme ? « Notre premier intérêt et
notre premier devoir, dit Pascal, est de nous éclaircir sur ce sujet, d'où
dépend toute notre conduite (^)... J& trouve bon qu'on n'approfondisse
pas l'opinion de Copernic ; mais ceci ! Il importe à toute la vie de savoir
si l'âme est mortelle ou immortelle {^) ».
PREUVES DE L'IMMORTALITÉ DE VA ME
61. — § I. PREUVE MÉTAPHYSIQUE
Elle est tirée de la simplicité de l'âme. — Une substance ne peut
périr que par décomposition, si elle est composée ; par anéantissement^
si elle est simple. Or l'âme est simple, puisque la pensée, qui est quelque
chose de simple, ne peut appartenir qu'à un sujet qui soit lui-même
simple et indécomposable (49). L'âme ne saurait donc périr par disso-
lution.
Mais ne peut-elle pas périr par anéantissement ? — L'expérience
ne nous montre aucun exemple de chose qui s'annihile elle-même.
L'anéantissement n'est donc pas au pouvoir de l'âme. Dieu seul peut
anéantir : l'annihilation est corrélative à la création. Nous avons d'excel-
lentes raisons d'admettre que Dieu, qui pourrait rendre au néant ce
qu'il en a tiré, ne veut pas que, l'organisme une fois désagrégé, l'âme
humaine disparaisse en même temps (62) (3). De ce premier chef, la
preuve métaphysique exige un complément.
De plus, si cet argument établit V immortalité de la substance, c'est-
(') Pascal, Pensées, Art. IX, n» 1.
(») Pascal, Ibidem, Art. XXIV, n° 17 bis.
(') On n'en saurait dire autant de l'animal. Sans doute l'âme des bâtes, étant douée
de connaissance, doit être simple et naturellement incorruptible. Cependant il ne semble
pas qu'elle doive survivre au corps. L'âme humaine, étant capable d'opérations proprement
intellectuelles, c'est-à-dire intrinsèquement indépendantes de la matière (Psych. 238, V.),
on conçoit qu'elle puisse persévérer dans l'existence, môme après la séparation du
corps. Car, si elle ne peut plus exercer les opérations sensitives, elle est toujours en état
de penser et de vouloir. L'intelligence de l'animal, étant au contraire limitée aux opérations
sensitives, est dans son exercice totalement et essentiellement dépendante de l'organisme.
Celui-ci une fois détruit par la mort, l'âme des bêtes, tout entière ordonnée à la vie sensitive,
devient Incapable d'agir. Sa survivance n'a donc pas de raison d'être, s'il est vrai, comme
dit Leibniz, qu'être c'est agir. Aussi l'annihilation parait être, pour l'âme des bêtes, la suite
logique de la séparation d'avec le corps.
550 PREUVE MORALE DE l.'iMMORTALITÉ (62)
à-dire que l'âme est indestructible par nature, il ne garantit pas Y immor-
talité de la personne, car ne peut-il arriver que l'âme humaine dure dans
sa substance, mais avec des modifications telles qu'elle ne subsiste
plus dans sa personnalité, vg. si elle venait à perdre conscience d'elle-
même ? C'est ce que prétendent les Panthéistes et les partisans de la
métempsycose. Ce n'est pas là évidemment l'immortalité véritable.
Que serait en effet pour nous la substance de notre âme dépouillée de
tout ce qui fait notre vie propre : sentiments, pensées, causalité libre ?
Ce qu'il importe d'établir c'est donc, après l'immortalité de la substance,
celle de la personnalité. A ce point de vue,"la preuve métaphysique, qui
sert de base à toute la démonstration, a également besoin d'être com-
plétée par la preuve morale.
62. — § II. PREUVE MORALE
Elle est tirée de la sagesse et de la justice de Dieu. — Dieu qui, abso-
lument parlant, pourrait annihiler l'âme, ne veut pas qu'elle périsse
comme substance, ni comme personne. En effet :
A. — L'âme étant iriimortelle par nature, il serait indigne de la
sagesse de Dieu de vouloir ensuite l'anéantir, car il aurait fait par caprice
une œuvre sans but raisonnable, inutile, et il nous aurait bercés d'illu-
sions et cruellement déçus en nous donnant une nature incorruptible
qui nous permettait d'espérer ^-'immortalité.
B. — La justice de Dieu exige nécessairement que la vertu soit
récompensée et le vice puni. Or les sanctions, que la loi morale trouve
dans la vie présente, sont insuffisantes (Morale, 49). La justice divine
serait donc en défaut, si elle ne se réservait une autre vie, où elle rendra
à chacun selon ses œuvres. Aussi Kant a-t-il raison de dire que l'immor-
talité de l'âme est, sous ce rapport, un postulat nécessaire de la loi
morale. Mais alors il devient certain qu'après la séparation du corps
l'âme conservera la vie consciente, la mémoire, la personnalité en un
mot, car sans elle toute récompense et tout châtiment sont impossibles.
En effet, comment Dieu pourrait-il rendre à chacun selon ses œuvres,
si cette vie consciente ne persistait pas, si la personne humaine ne
demeurait pas la même ? Quelle responsabilité et quelle sanction peu-
vent exister, si la conscience n'est plus là pour établir le lien moral entre
la peine et la faute, entre le bonheur et la vertu ?
Cette preuve montre bien que l'âme se survit, dans sa personnalité,
identique et responsable ; mais elle n'établit pas que cette survivaiK >■
doive être illimitée dans sa durée. Pourquoi Dieu n'anéantirait-il pas
les âmes après les avoir récompensées ou punies pendant un certain
temps ? La preuve psychologique va achever la démonstration.
(63) PREUVE PSYCHOLOGIQUE DE l'iMMORTALITÉ 551
63. — § III. PREUVE PSYCHOLOGIQUE
Elle est tirée des tendances essentielles de nos facultés. — ■ Il ne
saurait y avoir disproportion entre les penchants innés d'un être et
sa fin ; autrement son auteur aurait manqué de sagesse et de bonté.
Or la mort va à l'encontre de nos tendances les plus naturelles et les
plus impérieuses. L'intelligence humaine, avide de vérité, n'est jamais
satisfaite ici-bas. La volonté, faite pour le bien, tend à la possession du
Bien suprême et du bonheur parfait. Émerveillés par les parcelles de
beauté éparses dans la Création, nous aspirons à la Beauté infinie.
Philosophes et poètes ont constaté à l'envi ces tendances essentielles,
incompressibles de notre nature :
L-VMARTiNE : « Borné dans sa nature, infini dans ses vœux,
« L'homme est un dieu tombé qui se souvient des,
cieux. »
Montesquieu : « Notre âme fuit les bornes (^). »
Pascal : « L'homme n'est produit que pour l'infinité (^). »
Cousin : « Quoi qu'il fasse, quoi qu'il sente, quoi qu'il pense, l'homme
pense à l'Infini, il aime l'Infini, il tend à l'Infini (^). »
Or c'est Dieu qui a mis en nous ce besoin insatiable du vrai, du bien,
du beau, du bonheur, d'une vie immortelle. C'est Lui qui, en nous don-
nant notre nature, veut que nous recherchions ces grandes choses dans
toutes nos opérations. Cette poursuite ne saurait être frustrée, car, si
la mort nous détruisait tout entiers, notre destinée serait manifestement
inachevée. L'humanité aurait le droit de reproclier à Dieu contradiction
et cruauté dans son œuvre, parce que, après avoir créé une activité
aux besoins infinis, il la comprimerait dans les limites étroites d'une vie
trop souvent malheureuse et dont le terme dans ce cas serait le plus
'grand malheur.
' Donc ou l'âme est immortelle ou Dieu n'est ni sage ni bon.
Il est clair enfin que cette survivance doit être illimitée dans sa
durée, car le bonheur de la vie future ne se comprend qu'à la condition
de durer toujours. S'il était accompagné même de la simple crainte d'en
voir le terme, il perdrait tout son prix et se changerait en un tourment
d'autant plus cr.uel que la perte serait plus grande et le terme plus
proche. C'est ce que reconnaissait déjà Cicéron : Si arnitli vita heata
potest, heata esse non polest (^).
(M Montesquieu, Essai sur le Goûl dans les choses de la Nature et de l'Art, § De la
curiosité.
{') Pascal, Fragment d'un Traité du Vide, Édit. Havet, T. II, p. 270.
(') Cousin, Du Vrai, du Beau et du Bien, XVI« Leçon.
( *) Cicéron, De finibus bonorum et malorum, L. II, ^ XXVIi.
552 RÉSURRECTION DES CORPS (64)
Remarque. — L'immortalité bienheureuse sans fin *nous agrée.
Il n'en va pas de même de l'éternité des peines réservée aux coupables.
C'est une vérité révélée. Certains philosophes (^) prétendent qu'elle
est démontrable par la raison : l'éternité bienheureuse et l'éternité
malheureuse semblent être des vérités corrélatives. C'est un fait remar-
quable que « le dogme de l'enfer est peut-être celui qui présente le moins
de divergence parmi les peuples de la terre. Cette unanimité, plus
antique, est aussi solide, comme fait, que les pyramides « (^). On sait
d'ailleurs que, par les seules lumières de sa raison, le divin Platon a
compris la nécessité d'un enfer éternel pour les criminels qui sont incu-
rables (àviKTot) à cause de leurs fautes : « Pour ceux qui ont commis
les plus grands crimes et qui pour cette raison sont incurables, on fait
sur eux un exemple pour les autres. Leur supplice n'est pour eux d'aucune
utilité, parce qu'ils sont incapables de guérison, mais il est utile aux
autres qui voient les tourments douloureux et effroyables, qu'ils souf-
frent à jamais pour leurs fautes (^). »
64. — RÉSURRECTION DES CORPS
L'âme sera-t-elle seule à bénéficier de l'immortalité ?
« Il y a contre cette hypothèse une double protestation. C'est d'abord
celle de la raison qui hésite à croire que le corps, ici-bas instrument néces-
saire des opérations de l'âme, associé de si près aux actes moraux qui
fixent notre destinée, n'ait plus de rôle à jouer dans l'état définitif où
cette destinée nous fait entrer. Pourquoi Dieu, créant l'homme au-dessous
de l'ange et lui faisant, à l'heure présente, une condition si différente
de celle des esprits purs, effacerait-il cette différence de nature dans
l'économie d'outre-tombe ? Pourquoi, s'il devait le faire, a-t-il tenu
l'âme, au cours de son épreuve, dans une si étroite dépendance à l'égard
de son compagnon terrestre ? C'est ensuite et surtout la protestation du
cœur, qui appelle pour notre être sensible une compensation des dou-
leurs dont il a été le sujet, des sacrifices qui l'ont immolé. Ne faut-il
pas une réhabilitation à ce condamné, à cette victime une apothéose »? (*)
Ce ^ont là d'excellentes raisons de convenance, qui rendent très
vraisemblable la croyance à la résurrection des corps ; mais elles n'en
démontrent pas la vérité. La révélation seule nous en apporte l'assurance.
(') J. DE BoNNiOT, Le Problème du mal, L. VII, 2« édit., p. 267 sqq. — J. Forbes,
Les bases de la morale, dans la revue les Éludes, T. XLV, p. 237-253.
( «) J. DE BoNNiOT, Opère cit., p. 364.
(') Platon, Gorgias, LXXXI, ... 'Orîbv/;coTaTa xat cpoêepcoTaxa Traôr^ xota/ovraç
Tov (Xct /pôvov. (Éd. DiDOT, T. I, p. 385.)
(') IIULST (M. d'). Mélanges philosophiques : L'Immortalité, § III, p. 207-208, Paris,
1892.
(64) COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE 553
Complément bibliographique
RELATIF A LA PSYCHOLOGIE RATIONNELLE
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RoiSEL, Vidée spirituaiiste, Paris, 1901 2. — Cf. De la substance,
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Busse (L.), Geist und Kôrper, Seele und Leib, Leipzig, 1903.
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Bergson (H.), La paralogisme psycho- physiologique, dans Revue de
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Richardson (C.-A.), The Supremacy of Spirit, Londres, 1922.
Périer (A.), Matière et Forme, Paris, 1923.
CHAPITRE III
THÉOLOGIE RATIONNELLE OU THEODICÊE
Ce mot Théodicée {Stô;, ot'xï], justice de Dieu) a d'abord été employé
par Leibniz, comme titre de l'ouvrage où il justifie la Providence des
accusations que soulève contre elle le problème du mal. Ce mot est pris
aujourd'hui dans un sens plus étendu pour exprimer cette partie de la
métaphysique qui a Dieu pour objet.
C'est la science rationnelle de Dieu. Dieu, c'est l'Être absolu et
parfait, cause première de toutes choses. L'idée de Dieu comprend
donc trois notions :
L — Existence absolue : Dieu existe par soi, indépendamment
de toute cause.
II. — Essence parfaite : Dieu comprend en soi la plénitude de
l'être et de la perfection.
III. — Causalité universelle : il est la raison d'être et la cause
première de tout le reste.
De là trois Articles dans la Théologie rationnelle :
I. — Existence de Dieu.
II. — Nature et attributs de Dieu.
III. — Rapports de Dieu et du monde.
BIBLIOGRAPHIE
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— S. Anselme, Proslogium seu Fides quœrens intellectum. — S. Thomas, Summa theologica,
I* P., Q. II à XXVI. Summa contra Genliles, L. I. — Descarte.s, Discours de la Méthode.
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— Bossuet, De la connaissance de Dieu et de soi-même. Élévations... I" Semaine.
Discours sur l'histoire universelle. — Fénelon, Traité de l'existence de Dieu... Lettres sur
divers sujets de Métaphysique et de Religion. — jMalebranche, Entretiens sur la Méta-
physique. Méditations chrétiennes et métaphysiques. — S. Clarke, Traité de l'existence et des
attributs de Dieu. — Kant, Critique de la raison pure : Dialectique transcendantale. — S. Mill,
Essais sur la Religion. — Spencer, Les Premiers Principes, l" Partie. — A. La Mennais,
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— L. Lessius, De Perfectionibus moribxisque divinis. — B. Boedder, Theologia naturalis.
(65) NÉCESSITÉ ET POSSIBILITÉ d'uNE DÉMONSTRATION 555
— J. HoNTHEiM, Institutiones theodicœae. — J. Mendive, Inslilutiones philosophix sco-
taslicee : Theodicea. — J.-M. Pigcirelli, DeDeo Dispulaliones melaphysicse. — S. Schiffini.
Dispukitiones Melaphysicse specialis, T. II. — J.-J. UnuAuuiui, Institutiones philosophicee,
T. VII, VIII. — D. Palmieri, Institutiones philosophicse, T. III, Pneumatologia ; Theologia,
— P. Janet, La Crise philosophique. Les Causes finales. — A. Gratry, La connaissance
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Diss. IX. — H.-L.-C. Maret, Essai sur le panthéisme. — A. Fahges, L'idée de Dieu d'après
la raison et la science- — J.-M.-L. Monsabré, Conférences de Notre-Dame, 1873. — L. Pee-
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(15" Éd.). — El. Blanc, Traité de philosophie scolaslique, T. III. — J. de Maîstre, Les
Soirées de Saint-Pétersbourg. — Fr. Bouillier, Morale et Progrès. — J. Sully, Le Pessi-
misme. — A. SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation. — Ed. de
Hartmann, La Philosophie de l'Inconscient. — E. Caro, Le Pessimisme au XIX' siècle.
M. Littré et le Posilicisme. L'idée de Dieu. — Hurrel Mallock, La vie vaut-elle la peine de
vivre ? (Trad. de J. Forbes). — L. Jouin, Le Pessimisme. — A. Nicolas, Études philoso-
phiques sur le Christianisme, I" P., L. I, Cil. U. — Ch. Lévêque, Harmonies providentielles.
La Science de l'invisible. — E. Ferrière, La cause première d'après les données expérim.en-
taies. — E. Naville, La Physique moderne. — Hib.î<, Constitution de l'espace céleste. — N.
Kaufmann, Étude de la cause finale et son importance au temps présent. — A.Bueno, Laobra
del Creador. — J. Guibert, Les Origines. — ■ P. de Broglie, Le Positivisme et la Science
expérimentale. — I. C.vrbonnelle, Les confins de la Science et de la Philosophie. — Duilhé
de Saint-Projet, Apologie scientifique de la foi. — Olivier, Conférences théologiques,
5, 6, 7, 8. — A. Nicolas, L'art de croire. — • Saint-Ellier, La Cause première et l'Ordre du
monde. — J.-Ém. Alaux, Dieu et le tnonde. ■ — Th. -H. Martin, Examen d'un problème de
Théodicée. — ■ Am. de Margerie, Théodicée. — A.-D. Sertillanges, Les sources de la
croyance en Dieu. — P. de Broglie, Preuves psychologiques de l'existence de Dieu. —
HuLST (M. d'), Mélanges philosophiques, p. 21.5-29.3. — L. Billot, De Deo uno et trino,
T. I. — L. de San, De Deo uno. — G. Sortais, La Providence et le Miracle devant la Science
moderne.
ARTICLE I. — L'EXISTENCE DE DIEU
65. — NÉCESSITÉ ET POSSIBILITÉ D'UNE DÉMONSTRATION
A) Nécessité : un certain nombre de penseurs prétendent que
nous avons une connaissance intuitive de Dieu, une sorte d'expérience
de l'infini. Tels sont, avec des nuances diverses, les Alexandrins, Male-
branche, Fénelon, certains éclectiques, comme Emile Saisset, les Onto-
logistes, comme Rosmini, Gioberti ; enfin, parmi les contemporains,
Bergson. Plusieurs, comme Secrétan, en appellent aux faits mystiques :
« Suivant mon intime conviction. Dieu est un objet d'expérience. Je
n'entends pas d'une expérience que chacun peut l'aire... Je ne crois pas
que saint Paul ait menti, que saint François, sainte Thérèse et Fénelon,
que Pascal aient menti, ni qu'ils n'aient fait que rêver. Mysticisme,
dira-t-on. Mysticisme, soit. Nous croyons que Dieu est, qu'il est esprit,
qu'il est le père des esprits et qu'il parle à l'esprit. »
Critique. — 1° Nous ne nions pas l'existence des faits mystiques ;
mais ce sont là des faits exceptionnels et d'ordre surnaturel. Or nous
sommes, en philosophie, dans le domaine naturel. De plus, cette expé-
rience des mystiques, étant personnelle, serait révoquée en doute par
les sceptiques et les athées que nous voulons convaincre de l'existence
de Dieu.
556 CLASSIFICATION DES PREUVES DE l'eXISTENCE DE DIEU (66)
2° Si nous nous plaçons au point de vue de l'expérience naturelle,
force nous est de rejeter cette doctrine intuitionniste, car nous n'avons
aucunement conscience de saisir Dieu et d'expérimenter sa présence.
Il sera donc nécessaire d'en démontrer l'existence.
B) Possibilité : les Fidéistes et les Traditionnalistes soutiennent
que la raison humaine est incapable de prouver l'existence de Dieu et
que seule la révélation peut nous en donner la certitude. — Kant et
les Criticistes affirment que la raison spéculative est impuissante à
démontrer la réalité du noumène Dieu : son existence est un postulat
de la loi morale et, par conséquent, est un objet de foi et non de science.
Critique : nous établirons cette possibilité d'une démonstration en
apportant des preuves solides de l'existence de Dieu, car Ab actii ad
posse valet iUatio.
66. — CLASSIFICATION DES PREUVES DE L'EXISTENCE DE DIEU
On divise ordinairement ces preuves d'après la nature de leur point
de départ : selon que ce point de départ est un fait physique, une idée
rationnelle ou un fait moral, la preuve est dite physique, métaphysique
ou morale. Cette division est critiquable, car les subdivisions de ces
trois groupes ne sont pas nettement délimitées. Par exemple, la preuve
tirée de l'infini ou du parfait est classée parmi les preuves métaphy-
siques. Or cette idée, dans l'argument qui l'utilise, est considérée comme
un certain effet existant en nous, dont il faut trouver la raison suffi-
Lante. Mais cette considération n'a rien de métaphysique ; elle rentre
dans le genre des trois preuves appelées physiques, où l'on part aussi
d'un effet connu (contingence du monde, mouvement des corps, ordre
du monde).
Il est plus simple et plus rationnel de les diviser en preuves a pos-
teriori et a priori.
Ou bien l'on part de l'expérience de telle ou telle chose existant
d'une certaine façon. Ici les preuves sont très variées. Bornons-nous
aux suivantes tirées :
1° De la contingence du monde.
2° Du moui^ement.
30 Des causes finales .
^° Du consentement universel.
50 Des aspirations de Vâme humaine.
60 De Vidée de Par j ait ou d'Lifi.ni.
70 Des Vérités éternelles.
8° De Vidée' du devoir.
9° De la nécessité d^une sanction.
(67) LA CONTINGENCE DU MONDE 557
Toutes ces preuves s'appuient sur le principe de raison suffisante
ou sur le principe de causalité, et conséquemment peuvent être appelées
métaphysiques.
Ou bien on fait abstraction de Vexpérience et l'on conclut a priori du
concept de l'être parfait à son existence. De là la preuve ontologique.
SECTION I
Preuves a posteriori.
67. — LA CONTINGENCE DU MONDE
A) Exposé de l'argument cosmologique : le monde physique
est composé de substances contingentes, c'est-à-dire qui existent de
telle façon qu'elles auraient pu et pourraient aussi bien ne pas être
qu'être. En effet, le monde contient une pluralité d'êtres distincts.
Or aucun de ces êtres n'a, en lui-même, sa raison d'être et par consé-
quent n'existe par lui-même. Tous sont relatifs les uns aux autres, car
ils se conditionnent réciproquement. L'ensemble de ces êtres, qui consti-
tuent le monde, n'existe donc pas par lui-même ; par conséquent le
monde est contingent.
Or des êtres contingents supposent un Être qui soit par lui-même,
c'est-à-dire un Être nécessaire. En effet, il est impossible qu'il n'y ait
que des êtres contingents, car toute chose doit avoir sa raison d'être.
Or le contingent est ce qui de soi est indifférent à exister ou à ne pas
exister ; donc s'il existe, c'est qu'il a trouvé, en dehors de soi, la raison
de son existence. Par conséquent, à moins d'aller à l'infini, ce qui
répugne, il faut arriver, en dernière analyse, à l'Etre qui soit de lui-
même, à l'Être A se, dont l'essence même soit d'être, c'est-à-dire à
l'Être nécessaire, à Dieu ; car, comme dit Bossuet : « Qu'il y ait un seul
moment où rien ne soit, éternellement rien ne sera (^). »
B) Objections : I. — On a soutenu la possibilité d'une série d'êtres
contingents ou causes secondes à Vinfini, dans l'espérance d'échapper
par là à la nécessité d'une cause première, nécessaire, éternelle.
Réponse : a) S. Clarke {^) a très bien réfuté cette objection par
plusieurs arguments. Si l'on considère séparément chacun des termes
(') Bossuet, De la connaissance de Dieu..., Ch. iv, § 5.
( ') S. Clarke, Démonstration de l'eodstence et des attributs de Dieu pour servir de réponse
à Hobbes, à Spinoza et à leurs sectateurs.
558 LA CO^'TI^'GEKCE DU MONDE (67)
constituant la série, chacun d'eux a sa cause, mais inadéquate, dans
celui qui le précède, puisqu'aucun n'existe par lui-même. Si l'on consi-
dère l'ensemble de la série, elle est sans cause suffisante, puisqu'elle ne
la trouve ni en soi, ni hors de soi. Elle ne la trouve pas en elle-même,
car. aucun des termes composants n'existant par soi, leur ensemble
ne saurait davantage exister par lui-même. Elle ne la trouve pas en
dehors de soi, car, par hypothèse, on soutient qu'elle n'a pas sa cause
dans un être extérieur à elle (^).
b) Si l'on prétend que la série des êtres est telle qu'un être a toujours
précédé un autre, cette série d'êtres, qui se sont succédé jusqu'à ce jour,
constituerait un nombre infini, actuellement réalisé. Or un nombre infini
actuel renferme une contradiction. Prouvons-le.
Une série qui contient plus de termes conséquents que d'anté-
cédents, répugne. En effet, le terme conséquent, par le fait même qu'il
suit, exige un terme qui le précède.
Or une série, actuellement composée d'un nombre infini de termes,
contiendrait plus de conséquents que d'antécédents. En effet, tous les
termes de cette série seraient conséquents, puisqu'il n'y a pas de terme
premier, et cependant ils ne seraient pas tous antécédents parce que le
terme dernier, qui clôt la série, est seulement conséquent, le terme
suivant n'existant pas encore. C'est ainsi, pour concréter notre pensée,
que dans l'hypothèse d'une série actuellement infinie de jours qui se
serait écoulée jusqu'au moment présent, le jour auquel nous sommes
parvenus est seulement conséquent, puisque le jour de demain n'existe
pas encore (^).
( M On présente quelquefois l'objection, non plus sous la forme de série indéfinie, mais
de série circulaire d'êtres dont chacun serait et l'effet du précédent et la cause du suivant.
Mais, sous cette nouvelle forme, l'hypothèse reste absurde, comme nous l'avons déjà
montré ailleurs (Logique, 37, § B, II).
( ') Cauchy, que J. Bertrand, bon juge en pareille matière, a proclamé le premier
mathématicien du xix^ siècle, s'est prononcé contre la possibilité d'une série ou d'une
multitude permanente actuellement composée d'un nombre infini de termes ou de parties :
« ...Si la suite des nombres entiers pouvait être supposée actuellement prolongée à l'infini,
les termes carrés y seraient en très grande minorité. Or cette dernière condition, qui devrait
être satisfaite dans l'hypothèse dont il s'agit, est pourtant incompatible avec cette môme
hypothèse, car, dans la .suite des nombres entiers actuellement prolongée à l'infini, se trou-
verait, avec chaque terme non carré, le carré de ce terme, puis le carré du carré, etc.. Donc,
puisque l'hypothèse de la suite prolongée à l'infini entraîne des contradictions manifestes,
cette hypothèse doit être rejetée. La démonstration que nous venons de rappeler a été donnée-
pour la première fois par Galilée... Cette proposition fondamentale : qu'on ne saurait
admettre une suite ou série actuellement composée d'un nombre infini de termes, peut être
démontrée par les mathématiques de mille manières différentes...
« La proposition fondamentale ci-dessus mentionnée s'appliquerait aussi bien à une
série de termes ou d'objets qui auraient existé successivement, ou même à une série d'évé-
nements qui auraient succédé les uns aux autres, qu'à une série de termes dont l'existence
serait simultanée ; et, dans les deux cas, il est également impossible que le nombre de ces
termes, de ces objets, de ces événements, soit devenu actuellement infini... » (A. Cauchy^
Sept leçons de physique générale, p. 24-25. Paris, Gauthier-Villars, 1868).
(67) LA CONTINGENCE DU MONDE 559
IL — D'après Kant, le principe de causalité n'est applicable qu'à
l'expérience. Ce principe nous permet seulement de rattacher un phéno-
mène conséquent à un phénomène antécédent ; mais il ne nous autorise
pas à nous élever au delà du monde phénoménal jusqu'à une réalité en
soi, à un noumène.
Réponse : a) Générale : elle consiste à contester la valeur de la
conception criticiste de la connaissance, dbnt Kant nous offre ici une
application. C'est déjà fait (6, § C).
b) Spéciale : on a vu (Psych. 183, § A, IV ; Logique, 67, Sect. II,
§ A) qu'il y a" deux sortes de causalité : l'une empirique et' scientifique
qui réduit la notion de cause à l'idée de phénomène antécédent et nécessaire
d'un autre phénomène; l'autre psychologique et métaphysique, qui la
ramène à l'idée cTêtre produisant quelque chose. Or de ces deux conceptions
Kant n'accepte que la première, excluant arbitrairement la seconde.
Il n'a pas le droit en effet de faire cette exclusion. Nous atteignons la
véritable cause en nous-mêmes par la conscience : nous nous sentons
produisant tel ou tel phénomène. Voilà l'origine première de la notion
de cause et du principe de causalité que nous transportons par analogie
en dehors de nous. La causalité, au sens complet du mot, telle que nous
la révèle la conscience, est donc un être, une substance douée d'une
énergie permanente : elle implique l'idée de production. Dans les sciences
expérimentales, qui se bornent à établir des lois de succession, on entend
par cause l'antécédent invariable d'un autre phénomène : elle implique
l'idée de succession constante. On n'est plus en présence de la causalité
proprement dite, mais d'une condition nécessaire et suffisante. C'est
pourquoi le principe qu'on en dégage n'est pas le principe de causalité
véritable ; c'en est plutôt la dégradation pour l'adapter au but des
sciences expérimentales. Les savants parlent improprement, lorsqu'ils
appellent cause un antécédent invariable : ils devraient dire condition.
Concluons donc que le principe de causalité, entendu dans ce sens res-
treint et impropre, serait pour la preuve cosmologique une base insuffi-
sante ; mais nous l'employons dans son sens plénier qui fournit à cette
preuve un fondement solide. Or Kant n'a pas prouvé que cet emploi était
illégitime ; bien plus, il a lui-même usé du principe de causalité, au sens
plein, se mettant ainsi, il est vrai, en opposition avec sa propre doctrine
(6, § C, VI). Mais cette contradiction montre combien l'usage en question
«st naturel et nécessaire.
Remarque. — L'argument cosmologique prouve directement qu'il
existe un être nécessaire et éternel. Bien que l'idée de perfection soit
contenue implicitement dans la compréhension d'être nécessaire et
éternel, cette inclusion n'est pas immédiatement évidente. Car il ne
paraît pas répugner, à première vue, qu'on puisse concevoir un être
nécessaire et en même temps imparfait. Témoin Platon qui, à côté de
560 LE MOUVEMENT DE LA MATIÈRE (68)
Dieu, admet une espèce de matière nécessaire et éternelle comme lui,
mais cependant imparfaite. Il n'est donc pas d'évidence immédiate
.que l'Etre nécessaire est nécessairement l'Être parfait. L'argument
n'aboutit qu'à cette conclusion : il existe un être nécessaire et éternel.
Mais cet être reste encore indéterminé : Est-ce la matière comme le
soutient Spencer ? Est-ce Dieu, comme l'affirme le Spiritualisme ? La
preuve cosmologique a donc besoin d'un complément (68, 76).
68. — LE MOUVEMENT DE LA MATIÈRE
A) Exposé : cet argument est dû à Aristote ( ^) et a été développe
par les Scolastiques.
Il y a du mouvement dans le monde matériel.
Or le mouvement suppose un premier moteur non mû. En .effet, le
mouvement ne peut appartenir essentiellement à la matière, puisqu'elle
est inerte de sa nature. Il lui vient donc d'un principe extérieur. Mais
il ne peut lui venir d'une série infinie de causes secondes recevant l'une
de l'autre le mouvement, car le processus in infinitum répugne. « Il faut
bien enfin s'arrêter », comme dit Aristote, 'Avocyx/) ïa/zo^iOixi ( ^).
Donc le mouvement de la matière suppose un premier moteur
(upôÎTov xivotjv) qui meut tout le reste, n'est mû par personne (xtvoûv
àx[vr,Tov) et que nous appelons Dieu.
B) Objection : cette preuve a pour fondement que le mouvement
n'a pas sa raison d'être dans la matière. Ce supposé a été contesté.
Sans doute, dit-on, la matière n'est pas la cause du mouvement, en ce
sens que, si elle existe d'abord sans mouvement, elle ne pourra ensuite
se le communiquer. Mais le mouvement n'est-il pas essentiel à la matière ?
Les savants répètent que la matière est inerte, cela signifie simplement
que la matière est incapable de modifier par elle-même son mouvement ;
cela ne signifie pas qu'elle puisse exister sans mouvement.
La question reste donc en suspens. Depuis Leibniz, nombre de
philosophes et de savants enseignent le dynamisme : pour eux, la matière
est quelque chose d'essentiellement actif et le mouvement n'est que
la traduction sensible de cette activité. Par conséquent, il n'est pas
évidemment impossible que le mouvement, sans avoir pour cause la
matière, soit une de ses propriétés essentielles. Si donc la matière existe
nécessairement, il s'ensuit que le mouvement est lui-même nécessaire
et, partant, n'exige pas de cause extérieure qui le produise. Or l'argu-
(') AniSTOTE, P/iyâtc, L. VIII, C. v. Éd. Didot, T. II, p. 350. — S. Thomas, Summa
theologica, I» P.».0. II, art. III, § Prima autem.
( •) AniSTOTE, Derniers Analytiques, L. I, C. xxii, § 16. Éd. Didot, T. I, p. 143.
(69) LES CAUSES FINALES 561
ment cosmologique a démontré l'existence d'un être nécessaire et éternel,
mais sans aboutir à prouver qu'il est en même temps et nécessairement
parfait. Un être nécessaire et éternel peut donc être la matière en mou-
vement.
Réponse : si le mouvement est une propriété essentielle d'une matière
nécessaire et éternelle, ce mouvement n'ayant pas de point de départ
initial, puisqu'il est nécessaire et éternel comme la matière, sera figuré
par une ligne infinie. Or il est impossible qu'un mobile parcoure une
ligne infinie, car, à l'instant actuel, il aurait réalisé un nombre infini de
mètres. Mais un nombre infini réalisé est une contradiction (67, B, I, b).
Donc un mouvement nécessaire et éternel répugne.
Pour mieux faire ressortir cette impossibilité, supposons que le
mobile refasse le même chemin, en sens inverse, en partant de son point
actuel d'arrivée B. Cette supposition est légitime, parce que le sens dans
lequel se fait le mouvement est chose indifférente dans l'espèce. Or il
est manifeste que le mobile ne parcourra jamais toute la Hgne, puisque,
par hypothèse, elle est infinie, sans point initial A. Donc aussi, en la
parcourant dans l'autre sens, il n'a pu atteindre le point B, parce que
la distance de A à B est nécessairement la même que celle de B à A.
Cependant, de fait, le mobile est parvenu au point actuel B ; donc il
n'est pas parti de l'infini ; il a parcouru une ligne finie ; donc il a com-
mencé (^).
Ainsi donc le mouvement n'est pas éternel, la matière n'a pas tou-
jours été en mouvement. D'où il résulte que cette matière, même en
la supposant nécessaire et éternelle, ayant d'abord été immobile durant
une éternité, n'a pu se donner le mouvement. Donc le mouvement a sa
cause dans un être distinct de la matière, lequel en a pris l'initiative.
' 69. — LES CAUSES FINALES
C'est l'argument qu'on nomme téléologique (tsao^j fin) ou physico-
théologique. Il ressemble à l'argument cosmologique en ce que, comme
lui, il considère le monde dans son ensemble ; mais il en diffère par la
manière de le considérer : dans l'argument cosmologique on envisage
l'existence des choses en général, tandis que, dans le téléologique, on
envisage leur manière d'être.
Cette preuve est dite preuve des causes finales, non pas parce qu'elle
s'appuie sur le principe de finalité : Tout a un but ; mais sur le fait de
(') On objectera peut-être que le mobile a disposé d'un temps infini pour parcourir
cette distance infinie. — ■ La même difficulté revient pour le temps. Si le',temps n'a pas com-
mencé, un nombre infini de jours, d'années, de siècles se serait écoulé jusqu'ici ; mais un
nombre infini actuel répugne (67, B, I, h).
562 LES CAUSES FINALES (69)
Vordre qui existe dans le monde. Le principe sur lequel elle repose,
c'est le principe de raison ou de causalité. Il s'agit en effet de conclure
d'un certain effet, qui est l'organisation de la nature, à une cause ou
raison suffisante de cet effet, laquelle ne peut être qu'une volonté
intelligente.
A) Exposé : cette preuve a été souvent invoquée : vg. par Socrate
(Mémorables), Cicéron {De natura deoriim), Sénèque, {De Beneficiis),
Fénelon {Traité de V existence de Dieu...), Bossuet {De la connaissance
de Dieu...)
L'ordre est l'œuvre d'une cause intelligente.
Or le monde montre partout de l'ordre.
Donc le monde est l'œuvre d'une cause intelligente.
Preuve de la majeure : étant donné un système de moyens et de
fins, la seule raison de cet effet est une cause intelligente. Dans un tel
système, la fin, c'est-à-dire l'effet futur, détermine les moyens, c'est-
à-dire les causes présentes. Il suppose donc une intelligence capable
de prévision et de volonté (Psych., 184, 185).
Preuve de la mineure : l'ordre est l'adaptation systématique des
moyens à une fin. Or cette adaptation parait dans les trois règnes de la
nature. Dans le monde inorganique, la finalité est encore voilée, mais elle
éclate dans le monde des vivants. Kant le constate en ces termes :
« Le monde actuel nous offre un si vaste théâtre de variété, d'ordre, de
finalité et de beauté que... toute langue est impuissante à traduire son
impression devant tant et de si grandes merveilles... Nous voyons
partout une chaîne d'effets et de causes, de fins et de moyens, une régu-
larité dans l'apparition et la disparition des choses... » (^).
B) Objections : 1° L'ordre du monde s'explique par le hasard et
les combinaisons fortuites des atomes. C'est l'objection de V Atomisme.
— Cf. Réfutation (Psych., 185, II, C. — Infra, 86).
20 L'ordre du monde s'explique par les causes efficientes, sans qu'il
5oit nécessaire de recourir aux causes finales. — Cf. Réfutation {Psych.,
185, II, C).
3° Qui prouve que cette intelligence ordonnatrice soit transcendante
à l'univers ? N'est-elle pas immanente aux choses comme le soutiennent
les Panthéistes ? — Cf. Réfutation (88, § B).
C) Critique et portée de cette preuve. — « Cet argument
mérite toujours d'être nommé avec respect. C'est le plus ancien,
le plus clair, le plus approprié à la commune raison... Ce serait donc non
seulement nous priver d'une consolation, mais encore tenter l'impos-
sible que de vouloir enlever quelque chose à l'autorité de cette preuve. »
( ') Kant, Critique de la raison pure .'Dialectique transcendantale, L. II, Ch. m, Sect. VI,
Traduction Tremesayoues, p. 509.
(70) LE CONSENTEMENT UNIVERSEL 563^
Cependant, si cette jjreuve conduit « à une foi qui est suffisante pour
le repos », elle « ne peut jamais à elle seule démontrer l'existence d'un
Être suprême » (^). On peut en effet formuler certaines réserves :
i^ Cet argument prouve bien, contre les matérialistes, l'existence
d'une intelligence supérieure ; mais il ne prouve pas qu'elle est infinie^
parce que l'ordre et la beauté de la nature n'impliquent pas évidemment
lin art infmi.
2° Il prouve l'existence d'une cause ordonnatrice de la matière.
On sait que pour les anciens, pour Platon notamment, le rôle de cette
intelligence suprême s'est borné à coordonner une matière préexistante.
Il ne prouve donc pas qu'elle est en même temps créatrice. Cet argument
conclut à l'existence d'un Dieu architecte et non d'un Dieu créateur de
l'univers.
?fi Enfin il ne démontre pas Vunité absolue de cette intelligence
ordonnatrice. Sans doute, tout ce que la science nous apprend de l'uni-
vers témoigne de l'unité de plan. C'est là une très forte présomption en
faveur d'une intelligence unique ; mais ce n'est pas une raison péremp-
toire, car tout l'univers ne nous est pas connu ; et, de plus, pourquoi
cette unité de plan ne serait-elle pas l'œuvre de plusieurs intelligences
finies qui se seraient entendues pour le réaliser ?
Cette preuve a en effet besoin d'être complétée, car par elle seule,
prise absolument, elle ne prouve pas que la cause ordonnatrice du monde
est créatrice, infinie, unique. On doit faire au sujet de cette intelligence
supérieure le raisonnement suivant : ou bien elle a en soi sa raison suffi-
sante ou elle l'a dans un autre être ; c'est-à-dire elle est a se, nécessaire,
ou bien elle est ab alio, contingente. Si elle est ab alio, la question repa-
raît jusqu'à ce qu'on arrive à une cause première, nécessaire, éternelle,
puisque la progression à l'infini répugne. Il reste donc à montrer que
cette cause première, nécessaire, éternelle, intelligente, est créatrice,,
infinie, unique (1^).
70. ~ LE CONSENTEMENT UNIVERSEL
Une croyance universelle, qui ne provient ni de l'illusion des sens,,
ni de l'influence des passions, ni des préjugés, ni de l'ignorance, ni de
la superstition, ni de l'éducation, qui n'est pas une invention des légis-
lateurs, qui persiste au milieu des intérêts les plus complexes, qui s'épure
avec le progrès des sciences et de la civilisation, est une idée qui ne peut
tirer son origine que de l'évidence même de la vérité. Autrement, cette
croyance n'aurait pas de raison suffisante (Logique, 136).
(M Kant, Critique de la raison pure. Ibidem, p. 510-511.
564 LE CONSENTEMENT UNIVERSEL (70)
Or telle est l'idée de l'existence de Dieu, attestée par le consen-
tement universel des hommes.
Donc Dieu existe.
Preuve de la majeure : elle s'appuie sur le principe de raison. Il serait
inexplicable qu'une croyance revêtue de tels caractères fût fausse, car
ce serait un effet sans cause ; elle n'aurait pas sa raison d'être.
Preuve de la mineure : on peut alléguer le témoignage :
A) Des anciens : vg. Cicéron (^) : « Il n'y a pas de peuple assez
sauvage pour ignorer qu'il y a un Dieu. « — Plutarque : « On rencontre
des villes sans murailles, sans lois, etc., mais une ville sans temples,
sans religion, sans dieux, c'est ce qu'on n'a jamais vu », etc., etc. (^).
B) Des modernes : après l'étude « consciencieuse » de toutes les
races existantes, A. de Quatrefages conclut ainsi son enquête :
« L'athéisme n'est nulle part qu'à Vétat erratique. Partout et toujours
la masse des populations lui a échappé ; nulle part, ni une des grandes
races humaines ni même une division quelque peu importante de ces
races n'est athée (^). » Et ailleurs : « J'ai cherché l'athéisme avec le
plus grand soin ; je ne l'ai rencontré nulle part, si ce n'est à l'état erra-
tique^ chez quelques sectes philosophiques des nations les plus ancien-
nement civilisées... (*). » Cette croyance universelle, constatée par les
historiens et les voyageurs, se retrouve dans les langues, dans les chants
populaires, dans les poèmes, dans les lois, dans les monuments de
toutes sortes.
Elle ne peut d'ailleurs provenir de :
1° Illusion des sens, incapables d'atteindre un pareil objet.
2° Influence des passions, intéressées à supprimer plutôt qu'à inventer
Dieu.
30 Préjugés, qui varient avec les nations, les temps, les lieux ; or
cette croyance est persistante.
40 Ignorance, car cette croyance est plus précise chez les peuples
civilisés que chez les sauvages ; elle ^'épure avec la civilisation.
50 Crainte superstitieuse : Primus in orbe deos fecit timor (Pétrone).
— On comprend la crainte comme un effet, non comme une cause de
cette croyance ; c'est un sophisme qui prend l'effet pour la cause. Il
faudrait plutôt renverser cette parole et dire : Non deos, sed atheos fecit
timor.
(') Cicéron, Tusculan. Disput. L. I, § XIII. Cf. De Legibus, L. I, § vin. — Plutar-
OUE, AdveravLS Coloten epicureum, § XXXI.
( ') V. Cathrein, Die Einheit des siitlichen Bewusstseins der Menschheit, 3 vol., Fribourg-
en-Brisgau, 1914.
(') A. DE Quatrefages, L'Espèce humaine, Ch. xxxv, § IV, p. 356, Paris, 1878*.
( *) A. de Quatrefages, Introduction à l'étude des races humaines, Part. I, Ch. xiii,
p. 254, 2« tirage, Paris, s. d.
(71) LES ASPIRATIONS DE l'aME 565
(3° Éducation : variable avec les temps et les lieux, elle n'aurait pu
imposer une notion aussi gênante et aussi générale.
70 Invention des Législateurs : leur puissance n'eût pas réussi à faire
accepter un dogme aussi contraire aux passions. Il faudrait montrer
du reste quand et comment l'éducation et la législation ont inauguré
cette croyance.
Conclusion : quand même il y aurait des tribus assez dégradées pour
ignorer Dieu ou des individus assez dépravés pour le nier, cette exception
n'infirmerait pas la règle. « C'est d'ailleurs une grande question, dit
La Bruyère (^), s'il se trouve des athées, et quand il serait ainsi, cela
prouve seulement qu'il y a des monstres. » Il faut convenir d'ailleurs
que l'argument tiré du consentement universel prouve seulement l'exis-
tence d'un Être supérieur connu par le genre humain" mais non pas le
Dieu infini, unique et simple, enseigné par la Philosophie spiritualiste (^).
71. — LES ASPIRATIONS DE L'AME
Nous avons montré, en parla^it de l'immortalité (63), que l'homme
tend à l'infini par toutes les puissances de son âme. A côté de l'amour
légitime de soi, l'homme a des inclinations supérieures (Psych., 49) qui
peuvent se ramener à l'amour de la perfection absolue. Faits pour la
vérité, pour le bien et le beau infinis, rien ici-bas ne saurait nous rassasier.
Cette tendance innée vers la perfection, ne pouvant se contenter en ce
monde où tout est imparfait et défaillant, nous relance sans cesse vers
une réalité plus haute, vers un idéal de vérité, de bonté et de beauté
souveraines. La seule raison suffisante de cet attrait irrésistible, qui
nous emporte vers l'infini, ne peut être que la réalité de cet objet suprême
qu'Aristote appelle si bien le souverain désirable : aimant divin qui nous
attire à lui d'une façon suave et forte, comme l'atteste la magnifique
inquiétude de notre cœur : Fecisti nos ad te, Domine, et irrequietum est
cor nostrum, donec requiescat in te (^).
La recherche du parfait est la loi fondamentale de notre nature :
si elle était frustrée, l'homme serait comme un monstre dans la création,
un paradoxe vivant, fait de contradictions révoltantes. N'est-il pas
( ') La Bruyère, Les Caractères : Des esprits forts. — F. Nicolay, Histoire des croyances,
superstitions, mœurs, usages et coutumes... — D. Palmieri, /ns(i(u(iones philosophicx,T.lll,
Theologia, Thesis VII. — P. de Broglie, Problèmes et conclusions de l'histoire des religions.
{') M. CH0S3AT, De la Connaissance spontanée de Dieu, dans Dictionnaire de Théo-
logie CATHOLIQUE (Vacant-Mangenot), T. IV, col. 874-923. — J. HuBY, La croyance à
l'Être suprême chez les non-civilisés, dans Recherches de Science religieuse, 1917,
p. 327-352.
( ') S. Augustin, Confess. L. I, C. i.
566 l'idée de parfait ou d'infini (;2)
plus sage de croire que Famour du vrai, Famour du bien et Famour du
beau sont fondés en raison, c'est-à-dire sont des tendances convergentes,
qui s'adressent et nous conduisent à cette réalité parfaite {E?is realis-
simum) que nous nommons Dieu (^) ?
72. — L'IDÉE DE PARFAIT OU D'INïlNI
A) Exposé : on peut la résumer ainsi d'après Descartes C^). J'ai
l'idée de parfait. La présence de cette idée en moi est un effet qui exige
une cause. Or elle ne peut me venir de moi-même, qui suis imparfait,
ni des choses extérieures, car elles sont bornées comme moi. Il faut donc
qu'elle me vienne d'un Être parfait qui l'a mise en moi, « comme la
marque de l'ouvrier sur son ouvrage ».
B) Critique : on a contesté avec raison la valeur de cette preuve,
en disant que l'idée de parfait provenait du travail de l'intelligence
sur les données'de l'expérience. (Psychologie, 187, § B).
On fait une critique analogue de l'argument, quand il prend pour
point de départ l'idée d'm^ni. (Cf Psychologie, ibidem.)
C) Objection : à cette critique de l'argument de Descartes on
oppose l'objection suivante : expliquer les notions d'infini et de parfait
en partant des idées de fini et d'imparfait, c'est commettre un cercle
vicieux, car, pour avoir les idées de fini et d'imparfait, il faut déjà avoir
les notions d'infini et de parfait auxquelles on compare les premières.
Réponse : pour se former la notion de fini et d'imparfait, il suffit
d'avoir la notion de plus ou de moins. Or pour se former l'idée de plus
ou de moins, il n'est pas du tout nécessaire de comparer les choses finies
et imparfaites à un type infini et parfait ; il suffit de comparer les objets-
finis et imparfaits entre eux.
Pour savoir que mon intelligence et ma volonté sont imparfaites,
je n'ai qu'à les rapprocher de la volonté et de l'intelligence de tel ou tel
qui l'emporte sur moi ; ou même, plus simplement, je n'ai qu'à mettre
en parallèle plusieurs de mes actes intellectuels et volitifs, pour constater
qu'il y a progrès ou recul dans tel cas donné.
Pour savoir qu'une ligne est finie, inutile de la comparer à l'infini ;
je n'ai qu'à la rapprocher d'une quantité plus grande ; de même pour
le nombre. Et ici la chose est manifeste, car c'est une vérité admise
que l'infini actuel en quantité étendue ou en nombre est une absurdité.
Le terme de comparaison, qu'on prétend nécessaire, ferait donc com-
( ') Seiitillanges, Des sources de la croyance en Dieu. — P. de Bhoolie, Preuves psycho-
logiques de l'existence de Dieu.
{ ') Descartes, Discours de la méthode, III' P. Méditations métaphysiques, III'.
(73) LES VÉRITÉS ÉTERNELLES 567
plètement défaut, au moins dans cet ordre de connaissance. Concluons
donc que Descartes n'a pas prouvé que l'idée de parfait et d'infini, qui
existe en nous, n'y puisse exister que par l'intervention d'une cause
infinie et parfaite.
73. — LES VÉRITÉS ÉTERNELLES
Cette preuve a été donnée par saint Augustin, Bossuet, Fénelon,
Leibniz (^). Entendons Bossuet l'énoncer :
A) Exposé : « Rien ne sert tant à l'âme pour s'élever à son Auteur
que la connaissance qu'elle a d'elle-même et de ces sublimes opérations
que nous avons appelées intellectuelles. Nous avons déjà remarqué que
l'entendement a pour objet des vérités éternelles. Les règles des propor-
tions, par lesquelles nous mesurons toutes choses, sont éternelles et
invariables... Tout ce qui se démontre en mathématique, et en quelque
autre science que ce soit, est éternel et immuable, puisque l'effet de la
démonstration est de faire voir que la chose ne peut pas être autrement
qu'elle est démontrée... Toutes ces vérités et toutes celles que j'en déduis
par un raisonnement certain, subsistent indépendamment de tous les
temps : en quelque temps que je mette un entendement humain, il les
connaîtra ; mais en les connaissant il les trouvera vérités, il ne les fera
pas telles, car ce ne sont pas nos connaissances qui font les objets, elles
les supposent. Ainsi ces vérités subsistent devant tous les siècles, et
devant qu'il y ait eu un entendement humain... Elles seraient toujours
bonnes et toujours véritables, quand moi-même je serais détruit avec
le reste. Si je cherche maintenant où et en quel sujet elles subsistent
éternelles et immuables comme elles sont, je suis obligé d'avouer un
Etre où la vérité est éternellement subsistante et où elle est toujours
entendue ; et cet Être doit être la Vérité même et doit être toute vérité ;
et c'est de Lui que la vérité dérive dans tout ce qui est et ce qui entend
hors de Lui {^). »
B) Critique : cette preuve a été acceptée par les uns et rejetée par
les autres :
1° Bossuet a donné « une très belle et très solide preuve de l'existence
de Dieu », qu'on peut résumer ainsi : « L'homme connaît des vérités
universelles, immuables et éternelles (les principes de la raison, les
(M Cette preuve est attribuée aussi à Platon ; mais tout dépend du sens que Platon
donne aux Idées. Si l'on soutient avec Aristote qu'il conçoit les Idées comme des essences
séparées, on ne doit pas lui attribuer cette preuve. On peut le faire au contraire si l'on
croit avec S. Augustin qu'il considère les Idées seulement comme des conceptions de
l'intelligence divine (Psych., 140, à la fin : Remarque).
( ') Bossuet, De la connaissance de Dieu..., Ch. iv, § 5.
568 l'existence du devoir (74;
conclusions des mathématiques, les vérités morales, etc.). Or ces vérités
doivent avoir un fondement suffisant et réel ; autrement la science repo-
serait sur le néant, elle serait purement subjective et illusoire ; ce fon-
dement suffisant et réel doit avoir les caractères de l'universalité, de
l'immutabilité et de l'éternité qui conviennent à la vérité ; il existe donc
un Être nécessaire, immuable et éternel, source de la vérité, de la beauté
et du bien ; cet Être est Dieu, donc Dieu existe. Cette preuve part du
fait des idées dans V intelligence humaine. L'esprit, examinant les carac-
tères des idées ou vérités aperçues par la raison, en conclut, par l'appli-
cation du principe de raison suffisante, que la connaissance de la vérité
immuable et éternelle suppose nécessairement l'existence d'un Être
immuable et éternel, c'est-à-dire de Dieu (^). »
2° D'autres rejettent cette preuve et donnent de leur rejet la raison
suivante. L'éternité des vérités rationnelles n'est que leur nécessité
conçue abstraitement., c'est-à-dire indépendamment de toute relation
avec le temps. L'éternité n'est réelle que si l'on suppose l'existence
concrète d'une intelligence réelle qui conçoit ces vérités. Il y a donc
pétition de principe. "
74. — L'EXISTENCE DU DEVOIR
Cette preuve a pour point de départ un fait d'expérience révélé par
la conscience : l'existence du devoir. Elle repose sur le principe de raison
suffisante : étant donnée l'existence du devoir, il s'agit d'en rendre
compte.
A) Exposé : l'existence du devoir est un fait indéniable attesté :
1° Par la conscience individuelle^ qui se reconnaît obligée à observer
la loi morale, s'approuve et se réjouit, quand elle y obéit, se condamne
et s'attriste, quand elle y contrevient.
2» Par la conscience universelle., qui partout et toujours a admis
une différence essentielle entre le bien et le mal, et a proclamé qu'il
faut pratiquer l'un et éviter l'autre (Morale, 19).
Voilà le fait. Voici l'interprétation.
Où trouver le principe du devoir ? On a prouvé, en Morale (Livre I,
Ch. m), qu'il ne faut le chercher ni, avec les moralistes du plaisir et de
l'intérêt, dans les conséquences agréables ou utiles de nos actions ;
— ni, avec les moralistes du sentiment, dans les penchants sympathiques
de notre sensibilité ; — ni, avec les moralistes de l'autonomie, dans notre
propre volonté. Reste qu'il faut le chercher en dehors et au-dessus de
l'homme. La loi morale en effet se révèle à notre conscience comme un
(') P. Chabin. Cours de Philosophie : Théodicée, Ch. i, § 2. p. 416-417. Paris, 1896'.
(75) LA PREUVE ONTOLOGIQUE 569
impératif catégorique qui commande sans condition : Fais ce que dois,
quelles que puissent être les conséquences de ton action. Elle a pour
caractères d'être absolue, universelle, immuable (Morale, 20). Il n'y a
pas de loi sans législateur, comme il n'y a pas d'effet sans cause. Or une
telle loi ne peut avoir pour auteur qu'un être supérieur à l'homme, un
être absolu et immuable comme elle. La seule raison possible d'une
telle loi, c'est l'existence d'une Justice et d'une Sainteté parfaites,
d'un Bien réel et vivant, qui s'impose avec une autorité souveraine à la
nature humaine. -Cet Être juste, saint, bon, c'est Dieu.
B) Remarques : I. — La nécessité d'une sanction, qui établisse
l'accord entre le bien et le bonheur, le mal et le malheur, fournit encore
une excellente preuve de l'existence de Dieu. Nous l'avons déjà esquissée
(Morale, 49, § F).
IL — Cette preuve et la précédente ont trouvé grâce devant la
critique de Kant, mais à titre de croyances, comme des postulats de la
raison pratique (6).
III. — On donne à ces deux preuves, tirées du devoir et de la sanction,
le nom de preuves morales^ parce qu'elles se réfèrent à des faits de l'ordre
moral. Mais, comme elles s'appuient, ainsi que les autres, sur le prin-
cipe métaphysique de raison suffisante, elles sont, comme elles, des
preuves métaphysiques.
SECTION II
Preuve a priori.
75. — LA PREUVE ONTOLOGIQUE
A) Exposé : 1» Cet argument a été formulé la première fois par
saint Anselme dans son Proslogiiim seii Fides quœrens intellectiim.
Après avoir cité ces mots de la Sainte Écriture : Dixit insipiens in corde
suo : non est Deus, saint Anselme prétend apporter de l'existence de
Dieu une preuve capable de convaincre l'insensé lui-même. En voici le
résumé : Dieu est par essence l'être tel qu'on ne peut en concevoir un
plus grand ; donc il doit exister dans la réalité (m re). En effet, s'il n'exis-
tait que dans l'intelligence {in intellecta), s'il n'avait que cette existence
idéale, on pourrait concevoir un être plus grand que lui, à savoir celui
qui existerait non seulement dans l'intelligence, mais aussi dans la
570 LA PREUVE ONTOLOGIQUE (75)
réalité : ce qui implique contradiction. Donc Dieu existe et dans l'intel-
ligence et dans la réalité {et in intellectu et in re) (^).
2° Descartes a repris l'argument et l'a présenté sous cette forme :
J'ai l'idée d'un être qui renferme en soi toutes les perfections ; or l'exis-
tence est une perfection ; donc l'Être parfait existe. En effet, l'idée
d'être parfait contenant nécessairement l'existence, il serait aussi
contradictoire de concevoir Dieu non existant que de concevoir un
triangle dont les trois angles ne seraient pas égaux à deux droits ( ^).
Bref, l'idée d'être parfait implique l'existence, comme la définition
du triangle implique l'égalité de la somme des trois angles à deux droits.
3° Leibniz accepte l'argument de saint Anselme, mais à la condition
de le compléter en démontrant au préalable la possibilité de l'Être tout
parfait. Entendons-le s'expliquer lui-même : « Les Scolastiques, sans
excepter même leur Docteur angélique, ont méprisé cet argument et
l'ont fait passer pour un paralogisme ; en quoi ils ont eu grand tort,
et M. Descartes, qui avait étudié assez longtemps la philosophie scolas-
tique au collège des Jésuites de La Flèche, a eu grande raison de le
rétablir. Ce n'est pas un paralogisme, mais c'est une démonstration
imparfaite, qui suppose quelque chose qu'il fallait encore prouver pour
le rendre d'une évidence mathématique : c'est qu'on suppose tacitement
que cette idée de l'Être tout grand ou tout parfait est possible et n'im-
plique point de contradiction. Et c'est déjà quelque chose que par cette
remarque on prouve que, supposé que Dieu soit possible, il existe, ce qui
est le privilège de la seule divinité. On a droit de présumer la possi-
bilité de tout être, et surtout celle de Dieu, jusqu'à ce que quelqu'un
prouve le contraire. De sorte que cet argument métaphysique donne
déjà une conclusion morale démonstrative qui porte que, suivant l'état
présent de nos connaissances, il faut juger que Dieu existe et agir confor-
mément à cela. Mais il serait pourtant à souhaiter que des habiles gens
achevassent la démonstration dans la rigueur d'une évidence mathé-
matique, et je crois d'avoir dit quelque chose ailleurs qui y pourra
servir {^). »
Dans sa Lettre sur l'ouvrage du P. Lami : De la démonstration carté-
( ') '1 Coiivincitur... eliaiu insipiens esse vel in intellectu aliiiuid, quo nihil niajus
cogitari potest... Et certe id, quo niajus cogilari nèquit, non potest esse in intellectu solo.
Si enim vel in solo intellectu est, potest cogitari esse et in re ; quod majus est. Si ergo id,
quo majus cogitari non potest, est in solo intellectu, idipsum, quo majus cogitari non potest,
est quo majus cogitari potest. Scd certe hoc esse non potest.' Existit procul dubio aliquid,
quo majus cogitari non valet, et in intellectu et in re » (Proslogium, C. ii. Cf. C m).
( ') DE.SCARTES, Discours de In Méthode, IV« Partie. Cf. Méditations, V.
( ') Nouveaux essais sur l'entendement humain, L. IV, C. x, § 7. Œuvres, Édit. Janet,
T. I, p. 400-401. — S.ScHiFFi>ri,6minent pliilosophescolastique,ditaussique l'argumentde
S. Anselme a une valeur probante, si l'on a démontré au préalable que l'idée d'être néces-
saire ne renferme aucune contradiction. Cf. Disputationes metaphysicse, T. II, Part. III,
Theologin nnluralis, Disput. I, Sect. I, n. 385, § II, III, p. 13-14, Turin, 1894.
(75) LA PREUVE ONTOLOGIQUE 571
sienne de Vexistence de Dieu, Leibniz formule ainsi le complément auquel
il fait allusion dans les Nouveaux Essais : « ...Si l'être de soi est impos-
sible, tous les êtres par autrui le sont aussi, puisqu'ils ne sont enfin
que par l'être de soi ; ainsi rien ne saurait exister. Ce raisonnement nous
conduit à une autre importante proposition modale, égale à la précé-
dente [à savoir : si l'être nécessaire est possible, il existe] et qui, jointe
avec elle, achève la démonstration. On la pourrait énoncer ainsi : si l'être
nécessaire n'est point, il n'y a pas d'être possible. Il semble que cette
démonstration n'avait point été portée si loin jusqu'ici (^). »
4°) L'argument de saint Anselme {^) a été encore adopté par d'autres
penseurs : vg. Duns Scot (3), G. Vazquez (*), H. Fabri {^), Fénelon (®),
Hegel C). De nos jours il a été défendu par le P. Ragey (^) et le P. Ad--
loch (9).
B) Critique : cet argument fut attaqué, du vivant même de saint
Anselme, par Gaunilon, moine de Marmoutiers, dans un ouvrage dont
le titre, inspiré par le début du Proslogium, est assez piquant : Défense
de V insensé (^°). Saint Thomas (^^) et, à sa suite, la plupart des Scolas-
tiques ont rejeté la preuve ontologique. Kant {^^) l'a vigoureusement
attaquée. Voici l'objection principale.
Pour réfuter cet argument, il ne suffit pas de le ramener à l'absurde
et de dire avec Gaunilon qu'on prouverait, par le même raisonnement,
l'existence des Iles fortunées, c'est-à-dire des îles les plus parfaites qu'on
puisse concevoir. En effet. Descartes a prévu cette difficulté et il a nié
la parité de ces sortes de rapprochements, car, dans tout le reste, l'exis-
tence est séparable de l'essence, tandis qu'il est un cas unique, celui de
l'Être parfait, où l'essence implique l'existence : « ...De ce que je ne puis
concevoir une montagne sans une vallée, il ne s'ensuit pas qu'il y ait au
monde aucune montagne ni aucune vallée, mais que la montagne et la
(M Œwi'res de Leibniz, Édit. Janet, T. I, p. 480.
( *) DoMET DE VonoES, U Argument de S. Anselme, clans la Revue de Philosophie, 1901,
T. I, p. 285 sqq.
(») Duns Scot, In Libr. I. Senlentiarum, Dist. II, Q. 2, n°= 31-32.
(*) G. Vazouez, In I parlem S. Thomse, Disp. XX, n» 13. Édit. Chossat, Paris, Vives,
1906, T. I, p. 143.
C) H. Fabri, Ad Patrem Ignatium Gaslonem Pardesium ej-usdem Societatis Epistolse
très de sua Hypothesi philosophica, Ep. I, § VII, n"> 1, p. 20, Mayence, 1674.
(•) FÉNELON, Traité de l'existence el des attributs de Dieu, II» P., Ch. il, 3° preuve.
(') Hegel, Logik, V^ P., § LI, Traduction de A. Véra, T. I, p. 321, Paris, 1874*.
(*) Ragey, L'argument de S. Anselme, Paris-Lyon, 1893.
(') B. Adloch, PniLOSOPHiscHEè Jahrbuch, T. VIII, p. 52-69; 372-389. T. IX,
p. 280-297. T. X, p. 261-274 : 394-416.
(•») Gaunilon, Liber pro insipienle, Patr. lat. T. CLVIII, col. 24 1-248. --S.Anselme
lui répondit par son Liber apologelicus, P. L., Ibidem, col. 247-260.
( ") S. Thomas, cf. par exemple, Contra Gentiles, L. I, G. xi. — Summa iheologica, I' P.
0. II, A. 1, ad 2"m. — De Veritale, Qusest. X, A. 12.
( '*) Kant, Critique de la raison pure : Dialectique transcendantale, L. II, Ch. m, Sect. IV.
572 l'être nécessaire est parfait (76)
vallée, soit qu'il y en ait, soit qu'il n'y en ait point, sont inséparables
l'une de l'autre ; au lieu que de cela seul que je ne puis concevoir Dieu que
comme existant, il s'ensuit que l'existence est inséparable de lui, et partant
qu'il existe véritablement (^). »
Kant répond : l'existence est, dit-on, renfermée dans le concept
même. Mais il y a là un sophisme, si l'on prend le terme existence dans
le sens d'existence réelle, extérieure à nous. En eiïet l'attribut doit
être de même nature que le sujet. Si le sujet est simplement conçu et
non réel, l'attribut qu'en dégage l'analyse ne peut être lui aussi que
conçu et non réel : l'un et l'autre n'ont d'existence que dans Vidée. Ce qui
est vrai, ici, c'est que les deux termes : parfait et existant sqnt tellement
liés qu'ils sont inséparables, mais en restant dans le même ordre : si le
sujet parfait est dans mon esprit, l'attribut existant y sera nécessai-
rement aussi ; si le sujet parfait est dans la réalité, l'attribut existant
y sera nécessairement aussi. Mais il est impossible que le sujet soit dans
l'esprit et que l'attribut soit dans la réalité. Bref, autrement dit, cet
argument cache le sophisme qui consiste à passer de l'existence idéale
à l'existence réelle, d'une idée à une chose.
Conclusion : quoique l'argument ontologique ait satisfait des
penseurs éminents, il semble que cette critique est décisive. Mais, qu'en
dire, si on le complète, comme fait Leibniz, en montrant la possibilité
de l'être parfait ? Leibniz procède ainsi : L'être dont l'essence implique
l'existence, existe, s'il est possible ; or Dieu est l'être dont l'essence
iniplique l'existence ; donc Dieu existe, s'il est possible. — Leibniz
prouve ensuite la possibilité de l'Être nécessaire : si Dieu n'existe pas,
rien n'est possible ; mais beaucoup de choses sont possibles, puisqu'elles
existent ; donc Dieu existe. L'argument ainsi complété mène bien à
l'existence réelle, mais il devient a posteriori, car ce complément est un
retour à la preuve cosmologique. Donc, finalement, il n'y a pas de
preuve a priori de l'existence de Dieu (^).
76. — L'ÊTRE NÉCESSAIRE EST PARFAIT
L'argument cosmologique prouve l'existence d'un Être nécessaire
et éternel, mais sans déterminer explicitement quelle en est la nature.
L'argument par le mouvement prouve l'existence d'un premier moteur
éternel et distinct de la matière, mais sans en déterminer non plus
l'essence. L'argument des causes finales prouve l'existence d'une intel-
( ') Descartes, Méditations métaphysiques, V.
( ') C. DE Beaupuy, L'Argument de S. Anselme est a posteriori, dans Revue de Philo-
sophie, 1908, T. I, p. 120-133.
(76) l'être nécessaire est parfait 573
ligence supérieure, ordonnatrice du monde, mais sans déterminer si elle
est ou n'est pas infinie, unique, créatrice et distincte de l'univers. Il faut
voir maintenant s'il est possible de lever cette indétermination qui plane
sur les arguments fournis par la contingence, le mouvement et les causes
finales, c'est-à-dire s'il est possible de démontrer, en les rapprochant
et les complétant, que l'Être nécessaire est nécessairement parfait. Pro-
cédons par degrés.
I. ■ — Cette intelligence ordonnatrice, dont la preuve téléologique a
démontré la réalité, est-elle douée du pouvoir moteur ? son existence
est-elle nécessaire ?
A) — Par le fait, même qu'elle est ordonnatrice, cette cause doit
être capable de mouvoir les êtres à son gré, sinon elle n'aurait pu les
disposer d'une manière plutôt que d'une autre ; partant elle eût été
incapable d'y mettre de l'ordre.
B) — Cette intelligence ordonnatrice et motrice est en même temps
nécessaire et éternelle. En effet, ou elle n'a pas en elle-même sa raison
suffisante, ou elle l'a en elle-même (autrement dit : ou elle reçoit d'un
autre l'existence et ses qualités, ou elle ne les reçoit pas). Si elle n'a pas
en elle-même sa raison suffisante, elle est produite par une cause possé-
dant, d'une manière formelle ou éminente, tout ce qu'elle contient elle-
même, parce que l'effet tenant sa réalité de sa cause ne peut lui être
supérieur. La même question se pose au sujet de cette cause et ainsi de
suite jusqu'à ce qu'on arrive enfin à une cause première, nécessaire,
éternelle, puisque nous avons vu qu'une série indéfinie de causes
secondes, contingentes est contradictoire. Donc il existe un Être néces-
saire, éternel, doué d'intelligence et de puissance motrice.
II. — Avançons. Cet Être nécessaire, éternel, intelligent, moteur,
est parfait. Donnons quelques preuves :
A) — Cet Être étant nécessaire n'a pas commencé. Ceci posé, de
deux choses l'une : ou bien il est sujet au changement, ou bien il est
soustrait au changement. S'il est sujet au changement, il a subi la loi
du temps : il faut donc qu'il ait duré un temps infini, ce qui implique
contradiction. Ou bien il est soustrait au changement, alors on ne peut
lui appliquer la loi du temps, c'est-à-dire la succession et la mobilité :
il est donc immuable. Or l'immutabilité implique la perfection. Sup-
posons en effet que l'intelligence ordonnatrice soit imparfaite. Au lieu
de tout embrasser dans un acte intuitif pur, elle sera condamnée, comme
notre intelligence, à des combinaisons et mouvements discursifs. Du
même coup la voilà soumise à la loi du changement et de la succession ;
elle tombe dans le temps, elle n'est donc plus l'être nécessaire dont nous
avons prouvé l'existence.
B) — L'Être nécessaire est celui dont l'essence implique l'existence,
puisqu'il est a se, de soi et par soi. Or si tel degré fini de perfection impli-
574 VALEUR DES PREUVES RATIO^•^•ELLES (77)
quait aussi l'existence, le degré immédiatement supérieur l'impliquerait
a fortiori, et ainsi de suite ; nous arriverions à cette affirmation absurde
d'un nombre infini d'êtres nécessaires actuellement existants. L'Être
nécessaire est donc par essence infiniment parfait.
C) — Où trouver une raison suffisante pour limiter la perfection
de l'Être premier nécessaire ? Pourquoi borner sa perfection à tel degré
plutôt qu'à tel autre ? En effet, d'où lui viendrait la limite ? Elle ne
peut lui venir : ni de son essence^ car cette essence étant l'Être ne rejette
par elle-même aucune perfection, mais les comporte toutes. Si l'obstacle
à la perfection venait de l'essence, c'est qu'alors elle renfermerait quelque
contradiction intrinsèque. Or, dans cette hypothèse, l'Être nécessaire
ne pourrait pas plus exister qu'un cercle carré ; — ni de sa propre colonté,
car il ne s'est pas fait lui-même, ce qui répugne ; — ni d'une (volonté
étrangère, car cette volonté, nécessaire et éternelle comme l'Être qu'elle
limite éternellement, qui l'empêche alors d'être parfaite ? A son sujet,
il faudra renouveler les questions posées à propos du premier Être
nécessaire, et ainsi de suite, sans fin, ce qui répugne. La raison nous
oblige donc à conclure que l'Être nécessaire et éternel est nécessai-
rement l'Être infini, l'Être parfait.
Conclusion générale. — On peut résumer les preuves, qui ont été
proposées en disant : L'existence de Dieu est attestée par toutes les
puissances de l'homme. La raison l'affirme comme suprême intelligible,
seule raison suffisante de tout ; la volonté l'affirme comme suprême
législateur, qui lui a imposé la loi morale ; le cœur enfin l'affirme comme
le suprême désirable, dont la perfection absolue l'attire invinciblement.
C'est ainsi qu'on peut redire avec Bossuet : « La connaissance de nous-
mêmes nous doit élever à la connaissance de Dieu (^). »
77. — VALEUR DES PREUVES RATIONNELLES
Les partisans de la Méthode d'immanence en Apologétique pré-
tendent que les preuves rationnelles de l'existence de Dieu ne sont pas
suffisantes.
A) Fondement de l'objection : « ... Le principe d'immanence
consiste dans cette affirmation, que saint Thomas énonce, sans res-
( M Bossuet, De la connaissance de Dieu..., au début. — « Cette notion-mère (la notion
universelle et nécessaire de la causalité] de toute vraie philosophie tourne pour ainsi dire
autour de deux pôles fixes, dont l'un, premier dans l'ordre analytique des faits, est le moi;
l'autre, premier aussi dans l'ordre synthétique, est Dieu. C'est en allant de l'un à l'autre
qu'on trouve la vraie, l'unique relation de causalité, sans laquelle il n'y a rien. » (Maine
DE BiRAN, Nouveaux Essais d'Anthropologie..., Part. I, § I. Œuvres inédiles, Édit. Naville,
T. III, p. 375, Paris, 1859).
- (77) VALEUR DES PREUVES RATIONNELLES 575
triction aucune, puisque c'est à propos de l'ordre surnaturel qu'il "la
formule : Nihil potest ordùiari ad finem aliquem, nisi prseexistat in ipso
qusedam proportio ad fineni (Quaest. disput., xiv, De Veritate). Je n'ai
fait que traduire cette vérité essentielle et universelle en rappelant
qu'en effet « rien ne peut entrer en l'homme qui ne corresponde en quelque
façon à un besoin d'expansion », quelle que soit d'ailleurs l'origine ou la
nature de cet appétit {}). » La méthode d'immanence a pour point de
départ l'expérience psychologique, morale, religieuse ; elle prétend
montrer que l'action humaine implique l'existence d'un être transcen-
dant, qui est postulé par toutes les aspirations de l'âme humaine. Les
preuves métaphysiques de l'existence de Dieu sont objectivement
insuffisantes, car la pensée est conditionnée par l'action, et la vie ne
consiste pas seulement à penser logiquement, mais aussi à agir. C'est
pourquoi « la certitude [de l'existence de Dieu] qu'on peut avoir et qu'on
doit avoir est une certitude qu'on acquiert par un effort de l'âme tout
entière, et non seulement en raisonnant, mais en vivant et en agissant » {^).
B) Réponse. — Les partisans de l'apologétique traditionnelle
soutiennent au contraire, avec raison, que les preuves rationnelles de
l'existence de Dieu sont de soi suffisantes. Sans doute, certaines dispo-
sitions morales de sincérité et de probité sont requises pour que leur valeur
probante soit perçue ; il y faut un effort de bonne volonté ; mais, selon
eux, cet effort de l'âme consiste à écarter tout ce qui peut offusquer la
perception de la vérité, action négative que l'École appelle removens
prohibens (^). Pour les partisans de la méthode d'immanence cet effort
de l'âme ajoute aux procédés de démonstration quelque chose qui com-
plète leur insuffisance objective. Bref, par rapport à l'adhésion que
l'esprit donne, par exemple, à l'existence de Dieu, l'effort moral de
l'âme joue, selon les premiers, le rôle de condition, qui enlève les obstacles
à la perception de la valeur des arguments rationnels, lesquels sont en
soi efficaces ; pour les seconds, il remplit la fonction de cause, qui com-
plète ce qu'il y a d'insuffisant dans ces arguments spéculatifs. Les pre-
miers acceptent aussi la preuve de l'existence de Dieu, qui repose sur
le fait des aspirations de l'âme vers le bien absolu et par conséquent
fait appel à la dialectique de V action et de V amour ; mais, pour être
concluante, cette dialectique doit s'appuyer sur celle de la raison, c'est-
à-dire présupposer la valeur ontologique des principes de la raison : sans
ce point d'appui, la preuve morale manque de base et de solidité. Le tort
des défenseurs de la méthode d'immanence est donc de la présenter
(M M. Blondel, Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d'Apolo-
gétique, p. 28, Paris, 1896.
{') L. Laberthonnière, Essais de Philosophie religieuse, p. 86, note, Paris, 1903.
(«) Cf. T. I, Psychologie, n» 183, § A, I , b, p. 324.
576 DES ATTRIBUTS DIVINS EN GÉNÉRAL (78)
comme seule valable et exclusive, en rejetant les procédés de démons-
tration rationnelle qu'ils accusent d'être impuissants à porter la convic-
tion et qu'ils taxent faussement de méthode purement exirinséciste.
Car ils oublient que les tenants de la méthode objective et extrinsèque
enseignent que l'âme fait siennes les vérités auxquelles elle adhère par
cette voie et que ces vérités conviennent merveilleusement à ses ten-
dances et à ses besoins. De part et d'autre, on exige le concours de toute
l'âme, intelligence et volonté ; il n'y a donc ni extrinsécistes, ni imma-
nentistes tout court. Mais les uns, tout en requérant l'appoint de dispo-
sitions morales, donnent le primat à la raison et à ses principes qui
suffisent à fonder la preuve de l'existence de Dieu. Les autres, tout en
reconnaissant la nécessité de la collaboration de l'intelligence, nient que
les démonstrations rationnelles soient en elles-mêmes suffisantes : aussi
accordent-ils le primat à la volonté, à l'action, aux dispositions mo-
rales (^).
ARTICLE IL — NATURE ET ATTRIBUTS DE DIEU
78. — DES ATTRIBUTS DIVINS EN GÉNÉRAL
A) Position de la question : nous savons qu'il y a un Dieu, mais
pouvons-nous connaître sa nature ? Spencer et son École dite agnos-
tique déclarent Dieu inconnaissable et prétendent qu'on n'en peut rien
savoir. Sans doute la nature divine est incompréhensible à toute intelli-
gence finie, par cela seule qu'elle est infinie. Mais elle n'est pas inconnais-
sable, car entre comprendre Dieu et le connaître, c'est-à-dire savoir
quelque chose de sa nature, il y a une immense différence.
Cette question : quelle est la nature de Dieu ? est déjà en partie
résolue, car les preuves de l'existence de Dieu. ont abouti à l'affirmation
d'un Etre nécessaire, éternel, infiniment parfait.
Il ne s'agit donc plus que de dégager les résultats contenus dans
les notions précédentes, pour déterminer les attributs divins {^).
On entend par attribut toute qualité essentielle d'un être.
(') Cf. G. MiciiELET, Dieu et l' A gnolicisme contemporain, Paris, 1913'. — J. de Ton-
QUÉDEC, Immanence. Essai critique sur la doctrine de M. Maurice Dlondel, Paris, 1913.
( ') FÉNELON, Traité de l'existence et des attributs de Dieu. Lettres sur divers sujets de
métaphysique et de religion. — L. Lessius, De Perfectionibus moribusque divinis. — D. Pal-
MiERi, Institutiones philosophiez, T. III, Theologia, C. ii sqq. — S. Thomas, Summa theol.,
I» P., Q. XIII-XVI. — BossuET, De la connaissance..., Ch. iv. Élévations..., I" Semaine.
— E. Caro, L'idée de Dieu. — A. Farges, L'idée de Dieu d'après la raison et la science. —
A. DE Margerie, Théodicée, T. I, Ch. ix, x, xi. — Hugonin, Les Attributs de Dieu, flans
les A^fNALES DE Philos. Chrét., Fév. et Mars 1S95. — J. Kleutgen, La Philosophie
scolaslique. Dissert. IX. — M. d'Hulst, Mélanges philosophiques : Les procédés logiques
DE LA Théodicée, p. 47-69.
(79) ATTRIBUTS MÉTAPHYSIQUES 577
B) Distinction : on distingue en Dieu deux sortes d'attributs :
I. — ■ Métaphysiques : ce sont les perfections de Dieu considéré en
lui-même, indépendamment de toute relation avec le monde.
II. — • Moraux : ce sont les perfections de Dieu considéré dans ses
rapports avec le monde.
Les attributs métaphysiques constituent pour ainsi dire la substance
de Dieu ; les attributs moraux, sa personnalité.
C) Portée de cette distinction : Dieu étant absolument simple,
ses attributs et ses actes s'identifient complètement avec son essence et
ne forment avec elle qu'une seule et même perfection infinie, qui n'admet
aucune composition ou distinction réelle.
Dieu est acte pur, comme dit Aristote ; il est donc tout ce qu'il a ;
par conséquent, pour parler rigoureusement, il faut dire, non pas que
Dieu a des attributs, comme l'intelligence, mais qu'il est l'intelligence
infinie.
C'est pourquoi la distinctionj qu'on établit entre les divers attributs
de Dieu et son essence, n'est pas une distinction réelle, mais de raison.
Elle repose d'une part sur l'infinité de Dieu, dont la simplicité
absolue équivaut à toutes les perfections concevables ; elle est fondée,
d'autre part, sur l'infirmité de notre intelligence qui, incapable de saisir
d'un seul regard toutes les richesses de la nature divine, est contrainte
de la considérer successivement sous divers aspects que l'on nomme
attributs.
Bref, cette distinction, nécessitée par la faiblesse de notre esprit,
est un moyen artificiel pour étudier avec ordre et clarté la nature divine,
moyen analogue au procédé que nous avons dû employer aussi pour
"tudier l'àme (Psych., 9).
79. — ATTRIBUTS MÉTAPHYSIQUES
Tous ces attributs se déduisent a priori de l'idée d'infiniment parfait,
comme de la définition du triangle on tire par déduction ses propriétés
essentielles. Ils appartiennent à Dieu en tant qu'Être absolu et sont les
différents aspects de l'idée d'infini.
I. — Unicité : Dieu est non seulement un, mais unique. En effet,
deux êtres infiniment parfaits : — ou bien auraient même essence sous
tout rapport, et alors, étant absolument semblables, ils se confondraient,
car en vertu du principe d'identité des indiscernables, comme l'appelle
Leibniz, deux êtres qu'on ne peut aucunement distinguer l'un de l'autre
ne font qu'un, c'est-à-dire que la supposition de cette dualité répugne ;
il faut donc conclure qu'un seul des deux existe ; — ou bien auraient
deux essences différentes, et alors aucun des deux ne serait vraiment
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. — T. II. 19.
578 ATTRIBUTS MÉTAPHYSIQUES (79)
infini, car il leur manquerait la perfection qui les distingue l'un de l'autre.
II. — Simplicité : cet attribut exclut de Dieu toute composition.
Dieu étant composé, — ou les parties qui le composent seraient infinies,
ce qui répugne, puisqu'il ne peut y avoir plusieurs infinis ; — ou bien
chaque partie serait finie, et alors l'infini résulterait de l'addition du fini
au fini, ce qui répugne encore, car par là on n'obtient que l'indéfini
(PsYCH., 187, § A).
III. — Immutabilité : changer, c'est perdre ou acquérir quelque
chose; or l'Être infini, possédant toutes les perfections, n'en peutacquérir
aucune. Il n'en peut non plus perdre aucune, car il cesserait d'être infini.
IV. — Éternité : dire de Dieu qu'il est éternel, c'est dire d'abord
qu'il n'a jamais commencé et ne cessera jamais d'être ; ensuite qu'il
est au-dessus et en dehors du temps. En effet :
1° Commencer et finir sont deux imperfections; il faut donc éliminer
de Dieu tout commencement et toute fin.
2° Le temps, prolongé indéfiniment dans le passé et dans l'avenir,.
se réduit à une durée changeante et imparfaite. Or Dieu est infini et
immuable ; il faut donc exclure de lui toute durée qui implique chan-
gement et imperfection comme le temps ; il est donc au-dessus du
temps, il est éternel.
Les êtres finis deviennent, c'est-à-dire réalisent leur vie par moments
successifs, en passant d'un état à un autre. Dieu est et il est toujours et
simultanément tout ce qu'il est. C'est pourquoi Boëce définit avec raison
l'éternité : Interminahilis vitae iota simul et perfecta possessio (^). C'est
en effet le changement qui permet de marquer dans un être différents
moments, car le changement implique le devenir, le passage de Vavant
à Vaprès.
V. — Immensité : l'immensité est cette perfection en vertu de laquelle
Dieu, être infini et absolument simple, est partout tout entier, sans
être contenu dans l'espace.
Chaque corps occupe un lieu, c'est-à-dire une portion de l'espace,
déterminée par ses surfaces. L'espace est le rapport de situation qui
résulte de la coexistence de plusieurs corps : il est réel ou imaginaire
selon que les corps existent ou sont simplement possibles (38, § A, V).
L'espace réel est limité et divisible ; l'espace imaginaire ou idéal, qu'on
nomme aussi absolu, n'est que la possibilité indéfinie de l'extension eu
longueur, largeur et profondeur.
Ces définitions rappelées, il est manifeste :
a) Que l'on doit rejeter l'opinion de Clarke, pour lequel l'immensité,
qu'il considère comme une étendue sans bornes, est un attribut de
( ') Boëce, De Consolalione Philosophise, L. V, Prosa 6.
(79) ATTRIBUTS MÉTAPHYSIQUES 579
l'essence divine. Car, dans ce cas, Dieu ne serait ni un, ni simple, puisque
J'espace est divisible (38, § A, I).
b) Que Dieu ne peut être contenu dans l'espace. Car l'espace est
limité et divisible, tandis que Dieu est infini et simple. De même que
Dieu est en dehors et au-dessus du temps, il est en dehors et au-dessus
de l'espace. Fénelon l'explique admirablement : « Comme il ne peut y
avoir en Dieu ni passé ni futur, il ne peut y avoir aussi en lui au delà
ni au deçà. Comme la permanence absolue exclut toute mesure de
succession, l'immensité n'exclut pas moins toute mesure d'étendue.
Il n'a point été, il ne sera point, mais il est. Tout de même, à proprement
parler, il n'est point ici, il n'est point là, il n'est point au delà d'une telle
borne ; mais il est absolument. Toutes ces expressions, qui le rapportent
à quelque terme, qui le fixent à un certain lieu, sont impropres et indé-
centes ( ^). »
c) Que Dieu est présent partout, tout entier, non seulement par
son opération (en tant que sa science, sa puissance, sa bonté s'étendent
à tout), mais encore par son être, puisqu'en Dieu, absolument simple,
l'opération et l'être sont inséparables, étant une seule et même réalité.
Mais il faut épurer ce concept de V omniprésence et le dépouiller de
toute image sensible que suggèrent communément les mots : étendue,
espace, lieu. « Il est manifeste », comme dit encore Fénelon, « que Dieu,
à proprement parler, n'est en aucun lieu, quoiqu'il agisse sur tous les
lieux, car il ne peut avoir aucun rapport local par sa substance avec
aucun corps. » Ces expressions et autres analogues ont en effet le tort
d'éVoquer l'image de quelque chose d'étendu et de limité, comme si
l'on se représentait l'univers rempli de Dieu et le contenant, lorsqu'on
dit : Dieu est présent dans tout l'univers. Pour penser correctement,
il faut au contraire se représenter Dieu comme coexistant à chaque
partie de l'univers et le contenant tout entier, sans être aucunement
borné par lui, parce que l'immensité divine coexisterait à tous les univers
possibles, s'ils étaient créés et les dépasserait toujours par sa réalité
infinie. Dieu est immense, c'est-à-dire sans mesure.
d) Nous sommes là en présence d'une vérité dont la nécessité s'impose,
mais qui reste mystérieuse. Cependant nous trouvons en nous un reflet
de ce mystère, qui jette sur lui quelque lumière. Notre âme étant essen-
tiellement simple n'est pas, comme le corps, contenue dans un lieu ;
mais, à cause de son indivisibilité, elle est présente tout entière à tout
le corps et à chacune de ses parties : Tota in toto et tota in quolibet parte,
selon l'adage scolastique. Ce n'est là qu'une lointaine image de l'immen-
sité divine, car la présence de l'àme est limitée à son propre corps, tandis
que la vertu de la présence divine est illimitée.
(M FÉNELON, Traité de l'exislence et des attributs de Dieu, 11= P., Ch. v, Art. 4.
580 ATTRIBUTS MORAUX (80)
80. — ATTRIBUTS MORAUX
§ A. — MÉTHODE POUR LES DÉTERMINER
A) Exposé : les attributs moraux s'induisent a posteriori des qualités
que l'expérience nous montre dans les êtres créés. Cette méthode
qui comprend trois moments, a été appelée par les Scolastiques : méthode
de causalité^ A'' élimination et de transcendance {}).
I. — Via causalitatis : après avoir examiné* les œuvres de Dieu,\ a
Création, on remonte des créatures à Dieu, comrne au principe de ce
qu'elles ont de perfection, de réalité, de positif, d'être en un mot. C'est
une méthode d'analogie fondée sur cet axiome qu'une cause possède
toute la perfection de ses effets, soit formellement, soit éminemment,
car Nemo dat qiiod non habet.
II. — Via remotionis : puis on exclut absolument de Dieu toute
limitation, toute négation, toute imperfection (^).
III. — Via eminentiae : enfin on attribue à la nature divine tout ce
qui est réel, positif, substantiel, en un mot, tout ce qui n'implique en
soi aucune imperfection, tout ce qu'il est meilleur d'avoir que de ne pas
avoir, et on l'élève à l'ijifini.
B) Objection : ce procédé conduit nécessairement à l'anthropo-
morphisme.
Réponse : il est certain que, n'ayant pas l'intuition de Dieu, l'idée
que nous en avons est forcément relative. Nous attribuons nécessai-
rement à Dieu les qualités que l'expérience nous révèle. Mais on peut
contenir cet anthropomorphisme inévitable dans des bornes raison-
nables, en s'inspirant des règles suivantes :
1° L'idée de perfection doit nous servir de critérium pour discerner
ce qu'il convient ou non d'attribuer à l'Être infini. Exemples : nous
sommes en proie au doute, à l'indécision, à l'inquiétude, etc., toutes
choses imparfaites que nous écarterons de la nature divine. Nous sommes
capables de sentir, d'imaginer, de nous souvenir, de raisonner ; tontes
ces opérations sont bien des qualités positives, mais comme elles impli-
quent la dépendance de la matière, le changement, la succession, toutes
choses imparfaites, nous les bannirons aussi de la nature divine. Nous
avons la raison intuitive : comme cette qualité n'implique en ellç-
(') A. DE Margerie, Théodicée, T. I, Ch. ix.
( ') "... Pour connoUre la nature de Dieu autant que la mienne en étoit capable, je
n'avois qu'à considérer, de toutes les choses dont je trouvois en moi quelque idée, si c'étoit
perfection ou non de les posséder, et j'étois assuré qu'aucune de celles qui marquoieut
ijuelque imperfection n'étoit en luy, mais que toutes les autres y étoient... » {Descartes,
Discours de la Méthode, IV« P.)
(81) SCIENCE ET SAGESSE DE DIEU 581
même aucune imperfection essentielle, nous l'attribuerons à l'intelli-
gence divine en la portant à l'infini.
2^ Les qualités positives des êtres créés doivent être transportées
en Dieu soit formellement, c'est-à-dire selon le même concept formel,
quand elles n'entraînent aucune imperfection ; soit éminemment, c'est-
à-dire sous une forme supérieure, quand elles sont mélangées d'imper-
fection. Cette forme supérieure remplace avantageusement l'autre, puis-
qu'elle peut, et d'une façon suréminente, tout ce que peut la première.
Ainsi la connaissance intuitive peut être attribuée à Dieu, parce que
son concept est exempt de toute imperfection ; la connaissance discur-
sive ne peut l'être, parce qu'elle suppose une marche lente, détournée,
dépendant d'intermédiaires. Mais l'intuition, élevée en Dieu à l'absolu,
en tient lieu éminemment.
§ B. — DÉTERMINATION DES ATTRIBUTS MORAUX
En considérant l'œuvre divine, l'ensemble et le détail de l'univers
et spécialement l'homme, vrai microcosme (Psych., 3), qui résume l'uni
vers, nous admirons des qualités positives qu'on peut avec Leibniz
ramener aux trois suivantes :
1° L'Intelligence, qui se manifeste chez les animaux par l'instinct
et chez l'homme par la pensée et la science.
2° La Sensibilité : dans les règnes inférieurs, elle est symbolisée par
les forces attractives et répulsives ; chez les animaux, elle se traduit
par le désir et par la faculté de jouir et de soufîrir ; dans l'homme elle
s'élève jusqu'à l'amour du vrai, du bien et du beau.
3° La Puissance, qui se révèle comme force dans la nature et qui
chez nous, étant consciente et maîtresse d'elle-même, s'affirme par la
volonté et la liberté.
Donc on doit retrouver en Dieu :
10 Une Intelligence parfaite, qui comprend Vomniscience et la
sagesse.
2° Un Amour parfait, qui comprend la honte, la sainteté, la justice
et la béatitude absolues.
3° Une Activité parfaite, qui comprend une volonté toute puissante
et la liberté.
81. — § Ao SCIENCE ET SAGESSE
I. — PERFECTION DE V INTELLIGENCE DIVINE
L'homme est intelligent ; or l'intelligence est une perfection ; donc
Dieu est intelligent.
Mais l'intelligence humaine est imparfaite :
1° Dans son mode d'opération : elle procède par la voie lente, frag-
%
582 SC1E>'CE ET SAGESSE DE DIEU (81)
mentaire, qu'on nomme discursive ; elle est sujette à l'erreur et au
doute.
2° Dans son objet : elle ne connaît pas tout et ne connaît le tout de
rien.
L'intelligence divine, étant affranchie de toutes les défaillances, est :
I. — Parfaite dans son mode d'opération : la pensée de l'homme
est multiple, changeante, successive. En Dieu, rien de pareil. La pensée
divine est éternelle, unique, intuitive, car l'infinité exclut toute succes-
sion et toute multiplicité, tout souvenir et toute prévision, tout raison-
nement déductif ou inductif. Dieu voit tout dans un éternel présent.
C'est pourquoi le mot prescience, appliqué à Dieu, n'est pas rigoureu-
sement exact. (PsYCH., 205, § III, A, Second essrai). — Balmès a jus-
tement remarqué que plus une intelligence est puissante, moins elle a
d'idées : leur nombre diminue, mais leur compréhension augmente.
L'Etre parfait voit tout dans une Idée infiniment compréhensive
(Logique, 39, § B, III). « Ce regard unique, dit Fénelon, épuise toute
vérité et il ne s'épuise jamais lui-même (^). «
IL — Parfaite dans l'extension de son objet : Dieu étant
infini, rien ne saurait échapper à sa connaissance : il est omniscient.
Donc :
1° Dieu se connaît lui-même et se comprend : Dieu connaît tout ce qui
est connaissable. Mais, parmi tous les objets intelligibles, Dieu tient le
premier rang. Toutes les choses, que Dieu connaît en dehors de lui, il les
connaît en tant qu'il est leur cause exemplaire, efficiente et finale,
c'est-à-dire par le rapport qu'elles ont avec lui. Donc le premier objet
de sa connaissance est lui-même. Il se connaît et il se connaît parfai-
tement, c'est-à-dire qu'il se comprend ; il y a équation parfaite entre le
sujet et l'objet de la pensée : l'intelligence infinie égale l'infinie intelli-
gibilité.
2° Dieu connaît encore tout ce cjui, en dehors de lui, est (onnaissable,
c'est-à-dire tout ce qui, participant de l'être à un degré quelconque,
peut être le terme, l'objet d'un acte d'intellection : à savoir tous les
possibles, c'est-à-dire tout ce qui est simplement apte à exister ; — tous
les futurs conditionnels ou futuribles, c'est-à-dire les événements qui
ne seront jamais, mais qui auraient été si telle condition avait été posée :
vg. Qu'aurais-je fait, si j'avais été placé, quand j'ai accompli tel acte,
dans d'autres conditions ? — tous les êtres actuellement existants ; —
toutes les choses futures, qu'elles soient fatales ou libres (^).
La raison est toujours la même : l'intelligence divine, étant infinie,
( ') FÉNELON, Traité de l'existence de Dieu et de ses nllribiits. II'" P., Ch. v, Art. .5.
( *) Sur la façon dont ii est possible de concilipr la lilierté humaine avec la prescience
divine, voir Psych., 205, § III.
(81) SCIENCE ET SAGESSE DE DIEU 583
s'étend nécessairement à tout ce qui est intelligible. Autrement, elle
serait impuissante, incapable, donc imparfaite.
Objection : Aristote prétend que Dieu est la pensée qui se pense et
qu'il ne connaît que lui-même. La pensée divine ignore le monde. Elle
en est cependant la Providence, parce que le monde connaît Dieu et
est attiré vers lui par le charme irrésistible de ses perfections. La raison
alléguée par le Stagirite, c'est qu'il est indigne de Dieu de connaître les
êtres inférieurs : la relation de cet univers imparfait à son intelligence
serait une souillure.
Réponse : a) Sans relever cette contradiction étrange d'une Provi-
dence aveugle s'exerçant sans le savoir sur un monde qu'elle ignore,
il suffit de remarquer que, si Dieu ne sait pas tout, sa science est limitée,
en désaccord par conséquent avec sa perfection infinie.
b) La raison invoquée par Aristote est sans valeur : est-ce que la
connaissance d'imperfections, existant en dehors de nous, nous rend
imparfaits ? *
II. — REMARQUES SUR LA SCIENCE DE DIEU
A. — Noms divers de la science divine : dans la terminologie
scolastique on appelle : Science : a) de simple intelligence : la connais-
sance des possibles ; — b) de vision : la connaissance des êtres existants ;
— c) moyenne : la connaissance des futurs conditionnels. Elle est dite
moyenne, parce que son objet tient le milieu entre les purs possibles et
les futurs absolus ou sans condition. En effet les futurs conditionnels
participent des possibles, en tant qu'ils n'existeront pas ; ils participent
des futurs absolus, en tant qu'ils seraient, si la condition était posée (^).
Prenons, comme exemple, le reniement de l'apôtre Pierre :
a) Pierre interrogé par une servante peut renier ou ne pas renier
son Maître. {Science de simple intelligence.)
b) Si Pierre est interrogé par une servante, il reniera son Maître.
{Science moyenne.)
c) Pierre sera interrogé par une servante et il reniera son Maître.
{Science de pisiori.)
B. — Rôle de l'essence divine dans la connaissance : l'essence
divine est Tunique moyen dans lequel et par lequel Dieu connaît toute
chose, car si rititelligence divine avait besoin, comme la nôtre, d'être
déterminée par des intermédiaires, elle serait dépendante et, partant,
imparfaite.
L'essence divine contient éminemment toutes les perfections conce-
vables. C'est pourquoi, en contemplant cette essence infiniment parfaite,
(M Palmikri, InsiituHones philosophicœ, T. III, Th. XXX, Nota, p. 198.
584 CONNAISSANCE DES FUTURS CONDITIONNELS (82)
l'intellect divin voit toutes les manières dont elle est indéfiniment imi-
table. Ces divers degrés d'imitabilité, auxquels correspondent autant
de degrés d'être ou de perfection, constituent l'ensemble des possibles,
des futuribles, des futurs nécessaires et des futurs libres. Dieu est la
cause exemplaire des possibles et des futuribles, en tant que l'intellect
divin perçoit distinctement toutes les perfections dont son essence
est le fondement virtuel. Il est la cause exemplaire des futurs nécessaires
et des futurs libres (qui doivent exister), en tant que la volonté divine
décrète l'existence de tel ordre de futuribles qui, de futurs conditionnels,
deviennent futurs absolus. "^
L'essence divine est donc bien le moyen unique dans lequel et par
lequel Dieu connaît toute chose : elle est le moyen de connaissance des
possibles et des futuribles, en tant qu'elle est considérée comme affectée
de Vidée divine, représentant les différentes imitabilités ; elle est le moyen
de connaissance des futurs, en tant qu'elle est considérée comme affectée
du décret librement créateur, en vertu duquel la volonté divine choisit
telle catégorie de futuribles pour les faire passer de la possibilité à la
réalité.
III. — SAGESSE
La Sagesse consiste à atteindre, par l'emploi des moyens les plus
propres, des fins excellentes. C'est une qualité qui est nécessairement
impliquée dans le concept d'une intelligence droite. Dieu étant infi-
niment intelligent est donc infiniment sage.
82. — CONNAISSANCE DES FUTURS CONDITIONNELS
La science divine, immuable en elle-même, prend différents noms,
comme on l'a vu (81, II, A), selon les objets auxquels elle s'applique (*■).
La science de simple intelligence et la science de vision sont admises
sans contestation, parce que la vérité des essences possibles et des êtres
existants est en elle-même parfaitement déterminée ; il est clair que
Dieu infiniment parfait ne peut manquer de la connaître. Voilà pour le
fait. Quant à la manière dont Dieu connaît les possibles et les êtres
existants, on la conçoit encore assez facilement. Dieu, avant tout décret
de sa volonté, connaît les possibles dans son essence en tant qu'elle est
la perfection infinie indéfiniment imitable par des perfections finies.
Quant aux choses existantes produites par Lui seul ou au moyen des
(') Crinsidi^rée en Lui, la science de Dieu est évidemment une, puisque les perfections
de Dieu s'identifient avec son essence. C'est par rapport au terme objectif de cette science
que l'on distingue, pour la clarté de l'exposition, plusieurs sciences.
(82) CONNAISSANCE DES FUTURS CONDITIONNELS 585
causes nécessaires, Dieu les connaît dans son essence en tant qu'elle est
identifiée avec le décret éternel de la volonté divine produisant ces
choses dans le cours du temps.
Il n'en va pas de même de l'existence de la science moyenne, ni
surtout de la manière dont Dieu connaît dans son essence les actes
libres futurs des créatures, soit absolus (qui seront un jour), soit condi-
tionnels (qui seraient, si telle condition était posée). Dans l'explication
de ce mode de connaissance il y a, parmi*les Scolasti|ques, une grande
divergence d'opinions.
§ A. — EXISTENCE DE LA SCIENCE MOYENNE
I. — Cette science existe si elle a un objet ayant une vérité déter-
minée. Or il en est ainsi. En effet « une volonté réelle fera librement
demain tel acte et non tel autre : il est donc vrai dès aujourd'hui, il fut
toujours vrai et il le sera toujours, que tel acte aura lieu demain de
préférence à tel autre. Comme il s'agit ici de l'acte futur concret d'une
volonté concrète dans des circonstances concrètes, il suit qu'une telle
volonté fera librement l'acte A ou qu'elle fera l'acte B, mais qu'elle
ne restera pas indéterminée en fait entre B et A. Or ce qui est vrai de
l'acte libre futur d'une volonté existante a dû l'être d'abord de cet acte
possible, et semble devoir l'être, de la même façon et pour la même raison,
de l'acte libre futurible d'une volonté existante ou possible. Cette volonté
est en effet concrète, et on la suppose placée dans des circonstances
concrètes dans lesquelles elle accomplirait en fait un acte concret, donc
un acte d'une vérité déterminée (^) ».
IL — Les théologiens, partisans du système de Bafies, contestèrent
l'existence de la Science moyenne. Mais ils durent s'incliner devant des
faits que comme catholiques ils ne pouvaient récuser. On leur apporta
des exemples tirés de la Sainte Écriture, qui montrent que Dieu connaît
avec certitude ce qui serait arrivé à certains personnages bibliques s'ils
s'étaient trouvés dans des circonstances différentes de celles qui ont été
réalisées. Citons un de ces exemples :
David, assiégé par Saûl dans la ville de Coila, craignait d'être livré
par les habitants. Il alla consulter le prophète et lui dit : Si je reste, me
livreront-ils ? Inspiré de Dieu, le prophète lui répondit : Ils vous livre-
ront. Tradent. David s'empressa de quitter Ceila {^). Nous savons d'une
science certaine (puisqu'elle rep'ose sur un oracle divin) que David eût
été livré s'il était resté dans la ville. Donc cette proposition condi-
tionnelle a une vérité objective déterminée.
( ') Lahr-Picard, Cours de Philosophie : Thkologie rationnelle, Partie III. Ch. iv,
p. 534.
{■) Premier livre des Rois, Ch. xxiir, v. 7-13.
586 CONNAISSANCE DES FUTURS CONDITIONNELS (82)
§ B. — EXPLICATIONS DIVERSES DU COMMENT
Que Dieu connaisse les futuribles, la raison voit qu'il en doit être
ainsi, parce que, étant infinie, sa connaissance s'étend à tout le connais-
sable. Qu'il doive les connaître, comme tout le reste, dans et par son
essence, la raison le voit aussi avec évidence. En effet. Dieu étant simple,
infini, immuable, ne peut être modifié, ni attiré par aucune influence
étrangère. Son intelligence et sa volonté ne peuvent donc être déter-
minées par l'action des objets extérieurs. Autrement II serait dépendant
et, conséquemment, imparfait. De toute nécessité l'unique raison de sa
science, comme de ses décrets, ne peut se trouver qu'en Lui-même,
in Seipso. Mais, si le fait est incontestable, le comment reste mystérieux.
C'est un mystère qu'une intelligence finie ne saurait comprendre, parce
que seul l'infini peut égaler l'infini. On a imaginé un certain nombre
de systèmes pour essayer de soulever un coin du voile.
I. — Système de Banes (^) : l'École thomiste, à la suite deBANES
(1528-1604), célèbre professeur de Théologie à l'Université de Sala-
manque, a recours à la prédétermination ou prémotion physique {^).
Dieu connaît : les futurs absolus dans les décrets par lesquels II prédé-
termine les volontés à l'action ; les futuribles dans des décrets prédéter-
minants conditionnels^ c'est-à-dire dans des décrets qu'il porterait s'il
lui plaisait de réaliser la condition mise à l'accomplissement de l'acte.
Critique. — Ce système n'est pas admissible, parce que :
1" La Prédétermination pJiysique supprime la liberté hiunaine. Cette
conséquence ressort avec évidence des caractères que les Thomistes
attribuent à cette prédétermination. D'après eux, en effet, elle est :
a) Physique et non morale : elle influe sur la volonté en lui commu-
niquant le pouvoir d'agir et non en l'attirant par sa bonté (^).
' (M Cf. pour la Bibliographie, T. I, Psychologie, § 205, III, note, p. 381. Le Père
ScHNEEMANN (cians l'ouvragc cité à cette page 381) veut prouver que le système de la
prédétermination est en opposition avec la doctrine de S. Thomas et était inconnu de
l'ancienne École thomiste. Un précieux renfort lui est venu d'un côté d'où on ne l'attendait
guère. Le Père Dominicain Papagni, maître en Théologie, est d'accord avec les Jésuites
pour constater « combien cette fausse doctrine touchant la motion divine dans les créatures,
introduite après coup, corrompt la pensée de S. Thomas et exerce une influence pernicieuse
sur les principales matières de la Philosophie et de la Théologie. » (La mente di S. Tommaso
intorno alla mozione divina nelle créature e le quistioni che vi hanno rapporta, p. 83-84,
Bénévent, 1902). Cf. G. Sortais, Le Déclin d'iin Système, dans Études philosophiques
ET sociales, p. 273-284, et dans les Études, 1905, T. I, p. 704-710.
( ') Cf. Dominique Banes, Scholastica Commentai-ia in Primam Partem Angelici Doc-
toris : Quœst. XIV, Art. XIII. Q. XIV, A. VIII. Q. XXII, A. IV, Salamanaue, 1584. —
Diego Alvarez, De Auxiliis Divinae Gratiœ ethumaniarbitriiviribus et liberlate,ac légitima
ejus cum efficacia eorundem auxiliorum Concordia Libri duodecim, Disput. V, § 8-10.
Disp. XII ; XXII ; XXIII. Rome, 1610. — Antoine Goudin, Philosophia juxta inconcussa
tutissimaque D. Thomae Dogmata, Part. IV, Disput. II, Quacst. III.
{') ...Est praedeterminatio physica, qua ex parte potentiae efflcienter proprie movetur
a Dec voluntas ad aliquid volendum, quaî quidem praedeterminatio dicitur physica, slve
(82) CONNAISSANCE DES FUTURS CONDITIONNELS 587
b) Antérieure à Vacte, car elle tombe sur la faculté en puissance pour
la compléter et l'appliquer à l'action (^).
c) Intrinsèquement efficace, de sorte que la volonté ne peut omettre
l'acte auquel cette prédétermination la meut {^).
Cette solution sauvegarde la toute-puissance et l'indépendance de
Dieu, mais en sacrifiant la liberté des êtres créés. Si, en eiïet. Dieu déter-
mine d'avance que je ferai tel acte, de sorte qu'un acte difîcrent soit de
ma part métaphysiquement impossible, comment peut-on affirmer que
je reste maître de produire ou de ne pas produire cet acte prédé-
terminé ? (■')
Les distinctions, imaginées par les Thomistes pour énerver la force
de cet argument, sont de vaines subtilités, qui ne résistent pas à l'exa-
men. Voici, par exemple, là plus célèbre : la distinction entre le sens
composé et le sens divisé.
A cette objection : posée la prémotion physique dans la volonté,
l'acte suit nécessairement, voici la réponse la plus commune parmi les
Thomistes :
Si l'acte est considéré du côté du terme, c'est-à-dire de la volition,
il suit nécessairement, nous le concédons.
Si l'acte est considéré du côté du principe, c'est-à-dire de la volonté,
il suit nécessairement, nous le nions.
Ils expliquent ainsi cette distinction : quand nous voulons, nous
voulons nécessairement quelque chose, car nous ne pouvons à la fois
(c'est-à-dire in sensu composito) vouloir et ne pas vouloir. Mais notre
volonté, avant d'agir, a le pouvoir de vouloir ou de ne pas vouloir
(c'est-à-dire in sensu divisa) et la prémotion lui conserve ce pouvoir.
Donc la volonté se meut et agit librement, parce qu'elle est libre par
nature (*).
ad iiioduiii causae physicae, ut coiulisUnv'uitur coiiLra illaiu quae est soliini luoralis...
(Alvauicz, De Auxiliis..., Disp. XXII, § I. — Alvarez passe pour être de beaucoup le plus
remarquable {facile princeps) des Bannésiens.
(') Id, per ([uod pnedeterminatur voluntas, neqne est formaliter actus seciindus, nec
simplicitcr actus priinus, sed médium quoddam, videlicet ultimum complementum actus
primi. (Alvarez, De Auxiliis..., Disp. XXIII, § XXVII). En d'autres termes, la pré-
détermination physique est l'application de la puissance à l'acte second (Applicatio potenliae
ad aclum secundum).
( -) La prémotion est dite physique : quia ex propria essentia et ab intrinseco est efficax
indfpendenter a (luocunque creato consensu... Non obstat quod per decretum divinum et
motionem pryedeterminantem vohmtas determinelur et applicetur ad unum actum
(J.-B. GoNET. Clypeus Theologiee Thomislicœ, Tractât. V, Disp. VII, Art. V, § I Notanduni
tertio, § II Non obstat.)
(') Cf. SuAREZ, Opuscul. De Concursu, Molione et Auxilio Dei, L. III, C. xii, § 6 sqq.
( ') Viiluntate certissime libère volumus ; sed, cum volumus, infallibiliter et neces-
sario volumus (nempe in sensu cornposilo) ■ non enim est in libertate nostra non velle cl
velle simul. Hoc est ex parte termini. Altamen ex parte principii, hoc est voluntatis. scimus
quod licet nostrum nelle non possit simul componi cum non velle, est tamen in nostra potes-
588 CONNAISSANCE DES FUTURS CONDITIONNELS (82)
Il est clair, à y regarder d'un peu près, que cette explication ne résout
pas la difficulté. Car, qu'importe que la volonté garde radicalement
la faculté de vouloir ou de ne pas vouloir, si, posée la prémotion divine,
il répugne métaphysiquement, de l'aveu des Thomistes (§ B, I, !«, c)
que l'acte prédéterminé par Dieu n'arrive pas. Bref, très libre en elle-
même, par nature, quand elle n'agit pas, la volonté, en fait, ne peut
jamais agir librement, parce que la prémotion la prédétermine à une
seule chose.
20 La Prédétermination physique est inconciliable avec la sainteté
de Dieu, car Banes enseigne que tout effet est voulu absolument par Dieu,
même le mal. « Toute opération du libre arbitre se rapporte à Dieu
comme à sa cause, et par conséquent doit être soumise à la divine Provi-
dence. Donc, sous la divine Providence, tombe toute opération du libre
arbitre, même le péché, directement en tant qu'il est opération, d'une
manière permissive, en tant qu'il s'écarte de la règle de la raison. Et c'est
ainsi que se vérifie cette parole des Proverbes, Ch. xvi, v. 4 : Universa
propter semeptisum operatus est Dominus, impium quoque in diem
malum (^) ; c'est-à-dire II a créé tel homrtie qu'il a voulu permettre
impie, afin de montrer sa justice au jour du jugement par la juste
condamnation de cet homme {^). »
Baîïes ne dit pas : Dieu a permis que tel homme fût impie, mais
Dieu a voulu permettre. Il ne s'agit donc pas d'une attitude purement
permissive qui laisse à la volonté humaine la responsabilité de l'exis-
tence ou de la non-existence de l'acte mauvais qui dépend de son libre
arbitre. Dans cette conception. Dieu coopère au mal, ce qui répugne
à sa sainteté. Dieu, en effet, veut absolument que tel acte ait lieu, parce
late ponere potius velle quain non veUe ; quocirca, in sensu diviso, veUe et non velle in
nostra potestate sunt. Porro praemotio divina, ratione suœ universalitalis et efficacitatis,
ut dictum est supra, potestatem sic conservât in voluntate, ac si voluntas concipiatttr
omnino independens a quocumque sive influxu sive concursu : ratio est quia, ut pluries
jam diximus et saRpe est dicendum, praemotio non movet ad operationem simpliciter, sed
ut reduplicative modiflcata a natura voluntatis (31, V, Quo sensu motio moventis). Sed
voluntas non polest libère agere nisi educatur ad agendum ex sua nativa potentialitate,
id est nisi praemoveatur, sicut lignum calefactuin calefacit, sed non potest calefacere nisi
praecaleflat {Ibid., Traditur). Perfectissime ergo se niovet et libère agit, quia libéra natura
est. (Th. -M. Zigliara, Summa philosophica in usum Scholarum, T. Il, Ttteologia naiuralis,
L. Ill, C. IV, Art. VII, § II, Obieciio tertia.)
( ') Jéhovah a tout fait pour son but, et le méchant lui-même pour le jour du malheur.
(Traduct. de Crampon).-
( -) Nihilominus actusiiberi arbitrii reducitur in Deum sicut in causam :unde necesse est
ut divinae providentiae subjiciatur ; ergo sub divina providentia cadit omnis operatio liberi
arbitrii, etiam peccati, directe quidem quatenus operatio est, permissive vero qualenus
deflciens est a régula rationis. Et ila verificatur ilUid Prov. XVI : Universa propter semel-
ipsum operalus est Dominus, impium quoque in diem malum : scilicet eatenus creavit
hominem aliquem, quem voluit permittere impuim esse, ut in die judicii ostenderet justi-
tiam suam in ejus condemnationc justa (Banes, Scholastica Commeniaria in Primam
Parlem Angelici Doctoris, Qua;st. XXIII, Art. III, p. 271, C, col. 1, Douai, 1614).
(82) CONNAISSANCE DES FUTURS CONDITIONNELS 589
qu'il a la volonté de manifester sa justice en condamnant cet homme ;
et, parce que la faute de cet homme est nécessaire à Ig^ production de
l'acte, Dieu la permet. Il y a donc connexion entre la volonté divine et
l'acte mauvais.
L'exemple que Banes apporte pour justifier la conduite de Dieu ne
fait que mieux ressortir l'odieux de son système, en manifestant les
conséquences répugnantes auxquelles il aboutit logiquement. « Par
exemple, dit-il, Dieu est cause voulante et efficiente d'un acte de haine
de Dieu, et la volonté humaine est cause volontaire et efficiente du
même acte. Mais la volonté de l'homme est mauvaise, parce qu'elle
produit un tel acte sans la règle de la raison, bien plus contre la règle
et la loi de Dieu. Quant à la volonté de Dieu, elle est bonne, lorsqu'il
veut que cet acte ait lieu en permettant la défaillance de la cause
seconde, afin d'en tirer quelque plus grand bien par la manifestation
de sa justice ou de sa miséricorde (^). » Voilà où en arrive Baiïes : Dieu
veut et fait dans tel homme l'acte de haïr Dieu. Pourquoi cette volonté
et cette opération de Dieu sont-elles bonnes ? Parce que Dieu veut
manifester par là sa justice vindicative. Mais, alors, que Banes fait-il
du principe : on ne doit pas faire le mal pour obtenir le bien ? Non sunt
facienda mala ut eveniant hona ? Ou bien faut-il préconiser la maxime
impie : La fin justifie les moyens ?
D'ailleurs, la prémotion physique n'est pas moins contraire à la
bonté de Dieu qu'à sa sainteté. Cela ressort clairement de ce que dit
Banes : vg. « L'acte de la divine volonté relatif à la permission du
péché des réprouvés et à la soustraction du secours efficace avec lequel,
ou ils ne pécheraient pas, ou ils feraient pénitence, doit être expliqué
comme un acte affirmatif et non pas seulement négatif. C'est pourquoi
Dieu a eu cet acte de toute éternité : Je veux permettre ces péchés ;
je ne veux pas donner à quelques-uns des secours tels que, s'ils les
recevaient, ils ne pécheraient pas (^). »
Les conséquences du système de Banes sont si dures que ses dis-
( MV.g. Deus est volens et efficiens causa actus odii Dei, et voluntas humana est causa
«jusdem actus voluntaria et efficax. At vero voluntas hominis mala est, quia talem actuni
exercet sine régula rationis, imo contra regulam et legem Dei ; Deus autem bona voluntate
vult fieri illum actum permittens defectum causae secundae in ipso, ut inde aliquod majus
bonum faciat, se. ut ostendat bonitatein suam juste puniendo et magis miserendo respectu
aliorum. vcl etiam respectu ejusdem si praedestinatus fuerit (Banes, Ibidem, Q. XXIII,
A. III, p. 270-271).
( ') Actus divinae voluntatis circa permissionem peccati reproborum et circa substrac-
tionem auxilii efficacis, quo posito non peccarent, vel, si peccarent, pœnitentiam agerent,
affirmative explicari débet et non solum négative. Itaque Deus habuit hune actum ab
aeterno : volo permittere haec peccata, volo quibusdam non dare auxilia, quae si reciperent,
non peccarent. (Banes, Ibidem, Q. XXIII, A. III, p. 270, col. 1, § Secunda condusio.)
590 CONNAISSANCE DES FUTURS CONDITIONNELS (82)
ciples se sont évertués à en tempérer la dureté : mais ils n'y parviennent
qu'en « faussant compagnie à la logique » (^).
II. — Système de Leibniz : à ses yeux les futurs conditionnels sont
des possibles comme les autres. Dieu les connaît donc par la science de
simple intelligence. « Toutes les liaisons des actions de la créature et
de toutes les créatures étaient représentées dans l'entendement divin
et connues à Dieu par la science de la simple intelligence, avant qu'il
eût décerné de leur donner l'existence. Ce qui fait voir que, pour rendre
raison de la prescience de Dieu, on peut se passer tant de la science
moyenne des Molinistes, que de la prédétermination, telle qu'un Banes
ou un Alvarez (auteurs d'ailleurs fort profonds) l'ont enseignée (^). »
Et Leibniz en donne cette raison : « Car il suffit que la créature soit
prédéterminée par son état précédent, qui l'incline à un parti plus qu'à
l'autre (^). » Les actes de la volonté humaine étant ainsi prédéterminés^
rien d'étonnant que Dieu puisse les connaître avec certitude.
Critique : 1° Le futur conditionnel a une objectivité d'un caractère
irréductible, qui lui est propre. C'est moins qu'un « futur », parce que
son existence, comme celle de la condition dont il dépend, reste indéter-
minée. C'est plus qu'un « possible », parce que non seulement on doit
dire de lui qu'il peut exister, mais encore qu'il existera si la condition
dont il dépend est réalisée. C'est donc à tort que Leibniz le ramène à
un pur possible et conséquemment à la science de simple intelligence,
20 Leibniz fait de la prédétermination psychologique la description
suivante : « ...Nous suivons toujours en voulant le résultat de toutes les
inclinations qui viennent tant du côté des raisons que des passions ;
ce qui se fait souvent sans un jugement exprès de l'entendement. Tout
est donc certain et déterminé par avance dans l'homme, comme partout
ailleurs, et l'âme humaine est une espèce d'automate spirituel, quoique
les actions contingentes en général et les actions libres en particulier
ne soient point nécessaires pour cela d'une nécessité absolue, laquelle
serait véritablement incompatible avec la contingence (*). »
Cette prédétermination est inconciliable avec la notion de la liberté
qui consiste à pouvoir choisir entre les alternatives contraires. Si, en
effet, <( tout est déterminé par avance dans l'homme, comme partout
ailleurs » et si, conséquemment, « nous suivons toujours le résultat de
toutes les inclinations », il est clair qu'il ne reste plus de place pour le
choix, car nos actes sont la résultante nécessaire de nos raisons et pas-
sions antécédentes : ou, comme le dit expressément Leibniz, « la créature
( ') Cf. Th. de Régnon, Danez et Molina, L. II, § III et IV, p. 87-100.
( *) ( ') Leibniz, Essais de Théodicée sur la bonlé de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine
du mal, I" Partie, § 47, Œuvres, Édit. Janet, T. II, p. 111.
(♦) Leibniz, Essais de Théodicée..., Partie I, § 51, 52, T. II, p. 113. C'est nous qui
soulignons.
(82) CONNAISSANCE DES FUTURS CONDITIONNELS 591
est prédéterminée par son état précédent qui l'incline à un parti plus
qu'à l'autre ». Ces derniers mots visent à sauvegarder la liberté. Mais
il y a là une équivoque qu'il faut dissiper.
D'après Leibniz, en suivant le motif « prévalent », c'est-à-dire le
plus fort, la volonté reste libre, parce qu'elle le suit volontiers, avec
plaisir, sans contrainte, bref, parce que « nous ne voulons, à la vérité,
que ce qui nous plaît » (^). Mais, dans ces conditions, la volonté n'est pas
simplement inclinée, elle est réellement nécessitée. Car, nous n'avons
beau faire « que ce qui nous plaît », de l'aveu même de l'auteur « nous
suivons toujours », (donc nécessairement) « en voulant, le résultat de
toutes les inclinations qui viennent tant du côté des raisons que des
passions ». C'est dire : nous cédons à une nécessité inévitable, mais
avec plaisir, parce que le motif « prévalent » agit toujours par manière
d'attrait. A ce compte, il faudrait dire que les hommes tendent librement
vers le bonheur, parce qu'il leur plaît de le rechercher (Psych., 211).
Gomme si le plaisir n'accompagnait pas aussi bien les actes nécessaires
que les actes libres !
III. — Système de Suarez : d'après le Docteur éminent et un grand
nombre de Scolastiques, Dieu connaît les futurs conditionnels en eux-
mêmes, c'est-à-dire, non pas dans sa volonté, ni dans la volonté humaine,
ni dans l'influence des motifs, mais dans leur vérité objective. On démontre
ainsi, d'après Suarez, que les futurs conditionnels sont objectivement
vrais : de deux propositions conditionnelles contradictoires, vg. si
Pierre était placé dans telles circonstances, il pécherait, il ne pécherait
pas, l'une est déterminément vraie et l'autre déterminément fausse.
Il est impossible en eiïet que toutes deux soient vraies ou toutes deux
fausses, car ou il pécjierait ou ne pécherait pas ; il ne pourrait en même
temps et sous le même rapport pécher et ne pas pécher. Son acte serait
donc déterminément un péché ou la négation du péché, parce qu'un
acte ne peut être indéterminé. Par conséquent, les futurs conditionnels
ont une vérité déterminée, objective (^).
L'intelHgence infinie, qui voit toute vérité, sait laquelle des deux
propositions conditionnelles contradictoires est vraie, laquelle est fausse.
Ceci posé, il s'agit de savoir comment Dieu connaît les futurs condi-
tionnels. Voici la réponse des Suaréziens.
L'intelHgence divine est déterminée par elle-même à connaître tout
ce qui est vrai, donc non seulement ce qui est ou peut être, mais encore
ce qui sera ou serait, posée telle condition. Dans cette connaissance des
(M Leibniz, Essais de Théodicée..., III« Partie, § 289, T. II, p. 274.
( ") Cf. Suarez, Opuscul. De Sdenlia Dei futurorum conlingentium, L. II, C. V, § 13. —
Diego Ruiz de Montoya, De Scientia, de Ideis, de Veritate ac Vila Dei, Disp. LXXV,
Paris, 1600.
592 CONNAISSANCE DES FUTURS CONDITIONNELS (88)
futurs, comme dans toute intellection divine, l'essence de Dieu est la
seule cause déterminante de la connaissance, en tant que cette essence
a une puissance cognitive infinie et représente tout ce qui est vrai,
à la manière d'une espèce intelligible. C'est pourquoi l'on dit que Dieu
connaît les futurs conditionnels en eux-mêmes, non pas en ce sens qu'ils
déterminent l'intelligence divine à connaître, mais parce que leur vérité
objective est le terme immédiat, c'est-à-dire sans aucun intermédiaire,,
de l'intuition divine. Par conséquent, cette vérité objective des futurs
conditionnels n'est pas du tout la cause de leur connaissance par Dieu,
mais seulement la condition sans laquelle ils ne pourraient être
connus (^).
Critique : il est certain que les futurs conditionnels ayant une vérité
objective ne peuvent pas ne pas être connus de Dieu dont l'intelligence
est infinie, et connus dans son essence qui représente tout ce qui est vrai.
Cette réponse résout bien la question de jait : Dieu connait-il les
futurs conditionnels ? mais elle ne tranche pas la difficulté dont l'on
réclame présentement la solution : Comment Dieu les connaît-il ?
En effet, « l'essence divine, en tant que cause exemplaire et les idées divines
elles-mêmes représentent les futurs conditionnels seulement comme de
purs possibles. Or ici nous cherchons sous quel aspect l'essence divine
peut être considérée comme représentative de ces futurs. A cette ques-
tion le système de Suarez ne répond pas » {^).
Aussi des disciples du Docteur éminent se sont-ils appliqués à combler
cette lacune en indiquant sous quel aspect l'essence divine doit être
envisagée. D'après eux, Dieu connaît les futurs conditionnels dans son
essence en tant qu'elle est identifiée avec le concours qu'il donnerait
à ces actes s'ils étaient réalisés (^). Assurément, il y a là une indi-
cation précise. Elle répondrait bien à la question pendante, si une grave
difficulté, qu'on n'a pas encore réussi à résoudre complètement, ne lui
avait été opposée. Dieu, objecte-t-on, ne peut voir un acte libre dans le
concours ou coopération qu'il lui prêterait. Ce concours en effet dépend
de la libre élection de la volonté. Cette élection a une priorité logique
ou de nature sur le concours. Dieu devrait donc voir d'abord l'élection
de la volonté, puis le concours. Il ne peut par conséquent voir l'acte
libre dans le concours.
(•) Cf. SuAREZ, Op. De Scienlia..., L. II, C. vu, § 15. L. I, § VIII.
( ^) Essentia divina, ut est caiLsa exemplaris et ideœ ipsae non repraesentant haec futura
nisi tanquam mère possibilia. Nos igitur hic quaîriinus, sub qun ratione considerata essentia
ilivina ea repraesentet, tanquam quae actu vel sunt futuravel positaconditioneessent futura.
Ail hano igitur quaestionem in hac sententia non respondetur. (J. Kleutgen, Instilutiones
theologicœ, T. I, De Ipso Deo, § 548, p. 321-322, Ratisbonne, s. d. (1881).
( ') Cf. H. SCHAAF, Instituliones Theologiœ naturalis, in usum privalum Audilorum
l'niversitatis Gregorianœ, Rome, 1906, § 470, p. 513-515.
(82) CONNAISSANCE DES FUTURS CONDITIONNELS 593
Un distingué professeur à l'Université Grégorienne, le Père H. Schaaf,
partisan de ce système ainsi complété, atténue la difficulté par des expli-
cations qu'il serait trop long de rapporter ; mais il avoue, de bonne
grâce, qu'elle n'est pas pleinement résolue (^).
IV. — ^^ Système de Bellarmin : Dieu connaît les actes futurs
absolus et les actes futurs conditionnels dans la cause libre elle-même
qui les posera ou les poserait. Sans doute, aucune intelligence créée,
finie, ne peut, en examinant les antécédents d'une volonté libre et
ses inclinations actuelles, prévoir avec certitude la décision qu'elle
prend ou prendrait. La conclusion de cet examen ne sera que plus ou
moins probable. Mais l'intelligence infinie de Dieu, connaissant à fond
les êtres qu'il a doués de liberté, voit d'une façon infaillible ce qu'ils
feront ou feraient dans telles circonstances (^). Pour voir dans la cause
libre quel choix elle fera, aucune intelligence créée, si compréhensive
qu'on la suppose, ne le peut ; il y faut la compréhension suréminente
qui est le privilège de Dieu et que l'on 8L\ipe\le \)a.rïois surcompréhensioit,
pour marquer sa supériorité transcendante (^).
{ M Veruni tamen semper manet, a voluntate actum liberum ut a causa eligente et hoc
sensu ratione prius procedere... Jam vero etsi nos cognoscamus certo, Deum debere concur-
sum suum accommodare voluntati, tamen non perfecte cognoscimus modum influendi istius
dupl.icis causse [Deus et voluntas] in actum liberum, et sic mirum non potest esse, nos
neque clare cognoscere quomodo Deus in sua cooperatione actum liberum videat. Quare
concedimus residuum obscuritatis et difficultatis remanere. Ex alia tamen parte, clare
perspicitur ratio difficultatis, nempe dependentia actus a voluntate, ut a causa eligente,
quae dependentia negari nequit. Sic hœc difflcultas obstare nequit quominus hanc ulteriorem
explicationem modi, quo Deusfuturibilia in suaessentia cognoscat, amplectamur (H. Schaaf
Ibidem, p. 116, y*-
( ') Deus igitur quia perfecte cognoscit omnes propensiones et totum ingenium auimi
nostri, et rursus non ignorât oninia quae illi possunt occurrere in singulis deliberationibus
et denique perspectum habet quid magis congruum et aptum sit, ut moveat talem animum
tali propensione et ingenio praeditum, infallibiliter colligit quam in partem sit Chimus
inclinaturus (Bellarmin, Controversia de Gratia et Libero Arbitrio, L. IV, C. xv, § Deus,
igitur). Au Chapitre xvi, Bellarmin indique une autre solution : .Tuxla sententiam S. Thomae,
qui docet cooperationem divinam ita concurrere cum secundis causis ctiam liberis, ut non
solum eis dederit et conservet virtutes opératrices, sed etiam eas moveat et applicet adopus.
Il dit que ctitte solution est « peut-être plus probable ». Portasse probabilior.
( ') Neque en\m ad intuendum in re libéra in quam partem se inflectet satis est illius
comprehcnsio, neque quaecumque major comprelaensio quam sit rcs comprehensa, sed
necessaria est altissima atque eminentissima comprehensio qualis In solo Deo comparatione
creaturarum reperitur. (Ludovigus Molina, Concordia Liberi Arbitrii cum Graliee Bonis,
Divina Prœscientia, Providenlia, Prœdestinatione et Reprobatione, ad nonnullos Primes
Partis Divi Thomx Arliculos, Q. XIV, Art. XIII, dans l'édition princeps de Lisbonne 1588,
Disp. L, § Quœrel, p. .3.31 ; dans les éditions postérieures, Disp. LU, Paris, 1876, p. 319. —
Cf. Commenlaria in Primam Divi Thomae, Q. XIV, A. XIII, Disp. XIV, § Secundo Deus,
p. 21 1, col. 1, Lyon, 1593. Sur Molina, cf. G. Sortais, Histoire de la Philosophie ancienne....
n. 86, § m. — On ne peut dire avec certitude que, selon Molina, Dieu connaît les futurs
dans les causes libres, parce que, à côté de textes qui semblent l'indiquer, comme celui cité
plus haut, d'autres affirment clairement que c'est dans l'essence divine. Cf. Concordia...,
Édit. de Paris, Disp. L, § Juxta, p. 302. — Avant Bellarmin, le cj^rdinal Toledo avait
esquissé la même solution ; Et, salvo meliori judicio, puto quod Deus factor omnium
594 CONNAISSANCE DES FUTURS CONDITIONNELS (82)
Critique : la connaissance parfaite, que Dieu a de tous les antécé-
dents d'une volonté libre qui délibère avant d'agir, ne peut lui révéler in-
failliblement la décision que cette volonté prendra, parce que, cette dé-
cision n'existant pas encore dans ces antécédents. Dieu ne peut l'y voir.
Par ce moyen Dieu n'aurait donc des actes futurs qu'une science conjec-
turale et non absolue.
Sans doute, quand une volonté est très fortement inclinée vers tel
parti, l'homme (et Dieu a fortiori) peut prévoir avec une certitude morale.
ce qu'elle fera. Mais, absolument parlant, puisque cette volonté est
libre, elle peut prendre le parti contraire. C'est pourquoi cette certitude
morale, étant compatible avec l'erreur, ne saurait suffire. Il faut une
certitude métaphysique, qui ne peut résulter de la connaissance, même
suréminente, des antécédents d'un acte libre, parce que, comme on l'a
dit, la décision que prendra une volonté délibérant avant d'agir n'est
pas formellement contenue dans ces antécédents.
11 convient cependant de citer ici une remarque pénétrante de
KleutgÉn. On pourrait peut-être, dit-il, répondre à la critique précé-
dente que seule la liberté divine est absolue, tandis que la liberté humaine
est réglée par une loi qui en limite la portée. Cette limitation provient non
pas de la volonté de Dieu, mais de la nature même des êtres créés qui
est essentiellement bornée. Or Dieu connaissant l'étendue de cette loi
pour chaque volonté libre, peut savoir avec une certitude absolue ce
qu'elle fera dans telles ou telles circonstances. Kleutgen se contente de
suggérer cette solution, laissant à d'autres le soin d'en apprécier la
valeur (^).
Il y a peut-être là un filon à explorer. Nous avons fait observer,
en Psychologie (209, § III), que notre volonté, avant d'agir, doit
compter avec tout un ensemble de conditions : le tempérament, les
aptitudes héréditaires, la sensibilité plus ou moins ardente, l'intelli-
gency^ plus ou moins vive, les habitudes acquises, l'éducation, l'influence
du milieu, les circonstances du moment. Cela prouve, non pas que le
libre arbitre est une chimère, mais qu'il a des limites, qu'il est condi-
tionné. Or Dieu sait tout cela : il connaît la mesure d'influence actuelle
volunlalum cognoscit in ipsis certo qiiid debeant eligere, et id vuH esse futurum, et id
praevidet. (In Summam Theologiœ S. Thomœ Aquinaiis Eiiarratio, Q. XIV, A. XIII, T. I,
p. 232, col. 2, vers la fin, Rome, 1869).
(M Responderit quispiam soluin divinnm arbitrivim prorsus esse absolutum, creatuin
vero eatenus sub lege quadam constitiituiii, ([iiateniis volunlas liaec singularis in his rerum
adjunctis, elsi in utramque partem niovere se possit, certissinie tainen hanc prae illa eligat ;
ejusmodi autein legem, non volunlate divina sed rerum natura positam, non cognosci nisi
a Deo oiiinia in sua essentia contemplante. Veruintamen annon hac lege simili modo atque
decreto intrinseco, quod Scotus tradidisse multis videtur, libertas e medio tollatur, aiii
judicent. (Kleutgen,* Insliluliones..., Ibidem, n. 551, p. 324-325).
(83) AMOUR, BONTÉ, VÉRACITÉ DE DIEL 595
exercée par chacun de ces éléments, les dispositions présentes de la
volonté, le degré de sa puissance, la quantité de ses forces disponibles.
Au moment d'agir la volonté est inclinée par un motif dominant. Elle
n'est pas prédéterminée par lui, comme le soutient à tort Leibniz ; mais,
par son choix, son acquiescement, elle le fait sien et de dominant le
rend dominateur . Si des hommes perspicaces peuvent prévoir avec une
certitude morale le parti que prendra telle volonté dans telles circon-
stances déterminées, pourquoi la science infinie de Dieu ne le pourrait-
elle pas avec une certitude absolue ?
Conclusion. — Des diverses solutions proposées jusqu'ici aucune
n'est pleinement satisfaisante. On ne peut que souscrire à cette sage
conclusion de Bellarmin : « Savoir de quelle manière Dieu connaît
d'avance les futurs, c'est chose tout à fait difficile et peut-être incom-
préhensible en cette vie (^). »
Mais c'est encore le cas de rappeler que « l'ignorance du mode ne
détruit pas la certitude du fait ». I gnorantia modi non tollil certitudinem
jacti.
83. — § B. AMOUR, BONTÉ, VÉRACITÉ
A) — L'homme n'est pas seulement un être doué d'intelligence,
mais de sensibilité ; non seulement il pense, mais il aime. L'amour
humain est une tendance instinctive qui nous pousse vers un bien
connu. Il est souvent imparfait, s'aveugle et s'égare. Alors même qu'il
reste dans l'ordre, il est toujours mélangé de crainte et d'espérance.
Mais, en soi, l'amour est une perfection, car c'est un mouvement de
l'àme qui la porte à s'unir au bien. Éliminons les misères qui le déparent
et les limites qui le bornent dans l'homme, et ainsi épuré attribuons-le
à Dieu.
Dieu s'aime d'abord lui-même : étant le bien infini et se connaissant
comme tel, il s'aime nécessairement d'un amour adéquat à son objet,
d'un amour infini. L'intelligence et l'amour s'appellent. De même que
Dieu a une intelligence où la vérité est éternellement comprise, ainsi il a
une volonté où le bien est souverainement aimé. Bien plus, pour parler
exactement, c(^mme en Dieu les perfections ne se distinguent pas de son
essence, mais constituent son essence même toujours en acte, il faut dire
que Dieu est l'amour parfait, comme il est la science infinie.
Dieu en contemplant son essence connaît en elle toute chose ; de
même en s'aimant il aime tous les êtres en lui-même et pour lui-même.
( ') Res est omnino difficilis et fortasse in hac vita incomprehensibilis, qua ratione Deus
futura pra?noscat. (Bellarmin, Conlrov. de Gralia..., L. IV, C. xv, § Sexlum Argumenlum...
Respondeo).
596 AMOUR, BONTÉ, VÉRACITÉ DE DIEU (83)
Il aime chacun en proportion de sa valeur, c'est-à-dire de son degré de
perfection. Mais, comme les divers degrés de perfection des êtres sont
des dons dq Dieu et des imitations de son essence, tout ce qu'il y découvre
en eux de perfection et par conséquent d'aimable est un reflet de sa
perfection infinie.
B) — La perfection de l'amour divin implique la Béatitude, la Bonté,
la Sainteté et la Justice infinies :
10 Béatitude : le bonheur consiste dans la possession assurée et
adéquate du bien pour lequel on est fait. Ici-bas, tout amour est plus
ou moins souffrant, parce qu'il est plus ou moins séparé de son objet.
Mais, comme Dieu se connaît et s'aime éternellement et infiniment,
il a la possession pleine et immuable de ce qui est l'objet de sa pensée
et de son amour, c'est-à-dire de ses perfections infinies ; il jouit donc
d'une félicité sans bornes.
2^ Bonté : l'amour heureux et satisfait engendre la bonté, qui
consiste à vouloir et à faire du bien aux autres. Celui qui possède le bien
aime à le répandre autour de lui : Bonum est sui diffusivum. Aussi
l'apôtre saint Jean a-t-il pu dire de Dieu : Deus caritas est (^). Cette
définition, encore que nécessairement incomplète, puisque la perfection
divine est inépuisable et incompréhensible, est la plus belle peut-être,
parce qu'elle implique les précédentes et les couronne. C'est d'ailleurs
la plus populaire, car pour l'humanité Dieu est avant tout le bon Dieu.
30 .Sainteté : elle suppose l'absence du mal et la présence du bien
moral à un degré éminent. C'est la splendeur de l'ordre dans l'amour :
Ordo amoris (S. Augustin). Or Dieu est le bien souverain, il ne peut ni
aimer ni vouloir le moindre mal ; il est donc la sainteté infinie.
40 Justice : c'est une vertu qui dispose à rendre à chacun son dû ;
elle implique le respect de l'ordre qui demande que toute cliose soit à
son rang et à sa place. Or Dieu, étant infiniment sage, veut que l'ordre
essentiel des choses, qui en définitive repose sur son essence (Mgr. 46,
§ B) soit fidèlement observé : Ratio divina vel voluntas Dei ordinem
naturalem conservari jubens, perturbari vetans (^).
Sans doute Dieu, à parler en rigueur, ne doit rien à ses créatures,
puisqu'elles ont tout reçu do lui gratuitement et qu'il doit rester abso-
lument indépendant, sous peine de n'être plus parfait. Cependant Dieu
se doit à lui-même d'agir envers tous suivant sa sagesse infinie. D'où
les conséquences suivantes : a) Dieu ne peut ni ne veut rien exiger des
créatures libres qu'en proportion de ses libéralités. — b) Il peut et veut
établir un accord parfait entre le mérite et le bonheur, entre le démérite
(M s. Jean, I EpisL, IV, 8. '
(') S. Augustin, Contra Fauslum, L. XXII, C. xxvii.
(84) TOUTE-PUISSANCE ET LIBERTÉ DE DIEU 597
et le malheur, afin de rendre à chacun selon ses œuvres (Mor. 49, § V).
C) Véracité. — Elle se déduit de l'intelligence et de la sainteté de
Dieu. Intelligence infinie, Dieu ne peut pas se tromper ; sainteté infinie,
il ne peut pas tromper les autres. Il mérite donc d'être cru sur parole,
quand même on ne comprendrait pas ce qu'il enseigne. C'est le fonde-
ment rationnel de la foi à la Révélation.
84. — § C. TOUTE-PUISSANCE ET LIBERTÉ
Dieu est pensée et amour. Mais, Dieu étant absolument simple,
l'acte par lequel il se connaît et celui par lequel il s'aime ne constituent
qu'un seul acte. Cet acte est Dieu lui-même ; Dieu est donc essentiel-
lement actif ; il est acte pur, c'est-à-dire que la vie divine n'a aucun
mélange de passivité (Psych., 13, II). Il faut distinguer en Dieu, outre
l'activité intérieure, immanente, une activité transitive dont le terme
est en dehors de lui. De là deux autres attributs : la Toute-puissance
et la Liberté.
A) Toute-puissance : la volonté de l'homme est bornée :
a) Dans son mode d'opération.^ qui suppose une matière préexistante,
passe sans cesse de la possibilité à l'acte et exige un effort.
h) Dans ses effets., car nous sommes souvent incapables d'exécuter
ce que nous voulons ou désirons.
Mais en Dieu la volonté est toute-puissante. En lui l'activité est
affranchie de toute entrave, pure de toute passivité, exempte d'effort,
indépendante de toute matière préexistante (91) : pour Dieu seul,
vouloir, c'est pouvoir.
Dieu peut tout ce qui est possible, c'est-à-dire tout ce qui n'implique
pas contradiction. La toute-puissance divine ne peut réaliser ce qui
est contradictoire : vg. un cercle carré, un mouvement sans vitesse.
Ce n'est pas d'ailleurs une imperfection, parce que la contradiction
n'exprime que le non-être. Au contraire, supposer que Dieu puisse
vouloir l'impossible, le contradictoire, c'est supposer que la volonté
divine puisse agir d'une façon déraisonnable, ce qui est une évidente
défaillance. Cette supposition renferme d'ailleurs une manifeste absur-
dité. Il ne faut pas confondre ce qui est impossible à n'importe quel être
créé, si parfait qu'on l'imagine : vg. ressusciter un mort, créer un monde,
et ce qui est impossible en soi. Dieu peut le premier ; il ne peut le second,
parce que, ce qui est impossible en soi, étant le pur néant, est irréali-
sable. Il faut donc repousser l'opinion d'Occam et de Descartes qui pré-
tendent que l'essence des choses dépend de la volonté arbitraire de Dieu
(Mor. 45, § C, II). Il ne faut pas diviser Dieu, ni opposer attribut à
attribut : en lui toutes les perfections concevables s'harmonisent dans
598 LA PERSONNALITÉ DIVINE (85)
une parfaite unité : Dieu peut tout ce qu'il veut, conformément à sa
souveraine sagesse.
B) Liberté : distinguons encore les actes internes {ad intra) des
actes externes {ad extra).
1^ Dieu n'est pas libre par rapport à lui-même : Dieu ne peut pas
se connaître tel qu'il est, c'est-à-dire perfection infinie, et ne pas s'aimer
en conséquence.
2° Dieu est libre par rapport à la création. En efîet, la liberté est le
pouvoir de se déterminer soi-même sans aucune contrainte. Or Dieu
ne peut subir aucune contrainte :
a) Ni intérieure, puisque, étant infiniment parfait et heureux, il se
suffit à lui-même. Rien ne l'obligeait donc à créer le monde, dont il n'a
nul besoin.
h) Ni extérieure : avant la création, c'est manifeste ; après, également,,
car la toute-puissance ne peut être tenue en échec par des puissances
finies. Dieu a donc créé le monde librement, et ce monde plutôt que
tel autre.
3^ La liberté divine est exempte de toutes les imperfections de la
liberté humaine. L'homme libre délibère, opte entre le bien et le mal, varie.
Dieu ne délibère pas plus qu'il ne raisonne, il ne modifie pas ses résolutions,
parce que tous ces actes impliquent des imperfections : tâtonnement,
succession, lenteur, effort, changement. La volonté divine, éclairée par
une intelligence infinie, voit et veut, du premier coup et immuablement,
le plan auquel elle donne sa préférence.
40 Remarquons enfin que le pouvoir de faire le mal n'est pas essentiel
à la liberté ; c'est une imperfection qui résulte de la finitude des êtres
créés. Plus l'homme est moral, plus il se rapproche de cette impossibilité
de mal faire : c'est ce qu'on appelle la liberté de perfection (Psych., 202,
III). — Mais alors, dira-t-on, quelle place reste-t-il en Dieu pour la
liberté, puisque la liberté suppose la possibilité d'un choix ? — Dieu
aime et veut nécessairement le bien, mais pas nécessairement tel bien,
puisqu'aucune perfection finie ne peut déterminer une volonté infinie ;
il peut donc choisir entre plusieurs biens, vg. créer un monde plus ou
moins parfait.
85. - LA PERSONNALITE DIVINE
La personnalité est le degré le plus parfait de l'être. Nous avons
distingué trois manières d'être différentes. Il y a d'abord, au p'ius bas
degré, l'être qui est en soi, mais qui s'ignore : tels sont les minéraux et
les végétaux : cette perfection peut se résumer d'un mot : riiidividualitc,
(85) LA PERSONNALITÉ DIVINE 599
qui implique Vanité^ Videntité^ Yactwité. — H y a ensuite l'être capable
de jouir et de souffrir, qui a la conscience directe de ses actes ; il est à la
fois en soi et pour soi : tels sont les animaux. Cette perfection implique
la sensibilité et le sens intime. — Enfin il y a l'être qui est non seulement
témoin de sa vie, mais qui est l'artisan conscient de sa propre destinée :
il est en soi, pour soi et par soi ; tel est l'homme. Cette perfection
implique V intelligence, la conscience morale, la liberté (Psych., 200,
A).
C'est cet ensemble de qualités qui constitue la personne, c'est-à-dire
un individu conscient, raisonnable et libre. L'homme seul, parmi les
êtres créés, réunit ces qualités ; mais il n'est pas le type achevé de la
personnalité. C'est uniquement en Dieu qu'on trouve réalisées, d'une
façon suréminente, toutes les conditions nécessaires pour former une
personne ; lui seul possède en perfection tous les éléments constitutifs
de la personnalité :
1^ Unité : l'homme est un, puisqu'il est un tout naturel, substan-
tiel (54). Mais c'est une unité complexe, faite de l'union de deux sub-
stances distinctes, l'âme et le corps. — Dieu, étant pur esprit, est abso-
lument un.
2° Identité : l'âme humaine a conscience de son identité foncière,
mais elle est soumise à la loi du changement ; elle est sans cesse modifiée
par le flux incessant des phénomènes sensitifs, intellectuels et volitifs.
— Dieu est hors du temps, soustrait au changement ; son identité est
absolue : il est immuable.
3° Activité : l'activité humaine est limitée. — En Dieu elle est
toute- puissante.
40 Sensibilité : les affections humaines sont mêlées d'intérêt et
d'égoïsme. — Dieu seul, n'ayant besoin de rien ni de personne, est pur
amour, charité parfaite, complètement désintéressée.
50 Intelligence : l'âme humaine peut atteindre la vérité, mais avec
peine et d'une façon inadéquate. — La science divine est adéquate à tout
le connaissable.
60 Liberté : l'homme est dans une certaine mesure par soi, puisqu'il
peut faire sa destinée et est maître de ses actes délibérés. — Dieu seul
est pleinement indépendant, parce que seul il est l'Etre nécessaire,
il est de soi, il a Vaséité (est a se).
É70 Moralité : en observant les prescriptions de la conscience, l'âme
. , ' humaine s'élève à la beauté morale. Mais que d'ombres et de défaillances
dans la pratique du bien ! — Dieu est la loi morale vivante, le souverain
bien, la sainteté.
M L'ensemble des attributs divins nous amène donc à dire que Dieu
M est le type accompli de l'être, puisqu'il est une personne absolument
m. parfaite.
600 l'atomisme (86)
ARTICLE ni. — RAPPORTS DE DIEU ET DU MONDE
Trois questions restent à examiner :
I. — L'origine du monde.
II. — Le gouvernement du monde.
III. — La valeur du monde.
SECTION I
Origine du inonde.
On peut ramener aux suivantes les solutions proposées :
I. — Atomisme (Démocrite, Épicure, Lucrèce).
II. — Dualisme (Platon, Aristote).
III. — Panthéisme (Stoïciens, Spinoza, Schelling, Fichte,
Hegel).
IV. — Darwinisme (Lamarck, Darw^in).
V. — Évolutionnisme (Spencer).
YI. — Créationnisme (F^hilosophes spiritualistes).
86. — § I. L'ATOMISME (i)
I. — Exposé : d'après Démocrite, Épicure, Lucrèce, la matière
est composée d'atomes innombrables, immuables, éternels, insécables,
durs et pesants, qui se meuvent dans le vide. Mais Épicure a complété
Démocrite, en leur ajoutant une certaine spontanéité qui se traduit
par le pouvoir de décliner de la ligne droite. Grâce à ce clinamen ils
peuvent se rencontrer, se combiner et former par hasard tous les êtres.
Il n'y a par conséquent ni cause première intelligente, ni Providence.
Les dieux sont relégués dans les intermondes. En outre il n'y a ni àme
spirituelle, ni liberté, ni immortalité (^).
IL — Critique : A) C'est une hypothèse gratuite, car les atomes
ne peuvent être ni infinis, ni éternels. En effet :
1° Le nombre infini répugne (Psych., 187, § A, '2° et Théodicée,
67, B, I).
( ') L. Mabilleau, Histoire de la philosophie atomisiique. — A. HanneQUIN, L'hypothèsr
des atomes dans la philosophie contemporaine.
{ ') G. Sortais, La Philosophie moderne depuis Bacon jusqu'à Leibni:, T. II, Article II,
rii. m, I III, Epicure et Gassendi, p. 81-84.
(87-88) . LE DUALISME LE PANTHÉISME < 601
2» D'où leur vient le mouvement ? Il n'est pas essentiel aux corps.
Il faut donc trouver un premier atome par où le mouvement a com-
mencé, par conséquent le moment précis où ce mouvement a commencé
et le premier moteur qui l'a imprimé.
B) Le dinamen est une supposition inventée à plaisir ; elle ne peut
d'ailleurs expliquer l'harmonie et la liberté. Gomment, dit Fénelon, si
l'on jetait toutes les lettres qui composent VIliade, sans ordre ni direc-
tion, en pourrait-il sortir ce poème où Tordre existe ? (^)
87. — § n. LE DUALISME
A) Exposé. — Professé dans l'antiquité par Platon {^) et Aris-
TOTE (^), le Dualisme est un système qui prétend que la matière dont est
formé le monde est nécessaire et éternelle, qu'elle tire d'elle-même son
être^ et sa substance et qu'elle n'a reçu de Dieu que son organisation et
sa forme. Le monde et Dieu sont donc éternels.
B) CritiQue : cette hypothèse de la matière indépendante de Dieu
dans son existence répugne du côté :
I. — De la nature divine, qui ne serait plus infinie, puisque Dieu ne
serait plus le seul Être nécessaire et indépendant.
II. — Du monde lui-même, qui, tout fini qu'il est, devrait être infi-
niment parfait, puisqu'il serait nécessaire et éternel. Or nous avons
montré que l'Être nécessaire est parfait (76) et unique (79, I) ("*).
88. — § m. LE PANTHÉISME
Le Panthéisme est la doctrine d'après laquelle il n'y a dans l'univers
qu'une seule et même substance, comprenant Dieu, le monde et l'huma-
nité.
§ A. — LES DIVERSES FORMES DU PANTHÉISME
On distingue communément deux sortes de Panthéisme :
1» Le Panthéisme naturaliste ou matérialiste, qui absorbe l'infini
dans le fini. Dieu dans la nature : tel le Panthéisme des Ioniens, des
(M FÉNELON, Traité de l'existence de Dieu..., 1" P., Ch. m.
( *) Platon, Timée.
(») Aristote, Physique, L. VIII, Ch. i et sqq. Métaphysique,!^. XII, Ch. vi. — Cf.
Palmieri, Inslitutiones philosophicse, T. II, Cosmologia, Th. XXIX, Note, p. 209-215.
,aL ( *) Contre l'éternité de la matière, cf. Ed. Perrier, Allocution, 27 déc. 1915, Comptes
^k rendus de l'Académie des Sciences. T. 161, p. 817-818.
I
602 LE PA>THÉISME : FORMES DIVERSES (88)
Stoïciens, de Schelling, de Vacherot, de Renan. Il aboutit à Vaihéisme
et au matérialisme.
2° Le Panthéisme idéaliste, qui absorbe la nature en Dieu, le fini
dans l'infini : tel le Panthéisme des Éléates, des Alexandrins, de Spinoza,
de Fichte et de Hegel. Il aboutit à une sorte de théisme exclusif, qui est
plus ou moins phénoméniste.
Cette distinction parait arbitraire, car elle donne de l'essence du
Panthéisme deux définitions contradictoires si on les presse : dans le
premier cas, l'absorption de l'infini par le fini conduit à l'athéisme
absolu ; dans le second, l'absorption du fini par l'infini mène au théisme
absolu. Il semble plus exact de dire, avec Emile Saisset, que « sous la
variété des formules, au travers des changements et des progrès du
Panthéisme, l'analyse découvre une conception toujours unique, tou-
jours la même ; et cette conception, c'est celle de la coexistence néces-
saire et éternelle du fini et de l'infini, de la consubstantialité de la nature
et de Dieu, considérés comme deux aspects différents et inséparables de
l'existence universelle (^) ».
On retrouve cette conception fondamentale dans les variétés acci-
dentelles qu'ont revêtues les divers systèmes panthéistes.
Nous allons énumérer quelques-uns de ces systèmes, insistant sur
les deux formes principales : S pinozisme, Hégélianisme.
I. — Les Stoïciens : le monde est un être animé par une intelligence
éternelle ; Dieu est l'âme du monde. Les Stoïciens le comparent au feu
ayant des alternatives de relâche et de tension, produisant et détruisant
tour à tour toutes choses. L'univers rentrera un jour en Dieu pour en
ressortir de nouveau et ainsi éternellement.
Ainsi les Stoïciens considèrent « l'univers comme un vaste organisme
formé d'un corps visible et passif, et d'une âme invisible et active qui le
gouverne et l'anime. Cette âme, ce principe universel de vie, est la source
de tous les êtres. Elle circule au sein de l'univers, pénètre tout, domine
tout ; tout vient d'elle et tout rentre en elle. Voilà la notion de l'infini,
mais unie par un lien nécessaire à celle du fini (^) ».
IL — Les Alexandrins : « Les Néo-Platoniciens d'Alexandrie se
représentent la production du monde comme une émanation de l' Un
primitif. De cet innommable, hypostase supérieure dont il faudrait ne
rien penser et ne rien dire, déborde V Intelligence, seconde hypostase,
inférieure à la première. De l'Intelligence découle VAme, troisième hypo-
stase, inférieure encore à l'Intelligence. De l'Ame émanent les âmes
particulières ; de celles-ci, les cor})s. Puis un mouvement de régression
( ') Km. Saisset, Dictionnaire des Sciences philosophiques : Panthéisme, p. 1239, col. 1,
Paris, 1885'.
( ') Ém. Saisset, Ibidem. Cf. G. Sortais, Histoire de la Philosophie ancienne, § 21, II, A.
(88) LE PATs'THÉISME : FORMES DIVERSES 603
ramène les corps aux âmes, les âmes à l'Ame divine, celle-ci à l'Intel-
ligence, l'Intelligence à l'Un. Cette évolution circulaire n'est que le déve-
loppement nécessaire d'un principe qui enveloppe toutes les manifes-
tations, en apparence les plus diverses, de l'unique réalité (^). «
III. — Spinoza (^) : l'existence de Dieu s'impose, en vertu même de
la conception (^) que nous avons de lui : « C'est une substance constituée
par une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle
et infinie (*). » Bien plus. Dieu est Vunique substance. C'est aussi la
conséquence de la définition arbitraire que Spinoza donne de la substance:
« J'entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi, c'est-à-dire
ce dont le concept peut être formé sans avoir besoin du concept d'une
autre chose {^). » Spinoza en déduit logiquement l'unité de substance
ou le Panthéisme. En effet, s'il y a beaucoup de choses qui existent
en soi, il n'y a qu'un être. Dieu, dont on puisse affirmer qu'il existe
et en soi et de soi ; il n'existe donc qu'une seule substance ; par consé-
quent, tout le reste n'existe que par elle et en elle ; tous les êtres ne sont
que des modes de cette substance unique (Psych., 182, § A, III, 1^).
L'essence de Dieu se développe en une infinité à'' attributs, qui expri-
ment, chacun en son genre, l'absolue infinité de l'être. Ces attributs,
en nombre infini, se développent à leur tour en une infinité de modes,
dont l'ensemble constitue l'univers. Mais de cette infinité d'attributs
nous ne connaissons que deux : Vétendue et la pensée. Dieu pense, et sa
pensée s'exprime par une infinité d'idées particulières : ce sont les âmes.
Dieu est étendu, et son étendue s'exprime par une infinité de formes parti-
culières : ce sont les corps. Les modes, qui expriment les attributs, sont
infinis en nombre.
L'univers des âmes, c'est donc la série infinie d'idées particulières
qui découlent de la pensée divine. L'univers des corps, c'est la série
infinie des formes par lesquelles se manifeste l'étendue immense de la
substance. L'ensemble des choses ne constitue donc qu'un tout, puis-
qu' « il est de la nature de la substance de se développer nécessairement
par une infinité d'attributs infinis, infiniment modifiés ». Mais, au moyen
de l'abstraction, on peut établir dans ce tout des distinctions. On dis-
tingue alors la nature naturante {natura naturans), c'est-à-dire la substance
et ses attributs, isolée des modes qui les manifestent ; et la nature naturée
{natura naturata) , c'est-à-dire l'ensemble des modes qui forment l'univers
(") E. Durand, Cours de philosophie, T. II, Métaphysique, p. 4-29-430, Paris, 1899.
— Cf. G. Sortais. Histoire de la Philosophie ancienne, § 24.
( ') Spinoza, Éthique, 1" et 2' Parties.
( ') On voit que Spinoza prouve l'existence de Dieu a priori par l'argument ontologique,
conçu k sa manière. Cf. Éthique, 1" Partie, Propos. XI.
( *) Spinoza, Éthique, f« Partie, Définitions.
(') Spinoza, Éthique, l" Partie, Définitions.
604 LE PANTHÉISME : FORMES DIVERSES (88)
en exprimant les attributs divins (^). Mais, en fait, nature naturante
et nature naturée ne font qu'une seule et même réalité qui est Dieu,
puisque « Dieu est la cause immanente, et non transitive, de toutes
choses » (^).
IV. — Fichte (^) : le seul être réel, c'est l'esprit, le moi qui explique
tout. L'acte primitif de l'entendement est l'acte par lequel le moi, en
prenant conscience de lui-même, se crée. Mais, en se posant le moi
s'oppose et crée ainsi le non-moi, le monde extérieur qui n'est que la
limite du moi, l'arrêt qu'il subit dans son développement (36, III).
Enfin Dieu lui-même est une création de l'esprit, puisqu'il est le moi
conçu d'une façon absolue et sans limitation.
V. — Schelling (*) : le moi et le non-moi, la pensée et le monde
procèdent d'un principe supérieur, qui est leur commune substance.
Ce principe c'est V absolu qui, à l'origine, est une «.sorte de germe sans
détermination ni conscience : mais, essentiellement actif, il se développe
sans cesse et, en se développant, devient de plus en plus parfait. Il dort
dans la matière brute, sommeille dans le végétal, s'éveille dans l'animal
et prend conscience de soi dans l'homme qui progresse par lui et avec
lui, toujours en marche vers un idéal jamais atteint. Deux idées dominent
toute la philosophie de Schelling : l'idée de V identité substantielle de la
matière et de P esprit dans F absolu^ où se concilient les contraires, et l'idée
du devenir, de la réalisation nécessaire, perpétuelle, progressive de l'ab-
solu, de Dieu, dans le monde {^).
(M Spinoza, Ethique, 1" Partie, Propos. XXIX, Scholium. — Court Traité de Dieu,
de l'homme et de la santé de son âme, 1'= Partie, Ch. viii et IX.
( *) Spinoza, Éthique, l" Partie, Propos. XVIII. — P.-L. Covchovv, Spinoza. —
L. Brunsghvicg, Spinoza. — A. Rivaud, Les notions d'essence et d'existence dans la philo-
sophie de Spinoza. — V. Delbos, Le Spinozisme.
( ') Fichte, Doctrine de la science. Destination de l'homme. Méthode pour arriver à la
vie bienheureuse. — Cf. Kant et Fichte par Bartholmess, dans les Comptes rendus des
Séances de l'Académie des Sciences morales et politiques, 1854, T. XXIX, XXX, p. 425-
448 : 119-170. P. Galluppi, Mémoire sur le Système de Fichte, dans les Mémoires de l'Aca-
démie des Sciences morales et politiques, 1841, T. I. Savants étrangers, p. 31-153. —
X. LÉON, La philosophie de Fichte. — Fichte et son temps, T. I (1762-1799), Paris, 1922. —
A. Valensin, Le sens panthéislique de la Dialectique idéaliste de Fichte, dans Recherches
DE Science religieuse, 1919, p. 45-61.
( *) Schelling, Philosophie de la nature. Système de l'Idéalisme transcendantal. Bruno
ou du Principe divin et naturel des choses. Recherches sur la liberté humaine. Philosophie de
In Révélation. — Cf. Matter, Schelling et sa Philosophie de la nature.
( ') Schelling a nommé ce système philosophie négative. Dans la dernière partie de sa
vie, il proposa, pour réagir contre la doctrine toute idéaliste de Hegel, une philosophie
nouvelle, dite positive, fondée non plus sur l'entendement, mais sur la volonté. Il s'efforce
vainement d'y rétablir la notion de la personnalité divine, tout en conservant le système
de l'unité substantielle de la matière et de l'esprit. Cf. A. M^eber, Examen critique de la
philosophie religieuse de Schelling.
(88) LE PANTHÉISME : FORMES DIVERSES 605
VI. ^- Hegel (^) : il prend comme point de départ l'idée de Vélre
ùidétenninéj pw\ abstrait^ qu'il nomme aussi l'absolu. Cet absolu, partant
de cette indétermination complète, passe par une série de détermina-
tions de plus en plus concrètes pour arriver enfin à une pleine conscience
de lui-même. Tel est le développement normal des choses.
A) Loi de ce développement. • — Hegel conserve le devenir de Schelling,
mais il le complète en indiquant la façon dont Vidée ou V Absolu se déve-
loppe, h'' identité des contraires est la loi fondamentale de l'esprit et des
choses : pour penser, l'esprit doit concilier des contraires ; pour se
réaliser, les choses doivent se contredire elles-mêmes. Car, pour Hegel,
il y a identité foncière entre le subjectif et l'objectif, le contenu et la
forme de la pensée, l'idée et l'être, la Logique et la Métaphysique.
En efîet, toute idée abstraite renferme le contraire d'elle-même,
sa négation. Les deux éléments contraires ont chacun leur vérité. Pour
les conserver, l'esprit les concilie dans une notion supérieure plus réelle
et plus compréhensive. Voilà la loi de l'esprit. La loi des choses est
semblable. Une chose n'arrive à se réaliser qu'en passant par trois
stades successifs : 1° Thèse : la chose se pose, s'affirme, elle existe d'une
façon indéterminée ; — 2° Antithèse : la chose s'oppose à elle-même,
se nie ; — 3° Synthèse : la position et l'opposition de la chose s'harmo-
nisent dans une réalité supérieure. Ainsi donc affirmation, négation,
conciliation, ou bien thèse, antithèse, synthèse, telles sont les trois phases
à travers lesquelles l'absolu se développe sans fin en se transfor-
mant.
Chaque synthèse devient à son tour une thèse nouvelle, que nie son
antithèse et qui se résout dans une seconde synthèse, et ainsi indéfi-
niment. Le développement et le progrès s'accomplissent selon ce rytlune
à trois temps qui se retrouve partout, aussi bien dans les grands ensembles
que dans les plus minimes détails. Voici, par exemple, le premier groupe
ternaire : Idée d'être indéterminé : c'est la thèse. — D'un être aussi indé-
terminé, qui n'est ni ceci ni cela, on peut dire qu'il n'est pas : c'est V anti-
thèse. — Ces deux termes opposés se concilient dans un troisième terme :
le devenir ou le mouvement : c'est la synthèse, car on peut affirmer à la
fois du devenir qu'il est et qu'il n'est pas. Hegel s'efforce de constater
partout ce groupement ternaire : vg. en chimie : azote (= thèse),
oxygène (= antithèse), carbone (= synthèse) ; — en physique : attrac-
tion, répulsion, pesanteur ; — en logique : idée, jugement, raisonnement ;
( ') Hegel, Phénoménologie de l'esiml. Logique. Encyclopédie des Sciences philosophiques ,
Philosophie du Droit. Leçons sur l'Hisloire de la Philosophie. Esthétique. — Cf. Weber.
Introduction historique à la Philosophie hégélienne. — J. Wilm, Histoire de la Philosophie
nlleniande. — P. Janet, Éludes sur la Dialectique dans Platon et dans Hegel.
606 LE PANTHÉISME : FORMES DIVERSES (88)
— dans la société : individu, famille, état ; — en histoire ': Orient,
civilisation gréco-romaine, temps modernes, etc.
B) Grandes étapes de ce développement. — Le système a pour point
de départ l'idée d'être indéterminé ; il a pour point d'arrivée l'absolu
prenant conscience de lui-même. La loi qui préside au développement
de l'idée c'est le rythme à trois temps. Indiquons maintenant les
grandes étapes que parcourt l'absolu dans cette longue recherche de
lui-même :
lo Idée pure : Hegel, ayant supposé que les idées constituent
l'essence des choses, en conclut que l'idée la plus générale est l'essence
de tout, c'est Vêtre pur qui contient en soi toute la plénitude de l'être
concret, lequel en sortira par le seul mouvement de la pensée. L'action
de la pensée pure sur l'être pur produit d'abord Vidée absolue. Il ne faut
pas y chercher la distinction du sujet pensant et de l'objet pensé, car
cette distinction n'existe pas encore. L'Idée absolue est pour Hegel
l'idée où le subjectif et l'objectif s'identifient. Elle est à l'état concret (^)
tant qu'elle est à l'état d'ijicolution, de virtualité infinie : cette idée
pure est comme la substance universelle. La théorie de l'Idée fait l'objet
de la Logique.
20 Nature : l'idée absolue ne reste pas à l'état concret à' involution ;
elle éprouve le besoin à^évoluer. L'Idée évolue par la pensée d'après la
loi du rythme à trois temps, et son évolution constitue la nature, qui est
l'idée sous la forme A'' extériorité. L'univers est donc un reflet des trans-
formations de l'idée, mais c'est un reflet qui ne reproduit qu'imparfai-
tement l'idée. Cette seconde partie fait la matière de la Philosophie
DE LA Nature.
30 Esprit : la nature est un organisme vivant, graduellement pro-
gressif ; en se développant, d'après la loi indiquée, elle finit par devenir
esprit. L'Idée absolue a pris conscience d'elle-même : c'est ce retour
à elle-même, avec pleine conscience de soi, qui constitue l'esprit. Or cette
pleine conscience ne peut se réaliser qu'à l'aide de la philosophie, quand
l'esprit de l'homme parvient à constater son identité foncière avec
l'absolu. Alors l'esprit se reconnaît lui-même pour l'absolu et s'identifie
avec Dieu. L'absolu est l'esprit : voilà la vraie définition de Dieu. Cette
troisième partie du système est exposée dans la Philosophie de
l'Esprit.
Conclusion. — « La conscience philosophique, qui est le dernier
résultat du mouvement de l'Idée, est l'Idée ayant conscience d'elle-
( M On voit par là que Hegel a changé le sens usuel des mots : pour lui, l'idée en soi est
concrète, et les choses sont nhstrnites quand on les considère à part de l'Idée. Pour Hegel
l'abstraclion, ce n'est pas une qualité isolée de son sujet, c'est une chose considérée sépa-
rément de sa substance, de sa notion, qui est l'Idée.
(88) LE PANTHÉISME : RÉFUTATION 607
même, la vérité consciente. L'Idée sait maintenant ce qu'elle est en soi ;
elle est revenue à elle avec la certitude qu'elle est bien réellement l'uni-
versalité concrète. L'esprit, qui avait paru être un résultat, est main-
tenant reconnu pour l'absolument premier, qui se produit continuel-
lement de lui-même et par lui-même. Il est bien constant, à présent,
que c'est bien en effet l'Idée qui se meut et se manifeste dans la nature
et dans l'histoire, que ce mouvement se fait par la pensée qui est son
essence ; que par la pensée elle se montre esprit absolu, se produit et
se possède éternellement comme tel (^). )> C'est ainsi que Dieu est
l'éternel devenir, en train de se réaliser continuellement.
§ B. — RÉFUTATION DU PANTHÉISME
La Métaphysique, la Psychologie et la Morale nous fourniront tour
à tour des arguments contre le Panthéisme.
1. — Argument métaphysique : 1» Donnons d'abord un argument
contre le Panthéisme en général, sans distinction d'espèces. — Le Pan-
théisme détruit le principe de contradiction qui nous dit qu'une même
cbosc ne peut pas être et n'être pas à la fois sous le même rapport.
En effet, le Panthéisme fait de Dieu, de l'homme et du monde une
seule substance. Or cette substance universelle serait à la fois finie et
infinie, parfaite et imparfaite, relative et absolue. L'infini, s'il existait
dans cette hypothèse, ne serait qu'un amalgame informe de l'étendue et
de la pensée, de l'esprit et du corps. Mais l'étendue et la pensée, l'esprit
et le corps ont des caractères opposés et irréductibles (49 et 50).
2» Contre Spinoza : son système répugne intrinsèquement, parce
qu'il fait sortir le fini de l'infini.
Spinoza admet l'existence d'une substance absolument infinie, ayant
des attributs infinis, dont les modes eux-mêmes sont infinis. Bien plus,
il ajoute : Tout ce qui découle d'un attribut infini de Dieu doit être infini.
Tout ce qui découle d'un mode infini d'un attribut infini doit être lui-
même infini (^). Fort bien ; mais ceci posé, comment Spinoza, qui
procède uniquement par déduction, pourra-t-il en tirer le fini ? —
Quelques pages plus loin {^), le philosophe panthéiste nous parle bien
d'ol)jets finis ; mais c'est une simple affirmation dont il avait absolument
besoin. Nulle part, et pour cause, il n'a, comme il aurait dû le faire,
essayé de déduire le fini de l'infini. Ne pouvant s'en passer, il l'a intro-
duit, illogiquement, par une simple affirmation.
(M J. WiLM, Diclionnaire des Sciences philosophiques : Hegel, p. 690, col. 1-2.
{-) Spinoza, Éthique, 1" P., Propositions XXI, XXII, XXIII.
(') Spinoza, Éthique, I" P., Propos. XXVIII.
608 LE PANTHÉISME : RÉFUTATION (88)
Pour atténuer l'incorrection de ce procédé, Spinoza a cherché, après
avoir mentionné l'existence du fini, à le rattacher à l'infini, mais sans
y parvenir. Tout effet fini, dit-il, exige une cause finie ; celle-ci, qui est
également un effet fini, exige à son tour une cause finie, et ainsi de suite
sans terme. Mais cette série illimitée de causes finies ne peut rattacher
le fini à l'infini, parce que cette série, si loin qu'on la prolonge, ne ren-
fermera jamais que des causes finies, en vertu même du principe mis en
avant par Spinoza. L'abîme qui sépare le fini de l'infini reste toujours
à combler. Car, d'un côté, nous avons cette collection d'êtres finis, et,
de l'autre, l'infini : où est le point de jonction ? Spinoza n'a pu le trouver.
Il a beau dire qu'il n'y a qu'une chose : il n'a pas réussi à le prouver,
n'ayant pu ni déduire le fini de l'infini, ni, après coup, relier le fini à
l'infini. Ce que l'on découvre, au fond du Panthéisme, ce n'est pas le
monisme, mais le dualisme.
30 Contre Hegel : la prétention de Hegel est toute contraire. Sun
point de départ est l'être absolument indéterminé, d'où, par une suite
de transformations, il veut tirer l'être absolument déterminé.
Acceptons, pour un moment, la thèse et V antithèse que Hegel met à la
base de tout son système, à savoir : l'être absolument indéterminé ; —
cet être n'est pas. De là il a prétendu déduire la synthèse : le devenir.
Paul Janet a très bien montré que cette déduction n'a rien de néces-
saire : « Eh bien ! j'applique mon esprit à la notion d'être pur, indé-
terminé. Jusqu'ici rien qui ressemble au devenir. Mais je poursuis et
je cherche à pénétrer plus avant dans la notion de l'être pur, et je m'aper-
çois qu'en le regardant par un certain côté, je puis dire et penser de lui
qu'il est non-être tout aussi bien qu'être. Voilà qui est bien. Mais suis-je
forcé d'aller plus loin ? Cette contradiction entraîne-t-elle nécessai-
rement ma pensée à une nouvelle idée, synthèse des deux précédentes ?
En aucune façon. Je pense l'être pur, je pense le non-être ; je trouve que
ces deux notions se ressemblent beaucoup et s'impliquent l'une l'autre,
et je m'arrête là. De là au devenir, il y a un abîme (^). » Non seulement
cette déduction ne s'impose pas, mais elle est impossible, car il y a quelque
chose de plus dans le troisième terme que dans les deux premiers. Il y a,
dans le dernier, un élément qu'on n'obtiendra jamais par la comparaison
de l'être et du non-être : savoir l'idée de mouvement et en outre l'idée
de temps dont il n'y a pas de trace non plus dans les deux premiers
termes (^).
Il est inutile de pousser plus loin, puisque la déduction fondamen-
( M P. Janet, Etudes sur la Dialectique dans Platon et dans Hegel, p. 348-349, Paris,
1861.
{') Cf. P. Janet, Ibidem, p. 353-355.
(88) LE PANTHÉISME : RÉFUTATION 609
taie, sur laquelle repose le système, est impossible. Cette impossibilité,
d'ailleurs, poursuit Hegel dans le développement de sa doctrine, car,
à chaque pas, on doit lui contester, au nom du principe de causalité
qui l'interdit, le droit de tirer le plus du moins, le supérieur de l'infé-
rieur, le parfait de l'imparfait. Comment se fait-il que l'Idée absolue
devienne nature ? comment la nature devient-elle esprit ? La position
opposée prise par Spinoza n'est pas plus soutenable, car il est égale-
ment contradictoire que le parfait, en se développant, aboutisse à des
imperfections intrinsèques de toute sorte : la souffrance, l'erreur, le
vice, etc.
IL — Argument psychologique : le système panthéiste, en affir-
mant l'unité absolue de la substance, supprime :
A) Uindwidualité^ la personnalité. — La conscience psychologique
atteste que « nous existons chacun en notre particulier >\ selon le mot
de Leibniz, c'est-à-dire que nous sommes des êtres individuels, des êtres
existant en soi, des substances, et non pas de simples modes, c'est-à-dire
des manières d'être d'une autre substance, des êtres existant dans un
autre.
Nous distinguons trois espèces d'êtres : l*' Ce qui est dans un autre.
Ens in alio. C'est l'être modal ou accidentel. — 2° Ce qui est en soi.
Ens in se. C'est l'être substantiel. — 3^ Ce qui est en soi et de soi. Ens in
se et a se. C'est l'Être nécessaire.
L'erreur de Spinoza a été de supprimer le terme du milieu Ens in se,
supposant d'une façon gratuite que tout ce qui n'est pas de soi n'est
pas en soi, mais qu'il est dans un autre. Bref, il a tout réduit, sans aucune
preuve, à une substance unique et à des modes (Psych., 182, § A, III, 1°).
Or c'est là une réduction absolument arbitraire, car Spinoza escamote
le témoignage de la conscience qui m'affirme que je suis un être individuel,
en soi, sans m'affirmer que je suis, par là même, un être qui tire de soi
sa raison d'être. La raison n'attribue la notion d'être en soi et de soi
qu'à l'Être nécessaire et parfait (76).
B) La causalité et la liberté affirmées par la conscience. — Non seu-
lement je ne suis pas libre, mais je ne suis pas même cause, puisque je
suis un résultat, un eiïet. En tout cas, si l'on prétend que je reste néan-
moins cause, la liberté disparait, car tout ce que je fais est une suite
nécessaire de l'évolution de la substance unique. Si tout est divin, tout
est également déterminé et nécessaire : l'universel déterminisme est la
première conséquence du Panthéisme.
C) L'immortalité. — Le Panthéisme, en détruisant la personnalité,
détruit la véritable immortalité qui est celle de la personne consciente
(61, 62). A la mort, cette parcelle de la substance unique, qui me constitue
un tel, se désagrégera, et ses éléments seront résorbés dans le grand Tout
pour produire de nouvelles combinaisons.
TRAITÉ DE PIULOSOPIUE. — i. II. — ÎO.
610 LE PANTHÉISME : OBJECTIONS DES PANTHÉISTES (88)
III, — Argument moral : le Panthéisme supprime :
1° La responsabilité : il n'y a plus de liberté ni de personnalité; donc
leur conséquence nécessaire, la responsabilité, disparait aussi. S'il n'y a
plus de moi, comment concevoir des actes miens, dont je sois obligé de
répondre ?
2° La distinction entre le bien et le mal, la vertu et le vice, le mérite
et le démérite, car tout est divinisé. Or tout diviniser, c'est tout justifier,
tout absoudre.
3° La distinction entre le fait et le droit : nous concevons le droit et la
justice comme un idéal nécessaire et imprescriptible qui prime le fait
et permet de le juger. Mais, pour Hegel, tout ce qui est, devant être, est
rationnel et divin. Donc tout ce qui est a droit à l'existence, est respec-
table et sacré.
La réalité, le fait, étant l'expression du divin, protester contre le
fait, la réalité, c'est se révolter contre le divin. Donc (la conséquence,
pour être monstrueuse, n'en reste pas moins logique) ce que l'on appelle
les crimes ou les empiétements de la force contre le droit mérite pro-
tection et respect.
§ G. — OBJECTIONS DES PANTHÉISTES
I. — Les Panthéistes raisonnent ainsi : Dieu est infini. Or l'infini ne
peut exister qu'à la condition d'être tout, car s'il n'est pas tout l'être,
il serait accru par l'adjonction des êtres qui sont en dehors de lui. Mais
cette hypothèse est contradictoire, parce qu'alors l'infini serait suscep-
tible d'accroissement et par conséquent serait limité. Donc, pour qu'il
soit infini, il faut que tous les êtres particuliers existent en lui, comme
modes de sa substance.
Réponse : l'objection repose sur une double équivoque :
i° Dire que rien ne peut exister en dehors de Dieu est vrai, en ce
sens que tout ce qui existe trouve en lui sa raison d'être comme cause
créatrice et conservatrice ; mais non en ce sens que rien n'a une exis-
tence distincte de la sienne.
2» Dieu est tout Vétre, en ce sens qu'il a la plénitude de l'être, qu'il
est V Ens realissimum, c'est-à-dire possédant toutes les perfections
concevables. Mais Dieu n'est pas tous les êtres. L'objection confond
infinité avec totalité. La raison alléguée est sans valeur : l'adjonction
du fini à l'infini serait la destruction de l'infini, puisqu'il y introduirait
l'imperfection et la limite. Cette opération d'ailleurs est absurde, parce
qu'on ne peut additionner que les choses de même nature pour arriver
à un total. Or les perfections finies et la perfection infinie sont d'ordre
différent. C'est pourquoi l'infini avec tous les êtres finis n'est pas plus
grand, plus parfait que l'infini tout seul, parce que l'infini contieni
(88) LE PANTHÉISME : OBJECTIONS DES PANTHÉISTES 611
éminemment toutes les perfections réunies de tous les êtres finis {^).
Supposons un maitre plus intelligent que le plus distingué de ses élèves
et sachant tout ce que ses élèves savent : réunissez toute la science des
élèves et ajoutez-la à celle du maître, celui-ci n'en sera pas plus parfait,
car il sait déjà tout cela d'une façon éminente. De même la cause infinie
peut communiquer, sans se diminuer aucunement, quelques perfections
à des êtres distincts d'elle, comme un maître transmet ses connaissances
à ses disciples sans s'appauvrir. Concluons donc qu'après la création
on doit dire qu'il y a plus d'êtres, mais non pas plus d'être, c'est-à-dire
de perfection : Pliis entium, non plus entis. C'est ainsi que, quaAd le
maître a fait part de ses connaissances à ses élèves, on doit dire qu'il y a
plus de savants, mais il n'y a pas plus de science.
II. — Toute détermination, dit Spinoza, est nécessairement une
limitation. Donc on limite l'infini en lui supposant des attributs po-
sitifs.
Réponse : l'objection vaut si on l'applique à l'idée abstraite et indé-
terminée d'être. Toute qualité ajoutée à cette idée en restreint l'exten-
sion, vg. si je dis : être raisonnable, cela ne convient plus qu'à une caté-
gorie, au lieu de s'appliquer à tous les êtres. Mais il ne s'agit pas ici d'une
idée générale, il est question d'un être individuel. Alors toute qualité
ajoutée à cet être, au lieu de le limiter, le perfectionne et accroît sa valeur.
C'est pourquoi, en affirmant de l'être infini toutes les qualités possibles
élevées à la suprême puissance, nous ne l'avons aucunement limité, mais
nous le concevons comme l'être absolument réel. L'objection repose
donc sur une équivoque : le mot détermination signifie tantôt une limite,
et en ce sens Dieu n'est pas déterminé, puisqu'il est infini ; — tantôt
une qualité, un attribut, et en ce sens Dieu est le plus déterminé des êtres,
car il est le plus réel. Notons, en effet, que Vidée abstraite d'être est géné-
ralissime (PsYCH., 137) ; elle a le minimum de compréhension (n'ayant
qu'une note, un élément constitutif) et le maximum d'extension (s'appli-
quant à tout être, possible ou existant). Au contraire l'être infini a une
compréhension maximum (contenant toutes les perfections concevables)
et une extension minimum (ne convenant qu'à l'Être parfait qui est
unique).
Remarque. — Le Panthéiste n'est pas formellement athée, puisqu'il
admet l'existence de Dieu ; il se rapproche plus ou moins de l'athéisme,
selon que la notion de Dieu qu'il accepte est, plus ou moins, en contra-
diction avec la notion du vrai Dieu, c'est-à-dire de l'Être nécessaire,
infiniment parfait. Mais, si l'on y regarde de près, ces deux formules :
Dieu est tout et Dieu n''est pas, sont, au fond, équivalentes.
(') Palmieri, Iristitutiones ■philosophiez, T. III, Theologia, Thesis XII, p. 127-128.
612 LE TRANSFORMISME : LAMARCK ' (89)
89. — § IV. LE TRANSFORMISME (i)
§ I. — Lis LAMARCKISME (2)
Quoique la question de l'origine des espèces vivantes, végétales et
animales, ait été agitée avant Lamarck, elle n'a été cependant nettement
posée qu'en 1809 par ce naturaliste français dans sa Philosophie zoolo-
gique. On peut donc regarder Lamarck comme le fondateur du transfor-
misme. Selon lui, il n'y aurait eu à l'origine qu'un petit nombre de types
très simples, qui se sont transformés pour constituer les différentes
espèces animales. Il explique ces transformations progressives par trois
principes : le ?nilieu^ le besoin^ V habitude. Le milieu produit le plus souvent
des troubles, des interruptions dans le développement progressif des
organismes. Son action est donc plutôt perturlDatrice que plastique.
(*) A) Teansformistes absolus : Lamarck, Philosophie zoologique. — Darwin,
L'origine des espèces. De la variation des animaux et des plantes. La descendance de l'homme,
— E. H^CKEL, Histoire de la création des êtres organisés. Les preuves du transformisme.
Anthropo génie. — R. Wallace, La sélection naturelle. — Ed. Perrier, La philosophie
zoologique avant Darwin. Le transformisme. Les colonies animales et la formation des orga-
nismes. — M. Duval, Le Dar\t.-inisme. — Th. Huxley, L' évolution et l'oi-igine des espèces.
La place de l'homme dans la nature. — Schmidt, Descendance elDar\<:inisme. Les mammifères
dans leurs rapports avec leurs ancêtres zoologiques. - — Ed. de Hartmann, Le Darwinisme. —
A. Wei-Smann, Studiemur Descendenztheorie. — F. Le Dantec, Théories néo-lamarchiennes,
dans la Revue philos., 1897, T. II, p. 449 ; 561 sqq. — Alb. Giard, Les facteurs de l'évo-
lution, dans la Revue scientifique, 23 nov. 1889. Controverses transformistes. — G.-J. Ro-
manes, L'intelligence des animaux. L'évolution mentale chez les animaux. — Y. Delage,
La structure du protoplasme et les théories sur l'hérédité et les grands problèmes de la biologie
générale.
B) Transforjiistes modérés : A. Gaudry, Les enchaînements du monde aniynal
dans les temps géologiques. Les ancêtres de nos animaux dans les temps géologiques. Essai de
paléontologie philosophique. — G. Saint-Mivart, Gehesis of species. — M.-D. Leroy,
L'évolution des espèces organiques. — D. Cochin, L'évolution et la. vie. — Maisonneuve,
Création et évolution, dans le compte rendu du Congrès international scientifique des catho-
liques, 1891, 8"^^ Section, p. 36-61 — Pu. Zahm, L'évolution et le dogme. — J. Guibert, Les
Origines, Ch. m. Cet auteur, sans se prononcer catégoriquement, semble incliner du côté
du transformisme modéré. — Eeich Wasmann, Die moderne Biologie und die Entwick-
lungstheorie.
C) Antitransformistes : A. de Qiiatrefages, L'espèce humaine. Darwin et ses pré-
curseurs. Les émules de Darwin. — Ém. Blanchard, La vie des êtres animés. ■ — Nadaillac
(DE), Le problème de la ine. — Lecomte, Le Darwinisme et l'origine de l'homme. — Faivre,
La variabilité des espèces et ses limites. — P. Jousset, Évolution et transformisme. —
L. Aoassiz, De l'espèce et de la classification en zoologie. — Duiliié de Saint-Projet, Apo-
logie scientifique de la foi chrétienne, III<= et IV°P. — Lavaud de Lestrade, Transformisme
et Darwinisme. — A. F.vrges, La vie et l'évolution. — Vigouroux, Les Livres saints et la
rriticiue rationaliste, T. III, L. I, Scct. II, Ch. m. Art. 3. — Thomas, Les temps primitifs
et les origines religieuses. — J. de Bokniot, La bête comparée à l'homme. — H. Joly, L'homme
et l'animal, IV^ P. L'instinct. — D. Lodiel, Quelques appréciations récentes du transformisme,
dans les Études, déc. 1892. — Dierckx, L'homme-singe et les précurseurs d'Adam devant
la science. Revue des Questions scientifiques, 1894, T. I, p. 518-589. — Alb. Fleisch-
MANN, Die Descendenztheorie. Die Darwinsche Théorie.
( ') De Quatref.\ges, Darwin et ses Précurseurs français.
(89) LE TRANSFORMISME : DARWIN 613
Le vrai principe formateur, indépendant du milieu, est un principe
d'activité interne, c'est le pouvoir de la vie, qui agit selon deux lois :
la loi du besoin et celle de Vhahitiide. Dans les circonstances favorables,
le besoin crée les organes, l'habitude les développe et les fortifie. Lamarck
reconnaît qu'il est difficile de prouver par l'observation que le besoin
crée les organes ; mais l'expérience établit que l'habitude les développe ;
il en conclut que le besoin les crée, donnant ainsi la seconde loi comme
preuve de la première.
§ II. — L^ SYSTÈME DE DARWIN
Darwin admet comme Lamarck que les végétaux et les animaux
descendent par transformations successives de quatre ou cinq types
primitifs, peut-être même d'un seul. L'originalité du Darwinisme n'est
donc pas là, mais dans le principe qu'il met en avant pour expliquer les
transformations successives des êtres vivants : celui de la sélection
naturelle {^). On sait que des variations organiques se produisent chez
les animaux domestiques et chez les plantes cultivées. Comme ces varia-
tions ont la propriété de se transmettre par hérédité, les éleveurs peuvent,
grâce à un choix habile des reproducteurs, créer des variétés et des races
si différentes de la souche primitive qu'on dirait des espèces nouvelles.
C'est ainsi qu'on a pu créer tant de races de chevaux, de chiens (180 races),
de pigeons (150 races) et tant de variétés de fleurs et d'arbres. On a
appelé sélection artificielle ce procédé de perfectionnement employé par
l'homme.
Ayant constaté ces faits, Darwin s'est dit : pourquoi la nature ne
pourrait-elle pas ce que l'homme peut ? Des variations se produisent
aussi à l'état sauvage. Les unes sont inutiles à l'être vivant ; n'étant
d'aucun secours, elles disparaissent aisément par la défaite des individus
où elles se sont produites. Les autres sont utiles ; étant d'un grand avan-
tage dans la lutte pour la vie, elles ont favorisé la survivance des indi-
vidus qui en étaient doués, et ont pu ainsi se transmettre. De la sorte
s'effectue une sélection naturelle ou choix assez semblable à la sélection
artificielle. Sans doute la nature est aveugle et on ne peut lui prêter
l'intention de modifier les espèces vivantes ; mais ce qu'elle n'obtient
pas par dessein, elle l'obtient par l'action fatale de lois nécessaires.
(') Yves Delage dénie à la sélection naturelle le pouvoir souverain que lui avait
attribué Darwin : « La sélection naturelle est un principe admirable et parfaitement juste.
Tout le monde est d'accord aujourd'hui sur ce point. Mais où on n'est pas d'accord, c'est
sur la limite de sa puissance et sur la question de savoir si elle peut engendrer des formes
spécifiques nouvelles. Il semble bien démontré aujourd'hui qu'elle ne le peut pas. » (La
Structure du proloplasma et les théories sur l'hérédité et les grands problèmes de la biologie
générale, p. 371. Paris. 1895.)
614 LE TRANSFORMISME : DARWIN (89)
L'éleveur, qui choisit et isole les reproducteurs, est remplacé dans la
nature par :
a) La lutte pour la vie {struggle for lije) qui préserve les meilleurs
sujets.
h) U influence du milieu.
c) Les cataclysmes et les migrations qui empêchent le mélange des
variétés en les séparant (^).
A) La lutte pour la vie ou concurrence vitale est la consé-
quence fatale de l'exubérante fécondité des êtres vivants (^). Si cette
exubérance n'était pas contrebalancée, la terre serait bientôt incapable
de nourrir et même de contenir ses habitants. Chaque être vivant doit
donc lutter pour assurer son existence. Dans cette concurrence vitale,
les moins avantagés périssent ; les mieux protégés résistent. Ainsi se
dégage la loi de la survivance des plus aptes à la lutte. Il ne faut pas
confondre les plus aptes avec les plus forts. Les victorieux sont ceux qui
l'emportent sur leurs concurrents soit par leur vigueur, soit par quelque
autre qualité naturelle, comme la ruse, la légèreté, la couleur, etc.
Le mimétisme (^) sert de protection aux faibles. Il se fait donc, à chaque
génération, un choix réel des individus qui possèdent les qualités les
plus avantageuses et les transmettent à leurs descendants.
Le temps et Yhérédité sont les deux grands facteurs de ce progrès,
car le temps, dont dispose si largement la nature, accumule sans cesse
de petites différences, et l'hérédité les fixe dans la descendance. Les
caractères ainsi acquis le sont pour toujours, et cela constitue la loi de
caractêrisation permanente.
Mais comme, à chaque génération, les individus sortis d'un groupe
ainsi caractérisé s'éloignent de plus en plus du point de départ, ils en
viennent à différer, d'une façon très tranchée, de l'organisme primitif
d'où ils descendent, et constituent ainsi de nouvelles espèces, en obéissant
à la loi de la divergence des caractères.
(M On entend par : 1» Espèce, une collection d'individus qui ont un certain nombre
de qualités communes et essentielles, indéfiniment transmissibles par génération. Elle
implique donc deux caractères : la ftxilé et l'inier fécondité. C'est la définition qui résulte des
observations qui ont été faites par l'homme depuis qu'il les consigne.
2° Variété, un groupe d'individus qui ne se distinguent que par des qualités acci-
dentelles, lesquelles peuvent disparaître.
3° Race, un groupe d'individus dont les caractères, constituant une variété, sont
fixés et perpétués d'une manière constante par la génération et l'hérédité. — Aux yeux de
Darwin, les espèces uclueUes ne sont que des variétés fixées.
( *) iîD. Perrier la nie pour 4 emijranchements sur 8 du Règne animal. « Ce n'est donc
pas à la guerre que sont dus les plus grands progrès dans la nature : la victoire finale n'a
pas été celle de la force, mais celle de la paix. " {Comptes rendus de l'Acadé7nie des Sciences,
27 décembre 191.5, T. 161, p. 816).
(') Le mimétisme est la propriété qu'ont certaines espèces de revêtir les apparences
d'animaux redoutés ou dédaignés par les carnassiers. — R. Wallace, La sélection naturelle,
p. /i5-130.
(89) LE TRANSFORMISME . DARWIN 615
Remarque : on s'imagine parfois qu'il s'agit de transformer une
espèce donnée en une espèce voisine, vg. un âne en cheval, un chien en
loup ou vice versa. C'est une erreur. Les espèces ne se transforment pas
(ce sont les individus) ; elles se forment par divergence en s'éloignant du
tronc commun d'où elles descendent et dont elles gardent les traits
fondamentaux. Le loup ne vient pas du chien, ni le chien du loup, mais
le loup et le chien seraient, d'après les transformistes, deux rameaux
divergents sortis d'une même souche antique.
B) — Le milieu : Darwin n'attache qu'une influence secondaire
à Vinfluence du milieu comme source de variations dans les animaux et
les plantes. C'est un fait que la nature des conditions ambiantes, le
climat, l'alimentation, la lumière, etc., sont une cause de modifications
plus ou moins importantes dans la constitution des êtres : vg. le chien
transporté dans les régions polaires se couvre d'une fourrure de poils
épais ; à l'équateur il perd ses poils. Les changements, disent les trans-
formistes, ont dû être encore beaucoup plus profonds et rapides, dans les
périodes géologiques, où les conditions de milieu étaient beaucoup plus
instables.
C) — L'émigration spontanée et les grands cataclysmes, en sépa-
rant les espèces en voie de formation, ont permis aux caractères
divergents de s'accentuer de plus en plus (^).
Les transformistes ajoutent d'autres arguments (2) :
D) — Les organes rudimentaires ou organes-témoins : ce sont
des organes si peu développés qu'ils ne paraissent plus pouvoir exercer
aucune fonction : vg. l'œil pinéal, placé au sommet de îa tête, est atrophié
chez les animaux supérieurs, mais il se voit encore chez certains reptiles ;
— le chien, le porc, le cheval ont des doigts plus ou moins atrophiés
et inutiles, etc. Dans la théorie transformiste, ces organes ont leur raison
d'être : c'est comme la signature de l'ancêtre commun dans toutes les
espèces qui descendent de lui. C'est sans doute le non-usage à travers
plusieurs générations qui a produit l'atrophie.
E) — Série embryologique : l'embryologie est la science du déve-
loppement individuel (lej)uis l'œuf jusqu'à la forme adulte. D'après les
' darwinistes, tout animal va du simple au composé par une multitude de
phases, pendant lesquelles il offre de grandes analogies avec des formes
que conservent toute leur vie des êtres inférieurs : vg. des êtres de même
^ embranchement, mais de classes différentes, comme les poissons et les
(M « ...Obligé d'abandonner la géologie des cataclysmes, on s'est rejeté sur la paléonto-
logie, imaginant des luttes violentes dans le monde animé... En réalité ces combats ont
été des exceptions ; il faut se figurer une grande nature où, comme de nos jours, tout était
harmonie ». (A. Gaudry, Essai de paléontologie philosophique, Ch. ii, p. 31, Paris, 1896).
C) D'après J. Guibert, Les Origines, Ch. m, § 3.
616 LE TRANSFORMISME : DARWIN (89)
mammifères, ont un développement parallèle jusqu'au type poisson ;
alors, tandis que les poissons se caractérisent dans leurs espèces, les
mammifères continuent leur marche ascendante, passent par des états
qui sont permanents chez les batraciens et transitoires chez eux, et
arrivent enfin au type caractéristique de leur classe. Il y aurait donc un
parallélisme entre la série embryologique et la série zoologique. Chaque
individu répéterait brièvement les phases par lesquelles a passé son
espèce. Ainsi les embryons d'un poisson et d'un mammifère se ressem-
blent longtemps, parce que tous deux reproduisent les phases par les-
quelles avait passé l'ancêtre commun qui fut le premier des vertébrés.
F) — Série paléontologique : les couches sédimentaires étudiées
par les géologues sont comme les feuillets d'un livre, où la science peut
étudier la succession des êtres vivants. Mais il manque beaucoup de
pages à ce livre, soit parce qu'une petite partie seulement de l'écorce
terrestre a été explorée, soit parce que l'érosion a détruit beaucoup de
documents. De plus, à part les mollusques, peu d'êtres vivants se fossi-
lisent. Une grande part reste donc à l'hypothèse pour interpréter les
signes conservés et combler les lacunes. Or, d'après les transformistes,
les caractères non effacés seraient tous favorables à leur thèse.
Les animaux n'ont point tous apparu à la même époque ; les espèces
ont été formées successivement dans le cours des périodes géologiques :
depuis la première origine de la vie jusqu'à la naissance de l'homme, on
signale sans cesse de nouvelles espèces. Ces apparitions ne se font pas
brusquement ; les espèces se renouvellent peu à peu ; les unes périssent,
les autres arrivent. Ce n'est pas au hasard, mais suivant un ordre constant,
en allant du simple au composé, que ces espèces apparaissent. Les inver-
tébrés vivent avant les vertébrés. Parmi les vertébrés, les poissons se
montrent dès le silurien ; viennent ensuite les batraciens sur les premiers
continents émergés au temps carbonifère ; les reptiles débutent avec
l'ère secondaire ; les oiseaux et les mammifères commencent à avoir
des représentants dans l'ère secondaire, mais ils n'ont leur plein déve-
loppement que durant l'ère tertiaire.
Pour les groupes représentés par de nombreux restes, le passage
insensible d'une forme à l'autre est frappant ; ces formes de transition
se rencontrent soit :
a) Pour lier entre eux lesembranchements:vg. les premiers batraciens
présentent de nombreux caractères propres aux poissons ; les premiers
oiseaux gardent plusieurs caractères propres aux reptiles.
b) Pour faire l'histoire des espèces d'un même genre : vg. parmi les
mollusques, où les fossiles abondent, chez les céphalopodes, comme les
nautiles, les goniatites, les ammonites.
Le transformisme prétend expliquer cette succession paléonto-
logique en disant que les formes primitives se sont modifiées et élevées
(89) — LE TRANSFORMISME : CRITIQUE 617
peu à peu en s'adaptant aux milieux où elles vivaient, en se pliant aux
conditions d'existence.
Les développements successifs du règne végétal offrent des faits
plus saillants, car l'ordre d'apparition correspond exactement à l'ordre
de complication organique : les cryptogames sont seuls aux temps
primaires ; puis viennent les conifères et les cycadées ; les monocoty-
lédones et les dicotylédones apparaissent durant l'ère secondaire et
n'atteignent leur apogée que dans l'ère tertiaire.
G) — Lien des formes vivantes : on suit aisément les divers degrés
de complication qui forment le trait d'union entre les animaux simples
et les types les plus perfectionnés. Les protozoaires sont composés de
cellules semblables, isolées ou réunies en colonies. Les colonies cellulaires
commencent à se différencier chez les cœlentérés. Chez les échinodermes
apparaissent nettement des organes internes entre l'ectoderme et l'ento-
derme. A partir de là, tantôt les parties se groupent en rayonnant autour
d'un centre, tantôt elles se disposent sur une même ligne droite. Dans
ce dernier cas, ou bien certaines parties restent assez distinctes comme
chez les vers, ou bien elles se fusionnent plus ou moins et se condensent
en une unité plus serrée, comme dans les embranchements supérieurs.
Les espèces voisines ne diffèrent que très légèrement les unes des
autres ; dans leur série continue, il est difficile de trouver des lignes de
démarcation. Même dans les espèces qui paraissent éloignées, soit dans
une même classe, soit dans un même embranchement, les parties homo-
logues sont construites de la même façon. Ainsi chez le cheval, la taupe,
la souris, le marsouin, la baleine, le membre antérieur a les mêmes os
agencés de la même manière. Les pattes du mammifère, les ailes de
l'oiseau, les membres du reptile, sont composés des mêmes pièces.
Les différences, que l'anatomie signale, s'effacent, si l'on remonte soit
aux périodes embryonnaires, car la formation du membre antérieur
s'y fait de la même façon, soit aux sédiments géologiques, car on y trouve
des ancêtres où les modifications différentielles n'étaient pas encore
effectuées. — Ces faits démontrent une parenté morphologique très
étroite entre les espèces d'un même genre, moins étroite entre les
genres d'une même classe, moins étroite encore entre les espèces extrêmes
du règne animal. Ce lien qui unit les êtres vivants est, d'après les trans-
formistes, le résultat d'une commune descendance ; ce n'est pas un lien
idéal, mais un lien de parenté réelle.
§ IIL — CRITIQUE DU TRANSFORMISME
A) Réfutation générale : la théorie darwinienne repose sur
l'analogie entre la sélection naturelle et la sélection artificielle. Or cette
analogie est contestable. La sélection artificielle est réfléchie et calculée.
Pour faire une race douée de telle qualité déterminée, il ne suffit pas de
618 LE TRANSFORMISME : CRITIQUE - (89)
lui donner pour père un individu qui offre la première ébauche de cette
qualité ; il faut trouver une mère en qui se rencontre la même qualité ;
autrement cette qualité s'affaiblit dès la seconde génération et disparait
à la troisième ou quatrième. Ce double choix est nécessaire non seulement
au début, mais constamment : c'est à cette condition que se précisera le
caractère que l'on veut perpétuer dans une race. Pour que la sélection
naturelle obtînt le même résultat, il faudrait que la nature fût capable
de choix, mais elle est aveugle. L'animal agit sous l'influence d'un
instinct irréfléchi. Comment admettre qu'un animal, dont la constitution
offre quelque particularité utile, ira chercher et découvrira un autre
individu doué du même avantage ? Comment admettre surtout que
cette recherche et cette découverte se renouvellent autant de fois qu'il
est nécessaire pour produire et fixer une variété ? Il serait étrange que
l'homme intelligent et la nature aveugle, agissant par des voies opposées,
aboutissent aux mêmes résultats.
Ce n'est pas assez dire, car la nature aboutirait à des résultats bien
supérieurs : elle arriverait à produire des espèces^ tandis que l'homme n'a
réussi qu'à produire des races, en fixant des variétés. Avec un père et
une mère de l'espèce canine, la sélection artificielle a créé de nombreuses
races de chiens, mais jamais un autre animal.
Les produits hybrides, qui proviennent de deux espèces voisines,
ou bien sont stériles après un petit nombre de générations (comme
les mulets), ou bien sont indéfiniment féconds (comme les léporides),
mais alors leurs descendants reviennent promptement au, type lièvre
ou au type lapin. Ce fait d'interstérilité entre deux espèces voisines est,
de l'aveu de Darwin, « inexplicable » dans la théorie transformiste.
Quatrefages regarde ce fait capital comme la preuve manifeste de la
fixité des espèces.
De plus l'histoire, aussi haut qu'on puisse remonter dans l'étude du
passé, confirme la permanence des espèces. Certaines ont disparu ;
aucune des survivantes n'a subi de transformations (Cf. les descriptions
d'Aristote, les monuments de l'Egypte, etc.). Si donc la sélection natu-
relle, sous l'action de la concurrence vitale, n'a produit, de mémoire
d'homme, pendant soixante ou soixante-dix siècles, aucune modifi-
cation notable, de quel droit les transformistes lui accordent-ils une si
merveilleuse efficacité dans le passé ? Ils répliquent que, dans les périodes
géologiques antérieures à la nôtre, la sélection naturelle, disposant d'un
temps illimité, a pu agir efficacement. — Mais le temps par lui-même
ne produit rien ; il n'est qu'une condition qui permet à une force de se
développer ; si donc pendant soixante-dix siècles la sélection naturelle
n'a rien fait, ce n'est pas avec un temps indéfiniment prolongé qu'elle
fera quelque chose. C'est une supposition gratuite qui n'a rien de scien-
tifique.
(89) LE TRANSFORMISME : CRITIQUE 619
B) Réponse aux arguments particuliers :
I. — La persistance d'organes ludimentaires n'est pas une preuve en
faveur du transformisme, car :
lo Au dire de Darwin lui-même, nous ne savons pas si un organe,
rudimentaire ou inutile chez l'adulte, n'a pas exercé une fonction chez
chez l'embryon.
20 II peut se faire que les organes rudimentaires, comme les ailes de
l'aptéryx, servent à une fin encore inconnue.
3° Cette persistance d'ailleurs s'explique suffisamment par V unité
de plan, qu'elle sert à manifester (Logique, 82, §§ II, III).
40 Ces organes peuvent être le résultat d'une dégradation subie
dans l'espèce même, ùitra eamdem speciem.
5° L'explication darwinienne sur la cause de l'atrophie de ces organes
n'est pas juste ; on cite bien des cas où le non-usage n'a pas atrophié
certains organes : vg. l'oie de Magellan et la frégate ont des pieds palmés
pour nager et ne nagent pas ; un pic d'Amérique {Colapt.es campestris)
a des pieds grimpeurs et ne grimpe pas.
II. — Il est certain, d'après Darwin lui-même, que tous les animaux
ne passent pas par les différents états de leur soi-disant ancêtre. Cepen-
dant les lois de la nature sont générales, et si l'explication du dévelop-
pement embryologique était celle que supposent les darwinistes, elle ne
devrait pas souffrir ces exceptions. Agassiz a remis les choses au point :
« En tant qu'oeufs, dans leur condition primitive, tous les animaux se
ressemblent. Mais aussitôt que l'embryon commence à montrer quelques
traits caractéristiques, ceux-ci présentent des particularités telles que
le type peut se distinguer... Aucun animal supérieur ne traverse une
suite de phases rappelant tous les types inférieurs du règne animal,
mais il subit simplement une série de modifications spéciales aux
animaux de l'embranchement auquel il appartient (^). »
m. — On a apporté plusieurs faits contre la série paléontologique :
1° Certaines espèces ont "persévéré, sans transformation, à travers
les temps géologiques. Pourquoi certains types ont-ils progressé, tandis
que d'autres sont demeurés stationnaires ? pourquoi existe-t-il encore
des amibes, des méduses et même des poissons et des reptiles ?
2^ L'ordre d'apparition des espèces n'est pas conforme au degré de
complication de l'organisme : dès le cambrien on voit des êtres de presque
tous les groupes.
.■50 Les groupes nouveaux apparaissent brusquement, sans être ame-
nés par des formes intermédiaires qui les relient à d'autres. — On n'a
pas retrouvé ces intermédiaires nécessaires pour justifier le transfor-
( ') L. Agassiz, De l'Espèce et de la Classification en Zoologie, Cli. ii, § VIII, Traduit do
l'anglais, par F. Vogéli, p. 278-279. Paris, 1869.
620 LE TRANSFORMISME : CRITIQUE (89)
misme. Darwin l'a reconnu loyalement : « Le problème de la filiation des
espèces dans les couches fossilifères reste, quant à présent, inexpliqué,
insoluble, et l'on peut continuer à s'en servir comme d'un argument
sérieux contre les opinions émises ici. « M. Contejean, quoique transfor-
miste, dit de son côté : « Il faut admettre que les nombreuses étapes qui
marquent la transformation entre deux types spécifiques voisins sont
représentées chacune par une forme particulière qu'on devrait retrouver
à l'état fossile. Ces formes de passage seraient donc innombrables ; en
outre les types spécifiques, noyés dans cette multitude d'intermédiaires,
ne pourraient plus être distingués les uns des autres, ou, en d'autres
termes, n'existeraient pas. Or c'est le contraire qui a lieu. «
Pressés par ces objections, certains transformistes ont imaginé la
théorie des émigrations. Quand on leur dit : vg. on ne connaît aucune
forme intermédiaire entre Thipparion et le cheval, ils répondent : l'être
que vous cherchez ne peut se trouver que dans une région éloignée de
celle où vécurent ces animaux ; autrement il ne se fût pas transformé.
Mais cette hypothèse est tellement gratuite et arbitraire qu'elle est
rejetée par beaucoup de darwinistes. Aussi d'autres, comme Naudin,
recourent à des transformations brusques et ils apportent en preuve les
modifications produites soudainement chez les plantes et même chez
certains animaux. Mais ces modifications n'ont jamais lieu qu'entre des
races ou des variétés d'une même espèce.
IV. — Le lien qui unit entre elles les formes vivantes est manifeste ;
mais le fait de son existence ne tranche pas la question de son origine :
est-il idéal ou le résultat d'une descendance commune ? On peut admettre
que le transformisme explique aussi bien que le créationnisme les ressem-
blances qui unissent les espèces voisines ; mais il ne rend pas aussi aisé-
ment compte des différences anatomiques et physiologiques qui les
séparent.
V. — Admettons qu'on établisse l'interfécondité des espèces et
qu'on découvre les innombrables intermédiaires des transformations
successives, il restera toujours à expliquer :
1° L'origine des êtres vivants : depuis la réfutation des générations
spontanées par Pasteur, c'est une vérité acquise à la science que les
êtres organisés reçoivent toujours la vie de corps déjà vivants, que par
conséquent la vie ne résulte pas de l'évolution d'éléments physico-
chimiques : Omne vivum ex vivo (46). Il faut donc recourir à un principe
transcendant, en dehors et au-dessus de la matière, à un être créateur
du principe vital.
ÔP La plasticité des êtres vivants : comment sont-ils capables de
s'adapter aux conditions de leur existence ? Comment peuvent-ils se
développer régulièrement au milieu des influences diverses qu'ils subis-
sent ? Cette plasticité offre éminemment le caractère de la finalité. Il faut
(89) LE TRANSFORMISME : CRITIQUE G21
y reconnaître les marques d'une intelligence qui, n'étant ni dans la plante,
ni dans l'animal, doit être en dehors et au-dessus d'eux, dans une Pro-
vidence qui dirige les êtres vivants vers une fin qu'ils ignorent. C'est ce
qu'exprime fort bien un naturaliste américain, L. Agassiz : « Rien dans
le règne organique n'est de nature à nous impressionner autant que
l'unité de plan qui apparaît dans la structure des types les plus divers.
D'un pôle à l'autre, sous tous les méridiens, les Mammifères, les Oiseaux,
les Reptiles, les Poissons révèlent un seul et même plan de structure.
Ce plan dénote des conceptions abstraites de l'ordre le plus élevé, il
dépasse de bien loin les plus vastes généralisations de l'esprit humain, et il
a fallu les recherches les plus laborieuses pour que l'homme parvînt
seulement à s'en faire une idée. D'autres plans non moins merveilleux
se découvrent dans les Articulés, les Mollusques, les Rayonnes et dans
les divers types de plantes. Et cependant ce rapport logique, cette
admirable harmonie, cette infinie variété dans l'unité, voilà ce qu'on
nous représente comme le résultat de forces auxquelles n'appartiennent
ni la moindre parcelle d'intelligence, ni la faculté de penser, ni le pouvoir
de combiner, ni la notion du temps et de l'espace (^). »
VI. — Il faut noter enfin que le transformisme n'est qu'une hypo-
thèse contestable et contestée, que trop souvent l'on rejette ou que l'on
admet pour des raisons exlrascientifiques. Voici la déclaration faite
par Yves Delage, professeur d'anatomie et de physiologie comparées
à la Sorbonne : « Je reconnais sans peine qu'on n'a jamais vu une espèce
en engendrer une autre, ni se transformer en une autre, et que l'on n'a
aucune observation absolument formelle démontrant que cela ait jamais
eu lieu. J'entends ici une vraie bonne espèce, fixe comme les espèces
naturelles et se maintenant comme elles, sans le secours de l'homme. «
L'auteur, qui est cependant transformiste, ajoute en note : « Je prends
ici la première personne pour montrer que je parle en mon nom et non
en celui des Transformistes, dont beaucoup seront sans doute scanda-
lisés en lisant cette déclaration. Je suis cependant absolument convaincu
qu'on est ou n'est pas transformiste, non pour des raisons tirées de
l'histoire naturelle, mais en raison de ses opinions philosophiques. S'il
existait une hypothèse scientifique, autre que la descendance, pour expli-
quer l'origine des espèces, nombre de Transformistes abandonneraient
leur opinion actuelle comme insuffisamment démontrée (^). »
Nous laissons aux spécialistes le soin d'apprécier la juste valeur de
ces objections et de ces réponses. Mais nous avons à juger le transfor-
misme, du point de vue philosophique.
Conclusion. — Le transformisme absolu, qui rejette toute inter-
( ') L. Agassiz, De l'Espèce et de la Classification en Zoologie, Ch. i, § IV, p. 23-24.
( ') Y. Delage, La structure du protoplasma..., p. 184.
622 LE TRANSFORMISME : CRITIQUE (89)
vention créatrice de Dieu, est contraire à la raison et à la foi. Le trans-
formisme modéré, qui admet l'intervention de Dieu pour créer la vie
des espèces végétales et animales, est un système possible en soi : il ne
répugne donc ni à la raison ni à la foi. Telle est, d'après Henri de
DoRLODOT, professeur de Géologie à l'Université de Louvain et ancien
professeur de Théologie au Séminaire de Namur, la doctrine fonda-
mentale de Darwin sur Vorigine des espèces, « qui se résume dans les deux
propositions suivantes :
« 1° La première origine des êtres vivants est due à une influence
spéciale du Créateur, qui a inspiré la vie à un seul ou à un petit nombre
d'organismes élémentaires.
« 2o Ces organismes, évoluant dans la suite des siècles, ont donné
naissance à toutes les espèces organiques qui existent actuellement, ou
dont les vestiges nous sont conservés à l'état fossile (^). >
A priori ce système est possible. Est-il réalisé dans la nature ? C'est
aux faits de répondre. Un certain nombre de savants ont repoussé
même le transformisme ainsi tempéré, parce qu'ils ne le trouvaient pas
suffisamment prouvé par les faits : vg. Cuvier, de Quatrefages, Flourens,
Agassiz, etc. Beaucoup d'autres soutiennent le contraire. D'après un
éminent professeur au Muséum d'Histoire naturelle, Albert Gaudry,
«les espèces secondaires (qui ne seraient que des variétés et des races)
sont transmutables ; mais elles dérivent d'un certain nombre de classes
primordiales et irréductibles qui ont Dieu pour auteur immédiat » (^).
René Zeiller, le maître de la Paléobotanique en France, « était arrivé
finalement à cette conviction, partagée par beaucoup de naturalistes de
nos jours : Nous n'avons pas d'autre manière d'expliquer les faits observés
( M H. DE DoiiLODOT, Le Dar\.<.inisme au point de rue de l'Orthodoxie cutholique :I. L'Ori-
gine des E&i)i}ces, p. 10, Bruxelles et Paris, 19'21. — L'auteur ajoutedansunenote' «Lorsque
nous parlons des opinions de Darwin, nous ne faisons jamais allusion qu'à celles qu'il a
exprimées dans les écrits puliliés par lui-même et qu'il a maintenues jusque dans ses der-
nières éditions, et non aux doutes, plus ou moins passagers, dont on peut trouver les traces
dans sa volumineuse correspondance > (p. 151, note 1). — On sait que Darwin a étendu sa
théorie transformiste jusqu'à l'homme. (Cf. La descendance de l'homme). Cette extension
parait à un Krand nombre d'exégcHes catholiques se heurter au texte de la Genèse relatif
à la création de l'homme (C. ii, v. 7). C'est aussi notre sentiment. Cependant un certain
nombre de catholiques estiment qu'on peut appliquer la théorie transformiste au corps
de l'homme. Ainsi semble penser le Père Tiieilard du Chardin (Cf. Les Hommes fossiles,
dans ÉTUDES, 1921, T. I, p. ,^77). M. de Doulodot annonce la publication d'un second
volume sur la Descendance de l'homme. S'il est permis de préjuger son opinion d'après les
tendances du premier volume on peut conjecturer qu'il sera favorable à cette extension.
(•) .\. Gauduv : « Les êtres animés ne sauraient avoir produit eux-mêmes leurs forces
vitales, car nul ne peut donner ce qu'il n'a pas. Quand nous imaginerons toutes les
forces physiques ou chimiques, elles ne feront pas une force vitale, et surtout une force
pensante. C'est donc la cause première, c'est-à-dire Dieu, qui crée les forces » (Essai de
paléontologie philosophique, Conclusion, p. 208-209).
(89) LE TRANSFORMISME : POSITION ACTUELLE DE LA QUESTION 623
que par la notion du transformisme, et ce transformisme inévitable, son
mécanisme nous échappe » (^).
§ IV. — COMMENT SE POSE AUJOURD'HUI LA QUESTION
DU TRANSFORMISME?
Actuellement les naturalistes sont presque tous transformistes. Mais
il faut noter que le système transformiste a lui-même évolué. De là
l'intérêt qui s'attache à cette enquête : Comment se pose aujourd'hui
la question du transformisme ? Pour y répondre, nous laisserons la
parole à un géologue de profession, qui est en même temps familiarisé
avec la Théologie.
« Par rapport à ce que tenaient les initiateurs de la doctrine transfor-
miste, nos vues actuelles sur la nature découvrent une évolution biolo-
gique : 1° beaucoup plus compliquée dans son processus qu'on ne le
pensait d'abord ; 2" mais, en même temps, de plus en plus certaine dans
son existence; 3'' pourvu qu'elle soit comprise comme une relation très
générale de dépendance et de continuité physiques entre formes orga-
nisées (-). »^'est ce troisième point qu'il importe ici de mettre en
lumière.
« Depuis le plus petit détail jusqu'aux plus vastes ensembles, noire
univers vivant (comme notre univers matériel) a une structure, et cette
structure ne peut être due qu'à un phénomène de croissance. Voilà la
grande preuve du Transformisme et la mesure de ce que cette théorie
a de définitivement acquis (^). »
« Ce qui fait le transformiste, qu'on se le dise bien, ce n'est pas
d'être darwiniste ou lamarckiste, mécaniciste ou vitaliste, mono ou poly-
phylétiste. Ce n'est pas même de croire (si paradoxale que puisse paraître
cette affirmation) que les vivants descendent les uns des autres par géné-
ration proprement dite... Ce à quoi tiennent, tout à fait au fond, les
naturalistes actuels, — ce à quoi ils s'attachent comme à une conviction
inébranlable, une conviction qui n'a jamais cessé de grandir sous des
discussions de surface, c'est au fait d'une liaison physique entre les
vivants. Les vivants se tiennent biologiquement. Ils se commandent
organiquement dans leurs apparitions successives, de telle sorte que ni
( M (j. BoNNiER, René Zeiller et la Paléontologie végétale, dans la Revue hebdomadaire,
8 sept. 1917, p. 177.
{ =) Pierre Teilhard du Chardin, Professeur de Géologie à. l'Institut catholique de
Paris, Comment se pose aujourd'hui la question du Transformisme, dans Études, 19Î1,
T. II, p. 525. Pour le développement des deux premiers points, voir p. 525-539.
(') P. Teilhard, Comment se pose.... Ibidem, p. 538-53 9.
624 LE TRAIsSFORMISME : POSITION ACTUELLE DE LA QUESTION (89)
l'homme, ni le cheval, ni la première cellule, ne pouvaient apparaître
ni plus tôt ni plus tard qu'ils ne l'ont fait. Par suite de cette connexion
enregistrable entre formes vivantes, nous devons chercher et nous pou-
vons trouver un fondement matériel, c'est-à-dire une raison scienti-
fique, de cet enchaînement. Les accroissements successifs de la vie
peuvent être V objet d'une histoire. » Voilà la « foi » suffisante et néces-
saire pour faire un transformiste. Tout le reste est dispute entre systèmes,
ou bien encore passions étrangères, indûment mélangées à une question
d'ordre scientifique.
« Réduit à cette essence ultime, compris comme la croyance en l'exis-
tence d'une connexion physique, expérimentale, entre les vivants
(connexion de nature encore indéterminée), le transformisme apparaît
comme extrêmement inofîensif et comme extrêmement fort. Il ne saurait
porter ombrage à aucune philosophie et, par ailleurs, il occupe une posi-
tion qui semble inexpugnable.... Pour que le transformisme fût dan-
gereux à la raison et à la foi, il faudrait qu'il prétendît rendre inutile
l'action du Créateur, réduire le développement de la vie à une opération
purement immanente à la nature, prouver que « le plus peut sortir,
par lui-même, du moins ». Trop d'évolutionnistes, en fait, ont commis
cette lourde méprise de prendre leur explication scientifique de la vie
pour une solution métaphysique du monde... Il est teinps de laisser
définitivement de côté un problème aussi mal posé. Non, le transfor-
misme scientifique, à strictement parler, ne prouve rien pour ou contre
Dieu. Il constate simplement le fait d'un enchaînement dans le réel.
Il nous présente une anatomie, point du tout une raison dernière, de la
vie. Il nous affirme : « Quelque chose s'est organisé, quelque chose
a crû. » Mais il est incapable de discerner les raisons ultimes de cette
croissance. Décider si le mouvement évolutif est intelligible en soi, ou
s'il exige, de la part d'un premier Moteur, une création progressive et
continue, c'est une question qui ressort à la métaphysique...
« II est assez facile de critiquer le transformisme. Comment se fait-il
qu'on ait tant de peine à trouver une solution qui permette de s'en
passer ?... Un seul moyen logique est donné aux non-transformistes
d'expliquer l'unité et l'enchaînement de la vie : c'est d'admettre une
liaison idéale des formes. C'est de soutenir que la loi de succession des
vivants est toute concentrée dans une pensée créatrice qui dévelop-
perait en des points successifs, successivement posés, le dessin qu'elle a
conçu dans sa sagesse. Les formes vivantes, dans cette hypothèse,
s'appelleraient les unes les autres à l'existence uniquement en vertu d'un
relais logique existant dans la pensée divine. Elles seraient des points
cosmiquement indépendants les uns des autres par leur origine,
mais disséminés harmonieusement sur un faisceau de courbes fic-
tives.
(89) LE TRANSFORMISME : POSITION ACTUELLE DE LA QUESTION 625
« Il ne semble pas que cette solution puisse être tolérée par aucun
naturaliste ; et ceci pour deux raisons. D'abord elle est inapplicable
pratiquement, en tant que son fonctionnement multiplie à l'indéfini les
►créations indépendantes. Pourquoi ne pas admettre une création spéciale
pour ces deux espèces de guêpes ou d'oseilles que vous déclarez vous-
mêmes, en vertu de vos expériences, complètement fixes, si vous en
voulez une à l'origine des rongeurs ou des périssodactyles ?... Mais il y a
plus. Quand même les fixistes arriveraient à préciser, d'une façon non
arbitraire, le nombre et la place des coupures créatrices (quand ils ne
demanderaient qu'une seule coupure), ils se heurteraient à une difficulté
fondamentale : l'impossibilité où est notre esprit de concevoir, dans
Vordre des phénomènes, un début absolu. Essayez de vous représenter
ce que pourrait être, dans la nature, l'apparition intrusive d'un être
qui ne « naîtrait « pas d'un ensemble de circonstances physiques préexis-
tante?. Ou bien vous n'avez jamais étudié un objet réel, ou bien vous
renoncerez à une tentative dont vous verrez positivement la vanité.
Dans notre univers, tout être, par son organisation matérielle, est soli-
daire de tout un passé. Il est essentiellement une histoire. Et par cette
histoire, par cette chaîne d'antécédents qui l'ont préparé et introduit,
il rejoint sans coupure le milieu au sein duquel il nous apparaît. La
moindre exception à cette règle bouleverserait l'édifice entier de notre
expérience.
« On s'en va répétant : « Le transformisme est une hypothèse. »
Cette parole est vraie quand il s'agit des théories spéciales à un disciple
de Lamarck ou de Darwin. Mais, si on entend dire par là que nous sommes
libres de regarder, ou non, les êtres vivants comme une suite d'éléments
apparus « en fonction physique » les uns des autres (quelle que soit,
du reste, la nature exacte de cette fonction), on se trompe. Réduit à son
essence, le transformisme n'est pas une hypothèse. Il est l'expression
particulière, appliquée au cas de la vie, de la loi qui conditionne toute
notre connaissance du sensible : ne pouvoir rien comprendre, dans
le domaine de la matière, que sous forme de séries et d'ensem-
bles.
"■ Traduite en langage créationniste, cette loi est parfaitement
simple et oithodoxe. Elle signifie que, lorsque la Cause première opère,
elle ne s'intercale pas au milieu des éléments de ce monde, mais elle
agit directement sur les natures, de telle sorte, pourrait-on dire, que
Dieu « fait » moins les choses qu'il ne « les fait se faire ». Ce qui doit
paraître étonnant, dés lors, ce n'est pas que les croyants se rallient à la
vérité cachée au fond du transformisme. C'est bien plutôt qu'ils ne
reconnaissent pas plus facilement sous le langage, parfois inacceptable,
des évolutionnistes, la catholique et traditionnelle tendance à. sauvegarder
la vertu des causes secondes, à laquelle, tout dernièrement encore, un
626 l'évolutionnisme : exposé (90)
théologien très averti, qui est aussi un vrai savant (^), a pu donner le
beau nom de « naturalisme chrétien » {^).
Remarque : il ne faut pas confondre entre eux :
10 Le Monisme de Hseckel : d'après lui, il existe dans la nature •
entière un grand processus évolutif, un, continu et éternel. Tous les
phénomènes de la nature, sans exception, depuis le mouvement des
corps célestes jusqu'à la croissance des plantes et à la conscience de
l'homme, arrivent en vertu d'une seule et même loi de causalité. Bref,
tout est réductible à la mécanique des atomes. Cette conception mécaniste
du monde est appelée par Hœckel Monisme, parce qu'il ramène tout à
l'unité, à la monère, atome éternel d'où tout ce qui existe est descendu
par une série d'évolutions progressives. C'est une des formes de VEvolu-
tionnisme universel. — Nous exposerons (90) celle que Spencer a préconisée.
2» Le Transformisme de LamarckouLamarckisme: ilexpliquel' origine
des espèces organiques par des transformations graduelles, de sorte que
tous les organismes complexes des végétaux et des animaux actuels
dérivent d'une seule forme primitive ou du moins d'un très petit nombre
de formes. C'est un cas particulier de l'évolution. Le Monisme a la pré-
tention de tout expliquer ; le Transformisme se borne à expliquer le
développement de la vie.
3° Le Transformisme de Darwin ou Darwinisme : Darwin n'a pas
imaginé le transformisme ; c'est l'œuvre de Lamarck ; mais il a conçu
la Théorie de la sélection naturelle pour expliquer les transformations
successives des êtres vivants et l'origine des espèces.
Le Lamarckisme et le Darwinisme sont des théories transformistes
spéciales aux disciples de Lamarck et de Darwin. Mais «le Transformisme
réduit à son essence ultime » implique simplement « la croyance en
l'existence d'une connexion physique expérimentale entre les vivants,
connexion de nature encore indéterminée » (§ IV).
90. — § V. L'ÉVOLUTIONNISME (3)
§ A. — EXPOSÉ DU SYSTÈME DE SPENCER
L'idée d'évolution, entendue dans un sens large, n'est pas nouvelle.
( •) « Cet esprit de naturalisme chrétien a toujours été en honneur dans l'Église, et ce
n'est qu'aux époques de décadence qu'on a pu le voir faiblir dans une certaine mesure.
Sous le nom de naturalisme chrétien, j'entends exprimer la tendance à attribuer à l'action
naturelle des causes secondes tout ce que la raison et les données positives des sciences
d'observation ne défendent pas de leur accorder, et à ne recourir à une intervention spéciale
de Dieu, distincte des actes de son gouvernement général, qu'en cas d'absolue nécessité. »
(H. DE DoRLODOT, Le Darwinisme..., I" Partie, p. 115).
( ^) P. Teilhard du Chardin, Comment se pose..., Ibidem, p. 540-544.
(') L. RouRE. Doctrines et problèmes, Ch. m. — A. Lalande, La dissolution opposée
à l'évolution dans les sciences phusiques et morales. — J. Halleux, L' Evolutionnisme en
morale. — G. Richard, L'idée d'Evolution dans la nature et dans l'histoire.
(90) l'évolutionnisme : exposé 627
Les iphysiciens d'Ionie expliquaient l'univers par les transformations
successives d'un élément primitif. Les Péripatéticiens, les Stoïciens,
les Alexandrins sont plus ou moins évolutionnistes. Un grand nombre
de philosophes et de savants modernes ont repris cette conception.
Bacon, Pascal, Leibniz y ont recours. A la fin du xviii^ siècle, Turgot
et Condorcet se firent les défenseurs de l'idée de progrés, voisine de
celle d'évolution. La théorie de Laplace, la philosophie de Comte, le
transformisme de Lamarck et de Darwin, tout pénétrés de l'idée d'évolu-
tion, préparèrent les voies à l'évolutionnisme universel de Hœckel
et de Spencer.
L'œuvre de Herbert Spencer est donc une vaste synthèse, où sont
venues se fondre certaines idées qui avaient déjà cours dans la philo-
sophie et dans la science. Spencer voulut constituer une philosophie
scientifique. Pour Laplace, l'évolution est la loi de la formation originelle
de notre monde planétaire ; pour Lamarck et Darwin, elle est la loi de
la nature vivante ; pour Spencer, elle est la loi de toutes choses : en vertu
des seules forces mécaniques, groupant ou dispersant des atomes inertes
par eux-mêmes, tout s'explique, depuis les mouvements stellaires et la
chute d'une pierre jusqu'à la croissance des végétaux, la conscience de
l'homme et l'organisation sociale. Matière, vie, pensée, individu et
société, tout évolue.
L'évolution c'est le passage de l'homogène à l'hétérogène, du simple
au complexe, par des diiïérenciations et des intégrations successives,
A) — Monde primitif : à l'origine l'univers était une masse confuse,
chaotique, où toutes les parties étaient homogènes. Peu à peu, par suite
d'actions inconnues, cette masse s'est divisée en plusieurs parties qui
ont commencé à se différencier. Le monde est alors devenu hétérogène,
composé d'éléments divers. Mais, en même temps qu'ils se diversifiaient,
ces éléments apprenaient peu à peu à se coordonner entre eux. Ainsi,
à la confusion primitive se substituait une organisation rudimentaire.
Le monde allait donc de l'homogénéité confuse à l'hétérogénéité coordon-
née, « c'est-à-dire devenait à la fois plus multiple et plus un ».
B) — Minéraux : la masse primitive a ainsi formé des nébuleuses^
qui elles-mêmes en se dissolvant ont produit les astres. La théorie de
Laplace est une première application de la loi d'évolution. La nébuleuse
primitive, qui occupait tout l'espace où se meut aujourd'hui notre
système solaire, s'est condensée et diiïérenciée jusqu'à ce qu'elle ait
donné naissance à ce système, composé d'astres distincts, mais solidaires
les uns des autres. La terre est un de ces astres. D'abord en ignition, elle
s'est refroidie peu à peu et en se refroidissant se divisa ; par suite do
ces refroidissements progressifs se formèrent les différentes couches
de' terrain, la variété des minéraux, les continents, les mers et tous les
phénomènes physiques.
628 l'évolutio>'nisme : exposé (90)
C) — Végétaux et Animaux : les minéraux se modifièrent et se
compliquèrent sous l'influence de combinaisons chimiques, jusqu'à ce
qu'un jour une action chimique plus complexe fit jaillir la vie sous la
forme rudimentaire du protoplasma. Ce protoplasma primitif ne contient
aucun élément qui ne soit dans la matière brute : toute la différence est
dans une plus grande complexité. Il grandit peu à peu, puis se divisa.
Mais les cellules, formées par la division d'une même cellule-mère,
s'associèrent : le protoplasma simple et diffus donna ainsi naissance au
corps composé, c'est-à-dire aux cellules unies par le double progrès
dans la multiplicité et dans l'unité. Il y a toujours différenciation et
intégration : plus grande est la diversité des éléments composants, plus
frappante est l'unité qui les coordonne. C'est ainsi que se formèrent
les végétaux et les animaux. Une fois formés, ils se développèrent de la
même façon, en accroissant leurs membres et en les coordonnant en vue
de l'entretien de l'existence commune. Pour assurer leur existence, ces
organismes durent lutter entre eux, car la quantité d'aliments répandue
sur la surface de la terre est insuffisante à nourrir tous ses habitants.
Il faut donc qu'un certain nombre périssent pour que le reste survive.
Ceux-là subsisteront qui auront le plus d'avantages dans la lutte pour
la vie. Ces avantages sont de deux sortes ; les uns sont transmis à l'être
par les organismes de ses ancêtres : ils constituent pour lui des caractères
héréditaires ou innés ; les autres sont acquis par lui-même au cours de
son existence ; car, pour vivre, il est obligé de s'adapter à son milieu ;
or, pour s'adapter, il doit souvent se modifier. U adaptation et Yhérédité
sont les deux grands facteurs de l'évolution des êtres vivants. Ceux qui
ont les caractères héréditaires les plus parfaits ou qui ont su le mieux
s'adapter, survivent seuls, comme si la nature les avait choisis : c'est la
sélection naturelle des meilleurs, c'est le résultat de la lutte pour la vie (89,
§ II, A, B). Et comme, pour vaincre ses rivaux, il faut que l'être se per-
fectionne sans cesse, on conçoit la continuité du progrès chez les êtres
vivants. L'apparition du système nerveux marque une phase impor-
tante de l'évolution, car le système nerveux domine les autres organes,
centralise leurs efforts, et c'est par son perfectionnement que s'est fait
surtout le progrès de l'animalité.
D) — Hommes : à une époque préhistorique, après des essais innom-
brables, l'humanité est issue de l'animalité. C'est un développement
extraordinaire du système nerveux qui a permis l'apparition des formes
les plus hautes de la pensée. Il en est de l'esprit de l'homme comme des
formes organiques : il s'est compliqué et diversifié de plus en plus dans
son évolution. La nature et la pensée humaine nous apparaissent main-
tenant comme deux mécanismes qui s'accordent parfaitement ; mais
l'adaptation du cerveau humain et par conséquent de la pensée à la
nature est l'œuvre des siècles. Le procédé essentiel de cette évolution,
(90) l'évolutionmsme : critique 629
comme de l'évolution organique, c'est la sélection naturelle sous l'action
de la concurrence vitale^ puis Vhérédité^ qui fixe les résultats acquis.
Il y a aussi lutte pour la vie entre les idées, et celles-là survivent au
conflit qui sont conformes aux rapports naturels des choses : tôt ou tard
la vérité vaincra l'erreur.
Cette loi de l'évolution se retrouve dans l'histoire de l'humanité ;
c'est elle qui régit toutes les formes de l'activité humaine :
1° Activité sociale : à leur origine les sociétés forment des ensembles
homogènes d'individus qui ont mêmes facultés et mêmes fonctions :
chacun d'eux est guerrier, pêcheur, chasseur, constructeur. Le travail
se divisa sans nuire à la solidarité sociale qui grandit avec l'hétérogénéité
des fonctions. Les gouvernés se distinguèrent des gouvernants, et peu
à peu s'établit la séparation des pouvoirs, exécutif, législatif et judi-
ciaire.
2o Activité scientifique et artistique : les premiers savants rêvaient
une science universelle, et l'art primitif enveloppait tous les arts. C'est
progressivement que se sont constitués des sciences particulières et des
arts distincts.
3° Activité morale : étant donnée la vie de l'homme en société, il en
résulte que l'altruisme naît forcément de l'égoïsme. L'homme vivant
en société remarqua que, s'il cherchait à faire le bonheur de ceux avec
lesquels il vivait, il jouirait par contre-coup des émotions agréables des
autres et que ceux-ci, par une réciprocité naturelle, chercheraient à faire
son bonheur (Ps., 50, § II, Morale, 27). Tout ce qui est connaissable,
c'est-à-dire les phénomènes, est du domaine de la science et soumis à la
loi d'évolution. Au-dessus de ce domaine il y en a un autre, c'est celui
de l'absolu ou de V inconnaissable, dont nous ne savons qu'une chose :
qu'il est. La croyance à l'omniprésence de quelque chose qui passe
l'intelligence n'a rien à redouter de la logique la plus inexorable ;
voilà une vérité de la plus grande certitude possible. Cette vérité, sur
laquelle les religions s'accordent entre elles et avec la philosophie qui
combat leurs dogmes particuliers, c'est que la puissance, dont l'univers
est la manifestation, est pour nous complètement impénétrable (}).
De là le nom d'Agnosticisme donné à la philosophie de Spencer.
§ B. — CRITIQUE DE UÉVOLUTIONNISME
Il faut une cause pour expliquer : l'existence de cette masse nébulaire
et chaotique, d'où seraient sorties toutes choses ; — le mouvement
initial de cette masse ; — la direction de ce mouvement ; — l'apparition
(M H. Spencer, Les Premiers Principes, Part. I, Cb. ii, § 14. Traduction Gazelles,
p. 47-48, Paris, 1871.
630 L'ÉvoL)L■TIO^"^"ISME : critique (90)
de la vie organique, de la sensation, de la pensée et de la vie morale.
Or le système évolutionniste est incapable d'expliquer :
I. — L'existence de cette masse. D'après Spencer, la matière
est incréée, éternelle, indestructible. C'est inadmissible. La matière
en effet est imparfaite, surtout aux débuts de l'évolution, puisqu'elle se
transforme et change ; or ce qui est imparfait, ce qui change, n'a pas en
soi sa raison d'être, par conséquent pourrait ne pas exister. Si donc la
matière existe, ce n'est point par une nécessité qui vient de sa nature,
c'est qu'elle a reçu l'existence d'une cause qui avait en soi sa raison
d'être. Il faut donc que la matière ait été produite par un être transcen-
dant, par Dieu (67, 91).
II. — Le mouvement initial nécessaire à la formation du monde
inorganique. D'après Spencer, le monde porterait en soi sa raison d'être :
les éléments des choses ont été d'abord à l'état diffus ; puis, soumis à la
loi du mouvement mécanique, ils se sont associés de façon à produire
tous les phénomènes du règne minéral. C'est la théorie de Y immanence,
d'après laquelle la masse des éléments matériels aurait en soi la cause de
ses actualisations successives : l'univers possédait en puissance tout ce
qu'il développe e?i acte dans la suite des temps. Il n'y a donc pas lieu de
chercher en dehors du monde une cause transcendante du mouvement
de la matière ; la matière est incréée, éternelle, indestructible.
L'évolutionnisme prétend que l'univers est la cause de ses actualités-
successives dans le temps. C'est impossible, car la matière diffuse, qui
composait l'univers primitif, étant inerte, il a fallu une cause en dehors
d'elle pour la faire passer de la puissance à l'acte, pour déterminer la
combinaison mécanique de ses éléments. On a beau parler d'un ressort
caché, d'un nisus ou tendance à l'évolution. Fètre matériel ne peut sortir
lui-même de son repos ; il a besoin pour se mouvoir d'y être déterminé-
par une force motrice extérieure à la série des éléments dont il se com-
pose ; il faut donc recourir à un moteur distinct de la matière, à un
être transcendant et immuable, à Dieu (68).
On peut prouver la même chose d'une façon plus métaphysique r
il faut nier, avec les plus grands penseurs, qu'une chaîne de phénomènes
changeants puisse avoir en elle-même sa raison d'être. L'admettre, c'est
admettre que le monde porte en soi sa raison d'être, que, par conséquent,
la cause des choses étant immanente au système dont elles font partie,
les actualisations successives du monde s'expliquent en disant qu'il
possédait en puissance ce qu'il développe en acte dans la suite des temps.
Aristote a réfuté cette théorie de l'immanence quand il a formulé cet
axiome : L'acte précède la puissance. De là saint Thomas (^) a conclu :
(M s. Thomas, Summa theologica, I« P., Q. II, Art. III, § Prima au lem ; De potentia
autem non po(e.st aliquid reduci in actum nisi per aliquod ens in actu.
(90) l'évolutionnisme : critique 631
« Un être en puissance ne peut passer à l'acte que sous la motion d'un
être en acte. » En effet, « pour passer de la puissance à l'acte, la cause abe-
soin d'une excitation qui vienne du dehors. La raison nous le dit; car l'acte
a plus d'être que la puissance, le réel plus d'être que le possible. L'exis-
tence est bien quelque chose, et c'est cela que l'acte ajoute à la puissance.
Or, cependant, c'est la puissance qui engendre l'acte ; si elle le faisait
seule, elle se donnerait à elle-même ce qu'elle n'avait pas, ce qui est
une contradiction. Voilà pourquoi saint Thomas nous dit, après Aristote,
qu'une chose ne peut passer de la puissance à l'acte que par le concours
d'un être déjà en acte... S'il est vrai que tout passage de la puissance à
l'acte suppose l'intervention d'un être en acte, il devient évident que le
premier de tous les actes a dû émaner d'une cause où tout était en acte,
sans aucun mélange de potentialité. Autrement, pour se déterminer
à cet acte primordial et source de tous les autres, elle aurait dû actualiser,
à elle seule^ sa puissance : ce qui, nous l'avons vu, est impossible. Voilà
pourquoi la cause du monde ne peut pas être immanente, parce que le
monde n'a pas été du premier coup tout ce qu'il est. Et si sa cause était
en lui, elle eût été tout d'abord en puissance par rapport à son dévelop-
pement ultérieur ; et comme, à l'origine, il n'y aurait eu rien en dehors
d'elle pour la déterminer, elle n'eût jamais pu parcourir le premier
stade de son évolution. Seul le Dieu créateur qui, avant de créer, était
déjà Vade pur, peut expliquer cette évolution, comme il explique
l'existence de la puissance même qui évolue ( ^). «
III. — La direction de ce mouvement et l'ordonnance magni-
fique de l'univers. Spencer admet l'évolution des choses sans causes
finales. C'est impossible : qui dit évolution, développement, marche en
avant, progrès, dit tendance, direction, ordre. C'est ainsi que l'enten-
daient Aristote et Leibniz, qui ne séparaient pas l'évolution de la finalité.
C'est que le mouvement, laissé à lui-même, est indifférent à produire
telle combinaison plutôt que telle autre. Or le monde nous présente le
spectacle d'un ordre constant et merveilleux ; il ne peut donc s'expliquer
sans une intelligence ordonnatrice et directrice de tous les mouvements
de l'univers. C'est ce qui faisait dire à Newton : « Tout est inconcevable
dans le monde planétaire sans l'activité d'une intelligence infinie. »
IV. — L'apparition de la vie. D'après l'évolutionnisme, la terre,
c'est-à-dire le règne inorganique, a produit spontanément, par suite
d'un heureux concours de circonstances, un ou plusieurs êtres vivants
d'où sont sorties progressivement toute la flore et toute la faune actuelles.
L'organique est sorti un jour de l'inorganique par génération spontanée.
C'est la thèse de V hétéro génie. Pasteur a démontré qu'il n'y avait pas de
(•) M. D'HuLST, Conférences de Notre-Dame, 1891, note 24, p. 383-384.
632 l'évoi-utionnisme : critique (90)
génération spontanée : tout être vivant provient d'un germe vivant
antérieur. Des évolutionnistes de marque, comme Darwin, Huxley,
Tyndall, Virchow, n'ont pas fait difficulté de l'avouer (^). Certains ont
prétendu que, s'il n'y avait plus actuellement de générations
spontanées, il y en avait eu autrefois dans les temps géologiques, les
circonstances étant alors plus favorables. C'est là une affirmation gra-
tuite, en contradiction même avec les principes de l'évolutionnisme, qui
prétend ne s'appuyer que sur des démonstrations expérimentales. La vie
est inexplicable sans un principe vital distinct de la matière (46-48).
V. — L'apparition de la sensation et de la pensée. La sensation
ne serait qu'une transformation de la vie physiologique, et la pensée
serait sortie des sensations par une infinité de degrés. Toutes les opé-
rations psychiques : conscience, sensation, pensée, volition, ne seraient
que des productions du cerveau, des mouvements nerveux. Nous avons
montré (Psychologie, 4) que les phénomènes physiologiques et les
phénomènes psychologiques différaient essentiellement : les premiers
sont étendus, mesurables, localisés ; — les seconds sont inétendus,
non localisés, etc. On peut montrer, en particulier, que la pensée n'a pu
dériver de la sensation : éprouver des sensations et penser des rapports
sont deux choses différentes. Il n'y a pas de transformation possible de
l'une à l'autre, car la sensation a pour caractéristique d'être singulière,
contingente, relative, tandis que la pensée a pour caractère spécial de
saisir l'universel, le nécessaire et l'absolu (Psychologie, 155. Cf. supra,
53, III, c).
VI. — L'apparition de la vie morale. La morale dans cette hypo-
thèse n'est plus qu'une physique des mœurs. La première condition
manque à la morale évolutionniste pour être une morale : le libre arbitre.
Dans l'évolutionnisme il n'y a pas place pour la liberté, puisque tous nos
actes sont déterminés par les phénomènes antécédents. Or on ne peut
concevoir qu'il y ait une obligation morale pour un être qui n'est pas
libre, car il ne saurait y avoir « devoir sans pouvoir « (Psych., 203, § C).
La métamorphose de l'égoïsme en altruisme par de lentes transformations
est chimérique (Psych. 50, § II). L'impératif catégorique du devoir
ne peut sortir des suggestions du plaisir et de l'intérêt (Mor., 25, B,
III ; 27, II, 3°). — Quant à l'hérédité, elle ne joue pas dans la moralité
le rôle important que lui attribue Spencer. L'influence de l'hérédité
paraît incontestable pour certaines habitudes organiques et sensitives ;
mais elle n'est (\\x' indirecte pour les habitudes intellectuelles et morales
(Psychologie, 212, Remarque, p. 407).
( ') « Personne n"a jamais^'u se produire devant lui une génération spontanée ; ceux
qui disent le contraire sont contredits par les savants et non par les théologiens. » (M. Virchow,
Revue scientifique, 8 déc. 1877, p. 539, col. 2, vers la fln). Cf. G. Sortais, La Providence
et le Miracle devant la science moderne, Ch. vi, p. 143 sqq.
(91) LE CRÉATIONNISME : PREUVES 633
Conclusion. — L'être ne peut venir du néant, la vie de la matière
et du mouvement, la sensation de la vie, la pensée de la sensation, le
désintéressement de l'égoïsme, la moralité du déterminisme. Si l'évolu-
tionnisme rejette un principe suprême qui produit et dirige l'évolution,
c'est une hypothèse antiscientifique, car c'est une explication du plus
par le moins, du supérieur par l'inférieur, de l'ordre par le désordre, de
l'être par le néant.
Remarques : I. — L'évolutionnisme est une l'orme du matérialisme
mécaniste, puisqu'il explique la vie et la pensée par le mouvement (53).
II. — La religion de Spencer est un mélange de panthéisme et de
matérialisme : « La matière, le mouvement, la force, dit-il, sont des
symboles de l'inconnaissable. » Mais quel est cet être inconnaissable ?
C'est la « force persistante qui varie toujours ses manifestations, mais
qui conserve la même quantité dans le passé comme dans l'avenir » ;
elle « nous permet seule d'interpréter les faits concrets et, en définitive,
nous sert à unifier toutes les interprétations concrètes » (^).
91. — § VI. LE CRÉATIONNISME
§ A. — PREUVES
I. — Preuves directes : 1° Nous avons démontré que Dieu est
l'Être nécessaire, éternel, infiniment parfait. Or Dieu existant seul de
toute éternité, de deux choses l'une : ou Dieu a fait le monde de sa
substance ou il l'a fait de rien. Mais étant pur esprit, absolument simple
et parfait, il n'a pu tirer de sa substance le monde qui est matériel,
composé, imparfait. Reste qu'il l'a fait de rien, c'est-à-dire qu'il l'a
créé. L'existence du monde n'est donc explicable que par la création.
2° Le fait de l'existence du monde étant posé, la création est un
postulat de la nature divine. Autrement Dieu ne serait plus absolument
indépendant, comme l'exige son infinie perfection. En efl'et, s'il a produit
le monde en façonnant une matière préexistante, il serait comme l'artiste
humain dépendant de cette matière dans son opération ; et, d'autre part,
ce monde, œuvre de l'artiste divin, en serait indépendant quant à sa
matière. Dieu ne serait donc plus l'Etre absolument parfait, se suffisant
pleinement à lui-même.
II. — Preuves indirectes : le fait de la création résulte de la réfu-
tation des autres systèmes qui ont été proposés pour expliquer l'origine
du monde. On peut tout résumer en disant qu'au fond il n'y a que trois
façons d'entendre les rapports entre le fini et l'infini. Dans les systèmes
(M H. Spencer, Les Premiers Principes, Pari. II, Cli. xxiv, § l'JI, p- ^^2.
634 LE CRÉATIO?,'NISME : OBJECTIONS ET RÉPONSES (91)
dualistes, les deux termes sont présentés comme coexistants, nécessai-
rement et éternellement. Dieu, dans cette hypothèse, n'est que l'archi-
tecte du monde, auquel il donne non pas l'être, mais une manière d'être.
Pour les panthéistes, les deux termes n'en font qu'un, le second n'étant
qu'une évolution du premier. Dans la doctrine créationniste, les deux
termes sont dans le rapport de cause à effet : l'univers est un ensemble
de substances finies, distinct de l'infini, dont il tient et son être et ses
divers modes. C'est ainsi que, par procédé d'élimination, nous sommes
amenés à la doctrine de la création.
§ B. — OBJECTIONS ET RÉPONSES
Créer, c'est produire quelque chose sans matière préexistante.
Cette conception, comme tout ce qui se rapporte à l'infini, renferme pour
notre raison bornée un mystère véritable {^), car, de tous les modes
d'opération qui nous sont familiers, nous n'en connaissons aucun qui
ressemble à l'action créatrice : l'homme a toujours besoin d'une matière
préexistante. De là Fadage : Ex nihilo nihil. Mais n'oublions pas que nous
sommes enveloppés de mystères, dont nous sommes sans cesse contraints
d'avouer l'existence, soit qu'il s'agisse de mystères absolument inacces-
sibles à l'esprit humain, comme tout ce qui regarde l'abîme insondable
des perfections divines, soit qu'il s'agisse des mystères relativement
inaccessibles qui concernent la nature et l'essence des choses créées.
Ces mystères s'imposent à l'esprit : ils sont au-dessus de la raison, mais
ils ne sont pas contre la raison. C'est dire que la raison doit les admettre
et qu'elle le peut sans se renier elle-même, car, s'ils sont incompréhen-
sibles, ils ne sont pas contradictoires. Montrons donc qu'on ne peut
légitimement opposer à la création aucun des principes qui régissent la
raison.
10 Principe d'identité et de contradiction. — On oppose d'abord
l'axiome : Ex nihilo nihil fieri. Il est contradictoire que de rien on tire
quelque chose, que le néant devienne l'être, car c'est dire et que le néant
est le néant, et qu'il n'est pas le néant, puisqu'on en dégage quelque
chose.
Réponse : il faut reconnaître que l'expression ex nihilo nihil fieri
(M On connaît la belle page de Pastkur sur l'infini : « Au (leK\ rie cette voûte étoilée
i|u'y a-t-il ? De nouveaux eieux étoiles. Soit, lui au delà ?... 11 ne sert de rien de répondre :
au delà sont des espaces, des temps ou des grandeurs sans limites. Nul ne comprend ces
paroles. Celui qui proclame l'existence de l'infini, et personne ne peut y échapper, accumule
dans cette affirmation plus de surnaturel qu'il n'y en a dans tous les miracles de toutes
les j;eligions, car la notion de l'infini a ce double caractère de s'imposer et d'être incom-
préhensible... " (niscouVs de réception à l'Académie française, 27 avril 1882).
{91) LE CRÉATIONNISME : OBJECTIONS ET RÉPONSES 635
prête à une équivoque, assez grossière d'ailleurs, déjà signalée par saint
Thomas. L'idée, qu'on veut rendre par ces mots ex nihilo^ n'est pas que
le monde a été tiré du néant par Dieu, comme un artiste tire une statue
d'un bloc de marbre. Le mot ex n'indique donc pas la cause matérielle,
comme si le néant était la matière première de la création ; il signifie
simplement un rapport de succession : l'ordre dans lequel l'existence du
monde a fait place à sa non-existence : « Dicendum quod... hœc propo-
sitio ex non désignât causam materialem, sed ordinem tantum ; sicut
cum dicitur : ex mane fit meridies, id est, post mane fit meridies ( ^). »
Il y aurait contradiction à admettre que le néant devienne quelque
chose, c'est-à-dire se transforme en ce qui en est la négation ; mais il
ne l'est pas d'admettre un commencement absolu, c'est-à-dire qu'une
chose qui n'était pas commence d'être, si l'on peut assigner une cause
à ce commencement. Or on le peut, car on ne saurait invoquer contre la
création le principe de causalité.
2° Principe de causalité. — On ne prétend pas que le monde soit
sorti du néant comme de sa cause, qu'il ait été fait par rien. Nous assi-
gnons à Vejjet : monde une cause suffisamment proportionnée, puisqu'elle
est infinie. Le principe, qui veut qu'il n'y ait pas d'effet sans cause, est
donc respecté.
3° Principe de substance. — Il exige que ce qui est accidentel, ce qui
n'est pas en soi, existe en ce qui est en soi, dans une substance. Il ne
demande pas qu'une substance existe dans une autre substance, car ce
serait demander que ce qui est en soi ne soit plus en soi, mais devienne
une modification d'une autre substance, ce qui est contradictoire. Or les
êtres qui composent le monde sont des substances, des êtres en
soi.
40 Principe de finalité. — On ne peut enfin invoquer contre la création
le principe de finalité, car la création, étant un acte de la volonté toute-
puissante de Dieu, a, comme tout acte volontaire, un motif. Comme
l'Être infini n'a besoin de rien ni de personne, il n'a pas créé par nécessité,
mais par libre choix. Sans doute. Dieu, bonté souveraine, est porté à
faire du bien à d'autres êtres. Mais cette inclination n'est point néces-
sitante pour Dieu, puisque, se suffisant pleinement à lui-môme, les créa-
tures ne sont pas essentielles à son bonheur. Cependant, comme l'acte
créateur est une libre manifestation de la bonté divine, Dieu a dû, en
créant, avoir en vue le bien de ses créatures. L'acte créateur est essen-
tiellement un acte inspiré par l'amour : « C'est parce que Dieu est bon,
dit saint Augustin, que nous existons. » Quia enim bonus est [Deas], suimis ^
(M S. Thomas, Surnma Iheologica, I^ P., Q. XLV, Art. I, ad tcrtium.
( -) S Augustin, De Docirina chrisliana, L. I, C. xxxii.
636 LE CRÉATIONISME : OBJECTIONS ET RÉPONSES (91)
On doit donc dire que le but prochain de Dieu, en créant le monde, a
été la félicité des créatures raisonnables.
Mais, en communiquant sa bonté aux créatures, Dieu a dû se proposer,
comme fin dernière, sa gloire extrinsèque. La gloire intrinsèque de Dieu
consiste dans la nécessaire complaisance que lui cause la vue de ses per-
fections infinies, dont la possession le rend pleinement heureux. Sa gloire
extrinsèque consiste en ce que ses perfections manifestées au dehors
sont reconnues par les créatures raisonnables. L'ensemble des œuvres
créées" forme une splendide manifestation de la sagesse, de la bonté et
de la puissance divines. Sans doute. Dieu n'était pas obligé de créer ;
sans doute, la gloire de son nom publiée pas la création ne peut rien
ajouter à sa félicité qui est absolument parfaite ; cependant, étant donné
qu'il crée, il ne peut assigner à la création d'autre fin dernière que la
manifestation de ses perfections, car, par le fait même qu'il crée, il mani-
feste sa sagesse, sa bonté et sa puissance. Il doit vouloir par conséquent
que les créatures raisonnables rendent témoignage à ses perfections
écrites dans la moindre de ses œuvres ; autrement ces créatures raison-
nables seraient indépendantes de lui, le seul indépendant. Cette nécessaire
recherche de sa gloire extrinsèque n'implique d'ailleurs en Dieu ni amour
propre ni ambition.
En effet : a) cette gloire extrinsèque ne peut lui procurer aucun
accroissement de bonheur ; — b) les créatures y trouvent leur avantage,
car Dieu, en se proposant sa gloire, se propose aussi le bien des créatures.
En exigeant des hommes qu'ils reconnaissent ses perfections et qu'ainsi
ils le glorifient. Dieu leur impose un devoir qui leur est utile, puisque
cette reconnaissance et cette glorification sont le moyen infaillible pour
eux d'atteindre leur fin dernière- et partant leur propre félicité. Reste
donc que l'acte créateur est essentiellement un acte d'amour désintéressé,
un acte de bienveillance.
Conclusion. — Il résulte de ce qui précède que le concept de création
ne renferme aucune contradiction : la création est possible. En outre elle
est, nous l'avons établi, la seule solution raisonnable du problème des
rapports entre le fini et l'infini. C'est la raison elle-même qui nous l'impose
comme une réalité nécessaire. Sans doute nous nous heurtons là à un
mystère ; mais c'est le lot inévitable de l'intelligence humaine, dès
qu'elle cherche à pénétrer la nature intime des êtres créés et, a fortiori,
l'essence infinie de Dieu. « Car nous ne devons point trouver étrange
qu'il y ait en sa nature, qui est immense, et en ce qu'il a fait, beaucoup
de choses qui surpassent la capacité de notre esprit (^). »
(') Descartes, Les Principes de la Philosophie, l" Partie, § 25.
(92) LA CONSERVATION DES ÊTRES CRÉÉS 637
SECTION II
La Providence.
La Providence, c'est raction par laquelle Dieu conserve et gouverne
le monde conformément à ses attributs ; c'est la manifestation dans le
monde de la Bonté, de la Sagesse et de la Puissance de Dieu. La Provi-
dence est rejetée par le fatalisme qui attribue tout à un destin inexorable
ou au hasard capricieux ; par le panthéisme qui ne reconnaît pas d'attri-
buts moraux en Dieu ; par Aristote qui soutient que Dieu ne saurait
connaître, sans déchoir, un monde imparfait ; enfin par le déisme, qui
tout en admettant la Création, nie la Providence : le monde une fois
créé par Dieu se conserve par ses propres forces et se gouverne par ses
propres lois. Voltaire et certains philosophes du xviiie siècle étaient
déistes.
93. — LA CONSERVATION
C'est l'acte par lequel Dieu maintient toutes choses dans l'existence.
Dieu, qui a créé toutes choses, agit aussi pour tout conserver.
L — La créature, n'étant pas le principe de son existence, reste tout
aussi contingente, après l'avoir reçue qu'auparavant. Sortie du néant
par un acte de la volonté souveraine, elle y retomberait à tout instant
si le même acte ne lui conservait l'existence. La conservation des créa-
tures n'est que leur création continuée (^).
IL — Si, une fois créée, elle existait par elle-même, la créature
deviendrait, dans le cours de sa durée, indépendante et absolue, ce qui
ne répugne pas moins à son imperfection essentielle qu'à l'infinie per-
fection de son auteur, de qui tout doit dépendre partout et toujours.
Il ne faut pas comprendre la conservation comme Malebranche : il la
conçoit comme une création continuellement renouvelée^ comme si les
êtres, annihilés à chaque instant, étaient sans cesse retirés du néant
par Dieu. — Cette conception revient à V occasionnalisme déjà réfuté (57).
De même que Dieu crée en voulant qu'une chose existe, ainsi il
conserve en voulant que cette chose persévère dans l'existence. La conser-
vation est donc une création continuée en ce sens que l'acte de la volonté
(M Descartes, MédHalions, \\l'
638 LE CO>X0URS DIVIN (93)
divine, qui a donné l'être à une créature, demeure effîdace. Le monde
persiste dans l'existence, non pas seulement parce que Dieu l'a tiré du
néant, mais encore parce qu'il a décrété en même temps que le monde
durerait pendant un temps déterminé. En Dieu, qui est absolument
simple, la création et la conservation sont un seul et même acte de sa
volonté toute-puissante ; mais le terme de la création et celui de la
conservation sont formellement différents. La création regarde la créa-
ture en tant qu'elle commence d'être ; la conservation la regarde en tant
qu'elle persévère dans l'existence.
93. — LE CONCOURS DIVIN
Le concours divin consiste dans la coopération de Dieu aux actions
des créatures. On distingue le concours :
1° Médiat : il consiste à donner aux créatures et à leur conserver les
forces et tout ce qui leur est nécessaire pour agir. La nécessité de ce
concours résulte du fait même de la création et de la conservation.
2» Immédiat : il consiste dans la coopération donnée par Dieu aux
actes mêmes des causes secondes, c'est-à-dire aux effets produits par
elles. La nécessité d'un tel concours est manifeste : autrement il y aurait,
dans le monde, des choses ayant un certain degré d'être et de perfection,
à savoir ces actes ou effets des causes secondes, qui existeraient indépen-
damment de Dieu. Dieu alors ne serait plus la cause première infinie.
Concours immédiat de Dieu aux actes libres. — L'acte libre de
la volonté est celui par lequel elle se détermine elle-même, en ayant le
pouvoir d'agir autrement. La question à résoudre se pose ainsi : Comment
doit-on concevoir la nature du concours divin, pour qu'il ne violente
pas la liberté des actes humains ?
Réponse. — 1° Il ne peut être une prédétermination ou prémotion,
car la prédétermination ou prémotion est incompatible avec la liberté
(82, § B, 1).
2° Il est la continuation du concours médiat qui donne et conserve
à la volonté la puissance et les moyens d'agir. Ce concours devient
immédiat et simultané par rapport à l'acte de la volonté, dès que celle-ci
opère. Un tel concours respecte la liberté humaine, parce qu'en tant
que médiat il laisse la volonté indifférente à faire ceci ou cela ; en tant
qu'immédiat, au lieu de précéder la détermination de la volonté comme
la prémotion, il l'accompagne ; il ne la détermine donc pas ; mais, aidée
par lui, la volonté se détermine elle-même. Cette simultanéité de l'action
humaine et de la coopération divine sauvegarde donc la liberté de la
détermination. Le concours médiat et le concours immédiat sont le
même concours, auquel on donne des noms différents, selon qu'il se
(94) LE GOUVERNEMENT DU MONDE 639"
rapporte à la volonté prête à agir ou agissante. De même que la conser-
vation est la création continuée, le concours immédiat peut être dit le
concours médiat continué, puisque c'est la même volonté efficace de
Dieu, conservant la volonté prête à agir, qui la soutient quand elle agit.
On peut illustrer la théorie du concours simultané par l'exemple de
la mère aidant son petit enfant à marcher. L'enfant se meut en vertu de
sa force locomotrice ; mais il a besoin d'être dirigé et soutenu par l'action
maternelle, de sorte que la cause adéquate de la marche est la vertu
locomotrice de l'enfant et le soutien prêté par la mère. C'est pourquoi,
quand l'enfant se meut, ce mouvement provient aussi de la mère, laquelle
devient alors cause immédiate du mouvement en même temps que la
force locomotrice de l'enfant, puisque celui-ci ne peut se mouvoir et
marcher qu'avec l'aide maternelle. Mais le concours de la mère soutenant
les pas de l'enfant ne les détermine point, bien qu'ils ne soient faits que
dépendamment de lui {^).
94. — LE GOUVERNEMENT DU MONDE
La Providence de Dieu ne se borne pas à la conservation du monde ;
elle le gouverne avec sagesse et bonté. Elle prévoit et arrange toutes
choses d'après un plan arrêté d'avance ; elle pourvoit aux nécessités
de chaque être en lui fournissant les moyens appropriés pour atteindre
sa destinée. C'est pourquoi rien, en ce monde, ne peut arriver sans la
volonté impérative ou permissive de Dieu. On peut apporter des argu-
ments a priori et a posteriori pour démontrer l'existence et l'action du
gouvernement divin.
§ A. — PREUVES
l. — Preuve a priori : si Dieu ne dirige pas le monde, c'est qu'il
ne le veut, ne le peut ou ne le sait pas. Or cette supposition répugne
à sa Bonté, à sa Puissance et à sa Sagesse infinies.
IL — Preuve a posteriori : elle est tirée de V ordre physique, moral et
social :
A) Ordre physique. — Au milieu des irrégularités et des désordres
apparents nous remarquons une harmonie, une constance merveilleuse,
notamment dans les actes instinctifs des êtres dénués de raison. Cette
harmonie et cette constance ne peuvent s'expliquer que par l'action
d'une raison supérieure. Si l'ordre du mouvement dans son existence
manifeste l'existence de l'esprit qui le créa, il manifeste non moins par
sa constance l'intervention continuelle de cet esprit créateur.
(') Cf. Palmieri, Institutiones philosophicœ, T. III, Theologia, Thesis XLI, p. 247.
640 LE MIRACLE (95)
B) Ordre moral. — Si le monde et les êtres irraisonnables qu'il ren-
ferme sont régis par des lois fatales, le monde moral, qui comprend les
êtres doués de raison, est gouverné par la loi du devoir. La Providence
préside aux actes libres de l'homme et le conduit à sa destinée immortelle,
en dirigeant sa conscience au moyen de la loi morale, manifestation de
la volonté divine qui commande le bien et l'approuve, prohibe le mal
et le condamne.
C) Ordre social (^). — On peut tirer une autre preuve de l'action
providentielle, en considérant l'histoire des peuples, leur civilisation
et leur décadence, leurs succès et leurs revers. L'histoire de l'humanité
témoigne de la direction imprimée au cours des événements par la
Sagesse divine. Dans l'ensemble, l'humanité progresse : progrès matériel
et économique, progrès scientifique, progrès moral (Morale, 115).
Or ce progrès ne peut s'expliquer sans l'intervention d'une intelligence
et d'une volonté transcendantes, parce qu'il s'accomplit, malgré les
passions et les intérêts qui lui font obstacle. Il faut donc admettre qu'un
Etre supérieur à l'homme coordonne l'ensemble des efforts et, en dépit
des divergences, les fait concourir, en respectant la liberté, à un plan
conçu d'avance, car suivant le mot de Fénelon : « L'homme s'agite et
Dieu le mène. » (Logique, 103, B, III). Cependant il faut convenir qu'à
moins d'une révélation on ne saurait découvrir sûrement la nature et le
développement du plan divin.
§ B. — OBJET ET ÉTENDUE
La Providence divine n'embrasse pas seulement l'ensemble du monde
qu'elle gouverne par des lois générales ; mais elle s'étend à chaque
détail de l'ensemble, à chaque être particulier. On l'appelle :
A) Générale, en tant qu'elle entretient l'harmonie universelle.
B) Spéciale, en tant qu'elle veille sur chaque être, si chétif soit-il.
Il n'en saurait être autrement, puisque l'Intelligence et la Puissance
divines étant infinies sont capables de s'appliquer sans effort ni défail-
lance à tout.
95. — LE MIRACLE
Le miracle est une intervention extraordinaire de la Providence.
On peut le définir : un effet qui dépasse toutes les forces de la nature ol
requiert une intervention spéciale de Dieu. On a contesté la possibilité
de cette intervention : elle serait impossible, soit qu'on envisage la
puissance de Dieu, soit qu'on considère sa sagesse. Il est facile de répondre
à cette double objection :
A). — Puissance : pour admettre la possibilité et la réalité du miracle,
(M J. DE Decker, La Providence dans les faits sociaux el la science sociale.
(95) LE MIRACLE 641
pas n'est besoin d'être chrétien, c'est assez d'être philosophe spiritua-
liste. La raison humaine y suffit sans l'aide de la foi. Quand on proclame
l'existence d'un Dieu personnel, infini, par conséquent tout-puissant,
on n'a pas le droit de lui dénier la faculté d'opérer des œuvres miracu-
leuses. La logique le défend, car ce serait réduire Dieu au rôle amoindri
de monarque constitutionnel, qui règne et ne gouverne pas, relégué
au fond de son palais dans l'immobile éternité. Réduire ainsi la divinité,
c'est la détruire, c'est la ravaler au-dessous de l'homme qui, dans sa
modeste sphère, peut accomplir des merveilles. Aussi je ne m'étonne pas
que Jean-Jacques Rousseau lui-même, dans un éclair de bon sens, ait
répondu à cette question : « Dieu peut-il faire des miracles ? » par cette
vigoureuse sortie : « Cette question, sérieusement traitée, seroit impie,
si elle n'étoit absurde ; ce seroit faife trop d'honneur à celui qui la résou-
droit négativement, que de le punir ; il suffiroit de l'enfermer (^). »
Il y a, dans le miracle, rencontre de deux forces inégales : « Dans le
concours de deux agents de nature différente, l'efîet produit n'est pas
supérieur à la nature de l'agent supérieur ; mais il est au-dessus de la
nature de l'agent inférieur. Il est naturel par rapport à l'agent supérieur,
car il est dans les limites de sa puissance ; mais évidemment, à s'en tenir
à la définition, c'est un miracle par rapport à l'agent inférieur, puisqu'il
dépasse absolument la capacité de sa nature. Le charbon, le fer, l'eau et
le feu, livrés à leur propre nature, n'auraient certainement jamais produit
la lampe électrique : la lampe électrique est un miracle par rapport à ces
agents matériels, qui le déclareraient si, par impossible, ils avaient la
raison ; mais elle ne l'est pas par rapport à l'homme ; car, en disposant
des agents matériels, de telle sorte que le résultat de leurs forces ainsi
organisées a été la lampe électrique, il a déployé tout simplement les
aptitudes de sa nature. L'homme est comme un Dieu par rapport aux
créatures d'ordre inférieur, parmi lesquelles les effets de son activité
sont en un sens de véritables miracles (^). »
Comment donc ce qui est facile à l'homme deviendrait-il impossible
à Dieu ? <i Ce que les iiommes peuvent, ce que les anges peuvent, Dieu
le peut ; il peut mettre en jeu les forces qu'il a créées, mais de telle sorte
que l'effet produit dépasse la puissance de la nature physique abandonnée
à elle-même, ou bien dirigée par )a nature humaine ou par la nature
angélique (^). »
(') J.-.T. Rousseau, Lettres écrites de la Montagne, Partie I, Troisième lettre, Œuvres,
Édit. AuGUis, T. VII, p. 263, Paris, 1824.
( ') J. DE BoNNiOT, Le miracle et ses contrefaçons, 5» édition, Ch. ii, p. 27. — Monsabré,
Introduction au dogme catholique, Conférences 11-27. — G. Sortais, La Providence et le
Miracle devant la science moderne.
(') J. DE BoNNiOT, Ibid., p. 30. — J.-L. Gondal, Le Surnaturel, II» P. — D' Le Bec,
Les forces inconnues et les guérisons miraculeuses, da.ns Études, 1922, T. III p. 484 sqq.
traité de piiilosopiiii:. — t. ii. — 21.
642 LE MIRACLE (95)
B). — Sagesse : on se rend encore assez aisément à cette raison,
qui ne va qu'à établir la possibilité métaphysique du miracle, mais pour
se retrancher triomphant derrière un argument prétendu invincible.
L'intervention miraculeuse du Créateur, possible à. considérer sa puis-
sance, répugne à sa sagesse, car elle serait dans l'univers une cause de
trouble. Il est à peine croyable à quel point certains esprits forts semblent
émus par cette objection puérile. Lorsqu'ils veulent la couvrir d'un vernis
scientifique, ils vous disent d'un ton pédant et doctoral : « Les lois de la
nature sont absolument immuables ; le miracle en serait la violation ; il est
donc tout à fait incompatible avec la sagesse divine, qui ne peut détruire
l'harmonie primitive du monde par l'introduction d'un pareil élément
de désordre. » Voilà une conséquence bien grave ! Mais, la base sur laquelle
on l'appuie étant fausse, tout s'écroule.
Les lois de la nature, loin d'être absolues, catégoriques, sont essen-
tiellement relatives, conditionnelles. Le physicien et l'astronome ne
disent pas : Tel phénomène sera donné, donc tel autre le sera ; mais
bien : Si tel phénomène est posé, tel autre suivra. Par exemple, quand
un savant ou un illettré énonce cette proposition : La lune tournera
demain autour de la terre, est-ce que la science comme le bon sens
vulgaire ne sous-entendent pas, si les circonstances et les causes habi-
tuelles restent les mêmes (^) ? Mais qu'un agent_ étranger entre subi-
tement en scène, et l'effet sera modifié : est-ce que la loi est violée ?
Pas le moins du monde, car elle n'avait pas pour formule : les circon-
stances et les causes étant changées, l'efîet restera le même. Est-ce que
l'ombre d'un désordre vient projeter sa tache ? Pas davantage : un agent
supérieur ayant déployé sa force, il en résulte un ordre nouveau. Les
exemples abondent ; ils sont journaliers. Voici un caillou qui roule sur
une pente rapide ; abandonné à lui-même, il irait tomber dans un ravin.
11 me plait de l'arrêter. Ma force s'est mesurée avec une force contraire
et l'a emporté. Ai-je violé quelque loi physique ? Ai-je introduit quelque
trouble dans le monde ? A ce compte, nous passerions notre vie à dçranger
l'univers, et nous serions des facteurs permanents de désordre. Qui le
dira ? Comment toutes ces vérités, incontestables quand l'homme,
cause secondaire et subordonnée, est seul en jeu, cesseraient-elles de
l'être, dès là qu'il s'agit de Dieu, cause première et indépendante ?
Au lieu d'un caillou roulant, je suppose un énorme rocher se déta-
chant d'un sommet alpestre : aucune force humaine n'est capable de
( ') « La science ne dit jamais : A sera rloiuié, donc B sera donné. Mais elle dit : si A est
donni-, B sera donné. Quand le savant dit : le soleil se k^vera demain, il sous-enlend : si
toutes les causes restent les mêmes... Intervient-il quelque cause nouvelle qui modifie
l'efTet attendu, le savant ne dit point que la loi est violée, car la loi ne dit pas que, les causes
étant autres, l'eflel doit rester le même. » (E. Rabieb, Leçons de philosophie, T. I, p. 546).
{96) OBJECTIONS CONTRE LA PROVIDENCE 643
l'arrêter dans sa course bondissante. Pourquoi donc une puissance supé-
rieure à l'homme ne pourrait-elle le retenir au bord de la gorge profonde
où il va tomber, fatalement entraîné par son propre poids ? Ce serait
un miracle divin. Dans le cas de cette intervention surnaturelle, je
cherche où serait le désordre, et je ne le vois pas. L'homme ne viole pas
les lois de la nature en arrêtant une pierre par simple caprice, et Dieu
les violerait en arrêtant un quartier de roche, par un acte de sa volonté
toujours sage, qui l'aurait décrété de toute éternité (^) ?
96. — OBJECTIONS CONTRE LA PROVIDENCE
I. — La prescience divine détruit la liberté humaine (Voir l^a réponse,
Psychologie, 205, § III).
II. ^ — L'existence du mal. L'existence du bien est la grande raison
de croire en Dieu. Le bien, c'est d'abord l'être du monde, l'activité dont
il est doué, l'ordre et l'harmonie qui le régissent. C'est ensuite la raison,
la liberté, la moralité. La grande objection contre la Providence, c'est
l'existence du mal, car ou Dieu pouvait empêcher le mal et II ne l'a
pas voulu : que devient alors sa Bonté ? ou II le voulait et ne l'a pas pu :
que devient alors sa Puissance ?
On distingue trois formes du mal : le mal métaphysique., le mal
physique^ le mal moral.
§ I. -— MAL MÉTAPHYSIQUE
Il consiste dans l'imperfection des êtres ; c'est la condition néces-
saire de toute créature. Il serait contradictoire que la créature fût par-
faite, puisqu'elle est essentiellement contingente et dépendante {^).
Le mal métaphysique est négatif : c'est une simple limitation de l'être,
l'absence d'un bien ; vg. l'ignorance est l'absence de ce bien qu'on
nomme science. On ne peut donc tirer de l'existence du mal métaphy-
sique aucune objection contre la Providence, car la créature est néces-
sairement bornée, et il valait mieux que les êtres fussent ainsi que de
ne pas être du tout. Se plaindre que les créatures sont imparfaites, c'est
se plaindre qu'il y ait des créatures. Il ne peut pas plus exister de monde
sans-imperfection que de mouvement sans vitesse. C'est pourquoi Leibniz
( ') Sur la prétendue impossibilité de constater le miracle, Cf. W. Devivier, Cours d' Apo-
logétique..., t" P., Cil. III, Art. II, p. 227 sqq., Paris-Tournay, 1907 »•. — G. Sort.\is, La
Providence et le Miraclp..., Ch. iv. — « On dira aussi que, si tout est réglé, Dieu ne saurait
donc faire des miracles. Mais il faut savoir que les miracles, qui arrivent dans le monde,
étaient aussi enveloppés et représentés comme possibles dans ce même monde considéré
dans l'état de pure possibilité ; et Dieu, qui les a faits depuis, a décerné dès lors de les faire
quand il a choisi ce monde. " (Leibniz, Essaia de Théodicée..., 1" P., § .54).
(«) Leibniz, Théodicée..., V P., § 20-21 ; II« P., § 335. Monadologie, § 42.
644 OBJECTIONS CONTRE LA PROVIDENCE (96)
a dit excellemment : « Dieu est la cause de toute la perfection qu'il y a
dans la créature ; et, quant aux défauts de la créature, ils ont leur cause
non pas en Dieu, mais dans la limitation de la réceptivité de la créa-
ture. »
§ II. — MAL PHYSIQUE
A). — Les désordres de la nature : tempêtes, inondations, érup-
tions volcaniques, etc. — Ce ne sont que des désordres apparents, car
ces faits sont le résultat des lois qui président à l'harmonie de l'univers.
Pour bien juger un ouvrage il ne faut pas se borner à en considérer
chaque partie isolément, mais il faut embrasser l'ensemble. Or l'ensemble
de l'univers nous échappe : il faut donc se garder de voir du désordre
dans des faits particuliers, dont nous ne voyons pas le lien avec le reste.
Chaque progrès de la science a montré que ce qui était qualifié désordre
n'était que désordre apparent et harmonie réelle.
B). — La douleur : !« Chez l'animal : c'est le seul moyen suffisant
pour qu'il soit intéressé à la conservation de son être. La douleur est
en effet un signe d'imperfection qui porte à. remédier au mal (Psych. 64.
§ B). La douleur chez l'animal est donc la condition d'un bien pour lui :
elle est d'ailleurs beaucoup moins vive que chez l'homme (^).
20 Chez l'homme (^) : les maladies sont souvent les conséquences de
fautes morales, le châtiment de l'intempérance. — De plus, en attachant
la douleur à l'imperfection, la Providence a chargé le mal de se combattre
lui-même, car la souffrance est l'aiguillon du progrès industriel et artis-
tique. Elle développe dans l'homme toutes les vertus, notamment la
force et la douceur. (Psychol., 64, § B).
§ III. — MAL- MORAL {^)
A). — La faute, le péché : voilà du moins un mal véritable, qui
n'est pas comme la douleur une suite nécessaire des lois de la nature.
Comment Dieu qui est la sainteté même peut-il le permettre ?
Réponse : ce mal est l'œuvre du libre arbitre, qui, chez un être impar-
fait, implique la possibilité de mal faire. Mais, malgré ses défaillances,
c'est un pouvoir éminemment précieux, car il est la condition même de
la moralité. Il vaut donc mieux que le libre arbitre existe, avec ses imper-
fections ; autrement, c'en est fait de la responsabilité, qui est incom-
patible avec la nécessité physique d'accomplir le bien.
Instance : Dieu devait empêcher l'abus de la liberté.
(M J. DE BoNNior, Le problème du mal, L. III.
( ') J. DE BoNNiOT, Le problème du mal, L. IV, V.
(') J. DE BoNNiOT, Le problème du m.al, L. VI.
(97) l'optimisme 645
Réplique : il le fait dans les limites du possible, au moyen de la
conscience et par la perspective des sanctions. Mais exiger qu'il en rende
l'abus impossible, c'est détruire la liberté. — D'ailleurs ce désordre sera
réparé dans l'autre vie par l'exécution des sanctions.
B). — Prospérité du vice et malheur de la vertu.
Réponse : 1° La vertu n'est pas toujours malheureuse ; elle jouit
aussi parfois des biens et des avantages temporels.
2° Du reste le sort des bons, malheureux dans la vie présente, est
préférable à celui des méchants heureux, si nous considérons les biens
véritables, ceux qui 'conviennent à la nature raisonnable : satisfaction
et paix de la conscience, espérance d'un bonheur parfait.
3° Quand même il n'y aurait pour la vertu que des peines, cette
apparence d'injustice disparaît, parce que cette vie n'est qu'une prépa-
ration à une autre vie définitive, un temps d'épreuve.
C). — La mort qui vient détruire le travail de notre perfectionnement
moral.
Si cette vie devait aboutir à l'anéantissement, elle serait une décep-
tion amère et elle ne vaudrait pas la peine d'être vécue. Mais rien n'est
perdu des efforts de l'homme vertueux, si tout ne finit pas avec l'exis-
tence présente. L'immortalité de l'âme est donc la justification suprême
de la Providence. Il faut se rappeler, dans les jours d'épreuve, le vers
réconfortant du poète :
La vie est un combat dont la palme est aux deux.
SECTION III
La valeur du monde.
La vie est-elle un bien ou un mal ? Le monde est-il bon ou mauvais ?
Faut-il avec l'Optimisme approuver la Création ? Faut-il la condamnei
avec le Pessimisme ?
97. — L'OPTIMISME
L'Optimisme répond que le monde est bon, que la- vie vaut la peine
d'être vécue. Cette doctrine, professée dans l'antiquité par Socrate,
Platon, les Stoïciens, les Alexandrins, n'est devenue un système philo-
sophique que chez les modernes. Elle a revêtu deux formes : V Optimisme
absolu, Y Optimisme relatif.
646 l'optimisme absolu (97)
§ I. — OPTIMISME ABSOLU
C'est la thèse soutenue par Malebranche et par Leibniz.
A) D'après Malebranche, Dieu a tout créé pour sa plus grande
gloire. Le monde fait donc éclater cette gloire au plus haut degré possible.
Dieu agit toujours par les voies les plus simples et les plus générales,
et il a mis dans le monde toute la perfection compatible avec cette
condition. Dieu aurait pu, par des « volontés particulières », empêcher
tel ou tel mal ; mais il ne l'a pas fait, parce que la simplicité et la géné-
ralité des moyens employés dans une œuvre sont, un signe certain de
la perfection de l'auteur. Dieu aurait donc dérogé aux conditions de la
perfection, s'il avait agi par des volontés particulières, au lieu de s'en
tenir à des volontés générales. Dieu d'ailleurs ne veut pas le mal, mais
il le permet comme lié au plus grand bien possible.
Unissant la théologie à la philosophie, Malebranche en appelle à
l'Incarnation. L'union du Verbe à la nature humaine élève la création
à un degré de perfection digne de Dieu. Aussi le Fils de Dieu se serait-il
incarné, quand même le premier homme n'aurait pas péché.
B) Selon Leibniz, Dieu conçoit la possibilité d'une infinité de mondes
différents les uns des autres par leur degré de perfection. Étant infiniment
intelligent et puissant, il connaît le meilleur de tous ces mondes et peut
le réaliser. Mais, si pouvant créer le meilleur, il en préférait un autre
moins parfait, ce choix serait contraire :
10 A sa sagesse^ car il n'aurait pas de raison d'être, puisqu' « il ne
serait pas possible de rendre raison pourquoi les choses sont allées
plutôt ainsi qu'autrement « (^).
2° A sa bonté., u car d'avancer qu'il sait ce qui est meilleur, qu'il le
peut faire et qu'il ne le fait pas, c'est avouer qu'il ne tenait qu'à sa
volonté de rendre le monde meilleur qu'il n'est ; mais c'est ce qu'on
appelle manquer de bonté » (^). Donc Dieu a dû créer le meilleur des
mondes possibles.
Mais, il faut le bien remarquer, ce monde meilleur que Dieu a créé,
c'est le meilleur par rapport à l'ensemble des choses et non au
regard des détails ; c'est le meilleur non par rapport à* chaque
espèce d'êtres ou à chaque astre, mais au regard de tout l'univers ;
c'est le meilleur non par rapport à l'univers tel qu'il est actuellement,
mais tel qu'il devient dans son évolution indéfiniment progressive.
Pour en juger équitablement, il ne faut donc pas l'envisager à un moment
de sa durée, mais. dans toute l'ampleur de son développement : « Quel-
(') Leibniz, Principes de la nature el de Jn grâce fondés en raison, § 10.
( ') Leibmz, Essais de Théodicée nur la bonté de liieu, la liberté, de llxomme et l'origine
du mal, II' P., § 19/1.
(97) l'optimisme relatif 647
qu'un dira qu'il est impossible de produire le meilleur, parce qu'il n'y a
point de créature parfaite et qu'il est toujours possible d'en produire
une qui le soit davantage. Je réponds que ce qui peut se dire d'une
créature ou d'une substance particulière, qui peut toujours être sur-
passée par une autre, ne doit pas être appliqué à l'univers, lequel, se
devant étendre par toute l'éternité future, est un infini (^). »
Dieu a donc réalisé le monde où il y a la plus grande somme possible
de biens. Il renferme cependant une certaine quantité de maux, parce
que le monde étant créé est nécessairement imparfait. Ces mau.x: dont
on se plaint sont la conséquence forcée des lois les plus sages que Dieu
pouvait établir, avec le minimum d'inconvénients. Les créatures les
plus utiles ne vont pas sans quelques effets fâcheux : vg. le feu, qui rend
tant de services, peut causer des incendies. Un autre ordre de choses
aurait entraîné de plus graves imperfections.
§ II. _ OPTIMISME RELATIF
C'est la doctrine de saint Anselme, de saint Thomas, de Bossuet,
de Fénelon, etc. Ils soutiennent que le monde n'est pas absolument,
mais relativement parfait.
Voici quelques objections contre l'Optimisme absolu :
1° L'Optimisme absolu suppose que Dieu ne peut vouloir que ce
qui est meilleur en soi. Cette supposition détruirait la liberté divine {^).
2° Bien plus, si Dieu devait créer le meilleur des mondes, il n'en
pourrait créer aucun, car si parfait qu'on le suppose, comme il est fini,
on peut toujours en concevoir un meilleur. L'hypothèse leibnizienne
de la perfectibilité indéfinie du monde ne prouve donc rien, parce que,
si parfait que devienne l'univers par un progrès continu, il y aura
toujours place pour une perfection plus grande. Il ne sera donc jamais
le plus parfait possible.
?>^ Au point de vue moral, l'Optimisme absolu rend la vertu inutile
et le progrès impossible. Si le monde est le meilleur possible, on ne peut
lui souhaiter ni corrections ni perfectionnements. La souffrance et le
crime sont justifiés et inévitables, puisqu'ils font partie intégrante et
nécessaire d'une œuvre parfaite. A quoi bon essayer d'améliorer cette
œuvre ? Ce serait folie et sacrilège (^).
( M Leibniz, Essais de Théodicée..., II' P.. § 195. — Cette réponse de Leibniz est insuf-
fisante ; si elle prouvait quelque chose, elle prouverait qu'un tel monde est infini en durée,
mais non pas qu'il a toutes les autres perfections au plus haut degré possible.
( ') Leibniz essaie d'échapper à celte difficulté par une distinction : ■< ...Mélaphysi-
quemenl parlant, il [Dieu] pouvoil choisir ou faire ce qui ne fût point le meilleur ; mais il
ne le pouvoit point moralement parlunt. » {Théodicée, 11° P., § 234).
( ') Cette objection ne vaut pas contre l'Optimisme de Leibniz, puisqu'il suppose le
monde toujours en train de se perfectionner.
648 LE PESSIMISME ABSOLU (98)
Conclusion : il faut donc rejeter l'Optimisme absolu. Une chose
peut être la meilleure possible en elle-même ou relativement à la fin
poursuivie ; vg. une montre d'or est plus précieuse en soi qu'une d' ar-
gent ; mais, si elle marche mal, elle est inférieure relativement à la fin.
C'est en ce sens que le monde est le meilleur possible, c'est-à-dire rela-
tivement à la fin que Dieu lui a assignée. En efîet le monde a pour fin
la manifestation des perfections divines, mais dans un degré limité.
Il est donc évident que Dieu, infiniment sage et puissant, a atteint son
but, et par conséquent que le monde qu'il a créé est le meilleur possible,
relativement à ce but, c'est-à-dire qu'il réalise pleinement, ni plus ni
moins, le degré de perfection que Dieu a librement déterminé.
98. — LE PESSIMISME
C'est une maladie aussi ancienne que l'humanité comme disposition
de l'esprit. On en trouve des traces chez tous les peuples, spécialement
chez les Hindous, dans la rehgion bouddhiste. Mais c'est un mal moderne
dans sa forme systématique et savante. Ce n'est pas le mal du siècle,
chanté par Chateaubriand et Byron ; en eux, c'est le poète qui souffre
et non pas l'humanité. Le pessimiste au contraire s'oublie lui-même
pour ne penser qu'aux douleurs de l'humanité. Il s^occupe non de ses
souffrances, mais du mal absolu, objectif, maître de toutes choses.
C'est ainsi que l'ont compris Leopardi, M™^' Ackermann, c'est ainsi
que Schopenhauer et Hartmann l'ont systématiquement exposé en
Allemagne. Ce monde est le rendez*vous de tous les maux, la vie est
une plainte continuelle, l'univers est l'œuvre d'une volonté absurde.
Mais on peut aussi distinguer un Pessimisme absolu et un Pessimisme
relatif. Schopenhauer représente le premier, Hartmann, le second.
§ I. — LE PESSIMISME ABSOLU
Voici quelques arguments de Schopenhauer (^) :
I. — La science montre que la capacité de souffrir augmente avec
le progrès de l'organisation. Les grands génies sont les grands souffrants.
Réponse : c'est vrai ; mais il ne faut pas oublier la proposition corré-
lative : le plaisir croît avec la perfection de la conscience, de la sensi-
bilité et de l'intelligence.
IL — L'amour est la cause des plus grands maux dans le monde :
vg. haines, combats, jalousies, trahisons, honte, remords, folie.
(') SCHOPENHAUEB, Le Moudc comme volonté et comme représentation, Livre IV.
(99) LA VALEUR VÉRITABLE DU MONDE 649
Réponse : il est aussi la source des plus grands biens et des plus
pures jouissances.
III. — L'absolu, qui produit tout sans but et sans raison, inspire à
tous les êtres le désir de vivre. Mais vivre, c'est faire effort ; faire effort,
c'est souffrir.
Réponse : a) L'effort ne produit la souffrance que quand il rencontre
un obstacle insurmontable à ses tendances (Psych., 19, § A).
b) Quant à la volonté qui gouverne la vie, elle n'est pas absurde,
mais raisonnable, comme le prouve l'harmonie des lois de la nature.
Si c'est par la volonté qu'on veut expliquer l'existence du mal, c'est par
la volonté humaine qu'il faut le faire.
§ II. — LE PESSIMISME RELATIF
A côté de la volonté, dont parle Schopenhauer, Hartmann place
l'inconscient, sorte d'idée qui s'ignore et qui tâche de disposer les maté-
riaux désordonnés que lui fournit la volonté (^). Il y a dans le monde
un principe bon à côté d'un mauvais. Le monde n'est donc pas essen-
tiellement mauvais ; il est seulement pire que le néant. Po.ur faire le
bilan des biens et des maux, Hartmann expose trois manières de conce-
voir la vie humaine : ce sont trois rêves de bonheur, sans bonheur réel.
Premier rêve : ce serait le bonheur en cette vie, par le développement
de nos facultés. C'est l'erreur du paganisme. En effet, le patriotisme, le
dévouement, la gloire, l'amour, tout cela est illusion, folie, douleur.
Second rêve : ce serait le bonheur de l'individu dans l'autre vie,
l'au-delà céleste. C'est la conception du Christianisme ; mais cet au-delà
n'existe pas.
Troisième rêve : ce serait le bonheur indéfiniment croissant de l'huma-
nité future, auquel l'individu sacrifierait son bonheur actuel. C'est le
rêve de certains libres penseurs. Mais le progrès s'obtenant par le déve-
loppement de la pensée, plus la pensée sera parfaite, plus l'homme sera
malheureux, car alors il comprendra mieux et sentira davantage son
malheur. Il faut donc s'abstenir le plus possible de vivre, il ne faut pas
entretenir les plaisirs de la vie ; et un jour tout fîni^-a par le « suicide
cosmique ».
99. — LA VALEUR VÉRITABLE DU MONDE
Le bilan du Pessimisme est établi d'une façon arbitraire ; il rejette
en effet de parti pris toutes les joies. De plus, si la vie présente est une
école et une arène, si elle n'est que l'élaboration d'une vie future, parfai-
( ') Ed. de Hartmann, Philosophie de l'Inconscient, III' Partie, § XII sqq. Trad.
de I). NoLEN, T. II, p. 337 sqq., Paris, 1877. — Zitr Geschilche und BegrUndung des Pes-
simismus.
650 LA VALEUR VÉRITABLE DU MOXDE (99)
tement heureuse, l'immortalité de l'àme et l'espérance du bonheur
sont une réponse péremptoire aux allégations du Pessimisme.
L'Optimisme et le Pessimisme absolus aboutissent l'un et l'autre
à des conséquences désastreuses : l'Optimisme, parce que pour lui le
mal n'existe pas ; le Pessimisme, parce qu'il le déclare indestruc-
tible.
A). — Optimisme absolu : si le monde est le meilleur possible, il n'y
a qu'à absoudre le mal, ou plutôt à le confondre avec le bien. Les désordres
de toutes sortes, la souffrance, la mort, l'ignorance, le vice, le crime,
tout est justifié, tout est admirable dans l'œuvre de Dieu. Cette doctrine
a des conséquences désastreuses :
10 Elle aveugle l'intelligence, à qui elle ôte le discernement du bien
et du mal.
2» Elle énerve la sensibilité : si on est à l'abri du besoin et de la
souffrance, on se désintéresse des misères de l'humanité, parce que, ne
les sentant pas, on croit facilement qu'elles n'existent pas, comme le
prétend l'Optimisme.
30 Elle énerve la volonté, en lui enlevant :
a) Toute initiative : à quoi bon agir et faire effort ? Si tout est bien,
laissons faire la Providence.
h) Toute responsabilité : quoi qu'on fasse, ce sera toujours bien.
Cette doctrine aboutit donc au fatalisme et à l'inaction.
B). • — Pessimisme absolu : il conduit aussi, par une voie opposée,
aux mêmes conséquences. En effet :
i° Il confond le mal avec le bien.
2° // éteint en nous Vamour du bien.
3° La conviction, que tout est irrémédiablement mauvais, tend
à paralyser Veffort, engendre* l'inertie et quelquefois le déses-
poir.
C). — Optimisme relatif : si l'on fait intervenir l'Optimisme vrai,
c'est-à-dire relatif, tout change. 11 admet l'existence du mal, car, étant
donné que tout être créé est imparfait et sujet à défaillir, une certaine
quantité de mal est inévitable. Mais il admet aussi que la vie présente
est bonne, que le bien l'emporte sur le mal, que la perfection du monde
dépend en partie du libre arbitre. Nous pouvons donc travailler à accroître
ou à diminuer cette perfection, selon l'emploi que nous faisons de notre
vie. Le devoir consiste à bien user de notre liberté pour faire reculer de
plus en plus le mal devant les progrès du bien et rendre ainsi le monde
meilleur de jour en jour. Le véritable Optimisme aboutit donc à
l'action ; l'homme doit faire tout " ce qui est en lui et abandonner
le reste à la Providence, selon la mâle exhortation du grand Cor-
neille :
Faites votre devoir et laissez faire à Dieu !
(99) COMPLÉMENT BIBLIOGRAI'IIIQIE : THÉOLOGIE RATIONNELLE 651
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SUJETS DE DISSERTATIONS
MORALE
PRÉLIMINAIRES
Les uns définissent la morale : la science du bonheur ; les autres la
définissent : la science du devoir. Que pensez-vous de ces deux défi-
nitions ? (Aix.)
Objet et divisions de la morale. — Quelles sont les principales
questions de la morale spéculative ? (Paris.)
Comparer le peintre moraliste et le philosophe moraliste dans leur
objet, dans leur méthode et dans le résultat de leur étude. (Paris.)
Quelles sont les relations de la morale théorique ou générale et de
la morale pratique ou particulière ? (Lille.)
La morale est-elle une science d'observation ? Jusqu'à quel point
l'histoire et les faits doivent-ils être consultés dans un cours de morale ?
(Paris.)
La morale est-elle contenue dans l'histoire ? — Dans quelle mesure
est vrai ce mot de Cickron : Historia magistra citas ? (Lyon.)
En quoi la morale suppose-t-elle la psychologie ? Peut-on concevoir
la morale sans le principe de la liberté humaine ? (Paris.)
Des rapports de la morale et de la métaphysique. (Bordeaux.)
Peut-on séparer la morale de la théodicée .' — Qu'a-t-on voulu dire
quand on a écrit que la morale philosophique peut commencer sans
Dieu, mais qu'elle ne peut s'achever sans lui ? (Lille.)
Expliquez et discutez, s'il y a lieu, l'opinion de ceux qui pensent
que la métaphysique est nécessaire à la morale. (Toulouse.)
658 DISSERTATIONS : LA CONSCIENCE MORALE
LIVRE I. — MORALE GÉNÉRALE
§ A. — LA CONSCIENCE MORALE
Établir la distinction entre la conscience psychologique et la conscience
morale. (Paris.)
Montrer que le vrai sentiment auquel on reconnaît la présence de la
loi morale, c'est le respect. — ■ C'est un phénomène tout à fait distinct,
comme la remarqué Kant, et de l'inclination et de l'admiration.
(Paris.)
La conscience morale est-elle une faculté à part ou peut-elle être
réduite à une faculté plus générale ? (Paris.)
Peut-on dire, avec certains philosophes, qu'il existe en nous un sens
moral ? Faire la critique de cette expression. (Lille.)
Qu'est-ce que la conscience morale ? — Faut-il la rapporter à la
sensibilité ou à la raison ? (Paris.)
Déterminer les différences et les rapports de la conscience morale et
du sentiment moral. (Paris.)
De la valeur morale des sentiments. (Caen.)
Qu'est-ce que le remords ? En quoi différe-t-il du repentir ? Suffit-il
comme sanction morale ? (Aix.)
Comment les notions morales apparaissent-elles dans notre conscience
et quelle en est l'origine ? (Aix.)
En quel sens peut-on dire que la distinction du bien et du mal est
naturelle ? (Lille.)
La distinction du bien et du mal vient-elle de l'éducation ? Repose-
t-elle sur un contrat social ou a-t-elle une autre source et un autre
fondement ? (Lille.)
Dans quelle mesure la distinction du bien et du mal est-elle l'œuvre
de la raison et dans quelle mesure résulte-t-elle de l'éducation et des
circonstances extérieures ? (Lyon.)
Le sentiment de l'obligation morale est-il, ou non, réductible au
sentiment de la contrainte sociale ? (Paris.)
Apprécier la part de l'imitation dans la formation de nos jugements
moraux. (Lille.)
Peut-on expliquer par l'éducation et la coutume l'origine des idées
morales dans l'humanité ? (Paris.)
Quelle est l'influence exercée par l'opinion sur les mœurs ? Faut-il
la respecter ou réagir contre elle ? (Montpellier.)
Exposer la doctrine de l'évolution et montrer comment elle s'efforce
d'expliquer les principes de la connaissance et les principes de la morale.
(Lyon.)
DISSERTATIONS : LE DEVOIR ET LA LOI MORALE 659
De l'hérédité dans la vie intellectuelle et morale. (Besançon.)
Qu'appelle-t-on le bien moral ? — Quelle distinction doit-on établir
entre le bien absolu ou bien en soi et le bien moral ? (Paris.)
De l'intention morale. Dites quels sont les systèmes qui lui font ou
qui tendent à lui faire une place prépondérante dans la détermination
de nos actes, et donnez une appréciation critique de ces systèmes.
(Lyon.)
Suffît-il qu'une action soit désintéressée pour qu'elle soit mora-
lement bonne ? (Paris.)
Exposer et discuter la théorie d'après laquelle la fin justifie les
moyens. (Clermont.)
De l'universalité des notions morales. — Discuter les objections des
sceptiques. (Paris.)
Dans quelle mesure est-il vrai que la morale varie selon les sociétés ?
(Toulouse.)
Comment expliquer l'accord des moralistes en pratique et leur
désaccord en théorie ? (Lille.)
Réfuter le scepticisme moral fondé sur la diversité et la contradiction
des mœurs, des opinions et des doctrines. (Paris.)
La diversité des théories morales peut-elle nous faire douter du
devoir ? (Lille.)
§ B. — LE DEVOIR ET LA LOI MORALE
Préciser le sens scientifique du mot loi et montrer ce qu'on entend
par une loi : a) dans l'ordre physique ; b) dans l'ordre social ; c) dans
l'ordre moral. (Clermont.)
Définissez et distinguez, en classant d'ailleurs les termes suivant
l'ordre qui vous conviendra, la loi, la coutume, la mode. (Toulouse.)
Le devoir peut-il être considéré comme n'étant pas autre chose
qu'une contrainte exercée par la société sur l'individu ? (Lyon.)
Qu'est-ce qu'une loi naturelle ? (Dijon.) *
La loi morale et la loi scientifique : leurs rapports. Peut-on ramener
la première à la seconde ? (Dijon.)
Pourquoi faut-il obéir aux lois, même injustes ? (Paris.)
L'idée du devoir, ses caractères, son fondement. (Paris.)
Comparer ces deux définitions du devoir : « C'est une nécessité mo-
rale », a dit Leibniz. « C'est un impératif catégorique », a dit Kant.
(Aix.)
L'obligation morale peut-elle se concilier avec la liberté ? (Lille.)
Des rapports de la liberté avec l'obligation. (Lyon.)
Distinguer le devoir et l'obligation absolue des conseils de la prudence
et des calculs do l'intérêt. (Lille.)
660 DISSERTATIONS : LE SOUVERAIN BIEN — MORALES ÉGOÏSTES
Le bien et le devoir : signification précise de ces deux termes ; leur
différence et leur rapport. (Alger.)
Qu'ordonne la loi morale ? (Nancy.)
Expliquer et apprécier les deux enthymèmes fondamentaux de la
morale : Tu dois, donc tu peux ; tu peux, donc tu dois. (Clermont.)
Commentez la phrase célèbre de Kant : « Deux choses remplissent
l'âme d'une admiration et d'un respect toujours renaissants et qui
s'accroissent à mesure que la pensée y revient plus souvent et s'y applique
davantage : le ciel étoile au-dessus de nous et la loi morale au dedans de
nos cœurs. « (Lille.)
En quoi l'idée du devoir dans la phOosophie stoïcienne diffère-t-elle
de l'idée moderne du devoir ? (Caen.)
Apprécier le vieux dicton : « Fais ce que dois, advienne que pourra. »
(Lille.)
La loi morale nous est-elle dictée par une autorité extérieure ou par
notre raison ? (Rennes.)
Qu'est-ce que la loi dans les sociétés humaines ; en quoi se distingue-
t-elle de la loi morale ; en quoi s'y rapporte-t-elle ? — Quelle est à ce
sujet l'erreur commise par Platon ? (Dijon.)
§ C. — LE SOUVERAIN BIEN
(Systèmes divers de morale.)
L GÉNÉRALITÉS
Définir les systèmes faux ou incomplets qui altèrent ou nient le
principe de la loi morale. (Paris.)
Quels sont les principaux motifs de nos actions ? Peuvent-ils se
réduire à l'intérêt et au devoir ? (Paris.)
Analyser les motifs de nos actions et déduire de cette analyse une
classification des systèmes de morale. (Lyon.)
Pour quel motif devons-nous faire le bien ? Est-ce pour obéir aux
ordres de Dieu ? — Aux préceptes de notre conscience ? — Aux exigences
de la vie sociale ? ■ — Ou bien est-ce pour une autre raison ? (Aix.)
IL — Morales égoïstes ou utilitaires
De la morale utilitaire. (Paris.)
Du plaisir et de la douleur en eux-mêmes et dans leurs rapports avec
la fin de l'homme. (Grenoble.)
Faire voir qu'il n'y a pas de différences essentielles entre le plaisir
et l'intérêt. (Paris.)
De l'utile et de l'honnête. En expliquer les différences, (Paris.)
DISSERTATIONS : MORALES ALTRUISTES 661
Caractères qui distinguent le principe du devoir du principe de
l'intérêt personnel. (Paris.)
Quels sont les caractères essentiels à la loi morale ? Quels sont ceux
de ces caractères qui manquent le plus à la règle de l'intérêt personnel ?
(Paris.)
Dans quel sens peut-on dire que la doctrine utilitaire a fait un progrès,
et quelle est la valeur de ce progrès ? (Lille.)
Qu'y a-t-il de vrai et d'incomplet dans la morale utilitaire ? (Lille.)
La doctrine du bien n'a-t-elle rien de commun avec la doctrine de
l'intérêt ? (Lille.)
Le devoir n'est-il pas aussi ce qui nous est le plus véritablement
utile ? (Lille.)
L'amour de soi est-il inséparable de tout principe d'action ? Quel
est son rôle légitime en morale ? (Toulouse.)
Appréciez cette pensée : « Le désintéressement est encore ce qui
fait le mieux les affaires de l'intérêt. » (Lille.)
Rapports et différences entre ce que l'intérêt personnel nous conseille
et ce que le devoir nous ordonne. (Lille.)
A supposer que l'intérêt bien entendu produise les mêmes résultats
pratiques que le motif du devoir, est-il important de maintenir la
distinction théorique entre ces deux motifs ? (Paris.)
L'idée du juste peut-elle se ramener à celle de l'utilité sociale ?
(Paris.)
Apprécier la pensée exprimée dans ce vers d' Horace : Atque ipsa
utilitas justi prope mater et œqui. ( Aix.)
Quelles sont les formes les plus récentes de la morale de l'intérêt et
quelle en est la valeur ? (Lille.)
Les théories scientifiques de Vévolution et de Vhérédité sont-elles en
opposition avec la morale du devoir et la théorie psychologique de la
volonté libre et responsable ? Selon votre opinion personnelle, démontrez,
avec des exemples, soit Y incompatibilité, soit V accord et la conciliation
possibles de cette doctrine scientifique avec cette doctrine psychologique
et morale. (Nancy.)
III. — Morales altruistes ou sentimentales
Le sentiment est un motif d'action ; peut-il être une règle de morale
comme quelques philosophes l'ont affirmé ? (Lille.)
En quoi consiste la doctrine -morale que l'on appelle du sentiment"?
Quels en sont les mérites et les défauts ? — En quoi diffère-t-elle de la
doctrine utilitaire et de la doctrine du devoir ? (Paris.)
Définir ce que les psychologues et les moralistes entendent par le
662 DISSERTATIONS : MORALES RATIONNELLES
cœur. Quelle place faut-il lui faire dans la culture générale de l'intelli-
gence et dans la conduite de la vie ? (Dijon.)
Exposer la théorie d'AnAM Smith en morale et la critiquer. (Lille.)
Qu'est-ce que le sentiment de l'honneur ? — Peut-il remplacer l'idée
du devoir comme règle absolue et obligatoire de la conduite ? (Paris.)
Le principe de l'honneur et de la dignité personnelle fournit-il à la
morale une base suffisante ? (Poitiers.)
En quoi la vertu et l'honneur se ressemblent-ils ? En quoi diffèrent-
ils ? Peut-il y avoir conflit entre ces deux choses ? — En ce cas quel
parti prendre ? (Lille.)
Rôle et place du sentiment dans la moralité. (Lille.)
Quels secours et quels obstacles les inclinations de la sensibilité
apportent-elles à la pratique de la vertu ? — Quels sont à l'égard de
ces inclinations les devoirs de la volonté ? (Paris.)
Peut-on trouver, dans ce qu'on a appelé : la loi de solidarité, le
principe de la morale ? (Lille.)
IV. — Morales rationnelles
Pourquoi ne peut-on pas substituer l'idée du beau à celle du bien
comme base et principe de moralité ? (Aix.)
Jusqu'à quel point la valeur de nos actes peut-elle se mesurer à
leur beauté ? (Nancy.)
La recherche du bonheur est-elle, ou non, le but de la vie ? (Paris.)
Quelles sont, selon vous, les conditions essentielles du bonheur ?'
Quelles directions pratiques résultent pour vous de ces conditions ?'
(Poitiers.)
Expliquer et apprécier cette maxime : Virtus propter se expetenda esL
(Poitiers.)
Dans quelle mesure peut-on admettre la formule stoïcienne : Virtu.s
non est nisi gratuita ? (Lille.)
Qu'entend-on par bonne volonté en morale ? Quels caractères la
distinguent et dans quel sens cette idée entre-t-elle dans la philosophie
de Kant ? (Dijon.)
De l'autonomie de la volonté. (Caen.)
En quoi consiste absolument le bien qu'il faut faire ? (Paris.)
Analyser et critiquer l'idée de perjection : comment naît-elle dans
l'esprit et quel en est le contenu ? (Aix).
'< La moralité est l'imitation de Dieu. » — Expliquer cette opinion
de plusieurs philosophes anciens et modernes. (Nancy.)
Du fondement de l'obligation morale. (Besançon.)
Commenter cette parole de M. de Bonald : Il faut croire au bien
pour pouvoir le faire. (Lyon.)
DISSERTATIONS : LA. RESPONSABILITÉ 663
§ D. — CONSÉQUENCES DE LA MORALITÉ
L — La Responsabilité
De la responsabilité morale. — En exposer le principe, les conditions
et les conséquences. — ■ Donner des exemples. (Paris.)
La responsabilité : ses conditions psychologiques. — De quoi et
devant qui est-on responsable ? Dans quels cas s'accroit-elle ou diminue-
t-elle ? (Dijon.)
Influence des passions, de l'habitude et de la science sur la liberté
humaine et la responsabilité. (Lille.)
Quelles sont les conditions de l'imputabilité des actes moraux ?
(Paris.)
De la responsabilité morale. — Ses rapports et ses différences avec la
responsabilité légale. (Paris.)
La responsabilité. — Sa relation avec le libre arbitre. L'idée de
responsabilité n'est-elle susceptible d'aucune interprétation raisonnable
dans l'hypothèse du déterminisme ? (Caen.)
En quel sens peut-on dire qu'il y a une part de volonté dans nos
croyances ? Sommes-nous responsables de ce que nous croyons ou ne
croyons pas ? (Montpellier.)
D'où vient que tant d'hommes cherchent sans cesse à dégager leur
responsabilité des décisions qu'il leur faut prendre ? Ont-ils raison
d'agir ainsi et peuvent-ils y réussir complètement ? (Clermont.)
Distinguer la responsabilité civile, la responsabilité criminelle et la
responsabilité pénale. Indiquer les conditions de chacune d'elles. (Caen.)
Quelles sont les principales formes que peut revêtir la complicité
dans le mal et dans l'injustice ? En montrer la culpabilité. (Dijon.)
La notion de solidarité. — Quels en sont les divers aspects .' Quel
en est le principe ? (Paris.)
II. — ■ Le Mérite et le Démérite
Du mérite et du démérite. — Définir ces deux notions. — En établir
les fondements et les conséquences. (Paris.)
Développer la pensée exprimée dans ce vers : « Le crime fait la honte
et non pas Véchajaud. » (Lille.)
En quoi consistent et d'où proviennent pour l'agent moral le mérite
et le démérite ? Pourquoi les peines et les récompenses en sont-elles la
conséquence regardée par la raison comme nécessaire ? (Lille.)
111. — Les Sanctions de la Loi morale
Conçoit-on une morale sans obligation ni sanction ? (Lille.)
Sanctions de la loi morale : les énumérer, les définir ; appuyer chaque
définition par un ou plusieurs exemples. (Paris.)
664 DISSERTATIONS : LA VERTU. LE DROIT
En quoi la sanction de la conscience est-elle supérieure à celle de
l'autorité civile et judiciaire ? (Lille.)
Quelle différence voyez-vous entre ces deux formules : La vertu
seule est heureuse. La vertu suffit au bonheur ? Sont-elles équivalentes ?
— Laquelle préférer et pourquoi ? (Lille.)
Apprécier ces deux pensées de Platon dans le Gorgias : « Celui qui
subit le châtiment est plus heureux que celui qui l'évite. » — « Après
l'injustice commise, l'injustice non expiée est le plus grand des maux. »
(Paris.)
Exposez la doctrine de l'épreuve et sa nécessité pour la vie morale.
(A ix.)
Discuter cette exclamation de Posidonius tourmenté par la goutte :
« 0 douleur ! tu as beau faire, je n'avouerai jamais que tu sois un mal. »
(Paris.)
IV. — La Vertu.
De la vertu. — Principales définitions. ( Aix.)
Est-il vrai de dire, avec Platon, que la vertu est la science du bien
et que le vice en est l'ignorance ? (Paris.)
Déterminer la part de vérité et la part d'erreur qui se trouve dans
cette proposition socratique : Nul ri'est méchant volontairement. (Lyon.)
La vertu peut-elle s'apprendre et s'enseigner ? (Lyon.)
Apprécier ces paroles de Descartes (Disc, de la Méth., III, § 5) :
« Notre volonté ne se portant à suivre ni à fuir aucune chose que selon
que notre entendement la lui représente bonne ou mauvaise, il suffit
de bien juger pour bien faire, et de juger le mieux qu'on puisse pour
faire aussi tout de son mieux, c'est-à-dire pour acquérir toutes les
vertus. » (Dijon.)
De l'instruction et de l'éducation : doivent-elles dans l'enseignement
être séparées ou unies ? Importent-elles à un égal degré au bonheur et à
la dignité des individus et des peuples ? (Lille.)
Est-il vrai, comme l'a pensé Aristote, que la vertu soit toujours un
milieu entre deux extrêmes ? Signaler les faits moraux qui autorisent
cette définition et ceux qui la contredisent. (Paris.)
Énumérer et classer les différentes vertus humaines en les faisant
rentrer dans les divisions habituelles des devoirs en trois groupes, à
savoir : devoirs envers nous-mêmes, envers nos semblables et envers
Dieu. (Paris.)
§ E. — LE DROIT
De l'idée du droit. — Ses caractères. — Son origine. (Nancy.)
Des rapports du droit et du devoir. — Est-ce le droit qui est le
fondement du devoir ou le devoir qui est le fondement du droit ? (Paris.)
DISSERTATIONS : LE DROIT — MORALE PARTICULIERE 665
Est-il vrai, comme on l'a prétendu, que dans la morale tout devoir
corresponde à un droit ? Donner des exemples à l'appui de l'opinion
qui sera soutenue. (Paris.)
Expliquer et critiquer, s'il y a lieu, la formule : « Pas de droits sans
devoirs ; et pas de devoirs sans droits. » (Paris.)
Expliquer cette parole de La Mennais : « Le droit et le devoir sont
comme des palmiers qui ne produisent pas de fruits, s'ils ne croissent
l'un près de l'autre. « (Grenoble.)
Selon Auguste Comte, l'individu humain a des devoirs et n'a pas
de droits : « L'idée de droit est fausse autant qu'immorale, parce qu'elle
suppose l'individualité absolue. » Que pensez-vous de cette opinion ?
(Paris.)
Apprécier cette parole d'AuGUSTE Comte : « Je n'ai le droit que de
faire mon devoir. » (Lille.)
Le droit et la force. (Lyon.)
Quelle difîérence y a-t-il entre le droit naturel et le droit positif ?
— Donner des exemples. (Paris.)
Tous les hommes ont-ils les mêmes droits et les mêmes devoirs ?
(Nancy.)
LIVRE II. — MORALE PARTICULIÈRE
§ A. — GÉNÉRALITÉS
Qu'entend-on par devoirs positifs et devoirs négatifs ? — En donner
des exemples. (Paris.)
Que signifie, suivant qu'il s'agit de nos devoirs envers nous-mêmes,
ou de nos devoirs envers nos semblables, la distinction classique des
devoirs positifs et des devoirs négatifs ? (Lille.)
Du conflit apparent ou réel de certains devoirs entre eux. — Peut-il
y avoir une véritable opposition entre deux devoirs, et comment peut-on
la régler ? — Donner des exemples. (Paris.)
La sincérité et la vie sociale. Les exigences de celle-ci ne contrarient-
elles jamais les exigences de celle-là ? Et, si des cas de ce genre se ren-
contrent, quelle règle doit-on adopter ? (Dijon.)
Des devoirs relatifs aux animaux et aux choses. — Montrer qu'ils se
ramènent aux devoirs envers nous-mêmes. (Poitiers.)
§ B. — MORALE PERSONNELLE
L'homme a-t-il, à parler exactement, des d evoirs envers lui-même ?
^ Valeur de l'objection : Scienti et volenti non fit injuria. (Lille.)
666 DISSERTATIONS : MORALE SOCIALE
Que vaut cette excuse souvent alléguée : « Je ne fais de mal qu'à
moi-même » ? (Lille.)
Les devoirs de la morale individuelle. — A quelles vertus la pratique
de ces devoirs donne-t-elle naissance ? (Paris.)
Montrer que les devoirs envers soi-même peuvent être considérés
aussi comme des devoirs envers autrui. (Rennes.)
Expliquer et discuter, s'il y a lieu, cette formule : le principe de
toute morale est « Respecte-toi ». (Paris.)
Que faut-il penser du suicide selon les principes de la moralité ?
(Paris.)
Discuter la question du suicide. — Réfuter les arguments par lesquels
on a essayé de le justifier. (Paris.)
Pourquoi est-ce un devoir pour tout homme de développer son
intelligence ? (Lille.)
Commenter cette parole souvent citée : « Il est dans certains cas plus
facile de faire son devoir que de le connaître. )> (Lille.)
Qu'est-ce que le courage ? — Quelles sont les principales formes sous
lesquelles il peut se manifester ? (Lille.)
Quels sont les devoirs que nous impose l'amour de la vérité ?
(Grenoble.)
Marquer la part de chacune de nos trois facultés dans la formation
de ce qu'on appelle le caractère. (Dijon.)
Éducation personnelle de l'homme par lui-même. — Est-il vrai
que l'homme soit dans la dépendance de son tempérament ? (Alger.)
Rapporter les devoirs de l'homme envers lui-même à ces deux vers
de Ju VÉNAL :
Summum crede nef as animant prœferre pudori
Et propter vitam vivendi perdere causas. (Paris.)
Quels sont les moyens pratiques par lesquels l'homme peut arriver
à corriger son caractère et à gouverner ses passions ? (Paris.)
Expliquer cette pensée de Quinet : « Sois une conscience. » (Cler-
mont.)
Des moyens de se connaître soi-même. (Nice.)
Analyser, au point de vue psychologique, moral et social, la notion
du travail. (Paris.)
§ C. — MORALE SOCIALE
Section I. — Devoirs envers les hommes en général
La justice : ses caractères, son origine, sa place dans l'ordre moral.
(Clermont.)
L'idée de justice peut-elle se ramener à l'idée d'utilité sociale ?
(Paris.)
DISSERTATIONS : DEVOIRS ENVERS l'hUMAMTK 667
Les devoirs de justice : les énumérer, en marquer le principe et les
caractères distinctifs. (Aix.)
Montrer qu'il est nécessaire, mais qu'il ne suffit pas d'être juste.
{Lille.)
Est-ce vraiment faire le bien que de se borner à pratiquer la justice ?
(Lille.)
Commenter la maxime stoïcienne : Sustine et abstine, et montrer
combien la règle qui y est renfermée, quoique très noble, est insuffi-
sante. (Nancy.)
Expliquer et développer la maxime latine : Summum jus, summa
injuria. — Application à la morale privée, à la société civile et au droit
public. (Paris.)
Comment se fait-il que la morale défende de rendre le mal, quand la
justice veut qu'il soit fait à chacun selon ses œuvres ? — Expliquer
pourquoi la loi du talion est réprouvée, et au nom de quel principe.
(Paris.)
La charité est obligatoire comme la justice. Dire comment et dans
quelle mesure. (Montpellier.)
Le précepte qu'il faut faire du bien à ses ennemis est-il absolu ? —
S'il ne l'est pas, les exceptions laissent-elles subsister la règle ? (Bordeaux.)
i, Expliquer cette maxime : « Fais à autrui ce que tu voudrais qu'on te
fît à toi-même ». (Lille.)
On a dit qu'en faisant l'aumône on fait des mendiants. — Vous
discuterez cette objection. (Lille.)
Des philosophes contemporains prétendent que la charité est une
fausse vertu et même funeste ; car, sous prétexte de soulager les misères
humaines, elle les perpétue en assurant l'existence d'individus qui par
leurs maladies et leurs vices arrêtent le progrès de l'humanité. (Paris.)
Apprécier cette pensée de Marc-Aurèle : « La bienveillance est
invincible, pourvu qu'elle soit sincère, sans dissimulation et sans fard.
Car que pourrait te faire le plus méchant des hommes, si tu persévérais
à le traiter avec douceur ? « (Nancy.)
En quoi se ressemblent et en quoi diffèrent les devoirs de justice
et les devoirs de charité ? (Caen.)
Rapports de la justice et de la charité. La charité n'est-elle qu'une
sorte de supplément indispensable à la justice, ou la justice, selon une
définition de Leibniz, serait-elle déjà elle-même « La charité réglée
suivant la sagesse ? « (Dijon.)
La charité n'est-elle pas justice ? (Nancy.)
Des conflits qui peuvent surgir entre la charité et la justice, et com-
ment les résoudre ? (Toulouse.)
Charité et solidarité. — Les deux idées ont-elles môme contenu .'
ou, si elles diffèrent, en quoi diffèrent-elles ? (Dijon.)
668 DISSERTATIO>'S : MORALE DOMESTIQUE
Examiner quelles sont, soit en nous, soit hors de nous, les consé-
quences d'une faute morale, et rechercher jusqu'à quel point il est
possible ou impossible d'y remédier. (Aix.)
Vous discuterez la question du duel. (Lille.)
Du droit de légitime défense. — En déterminer le principe ; en indi-
quer les limites. (Aix.)
De la sincérité envers soi-même et envers autrui. (Toulouse.)
Pourquoi le mensonge est-il immoral et pourquoi le menteur est-il
d'ordinaire méprisable ? (Aix.)
Par quelles raisons la loi morale condamne-t-elle l'esclavage ?
(Dijon.)
De l'esclavage au point de vue de la loi morale et de l'économie
politique. (Lille.)
Que faut-il entendre par l'égalité des hommes ? (Paris.)
Qu'est-ce que le devoir de la tolérance ? Comment le justifiez-vous ?
(Montpellier.)
Analyser psychologiquement et logiquement l'intolérance. (Caen.)
Faut-il laisser toutes les opinions se manifester librement ? (Nancy.)
Qu'entend-on par liberté de penser ? Cette liberté peut-elle devenir
abusive ? Comporte-t-elle des règles et des limites ? (Aix.)
Qu'est-ce que penser librement ? Déterminer les principes et les
conditions de la liberté de penser. (Paris.)
La propriété est-elle de droit civil ou de droit naturel ? — Montrer
la différence des conséquences, selon que l'on admet l'un ou l'autre
système. (Alger.)
Quel est le fondement du droit de propriété ? — Quels sont les
devoirs positifs et négatifs qui correspondent à ce droit ? (Lille.)
Apprécier les doctrines qui contestent la légitimité de la propriété
individuelle, ou qui du moins (vous direz dans quelle mesure) prétendent
la restreindre. (Lille.)
Le droit au travail et le droit à la propriété sont-ils des droits essen-
tiels à l'homme ? — Comment a-t-on abusé de ces formules ? (Mont-
pellier.)
Section II. — Morale domestique
Devoirs de la vie de famille. (Aix.)
Quels sont les fondements, l'étendue et les limites du pouvoir
paternel ? (Paris.)
Montrer que la famille est la meilleure école des vertus publiques.
(Lille.)
Montrer que c'est dans la famille qu'on apprend à aimer la patrie,
et dans la patrie qu'on apprend à aimer l'humanité. (Caen.)
DISSERTATIONS : MORALE CIVIQUE 669
Devoirs des enfants envers leurs parents aux différents âges de la
vie. (Nancy.)
Section III. — Morale civique
Expliquer cette définition d'ARiSTOTE : « L'homme est un animal
social. « (Clermont.)
Le contrat social. (Caen.)
L'idée de Patrie. — Établir par voie de déduction les devoirs négatifs
et positifs envers la patrie ou l'État. (Nancy.)
Du patriotisme : ses causes et ses efîets ; sa valeur morale. (Lille.)
Le patriotisme : fondements de cette inclination ; raisons qui nous
commandent de développer en nous l'amour de la patrie. (Lille.)
Définir chacune de ces expressions : Société, État, Patrie, Gouver-
nement ; en montrer les rapports et les différences. (Paris.)
De l'origine de la société civile. — Par quels arguments peut-on
démontrer que la société est un fait naturel et nécessaire, non un fait
arbitraire et accidentel, comme on l'a quelquefois prétendu ? (Paris.)
Y a-t-il contradiction, comme l'a prétendu Rousseau, entre l'état
de nature et l'état social ? (Paris.)
Montrer que l'homme est vraiment, comme l'a dit Aristote, un
animal sociable. (Lille.)
Vous justifierez cette parole d' Aristote : « L'homme qui vit dans
l'isolement est une brute ou un dieu. » (Dijon.)
Montrer que la société civile, loin d'être hostile à la liberté et à
l'égalité véritables, comme le prétendait Rousseau, en est au contraire
la condition nécessaire. (Lille.)
L'État : ses droits et ses devoirs. (Dijon.)
Quelle est la notion de l'État ? — Quel est le rôle de l'État dans les
sociétés humaines ? (Paris.)
Peut-on admettre l'antique adage : Salus populi suprema lex esto ?
(Paris.)
Le rôle de l'État se borne-t-il à empêcher les citoyens de se nuire
les uns aux autres ? (Bordeaux.)
Quels sont les droits respectifs de l'État et des individus dans la
morale sociale ? (Paris.)
La société est-elle faite pour l'individu, ou l'individu pour la société ?
(Lyon.)
Pourquoi et dans quelle mesure l'individu doit-il se subordonner à
la société ? (Lille.)
Dire quelles modifications subissent nos droits et nos devoirs en
passant de l'ordre naturel dans l'ordre politique. (Lille.)
Les droits de l'individu vis-à-vis de la société. (Dijon.)
670 DISSERTATIONS : LE BEAU — l'aRT
Expliquer la devise du gouvernement républicain : « Liberté, Égalité,
Fraternité ». (Aix.)
Du rôle de la science dans la formation des idées démocratiques.
(Montpellier.) _
Doit-on fonder la démocratie sur la loi du plus fort et attribuer tout
pouvoir à la majorité ? Ou bien certains devoirs s'imposent-ils à la
majorité elle-même à l'égard de la minorité ? Qu'est-ce qui les fonde ?
(Poitieis.)
Quels sont les devoirs du citoyen ? (Lille.)
Qu'est-ce que l'impôt ? Quelle est sa nécessité ? — Quels en peuvent
être les bienfaits ? — Quelles en doivent être les limites ? (Paris.)
Du droit de vote. — Son principe et les devoirs qui v correspondent.
(Lille.)
En quoi la question de l'alcoolisme est-elle une question de philo-
sophie ? (Lille.)
Le fondement du droit de punir. (Lyon.)
A quels résultats doivent tendre, d'après vous, les peines que la
société inflige aux coupables ? (Toulouse.)
La peine de mort. (Nancy.)
La société a-t-elle le droit de punir ? — Dans quel sens et dans
quelles limites ? (Lyon.)
Les châtiments ont-ils pour lîn l'amélioration du coupable ? (Lille.)
Expliquer et justifier l'existence des lois pénales. (Paris.)
ESTHÉTIQUE
§ A. — LE BEAU
Analyser l'idée du beau et déterminer les facultés qui s'exercent
tant dans l'appréciation que dans la création des œuvres d'art. (Lille.)
Du beau, de ses rapports avec le bien. (Paris.)
Caractériser et comparer les idées du vrai, du beau et du bien et les
rattacher à leur premier principe. (Paris.)
Analyser les principaux sentiments que fait naître en nous la vue
du beau. (Paris.)
Analyse psychologique du sentiment esthétique. (Aix.)
Le sentiment de la nature. En quoi consiste-t-il ? Quelles sont les
causes qui le font naître dans le cœur humain ? (Montpellier.)
En quoi se ressemblent, en quoi diffèrent les sentiments esthétiques
et les sentiments moraux ? (Lyon.)
DISSERTATIONS : l'aRT 671
Quelle est la place et le rôle des sentiments esthétiques dans la vie
humaine ? (Toulouse.)
Différences entre le beau et le sublime. (Paris.)
Le rire et les causes du rire. (Paris.)
§ B. — VART
De l'art : son principe et son but. (Lille.)
Quel est le sens de ces diverses expressions employées dans la théorie
des beaux-arts : l'imitation, la fiction, l'idéal ? (Paris.)
L'imitation de la nature est-elle l'unique but de l'art ? (Dijon.)
Définir avec précision le réalisme esthétique. En rechercher les carac-
tères et la valeur. (Lyon.)
Apprécier cette pensée de Bacon : « L'art c'est l'homme s'ajoutant
à la nature. » (Aix.)
L'art doit-il s'interdire la représentation de la laideur ? (Nancy.)
Du goût. Qu'est-ce qu'avoir du goût ? Y a-t-il un bon et un mauvais
goût ? (Clermont.)
Le génie et le goût. (Lille.)
Les beaux-arts, sous des formes diverses et par des moyens diffé-
rents, ne se proposent-ils pas la même fin ? Quelle est cette fin '^JLille.)
L'art a-t-il une fin morale ? (Lille.)
Appréciez la formule : l'art pour Fart. (Lille.)
Montrez comment la culture esthétique de l'Homme par la littérature
et les beaux-arts peut contribuer à son perfectionnement moral. (Paris.)
L'art n'est-il qu'un jeu ? ■ — Peut-il, doit-il se proposer une action
morale et sociale ? (Nancy.)
De la place à faire à l'art dans l'éducation morale (Aix.)
Y a-t-il un art démocratique ? Comment vous le représentez-vous ?
Quels en sont les principes, les intentions, les conditions, les mani-
festations ? (Nancy.)
La culture des arts et des sciences est-elle, comme l'a soutenu
Rousseau, une cause de décadence et de corruption ? (Paris.)
Quelles sont les différences entre les principes, les moyens et les fins
de la science, de l'art et de l'industrie ? (Paris.)
lïlÉTAPHYSIQUE
§ A. — OBJET ET NATURE DE LA MÉTAPHYSIQUE
Qu'est-ce que la métaphysique ? — Montrer que la philosophie,
comme la plupart des sciences, a un côté spéculatif et un côté pratique :
établir cette distinction par des exemples. (Paris.)
Quel est au juste l'objet de la métaphysique ? — Comment en
concevez-vous le plan et la méthode ? (Paris.)
Appréciez les doctrines qui contestent la légitimité de la méta-
physique. (Paris.)
Quelles objections a-t-on faites à la possibilité de la métaphysique ?
(Lille.)
La métaphysique est-elle possible sans la psychologie ? (Paris.)
Les affirmations métaphysiques sont-elles susceptibles de démons-
tration ? (Bordeaux.)
Étudier, au double point de vue logique et métaphysique, le principe
de contradiction. (Aix.)
Valeur et rôle des conceptions de la philosophie première dans la
vie de l'homme. (Besançon.)
§ B. — CRITIQUE DE LA CONNAISSANCE
\. — Généralités
Les philosophes discutent sur la valeur de la science. Marquez exac-
tement ce qui est en question dans ce débat ; indiquez à quelle opinion
vous vous rangez et pour quelles raisons. (Toulouse.)
Le problème de la valeur de la connaissance et ses diverses solutions.
(Clermont.)
L'idée de cause et son rôle dans la connaissance humaine. (Dijon.)
Montrer comment la valeur de notre connaissance dépend de l'origine
psychologique qu'on lui attribue. (Aix.)
Commenter cette pensée d'un philosophe contemporain (A. Fouil-
lée) : « Avec les idées d'aujourd'hui sera bâtie la cité de demain. L'igno-
rance et l'erreur se paient toujours : autant d'idées fausses, autant de
défaites pour les peuples et les individus. Tant vaut la pensée, tant vaut
l'action. » (Poitiers.)
DISSERTATIONS : LE SCEPTICISME 673
A-t-on le droit de fonder des croyances théoriques sur les faits de la
vie morale ? Chercher quelle est la valeur d'une métaphysique fondée
sur la morale. (Montpellier.)
Dans quelle mesure est-il légitime de soutenir que la conscience et
la connaissance ont leur principe et leur raison d'être dans l'action et
la vie pratique ? (Caen.)
II. — Le Scepticisme
Du scepticisme. Quelles ont été les différentes formes du scepticisme
ancien et moderne ? (Paris.)
Des différentes formes du scepticisme. — A quelles conditions et
dans quelles circonstances le doute est-il légitime ? (Grenoble.)
Marquer la différence entre le doute considéré comme état de l'esprit
et le scepticisme considéré comme système. (Paris.)
Principaux arguments des sceptiques : les apprécier. — Peut-on les
réfuter tous ? (Lille.)
Qu'appelle-t-on doute méthodique dans la philosophie de Descartes,
et en quoi se distingue-t-il du doute des sceptiques ? (Paris.)
En quel sens Cl. Bernard a-t-il pu dire : « Le savant est un douleur » ?
(Paris.)
Qu'est-ce que le probabilisme ? — En quoi se distingue-t-il du
scepticisme ? — Quelles objections soulève cette doctrine ? (Paris.)
Ressemblances et différences entre le scepticisme, le probabihsme
et le positivisme. ^ — Faites connaître les principaux philosophes qui
ont appartenu à chacune de ces écoles. (Lille.)
Quel est le sens de l'aphorisme suivant : Nescire quœdam magna pars
sapientiae ? (Lyon.)
Faire voir que la science humaine est nécessairement un mélange
de connaissances solidement démontrées et d'ignorances reconfiues
invincibles. (Bordeaux.)
Tracer les limites de la connaissance humaine. (Besançon.)
III. — Le Relativisme ,
Le positivisme. — Sa valeur comme méthode scientifique. (Lille.)
Qu'entend-on par le principe de la relativité de la connaissance ?
En quel sens et en quelle mesure ce principe est-il vrai ? (Paris.)
La connaissance sensible est-elle relative ? (Caen.)
Du sens des mots subjectif et objectif. — Quels sont les problèmes
liés à l'opposition de ces deux termes ? (Lyon.)
Qu'est-ce qu'un phénomène et qu'est-ce qu'une loi ? — La connais-
sance des phénomènes et des lois suffit-elle à l'esprit humain ? (Paris.)
Exposer brièvement et apprécier le criticisme de Kant. (Aix.)
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. — T. II. "II.
674 DISSERTATIONS : COSMOLOGIE RATIONNELLE
Qu'est-ce qu'un idéaliste en art, en morale, en philosophie ? (Mont-
pellier.)
L'idéalisme. — Quels sont les caractères communs aux diverses
doctrines philosophiques qu'on appelle idéalistes ? (Toulouse.)
Définir l'attitude d'esprit qui s'appelle le rationalisme. (Toulouse.)
IV. — Le Dogmatisme
Quels sont les caractères scientifiques de la connaissance objective ?
(Dijon.)
Comment peut-on expliquer l'accord de l'expérience et des lois de la
raison ? (Strasbourg.)
§ C. — COSMOLOGIE RA TIONNELLE
I. — Existence du Monde extérieur
De la réalité du monde extérieur. — Discuter les objections dont
elle a été l'objet. (Paris.)
La réalité du monde extérieur est-elle l'objet d'une intuition immé-
diate ou d'une croyance élaborée ? Quels sont, dans ce dernier cas, les
éléments de cette croyance ? (Lille.)
En quel sens a-t-on pu soutenir que les corps n'existaient pas ?
(Lille.)
Y a-t-il lieu de mettre en doute la réalité des choses extérieures ?
— Sur quoi a-t-on pu fonder un doute aussi extraordinaire et aussi
contraire au sens commun ? (Paris.)
Comment la plupart des philosophes modernes ont-ils été amenés à
douter provisoirement ou définitivement du monde extérieur ? —
Comment peut-on sortir de ce doute ? (Nancy.)
Montrer que la perception extérieure serait impossible sans l'inter-
vention des principes de la raison. (Paris.)
Les phénomènes qu'étudie la physique (sons, chaleur, lumière, etc.),
sont des sensations : pourquoi donc cette science ne forme-t-elle pas une
partie de la psychologie ? (Montpellier.)
Expliquer le sens de cette formule : Esse est perripi. (Paris.)
Beaucoup de philosophes ont nié l'existence de la matière ou enseigné
que le monde des corps n'existe que dans et par la pensée. Indiquez
comment s'est établie une théorie aussi paradoxale et sur quelles raisons
elle s'appuie. ( Toulouse.)
II. — La Matière, le Temps, l'Espace
Qu'est-ce que la matière et que pouvons-nous en savoir ? ( Aix.)
Le concept de la matière correspond-il à des données scientifiques
et à quelles données ? (Bordeaux.)
DISSERTATIONS : PSYCHOLOGIE RATIONNELLE 675
La matière existe-t-elle, et quelle est, clans ce cas, sa nature méta-
physique ? (Clermont.)
Qu'entendez-vous au juste par matière ? Quelle est, selon vous,
l'origine de cette notion ? Quelles sont, à votre connaissance, les princi-
pales solutions apportées par les philosophes et les savants modernes
au problème de la nature de la matière ? (Bordeaux.)
Est-on d'accord sur le sens du mot matière ? — Différentes théories
que vous connaissez sur la matière. (Paris.)
Théorie philosophique de la matière. — ■ Insister sur les atomes dans
les systèmes de Démocrtte et d'ÉpicuRE et dans la science moderne.
(Nancy.)
Les lois de la nature sont-elles contingentes ou nécessaires ? (Paris.)
Exposer et examiner la doctrine de Descartes sur les propriétés de
la matière. (Rennes.)
Qu'entend-on par mécanisme universel ? Quelle est l'importance de
cette hypothèse pour la science et pour la philosophie ? (Dijon.)
La science moderne suppose-t-elle nécessairement une conception
mécanique de l'univers, ou comporte-t-elle, dans une certaine mesure,
une explication finaliste des phénomènes ? (Bordeaux.)
Les notions à' espace et de temps : qu'avez- vous à dire de leur origine
dans la conscience, de leur rôle, de leur portée ? (Aix.)
Quelle est la doctrine de Kant touchant Vespace et le temps ? (Lille.)
III. — La Vie
Quelles sont les principales théories sur la nature delà vie ? (Clermont.)
Comment définir la vie ? Quels sont pour les philosophes les carac-
tères spécifiques des phénomènes vitaux et des êtres vivants ? (Aix.)
De l'Animisme et du Vitalisme. — Valeur de ces doctrines ; dire
celle que vous préférez. (Lille.)
La vie, à quelque degré qu'on la considère, peut-elle être la résul-
tante des forces physiques et chimiques ? (Paris.)
Commenter cette définition : « Vivre c'est agir. » (Lille.)
On a souvent comparé un organisme à une machine. Quelle différence
y a-t-il entre une machine et un organisme naturel tel que le nôtre ?
(Grenoble.)
§ D. — PSYCHOLOGIE RATIONNELLE
I. — Distinction de l'Ame et du Corps
Y a-t-il lieu ou non d'opposer absolument la matière à l'esprit ?
(Paris.)
Quel est le ^ens du mot âme et quelle est votre conception de l'âme
humaine ? (Aix.)
676 DISSERTATIONS : DISTINCTION DE l'aME ET DU CORPS
Commenter et discuter cette définition de Wundt ; « L'esprit est
une chose qui raisonne. » (Paris.)
Le caractère est-il uniquement l'accord de la volonté avec elle-
même ? L'esprit est-il uniquement la suite dans les idées, la conséquence
logique ? Ou bien existe-t-il d'autres éléments essentiels et constitutifs
du caractère et de l'esprit que cette unité formelle, et lesquels ? (Rennes.)
La notion de l'identité personnelle suppose-t-elle l'existence d'un
moi substantiel ? (Bordeaux.)
L'esprit est-il, comme on l'a dit, un polypier d'images ? (Lille.)
Définir la substance et les phénomènes. — Distinguer les phénomènes
physiques et les phénomènes psychologiques. Qu'ont pensé de la sub-
stance Descartes, Spinoza, Berkeley et Hume ? (Nancy.)
Analyser la notion de l'identité personnelle. — Montrer comment
elle se forme en nous et quelles conséquences elle comporte. (Paris.)
Distinguer par leurs caractères essentiels l'âme et le corps. (Paris.)
Sur quelles raison s se fonde la distinction de l'âme et du corps "^ (Nancy.)
Prouver par l'analyse des conditions de la pensée et de la respon-
sabilité que le principe des faits psychologiques doit être un, simple
et identique. (Paris.)
Qu'entend-on précisément par la spiritualité de l'âme et quelles
preuves en peut-on donner ? (Paris.)
Montrer que la question de la nature de l'âme ne peut être résolue
qu'avec le concours de la psychologie et de la métaphysique. (Rennes.)
Indiquer en quoi le spiritualisme et l'idéalisme différent l'un de
l'autre. — Dire si l'on a pour l'un ou pour l'autre une préférence rai-
sonnée. (Bordeaux.)
Exposer et discuter les principaux arguments que le matérialisme
oppose à la doctrine de la spiritualité de l'âme, en particulier celui qu'il
tire de l'influence du physique sur le moral et des conditions physio-
logiques de la pensée. (Rennes.)
Exposer le matérialisme et montrer que son principe est une hypo-
thèse et que cette hypothèse est contraire à la plupart des règles de la
logique. (Dijon.)
L'existence d'une réalité non sensible est-elle en contradiction avec
les enseignements de la science ? (Paris.)
En quel sens et dans quelle mesure peut-on dire que les phénomènes
psychologiques dépendent des fonctions du système nerveux ? (Lille.)
Peut-on être matérialiste et croire que l'homme est un être raison-
nable et libre ? (Grenoble.)
IL — Union de l'Ame et du Corps
Pour quels systèmes se pose et pour quels systèmes ne se pose pas
la question de la manière dont s'unissent l'âme et le corps ? — Princi-
DISSERTATIONS : DESTINÉE DE l'hOMME 677
pales solutions qu'a reçues ce problème dans les temps modernes.
(Bordeaux.)
Le principe de la vie physiologique est-il le même que celui de la
pensée ? — Quelles raisons peut-on donner pour ou contre cette théorie ?
(Paris.)
Influx physique. — Médiateur plastique. — Harmonie préétablie.
— Causes occasionnelles. — Exposer et discuter ces quatre systèmes.
(Paris.)
Qu'est-ce que l'homme ? ( Aix.)
Expliquer et discuter cette définition célèbre : « L'homme est une
intelhgence servie par des organes. » (Paris.)
Montrer que l'homme est bien défini : « Un animal raisonnable. »
(Lille.)
III. — La Destinée de l'homme
Exposer les preuves de l'immortalité de l'âme. (Paris.)
Exposer la preuve métaphysique de l'immortalité de l'àme. —
Montrer comment cette preuve a besoin d'être complétée par la preuve
morale. (Paris.)
Quel est à votre avis la preuve la plus forte de l'immortalité de l'âme ?
(Lille.)
Destinée de l'homme. — Est-il un être mortel ou immortel ? Suivant
qu'il est l'un ou l'autre, en résulte-t-il quelque différence pour la règle
de sa conduite ? (Alger.)
L'antiquité prouvait l'immortalité de l'âme par le désir de laisser de
soi un long souvenir. — Que penser de cet argument ? (Lille.)
Quelles sont les principales erreurs dans lesquelles sont tombés les
philosophes anciens sur la question des destinées de l'âme humaine et
de son immortalité ? (Dijon.)
Quelles conséquences philosophiques et morales peut-on tirer de ce
vers de Lamartine :
« Borné dans sa nature, infini dans ses vœux » ? (Paris.)
La croyance à l'immortalité de l'àme enléve-t-elle à la vertu son
désintéressement et son mérite ? (Paris.)
Les facultés intellectuelles et morales se développent, dit-on, et
meurent avec le corps : peut-on en conclure que l'àme meurt avec lui ?
(Lille.)
§ E. — THÉOLOGIE RATIONNELLE
Qu'appelle-t-on, dans les sciences philosophiques, la Tliéodicée ?
— Quelles questions contient-elle ? — Dans quel ordre ces questions
doivent-elles être traitées ? (Paris.)
Comment se forme et se développe dans l'esprit l'idée de Dieu ?
(Paris.)
678 DISSERTATIONS : EXISTENCE DE DIEU
I. — Existence de Dieu
Par quelles raisons a-t-on prétendu contester la nécessité ou la possi-
bilité de démontrer l'existence de Dieu ? (Montpellier.)
Énumérer et classer les preuves de l'existence de Dieu. (Paris.)
Toutes les preuves de l'existence de Dieu ont-elles la même valeur ?
— Peut-on les ramener à une seule ? (Grenoble.)
Qu'est-ce qu'une cause première et une cause seconde ? Sur quelles
raisons se fonde l'esprit humain pour affirmer l'existence de la cause
première ? (Nancy.)
Les causes secondes suffisent-elles à expliquer l'origine et le déve-
loppement du monde ? (Paris).
Exposer la preuve de l'existence de Dieu dite du premier moteur.
(Lyon.)
Exposer avec précision la preuve de l'existence de Dieu dite des
causes finales. (Paris.)
Qu'est-ce que l'idée du hasard ? — Répond-elle à quelque chose de
réel ? — Indiquer brièvement l'opinion des Épicuriens sur cette question.
(Dijon.)
Montrer à quel point il est contraire à toutes les règles d'une légitime
induction de supposer qu'une fatalité aveugle ait produit des êtres
intelligents et libres. (Lille.)
La connaissance scientifique du monde diminue-t-elle ou augmente-
t-elle notre admiration pour son auteur ? (Lyon.)
Le progrès des sciences a-t-il servi à fortifier la preuve de l'existence
de Dieu, dite des causes finales, ou l'a-t-il affaiblie ? (Lille.)
Indiquer les différentes formes sous lesquelles a été présentée la
preuve ontologique de l'existence de Dieu, et les objections par lesquelles
elle a été combattue. (Lille.)
Exposer et apprécier la preuve de l'existence de Dieu par le consen-
tement universel. (Paris.)
Qu'entend-on par vérités éternelles ? — Peut-on prouver l'existence
de Dieu par le fait que nous concevons des vérités éternelles ? (Caen.)
II. — Nature et Attributs de Dieu
Expliquer ce qu'il faut enlondre par attributs de Dieu et montrer
qu'on peut reconnaître plusieurs attributs de Dieu sans porter atteinte
à la simplicité de l'essence divine. — Faire connaître les méthodes au
moyen desquelles nous pouvons déterminer les attributs de Dieu et
montrer que, bien que distinctes, leurs résultats concordent. (Nancy.)
Sur quoi se fonde la distinction des attributs métaphysiques et des
DISSERTATIONS : DIEU ET LE MONDE 679
attributs moraux de Dieu ? — Se démontrent-ils les uns et les autres
par la même méthode ? (Paris.)
Démontrer que les attributs métaphysiques de Dieu reposent tous
sur l'idée de l'infini. (Paris.)
Prouver qu'il n'y a qu'un Dieu et qu'il ne peut y en avoir plusieurs.
(Paris.)
;' L'homme et Dieu pensent-ils et connaissent-ils de la même manière ?
l. (Grenoble.)
f, Les êtres vivants, autres que l'homme, et l'univers physique pour-
[ suivent-ils une fin ? Si oui, quelle est cette fin ? (Toulouse.)
III. — Rapports de Dieu et du Monde
A. — Exposer et apprécier les principales solutions données par les
philosophes de l'antiquité à la question des rapports de Dieu et du
monde. (Nancy.)
Définir et démontrer le dogme de la création, faire ressortir les erreurs
et les contradictions du panthéisme. (Nancy.)
Qu'est-ce que le panthéisme ? — Quels sont, dans l'histoire de la
philosophie, les principaux représentants de ce système ? — En réfuter*
les principes, en exposer les conséquences sur la morale, la liberté,
l'immortalité, etc. (Paris.)
Comparer le panthéisme des Stoïciens avec celui de Spinoza.
(Besançon.)
Le panthéisme et l'athéisme. — Leurs rapports et leurs différences.
(Paris.)
Exposer en concluant, ou si vous préférez, en ne concluant pas, les
théories de l'évolution et de la création. (Bordeaux.)
Exposer à grands traits l'hypothèse de l'évolution. (Aix.)
Peut-on admettre que la volonté humaine est un produit de l'évo-
lution et, s'il en est ainsi, comment s'est-elle formée ? (Paris.)
B. — De la providence divine. — Comment se manifeste-t-elle dans
la nature et dans l'histoire ? (Paris.)
De la réalité et de l'étendue de l'action providentielle. (Grenoble.)
Comment s'exerce l'action providentielle ? — Est-elle seulement
générale ou est-elle à la fois générale et particulière ? (Grenoble.)
Quelles sont les objections élevées contre la providence et comment
peut-on y répondre ? (Paris.)
Du mal. — Réfuter les objections que l'on en tire contre la providence.
(Paris.)
Définir avec précision le mal physique et le mal moral. — Quelle est
la part de l'homme dans la production de l'un et de l'autre ? (Paris.)
De la part de Dieu dans la production du mal. (Lille.)
680 DISSÈRtATIONS : DIEU ET LE MONDE
Expliquer et développer ce dilemme célèbre : Si Deus est, unde
malum ? Si non est, unde boniim ? (Paris.)
Expliquer et développer cette maxime scolastique : Malum habet
causant deficientem, non efficientem. (Paris.)
De la douleur. — Peut-on la concilier avec la providence divine ?
(Paris.)
Exposer la doctrine de l'épreuve. — Montrer combien la vie morale de
l'homme serait incomplète sans le travail, la peine et la douleur. (Paris.)
C. — Qu'est-ce que l'optimisme ? Quelles sont les formes les plus
célèbres de l'optimisme dans l'antiquité et dans les temps modernes ?
— Que pensez-vous de ce système ? (Paris.)
De l'optimisme. ■ — Du vrai et du faux optimisme. (Paris.)
Expliquer la doctrine de l'optimisme de Leibniz. — Résumer et
apprécier les objections qu'elle soulève. (Lille.)
Faiblesse théorique et inconvénients pratiques du pessimisme.
(Bordeaux.)
Apprécier cette parole de Schopenhauer : « Vouloir, c'est essen-
tiellement souffrir, et comme vivre c'est vouloir, il s'ensuit que toute
vie est par essence douleur et que plus l'être est élevé, plus il souffre. »
(Nancy.)
Que pensez-vous de l'argument des pessimistes : en ce monde la
somme des maux surpasse de beaucoup celle des biens ? (Montpellier.)
L'optimisme et le pessimisme. Vous apprécierez les deux systèmes
en critiquant les arguments essentiels sur lesquels ils s'appuient, et vous
chercherez quelles sont leurs conséquences pour la pratique et dans la
morale. (Lyon.)
Imaginez un dialogue entre un optimiste et un pessimiste. (Paris.)
SYNTHÈSE HISTORIQUE
DES
PRINCIPALES DOCTRINES PHILOSOPHIQUES
Uexposé et la critique des principales doctrines philosophiques
ont été faits, dans le courant de l'ouvrage, au fur et à mesure que les
différents systèmes se rencontraient sur notre chemin. Nous donnons
ici une vue d'ensemble, formant une Histoire de la Philosophie en
raccourci, qui permettra d'utiliser avec méthode les renseignements
épars dans tout le Traité. Les ehifïres renvoient, non pas aux pages
des volumes, mais aux divers paragraphes correspondant à chacune
des grandes divisions de la Philosophie.
I. — PHILOSOPHIE ANCIENNE
1. — Platon (428-347)
A. — PSYCHOLOGIE
Classification des Facultés de l'âme H
Les Idées générales : Réalisme exagéré 140, § III
Théorie de la Réminiscence 173
B. — LOGIQUE
Il n'y a pas de Science du particulier 40
C. — MORALE
La Morale platonicienne 39
La Vertu platonicienne 50
L'Esclavage 07, § III
Le Communisme 72
D. — ESTHÉTIQUE
Définition du Beau 2
Dieu, beauté suprême 22
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE' — T. II. 23.
G82 SYNTHÈSE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES
E. — MÉTAPHYSIQUE
L'Immortalité de l'âme 61
Le Dualisme 87
2. — Aristote (384-322)
A. — PSYCHOLOGIE
Classification des Facultés de l'âme 11
Origine et Lois du plaisir 20-21
Conditions de l'Amitié 43
Valeur et Traitement des Passions 59
Les dix Catégories 139, 166
Les Idées générales : Réalisme modéré 140, § IV
Le Jugement 145
L'Intellect actif 178
Les quatre Causes 183
Eiïets de l'Habitude 218
L'Habitude et la Liberté 223
Peut-on penser sans Langage ? 231
B. — LOGIQUE
Définition réelle 10
Théorie du Syllogisme 21
La Démonstration 37
La Science 39
Il n'y a pas de Science du particulier 40
Classification des Sciences 43
L'Induction formelle 71, § I
Fondement de l'Induction 71, § V
Méthode de la Métaphysique 111
C. — MORALE
L'Eudémonisme rationnel 40
La Vertu 50, § III
La Justice et l'Équité 65
L'Esclavage 67, § III
D. — ESTHÉTIQUE
Définition du Beau 2
Le Rire 10
SYNTHESE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES
683
E. — MÉTAPHYSIQUE
Définition de la Métaphysique 1
Espace, Lieu, Mouvement, Temps {Remarques) 39
La Matière et la Forme 42
L'Animisme 48
Le Premier Moteur 68
Le Dualisme 87
3. — L'École Sceptique.
La bête égalée à l'homme (Montaigne) : Psychologie 56
Le Doute des Sceptiques : Logique 116
L'Opinion et la Probabilité : Logique 117
Objections contre l'universalité de la conscience : Morale 12
Le Scepticisme absolu : Métaphysique 3
Le Scepticisme relatif : Métaphysique 4
4. — L'École Épicurienne.
A. — PSYCHOLOGIE
Nature du Plaisir 19
Origine du Plaisir 20
Espèces de Plaisirs 24
Théorie des Idées-images 87
B. — MORALE
La Morale de l'Intérêt 24
Le Suicide 62
C. — MÉTAPHYSIQUE
Le Mécanisme 40
L'Atomisme 86
5. — L'École Stoïcienne.
A. — PSYCHOLOGIE
Origine du Plaisir 20
Inclinations philanthropiques 46
Valeur et Traitement des Passions 59
Classification des Passions 62
684 SYNTHÈSE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES
B. — MORALE
Exclusion de l'Intérêt 31, § B
Exclusion du Sentiment 37, § C
Morale stoïcienne 41
Le Suicide 62
C. — MÉTAPHYSIQUE
L'Hylozoïsme 41
Le Panthéisme 88
n. — PHILOSOPHIE SCOLASTIQUE
6. — Principales doctrines des Scolastiaues.
A. — PSYCHOLOGIE
Détermination des Facultés de l'âme 9, § B
Classification des Facultés de l'âme , 11
Modes et Degrés de l'activité , 13
Classification des Passions 62
Théorie de l'Assimilation 84
L'Imagination (cpavTao-ta) 119
Formation de l'Idée générale 136
Division des Idées générales : Transcendantaux 139
Les Universaux : Réalisme modéré 140, § IV
Modes du Jugement 145
Notion de Substance 182
Notion de Cause 183
Origine de l'Idée d'infini 187, § B
La Personnalité 200
Le Fatalisme théologique 205, § III
Nécessité et Liberté 211
Ji'Ame des bêtes 249
B. — LOGIQUE
Définition logique 11
Division logique 16
Théorie des Propositions 17-18
Théorie de la Déduction 21-35
La Science 39
Classification des Connaissances 44
Méthode de la Métaphysique ,. . lH
La Vérité 112-113
SYNTHÈSE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES 685
La Certitude et l'Évidence 118
Science et Croyance 120, § IV
L'Erreur 121
Classification des Sophismes 123
La Valeur de l'Autorité 128, § III
Le Critérium de l'Évidence 118, 135
Utilité de la Méthode syllogistique 137, § B
C. — MORALE
Éléments de la Moralité 13
Degrés et Régies de la conscience morale 15
De la Loi 17
Morale du Bien rationnel 43
Critérium du bien et du mal 45, § G
Fondement de l'Obligation 46
Principes primaires et secondaires du Droit naturel 56
Justice et Charité 65
Véracité et Mensonge 67
Le Droit de Propriété 68
Origine du Pouvoir 86
Formes de Gouvernement à l'état pur 89
Formes de Gouvernement à l'état mixte 90
Fonctions de l'État 93
Enseignement : Droits de la Famille, de l'Église, de l'État 94
Droit de Guerre 99
Résistance aux Lois injustes 101, 106
Le Droit d'Association et l'État 105
Le Libéralisme 108
Le Droit international 110
Rapports de l'Église et de l'État 120
La Thèse et l'Hypothèse 121
Pouvoir direct ou indirect ? 122
L'Intolérance 123
L'Immunité ecclésiastique 124
Le Prêt à Intérêt. Le Juste Salaire 128
D. — ESTHÉTIQUE
Effets du Beau 1
Nature du Beau 2
Le Vrai, le Bien, le Beau 4
L'Art et la Morale 21
L'Idéal chrétien 22
686 SYNTHÈSE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES
' E. — MÉTAPHYSIQUE
Le Dogmatisme 10
Ontologie 14-35
L'Hylémorphisme (Matière et Forme) 42
L'Animisme 48
Union de l'âme et du corps 54
La Contingence du Monde 67
Le Mouvement de la Matière 68
L'Argument ontologique (S. Anselme) 75
Méthode pour déterminer les Attributs divins 78
Connaissance des futurs conditionnels 82
Le Concours divin 93
L'Optimisme relatif 97, § II
m. — PHILOSOPHIE MODERNE.
7. — Francis Bacon (1561-1626).
Classification des Sciences : Logique 43
Les trois Tables : Logique 67, Sect. II
L'Œuvre de Bacon : Logique 68
Causes de l'Erreur : Logique 124, § D
8. — René Descartes (1596-1650).
A. — PSYCHOLOGIE
Classification des faits psychologiques 11, IV
Origine du Plaisir 20, § I
Nature de l'Instinct 56, II
Classification des Passions 62, III
Théorie de l'Inférence 95
Qualités primaires et secondaires de la Matière 97
Conservation des Idées 105
Le Jugement rapporté à la Volonté 148, § B
Le Bon Sens 157, II
L'Innéité 175
Objection contre les Causes finales 185
L'Origine de l'Idée de Parfait 187,§ B
Nature de l'Habitude 220
L'Ame des bêtes 56, II, 249, II
SYNTHÈSE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES 687
B. — LOGIQUE
Les quatre Règles de la Méthode 51
Le Doute méthodique 116
Causes de l'Erreur 124, § E
Culpabilité de l'Erreur 125
Descartes et l'Autorité 128, § II
La Véracité divine 133
Le Critérium de l'Évidence 135, II
Attaques contrele Syllogisme 137, § B
Valeur de la Méthode 137, § C
C. — MORALE
Critérium du bien et du mal 45, § C
D. — MÉTAPHYSIQUE
L'Espace et le Temps 38, II
Le Mécanisme, t 40, § II, 45
Les Esprits animaux 56
L'Idée de l'Être parfait 72
La Conservation 92
9. — Bossuet (1627-1704).
Distinction et Classification des Facultés : Psychologie 99, § D, 11, III
Classification des Passions : Psychologie 62, II
L'Origine des Idées : Psychologie {Remarques, 2») 174
La Finalité : Psychologie 184, § B
Origine de l'Idée de Parfait : Psychologie 187, § B
Part de la Volonté dans l'exécution : Psychologie 199
La Liberté d'Indifférence : Psychologie 209, § I
L'Ame des bêtes : Psychologie 249, III
La Synthèse de l'histoire : Logique 103, III
L'Union de l'âme et du corps : Métaphysique 54
Les Vérités éternelles : Métaphysique 73
L'Optimisme relatif : Métaphysique 97, § II
10. — Malebranche (1638-1715).
Intuition des Idées divines : Psychologie 91
Conservation des Idées : Psychologie 105
Le Jugement rapporté à la volonté : Psychologie 148, § B
688 SYNTHÈSE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES
La Vision en Dieu : Psychologie 174
L'Ame des bêtes : Psychologie 56, II
La Véracité divine : Logique 133
Nature de l'Idée du Bien : Morale 45, § A, V
Les Causes occasionnelles : Métaphysique 57
L'Optimisme absolu : Métaphysique 97, § I
11. — Port-Royal.
Le Bon Sens : Psychologie 157, II
Les Opérations de l'esprit : Logique 2
La Définition : Logique 11, 13
L'Analyse et la Synthèse : Logique 53, § III, D
Science et Croyance : Logique 120, § II
Classification des Sophismes : Logique 123
Critérium de la Vérité : Logique 135
12. — Benoît de Spinoza (1632-1677)
A. — PSYCHOLOGIE
Classification des Passions 62, IV
Notion de Substance 182, § A, III
L'Acte de la Volonté rapporté au jugement 197
Objection contre la Liberté 203, § A
Le Fatalisme panthéistique 205, § II
B. — LOGIQUE
Causes de l'erreur 124, § E
Le Critérium de la vérité 135
C. — MÉTAPHYSIQUE
Le Panthéisme immanent 88, § A, III; § B
13. — Leibniz (1646-1716).
A. — PSYCHOLOGIE
Les Petites Perceptions 70
L'Objet de la Vue 98, § A
Les Idées générales : Réalisme modéré 140, § IV
Classification des Vérités premières 158
Principes de raison 160
SYNTHÈSE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES 689
Les Virtualités de l'Entendement 177
Théorie de la Peine 203, § D
Le Déterminisme psychologique 209
Langue universelle 235
Rêve et Réalité 241
B. — LOGIQUE
La Certitude morale 119, IV
Le Critérium de la Vérité 131
La Logique et le Bon Sens 137, § A
Avantages de la Méthode syllogistique 137, §B
C. — MORALE
L'Idée de Perfection 45, § B
D. — MÉTAPHYSIQUE
L'Espace et le Temps 38
Le Dynamisme 41
L'Harmonie préétablie 58
L'Optimisme absolu 97, § I
14. — L'École Anglaise (xviie et xviii^ siècles).
I. — HoBBES (1588-1679).
La Conscience morale : Morale 10, § II, A
Le Droit c'est la force : Morale 52, I
Origine de la Société : Morale , 85, § A
II. — Locke (1632-1704).
Idées représentatives : Psychologie 89
Qualités primaires et secondaires de la Matière : Psychologie. 97
Définition du Jugement : Psychologie 145
Origine des Idées : Psychologie 169
Notion de cause : Psychologie 183, § A, III
III. — Berkeley (1685-1753)
Idées produites par Dieu en nous : Psychologie 90
L'Idéalisme immatérialiste : Métaphysique 36, I
690 SYNTHÈSE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES
IV. — Hume (1711-1776).
Notion du Moi : Psychologie 76
Nominalisme : Psychologie 140, I
Nature du Jugement et de la croyance : Psychologie 148, § A
Notion de Cause : Psychologie 170, I ; 183, § A, III
Le Phénoménisme : Métaphysique 5 ; 36, IV
15. — Etienne Bonnot de Condillae (1715-1780).
A. — PSYCHOLOGIE
Nature de l'Instinct 56, III
Notion du Moi 76
Nature de l'Attention 126
Nominalisme 140, I
Le Jugement dérivé de la Sensation 147, II, A
Origine des Idées 168
L'Acte de Volonté rapporté au Désir 197, § B
Origine du Langage 229, § E
Aphorismes 236
B. — LOGIQUE
L'Analyse 53, § I V
16. — L'École Écossaise.
I. — École morale : Hutcheson (1694-1747), Adam Smith (1723-1790),
Ferguson (1724-1816).
La Sympathie (A. Smith) : Psychologie 42, § II
La Conscience, Sens moral (Hutcheson) : Morale 10, § I
La Bienveillance (Hutcheson) : Morale 34
La Sympathie (A. Smith) : Morale 35
II. — École psychologique : Thomas Reid (1710-1796), Beattie,
OswALD, DuGALD Stewart (1753-1828), Thomas Brown (1778-
1820), Hamilton (1788-1856).
A. — PSYCHOLOGIE
Distinction des Facultés de l'âme 9, § C
Lois fondamentales du Plaisir (Hamilton) 21
Éléments affectif et représentatif de la Sensation (Hamilton).. 28 § A
SYNTHÈSE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES 691
Nature de la conscience (Reid. D. Stewart) 69
Limites de la conscience (Hamilton) 71, II
Théorie de la perception intuitive (Hamilton) 85
Théorie de la suggestion immédiate (Reid, D. Stewart) 93
Nature du souvenir (Reid) 107, § I
Théorie de l'association (D. Stew^art) 116
La Notion de l'Absolu (Hamilton) 187, § A, III
La Liberté d'Indifférence (Reid) 209, § I
Production et Intelligence des Signes (Reid, D. Steward). . . 227, B, I
B. — LOGIQUE
Extension des Propositions (Hamilton) 20, IV
La Quantification du Prédicat (Hamilton) 34, § I
Fondement de l'Induction -. 71, § II
Fondement de la Croyance au témoignage 100, § G
Le Critérium du Sens commun 129
C. — MÉTAPHYSIQUE
La Relativité de la Connaissance (Hamilton) 5, § ï
17. — La Philosophie Allemande.
I. — L'École Critique : Emmanuel Kant (1724-1804)
A. — PSYCHOLOGIE
Nature du Plaisir 19, § A
Les Idées générales : Conceptualisme 140, II
Les Jugements synthétiques a priori 150
Les douze Catégories 166, II
L'Origine des Idées 176
Notion de Substance 182, § A, III, 2°
Le Principe de Causalité et la Liberté 207, § B
Le Caractère empirique et le Caractère intelligible 212, III
B. — LOGIQUE
Méthode de la Morale 109, II
La Certitude morale 119, II
Science et Croyance 120, § II, B
692 SYNTHÈSE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES
C. — MORALE
La Métaphysique fondée sur la Morale 6, § I
La Raison pratique distincte de la Raison théorique 10, § III
Caractères de la Loi morale 20
Proscription de l'Intérêt 31, § B
Proscription du Sentiment 37, § G
La Morale formelle 42
Nature de l'Idée du bien 45, § A, IV
La Vertu 50, § A, V
Rapports du Droit et du Devoir 53, § A, G
Fondement des Devoirs personnels 61, § B
D. — ESTHÉTIQUE
Définition et Effets du Beau 1, § III
Le Beau et le Sublime 7
E. — MÉTAPHYSIQUE
Le Griticisme 6
Idéalisme critique 3ô, U
Espace et Temps <37, B, II
Portée du Principe de Causalité 38, IV
Argument des Causes finales 69, C
Critique de l'Argument ontologique 75, B
II. — L'École Panthéiste : Fichte (1762-1814).
Hegel (1770-1831). — Schelling (1775-1854).
Définition du beau (Hegel) : Esthétique 2, II
Le Panthéisme idéaliste de Fichte, de Schelling et de Hegel :
MÉTAPHYSIQUE " 36, III ; 88, § A, IV, V, VI ; § B, I, 3»
III. — L'ÉCOLE Pessimiste : A) Schopenhauer (1788-1860)
Nature du Plaisir et de la Douleur : Psychologie 19, § A
L'Inconscient : Psychologie 70
Le Caractère empirique et le Caractère intelligible : Psycho-
logie 212, III
Le Pessimisme absolu : Métaphysique 98 § I
SYNTHÈSE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES 693
B) Ed. de Hartmann (1842-1906).
L'Inconscient : Psychologie 70
Le Pessimisme relatif : Métaphysique 98, § II
18. — Vicomte de Bonald (1754-1840) et l'École traditionaliste
L'Origine du Langage : Psychologie 229, § B
Peut-on penser sans Langage ? : Psychologie 231
Le Consentement universel (La Mennais) : Logique 130
La Véracité divine ou Fidéisme (Bautain) : Logique 133
>
19. — Victor Cousin (1792-1867) et l'Ecole Eclectique.
Classification des Faits psychologiques (Jouffroy et Garnier) :
Psychologie 8, § 11, B
Théorie de l'Inférence : Psychologie 95
Le Jugement intuitif : Psychologie 145
Nature de l'Idée du Bien (Jouffroy) : Morale 45, § A, I
Fondement du Droit et du Devoir (Cousin) : Morale 52, V
Définition du Beau (Cousin et Jouffroy) : Esthétique.... 2, I, II
Le Vitalisme (Jouffroy) : Métaphysique , 47
20. — Auguste Comte (1798-1857) et le Positivisme
A. — PSYCHOLOGIE
L'Hallucination vraie (Taine) 94
Le Déterminisme physique et physiologique (Taine) 208
B. — LOGIQUE
Classification des Sciences 44, § III
Impossibilité de l'Observation interne 93, § A
. Lois Sociales 104, § I
C. — MORALE
L'Altruisme 33
D. — MÉTAPHYSIQUE
Le Positivisme (Comte, Littré, Taine) 9
694 SYNTHÈSE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES
21. — J. Stuart Mill (1806-1873) et F École associationniste.
A. — PSYCHOLOGIE
Classification des Sensations (A. Bain) 30, B
Origine des Inclinations altruistes 50, § II
Notion du Moi 76
L'Hallucination vraie 94
Théorie de l'Association 115
Excès de l'Associationnisme 118
Nominalisme 140, I
Le Jugement ramené à l'Association 147, II, B
Le Raisonnement 153, § C
Origine des Idées 170
Objection contre la Liberté 203, § A
?? B. — LOGIQUE
Objection contre la Valeur de la Déduction 38, II
Origine des Notions mathématiques 58, § II
Les quatre Méthodes de S. Mill 67, Sect. II, § C
Fondement de l'Induction 71, § IV
Méthode de la Morale 109, I
G. — MORALE
Nature et Origine de la Conscience morale 10, § II, B
L'Utilitarisme de Bentham rectifié par Mill 26
Le Fondement du Droit 52, IV
D. — MÉTAPHYSIQUE
Le Phénoménisme 5
L'Idéalisme 36, IV
22. — H. Spencer (1820-1903) et l'École Évolutionniste
A. — PSYCHOLOGIE
Rapports de l'Émotion et de l'Inclination 23
Origine des Inclinations altruistes. 50, § II
Nature de l'Instinct 56, IV
Origine des Idées 171
Objection contre les Causes finales 185
l'rftduction et Intelligence des Signes 227, B, II
Origine du Langage 229, § D
SYNTHÈSE HISTORIQUE DES PRINCIPALES DOCTRINES 695
B. — LOGIQUE
Classification des Sciences 44, § IV
Le Critérium de l'Évidence 135, II, A
C. — MORALE
Nature de la Conscience morale 10, § II, C
Morale Évolutionniste 27
Attaques contre la Charité 65, § B, III
D. — MÉTAPHYSIQUE
Le Transformisme (Lamarck, Darwin) 89
L'Évolutionnisme (Spencer) 90
23. — Charles Renouvier (1815-1903) et le Néo-Criticisme
Science et Croyance : Logique 120, § III
Le Néo-Criticisme : Métaphysique 7
24. — L'École Pragmatiste
Origine de la Doctrine pragmatiste : Logique 134, § A
Le Pragmatisme en général (Peirce, James, Schiller, Papini,
Bergson, Le Roy) : Logique 134, § B, C
Le Pragmatisme social (Balfour, Mallock, Brunetière) :
Logique 134, § D
25. — École Sociologique d'Emile Durkheim (1858-1917).
Reproches aux Morales théoriques : Morale 28, § A
Exposé de la Morale sociologique : Morale 28, § B
Critique de la Morale sociologique : Morale 28, § C
Réponse aux reproches : Morale 28, § D
26. — Henri Bergson (n. 1859).
Théorie intuitionniste : Psychologie 86
Pragmatisme mitigé : Logique 134, § B, V
IdéaUsme métaphysique : Métaphysique 8, B, III
27. — Le Pampsychisme.
WuNDT, Paulsen, Lachelier, Dunan, Hamelin, Le Roy :
Métaphysique 8, H, H
Il
INDEX DES AUTEURS CITÉS *»'
Aall An., II, 143.
Abauzit Fr., II, 655.
Abbott Fr. Ell., 765.
Abensour L., II, 214, 2.
Abramowski Ed., 349.
AcH N., 431.
ACHALME P., II, 513, 3.
ACKERKNECHT, 131.
Action populaire, II, 371, 2.
Adam Ch., 232, 1 ; 586, 2 ; 653, 4.
Adams (Brooks,) II, 325, 1.
Adeline J., II, 393.
Adloch B., II, 571, 9.
Aftalion a., II, 310.
Agassiz L., 687, 2 ; 694, 1 ; 699, 1.
— Il, 612, 1 ; 619, 1 ; 621, 1.
Agnelli. II, 329.
Aguirre (Jos. Saenz d'), II, 128,
1.
Aikins h., 512.
Alamanni C, 12.
Alaux J.-E., II, 291, 2; 459;
535, 1 ; 555 ; 651.
Alber, 499.
Albert le Grand, 813, 2.
Albertus J., II, 334, 1.
Alembert (J. Le Rond d'), 641,
2 ; 775, 2.
Alengry a,, 430.
Alexander S.-A., II, 533, 655.
Alexander (Hartley Burr), II,
415.
Alibert C, II, 535, 1.
Aliotta a., 131. — II, 496, 1.
Allard p., 491, 4 ; 741, 1. — II,
176, 3 ; 181, 2.
Allier R., II, 146.
Altamira, 495.
Alvarez de Toledo J., II, 533.
Ambrosini, 235.
Ampère A.-M., 597, 3 ; 693, 2.
Ancel a., 432.
Anciaux m., II, 358, 1.
(1) Quand un nombre est suivi de 1, 2 ou 3, etc., cela signine que la référence ae
rapporte a la note 1, 2 ou 3, etc. de la page indiquée par le nombre précédent. Le chiffre
Il renvoie au second volume du Traité. — On a rectifié, dans cette table, l'orthographe de
quclquesnoms propres et l'on a ajouté çà et là des prénoms omisdans le texte des volumes.
698
INDEX DES AUTEURS CITES
Andler Gh., II, 200, 5 ; 302.
Angell J.-R., 348.
Angot des Rotours J., II, 87, 1
Anselme (Saint), II, 554.
Anstruther C, II, 417.
Antheaume a., 499.
Antoine Gh., 757, 2. — II, 159
161, 2 ; 187, 1 ; 188, 2 ; 201, 1
202, 2 ; 204, 3 ; 206, 2, 3 ; 216, 1
217, 3; 219, 1, 2; 239, 2, 3
247, 2 ; 264, 2 ; 265, 1 ; 281, 2
303 ; 310 ; 352, 1 ; 353, 2 ; 356
3; 358, 1, 2; 359, 2; 360, 2
362 ; 365, 1 ; 366, 1, 2 ; 368, 2
369, 1, 5 ; 370, 2 ; 371, 1 ; 374.
Appell P.-E., II, 240, 4 ; 303.
Arcelin, 495.
Ardant g., II, 201, 1.
Aristote, 321, 1 ; 362, 1 ; 369, 2
511 ; 585, 3 ; 786, 2. — II, 1
40, 4 ; 46, 1 ; 162, 2, 3 ; 219, 1
232, 2 ; 385, 1 ; 457 ; 482, 1, 2
496, 1 ; 505, 1 ; 535 ; 544, 2.
Arnaiz m., 765.
Arnaud d'Agnel, II, 329.
Arnauné a,, II, 355, 4 ; 361.
Arnould L., 133.
Arréat L., 235. — II, 331, 2 ;
408, 3 ; 410, 2 ; 413 ; 415 ; 417.
ASLAN G., II, 13.
At J.-A., II, 334, 1.
Atger F., II, 220, 2 ; 304.
AUHURTIN F., II, 198, 2.
Aucoc L., II, 251, 2.
AuDisio G., II, 311, 1 ; 334, 1.
Augustin (Saint), xxiv, 1 ; 380,
1 ; 444, 2 ; 769, 1 ; 770, 4. —
11,41,1 ; 185, 1 ; 238, 2 ; 327, 3 ;
410, 1 ; 413, 4 ; 424, 1 ; 425, 3 ;
554 ; 565, 3 ; 596, 2 ; 635, 2.
AuTiN A., 432.
Aveling Fr., 351.
Avenel (G. d'), II, 265, 1 ; 374.
AzAM, 467, 1 ; 479, 1.
B
Babinski J., 502.
Bacon Fr., 597, 3 ; 649, 1 ; 652,
1, 3, 5 ; 653, 3 ; 660, 2, 3, 5 ;
684, 1, 2. — II, 399, 1.
Bagehot W., II, 327, 2.
Baille L., II, 459 ; 530 ; 652.
Bain A., 81 ; 121, 1, 5 ; 157, 1 ;
178, 2 ; 193 ; 228, 1 ; 232, 1 ;
515,
621,
734,
802,
233, 1 ; 297 ; 466, 1 ; 511
1 ; 529, 1 ; 531, 1 ; 554, 2
1 ; 631, 1 ; 649, 1 ; 687, 2
3 ; 752, 1 ; 756, 1 ; 794, 1
I. — II, 535, 1.
Bainvel J.-V., 413, 1 ; 786, 1. —
II, 651.
Baldwin J.M., 16 ; 50. — II, 307 ;
416.
Balfour A.-J., 786, 1. — II, 654.
Ball (W.-W. Rouse), 765.
Ballerini a., II, 36, 1.
Ballerini g., II, 651.
Ballet, 211.
Bally Gh., 503.
Balmès j., 178, 2 ; 193 ; 297 ; 299,
1 ; 312, 2 ; 320, 1 ; 324, 2 ; 339,
1 ; 345, 1 ; 531, 1 ; 580, 1 ; 734,
3 ; 768, 1 ; 777, 1 ; 810, 1. —
II, 176, 3 ; 223, 1 ; 227, 1 ; 267,
2 ; 290, 6 ; 325, 1 ; 344, 1 ; 457 ;
505,1.
Baltasar, II, 652.
Baltus, 132. i
INDEX DES AUTEURS CITES
699
Balzer p., XXIV, 1 ; 132.
Banville (Th. de), II, 377, 1.
Barbedette D., 511. — II, 457 ;
513, 3.
Bardoux J., 498. — II, 40, 4.
Barillari, II, 145.
Barine (Arvède,) II, 117, 1.
Barni J., II, 240, 4.
Barnich g., II, 309.
Baron E., 836.
Barre (A. de la), 777, 1. — ^ II,
13 ; 14.
Barthélémy, II, 309.
Barthélémy J., II, 216, 1 ;
282, 2.
Barthélémy- Saint- HiLAiRE J.,
511 ; 670, 2.
Bartholmèss C, II, 604, 3.
Bartlet (Vernon), II, 351.
Basch V., II, 416 ; 418.
Bastiat Fr., II, 188, 3 ; 352, 1.
Batiffol p., II, 273, 3.
Batteux Ch., II, 377, 1.
Baudin E., 12 ; 53 ; 818, 8 ; 846.
— II, 458.
Baudrillart a., 748, 2. — II, 252,
1 ; 351.
Baudrillart H., II, 353, 1 ; 363, 1.
Bauer a., II, 301 ; 305.
Baugas p., II, 356, 3.
Baumann a., 133.
Baumgarten J.-J., II, 377, 1.
Baunard L., 774, 2. — II, 293, 3.
Bautain M.-L., 50. — II, 37, 1.
Bax E.-B., II, 652.
Bax (Ern. Belfort), II, 495.
Bayard e., II, 414.
Bayet a., II, 1, 1 ; 144.
BayetC, 11,377, 1.
Baylac j., 498. — II, 12; 144.
Bazaillas a., 349 ; 786, 1.
Beat Reiser P., 513.
Beauchal g., II, 417.
Beaunis H.-E., 81 ; 353 ; 479, 1.
Beaupuy (G. de), II, 572, 2.
Beaussire Ém., II, 1, 1 ; 101, 2 ;
107, 1 ; 114, 1 ; 132, 1 ; 155, 1 ;
208, 1 ; 219, 1 ; 247, 2 ; 249, 1 ;
267, 2.
Beauzé, 464, 2.
Bebel a., II, 208, 1 ; 212, 2.
Beccaria g., II, 267, 2.
Béchaux a., II, 187, 1 ; 188, 1 ;
265, 1 ; 283, 1 ; 360, 2 ; 374.
Bêcher Er., II, 530 ; 553.
Becquerel J., II, 531.
Beetz K.-O., 52.
Bégin, 687, 2.
Bélanger A., II, 275, 1 ; 287, 1.
Bellaigue g., II, 414.
Bellanger a., II, 491.
Bellanger R., II, 416.
Bellarmin (Bienheureux), II,
223, 1 ; 225, 4 ; 230, 3 ; 288 3 ;
290, 3 ; 335, 1 ; 343, 2 ; 347.
Bellon m., II, 374.
Belmond s., II, 654.
Belot g., II, 1, 1 ; 13 ; 14 ; 1.
219, 1.
Benett W., 432. — II, 208.
Benoit XIV, 485, 1.
Benoist Gh., 491, 3. — II, 219, 1 ;
265, 1 ; 267, 1 ; 283, 2 ; 284, 1 ;
291, 2.
Berardi D., 757, 2. — II, 247, 2;
362.
Bergmann j., 349.
Bergson H., 53 ; 131 ; 196, 1 ;
211. — II, 392, 1; 414; 457;
506, 4 ; 534 ; 535, 1 ; 553 ; 652.
Berkeley H., 766.
Berlioz H., II, 408, 4.
Bernard Gl., 597, 3 ; 648, 1 ;
649, 1 ; 651, 2 ; 656, 2, 6 ; 659,
4, 5 ; 662, 1 ; 664, 3 ; 669, 1 ;
700
INDEX DES AUTEURS CITES
670, 3 ; 687, 2 ; 728, 2. — II, 449,
1 ; 496, 1 ; 525, 1, 2, 3.
Bernard P., II, 143.
Bernard-Lavergne, 752, 1.
Bernés M., 752, 1. — II, 219, 1.
Bernheim h., 479, 1 ; 485, 1 ; 502.
Bernies V.-L., 347 ; 348. — II,
535, 1 ; 553 ; 652.
Bernstein, 193.
Berr h., 766 ; 767.
Bertauld P.-A., 589, 1.
Berthe a., 392, 2.
Berthelot m., 613, 2 ; 649, 1.
— II, 448, 2 ; 496, 1.
Berthelot B., II, 531.
Berthier G.-F., II, 220, 2.
Berthoud a., II, 513, 3.
Bertillon J., II, 375, 1.
Bertrand Al., 17 ; 147, 1 ; 414.
Bertrand J., 654, 1. — II, 36, 1.
Besse Cl., II, 417.
Bessières a., II, 252, 1 ; 310.
Besson L., II, 335, 1.
Betocchi g., 358, 1.
Beudant Ch., 752, 1. — II, 247, 2.
Beyssens J.-Th., 51 ; 513.
BiANCHi R., 496. — II, 143.
BiAVAscHi G.-B., II, 309.
Bieganski W., 765.
BiLLiA L.-M., 574.
Billot L., II, 226, 1 ; 555.
Binet a., 51 ; 278, 1 ; 284 ; 347
348 ; 431 ; 439, 4 ; 479, 1 ; 498
500; 501. — II, 114, 1; 416
535, 1 ; 553.
Biot J.-B., 650, 3.
Bittremieux j., II, 273, 3 ; 309.
Blackie (Stuart j.), 412, 1, —
II, 153, 1.
Blainville h. -M., 687, 2.
Blanc Ch., 11,377, 1 ; 411,2.
Blanc El., xxvii, 4 ; 12 ; 17 ;
512 ; 768, 1. — II, 2 ; 363, 1 ;
457 ; 496, 1 ; 535, 1 ; 555.
Blanc H., II, 187, 1 ; 353, 2.
Blanchard E., 130; 687, 2. —
II, 496, 1 ; 612, 1.
Blanche A., 836.
Blanchet L., 774, 3.
Blaringhem L., II, 655.
Blaserna p., II, 408, 4 ; 414.
Blic (J. de), II, 147.
Block m., II, 352, 1 ; 374.
Blondeau C, II, 458.
Blondel h., 768, 1. — II, 490.
Blondel m., II, 151.
Blum Eug., II, 294, 2.
Bluntschli J.-G., II, 219, 1 ;
247, 2.
Bodeux m., II, 358, 1.
BODLEY (J.-E. CoURTENAY), II.
348, 1.
BoÈcE, II, 578, 1.
Boedder B., 13. — II, 535, 1 ; 554.
Bœhm-Bawerk (Eug. von), II.
356, 3.
Bœhmer J.-H., II, 223, 1.
Bœhmert V., II, 358, 1.
Boex-Borel, II, 531.
Bohn g., 349 ; 499 ; 501. — II, 534.
BoiLLEY P., II, 188, 3 ; 265, 1.
BoiRAC ÉM., 12 ; 53 ; 320, 1 ; 499 ;
501; 508, 1. — II, 134, 2; 497,
1 ; 500, 1 ; 502, 3.
BoissARD A., II, 353, 2.
Boitel j., II, 240, 4.
BoLGENi, II, 172, a.
Bolliger a., 430.
BoNALD (L. DE), II, 219, 1 ; 543, 1.
Bonaventure (Saint), xxx, 1.
BoNcouR P., 495 ; 500.
Hondue m., II, 358, 1.
INDEX DES AUTEURS CITES
701
BONJEAN G., II, 216, 3.
iBoNNECASE J., II, 146.
BoNNEGENT G., 790, 1 ; 846.
BONNETTY A., 442, 5.
BoNNiER G., II, 623, 1.
BONNIER p., 131.
BoNNioT (J. de), 61, 1 ; 105, 1
127, 1 ; 128, 1 ; 130 ; 466, 1
478, 1 ; 479, 1 ; 485, 3; 486, 3
488, 1 ; 493, 2 ; 728, 1 ; 739, 2
— II, 31, 2 ; 72, 2 ; 130 ; 267, 2
535, 1 ; 552, 1, 2 ; 612, 1 ; 641,
2, 3 ; 644, 1, 2, 3.
BoNucci A., II, 13 ; 493.
BooDiN (J. Etof,) II, 494.
BooLE G., 566, 3.
Bopp F., 464, 1.
BoREL ÉM., 765. — II, 494 ; 534.
BoRET V., II, 198, 2.
Bos G., 346.
BOSANQUET B., II, 417.
Bosc F., II, 532.
Bossu L., II, 535, 1.
BossuET J.-B., 236, 1 ; 240, 2
250, 1 ; 252, 2 ; 253, 1 ; 256, 1
263; 278, 1 ; 281, 2 ; 321, 1 ; 324
2 ; 344, 1 ; 345, 1 ; 359, 2 ; 364
3 ; 369, 2 ; 466, 1 ; 471, 2, 3
472, 1; 493, 1 ; 511 ; 515, 1 ; 521
1 ; 527, 1 ; 529, 1 ; 531, 1 ; 749
4 ; 769, 2 ; 770, 3 ; 779, 1 ; 797
1 ; 804, 1. — II, 223, 1 ; 229, 2
275, 3 ; 386, 2 ; 413, 2 ; 461, 1
535, 1 ; 543, 1 ; 544, 1 ; 548, 2
554 ; 557, 1 ; 567, 2 ; 574, 1
576, 2.
BouAssE H., 766. — II, 532.
BoucAUD, Gh. II, 303.
Boucher M., II, 530.
BoucTOT J.-G., II, 199, 2.
BouGLÉ G., 757, 2. — II, 70, 4 ;
151 ; 240, 4 ; 302 ; 304 ; 310.
BouiLLiER Fr., 81. — II, 1, 1 ; 15,
1 ; 16, 1 ; 152 ; 153, 1 ; 172, 3 ;
327, 2 ; 496, 1 ; 555.
BouLAY N., II, 535, 1.
Boule L., 500; 502.
Bourdaloue L., 470, 1. — II, 217,
2 ; 263, 5.
Bourdeau j., 133. — II, 199, 2 ;
301.
Bourdeau (L.), 584 ; 734, 1. —
II, 496, 1 ; 530.
BOURDEL Ch., 763.
Bourdon B., 133 ; 193 ; 346 ; 438,
1 ; 460, 4 ; 777, 1. — II, 654.
BouRGAiN L., II, 334, 1. 340, 1.
Bourgeois L., II, 70, 4 ; 143 ;
146 ; 328.
BouRGuiN M., II, 302 ; 374.
BoussiNESQ V.-J., 629, 1.
BouTARD Gh., 815, 5.
BouTARic Edg., 743, 2.
BouTMY ÉM., 496 ; 749, 2.
BouTROUx Ém., XXXI, 2 ; 274, 1
2 ; 294, 1 ; 349 ; 486, 4 ; 649, 1
654, 1 ; 682, 1 ; 766 ; 827, 2
836. — II, 38, 2, 4 ; 73, 4 ; 92, 1
96, 1 ; 124, 1 ; 458 ; 493 ; 531
652 ; 653.
BouTROUx (P.), 767.
BouTY Éd., 765.
Bouvier E.-L., 502.
BouYSsoNiE A., 297 ; 349. — II,
653.
BovET P., 350 ; 431. — II, 146.
BoYCE W.-R., 513.
BoYER Ch., 312, 1. — II, 452, 2.
BoYER J., 644.
BoYLESVE (Marin de), 413, 1.
BozzANO E., 503.
Bracke, II, 262, 2, 3.
Braeunig K., II, 530.
Braid j., 478, 1.
Bramwell (J. Milne), 497.
702
INDEX DES AUTEURS CITES
Brants V., 757, 2. — II, 362 ; 374.
Brasseur A., 132. — II, 199, 2.
Braunschvig m., 430. — II, 415.
Bray L., II, 414.
Bréal m., 260, 2 ; 434, 1 ; 445, 4.
Bréda (de), II, 209, 1.
Brenier de Montmoran m., 497 ;
498 ; 503.
Brett G.-S., 53.
Brice h., II, 217, 3.
Briot a., II, 531 ; 652 ; 653.
Brochard V., 257, 2; 565, 1 ; 794,
1.-11,422, 1;425, 2.
Broglie (A. de), 743, 3.
Broglie (P. de), 369, 2 ; 649, 1 ;
— II, 8, 1 ; 267, 2 ; 457 ; 555 ;
565, 1 ; 566, 1 ; 651.
Brosnan G.-J., II, 655.
Brucke E., II, 376, 1 ; 413, 1.
Brucker J., II, 36, 1.
Brunet R., II, 145 ; 307.
Bruneteau Ém., II, 145.
Brunetière F., 491, 6, 7 ; 751, 2 ;
786, 1;833, 1, 2, 3, 4, 5 ; 834, 1.
— II, 70, 4 ; 72, 1 ; 75, 1 ; 252,
1 ; 368, 1, 2, 3 ; 404, 1.
Brunhes B., II, 531 ; 532.
Bruniies j., II, 307.
Brunot Ch., II, 70, 4.
Brunot F.. 456, 1 ; 464, 1 ;
719, 1.
Brunschvicg L., 51 ; 284 ; 350 ;
352 ; 529, 1 ; 766. — II, 146 ;
458 ; 655.
BucKLE, 753, 4.
BiicHNER L., II, 496, 1 ; 535, 1.
BuENO A., II, 555.
BuFFiER G., 288, 1 ; 370, 1 ; 396, 1.
Bulliat g., 12.
bulliot j., 162, 1.
Bunsen (C.-C.-J. de), 749, 4.
Bureau P., II, 147 ; 199, 1 ; 302 ;
309 ; 361.
BURGRAFF, 464, 2.
BURLAMAQUI J.-J., II, 223, 1.
BuRNiCHON J., II, 252, 1 ; 287, 1.
BuRY J.-B., II, 330.
Busse L., II, 553.
BuTEL F., II, 338, 1.
Cabanis G., 466, 1.
Cabiati, II, 329.
Cahour a., II, 412, 3.
Caird E., II, 430, 2.
Calderwood h., 17.
Calinon, 631, 1.
Calippe Ch., II, 307.
Calmes Th., II, 188, 3.
Calo g., II, 13 ; 145.
Candolle (A. de), 693, 3.
Canella g., 845.
Cantecor g., II, 13 ; 160.
Carbonnelle Ign., II, 555.
Cardaillac (J.-J. de), 240, 2.
Carle g., II, 143.
Carlo (Eug. di), II, 308.
Caro (Elme), 466, 1 ; 589, 1 ; 649,
1 ; 687, 1, 2 ; 752, 1 ; 755, 1
782, 1. — II, 8, 1 ; 24, 1 ; 53, 2
58, 3 ; 114, 1 ; 132, 1 ; 219, 1
267, 2; 457; 535, 1; 555
576, 2.
Carra de Vaux, 565, 1.
Carrara B., 644.
Carrau L., 124, 3 ; 130. — II, 2'i
1 ; 51, 2 ; 58, 3.
Carreno P.-M., II, 145.
Cartault a., 133.
Cartier E., 11,377, 1.
Carus p., II, 652.
Carveth-Read, II, 13.
Casotti m., 767.
INDEX DES AUTEURS CITES
70^
Cassagne a., II, 410, 3.
Cassirer Ern., II, 493.
Castelein a., 13 ; 51 ; 501 ; 512
752, 1. ~ II, 12; 14; 151
199, 2 ; 219, 1 ; 232, 2 ; 260, 1
302 ; 308 ; 535.
Gastex g., 81 ; 132.
Cathrein V., 13. — II, 1, 1 ; 12 ;
13 ; 14 ; 28, 5 ; 70, 1 ; 146 ; 188,
3 ; 199, 2 ; 201, 1 ; 311, 3 ; 322,
2 ; 356 , 3 ; 564, 2.
Gauchy A.-L., II, 509, 2 ; 558, 2.
Gauvière J., II, 208, 1 ; 210, 1.
Gauwès p., II, 247, 2; 264, 2;
265, 1 : 352, 1 ; 360, 2.
Gavagnis F., II, 151 ; 304 ; 334, 1.
Gavallera F., II, 225, 3.
Gaviglione g., II, 143.
Gellier F., II, 494.
Gellérier L., 431.
Gepeda (R. de), II, 188, 3 ; 219,
1 ; 223, 1 ; 226, 3 ; 232, 2 ; 247, 2.
Cestre Gh., II, 310.
Gevolani g., 573 ; 574.
Ghabin p., 312 ; 316, 4 ; 680, 2.
— II, 151 ; 568, 1.
Ghabot Gh., II, 151.
Chaignet A.-E., 438, 1. — II, 377,
1 ; 410, 3.
Ghamberlain (Houston Stewart)
II, 409, 3.
Ghambrun (Aldebert de), 752, 1.
Ghampagny (Fr. de), II, 176, 3 ;
207, 2 ; 337, 1.
Ghampdevaux, II, 85, 2.
Ghantavoine h., II, 351.
GiiAPON H.-L., II, 329.
Gharaux, G.-G., 347. — II, 651.
Ghardon h., 11,310.
Charles Ém., 13 ; 50 ; 75, 1 ; 714,
1. — II, 16, 1 ;363, 1 ; 535, 1.
Gharles p., 348 ; 836. — II, 495.
Gharlton Bastian h., 466, 1. —
II, 652.
Gharma a., 438, 1.
Gharmone J., II, 305.
Gharmont j., II, 145.
Gharousset a., 348.
Charpentier T.-V., 603, 1 ; 775, 2.
Ghasles m., 631, 1.
Ghastel M.-A., 818, 7.
Chateaubriand (Fr.-R. de), 91, 1.
Ghatterton-Hill g., II, 304.
Chauffard E., II, 496, 1.
Ghavigny R., 352.
Ghenon E., II, 310; 362.
Gherbulliez V., II, 377, 1,
Chesnel Fr., II, 334, 1 ; 348, 1.
Chevallier E., II, 358, 1.
Gheysson e., 755, 2. — II, 311, 1.
Chiaudano j., II, 273, 3.
Chide a., 836.
ChiesaL., 11,529.
Chinchole L., II, 655.
Chipiez Gh., II, 393.
Chollet J.-A., 495; 499. — II,
93, 1 ; 252, 1 ; 458.
GiiossAT M., II, 271, 1 ; 273, 3 ;
308 ; 565, 2 ; 654.
Chovet F., 349 ; 765.
Chrétien R., 131.
Ghristiansen Br., II, 416.
CicÉRON, 122, 2 ; 215, 1 ; 734, 2 —
II, 1, 1 ; 39, 1 ; 46, 1 ; 50, 2 ;
77, 4 ; 89, 3 ; 93, 2 ; 94, 2 ; 129,
3; 162, 1; 163, 1; 311, 2; 425,
1; 551, 4; 554; 564, 1.
Gilleul (A. des), II, 304.
Cimbali g., 714, 1 ; 757, 2.
Clair Gh., II, 377, 1.
Claparède Ed., 211; 346; 350;
498 ; 501.
Clarke r., 16 ; 512 ; 513.
704
INDEX DES AUTEURS CITES
Clarke s., il 331, 2 ; 554 ; 557,
2.
Clay Ed.-R., II, 153, 1.
Clément P., II, 355, 2 ; 374.
CocHiN A., II, 176, 3 ; 181, 1.
GocHiN D., 177, 1 ; 194. — II,
458 ; 496, 1 ; 612, 1.
GocoNNiER M. -Th., 479, 1. — II,
535.
CoEN A.-M., II, 418.
COFFEY P., 513.
Cohen H., 512.
COHN J., II, 414.
Colegrove F.-W., 347.
Colin H., 11,653.
COLMANT Pr., II, 495.
CoLozzA, 235 ; 653, 4.
Colsenet, 145, 2.
CoLsoN C, II, 361.
CoMBARiEU J., II, 409, 3 ; 416.
Combes de Lestrade, II, 328.
CoMPAYRÉ G., 491, 1 ; 499. — II,
252, 1.
Comte A., 753, 1. — II, 219, 1 ;
316, 3.
Gondillac (Et. Bonnot de), 263 ;
506 ; 511 ; 631, 1.
Gondorcet (A.-N. de), II, 327, 2.
Constantin A., II, 304.
Conta B., II, 458.
Contento Aldo, II, 358, 1.
CoNTi A., 11,414.
CooK W., II, 353, 2.
Coquelin Ch., II, 355, 4.
Coquille A., II, 40, 4 ; 247, 2.
Cornejo M.-H., II, 307.
COSENTINI F., II, 329.
GossA L., II, 352, 1 ; 362.
GosTA-RossETTi J., II, 1, 1 ; 223,1.
GosTE A., 752, 1. — II, 151 ; 301.
GôuAiLHAC M., 390, 2.
GouBERTiN (P. de), 49J, 5.
Coude P.-J., II, 146.
Goulet P., II, 310; 330.
Gourcelle-Seneuil J.-G., 757, 2.
— II, 294, 2.
CouRNOT A.-A., 522, 1 ; 626, 1 ;
655, 1 ; 693, 2 ; 702, 2 ; 734, 3 ;
768, 1 ; 775, 2. — II, 352, 1.
Cousin V., 265, 2 ; 362, 1 ; 843, 2.
— 11,46, 1; 77,2 ;81,1; 134, 3:
161, 2 ; 165, 1 ; 331, 2 ; 377, 1 ;
387, 1 ; 551, 3.
GouTURAT L., 462, 2 ; 496 ; 498 ;
499; 501 ; 566, 1, 2; 573 ;' 631,
1 ; 764. — II, 496, 1.
Crahay E., II, 224, 1.
Craig j., 745, 2.
Cramaussel e., 499.
Crawley A.-E., II, 553.
Cremieu L., II, 159.
Grépieux-Jamin j., 432.
Cresson A., II, 96, 1 ; 101, 1 ;
492 ; 494.
Gréteur s., II, 654.
Croce B., 573. — II, 13 ; 301 ;
393 ; 404, 1 ; 414 ; 416.
Groiset a., II, 73, 1 ; 143 ; 240,
4 ; 303 ; 306.
Crouzaz J.-P., II, 458.
Grouzel a., II, 360, 2.
CucHE P., II, 146 ; 309.
GUDWORTH R., II, 545, 1.
CuENOT L., II, 654.
CUMBERLAND R., II, 37, 1.
CuRTius Ern., 460, 4.
GuviER G., 687, 2 ; 691, 1, 2.
GuYER Ed., II, 414,
Gyon (El. de), 132 ; 349 ; 351 ;
767. — II, 654.
D
Dagnan-Bouveret j., 502.
INDEX DES AUTEURS CITES
705
Dagneaux h., II, 458.
Dahmen Th., II, 392 ; 415.
Dallemagne, II, 130.
DalmAu y Gratacôs Fr., 13 ; 513.
DametzH., 11,363, 1.
Daniel Gh., 11,78, 1 ; 209, 1.
Dannemann E-., 763.
Darbon a., II, 493.
DarbonM., 11,654.
Darlu a., 131. — II, 1, 1 ; 66, 3 ;
70, 4 ; 73, 3 ; 75, 2.
Darmesteter a., 438, 1 ; 449, 3 ;
456, 1 ; 711, 3.
Darwin Ch., 416, 1 ; 687, 2. — II,
612, 1.
Dastre a., 581, 4 ; 646, 1. — II,
496, 1 ; 530.
Datin Fr., II, 261, 3.
Dattino g., 349.
Daudet L., 352.
Daulny p., II, 362.
Daunou P.-Ch., 734, 3 ; 741, 2.
Dauriac L., 13 ; 52 ; 573 ; 575
768, 1 ; 786, 1. — II, 409, 3
413 ; 415 ; 438, 2 ; 439, 1 ; 457
458 ; 490.
Dauzat a., 500. — II, 417.
Dauzat m., 767.
David-Sauvageot a., II, 393.
Davidson, 521, 1 ; 690, 1.
Davy g., II, 60, 2 ; 310.
Dawson, II, 201, 1. .
De Backer St., 12. — II, 494 ;
496, 1.
Decharme p., 248, 1.
De Decker J.-V., II, 334, 1 ; 351 ;
640, 1.
Dédé E., 11,374.
Dedieu J., II, 266, 1.
Defourny m., 432. — II, 308.
Deherme g., II, 309.
Dehove h., 348 ; 845. — II, 393 ;
492.
Delacre m., II, 533.
Delacroix H., 497 ; 499 ; 502.
Delage y., 352. — II, 496, 1 ;
612, 1 ; 613, 1 ; 621, 2 ; 653.
Delaire Al., II, 352, 1.
Delaporte V., II, 377, 1.
Delassus h., II, 307.
Délaye E., II, 533.
Delbet p., 766.
Delbœuf J.-R.-L., 567, 5 ; 631, 1 ;
635, 1.
Delbos V., 11,96, 1 ; 101, 1 ; 417 ;
430, 2 ; 492.
Delbrûck B., 464,1
Delemer a., II, 310.
Del Mar A., II, 355, 4.
Delmas Ch., II, 457.
Delsol e., 631, 1.
Delvincourt a., II, 130.
Delvolvé J., II, 13 ; 145.
Demogue R., II, 145 ; 307.
Demolins Ed., 491, 7 ; 754, 2. —
II, 199, 2 ; 303.
De Munnynck M.-P., 352. — II,
496, 1.
Deneus, II, 198, 1.
Denis H., II, 277, 1.
Denys (Saint), II, 396, 1.
Deploige s., II, 13 ; 60, 4 ; 69, 2,
4, 5 ; 70, 2 ; 145 ; 303 ; 307.
De San L., II, 496, 1 ; 555.
Descartes R., xxix, 1 ; 263 ; 339,
2 ; 466, 1 ; 631, 1 ; 642, 2 ; 763,
1 ; 794, 1. - II, 125, 1 ; 424, 2 ;
496, 1 ; 544, 3 ; 554 ; 572, 1 ;
580, 2 ; 636, 1.
Deschamps Alb., 503.
Deschamps G., II, 240, 4.
Deschamps L., II, 302.
Descoqs P., II, 495 ; 513, 3 ; 514,
1 ; 515, 2, 3, 4 ; 533.
706
INDEX DES AUTEURS CITES
Desdouits Th., 768, 1. — II, 96,
1 ; 130 ; 430, 2.
Desjardins A., II, 194, 3 ; 265,
1 ; 291, 2.
Despine, 477, 1. — II, 70, 4.
Dessoir M., II, 415.
Dessoulavy C, II, 651.
Destutt de Tracy A.-L.-C, 439,
4. — II, 133, 1.
Devas C.-S., 752, 1. — II, 208, 1 ;
327, 2 ; 352, 1.
Deville, II, 356, 1.
Devinât E., II, 259, 4.
DevivierW., II, 643, 1.
Dewey J., 512. — II, 13.
De Wulf m., xxiii, 1 ; 16. — II,
188, 3 ; 377, 1 ; 416 ; 418.
DicKiNSON Z.-C, II, 362.
Didiot J., 11,377, 1,;490.
Dierckx, II, 612,1.
DiLTHEY W., 13.
Diogène Laërce, II, 50, 2 ; 94, 2.
Dittrich 0., 497.
DOMET DE VoRGES Ed.-Ch.-E.,
162, 1 ; 194 ; 297 ; 324, 2 ; 347 ;
571, 2 ; 763, 1 ; 777, 1. — II,
458 ; 491 ; 651.
DoNAT J., II, 14 ; 147 ; 216, 1 ;
322, 2.
Donnât L., 752, 1.
DoNoso GoRTÈs J.-Fr., II, 199, 2 ;
292, 3.
DoRLODOT (H. de), II, 622, 1 ;
626, 1 ; 655.
DoRNER A., II, 159 ; 651.
DOUGALL W.-M., II, 306.
Douglas (Fawcett Edw.), II, 533.
DOUHÈRET, II, 458.
Draghicesco D., II, 304.
Drever j., 431.
Dreyer h., II, 491.
Driault E., 752, 1.
Driesch h., II, 530 ; 534 ; 653.
Dromard g., 133 ; 348 ; 351. —
II, 416.
duballet, ii, 310.
Dubois, 497.
Dubois M., 734, 3.
DuBOSQ Th., 176, 1.
DUBRAY Gh.-A., II, 553.
DuBUC P., 763, 1.
Du Camp M., II, 163, 3.
DucLAux J., 766. — II, 496, 1.
DucLOS Ch., II, 406, 1.
DUFUMIER H., 513.
DuGAS L., 131 ; 133 ; 211 ; 235 ;
347 ; 352 ; 353 ; 430 ; 431 ; 438,
1 ; 473, 1 ; 501. — II, 1, 1 ; 392,
1 ; 414.
DUGGAN S.-P., II, 329.
DuGuiT L., II, 152 ; 305.
Duhamel J.-M.-C, 631, 1 ; 637, 2.
DuHEM P., 644 ; 649, 1 ; 764 ; 765 ;
766 ; 827, 2. — II, 496, 1 ; 530 ;
532.
DuiLHÉ DE Saint-Projet Fr., II,
555 ; 612, 1.
Dujardin-Beaumetz g., 483, 1.
Du Lac St., 411, 2. — II, 412, 2.
Du Maroussem p., 752, 1.
Dumas G., 81 ; 131 ; 132 ; 466, 1 ;
488, 4 ; 497.
Dumas J.-B., 649, 1, 2. — II, 376,2.
DuMESNiL G., 13. — II, 413 ; 414 ;
535, 1 ; 553.
DUMMERMUTH F.-A.-M., 380, 1.
DuMONT L., 62, 2 ; 81 ; 416, 1. —
II, 392, 1.
DuMONT DE Genève, II, 51, 2.
DuNAN Gh., 13 ; 347. — II, 145 ;
459 ; 493 ; 496, 1 ; 505, 1.
DuNOYER Gh., II, 187, 1 ; 353, 1.
INDEX DES AUTEURS CITES
707
DuPANLoup F., 413, 1.
Du Plessis de Grenedan J., II,
216, 3.
DupoN P., 13.
Dupont E., II, 534.
Dupont-White Ch.-B., II, 265, 1.
DupouY M., 500.
DupRAT G.-L., 432 ; 466, 1 ; 479, 1 ;
489, 1; 496; 795, 3. —11,218;
304 ; 309.
DupRÉ Ern., 349.
DupRÉEL E., 573. — II, 307 ; 492.
DupuisCh., 11,318, 1; 330.
DupuY P., 624, 1 ; 763. — II, 12 ;
458 ; 491.
DUQUESNOY, 194.
Durand E., 340, 2. — II, 482, 3 ;
603, 1.
Durand L., II, 355, 4.
Durand de Gros J.-P., II, 143 ;
410, 2.
DuRKHEiM ÉM., 752, 1 ; 757, 2 ;
766. — II, 156, 1 ; 301 ; 304 ;
307 ; 310 ; 447, 2.
Du RoussAux L.,, II, 13.
Durr h., II, 493.
DussAuzE H., II, 416.
DuToiT Gh., II, 534.
DuTHoiT Eue, II, 146; 283, 2;
285, 1 ; 306 ; 329.
DuvAL Fr., II, 315, 2.
DuvAL M., II, 612, 1.
DwELSHAuvERS G., 349 ; 350.
Erbinghaus h., 51 ; 52.
Eddington A.-S., II, 533.
Edgewortii, 752, 1.
Egger Ém., 491, 1.
Egger V., 347 ; 416, 1 ; 437, 1 ;
443, 3 ; 451, 3 ; 464, 1. — II, 12.
EichnerL., 11,330.
Eichthal (E. d'), 352. — II, 70,
4 ; 199, 2 ; 240, 4 ; 301 ; 360, 2 ;
361.
Einstein Alb., II, 506, 4.
Eisler R., 17. — II, 143 ; 553 ;
653.
Elbe L., II, 553.
Ellis (Havelock), 497.
Ely R.-T., II, 199, 2 ; 374.
Engelmann W., II, 414.
Engels F., II, 188, 3 ; 223, 1.
Enriques F., 765 ; 766. — II, 491.
Epictète, II, 153, 1.
Erdmann B., 513.
EspiNAS A., 130. — II, 352, 1 ; 362.
EsQuiROL J.-E., 488, 2.
EucKEN R., XXIII, 1. — II, 653.
Euler L., 557, 1. — II, 332, 2.
EvELLiN F., II, 492.
Eymieu a., 430 ; 432 ; 501 ; 767 ;
829, 1.— II, 147; 159; 270, 2;
655.
F
Fabre J.-H., 105, 1 ; 110, 1 ; 493, 2.
Fabre L., II, 307.
Fabre Lucien, II, 506, 4 ; 533.
Fabreguettes L., II, 219, 1.
Faggi a., 51.
Fagniez g., II, 374.
708
INDEX DES AUTEURS CITES
Faguet Ém., II, 13 ; 207 ; 256 , 3 ;
258, 1 ; 305.
Faivre, II, 612, 1.
Fallon V., II, 278, 2 ; 281, 1 ;
308 ; 310 ; 359, 2 ; 362.
Fanciulli g., II, 415.
Farges Alb., 13 ; 27, 1, 2 ; 52 ;
162, 1 ; 171, 1 ; 176, 1 ; 194 ;
261, 2 ; 316, 4 ; 372, 5 ; 466, 1 ;
503; 511; 728, 1 ; 836 ; 845. —
II, 143 ; 430, 2 ; 457 ; 459 ;
492 ; 493 ; 496 ; 1 ; 503, 2 ; 504,
1 ; 513, 3 ; 555 ; 576, 2 ; 612, 1.
Farget, II, 261, 1.
Faria, 498.
Farias Brito (R. de), II, 143.
Fauconnet p., II, 309.
Fawcett D., II, 495.
Fawcett h., II, 358, 1.
Faye H.,655, 1.
Feder Alf., 767.
Fehr h., 765.
Félix J., II, 199, 2 ; 208, 1 ; 327,
2 ; 351 ; 363, 1 ; 377, 1.
Félix P., II, 304.
Fénelon (Fr. de Salignac de La
Mothe), 11,331, 2;554;576, 2;
579, 1 ; 582, 1 ; 601, 1.
FÉRÉ Gh., 64, 1 ; 81 ; 131 ; 479, 1 ;
496.
Ferrand a., 473, 1.
Ferraz m., 774, 3. — II, 1, 1 ; 28,
1 ; 77, 3 ; 152 ; 199, 2.
Ferrero g., 235.
Ferretti a., II, 1, 1 ; 223, 1.
Ferri E., 495. — II, 303 ; 410,
2 ; 416.
Ferri L., 211 ; 219, 1.
Ferrière E., II, 496, 1 ; 555.
Feuchtersleben (E. de), II, 159.
Feuillet 0., II, 85, 1.
Feydeau (Fr. de), II, 218.
FiDAo J.-E., II, 239, 2 ; 302.
Field G.-G., II, 14.
Fierens-Gevaert h., 81 ; 132 ;
495. — II, 413 ; 414.
Finot J., 495. — II, 303.
Fischer (Kuno), 672, 4.
Flamérion a., 800, 1.
Fleischmann Alb., II, 612, 1.
Fleming W., 17.
Fleury (M. de), 430; 496; 498.
Flint R., II, 651.
Flourens P.-J.-M., 130; 493, 2.
Flournoy Th., 53 ; 502. — II, 494.
Foerster F.-W., 431.
FoLCHi A., II, 305.
Folghera J.-D., 565, 1 ; 765.
FoNSECA (P. de), 511.
Fonsegrive g., XXIII, 3 ; xxvii,
3; xxx, 2; l4 ; 50; 210, 2
228, 2 ; 233, 1 ; 297 ; 324, 2
349; 369, 2; 386, 2; 389, 2
586, 2; 609, 1; 670, 2; 671, "2
3 ; 672, 2, 4 ; 682, 1 ; 704, 1
845. — II, 14; 70, 4 ; 73, 2
93, 1 ; 114, 1 ; 152 ; 172, 3
210, 1 ; 218 ; 239, 2 ; 267, 2
285, 2 ; 305 ; 493 ; 535, 1.
Fontaine A., 760, 1. — II, 393
414.
Fontaine J., II, 307 ; 335, 1.
Fontaine de Resbecq (Ed. de),
II, 261, 1.
Forbes j., 749, 4. — II, 114, 1 ;
;'.63, 1.
INDEX DES AUTEURS CITES
700
Foucault M., 131 ; 133 ; 350 ; 352 ;
473; 1; 498; 728, 1.
fougerousse a., ii, 217, 3.
Fouillée Alfr., 131 ; 211, 1 ; 233,
1; 257, 2; 264; 310, 2; 348
392, 3; 405, 1; 429; 472, 2
491, 6, 7; 495; 496; 723, 1
752, 1 ; 836. — II, 1, 1 ; 22
2 ; 53, 2 ; 58, 3.; 89, 1 ; 96, 1
132, 1 ; 144; 161, 2; 184, 1; 188
3 ; 199, 2 ; 219, 1 ; 261, 1 ; 306
430, 2 ; 458 ; 494 ; 496, 1 ; 497,
1 ; 532.
Fourneret p., II, 208.
Fodrnière • E., II, 159 ; 199, 2.
Foville (A. DE), II, 352, 1.
Fowler Th., 583, 1.
Frachon Alfr., II, 330.
France R.-H., II, 530.
Franck Ad., 17 ; 777, 1. — II, 267,
2 ; 334, 1.
Franck Fr., 131.
François A., II, 458.
Franklin B., 656, 4.
Franzelin J.-B., II, 335, 1 ; 453, 1.
Frappa J., 497.
Frédéric le Grand, II, 168, 1.
Frederici, II, 327, 2.
Freppel Ch.-Ém., II, 217, 3 ; 351 ;
372, 1 ; 555.
Freudenfeld b., 749, 4.
Freycinet (Ch.-L. de), 597, 3 ;
629, 1 ; 644 ; 763.
Fribourg E.-E., II, 353, 2.
Frick C, 13 ; 512 ; 513. — II, 549.
Frins V., 380, 2.
Frœbes J., XXIV, 1 ; 53.
Frœlich J.-A., 431.
Fromont du Bouaille (G. de),
II, 362.
Fulliquet g., II, 107, 1.
Funck-Brentano Th., 687, 2 ;
752, 1. — II, 247, 2; 352, 1;
535, 1.
FusTEL DE Goulanges N.-D., 491,
8; 748, 2. — II, 188,3; 337, 1.
O
Gaborit p., 470, 3. — II, 377, 1.
Gaius, II, 311, 2.
Galeot A.-L., II, 309.
Galli E., II, 146.
Galluppi p., II, 604, 3.
Gard air J., 14 ; 113, 1 ; 130 ; 347 ;
348; 466, 1. — II, 143 ; 496, 1;
535, 1 ; 651 ; 652.
Garnier Ad., 36, 2; 50 ; 82, 1 ;
178, 1 ; 194. — II, 28, 1 ; 502, 3.
Garnier J., II, 352, 1 ; 369, 2.
Garofalo R., 491, 2. — II, 303.
Garrigou-Lagrange r., 845. —
II, 653; 654.
Garriguet L., II, 305 ; 306.
Garski, II, 144.
Gasc-Desfossés Éd., 479, 1 ; 498.
Gauckler Ph., II, 377, 1.
Gaudeau b., 786, 1. — II, 252, 1 ;
273, 3 ; 303.
Gaudry Alb., 687, 2. — II, 612,
1 ; 615, 1 ; 622, 2.
Gaultier P., 431. — II, 144;
308 ; 393 ; 413 ; 414 ; 415.
Gaultier (J. de), 347. — II, 492,
531.
Gautier L., II, 316, 1.
Gay a., II, 85, 2 ; 146.
Gayraud h., II, 2.39, 2; 275, 1 :
652.
Gazeau L., II, 304.
710
INDEX DES AUTEURS CITES
Geley g., 145, 2 ; 348 ; 352.
Gemelli a., 52 ; 132 ; 351 ; 503 ;
767. — II, 144; 146; 208, 1;
417 ; 531 ; 653 ; 654.
Geny Fr., II, 308.
Geny p., 12, 1 ; 845. — II, 494 ;
515, 1.
Geoffroy-Saint-Hilaire Et.,
687, 2.
George H., II, 200, 2.
Georges de Villefranche P., 14.
Gérando (J.-M. de), 434, 1.
Gérard J., II, 653.
Gérard-Varet L., 771, 4.
Gerdil H.-S., II, 226, 3.
Germain A., II, 414.
Germery P.-R., 350.
Gerson J., II, 290, 2.
Geyser J., 52 ; 513.
GiARD Alfr., II, 612, 1 ; 651.
GiBON A., II, 202, 2 ; 360, 2.
GiBON F., II, 307.
Gide Ch., 757, 2. — II, 70, 4;
201, 2; 202, 1; 206, 1; 310;
352, 1 ; 355, 1 ; 362.
Gillet M.-S., 431. — II, 144;
146 ; 159 ; 308 ; 310.
GiLsoN Et., II, 417.
GiNSBERG MORRIS, II, 330.
Gioberti V., II, 377, 1.
Gley E., 497.
Glotin h., II, 353, 2.
GoBLET d'Alviella Eug., II, 283,
1.
GoBLOT Edm., 17 ; 351 ; 499 ; 513 ;
574 ; 584, 1. — II, 151 ; 495 ;
506, 4.
Godfernaux a., 81 ; 132. — II,
143.
Godts F.-X., II, 252, 1.
Gœlzer h., 464, 2.
Gœrres J.-J., II, 377, 1.
GoiRE, 500.
Goix A.-T., 498.
Goix A.-T., 498.
Goldscheid R., 430. — II, 491.
GoNDAL J.-L., II, 641, 3.
GoNET J.-B., II, 587, 2.
GONNARD R., II, 362.
Gonzalez Carreno G., 348.
Gory, 297.
GossARD M., II, 533.
GossELiN J.-Ed., II, 343, 2.
GOTTSCHICK D.-J., II, 13.
Goudin a., II, 586, 2.
Goujon H., II, 415 ; 430, 2.
GouNOD Gh., II, 409, 3.
GouNOT E., II, 146 ; 308.
Gourd J.-J., II, 1, 1 ; 497, 1.
Go Y au g., II, 199, 2 ; 239, 2 ; 261,
1 ; 301 ; 329 ; 351.
Gramont-Lesparre (A. de), 352.
— 11,418.
Grandjean Fr., 353.
Grappali a., II, 144.
Grasset J., 52; 132; 226, 1;
479, 1 ; 497 ; 498 ; 499 ; 763. —
II, 144 ; 305 ; 496, 1 ; 530 ; 531 ;
533 ; 655.
Gratacap a., 196, 1 ; 211.
Gratiolet L.-P., 437, 2.
Gratry a., 381, 1 ; 412, 1 ; 438,
1 ; 511 ; 609, 1 ; 642, 2 ; 749, 4.
— II, 331, 2 ; 535, 1 ; 555.
Grave J., II, 188, 3,
Gréa A., II, 335, 1.
Gréco N., II, 305.
Gredt j., 14 ; 353.
Greef (G. DE), 752, 1. — II, 152 ;
301 ; 305 ; 306 ; 307 ; 327, 2 ; 361.
Grégoire L., II, 351.
Grégoire V., II, 530; 531.
INDEX DES AUTEURS CITES
711
Grimaux, 649, 1.
Griveau m., II, 377, 1 ; 408, 2 ;
414.
Groos K., 493, 2 ; 496 ; 497.
Grosse E., II, 414.
Grotius h., II, 271, 2 ; 311, 1.
Grurer h., 589, 1. — II, 81, 2.
Grunder h., XXIV, 1 ; 53.
Guastella C, II, 458 ; 491 ; 495.
GuiBERT J., 703, 3. — II, 159;
222, 2 ; 555 ; 612, 1 ; 615, 2 ;
652; 655.
Guillemot J., II, 416.
GuiLLOT Ad., 373, 1 ; 491, 2. —
II, 261, 1.
GuiRAUD J., II, 214, 1 ; 215, 1, 2 ;
261, 3 ; 262, 1 ; 263, 2, 3.
GuizoT Fr., II, 325, 1.
GuRNEY Edm., 488, 1 ; 496 ; 498.
Gutberlet g., 14. — II, 531.
Guy g., 734, 3.
Guy-Grand G., II, 307 ; 308.
GuYAU M.-J., 416, 1. — II, 1, 1 ;
50, 2 ; 144 ; 377, 1 ; 415 ; 505, 1.
H
Haan h., 13.
Haas A.-Er., 765.
Habert 0., II, 14; 301.
Hachet-Souplet p., 133.
Hachin, II, 204, 2.
Haeckel Ern., II, 496, 1 ; 612, 1.
Hagemann g., 52.
Halbwachs m., II, 60, 3.
Halévy E., II, 51,2.
Halleux j., II, 12 ; 626, 3.
Hamelin g., 348-; 573 ; 674, 1 ;
752, 1 ; 763. — II, 492.
HamiltonW., 511 ;641, 1.
Hamon a., 498.
Hamon j., II, 161, 2.
Handyside j., 767.
Hannequin a., 50. — II, 496, 1 ;
507, 1 ; 600, 1.
Hanotaux g., 685, 1 ; 748, 2. —
II, 328; 329.
Haristoy j., II, 306.
Harmel L., II, 217, 3.
Harper Th., II, 459.
Hartenberg p., 131 ; 431 ; 466,
1 ; 499; 500; 501.
Hartmann (Ed. von), II, 530;
555 ; 612, 1.
Hatzfeld a., 456, 1.
Hausegger (F. de), II, 409, 3.
Haussonville (Gabriel Othe-
NiN d'), II, 163, 3 ; 207, 2 ; 264,
1,2.
Hautefeuille Fr. (de), 351.
Hayes C.-J.-H., II, 329.
Heath A.-G., II, 147; 160; 310.
Hébert M., 836.
Hegel G.-W.-Fr., II, 377, 1.
Heineccius J.-G., II, 311, 1.
Hélot Ch., 479, 1.
Hello Ern., 491,3.-11,377,1.
Hello H., II, 183, 2.
Helmholtz (H. von), 194. — II,
377, 1.
Hémon C, 350.
Hennequin e., 623, 1 ; 760, 1. —
II, 377, 1 ; 404, 1.
Henrion Ch., II, 328.
Henry R., II, 188, 3.
Henry V., 448, 2 ; 456, 1 : 464,
1 ; 711, 2 ; 719, 1.
Herbigny (M. d'),II , .335, 1.
Herckenrath C.-A.-C, II, 393 ;
410, 2.
Herder J.-G., 749, 4. — Il, 377,
1 ; 406, 3.
Hergenrôther J., II, 334, 1.
712
INDEX DES AUTEURS CITES
Hermant F. -P., 513.
Hernandez y Fajarnès a., 512.
Hérouville (P. d'), II, 145.
Herschel J., 640, 1 ; 649, 1, 2 ;
650, 1 ; 670, 1 ; 687, 2.
Hetherrington, II, 309.
Hibben J.-G., 512.
Hilbert, 567, 12.
HiRN G.-A., II, 555.
Hirn (Yrjo), II, 414.
Hirth g., II, 413.
Hitchcock Cl.-M., 131.
Hobhouse L.-T., II, 13 ; 147 ; 330.
HoBsoN J.-A., II, 301.
HocKiNG W.-E., 574.
Hœfer F., 687, 2.
Hôffding h., 51 ; 349 ; 466, 1. —
II, 12 ; 494 ; 652.
Hoffmann A., II, 144.
HoGsoN (H. Shadworth), II, 458.
HOLTZMANN J., II, 144.
HoMANS J., 566, 1.
HoNôT L., II, 160 ; 308.
HoNTHEiM J., XXIX, 1 ", 15 ; 566,
1 ; 573. — II, 555.
HooPERs Gh.-E., 351.
HoussAY F., II, 494.
HowE, 452, 1.
HowellG., 11,353,2.
Hubert-Valleroux p., II, 353, 2;
374.
Huby J., 11,565,2.
HuGON Ed., 14 ; 512.
HuGONiN F., II, 576, 2.
Huit Ch., 347. — II, 493 ; 496, 1 ;
535.
HuLST (M. d'), XXX, 3-, 14; 118,
1 ; 369, 2. — II, 1, 1 ; 24, 1 ;
101,2; 114, 1 ; 161,1 ; 166, 1,2;
1 ; 535, 1 ; 552, 4 ; 576, 2 ;
631, 1.
HuMBOLDT(G. de), 11,247,2.
Hume D., II, 496, 1.
HuRREL (W.-Mallock), II, 555.
Huxley Th., II, 612, 1.
Huygens Chr., 653, 1.
Imitation de J.-C, II, 153, 1.
Ingegnieros j., II, 651.
Ingenbleek j., II, 277, 1.
Ingram J.-K., II, 352, 1.
Ioteyko L, 133.
Ireland j.. Il, 351.
Isambert g., II, 303.
Iturria g., II, 458.
IZAGA L., II, 310.
Izoulet j., 752, 1. — II, 152.
Izquierdo A.-G., 513.
Jacob B., II, 144; 159.
Jacques 1er, n, 230, 1, 2 ; 298, 2
Jaëll m., 350. — II, 409, 3.
Jahn Fr., II, 415.
Jaloustre L., II, 532.
James W., 50 ; 52 ; 81 ; 131 ; 171
4 ; 194 ; 211 ; 228, 1 ; 359, 4
496 ; 820, 3. — II, 331, 2 ; 493
Janet Paul, 14; 201, 1 ; 217^ 1
260, 3 ; 297 ; 334, 1 ; 405, 4
466, 1 ; 535, 1 ; 553, 2 ; 565, 1
584, 1 ; 586, 1,2; 588, 1 ; 589, 1
INDEX DES AUTEURS CITES
713
180, 4 ; 181, 1 ; 183, 2 ; 185, 3 ;
194, 2 ; 196, 1 ; 197, 1 ; 208, 1 ;
209, 1 ; 211, 1 ; 216, 2, 4 ; 217,
2 ; 223, 1 ; 232, 1 ; 246, 3 ; 247,
2 ; 254, 2 ; 293, 4 ; 294, 1 ; 325,
1 ; 331, 2 ; 334, 1 ; 343, 1 ; 350,
1 ; 358, 1,3; 359, 3 ; 457 ; 496,
672, 4 ; 700, 2 ; 701, 3 ; 752, 1 ;
786,1 ;815, 5. — II, 1, 1;16, 1 ;
19, 3; 28, 1 ;36, 1 ; 46, 1 ; 48, 1 ;
91, 1 ; 92, 1 ; 101, 2 ; 106, 2 ;
114, 1 ; 132, 1 ; 148, 1; 199, 2;
208, 1 ; 219, 1 ; 457 ; 535 ; 536, 1 ;
545, 1 ; 555 ; 605, 1 ; 608, 1, 2.
Janet Pierre, 152, 1 ; 350 ; 427,
1 ; 479, 1 ; 495 ; 496 ; 497 ; 500 ;
501 ; 502.
JankelevitchS.,11,152; 207;304.
Janmot L., II, 377, 1.
Jannet Cl., II, 187, 2; 199, 2;
208, 1 ; 217, 3 ; 353, 1 ; 356, 1 ;
360, 1 ; 362.
Janssens Ed., II, 147.
Janssens g., II, 438, 2.
Janvier M.-A., II, 12; 273, 3.
-Iastrow J., 51 ; 348.
.Jaurès J., 194.
Javary a., 777, 1.
Jay R., II, 265, 1.
Jèanjacquot p., II, 183, 1 ;
335, 1.
Jeanmaire Ch., II, 535.
Jeannière R., XXIV, 1 ; 176, 1 ;
821, 5 ; 846.
Jellinek g., II, 219, 1 ; 294, 2 ;
302.
Jerphanion (G. de), 566, 1 ; 573.
Jérusalem W., 14 ; 51 ; 573.
Jespersen a., 503.
J EvoNS (W. Stanley), 566, 4 ; 678,
1. — II, 306; 355, 3.
JiTTA J., II, 329.
JoACHiM H. -H., 765.
JoAD C.-E.-M., II, 14.
JoANNis (J. de), 502 ; 653, 2.
joffroy j., 500.
johannet r., ii, 329.
Johnson W.-E., 513.
Johnson (W. Hallock), 430.
Jold Fr., 52.
Joly h., 130 ; 222, 1 ; 486, 4 ;
491, 2, 3; 493, 2; 723, 1. —
II, 130 ; 202, 2 ; 267, 2 ; 306 ;
612, 1.
Joly R., II, 655.
Joseph H.-W.-B., 512.
JouFFROY Th., 32, 1 ; 36, 1 ; 121,
1 ; 369, 2 ; 397, 1 ; 434, 1 ; 473,
1 ; 475, 1 ; 752, 1. — II, 1, 1 ;
50, 1 ; 51, 2 ; 81, 4 ; 82, 1 ; 83, 1 ;
96, 1 ; 106, 3 ; 132, 1 ; 377, 1.
JouiN L., II, 1, 1 ; 30, 4 ; 166, 1 ;
219, 1 ; 223, 1; 247, 1 ; 311, 1 ;
334, 1: 555.
JouRDAN A., II, 352, 1 ; 374.
JoussAiN A., II, 13 ; 417.
Jousset p., II, 535, 1 ; 612, 1 ; 654.
JouviN L., II, 144.
Joyau E., II, 50, 2 ; 395, 1 ; 507, I .
Joyce G.-H., 513.
JuDD (C. Hubbard), 51.
Juglar L., II, 414.
Julien Eug.-L., 456, 2.
Julien St., II, 329.
JuLiN A., 755, 2; 767.
JUNGMANN J., II, 377, 1.
JUQUELIER, 131.
JUSTINIEN, II, 176,' 4.
TRAITÉ DE rillI.osoi'UlP:. - T. I!.- 24
INDEX DES AUTEURS CITES
Kant Im., 298 ; 511 ; 711, 4. —
II, 1, 1 ; 88, 1 ; 132, 1 ; 157, 1 ;
271, 3 ; 331, 2 ; 377, 1 ; 380, 5 ;
381, 1 ; 457 ; 496, 1 ; 554 ; 571,
12.
Kaufmann, II, 555.
Keller Ém., II, 183, 2 ; 334, 1 ;
348, 1.
Keller H., 726, 1.
Ketteler W.-Em. (von), II, 351.
Keynes J.-M., 846.
Keyserling h. (von), II, 553 ;
651.
KiDD B., II, 152.
KiRCHNER Fr., 17.
KiRSCHMANN A., 644.
Kleutgen J., 14 ; 246, 1 ; 254, 1 ;
344, 1 ; 609, 1 ; 777, 1. — II, 457 ;
496, 1 ; 505, 1 ; 513, 3 ; 535, 1 ;
555 ; 576, 2 ; 592, 2 ; 594, 1.
Klimke Fr., II, 493.
Kneib p., II, 553.
Kœng, 768, 1.
Kollmann m., II, 653.
KoRKOUNOv N.-M., II, 152.
Kostyleff N., 52 ; 351. — II, 553.
Kraepelin Orn., 131.
Kreibig J.-K., 349. — II, 143.
Kremer R., 353. — II, 494.
Kroeger 0., II, 495.
Kronenberg m., II, 493.
Kropotkine p., II, 362.
Krug h., II, 651. ,
Krug (W. Traugott), 17.
Kuffera, II, 491, 408, 4.
Kurth Gth., m 8, — II, 374.
La Bouillerie (Fr.-Al. de), 435,
Laboulaye (Éd. de), II, 214, 3 ;
247, 2.
La Brière (Y. de), II, 272, 1 ;
273, 3 ; 315, 1 ; 329.
Labriola a., II, 302.
LaBroise(R. de), 11,227,2.
La Bruyère, II, 407, 2 ; 565, 1 ;
Lacassagne a., II, 305.
Lacaze-Duthiers (G. de), II, 145,
416.
Lachelier j., 178, 1 ; 314, 1
333, 1 ; 384, 3 ; 531, 1 ; 537, 1
574 -,674,1 ;680, 1.-11,535, 1
Lacombe p., 131. — II, 303
392, 1.
Lacombe P.-B., II, 496, 1.
Lacordaire h., 735, 1 ; 815, 5.
Lacour L., II, 214, 2.
Lacouture Ch., II, 377, 1.
Ladenburg a., 765.
Lafargue p., 350.
Laffitte J.-P., II, 283, 1.
Lagorgette j., II, 144.
Lagrange F., 466, 1.
La Grasserie (R. de), II, 331, 2.
Larousse G., 14 ; 51.
Lahr Ch., 14. — II, 172, 3 ; 446, 1 ;
585, 1.
Laird j., II, 494.
Laisant a., 430.
Lalande a., 836. — II, 417 ;
626, 3.
Lalo Ch., II, 310; 377, 1 ; 414;
416 ; 417 ; 418.
Lallemant L., II, 207, 2 ; 208,
Lamarck J.-B., II, 612, 1.
INDEX DES AUTEURS CITES
715
Lamarzelle (G. de), II, 239, 2 ;
240, 4 ; 243, 2 ; 256^ 2.
Lambert E., II, 302.
Lambert M., II, 358, 1.
Lambert W., II, 307.
La Mennais (F. de), 11,377, 1 ; 554.
Laminne J., 351 ; 352 ; 656, 1. —
II, 530; 652.
Lamy Et., II, 208, 1 ; 218 ; 243, 4 ;
259, 4 ; 293, 1 ; 415.
Landriot J.-Fr., 435, 1. — II,
377, 1 ; 412, 4.
Landry A., II, 13 ; 130 ; 143 ;
188, 3 ; 301 ; 414.
Lanessan (J.-L. de), II, 361.
Lange F.-A., 472, 2 ; 670, 3. —
II, 535, 1.
Lange K., 349.
Langlois Ch.-V., 734, 3.
Lannelongue Od., II, 375, 2.
Lansing-Raymond g., II, 409, 2.
Lanson g., 766.
Lanza V., II, 208.
Lanzag de Laborie (L.de),II, 329
Lapeyre p., II, 351.
Lapie p., 414 ; 430 ; 512. — II, 151.
Laplace (P.-S. de), 611, 1 ; 655, 1.
Lapotre a., 734, 3 ; 739, 4.
Lapparent (Alb. de), 734, 3 ; 764.
— II, 491 ; 496, 1 ; 530.
Lapponi J., 496 ; 499.
Larguier des Bancels j., 53 ;
133; 350; 351.
Larnaude M.-F., II, 329.
Laromiguière p., 238, 1. — II,
539, 1..
Larsson h., 767. — II, 417.
Las Cases (Ph. de), II, 304 ; 374.
La Servière (J. de), II, 230, 3 ;
343, 2.
La Sizeranne (M. de), 184, 1.
La Sizeranne (R. be), II, 377, 1 ;
388, 2 ; 409, 1 ; 415.
Laskine E., II, 146 ; 309.
Lassalle F., II, 200, 4.
Lasserre p., II, 415.
La Taille (M. de), xxiv, 1 ; xxv,
I. ■— II, 290, 8; 655.
La Tour du Pin la Charge (de),
II, 305.
Laugel a., il 408, 2 ; 413 ; 496,
1 ; 535, 1.
Launa D., 351.
Lauria g., 644.
Laurie s., II, 1, 1 ; 458 ; 491.
Lauvrière Ém., 497.
La Vaissière (J. de), 52 ; 431 ;
728, 1.
Lavaud de Lestrade, II, 612, 1.
Laveleye (Ém. de), II, 188, 3 ;
199, 2 ; 200, 3 ; 240, 4 ; 301.
Lavisse e., II, 240, 4; 252, 1.
Lavollée R., II, 217, 3 ; 261, 1 ;
306 ; 329 ; 374.
Leau L., 462, 2 ; 496.
Le Baghelet X., II, 36, 1 ; 654.
Le Bec E., 502. — II, 641, 3 ; 655.
Le Bon G., 430 ; 495 ; 500 ; 757, 2.
— 11,202, 2; 252, 1 ; 530 ; 531.
Lebreton j., 719, 1.
Leganuet e., II, 293, 1 ; 337, 2.
Leciialas g., 349 ; 351 ; 764. —
II, 393; 414; 505, 1 ; 531 ; 532.
Leclerg de Sablon m., 767.
Leclère a., 431 ; 498 ; 502 ; 836.
~ II, 144 ; 160 ; 415 ; 457 ; 491 ;
493.
Lecomte a., II, 612.
Le Coulteux du Molay J., II,
216, 1.
Le Dantec F., II, 496, 1 ; 612, 1 ;
652.
716
INDEX DES AUTEURS CITES
Ledos. 438, 2.
Lee (Vern'on), II, 416, 417.
Lefebvre L., 466, 1.
Lefèvre g., II, 107, 1.
Le Fur L., II, 243, 1 ; 270, 1 ; 309 ;
330.
Legouvé Ern., II, 216, 3.
Legrain m., II, 144; 376, 1.
Legrand g., II, 309; 362.
Le Guichaoua P., II, 553.
Lehmen Alf., 14.
Lehmkuhl a., II, 36, 1 ; 152 ; 356,
3 ; 360, 2.
Lehu L., II, 14.
Leibniz G.-W., xxv, 1 ; xxxi, 1
219, 2, 3 ; 250, 1 ; 258, 1 ; 264
281, 1 ; 291, 1 ; 395, 1 ; 515, 1
522, 1 ; 563, 2 ; 631, 1 ; 711, 1
769, 1 ; 771, 4 ; 794, 1 ; 816, 3
— II, 91, 1 ; 92, 1 ; 501, 2, 3
509, 3 ; 535, 1 ; 543, 1 ; 546, 3 ;
554.
Leighton J.-Al., II, 495.
Lélut L.-Fr., 466, 1.
Lemaire a., II, 305.
Lemaire J., II, 494 ; 532 ; 533.
Lemaire R., II, 210 , 1 ; 218.
Lemaitre a., 500.
Lemoine a., 130 ; 416, 1 ; 438, 1 ;
466, 1. — II, 496, 1 ; 527, 2.
Lempp Ot., II, 654.
Lenormant Fr., 749, 5.
Léon X, II, 604, 3.
LÉON XIII, II, 183, 2; 208, 1
209, 1 ; 213, 1, 2 ; 217, 3 ; 219, 1
226, 2 ; 235, 2 ; 240, 1, 3 ; 242
2 ; 252, 3, 4 ; 254, 1 ; 259, 2
288, 5 ; 325, 1 ; 344, 2 ; 359, 1
367, 1 ; 374, 1.
Lepidi a., II, 453, 1.
Le Play Fr., 455, 2 ; 491, 5. —
II, 108, 1 ; 208, 1 ; 217, 3 ; 219,
1 ; 244, 2 ; 251, 1 ; 265, 1 ; 300,
1 ; 348, 1 ; 349, 1.
Lerminier, II, 132, 1.
Le Rohellec J., II, 14.
Leroy A. II, 653
Leroy E., 434, 1.
Le Roy E., .631, 1.
Le Roy Éd., 764 ; 826, 7. —
II, 652.
Leroy M.-D:, II, 612, 1.
Leroy-Beaulieu An., 752, 1. —
II, 199, 2; 240, 4; 251, 1 ; 351.
Leroy-Beaulieu p., 713, 3. —
II, 199, 2; 204, 2; 247, 2; 251,
2 ; 256, 1 ; 277, 1 ; 352, 1.
Lescœur L., II, 261, 1 ; 535, 1.
Lesne e., II, 416.
Lesserteur, II, 172, 3,
Lessing G.-Ephr., II, 409, 2.
Lessius L., II, 46, 1 ; 161, 2 ;
290, 5 ; 554 ; 576, 2.
Leuda J.-H., II, 655.
Levasseur e., II, 374.
Levassort j., 348.
LÉvÊQUE Gh., 470, 2 ; 760, 1. —
II, 377, 1 ; 389, 3 ; 390, 1 ; 392,
1 ; 396, 2 ; 409, 4 ; 410, 3 ; 555.
LÉVÊQUE E., 624, 1 ; 734, 1 :
844, 3.
Léverriër Ur., 670, 1.
lévesque l., 14.
Levi Ales., II, 307.
Levinstein, 498.
Lévy e., II, 532.
LÉvY G.-A., II, 417.
Lévy P.-E., 415.
LÉvY-BRiJHL L., 500 ; 589, 1 :
786, 1 ; 788, 2; 816, 1. — H.
1, 1 ; 14; 49, 2; 114, 1 ; 143.
Lewis L., II, 146.
LiARi) L., 298; 314, 1 ; 513; 531,
INDEX DES AUTEURS CITES
717
1 ; 552, 2 ; 566, 3 ; 572, 1 ; 626, 1
631, 1 ; 634, 3 ; 635, 1 ; 687, 2
693, 1 ; 763. — II, 450, 1 ; 457
491.
LiBERATORE M., 14 ; 250, 1 ; 254,
1 ; 255, 1 ; 257, 1 ; 312, 2 ; 769,
1. — II, 263, 4; 334, 1 ; 352, 1 ;
395, 2 ; 496, 1 ; 513, 3 ; 529, 2 ;
535, 1.
LiEBiG (J. von), 621, 1 ; 670, 3 ;
687, 1.
Liégeois J., 479, 1.
Liesse A., 755, 2 ; 757, 2. — II,
309.
LiNDWORSKI J., 352.
Lipps Th., II, 392, 1 ; 415.
LiTTRÉ ÉM., 590, 1. — II, 446, 3.
LOBATCHEWSKY N.-J., 764.
Locke J., 265, 1 ; 362, 1 ; 794, 1.
— 11,266,1.
LoDGE 0., 502.
Lod.ge (Rupert Clendon), 513.
LoDiEL D., II, 612, 1.
Loeb j., II, 530.
Lombard E., 501.
LoMBRoso C, 226, 1 ; 491, 2, 3 ;
496 ; 500.
LoNGHAYE G., 87, 1 ; 100, 2 ;
435, 3 ; 452, 5 ; 453, 2 ; 475, 2 ;
706, 1 ; 711, 3 ; 818, 8. — II, 78,
1 ; 293, 1 ; 377, 1 ; 395, 1 ; 402,
2 ; 404, 1 ; 405, 1, 2 ; 407, 1 ;
410, 2; 411, 1, 2; 412, 1, 5;
470, 1.
LoRENZ R., 499.
LoRiA A., II, 301 ; 302'; 362.
LoRiN H., II, 145; 307.
LoTE R., 352.
LoTH A., II, 413.
LoTTiN J., 431 ; 845.
LoTTIN Od., II, 14.
LoTZE R.-H., 511. — II, 377, 1 ;
458 ; 535, 1.
Louis P.,II 1,306.
Lourbet'j., II, 208, 1.
LouriéJ^S.,*^574.
LuBAC E., 51. — II, 535, 1.
lubbock j., 130.
Lucas de Peslouan C, 574.
LuçAY (H. de), II, 251, 2.
Luchaire A., II, 182, 1, 2.
LuGo(J. de), 11,9, 1 ; 194, 1.
LuNA (A. de), II, 159.
Luquet G.-H., 51 ; 575.
lutoslawski w., 501.
Lynch A., II, 147 ; 417.
Lyon G., II, 458.
M
M. B., II, 1, 1 ; 30, 4; 33, 1 ; 153,
1 ; 223, 1 ; 232, 2 ; 311, 1 ; 334,
1.
M. (J.), II, 652.
Mabilleau L., II, 507, 1 ; 508, 3 ;
600, 1.
Mac Coll H., 512 ; 567, 7 ; 574.
Mac Dougall W., II, 553.
Mach e., 348 ; 644 ; 764 ; 845.
Macintosh (Douglas Glyde), II,
655.
Mackensie, 752, 1.
Macksey c, II, 14.
Mac Lennan, 512.
Mac Taggart J.-M.-E., II, 495.
Maday a., II, 304.
MagninE., 11,415.
Maher m., 16 ; 51 ; 493, 2. — II,
535, J.
Maillet E., 113, 1 ; 130 ; 491, 1.
Mainage Th., 502 ; 503.
'18
INDEX DES AUTEURS CITES
Maine de Biran M.-Fr.-P.. 147,
1 ; 192, 1 ; 315, 2 ; 353 ; 362, 1 ;
364, 2 ; 369, 2 ; 416, 1 ; 466, 1 ;
473, 1 ; 493, 2. — II, 574, 1.
Mairet a., 132. — II, 144.
Maisonabe E., II, 199, 2.
Maisonneuve L., 836.
Maisonneuve p., II, 612, 1.
Maistre (J. de), 672, 1 ; 748, 2. —
II, 167, 3 ; 343, 2 ; 344, 1 ; 555.
Malapert p., 15 ; 4G5, 1 ; 430.
Malebranche (N. de), 222, 1 ;
240, 2 ; 416, 1 ; 768, 1. — II, 1,
1 ; 28, 1 ; 331, 2 ; 554.
Malgaud W., II, 310.
Mallieux P., 765.
Malon B., II, 199, 2; 200, 6;
205, 1.
Mandato (P. de), II, 458.
Mandonnet P., II, 234, 2.
Manning Edw., II, 353, 1.
Mansion p., II, 533.
Mantegazza p., 438, 2 ; 469, 3.
Manville C, 765. — II, 531.
Marage R., 439, 2.
Marbe K., 346.
Marcaggi V., II, 294, 2.
Marc Aurèle, II, 153, 1.
Marchal R., 352 ; 765 ; 846. —
II, 493.
Marchand L., 131.
Marchesini a., 348.
Maréchal J., 500; 502. — II,
459 ; 495.
Ma^et H.-L.-C, II, 555.
Margerie (Am. de) XXIX, 1 ; 749, 2.
II, 208, 1 ; 293, 2 ; 555 ; 576, 2 ;
580, 1.
Marguery E., II, 514.
Marguet F., 131.
Marie A., 498; 499; 500.
Marie M., 631, 1.
Mari ET AN J., 573 ; 586, 1.
Marillier L., 131.
Marion h., 117, 2 ; 209, 2 ; 369,
2 ; 392, 3 ; 495. II, — 70, 4 ;
88, 2 ; 114, 1 ; 144.
Maritain j., 15. — II, 418; 653.
Marmontel J.-Fr., II, 406, 3.
Maroger a., 765.
Marolles (V. de), II, 358, 1.
Marouzeau L, 503.
Martha g., II, 93; 1 ; 153, 1 ;
388, 1.
Martin Fr., 194.
Martin H., II, 285, 2.
Martin Th.-H., II, 496, 1 ; 535,
1 ; 555.
Martin de Azpilcueta, II, 228, 6.
Martin Saint-Léon E., II, 374.
Martinet A., II, 327.
Martinetti p., II, 458 ; 491.
Martinez-Nunez Z., II, 492.
Martini A., 350.
Marx K., II, 200, 5.
Maryllis p., II, 393.
Mascarel a., II, 252, 1 ; 310.
Masselon r., 132.
Masson-Oursel p., 575.
Matagrin Am., II, 303.
Mathieu F., II, 375, 1.
Mathieu Fr.-D., II, 351.
Matignon A., 818, 8. — II, 216,
3 ; 226, 3.
Matter j., II, 604, 4.
Matteuzzi, 11,327, 2.
Mattiussi g., XXIV, 1 ; 131.
Maudsley h., 234, 1 ; 347 ; 466,
1 ; 491, 2.
Maugé F., 766.
Maumus V., II, 240, 4 ; 351.
Maurain Ch., 766.
Maurice-Denis N., II, 495.
MaurrasCh., 11,242, 3; 329.
INDEX DES AUTEURS CITES
719'
Maury Alfr., 473, 1.
Mauss Is., II, 267, 2.
Mauxion m., 348 ; 414. — II, 1, 1 ;
143.
Maxwell J., 52 ; 466, 1 ; 497. —
II, 306.
May (Thomas-Erskine), II, 240-,
4.
Mayer a., 496.
Maynard U., II, 32, 2; 36, 1 ;
171, 1.
Mazade F., 501.
Mazzarella J., II, 305.
Meda F., II, 310.
Medicus j., II, 430, 2.
Meillet a., 503.
Mélin g., II, 159.
Mélinand C, 175, 2 ; 476, 2. —
II, 392, 1.
Méline p., II, 306.
Mendive j., 15; 512. — II, 1, 1 ;
457 ; 535, 1 ; 555.
Mendousse p., 431 ; 500.
Menger a., II, 202, 2 ; 303.
Menger F., 752, 1.
Mentré F., 348 ; 352 ; 353 ; 764.
— II, 309.
Mercier Cil, 51 ; 513.
Mercier D., 12, 1 ; 15; 53; 512;
832, 3 ; 836 ; 846. — II, 457 ;
496, 1 ; 535, 1.
Mercier M.-A., II, 358, 1.
Mercier V., 815, 5.
Méric El., 478, 1 ; 479, 1 ; 484,
1 ; 485, 2 ; 486, 4 ; 739, 1. —
II, 199, 2; 535, 1.
Mérit, II, 378.
Mertens p., II, 494.
Messer a., 132. — II, 493.
Métin a., II, 199, 2 ; 306.
Metternich (Cl.-W. de), 11,314, 1.
Metz-Norlat a., II, 159, 1 ; 362.
Meunier P., 500. '
Meunier R., 52.
Meunier V., 687, 2.
Meyer (H. DE), 439, 3.
Meyer R., II, 201, 1.
Meyer Th., 15. — II, 13 ; 152 ;
188, 3 ; 225, 2 ; 232, 2 ; 290, 9.
Meyerhof Ot., 500.
Meyers(3n E., 767. — II, 492 ; 494.
Mezes, II, 1, 1.
MiCELi V., II, 143.
MicHAUD G., 495.
Michel A., II, 310; 393.
Michel H., II, 219, 1 ; 247, 2 ; 301.
MiCHELET G., 363, 1 ; 414. — II,
14 ; 492 ; 576, 1 ; 653.
Michotte a., 52 ; 194.
MiELi A., II, 533.
MiGNARD R., 133.
MiLHAUD Alb., II, 306.
Milhaud g., 298; 764; 766;
777, 1 ; 827, 2. — II, 458.
Mill (J. Stuart), 194; 211 ; 250, 1 ;
264 ; 298 ; 325, 4 ; 438, 1 ; 511 ;
515, 1 ; 526, 1 ; 529, 1 ; 531, 1 ;
552, 3 ; 554, 1 ; 589, 1 ; 621, 1 ;
649, 1, 2 ; 669, 2 ; 687, 2 ; 705,
1 ; 714, 1 ; 734, 3 ; 752, 1 ; 753,
2 ; 755, 1 ; 777, 1 ; 794, 1. —
— II, 144 ; 214, 3 ; 265, 1 ; 331,
2 ; 496, 1 ; 503, 1 ; 554.
Milne-Edwards h., 657, 3 ; 687,
1, 2 ; 700, 1.
MlLSAND, II, 393.
Minghetti M., II, 334, 1 ; 363, I.
MivART (vSaint-George), II, 496,
1 ; 612, 1.
Moehler, II, 176, 3.
MoiSANT X., 764. — II, 14 ; 145 ;
307 ; 652 ; 654 ; 655.
720
INDEX DES AUTEURS CITES
MoLiNARi (G. DE), II, 331, 2;
352, 1 ; 361 ; 363, 1 ; 369, 3.
MOLLIÈRE A., II, 413.
MONDOLFO R., II, 306.
Monnet R., 351.
MONNIER F., II, 14.
MoNSABRÉ J.-M.-L., 380, 2. — II,
208, 1 ; 332, 2 ; 555 ; 641, 2.
Montaigne (M. de), 90, 1. — II,
85, 2.
MONTALEMBERT (Ch. DE), 435, 1.
— II, 252, 1 ; 377, 1.
montargis f., îi, 393.
Montesquieu (Gh. de Secondât,
Baron de), 748,2.-11, 245, 1 ;
266, 1 ; 406, 3 ; 551, 1.
Montessus (R. de), 765.
MONTGOMERY Ed., II, 531.
MooRE Ch., 845.
MooRE (Th. Werner), 350."
MoREAU d'Andoy (de), II, 198, 1.
Moreau de Tours, 479, 1.
MORIN Fr., 17.
MoRiN G., II, 308.
MORSELLI E., 512.
Mosso A., 81 ; 469, 5 ; 499.
MouLART F.-J., II, 334, 1 ; 344,îl.
MouREY F., 631, 1.
MouRGUE R., 502. — II, 533.
MouRRE Gh., 348 ; 368, 1 ; 430 ;
754, 1. — II, 379, 1.
MOUTIER F., 501.
MouTiN L., 132.
Mouton E., II, 267, 2.
MoyeM., 11,329.
MuiR R., II, 329.
MUIRHEAD, II, 309.
MiJLLER Al., II, 532.
MûLLER E., 574.
MÛLLER J., 158, 1 ; 164, 4.
MiJLLER M., 248, 1 ; 258, 2 ; 260,
1 ; 449, 2 ; 456, 2, 3 ; 461, 2 ;
462, 2 ; 719, 1.
MULLER A., II, 310.
MULLER J., II, 329.
MuN (Alb. de), II, 206, 4 ; 261, 1 ;
286,' 1 ; 305; 372, 2; 373, 1.
Munsterberg h., II, 492.
MuRAT L., II, 654.
Mu RAT p., II, 654.
Mustoxidi T.-M., II, 418.
]\
Nadaillac (de), II, 222, 2 ; 612, 1.
Nadejde D.-G., 132.
Naville a., 574 ; 584 ; 767 ; 845.
— 11,363,1.
Naville Ern., 5, 1 ; 369, 2 ; 466,
1 ; 649, 1 ; 653, 2 ; 734, 3 ; 737,
2 ; 829, 1 . — II, 240, 4 ; 448, 1 ;
458 ; 493 ; 496, 1 ; 535, 1 ; 555.
Naville F.-L.-M., II, 264, 2.
Natorp p., 766.
Navarrus, II, 228, 6.
Nayrac J.-P., 240, 1 ; 348.
NÈGRE Alb., II, 252, 1.
Nelson b., 11,492.
NÈvE P., 825, 3 ; 836.
Nevers (E. de), 491, 6.
Newmann J.-H., II, 19, 4 ; 492.
NicEFORo A., II, 330.
Nichols h., II, 530.
Nicolas A., 786, 1. — II, 535, 1 ;
555.
NicoLAY F., 491, 1. — II, 28, 5 ;/■
■ 216,3. '
Nicole P., II, 153, 1.
NicoTRA S., II, 199, 2; 358, 1.
Nietzsche Fr., II, 273, 1.
NiTTi Fr.-S., II, 202, 2.
INDEX DES AUTEURS CITES
721
NiVARD M., II, 14.
NoACK L. ,17.
Noble H.-D., 132; 133; 351.
Noël L., 351 ; 513 ; 820, 4 ; 836.
NoLDiN H., 512.
NoRDAU M., 52 ; 498 ; 499. —II,
305 ; 328.
NORDHOFF, II, 200, 1.
NORDMANN Ch., II, 533.
Nourrisson J.-F., II, 220, 2.
Nourrisson P, II, 286, 1 ; 306; 309.
Novicow G., II, 306 ; 361.
NuEL, 347.
Nys D., 351. — II, 311, 1 ; 503,
2 ; 506, 4 ; 511, 2 ; 520, 2 ; 521,
I, 2 ; 530 ; 531 ; 532 ; 534.
O
OcHORovicz, 479, 1.
Ogereau F. II, 93, 1.
Olgiati Fr., II, 310.
Olivier, II, 555.
Olivier (J. von), II, 651.
Ollé-Laprune L., 271, 1 ; 311, 1 ;
734, 3 ; 786, 1 ; 788, 1 ; 845. —
II, 92, 1, 2 ; 439, 2 ; 457 ; 459 ;
492 ; 535, 1.
Ollivier Ém., II, 334, 1.
Olphe-Galliard g., II, 330.
Orhand J.-M., II, 377, 1.
Ormond Al.-Tii., II, 492.
Orzechowski St., II, 147.
OsBORN (H. Fairfield), II, 534. l
Ossip-LouRiÉ, 502; 503. — II, 492,
Ostler h., II, 532.
OsTWALD W., 499 ; 766. — II, 531 ;
533. I
Otlet p., II, 329.
Ott a., II, 352, 1.
Ouvré H., 460, 4.
OzANAM Fr., 435, 3 ; 587, 3. —
II, 246, 2.
Pacheu J., 498 ; 500 ; 501.
Pacotte, II, 513, 3.
Padoa Al., 575.
Palante g., II, 146 ; 151 ; 303.
Palcos a., II, 417.
Palhoriès F., II, 532.
Pallavicino (Sforza), II, 106, 3
Palmés F. -M., 767.
Palmieri D., xxiv, 1 ; xxvii, 2
XXIX, 1 ; 15 ; 50 ; 312, 2 ; 316, 4
324, 5 ; 360, 1 ; 369, 2 ; 438, 1
511 ; 515, 1 ; 521, 1 ; 527, 1
529, 1 ; 531, 1 ; 768, 1 ; 775, 2
777, 1 ; 794, 1. — II, 36, 1
106, 3 ; 209, 1 ; 335, 1 ; 457
467, 1 ; 481, 1, 2 ; 496, 1 ; 505, 1
506, 1 2, 3 ; 519, 3 ; 522, 1, 2
529, 2 ; 535, 1 ; 555 ; 565, 1
576, 2 ; 583, 1 ; 611, 1 ; 639, 1.
Paoli G.-C, II, 651.
Papagni t., II, 586, 1.
Papillon F., 464, 1, 3.
Pareto V., II, 202, 2 ; 302 ; 362.
Paris (Comte de), II, 285, 2;
353, 2.
P.\risetL., 11,307.
Parisis P.-L., II, 183, 2.
722
INDEX DES AUTEURS CITES
Parker (De Witt H.), II, 418.
Parodi D., 836. — II, 13 ; 147 ;
306 ; 307.
Pascal Bl., 631, 1 ; 643, 1 ; 656,
3 ; 784, 2. — II, 122, 1 ; 171, 1 ;
405, 4 ; 549, 1, 2 ; 551, 2.
Pascal (G. de), II, 1, 1 ; 32, 2 ;
152 ; 188, 3 ; 219, 1 ; 247, 2 ; 301.
Paschal L., II, 416.
Passage (H. du), II, 216, 1 ; 310.
Pasteur L., 656, 5. — II, 634, 1.
Pastore a., II, 494.
Patini E., 349. -
Patten (Simon N.,) II, 219, 1.
Paucot R., 432.
Paul H., 464, 1.
Paulhan Fr., 53 ; 80, 1 ; 81 ; 131
133 ; 211 ; 235 ; 346 ; 347 ; 352
405 , 1 ; 430 ; 491, 3 ; 609, 1
763 ; 767 ; 846. — II, 114, 1
145 ; 309 ; 416 ; 417 ; 535, 1 ; 654.
Pauly R., 767.
Paulsen F., xxiii, 1.
Payot J., 348; 431. — II, 147.
Pazzi g., II, 414.
Peano g., 567, 9.
Pearson K., II, 532.
Peeters L., II, 555.
PÈGUES Th.-M., II, 237, 1 ; 273, 3.
Peillaube Ém., 133 ; 235 ; 250, 1 ;
264 ; 350 ; 352 ; 432.
Peirce C.-S., 567, 7.
Pelletier, 497,
Penjon a., II, 302.
Pennacchio p., 11,218.
PÉRÈS J., II, 395, 1 ; 414; 417.
Pérez B., 415 ; 429 ; 437, 1 ; 491, 1.
Périer (Mme), 232, 2.
Périer P.-M., 767.
PÉRiN Ch., II, 217, 3 ; 219, 1 ; 264,
2; 267, 2; 311, 1; 334, 1 ; 352,
1 ; 356, 3 ; 358, 1 ; 363, 1.
Perrens F.-T., II, 240, 4.
Perrier Edm., 130 ; 687, 2 ; 703,
1,2. — II, 601, 4; 612, 1.
Perrier L., 499.
Perrin j., 646, 1 ; 659, 2 ; 763. —
II, 513, 3 ; 532.
Pebrot g., II, 393.
Perujo a., 17.
Pesch Chr., II, 351.
Pesch h., II, 303 ; 325, 1 ; 362.
Pesch T., xxv, 1 ; 15 ; 314, 2 ;
512;513. — II, 7, 3;96, 1 ; 430,
2.; 458; 496, 1.
Petersen j., 431.
Petitot h., 15.
Petrucci r., II, 208.
Pezzi D., 438, 1.
Pfister 0., 430.
Pfordten (A.-Fr. V.), II, 531.
Philbert L., II, 392, 1.
Philibert H., II, 529, 2.
Philipp Alb., 351.
Philippe J., 347 ; 495 ; 500.
Phillips G., II, 334, 1.
PiAT Cl., 247, 1 ; 250, 1 ; 264 ; 316,
4 ; 350 ; 352 ; 366 , 1 ; 369, 2
845. — II, 14; 114, 1; 145; 146
492 ; 503, 2 ; 533 ; 535, 1 ; 555
652.
Picard Ed., II, 145 ; 152.
Picard Ém., 644 ; 764. — II,
370, 1.
Picard G., Il, 172, 3; 446, 1 ;
459 ; 585, 1 ; 655.
Picavet C.-G., II, 303.
PicciRELLi J.-M., II, 467, 1 ; 492 ;
555.
PlDERIT, 438, 2.
INDEX DES AUTEURS CITES
723
Pie L.-Éd., II, 183, 2 ; 293, 3 ;
334, 1.
Pie IX, II, 210, 1.
Pie X, II, 235, 2; 240, 2; 242, 1.
PiéronH.,347;350;352;501;502.
Pierre d'Espagne, 511.
PiERsoN N.-G., II, 277, 1 ; 362.
PiLLON Fr., 211 ; 348 ; 734, 3 ;
743, 1, —-II, 438, 2.
PiLLSBURY W.-B., 348. — II, 329.
PiLO M., II, 378.
Pinard E., II, 145.
Pinard H., II, 654.
PiNEL Ph., 488, 3.
Pinot R., II, 243, 5.
PioGER J., II, 327, 2 ; 496, 1.
Pistolesi g., 133.
Pitres A., 497.
Planeix R., II, 335, 1.
Platon, 794, 1. — II, 48, 1 ; 77, 1 ;
114, 1 ; 124, 1 ; 413, 1 ; 457 ;
535, 1 ; 543, 1 ; 552, 3 ; 554.
PoDMORE, 488, 1 ; 496 ; 498.
poggendorff j.-c, 649, 1.
Poincaré h., xxiii, 2 ; 347 ; 349 ;
566, 1 ; 574; 575; 631, 1 ; 644;
763 ; 764 ; 765 ; 767 ; 827, 2. —
II, 491 ; 505, 1 ; 532,
POINSARD L., II, 355, 1.
POLAND W., 512.
POLLACK VV., 766.
POLLER L., II, 361.
PORENA M., II, 415.
Portalié e., 380, 2 ; 479, 1. — II,
454, 1.
Port-Royal, 236, 1 ; 464, 2 ; 511
515, 1 ; 521, 1 ; 527, 1 ; 529, 1
531, 1 ; 544, 1 ; 549, 1 ; 609, 1
631, 1 ; 801, 1, 2 ; 804, 1.
PosADA A., II, 188, 3 ; 302 ; 304
Pottier a., II, 207.
PouciiET F.-A., 687, 2.
Poulain A., 209, 1 ; 339, 1 ; 486,
4; 498; 631, 1.
PouLPiQUET A. (de), II, 491.
PouQUET L., II, 534.
Poyer g., 432.
PradinesM., 133. — II, 145.
Prado (N. del), II, 494.
Prat F., 741, 3 ; 742, 1.
Prat L., 348; 415; 430. — II,
393 ; 414 ; 496, 1 ; 553.
Pratt (J. Bisset), II, 146.
Prélot h., II, 285,2; 286,2; 287,1.
Preyer W., 491, 1.
Prichard h. -A., II, 493.
Prieur P., 752, 1.
Prince (Morton), 430 ; 502.
Prins Ad., II, 240, 4 ; 303.
Prisco g., II, 152.
Proal L., 430 ; 491, 2. — ÏI, 114,
1;130;156, 1;159;267,2;305.
Prou L., 496.
Proudhon P.-J., II, 188, 3; 219,
1 ; 292, 2 ; 414.
Ptolémée de Lucques, II, 234, 2.
PUFENDORF S., II, 311, 1.
Puffer (Ethel de), II, 393 ; 415.
PujoL A., II, 306.
Q
Quatrefages (A. de), 687, 2. —
II, 564, 3, 4; 612, 1, 2.
Queyrat F., 1.33 ; 246, 1 ; 264 ;
415 ; 430 ; 431 ; 495 ; 501.
724
INDEX DES AUTEURS CITES
R
Rabaud Et., 431 ; 767. — II, 655
Rabeau g., II, 494.
Rabier El., 15 ; 25 , 1 ; 50 ; 83, 1
103, 1 ; 186, 2 ; 217, 2 ; 222, 1
228, 3 ; 232, 1 ; 234, 1 ; 248, 1
255, 2 ; 298 ; 314, 2 ; 362, 1, 2
369, 1 : 397, 1 ; 416, 1 ; 448, 1
469, 2 ; 472, 2 ; 511 ; 531, 1
609, 1 ; 620, 2 ; 622, 1 ; 631, 1
634, 5 ; 637, 1 ; 649, 1 ; 653, 2
669, 3 ; 681, 2 ; 683, 1 ; 687, 2
689, 1 ; 705, 1 ; 714, 1 ; 716, 1
794, 1. — II, 377, 1 ; 379, 3
642, 1.
Radestock p.., 473, 1.
Radl E., II, 653.
Radulescu-Motru C, II, 159.
RaeJ., 11,201, 1.
Raffalovich s., II, 51, 2.
Rageot g., II, 496, 1.
Rage Y, II, 571, 8.
Rambaud J., II, 362.
Rambosson J., 470, 2.
Ramière h., II, 297, 1 ; 299, 1 ;
325, 1.
Ramousse g., 349 ; 846.
Ranzoli g., 17.
Rashdall h., II, 144.
Rauh F., 81 ; 131. — II, 1, 1 ;
7, 2 ; 14 ; 64, 2 ; 70, 4 ; 143.
Ravaisson F., 324, 3; 416, 1
466, 1 ; 586, 1 ; 609, 1 ; 763, 1
768, 1. — II, 1, 1 -,90, 2; 93, 1
535, 1.
Raymond F., 496 ; 497.
Rayot E., 185, 1.
Read C, II, 531.
Réaumur E.-A., 107, 2.
Rebière A., 649, 1.
Régis E., 497.
Regnard a., II, 409, 3.
Regnaud p., 439, 1 ; 441, 3 ; 497.
Régnon (Th. de), xxiv, 2 ; 98 ;
324, 2, 4; 369, 2; 380, 2. — IL,
458 ; 590, 1.
Reichenbach h., II, 506, 4.
Reichenwald Aars K.-B., II, 144.
Reid Th., 246, 1 ; 264 ; 326, 1 ;
362, 1.
Reinach Ad., II, 208.
Reinaud e., II, 353, 2.
Reinke j., 764.
Remer V., 15.
Rémusat (Gh. de), 671, 1.
Renan Ern., 441, 3. — II, 155, 2.
Renard G., 734, 3. — II,' 199, 2 ;
201, 1 ; 305.
Renault Ch., II, 360, 2.
Renault L., II, 318, 2 ; 329.
Renda a., 132 ; 347 ; 350.
Renouvier Gh., 228, 1 ; 278, 1 ;
297, 1 ; 359, 3 ; 511 ; 613 ; 626,
1 ; 631, 1 ; 649, 1 ; 752, 1 ; 777,
1.-11,1,1 ;13;132, 1 ; 430, 2 ;
435, 1 ; 450, 1 ; 457 ; 491 ; 492 ;
496, 1 ; 509, 2.
Revault d'Allonnes g. 132 ; 502.
Reverdy H., 11,216, 1.
Rey a., 15 ; 132 ; 763 ; 765. —
II, 492.
RÈY J., 836.
Reym'ond a., 765.
Reyreaud j., II, 263, 1.
RiBBE (Gh. de), II, 208, 1.
RiBÉRY Gh., 430.
RiBET M., 485, 3.
RiBOT P., 752, 1. — II, 535, 1.
RiBOT Th., 31, 1 ; 81 ; 132 ; 133 ;
152, 1 ; 210, 1 ; 221 ; 235 ; 240,
1 ; 264 ; 347 ; 351 ; 352 ; 368, 1 ;
430 ; 653, 4 ; 726, 1 ; 728, 1. —
11,395,1 ;417.
INDEX DES AUTEURS CITES
725
RiCARDo D., II, 356, 2.
RiCARDou A., 653, 4; 760, 1. —
II, 377, 1 ; 395, 1 ; 413.
Richard G., II, 199, 2; 218;
308 ; 491 ; 626, 3.
Richard J., 763.
Richard T., 15 ; 352.
RiCHARD-FoY E., 766. — II, 506,4.
Richardson C.-A., II, 553.
RiCHER P., II, 414.
RicHET Ch., 52 ; 81 ; 298 ; 349 ;
351 ; 466, 1 ; 493, 2. — II, 305 ;
325, 1.
RiCHTER J.-P., II, 377, 1.
RiCKABY John, 16. — II, 459.
RiCKABY Joseph, 16. — II, 219,
1 ; 356, 3.
RiCKERT H., 763.
RiEMANN H., II, 415.
RiGNANO E., 352.
RiLEY W., 723, 1.
Rio A.-F., Il, 377, 1.
RiouLT DE Neuville J., II, 188, 3.
RiST Ch., II, 362.
RivAUD A., II, 496, 1.
Rivers W.-H.-R., 503.
Rivet L., II, 208.
Rivet S., II, 287, 1.
RoBB Alfr.-A., II, 533.
Robert L., 175, 1. — II, 457.
ROBERTS W.-J., 766.
Roberty (E. de), 755, 1. — II, 1,
1 ; 152; 306-, 458.
RoBiNsoN, 649, 1.
RocAFORT J., II, 144 ; 252, 1.
ROCHARD J., II, 216, 2.
Roche J., II, 277, 1.
ROCHETIN E., H, 374.
RocQuiGNY (de), II, 353, 2.
RoDiER G., 574.
RoDRiGUEs G.. II, 145 ; 310 ; 417 ;
458.
RODRIGUEZ T., II, .308.
RoEHRicH Ed., 348 ; 431.
ROGUENANT A., II, 218.
RoGUES DE FuRSAC J., 497 ; 501.
RoiselG., 320,1.-11, 535, 1;553.
roland-gosselin b., 431.
Rolla A., II, 415.
Romanes G.-J., 130 ; 493, 2. — II,
612, 1.
Rome R., 11,375,1.
Rondelet A., 529, 1.
RooD N., 11,408, 3.
Roosevelt Th., 495 ; 497.
RosMiNi A., 50 ; 312, 2. — II, 13.
Rossi (G.-B. de), 741, 1.
Rossi P., 495 ; 497.
Rostand E., II, 305.
Rothe t., II, 152 ; 198, 1 ; 208, 1 ;
209, 1 ; 260, 1 ; 267, 2 ; 277, 1 ;
285, 2; 303; 311, 1.
Rothenflue Fr., 16.
Rougier L., 575 ; 767. — II, 494 ;
534.
RouPAiN E., 501.
RouRE L., 151, 1 ; 184, 1 ; 242, 1 ;
496; 499; 502; .503; 786, 1. —
II, 12 ; 78, 1 ; 156, 1 ; 158, 1 ;
240, 2 ; 495 ; 535, 1 ; 6;26, 3.
RousiERS (P. de), II, 353, 2 ; 374.
Rousseau J.-J., Il, 243, 3 ; 641, 1.
Roussel-Despierres Fr., II. 90,
2 ; 308 ; 414.
Rousselot J.-P., 43V 1 : i;!i. I.
Rousse lot P., 350.
RôusTAN D., 16 ; 52 ; 351.
Roux-Lavergne P., 749, 4.
Royce J., II, 491.
Royer-Collard P.-P., 195, 1. —
11,537, 1.
Rozaven (J.-Ii. de), 815, 5.
726
INDEX DES AUTEURS CITES
RuBEis (B.-M. DE), II, 234, 2.
RiBiCHON, II, 334, 1.
RUIZ DE MONTOYA D., II, 591, 2.
RussEL B., 566, 1 ; 567, 11 ; 574 ;
764 ; 766 ; 767. — II, 494 ; 533.
RuYSSEN Th., 284 ; 347. — II, 96,
1 ; 309 ; 330 ; 430, 2.
Sabatier a., 11,130; 491.
Sabatier C., II, 553.
Sacy (S. de), 464, 2.
Sage V., 496.
Sageret J., II, 309; 532.
Sagot F., II, 199, 2 ; 200, 1.
Saint-Ellier (D.-L. de), II, 555.
Saint-Marc Girardin, 91, 1 ; 120,
2 ; 230, 2. — II, 405, 3.
Saint-Paul G., 351 ; 469, 5 ; 498.
Saint-Simon (Cl.-H.de), 11,202,2.
Saisset Ém., 377, 2 ; 378, 1. — II,
457 ; 554 ; 602, 1, 2.
Salillas R., II, 301.
Salvien, II, 554.
Salvioli g., II, 308.
Sanchet E., II, 208.
Sanderval (0. de), II, 496, 1.
Sandford Ed. -T., 52.
Sangn;er m., II, 239, 2.
Sanseverino c, 16.
Sarcey Fr., 453, 1.
Sarda y Salvany F., II, 199, 2.
Sarlo (Fr. de), 51 ; 53. — II, 13.
Sartiaux F., II, 146.
Sauvaire Jourdan, II, 374.
Savatieu h., II, 85, 2.
Sa VIO, 765.
SayL., 11,277,1.
Sayce A.-H., 456, 4.
S<:ii.\M- II., ii, 502, 3 ; 593, 1.
SCHAEFFLE A., 713, 3. II, 199,
2 ; 219, 1.
ScHATz A., II, 305.
SCHELLING Fr.-W., II, 377, 1.
ScHiFFiNi S., 16 ; 512. — II, 1, 1
167, 1 ; 188, 3 ; 208, 1 ; 219, 1
223, 1 ; 285, 2; 311, 1 ; 334, 1
457 ; 464, 2 ; 496, 1 ; 535, 1
555 ; 570, 3.
Schiller Fr., II, 377, 1.
Schiller F.-C.-S., 574 ; 822, 2.
— II, 144; 494.
Schinz A., II, 416; 493.
Schlegel (Fr. de), 749, 4. — II,
377. 1.
Schlegel (W. de), II, 377, 1.
SCHLEICHER A., 449, 2.
Schlesinger a., II, 416.
ScHMiD p., II, 409, 3.
Schmidt 0., II, 612, 1.
ScHMiTT E.-H., II, 492.
Schmitz-Dumont 0., 631, 1.
Schmoller g., 757, 2. — II, 301 ;
302; 361.
Schneemann g., 380, 2. — II,
586, 1.
Schœbel m., II, 430, 2.
Schopenhauer a., 298 ; 365, 1. —
II, 93, 1 ; 96, 1 ; 377, 1 ; 555.
Schrader E., 284.
ScuROEDER E., 567, 6 ; 764.
ScHWALM M.-B., 786, 1. — II, 114,
1 ; 200, 1 ; 238, 1 ; 244, 1,3;
306 ; 362.
Schwartzkoppf M.-P., xxvi, 2.
Schweitzer R., II, 651.
ScoRRAiLLE (R. de), II, 224, 2;
230, 4.
ScoTTi G., II, 143.
Skailles g., II, 377, 1 ; 438, 2.
Secchi a., 655. 2.
INDEX DES AUTEURS CITES
727
Sechehaye Cii.-Alb., 499.
Secrétan Ch., 369, 2. — II, 8, 1.
Sée h., II, 310.
Segond J., XXVI, 2 ; 502. — II, 46,
1 ; 417.
Seignôbos Ch., 734, 3 ; 752, 1. —
II, 303.
Seilhac (L. de), II, 360, 2.
Seillière Ern., II, 200, 4.
Seligman Edw.-R.-A., 766. — II,
277, 1.
Semaines sociales, II, 374.
Semple (H. Churchill), II, 309.
Sénarmont h., 655, 2.
Sénèque, II, 46, 1 ; 156, 1 ; 554.
Senet R., 498.
Sennebier, 649, 2.
Sentroul Ch., 573 ; 845. II, — 430,
2 ; 459 ; 493.
Sergi g., 131 ; 178, 2.
Sertillanges A.-D., II, 218 ; 252
1 ; 304 ; 305 ; 335 , 1 ; 410, 2
413 ; 416 ; 491 ; 555 ; 566, 1
651 ; 655.
Sevestre Ém., II, 351.
S'Gravesande, 714, 71 ; 75, 2.
Shaftesbury (A. de), II, 81, 4.
Su AND A., 432.
Sharp (Fr. Chapman,) II, 145.
Shearman A.-T., 574.
SiDGwiCK A., 766.
Siebeck h., II, 416.
Sighele Se, 401, 2,
SiGNORELLI, II, 406, 3.
Signoriello N., 17.
SiGOGNE E., II. 304.
Sigvvart Chr., 512 ; 678, 2.
SiMÉoN Ch., II. 653.
SimmelG., 764. — II, 12; 300.
Simon J., 369, 1 ; 416, 1. — II,
1, 1 ; 16, 1 ; 136, 1 ; 208, 1 ;
265, 1 ; 291, 2 ; 331, 2.
Simon Th., 500 ; 501.
SiMONEY, II, 349, 1.
SiNÉTY (R. de), XXIV, 1 ; 176, 2 ;
351. — II, 531 ; 653 ; 654.
SiNIBALDO DE MaS, 461, 2.
Six P., 11,306.
Small A.-W., II, 303 ; 309.
Smedt(Ch.de),734,3.~II, 167, 2.
Smith A., 122, 1 -,,441, 4.
Smith H.-B., 575.
Sollier p., 81 ; 152, 1 ; 211 ; 346 ;
348; 350; 496.
Sorel g., 764. — II, 306; 309;
330.
Sorley W.-R., II, 146 ; 655.
Sortais G., xxiii, 2 ; 121, 3 ; 163
1 ; 196, 2 ; 230, 1 ; 312, 1 ; 314
1 ; 316, 4 ; 380, 2 ; 388, 1 ; 400
1 ; 485, 1 ; 583, 1 ; 586, 2 ; 655
1,2; 660, 3 ; 667, 2 ; 672, 4
683, 2 ; 766 ; 806, 3. — II, 132
2 ; 183, 2 ; 185, 2, 4 ; 218 ; 220
1 ; 224, 3 ; 225, 3 ; 230, 1, 2, 5
235, 2 ; 239, 1 ; 246, 4 ; 247, 2
250, 1 ; 251, 2 ; 255, 1 ; 256, 2
259, 3 ; 260, 2 ; 265, 2 ; 282, 1
293, 3 ; 308 ; 333, 1 ; 340, 1
342, 3 ; 344, 1 ; 372, 3 ; 383, 2
399, 1 ; 400, 1 ; 406, 2 ; 408, 1
413, 5; 414; 430, 2; 438, 1
448, 1,3; 502, 2 ; 508, 1,2'; 555
586, 1 ; 593, 3 ; 600, 2 ; 603, 1
632, 1 ; 641, 2 ; 643, 1.
Soto D., II, 468, 1.
Souben j., II, 377, 1.
SOULAVILLE F., II, 309.
Sou RI au P., 229, 1 ; 235 ; 653, 2 ;
728
INDE^C DES AUTEU,RS CITES
760, 1. — II, 145 ; 388, 1 ; 392 ;
395, 1 : 413 : 414 ; 415.
Spaier a., 352.
Spaldak a., II, 655.
Spencer H., xxvi, 1 ; 51 ; 121, 2
298 ; 431 ; 584, 1 ; 597, 2 ; 687, 2
752, 1 ; 777, 1. — II, 219, 1
247, 2 ; 302 ; 457 ; 496, 1 ; 535,
1 ; 554.
Spiller g., 51.
Spinoza B., 520, 1 ; 794, 1. — II,
219, 1.
Spir a., II, 458.
Spuller E., 815, 5
Squillage F., II, 414.
II, 351,
II, 496, 1.
Stallo J.-B., 658, 4.
Stapfer p.. Il, 415.
Steccanella V., II, 199, 2.
Stefanowska m., 133.
Stein (H. de), II, 377, 1.
Stein L., 752, 1. — II, 199, 2 ;
302 ; 651 ; 653.
Steinmetz R., II, 305.
Stewart T)., 246, 1 ; 263 ; 416, 1 ;
473, 1 ; 520, 1 ; 649, 1 ; 815, 4.
Stobée, II, 94, 1.
Stocquart E., II, 358, 1.
Stoerring g., 353. — II, 13.
Stoir\i R., II, 277, 1 ; 281, 2 ; 361.
Straub J., II, 459.
Strauss P., II, 264, 2; 301.
Strehler B., II, 144.
SiARKZ Fr., xxiv, 2 ; xxvii, 2 ;
252. I ; 260, 5 ; 316, 4 ; 486, 1 ;
670, 2 ; 768, 1 ; 794, 1. — II, 1,
1 ; 9, 1 ; ;{7, 1 ; 106, 3 ; 129, 3 ;
223, 1 ; 224, 2 ; 225, 4 ; 230, 4,
5 ; 270, 3, ; 275, 3 ; 276, 1 ; 290,
4; 291, 1; 311, 4 ; 343, 2 ; 457 ;
461, 1 ; 474, 1 ; 481, 2 ; 496, 1 ;
505, 1 ; 587, 3.
Sully J., 131 ; 194 ; 473, 1 ; 794,
1. — II, 393 ; 555.
Sully-Prudhomme Arm., 298;
349 ; 431. — II, 377, 1 ; 491.
Sumner Maine H.-J., II, 240, 4.
SuPAN, 734, 3.
SupiNO C, 757, 2. — II, 362.
Surbled G., 81 ; 131 ; 466, 1 ; 478,
1 ; 499. — II, 535, 1.
T
Tacite, 744, 1.
Taine h., 30, 1 ; 142, 4 ; 246, 1
250, 1 ; 264; 609, 1 ; 634,' 6
668, 2 ; 690, 2 ; 702, 3 ; 734, 3
748, 1. — II, 53, 2; 164, 2
261,1; 301,1; 351; 402,1; 535,1.
Tanon L., II, 132, 1.
Tannery L., II, 505, 1.
Tannery p., 598, 1 ; 670, 3.
Tanquerey Ad., II, 172, 3 ; 273, 3.
Taparelli d'Azeglio L., II, 1, 1 ;
46, 1 ; 152 ; 161, 2 ; 167, 1 ; 176,
3 ; 188, 3 ; 208, 1 ; 219, 1 ; 223,
1 ; 225, 1 ; 232, 2 ; 247, 2 ; 252,
1 ; 259, 1 ; 266, 1 ; 267, 1 ; 2 ;
304; 311, 1 ; 322, 2; 331, 2;
332, 2 ; 334, 1 ; 344, 1 ; 377, 1.
Tarde G., 133 ; ,498 ; 752, 1. —
II, 114, 1 ; 152; 267, 2; 303;
361.
Tarde (A. de), II, 305.
Tardieu e., 81 ; 133 ; 502.
Tardif E., II, 408, 3.
Tah(,)i iNi G., II, 334, 1.
Taudikre h., II, 213, 3; 218.
Tciiehlnoff j., II, 329.
INDEX DES AUTEURS CITÉS
729
Tedeschini p., II, 522, 3, 4.
Terraillon E., II, 146.
Terrât B., II, 181, 2.
Tertullien, II, 185, 2.
Thaller, II, 356, 1.
Thamin R., 415 ; 429 ; 596, 1. -
II, 81, 2; 93, 1.
Thamiry E., II, 652.
Theilard du Chardin P., II, 622
1 ; 623, 2, 3 ; 626, 2.
Théry Éd., 11,362.
Théry g., II, 242, 3 ; 358, 1.
Thévenin J., II, 530.
Thiers Ad., II, 188, 3.
Thomas, II, 612, 1.
Thomas A., 456, 1.
Thomas P.-F., 413, 1 ; 415 ; 430
— 11,327,2.
Thomas d'Aquin (Saint), xxv, 1
xxvii, 4 ; xxviii, 1 ; 130 ; 260
4 ; 298 ; 316, 4 ; 365, 3 ; 38,1, 2
403, 1,2; 416, 1 ; 444, 2 ; 511
768, 1 ; 770, 1 ; 775, 1 ; 794, 1
813, 2. — II, 1, 1 ; 9, 1 ; 28, 5
37, 1 ; 39, 1 ; 40, 1 ; 69, 5 ; 106
1, 3; 161, 2; 173, 1, 2; 193, 1
2, 3 ; 207, 1 ; 219, 1 ; 223, 1
252, 2 ; 263, 5 ; 271, 1 ; 273, 2
275, 4 ; 290, 1 ; 311, 3 ; 332, 1
384, 1 ; 386, 1 ; 413, 3 ; 453, 1
455, 2 ; 464, 1 ; 474, 1 ; 486, 1
511, 1 ; 554; 571, 11 ; 576, 2
630, 1 ; 635. 1.
Thomassin L., 435, 4.
Thorndike Ed., 131.
Thouverez Ém., II, 13 ; 458.
Thunen (J.-H. von), II, 358, 1.
Thureau-Dangin p., 793, 1. -
II, 164, 1 ; 293, 1 ; 337, 2.
Tissié Ph., 473, 1.
TissoT, II, 156, 1.
TissoT J., 11,529,2.
TiTCHENER E.-B., 52 ; 131 ; 132 :
349.
TiviER H., II, 458.
Todd A.-J., II, 309.
ToLEDo Fr., II, 194, 1 ; 593, 3.
Tolstoï L., II, 377, 1 ; 393. •
Tongiorgi s., 16.
ToNioLo G., II, 239, 2, 4.
Tonnelle Alfr., 215, 2.
TôNNiES F., II, 304;. 308.
ToNQUEDEc (J. de), 827, 4; 828,
2; 836; 845. — II, 492 ; 576, 1.
TôPFFER R., II, 377, 1 ; 399, 1 ;
410, 3.
TORREND C, II, 653.
TouRTouLON (G. de), II, 306.
TouRviLLE (H. de), II, 303.
Trémerel g., II, 374.
Triboulet h., II, 375, 1.
Trivero g., II, l'44.
Troilo e., II, 494.
Truc G., 431 ; 501; 829, 2. — II,
459 ; 494.
TucciMEi G., II, 652.
TuFTs J.-H., II, 13; 393.
Turco N., II, 146.
TuRGEON Ch., II, 302 ; 309 ; 362.
TURGEON Ch.-H., II, 362.
TuRiNAz Ch.-Fr., II, 375, 1.
TuRMANN M., 752, 1. — II, 199,
2 ; 239, 2 ; 261, 1 ; 265, 3.
TURNER W., 513.
TuRRo R., 499.
Tyndall j., 653, 4.
730
INDEX DES AUTEURS CITÉS
u
Ubaghs G.-C, 50.
Ueberweg Fr., 512 ; 527, 1.
Ulrich Alf., 497.
Underhill E., 502.
Urban W.-M., II, 145.
Urraburu J.-.J, 16; 512. — II,
458 ; 496, 1 ; 535, 1 ; 555*.
UssEL (Ph. d'), II, 240, 4.
Utitz Em., II, 416.
V
Vacandard e., II, 328.
Vacant A., 439, 4.
Vacherot Et., II, 240, 4; 459;
535, 1.
VailaTi g., 765.
Valdour J., II, 308.
Valensin Alb., II, 309; 310.
Valensin Aug., 575. — II, 362 ;
604, 3 ; 655.
Vallery-Radot R., 651, 3 ; 669,
3. — II, 496, 1.
Vallet p., II, 188, 3 ; 301 ; 377,
1 ; 414 ; 430, 2 ; 438, 2 ; 457 ;
491 ; 496, 1.
Valu L., II, 146.
VallierC.-A., II, 31, 1.
Valois G., II, 362.
Valson C.-A., 588, 1.
Van Biervliet J.-.J, 51 ; 211.
Van den Gheyn J., 456, 4.
Van den Heuvel J., II, 285, 2.
Van der Elst R., 499.
Vanderpol a., II, 273, 3; 307;
308 ; 309.
Vandervelde e., II, 201, 2.
Van Gennep A., 350. — II, 330.
Vanlaer m., II, 375, 1, 2, 3. ^
Van Molle J., 53.
Van Overbergh C, II, 199, 2.
Vareilles Sommières (de), II,
132, 1 ; 221, 1 ; 223, 1 ; 224, 1 ;
225, 5 ; 232, 2.
Varendonck j., 503 ; 767.
Varisco B., II, 493.
Vaschide N., 496 ; 500 ; 512 ;
728, 2.
Vauvenargues (L. de), 82, 1 ;
130. — II, 28.
Vecchietti e., 349.
Vecchio (G. DEL), II, 144 ; 145 ;
147 ; 304.
Vendriès j., 503.
Ventura J., 442, 5. — II, 223, 1.
Verhaegen a., II, 358, 1.
Vermeersch a., II, 147 ; 277, 1 ;
310 ; 359, 3 ; 362.
Véron e., II, 377, 1.
Véronnet a., II, 530 ; 531 ; 532.
VialFr., 11,655.
Vialleton L., II, 652.
Victoria Fr., II, 271, 2.
Vidari g., II, 13.
Vigne M., 752, 1.
Vigne P., II, 252, 1.
ViGNON P., II, 496, 1 ; 529 ; 533 ;
553.
ViGouRoux F., 703, 3. — II, 222,
2 ; 612, 1.
Villa G., 51.
ViLLEY Ed., II, 247, 2 ; 358, 1.
Villien a., II, 218.
Vincent G., 631, 1.
ViRCHow M., II, 632, 1.
Vischer Th., II, 377, 1.
INDEX DES AUTEURS CITES
731
Voisine G., Il, 533.
VoivENEL P., 499. — II, 160;
308 ; 417.
VOLKELT J., II, 415.
Voss L., II, 393. ■
Vries h. (de), II, 653.
VurpasCl., 496; 512.
\V
Waddington Ch., 466, 1 ; 511 ;
552, 1. — II, 16, 1 ;535, 1.
Wagner A., II, 361.
Walker (Leslie J.), II, 493.
Wallace R., II, 612, 1 ; 614, 3.
Wallace (Alfr. Russel), II, 653.
VVallaschek R., II, 415.
Wallerand g., II, 14.
Wallon H., 500. »
Wallon H., II, 176, 3 ; 177, 1 ;
178, 1,3; 179,4; 180,3; 181, J.
Walter Fr., II,^ 188, 3.
Ward j., 53.
Ward L.-F., II, 304.
Warrain F., lî, 492 ; 531.
Wartenberg m., II, 490.
Washburn (F. Margaret), 352.
Wasmann F., 500. — II, 612, 1 ;
652 ; 653.
Waterlot g., II, 374.
Waynbaum j., 499.
Webb S., 11,201, 1.
Weber a., II, 43(), 2 ; 604, 5.
Weber L., II, 459; 491.
Weil G.-D., II, 285, 2; 293, 3.
Weill g., II, 201, 1 ; 202, 2 ; 304.
Weislmann a., II, 612, 1.
Weiss J.-J., 11,261,2.
Weitch, 511.
Wellington, II, 168, 1.
Wentscher m., II, 12.
Wernick g., 574.
West W.-M., II, 330.
Westenmarck Ed. -Al., II, 13.
Whewell W., 649, 1.
Whitehead A.-N., 567, 10 ; 766.
— II, 494.
Whitney W.-D., 441, 3 ; 449, 3.
WiART E., II, 1, 1 ;
WiLBois J., 830, 2. — 11,146;
308.
WiLLEMS C., 16 ; 512.
WiLLMANN O., 17. II, 143.
WiLM J., II, 605, 1 ; 607, 1.
WiLMERS w., II, 194, 1 ; 331, 2.
WiNCKELMANN Al.-G., II, 377, 1 ;
406, 3.
WiNTER M., 766.
WiNTERER L., II, 188, 3 ; 199, 2.
WiTASEK St., 52.
WiTT (Mme de), II, 207, 2.
WiTTMANN M., II, 13.
WoLF (Ch.), 655, 1.
WoLF (M.), 573.
WOLHGEMUTII A., 133.
WooDWORTii R.-S., II, 530.
Woolf L.-S., II, 329.
WoRMS R., 713, 3 ; 752, 1 ; 764.
— II, 219, 1; 302; 307; 308;
; : 1 0.
WuNDT W., 16; 51 ; 178, 2; 496;
498; 501 ; 513. — II, 12; 531.
WiRTz A., 649, 1. — II, 496, 1.
Wyzewa (Th. de), II, 199, 2.
732
INDEX DES AUTEURS CITÉS
Xénophon, 392, 1. — II, 562.
YvES-GuYOT, II, 329 ; 351.
Z
Zaborowski, 441, 3.
Zahn Ph., II, 612, 1.
Zaî^ta L., II, 212, 1.
Zaragûeta J., 16 ; 503. — II, 553.
Zeiller J., II, 306.
Zeller Ed., II, 93, 1.
Zenthen h. -G., 763.
Ziegler Th., II, 151 ; 302 ; 352, 1.
ZiEHEN Th., 513.
ZiGLIARA Th.-M., 16. — II, 1, 1 ;
290, 7 ; 453, 1 ; 457 ; 513, 3 ;
523, 1 ; 587, 4.
ZiMMERMANN Ot., II, 653.
ZiNO ZiNI, II, 208.
ZoccHi G., II, 414.
TABLE ANALYTIQUE (^ DES DEUX VOLUMES
ET
VOCABULAIHE PHILOSOPlIKiUE (2'
A : symbole de la proposition Universelle affirmative, 532.
A = A : cette formule sert quelquefois à exprimer le principe d'identité.
Le signe = indique non l'égalité mathématique, mais l'égalité logique, c'est-
à-dire l'identité, 288.
Ab antécédente [Antecedere, devancer) : principe de la 1''^ figure du syllo-
gisme, 538.
Abaque [Abacus, de "Aêa;, aêaxo:, tablette) : l'abaque de Jevons est une
sorte do tableau imaginé par ce logicien anglais pour combiner certaines
idées. Cf. Stanley Jevons, Pure logic, p. 80, Londres, 1890.
Abduction (Abductio, de abductum, supin de ab-ducere, détourner) : Aristote
appelle abduction (ocTraYwyVÎ) le syllogisme dont la majeure est certaine et
dont la mineure n'est que probable. La conclusion n'aura qu'une probabilité
égale à celle de la mineure. L'attention se détourne de la conclusion pour se
porter sur la mineure dont on cherchera une démonstration. Ex. : Tout ce
qui s'enseigne est science. Or il paraît que la justice s'enseigne. Donc il parait
que la justice est science. (Cf. Premiers Analytiques, L. Il, ch. xxvii. Éd. Didot.
C'est à cette édition que nous renverrons pour toutes références à Akistote.)
Abéi.ard (Pierre) : Conceptualisme, 254.
Aberration [Aberratio, de aberratum, supin de ab-errare, s'écarter du
chemin) : ce mot signifie : a) scientifiquement : anomalie d'une fonction qui
l'empêche d'atteindre sa fin ; vg. aberration de la vue ; b) vulgairement : trouble
(1) On trouvera dans cette table non seulement l'indication détaillée de.s matil^rps
contenues dans les deux volumes, mais encore un Vocnhuhiire philosophique. — Les clulTres
précédés de II se réfèrent au second volume ; les autres, au premier. -— Lorsqu'un nombre
est suivi de 1, 2 ou 3, etc., cela signifie que la référence se rapporte .'i la noie 1, '2 ou 3. i;fc.,
de ia page indiquée par le nombre précédent. — Les étymologies et dérivations ont été.
en général, signalées, parce que souvent elles renferment des indices, dont le philosophe
peut tirer profit. On ne sera pas étonné de rencontrer certains mots latins à l'accusatif,
si l'on veut bien se souvenir que les mots français, de formation populaire, .sont empruntés
au cas accusatif.
(2) Ouvrages consultés : A. H.^tzfeld et \. Darmkstetf.r, Dictionnaire général de
la Langue française..., Paris, s. d. — Al. Behtrand, Le.xigue de Philosophie, Paris. 1892.
— N. SioNORiEi.LO, Lexicon peripaleticum philosophico-thcologicum..., Naples, 189.'i. —
Edm. Goblot, Le Vnrnbuloire philosophique, niris. 1901. — Vocabulaire technique et critiaue
de la PhiloRophie, dans Bulletin de la .Société Française de Philo.sopiue, Paris. 1902-
ig'22. — A. Bailly, Dictionnaire grec-français, Paris, 1903 *. — K. Benoist et H. (iOelzeh.
Nouveau Dictionnaire latin-français, Paris, 1912'',
7^4 TABLE ANALYTIQUE : Ab cxemplo — Abstractive
mental qui se manifeste par une erreur ou un oubli graves, mais transitoires. -
— Parmi les faits privilégiés, Fr. Bacon met les instantiœ déviantes ou faits
aberrants, 652.
Ab exemple (de Exemptum, supin de eximere = ex-emere, tirer de) : principe
de la 3^ figure du syllogisme, 538.
Abnégation [Abnegatio, de abnegatum, supin de ab-negare, refuser) :
oubli et sacrifice volontaires de soi-même.
Aboulie ('ASouXta, de y- privatif ; po^Xv-,, ce que l'on veut) : elle « consiste
essentiellement dans une altération de tous les phénomènes qui dépendent de
la volonté, les résolutions, les actes volontaires, les efforts d'attention. »
(Pierre Janet, Aboulie, dans le Dictionnaire de Physiologie de Ch. Richet,
T. I, p. 9, Paris, 1895) : a) Aboulie motrice : qui, sans présenter de paralysie,
se manifeste par une incapacité absolue d'agir ou par des hésitations. C'est
l'initiative qui est supprimée. — b) Incapacité de résister à une idée impul-
sive. — c) Aboulie intellectuelle, qui se manifeste par l'incapacité de faire
attention, 368.
Absence { Absent ia, de absens, partie, présent de ab-esse, être hors de,
loin de) : a) Psychologie : forte distraction, 239. — ■ b) Logique : Table
d'absence, 666.
Absolu {Absolutus, participe passé de ab-solvere, absolutum, délier et, par
extension, achever, parfaire) : a) Ce qui est libre et sans lien, c'est-à-dire sans
relation ni dépendance ; ce qui est indépendant de toute condition, 339. —
Compréhension de cette notion, 339-340. — Sa concevabilité, 340-341. — Son
origine, 341. — L'absolu, c'est Dieu, 343. — Le bien absolu, 343. — Le beau
absolu. 343. — b) Ce qui ne comporte aucune restriction : vg. pouvoir absolu.
— c\ Terme absolu, par opposition au terme relatif; celui, qui par lui-même,
exprime une notion complète : vg. homme. Père, fils sont des termes relatifs.
Absorption (Absorptio, de absorptum, supin de ab-sorbere, avaler, prendre
entièrement : a) État de l'esprit complètement saisi par une pensée. Herbart
l'oppose à la réflexion. — b) Propriété de l'addition et de la multiplication dans
l'Algèbre de la Logique. Elle a pour expression ces deux formules : a + ab = a ;
a (a -1- b) = a.
Abstention (Abstentio, do abstentum), supin de abstinere = abstenere,&e
tenir éloigné de) : abstention de l'électeur, II, 281-282 ; 282-283.
Abstine : maxime stoïcienne, II, 94 ; 95.
Abstinence [Abstinentia, de abstinere = abs-tenere, se tenir éloigné de) :
a) Au sens stoïcien de Abstine, II, 94 ; 95. — b) Sens chrétien : privation volon-
taire de certains plaisirs dans un but moral ; vg. pour acquérir la maîtrise de
soi-même, II, 158.
Abstraction [Abstractio, de abstractum, supin de abs-trahere, enlever, tirer
de côté, isoler) : acte par lequel l'esprit considère à part un élément d'une
représentation en négligeant les autres. Uanalyse, au contraire, considère
tous les éléments de la représentation analysée. — Nature, espèces, degrés, 246.
— Avantages et dangers, 247. "— Inadvertance aux choses extérieures, 239.
— Abstraction réalisée, 248. — Sophisme, 799.
Abstractive (Connaissance) : connaissance rationnelle d'une chose par le
moyen d'une autre qui eu est l'image, l'expression ou le symbole : vg. on connaît
la cause par l'eflet. Dieu par les créatures. Se dit par opposition à la connais-
sance intuitive, 246 ; 286. ^
i
TABLE ANALYTIQUE : Abstractivcment — AccommodaticB 735
Abstractivement, abstraitement : le premier mot indique une action :
connaissance obtenue par abstraction ; le second marque un état : résultat
de l'abstraction.
Abstrait (Abstractus, isolé de, participe passé de abs-trahere, abstractum,
tirer de côté) : c'est le résultat de l'abstraction. Se dit de toute notion que
l'on considère séparément de la représentation où elle est donnée : vg. l'huma-
nité. — S'oppose à concret, qui se dit, soit d'une représentation complète avec
tous les éléments qui la composent : vg. Vidée d'homme ; soit de ce qui existe
dans l'ordre réel avec tous ses éléments ; vg. Pierre. — Pour Hegel, qui
change le sens usuel du mot, Vabstrait c'est ce qui est connu en dehors de ses
relations avec le reste ; vg. le particulier est un abstrait, en tant que la
perception sensible l'isole de l'universel ; de même l'universel, en tant que la
réflexion l'isole du particulier. Le concret c'est ce qui est complètement déter-
miné par tout l'ensemble de ses relations ; vg. l'esprit. — Idée abstraite, 259.
— Terme abstrait, 518.
Abstraites (Sciences) : celles qui emploient les abstractions les plus élevées :
Métaphysique, Mathématique. — Classification, 1-2 ; 592-593. — Méthodes
des sciences abstraites, 625.
Abstraites-concrètes (Sciences) : classification par H. Spencer, 592.
Abstrus (Ahstrusus, enfoncé, caché, partie, passé de abs-trudere, abstriisum,
cacher) : ce qui est difficile à comprendre : idées abstruses, sciences abstruses.
Absurde {Ab-surdus, qui résonne confusément, discordant) : ce qui est
contraire à la raison. — Démonstration par l'absurde, 637-638. — Réduction
à l'absurde de Baroco et de Bocardo, 540-541.
Académie ( 'A>caoy;y.i'a, jardin d'Academos, où enseigna Platon) : a) An-
cienne : c'est l'Ecole de Platon, de Speusippe et de Xénocrate. — b) Nou-
velle : École d'ARCÉsiLAs, de Carnéade et de Clitomaque, II, 425.
Acatalepsie (i privatif et x.aTaXr/]/i'a, de xaTa->r,'l/t;, compréhension) :
a) Pyrrhon et Arcésilas emploient ce mot pour caractériser l'état d'esprit
du sceptique qui renonce par principe à la recherche de la certitude. —
b) Bacon : doute définitif, par opposition au doute méthodique (Novum
Organum, I, § 126.) Cf. G. Sortais, La Philosophie moderne depuis Bacon
jusquà Leibniz, p. 357, 2 ; 396. Paris, 1920.
Accident [Accidere = ad-cadere, tomber auprès, survenir, s'ajouter) :
a) Accident logique ou Prédicable : ce qui s'ajoute d'une façon contingente à.
l'essence et au propre, 481 ; 51G ; II, 481. — b) Accident catégorique ou Prédi-
cament : ce qui existe dans un autre : 320-321 ; 516 ; II, 480.-481. — Accident,
absolu, modal, II, 481. S'oppose non seulement à Substance, mais à Essence,
523. ~ Sophisme de l^accident, 800.
Accident (Par) ou, comme dit Aristote, xatà (7uy.[i£|'ir,xo;) : c'est ce
qu'un être fait ou ce qui lui survient indépendamment de son essence et de
ses attributs essentiels, vg. : un juge fait de la musique par accident, parce
qu'il n'en fait pas en tant que juge. — Conversion par accident, 534.
Accidentel (du latin scolastique Accidentalis, de accidere, tomber auprès,
survenir). Par opposition à essentiel : a) Ce qui appartient aux accidents d'un
être. — b) Ce qui lui arrive d'une manière contingente ou fortuite. — Indice
du caractère accidentel, 690.
Accommodatice (Sens^ : sens nouveau donné à un texte, que l'auteur
n'avait pas en vue, mais qui s'y adapte convenablement.
736 TABLE ANALYTIQUE : Accommodatioii — Actif
Accommodation {Accommodatio, de accommodatum, supin de accom-
modare = ad-coinmodare, approprier, ajuster) : action, en parlant d'un organe
ou d'une fonction, de s'ajuster aux conditions de son milieu. Le changement,
qui en résulte, s'il est fixé par l'hérédité, s'appelle adaptation, 703.
Accord (Méthode d') : procédé de Stuart Mill, 668 ; 690.
Achille,: l'argument de l'Achille est le nom donné au sophisme par lequel
ZÉNON d'Élée prétendait démontrer l'impossibilité du mouvement. Zénom
prenait comme exemple Achille aux pieds légers poursuivant une tortue.
Cf. Aristote, Physique, vi, 9.
Achromatopsie (« privatif, /ptôaa, couleur et o'V.t; vue) : impuissance
de la vue à discerner les couleurs, tout en conservant la perception générale
de clarté ou d'obscurité. Holmgren appelle cette infirmité la « cécitéjdes
couleurs ».
AcKERMANN (M""^ Louise) : Pessimisme, II, 648.
A conséquente : principe de la deuxième figure du syllogisme, 538.
A contrario (Argument) : 551.
Acosmisme (a privatif et xoVjjloç, monde) : l'acosmisme est la négation
du monde. L'acosmiste ramène le monde à Dieu et l'y absorbe. C'est pourquoi
Hegel a nommé le système de Spinoza un acosmisme plutôt qu'un athéisme.
Cependant, en refusant au monde une substantialité propre pour l'absorber
en Dieu, Spinoza fausse complètement la notion de Dieu, II, 603-604 ; 607-608.
C'est pourquoi il a été qualifié d'athée.
Acquis (de Acquérir, ancien français aqucrre, du latin populaire acquaerere) :
ce qui n'est pas primitif. — Perceptions acquises, 181. — ^ Éléments acquis
du caractère, 405 ; 407.
Acquisition (Acquisitio, de acquisitum, supin de acquirere = ad-quserere,
ajouter à) : fonction d'arcjuisition, 134.
Acroamatique, Acroatique, ( Acroamaticus, 'AxpoaaaTr/.o';, 'AxpoaTtxo;, rela-
tif à l'audition, de 'Axpoaa'/, leçon orale) : a) Se dit spécialement de l'ensei-
gnement oral d'Aristote. — b) Se dit aussi des doctrines secrètes (vg. chez
les Pythagoriciens) qui n'étaient transmises qu'oralement à un petit nombre
d'initiés, parce qu'on les jugeait inaccessibles ou dangereuses au vulgaire.
Synonyme d'Ésotérique. — S'oppose à Exotérique.
Acte [Actus, de actum, supin de agere, pousser, mouvoir) : a) Mouvement
coordonné chez un être vivant vers une fin. Ce mot s'applique spécialement
aux volitions ou à leur exécution : vg. faire acte de volonté. Acte et action,
358. Pour indiquer les autres actes, on ajoute une épithète : vg. actes instinc-
tifs, réflexes, involontaires. — b) En Ethique : opération libre qui implique la
responsabilité de l'agent : vg. acte bon, acte mauvais. — Acte et puissance,
47 ; II, 464-465. — Acte pur, 48. II, 577.
Acte pur : a) Aristote {Métaphys., L. XI, ch. vu) caractérise ainsi Dieu,
(•h>'z fjui tout est en acte, 48 ; II, 577. — b) Bacon (dans le Noi>um Organum,
II, §§ '1, 17) appelle Actus purus le mouvement mécanique dont la puissance
de transformation est réalisée tout entière à chaque moment du temps.
Actif { Activas, de actum, supin de agere, pousser, agir) : a] En train d'accom-
[)iir une action. S'oppose à Inactif, Inerte et encore à Passif. — b) Capable
d'accomplir une action. S'oppose à Passif; 47 ; 49-50-, 417-418. — Toucher
actif, 158.
TABLE ANALYTIQUE : Actif (IntcIIect) — Adéquat 737
Actif (Intellect) : traduction du Nou; à7r«5r^ç d'Aristote [De Anima,
L. III, ch. v) ; et du vouç TroirjT-.xo; de ses Commentateurs : vg. Alexandre
d'Aphrodise. S'oppose à Noûç Tra^rjTtxôç. — Doctrine d'ARisTOTE, 316-317.
Action (Actio, de actum, supin de agere, pousser, agir) : accident en vertu
duquel la cause est productrice de quelque chose. — C'est l'une des catégories,
296 ; 517. II, 485. — Action et acte, 358. — Besoin d'action, 61-62. — Divers
motifs d'action, II, 46-47. — Les Paradoxes de l'action, par R. Marchal, dans
Gregorianuni, 1923, p. 406 sqq. — S'oppose aussi à Passion, Inaction, Réac-
tion, 48.
Action (Philosophie de 1') : c'est le nom qu'on donne quelquefois à la
théorie de M. Blond el et L. Laberthonnière, à cause du rôle prépondérant
qu'ils accordent à Vactioti, entendue dans un sens très spécial et assez fuyant :
« J'entends par action ce qui enveloppe l'intelligence, la précédant et la
préparant, la suivant et la dépassant ; ce qui, par conséquent, dans. la pensée
est synthèse interne plutôt que représentation objective, ii (Blondel, Bulletin
de la Société françaisejle Philosophie, juillet 1902, p. 182. Cf. p. 190-191).
Action (Principe de la moindre) : tel que l'entendent Malebranche et
Leibniz : Natura nihil facit frustra. Natura agit per vias brevissimas, 658,
§ VI, 3°. Mais ils en ont fait à tort l'équivalent d'un théorème de mécanique
qui résulte des lois générales du mouvement, mais n'a point la portée méta-
physique qu'ils lui ont attribuée.
Actions réflexes : dans l'instinct, 112. Voir Réflexes.
Activité {Actii'itas, de activus, actif : se dit : a) de la force ou faculté qui
produit les phénomènes actifs : vg. volonté ; b) de l'ensemble des phénomènes
actifs : vg. l'activité psychologique ; c) de l'état de l'être qui fait un acte. —
Modes et degrés de l'activité, 48. — Activité immanente, transitive, 150 ;
330 ; II, 524.
Activité intellectuelle : tableau de cette activité, 134-136. — Fonctions
diverses, 137-345. — Résultats : idées du moi, du monde, de Dieu, 346.
Activité psychologique : 49-50.
Activité sensible : 49 ; 54-133.
Activité volontaire : 50 ; 354-432.
Actuation (du latin scolastique Actuatio, de actus, acte) : passage de la
puissance à l'acte, 48 ; II, 464.
Actuel [Actualis, de ac«Ms, acte : a) Ce qui est en acte, par opposition à ce
qui est en puissance, à ce qui est potentiel ou ç'irtuel : 47 ; II, 464. — Intention
actuelle, 47 ; II, 33. — b) Ce qui est présent à l'esprit.
Actuer (du latin scolast. Actuare, de actus, acte) : faire passer de la puis-
sance à l'acte, 48 ; II, 464.
Acuité (de Acutus, aigu, de acus, aiguille) : l'acuité des sens est le degré
de finesse dont les sens sont capables : vg. acuité visuelle, 186.
Adaptation [Adapter, de adaptare, ajuster) : a) Modification ordinairement
lente d'un organe ou d'une fonction, qui aboutit à les accorder avec leur
milieu. — b) Etat résultant de cette modification. — Adaptation de l'instinct,
105-106. — Faculté d'adaptation, 703. — Adaptation au milieu, II, 615 ; 628.
Adéquat, Adéquation (Adaequatus, Adaequatio, de adaequatum, supin de
738 TABLE ANALYTIQUE : Addition logique — Affectif
qd-aequare, égaler) : a) Se dit, en général, d'une idée qui représente complè-
tement un objet, qui l'égale, 518. — Définition de la vérité métaphysique,
XXVII, xxviii ; 770, 2. — b] Pour Spinoza l'idée adéquate est celle qui a toutes
les propriétés intrinsèque^ de l'idée vraie. — c) Pour Leibniz, c'est une idée
claire et distincte dont tous les éléments se résolvent en idées simples.
Addition logique (Additio, de additum, supin de addere, ad-do, ajouter) :
opération logique applicable aux concepts et aux propositions, 567-568.
Ad hominem (Argument) : valable seulement contre celui que l'on combat,
551.
Adiaphorie ('AS'.aoopîa, indifférence) : état d'esprit qui ne fait entre les
choses aucune difTérence de valeur et conséquemment ne peut être ému par
rien : c'est pour Pyrrhon le souverain bien, II, 421.
A dicto simpliciter (Sophisme) : qui passe a dicto simpliciter ad dictum
secundum qia'd, 800.
Ad ignorantiam (Argument) : où Ton profite de l'ignorance de l'adver-
saire pour le réduire au silence.
Adjectif {Adjectivus, de adjectum, supin de adjicere = ad-jacere, jeter
auprès, ajouter) : son rôle dans la phrase, 464.
Ad judicium (Argument) : où l'on en appelle au sens commun.
Admiration { Admiratio, de admiratum, supin de ad-rnirari, s'étonner) :
a) A gardé chez Descartes son sens ét^^mologique d'étonnement, 124. —
b) Ravissement de l'âme en présence du beau, II, 396.
Adoration ( Adoratio, de adoratum, supin de ad-orare, demander avec
prière, adorer) : acte par lequel nous témoignons de notre soumission à la
supériorité ou dignité infinie de Dieu. — Sentiment religieux, 98. — Devoir
envers Dieu, II, 332.
Ad populum (Argument) : qui exploite les passions et préjugés populaires.
Adventice { Adventitius, de adventum, supin de ad-venire, advenir) : idées
qui nous viennent du dehors par les sens. Descartes les oppose aux idées
innées et aux idées factices, 312.
Ad verecundiam (Argument) : où l'on se réfère à une autorité respectée.
Advertence ( Advertentia, latin scolastique dérivé de ad-i'ertere, tourner
son esprit vers) : condition de la liberté, 357. S'oppose à Inadvertance.
Adynamie ('Aouvaaîa, de à privatif et Wvaatç, force) : état de prostration
caractérisé par la difficulté ou l'impossibilité des contractions musculaires,
souvent aussi par l'obscurcissement des sensations et des idées.
yENÉsiDÈME ('Atvî(7i5-/)jj.oî, de aïvéw, louer; o"/Î!-«-c;, peuple) : Scepti-
cisme, II, 422.
Affecter [Afjectare, faire des efforts vers, fréquentatif de afjicere = ad-jacere,
agir sur) : exercer une action, spécialement sur la sensibilité.
Affectif [Afjectivus, de afjectum, supin de afficere = ad-jacere, agir sur) :
caractère commun des phénomènes de sensibilité (plaisir, douleur, émotion)^
distincts des inclinations ou des passions. Affectif ajoute à Passif l'idée qu'il ne
s'agit pas d'un état représentatif, et l'existence d'une réaction de la part du
sujet .sentant. — Caractère de la sensibilité, 34 ; 54. — Élément affectif de la
sensation, 72. — Logique affective, 785.
TABLE ANALYTIQUE : AffectioDi — Agrégat 739
Affection {Affectio, de affeclum., supin de afficere = ad-facerer agir sur) :
modification interne provoquée par une cause extérieure, 38 ; 54. — Inclination
altruiste, 86. — Dans un sens plus restreint que celui de modification, on entend
par affection les manières d'être qui sont senties par le sujiet.
Afférent {Afferens, de af ferre = ad-ferre, porter à) : nerf afférent, 71.
Affinité (Affinitas, voisinage, parenté par alliance, de affinis^ voisin,
de ad, près ; finis, limite) : affinité logique., psychologique r propriété qu'ont
les phénomènes psychologiques de s'attirer l'un l'autre par l'association des
idées, 213. — Principe de l'affinité générale, 694. — Affinités naturelles, 698.
Affirmatif [AQirmativus, de affirmare =■ ad-firmare, affermir, donner
pour certain) : a) Jugement, 272. — Proposition, 530. — Propositions : aîfir-
mative toto-totale, toto-partielle, parti-totale, parti-partielle, 552. — b) Esprit
affirmatif : tendance à se prononcer catégoriquement.
Affirmation {Affirmatio, de affirmatum, supin de affirmare = ad-firmare,
afTermir, affirmer) : acte par lequel l'on énonce l'existence d'une relation posi-
tive entre les termes d'une proposition. C'est l'âme du jugement, 266. —
Qualité des propositions, 530.
A fortiori (Argument) : 550.
Agassiz (Louis) : classification naturelle, 694, 1. — Types prophétiques,
699, 1. — Repousse le transformisme, II, 619, 1 ; 621, 1.
Age (du bas latin Aetaticum) : influence sur le tempérament, 467.
Agent {Agens, agentis ; participe présent de agere, pousser; faire, agir) :
tout être considéré comme agissant. — Cause efficiente, 324. — S'oppose
à Patient.
Agir (Agere, pousser, agir) : être, c'est agir, xxxi, 1 ; 48 ; 354. — Ce mot
a tous les sens du mot Action. — Il s'oppose à Pâtir, Subir.
Agnosie ('AyvojGta, de a privatif et de yvcoT'.;, connaissance) : absence
d'une connaissance particulière, qui fait défaut à la suite de cert-ains accidents
nerveux.
Agnosticisme (dérivé de Agnostique) : ce mot, créé par Huxley, désigne
surtout l'ensemble des systèmes philosophiques qui prétendent que certaines
réalités sont inconnaissables par nature : vg. I^elativisme de Hume,
Hamilton, etc., II, 427-428. — Positivisme de Comte, de Littré, etc., II,
446. — Evolutionnisme de Spencer, II, 576 ; 629.
' Agnostique ( "Ay^w<^'^°îi de « privatif et yvojttoç, connu) : celui qui prétend
que certaines réalités sont inconnaissables par nature.
Agoraphobie ('Ayopa, place publique; ^'s^'^;, crainte) : 489.
Agraire [Agrarius, de ager, champ) : Socialisme agraire, II, 200.
Agraphie (de à privatif et Ypa:i£tv, écrire) : impossibilité d'écrire, partielle
ou totale, qui provient d'un état nerveux, d'amnésie motrice.
Agréable (de Agréer, de à et gré = gratum, chose qui plaît) : qualité de la
sensation, 69. — Rapports de l'agréable et du beau, II, 387.
Agrégat (de Aggregalum, participe passé de aggregare, réunir, de ad,
vers ; grex, troupeau) : réunion de parties juxtaposées qui ne forment pas
740 TABLE AXALYTiQUE : AgriculteuF — Allégorie
un tout essentiel {unum per se), mais un tout accidentel {unum per accidens).
Cf. Leibniz, Monadologie, § 2. — Les Atomistes expliquent les corps comme
un agrégat d'atomes ayant entre eux une certaine cohésion, II, 507.
Agriculteur {Agricultor, de ager, agri, champ ; cultum. supin de colère,
cultiver) : propriété des peuples agriculteurs, II, 196.
Agrippa {'X-fû-r-.uz) : sceptique grec, II, 422.
Aïdéisme (de a privatif; toéa, idée) : se dit de l'absence totale d'idées qui
se rencontre, par exemple, chez certains hypnotisés, par opposition à l'état
polyïdéique, où le sujet a un nombre plus ou moins grand d'idées, et à l'état
monoidéïque, où il n'en a qu'une, 428.
AiLLY (Pierre d') : tendance au Nominalisme, 254.
Aisance (de Aise) : droit d'acquérir une aisance convenable, II, 190.
Alalie ('AXaXta, de à privatif; XaXiâ, babil, parole) : maladie qui produit
les troubles du langage. Synonyme d'aphasie.
Albert le Grand (Bienheureux) : réalisme modéré, 25&.\oir Création .
Alcoolisme (de l'arabe al, le ; quohol, quohl, chose subtile, poudre impal-
pable) : effets de l'alcoolisme, II, 375. — Remèdes, II, 376.f
Alcuin (Albinus Flaccus) : la liberté, 369.
Alembert (Jean Le Rond d') : classification des sciences, 586. — Classi-
fication naturelle, 585, 2. — Ligne droite, 634, 3. — L'esprit de conjecture,
641, 2.
Alexandrie (Ecole d') : méthode mvstique, 7. — Panthéisme alexandrin,
II, 602-603. — Intuition de Dieu, II, 555.
Alexie (de à privatif ; ÀeV-^ ^^'^w, lire ; À£;tç, élocution) : privation de la
faculté de lire ; c'est un cas d'amnésie visuelle.
Algèbre (du bas latin Algebra, de l'arabe al djabroun, la réunion) : 626. —
L'Algèbre de la logique, 566-573. Cf. Algorithmique {Logique). — Algèbre
métaphysique, II, 484.
Algésimètre (de "AXyoç, douleur ; ;.».c'Tpov, mesure) : nom donné à certains
instruments qui permettent de mesurer l'excitation ou pression nécessaire
pour déterminer une sensation de douleur.
Algorithme. Algorisme (de Al Korismi, nom d'un mathématicien arabe
du ix*^ siècle, (jui introduisit la numération décimale en Europe) : a) Originai-
rement, système de numération décimale. — b) Par extension, ensemble de
procédés de calcul.
Algorithmique (Logique) ou Logistique : on nomme ainsi la Logique formelle
qui cherche à exprimer les idées et leurs rapports au moyen de notations et
symboles semblables ou analogues à ceux de l'Algèbre, 566-573. On dit aussi
Algèbre de la Logique.
Aliénation, Aliéné (AUenatio, alienalus, de alienatuin, supin de alienare,
rendre autre, changer, de aliénas, étranger, do àlius, autre) : ce terme indique
les dérangements graves de l'esprit qui le rendent étranger [aliénas) à lui-
même, 488-489.
Allégorie {Allegoria, de àXÀviyopîa, de "'jtXXo;, àyopeusiv, parler) :
TABLE ANALYTIQUE : Allemanc (Jean) — Ame sensitive 741
symbolisme suivi. — • Imagination et allégorie, 223. — Comparaison et allé-
gorie, 245. — Analogie et allégorie, 711.
Allemane (Jean) : socialiste, II, 200.
Altération [Alteratio, de alteratum, supin de allerare, rendre autre, changer,
de aller, autre) : altération de l'idée du moi, 151. — Les Scolastiques appellent
altération toute transformation accidentelle, bonne ou mauvaise, qui rend un
sujet autre qu'il était, II, 517. Aristote emploie le mot àXXotwcr'.;, de àXÀo'.o;,
difîérent. C'est un changement qui alîecte la catégorie de la qualité.
Altérité [Alteritas, de aller, autre) : a) Fait ou qualité d'être autre. Se dit
de l'état de ce qui est autre, surtout pour indiquer une distinction simplement
numérique, vg. : entre deux gouttes d'eau. — b) Dans la Logique moderne :
négation de la relation d'identité.
Alternative (féminin de Alternatif, de alterner, de alterne, de alternas,
de aller, autre) : affirmation qu'entre deux propositions contradictoires, si l'une
est vraie, l'autre est fausse, 289. — Pratiquement, c'est l'obligation ou la
possibilité d'opter entre deux partis.
Altruisme (de Autrui sous l'influence de alter, autre) : a) Disposition psy-
chique qui porte à rechercher l'intérêt des autres et non le sien propre. Incli-
nations altruistes, 86. — Leur origine d'après les Associationnistes, 101. —
S'oppose à Égoïsme. — b) En Morale (terme créé par A. Comte) : doctrine
qui donne pour but à la conduite le bien, l'intérêt des autres, II, 81. — S'oppose
à Utilitarisme, Hédonisme.
Alvarez (Père Diego) : la prédétermination phvsique, II, 586, 2, 3 ;
587, 1.
Amaurose ( 'Aaaupto(7tç, obscurcissement) : diminution dans l'intensité
et la netteté des sensations visuelles.
Ambiguïté [Ambiguitas, de amhiguus, de ambigere — amb-agere, tourner,
autour) : sens double d'un mot ou d'une expression. — Sophisme de l'équi-
voque, 798.
Ame {Anima, "avEijioç, souffle) : le principe de la vie et de la pensée (ou
de l'une ou l'autre), considéré comme réellement distinct du corps. — Objet
de la Psychologie, 23. — L'âme et la conscience psychologique, 145-147. —
L'âme pense-t-elle toujours ? 154. — Rapports du physique et du moral,
466-489. — Devoirs envers l'âme, II, 158 ; 168. — Simplicité et spiritualité,
II, 535-543. — Immortalité, II, 549-552. — Union de l'âme et du corps,
II, 543-548. — Caractères distinctifs de l'âme et du corps, II, 539-540.
Ame du monde : dans Platon, l'âme du monde, créée par Dieu et distincte
de lui, en est le principe d'unité et d'harmonie. Cf. le Timée. — ■ Chez les
Stoïciens et d'autres Panthéistes, le monde est considéré comme un grand
corps organisé qui est animé par une intrlligeiice éternelle. Dieu est l'âme
du monde, II, 602.
Ame sensible : chez Bacon : c'est une substance matérielle qui nous est
commune avec les animaux (De Augmentis, L. IV, ch. m, Édit. Ellis, T. 1,
p. 604, Londres, 1889-). Ce sont les esprits animaux, tels que les entendra
Descartes.
Ame sensitive : c'est le principe de la sensibilité chez riiomme et chez
liN animaux, 48 ; 492 ; 493.
742 TABLE ANALYTIQUE : Aflie Végétative — Amputé
Ame végétative : c'est le principe de la nutrition, de la croissance et de
la reproduction, même chez les vivaiitg, qui n'ont pas la sensibilité, les végé-
taux, 48.
Amimie (de à privatif ; inu.io[j.ixi, imiter) : impuissance à coordonner
ses gestes pour exprimer ses pensées.
Amissibilité (de Amissibilis, qui peut se perdre ; de amissum, supin de
a-mittere, perdre) : amissibilité du pouvoir, II, 247 ; 288.
Amitié {Amicitia, de Amiens, ami, de amare, aimer) : inclination élective
réciproque entre deux personnes. — Ses conditions, 89. — Amitiés célèbres, 90.
Amnésie ('Auvifîai'a, de à privatif; avr'aoaat, futur de fjnixvr'axotjiai, se
souvenir) : perte ou affaiblissement de la mémoire. — Amnésie totale, partielle,
progressive, 210-211.
Amoral (de à privatif ; mûralis, moral) : ce qui n'a aucun caractère moral,
ce qui est indifférent en soi. II, 30.
Amorphe (de à privatif ; !-«-op'-p'i', forme) : se dit, en Sociologie, d'une société
qui n'est qu'un agrégat de familles, où les fonctions ne sont pas encore nette-
ment différenciées. — En Biologie, se dit d'une substance organique, mais
non organisée.
Amour {Amor, de Artlare, aimer) : a) Sens général, commun à toutes les
inclinations : tendance qui porte l'âme à s'attacher aux choses, 82. — b) Ten-
dance opposée à l'égoïsnie. — c) Affection entre personnes de sexe différent,
89-90. — Amour et désir, 82-83. — Amour de soi et égoisme, 84-85. — Fonde-
ment de l'amour des autres, 86-88. — Amour conjugal, 91. — Amour paternel
et maternel, 91. — Amour filial, fraternel, 91. — Amour de la patrie, 91-93.
— Amour de l'humanité, 93-94. — Amour du vrai, du bien et du beau, 96-97 ;
410. — Amour de Dieu, 97-98 ; 410-411. — Irréductibilité des inclinations
^à l'amour de soi : réfutation de La Rochefoucauld etdes Associationnistes,
^98-102. — BossuET ramène toutes les passions à l'amour, 123. — Morale fondée
sur l'amour de Dieu, II, 106. — Devoir d'aimer Dieu, II, 332. — Amour
effectif du prochain, II, 207.
Amour (Pur) : s'entend de l'amour de Dieu sans aucun mélange de motif
intéressé. L'homme doit s'élever jusque-là et produire de temps à autre
des actes d'amour parfait. Mais il lui est impossible de se maintenir constam-
ment à cette hauteur, comme l'exigeaient les Quiétistes.
Ampère (André-Marie) : classification des sciences, 1 ; 588. — Tact du
vrai, 617. — Classification naturelle, 693, 2.
Amphibolie transCendantale ('Auc&tpoÀîa, ambiguïté) : c'est, d'après Kant,
une forme particulière de l'équivoque, qui consiste à appliquer les « concepts
de réflexion » aux phénomènes sensibles, objets de l'expérience; vg. : prétendre
que l'identité, qui est pour Kant une notion a priori, est aussi une qualité
réelle des objets.
Amphibologie {Âmphibologia, de «aoîjBoXo;, ambigu) : élocution ou pro-
position à double serts. L'équivoque est un sophisme composé de propositions
amphibologiques, 798.
Amputé {Aniputatus, participe passé de am-putare, amputatum, couper
autour) : cas d'illu&iOn, 76.
TABLE ANALYTIQUE : Amusîe — Anarchisme 743
Amusie (de à privatif; [j.oîi<ia, musique) : nom de la maladie qui trouble
la faculté musicale.
AnagOgique (Anagogicus, de 'A vayoiytxo'ç, de àvayojYvi, induction) :
a] Sens de l'Ecriture Sainte, qui consiste dans un symbole figurant les choses
de l'ordre surnaturel et divin. — b) Leibniz emploie ce mot pour indiquer
ce qui se rapporte à l'Induction : vg. Essai anagogique dans la recherche des
causes. Cf. Philosophischen Srhriften, Edit. Gerhardt, T. Vil, p. 270.
Analgésie ( 'Ava)vyr,'7ta, de à privatif ; aXyoç, douleur), 479-480 : perte
partielle ou totale de la sensibilité à la douleur, coexistant avec la persistance
des autres sensations ou de quelques-unes de la sensibilité tactile : c'est ce qui
distingue l'analgésie de Vanesthésie. — On lui oppose V Algesthésie (àX-fatGârjCta,
de à'Xyo;, douleur ; ahOr^Gi;, sensibilité) : sensibilité à la douleur.
Analogie ( Analogia, de 'AvxXoyt'a, de 'Ava-Xoyo;, proportionnel, analogue) ;
identité de relation entre idées ou objets de nature difîérente. — Analogie
au point de vue : a) psy.hologique, 283. — b) logique,lQ5. — Définitions et
espèces, 705. — Formes, 706. — Valeur et vérification, 708. — Comparaison
avec l'induction et la déduction, 710. — Avantages et dangers, 711. — Emploi
du raisonnement par analogie, 329 ; 490 ; 762-763. — Analogie de l'être,
519-520 ; II, 461-462.
Analogies de l'expérience : Kant entend par là les principes a priori de
l'entendement pur, qui ont trait aux catégories de la relation et reposenC
eux-mêmes sur ce principe : « L'expérience n'est possible que par la repré-
sentation d'une liaison nécessaire des perceptions. »
Analyse {Analysis, de 'AvaÂudtç, de 'ava-Xu£tv, décomposer) : sens général
fondamental : décomposition, résolution. - — Jugement analytique, 273. —
Analyse de la pensée par le langage, 450. — • Procédé essentiel de la méthode^
608-609. — Définitions étymologique et scientifique, 609. — Analyse ration-
nelle, 610 — Analyse des anciens géomètres, 611, 3. — Analyse expérimentale^
612. • — Comparaison avec la synthèse, 614-615. — Règles de l'analyse, 615.
— Emploi de l'analyse, 615. — Esprit analytique, 617. — Comparaison avec
l'induction, 622. — P'ormes diverses du procédé analytique, 623-624. —
Analyse mathématique, 626.
Analytique {adjectif, de Anahjticus, de 'AvaÀurtxo;, qui résout) : jugement
analytique, 273. — Langue analytique, 455-456 ; 461. — Méthode analytique,
609. — Esprit analytique, 617. — Géométrie analytique, 626.
Analytique (I') (pris substantii-ement, de Analyticus, de Av/Àutixo?, qui
résout) : pour Aristote, V Analytique est la Logique formelle qui soumet à
l'analyse les formes des jugements et des raisonnements, 507. — Pour Kais't,
V Analytique en général est la science des formes de l'entendement, et V Ana-
lytique transcendantale est la science des formes a priori de rentondement pur,
il, 431-432.
Analytiques (Les) : traités d'AnisTOTE, 507.
Anarchie ('Avap/r/, de à ^ privatif ; «p/.vi, principe, commandement) :
absence d'autorité ou d'organisation. — Conséquence de la souveraineté
absolue du peuple et du Contrat social, II, 220. — Inconvénient du régime
démocratique, II, 242. — Anarchie intellectuelle, II, 346.
Anarchisme (de Anarchie) : doctrine morale et politique, affirmant l'équi-
valence absolue de tous l(!s êtres raisonnables, opposant la fraternité à la force,
744 TABLE ANALYTIQUE : AnatoDiie — Anselme (Saint)
ayant comme but l'indépendance complète à l'égard de toute espèce d'orga-
nisation et prenant comme programme d'action la destruction de toute
inégalité et de toute contrainte. Cf. M. Bakoum.\e, Dieu et VEtat, Paris,
1892-. — Fédéralisme, Socialisme et Antithéologisme, Paris, 1895.
Anatomie \ Anatomia, de AvaToar', de «va, à travers; Tour,, section) : sa
place dans les sciences, 2 ; 593 ; 646.
Anaxagore ( 'Ava;a-;opa;, de avaçrcto, commander ; àyopa, place publique) :
la main, 186.
Ancien (du latin populaire anieianum, de ante. avant) : autorité des anciens,
810-814. .
André (Père Yves-Marie) : le beau, II, 381.
Anéantissement (de Anéantir, de à et néant) : passage de l'être au non-
être. Se dit par opposition au simple changement, II, 549. — S'oppose à
Création.
Anesthésie ( 'AvaicO-ziaîa, de 'x privatif ; at(76r,c7tç, sensibilité) : abolition
générale ou partielle de la sensibilité. Ce mot s'applique surtout à la sensibilité
du toucher et même à la douleur. — Anesthésie du système nerveux, 473. —
Anesthésie des sens dans le sommeil, 478.
Animal ( Animal, de anima, souffle) : méthode pour étudier l'animal
490 : 724. — Activité de l'animal, 48. — L'instinct chez l'animal, 104-108
— Sociétés animales, 105. — Différences entre les industries de l'animal et
celles de l'homme, 107-108. — Nature de l'animal : âme raisonnable (Mon-
taigne), 106-107 ; bête-machine (Descartes), 108-109 ; âme sensitive (Bos-
suet), 492-493. — Ressemblances avec l'homme, 493-494. — Différences
essentielles entre l'animal et l'homme, 494-495. — Devoirs envers les animaux ?
II, 150. — Annihilation de l'âme de l'animal, II, 549, 3.
Animaux (Esprits) : doctrine de Descartes. Ce sont des vapeurs subtiles,
issues du sang, dont l'âme siégeant dans la glande pinéale se sert pour rayonner
de là dans tout le reste du corps^ II, 545.
Animisme (de Anima, âme) : a) l'âme est le principe vital, II, 527. —
b) Croyance de certains peuples à la présence d'âmes chez tous les êtres de la
nature.
Annihilation { Annihilatio, de annihilatum, supin de annihilare = ad,
vers ; nihil, rien) : pouvoir d'anéantir qui n'appartient qu'à Dieu, II, 549.
Anomalie {Anomalia, de '.\voju.a)a'a, inégalité, irrégularité, de à privatif et
de ôu.aÀdç, égal, régulier) : indique un écart du type ordinaire d'un phénomène,
d'un organe ou d'une fonction.
Anorexie (de » privatif et opsçtç, désir) : absence de la sensation de la
faim.
Anormal (du latin scolast. anormalis, de a privatif et de normalis, régulier,
de norma, règle) : ce qui s'écarte de la règle. — Cas anormaux, 477-489 ; 723-
724. — Elats anormaux : a) des organes, 189 ; h) de V imagination, 225-226.
Anosmie (de à privatif ; 'o^ii-Yi, odeur) : sorte d'anesthésie de l'odorat, qui
perçoit plus ou moins bien les odeurs.
Anselme (Saint) : preuve ontologique, II, 569.
l
TABLE ANALYTIQUE : AntagonisHie — Antilogie 745
Antagonisme ( 'AvTaywvKraa, lutte, de àvrî, contre ; ayowi'^otxat, lutter) :
ce mot indique, en Anatomie, l'opposition des muscles qui, en se contractant
successivement, produisent des mouvements inverses. Par analogie, on
appelle antagonisme l'opposition d'idées et de motifs qui poussent à des déter-
minations contraires, 234 ; 357-358.
Antécédent (de Ante-cedere, marcher devant) : a) Tout phénomène qui en
précède un autre, 323 ; 328 ; 393, 1 ; 665 ; s'oppose à Conséquent, 393, 1. —
b) Antécédent d'un jugement hypothétique : la proposition qui énonce la condi-
tion. Conséquent : celle qui énonce le conditionné. — c) Antécédents : ensemble
de faits, individuels ou héréditaires, qui expliquent la présence de certaines
anomalies psychiques.
Antériorité (de Anterior, de ante, avant) : on distingue l'antériorité : a) lo-
gique, (\\n est une priorité de nature ; vg. la cause est logiquement antérieure
à î'efl'et ; — b) chronologique, qui est une priorité de temps. — Antériorité
de l'idée générale ? 260. — Jugement d'antériorité dans le souvenir, 202.
Anthropocentrique, Anthropocentrisme ("ÂvOpto-rco;, homme ; xsvxpov,
centre) : doctrine qui regarde l'homme comme le centre du monde. — Le
point de vue anthropocentrique consiste à tout rapporter à l'homme et à
son utilité. Il est vrai que l'homme est le centre de l'univers en ce sens qu'étant
esprit et matière, il en est le résumé, 49 ; il est vrai encore que la terre et ses
ressources ont été destinées au service de l'humanité par la Providence du
Créateur. Mais il serait faux d'admettre que l'homme occupe le centre du
monde et que tout ce qui existe n'a été créé que pour lui, bref, qu'il est la
cause finale du monde.
Anthropologie (de "Av^pwTroç, homme ; Àôyo:, discours) : o) Au sens philo-
sophique, ce mot indique la science de la nature humaine, en tant que composée
d'une âme et d'un corps ; elle comprend la Psychologie et y ajoute une étude
spéciale du corps humain ; vg. Anthropologie de Maine de Biran. Anlhro-
pologia de D. Palmieri, au T. II de ses Institutiones philosophiez. — b) Kant
assigne à V Anthropologie un triple objet : c'est la connaissance l°)de l'homme
et de ses facultés ; 2°) de l'homme en vue de diriger la conduitede lavied'après
les principes de la métaphysique des mœurs ; 3°) de l'homme en vue d'accroître
son habileté. — c) Au sens des naturalistes, c'est l'histoire naturelle de l'espèce
humaine. Broca est le fondateur de la Société d' Anthropologie.
Anthropomorphisme (de^AvOftoTtoç, homme ; [J^opcpvi, forme) : tendance qui
porte à prêter à Di(ui ou aux dieux les attributs de la nature humaine, 248-;
713. — II, 580-581.
Anticipation {Anticipatio, de anticipalum, supin de anticipare = ante-
capere, prendre d'avance) : a) d'après les Stoïciens, c'est la pensée du général
en tant qu'elle surgit spontanément de la perception du particulier. —
b) D'après Épicure, l'anticipation (Tt-po^r/j^tç) est une sorte de généralisation
de l'expérience sensible qui sert à prévoir l'avenir. — c) D'après Kant, les
anticipations de l'expérience sont des jugements a priori qui sont applicables
à toute l'expérience future ; vg. : « Dans tous les phénomènes, le réel a une
grandeur intensive, c'est-à-dire un degré. •> — d) En général, anticiper sur
l'expérience, c'est se représenter a priori ce qui sera ensuite connu a posteriori :
ainsi l'hypothèse est une anticipation de l'expérience, 653.
Antilogie ('AvriÂoyia, contradiction ; de àvxi, contre ; Aoyo;, parole) :
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. — T. II. — 25
746 TABLE ANALYTIQUE : Aiitinomie — Aperception
les Sceptiques prétendent qu'à chaque jugement on peut opposer un jugement
contradictoire d'égale valeur : de là cette formule : n«v-i Xôyw lô-^^oç avriy-sixat,
II, 421.
Antinomie ('AvT'.vouLÎ-y. ; de àv-î, contre et voao;, loi) : a) en général, c'est
une contradiction entre deux lois ou principes, quand on les applique à un
cas particulier. — b) Antinomies kantiennes, II, 433.
Antipathie (Antipathia, de 'AvriTraôeia, de àvTÎ, contre ; TraOoç, passion) :
inclination malveillante, 94 ; II, 18.
Ain'tisthène ('AvTtGOcV/;;, de «vTt, contre ; o'Oivoç, force) : il combat le
réalisme de Platon, 256.
Antithèse ( 'AvTtO£<7i;, de avrt^ contre et 6£<7'.ç, position) : opposition de
rens entre deux termes ou deux propositions dont l'affirmative est appelée
thèse, et la négative, antithèse. On nomme synthèse la proposition dans laquelle
se résout leur opposition, quand la conciliation est possible. — Antithèses :
a) dans les antinomies kantiennes, II, 433 ; — b) chez Hegel, II, 605-606.
Antitypie ('AvTtrJTrt'a, résistance, de «vrt, contre ; racine tutt, idée dr
frapper) : mot employé par Leibniz pour signifier que naturellement deux
corps ne peuvent occuper simultanément la même portion de l'espace. [Attri-
butum per quod materia est in spatio. Cf. Erdmann, p. 463^). Cette impossi-
l.nlité provient de la résistance que chaque corps oppose. Il en concluait
contre Descartes que l'étendue étant inerte ne suffit pas à expliquer l'essence
des corps, II, 509.
Apagogie ('ATraywyr^, action d'amener) : on nomme raisonnement apago-
giguc soit : o) la réduction d'un problème à un autre, d'après Auistote ; —
b) la démonstration par la réduction à l'absurde, 637-638 ; — c) le raisonnement
qui consiste à prouver une proposition par la réfutation de toutes les autres
alternatives : c'est le modus tollendo ponens du syllogisme disjonctif, 549.
A pari (Argument), 550.
A parte ante. A parte post : locutions scolastiques qui signifient par avant,
par après ; vg. : l'éternité est sans fin et dans le passé [a parte ante) et dans
l'avenir [a parte post), tandis que le temps est sans fin seulement a parte post.
A parte rei : locution scolastique signifiant qu'une considération est prisr
de la nature de la chose et non de la nature de l'esprit qui la connaît.
Apathie {Apathio, de 'A^aOetot, de à privatif ; rA^io:^ passion) : a) Aristote
[ne Anima, L. III, ch. iv, § 5) distingue l'indifférence de l'esprit (voîi;) que
rien n'afîecte, et l'insensibilité du sens (aîci(5-/;Ttxov) qui, par suite d'une
excitation excessive d'un sensible, s'émousse et devient incapable d'être
affecté par un autre sensible, 64 ; — b) les Mégariques, les Stoïciens
(;t les Sceptiques entendent par là l'état d'une âme indifférente, insensible
aux mobiles sensibles, même A la douleur qu'elle méprise ou ne ressent plus.
Dans l'à-céOsta. le sage n'éprouve aucun sentiment (Cf. Cicéron, Acadcm.
L. 11, ch. xLii, à propos do Pyrrhon) ; dans l'àTacair/., il n'en est pas troublé,
118:11,94.
Aperception. Apperception (de Apercevoir, de à et percevoir) : a) créateur
du mol, Leirniz. entend par là une perception consciente, distincte, réfléchie
II, 512, 5. b) Kant distingue une aperception : 1°) empirique, qui résultedan-
la conscience empirique de Tniiion de toutes nos représentations; 2°) pure :
TABLE ANALYTIQUE : Aphasic — Appétltioii 747
c'est l'acte fondamental par lequel la pensée rattache au « je pense » toutes les
représentations de la conscience empirique pour les ramener à l'unité du sujet
pensant ; mais cette aperception s'arrête au phénomène de la pensée sans
pouvoir atteindre notre être en soi, le noumène qu'on exprime par ces mots :
'( Je suis. » — c) V. Cousin appelle aperception pure la vue spontanée des choses,
qu'il oppose à la connaissance réfléchie.
A|)hasie ('AfaTi'a, mutisme ; de à privatif ; .iâTtç, parole) : perte partielle
ou totale des fonctions du langage, 210-211.
Aphorisme {Aphorismus, de 'A'.popt-jt./.o;, délimitation, de «rrô, marquant
séparation ; opîÇeiv, borner) : maxime qui condense en peu de mots une
vérité de grand sens. — Aphorismes de Condillac relatifs au langage, 462.
Apocryphe (Apocryphus, de 'Attoxpu'^oç, caché, de «Tro-zpuTrTstv, cacher) :
écrits apocryphes, 742.
Apodictique (Apodiclieus, de 'ATio-osiTty.o';, de àTîoSetçtç, démonstration):
pour Aristote, c'est une proposition démontrée. — Kant distingue,
au point de vue de la Moralité, les propositions apodictiques, assertoriques et
problématiques. Les apodictiques sont celles « qui sont liées à la conscience de
leur nécessité » ; elles ont une valeur nécessaire, absolue, qu'on ne peut
contredire.
Apologie {Apologia, de 'ATroÀo-'i'a, défense, de àiio, loin de ; Àôyoç, dis-
cours) : VJ4'. : Apologie de Socrate par Platon ; les Mémorables de Xénopi^)n,
392, 1 ; II, 562. ^
Apologue (Apologus, de 'ATioXoyoç, récit, fable) : récit sous forme de fable
ou de mythe pour mettre en relief une vérité métaphysique ou morale. Platon
en use dans ses Dialogues ; vg. : le jugement des âmes dans le Gorgias ; les
prisonniers de la caverne, dans la République, 310.
Apophthegme ('A7roï<6£y;j.a, défense ; de à7ro-iO£yYo;j.at, prononcer) : c'est
une sentence mémorable de personnages célèbres ; vg. :Apophthegmes des rois
et des capitaines célèbres par Plutarque.
Apostasie {Apostasia, de àiroTTacia, de àsiTTr.at, s'éloigner, se détacher,
«XTro-ar/iTO)) : apostasie sociale, II, 333.
A posteriori (sous-entendu parte, de posteras, qui est après, de post) : les
connaissances qui proviennent de l'expérience ou en dépendant, 273. —
S'oppose à A priori.
Apparence (Apparentia, apparition, de apparens, participe présent de
apparere = ad-parere, se montrer) : a) ce qui ressemble à la réalité et
en donne l'illusion ; vg. : un sophisme n'est concluant qu'en apparence. —
b) Synonyme de phénomène : ce qui est différent de la chose en soi, 23.
Appétit [Appetitus, de appetitum, supin de appetere = ad-petere, tendre
vers) : inclination ayant pour objet un besoin soit organique, soit intellectuel,
soit moral à satisfaire. — Appétits sensitif et rationnel, 44. — Appétits
concupiscible et irascible, 44 ; 122. — Distinction entre appétits et penchants,
83-8 '<. — Inclinations physiques ou appétits, 83-84.
Appétition (Appetitio) : d'après Leibmz, tendance de toute monade ;^
passer d'une perception à une autre, II, .511-512.
748 TABLE ANALYTIQUE : Appllcatioii — Arbitraire
Application (AppUcatio, de applicatum, supin de applicare = ad-plicare,
approcher, attacher) : forme de l'attention, 239. — Mode de l'expérience
(Bacon), 662.
Appliqué (participe passé d' Appliquer, de applicare = ad-plicare, appliquer
à) : mathématiques appliquées, 624 ; 627.
Appréciation (de Apprécier, de appretiare, évaluer, de ad, à l'égard de,
et pretium, prix) : jugement sur la valeur d'une chose ou d'une idée, c'est-à-dire
leur degré de perfection relativement à une fin donnée. — Les sciences dites
normatives étudient les jugements appréciatifs.
Appréhension (Apprehensio, de apprehensum, supin de apprehendere =
ad-prehendere, saisir) : a) d'après les Scolastiques, Port-Royal, c'est la
première et la plus simple des opérations de l'esprit ; elle consiste à concevoir
une idée, 236; 266; 520, 1. — b) Signifie, chez les Psychologues anglais, la
connaissance de l'individuel.
Approbation (Approbatio, de approbare = ad-probare, donner son assen-
timent, de probus, bon, honnête) : appréciation favorable. — Jugement de la
conscience morale, II, 16-17. — Son rôle d'après Sjmith, II, 82.
Appropriation {Appropriatio, de appropriation, supin de appropriare,
.^e rendre propriétaire, de ad, à l'égard de, et proprius, propre) : acte par
lequel on fait sien ce qui n'appartient à personne [res nullius) : actes d'appro-
priation, II, 190-191.
...- Apraxie ('ATtpoc^ta, inaction, de a privatif ; Tipocacw, irpàçto, faire) : inca-
pacité de reconnaître l'usage des objets (on prendra un canif pour un porte-
plume) ou leurs formes, sans que d'ailleurs la vue soit altérée.
A priori (sous-entendu parte ; de prior, premier, de pro, devant) : a] Sens
philosophique : ce qui est indépendant de l'expérience, c'est-à-dire que l'expé-
rience ne suffit pas à expliquer. Ce mot indique une antériorité logique, 273-
274. — b) Sens scientifique : les savants appellent a priori toute connaissance
antérieure à telle expérience spéciale ; pour Cl. Bernard, l'hypothèse est
une idée a priori, 659, 4.
Apriorique : qui est a priori. S'oppose à Empirique.
Apriorisme : emploi des notions a priori.
Aprosexie ('A7:poT£;îa, inattention ; de à privatif et TipoT-s/w, Trpoae^o},
s'appliquer) : impuissance à concentrer l'attention ; c'est la caractéristique
de Joules maladies mentales.
Apsychisme (de « privatif ; '{'u/ii, âme) : idiotisme, 488.
Aptitude (Aptitudo, de aptus, propre à) : disposition naturelle qui rend
propre à quelque chose, 37. — Aptitude à lutter pour l'existence, II, 614.
AitAfio (Dominique-François) : ce qui est impossible, 739.
Arbitrage (de Arbitre, de Arbiter, de ar — ad, vers ; du verbe archaïque
heterc, aller. Uarbiter — celui qu'on va trouver ; de là, celui qui juge, décide) :
jugement amiable d'un différend par arbitre. — • Arbitrage international, II,
318-321.
Arbitraire (Arbitrarius, de arbiter, qui juge à l'amiable) : a) sens javo-
rablc : ce qui dépend du libre arbitre, d'une décision individuelle ; — b) sens
péjoratif : c(! qui ne dépend que du caprice et du bon plaisir : vg. pouvoir
TABLE ANALYTIQUE : Arbitre (Franc ou Libre) — Argument 749
arbitraire. Le pouvoir absolu conduit facilement à l'arbitraire et à la tyrannie ;
cependant il n'implique pas l'idée d'arbitraire, mais celle de pouvoir sans
limite ni contrôle, II, 143.
Arbitre (Franc ou Libre) (de Arbiier, voir Arbitrage) : synonyme de Liberté ;
voir Liberté.
Arbitre (Serf) de {Servus, esclave) : expression de Luther, qui prétend
que la volonté est comme nécessitée par la grâce et que, sans son aide, elle
est condamnée au mal.
Arbre de Porphyre : hiérarchie des idées généralee, 251-252.
Arc réflexe : voir Réflexe.
Arcésilas ( 'ApxETtXaoç, de ofxtto, être utile; ^aoç, peuple) : fondateur
de la Nouvelle Académie, II, 425.
Archée [Archeeus, Archeus, dérivé de «p/ii, source, principe) : mot créé
par Paracelse et adopté par J.-B. van Helmont pour signifier le principe
vital. Ce principe n'est pas un esprit, mais un corps astral, qui réside dans
l'estomac et conserve l'être vivant en dirigeant la nutrition.
Archétype (Archetypus, de ap/.ÉTuitoç, de ào/r', principe; tutto;, forme):
a) Type suprême, idéal des choses, vg. les Idées de Platon, 255. Cf. 257, 2.
— b) Chez les Scolastiques : idées de toutes choses telles qu'elles existent
dans la pensée divine, qui en est la cause exemplaire, 769. II, 395-396. —
c) On trouve un sens analogue chez : Berkeley, Dialogue d'Hylas et de Phi-
lonoiis. Édit. Fraser, Works, T. I, p. 468, Oxford, 1901. Trad. Beaulavon
et Parodi, p. 259. Paris, 1895. — Locke, Essais, L. II, ch. xxxi. — Cf.
Leibniz, Nouveaux essais, L. II, ch. xxxi, § 3. Édit. Janet, T. I, p. 226).
Architectonique (Architectonicus, de 'Aû/tTexTovtxoç, relatif à l'archi-
tecture) : a) Aristote nomme science architectonique par rapport à une
autre, celle qui se subordonne les fins de la seconde ; vg. la Politique par
rapport à la Stratégique. Cf. Éthique à Nicomaque, L. I, ch. i, § 4. L. VI,
ch. VIII, § 2. — b) Leibniz emploie ce mot adjectivement dans le sens d'orga-
nisateur, d'inventeur. Il l'emploie aussi pour caractériser les lois de l'univers
qui découlent du principe de raison et, par suite, dépendent de la volonté du
Créateur : vg. Principes de la conservation de la force, de continuité, de la
moindre action. Cf. Essai anagogique dans la recherche des causes. Edit.
Gerhardt, t. VII, p. 270. — Kant l'emploie substantivement pour désigner
« l'art des systèmes », c'est-à-dire cette partie de la Logique qui fait la théorie
de ce qu'il y a de scientifique dans la connaissance générale. Cf. Critique de
la raison pure : Méthodologie, ch. m.
Architecture ( Architectura, de architectus, àpxiTsxTwv, chef des ouvriers,
de ap/(o, commander ; tsxtow, ouvrier) : sa place parmi les arts, II, 408, 409.
Areligieux (de a privatif et religieux) : mot, de création récente, pour signi-
fier la neutralité de l'État en matière religieuse. Une pareille neutralité est
condamnable, car elle aboutit à l'apostasie sociale, II, 333.
Arétologie (de àpsTvi, vertu : Xdyoç, discours) : c'est la science de la vertu
et de la moralité.
Argument [Argumentum, de arguere, éclaircir. Cf. '«pyoç, blanc, clair) :
en général : raisonnement qui vise à prouver une proposition déterminée
750 TABLE ANALYTIQUE : Argumentation — Arithmétique
ou à la réfuter. — L'argument est l'expression verbale du raisonnement, 514.
— Arguments syllogistiques, 535-551. — Argumentum cornutum, 550. —
Argument ad hominetn, 551. — Argument téléolo gique , II, 561. — Argument
ontologique, II, 569.
Argumentation { Argument atio, de argumentatum, supin de argumentare,
raisonner) : a) Suite d'arguments visant à établir une même conclusion. —
b) C'est l'art d'enchaîner les arguments. — Emploi de la méthode syllogis-
tique : avantages et inconvénients, 841-843.
Argumentum baculinum (de Baculus, bâton) : a] Procédé qui consiste à
frapper la terre du bâton pour prouver la réalité du monde extérieur. — b) On
l'entend aussi de l'argument qui consiste à frapper les gens pour les convaincre ;
vg. frapper un sceptique pour le convaincre de l'existence des autres, II, 423.
Sganarelle bat le pyrrhonien Marphurius pour réfuter son scepticisme. (Cf. Mo-
lière, Le mariage forcé, scène VIII).
Aristippe ( 'ApiVxtTrTro;, de aptaroç, le meilleur, ititto; cheval) : fondateur de
la morale du plaisir, II, 48.
Aristocratie ('Ap'.c-roxsaTsta, de aptcxoç, le meilleur ; xcaToç, puissance):
a) Forme de gouvernement, II, 232 ; 234 ; 234-235. — b) La classe sociale qui
exerce cette forme de gouvernement. — c) Par extension, une classe qui est
considérée comme supérieure, sous un rapport ou sous un airtre, à la masse
des citoyens.
Aristote ('Ap[c7T0T£Xr,ç, de aptcro; le meilleur; téXoç, fin) :
A) Psychologie : classification des facultés de l'âme, 43. — Dieu acte
pur, 48; II, 577. — Plaisir, fait positif, 58. — Origine et lois du plaisir, 61-62 ;
62-65. — Conditions de l'amitié, 89. — Classification des passions, 122-123.
— Valeur et traitement des passions, 118 ; 120. — Réalisme modéré, 256-257.
— Définition du jugement, 265. — Principes communs et principes propres,
292. — Dix catégories, 253-254 ; 296. — Intellect actif, 316. — Quatre causes,
324. — Effets de l'habitude, 418-419. — Nature de l'habitude, 421-422. —
Habitude et liberté, 425, 2. — Pas de pensée sans image, 452, 2. — Intel-
ligence séparable du corps, 468, 3. — Ame sensitive de l'animal, 492-493.
B) Logique : 506. — Définition réelle, 521. — Théorie de la déduction
immédiate et médiate, 531-556. — Démonstration : ses conditions et principes,
561-563. — Science, 577-578. — Pas de science du particulier, 579 ; 581. —
Classification des sciences, 585-586. — Induction formelle, 674. — Fondement
de l'induction, 680-682. — Méthode de la métaphysique, 761. — Confiance
excessive accordée à Aristote, 810, 814. — Abus des principes a priori, 843.
C) Morale : union de la raison et du sentiment, II, 26. — Fin en soi,
II, 46, 2. — Eudémonisme rationnel, II, 91. — Vertu : théorie du juste milieu,
II, 126. — Justice commutative et distributive, II, 162. — Justice et équité,
II, 162-163. — Légitimité de l'esclavage, II, 177-178. — L'homme, animal
sociable, II, 222. — Forme de gouvernement, II, 233, 2.
D) Esthétique : définition du beau, II, 382-383. — Rire, II, 392, 2.
E) Métaphysique : définition, II, 419. — Lieu, mouvement, temps, II,
506, 1, 2, 3. — Matière et forme, II, 513. — Animisme, II, 527 ;529; — Premier
moteur, II, 560. — Dualisme, II, 601.
Aristotélisme (de Aristote) : ensemble des doctrines d'AnisTOTE. Voir
Aristote.
Arithmétique ('Ap'.0;ji.-/;Ttx/i te'/vt), art relatif à la numération, de àptOf^ô;
nombre) : sa place dans les sciences, 592 ; 626.
TABLE ANALYTIQUE : Amauld (Antoïne) — Assertion 751
Arnauld (Antoine) : les quatre opérations de l'esprit, 514. — De la défi-
nition, 521 ; 525, 1 ; 526, 2 ; 527, 1. — Analyse et synthèse, 612, 2. — Classi-
fication des sophismes, 801, 1, 2.
Arrhepsie ('App£|ta, équilibre) : les Pyrrhoniens qualifiaient ainsi l'état
de l'esprit hésitant entre l'alTirmation et la négation.
Art (Ars, de ac'-), adapter, disposer) : a) Sens général : ensemble de règles
et de procédés visant à produire un résultat déterminé, II, 394. En ce sens,
l'art s'oppose : l") à la science, qui est une connaissance désintéressée, indé-
pendante des applications, 581 ; — 2°) à la nature, en tant qu'elle produit
sans réflexion. — b] Sens esthétique : toute expression sensible de la beauté
par un être intelligent, II, 394. — Source d'informations psychologiques, 723.
— Trois écoles : idéaliste, réaliste, spiritualiste, II, 394-395. — • L'art et l'imi-
tation, II, 397-400. — Grandes lois de l'art, II, 401. — Valeur des règles
artistiques, II, 404. — Science et art, II, 408. — Classifications des arts :
arts mécaniques ou utiles, arts libéraux ou beaux-arts, II, 408. — Art et
morale, II, 410. — Art et civilisation, II, 326.
Article [Articulus, articulation, de artus, jointure. Cf. apto, adapter) : rôle
dans la phrase, 464.
Articles : les 4 articles de 1682, II, 342. — Articles organiques, II, 342-343.
Articulaire {Articularius, de articulus, jointure) : sens récemment imaginé
qui aurait pour organes les corpuscules de Kuause situés dans le voisinage
des articulations.
Artificiel i Artificialis, de artifex = ars, art, facere, faire) : culture artifi-
cielle de la mémoire, 208-209. — Signe, langage artificiel, 436 ; 439. — Som-
nambulisme artificiel, 478. — Classification artificielle, 693. — Unité artifi-
rielle, II, 471. — Sélection artificielle, II, 613.
Ascétisme ( 'A'Jxr,Tvi(;, celui qui s'exerce ; de àaxét», s'occuper, s'exercer) :
l'ascétisme, en général, est un genre de vie austère, qui a pour but de soumettre
lo sensibilité à la raison. Les Stoïciens recommandent l'ascétisme : ^ès<m<?,
II, 94 ; 95. — L'ascète clirétien se mortifie non seulement pour arriver à la
maîtrise de soi-même, mais encore pour expier et réparer ses fautes et
celles des autres. — Macérations ascétiques, II, 158.
Aséité (Aseitas, latin scolastique, de a se esse, être de soi) : perfection d'un
être qui a en soi-même la raison de sa propre existence, II, 343-344 ; 557 ; 573-
574. — Les Scolastiques l'opposent au mot Abalietas, indiquant un être dont
l'existence dépend d'un autre comme cause efficiente (ab alio esse), II, 557.
Assassinat (de l'italien assassinare, tuer) : crime contre la vie d'aulrui,
II, 166. — Assassinat politique, II, 166.
Assentiment (de Assentir, de assentire = ad-senlire, approuver) : appro-
bation que l'esprit donne à une proposition. C'est un acte d'intelligence,
tandis que le consentement est un acte de volonté, 270-271. — L'adhésion ou
assentiment de l'esprit se trouve, à des degrés divers, dans l'opinion et dans
la certitude, 775 ; 777. — Les Stoïciens appelaient assentiment (^uvxa-aOsatî)
l'activité de l'âme qui rapporte la représentation sensible à un objet —
L'Illative Sensé de Newman, 788-790.
Assertion {Assertîo, de assertum. supin de asserere = ad-serere, attribuer,
assigner) : ce ternie n'est pas synonyme d'affirmation, car il peut s'appliquer
à l'énoncé d'un jugement négatif.
752 TABLE ANALYTIQUE : Asseftoire — Associationnisme
Assertoire, Assertorique (dérivé de Assertion] : d'après Kant, les juge-
ments assertoriques sont de simples alTirmations ou négations, qui n'impliquent
aucune idée de nécessité ou de possibilité. Leur modalité correspond à la caté-
gorie à.^ existence : ils expriment des vérités de fait, tandis que les jugements
apodictiques énoncent des vérités de droit.
Assimilation (Assimilatio, de assimilatum, supin de assimilare. imiter,
feindre, rendre semblable = ad-similare, ad-simulare, de similis, pareil) ;
a) Transformation qui va du différent au semblable. S'oppose à Différenciation.
— b) Théorie scolastique de la connaissance, 162. — c) Certains psychologues,
comme James Sully, appellent assimilation l'acte réflexif, par lequel l'esprit
reconnaît une ressemblance entre des choses numériquement différentes.
Assistance (de Assister, de assistere = ad-sistere, se tenir près de) : assis-
tance mutuelle des époux, II, 212. — Devoir des enfants envers leurs parents,
II, 217. — Fonction d'assistance incombant à l'État, II, 248 ; 249. — Assis-
tance par le travail, II, 164. — Assistance : a) publique, II, 264 ; b) légale,
II, 264. — Devoir d'assistance privée ou de charité, II, 207 ; 263-264.
Associatif (de Associatum, supin de associare = ad-sociare, réunir) : loi
associative de l'addition et de la multiplication logiques, 569.
Association (de Associer, de associare = ad-sociare, réunir) : a) Sens psycho-
logique : 1°) Propriété que les phénomènes psychiques ont de s'attirer entre
eux. — 2°) Groupe qui résulte de cette propriété. — Association des idées :
domaine et nature, 212. — Théorie anglaise de son mécanisme, 213. — Théorie
écossaise, 216. — Rôle de l'association, 219. • — Excès de l'Associationnisme,
220. — b) Sens sociologique : état de vie sociale en tant qu'il est reconnu par
ceux qui y adhèrent.
Association (Droit d') : droit naturel ; rôle de l'État, II, 285.
Associationnisme (de Association] : doctrine qui fait de l'association de
certains états de conscience élémentaires le principe du développement de
la vie intellectuelle et morale. (D. Hume, J. Stuart Mill, J. Sully, Al. Bain) :
A) Psychologie : classification des sensations (Bain), 75. — Origine des
inclinations altruistes, 100-102. — Notion du moi, 153-154. — Hallucination
vraie, 171. — Théorie de l'association, 213-216. — Excès de l'Associationnisme,
220. — Nominalisme, 254. — Jugement ramené à l'association, 268-269. —
Induction ramenée à l'association, 281. — Raisonnement par analogie, 283.
— Origine des idées, 304. — Notion de substance, 323. — Notion et principe
de cause, 325-326 ; 330-332. — Objection contre la liberté, 370-371.
B) Logique : objection contre le syllogisme, 564-565. — Tentative pour
réduire la déduction à l'induction, 619-620. — Origine des notions mathéma-
tiques, 628-629. — Recherche de la cause, 665, 1. — Les quatre méthodes
de Stuart Mill, 668-670. — Fondement de l'induction, 679. — Empirisme,
686. — Raisonnement par analogie, 706-708. — Méthode de la morale, 758. —
Classification des sophismes, 802. — Critérium de l'expérience, 817.
C) Morale : nature de la conscience morale, II, 22. — Valeur de la
conscience morale, II, 27. — Utilitarisme de Bentham rectifié par Stuart Mill,
II, 53. — Fondement du droit, II, 133-134. — Conditions de la civilisation, II,
327, 1.
D) Métaphysique : le phénoménisme : relativisme de la connaissance
II, 427-429. — Idéahsme phénoméniste, II, 499-500.
TABLE ANALYTIQUE : Assomptioii — Attribut 753
Assomption (Assumptio, de assumptutn, supin de assumere = ad-siunere,
assumer, prendre en sus, ajouter) : se dit de toute proposition, admise comme
vraie, qu'on prend pour en démontrer une autre.
Assurance (de Assurer, de à et sûr) : en cas d'accidents, de maladies, de
vieillesse, II, 265.
Astronomie (Astronomia, àGxç.o'jo'j.irA^ de à<;Tpov astre ; voy.oç, loi) : sa
place dans les sciences, 2 ; 592-593 ; 627.
Ataraxie ( 'ATapaçi'a, de à privatif et xapaç^w, xapa^oj, troubler), tranquil-
lité d'âme qui, d'après Démocrite, Épicure et les Stoïciens, résulte de la
modération dans les désirs, 61 ; II, 50-51. — Idéal du sage d'après les Stoïciens,
118.
Atavisme (de Atavus, bisaïeul) : a) Apparition chez un individu d'un carac-
tère ([\n n'existe pas chez ses ascendants immédiats. C'est l'hérédité médiate,
c'est-à-dire qui saute par-dessus une ou plusieurs générations. — b) Persis-
tance dans une race d'un état antérieur qui n'a plus de raison d'être actuel-
lement.
Ataxie ( 'Araçta, de a -raxToç, non réglé, de à privatif et Taccw, Tâ;w, mettre
en ordre) : au point de vue : a) psychologique, c'est un désordre dans l'exercice
des facultés intellectuelles et morales ; — b) physiologique, c'est l'impuissance
à coordonner les mouvements.
'Athambie ('A0a;/.6'ta, absence de crainte, de à privatif et OâaSo;, zo; ou;,
ofTroi) : mot quelquefois employé comme synonyme de Ataraxie.
Athéisme (de Athée, de a9£o;, de à privatif et Béoç, Dieu) : doctrine
niant l'existence de la Divinité. — ■ N'existe qu'à l'état erratique, II, 564, 3, 4.
— Doute de La Bruyère, II, 565, 1.
Atomisme, Atomistique (Philosophie) (de Atome, qui vient de atomus,
ocTojxoç, de a privatif et tÉv.voj, couper) : doctrine d'après laquelle la matière
est constituée, en dernière analyse,, d'atomes, c'est-à-dire de parties insé-
cables et irréductibles (Démocrite, Epicure, Lucrèce, 167; II, .507 ; 600. —
Atomisme de Gassendi, II, 507-508. — Atomisme dynamique (Tongiorgi),
510.
Atrophie (Atrophia, 'Axpo'^i'a, de a privatif ; rps'^o), nourrir) : atrophie
des organes, 702-703 ; II, 615 ; 619.
Attentif (latin scolastique Attentivus, de attendere = ad-tendere, tendis
vers) : qualité de l'observateur, 650.
Attention [Attenlio, de attentum, supin de attendere = ad-tendere, tendi'
vers) : concentration de l'activité intellectuelle sur un ou plusieurs objet-
qui sans cela n'occuperaient qu'une partie du champ de la conscience. -
Nature, 238. — Formes, 239. — Lois, 240. — Rapports avec l'intelligence, l,i
volonté et la sensibilité, 240-242. — • Connaissance instinctive et connaissanc»;
réfléchie, 242. ■ — Rôle de l'attention dans les découvertes scientifiques, 231 •
650. — L'attention et l'habitude, 424-425. ■
Attribut, Attribution {Attributum, Attributio, de attributunt, supin de atlri-
huere — ad-tribuere, assigner) : a) Sons logique : qualité affirmée ou niée d'un
sujet. Terme d'une proposition, 266. — Rapports d'attribution, 266-267. —
b) Sens métaphysique : caractère essentiel d'une substance. — Attributs de
754 TABLE ANALYTIQUE : Audacc — Autorité
Dieu : leur nature, II, 576. — Attributs métaphysiques, II, 577. — Attributs
moraux : a) méthode pour les déterminer, II, 580 ; — b) énumération, II,
58 î.
Audace (Audacia, de audax,. de audeo, de avidus, avide, de aveo, avère,
désirer vivement) : passion, 122.
Auditif (Auditivus, de auditum, supin de audire, écouter) : nerf auditif,
157. — Mémoire auditive, 206 ; 207. — Signe auditif, 435.
Audition colorée : association des couleurs aux lettres et aux mots ; cer-
taines personnes ne peuvent entendre tels mots ou telles lettres sans qu'ils
éveillent en elles l'idée de telle ou telle couleur.
Augustin (Saint) : besoin d'émotions, 85. — Interprétation des Idées
de Platon, 257. — Survivance des idées, 199, 2. — Origine des idées, 311-312.
— Les deux cités, 749-751. — Le doute méthodique, 774, 3. — Définitions :
a) de la loi éternelle, II, 41, 1 ; 111, 1 ; è) de la vertu, II, 128-129 ; c) de l'ordre,
II, 382, 2 ; 383, 1. — Conditions esthétiques de l'éloquence, II, 410, 1. —
Le Veri)e, art du Père, II, 413, 4. — Inquiétude du cœur humain, II, 565, 3.
— Preuve de l'existence de Dieu par les vérités éternelles, II, 567. — Bonté
de Dieu, raison de notre existence, II, 635, 2.
Aumône (du vieux français almosne, de eleemosyna) : devoir de charité,
II, 193 ; 207.
Aura (Aupa, souffle, vent) : Van Helmont nomme le principe vital aura
çitalis. — On appelle ainsi les symptômes prodromiques de l'hystérie et de
l'épilepsie
Auriculaire [Auricularius, qui a rapport à l'oreille, de auricula, auris,
oreille) ; témoin auriculaire, 735.
Authenticité (de Authentique, de authenticus, aôOsvTr/.ôç, primitif, qui
fait autorité) : a) des monuments, 740 ; b) des documents, 741-742.
Automate, Automatisme ( 'AuTo^axo,-, spontané, qui agit spontanément) :
caractère des mouvements ou phénomènes dont la cause est intérieure à l'être
qui les ressent et dont le développement est soumis à des lois fixes. — L'âme
des bétes d'après Descartes, 108-109. — L'instinct, mouvement automa-
tique, 111-112. — L'âme, automate spirituel d'après Leibniz, 393, 3 ; II,
590, 4.
Automatisme psychologique : a) dans l'état normal, 427 ; b) dans l'état
anormal. 427-428. — Rapports entre l'activité réfléchie et l'automatique,
428-429.
Autonome, Autonomie ('AuTovo|/ia, indépendance, de aOrô;, soi-même;
vo[jLo;, loi) : a) En général : droit de la personne sur elle-même excluant le
droit d'une autre personne sur elle. — Volonté autonome d'après Kant,
II, 97 ; 100-101. — b) En Sociologie, l'autonomie est le pouvoir de s'organiser
et de s'administrer eux-mêmes dont jouissent, sous certaines conditions,
les groupes politiques ou sociaux : vg. autonomie provinciale. — S'oppose
à Hétéroiinmie.
Autorité [Auctoritas, de auctor, de auclum, supin de augere, augmenter) :
a) Ascendant personnel qui inspire la confiance, le respect, l'obéissance. —
Méthode d'autorité, 7. — Descartes et l'autorité, 604. — Autorité du témoi-
gnage, 735-736. — L'autorité comme critérium de l'évidence, 810-811. —
TABLE ANALYTIQUE : Autoscopic — Bacoii (Francis) 755
Valeur et usage de l'autorité dans les sciences, 811-814. — b) Pouvoir de
commander, de décider. — Autorité maritale, II, 212. — Fondement de l'auto-
rité paternelle, II, 216. — Origine de l'autorité sociale : a) in abstractn, II, 223 ;
h) in concreto, II, 224. — Limites et empiétements de l'autorité, II, 250. —
Stabilité et transmission de l'autorité, II, 247.
Autoscopie (Aùtoç, soi-même ; cxottÉw, voir) : pliénomène hallucinatoire.
On distingue l'autoscopie : a) externe : le sujet s'aperçoit lui-même comme il
s'apercevrait dans une glace ; — b) interne : le sujet voit son organisme et
en fait la description.
Autosuggestion (Avtôç, soi-même ; suggestio, de suggestum, supin de
suggercre — sub-gerere, apporter sous) : suggestion qu'on se donne à soi-même,
467. — On l'oppose à Hétérosuggestion (stepoç, autre).
Autotélie (Aùtôç, soi-même ; tsXo;, fin) : pouvoir de déterminer la fin de
ses actions.
Autothétique (Aùtôç, soi-même ; TiOri;j.[, je place) : c'est le nom donné
par Kant à la science des apparences du monde sensible, la seule à laquelle,
d'après lui, l'homme puisse atteindre, II, 432.
Autre (de Alterum, devenu altre en vieux français) : s'oppose à Identique,
le même, 148. — Altération de l'idée du moi, 151-152.
Avarice {Avaritia, de avarus, de avère, désirer ardemment) : c'est un.
extrême, II, 127. — C'est un vice, II, 192-193.
Aversion [Aversio, de aversum, supin de a-vertere, détourner) : c'est une
pcVssion, 122.
Aveugle (du latin populaire aboculum, de ab privatif et oculus, œil) : nature
de la vision après l'opération de la cataracte, 180 ; 190 ; 725. — Acuité des
autres sens chez l'aveugle, 184.
Axiome ( 'A;uoy.«, doctrine, proposition, de à;tôc.), juger digne, juste,
vrai) : a) Vérité évidente par elle-même et partant indémontrable. — Axiomes
logiques, 289. — Principes de la démonstration : axiomes communs et dérivés,
563. — Axiomes mathématiques : définition, caractères, rôle, 289 ; 632-633.
— Règles des axiomes, 638. — è) Fr. Bacon donne au mot axiome
le sens de loi de la nature. — c) Kant appelle axiomes de l'intuition les prin-
cipes a priori de l'entendement pur, qui se rapportent à la quantité et qu'il
résume dans cette formule : « Toutes les intuitions sont des grandeurs exten-
sives. ■)
AzAM (Docteur) : cas de P'élida, 210. — Le caractère, 467, 1.
Babeuf (François-Émile) : communiste, II, 199. De là le nom de Babou-
visME donné d'abord au Socialisme.
Bacon (Francis) : le toucher, 186. — Définition de la science, 463, 578. —
Maîtrise de la nature, 583, 1 ; 685. — Classification des sciences, 586. — L'expé-
rience lettrée, la chasse de Pan, le Hair, mettre la nature à la question, 660-661.
— ■ Tables de comparution, 666-667. — Injustices, lacunes et mérites de
756 TABLE ANALYTIQUE : Bain (Alexandre) — Beau
l'œuvre de Bacon, 670-672. — Utilité de l'induction, 685. — Nécessité d'allier
la raison et l'expérience, 687, 1. — Causes de l'erreur : Idola, 805. — Orgueil
des intellectuels, 808, 1. — Excellence de la méthode, 844, 2. — Définition de
l'art, II, 399, 1.
' Bain (Alexander) : classification des sensations, 75. — Sensations indiffé-
rentes, 75. — Loi de contraste dans l'association, 214. — Origine des idées,
304-306. ■ — Classification des caractères, 404. — Effet moteur des images,
470-471. '■ — Principe du syllogisme, 554, 2.
Balance (du latin popul. Bilancia, de bis, deux fois ; lanx, plateau) :
comparaison avec la volonté, 399-400.
Balfour (Arthur-James) : pragmatisme social, 831-832.
Balmès (Jaime) : le nombre des idées et la perfection de l'intelligence,
579-580. — Intérêt spéculatif de la question relative à la collation de l'auto-
rité, II, 227, 1.
Baltzer (Jean-Baptiste) : le vitalisme, II, 527.
Bamalipton : mode de la quatrième figure du syllogisme, 539.
Baralipton : nom donné à Bamalipton considéré comme mode indirect de
la première figure du syllogisme, 539.
Banes (Père Domenico) : la prémotion physique, 380, 2 ; II, 586-590.
Bannésiens : partisans de Banes, 380, 2 ; H, 586-590.
Barbara : premier mode de la première figure, 539.
Barbari : Leibniz appelle ainsi le mode de la première figure obtenu par
la subalternation de la conclusion de Barbara : vg. Tout C est A, or tout B
est C, donc quelque B est A. — La Logique de Port-Royal applique le nom
de Barbari à Bamalipton.
Barine (M"*^ Arvède) : névrosés, II, 117, 1.
Baroco : mode de la deuxième figure, 539 ; 540-541.
Barthélemy-Saint-Hilaire (Jules), l'acte pur, 48, 1.
Barthez (Paul-Joseph) : le vitalisme, II, 527-528.
Basile (Saint) : invention du langage, 441, 2.
Bastiat (Claude-Frédéric) : définition de la valeur, II, 355.
Baudrillart (Henri) : fonction de l'Étal, II, 249. — Économiste, II, 353.
Baumgarten (Alexander-Gottlieb) : l'esthétique, II, 377.
Bautain (Abbé Louis) : partisan du Fidéisme, 818, 5.
Bayle (Pierre) : objection contre la liberté, 371. — Scepticisme, II, 422.
Béatitude (Beatitudo, de beatus, de beare, rendre heureux) : satisfaction
pleine et constante. — Tous la recherchent, 402-403. — Béatitude divine,
II, 596. — Béatitude diffère de bonheur, parce qu'elle s'applique proprement
aux joies parfaites de la vie future.
Beattie (James) : critérium du sens commun, 814.
Beau, Beauté (du latin populaire bellum, bon, beau ; bellitatem) : a) Objec-
tivement : activité qui se déploie d'une manière puissante et ordonnée, II, 383.
TABLE ANALYTIQUE : Bcauiiis (Heiiri-Étienne) — Biauriculaire 757
b) Subjectivement : ce qui plaît en tant qu'il est connu, II, 379. — Amour
du beau, 97 ; 410. — L'idée du beau absolu, 343. — Le beau au point de vue :
a) subjectif, II, 378-380 ; h) objectif, II, 381-384. — Division du beau, II, 384.
— Rapports avec : a) le vrai et le bien, II, 384 ; b) Vutile et Vagréable, II, 387 ;
c) le gracieux et le joli, II, 388 ; d) le sublime, II, 389. — ■ L'art et le beau, II, 394.
— Beauté de l'idéal chrétien, II, 412. — Morale de la beauté, II, 89-90. — Beauté
des principes, II, 386, 2. — Dieu, beauté absolue, souveraine, 343 ; 344 ; II, 386-
387 ; 412-413.
Beaunis (Henri-Etienne) : suggestion hypnotique, 480 ; 482-483.
Beaussire (Emile) : fonction de l'État, II, 249, 1.
Beaux-Arts : nature et classifications, II, 408.
Bell (Charles) : expression des émotions, 437.
Bellarmino (le Bienheureux Cardinal Roberto) : origine du pouvoir
II, 224-225 ; 228, 6. — Connaissance des futurs conditionnels, II, 593-595.
Belles-Lettres : philosophie des Belles-Lettres, 599 ; II, 3 94 ; 409-410.
Benoit XIV : limites du pouvoir de l'imagination, 485, 1.
Bentham (Jeremy) : morale utilitaire, II, 51. — Fondement du droit de
propriété, II, 192, 6.
Bergson (Henri) : théorie intuilionniste ; 165 ; II, 444-445. — Semi-
pragmatisme, 825-826.
Berkeley (George) : idéalisme immatérialiste, 168 ; II, 497. — Objet
de la vue, 179, 4.
Bernard (Claude) : nature de l'expérimentation, 659 ; 728-729. — Phases
de la méthode inductive, 648. — Impartialité de l'observateur, 651, 2. —
Invention de l'hypothèse, 653, 5. ^ Rôle expérimental de l'hypothèse, 656 ;
659, 4. — Hasards de l'expérimentation, 662, 1. — Sciences d'observation et
sciences expérimentales, 664, 1. — Fondement de l'induction, 677. — Fait
et idée, 686, 1. — Le sceptique et le savant, 774, 1. — Nécessité de la méta-
physique, II, 456. — Idée créatrice et directrice de la vie, II, 524-525, 1, 2, 3.
Bernheim (Hippolyte) : suggestion hypnotique, 480 ; 485, 1.
Bernoulli (Jacques) : loi des grands nombres, 383-384.
Berthélot (Marcelin) : la science ne recherche pas les causes, II,-
448, 2. — Reconstitution des graisses, II, 524.
Bertrand (Joseph) : reconnaît les injustices de Pascal, 654, 1.
Besoin (origine inconnue) : a) État d'un être par rapptirt à ce qui est
indispensable à son existence, à son développement ou à l'obtention d'une '
fin quelconque. — b) État pénible résultant d'un besoin i'essenti et non satis-
fait, 58. — Appétit et besoin, 83. — Droit et besoin, II, 133. — Besoins que
les biens de ce monde ne peuvent satisfaire, II, 565. — Loi du besoin, II, 613.
Bête (Beslia) : l'âme des bêtes, 491-493 ; II, 549, 3.
Biauriculaire (Bis, deux f<iis ; auricularius, de auricula, oreille) : quand
les deux oreiil(;s perçoivent à la fois le même son, l'audition est dite biauri-
culaire. Elle r.ert à distinguer la direction du son, parce que celle-ci se reconniît
à la différence d'iiiton'itè df^ imiiressions produites par le même son 'im I.-s
deux oreilles.
758 TABLE ANALYTIQUE : Bfchat (F.-X.) — Biran (Maine de)
BicHAT (François-Xavier) : l'expérimentation, 725. — Organicisrae,
II, 525.
Bien (de l'adverbe Bien employé substantivement ; l'adverbe vient du
latin Bene) : l'un des transcendantaux : 1°) Subjectivement : ce que tous les
êtres recherchent. 2°) Objectivement : la perfection de l'être, 252 ; II, 476. —
Division, II, 476-477. — Le vrai et le bien, IL 477. — Amour du bien, 96-97 ;
410. — Rapports du bien et de la liberté, 402-404. — ■ Bien en soi et bien moral,
II, 17 ; 111. — Bien individuel, bien altruiste, bien rationnel, II, 46. — Pro-
blème du Souverain Bien, II, 46-47. — Morale du bien rationnel, II, 101. —
Origine de l'idée du bien, II, 102. — Nature de Tidée du bien, II, 103. —
Critérium du bien et du mal, II, 106. — Le bien n'est pas obligatoire par
lui-même, II, 109-110 ; 112. — Rapports du bien avec le vrai et le beau, II, 384.
— Respect des biens : a) matériels, II, 188 ; b) spirituels, II, 206. — Le bien
est diiïusif, II, 596. — S'oppose à Mal.
Bien (Souverain) : a) c'est-à-dire le bien par excellence, par rapport auquel
tous les autres ne sont que des moyens : c'est le sens d'ARisTOTE et des Scolas-
TiQUES : II, 46-47. — b) Chez Kant : bien capable de satisfaire l'homme tout
eatier. Cf. Critique de la Raison pratique : Dialectique, ch. ii. — Problème
du Souverain Bien, II, 46-47,
Bienfaisance (de Bien et faisant) : action de faire du bien à autrui. —
Vertu morale, 87 ; 94; II, 163; 207. — L'Étatet la Bienfaisance : son rôle, 11,263.
Bienveillance (de Bien et du vieux français Pé>Mi7/a«<) : disposition à vouloir
du bien à autrui. — Vertu morale, 87 ; 94 ; II, 207. — Morale de la bien-
veillance (Hutcheson), II, 81.
Bilatéral (de Bis, deux fois ; lateralis, de latus, côté) : un contrat est bilatéral
quand il engage les deux parties réciproquement ; vg. les Concordats, II, 341.
— Cause bilatérale, 385.
Bilieux {Biliosus, de bilis, bile) : tempérament bilieux, 404.
Bilocation. Multilocation {Bis, deux fois ; multum, beaucoup ; locus, lieu) :
d'après les Scolastiqi es, il ne répugne pas à l'essence de la matière qu'un
corps occupe, si Dieu le veut, deux [bilocation] ou plusieurs lieux {multilo-
catinn). Cf. D. Palmieri, Institutiones philosophicse, T. II, Cosmologia, Thés. X,
p. 7.' -SI.
Binoculaire (Bini, deux ; oculus, ceil) ; vision binoculaire, c'est la formation
simultanée de doux imagos rétiniennes d'un même objet vu sous un angle
dilTétent, d'où résulte la perception du relief et de la profondeur.
Biogénèse (l»'-o?, vie; yiveo-iç, naissance) : on appelle ainsi la théorie qui
tait mitre tout vivant d'un vivant, II, 326. — Loi biogénétique : Le dévelop-
penioiit embryonnaire do chaque être reproduit en abrégé la série des états
pai*i lurus par l'espèce dans son évolution, II, 615-616 ; 619.
Biologie (de lit'';, vie ; Xo'yo;, discours) : science des êtres vivants ou science
de 11 vie. — Sa place dans les sciences, 2 ; 646. — Treviranus (1776-1837),
biologiste allemand, publia, en 1803, un ouvrage intitulé Biologie. Ce mot se
trouve aussi dans Lamarck pour signifier la scifence des êtres vivants.
Bionomie (li'''"--;, vie ; to[j(.o;, loi) : mot proposé par Ray Lankester pour
signifier la science des rapports des organismes entre eux et avec leurs milieux.
BiRAx I Marie-François-Pierre Gontuier de) : voir Maine de Biran.
TABLE ANALYTIQUE : Biraiiisme — Bossuet (Jacques-Bénigne) 759
Biranisme : philosophie de Maine de Biran, dont le spiritualisme a pour
caractéristitpie d'être fondé sur ce qu'il nomme le fait primitif de la conscience,
l'effort moteur volontaire, 327.
Blainville (Henri-Marie Ducrotay de) : la main, 186, 1.
Blanc (Charles) : effet moralisateur de l'art, II, 411, 2.
Bocardo : mode de la troisième figure se ramenant cà Barbara par réduction,
-.539 ; 540-541.
Boèce (Anicius Manlius Boetius) : définition : a) de la personne, 365, 2 :
b) de l'éternité, II, 578, 1.
Boétie (Etienne de La) : ami de Montaigne, 90, 1.
BoiLEAU Despréaux (Nicolas) : l'imitation, II, 398.
BoiRAC (Emile) : le jugement, acte essentiel de l'intelligence, 267-268.
— Intérêt particulier et intérêt général, II, 134, 2. — Stuart Mill et l'idéa-
lisme, II, 500, 1.
Bon [Bonum) : un des transcendantaux, 252 ; II, 476. — Acte bon mora-
lement, II, 30-31 ; 31-32. — Essence de ce qui est bon, II, 104-105. Voir Bien.
Bonald (Vicomte Louis-Gabriel de) : nature du langage, 441, 1. —
Origine du langage, 442-444 ; 452, 4. — Définition de l'homme, II, 543, 1.
Bonaventure (Saint) : classification des connaissances, 587, 3.
Bonheur (de Bon, heur, dérivé de augurium, présage, chance favorable) :
satisfaction complète et persistante de toutes nos inclinations (eCioatjjiovi'/),
II, 91. — Ce mot signifie aussi chance favorable [zuvr/y/.), II, 91. — Instinct
du bonheur, 84. — Tendance nécessaire et universelle, 402-404. — Bonheur
d'après Bentham, II, 51-52. — Bonheur de l'humanité d'après Stuart Mill.
II, 55. — Intérêt et bonheur, II, 77-79. — Bonheur et perfection, II, 78-79,
^ Bonheur au point de vue psychologique et moral, II, 91. — Bonheur rationnel
d'après Aristote, II, 92-93. — Bonheur éternel, II, 551.
BoNNioT (PÈRE Joseph de) : différences entre les hallucinations et les
visions surnaturelles, 488, 1. — Nature du miracle, II, 641, 2, 3.
Bon sens : pouvoir de bien juger, c'est-à-dire avec calme et justesse dans
-les qiicstions concrètes. — Sa nature, 286-287. — Opinions de Descartes
et de Nicole, 287.
Bonté (Bonitatem, de bonus, bon) : a) caractère de ce qui est bien ou bon ;
— /;) disposition à vouloir et à faire du bien aux autres, 94. — Bonté morale
d'un acte, II, 30-32. — Bonté originelle, « faux dogme >> de la Révolution,
II, 349. — Bonté métaphysique, II, 476-477. — Bonté de Dieu, II, 596.
BoscovicH (Père Roger-Joseph) : le dynamisme externe, II, 518-519.
Bossuet (Jacques-Bénigne) : méthode psychologique, 8. — Distinction
entre l'àme et ses facultés, 40-41. — Classification des facultés, 43. — Instinct
de l'animal, 107, 3 ; 108, 1. — Classification des passions, 122-123. — Réduc-
tion des passions à l'amour, 123. — Importance du raisonnement, 283, 2. —
Origine des idées, 311-312. — Définition de l'accident, 321, 1. — Principe.de
finalité, 334. — Origine de l'idée de parlait, 342. — Part de la volonté dans
l'exécution, 359, 2. — Liberté de l'homme et prescience de Dieu, 378-37'J.
— Liberté d'indifférence, 394-396. — - Ame des bét«s, 492-493. — Action d.'
760 TABLE ANALYTIQUE : Botaniquc — Budget
la Providence dans l'histoire, 749-750. — Origine du pouvoir, II, 227-228.
— Le droit divin, II, 229, 2. — Beauté des principes, II, 386, 2. — La variété,
II, 404. — Beauté de Dieu, II, 413, 2. — Union de l'âme et du corps, II, 543, 1 :
544, 1. — Preuves de l'existence de Dieu : a) par la contingence du monde,
II, 557, 1 ; b) par les vérités éternelles, II, 567. — Optimisme relatif, II, 647.'
Botanique (de lioTav'.xôç, relatif aux plantes, de Boxav/), herbe) : sa place,
dans les sciences, 593.
BouiLLiER (Francisque) : plaisir, fait positif, 58, 7. — Lois du plaisir,
63, 3. — Animisme, II, 527, 1.
Bourgeois (Léon) : morale de la solidarité, II, 73-75.
BoussiNESQ (Valentin-Joseph) : loi de la conservation de la force,
390. 2. — Origine des mathématiques, 629, 1.
BouTMY (Emile) : imagination anglaise et imagination hébraïque, 749, 2.
Boutroux (Emile) : la loi de la conservation de la force est invérifiable,
388, 1, 3. — Démêlés entre Descartes et Pascal, 654, 1.
Boyer (Père Charles) : théorie de la Vérité illuminatrice de S. Augustin,
II, 452, 3.
Brachycéphale (Bpa/uç, court; xsoaXrj; tête) : qui a le crâne court. Carac-
téristique de certaines races humaines ; vg. les Lapons, les Mongols.
Braid (James) : cause du sommeil hypnotique, 478, 1.
Braidisme : nom donné quelquefois au sommeil hypnotique, 478.
Bramantip : certains Logiciens emploient ce terme au lieu de Bama-
liplon, 539.
Bréal (Michel) : racines primitives, 260, 2 ; 445, 4. — Le langage n'est
pas un organisme, 449, 2.
Bridgman (Laura) : aveugle-sourde-muette, 303 ; 452, 1 ; 725.
Brizeux (Julien) : le beau, II, 412.
Broca (Paul) : localisation de la faculté du langage, 27. Actuellement les
anatumistes contestent cette affirmation de Broca.
Brochard (Victor) : nature des Idées de Platon, 257, 2. — Critique de
Bacon, 670, 3.
Broglie (Duc Albert de) : le respect du passé, 92.
Broussais (François-Joseph) : déterminisme physiologique, 391, 3. —
Organicisme, II, 525. — Matérialisme, II, 540.
Brown (Thomas) : classification des émotions, 102, 3.
Bruit (substantif participe de Bruire] : le bruit des vagues, des feuilles
est-il conscient ? 142-143.
Brunetière (Ferdinand) : philosophie des lettres, 599. — Solidarité,
n, 72, 1 ; 75, 1. — Pragmatisme social, 832-834.
BucHNER (Ludwig) : matérialisme, II, 540.
Budget Mo l'anglais Budget, dérivé lui-même du français Bougelie, petit
sar) : II, ::c.!.
TABLE ANALYTIQUE : BuffieF (Père Gabriel) — Capitalisme 761
BuFFiER (PÈRE CtAbriel) : preuve de la liberté, 370, 1.
BuFFON (Georges-Louis Leclerc, Comte de) : la vue, 186. — Le génie,
231 ; 241. — Utilité de la psychologie de l'animal, 724.
Bureaucratie (de Bureau et xpaTsto, commander) : ses inconvénients, II,
251-252. — Ce mot hybride est dû à l'économiste J. de Gournay (1712- 1759).
BuRiDAN (Jean) : l'âne entre deux bottes de foin, 395.
Burke (Edmund) : le beau et le sublime, II, 389.
Cabale ou Kabbale (de l'hébreu Kabbalah, chose reçue, tradition, de
Kahhel, recevoir) : la Kabbale est un ensemble de doctrines plus ou moins
hétérodoxes, proposées en marge de la Bible, qui se serait grossi au cours des
âges, depuis le miheu du i<^'" siècle avant l'ère chrétienne jusque vers la fin
du vu'' siècle de notre ère, pour former les deux livres intitulés : Sepher Tetzirah
ou le Livre de la Création, et le Zohar ou le Livre de la Lumière. La Kabbale
est, avant tout, une tentative pour nous introduire, par la voie des symboles
et des procédés relevant de l'occultisme, dans les secrets de la nature, de
l'âme et de Dieu. Sur Dieu et l'origine du monde son enseignement oscille
entre le créationnismc et l'émanatisme. — Cf. P. Vulliaud, La Kabbale juive.
Histoire et Doctrines, 2 vol. Paris, 1923.
Cabaliste : philosophe ayant développé ou commenté la Cabale. — Fourier
donne à la passion de l'intrigue le nom de : lu cabaliste.
Cabanis (Pierre) : déterminisme physiologique, 391, 2. — Organicisme,
II, 525. — Matériahsme, 29 ; II, 540.
Cabet (Etienne) : communiste, II, 199.
Calcul infinitésimal, 026.
Calliclès ;_KaXXty.X->|ç, de y.aXXo;, beauté ; >cXéoç, gloire) : sophiste, II, 48.
Calomnie (Calumnia, de l'inusité calvere, tromper) : II, 206-207.
Camestres : mode de la deuxième figure, 539.
Canuolle (Augustin de) : classification artificielle en botanique, 693, 3.
Canon (Kavwv, barre, règle) : a) règles pratiques des méthodes inductives
de S. Mill, 668-070 ; b) Kant appelle ainsi les principes a priori qui règlent
l'usage légitime de la raison pratique.
Canonique (la) (Kavovt/côç, régulier) : nom donné par les Épicuriens à la
Logique ("ri/w, xavovtxr,,) 507.
Capacité [Capacitas, de capax, susceptible de contenir, de capere, contenir) :
synonyme d'aptitude. Dans la Philosophie écossaise les capacités sont de
simples réceptivités, comme les puissances passives des Scolastiques, 47.
Capital (Capitalis, de caput, tête) : nature et espèces, II, 354. Le sens éty-
mologique est capitalis pars debiti, c'est-à-dire la somme due par opposition
aux intérêts ; or cette somme constitue le principal. — Défini lion au sens
économique : tout bien économique applicable à la production, II, 354 ; 365.
Capitalisme : ce mot signifie tantôt : a) les abus que les possesseurs du capital
peuvent commettre dans leurs rapports avec les travailleurs, II, 365 ; 367, l ;
b) le régime économique dans lequel les capitaux (au sens d'instruments de
production de la richesse) n'appartiennent pas à ceux qui les rendent produc-
tifs par leur travail.
762 TABLE ANALYTIQUE : Caractère — Cataracte
Caractère (Xapay.xr.o, empreinte, signe distinctif, de //■^fâ'icw, marquer d'une
empreinte! : a) Tout attribut ou qualité faisant partie de la compréhensii'n
d'une notion : d'où vg. caractères essentiels, accidentels, propres, communs,
dominateurs, subordonnés, 695. — b) Manière habituelle de penser, sentir
et agir qui distingue un individu d'un autre. — Éléments du caractère, 405.
— Caractère intelligible et caractère empirique (KA^•T; Schopenhauer), 405.
— Influence de la volonté sur le caractère, 364-365 ; 405-406. — Influence du
caractère sur la volonté, 406. — Caractère et liberté, 398 ; 406-407. —
Éducation et caractère, 412. — c) Fermeté de principe et de conduite : un
homme de caractère, 364-365.
Caractérisation (de Caractériser) : loi de caractérisation permanente, II, 614.
Caractéristique (X«ç«x.t/.c'.(ttcz.'J:, ce qui sert à distinguer) : les signes
caractéristiques sont des marques qui, sans avoir la rigueur d'une définition,
servent à distinguer un objet. — Caractéristique universelle : c'est un système
de caractères qui seraient combinés de façon à exprimer toutes les idées.
Leibniz conçut le projet de composer une Caractéristique unii>erselle ou Spé-
cieuse (c'est-à-dire Algèbre) générale, qui aurait été tout ensemble une langue
philosophique internationale et une logicjue algorithmique, 462, î, 2.
Cardano, Cardan (Girolamo) : plaisir, fait négatif, 57.
Cardinales (Vertus) (Cardinalis, de carda, gond) : ce terme remonte à
saint Ambroise, De Sacramentis, L. III, Ch. ii, § 9, Patrolog. lat., T. XVI,
col. 434) : division, 129-130.
Carnéade (Kaovcaori;) : scepticisme relatif, II, 425.
Cartell : a.ssociation économique, fondée entre producteurs de marchan-
dises ou denrées similaires, dans le but de prévenir la surproduction et d'empê-
cher l'avilissement des prix. Cf. E. Martin Saint-Léon, Cartells et Trusts,
Paris, Î903 ; 1906"-.
Cartésianisme (de Cariesius, Descartes) : indique la philosophie de
Descartes et son École. — Voir Descartes.
Caste (du portugais Casta, dérivé de castus, non mélangé, de race pure) :
esprit de caste, 93. — La caste diffère de la classe en ce qu'elle est un groupe
social plus fermé, ayant une existence légale et impliquant un élément religieux.
, Casuistique (de Casuiste, de casus, cas de conscience) : c'est la partie de
l'Éthique qui étudie l'application des principes de la morale aux cas parti-
culiers que font naître les conflits des devoirs : II, 33-36; 151.
Cataclysme fK'/TcocAuTad;, inondation, de xc^Ta-xÀuloi, inonder) : géologie
des cataclysmes, II, 614 ; 615, 1.
Catalepsie (KaraXr/J;'.;, surprise) : c'est un phénomène pathologique:
a) naturel, quand il se présente spontanément ; b) artificiel, dans le cas d'hypno-
tisme ou somnambulisme provoqué, 479.
Cataplexie (K^y-i-lr^hç, stupeur) : mot proposé par Preyer pour signifier
l'engourdissement obtenu chez les animaux par des moyens analogues à ceu.x
de rhyi>nose. — Mosso l'emploie pour signifier la suspension de toute activité
que peut provoquer la peur.
Cataracte iCaiaracta, KaTKçâxTr,;, herse fermara une porte ; de >:^"--£-
câ7<70), rompre) : opération d'aveugles-nés, 190 ; 723 725.
TABLE ANALYTIQUE : Catégorématiquc — Cause exemplaire 703
Catégorématique (KaT/iyop-/i;y.aTtxoç, de xarr,Yop'/i[ji.a, spécification du
sujet) : un terme catégorématique est celui qui a par lui-même une signifi-
cation, vg. les substantifs : Dieu, homme, etc., 520. — S'oppose à Syncaté-
goréinatique.
Catégorème rKaTr,YOGr,;/.a, de xarr,yop£o>, affirmer) : les Catégorèrnes ou
Prédicables sont les cinq universaux, 252-253 ; 516.
Catégorie (Karriyopta, de )c<zT-/i-fOf,c'w, affirmer : a) Les Catégories ou Prédi-
caments sont les différentes classes auxquelles on peut ramener les idées
générales et qui ne peuvent être ramenées à aucune autre au-dessus d'elles.
C'est le sens des Péripatéticiens et des Scolastiques. Énumération d'ARis-
TOTE, 296 ; 516-517 ; II, 499. — b) Pour Kant, ce sont les concepts fonda-
mentaux de l'entendement pur, 296 ; II, 431-432.
Catégorique (KaTrffC/ptxoç, de xaTr,Yoo£'to, affirmer) : la proposition caté-
gorique est celle dont rafOrination ou la négation n'est subordonnée à aucune
hypothèse. — Le syllogisme catégorique est composé de trois propositions
catégoriques. — Loi catégorique, II, 39. — Impératif catégorique de Kant,
II, 44.
Catégorique (Impératif) : de Kant, II, 44.
Cauchy (Augustin) : répugnance du nombre infini actuel, II, 558, 2.
Causal {Causalis, de Causa] : ce qui se rapporte à la cause. — Définition
causale, 57 ; 524. — Proposition causale, 530. — Succession causale, 681. —
Lien causal, 665 ; 724.
Causalité (dérivé de Causal) : propriété en vertu de laquelle la cause produit
son effet, 324, 4.
Causalité (Principe de) : ses formules, 330. — Son origine, 330-331. — Com-
paraison avec le principe de finalité, 338. — Principe de causalité et liberté,
384. — Son rôle : a) dans la connaissance des corps, 173 ; — b) dans P induction,
666 ; 678 ; 680 ; — c) dans la preuve de Vexistence de Dieu, II, 559 ; 561-562.
Causation (du latin scolastique causatio) : action par laquelle une cause
produit son effet, 324, 4.
Cause (Causa, primitivement signifie procès ; probablement de caveo,
prendre garde) : sens général : la cause est' ce en vertu de quoi un être est ce
qu'il est, 324, 4 ; II, 487. Cette définition convient aux quatre espèces de causes.
— Antécédent, condition, occasion, 323-324 ; II, 487. — Quatre espèces de
causes, 324 ; II, 487-490. — Savoir c'est connaître par les causes, 578.
Cause efficiente {Efficiens, de efficere = ex-jacere, produire) : force capable
de produire quekpie chose, 323 ; 324 ; II, 488. C'est la cause par excellence.
Causes : première, seconde ; prochaine, éloignée ; principale, instrumentale,
324-325. — Origine de la notion de cause, 325-327. — Notion psycholugi(]ue
et notion scientifique de la cause, 327-329. — Extension de l'idée de cause.
329-330 ; 762-763. — Application aux sciences, 330.
Cause exemplaire [Exemplaris, de exemplar, modèle) : c'est l'idée, le type,
d'après lequel l'agent réalise son œuvre, 324 ; II, 490. — Cause exemplaire
des choses, 257, 1 ; 769. — Idéal, cause exemplaire qui dirige l'artiste, II, 395-
396. — Essence divine, cause exemplaire de la vérité et de la connaissance,
769-770 ; II, 583-584.
7G4 TABLE ANALYTIQUE : Causc finale — Certitude
Cause finale {Finalis, de finis, fin) : ce en vue de quoi une chose est faite ;
332. Voir Fin.
Cause formelle (Formalis, de forma, forme) : ce qui détermine une chose
à être telle, 324 ; II, 488. — Principe déterminant des choses, II, 516.
Cause matérielle (Materialis, de materia, matière) : c'est l'élément indéter-
miné dont une chose est faite, 324 ; II, 488. — Principe déterminable des
choses, II, 515-516.
Cause occasionnelle (du bas latin occasionaUs, de occasio, occasion) : c'est
ce qui facilite l'activité de la cause, 324.
Caverne [Caverna, de cavus, creux) : allégorie de la caverne (Platon),
310. — Idoles de la caverne (Fr. Bacon), 806.
Cécité [Csecitas, de cœcus, aveugle) : cécité mentale : expression proposée
par le D^ Ch argot pour signifier l'état pathologique, dans lequel la vision
brute persiste, mais où les images, vues matériellement, ne sont pas reconnues,
■ — Cécité verbale ou alexie : impuissance à reconnaître les caractères écrits ou
imprimés. — Cécité des couleurs. Voir Achromatopsie, Dyschromatopsie. —
Cécité morale : absence de sentiment moral, II, 25-26.
Celantes : mode indirect de la première figure, 539.
Celarent : mode de la première figure, 539.
Célébrisme (de Celeber, celebris, fréquenté, célébré, célèbre) : nom donné
par FouRiER à la passion de la gloire.
Célibat [Cselibatus, de cselebs, non marié) : II, 211.
Centralisation (de Centraliser, de centralis, central) : abus, II, 251.
Centre (Ks'vtçov, de xevts'w, piquer, pointer) : centres nerveux, 71, 1.
Centrifuge (de Centrum, centre ; fugere, fuir) : nerfs centrifuges ou elîé-
rents, 71.
Centripète (de Centrum, centre ; petere, tendre vers) : nerfs centripètes
ou afférents 71.
Cercle (Circulus, de circus, xtçxo; cercle, anneau) : cercle vicieux, 801.
Cérébration (de Cerebrum, cerveau, de xoéfr,, tête) : certains admettent
une cérébration inconsciente, c'est-à-dire une activité spontanée du cerveau,
qui éveillerait dans la conscience les idées sans rapport logique avec celles
qui occupent l'esprit à un moment donné.
Cérébrologie (de Cerebrum, cerveau ; VJyoç discours) : science du cerveau
dans ses rapports avec la Psychologie.
Cérébro-spinal {Spinalis, de spina, épine) : système cérébro-spinal, 71.
Certitude [Certitudo, de certus, ancien participe passé, pour cretus, de
cretum, supin de cernere, trier, distinguer) : adhésion ferme de l'esprit à la
vérité sans crainte d'erreur, 777. — Certitude de la conscience; 1.S9, 781. —
Certitude, opinion et probabilité, 777. — Certitude et évidence, 771-772 ;
777-778. — Certitude immédiate et médiate, 779. — Certitude de fait et de
raison, 779. — Fondements des certitudes métaphysique, physique et morale,
780-781. — Certitude morale : sens divers, 782-784. — Certitude historique,
745-746 ; 781.
TABLE ANALYTIQUE : Csrveau — Chose 765
Cerveau (Cerebrum, de xâfr,, tête) : rôle dans la sensation, 70. — Système
cérébro-spinal, 71. — Cerveau et faits psychologiques, 25-26 ; 28-31. — Cerveau
et pensée, 468-469 ; II, 541-542.
Cervelet (dérivé de Cerveau) : 71.
Cesare : mode de la deuxième figure du syllogisme, 539.
Césarisme (dérivé de César) : maxime césarienne : Quidquid principi...,
II, 40 et note 4.
Chabin (Père Pierre) : activité simple de la mémoire, 206, 1. — Origine
des idées (S. Augustin, Bossuet et Fénelon), 312. — Fondement de l'induc-
tion d'après Aristote, 680, 2. — La preuve de l'existence de Dieu par les
vérités éternelles, II, 567-568.
Champ {Campum, terrain plat, espace uni) : champ visuel : étendue que
l'œil peut voir étant immobile. Cette étendue est limitée par un cône dans
lequel, pour produire ime sensation visuelle, les objets doivent être compris.
— Champ de la conscience : quantité plus ou moins grande de phénomènes
psychologiques que la conscience peut embrasser à un moment donné. Certaines
maladies, comme l'hystérie, rétrécissent le champ de la conscience.
Champeaux (Guillaume de) : réalisme exagéré, 255.
Changement (de Changer, du bas latin cambiare) : chez Aristote, le chan-
gement (u.£Ta[ioXvi) signifie le passage d'un contraire à l'autre ; vg. : le passage
de la puissance à l'acte constitue le mouvement (xt'vriGt;), II, 506, 2.
Gharcot (D'' Jean-Martin) : théorie de l'hypnotisme, 479-480.
Charité (Caritatem, de carus, cher, précieux, aimé) : a) Vertu qui consiste
à vouloir et à faire du bien aux autres. — h) Sens théologique : amour de Dieu
et du prochain pour Dieu. — ■ Nature et forme de la charité, II, 163. — Objec-
tion de Spencer contre la charité, II, 163-164. — Comparaison avec la justice,
II, 165. — Devoirs et œuvres de charité, II, 207. — Qualités de la charité,
207. — Devoir de l'aumône, II, 193 ; 263-264. — Charité légale, II, 264.
Charles (Emile) : l'inclination, 67,1. — Conscience spontanée, réfléchie,
141, 1.
Chasseur (de Chasser, de captare, prendre) : propriété des peuples chasseurs ;
II, 195-196.
Chateaubriand (F'rançois-René, Vicomte de) : le remords, II, 18, 1.
Châtiment (de châtier, de castigare] : théorie du châtiment d'après Leibniz,
374, 1. — Fondement, nécessité, but de la sanction pénale, II, 120-122 ; 267-269.
Chauvinisme (de Chauvin, nom d'un soldat admirateur excessif de la
la gloire de son pays) : amour exagéré de son pays, 93.
Cheselden (William) : opération d'un aveugle-né, 725.
Chevreul (IMiciiel-Eugène) : nature du fait, 664, 2. — Expérience du
pendule, 471.
Chimie (du bas latin Chimia, \r,;7.£t'a) : sa place dans les sciences, 2 ; 593 ;
646.
Chose [Causa, cause, mais avec le sens de res, objet déterminé) : a) l'objet
quelconqiu^ d'une pensée. — b) Le sujet par opposition au prédicat. — c) Chose
en soi : ce qui subsiste en soi-même sans supposer autre chose, 320. Kant a
766 TABLE ANALYTIQUE : Chrématistiquc — Clair-obscur
appliqué cette expression aux noumènes : ce qui subsiste en deliors de la repré-
sentation, II, 430-431. — d) Ce qui ne s'appartient pas : chose opposée à
personne, 365.
Chrématistique (la) (\çr,<j.%zin-<.y.6;, relatif aux affaires d'intérêt, de zpîip-a,
chose, biens) : Aristote nomme ainsi la science de la richesse.
Chrétienté (de Chrétien, d'après le latin Christianitas) : organisation juri-
dique de la Chrétienté au Moyen-Age, II, 31 5r
Chrysippe (XpucitTîTroç, de xpu^o';, or ; Ïtcttoç, cheval) : stoïcien, II, 93.
CicÉRON (Marcus Tullius) : les causes finales, 337. — Définition de l'his-
toire, 734, 2. — Partisan de la Nouvelle Académie, II, 425, 1.
Cinématique (la) (Ktvr/jLaTtxô;, de y.(vr,;jLot, mouvement) : mot créé par
Ampère. Il indique cette partie de la Mécanique qui traite du niouvement,
abstraction faite des forces. Leibniz et Kant l'appelaient Phoronomie (de
'joix, déplacement ; voijio; loi).
Cinesthésique (de Ki'vr,(j[ç, mouvement ; «taôr.ctç, sensation) : les sensa-
tions provoquées par le mouvement sont nommées cinesthésiques.
Cinétique (KsvriTtxo'ç, qui se meut, de x'.vîo), mouvoir) : l'énergie cinétique
est l'énergie actuelle qui se manifeste par du mouvement. Se dit par opposition
à l'énergie potentielle.
Circonscrite (Présence) : être présent dans un lieu d'une manière circonscrite
(de l'adverbe scolastique Circumscripte, d'une manière délimitée), c'est y être
comme les corps, dont chaque partie occupe la partie correspondante du lieu,
de sorte que le tout est limité, circonscrit par le lieu.
Circonstance (Circumstantia, de circum-stare, se tenir autour) : circonstanC'
atténuantes ou aggravantes, 120 ; II, 31 ; 33.
Circulant (de Circuler, de Circulare, se mouvoir en cercle! : capital cir-
culant, II, 354.
Circulation [Circulatio, mouvement circulaire) : circulation des richesses,
II, 355-356.
Citoyen (de Cité, de civitatem) : devoirs et droits, II, 274.
Civil {Civilis, de civis, citoven^ : loi civile, II, 39-40. — Liberté civilt-,
369; II. 291 ; 350. — Droit civil, II, 140; 291. — Mariage civil, II, 209.
— Société civile, II, 219.
Civilisation (de Civiliser, de civil) : conditions et éléments, II, 325-326.
— Mission civilisatrice de l'État, II, 248.
Civique (Civicus, de civis, citoyen) : morale civique, II, 219-310.
Clair {Clarum, brillant) : a) pour Descartes : ce qui est « manifeste à un
esprit attentif » [Principes, Part. I, § 45). — Idées claires, 604 ; 838. — b) Pour
Leibniz : idée telle qu'on distingue son objet de tout autre (Cf. Méditât iones
de Cognitione, Veritntc ri fdeis, Édit. Janet T. I, p. 621), 142. — Idée claire,
518.
Clair-obscur : réparUUon de diiïérentes intensités lumineuses dans le champ
visuel, lafiueiie contribue à nous faire percevoir le relief ou peut servir à nous
en donner l'illusion.
TABLE ANALYTIQUE : Clan — CœuF 767
Clan (emprunté au gaélique Clann) : les sociologues désignent ainsi le
groupe familial primitif, où le mariage entre membres de ce groupe [Vendo-
garnie) était prohibé. L'extension du clan est moindre que celle de la tribu
qui, d'ordinaire, admet l'endogamie.
Clandestin [Clandeslinus, de clam, en cachette) : fait privilégié, 652.
Clarre (Samuel) : nature de l'espace, II, 501-502. — Répugnance du
processus in infinituni, II, 557-558.
Classe {Classis, peut-être de /X-o^rtç, appel, de xaXî'w, appeler) : o) En
Histoire naturelle, on nomme classes les divisions intermédiaires entre les
embranchements et les ordres, 695-696. — • b) En Logique, l'idée générale, au
point de vue extensif, représente une classe, 688. — c) En Sociologie, c'est
un ensemble d'individus que la loi ou l'opinion range dans la même catégorie
sociale. De sa nature, une classe est ouverte aux individus de la classe infé-
rieure qui en peuvent faire l'ascension, tandis que la caste est jermée. — Lutte
des classes, II, 202-203 ; 365-366.
Classification (du latin scientifique classificatio, de classis et jacere, consti-
tuer une classe) : manière de répartir, d'une façon coordonnée, des objets ou
des concepts. — Défmition, 693. — Espèces : empirique, artificielle, naturelle,
693-694. — Formation des classifications naturelles, 694. — Leurs avantages,
697. — Leur valeur, 698.
Classifications : a) Des arts, II, 408. — h) Des jaits psychologiques, 33 ; 43.
— c) Des fonctions intellectuelles, 134. — d) Des idées générales, 252. — e) Des
termes, 518. — /) Des inclinations, 83 ; 102 ; 103. — g) Des notions pre-
mières, 296. — h) Des passions, 122 ; 125. — i) Des propositions, 530. —
/) Des sciences, 584-595. — k) Des sensations, 75. — l) Des sentiments, 80. —
m) Des sophismes, 798. — • n) Des systèmes de morale, II, 46-47. — o) Des vérités
premières, 288.
Claustrophobie (de Claustrum, fermeture, de daudere, clausum, enfermer ;
cpofioç, pour) : trouble pathologique, qui se manifeste par une angoisse, quand
le mal.ule se trouve enfermé. C'est le contraire de V Agoraphobie.
Cléanthe (K>>£avô-/iç, de xÀso;, gloire, avOoç, fleur, ) : stoïcien, II, 93.
Cleptomanie (de KXstttw, voler; uavt'a, manie) : propension morbide au
vol, sans motif d'intérêt.
Climat (KX-'iy.a, inclinaison, climat) : influence sur les passions, le tem-
pérament, 116-117 ; 391 ; 467.
Clinamen (de Clinare, incliner) : déviation spontanée des atomes, II, 508 ;
600.
Coaction {Coactio, de coactum, supin de cogère = cum-agere, coagPre,
pousser! : contrainte qui exclut la liberté physique, 369.
Cœnesthésie (do Kotvo'ç, commun ; '/.17O/,';'.,-, sensation) : sensation confuse
de notre état général organique, 150.
Coercitif (de Coercitum, supin de coercere = cum-arcere, contenir) : pouvoir
de contrainte, II, 267-268 ; 345.
Coéternité (du latin scolastique Coœternilas, de cum, avec ; seternitas,
éternité) : coéternité de la matière et de Dieu dans le système dualiste, II, 601.
Cœur {Cor) : ensemble des facultés affectives, 125-126. — Esprit dupe du
cœur, 117. — Cœur et imagination, 233.
768 TABLE ANALYTIQUE : Coexistencc — Collectivisme
Coexistence (du latin scolastique Coexistenlia. de cum, avec ; existent ia,
existence) : lois de coexistence, 578-579 ; 647 ; 687-688 ; 700 ; 753. — Rapports
de coexistence, 691.
Coextensif 'de Coextension] : la conscience spontanée est coextensive à
toutes les facultés, 138 ; 141, 1. — L'idée du devoir n'est pas formellement
coextensive à l'idée du-bien, II, 112.
Cogitative (du latin scolastique Cogitativus, de cogitatum, supin de cogitare
= cum, avec ; agitare, agiter) : la potentia cogitativa est, d'après les Scolas-
TiQUEs, une sorte de jugement instinctif, qui fait connaître à l'homme l'utile
et le nuisible dans les choses sensibles. — La faculté correspondante chez les
bêtes est appelée estimative.
Cogito, ergo sum : « Lorsque quelqu'un dit : Je pense, donc je suis ou f existe,
il ne conchit pas son existence de sa pensée comme par la force de quelque
syllogisme, mais comme une chose connue de soi ; il la voit par une simple
inspection de l'esprit. » (Descartes, Réponse aux deuxièmes objections.
Œuvres, Édit. Ch. Adam et P. Tannery, T. IX, p. 110.)
Cognition (de l'anglais Cognition, connaissance) : ce mot, rarement
employé, désigne l'acte de connaître ou la connaissance en général. Mieux
vaudrait le réserver pour un acte particulier de connaissance et l'opposer
à la connaissance en général, comme on fait pour volition et volonté.
Cognoscibilité (de Cognoscibilis, qui peut être connu, de co-gnoscere,
apprendre, connaître) : qualité de ce qui est connaissable. U intelligibilité
a un sens plus restreint ; elle s'entend plutôt de la possibilité d'une connais-
sance rationnelle, 289.
Cohérent, Cohérence {Cohaerens, cohaercntia, de cu?n, avec ; haerere, être
lié) : un système cohérent est celui dont toutes les parties sont bien liées. —
La cohérence distingue : a) la perception de l'hallucination, du rêve, 173 ;
kl()-^ll ; b) le souvenir de la fiction Imaginative, 204. — La Logique est « la
théorie de la cohérence » (St. Mill).
Cohésion (Cohaesio, de cohaesum, supin de cohaerere, adhérer à) : le
mécanisme géométrique n'explique pas la cohésion, II, 509.
Coignet (Mme c.) : morale indépendante, II, 7, 5.
Coïncidence (de Coïncider, du latin scolastique coincidere = cwm, avec ;
incidere, tomber sur) : méthode des coïncidences constantes, 666. — Méthode
de coïncidence solitaire, 667.
Colère (Choiera, bile) : passion, 123. —
Collatéral [Collateralis, de collatcrare, avoir de chaque côté, de cum, avec
latus, lateris, côté) : cause collatérale, II, 117.
Collectif {Collectivus,Aç. coZ/ec«um, supin de colligere = c«m-/egere, recueillir) r
a) Sens logique : s'oppose à Distributif : idée collective, 259 ; 519. — b) En
Sociologie : ce qui concerne un groupe d'individus en tant qu'ils sont réunis :
propriété collective, II, 200. — Travail ('ollectif, II, 201. — L'âme collective :
aspiration commune d'un groupe, d'une nation (les Allemands disent Volksgeist).
Collectivisme (de Collectivus, collectif) : forme do Socialisme substituant
la propiiétè collective à la propriété privée pour les moyens de production,
II, 200-202.
TABLE ANALYTIQUE : Colllgatîon — Communisme 769
CoIIigation {ColUgatio, de colligatum, supin de colligare = cum-ligare,
lier ensemble) : opération logique qui consiste à exprimer, dans une formule,
une propriété dont la présence a été constatée chez un certain nombre d'indi-
vidus. Elle ne s'étend pas, comme l'induction, aux cas qui n'ont pas été direc-
tement observés. — L'hypothèse est un moyen de coUiger les faits dispersés, 657.
Collision (ColHsio, de coUisum, supin de collidere = cum-laedere, heurter
contre) : conflit : a) Des droits, II, 142. — b) Des devoirs, II, 150.
Colonat (de Colon, de colonus, de colère, cultiver) : esclavage mitigé, II, 181.
Colonie {Colonia, de colonus, cultivateur, de colère, cultiver) : l'Etat doit
ouvrir des débouchés en fondant des colonies, II, 249-250.
Combinaison (de Combiner, d'après le latin Combinatio, de combinatum,
supin de combinare, réunir, de cum, avec; bini, deux à deux) : fonctions de
combinaison, 135; 195.
Combinatoire (Art) (de Combinatum, supin de combinare, réunir) : pour
Leibniz, V Art combinatoire est cette partie de la Logique, ([ui consiste à déter-
miner toutes les combinaisons possibles des diiïérents concepts et à étudier
leurs propriétés et leurs rapports. Il se confond avec l'art d'inventer.
Combinatrice (Imagination) (de Combinatum, supin de combinare, réunir) :
forme de l'imagination, 222 ; 224-228.
Commencer (du latin populaire Cuminitiare ■= cum, avec ; initiarc, être
au début, de initium, entrée, début, de in-ire, in-itum, entrer) : ce qui com-
mence d'être a une cause, 330. Cf. 276. — Commencement absolu, 389-390.
— Dieu n'a pas commencé d'être, II, 578.
Commerce, Commercial (Commercium, de cum, avec,; merx, mercis, mar-
chandise) : langue commerciale universelle, 462. — L'Etat doit encourager
le commerce, II, 249-250.
Commun (Communis, de cum, avec, et de la racine qui a donné munus,
fonction) : ce qui appartient à plusieurs objets à la fois. S'oppose à Propre.
Noms communs, 258 ; 451. — Sens commun et bon sens, 286. — Critérium
du sens commun, 814. — Bien commun de la société, II, 219 ; 250 ; 289.
Communauté (du bas latin Communalitatem, de communalis, commiinal,
de communis, commun) : caractère de ce qui est commun. — Communauté
d'origine, de teri'itoire, etc., fondement des nations et du patriotisme, 92 ;
II, 220 ; 322. — Communauté d'origine, de nature, de destinée, 93-94 ; II, 163 ;
180-181. — Pouvoir dévolu primitivement à la communauté, II, 224-225.
— Kant appelle Communauté la troisième catégorie {Action et Réaction =
Réciprocité) qui se rapporte à la Relation, II, 432. Elle sert de fondement à la
troisième des Analogies de l'expérience, que Kant formule ainsi : '< Toutes
les substances, en tant qu'elles peuvent être perçues comme simultanées dans
l'espace, sont dans une action réciproque générale. »
Communes (Notions) : les Mathématiciens grecs disaient xo-v/t Èwoîat :
ce sont les axiomes, les principes rationnels. Cf. Leibniz, Nouveaux Essais...,
Préface, édit. Janet, T. 1, p. 15. Jules Scaliger « les nommait semina
seternitatis ».
Communisme (de Commun) : forme de socialisme supprimant complè-
tement la propriété individuelle, pour lui substituer la propriété*commune,
II, 199. — Organisation sociale exposée par Platon dans la République.
770 TABLE ANALYTIQUE : Commutative — Composé
Commutative (du latin scolastique Commutativus, de commutare, =
cum-mutare, échanger) : a) Justice commutative : égalité dans les échanges,
II, 162. — b) Loi ou propriété commutative : propriété de l'addition et de la
multiplication logiques, 656.
Comparaison {Comparatio, de comparatum, supin de comparare, rapprocher;
de cum, avec ; par, égal) : nature, rôle, importance, 244-245.
Comparatif (de Comparativus, de comparatum, supin de comparare, rap-
procher) : jugement comparatif, 264-265. — Proposition comparative, 530.
Comparative (Méthode) : 245; 490; 718-719; 722-724.
Comparé (de Comparer, de comparare, rapprocher) : grammaire comparée,
2; 463-464; 718-719. — Psychologie comparée, 490; 722-724.
Comparution (de comparaître, d'après un type latin artificiel, comparution
par analogie à solutio) : tables de comparution (Bacon), 666.
Compas (substantif verbal de compasser, du latin populaire compassare=-
cum, avec ; passus, pas, m.esure) : la main, 186, 1.
Complet [Completus, de completum, supin de complere = cum-pleo, remplir,
achever) : Leibniz appelle notion complète celle qui représente entièrement
im objet individuel. Les notions abstraites sont donc incomplètes. — S'oppose
à Incomplet.
Complexe (Complexus, de complexum, complecti, de cum et plectere, plier
avec, embrasser, assembler) : idée complexe, 519. — Terme complexe : celui
qui, formé de l'assemblage de plusieurs mots, ne constitue cependant, dans la
proposition considérée au point de vue logique, qu'un seul terme, 515, 2.
L'addiiion, qui complique un terme simple, est : a) tantôt une explication ;
vg. : l'homme, qui est un animal raisonnable; b) tantôt une détermination,
vg. : l'homme, qui craint Dieu. — Proposition complexe : celle dont le sujet,
le verbe ou l'attribut sont des termes complexes ; vg. : l'homme, qui craint
Dieu, est fort. — Syllogisme complexe : celui dans lequel le grand ou le petit
terme est complexe, ou dans lequel la conclusion est une proposition modale ;
vg. : celui qui craint "Dieu, ne craint pas les hommes ; or Pierre est quelqu'un
qui craint Dieu ; donc Pierre ne craint pas les hommes. — Il ne faut pas
<oni'ondre complexe et composé. — S'oppose à Simple.
Complexe : employé substantivement, ce mot désigne un tout dont les
(•lémenis disiincts ne sont pas seulement juxtaposés, mais sont organisés.
Complication (Complicatio, de compUcatum, supin de complicare, compli-
quer = cum, avec ; plicare, plier) : Wundt appelle complication « la liaison
entre images d'espèces diiïérentes ».
Complicité (de Complice, de complex, complicis. associé, étroitement uni) :
participation à un acte déréglé. — Complicité de la volonté dans les passions,
115-116. — Coopération aux actes mauvais des autres, II, 116-117.
Composé (de Composer, de componere = cum-ponere, mettre ensemble) :
ce qui est formé de plusieurs parties ou de plusieurs termes. — Proposition
composée, 530. — Syllogismes composés, 549-550. — -Confusion du sens composé
et du sens divisé, 199. — Distincti(ui Ihomisle entre le sens ('(imposé et le sens
divisé, II, 987, 4. — La matière est composée, II, 536. — Le composé humain,
II, 543-544.
TABLE ANALYTIQUE : Composite — Conceptioii 771
Composite {Cowposilus, de compositum, supin de componere, mettre en-
semble) : image composite, 228 ; 249 ; 261. — Ordre composite : formé du
mélange de plusieurs styles d'architecture.
Composition {Compositio, de compositum, supin de componere, mettre
ensemble) : composition dans le jugement, 268-269. — Méthode de compo-
sition ou synthèse, 613-614 ; 614-615. — Composition des lois : conditions
d'existence et connexions organiques, 702-703. — Absence de toute compo-
sition en Dieu, II, 577 ; 578.
Compossible (du latin scolastique cnnipossibilis, de cuw, ensemble ; possibilis,
possible) : pour les Scolastiques, c'est la simultanéité de plusieurs possibles.
Leibniz dit que tous les possibles ne sont pas compossibles, pour signifier
que tous les possibles ne sont pas simultanément réalisables dans le même
monde.
Compréhensif, Compréhension [ComprehensUms, Comprehensio, de Com-
prehensuin, supin de comprehe?idere = cu?n-prehendere, prendre avec) : ensemble
des notes ou éléments « compris « dans une idée ou un terme. — Compréhen-
sion : a) des idées, 250 ; b) des termes, 519. — Rapports de la compréhension
et de l'e'-itension, 251. — Point de vue compréhensif dans le syllogisme, 553-
554 ; 559-560. — Comparaison avec le point de vue extensif, 556. — Connais-
sance compréhensive, c'est-à-dire adéquate, 518. — Le mot compréhension
s'emploie quelquefois pour signifier Vacte ou la inculte de comprendre. Mais
cet usage est équivoque en raison du sens logique de ce terme, 250.
Comprendre {Comprehendere, prendre avec) : ce mot signifie, entendu :
a) largement: saisir le sens de quelque chose ; — b) strictement : saisir la nature
ou la raison de quelque chose.
Compulsion {Compulsio, àe compulsum, supin de compellere = cum-pellere,
réunir en poussant) : compulsion de l'expérience (Bacon), 662.
Comte (Auguste) : nature passive de l'habitude, 421. — Utilité de la
science, 581, 2. — Classification des sciences, 589-591 ; 717. — Impossibilité
de l'observation interne, 720. — Statique et Dynamique sociales, 753. • —
Critérium de l'expérience, 817. — Altruisme, II, 81. — Le Positivisme ou le
RelativisiiK^ objectif, II, 446-450.
Gonatif (de Conatum, supin de conari, s'elTorcer) : caractéristiciuc (h's faits
volitifs d'après Hamilton, 34.
Conation (de Conatio, de conari. conatum, s'efforcer) : mot usité clic/, les
philosophes de langue anglaise. Certains vcuidraient l'employer en français
pour signifier l'effort ou la tendance prise dans un sens indéterminé.
Concentration (de Concentrer, composé avec le latin cum, avec, et centre) :
loi esthéti(|ue, II, 402.
Concept {Conceptus, de conceptum. supin de concipere = cum-capere,
prendre à la fois, concevoir) : l'idée abstraite et générale, 135 ; 236 ; 263 ;
265. — Concepts a priori ou purs : ceux que l'on regarde comme n'étant pas
lires de l'expérience ; tels l'unité, la pluralité, aux yeux de Ivant. — Concepts
a posteriori : qui ont leur fondement dans l'expérience : vg. l'homme, l'animal,
la douleur.
Conception [Conceptio, de conceptum, supin de concipere, prendre, saisir,
recueillir) : a] Opération intellectuelle par opposition à celles de l'imagination
et des sens : la connaissance du monde est une conception de l'esprit. 157 ;
772 TABLE ANALYTIQUE : Conceptioniiisme — Concupiscence
173-174 ; 175. — b) Opération qui consiste à former ou à saisir un concept :
formation des concepts par abstraction et généralisation, 236. — Formation
du concept ou idée abstraite et générale, 249-250.
Conceptionnisme (de Conception) : façon d'expliquer la perception exté-
rieure par opposition au Perceptionnisme ou perception immédiate, 170-175.
Conceptualisme (du latin scolastique Conceptualis, de Conceptus, concept) :
théorie d'ABÉDARD et de Kant sur la nature des idées générales, 254-255.
Conceptuel (du latin scolastique Conceptualis, de Conceptus, concept) :
ce qui se rapporte au concept. — Signes conceptuels, 436.
Concevable, Concevabilité (de Concevoir, de concipere) : ce qui n'implique
pas contradiction. — S'oppose à Inconcevable, Inconcevabilité.
Conciliation (Co7ici7ia«io, de conciliatum, supin de conciliare, réunir; de
cum, avec ; calare, appeler) : elle consiste à dégager de chaque système « l'âme
de vérité « qu'il peut contenir. C'est ce que les Anglais nomment une doctrine
de « reconciliation », qui équivaut à un sage éclectisme.
Concluant, Conclusion (Condusio, de conclusion, supin de concludere =
cum-claudere, enfermer, terminer) : la conclusion est une proposition qui résulte
de propositions posées comme prémisses. — Conclusion du syllogisme, 536.
— Modes concluants du syllogisme, 539. — Conditions de sa validité, 561.
Concomitance, Concomitant [Concomitari, accompagner; de cum, avec;
comitari, suivre ; de cornes, comitis, de cum-ire, itum, aller avec) : caractère de
deux faits ou circonstances qui sont unies par un rapport régulier de simul-
tanéité ou de variation. — Méthode des variations concomitantes, 669.
Concordance (de Concorder, de concordare, s'accorder ; de concors — cum,
cor, cœur avec) : méthode de concordance, 668. — Méthode réunie de concor-
dance et de différence, 669, 2.
Concordat (du bas latin Concordatum, accord) : traité bilatéral conclu entre
l'Église et un État, II, 341.
Concours (Concursus, de concursum, supin de concurrere = cum-currere,
courir ensemble, se rencontrer) : action de coopérer. ■ — Concours divin :
a) Descartes : acte par lequel Dieu conserve le monde et coopère aux actions
des créatures ( Discours de la Méthode, Partie V). — b) Scolastiques : acte
par lequel Dieu coopère aux actions des créatures, II, 638.
Concret {Concretus, de concretum, supin de concrescere = cum-crescere,
s'accroître par réunion, se condenser) : c'est le réel, l'individuel. — Idée
concrète, 134 ; 258. — Terme concret, 518. — S'oppose à Abstrait.
Concrétion (Concretio, agrégation, de concretum, supin de concrescere,
se condenser) : « Opération par laquelle l'esprit, à ses débuts et d'une manière
généralement inconsciente, a construit le tout dit concret, que l'abstraction,
et l'analyse décomposeront plus tard » (V. Egger, Cf. Bulletin de la Société
française de philosophie, juillet 1903, p. 183).
Concupiscence [Concupiscentia, de concupiscere — cum-cupiscere, de cupere,
désii-er ardemment, convoiter) : a) les Scolastiques emploient ce mot pour
distinguer les appétits sensibles ou passions qui s'opposent aux tendances
raisonnables, 44 ; 122. — b) Désir ardent et égoïste. — c) Les trois concupis-
cences : libido sentiendi, libido sciendi, libido dnminandi, que S. Jean [Epist. I,
eh. II, V. 16) appelle concupiscentia carnis, concupiscentia oculorum, superbia
vitœ. Cî. Bossuet, Traité de la concupiscence.
TABLE ANALYTIQUE : Coiicupiscible — Conflît 773
Goncupiscible (du latin scolastique Concupiscibilis, qui peut être convoité) :
ce qui est le principe du désir, ce qui pousse à convoiter. — Appétit concupis-
cible, 44. — Passions qui en dérivent, 122.
Concurrence (de Concurrent, de Concurrens, de concurrere = cum-currere,
courir ensemble) : lutte entre deux tendances qui s'efforcent de se supplanter
l'une l'autre. — Concurrence dans l'enseignement, II, 254 ; 257-258. —
Concurrence : a) Économique, II, 355. — b) Vitale, II, 614.
CoNDiLLAC (Etienne Bonnot de) : classification des facultés, 46. — Nature
de l'instinct, 109-110. — Notion du moi, 153. — Nature de l'attention, 238.
— Nominalisme, 254. — • Origine sensualiste des idées, 300. — Notion de sub-
stance, 323. — Acte volitif ramené au désir, 361-363. — Origine du langage,
447, 6. — Aphorismes relatifs au langage, 462. — Analvse expérimentale,
613, 1.
Condillacisme (de Condillacus, traduction latine de Condillac) : ensemble
des doctrines condillaciennes. Voir Condillac
Condition {Conditio, Condicio, convention, condition, de cum, avec ; dicere) :
a) Ce qui enlève l'obstacle à l'activité de la cause, 324 ; 665. — h) Ce dont la
présence est nécessaire pour que quelque chose existe : vg. pour Kant le
temps et l'espace sont les conditions de l'expérience, II, 431. — c) A.ssertion de
laquelle une autre dépend, de sorte que, si la première est fausse, la seconde
l'est aussi : vg. jugement conditionnel ou hypothétique : vg. S'il est jour,
il fait clair, 549. — d) Manière d'être, situation : vg. condition de l'esclave
dans l'antiquité, II, 176.
Conditions d'existence (Principe des) : formulé par Guvier, 700-701.
Conditionné (adjectif participe de Conditionner) : ce qui est soumis à
certaines conditions, comme le relatif, 285. — Pour Hamilton : le condi-
tionné c'est « ce qui dépend de quelque chose d'autre quant à son être. «
Il énonce ainsi la Loi du conditionné : « Penser, c'est conditionner ». « To think
is to condition », 340-341. — D'après Kant, le conditionné c'est le conséquent
considéré dans sa dépendance de l'antécédent. — • Notre libre arbitre est
conditionné, 399. — Le conditionné dans le syllogisme hypothétique, 549. —
S'oppose à Inconditionné.
Conditionnel (Conditionalis, Condicionalis, de conditio, condicio) : ce qui
dépend d'une condition. — Syllogisme conditionne! ou hypothétique, 549.
• — Lois physiques conditionnelles, 294 ; II, 38. — Impératif conditionnel,
II, 44. — Synonyme d'Hypothétique.
Condorcet (Jean-Antoine-Nicolas Caritat, Marquis de) : la perfec-
tibilité humaine, 655 ; II, 327, 2.
Conduite (Substantif participe de Conduire, de conducere = cum-ducere
mener ensemble' ) : manière de se comporter. — Règles de conduite morale,
II, 30-36.
Conférences de La Haye : arbitrage des conflits internationaux, II, 318-320.
Conflit (Conflictus, de conflictum, supin de confligere = cum-fligere, heurter) :
opposition et lutte entre deux pouvoirs ou deux primiites à propos d'un même
objet. — Conflit : a) des droits, II, 142 ; — ■ b) des devoirs, II, 150; — c) de deux
pouvoirs, qui émettent sur un même point des prétentions opposées. Dans un
État bien ordonné, ces sortes de différends, vg. entre le pouvoir judiciaire et It?
pouvoir administratif, sont tranchés par un Tribunal des conflits, offrant des
774 TABLE ANALYTIQUE : Conformité — Connotatif
garanties d'indépendance ; — d) des nations : on a institué, pour les juger,
le Tribunal arbitral de La Haye, II, 318-330 ; la Société des nations, II, 320-
321 ; — e) « de la raison avec elle-même » : c'est pour Kant l'ensemble des
contradictions où tombe la raison, quand elle s'efîorce de rattacher les phéno-
mènes à un inconditionné, d'où ils dépendraient tous comme conditionnés :
c'est le heurt des antinomies, II, 433 ; 436.
Conformité [Conformitas, de cum, avec ; forma, forme) : faits de conformité
(Bacon), 652. — Conformité de la pensée avec les choses, XXVIII ; 768 ; 770.
Confus (Confusus, de conjusum, supin de confundere = cum-fundere, mélan-
ger) : concept, ou perception, dont le contenu est mal défini. — Etat de
conscience, 142. — Idée et terme, 518. — S'oppose chez les Cartésiens à
Distinct.
Confusion {Confusio, de conjusum, supin de confundere = cum-junderc,
mélanger) : acte par lequel l'esprit confond en un seul deux concepts distiiicts.
— Confusion mentale : état pathologique, dans lequel le malade ne forme que
des pensées incomplètes et troubles. — Confusion entre le sens composé et
le sens divisé, 799.
Congénital (de Congenitus = cum, genitus, né avec) : se dit de tout carac-
tère, qui existe chez un individu dès sa naissance, par opposition au carac-
tère acquis dans le cours de son développement ultérieur ; vg. Cataracte, 725.
Conjonctif (Conjunctivus, de conjunctum, supin de conjungere = cum-,
jungere, atteler ensemble) : syllogisme conjonctif ou copulatif, 549.
Conjonction {Con]unctio,(de conjunctum, supin de conjungere = cutn-
jungere. atteler ensemble) : «on rôle dans la phrase, 464.
Connaissance (de Connaître) : a) Subjectivement : acte de la pensée (fui
prend un objet en tant qu'objet de représentation. — b). Objectivement : ce
même acte considéré en tant qu'il représente plus ou moins le contenu de l'objet;
en ce sens on dit : connaissance imparfaite ou adéquate. — c) Contenu de la
connaissance : vg. l'ensemble des connaissances humaines. • — P'acultés de
connaissance, 134-136. — Connaissance instinctive et réfléchie, 242. — Matière,
forme, terme de la connaissance, 345. — Connaissance empirique et connais-
sance scientifique, 577-578. — Connaissance du particulier et science du général,
581. — Valeur de la connaissance, II, 421-455.
Connaître (Cognoscere — cum-gnoscere) : terme générique, qui indique
simplement qu'un objet est présenté, présent à l'esprit. Les espèces de ce genre
sont : percevoir, concevoir, comprendre, etc.
Connexe (Connexus, de connexum, supin de connectere = cum-nectere,
lier ensemble) : caractères connexes, 691.
Connexion (Connexio. de connexum, supin de connectere = cuni-ncctere,
lier ensemble'. : nécessité de la haison entre le sujet et l'attribut, 778. - -
Nécessité de la liaison entre les prémisses et la conclusion du syllogisme, 561.
Connexions organiques : principe formulé par Etienne Geoffroy-Saint-
IIiLAïuK. 70J-703.
Connotatif, Connotation. Connoter (du latin scolastique Connotare = cum-
notare, supin connotalum, indiquer avec) : la connotation est l'ensemble des
caractères imphqués par un terme'donné.- — Les Scolastiques disaient d'un
TABLi; ANALYTIQUE : Conscieiîce psychologique — Conséquence 775
terme qu'il connote, pour signifier qu'il implique un ensemble de caractères.
Stuart Mill leur a emprunté ce mot, 515 et note 3. — S'oppose à Dénota-
tion, 515, 3.
Conscience psychologique [Conscientia, de cnnscire — cum-scire, savoir
avec) : perception intuitive qu'a l'esprit de ses états et de ses actes. — Fonction
d'acquisition, 134. — Ses modes : spontané, réfléchi, 137. — Caractères du
témoignage de la conscience, 138-140. — Nature de la conscience : mode
i'op.damcntal ou l'acuité spéciale, 140-141. — Degrés de la conscience, 141.
— Objet et portée de la conscience, 145. — Ses limites : corps, monde extérieur,
Dieu, 146-147. — ■ Idées dues à la conscience réfléchie, 147. — Certitude psycho-
logique, 781.
Conscience morale (Conscientia, de conscire = cum-scire, savoir avec) :
faculté qu'a l'homme de porter des jugements sur la valeur morale de ses actes.
— Comparaison avec la conscience psychologique, II, 1 5. — Jugements et
sentiments moraux, il, 16-17. — Nature et origine de la conscience : a) sens
moral, II, 18 ; — b) éducation et coutume, II, 21 ; — c) association et habitude,
II, 22 ; — d) évolution et hérédité, II, 23 ; — e) raison pratique, II, 25-26. — Valeur
de la conscience, II, 26. — Universalité de la conscience, II, 27. - — Degrés,
éducation: et règles de la conscience, II, 33. — Examen de conscience, II, 159,
— Liberté de conscience, II, 183.
Consécutif {Consecutus, qui suit, de Consecutuni, supin de consequi — cum-
scqui, suivre de près) : les sensations consécutives ou rémanentes (de reinanens,
remancre, demeurer), sont celles qui persistent après que leur cause extéi'ieure
a cessé d'agir sur l'organe. C'est une persistance hallucinatoire. 225. — Les
images consécutives (il s'agit surtout des images visuelles) sont : a) positives,
quand les clairs et les noirs de l'image correspondent aux clairs et aux noirs
de l'objet ; vg. si l'on ferme les yeux après avoir regardé un objet brillant,
on le voit encore quelques instants ; — b) négatives, quand aux noirs de l'objet
correspondent les blancs d(! l'image et vice versa ; vg. : si après avoir fixé
un objet brillant, on regarde un écran blanc, on perçoit une image consécutive
négative. Si l'objet fixé est coloré, les couleurs de l'objet sont remplacées par
leurs complémentaires dans l'image consécutive négative.
Consécution [Consecutio, succession immédiate, de consecutum, supin de
consequi = cum-sequi, suivre de près) : chez l'animal il n'y a ni jugement ni
raisonnement, mais « simple consécution » d'images, 269 ; 281 ; 494.
Conseil [Consilium, délibération, avis, de consulere, dérivé de cum-sedere,
siéger ensemble, délibérer, aviser) : conseil et précepte, II, 112.
Consensus (de Consensum, supin de consentire = cum-sentire, consentir,
s'accorder) : en Physiologie, ce terme indique la coopération et l'accord des
diverses fonctions de l'organisme. — - S'emploie aussi en Psychologie.
Consentement (de Consentir, de consentire = cum-sentire, consentir) :
acquiescement de la volonté, 55-56; 115-116; 270-271; 399, 1.
Consentement universel {Omnium consensus naturse vox est, Cicéron,
Queest. Tuscul. L. 1, eh. 15) : critérium de la vérité (La Mennais), 815. —
Conditions de la valeur du consentement universel, 840. — Preuve de la liberté,
372-373. — Preuve de l'existence de Dieu, II, 563.
Conséquence (Consequentia, de consequi = cum-sequi, suivre, s'en suivre) :
lien logique qui unit les prémisses à la conclusion ; c'est la forme du raison-
nement déductif, 282. — - Ce mot signifie également la proposition qui découle
des prémisses, c'est-à-dire la conclusion, 536.
776 TABLE ANALYTIQUE : Conséquciit — Contemplatif
Conséquent {Consequens, participe présent de consequi — cum-sequi,
suivre, s'en suivre) : employé substantii'ement, il signifie la conclusion par
rapport aux prémisses ou à l'antécédent, 536 ; 538. — Employé adjectivement,
il signifie : a] ce qui est conforme aux règles de la Logique ; vg. : raisonnement
conséquent ; — b) s'oppose à Antécédent : vg. : volonté conséquente, 393, 1.
Conservation [Conservatio, de conservatum, supin de conservare = cum-
servare, garder avec soin) : fonction intellectuelle, 135. — Conservation des
idées : a\ habitude physiologique, 196-197 ; — b) habitude psychologique, 198-
199. — Conservation de la force, 387-390. — Conservation de l'être par Dieu,
IL 637.
Consommation (de Consommer, de consummare, faire le total, achever
perfectionner, de summus, le plus haut) : consommation des richesses, II, 360.
Constance {Constantia, de constare = cum-stare, se tenir avec, être ferme) :
qualité de celui qui ne cesse pas d'être le même. — Fermeté d'âme dans la
lutte contre soi-même, II, 159.
Constitutif (de Constitutus, participe passif de constituerez poster, établir,
de cum-stare, se tenir debout) : ce qui est essentiel dans une chose. — Carac-
tères constitutifs, 690-691.
Constitution (Constitutio, de constitutum, supin de constituere = cum-
statuere, étabhr, de cum-stare, se tenir debout) : manière dont une chose est
établie dans son organisation essentielle. — Constitution physique ou tempé-
rament, 391. — Constitution poUtique, II, 232-233.
Constitutionnel (de Constitution) : monarchie constitutionnelle, II, 232-233.
Constructif, Construction (Constructio, de constructum, supin de construere
= cum-struere, entasser, bâtir) : construction de l'idée de notre corps, 191.
— Imagination constructive, 222.
Construit (de Construire, de construere = cum-strue?-e, entasser, bâtir) :
ce qui est élaboré par l'esprit. S'oppose à Donné.
Contact [Contactus, de contactum, supin de contingere = cum-tangere,
toucher avec) : rapprochement qui établit des relations entre plusieurs corps
ou entre le corps et l'esprit. — Contact : a) Physique : contact des corps
s'appliquant l'un sur l'autre. — b) Virtuel : contact de l'esprit agissant sur le
corps. — Les sensations de contact sont les sensations propres du toucher, en
tant qu'on les distingue des sensations musculaires, thermiques, etc., 157-158.
Contagion [Contagio, de contactum, supin de contingere, = cum-tangere,
touclier avec) : communication par contact. — Contact : a) De la sympathie,
87. — b) Des émotions, actions, 95-96. — c) Des passions, 121-122. — d) De
l'exemple, II, 29.
Contemplatif, Contemplation [Contemplativus, Contemplatio, de contem-
platum, supin de cnnteiuplnr —■ cum,templum, observer une partie du ciel.
Le carré tracé dans le ciel par l'augure pour observer les présages s'appelle
templum) : attention sans effort, 239. — Plaisir du beau, II. 380 ; 387. —
Pour Platon, Ahistote et les Scolastiques, la contemplation est une acti-
vité intellectuelle intuitive, qui correspond à la pensée spéculative (OeojpeTv)
et s'oppose à une activité tournée vers la pratique (TrpaT-retv) ou vers la réali-
sation d'œuvres extérieures à l'agent (-otetv), 585. — Pour les Néopla-
toniciens, c'est moins un acte qu'un état intuitif, dans lequel l'esprit jouit
de la vue de son objet.
TABLE ANALYTIQUE : Coiitenance — Contradiction 777
Contenance (de Contenir, de continere — ciun-tenere) : contenance : a) com-
préhensive, 553-554 ; 559 : — b) extensive, 554-555 ; 557 ; — c) implicite, virtuelle,
564.
Contention (Contentio, de contentum, supin de contendere = cum-tendere,
tendre avec efîort) : forme de l'attention impliquant un effort pénible, 239.
Contenu (Contenir, du latin populaire contenire, pour continere, tenir de
tous côtés) : ce qui est dans autre chose. Le contenu d'un concept c'est sa
compréhension, 250. — Dans les opérations intellectuelles on distingue géné-
ralement : a) la l'orme ; h) la matière ou contenu, t36.
ContigU, Contiguïté [Contiguus, de contingere = cum-tangere, toucher?,
atteindre) : ce qui touche à quelque chose. — Contiguïté dans le temps et l'es-
pace, 216-217. — Loi de contiguïté, 213 ; 218. — Aristote (Cf. De menwria)
avait déjà noté la contiguïté dans le temps comme une des formes de l'asso-
ciation des idées.
Contingence, Contingent (Contingentia, contingens, de contingere, = cum-
tangere, toucher, atteindre, arriver). — Aristote dit : £v5£/o;/.£vov, ce qui
peut être) : a) Le contingent : ce qui peut être ou ne pas être, 285 ; 339. —
b) En Logique : proposition contingente : celle dont la vérité est garantie par
l'expérience et non par la raison. — Les futurs contingents sont les actes et
événements futurs qui dépendent de la volonté libre de Dieu ou des hommes,
II, 582 ; 583-584. — S'oppose à Nécessité, Nécessaire.
Contingentia (Argumentum a ou e) (de Contingere, arriver) : preuve de
l'existence de Dieu tirée e Contingentia mundi, II, 557.
Contingentisme (de Contingent) : on nomme quelquefois ainsi la « philo-
sopliie de la contingence », telle qu'ÉMiLE Boutroux l'a exposée, 388-389^
Continu (Continuus, de continere = cum-tenere, tenir ensemble, s'étendre) :
ce mot s'applique à la quantité dont les parties ne sont pas séparées, de sorte
que. la fin de l'une est le commencement de l'autre. On distingue le continu :
■a) permanent : celui dont toutes les parties sont données simultanément ;
vg. : la ligne, 630 ; b) successif : celui dont les parties sont données l'une après
l'autre ; vg. : le temps, le mouvement, II, 506 ; c) formel : il serait constitué
par des êtres étendus, dont l'unité ne comporte aucune distinction intrinsèque
actuelle, mais qui sont cependant réellement divisibles. Telle est la continuité
admise généralement dans la nature par les Scolastiques ; d) l'irtuel : il serait
constitué par des êtres simples, dont l'activité résistante serait le fondement
de l'espace réel et impénétrable. Telle est la continuité imaginée par Leibniz,
BoscovicH, Palmieri, II, 511 ; 518 ; 520.
Continué (de Continuer, de continuare, joindre, unir, faire sans inter-
ruption) : création continuée, II, 637-638.
Continuité (Continuitas, de continuus, continu) : liaison non interrompue.
Loi ou principe de continuité, 387-388.
Contradictio in adjecto : contradiction entre un terme et ce qui lui est
ajouté : \\x. entre un substantif et son adjectif : cercle carré, 520.
Contradictio in terminis : contradiction que les termes mêmes manifestent;
vg. mouvement sans vitesse, 145.
Contradiction (Contradictio, de contradictum, supin de contra-dicere, contre-
dire) : rapport entre deux propositions ou deux termes, dont l'un est la négation
de l'autre. — Principe de contradiction, 288. — Opposition par contradiction,
532. — Critérium de vérité, 816.
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. — T. II. — 2G
778 TABLE ANALYTIQUE : Coiitradictoire — Conventionnel
Contradictoire iContradictorius, de contradictum, supin de contra-dicere,
contredire) : ce qui est relatif à deux termes ou propositions entre lesquels
existe une contradiction. — Idée contradictoire, 520. — Propositions contra-
dictoires, 532.
Contrainte (de Contraindre, de constringere = cum-stringere, lier avec,
resserrer) : tout ce qui entrave la liberté d'agir, soit du dehors, soit du dedans.
— Contrainte physique, morale, 369; II, Il6. — Contrainte illégitime en
matière de conscience, de pensée, II, 83 ; 185 ; 344-346.
Contraire [Contrarius, de contra, en face de, contre) : indique une opposition
entre deux termes qui difterent par l'aitirmation et la négation d'un même
élément spécifique ; — ou entre deux propositions universelles, de mêmes
termes, dont l'une est affirmative et l'autre négative. — Opposition des
contraires, 532 ; 533. — Suggestion des états contraires, 214.
Contraposition, Contreposition (Contrapositio, de contrapositum, supin de
contra-ponere, poser en face, opposer) : mode de conversion des propositions
négatives O, 534.
Contrariété (Contrarietas, de contrarius, contraire) : propriété des propo-
sitions contraires, 532.
Contraste (de l'italien Contrasta, lutte, opposition) : opposition de deux
objets pensés simultanément ou successivement. — Loi de contraste dans
l'association des idées, 214 ; 217.
Contrat {Contractus, de contraction, supin de contrahere = cum-trahere,
rassembler, lier) : « Le contrat est une convention par laquelle une ou plu-
sieurs personnes s'engagent envers une ou plusieurs autres à donner, à faire
ou à ne pas faire quelque chose » (Code civil, art. 1101). — Contrat bilatéral
ou multilatéral : celui qui comprend une réciprocité d'engagements. — Quasi-
contrat, II, 74, 2. — Origine de la propriété d'après Grotius, Pufendorf, etc.,
II, 192. — Contrat matrimonial, II, 209-211. — Contrat social d'après Hobbes
et Rousseau, II, 220. — Le statut social s'oppose au contrat social. — Fidélité
aux contrats, II, 162. — Contrat de travail, II, 218 ; 358. — Contrat concor-
dataire, II, 341.
Contre-épreuve : c'est, dans la méthode expérimentale, une seconde opé-
ration, inverse de la première et destinée à la contrôler, 668-669 ; 669, 3.
Contribution (Contributio, de contributum, supin de contribuerez = cum-
triiniere, donner avec) : contributions ou impôts : espèces et base de répar-
tition, II, 278-280.
Convaincre [Convincere = cum-i'inccrr, vaincre entièrement, démontrer) :
difi'érences entre convaincre et persuader, 784-785.
Convenance (de Convenir, de convenire — cum-venire, aller ensemble) :
convenance entre deux ou plusieurs termes, vg. convenance entre le sujet et
l'attribut affirmée par le jugement de prédication, 265. — Le convenable :
ce qui est selon les règles, les usages, ce qui convient dans telles circonstances
données. — La convenance, le convenable ne s'imposent pas avec une nécessité
absolue : règles de convenance, II, 155.
Conventionnel (de Convention, de convcntin. assemblée, accord, du supin
conviiiium, de convenire — cum-venire, s'assembler, s'accorder) : ce qui est
établi par un accord exprès ou tacite. — Part de convention dans les théo-
ries scientifiques, 819. — Signes et langage conventionnels, 436 ; 439.
TABLE ANALYTIQUE : Convergeiice — Corollaire 779
Convergence (de Convergent, de Couver gens, de convergere = cum-vergere,
tendre ensemble vers) : tendance à se réunir en un même point. — • a) Conver-
gence s'oppose à différenciation, quand un ensemble de transformations tend
à produire une ressemblance croissante des éléments qui se transforment. —
b) Loi esthétique de concentration ou de convergence, II, 402.
Conversion [Conversio, de conversum, supin de convertere — cum-vertere,
tourner, changer). — a) Procédé de déduction immédiate, 533-534. — Critiques
de Hamilton, 534-535. — b) Conversion de la rente, II, 361. — c) Conversion
morale : changement radical dans la conduite.
Convertible {Convertibilis, de convertere, changer) : une proposition est
convertible quand elle peut être convertie simplement, c'est-à-dire sans chan-
gement d'extension, 533-534. — - L'être est convertible avec l'un, le vrai, le
bien, le beau, 252 ; II, 471 ; 475 ; 477 ; 470.
Conviction (Convictio, de conviction, supin de convincere — cum-vincere,
convaincre, démontrer) : conviction s'oppose à persuasion, 784-785. Elle
implique, au sens rigoureux, la certitude rationnelle ; mais, dans la pratique,
on l'emploie comme synonyme d'adhésion de l'esprit reposant sur une très
grande probabilité et suffisante pour nous déterminer à agir. — Kant appelle
conviction le fondement sur lequel repose l'adhésion subjectivement et objec-
tivement suffisante de la certitude stricte. 782. — Convictions fortes : élément
du caractère, 364-365 ; 412.
Coopératif, Coopération iCooperatio, de cooperatum, supin de cooperari —
cum-operari, travailler avec, aider) : part prise à une œuvre. — Responsabilité
morale, II, 116-117. — Sociétés coopératives de consommation, de crédit, de
production, II, 203-204.
Coopératisme (de Coopération) : forme de Socialisme, II, 203-204.
Coordination ICoordinatio, de cum, avec, et ordinare, mettre en ordre) :
coordination de concepts : relation de concepts placés sur le même rang dans
une classification ; vg. deux espèces du même genre, 251-252 ; 519. — Coordi-
nation des caractères, 691.
Coordonné (composé de la particule latine co = cum, avec, et ordonner,
de ordinare) : idées et termes coordonnés, 519. — Caractères, 691.
Coprolalie (Kozço;, ordure ; XaXta, parole) : emploi de termes orduriers
ou inconvenants, que provoque chez certains névropathes l'influence de leur
état morbide.
Copulatif [Copulativus, de copulatum, supin de copulare, pour co-apulare,
unir, du verbe archaïque apere, attacher) : ce qui unit. — Proposition, 530. —
Syllogisme, 549-550.
Copulation iCopulatio, de copulatum, supin de copulare, unir) : copulation
de l'expérience (Bacon), 662.
Copule (Copula, liaison) : tout verbe joue, dans le jugement, le rôle de
copule ou de lien, en tant qu'il exprime la relation que le jugement affirme
entre ses termes, 267.
Cornutum (Argumentum) : nom donné au Dilemme, 550.
Corollaire [Corollarium, de rorolla, petite couronne donnée en cadeau ;
supplément de salaire, d'où le sens figuré d'addition) : c'est une proposition
qui découle immédiatement d'une autre. S'oppose à Théorème.
780 TABLE ANALYTIQUE : Goiporatif — Cosmologie
Corporatif, Corporation (du bas latin Corporari, corporatum, se former en
corps I : inclinations corporatives, 91. — Associations corporatives, II, 251.
Cf. 285-286. — Avantages et abus des anciennes Corporations, 187-188.
Corporéité (du latin scolastique Corporeitas, de corpus, corps) : nom donné
par les Scolastiques à la forme substantielle, par laquelle un corps est constitué
corps. Les uns, les Thomistes, soutiennent que la corporéité n'est pas réellement
distincte du principe vital des êtres vivants, de sorte que ceux-ci doivent à
leur principe vital et d'être corps et d'être vivants. Conséquemment, à la mort
d'un "vivant, la fonction de corporéité, que remplissait l'âme, principe vital,
est exercée par une autre forme qui a été nommée forme cadavérique {forma
cadaverica). — D'autres Scolastiques admettent au contraire la pluralité
des formes substantielles : la corporéité et le principe vital sont donc réellement
distincts. Cf. D. Palmieri, Institutiones philosophicse, T. II, Anthropologia,
Th. XII-XIV, p. 381-416.
Corporel iCorporalis, de Corpus, corps) : faits de la nature corporelle, 25.
— S'oppose à Spirituel.
Corps [Corpus] : tout objet matériel que nous percevons comme étendu et
stable. — Perception de notre corps, 147. — Perception des corps, 162-163 ;
173-175. — • Construction de la représentation du corps, 191. — Existence des
corps, II, 500. — Nature des corps, II, 507-523.
Corps (Esprit dei : avantages et inconvénients, 93.
Corpuscule ( Corpusculum, petit corps, de corpus) : on entend par philo-
sophie corpusculaire le système de ceux qui expliquent (vg. Gassendi, Des-
cartes, etc.) les phénomènes physiques par certains groupements de parti-
cules que leur petitesse rend invisibles, II, 507-510.
Corrélatif (du latin scolastique Correlativus, de cum-referre, relatum, avoir
rapport à ) : ce qui implique des rapports mutuels. — Caractères corrélatifs,
691. — États d'esprit corrélatifs, 772.
Corrélation (du latin scolastique Correlatio, de cum-referre, relatum, avoir
rapport à) : relation réciproque. — Principe des corrélations organiques, 337 ;
655; 701,2. — La compréhension et l'extension, la définition et la classi-
fication sont en corrélation, 251 ; 688. — Corrélation entre le droit et le'devoir,
II. 138.
Corruption {Corruptio, de corruptum, supin de corrumpere = cum-rumpere
rompre, détruire) : les Scolastiques, après Aristote, opposent corruption
à génération, comme les deux faces de toute transformation substantielle,
II, 517 : Corruptio unius est generatio alterius. Aristote emploie les mots
ci/Oopa (destruction) et tÉve»?'.; (génération). — Corruptio optimi pessima.
La corruption du meilleur est la pire. La privation d'un bien supérieur est tou-
jours un mal pire que la perte d'une forme inférieure. ^
Cosmique rKoajxtxo':, de xo'ïaoç, univers) : relatif à l'univers pris dans son
ensemble. — Ordre cosmique. II, 561-562. — Suicide cosmique (Hartmann),
II, 649.
Cosmogonie (KoaixrryMy.^ (],> /.d<T[jLo;, monde ; yiv-jou-at, se produira) : sys-
tème explicatif de la formation du monde : vg. Hypothèse de Laplace, 337.
Cosmologie (KocraoAoyîa, de x-ô^aoç, mijnde ; Xoyoç, discours) : sa place
'<lans les sciences philosophiques, 4 ; 594. — Son objet, II, 496-529. — Kant
TABLE ANALYTIQUE : Cosmologiquc — Créatrice (Imagination) 781
entend par Cosmologie rationnelle l'ensenible des problèmes relatifs à l'origine
et à l'essence du monde envisagé comme réel. Ces problèmes aboutissent aux
antinomies kantiennes, II, 433. — Cf J.-M. Dario, Praelectiones Cosmologiae,
Paris, 1923.
Cosmologique (Kog[j.oaoyixoç, de xoci/oç, monde ; ^ôy^x;, discours) :
sciences cosmologiques, 1 ; 588. — Preuve cosmologique de l'existence de Dieu,
II, 557-560.
Cosmopolitisme (de Cosmopolite, de Ko'cr[jioç, monde ; 7To}aTr,ç, citoyen) :
sa nature, 93. — Doctrine stoïcienne, II, 94.
Cosmos : ce mot grec, qui signifie primitivement ordre, en vint à signifier
l'ordre dans l'univers, puis l'univers lui-même. Les Pythagoriciens l'avaient
déjà employé en ce sens.
Cosmothétique (Kôsaoç, monde ; xiOri^i, placer) : Hamilton admet que
nous avons la conscience immédiate du non-moi, du monde extérieur, 146-147.
Il appelle Idéalisme cosmothétique [Lectures on Metaphysics, Lect. XVI, T. I,
p. 295) le système de ceux qui rejettent cette doctrine.
CouAiLHAc (PÈRE MÀRius) : liberté et conservation de l'énergie, 390, 2.
Courage (de Cœur) : appétit irascible ou courageux, 122. — Vertu morale,
II, 130 ; 159.
CouRNOT (Antoine-Augustin) : efficacité de la volonté, 390. — Points
de vue de Cuvier et de Geoffroy-Saint-Hilaire, 702, 2. — La conscience
morale, II, 19, 2.
Cousin (Victor) : théorie de l'inférence, 173, 1. — Ouvrages d'ABÉLARD,
255, 1. — Jugement intuitif, 265-266. — Descartes, et la géométrie, 608, 2.
— Avantages de la méthode svHogistique, 842. — Abus, 843, 2. — Rôle de
l'intérêt, II, 77, 2. — Fondement du droit et du devoir, II, 134-135. —Défi-
nition du beau, II, 381, 3. — L'homme et l'infini, II, 551, 3.
Coutume {Consuetudinem, de consuetum, supin de consuescere '= eum-
suescere, s'habituer à) : nature et coutume d'après Pascal, 109, 2. — Coutume
au sens d'habitude, 416. — Origine de la conscience morale, II, 21.
Craig (John) : certitude historique, 745, 2.
Crainfe (substantif participe de Craindre) : passion, 122.
Créatianisme (de Creatio, de creatum, supin de creare, créer) : doctrine
d'après laquelle l'âme humaine est créée par Dieu au moment de la conception
ou quand l^,j;orps est suffisamment préparé.
Création (de Creationem, de creatum, supin de creare, créer) : a) Sens strict :
Est factio alicujus de nihilo (Alqert LE Grand, Summa de Creaturis, Tvâct. I,
Quaest. I, Art. 2). — Preuves et objections, 11,633-636. — Création conti-
nuée, II, 637-638. — b) Sens artistique : production de la forme d'une œuvre
d'art au moyen d'éléments préexistants. — Création artistique : analyse,
230. — Formation de l'idéal, II, 395-396.
Créationnisme (de Création) : système qui explique l'origine du monde
par l'action créatrice de Dieu, II, 633.
Créatrice (Imagination) : a) en général, 224 ; b) spontanée, 225 ; c) réfléchie,
226. — Conditions de son pouvoir, 228. — Rôle de l'imagination créatrice
dans : a) les arts et lettres, 229 ; b) les sciences, 231 ; c) la vie, 232.
782 TABLE ANALYTIQUE : Crédibilité — Criticisme
Crédibilité (du latin scolastique Credibilitas, de credibilis, croyable, de
credere, se fier) : ce qui rend une chose digne de créance. — Évidence de crédi-
bilité, 779-780 ; 791-793. Les motifs de crédibilité sont les motifs qui donnent
à la foi un fondement raisonnable.
Crédit (de l'italien Crédita, de credere, avoir confiance) : son rôle dans la
circulation de la richesse, II, 355-356.
Créditivité (de Creditum, supin de credere, se fier) : tendance naturelle qui
nous porte à croire sur parole, sans preuves, ce que l'on nous dit. Elle tient
le miheu entre V incrédulité, qui refuse de croire malgré des motifs raisonnables
de crédibilité, et la crédulité, qui ajoute foi à ce qui ne le mérite pas.
Crédulité [Credulitas, de credulus, de credere, se fier) : instinct d'après
Reid, 737,1. — La crédulité, en général, consiste à croire ce qui n'est pas
digne de créance.
Crépusculaire (de Crépuscule, de crepusculum, qui suppose un primitif
crépus, obscurité, d'où crêper, obscur, incertain) : perception, 144. — Fait
privilégié (Bacon), 652.
Cresson (André) : critique de la morale de Kant, II, 101, 1.
Crime (Crimen, plainte, accusation, de cernere, crevi, cretum, trier, discerner,
décider, cf. xpt'vto) : crime passionnel, 120. — Le crime est un acte qui implique
un manquement très grave aux lois de la morale. Il y a faute, au cas de gravité
moindre. Au sens légal, le crime est un acte punissable d'une peine afflictive
ou infamante. Le délit est un acte passible d'une peine correctionnelle.
Cf. Code pénal, art, 1.
Criminalité (de Criminalis, criminel, de crimen) : a) Caractère de ce qui
est criminel. — b) En Sociologie, la criminalité s'entend de la proportion et de
la nature des crimes relativement à tel pays, telle époque, telle catégorie de
citoyens, etc., 753.
Criminologie (mot hybride, de crimen, crime, et Xoyo;, discours) : science
de la criminalité, qui comprend : a) la psychologie des criminels, 491, 2 ;
b) la recherche des caractères communs, que les crimes peuvent avoir dans
tel pays, à telle époque, chez telle catégorie de criminels, etc.
Critère, Critérium (Kptxvipiov, ce qui sert à juger, de Jcpfrviç, juge, zpiVo,
discerner, juger) : caractère d'un objet qui permet de le juger. — Critérium de
la vérité et de la certitude : sa nature, 810. — Diverses sortes de critères,
810-839. — Critérium de la perfection d'un être, II, 105, 2 ; 106, 1.
Critériologie (de KoiTiiptov, ce qui sert à juger, de xpivo), discerner ; k6yrj(; ;
discours) : partie de la Logique qui traite de la vérité, de l'erreur et de leurs
critères, 509 ; 768-840.
Critias : sophiste, II, 421,
Criticisme (de Critique, d'après le type factice Criticismus) : a) au sens strict,
doctrine de Kant, II, 430 ; h) au sens large, il s'entend de toute doctrine qui
donne à la question de la nature de la connaissance une solution subjectiviste
ou idéaliste, c'est-à-dire fait dépendre la connaissance de la nature de Tesprit
connaissant ; c) au sens très large, il désigne la tendance à prendre, comme
base de toute recherche philosophique, le problème de la nature de la coiinais-
sance, quelle que soit d'ailleurs la solution qui y soit apportée.
TABLE ANALYTIQUE '. t^ticisme kantien — Cuvier (Frédéric) 783
'Cri(lcisme kantien : jugements synthétiques a priori, 274. — Origine des
Idées, 314. — La morale formelle, II, 96. — La raison pure, II, 430-434. — ■
iLa raison pratique, 434-435. — Critique du Griticisme, II, 435-438.
'Critique (CrîJicias,icpt'!:tx(»î, qui décide de quelque chose, de xptvo), discerner.
juger) : en général, c'est l'examen d'une chose au point de vue de sa valeur.
On en distingue um^e granée variété : Critique d'ari : partie de V Esthétique,
'760, 1. — Critique de la vérité : c'est la Logiqice critique, qui s'occupe de.s.
critères, 810-83'9. — Critique de la valeur de la connaissance : partie de fa
Métaphysique^ II, 421-455. — Critique du témoignage en général : importance
'du témoignage, 7S5 ; fondement de la foi au témoignage, 737. — Règles cri>-
tiques du témoignage, 738. — ■ Critique historique : traditions, monuments,
•écrits, 739-742. — Exemples de critique subjective, 741, 3. — Cf. le remar-
quable article de G. Picard sur Le Problème critique fondamental, dans Ar-
'CHivES DE PiETiit&soPHiiE, T. I, p. 93-186, Paris, 1923.
Croyanee (altération de créance, dérivé de croire) : a) Sens large : synonyme
d^opinion. b) :Sens strict : confiance accordée à un témoin. — Jugement et
'Croyance, 26'9.. — Croyance au témoignage, 735-737. — Science et croyance :
. la croyance est un mode de connaître : a) inférieur à la science, 786 ; b) supérieur
à la science (ÎPascal, Kant, Jacobi, Hamilton, Newman), 786; c) c'est le
mode général de connaître (Renouvier), 790; d\ science et croyance .sont
• deux modes différents, mais certains, de connaître (Scolastiques), 791. Cf.
-A. Malvy, JPascàl et :ie problème de la croyance. Paris 1923-
Cruciale ■(expérience) (de Crux, crucis, croix) : fait privilégié (Bacon),
652-653.
Crusius '(>Christian-August) : fondement de la distinction du bien et
du mal, II, 167.
Cryptopsj^hie (.Kjuctto'ç, caché ; '\"jyri, âme) : nom donné à certains états
psychologiques inconscients, qui échapperaient à l'observation directe.
Cudworth (Ralph) : nature plastique, II, 545, 1.
Culpabiliis (de Culpabilis, coupable, de culpa, faute) : ses conditions, II,
30-31. — Culpabilité de l'erreur, 807.
Culte {de Cuit us ; 'de cultum, colère, cultiver) : honneur rendu à Dieu, II, 332-
333 ; 341. — La liberté des cultes, II, 184-185 ; 341-342 ; 345.
CuMBERLANDiSME : mot tiré du nom de Cumberland, opérateur anglais,
qui prétendait lire certaines pensées des personnes qu'il tenait par la main.
II signifie le p/hénomène de la lecture des pensées. D'après certains philosoplics,
« d'imperceptibles mouvements de la main que l'on touche peuvent révéler à
l'observateur exercé les mouvements du cerveau et de la pensée » (A. Bertrand,
Lexique de Philosophie, p. 57, Paris, 1892).
Cupidité [Cupiditas, de cupidus, de cupere, convoiter) : désir immodéré des
richesses, II, 192-193.
Curieux, Curiosité [Curiosus, curiositas, soin à rechercher, de cura, soin) :
désir, besoin de connaître, 85. — Origine de la science, 577. — Qualité de l'obser-
vateur, 650.
CuviER (Georges) : l'expérimentateur, 660-661. — Principe des conditions
d'existence ou des causes finales, 700. — Principe des corrélations organiiiues,
701, 2. — Coordination des caractères, 691, 2. — Reconstitution d'organismes
• disparus, 700, 2; 709.
CuviER (FaÉoÉRiC;) : nature de l'instinct, 111-112.
784
TABLE ANALYTIQUE : Cyiiique (École) — Décisif
Csoiique (École) (Cynicus, xuvixo';, de /.ûwv, chien) : fondée par Antis-
THÈNE. Elle fut nommée ainsi à cause du lieu, le Cynosarge (KuvoTapyeç),
gymnase où il enseignait, et du genre de vie adopté par lui, qui se qualifiait
de vrai chien, aTrXozuwv (aTrXoîîç, simple ; xuwv, chien), et par ses disciples,
notamment Diogène, qui était appelé AtoyEvr,? ô xuojv.
Cynisme (de Cynique) : ce mot, appliqué d'abord à l'École cynique, signifie
en général le dédain des convenances sociales et des lois de la morale.
Cyrénaîque (École) (de K-jpr.vaïxo;, de Cj'^rène, ville de la Pentapole de
Lvbie, en Afrique! : Ecole Cyrénaîque, fondée par Aristippe de Gyrène,
Ii; 48.
Cyrénaïsme : morale de I'École Cyrénaîque : II, 48. On l'appelle aussi
Hédonisme.
Dabitis : mode indirect de la première figure, 539.
Daltonisme (de Dalton) : anomalie, congénitale ou acquise, de la vision,
qui consiste dans l'incapacité de distinguer certaines couleurs de certaines
autres complémentaires des premières ; le plus souvent le sujet confond le
rouge avec le vert ; quelquefois, le jaune avec le violet. Ce nom vient de
J. Dalton, physicien anglais (1766-1844), atteint de cette infirmité (confusion
du rouge et du vert), et le premier à la décrire. On dit aussi Dyschromatopsie.
Dante Alighieri : Qui aime en Dieu, punit en Dieu, 751, 1.
Darapti : mode de la troisième figure, 539.
Darii : mode de la première figure, 539.
Darlu (Julien-Marie) : la solidarité dans le mal, II, 73,3. — La morale de
la solidarité aboutit à l'utilitarisme, II, 75, 2.
Darmesteter (Arsène) : la Scolastique et la langue française, 842-843.
Darwin (Charles) : l'instinct, 110-111. — Production des signes, 437.
— Exposé de sa doctrine transformiste, 613-615. — Critique, II, 617-623.
Darwinisme : doctrine biologique et philosophique de Darwin, 613-615.
— En quoi elle diffère du Monisme et du Lamarckisme, II, 626.
Dastre (Albert) : fonctionnement du système nerveux et la perception
sensible, 71, 1 ; 73, 1. — Action de l'image et de la sensation sur l'organisme,
471, 1. — Découverte industrielle et découverte scientifique, 581, 4.
Datisi : mode de la troisième figure, 539.
Datum, Data (participe passé de Dare, donner) : ces mots s'emploient pour
signifier : a) le donné, les données : vg. les data de l'expérience ; b) les principes
fondamentaux : vg. les data des Mathématiques.
Daunou (Pierre-Claude) : division des documents écrits, 741, 2.
Décentralisation (de Dé, privatif, et centralisation) : sa nécessité, II, 251-252.
Décisif (du latin médiéval Decisivus, de decisio) : ce qui amène à accepter
une conclusion ou à prendre un parti. — Fait privilégié (Bacon), 652-653.
TABLE ANALYTIQUE : DécisioD — Défini 785
Décision [Decisio, de decisum, supin de decidere = de - caedere, trancher) :
acte de la volonté prenant un parti, 358.
Déclaration [Dcclaratio, de dedaratum, supin de de-darare, rendre clair,
manifester, de darus, clair) : déclaration des droits de l'homme : a) texte, II,
294 ; h) critique, II, 296.
Déclinaison (de Dédiner, de de-dinare, détourner, s'écarter) : Bacon
nomme aussi Table de dédinaison la Table d'absence, 666. — ■ Déclinaison est
la traduction du mot dinamen appliqué aux atomes, II, 600.
Décomposition (de Dé, en latin dis, préfixe séparatif, et composer) : procédé :
a) de l'analyse expérimentale, 613 ; b) de l'analyse rationnelle, 615.
Découverte (Substantif participe de Découvrir) : recherche et découverte de
la cause, 665-670. — Découverte et démonstration, 632.
Dédoublement (de Dé, latin dis, préfixe séparatif ; doublement, de double,
duplex) : dédoublement de la personnalité, 151-152.
Déductif [Deductivus, de deductum, supin de de-ducere, tirer de haut en bas,
faire sortir) : méthode déductive : a) en philosophie, 1 ; b) en psychologie,
30-32. — Raisonnement déductif, 281-282 ; 531. — Valeur du raisonnement
déductif, 564-565. — Méthode déductive en général, 617-623.
Déduction (Deduclio, action de faire sortir, de deductum, supin de de-ducere,
faire sortir) : opération par laquelle on passe d'une ou plusieurs propositions à
une autre proposition qxii en résulte nécessairement. — Déduction : a) immé-
diate, 531-535 ; b) médiate : théorie du syllogisme, 535-563. — Valeur de la
déduction, 564-565. ■ — Rôle de la déduction dans les sciences inductives,
620-621. — Sa marche, 622-623.
Déduction transcendantale : Kant nomme ainsi la tentative par laquelle
il cherche à justifier cette affirmation : « C'est un principe... que l'entendement
n'emprunte pas à la nature ses lois a priori, il les^lui prescrit. » {Prolégomènes à
toute métaphysique future). 11 veut montrer que l'accord des lois de l'entendement
avec les lois de la nature vient de ce que l'entendement organise et unifie
la nature en lui appliquant ses concepts a priori ou catégories, II, 431-432.
Bref, c'est la nature qui est rendue conforme à l'entendement par l'enten-
dement lui-même. A la déduction transcendantale s'oppose la déduction empi-
rique, consistant à montrer que c'est l'entendement qui se conforme à la
nature : par la réflexion sur les objets de l'expérience, l'entendement y découvre
les lois qu'il applique ensuite à la nature. Cf. Transcendantal.
Défaut (ancien français Défaute, de défaillir, mot formé sur le type de
faute) : ce mot indique la privation de quelque chose dans un sujet dont la
nature en comporte la présence, II, 477 ; mais, à la différence du mot faute,
il n'implique pas nécessairement que cette privation est due à la culpabilité
du sujet ; vg. défaut d'intelligence, de mémoire, de force physique, 373, 1.
Défense (dxi bas latin Defensa, de defensum, supin de dr.-fendere, repousser,
du primitif fendere, heurter) : droit de légitime défense, II, 132 ; 166.
Déficient {Deficiens, de deficere = de-facere, manquer) : cause déficiente
de l'eneur, 805.
Défini (Definitus, de definitum, supin de de-finire, délimiter, de finis
borne, lin) : ce qui est l'objet d'une délinitioii, 521. — Ce qui est limité, par
opposition à indéfini, 339. — Fini indique ce qui a des limites ; ce dont les
limites sont ou peuvent être déterminées, 339.
•jgg TABLE ANALYTIQUE : Dèfinlssaiit — Déisme
Définissant (de Définir, de de-finire, délimiter, de finis, borne, fin) : ce qui
sert à définir quelque chose ; vg. l'homme (= défini) est l'animal raisonnable
(= définissant), 523. — Hamilton [Logic, Lect. XXIV, § 82) distingue nette-
ment le Membrum definitum et le Membrum definiens.
Définition (Definitio, de definitum, supin de de-finire, délimiter, de finis,
borne, fin) ; a) Opération qui détermine la compréhension d'une idée, b) Objec-
tivement : l'ensemble des termes qui déterminent, expriment la compréhension
d'une idée. — Définition réelle : logique ou essentielle : ses règles, 521 ; ses qua-
lités, 523. — Définition descriptive, 524. — Définition causale, 57 ; 524. —
Définition nominale : nature, espèces, règles, 524. — Réduction et liberté des
définitions, 525-526. — Principe de la démonstration, 563. — Définition mathé-
matique, 635. — Définition empirique, 690-692. — Comparaison des défi-
nitions mathématiques et empiriques, 692. — Définition et division, 527-528.
— Définition et classification, 688-689.
Dégénérescence (de Dégénérescent, formé sur le type factice de gêner escere,
inchoatif de degenerare, de degener, dégénéré, de de, hors, et genus, genre) :
altération d'une qualité ou d'un organe. — Dégénérescence de l'amour-propre
en passions égoïstes, 85. — Au sens physique, c'est une altération de l'orga-
nisme qui le rend plus ou moins incapable de remplir les fonctions auxquelles
il est destiné. — On appelle dégénérés les individus qui sont affectés de plusieurs
anomaUes organiques ou fonctionnelles.
Dégradation {Degradatio, de Degradatum, supin de degradare, faire des-
cendre du rang, de de, du haut de ; gradus, degré) : dégradation de l'énergie :
« Propriété qu'a l'énergie, tout en restant constante en quantité, de se répartir
entre les corps d'une manière de plus en plus uniforme, et par là de devenir
•de moins en moins manifeste pour les sens, de moins en moins utilisable pour
l'action. » (Bulletin de la Société française de Philosophie, juillet 1904, p. 186-
-187). Cf. B. Brunhes, La dégradation de Vénergie, Paris, 1909.
Degré (du latin populaire degradum, pour gradum, pas, degré) : degrés
métaphysiques de la compréhension des êtres, 252. — Table de degrés (Bacon),
■666. — Différence de degré : c'est une différence accidentelle, de plus ou de
moins : vg. Pierre est plus savant que Paul. La différence de nature est, au
contraire, une différence essentielle : vg. différence entre le beau et le sublime,
:II, 389.
Dégressif (de Degressum, supin de de-gredior = gradior, descendre, de
gradus, pas, marche) : « L'impôt est dégressif quand c'est seulement la minorité
de la matière imposable qui profite du dégrèvement et que la majorité de la
matière imposable est assujettie à un droit uniforme. Notre ancienne contri-
bution mobilière était un exemple d'impôt dégressif. (P. Leroy-Baulieu, Z,a
Révolution fiscale, dans Bévue des Deux Mondes, décembre 1909, p. 551.)
— S'oppose à Progressif.
Déification [Deificatio, de deificatum, supin de deificare, de Deus, dieu,
facere, faire) : déification : a) des forces de la nature, 248 ; b) du peuple, de
l'humanité, II, 220-221 ; 348.
Déisme (de Deus) : en français ce terme indique la doctrine de ceux qui
« n'admettent que les principes de la religion naturelle, c'est-à-dire l'existence
de Dieu, l'immortalité de l'âme et la règle du devoir, rejettent les dogmes
révélés et le principe même de l'autorité en matière religieuse » (Ad. Franck,
Dictionnaire des sciences philosopliiques : Déisme), II, 637. — D'après Kant
{Critique.de la raison pure : Dialectique transcendantale, L. II, Ch. m, Sect. vu),
TABLE ANALYTIQUE : DelagB (Maric-Yves) — Démocratie 787
le déiste reconnaît l'existence d'un être primitif, qui est une force infinie,
inhérente à la matière, mais dont le concept reste transcendantal, indétermi-
nable ; le théiste va plus loin : il conçoit cet être primitif comme un être qui,
par son entendement et sa liberté, contient en soi le principe premier de toute
chose. — Sens qu'on donne généralement au mot Théisme : c'est « la convic-
tion de ceux qui admettent un Dieu libre, intelligent, auteur et providence du
monde... Le Déisme exclut quelquefois l'idée de Providence... ; il est hostile
à toute révélation, à toute tradition... Le Théisme, au contraire, ne suppose
point ces restrictions. » (Ad. Franck, Opère citato : Théisme).
Delage (Marie-Yves) : limites de la sélection naturelle, II, 613, 1. —
Pas de preuve de la transformation des espèces, II, 621, 2.
Délibération {Deliberatio, de deliberatum, supin de deliberare, peser, exa-
miner^ de de et li7)ra, balance) : acte par lequel l'esprit examine les motifs ^et
les mobiles qui sollicitent son adhésion. — Délibération intellectuelle, 357-358.
— Part de la volonté, 359.
Délibéré [Deliberatus, de deliberare, deliberatum, peser, examiner) : l'acte
délibéré est un acte libre, fait après examen, en connaissance de cause, 357-358.
— S'oppose à Indélibéré.
Délicat, Délicatesse (Delicatus, de delicise, tout ce qui charme, de delicere,
allécher, de et lacère, attirer) : entre plusieurs sens ce mot indique : a) Quelque
chose de distingué, de choisi, de recherché, qui plaît, soit dans les objets, soit
dans les procédés et les actes, vg. : manières délicates, art délicat. Le délicat
se rapproclie du joli, II, 388. — h) Quelqu'un difficile à contenter, au point de
vue physique, intellectuel ou moral : goût délicat, penseur délicat, conscience
délicate. — Qualité de la charité, II, 207.
Delille (Jacques) ; le gcût, 286.
Délire [Delirium^ de Delirus, extravagant, de delirare, sortir du sillon, de
la ligne droite, extra vaguer, de de, hors et lira, sillon) : état morbide tempo-
raire, ayant pour caractéristiques le désordre et l'agitation des états de
■conscience, la vivacité des images qui deviennent souvent hallucinatoires, 226.
Délit [Delictum, manquement, de delictum, supin de delinquere = de-
linquere, majiquer, faire faute) : le délit implique une faute moins grave que
celle que le crime suppose. — Légalement, il est punissable d'une peine
correctionnelle. Cf. Code pénal, art. 1. — Voir Crime.
Démence { Dementia, de démens = de, hors de ; mens, esprit) : affaiblissement
et incohérence d'esprit, 488.
Démérite (composé de la particule de [en latin dis, préfixe séparatifj et
mérite) : diminution volontaire de notre valeur morale, II, 118-119.
Démiurge (Ar,a[o-jpyo;, qui travaille pour le public, artisan, de oviato;, du
peuple ; £;^70v, œuvre) : Platon [Timée] appelle ainsi le dieu fabricateur du
monde. — Dans la philosophie néoplatonicienne d'Alexandrie, c'est l'âme
du monde, distincte de l'Unité ou Cause première.
Démocratie ( l'emoc/'ana, Ar,|AOKfiaTia, de ^^ao;, peuple, xpaTo';, puissance) :
au point de vue : a) social, II, 239 : b) politique : forme de gouvernement, II,
232 ; 233-235 ; 240. — Avantages et inconvénients de ce régime, II, 241. — At-
titudes extrêmes à l'égard de la démocratie, II, 242. — Avènement de la dé-
mocratie, II, 245. — Ecole de la Démocratie chrétienne, II, 239-240.
788 TABLE ANALYTIQUE : DémocFite — Déontologie
Démocrite (Ar,aoxp[To:, de ^■^[j.'>;, peuple, /-pîvstv, juger) : système
atomiste, 167 ; II, ôOO. — Qualités premières de la matière, 177-178.
Demolixs (Edmond) : méthode d'observation sociale, 754, 2.
Démon (Aai'aojv, dieu, génie) : Soorate nomme ainsi la divinité intérieure
qui, disait-il, l'avertissait de ses devoirs. Peut-être n'entendait-il par là qua la
voix de sa conscience qu'il personnifiait.
Démonstration [Demonstratio, de demonstratum, supin de de-monstrare,
faire voir) : déduction qui repose sur des prémisses évidentes, indémontrées
et indémontrables. — Syllogisme démonstratif, 561. — Nécessité de prin-
cipes indémontrables, 561. — Principes de la démonstration : axiomes et
définitions, 563. — Démonstration et découverte, 632. — Démonstration
mathématique, 631. — Ses principes : a] principe communs : axiomes, 632 ;
b) principes propres : postulats et définitions, 633. — Démonstration mathé-
matique et syllogisme, 636. — Espèces de démonstrations : analytique ou
synthétique, directe ou indirecte (réduction à l'absurde), 637. — Règles des
axiomes, définitions et démonstrations, 638.
Démophilie (de A^ao;, peuple ; (ptXia, amour) : c'est le nom que certains
proposent de donner à la Démocratie considérée du point de vue social, puisque,
dans ce sens, une société démocratique est celle dont les forces sociales conver-
gent à l'améhoration de la classe populaire, II, 239. Cf. G. Sortais, Les catho-
liques en face de la Démocratie, L. I, C. i, p. 2-3.
Dénombrement (de Dénombrer, de di-numerare, compter, de numerus,
nombre. Cf. voaaw, diviser) : dénombrement parfait, 605-606 ; imparfait,
684 ; 800. — Dénombrement complet des caractères, 690 ; 692.
Dénomination [Denominatio, de denominatum, supin de de-nominare,
dénommer, de nomen, nom, de noscere, apprendre) : les Scolastiques enten-
daient par dénomination toute détermination d'un objet qui permet de le
désigner de telle ou telle manière. On distingue les dénominations : a) intrin-
sèques (Cf. Leibniz, Monadologie, n. 9), qui correspondent à ce que les Scola-
TiQUEs appellent les accidents absolus, et même parfois aux propriétés essen-
tielles des êtres ; b) extrinsèques, qui correspondent aux accidents relatifs,
c'est-à-dire aux relations qu'un objet soutient avec d'autres objets. — Port-
Royal regarde ce terme comme synonyme de ce qui est accidentel : « J'appelle
manière de chose ou mode, ou attribut, ou qualité, ce qui, étant conçu dans la
chose et comme ne pouvant subsister sans elle, la détermine à être d'une
certains façon et la fait nommer telle. » [Logique, Partie I, Ch. n).
Dénoter, Dénotât!!, Dénotation (de De-notare, denotatum, désigner, de nota,
marque, note, de noscere, apprendre) : la connotation d'un terme correspond
à la compréhension d'un concepL ; la dénotation, à Vextension ; donc la connota-
tion indique certains attributs ; la dénotation, un sujet ou classe de sujets, 515.
Certains noms, ceux qui désignent un sujet par une de ses qualités, sont à la
fois connotatifs et dénotalifs : ils connotent un attribut et ils dénotent un sujet,
vg. blanc, 515, 3. Stuart Mill (Système de Logique déductive et inductive,
L. I, Ch. II, § 5) considère cette distinction, empruntée à la Scolastique,
Il comme une de celles qui entrent le plus avant dans la nature du langage. »
— Les noms connotatifs sont aussi appelés dénominatifs. Cf. Dénomination.
Déontologie (to fîsov, ce qu'il faut faire, le devoir ; Xo'yo;, discours) : théorie
des devoirs relatifs à telle ou telle classe sociale. Terme employé par Bentham :
Deontûlogy or tiie science of morality, Londres, 1834. Cf. II, 51, 2.
TABLE ANALYTIQUE : Déontologismc — Désinence 789
Déontologisme (to âe'ov, ce qu'il faut faire ; Xoyoç, discours) : système moral
fondé sur la notion du devoir. C'est rationnel, car l'homme a des devoirs avant
d'avoir des droits, II, 135-136.
Dépense (du bas latin dispensa, de dis pensum, supin de dis-pendere, peser,
payer) : budget, emprunts, dette publique, II, 361.
Dépersonnalisation (de Dé, particule séparative, en latin dis, et personne) :
■ état morbide, dans lequel le moi perçoit ses actes et ses paroles comme s'ils
appartenaient à un autre, 151-152. Cet état est caractérisé surtout par un
sentiment « d' incomplétude » (Pierre Janet).
Dépressif (de Depressum, supin de deprimere = de-preniere, presser de haut
en bas, abaisser) : passion dépressive, 123. — Douleur dépressive 66.
Dérivé (de Dériver, de de-rivare, derivatum, détourner, de de, en dehors,
rivus, ruisseau) : fait dérivé : hallucination, 173. — Loi dérivée, 621 ; 700. —
Principes dérivés, 288-290.
Dernier (pour derrenier, dérivé de derrain, contraction de deerrain, qui est
la forme euphonique, de dererain, du latin populaire deretranwn, de de et
rétro, derrière) : fin dernière, 332 ; II, 46, 2.
Désagrégation (de Désagréger, de dés, préfixe privatif — latin dis, et
agréger, de aggregare = ad-gregare, réunir, de ad, vers, grex, gregis, troupeau) :
désagrégation psychologique (expression due à Pierre Janet) : état morbide
où le moi est incapable de synthétiser les phénomènes psychiques, 151-152.
Descartes (René) : A) Psychologie : méthode psychologique, 8. —
Classification des facultés, 44-45. — Origine du plaisir, 60-61. — Nature de
l'instinct, 108. — Classification des passions, 124. — L'âme pense toujours, 154.
— Théorie de l'inférence, 173. — Qualités premières et secondes de la matière,
178. — Empreintes cérébrales pour la conservation des idées, 196-197. — Juge-
ment ramené à la volonté, 270. — Bon sens égal chez tous, 287. — Idées innées,
312. — Notion de substance, 322. — Objection contre les causes finales,
335-338. — Origine de l'idée de parfait, 342. — Nature passive de l'habitude,
421. — Langue universelle, 461, 3. — Rêve et veille, 476, 1. — L'âme-machine
des bêtes, 108-109 ; 492, 4.
B) Logique : classification des sciences, 587, 2. — Règles de la Méthode,
603. — Doute méthodique, 773-774. — Causes de l'erreur, 271 ; 604; 806 —L'er-
reur est dans le jugement, 796. — Erreur matérielle, 796-797. — Culpabilité de
l'erreur, 807-808. — Dédain de l'autorité, 811-^12. — La véracité divine et
l'évidence, 818. — Attaques contre la méthode syllogistique, 842, 2. — Excel-
lence de la méthode, 843-844.
C) Morale : critérium du bien et du mai, II, 107.
D) Métaphysique : Espace et temps, II, 502. — Mécanisme géométrique
de la matière, II, 508. — Mécanisme de la vie, II, 524. — Esprits animaux, II,
545. — Union de l'âme et du corps, II, 544, 3 ; 545, 2. — Preuve de l'existence
de Dieu tirée de l'idée de parfait, II, 566. — Preuv? ontologique, JI, 570, 2. —
La conservation, II, 637, 1.
Description {Descriptio, da descriptum, supin de de-scribere, copier, trans-
crire, représenter) : définition descriptive, 524.
Desdouits (Théophile) : critique de Kant, II, 436, 1.
Désinence (du latin scolastique Desinentia, de de-sinere, s'abstenir,
cesser) : terminaison qui exprime les flexions, 456.
790 TABLE ANALYTIQUE : Désintégration — Détermination
Désintégration (de Dés, particule privative, en latin dis, et intégration) :
destruction de l'intégrité d'un tout. — Pour Spencer, c'est une transformation
inverse de l'intégration, II, 627-629.
Désintéressé, Désintéressement (de Désintéresser, de dés, préfixe privatif,
et intéresser) : celui qui n'agit pas en vue de son intérêt. — Inclinations désin-
téressées, 93-94 ; 95. — Vertu désintéressée, II. 78-79 ; 121-122. — Charité
désintéressée, II, 207. — Plaisir du beau, II, 380 ; 387.
Désir (substantif verbal de Désirer, de desiderare, de de, particule privative,
et sidus, sideris, astre, constater l'absence d'un astre ; d'où regretter) : tendance
spontanée et consciente pour atteindre une fin qui plaît. — Amour et désir, 82.
— Désir du bonheur, 84. — Passion, 122. — Désir et volonté (Condillac), 361.
— S'oppose à Aversion.
Désitif (de Desitum, supin de de-sinere, s'abstenir, cesser) : les propositions
désitives indiquent qu'une chose ou un état a cessé d'être on d'être tel ; vg. Le
français n'est plus la langue diplomatique. — S'oppose à Inceptif.
Despotisme (de Despote, de osttot-/;;, maître) : autorité oppressive qui viole
à son profit les droits de ses subordonnés. — Résistance au despotisme, II,
289-291.
Dessin (substantif verbal de dessiner, de l'italien disegnare, de de-signare,
marquer, désigner, de signum, signe) : arts du dessin, II, 408.
Destin (substantif verbal de destiner, de destinare, de de et stanare ou
stinare, fixer) : fatum des anciens, 375 ; 376. — Ce mot signifie non seulement
la puissance qui fixerait les événements, mais encore l'ensemble des événements
fixés par elle qui composeraient la trame de la vie d'un être.
Destination, Destinée (de Destin) : ces mots ont d'abord le même sens que
destin, puis ils indiquent la finalité d'un être, c'est-à-dire l'avenir en vue duquel
il a été fait et qui rend compte de sa nature. — Fin dernière de l'homme, 332 ;
II, 46, 2. — Problème de la destinée humaine, II, 549-552.
Destutt de Tracy (Antoine-Louis) : supériorité du langage vocal,
439, 4. — Le besoin, fondement du droit, II, 133.
Déterminant (de Déterminer, de de-terminare, tracer des limites, de terminus,
limite, i'£p[-ta, borne) : ce qui fixe ou limite un objet. — Antécédent déterminant,
327-328 ; 331-332 ; 665. — L'acte détermine la puissance, 48 ; II, 465 ; 630-631.
— La différence spécifique détermine le genre, 253 ; 522. — La forme déter-
mine la matière, II, 516.
Déterminatif (de Déterminer, de de-terminare, tracer des limites) : ce qui sert
à limiter un terme ou une proposition. — Dans un terme complexe l'addition
faite au terme simple est déterminative quand elle précise et restreint le sens
du terme simple. Une proposition incidente sera donc déterminative quand elle
restreindra le terme auquel elle se rapporte ; vg. Les tragédies, qu'a composées
Racine, sont des chefs-d'œuvre. — La proposition incidente est explicative
quand elle ne restreint pas le terme auquel elle se rapporte. Cf. Explicatif.
Détermination [Determinatio, de de-terminare, délimiter) : ce mot signifie :
a) L'acte volontaire qui termine la délibération, 358 ; 358-359. — b) L'acte
qui fixe la nature ou les bornes d'un objet de la pensée ; vg. en spécifiant les
carat lèivs qui servent à distinguer un concept d'un autre, comme le concept
liomme et le concept oiimal, 253. — c) La relation qui unit tellement deux
TABLE ANALYTIQUE : Déterminé — • Devoirs envers Dieu 791
e la
ion.
éléments de connaissance que, si l'un est posé, l'autre l'est aussi ; vg. tell
relation qui unit le propre à l'essence, 253. — S'oppose à Indéter minât
Déterminé (de Déterminer, de de-terminare, délimiter) : a) Ce dont la
nature ou les limites sont nettement définies. — b] Indique le terme du passage
de la puissance à l'acte ; vg. quand la volonté pose tel acte, elle passe de l'indé-
termination à la détermination, 358.
Déterminisme (de Déterminer, de de-terminare, délimiter) : Sens général :
doctrine philosophique d'après laquelle tous les événements de l'univers,
y compris les actions humaines, sont tellement liés entre eux que les événements
postérieurs résultent nécessairement des événements antérieurs et qu'il n'y
ait qu'une seule résultante possible. — Objections des déterministes contre
Ja liberté, 371-372. — Déterminisme en général, 383. — Déterminisme : a) scien-
tifique, 383 ; b) physique et physiologique, 390 ; c) psychologique, 392. — Prin-
cipe du déterminisme, 290 ; 678 ; 680. — Déterminisme des lois historiques
et sociales : sa mesure, 753-754. — Ce mot Déterminisme semble avoir été
forgé en Allemagne vers le premier quart du xix® siècle.
Détracteur, Détraction IDetractor, detractio, de detractum, supin de de-
trahere, tirer à bcS, rabaisser) : le détracteur rabaisse le mérite des autres et
porte atteinte à leur réputation, II, 206-207.
Développement (de Développer, de dé, préfixe séparatif, en latin dis, et du
radical de envelopper) : croissance de ce qui est contenu dans un germe. — Arrêt
dans le développement des organismes, II, 612-613.
Devenir ( De-venire, arriver) : a) le devenir s'oppose à l'être : c'est la série
des changements. Les Scolastiquf.s traduisent cette opposition en disant :
In fieri, In jacto esse. — La Philosophie allemande est une philosophie du
devenir, xxxi, 2. — Le devenir d'après : 1^^) Fitche, II, 604; 2°) Hegel, II, 605.
— h) C'est le passage d'un état à l'autre : tout être créé se fait, devient, 48.
Déviation (de Dévier, de deviare, de de et via, en dehors du chemin, de
vehere, voiturer) : écart du droit chemin. — La vertu évite toute déviation,
II, 128.
Devoir (du latin Debere, devenu deveir, devoir) : ce qui doit être fait. —
Loi morale et devoir, II, 37. — Devoir et obligation, II, 37. — Existence du
devoir, II, 42. — Ses caractères, II, 44. — Nature du devoir d'après Kant, IL
9G ; 100. — Morale du devoir ou du bien rationnel, II, 101. — Fondements
erronés de l'obligation, II, 108. — Vrai fondement, II, 110. — Rapports du
devoir et du droit, II, 135-139. — Division des devoirs d'après : a) hitr forme,
II, 148 ; b) leur matière, IL 149. — Egalité des devoirs d'après les Stoïciens,
II, 149. — Devoirs envers les animaux ? II, 150. — Conflit des devoirs, II, 150.
Devoirs civiques : devoirs : a) des gouvernants, II, 265 ; h) des gouvernés,
n, 274.
Devoirs domestiques : devoirs : a) des époux, II, 211 ; b) des parents. II,
216 ; c) des enfants, II, 216 ; d) des maîtres et des serviteurs, II, 217 ; e) des
patrons et des ouvriers, II, 217.
Devoirs envers les autres, II, 161. — Devoirs de justice relatifs : a) à la vie
d'autrid, II, 166 ; b\ à Vâme d'autrui. II, 168 ; c\ aux biens matériels d'autrui,
II, 188 ;' 192-193 ; d) aux biens spiritu.'ls d'autrui, II, 206. — Devoirs de charit>\
II,' 207.'
Devoirs envers Dieu : II, 331-333.
792 TABLE ANALYTIQUE : Dcvoifs întemationaux — Dichotomie
Devoirs internationaux : II, 313.
Devoirs personnels : existence et fondements, II, 153. — Devoirs relatifs :
a) au corps, II, 156 ; b) à l'âme, II, 158.
Dévouement (de Dévouer, de dé et vouer, sous l'influence de de-vovere,
consacrer! : 94 ; II, 163.
Dialectique (la) (Dialectica Ars, % AiaÀô/.Tt/.r, TÉ/vr, de C'.a-Aî'vw,
converser^ discuter) : les anciens, notamment Aristote, d'après Diogèxe
Laërte, attribuent à Zenon d'Elée l'invention de la Dialectique ou art de
discuter, et disent que les Mégariques y ont excellé. (Voir Éristique). — Chez
Platon, la Dialectique consiste à distinguer les genres et les espèces et à
expliquer les choses par les Idées en s'élevant du sensible à l'intelligible jusqu'à
l'Idée suprême du Bien. — Aristote oppose V Analytique et la Dialectique.
La première a pour objet la déduction fondée sur des prémisses nécessaires :
c'est la Logique de la démonstration, 561-563. La seconde a pour objet les
raisonnements appuyés sur des opinions probables : c'est la Logique de la
probabilité {Topiques, L. I, Ch. i, § 5). A côté de ce sens favorable, où elle est
synonj'me de force de raisonnement, la Dialectique a quelquefois, dès cette
époque, le sens défavorable de vaine subtilité : AtaXsxTixwç eïpr.vTa-. xai
x£vw;. (Aristote, De Anima, L. I, C. i, § 8). — Pour les Scolastiques, la
Dialectique est Fart de raisonner, c'est la Logique formelle : elle fait partie
du Trivium, 587. — Kant définit la Dialectique en général la « Logique de
l'apparence » et nomme dialectiques les raisonnements illusoires. Il distingue
les apparences logiques, empiriques et transcendantales . Ces dernières pro-
viennent de la constitution même de notre esprit, qui s'imagine pouvoir déter-
miner la nature et l'essence de l'âme, du monde et de Dieu. La Dialectique
transcendantale a pour objet de démontrer que cette tendance « naturelle et
inévitable » de notre esprit est une illusion, dont il faut se garder avec soin,
II, 32. — Pour Hegel, la Dialectique consiste à mettre en évidence l'union
des contradictoires et à trouver le principe de cette union dans une synthèse
supérieure : l'évolution de la pensée se fait par thèses, antithèses et synthèses,
II, 605. — Étant donnée cette variété de sens attribuée à la Dialectique, on
ne doit employer ce terme qu'en précisant la signification où on le prend.
Dialectique (A'.aXc/.Tix.o;, qui concerne la discussion, de oic/Xé-fi». conver-
ser) : 0 1 Syllogisme dialectique : celui dont les prémisses ne sont que probables.
Aristote l'oppose au syllogisme apodictique ou démonstratif (Cf. Topiques,
L. I, Ch. i, § 4, 5), 561. b) Aristote (Ibidem, Ch. m, § 2) distingue quatre attri-
buts dialectiques : définition, genre, propre, accident, dont Porphyre a fait les
Prédicables, 252-253 ; 516.
Diallèle (Ai'àXXrÀoiv, l'un par l'autre) : c'est le nom donné au cercle vicieux
(AiaAÀr/o; toottoç), 801 ; l'un des cinq tropes énumérés par Agrippa, II,
422 ; 423. '
Diamétralement (de Diamétral, de diametralis, de otaasrpoi;, diamètre, de
oi'a, à travers, aîTpov mesure) : ce terme aristotélicien indique l'opposition
des contradictoires. Cf. le Tableau des oppositions, 532.
Dichotomie (A:/oTo;xta, de o'.xo'tc.;/o;, coupé en deux = 5î/.a, en deux parties ;
To;,'.-/], coupuiei : distribution de chaque genre en deux parties contradictoires,
.'Ï27- — Les anciens appelaient ainsi l'un des arguments de Zénon d'Elée.
Cet argument a été aussi appelé V Achille, parce que Zénon prenait comme
TABLE ANALYTIQUE : Dichotomïque — Dieu 793
exemple Achille aux pieds légers poursuivant une tortue. « Un mobile plus lent
ne peut être rejoint par un plus rapide, car celui qui poursuit doit toujours
arriver au point occupé par celui qui est poursuivi et où celui-ci n'est plus
[quand l'autre y parvient] ; de sorte que le premier conserve toujours une
avance sur le second. » (Cf. Aristote, Physique, L. VI, Ch. ix, § 3).
Dichotomique (At/oVoy-oç, divisé en deux) : division logique, 527.
Dictamen (de Dictare, répéter, dicter, de dicere, dire) : dictamen de la
conscience : ce qu'elle ordonne ou défend.
Dictum de omni, Dictum de nullo : principe du syllogisme ainsi formulé
par Aristoti: : « Tout ce qui est affirmé du prédicat peut être affirmé du
sujet. » (Catégories, Ch. ii, § 3). P'orme négative : Tout ce qui est nié du prédicat
peut être nié du sujet. Les Scolastiques ont interprété la formule d'ARisToiE
du point de vue de Vextension, 555.
Didactique (la) (AtoaxTtxoç, propre à instruire, de otâa(7xcij, enseigner) :1a
Didactique est cette branche de la Pédagogie qui se rapporte à l'enseignement.
Dieu (de Deum) : Dieu et les créatures ; Dieu, acte pur, 48 ; II, 577. —
Amour de Dieu, 97 ; II, 333. — Formation de l'idée de Dieu, 343. — Idée de
Dieu, synthèse de toutes les notions et vérités f)remières, 344. — Morale indé-
pendante de l'idée de Dieu, II, 7-12. — Fondement de la distinction du bien
et du mal : volonté arbitraire de Dieu (Occam, Descartes), II, 107. — Fon-
dement de l'obligation morale : a) volonté arbitraire de Dieu (Pufendorf),
II, 110; b) volonté inflniment sage de Dieu, II, 110-111. — Nécessité de la
sanction fondée sur la nature de Dieu, II, 120-121 ; 124. — Tout devoir découle
du droit absolu de Dieu, II, 135-136. — Suicide : contraire au droit de Dieu,
II, 156-157. — Dieu peut dispenser des préceptes secondaires du droit naturel,
II, 141-142. — ■ Toute autorité vient de Dieu, II, 223. — Devoirs envers Dieu,
II, 331-333. — Les droits de Dieu et la Révolution, II, 348-349. Cf. 296-299.
— Dieu, beauté suprême, II, 412-413.
Nécessité et possibilité de démontrer l'existence de Dieu, II, 555. — Classi-
fication des preuves de l'existence de Dieu, II, 556. — Preuves : a) Contingence
du monde, II, 557 ; b) Mouvement de la matière, II, 560 ; c) Causes finales, II,
561 ; d) Consentement universel, II, 563 ; e) Aspirations de l'âme, II, 565 ;
/) Idée de parfait, II, 566 ; g) Vérités éternelles, II, 567 ; h) Existence du (levoir,
II, 568 ; i) Preuve ontologique, II, 569. — L'Etre nécessaire est parfait, II, 572.
Attributs divins : II, 576 : a) métaphysiques, II, 577 ; b) moraux : méthode
pour les déterminer, II, 580 ; leur détermination, II, 581. — Science et sagesse
de Dieu, II, 581. — Science des futurs conditionnels, 584. — Amour, bonté,
véracité, II, 595. — Toute-puissance et liberté, II, 597. — Personnalité divine,
II, 598.
Rapports de Dieu et du monde : Dieu créateur, II, 633. — Dieu Providence :
conservation, II, 637. — Concours divin, II, 638. — Gouvernement du monde,
II, 639. — Le miracle, II, 640. — Objections contre la Providence : a) Mal
métaphysi,que, II, 643 ; b) Mal physique, II, 644 ; c) Mal moral, II, 644.
Valeur du monde : Optimisme : a) absolu, II, 646 ; h) relatif, II, 647. —
Pessimisme : a) absolu, 648 ; b) relatif, 649. — Solution du problème : opti-
misme relatif, II, 649-650.
Dieu et l'immortalité de l'âme, II, 549-552. — Prescience divine et liberté
humaine, 378-382. — Bonté divine et liberté humaine, 382.
794 TABLE ANALYTIQUE : Diffamation — Directoire européen
Diffamation {Di^amatio, de diffamatum, supin de diffamare, divulguer,
diiïamer, de dis, préfixe séparatif, et fama, réputation, de fari, parler) : atteinte
à la réputation du prochain, II, 206-207.
Différence {Differentia, de differre = dis-ferre, disperser, séparer) : relation
d'altérité. — Origine de cette notion, 148. — a) En général, tout caractère
permettant de distinguer une chose d'une autre, uneidée d'une autre. — b) Diffé-
rence spécifique : ce qui distingue une espèce des autres espèces contenues dans
le même genre, 253 ; 522. — La différence 'numérique est une différence acci-
dentelle, qui distingue un individu d'un autre ; vg. la science. — Pour parler
strictement, il ne faut pas confondre: 1°) différence, qui se rapporte aux espèces
d'un même genre ; 2°) diversité, qui s'applique aux genres comparés entre eux ;
3°) distinction, qui se dit des individus d'une même espèce.
Différence (Méthode de) : a) directe, 668-669 ; 672 ; 690 ; b) indirecte, 669, 2.
Différenciation (de Differentiare, latin scolastique, différencier, de diffe-
rentia) : chez Spencer : « Passage de l'homogène à l'hétérogène », c'est-à-dire
transformation d'éléments semblables en éléments différents, II, 626-627.
Différentiel (de Différence) : on nomme Calcul différentiel l'introduction de
quantités infiniment petites dans l'Analyse mathématique.
Dignité [Dignitas, titre, médite, de dignus, qui mérite) : principe de la
dignité humaine d'après Kant, II, 154-155. — La dignité de la personne n'est
que le fondement prochain de la morale, II, 155. — Respect de la dignité de
la personne, II, 98 ; 101.
Dilemme (Dilemma, AOve;jiua, de ^îç, deux fois ; ^r^tj-ixt, ce qu'on prend ou
reçoit ; prémisse du syllogisme) : argument, 550. — Dilemme de Lequier,
386, 2; IL 439-441.
Dilettante, Dilettantisme (de l'italien Dilettante, qui se délecte, amateur) :
420. — Le Dilettantisme philosophique est une forme du scepticisme : le dilet-
tante s'intéresse au mouvement des idées et des doctrines en se désintéressant
de leur vérité ou fausseté.
Dimension [Dimensio, de dimensum, supin de di-metiri, mesurer dans
tous les sens) : grandeur réelle qui seule ou avec d'autres détermine la grandeur
d'une figure mesurable. — Figures à deux ou trois dimensions, 626.
Diminution [Diminutio, de diminutum, supin de di-minuere, dans le sens
de-ininuere, retrancher, amoindrir) : diminution de la conscience, 419 ; II, 123
Diplomatique (du latin scientifique Divlomaticus, de Diploma, AîtiXo)!/.*
6i7:Àwp.«To;, document écrit sur deux feuilles pliées, diplôme) : langue diplo
matique universelle, 462.
Diplopie (AtTuXo'oç, double; w\, wtto; , œil) : anomalie de la vision, qui
consiste à percevoir une double image visuelle au lieu d'une imago unique
Direct [Directus, mené droit, de directum, supin de dirigera = dis-regere
mettre en ligne droite) : ce qui est droit, sans détour. — Conscience directe
138-139. —, Domaine direct, II, 189. — Impôt direct, II, 278. — Pouvoir
direct de l'Elglise sur le temporel ? II, 343.
Direction (Directin, de directum, supin de dirigere, mettre en ligne droite,
guider) : ligne de conduite qu'on suit. — Direction d'intention, II, 32-33.
Directoire européen : essai d'organisation internationale, II, 317.
TABLE ANALYTIQUE : Dirimaiit — Disposition 795
Dirimant (participe présent de Dirimer, de dirimere = dis-emere, séparer,
briser) : empécliement dirimant, II, 210.
Disamis : mode de la troisième figure. 539.
Discontinu (du latin scolastique Discontinuus, du préfixe privatif dis et
de conlinuus, de continere = cum-tenere, tenir fortement, être joint) ; quantité
discontinue, c'est-à-dire dont les parties sont séparées, 625. — S'oppose à
Continu.
Discret [Discretus, participe passé de dis-cernere, discretum, séparer, de
cernere, cretum, tamiser, diviser) : quantité discrète. Ce terme s'emploie quelque-
fois comme synonyme de Discontinu, 625.
Discrétif (de Discretum, supin de dis-cernere, séparer) : la proposition
discrétive est une proposition composée, qui renferme deux assertions expri-
mant une distinction ou une opposition ; vg. L'homme e^t intelligent, la pierre
ne l'est pas. Je perdrai la vie, non l'honneur.
Discrétion [Discretio, séparation, de discretum, supin de dis-cernere, séparer) :
les Néo-Criticistes opposent au déterminisme universel, comme une loi
cosmologique, la loi de discrétion des phénomènes. Ils ont remarqué, en efîet,
que l'addition ou la soustraction d'une unité suffit pour modifier, d'une façon
subite et absolue, les quantités discrètes, tandis que les quantités continues
varient d'une façon insensible et relative.
Discrétionnaire (de Discrétion) : un pouvoir discrétionnaire est un pouvoir,
non déterminé par la loi, mais laissé au discernement de celui qui en use :
de là vient qu'on emploie parfois ce mot dans le sens de pouvoir arbitraire.
Discrimination (de Discriminatum, supin de dis-criminare, distinguer, de
dis-crimen, intervalle, différence, instant décisif) : ce terme, d'importation
anglaise, indique l'acte par lequel l'esprit discerne les uns des autres les objets
concrets de la pensée : vg. on a déterminé la plus petite différence de tempé-
rature, de lumière, etc., discernée par les sens.
Discursif (du latin scolastique Discursivus, de dis-currere, courir çà et là) :
une faculté ou une opération est discursive quand elle n'atteint son but qu'en
se servant d'intermédiaires. — Raison discursive, 286. — Le raisonnement
est une opération discursive, 278-279.
Disjonctif [Disjunctivus, de disjunctum, supin de dis-jungere, détacher) :
la proposition disjonctive affirme une alternative, dont les termes s'excluent
réciproquement, 530. — Syllogisme disjonctif, 549.
Disjonction [Disjunctio, de disjunctum, supin de dis-jungere, détacher) :
caractère d'une alternative, dans laquelle plusieurs attributs possibles, mais
s'excluant mutuellement, sont rapportés à un même sujet ; vg. Pierre est
debout, ou assis ou couché, 549. — La disjonction est complète quand elle
énonce toutes les alternatives possibles, 550.
Disparate (Disparatus, participe passé de dis-parare, séparer, diversifier,
de dis-par, dissemblable) : les idées disparates sont celles qui ne sont unies ni
par le rapport de genre à espèce, ni par le rapport d'espèce à espèce dans le
même genre, 519.
Disposition {Dispositio, de dispositum, supin de dis-ponere, placer de çà et là,
distribuer) : manière d'être naturelle qui rend propre à fc.ire quelque chose. —
Qualité moins déterminée que l'habitude à laquelle elle sert de genre, 417.
796 TABLE ANALYTIQUE : Dïsproportion — Divergence
Disproportion (de Dis, préfixe séparatif et proportion) : elle provoque le
rire, II, 392. — C'est une cause de laideur, II, 383.
Dissociation (Dissociatio, de dissociatum, supin de dis-sociare. séparer,
de socius, joint, uni) : opération par laquelle l'esprit isole les uns des autres
des éléments qui étaient primitivement agrégés dans un tout. — Dissociation
des idées, 215 ; 227 ; 228-229. — Il faut distinguer la dissociation de V abstraction,
opération par laquelle l'esprit considère à part dans un objet un élément qui
n'en est pas séparable, 246.
Dissolution (Dissolutio, de dissolutum, supin de dis-solvo [dissoliw], dissoudre,
défaire) : ce terme signifie, en général, la décomposition d'un agrégat et le
retour des éléments agrégés à l'indépendance. — Chez Spencer, s'oppose à
évolution, qui implique une marche progressive par différenciation et inté-
gration, II, 627-629. — Pouvoir de dissoudre les Chambres, II, 233.
Distance, Distant (Distantia, distans, de dis-stare, être éloigné) : longueur
de l'intervalle qui sépare une chose d'une autre dans l'espace, II, 506. —
Perception naturelle du toucher, 179. — Est-elle perception naturelle ou
acquise de la vue ? 179-180. — La localisation de la sensation externe et
l'objet distant, 192-193. — Action à distance, 484.
Distinct {Distinctus, de distinctum, supin de di-stinguere, séparer par des
points, isoler, distinguer, de dis, préfixe séparatif et stinguere, piquer) : a] Ce
qui est tenu pour autre par l'esprit, b) Ce qui est réellement autre, c) Ce qui
est différent de tout autre chose : telle est la connaissance distincte selon
Descartes {Principes, Part. I, § 45). — Idée et terme distincts, 518. — Dans
l'ordre de la connaissance, distinct est opposé à confus, 518 ; dans l'ordre réel,
à identique, 148 ; II, 472.
Distinction ( Distinctio, de distinctum, supin de dis-tinguere, séparer par
des points, isoler, distinguer) : a) opération ou acte par lequel l'esprit reconnaît
qu'une chose diffère d'une autre ; b) caractère qui dislingue un objet d'un
autre ; c) propriété qu'ont deux ou plusieurs objets d'être distincts : c'est
l'absence d'unité, II, 472. — Distinction réelle : absence d'unité entre plusieurs
choses, II, 472. — Distinction logique ou de raison : absence d'unité entre
plusieurs concepts d'une même chose. Elle est %#»able : 1°) Distinction sans
fondement dans la chose. — 2°) Distinction avec fondement dans la chose ou
virtuelle, II, 472-473. — Indices de la distinction réelle. 473-474. — Distinction
entre l'âme et ses facultés : opinions : a) des Scolastiques, 38 ; b) de I'École
écossaise, 39; c) de Bossuet, 40. — Distinction entre l'essence de Dieu et
ses attributs, II, 577.
Distraction [Distractio, de distractum, supin de dis-trahere, tirer de côté
et d'autre) : a) Dispersion de la pensée sur plusieurs objets, 239. b) Inadver-
tance aux choses extérieures ou à une sensation qui devrait normalement être
perçue, à cause de la concentration de l'esprit sur un point particulier, 239 ;
427.'
Distributif (Distribulivus, de distributum, supin de dis-tribuere, distribuer,
répartir, de tribuere, répartir par tribus) : a) En Logique, ce terme désigne
indifféremment tous et chacun des individus compris' dans l'extension d'un
genre ou d'un groupe, 251 ; il s'oppcse à Collectif, 259. b) En Morale, justice
disirihutive, II, 162. — Justice distributive dans la répartition de l'impôt,
II, 279 ; 280. — L'addition et la multiplication logiques sont distributives, 569.
Divergence (du latin scientifique Divergentia, pour devergentia, pente, de
devergens, participe présent de de-ver gère, pencher, de dis, préfixe séparatif
TABLE ANALYRiQUE : Divers — Dogmatismc moral 797
et vergere, incliner) : écart progressif d'éléments rapprochés au point de départ.
— Divergences d'opinions, II, 28-29. — Formation des espèces par divergence,
II, fi 14.
Divers, Diversité (Dwersus, diversitas, de dii'ersum, supin de divertere =
dis-vertere, se détourner, différer) : ces mots : a) signifient, en général, ce qui
s'oppose à l'identité, II, 472. Ils ont pour synonymes Autre (l'eTÊpoç d'ARis-
tote) et Altérité ; b) indiquent, dans un sens restreint, une différence quali-
tative.
Divisé (de Diviser, du latin populaire divisare tiré, par le supin divisum
de di-videre, partager, de dis, préfixe séparatif et racine vid, d'où viduus, privé
de) : confusion entre le sens divisé et le sens composé, 799.
Divisibilité (de Divisible, de Divisibilis, qui peut être divisé, de divisum,
supin de di-videre, partager) : divisibilité de la matière à l'infini d'après
Descartes, II, 508-509. ■ — La divisibilité est la propriété de ce qui peut être
décomposé en parties de même nature. On distingue la divisibilité : a) mathé-
matique : qui, s'appliquant à l'étendue abstraite, est indéfinie ; b) physique :
qui, s'appliquant à l'étendue réelle des corps existants, est limitée. Descartes
a prêté à l'étendue concrète la propriété de divisibilité à l'infini, qui ne convient
qu'à l'étendue abstraite.
Division [Divisio, de divisum, ^\i])'n\ (\q di-videre, partager, de la racine t^trf,
d'où viduus, privé de) : décomposition d'un tout en ses parties. — Division : a)
physique ; h) logique, 527. — Règles de la division logique, 527. — Division et
définition, 527. — Division et analyse, 604. — Analyse par division réelle ou
mentale, 618. — Division et classification, 697. — Division du travail, II, 354
Divorce {Divortium, de divortere, archaïque, pour divertere = dis-vertere,
se détourner, se séparer) : rupture du lien conjugal. — Son illégitimité, II,
210-211.
Doctrinaire (de Doctrine) : on appelle Doctrinaires les disciples do l'École
politique fondée, sous la Restauration, par Royer-Collard et Guizot.
Doctrine (Doctrina, enseignement, science-, de doctum, supin de docere,
enseigner) : ensemble de propositions spéculatives ou pratiques, religieuses
ou philosophiques, qui sont liées entre elles de manière à former' un tout.
Dogmatisme (de Dogmatiser, du latin ecclésiastique dogmatizare, établir
une ducliine) : a) Ce mot signifie, en général, toute philosophie qui, croyant
à la valeur de la raison humaine, affirme certaines vérités, II, 450. On l'oppose
au Scepticisme, II, 421. — b) Depuis KANT,ce molasouvent un sens défavorable,
parce qu'il oppose le Dogmatisme au Criticisme. Le Dogmatisme consiste
pour lui à s'appuyer en Métaphysique sur les principes dont la raison se sert
depuis longtemps, sans en avoir fait, au préalable, la critique, c'est-à-dire
sans avoir montré que l'usage qu'elle en fait est légitime (Cf. Critique de la
Raison pure, préface de la seconde édition). Mais les dogmatistes répondent
à Kant en prouvant indirectement la valeur de la raison, II, 450.
Dogmatisme moral : c'est le nom qu'on donne à la philosophie qui cherche
à justitier la certitude par « l'action ». Se dit par opposition au dogmatisme
intellectuel, II, 450. « Spéculativement, le dogmatisme moral c'est l'explication
de la certitude par l'action : pour connaître l'être et pour y croire, il faut
coopérer à se donner l'être à soi-même. Pratiquement, c'est la mise en œuvre
de la méthode critique et de la méthode ascétique pour se dépouiller de toute
relativité dans sa manière d'être et dans sa manière de penser. Il se distingue
798 TABLE ANALYTIQUE : Dogme — DouleuF
nettement du scepticisme, d'après lequel nous sommes invinciblement enfoncés-
dans le relatif, et du dogmatisme illusoire, d'après lequel il suffit de penser et
d'avoir des idées pour être dans l'absolu « (M. Blondel et L. Laberthonnière,
dans Bulletin de la Société française de Philosophie, août 1904, p. 212). Cf. II,
574-576.
Dogme [Dogma, Soytj.a, ce qui paraît bon, doctrine, croyance. Cf. ^oxîTv,
juger bon) : a) En Philosophie, ce mot signifie un point de doctrine regardé
comme fondamental dans une École et accepté par ses membres. — b) En
Théologie, c'est l'ensemble des vérités révélées, /{ue l'Église propose à la croyance
des hommes et auxquelles les membres de l'Église sont tenus de donner leur
adhésion.
Dolichocéphale (de AoXt/o'ç, long ; xecpaX-^, tête) : qui a le crâne allongé.
Ce caractère sert à distinguer certaines races ; vg. les Francs, les Anglo-
Scandinaves, etc.
Domaine (de Dominicum, qui appartient au maître, de dominas, maître,
de domiis, maison) : domaine direct et indirect, II, 189. — Domaine éniinent.
Voir Eminent.
Domestique (Domesticus, de la maison, de domus, maison) : ce qui concerne
la famille. — Inclinations domestiques, 90. — Morale domestique, II, 208-218.
— Domestiques : devoirs envers leurs maîtres et devoirs des maîtres envers
eux, II, 217.
Dominateur [Dominator, de dominatum, supin de dominari, être le maître,
de dominus, maître) : caractère dominateur en histoire naturelle, 691 ; 695 ;
700. — Taine fait consister l'idéalisation à rendre dominateurs les caractères
dominants que fournit la nature. Pour cela il faut tout faire converger à la
manifestation du caractère dominant, II, 400 ; 402.
Dommage (de l'ancien mot Damage, de dam, de damnum, perte) : lésion
des intérêts d'autrui. — Réparation, II, 194.
Donné (Substantif participe de Donner, de donare, gratifier, de donum,
présent, don) : « Une philosophie qui commence par la psychologie, prend
pour base le donné » : c'est la « Philosophie du donné ». « J'emploie ce mot
comme synonyme d'imniédiat, de premier, de conscient. Le donné s'oppose
à l'inféré, au construit, à l'hypothétique, donc à tout objet en tant qu'objet,
h tout non-moi, à l'espace en tant que construit, à l'avenir en tant qu'hypo-
thétique. » (V. Egger, dans Bulletin de la Société française de Philosophie,
août 1904, p. 213). Bref, on entend par donné ce qui est immédiat et présent
dans l'esprit avant toute élaboration.
Données (Participe passé employé substantivement pour Quantités don-
nées) : les données d'un problème sont les éléments connus qui servent à déter-
miner une inconnue. Les Anciens les appelaient OroOécs'.ç, les hypothèses^
vg. Platon, 309. — Données d'une science : ensemble des principes et des
faits sur lesquels s'appuient ses recherches et raisonnements. — Données de
la conscience, 135 ; 147-149. — Données des sens : a) primitives, 178 ; h) acquises,
181. — Leur difi'érence, 182.
DoRLODOT (Henri de) : le Darwinisme et l'orthodoxie, II, 622, 1. — Le
naturalisme chrétien, II, 626, 1.
Douleur (de Dolorem, de dolere, soufîrir) : Définition causale : émotion
pénible qui résulte de l'activité contrariée, 57. — Rapports du plaisir et de la
TABLE ANALYTIQUE : Doutc — DFoits (Déclaration des) 799
douleur, 57. — Douleur, fait positif, 59. — Origine de la douleur : théorie :
a] de l'intelligence, 60 ; p) de Vactivité, 61. — Lois : a) fondamentales, 62 ; b) se-
condaires, 65. — Espèces de douleurs, 68. — Rôle de la douleur dans : a) la vie,
127 ; b) l'éducation, 409-410. — Objections contre la Providence, II, 644.
« Doute (Substantif verbal de Douter, de dubitare, de dubius, flottant,
irrésolu, de duo, deux) : suspension du jugement en présence d'assertions
opposées, 771. — Doute positif ou négatif, 773. — Doute méthodique {carté-
sien), 773-774. — Doute systématique des Sceptiques, 773-774. — Scepti-
cisme : a] absolu, II, 421 ; b] relatif, II, 425. — Folie du doute, 488-489.
Douteux (de Doute) : a) suhjectiveni"nt : état d'incertitude de l'esprit :
conscience douteuse, II, 34 ; h) objectivement : chose ou proposition incertaine,
771-772.
Droit (du lalin populaire drectum = directum, mené droit, participe passé
de dirigere, — dis-regere, aligner, guider) : ce terme est dérivé d'une métaphore
géométrique : ce qui est tracé droit ; d'où ce qui est conforme à une règle,
régula, de regere, conduire. La racine est la même dans régula et di-rectum.
Donc être dans son droit, c'est être d'accord avec la règle. L'opposé de droit
est exprimé par une métaphore contraire : le tort, de tortum, tordu, participe
passé de torquere, faire tourner, tordre. — Le droit c'est le pouvoir moral
de faire ou d'exiger quelque chose, II, 131. — Caractères du droit, II, 131. —
Fondements divers assignés au droit : a) force (Hobbes) ; b) besoin (Destutt
DE Tracy) ; c) utilité sociale (St. Mill) ; d) liberté (Cousin) ; e) le bien, II,
132-135. — Rapports du droit et du devoir : a] ordre de filiation, II, 135 ;
b) corrélation entre eux, II, 138 ; c) étendue, 138. — Origine et caractères de l'idée
du droit, II, 139. — Formes particulières du droit, II, 139. — Préceptes pri-
maires et secondaires du droit naturel, II, 141. — Conflit des droits, II, 142.
— Droit à la révolte, II, 287.
Droit civil : II, 140.
Droit des gens : II, 140 ; 311-312.
Droit des peuples : à disposer d'eux-mêmes, II, 324-325.
Droit divin : fondement de tout droit, II, 135-136 ; 140. — Origine de tout
pouvoir, II, 223-224. — Sens régalien, II, 229-230.
Droit international : II, 140 ; 311-325.
Droit naturel : II, 139 ; 141-142.
Droit nouveau : II, 140.
Droit pénal : II, 162-163.
Droit politique : II, 140 ; 291-292.
Droit positif : II, 140.
Droit public ou social : II, 140.
Droit (Science du) : sa place dans les sciences, 3 ; 714-715. — Méthode
du droit, 75G.
Droite (Conscience) : II, 33.
Droits (Déclaration des) : de l'homme et du citoyen : texte, II, 294. —
Ju'^ement d'un : a) théologien, II, 296 ; b) sociologue, 299 ; 348-350 ; c) historien,
II.^SOO.
800 TABLE ANALYTIQUE : Dualismc — Dynamogénèsc
Dualisme (de Dualis, composé de deux, de duo, deux) : es mot s'applique
à toute doctrine qui, sur un point déterminé, adm%t l'existence de deux
principes irréductibles ; vg. Dualisme des Manichéens, qui admettent deux
principes coéternels du bien et du mal. — Dualisme de Platon et d'ARisTOTE,
II, 601. — Dualisme de Descartes, qui admet deux sortes de substances : la-
substance étendue ou corps ; la substance inétendue ou esprit, II, 507. — -
S'oppose à Monisme : doctrine : a) de Spinoza, II, 603 ; b) de Haeckel,
II, 626.
Dubois-Reymond (Emile) : faits physiologiques et psychologiques, 26.
DucLos (Charles Pinot) : l'esprit : II, 406, 1.
Duel (de Dualis, composé de deux, de duo) : illégitimité du duel, II, 167.
Duhamel (Jean-Marie-Constant) : analyse et synthèse rationnelles, 610.
Dujardin-Beaumetz (D' Georges) : hypnotisme, 483, 1.
Dumas (Jean-Baptiste) : combat l'alcoolisme, II, 376, 2.
DuNAN (Charles) : pampsychisme, II, 443-444.
Duns Scot (Jean) : c'est à tort que D. Scot a été rangé parmi ceux qui
prétendent que la distinction du bien et du mal dépend de la volonté arbi-
traire de Dieu, II, 107. — Argument ontologique, II, 571, 3.— Voir Scotisme.
Duoàynaiïiisme (de Auo, deux : Wvaij-t;, force) : nom donné au Vitalisme,
II, 52G.
Durand (Abbé Eugène) : besoin d'émotions, 85, 1. — Perceptions acquises
de la vue, 181, 1. — Répugnance du nombre infini, 340, 2. — Panthéisme des
Néoplatoniciens, II, 602-603.
Durée (de Durer, de durare, durcir, d'où persister) : permanence du lien
qui unit entre eux les moments du devenir. — Origine de cette notion, 148 ;
II, 505. — Différence entre temps et durée, II, 505.
Durkheim (Emile) : morale sociologique, II, 60-70. — Critique de la loi
des trois états de Comte, II, 447, 2.
Dynamique (la) (Auvaiji.tx-/i, puissante, de Wv!/.t/.[ç, force ; sous-entendu
TE/vr,, art) : la Mécanique rationnelle se divise en : a) statique, qui traite des
conditions d'équilibre ; b] cinématique, qui s'occupe du mouvement en lui-
même et non des causes qui le déterminent ; c) dynamique, qui étudie les
propriétés du mouvement et, en particulier, les forces qui le produisent. —
H ERE ART parle de la Dynamique des états de conscience, c'est-à-dire de leurs
transformations. — A. Comte et H. Spencer parlent de Dynamique sociale, 753.
Dynamique (Auvaio-ixôç, puissant, efficace) : a) ce qui implique un devenir.
S'oppose à statique ; b) ce qui implique activité et finalité. — Loi dynamique
des phénomènes psychologiques, 36; 233-234; 427; 470-471. — Loi dyna-
mique de l'esprit, 291. — Atomisme dynamique (Tongiorgi), II, 510.
Dynamisme (de Auvai^t:, puissance) : on donne ce nom aux systèmes
philosophiques qui admettent l'existence de forces comme principe des choses :
a) dynamisme interne (Leibniz), II, 511 ; b) dvnamisme externe (Boscovich,
Palmieiu), II, 518 ; 520.
Dynamogénèse, Dynamogénie (de Auvaat;, puissance ; yi^^eait;, yi^o^,
naissance, origine) : c'est le passage de l'énergie de l'état potentiel à l'état
TABLE ANALYTIQUE : Dyschromatopsie — Échopraxie 801
actuel. — Loi de dynamo genèse en psychologie : tout phénomène psychologique
tend à se réahser en mouvements organiques, 36 ; 233-234 ; 470-471. — On dit
d'une cause, vg. sensation, sentiment, idée, qu'elle est dynamogène, dynamo-
génique, c'est-à-dire qu'elle augmente, tonifie le pouvoir et le besoin d'agir,
notamment le pouvoir moteur, tandis que vg. la douleur déprime l'activité, 66 ;
123.
Dyschromatopsie (de Auç, préfixe indiquant une idée de difficulté, de
malheur ; x.cwx'x, couleur ; o']/'.ç, vue) : terme générique pour désigner les
anomalies, congénitales ou acquises, de la vision des couleurs : le sujet atteint
ne peut discerner les différentes couleurs ou quelques-unes d'entre elles. Voir
Achromatopsie, Daltonisme.
Pyscinésie (Auaxtv/jjia, de ou; et xivr,(7tç, mouvement) : état morbide
qui rend difficiles les mouvements volontaires.
Dysesthésie (de Auç et aiaOrjCt;, sensation) : état morbide qui amène
l'affaiblissement des sensations.
Dyslalie (de Auç et X«zÀ£w, parler) : anomalie qui rend l'articulation difficile.
Dysmnésie (de Au; et avrj'jofjLa'., futur de 'jMavr^TxoijLat, se souvenir) : per-
version de la mémoiie, 210-211.
Dysosmie (de Auç et o'jijl-/], odeur) : difficulté à percevoir les odeurs.
Dysphasie (de Auç et cpactc, parole) : a) motrice : difficulté à s'exprimer,
b) sensorielle : difficulté à saisir le langage des autres. Cette difficulté semble
avoir pour cause une perturbation ou une lésion des centres encéphaliques.
Dyssymétrie (de Au; et Tuy-IJi-tTpia, juste proportion) : s'oppose à Proportion,
Symétrie, II, 383.
E : symbole de la proposition universelle' né gatii>e, 532.
Écart (de Écarter, pour équarter, c'est-à-dire, mettre en un quartier, en
un coin, de é = latin ex, hors de, et quart) : éloignement de la direction qu'on
doit suivre. — Écart de l'activité, 65 ; II, 127-128. — Ecart du type primitif,
702, 4.
Eccéité, Heccéité (du latin scolastique Ecceitas, Haecceitas, de ecce, voici,
haecce, cette, et le suffixe itas) : terme dont Goclenius, dans son Lexicon
philosophicuin, au mot Haecceitas, attribue la création à D. Scot. C'est le nom
que Scot donne au principe d'individuation, c'est-à-dire à ce qui fait qu'un
individu est lui-même, est tel et non pas un autre. L'eccéité serait, d'après lui,
une entité surajoutée à l'essence des êtres. Voir Individuation.
Échange (Substantif verbal de é-changer, de cambiare, troquer) : don d'un
objet pour un autre jugé équivalent, II, 355.
Écholalie ( 'H/w, écho ; ÀaXéw, parler) : dans certaines maladies mentales
le sujet répète les paroles qu'on lui adresse au lieu d'y répondre : c'est la
parole en écho.
Échopraxie ( 'H/w, écho ; 7^p5;i:, action) : dans certaines malacTies mentales
le sujet imile automatiquement les actes qu'il voit faire. Charcot appelle
cette infirmité Echokinésie (xi'vr,<7tç, mouvement).
802 TABLE ANALYTIQUE : Éclecticisme — Écossaise (École)
Éclecticisme (de 'ExÀsxtixo';, qui choisit, de IxÀéyw, choisir) : ce mot, fort
usité à l'étranger, pourrait servir à signifier cette sorte d'éclectisme que
Saisset appelle « créateur », celui des philosophes de génie, qui réussissent à
concilier, dans l'unité d'une synthèse supérieure, des thèses que leurs devan-
ciers regardaient comme opposées, faute d'avoir découvert le point de vue
d'où apparaît leur compatibilité.
Éclectique ( 'ExXsxtcxoç, de ex^eyo), choisir) : celui qui fait un choix dans
les idées qu'émettent les divers systèmes philosophiques ou scientifiques.
Éclectisme (de Éclectique, èxXexTt/.oç, de Ex/iyo), choisir) : ce mot signifie
tantôt une : a) Méthode, qui consiste à dégager de différents systèmes les
éléments qui paraissent conciliables. Le Syncrétisme est, au contraire, un éclec-
tisme sans critique qui rapproche, de iforce, des doctrines incompatibles.
b) École philosophique : vg. l'Éclectisme de I'École d'Alexandrie, de Victor
Cousin.
École (de Schola, '^■/pk-f\, loisir, occupation studieuse du loisir, école) :
a) Sens strict, qui ne convient qu'à la philosophie ancienne : réunion de philo-
sophes groupés autour d'un chef et de ses successeurs, dont ils suivent les leçons
et professent les doctrines; vg. Ecole Péripatéticienne. — b] Sens largeet
moderne : groupe de philosophes unis par une commune doctrine ; vg. École
DE Kant. — c) f( L'Ecole » tout court désigne la Philosophie Scolastique.
Cette expression, très en honneur ^u xvi^ et au xvii^ siècles, voulait dire que
la philosophie scolastique était l'Ecole philosophique par antonomase.
École réformiste : forme de Socialisme, II, 202.
École unique (!') : II, 26L
Économie (O'.xovoata, de oJxo;, maison ; vo'jxo;, loi) : loi ou principe
d'économie, 658.
, Économie politique : notions sommaires, II, 352-362. — Rapports de
rÉconomie politique et de la Morale, II, 363-365.
Économie sociale : l'Économie sociale est la science des intérêts matériels
de la Société subordonnés au bien commun social, tandis que l'Économie
politique, au sens restreint où l'entend l'École économique libérale, n'est que
la science de la richesse considérée en soi. Cf. Ch. Antoine, Cours d'Économie
sociale, p. 6-7, 4^ Édit., Paris, 1908.
Écossaise (École) : la Philosophie écossaise, qu'on nomme quelquefois
ÉcossiSME, se divise en deux branches :
A) École morale : la sympathie (A. Smith), 86 ; II, 82. — Conscience,
sens moral (Hutcheson), II, 18 ; 26-27. — Morale de la bienveillance (Hut-
cheson), II, 81. — Shaftesbury, précurseur de Hutcheson, 18 ; 81, 4.
B) École psychologique : distinction des facultés de l'âme, 39. — Cla.ssi-
fication des facultés (Reid), 45. — Lois fondamentales du plaisir (Hamilton),
62-63. — Raison inverse des éléments affectif et représentatif de la sensation
(Hamilton), 73; 74. — Limites de la conscience (Hamilton), 146-147. —
Sensation et perception (Hamilton), 159. — Théorie de la perception intui-
tive (Hamilton), 164. — Théorie de la suggestion immédiate, 170. — Erreurs
de la perception, 187-188. — Nature du souvenir (Reid), 201-202 • — Théorie
de l'association (Dugald Stewart), 216. — Finalité (Reid), 334-335. —
TABLE ANALYTIQUE : Éeiiture — Efficience 803
Notion de l'absolu (Hamilton), 340-341. — Liberté d'indifférence (Reid),
394. — Production et intelligence des signes, 436-437. — Origine du langage
<Reid), 444-445.
Objections contre la conversion des propositions (Hamilton), 534-535. — ■
Quantification du prédicat (Hamilton), 551-553 ; 553, 1. — Fondement de
l'induction, 676. • — Fondement de la croyance au témoignage, 737. — Crité-
rium du sens commun, 814. — Reid se rallie au critérium de l'évidence,
«14-815.
Origine de la conscience morale (Reid, Dugald Stewart), II, 20.
Relativité de la connaissance (Hamilton), II, 427-429.
Écriture {Scriptura, devenu escripture, écriture) : variétés, 438. — Écriture
•et langage, 438-439.
Ectype ("Et-jtioç, fait sur empreinte, de £/-, hors de; t'jttoç, empreinte) :
•ce mot s'oppose à Archétype. — Berkeley ( Dialos,>ies (VHylas et de Philonous,
■édit. Fraser, Works, T. I, p. 475-476. Traduction Beaulavon, p. 270) entend
par archétype l'état des choses dans l'intelligence divine, et par ectype l'état
•des choses hors de l'intelligence divine, c'est-à-dire dans les intelligences
■créées. — Kant [Critique du jugement, Part. II, § 76. Traduct. Barni, T. II,
p. 92, Paris, 1846) appelle l'entendement humain, qui n'est capable que de
réfléchir sur le donné, ectype, par opposition à un entendement archétype, qui
serait capable de produire l'objet de ses concepts.
Éducation (Educatio, de educatum, supin de e-ducare, élever, de e et de
ducare, être chef, de dux, ducis, guide) : a) sens large : formation de toutes les
facultés de l'homme, 407-408 ; b) sens restreint : formation des faculté; morales,
408. — Qualités, 408. — Éducation et instruction, 407-408. — Education
morale : a) de la sensibilité, 409 ; b) de la volonté, 411. — Education et carac-
tère, 412 ; 405-406. — Education personnelle, 412. — Éducation intellectuelle :
a) des sens, 413 ; 184 ; b) de la mémoire, 207 ; c) de l'association, 219-220 ;
d) de l'imagination, 232-233 ; e) des opérations intellectuelles, 413-414. —
Éducation de la conscience morale, II, 34. — Devoirs des parents relatifs à
l'éducation, II, 216 ; 252-253 ; 259-260.
Éduction [Eductio, de eductum, supin de e-ducere, faire sortir de) : nom
que les Scolastiques donnent à l'action par laquelle la forme est tirée de la
puissance de la matière, II, 517.
Effectif (Effectiç'us, de effectum, supin de ejficere = ex-facere, effectuer
achever) : ce qui est réalisé, effectué, exécuté. — Amour effectif, 94 ; II, 207. —
S'oppose à Possible.
Efférent (Efferens, qui porte hors, de efferre=^ ex- ferre) : nerf efférent : qui
va du contre à la périphérie, 71. — S'oppose k Afférent.
Effet {Effectus, effect, effet, de efficere = ex-facere, effectuer, aciiever) :
ce qui est produit, 323. — S'oppose à Cause.
Efficace (Efficax, de efficere, effectuer, achever) : qui produit l'etTot auquel
tend sa nature. — Caractère de la volonté, 363. — S'oppose à Inefficace.
Efficacité (Efficacitas, de efficax, efficace, actif) : c'est le pouvoir qu'a la
cause de produire l'effet, 363. On disait couramment au xvn^ siècle Vefficace
pour l'efficacité. — S'oppose à VOccasion, à la Condition, 324.
Efficience, Efficient (Efficiens, de efficere = ex-facere, effectuer, achever) :
ce qui produit quelque chose. — La cause efficiente est la cause par excellence,
323 ; 324. — Variété de causes efficientes, 324-325 ; II, 488.
804 TABLE ANALYTIQUE : Effoit — Élément
Effort (Substantif verbal du verbe E^orcer, de e, latin ex et forcer) : déploie-
ment d'activité pour surmonter un obstacle, 58. — Sens de l'effort, 157. —
Conscience de l'effort mental (Maine de Biran), 327. — Effort vital, II, 528.
Égal, Égalité [Aequalis, Aequalitas. de aequus, uni) : a) En Logique, il y a
égalité logique: 1°) entre deux concepts, quand ils ont même extension; 2°) entre
deux propositions, quand elles s'impliquent mutuellement, 523. ; b) en Géomé-
trie, deux figures sont égales quand elles sont superposables ; c) en Droit, il y
a égalité quand les prescriptions et peines légales sont les mêmes pour tous
les citoyens ; d) en Politique, quand les fonctions et les dignités sont accessibles
à tous dans la mesure de leur mérite et que les droits politiques appartiennent
à tous sans distinction de rang ou de fortune. — Égalité du droit fondamental,
II, 131-132. — Égalité, règle de la justice commutative. II, 162. — Égalité
de nature, II, 194-195; 223; 349. — Égalité devant la loi, II, 350. — La
Déclaration des droits (Art. I) et l'égalité, II, 294-295 ; 297 ; 350.
Égarement (de Égarer) : égarement de l'activité, 64-65. — Égarement
moral, II. 127-128.
Église catholique (du latin populaire Eclesia, pour Ecclesia, 'E^xX/^ara,
assemblée ; xa/JoX-.xo;, univers el) ; rôle, II, 334. — Constitution, 335. — Rap-
ports de l'Église et de l'État : a) asservissement, 337 ; b) séparation,
337 ; c) union, 339. — L'Eglise et la Révolution, 348.
Ego-altruisme : morale évolutionniste (Spencer), II, 58.
Égoïsme (de Ego, moi) : a) Amour excessif de soi. — • Différence entre
égoïsme et amour de soi, 85-86. — La Rochefoucauld ramène tout àfégoïsme,
98. ;— Comment l'altruisme sort de l'égoïsme d'après les Associationnistes et
les ÉvoLUTioNNisTES, 100; II, 58-59. — Égoïsme de la passion, 114-115. —
Gomment les passions bonnes deviennent égoïstes, 125. — è) Théories qui font
du plaisir ou de l'intérêt le principe de la conduite : morales égoïstes, II,
48-76. — S'oppose à Altruisme.
Égotisme (de l'anglais Egotism, dérivé de ego, moi) : ce mot signifie :
a) l'égoïsme des écrivains qui étudient et dépeignent minutieusement leur
personnalité : c'est dans ce sens, très rare, que Stendhal l'a pris dans ses
Souvenirs (Végotisme ; b) la culture intensive et perverse du moi. Ce terme est
employé comme synonyme d'égoïsme en anglais.
Einstein (Alfred) : théorie de la relativité, II, 506, 4.
Élaboration (Elaboratio, de elaboratum., supin de e-laborare, travailler avec
soin) : fonction d'élaboration intellectuelle, 135 ; 236.
Électeur [Elector, de electum, supin de eligere = e-legere, ôter en cueillant^
trier) : devoir de l'électeur, II, 281-282.
Électif [Electivus, propre à choisir, de electum, supin de e-ligere, ôter en
cueillant, choisir) : inclinations électives, 89. — Pouvoir électif, II, 225-227.
Élégance ( Elegantia, choix, délicatesse, de elegans, délicat, choisi, de e-legere,
choisir) : démonstration élégante, 641. — Se rapproche de la grâce, II, 388.
Élément [Elementum, élément premier, principe) : ce mot, en général,
désigne les parties les plus simples dont un tout est composé ; vg. en Psycho-
logie, les éléments de la connaissance sont les idées et la perception de leurs
TABLE ANALYTIQUE : Élémentaire — Émotionnel • 805
rapports, 136 ; en Chimie, ce sont les corps simples qui entrent dans la compo-
sition des autres. — Hypothèse des quatre éléments, 656, 1. — Éléments
simples constitutifs de la matière (Leibniz, Boscovich, Palmieri), II, 511 ;
518 ; 520.
Élémentaire [Elementarius] : qui se rapporte aux éléments. — Kant donne
le nom de Théorie élémentaire à la recherche des éléments simples de la pensée
pure et l'oppose à la Méthodologie.
Elenchus ("EIit/j^;, preuve, argument pour réfuter) : sujet d'une discus-
sion. — Ignoratio elenchi, 801.
Élimination (de Éliminer, de eliminare, eliminatum, mettre dehors, de e,
hors de ; limen, seuil) : a) Procédé logique pour exclure tout ce qui n'est pas, la
cause d'un phénomène (Bacon et St. Mill), 666-667 ; 667-670; 671 ; 684. — Eli-
mination des caractères accidentels, 690. — b) Efl'et de lasélection naturelle, qui
fait disparaître les êtres les moins aptes à la résistance, II, 613-614 — c) Procédé
pour déterminer les attributs divins. II, 580.
Éloquence (Eloquentia, de eloquens, participe présent de e-loqui, expliquer) :
art et science, II, 409-410.
Émanation (Emanatio, de emanatum, supin de e-manare, couler de'i : a) Théo-
rie des idées-images, 167 — b) Panthéisme émanatiste des Stoïciens et des Ale-
xandrins, II, 602-603. — S'oppose à Création.
Émanatisme (de Émanation) : c'est le système de l'émanation ; vg. Pan-
théisme émanatiste, II, 602-603.
Embranchement (de Embrancher, de en et branche, du bas latin branca,
patte) : première subdivision du Règne, 695 ; 696.
Embryogénie (de 'Eaépov, embryon ; '(î-'^oç, naissance) : formation et
développement de l'embryon, II, 615-616.
Embryologie (de "Eu.épuov, embryon ; Xoyoç, discours) : science de la for-
mation et du développement de l'embryon. Série embryologique, II, 615-616 ;
619.
Émigration {Emigratio, de emigratum, supin de e-migrare, changer de
demeure) : rôle des émigi'ations dans le Darwinisme, II, 614 ; 615 ; 620.
Éminent, Éminemment [Eminens, participe présent de e-minere, s'élever
hors de). Éminemment = Éminentment) : a) Ce qui existe à un degré supé-
rieur : vg. esprit éminent. — b) Une perfection est dite contenue éminemment
en quelqu'un quand elle existe en lui sous une forme supérieure. S'oppose à
Formel, Formellement. — Dieu possède éminemment toutes les qualités des
êtres, II, 581. — Domaine éminent •. droit que l'État, dans une société, aurait
sur les biens des particuliers. L'État n'a pas ce droit, mais seulement un
pouvoir'lindirect de juridiction, II, 193.
Émotion (de Émouvoir, à l'imitation du latin factice Emotio, tiré, à l'imi-
tation de motio, de Emotum, supin de e-movere, ôter d'un lieu, remuer) : émo-
tion = plaisir ou douleur, c'est-à-dire le résultat de l'activité satisfaite ou
contrariée, 57. — Espèces, 56. — Émotion agréable (= plaisir), désagréable
(= douleur), 57-69. — Émotion physique (— sensation), 69-76. — Émotion
intellectuelle et morale (= sentiment), 69-70 ; 77-81. — Besoin d'émotions, 85.
— Rapports entre l'émotion et l'inclination, 67.
Émotionnel (do Émotion) : signe, langage, 436 ; 439.
806 * TABLE ANALYTIQUE : Empiriquc — Encyclopédie
Empirique [Empiricus, 'EaTretptxoç, qui se dirige d'après l'expérience,
de èaTtstiîa, expérience, de £v, dans xaça, épreuve) : ce mot est pris en
plusieurs sens : a) Ce qui résulte immédiatement de l'expérience, sans être
contrôlé par des principes scientifiques ; vg. médecine empirique. — b) Ce qui
exige le recours à l'expérience ; vg. les sciences physiques, par opposition aux
sciences purement rationnelles qui ne l'exigent pas, vg. les sciences mathéma-
tiques. — • c) En Allemagne, depuis Kant, le mot empirique, empiriker, signifie
ce qui est avant la science, ce qui, dans la connaissance sensible, ne vient pas
des lois constitutives de l'esprit, mais du dehors ; l'intuition d'une figure géo-
métrique, vg. un cercle, est sensible, mais pas empirique ; l'intuition d'un
cercle en bois est sensible et empirique. Au sens kantien, empirique s'oppose
à pur et à a priori. — Origine empirique de l'instinct (Condillac, Spencer),
109-110. • — Interprétation empirique de la sensation (S. Mill, Taine), 170 ;
171-173. — Solutions empiriques du problème de l'origine des idées (Condillac,
Locke, S. Mill, Spencer), 299-308. — Réfutation générale de ces solutions,
308. — Le caractère empirique (Kant, Schopenhauer), 405.
Connaissance empirique et connaissance scientifique, 577-578. — Fon-
dement empirique de la déduction, 620, 1. — Lois empiriques, 621. — Fonde-
ment empirique de l'induction. 679. — Définition empirique, 690. — Défi-
nitions : empirique, mathématique, 692.
Théories empiriques sur l'origine delà conscience morale (Hobbes, Helvé-
tius, Mill, Spencer), II, 21-25. — Morales empiriques : a) égoïstes ou
.utilitaires (Aristippe, J.-J. Rousseau, Épicure, Bentham, Mill, Spencer,
DuRKHEiM, L. Bourgeois), II, 48-76 ; b) altruistes ou sentimentales (A. Co.mtk,
Hutcheson, Smith), II, 80-86. — Origine empirique de l'idée du bien, II,
102. — La personnalité empirique (Kant), II, 155.
Empirisme (dérivé du radical de Empirique) : nom donné aux systèmes
philosophiques qui ne font reposer la connaissance du vrai que sur l'expé-
rience. — Empirisme et méthode expérimentale, 686. — ■ Réfutation générale
de l'empirisme, 308.
Empiriste (dérivé du radical de Empirique) : celui qui admet l'Empirisme.
Empreinte (Substantif participe de Empreindre, du latin populaire impre-
mere = im-primere, presser sur) : empreintes cérébrales, 196-197.
Émulation [Aemulatio, rivalité, de semulatum, supin de semulari, rivaliser
avec, de aemulus, qui cherche à égaler) : avantages et dangers, 95.
En acte : c'est la traduction de la formule scolastique In actu, par oppo-
sition à In potentia. Cette expression signifie que quelque chose est : a) en train
de se produire (vg. quand une faculté s'exerce) ; b) est réalisé et produit
(vg. tout être existant est en acte dans une certaine mesure). Aristote recourt
souvent à des mots distincts pour rendre ces deux sens de In actu : « Inde ita
videtur Aristoteles hTili/ti</.v ab ivepvsia distinguere, ut èvÉpysia actio-
nem, qua quid ex possibilitate ad plenam et perfectam perducitur essentiam,
h-zùÂ/y.'x. ipsam hanc perfectionem significet ». (H. Bonitz, Index Aristo-
elicus, IjztXi/ziT.^ p. 253).
Encéphale ( 'EyxécpaXoç, qui est dans la tête, de ev, dans ; x£-i.aX-/î, tête), 71.
Encyclopédie ( 'EyxuxXoTtat&ela, de |v, dans; xuxXo;, cercle; Tratrîsia, édu-
cation, culture de l'esprit) : exposé de l'ensemble des connaissances humaines.
Un esprit encyclopédique est celui qui est capable d'embrasser l'ensemble des
connaissances humaines. — On appelle Encyclopédistes les philosophes français
TABLE ANALYTIQUE : Endophasie — En soi 807
qui collaborèrent à la rédaction de V Encyclopédie, Dictionnaire raisonné des
sciences, des arts et des métiers, publiée sous la direction de Diderot et de
d'Alembert, qui en firent une arme contre les croyances chrétiennes et la
tradition.
Endophasie ("Evoov, au dedans ; «ac.;, parole) : série des images verbales
(auditives, visuelles, motrices), qui accompagnent la pensée, mais sans déter-
miner de mouvements vocaux, quand ils seraient inutiles. Cette succession
d'images constitue la parole intérieure.
Énergétique, Énergétisme (du radical d'Énergie) : ce terme signifie :
a) en Mécanique, le système qui substitue la notion d'énergie à celle de force.
11 a été constitué par Helmholtz ; b) en Cosmologie, la doctrine qui substitue
l'énergie au cinétisme cartésien. Elle est soutenue par Rankine, Mach,
Ostwald, Duhem.
Énergie [Energia, 'l-lvc'pysia, force en action, activité, de £v, dans; ^py^^v
action) : chez Aristote, rivÉpyetoc s'oppose à la ouvajjLtç, comme l'acte à la
puissance, 47-48 ; II, 464. — Depuis, cette notion s'est élargie: elle comprend
l'acte et la puissance. On définit l'énergie la capacité de produire un travail
mécanique. On distingue : 1°) En Mécanique : a) l'énergie actuelle, qui est la
moitié de la somme des forces vives d'un système de corps : elle ne dépend,
pour chaque moment, que des vitesses des différentes parties du système ;
b) l'énergie potentielle, qui est la fonction des forces changée de signe : elle ne
dépend, pour chaque moment, que des positions des différentes parties du
système. Cf. P. Duhem, Évolution de la Mécanique, Paris, 1903. — 2°) En Phy-
sique, l'énergie calorique, lumineuse, électrique, etc. Ces diverses formes d'énergie
sont équivalentes, c'est-à-dire qu'une quantité déterminée de l'une d'elles peut
se transformer en une quantité déterminée d'une autre. Cf. P. Duhem, La
théorie physique, son objet et sa structure, Paris, 1906. A. Rey, La théorie de
la Physique chez /es Physiciens contemporains, Part. 1. L. II, p. 49-167, Paris
1907.
Énergie spécifique des sens : Loi de Mueller, 158, 1.
Enfant (de Infantem, de in-fari, ne pas parler) : psychologie infantile, 723.
— Éducation, 407-415. — Devoir des enfants, II, 216. — ■ Enseignement, II,
252-259
Enfer (Infemum, de inferus, qui est en bas) : peines de l'enfer, II, 552.
Énoncé, Énonciation [Enunciatio, de enunciatum, supin de e-nuntiare,
faire savoir, de nuntius, messager) : ce terme s'applique aux diverses sortes de
propositions, 266 ; 529.
Enseignement (de Enseigner, du latin populaire insignare, formé sur
signare, iiidiciuer, de signum, signe) : droits de : a) la Famille, II, 252 ; b) de
V Église, II, 253 ; c) de V État, 254-259.
En soi : cette expression s'oppose à relativement à nous. Elle indique ce
qu'une chose est objectivement, dans sa véritable nature, dans sa réalité, c'est-
à-dire ce (ju'une ciiose est, ou Ijien : a) en faisant abstraction de toute connais-
sance. La possibiUté de connaître une chose n'est qu'un rapport qui n'ajoute
ni n'enlève rien à ce que cette chose est en soi. Tel est le sens usité chez les
Scolastiques et adopté par nombre d'écrivains contemporains ; b) en faisant
abstraction de la connaissance humaine, mais non de toute connaissance
possible. C'est le sens kantien : « Le concept d'un noumène, c'est-à-dire d'une
chose qui doit être pensée non comme objet des sens, mais comme une chose
en soi (seulement par un entendement pur), n'est point contradictoire ; car
808 TABLE ANALYTIQUE : Eiitéléchie — Enthousiasme
on ne peut affirmer de la sensibilité qu'elle soit la seule manière possible de
percevoir. » [Critique de la raison pure, Analytique transcendantale , L. II, Ch. m,
§ 354, Trad. Barni, T. I, p. 295-296). Il ne répugne pas qu'il existe des intelli-
gences supérieures à la nôtre, c'est-à-dire capables d'intuition intellectuelle,
saisissant les choses telles qu'elles sont en soi, les noumènes ; c) indépendamment
des erreurs et illusions, qui proviennent de la connaissance sensible et empê-
chent la raison de connaître la réalité telle qu'elle est. C'est le sens cartésien.
Selon Descartes et Malebr anche, la raison étant semblable chez tous les
hommes et la sensibilité variant d'un individu à l'autre, ceux qui se laissent
conduire par le sensible sont incapables de saisir les choses telles qu'elles
sont en soi.
Entéléchie ( 'EvTsXÉ/.Eta, de h-ûÂq, accompli, parfait ; £/w, avoir) : ce
mot a été forgé par Aristote. Il signifie : a) l'acte ou la forme qui détermine
et actue la puissance, la matière : « L'âme est l'acte premier d'un corps naturel
organisé. » [De Anima, L. II, C. i, § 6), II, 529, 1 ; b) l'acte achevé, accompli,
par opposition à l'acte en train de s'accomplir, et, conséquemment, la perfection
qui résulte de cet achèvement. Le mot même indique cette perfection, car
EVTsXe/7^; signifie celui qui possède en soi son achèvement : £v, dans ; tÉXoç^
achèvement ; £/w, avoir. — Leibniz [Monadologie, § 18) appelle ses monades
Entéléchies, parce qu'elles ont en elles-mêmes une certaine perfection : à savoir
« une suffisance (aùrapxeta) qui les rend sources de leurs actions internes. »
Entendement (de Entendre, de in-tendere, étendre, diriger vers ou contre) :
faculté d'abstraire et de juger, 285. — ■ Imagination et entendement, 261. —
Dans l'usage actuel, V Entendement (Aiavota, Intellectus, Intendimento, Enten-
dimiento, Understanding, Verstand) désigne les opérations discursives de
l'esprit : juger, raisonner, tandis que la Raison (Noûç, Ratio, Ragione, Razon,
Reason, Vernunft) indique les opérations intuitives de l'esprit. — Chez les
ScoLASTiQUEs le niot Intellectus signifie, au contraire, l'opération intuitive,
parce qu'ils le dérivaient à tort de intus, à l'intérieur, et de légère, lire. Le terme
Ratio représente pour eux les opérations discursives. — Pour Bossuet [De la
connaissance de Dieu et de soi-même, Ch. i, § 7) l'entendement est la faculté
de comprendre, « de connaître le vrai et le faux », par opposition aux sens qui
seulement '< donnent lieu à la connaissance de la vérité », mais ne la font pas
« précisément » connaître. Il identifie raison et entendement. — Pour Kant,
«■ toute notre connaissance commence par les sens, passe de là à Ventendement
et s'achève dans la raison » {Dialectique transcendantale, Introd., § II, A).
Il n'admet pour l'homme d'autre mode d'intuition que l'intuition sensible,
dont le temps et l'espace sont les formes a priori. L'entendement est « la faculté
de juger », la « faculté des règles » {Analytique transcend., L. I, Ch. i. Section I.
Dialect. transcend., Ibid.). Le rôle de l'entendement est d'unifier les sensations
au moyen des catégories. La raison est la « faculté des principes » : elle croit
que toute connaissance conditionnée de l'entendement dépend d'un élément
inconditionné ou absolu et elle cherche à déterminer cet élément (Dialect.
transcend.. Ibidem,' § II C), II, 431-434.
Enthéisme (de 'Kv, dans ; t)£o?. Dieu) : système de Paul Carus qui prétend
que la Divinité est immanente en toute chose. C'est une manière de Pan-
théisme.
Enthousiasme ( 'Iv/jouatot^ao'?, transport divin, de £vQou<jta, inspiration ; de
£vOeoç, È'vOojî, inspiré des dieux) : Platon désigne ainsi l'inspiration divine
et l'applique à la réflexion profonde des philosophes, à l'exaltation des poètes
et à l'héroïsme des guerriers. — Effet de l'idéal connu, II, 396-397.
TABLE ANALYTIQUE : Enthymèmc — Épigénèse 809
Enthymème [Enthymema, 'EvOuayiijia, de 'Ev9u[jL£0[j.at, de èv, dans, Ouiaw,
souffle, âme, se mettre dans l'esprit, réfléchir) : a) selon Aristote [Premiers
Analytiques, L. II, Ch. xxix) c'est le syllogisme du probable, parce qu'il est
fondé sur des vraisemblances ; aussi l'appelle-t-il le syllogisme des orateurs ;
b) d'après les modernes, c'est un syllogisme elliptique, 547.
Entier (de Integrum, non entamé, intact, de m négatif et tangere, toucher) :
pour être rigoureuses, la division, l'analyse et la synthèse doivent être entières,
complètes, 527 ; 605-606 ; 615.
Entitatif, Entité [Ens, entis, d'où les termes scolastiques Entitativus,
Entitas) : ce mot, dans la langue scolastique, signifie essence ou réalité. Le mot
entitatii>em.ent [entitative] s'emploie pour dire qu'on considère une chose dans
sa réalité, en elle-même, sans s'occuper des rapports ou connexions qu'elle
peut avoir, 256. — L'abus, que certains Scolastiques ont fait des entités,
les a rendues suspectes : de là vient qu'on emploie quelquefois l'expression
entité métaphysique comme synonyme à'' abstraction réalisée. — Les Logiciens
anglais usent du mot Entity pour désigner un être que l'esprit se représente
en dehors de toute détermination précise.
Entoptique (de 'Evxo'ç, en dedans ; otttuo;, relatif à la vue) : les phéno-
mènes entoptiques sont les sensations visuelles résultant non de l'excitation
lumineuse, mais de causes qui sont intérieures à l'œil ; vg. inflammation;
blessure, ébranlement produit par un choc, etc.
Entrepreneur (de Entre et preneur) : son profit, II, 356.
Énumération [Enumeratio, de enumeratum, supin de e-numerare, supputer
de numerus, nombre) : a) induction par énumération complète, 674-675 ; b) induc-
tion par énumération incomplète, 667 ; 671 ; 684. — Quatrième règle de la
méthode cartésienne, 605-606. — Sophisme de l'énumération incomplète, 800.
Envie (de l'ancien français Envidie, dérivé de Invidia = in-video, regarder
d'un œil malveillant), 94,
Épagogique ( 'ETraYWYtxo?, qui attire, qui procède par induction, de £7r«Y"T'li
induction) : le syllogisme épagogique est l'induction formelle û'Aristote, 674.
Épée (Abbé Charles-Michel de) : instruction des sourds-muets, 438.
Éphectique ( 'E^psxTtxo;, qui arrête, de Ir-s'/w, retenir, ir,o/-r\, suspension
du jugement) : c'est l'un des noms donnés aux disciples de Pyrrhon, II, 421.
Épichérème [Epicherema, 'ETziyûç,-r\u.n, effort, attaque, de è-xi-ytip&ï^ ,
mettre la main sur, de y.si'p, main) : syllogisme muni de ses preuves, 547.
Épictète ( 'Ettixt/ito;, de ètti, après, y.Tr.To';, acquis) : sa morale, II, 93.
— Épictète et l'esclavage, II, 180.
Épicure ( 'ETtixoiipoç, de 'Eut'-xoupo;, auxiliaire) : plaisir, fait négatif, 57.
— Origine du plaisir, 61. — Distinction des plaisirs, 69, 2. — Théorie des
idées-images, 167. — Le langage, 442, 1 ; 449, 1. — Morale de l'intérêt per-
sonnel, II, 50. — Légitimité du suicide, II, 156. — Atomisme, II, 507 ; 600.
Épicuréisme, Épicurisme (de Epicureus, Epicurius, d'Épicure) : doctrine
d'ÉPicuRE et des Épicuriens. Voir Épicure.
Épigénèse, Épigénésie (de ii^i, après, té^^'^'î, génération) : c'est le contre-
pied de la théorie de la préformation et de V emboitement des germes, d'aprù ^
laquelle le germe serait un individu tout formé, mais réduit à une extrême
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. — T. II. — 27
810 TABLE ANALYTIQUE : Épigraphic — Épreuve
petitesse. Ce germe en contiendrait d'autres encore plus réduits, ceux-ci d'autres
encore et ainsi de suite, en sorte qu'un être vivant contiendrait préformés tous
les êtres qui doivent provenir de lui. Malebranche a soutenu cette théorie.
Cf. vg. Entretiens sur la Métaphysique, X, § 3 à 6. On oppose aujourd'hui à ce
système VÉpigénèse, d'après laquelle les différenciations d'organes d'un nouvel
individu ne préexistent pas toutes formées dans le germe, mais se constituent
peu à peu au cours de son embryogénie.
Épigraphie (de Épigraphe, de î-typa'^-iq, inscription, de èizi, sur, yfacpeiv,
écrire) : science des inscriptions, auxiliaire de l'histoire, 740 ; 741, 1.
Épikie (Epikeia, ETrisixs'.a, équité, convenance, de £Trt£t5tr'ç, d'une juste
mesure, convenable, équitable) : les Moralistes entendent par là une interpré-
tation bénigne de la loi dans un cas extraordinaire. Ils se fondent sur cette
présomption équitable que le législateur n'aurait pas étendu à ce cas excep-
tionnel, s'il l'avait prévu, l'application de la loi. Voici, par exemple, une loi
qui défend d'hospitaliser les assassins. Il est présumable qu'elle ne s'étend pas
à un père, qui reçoit chez lui son fds, fût-il coupable d'assassinat.
Épiphénomène ('I-t^î, sur ; cpatvo'aevov, ce qui paraît) : c'est un phénomène
accessoire qui se greffe sur un autre. Le plaisir est un épiphénomène, 61 ; de
même le bonheur, II, 91. — Selon certains psychologues, l'activité psycholo-
gique peut se déployer avec ou sans conscience : c'est pourquoi ils disent que
la conscience est xm épiphénomène. Mais l'hypothèse d'un phénomène psycho-
logique inconscient est contradictoire, 145. — D'autres psychologues, défen-
seurs du mécanisme matérialiste, comme Maudsley, Huxley, distinguent
deux aspects dans l'activité psychologique : l'aspect externe, ce sont les fonc-
tions cérébrales ; l'aspect interne, ce sont les opérations conscientes. Ils appel-
lent épiphénomènes les opérations de la conscience.
Épistématique (de 'KTitiTT^avi, science, de £7ti<TT«aoct, savoir) : s'oppose
à Épagogiquc pour désigner une méthode purement rationnelle et déductive,
qui convient aux sciences abstraites, 618.
Épistémologie (de 'E7rt(jT7][j.r,, science ; Xoyoç, discours) : c'est la philosophie
des sciences ou étude critique de leurs principes, hypothèses et résultats, 596.
Épisyllogisme (de l'allemand Episyllogismus, de, Ittî sur, (TuXXoytaadç,
calcul, raisonnement ) : syllogisme dont l'une dçs prémisses est la conclusion
du syllogisme précédent dans une série de déductions enchaînées, 548.
Époptique ( 'EitoTTTtxo'ç, qui concerne le plus haut degré de l'initiation, de
£TO7iT7]ç, qui observe, parvenu au plus haut degré d'initiation, de Ittî, sur ;
"oTTToaat, comme ôcato, regarder) : s'emploie quelquefois comme syno-
nyme de ésotérique. On appelait Épopte celui qui^ était parvenu au troisième
et dernier degré d'initiation dans les mystères d'Eleusis.
Époque ( 'Ktto/ti, arrêt, de Itt-e/w, s'arrêter) : c'est un moment de la duréci
marqué par un événement important, où l'historien s'arrête pour envisager de
là, comme d'un point de vue supérieur, les faits qui se déroulent avant et
après.
Époux iSponsum, fiancé, devenu espos, espous, époux) : personnes de sexe
différent unies par le lien du mariage. Devoirs réciproques, II, 211.
Épreuve (Substantif verbal de Éprouver, de 6 = latin ex; prouver, do
probare, essayer) : douleur morale. — Son rôle dans la vie, 128 ; II, 644,
TABLE ANALYTIQUE : Équation — Erreur 811
•
Équation (Aequatin, égalité, de aequare, aplanir, égaliser, de sequus, uni,
égal) : a) Sens général : c'est la formule d'une relation entre grandeurs qui
dépendent les unes des autres. Elle exprime une égalité qui comprend une ou
plusieurs quantités ou grandeurs non exprimées, dites inconnues, et qui ne se
vérifie que pour cei'taines valeurs des inconnues. — ft) Sens spécial: vg. équation
personnelle, 721. C'est une correction qu'on doit faire aux observations astro-
nomiques : on tient compte du retard que l'observateur met à percevoir le
phénomène observé. — c) Sens figuré : définition de la vérité, xxvii-xxviii ;
770, 2.
Équilibre ( Aequilibrium, de aequus, égal ; libra, poids) : instinct de l'équi-
libre. Il est nécessaire à l'homme et à l'animal pour orienter convenablement
leur marche, vol ou station. Certaines maladies nerveuses^ en suppriment
l'exercice. — Liberté d'équilibre ou d'indifférence, 394. — • Équilibre mental :
état d'harmonie des différentes facultés, dans lequel chacune se déploie norma-
lement sans empiéter sur les autres, II, 402-403. — ÉquiUbre des Puissances,
II, 316-317.
Équipollence ( Aequipollentia, de aequus, égal ; pollere, valoir) : il y a équi-
pollence entre deux propositions quand elles ont le même sens.
Équiprobabilisme (de Aequus, égal, et probabiUsme) : doctrine d'après
laquelle on doit suivre le parti le plus sûr, à moins que le parti favorable à la
liberté ne soit d'une probabilité égale, II, 35.
Équité { Aequitas, égalité, de aequus, uni, égal) : a] Avoir le sens de V équité,
c'est avoir le sentiment sûr et spontané de ce qui est dû à chacun. — b) Forme
de la justice pénale, II, 162-163.
Équivalence (de Équivalent, de aequivalèns, de aequus, égal ; valere, valoir) :
synonyme de Équipollence, en LjOgique. — On appelle quelquefois le principe
de la conservation de l'énergie principe de l'équivalence, parce qu'il y a équi-
valence entre le travail dépensé dans un corps ou un système et la quantité de
chaleur dégagée de ce corps ou de ce système. On nomme équivalent mécanique
de la chaleur le travail, exprimé en kilogrammètres, qu'il faut dépenser dans un
corps ou dans un système, pour que, transformé en chaleur, il y produise une
calorie.
Équivoque (Aequivocus, de aequus, égal ; vox, voix, parole) : a] Se dit des
termes et des propositions qui ont plusieurs sens. S'oppose à Univoque et se
distingue de Analogue, 519 ; II, 461. — è) Sophisme de l'équivoque, 798.
Ergographie ("Epyov action, travail, ypa-jo), décrire) : c'est l'art de mesurer
le travail mécanique des êtres vivants, la fatigue qui s'en suit, etc.
Ergoter (de Ergo, donc) : abus du raisonnement, 279.
Éristique ' '\i^inz'.y.-f\ Ti/yr^, l'art de la discussion, de aptç, dispute) : c'est
l'art de discuter subtilement. Ce mot est pris surtout dans un sens péjoratif
pour qualifier les arguties des philosophes qui abusent des finesses de la
Dialectique. C'est notamment le surnom de I'Ecole de Mégare, qu'EuBULioE
rendit ergoteuse, 548, 1.
Erreur (Error, détour, de errare, aller çà et là, errer) : a) : Désaccord de
l'esprit avec son objet, 794. — b) Ce qui n'est pas conforme, dans les œuvres
humaines, à l'idéal physique, inteUectuel ou moral, 795. — c) Ce qui est l'objet
d'une énonciation fausse, 795. — État de l'esprit par rapport au vrai, 771. —
Fausseté logique, ontologique, morale, 794-795. — Siège de l'erreur, 796. —
Erreur matérielle ou virtuelle, erreur formelle ou actuelle, 796-797. — Classi-
812 TABLE ANALYTIQUE : Eireuîs des sens — Esprit de corps
fication des erreurs de raisonnement en sophismes : a) de mots, 798 ; b) de
pensées, 799. — Possibilité de l'erreur, 802. — Causes de l'erreur en général : .
a) Intermédiaires, 803 ; b) État du sujet, 803. — Causes d'après : Bacon,
Descartes, Malebranche et Spinoza, 805-807. — Culpabilité de l'erreur,
807. — Causes de l'erreur dans le domaine de la conscience morale, II, 29-30.
— Erreur invincible ou vincible, II, 34 ; 115.
Erreurs des sens : 187. — Causes ordinaires, 188. — Causes pathologiques,
225 ; 487-488.
Eschatologie ( "ET/aTo;, dernier ; Xo'yo;, discours) : c'est la science des fins
dernières de l'homme et de l'univers. S'emploie surtout en Théologie. Se
rencontre aussi en philosophie. Cf. Renouvier et Prat, Nouvelle Monadologie,
VII® partie, cxxxix et cxl.
Esclavage (de Esclave. Ce mot vient d'un nom de peuple, des Slaves ou
Esclavons, qu'au x® siècle Othon le Grand réduisit en captivité et vendit) :
c'est la réduction de l'homme, personne morale in\àolable, à l'état de chose.
• — Illégitimité, II, 176. — Opinions des philosophes anciens (Platon, Aristote,
ZÉNON, Sénèque, Épictète), 176-180. — Attitude du Christianisme, 180-181.
Ésotérique ( 'EawTgptxo'ç, de l'intérieur, de "eaw, l'.cw, au dedans) : a) Dans
les Écoles de la Grèce, c'est l'enseignement des questions plus difficiles réservé
aux disciples proprement dits. S'oppose à Exotérique : enseignement qui
s'adressait à ce qu'on nomme aujourd'hui le grand public. — è) On entend
quelquefois par ésotérique une doctrine secrète, qui ne doit pas être divulguée
par les initiés ivg.dansl'ÉcoLE Pythagoricienne. — c) Par extension, ensei-
gnement réservé à une élite. Tel doit être l'enseignement de la science selon
Bacon {De Augmentis, L. VI, C. ii).
Esotérisme (de Ésotérique) : doctrine dont le caractère est ésotérique. —
Actuellement, ce mot s'emploie parfois comme synonyme d'Occultisme.
Espace [Spatium, du dorien cTra^tov, stade, champ de course, puis
étendue, espace) : sa nature d'après Newton, Clarke, Descartes, Gassendi,
Kant, II, 501-503. — D'après Leibniz, c'est l'ordre des phénomènes coexis-
tants, II, 503. — Espace réel et espace absolu, II, 503-504, 505. — Origine de
cette notion, II, 504-505.
Espèce (Species, aspect, forme, de specere, regarder) : un des universaux,
253. — Espèce infime, 253. — Au point de vue biologique, 695-696 ; II, 614, 4.
— Origine des espèces d'après Darwin, II, 613.
Espèce impresse, expresse : 162.
Espèce sensible, intelligible : 162 ; 171, 1 ; 316-317.
Espérance (de Espérer, de sperare, s'attendre à, compter sur, de spes,
attente) : passion, 122. — Espoir de la récompense, II, 77-79 ; 121-122.
Espéranto (Celui qui espère) : langue internationale inventée vers 1887
par le D' Zamenhof, médecin russe. Le mot Espéranto fut le pseudonyme pris
d'abord par l'inventeur, 462.
Esprit (de Spiritum, souffle, de spirare, souffler) : esprit philosophique et
esprit scientifique, 6. — Esprit géométrique et esprit de finesse, 643. — Esprit
et talent, II, 405. — Esprit et matière, II, 507 ; 536 ; 540.
Esprit de corps : 93.
TABLE ANALYTIQUE : Esquifol (Jean-Éticnnc) — Estimative 813
EsQuiROL (Jean-Étienne) ; formes de la folie, 488, 2.
Essence (Essentia, de esse, être) : ce par quoi une chose est ce qu'elle est;
367 ; II, 465. — Indice du caractère essentiel, 690. — Essence des choses, II, 41 ,
110-111 ; 583-584. — L'essence des choses ne dépend pas de la volonté arbi-
traire de Dieu, II, 107, — Essence et existence, II, 465-466. — Distinction
•entre l'essence et l'existence, II, 467-469.
Essentiel (du latin scolastique Essentialis, de essentia) : ce qui appartient
à l'essence et, par extension, ce qui, dans un être, est très important. S'oppose
à Accidentel, 253 ; 523. — Définition logique ou essentielle, 521.^ L'essence,
l'essentiel répond à ce qu'AnisTOTE nomme to tî sttcv ou to ti yiv eivat, ce
qui fait qu'un être est ce qu'il est, 521. Cf. Aristote, Métaphysique, L. VI,
€h. V. — Ordre essentiel des choses, II, 41.
Esthésimétrie (AiaOrjdtç, sensation ; [xÉxpov, mesure) : c'est une branche de
la Psycho-physique, qui vise à mesurer la sensibilité, 726-728.
Esthésiogène (AicOriCtç, sensation tÉvo;, origine) : agent qui accroît
la sensibilité ou la rend ; vg. l'aimant.
Esthésiomètre (AicOvitiç, faculté de sentir, sensation ; [aÉt^ov, mesure) :
instrument, dérivé du Compas de Weber, qui sert à mesurer la sensibilité de la
peau, 727.
Esthéticisme, Esthétisme (de Esthétique) : doctrine qui ramène le Souverain
Bien à la beauté (Platon, Herbart, Wieland, Ravaisson, Ruskin), II, 89.
Esthétique (1') (AîcrOr,Tixoç, qui a la faculté de sentir, de a'.^rOdvoaat, sentir) :
la science du beau, II, 377. — Ce nom vient de Baumgarten, qui, en 1750,
intitula un ouvrage sur la formation du goût Aesthetica, II, 377. L'appHcation
de ce terme à la science du beau n'est pas heureuse, car il ne met en relief que
l'élément sensible, qui n'est pas le seul élément à entrer dans la formation de
l'idée du beau, II, 378-380. — Méthode de l'Esthétique, 760.
Esthétique : ce mot, pris adjectivement, signifie ce qui est relatif au beau.
Sentiments esthétiques, 97. — Inclinations esthétiques, 103. — Sens esthé-
tiques, 186. — Qualité esthétique de la classification, 698. — Émotion et
jugement esthétiques, II, 378-379. — L'activité esthétique, II, 379-380. — ■
Caractères du sentiment esthétique, II, 380. — Morale esthétique, II, 89.
Esthétique transcendantale : Kant définit V Esthétique : l'étude de la faculté
de connaître par les sens ; et V Esthétique transcendantale : l'étude des formes
a priori de la sensibilité, c'est-à-dire du temps et de l'espace, II, 431. Mais,
dans la Critique du jugement, il applique le terme esthétique au jugement qui
apprécie le beau. Cf. Analytique du jugement esthétique.
Estimation ( Aestimatio, de aestimatum, supin de aestimare, évaluer, de aes,
au sens de monnaie, et du verbe archaïque, timo, apprécier) : évaluation. —
Estimation d'un revenu, II, 280. — Estimation commune, II, 359-360.
Estimative (du latin scolastique Aestimativa, de aestimare, apprécier) :
c'est, dans le système scolastique, une faculté sensible qui permet à l'animal
de discerner l'utile et le nuisible ; c'est une sorte de jugement instinctif. —
Dans l'homme, cette faculté est appelée Cogitative. C'est par erreur que, p. 44,
Estimative a été mis au lieu de Cogitative.
814 TABLE ANALYTIQUE : Estime — Éthographie
Estime (substantif verbal de Estimer, de aestimare, apprécier) : cas qu'on
fait du mérite des personnes et de la valeur des choses. — L'estime morale
implique la liberté, 373. — Sentiment moral de respect, II, 207.
État (de Statum, d'où estât, état, de stare, qui indique l'idée de station,
de stabilité) : nianière d'être plus ou moins stable, par opposition à devenir et
à activité. — États de conscience, terme générique qui comprend sensation,
sentiment, idée, volition, 23 ; 33-35. — États anormaux, 225 ; 477-489 ; 723-
724 ; 725. — États forts ou primaires, faibles ou secondaires, 234. — États
de conscience présents, passés, 195-196.
État politique : société organisée ayant un gouvernement autonome,
II, 219. — Autres sens du mot État, II, 219. — Fonctions de l'Etat, II, 248 :
a) fonction de protection, II. 248 ; b) d'assistance, II, 249. — Intervention de
l'Etat dans : aï renseignement, 252 ; b) la bienfaisance, II, 263/, c) la réglemen-
tation du travail, II, 265. — Limites et empiétements de l'État, II, 250. —
Devoirs et droits de l'Etat, II, 265. — L'Etat et l'impôt. II, 277. — L'Etat et
le droit d'association, II, 285. — Rapports de l'Église et de l'État, II, 337-340.
État de nature : hypothèse de Hobbes, J.-J. Rousseau, II, 220.
Étatisme (de État) : mot, de création récente, pour désigner les théories
qui tendent à concentrer dans les mains de l'État toutes les fonctions sociales :
le Socialisme sous ses diverses formes, II, 199-204.
Étendue (substantif participe de Étendre, de ex-tendere, étendre) : a) qualité
qu'ont les corps d'occuper une partie de l'espace ; b) partie de l'espace occupée
par les corps. — Étendue colorée, musculaire, tactile, 190-193. — Perception
de la résistance étendue, 179. — Rapports avec, le mouvement, 182. —
Différence entre espace et étendue, II, 505. — Étendue virtuelle, II, 521 .
Éternité (Aeternitas, de aeternus = aeviternus, éternel, de aevum, durée
illimitée ; cf. alcov, temps, ce qui existe de toute éternité, pour at/'wv) :
« Possession parfaite, à la fois présente et totale, d'une vie interminable »
(Boèce). — Attribut divin, II, 578. — • La science éternelle de Dieu et la liberté
humaine, 378-382. — Argument tiré des Vérités éternelles, II, 567.
Éthélisme (de 'EOs'Xoj, vouloir) : les Allemands appellent ainsi tout système
philosophique qui fait de la volonté la faculté essentielle de l'âme. Telle est
la philosophie de Schopenhauer, 365, 1.
Éthique ( Why.-r\, qui se rapporte aux mœurs, sous-entendu tÉ/v/;, art,
de Ti&oç, caractère, manière d'être) : c'est la science des mœurs telles qu'elles
doivent être, II, 1. — Pour distinguer V Ethique de la Morale, certains défi-
nissent : a) la Morale : la science de fait qui se propose d'étudier la conduite des
hommes ; b) VÉthique : la science qui étudie les principes où se fonde le devoir ;
ou encore la science qui a pour objet les jugements d'appréciation appliqués à
la distinction du bien et du mal. Mieux vaut s'en tenir à l'usage historique qui
emploie ÉJthique et Morale comme synonymes.
Ethnographie (de "KOvoç, peuple, race ; ypacpTi, description) : description
des races humaines au point de vue biologique et social.
Ethnologie (de "E^voç, peuple ; )vôyo;, discours) : branche de V Anthropologie
qui clicn fui l'explication des phénomènes décrits par V Ethnographie, 593.
Éthographie (de vîOoç, caractère, manière d'être ; Tpay>i, description) :
description des mœurs, des usages et des caractères. Ampère emploie ce terme
dans sa classification des sciences.
TABLE__ANALYTiQUE : Ethologic — Eutrapélio 815
Éthologie (de vjôoç, caractère, manière d'être ; Xo'yoç, discours) : science
des lois réelles de l'activité morale, II, 3. Elle doit être à V Étho graphie ce que
VEthnologie est à V Ethnographie : chercher l'explication des faits décrits par
V Etho graphie.
Étiologie (AiTioXoyi'a, de «Ixia, cause ; Ao'yoç, discours) : science des causes
d'une catégorie d'elTets, notamment en Pathologie, en Histoire, etc.
Étonnement (de Étonner, estonner, du latin populaire extonare — attonare,
ad-tonare, attirer la foudre, frapper de stupeur) : commencement de la science
et qualité de l'observateur, 577, 1 ; 650, 2.
Être (du latin populaire Essere, d'où ess'rer, estre, être) : a) Sens abstrait:
l'existence en général. — b) Sens concret: ce qui existe réellement. — C'est le
premier des transcendantaux, 252 ; II, 460-461. — Rôle dans le jugement,
267 ; 553, 2. — Principe d'identité, 288 ; 319, 556. — Est indéfuiissabk, 522,
— Analyse de la notion d'être : modes, propriétés, principes qui en dérivent,,
II, 460.
Être de raison : ce qui n'existe que dans la pensée, II, 461.
Être suprême : nom donné à Dieu dans la Déclaration des droits de Vhomme,
II, 348-349.
Étroit {Strictum, participe passé de stringere, strictum, serrer, devenu
estreit, estroit, étroit) : devoir étroit ou strict, II. 149. — Association étroite des
idées, 199 ; 201.
EuBULiDE (EO[iouXeiiî-/lç, de eu, bien; fio^Xv], volonté): sophisme du tas
deblé, 548, 1.
EucLiDE ( EuxXei<î-/iç, de suxXsri;, illustre, de su, bien; xXéo;, bruit,
renommée, gloire) : analyse géométrique, 611, 3. — Nombre des axiomes
mathématiques, 632.
Euclidien : l'espace euclidien est l'espace à trois dimensions, par oppo-
sition aux hyperespaces imaginés par des géomètres modernes. — La géométrie
euclidienne suppose précisément l'espace ordinaire à trois dimensions. —
Géométries non-euclidiennes, 643. — Voir Hyperespace.
Eudémonisme (Eiioott|xovt(7;xoç, _^ action de regarder comme heureux,
bonheur, de £Ùfîaî|/.(ov, heureux = eu, bien, oatijiwv, dieu, génie) : doctrine qui
met le principe de la morale dans la recherche du bonheur. — Eudémonisme
rationnel d'AnisTOTE, II, 91.
Eudémonologie (Eù'îat;ji.ovia, bonheur; de eùoxi'aojv, eùciaiVovo;, heureux;
"^ô-^oi;, discours) : science de la Morale reposant sur l'idée de bonheur.
EuLER (Leonhard) : représentations graphiques des syllogismes, 557, 1.
— Dieu et la prière, II, 332, 2. — Influx physique, II, 5^^8.
EuNOMius (Eùvo'jAtoç, de sO, bien ; voao;, loi) : origine du langage, 441, 2.
Eurythmie (EOpuOw.ia, harmonie, de eii, bien ; puOi^-o;, mouvement régu-
lier) : c'est la combinaison harmonieuse des lignes, des mouvements, qualité
artistique qu'on admire surtout chez les Grecs, vg. dans le Parthénon.
Eutrapélie (EÙTp«-£)a'a, enjouement, de ewTpxTtïi;, sutset:-/!;, qu'on peut
tourner, disponible ; de £Ù, bien ; tûe'ttiij, tourner) : vertu qui a pour objet,
d'après Aristote et les Scolastiques, l'usage raisonnable des divertissements.
Cf. S. Thomas, Summa theologica, II* II"% Q. clxviii, A. II.
816 TABLE ANALYTIQUE : Évhémère — Exclu
ÊvHÉMÈRE, ÉvHÉMÉRisME (Evï](jL£poç, qui marque un]jour heureux, de eu,
bien ; ■hy-sç,a^ jour) : V Évhémérisme est l'opinion du mythographe grec Évhé-
mère de Cyrène (vers 300 av. J.-C). Il prétend que les dieux sont des héros,
ayant réellement existé, qui auraient été divinisés après leur mort.
Évidence (Evident ia, de evidens, de e-videre, voir) : clarté, capable de
déterminer la certitude. Sa nature, 777. — Évidence immédiate et médiate,
intrinsèque et extrinsèque, métaphysique, physique et morale, 779. — Évi-
dence géométrique et évidence morale, 784. — Critérium de l'évidence, 837.
Évocation [Evocatio, de evocatum, supin de e-vocare, faire sortir en appelant,
de vox, çocis, voix, parole) : évocation des souvenirs par la fonction de rappel,
200. — Lois d'après lesquelles les idées s'évoquent, 213-214 ; 214-215.
Évolution [Evolutio, de evolutum, supin de e-volvere, rouler, dérouler),: ce
terme vague signifie en général développement par transformation ; vg. Évo-
lution des langues, 455. Cf. L. Cuénot, Revue des Quest. scientifiques, 1924, p. 49.
Évolution régressive : certains admettent, en Biologie et en Sociologie, une
sorte de régression, c'est-à-dire d'évolution à rebours.
Évolutionnisme [d'' Évolution) : doctrine qui prétend que la différenciation
accompagnée d'intégration est la loi générale qui préside au développement
des êtres. — Exposé du système de Spencer, II, 626. — Critique, II, 629. —
Origine des inchnations altruistes d'après les Évolutionnistes, 100-102. —
Rapports de l'émotion et de l'inclination, 67. — Origine des idées, 306. —
Production et interprétation des signes, 437. — Origine de la conscience morale,
II, 23. — Morale évolutionniste, II, 58.
Exact [Exactus, accompli, parfait, exact, adjectif dérivé de exactum, supin
de exigere — ex-agere, pousser dehors, réclamer, exiger) : ce qui est rigoureu-
sement conforme à la vérité. — Sciences exactes, 639. — Division exacte, 527.
— Observation exacte, 651.
Examen [Examen, troupe en marche, essaim, contrôle, examen = ex-
agmen, de exigere, ex-agere, pousser dehors, réclamer, exiger) : examen de
conscience, II, 159.
Exceptif (de Exceptum, supin de excipere — ex-capere, tirer de, retirer) :
la proposition exceptive est une proposition composée, qui affirme un attribut
d'un sujet général, en exceptant de cette affirmation une ou plusieurs espèces,
un ou plusieurs individus. Ex. : Tous les hommes naissent souillés du péché
originel, sauf la Vierge immaculée. /
Excès [Excessus, sortie, écart, de excessum, supin de ex-cedere, sortir de,
dépasser) : ce qui dépasse les bornes justes et convenables. — L'excès d'activité
produit la douleur, 62-63 ; 65. — La définition ne doit pas pécher par excès,
être trop large, 521-522. — De même pour la division, 527. — Exemple d'une
division ou classification des faits psychologiques péchant par excès, 36-37 ;
46. — La vertu doit éviter l'excès : le trop et le trop peu, II, 127-128.
Excitation (Excitatio, de excitatum, supin de ex-citare, faire sortir, de citare,
pousser) : a) Rapport de la sensation à l'excitation, 727. — Antécédent physique
de la sensation, 156. — h) Activité anormale de l'organisme.
Exclu [Exclusus, non admis, participe passé de excludere = ex-claudere^
ex-clusum, ne pas laisser entrer) : la proposition exclusive est une proposition
composée, qui affirme qu'un attribut ne convient qu'à tel sujet ou à telle classe
de sujets, 530. Ex. : Dieu seul est infini. Seuls les hommes sont doués de raison.
TABLE ANALYTIQUE : Ex conccsso — Expérieiîce 817
Ex concesso (de Concessum, supin de concedere, cum-cedere, se retirer, céder) :
argument qui repose sur une proposition concédée par l'adversaire.
Exécutif (dérivé du radical de Exécution, de executio et exsecutio, de exe-
cutum et exsecutum, supin de exequi et exsequi, suivre jusqu'au bout, achever,
exécuter) : pouvoir exécutif, II, 266 ; 269.
Exécution {Executio) : réalisation extérieure de l'acte volontaire, 358 ;
359 ; 360. — Priinum in intentione est ultimum in executione, 333 ; 358. —
Volonté incapable d'exécution, 367-368.
Exemplaire {Exemplarium, modèle, de exetnplar, exemplum, échantillon,
exemple, modèle) : modèle existant ou conçu par l'esprit. — Cause exemplaire,
324 ; II, 490.
Exemplarisme (de Exemplar, modèle) : a) Théorie platonicienne selon
laquelle Dieu formerait le monde avec une matière préexistante, d'après les
idées ou types des choses qui lui sont éternellement présents, 257, 2. — Il faut
corriger la théorie de Platon en v ajoutant la doctrine de la création : Exem-
plarisme divin, 769-770 ; II, 395-396 ; 583-584.
Exemple (Exemplum, de ex-imere, exemptum, tirer de, mettre hors de) :
son influence, 96 ; II, 29. — Argument de l'exemple, 550.
Exercice {Exercitium, de exercitum, supin de exercere = ex-arcere, agiter,
exercer) : exercices corporels, 411, 2 ; II, 156.
Exigibilité, Exigible (de Exigere = ex-agere, pousser dehors, réclamer,
exiger) : ce qui peut être demandé au nom de la justice. — Exigibilité du
droit, II, 132. — Les droits fondés sur la justice sont exigibles, II, 138 ; 165.
Existence [Existentia, de existere = ex-sistere, sortir de, paraître, se mon-
trer) : c'est l'actualité de l'essence, II, 466. — ■ Essence et existence, II, 465-
466. — Distinction entre l'essence actuelle et l'existence d'une chose, 467-469.
Existentialité : qualité de ce qui existe, dans le langage kantien.
Existentiel : les jugements existentiels sont ceux qui affirment ou nient
l'existence d'une classe : vg. Quelque homme est savant. Quelque homme n'est
pas blanc.
Exogamie ( "Hlço), en dehors ; w\i-o<;, mariage) : mariage en dehors du clan
ou de la tribu. Il était interdit chez certains peuples par la coutume ou par
la loi.
Exotérique ( 'Eçojreptxo';, extérieur, de £;w, en dehors) : se dit de l'ensei-
gnement que les philosophes anciens donnaient au public, par opposition à
l'enseignement ésotérique.
Expectation (Exspectatio, de exspectatum, supin de ex-spectare, attendre,
espérer, de specere, regarder) : faculté qui, d'après S. Mill, consiste à pouvoir
se représenter des sensations après en avoir eu de réelles. Elle se manifeste
surtout dans le cas des associations répétées, 304.
Expérience [Experientia, d'experior, tenter, mettre à l'épreuve, de ex et
perior, essayer) : a) Sens abstrait : 1°) Ensemble des progrès de l'esprit résultant
de l'exercice de ses facultés, vg. on dira : l'expérience de la vie. — 2») Exercice
des facultés intellectuelles (conscience et sens) en tant qu'elles nous font acquérir
des connaissances : expérience interne, expérience externe, id^, — b) Sens concret :
•observation provoquée : faire une expérience physique, intellectuelle, morale. —
818 TABLE ANALYTIQUE : Expérimental — Exposition
Expériences psycho-physiques et psycho-physiologiques, 726-729. — Facultés
expérimentales, 134-135. — L'expérience et la raison, 285. — Part de l'expé-
rience dans l'origine des notions et vérités premières, 315 ; 317. — Méthode
expérimentale, 8-10, 647-649 ; 731-734. — Part de l'expérience dans l'induction,
682. — Sciences d'observation et sciences expérimentales, 663-664. — Formes
de l'expérience d'après Bacon, 661-662. — Interprétation de l'expérience, 664.
— Généralisation de l'expérience, 673. — Expérience, critérium du vrai, 817.
Expérimental (de Experimentum, expérience, d^experiri, essayer) : ce qui
emploie l'expérience, aux sens a) 2° et b). — Méthode expérimentale, 8-10 ;
30-32 ; 647-649 ; 731-734. — Empirisme et méthode expérimentale, 686. —
Facultés expérimentales, 134-135. — Sciences expérimentales, 663-664.
Expérimentation (de Expérimenter, de experimentare, éprouver, de ex-
periri, essayer) : méthode qui consiste à faire un ensemble d'expériences. —
Expérimentation en psychologie : a) nécessité, 724 ; b) possibilité et
limites, 725. — Exemples d'expérimentations psycho-physiques, physio-
logiques, hypnotiques, 726-728. — Expérimentation dans les sciences phy-
siques ; 659-670 : a) conditions, 661 ; b) formes, 661 ; c) privilèges, 662. —
Méthodes d'expérimentation : a) de Bacon, 666 ; b) de Stuart Mill, 667. —
Expérimentation en psychologie et en physique, 733. — Expérimentation en
physiologie, 664 ; 725 ; 728. — Lacunes de l'expérimentation dans les sciences
naturelles, 699.
Expiation (Expiatio, de expiatum, supin de ex-piare, purifier par des
expiations, expier, de pius, saint, pieux, voué) : libre acceptation d'une peine
en esprit de réparation d'une faute, II, 122.
Explicatif (du latin scolastique explicoiivus, de explicatum, supin de ex-
plicare, déplier, déployer) : jugement analytique ou explicatif, 273. — Hypo-
thèse explicative, 656. — Wundt appelle sciences explicatives celles qui
s'efforcent de rendre raison des choses, par opposition aux sciences normatives
qui tracent des règles à suivre, 504 ; 715. — En Logique, dans un terme complexe,
l'addition à un terme simple est expHcative, quand elle ne fait que développer
la compréhension du terme simple sans y rien ajouter ; vg. L'homme qui est
animal raisonnable. S'oppose à Déterminatif.
Explication (ExpUcatio, de explicatum, supin de ex-plicare, déplier) : donner
l'explication d'une chose, c'est la rendre intelligible, en rendre raison, c'est-à-
» dire en indiquer la cause, la fin, la nature, la loi, 289-290 ;290-291.
Explicite. Explicitement (ExpUcitus, Explicite, de explicitum, supin de ex-
plicare, déplier) : est explicite ce qui est énoncé d'une manière formelle, expresse,
actuelle. S'oppose à Implicite, Implicitement.
Exponible (du latin scolastique Exponibilis, qu'on peut exposer, dérivé de
ex-ponere, mettre dehors, en vue, exposer) : les propositions exponibles sont
des propositions, simples en apparence, dont la composition est mise en
lumière en exposant, par une analyse logique, tout ce qu'elles renferment ;
vg. Dieu seul est éternel = Dieu est éternel + Seul il est éternel. Pour que
ces propositions composées soient vraies, il faut que chacune des propositions,
dans lesquelles on les décompose, le soient. Port-Royal {Logique, Part. II,
Ch. x) range, parmi les exponibles, les exclusives, les exceptives, les compara-
tives, les inceptives, les désitives.
Exposition (Expositio, de expositum, supin de ex-ponere, mettre en dehors,
en vue, exposer) : opération logique qui consiste à faire comprendre un concept
en l'appliquant à des cas particuhers.
Table analytique : Exprès — Extériorisation 819
Exprès, Expressément {Expressus, serré, précis, de exprimere = ex-
premere, faire sortir en pressant, reproduire, exprimer) : ce mot signifie :
a) avec intention, délibération ; b) d'une façon formelle, explicite. — S'oppose
à Involontaire, à Implicite.
Expresse (Expressus, serré, précis) : espèce expresse, 162 ; 316-317.
Expressif (du radical de Expression) : ce qui exprime bien ce que l'on veut
dire. — Faculté expressive, 37 ; 436. — Langue expressive, 461. — Forme
expressive, II, 394.
Expression (Expressio, de expressum, supin de ex-primere, faire sortir,
en pressant, exprimer) ; manière ou pouvoir d'exprimer quelque chose. —
Faculté d'expression, 37. — Définition du beau, II, 381. — Beau de l'expres-
sion, II, 391. — • L'expression, élément de l'art, II, 394.
Expropriation (de Exproprier, de ex, hors de ; proprius, propre) : l'Etat
a le droit d'exproprier pour cause d'utilité publique, à condition de payer
une indemnité convenable à l'exproprié. Ce droit a pour fondement le pouvoir
indirect de juridiction, que l'État exerce sur la propriété en vue du bien social,
II, 193 ; 249.
Extase (Extasis, ex.roi.ni:, déplacement, état de quelqu'un qui est hors
de soi ; de £x, hors de ; ttoctcç, stabilité) : différence entre l'extase hystérique
et l'extase surnaturelle, 485-487.
Extensif (du radical de Extension) : sensations extensives, 192. — Conte-
nance extensive, 554 ; 557. S'oppose à Intensif. — On appelle grandeur exten-
sive une grandeur qu'on peut réprésenter par l'étendue, tandis qu'une gran-
deur intensive n'est pas représentable par l'étendue ; vg. pour les phéno-
mènes psychologiques, le plus ou le moins n'a qu'une valeur métaphorique,
à cause de leur caractère essentiellement qualitatif, 26; 27. — Chez Kant, gran-
deur extensive signifie étendue ou durée.
Extension, Extensivité [Extensio, de extensum, supin de ex-tendere, allonger,
déployer) : a) Qualité de ce qui est étendu. Même sens que le mot étendue. —
b) Action d'appliquer un terme, un énoncé ou une opération de l'esprit à des
objets auxquels ils n'étaient pas appliqués précédemment ; vg. extension du
sens d'un mot ; le mot chien (xuojv) [a été étendu aux philosophes de I'École
d'ANTisTHÈNE appelés cyniques — c) En Logique, s'oppose à. Compréhension :
propriété de l'idée générale, 251. — Extension de l'idée et des termes, 519. —
Extension du sujet, 532. — Règles de l'extensio'h de l'attribut, 534. — Critique
de Hamilton, 534-535. — Point de vue de l'extension dans le syllogisme,
536 ; 554. — Comparaison avec le point de vue compréhensif, 556. — Repré-
sentations graphiques des syllogismes, 557-558.
Extérieur {Exterior, comparatif de exter, exterus, externe, de ex, hors de ) :
ce qui est au dehors. — Perception du monde extérieur, 147 ; 161-177. —
S'oppose à Intérieur.
Extériorisation, Extérioriser (de Exterior) : objectivation de la sensation,
160 ; 171-172. — On attribue encore une autre signification à V extériorisation
de la sensibilité d'après certaines expériences de MM. n e Rochas et Ém. Boirac ;
vg. si l'on donne des coups d'épingle dans un verre d'eau, la piqûre est ressentie
par tel spectateur doué d'une sensibilité particulièrp, qui émettrait un fiuide
spécial : celui-ci serait affecté par le coup d'épingle et servirait de trait d'union
entre le verre et le spectateur. Cf. Boirac, La Psychologie inconnue, Paris, 1908.
820 TABLE ANALYTIQUE : Extériorité — Faculté
Extériorité (Exterior) : on nomme jugement d'extériorité le jugement spon-
tané par lequel nous rapportons certaines sensations au dehors, 160, m. —
S'oppose à Intériorité.
Externe {Extemus, de exter, exterus, externe, de ex, hors de) : ce qui est
au dehors ou vient du dehors. — Perception externe, 156-194. — Sens externes,
157, — Sensations externes, 75. — S'oppose à Interne.
Extrasensible (Extra, au delà ; sensibilis, sensible) : ce qui dépasse la per-
ception sensible.
Extrême (Extremus, superlatif de exter, externe, de ex, hors de) : a) Ce qui
a une quaUté portée au plus haut degré, 64-65 ; II, 127-128. S'oppose, en ce
sens, à Excessif, terme qui suppose qu'une limite a été franchie, qui n'aurait
pas dû l'être. — b) Extrêmes d'un même genre : s'applique à toutes propriétés
ou caractères qui s'opposent, au plus haut degré, dans un même genre ; vg. noir
et blanc, 214 ; témérité et lâcheté, II, 127. — c) En Logique : datur médium entre
les extrêmes, 533. — Grand et petit terme d'un syllogisme, 536.
Extrinsécisme (tiré de Extrinsecus, de extra, en dehors; secus, loin de,
autrement) : mot inventé par les partisans de la Philosophie de l'immanence
pour qualifier la doctrine de leurs adversaires, qui soutiennent avec raison
que la vérité nous vient non seulement du dedans, mais aussi du dehors, par
l'expérience, l'autorité et la révélation, II, 575-576.
Extrinsèque [Extrinsecus, de extra, en dehors ; secus, loin de, autrement) :
ce qui, n'entrant pas dans la nature d'un être ou la définition d'un concept,
leur est comme extérieur. — Signes extrinsèques d'authenticité et d'intégrité,
741-742. — Gloire extrinsèque de Dieu, II, 636. — Les Scolastiques appellent
dénomination extrinsèque une manière d'être, une qualité, qui n'est pas tirée
de la substance d'un être, mais provient de ses accidents relatifs, c'est-à-dire
des relations qu"il a avec d'autres êtres. — Leibniz (Noui>eaux essais sur
l'entendement humain, L. II, Ch. xxv, § 5) prétend « qu'il n'y a point de déno-
mination entièrement extérieure (denominatio pure extrinseca) à cause de la
connexion réelle de toutes choses ». — Les Scolastiques appellent extrinsèques,
ab extrinseca, les causes efficiente et finale ; intrinsèques, ab intrinseco, les
causes matérielle et formelle. Cette dénomination ressort de la nature même
des causes, 324.
F : placée au commencement du nom d'un syllogisme, cette lettre indique
qu'il peut se réduire à Ferio de la première figure, 539.
Faber (Frédéric-William) : combats intimes, 793, 1.
Fabre (Lucien) : théorie de la relativité, II, 506, 4.
Factice (Facticius, de factum, facere, faire) : ce qui est fait artificiellement.
— Idées factices d'après Descartes, qui les oppose aux idées adventices et aux
idées innées, 312.
Facultatif (de Facultatem) : ce qu'on a le droit de faire ou de ne pas faire),
II, 112. — Se dit par opposition à Obligatoire, à Forcé.
Faculté (Facultas, dérivé du vieux latin facul, facilement, de facere, faire) :
signifie, en général, pouvoir de faire quelque chose, — et spécialement, pouvoir
de l'âme. Fonction éveille l'idée d'une activité rapportée à un organe déter-
miné, tandis que Faculté s'applique au mental sans évoquer nécessairement
TABLE ANALYTIQUE : Fait — Fantaislc 821
l'idée d'un concours organique, 37. — Détermination des facultés de l'âme, 38 :
Théories : a) des Scolastiques, 38 ; b) del'ÉcoLE Écossaise, 39; c) deBossUET,
40. — Classifications diverses des facultés : Platon, Auistote, Scolastiques
et BossuET, Descartes, Reid, Condillac, Jouffroy et Garnier, 43-46. —
Ordre de développement des facultés, 46-47. — Faculté d'adaptation, d'accom-
modation, 105-106 ; 703. — Actuellement, le mot Faculté n'est accepté par
beaucoup de psychologues que pour signifier des groupes de faits psychiques,
et non plus des pouvoirs de l'âme ayant en elle une existence qui se distin-
guerait de l'existence des faits qu'on leur attribue.
Fait {Factum, ce qui a été fabriqué, fait, participe passé de facere, faire,
produire) : un fait c'est, en général, tout ce qui est, a lieu ou a eu lieu. —
On doit distinguer fait et phénomène. Fait est plus général ; le phénomène est
un fait observable, tandis qu'il y a des faits qui échappent à une constatation
directe ; vg. on établit indirectement l'existence de faits psychologiques
qui n'ont pas laissé de trace dans la mémoire, 154-155. — • De plus, le fait
implique l'idée d'une objectivité plus grande. La part de subjectivité est
plus forte dans le phénomène, qui peut n'être qu'une apparence individuelle.
— On oppose fait : à théorie, 655 ; à droit, II, 131 ; 132.
Fait accompli : le fait et le droit, II, 132. — C'est le prétendu droit de la
force, II, 132-133.
Faits physiques, physiologiques : distincts des faits psychologiques, 25-28 ;
717-718.
Faits privilégiés : ou prérogatifs, d'après Bacon, 652-653.
Faits .psychologiques : distincts des faits physiologiques, 25-28; 717-718.
— Classifications diverses, 33 ; 43.
Fallacia (de Fallax, trompeur, de fallere, tromper) : ce mot, qui signifie ruse,
erreur, est le synonyme latin de rrô-fiGu-x. On distingue : fallacia accidentis,
800 ; fallacia secundum quid, 800 ; fallacia compositionis et divisionis, 799.
Familial (de Familia, tout ce qui est dans la maison, famille) : propriété
familiale, II, 196. — Salaire familial, II, 359-360.
Familisme : amour de la famille ; c'est une des quatre vertus cardinales
dans le système social de Fourier,
Familistère : Fourier appelle ainsi l'établissement où, dans son système,
plusieurs familles vivent ensemble.
Famille [Familia = l'ensemble des habitants et des biens de la maison,
de faniulus, qui dérive de la forme osque famel, l'habitant de la maison) :
inclinations domestiques, 90. — Société familiale, II, 208-209. — • Droit naturel
de la famille, II, 140 ; 255.
Fanatisme (du radical de Fanatique, fanaticus, qui appartient au temple,
enthousiaste, fanatique, de fanum, espace délimité par les pontifes prononçant
les paroles consacrées ; de fari, ifairo connaître, parler) : fanatisme signifia
primitivement l'état de délire sacré, dans lequel entraient les prêtres de cer-
taines divinités antiques comme Cybèle. Par extension il signifie l'intolérance
passionnée en faveur ^'une croyance, 125.
Fantaisie (du latin Fantasia, Phantasia, du grec ^avrxTt'a, apparition,
image, imagination, de cpavrâî^w, se montrer, de cpai'vw, paraître) : ce mot chez
Aristote et les Scolastiques signifie tantôt image, tantôt imagination.
822 TABLE ANALYTIQUE : Fàiitaisismê — Ferison
Au xvii« siècle, il désigne l'imagination reproductrice ou combinatrice,
222-223. Autrefois, on écrivait phantaisie. — Aujourd'hui ce mot indique un
procédé d'art et de littérature, II, 401.
Fantaisisme, Fantaisiste (de Fantaisie) : le fantaisisino provient de la
rupture de la hiérarchie des facultés, II, 402-403.
Fàpesmo : mode indirect de la première figure du syllogisme, 539. —
Ceux qui le regardent comme un mode de la quatrième figure, l'appellent
Fesapo, 539.
Farges (Mgr Albert) : mécanisme de la localisation des sensations
externes, 193, 1. — Nature de l'espace, II, 504, 1.
Fatalisme (de Fatal, de fatalis, prophétique, de jatuin, prédiction, ce qui
est établi, destin, de jari, faire connaître, prédire, parler) : a) Ce mot exprinif
la doctrine suivant laquelle la destinée de chaque homme est fixée d'avance,
quoi qu'il dise ou fasse. — b) Synonyme de Déterminisme scientifique, 387-388.
— Comparaison avec le Déterminisme en général, 375-376. — Fatalisme :
1°) vulgaire, 376; 2o) panthéistique, 317 ; 3") théologique, 378.
Fatalité (de Fatal, de fatalis, de fatum, prédiction, destin) : ce, mot signifie :
a) Caractère de ce qui ne peut manquer d'arriver, quoi qu'on fasse. — b) Puis-
sance supérieure à l'homme, dont l'action se manifeste par des événements
inévitables : synonyme de fatum, 376. — c) Toute nécessité : fatalité : 1° de
Vinstinct, 106 ; 2'-^) des lois et causes de la nature, 681 ; II, 38.
Fatum (prédiction, ce qui est établi, destin, de fari, prédire) : fatum mahome-
tanum, 376.
Fausseté (de Faux, de falsum, d'où fais, faus, faux) : difformité entre la
pensée et les choses. — Fausseté logique ou erreur, 794. — Fausseté morale
ou mensonge, 795 ; II, 168. — • Fausseté ontologique 795 ; II, 475-476.
Fechner (Gustav-The(^or) : loi de Fechner, 727.
Felapton : mode de la troisième figure du syllogisme, 539.
Félida : exemple de dédoublement du moi, 151, 1 ; 428.
Féminisme (Femina, celle qui enfante, du verbe archaïque feo, produire) :
doctrine qui réclame l'extension des droits de la femme, soit au point de vue :
a) familial, II, 212 ; b) économique et social. 11, 213 ; c) politique, II, 214.
Femme (Femina) : devoirs envers son mari, II, 212.
Fénelon (François de Salignac de La Mothe) : origine des idées, 311.
— Argument des causes finales, 337 ; II, 562. — Notion d'infini, 339-340. —
Qualités d'un bon historien, 744-745. — L'homme et la Providence, 751, 3.
— Immensité de Dieu, II, 579, 1. — Science de Dieu, II, 582, 1. — Critique de
l'atomisme, II, 601, 1. — L'optimisme relatif, 647.
FÉRÉ (D"" Charles) : expérience du dynamomètre, 64, 1.
Ferguson (Adam) : philosophe et historien écossais, né à Logierait, dans
le Perthshire, en 1724, mort à Saint-Androws, en 1816, Il professa la philn-
sophie morale à l'université d'Edimbourg et publia: vg. Princi pies of moral and
political science. Institutions of moral philosophy.
Ferio : mode de la première figure du syllogisme, 539.
Ferison : mode de la troisième figure du syllogisme, 539.
TABLE ANALYTIQUE : Fcsapo — Figurc 823
Fesapo : mode de la quatrième figure du syllogisme, 539. — Port-Royal
(Logique, Part. III, Ch. viii,) appelle ce mode Fespamo, mais sans raison, car,
pour le ramener à Ferio, il n'est pas besoin, comme l'indique la lettre m, de
transposer les prémisses.
Festino : mode de la deuxième figure du syllogisme, 539.
Fiat {Que cela soit) : l'expression (Fiat lux, et facîa est lux), dont la Genèse,
C. I, V. 3, se sert pour exprimer l'acte créateur, est appliquée analogiquement
à l'acte de volonté qui met fin à la délibération et produit quelque chose de
nouveau, 358.
FicHTE (Johan^-Gottmeb) : origine de la propriété, II, 192, 8. — Idéa-
lisme absolu, II, 498. — Panthéisme, II, 604.
Fiction (Fictio, de fictum, ce qui est arrangé, supin de fingere, qui veut
dire toucher, arranger. De là on est passé au sens analogique, arranger la
vérité, feindre) : ce mot signifie : a) Construction logique, artistique, à laquelle
ne correspond pas de réalité. — b) Hypothèse imaginée pour représenter la loi
d'un phénomène. — c) Énonciation juridique, qui peut être fausse ou incertaine,
mais qui légalement est censée vraie ou certaine : vg. Is fecit oui prodest. —
Souvenir et fiction Imaginative, 204. — Imagination, faculté de concevoir
la fiction, 229-230. — Rêve et fiction, 476. — Fiction et idéal, II, 400.
Fidéisme (de Fides, confiance, croyance) : a) Doctrine de Huet, Bautain,
La Mennais, Ventura, 818 ; II, 556. La raison, incapable d'atteindre la nature
vraie des choses, n'est apte qu'à formuler les apparences. La vérité absolue
n'est accessible qu'à l'intelligence, faculté supérieure à la raison, mais à condi-
tion qu'elle s'appuie sur la révélation. — b) On donne aussi quelquefois le nom
de Fidéisme à la philosophie de Herder et à celle de Jacobi, qu'on appellerait
mieux Sentimentalisme, II, 49-50. — c) Ce terme s'oppose aussi à Rationalisme
pour signifier les doctrines qui admettent : 1°) soit des vérités de foi révélées
par Dieu, lesquelles sont, non pas contre la raison, mais au-dessus d'elle rela-
tivement à leur contenu ; elles supposent néanmoins la valeur de la raison
qui est nécessaire pour percevoir les motifs de crédibilité et le sens des propo-
sitions énoncées; — 2°) soit des vérités d'ordre naturel auxquelles l'esprit adhère
par un acte de foi. Renouvier admet un fidéisme de ce genre, 790-791.
Fidèle, Fidélité (Fidelis, Fidelitas, de iides, confiance, croyance, loyauté) :
qualité de la mémoire, 207. — Qualité de l'historien, 744 ; 744-745.
Fieri (Se faire) : les Scolastiques emploient ce mot pour signifier le
devenir : In fieri, par opposition à In facto esse.
Figuratif (de Figura, figure, de fingere, fictum, arranger) : écriture figu-
rative, 438.
Figure {Figura, forme, aspect, de fingere, arranger) : a) Géométrie : la
figure, c'est la détermination de la quantité, c'est-à-dire tout ensemble de
lignes et de surfaces. Origine des figures mathématiques, 629; 630. — b) Logique :
figures du syllogisme, 536. — Trois figures seulement, 537. — Règles particu-
lières à chaque figure, 544. — c) Scolastiques : ilsdonnaientaumot/'t^Mre le sens
que nous donnons au mot Forme : vg. ils discutaient sur la figure de la terre ;
ils disaient la figure d'un chapeau. Le mot Forme était réservé pour exprimer
le principe d'unité des êtres ; vg. l'âme est la forme du corps. — d)Liuérature :
il s'emploie dans un sens symbolique, tropique, vg. Figures de rhétorique.
824 TABLE ANALYTIQUE : Fin — FlourcDS (Pierre)
Fin (de Finem, borne, limite, cessation, achèvement, terme, but) : ce mot
s^oppose notamment : a) à Commencement : limite d'un objet dans l'espace,
vg. fm de cette ligne. — Cessation d'un phénomène dans le temps, vg. je ferme
les yeux pour ne plus voir telle chose. — b) k Moyen : vg. le terme d'un voyage
détermine le chemin (= moyen) à prendre pour l'atteindre. — Définition :
ce pour quoi une chose est faite, 324 ; 332. — Espèces de fins, 332-333 ; II, 488-
489. — Rapports avec la cause efficiente, 333. — Origine de la notion de fin,
149 ; 333-334. — Utilité des caiises finales ; objections, 335-338. — La fin ne
justifie pas les moyens, II, 32-33. — Fin en soi : c'est, d'après Kant, une fin
objective, nécessaire, absolue, II, 98 ; 101. — Règne ou répubUque des fins :
ce que Kant entend par là, II, 98. — Argument des causes finales, II, 561.
Final (Finalis, de -finis, borne, terme) : ce mot s'oppose : a) à Initial :
vg. terme final des opérations intellectuelles, 237 ; 345. — b) k Efficient : vg.
cause finale, 333. — Utilité des causes finales, 335. — Argument des causes
finales, II, 561.
Finalisme (de Finalis, de finis, fin) : système où l'explication par les causes
finales a un rôle prépondérant.
Finalité (du latin scolas tique Finalitas, de finalis, finis, fin) : a) C'est le
caractère de ce qui tend à un but. — b) C'est la causalité de la fin, 332. — On
distingue la finalité externe et interne, 333 ; 336. ■ — Finalité sans fin, caractère
du beau, II, 380. ■ — Finalité immanente : celle qui résulte de la nature et du
développement de l'être même qui présente cette finalité : vg. adaptation
spontanée de l'être vivant à son milieu.
Finalité (Principe de) : tout se fait en vue d'une fin, 290 ; 334. — Formules
diverses : Aristote, Bossuet, Reid, Janet. 334-335. — Origine, 335. —
Application aux sciences, 337-338. — Comparaison avec le principe de causa-
lité, 338.
Fini (de Finir, de finire, borner, achever) : un nombre entier, qui peut
s'obtenir par l'addition de l'unité à elle-même, est dit un nombre fini. — Une
grandeur, qui est mesurable, relativement à une grandeur de même espèce,
par un nombre réel fini, est dite finie. — Définition : ce qui est limité, 339. —
La notion de fini est logiquement antérieure à celle d'infini, 342. — S'oppose
à Infini.
Fixe (Fixus, participe passé de figere, fixum, attacher, fixer) : idée fixe,
428 ; 488.
Fixer (de Fixe] : le langage fixe la pensée, 450-451.
Fixisme, Fixité (de Fixe) : fixité de l'instinct, 105. — Fixité de l'espèce,
GIS. — Le Fixisme est le système qui soutient la fixité des espèces. S'oppose
à Éi'olutionnisme.
Flexibilité {Flexibilitas, de flexibilis, de fiexum, supin de flectere, courber,
fiéchir) : flexibilité de la nature, 699.
Flexionnel (de Flexion, de flexio, courbure, flexion, de fiexum, supin de
fiectere, fléchir) : langues flexionnelles, 456.
Flottant (de Flotter, du latin populaire, flottare, dont l'existence paraît très
vraisemblable) : dette flottante, II, 361.
Flourens (Pierre) : l'homme seul réfléchit, 493. — Antitransformiste,
II, 622. — Expériences psycho-physiologiques, 728.
TABLE ANALYTIQUE : Foi — Formalismc 825
Foi (de Fidem, d'où feid, feit, fei, foi) : a) Sincérité '. vg. bonne foi des
témoins, 738. — Z>) Adhésion ferme de l'esprit reposant sur un témoignage dont
l'autorité est évidente. — Foi au témoignage, 735-737. — Science et foi,
791-793.
Folie (de Fol, fou, de Follem, soufflet, grimace qui consiste à enfler les
joues comme un soufflet) : perte partielle ou totale de la raison. — Formes
diverses et causes, 488-489.
Fonction (Functio, de functum, supin de fungi, s'acquitter de) : a) Sens
général : rôle joué par une partie dans un tout dont les diverses parties sont
dépendantes et subordonnées. — ■ b) Sens biologique, 37 ; 701 — c) Sens psycho-
logique, 134-1 36. — d) Sens mathématique, 627. — e) Sens social : toute profession
en tant qu'elle contribue à la vie de la société : vg. Fonctions de l'Etat, 11,247.
Fonction de la propriété, II, 193.
Fonctionnarisme (de Fonctionnaire) : ses inconvénients, II, 251-252.
Fondement [Fundamentum, de jundare, asseoir solidement, de fundus,
fond) : ce mot, emprunté à l'architecture, s'emploie analogiquement dans
le sens de principe, cause, condition ; vg. Fondement de l'induction, 700. —
Fondement de la morale : vg. le plaisir pour les Hédonistes, II, 48. — Fon-
dement de la distinction du bien et du mal, II, 106-107. — Fondement de
l'obligation, II, 107. — Fondement du droit, II, 132. — Fondement des devoirs
personnels, II, 153. — Fondement du droit de punir, II, 267-269. — P'ondement
du droit de propriété, II, 189-192. — L'universel est iundamentaliter in re,
256-257.
Fongible ( du latin juridique fungibilis, de fungi, s'acquitter de) : choses
fongibles, se consommant par l'usage qu'on en fait, II, 356.
FoNSEGRivE (Georges) : nature de l'instinct, 112, 1. — Nature de la per-
ception extérieure, 177, 1. — • Loi dynamique des images, 234. — Le principe
de la conservation de l'énergie et la liberté, 389, 2. — Origine des notions
mathématiques, 630, 2. — Jugement sur Bacon, 670, 2 ; 671, 2, 3. — Dilemme
de Lequier, II, 439-441.
FoNTENELLE (BERNARD Le Bovier de) : l'instinct n'est pas un mécanisme,
108. — Réminiscence, 201, 1. — Les anciens, 657, 1. — Calcul de l'intérêt,
II, 53.
For (vieux mot signifiant tribunal, juridiction, du latin forum, place pour
les affaires, les marchés. Cf. /o/-t>,/oras, dehors) : a) Intérieur : tribunal, jugement
delà conscience, II, 16-17. — b) Extérieur : tribunal, jugement de la loi, de
l'opinion publique.
Force (du bas latin Fortia, pluriel neutre de fortis, fort, pris substanti-
vement comme féminin singulier) : signifie : a) Intensité : vg. la force du
sentiment. — b) Contrainte, nécessité physique : céder à la force, II, 116. —
c) Principe d'action : les idées-forces, 233, 1 ; les forces physiques, 175-1^6. —
Comparaison avec substance et cause, 150. — Vertu de force, II, 130 ; 159. —
Le droit et la force, II, 132-133 ; 230-232.
Forces physiques : hj'-pothèse de l'unité des forces physiques, 055, 2.
Fori (Idola) : préjugés du vulgaire, cause d'erreurs (Bacon), 806.
Formalisme (de Formalis, relatif à la forme) : importance attribuée au
point de vue formel, qui va jusqu'à nier ou du moins à diminuer l'élément
826 TABLE ANALYTIQUE : Formalité — Foule
matériel ; vg. a] Formalisme moral : morale formelle de Kant, II, 96-97 ; 434. —
b) Formalisme esthétique : théorie de l'art pour l'art et doctrine de la difficulté
vaincue, II, 410. — • Par extension ce mot s'applique à la pensée et au raison-
nement qui dégénèrent en mécanisme verbal, 279 ; 843.
Formalité : s'emploie comme traduction du latin scolastique Fornialitas,
qui indique le point de vue auquel on envisage une réalité ; vg. on peut consi-
dérer dans la réalité homme les formalités animalité, rationalité, 253.
Forme (Forma), de la même famille que firmus, frétas, dont l'idée commune
est tenir, maintenir) : signifie : a) Forme d'une opération de l'esprit ; c'est le
rapport existant entre les termes de cette opération, abstraction faite de ce
que ces termes sont en eux-mêmes : vg. forme du syllogisme, syllogisme en
forme. S'oppose à matière, qui est constituée par ces termes considérés en eux-
mêmes dans leur sens propre, 536 ; 561. — è) Au sens péripatéticien et scolas-
tique, c'est ce qui détermine la matière : cause formelle, 324 ; II, 488 ; 516.
Formel, Formellement (Formalis, relatif à la forme) : ces termes s'emploient
dans le sens d^ actuel, de déterminé, de spécifique. Ils s'opposent à Matériel,
à Matériellement. L'objet formel d'une science ou d'une faculté c'est l'objet
envisagé du point de vue auquel se place cette science ou cette faculté. L'objet
matériel c'est l'objet tout entier. Exemples : Dieu est l'objet matériel qu'étu-
dient la Théodicée et la Théologie proprement dite. En tant que Dieu est étudié
par les seules lumières de la raison, il est l'objet formel de la Théodicée ; en
tant qu'il est. étudié avec l'aide de la raison et de la révélation, il est l'objet
formel de la Théologie. Les sens ont pour objet matériel les phénomènes sen-
sibles ; l'objet formel : de la vue, c'est la lumière ; de l'ouïe, c'est le son, etc. —
Cause formelle, 324 ; II, 488 ; 515. — Logique formelle, lois formelles de la
pensée, 508. — Morale formelle, II, 96 ; 434. — Éducation formelle : celle qui
se préoccupe de donner à l'esprit une culture générale, avant de le spécialiser
ou de le remplir de connaissances trop particulières, 413. — Formel s'emploie
encore dans le sens d'explicite, d'exprès, par opposition à implicite, à tacite.
Formes a priori : de la sensibilité, de l'entendement, d'après Kant, 314 ;
II, 431-432.
Formes de Gouvernement : formes diverses, II, 232. — Infériorité des
formes à l'état pur, II, 233. — Supériorité des formes à l'état mixte, II, 235.
Formule {Formula, diminutif de forma, petite forme, grâce des formes,
arrangement, règle, loi) : signifie : a) Une proposition précise qui condense en
peu de mots une idée importante ; vg. Formules : du principe de causalité,
330 ; du principe de finalité, 334-335. — b) Un énoncé précis indiquant la règle
à suivre pour réussir telle ou telle opération ; c'est dans ce sens qu'on dit :
formulaire pharmaceutique.
Fortuit (Fortuitus, de fors, hasard) : voir Hasard.
Fortune (Fortuna, de fors, hasard, dérivé de fero, porter) : synonyme de
hasard. Voir ce mot. — Synonyme de richesse, II, 352.
Fouillée (Alfred) : les idées forces, 233, 1. — Interprétation des idées
de Platon, 257, 2. — Principe d'universelle intelligibilité, 289. — Influence
de la volonté sur le caractère, 406, 1. — Théorie des phénomènes reflets,
472, 2. — Limites à la liberté de la presse, II, 184, 1.
Foule (substantif verbal de Fouler, dérivé du latin populaire fullare, fouler,
qui vient du radical de fullonem, foulon) : on a étudié la psychologie des foules ;
TABLE ANALYTIQUE : FoutieF (Charles) — Gallican 827
vg. l'emballement des foules provient de la sympathie par contagion, 87 ;
95-96. — Le D' Lebon appelle joule psychologique une réunion de personnes
susceptibles de réactions psychologiques communes.
■ FouRiER (Charles) : valeur des passions, 118. — Morale du plaisir, II,
48, 2.
Fouriérisme : Système philosophique et social de Fourier.
France (Raoul) : monisme psychologique, II, 442-443.
Franklin (Benjamin) : hypothèse explicative de la foudre, 232 ; 656 , 4 ;
658.
Fraternel, Fraternité {Fratemus, Fratemitas, de f rater, frère, dont le sens
primitif semble celui de protecteur, de la racine bhar, soutenir) : amour fraternel,
91 ; II, 217. — Charité fraternelle, II, 163 ; 181.
Frédéric le Grand : condamne le duel, II, 168,1.
Freppel (Mgr Emile) : limites de l'intervention de l'État, II, 371-372.
Fresisonorum : mode de la quatrième figure du syllogisme, 539.
Frisesonorum : mode indirect de la première figure, 539.
Fulguration {Fulguratio, de fulguratum, supin de fulgurare, faire des
éclairs, de fulgere, briller) : mot dont se sert Leibniz pour exprimer le mode
de création des Monades. Cf. Monadologie, § 47.
Futur [Futurus, de Fuo, je suis) : ce qui doit arriver. — On nomme Futurs
absolus ou inconditionnels ceux qui arriveront certainement, qu'ils proviennent
d'une cause fatale ou libre, II, 582 ; 583-584. Les Scolastiques appellent
contingents (de contingens, participe présent de contingere, échoir, arriver) les
futurs libres, c'est-à-dire dépendants de la volonté de Dieu ou des hommes,
qui seront certainement réalisés un jour, II, 582 ; 583-584. Cf. Leibniz, Essais
de Théodicée, Part. I, §§, 36, 45. — Futur conditionnel on futurihle. Voir Futu-
rible.
Futurible (du latin scolastique Futuribilis, ce qui peut arriver, de futurus) :
événement qui arriverait si telle condition était posée, mais qui, en fait,
n'arrivera pas, parce qu'elle ne le sera point, II, 582 ; 583-584. — Comment
Dieu connaît-il les futuribles ou futurs conditionnels ? Réponses : a) de Ban es,
II, 586-590 ; b) de Leibniz, II, 590-591 ; <•) de Suarez, II, 591-593 ; d) de
Bellarmin, II, 593-595.
Galileo Galileî : autorité des anciens, 814. — Savant et croyant, II, 447-448.
Gall (P'ranz-Josef) : déterminisme physiologique, 391, 1.
Gallican, Gallicanisme (Gallicanus, de Gallus, Gaulois) : il faut distinguer
le Gallicanisme : 1°) Politique et parlementaire : c'est le Césarisme régalien des
légistes appliqué aux rapports de l'Eglise et de l'Etat : il consiste à soustraire
le plus possible l'Etat au contrôle de l'Eglise. — 2°) Théologique et ecclésiastique :
il s'attaque à la constitution de l'Eglise en proclamant la suprématie du
Concile sur le Pape. Cf. Audisio, Droit public de VEglise. — Thèse des juristes
ou théologiens gallicans sur l'origine du pouvoir, II, 229-230. — Tendance à
asservir l'Eglise, II, 337. — Déclaration de 1 682, II, 342.
828 TABLE ANALYTIQUE : Garantisme — Génétique
Garantisme (de Garantie) : système social de Fourier, dans lequel la mutua-
lité et la coopération sont les principaux facteurs de la civilisation.
Garnier (Adolphe) : classification des facultés, 46. — Perception intui-
tive, 164, 2. — Production et interprétation des signes, 436, 2. — Origine du
langage, 444, 5. — Songes de Descartes, 476, 4.
Garnier (Joseph), les lois naturelles en Économie politique, II, 369, 2.
Gassendi (Pierre) : empreintes cérébrales, 196, 2. — Nature de l'espace
et du temps, II, 502. — Atomisme, II, 507-508.
Gaudry (Albert) : nie la géologie des cataclysmes, II, 615, 1. — Nécessité
de recourir à une cause première, II, 622, 2. — Transformiste modéré, II, 622.
Gaunilon : combat l'argument ontologique, II, 571, 10.
Généalogique (de Généalogie, de Genealogia, PeveaXoYi'a, de ysvîa, nais-
sance ; Xiyw, recueillir) : classification généalogique des langues, 460.
Général (Generalis, de genus, naissance, race, genre) : a) Sens strict chez
les ScoLASTiQUES : ce qui représente toute uneclassed'êtres, 259. — b)Senslarge:
ce qui convient à la majeure partie des individus d'une classe. — Formation
de l'idée générale, 249. — ■ Propriétés, .250. — ■ Hiérarchie des idées générales,
251. — Division, 252. — Problème des idées générales, 254. — Comparaison
avec les autres sortes d'idées, 258. — Antériorité de l'idée générale ? 260. —
L'idée générale et l'image, 261-262 ; 263. — La science se ramène à des idées
générales, 578-579 ; 687-688. — Science du général, 581-582 ; 582-583.
Généralisation (de Généraliser) : a) Sens strict : opération par laquelle on
réunit sous un concept unique des caractères communs à plusieurs objets
singuliers, 249. — b) Sens large : opération par laquelle on étend à toute une
classe une observation faite sur un certain nombre d'individus de cette classe,
648 ; 673. — Formation de l'idée générale, 249. — Avantages et abus de la
généralisation, 257. — Généralisation de l'expérience par l'induction, 673. —
Générahsation appliquée aux sciences naturelles, 687-688, — Fondement
de la généralisation, 700. — • Induction et généralisation, 704.
Génératianisme : voir Traducianisme.
Génération [Generatio, de generatum, supin de generare, engendrer, de
genus, naissance) : Generatio unius est corruptio alterius. Cet axiome scolastique
signifie que la matière première n'acquiert une nouvelle forme qu'en perdant
la précédente, II, 517.
Générations spontanées : expérience de Pasteur, 669, 3. — Leur répu-
gnance, II, 526.
Générique (Genericus, de genus, naissance, race, genre) : qui appartient
à la compréhension du genre. S'oppose à Spécifique, 252-253. — L'image géné-
rique c'est l'image composite, 249 ; 254.
Genèse (Genesis, ■^vn'ji:,, force productrice, origine) : ce mot s'emploie
dans le sens : a) de Production, le devenir : étudier la genèse d'un être ou d'une
institution, c'est examiner comment cet être ou cette institution sont devenus
ce qu'ils sont actuellement. — b) d'Origine : vg. genèse d'une idée.
Génétique (Tewr^Tixô;, qui engendre, qui produit, de yswaw, engendrer) :
définition génétique, 524. — Classification génétique : qui classe les objets
d'après l'ordre de leur genèse ou production ou suivant la diversité des causes
productrices.
TABLE ANALYTIQUE : Génie — Gnosc 829
Génie (Genius, dieu tutélaire qui veille sur la nature humaine, du verbe
archaïque geno, produire. Cf. gigno, engendrer, ingenium, qualité naturelle) :
ce mot signifie : a) La nature, le fond d'un être. — 6) Dons natifs et éminents de
l'esprit, II, 405. — L,e génie n'est pas une névrose, 226, 1. — Génie artistique,
230-231. — Génie scientifique, 231-232. — L'attention et le génie, 231 ; 241.
Genre [Genus, generis, naissance, race, espèce, genre, de l'archaïque geno,
produire. Cf. ys'voç, naissance) : a) en Logique : l'un des universaux, 252 :
b) en Biologie : subdivision de Famille, 696.
Gens (au singulier Gcnt, de gentem, race, famille, nation, de gigno, genitum,
engendrer, de l'archaïque geno, avec redoublement. Cf. ys'voç, naissance, race,
yt'-yvo-aat, devenir, naître) : droit des gens, II, 311-312.
Géocentrique (de l\ terre; xévrpov, centre) : système de Ptolémée, qui
fait de la terre le centre de l'univers.
Geoffroy-Saint-Hilaire (Etienne) : génie synthétique, 617. — Principe
des connexions organiques, 701.
Géographie [Geographia, réoypa'fia, de yî], terre; ypa-^ct'v, décrire);
a) Physique : science de la description de la terre, 593. — b) Politique '.science de
la description des États, 594.
Géologie (de l\ terre ; AÔyo;^ discours) : science de la structure de la terre
considérée dans sa genèse, 593.
Géométrie [Geometria, reio[xeTpia, de y^ , terre, [xetgsTv, mesurer) :
science de l'espace ou de l'étendue figurée, 592 ; 625-626.
George (Henry) : nationalisation du sol, II, 200, 2.
Gerson (Jean) : tendance nominaliste, 254,
Gide (Charles) : répartition des produits du travail collectif, II, 202, 1.
— Le Goopératisme, II, 203. — Admet une plus grande intervention de l'Etat
que l'Ecole libérale, II, 369, 5. — Tendances du Syndicalisme, II, 202-203.
Gioberti (Vincenzo) : partisan de l'Ontologisme, 312 ; II, 555.
GiRARDiN (M°is de) : la joie fait peur, 469.
Glande pinéale (de Glandula, de glans, glandis, tout fruit qui ressemble
au gland ; pinea, pomme de pin) : petite éminence en forme de pomme de pin
placée entre les tubercules quadrijumeaux et un peu au-dessus, — Son rôle
dans le système de Descartes, II, 545, 3.
Gloire (Gloria) : S. Augustin la définit : Clara notitia cum laude. — Gloire
extrinsècjue et intrinsèque de Dieu, II, 635-636.
Gnomique (rvwa'.xo;, en forme de sentence, de yvoVr/], jugement, pensée) ;
la philosophie gnomique, qui fut celle des sept Sages de la Grèce, procédait
par aphorismcs.
Gnose, Gnosticisme (VvôiG'.q, connaissance) : le Gnosticisme, syncrétisme
d'idées juives, de théories helléniques et de vérités chrétiennes, est la principale
hérésie des trois premiers siècles de l'Église. Le problème de l'origine du
monde et du mal est la préoccupation dominante des divers systèmes qui
divisèrent le Gnosticisme. Les Gnostiques ont encore ce trait commjin qu'ils
se prétendent en posse.ssion d'une science ésolérique dont ils proclameiil la
supériorité en l'appelant la connaissance par excellence, la Gnose. — Cf.
Dictionnaire Apologétique de la Foi catholique, (A. D'ALÈs),art. Gnose.
830 TABLE ANALYTIQUE : Gnoséologic — Gîatry (Père A.-J.-A)
Gnoséologie (de Tvioui;, connaissance ; Ào-'o;, discours) : théorie de la
connaissance, 134-353
Goethe ( Johann-Wolfgang) : svmbolisme de la nature, 435. — Iphigénie
II, 399.
Gonet (Père Jean-Baptiste) : la prémotion physique, II, 587, 3.
Gorgias : origine du juste et de l'injuste, II, 22, 2. — ■ Morale du plaisir,
II, 48. — Indifférence pour la vérité, II, 421.
Goût (ancien français Gost, goust, de gustum, delà racine gus, qui signifie
essayer) : sensation du goût, 74. — L'un des cinq sens, 157 ; 184 ; 185. — Goût
esthétique : a) Nature 230 ; 286 ; II, 406. — b) Unité, II, 407.
Gouvernants, Gouvernés : droits et devoirs, II, 265 ; 274.
Gouvernement (de Gouverner, de guhernare] : ensemble des pouvoirs qui
représentent l'État. — Formes diverses, II, 232. — Gouvernement de l'ait,
II, 230. — Droits et devoirs du gouvernement, II, 265. — Voir Autorité, État.
Grâce (Gratia, charme, obligeance, faveur), Gracieux (Gratiosus, plaisant,
agréable) : a) Grâce a le sens de faveur accordôe par pure bienveillance, II, 120,
— h) SigniHe encore qualité esthétique des mouvements, des attitudes, des formes.
II, 388. — Le gracieux, le joli et le beau, II, 388-389. — Accorder une chose
à titre gracieux, c'est l'accorder bénévolement, sans qu'elle soit due, ou qu'elle
impose aucune charge. S'oppose à Onéreux.
Gradation {Gradatio, de gradus, pas, marche) : on a appelé gradation
l'argument sophistique du sorite, à la manière d'ÉuBULiDE, 548, 1. On peut
appliquer ce terme à tout ce qui offre une transition graduelle.
Graduation [Graduer, du latin scolastique graduarc ; de gradus, pas, gradin,
degré) : pour déterminer le rapport de la sensation à l'excitation qui la cause,
WuNDT emploie la Méthode des graduations moyennes, qui consiste, deux sen-
sations d'intensité différente étant données, à trouver une sensation dont
l'intensité soit moyenne.
Grammaire {Grammatica, vpaaaaTr/rj, qui concerne l'art d'écrire ou de lire,
de ypaijLaa, caractère d'écriture ; sous-entendu fî'/.vfi, art) : science des règles
du langage. — Grammaire particulière, comparée, générale, 2 ; 463-464.
Grand terme : c'est Vattribut de la conclusion dans un syllogisme, 536.
Grandeur (de Grand, de grandem) : science de la grandeur, 625. — Grandeur,
élément du beau, II, 382.
Grands mots : leurs dangers, 454-455.
Graphique (Tpa^cxo;, relatif à l'action d'écrire, de yça'-poj, écrire) : la
méthode ou représerltation graphique consiste à figurer des relations abstraites
par un tracé linéaire ; vg. représentations des syllogismes, 557.
Graphologie (de l^çâfti^, écrire, y^oyoç, discours) : science de l'écriture, qui
consiste à l'interpréter comme signe des caractères et des états psychologiques.
Grasset (D' Joseph) : le génie n'est pas une névrose, 226, 1.
Gratiolet (Louis-Pierre) : expression des émotions, 437, 2. *
Gratry (Père Auguste-Joseph-Alphonse) : liberté humaine et science
divine, 380-381.
TABLE ANALYTIQUE : Gratuit — Haeccéité 831
"^ Gratuit {Graluitus, de gratis, gmtuitement, de gratia, faveur) : ce qui ne
coûte rien. — Disposer d'un bien à titre gratuit, II, 197. — ■ Instruction gra-
tuite, II, 259. — S'oppose à Onéreux.
Grégoire de Nysse (Saint) : origine du langage, 441, 2.
Gresset (Jean-Baptiste-Louis) : l'esprit, II, 406.
Grève (du latin populaire Grava, d'origine celtique. Grève signifie terre
au bord de la mer ; par analogie on a dit place de Grève, au bord de la Seine,
cil des ouvriers sans travail se donnaient rendez-vous) : conditions de la légi-
timité d'une grève, II, 360.
Grote (George) : loi de quantité du plaisir, 62.
Grotius (nom latinisé de Hugo van Groot) : fondement du droit de pro-
priété, II, 192, 1.
Guerre (de l'ancien haut allemand werra, dispute) : nature de la guerre,
II, 269. — Conditions de sa légitimité, II, 270. — Responsabilité dans la
guerre, II, 273.
Guesde (Jules) : marxiste, II, 200.
GuiBERT (Abbé Joseph) : arguments des transformistes, II, 615-617.
Guillaume de Champeaux : réalisme exagéré, 255.
GuizoT (François-Pierre-Guillaume) : l'idée de Dieu et la loi morale,
II, 121.
GuNTHER (Anton) : vitalisme, II, 527.
Gustatif (de Gustatum, supin de gustare, goûter) : sensation gustative, 471, 1-
GuYAu (Marie-Jean) : morale indépendante, II, 7, 6. — Réfutation de
l'activité de jeu, II, 380, 4.
Gymnosophistes (de Fuixvd;, nu ; «rocpcTT/iç, tout homme qui excelle dans
un art) : on nomme ainsi des Sages indiens qui vivaient presque nus et faisaient
profession d'austérité.
Habitude [Hahitudo, forme extérieure, tenue, de habitum, supin de habere,
tenir, avoir) : sens psychologique : tendance acquise à conserver ou à reproduire
les états ou actes antérieurs, 416. — Forme de l'activité, 355. — Cause dr
l'habitude, 416. — Ses conditions, 416-417. — Habitude active ou passive,
générale ou particulière, 417. — Effets de l'habitude, 418. — Ses lois, 419. —
Nature de l'habitude : phénomène passif ou actif ? 421. — Son domaine, 422.
— Bienfaits et services, 424. — Inconvénients et dangers, 424-425. — L'habi-
tude et la liberté, 392 ; 425. — L'habitude et l'instinct, 426. — L'habitude
et la mémoire, 196-199. — [^'habitude et l'association, 215. — L'habitude et
la vertu, 425 ; II, 126-128 ; 128-129.
Habitus (de Habitas, manière d'être) : l'une des catégories d'Aristote :
c'est l'accident qui résulte de la superposition de deux substances, 296 ; 517 ;
II, 486.
Haeccéité (du latin scolastique Haecceitas) : voir Eccéité.
832 TABLE ANALYTIQUE : Hacckel — Héautonomie
Haeckel (Ernst) : Monisme, II, 626.
Haine (pour haine, de haïr, du terme germanique hatan ou hat/an) : incli-
nation à vouloir le mal des autres, 94. — Passion d'éloigner de nous quelque
chose, 122.
Hallucination [Hallucinatio, de hallucinatum, supin de hallucinari, diva-
guer) : perception extérieure sans objet. Théorie de l'hallucination vraie
(Stuart Mill, Taine, Rabier), 171. — État anormal de l'imagination, 225.
— Nature et explication de l'hallucination, 487. — Comparaison avec le rêve
et l'illusion, 226 ; 487-488.
Hamelin (Octave) : pampsychisme, II, 443 ; 4
i%,
Hamiuon (William) : le plaisir est un fait positif, 58, 6. — Lois fonda-
mentales du plaisir, 62-64. — Raison inverse des éléments affectif et repré-
sentatif, 73 ; 74. — Limites de la conscience, 146-147. — Sensation et per-
ception, 159. — Théorie de la perception intuitive, 164. — Définition de la
mémoire, 202, 1. — Associations latentes, 212-213, 1, — Notion de l'absolu,
340-341. — Objection contre les règles de la conversion, 534-535. -7- Quanti-
fication du prédicat, 551, 1. — Services rendus par les Scolastiques aux
langues modernes, 843, 1. — Relativité de la connaissance, II, 427-428.
Harmonie [Harmonia, afi/.&via, ajustement, proportion, de àptAoi^siv,
ajuster) : a) Ce mot, en général, implique une idée de finalité, d'ordre organique,
qui consiste en ce que les diverses parties d'un être ou d'un ensemble conspirent
à un même effet ; vg. l'harmonie de l'univers, II, 561-562. — C'est un élément
du beau, II, 382-383. — b) Harmonie préétablie (Leibniz), II, 547.
Hartley (David) : persistance des mouvements vibratoires, accompa-
gnant les sensations, 197.
Hartmann (Eduard von) : l'inconscient, 142, 3. — Pessimisme relatif,
II, 649.
Hasard (d'une sorte de jeux de dés, en arabe a/-sâr; ou, d'après Guillaume
DE Tyr, du nom d'un château de Palestine ElAzar, où l'on trouva un jeu de
dés) : hasards de l'expérience, 662. — Hasard dans la méthode des coïncidences
constantes, 667. — L'ordre du monde est-il effet du hasard ? II, 562 ; 601,1. —
L'idée de hasard implique un effet que l'homme ne peut prévoir. Mais il n'y
a pas de hasard absolu, parce qu'il n'y a pas d'effet sans cause. Le hasard se
dit relativement à l'imperfection des intelligences créées, qui ne connaissent
pas toutes les causes. Mais pour Dieu, intelligence et toute-puissance infinies,
il n'y a pas de hasard, car tout est connu et ordonné par lui. « Ce qui est hasard
à l'égard des hommes est dessein à l'égard de Dieu» (Bossu et, Politique tirée
des propres paroles de V Écriture Sainte, L. V, Art. m. Propos. I). — Lacordaire
a dit du hasard que « c'est Dieu voulant garder l'incognito ». — On l'appelle
fortune, quand il s'applique aux créatures libres.
Hauser (Gaspard) : mis au séquestre, 725.
Havet (Ernest) : repousse a priori le miracle, 739, 3.
Héautognosie (de 'EauToii, de soi-même ; yvwci;, connaissance) : connais-
sance de soi-même par la conscience réfléchie, 137.
Héautonomie (de 'Eocut&ïï, de soi-même ; vo;j.o;, loi) : Kant appelle ainsi
la loi soit 'Il laquelle l'esprit s'impose à lui-même la conception des choses ;
c'est une condition de la possibilité de la science, II, 432.
TABLE ANALYTIQUE : Hédoiiisme — Hermétique 833
Hédonisme (de 'USovvi, plaisir) : doctrine qui donne la reclierche du plaisir
comme le principe de la morale. — Valeur des passions, 118. — Morale de
l'École Cyrénaïque, II, 48.
Hédonistique ('lloovtxoç, relatif au plaisir, de -ioov-/], plaisir) : principe
hédonistique : ' L'homme cherche toujours à se procurer le maximum de
satisfaction avec le minimum de peine, » II, 51-52. Il rentre dans le Principe
du moindre effort.
Hegel (Georg-Wilhelm-Friedrich) : méthode en philosophie, 7-8. —
Déflnition du beau, II, 381, 6. ^ Preuve ontologique, II, 571, 7. — Panthéisme,
II, 605-607 ; 607-610.
Hégélianisme : système philosophique de Hegel. Voir ce nom.
Hégésias ('nyr,ataç, de rjyéofjLat, conduire) : disciple d'ARisTiPPE, II, 49.
Heinecke, Heineccius (Johann) : fondement du droit de propriété,
II, 192, 3.
Héliocentrique (de "H)vtoç, soleil ; xsvTpov, centre d'une circonférence) :
système de Copernic qui fait du soleil le centre du système planétaire.
Hellénisme ( 'EÀXrjv.cao;, de ''EXayiv, Grec) : ce mot indique l'ensemble de la
philosophie et de la littérature grecques et leur influence sur la civilisation.
Helmholtz (Hermann-Ltjdwig-Ferdinand von) : l'hypothèse, 231.
Helvétius (Claude-Adrien) : origine de la conscience morale, II, 21, 2.
— Matérialisme, II, 540.
Hénothéisme (de Etç, l'vo;, un ; Qioc^, Dieu) : culte d'un seul Dieu.
Herbart (Johann-Friedrigh) : méthode de la psychologie, 31.
Herder (Johann-Gottfried von) : philosophie de l'histoire, 749, 4. —
La satisfaction morale, II, 49.
Héréditaire [Hereditarius, de hereditas, héritage) : voir Hérédité.
Héréditarisme (de Héréditaire) : origine des idées d'après Spencer, 306.
Hérédité {Hereditas, héritage, de hères, héritier) : reproduction, chez les
descendants, du type spécifique et de certains caractères individuels de leurs
ascendants. — L'hérédité et l'origine des inclinations, 101-102. — Hérédité
et instinct, 110-111. — L'hérédité et les passions, 115. — L'hérédité et les
notions premières, 306-307. — L'hérédité et le tempérament, 391-392. — L'héré-
dité et le caractère, 398 ; 405 ; 406. — Persistance du type, 703. — Hérédité
du pouvoir, II, 247. — L'hérédité et le transformisme, II, 614.
Hérile {Herilis, de herus, maître) : société hérile, II, 217.
Héritage (de Hériter, de hereditare, hériter) : droit de le transmettre
II, 197 ; 197-198.
Herméneutique (1') ('EpaTqvsuTtx-^, qui concernerinterprétation,deépy.r,v£Jw,
faire connaître, interpréter ; sous-entendu, T£/,vr,, art) : l'art d'interpréter
les textes philosophiques ou religieux.
Hermétique (de 'Eou-Tiç, Hermès, Mercure égyptien) : la philnsophie hermé-
tique se dit des doctrines consacrées à Mercure Trismégiste (Tpi;, trois fois ;
aiviuToç, très grand), qui passaient pour renfermer les traditions de l'ancienne
Egypte.
834 TABLE ANALYTIQUE : Hermétismc — Historisme
Hermétisme (de Hermès) : doctrine occulte chez les Égyptiens. Ce mot est
appliqué, par extension, à l'alchimie, à la magie, à l'occultisme.
Héroïsme (de Héros, de héros, r^poiç) : forme supérieure de la charité, II, 163.
— Inclination altruiste^ 94. — Il n'est pas obligatoire en général, II, 109 ; 112.
Herschel (Friedrich-Wilhelm) : précision numérique, 652, 2. — Étude
des résidus, 670, 1.
Hétérogène ( 'ETzpoyzvq;, de i'Tîpoç, autre : 'fi-^oç, naissance, race, genre) :
de nature difîérente. — Motifs hétérogènes, 396, 2. — S'oppose à Homogène.
Hétérogénie (de Hétérogène) : thèse évolutionniste d'après laquelle l'orga-
nique provient de l'inorganique, II, 631-632.
Hétéronomie (de "Ezb^o;, autre; vofxo;, loi) : condition de celui qui reçoit
du dehors la loi à laquelle il se soumet. — Hétéronomie de la volonté d'après
Kant, II, 97 ; 100-101. — S'oppose à Autonomie.
Heuristique (de 'Eupicxoi, découvrir): ce qui sert à découvrir quelque chose.
— En Histoire : l'Euristique est la recherche des documents,
^- Hiérarchie [Hierarchia, lepap/ia, de isço-r, sacré ; ap/eiv, commander) :
ce terme, d'origine ecclésiastique (Cf. Pseudo-Denys l'Aréopagite), signifie :
Ordre de subordination des chœurs célestes, des anges ; puis, par extension,
des divers degrés de l'état ecclésiastique. Il a été appliqué, par analogie, aux
choses profanes. — Hiérarchie : a) des êtres vivants, 48-49 ; b) des sens, 185 ;
c) des idées générales, 251 ; d) des sciences, 595 ; e) des fonctions organiques,
701 ; /) des lois, II, 41. — Hiérarchie sociale, qui résulte de la subordination
des divers éléments qui composent une société organisée, 753. — Hiérarchie
de l'Église, II, 336.
Hiérarchisation (de Hiérarchie) : hiérarchisation des caractères essentiels
dans les sciences naturelles, 691-692.
Hiéroglyphique [Hieroglyphicus, upoyXuaity.o;, de tepoç, sacré ; -{kû'Sjin, tailler,
graver) : écriture hiéroglyphique, 439. Les hiéroglyphes sont les caractères de
l'écriture des anciens Egyptiens.
Hippias ('iTiTri'aç) : sophiste, II, 421.
Histoire (Historia, 'la-ropt'a, recherche, information ; puis, relation de ce
qu'on a appris ; de iTTopstv, s'informer) : sens général : connaissance des
états par lesquels a passé un objet quelconque : un peuple, une institution,
une espèce vivante, une science, une langue, etc. — Sa place dans les sciences,
3 ; 594. — Méthode des sciences historiques, 734. — Critique historique :
a) traditions, 740 ; h) monuments, 740 ; c) écrits, 741. — Histoire, œuvre de
science et d'art, 742-743. — Écoles historiques, 744. — Qualités de l'historien,
744. — Certitude historique, 745. — Rôle de l'induction et de la déduction
en histoire, 746. — L'histoire et les sciences morales, 747. — Synthèse méta-
physique de l'histoire, 748. — Philosophie de l'histoire ou science sociale en
général, 752. — Nature des lois historiques, 753. — Source d'information pour
la psychologie, 723.
Histologie (de 'Itto?, tissu ; Xoyoç, discours) : partie de V Anatomie, qui traite
des tissus organiques. — Le mot Histologismc est parfois employé dans le sens
d'Organicif^me, II, 525.
Historisme (de Histoire) : tendance qui consiste à regarder les faits juri-
diques, linguistiques, moraux comme la résultante du travail inconscient de
TABLE ANALYTIQUE : Hobbcs (Thomas) ~ Hulst (Mgr d') 835
la collectivité : de là, poup^omprendre cette production collective, la nécessité
de la replacer dans son milieu historique. En Allemagne, Fr.-K. von Savigny
a été au xix*' siècle le représentant le plus en vue de cette tendance trop
exclusive.
HoBBEs (Thomas) : origine do la conscience morale, II, 21. — Le droit, c'est
la force, II, 132. — Origine de la propriété, II, 192, 5. — Origine de la société,
II, 220.
Holbach (Paul-Henri Dietrich. Baron d') : origine de la conscience
morale, II, 21. — Matérialisme, II, 5'iO.
Homéoméries, Homœoméries (Ta ô[ji.oio[x£f^, de ô'aotoç, semblable ; ,«-épo;,
partie) : ce mot semble avoir été à tort attribué à Anaxagore. On le
trouve chez Aristote et les. philosophes postérieurs, qui entendent par là
les corps composés de parties similaires. A défaut du mot, Anaxagore a
certainement la chose, car il regarde les éléments premiers des êtres comme
qualitativement semblables.
Homère ( 'OaTipoç, otage) : Achille, 230, 1.
Homestead (mot anglais = maison d'habitation avec ses dépendances) :
insaisissabilité de la maison et d'une certaine étendue de terre, II, 198-199.
Homicide {Honùcidium, de homn, homme ; csedere, tuer) : crime, II, 166.
Homme Me Hominem, peut-être de humus, terre) : définition : a) physio-
logique, 250 ; h) philosophique, 522. — Homme-statue de Condillac, 300. —
Homme-phénomène, homme-noumène, de Kant, II, 136 ; 155.
Homo duplex : expression employée quelquefois pour indiquer le double
élément du composé humain, le corps et l'âme, ou les tendances antagonistes
qui résultent de leur union.
Homogène ( 'Oixoysvviç, de "Oy.oto?, semblable, yavoç, race, genre) : ce dont
les éléments sont identiques en nature ; vg. homogénéité du temps et de
l'espace absolus, II, 503-504. — S'oppose à Hétérogène.
Homologue ( 'Oao'Xoyoç, qui parle d'accord, concordant ; de ôy.o;, semblable ;
Xsyw, diic, parler) : ce qu'on peut désigner par un même mot, ce qui a une
dénomination commune ; vg. organes homologues, 705.
Homonyme ('Ouo?, semblable; ô'vuaa, nom) : cause d'équivoque, 453.
Honnête (Honestum, honorable, honnête, de honos, qui signifia primiti-
vement charge, comme son jumeau honus, onus) : ce qui convient à la nature
raisonnable, II, 106.
Honneur (de Honorem, primitivement charge, puis honneur) : dignité morale
.qui résulte du respect de soi-même et de l'eslime des autres. — Points de vue
psychologique et moral, II, 84-86. — Respect de l'honneur d'autrui, II, 206.
Horace (Valerius-Flaccus-Horatius) : l'amitié, 89, 3. — L'usage et
les n^ots, 525, 2. — La vertu, II, 127, 4.
Horrible {Horribilis, de horrere, être hérissé, horrible) : opposé au sublime,
II, 391.
HuET (Mgr Pierre-Daniel) : Fidéisme, 818, 4. — Défiance de la raison,
II, 422.
HuLST (Mgr Maurice d') : jugement sur le P. Th. de Régnon, 380, 2.
— Conservation de l'énergie, 389, 1 ; 390, 1. — Nature de la liberté, 398-399 ;
836 TABLE ANALYTIQUE : Humanisme — Hyperespace
400, 1 ; 402, 2. — Droit de légitime défense, II, 166, 2. — Légitimité de la
propriété privée, II, 196-197. — Légitimation de l'autorité usurpée, II, 231-
•232. — La thèse et l'hvpothèse, II, 341-342 ; 342, 2. — Les quatre articles,
II, 342-343. — Mesure du salaire, II, 358, 3. — Salaire familial, II, 359, 3. —
Résurrection des corps, II, 552. — Réfutation de la théorie de l'immanence
de Spencer, II, 630-631.
Humanisme (du radical de Humaniste) : doctrine des lettrés de la Renais-
sance. — De nos jours, le Pragmatisme a été appelé Humanism par certains
philosophes anglais, vg. F. C. S. Schiller, 822.
Humanité {Humanitas, de humanus, humain, de homo, homme) : ce mot
signifie une idée : a] universelle : ce par quoi l'homme est homme ; b) collective :
le genre humain ; c) morale : l'amour de nos semblables, 93-94.
Hume (David) : notion du moi, 153. — Nature du jugement et de la
croyance, 269-270. — Notion de cause, 304, 3 ; 325-326. — La conscience,
II, 19, 1. -— Le phénoménisme, II, 426-427.
Humilité (HumiUtas, état d'une chose peu élevée, près de terre, de humus,
terre) : vertu morale, d'origine chrétienne, qui consiste à se connaître tel que
l'on est pour se mettre à sa vraie place, au lieu de s'en faire accroire. « L'humi-
lité c'est la vérité » (Sainte Thérèse).
HuTCHESON (Francis) : le sens moral, II, 18, 4. — Morale de la bienveil-
lance, II, 81.
Hybride [Hyhrida) : qui provient de deux espèces voisines, 694, 2 ; II, 618.
— Mot hybride : mot composé avec des éléments empruntés à des langues
différentes, vg. Automobile, de aùxoç, lui-même ; mobilis, mobile.
Hygiène ('ryteiva, pluriel neutre de uytstvoç, qui contribue à la santé, de
uy-viç, sain) : devoir relatif au corps, II, 156.
Hyléisme (de ''V)vri, matière) : système d'ARisTOTE qui soutient que la
matière est éternelle et capable de recevoir toutes les formes, II, 601.
Hylémorphisme (de "VXr,, matière; [Jt-opc&r', formel : nom donné au système
de la matière et de la forme. — Exposé, lî, 513. — Preuve, II, 514. — Nature
de la matière et de la forme, II, 515. — Éduction des formes, II, 517.
Hylozoïsme (de "VÀr,, matière ; Çtovi, vie) : doctrine stoïcienne, II, 511, 3.
— Ce mot semble avoir été créé par Cudw^orth. Cf. P. Eucken, Geschichte der
philosophischen Terminologie im Umriss, p. 94, Leipzig, 1879.
Hyperacousie (de 'Vto'p, au delà ; axouat;, action d'entendre, de àxouoj,
entendre) : c'est l'hyperesthésie de l'ouïe.
Hyperbolique (de 'Y7:epfioÀtx-o;, excessif, de v-Kâppol-ri, action de lancer au
delà, de u-ep-paXXw) : nom donné par Descartes au doute méthodique
poussé à l'extrême, lequel ne peut être que tliéorique et provisoire, 773. Cf. Médi-
tations métaphysiques, VI, vers la fin ; Principes de la philosophie, P. I, § 30.
Hypercritique (de 'VTrép, au delà ; xptrtxdç, capable de juger, de xpivo),
juger, d'où r, xpiTix-^ [sous-entendu Ts'/vr,], l'art de juger) : mot péjoratif poura
qualifier la tendance de ceux qui se laissent guider par des idées a priori dans
l'appréciation des textes.
Hyperespace (de T-Trép, au delà; spatium, espace) : espace hypothétique de
quatre dimensions et au delà, 643.
TABLE ANALYTIQUE : Hyperesthésîe — Hypostase 837
Hyperesthésie (de 'Yirép, au delà ; atîOrjGtç, sensation) : exaltation de la
sensibilité générale ou particulière qu'on remarque en certaines maladies.
Hyperidéation (de TirÉp, au delà ; îSea. forme, idée) : suractivité intellec-
tuelle qu'on rencontre chez certains hypnotisés.
Hyperkinésie (de 'V-Tiep, au delà ; xivr,(jiç, mouvement) : excitation anormale
des mouvements, que présentent certains hypnotisés.
Hypermétaphysique (de 'Vto'p, au delà ; uEtà toc w-hyA, après les choses
naturelles) : Kant range parmi les hypermétaphysiciens les philosophes n'ayant
pas « cette crainte virile qui fait qu'on évite tout ce qui, détournant la raison
de ses premiers principes, lui permet de vaguer dans des imaginations sans
fin. » {Critique du jugement téléologique).
Hypermnésie (de TTrép, au delà ; avaofjiat, [Av/^(jo;jiai, se souvenir) : exal-
tation de la mémoire, 211.
Hyperorganique (de '^'•^sp, au delà ; opyavov, instrument, organe) : ce qui
dépasse les forces organiques. Les facultés proprement intellectuelles sont
hyperorganiques, 64, 2 ; 468-469 ; II, 541-542.
Hyperosmie (de 'Virep, au delà ; ocru-o, odorat) : hyperesthésie de l'odorat.
Hyperphysique (de 'TTtÉp, au delà ; cf-ufftxo';, qui concerne la nature) : ce
qui dépasse les forces physiques et chimiques.
Hyperthomiste (de 'ÏTrép, au delà; Thomisme): nom péjoratif donné aux
Thomistes intransigeants et outranciers.
Hypnagogique (de Ttivo;, sommeil ; àyo'/vi, action d'amener, de ayw,
conduire) : on nomme ainsi les hallucinations qui se produisent aux confins
de la veille et du sommeil.
Hypnose (de 'Yr.-jôr»^ uttvwt'.), dormir) : ce mot indique l'ensemble des états
psychiques et corporels qui se rencontrept dans le somnambulisme provoqué ;
vg. la catalepsie est une forme de l'hypnose, 479. — La grande hypnose,
479-480.
Hypnotisme (de 'TuvoiTixoç, somnolent, de utcvo;, sommeil) : ce mot indique
à la fois les faits relatifs à l'hypnose, les procédés qui la provoquent et les
appUcations qu'on en peut faire. — Ecole de Paris, 479. — Ecole de Nancy,
480. — Faits hypnotiques, 480. — Explication des faits, 481. — Dangers et
usages de l'hypnotisme, 484. — Mode d'expérimentation, 728.
Hypocondrie (de Hypocondriaque, de uTtoxo'voptot, hypocondres, de utto,
sous; yôy'iç'0(;^ cartilage) : hypocondrie morale, 489. — On appela hypocondrie
cet état maladif qui rend atrabilaire, parce qu'on croyait qu'un tmuble des
hypocondres en était la cause.
Hypocrisie [Hypocrisis, Oroxptat;, réponse, rôle joué, de û-oxpivo,ua'.,
donner la réplique dans un dialogue, jouer un rôle) : mensonge en action,
II, 158.
Hypoesthésie (de 'Vto', sous ; ai(jOr,<Ttç, sensation) : diminution de la sen-
sibilité.
Hypostase [Hypostasis, u~o<7T«çt;, action de placer dessous, support,
suppôt, de Otto, soxis ; iiTTif/t, lirslvai, se tenir) : c'est un être tout entier en
soi. Synonyme de Personne, 367. — Le verbe hypostasier s'emploie dans le
sens péjoratif de transformer ce qui est relatif en réalité absolue.
838 TABLE ANALYTIQUE : HypothèsB — IdéatioD
Hypothèse [Hypothesis, urMiGiç, de UTO, sous ; 6é<7[;, action de poser
dessous, fondement, supposition, de ti'-ôvj-ijli, poser) : a) Sens général : conjec-
ture douteuse, mais vraisemblable, h) Sens scientifique : supposition imaginée,
de laquelle on tire et vérifie les conséquences, pour expliquer un fait. —
Syllogisme hypothétique, 549. — Nature de l'hypothèse, 653. — Opérations
qu'elle impliqiie, 653. — Espèces : particulière ou générale, représentative ou
explicative, 654. — Son rôle : a) expérimental, 656 ; h) théorique, 657. — Ses
dangers, 657. — Ses règles ou conditions, 658. — Grandes hypothèses scienti-
fiques. 655. — Exemples d'hypothèses scientifiques, 231-232. — Utilité des
hypothèses fausses, 656-657. — Caractère hypothétique, théoriquement et
pratiquement, de l'analogie, 708-709. — Rôle de l'hypothèse en psychologie,
724. — Hypothèse et thèse dans les rapports de l'Église et de l'État, II, 340.
Hypothétique ( 'Yttoôstixô;, qui concerne une supposition, de uTroriQrifAi,
placer sous, supposer) : proposition, 530. — Syllogisme, 549.
Hystérie, Hystérique (Hystera, 'Varepa, matrice ; hystericus, uffTsptxo;, qui
concerne la matrice, de uTTspoç, qui est derrière) : l'extase hystérique, 485-486.
— Mentalité des hystériques, 486-487. — L'hystérie est une maladie nerveuse,
souvent combinée avec l'épilepsie : elle prédispose au sommeil hypnotique.
I : sj'mbole de la proposition particulière affirmative, 532.
latromécanisme (de '[^tco;, médecin ; mécanisme] : système qui prétend
que les forces mécaniques sont la cause suffisante de la vie. Ce système, préconisé
par le médecin Hermann Boerhaave, se rattache au mécanisme cartésien,
II, 524.
Idéal [Idealis, de idea, loiy., forme, idée) : a) Pris adjectivement, ce mot
implique l'idée dé parfait; ; vg. le bien idéal, le beau idéal, II, 395-396. —
Inclinations idéales, 96. — Signifie quelquefois l'élément invisible, spirituel,
II, 394. — b) Pris substantivement, c'est un type de beauté parfaite conçu par
l'imagination créatrice, II. 395. — ■ Faculté de l'idéal, 229-230. — Formation
et origine de l'idéal, II, 395-396. — Ses eiïets sur la sensibilité et l'activité,
II. 396. — Rôle de l'idéal, II. 397. — Fiction et idéal. II, 400. — Idéal chrétien,
II, 412.
Idéalisation (de Idéaliser, de idéal) : formation de l'idéal. — Imitation et
idéalisation, II, 397. — Fiction et idéalisation, II, 400.
Idéalisme (de Idéal) : 1°) Sens général : toute doctrine philosophique qui
tend à ramener ce qui existe à la pensée. — 2») Formes variées: Idéalisme dans
l'origine des idées (Berkeley, Malebranche), 168-169. — Idéalisme dans
l'art, II, 394-395. — Idéalisme : a] immatérialiste (Berkeley), II, 497 ; b) cri-
tique (Kant), II, 436 ; 498 ; c) absolu (Fichte), II, 498 ; d) phénoméniste (Hume,
Stuart Mill), 426-428 ; 499 ; e] métaphysique (Lachelier, Bergson),
II, 442-445.
Idéalité (de Idealis, idéal) : ce qui existe dans la pcMpe. — Loi des passions,
121. — Kant affirme l'idéalité du temps et de l'espace, qui ne sont que des
formes a priori de la sensibilité, II, 431.
Idéation (de Idée) : activité par laquelle l'esprit produit les idées.
TABLE ANALYTIQUE : Idée — IdéoIogic 839
Idée ('I^éa, forme, idée, de lostv, avoir vu) : c'est la forme intellectuelle
qui exprime l'objet de la connaissance, 263 ; 515. ■ — Différences entre l'idée
et l'image, 261-262.
Idée abstraite : 2^6; 259; 518.
Idée adéquate, inadéquate : 518.
Idée claire, distincte : 518 ; 603-604 ; 838.
Idée collective : 259 ; 519.
Idée concrète ou singulière : 258 ; 518.
Idées divines : système de Malebranche, 310. — Idées divines, cairses
exemplaires des choses, 257, 1 ; 769-770.
Idée fixe : 428 ; 488.
Idées-forces : Alfred Fouillée, 233, 1.
Idée générale : définition, 249 ; 259. — Formation, 249. — Propriétés, 250.
— Hiérarchie des idées générales, 251. — Division, 252. — • Problème des
idées générales ( Universaux), 254. — Comparaison avec les autres sortes d'idées,
258. — Antériorité de l'idée générale ? 260. — L'idée générale et l'image
261-262 ; 263. — La science se ramène à des idées générales, 578-579 : 687-
688. — Science du général, 581-582 ; 582-584.
Idées-images : théorie de Leucippe, etc., 167. — Ses conséquences, 169.
Idée individuelle : 251 ; 258.
Idées innées, adventices, factices : Descartes, 312.
Idées platoniciennes : 255 ; 257, 2. — Rôle dans la connaissance, 309-310.
Idées représentatives : Locke, 168.
Idée universelle : transcendantaux, 252 ; II, 470. — Idée universelle com-
parée aux autres idées, 259-260.
Identique (du latin scolastique Identicus, le même, de idem, le même,
de is, il, ce) : ce qui reste essentiellement le même. — Le moi identique, 146 ;
148. — La proposition identique exprime un jugement analytique, 273. —
La déduction et l'induction vont du même au même, 710-711.
Identité {Identitas, de idem, le même) : négation de la diversité, II, 472.
— Origine de cette notion, 146 ; 148. — Contestation de l'identité du moi
(CoNDiLLAc, Hume, Th. Ribot, Taine), 151-152; 153-154. — Identité et
mémoire, 202-203. — Identité personnelle, preuve de la simplicité de l'âme,
II, 536. — On nomme Philosophie de l'identité le système de Schelling, parce
qu'il lui donne pour base l'identité originelle de l'idéal et du réel, de la matière
et de l'esprit, II, 604.
Identité (Principe d') : formule, 288. — Ses dérivés, 288-289. — Rôle dans
la pensée, 291. — Son origine, 319. — ■ Dernier fondement du syllogisme,
556 ; 710-711.
Idéographique (de 'loéa, forme, idée ; ypa^ixo;, qui concerne l'action
d'écrire) : l'écriture idéographique représente les objets par des signes (figures
ou symboles), 438.
Idéologie (de 'losa, forme, idée ; Xci'/oç, discours) : science qui traite des
idées (au sens général de faits de conscience, comme on dit : association des
840 TABLE ANALYTIQUE : Idéologîque — Illuminé
idées), de leur origine et de leurs caractères. Ce mot a été mis en circulation
par Destutt de Tracy. Cf. Projet d'éléments d'idéologie, Paris, an IX.
Idéologique (de Idéologie) : K. Marx oppose idéologique à économique :
pour rendre compte de la société il n'a recours qu'aux jaits économiques,
rejetant toute explication qui s'appuie sur les idées religieuses, philosophiques
ou morales.
Idéologues, Idéologistes (de Idéologie] : nom donné aux continuateurs de
Locke et de Condillac, qui, voulant borner la Philosophie à l'analyse des
sensations et à la question de l'origine des idées, proscrivaient la métaphysique.
Ce nom a été spécialement appliqué à Destutt de Tracy, Cabams, Volney,
Daunou. — Idéologue a aussi le sens péjoratif de rêveur philosophique et
politique, qui néglige les faits pour se repaître d'idées creuses.
Idiosyncrasie ('lotoTVY/.paT-'a, de loto;, propre; «j'jyxpaatç, mélange) : élé-
ments dont le mélange constitue le tempérament et le caractère de chaque
individu.
Idiot, Idiotie, Idiotisme (/c^w^es, qui n'est pas initié, Ioicott)?, nature parti-
culière, de ïoto;, propre) : faible d'esprit, 488. — Idiotie morale, II, 25-26.
Ido : langue internationale qui vise à perfectionner V Espéranto, 462. —
Cf. L. CouTURAT, A. Jespersen, R. Lorenz, W. Ostwald et L. Pfaundler,
Weltsprache und Wissenschaft. Gedanken iiber die EinjUhrung der international
Hilfssprache in die Wissenschaft, léna, 1909, traduction française par M. Bou-
BiER, Paris, 1909.
Idole {Idolum, eiStoXov, image, fantôme) : nom donné par Bacon aux fausses
apparences, sorte de faux dieux, qui causent l'erreur, 805-806.
Ignorabimus : cette expression de E. Dubois-Reymond (Cf. Ueber die
Grenzen des Naturerkenntiss, Leipzig, 1872), peut servir d'épigraphe à l'agnos-
ticisme, qui prétend que le métaphysicien est condamné à ignorer perpétuel-
lement la nature des choses.
Ignorance {I gnorantia, de ignoro, ignorer, de in-gnarus, qui ne sait pas).
Racine gna, d'où gnoscere, noscere, connaître) : absence de connaissance. —
État négatif de l'esprit, 771 ; 772. — Ignorance de la cause : sophisme, 799.
— Ignorance du sujet [elenchi) : sophisme, 801. — • Ignorance vincible ou
invincible, 772 ; II, 34 ; 115..
Ignoratio elenchi : sophisme, 801.
Illégitime, Illégitimité (Illegitimus, de in, négatif et legitimus, conforme
aux lois, de lex, le gis, loi) : ce qui est contraire à la loi ou à la règle. — Modes
illégitimes, non concluants du syllogisme, 537. — Enfants illégitimes : ceux
qui sont nés hors mariage, II, 209-210. — Souverain illégitime, II, 230-231.
— Illégitimité de l'usure, II, 357. — S'oppose à Légitime, Légitimité.
Illumination (Illuminatio, de illuminare = in-luminare, éclairer, de lumen,
lumicie) : opération de l'intellect actif, 316-317.
Illuminé (Illuminatus, participe passé de illuminare — in-luminare, éclairer):
les illuminés sont des mystiques illusionnés qui se croient en communication
spéciale avec Dieu ou des êtres surnaturels. De ce nombre furent, vg. Sweden-
borg, Weishaupt, Saint-Martin. — Ullluminisme est le système des
illuminés.
TABLE aiTalytique : IIIusloii — Immanence 841
Illusion (Illusio, moquerie, erreur, de illudere = in-ludere, se jouer contre,
railler) : c'est une transposition de la réalité par Fimagination, 225. — Illu-
sions : a) de la perception interne, 151-152 ; b) des sens, 187 ; c) de la mémoire :
réminiscence, 201 ; paramnésie, 211. — Différence entre l'illusion et l'hallii-
cination, 226.
Illusionnisme (de Illusion) : système qui explique la perception extérieure
par une illusion, 171-173.
Image (de Imaginem, image) : sensation renouvelée et affaiblie, 222. —
Variété des images, 223. — Images, matière de la création artistique, 226-227.
Idée et image, 261-262 ; 263. — Image composite, 228 ; 249. — Peut-on
penser sans images ? 262 ; 452, 2 ; 468-469. — Image consécutive, voir Cons^cwii'/.
Imagination (Imaginatio, imagination, vision, de imago, image) : faculté
de reproduire ou de combiner. — Influence sur les passions, 116. — Imagi-
nation reproductrice ou passive, 222. — Rapports avec la mémoire, 223. —
Imagination créatrice ou active, 224. — ■ Imagination créatrice spontanée,
225. — Imagination créatrice réfléchie, 226. — Conditions du travail construc-
teur et destructeur de l'imagination, 228-229. — Rôle de l'imagination : a) dans
les arts et les lettres, 229 ; h) dans les sciences, 231 ; c) dans la vie : bienfaits et
dangers, 232. — Rapports de l'imagination avec l'organisme, 233 ; 468 ; 470.
— Rôle de l'imagination : a) dans la formation de l'idéal, II, 395 ; b) dans la
fiction et l'idéalisation, II, 400. — J. Second, L'Imagination. Essai critique,
Paris, 1922.
Imbécile [Imbecillus, faible, de in, négatif ; baculum, baciUiun, bâton) :
l'idiot et l'imbécile sont deux faibles d'esprit, 488. — Mais cette faiblesse
diffère, en ce que V idiot est un être qui ne s'est pas développé, un être incomplet,
tandis que l'imbécile est un être qui s'est développé, mais d'une façon anormale,
dans un .^eiis défectueux.
Imitation (Imitatio, de imitatum, supin de imitari, imiter, de imago, image) :
action de leproduire ce que font les autres. — Instinct d'imitation, 96. — Beau
d'imitation, II, 397-398. — Insuffisance de l'imitation dans l'art, II, 398-400.
Immanence (de Immanent, de immanens = in-manere, demeurer dans) :
c'est le caractère de ce qui est immanent. Il faut distinguer la hiéthode d'imma-
nence et la doctrine d'immanence ou Inimanentisme. — Dans des controverses
récentes, un a beaucoup parlé de Principe et de Méthode d'immanence, mais
ils ont été diversement compris :
1°) Opinion de Éd. Le Roy : le principe d'immanence est le principe d'après
lequel « la réalité n'est pas faite de pièces distinctes, juxtaposées ; tout est
intérieur à tout ; dans le moindre détail de la nature ou de la science l'analyse
retrouve toute la science et toute la nature ; chacun de nos états et de nos
actes enveloppe notre âme entière et la totalité de ses puissances ; la pensée,
en un mot, s'implique tout entière elle-même à chacun de ses moments ou
degrés. Bref, il n'y a jamais pour nous de donnée purement externe semblable
à je ne sais quelle matière brute; une telle donnée, en elTet, demeurerait
absolument inassimilable, impensable ; ce serait un néant pour nous, car pai'
où la saisirions-nous ? L'expérience elle-même n'est point du tout une acqui-
sition de '< choses » qui nous seraient d'abord totalement étrangères ; non,
mais plutôt un passage de l'implicite à l'explicite... » {Dogme et Critique,
p. 9-10. Paris, 1907).
20) Opinion de M. Blondel et de L. Laberthonnière : ils répudient abso-
lument la façon radicale dont Éd. Le Iîoy comprend le principe d'immanence,
parce que l'immanentisme d'Éo. Le Roy n'est pas seulement une méthode,
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. — T. II. — 28
842 TABLE ANALYTIQUE : Immanent — Immortalité
mais une doctrine qui conduit logiquement au Panthéisme. Ils critiquent
la valeur des preuves rationnelles de l'existence de Dieu (II, 574-576) et préco-
nisent la méthode .d'immanence.
Immanent (de Tmmanens, de immanere = in-manere, demeurer dans) :
a\ Ce qui dans un être ne résulte pas d'une action extérieure. — Cause, action
immanente, 150 ; 330 : II, 524. — h) Sens large, admis par M.Blondel :toutce
à quoi un être tend, quand même cette tendance exigerait pour se réaliser
l'aide d'un agent étranger. — c) Kant appelle immanents les principes dont
l'application est restreinte aux limites de l'expérience possible [Critique de
la Raison pure : Dialectique transcendantale, Introduction, § IK — S'oppose à
Transcendant. — Panthéisme immanent, II. 602. — Théorie de l'immanence
dans l'évolutionnisme de Spencer, II, 626-629.
Immanentisme (de Immanent) : néologisme qui désigne certaines doctrines
des Modernistes. Ils entendent par Immanentisme la philosophie qui repousse
comme artificielle la représentation abstraite et morcelée du réel, qui rejette
la valeur des preuves rationnelles et discursives de l'existence de Dieu, et qui
regarde la religion comme « un résultat spontané d'inextinguibles exigences
de l'esprit, qui trouvent leur satisfaction dans l'expérience intime et affective
de la présence du divin en nous. » (Le Programme des Modernistes, Ch. ii).
Immatérialisme (de Immaterialis, immatériel, de in, négatif ; materialis,
de niateria, matière) : nom donné par Berkeley à son Idéalisme, 168 ; II, 497'
Immatérialité (du latin scolastique Immaterialitas, de immaterialis — in,
négatif, materialis, de materia, matière) : immatérialité de l'âme, II, 535-540.
Immédiat (Immediatus, de in, négatif ; mediatum, supin de mediare, par-
tager en deux, de médius, qui est au milieu). Ce qui se fait ou agit sans inter-
médiaire. — Perception immédiate de la conscience, 138-139. — Perception
immédiate du monde extérieur, 161 ; 162-166. — Déduction immédiate,
531-535. — On entend par données immédiates ce que l'esprit connaît direc-
tement, sans intermédiaire : vg. données de. la conscience : 134 ; 136. — Ces
données immédiates sont appelées primitives ou ultimes, parce qu'on ne "peut
pousser plus loin l'analyse : c'est pourquoi elles doivent être tenues pour
vraies et certaines, 139. — S'oppose à Médiat.
Immédiation (de Immédiat) : ce mot indique la connaissance immédiate.
Immensité {Immensus, Immensitas, de in, négatif ; mensum, supin de
metiri, mesurer) : ce qui est sans mesure, sans bornes. — - Immensité de l'es-
pace (Newton, Clarke), 501. — Attribut divin. II, 578-579.
Immobile (ImmabiUs, de in, négatif; mobilis, mobile, de movere, motum,
moavoir) : le moteur immobile (Aristote), II, 560-561.
Immoral (de In, négatif et moral, de moralis, relatif aux mœurs, de mos,
mor;\i. usage, manière d'agir, mœurs) : ce qui est contraire à la loi morale ou
aux règles de conduite suivies à une époque donnée. — S'oppose à Moral,
Amoral.
Immoralisme (de Immoral) : ce mot est dû à Nietzsche : selon lui, comme
selon Max Stirner. la Morale, au sens usuel du mot, est malfaisante ; aussi
prétend-il la remplacer par une doctrine, où les jugements de valeur sont en
oppi^sition, ,^ur pr«^>(]iif' tous les points, avec la Morale chrétienne.
Immortalité, Immortel (/»imo/'/a/t<a5, immortalis, de in, négatif; mortalitas,
mortalité, de mortalis, mortel, àemors, mortis, mort) : qui n'est pas sujet à
TABLE ANALYTIQUE : Immuablc — Implication 843
mourir. — Preuves métaphysique, morale et psychologique de l'iinmortalitâ
de l'âme, II, 549-552. — Immortalité de la substance et de la personne, II,
549-550.
Immuable, Immutabilité {Immutabilis, de m, négatif; mutabilis, sujet au
changement, de mutare, changer) : ce qui n'est pas sujet au changement. —
Immutabilité du type de l'espèce, 701. — Caractère de la loi morale, II, 39 ;
41 ; 111. — Caractère du g<nit, II, 407. — Attribut divin, II, 578.
Immunité {Immunitas, de immunis, de in, négatif ; mania, munium,
charge) : exemption. — • Immunité ecclésiastique, II, 347.
Imparfait (Imperfectus, de in, négatif ; perfectus, achevé, participe passé
de per-ficere, perfectum, faire complètement) : ce qui n'est pas achevé, ce qui
est défectueux. — Nature et origine de cette notion, 340 ; 342.
Impartialité (de Impartial, de in, négatif et du bas latin parlialis, de par^i,
partes, parti, faction) : absence do parti pris. — Qualité d'un bon observateur,
d'un bon historien, 651 ; 7') 4-745. — Le spectateur impartial (A. Smith), II, 83.
Impassibilité, Impassible (Impassibilitas, ImpassibUis, de in, négatif;
passibilis, susceptible de snufTrance, de passum, supin de pati, passas sum,
subir, souflVir) : calme de l'âme, insensibilité — Idéal des Stoïciens,
118 ; II, 94 ; 95. — L'historien ne doit pas rester impassible, 744-745.
Impénétrabilité (de Impénétrable, Impenetrabilis, de in, négatif ; penetrabilis,
pénétrable, de penetrare. introduire, pénétrer dans, de penus qui signifla d'abord
le fond de la maison où les vivres sont conservées) : propriété qui fait que deux
corps ne peuvent naturellement occuper en même temps le même lieu dans
l'espace. — Qualité de la résistance étendue, 2 ; 178.
Impératif (Imperativus, de imperatum, supin de imperare, commander) :
ce qui a le caractère du commandement. — Commandement catégorique ou
hypothétique, II, 44 : 96. — Les lois morales sont impérativei, 718 ; II, 38-39.
Imperceptible (du latin scolastique Imperceptibilis, de in, négatif ; percrp-
tibilis, qu'on peut percevoir, de perceptum, supin de percipere, saisir dans son
ensemble, saisir par les sens) : a) Synonyme de petit : vg. petites perceptions,
142, 4 ; 145, 1. — b) Impressions tout à fait imperceptibles, faute de certaines
conditions, 70 ; 726-727.
Impersonnel (Impersonalis, de in, négatif ; personalis, personnel, de persona,
masque, figure, personne) : ce qui n'est pas individuel, particulier ; consé-
quemment impartial, objectif. — Inclinations impersonnelles, 102. — Raison
impersonnelle : cette expression peut signifier que la raison, qui est en nous,
est une participation, un reflet de la Raison éternelle, qui est Dieu. Cf. Bossu f.t
II, 567, 2. Mais cette expression est équivoque, en tant qu'elle semble nier
la distinction entre l'intelligence divine et les intelligences humaines. Cousin
a fait cette confusion et Fr. Bouillier ne s'est pas assez gardé de cette équi-
voque, qui peut mener au panthéisme, dans son livre : De la Raison imper-
sonnelle, Paris, 1844. — S'oppose à Personnel, Partial, Subjectif.
Implication (ImpUcatio, entrelacement, de implicalam, supin de iniplirarc,
mettre l'un dans l'autre, envelopper; de in, dans, plicare, plier) : relation
logique consistant en ce (ju'une chose en enveloppe une autre : vg. dans les
jugements analytiques l'attribut est impliqué dans le sujet, 273.
844 TABLE ANALYTIQUE : ImpIicitc — Inadéquat
Implicite {ImpUcitus, enveloppé, de in, dans ; plicitus, plié, de plicitum,
supin de plicarc) : se dit d'une idée ou d'un jugement, qui est contenu, enve-
loppé dans une autre idée ou dans un autre jugement ; vg. animal raisonnable
est implicitement contenu dans homme ; la définition ne fait cjue l'expliciter,
522 ; 523. — S'oppose à Explicite, Formel, Exprès.
Impossible, Impossibilité {ImpossibiUs, de in, négatif ; possibilis, de posse,
pouvoir) : ce qui répugne à l'existence, II, 463. — Impossibilité morale, 725 ;
II, 463. — Impossibilité logique, physique, 520. — • L'évidence : impossibilité
du contraire, 778 ; 838. — Impossibilité absolue, naturelle, II, 463. — S'oppose à
Possible.
Impôt [Impositum, ce qui est placé sur, participe passé de imponere, impo-
situm, de in, sur ; ponere, placer) : contribution aux charges publiques, II,
277-279. — Base, 279-280. — Quotité : proportionnel ou progressif ? II,
280-281.
Imprescriptibilité, Imprescriptible (de In, négatif ; prœscriptum, supin de
prse-scr ibère, placer en tête d'un écrit, prescrire, ordonner) : imprescriptibilité
du droit, II, 132.
Impresse {Impressa, pressée sur, participe passé dé imprimere, de in, sur ;
premere, pressum, presser, appuyer) : espèce impresse, 162.
Impression [Impressio, action d'appuyer sur, de impressum, supin de
imprimere, appuyer sur) : impression : a) physique, 70 ; b) physiologique, 70 ;
71, 1. — Impression produite par le beau, II, 378-380.
Improductif (de In, négatif et du bas latin productivus, de productum,
supin de pro-ducere, amener en avant) : ce qui reste stérile. — L'argent fut
longtemps un bien improductif, II, 857. — Consommations improductives,
II, 361.
Impulsif (du latin scolastique Impulsivus, qui pousse vers, de impulsum,
supin de im-pellere, pousser vers) : sentiments ou passions impulsives, 123. —
Idée impulsive, 368. — Un impulsif est celui qui, incapable de maîtriser les
tendances de sa sensibilité, leur cède spontanément.
Impulsion ilmpulsio, poussée, choc, de impulsum, supin de im-pellere,
pousser vers) : impulsions de l'instinct, 104 ; 106. — Impulsions de la sensi-
bilité, 41-42 ; 357 ; 368. — • L'impulsion, c'est-à-dire la tendance spontanée à
l'action, fait défaut aux abouliques. — Impulsion homicide, 489.
Impuni, Impunité (Impunitus, Impunitas, de in, négatif ; punitum, supin
de punirc, punir, de pœna, rançon, châtiment) : absence de châtiment. —
Malheur de l'injustice impunie, 128 ; II, 122.
Imputable, Imputabilité (de Imputer, de imputare = in-putare, mettre en
ligne de compte) : ce qui peut être attribué, ce dont l'on est responsable. —
Imputabilité des actions, II, 114.
In abstracto (In, dans ; abstractus, participe passé de abs-trahere, ah.'tractum,
détacher) : locution employée par les Scolastiques pour dire que l'on consi-
dère une chose en dehors de ses conditions concrètes : vg. l'homme in abstracto
est l'homme réduit aux idées générales d'animalité et de rationalité, 246. —
S'oppose à In re. In concreto.
Inadéquat (de In, négatif ; adsequatus, participe passé de ad-sequare, égaler,
de œquus, uni, égal) : idée inadéquate, 518. — Connaissance inadéquate, 582 ;
770, 2 ; II, 429-430. — S'oppose à Adéquat.
TABLE ANALYTIQUE : In adjëcto — Incompossible 845
In adjecto {In dans ; adj'ectus, participe passé de ad-jicere = ad-jacere,
adjectum, jeter sur, mettre auprès) : la contradiction In adjecto est celle qui
ressort du rapprochement même des termes ; vg. mouvementsans vitesse, cercle
carré, 520.
Inadvertance (du latin scolastique Inadvertentia, de In, négatif ; ad-vertere,
faire attention) : inattention. — Influe sur la liberté, 401. — S'oppose à
Advertence.
Inaliénable, Inaliénabilité (de In, négatif ; aliénable, de alienarc, rendre
étranger, vendre, de alius, autre) : ce dont l'on ne peut se dépouiller. —
Inaliénabilité du droit, II, 132.
Inamissible, Inamissibilité {In, négatif ; amissibilis, qui peut se perdre, de
amissuni, supin de a-mitiere, éloigner de, laisser aller, perdre) : ce que l'on ne
peut perdre. — Les pouvoirs civils sont, de leur nature, amissibles : les gou-
vernants peuvent les perdre s'ils en usent contre le bien commun, II, 247 ;
288. — Seul le pouvoir de l'Église est inamissible, parce que seule elle a été
directement fondée par Dieu, II, 288, 5. — S'oppose à Amissible.
Inceptif (de Inceptum, supin de incipere, commencer, de in, dans ; capere,
prendre) : la proposition inceptive est une proposition composée, qui énonce
qu'une chose a commencé d'être telle à telle époque. Cf. Logique de Port-
Royal, P, II, Ch. X, § 4. — S'oppose à Désitive.
Inclination {IncUnatio, inclinaison, inclination, de inclinatum, supin de
inclinare, de in, sur et de l'archaïque clinare, faire, pencher, cf. xXivîtv) :
tendance spontanée vers certaines fins. — Inclination et désir, 82. — Classi-
fications d'après : a) leur objet, 8.3 ; b) leur rapport au temps, 102 ; c) leur fin, 103.
Inclinations physiques, 83. — ■ Inclinations morales, 84. — Inclinations : a) per-
sonnelles, 84 ; b) sociales ou altruistes, 86 ; c) supérieures ou idéales, 96. —
Inclinations: 1°) électives, S9; 2") domestiques, 90; 3°) corporatives, 91; k") philan-
thropiques, 93; 5") malveillantes, 94. — Irréductibilité des inclinations (réfu-
tation de La Rochefoucauld, de Stuart Mill et de Rabier), 98. — Carac-
tères des inclinations, 103. — Rapports de l'émotion et de l'inclination, 67. —
Place des inclinations dans la sensibilité, 56. — Inclination et passion, 1 13-115.
— Rôle des inclinations, 129.
Incognoscible {IncognoscibiUs, de in, négatif ; cognoscere = cum-gnoscere,
noscere, prendre connaissance) : voir Inconnaissable.
Incommensurable, Incommensurabilité {I ncommensurabilis, de in, négatif,
cum, avec, mensurarc, mesurer) : est incommensurable ce qui n'a pas de mesure
commune avec un autre terme ; vg. circonférence et diamètre. — On dit ana-
logiquement, en Morale et en Sociologie, valeurs incommensurables.
Incompatible, Incompatibilité {In, négatif : cum, avec ; paiibilis, suppor-
table, de patior, supporter) : ce qui ne peut s'accorder, se concilier avec autre
chose. — Deux idées sont incompatibles quand leur compréhension se contre-
dit, 520. — Rapports d'incompatibilité, 691, 1.
Incomplexe (de in, négatif ; complexus, participe passé de plecto, embrasser,
de cjim, avec ; plecto, plier, tresser) : se dit du sujet ou de l'attribut qui n'a
pas de complément. Les propositions et les syllogismes sont dits incomplexes,
quand ils sont composés de pareils sujets ou attributs ; vg. Dieu est bon. —
S'oppose à Complexe.
Incompossible, Incompossibilité (de In, négatif ; cum, avec ; possibilis,
possible, de posse, pouvoir) : ce qui ne peut se concilier avec autre chose. —
846 TABLE ANALYTIQUE : Iiicompréhensible — Indemnité
Deux idées sont incompossibles quand leur compréhension se contredit ;
vg. cercle carré, 520. — D'eux phénomènes, quand leurs éléments constitutifs
s'opposent l'un à l'autre ; vg. pensée et mouvement, 26-27 ; 717-718 ; II, 536.
Incompréhensible, Incompréhensibilité {Incomprehensibilis, qui échappe à
l'étreinte, de in, négatif ; com-prehendere, com-prehensum, envelopper, com-
prendre) : ce qui est au-dessus des prises de la raison. — Dieu est incompréhen-
sible, mais non inconnaissable, 382 ; II, 576. — Incompréhensibihté des mys-
tères, II, 634,
t Inconcevable, Inconcevabilité (de /n, négatif ; concevable, de concevoir, de
concipere, conceptum, saisir, concevoir) : ce que l'esprit ne peut se représenter
à cause de la contradiction des termes qui l'expriment. — Inconcevabilité de
l'absolu, d'après Hamilton, 340-341. — Inconcevabilité du contraire, efTet
de l'évidence, 778 ; 838, 1.
. In concreto : locution employée par les Scolastiques pour dire qu'on consi-
dère une chose telle qu'elle se présente dans la réalité ; vg. tel homme en parti-
culier. — S'oDpose à In abstracto.
Inconditionné (de In, négatif ; conditionné, de condition, de conditio, con-
dicio, de cum, avec, dicio, dicionis, autorité, puissance, de dicere, exprimer par
des paroles) : ce qui ne dépend d'aucune condition. — Caractère de l'absolu,
285; 339 ; 341.
Inconnaissable (de In, négatif ; connaissable, de connaître) : ce qui, quoique
réel, ne peut être atteint par l'esprit. — Les substances, les causes, Dieu, sont
inconnaissables d'après Comte, Spencer, II, 446 ; 576.
Inconsciencej Inconscient (de In, négatif ; conscientia, de con-scius, de cum,
avec ; scire, savoir) : a) ce qui ne possède aucune conscience ; vg la pierre
est inconsciente ; b) ce qui n'est pas saisi par la conscience. — Existe-t-'il des
phénomènes psychologiques inconscients ? 75-76 ; 144-145. — Rôle de l'in-
conscient, 145. — Philosophie de l'inconscient (Hartmann), 142, 3 ; II, 649, 1.
Incorruptible, Incorruptibilité (Incorruptibilis, IncorruptibiUtas, de in,
négatif ; corruptuni, supin de corrumpere = cuni-nunpere, détruire) : incorrup-
tibilité de l'âme, II, 549-550. — D'après les Anciens et les Scolastiques, la
matière céleste était incorruptible.
Indécomposable (de In, négatif ; décomposable, de décomposer, de la parti-
cule latine (lisjoiictive dis et composer, de cum, avec ; poser, de pausare, faire
une pause, d'où faire reposer, placer) : ce qui ne peut se résoudre en éléments
plus simples, 57 ; 522. — L'âme est indécomposable, II, 549.
Indéfini (Indefmitus, de in, négatif; definitus, délimité, participe passé
de de-finire, délimiter) : ce qui, étant actuellement fini, peut croître ou dimi-
nuer sans limites assignables. — Comparé au fini et à l'infini, 339-340.
Indéfinissable (de In, négatif, définir) : 57 ; 522.
Indélibéré (de In, négatif; délibéré, de deliberatus, participe passé de deli-
berarc, deliheratum, peser mûrement, de de et librare, peser, de libra, poids,
balance) : acte indélibéré, c'est-à-dire qui devance la réflexion ; vg. impulsions
de la sensibilité, 41-42 ; 357 ; 368. — Activité indélibérée, 355 ; 428-429.
Indemnité (Indemnitas, de Indemnis, de in, négatif ; damnum, dom.mage) :
ce qui est donné en compensation. — Réparation d'un dommage, II, 194.
TABLE ANALYTIQUE : Indépendance — Individualité 847
Indépendance (de In, négatif ; dépendant, de de-pendere, être suspendu à) : i
état de celui qui ne dépend de rien ou qui s'aiïranchit de toute autorité ou \
sujétion.- — Esprit d'indépendance, 86. — Seul l'absolu, le nécessaire est *
indépendant, 339 ; 341 ; II, 557.
Indétermination, Indéterminé (de In, négatif ; déterminé, de de-terminare,
délimiter, de terminus, borne ) : ce qui manque de limites précises. — L'idée
de genre. 253. — L'idée d'être, 253. — • La volonté libre, cause indéterminée,
379 ; 385. — La cause matérielle, 324 ; II, 514 ; 515-516.
Indéterminisme (de In, négatif ; déterminé, de de-terminare, délimiter) :
doctrine qui implique l'absence de détermination dans la volonté. — L'indé-
terminisme de la volonté est relatif, 398-399 ; 400-402; 594-595.
Indicatif [Indicativus, de indicatum, supin de in-dicare, indiquer, découvrir) :
lois indicatives, 718 ; II, 38.
Indifférence (de Indifférent, de Indifferens, de in, négatif ; differre = dis-
ferre, porter de côté et d'autre, différer) : a) Etat de ce qui ne tend pas vers
une chose plutôt que vers une autre : vg'. l'inertie delamatière, 47. — b) Indé-
termination : liberté d'indiiïérence, 394. — c) État psychologique sans plaisir
ni douleur : sensations indifîérentes ? 75.
Indifférent {Indifferens, de in, négatif ; differre, disperser^ différer, de dis,
particule indiquant la séparation, et ferre) : existe-t-il : a) des sensations indif-
férentes ? 75 ; b) des actions ? II, 30-31 ; 31-32.
Indifférentisme (de Indifférent) : doctrine qui met, sur le môme pied, le
vrai et le faux, le bien et le mal, II, 292 ; 346. — S'oppose à Intolérance doc-
trinale.
Indirect (de In, négatif ; direct, de directus, droit, de directum, supin de
di-rigei-e — di-regere, diriger) : démonstration indirecte, 637-638. — Dornaine
indirect, II, 189. — Impôt indirect, II, 278-279. — Pouvoir indirect de l'Église
sur le temporel, II, 343.
Indiscernable (de In, négatif ; discerner, de dis-cemere, séparer, trier) :
ce qui ne peut se distinguer. — Les indiscernables (Leibniz), 244 ; II, 512, 2.
Indissolubilité (de Indissoluble, de indissolubilis, de in, négatif ; dissolubilis,
séparable, de dis-solutum, supin de dis-solvere, séparer) : ce qui ne peut se séparer
— Indissolubilité du lien conjugal, II, 210-211. — Associations indissolubles,
304 ; 325-326.
Individu (Individuus, indivisible, de in, négatif ; di-viduas, divisé, de divi-
dere, séparer, de dis, préfixe indiquant division, et viduus, privé de) : a) C'est
un être un et tout entier en soi. 365-367, 367. — • Les individus sont indéfi-
nissables, 522. — b) En Logique : c'est le terme inférieurd'unesériede terme-;
disposés hiérarchiquement, vg. Pierre, 252. — c) En .S'oc/o/isg/e : l'unité dont se
composent les sociétés.
Individualisme (de Individu) : a) Tendance à s'affranchir de tout esprit de
solidarité, 93. — b) Tendance opposée à l'esprit d'association, 93 ; II, 251. —
c) Tendance à réduire (Individualisme de Spenceu) ou à supprimer les fonc-
tions de l'Etat (Individualisme anarchiste) au profit de l'initiative privée.
Individualité (de Individu) : a) C'est un être tout entier en soi, 365-367 ;
367. — b) Synonyme d'originalité : vg. c'est une individualité.
848 TABLE ANALYTIQUE : lodividuaiit — Inefflcacc
Individuant (du latin scolastique Individuare, rendre individuel) : les
ScoLASTiQUES appellent notes individuantes les caractères accidentels qui
distinguent chaque individu, 522.
Individuati on (du latin scolastique Individuare, rendre individuel) : le
principe d'individuation est la raison intrinsèque qui distingue entre eux les
individus. Pour les Thomistes, c'est la matière en tant qu'elle est aflectée
d'une certaine quantité [materia signala quantitate). — D'après les Suaréziens,
les êtres sont individualisés par leur entité même, c'est-à-dire par le fait même
qu'ils sont, II, 474-475. — Selon les Scotistes, les êtres sont individualisés
par une entité spéciale (appelée hseccéité) qui s'y ajouterait pour les déter-
miner. Voir Eccéité.
Individuel (de Individu) : ce qui se rapporte à l'individu, ce qui est sin-
gulier. — Idée individuelle, 258. — Proposition, 530.
Indivis, Indivision {Indivisus, de in, négatif ; divisus, divisé, participe
passé de dividere, divisum, séparera : ce qui n'est pas divisé, mais peut l'être,
vg. les corps composés, comme l'eau ; propriété indivise : qui appartient en
commun à plusieurr
Indivisible, Indivisibilité [Indivisibilis, de in, négatif; divisibilis, de divi-
sum, supin de dividere, diviser) : propriété de ce qui ne peut être divisé : tels
les êtres doués de simplicité, comme l'âme, II, 471 ; 536 ; 537-538.
Indolence [Indolentia, absence de douleur, de in, négatif ; dolere, souffrir) :
absence de douleur. — Idéal épicurien, 61 ; II, 50-51.
Inducteur, Induit (de Induction, de Inductum, supin de in-ducerc, intro-
duire) : dans une association d'idées, on nomme terme inducteur celui qui
suggère l'association ; terme induit, celui qui est suggéré. Exemples, 213-214.
Induction (Inductio, action d'introduire, de inductum, supin de in-ducere,
introduire) : opération par laquelle l'esprit conclut du particulier au général.
— Raisonnement inductif, 280 ; 283. — ■ Méthode inductive comparée à la
déductive, 617. — Induction et analyse, 622. — ■ Stade inductif dans les
sciences physiques, 623-624. — Phases de la méthode inductive, 648. — Rai-
sonnement inductif ou expérimental, 665. — Méthodes inductives : a) de
Bacon, 666 ; b) de Stuart Mill, 667. — L'induction chez Bacon, 670-672. —
Comparaison des méthodes inductives, 672. — Induction proprement dite,
673. — Fondement de l'induction : systèmes divers, 674-682. — Élément
expérimental et élément rationnel dans l'induction, 682. — Syllogisme inductif,
683. — Valeur et utilité de l'induction, 684. — L'induction en psychologie,
30-31 ; 729. — L'induction en psychologie et en physique, 733. — Générali-
sation et induction, 687-688; 704. — Analogie et induction, 706-708. —
L'induction dans les sciences morales, 715-716. — L'induction en histoire,
746-747. — L'induction dans la science sociale, 754-755.
Induction formelle : Aristote, 674.
Industrie, Industriel (Industria, activité, de industrius, pour industruus, celui
qui combine en lui-même, de Indu, préposition archaïque, synonyme de in,
et struere, entasser, élever, bâtir) : c'est l'ensemble des arts et métiers qui
élaborent les matières premières. — Arts industriels ou utiles, II, 408. —
L'État d'iit encourager l'industrie, II, 249-250.
Inefficace, Inefficacité (de In, négatif, et efficace, efficacité, de efficax,
efficacia, de cfficio — ex-jacere, effectuer) : ce qui ne produit pas l'effet attendu.
— Volonté inefficace, velléité, 358 ; 368. — S'oppose à Efficace, Efficacité.
TABLE ANALYTIQUE : Inégal — Infiniment 849
Inégal, Inégalité (de /n, négatif ; œqualis, œqualitas, de œqaus, égal, pareil) :
inégalité, chose naturelle, II, 194-195 ; 299-300 ; 349. — S'oppose à Égal,
Égalité.
Inertie [Inertia, de iners, inactif, de in, négatif ; ars, combinaison, invention.
Racine ar, adapter), 47. — Principe d'inertie : il consiste en ce que des points
matériels, s'ils ne subissent aucune action, conservent indéfiniment la même
vitesse en direction et en intensité. — Au sens moral : manque d'initiative.
In facto esse : expression scolastique qui indique qu'une chose est faite. —
S'oppose à In fieri.
Infaillibilité (de Infaillible, du latin injallibilis, de in, négatif, et fallibilis,
qui peut faillir, de fallere, faire glisser, tromper) : impossibilité de commettre
d'erreur : a) Infaillibilité de la raison : dans son domaine propre, la raison,
laissée à sa rectitude naturelle, est infaillible. Ses erreurs proviennent de l'in-
fluence troublante des autres facultés et des intermédiaires, 803-805. —
b] InfaiUibilité de V Église, II, 334-335. — S'oppose à Faillibilité.
Infantile, Infantilisme {InfantJUs, de in-fans, enfant,, de in, négatif, fari,
parler) : psychologie infantile, 723. Cf. 491, 1. — L'infantilisme, signe de
dégénérescence, est la persistance, à l'âge adulte, de certains caractères de
l'enfance.
Inférence (de Inférer, de in-ferre, porter dans) : terme générique désignant
l'opération par laquelle l'esprit admet une proposition en vertu de sa connexion
avec d'autres propositions tenues pour vraies. Ce terme embrasse comme
espèces : déduction, induction. — Théorie de l'inférence sur la perception externe
(Descartes, Cousin), 173. — Variétés de l'inférence : déduction, induction,
278 ; 280-282. — - Cette expression est d'un usage fréquent chez les philosophes
anglais : Stuart Mill notamment parle de l'inférence du particulier au par-
ticulier, 283 ; 707. — Inférence ou déduction immédiate, 383; 706-708; 531. —
Inférence ou déduction médiate, 535.
Inférieur [Inferior, comparatif de inferus, qui est en bas): en Logique, se dit
de tout terme dont l'extension est moindre que celle d'un autre ; vg. l'espèce
pai" rapport au genre ; les genres intermédiaires par rapport aux genres supé-
rieurs, 251-252 ; 252-253. — Signifie : a] En général : tout ce qui, comparé à une
autre chose, dans le même ordre d'idées, ne lui est pas jugé préférable : vg.
Comte a dit que le matéi'ialisme est l'explication du « supérieur par l'infé-
rieur », 717. è) En particulier : se dit de tout ce qui est moins avancé dans
la voie du progrès : vg. groupes ou espèces inférieures, 694-695 — Classes
sociales inférieures, II, 239-240.
Infidèle [Infidelis, de in, négatif; fidelis, de fides, confiance, croyance) :
mémoire infidèle, c'est-à-dire manquant d'exactitude, 207.
In fieri (En train d'être fait) : signifie, en langage scolastique, le devenir,
le passage de la puissance à l'acte, 48, II, 465. — S'oppose à In facto esse.
Infini [Infinitus, de in, négatif ; finitus, fini, participe passé de finire,
finitam, borner) : ce qui n'a pas de bornes, 339-340. — Origine de cette notion,
341-342. — L'infini en nombre répugne, 340, 2 ; II, 558. — Preuve de l'existence
de Dieu tirée de l'idée d'infini et de parfait, II, 566. — L'infini, d'après
Pasteur, II, 634, 1.
Infiniment (de Infini) : infiniment grand, infiniment petit signifient : plus
grand, plus petit (jue toute quantité donnée. — Du point de \\\Q nia'.hémitique,
on nomme grandeur infiniment petite toute grandeur variable dont la limite
est zéro.
1
850 TABLE ANALYTIQUE : Infinité — Inhibitoire
Infinité, Infinitllde (Infinitas, de in, négatif ; finitum, supin de finire,
borner. Infinitudo, mot forgé par analogie à habitudo, forme extérieure, atti-
tude) : Dieu est infiniment parfait, II, 573-574 ; 577.
Infinitésimal (de Infinitesimus, mot créé par Leibniz, de in, négatif;
finitum, supin de finire, limiter) : ce qui concerne les quantités infiniment
petites. — Le Calcul infinitésimal : Leibniz, qui l'inventa, l'expose dans sa
Noi>a Methodus pro maximis et minimis (1684). Cet algorithme « comprend
toutes les opérations mathématiques qui ont pour objet d'établir des relations
entre grandeurs finies par la considération de quantités infinitésimales : mesure
des grandeurs finies considérées comme limites ; détermination des grandeurs
finies considérées comme rapport de deux quantités infinitésimales (calcul des
dérivées) ; détermination des grandeurs finies considérées comme somme d'un
nombre infiniment grand de quantités infiniment petites (calcul intégral) «
[Bulletin de la Société française de Philosophie, août 1909, p. 250). • — Signifie
également : plus petit que toute quantité donnée ; ,ou même, dans le langage
courant : très petit.
Influence (de Injiuens, de in, sur ; fluere, couler) : ce mot signifia : a) primi-
tivement, l'action d'un fluide astral, qui était censé agir sur la destinée des
hommes ; b] puis, l'action d'une personne ou d'une chose sur une autre ; vg.
influence: 1°) de l'exemple, 96; 2°) des passio?is, 117; 3°) des circonstances
physiques et du tempérament sur la volonté, 390-392 ; 4^) des motifs sur la
volonté et réciproquement, 392-393 ; 396-398 ; 398-400; 5°) de V habitude, 418-419;
424-425 ; 6°) de la pensée sur le langage et réciproquement, 450-451 ;
7°) du physique sur le moral et réciproquement, 467-469 ; 469-473 ;
8°) de la Logique et de la Méthode sur /'esprit, 840-844; 9°) du plaisir , deV intérêt,
du sentiment en Morale, II, 76 ; 77 ; 86 ; 10°) de Vart, II, 411-412.
Influx (Influxus, action de couler dans, influence, de in, sur ; fluere, couler) :
influence. — Influx physique d'EuLER, II, 548.
Information {Infonnatio, action de façonner, de injormatum, supin de in-
forfnare. façonner) : dans le langage scolastique, c'est l'acte par lequel une
forme substantielle ou accidentelle s'appHque à une matière et la détermine,
324 ; II, 516. — S'informer signifie aussi : a) prendre la forme des choses, les
connaître. Cf. Théorie de V assimilation des Scolastiques, 162; b) ce que l'on
cherche à connaître : sources d'information de la Psj^chologie, 730.
Infra <ion {Infractio, action de briser, de in, sur ou contre ; fractum, supin
de frangire, briser) : violation de la loi morale ou civile.
Inhérence, Inhérent [Inhsprens, de in, dans; hserere, être attaché à) : est
inhérent à un sujet donné tout ce qui lui est essentiel ; ou, dans un sens moins
cet homme est savant.
Inhibition (Inhibitio, action d'arrêter, de inhibitum, supin de inhibere,
arrêter, de in, dans, sur ; habere, tenir) : action exercée par certains nerfs sur
le centre excito-moteur pour supprimer son excitabilité. Par extension analo-
gique on entend l'action de certains phénomènes psychiques, qui empêchent
d'autres phénomènes psychiques de se réaliser ; vg. la volonté a un pouvoir
d'inhibition, 357 ; 368.
Inhibitoire (de Inhibitum, supin de inhibere, arrêter) : im nomme inhibi-
toires certaines sensations, sentiments ou idées, qui dépriment le pouvoir
moteur; vg. la crainte, la tristesse, 123.
TABLE ANALYTIQUE : Inintelligible — In recto 851
Inintelligible (de In, négatif ; intelligible, de intelligibilis, perceptible, qui
peut être compris, de intelligere — inter-legere, percevoir, remarquer, connaître):
ce qui ne satisfait pas aux principes de la raison, donc ce qu'elle ne peut com-
prendre. — S'oppose à Intelligible, 289.
Initiative (de Initiatum, supin de initiare, commencer, de initium, commen-
cement, de in-ire, entrer dans, commencer) : action de celui qui est le premier
à faire quelque chose. — Esprit d'initiative, puissances initiatrices, 424-425.
Injure {Injuria, de in, contre ; jus, juris, le droit) : parole ou action offen-
sante, II, 168 ; 206.
Injuste, Injustice {Injustus, injustitia, de in, contre ; jus, juris, le droit) :
ce qui est contraire aux droits d'autrui, II, 161-168. — S'oppose à Juste,
Justice.
Inné, Innélté {Innatus, inné, naturel, de innatum, supin de in-nasci, naître
dans) : est inné ce qui fait partie de la nature d'un être, par opposition à ce
qu'il a acquis depuis sa naissance. - — Innéité : a\ des inclinations, 103-104 ;
b) de Vinstinct animal, 105 ; 111-112 ; c) des idées (Descartes), 312 ; d) des
lois ou formes a priori de la sensibilité et de V entendement (Kant), 314 ; II, 431-
432 ; e) de certains éléments du caractère, 405 ; 406 ; 407 ; /) de Vinstinct philo-
logique^ 444-446 ; 447. — S'oppose à Acquis.
Innéisme (de Inné) : système où l'on admet l'innéité de certaines notions
ou lois de la pensée, de certaines inclinations. Cf. Innéité. — S'oppose à Empi-
risme.
Innervation [In, dans, sur ; nervus, nerf) : certains psychologues appellent
sensation d'' innervation la sensation de la quantité d'énergie nerveuse que
nous dépensons pour contracter un muscle. Son existence est très discutée.
Innovation [Innovatio, de Innovatwn, supin de in-nova'-e, changer) : action
d'introduire du nouveau. — L'imagination est un principe d'innovation,
232-233 ; 425.
In obliquo (de In, dans ; obliquus, qui est ou *>'& de côté, de travers) : d'après
les ScoLASTiQUEs, unc idée est posée in obliquo, quand elle n'appartient pas
à la définition d'un être, mais est seulement liée avec l'un de ses éléments
constitutifs ; vg. la risibilité est dite de l'homme in obliquo ; de même la
faculté de parler, 253 ; 523. — S'oppose à In recto.
Inquiétude (Inquietudo, agitation, de inquies, inquietis. agité, de in, négatif ;
quies, repos) : du sens d'agitation, d'impossibilité de rester en place, on est
passé an sens moral : tendance à ne pas se contenter de ce qui est, de ce qu'on a,
désir du mieux, recherche de l'an delà. Magnifique inquiétude de ITune, avide
du parfait, II, 565.
Inquisition (Inquisitio, recherche attentive, de inquisitum, supin de in-
quirere = quaerere, rechercher) : recherche rigoureuse. — Inquisition doctri-
nale, II, 344-345.
In re (de In, dans ; res, bien, propriété, chose) : les Scolastiques disent que
l'universel esl fundamentaliter in re ; c'est l'universel direct, 256-257. — S'oppose
à formaliter in mente. — S'emploie aussi pour indiquer qu'on considère un objet
tel qu'il existe dans la réalité. — S'oppose à In abstracto.
In recto (de In, dans ; rectus, droit, de rectum, supin de regere, dirigei-) :
d'après les Scolastiques, une idée est posée in recto, quand elle rentre dans la
définition d'un être ; vg. raisonnable, dans la définition d'homme, 253. —
S'oppose à In obliquo.
852 TABLE ANALYTIQUE : Insensibilité — Intégration
Insensibilité {Inscnsibilitas, de Insensibilis, de in, négatif ; sensibilis, de
sensum, supin de sentire, sentir) : dureté de cœur, 86. — Insensii)ilité de l'hyp-
notisé, 479-480.
Inséparable, Inséparabilité {Inseparabilis, de in, négatif ; separahilis, de
se-parare, disjoindre, de se, préposition archaïque marquant désunion, et
parare, faire la paire, de par, pair) : association inséparable (Stuart Mill),
304; 325-326.
Inspiration [Inspiratio, action de souffler sur, de inspiratum, supin de
in-spirare) : action de faire naître une idée, une résolution. — Inspiration
artistique, 228-229 ; 230-231 ; II, 396.
Instabilité (de Instable) : manque de fixité. — ■ L'instabilité mentale implique
un « ensemble de symptômes psychiques consistant dans une variation excep-
tionnellement rapide et fréquente des dispositions intellectuelles et afîectives
d'un sujet. » [Bulletin de la Société française de Philosophie, 1909, p. 254).
Instance [Instantia, le fait d'être imminent, assiduité, insistance, de in-
stare, se tenir sur, d'où presser, menacer. Aristote dit evaT«<7t;, action de se
dresser contre, d'où opposition, objection, de hinTr^u.'.) : c'est un nouvel argu-
ment fait pour insister ou pour réfuter la réponse donnée à un premier argu-
ment. • — Fr. Bacon appelle instances [instantise, en anglais, instances) des
exemples typiques, des faits privilégiés, 652-653.
Instant [Instans, présent, pressant, menaçant, de in-stare, se tenir sur) :
a) setis usuel : très courte durée ; b) sens philosophique : limite commune entre
deux temps successifs. — Il est au temps ce que le point est à. l'espace, II,
505 ; 506.
Instinct {Instinctus, excitation, impulsion, de instinctwn, supin de instin-
„ __ _ , ^ ystèmes
divers, 106-112. — Inclinationsinstinctives, 104. — Instinctsdela conservation,
du bonheur, du progrès, 84-85. — Activité instinctive, 355. — L'habitude et
l'instinct, 426. — Instinct philologique, 444.
Instruction [Instructio, mise en ordre, disposition, de instructum, supin
de instruere, de in, sur ; struere, entasser, bâtir) : a) action de communiquer à
d'autres ses connaissanes ; b) ensemble des connaissances acquises. — Sa
nature et ses formes, 407-408 ; 413. — Devoir relatif à l'intelligence, II, 158 ;
168. — Devoir des parents à l'égard deleurs enfants, II, 216; 258-260. — L'État
et l'instruction, II, 254-259. — L'instruction laïque, gratuite et obligatoire,
II, 259-260.
Instrument (Instrumentum, de in-struere, élever, disposer, bâtir) : objet
fabriqué qui sert à une opération. — Condition physique de l'observation, 650.
Instrumental (de Instrument) : cause instrumentale, 325.
Insurrection (Insurrectio, de Insurrectum, supin de in-surgere, se dresser
contre) : soulèvement contre l'autorité, U, 287 ; 299 ; 300 ; 350.
Intégral (de Integer, integri, entier) : calcul intégral. Voir Infinitésimal.
Intégration, Intégrer (do Integratum, supin de integrare, rétablir dans l'état
primitif, renouveler) : a) opération du calcul intégral, voir Infinitésimal. —
TABLE ANALYTIQUE : Intégrité — Intensif 853
b) Intégrer s'emploie pour dire : faire entrer dans un tout, concentrer, classer. —
c) Spencer entend intégration dans un sens particulier, II, 627-628. Il lui
oppose Désintégration.
Intégrité {Integritas, de integer, non entamé, intact, entier, de in, négatif ;
tactuni, supin de tangere, toucher) : état de ce qui est entier. — Intégrité des
organes, 650. — Intégrité des documents, 742. — Élément du beau, II, 382 ;
384. — Bonum ex intégra causa, II, 33.
Intellect [Intelleclus, de intellectum, supin de intellegere, inîelligere ■— inter-
legere, percevoir, remarquer, connaître) : intellect passif, actif, 316-317.
Intellection (de Intellect) : acte de l'intelligence proprement dite, comme
rabsliMctioii, le jugement, le raisonnement, 236-237.
Intellectualisme (de Intellectualis, intellectuel, de intelleclus, intelligence,
de inteUigerc, intellectum, percevoir, remarquer, connaître! : ce mot assez mal
défini se prend en plusieurs sens : a) Doctrine selon laquelle l'intellectuel et
le réel sont inséparables au fond des choses, sans exclure toutefois la volonté.
Telle est la tendance de la philosophie de Platon, de Spinoza, de Hegel. —
b) Doctrine qui ramène les faits psychologiques à des faits intellectuels, repré-
sentatifs : vg. on découvre cette tendance chez Descartes : théorie du plaisir,
60. — c) D(»ctrine qui donne le primat à l'intelligence : tel le système thomiste
par opposition au système scotiste qui est volontariste.
Intellectuel (Intellectualis, de intellectus, intelligence, de intelligere, intel-
lectum, perrevoir, remarquer, connait-re) : ce mot se prend dans un : a) Sens
large : pour désigner tout fait de connaissance ; il s'oppose alors à Affectif,
Volitif, 34 ; 134-135. — è) Sens strict : pour indiquer les opérations conceptuelles ;
il s'oppose alors à Sensitif, 135. — c) Sens péjoratif : on appelle intellectuels, ceux
qui accordent une préférence exclusive à la pensée, au détriment de la vie
pratique et de la valeur morale. Bacon les appelle intellectualistes, 808, 1.
Intelligence [IntelUgejitia,' de Intelligere = inter-legere, intellectum, perce-
voir, rémarquer, connaître) : faculté générale de connaître, 134. — Opérations
sensitives, 134-135. — Opérations proprement intellectuelles, 135. — Éléments
de l'intelligence, 136. — Intelligence de l'homme et intelligence de l'animal.
493-494. — L)evoirs relatifs : à sa propre intelligence, II, 158-159 ; à l'intel-
ligence d'anti'ui, II, 168. •
Intelligibilité (de Intelligible, do intelligihilis, perceptible) : caractère de
ce qui est inlclligible. — Principe d'universelle intelligibilité, 289.
Intelligible [IntelUgibilis, perceptible, de intelligere = inter-legere, intel-
lectum, percevoir, remarquer, connaître) : a] Ce qui ne peut être connu que
par l'iiilelligence ; vg. les idées et les relations abstraites. — Espèces intelli-
gibles des Scolastiques, 171, 1 ; 316-317. S'oppose à Sensible. — b) Ce dont
l'intelligence peut se rendre compte, 289-290. S'oppose à Inintelligible. —
Caractère intelligible (Kant, Schopenhauer), 405. S'oppose à Empirique.
Intempérance [Intemperantia, de in, négatif temperantia, mesure, do
temperare, m'-lauger, régler, de tempits, temps) : manque de modération dans
l'usage des plaisirs des sens, spécialement des plaisirs de la table. — Vioi'
opposé à la vertu de Tempérance, II, 127-128 ; 130 ; 158,
Intensif (de Intense, de intensus, tendu, adjectif dérivé de in-trndere.
intensum, étendre) : indique une^ qualité où l'on peut distinguer de-; degrés
divers, 27. — S'oppose à Extensif, qui se rapporte à la quantité.
854 TABLE ANALYTIQUE : Intensité — Interfécondité
Intensité (de Intense, de intensus, tendu, adjectif dérivé de in-tendere,
intensiayi, étendre) : caractère de ce qui admet des états où l'on distingue des
degrés, du plus et du moins ; vg. intensité d'une force, des faits de conscience,
27 ; 417. — Loi du plaisir et de la douleur, 66.
Intention (Intentio, action de tendre vers, attention, intention, de intentum,
supin de in-tendere, tendre, diriger vers) : direction de la volonté qui se propose
lisme moral de Kant, II, 78-79 ; 96-97 ; 100
Intention première, seconde : dans la langue des Scolastiques, Vintentio
(de intentum, supin de in-tendere, étendre, diriger vers) est l'acte par lequel
l'intelligence tend à connaître un objet. C'est ce qu'ils appellent Intentio for-
maiis : ils la distinguent en Intentio prima seii directa et en Intentio secunda
seu reflexa. L'intention première est l'acte par lequel l'intelligence se porte
directement sur un objet tel qu'il existe eo lui-même. De là vient que les idées
directes, comme l'homme, l'arbre, sont appelées intentiones primœ objectivas :
elles constituent Vuniversel direct, objet de la Métaphysique. — L'intention
seconde est l'acte réfléchi par lequel l'intelligence se porte sur Vidée elle-même,
en tant qu'idée, c'est-à-dire sur un objet tel qu'il existe dans l'intelligence.
De la vient que les idées réfléchies, en tant qu'abstraites et générales, comme
le genre, l'espèce, le propre, l'accident, sont appelées intentiones secundse
objectivée : elles constituent Vuniversel réflexe, objet de la Logique. L'intention
seconde est ainsi nommée parce qu'elle suppose un acte antécédent sur lequel
elle s'exerce.
Intentionnel (du latin scolastique Intentionalis, de intentio, action de tendre
vers, attention, intention, de intentum, supin de in-tendere, étendre, diriger
vers) : les espèces intentionnelles (species intentionales) sont les espèces qui
servent à la connaissance, 316-317. — Un acte intentionnel est un acte prévu
et voulu, 357-358 ; II, 30-31.
Interdépendance (de Inter, entre ; dépendance) : ce mot indique la dépen-
dance réciproque: vg. solidarité organique, II, 70,3. — Événements soumis à une
dépendance mutuelle.
Intérêt ( = Intêrest. de Interest, il importe, verbe impersonnel, de inter-esse,
être entre, assister) : a> ce qui est avantageux, soit par le profit qu'on en retire,
soit par un avantage quelconque qu'on y trouve ; b) ce qui touche par la part
qu' 'n y prend, mû par sympathie, bienveillance pour les autres ; c) ce dont
l'attrait excite un sentiment personnel, vg. de curiosité, d'émulation. — Morale
de l'intérêt au sens de : 1") Épicure, II, 50; 2°) Bentham, II, 51 ; 3°) Stuart
MiLL. II, 53 ; 'tO) Spencer, II, 58 ; 5°) Ém. Durkheim.II, 60: 6°) L. Bourgeois,
11^ 70. — Rôle de l'intérêt en Morale, II, 77. — Le plaisir et l'intérêt, II, 80.
— Le sentiment et l'intérêt, II, 88. — Prêt à intérêt, II, 356-357. — L'intérêt
général ou bien commun social est le principe régulateur des fonctions de
l'État, II, 249 ; 250.
Interfécondité (de Inter, entre ; fécondité, de fecunditas, de fecundus, fécond,
de l'inusiti', />r/, produire ) : propriété, que possède une collection d'individus,
de transmettre indéfiniment par génération un certain nombre de qualités
communes et essentielles. — C'est, d'après les anti-transformistes, la carac-
téristique de l'espèce, II, 614, 1 ; 618.
TABLE analytique: Intérieur — Intrapersonnel 855
Intérieur, Interne {Interior, in<er/m.ç, comparatif de l'archaïque interus, de
in, dans, et du suffixe ter) : ce qui est dans l'âme. — Sensations internes, 75 ;
76. — Perception interne, 134; 137-155. — Sens internes, 43. — S'oppo-se
à Externe, Extérieur.
International (du latin inter, entre, et nation) : droit international, II, 311.
— Organisation juridique internationale, II, 315.
Interpersonnel (de Inter, entre ; personnel, de personalis, de persona,
masque, personnage, personne) : Rabier nomme les inclinations sociales m<er-
personnelles, 102. Le texte porte, par erreur, intrapersonnelles, 102.
Interpolation i Inter polatio, de interpolatum, supin de interpolare, remettre
à neuf, modifier, de inter, entre et polire, polir, mettre un enduitl : altération
d'un texte, 742.
Interprétation [Interpretatio, de inter-pres, interpretis, intermédiaire, inter-
prète, de la racine pre, trafiquer. Cf. pre-tium, valeur vénale d'une chose) :
action de donner une signification à une chose ou d'expliquer un sens ambigu.
— Interprétation instinctive, empirique, rationnelle de la sensation, 170-175.
— Faculté d'interpréter les signes, 436. — Interprétation de l'expérience,
664-670. — Interprétation des droits, II, 249.
Interprétationnisme (de Interprétation) : ensemble de systèmes sur la per-
ception extérieure, 161 ; 170-175 ; 188-189.
Interstérilité (de Inter, entre ; stérilité, de sterilitas) : absence de fécondité
entre espèces voisines. II, 618.
Intervalle {Intervallum, de inter, enti'e ; vallus, pieui : distance entre deux
temps, deux lieux, deux sons, deux actes. — Intervalle entre les actes qui
engendrent l'habitude, 417.
Intervention [Interventio, de interventum, supin de inter-venire, venir entre) :
action de prendre part à quelque chose. — Exemples d'intervention de
l'État, II, 252. — Principe de non-intervention, II, 313-314.
Intestat (Intestatus, qui n'a pas fait son testament, de in, négatif ; testatum,
supin de testari, tester) : l'expression successor ab intestato, qu'on traduit par
ab intestat, indique les héritiers naturels, comme les enfants, qui recueillent
les biens dont le propriétaire n'a pas disposé par testament.
Intime {Intimus, le plus intérieur, superlatif de l'archaïque interus, de inter,
de in, dans et suffixe ter) : sens intime signifie sens intérieur : expression
employée par les Philosophes Écossais, Maine de Biran et les Éclectiques
commesynonyme de conscience directe, 137. Les Scolastiques disent Sensus
intimus. S'oppose à Extérieur. — • Intime signifie aussi ce qui est profond,
pénétrant ; vg. connaissance intime d'une question ; amitié intime, intimité ;
union intime de l'âme et du corps. S'oppose à Superficiel.
Intolérance (Intolerantia, impatience, de in, négatif, et tolerantia, de
tolerans, participe présent de tolerare, supporter) : action de ne pas supporter
chez les autres ce qu'on désapprouve. — Intolérance : brutale, civile, doctrinale,
II, 344-346.
Intrapersonnel (de Intra, dans l'intérieur ; personnel, de personalis, de
persona, masque, personnage, personnel : certains psychologues nomment
inclinations intrapersonnelles les inclinations égoïstes, qui dérivent de l'amour
de SOI.
856 TABLE AXALYTiQiE : Iiitrmsèque ^ Investigation
Intrinsèque (de Intrinsecus, de intra, dans rintérieur, et secus, autrement,.
à parti : ce qui, entrant dans la nature d'un être ou la définition d'un concept,
leur est intérieur. — Déjwmination intrinsèque : les Scolastiques appellent
ainsi une manière d'être cjui convient à une substance considérée en elle-même
et non dans ses relations : vg. cet arbre est verdoyant. — figues intrinsèques
d'authenticité et d'intégrité, 741. — Définition de la vie : Motus ab intrinseco,
II, 524. — Gloire intrinsèque de Dieu, II, 636.
Introspection (de l'anglais Introspection, de introspectum, supin de ifitro-
spicere, regarder dans, = intra, dans l'intérieur ; specere, regarder) : méthode
d'observation intérieure ou méthode introspective, 719.
Intuitif (du radical à.'' Intuition) : a) Ce qui constitue une intuitiçn ou
s'accompagne d'intuition : jugement intuitif, 265-266. — Raison intuitive,
250 ; 278-2'79 ; 286 ; 797. — b) Celui qui est doué d'intuition, vg. esprit intuitif.
— c) Ce qui est objet d'intuition, vg. vérité intuitive.
Intuition (Intuitio, action de regarder, de intuitum, supin de in-tueri,.
regarder attentivement) : connaissance sans intermédiaire. — • Faculté d'intui-
tion, raison intuitive. 250 : 278-279 ; 286. — Nécessité de l'intuition, 562. —
Supériorité de l'intuition, 639. — Il n'y a pas d'erreurs d'intuition, 797-798.
Intuitionnisme (de Intuition) : système de la perception immédiate du
monde extérieur, 161 ; 162-166.
Intussusception (de Ijitus, au dedans ; susceptio, action d'entreprendre, de
recevoir, de susceptum, supin de suscipere, prendre sur soi, soutenir, recueillir,
de sus, en haut et capere, prendre) : mode d'accroissement propre aux êtres
vivants, qui se développent en s'assimilant des aliments, à la différence des
minéraux qui s'accroissent par juxta-position.
Invariabilité (de Invariable, de in, négatif ; variabilis, changeant, de
i'ariare, diversifier) : impossibilité du changement. — Principe de l'invariabilité:
a) des causes, des essences, 680-681 ; b\ des relations des êtres, II, 41.
Invention [Inventio, rencontre, de inventum, supin de in-venire, arriver sur,
rencontrer, découvrir) : ce mot s'emploie pour indiquer une combinaison nou-
velle de moyens en vue d'obtenir une fin. L'imagination est une faculté d'in-
vention, 232-233. — L'imagination créatrice est inventive dans le domaine :
a) des arts et des lettres, 229 ; b) des sciences, 231.
Inverse [Inversus, participe passé de in-vertere, inve.rsum, retourner, ren-
verser) : proposition inverse : celle dont les termes sont dans un ordre renversé
par rapport à ceux d'une autre proposition; \g. L'homme est Vanimal raison-
nable, par rapport à : L'animal raisonnable est l homme. Quand les deux propo-
sitions sont vraies, comme ici, on dit qu'il y a conversion ou réciprocité, 523.
Inversion (Inversio, renversement, de inversum, supin de in-vertere, retour-
ner, renverser) : terme créé par Keynes pour signifier ; « Inférence immédiate-
par laquelle on conclut d'une proposition donnée une autre proposition ayant
pour sujet la contradictoire du sujet primitif. « (Cf. Bulletin de la Société
française de Philosophie, 1909, p. 274-275). — Exemple : Tout homme est
raisonnable, donc quelque non-homme n'est pas raisonnable.
Investigation (Investigatio, de investigatum, supin de in-vestigare, suivre à
l;i trace, de in. sur ; ^estiglum, plante des pieds, pied, trace) : recherche atten-
tive. — L'analyse est une méthode d'investigation, 616.
TABLE ANALYTIQUE Inviiicible — Irritabilité 857
Invincible [Invincihilis, de m, négatif ; vincibilis, qu'on peut vaincre, de
vincere, vaincre) : ignorance invincible, 772 ; II, 115.
Inviolable, Inviolabilité (InviolabiUs, Inuiolabilitas, de in, négatif , violare,
violatum, violer, outrager, de vis, violence] : ce qu'il n'est pas permis de violer.
— Inviolabilité du droit, II, 131.
Involontaire {Involuntarius, de in, négatif ; voluntarius, de voluntas,
volonté, de volo, vouloir) : acte qui prévient l'advertence ; vg. les impulsions
spontanées de la sensibilité, les passions qui portent au mal ne sont formel-
lement mauvaises que si elles sont acceptées par la volonté, 125. — L'erreur
est ijivolontaire, 807. S'oppo?e à Volontaire.
Invraisemblable, Invraisemblance (de In, négatif ; vrai, de verum ; semblable,
semhlance (archaïque), de sembler, de similare et simulare, être semblable,
rendre semblable, imiter, contrefaire) : ce qui ne paraît pas conforme à la
vérité. — Invraisemblance métaphysique, physique, morale, 738-739.
Irascible (Irascibilis, de irasci, se fâcher, de ira, doublet de hira, qui signifie
entrailles, que les anciens croyaient être le siège de la colère) : prompt à
s'irriter. — Appétit irascible, 44. — Passions qui en dérivent, 122.
Ironie [Ironia, îtpwvct'y, action d'interroger en feignant l'ignorance, de
eîp'ovrJopa'., interroger) : l'ironie socratique est la partie négative de la méthode
de SocRATE pour réfuter les Sophistes. Elle consistait à feindre l'ignorance
et, par d'habiles interrogations, à tirer des principes admis par l'adversaire
certaines conséquences absurdes ou contradictoires, que Socrate retournait
contre ces principes pour les renverser. La partie positive et constructive s'appe-
lait la Maïeutique. Voir ce mot.
Irraisonnable (de In, négatif ; raisonnable, de raison, de rationem) : qui
n'est pas doué de raison, 252 ; 253. — S'oppose k Raisonnable.
Irrationnel (Irrationalis, de in, négatif ; ralionalis, ce qui regarde le calcul,
le raisonnement, de ratio, calcul, raison) : ce qui n'est pas conforme à la droite
raison. — ■ S'oppose à Rationnel.
Irréductible, Irréductibilité (de In, négatif ; réductible, de reductum, supin
de re-ducere, ramener) : ce qui ne peut se ramener à autre chose ou à des
éléments plus simples. — Irréductibilité : a) des faits physiologiques et psycho-
logiques, 25-28 ; 717-718 ; b) des inclinations, 98 : c) de l'instinct et de la
raison, 107-108. — S'oppose à Réductible, Réductibilité.
Irréflexion (de In, négatif ; réflexion, de reflexio, de reflexum, supin de
re-flectere, replier) : cause d'erreur, 271 ; 604 ; 804. — S'oppose à Réflexion.
Irrégulier (du latin scolastique irregularis, de in, négatif ; regularis, de
régula, règle, équerre, de regere, diriger) : ce qui n'est pas conforme à la règle.
— Syllogismes irréguliers, 547. — Faits irréguliers (Bacon), 652.
Irrésolution (de In, négatif ; résolution, de rcsolutio, action de détacher,
relâchement, de resolutum, supin do re-solvere, délier, désagréger) : manque
de décision. — Faiblesse de volonté, 367-368.
Irréversible (de in, négatif et de reversum, supin de revertere, revenir ; de re,
préfixe qui marque mouvement en arrière, et vertere, tourner) : ce qui ne fait
pas ou ne peut faire retour.
Irritabilité (de Irritabilis, irritable, de irritare, exciter, de irrire, hirrire,
gronder, grogner) : faculté qu'ont les éléments organiques d'entrer en mou-
vement sous le stimulant de certaines causes, II, 524-525.
858 TABLE analytique: Isolant — Joubert (Joseph)
Isolant (de Isoler, de l'italien isolato, qui est comme une île) : langues
isolantes, 456. — L'abstraction isole, 246.
Ivrogne, Ivrognerie (Ivre, du latin populaire ebrium) : excès dans le boire.
— Son châtiment, 114-115 ; 419.
Jacobi (Friedrich-Heinrich) : nature de la croyance, 788. — Critérium
du vrai, 816, 1. — Satisfaction morale, II, 49, 2.
Jalousie (de Jaloux, du latin populaire zelosum, de zclus, C'J^'iç, zèle, envie,
devenu jelos, jalos, jalons, jaloux) : inclination malveillante, 94.
Jamblique ( 'ïocafi^i/oç) : méthode mystique, 7.
James (William) : pouvoir de la volonté sur le corps, 359, 4. — Le Prag-
matisme, 820.
Janet (Paul) : amour désintéressé, 100, 1. — • Définition de la passion, 113.
— Analyse de la conscience réfléchie, 138, 1 ; 139, 1. — Nature de la sensation,
159, 1. — Perception de la forme solide par la vue, 179, 3. — Liaison d'idées,
217, 1. — L'intellect actif, 250, 1 ; 317, 2. — Antériorité de l'idée singulière,
260, 3. — Principe de finalité, 335, 1. — L'hallucination, 487, 1. — Réponse
à Hamilton niant que l'attribut de la proposition affirmative soit toujours
particulier, 535, 1. — L'astronomie, science d'observation, 663, 1. — Méthodes
de Stuart Mill appliquées par Pasteur à la question de la génération
spontanée, 669, 3. — • Critique du fondement de l'induction proposé par
Lachelier, 676, 7. — Utilité du doute méthodique, 774. — Objection contre
l'universalité de la conscience morale, II, 28, 4. — Devoirs envers les animaux,
II, 150, 2, 3. — Conflit des devoirs, II, 151, 1. — Le Positivisme, II, 446-447.
— Thèse, Antithèse, Synthèse de Hegel, II, 608, 1, 2.
Jannet (Claudio) : minimum de salaire, II, 360, 1.
Jardin (de l'ancien français jard, d'origine germanique. Cf. haut allemand
garto ; signifia primitivement cour, maison) : art des jardins, II, 408.
Jean (Saint) : le Verbe, 769, 1. — Vérité et lumière, 809, 1. — Dieu est
charité, II, 596, 1.
Jeu (de Jocuin, plaisanterie, jeu) : dépense d'activité dont le but (jouir
d'elle-même) est en fait perdu de vue. — Utilité des jeux physiques, 411, 2. —
Activité de jeu, 103 ; II, 379-380.
Jeunesse (de Jeune, de juvenem) : éducation de la jeunesse, 407-414.
Jevons (William Stanley) : raisonnement inductif, 677-678.
Joie (du latin populaire Gaudia, pluriel neutre de gaudium employé comme
féminin singulier) : sentiment de la joie, d'après : a) Spinoza, 65, 1 ; 80, 2 ;
124, 3 ; h) Aristote, Sgolastiques et Bossuet, 122 ; c) Descartes, 124. —
La joie fait peur, 469.
Joli (pour Jolif, jolwe, dérivé d'un radical jol, qu'on a rapproché de l'ancien
norois hjol, fête solennelle) : c'est le beau, moins l'ampleur, II, 388-389 ; 390.
Joséphisme : système administratif qui cherche à entraver l'Église, II, 337.
Jourert (Joseph) : danger des mots vagues, 365. — Outrance du pathé-
tique, II, 403.
TABLE ANALYTIQUE : Jouffroy (ThéodoFe) — Justice 859
JouFFROY (Théodore) : psychologie, science distincte, 32, 1. — Classi-
fication des facultés, 36-37. — Nature de la sympathie, 88, 1. — L'âme se
saisit immédiatement comme substance et cause, 146, 1. — Le sens commun,
286, 1. — Les trois motifs d'agir, 397, 1. — Instinct philologique, 444, 4. —
Critérium de l'évidence d'après Reid, 815, 4. — Morale de la sympathie de
Smith, II, 83, 1. — Nature de l'idée du bien rationnel, II. 103, 2. — Définition
du beau, IL 381, 5. — Le Vitalisme, II, 527 ; 528.
Jouissance (de Jouir, du latin populaire gaudire, pour gaudere, se réjouir) :
plaisir qu'on goûte dans la possession de quelque chose. — La jouissance ne
peut être la fin de la loi morale. Cf. Morale du plaisir, II, 48-49.
Judiciaire (Judiciarius, de judicium, de judex, judicis, de jus, droit ; dicere,
dire) : pourvoi judiciaire, II, 267. — Duel judiciaire, II, 167.
Juge {Judicem, de jus, droit ; dicere, dire) : devoirs des juges, II, 266 ; 267.
Jugement (de Juger, de judicare, d'où judgar, jugier, juger) : a) opération
de l'esprit affirmant des rapports ; b) qualité consistant à bien juger ;,vg. un
homme de jugement. — Ses modes, 265. — Analyse du jugement aux points
de vue psychologique et logique, 266. — Sa nature et son rôle, 267. — Erreurs
sur la nature du jugement, 268-269. — ■ Jugement et croyance, 269. — Erreur
cartésienne sur le jugement, 270-271. — Rôle indirect de la volonté, 271. —
Division des jugements, 272. — Jugements synthétiques a priori, 274. —
Les propositions et les jugements, 514 ; 529. — Règles formelles des jugements,
529. — L'erreur est-elle dans le jugement ? 796 ; 797.
Jugements de valeur : les Pragmatistes appellent ainsi les jugements qui
se rapportent aux moyens à prendre pour atteindre une fin obligatoire ou
souhaitable.
Jugements moraux : II, 16-17.
Juridiction {Jurisdictio, action de rendre la justice, de jus, droit ; dicere,
dire ) : pouvoir de gouverner et de décider en matière juridique. — Pouvoir
indirect de juridiction de l'État sur la propriété, II, 193. — Pouvoir de juri-
diction do l'Église, II, 336.
Juridique {Juridicus, qui concerne la justice, de jus, droit, justice ; dicere,
dire) : science juridique, 756. — Faits juridiques, II, 190-191.
Jurisconsulte, Juriste, (du latin scolastlque Jurista. — JurisconsuUu^, de
jus, droit, consuhus, délil)éré, de consullum, sujun de consulere, siéger ensemble,
délibérer, de consul, de cum-scdere, siéger ensemble) : celui qui donne son avis
ou écrit sur les questions de droit. — Les jurisconsultes romains et le Gésa-
risme, II, 40, 4.
Jurisprudence [Jurisprudentia, science du droit, de jus, droit ; prudentia,
prévision, science) : science qui applique la loi à un cas donné, 756-757
Juste {Justus, juste, régulier, de jus, droit) : a) Par rapport aux choses :
ce qui est conforme à un droit strict. Dans ce sens, il se dislingue de ce qui
n'est qu'équitable, II, 162-163. — S'oppose à Injuste. — De l'idée de juste,
régulier, on est passé à celle d'exact, précis, rigoureux. Le substantif corres-
po'ndant est alors Justesse. — b) Par rappi>rt aux personnes : ceUù qui possède
un jugement droit et y conforme sa conduite.
Justice (Justitia, de justus, de jus. droit) : respect des droits d'autrui,
II, 161. — Justice sociale et liberté, 374. — Espèces : commutative, distri-
860 TABLE analytique: Juxtaposcr — Kleutgen (Père J.)
butive, pénale, II, 162-163. ■ — Comparaison avec la chanté, II, 165. — Devoirs
de justice, II, 166-207. — Corrélation entre les droits et les devoirs fondés
sur la justice, II, 138. — S'oppose à Injustice.
V
Juxtaposer, Juxtaposition (de Juxta, auprès, poser, position, de ponere, \
positum, placer) : placer une chose à côté d'une autre. — Dans l'association
il y a simple juxtaposition d'idées, 268-269 ; 281. — Juxtaposition des racines
monosyllabiques, 456.
K
Kabbale : voir Cabale.
Kant (Immanuel) : A) Psychologie : nature du plaisir, 57-58. — L'in-
conscient, 142. — Conceptualisme, 254-255. — Jugements synthétiques
a priori, 274. — Les douze catégories, 296-297 ; II, 431-432. — Origine des
idées, 314. — ■ Notion de substance, 322-323. — Notion de cause, 326. —
Déterminisme de la nature et liberté nouménale, 384-387. — Caractère empi-
rique et caractère intelligible, 405.
B) Logique : jugements : analytique, tautologique, 564, 1. — Méthode
de la morale, 758-759. — Certitude morale, 782. — Science et croyance,
787-788.
C) Morale: métaphysique fondée surla morale, II, 7; 434. — -Raison pratique
distincte de la raison théorique, II, 25-26. — Caractères deja loi morale : l'impé-
ratif catégorique, II, 44. • — Vertu kantienne, II, 78 ; 129. — Proscription du
sentiment et de la récompense, II, 87-88 ; 121. — Morale formelle ou formalisme
moral, II, 96. — Nature de l'idée du bien, II, 104. — Rapports du droit et du
devoir, II, 136, 2. — Fondement des devoirs personnels, l'homme-phénomène
et l'homme-noumène, II, 154-155.
D) Esthétique : caractères du sentiment esthétique et définition du
beau, II, 380-381. — Différence entre le beau et le sublime, II, 389. — Sublime
mathématique et sublime dynamique, II, 390.
E) Métaphysique : criticisme : a) Exposé, II, 430 ; b) Critique, II, 435. ■ —
Idéalisme critique, II, 498. — Portée du principe de causalité, II, 559. — Argu-
ment des causes finales, II, 562, 1. — Critique de la preuve ontologique, II,
571, 12.
Kantien (de Kant) : ce qui se rapporte à la doctrine de Kant ; vg. vertu
kantienne, II, 78 ; 129.
Kantisme : philosophie de Kant, appelée aussi Criticisme. — Kantiste :
partisan du système de Kant.
Kantisme (Néo-) : renouvellement du Kantisme, qui s'est produit surtout
en Allemagne, depuis quelques années, au cri de : Revenons à Ka.\t.
Kepler (Johann) : savant et croyant, II, 447-448.
Kinesthésique (de Kivr^Gii;, mouvement ; aïaOïiai;, sensation) : la sensation
kinestliésique est celle que le mouvement, surtout volontaire, provoque.
On écrit aussi cinesthésique.
Kleutgen (Pk re Joseph) : critique du système suarézien sur la connais-
sance des futuribles, II, 592, 2. — Dieu et la connaissance des actes libres,
II, 594, 1.
TABLE ANALYTIQUE : La Bruyère (Jean de) — Langue 861
La Bruyère (Jean de) : l'émulation, 95. — Le goût, II, 407, 2. —
L'athéisme, II, 565, 1.
Lac (Père Stanislas du) : utilité morale des exercices physiques, 411, 2.
Mot sublime d'un enfant, II, 412, 2.
Lachelier (Jules) : l'idée de fin, 333, 1. — Séries de phénomènes liés
entre eux, 384, 3. — Figures du syllogisme, 537-538. — • Fondement de l'induc-
tion, 676, 7. — Distance entre probabilité et certitude, 680, 1. — Pampsy-
chisme, II, 443, 1.
Lâcheté (de Lâche, de lâcher, de lascare, latin populaire pour laxare, élargir,
relâcher, de laxus, large) : manque d'énergie, de courage. — Lâcheté : a) du
suicide, II, 157 ; 6) du duel, II, 167.
Lafargue (Paul) : marxiste, II, 200 ; 372, 2.
La Fontaine (Jean de) : l'instinct n'est pas un mécanisme, 108. —
Ne pas proscrire les passions comme les Stoïciens, 119, 2. — Passions, cause
d'erreur, 804, 2. — Exemple de solidarité organique, II, 70, 3. — Beau et bien,
II, 385, 2.
Laid (de l'ancien haut allemand laid, qui signifie désagréable) : force dé-
ployant une pui.çsance désordonnée. — Sa nature, II, 390-391.
Lalouère (Père Antoine de la Loubère, nommé par Montucla) :
attaque injuste de Pascal, 654, 1.
Lamarck (Jean-Baptiste de ]\Iouet, Chevalier de) : l'instinct, 110-111
— Précurseur de Darwin, II, 612-613 ; 626.
Lamartine (Alphonse de) : la patrie, 92, 1. — L'homme, II, 551.
La Mennais (Félicité-Robert de) : origine du langage, 442, 4. — Crité-
rium du consentement universel, 815. — Défiance de la raison, II, 422.
La Mettrie (Julien Offroy de) : matérialisme, II, 540.
La Mothe le Vayer (François de) : rabaisse la raison pour exalter la foi,
comme les Fidéistes dont il est un précurseur avec Huet, II, 422. Cf. 818, 4.
Lancklot (Dom Claude) : culture artificielle de la mémoire, 209.
Langage (de Langue, de lingua) : expression des pensées et des sentiments
par différents signes. - Espèces diverses, 438-440. — Origine du langage :
systèmes divers : a] Invention conventionnelle, 441 ; b) Révélation divine,
442 ; c) Instinct philologique, 444 ; d) Hypothèse transformiste, 446 ; e) Ela-
boration progressive, 446. — Influence de la pensée sur le langage et du
langage sur la pensée, 450. — Peut-on penser sans langage ? 451. — Inconvé-
nients du langage, 453. — Unité primitive du langage, 460. — Sophismes de
mots, 798. — Langage, cause d'erreurs, 80».
Lange (Friedrich-Albert) : critique de Bacon, 670, 3.
Langue (Lingua) : langage parlé ou écrit propre à un peuple. — Classifi-
cations aux points de vue psychologique, morphologique, généalogique, 455-460.
— Qualités d'une lantxue bien faite, 460. — Projet de langue universelle, 46 L
— L'analogie dans lès langues, 711. — Les langues, source d'informations,
722-723.
862 TABLE ANALYTIQUE : Lannelonguc (O.-M.) — Leibniz (G.-W.)
Lannelongue (Odilok-Marc) : l'alcoolisme, II, 375, 2.
Laplace (Pierre-Simon, Marquis de) : la nébuleuse primitive, 655, 1.
Lapôtre (Père Arthur) : critique historique, 739, 4.
Large {Largus, abondant, ample) : devoirs larges, II, 149.
La Rochefoucauld (François VI, Duc de) : l'amour-propre, 98-100. —
Jugement et mémoire, 268, 2 ; 287, 1. — Esprit dupe du cœur, 117 ; 805, 1.
Laromiguière (Pierre) : abstraction spontanée, 246. — ■ Simplicité de
l'âme, 11,538-539, 1. — Laromiguière attribue à tort le médiateur plastique
à CUDWORTH, II, 545, 1.
Lassalle (Ferdinand) : socialisme, II, 200, 4.
Latent (Latens, de latere, être caché) : ce mot est pris quelquefois comme
synonyme d'obscur, d'inconscient, 143-144 ; 199.
Lavater (Jean-Gaspard) : l'âme embellit le corps, 470, 2.
Laxisme (de Laxus, large) : règle de conduite trop large, II, 35.
Légal [Legalis, de lex, le gis, loi) : ce qui est conforme à la loi ou réglé par
elle. — Légal et légitime, II, 40. — Assistance publique, charité légale, II, 264.
Légalité (Legalitas, de legalis, relatif aux lois, de lex, legis, loi) : conformité
aux lois positives. — Distinction entre légalité et légitimité, II, 40.
Législatif (de lex, loi ; latum, supin de ferre, porter) : qui a pour mission de
faire des lois. — ■ Pouvoir législatif, II, 266.
Légiste (du bas latin Legista, de lex, legis) : celui qui est versé dans l'étude
des lois. — Influence pernicieuse des jurisconsultes et légistes, II, 40.
Légitimation (de Légitimer, de légitime) : action de rendre légitime. —
Légitimation dx pouvoir, II, 225-227 ; 231-232. — Légitimation de la concur-
rence en matière d'enseignement, II, 257.
Légitime (Legitimus, conforme aux lois, de lex, legis, lui) : ce qui est fondé
en droit. — Pouvoir légitime, II, 223-224 ; 225-227.
Légitimité (de Légitime, de legitimus, conforme aux lois, de lex, loi) :
conformité à la nature des choses, au droit, à la loi. — Légitimité : a) de la
Psychologie, 32 ; b) de la loi, II, 39-40 ; c) du pouvoir, II, 223-224 ; 225-227 ;
d] "du prêt à intérêt, II, 356-357 ; e) de la MétapJujsique, II, 419-420 ; 421-455.
Legs (pour Lais, substantif verbal de lai.sser ; on écrit legs par rappro-
chement de legatum, legare, charger de, léguer) : don laissé par testament. —
Conséquence du droit de propriété, ^, 197.
Leibniz (Gottfried Wilhelm) : A) Psychologie : Philosophes et méde-
cins, 29. — Empirisme des bêtes : simples consécutions, 107 ; 269, 1 ; 492, 8.
— Petites perceptions, 142, 4 ; 145, 1. — Objet de la vue, 179, 1. — Survivance
des idées, 199, 3. — Réalisme modéré, 256-257. — Noms propres, 258, 1. —
Le grain des choses, 279. — Principe de raison^ 289, 1. — Réduction des vérités
premjt res, 291, 1. — Caractères des vérités premières, 292, 1 ; 293, 1,2;
295, 1. — Théorie du châtiment, 374,1. — Déterminisme psychologique, 392.
— Langue universelle, 462, 1,2. — Rêve et réalité, 476.
B) Logique : la cité de Dieu,, 750, 1. — Certitude morale, 783, 1. — Crité-
rium de la vérité, 816. — Espèces de certitude, 816, 3. — Logiqiie et bon sens,
S41, 1. — Avantages de la méthode syllogislique, 842, 5, 6.
TABLE ANALYTIQUE : Lemme — Leucippe 863
G) Morale : morale et géométrie, II, 29, 2. — L'idée de perfection, II,
105-106.
D) MÉTAPHYSIQUE : réfutation du Mécanisme cartésien, II, 509, 3. —
Dynamisme interne, II, 511-513. — Divisibilité de la matière, II, 513. —
Harmonie préétablie, II, 547. — Les vérités éternelles, II, 567. — Preuve
ontologique, II, 570-571. — Espace et temps, II, 503-504. — Connaissance
des futurs conditionnel», II, 590-591. — ■ Dieu et le miracle, 643, 1. — Opti-
misme absolu, II, 646-647.
Lemme (A/;;7.y.a, tout ce qu'on prend ou reçoit, une des prémisses, deX«;ji.JiJ2'"'stv,
prendre). — a) "Sin Mathématiques: proposition ou remarque préliminaire, établie
pour préparer la démonstration d'une proposition ou thèse principale. Spinoza
se sert souvent de ce terme. — b) En Logique : Aristote {Topiques, L. I,Ch. 1,
§ 9 ; VIII, Ch. I § 9) entend par là les prémisses du syllogisme. — Ce mot signifie
aussi : ce que l'on prend pour accordé, assomptioir, thèse.
Lemoine (Albert) : impression sensorielle, 167, 5. — Bienfait de l'habi-
tude, 424, 1.
Lenormant (François) : histoire ancienne et histoire moderne, 749, 5.
LÉON XIII : l'usage des biens, II, 193, 1. — Autorité paternelle, II, 252,
3, 4. — Liberté de la croyance, II, 344, 2. — Mesure du salaire, II, 359, 1, 3.
— Démocratie chrétienne, II, 240, 1, 3. — Approbation du programme social
d'ALBERT de MuN, II, 373-374.
Le Play (Frédéric) : danger des grands mots vagues, 455, 2. — L'obser-
vation du Décalogue, II, 186 ; 342. — Formes diverses de la propriété, II,
195-196. — Liberté testamentaire illimitée, II, 198, 1. — Faux dogmes de la
S évolution, II, 299 ; 349. — Prospérité sociale et moralité, II, 364-365. —
éclaration des droits de l'homme, II, 299-300.
Lequier (Jules) : dilemme, 386, 2 ; II, 439-441.
Leroux (Pierre) : perfectibilité humaine, II, 327.
Le Roy (Edouard) : pragmatisme, 826-828. — Pampsychisme, II, 443.
Leroy-Beaulieu (Paul) : la Morale et l'Économie politique, II, 364, 1.
— - Liberté économique, II, 369, 4.
Lésion {Lœsio, de Isesum, supin de lasdere, heurter, blasser) : lésion du
cerveau, 29.
Lessius (Léonard) : origine du pouvoir politique, II, 224-227. — Résis-
tance à la tyrannie, II, 290, 5.
Léthargie {Lethargia, AYiOapvt'a. de Xr.OapYoç, léthargique, de A-/-(/r„ oubli ;
àpyo;, contraction de «ep'/oç, qui ne travaille pas, de à privatif, spvov, action) :
état pathologique marqué par l'oubli, la somnolence ou même le sommeil. —
Phase du sommeil hypnotique, 479.
Lettré {Litteratus, marqué de caractères, de liitera, lettre) : expérience
« lettrée » (JBacon), c'est-à-dire écrite, 660, 2.
Lettres (Litterœ, caractères d'écriture, cpître, belles-lettres) : Belles-Lettres,
source d'informations psychologiques, 723. — Philosophie des Belles-Lettres,
599.
Leucippe (A^uxititto;, de /e-jxo;, brillant, blanc; ÎTrTro;, cheval) : École
atomistique, 167.
864 TABLE ANALYTIQUE : Levêquc (Charles) — Licence
LÉYÊnuE (Charles) : beau et sublime, II, 389,3. — Ridicule, laid, horrible,
II, 390, r. — Effets de l'idéal, II, 396, 2. — L'art s'élève comme s'élèvent
beautés et signes, II, 409, 4.
Leverrier (Urbain) : application de la Méthode des restes, 670, 1.
Lewes (George-Harris) : phénoménisme relativiste, II, 427-428.
Liaison (de Lier, de ligare, lier) : influence des liaisons et compagnies. 117.
— Liaison d'idées, 199 ; 217, L — Liaison physique entre les vivants, II,
623-624.
LiARD (Louis) : le syllogisme, série d'équations, 552, 2. — Critique du
Positivisme, II, 450, 1.
Libéralisme (de Libéral, de liberalis, qui concerne la liberté, de liber, libre) :
a] Sens général : doctrine favorable à la liberté. — b) Sens particuliers : 1") Libé-
ralisme politique, II, 291-292. — 2°) Libéralisme social-religieux, II, 292. —
3°) Libéralisme catholique, II, 293-294. — 4°) Libéralisme économique, II, 369-370.
L\héTBlité{Liheralitas, de liberalis, qui concerne la liberté, digne d'un homme
libre, de liber, libre) : disposition à donner volontiers. — D'après La Roche-
foucauld, 98.
LiBERATORE (PÈRE Matteo) : conceptuaHsme d'ABÉLARO, 255, 1. — De
l'exemplarisme divin, 257, 1.
Libertaire (de Liberté) : mot nouveau pour désigner les partisans de la
doctrine anarchiste.
Liberté [Libertas, de liber, libre^ : sens psychologique : pouvoir qu'a la
volonté d'opter entre deux possibilités. — Les actes volitifs sont libres, 34.
— Volonté et liberté, 356. --- Analyse de l'acte libre, 357. — Essence de l'acte
libre, 358. — Nature de l'acte volontaire et libre, 361. — Liberté, élément de
la personnalité, 365-366. — Diverses espèces de libertés : liberté morale ou
libre arbitre, liberté physique ou d'action, liberté de perfection, 368.
Preuves de la liberté: 1") Témoignage de la conscience, 370. 2°) Témoignage de
l'humanité, 372. 3°) Preuves morales : devoir, responsabilité, 373. 4°) Justice
■sociale, 374. — Preuves insuffisantes, 374-375. — Objections de Stuart Mill
et de Spinoza, 370-374.
Erreurs opposées à la liberté, 375 : 1°) Fatalisme, 376. 2°) Déterminisme :
a) scientifique, 383; b] physique et physiologique, 390; c) psychologique, 392.
— Liberté phénoménale et liberté nouménale de Kant, 386-387.
Vraie nature du libre arbitre, 398. — Conditions, degrés et limites de la
liberté, 400. — Nécessité et liberté, 402. — Le caractère et la liberté, 406. —
L'habitude et la liberté, 425. — Liberté individuelle, II, 183. — Liberté du
travail, II, 187. — Liberté de conscience, IL 183. — Liberté de penser, de la
presse,' IL 183. — Liberté d'enseignement, II, 254-257. — Liberté civile et
liberté politique, 369. II, 291. — Liberté des cultes, II, 184-185; 341-342;
345. — La liberté, postulat de la loi morale, 373 ; II, 434-435. — La liberté en
Dieu, II, 598. — La liberté et le mal, II, 644-645.
Libre arbitre : voir Liberté.
Libre échange Me Liber; échange, substantif verbal d'échanger, de e [en
latin ex), et changer, du latin populaire cainbiare) : échange sans entraves et
prohibitions légales, II, 355.
Licence [Licentia, liberté, de licet, il est permis) : ce mot est pris : a) En
bonne part, pour signifier permission de faire quelque chose ; vg. le grade de
TABLE ANALYTIQUE : Liébeault (Ambioise-Auguste) — Locke (John) 865
licence (= liccntia docendi, faculté d'enseigner). — h) 'Etn mauvaise part, pour
indiquer une trop «grande liberté, d'où résultent des excès qui doivent être
réprimés, II, 183-185.
LiÉBEAULT (Ambroise-Auguste) : hypnotisme, 480.
LiEBiG (JusTus von) : critique de Bacon, 670, 3.
Liégeois (Jules) : hypnotisme, 480.
Lieu (de Locum) : absolu, relatif, II, 506.
Lieux communs : ce sont les sources d'arguments. Aristote appelait cette
partie de la Logique, les Topiques ; les Scolastiques, VInvention.
Liminal (de Limen, liminis, seuil) : ce qui a rapport au seuil : de la conscience
144 ; ou de l'excitation, 70 ; 726-727.
Limitatif (de Limitatwn, supin de limitare, délimiter, de limes, chemin de
traverse, limite entre deux champs) : Kant appelle jugement limitatif ou
indéfini celui qui range le sujet dans une classe déterminée par la négation
d'un attribut : A est îion-B, l'âme est non-mortelle. — Le caractère des termes
négatifs est de limiter.
Limitation [Limitatio, de Umitatum, supin de limitare, délimiter) : c'est un
des termes de la catégorie de la Qualité, d'après Kant, 296 ; II, 432. — La
conversion par accident s'appelle quelquefois par limitation, 534.
Limite [Limes, limitis, chemin de traverse, limite, de limus, oblique) : la
limite c'est la négation d'une étendue ultérieure. — En mathématique, la
limite est une grandeur dont une autre grandeur peut s'approcher indéfiniment
sans pouvoir jamais l'atteindre ; vg. le cercle est la limite des périmètres des
polygones inscrits. A l'infini, la grandeur, qu'on fait varier, se confond avec
sa limite. — Au sens figuré : la limite est le point extrême où s'arrête l'exercice
d'un pouvoir ; vg. limites des opérations intellectuelles, 237 ; 345. — Limites
du droit de propriété, II, 192-194. — Limites des fonctions de l'État, II, 250.
— Limites de la connaissance d'après les Positivistes, II, 446-447.
Limitrophe [Limitroplius, de limes, limitis, limite ; 'p^'y'"', parfait tîTpo-^a,
rendre épais, nourrir) : faits limitrophes (Bacon), 652.
Linguistique (de Linguiste, de /t«g«a,-langue) : science du langage. — Place
dans les sciences, 2 ; 594.
Littré (Emile) : le Positivisme, II, 446, 3.
Local (Localis, de locare, placer, de locus, lieu) : signe local, 191-192 ; 193.
— Mouvement local, 506, 2.
Localisation (de Localiser, de local) : action de circonscrire" en un lieu déter-
miné. — Localisations cérébrales, 27 ; 207. — Localisation des sensations
internes, 76. — Localisation apparente des sensations, 77-78. — Mécanisme
de la localisation des sensations, 190. — La localisation des souvenirs, 201-205.
Locatif (de locatum, supin de locare, placer, louer, de locus, lieu) : ce qui a
trait à la chose louée. — Valeur locative servant à évaluer le revenu, II, 280.
Locke (John) : idées représentatives, 168. — Qualités premières etsecondes
de la matière, 178. — Objet de la vue, 180, 2. — Définition du jugement, 265, 1.
— Origine empirique des idées, 302. — L'Empirisme, 686. — Matière et
pensée, II, 542-543.
866 TABLE ANALYTIQUE : Lock-out — Loïs (Principe des)
Lock-out (mot anglais signifiant fermer la porte sur quelqu'un) : ce mot
s'applique aux contre-grèves formées par les patrons.
Locomotrice (de l'ablatif Loço, de locus, lieu ; moteur, motrice, de motum,
supin de movere, mouvoir) : ce qui permet de se mouvoir. — Fonction loco-
motrice, 36.
Logarithme (du latin scientifique Logarithinus, de À070Ç, rapport ; aptî/txôç,
nombre) : logarithme de l'excitation (Loi de Fechner), 727.
Logique (Logicus, relatif au raisonnement, de logus, discours, raison.
Cf. AG'/LKôç, Xôyoç) : a) ce qui est conforme aux exigences de la raison ; vg.
conséquence logique du sjilogisme, 282 ; 561; ; b) rapports logiques, c'est-à-dire
fondés sur la nature des choses, 216. — Associations logiques, 199 ; 217. • —
Certitude de raison ou logique, 779.
Logique (La) (r, "£/•>-/), l'art ; /oyix/;, qui concerne le raisonnement, de
Àoyo;, discours, raison) : science de bien penser. — Science normative, 504.
— Objet de la Logique, 505. — Science et art, 506. — Division de la Logique :
formelle, matérielle, critique, 507. — Rapports de la Logique avec la psycho-
logie, la morale, la métaphysique et les autres sciences, 509. ■ — Domaine et
division de la Logique formelle, 514. — Logique matérielle ou spéciale, 576.
— Logique critique, 768. • — Méthode de la Logique, 757. — • Utilité de la
Logique, 840.
Logistique (Lsk) {Logisticus, AoytTxtxo;, qui concerne le calcul, le raisonne-
ment, de Ao •''■•'?, discours, raison) : on a proposé d'appeler ainsUa. Logique algorith-
mique ou symbolique, qui vise à exprimer les jugements et les raisonnements
par des symboles analogues à ceux qu'emploie l'Algèbre. C'est pourquoi on la
nomme aussi V Algèbre de la Logique, 566.
Logos (Aoyoç, parole, verbe, au sens de parole, raison) : pour certains
Platoniciens, c'est Dieu considéré comme Raison suprême, source et siège
des Idées, 257, 2. — Chez Philon, le Logos occupe un rang intermédiaire
entre Dieu et les puissances ; mais il n'a pas une personnalité distincte : c'est
une abstraction personnifiée. — Dans la théologie chrétienne, le Logos ou
Verbe est la seconde personne de la Sainte Trinité. Cf. J. Lebreton, Les
Origines du dogme de la Trinité. L. I, Ch. 11, p. 41-73 ; L. II, Ch. m, p. 183-205.
Paris, 1910.
Loi (de Legem] : sens général : règle constante d'après laquelle un ordre
de choses s'accomplit ou doit s'accomplir, II, 37. — - Détermination de la loi
dans les sciences physiques et naturelles, 648-649; 673; 687-688. — Loi physique
••tloi morale, II, 38. — Iaà éternelle, morale, naturelle, II, 39. — Loi positive, II,
:)9. — Loi civile, conditions de sa légitimité, II, 39-40. — Loi naturelle et lois
• iviles, II, 40-41. — Lois politiques, II, 41. — Ordre hiérarchique des lois, 11,41.
— Existence de la loi morale, II, 42. — Ses caractères, II, 44. — Loi morale
d'après Kant, II, 96-98 : 98-101. — Postulats de la loi morale, II, 434-435. —
Preuve de l'existence de Dieu tirée de la loi morale, II, 568-569. — Loi empi-
rique et loi dérivée, 621. — Lois psychologiques, 729. — Lois historiques
et sociales, 753. — Loi psychologique et loi ontologique, 761-762. — Loi
logique et loi ontologique, II, 435-436. — Lois de l'art, II, 401.
Lois de l'esprit : principes premiers auxquels la pensée doit se conformer
pour s'exercer normalement, 291.
Lois (Principe des) : formule, 290, — L'École écossaise l'applique mal, 676.
TABLE ANALYTIQUE : LoRibroso (Césare) — Mac-Nish (D^) 867
LoMBROso (Cesare) : génie et névrose, 226, 1.
LoNGHAYE (PÈRE Georges) : usagc des passions dans le d^ame, 120, 2.
— Union du mot et de l'idée, 452, 5. — Dangers des grands mots, 453, 2 ;
remède, 455, 3. — Nature de la parole, 461, 1. — Théorie des Belles-Lettres,
599. — Lois d'expansion et de proportion dans l'œuvre d'art, II, 402, 2. —
Le goût, II, 407, 1. — L'art et la morale, II, 411, 1. — L'âme de l'artiste, II,
411-412. — L'idéal chrétien, II, 412, 5.
Lotze (Rudolf* Hermann) : l'inconscient, 142. — Objet de la vue, 179, 2.
Louage (de Louer, de locare, placer, louer, de lociis, lieu) : contrat de louage,
II, 356.
Loyer {Locarium, loyer d'un emplacement pour marchandises, de locare.
placer, louer, de locus, lieu) : indice de la valeur du revenu, II, 280.
Lucide (Lucidus, éclatant, de lux, lumière) : somnambulisme lucide,
479-480.
Lucrèce (Titus-Lucretius-Carus) : amertume du plaisir, 67. — Idées-
images, 167. — Origine du langage, 442, 2. — Atomisme, II, 507 ; 600.
Lumière {Luminaria, volets d'une fenêtre, pluriel du neutre luminare,
employé substantivement comme féminin singulier, de lumen, lux, lumière,
de luceo, briller) : les Scolastiques appellent lumière intellectuelle la vertu
illuminatrice de l'intellect agent, 316-317. — Dieu, lumière de l'âme, II, 453.
Lutin (Origine inconnue) : esprits lutins, 488.
Lutte (Substantif verbal de Lutter, du latin populaire luctare) : latte pour
la vie, Struggle for life, II, 614-615.
Luxe {Luxus, excès, profusion) : a) usage des choses coûteuses, II, 361 ;
b) chose superflue.
LuYs (Jules) : phosphorescences cérébrales, 197, 1. — Mésaventure dans
une expérience hypnotique, 483, 1.
Lycée (Lyceum, Auxstov) : Aristote enseignait dans un gymnase au
N.-E. d'Athènes, voisin d'un temple consacré à Apollon surnommé /ûx.uo;,
tueur de loups Q^wo;).
Lymphatique (de Lymphe, de lympha, eau claire) : tempérament lympha-
tique, 391. — Caractère lymphatique, 404.
Lypémanie (de Auti-^, chagrin ; wavîa, folie) : penchant aux idées tristes et
au désespoir, 488.
M : indique une mutation, à savoir, la transposition des prémisses, 539 ;
540.
Macération (Maceratio, de maceratum, supin de macerare, faire tremper,
amollir, affaiblir, de macer, maigre) : pénitences et austérités, II, 158.
Machiavelli (Nicolô) : Le Prince, 590. — Machiavélisme, II, 32 ; 325.
Mac-Nish (D') : cas d'amnésie, 210, 2.
868 TABLE ANALYTIQUE : Macrocosme — Mal
Macrocosme (Maxoôç, long, grand ; /ocp-oç, monde) : l'univers est appelé
macrocosme par opposition à l'homme, qui est un microcosme, 25 ; 49.
Magendie (François) : distinction des nerfs, 71. — Méthode empirique,
686, et note 2.
Magistrat {Magistratus, d'un verbe archaïque magistrare, remplir les fonc-
tions de maître, de chef, de magister, celui qui dirige, le maître, de la racine
mag, d'où magnus, grand, magis, plus) : pouvoir judiciaire, II, 267. ;— Condi-
tions de l'indépendance des magistrats, II, 266. — Ils doivent appliquer la loi
avec justice, II, 266.
Magnétisme (du radical de Magnétique, de Magneticus, Ma-N-vriTixoç, de
Mayvrj;, qui est de Magnésie, o Mayvr,ç Xi'ôoç, la pierre de Magnés, l'aimant) :
a) puissance d'attraction propre aux aimants ; h) puissance d'endormir quel-
qu'un : magnétisme de Mesmer, 478.
Maîeutique ('H Tv/yr^ fxatïuTtxv;, l'art d'accoucher, de a«tîJoaat) : la
Maïcutiquc est la partie positive de la méthode socratique : c'est l'art d'accou-
cher les esprits. Socrate, s'imaginant que la science est innée en chaque
homme, s'efforçait par des interrogations bien conduites d'amener son inter-
locuteur à prendre conscience des vérités qu'il était censé renfermer en lui-
même. Platon expose la Maîeutique dans le Théétète. — Ulronie est la partie
négative de la méthode socratique.
Main (Manum) : sa supériorité comme organe du tact, 186, 1.
Maine de Biran (Marie-François-Pierre Gonthier de Biran, dit) :
conscience, mode fondamental des facultés, 140. — Contre l'innéité, 312, 4.
— Origine des notions premières, 315, 2. — Origine de l'idée de cause, 327. —
Les deux pôles : moi. Dieu, II, 574, 1.
Mainmorte {Manus mortua) : a) droit féodal de mainmorte, II, 286 ; b) gens
de mainmorte, II, 286 ; c) droit actuel, II, 287.
Maistre (Comte Joseph de) : origine du langage, 442, 3. — Causes des
maladies, 470, 1. — Critique de Bacon, 672, 1. ^ — Le cœur et l'esprit, 805. —
Le duel, II, 167, 3. — Peuples et gouvernement, II, 233.
Maître (Magistrum, accusatif de magister, celui qui dirige, le maître, de la
racine mag, d'où magis, plus, mognus, grand) : ce terme a ici le sens de Dominas
(maître de la maison), celui qui a autorité sur des personnes ou des choses. —
Droits et devoirs, II, 217.
Majeur (Major, pour mag-ior, d'où maior, major, plus grand, de magis,
plus) : terme majeur; proposition majeure, 536. — Obéissance des enfants
majeurs, II, 217.
Majorité (de major, plus grand) : a) âge légal nécessaire pour exercer certains
droits ; vg. droit de voter et éligibilité (à 21 ans et à 25 ans en France) ; bj rôle
de la majorité dans le système social de Rousseau, II, 220-221 ; c) majorité
ministérielle, II, 232-233 ; d) tyrannie des majorités, II, 242.
Mal (Malum, ce qui est mauvais) : privation d'une perfection qui convient
à la nature d'un être. II, 477-478. — Division, II, 478. — Mal métaphysique,
physique et moral : objections contre la Providence, II, 643-645. — La vie
est-elle un bien ou un mal ? II, 645-650.
TABLE ANALYTIQUE : Maladie — Marion (Henri) 869
Maladie (de Malade, du latin populaire maie habitum, qui est en mauvais
état) : perturbation organique ou fonctionnelle, intellectuelle ou morale. —
Maladies : a) de la personnalité, 151-152 ; b) de la mémoire, 210 ; c) de la
volonté, 368. — Cliâtiment de l'intempérance, 470, 1 ; II, 644.
Malebranche (Père Nicolas de) : âme des bêtes, 108. — Théorie des idées
divines, 169. — Conservation des idées dans la mémoire, 196, 3. — Éducation
de la mémoire, 208, 1. — Jugement ramené à la volonté, 270, 2. — Vision en
Dieu, 310. — Précepte londamental de Logique, 809. — Véracité divine,
818, 2. — Nature de l'idée du bien, II, 104-105. — Vertu, JI, 128. — Causes
occasionnelles, II, 5'i6. — Optimisme absolu, II, 646.
Malebranchisme : système philosophujue de Malebranche. Voir ce nom.
Malheur (de Mal, adjectif au sens do mauvais, malus ; heur, qui signifie
chance bonne ou mauvaise, de augurium, présage) : événement funeste. —
Le malheur d'autrui provoque la sympathie, 86-87. — Malheur de la vertu,
128-129 ; II, 645.
Mallock (W. Hurrell) : pragmatisme, 832.
Malon (Benoit) : socialiste possibiliste, II, 200, 6.
Mandataire (de Mandatum, de mandare, mettre en main, confier) : les
mandataires du peuple d'après Rousseau, II, 220 ; 287-288.
Manès, Mani, Manichée : né et mort en Perse, au cours du m® siècle,
il fonda la secte philosophique et religieuse qui, de son nom, a été appelée
le Manichéisme. 11 semble avoir enseigné qu'il y a deux premiers principes
éternels : Dieu, principe du bien, la matière, principe du mal. Ce dualisme est
plus radical que celui de Platon et d'ARisTOTE, II, 601, car pour Manès la
matière n'est pas seulement le principe passif du mal, en tant qu'elle est la
limite du bien ; mais elle en est le principe actif et puissant. Les Manichéens
ajoutaient à cette erreur philosophique des erreurs religieuses qui les rappro-
chent des Gnostiques.
Manichéisme (de Manès, Mani) : système philosophique et religieux de
Manès. Voir ce nom.
Manie [Mania, Mavt'a, liumeur noire, rage, folie. Cf. \jmwj.v.\., être furieux) :
délire général avec agitation, 488.
Manière (de l'ancien adjectif Manier, manière, qui se fait avec la main) :
le moi et ses manières d'être, 152. — L'accident est une manière d'être, modus
essendi, 320-321.
Manning (Cardinal Edward) : lutte entre l'intelligence et la volonté,
793, 1.
Marc-Aurèle (Marcus-Aurelius-Antoninus-Augustus) : stoïcien, II,
93. — L'esclavage, II, 180, 3.
Marginal (de Margo, marginis, bord, marge) : ce qui est au bord, à la lisière.
Certains psychologues, comme F. Myers, parlent d'associations marginales, de
franges de la conscience.
Mariage (de Marier, de maritare, de maritus, mari, de mas, mâle) : au
point de vue : a) du droit naturel, II, 209 ; b) du droit chrétien, II, 209. —
Unité et indissolubilité du lien matrimonial, II, 210-211.
Marion (Henri) : la sympathie, 95-96. — Habitude et liberté, 425, 1 ;
II, 88, 2.
870 TABLE ANALYTIQUE : MaFx (Karl) — Matière
Marx (Karl) : Marxisme, II, 200, 5.
Masse (de massa, amas de choses. aaÇa) : « On appelle massed'un corps le
rapport constant qui existe pour ce corps entre les forces qui y sont appliquées
et les accélérations correspondantes » [Bulletin de la Société française de
Philosophie, 1910, p. 190).
Matérialisme (de Materia, matière dont une chose est faite) : doctrine qui
n'admet d'autre substance que la matière. — Arguments et réponses, II, 540.
— Le matérialisme dans l'art, II, 39 i. — Matérialisme historique : expression
due à Engels pour caractériser le système de K. Marx, qui regarde les faits
économiques comme la cause des événements historiques et sociaux.
Matériel (Materialis, de materia, matière) : s'oppose : l») à Formel : cause
matérielle, 324 ; II, 488. — Objet matériel d'une science, c'est-à-dire ce
qu'étudie cette science ; vg. la Psychologie étudie l'âme, 23. — Faute maté-
l'ielle : ce qui contient les éléments d'une faute, mais auquel manque la forme,
c'est-à-dire l'intention, 30-31. — Erreur matérielle, 796-797. — 2°) à Spiri-
tuel : l'être matériel est étendu, composé de parties, II, 636.
Maternel/ {Maternus, de mater, mère. Racine ma, produire ou nourrir) :
amour maternel, 91.
Mathématique (M athematicus, 'J.'xOr,tj.uTv/.ot;, qui concerne l'étude, de [xaO-zjaa,
connaissance, science ; vi p.'/.9riy.«Ttxï] [sous-entendu 'hy'] ou iTit^Tviar,]. la
science des mathématiques) : c'est la science des nombres et des figu'.'es. —
Objet des sciences mathématiques, 625. — Division : a) mathématiques pures,
625 ; b) mathématiques appliquées, 627. — Origine des notions mathématiques :
a) innéité, 628 ; b) théorie empirique, 628 ; c' théorie empirico-rationaliste, 629.
— Démonstration mathématique, 631. — Axiomes, 632. — Postulats, 633.
— Définitions, 635. — Démonstration mathématique et syllogisme, 636. —
Démonstration analytique ou synthétique, 610. — Démonstration directe ou
indirecte (par réduction à l'absurde), 637-638. — Règles des axiomes, des
définitions, des démonstrations, 638. — Caractère d'exactitude des mathé-
matiques, 639. — Avantages et dangers des mathématiques pour la formation
de l'esprit, 640-643. — Comparaison des définitions mathématiques et empi-
riques, 692. — L'imagination en mathématiques, 232. — Sublime mathé-
matique (Kant), II, 390.
Mathématisme (de MaOriua, étude, connaissance, de [xc<vOâvto, apprendre.
Racine ;jLa6», savoir) : ce mot désigne l'opinion des philosophes qui appliquent
la méthode mathématique à la philosophie, 7-8 ; 31-32.
Mathieu (Saint) : idéal de la perfection, II, 111, 2.
Matière (Materia, matière dont une chose est faite) : s'oppose : I») à Forme:
a) au sens aristotélicien : c'est l'élément indéterminé dont une chose est faite,.324;
II, 488 ; b) cartésien: « ...La matière, dont la nature consiste en cela seul qu'elle
est une chose étendue » (Principes, Part. II, § 22). — 2°) à Esprit : matière et
esprit, II, 507 ; 536 ; 539-540. — Qualités premières et secondes de la matière,
177. — Quelle est l'essence de la matière? Systèmes divers : a) Mécanisme
atomistique (Épicure, Gassendi), II, 507 ; b) Mécanisme géométrique (Des-
cartes), II, 508 ; c) Atomisme dynamique (Tongiorgi), II, 510 ; d) Dynamisme
interne (Leibniz), II, 511 ; e) Hylhnorphisme (Aristote. Scolastiques), II,
^\'^ •,j) Dynamisme externe {Bo?,co\\ci\, Palmieri), II, 518; 520. — Materia
signala, principe d'individuation, II, 474.
TABLE ANALYTIQUE : Matière et Forme — Mégarique 871
Matière et Forme : cause matérielle et formelle, 324 ; II, 488. — ■ Essence
des corps [Hylémorphisme], II, 513-518.
Matignon (Père Ambroise) : distinction entre l'âme et ses facultés, 41, 1.
Mauvais (origine inconnue) : s'oppose à Bon, II, 476 ; 477.
Maxime {Maxima, la plus grande) : mot employé substantivement, au
Moyen Age, en sous-entendant sententia, sentence) : Maximes de La Roche-
foucauld, 98. — Infidélité à nos maximes, 805.
Maximum (pour Mag-simum, superlatif neutre de magnus, grand, de
inagis, plus. Racine mag, meg, être grand) : maximum sensibile, 70; 143 ;
726-727. — S'oppose à Minimum.
Mécanicisme (de Mécanique, de mecanicus, p-r/avczo;, habile à travailler, de
y-rf/jxvr,, invention ingénieuse, machine) : synonyme de latromécanisme. Voir
ce nuit.
Mécanique (!a) (Mechanica, yj [riyy/\] ar,/avtxr^, l'art de construire une
machine, de [xr^y/x-jr,^ invention ingénieuse, machine) : science des lois du mou-
vement. • — Sa place dans les sciences, 2 ; 592.
Mécanisme (du radical de Mécanique) : mécanisme : a) atomistique d'Épi-
CURE, n, 507 ; b) géométrique de Descartes : il explique les phénomènes par
ie.5 seules notions d'étendue et de mouvement, à l'exclusion de la notion de
force, II, 508.
Médiat (tiré de Immédiat, de in, négatif ; mediatum, supin de mediare, être
au milieu, s'interposer, de médius, qui est au milieu) : ce qui suppose un
intermédiaire. — Perception médiate, 166. — Jugement médiat, 273. —
Déduction médiate, 531 ; 535-565. — Certitude et évidence médiates, 779.
^ Médiateur (Mediator, de mediatum, supin de mediare, s'interposer, de médius,
qui est au milieu) : médiateur plastique, II, 545.
Médiation {Mediatio, de mediatum, mediare, s'interposer) : action de celui
<îui intervient dans un dilîérend pour le concilier. — Médiation: a) delà Cour
internationale de justice, II, 271 ; b) du Tribunal de La Haye, II, 318 ; c) de la
Société des Nations, II, 320.
Médiocrité [Mcdiocritas, juste milieu, modération, de mediocris, de médius,
moyen, médiocre) : état de ce qui est de qualité moyenne, II, 127-128.
Médisance (de Médisant, de Médire = mesdire ; mes, particule péjorative,
et dire) : consiste à dire le mal qu'on sait sur le compte de quelqu'un. —
Faute contre la justice, II, 206-207.
Méditation (Meditatio, de meditatum, supin de meditari, s'exercer à méditer) :
forme do l'attention, 239.
Médium (de Médius, a, um, ce qui est au milieu, intermédiaire, moyen) :
a) d'après les Scolastiques, l'espèce (species) est médium quo ou id quo, 163 ;
b) un médium est celui qui sert d'intermédiaire dans les expériences de spiri-
tisnti'.
Mégalomanie (dp Miya;, [j.;-,'aXr,, grand ; yavi'a, rage, folie) : folie des
grandeui's, 488.
Mégarique (de Mégare, ville de la Grèce ancienne, à l'entrée nord-est de
l'isthme de Corinthe) : École Mégarique fondée par Euclide, dite aussi
éristique (loto-xtx.oç, qui aime la dispute, de ept'?oj, se quereller, de e^'^tî)?
.surtout à cause des subtilités d'EuBULiDE, 548, 1.
872 TABLE ANALYTIQUE : MélancoUe — Mérite
Mélancolie [MelanchoUn, M£Xx-;70Âia, de p-îÀîz?, noir ; /oXâ, bile ; d'où
humeur noire) : a) Forme de folie, 488. — b) Tempérament mélancolique, 406, 1.
— Esprit mélancolique : qui se laisse aller à ses impressions tristes, 85. --
Cette tristesse maladive et malsaine a été exploitée par l'École romantique,
II, 403.
Méliorisme (de Melior, meilleur ; c'est le comparatif d'un adjectif perdu.
Cf. wâ/oc, adverbe = tout à fait, fort, dont le comparatif [i-ôcA/ov = aocÀtov
correspond à tnelius) : ce terme indique un perfectionnement progressif que
certains Positivistes assignent comme l'unique loi de la Morale. — Ce m^t
s'oppose à Optimisme et Pessimisme absolus pour caractériser la doctrine
d'après laquelle le monde peut être rendu meilleur par les efforts de la volonté
humaine. Il est synonyme d'Optimisme relatif, II, 650.
Mémoire [Memoria, de memor, qui se souvient, probablement pour me-mn-or.
Cf. memini, je me souviens, et [/.v.c/.'.wv, qui se souvient. Racine [x^v, d'où pr,.
Cf. en latin Men, action de se souvenir et d'imaginer, d'où mens, esprit) :
faculté de conserver, de reproduire et de reconnaître les états de conscience
passés. — Fonction de conservation, 135. — Objet et fonctions, 195. —
Conservation des idées, 196. — Lois de la conservation, 198. - — Rappel, revi-
viscence des idées : modes et conditions, 200. — Reconnaissance ou locali-
sation : nature et conditions, 201. — Mécanisme de la reconnaissance, 203.
— Localisation précise, 204. — Mémoire intellectuelle et mémoire sensible,
unité de faculté, 206. — Qualités et défauts, 207. — • Éducation de la mémoire,
207. — Mémoire et volonté, 208. — Importance de la mémoire, 209. — Maladies,
210. — Mémoire et imagination reproductrice, 223. — Souvenirs, matière de
l'imagination créatrice, 226-227.
Mémorables (les) {Memorahilis, qui peut être raconté, digne de mémoire, de
memor, qui se souvient) : \es' Entretiens mémorables de Socrate sont une apologie
de ce philosophe par Xénophon. — - Arguments des causes finales, 337-338.
II, 562. — Lutte contre le tempérament, 392, 1.
Mendicité (Mendicitas, de mendicus, mendiant) : dépôts de mendicité ;
interdiction de la mendicité, II, 264.
Mensonge (du latin populaire Mentitionica, mentionica, de mentitius, de
mentiri, imaginer, mentir, de mens, esprit) : refus d'une vérité due, 795 ; II, 158 ;
168. — Théorie : a) de Kant, II, 168 ; b) ancienne, 169 ; c) récente, 172,
Mental [Mentalis, de mens, mentis, esprit) : qui concerne l'esprit. Ce mot
équivaut soit à intellectuel, soit à psychologique, psychique. — L'état mental
de quelqu'un, c'est l'état sain ou trouble de ses fonctions psychiques. —
Maladie mentale : qui trouble les fonctions psychologiques, 488-489. —
Suggestion mentale, 480-481 ; 481-484. — Restriction mentale, II, 170-172 ;
175.
Mentalité (de Mental) : état d'esprit d'un individu, d'une époque.
Mépris (de la particule péjorative mes et de priser, qui vient de prise,
substantif participe de prendre, de prendere, prchcndere) : mésestime, 373,
II, 18.
Méric (Mgr Élie) : l'Académie de médecine réfractaire au magnétisme,
739, 1.
Mérite (Meritum, action digne de reconnaissance ou de récompense, mérite,
de meritum, supin de merere, être digne de) : ce qui rend digne d'estime, de
récompen.se. — Mérite et liberté, 373. — Définition du mérite, II, 118. —
Mesure et degrés, 119. .
TABLÉ ANALYTIQUE : Mcrveilleux — Métapsychique 873
Merveilleux V (de Merveille, du latin populaire meribilia, pour mirabilia,
choses admirables, pluriel neutre employé substantivement comme nominatil'
féminin, de mirari, s'étonner) : c'est un terme générique pour désigner lès faits
qui dépassent les forces humaines ; vg. 483-484 ; II, 640-643.
Mésologie (de to yi^ov, le milieu, et de Xôyoç, discours) : étude des rapports
des êtres et de leur milieu.
Mesure (Mensura, prononcé mesura, de niensus, metiri, mesurer) : mesure
des sensations, 27 ; 726-728. — La vertu est dans une juste mesure, II, 125-128.
— Loi de proportion et de mesure, II, 402-404.
Mesuré (de Mesurer, de mesure, mensura) : activité mesurée, source de
plaisir, 62-63 ; 64. — Beauté mesurée, II, 402-404.
Métachronisme (de Mexa/.povoç, postérieur ; de [xerà, après ; yy^'io;.^
temps) : erreur qui consiste à mettre un événement avant le temps où il s'est
passé : l'événement est postérieur à la date donnée.
Métagéométrie (de Mîxa, après ; '(twj.ti^i'/-, de ri', terre, \xtii^i'>>, mesurer) :
nom donné aux Géométries non-euclidiennes, qui supposent un espace ayant
plus de trois dimensions, 643.
Métalogique (de Metoc, après, /o'/ixoç, qui concerne le raisonnement) :
théorie des principes premiers et des fondements de la Logique par opposition
à l'étude des règles logiques telles qu'elles sont appliquées dans un raison-
nement correct. — ■ Jean de Salisbury a publié, sous le titre' de Metalogicus,
un plaidoyer pour la Logique.
Métamorale (de Msxa, après ; moralis, moral, de mos, moris, usage, manière
d'être ou d'agir, mœurs) : quelques philosophes nomment ainsi la Métaphysique
des mœurs. C'est la théorie des principes premiers et des fondements de la
Morale par opposition à l'étude des règles morales telles qu'elles sont appliquées
dans les cas particuliers.
Métaphore {Mctaphora, y-iTOL-^o^oi, transport du sens propre au sens figuré,
de p.îTa'^£ptv, transporter) : son rôle dans la formation du langage, 448. —
Analogie et métaphore, 711.
Métaphysique (de Mîtoc xà y-"^'-''-'^, après la Physique ; en latin scolastifjue
Metaphysica, sous-entendu pars, partie) : science des premiers principes et des
premières causes. — Méthode de la Métaphysique, 761. — Morale et Méta-
physique, 9 ; II. 7. — Morale et Théodicée, 11-12. — Nature et objet de la
Métaphysique, II, 418. — C'est une science, II, 456. — Division de la Méta-
physique, II, 456. — Rapports avec ; a) la Psychologie, 24 ; b) la Logique, 511 ;
c) la Morale, II, 7.
Métaphysique générale, II, 460-495.
Métaphysique spéciale, II, 496-650.
Métapsychique (de Mt-i, après ; 'j^u/ixo;, relatif à l'âme, de '^'J/A, âme) :
c'est la science étudiant les phénomènes « qui paraissent dus a des forces
intelligentes inconnues, en comprenant dans ces intelligences inconnues les
étonnants phénomènes intellectuels de nos inconsciences >> (Cu. Richet,
Traité de Métapsychique, L. I, § 1, p. 2, Paris, 1922), — Ces phénomènes peu-
vent se ramener à trois chefs : 1°) « La Cryptesthésie [de xpuzToç, caché ;
ataOr,(7tç, faculté de sentir] : c'est-à-dire une faculté de connaissance qui est
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. — T. II. — 29
874 TABLE ANALYTIQUE : Métempirique ^ Microcosme
différente des facultés de connaissances sensorielles normales. » CfCst la « lucidité
des auteurs anciens «. — 2°) La Télékinésie [de t/;/e, loin ; xtv/i(jiç, mouvement],
c'est-à-dire une action mécanique différente des forces mécaniques connues,.
qui s'exerce sans contact, à distance, dans des conditions déterminées, sur des
objets ou des personnes. — 3°) h'Ectoplasmie, [de èxroç, au dehors, ■z/A'nj.'ji,
ouvrage façonné], c'est-à-dire la formation d'objets divers, qui le plus souvent
semblent sortir du corps humain et prennent l'apparence d'une réalité maté-
rielle (vêtements, voiles, corps vivant). C'est la « matérialisation des auteurs
anciens «. [Ibidem, Avant-Propos, p. 2). — Pour la critique de ce livre. Cf.
L. RouRE, Études, 1922, T. III, p. 461-471. — P. Heuzé, Les morts vivent-
ils ? Enquête sur l'état présent des sciences psychiques, l""*^ Série. Paris, 1922.
Métempirique (de M^ra, après ; empirique, de empiricus, suLTi^tptxoç, qui
se dirige d'après l'expérience, de ejATTsipo;, qui a l'expérience de, de h, dans ;
TTEtpa, essai. Racine T^sp, aller à travers) : mot fait, à l'image de métaphysique,
pour signifier ce qui est au delà de toute expérience possible.
Métempsycose [Metempsychosis, w.stsj^'J/Û/wtiç, de y-^Ta, après, idée de
succession, hj.'W/jM, animer ; de £v, dans ; '\"^y:h, âme) : doctrine affirmant
qu'une même âme anime successivement plusieurs corps.
Méthode (M£Ôo5o;, poursuite, recherche; de u-ïtoc, vers; ôûoç, chemin) :
ensemble de procédés rationnels pour la recherche et la démonstration du vrai.
— Méthode générale : a) de la philosophie, 7 ; è) de la science, 603 ; 623. —
Règles de la méthode cartésienne, 603. — Procédés essentiels de la méthode-
générale : analyse et synthèse, 608. — Induction et déduction, 617. — Méthode
des sciences mathématiques, 625. — Méthode des sciences physiques, 648. — Mé-
thode des sciences naturelles, 687. — Méthode des sciences morales en général.,
714. — Méthode des sciences morales : 1°) Théoriques : a) Philologie, 718 ;
i) Psychologie expérimentale, 71,9 ;c) Histoire, 734 ; c?) Sociologie, 752;
(?) Politique, 756;/) Droit, 756; g) Économie politique, 757. — Méthode des
sciences morales: 2°) Pratiques : a) Logique, 757 ; h) Morale, 758; c) Esthé-
tique, 760. — Méthode des sciences métaphysiques, 761. — Utilité de la
méthode, 843. — Méthode pour déterminer les attributs de Dieu, II, 577 ; 580.
Méthodologie (de Mi&oooç, méthode ; A'iyo;, discours) : science des mé-
tliudes ; 509 ; 576.
Métier {Misterium, latin populaire pour ministerium, service ; de ministère
<|ui sert, aide, de la racine min, d'où minor, moindre, minus, moins, et du
suffixe ter) : genre d'occupation manuelle. — Corporations de métiers et liberté
du travail, II, 187 ; 353.
Métoposcopie (Mstoi-o^xôt-oç, qui lit sur le front, physionomiste, de psTWTrov,
front ; ny.or.uo, examiner) : c'est l'art de ceux qui prétendent deviner le carac-
tère des gens en inspectant les traits de leur visage.
Metternich (Prince Clément-Wenceslas) : principe de non-inter-
vention, II, 314, 1.
Michelet (Jules) : l'esprit façonne le corps, 470. — L'histoire est une
résurrection, 743 ; 745.
Microcosme (de f/ixcos, petit, et xoo-fiôç, monde) : l'homme, abrégé du
monde, pelit monde, 25'; 49. — Dans les doctrines théosophiques, qui admet-
tent une coirespondance entre chaque partie du corps humain et chaque partie-
constitutive de l'univers, celui-ci est appelé macrocosme, et l'homme, par
TABLE ANALYTIQUE : Migration — Minimum 875
rapport à lui, microcosme (Cf. Fludd, Utriusque Cosmi, majoris scilicet et
ûninoris, metaphysica, pkysica atque technica historia..., 2 voJ., Oppenheim,
1617-1619).
Migration (Migratio, de migratum, migrare, changer de séjour) : dépla-
cement. — Faits de migration (Bacon), 652. — Migrations des espèces, II, 614 ;
615 ; 620.
Milieu (de Mi, préfixe dérivé de médium, qui est au milieu ; et lieu, de
locum) : ce qui est placé entre plusieurs autres choses. — Influence du milieu :
«) sur la formation des passions, 117 ; 392 ; b] sur la civilisation (Taine), 749, 2 ;
■c) sur la genèse des espèces (Darwin), II, 614 ; 615.
MiLL (James) : père de J.-S. Mill, 220, 1.
MiLL (John Stuart) : A) Psychologie : origine des inclinations altruistes,
100. — Notion du moi, 153. — Hallucination vraie, 171, 3. — Théorie do
l'association, 213, 3. — Excès de l'Associationnisme, 220. — Nominalisme, 254.
— Jugement ramené à l'association, 268-269. — Raisonnement par analogie
283 ; 707-708. — Origine des idées, 304. — Notion de substance, 323. —
Notion de cause, 325, 4. — Principe de causalité, 330-332. — Objection contre
la. liberté, 370, 2.
B) Logique : définition, 506, 4. — Objection à Hamilton sur la quantité
du prédicat, 552, 3. — Formule du principe du syllogisme, 554, 1. — ■ Objec-
tions contre le syllogisme, 564-565. — Origine des notions mathématiques,
628, 1. — Quatre méthodes pour déterminer les causes, 668-670. — Fon-
dement de l'induction, 679. — ■ Méthode de la morale, 758, 1. — Classification
•des sophismes, 802, 1. — Utilité de la méthode syllogistique, 843, 1.
C) Morale : nature et valeur de la conscience morale, II, 22, 1. — Utili-
tarisme rectifié, II, 53. — Fondement du droit, II, 133, 2. — Conditions de la
•civilisation, II, 327, 1.
D) Métaphysique : Relativisme phénoméniste, II, 428, 1, 2. — Idéalisme,
II, 499, 1.
Milne-Edwards (Henri) : avantages de l'hypothèse, 657, 3.
Mimétisme (de Miu-vitéoç, adjectif verbal de y.'.[j.io\j.'M, imiter) : action
d'imiter. — ■ Son utilité, II, 614, 3.
Mimique [Mimicus, v.'.;j.txoi;, qui concerne l'art des mimes, de mimus,
^"■y-oç, imitateur) : langage d'action, 438. — Pantomime, II, 408.
Minéral (du bas latin Mineralis, de minera, minière) : ce qui est formé de
matière non organisée. — Caractère de son activité, 48. — Sa compréhension
métaphysique, 252.
Minéralogie (de Minéral ; Àoyoç, discours) : sa place dans les sciences, 2 ;
593 ; 647.
Mineur [Minor, moindre) : a) moins grand : terme et proposition, 536.
b) au-dessous de l'âge légal : obéissance des enfants mineurs, II, 217. — Dis-
tinction mineure : voir Modal.
Minimal (de Minimus, le plus petit) : salaire minimal, II, 358-359.
Minimum (la plus petite quantité, superlatif de parvus, petit) : le Minimum
■sensibilr, 70 ; 1 'i3 ; 726-727. — Minimum de salaire, II, 358-359. — S'oppose
à Maximum.
876 TABLE ANALYTIQUE : MiDistre — Mobilisme
Ministre [Minister, serviteur, de minor, moindre) : celui qui est chargé
d'exécuter quelque chose. — Ministres responsables, II, 232-233.
Minorité (de minor, moindre) : a) Moindre nombre dans une réunion de
votants. — Représentation des minorités, II, 283. — Oppression de la minorité,
II, 220-221. — h) Age inférieur à l'âge légal. — Cf. J. Lucien-Brun, Le Pro-
blème des Minorités devant le Droit International, Paris, 1923.
Miracle [Miraculum, chose étonnante, merveille, de mirari, s'étonner) :
eiïet requérant une intervention spéciale de Dieu. — Possibilité et nature,
II, 640.
Misanthropie (Alt7avOp'-)zîa, de '/•■'^oq,^ haine ; avOpw::oç, homme) : haine du
genre humain. — Inclination malveillante, 88 ; 95.
Misère psychologique (de Miseria, de miser, malheureux) : Paul Janet
propose d'appeler ainsi cette « faiblesse morale particulière consistant dans
l'impuissance qu'a le sujet faible de réunir, de condenser ses phénomènes
psychologiques, de se les assimiler. » {U Automatisme psychologique, TI^ P.,
Ch. IV, p. 454, Paris, 1889).
Misologue (de Wito^, haine ; /^vo;, raison) : ennemi de la raison et détrac-
teur des sciences. Tels furent les Cornificiens, qui dénigraient toute culture
intellectuelle. Us furent combattus par Jean de Salisbury uni aux Maîtres
de l'École de Chartres. Cf. A. Clerval, Les Écoles de Chartres au Moyen Age,.
du V^ au XV I^ siècle, p. 227 sqq. Tome XI des Mémoires de la Société archéo-
logique d'Eure-et-Loir, Chartres, 1895.
Misonéisme (de Mtao:, haine ; vioç, nouveau, pour ■^ifo;. Cf. novus) : haine
des nouveautés. Les ennemis de Socrate l'accusèrent de répandre dans la
jeunesse des nouveautés dangereuses.
Mixte [Mixtus, mêlé, participe passé de miscere, mixtum, mêler) : a) Les
Thomistes soutiennent en général que dans le mixte, inorganique ou vivant,
il y a unicité de forme. — b) D'autres Scolastiques admettent dans le vivant
et l'inorganique une forme substantielle unique se subsumant les formes infé-
rieures physico-chimiques sans détruire leurréalité. — e) D'autres enfin ne voient
dans le mixte qu'un agrégat sans unité stricte. — Cf. P. Duhem, Le mixte et
la combinaison chimique, Paris, 1902. — P. Descoqs, Essai critique sur
VHylémorphisme, Part. 1, Ch. m et iv, p. 33-120, Paris, 1924.
Mnémonique {Mnemonicus, avy;y.ov[xoç, de [Ji-v^y-vi, mémoire. [Rac. Men.
Cf. Mens], y'.y.-vrpcxw, se souvenir) : procédés qui aident la mémoire, 199 ;
209.
Mnémotechnie (de Mnemonicus, Mvr,aovt>co;, qui concerne la mémoire ;
TÉ/vr,, art) : art d'aider la mémoire, 199 ; 209.
Mobile (Mobilis, qu'on peut mouvoir, de movere, mouvoir) : signifie : a) le
corps en tant qu'il est sujet du mouvement, II, 506 ; b] les phénomènes affectifs
qui précèdent la volition, 357.
Mobilisme (de Mobile) : doctrine d'après laquelle le fond des choses est sans
cesse en voie de transformation sans lois fixes. Il en résulte que toute orga-
nisation rationnelle des choses est impossible (A. Chide, Le Mobilisme, Paris,
1908.) C'est, en somme, la doctrine d'HÉRACLiTE qui a.ssimile l'être au devenir
(ravTa xiv£Vt«[. Cf. Aristote, Métaphysique, L. III, C. viii, § 6, Éd. Didot,
T. II, p. 514).
TABLE ANALYTIQUE : Modal — Molcschott (jECOb) 877
Modal (du latin scolastique Modalis, de modus, mesure, manière) : on
nomme proposition modale celle qui exprime la manière {modus) dont l'attribut
convient ou ne convient pas au sujet. Or il y a quatre manières : possibilité,
impossibilité, nécessité, contingence. — Su are z a divisé la distinction réelle,
celle qui existe dans les choses indépendamment de l'esprit, en distinctions :
majeure (ut res et res) et mineure {ut res et modus ejus). Cette dernière est appelée
distinction modale ; vg. entre une chose et ses qualités, comme la figure, II,
481, 2. — Voyelle modale, 455.
Modalité (de Modal, de modalis, de modus, manière) : modalité des juge-
ments, 273. — D'après Kant, la modalité des jugements c'est la propriété
qu'ils ont d'être assertoriques, problématiques ou apodictiques. Voir ces mots.
— La modalité est aussi pour Kant une catégorie, 296 ; II, 432.
Mode {Modus, mesure, manière) : manière d'être. — Définition, 320-321.
— Modes de l'être, II, 461.
Modèle (de l'italien Modello, de modus, mesure) : ce qui doit servir d'objet
d'imitation. — La cause exemplaire est pour l'artiste comme un modèle inté-
rieur, II, 490.
Moderne {Modernus, de l'adverbe modo, récemment) : ce qui est de notre
temps ou d'une époque relativement récente. — Progrès modernes, II, 350, —
Idées modernes : ce qu'on nomme ainsi est résumé dans la Déclaration des
droits de Vhomme et du citoyen, II, 294.
Modernisme (de Moderne) : sous ce nom l'on comprend un ensemble d'erreurs
théologiques et philosophiques, que Pie X a condamnées dans l'Encyclique
Pascendi dominici gregis, 8 septembre 1907. Les Modernistes, en philosophie,
professent V Agnosticisme et V Immanentisme. Voir ces mots.
Modification ( Modificatio, de modus, manière ; la forme ficare, ficatum est
dérivée de jacere, faire) : changement accidentel qui détermine une nouvelle
manière d'être ; vg. les phénomènes psychologiques sont des modifications
du moi, 23. — Modifications de l'être, II, 461.
Module (de Modulus, diminutif de modus) : a) Unité de convention pour
régler les proportions des colonnes ou des parties dans une ordonnance archi-
tecturale. — b) C'est « la valeur qui se rencontre le plus fréquemment au cours
d'une série de mensurations d'un même objet ». (Ed. Claparède, Rapport
sur la Technologie psychologique, VI ^ Congrès international de Psychologie,
1909). — Le terme Mode s'emploie aussi dans ce second sens.
Moelle {Medulla.) : moelle allongée, épinière, 71.
Mœurs (de Mores, devenu mors, meurs, mœurs) : habitudes d'un individu
ou d'un peuple relatives : a) à l'observation de la loi morale, II, 1 ; b) aux
usages, à la manière de vivre (sans idée de bien ou de mal).
Moi {Me, moi) : idée du mci, 149, — Importance de la perception du moi,
151. — Altérations de l'idée du moi, 151. — Fausses notions du moi, 153. —
Éléments constitutifs du moi, 365. — Relativisme phénoméniste, II, 427-428.
— Idée du moi, d'après Kant, II, 433.
Molécule (du latin scolastique Molecula, petite masse, de moles, masse) :
la molécule est un système d'atomes. — Confirmation de l'hypothèse molé-
culaire, 659, 2.
Moleschott (Jacob) : phosphorescences cérébrales, 197, 1. — Déter-
minisme, 391, 5. — Matérialisme, II, 540.
878 TABLE ANALYTIQUE : Molièfe (J.fB. Poquelin) — Monographie
Molière (Jean-Baptiste Poquelin, dit) : 116, 2 ; 121, 4; 279, 1.
MoLiNA (Père Louis) : liberté humaine et science divine, 380, 2. —
Connaissance des futurs conditionnels, II, 593, 3.
MoLiNARi (Gustave de), « Laissez, faire >>, II, 369, 3.
Molinisme : système de Molixa pour accorder la liberté humaine et les
attributs divins. Voir Molina.
Mollesse (de Mol, mou, de mollem] : a) caractère physique de certains corps,
179 ; b\ défaut de la volonté, 85 ; 367.
MoLYNEUx (William) : problème de Molyneux, 180, 2.
' Moment [Momentum, pour movimentum, ce qui met en mouvement, poids,
moment, de movere, mouvoir) : applfqué: a) à une force, par rapport à un point,
ce mot indique le produit de cette force par la distance à ce point ; è) à la
durée : il en indique la plus petite division, II, 506 ; c) aux opérations de Vesprit,
il en indique les phases ; vg. moments : de la méthode psychologique, 32 ;
de la méthode inductive, 648.
Monacnibiiic (de Monachus, Mov«;^oç, solitaire, de ao'vo;, seul) : c'est l'insti-
tution monastique. — Objection contre la sociabilité, 86.
Munade, monadisme, Monadologie (Movâ;, p.ovaôoç, unité, de aôvoç, seul ;
^^^yo;, discours) : Leibniz définit la monade « une substance simple, c'est-
à-dire sans parties. » — Monadisme : système admettant que le monde est
formé de monades. — ■ Monadologie (science des Monades) : titre donné par
Erdmann à l'œuvre de Leibniz sur ce sujet, quand il en publia le texte original
dans Leihnitii Opéra philosophica (Berlin, 1840). • — Svstème de Leibniz,
II, 511.
Monarchie (Monarchia, y-ovap/t'a, de aov«p;^oç, qui commande seul, de
li-ovo;, seul ; «p/w, commander) : gouvernement d'un seul. — Formes variées,
il, 232-233 ; 233-236.
Monde (Mundus, propre, élégant, d'où le substantif ?nundus, qui, comme
y.6'7<j.o;, signifie l'ordre du monde, le monde) : a) L'ensemble de tout ce qui
existe, l'univers. — Objet de la philosophie, 4, 5. — Science du' monde ou
Cosmologie ' , 594 ; II, 496-534. — h) Ensemble de choses d'une même sorte ;
vg. le ..<.ie< intelligible, c'est-à-dire le monde des idées.
Monisme (de Môvo;, seul) : consiste à ramener tous les êtres à une identité
fondamentale, soit matérielle, soit spirituelle. — Monisme matérialiste de
Haeckel, II, 626.
Monnaie [Moncta, de monere, faire souvenir. Racine Men, penser) : pièce
de métal servant aux échanges, II, 355.
Monogamie (Monogamia, ucvo/apa, de ;j(.ôvoç, seul ; Ta,"'0;, mariage, puis
par extension épouse) : mariage où l'homme ne peut avoir qu'une femme,
II, 210. — S'opposte à Polygamie.
Monogénèse (de Movo;, seul, Tiviat;, origine) : unité d'origine ; vg. le
genre Inmiaiii est monogénétique, c'est-à-dire descend d'un couple primitif :
Adam et Eve. — S'oppose à Poly genèse.
Monographie (de Movo;, seul ; Yfot'^w, décrire) : écrit sur un fioint spécial,
491, 5 ; 721-722. '
TABLE ANALYTIQUE : Monoïdéisme — Morale 879
Monoïdéisme (de Môvoç, seul ; l^ict, forme, idée) : état où l'esprit n'est
occupé que d'une seule idée, 428.
Monomanie (de Movoç, seul ; f^'/vi'*, folie) ; folie limitée à un seul ordre
d'idées, 488.
Monopole (MonopoUum, [j.o'joTzoi'kio^, de [xôvoç, seul ; ■tcoXéw, vendre) :
privilège exclusif de vendre ou de faire quelque chose. — Le socialisme mono-
polise la production, II, 200. — Monopole de l'enseignement, II, 254-256.
Monosyllabique (de Monosyllabe, de monosyllabus, aovoTJXXapoç, de po'vo;,
seul ; d'AX'zfir;, assemblage de lettres formant un son, de TuX/au.[iâvoj, rassem-
bler) : langues monosyllabiques, 456.
Monothéisme (Mo-jo;, seul ; Sioc;, Dieu) : doctrine n'admettant qu'un seul
Dieu 577-578.
Monstre [iMonstrum, Monestrum, de monere, faire souvenir, avertir. Mons-
trum signifia d'abord signe envoyé par les dieux, prodige, chose étrange) : être
ayant une conformation contre nature. — Tératologie psychologique, 723-724.
Montaigne (Michel Eyquem de) : l'homme, 33, 2. — Le bien-être, 57, 1.
— L'amitié, 90, 1. — Instinct et raison, 106-108 ; 492, 1. — Joie et remords,
130, 1. — L'attention, 198. — L'éducation intellectuelle, 208, 1. — Effet de
l'habitude passive, 417. — Tyrannie de l'habitude, 419, 2. — Langage expressif
des émotions, 469, 4. — Sorite du renard, 548, 2. — Ignorance et incuriosité,
781, 1. — Infidélité à nos maximes, 805. — La justice, II, 28, 2 ; 30, 3. —
Scepticisme, II, 422. — Honneur et conscience, II, 85, 2.
Montesquieu (Charles de Secondât, Baron de la Brède et de) :
influence des climats, 116, 3. — De Vesprit des lois, 590. — Philosophie de
l'histoire, 748, 2. — Définition de la loi, II, 38, 1,3. — Tout a sa loi, II, 42, 1.
— Nature de l'idée du bien, II, 104, 1. — Origine du droit de propriété, II,
192, 7. — Séparation des pouvoirs, II, 266, 1. — Vertu et démocratie, II, 245, 1.
— Aspiration de l'âme, II, 551, 1.
Monument {Monumentum et monimentum, souvenir, monument, de moni-
tum, supin de monere, rappeler) : ouvrage édifié pour perpétuer un souvenir.
— Critique des monuments historiques, 740.
Moral [Moralis, relatif aux mœurs, de mos, maris, usage, manière d'être
ou d'agir, mœurs) : a) Moral, par opposition à Physique, indique l'ensemble
des faits psychologiques. Physique indique l'ensemble des fonctions orga-
niques ; vg. rapports du physique et du moral, 466. — Sciences morales, 593 ;
714. — h] Moral signifieproprement:ce qui est relatif auxmœurs, à la conduite :
certitude et évidence morales, 780-781 ; 782. Conscience morale, 137; II, 15.
— Jugements et sentiments moraux, II, 16-18. — Sens moral, II, 18. —
Intention morale, II, 31. — Valeur morale des actes, II, 30-31. — Loi morale,
II. 38-39 : 39 ; 42. — Satisfaction niorale, II, 49. — Responsabilité morale, II,
114. — Beau moral, II, 384. — A'. Bouyssonie, Solution spiritualiste du Pro-
blème moral, dans Archives de Philosophie ,1924. T. II, p. 1-64.
Morale (la) (de Moralis, relatif aux mœurs, employé substantivement, de
mos, m.oris, usage, manière d'agir, mœurs) : science des mœurs telles qu'elles
doivent être, ou science du bien et du mal. — Place de la Morale dans les
sciences, 3 ; 5 ; 593 ; 715. — Méthode de la Morale, 758. — Définition et objet
de la Morale, II, 1. — Science et art, II, 2. — Division de la Morale, II, 3. —
880 TABLE ANALYTIQUE : MoFalismc — Mot
Utilité de la science de la Morale, II, 3. — Rapports de la Morale avec : a] Psy-
chologie, IL 5 ; b) Logique, II, 6 ; c) Métaphysique, II, 7. — Morale indépen-
dante, II, 7. — Rapports de la Théodicée et de la Morale, II, 11. ,
florale formelle ou générale, II, 15. — Morales égoïstes ou utilitaires, II, 48.
— Morales altruistes ou sentimentales, II, 80. ■ — Morales rationnelles, II, 89. —
Rôle en Morale : a) du plaisir, II, 76 ; b) de Vintérêt, 11 ; c) du sentiment, 86.
Morale matérielle ou particulière, II, 148. — A) Morale personnelle,
II, 153. — B) Morale sociale, II, 161 : a) Humanitaire, II, 161 ; b) Domes-
tique, II, 208 ; c) Civique, II, 219 ; d) Internationale, II, 311. — Morale et
Politique, II, 325. — C) Morale religieuse, II, 331. — Rapports de la
Morale et de l'Économie politique : a) généraux, II, 363 ; b) spéciaux, II, 363.
— Morale et art, II, 410. — Morale dite scientifique, II, 58.
Moralisme (de Morale, de Moralis, relatif aux mœurs) : ce terme signifie :
a] tantôt une doctrine pratique qui ne s'attache qu'à la Morale ; b) tantôt un
système qui fait consister la moralité uniquement dans l'intention et la bonne
volonté, sans tenir compte de la matière de l'acte volontaire : tel est le Mora-
lisme de Kant, II, 78 ; 97 ; 100-101.
Moralité {Moralitas, de moralis, relatif aux mœurs) : signifie la valeur
morale d'un agent ou d'une action. — Ses éléments ou conditions, II, 30. —
Conséquences de la moralité, II, 114. S'oppose à Immoralité. — Kant oppose
Moralité et Légalité. La Moralité consiste dans la conformité subjective de la
volonté à la loi par amour du devoir : le caractère moral dépend donc de la
forme, c'est-à-dire de l'intention désintéressée, et non de la matière. La Légalité
consiste dans la conformité objective à la loi pour en retirer quelque avantage :
l'acte accompli est matériellement conforme à la loi. Un tel acte est légal,
mais n'est pas moral, parce que l'intention désintéressée fait défaut, II, 78,
97 ; 100-101.
Morbide (Morbidus, de morbus, maladie) : psjxhologie morbide, 723-724.
Moreno (Gabriel Garcia) : homme de caractère, 392, 2. — Maxime
politique. II, 346.
Morgan (Augustus de) : quantification du prédicat, 551, 2.
Morphologie (de MopcpÂ, forme ; )vôyo;, discours) : science des formes gram-
maticales des, mots. — Classification morphologique des langues, 456. —
Partie de la grammaire, 463 ; 464-465. — Parenté morphologique des espèces,
II, 617 ; 620, iv ; 623-625.
Mort (Mortem) : peine de mort, II, 267-269.
Mortification (de Mortifier, de tnors, tnortis avec le suffixe fier) : c'est le
nom chrétien qui exprime le devoir de réprimer les impulsions de la sensibilité
pour la soumettre aux exigences de la raison, II, 158. — Cf. Thérapeutique
des passions, 119.
Mosso (Angelo) : la peur, 469,5 ; 728.
Mot {Muttum, grognement, altéré en mottum) : sons articulés qui composent
le langage, 436 ; 439. — Vocabulaire, 450. — Peut -on penser sans mots ? 151.
— Dangers des mots, 453. — Terme et mot : diiïérence, 515, 2. — Définition
de mot ou nominale, 521 ; 524. — Sophismes de mots, 798.
TABLE ANALYTIQUE : MotCUF — MultitudC 881
Moteur {Motor, de motum, supin de movere, mouvoir) : ce qui meut, ce
qui se rapporte au mouvement. — Type de mémoire : moteur, 206. — EfTet
moteur des images, 233-234 ; 470-471. — Nécessité d'un premier moteur,
II, 560.
Motif (du latin scolastique Motivus, qui pousse à faire quelque chose,
employé substantivement) : raison d'ordre intellectuel pouvant déterminer,
une action volontaire, 357. — ■ Nécessité des motifs pour l'acte volontaire,
357-358. — Influence des motifs, 396. — Comparaison des motifs aux poids,
399. — Divers- motifs des actions : plaisir, intérêt, sentiment, bien rationnel
II, 46-47.
Motrice {Motor, motrix, motricis, de motum, supin de movere, mouvoir) :
activité motrice inhérente à tout phénomène psychologique, 36. — Force
motrice des imagos, 233-234 ; 470-471. — "Cause motrice, 324. — Conscience
de l'activité motrice, 327. — L'activité motrice et la volonté 359-360 ; 363-364.
— On nomme sensations motrices ou kinesthésiques celles qui accompagnent
les mouvements de notre corps et nous les font connaître.
Motricité (de Motrice) : fonction motrice de l'être vivant, 36 ; 363-364.
Destutt de Tracy se sert du. mot Motilité. — Elle est persistante chez le
somnambule, mais son exercice est suspendu pendant le rêve, 473-474 ; 477.
Mouvement (de Mouvoir, de movere) : déplacement ou changement de
position dans l'espace considéré dans son rapport avec le temps, II, 506, 2. —
Mouvement mécanique, spontané, 48. — Perception du mouvement, 182. —
Transformation du mouvement, 387-390 ; II, 542. — Preuve de l'existence de
Dieu tirée du mouvement, II, 560.
Moyen (de l'adjectif Moyen, qui vient de medianum, dérivé de médius,
qui est au milieu) : ce qui conduit à une fin. — Corrélatif de fm, 333. — La
fin ne justifie pas les moyens, II, 32-33.
Moyen terme : a) le terme par lequel, dans un syllogisme, le majeur et le
mineur sont mis eu rapport, 536 ; b) milieu entre deux autres termes, 214 ;
II, 127.
MuELLER (Johann) : impressions sensorielles, 167, 2. — Expériences sur
l'énergie spécifique des nerfs, 158, 1 ; 164, 4.
MuELLER (Max) : les noms propres, 258, 2. — Racines primitives, 260, 1.
— Instinct philologique, 444, 7. — Penser, d'après les Polynésiens, 452, 5.
— Classification morphologique des langues, 456, 2, 3. — Classification généa-
logique, 458-459 ; 460. — Diversité des langues et possibilité d'une commune
origine, 460, 3.
Muet (de l'ancien français Mu, dérivé de mutum) : expériences fournies
par les sourds-muets, 452 ; 723. — Langage des sourds-muets, 438.
Multiple {Multiplex, de multus, nombreux et de la racine plex, plier, d'où
plicare, plier) : opposé à l'un, II, 471 ; 472.
Multiplication logique : 567 ; 568.
Multitude [Multitudo, de multus, nombreux) : pluraUté d'êtres réellement
distincts entre eux, II, 472. — C'est l'élément matoi'iel de la société, II, 219.
— D'après Suarez le pouvoir est primitivement dans la multitude qui veut
former une société, II, 224-225.
882 TABLE ANALYTIQUE : MuH (Gomte A. dé) — Mythologie
MuN (Comte Albert de) : programme social, II, 372-373.
Musculaire. (MuscuZaris, de musculus, petit rat. muscle, de mus, mûris, rat) :
sensations musculaires, 75. — Sens musculaire, 158. — Étendue musculaire,
191. — Effort musculaire, 327 ; 359 ; 363-364.
Musique (Musica, r, aou^ixii, sous-entendu 'hy] — l'art de la musique
de po'jTixoç, qui concerne les Muses, par suite, les arts, spécialement la
Musique, de Moù<ja, pour Môv-Taa, Muse. Racine ya-», .^îv, penser) : sens musical,
186. — Art musical, II, 408 ; 409.
Musset (Alfred de) : la douleur, 128.
Mutation [Mutatio, de mutatum, supin de mutare, fréquentatif pour movitare,
déplacer, changer, de movere, mouvoir) : !«) Sens biologique : a) petits change-
ments morphologiques : sic Lamarck ; b) différences morphologiques que
présentent les échantillons provenant de couches successives ; c) transformation
brusque et héréditaire d'un type vivant qui se produit dans un espace court,
même dans l'espace d'une seule génération : sic d-e Vries, Naudin, II, 620.
— 2°) Sens social : changement dans l'organisation de la société.
Mutilation (Mutilatio, de mutilatum, supin de mutilare, mutiler) : altération
de l'intégrité du corps, II, 156.
Mutualité (de Mutuel, de mutuus, réciproque, de mutare, changer, échanger) :
en Sociologie, ce mot désigne les institutions qui ont pour but l'assistance
mutuelle.
Mutuel (de Mutuus, réciproque, de mutare, changer, échanger) : ce qui est
fondé sur un échange d'actes ou de sentiments qui se répondent. — Action
mutuelle de l'âme et du corps, 471-472 ; II, 543-544.
Mystère [Mysterium, ,y.uî>T/;piov, chose secrète, de aOto, être fermé) : a) Sens
large: ce qui n'est pas en soi au-dessus des prises delà raison, mais qu'elle n'est
pas capable de comprendre dans l'état actuel des connaissances, vg. l'essence
des corps. — b) Sens strict : ce qui est incompréhensible, au-dessus de la raison,
II, 634.
Mysticisme, Mystique {Mysticus, jxuTTtxo;, qui concer»e les mystères,
mystique, de ,"-"^w, èlie ferméi : il faut distinguer : a) Mysticisme faux, qui
consiste à chercher la certitude, en dehors de la raison, dans un commerce
superstitieux avec Dieu et le monde suprasensible : vg. méthode mystique de
l'ÉcoLE d'Alexandrie, 7. — il Mysticisme vrai, qui, sans renier la raison, y
ajoute des lumières d'ordre surnaturel et des communications spéciales avec
Dieu. 11 fait l'objet de la Théologie mystique. Cf. A. Poulain, Des grâces
d'oraison, Paris, 1922 (IQo édit.).
Mystification (de Mystifier, du radical de mystère, avec le suffixe fier) :
action d'abuser de la crédulité des gens. — Mystification en matière textuelle
742, 1.
Mythe (MûOoî, parole, fable) : c'est l'exposition d'une doctrine profonde
sous le voile de l'allégorie. Les mythes de Platon sont célèbres ; vg. mythe de
la caverne, 310.
Mythologie (Mythologia, de MvOoXoyt^, de ^uOoXdyoç, fabuleux, de i-tïïOo;,
fable ; "Îto-:, discours) : histoire fabuleuse des dieux et des héros. — Divini-
sation des forces du monde, 248, 1.
TABLE ANALYTIQUE : NapoléoD I^r — NaudiD ( Charlcs-Victor) 883
SI
Napoléon I" : le duelliste, II, 168.
Nation (Natio, naissance, race, hommes de même race, nation, de nascor,
natus sum, naître) : ensemble des citoyens constituant un État. — Ses éléments,
92-93 ; II, 220. — Société des Nations, II, 320-321.
Nationalisation (de Nationaliser, de nation) : nationalisation du sol, II, 200.
Nationalité (de National, de nation) : ses éléments, 92-93. — Respect.de
la nationalité, II, 313. — Principe des nationalités, II, 322.
Nativisme, Nativiste (de Nativus, donné par la nature, inné, de nascor, natus
sum, naître) : est dite nativiste toute doctrine enseignant qu'une fonction, un
caractère oxi une idée sont innés ou congénitaux. — Objet de la vue, 179-180. —
Théorie nativiste ou innéité des idées, 312.
Naturalisme (de Naturalis, naturel, relatif à la naissance, naturel, de nascor,
natus sum, naître) : le naturalisme doctrinal a produit deux systèmes prin-
cipaux : a) l'un confond la nature avec Dieu ; c'est le Panthéisme, II, 601-602 ;
b) l'autre prétend que l'ensemble des facultés natives de l'homme suffisent
à assurer son perfectionnement, sa destinée et son bonlieur : il rejette la révé-
lation et l'ordre surnaturel. Cf. Cardinal Pie, l^e, 2'^ et ^"^ Instructions synodales
sur les principales erreurs du temps présent, t. II, pp. 340-417 ; t. III, pp. 127-
262 ; t. V, pp. 29-209 de ses Œuvres, Paris, 1866-1867. — Religions natura-
listes, 248, 1. — Naturalisme dans l'art, II, 397-400.
Nature [Natura, de nascor, natus sum, naître) : principaux sens : a) i ensemble
de tout ce que Dieu a créé ; h] principe de l'activité ; c'est le sens scolastique,
367 ; c) l'ensemble des caractères essentiels d'un être, d'une science, d'une
institution, etc. ; (Z) se dit par opposition: 1°) à la civilisation : état de
•nature (Rousseau), II, 220-221 ; 2°) à la grâce, qui est un don surnaturel,
c'est-à-dire au-dessus des exigencesdelanature. -Sentiment delà nature, 87» 1.
— Seconde nature : a) coutume, 109, 2 ; b\ habitude, 418-419. — Principe
d'uniformité de la nature, 290: 678; 680-681. — Nous concevons la nature
extérieure à notre image, 329. — Nature naturante, nature natur^e (Spinoza),
II, 603-604.
Naturel (Naturalis, de nascor, natus sum, naître) : se dit dans tous les sens
du mot nature. — Perceptions naturelles, 178. — ^ Sciences naturelles : a] leur
objet, 645 ; b) leur division, 646 ; c) leur méthode, 647. — Religion naturelle,
H, 331. — Le naturel dans les œuvres littéraires et artistiques, II, 403-404. —
Génie, don naturel, II, 406. — Naturel s'oppose : a) a Acquis ; vg. Perceptions
acquises, 181 ; i) à Surnaturel : ce qui dépasse les exigences et les forces de
la nature. Cf. J.-V. Bainvel, Nature et surnaturel, Paris, 1903.
Naturisme (de Nature) : culte de la nature et divinisation de ses forces,
248, 1.
Naudin (Charles-Victor) : hypothèse des transformations brusques, II,
620. Elle a été reprise par Hugo de Vries, Die Mutationstheorie, Leipzig, 1901.
Species and Varieties, Chicago, 1905. Traduit par L. Blaringhem : Espèces
et Variétés, Paris, 1909. Cf. H. Colin, La mutation, dans Revue de Philosophie,
septembre-octobre 1910, pp. 322-337.
884 TABLE ANALYTIQUE : NavUIe (Ernest) — Neutralité
Naville (Ernest) : fondement de la foi au témoignage, 737, 2. — Savants
et croyants : II, 448, 1.
Néant (peut-être de Nec-entem, latin scolastique, non-être) : II, 461.
Nécessaire [Necessarius, de necesse, nécessaire) : ce qui ne peut pas ne pas
être, ce qui ne peut être autrement. — Jugement nécessaire, 273. — Opposé
à Contingent, 285 ; 339. — Vérités nécessaires, 292-293. — Origine de f'idée
de nécessaire, 341. — Syllogisme du nécessaire, 561. — Nécessaire et superflu,
II, 190 ; 193 ; 263-264. — Vérités éternelles et nécessaires, II, 567. — L'Etre
nécessaire, II, 572.
Nécessité {Nécessitas, de necessarius, nécessaire) : a) caractère de ce. qui
est nécessaire (voir ce mot) ; b) contrainte exercée sur l'homme par l'enchaî-
nement inévitable des principes et des conséquences, des effets et des causes.
Nécessité absolue des premiers principes, 292-293. — Nécessité relative des
lois physiques, 294 ; II, 38. — Nécessité de la conséquence dans le syllogisme
démonstratif, 535-536 ; 561. — Nécessité de la connexion, signe d'évidence,
778 ; 838. — Nécessité de la loi morale, II, 38-39 ; 41 ; 44. — Cas d'extrême
nécessité, II, 193.
Négatif, Négation (Negativus, negatio, de negatum, supin de negare, dire
non nier, de ne, ne pas) : action de l'esprit déclarant fausse une relation
proposée. — Jugement négatif, 266 ; 272-273.
Néo-Criticisme (de Nsoç, nouveau ; x&irtxoç, capable de juger, de xpiva»,
juger, décider) : école fondée par Renouvier, 386, 2 ; 790 ; II, 438.
Néo-Platonisme : doctrine de I'École d'Alexandrie, 7 ; II, 555.
Néo-Scolastique (Philosophie) : nom pris par certains philosophes contem-
porains, notamment par les professeurs de l'Université de Louvain, lesquels
publient la Revue Néo-Scolastique pour répandre la philosophie de saint Thomas
et des grands Scolastiques.
Néo-Thomisme : nom donné aux philosophes scolastiques qui se recom-
mandent de saint Thomas et s'efforcent d'adapter la doctrine thomiste aux
besoins du temps présent. — Voir Thomisme.
Nerf [Nervum, veupov, pour ^ep/'ov), Nerveux [Nervosus) : impression ner-
veuse, 70. — Système nerveux, 71 el note 1. — Tempérament nerveux, 391.
— Caractère nerveux, 404.
Neuf [Novum] : idée neuve, 230-231.
Neurasthénie (de Neupw, nerf ; àirOîvEia, faiblesse, de à privatif, aôévo;,
force. Ilacine (JTa, se tenir debout) : nom générique pour désigner les affections
nerveuses qui n'ont pas leur origine dans une lésion organique et ont souvent
pour cause un état moral.
Neurone (de Nîtipov, nerf) : la cellule et la fibre conductrice, qui constituent
le système nerveux, sont un même élément anatomique. — Neurone sensitif
central, neurone moteur central, 73 en note.
Neutralité (de Neutralis, neutre, de neuter, neutra, neutrum = ne-uter,
ni l'un ni l'autre) : état de celui qui ne prend pas parti. — Neutralité scolaire,
II, 259.
TABLE ANALYTIQUE : NévrosG — ^ Non-moî 885
Névrose (de Nsupov, nerf) : nom générique pour désigner un grand nombre
d'affections maladives qu'on croit provenir du système nerveux.
Newman (Cardinal Henry-John): Illative sens, 788-790 ; 793, 1. — Sens
■du vrai, II, 19, 4. — Grande âme dans un corps chétif, II, 164, 1.
Newton (Isaac) : effort patient du génie, 231. — Déduction et induction
se ramènent à synthèse et analyse, 622, 1. — Chute d'une pomme, 650, 3. —
Danger des hypothèses, 658, 2, — Principe des lois, 676. — Savant et croyant,
II, 447-448. — Espace et temps, II, 501.
Nicole (Pierre) : le bon sens, 287. — Sophismes du cœur, 801, 2. — Voir
Port-Royal.
Nihilisme (de Nihil, rien, de ni, pour ne, ne pas et hilum, petite raie noire
au haut de la fève, par extension un rien, d'où nihilam, nihil, rien) : a) En Phi-
losophie, c'est : 1°) La doctrine phénoméniste qui prétend qu'aucune réalité
substantielle ne répond aux perceptions sensibles, II, 427-428. L'expression
est de Hamilton [Lectures on Metaphysics, T. I, Lect. XVI, p. 293-294,
Edimbourg, 1877). — 2°) La doctrine qui prétend qu'il n'y a point de vérité,
II, 346. — b) En Politique, c'est la doctrine qui ne veut rien [nihil] laisser debout
de l'état social actuel ; vg. les Nihilistes russes.
Nirvana (signifie littéralement extinction) : ce mot, dans la doctrine boud-
dhiste, signifie la destruction du moi, mais non de l'être. Le souverain bonlieur
consiste dans cet anéantissement de l'existence personnelle qui se fond dans
l'existence universelle. Le Bouddhisme n'admet donc qu'une sorte d'immor-
talité de la substance, II, 549-550.
Nivellement (de Niveler, de nii>eau, du latin populaire Libellum, pour
libella, devenu livel, liveau, puis par dissimilation nivel, niveau) : action de
mettresur la même ligne, le même rang. — Nivellement égaU taire, II, 241-242; 251 .
Nolonté (de Nolo, ne pas vouloir, par analogie avec volonté) : mot forgé
par Renouvier pour désigner le pouvoir suspensif de la volonté) : 357.
Nom [Nomen, de noscere, connaître. Racine gno. Cf. co-gno-scere, cognomen) :
mot par lequel on désigne quelqu'un ou quelque chose. — L'idée générale est
pour le Nominalisme un nom commun, 254. — Noms communs et propres, 258.
— Rôle du nom dans la phrase, 464.
Nombre [Numerus. Cf. vof/-/^, partage, de véjjlw, partager) : collection d'unités
ayant quelque chose de commun, II, 472. — Origine de cette idée, 149. — Le
nombre infini répugne, 340, 2.
Nominal [Nominalis, de Nomen, nom, de noscere, connaître) : qui se rapporte
aux mots. — Définition nominale, 524.
Nominalisme (de Nominalis, de nomen, nom) : système d'après lequel il
n'existe pas d'idées générales, mais des signes généraux, 254 ; 255-256. —
Nominalisme de Condillac, 301 ; 463.
Non causa pro causa : sophisme, 799-800.
Non-être : voir Néant.
Non-euclidien : les géométries non-euclidiennes, 643.
Non-moi : tout ce qui est distinct du sujet pensant et sentant, 173-17'î. —
Le non-moi est la limite du moi (Fichte), II, 604. — S'oppose à Moi.
886 TABLE ANALYTIQUE : Noologic — Nys (Désiré)
Noologie (No'oç-Noîiç, esprit, racine -/voj, connaître, ^^oyo;, discours) : terme
proposé par Fr. Mentré pour signifier l'analyse et la classification des diffé-
rents types d'esprit (Cf. Le Spectateur, juin, 1911).
Noologique (Noo;-Nou;. esprit, racine yvto, connaître ; 5^070;, discou.-'?' :
ce qui concerne l'esprit. — Sciences noologiques, 2 ; 588.
Normal [Normalis, fait à l'équerre, droit, régulier, de norma, équerre, v- ■ :
ce qui sert de règle, ce qui est conforme àja règle. — La Psychologie étudio les
cas normaux et anormaux, 723-724. — États normaux de l'imagination, 225.
— S'oppose à Anormal.
Normatif (de Norma, règle) : ce qui concerne la norme, la règle. — Sciences
nermatives, 504 ; 715.
y
Norme i Norma, règle) : on dit vg. la norme de la conscience ; c'est la loi
morale, II 38-39.
Note (Nota, ce qui fait connaître, marque, de notum, supin de noscere,
savoir) : notes individuantes ou caractères accidentels, 522,
Notion {Notio, action de connaître, connaissance, idée, de notum, supin de
noscere, chercher à connaître) : a) Connaissance d'une chose. — b) Idée, en tant
qu'objective, représentative d'un objet. Ce terme est surtout appliqué- aux
idées abstraites : vg. Notion de substance, 320. — Ces notions forment la
matière des jugements, 295-296.
Notions premières : comparaison avec les vérités premières, 295-296. —
Classifications, 296. — Origine : solutions : a) empirique, 298 ; b) rationaliste,
3CS ; c) empirico-rationaliste, 315.
Nouménal (de Noumène) : ce qui se rapporte au noumène. — Liberté
nouménale, 386. — Le caractère intelligible -est nouménal, 405.
Noumène (\oûy.:vov, chose pensée, de •■'oo; voùç, pensée) : réalité intel-
ligible, objet de la raison, opposée à la réalité sensible et, par suite, chose en
soi, réalité absolue ( Kaxt), II, 430-431. — L'homme-noumène, II, 136 ; 154-155.
Nouveau, Nouveauté [Novus, novelUtatem. Cf. véo; r= vi/"oç) : son attrait, 121 .
Novalis (Frédéric, Baron de Hardenberg, connu sous le pseudonyme
de) : les caractères, 406.
Nue propriété (-Vu, de nudum ; proprietas] : propriété sans l'usufruit,
II, 189.
Numérique (de Numcrus, nombre) : relatif au nombre. — Différence numé-
rique : c'est, pour les Scolastiques, la différence qui sépare deux individus
de la même espèce : vg. Pierre et Paul, 252. — S'oppose à Différences générique
et spécifique, 252-253.
Numismatique (de Numisma, Nôutcraa, tout ce qui est établi par l'usage,
coutume, monnaie, de vo;/i'::;o), -avoir en usage, de vôaor^ usage, usage ayant
force de l^i, loi) : sciences des monnaies et médailles. — Utilité des monnaies
comme renseignement historique, 740.
Nvs (DÉSIR El : théorie de la relativité, II, 506, 4. — Critique dei'Atomisme
dynamique, II, 511, 2.
TABLE ANALYTIQUE : Obédieiitiel — Objet , 887
0 : indique la proposition particulière négative, 532.
Obédientiel (du latin scolastique Oboedientalis, de Oboedientia, obéissance,
de oboedire = ob-aadire, de auris, oreille) : les Scolastiques appellent puis-
sance obédientielle la possibilité qu'ont les êtres de se prêter à l'action divine
et conséquemrnent de devenir par elle tout ce qui n'est pas en contradiction
avec leur essence.
Obéissance (de Obéir, de oboedire = ob-audire, de auris, oreille) : souniission
à une autorité. — Devoir : a) de la l'emme, II, 212 ; b] des enfants, II, 217 ;
c) des serviteurs, 217 ; d) des gouvernés, II, 274-275.
Objectif (du latin scolastique objectivas, de objectuin,- ce qui est mis devant,
participe passé de objicio = ob, devant ; jacio, jeter) : a) Sens scolastique : ce
qui est le ternie ct'une idée, vg. les phénomènes intellectuels sont objectifs,
34. — Vérité objective, 769, II, 475. — Nécessité objective, 293. — Évidence,
probabilité, possibilité objectives, 771-772. — b) Ce qui est valable pour tous
les esprits et pas seulement pour tel ou tel individu : valeur objective de la
connaissance, II, 421 — c) Ce qui constitue une réalité subsistant en elle-même,
c'est-à-dire indépendamment de toute connaissance, vg. Dieu, le monde
extérieur. — S'oppose à subjectif, individuel, apparent.
Objection (du latin scolastique Objertio, de objectum, supin de ob-jicere,
jeter devant, opposer) : c'est un argument qui vise à réfuter une doctrine ;
vg. objections contre la possibilité de l'observation subjective, 720.
Objectivation, Objectiver (de Objectif) : transformation de ce qui est sub-
jectif en objectif. — Objectivation des sensations, 72-73 ; 160.
Objectivisme (de Objectif) : se dit des doctrines qui admettent que, dans la
perception, i'ospi'it connaît directement une réalité existant en soi.
Objectivité (de Objectif) : caractère de ce qui est objectif ; vg. admettre
l'objectivité de la perception externe, c'est admettre qu'elle atteint des objets
en dehors de l'esprit, 161. -Objectivité des couleurs, xxiv, 1 ; 176, 1. — Qualités
primaires objectives, 177-178.
Objet (du latin scolastique Objectum, ce qui est mis devant, participe passé
de ob-jicere) : a) Ce mot s'oppose à sujet comme ce qui est connu à ce qui est
connaissant. On distingue le sujet connaissant et ce qui est représenté dans
l'esprit qu'on nomme objet, 34. — Puis, ce qui est représenté dans l'es-
prit, l'objet de la pensée, étant regardé comme l'image fidèle des choses
extérieures, on a également appelé objet les choses extérieures. De là une
certaine équivtxjue dans le sens de ce mot, 771-772. — Cliez Descartes,
exister objectivement signifie exister dans l'esprit. Cf. Méditations métaphysiques,
3e. — Depuis Kant surtout, cela signifie exister en dehors du moi, de l'e-^prit.
b) Renouvier appelle objet, objectif, ce que les auti-es nomment actuellement
sujet, subjectif. Pour lui, Vobjet c'est la représentation mentale : vg. la perception
d'un arbre ayant telle forme est phéaumène objectif. Le sujet c'est ce qui est
regardé comme existant en dehors de l'esprit : ainsi la forme de cet arbre est
un phénomène subjectif, parce que la forme est inhérente à l'arbre qui en est
le sujet, sub-jectum, placé sous, Û7:ox£'y.cvov, comme dit Aristote. En voulant
TABLE ANALYTIQUE : Obligation — Occupant
revenir au sens primitif des mots Objet et Sujet, Renouvier a accru la confu-
sion. — c) Objet signifie encore la matière dont traite une science ; vg. objet de
la philosophie, 1.
Obligation (Obligatio, action de lier, lien, obligation, de obligatum, supin
de ob-ligare, lier, envelopper) : a) Lien moral qui assujétit à une loi ou attache
à quelqu'un qui a rendu un bon office. — è) Sentiment de contrainte morale
accompagnant l'idée du devoir, II, 37. — Devoir et obligation, II, 37. —
Caractères de l'obligation morale ou devoir, II, 44. — Fondements : a) erronés,
II, 108 ; b) véritable, 110.
Obligatoire (Obligatorius, de obligatum, supin de ob-ligare, lier) : ce qui lie,
oblige. — La science du bien obligatoire, II, 1. — Caractère obligatoire de la
loi morale et du devoir, II, 44. — Le bien est-il obligatoire ? II, 109 ; 112. —
Suffrage obligatoire, II, 282-283.
Obscur {Obscurus = ob-scurus. Cf. (jy-ta, ombre, (txotoî, obscurité) : a) Syno-
nyme de subconscient, en parlant des phénomènes psychiques, 144. — è) Une-
idée obscure est celle qui ne suffit pas à faire reconnaître son objet, 518. —
Obscurum per obscurius : a) Définir ce qui est obscur par ce qui est moins
clair encore, c'est pécher contre une règle de la bonne définition, 523 ; 638.
b) Prouver ce qui est incertain par ce qui est moins certain encore, c'est une
des manières de commettre le sophisme de la pétition de principe, 801.
Observateur (Observator, de ohservatum, supin de observare, de oè, au-devant,
servare, garder, observer, de servus, gardien, puis esclave, qui était le gardien
de la maison) ; cjualités d'un bon observateur, 650-651.
Observation (Observatio, de observatum, supin de observare, examiner avec
attention, respecter) : considération attentive des faits. — Observation :
a) subjective, 719 ; b) objective, 722. — Méthode d'observation, 647. — Obser-
vation dans les sciences physiques : a) sa nature, 69 ; b) ses conditions, 650 ;
c) ses règles, 651. — Observation provoquée ou expérimentation, 660. —
Sciences d'observation, 663-664. — Observation en Physique et en Psycho-
logie, 731. — L'observation de la loi morale est obligatoire, II, 39 ; 44 ; 110-111.
— S'oppose à Expérience, Expérimentation.
Obsession (Obsessio, action d'assiéger, de obsessum, supin de ob-sidere, se
tenir devant, de ob, devant ; sedere, être assis) : état d'esprit d'un homme
assiégé par une ou plusieurs idées et sentiments qui lui font une sorte de
violence. Elle prend la forme de monoïdéisme ou de polyïdéismc, 428.
OccAM, OcKAM, Okkam (GUILLAUME d') : nominalisme, 254. — Distinction
du bien et du mal, II, 107.
Occasion (Occasio, de occasum, supin de occidere — ob-cadere, tomber en
avant) : ce qui facilite l'activité delà cause. — Occasion, cause et condition, 324.
Occasionnalisme, Occasionnel (de Occasion) : système des causes occa-
sionnelles (Malebranche), II, 546.
Occulte {Occultus, de occultant, supin de occulere, du verbe archaïque calerc,
cacher) : ce qui est caché, mystérieux. — Sciences occultes, vg. la magie,
l'alchimie. — Qualités occultes, vg. la nature a horreur du vide, 248. — Puis-
sances occultes : ce mot sert à qualifier les démons.
Occultisme (de Occulte) : ensemble des sciences occultes et des arts magiques.
Occupant. Occupation (de Occupans, Occupatio, de occupare = ob-capere,
s'emparer de, occupons, occupàium) : droit du premier occupant, II, 190.
TABLE ANALYTIQUE : Oculairc — Ontologie 889
Oculaire [Ocularius, de oculus, œil) : témoin oculaire, 735.
Odeur {Odorem. Cf. o^'', odeur) : objet de l'odorat, 157 ; 178.
Odorat (Oc?ora(Ms, de odoratum, supin de odorari, flairer. Cf. oÇco, parfait 2
oôoioa, exhaler une odeur) : organe, de l'odorat, 157. — Objet de l'odorat, 178.
— Perceptions acquises, 182. — Education de l'odorat, 184. — Rang hiérar-
chique, 74 ; 185.
Office {Officium, de officere — ob-facerc, appliquer sur) : le mot officium
signifie action de se mettre en avant, service rendu, devoir, charge. Cf. Cicéron,
De Officiis Libri. très. Ce mot n'est plus usité en français dans le sens de devoir.
— Aujourd'hui, il s'emploie dans le sens de charge, fonction, vg. bien remplir
son office.
Oiseux (Otiosum, oisif, de otium, repos) : parole oiseuse, c'est-à-dire inutile,
sans raison d'être, donc répréhensible en quelque manière.
Oisiveté (de Oisif, dérivé de oiseux par le changement du suffixe eux en if) :
II, 159; 187.
Oken (Lorenz) : le crâne est une vertèbre, 231-232.
Olfactif (de Olfactus, odorat, de olfactum, supin de ol-facere, faire sentir,
flairer, de olere, exhaler une odeur) : nerf olfactif, 157. — Mémoire olfactive, 207.
Oligarchie ("OÀtY«pzt<z, de ô/tyac/rjç, de oXtyo;, peu nombreux = 6 pros-
thétique et racine Xtx, être petit ; «p//,, commandement) : forme de gouver-
nement où l'autorité appartient à un petit nombre de citoyens. Se prend dans
un sens péjoratif, II, 235.
Ollé-Laprune (Léon) : faire son devoir d'homme d'après Aristote,
II, 92, 2. — Citation de Leibniz sur l'idée de perfection, II, 105, 2.
Ollivier (Emile) : la liberté sociale, seule essentielle, II, 291.
Omnipotence [Omnipotentia, de omnis, tout ; potentia, puissance, 'de potens,
maître de, d'un verbe inusité potere, de potis, pote, qui peut^ : attribut divin,
II, 597.
Omniprésence (Omnis, tout ; prsesentia, présence, de prsesens, preeesse,
être avant) : attribut divin, II, 578-579.
Omniscience (du latin scolastique Omniscientia, de omnis, tout ; scientia,
science) : attribut divin, II, 582-583.
Onéreux [Onerosus, lourd, de onus, oneris, poids, charge) : qui impose des
charges, des frais, vg. transmettre un bien à titre onéreux, II, 197. — S'oppose
à Gratuit, Gracieux.
Onomatopée [Onomatopœia, ovou-axoTrouy, de q-jou-v., ovo'jv.'zto;, nom ; tto'.év,
faire) : formation des mots par harmonie iinitatlve. — Sun rôle dans le lan-
gage, 447.
Ontogenèse, Ontogénie (To ov, ovtoç, l'être ; ^/i-Jtmc,, origine, yivoç, nais-
sance, origine. Racine T£'^ engendrer) : se dit de l'évolution de Vindividu par
opposition à la Phylogénèse ou Phylogénie, qui indique l'évolution de Vespéce.
Ontologie (du latin scolastique Ontologia, de -o ov, ovroc, l'être ; Xôyo;,
discours^ : science de l'être en tant qu'être. — Sa place dans les s':iences philo-
sophiques, 5 ; 592 ; II, 460-495.
890 TABLE ANALYTIQUE : Ontologique — Organique
Ontologique {Ontologicus, de ontologia) : ce qui se rapporte à l'ontologie,
à l'être. — Méthode ontologique, 7. — Ordre ontologique, 342. — Loi ontologi-
que, 762. — Vérité ontologique, 769 ; II, 475. — Argument ontologique, II, 569.
Ontologisme (de Ontologie) : « L'Ontologisme est un système dans lequel,
après avoir prouvé la réalité objective des idées générales, on établit que ces
idées ne sont pas des formes, des modifications de notre âme ; qu'elles ne sont
rien de créé, qu'elles sont des objets nécessaires, immuables, éternels, absolus ;
qu'elles se concentrent dans l'Etre simplement dit et que cet Etre infmi est
la première idée saisie par notre esprit, le premier intelligible, la lumière dans
laquelle nous voyons toutes les vérités éternelles et absolues. Les ontologistes
disent donc que ces vérités éternelles ne peuvent avoir de réalité hors de
l'essence éternelle ; d'où ils concluent qu'elles ne subsistent qu'unies à la
substance divine, et que ce ne peut être, par conséquent, que dans cette
substance que nous les vovons. » ( J. Fabre d'Envieu, Défense de l' Ontologisme,
p. 1-2, Paris-Tournai, 1862} : 312 ; II, 452.
Opération (Operatio, de operari, travailler, de opus, œuvre, travail) : action
d'une faculté ou d'un agent qui produit son effet. — Opérations : a) sensitives,
134 ; b) proprement intellectuelles, 135. — Operatio sequilur esse, 681.
Opinion (Opinio, de opinari, penser, croire, conjecturer) : a) adhésion de
l'esprit mêlé de doute, 775 ; b) manière de juger. — Sanction de l'opinion
publique, II, 123. — Influence de l'opinion dans la démocratie, II, 241.
Opposition (Oppositio, contraste, de oppositum, supin de opponere = ob-
ponere, placer contre, opposer) : a) en Logique : opposition des propositions,
532 ; b) en Politique : lutte contre le gouvernement, II, 288-289.
Optimisme (de Optimus, le meilleur, de ops, opis, ressource, abondance, et
du suflixe timus, comme dans in-timus, ex-timus) : a) Optimisme absolu : doc-
trine d'après laquelle le monde est aussi parfait que possible (Malebranche,
Leibniz), II, 646. — b) Optimisme retoi/ : doctrine d'après laquelle le monde
n'a qu'une perfection relative, c'est-à-dire que le bien l'emporte sur le mal.
Saint TiTomas, Bossuet, Fénelon, II, 647 ; 650. — Tournure d'esprit qui
envisage le bon côté des choses. — Théorie optimiste de l'activité, 61-62.
Oral (de Os, oris, bouche) : signe, 436. — Langage, 439.
Ordonnance (de Ordonner, de ordinare, ranger, de ordo, ordinis, rang,
ordre) : disposition émanant du pouvoir exécutif, II, 269.
Ordre (Ordinem, rangée, rang, ordre) : propriétés mathématiques (}ui
résultent de l'ordre, 625, 1. — Ordre essentiel des choses, II, 41; 110-111. — Idée
du bien et idée d'ordre d'après Montesquieu, II, 104. — Ordre et perfection,
II, 105-106. — Élément essentiel du beau, 382-383. — L'ordre du monde, II,
561-563.
Ordre (Principe d') : 290 ; 680.
Organe [Organum, oGyavov, instrument. Racine Fz^'/, travailler. Cf. ep'/ov,
action, œuvre) : organes des sens, 156 ; 157.
Organicisme (de Organicus, opyavtxo';, qui concerne les instruments) :
a) système d'après lequel la vie est la résultante de l'organisation, II, 525 ;
b) en Sociologie : doctrine qui assimile les sociétés à l'organisme des êtres
vivants, 753.
Organique {Organicus, opyavty.o'i;, relatif aux instruments) : impression
organique, 70 ; 156. — Conditions organiques de la mémoire, 199 ; 201. —
TABLE ANALYTIQUE : Orgaiîisme — Ozanam (Frédéric) 891
Activité organique, 354-355. — Lois ou articles organiques : ceux qui ont
rapport aux parties essentielles de la constitution d'un pays ; vg. Articles
organiques du 18 germinal an X, annexés au Concordat de 1801, II, 342-343.
Organisme (de Organe) : a) Ensemble des organes constituant un être vivant.
— • Volonté et organisme, 363-364. — Pensée et organisme, 468-469; 11,541-
542. b) Sens métaphorique : tout ce qui présente quelque analogie avec un
organisme : langage comparé à un organisme, 449, 2. — Société comparée
à un organisme, 753.
Organum : on a réuni sous le titre d'''Op7avov, Organum (instrument) les
traités d'AnrsTOTE relatifs à la Logique : c'est donc un Traité de Logique, 507.
— Novum Organum de Fr. Bacon, 670. — Kant appelle Canons les règles de
la pensée en général, et Organunu l'ensemble des règles concernant chaque
science en particulier.
Orgueil (de l'ancien haut allemand Urgoli, substantif dérivé probablement
de l'adjectif urguol, remarquable, supérieur) : estime excessive de soi-même
qui porte à se mettre au-dessus des autres. — Conséquence de l'égoïsme, 86.
Original, Originalité (Originalis, primitif, de origo, originis,de oriri,se lever,
naître) : ce qui tire son origine de soi et non de quelque chose qu'il imite ;
celui qui ne ressemble pas aux autres. — Sentiment original, 230 ; II, 396. —
Tour personnel d'esprit, II, 405, 3.
Origine {Origo, originis, de oriri, se lever, naître) : oiigine : a) du plaisir, 59 ;
b) des inclinations, 68 ; 100-102 ; c) de Vinstinct, 106 ; d) des passions, 115 ;
e) des notions et vérités premières, 299 ; /) de V habitude, 416 ; g) du langage, 441 ;
h) des différentes sciences, 584 ; i) des notions mathématiques, 627 ; /) de Verreur^
802 ; A") de la conscience morale, II, 18 ; l) de Vobligation morale, II, 107-112 ;
m) du droit, II, 132-135 ; n) du droit et du devoir, II, 135-138 ; o) des devoirs
personnels, II, 154-155 ; p) du droit de propriété, II, 189-192 ; q) de la société,
II, 220 ; r) du pouvoir, II, 223 ; s) de la richesse, II, 353-354 ; t) du monde, II,
600 ; (/) des espèces, II, 612-626 ; 628 ; 631-632.
Ostensif (de Ostensum, supin de ostendere, exposer, de obs, ob, devant, et
tendcre, tendre; : a) faits ostensifs (Bacon), 652 ; b) les Logiciens anglais
opposent la réduction ostensive des modes du syllogisme à la première figure
(ce qui est possible dans presque tous les cas), à la réduction indirecte ou
apagogique qui s'impose pour Baroco et Bocardo.
Où [Ubi] : le lieu (to ttoù), catégorie d'ARiSTOTE, 253-254; 296; 517;
II, 506.
Oubli (substantif verbal d'Oublier, du latin populaire oblitarc, dérivé
d'i'hlitus, participe d'oblivisci, oublier) : condition du souvenir, 205 ; 208.
Ouïe (substantif participe de Ouïr, de audire, entendre, de auris, oreille) ;
Migaue de l'ouïe, 157. — Objet, 178. — • Perceptions acquises, 181-182. —
Éducation, 184. — Rang hiérarchique, 74 ; 186.
Outrage (de Outre, de ultra, au delà) : injure extrême. — Faute contre la
justice, II, 168 ; 206-207.
Ouvrier (Operarium, de operari, travailler, de opus, travail, œuvre) :
devoirs et droits, II, 217. — Juste salaire, II, 358.
Ovide (Publius Ovidius Naso) : 397, 2,
Ozanam (Frédéric) : le symbolisme, 435, 3. — Classification des connais-
sances par saint Bonaventure, 587, 3. — La démocratie, II, 246, 2,
S92 TABLE ANALYTIQUE : Pacificisme — Panthéisme
Pacificisme, Pacifisme (de Pacificus, de pax, paix ; facio, faire) : opinion
de ceux qui visent à établir la paix universelle et à l'assurer au moyen d'un
arbitrage international, II, 318-320 ; 320-321. — Se prend en mauvaise part
pour qualifier ceux qui veulent la paix à tout prix, II, 272-273.
Paix (Pacem) : a) état d'un pays qui n'a pas de troublé intérieur ; b) état
d'un pays qui n'est pas en guerre avec un autre. — Arbitrage international,
II, 318-320 ; 320-321.
Paléontologie (llaXato;, ancien, de nakou, depuis longtemps ; ov, ovtoî,
ovra, êtres ; ^oyo;, discours) : science des animaux et des végétaux fossiles.
— Sa place parmi les sciences, 2 ; 593.
Palethnologie (IlaXatôç, ancien, de -zâloLi, depuis longtemps; iOw;,
race, peuple ; M-foc, discours) : c'est la science des races et des civilisations
préhistoriques.
Palingénésie (IlaXiyyeveaia, renaissance, de TraXtv, de nouveau ; ysv-ffts,
origine, production) : d'après les Stoïciens, les mêmes révolutions se repro-
duiraient dans l'univers, II, 602. — D'après Charles Bonnet, tous les êtres
vivants renaîtraient après leur mort.
Palmieri (Père Dominique) : le corps est condition intrinsèque de la
sensation, 70, 1. — Inobjectivité des couleurs, xxiv, 1 ; 176, 1. — Idée singu-
lière, 259, 1. — Lieu extrinsèque, II, 506, 1. — Définition du mouvement et
du temps par Aristote, II, 506, 2, .3. — Le dynamisme externe, II, 520-523.
— Matière et forme, II, 518, 1. — Infini et fini, II, 611, 1. — Concours divin,
II, 639, 1.
Pampsychisme (Hav, tout ; 't^u/.vi, âme) : système qui enseigne que tout
dans l'univers est de nature psychique (Wundt, Paulsen, Lachelier, Dunan,
Éd. Le Roy), II, 443-444.
Pancalisme (Hav, tout ; xaXo'ç, beau) : système qui subordonne la Logique
et la Morale au point de vue esthétique. J. M. Baldwin l'a exposé dans Genetic
theory of reality..., New-York et Londres, 1915. Cf. A. Lalande, Le Pancalisme,
dans Revue philosophique, 1915, t. II, p. 481-512.
Panenthéisme (HSv, tout; ev, dans ; 0io:, Dieu) : doctrine, soutenue par
Krause et Paul Janet, d'après laquelle Dieu est présent en toutes choses.
C'est vrai, pourvu qu'on maintienne la distinction et la transcendance de
Dieu, II, 578-579. — On donne aussi parfois le nom de Panenthéisme à la doctrine
de la vision en Dieu de Malebranche, 310.
Panlogisme (Hôtv, tout ; y^ô-fo;, discours, raison) : mot créé par J.-E. Erd-
MANN pour caractériser la doctrine de Hegel, d'après laquelle tout le réel,
étant intégralement intelligible, peut être construit par l'esprit d'après
ses propres lois. — L. Couturat qualifie de Panlogisme la métaphysique
de Leibmz.
Panthéisme (mot formé par J. Toland, de llav, tout ; 0J''jî, Dieu) : doctrine
d'après laquelle Dieu et le monde ne font qu'un. — Ses formes diverses :
Stoïciens, Alexandrins, Spinoza, Fichte, Schelling, Hegel, II, 601-607.
— Réfutation, II, 607-610. — Objections des panthéistes, II, 610-611.
TABLE ANALYTIQUE : Panthélisme — Paresseux 893
Panthélisme (Hâv, tout ; OHîvj, vouloir) : doctrine de Schopenhauer,
qui conçoit l'être comme une force et se représente la force à la ressemblance
de la volonté humaine : aussi pour lui l'être est un vouloir être, 365, 1 ; II, 648, 1.
Papagni (Père Tomaso) : saint Thomas et la prémotion physique, II,
586, 1.
Papier-monnaie (Papyrus, -i-r^^-iooi;, plante d'Egypte dont le tissu servait
à faire du papier) : facilite l'échange, II, 355.
Papini (Giovanni,) : pragmatisme, 824.
Pappus (Ila-TiTToç, grand-père, de TtotTr-a;, papa) : analyse géométrique
611, 3.
Paradigme (llapaSer/aa, modèle, de Trapaosi'xvjy.'., mettre en regard, de x«pà,
contre ; ost'xwwt, faire voir. Racine Six, montrer) : chez Platon, le monde
intelligible est le modèle, le paradigme du monde sensible, 309.
Paradoxe (ll^f^aoc^oç, contraire à l'opinion commune, de ~«pa, contre,
à côté ; oo'ça, opinion. Racine oox, paraître) : opinion contraire au sentiment
général. — Paradoxes stçïciens, II, 93 ; 149.
Paragraphie (de llfzpa, à côté ; ypacpstv, écrire) : maladie qui fait écrire un
mot pour l'autre.
Parallélisme (de Parallelus, Trv.paXXYiXoç, placé en regard, de -KvrA, à côté
de ; «XXfiXcov, des uns et des autres) : correspondance suivie entre des choses
ou des personnes. — Certains philosophes, comme Malebranche et Leibniz,
expliquent par le parallélisme l'union de l'âme et du corps, 472 ; II, 546 ; 547.
Paralogisme (IIapotXoyt(r,uo;, de xapâ, à côté ; ÀoYi^aoç, calcul, raisonnement,
deOkOya;, discours) : raisonnement faux fait sans intention de tromper, 798. - —
Kant nomme paralogisme transcendantal le raisonnement par lequel la raison
pure conclut de l'unité du moi-sujet, regardé comme un par rapport à la
multitude de ses modifications, à l'unité du moi-substance, regardé comme
absolument simple, II, 433 ; 435-436.
Paramnésie (Hapa, à côté, yvaoy.at, avr^(7ov.ai, se souvenir. Racine Msv, uvy),
penser) : illusion de la mémoire croyant reconnaître un état déjà vécu dans
un ensemble psychologique formant le contenu actuel de la conscience à un
moment donné, 211.
Parapsychique (de ll'/pa, à côté ; '\ijy_iy,6;, relatif à l'âme) : qualificatif dési-
gnant les phénomènes de télépathie, de pressentiment, etc.
Parcimonie [Parcimonia, de parcus, ménager, de parcere, épargner) : on
nomme parfois loi de parcimonie : a) le principe de moindre action, 658 ;
h) cet axiome scolastique : Non sunt multiplicanda entia sine necessitate. « Il ne
faut pas multiplier les êtres sans nécessité. »
Pardon (substantif verbal de pardonner, de par, en latin per, tout à fait, et
donner, de donare, gratifier, de dare, donner) : rémission d'une faute, d'une
ofYense. — Demander pardon de ses fautes, II, 332.
Paresseux (de Paresse, de pigritia, répugnance, nonchalance, de piger,
indolent) : sophisme paresseux, 377. — Philosophie paresseuse : celle qui, au
lieu de rechercher la vraie cause d'un phénomène, en donne une explication
verbale; vg. recourir à l'innéité sans raison suffisante : mot de Maine de
BiRAN, 312, 4.
894 TABLE ANALYTIQUE : Parfait — Particulier
Parfait (adjectif participe de Parfaire, de per-ficere, perjectum, achever, de
per, tout à fait, facere, faire) : ce qui est complet, achevé ; ce dont J'excellence
est absokie dans son genre, 340. — Origine de l'idée de parfait, 342. — Preuve
de l'existence de Dieu tirée de l'idée de parfait, II, 566 ; 569.. — L'Être néces-
saire est parfait, II, 572.
Pari (substantif verbal de parier, du latin pariare, égaler, de par, égal) :
convention d'un enjeu pour celui qui aura raison sur un point contesté. —
Le pari de Pascal, cf. Pensées, Edit. Brunschvicg, sect. III, n° 233, t. II,
p. 141 sqq., Paris, 1904. — Auguste Valensin, Le pari de Pascal, dans
ÉTUDES, 1923, t. Ilip. 513-531.
Parlementaire (de Parlement, de parler, du latin populaire paraulare, pour
parabolare, parler, de parabola, parole) : a) Gouvernement parlementaire,
voir Parlementarisme. — 6) Sophismes parlementaires : Bentham appelle ainsi
les sophismes qui sont propres aux orateurs parlementaires : vg. sophismes
de dilution, de confusion, d'autorité, de danger public.
Parlementarisme (de Parlement, de parler, du latin populaire paraulare,
pour parabolare, de parabola, parole) : a) Forme deGouvernement, danslaquelle
les intérêts généraux d'un pays sont discutés librement au sein d'assemblées
représentatives qu'on nomme parlements, II, 232-233. — b) Ce mot se prend
quelquefois dans le sens péjoratif d'assemblées, dont les débats se passent en
discussions stériles.
Parole (du latin populaire Paraula, pour parabola, parole, irapa^oX»;,
approchement, de râpa, auprès ; j^aXXw, jeter) : expression de la pensée par le
langage articulé, 439 ; 441. — Comparaison avec l'écriture, 439. — Nature,
440. — • Les Scolastiques nomment parole intérieure, verbum interius, l'idée,
parce qu'elle est la parole que l'esprit se dit à lui-môme. — Pour Platon, la
pensée est comme un « dialogue intérieur » , 452, 5. — Aujourd'hui, on appelle
paroles intérieures les images verbales, dont la pensée s'accompagne presque
toujours. Mais ces images ne provoquent pas de mouvements vocaux, quand
la production de ces mouvements serait un effort ou du temps perdu.
Partage (de l'ancien verbe Partir, au sens de diviser, du latin populaire,
partire pour partiri, partager, de pars, part) : partage périodique de la pro-
priété, II, 196. — Conséquences du partage forcé, II, 198.
Parte rei (A) : locution scolastique pour dire que l'on considère une chose
telle qu'elle est dans la réalité, a parte rei. ■ — S'oppose k A parte mentis, qui
indique le travail abstractif de l'intelligence, qui considère dans une chose
une. qualité ou un aspect à part des autres.
Parti (substantif participe de l'ancien verbe Partir, au sens de partager) :
groupe de personnes suivant une môme ligne de conduite. — L'esprit de parti
est l'excès de l'esprit de corps, 93 ; 125. — Arme des partis : sophisme du dénom-
brement, 800.
Participation [Participatio, de participatum, supin de participare, faire
participer, piendre part, de pars, partie et capere, prendre) : a) action de
prendre part à quelque chose ; b) fait de tenir de la nature de quelque chose ;
c) la participation, au sens platonicien (aiOcHi;), c'est le rapport des êtres
sensibles aux idées, 309.
Particulier [Particularis, de particula, parcelle, de pars, part) : ce qui
s'applique à quelques-uns et non à tous. — Jugement particulier, 272. — Sens
du mot particulier dans l'induction et la déduction, 617-618. — S'oppose à
Universel.
TABLE ANALYTIQUE : Partie — Paternel 895
Partie (substantif participe de l'ancien vei'be Partir, au sens de partager) :
élément conaposant d'un tout. — Parties logiques et parties physiques, 527.
— S'oppose à Tout.
Parti-partiel, Parti-total : théorie de Hamilton sur la quantification du
prédicat, 551-553.
Partition {Partitio, partage, de partitum, supin de partiri, diviser) : division
physique par opposition à division logique, 527.
Pascal (Blaise) : amour rationnel, 90. — Vilain fonds de l'homme, 95. —
Critique de Montaigne, 107, 1. — Effet de la passion, 117. — Imagi-
nation scientifique, 232, 2. — L'humanité est comme un seul homme,
812-813. — Tautologie, 525, 3. — Esprit géométrique et esprit de finesse,
643, 1 ; 784. — Démêlés avec Descartes, 654, 1. — Ascension des liquides,
656, 3. — Fausses fenêtres, 713, 1. — Demi-science, 772, 1. — Science et
croyance. 786-787. — Les Provinciales, 800 ; II, 32, 2. — Intérêt propre, 805, 2.
— Autorité des anciens, 811-813. — Dignité de l'homme, II, 4, 1. — Importance
de la science de la Morale, II, 5, 1. — Honnêteté naturelle, II, 21,4. — Scepti-
cisme moral, II, 28, 3. — Nature! dans l'éloquence, II, 405, 4. — Rabaisse la
raison, II, 422. — Savant et croyant, II, 447-448. — Immortalité de l'âme,
II, 549, 1, 2 ; 551, 2.
Passif (Passivus, susceptible de passion, passif, de passio, souffrance,
perturbation physique ou morale, de passum, supin de pati, souffrir) : qui subit
l'action de quelqu'un ou de quelque chose, 47. — Caractère des faits sensibles,
49 ; 55." — Côté passif : a) de V intelligence, 49-50 ; h) de la volonté, 50 ; 354 ;
c) de la sensibilité, 49 ; 55. — Habitude passive, 417-418 ; 421-422. — S'oppose
à Actif.
Passion {Passio, souffrance, perturbation physique ou morale, de passum,
supin de pati, souffrir, pâtir) : sens : a) logique (Catégorie) : accident en vertu
duquel le patient reçoit quelque chose de la cause, 296 ; 517 ; II, 485 ; b) psy-
chologique : inclination impétueuse et dominante, 113. — Inclination et
passion, 113. — Origine et causes des passions, 115. — Effets bons et mauvais
des passions, 117. — Valeur morale et thérapeutique des passions, 118. —
Responsabilité dans la passion, 120. — Lois des passions, 121. — Classifi-
cations anciennes des passions (Stoïciens, Aristote, Scolastiques et Bos-
suet. Descartes, Spinoza), 122. — ■ Classification moderne, 125. — Rôle des
passions, 129. — Volonté et passions, 115-116; 364; 402. — Pa.ssions
et organisme, 391-392 ; 470.
Passionnel (PassionaUs, sensible, de passio, souffrance, perturbation
physique ou morale) : crime passionnel, 120.
Passivité (de Passif) : a) état de ce qui est passif ; b) faculté de subir ou de
recevoir une modification, 47. — S'oppose à Activité.
Pasteur [Pastorem, pâtre, berger, de pastum, supin de pascere, mener
paître) : la propriété chez les peuples pasteurs, II, 196.
Pasteur (Louis) : observation patiente, 651, 3. — Expérimentation, 725.
— Fermentations, 656, 5. — Réfutation des générations spontanées, 669, 3 ;
II, 526; 631-632. — Savant et croyant, II, 447-448. — L'Infini, II, 634, 1.
Paternel (Paternus, de pater. Racine Pa, niturrir) : amour paternel, 91. —
Autorité paternelle, II, 216 ; 252-253. — Limites de la puissance paternelle,
II, 258-259.
896 TABLE ANALYTIQUE : Pathologîe — Pédagogie
Pathologie (de tâ'')o^^ ce qu'on éprouve, de rAn/M, être aiïecté de. Racine-a6;-
et de M\'o;, discours) : science des désordres organiques et fonctionnels, 593.
Pathologique (IlaOoXoyt/.oç, qui traite des passions, relatif aux maladies,
de -iOo^^ ce qu'on éprouve ; Xoycxo;, relatif à la parole, au raisonnement ,
de /o'yo;, parole, discours) : ce qui constitue ou manifeste un état de maladie -
— Cas pathologiques ou anormaux, 151-152 ; 210-211 ; 225-226 ; 368 ; 466 ;
477 ; 478 ; 485 ; 487 ; 488 ; 723-724. — S'oppose à Normal.
Patience (Patientia. de pati, souffrir) : qualité qui consiste à supporter :
a) les maux ; b) l'attente de ce qui tarde ou de ce qui se prolonge. — Condition
des grandes découvertes, 231 ; 241 ; 651.
Patient {Patiens, de pati, souffrir) : a] sens métaphysique : celui qui subit
l'action exercée par l'agent, 47 ; b) sens moral: celui qui sait supporter, attendre :
qualité de l'observateur, 651.
Patrie (de Patrius, relatif aux pères, Patria terra, terre des ancêtres, de
pater, père) : pavs où l'on est né, dont on est citoyen. — Éléments constitutifs,
91-93 ; II, 220."
Patrimoine (Patrimonium, ^h'ien hérité du père, bien de famille, de pater,
père) : bien qui provient des ascendants. — Stabilité du patrimoine de famille,
II, 198.
Patriote (du latin ecclésiastique patriota, de patrius, relatif aux pères.
Cf. 7r«Tptojr/iç, qui est du même pays, de -rarpiç, terre natale) : citoyen
dévoué à sa patrie. — Le vrai patriote, 93.
Patriotisme (de Patriote) : dévouement à la patrie. — Éléments consti-
tutifs, 9i-93.
Patron (Patronus, de pater, père) : devoirs et droits, II, 217.
Paul (Saint) : loi morale, II. 30, 2. — Ne pas faire le mal pour arriver au
bien, II, 32, 1. — Tout pouvoir vient de Dieu, II, 223, 2.
Pauly (August) : monisme psychobiologique, II, 442-443.
Paulsen (Friedrich) : pampsychisme, II, 443.
Paupérisme (de Pauper, celui qui produit peu, de la racine pau. Cf. pau-ci,
peu nombreux, et de per, qui vient de parère, produire ; per se retrouve dans
le parfait à redoublement pe-per-i) : état pei-manent d'indigence dans ime
partie de la population d'un pays. — Le paupérisme et la charité légale, II, 264.
Payot (Jules) : éducation de la volonté, 411, 1.
Pays (Pagensem, de pagus, canton, sous-entendu agrum = territoire d'un
pagus) : territoire d'une nation ; par extension, patrie. — La patrie est le
pays de nos pères, 92.
Péché (Peccatum, faute, de peccatum, supin de peccare, commettre une
faute) : c'est le nom que la théologie morale donne à la faute.
Péché philosophique : II, 112-113.
Pédagogie (nc<'.oayo)vi'a, éducation des enfants, de Traioaywyo';, de TraTç, •^ratooç,
enfant ; ayo), cnnduire) : science de l'éducation physique, intellectuelle et morale,
407-408 ; 409-414 ; II, 3.
TABLE ANALYTIQUE : Pédologic — PeFceptioii extcme 897
Pédologie (de llaT;, Tiawo;, enfant, Àoyoç, discours) : science des lois biolo-
giques, psycliologiques et sociologiques qui s'appliquent aux enfants. Cf.
E. Blum, La Pédologie, Vidée, le mot, la chose, dans Année psychologique,
1899, p. 299-331.
Peine [Poena, prix du sang, ttoivâ, expiation d'un meurtre, expiation en
général, peine) : a) Ce qui est imposé à l'individu par la société comme sanction
d'une contravention, d'un délit ou d'un crime. — Théorie de la peine (Leibniz),
•374. — But de la peine, II, 121-122. — Fondement du droit de punir, peine
de mort, II, 267-269. — b) Sentiment de tristesse causé par un déplaisir
— c) Effort qui coûte.
Peinture (du latin populaire Pinctura, de pingere, peindre) : sa place parmi
les arts, II, 408 ; 409.
Peirce (Ch. Sanders) : pragmatisme, 819-820.
Pemberton (Henry) : anecdote de la pomme de Newton, 650, 3.
Penchant (adjectif verbal de Pencher] : autre nom des inclinations morales,
84.
Pénétration [Penetratio, action de pénétrer, de penetratum, supin de pene-
trare, de penus, fond de la maison, où sont renfermées les provisions. Cf. psene,
à fond) : loi de pénétration du plaisir et de la douleur, 66-67.
Pénitences : leur but, II, 158.
Pensée (substantif participe de Penser, de pensare, dérivé de pensum,
supin de pendere, peser, examiner) : a) sens large : tous les phénomènes de
l'esprit ; b) sens strict : les phénomènes cognitifs, spécialement ceux qui se
rapportent aux opérations proprement intellectuelles, 135. — Rapports de la
pensée et du langage, 450. — Peut-on penser sans langage ? 451. — Pensée
et cerveau, 468-469 ; II, 541-542. — Spiritualité de l'âme prouvée par l'unité
de la pensée, II, 537. — H. Delacroix Le langage et la pensée, Paris, 1924.
Pension {Pensio, payement, de pensum, supin de pendere, peser, payer) :
ce qu'on paie régulièrement à quelqu'un. — Pension de retraite pour la vieil-
lesse, II, 265.
Percept (néologisme formé par analogie avec concept, de perceptum, supin
de percipere, saisir dans son ensemble, saisir par les sens, de per, tout à fait,
capere, prendre) : tandis que perception signifie Vacte de percevoir, percept
indique le résultat de la perception.
Perceptible {Perceptibilis, qu'on peut percevoir, de perceptum, supin de
percipere, saisir par les sens) : les impressions, pour être perceptibles, doivent
réunir certaines conditions, 70 ; 726-727. — S'oppose à Imperceptible.
Perception {Perceptio, action de prendre, perception, de perceptum, supin
de percipere, saisir dans son ensemble, de per, tout à fait ; capere, prendre) :
a) ce que l'esprit perçoit ; vg. les perceptions sensibles ; b) action de saisir les
données de la conscience ou des sens, 137 ; 156. — La perception, au sens strict,
suppose la présence immédiate de l'objet perçu, 157.
Perception externe : 156-194. — Analyse de la perception, 156. — Sensation
et perception, 159. — Théories de la perception immédiate, 162-166. — Théo-
ries de la perception médiate, 166-175. — Caractères de la perception, 175.
— Perceptions naturelles ou primitives, 178. — Perceptions acquises, 181. —
Théorie des perceptions acquises, 183. — Erreurs de la perception, 187. —
898 TABLE ANALYTIQUE : Perccption interne — Permanence
Petites perceptions de Leibniz, 145, 1. — Objectivité de la perception externe,
173-175 ; II. 428. — Sa relativité, 176 ; II, 429-430. — Voir Sens externes.
Perception interne, 187-155. — Voir Conscience psychologique.
Perceptionnisme (de Perception) : doctrine de la perception immédiate du
monde extérieur, par opposition au Conceptionnisme, qui indique une percep-
ti'»n médiate, 162-166.
Perdurable, Perdurabilité (de Per, tout à fait ; durable, de durare, durcir,
résister, durer, de durus, dur) : Kant range la perdurabilité au nombre des
éléments qui constituent l'idée de substance. — Perdurable : ce qui est persis-
tant. G. Dl'mesml, Les conceptions philosophiques perdurables, Paris, 1910.
Péréquation iPersequatio, de per, tout à fait: sequatum supin de œquare, éga-
ler, de sequus, uni, égal) : la péréquation de l'impôt c'est la répartition égale
des charges. H, 279 ; 280.
Perfectible, Perfectibilité 'Perfectibilis, de perfectus, achevé, participe passé
de perficere = per, tout à fait, facere, fairej : ce qui est susceptible de progrès.
— L'homme est né perfectible, II, 118. — Perfectibilité de l'humanité, II,
154 ; 327-328.
Perfection iPerfectio, de perfectum, supin de perficere, achever) : état de
ce qui est achevé dans son genre: "c'est un degré éminent de l'être) (Leibmz),
II. 105, 2. — Analyse de cette idée, II, 105. — Le bonheur suit l'acquisition delà
perfection, II, 78-79 ; 92-93. — Élément constitutif du bien, II, 384-385 ; 476.
Perfectionnement (de Perfection) : devoir de travailler à son perfection-
nement. II. 153-154 : 158-159. — L'État doit .seconder le perfectionnement phy-
sique, intellectuel et moral. II, 249-250.
Périodique {Periodicus, -sptoS'.xd;, de --rjl-oorj^, chemin autour, action
d'aller autour) : ce dont la succession est réguhère, ce qui revient à des temps
déterminés. — Sensations périodiques, 75. — Inclinations périodiques, 83. —
Marche périodique de l'humanité, 748-749. — Partage périodique de la
propriété, II, 196.
Péripatéticien (Peripateticus, -içtra-r.T'.xôç, qui concerne la philosophie
péiipatétitieaiie, de Treçt-Tra-sw, circuler, se promener) : disciples d'Aristote,
507. — Doctrines péripatéticiennes, voir Aristote.
Péripatétisme (de Péripatétique, de Peripateticus) : école et doctrine d'Anis-
tote. Voir Aristote.
Périphérie. Périphérique iPeripheria, T:£S'.'iip£'.o<, circonférence, de ^^ptsîp/;-:,
qui se meut circulairement, arrondi, de tîo'.-siÉow^ porter tout autour) : contour
d'une figure curviligne. — Partie périphérique du système cérébro-spinal, 71.
— Xerfs périphériques : ceux qui aboutissent aux téguments et aux organe>
qui en dépendent. — Sensations périphériques, celles dont l'excitation est due
à des causes extra-organiques. — S'opposent aux sensations internes, dues à
des excitants intra-organiques, 75.
Permanence, Permanent [Permanens, de permanere, rester jusqu'au bout,
de per, tout à fait ; manere, rester) : ce qui se maintient sans interruption. —
Permanence du moi, 146 ; 153-154. — Définition de la substance, 320. — Prin-
cipe de la permanence de la force, 387. — D'après Stuart Mill, les corps sont
des possibilités permanentes de sensations, II, 427-42.8 ; 499. — Caractéri-
sation permanente, II, 614.
TABLE ANALYTIQUE : Perpétucl — Pcuplc 899
Perpétuel [Perpetualis, de perpétuas, continu, de per, tout à fait, pet-ere,
tendre à) : ce qui dure constamment, sans fin. — Le perpétuel présent, 379-380.
Perpétuité {Perpetuitas, de perpetuus, continu, de per, tout à fait ; pet-ere,
tendre à) : perpétuité du lien conjugal, II, 210-211.
Perplexe [Perplexus, entrelacé ; de per, tout à fait ; plexus, tressé, participe
passé de plectere, plier) : celui qui hésite entre plusieurs partis contraires. —
Conscience douteuse, perplexe, II, 34.
Perrier (Edmond) : rôle de l'adaptation, 708, 2. — Il nie l'existence de
la lutte pour la vie dans quatre embranchements, II, 614, 2. — Contre l'éternité
de la matière, II, 601, 4.
Persistance (de Persister, de persistere = per, tout à fait ; sistere, placer,
rester en place, forme redoublée de stare, se tenir debout) : état de fermeté,
de continuité. — Persistance du type, 701-702.
Personnalisme (de Personnalité) : doctrine de JRenouvier, qui fait de la
personnalité le centre de sa conception du monde. Cf. Le Personnalisme,
Paris, 1903. — Doctrine de ceux qui admettent un Dieu personnel, par oppo-
sition au Panthéisme.
Personnalité i Personalitas, de persona, masque, personnage de théâtre,
personne, altération populaire de TrpV-mov, face, masque) : ce qui constitue,
caractérise une personne, c'est-à-dire un individu conscient, raisonnable et
libre. — Origine de cette idée, 149. — Personnalité : a] interne, 149-150;
b) externe, 150. — Altérations de l'idée de personnalité, 151-152 ; 153-154. —
Personne et chose, 365. — Éléments constitutifs de la personnalité, 365-367.
— Volonté et personnalité, 363 ; 364. — Responsabilité, conséquences de la
personnalité, II, 114.
Personne (Persona) : voir Personnalité.
Personnel (Argument) ou Ad hominem : 551.
Persuader (Persuadere, de per, tout à fait ; suadere, rendre agréable au
goût. Cf. suavis = suadvis ; puis conseiller, d'où avec per, faire accepter,
persuader) : convaincre et persuader, 784-785.
Pessimisme (de Pessimus, le pire, superlatif de malus, mauvais): a) Doctrine
d'après laquelle le mal l'emporte sur le bien, la douleur sur le plaisir. — ■ Théorie
pessimiste de l'activité et du plaisir, 57-58; 61. — Pessimisme : 1) absolu,
II, 648 ; 650 ; 2) relatif, II, 649. — b) Tendance à voir le mauvais côté des
choses. — S'oppose à Optimisme.
Pestalozzi (Jean-Henry) : méthode intuitive ou concrète en pédagogie,
413.
Pétition [Petitio, attaque, demande, de petitum, supin de pctere, chercher
à atteindre, attaquer, demander) : pétition de principe, 801.
Peuple (Populum. Populus est probablement une forme redoublée de la
racine qui a donné plcre, emplir, plenus, rempli. Cf. plebs, plèbe, tzAcOo^, mul-
titude) : a) Réunion d'hommefe habitant le même pays et soumis à la même
autorité. — b) Corps de la nation par opposition au gouvernement. — Psycho-
logie des peuples, 491, 6; 722-723. — Eléments constitutifs d'un peuple, 92-93.
— Souveraineté du peuple, II, 220-221 ; 297-299; 348-350. — Le peuple et
l'origine du pouvoir, II, 224-226 ; 228-229.
900 TABLE ANALYTIQUE : Phaotasme — Phobie
Phantasme (<I>âvTa<7;j.a, apparition, image d'un objet ; de tpavra^o), se mon-
trer, apparaître, de oaiVo, faire briller, paraître) : nom donné par Aristote
et les ScoLASTiQUES à l'objet de l'imagination, à l'image, 316-317 ; 452, 2.
Phédon ('I>«tûwv, ami de Socrate) : titre d'un dialogue de Platon, 67-68.
Phèdre (<I>aTopo;, ami de Socrate. De cpawpo';, brillant. Racine ifa, briller.
Cf. cpaîvco, faire briller) : titre d'un dialogue de Platon, 439, 4.
Phénoménalisme (de Phénoménal) : docirine affirmant que nous ne pouvons
connaître que les phénomènes, sans nier l'existence des choses en soi qui sont
inconnaissables ; vg. Kant, II, 431-432 ; Comte, II, 446-447 ; Spencer, II, 576.
Phénomène («l'aivoy.ivov, de oatvo,e/at, briller, se montrer, paraître. Ra-
cine ci«, briller. Cf. ^txo:, -iS;, lumière) : a) Ce qui apparaît à la conscience,
23.— Opposé : l») à substance et à cause, 146 ; 320 ; 323 ; 2°) à être, II, 419.
b) Pour Kant : tout ce qui est « objet d'expérience possible », c'est-à-dire tout
ce qui apparaît dans le temps ou l'espace. — S'oppose à noumène, II, 430-431.
Phénoménisme (de P/«enomène) : doctrine qui nie la réalité objective de toute
substance et de toute cause. — Lemoi, collection de phénomènes, 153. — LePhé-
noménisme de Hume, Hamilton, Stuart Mill, Spencer, Bain, Lewes, II, 426.
Phénoménologie (de <l>aivo'uïvov, ce qui apparaît et Xôvoç, discours) : science
des phénomènes : a) pour Hegel, c'est l'histoire des étapes successives de
l'esprit pour s'élever de la sensation individuelle à la raison universelle.
b) Hamilton appelle ainsi la Psychologie en tant qu'elle s'oppose à la Logique.
Cf. Lectures on Logic, Lect. IV, § VIII, T. I, p. 62, Edimbourg, 1874.
Philanthropie (<ttXav6po)rta, de 91X0;, ami ; av5pw7roç, homme ; proba-
blement du thème àvoo, pour avîp, de àvv^p, homme, et w'|, wto;, visage =
celui qui a visage d'homme) : amour des hommes. — Inclinations philanthro-
piques, 93.
Philodoxie (<I>tXooo;t«, de cpiÀo'ooHo;, qui s'attache à une opinion, de s-îî^oç,
ami ; ûo;«, opinion) : c'est un dilettantisme philosophique, qui consiste à
prendre intérêt aux discussions d'idées en se désintéressant de leur vérité ou
fausseté.
Philologie [Philologia, ci'.Xo/oyia, de '-pi'Xo;, ami ; Xôyo;, parole, discours) :
science qui étudie les langues comme organes de la vie intellectuelle des
peuples. — Instinct philologique, 444. — Place de la Philologie dans les
sciences, 2 ; 594. — Sa méthode, 718.
Philosophie [Philosophia, oiXoTocit'a, de 'fO-oç, ami ; «rocpia, habileté ma-
nuelle, science, sagesse, de to-^oî, habile, initié à la sagesse. Racine toï-,
avoir de la saveur. Cf. sapere, sapiens) : a) sens strict : science des premiers
principes et des premières causes, II, 419 ; b) sens large : connaissance raisonnée
de l'âme, du monde, de Dieu et de leurs rapports, 5. — Objet et domaine, 1-4.
— Division, 4. — Définitions, 5. — Esprit philosophique, 6. — Méthode géné-
rale de la philosophie, 7. — Ordre à suivre en philosophie, 10. — Philosophie
des sciences, 596. — Rapports de la philosopliie avec les sciences, 599. — Philo-
sophie, science universelle et science particulière, 600.
Phobie (de <I>o3o;^ crainte) : crainte qui a sa cause dans une maladie ; vg.
l'agoraphobie, 489.
TABLE ANALYTIQUE : Phonétïque — Physique (la) 901
Phonétique (<I>ojvr|Tt)co;, qui concerne le son ou la parole, de ^wviw, émettre
un son de voix, de cpom, son, voix, de on'/-^- parler ; '^i ts/vï] cpo)vr)Ttx-^ ) : a) ce
qui se rapporte au son, à la voix ; b) partie de la Linguistique qui étudie les
sons, 463. — Langage phonétique, 439. — Types phonétiques, 445. — Science
grammaticale des sons, 464. — Arts phonétiques, II, 408.
Photisme (de <l>w;, '^o)toç, lumière) : c'est une image hallucinatoire de la
vue, qui se produit sans que la périphérie de l'organe visuel soit excitée ; vg. Au-
dition colorée. Voir ce mot.
Phrase {Phrasis, a.pao-tç, élocution, discours, phrase, de 'ffa^w, faire com-
prendre. Racine 'fp'^û, parler) : proposition ou ensemble de propositions for-
mant un sens complet. — Disposition des mots dans la phrase, 464-465.
Phraséologie (de<i>pa'Tiç, cppao-soiç, élocution, ; î^oyo;, discours): a) construc-
tion des phrases, caractéristique d'une langue ou d'un écrivain ; b) se prend
aussi en mauvaise part pour indiquer le genre de celui qui emploie des phrases
vides de sens.
Phrénologie (♦I^ç'iv, cppevo;, enveloppe du cœur, puis cœur ou âme comme
siège des sentiments, de l'intelligence ; d'où intelligence, esprit. Racine 'fpocy,
enclore ; )^o7oç, discours ) : doctrine mal fondée de Gall et de ses disciples
qui assignent aux facultés intellectuelles et aux passions un organe bien déli-
mité dans le cerveau, et qui voient dans les protubérances du crâne des signes
certains des qualités intellectuelles, 391, 1. — La vie organique n'est qu'une
condition de l'exercice actuel de l'intelligence, et non la cause, 468-469 ;
II, 541-542.
Phylogénèse, Phylogénie (<I>uÀov, tribu, race, de <puw, pousser ; y^veat;,
origine : yi^o;, naissance) : indique l'évolution des espèces et le lien qui les
rattache les unes aux autres. — S'oppose à Ontogenèse, Onto génie.
Physico-téléologique ( <[>u'7t)to;, relatif à la nature ; té/o;. té/îoç-ou;,
accomplissement, résultat, fin ; Xoytxo'ç, relatif h la parole, de Xo^^;, parole,
discours) : argument tiré des causes finales, II, 561. On l'appelle aussi physico-
théologique.
Physiocratie (^>u7i;, production, nature ; de cpuw, pousser ; xpaxoç, force) :
doctrine économique des Physiocrates (vg. Quesnav) qui, estimant à tort que
le sol est l'unique producteur de la richesse, ne voulaient imposer que la pro-
priété foncière, II, 353-354.
Physiognomonie («tuTtoyvojixovtx, de o-ût:.;, nature ; -/vioatov, qui discerne) :
c'est l'art de juger les gens d'après leur physionomie, 470, 2.
Physiologie (Physiologia, (puTtoXo'/i'a ; de cpucrtç, nature ; Xoyo;, discours) :
science des fonctions organiques. — Sa place dans les sciences, 646. — Distinc-
tion des faits physiologiques et psychologiques, 26-28 ; 29-30 ; 717-718. —
Rapports de la physiologie et de la psychologie, 28-29. — Expérimentation
en physiologie, 664 ; 699 ; 728.
Physionomie (pour Physiognomie, du bas latin physiognomia, bas grec
cpuGioyvtov.ia, pour ou<j'.oyji<yj.o-A(/., de vjti;, nature ; yvwaojv, qui discerne) :
expression du visage, 470, 2.
Physique (la) (Physicus, Çfuutxoî, relatif à la nature ; dans Aristote,
i^ ôewptoc '-ûUGixf), ou simplement -/i ^'^atxyi ; de »ÛGtç, nature) : science qui étudie
902 TABLE ANALYTIQUE : PhysiQue — PlatoD
les propriétés les plus générales des corps, 593. ^ Sciences physiques compa-
rées : a) aux sciences naturelles, 645 ; b) aux sciences morales, 717. — Division
des sciences physiques, 646. — Leur méthode, 648. \
Physique (Physicus, cp-j^rixoç, relatif à la nature) : faits physiques, physio-
logiques et psychologiques, 25-29. — Rapports du physique et du moral, 466.
Picard (Emile) : suprématie de la Morale, II, 370, 1.
Picard (Père Gabriel) : dualité du sujet et de l'objet dans la connais-
sance même la plus parfaite, II. 445-446. — Existence de la science moyenne,
II, 585, 1.
Pie IX : le mariage chrétien, II, 210, 1. — Lettre à propos du Dynamisme
externe, II, 522-523.
Pie X : la démocratie chrétienne, II, 240, 2.
Piété {Pietas, sentiment du devoir, tendresse, piété filiale, de plus, qui
accomplit ses devoirs envers les dieux, pieux, honnête) : affection respectueuse,
— Piété filiale, 91 ; II, 130 ; 216-217.- — Devoir envers les Supérieurs, envers
Dieu, II, 130.
Plnéal (de Pinea, pomme de pin) : glande pinéale, II, 545, 3.
PiNEL (Philippe) : maladies cérébrales, 488, 3. i|
Pitié (Pietatem, sentiment du devoir, tendresse ; devenu peité, pitié) :
compassion pour les souffrances d'autrui et disposition à les soulager. 94 ;
II, 163.
Placet (Placet, il plaît) : les légistes gallicans émettaient la prétention
injustifiée que les Bulles et Encychques des papes ne pouvaient être publiées
en France sans l'agrément du roi, sans le placet royal. C'était l'une uos servi-
tudes de l'Église galUcane, II, 342-343.
Plagiat (du radical de Plagiaire, plagiarius, celui qui débauche et recèle
les esclaves, de plagium, TrXavtov, oblique. Racine -K^-x-f, égarer) : action de
s'approprier ce que l'on a pris dans les œuvres d'autrui. — Plagiat conscient
ou inconscient, 201.
Plaisir (infinitif, pris substantivement, du verbe ancien plaisir, de placere,
plaire) : émotion agréable résultant de l'activité satisfaite. — Rapports avec
la douleur, 57. — Origine et cause : 1°) Théorie intellectualiste, 60. 2°) Théorie
de l'activité : a) sens pessimiste, 61 ; b) sens optimiste, 61-62. — Lois fondamen-
tales, 62. — Lois secondaires, 65. — Espèces de plaisirs, 68. — Rôle du plaisir
dans la vie physique, intellectuelle et morale, 126 ; 129-130. — Plaisirs natu-
rels, artificiels dans l'éducation, 409. — Morale du plaisir {Hédonisme),
II, 48. — Plaisir moral, 49. — Plaisir et intérêt, II, 80. — Plaisir et bonheur,
U, 91. — Plaisir du beau, II, 379 ; 387-388.
Plasticité (de Plastique, plasticus, tùmqtv/A:^, qui sert à modeler) : aptitudi-
à recevoir différentes formes. — Plasticité des êtres vivants, II, 620-621.
Plastique {Plasticus, ttÀc-^ttixo';, qui sert à modeler, de tiXocîto), façonner) :
influence |)lastique de l'âme, 470. — Arts plastiques, II, 408. — Médiateur
plastique, II, 545.
Platon (IIXaToiv, de tta'/t'J;. large. Racine -à«t, s'étendre. Son vrai nom
était 'Afi'TToxÀv;;, de açîTTo;, le meilleur ; xÀ£o;, bruit, bonne renommée,
TABLE ANALYTIQUE : Platoiiique — Poésic 903
gloire) : définition de la Philosophie, 6. — Classification des facultés, 43. —
Le désir, 83. — L'expiation, 128 ; II, 122, 2. — Réalisme exagéré, 255 ; 257, 2.
— Théorie de la réminiscence, 309. — Avec toute son âme, 784, 1. — Morale
platonicienne, II, 89. — Vertu platonicienne, II, 125. — Communisme, II,
199. — Définition du beau, II, 382. — Dieu, beauté suprême, II, 412-413. —
Supplices éternels, II, 552, 3. — DuaHsme, II, 601, 2.
Platonique [Platonicus, WloLzoivi/.rJç^ de riXartov, Platon) : amour pla-
tonique, 90.
Platonisme (de Platon) : doctrine et école de Platon. Voir Platon.
Plein {Plénum, du verbe archaïque pleo, remplir. Cf. rÀÀOîtv, être plein) :
ce qui est tout à fait rempli. — Descartes admet le plein dans la nature,
II, 509 ; 509-510.
Plotin (llXwTÏvo;) : définition du beau qu'on lui attribue, II, 382. —
Panthéisme de VEcole d' Alexandrie, II, 602-603.
Ploutocratie (liAouroxpaTia domination des riches, de -rr/ouxo;, richesse.
Racine ttXî, être plein ; /.pa-roç, vigueur, domination. Racine xf-'aT, être fort) :
état social dans lequel les gens les plus riches exercent, d'une façon indirecte
mais effective,» le pouvoir politique.
Plural [Pluralis, multiple, de plus, plus, coniparatif neutre d'un positif
perdu) : ce qui compte plusieurs unités. — Suffrage plural, II, 283.
Plus-value (de Plus, comparatif latin neutre pris substantivement, elvalue,
substantif pai'ticipe de valoir, de ualerc être fort) : accroissement de la valeur
acquise. — Loi secondaire des émotions, 66.
Pluralisme (de Plural) : doctrine affirmant que les êtres qui composent
le monde sont multiples, individuels, et non pas des modes d'une réalité
unique : vg. se dit de la doctrine : de IIerbart (par opposition à celles de
Schelling et de Hegel), de W. James (A pluralistic Universe, Londres
1909. Traduit par Le Brun et Paris, sous ce titre -.La Philosophie de V expé-
rience, Paris. 1910), etc. — S'oppose à Monisme.
Pluriformisme (de Plus, pluris, plus ; forma, forme) : doctrine des Scolas-
tiques qui admettent la pluralité des formes dans les corps mixtes. Voir Mixte.
Plutarque (UÀoûrao/o; je ttAoûtoç, richesse ; à'p/r, principe, commande-
ment) : éducation intellectuelle, 208,1 — Le sage d'EpicuRE, II, 51, 1. —
Culte universel des dieux, II, 564,1.
Pneumatique (la) {Pneumaticus,'rK-->iD[J.'yi-:ix6;, qui concerne le souffle, de
Trvîûaa, souffle, esprit) : la Pneumatique est la science des, choses spirituelles
la Psychologie. Cf. Leibniz, Nouveaux Essais, Préface, Edit. Janet, T. I,
p. 22, Paris, 1900^
Pneumatologie (\hîZu.'x, souffie, souffle divin, esprit divin ; VJyoç,
discours) : sciiMice des esprits, anges ou démons. Cf. D. Palmieri, Pneuma-
tologia, dans ses Institutiones philosophicae, t. 111, pp. 3-71, Rome, 1876.
Poiî (Edgard) : passion de l'alcool, II, 117, 1.
Poésie [Pocîiis, 7roir,i7tç, action de faire, de composer des œuvres poétiques,
d,e TtoiHto, fabriquer, créer) : relation avec les arts et les lettres, II, 409.
904 TABLE ANALYTIQUE : Poétique — Popularité
Poétique iPoeticus. -oir-tzo?, qui a la vertu de produire, de créer) : l'ima-
gination créatrice est poétique, 224-228. — Sciences poétiques (Aristote),
585 ; 586.
PoiNCARÉ (Henri) : côté esthétique des Mathématiques, 641, 3.
Point {Punctum, piqûre, point, de punctum, supin de pungere, poindre,
piquer) : l'intersection de deux lignes/ — Le point, la ligne et l'espace, 630.
Police {Politia, -oki-ziicf., qualité de citoyen, régime politique, de ttoÀ'.tsuco,
être citoven, de ::o/tç, cité) : attribution de l'État, II, 248. — Police scolaire
II, 258.
Politesse (de l'italien Politezza) : ensemble d'égards qu'on doit avoir les
uns pour les autres en société. C'est un devoir qui rentre dans la morale sociale.
Politique (Politicus, -o/tTtxo';, qui concerne les citoyens, de -oX-.;, cité.
Racine, ^a^ remplir, t ["ri/vr,] ttoXitixt^, la Politique) : science des rapports
entre gouvernants et gouvernés. — Sa place dans les sciences, 594 ; 715. —
Méthode de la politique, 716, 1 ; 756.
Polyandrie (IloXjavSpî'/, de -oXO;, nombreux ; racine tjA, être plein
àv-z-ù, avopoç, celui qui engendre, homme, pour /"yaviçp, puis /"«"•'vip, àvoû ;
racine, Vvj, engendrer) : état d'une femme qui a plusieurs maris. La polyandrie
est encore plus contraire au droit naturel que la polygamie, II, 210.
Polygamie (Polygamia, de ■^ro/uyaaoç, de -oÀu;, nombreux, yaasw, se
marier. Racine Tîv, engendrer): état de l'homme marié avec plusieurs femmes.
— Contraire au droit naturel. II, 210. — Permise exceptionnellement par Dieu,
141-142 ; 211.
Polymorphisme (de Polymorphe, de ttoXu;, nombreux ; l'-'^^'^'h, forme) :
est la propriété qu'ont certaines espèces de prendre des formes différentes
sans changer de nature.
Polysyllogisme (du latin scolastique Polysyllogismus, de TroXy?, nombreux ;
■7uA/.07t7y.d;, calcul, raisonnement, syllogisme, de auXXoyi'Çofxat, assembler
par la pensée, de tA'kv^m = gû-j, avec, Xiyto, unir. Racine Xsy, assembler)
chaîne de deux ou plusieurs syllogismes, 548.
Polythéisme (de MoXuOeÏx, de tt'Aûç, nombreux ; 0";, Dieu) : religion ou
philos(jpliie qui admet plusieurs dieux, 248, 1.
Polyzoïsme (lIoXû;, nombreux ; ?orc, vie, de 'Câ-», vivre) : théorie d'après
laquelle les organismes supérieurs, spécialement les vertébrés, seraient consti-
tués par des agrégats synergétiques d'organismes inférieurs. Cette théorie
dite « coloniale », soutenue par Ed. Perrier, Les colonies animales, Paris, 1897 *,
est vivement combattue par Y. Delage, L'hérédité, p. 97 sqq., Paris, 1903'.
Populaire [Popularis, de populus, peuple. Racine pie, remplir. Cf. rXijSo;,
multitude ; plebs, le peuple par opposition aux nobles) : gouvernement popu-
laire, où le peuple exerce le p^voir par ses représentants, II, 232 ; 240-241.
Popularité {Popularitas, recherche de la p»ipularité, de populus, peuple) :
ensemble de manières pour capter la faveur populaire. C'est l'un des moyens
employés pour satisfaire l'amour du pouvoir qui dégénère en ambition, 86.
TABLE ANALYTIQUE : Porphyre — Postulat 905
Porphyre (n<if'fJpto;, de Trop'^vpw^ se soulever en bouillonnant; puis, par
confusion avec Tropojça, se teindre en pourpre, briller) : méthode mystique, 7-
— Arbre de Porphyre, 251-252.
PoRTALiÉ (Eugène) : théorie de la vérité illumihatrice de saint Augustin,
II, 452, 3 ; 453-454.
Port-Royal (Messieurs de) : l'émulation, 95. — Le bon, sens (Nicole),
286-287. — L'acte intellectuel se fait sans image, 469, 1. — Les quatre opé-
rations de l'esprit, 506, 5. — De la définition, 521 ; 525, 1 ; 526, 2. — Analyse
et synthèse, 612, 2. — Erreur de jugement, 798, 1. — Des sophismes, 801, 1, 2.
Positif {Positivus, posé, établi, de positum, poiiere, poser) : a) Ce terme est
opposé : 1") à Négatif : l'infini est positif en ce qu'il exprime, 339-340.' — • Devoir
positif, II, 148. — 2°) à Naturel : loi positive, IL 39 ; 42. — 3°) à Métaphysique:
sciences positives, que A. Comte oppose aux sciences métaphysiques, 589.
b) Ce terme signifie encore : ce qui repose sur quelque chose d'assuré ; vg. ce
fait est positif.
Position {Positio, action de placer, de positum, supin de ponere, poser) :
place où une chose est posée. — Positions du moyen terme, 536.
Positivisme (de Positif) : doctrine et école d'A. Comte, II, 446-450.
Positivité (de Positif) : a) caractère de ce qui est positif ; b) l'esprit positif.
— Terme cher à Comte qui l'emploi dans ce double sens.
Possession [Possessio, de possessum, supin de possidere, posséder, de l'ancien
préfixe por, vers ou contre, et sedeo. De l'idée d'être assis, serfere, on est passé
à l'idée de s'établir, puis à celle de posséder. Racine : en sanscrit sad, s'asseoir ;
en grecéâ = 't^o, car l'esprit rude = s. Cf. eopa, siège, eooç, demeure, en latin
sed-es) : fait de posséder. — Possession et propriété, II, 189.
Possibilisme (de Possibilis, ce qui se peut, de posse, pouvoir) : branche du
Socialisme, II, 200.
Possibilité (Possibilitas, de possibilis, ce qui se peut, de possum = potis
sum, posse^ pote esse, pouvoir, de potis, pote, qui peut) : a) Caractère de ce qui
est possible ; vg. possibilité de l'expérimentation, 725. b) La possibilité est l'une
des catégories de Kant, 296, II, 432. 11 appelle problématiques les jugements
qui l'expriment. — Possibilité logique, physique, 520-521.
Possible (Possibilis, de posse, pouvoir) : ce qui ne répugne pas à l'existence,
■ce qui n'implique pas contradiction, II, 463. — S'oppose à Impossible.
Post hoc, ergo propter hoc : sophisme, 799-800.
Posthypnotique (de Post, après ; hypnotique, de hypnoticus, u-vojtcxoç,
somnolent, de ii-voç, sommeil) : phénomène qui résulte d'un état d'hypnose
antérieur, 482.
Post-Prédicaments : à la liste des dix premiers prédicainents ou catégories
(516) Aristote en ajouta cinq autres : Opposition, Priorité, Simultanéité,
Mouvement, Possession. Ce sont certains modes ou manières d'être qui ressor-
tant de la comparaison qu'on fait des Prédicaments entre eux.
Postulat {Postulatum, chose demandée, participe passé, pris substanti-
vement, de postulare, fréquentatif de poscere, demander) : proposition qu'on
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE. — T. II. — 30
906 TABLE ANALYTIQUE : — Potentiel — Précision
prend pour principe de déduction en demandant qu'on l'admette sans démons-
tration, quoiqu'elle ne soit pas d'uneévidenceabsolue. — Principes de la démons-
tration mathématique, 633-635. — Postulats de la raison pratique (Kant),
787-788 ; II. 96 ; 99-100 ; 434-435 ; 569.
Potentiel (de Potentia, puissance, àe potis, pote, qui peut) : ce qui est en
puissance, 47. — ■ S'oppose à Actuel, comme puissance à acte, II, 464.
Pouvoir (du latin populaire Potere pour posse= pote-esse, de potis, pote,
qui peut) : a) Faculté de faire quelque chose : pouvoirs de l'âme, 37-38. 6) Au-
torité de ceux qui' gouvernent : origine du pouvoir en général,, II, 223. —
Origine de l'autorité concrète, II, 224. — Limites du pouvoir de l'État, II, 250.
— Résistance au pouvoir, II, 287. — Légitimation du pouvoir usurpé, II, 231.
— Pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire : leur séparation, II, 266 ; 267 ; 269.
— Stabilité et transmission du pouvoir, II, 247. — Pouvoir direct et indirect
de l'Église, II, 343.
Pragmatisme (de Pragmati( us. Trpayy.aTtxôç, qui concerne l'action, propre
à l'action, de 7:pa7[ji.a, affaire, action de faire, de TrpaGaw, aller à travers,
jusqu'au bout, achever. Racine Tuap, d'où Ttpa, xpay, aller à travers) : doctrine
d'après laquelle l'action seule peut nous aider à découvrir ce que nous pouvons
atteindre de vérité. — Le Pragmatisme,' en général, 819-831. — Le Pragma-
tisme social, 831-836.
Pratique [Practicus, 7rpaxTt/.ôç, actif, propre à agir, qui convient à l'action,
de irpaaffoi, aller à travers, jusqu'au bout, accomplir) : raison pratique, 286 ;
II, 15-16 ; 25-26 ; 27. — Critique de la raison pratique (Kant), II, 434-435 ;
435. — Logique : science pratique, 507. — Sciences pratiques : classification
d'AniSTOTE, 585. — Sciences morales pratiques, 715 ; 757. — Morale : science
pratique, II, 2-3.
Précepte [Praeceptum, de praecipere, praeceptum, prendre d'avance, pré-
venir, prescrire, de prae, devant ; capere, prendre) : prescription obligatoire. —
Précepte et conseil, II, 112. — Préceptes primaires et secondaires du droit
naturel, II, 141.
Précipitation (Praecipitatio, de praecipitatum, supin de praecipitare, de
praeccps, praecipitis, qui tombe la tête en avant, de prae, en avant, caput ;
tête) : cause d'erreurs, 271 ; 604 ; 804.
Précis [Praecisus, participe passé de praecidere, couper par devant, rac-
courcir, abréger, de prae, devant ; caedere, couper) : ce qui est circonscrit de
façon à ne laisser aucune indécision dans la pensée. — Localisation précise,
204. — ■ L'observation doit être précise, 652. — S'oppose à Imprécis.
Précisif (du latin scolastique Praecisivus, de praecisum, supin de prae-
cidere. Couper par devant) : abstraction précisive : c'est un terme employé par
les ScoLASTiQUES pour indiquer l'opération par laquelle l'esprit considère
une chose sans une autre qui lui est unie, mais n'affirme ni ne nie l'existence
de cette autre chose ; vg. si je considère ce papier sans m'occuper de sa blan-
cheur, 246. — S'oppose à Abstraction négative, par laquelle non seulement, ou
conçoit une chose sans une autre, mais l'on nie l'existence de l'une dans l'autre ;
vg. si je dis : ce papier n'est pas blanc.
Précision iPraecisio, action de retrancher, de praecisum, supin de prae-
cidere, coupei' par devant) : instruments de précision, 650. — Le mot précision
indique une approximation aussi rigoureuse que possible de la vérité ; vg. pré-
ciser les droits, II, 249, tandis que le mot exactitude implique l'idée d'une con-
TABLE ANALYTIQUE : Prédétcrmination — Préformation 907
naissance absolument rigoureuse ; vg. l'exactitude des Mathématiques, 639,
— • Précision illusoire de la Psychophysique et de la Psychophysiologie, 727-728.
— Précision, dans le sens : action de retrancher, de circonscrire par la pensée,
indique l'abstraction précisive (Voir Précisif), que les Scolastiques nomment
aussi Praecisio. Cf. Bossuet ; « Les précisions de l'esprit, autrement appelées
abstractions mentales... » {Logique, L. I, Cli. xxii) ; Port-Royal (La Logique,
Part. 1, Ch. v), où abstraction et précision sont données comme synonymes.
— Langage, instrument de précision, 450-451. — Précision d'une langue, 461.
— Syllogisme, instrumient de précision, 842-843.
Prédétermination (de Prédéterminer, de prae, devant ; de-terininare, déli-
miter ; de de, au sujet de ; terminare, limiter, terminus, limite) : Prédétermi-
nation où Prémotion physique des Thomistes : « Action divine, qui fait passer
notre volonté de la puissance de vouloir à l'acte de vouloir, et de vouloir ce
que Dieu veut qu'elle veuille. » (Zigliara, Summa philosophica, T. II, Then-
logia naturalis, L. III, Ch. iv, A. IV, § V, Paris, 1919", p. 548). — Une telle
prédétermination est incompatible avec la liberté humaine et, par conséquent,
ne peut servir à expliquer la connaissance des futurs conditionnels, 380, 2 ;
II, 586-590 ; 638. — N. B. Praemotio thomistica est rêvera praedeterminatio
divinae voluntatis, seu voluntas divina efficacissima... (Zigliara. /èirfem,
§ VI, p. 557-558).
Prédéterminisme (de Prae, avant, et déterminisme) : ce terme, employé
comme synonyme de déterminisme, met l'accent sur cette considération que
la nécessité éternelle des événements résulte de la prescience et de la puissance
de Dieu.
Prédicable {PraedicabiUs, de prae-dicare, déclarer, de prae, devant, dicare,
annoncer, dédier, de dicere, dire) : les Prédicables sont les différentes manières
dont les prédicats sont attribués au sujet. Il y a cinq Prédicables ou Uni-
versaux, 252-253 ; 516.
Prédicament [Praedicamentum, énonciation, de prae-dicare, déclarer) :
les Prédicaments sont les différentes classes ou catégories, auxquelles on peut
ramener les idées générales, 253-254 ; 296 ; 516-517.
Prédicat {Praedicatum, énoncé, participe passé de prae-dicare, déclarer) :
ce qui est affirmé ou nié d'un sujet. — C'est l'attribut, 266.
Prédisposé, Prédisposition [Praedisponere, disposer d'avance, de prae,
devant, et dis-ponere, dispositum) : disposition antécédente. — Prédisposition
de la nature, cause des passions, 115. — Prédispositions de l'intelligence,
315-316. — Inffuence prédisposante de l'organisme, 391-392.
Préétabli {Prae, devant ; établir, pour establir, de stabilire, rendre stable,
de stare, se tenir debout) : établi d'avance. — Harmonie préétablie(LEiBNiz),
II, 547.
Préexistence {Prae, devant ; existence, de exister, de ex-sistere, sortir de,
paraître, exister ; de sistere [redoublement de stare], placer, arrêter, fixer) :
existence antérieure. — Préexistence des âmes (Platon), 310.
Préfixe (Prae, devant ; fixas, fixé, participe passé de figo, fixum, attacher,
enfoncer) : particule placée devant un mot, 465.
Préformation (Prae, devant ; format io, de formatum, supin de forniare,
façonner, de forma, forme) : préformations de l'intelligence (Leibniz), 315, 4.
908 TABLE ANALYTIQUE : Préhistoirc — Prescience
— En Biologie, doctrine suivant laquelle les organes et caractères héréditaires
des êtres vivants existent dans le germe. On dit aussi Préformisme. — S'oppose
à Epigénèse.
Préhistoire [Prae, devant ; histoire) : histoire de l'humanité qui précède
les plus anciennes traditions
Préjudice [Praejudiciwn, de prae, devant ; judicium ; c'est-à-dire un juge-
ment précipité, d'où résulte un dommage) : ce mot n'a pas gardé son sens
étymologique, lequel se retrouve dans Préjugé, mais signifie dommage matériel
ou moral, II, 194 ; 206-207. — Préjudice : un des titres du prêt à intérêt,
II, 357.
Préjugé (substantif participe de Préjuger — prae, devant ; juger) : a) Ce qui
peut inspirer un jugement, b) Opinion préconçue, adoptée sans examen. —
Cause d'erreurs, 220-221 ; 798.
Préméditation {Praemeditatio, action de se préparer, de prae, devant ;
nieditotuin, supin de meditari, s'exercer à) : décision prise d'avance. — C'est
une circonstance qui accroît la responsabilité, laquelle est proportionnée à la
ci^nnaissance, II, 115.
Premier (Primarium, du premier rang, dérivé de primus. Primus est un
superlatif de pro, devant, qui signifie : celui qui est le plus en avant. Il est
pour pris-mus, qui dérive de pris, contraction de prius, comparatif de pro) :
ce qui précède quelqu'un ou quelque chose par rapport au temps, à l'espace,
à l'ordre, à l'importance. — Qualités premières de la matière, 177. Voir
aussi Primaires. — Vérités premières, 288. — Notions premières, 295. —
Origine des notions et vérités premières, 299-318. — Cause première, 324 ;
344 ; II, 554 ; 560-561. — Premier en soi, premier dans nos idées, 342. —
Droit du premier occupant, II, 190. — Philosophie première, II, 419.
Prémisse {Praemissa [sous-entendu propositio], de prae, devant ; missus^
envoyé, mis, participe passé de mitiere, missum, envoyer) : chacune des deux
premières propositions (majeure, mineure) d'un syllogisme, 536.
Prémotion [Praemotio, de prae-motum, supin de praemovere, mouvoir en
avant) : Prémotion physique des Thomistes : « Action divine qui fait passer
notre volonté de la puissance de vouloir à l'acte de vouloir, et de vouloir ce
que Dieu veut qu'elle veuille. » (Zigliara, Loco citato. Cf. Prédétermination).
— Une telle prémotion ou prédétermination est incompatible avec la liberté
humaine et, par conséquent, ne peut servir à expliquer la connaissance des
futurs conditionnels, 380, 2 ; II, 586-590 ; 638.
Préoccupation (Praeoccupatio, de prae-occupatum, supin de praeoccupare,
envahir le premier, de prae, devant, occupare = ob-cupare, s'emparer de, dérivé,
par un intermédiaire perdu, de capere, prendre) : état d'un esprit absorbé par
une idée ou un sentiment, 239.
Préposition [Praepositio, de praepositum, supin de prae-ponere, mettre
devant) : terme invariable marquant le rapport d'un mot à un autre, 464.
Prérogative (Praerogativa, sous-entendu tribus. Ce mot indiquait la tribu
que le sort désignait pour voter la première : d'où premier choix, privilège,
prérogative. De prae, devant ; rogatus, demandé, de rogare, prier, solliciter) :
signifie, en général : droit attaché à certaines conditions privilégiées ; vg. les
prérogatives du pouvoir, II, 266. — Faits prérogatifs, 652. — Prérogatives
de l'expérimentation, 662-663.
Prescience { Praescientia, de prae-scire, savoir avant) : connaissance parfaite
de l'avenir. — Prescience divine et liberté humaine, 378-382.
TABLE ANALYTIQUE : Prcsclnder — Prévention 909
Prescinder {Prae-scindere, séparer) : ce terrae scolastique, qui signifie faire
ahsiraciion de, remplacerait avantageusement cette périphrase.
Prescriptible (de Prescrire), Prescription [Praescriptio, action d'intituler, de
praescriptum, supin de prae-scr ibère, mettre en tête d'un écrit, prescrire) :
a) Ordre formirié ; vg. les prescriptions de la conscience, de la loi, II, 42-43. —
h) Sens juridique : libération d'une dette, d'une poursuite judiciaire après un
certain temps écoulé. — e) Prescription du droit de régner, II, 231-232.
Présence {Praesentia, de prae-sens, prae-esse, être en tête de) : fait pour
une pei'sonne ou une chose de se trouver dans un lieu marqué. — Table de
présence (Bacon), 666.
Présent [Praesentem, participe de praesum, je suis devant) : ce qui se rap-
porte à la durée dont on parle. — États psychologiques présents, 196. — Le
présent perpétuel, 379-380. — ■ Le moment présent, II, 506.
Présentation (de Présenter) : certains psychologues emploient : a) Repré-
sentation pour exprimer tout état de conscience dans lequel un objet, qui a été
déjà présenté à l'esprit, est rappelé avec ou sans reconnaissance. — b) Présen-
tation pour désigner tout état de conscience, dans lequel un objet est présent
à l'esprit. Cette distinction est justifiée.
Présentationnisme (de Présentation) : nom donné par Hamilton à la théorie
de la perception immédiate du monde extérieur, 164, 1.
Présomption [Praesumptio, de praesumptutn, supin de prae-sumere, prendre
d'avance) : a) Action de présumer,, c'est-à-dire d'admettre quelque chose sur
un indice probable ; c'est une induction probable, 658-659. — b) Action de trop
présumer, c'est-à-dire de se fier trop à soi ; c'est une exagération de l'amour
de soi.
Presse (substantif verbal de Presser, du latin populaire pressare, dérivé de
pressum, supin de premere, presser) : liberté de la presse, II, 184-186.
Présupposition (composé avec le latin prae, devant, et supposition) : c'est
une supposition préalable.
Prêt (substantif verbal de Prester, prêter, de praestare, l'emporter sur, de
drae, devant ; stare, se tenir debout) : action de prêter ; chose prêtée. — Prêt
à intérêt, II, 356-357.
Préternaturel [Praeter, au delà ; naturalis, de natura, nature) : ce qui est
au delà des forces de la nature. — Intervention préternaturelle, 483-484.
Preuve (du latin populaire Proba, substantif verbal de probare, éprouver,
prouver, de probus, de bonne qualité) : ce qui sert à établir la vérité d'une
chose ; vg. preuves de l'existence de Dieu, II, 556. — Preuve a priori ou
rationnelle ; vg. II, 42. — Preuve a posteriori ou expérimentale ; vg. II, 42-43.
Prévalence (de Prae-valens, Prae-valere ; de prae, devant ; valere, être fort ;
d'où être h; [)lus fort, prévaloir) : action de remporter un avantage. — Préva-
lence des motifs (Leibniz), 393, 1 ; 396-397 ; 398-399.
Préventif (de Praeventum, supin de prae-venire, prendre les devants, pré-
venir) : ce qui sert à prévenir, à empêcher. — Remède préventif contre les
passi(ms, 119. — Moyen préventif dans l'éducation, 410.
Prévention (du bas latin Praeventio, du supin praeventum, de praevenire,
prévenir) : état d'un esprit disposé d'avance dans un sens favorable ou défa-
vorable. — Cause d'erreurs, 271 ; 604 ; 804-805.
910 TABLE ANALYTIQUE : PrévisioD — Principes premiers
Prévision (du bas latin Praevisio, de prae-visum, supin de prae-videre, voir
devant ; prévoir) : caractère de la connaissance scientifique, 580 ; 685.
Prévoyance (de Prévoir, de prae-videre, voir devant) : faculté ou action de
voir d'avance. — Condition du capital, II, 354.
Prière (du latin populaire Precaria, dérivé de prex, précis, prière. Racine
prec, demander) : supplique adressée à Dieu. — Devoir envers Dieu, 98 ;
II, 332. — Objections contre la prière, II, 332.
Primaire iPrimarius [Cf. le doublet Premier, d'origine populaire], du pre-
mier rang, dérivé de primas. Voir Premier) : a] Synonyme de premier : la
perception est un fait primaire, 173. — Qualités primaires de la matière, 177.
— États primaires de la conscience, 234. — Préceptes primaires du droit
naturel, II, 141. — FonctionprimairederÉtat,protectiondes droits,II, 248 ;250.
b] Ce qui est au premier degré en commençant, du plus bas degré. — Résultats
de l'enseignement primaire, II, 260-261.
Primat [Primas, primatis, qui est au premier rang, de primus, premier) :
suprématie, caractère de ce qui prime. — Certains philosophes accordent le
primat à l'intelligence ; vg. les Thomistes ; d'autres à la volonté, vg. les
ScoTiSTES. Voir Intellectualisme, Voluntarisme. — Primat de l'action, 819.
Primauté (de Primatus, le premier rang, de primus, premier) : suprématie.
Voir Primat.
Primitif [PrimMivus, qui naît le premier, de primus, premier, de pro,
devant) : a) Ce'qui est le plus ancien. — L'inclination est primitive, 104 ; 113.
— Certitude primitive de la conscience, 139. — La percepti>on est le fait pri-
mitif, 173. — Perceptions primitives, 178. — Racines primitives, 260,1,2 ;
445-446. — Unité primitive du langage, 460. — L'état primitif (Rousseau),
II, 220. — Sauvagerieprimitive, II, 222. — b) Ce qui a un caractère simple, rudi-
mentaire : vg. art primitif ; les primitifs, peuples de civilisation inférieure.
Primordial (Primordialis, de primordium, commencement, de primus,
premier ; ordiri, monter la chaîne d'un tissu, ourdir, commencer) : a) Ce qui
est le plus ancien ; vg. langue primordiale. — ■ Synonyme de primitif, a).
— b) Ce qui est de première importance.
Prince [Principem, qui est le premier à faire telle ou telle chose, de primus,
premier, capere, prendre) : celui qui est le premier, le chef; et, spécialement,
celui qui est à la tète du gouvernement, qui possède la souveraineté, II, 232 ;
237. — Bon plaisir du prince, II, 40.
Principe {Principium, origine, commencement, de princeps, principis,
de primus, premier ; capere, prendre) : le principe est ce dont une chose tire
son origine, de quelque façon que ce soit. Le principe est plus général que la
cause. Le mot principe s'applique de préférence aux sciences rationnelles ;
le mot cause, aux sciences expérimentales : on va des principes aux consé-
quences, des causes aux effets, 608 ; 609-610.
Principes fondamentaux : du syllogisme, 551. — Principes fondamentaux
de la (li'indiistralion en général, 563. — Principes de la démonstration mathé-
matique, 632.
Principes premiers : directeurs de la connaissance, 135 ; 288. — Principes
d'identité cl ses dérivés, 288. — Principe de raison et ses dérivés, 289. — Rôle
des principes : a) dans la pensée, en général, 291 ; b) dans les sciences, 292. —
Caractères des principes premiers, 292. — Comparaison : a) avec les lois scien-
TABLE ANALYTIQUE : Priorité — Probabilité 911
ti figues, 294 ; b) avec les notions premières, 295. — Systèmes divers sur l'origine
Priorité (du latin scolastique Prioritas, de prior = celui qui est le plus en
avant des deux, comparatif de pro, devant) : ce mot désigne l'antériorité soit
dans l'ordre du temps (prioritas temporis), soit dans l'ordre de la nature des
choses (prioritas naturae). Exemples : Aristote a la priorité temporelle par
rapport à Cicéron. La cause a la priorité logique sur so;i eiïet : cause et effet
existent en même temps, vg. quand je forme un concept ; mais l'eiïet a besoin
de la cause pour exister. — On distingue aussi la priorité ontologique ou d'exis-
tence et la priorité logique ou de connai-ssance ; vg. 342.
Privatif, Privation (Privativus, privatio, de privatum, supin de privare,
priver, de privus, qui est à part, particulier) : la privation est dans un sujet
donné l'absence d'un bien que normalement il devrait avoir. C'est donc un
mal pour lui ; vg. la cécité pour l'homme. Elle diffère de la négation, qui n'im-
plique pas l'idée que la chose est due ; vg. absence de la vision dans la pierre,
II, 477. — Un concept privatif implique donc une imperfection, tandis qu'un
concept négatif en prescinde. — Privation d'un bénéfice : un des titres du prêt
à intérêt, II, 357.
Privé (Privatum, séparé de l'État, simple particulier, participe passé de
privare, priver, de privus, qui est à part) : ce qui se rapporte au particulier. —
La vie privée et la vie publique doivent être régies par les mêmes principes de
Morale, quoi qu'en disent certains libéraux, parce que l'homme n'a pas deux
consciences et parce qu'il n'a qu'une seule fin dernière : connaître, aimer
et servir Dieu. — Charité privée, II, 263-264. — Culte privé : intérieur et
extérieur, II, 332-333.
Privilège (Privilegium, loi d'exception, de privus, qui est à part ; lex,legis;
loi Cil faveur d'un particulier) : avantage exclusif, personnel. — Sa nature,
II, 4U. — Les privilèges, pour être légitimes, doivent contribuer au bien général
de la société. Taine remarque avec raison que le grand tort des privilégiés
de l'Ancien Régime fut de ne plus rendre les services, par où ils avaient mérité
leurs privilèges, ou de n'en pas rendre d'équivalents : leur situation excep-
tionnelle n'avait plus sa raison d'être. Cf. Taine, Les origines de la France
contemporaine, t. I, L'Ancien Régime, L. I. — Sens figuré : privilèges de l'expé-
rimentation, 662-663.
Prix (Pretium, de la racine pre, trafiquer, métathèse pour par. Cf. parare,
acheter) : valeur vénale d'une chose ; valeur morale. — Prix du travail, II, 358.
— Prix de la vie ; la vie vaut-elle la peine d'être vécue ? II, 645-650.
Probabiliorisme (de Probabilior, plus probable, comparatif de probabilis) :
doctrine morale, d'après laquelle on doit suivre l'opinion favorable à la loi
â moins que l'opinion favorable à la liberté ne soit plus probable, II, 35.
Probabilisme (de Probabilis, digne d'approbation, probable, de probare,
éprouver, approuver, de probus, bon, honnête) : doctrine : a) morale, d'après
laquelle on peut suivre une opinion vraiment probable, II. 34-36 ; b) méta-
physique, selon laquelle tout est plus ou moins incertain, II, 425.
Probabilité (Probabilitas, de probabilis, digne d'être approuvé) : rapport
du nombre des cas favorables au nombre des cas possibles. — L'opinion et
912 TABLE ANALYTIQUE : Probable — Profession
la probabilité, 775. — Probabilité : a) mathématique, 776 ; b) philosophique
ou morale, 776. — Usage de la probabilité, 776. — Probabilité : a) de V hypo-
thèse, 659 ; b) de Vanalogie, 708-709.
Probable (ProèaèiVts, digne d'approbation, de probare, éprouver, approu-
ver) : ce qui mérite plus de créance que l'opinion contraire, 111-112 ; 775.
- Probité {Probitas, de probus, de bonne qualité) : observation des devoirs de
justice. — Respect du bien d'autrui, II, 162.; 188 ; 206. — Respect de la
vérité : probité littéraire.
Problématique (npo|ïXy,v.aT'.xoç, problématique, de TTpô^SXriaa, problème) :
nom donné par Kant aux jugements dans lesquels l'affirmation ou la négation
est énoncée comme simplement possible : ce sont des jugements qui sont peut-
être vrais. La catégorie correspondante est la Possibilité, 296 ; II, 432.
Problème (Problema, -oopa^u.'y., ce qu'on a devant soi, ce qui est proposé,
sujet de controverse, d'où problème, de ■:rpo-,'3aXXio, jeter devant) : question
plus ou moins difficile à résoudre : vg. problème de la perception extérieure,
161. Problème de Molyneux, 180, 2. — Définitions de Problème et de Théorème,
632.
Processus (mot latin signifiant marche en avant, de processum, supin de
pro-cedere, aller en avant) : ce mot, qui a passé dans la langue philosophique,
signifie une série, un développement, un progrès ; vg. un processus in infi-
nitum répugne, 562 ; II, 557-558. — Certains philosophes disent procès, tra-
duction de processus.
Prochain (de Proche, de propius, comparatif de prope, près de, de pro,
devant et du suffixe pe) : ce qui est le plus rapproché. — Genre prochain, 253.
— Cause prochaine, 324-325. — Sens moral : signifie celui qui est proche de
nous par la ressemblance de nature, etc., 93-94. — La cliarité doit s'exercer
d'abord envers ceux qui sont plus proches de nous, II, 1 65. — Le prochain,
c'est un quelconque de nos « semblables », en tant qu'il est considéré comme
fait, ainsi que nous, à l'image de Dieu.
Proclus (npôx).o;) : origine du langage d'après Démocrite, 441, 4.
Prodigalité {Prodigalitas, de prodigus, prodigue, de prod-igere = agere,
jeter devant soi, dissiper) : disposition à dépenser sans mesure, II, 127 ; 192-193.
Productif [Productivus, propre à l'allongement, de productum, supin de
pro-durrrr, mener en avant, produire) : ce qui est d'un bon rapport. — Emploi
productif des objets, II, 200-201. — Productivité de l'argent, II, 356-357. —
Consommations productives, II, 360.
Production (Productio, de productum, supin de producere, mener en avant,
produire) : action de faire naître — L'idée de causalité implique l'idée de
production, 327-329 ; 665. — Production de la richesse, II, 353.
Productivité (de Productivus, de productum, supin de pro-ducere, mener
en avant, produire) : faculté de produire. — Productivité de l'argent, II,
356-357.
Profession [Profcssio, de professum, supin de prufiteri = pro-fateri, déclarer
publiquement ) : a) déclaration publique ; b) occupation qu'on exerce notoi-
rement. — Liberté de la profession, II, 186.
TABLE ANALYTIQUE : Professionnel — Proportion 913
Professionnel (de Profession, de professio, déclaration, de professum, supin
de profiteri — pro, devant ; fateri, reconnaître) : relatif à une profession. —
Représentation professionnelle, II, 283-284.
Profit {Profectum, de projectum, supin de pro-ficere, avancer, réussir, pro,
pour ; facere, l'aire) : avantage qu'on retire de quelque chose. — La connais-
sance du particulier est sans profit, 582. — La connaissance du général est
profitable, 583. — Définition du profit matériel, II, 356.
Progrès (Progressus, de progredi, avancer : de pro, devant, gradior, gressus
suw, marcher, de gradus, pas) : a) marche en avant dans une direction définie ;
b] transformation graduelle allant du bien au mieux. — L'État, promoteur du
progrès social, II, 249-250. — Éléments du progrès, II, 325-326. — Loi du pro-
grès, II, 327. — Le progrès moral. II, 327-328.
Progressif (de Progressus, marche en avant) : ce qui se développe par degrés.
— Éducation progressive, 408. — Marche progressive de la synthèse, 610 ; 614.
— Impôt progressif, II, 280-281.
Prc^ression {Progressio, avancement, de progressum, supin de progredi,
aile! en avant) : marche de la synthèse, 610 ; 614. — Signifie, au figuré, déve-
loppement par degrés ; vg. une progression de causes à l'infini répugne. On
l'emploie alors dans le même sens que processus, 562 ; II, 557-558.
Prohibant (de Prohiber, de prohibere, écarter, empêcher ; de pro, devant,
habere, avoir) : qui interdit absolument quelque chose. — ■ Empêchements
prohibants au mariage, II, 210.
Prohibition [Prohibitio, défense, de prohibitum, supin de prohibere, empêcher,
défendre, de pro, devant ; habere, avoir) : action d'interdire quelque chose. —
Certaines choses, indifférentes en soi, deviennent mauvaises et défendues par
suite d'une prohibition du législateur divin ou humain, II, 107.
Projection (Projectio, action d'étendre, saillie, de profectum, supin de
pro-ficere = jacere, jeter devant soi) : action de lancer en avant. — Certains
appellent projection l'objectivation des sensations, 160; 171-172.
Promesse [Promissa, chose promise, de pro-mittere, promissiim, faire sortir,
laisser aller, faire espérer, promettre) : assurance donnée de faire quelque
chose. — Mémoire et promesses, 210. — Loyauté à les tenir, II, 162.
Promoteur, Promotion (de Promotor, promotio, promoçere, promotum =
pro-moi'ere, pousser en avant) : celui qui donne l'impulsion. — L'État doit être
le promoteur du progrès, II, 249-250. — Promotion du progrès, but de la
Politique, 715.
Promulgation [Promulgatio, de promulgare, faire connaître) :' notification
officielle d'une loi, II, 40 ; 115.
Pronom [Pronomen, de pro, au lieu de ; nomen, nom, de noscere, apprendre) ;
mot tenant la place du nom. — Rôle dans la phrase, 464.
Propédeutique (de Ilpo, avant ; [sous-entendu ^iyyr^, art] TCa'.osoTtxn;, qui
concerne l'instruction, de iz'x^Zvm, élever, instruire, former, de TiaT;, Ttaioô,-,
enfant. Racine -vj, Trao, produire) : c'est un ensemble de connaissances prépa-
ratoires à l'étude d'une science : vg. la Logique par rapport aux autres sciences,
511.
Proportion ( Proportio, symétrie, de pro, pour ; portio, portion, de pars,
partie) : convenance des parties entre elles et avec le tout. — Condition du
beau, II, 383. — Loi de proportion dans l'art, II, 402-404.
914 TABLE ANALYTIQUE : Propoitionnel — Protectorat
Proportionnel {Proportionalis, de proportio) : qui est dans un rapport de
proportion avec une autre quantité. — Impôt proportionnel, II, 280. — Repré-
sentation proportionnelle, II, 283.
Proposition {Propositio, de propositum, supin de pro-ponere, placer devant,
exposer) : c'est l'énoncé d'un jugement, 266 ; 529. — Classification des propo-
sitions : quantité, qualité, matière, opposition, 530. — Opposition des proposi-
tions, 532. — Leur conversion, 533. — Leurs rapports dans le syllogisme,
535-536. — Règles du syllogisme relatives aux propositions, 543.
Propre [Proprius, qui est la propriété de, particulier) : a) Sens strict : ce qui
appartient à l'espèce, à elle seule et toujours : c'est l'un des cinq universaux,
253. — b) Sens large : ce qui appartient exclusivement à une personne ou à une
chose : noms propres, 258.
Propreté (de Propre, qui signifie : d'abord, ce qui est à une personne ou à
une chose, à l'exclusion des autres ; puis, ce qui convient à quelque chose
d'une façon particulière ; d'où, convenablement arrangé, net) : devoir envers
le corps, II, 156.
Propriétaire [Proprietarius, de proprius, qui est la propriété de, particulier) :
personne à qui une chose appartient. — Devoirs et droits des propriétaires, II,
188-189 ; 192-194 ; 197-198.
Propriété (Proprietas, qualité propre, propriété, de proprius particulier) :
a) Qualité propre à tous les êtres d'une même espèce : vg. propriétés des gaz. —
b) Sens 1** de primitif : par opposition au sens dérivé ou figuré d'un mot :
2° de exact, par opposition à l'emploi incorrect d'un mot : propriété du langage. —
c) Droit de jouir et de disposer d'une chose à son gré, II, 189. — Fondements
du droit de propriété : 1° véritables, II. 189 ; 2° erronés-, II, 191. — Limites
et devoirs, II, 192. — Objections contre le droit de propriété, II, 194. —
Conséquences de ce droit, II, 197. — Formes diverses de la propriété, II,
195-197. — Le socialisme et le droit de propriété, II, 200-201. — Fonction
sociale de la propriété, II. 193.
Prospectif (de Prospectus, action de regarder en avant, de pro-spicere, dnvevhe
archaïque specere, regarder) : ce qui est orienté vers l'avenir. — IncUnations
prospectives (Brown), 103.
Pro.yllogisme (nfo-(7'jXAovic;!y.oç, syllogisme antérieur) : syllogisme dont la
conclusion devient une prémisse du suivant, 548.
Protagoras (de II^ioTayopa;, de lIpwToç, premier ; à-'opcuçtv, parler en
public) : sophiste, II, 421.
Protection (Protectio, de protectum, supin de pro-tegere, couvrir par devant,
protéger, garantir) : fonction primaire de l'État, II, 248 ; 250. — Devoir du
mari "et du père de famille, II, 212.
Protectionnisme (de Protection) : système économique qui consiste à favoriser
les produits de l'industrie nationale en frappant de taxes les produits de l'in-
dustrie étrangère, II, 355.
Protectorat (de Protector, protecteur, de protectum, supin de pro-tegere,
couvrir par devant) : dépendance imposée à un pays placé sousla protection
d'un pays plus puissant.. — 11 n'est pas permis de conquérir un pays étranger et
de lui imposer un protectorat sous prétexte d'y introduire la civilisation,
II, 313.
TABLE ANALYTIQUE : ProteDsif — Psychiquc 915
Protensif (dérivé de Protensus, allongé, participe passé de pro-tendere,
tendre en avant, allonger) : ce mot signifie : qui a une grandeur dans le temps,
comme extensif signifie i qui a une grandeur dans l'espace.
Prototype (HpwTo-ruTroç, qui est le premier type, de tt^wtoç, premier, pour
TipodcToç, superlatif de -rupô, avant ; de tOtito;, coup, empreinte faite par un coup,
forme, type, modèle) : ce mot signifie premier type, qui sert de modèle. —
D'après Platon, les idées sont les prototypes des êtres, 309. — Les universaux
existent dans l'intelligence divine à l'état de causes exemplaires, de prototypes,
257, î, 2. On dit aussi archétypes. Voir ce mot.
Proudhon (Pterre-Joseph) : morale indépendante, II, 7-8. — Droit,
fondement du devoir, II, 136-138. — Droit de propriété, II, 194, 3.
Providence (Providcntia, de pro-videre, voir d'avance, prévoir, pourvoir) :
action par laquelle Dieu conserve et gouverne le monde, II, 637. — Le miracle
et la Providence, II, 640-643. — Objections contre la Providence, II, 643.
Provoquer [Pro-vocare, appeler dehors, de pro, devant, et vox^vocis, voix) :
somnambulisme provoqué ou hypnotisme, 478. — Observation provoquée ou
expérimentation, 660.
Prudence ( ^rudentia, pour providcntia, de pro-videre, prévoir, pourvoir) :
vertu cardinale : elle dispose l'intelligence à prévoir ce qu'il faut faire pour
éviter les fautes et les dangers dans la conduite de la vie, II, 130.
Pseudesthésie (de ^^îîïûo. thème de H'îûooç, mensonge. Racine <{"^'î', cracher,
d'où se moquer, tromper et atiOriTiç, sensation) : fausse sensation ; vg. illusion
des amputés qui rapportent certaines sensations aux membres qu'ils n'ont
plus, 76.
Pseudomnésie (de ^'eiièo, thème de U'îuooç, mensonge ; [j.v«o[xac, u-vricouac,
se souvenir) : illusion de la mémoire qui croit reconnaître ce qui n'a pas été
perçu une première fois, ou croit nouveau ce qui a été perçu auparavant,
210-211.
Pseudo-sensation (du grec Ws'îioo, thème de M'sû^oç, mensonge ; sensation,
de sensus, sens, de sentire, sentir) : c'est une image, ayant tous' les caractères
subjectifs de la sensation ; mais ce n'est pas une sensation, parce que ce phé-
nomène n'est pas produit par une excitation périphérique ; vg. la couleur
dans l'audition colorée est une pseudo-sensation. Elle diffère de l'hallucination,
en ce que le sujet ne croit pas qu'un objet réel corresponde à la perception.
Psittacisme (de Psittacus, perroquet) : consiste à juger ou à raisonner sur
le3 mots sans souci des idées qu'ils signifient. — Inconvénient : a) du langage,
454 ; b) des procédés mnémoniques, 208-2 .
Psychasthénie (U'j/vi, souffle, souffle de vie, âme ; racine 4'^/. souffler;
àc^îvcta, manque de vigueur, de à privatif et aOivoç, "force ; racine «rra, se
tenir debout) ; atonie psychique, qui est due à quelque trouble fonctionnel
général.
Psychiatrie {^'''^'/A'< âme; ta-pîîot, traitement, guérison, de ly.-coiùo),
soigner, guérir) : art de traiter les maladies mentales.
Psychique (^i^-i/.'-y-'^^-, qui concerne la vie de l'âme, de ^'-'/ri) : ce mot s'em-
ploie : a) à la place de Psychologique et de Mental ; b) pour signifier les phéno-
mènes de l'esprit qui présentent des caractères extraordinaires : vg. télé-
pathie, pressentiments.
916 TABLE ANALYTIQUE : Psychismc — Psychose
nifie :
exercice
Psychisme (de W-j^'-y-'^z, qiiiconcernela vie, l'âme, de H'u/.vi) :ce mot sig
a) tantôt le système qui l'ait de l'âme un fluide spécial ; b) tantôt Vexi
des facultés de l'âme.
Psycho-analyse (de ^^■-'/.vi, âme) : « Méthode de psychologie clinique, ainsi
nommée par le professeur S. Freud (de Vienne), qui l'a particulièrement
appliquée et développée. Cette méthode consiste à déceler, au moyen de
procédés divers reposant sur le jeu de l'association, l'existence de souvenirs
de désirs et d'images combinés en systèmes d'idées subconscients {complexes)
dont la présence inaperçue cause des troubles psychiques ou même physiques
et qui cessent de produire ces effets, une fois rappelés à la pleine conscience.
{Bulletin de la Société française de Philosophie, 1913, p. 238.) Cf. Ch. Blondel
La Psychanalyse, Paris, 1924.
Psychologie (IV/t^, âme; >^^j7o;, discours) : science de l'âme. — Division,
des sciences psychologiques, 3-4 ; 593. — Psychologie, base de la métaphy-
sique, 9. — Son objet, 23. — Son importance, 24. — Rapports avec la physio-
logie, 25-29 ; 29-30. — Méthode de la psychologie, 30 ; 719-730. — Méthode
psychologique et méthode de la psychologie, 729. — Psychologie infantile,
723. — Psychologie comparée, 490 ; 722-724. — Raisonnement en psycho-
logie, 730. — Légitimité de la psychologie, 32. — Classification des faits psycho-
logiques, 33. — Unité de la vie psychologique, 41. — Ordre à suivre en psycho-
logie, 46. — Activité psychologique et division de la psychologie, 49. — Expé-
rimentation en psychologie, 724. — Lois psychologiques, 729. — Méthode des
sciences physiques et méthode de la psychologie, 731. — Place de la psycho-
logie dans les sciences morales, 714-715. — Psychologie expérimentale et psy-
chologie rationnelle : comparaison, 23.
Psychologie comparée, 490 ; 722-724.
Psychologie expérimentale, 23-503. — Cf. G. Dumas, Traité de Psychologie,
avec Ta collaboration de nombreux spécialistes, 2 vol., Paris, 1923-1924.
Psychologie rationnelle, II, 535-553.
Psychologique (de Psychologie) : phénomène psychologique : définition, 23.
— Faits psychologiques distincts des faits physiques et physiologiques, 26-28 :
717-718. — Rapports des faits psychologiques et physiologiques, 28-29 ;
466-473.
Psychologisme (de Psychologie) : doctrine de ceux qui font de la Psycho-
logie le fondement de toutes les autres sciences, qui n'en seraient qu'une appli-
cation.
Psychométrie (Wu/r^, âme ; ixÉTpov, mesure. Racine as, mesurer. Cf. metiri) :
science qui cherche à mesurer les phénomènes psychologiques, 726-728.
Psychophysiologie : étude des rapports entre les phénomènes psychiques
et les phénomènes physiologiques. — Expériences de psychophysiologie, 728.
— Leur imprécision, 699.
Psychophysique : étude des rapports entre les phénomènes psychiques et
les phénomènes physiques. — Expériences de psychophysique, 726-718, —
Leur imprécision, 728.
Psychose (de ^V'^y.o, âme) : maladie mentale, marquée de troubles psy-
chiques, auxquels ne correspondent pas de lésions organiques connues.
TABLE ANALYTIQUE : Psychothérapic — Qualificatif 917
Psychothérapie (Wvy-n, âme; Ojoa-ïiîta, soin, de OîpaTTî-Jw, soigner) : trai-
tement de certaines maladies nerveuses par la suggestion mentale unie à un
régime médical.
Publique {Publicus) : a) ce qui est connu de tout le monde ; h) ce qui
concerne tout un peuple. — Vertus publiques, II, 130. — Droit public, II, lAO.
— ■ Utilité publique, II, 248. — Assistance publique, II, 264. — Culte public,
II, 333.
PuFENDORF (Samuel) : fondement : a) de Vobligation, II, 110 ; b) du droit
de propriété, II, 192, 2.
Puissance (de Puissa?it) : a) Force active r faculté de l'âme, 37. — Puissance
paternelle : 1) son fondement, II, 216; 25^ ; 2) ses limites, II, 258-259;
b) Virtualité : puissance et acte, 47 ; II, 464.
Punir [Punire, de pnena, satisfaction, châtiment. Cf. iroivr^ ; racine ttu,
purifier) : frapper d'une peine. • — Fondement du droit de punir, II, 267-269.
Punition [Punitio, de punitum, supin de punire, punir) : emploi des puni-
tions dans l'éducation, 409-410. — Utilité et légitimité des punitions ou châ-
timents en général, II, 121-122 ; 268-269. — Les parents ont le devoir et le
droit de punir, II, 216.
Pur [Purum, racine r.\>, purifier) : a) Ce qui ne contient aucun mélange
d'éléments étrangers à sa nature : vg. plaisir pur, c'est-à-dire qui n'est pas
mêlé de peine, b) Exempt de tout élément empirique ; vg. mathématiques pures,
c'est-à-dire considérées en dehors de toute application à l'expérience. 625. —
D'après Kaint wio) Entendement pur, raison pure, sont l'entendement, la raison
envisagés en eux-mêmes, en dehors de toute application aux objets de l'expé-
rience, II, 431-433 ; 2°) Intuitions pures, sont l'espace et le temps, qui sont
des formes a priori sans contenu empirique, II, 431. — Métaphysique pure :
est celle qui serait formée de raisonnements a priori, sans aucun recours à
l'expérience ; vg. tel est le procédé de Spinoza, de Hegel, de Herbart,
7-8 ; 31-32. c) Sens moral : ce dont la nature n'est altérée par aucun élément
mauvais : pureté d'intention, II, 31.
Pyrrhon (IlOcpcov) : doute pvrrhonien, 773-774. — Scepticisme absolu,
II, 421.
Pyrrhonisme (de Pvrruon) : doctrine et école de Pyrrhon : scepticisme
radical, II, 421.
Pythagore (livOayôfa; de H-jOw, Pytho, ancien nom de la Phocide, puis
de Delphes ; àyopcusiv, parler en public) : son autorité, 810.
Quadrivium (de Quatuor, quatre ; via, chemin) : subdivision des arts
libéraux supérieurs, 587.
Qualificatif (de Qualifier, c'est-à-dire affirmer d'un sujet un caractère qui
constitue une qualité ou manière d'être, du latin scolastique qualificare, de
qualis, quel) : l'attribut et l'adjectif sont des qualificatifs, 266 ; 464.
918 TABLE ANALYTIQUE : Qualitatif — Question sociale (la)
Qualitatif (du latin scolastique Qualitativus, de qualitas, manière d'être,
qualité, de qiialis, quel, qui se rattache à qui, lequel) : a) Ce qui a trait à la
qualité. — i) Ce qui ne peut se traduire en termes quantitatifs : vg. phéno-
mènes psychologiques, 27. — S'oppose à Quantitatif.
Qualité {Qualitas, manière d'être, de qualis, quel) : a) C'est l'une des caté-
gories : elle modifie et dispose la substance en elle-même ; elle répond à la
question ttoToç. qualis : !«>) Aristote, 296 ; 517 ; II, 483 ; 2°) Kant, 296 ; II, 432.
— b) Ce sont les aspects sensibles de la perception : Qualités premières et
secondes de la matière, 177. — c) Qualité : des jugements, 272-273 ; des propo-
sitions, 530. — Sj'llogisme de la qualité, 553 ; 683. — d) Qualité au sens de
valeur, perfection : la qualité morale des actions dépend surtout de l'inten-
tion, II, 31. — Quantité et qualité, II, 483.
Qualités occultes : la physique ancienne attribuait les effets, qu'elle ne pou-
vait expliquer, à des qualités occultes, 248.
Quand (Quando) : c'est la catégorie du temps chez Aristote, tô ttoté. 254 ;
296.
Quanta (de Quantus, combien grand) : a) Ce 'qui a une quantité. Kant
appelle quantum le temps et l'espace [Critique de la Raison pure : Dialectique
transcendantale, Livre II, Ch. ii, Sect. II : P^ Antinomie. — b) L'énergie est
considérée par certains physiciens comme variant d'une façon discontinue
dans les phénomènes. Ils appellent quanta les unités de cette variation.
Cf. H. PoiNCARÉ, L'hypothèse des Quanta, dans Revue Scientifique, 1912,
p. 225-232.
Quantification (ce mot a été formé, à l'image de Qualification dérivée de
qualifier, de quantifier, de quantus, combien grand, «t facere, faire) : Quantifi-
cati'Mi du prédicat (Hamilton et Morgan), 551-553.
Quantitatif (du latin scolastique Quantitativus, de Quantitas, quantité,
de quantus, combien grand, de quam. combien) : ce qui se rapporte à la quantité,
par opposition à Qualitatif.
Quantité [Quantitas, de quantum, combien grand, de quam, combien) :
ce qui est divisible en éléments, dont chacun puisse exister séparément, II,
481. — Catégorie, qui répond à la question quantum, Ttoc-ov. : a) Aristote,
296 : 516 ; II, 481-482. — b) Kant, 296 ; II, 432. — Quantité ou Extension :
a) des jugements, 272 ; b) des termes, 519 ; c) des propositions, 530. — La quan-
tité mathématique : discrète ou discontinue, continue, 625. — Sciences de la
quantité, 625-626. — La quantité est-elle infinie ? II, 482. — Quantité et
qu;dité, II, 483.
Quasi-contrat : L. Bourgeois a appliqué ce concept juridique à la notion
du lien social ou solidarité, II, 74 et n. 2.
Quatrefages (Armand de) : athéisme : il n'existe qu'à l'état erratique,
97, 1 ; II, 564, 3, 4. — Antitransforiniste, II, 622.
Quesnay (François) : chef des Économistes physiocrates, II, 353.
Question [Quaestio, recherclie, question, torture, de quaesitum, supin de
quacrcn-, rlicrcher, s'enquérir)': mettre la nature à la question (Bacon), 660, 5.
Question sociale (La) : Causes, II, 365. — Nature, II, 368. — Solutions :
a] socialiste, II, 199-204 ; b) libérale, II, 369-370 ; c) catholique : Deux groupes :
École d'Angers, École de Liège, II, 370-374. — Cf. M. Eblé, La Question
fforiolf fiii/'iurdlnii. Paris, 1923.
TABLE ANALYTIQUE : Qucstionnaircs (Méthode des) — Rabier (Élie) 919
Questionnaires (Méthode des) : c'est l'enquête indirecte sur un point de
philosophie. Une liste de ([uestions est adressée à un grand nombre de per-
sonnes, et leurs réponses sont dépouillées et classées.
Quiddité (du latin scolastique Quidditas, de quid, qu'est-ce ?) : c'est l'essence
en tant qu'exprimée par la définition : elle répond à cette question : Quid ?
Qu'est-ce ? 521. — Ce terme technique a été créé par les Scolastiques pour
traduire la formule par laquelle Aristote posait la question relative à l'essence :
Ti -^v elvyt ; exemple : l'être de l'homme se dit "o ih'xi àvOpwTrto. J^a question :
qu'est-ce que c'est que d'être homme ? se traduit rt ii-zi -o rivat àvOj^torrto ;
mais Aristote met le verbe à l'imparfait, tî t^j cTvai àvOpwTrw, pour signifier
qu'il s'agit, non de ce qu'est l'homme accidentellement, mais de ce qu'il est
essentiellement, donc de ce qxC'û était déjà en puissance avant d'être en acte.
L'article tô, placé devant ti /jv sIv^î, indique ce qui répond à la question,
donc l'essence ; ici, ce qui fait qu'un homme est homme.
Quiétisme (du mot archaïque Quiet, de quietus, tranquille, inactif, de
quietum, supin de quiescere, se reposer, de quies, repos) : erreur qui fait consister
la perfection dans la contemplation passive et le complet désintéressement
du salut personnel. Elle fut professée par le théologien espagnol Moliinos
et condamnée par Innocent XI en 1687. Cf. P. Dudon, Le quiétiste espagnol,
Michel Molinos (1628-1696), Paris, 1921.— Modifiée et adoucie par M^ Guyon,
cette doctrine fut adoptée par Fénelon et combattue par Bossu et. Ce quié-
tisme mitigé fut censuré, le 12 mars 1699, par Innocent XII. Fénelon se
soumit et se rétracta. Cf. G. Longhaye, Histoire de la Littérature française
au xvii-^ siècle, T. III, L. VI, Ch. m, pp. 347-365, Paris, 1895.
Quintessence (Quinta essentia, cinquième essence) : l'ancienne physique
ramenait à quatre éléments ou essences {eau, air, feu, terre) les corps sublu-
naires. Les corps célestes étaient constitués par une cinquième essence, qu'on
supposait incorruptible. Par extension, ce mot désigne actuellement ce qu'il
y a de plus subtil dans une conception, ou l'extrait le plus concentré d'un corps.
Quintillien (Makcus Fabius Quintilianus) : clarté du langage, 460.
Quodlibet, Quodlibétique (du latin scolastique Quodlibetum, quodlibeticus,
de quod lihct, ce qui plaît) : dans l'enseignement de la Scolastique, on dis-
tinguait : a) les Quaestiones ordinariae, dont le programme nettement défini
correspondait au cours annuel ; b) les Quaestiones générales de quolibet, où,
à côté des matières théologiques, S(mt traités toute sorte de sujets : philo-
sophie pure, droit canon, questions de circonstance, etc. Les résultats de ces
disputes extraordinaires ou quodlibétiques, dont les sujets étaient librement
proposés par les auditeurs, ont été parfois consignés dans des ouvrages appelés
Quvdlibeta, Quaestiones quodlibeticae, quodlibetales , etc.
Quotité (de Quotus, en quel nombre, de quot, combien) : ensemble d'objets
individuels. — Quotité disponible dans le testament, II, 198. — Quotité de
l'impôt : sera-t-il proportionnel ou progressif ? II, 280-281.
Rabier (Élie) : dépendance des facultés, 42, 1. — Classification des
incUnations, 102, 1. — IncUnations esthétiques, 103, 1 ; II, 379, 3. — Le
plaisir et le bien, 115, 1. — L'activité intéressée tarit le plaisir, 126, 1. —
Confusion entre l'espèce sensible et l'espèce intelligible, 171, 1. — Théorie de
920 TABLE ANALYTIQUE : RacB — Raisoii
l'hallucination vraie, 171-172. — Mécanisme de la localisation des sensations,
190, 2. — Confusion entre réalisme exagéré et réalisme mitigé, 255, 2. —
Relativité des lois scientifiques, 294, 2 ; II, 642, 1. — Solution empirico-
rationaliste : origine des idées, 315, 1 ; 317, 3. — Origine de l'idée de parfait,
341, 1. — Liberté de perfection, 369, 1. — ' Loi de la conservation de l'énergie
invérifiable pour les vivants, 388, 2. — Homogénéité des motifs, 397,, 1. —
L'instinct philologique suppose une révélation naturelle, 445, 1. — Élabo-
ration progressive du langage, 447, 2. — Confusion par Kant des lois psycho-
logiques et des lois logiques de la pensée, 506, 2. — Identité foncière de la
déduction et de la synthèse, de l'induction et de l'analyse, 622, 1. — Les
postulats mathématiques sont synthétiques a priori, 634, 5. — Exemple
de déduction géométrique, 637, 1. — Application des méthodes de St. Mill
au cas des générations spontanées, 669, 3. — Aristote et la faculté de l'uni-
versel, 681, 2. — L'induction n'est pas un syllogisme déductif, 683, 1. — Équi-
voque du mot genre, 689, 1. — Marche de la science politique ramenée à un
svllogisme, 716, 1. — L'activité esthétique ou de jeu, II, 379, 3.
Race (de l'italien Razza) : a) Groupe d'individus réunissant un ensemble
de caractères héréditaires qui les distingue des individus formant des groupes
analogues : vg. race grecque, race latine, race germanique. — b) Sens biolo-
gique : définition, II, 614, 1. — Division de l'espèce, 694-695.
Racine (du latin populaire Radicina, dérivé de radix, radicis) : racines
primitives, 260 ; 445-446. — Rôle des racines dans les langues, 456.
Racine (Jean) : Andromaque, 230, 2 ; II, 401. — L'homme partagé entre
le bien et le mal, 397.
Radical [Radicalis, de radix, racine) : a) Ce qui va jusqu'à la racine, vg.
remède radical. — b) Ce qui change à fond les institutions établies, vg. réforme
radicales.
Radicalisme philosophique : nom donné à l'ensemble des doctrines poli-
tiques, économiques et j)iiil(>sophiques, professées par un groupe de philo-
sophes anglais : Bentham, James Mill, John Stuart Mill, -etc., II, 51, 2. ,
Raison [Rationem, calcul, compte, raisonnement, raison, de ratum, supin
de rcor, être persuadé, penser) : ce mot a été pris en des sens très divers :
a) F'aculté de raisonner : c'est la raison discursive que les Scolastiques
opposent à intelligence, faculté intuitive, 278 ; 286. — b) Connaissance pro-
venant de nos lumières naturelles : s'oppose à la Foi, ensemble de connais-
sances révélées. — c) Faculté « de bien juger « (Descartes, Discours de la
Méthode, P^ P.). — d) « Connaissance des vérités nécessaires et éternelles >■
(Leibniz, Monadologie, § 29). — e) Vision du réel et de l'absolu sous l'action
de la raison divine (Fénelon, Traité de Vexistence de Dieu, Part. I, Ch. iv.
Art. II, § III ; Part. II, Cli. ii, 2'^ Preuve). — /) Kant définit la raison : la
faculté qui nous fournit les principes de la connaissance a priori ; la raison
pure est donc la faculté ([ui contient les principes permettant de connaître
quelque chose absolument a priori {Critique de la Raison pure : Introduction,
§ VII). La raison est : a) théorique ou spéculative : celle qui regarde exclusi-
vement la connaissance : elle est le fondement de la science ; b] pratique :
celle (pu est considérée comme contenant le principe a priori de Vaction ou
règle de la moralité. — Sa place dans les facultés, 135. — Raison et raison-
nement, 278. — Raison intuitive, discursive ; théorique, pratique, esthétique,
278 ; 286. — Raison et expérience, 285. — Problème de la raison (origine des
notions et vérités premières), 299-318. — Part de la raison dans la perception
j TABLE ANALYTIQUE : Raisoii csthétique — Rationalité 921
des vérités premières, 318. — Instinct, forme de la raison (Montaigne), 106.
— L'tiomme seul doué de raison, 494. — Part de la raison dans le problème
de l'induction, 682. — Etre de raison, II, 461.
Raison esthétique : 230 ; 286.
Raison pratique : c'est la conscience morale, II, 15 ; 25. — Identité de la
raison pratique et de la raison théoriciue, II, 25-26. — Critique de la raison
pratique, par Kant, II, 434 ; 435.
Raison pure : critique de la raison pure par Kant, II, 430-434 ; 435-438.
Raison suffisante (Principe de) : ici raison n'est pas pris, comme ci-dessus,
dans le sens de faculté, mais de principe d'explication, de motif de justi-
fication. — Formule et principes dérivés, 289. — Son rôle dans la pensée, 291.
— Son origine, 320 .
Raisonnable (de Raison) : signifie celui : a) qui est doué de raison ; — b) qui
pense ou agit conformément à la raison. — Différence spécifique de l'homme,
253 ; 494. — S'oppose à Irraisonnable.
Raisonnement (de Raisonner, de raison) : opération par laquelle l'esprit
tire un jugement d'un ou de plusieurs jugements, 278. — Raisonnement et
raison, 278. — Point de vue psychologique : raisonnement : a) inductif, 280 ;
b) déductif, 281 ; c) analogique, 283. — Point de vue logique : a) induction,
281 ; 664-670 ; b) déduction immédiate, 530 ; médiate, 282 ; 535 ; c) analogie,
705. — Sophisme : a) &'' induction, 799 ; b) de déduction, 800.
Ramière (PÈRE Henri) : appréciation de la Déclaration des droits de
Vhomme, II, 296-299.
Rappel (substantif verbal de rappeler, de re et appeler, de appellare, de ad
et du verbe archaïque pellare, adresser la parole) : rappel des idées, 200.
Rapport (substantif verbal de Rapporter ; de re et apporter, de apportare
= ad-portare) : a) Lien qui unit deux ou plusieurs objets de pensée coexistant
dans un même acte de l'esprit. — b) Lien par lequel une personne ou une chose
est rattachée à une autre par un trait commun. — Rapports essentiels et
accidentels, 216-217. — Rapports du signe et de la chose signifiée, 434-435.
— Rapports du physique et du moral : a) généraux, 466 ; b) spéciaux, 473. —
Correspondance du physique et du moral, II, 540-541.
Rasoir d'Occam : on appelle ainsi cette maxime du nominaliste Occam :
Entia non sunt niultiplicanda praeter necessitatem. Cf. S. Mill, Examen de la
Philosophie de Hamilton, Ch. xxiv. Traduct. Cazelles, p. 513, au bas, Paris,
1869.
Rationalisme, Rationaliste [Rationalis, doué de raison, qui concerne le
raisonnement, de ratio, rationis, raison) : a )Le Rationalisme est l'erreur de ceux
qui repoussent toute révélation et s'en rapportent aux seules lumières de leur
raison. — b] Ce mot s'oppose parfois à Empirisme, qui implique un recours
exclusif à l'expérience, pour désigner la philosophie qui cherche dans la raison
l'origirte des idées et vérités premières, 299 ; 308.
Rationalité (do Rationalis, qui concerne le raisonnement, de ratio, raison) :
caractère de ce qui ei^t rationnel, conforme à la raison : vg. la rationalité des
principes.
922 TABLE ANALYTIQUE : Rationnel — Recherche
Rationnel {Rationalis, de ratio, rationis, raison) : ce mot signifie : ce qui
est fondé sur la raison ou ce qui fait partie de la raison. — Psychologie
rationnelle, 4 ; 23 ; 594 ; II, 535. — Cosmologie rationnelle, 4 ; 594 ; II, 496.
— Théologie rationnelle, 4 ; 594 ; II, 554. — Culture rationnelle de la mémoire,
208 ; 209. — S'oppose à Irrationnel.
Ravaisson (Félix) : l'empiriste exclusif, 301, 1. — Corrélation des causes
efficiente et finale, 334, 2. — Effets de l'habitude, 417-418. — Origine du
langage, 447, 1. — Définition de l'essence, 523, 1. — Fondement de l'induc-
tion, 677,1. — Induction ramenée à déduction, 683. — Idéal esthétique, II, 90, 2.
Ravignan (Père Xavier de) : sa manière de traiter le doute, 809, 1.
Réaction (de Ré et action) : a) Action de l'organisme provoqué par une
excitation. — b) Effort contre un état actuel pour rétablir un état plus ancien,
antérieur. — Réaction égale à l'action, 48. — Vivre, c'est agir et réagir, 49.
— Réagir est une façon d'agir, 422.
Réaliser (de Réel, du latin scolastique realis, de res, chose) : ce mot signifie :
a) Rendre réel ce qui n'est encore que possible : ainsi Dieu réalise un possible
quand il le fait passer de la possibilité à l'existence, 380. — Par sa déter-
mination la volonté fait que le possible choisi se réalise, 358. — b) Considérer
comme une réalité ce qui n'est qii'une idée abstraite : c'est réaliser des abstrac-
tions, 248 ; 799. — c) Se prend actuellement dans le sens de se représenter
fidèlement quelque chose : vg. réaliser une situation.
Réalisme (de Réel, dulatinscolastique realis) : a) Réalisme earagere de Platon,
pour qui les Idées sont plus réelles que les êtres individuels et sensibles, 255.
— b) Réalisme modéré des Scolastiques : les universaux ont un fondement
dans la réalité, 256. — c) Doctrine d'après laquelle l'être est indépendant de
la connaissance actuelle qu'on en peut avoir. Esse n'est donc pas équivalent*
de percipi, comme le soutient l'idéaliste Berkeley, 168-169; II, 497. —
d) Doctrine d'après laquelle l'être est, en nature, autre chose que la pensée
et ne peut être tiré de la pensée, comme le prétendent plus ou moins, vg. Kant,
FicHTE, II, 498-499.
Réalisme métaphysique : son fondement, II, 455.
Réalité (de Réel, chi latin scolastique realis) : caractère de ce qui est réel. —
Réalités sensibles et réalités intelligibles, invisibles, 6 ; 248, 2. — La réalité
est une des catégories de Kant, 296 ; II, 432. — S'oppose à Possibilité.
RÉAUMUR (René-Antoine Ferchault de) : nature de l'instinct, 107, 2.
Récept (mot créé par analogie avec Concept, de receptum, supin de recipere,
reprendre, recevoir ; de re, [préfixe], de nouveau ; capere, prendre) : ce mot
signifie ce que l'intelligence reçoit : ce sont les données de la connaissance,
136 ; 345.
Réceptivité (de Réception, de receptio, de receptum, supin de recipere,
recevoir) : signifie généralement passivité : possibilité de recevoir une nindi-
fication, 47 ; 67 ; 301. — Un état de 'réceptivité est celui où un être est plus
susceptible de subir l'influence d'un agent extérieur. — S'oppose à Spon-
tanéité.
Recherche (substantif verbal de Rechercher — re, de nouveau, et chercher,^
du latin populaire circare, aller autour, errer) : l'analj'se est une méthode de
recherche, 616. — Recherche de la cause, 665.
TABLE ANALYTIQUE : Réciprocité — Réduplicatif 923
Réciprocité, Réciproque (du bas latin Reciprocitas, dérivé de reciprocus,
qui va et vient) : la réciprocité est une condition de l'amitié, 89. — La défi-
nition doit être une proposition réciproque, 523. — Kant appelle Réciprocité
(r= action et réaction) l'un des ternies de la catégorie de la Relation, 296 ;
II, 432.
Récitation [Recitatio, de recitatum, supin de recitare, lire à haute voix,
réciter, do re, de nouveau, citare, pousser, de ciere, mettre en mouvement) :
exercice de la mémoire, 207-208.
Récognition (Rc, de nouveau ; cognition, de cognitio, de cognitum, supin de
cognosrere = cum-gnoseere, noscere, connaître. Cf. vt-vvcoT/oj, connaître) :
la récognition est l'acte par lequel l'esprit reconnaît la nature d'un objet
perçu. La reconnaissance du souvenir est l'acte par lequel l'esprit juge qu'un
état actuel de conscience a été déjà éprouvé, 201. — ■ D'après Kant, la réco-
gnition est l'une des trois fonctions synthétiques de la pensée.
Récompense (substantif verbal de Récompenser, de re et compensare,
comparer le poids de plusieurs objets, compenser, de pensare, peser avec soin,
fréquentatif de pendere, peser, payer) : théo'rie de la récompense (Leibniz),
374. — Usage des récompenses dans l'éducation, 409. — Vertu et récompense,
II, 78-79 ; 92-93. — Définition de la récompense, II, 120. — Nécessité et but
des récompenses, II, 121-122.
Reconnaissance (de Reconnaître, de re-cognoscere, reconnaître, passer en
revue) : sentiment de la reconnaissance (La Rochefoucauld,) 98. — Devoir
des entants, II, 276. — Fonction de la mémoire, 196 ; 201. Voir Récognition.
Rectitude (Rertitudo, direction en ligne droite, droiture, de rectus, droit,
de reriitni, supin de regere, diriger) : de la conscience, II, 33.
Récurrence (de Récurrent, de recurrens, participe présent de re-currere,
courir en arrière, revenir en courant) : ce mot indique : a) L.e retour d'un organe
ou d'une espèce à son type antérieur, II, 618. — b) La réaction d'un fait sur sa
cause, de l'idée d'un fait sur ce fait. — c) Le raisonnement par récurrence est,
d'après H. Poincaré, l'unique moyen de généraliser. Cf. La science et Vhypo-
thrse, Ch. i"^'-, pp. 18-28, Paris, 1903.
Rédintégration {Ré, de nouveau; intégration, de intégrer, de integrare,
rétablir eu l'état primitif, de integer, non entamé, de in, négatif ; tactiis, touché,
participe passif de tangere, tactuni) : loi de rédintégration (HAmilton), 214.
Réduction, Réductible ( Reductio, de reductum, supin de re-ducere, retirer,
ramener) : transformation d'un énoncé ou d'une donnée pour les amener à une
forme plus utilisable ou plus claire. — Réduction des principes aux principes
d'identité et de raison, 290-291. — Réduction des modes, 539. Analyse
rationnelle, méthode de réduction, 610-6n. — Réduction à l'unité : a] de
l'analyse rationnelle et expérimentale ; b) de la synthèse rationnelle et expé-
rimentale, 614-615. — Réduction à l'absurde, 637-638. — Réduction de l'in-
duction à la déduction, 677-678 ; 683. — Réduction des définitions, 525.
Réduplicatif (du latin scolastique Reduplicatimis, de reduplicatum, supin
de reduplicare, re-doubler, de re, de nouveau, et duplicare, de duplex, duplicis,
double, de duo, deux et plicare, plier) : un mot est pris dans le sens rédu-
plicatii', quand on prend ce mot dans le sens qu'il exprime formellement ;
vg. l'animal en tant qu'animal, c'est-à-dire en tant qu'être sensible dénué de
raison. — La proposition réduplicative est celle qui inditjue la raison pour
924 TABLE ANALYTIQUE : Réel — RéforiTiiste (École)
laquelle l'attribut convient au sujet ; vg. l'iiomme, e/i tant qu'' intelligent, est
libre. C'est pourquoi elle se ramène à la proposition causale : l'homme est
libre, parce que intelligent. Elle diiïére de la proposition spécificative en ce que
celle-ci indique seulement l'élément constitutif du sujet, d'après lequel l'attribut
convient à ce sujet ; vg. l'homme, en tant qu'homme, parle ; en tant qu'animal,
il dort. C'est d'après la nature spécifique de l'homme que ces divers attributs
lui sont donnés.
Réel (du latin scolastique Bealis, de res, chose) : s'oppose : a) k fictif, illu-
soire, apparent : vg. une vertu réelle ; — b) k relatif, phénoménal : «... Le mou-
vement en lui-même, séparé de la force, est quelque chose de relatif... Mais
la force est quelque chose de réel et d'absolu... « (Leibniz à Arnauld, 14 janvier
1688. Édition Janet, T. 1, p. 614); — c) à idéal, possible, c'est-à-dire aux choses
telles qu'elles devraient ou pourraient être. Le réel signifie les choses telles qu'elles
sont ; — d) k personnel : vg. Droit réel, c'est-à-dire concernant les choses :
fus in re, II, 189 ; — e) à verbal, nominal : vg. Définition réelle, 521.
Référendum (de Referendus, ce qui doit être reporté : participe passif de
re-ferre, refera, de re, de nouveau, fero, porter) : droit politique, dont jouissent
les citoyens dans certains pays (vg. Suisse, États-Unis), de voter directement
sur certaines questions d'intérêt général, II, 284.
Réfléchi (participe passé de Réfléchir, de re-flectere, revenir en arrière,
réfléchir) : a) Ce qui se rapporte à la réflexion : vg. conscience réfléchie, 137.
— 6) Ce qui résulte de la réflexion : vg. résolution réfléchie. — c) Qui a l'habi-
tude de la réflexion : vg. esprit réfléchi.
Réfléchissant (de Réfléchir) : le jugement est dit réfléchissant, quand, l'indi-
viduel ou le particulier étant donné, on y découvre le général. S'oppose à
Déterminant. Exemple : Platon est philosophe. Ce jugement sera réfléchissant,
si, partant du sujet singulier Platon, j'y découvre la qualité de philosophe.
Il sera déterminant, si, partant de l'idée générale de philosophe, je constate
que je dois l'attribuer à Platon. Cf. Kant, Critique du jugement. Introduction,
§IV.
Réflexe {Reflexus, participe passif de re-flectere, reflexum, de re, en arrière,
flectere, courber, fléchir) : un mouvement réflexe est un mouvement dans lequel
l'influx nerveux, après avoir pris la direction du filet centripète, est brus-
quement réfléchi par la cellule nerveuse dans la direction du filet centrifuge.
L'acte réflexe exclut donc la réflexion psychologique et la délibération. L'ins-
tinct est une coordination de réflexes, 112.
Réflexif (de Reflexum, supin de re-flectere, revenir en arrière) : la méthode
réfle.xive est la méthode psychologique, c'est-à-dire propre à la Psychologie,
719-722 ; 729. — On nomme Psychologie réflexive celle qui étudie les facultés
intellectuelles et volitives, par opposition à la Psychologie affective, qui traite
de la sensibilité, 495.
Réflexion l Reflcxio, de reflexum, supin de re-flectere, revenir en arrière,
réfléciiirl : a) Retour de la pensée sur elle-même, 719. — b) Suspension du
jugement, en vue de s'éclairer, avant de se prononcer dans un sens plutôt
que dans un autre : vg. dans la délibération intellectuelle, 357-358. — Méthode
psychologique, 719-722 ; 729. — Acte de la conscience réfléchie, 137. — Compa-
raison avec l'attention, 239.
Réformiste (École) : forme de socialisme, II. 202.
TABLE ANALYTIQUE : RéfutatioD — Reid (Thomas) 925
Réfutation (Refutatio, de refutatum, supin de re-futare, repousser, de re
et de l'archaïque futare, renverser) : argument ou raisonnement tendant à
prouver que telle doctrine est fausse ; vg. réfutation du matérialisme, II, 540.
Régalienne (École) : de Regalis, royal, de rex, roi) : le pouvoir de droit
divin, II, 229.
Régime (de Regi.men, action de diriger, de regere, conduire) : ce mot signifie
façon de régir, d'où : a) Façon d'administrer sa santé. Influencé de la volonté
sur la nutrition au moyen du régime alimentaire, 364. — Influence du régime
alimentaire sur le tempérament, 467. — 6j Façon d'administrer l'État, forme
de gouvernement ; vg. l'Ancien régime, 11^ 350. — Divers régimes politiques,
II, 226-227 ; 232-233.
Règle i Régula, de regere, diriger) : formule prescrivant ce qui doit être
fait pour atteindre un but déterminé : vg. règle morale, logique, mathématique,
esthétique, etc. — Règles du Syllogisme, 541. — ■ Règles de la conscience morale,
II, 34. — La loi est une règle d'action, II, 37-38.
Réglementation (de Réglementer, de règlement, de régler, du bas latin
regulare, de regere, diriger) : réglementation du travail par l'État, II, 265.
Règne [Regnum, royauté, royaume, de rex, roi, de regere, diriger) : a) Vaste
ensemble d'êtres ou d'idées unis et dominés par un principe commun : vg. « le
règne physique de la nature et le règne moral de la grâce » (Leibniz, Mona-
dologie, § 87). « Royaume des fins » (Kant, Fondement de la Métaphysique
des mœurs, Sect. II), II, 98 ; 101. — ■ b] Grandes divisions de la nature : règnes
minéral, végétal, animal, 48-49.
Régnon (Père Théodore de) : qualifié par Mgr d'Hulst de «métaphy-
sicien de premier ordre», 381, en note. — Illogisme des Bannésiens, II, 590, 1.
Regrès, Régressif, Régression {Regressus, Regressio, retour, de regressum.
supin de re-gredior, de re. en arrière et gradior, marcher) : idée de recul, de
retour en arrière. — a) En Biologie : retour à un type antérieur, ou retour
d'un organe à un état plus ancien ou rudimentaire, II, 618. — h) En Psycho-
logie : les souvenirs se perdent, en cas d'amnésie, dans l'ordre inverse de celui
qui a présidé à leur acquisition, 211. — c) En Logique : quand l'esprit remonte
des conséquences aux principes, des faits aux causes, du composé au simple :
marche régressive de l'analyse, 610 ; 614-615. — d) En Sociologie : transfor-
mation qui ramène une société en arrière. — S'opposent à Progrès, Progressif,
Progression.
Regret (substantif verbal de Regretter, qui se rattache au gothique grctan,
se lamenter) : élément du repentir, II, 18.
Régularité, Régulier ( Regularis, de régula, équerre, règle, de regere, diri-
ger) : a) Ce qui est conforme à une règle ou à une formule prescrite : vg. syllo-
gisme régulier, 535. • — b) Ce qui est gouverné par une loi : vg. causes régulières,
phénomènes réguliers. — Régularité et stabilité des lois physiques, 290 ;
mais régularité et stabilité conditionnelles, 294 ; 385-386 ; 780 ; II, 38 ; 642-643.
Reid (Thomas) : distinction des facultés de l'âme, 39. — Nature de la
conscience, 140. — Tiiéorie de la suggestion imédiate, 170, 1. — Définititm
de la mémoire, 201. — Notion de cause, 326, 1. — Principe de finalité, 3-34-335.
— Liberté d'indifférence, 394, 2. — Motifs hélérugènes incomparables, 396,2.
— Production et intelligence des signes, 436, 1. — Origine du langage, 44'i, 3.
— Grossissement des sensations dans le rêve, 474, 1. — Fondement de l'induc-
tion, 67. — Fondement de la croyance au témoignage, 737, 1. — Critérium
du sens commun, 814.
926 TABLE ANALYTIQUE : Rcjct — Réminisceiice
Rejet (substantif verbal de Rejeter, de rejectare, de re-iicere, rejeter, jeter
en arrière) : rejet des antécédents non-causes, 666-667 ; 684.
Relatif iRelativus, ce qui se rapporte à, de relatum, supin de re-ferre,
reporter) : a) Ce qui dépend de certaines conditions, 284. — b) Ce qui ne peut
être affirmé sans restriction, en soi, mais en le comparant avec la moyenne des
êtres de même espèce ; vg. cet homme est bon, c'est-à-dire a du bon, mais
non pas : est le«bon, le bien, 340. • — S'oppose à Absolu.
Relation [Relatio, de relatum, supin de re-ferre, reporter) : a) C'est l'urje
des catégories d'ARisTOTE, upoç ti :, accident en vertu duquel une chose a tel
ou tel rapport à une autre, 296 ; 517 ; II, 484. — b) Pour Kant, c'est la caté-
gorie qui comprend les rapports de substance à mode, de cause à effet, d'action
et de réaction. 298 ; II, 432. — Division, II, 484-485. — Les propositions de .
relation : vg. Pierre est fils de Paul, sont celles où l'on ne considère que le lien j
qui unit les deux termes, sans considérer ces termes en eux-mêmes. — Fonctions 1
de relation, 84 ; 363-364.
Relativisme (de Relatif) : système de ceux qui prétendent que, toute connais- i
sance étant essentiellement relative, nous n'atteignons jamais les choses |
telles qu'elles sont. — Formes diverses : Phénoménistne, Criticisme, Néo- ^
Criticisme, Idéalisme métaphysique, Positivisme, II, 426.
Relativité de la connaissance : a) Relativité absolue : toute connaissance,
même rationnelle, est relative : c'est l'opinion de Hume, Hamilton, Stuart
^IiLL, Spencer, Bain, II, 427-428. — b) Relativité relative : de la perception
sensible, II, 429-430.
Relativité de l'espace et du temps : d'après Einstein, II, 506, 4.
Religieux (Religiosus, scrupuleux, consciencieux, religieux, de religio, du
verbe archaïque re-ligere, avoir égard à, de légère, assembler, choisir) : senti-
ments religieux, 97-98. — - Le droit d'association et les Congrégations reli-
gieuses, II, 286-287. — Morale religieuse, II, 331. — Dans la langue ancienne
Religiosus signifiait superstitieux et s'opposait à Religens, pieux. Aulu-Gelle
[Noctium Atticarum L. IV, C. ix) cite cet ancien texte : Religentem esse oportet,
religiosum, nefas. Plus tard Religiosus en vint à signifier religieux.
Religion [Religio, scrupule, ordonnance religieuse, ensemble des pratiques
religieuses, religion ; de re-ligere, avoir égard à) : a) Ensemble des rapports
qui unissent l'homme à Dieu : vg. la Religion naturelle, II, 33L — b) Institution
sociale faisant profession des croyances qui résultent de ces rapports : vg. la
Religion catholique, II, 334-336. — Vertu de religion, II, 130 ; 162.
Relisiosité (de Religiosus, religieux) : caractère distinctif de l'humanité,
97, I : II, 564, 3, 4.
Rémanent (Rcmanens, de re-manerc, rester en arrière, demeurer) : on
nomme sensation rémanente celle qui persiste après que le contact prolongé
d'un corps avec la peau a cessé ; elle est analogue aux images consécutives
de la vue'.
Remède [Remedium, de re et mederi, soigner, guérir) : remèdes : a) aux
passions déréglées, 119 ; b) à Verreur, 808 ; c) à Valcoolisme, II, 376.
Réminiscence [Reminiscentia, de veminiscor, se souvenir, du primitif
meniscor, miniscor. Racine men, penser. Cf. Mens, intelligence) : a) Retour à
l'esprit d'un souvenir non reconnu, 201. — b) Souvenir incomplet ou vague,.
201.
TABLE ANALYTIQUE : Remoiitrance — Représentatif 927
Remontrance (de Be et montrer, de monstrare, pour monestrare, montrer,
de monere, faire souvenir) : représentation qu'on fait à quelqu'un de son tort.
— Droit de remontrances, II, 233.
Remords (pour Remors, ancien participe passé de remordre, employé
substantivement, de re et de mordre, dé mordere, mordre) : sentiment dou-
loureux qui a pour cause la conscience d'avoir mal agi moralement, II, 18 ; 123.
RÉMusAT (Comte Charles de) : critique de Fr. Bacon, 671, 1. — Ramène
l'induction à la déduction, 683.
Renan (Ernest) : origine du langage, 444, 6 ; 445, 2. — Rejette a priori
le miracle, 739, 3. — Science et vertu, II, 155, 2.
Renouvier (Charles) : définition de la passion, 113. — Nie le pouvoir
direct de la volonté sur le cerveau, 359, 3. — Croyance à la liberté, 386, 2. —
Liberté et conservation de l'énergie, 390, 2. — Descartes et la géométrie
analytique, 626, 1. — Science et croyance, 790-791. — Critique de Kant,
II, 435, 1. — ""Le Néo-Criticisme, II, 438. — Critique du Positivisme, II, 450, 1.
Rente (du latin populaire Rendita, pour reddita, participe passif de rendere,
pour reddere, rendre) : rente foncière ; rente mobilière : fruit du prêt à intérêt,
II, 356-357. — Conversion de la rente, II, 361.
Renversement (de Renverser, de re et de l'archaïque enverser, de envers,
de inversas, retourné, participe passif de in-vertere, inversum) : renversement
des propositions en mathématique, 611. — Renversement de l'expérience
(Bacon), 662.
Réparation (Reparatio, de reparatum, supin de reparare, acquérir de
nouveau, renouveler, de re, de nouveau, parure, disposer, mettre en état) :
châtiment, réparation de l'ordre troublé, II, 122 ; 268-269. — Duel, moyen
impropre à réparer l'honneur, II, 167. — Réparation du tort causé : a) à la
propriété, II, 194 ; — è) à la réputation, II, 206-207.
Répartition (de Répartir, de ré et partir, du latin populaire partire, pour
partiri, partager, de pars, part) : répartition des richesses, II, 356. — Répar-
tition des subsides scolaires, II, 257-258.
Repentir (infinitif pris substantivement de Re et pentir, mot archaïque
dérivé du latin populaire penitire, pour paenitere, qui signifie : être touché
intérieurement, être pénétré, être mécontent, de paene, à fond) : ses éléments,
II, 18.
Répétition (Repetitio, de repetitum, supin de re-petere, attaquer une'seconde
fois, se diriger vers, de nouveau) : loi de la conservation et du rappel des
idées, 198-199 ; 201. — Condition du développement : a) de la mémoire, 201-
208 ; b) des associations, 215 ; c) de Vhabilude, 417 ; 419.
Représentant (de Représenter, de re-praesentare, rendre présent, repré-
senter, de praesens, de prae-sum, être en tête) : représentants du peuple,
II, 233 ; 240-241 ; 295.
Représentatif (de Représenter, de re-praesentare, rendre présent, de praesens,
de prae-sum, être en tête) : a) Ce qui tient lieu d'une personne ou d'une chose ;
— ce qui remplace une personne dans l'exercice d'un droit : vg. Gouvernement
représentatif, II, 232-233. — b) Propre à représenter une classe : Représentative
?nen, (Emerson). — c) En Psychologie : caractère des faits intellectuels, 54.
— Élément représentatif de la serisation, 72-73. — Rapport des éléments
affectif et représentatif (Hamilton), 73. — Idées représentatives (Locke). 168.
Imagination représentative, 222.
928 TABLE ANALYTIQUE : Représentation — Résolution
Représentation {Repraesentatio, de re-praesentare, rendre présent, de prae-
sens, de praesiiin, être en tête) : ce mot signifie : a) Acte qui rend un objet
présent à l'esprit. On dit : représentation sensible, intellectuelle. Il vaudrait
mieux dire Présentation . Voir ce mot. — b) Ce qui est présent à l'esprit à titre
d'objet connu ; c'est le sens usité chez Descartes. — c) Sens social, politique :
1°) Droit de faire des représentations ou remontrances, II, 233. 2°) Repré-
sentation professionnelle, proportionnelle, II, 283-284. — d) Représentations
graphiques des syllogismes, 557.
Représentationnisme (de Représentation) : systèmes divers sur la perception
médiate du monde extérieur : 161 ; 166-169.
Répressif, Répression [Repressio, de repressum, supin de re-primere, faire
reculer, réprimer, de premere, presser) : pouvoir répressif de l'État qui a le
droit de punir les délinquants, II, 266 ; 267-269. — Pouvoir répressif de
l'Église, II, 344-345.
Reproduction (dérivé de Reproduire, d'après production) : fonction de la
mémoire, 196 ; 200-201. — Reproduction des associations, 218. — Imagi-
nation reproductrice, 222. — La reproduction stricte de la nature n'est ni
réalisée, ni réalisable, ni désirable, II, 397-400.
République {Repuhlica, de res, chose et puMicus, public) : forme de gou-
vernement démocratique, II, 232 ; 240-242. — La Respublica christiana,
II, 315-316.
Répugner {Re-pugnare, lutter contre, être contradictoire) : vg. le nombre
infini répugne, 340 ; II, 557-558. — La coexistence de deux propriétés incom-
patibles répugne dans le même être, 520.
Répugnance (Repugnantia, désaccord, opposition, de repugnans, de re,
contre, et pugnare, combattre à coups de poing, lutter, être contradictoire,
de pugnus, poing) : répugnances de la sensibilité, 41-42 ; 357.
Réputation [Reputatio, de reputatum, supin de reputare, tenir compte de,
de re, de nouveau et puiare, calculer) : opinion qu'on se fait généralement de
quelqu'un. — Respect de la réputation et de l'honneur d'autrui, II, 206-207.
Résidu ( Hesiduum, ce qui reste, de re-sidere, rester assis, rester, de sedere,
être assis, siéger) : image, résidu de la sensation, 204 ; 222. — Méthode des
résidus, 669-670. — Notions mathématiques : résidus de l'expérience (Stuart
Mill), 628.
Résistance (de Résister, de re-sistere, s'arrêter, résister, de sistere, faire
tenir, placer, retenir, de stare, se tenir debout) : a) Qualité de la matière sensible
qui la rend perceptible au toucher et à l'elTort musculaire, 179. — Qualité
primaire de la matière (Maine de Biran), 178. — b) Résistance passive aux
lois injustes, II, 275. — Résistance active aux lois injustes, II, 288-289. —
Résistance à la tyrannie, II, 289-291.
Résolution [Resolutio, action de délier, décomposition, de resolutum, supin
de re-solvere, délier, désagréger, décomposer. D'où action de dénouer, de
dégager un parti entre plusieurs partis à prendre, un résultat entre plusieurs
possibles) : a) Détermination de la volonté, 358. — b) Opération ou méthode
par laquelle on décompose un tout en ses parties ou une proposition complexe
en propositi<ms plus simples dont elle est la conséquence ; vg. l'analyse est
une méthode résolutive ou de décomposition, 609 ; 612-613. — c) Résolution
des problèmes, 612.
TABLE ANALYTIQUE : Respect — RestHction 929
Respect [Respectus, action de regarder derrière soi, égard, de respectum,
supin de respicere, de re, en arrière, et de l'archaïque specere, regarder) :
a) La découverte ou perception de la valeur morale d'un idéal, d'une règle,
d'une personne suscite en nous ce sentiment particulier qu'on nomme le
respect, II, 17 ; 97. — b) Le sentiment de respect nous porte à nous abstenir
de porter atteinte à l'idéal, à la règle ou à la personne respectée. — Justice,
respect du droit, II, 130 ; 161. — Respect de soi-même dans son corps et son
âme, II, 156-159. — Respect des autres : dans leur vie, II, 166 ; — dans leur
âme, II, 168 ; — dans leurs biens : a) matériels, II, 188 ; b) spirituels, II, 206.
— Respect de Dieu, 98 ; II, 332. — Devoir des enfants, II, 216. — Devoir des
serviteurs, II, 217. — Respect de la personne humaine : fondement du droit
et du devoir (Kant), II, 98 ; 101 ; 154-155. — Devoir des gouvernants : res-
pecter la Constitution, les droits des individus et des familles, II, 265. —
Respect des droits des autres nations, II, 313. — c) Respect humain : consi-
dération de l'opinion des autres inspirée par la crainte d'encourir leur blâme
ou leur vengeance : c'est un mensonge en action, II, 158. — Alorale de Smith
fondée sur le respect humain, II, 83-84.
Responsabilité (de Responsable, de responsum, supin de re-spondcre, pro-
mettre en retour, répondre, de spondere, s'engager) : caractère des personnes
qui doivent répondre de leurs actes. — Responsabilité dans la passion, 120.
■ — C'est une conséquence de la personnalité, 363 ; 366. — Naturede la respon-
sabilité morale, II, 114. — • Conditions et variations, 114-116. — Responsabilité
dans les actions d'autrui, 116. — Responsabilité : morale, légale ou sociale,
117-118. — ■ Conséquences de la responsabilité : mérite ou démérite, 118.
Ressemblance (de Rc et sembler, de similare, être semblable, de similis,
semblable. Cf. o;j.aÂ,ôç, uni, égal) : la ressemblance relative est une identité
partielle : deux objets de pensée sont dits semblables quand ils ont entre eux
quelque élément ou rapport commun ; la ressemblance absolue est l'identité
complète, 705. — Fondement de la sympathie, 87. — Loi de ressemblance
(association), 213-214. — Fondement de l'idée générale, 250. — L'analogie
suppose une ressemblance relative, 705 ; 708 ; 709-710.
Restauration {Restauratio, de restauratum, supin de restaurare, rétablir,
de re, de nouveau, et de l'archaïque staurare, fixer) : restauration d'un souve-
rain dépossédé : conditions de sa légitimité, II, 230-231.
Reste (substantif verbal de Rester, de re-stare, s'arrêter, rester) : méthode
des restes, 669-670.
Restitution (Restitutio, de restitutum, supin de restituere, replacer, rétablir,
rendre, de re, de nouveau et de statuere, faire tenir debout, placer, de statum,
supin de sistere, placer, ériger) : restitution des biens : a) matériels, II, 194 ;
b) spirituels, II, 206-207.
Restriction (Restrictio, de restrictum, supin de re-stringere, serrer fortement,
restreindre) : elle consiste à déterminer mentalement le sens qu'on attache
aux mots. — Espèces, II, 170. — Usage, II, 170-171 ; 175. — Pascal, dans
la 9^ Provinciale, a présenté sous un faux jour la doctrine des restrictions men-
tales en ne tenant pas compte des distinctions nécessaires. D'ailleurs, elle
n'était pas particulière aux Jésuites, comme il le dit, mais « elle était commune
dans les Écoles deux siècles avant eux. » (Cf. abbé Ul. Maynard, Les Pro-
vinciales et leur réfutation,- Paris, 1851, T. I, p. 420, n. 1).
930 TABLE ANALYTIQUE : Résultat — Révcrsible
Résultat (du latin scolastique resultatum, de resultare, rebondir, rejaillir,
de re-silire, sauter en arrière, de salire, sauter) : résultats de l'activité intellec-
tuelle, o46.
Résurrection (Resurrectio, de resurrectum, supin de re-surgere, se relever,
ressusciter) : résurrection des corps, II, 552.
Réticence [Reticentia, long silence, de re-ticens, participe présent de re-
ticere — tacere, se taire) : cas où elle est légitime, II, 170-171.
Retour (substantif verbal de Retourner) : a) Doctrine stoïcienne du retour
éternel : après plusieurs milliers d'années, toutes les choses recommencent,
semblables à ce qu'elles ont été auparavant, îl, 602. — b) Système des « retours
historiques « de Vico, 748-749.
Rétractation (Retractatio, de retractatum, supin de re-tractare, toucher de
nouveau, retoucher, rétracter, de tractare, traîner, manier, traiter, de trahere,
trac-tum, tirer) : obligation de rétracter la calomnie, II, 206-207.
Retraite (substantif participe de Retraire, de re, en arrière, et traire, du
latin populaire tragere, pour trahere, tirer! : caisses de retraite pour la vieillesse,
II, 265.
Rétroactif, Rétroactivité (de Retroactum, supin de retro-agere, ramener en
arrière^: c'est un principe juridique que les lois ne doivent pas avoir d'elîets
rétroactifs. 11 est, en effet, de la nature de la loi de n'être obligatoire que lors-'
qu'elle est promulguée. Car avant de contracter une obligation, qui fait encourir
une responsabilité, il faut en connaître l'existence, II, 40 ; 115. Or la rétro-
activité imposerait une obHgation qu'on n'a pu connaître, puisqu'elle
n'existait pas à l'époque, où le législateur la fait remonter arbitrairement.
Rétrogradation. Rétrograde { Rétro gradatio. Rétrogradas, de retro-grado,
rétro- gradior, reculer, de rétro, en arrière et gradus, marche) : même sens que
régressif, régression, entendus péjorativement. — Voir Régressif, Régression.
Rétrospectif (de Retrospectum, supin de retro-spicere, regarder en arrière,
de l'archaïque spectre, regarder) : a) Action de remonter du présent au passé.
— b) Étude qui consiste à revenir au passé pour expliquer le présent ou
pour éclairer le passé à la lumière du présent. — c) Ce dont l'objet est passé :
vg. inclinations et passions rétrospectives, 102.
Rêve, Rêverie (de Rh>er, pour resver, d'origine inconnue) : rêve et rêverie,
225-226 ; 475. — Sommeil et rêve, 473. — Causes du rêve, 475. — Rêve et
réalité : leur distinction, 476. — Dangers de la rêverie, 475.
Revenu (substantif participe de Revenir, de re, de nouveau, et venire,
venir) : revenus du capital et revenus du travail, II, 280. — Impôt sur le
revenu, II, 279. — Mode d'estimation du revenu, II, 280. '
Révérenciel (de Révérence, de reverentia, respect, de re-vereri, éprouver
une crjiinte religieuse, de vereri, craindre) : la crainte révérencielle est le
sentiment de crainte respectueuse inspiré par la supériorité de la personne
à qui il se rapporte : vg. crainte des parents, crainte de Dieu, 98 ; II, 17.
Réversible. Réversibilité (de Reversum, supin de re-vertere, revenir, retour-
ner) : a) Ce qui est suscei)tible d'être appliqué à une autre personne que le
possesseur actuel : vg. Mérites réversibles. — b) Ce qui peut être renversé :
vg. en Logistique : les relations symétriques ; — en Physique : transformations
fiui peuvent se faire dans tel sens ou dans le sens- inverse, « le corps ou le
TABLE ANALYTIQUE : Revivisccnce — Romantisme 931
système repassant exactement par les mêmes états que dans la transforniation
directe, par suite d'une modification infiniment petite des propriétés du
milieu extérieur . » (H. Pellat, Thermodijnamique, Ch. ii, S 5, p. 116, Paris,
1897.)
Reviviscence (de Reviviscere, revenir à la vie, de re, de nouveau, vivescere,
commencer à vivre, de vivere, vivre) : résurrection ou réapparition des phéno-
mènes psychiques. — Fonction de la mémoire, 196 ; 200-201.
Révocabilité, Révocable {Revocabilis, de re-vocare, rappeler, ramener,
réduire, retirer, de çox, voix, parole) : les gouvernants sont toujours révo-
cables au gré du peuple (Rousseau), II, 220 ; 287-288.
Révolte (substantif verbal de Révolter, de l'italien rivoltare) : droit de se
révolter, «onséquence de la souveraineté absolue du peuple, II, 220 ; 299-300 ;
350.
Révolution, Révolutionnaire {Revolutio, de revolutum, supin de re-volvere,
rouler en arrière) : théorie révolutionnaire de la résistance, II, 220 ; 287-288.
— L'Église et la Révolution, II, 348. — Principes de la Révolution, II, 348-350.
— Faux dogmes de la Révolution, II, 299-300 ; 349-350.
RiBOT (Théodule) : notion du moi, 153. — On ne peut expérimenter sur
l'esprit, 726, 1.
RicARDO (David) : économiste anglais, II, 353 ; 356, 2.
Richesse (de Riche, du francisque richi = puissant, en allemand moderne
reich) : tout ce qui peut servir à la satisfaction des besoins de l'homme, II, 352.
— Production, Circulation, Répartition et Consommation de la richesse,
II, 353-361. — Devoirs des riches, U, 193 ; 263-264.
Ridicule {Ridiculus, plaisant, ridicule, de ridere, rire) : le ridicule et le
laid, II, 390. — Le ridicule et le risible, II, 392.
Rien (de Rem, chose) : sens de cet axiome : Ex nihilo nihil fieri, II, 634-635.
Rigorisme [Rigor, rigidité, dureté, de rigere, être rigide, dur) : rigueur
excessive dans l'application des lois morales, II, 35.
Rire (du verbe Rire, de ridere) : le rire, le ridicule et le risible, II, 392.
Risibilité (de Risibilis, risible, de ridere) : c'est le propre de l'homme, 523.
Risible ( Risibilis, dont on rit, de ridere), II, 392.
Risque (de l'italien Risco) : risques {sortes) dans les expériences, 662. —
Risques du prêteur, II, 357.
Rivalité [Rivalitas, de rivalis, riverain, de rivus, ruisseau; de l'idée de
compétition entre riverains, « id est qui per eumdem rivum aquam ducunt »,
(Ulpien), on est passé à l'idée cje rival, rivalité) : rivalité des passions, 114.
Roi, Royal [Rex, regalis, de regere, diriger) : bon plaisir royal, II, 40. —
Le pouvoir royal, II, 233-235.
Romane {Rnmanus, de Rome, de Roma) : langues romanes, '456 ; 458.
Romantisme (de Romantique, de roman, du latin populaire romanice, à la
façon des Romains) : a) Romantisme littéraire : qui rejette la hiérarchie des
facultés et la valeur des règles, II, 402-403. — b) Romantisme philosophique :
doctrine de certains philosophes allemands (Fichte, Schelling, Novalis,
932 TABLE ANALYTIQUE : RoFarius — Sacîé
de la nature et de l'esprit une importance prépondérante.
RoRARius (traduction latine de Rorario, Girolamo) : nature de l'instinct,
106-107.
RoscELiN : nominaliste, 254.
RosMiNi (Antonio Serbati) : ontologiste, 312 ; II, 555.
Rousseau (Jean-Jacques) : défiance de l'émulation, 95. — Erreur péda-
gogique, 408. — Système des « réactions naturelles » en éducation, 409. —
La conscience morale, II, 18, 2. — Morale fondée sur le sentiment, II, 49-50.
— La culture des sciences est corruptrice, II, 158-159. — Contrat social et
souveraineté du peuple, II, 220-221. — Origine du pouvoir, II, 228-229. —
— Les re|)résentants du peuple sont ses « commissionnaires », II, 287-288. —
Déification pratique de l'humanité, II, 348. — Possibilité du miracle, II,
641, 1.
Routine (de Boute, de rupta, participe passif de rumpere, rompre, pris
substantivement) : habitude prise de suivre toujours la même route, de faire
toujours une chose de la même manière. — Effet : a) de la mnémotechnie,
209 ; b) de l'habitude, 424. — L'automatisme et la réflexion unies s'opposent
à la routine, 429.
Royauté (du latin populaire Regalitatem, de regalis, royal, de rex, régis,
roi, de regere, diriger) : forme de gouvernement, 232 ; 233-235.
Royer-Collard (Pierre-Paul) : théorie de la suggestion immédiate,
170-171. — Principe de l'induction, 676, 6. — On ne fait pas au scepticisme sa
part, 774, 2.
Rudimentaire (de Rudiment, de rudimentum, apprentissage, de rudis, brut,
grossier, novice) : organes rudimentaires, 7.02-703.
Rumeur [Rumorem, bruit sourd): rumeur d'une grande ville ; exemples de
petites perceptions, 142-143.
Rythme {Rhythmus, ç,vf)tj.rj^, mouvement réglé de pÉw. couler ) : caractère
d'un mouvement périodique en tant qu'il comporte des temps forts et des
temps faibles. — Mouvement rythmé de la danse, de la musique et de la poésie,
II, 409. — Rythme des passions', 121.
Rythmique {Rhythmicus, pOfy-ixcl;, de Rhythmus, pjOaô;, mouvement
réglé, de ôéo> couler) : qualité d'une langue bien faite, 461.
S : dans la réduction des modes S indique la conversion simple, 539.
Sacré (adjectif participe de Sacrer, de sacrare, consacrer, de sacrr, voué
à un dieu) : a) Ce qui est séparé, réservé, objet d'un respect religieux : Vg. objets
consacrés au culte. — b) Digne d'un respect religieux : vg. le malheureux.
Res sacra miser ; l'homme : Homo res sacra homini, II, 94.
TABLE ANALYTIQUE : Sacriflce — Sanguin 933
Sacrifice (Sacrificium, de Sacrificare, sacrifier, de sacrum, chose sainte ;
facere, faire) : a) Idée de destruction : immolation d'une victime. — b) Idée
d'abandon, de renoncement volontaire : sacrifice de la vie, 28 ; II, 157. —
La charité héroïque exige de grands sacrifices, 94 ; II, 163.
Sagace, Sagacité {Sagax, Sagacitas, qui a les sens subtils, finesse des sens) :
qualité de l'observateur, 650.
Sage (de Sapere, avoir de la saveur, du goût, du sens, de la raison) : a) Celui
qui sait ce qui est, ce qu'il faut faire : vg. les Sept Sages de la Grèce. — b) Celui
qui réalise un idéal moral ; vg. idéal du sage : 1°) épicurien, II, 50-51. ; 2°) stoï-
cien, 118 ; II, 94; 95.
Sagesse (de Sage) : a) Dans l'antiquité grecque, la sagesse signifiait science,
et ce fut le premier nom de la Philosophie, 584. — b] Plus tard, on l'entendit
de la vertu : vertu morale qui dispose l'intelligence à discerner ce qu'on doit
faire et éviter dans la conduite de la vie, II, 130 ; 158-159.
Sain {Sanus) : la perception requiert des organes sains, 189. — Mens sana
in corpore sano, 411 ; 470 ; II, 156.
Saint, Sainteté {Sanctus, Sanctitas, sacré, saint, caractère sacré, sainteté,
de sanctum, supin de sandre, rendre inviolable) : a) Ce qui mérite un respect
inviolable : vg. sainteté du serment. — b) Celui qui possède la perfection
morale : sainteté de Dieu, 97 ; II, 568-569 ; 596 ; 599.
Saint-Siège : participation du Saint-Siège à l'œuvre de la Société des
Nations, II, 321-322.
Saint-Simon (Claude-Henri de Rouvroy, Comte de) : valeur des
passions, 118. — Socialisme, II, 202, 2.
Saint-Venant (Adhémar Barré de) : liberté et conservation de la force,
390 et note 2.
Saisset (Emile) : impressions sensorielles, 167, 4. — Fatalisme de Spinoza,
377, 2 ; 378, 2. — Intuition de Dieu, II, 555. — Définition du Panthéisme,
II, 602, 1. — Panthéisme des Stoïciens, II, 602, 2.
Salaire [Salarium, de sal; primitivement c'était l'indemnité payée au
soldat pour son sel) : définition, II, 120. — Juste salaire, II, 358. — Salaire
familial, II, 359.
Salut (Salus, salutis, santé, bien-être, prospérité, de so/f «s, être entier, sain
et sauf) : signifie, dans le langage chrétien, bonheur éternel : Salus, apud
Theologos, est félicitas hominum aeterna (Leibniz, Opuscules et Fragments
inédits, publiés par L. Couturat, p. 508, Paris, 1903).
Sanction [Sanctio, de sanctum, supin de sandre, établir par un acte reli-
gieux, établir par une loi, régler, sanctionner) : a) Acte d'établir une loi ;
peine établie par une loi pour réprimer les infractions aux pre.scriptions légales.
— b] Puis, peine ou récompense jointes à un ordre pour en assurer l'obser-
vation, II, 119. — Fondement et nécessité de la sanction, II, 120 ; 268. —
But, II, 121. — Insuffisance des sanctions de la vie présente, II, 123. — Néces-
sité d'une sanction dans une vie future, II, 124. — c) Par extension, toute
peine ou avantage qui résulte, soit du cours naturel des choses, soit de la façon
d'agir ; vg. nombre de maladies résultent d'habitudes déréglées, 470.
Sanguin {Sanguineus, de sanguis, sang) : tempérament sanguin, 391. —
Caractère. 404.
934 TABLE ANALYTIQUE : Saoté — Schènie
Santé (Sanitas, de sanus, sain) : bon état de l'organisme. — Devoir de la
conserver, II, 156.
Satisfaction (Satisfactio, de satisfactum, supin de satis-facere, faire assez,
satisfaire, s'acquitter) :fl)Satisfactionmorale:lo)5e?i«imen«, II, 17-18 ; 2°) pZaisir, '
fondement de la Morale, II, 49-50. — b) Réparation d'un tort, II, 194 ; 206- 1
207. — c) Objet de la richesse : satisfaction des besoins de l'homme, II, 352.
Sauvagerie (de Sauvage, de silvaticus, qui concerne les bois, de siVra forêt) :
est-ce l'état primitif ? II, 222. i
Savoir (de Sapere, avoir de la saveur, avoir du sens) : a) Ce que l'on 1
sait : la philosophie est le «savoir complètement unifié» (Spencer), 597, 2. —
b) Savoir s'emploie comme synonyme de Science. Voir ce mot.
Say (Jean-Baptiste) : économiste, II, 353.
Sayce (Archibald-Henry) : attaque la théorie de l'évolution linguis- «
tique de M. Muller, 456, 4. |
Scandale [Scandalum, de (jxàvôaXov, piège placé sur le chemin. Racine 1
Txao, tomber. Cf. cadere, tomber) : mauvaise action qui induit au mal : il doit !
être évité, et, s'il a été commis, réparé, II, 168.
Scepticisme (du latin scolastique Scepticismus, de scepticus, GXz.TZTiy.6, qui
examine, de cy.ÉTrxoaat, examiner. Racine txî-ji, voir) : a) Doctrine d'après '.i
laquelle la certitude de la vérité spéculative est plus ou moins inaccessible à '
l'esprit humain. — Scepticisme: 1°) absolu, II, 421; 2°) relatif, II, 425; c) moral,
II, 27-30. — b) Tournure d'esprit qui porte à nier.
Sceptique (Scepticus, cxsTrTtxo;, qui examine, de c-xÉTTToaai, examiner. !
Racine txîtt, voir) : celui qui professe le scepticisme (au sens a), ou est porté j
au scepticisme (au sens b). — Principaux Sceptiques, II, 421-422. i
Schaaf (Heinrich): comment Dieu connaît les futurs conditionnels, II, 592, -
3 ; 593, 1.
ScHELLiNG (Friedrich-Wilhelm-Joseph) : panthéisme, II, 604.
Schématisme (de Schème) : d'après Kant, les catégories de l'entendement
sont des fonctions unificatrices de l'esprit, qui par elles-mêmes ne sont pas
applicables aux données de l'expérience. D'autre part, les données de l'expé-
rience ou impressions empiriques participent à l'étendue et à la durée au j
moyen des intuitions pures ou formes a priori de la sensibilité, Vespace et le j
temps, II, 431. Pour que les impressions sensibles, ainsi élaborées, apparaissent
à la conscience comme phénomène, c'est-à-dire comme objet, il faut que les
catégories de l'entendement leur soient appliquées. Le but du Schématisme '
transcendantal est précisément de montrer comment s'opère cette application. '
Voir Schème, 4°. — Le mécanisme de cette application est si arbitraire et si 1
compliqué qu'il est abandonné même par les partisans du Kantisme. Cf. ^
A. Valensin, La théorie de V expérience d'après Kant, dans Revue de Philo- ;
Sophie, juillet 1908, pp. 44-57. . •
Schème, Schéma ( Schéma, <jy.r,ij.u. manière d'être, figure, esquisse. Cf. axêtv, ;
infinitif de l'aoriste 2 £T/ov, de £/.£tv, avoir) : 1°) Tracé figurant, par les
proportions et relations de certaines lignes, les lois de variation de certains
ordres de phénomènes en physique, en mécanique, en statistique. — 2°) Figure
simplKiée d'un objet réduit aux traits essentiels : vg. tracé figurant la dispo-
sition d'un organe. — 3°) En Philosophie : a) C'est la forme sous laquelle on se
représente un concept, 262 ; 452. — b) On entend aussi par schème une sorte
d'image vague, peu déterminée ; vg. on se représente le cheval, le chien, le
i
TABLE ANALYTIQUE : Schiffiiii (Pèfe) — Scientismc 935
■ lion, etc., sous le schème de quadrupède. C'est alors l'image composite, 249. —
4°) Chez Kant, un schème est une forme a priori fournie par l'imagination,
qui sert à appliquer les concepts purs de l'entendement aux intuitions empi-
riques de la sensibilité ; vg. la succession est le schème de la causalité, parce
que nous attribuons à la cause une antériorité logique sur l'e^et. Kant a
déterminé les schèmes transcendantaux qui correspondent à chaque catégorie.
Cf. G. Sortais, Origine et valeur de la connaissance théorique d'après Kant,
dans Etudes philosophiques et sociales, Paris, 1907, pp. 149-244.
ScHiFFiNi (Père Santo) : argument ontologique, II, 570, 3.
. Schiller (F.-G.-S.) : pragmatisme, 822-824.
Schopenhauer (Arthur) : nature du plaisir et de la douleur, 57-58. —
L'inconscient, 142, 2. — Idées latentes, 199. — Rôle de la volonté, 365, 1. —
Caractère empirique et caractère intelligible, 405, 3. — Pessimisme absolu,
II, 648, 1 ; 650.
Science (Scientia, de sciens, participe présent de scire, savoir) : a) C'est
un synonyme de savoir. — h) Subjectivement : sens péripatéticien et scolastique :
connaissance des choses par leurs causes, 580 ; — c) Objectivement : ensemble
de démonstrations enchaînées, 237 ; ou de vérités générales démontrées, 580.
— Nature de la science, 577. — Caractères et conditions, 578. — Avantages,
580. — Fin, 581. — Connaissance du général, 581-582 ; 58.2. — Marche générale
de la science, 623.
Science moyenne : c'est la science des futurs conditionnels. — Pourquoi
elle est dite moyenne, II, 583. — Preuve de son existence, II, 585 ; 591-592.
Science positive : celle qui s'occupe seulement des. faits et des lois, lesquelles
ne sont que des faits généralisés. C'est la prétention des Positivistes, II, 446.
Sciences cosmologiques : 1 ; 588.
Sciences historiques : 3 ; 734.
Sciences mathématiques : 1-2 ; 592-593 ; 625.
Sciences métaphysiques : 4 ; 5 ; 594 ; 760 ; II, 456-457.
Sciences morales : 593 ; 714 ; 717 ; 718 ; 757.
Sciences naturelles ou biologiques : 2 ; 593 ; 645 ; 687
Sciences noologiques : 2 ; 588.
Sciences normatives : 504.
Sciences philologiques : 2; 455; 718.
Sciences physiques : 2 ; 593 ; 645 ; 717.
Sciences psychologiques : 3-4 ; 4-5 ; 593 ; 719.
Sciences sociales et politiques : 3 ; 593-594 ; 752-757.
Scientifique (de Science) : esprit scientifique, 6.
Scientisme (de Science) : nom donné à la doctrine, quelque temps florissante,
qui prétendait tout expliquer par le mécanisme et satisfaire par la science
tous les besoins intellectuels et moraux de l'homme. Renan. Marcelin Ber-
thelot furent les pontifes de ce qu'on a nommé la « Nouvelle Idole ». Brune-
tière dénonça la faillite de cette fausse science. Cf. La Science et la Religion,
dans Questions actuelles.
936 TABLE ANALYTIQUE : Scolairc — Scolastique (Philosophie)
Scolaire {Scolaris,. Scholaris, de l'école, de scola, schola, loisir consacré à
l'étude, lieu d'étude, école) : la question scolaire, II, 252-263.
Scolastique (La) (Scholasticus, scolasticus, <7/o/a(7T[x<îç, qui a du loisir, qui
consacre son loisir à l'étude, relatif à l'étude, à l'école, de schola, scola, ayoJ-c,
loisir, lieu d'étude, école) : indique la Philosophie de 1' « École », c'est-à-dire
l'ensemble des doctrines professées dans les Écoles et Universités catholiques
depuis le x^ siècle.
Scolastique (La Philosophie) : Philosophia scholastica, puis Scholastica tout
court, signitie : la Philosophie de l'École, la Scolastique, I'École. Prin-
cipales doctrines :
A) Psychologie : détermination des facultés de l'âme, 38-39. — Classi-
fication des faits psychologiques, 43-44. — Modes et degrés de l'activité, 47.
— Classification des passions, 122-123. — L'âme pense-t-elle toujours ? 155.
— Le sensorium commune, 158. — Théorie de l'assimilation, 162. — L'ima-
gination ('iavTaTÎa ), 222-223. — Formation de l'idée générale, 250. — Division
des idées générales : Transcendantaux, Uniçersaux, 252-253. — Réalisme
modéré, 256-257. — Modes du jugement, 265. — Origine des idées. 316-317 ;
317-318 ; II, 454. — Notion de substance, 320. — Notion de cause, 323. —
Origine de l'idée d'infini, 341-343. — La personnalité, 365, 3. — Liberté et
préscience, 378. — Nécessité et liberté, 402. — ■ L'âme des bêtes, 492-493.
B) Logique : division des idées générales : 1°) Universaux ou Prédicables,
516 ; 2°) Catégories ou Prédicaments, 516-517. — Définition logique, 521. —
Théorie des propositions, 529. — Théorie de la déduction, 531-556. — La
science, 578 ; 579 ; 582-584. — Classification des connaissances, 587. — Fon-
dement de l'induction, 680-682. — Méthode de la Métaphysique, 761. —
La vérité, 768-771. — La certitude et l'évidence, 777. — Science et croyance,
791-793. — L'erreur, 794-797. — Classification des sophismes, 798. —
Valeur de l'autorité, 813. — Critérium de l'évidence, 837. — Avantages et
abus de la méthode syllogistique, 841-843.
C) Morale : éléments de la moralité, II, 30-31 ; 33. — Degrés et règles de
la conscience morale, II, 33. — ■ Légitimité de la loi civile, II, 39-41. — Morale
du bien rationnel, II, 101. — Critérium de la perfection relative des êtres,
II, 106, 1. — Fondement de la distinction du bien et du mal, II, 106-107. —
Fondement de l'obligation; II, 110. — Préceptes primaires et secondaires du
droit naturel, II, 141. — Véracité et mensonge, II, 169-172. — Limites du
droit de propriété, II, 193 ; 263-264. — Origine du pouvoir, II, 223-226 ; 229.
— Formes de gouvernement : a) Infériorité des formes à l'état pur, II, 233 ;
b) Supériorité des formes à l'état mixte, II, 235. — Forme préférée parS. Thomas
II, 236. — S. Thomas et le suffrage universel, II, 237. — Guerre : conditions
de sa légitimité, II, 270. — Résistance passive aux lois injustes, II, 275. —
Résistance active aux lois injustes, II, 288-289. — Résistance à la tyrannie,
II, 289. — Le droit des gens, II, 311-312. — Rapports de l'Église et de l'État.
II, 337. — La thèse et l'hypothèse, II, 340. — Pouvoir direct ou indirect ?
II, 343.
D) Esthétique : effets et nature du beau, II, 379-380; 383, 3; 384, 1.
E) Métaphysique : la vérité illuminalrice, II, 453 ; 454-455. — Métaphy-
sique générale ou Ontologie : a) L'être en général, II, 460. b) Propriétés transcen-
dantviles de l'être, II, 470. c) Division de l'être ou Catégories, II, 479. d) Causes
des êtres, II, 487. — L'espace et le temps, II, 503-504 ; 505-507. — La matière
et la forme, II, 513. — L'Animisme, II, 527. — Le mouvement de la matière,
TABLE ANALYTIQUE : Scholic — Sccrétaii (Chaîles) 937
II, 560. — Critique de l'argument ontologique, II, 571. — Méthode pour
déterminer les attributs moraux, de Dieu, II, 580. — Connaissance des futurs
conditionnels, II, 584-590 ; 591-595. — La création, II, 633. — Le concours divin,
II, 638. — L'optimisme relatif, II, 647 ; 650.
Scholie, Scolie (g/oXtov, explicatitm, commentaire, note, de i/oÀr,,
loisir consacré à l'étude, école) : remarque sur un théorème pour en compléter
ou limiter l'application; vg. Newton, 658,2. — Spinoza, procédant more geo-
metrico, emploie fréquemment des scolics.
Scotisme (de Scot) : ensemble de doctrines propres à Duns Scot et à son
École. Les Scotistes ont enseigné, contrairement aux Thomistes, que la
matière des corps terrestres et des corps célestes est identique. Ils ont vivement
combattu la prémotion ou prédéterniination physique. Le principe d'indivi-
duation est, selon eux, une entité surajoutée à l'essence des êtres, qu'ils
nomment Eccéité (voir ce mot). Scot restreint la pluralité des formes aux
êtres vivants ; beaucoup de ses disciples l'attribuent à tous les êtres de la
nature. Il a imaginé, ou du moins ses disciples, une distinction formelle, qui
a beaucoup nui au Scotisme. Cette distinction, en effet, n'étant de l'aveu même
des Scotistes, ni réelle, ni de raison, est inconcevable, parce qu'il n'y a pas
place pour une distinction intermédiaire. Cf. Palmieri, Institutiones philoso-
phieae, T. I, Ontologia, Th. vu. p. 311-314.
Scrupule (de Scrupulus, petite pierre pointue, embarras, difficulté, subtilité,
de scriipus, pierre pointue) : a) Appréciation de ce que l'on doit faire poussée
jusqu'à une extrême délicatesse : conscience délicate. — b) Sens péjoratif :
embarras de conscience qui rend incertain et empêche d'agir, comme une
pierre gêne la marche : conscience timorée.
Sculpture [Sculptura, de seulptum, supin de sculpere, graver, tailler, sculp-
ter) : sa place parmi les arts, II, 408 ; 409.
Secchi (Père Angelo^ : météorographe. 650. — Unité des forces physiques,
655, 2.
Second {Secundus, qui vient ensuite, de sequi, secutus sum, suivre) :
qualités secondes de la matière, 178. — Causes secondes, 324. — Intentions
secondes : voir Intention première, seconde.
Secondaire (Secundarius, de secundus, qui vient ensuite) : qui ne vient qu'au
second rang pour l'importance. — Instincts secondaires, 110 ; 111. — Qualités
secondaires de la matière, 178. — État psychologique secondaire, 204 ; 234.
— Préceptes secondaires du droit naturel, II, 141.
Secondo-primaire : Hamilton appelle secondo-primaires les qualités de la
matière, qui forment l'intermédiaire entre les primaires {— propriétés géomé-
triques) et les secondaires (= couleurs, sons) : ce sont les propriétés mécaniques :
résistance, masse.
Secours (Succursum, de succursum, supin de succurrere = sub-currere,
courir sous, secourir) : assistance ou aide donnée à quelqu'un dans le besoin.
— Le riche doit secourir le pauvre, II, 193 ; 207 ; 263-264. — L'État doit
suppléer à l'insuffisance de la charité, privée, II, 264.
Secrétan (Charles) : intuition de Dieu, II, 555.
TUAITH DF. riIILOSOPUIE. — ï. II. — 31
938 TABLE ANALYTIQUE : SCCtC — SCDS
Secte [Secta, voie qu'on suit, manière d'agir, école, secte, de sequor, secutus
sum, suivre) : a) Groupe d'hommes professant une même doctrine : vg. la
secte épicurienne. — b) Sens péjoratif : groupe d'hommes passionnément
attachés à une doctrine et, par suite, intransigeants à l'égard des autres ;
l'esprit de corps peut dégénérer en esprit de secte, 93.
Sécularisme iSaecularis, séculaire, profane, de sa/ecuhon, race, durée ordi-
naire de la vie humaine, siècle) : forme du Positivisme anglais contemporain,
qui consiste à ne se préoccuper que du temps présent, du siècle, sans se soucier
de l'autre vie.
Secundum quid : expression scolastique signifiant : sous un certain rapport,
dans une certaine mesure ; vg. telle affirmation est vraie secundum quid.
S'oppose à Simpliciter. Aristote dit : Kaxa rt qu'il oppose à 'AttXwç.
Sécurité [Securitas, de securus, qui est sans crainte, de se, préposition
marquant privation ; cura, souci) : l'Etat doit garantir la sécurité intérieure et
extérieure, II, 248. — Sécurité professionnelle, II, 188.
Ségrégation (Segregatio, de Segregatum, supin de segregare, isoler du
troupeau, séparer, de se, préposition marquant séparation, et de grex, gregis,
troupeau) : procédé qui consiste à réunir et à mettre à part des êtres ou objets
de même espèce mêlés à d'autres. ^
Sélection (de l'anglais Sélection, du latin selectio, tri, choix, de selectum,
supin de seligere, de se, à part, et légère, assembler, choisir) : action de choisir
et mettre à part dans le but de favoriser, parmi des êtres ou objets divers, la
conservation de ceux qui ont une valeur supérieure. — Sélection : a) naturelle ;
b) artificielle, U 613 ; 617-618.
Sémantique (La) (-r,y.avT'.xôî, qui signifie, de Tr^'j.(/.m<). marquer d'un signe,
expliquer, signifier, de Trjaa, signe) • la Sémantique (néologisme formé par
analogie avec la Rhétorique, comme s'il venait de rj -i/yr^ r7r,[xavTt/.-/]) est l'étude
historique des sens variés qu'ont pris les mots, 434, 1 .
Semblable (de Sembler, de similare, être semblable, rendre semblable, de
similis, semblable) : a) En général, ce qui présente avec un autre objet une
grande ressemblance : vg. nous appelons les autres hommes nos semblables, 87.
— b) En un sens large, semblable équivaut à analogue, c'est-à-dire à ce qui a,
avec d'autres, quelque chose d'identique et quelque chose de différent, 705 ;
710-711.
Sénèque (Marcus Annaeus Seneca) : Médée, 547, 2.
Sens {Sensum, de sensum, supin de sentire, percevoir par les sens, sentir,
penser) : ce qu'un mot ou toiit autre signe disent à l'esprit. — Sens : a) usuel,
524 ; b) arbitraire, 525. — Sens composé et sens divisé : une expression est
prise, comme disent les Sgolastiques, i?i Sensu composito, quand ses éléments
doivent être pris ensemble comme formant un tout solidaire. Elle est prise
in Sensu divisa, quand certains de ses éléments doivent être entendus indé-
pendamment des autres. — Confusion entre ces deux sens, 799. — Distinction
employée par les Thomistes pour défendre leur système sur la Prédétermi-
nation, II, 587 et n. 4.
Sens {Sensum, de sensum, supin de sentire, percevoir par les sens, sentir,
penser) : a) Faculté d'éprouver une catégorie de sensations, 156. — b) Faculté
de connaître d'une manière immédiate, intuitive : sens intime, 137 ; sens
moral, sens du vrai, du beau, 789 ; II, 19-20. — r) D'où, intelligence spontanée,.
TABLE ANALYTIQUE : ScHS (Boii) — Sensltil 939
facile, droite : vg. homme de sens. — Objets et organes des sens, 157. -—
Nombre des sens, 158. — Perception externe : relative aux sens, 176. —
Données des sens : a) primitives, 178 ; b) acquises, 181. — Éducation des sens,
184. — Hiérarchie des sens, 185. — Erreurs des sens, 187.
Sens (Bon) : a) Capacité naturelle de bien juger et d'apprécier les choses
à leur valeur, 286-287. — b) Synonyme de raison chez Descartes, 287.
Sens commun : a) Le Sensus communis chez Aristote et les Scolas-
TiQUES, 158. — ■ b) Dans I'École écossaise et I'Ecole éclectique : c'est le
fonds essentiel et immuable de l'esprit, dont la raison est l'expression réfléchie.
— c) Dans le langage actuel, c'est l'ensemble des opinions d'une époque si
unanimement acceptées- que les opinions contraires sont regardées comme des
anomalies individuelles, 286 ; 840. — d) Critérium du sens comsnun, 814.
Sens intime : synonyme de conscience spontanée, 137.
Sens moral : a) Faculté de discerner immédiatement le bien et le mal :
sorte de perception qui ressemble à l'intuition des choses sensibles, II, 19-20.
— b) Théorie de la conscience morale (Shaftesbury, Hutcheson), II, 18.
Sens propre : a) Sens propre des mots : ce qu'ils signifient à proprement
parler. S'oppose à Sens figuré : ce qu'ils signifient par métaphore. — b) Attache
'excessive à sa façon particulière de voir et de juger.
Sensation (de Sensus, action de s'apercevoir, sensation) : phénomène
psychique, agréable ou pénible, qui a pour antécédent une impression nerveuse
transmise au cerveau, 69. — Antécédents de la sensation, 70. — Eléments
•affectif et significatif (représentatif), 72. — Rapports de ces deux éléments, 73.
— Equivoque du mot sensation, 74. — Sensation : interne, externe, 75. —
Existe-t-il des sensations indifférentes ? 75. — Localisation des sensations :
•a) internes, 76 ; 191-193 ; b) externes, 193-194. — Perception et sensation,
159. — Sensation vitale, musculaire, 75 ; 158. — Rôle des sensations, 129-130.
— Sensation transformée (Condillac), 300.
Sensationnisme, Sensationniste (de Sensation) : s'emploie quelquefois
comme synonyme de Sensualisme. Voir ce mot.
Sensibilité [Sensihilitas, desentire, apercevoir parles sens, sentir) : a) Faculté
d'éprouver et de produire des phénomènes ayant un caractère affectif (émotions
•et inclinations), 54. — h) Ensemble des phénomènes affectifs, 56. — r] Tendance
à s'émouvoir facilement, à éprouver de la sympathie pour les autres, 86-87.
— d) Subtilité, délicatesse des sens, 650. — Sensibilité et intelligence : a) diffé-
rences, 54 ; b) ressemblances, 55. — Division de la sensibilité, 56. — Plaisir et
douleur : modes essentiels de la sensibilité, 57. — Faits de sensibilité, 34 ; 49.
— Rôle de la sensibilité, 126.
Sensible (Sensibilis, de sentire, apercevoir par les sens, sentir) : ce (pii se
rapporte à la sensibilité, soit au sens actif, soit au sens passif. — Faits sensibles :
3eurs caractères : affectif, subjectif, etc., 34 ; 49 ; 57. — Sensibles : a) propres,
communs, 180-181; b) par accident, 181-182. — Espèce sensible, 162-163;
171, 1. — Mémoire sensible, 206.
Sensisme (de Sensus, action de s'apercevoir, sensation) : s'emploie quel-
quefois comme synonyme de Sensualisme. Voir ce mot.
Sensitif (du latin scolastique Sensitivus, de sentire, apercevoir par les sens,
:sentir) : a) Ce qui se rapporte aux opérations de la sensibilité. — Appareil
940 TABLE ANALYTIQUE : Scnsoriel — Servage
sensitif, 71. — Opérations sensitives (Classification des Scolastiques), 43-44.
— Opérations intellectuelles sensitives , 133-134. — La vie sensitive de l'animal,
48 ; 492-493 ; II, 549, 3. — b) Impressionnable, émotif : vg. caractère émotion-
nel, 404 ; les sensitifs chez qui prédomine la sensibilité.
Sensoriel (de Sensorium (Boèce), organe des sensations) : ce qui a trait aux
organes des sens. — Théorie des impressions sensorielles, 167-168.
Sensorium commune : organe central des sensations, 158.
Sensualisme (de Sensualis, relatif aux sens, de sensus, action de percevoir
par les sens, sens, de sentire, sentir) : doctrine qui fait dériver toute la connais-
sance de la sensation. Le mot propre serait Sensation nisme. — École sensua-
LisTE : a) CoNDiLLAc, 300 ; b) Locke, 302.
Sensualité, Sensuel (Sensualitas, Sensualis, de sensus, action de percevoir
par les sens, sens) : tendance vicieuse qui consiste à rechercher les plaisirs des
sens, 85.
Sensus communis : sens interne centralisateur des sensations, 158.
Sentiment (de Sentir) : a) Phénomène psychique, agréable ou pénible, qui
a pour antécédent un autre phénomène psychique, 69. — b) Ensemble d'émo-
tions ayant pour causes des inclinations sociales ou altruistes, 86. — c) Connais-
sance immédiate, ordinairement vague, 77. — d) Opinion, avis : vg. tel est
mon sentiment. — Comparaison des sentiments et des sensations, 77. —
Classification des sentiments, 80. — • Définition des principaux sentiments, 80.
— Sentiments du vrai, du beau, du bien, 96-97. — Sentiments religieux, 97.
— Rôle des sentiments dans la vie intellectuelle, 129. — Sentiments moraux,
II, 17. — Sentiment de l'honneur, II, 84. — Rôle du sentiment en morale,
II, 86. — Sentiment et intérêt, II, 88. — Sentiment esthétique, 97 ; II,
378-379.
Sentimental (de l'anglais Sentimental. Ce mot a été mis à la mode par
l'ouvrage de Sterne, The sentimental journey. Le voyage sentimental, paru
en 1768) : a) Sens péjoratif : celui qui accorde trop au sentiment ; vg. sensiblerie,
maladie du xyiii" siècle, du Romantisme, II, 403. — b) Sens favorable : ce qui
a rapport au sentiment ; vg. morales sentimentales, II, 80.
Sentimentalisme, Sentimentalité (de Sentimental) : a) Caractère de celui
qui accorde trop au sentiment; vg. Romantisme, 11^ 403. — b) Nom donné
parfois aux florales fondées sur le sentiment, II, 80.
Séparation. (Separatio de separatum, supin de separare, disjoindre, de fc,
à part ; parare, faire la paire, apprêter, de par, paire) : séparation : a) de corps
et de biens, II, 211 ; b) des pouvoirs, II, 266 ; c) de V Eglise et de l'Etat, 11,337.
Séquence [Sequentia, suite, de sequens, sequentis, participe présent du sci?»/,
suivre) : les pliilosophes anglais cniploiout ce mot dans le sens de succession ;
vg. loi de séquence des phénomènes.
Sérié (Séries, rangée) suite, enchaînement, de serere, lier, enchaîner) :
a) Suite ordoimée de termes variant d'après un ou plusieurs caractères déter-
minants. — b) A. Comte emploie ce mol pour signifier les différentes classes de
faits sociaux : moraux, religieux, économiques, etc. — Le moi, série de phéu"-
mènes (St. Mill, Taine), 153. — Principe de la série naturelle, 697. — Une
série infinie répugne, II, 557-558. — Série : a) embryologique ; b) paléoniolo-
gique, II, 615-616; 619-620.
Servage (de Servus, esclave) : esclavage mitigé, II, 181.
TABLE ANALYTIQUE : Scrvice — Simple 941
Service [Servitium, servitude, de servire, être esclave, servir) : la Sociologie
a pour objet les divers services que les citoyens doivent se rendre mutuellement.
C'est Bentham qui a le premier employé en ce sens le mot service. — ■ L'État
est chargé des services d'utilité générale, II, 248 ; 250. — Se rendre mutuel-
lement service est un devoir de charité, II, 163 ; 165 ; 207. — Contrat de ser-
vice, II, 217. — Service militaire, II, 274 ; 276.
Servile {Seroilis, de servus, esclave) : l'état servile, II, 176.
Serviteur (du bas latin Servitor, serviteur, de servire, servir) : devoirs et
droits, II, 217.
Servitude {Servitudo, de servus, esclave) : a) Situation servile, II, 176. —
b) Servitude des passions, 402.
Seuil {Solium, siège, trône; puis, dans la langue populaire, seuil) : seuil
de la sensation ou de la conscience : expression, due à Herbart : elle indique
le point où une excitation sensorielle atteint le minimum nécessaire pour
déterminer une sensation, 144.
Sextus Empiricus : (de 'EtjLTrîtpixôç, qui se dirige d'après l'expérience, de
£v, dans, TTsTpa, expérience) : scepticisme, II, 422.
Shaftesbury (Antony Ashley Cooper, Comte de) : doctrine du sens
moral, II, 18.
Sicard (Abbé Roch-Ambroise Cucurron, dit) : sourds-muets, 438.
Signe iSignum, signe, marque) : a) Fait indiquant avec plus ou moins de
sûreté l'existence d'un autre fait invisible : vg. la fréquence du pouls est signe
de fièvre. — b) Phénomène sensible éveillant l'idée d'un autre phénomène qui
ne tombe pas sous les sens, 434. — Rapports entre le signe et la chose signifiée,
434-435. — Espèces de signes, 435-436. — Signe local, 193. — Production et
interprétation des signes : a) École écossaise, 436 ; b) École évolution-
NISTE, 437.
Significatif (Significativus, de signi-ficare, faire signe, signifier) : élément
de la sensation, 72. — Faits significatifs, 663. — Valeur significative des clas-
sifications naturelles, 698-699.
Signification (Significatio, de signi-ficare, faire signe, signifier) : a) Ce
qu'un signe représente. — b) Propriété qu'a un signe de suggérer l'idée d'un,
autre fait, 434. — Signe et signification, 434-435.
SiGWART (Christoph) : nature du raisonnement indilctif, 678, 2.
Similaire, Similarité (de Similis, semblable) : loi de similarité pour les
associations, 213.
Similitude [Similitudo, de similis, semblable) : l'analogie conclut en vertu
de similitudes, c'est-à-dire de ressemblances mêlées de différences, 708-709.
Simon (Jules-Françoîs-Simon Suisse, dit Jules) : croyance invincible
à la liberté, 372, 5. — Effets de l'habitude, 418, 2. — Corrélation entre droit
et devoir de justice, II, 136, 1.
Simple {Simplex, qui n'a qu'un seul élément) : a] Ce en quoi on ne peut
distinguer de parties composantes, et partant ce qui est indivisible. — Le moi
est simple, 148. — Idée simple, 519. — La monade de Leibniz est simple,
II, 511. — Les premiers éléments des corps sont simples : d'après Boscovich,
942 • TABLE ANALYTIQUE : SlmpUcUé — SociaWlIté
II, 518 ; Palmieri, 520. — L'âme est simple, II, 536 ; 537-538. — S'oppose à
Composé, à Divisible. — b) Ce qui n'est pas compliqué. — Conversion simple :
celle qui se fait par pure transposition des termes, sans modification de la
quantité et de la qualité des propositions, 534. — Syllogisme simple, 535.
Un syllogisme peut contenir des propositions complexes, c'est-à-dire a^'^oir
des prémisses où se trouvent plusieurs sujets ou attributs, et cependant rester
simple. S'oppose à syllogismes composés : hypothétique, disjonctif, copulatif, 549.
— L'hypothèse doit être la plus simple possible, 658-659. — S'oppose à Com-
pliqué.
Simplicité (Simplicitas, de simplex, simple) : origine de cette notion, 148.
— Simplicité des voies de la nature, 658-659. — SimpUcité de l'âme humaine,
II, 536 ; 537-538. — Différence entre simplicité et spiritualité, II, 539. — L'âme
des bêtes est simple, mais pas spirituelle, 4^2-493 ; II, 549, 3.
Simplification (de Simplifier, du latin scolastique simplificare, de simplex,
simple, facere, faire) : simplification de la pensée par : a) l'abstraction, 247 ;
b) le langage, 450-451 ; c) la classification naturelle, 697. — Esprit simplifi-
cateur du mathématicien, 642. — Simplification, loi de l'art, II, 402.
Simplisme (de Simple) : tendance à simplifier les choses et par suite à
laisser de côté des éléments importants, dont l'omission conduit à l'erreur.
Se prend en mauvaise part : un esprit simpHste.
Simultané, Simultanéité (du latin scolastique Simultaneus, de simul,
[ensemble], neutre écourté de similis, pour simile, pris adverbialement) : phéno-
mènes simultanés dans la conscience, 213. — Cause de la simultanéité constante
de deux phénomènes, 667.
Sincérité (Sinceritas, de sincerus, qui ne contient pas d'éléments étrangers,
peut-être de sine sans et cera, cire, épithète appliquée d'abord au miel : miel
sans cire, d'où miel pur) : franchise dans l'expression de la pensée. — Vertu
morale, II, 168. — Sincérité : a) des témoins, 738 ; b) des monuments, 740-741
c) des documents, 742.
Singularité (Singularitas, isolement, de singularis, relatif à un seul, de
singulus, unique) : caractère de ce qui est : a) rare, surprenant ; b) étrange,
choquant.
Singulier (Singularis, relatif à un seul, de singulus, unique) : a) Qui se
rapporte à un seul, ce qui est individuel. — Idée singulière, 258. — Jugement,
272. — Idée et terme, 519. — Proposition, 530. — b) Qui se distingue par
quelque chose d'inusité, d'étrange : vg. c'est un esprit singulier.
Situation (de Situer, du latin scolastique situare, de situs, position, de
sinere, situm, placer) : catégorie d'ARiSTOTE (xîTaat, je suis étendu) : être assis,
debout, couché, 296 ; 517 ; II, 486. — Propriétés mathématiques qui résultent
de la situation, 625, 1.
Smith (Adam) : sympathie, au point de vue : a) psychologique, 86 ; 122, 1 ;
b) moral, II, 82. — Origine artificielle du langage, 441, 4.
Sobnèih [Sobrietas, tempérance, de sobrius, de la préposition se, marquant
le manque et ebrius, ivre) : vertu relative à la sensibilité. C'est une espèce
rentrant dans le genre tempérance, II, 130 ; 158.
Sociabilité (de Sociable, Sociabilis, qui peut être uni, de sociare, rendre
commun) : caractère de celui qui est sociable. — Inclination altruiste, 86. —
Origine de la société, 86 ; II, 221-222.
TABLE ANALYTIQUE : Sociablc — Sociologic 943
Sociable [Sociabilis, qui peut être uni, de sociare, rendre commun) : a) Ca-
pable de vivre en société, 86 ; 221-222. — b) Qui aime la compagnie de ses
semblables : vg. caractère sociable.
Social (Socialis, fait pour vivre en société, de sociare, vendre commun) :a) So-
cial s'oppose à Individuel et signifie tout phénomène de relation entre les indi-
vidus formant un groupe, une société. — b) Social, pris strictement, s'oppose
à Politique. Est politique tout ce qui se rapporte à la souveraineté : vg. Formes
de gouvernement, II, 232 ; Liberté politique, II, 291. Est social tout ce qui a
trait à la constitution de la société, tout ce qui est relatif aux intérêts collectifs
des individus considérés dans leurs rapports mutuels, spécialement les rapports
des classes de la société, en tant qu'elles ont des intérêts distincts ou opposés ;
vg. la Question sociale, II, 3^65. — Condition sociale, 117. — Milieu social,
II, 249. — Sciences sociales : classification, objet, méthode, 3 ; 593-594 ; 752.
— • Inclinations sociales, 86. — Vertus sociales, II, 130. — Droit social, II, 140.
— L'État doit protéger Vordre social, II, 248-249 ; 325. — Bien social ou
bien commun, principe régulateur de l'État, II, 249 ; 250-251 ; 289-290. —
Contrat social (Hobbes, Rousseau), II, 220. — Statique ei Dynamique sociales
(Comte), 753. — Economie sociale : science des intérêts matériels de la société
subordonnés au bien social. Beaucoup d'économistes définissent l'Économie
politique : la science des intérêts matériels, en faisant abstraction de tout
rapport à l'ordre moral et au bien social. C'est à tort, parce que l'Économie
politique est essentiellement sociale. Il faut dire : Économie politique ou
sociale, car c'est une seule et même science. Cf. Ch. Antoine, Cours d'Économie
sociale, Introduction, § IL
Socialisation (de Socialisme) : organisation, d'après les principes du Socia-
lisme, de la propriété et du travail, II, 200-202.
Socialisme (de Social) : 1°) Ce mot a été employé par Pierre Leroux,
par opposition à Individualisme. Il entend parla « l'exagération de l'idée d'asso-
ciation ou de société » {De l'Individualisme et du Socialisme, Œuvres, T. I,
p. 376, note, Paris, 1847). Il se donne comme l'inventeur de ce mot. Quoique
ce mot ait été employé avant lui, il peut se faire qu'il n'en ait pas eu connais-
sance. Cf. Bulletin de la Société française de Philosophie, janv.-févr. 1917,
p. 86-88. — 2°) En général, le Socialisme est la doctrine qui réclame « certains
mode? d'ingérence de l'État dans les relations entre producteurs ou entre
producteurs et consommateurs », II, 199. — Formes diverses : a) Communisme,
II, 199 ; b) Collectivisme, II, 200 ; c) École réformiste, II, 202 ; d) Syndicalisme,
II, 202 ; e) Coopératisme, II, 203. — Société et Socialisme, 205. — Objections
des socialistes contre la propriété, II, 194.
Société [Societas, réunion, de socius, compagnon) : sens général : union de
personnes tendant à une même fin pardesmovens communs, II, 219. — Sociétés
diverses : a) Société domestique, II, 208-211 ; b) Société hérile, II, 217 ; c) So-
ciétés particulières ou Associations, 93 ; II, 285 ; d) Société civile et politique :
définition et éléments, II, 219. — La société civile n'est pas un état contre
nature, II, 220; mais naturel, 86; II, 221. — Culte rendu par la société,
II, 333 ; e) UÉglise est une société, II, 335-336. — Rapports entre la société
civile et la religieuse, II, 337 ; /) Sociétés de tempérance, II, 376.
Société des Nations : son organisation, II, 320-321.
Sociologie (du radical de Société et de ^ôyo,-, discours) : mot hybride créé
par A. Comte pour indiquer la science des conditions de l'état social, où il dis-
tingue la Statique sociale et la Dynamique sociale, 753.
944 TABLE ANALYTIQUE : Sociologisme — Somnambule
Sociologisme (de Sociologie) : doctrine de l'École sociologique qui prétend
expliquer les principaux faits religieux et résoudre les problèmes philoso-
phiques par l'influx social.
Sociologique (Morale) : système qui substitue la science des mœurs à la
Morale théorique et prétend que la vraie morale est celle qui est réclamée par
l'état social du temps (Durkheim, Lévy-Bruhl, ) II, 60. — Cf. O. Habert,
L'École sociologique et V origine de la Morale, Paris, 1923.
Sociologiste, Sociologue (de Sociologie) : qui concerne la Sociologie, qui
s'occupe de science sociale.
SocRATE, Socratique (— '^xpaTr,?, de (7ao;-(7wç, intact ; xparoç, puissance.
1(ùxccr.Tix6c;) : ramène la Philosophie à la Psychologie, 25. — Argument des
causes finales, 337 ; II, 563. — Science du général, 579; 582. — Nature de
l'ignorance, 794, 2. — Nature de la vertu, II, 124-125.
Solidarisme (de Solidaire) : doctrine qui donne la solidarité comme le
principe de la morale, de la politique et de la science économique, II, 73-76.
Solidaire, Solidarité (de Solidus, tout d'une pièce, solide, de l'archaïque
sollus, tout entier) : a) Sens juridique : ce qui est commun à plusieurs de façon
que chacun réponde de tout : In solidum, pour le tout. — b) Sens général :
dépendance mutuelle qui rattache la vie des hommes : 1") soit à leurs actions
antérieures ; c'est la solidarité individuelle, II, 70-71 ; 2°) soit aux actions des
personnes avec lesquelles ils sont ou ont été en relation ; c'est la solidarité
sociale, II, 71-72. — C'est donc une loi universelle, II, 117. — La Solidarité,
principe de la Morale (L. Bourgeois), II, 73-76.
Solide {Solidus, tout d'ime pièce, solide, de l'archaïque sollus, tout entier) :
la perception des solides est-elle une perception naturelle de la vue ? 179-180.
— Les solides ou figures dans l'espace sont l'objet de la Géométrie, 626. —
Construction des figures dans l'espace, 630.
Solipsisme (de Solus, seul ; ipse, moi-même) : a) Subjectivisme théorique,
d'après lequel on ne peut rigoureusement démontrer l'existence du monde
extérieur et des autres hommes. — b) Kant emploie ce mot dans le sens
d'égoïsme.
Solution (Solutio, action de délier, relâchement, de solutum, supin de
solvere, disjoindre) : le principe de la conservation de la force empêche la solution
de la continuité qui doit relier tous les phénomènes et que compromettrait la
possibilité d'actes hbres, 384-385 ; 387-389.
Somatique (i'^jpaxixôç, corporel, de (7wp-«, corps) : ce qui regarde le corps,
par opposition aux phénomènes psychiques.
Sommeil [Somniculum, cjminutif de somnus = sop-nus. Cf. sop-or, ûirvo:,
sommeil) : ses causes, 473. — Ses eiïets physiologiques et psychologiques,
473-475. — Sommeil et rêve, 475. — Sommeil provoqué, 478. Voir Hypno-
tisme.
Somnambule, Somnambulisme (de Sommus, sommeil ; ambulare, aller
çà et là, dérivé de amb, anUmv, cf. «[J^tpO : celui qui marche en dormant;
le somnambulisme est un rêve en action. — Les animaux sont somnambules
par rapport à l'instinct, 112. — Le rêve somnambulique, 225 ; 477.
TABLE analytique: Sophisiue — Souverain -945
Sophisme (Sophisma, Gw.'jyyy., adresse, invention ingénieuse, soptiisme, de
tvjjiÎ'Çm, rendre habile, de to-^ô;, habile. Racine '^o-j, avoir de la saveur, du sens.
Cf. sapere, sapiens] : a) Argument non concluant, mais valide en apparence, qui
a pour but d'induire en erreur. — Sophismes : 1°) de mots, 798 ; 2°) de pensées,
799. — Sophismes du cœur (Nicole), 801-802. — Classification : 1°) de S. Mill,
802, 1 ; 2°) de Bacon, 805-806. — b) Argument composé de prémisses vraies
ou jugées telles, qui vise à créer un embarras logique en aboutissant à une
conclusion manifestement inadmissible : vg. Sophisme du tas de blé, 548, 1.
Sophiste {Sophistes, to'^-.ttv-î, habile en quelque chose, de 'jOZiÎ^m, rendre
habile, de crociôç, habile, sage) : a) Celui qui est habile ou savant. — b) Celui
qui fait profession d'enseigner l'habileté et la science. — c) A partir de Platon :
celui qui recourt habituellement aux sophismes ; vg. les Sophistes grecs, II, 420.
Sophistique (La) : [Sophistice, r, TocpcTTix-»- -r/yf\) : a) Art de rendre le;
hommes meilleurs (i^î/tiou;), c'est-à-dire supérieurs à ce qu'ils étaient
(Cf. Platon, Protagoras, Œuvres, Édition Didot, T. I, p. 237, § VIII). —
b) Art de soutenir le pour et le contre avec vraisemblance. C'est l'attitude
commune aux Sophistes grecs : vg. Protagoras, Gorgias, Prodicos, IIippias,
II, 420.
Sophocle (— 0'.poxÀ£rp, io-ioxXï;;, de TO'^ôç, sage ; xXéo;, bruit, renommée) :
oi non écrite, II, 40, 2.
Sorite [Sorites, TwpstTr,-:, mis en monceau [sous-entendu TU/Xoy.Tao;,
calcul, raisonnement], de cojoeuw. entasser, de crtopôç, tas) : a) Primitivement,
le Sorite fut l'argument du tas, qu'on peut faire à l'occasion de tout ce qui
offre une transition graduelle : vg. tas de blé, 548, 1 ; cheveux de la tête :
on démontrait qu'en enlevant un à un tous les cheveux de la tête d'un homme,
on ne le rend pas chauve, parce qu'on ne peut dire à quel moment précis la
calvitie commence. Les Sceptiques et les philosophes de l'Académie maniaient
volontiers cet argument sophistique. — b) Aujourd'hui, le Sorite est un argu-
ment correct, 548.
Sort [Sortem, sort, bulletin pour tirer au sort) : hasards de l'expérience
[Sortes], 662. — Sort des bons en cette vie, II, 645. — Sort après la mort, II,
551-552.
Soumission {Submissio, abaissement, de subinissum, supin de sub-niiltere,
mettre dessous, soumettre) : action de se subordonner à une autorité. —
Soumission aux gouvernements de fait : conditions et limites, II, 231. —
Soumission due à Dieu, II, 331 ; 332-333.
Sourd [Surdum] : a] Celui qui n'entend pas : expériences fournies par les
sourds-muets, 452, 1 ; 725. — b] Ce qui n'est pas entendu distinctement :
vg. bruit sourd, et, conséquemment, ce qui n'est pas distinctement perçu par
la conscience : phénomènes de sourde conscience. 144 ; 199. — c^ Leibniz
emploie ce mot pour exprimer ce qu'on ne peut efîectiveraent se représenter.
(Cf. Nouveaux Essais..., L. II, Ch. xxi, § 31. Edit. Janet, T. I, p. 148.)
Souvenir (tiré de l'infinitif de souvenir, de subvenire. venir au secours de,
survenir) : a] En grncral, tout ce qui revient à l'esprit, au sens large du mot.
— b) Strictement : connaissance reconnue et rapportée au passé ; c'est l'aitc
essentiel de la mémoire, 201.
Souverain (du latin populaire swperanMMJ, de sf/per, au-dessus, ancien compa-
ratif (\esub, qui, avec l'accusatif, signifie : en s'élevant vers) : ce au-dessus de
946 TABLE ANALYTIQUE : Souvcrameté — Spéculation
quoi ou celui au-dessus de qui il n'y a rien de plus élevé. — Le souverain bien,
402-403; II, 46; 111 — Nécessité»^ d'une autorité souveraine dans la
société, II, 219 ; 223 ; 237. — Le peuple souverain, II, 220 ; 228 ; 295 ; 348.
Souveraineté (de Souverain) : pouvoir souverain en droit ou en fait. —
Nécessité d'un pouvoir souverain dans la société, II, 219 ; 223 ; 236-237. —
La souveraineté du peuple, II, 220 ; 228 ; 295 ; 348.
Spatial (de Spatium, espace, étendue) : ce qui est relatif à l'espace, II, 501.
Spartiate (Spartiates, ^TrapTtarr,:, de Sparta, — TraoTr,, Sparte) : traitement
des infirmes, des incurables, II, 164.
Spécial (Specialis, de species, aspect, forme, de specere, regarder) : c'est ce
qui est propre à une espèce de choses ou de personnes ; vg. la parole est spéciale
à l'homme, 253. — S'oppose à Général.
Spécialité (Spccialitas, de species, aspect, forme, de specere, regarder) :
qualité particulière, distinctive. — Spécialité de l'instinct, 106.
Spécieuse, Spécieux (Qui a belle apparence, de species, aspect, forme, de
specere, regarder) : a) « Spécieuse générale ou universelle » : c'est le nom donné
à l'Algèbre logique que Leibniz essaya de constituer. — ■ b) Argument spécieiix :
celui qui paraît probant et ne l'est pas : vg. l'argument ontologique, II, 569.
Spécificatif (du latin scolastique Specificativus) : proposition spécificative.
Voir Réduplicatij .
Spécification (du latin scolastique Specificatio, de specificatum, supin de
specificare, spécifier, de species, aspect, forme, et facere, faire) : opération p;ir
laquelle : a) On distingue les espèces d'un môme genre ; vg. l'homme et la
bête, 253. — b) On distingue une notion ou un fait, par un caractère parti-
culier, des notions ou faits qui leur ressemblent : vg. spécification des sciences,
584. — c) Axiome scolastique : Actus specificantur ab objectis ; c'est-à-dire la
nature des actes est déterminée par leurs objets.
Spécificité (de Spécifique) : caractère indiquant une espèce distincte. —
Spécificit-é des sens, 158.
Spécifique (du latin scolastique specificus, de specificare, spécifier, de
species, aspect, forme, et facere, faire) : a) Ce qui caractérise l'espèce : diffé-
rence spécifique, élément de la définition logique, 253 ; 522. — b) Ce qui ne se
rapporte pas à une autre espèce ou classe d'êtres, de phénomènes, etc. ; vg.
énergie spécifique des sens, 158.
Spectateur [Speclator, de spectatum, supin de spectare, observer, de specere,
regarder) : spectateur impartial d'A. Smith, II, 83.
Spéculaire (Specularis, de spéculum, miroir, de specere, regarder) : V écriture
spéculaire est celle qui va de droite à gauche : elle ressemble à celle qu'on lit
par réflexion dans un miroir [spéculum).
[Spéculatif [Speculativus, de' speculatum, supin de speculari, épier, de
specere. regarder) : a) Celui qui est enclin à la spéculation : un esprit spécu-
latif. — b) Ce qui concerne la spéculation : la raison spéculative, 286. —
Science spéculative : qui ne descend pas aux applications ; vg. d'après Aristote,
585.
Spéculation (Speculatio, espionnage, contemplation, de speculare, épier,
de specere, regarder) : a] C'est l'exercice de la raison théorique ou spéculative,
TABLE ANALYTIQUE : Spciicer (Herbert) — Spontané 947
286. — b) Pensée ou système qui vise à expliquer quelque chose, par oppo-
sition à la pensée ou au système qui a un but pratique, utilitaire ; vg. le système
métaphysique (I'Aristote. — c) C'est une opération aléatoire de bourse sur
la baisse ou la hausse des valeurs, II, 355-356.
Spencer (Herbert) : rapports de l'émotion et de l'inclination, 67. —
Plaisirs positifs et négatifs, 69, 1. — Origine des incUnations altruistes, 100.
— Nature de l'instinct, 110-111. — Rythme des passions, 121, 2. — Origine
des idées, 306. — Objections contre les causes finales, 336-338. — Système
éducatif des réactions naturelles, 409, 2. — Production et intelligence des
signes, 437, 4. — Origine du langage, 446. — Classification des sciences, 592.
— Rôle de la philosophie, 597, 2. — Critérium de l'évidence, 838, 1. — Nature
de la conscience morale, II, 23, 2. — Morale évolutionniste, II, 58. — Attaques
contre la charité, II, 163-164. — Evolutionnisme, II, 626.
Spinoza (Benoit de) : définition de la philosophie, 6. — Ordre à suivre en
philosophie, 10-11. — Méthode de la psychologie, 31-32. — Tendance de tout
être, 62, 1. — Définition de la joie, 65, 1. — Classification et définitions des
sentiments, 80-81. — Classification des passions, 124. — Variété des asso-
ciations, 215. — Imagination et entendement, 263, 1. — Notion de substance,
322. — Acte de volonté ramené au jugement, 361. — Objection contre la
liberté, 371. — Fatalisme panthéistique, 377. — Pas de concept sans affir-
mation, 520, 1. — Cause de l'erreur, 807, 1. — Critérium de l'évidence, 837, 2 ;
838, 4. — Panthéisme immanent, II, 602 ; 603-604 ; 607-608.
Spinozisme (de Spinoza) : doctrine et école de Spinoza. Voir ce mot.
Spiritisme (de Spirite, de Spiritus, souffle, esprit, de spirare, souffler) :
a) Doctrine qui assure que les esprits des morts, conservant un corps matériel
très ténu, appelé périsprit, peuvent communiquer avec les vivants par l'inter-
médiaire d'un médiunfi. — b) Pratique superstitieuse de ceux qui cherchent à
communiquer avec les esprits par l'intermédiaire d'un médium. — Cf. L. Roure,
Le merveilleux spirite, Paris, 1923°. Le Spiritisme d'aujourd'hui et dhier,
Paris, 1923.
Spiritualisme (de Spiritualis, mû par l'air, spirituel, de spiritus, souffle,
esprit) : doctrine qui admet l'existence de deux substances essentiellement
distinctes : Vesprit caractérisé par la pensée et la liberté ; la matière caracté-
risée par l'étendue et la communication mécanique du mouvement. Elle
affirme conséquemment l'immatérialité et l'immortalité de l'âme, II, 536 ;
549. — Spiritualisme dans l'art, II, 394-395.
Spiritualité (du latin scolastique Spiritualitas, de spiritualis, dé spiritus,
souffle, esprit) : a) Caractère de ce qui est spirituel : ce que la spiritualité
ajoute à la simplicité, II, 539. — b) Doctrine concernant la vie spirituelle,
surnaturelle de l'esprit : vg. les Exercices spirituels de S. Ignace de Loyola.
Cf. A. Brou, La Spiritualité de saint Ignace, Paris, 1914.
Spirituel {Spiritualis, de spiritus, souffle, esprit) : ce qui est opposé :
a) à matériel : facultés proprement spirituelles, 64 ; 468-469 ; II, 541-542 ; —
è) à c/jor/ie/, «fl/wre/, vg. Vie spirituelle, Exercices spirituels ; — c) à temporel:
vg. le pouvoir spirituel de l'Eglise par opposition au pouvoir temporel des
Sociétés civiles, II, 336 ; 343.
Spontané (Spontaneus, de spons, spontis, volonté libre, initiative, de
spondere, s'engager) : a) Ce qui est dû à l'initiative propre de l'agent et non à
une cause extérieure. S'oppose alors à Provoqué, Réceptif. — Caractère de
948 TABLE ANALYTIQUE : Spontanéité — Stewart (Dugald)
la vie, 47 ; 61-62 ; II, 523. — Somnambulisme spontané par opposition à
l'hypnotisme, 477 ; 478. — L'observation, par opposition à l'expérimentation
qui est une observation provoquée, 660-661. — L'acte libre est spontané, 393.
— b) Ce qui prévient la réflexion, se fait sans examen préalable. S'oppose à
Réfléchi. — Conscience spontanée, 136. — Connaissance spontanée, 242. —
Raison spontanée, 286. — Certitude spontanée, 779.
Spontanéité (de Spontané) : se prend dans les deux sens de Spontané. Voir
ce mot. — D'après Kant, l'entendement est « la spontanéité de la connais-
sance ou la faculté que nous avons de produire nous-mêmes des représenta-
tions », tandis que la sensation est une réceptivité.
Stable, Stabilité (Stabilis, stahilitas, solide, solidité, de statum, supin de
stare, se tenir debout) : stabilité des lois de la nature, 290. — Fondement de
Tinduction d'après Reid, D. Stewart, Royer-Collard : « stabilité des Lois
de la nature », 676-677.
Stade [Stadium, (-TâSiov):a) Période ou moment d'un développement, d'une
démonstration. — h) Argument de Zénon d'Élée contre le mouvement :
(' Le Stade ». Cf. J. Lachelier : Note sur les deux derniers arguments de Zenon
d'Elée, dans Revue de Métaphysique et de Morale, 1910, p. 345-355.
Staël (Anne-Louise-Germaine Necker, Baronne de) : les mathé-
matiques et la formation de l'esprit, 642, 1. — La satisfaction morale, II, 49.
Stahl (Georg-Ernst) : animisme, II, 527, 2 ; 528.
Statique (La) (—Tarixôç, propre à arrêter, à peser, qui concerne l'équilibre
des corps. Racine — ra, placer debout, d'où, avec redoublement, n\.'jz-i\\j.<.S'^-r^]xi) :
a) La^ Statique est la partie de la Mécanique qui étudie les conditions
de l'équilibre, 592. — h) Statique de l'esprit (HerbartI, 31. — Loi statique
de la pensée, 291. — Statique sociale (Comte), 753. — c) Considération d'un
objet dans un état donné et abstraction faite de ses changements.
Statistique (de Status, station, état, situation, de statum, supin de stare,
se tenir debout) : science qui consiste à recueillir et coordonner des faits nom-
breux relatifs à un ensemble d'objets ou d'êtres de même espèce dans le but
de découvrir la loi qui les régit. — Statistique et loi des grands nombres, 383.
— Son utilité dans la science sociale, 755.
Statut social (Statutum, décret, statut, de statutus, participe passif de
statuere, placer, établir) : a) Ensemble des rapports légaux qui s'établissent
entre les hommes par le fait seul de la situation qu'ils occupent dans la société
(politique, familiale, corporative) dont ils font partie. S'oppose à Contrat qui
requiert un acte de volonté. — b) Ensemble de règles relatives à un groupement
d'individus; vg. Statuts des Corporations, II, 188.
Stéréognostique (de — Tîpïo';. solide ; racine <^~^c,, être dur ; yvtocrf.xo;.
qui concerne Faction de connaître, de ytvvojaxw , de la racine yvo) avec redou-
blement, connaître) : le sens stéréognostique est le sens des directions d<'
l'espace. Il ne semble pas être distinct du sens musculaire et articulaire, 158 ;
179.
Stewart (Dugald) : causes qui entravent la sympathie, 88, 3. — Théorie
de la suggestion immédiate, 170. — Objet de la vue, 179, 5. -- Critique du
terme : association des idées, 213, 2. — Théorie de l'association des idées,
216, 2. — Production et interprétation des signes, 436, 1. — L'idée implique
une affirmation, 520, 1.
TABLK ANALYTIQUE : Stîmulus - SubcontraïTe 949
Stimulus (mot latin qui signifie aiguillon, de la racine siig, qui a aussi donné
le verbe archaïque stinguere, piquer) : ce qui excite l'activité des êtres vivants.
Se dit notamment des phénomènes physiques qui mettent en jeu les organes
sensoriels. Synonyme : Excitant.
Stoïcien (Stoicus, TTonxôç, de l'École du Portique, de l'École stoïcienne,
de GTwâ. TToa, portique, galerie à colonnade. Racine cira se tenir debout) :
origine du plaisir, 60. — Inclinations philanthropiques, 93-94. — Valeur et
traitement des passions, 118 ; 119. — Classification des passions, 122. —
Exclusion de l'intérêt en morale, II, 78. — Exclusion du sentiment, II, 87. —
Morale stoïcienne, II, 93. — Paradoxes stoïciens, II, 93 ; 95; 149. — Légitimité
du suicide, II, 156. — Panthéisme, II, 602.
Stoïcisme (de Stoicus, stoïcien) : a) École fondée par Zenon de Cittium.
Il enseignait à Athènes sous le portique (rrToa) dit ttoix-Xt, (couvert de poin-
tures). Le Pœcile avait été orné de peintures par Polygnote. — b) Caractère
moral du sage selon les principes stoïciens, 118 ; II, 94 ; 95.
Strict iStrictus, serré, étroit, de strictuni, supin de stringere, serrer) : a) Est
de droit strict, ce qui est exigible en vertu d'une loi incontestable, par oppo-
sition à ce qui n'est concédé que par bienveillance, II, 132. — b) Devoirs stricts
de justice, par opposition aux devoirs de cliarité, qui ne sont pas exigibles,
II, 138 ; 165. — Les devoirs négatifs sont dits stricts en tant que détermines,
II, 149.
Style (Strjlus, stilus, poinçon. Cf. 'jtÎIÀo;, colonne) : a)jManière d'exprimer
sa pensée. — b) Forme esthétique caractérisant une époque : vg. style greo,
ou la manière personnelle d'un artiste, vg. le style de Bossuet.
Styliser (de Sti/le) : représenter un objet sous une forme abrégée, schéma-
tique et partant conventionnelle.
Suarez (Francisco) : antériorité de la connaissance du singulier, 260. —
Origine du pouvoir, II, 224-226. — Suarez et Rousseau : origine du pouvoir,
II, 228-229. — Connaissance des futurs conditionnels, II, 591-593.
Subalternante, Subalternée [Subalternus, subordonnée, de sub, sous et
alternus. alternatif, de alter, l'un des deux, de la forme archaïque alis, autre) :
proposition, 533.
Subalternation (Subalternatin, de suh sous et alternare, alterner) : a) Rapport
de deux propositions subalternes, 532. — b) Inférence immédiaîe, tjui de la
vérité de la subalternante conclut celle de la subalternée, ou de la fausseté de
la subalte'rnée conclut celle de la subalternante, 533.
Subalterne [Subalternus, de sub, sous, et alternus, alternatif, de alter, l'un
des deux, de la forme archaïque alis, autre) : a) Propositions opposées qui ne
diffèrent que par la quantité, 532 ; 533. — b) Cause subalterne, II, 116. —
c) Science subalterne : celle dont les principes sont empruntés aux conclusions
d'une autre science qui lui est supérieure.
Subconscience, Subconscient [Sub, au-de-^sous, un peu ; conscientia,
conscience) : ce mot signifie sefim le sens qu'on attache cà sub : a) un phénomène
inconscient (sub = au-dessous de la conscience) ; tels les faits physiologii|ues,
144 ; h) un phénomène de faible conscience (sub = un peu) ; tels certains faits
psychologiques, 143-144.
SubCOUtraire (de Sub, au-dess'>us ; contrarins, iipposé, de contra, cjulre) :
propositions subcontraires, 532 ; 533.
950 TABLE ANALYTIQUE : Subjcctif — Subrcptice
Subjectif [Subjectii'us, de subjectum, supin de subjicere = jacere, mettre
sous, soumettre) : a) Celui qui juge des choses, sans tenir compte de leur objec-
tivité, d'après ses impressions personnelles ; on dira c'est un subjectif. —
b) Ce qui se rapporte au sujet pensant : vg. la philosophie subjective. — c) Ce
qui appartient au sujet pensant par opposition au monde physique : vg. qua-
lités secondes de la matière, 178. — d) Ce qui est apparent, illusoire : vg. sen-
sation subjective, celle qui n'a pas de cause externe ; vg. dans rhallucination,
225. — e) Ce qui appartient à la pensée humaine par opposition aux choses
en soi : vg. l'espace et le temps, d'après Kant, II, 431. — Caractère des faits
sensibles, 34 ; 54. — Classifications subjectives des sciences, 584-585 ; 585;587.
— Observation subjective, 719. — Critique subjective, 741, 3. — États
subjectifs de l'esprit : doute, opinion, certitude, 771-772. — S'oppose à Objectif.
Subjectivisme (de Subjectif) : doctrine philosophique qui tend à ramener
à des phénomènes de conscience individuelle les jugements de valeur ou de
réalité. Elle revêt divers aspects, selon qu'elle s'applique à la Psychologie,
à la Logique, à la Morale, à l'Esthétique ou à la Métaphysique. Elle prend
aussi différents noms : Relativisme, II, 426 ; Idéalisme, II, 497.
Sublimation [Sublimatio, action d'élever, de sublimatum, supin de subli-
mare, élever, de suhlimis, haut, de sub-levare, soulever) : a) Terme employé
par S. Freud pour signifier la transformation « de certains instincts ou senti-
ments inférieurs en instincts ou sentiments supérieurs ». — Procédé d'idéali-
sation, II, 395-396 ; 402. — Le procédé de transcendance pour déterminer les
attributs divins est aussi un procédé de sublimation, xxix-xxx ; II, 580.
Sublime (Sublimis, haut, élevé, en l'air, de sub-levare, soulever) : sublime
comparé : a.\ au beau, II, 389 ; b) au joli, II, 390. — Sublime mathématique et
dynamique (Kant), II, 390.
Subliminal (de Sub, au-dessous et limen, liminis, seuil) : ce qui est complè-
tement inconnu, ce qui ne dépasse pas le seuil de la conscience. Le moi subli-
minal est l'ensemble des états et actes psychiques qui ne parviennent pas au
moi conscient.
Subordination (du latin scolastique subordinatio, de subordinatum, supin de
sub-ordinare, ranger sous, soumettre, de ordo, rangée, ordre) : dépendance par
rapport à ce qui a un rang supérieur. — Subordination des passions à la raison,
120. — Subordination de la volonté à la raison, 41-42 ; 402. — Subordination
des fins particulières à la fm dernière, 332. — Caractères subordonnés, 691 ;
095. — Subordination de la volonté à la loi morale, à Dieu, II, 44 ; 106 ;
110-112 ; 568-569. — Subordination de l'intérêt au devoir, II, 78-79 ; 92-93.
— Subordination de l'intérêt particulier à l'intérêt général, II, 151. — Tout
doit être subordonné au bien commun dans la société, les droits essentiels de
l'individu et de la famille étant sauvegardés, II, 249 ; 230-231 ; 250. — Subor-
dination de l'État à l'Église dans les questions mixtes, II, 339-340. — Subor-
dination du sensible à l'idée, à l'idéal dans l'art, II, 394-395. — Subordination
des facultés sensibles aux facultés spirituelles dans l'art, II, 402-403. —
Subordinaticm de l'art à la Morale, II, 410-411.
Subordonné (de sub, sous et ordonner) : ce qui dépend d'un autre. —
En hist(ore naturelle, le caractère subordonné s'oppose à dominateur, 691-692.
Subreptice [Subrepticius, clandestin, de sub-reptum, supin de sub-repere,
glisser sous) : a) Mouvements de la sensibilité qui sournoisement circonviennent
la volonté, 357. — b) Ce qui se fait furtivement ; vg. emprunts de Spinoza et
do Herbakt à l'expérience, 31.
TABLE ANALYTIQUE : SubsistcF — SubsumeF 951
Subsister, Subsistance [Subsistentia, de sub-sistere, s'arrêter, demeurer,
subsister) : a) Exister à titre de substance, par opposition à l'inhérence de
l'accident, 296 ; 320 ; II, 479-480. — b) Persévérer dans la durée, 146 ; 202-203.
Subsomption (du latin scolastique subsumptio, de sub, dessous, et sumptio,
action de prendre, de sumptum, supin de sumere, prendre) : a) D'une façon
générale, c'est penser un individu comme compris dans une espèce, ou une
espèce comme comprise dans un genre : vg. penser à Pierre comme faisant
partie de l'espèce humaine, 252. — b] Chezies Scolastiques, subsumer c'est,
dans une argumentation, prouver que la distinction, apportée à la majeui-e ou
à la mineure d'un syllogisme par le défendant d'une thèse, est sans valeur.
— c) Chez Kant, c'est appliquer l'une des catégories de l'entendement aux
ijituitions de la sensibilité par l'intermédiaire des schèmes, II, 431-432. Voir
Schématisme.
Substance {Substantia, de suh-stare, se tenir dessous) : a) D'une façon géne-
rale : ce qui reste permanent dans les choses qui changent, 146 ; 202-203. —
b) Ce qui existe par soi et en soi, par opposition au mode ou accident qui existe
dans un autre, 296 ; 320 ; II, 479-480. — Origine de cette idée, 146 : 321-322.
— Rôle dans le jugement, 266. — Erreurs sur la substance, 322-323. — Prin-
cipe de substance, 323. — Essence et substance, 367. — S'oppose à Accident.
Substantialisme, Substantialiste (de Substantialis, de substantia] : a) Do(>
trine qui admet l'existence d'une substance ou de substances, aux sens a) et b)
de ce mot. — b) Hamilton classe les théories sur le monde extérieur en :
a) Réalisme ou Substantialisme, qui admet la réalité substantielle du monde
extérieur : vg. Théorie de l'inférence de Descartes, 173. — b) Nihilisme ou
Non-substantialisme, qui la rejette; vg. Immatérialisme de Berkeley, 168 ;
II, 497.
Substantialité {Substantialitas, de substantia] : caractère de ce qui est :
a) Une substance : Kant appelle Paralogisme de la substantialité le premier
paralogisme de la raison pure (Critique de la Raison pure : Dialectique transcen-
dantale, L. II, Ch. i). — b] Substantiel. Voir ce mot.
Substantiel [Substantialis, de substantia) : réalité substantielle, 320 ; II, 479.
— Forme substantielle, II, 513-514.
Substantif [Substantivus, substantiel, qui peut exister par soi-même, de
substantia) : son rôle dans la phrase, 464.
Substitut (de Substitutus, substitué, participe passif de sub-slituerc =
statuere, placer dessous) : a.) Ce qui tient lieu d'autre chose. — La vue est le
substitut des autres sens, 186. — Les mots sont les substituts des idées, 266 ;
450-451. — b) Celui qui remplace une autre personne : vg. l'État est le substitut
de l'activité privée quand elle est impuissante ou insuffisante, II, 250.
Substitution [Substitutio, remplacement, de suh-slituere = statuere, placer
dessous) : les sens se suppléent les uns les autres, 184.
Substrat, Substratum [Substrat c'est le mot latin substratum francisé.
Substratum vient de sub, sous, et de s^ra^um, étendu, participe passif de sternerc,
stratum, étendre par terre) : a) Signifie ce qui, dans une chose, est distinct de
ses manières d'être ; en ce sens il est synonyme de substance. — b] S'emploie,
au lieu de sujet ou de substance, pmir désigner ce sans (|uoi quelque chose ne
pourrait exister ou se produire : c'est un point d'appui ; vg. l'image fst Je
substrat de l'idée, 452 ; le cerveau est le substratum de la pensée, II, '.41.
Subsumer : voir Subsomption.
952 TABLE ANALYTIQUE : Subtîl — Sujet
Subtil, Subtilité [Subtilis, contraction de sub-texilis, d'un tissu fin, subtil,
de siib-texere, tisser en dessous) : a) La matière « subtile » ou « céleste » de
Descartes {Principes, Part. IV, § 25). • — h) Fin, délié ; vg. esprit subtil, sens
subtil, 650. — c) En mauvaise part, esprit pointu qui abuse de la dialectique.
Successif, Succession [Successivus, Successio, de successum, supin de
succedere = sub-cedere, s'avancer, venir après) : ce qui implique un rapport de
succession, c'est-à-dire un rapport de difTérents termes entre lesquels on conçoit
un ordre. — Succession et causalité : leur difîérence, 323 ; 326. ■ — La loi de
causalité est un rapport de succession nécessaire, 647 ; 665. — Droit de recevoir
un héritage, II, 197. — Succession héréditaire du pouvoir, II, 237-238 ; 247.
Suffisant (adjectif participe de Suffire, du latin populaire suffecefe, pour
sujficere — sub-facere, suffire) : condition nécessaire et suffisante, 324 ; 327-
328 ; 665.
Suffixe {Suffixus, fixé en arrière, participe passif de sujf.gere = suh-
figere, sujfixum, fixer en dessous, en arrière) : particule placée après la racine
des mots, 465.
Suffrage (Suffragium, tesson avec lequel votaient les anciens, de sitb, sous,
frangere, briser ; racine frag. Siiffragium dérive probablement d'un substantif
perdu, peut-être frages, qui désignait les fragments de poterie avec lesquels on
votait) : droit politique de voter, II, 274. — Espèces de suffrage, II, 282. —
Critique du suffrage universel, II, 282. • — Organisation du suffrage universel :
il devrait être obligatoire, plural, proportionnel, professionnel, II, 282-284. —
Nature du suffrage universel admis par S. Thomas, II, 237-238.
Suggestibilité (de Suggestible) : a] Tendance à subir facilement des sugges-
tions. — h) État passager, durant lequel on est plus facilement suggestible,
où l'on accepte plus facilement les suggestions.
Suggestion {Suggestio, de suggeslum, supin de suggère = sub-gerere, porter
sous, procurer) : a] Phénomène ou fait qui en suscite un autre : théorie de la
suggestion immédiate, 170. — Les idées se suggèrent rnutuellement, 212 :
213-214. — Suggestion et imagination, 225-226. — b] Évocation, ordinai-
rement par la parole, dans l'esprit d'un autre, d'une idée à laquelle il n'aurait
pas été amené par la suite naturelle de sa pensée. • — c) Sens spécial ou tech-
nique : provocation de certains phénomènes chez les personnes névropathes,
479-481. — P'aits de suggestion, 480. — Explication des suggestions : a) intro-
hypiiotiques, 481 ; b) posthypnotiques, 482 ; c) à distance, 483. — Dangers de la
suggestion, 484.
Suicide (composé, avec sui, de soi, génitif de se, soi, et caedere, tuer, à
l'image de homicide) : crime, II, 156-157.
Suite (du latin populaire sequita, substantif participe de sequere, suivre,
fornio populaire pour scqui) : a) Ce qui succède à autre chose : vg. la nuit
succède au jour, 326. • — b) Ensemble de termes ou d'objets qui se succèdent :
vg. la suite des nombres premiers ; une suite tle faits dans un récit. — c) Ce qui
résulte d'autre chose comme conséquence ou effet : vg. U\ conclusion d'un
raisonnement est la suite logique des prémisses, 535-536.
Sujet iSuhjcctum, ce qui est mis dessous, participe passif pris substan-
livciiicnt de subficere — sub-facere, mettre sous) : a) En Logique : l'être auquel
est^ttribué le prédicat, — et, par suite, l'être réel en tant qu'il a des qualités
ou exerce une action. — Sujet et attribut, 266. — Extension du sujet, 534.
En Psychologie : le mf>i, sujet des ph.énomènes, 146. C'est depuis Kant que
TABLE ANALYTiQT E : SuUy (Jamcs) — Supra-normal 953
sujet s'emploie pour signifier le moi un et identique, en tant qu'on l'oppose
soit à la multiplicité et à la variété des phénomènes psychologiques, soit 9
l'objet de la pensée. — c] En Sociologie : choix du sujet du pouvoir, II, 224-22G.
— Celui qui est soumis à une autorité souveraine : les su.jets de l'État, II, 231 ;
274. — S'oppose à Objet.
Sully (James) : théorie de l'association, 213, 5 ; 220, 1.
Supérieur [Superior, comparatif de super et superus, qui est en haut) :
qui est au-dessus : de quelque chose dans l'espace, de quelque chose ou de
quelqu'un par quelque qualité, des autres dans une hiérarchie. — Fonctions
supérieures de l'intelligence, 134 ; 135-136. — On ne peut faire sortir le supé-
rieur de l'inférieur, 107-108. ■ — Le matérialisme est une explication du supérieur
par l'inférieur, 717. — Les classes supérieures dc-ivent travailler au bien des
inférieures, 11,^239. — Faciliter l'ascension du peuple aux classes supérieures,
II, 240. — U Évolutionnisme est une explication du supérieur par l'inférieur,
II, 633. — S'oppose à Inférieur.
Superficiel (Superficialis, de superficies, le dessus, superficie, de super,
au-dessus, jacics, forme, aspect) : ce qui n'est qu'à la superficie, ce qui manque
de pri'fondeur : vg. esprit superficiel.
Supernaturel, Supranaturel : voir Surnaturel.
Superstition (Superstitio, terreur religieuse, superstition, de super-sistere,
superstiti, placer au-dessus, de stare, se tenir debout) : a) Conviction de celui
qui croit que certaines choses (paroles, nombi'es, perceptions, actes) portent
bonheur ou malheur, 220-221. — b) Croyance religieuse qui porte à faux et
dénote une faiblesse d'esprit.
Support (substantif verbal de Supporter, de supportare = sub-portare,
transporter) : ce qui est subjacent aux modes ou accidents qui ne peuvent
subsister par eux-mêmes ; vg. la substance est le support des modes, 320-321.
Supposition {Supposilio, de suppositum, supin de supponere = sub-ponere,
placer dessous, supposer) : a) S'emploie à la place de hijpotluse. Voir ce mot.
— b) Les Scolastiques donnent un sens particulier à Supposition. Comme les
mots ne sont que des signes tenant la place des choses (Signa sunt reruni suppo-
sitiva), ils entendent par Supposition, en général, l'usage d'un terme à la place
d'une chose : Suppositio est usus termini pm re aliqua. Elle comporte un grand
nombre d'espèces. Cf. Palmieri, Institutiones Philosophicae, T. I, Logica Dia-
lecticG, CM. 11, Art. 111, p. 32-39.
Suppôt [Suppositum, ce qui est placé dessous, participe passif, pris substan-
tivement, de supponere = sub-ponere, suppositum, placer dessous) : a) Ce qui
sert de support aux propriétés. — b) Le suppôt, pour les Scolastiques, est
un être tout entier en soi, 367. Ils appelaient la personne : Suppositum rationale.
Mais Suppositum tout seul a fini par signifier personne : « ... L'âme et le corps
composent un même suppôt ou ce que l'on appelle une personne. » (Leibniz,
Théodicée, Part. 1, § 59), 367. — c) Actiones sunt suppositorum. Cet axiome
scolastique signifie que, dans le composé humain, les actions sont attribuées
non aux parties composantes, mais au moi, à la personne (= suppositum) ;
vg. on dit : je pense, je mange, bien que la première action ait une relation
spéciale avec l'âme, et la seconde, avec le corps, 150.
Supra-normal de Supra, au-dessus ; normalis, de norma, équerre, règle) :
ce cjui est au-dessus de la règle commune. — Connaissance supra-normale :
« connaissance qui se constitue autrement que par l'activité d'une intelligence
954 TABLE ANALYTIQUE : Suprêmc — Surnaturel.
travaillant sur les apports directs ou indirects des sens connus. » (D'' Eugène
OsTY, La Connaissance supra-normale. Étude expérimentale, p. 18. Paris, 1923).
C'est une branche de la Métapsychique.
Suprême (Supremus, le plus haut, superlatif de superus, qui est en haut,
de super, par-dessus) : la fin suprême est la fin absolument dernière ; elle est
pour l'homme le bonheur parfait, 332 ; 402-403. — Cette fin suprême c'est, en
réalité. Dieu, 344. — Motif suprême de l'activité humaine, II, 46. — Culte de
l'Être suprême, II, 348-349. — Dieu est le suprême : intelligible, législateur,
désirable, II, 574.
Surcroît (substantif verbal de Surcroitre, de sur, en plus, et croître, de
crescere) : le plaisir est un surcroît de l'acte, 61 ; II, 91.
Surdité {Surditas, de surdus, sourd) : voir Sourd.
Surérogation, Surérogatoire (Supererogatio, supererogatorius [latin scolas-
tique] de supererogatum, supin de super-e-rogare, donner en plus) : ce qui
dépasse ce à quoi l'on est rigoureusement obligé, II, 112.
Sûreté (Securitatem, de securus, sans inquiétude, de se, archaïque 6^erf,
particule marquant le manque, sans, et cura, souci) : sûreté dans le jugement
ou bon sens, 286-287. — L'État doit garantir la sûreté des citoyens, II, 248 ;
265.
Surface (de Sur, au-dessus, et face, de faciès, forme, aspect, à l'imitation
de superficies = super-facies) : les surfaces sont une perception naturelle de la
vue, 179. — Surfaces, objet de la Géométrie plane, 625-626.
Surhomme (de Sur, au-dessus, et homme. Néologisme créé pour traduire
l'expression allemande correspondante chez Nietzsche : Uebermensch) : celui
qui se met au-dessus « du bien et du mal » et ramène tout à la force et au succè-.
Cette déification de l'individu a été imaginée par Nietzsche.
Surmenage (de Surmener, de sur, en plus, et mener, du verbe archaïque,
minare, pousser devant soi) : surmenage de l'activité, cause de douleur, 62-63 ;
64 : 65.
Surnaturel (de Sur — en plus, au-dessus, de super, et naturel, de naturalis,
de natura, de nasci, natus sum, naître) : dans le langage théologique on définit
le surnaturel en général : ce qui dépasse et les forces et les exigences de la nature.
Puis on distingue : 1") Le surnaturel strict ou absolu : c'est celui qui dépasse
les forces et les exigences de toute nature, créée ou possible. Exemples : aucun
être n'est capable par ses propres forces de connaître la vie intime de Dieu,
c'est-à-dire l'unité de nature et la trinité des personnes ; il faut que Dieu
hii-même la manifeste par une révélation. Dieu ainsi connu est l'objet propre
de la Théologie strictement dite, tandis que l'objet propre de la Théodicée ou
Théologie rationnelle, c'est Dieu connu par les seules lumières de la raison,
II, 554. De même, l'homme peut parvenir par sa raison à une connaissance
discursive de Dieu (II, 456) ; mais nul être ne peut parvenir par ses propres
forces à la vision intuitive, à voir Dieu face à face : cette vision est un don
strictement surnaturel. — 2'') Le prêter naturel ou surnaturel relatif : c'est celui
qui dépasse les forces et les exigences de telle nature créée, mais non de toute
nature créée. Exemples : parler hébreu est naturel à certains hommes qui ont
appris cette langue, mais le parler sans l'avoir appris serait préternaturel.
Flotter sur l'eau est naturel au liège ; mais qu'une pierre surnage, c'est pré-
ternaturel, miraculeux. La raison en est que telle chose peut être surnaturelle
TABLE ANALYTIQUE : SuFvie — Symbole 955
relativement à telle nature individuelle et être naturelle à telle autre, c'est-à-dire
proportionnée à ses forces, II, 641. Cf. J.-V. Bainvel, Nature et Surnaturel,
Ch. Il, p. 42 sqq., Paris, 1903. ~ Surnaturel s'oppose plus ou moins, c'est-à-dire
absolument ou relativement, à Naturel.
Survie (de Sur, pardessus, de super, et vie, de vita) : s'emploie quelquefois
pour signifier que l'âme survit au corps.
Survivance (de Survivre, de sur, par-dessus, de super, et vivre, de vivere"^
a) Survivance de l'âme, II, 549. — b) On nomme survivance, en Histoire natu-
relle, la réapparition d'un caractère ancestral qui avait disparu dans les espèces
ou dans les générations intermédiaires, 115. Voir Atavisme. — c) Ce mot signifie
encore la persistance à l'état rudimentaire d'un organe atrophié, 702-703,
ou survivance des plus aptes à la lutte, II, 614. — d) Survivance des idées à
l'état latent ou de sourde conscience, 199.
Suspension (Suspensio, action d'être suspendu, action de suspendre, de
suspensum, supin de suspendere = suh-pendere, attacher en haut, suspendre) :
a] Acte ou état d'esprit du philosophe pyrrhonien, qui consiste à s'abstenir de
juger : c'est l'eTO/vi, II, 421. — b) Dans le doute, on doit surseoir à tout juffe-
ment, 773.
Syllabique [Syllabicus, 7-jXXa|iity.o,-, qui concerne les syllabes, de syllaba.
^uÀÀafiÀ, assemblage de lettres formant un son, de '7uXXaa'iiâvr,.«=-7uvXa|jifiâvw,
prendre ensemble, rassembler) : écriture syllabique, 439.
Syllogisme (Syllogismus, r:\j\\fj-(\<iijyjz, calcul, raisonnement, de «ruÀXo-
yi'^oy.at, assembler par la pensée, d'où calculer, raisonner, de cûXXoyo;, rassem-
blement, de riuÀXiYw = r7uv-X£Yw. unir avec, rassembler) : argument composé
de prémisses telles que la conclusion en découle néce.ssairement. • — Structure
et éléments du syllogisme, 535. — Figures et modes, 536. — Nombre des
figures (Aristote et Lachelier), 537. — Modes concluants et utiles, 539.
— Modes concluants, mais inutiles 546. — Réduction des modes, 539. —
Réduction à l'absurde, 540-541. — Règle et lois générales du syllogisme, 541.
Règles particulières à chaque figure, 544. — Syllogismes irréguliers, 547. —
Syllogismes composés, 549. — Principes fondamentaux du syllogisme : a) de
la quantité, 551 ; b) de la qualité, 553 ; c) de la causalité ou syllogisme inductif,
683. — Points de vue compréhensif et extensif, 556. — ■ Représentations gra-
phiques des syllogismes, 557. — Syllogisme démonstratif ou du nécessaire, 561.
— Objections contre le syllogisme, 564-665. — Comparaison avec la démons-
tration mathématique, 636. — Avantages et abus de la méthode syllogistique,
841-843.
Syllogistique [Syllogisticus, 'ruXXoytcTc/.ôç; qui concerne le raisonnement,
de Tu/XoYiCoi:/'/^ rassembler par la pensée) : a) Méthode syllogistique : a) Avan-
tages, 841-843 ; b) Inconvénients, 843. — b) La Logistique est l'art de réduire
le raisonnement au calcul, au moyen de symboles empruntés à l'Algèbre, 566<
Symbiose (— vyfiîwr:'.-:, vie en commun, de t\j[j.J^\.'jm. vivre ensemble) :
a) Eu Biologie : rapport de deux êtres qui concourent à l'entretien d'une même
vie organique : vg. dans une colonie animale. S'oppose à Parasitisme. — b) Par
analogie, en Sociologie, participation à une vie commune.
Symbole [Symbolum, (jûafsoXov. marque, signe de reconnaissance, de
ffupliccXXoj^Tuv.paXXw, jeter, mettre ensemble) : ce qui représente autre chose
en vertu d'une correspondance analogique, 87 ; 213 ; 227 ; 435.
956 TABLE ANALYTIQUE : SymboHque — Syncrétisme
Symbolique (de Symbolicus, ïua'BoÀixo;, qui explique à l'aide d'un sif^ne
de <7ua'ioÀ-/i. rapprochement) : a) Ce qui emploie des symboles. — Écriture
symbolique, 438. — La Logistique, 566. — b) Ce qui constitue un symbole •
vg. la balance est symbolique de la justice, 435.
Symbolique (La) ( de Symbole) : a) C'est la théorie des symboles. — b) La
Symbolique, au sens de Leibniz, c'est la Caractéristique universelle ou ce que
l'on appelle aujourd'hui la Logistique ou Algèbre de la Logique, 566.
Symbolisme (de Symbole) : a) Système de symboles ; vg. le symboH-ime
algébrique. — b\ Méthode qui consiste à interpréter les croyances mytholo-
giques des anciens en leur attribuant une valeur allégorique. Elle fut employée
par les Néo-Platoniciens pour pallier l'absurdité ou l'ignominie de certaines
croyances païennes. — c) Symbolisme dans la littérature et dans l'art, 435 ; 217.
Symétrie (pour Symmétrie, de symmetria, (TJaasTpia, réduction à une c^n\-
mune mesure, symétrie, de «t-jv. avec, aÉTpov. mesure) : a) Au sens large, par
analogie à la symétrie proprement dite des figures géométriques : toute dispo-
sition dans laquelle il y a des éléments qui se répondent. — b) Juste proporiion,
correspondance régulière qu'ont entre elles les parties d'un tout ; vg. uiî
bâtiment central flanqué de deux ailes bien proportionnées, II, 383.'
Sympathie, Sympathique {Sympathia, Tutxiràôeta, participation à la souf-
france, compassion, puis, en général, communauté de sentiments, de cu.oiTraOv-;.
qui éprouve de la sympathie, de ctjv, avec TrâOo-r. ce que l'on éprouve) : phéno-
mène en vertu duquel un être reproduit les modifications subies par un autre
être. — Point de vue : a) physiologique : le bâillement et le rire sont des cas de
sympathie physiologique ; — b) psychologique : degrés de la sympathie, 86-88.
— Ses causes, 88 ; — c) moral :' théorie d'ADAM-SMiTH, II, 82."
Symptôme (^Ja-Tw^a, coïncidence, de tuu-tÂ-tzzo), tomber sur, se ren-
contrer, coïncider) : par analogie avec le sens médical : ce qui dans un individu
ou dans une société est l'indice d'un changement ou d'un état caché.
Synallagmatique (de ^^JvaXÀayaa, échange de relations, pacte, de ^jvaXXâcrTc..,
mettre en relation, de tuv, avec, aÀXaaTw, changer, échanger, de iX/.o;, autre) :
le contrat synallagmatique est un contrat bilatéral qui oblige réciproquement
les deux parties contractantes; vg. les Concordats, II, 341.
Syncatégorématique (du latin scolastique Syncategorematicus, de crôv. avec,
xaTr,Yosr,y.a. accusathm, qualité attribuée à un objet, de xarTiyopito, accu-^er'
énoncer, de xaxâ et àyopï-jw. parler en public, de àyocâ, assemblée, de ->'£•:(.)'.
réunir) : l'infini en puissance ou indéfini est appelé syncatégorématique, parce
qu'il ne contient pas actuellement toutes ses parties,'mais peut être augmenté
indéfiniment, par opposition à l'infini en acte qui est dit catégorématique. —
Un terme syncatégorématique est celui qui, pour avoir une signification di>it
être adjoint à d'autres termes ; vg, ce qui, aussi, 520. — S'oppose à Catoio-
rématiqnc. '^
Synchronisme ÇL'rr/yy^'-'^iJ-o^, de crûv/povo:, contemporain, de <7uv, avec
et zpôvoç, temps) : rapprochement fondé sur un rapport de contiguïté dans
le temps, 216. ■
Syncrétisme (lu7xpr,Ttc7uo-:, littéralement réunion à la manière des- Cretois,
dont toutes les villes se liguaient contre l'ennemi commun, de tÛv, avci .'
xprjTilw, agir en Cretois) : se dit, par analogie : a) De toute tentative pour réunir
/
TABLE analytique: Syndérèsc — SyngénèsB 957
vaille que vaille en une seule plusieurs doctrines différentes. — b) Du rappro-
chement plus ou moins forcé de ces doctrines. Philon d'Alexandrie, par
exemple, a tenté d'amalgamer la philosophie, grecque et les doctrines orien-
tales. Le Syncrétisme est la tendance do l'École d'Alexandrie. — Dans le
Syncrétisme, il y a simple mélange et juxtaposition de doctrines; tandis que,
dans V Éclectisme, il y a eiïort de fusion et de conciliation. — c) Syncrétisme
s'emploie encore pour signifier : Vue d'ensemble confuse d'un tout complexe.
Syndérèse (de — -'vrr'pr.cti;, conservation, observation, de Tuvr-rjoinj,
conserver, observer ; le changement de t en o proviendrait de la façon de
prononcer le grec au Moyen Age. D'après Ueberweg, ce mot proviendrait
d'une faute de copiste dans un texte de S. Jérôme, où il faudrait lire Tuvsior.T'.;.
Ceux qui écrivent syntérèse, prétendent qu'il faut lire, dans le même texte
«7unqpYi(7t;) : «) Ce mot signifie dans la langue scolastique : 1°) la connais-
sance habituelle des principes constitutifs de la loi morale ; 2°) la conscience
morale. — b) Dans un sens plus restreint, il signifie remords. Cf. Bossuet,
De la connaissance de Dieu..., Ch. i, § vu.
Syndicalisme (de Syndical, de syndic, de syndicus, Tuvor/.oç, qui assiste
quelqu'un en justice, défenseur, de aOv, avec, o''xvi. justice) : forme de Socia-
lisme, II, 202.
Syndicat (de Syndic, de syndicus, Tuv'îty.o;, qni assiste quelqu'un en jtistice,
défenseur, de -^Jv, avec, oix-/], justice) : ce mot a pris, de nos jours, le sens
spécial de réunion de personnes, vg. patrons, ouvriers, commerçants, chargées
de soutenir les intérêts communs d'une corporation. C'est l'une des formes
nouvelles du droit d'association, II, 285-286.
Syndrome (iwopoaTi, concours, de cruvopoixîTv, infinitif aoriste 2 de 'îvv-
cè'xîtv. courir avec) : ensemble particulier et habituel de symptômes morbides.
Synéchisme (de l'anglais Synechism) : mot par lequel C. S. Peirce désigne
sa doctrine épistémologique, qui accorde une importance capitale à l'idée de
continuité en philosophie. Cf. The Law of Mind, dans The Monist, T. 11,
1891-1892, p. 533-559.
Synergie, Synergique (HuvcSYi'a, coopération, de auvsçyô;. qui prête son
concoui's, fait le même travail, de t^-^, avec, scyov, travail) : c'est le concours
de plusieurs activités pour remplir une même fonction ; vg. les diverses fonctions
vitales dans un même organisme ; l'industrie, le commerce, l'activité scienti-
fique dans une même société.
Synesthésie (— uvaiVJrj^n, de Tuv-ataOavou.'/.'., sentir en même temps) :
a) Il y a synesthésie quand l'impression faite sur un organe sensoriel déterniint-
une sensation et dans cet organe et dans un autre. Dans l'audition «(durée,
cas pathologique de la perception sensible, des chilTres entendus évoqueront,
par exemple, l'image visuelle de tel personnage. — b) Association de natures
différentes qui semblent le symbole l'une de l'autre.
Syngénèse, Syngénésie (de ---v. avec, -'îvo-:. naissance, y^^-'^'î' origine ;
de T\j'r'^iyjrjiJ.yi'.. (TUYYïv/^Toy-a'.. naître. Racine V'^- engendrer, naître) : système
qui suppose que les premiers individus de chaque espèce contiennent en germe
tous leurs descendants. Malebranche soutient cette hypothèse mal fondée.
Cf. Entretiens sur la Métaphysique et sur la Religion, X*", § 3-5.
958 TABLE ANALYTIQUE : Synonyme — Systématique (La)
Synonyme {Synonymus, (Tuvwvuv-oç, de même nom, de oùv, avec, ovoua,
pour o-Tvo-ua. de o prosthétique et Yt-yvoj-ffxoj. apprendre à connaître) : se
dit d'un mot ayant avec un autre une analogie générale de sens, mais une
nuance différente d'acception, 45^.
Synopsie (formé d'après — uvo|/t:. vue d'ensemble, de i7-'vo']rfot/at, futur de
suv-oçâoj, voir ensemble) : il y a synopsie quand l'audition d'un son détermine
une sensation colorée ; vg. chaque voyelle suggère l'idée d'une couleur déter-
minée. Ce mot est synonyme d'audition colorée.
Syntactique (La) (de -uv-axxtxôç, qui met en ordre, de cJv-raTdw, ranger
ensemble) : c'est « la science des combinaisons et de l'ordre » (Cournot, Traité
de V enchaînement des idées fondamentales dans la science et dans l'histoire, L. II,
Ch. II, § 11).
Syntaxe [Syntaxis, «juvraçcç, mise en ordre, disposition, de (îuv-Taaaw.
ranger ensemble) : partie de la grammaire qui traite de l'arrangement des mots
et de la construction des phrases, 450 ; 464-465.
Synthèse [Synthesis. TÛvOcatç, action de mettre ensemble, de (tuv-tiOtiU.'.,
rassembler) : a) Sens général : action de réunir divers éléments jusque-là donnés
séparément. — b) Marche de l'esprit allant des notions simples aux composées,
ou de propositions certaines à d'autres qui en résultent nécessairement. —
c) Vue générale qui résulte de la comparaison d'un ensemble de détails : vg. syn-
thèse historique : « Pour un jour de synthèse, il faut des années d'analyse. »
(Fustel de Coulanoes, Histoire des Institutions politiques de V Ancienhe
France, T. I, Introduction, p. xiii, Paris, 1891). — d) Acte de l'esprit qui
forme un tout de diverses représentations, sentiments ou tendances. La synthèse
mentale, qui coordonne des faits nouveaux, est une opération distincte de
l'association des idées qui reproduit des groupes de phénomènes formés autre-
fois. — Définitions, 609-610. — Synthèse rationnelle, 610 . — Synthèse expé-
rimentale, 613-614. — C'est une progression, 614. — Règles, 615. — Emploi :
procédé propre à l'enseignement, 616-617. — Comparaison avec la déduction,
622. — La science tend à la synthèse, 597 ; 623-624. — Grandes synthèses
scientifiques, 655. — Synthèse métaphysique de l'histoire, 748. — Synthèse
des inclinations supérieures, 97-98. — Synthèse des notions et vérités pre-
mières, 343. — S'oppose à Analyse.
Synthétique (^uvOstixôç, qui concerne l'arrangement, de (tvvOsto;, com-
posé, formé de parties réunies, de o-uvTcOr,|xt, rassembler) : ce qui constitue
une synthèse aux sons divers de ce mot ou ce qui résulte d'une synthèse. —
Jugement synthétique : a] a posteriori, 273 ; b) a priori, 274. — Langue synthé-
tique, 455 ; 461. — Esprit synthétique, 617. — S'oppose à Analytique.
Systématique {Systematicus, au'jrr^iJ.'x-v/.rjç. qvù forme un tout, repose sur
un ensemble de principes, de (jvcrTr,;xa, ensemble) : ce mot se prend : a) En bonne
part : vg. un esprit systématique, c'est un esprit capable de réaliser une puis-
sante synthèse. — ■ b) En mauvaise part : vg. un esprit systématique, c'est un
esprit étroit et entêté qui ramène tout, de force, à une idée dominante pré-
conçue, 258. — h'opposition systématique aux actes d'un gouvernement est
l'attitude immorale de ceux qui en critiquent tous les actes, qu'ils soient bons
ou mauvais. C'est une opposition de parti pris.
Systématique (La): c'est, dans une science, la partie qui fait la classification
des objets étudiés ; vg. en zoologie, en botanique.
TABLE ANALYTIQUE : Système — Talent 959
Système [Systema, ffucTr,,;/'/, réunion en un corps de plusieurs objets,
ensemble, ensemble de doctrines, de (uv-iar/iv-t, placer ensemble, rassembler,
de C7JV, avec et de la racine cjTor, se tenir debout ; d'où avec redoublement
aiTTYii'/'., iG-Tyi|^.t) : a) Le mot système implique l'idée de coordination de ma-
tières scientifiques, philosophiques, etc. Différence entre système et théorie, 655.
— b) Un système philosophique est une synthèse d'idées se rapportant à un
même objet ; vg. système du doute méthodique de Descartes. — c) Esprit
de système : se prend ordinairement dans un sens défavorable pour indiquer
l'étroitesse et l'entêtement. C'est un obstacle à l'usage impartial des facultés
intellectuelles; vg. dans l'observation scientifique, 651, 2. — d) Système
s'emploie encore pour signifier un ensemble d'éléments qui forment par leur
dépendance mutuelle un tout organisé ; vg. le système planétaire.
Table [Tabula, planche, tablette, tableau, table) : table rase (Aristote,
Locke), 302, 1. — Tables de Bacon, 666. — Table des notions premières,
296-297.
Tabou (du polynésien Tabu) : ce mot, en polynésien, signifie ce que les pro-
fanes ne peuvent toucher sans commettre un sacrilège. Cette interdiction n'est
pas motivée, et la sanction qui atteint les violateurs n'est pas une pénalité
légale, mais une calamité envoyée par les puissances supérieures, les dieux,
vg. mort, cécité.
Tacite [Tacitus, silencieux, de tacitum, supin de tacere, se taire) : le consen-
tement tacite est coupable, quand un supérieur, vg. les parents, gardent le
silence, alors qu'ils devraient blâmer une faute. Ici s'applique le proverbe :
Qui ne dit rien consent. De même, quand on autorise par respect humain le
mal qu'on pourrait empêcher, II, 116. — Consentement tacite ou implicite à
une forme de gouvernement, II, 226. — Reconnaissance tacite d'un pouvoir
usurpé, II, 231-232. — S'oppose à Exprès, à Explicite.
Tact (Tactus, action de toucher, le toucher, de tactum, supin de tangare.
toucher) : a] Synonyme de toucher. — Objet et organe du tact, 157 ; 178-179 ;
182. — Rôle du tact, 186 ; 192 19:^. — h) Au figuré : intuition délicate et sûre
de ce qu'il convient de dire ou de faire. — Le tact du vrai, 617.
Tactile (Tactilis, tangible, palpable', de tactus, toinehcr) : ce qui est relatif
au tact. — Sensation tactile, 74 ; 186 ; 192-193. — Étendue tactile, 191. —
Langage tactile, 438 ; 452, 1.
Taine (Hippolyte) : objection contre la distinction entre la Physiologie
et la Psychologie, 29. — L'inconscient, 142. — Théorie de l'hallucination vraie,
171, 4. — Mécanisme de la localisation des sensations, 190, 1. — Cas extraordi-
naire de reviviscence d'états de conscience, 197, 2. — Nominalisme, 254. —
Déterminisme physique et physiologique, 391, 4. — Abus des grands mots
pendant la Révolution, 454-455. — Construction des figures matliématiques,
630, 1. — Caractère des postulats mathématiques, 634, 6. — .Méthode d'accord :
exemple, 668, 2. — Reproche aux Ctmstituants leui; esprit de chimère, 748, 1.
— ■ Théorie du milieu, du moment et de la race, 749, 2. — La Déclaration des
droits de l'homme, II, 300.
Talent [Talenium, TocXavTov. plateau de balance, poids, somme d'argent,
d'où valeur naturelle ou acquise dans un genre quelconque) : esprit, talent
et génie. II, 405.
960 TABLE ANALYTIQUE : Tangible — Téméraire
Tangible (Taiigibilis, de tangere, toucher) : a) Ce qui peut être touché . —
b) Au figuré, ce qui est facile à constater, à comprendre : vg. vérité tangible.
Tautologie {Tautologia, TauToXoyix, de TaCiToÀôyoç, qui redit -la même
chose, de TaOro, le même, Xiyw. dire) : a) Proposition identique, dont le sujet
et le prédicat expriment un seul et même concept. — Définition tautologique,
525, 3. — Jugement analytique et jugement tautologic|ue, 564, 1. — Le sjilo-
gisme est-il une tautologie ? 564. — b) Variante de la Pétition de principe :
sophisme qui prétend démontrer une thèse en la reproduisant sous d'autres
mots, 801.
Taxinomie, Taxologie ; Ta;-.?, ordre ; voaoç. loi ; Àôyoç, discours) : science
des classifications.
Technique {Tt/yvA.6i, qui concerne un art, de té/v-/-,. art) : ce qui est propre
à un art, à une science. — a) La technique d'un art, d'une science praticiue,
c'est l'ensemble des procédés employés par cet art ou cette science pratiqae.
— b) Connaissance technique : c'est une connaissance envisagée du point dt/
vue de son application à une fin pratique, abstraction faite de sa valeur logique
qui est présupposée. — c) Terme technique : c'est un terme qui n'appartient
pas à la langue commune ; d'où le sens de scientifique.
Technologie (TsxvoXoyi'a. de ri/v-/],^ art ; Xoyoç, discours) : science pra-
tique des arts industriels, qui est aux arts ce que la Logique est aux sciences.
Elle analyse leurs procédés opératoires et détermine les conditions et les lois
de leurs progrès.
Tedeschini (Père Pietro) : prouve que, en dehors des Thomistes.
presque tous les Scolastiques admettent la possibilité des corps simples
quant à l'essence, II, 522, 3, 4.
Tiieilard du Chardin (Père Pierre) : comment se pose la question du
transformisme ? II, 623-626.
Téléologie (TiÀEo;. dernier, de xiXo; fin ; Àôyo;. discours) : a) C'est l;i
partie de la Philosophie qui s'occupe des causes hnales, 332-338. — b) Doctrinr
qui prétend que le inonde est un système de rapports entre moyens et fins.
Téléologique (de Téléologie) : ce qui constitue ou concerne un rapport de
finalité. — Kant appelle jugement téléologique celui qui porte sur les causes
linales internes et externes. Cf. Critique du Jugement, 11^ Partie. — Argument
téléologique pour prouver l'existence de Dieu, II, 561.
Télépathie, Télépathique (de Ti;)i£, loin, au loin ; ttocOcç, ce qu'on éprouve,
c'est-à-dire tout ce qui aiïecte le corps ou l'âme, par opposition à ce que l'on
fait. Racine -rraO, souffrir, subir. Cf. è-rraO-ov. aoriste 2 de Traff/w. être aflecté
de telle façon) : ce mot désigne la relation de deux esprits se communiquant
leurs pensées et leurs sentiments à distance, c'est-à-dire sans l'intermédiaire
d'aucun signe sensible. Cette communication aurait pour cause la sympathie
préexistante entre diverses personnes. Mais l'existence des faits télépathiqucs
n'est pas suffisamment établie, 484.
Télesthésie (de Tclz, loin, au loin ; ataOr.o-tç , faculté de percevoir par le-,
sens) : perception à distance, mais sans l'intervention d'un second esprit
comme dans la Télépathie.
Téméraire (Temerarius, fortuit, inconsidéré, téméraire, de temere, au
hasard, sans réllexion) : qui est d'une hardiesse inconsidérée. — Jugement
téméraire, II, 207.
TABLE ANALYTIQUE : Témérité — Tensioii 9G1
Témérité (Temeritas, hasard, irréflexion, de teinere, au. hasard) : audace
imprudente, II, 128.
Témoignage (de Témoigner, du latin populaire testimoniare, de testimonium,
témoignage écrit ou oral, de testis, témoin) : a) Attestation d'un fait, 735. —
h) Contenu de cette attestation : textes, traditions, monuments, 739-742. —
Importance du témoignage, 735. — Fondement de la foi au témoignage, 737.
— Règles de la critique du témoignage, 738. — Valeur du témoignage doctrinal
<<u autorité, 811. — Valeur du témoignage universel, 840.
Témoin (de Testimonium, témoignage, de testis, témoin) : celui qui a vu
ou entendu quelque chose, 735. — Qualités d'un bon témoin, 738 ; 742. —
Organe témoin : persistance à l'état rudimentaire, 702-703.
Tempérament {Temperamcntum, juste mélange, équilibre, de trmperare,
mélanger dans une juste proportion, de tempus, température) : a) Ensemble des
traits caractérisant la constitution physiologique d'un individu. — Variétés,
391. — ■ Influence sur la liberté, 392. — Tempérament et caractère, 404 ; 407.
— b) Au figuré : tournure d'esprit caractéristique d'un homme.
Tempérance ( Temperantia, mesure ; modération, de temperans, participe
présent de temperare, mélanger, modérer, de tempus, température) : a) Modé-
ration dans l'usage de ce qui flatte les sens, II, 130 ; 158. — C'est un juste
milieu, 64-65 ; II, 127-128. — b) Modération dans l'usage des aliments et des
boissons, surtout des boissons alcooliques. — Sociétés de tempérance, II, 376.
Tempéré [Temperatus, participe passif de temperare, temperatum, mélanger,
modérer, de tempus, température) ; Monarchie tempérée, II, 233. — Formes
de gouvernement tempéré ou à l'état mixte, II, 235.
Temporel (Temporalis, de tempus, température, temps) : a] Ce qui est dans
le temps ou concerne le temps. — S'oppose à Intemporel, qui caractérise le
monde nouménal, 386. — b) Ce qui est relatif à la vie présente : l'Église n'a pas
de pouvoir direct sur le temporel, c'est-à-dire sur les choses terrestres, II, 343.
Temps ( Tempus, température, sans doute de même origine que Tepor,
faible chaleur. Dans tempus, la racine a été renforcée de la nasale m. Des
variations de température on est passé à l'idée de temps bon ou mauvais,
puis à l'idée abstraite de durée) : systèmes divers sur la nature du temps :
N;^WTON, Clarke, Descartes, Gassendi, Kant, II, 501-503. — D'après
Leibniz : c'est l'ordre des phénomènes successifs, II, 503. — Temps possible
et temps réel. II, 503-504. — Temps proprement dit et diii'éo : origine de ces
notions, II, 505. — Temps et mouvement, II, 506. — Temps do réaction : durée
comprise entre une excitation et la réaction qu'elle provoque. — La définition
du temps par Laplace semble se référer à celle de Leibniz : « Le temps est
pour nous l'impression que laisse dans la mémoire une suite d'événements dont
nous sommes certains que l'existence a été successive. » (Exposition du Système
du Monde, Livre I, Ch. m).
Tendance (dérivé de Tendre, de tendere, déployer, se diriger vers) : a) Carac-
tère de ce qui tend à une fin. — b) Pui.ssance d'action dirigée dans un sens
déterminé, qui ne s'actualise que plus ou moins. En Psychologie, tendami'
signifie tous les phénomènes d'activité spontanée. — C'est un élémenl df
l'inclination, 67 ; 82 ; 83 ; 84.
Tension [Tensio. de tensum, supin de tendere, tendre, étendre) : a) Sens
stoïcien : force interne qui rend toute chose cohérente, soit que le principe de
cette cohérence réside dans la chose elle-même ou dans une autre plus parfaite,
962 TABLE ANALYTIQUE : Téiatologie — Théétète
II, 602 ; spécialement l'effort de l'âme pour saisir la connaissance vraie ou résis-
ter à l'influence des choses extérieures, II, 94. — b) Tension psychologique : « La
réunion de ces deux phénomènes, une synthèse nouvelle, une forte concen-
tration et des faits de conscience très nombreux, constitue un caractère qui
doit être essentiel en psychologie, ce que l'on peut appeler par convention la
tension psychologique. >' (Pierre Janet, Les Obsessions et la Psychasthénie,
T. I, p. 495, Paris, 1903).
Tératologie (Tipa;. rspa-o;. monstre ; /oyoç, discours) : partie de la
Biologie qui traite des monstres et des malformations. — Tératologie psycho-
logique, 723-724.
Terme {Tenninum, borne, limite. Cf. Tspawv. T£çu.a, borne) : a) Limite,
borne : vg. terme de la vie. — b) Expression verbale qui représente une idée
définie, déterminée : vg. terme simple, terme complexe. Différence entre terme
et mot, 515, n. 2. Dans la pratique s'emploie comme synonyme de mot. —
-") Un des éléments simples entre lesquels existe une relation logique ou mathé-
matique ; vg. le sujet et le prédicat, 266. — Connotation et dénotation, 515. —
Division des termes, 518. — Pvègle des termes, 520. — Termes du syllogisme,
536. — Règles relatives aux termes du syllogisme, 541.
Terminisme [Terminus, borne) : nom donné au Nominalisme d'OccAM et
de ses successeurs, 254.
Terminologie (de Terminus, borne, terme ; Xôyo?, discours) : a) Étude des
termes techniques relatifs à une science ou à un art. — b) Ensemble des termes
techniques employés par une science ou un art ; vg. terminologie scolastique,
chimique.
Terminus a quo,Ter minus adquem: locutions scolastiques, qu'on emploie
encore pour désigner dans un processus le point de départ et le point d'arrivée.
Tertium quid : locution scolastique : se dit d'un troisième terme qui doit
être pris en considération dans une analyse ou discussion, où jusque-là on n'en a
examiné que deux.
Test (mot anglais signifiant épreuve, pierre de touche, critérium) : épreuve
servant à déterminer, chez un individu ou un groupe, la présence ou le degré
de> caractères physiques ou mentaux qui leur sont propres ; vg. nombre des
fautes d'orthographe commises dans une composition dictée, dont le profe.sseur
recueille les copies sans laisser aux élèves le temps de les relire.
Testabilité (de Testabilis, qui a le droit de déposer en justice, de testari,
être témoin, attester) : la testabilité d'un fait est le caractère qu'a ce fait d'être
plus ou moins apte à devenir objet de témoignage. Ce terme a été créé par
Ed. Claparède. Cf. Expériences collectives sur le témoignage, dans Archives
DE I^svchologie, 1906, p. 355.
Testament, Tester [Testamentum, dernières volontés, testament. Testari,
attester, de testis, témoin) : droit de tester, II, 197. — Liberté de tester, II,
197-198.
Texte ( Textus, tissu, suite du discours, texte, de textum, supin de texere,
tisser, tresser, exposer) : critique des textes, 741-742.
Théétète (0caiTr,To;. disciple de Socrate, de B^o;, Dieu ; aîr/;To,-.
demandé, obtenu, de aiTsw. demander, obtenir) : titre d'un dialogue
platonicien, 452, 5.
TABLE ANALYTIQUE : ThéisiTie — ThéoFème 963
Théisme (de Bîôç, Dieu ; la racine est : a) soit Osa, prier : Dieu est celui
qu'on prie ; b) soit Os, placer, poser : Dieu est celui qui pose, établit, crée) :
quand on veut marquer une différence entre Théisme et Déisme, on dit que
le Déisme admet l'existence de Dieu, mais exclut quelquefois la Providence
et se montre hostile à toute Révélation, tandis que le Tfiéiswe admet l'exis-
tence d'un Dieu, auteur et Providence du monde, et ne repousse pas la Révé-
lation. — S'oppose à Déisme, Athéisme, Panthéisme.
Thème {Thema, (diy.'x, ce qu'on pose, sujet donné) : sujet de réflexion, de
discussion ou de développement.
Théocratie (Oioxpan'a, de 0£o;, Dieu ; kpoi-roç, force du corps, domination
puissance) : a) Au sens strict: gouvernement où Dieu désignerait directement
le sujet du pouvoir, II, 224 ; ou même indiquerait lui-même les mesures à prendre.
— b) Gouvernement exercé par une caste sacerdotale. Cf. A. Comte, Catéchisme
positiviste, Entretien XII, p. 333-344, Paris, 1890'.
Théodieée {(-}î6ç, Dieu ; ot'xr), justice) : a) Terme créé par Leibniz (1710)
pour exprimer la justification de la bonté de Dieu, contre laquelle on objecte
l'existence du mal, II, 554. — b) Employé par I'École éclectique pour
désigner la partie de la Philosophie qui traite de Dieu. Cet emploi est défectueux,
puisque le terme, signifiant simplement la justification de Dieu, n'est pas
adéquat à son objet. Il faut dire Théologie naturelle ou rationnelle. — Sa place
en Métaphysique, 4 ; 5 ; 594 ; II, 457. — C'est la science de Dieu connu par la
raison, II, 554. — Cf. G. Hayward Joyce, Principles ai Natural Thcology,
Londres, 1923.
Théologie ( Thcalogia, HîoÀoyta, de 0jo;, Dieu ; Xoyoç, discours) : a) La
Théologie strictement dite est l'étude de Dieu au moyen des lumières fournies
par une révélation surnaturelle, qui perfectionne les données de la raison
naturelle. — b) La Théologie naturelle, rationnelle, qu'on nomme aussi Théodieée,
est l'étude de Dieu au moyen de la raison, II, 554. Ces deux sciences, qui ont
même objet matériel, diffèrent par leur objet formel. — c) On subdivise hi
Théologie strictement dite en : 1°) Positive, qui étudie les données sur lesquelles
reposent le dogme et, la morale catholiques : Sainte E^criture, Tradition,
Œuvres des Pères de l'Église, Textes des Conciles, Enseignements du Magistère
Pontifical. — ■ 2") Scnlasiique, qui est la systématisation et la justirication
rationnelle des données fournies par la Théologie positive ; vg. la Somme
théologique de Saint Thomas d'Aquin.
Théologique (de Théologie) : a) Ce qui concerne la théologie ou ce qui a le
caractère de la Théologie ; vg. argument théologique. — b) Chez A. Comte,
c'est le premier des trois états, II, 447.
Théophilanthropes (0côç, Dieu ; -^lÀoç, ami ; àvOpwTco;, homme) : secte
philosophique qui, sous le Directoire, unissait dans un culte ratinnaliste
l'adoration de l'Être suprême et l'amour de l'humanité.
Théophile (©cô^tXo;, de 0côç, Dieu; cpîXos. amil : Saint Théophile
d'Antioghe : les passions empêchent de voir la vérité, 809, 1.
Théorème [Theorema, 0£(oo-/i|jl«. ce qu'on peut contempler, objet d'étude,
de OïwpÉw, observer, contempler) : proposition que l'on démontre en faisant
voir qu'elle résulte d'autres propositions déjà posées. — Différence entre
théorème et problème, 632.
964 TABLE ANALYTIQUE : Théorétiquc — Thomas d'Aquin (Saint)
Théorétique ( Theoreticus, Oicoûr.Ttxôç. qui aime à observer, contemplatif,
spéculatif, de Octofr,7o;. qu'on peut observer, de Ô£tofioj. observer) : qui se
rapporte à la théorie. — a) Aristote fait consister la vertu, la vie la plus haute
ou théorétique, dans la connaissance et la contemplation de la vérité, qui est
la fin de l'homme en tant que raisonnable. Il l'oppose aux vertus pratiques.
qui se rapportent à l'action et sont la fin de l'homme en tant que citoyen. —
b) Aristote oppose aussi les sciences théorétiques aux sciences poétiques et
pratiques. (Cf. vg. Topiques, L. VI, C. VI, § T.\), 585. — c) S'emploie aussi
quelquefois comme synonj'me de théorique ; cependant théorique signifie
proprement : qui appartient à la théorie, tandis que théorétique veut dire :
qui se rapporte à la théorie, qui a le caractère d'une théorie. — S'oppose à
Pratique.
Théorie ( Thcoria, 0£woia, action de voir, d'observer, spéculation, de ©eojco;,
spectateur) : a) En général : construction spéculative de l'esprit. — b) Par
opposition à la pratique : ce qui est l'objet d'une connaissance indépendamment
de ses applications — c) Par opposition à la connaissance vulgaire :
c'est un ensemble de raisonnements systématiquement organisés pour résoudre
une difficulté ; vg. Théories de la perception immédiate et de la perception
médiate, 161. — Théories et systèmes scientifiques, 655.
Théosophie (Bcoao'^îa, connaissance des choses divines, de Gîôtocj>o;, qui
sait les choses divines, de ©soç. Dieu, et aocpôç. habile, instruit) : ce mot
désigne une fausse théologie mêlée d'illuminisme et de superstition. L'École
d'Alexaxdrie donna dans la Théosophie avec Porphyre et Jamblique, 7. —
Cf. L. de Grand maison, La Nouvelle Théosophie. Paris, s. d-, Action populaire.
Thérapeutes (de Wcpazîu-/;;, qui prend soin de, médecin, de OsoaTriwo,
soigner) : les Thérapeutes, ou médecins des âmes, sont une secte juive fondée
en Egypte : ils s'adonnaient à l'abstinence et à la vie contemplative.
Thérapeutique (H^parsuTtxôç, qui prend soin de, ■?, OïpaTtîuTixTi, sous-
ent. Tî/vr,, l'art de soigner, de Oîcairîtjw, soigner) : la thérapeutique des
passions, 119.
Thermique (de ©îfî-'-ôç, chaud, de Oipw, échauffer ; racine ôsp, Cf. ferverc
être brillant) : sens tliermiquo, 158.
Thèse (Thesis, Oia-.:, action de poser, poser une thèse, proposition. Racine
Oî. poser) : a) Proposition avancée avec preuves à l'appui ou position d'une
doctrine qu'on soutient contre les objections qu'elle peut soulever ; vg. la
thèse du Spiritualisme, II, 536. — b) S'oppose à Antithèse et à Synthèse :
premier terme d'une doctrine composée de trois concepts, dont les deux-
premiers s'opposent l'un à l'autre, et que le troisième concilie dans une vue
supérieure (Hegel), II, 605-606 ; 608-609. — Si la thèse et l'antithèse semblent
également probables, elles constituent une Antinomie. Kant en formule
quatre à propos du noumène Monde, II, 433. — c) La thèse {ce qui doit être) et
l'hypothèse [ce qui peut être) dans les rapports de l'Église et de l'État, II, 340.
Théurgie (Theurgia, Osovpvia, acte de la puissance divine, de Bîo'î, Dieu ;
sp'/ov. œuvre) ; opération magique qui consiste à provoquer l'intervention
de Dieu ou des esprits.
Thomas d'Aquin (Saint) : surnommé Doctor angelicus, Doctor cnmmunis.
— Voir Scolastique (Philosophie) et Thomas d'Aquin (Saint) à Vlndex des
Auteurs.
TABLE ANALYTIQUE : Thomassin (Père Louis) — Toucher 965
Thomassin (Père Louis) : rapports entre le monde intelligible et le
monde sensible, 435, 4.
Thomisme (de Thomas) : École philosophico-théologique qui fait pro-
l'ession d'étudier la doctrine de S. Thomas et de la suivre. Au xix« siècle,
l'École Néolhomiste a pour but de restaurer l'étude de S. Thomas. « Aujourd'hui
le nom de thomiste ou de néothomiste est pris ou accepté par plusieurs philo-
sophes qui, tout en s'inspirant de S. Thomas, sont loin de partager les opinions
des anciens thomistes. » (E. Blanc, Dictionnaire de philosophie ancienne,
moderne et contemporaine, col. 1168, Paris, 1906). — Récemment on a créé le
mot Hyperthomisme pour caractériser l'outrance de certains thomistes dans
l'exposition de leur doctrine.
Tiers ( Tertium) : principe du tiers exclu, 289.
Titre (Titulus, inscription, titre) : titres du droit de propriété, II, 189-191.
■ — Titres du prêt à intérêt, II, 357.
TocQUEviLLE (Alexis de) : développement progressif de l'égalité, 753, 3.
— Méthode de la politique, 756.
Tolérance (Tolerantia, de tolerans, tolerare, supporter) : a) Manière d'agir :
d'une personne qui supporte sans se plaindre la violation habituelle de ses
droits ; — ou d'une autorité qui accepte une dérogation aux lois, aux règle-
ments ou à l'application d'un principe. — Tolérance doctrinale, II, 346. —
Tolérance des cultes, II, 186 ; 345. — b) Disposition d'esprit qui porte à laisser
aux autres la liberté d'exprimer leurs opinions, fussent-elles contraires aux
nôtres ; vg. esprit de tolérance.
Tolérantisme (de Tolérance) : excès de tolérance, tolérancesystématique,346.
Toniolo (Giuseppe) : la démocratie chrétienne, II, 239, 4.
Tonnelle (Alfred) : valeur subjective des mots, 215, 2. — Rapports
symboliques entre les objets sensibles et les idées morales, 435, 3.
Topique (Tottixoç, qui concerne le lieu, de xorro;. lieu) : a) La Topique,
r, TOTTix/j xi/yr^, est la science des lieux commiins, ou l'art de trouver des
arguments. — b) Les Topiques (xi ToTitxa, en huit livres) d'ARisTOTE sont cette
partie de VOrganon, où il traite de la méthode de la Diatectique et indique
les lieux (tôttoi) d'où elle tire les solutions générales qu'elle applique à chaque
question. — c) Kant appelle Topique transcendantale la détermination du
« lieu transcendantal », c'est-à-dire la place qu'il convient d'assigner à un
concept en le rapportant à la faculté de sentir ou à l'entendement. Cf. Cri-
tique de la Raison pure : Analytique transcendantale, L. II, Cil. m, Observation
'Sur l'amphibolie des concepts réflexifs. — d) L'adjectif topique signifie : ce qui
est bien à sa place, et conséquemment répond bien à la question ou à la diffi-
culté posée : vg. argument topique. *
Tort (substantif participe de tordre, du latin i)opulaire torcere, pour torquere,
tourner, entortiller) : ne faire tort à personne, II, 162. — Réparer le dommage
et le tort faits, II. 194.
Toto-partiel, Toto-total {Totus, Partialis, du latin scolastique totalis, de
totus) : théorie de IIamilton sur la quantification du prédicat, 552.
Toucher (probablement du mot gernianique Tukkan, forme intensive de
tiuhan) : l'un des cinq sens, auquel se rapportent diverses sortes de sensations
simples plus ou moins complexes, 158. Toucher : a) actif : l'organe du toucher
se meut pour palper l'objet perçu, 157 ; 158. — b) passif : il y a seulement
contact entre le toucher et l'objet perçu. — Objet et organe, 157 ; 178-179 ;
182. — Son rôle, 186. — S'emploie comme synonyme de Tact.
966 TABLE ANALYTIQUE : TourbilloD — TraHscendaiit
Tourbillon (du latin populaire TurbeUonem, de turbellae, vacarme, sédition,
de turba, trouble, foule, confondu avec turbo, iurbinis, tourbillon) : hypothèse
\es tourbillons, 656-657. — Le tourbillon vital opposé à l'identité de l'âme,
II, 537.
TôPFFER (Rodolphe) : le peintre idéalise la nature en la reproduisant,
II, 399, 1.
ToRRicELLi (Evangelista) : hypothèse de la pression atmosphérique, 654.
Tout (du latin populaire Tottum, pour totum) : tout physique ou concret,
527. — Tout logique ou potentiel, 527.
Toute-Puissance : attribut divin, II, 597.
Tracy (Antoine-Louis-Claude Destutt de) : supériorité du langage
vocal, 439, 4. — Besoin, fondement du droit, II, 133.
Tradition ( Traditio, action de remettre, de traditum, supin de tradere,
remettre, communiquer, de trans, au delà, dare, donner) : a) Ce qui dans une
société, spécialement dans une société religieuse, se transmet de génération eu
génération. — b) En Critique historique, document transmis par la parole. —
Critique des traditions, 740.
Traditionalisme (de Traditionnel, de tradition) : a) En général,
doctrine qui réclame la conservation des formes politiques et religieuses
transmises par la tradition. — b) En Philosophie : erreur de ceux qui
exagèrent la nécessité de la tradition et estiment que la raison ne peut
parvenir par ses seules forces à la vérité (de Bonald, J. de Maistre, La
Mennais, Bautain, Ventura) : origine du langage, 442-444. — Peut-en
penser sans le langage ? 452, 4. — Le consentement universel, 815. — La
véracité divine et le Fidéisme, 818 ; II, 556.
Traducianisme (de Traducere, transmettre, de trans-ducere, mener au delà ;
erreur de ceux qui ont prétendu que l'âme des enfants provient du corps et
de l'âme des parents. — Le Génératianisnie soutient que l'âme des enfants
provient de l'âme des parents, et non de l'âme et du corps. Cette double
erreur s'oppose à la Création ou Créatianisme. — Leibniz appelle le Tradu-
cianisme « traduction des âmes ». (Théodicée, Part, l, § 86. P. IH, § 397.)
Trafic (de l'italien Traffico] : l'État doit favoriser le trafic en facilitant la
circulation de la richesse, II, 249-250.
Trance (mot anglais signifiant catalepsie) : s'emploie pour désigner l'état
des médiums au moment où ils exercent leur action, les états somnambulique>.
hypnotiques, les transformations de la personnalité.
Transcendance (de Transcendant, de l'ancien verbe transcender, de Iran-
scendere = scandere, franchir, dépasser) : a) Existence de réalités transcen-
dantes : Dieu, en tant qu'il est personnel, distinct du inonde. — Substances
ou choses en soi, qui existent derrière les phénomènes ou apparences sensibles.
— b) Principe de transcendance, 737, 2. — Procédé de transcendance : 1°) pour
déterminer les attributs dii'ins, II, 580-581 ; 2°) pour idéaliser, II, 395 ; 402.
Transcendant (adjectif participe de l'ancien verbe Transcender, de transcen-
dere, franchir, dépasser) : a) En général, ce qui s'élève au-dessus d'un niveau
donné : vg. génie transcendant. — b) Ce qui est au delà de toute expérience
possible : « Nous appellerons immanents les principes dont l'application se
tient absolument dans les bornes de l'expérience possible, et transcendants,
ceux qui sortent de ces limites. » ( Kant, Critique de la Raison pure, Introduction
TABLE ANALYTIQUE : Transcendaiital — Transition 967
à la Dialectique transcendantalc, § I. Traduct. Tkemesaygl'es, p. 293, Paris,
1909 2). — Kant appelle transcendante toute connaissance qui dépasse l'expé-
rience et qui, par là même, est illusoire à ses yeux. Aussi, d'après lui, la philo-
sophie ne peut être transcendante, parce qu'elle ne saurait atteindre les choses
en soi, les nnumènes, qui ne tombent pas sous l'expérience, II, 430-431 ; 432-434.
Transcendantal, Transcendantaux (de Transcendant, de l'ancien verbe
transcender, de transcendere, transcendens, franchir, dépasser) : a) Sens scolas-
tique : attributs qui conviennent à tous les êtres, 252 ; II, 470. — b) Sens
kantien : ce qui est une condition a priori et non une donnée de l'expérience.
— Kant nomme transcendantal tout élément a priori de la pensée, c'est-à-dire
indépendant de l'expérience, lequel rend la connaissance possible. La philo-
sophie est transcendantalc, parce qu'elle applique aux données de l'expérience,
c'est-à-dire aux phénomènes, les catégories ou fornies a priori de l'entendement.
Ces catégories sont des notions transcendanlales, II, 431-432. — c) Par suite,
une étude est dite transcendantalc, quand elle a pour objet les principes ou idées
a priori dans leur rapport nécessaire avec l'expérience : vg. Eshétique, Analy-
tique, Dialectique transcendantales, II, 431-434.
Transcendantalisme (de Transcendantal) : a) Doctrines qui admettent des
concepts ou formes a priori dominant l'expérience. — b) Mouvement phili)-
sophique et religieux, qui est une réaction idéaliste contre la philosophie
dfti xviii^ siècle. Emerson en est le principal représentant.
Transfert (Substantif verbal de Transférer) : a) Transfert des sentiments :
phénomène par lequel un état affectif est transporté de l'objet qui l'a déter-
miné à un objet différent. Cf. .1. Sully, The Human Mind, T. II, p. 78-80,
Londres, 1892). — • b) Transfert des valeurs : phénomène par lequel le moyen
prend la valeur de la fin, le signe celle de la chose signifiée, etc. ; vg. la pro-
priété, instrument, moy-en de jouissance, plaît sans qu'on en fasse usage, même
en dehors de l'usage.
Transfini (de Trans, au delà, et fini] : Cantegor appelle ainsi les nombres,
cardinaux ou ordinaux, qui dépassent les nombres finis.
Transformation {Transformatio, de transformatum, supin de transformare,
changer la forme, de trans, au delà ; forma, forme, aspect) : a) Passage d'une
forme à une autre. — Loi secondaire du plaisir, 66. — Le changement de forme
peut être substantiel (vg. eau changée en hydrogène et oxygène) ou accidentel
(vg. eau placée dans un vase carré ou oblong), dans le système de la matière
et de la forme, II, 517. — b\ Opération logique, par laquelle à une proposition
on substitue une proposition équivalente ; vg. conversion simple de l'univer-
selle négative, 534.
Transformisme (de Transformer, de transformare, changer la forme de) :
système biologique d'après lequel les espèces vivantes sont variables et descen-
dent par transformations successives de quelques types primitifs. — Exposé
du système (Lamargk, Darwin), II, 612. — Critique, II, 617. — Comment se
pose aujourd'hui la question du transformisme ? II, 623.
Transitif {Transitivus, de transitum, supin de trans-ire, pa.sser, franchir) :
l'action transitive est colle qui se termine en dehors de l'agent, 150 ; 330 ;
II, 524. l
Transition ( Transi'a'o, de transitum, supin de trans-ire, franchir) : forme
de l'expérimentation (Bacon), 652. •
968 TABLE ANALYTIQUE : Transitoire — Truisme
Transitoire {Transitorius, de transitum, supin de trajis-ire, franchir) a-
organes transitoires, 702, 4.
Translation ( Translatio, de translatum, supin de trans-jerre, transporter) :
forme de Texpérimentation (Bacon), 662.
Transmission {Transmissio, de transmissum, supin de trans-mittere , faire
passer, transmettre) : transmission de la propriété, II, 195-197 : 197. — Trans-
mission du pouvoir, 247.
Transnaturel (de Trans au delà et naturel) : terme créé par Malrice
Blond EL. pour exprimer l'état instable de l'homme qui, n'ayant pas la vie
surnaturelle à laquelle il est appelé, éprouve des stimulations en rapport
avec cette vocation. Cf. Histoire et Dogme. Extrait de la Quinzaine, janvier-
février 1904, La Chapelle Montligeon (Orne), 1904.
Transrationalisme (de Trans au delà et rationalisme) : terme créé par
CouRNOT pour exprimer cette « disposition de l'homme à croire à des puis-
sances surnaturelles, à un monde mystérieux et invisible, sur lequel là science
et la raison n'ont pas plus de prise que les sens ». [Matérialisme. Vitalisme,
Rationalisme, Sect. IV, p. 384-385, Paris, 1875).
Travail (substantif verbal de Travailler, du latin populaire tripaliare,
torturer avec le tripalium, de très, trois, palus, pieu, sorte de chevalet : d'où
gêne, eiïort pénible, travail) : obligation du travail, II, 159 ; 187. — Liberté
dans le choix du travail, II, 187 ; 353. — Fondement de la propriété, II,
190-191. — Réglementation du travail, II, 265. — Facteur de la richesse,
II, 353. — Division du travail, II, 354, — Rémunération du travail, II, 356 ; 358.
Travers (du latin populaire Traversum, pour transversum, participe passif
de trans-vertere, transversum, changer de côté) : travers de caractère : c'est le
domaine de la comédie, II, 392.
Triade {Trias, fûiaç,' Titaco;, groupe de trois, de t^hi:, trois) : les Néo-
Platoniciens ont imagine une Triade composée de l'Un, de l'Intelligence et
de l'Ame du monde, II, 602-603.
Trigonométrie (Tpr/uivov, triangle, de 'p^î^;, trois et vcovî-/, angle ; ujtcov,
mesure) : partie de la Géométrie qui a pour objet la mesure des triangles.
Trijumeau (de Très, trois ; jumeau, de gemellum, de geminus, uni par la
naissance, né en même temps) : nerf trijumeau, 157.
Trilogie (TptXoYi'a, de t&îT;, trois : Xoto;, discours) : trilogie de Hegel :
thèse, antithèse, synthèse, ÎI, 605 ; 608-609.
Tristesse (de Triste, à l'imitation de tristitia, de tristis, triste) : définition :
a) par Spinoza, 80 ; b) Bossuet, 122.
Trivium (carrefour où se rencontrent trois chemins, de ter, trois fois et
via, chemin) : division scolastique des arts libéraux inférieurs, 587.
Trope (Tporoç, tour, tournure, attitude, manière de penser, de s'exprimer) :
nom donné aux arguments par lesquels les Sceptiques cherchaient à montrei'
<fu'on doit suspendre son jugement. ^î^nésidème en compte dix ; Agrippa le--
réduit à cinq, II, 422.
Truisme (de l'anglais Truism, vérité banale, de true, vrai) : proposition
tellement évidente qu'elle ne vaut pas la peine d'être énoncée.
TABLE ANALYTIQUE : Tutélaire — Un 969
Tutélaire {Tutelaris,de tutela, soins vigilants, de tueri. regarder protéffer) •
fonction tutélaire de l'Etat, II, 248-249. ' « ' :
Tutiorisme (de Tutior, plus sûr, de tueri, regarder, protéger) : doctrine
erronée qui oblige à suivre l'opinion la plus favorable à la loi, II, 35.
Tyndall (John) : la génération spontanée n'est pas démontrée, II, 632.
Type {Typus, tutto;, marque imprimée par un coup, empreinte, figure.
image. Cf. tÛtttw, frapper) : a) Modèle qui sert à déterminer une série d'objets
qui en dérivent : vg. le cacliet qui sert à produire des empreintes exprime
bien « l'idée d'un type par corrélation avec l'idée de ses exemplaires ou de ses
épreuve'; ». (Cournot, Traité de Venchaiuement des idées... L. I, Ch. v, § 48). —
h) Ce qui est représentatif d'une classe d'êtres. — Tvpes d'êtres dans les sciences
naturelles, 578-579 ; 647 ; 688. — Immutabilité, persistance du type, 702-703.
— Un type est un individu qui possède d'une façon nette et frappante les
caractères de son genre, tandis que les caractères individuels ou spéciaux n'ont
rien de saillant. — c) Une conception qui est représentative d'une qualité bonne
ou mauvaise. — Cause exemplaire, 324 ; 769 ; II, 490. — Idéal de beauté,
II, 395-396. — d) Variétés physiques ou mentales qui résultent de la prédo-
minance d'une fonction : vg. types visuels, auditifs, moteurs (mémoire), 206.
Tyrannicide {Tyrannicidium , de tyrannus, maître absolu, tyran; cnedere
re-ci-di, abattre) : meurtre d'un tyran, II, 289-290.
Tyrannie (de Tyran, de tyrannus, Tvpavvo;, maître absolu, tyran) : défi-
nition, II, 289. — Résistance : a) passive, II, 275-276 ; b) active, II, 288-289 •
289-291.
U
Ubiété (de Ubi, où) : ce mot, chez les Scolastiques, indique la catégorie
de lieu, 254 ; 296 ; II, 506. — Ils distinguent trois manières d'être dans un
lieu : 1°) Circonscriptive, circonscrite : cette manière est propre aux corps.
En effet, un corps occujie l'espace de façon que chacune de ses parties corres-
ponde aux parties des autres corps qui l'entourent et le circonscrivent. —
2°) Définie : c'est-à-dire qu'une chose est ici, et non ailleurs, de sorte que le
lieu qu'elle occupe est défini, limité. Cette seconde manière, qui convient aux
esprits, s'oppose à la troisième, qui n'appartient qu'à Dieu. — 3°) Héplélive :
c'est Vuhiquité : Dieu est présent partout par son essence et par son opération,
II. 578-579.
Ubiquité (du latin scolastique Ubiquitas, de ubique, partout, de ///'/, où) :
l'ubiquité est la présence en tout lieu. C'est un attribut qui n'appartient qu'à
Dieu et découle de son immensité, II, 578-579.
Ultime (Ultimus, le plus reculé, le dernier, superlatif de ulter, qui est le
comparatif de l'archaïque uls, au delà) : ce mot s'applique à un fait irréductible,
qui est le dernier terme d'une analyse, ou à un princi-pe au delà duquel on ne
peut remonter.
Un (Unum) : comme adjectif, se dit : ai De l'individu en tant qu*il fait
partie d'une multiplicité. — b] De ce qui est uni(iue : vg. l'nus Dominns. una
fiées, unum baptisma (S. Paul, Ep. ad Ephesios, C. iv, v. 5)." Il n'y a qu'un
THAITÉ DE PIIlLOSOniIE. — T. II. — 32
970 TABLE ANALYTIQUE : Un — Uiiivers
Dieu et ce Dieu suffit. » Leibmz, Monadologie, § 39). — c) De ce qui est indivisé
en soi : c'est une propriété transcendantale de l'être, 252 ; II, 471. — S'oppose
à Multiple, à Divisible.
Un ( Unum) comme substantif. Au sens des doctrines grecques, l'Un est
ce qui, étant étranger au nombre et sans multiplicité interne, est la source
du divers et du multiple ; vg. chez Plotin.
Unanime, Unanimité (Unanimus, Vnanimitas, de unus, un; animus,
âme) : plein accord de pensées, de sentiments. — L'établissement d'une religion
d'État suppose l'unanimité morale des croyances, II, 186 ; 341-342.
Unicité (de Unique, de unicus, de unus, un) : négation de ressemblance
dans un genre donné, II, 471. — Unicité de Dieu, II, 577-578.
Unification (de Unifier, du latin scolastique unificare, de unus, un ; facere,
faire) : l'unification des états de conscience exige un principe d'unité, 153-154.
— La philosophie est l'unification des sciences (Comte, Spencer), 597, 1, 2.
— Unification des représentations par les trois idées transcendantales (Kam),
II, 432 433.
Uniformité [Unijormitas, de uniformis, uniforme, de unus, un; forma,
forme, figure) : uniforme se dit proprement des objets ou êtres qui ont une
forme identique, et par suite d'un tout dont les parties ont quelque chose
d'identique : vg. mouvement uniforme, c'est-à-dire dont la vitesse est constante.
— Définition de l'hypothèse, 231 : 653. — Principe d'uniformité de la nature,
290 ; 678 ; 680-681. — Uniformité et unité, II, 250-251.
Unilatéral (Unus, un; latus, lateris, côté) : conception unilatérale de la
causalité, 384-385. — Contrat unilatéral : qui oblige une personne envers une
autre, sans qu'il y ait réciprocité.
Union ( Unio, de unus, un) : a) Liaison de plusieurs êtres différents^ qui
forment un seul tout sous quelque rapport. — Union de l'Église et de l'État,
II, 339. — Union de l'âme et du corps (Systèmes divers), II, 543 548. — b) Acte
par lequel l'union s'établit : l'autorité est un principe d'union. II, 219. —
c) Groupe de personnes associées pour réaliser une fin déterminée ; vg. union
des œuvres ouvrières. — d) Conporde d'idées et de sentiments ; vg. union de
la famille.
Unique (de Unicus, de unus, un) : c) Ce qui est singulier, individuel, seul
de son espèce. — École unique, II, 261. — Dieu est unique, II, 577-578. —
b) Ce qui est excellent, incomparable.
Unité ( Unitas, de unus. un) : caractère de ce qui est un dans les sens divers
de ce mot. if, 471. ■ — Origine de cette notion, 148. — Unité nationale : ses
éléments, 92-93. — Unité du moi, 146 ; 149 : 151-152. — Unîté transcendantale
de l'être, 252 ; II, 470 ; 471. — Unité, catégorie de la quantité (Kant), 296 ;
II, 432. — Unité et individualité, 365-366. — Unité primitive du langage, 460.
— L'unité et les nombres, 630. — L'autorité est principe d'unité, II, 219. —
Unité, élément du beau, II, 382. — Simplicité de l'âme prouvée par l'unité
de la pensée, II, 537. — Unité du plan de la création, II, 621, 1.
Univers ' Universnm, de jtnus, un ; versus, vers) : c'est l'ensemble de tout ce
qui existe dans l'espace et dans le temps, universae res. Les Éimccriens,
admettant l'existence de plusieurs mondes, opposaient univers à monde.
Au xv!!*" siècle, univers était employé comme synonyme de monde visible,
de la Terre. Cet emploi est rare aujourd'hui.
TABLE ANALYTIQUE : Uiiiversalisation — Utile 971
Universalisation (de Universaliser, de universalis, universel) : passage du
particulier à l'universel. — L'universalisation d'un acte est le signe qui
montre qu'il est moral, II, 45 ; 98 ; 101 ; 104.
Universalisme (de Universalis, universel) : a) Croyance d'après laquelle
tous les hommes sont appelés au salut. Cf. Leibmz, Théodicée, P. I, § 80). —
b) Se dit des doctrines contemporaines qui mettent en relief l'idée d'univer-
salité ou d'universalisation.
Universalité ( Universalitas, de universalis, de universus, réuni, pris ensemble,
universel, de unus, un et versus, vers) : a) Totalité des êtres ou tout un ensemble.
— b) Caractère de ce qui est universel. — Universalité : 1°) des propositions,
530; 2°) des vérités premières, 293 ; 3°) de la conscience morale, II, 27 ; 4°) de
la loi morale et du devoir, II, 45 ; 98 ; 101 ; 104.
Universel [Universalis] : a) Ce qui s'étend à l'univers entier ; vg. la gravi-
tation universelle. — b) Ce qui convient à tout l'ensemble de ce que l'on consi-
dère, êtres ou idées. — Idées universelles, 259. — Les principes premiers
sont universels, 293. — Termes et idées universels, 519. — Proposition univer-
selle, 530. — Critérium du consentement universel, 815. — Valeur du con-
sentement universel, 840. — • La loi morale est universelle, II, 45. — Suf-
frage universel, II, 282-284.
Universel (Substantif), Universaux (c'est le pluriel de Universal, ancienne
forme de universel, employé substantivement = termes universaux) : a) Ce qui
a un caractère d'universalité logique. — b) Ce qui est exprimé par un terme
général. — c) Ce terme général lui-même, pour les Nominalistes, 254. — Les
Universaux sont des notions générales qui peuvent être attribuées à plusieurs
sujets, 252-253 ; 516. — Problème des Universaux, 254.
Univoque (Unus, un ; vox, voix, parole) : -a) Terme univoque : celui qui,
applitjué à plusieurs, exprime chez tous le même objet formel ; vg. homme,
519 ; II, 461 . — b) Relation univoque : celle dans laquelle de chaque antécédent
résulte un seul conséquent ; vg. chaque nombre et son carré.
Uranie, Uraniade : poème épique (Leibniz), 750, 1.
Usage (du vieux français Us, de usum, supin de uti, se servir) : a) Action
d'ap[)liquer une chose à tel ou tel besoin. ^ Droit d'user de ses biens, II, 189.
— Dioit d'usage = usufruit, II, 189. — b) Pratique consacrée. — L'usage
dans les langues, 524-525. — S'oppose à Abus.
Usuel {Usualis, de usus, de usum, supin de uti, se servir) : sens usuel,
524-525.
Usufruit (Ususfructus, de usus, usage; irurtus, fruit, de frurtus, participe
de frui, jouir de) : droit d'user des fruits, II, 189.
Usure (pour Useure, de user, du latin populaire usare, dérivé de usum,
supin de uti, se servir) : perception d'un bénétice injuste, II, 357.
Usurpateur, Usurpation (Usurpator, Usurpatio, possesseur, usurpateur,
possession, usur|)alion, df usurpatum, supin de usurpare, employer, prendre
possession, usurper, de usa, par l'usage, et rapere, saisir vivement) : devoirs
et droits de l'usurpateur, II, 231. — Légitimation de l'autorité usurpée,
II, 231-232.
Utile (Utilis, qui sert à, propre à, de utnr, se servir) : a) Ce qui a de valeur
no.n en soi, mais comme moyen pour atteindre une liu jugée avantageuse,
972 TABLE ANALYTIQUE : Utilitaire — Vague
n, 387. — L'utile et l'honnête, IL 53 ; 77 ; 92-93. — L'intérêt et l'utile, II, 50.
— L'utile d'après Bextham, II, 51-52. — L'utile et le beau, II, 387. — b) En
Economie politique : ce qui est propre à satisfaire un désir ou un besoin : la
richesse est l'ensemble des choses utiles, II, 352.
Utilitaire (de Utilité, de utilitas] : a) Ce qui concerne l'utile. — b) Celui qui
est attaché à l'utilité : vg. esprit utilitaire. — c) Celui qui professe ou ce qui
regarde la doctrine philosophique de l'UtiUtarisme (Voir ce mot, b).
Utilitarisme, Utilitariste (de Utilitaire) : a) E?prit utilitaire, au sens de b).
— b) Doctrine qui fait de l'utile le principe de toutes les valeurs, spécialement
des valeurs morales : vg. Morales fondées sur l'intérêt : 1°) Épicure, II, 50 :
2°) Bentham, II, 51 ; 3°) St. Mill, II, 53 ; 4°) Spencer, II, 58 ; 5») Durhkeim,
II, 60 -, 6°) L. Bourgeois, II, 70.
Utilité ( Utilitas, de utilis, de uti, se servir) : caractère de ce qui est utile,
aux sens divers de ce mol. — Utilité et intérêt, II, 50. — Morales fondées sur
l'utilité ou morales utilitaires, II, 50-76. — Utilité sociale : fondement du droit
d'après St. Mill, Spencer, II, 133-134. — Fonction d'utilité publique incom-
bant à l'État, II, 248 ; 249-25o. —Richesse = production d'utilité, IL 353.
Utopie (du latin Utopia, nom d'une île imaginaire. Ce mot, tiré par Thoma s
MoRus de ou, non; tôttoç, lieu, figure dans son livre, plein de conceptions
aventureuses et irréalisables : De optimo reipublicae statu deque nova insula
Utopia, Bâle, 1518) : l'utopie est la conception imaginaire d'un gouvernement
idéal ou d'un projet quelconque irréalisable. — L'utopie est fille de l'ima-
gination, 233.
Utopique (de Utopie) : ce qui constitue une utopie ou ce qui procède par
utopie : Fr. Engels a opposé le Socialisme utopique au Socialisme scientifique.
Utopiste (de Utopie) : celui qui aime l'utopie ou qui fait des utopies ;
vg. un penseur utopiste.
Vacuisme (de Vacuum, vide, de vacare, être vide, vacant) : théorie des
Vacui^tes, c'est-à-dire de ceux qui admettent l'existence du vide dans la
nature. II, 509-510.
V .cuum formarum : expression fréquente chez Leibniz ; vg. « ... Utrum
d«tur vacuum formarum, c'est-à-dire s'il y a des espèces possibles, qui pourtant
n'existent point, et qu'il pourrait sembler que la nature ait oubliées... Je crois
qu'il y a nécessairement des espèces qui n'ont jamais été et qui ne seront jamais,
n'étant pas compatibles avec cette suite des créatures que Dieu a choisie. »
(Nouveaux Essais..., L. III, Ch. vi, § 12).
Vague ( Vagus, errant, indécis) : état vague de bien-être ou de malaise,
75-76. — Localisation vague des souvenirs, 204. — Nepas confondre le vagw,
c'est-à-dire ce qui est non fixé, non déterminé, avec V abstrait et le général, l'-tl .
— Danger du vague de la rêverie, 475. — Danger des mots vagues, 365 ;
454-455.
Vague (de l'islandais Vagr, de vagga, agiter) : bruit des vagues : exemple
de petites perceptions (Leibniz), 142, 4.
TABLE ANALYTIQUE : ValcuF — Véracité 973
Valeur ( Valorem, de valere, être fort, avoir de l'efficacité, du prix) : carac-
tère des choses qui fait : a) qu'elles sont plus ou moins estimées par un individu
ou un groupe ; vg. un tableau a plus de valeur piuir un connaisseur que pour
un profane ; — b) qu'elles méritent plus ou moins d'estime, à des titres divers,
c'est-à-dire selon la qualité qu'elles possèdent. — Valeur économique, II, 355.
— Valeur morale des actes, II, 30-31 ; 31. — Les Pragmatistes appellent
jugements de ç'oi^ur ceux qui se rapportent aux moyens à prendre pour atteindre
une fin obligatoire ou souhaitable.
Valeur de la connaissance : position du problème, II, 419-420. — Réponses
diverses : Scepticisme, II, 421-426. — lîelatiçisme, II, 426-450. — Dogmatisme,
II, 450-455.
Valide, Validité ( Validitas, i-alidus, vigueur, bien portant, résistant, puissant,
de valere, être fort) : a) Ce qui a une valeur démonstrative : vg. syllogisme valide,
concluant, 539 ; 561. — b) Ce qui est apte à produire l'effet auquel il est des-
tiné : vg. contrat valide, mariage valide,- II, 209-210 ;314.
Vanité ( Vanitas, vide, vanité, de vanus, vide, vain, pour vac-nus, même
racine que vac-uus) : a) Caractère de ce qui est sans consistance, illusoire ;
vg. la vanité des choses mondaines. — b) Caractère de celui qui est vaniteux.
Variabilité, Variable ( Variabilis, de variare, changer, de varius, bigarré,
tacheté, nuancé) : caractère de ce qui change. — Caractéristique : a) de la
sensibilité, 54-55 ; 78-79 ; b) du plaisir et de la douleur, 63 ; 65-66. — Les
quantités variables en Mathématiques, 627.
Variation ( Variatio, de variare, variatum, changer, de varius, bigarré,
nuancé) : changements successifs dans un ordre de faits. — Variation de
l'expérience (Bacon), 661. — IMéthodc des variations concomitantes, 669.
— Variations des espèces, II, 613-614 ; 617-618.
Variété ( Varietas, de varius, bigarré, nuancé) : espèce et variété, II, 614, 1 ;
694. — Élément (tu beau, II, 382.
Vazquez (Père Gabriel) : fondement de l'ubligation, II, 108-109. —
Argument ontologique, II, 571, 4.
Végétal (du latin scolastique Vegetalis, de vegetare, exciter, vivifier, de
vegetus, vif, dispos, plein de vie, de vegeo, même racine que vigere, être plein
de force, être florissant, être en estime) : activité du végétal, 48. — Règne
végétal, 251 ; 252 ; 694.
Végétatif (du latin scolastique Vegetativus, de vegetatum, supin de vegetare,
exciter) : puissance végétative (Aristote), 43. — Vie végétative, 48.
Veille (substantif verbal de Veiller, de vigilare, de vigil, éveillé, vigilant,
de vigere, être fort) : la veille et le rêve, 476-477.
Velléité (du latin scolastique Velleitas, de velle, vouloir) : semblant de
volonté, 358.
Ventura de Raulica (Père Joachim) : Fidéisme, 818, 6,
Vengeance (de Venger, de vindicare, réclamer en justice, revendiquer,
venger, de vim dicere, menacer de violence) : punition d'une offense pour
assouvir son ressentiment. — Inclination malveillante, 94.
Véracitâ (du latin scolastique Veracitas, de verax, véridique, sincère, de
verus, vrai) : caractère de celui qui respecte la vérité. — Jnetinct de véracité
974 TABLE ANALYTIQUE : Verbal — Vérités premières
(Reid), 737, 1. — Qualité requise dans les témoins, les documents, 738 ; 742.
— Véracité divine : critérium du vrai (Descartes), 818, 1, — Devoir moral
de la véracité, II, 168. — Véracité de Dieu, II, 597.
Verbal ( Verbalis, de verbuin, mot, parole, verbe) : a) Ce qui concerne les
mots. — La logique étudie l'expression verbale de la pensée, 509-510 ; 514,
— Définition verbale ou nominale, 521 ; 524. — b) Ce qui se compose de mots
plus ou moins vides de pensée, 279 ; 454 ; 843. — c) Ce qui contient un verbe :
vg. proposition verbale, par opposition à la proposition nominale ; à lui seul
le verbe peut former une proposition, 464.
Verbalisme (de Verbal) : a) Caractère de ce qui est verbal. — b) Emploi
de mots vides de pensée : psittacisme, 279 ; 454 ; 843.
Verbe ( Verbum, parole, verbe) : a) Nom de la seconde personne de la Sainte
Trinité, II, 413. C'est la parole éternelle du Père. Cf. Bossuet, Élévations sur
les mystères, 11^ Semaine, Élévations 1-4. — b) Sens : 1°) logique : rôle du verbe
dans le jugement, 267 ; 2°) grammatical, 464 ; le verbe grec, 460, 4 ; 3°) scolas-
tique : les Scolastiques appellent verbe mental ou intérieur l'idée que se forme
l'esprit, parce qu'elle est comme une parole qu'il se dit à lui-même. —
c) Paroles intérieures qui accompagnent la pensée, 452, 5.
Verbo-auditif (de Verbum, parole ; auditum, supin de audire, entendre) :
type intellectuel, chez qui l'image verbale, accompagnant la pensée et la
parole, est surtout une image auditive, 206.
Verbomanie (de Verbum, parole ; mania, i/avia, rage, folie) : terme créé
par Ossip-LouRiÉ pour exprimer « le développement anormal de la faculté
de la parole « {Le Langage et la Verbomanie, Ch. 111, § II, p. 61, Paris, 1912).
Verbo-moteur (de Verbum, parole ; motor, de motum, supin de movere,
mouvoir) : type intellectuel, chez qui l'image verbale, accompagnant la pensée
et la parole, est surtout une image motrice, 206. $
Véridique (Veridicus, de verus, vrai ; dicere, dire) : a) Celui qui dit la vérité ;
vg. un témoin véridique, 738. — b) Ce qui est conforme à la vérité ; vg. dépo-
.sition véridique.
Vérification (de Vérifier, du latin scolastique, verificare, de verus, vrai,
facere, faire) : acte par lequel on contrôle par les faits si une proposition est
vraie ou si une hypothèse est fondée. — Vérification : a) de Vhypothèse, 232 ;
654 ; 659-660 ; — b) de Vanalogie, 709-710.
Vérité ( Veritas, de verus, vrai) : définition générale : conformité de la pensée
et des choses, II, 475. — a) Vérité logique ou subjective : conformité de la pensée
à son objet, 768. — b) Vérité ontologique, métaphysique ou objective : confor-
mité des choses à la pensée qui les a produites, 769 ; 769-770 ; II, 475. —
c) Vérité morale ou Véracité : conformité de la parole à la pensée, 769 ; II, 168.
— Critérium de la vérité : systèmes divers, 810-839. — Vérité illuminatrice
(S. Augustin), II, 452. — S'oppose à Fausseté.
Vérités éternelles : preuve de l'existence de Dieu, II, 567.
Vérités morales : définition, 782-783. — Leur certitude et leur démonstra-
tion, 783-784 ; 793.
Vérités premières : jugements portant sur des rapports nécessaires, univer-
sels, évidents. — Classification, 288. — Rôle dans la pensée et dans les sciences.
TABLE ANALYTIQUE : Vem (Comte p.) — Vinculum substantiale 975
291-292. — Caractères, 292. — Vérités premières et lois scientifiques, 294. —
Comparaison avec les notions premières, 295. — Origine des vérités premières :
systèmes divers, 299-318.
Verri (Comte Pierre) : le plaisir, fait négatif, 57.
Vertébré ( Vertebratus, de vertebrn, articulation, vertèbre, de vertere, tourner) :
caractères du vertébré, 691 ; 696 ; 697.
Vertige ( Vertigo, mouvement de rotation, tour, vertige, de vertere, tourner) :
sa cause, 471. — « Vertige mental » (expression de Renouvier) : propension
de l'esprit, sous l'influence d'une émotion ou passion vive, à donner, sans
raison ou en dépit de la raison, son assentiment aux propositions qui se
présentent.
Vertu ( Virtutem, virilité; force, courage, mérite, de vir, homme) : a) Pou-
voir : vg. vertu de l'aimant. — ■ b) Disposition habituelle à vouloir faire le bien
en général ou tel genre de bien déterminé (de là variété des vertus : vertus
morales ou cardinales, théologales). — c) Habitudedudevoir,II, 129. — Science
du bien (Socrate, Platon), II, 124. — Ressemblance à Dieu, harmonie
(Platon), II, 125. — Juste milieu (Aristote), 64-65; II, 126. — Autres
définitions (3Ialebranche, Kant), II, 128-129. — Division des vertus, II, 129,
— Vertu, intérêt et récompense, II, 78-79 ; 121-122. — Vertu et sentiment,
II, 87. — Vertu kantienne, II, 87-88 ; 99-100. — Vertu stoïcienne, 87-88 ; 93-95.
Vibration ( Vibratio, de vibratum, supin de vibrare, agiter, brandir) : hypo-
thèse des vibrations cérébrales pour expliquer la conservation des idées, 197.
Vice ( Vitium] : a) Ce qui est défectueux ; vg. un vice de méthode. —
b) Disposition habituelle a vouloir mal faire; l'habitude du 'mal, II, 124. . —
Vice et liberté, 373 ; 402.
Vico (Giovanni-Battista) : les trois âges périodiques de l'histoire, 748-
749, 1.
Vide (du latin populaire Vocita, pour vacuata, participe passif de vaciiare,
vider, de vacuus, vide, non occupé) : a) Absence de matière dans une portion
déterminée de l'espace, II, 506. — Descartes nie le vide, II, 509. — b) Au
figuré : absence de contenu ; vg. le vide de la pensée.
Vie ( Vita, de i^ivere, victum, vivre) : a) Sens propre : activité immanente
par laquelle un être organisé est capable de se nourrir, de s'accroître et de se
propager, 47 ; II, 523-524. — Degrés : vie végétative, sensitive ou animale,
raisonnable, 48-49 ; 491-495. — Nature du principe vital : systèmes divers :
1°) Mécanisme (Descartes), II, 524 ; 2») Organicisme (Cabanis), II, 525 ;
30) Vitalisme (Barthez), II, 526; 4°) Animisme (Aristote), II, 527. —
b) Sens analogique : ensemble de phénomènes qui présentent des caractères
analogues à ceux de la vie proprement dite : vg. la vie du langage, 449, 2, 3.
Vieillesse (de Vieil, forme primitive de vieux, de vetulum, petit vieux,
•diminutif de vêtus) : caisses de retraite pour la vieillesse, II, 265.
ViGOUROUx (Abbé Fulcran) : unité primitive du langage, 460, 1.
ViLLEMAiN (Abel-François) : langue d'un peuple, 723.
Vincent de Paul (Saint) : charité inventive, 233.
Vinculum substantiale : expression de Leibniz à propos de l'union de
rame et du corps, II, 543, 1.
976 TABLE ANALYTIQUE : Vindicte — Vogt (Karl)
Vindicte ( Vindicta, affranchissement, défense, punition, de vindicare,
réclamer en justice) : a) Sentiment de la peine méritée par le crime comme une
juste réparation de l'ordre violé. — b) La vindicte publique : poursuites en
matière criminelle faites au nom de la société, II, 166, 2.
Violence ( Violentia, de violentus, violent, de vis, force, par un intermédiaire
perdu) : caractère de ce qui est violent, c'est-à-dire : a) Ce qui contrarie la
nature d'un être et s'impose à lui : faire violence. — b) Ce qui se déploie avec
impétuosité, vg. passion violente, 114. — La violence morale atténue la respon-
sabilité. II, 116. — Droit de repousser la violence par la violence, II, 166. —
La violence extérieure vicie le consentement, II, 314.
ViRCHOW (Rudolf) : nie l'existence des générations spontanées, II, 632, 1.
Virtualité, Virtuel (du latin Virtualis, de virtus, force, qualité active) : ce^
qui n'existe qu'en puissance, c'est-à-dire : a) Ce qui est simplement possible :
la statue est virtuellement dans un bloc de pierre, 47. — b) Ce qui est déjà
plus ou moins prédéterminé, encore que latent. — Virtualité des notions
premières (Leibniz), 315. — Erreur virtuelle, 796-797. — Intention virtuelle,.
II, 33. — Productivité virtuelle de l'argent, II, 357. — S'oppose à Actuel,.
Formel.
Visible ( Visibilis-, de visuni, supin de videre, voir) : signes visibles, 435.
Vision ( Visio, de visum, supin de videre, voir) : a) Fonction de la vue, 74 ;
157 ; 179-180 ; 181 ; 186 ; 187 ; 192-193. — b) Intuition : vg. la vision en Dieu
de Malebranche, 310. — c) Perception visuelle d'une réalité surnaturelle: vg.
dans les états mystiques. — d) Hallucination : perception à vide, 225.
Visionnaire (de Vision) : celui qui a des visions, aux sens c) et d).
Visuel ( Visualis, qui a rapport à la vue, de visus, vue, de videre, voir) :
sensation visuelle, 190 ; 192-193. — Type visuel, 206.
Vital ( Vitalis, de vita,^Yie) : ce qui constitue ou ce qui concerne la vie. —
Sensation vitale. 75 ; II, 528. — Sens vital, 158. — Effort vital, 58 ; II, 528.
— Le mouvement vital, II, 523-524. — Principe vital, force vitale : systèmes
divers, II, 524-529.
Vitalisme (de Vital) : a) Doctrine de l'École de Montpellier sur le principe
vital, IL 526. — b) Toute doctrine qui admet cjue les phénomènes vitaux sont
irréductibles aux phénomènes physico-chimiques.
Vitesse (de Vite) : vitesse des sensations, 726.
Vivacité ( Vivacitas, vitalité, vivacité, de vivax, vivace, de vivus, animé,
vif) : vivacité de l'impression première 198. — La perception est plus vive que
le souvenir, 203. — Vivacité de l'image dans : a) le rêve, 474-475 ; b) Vhallu-
cirtation, 225 ; 226 ; 234 ; 487 ; c) Vhijpnotisme, 481-482.
Vivisection (de Vivus, vivant ; section, de sectio, de sectuin, supin de secarc,
coupen : utilité et inconvénients, 725 ; 699.
Vocabulaire (de Vocabulum, nom, de vocare, appeler, nommer, de vox.
voix, Sun, parole) : ensemble des mots propres à une langue, à une science, 450.
Vocation ( Vocatio, de vocatum, supin de vocare, appeler, nommer, de vox,.
voix, parole) : mouvement intérieur par lequel on se sent appelé par Dieu à tel
genre de vie. — Liberté de répondre à la vocation, II, 186.
VoGT (Karl) : matérialisme, II, 540.
TABLE ANALYTIQUE : Voie — Vote 977
Voie ( Via, pour i>eh-ia, celle qui transporte, de vehere, voiturer, transporter) :
simplicité des voies de la nature, 658-659.
Vol (substantif verbal de voler, de volare, se mouvoir dans l'air ; puis, par
l'intermédiaire de la locution : « L'épervier vole la perdrix », s'approprier le
bien d'autrui) : restitution, II, 194.
Volapuk : projet de langue universelle commerciale, 462.
Volitif (du radical Vol, qui est dans volo, vouloir. Cf. 'soûXoaai. fio/oacc.) :
acte qui se rapporte à la volonté, 34.
Volition (du radical Vol, qui est dans volo, vouloir) : acte de la volonté,
50 ; 358. — Sa nature (Spinoza, Condillac), 361.
Volontaire ( Voluntarius, de volnntas, volonté, de volo, vouloir) : a) Acte
de la volonté, 34 ; 50 ; 355. — L'activité volontaire, 354-432. — Différence
entre volontaire et libre, 356 ; 402-403. — Habitude volontaire et habitude
de la volonté, 423. — b) Ce qui est fait volontiers, sans contrainte, encore
que nécessaire : c'est ainsi que nous voulons le bonheur ; 356 ; 402-403. —
c) Qui a de la volonté : soit en bonne part ; vg. c'est un homme de volonté,
de caractère, 364 ; soit en mauvaise part : c'est un volontaire, c'est-à-dire
un capricieux ou un entêté.
Volontarisme (de Voluntarius, volontaire) : a) Système de ceux qui donnent
la prééminence, le primat à la volonté sur l'intelligence ; vg. Duxs Scot. —
b) Doctrine de Schopenhauer, d'après laquelle le fond des choses doit être
conçu par analogie avec les tendances irrationnelles de la volonté, 365, 1 ;
II, 648-649. — c) Doctrine psychologique soutenant que c'est « d'après l'ana-
logie du vouloir qu'il faut concevoir tous les autres processus psychiques ».
(W. WuNDT, Grundriss der Psychologie, Introduction, § 2, n° 6).
Volonté ( Voluntas, de volo, vouloir) : a) Activité réfléchie, 355. — b) Force
plus ou moins grande du caractère : un homme de volonté, 364. — c) Dispo-
sition morale à vouloir de telle ou telle manière : vg. « Bonne volonté » (Kant,
Fondement de la Métaphysique des mœurs, au début) ; « Mauvaise volonté »
(Leibniz, Théodicée, P. III, § 273). — d) Tendance foncière d'un être : vg. la
volonté de vivre de Schopenhauer : principe universel instinctif par lequel
tout être tend à réaliser le type de son espèce ; — la Volonté de puissance de
Nietzsche : c'est la recherche « d'un surplus de force » [ein plus von Macht).
— Activité volontaire, 354-432. — Volonté et liberté, 356 ; 402-403. — Analyse
de l'acte volontaire, 357. — Part de la volonté dans la délibération et l'exé-
cution, 359. — Nature de l'acte volontaire : un jugement (Spinoza), 361 ; un
désir (Condillac), 361. • — Caractères de la volonté, 363. — Influence de la
volonté sur : 1°) V organisme, 363 ; 471 ; 2°) la sensibilité, les passions, 364 ;
3°) r intelligence, 364 ; 4°) le caractère, 364 ; 405-406. — Volonté : antécédente
et conséquente, 393, 1. — Éducation de la volonté, 411. — Habitude et
volonté, 423 ; 425. — Influence du physique sur la volonté, 469. — Influence
de la volonté sur le physique, 471-472. — L'effort volontaire, origine de
l'idée de cause, 327. — Qualités, défauts, maladies de la volonté, 367. —
Cf. Fr. Vincent, Saint François de Sales, Directeur d'âmes : la formation d>-
la volonté, Paris, 1923-.
Voltaire (François-Marie Arol'et, dit) : l'instinct de l'abeille, 1U6.
Vote (de l'anglais Vote, dérivé de votum, vœu, offrande, de votum, supin
de voveo, vouer, souhaiter) : droit politique, 369 ; II, 281. — Espèces, II, 282.
978 TABLE ANALYTIQUE : Vrai — Zèlc
Vrai (pour Verai, qui se rattache à verwn, vrai) : voir Vérité.
Vraisemblable, Vraisemblance (de Vrai et Semblable, Semblance, à l'imi-
tation de verisimilis, verisimilitudo = i'erum, vrai ; similis, similitudo, sem-
blable, ressemblance) : te qui paraît vrai, admissible. — Vraisemblance
métaphysique, physique, morale, 738-739. — Les Sceptiques relatifs cherchent
le vraisemblable, II, 425. — ■ S'oppose à Invraisemblable, Invraisemblance.
Vue (substantif participe de Voir, de videre) : a) L'un des cinq sens. — Objet
«t organe de la vue, 157. — La troisième dimension et la distance sont-elles
des perceptions naturelles de la vue ? 179-180. — Perceptions acquises, 181.
— Rôle, 186. — Sens esthétique, 186. — Erreurs de la vue, 187. — b] Au
figuré : vue de l'esprit, c'est-à-dire la façon de se représenter les choses.
Wagner (Rudolf) : monisme psychobiologique, II, 442-443.
Weber (Alfred) : contradiction de Kant, II, 436, 2. '
Weber (Ernst Heinrich) : loi de Weber, 727.
Weiss (Jean-Jacques) : résultat de l'instruction primaire, II, 261, 2.
Wellington (Arthur Wellesley, Duc de) : contre le duel, II, 168, 1.
Whitney (William-Dwight) : élaboration progressive du langage, 447, 3 ;
449, 3. — Diversité des langues originairement unes, 460, 2.
WiELAND (Christoph-Martin) : idéal esthétique, II, 90.
WiLMERs (PÈRE Wilhelm) : limitation du droit de propriété, II, 193-194.
WoLF (Johann-Christian) : méthode en philosophie, 7. — Ordre à suivre,
10. — Origine du plaisir, 60. — Critérium de la vérité, 816, 2.
Wolston, Wollaston (William) : nature de l'idée du bien, II, 103-104.
Wundt (Wilhelm) : phénomènes inconscients, 142. — Suggestion hypno-
tique, 481, 1. — ■ Nature du raisonnement inductif, 677-678. — Expériences
psycho-physiques, 726. — Pampsychisme, II, 443.
Xénophon (H£vo'.iwv, ami de Socrate, de çsvo;, étranger, hôte ; ©aoj.
briller) : vertu de Socrate, 392, 1. — Argument des causes finales dans les
Mémorables, II, 562.
Zeiller (René) : mécanisme inexplicable du transformisme, 622-623.
Zèle {Zelus, jalousie, Ç/iao;, ébullition, ardeur, zèle, rivalité, de Çéco,
bouillir) : empressement à agir pour le service de quelqu'un.
TABLE ANALYTIQUE : Zététiquc — Zoologic 979
Zététique (Zr|Tr,T[/.ôç, qui aime ou qui est apte à chercher, de 'Ar--M,
chercher) : a) La méthode zététique, c'est la méthode d'investigation : vg.
l'analyse, 616. — h) C'est le nom donné quelquefois au Scepticisme (r, '".■r-.-r-vAr.,
sous-entendu le mot i-;wir,^ direction particulière de l'esprit, doctrine, école),
parce que les Pyrrhoniens faisaient profession d'être toujours en quête de
la vérité, sans trouver d'autre conclusion que celle de ne jamais rien affirmer
comme certain, II, 421. — ■ Les Pyrrhoniens étaient nommés o'i '/.r-r-v/M
les chercheurs.
Zeuxis (ZîuHtç) : copie de la nature, II, 400.
Zoographie (Zo)ycacpia, art de peindre la nature animée, de çôiov, vivan
Ypa,ic'.v, décrire) : c'est la Zoologie descriptive.
Zoologie (de Zwov, vivant ; Àôvo;, discours) : sa place dans les sciences,
593 : 647.
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pe Série : L'éducation esthétique. — Le Beau d'après saint Augustin. —
Ruines antiques : Elatée, Ithaque et l'Odyssée. — L Acropole de Périclès. —
Parthénon et Notre-Dame. — Virgile et les Sculpteurs rhodiens [Comparaison] :
La Mort de Laocoon. — • Les jeux séculaires d' Auguste et le Carmen sseculare
d'Horace. — La plus ancienne représentation du Sacrifice eucharistique. —
Les trois Romes. — Deux poètes de Notre-Dame : Jacopone da Todi et Adam de
Saint- Victor. — Le Dôme d'Orvieto 3 fr.
11^ Série : Pinturicchio et l'Ecole ombrienne. — La physionomie morale et
littéraire de La Bruyère. — Le génie de Bufjon. — Thomas Cray, le mélancolique
auteur de l'Élégie écrite dans un cimetière de village. ■ — - La collection artistique
de Dutuit au Petit-Palais. — Berryer orateur politique et judiciaire. . 3 fr.
Librairie H. Champion, Paris, 5, quai Malaquais.
Ilios et Iliade. 2" édition, 1 vol. in-S", xv-V17 pp. (Epuisé).
Librairie Desclée, Paris, 30, rue Saint- Sulpice.
Le MAitRE ET l'Elève : Fra Angelico et Bcnozzo GozzoU. 1 vol. in-'i. dt;
276 pp., orné de gravures (Epuisé).
Librairie Bloud et Gay, Paris, 3, rue Garancière.
Pourquoi les Dogmes ne meurent pas. 4'' édition 1 fi-. 50.
Valeur apologétique du Martyre. 4^ édition. (Traduit en espagnol,
Madrid, Gregorio del Almo) 1 fr. 50.
Le Procès de Galilée. 6^ édition (Traduit en italien, Rome, Desclée, et en
espagnol, Madrid, Gregorio del Almo) 1 fr. 50.
Librairie Téqui, Paris, 82, rue Bonaparte.
Métaphysique des Causes, par le P. Th. de Régnon, avec une Notice bio-
graphique par Gaston Sortais. I vol. in-8", de xviii-663 pp. 2^ é^it. 11 fr. 25
Librairie G. Beauchesne, 117, rue de Rennes.
Œuvres oratoires du R. P. Chambellan, S. J., recueillies et publiées par
Gaston Sortais. 2 vol., de 582 et 727 pp. (T. II, épuisé). T. L. . 8 fr.
La Providence et le Miracle devant la Science moderne. 1 vid. in-12,
de 192 pp. 2e édition 5 fr.
Librairie J. de Gigord, Paris, 15," rue Cassette.
L'Attitude des Catholiques en face de la Démocratie et ix Droit
COMMUN. 1 vol. in-18 Jésus, de viii-309 pp 3 fr. (50
212-23. — Imp. des Orphelins-.Vpprenlis d'.\uteiiil. 40, rue La FoHtaine, l'ari* (ICi')
IMPR. DES ORPHELINS-APPRENTIS D'AUTEUIL
40, RUK LA FONTAINE 40, PARIS (XYI«>
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